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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie

Fascicule no 44 - Témoignages du 24 mai 2018


OTTAWA, le jeudi 24 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, afin de poursuivre son étude de ce projet de loi.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.

[Traduction]

Je m’appelle Art Eggleton, et je suis un sénateur de Toronto et je préside le comité. Je vais demander à mes collègues du comité de se présenter.

La sénatrice Omidvar : Ratna Omidvar, Ontario.

La sénatrice McCallum : Mary Jane McCallum, Manitoba.

Le sénateur Dean : Tony Dean, Ontario.

La sénatrice Deacon : Marty Deacon, Ontario.

Le sénateur Manning : Fabian Manning, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Neufeld : Richard Neufeld, Colombie-Britannique.

[Français]

La sénatrice Poirier : Rose-May Poirier, du Nouveau-Brunswick. Bienvenue.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, Montréal, Québec, et vice-présidente du comité.

Le président : Nous poursuivons aujourd’hui l’étude du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois. Ce matin, nous nous intéressons particulièrement au cannabis médicinal avec les deux groupes de témoins que nous accueillons.

Dans le premier groupe de témoins, j’ai le plaisir d’accueillir Phil Emberley, directeur de l’Association des pharmaciens du Canada, et Jean Thiffault, membre et président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires. Nous recevons Jeremy Jacob, président de l’Association canadienne de dispensaires de cannabis médical, et Philippe Lucas, vice-président, Recherche et accès pour les patients, de Tilray.

Bienvenue à vous tous. Je vous demanderais de bien vouloir nous présenter vos déclarations liminaires. Je pense que MM. Emberley et Thiffault vont partager leur temps. Vous avez jusqu’à sept minutes pour vos déclarations liminaires, et nous commencerons par vous deux.

Phil Emberley, directeur, Association des pharmaciens du Canada : Bonjour, et merci de nous fournir l’occasion d’être ici aujourd’hui. J’exerce le métier de pharmacien ici, à Ottawa, et je suis directeur de la recherche et du développement des pratiques à l’Association des pharmaciens du Canada. Je suis accompagné de Jean Thiffault, propriétaire d’une pharmacie à Laval et président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires.

Nous sommes ici aujourd’hui au nom des pharmaciens du Canada qui sont des spécialistes des médicaments et qui s’assurent que les médicaments sont sécuritaires et qu’ils conviennent à chaque patient qu’ils voient. Nous vérifions la présence de problèmes possibles liés aux médicaments et les réglons, examinons les effets secondaires et travaillons avec les patients pour nous assurer que leurs médicaments sont bons pour eux.

D’abord, j’aimerais dire que nous appuyons de façon générale le projet de loi C-45. Nous croyons qu’il offre les mesures de protection nécessaires et adopte une approche de santé publique à l’égard de la légalisation du cannabis récréatif. Nous sommes ici aujourd’hui pour parler de ce qu’il manque au projet de loi. Nous sommes préoccupés par rapport aux répercussions de la légalisation du cannabis sur les patients qui consomment du cannabis médicinal pour traiter la douleur, l’épilepsie, la sclérose en plaques et d’autres problèmes de santé. Si la législation ne tient pas dûment compte du régime de cannabis à des fins médicinales, cela aura de graves répercussions sur nos patients.

Par conséquent, nous allons axer aujourd’hui nos commentaires sur la séparation du cannabis médicinal et du cannabis récréatif et sur le rôle des pharmaciens dans le traitement de problèmes de santé au moyen du cannabis médicinal.

Par rapport à la question des régimes différents, plus de 270 000 patients sont enregistrés afin d’obtenir du cannabis médicinal au Canada. Ces patients ont des besoins uniques qui diffèrent de ceux des consommateurs récréatifs. Les consommateurs à des fins médicinales pourraient avoir besoin de souches et de formes, comme celles que l’on retrouve dans le cannabidiol, pour atténuer les symptômes et réduire au minimum l’intoxication. Ces patients ont aussi besoin de services de soutien clinique, comme ceux qu’ils recevraient avec tout autre traitement médical.

Même si le gouvernement canadien a signalé son intention de maintenir deux régimes distincts, jusqu’à présent, il s’est presque entièrement consacré à la réglementation du marché récréatif, sans vraiment tenir compte des patients qui consomment du cannabis. L’approche réglementaire proposée maintient essentiellement le statu quo pour le cannabis à des fins médicinales en vertu du Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales, ou RACFM. Cela fera en sorte qu’il sera plus facile d’accéder au cannabis à des fins récréatives qu’au cannabis à des fins médicinales et risque d’amener des patients dans le régime récréatif.

Actuellement, lorsque les patients reçoivent un document médical pour se procurer du cannabis, l’accès est strictement offert par l’entremise des distributeurs autorisés par commande postale ou au moyen de la culture personnelle. Les patients auront peu d’incitatifs pour continuer d’accéder au cannabis de cette façon une fois que le cannabis récréatif sera largement accessible dans les magasins de détail, particulièrement depuis que le gouvernement a fait savoir qu’il souhaite imposer un cadre de taxation semblable pour les deux régimes.

Si l’accès facilité pousse les patients vers le régime du cannabis récréatif, ceux-ci risquent de perdre toute la surveillance médicale dont ils font l’objet, et cela augmente les possibilités de complications. Nous devons nous assurer que les patients qui consomment du cannabis médicinal sont soutenus et protégés grâce à un régime médical distinct et qu’ils sont encouragés à continuer d’utiliser ce régime une fois que le cannabis à des fins récréatives sera légal.

[Français]

Jean Thiffault, membre, président, Association québécoise des pharmaciens propriétaires, Association des pharmaciens du Canada : Merci de nous permettre de faire entendre la voix des pharmaciens à travers le pays, et particulièrement ceux du Québec, où la question de la distribution du cannabis thérapeutique en pharmacie fait consensus au sein de toute l’industrie. En effet, autant l’Ordre des pharmaciens du Québec que les pharmaciens que nous représentons partagent notre avis selon lequel le cannabis thérapeutique doit être distribué sous la supervision d’un professionnel de la santé. Cette position fait également consensus au sein de la classe politique québécoise, des différents partis d’opposition et même de la part de la ministre Lucie Charlebois, qui a elle-même affirmé appuyer notre démarche.

La distribution en pharmacie du cannabis thérapeutique trouve également écho auprès de la population et des patients. Selon un sondage effectué en février 2016, 52 p. 100 des Canadiens souhaitent que la distribution du cannabis thérapeutique passe par les pharmaciens. Au Québec, d’après un sondage réalisé en décembre dernier, 75 p. 100 de la population souhaitent que la vente de cannabis thérapeutique soit clairement encadrée par des réseaux structurés et crédibles, et seulement 4 p. 100 des Québécois estiment que le cannabis thérapeutique devrait être distribué par la poste, tel qu’il l’est actuellement.

Pour nous, en raison des effets et des interactions possibles du cannabis thérapeutique avec d’autres médicaments, il ne fait aucun doute que seul le pharmacien est adéquatement outillé pour en assurer une supervision professionnelle et qu’il faut mettre un terme à la distribution postale actuelle. Nous croyons que le cannabis thérapeutique, parce qu’il est prescrit par un médecin, doit être considéré au même titre que tout autre produit sur ordonnance, ce qui signifie qu’il doit être dispensé par un pharmacien qui en assurera ensuite le suivi thérapeutique et l’intégrera au dossier-patient de l’utilisateur. En ayant ainsi accès au profil pharmacothérapeutique complet du patient, grâce au dossier en pharmacie, mais aussi au dossier de Santé Québec, le pharmacien peut non seulement assurer un suivi auprès du patient, mais aussi mieux le conseiller.

Rappelons aussi que le cannabis, comme tout autre produit prescrit, présente différentes caractéristiques avec lesquelles seul un pharmacien est en mesure de composer. Pensons notamment aux anciens combattants souffrant de stress post-traumatique ou aux patients ayant des problèmes de santé mentale pour qui le cannabis thérapeutique est une troisième, voire une quatrième ligne de traitement, mais qui prennent aussi beaucoup d’autres médicaments. Il existe un danger réel lié aux interactions médicamenteuses, aux contre-indications et aux effets secondaires, et le pharmacien est outillé pour composer avec ces situations.

De plus, il est important de rappeler que le réseau des pharmacies est un réseau rigoureusement sécurisé tout au long de la chaîne d’approvisionnement et entièrement informatisé, permettant ainsi une sécurité et une traçabilité qui sont loin d’être aussi optimales avec le système actuel de distribution postale. En ce sens, les systèmes de surveillance des stupéfiants et des opiacés déjà en place en pharmacie constituent le meilleur outil afin de protéger les données confidentielles des patients et de permettre une surveillance clinique des détournements, des ordonnances multiples de plusieurs médecins et des surprescriptions.

[Traduction]

M. Emberley : Merci encore une fois de nous fournir l’occasion de représenter aujourd’hui les pharmaciens canadiens.

Les pharmaciens sont déterminés à faire en sorte que leurs patients aient accès à une pharmacothérapie appropriée et que celle-ci soit sécuritaire et efficace. À mesure que nous allons de l’avant avec la légalisation du cannabis récréatif, nous demandons au gouvernement de s’assurer qu’il existe une distinction claire entre les régimes du cannabis récréatif et du cannabis médicinal, ainsi que des incitatifs pour que les patients restent dans le régime du cannabis médicinal. Nous croyons en outre que les pharmaciens représentent des ressources inexploitées qui devraient être utilisées pour renforcer le régime du cannabis médicinal, au moyen de la dispensation et de la surveillance clinique appropriées, comme nous le faisons pour tous les autres médicaments.

Je vous remercie et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Nous accueillons maintenant l’Association canadienne de dispensaires de cannabis médical.

Jeremy Jacob, président, Association canadienne de dispensaires de cannabis médical : Je remercie les sénateurs de me fournir l’occasion de m’adresser à la salle.

Pour ne rien vous cacher, en plus de mon rôle à l’Association canadienne de dispensaires de cannabis médical, je suis aussi ingénieur en mécanique et je possède 15 ans d’expérience de travail dans le secteur des énergies renouvelables. Je suis père de quatre filles adultes et aussi cofondateur de Village Bloomery, une boutique de cannabis médicinal située à Vancouver, en Colombie-Britannique.

L’ACDCM a été formée en 2011 afin de fournir aux patients un accès sécuritaire, abordable et uniforme au cannabis et d’assurer la transition des entreprises qui les servent vers le marché réglementé. L’ACDCM représente la moralité, l’éthique et la compassion.

L’ACDCM a participé à la création du programme sur les règlements administratifs de la marijuana médicinale de Vancouver. Nous avons été invités à nous asseoir avec le groupe de travail fédéral et avons été mobilisés par de multiples ordres de gouvernement tout au long de ce processus; enfin, nous avons présenté de nombreux articles au gouvernement.

L’ACDCM est une association autoréglementée et elle publie les seules lignes directrices sur le fonctionnement des dispensaires au Canada. C’est avec ces lignes directrices que les dispensaires de l’ACDCM ont adopté les normes les plus élevées concernant le système de vente au détail de cannabis au Canada.

Nous félicitons le gouvernement fédéral de ses efforts visant la légalisation du cannabis récréatif et son inclusion dans le programme des détaillants ayant pignon sur rue. Toutefois, l’absence de règlements concernant les comptoirs de service pour le cannabis médicinal demeure une omission malheureuse dans le projet de loi C-45.

Nous avons quatre demandes clés à formuler à l’endroit du Sénat : créer une exemption de la taxe d’accise pour les patients en milieu médical et autoriser l’exercice de l’exemption dans les comptoirs de service au détail; améliorer l’accès des patients au moyen des comptoirs de service médicaux et de la diversité des produits; encourager la transition du plus grand nombre de participants possible dans l’industrie vers le marché réglementé; et s’assurer que l’amnistie et la radiation du casier judiciaire font partie de la légalisation du cannabis.

Le premier point que nous faisons valoir, c’est qu’un écart au chapitre de l’accès a été créé en raison du manque d’accès à des comptoirs de services médicaux réglementés et aux programmes du RAMFM, du RMFM et du RACFM. Par une majorité écrasante, les Canadiens qui vivent dans des régions où ils ont accès à des dispensaires communautaires ont choisi cette avenue pour accéder à du cannabis médicinal. L’interaction en personne, la diversité des produits et l’accessibilité en temps réel à des renseignements utiles et aux produits sont les raisons principales pour lesquelles les commerces de services ont été en mesure de combler cet écart en matière d’accès.

Ce sont des éléments essentiels pour ce qui est d’aider les consommateurs à comprendre l’utilisation des produits du cannabis et d’obtenir les meilleurs résultats en matière de bien-être. Dans le système réglementé, s’il n’y a pas d’allègement de la taxe d’accise et de remboursement des frais supplémentaires dans le cadre du programme médical fédéral, de nombreux Canadiens vont continuer de chercher à obtenir l’accès pour des raisons médicales par l’intermédiaire des commerces de services récréatifs réglementés.

Notre recommandation pour combler cette lacune en matière d’accès serait de fournir aux patients une exemption de la taxe d’accise et de leur permettre de consommer dans des commerces de services de détail réglementés. En plus, il faut fournir aux praticiens un programme d’éducation qui leur permettra d’accroître leurs connaissances et de se sentir plus habilités à accorder l’accès à des patients.

Pour qu’on puisse assurer la réussite d’un programme réglementé, celui-ci doit imiter le programme non réglementé. En Colombie-Britannique, l’industrie a été autorisée à évoluer au fil du temps, en écoutant les besoins des gens. Il est impératif que les consommateurs puissent trouver la gamme complète de produits actuellement disponibles dans le marché non réglementé au sein du marché réglementé, sinon ils retourneront vers ces sources de marché non réglementé.

En ce qui concerne les fleurs, les extraits et d’autres produits très puissants, nous nous prononçons fermement contre des restrictions sur ces produits. Nous devons faire confiance aux Canadiens pour prendre des décisions responsables pour eux, comme ils le font avec chaque autre produit qui est à leur disposition. Les produits très puissants sont essentiels pour ceux qui doivent composer avec des douleurs chroniques et un cancer, et ils sont particulièrement pertinents lorsqu’il s’agit de contrer la consommation d’opioïdes. Des doses ingérées de 50 à 100 milligrammes sont assez courantes pour les patients qui font la transition entre les opioïdes et le cannabis non toxique et non létal. Le manque d’accessibilité de produits très puissants risque de laisser des patients sans les outils efficaces qui les servent en ce moment et d’exacerber la crise des opioïdes, plutôt que de fournir des options viables en matière de réduction des méfaits.

Les cinq ans prévus pour l’examen du programme de cannabis à des fins médicinales est trop long pour que les patients puissent attendre, et nous demandons au Sénat de modifier le projet de loi C-45 de sorte que le programme médical soit examiné en entier en une année tout au plus. Nous vous demandons de bien vouloir vous assurer que les patients ont accès à des commerces de services et à des produits diversifiés, et que les praticiens puissent recevoir une éducation élargie.

Maintenant, en ce qui concerne la transition, la Colombie-Britannique possède une industrie du cannabis mature et robuste qui est un moteur économique clé dans la province. Les économies régionales dans l’ensemble de la Colombie-Britannique dépendent du cannabis pour assurer leur stabilité économique. Cette industrie est plus grande que celles de la foresterie, de la pêche et des mines combinées en Colombie-Britannique. C’est la plus grande culture commerciale de la province, et la majorité des participants dans cette industrie sont par ailleurs des citoyens respectueux des lois. C’est ce que dit un rapport de Justice Canada qui a été porté à l’attention du Sénat par d’autres intervenants. Bon nombre de ces participants de l’industrie attendent impatiemment une occasion de transition et une chance d’être réglementés.

Nous croyons comprendre, d’après Santé Canada, que la diversité des produits figure dans le plan et que de nombreuses catégories de microlicences pour les petits producteurs sont produites. Nous demandons au Sénat de prendre des mesures pour s’assurer que cette transition est le plus inclusive possible. Le fait d’affaiblir le marché non réglementé grâce à l’inclusion est une façon beaucoup plus noble de mettre fin à la prohibition que de prolonger et d’élargir la guerre ratée contre le cannabis. C’est conforme à ce que nous avons vu dans des États américains qui ont réussi à assurer la transition des participants existants de l’industrie.

Enfin, la guerre contre la drogue a contribué à criminaliser de façon disproportionnée les pauvres, les Premières Nations du Canada et les Canadiens de couleur. Cela doit cesser, et il faudrait commencer par accorder l’amnistie aux criminels non violents ou aux personnes emprisonnées en raison du cannabis et procéder à la radiation de leur casier. Le ministre Ralph Goodale a dit qu’on pourrait prendre cela en considération une fois la légalisation adoptée, mais nous demandons au Sénat de s’assurer que l’amnistie et la radiation des casiers judiciaires font partie du projet de loi C-45. L’amnistie faisait partie de la résolution originale du Parti libéral sur la légalisation de la marijuana.

J’ai de nombreux autres commentaires. Je répondrai à toutes vos questions sur ceux-ci ou sur tout autre sujet, et nous vous remercions de nous fournir l’occasion de présenter notre point de vue et notre perspective sur le projet de loi C-45.

Le président : Merci beaucoup. Nous recevons maintenant Philippe Lucas, vice-président, Recherche et accès pour les patients, de Tilray.

Philippe Lucas, vice-président, Recherche et accès pour les patients, Tilray : Merci beaucoup, monsieur le président. Je m’appelle Philippe Lucas, je suis vice-président, Recherche et accès pour les patients à Tilray. Je suis aussi chercheur universitaire auprès de l’Institut canadien de recherche en toxicomanie. Cela fait plus de 20 ans que je travaille auprès de patients consommant du cannabis à des fins médicinales. J’ai commencé en tant que patient, puis j’ai longtemps défendu la cause des patients avant d’être un fournisseur pour les patients, et depuis les 15 dernières années environ, je suis chercheur sur le cannabis médicinal, et je m’intéresse aussi aux habitudes de consommation des patients et à la consommation de cannabis comme substitut à l’alcool, aux opioïdes et à d’autres substances.

La première fois que j’ai eu l’occasion de témoigner devant le Sénat, en 2002, c’est lorsque le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites parcourait le pays. Je dois dire que je pense que le président Nolin aurait été très fier du travail que le Sénat a fait sur cette question, et j’aimerais qu’il soit ici pour voir les progrès que nous avons réalisés dans ce dossier qui était si cher à ses yeux.

Vous avez devant vous un document, et, si vous voulez, vous pouvez suivre l’exposé avec les quelques données dont je vous ferai part. J’espère pouvoir vous communiquer des données éclairantes sur les habitudes de consommation des patients. J’aimerais commencer par vous parler de la place que Tilray et le Canada occupent sur la scène internationale dans le cadre du programme médical.

Tilray est un pionnier mondial et il fournit actuellement du cannabis dans dix pays répartis sur cinq continents. Une occasion unique s’offre au Canada en ce moment : être un chef de file dans la fourniture de cannabis médicinal dans des pays du monde entier, que ce soit dans l’Union européenne, en Allemagne, au Chili, en Amérique du Sud ou en Afrique. Le cannabis à des fins médicinales produit au Canada aide les patients aux quatre coins de la planète, et c’est une occasion unique créée pour les producteurs canadiens de cannabis médicinal.

Nous exploitons une installation ultramoderne. Nous sommes la première installation certifiée portant la mention BPF à Nanaimo, en Colombie-Britannique, et nous avons récemment annoncé un partenariat avec Sandoz, qui est la première relation importante avec une grande société pharmaceutique qui s’est nouée, jusqu’à présent, au sein de cette industrie du cannabis médicinal. Nous sommes heureux de dire que nous avons participé à des essais cliniques importants afin d’apporter un peu de lumière et d’accroître les connaissances au sujet du cannabis médicinal. Nous avons récemment terminé un essai clinique avec le SickKids Hospital où nous avons examiné l’épilepsie pédiatrique, et les résultats concernant la façon dont il a aidé les enfants qui souffrent de troubles épileptiques graves sont frappants.

Je vais maintenant communiquer les résultats de la Tilray Observational Patient Study, qui est, à ce jour, la plus grande étude de suivi longitudinal nationale menée auprès de patients qui consomment du cannabis médicinal. L’étude a lieu en ce moment dans 19 centres médicaux qui se trouvent dans 5 provinces différentes. Nous faisons le suivi des répercussions du cannabis à des fins médicinales sur la qualité de vie et l’utilisation de médicaments d’ordonnance. En ce moment, plus de 1 450 personnes participent à l’étude, et nous continuons de recruter en vue de l’étude. Aujourd’hui, je vais communiquer les résultats préliminaires de 573 patients qui ont terminé au moins une étude de suivi. Cette analyse de données a été effectuée en coopération avec l’Université de la Colombie-Britannique, un centre appelé CHÉOS.

Sur la page des conclusions, vous verrez que l’échantillon est composé à 55 p. 100 de femmes dont l’âge moyen est de 49 ans, ce qui peut aller à l’encontre d’une partie de la perception du public concernant qui consomme du cannabis médicinal au Canada. Ce ne sont vraiment pas seulement des hommes de 18 ans qui fument un joint dans un sous-sol, en attendant qu’un médecin rédige une ordonnance pour légaliser la consommation à des fins récréatives. Depuis mes 20 années de travail auprès de patients, ce que je vois habituellement, ce sont des personnes d’âge moyen qui ont subi des échecs au traitement ou ont obtenu des résultats insatisfaisants avec des produits pharmaceutiques traditionnels et qui cherchent des solutions de rechange. Et, en fait, les aînés et les femmes forment le groupe qui connaît la croissance la plus rapide dans le programme de cannabis à des fins médicinales en ce moment, au Canada.

Les trois principaux symptômes signalés par les patients étaient la douleur chronique, l’insomnie et l’anxiété. Et, de fait, nous voyons qu’environ 80 p. 100 des patients canadiens consomment du cannabis pour traiter la douleur et un trouble de santé mentale, et ceux parmi vous qui ont des antécédents médicaux sauront que ce sont souvent des cas de comorbidité. La douleur et la santé mentale sont souvent perçues comme des comorbidités. Les patients qui ont des états de douleur à long terme présentent souvent des problèmes de santé mentale, et le contraire est aussi vrai.

La consommation moyenne de cannabis était de 8,9 grammes par semaine, et la méthode de consommation la plus courante était l’ingestion par voie orale. Nous ne voyons plus de patients au Canada qui fument généralement le cannabis à des fins médicinales. Nous constatons que les extraits deviennent de plus en plus importants dans le cadre des soins, au même titre que la vaporisation.

Fait assez intéressant, le type préféré de cannabis dans cette étude était le cannabis à forte teneur en CBD, ce qui a suscité beaucoup d’enthousiasme parmi la communauté médicale, parce qu’il n’affaiblit pas les capacités et qu’il est devenu de plus en plus important en ce qui concerne les soins des patients, même si je veux faire ressortir qu’un grand nombre de patients dépendent encore du THC et des produits à forte teneur en THC pour leurs soins.

Le nombre élevé de femmes participantes ainsi que la préférence pour les extraits à forte teneur en CBD marquent un changement important dans les habitudes de consommation des patients, par rapport à ce que nous avons vu par le passé.

Sur la prochaine diapositive, vous verrez que le pourcentage de patients qui consomment des opioïdes ou des médicaments antidouleur non opioïdes, des antidépresseurs, des anticonvulsivants, des benzodiazépines et des somnifères ou des myorelaxants a diminué de façon importante six mois après le début du traitement. Nous ne pouvons donc pas examiner le cannabis à des fins médicinales de façon isolée lorsque nous observons les répercussions qu’il a sur la vie des gens et leur santé. Vous devez examiner les répercussions qu’il a sur la réduction de la consommation d’autres substances.

Ici, j’ai communiqué des données ayant trait aux répercussions sur les médicaments d’ordonnance, mais des études passées et des études que j’ai menées, ainsi que celles que d’autres personnes ont menées, ont démontré des réductions non seulement dans la consommation de médicaments d’ordonnance, mais aussi dans la consommation d’alcool et de tabac, en plus de réductions dans la consommation de substances illicites, simplement par l’introduction du cannabis médicinal dans le cadre des soins fournis aux patients.

Sur la prochaine diapositive, vous verrez les données propres à la consommation d’opioïdes. Je suis sûr que je n’ai pas besoin de faire part au comité de la crise des opioïdes à laquelle nous assistons au Canada. Je pense honnêtement que les données soutiennent le fait que le cannabis peut jouer un rôle pour ce qui est d’interrompre la crise des surdoses d’opioïdes, qui entraîne de très grandes répercussions dans ma province d’origine, la Colombie-Britannique, mais qui touche également tout le Canada et toute l’Amérique du Nord en ce moment.

Avec cette population de patients, nous voyons que la consommation d’opioïdes a été déclarée au départ, par 32 p. 100 des patients, et en six mois, ce chiffre était passé à 13 p. 100 des patients dans l’étude; il s’agit donc d’une réduction importante du pourcentage de patients qui consomment des opioïdes, et elle résulte de l’introduction du cannabis dans le cadre de leurs soins.

La prochaine diapositive est encore plus spectaculaire. Elle montre que la consommation moyenne d’opioïdes est passée de 187 milligrammes par jour à 48 milligrammes par jour après six mois, soit une diminution de 74 p. 100. En fait, environ 50 p. 100 des consommateurs initiaux d’opioïdes avaient cessé de consommer des opioïdes au bout de six mois. Nous constatons une réduction importante de la dépendance aux opioïdes, et je pense que le cannabis médicinal ajoute clairement un outil à la trousse d’outils des médecins et des patients qui veulent gérer la douleur chronique.

En outre, vous voyez aussi des améliorations importantes de la qualité de vie, et les plus grands changements étaient observés dans la santé physique, avec une augmentation de 31 p. 100 six mois après le début du traitement, et la santé psychologique, où on a vu une augmentation de 17 p. 100 dans la qualité de vie des patients. Vous réduisez donc la consommation de médicaments d’ordonnance et la dépendance envers ceux-ci et améliorez la qualité globale de la vie des patients également.

Je veux dire que les objectifs liés au cannabis thérapeutique que s’est donnés le gouvernement sont la normalisation et la réduction des effets nocifs, et je suis préoccupé par le fait que certaines des politiques du projet de loi C-45 sont incompatibles avec ces objectifs importants. Le premier point que je veux soulever a trait à quelque chose que mon collègue et ami Jeremy a mentionné, c’est-à-dire la question de la taxation. Le coût est un obstacle persistant en matière d’accès pour les Canadiens gravement malades et les malades chroniques qui consomment du cannabis médicinal dans le cadre de leurs soins. Au cours des 20 dernières années, j’ai pris part à cette lutte afin d’essayer de réduire le coût pour les patients. Chez Tilray, nous réduisons le coût en accordant des rabais à des patients à faible revenu, et nous accordons aussi un rabais de 10 p. 100 aux aînés.

Je m’inquiète vraiment de la taxation persistante du cannabis à des fins médicinales. Le cannabis médicinal devrait être traité au même titre que tous les autres médicaments d’ordonnance au Canada. Il ne devrait pas être du tout soumis à une taxe, surtout pas à une taxe d’accise « sur les vices ». Cela n’a aucun sens et ne tient pas compte des objectifs du gouvernement de normaliser la consommation du cannabis thérapeutique.

C’est un peu ahurissant. J’ai été représentant élu pendant un certain temps, et je ne comprends pas les politiques qui sous-tendent cela. Il n’y a aucun appui politique concernant la taxation persistante du cannabis thérapeutique. Je n’ai jamais rencontré un politicien, un représentant élu ou un sénateur qui a dit : « J’appuie très fermement la poursuite de la taxation des Canadiens gravement malades et des malades chroniques. » Et personne ne s’oppose au retrait de la taxe, donc je presse vraiment le Sénat en tant que Chambre de second examen objectif d’assumer un rôle de leadership à ce chapitre et de faire en sorte que le cannabis médicinal ne soit plus visé par une taxe dans le cas des Canadiens gravement malades et des malades chroniques qui peuvent tirer des bienfaits de sa consommation.

Le deuxième élément que j’aimerais aborder concerne l’image de marque intelligente et efficace et les effets qu’elle peut avoir pour réduire les méfaits et améliorer la santé publique. Les patients ont besoin de clarté, et les consommateurs doivent recevoir une orientation. C’est ce qu’ils nous ont dit, et ils ont parlé à maintes reprises aux comités du Sénat de leur besoin de clarté et d’orientation lorsqu’il s’agit de la consommation médicinale et récréative de cannabis. Le cannabis médicinal est plus sûr que bien des médicaments sur ordonnance qui sont disponibles; pourtant, les restrictions à l’image de marque dans le cadre du projet de loi C-45 signifieront que le cannabis médicinal ne peut pas avoir la même image de marque que tous les autres médicaments d’ordonnance, même lorsque cela finit par se retrouver dans le système pharmaceutique.

Cela n’a simplement aucun sens. Les restrictions de l’image de marque du cannabis thérapeutique devraient être les mêmes que pour tous les autres médicaments d’ordonnance et ne devraient pas être assujetties aux restrictions de l’image de marque prévues dans le du projet de loi C-45.

De plus, l’emballage neutre accroît le risque d’erreurs relatives aux médicaments. De nombreuses études scientifiques étayent ce fait, et nous avons entendu des histoires aux États-Unis où des patients voulant consommer un produit contenant du CBD et ont accidentellement consommé un produit contenant du THC. Même si ce n’est pas une situation fatale, cela entraîne beaucoup d’inconfort. Nous devons absolument différencier les produits semblables par des couleurs et d’autres marques visuelles afin d’améliorer la santé et la sécurité publiques. La réglementation devrait encourager la différenciation plutôt que l’homogénéisation de ces produits, particulièrement s’ils vont finir par se retrouver dans le système pharmaceutique et parce que nous constatons une consommation accrue par les patients au Canada.

Pour parler davantage de la consommation à des fins récréatives, grâce à l’identité visuelle, les consommateurs établissent une distinction entre des produits de qualité élevée et de moins bonne qualité, et des produits plus sûrs et plus dangereux. Afin de dissuader les gens de fumer et de les inciter à consommer du cannabis de façon sécuritaire, la réglementation devrait tenir compte des différentes normes en matière d’identité visuelle entre les produits qui se fument et ceux sans fumée.

Le projet de loi C-45 présente une occasion unique d’éloigner les consommateurs de cannabis de l’ingestion par la fumée, et nous ne devrions pas gâcher cette chance d’améliorer la sécurité publique. Si nous nous permettons davantage de doter d’une image de marque dans un marché les produits qui sont sans fumée, nous pouvons en réalité changer les habitudes de consommation de la population, qui passeront des produits fumés aux produits sans fumée. Je pense que c’est une occasion que nous ne devrions pas gaspiller du point de vue de la santé publique.

Je vous remercie beaucoup et je suis impatient d’entendre vos questions.

Le président : Je vous remercie tous de votre déclaration liminaire. Avant de donner la parole à mes collègues pour les questions, permettez-moi d’abord de vous en poser une au début.

Vous avez tous dit que la taxe d’accise ne devrait pas être appliquée dans le cas du cannabis médicinal et que celui-ci devrait être visé par une exemption. L’Association des pharmaciens a d’abord dit qu’il doit y avoir une mesure incitative pour continuer d’utiliser ce régime une fois que le cannabis récréatif sera légal.

Pensez-vous tous que l’exemption de la taxe est la seule chose qui est nécessaire pour y arriver? Ou laissez-vous entendre que d’autres choses sont nécessaires pour inciter les gens à utiliser ce régime plutôt que de se tourner vers le nouveau type de régime commercial concernant la consommation récréative? Je vais commencer par l’Association des pharmaciens.

M. Emberley : Nous avons énoncé notre position selon laquelle la marijuana à des fins médicinales devrait être exemptée à des fins fiscales et devrait être détaxée au même titre que d’autres médicaments d’ordonnance. Nous n’avons pas présenté notre position concernant quelles mesures incitatives il conviendrait de prendre au-delà de ça.

Le président : Pensez-vous que cela fonctionnerait? Dans le cas du Québec, comme vous nous le dites, la plupart des gens voudront aller dans les magasins, les boutiques ou les pharmacies pour le faire.

M. Thiffault : Ce n’est pas seulement un sujet d’ordre économique. C’est un sujet clinique. Nous parlons ici de médicaments, et nous ne parlons jamais de la façon dont un professionnel s’occupe des patients et les supervise.

Le cannabis ne devrait pas être taxé au même titre qu’un médicament d’ordonnance, mais il n’y a pas que ça. Il y a aussi l’exigence professionnelle qui est nécessaire pour le produit. La taxe est une bonne chose, mais beaucoup d’autres choses doivent être faites.

Le président : Oui, sauf que vous ne voyez pas ce niveau de participation en ce moment dans le système.

M. Lucas : Je suis tout à fait d’accord. Je ne saurais trop insister sur l’importance que revêt cette relation patient-médecin lorsqu’il est question de la consommation de cannabis à des fins médicinales, particulièrement avec les consommateurs plus naïfs qui arrivent dans le programme, avec les enfants et les aînés qui ont peut-être eu peu d’expérience au chapitre de la consommation de cannabis médicinal dans le passé. Je suis très préoccupé par le fait que s’il n’y a pas de différenciation des prix au moyen de taxes ou de frais supplémentaires, nous verrons seulement des gens qui s’administrent eux-mêmes des médicaments au moyen du système récréatif — au grand détriment, je pense, de ces patients et de ces résultats.

Les médecins connaissent de plus en plus la différence entre le THC et CBD et la consommation appropriée de l’un ou de l’autre. Ils deviennent aussi de plus en plus au courant de l’utilisation des produits fumés ou inhalés, par rapport aux produits ingérés par voie orale.

Le président : Je comprends ce que vous dites au sujet de l’exemption à l’égard de la taxe. Vous dites tous la même chose. Cela sera-t-il suffisant?

M. Lucas : Hier, j’ai eu l’occasion de présenter un exposé dans le cadre d’une conférence sur les payeurs privés, et je l’ai fait aussi la semaine dernière. Une des choses sur lesquelles nous travaillons, c’est obtenir une augmentation de la couverture des payeurs privés contre les blessures accidentelles pour le cannabis médicinal également, en tant que précurseur, et obtenir au final une couverture provinciale pour le cannabis médicinal. Cela se produit maintenant avec la couverture initiale de la Sun Life, la couverture offerte par Green Shield et, bien sûr, la couverture offerte par Anciens Combattants Canada pour les patients également. Je pense que cela incitera les gens à rester dans ce système médical.

M. Jacob : C’est une excellente question. Je pense que Philippe a visé juste. Nos programmes médicaux doivent couvrir ces coûts, particulièrement pour les patients gravement malades. Le coût du cannabis thérapeutique peut être assez élevé, et pour bon nombre de ces personnes qui sont gravement malades, qui souffrent de troubles épileptiques, de cancer, de fibromyalgie, cela peut être débilitant. Elles ne sont pas en mesure de travailler et n’ont souvent pas les moyens de payer pour leur programme de cannabis, qu’elles ont choisi pour améliorer leur santé et leur bien-être.

L’inclusion de cela, de quelque façon que ce soit, procurerait un avantage à de nombreux Canadiens.

Le président : Ce serait un effort de longue haleine. Il vous faudrait les inclure sur les formulaires, et vous auriez toutes sortes de campagnes à faire par rapport aux régimes du secteur privé.

Je vais céder la parole à mes collègues.

La sénatrice Seidman : Merci à vous tous de vos exposés. Ils nous ont fourni toute une quantité de renseignements importants, donc je vous en remercie.

J’aimerais poursuivre dans la même veine que le président. J’aimerais vous poser une question, monsieur Thiffault, sur ce à quoi vous avez fait allusion comme étant le rôle clinique par rapport au rôle économique.

Selon le sondage que vous avez cité, il ressort clairement que plus de la moitié des Canadiens veulent voir le cannabis médicinal distribué dans une pharmacie. Et que les Québécois sont particulièrement préoccupés au sujet de la distribution postale.

J’aimerais que vous nous en disiez davantage au sujet des problèmes liés à la distribution postale au Québec, pourquoi les gens sont mécontents par rapport à cela. De toute évidence, le rôle d’un pharmacien… Je crois comprendre, en tant que Québécoise, que le rôle d’un pharmacien est axé sur le patient, et, de fait, le comité a mené une étude sur les sociétés pharmaceutiques au Canada, une étude triennale, et nous avons examiné les conséquences imprévues et les problèmes entourant la polypharmacie et le rôle de la surprescription. Nous nous sommes entretenus avec des pharmaciens qui ont vraiment un système d’information, recueillent les données, sont très axés sur le patient et sont souvent les seuls qui connaissent le nombre de médicaments qu’un patient prend.

Pourriez-vous nous donner plus de renseignements au sujet de la situation au Québec et de la façon dont vous voyez le rôle des pharmaciens ici? Plus précisément, pourriez-vous nous parler un peu de l’importance de la chaîne d’approvisionnement dans la pharmacie et de la façon dont cela fournirait une chaîne d’approvisionnement sécuritaire pour le cannabis, dont nous avons entendu dire ici qu’il s’agit d’un enjeu très important. Je sais que c’est beaucoup.

M. Thiffault : Si vous me permettez, je vais poursuivre en français.

[Français]

On parle beaucoup d’accès au cannabis, mais peu de la prise en charge. Il faut s’assurer que le patient recevra le bon produit et que les doses seront contrôlées. On parle seulement du problème économique de l’accès au produit. Le système actuel m’apparaît poser un problème de conflit d’intérêts apparent, car le producteur vend directement au patient. On n’accepterait pas qu’une compagnie pharmaceutique vende directement au patient un produit prescrit.

Il faudrait y avoir un intermédiaire neutre, supervisé par un ordre professionnel, qui s’assure que le bon produit est utilisé aux bonnes doses pour contrôler les prescriptions qui pourraient être « complaisantes » pour des patients qui n’ont pas nécessairement un besoin clinique. On parle d’un produit prescrit par un médecin. Je pense que c’est le rôle du pharmacien. Il y a des cliniques financées par des producteurs de cannabis pour que les patients obtiennent des prescriptions. Cela soulève des questions au Québec. Les gens sont sensibles à cette perception de conflit d’intérêts.

Il y a des coûts qui explosent. On voit la consommation et le nombre de patients augmenter. On l’a vu avec les anciens combattants; le budget a explosé. Est-ce que tous ces patients ont besoin de cannabis? Je ne pourrais pas le dire. Ils ont cependant tous besoin d’un encadrement clinique, que ce soit pour les opiacés ou autres produits antidouleur.

Vous avez parlé de la chaîne d’approvisionnement. Oui, c’est une chose que je pense que le système de pharmacie peut permettre. Au Québec, pour le côté récréatif, la Société des alcools du Québec va mettre sur pied une organisation fermée. Si l’on permet la vente exclusive de cannabis médical en pharmacie, au Québec, ce seront les deux seuls réseaux qui pourront vendre du cannabis récréatif en ligne.

Ce sont deux réseaux excessivement étanches et fermés. On reçoit en pharmacie des narcotiques, de la méthadone et d’autres médicaments contrôlés avec une chaîne d’approvisionnement complètement étanche du producteur jusqu’à la pharmacie. Quant à la qualité de l’approvisionnement, on vient de fermer beaucoup de portes. On met de la transparence dans le système. On établit un ordre professionnel qui s’assure que les pratiques scientifiques seront respectées et qu’on fasse avancer la science. Nous suggérons d’inscrire tous les patients qui reçoivent du cannabis thérapeutique dans un projet de recherche afin de développer des consensus de prescription. Cela ferait en sorte que les médecins soient mieux outillés pour prescrire le cannabis.

Finalement, je suis d’accord avec M. Lucas pour dire que le cannabis peut aider à diminuer l’utilisation des opiacés et autres médicaments. Toutefois, ce ne sont pas des médicaments qu’on diminue sans supervision professionnelle. Cesser de prendre un antidépressif peut causer des problèmes de sevrage ou des rechutes. Une supervision médicale est nécessaire afin de tirer le profit maximum du cannabis et de diminuer peut-être l’usage des opiacés et d’autres médicaments.

Voilà la position du Québec.

[Traduction]

Le président : J’aimerais rappeler à tous que chaque sénateur a cinq minutes, et cela comprend la réponse. Si vous posez des questions courtes et que les réponses sont courtes, vous aurez plus de temps pour d’autres questions et réponses.

La prochaine période de cinq minutes appartient au sénateur Manning.

Le sénateur Manning : Merci à nos témoins. Monsieur Thiffault, dans vos commentaires, vous avez parlé des efforts concernant la distribution postale. Je me demande ce que vous dites aux gens qui vivent dans des régions éloignées du pays et n’ont pas accès à une pharmacie, qui n’en ont pas dans leur collectivité et qui doivent pouvoir obtenir les médicaments que le médecin leur a prescrits. À votre avis, comment pourrions-nous tenir compte de ces gens?

M. Thiffault : Je ne connais pas la situation ailleurs au Canada. Au Québec, il n’y a pas tant d’endroits où vous ne pouvez accéder à une pharmacie dans un rayon de 20 ou 30 kilomètres. Nous avons des livraisons. Les gens ont besoin de médicaments d’ordonnance réguliers, donc ils peuvent avoir accès à du cannabis par l’intermédiaire du système réel. Il y a donc un moyen pour apporter des médicaments à des régions éloignées. Je suis sûr qu’il y a une façon d’apporter du cannabis aussi grâce au système régulier déjà en place.

En ce qui concerne les commandes postales, nous savons qui accuse réception du produit, mais qui le consomme? Savons-nous s’il s’agit d’un patient mineur? Nous ne savons pas qui consomme le produit une fois que celui-ci est envoyé. Dans la pharmacie, nous le savons; chaque fois, nous vérifions auprès du patient si l’état de santé a changé, et ainsi de suite.

M. Lucas : Je voulais répondre pour dire que l’industrie en général appuie l’accès axé sur les pharmacies. Nous estimons que les pharmaciens jouent un rôle de première ligne important dans la fourniture de soins de santé et que la présence de cannabis dans les pharmacies offre une occasion de pharmacovigilance afin de pouvoir faire le suivi de la consommation du cannabis à des fins médicinales des patients, ainsi que des répercussions sur les médicaments d’ordonnance — le type de recherches que je mène.

Je suis un peu préoccupé par rapport à la suggestion selon laquelle tout patient au Québec doit faire partie d’un projet de recherche, contre son gré dans beaucoup de cas, afin de pouvoir accéder à du cannabis médicinal. En tant que défenseur des droits depuis longtemps, je crois que cela va à l’encontre de certains des droits constitutionnels des patients, soit celui d’accéder à du cannabis médicinal au Canada, mais c’est la situation dans laquelle nous nous retrouvons en ce moment, au Québec.

À mon avis, en outre, même si j’appuie l’accès à des pharmacies, je ne crois pas que nous devrions cesser toutes les commandes postales pour les mêmes raisons que celles que le sénateur Manning vient de mentionner. Je m’inquiète du fait que les patients qui sont confinés à la maison et qui pourraient vivre dans des collectivités éloignées ne soient pas en mesure d’accéder aux pharmacies aussi facilement qu’on le laisse entendre. Et je pense donc que tout ce qui peut augmenter les options pour les patients, de mon point de vue, doit être bénéfique, y compris l’accès axé sur les pharmacies, mais je ne crois pas que cela devrait être le mode exclusif d’accès pour les patients.

Le sénateur Manning : Merci. Je me questionne au sujet de la préoccupation qui a été soulevée ici ce matin et dans le passé selon laquelle les gens qui n’ont pas accès au cannabis médicinal ou n’ont pas les moyens de s’en payer vont se tourner vers le régime récréatif, le marché noir ou quoi que ce soit d’autre. Du point de vue des coûts — et je ne sais pas bien comment c’est prescrit — pour un gramme de cannabis médicinal par rapport à un gramme de cannabis récréatif, quel est le coût pour le consommateur?

M. Jacob : Dans le marché existant, l’écart est vaste — cela va de 5 $ ou 6 $ à 15 $, en fonction du grade, de la qualité du produit et du type de cannabis. Ces prix devraient être reproduits dans le marché récréatif.

La gamme complète des qualités et des types différents de cannabis est ce que les consommateurs recherchent.

En ce qui concerne le cannabis médicinal, il y a de très nombreuses et diverses souches, de très nombreux effets uniques liés à ces souches et de multiples interactions différentes chez les personnes. Il faut passer par un processus d’élimination pour trouver ce qui fonctionne pour vous.

Cela s’applique aux produits inhalés et aux produits à base de teinture. Chaque plant possède un profil chimique unique de cannabinoïdes et de terpènes. Le processus qui consiste à trouver la correspondance parfaite peut devenir coûteux si vous êtes limité dans vos achats. Par exemple, si vous utilisez le système de commandes postales, je crois qu’il y a des commandes minimales. Si vous jugez que cette commande minimale ne fonctionne pas, vous vous retrouvez soudainement avec un lot de produits coûteux que vous ne pouvez pas consommer.

La solution à cela, c’est l’accès aux commerces de services et la capacité d’acheter en petites quantités, de trouver votre chemin, de trouver ce qui fonctionne, puis de décider quels produits vous conviennent.

M. Lucas : Je suis d’accord avec les affirmations de M. Jacob. Je dirais, toutefois, que la différence de coût entre le produit du marché illicite et le cannabis médicinal est environ la même. Comme M. Jacob l’a dit, le prix varie de 5 $ à 15 $, et c’est la même chose, que vous achetiez le produit d’un producteur autorisé ou d’un dispensaire.

Toutefois, je m’inquiète du fait que la taxation du cannabis médicinal sous sa forme actuelle ne décourage les patients de pouvoir accéder au produit autant qu’ils en ont besoin. Cela force parfois des patients à choisir entre mettre de la nourriture dans le frigo ou payer le loyer et obtenir autant de cannabis médicinal dont ils ont besoin pour gérer leurs symptômes. C’est une préoccupation, tout comme l’absence d’options offertes aux patients au sein du système actuel pour ce qui est d’accéder à des produits comestibles, à des cartouches de vaporisateurs et à des vaporisateurs stylos qui deviennent de plus en plus populaires chez les patients consommant du cannabis médicinal au Canada et à l’échelle internationale.

Le coût est environ le même, mais il y a une disparité en ce qui concerne les produits auxquels une personne peut accéder dans le cas du système légal par rapport à ceux du système actuellement non réglementé.

Le sénateur Dean : Merci de vos exposés très utiles. Je remarque que vous semblez tous être sur la même longueur d’onde quant aux avantages du cannabis médicinal, y compris nos collègues pharmaciens. Je suis particulièrement intéressé d’entendre et de voir les données probantes sur les avantages du cannabis par rapport aux enjeux touchant les opioïdes. Nous avons entendu ici des témoignages du contraire, bien sûr, soit que le cannabis constitue une porte d’entrée unique vers la consommation inappropriée d’opioïdes. Il s’agit de la deuxième audience d’affilée où nous entendons des témoignages exactement opposés.

J’aimerais entendre tous vos autres commentaires sur les opioïdes. Nous avons entendu quelques-uns d’entre vous parler de réduction et de traitement.

Comme deuxième question, nous avons parlé de la migration possible des consommateurs de cannabis médicinal vers le cannabis récréatif. Y a-t-il des possibilités, à la suite de tout ce que nous faisons ici ou pourrions faire à l’issue de vos recommandations sur les taxes, que nous voyions une migration inverse des consommateurs récréatifs vers un marché médical qui croît déjà rapidement? Ce sont mes deux questions.

M. Emberley : Je vais commenter la première question que vous avez posée.

Je travaille dans la pharmacie d’une clinique de désintoxication ici, à Ottawa. Nous voyons systématiquement des patients qui consomment des médicaments comme la méthadone et le Suboxone à qui l’on retire les opioïdes, et bientôt, nous verrons l’héroïne ajoutée à ce mélange.

Nous avons affaire à un récepteur lorsqu’il s’agit des opiacés. Il est différent du récepteur auquel le cannabis est lié, donc la substitution n’est pas parfaite. Même si nous sommes intrigués par les données probantes qui donnent à penser que cela pourrait servir à sevrer les personnes qui consomment des opioïdes, nous savons que cette transition est très complexe.

C’est une des raisons pour lesquelles, selon nous, les pharmaciens ont un rôle intrinsèque à jouer, ici. Comme je l’ai dit, il ne s’agit pas d’une substitution parfaite. Lorsqu’on procède au sevrage d’opioïdes de nos patients grâce à d’autres moyens, il faut utiliser une approche vraiment systémique en matière de réduction progressive. La façon d’y arriver… s’assurer qu’une personne ne rechute pas est quasiment un art. Nous avons remarqué que, dans beaucoup de cas, la rechute peut être encore pire du point de vue des résultats.

Encore une fois, les données probantes sont intrigantes et intéressantes, mais ce n’est pas là une substitution parfaite. Nous pensons qu’il faut plus de données probantes pour tirer une telle conclusion.

Pour répondre à votre deuxième question, nous croyons qu’il est possible pour des patients de passer d’une consommation récréative à une consommation thérapeutique. Actuellement, il y a un nombre limité d’indications pour lesquelles il a été démontré que le cannabis donne des résultats, mais nous savons que d’autres données probantes s’en viennent. À mesure que la quantité de données probantes augmentera, c’est peut-être quelque chose qui se produira. Selon nous, ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose, parce que nous savons qu’une hospitalisation sur neuf est attribuable aux effets indésirables des médicaments. Si les pharmaciens sont là, c’est en partie pour essayer d’atténuer ce problème.

Si plus de patients veulent obtenir une surveillance clinique de la part des pharmaciens pour s’assurer que leur cannabis thérapeutique est approprié vu les autres médicaments qu’ils prennent et qu’ils ne se retrouveront pas à l’hôpital, c’est important pour nous. Il pourrait assurément y avoir des résultats positifs qui sortiront de tout ça.

M. Lucas : Il y a de plus en plus de données probantes selon lesquelles le cannabis, plutôt que d’être une drogue d’introduction, est en fait une drogue de sortie de la dépendance. En 2014, une étude a été publiée dans le Journal of the American Medical Association selon laquelle les États américains permettant le recours au cannabis thérapeutique affichaient une réduction de 25 p. 100 des décès par surdose d’opioïdes comparativement aux États voisins qui n’avaient pas mis en place des programmes de cannabis thérapeutique. Plus les programmes étaient en place depuis longtemps dans les États, meilleurs étaient les résultats.

C’est très convaincant. Des données récentes du Colorado donnent à penser la même chose, c’est-à-dire que, en légalisant la consommation récréative et thérapeutique du cannabis, on constate d’importantes réductions des décès et de la mortalité liés aux surdoses d’opioïdes.

Nous venons tout juste de commencer ici, à Ottawa, une étude sur la substitution des opioïdes, à Recovery Ottawa, pour examiner l’incidence du cannabis thérapeutique sur le respect des traitements au Suboxone et à la méthadone. Les données préliminaires donnent à penser que les patients qui veulent arrêter de consommer des opioïdes sont très vulnérables lorsqu’ils commencent un traitement à la méthadone et au Suboxone et, s’ils se sentent ainsi, c’est à ce moment-là qu’ils sont le plus à risque de surdose. Si le cannabis peut aider ces patients à poursuivre leur traitement, en réduisant certains des symptômes de sevrage et les états de manque connexes, on pourrait en fait sauver des vies.

Nous avons hâte de vous communiquer ces données une fois qu’elles seront prêtes.

Je suis d’accord avec l’association pharmaceutique quant au fait que cette substitution des opioïdes doit se faire de façon vraiment délibérée et systémique. De plus d’une façon, on le fait de façon improvisée. Nous pouvons améliorer la santé publique en créant ici une stratégie de santé publique. Actuellement, le cannabis thérapeutique est un traitement de troisième intention en ce qui a trait aux douleurs chroniques. Les opioïdes sont le traitement de deuxième intention. Si nous suivons ces lignes directrices de traitement, il faut échouer le traitement aux opioïdes avant de pouvoir envisager un traitement avec le cannabis. Il faut moderniser ces lignes directrices pour, au moins, que le cannabis soit sur un pied d’égalité en tant que traitement de deuxième intention.

En ce qui concerne le transfert des patients d’une consommation récréative à thérapeutique, la norme est élevée actuellement. La barre est haute pour les patients qui veulent participer à notre programme de cannabis thérapeutique. Il y a actuellement 300 000 Canadiens inscrits à notre programme fédéral, mais, selon les sondages, environ 1 million de Canadiens affirment consommer du cannabis à des fins médicinales. Cela signifie que les deux tiers de ces patients ne font pas partie de notre programme actuellement. Je ne crois pas que nous allons assister à une migration massive vers le programme de cannabis thérapeutique par des consommateurs récréatifs tout simplement pour réaliser des économies mineures, alors qu’il sera beaucoup plus facile d’avoir accès à du cannabis consommé à des fins récréatives au Canada.

Le président : Merci.

La sénatrice Poirier : Merci à vous d’être là. J’ai tellement de questions que je crois que je vais opter pour une série de questions brèves, et je verrai bien si vous pourrez y répondre de la même façon afin que je puisse en poser le plus possible.

Pour faire suite aux questions du sénateur Manning, pourquoi y a-t-il une telle différence de coût entre la marijuana consommée à des fins récréatives et la marijuana thérapeutique?

M. Jacob : Comme Philippe l’a dit, les coûts correspondent, mais la question que vous posez, c’est peut-être celle de savoir pourquoi il y a une telle différence entre les deux extrêmes. C’est ce que vous voulez savoir?

La sénatrice Poirier : Oui.

M. Jacob : C’est une question de style de production : la production à grande échelle, les économies d’échelle, permettent de réduire les coûts. La production à plus petite échelle, la production artisanale et par petits lots, qui est plus intensive et qui exige plus de manipulation des plantes, est associée à des coûts plus élevés.

La sénatrice Poirier : Lorsqu’une personne achète de la marijuana thérapeutique et qu’une autre achète de la marijuana à des fins récréatives, ce sont là deux produits différents, n’est-ce pas?

M. Jacob : Non. Les deux types de produits existent dans les deux milieux. On parle des mêmes produits des deux côtés en fait.

La sénatrice Poirier : Si les patients peuvent obtenir du cannabis beaucoup moins cher du côté récréatif, pourquoi se présenteraient-ils dans un point de vente de cannabis thérapeutique pour en obtenir à part pour conserver leur confidentialité et bénéficier d’une surveillance liée à la santé d’un médecin et des pharmaciens qui savent de quelle façon les guider dans le cadre de leur processus thérapeutique associé à leur besoin de consommer de la marijuana? Est-ce là le seul avantage?

M. Jacob : Cela me permet également de répondre à votre question. Dans le marché du cannabis à des fins récréatives actuellement, nombre de personnes en consomment à des fins thérapeutiques et s’en procurent de cette façon en raison de la difficulté d’accès.

Nous avons eu l’exemple d’une personne qui est arrivée avec une blessure à l’épaule et qui ne voulait pas prendre les opiacés qui lui avaient été prescrits. Elle a commencé à prendre une teinture de cannabis composée d’un certain ratio de THC et de CBD, et elle s’est rendu compte qu’elle n’avait plus à prendre ses médicaments contre son TOC. Lorsque cela s’est su, ses enfants lui rappelaient toujours d’en prendre parce que son TOC revenait. Elle a pris du cannabis thérapeutique pour la douleur et s’est rendu compte que ses problèmes de santé mentale se réglaient d’eux-mêmes.

C’est une patiente qui, maintenant, possiblement, se rendra compte que le cannabis a ces avantages pour elle et elle tentera peut-être à nouveau d’avoir accès au programme de cannabis thérapeutique en en parlant à son médecin.

M. Lucas : Pour que ce soit clair, Jeremy et moi n’avons peut-être pas été clairs. Le coût d’un gramme de cannabis dans le système thérapeutique et le système de la consommation récréative est à peu près le même. On parle d’environ 5 à 15 $ le gramme.

Cependant, ce n’est pas là la différence entre le cannabis thérapeutique et le cannabis consommé à des fins récréatives. Le gramme à 5 $ dans le système thérapeutique coûterait la même chose dans le système de la consommation récréative. Il s’agit simplement de la fourchette habituelle des prix. La différence peut témoigner des différents niveaux de THC, et, dans beaucoup de cas, les produits à haute teneur en THC coûtent plus cher, que le produit soit consommé à des fins thérapeutiques ou récréatives. De plus en plus, les produits misant sur le CBD sont un peu plus dispendieux parce qu’il faut plus de plantes pour produire un extrait de CBD qu’il n’en faut pour produire un extrait de THC plus puissant. Ce peut être un coût prohibitif pour les Canadiens.

Soyons clairs : il n’y a pas de différence financière entre le cannabis consommé à des fins récréatives et le cannabis thérapeutique. Nous ne nous attendrions pas à ce qu’il y en ait, mais nous espérons que la taxe sur le cannabis thérapeutique sera éliminée afin que le produit soit détaxé.

La sénatrice Poirier : Je veux vous dire ce que j’ai entendu dans mon coin de la province. Les gens qui ont besoin de marijuana thérapeutique préféreraient, pour des raisons de confidentialité, pouvoir se rendre dans une pharmacie pour obtenir leur cannabis plutôt qu’aller dans un point de vente ou de se le faire livrer par la poste. J’entends dire que c’est ce que les gens veulent.

Je crois aussi savoir, monsieur Lucas, que, récemment, votre entreprise a signé une entente avec Shoppers Drug Mart pour fournir à l’entreprise sa marque de cannabis thérapeutique. L’entente était conditionnelle au fait que les pharmacies aient le droit de distribuer de la marijuana thérapeutique.

Quel est le principal facteur qui entrave la distribution pharmaceutique de la marijuana thérapeutique à l’heure actuelle? Si vous en avez, pourrez-vous en offrir à la pharmacie au même coût qu’une personne peut actuellement obtenir dans un autre système?

M. Lucas : Quelle série de questions formidables, merci.

Actuellement, le principal obstacle c’est qu’il n’y a pas de disposition explicite dans le projet de loi C-45 ni dans la réglementation actuelle permettant un accès en pharmacie. Nous sommes extrêmement préoccupés par la suggestion du gouvernement qui affirme vouloir y réfléchir dans le cadre de la deuxième série de changements réglementaires, peut-être même seulement en 2020.

Comme vous le savez, quand Santé Canada a lancé le RMFM, il y a quatre ou cinq ans, il avait prévu initialement la distribution en pharmacie. Le système de pharmacie à l’époque n’était pas à l’aise avec une telle mesure ni avec le niveau de consultation qu’il y avait eu, et les intervenants ont demandé d’être exclus de cette option. Évidemment, il y a eu tout un revirement, et les pharmaciens estiment maintenant vouloir participer. Et bien sûr, ils sont bien placés pour détecter les contre-indications et les synergies médicamenteuses.

Shoppers Drug Mart utilise une méthode unique. L’entreprise demande d’être un producteur autorisé au même titre que Tilray et les 100 autres producteurs autorisés au Canada afin de pouvoir acheter du cannabis auprès d’autres producteurs autorisés et de distribuer le tout dans son réseau.

Ce que Shoppers Drug Mart sera en mesure de faire au cours des prochains mois, ce n’est pas ce que les autres pharmacies pourront faire, parce que l’entreprise contourne la réglementation actuelle en devenant elle-même un producteur autorisé. Selon nous, c’est une bonne chose que le cannabis soit disponible par l’entremise de Shoppers Drug Mart, et nous aimerions que toutes les pharmacies au Canada puissent fournir du cannabis thérapeutique aux patients.

Je travaille là-dessus depuis 20 ans. Rien ne contribuera davantage à la normalisation du cannabis thérapeutique que le fait de pouvoir s’en procurer en pharmacie. Peu importe ce qu’on fait pour sensibiliser les patients — et nous avons un service d’aide 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ainsi de suite —, ils ont toujours l’impression que le cannabis est différent des autres médicaments parce qu’il est livré à domicile.

La sénatrice Poirier : Pourquoi les autres pharmacies ne peuvent-elles pas faire la même chose que Shoppers Drug Mart?

M. Lucas : Elles pourraient faire la même chose, mais le processus en vue de devenir un producteur autorisé est très long.

[Français]

La sénatrice Mégie : Je m’adresse aux deux pharmaciens, M. Thiffault et M. Emberley. Dans vos documents, vous avez soulevé le problème des dispensaires qui sont des points de vente qui se multiplient à vive allure depuis ces derniers mois. Est-ce que le terme « dispensaire » est un terme consacré? Dans les recommandations ou les amendements, y a-t-il une place où on pourrait le mettre? Si on laisse pousser tout cela, ils seront tous des dispensaires, mais nous savons que ce sont des points de vente et non des endroits où on pourrait obtenir des conseils judicieux. En tant que législateurs, comment pourrions-nous empêcher ça?

[Traduction]

M. Emberley : Nous avons constaté une prolifération des dispensaires au cours des dernières années, et c’est très préoccupant pour nous. Le terme « dispensaire » est intéressant. Il y a des termes protégés au sein de la profession des pharmaciens. Les mots « pharmacie » et « apothicaire » sont des termes protégés qu’aucun autre détaillant ne doit utiliser.

J’ai en fait effectué certaines recherches et, même si le mot « dispensaire » n’est pas protégé au titre de la plupart des lois à l’échelle du pays, c’est un terme très précis dans notre profession. C’est un endroit professionnel précis dans une pharmacie où les ordonnances sont remplies. Ce service est dirigé par un pharmacien qui est tenu de respecter des normes de pratique très élevées et qui est assujetti à un cadre éthique lié très précisément au rôle de pharmacien.

Le mot « dispensaire » nous est très cher, et, selon nous, le fait qu’il soit utilisé à l’extérieur du contexte des pharmacies donne une légitimité à de tels soi-disant « dispensaires », ce qui peut donner la mauvaise impression aux Canadiens quant à ce qui se passe réellement et au niveau de connaissance de la personne en question. Ils peuvent avoir l’impression que cette personne est un professionnel de la santé accrédité alors que, en fait, ce n’est pas le cas.

C’est quelque chose qui nous préoccupe beaucoup. Selon nous, dans la loi, peut-être, il faudrait envisager d’en faire une appellation protégée. C’est un terme qui a une signification très précise au sein de la profession de pharmacien, et le terme dénote une certaine expertise clinique qu’une personne peut posséder lorsqu’elle parle de cannabis par rapport à d’autres médicaments. C’est ce que font les pharmaciens : ils parlent du rôle thérapeutique d’un médicament en fonction des nombreux autres médicaments qu’une personne peut aussi prendre.

[Français]

M. Thiffault : Je suis d’accord avec l’utilisation du terme « dispensaire ». Il faudrait s’assurer de donner un minimum de formation aux gens qui travailleront dans les dispensaires ou les points de vente. Si on propose un produit pour lutter contre l’insomnie, il faut d’abord demander au patient s’il prend des médicaments. Si oui, il faut ensuite demander une opinion médicale ou pharmaceutique, à savoir si le cannabis est bon pour le patient. Il faut que le patient sache qu’on peut soulever des drapeaux rouges s’il y a un problème. On peut aussi bien offrir ou refuser un produit à un patient. Le patient doit être au courant des services qui lui sont offerts de sorte qu’il y ait au moins un filet de sécurité.

La sénatrice Mégie : Monsieur Lucas, j’ai compris que vous n’étiez pas tout à fait d’accord avec l’emballage neutre, ai-je bien compris?

M. Lucas : Oui.

La sénatrice Mégie : Toutefois, l’emballage neutre ne devrait pas déranger si on y indique le nombre de grammes et le pourcentage de THC pour que le consommateur sache ce qu’il achète. Cette mention serait-elle suffisante?

M. Lucas : Selon les recherches qui ont été menées, ce n’est pas suffisant. Les médicaments portent des noms qui se ressemblent. THC signifie tétrahydrocannabinol et CBD signifie cannabidiol. Il n’y a pas de grande différence. Le public en général ne sait pas ce que signifient les trois lettres THC et CBD. Le jour, certains patients utiliseront un produit à haute teneur en CBD, parce que c’est non intoxicant. Le soir, certains utiliseront un produit à haute teneur en THC pour les aider à mieux dormir. Un mélange entre ces deux médicaments peut être dangereux, particulièrement si la personne est au travail, conduit un véhicule, et cetera. Il arrive que certaines personnes consomment accidentellement des produits à haute teneur en THC.

Pour le moment, Tilray utilise différentes couleurs et différents emballages pour veiller à ce qu’il n’y ait pas de mélange. Ce qui m’inquiète, c’est qu’avec le projet de loi C-45, on ne pourra différencier les produits et, à mon avis, c’est insensé et comporte des risques pour les patients.

Ce qui m’inquiète aussi, c’est que Tilray, comme d’autres compagnies au Canada, différencie ses produits depuis environ cinq ans, et ce, sans problème. Alors, pourquoi changer la réglementation en ce qui concerne le cannabis médical? Pour l’usage récréatif, c’est différent, mais je ne vois pas pourquoi le projet de loi C-45 cherche à réglementer le cannabis médical si tout fonctionne bien jusqu’à maintenant.

La sénatrice Mégie : C’est parce que c’est le même produit et que chacun l’utilise à sa façon. Si on réglemente pour un type d’utilisation, automatiquement l’autre type devra en subir les conséquences.

M. Lucas : Mais les produits à usage récréatif sont très différents des produits à usage médical. Je ne pense pas qu’on verra des produits à haute teneur en CBD dans le système récréatif. Finalement, les personnes seront un peu plus high et le THC sera dominant dans le système récréatif, mais dans le système médical, on voit de plus en plus de produits à base de CBD. Le THC et le CBD peuvent porter à confusion. Je fais souvent des présentations à ce sujet, et le public ne comprend pas tout à fait la différence entre les deux substances.

La sénatrice Mégie : Merci.

[Traduction]

Le président : Puis-je préciser une chose avant de poursuivre? Le régime d’emballage est maintenant différent de ce qui était proposé dans le projet de loi C-45. Vous dites que vous aimeriez que le régime d’emballage actuel soit maintenu pour le cannabis thérapeutique?

M. Lucas : C’est exactement ça que nous disons. Selon nous, le système actuel ne cause pas de problèmes. Aucun problème n’a été signalé relativement au système actuel. Nous n’avons pas le droit d’utiliser des images de marque fortes pour les produits, en utilisant des couleurs ou d’autres caractéristiques qui ne seront plus permises au titre du projet de loi C-45. Nous estimons que, à mesure que le cannabis thérapeutique sera considéré de plus en plus comme un autre médicament pharmaceutique traditionnel, ce sont les genres de normes que nous devrions respecter, ce que nous approuvons entièrement, mais il n’en va pas de même pour les préoccupations liées à la santé publique abordées dans le projet de loi C-45.

La sénatrice Omidvar : Merci à vous tous d’être là. Je vais essayer de poser trois questions brèves et d’obtenir trois réponses brèves elles aussi.

Je crois avoir entendu M. Lucas nous fournir certains renseignements contextuels à ce sujet, mais j’aimerais obtenir une réponse des pharmaciens concernant ce qu’ils pensent de la raison d’être stratégique énoncée lorsque le régime de marijuana thérapeutique a été adopté. Pour quelle raison stratégique les pharmaciens ont-ils voulu passer leur tour? Et si M. Lucas a raison et que, à ce moment-là, les pharmaciens ne voulaient pas participer, mais qu’ils sont maintenant prêts à le faire, comment en êtes-vous arrivés là?

M. Emberley : Merci de la question. C’est une question qu’on nous pose. Il y a des années, nous avons fait une déclaration, comme vous dites, mais le paysage a vraiment changé. Plus de Canadiens veulent avoir accès à ce médicament qu’avant, et je crois que, en tant que profession, nous devons le reconnaître. Nous estimons que, si l’accès doit être amélioré et qu’il y a plus de données probantes à l’appui de la consommation du cannabis pour lutter contre des troubles de santé légitime, alors les pharmaciens doivent participer, parce qu’ils ont des connaissances et une expertise unique à partager.

C’est la raison pour laquelle nous avons fait cette déclaration. Notre position est vraiment axée uniquement sur le cannabis thérapeutique. Selon nous, il s’agit d’un médicament, et il faut le traiter comme tel, et, par conséquent, les pharmaciens doivent assurer une surveillance clinique.

M. Thiffault : Techniquement, le cannabis n’a pas de DIN, un code d’identification de médicament. Par conséquent, pour des raisons techniques, nous n’avons pas le droit de vendre le produit. Peut-être que, si ce problème avait été réglé plus rapidement, on en serait venu à cette situation plus vite.

La population a évolué. Nous avons appris des choses au sujet du cannabis. Nous avons appris combien de personnes consommaient du cannabis et, naturellement, le rôle des pharmaciens dans la distribution du cannabis est devenu clair, et c’est maintenant tout à fait naturel pour les pharmaciens. Il y a un fort consensus, ce qui n’était pas le cas il y a deux ans.

La sénatrice Omidvar : Ma prochaine question est destinée à M. Lucas. Nous avons entendu des témoignages vraiment contradictoires de témoins, ici même, au sujet de la science du cannabis et particulièrement en ce qui a trait à la question du cannabis comme drogue d’introduction. Le directeur médical du CTSM a laissé entendre qu’il n’y a pas d’élément de preuve direct concernant le rôle du cannabis. Une personne a aussi témoigné au sujet d’un rapport de Smart Approaches to Marijuana. Je crois que le rapport venait des États-Unis. On peut y lire que la marijuana double la consommation d’opioïdes.

M. Lucas : Je suis actuellement l’auteur d’un examen systématique qui porte sur le cannabis comme substitut à l’alcool et aux opioïdes, et je peux vous dire que les ouvrages soutiennent assurément les données que j’ai communiquées aujourd’hui, soit que le cannabis peut jouer un rôle actif en tant que substitut, non seulement pour les opioïdes, mais aussi pour l’alcool et d’autres drogues.

Ce qui est encore plus important, selon moi, c’est que l’expérience américaine constitue pour nous un genre de boule de cristal nous permettant de regarder ce à quoi nous pouvons nous attendre en ce qui a trait aux répercussions sur la santé publique. Au Colorado, les responsables ont constaté une réduction du nombre de décès liés à l’alcool au volant. Cette réduction est associée à la légalisation du cannabis, puisqu’un certain pourcentage de la population consomme, chaque jour, du cannabis, plutôt que de l’alcool. Ils ont aussi constaté des réductions d’événements liés à l’alcool comme des homicides, des suicides et des crimes violents.

En fait, le Colorado est l’un des seuls États des États-Unis affichant une diminution de la consommation d’alcool générale, et l’État fait plus d’argent avec la taxation du cannabis qu’il n’en fait avec l’alcool à l’heure actuelle. Et c’est quelque chose de très important en ce qui concerne les répercussions positives sur la santé publique découlant de la légalisation.

Je pense que les données probantes que je vous communique aujourd’hui ne suscitent pas vraiment de controverse. Il est aussi important de souligner que, au Colorado, après la légalisation, on constate maintenant que les jeunes consomment moins de cannabis qu’avant. Et, en fait, les responsables n’avaient pas vu des taux aussi bas depuis 1982, l’année même où Nancy Reagan nous avait dit de dire non à la drogue. Les données démographiques et les données probantes que je vous communique aujourd’hui appuient le fait que, lorsque les adultes ont le choix entre le cannabis et l’alcool, certains choisiront le cannabis, et, au bout du compte, cela mène à des résultats positifs en matière de santé publique. C’est ce à quoi, selon moi, on peut s’attendre, ici, au Canada.

La sénatrice Omidvar : Pour ce qui est de ma dernière question, et n’importe lequel d’entre vous peut répondre, mais je crois qu’un seul aura le temps, quelle est votre position sur les dispositions dans le projet de loi qui concernent la culture à domicile de quatre plants par personne?

M. Jacob : Selon moi, les Canadiens devraient avoir le droit de cultiver à domicile. C’est une plante non toxique que l’homme utilise depuis 7 000 ans si on se fie à l’histoire écrite. Cette interdiction de 95 ans ne devrait pas faire en sorte que les Canadiens ne retrouvent pas ces libertés.

Je sais que beaucoup de gens aimeraient cultiver non seulement du cannabis, mais des herbes complémentaires anti-inflammatoires. Il y a une résurgence de la médecine végétale, et le cannabis en est un élément clé.

Le président : Il y a peut-être un point de vue différent là-bas, mais le temps est écoulé. J’inscris votre nom pour le deuxième tour.

La sénatrice McCallum : Merci de vos exposés. Mes commentaires et ma question s’adressent aux pharmaciens.

Je n’avais pas vraiment réfléchi à l’expression « marijuana thérapeutique », et je n’avais pas saisi que, si on utilise le produit à des fins thérapeutiques, il devrait y avoir un organisme de surveillance qui s’en occupe. En tant que dentiste, j’ai toujours travaillé en collaboration avec les pharmaciens. Je les appelle pour demander des conseils. Parfois, des patients ne vous disent pas tous les médicaments qu’ils prennent, et, lorsque je donne une ordonnance, un pharmacien peut m’appeler pour me dire : « Saviez-vous que cette personne prend aussi tel et tel médicament? » Puis, le pharmacien modifie ce que j’ai prescrit.

Je suis donc un peu préoccupé. Si on doit utiliser l’expression « marijuana thérapeutique », alors il doit y avoir une norme et un cadre de surveillance, parce qu’il y a aussi des risques, et je crois qu’il pourrait y avoir des fautes professionnelles. Lorsqu’on veut obtenir le médicament et qu’un médecin le prescrit, on va à la pharmacie pour se le procurer. Et c’est habituellement le pharmacien qui parle au patient du médicament qu’il s’apprête à prendre et des interactions. Habituellement, ce n’est ni le médecin ni le dentiste qui s’en occupe.

Je suis inquiète lorsque des patients déterminent eux-mêmes ce dont ils ont besoin et qu’il n’y a pas de professionnel pour les encadrer. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et préciser de quelle façon on pourrait corriger le tir?

M. Emberley : Merci de la question, madame la sénatrice. Je crois que c’est une question très importante.

Lorsqu’on prescrit, par exemple, un opioïde pour l’extraction d’une dent, je crois que c’est très important de savoir que le patient prend aussi de la marijuana thérapeutique. Je pense que les pharmaciens tiennent un registre de tous les médicaments qu’une personne prend, et si nous fragmentons les soins de santé de façon à ne pas saisir toute cette information, il est possible que des gens aient des synergies médicamenteuses. Il s’agit, selon moi, d’un bon exemple : une situation où un médecin ou un dentiste prescrit un opioïde ne sachant pas qu’un patient utilise du cannabis thérapeutique, et cela pourrait mener à un accident de la route ou je ne sais quoi d’autre.

Je pense donc que nous devons nous assurer de créer un système qui soit assez sûr pour protéger les Canadiens de ces conséquences inattendues pouvant être très préjudiciables. Je crois que nous devons renforcer nos dossiers médicaux. Espérons que nous pourrons adopter un système d’établissement d’ordonnance électronique à l’échelle nationale afin d’avoir cette information à portée de main. Toutefois, si nous fragmentons le tout, si nous n’avons pas accès à la liste des médicaments que les gens utilisent, certaines situations passeront entre les mailles du filet. Les gens vont tout de même se retrouver dans des situations malencontreuses.

La sénatrice McCallum : Merci.

La sénatrice Deacon : Merci beaucoup. Vous êtes d’excellents témoins. Beaucoup de renseignements. Nous allons le plus vite possible pour obtenir le plus d’information possible.

J’écoute les points de vue variés et des experts aux vues différentes. Nous envisageons la recommandation d’un régime unique pour la marijuana thérapeutique et celle consommée à des fins récréatives. Nous avons aussi appris, pas plus tard qu’hier, ici, et durant la réunion du Comité des finances nationales, à quel point la marijuana thérapeutique est réglementée, et la façon dont cette réglementation est appliquée, et la substance, restreinte, et tout ça est assurément fait, à de nombreux égards, d’une façon vraiment positive et admirable.

En quoi le fait de réunir toute la réglementation sur le cannabis en un seul régime, un seul cadre, aura-t-il une incidence sur le travail qui a été fait et le travail qu’il faut faire à l’avenir? Je sais que c’est un sujet un peu controversé, mais j’aimerais connaître votre point de vue aujourd’hui, et j’invite quiconque à répondre à ma question.

M. Lucas : Pour que les choses soient bien claires, parlez-vous de la suggestion de l’AMC et d’autres intervenants consistant, essentiellement, à éliminer le cannabis thérapeutique une fois que le cannabis consommé à des fins récréatives sera accessible, de façon à ce que ce nouveau système remplace le programme du cannabis thérapeutique?

La sénatrice Deacon : D’après ce que j’ai compris, on ne va pas nécessairement l’éliminer, mais tout sera réuni et regroupé sous un seul régime, parce que, apparemment, ce sera mieux pour Santé Canada.

M. Jacob : Je crois que, si vous parlez de la possibilité de mettre en place un système de vente au détail où, comme dans les États américains, certains détaillants peuvent présenter une demande d’approbation médicale qui leur permettra de s’assurer qu’ils ont du personnel sur place pouvant fournir des renseignements et le soutien approprié aux clients qui ont des problèmes médicaux, c’est, selon moi, approprié du point de vue de l’accès des patients. Comme Philippe l’a dit, plus il y a de points d’accès où les patients peuvent obtenir du cannabis, plus le domaine sera normalisé, et plus la stigmatisation qui existe peut-être à tort dans notre société sera atténuée.

Je pense donc que, même s’il doit y avoir des dispositions distinctes pour le cannabis médicinal, le fait d’avoir une seule chaîne d’approvisionnement commune et de compter sur les mêmes points d’accès est une très bonne stratégie.

La sénatrice Deacon : En quoi cela aiderait-il les travaux que vous faites actuellement? J’imagine que c’est ce que j’essaie vraiment de comprendre. De quelle façon pouvons-nous tirer des leçons du travail qui est fait et en quoi tout ça nous aidera-t-il à améliorer le travail qui est fait du côté de la marijuana thérapeutique?

M. Jacob : À mesure que plus d’entreprises comme Tilray réaliseront des études cliniques, plus il y aura d’occasions, dans les points de vente, de communiquer les messages, d’attirer plus de participants et de mieux faire connaître les bienfaits du cannabis aux Canadiens.

M. Lucas : Selon moi, le défi lié au système actuel, c’est qu’il n’y a pas d’accès communautaire. Évidemment, les pharmacies offriraient cette possibilité, mais cela n’élimine pas la possibilité que, peut-être, d’autres cliniques spécialisées puissent elles aussi offrir un accès communautaire.

En fait, nous avons déjà un système à deux paliers en place lorsqu’il est question d’accès à la méthadone au Canada. On peut avoir accès à de la méthadone par l’intermédiaire des pharmacies ou par l’intermédiaire des cliniques de méthadone, qui sont des organisations communautaires où travaillent des gens qui se spécialisent dans la population auprès de laquelle ils travaillent, des gens qui ont une dépendance aux opioïdes, par exemple. Par conséquent, un système similaire pour le cannabis thérapeutique pourrait aussi être efficace.

Cependant, je crois que, au bout du compte, l’idée d’un accès communautaire afin que les patients aient accès au produit et puissent parler à quelqu’un ayant des antécédents dans le domaine des soins de santé afin de cerner les synergies médicamenteuses et les contre-indications est d’une importance cruciale. Je suis vraiment inquiet par la suggestion que les patients pourraient tout simplement avoir accès au cannabis dont ils ont besoin par l’intermédiaire du système du cannabis consommé à des fins récréatives. Selon moi, les objectifs de ces points de vente de cannabis récréatif, que ce soit la Régie des alcools de l’Ontario ou un autre organisme, seront peut-être axés sur la santé publique — et je le crois sincèrement —, mais pas sur les aspects médicaux ni thérapeutiques. Je crois qu’il y a là une différence très importante.

[Français]

M. Thiffault : On parle d’améliorer l’accès, mais on ne parle jamais de la supervision et de l’encadrement du patient. Comme n’importe quel traitement, ce qu’on veut, c’est le bon produit, à la bonne dose et avec la bonne indication, pour obtenir des effets rapides et sécuritaires pour le patient, et ce, à un coût raisonnable. On ne parle pas de cela du tout dans ce cas-ci. On parle seulement d’accès, mais un accès non balisé occasionne des dérives, et c’est ce qu’on voit à l’heure actuelle. Je crois que s’il n’y a pas de clarification dès maintenant sur ce qui doit être médical et ce qui doit être récréatif, on va créer davantage de confusion.

Il ne faut pas juste regarder le côté économique, mais aussi le côté clinique et l’efficacité. La recherche clinique va démontrer des preuves d’efficacité dans diverses situations. Or, ce serait une erreur de banaliser le côté médical en ce moment. On a besoin de renforcer le côté médical pour veiller à ce qu’il y ait un contrôle et un suivi thérapeutiques optimaux des patients.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : J’ai en fait deux questions très précises, alors j’espère obtenir des réponses qui le sont tout autant. La première poursuit tout simplement la discussion sur le maintien des deux volets différents, la marijuana thérapeutique et la marijuana consommée à des fins récréatives. Je veux obtenir une réponse claire à ce sujet, parce que c’est devenu une question. C’est devenu un problème. Il y a beaucoup de plaintes liées au fait d’avoir attendu plus d’un an, comme M. Lucas l’a souligné, pour réévaluer le système de la marijuana thérapeutique.

Voici ce que j’aimerais savoir clairement : croyez-vous qu’un système de marijuana thérapeutique devrait être maintenu et qu’il doit être distinct du système du cannabis consommé à des fins récréatives?

M. Lucas : C’est quelque chose que je soutiens vraiment, oui.

M. Emberley : Nous avons toujours été très favorables à cela.

M. Thiffault : Oui.

La sénatrice Seidman : Parfait. Je voulais que ça soit clair, pour le compte rendu.

M. Jacob : Je crois que, même s’il devrait y avoir des dispositions spéciales pour les patients, des points d’accès communs, comme on le voit dans d’autres administrations, seront bénéfiques pour ces patients… l’accès communautaire.

La sénatrice Seidman : D’accord. Merci. C’est pour l’accès. C’est différent. Comme M. Thiffault l’a souligné.

M. Jacob : Oui.

La sénatrice Seidman : Excellent. Compris. L’autre question concerne le numéro d’identification du médicament de Santé Canada. On en a parlé durant la discussion tantôt. J’aimerais bien qu’on me parle de ce qui se passe vraiment dans ce dossier, parce qu’il y a eu un plan, au sein de Santé Canada, visant à obtenir un numéro DIN pour le cannabis thérapeutique. Quelqu’un peut-il m’en parler?

M. Lucas : Je serai heureux de répondre à cette question, et je serai le plus bref possible. Santé Canada a annoncé ce qu’il a appelé un « programme accéléré » pour créer des DIN pour le cannabis. Je tiens à préciser qu’il n’y aura probablement jamais de DIN général pour le cannabis, qui regroupe des milliers de plantes différentes ayant différents ratios de cannabinoïdes, mais nous avons hâte d’en savoir davantage à ce sujet. Nous n’en savons toujours pas plus. Je vais participer à la réunion avec Santé Canada dans le cadre d’une réunion de notre association de l’industrie, lundi, et j’espère en apprendre plus à ce sujet.

Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a tout un cheminement pour en arriver à un DIN, et c’est le système traditionnel d’essai clinique. Tilray participe actuellement à quatre essais cliniques de phase II et, une fois à la phase III, qui coûte cher et prend beaucoup de temps, théoriquement, un DIN pourrait être délivré pour des préparations précises et des indications précises. C’est un processus qui est décourageant pour de nombreuses entreprises, et ça ne permet pas de répondre aux besoins des patients à l’heure actuelle.

La dernière chose que je voulais dire à ce sujet, c’est que le DIN ne devrait pas empêcher la vente de cannabis dans les pharmacies. Les pharmaciens fournissent régulièrement des produits qui ne sont pas assortis d’un DIN. Les pharmacies spécialisées en préparation officinale créent des DIN en fonction de leur préparation aussi, et, chez Tilray, nous avons créé des pseudo-DIN pour aider les pharmacies et les fournisseurs d’assurances à faire un suivi des produits précis que les patients utilisent. Nous faisons de notre mieux pour régler la question des DIN.

La sénatrice Seidman : Est-ce que les pharmaciens ont quelque chose à dire aussi à ce sujet?

M. Thiffault : Un DIN permettrait d’inclure un produit dans le dossier provincial d’un patient afin qu’un praticien puisse savoir qu’un patient donné reçoit du cannabis. Du point de vue de la sécurité, ce serait mieux.

M. Emberley : Certaines compagnies d’assurance ont une politique en vertu de laquelle ils couvrent seulement les médicaments assortis d’un DIN, alors c’est un autre point important à soulever.

La sénatrice Seidman : Oui, pour la couverture d’assurance. Merci.

La sénatrice Omidvar : Ma question est destinée à M. Thiffault. Quel est votre point de vue sur la possibilité de faire pousser quatre plants à la maison pour une consommation privée?

M. Thiffault : Ma préoccupation, c’est que, si nous le permettons pour des raisons thérapeutiques, nous ne savons pas ce que la personne fait pousser. Comment pouvons-nous traiter une maladie avec une plante dont on ne connaît pas les niveaux de THC ou de CBD? C’est là la composante clinique.

D’un autre côté, il y a ce qui est permis. Quatre plants par personne, c’est plus qu’il n’en faut à une personne pour répondre à ses besoins en cannabis. Qu’arrive-t-il au reste des plants produits? On les vend à un ami?

Il y a un autre marché pour les produits qu’on a fait pousser à la maison et qui ne sont pas consommés par les patients. C’est là notre deuxième préoccupation. Nous soutenons la position du Québec à ce sujet.

Le président : Pour préciser, on parle de quatre plants par ménage.

M. Lucas : Je crois que, lorsqu’il est question de consommation à des fins thérapeutiques, il a été établi conformément à la Constitution que les patients ont le droit de produire leurs propres plants, alors je ne crois pas que nous allons retourner devant les tribunaux pour trancher à nouveau cette question.

Les patients qui consomment du cannabis thérapeutique ont un processus de demande par l’intermédiaire de Santé Canada qui s’offre à eux. C’est assurément un processus plus strict que ce qu’on prévoit dans le cadre du système de consommation récréative, et je ne peux pas imaginer que Santé Canada réussira à éliminer le droit qui existe actuellement par l’intermédiaire des tribunaux.

Pour ce qui est de la consommation à des fins récréatives, je produis mes propres tomates et je suis un jardinier biologique passionné. Si les consommateurs à des fins récréatives veulent produire leur propre cannabis, je suis convaincu qu’ils peuvent le faire de façon sécuritaire sans augmenter le risque pour les collectivités, les voisins et les autres. Je n’ai pas de réelle préoccupation à cet égard. La plupart des gens choisiront tout simplement de ne pas le faire. Tous les patients Canadiens ont le droit de le faire actuellement, et très peu choisissent de le faire. Lorsqu’il est question de la consommation à des fins récréatives, tous les Canadiens peuvent produire leur propre bière et leur propre vin, mais la plupart choisissent de ne pas le faire, alors je ne prévois pas que ça sera un problème majeur.

M. Emberley : Nous n’avons pas une position définie à ce sujet, mais nous sommes préoccupés au sujet des enfants, et si la culture à domicile augmente les risques qu’un enfant puisse en consommer accidentellement, c’est préoccupant pour nous, et nous l’avons souligné.

La sénatrice Omidvar : Mais il faut la fumer. Il n’y a pas d’effet si on ne fait qu’en manger. Je me demande si cette préoccupation n’est pas un peu exagérée.

M. Lucas : J’ai de la difficulté à faire manger des légumes à ma fille de 9 ans, alors elle ne sera assurément pas tentée de manger les plantes dans la maison. Elle grignote ici et là dans le jardin parce qu’elle sait faire la différence entre ce qu’elle peut manger et ce qui ne se mange pas. Je ne partage pas ces préoccupations. Je ne vais pas demander à quiconque de lever la main, mais nous avons tous des armoires de boissons alcoolisées à la maison, et il n’y a pas de dispositif de sécurité sur une bouteille de vodka. Je suis beaucoup plus préoccupé par le fait que ma fille de 9 ans, à mesure qu’elle grandira, ait accès à de l’alcool plutôt qu’aux plantes qui poussent dans la cour.

Le président : Et une bouteille de vodka n’a pas d’étiquette neutre.

La sénatrice Deacon : J’ai une question pour vous, monsieur Lucas. Merci beaucoup d’avoir parlé dans votre rapport de la Vancouver Island Compassion Society et ses 2 000 ou 3 000 membres. C’est une organisation qui existe depuis longtemps.

Pour commencer, j’essaie de comprendre ça et de connaître la composition et le profil de ce groupe, si vous pouvez généraliser, et j’aimerais aussi savoir s’il y en a d’autres à l’échelle du pays de taille similaire.

Tandis que nous envisageons de légaliser le cannabis, quelles seront les répercussions sur ces organisations?

M. Lucas : Je travaille avec des patients depuis 20 ans, et j’ai eu beaucoup de points de vue différents à ce sujet. En 1999, j’ai ouvert la Vancouver Island Compassion Society, l’un des premiers dispensaires de cannabis thérapeutique sans but lucratif du Canada. Je crois que l’organisation célébrera son 19e anniversaire cette année. Cela fait un certain nombre d’années. J’ai été directeur général là-bas pendant 10 ans, et je ne participe plus aux activités quotidiennes de l’organisation.

Je suggérerais que, comme pour les producteurs autorisés, les magasins d’alcool et les dépanneurs, certains dispensaires sont bien intentionnés et professionnels et font du bon travail pour prendre soin de leurs clients, les patients et autres. Il y en a d’autres qui mettent davantage l’accent sur les profits et sur d’autres aspects de la question.

Je crois que, au bout du compte, beaucoup de ces dispensaires actuellement aimeraient se tailler une place dans le marché légal. Si on leur permet de le faire, si les obstacles ne sont pas trop importants, dans des endroits comme la Colombie-Britannique, où il y a un mélange privé et public, je m’attends à ce qu’un certain nombre de ces organisations soient des chefs de file dans la distribution du cannabis consommé à des fins récréatives à l’avenir. J’aimerais céder la parole à M. Jacob, qui dirige l’Association canadienne des dispensaires de cannabis médical, et qui peut peut-être vous en parler lui aussi.

M. Jacob : L’une des plus importantes préoccupations de nombreux exploitants de clubs de compassion ou de détaillants sans but lucratif, c’est ce qu’on fera avec nos patients. Ils ont choisi de se procurer du cannabis dans les dispensaires. Ils ont déterminé que ces solutions répondaient à leurs besoins. Nous allons perdre une importante partie de notre diversité de produits lorsque la réglementation sera appliquée initialement, et nous n’avons aucune idée de la façon dont nous allons soutenir ces patients durant la transition. C’est coûteux pour eux. Cela leur cause vraiment beaucoup de stress. Les gens malades n’ont pas besoin de ce genre de stress.

Le Sénat doit se rendre compte de quelque chose d’important : en Colombie-Britannique, où le modèle des points de vente au détail évolue depuis 20 ans, l’expérience était une réussite. Il s’agit d’une économie et d’un environnement normalisé pour le cannabis. Les gens peuvent passer devant une boutique, une mère et sa poussette, et il n’y a pas de problème, ce n’est pas la même chose que ce qui s’est passé ici, dans l’Est du Canada.

Selon moi, c’est probablement le changement le plus important et le principal impact. De quelle façon soutenons-nous et protégeons-nous les droits de ces patients d’avoir accès à un médicament qui leur convient lorsque la diversité des produits offerts sera réduite et rétablie au fil du temps?

M. Lucas : J’aimerais ajouter rapidement quelque chose. L’élimination de la diversité des produits est seulement bénéfique pour le marché noir. Si les patients ne peuvent pas avoir accès aux cartouches de vapotage, aux produits comestibles auxquels ils se sont habitués ou à du cannabis à forte puissance, les seuls qui gagneront, ce sont les intervenants du marché noir, qui continueront à fournir de tels produits.

Les décisions qui sont prises ici ou par Santé Canada ne concernent pas ce que les patients et les utilisateurs récréatifs canadiens consommeront. Les décisions qu’on prend ici concernent seulement ce qui sera réglementé par le gouvernement et ce qui sera contrôlé par le marché noir. Ce sont les décisions que vous prenez ici même.

Le président : Je suis désolé, mais nous n’avons plus de temps. Un autre groupe de témoins attend. Soit dit en passant, la B.C. Compassion Club Society fait partie du prochain groupe, alors il y aura peut-être d’autres questions à ce sujet.

Merci à vous quatre. Vous nous avez été très utiles. Vous avez très bien expliqué vos positions et nous allons tenir compte de tout ce que vous avez dit.

Pour notre prochain groupe de témoins, nous accueillons James O’Hara, président et chef de la direction de Canadiens pour l’accès équitable à la marijuana médicale, et Hilary Black, fondatrice de la B.C. Compassion Club Society. Nous accueillons aussi une personne dont nous avons déjà entendu le nom, parce qu’un de ses collègues, M. Conroy, a comparu ici même, et je parle de Kirk Tousaw, avocat pour la Tousaw Law Corporation.

Bienvenue à vous trois.

Nous avons jusqu’à 13 h 15 à vous consacrer. Je vais demander à chacun d’entre vous de présenter des commentaires préliminaires pour un maximum de sept minutes, puis mes collègues et moi vous poserons des questions.

Nous allons procéder dans l’ordre de la liste.

James O’Hara, président et chef de la direction, Canadiens pour l’accès équitable à la marijuana médicale : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir invité à prendre la parole aujourd’hui.

Avant de commencer ma déclaration, je tiens à dire que c’est un jour vraiment spécial pour moi. En ce jour même, en 1974, jour de la fête de Victoria, le 24 mai, je suis arrivé pour la première fois au Canada en provenance d’Écosse. J’étais un jeune garçon. Je tiens à profiter de l’occasion pour remercier sincèrement le Canada et le gouvernement canadien de m’avoir permis de venir ici, un endroit que, depuis ce jour-là, je considère comme chez moi, et ce, depuis 44 ans. C’est avec humilité et gratitude que je me présente devant vous aujourd’hui. Je suis heureux d’avoir l’occasion de vous parler de la façon dont nous pouvons rendre notre merveilleux pays encore meilleur.

CAEMM est un organisme national sans but lucratif qui représente avec succès des patients consommant du cannabis thérapeutique depuis 2014. L’organisme, qui compte plus de 20 000 membres canadiens, est devenu la voix populaire légitime et réfléchie pour le cannabis thérapeutique dans le milieu des organismes de défense des droits sans but lucratif.

Je suis l’ancien vice-président d’une banque et, depuis maintenant de nombreuses années, je suis également un patient qui consomme du cannabis thérapeutique. J’ai un certain nombre de problèmes de santé que je traite avec succès de cette façon; je souffre notamment de crises épileptiques partielles, d’arthrose et d’asthme chronique. La consommation de cannabis thérapeutique a changé ma vie du tout au tout, littéralement. J’ai été en mesure de réduire le nombre de crises que je fais d’environ de 80 à 90 p. 100, et ma qualité de vie en général a augmenté de façon marquée.

Je suis loin d’être le seul à vivre cette expérience.

Dans cette optique, il importe que nous ne perdions pas de vue les besoins des patients en légalisant le cannabis récréatif au moyen du projet de loi C-45. Au Canada, nous disposons d’un système de cannabis thérapeutique légalisé depuis maintenant un certain nombre d’années, lequel aide les patients qui ont des besoins médicaux légitimes et qui traitent leurs problèmes de santé et symptômes grâce au soutien de professionnels de la santé compétents.

Laissez-moi aborder certaines des difficultés. Il existe en effet des problèmes liés au système du cannabis thérapeutique, et le fait qu’un grand nombre de patients n’ont pas les moyens d’obtenir les médicaments dont ils ont besoin en est un important. En tant que défenseurs des droits des patients de partout au pays, nous voulons nous assurer que l’initiative du gouvernement visant à légaliser le cannabis récréatif ne vienne pas accroître ni empirer les problèmes que connaissent déjà les patients consommant du cannabis thérapeutique aujourd’hui.

Actuellement, plus d’un quart de millions de patients canadiens traités au cannabis thérapeutique sont soulagés des symptômes de divers problèmes de santé et de diverses maladies, y compris la douleur, les maux de tête, l’anxiété, les troubles du sommeil, la sclérose en plaques, la maladie de Crohn et l’épilepsie, pour n’en nommer que quelques-uns. Voilà pourquoi il est d’une importance cruciale que le système du cannabis thérapeutique au titre du RACFM soit soutenu et maintenu.

Nous voulons féliciter le gouvernement d’avoir reconnu, au moment de créer le projet de loi C-45, le besoin de conserver une approche réglementaire séparée et distincte pour le cannabis thérapeutique, et nous voulons nous assurer que cette approche est maintenue.

Au-delà des exigences constitutionnelles auxquelles le gouvernement est assujetti concernant l’offre d’un accès raisonnable au cannabis à des fins médicinales, les patients présentent des caractéristiques uniques, et un régime réglementaire distinct est la meilleure façon d’en tenir compte.

Pour l’avenir, au-delà du projet de loi C-45, il importe que le gouvernement désigne comme prioritaires et comble adéquatement les besoins uniques des patients. L’offre de soins de santé intégrés d’un bout à l’autre du continuum, de sorte qu’un patient puisse avoir une conversation avec son médecin et avec tous les intervenants jusqu’à son pharmacien, en fait partie. Les patients doivent être tout aussi libres de discuter du cannabis thérapeutique comme option de traitement avec le médecin qui leur fournit des soins primaires qu’ils le sont de discuter de tout autre problème de santé aujourd’hui; ils doivent aussi comprendre les interactions médicamenteuses auxquelles ils pourraient faire face.

En plus de la possibilité continue de commander du cannabis par la poste, nous croyons que les pharmacies devraient avoir le pouvoir de vendre du cannabis thérapeutique au détail. D’autres formes du produit devraient également être accessibles. Les ventes et les consultations par l’intermédiaire des pharmacies permettront de garantir que les patients de partout au Canada peuvent accéder facilement à leurs médicaments et qu’ils peuvent recevoir des informations fiables sur la consommation sécuritaire et efficace du cannabis thérapeutique de la part d’un professionnel de la santé qualifié faisant l’objet d’une surveillance réglementaire.

C’est d’une importance considérable non seulement aujourd’hui, mais aussi à l’avenir, à mesure que les caractéristiques démographiques de notre population changeront radicalement du point de vue de l’âge. Très bientôt, il y aura plus de Canadiens âgés que de jeunes, et cette situation entraînera un changement profond sur le plan des besoins en soins de santé au pays.

Vous en avez déjà entendu parler ce matin, mais laissez-moi souligner, du point de vue d’un patient, le fait que l’abordabilité du cannabis thérapeutique demeure une crise urgente pour la majorité des patients, car un bon 60 p. 100 d’entre eux n’ont pas les moyens de se payer leur dose complète. Les assureurs couvrent rarement le coût du cannabis thérapeutique, et la majorité des dépenses des patients sont payées de leur poche. Encore une fois, cette situation deviendra un problème critique sur le plan de la démographie, à mesure qu’un nombre de plus en plus grand de Canadiens toucheront un revenu fixe.

En outre, il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un médicament dont le coût est déjà considérablement alourdi par la TVH, et ça ne devrait pas être le cas. Au Canada, les autres médicaments sont complètement détaxés. Pour exacerber cette situation, pas plus tard que cette semaine, le gouvernement a adopté encore une autre taxe pour les patients consommant du cannabis thérapeutique : une taxe d’accise ou ce qu’on décrit communément comme une taxe sur le vice. Il est absolument illogique de décourager la gestion responsable des besoins médicaux d’une personne, et l’application d’une taxe sur le vice à un médicament ne correspond pas du tout aux croyances et principes moraux collectifs des Canadiens.

Il importe que l’on reconnaisse la source des recettes fiscales liées au cannabis jusqu’ici, c’est-à-dire les patients traités au cannabis thérapeutique. Essentiellement, le gouvernement dit aux patients qu’il veut qu’ils paient des taxes d’accise et de consommation afin qu’ils contribuent à payer pour la sensibilisation et l’application de la loi aux fins de la légalisation du cannabis récréatif. Il s’agit d’une approche sans précédent qui est tout à fait inappropriée pour les patients. Réfléchissez-y. Le gouvernement finance la sensibilisation et l’application de la loi afin de lutter contre la crise des opioïdes, mais il ne demande pas aux patients légitimes qui consomment des opioïdes de payer pour ces efforts, alors pourquoi le demande-t-il aux patients traités au cannabis?

Enfin, sur un sujet connexe, l’abordabilité compte parmi les raisons pour lesquelles nous devons également être favorables à la production personnelle, c’est-à-dire qu’il faut donner aux patients qui ont des difficultés financières la possibilité de produire leur propre médicament.

J’ai trois principales demandes à faire aujourd’hui. Premièrement, CAEMM appuie les initiatives de recherche et de sensibilisation sur le cannabis, mais ces initiatives ne devraient pas être payées par les patients qui portent déjà un fardeau important aujourd’hui. Deuxièmement, c’est que le gouvernement devrait faire tout son possible pour faciliter la couverture du cannabis thérapeutique par les assurances. Il s’agit d’un problème important, et un très, très grand nombre de patients y font face aujourd’hui. Troisièmement, retirez toutes les taxes sur le cannabis thérapeutique.

Merci, et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci. Notre prochain témoin est Hilary Black, de la B.C. Compassion Club Society.

Hilary Black, fondatrice, B.C. Compassion Club Society : Merci de me donner la possibilité de m’adresser à vous aujourd’hui. Je suis la fondatrice de la première organisation axée sur le cannabis thérapeutique au pays, soit la B.C. Compassion Club Society, qui a été fondée en 1997.

Par souci de transparence, je suis également employée par Canopy Growth, mais je suis là aujourd’hui en ma qualité de fondatrice de la Compassion Club Society.

Ma déclaration portera principalement sur le fait d’accorder la priorité aux malades critiques et chroniques canadiens et à les protéger au moyen de trois recommandations. Nous allons vous demander de protéger l’institution historique canadienne axée sur le cannabis thérapeutique, c’est-à-dire le Compassion Club; de mettre le cannabis, quelles que soient ses formes ou sa puissance, sur le marché réglementé; et de retirer les taxes injustes sur le cannabis thérapeutique.

Je vends du cannabis au détail de façon publique, sécuritaire et responsable dans un magasin depuis plus de 20 ans. Le Compassion Club est une société sans but lucratif, et son modèle est unique. En plus d’offrir des traitements au cannabis, nous avons un centre de mieux-être subventionné. L’an dernier, nous avons offert des soins de santé holistiques non liés au cannabis, comme du counseling, de l’acuponcture et de la phytothérapie clinique, à certaines des personnes les plus marginalisées de Vancouver dans le cadre de 3 400 rendez-vous, et cela n’a pratiquement rien coûté à nos 11 000 membres.

Souvent, nos clients ont reçu plusieurs diagnostics et présentent des problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Ils tombent entre les mailles du filet du système de santé jusqu’à ce que nous les attrapions.

Nous avons créé la norme d’excellence en matière de sensibilisation au cannabis. Nous savons comment maximiser les avantages, réduire les risques au minimum et éviter les effets indésirables; ces connaissances sont transférables au marché du cannabis récréatif.

En 2002, j’ai eu l’honneur de témoigner devant le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites et d’accueillir ce comité lors d’une visite de la Compassion Club Society. Le rapport de ce comité recommandait que le Compassion Club représente la norme en matière de soins aux patients et d’accès à des services médicaux dans l’ensemble du pays. Notre modèle a été inscrit dans des règlements municipaux par la Ville de Vancouver, qui voulait encourager sa reproduction.

Des membres du groupe de travail, y compris la présidente, Anne McLellan, ont visité le Compassion Club, et il est désigné comme un modèle dans ce rapport.

Nous avons travaillé auprès de groupes de patients comme CAEMM afin d’organiser une réunion spéciale de patients pour le groupe de travail. Ensuite, en partie en raison des témoignages de patients qu’il avait entendus directement, le groupe de travail a recommandé la préservation du système du cannabis thérapeutique, ce qui est tout à fait la bonne chose à faire, pour encourager les patients à consommer du cannabis avec le soutien de leurs professionnels de la santé.

Le sénateur Nolin — qu’il repose en paix — m’avait choisie pour recevoir la Médaille du jubilé de diamant de la reine en reconnaissance du travail du Compassion Club et de sa contribution importante au Canada.

Aujourd’hui, le Compassion Club fait face à une possible disparition, car il n’a plus sa place dans le cadre réglementaire du RACFM ou du projet de loi sur la légalisation. Nous avons l’énorme responsabilité de veiller à ce que les soins de santé de nos 11 000 membres ne soient pas interrompus et nous vous proposons respectueusement de partager cette responsabilité avec nous.

Les États de Washington et du Colorado ont donné la priorité à la transition des institutions de longue date axées sur le de cannabis thérapeutique dans le cadre réglementaire, et nous devrions faire pareil.

Le Compassion Club est un trésor national, et nous vous demandons de recommander qu’une attention et une protection spéciales lui soient accordées, et nous allons nous entendre avec le gouvernement et trouver un moyen de survivre.

Nous avons risqué d’être arrêtés pendant des décennies et avons été dévoués aux patients et inspirés par des gens comme Greg Cooper. Quand je l’ai rencontré, il avait 22 ans. Il était atteint d’une forme grave de la sclérose en plaques et ne pouvait pas mettre ses pantalons ou se nourrir par lui-même jusqu’à ce que ses tremblements, ses spasmes musculaires et sa douleur soient soulagés grâce à l’inhalation et à l’ingestion de cannabis et de produits du cannabis à puissance élevée.

Dan Hill, qui nous a quittés, a reçu un diagnostic de VIH, d’hépatite C, de problèmes de santé mentale et de problèmes de toxicomanie. Il a consommé des produits du cannabis à puissance élevée pour mettre fin à sa dépendance à l’héroïne, au crack et à l’alcool. Il est sorti de la rue pour emménager dans son propre appartement, est tombé amoureux et est mort heureux.

Ma grand-mère, Jean Black, qui aura 102 ans au mois de juin, utilise quelques gouttes d’extrait de cannabis dans son thé au lieu de la codéine afin de gérer sa douleur arthritique, et cela l’a aidée à contrer les effets secondaires de la radiation intensive à laquelle elle avait été exposée afin de guérir la tumeur dans sa gorge.

Ce ne sont là que quelques histoires de Canadiens dont la vie a été transformée par le cannabis, et j’ai été témoin de milliers de ces cas. Ces personnes m’ont demandé de vous parler aujourd’hui de la puissance et de la taxe.

Il faut comprendre une chose très importante lorsqu’il est question de produits du cannabis à puissance élevée. Saviez-vous que notre tronc cérébral contient très peu de récepteurs des cannabinoïdes? Le tronc cérébral contrôle les fonctions cardiaque et respiratoire. Ce que cela signifie, c’est que le cannabis ne peut pas causer la mort. Lorsqu’il est question de surdose de cannabis, le terme est en fait très trompeur, car le mot « surdose » suppose une possibilité de décès. Si une personne consomme trop de cannabis, les effets peuvent être très incommodants. Ils peuvent comprendre des nausées, des vomissements et de l’anxiété, mais jamais la mort.

Les produits du cannabis à puissance élevée permettent aux patients de consommer moins de matières végétales afin d’obtenir l’effet requis et peuvent être plus rentables. Dans le cas d’un consommateur récréatif, les extraits peuvent permettre de prendre une seule bouffée d’une élégante cigarette électronique au lieu de fumer un joint entier.

Les concentrés puissants, les produits comestibles finis, les teintures, les médicaments topiques, les résines et les suppositoires doivent être mis sur le marché légal dès que possible. Les consommateurs continueront d’accéder à ces produits et de les consommer sur un marché non réglementé. Vos préoccupations seront mieux dissipées grâce à la production, à la distribution et à la sensibilisation effectuées sur un marché réglementé. Les limites de puissance ne donneront pas les résultats que vous recherchez.

Alors, les extraits de cannabis à puissance élevée ne sont pas responsables d’un seul décès. À l’inverse, l’an dernier, en Colombie-Britannique, plus de gens sont morts d’une surdose d’opioïde que d’un accident de la circulation. L’une de ces personnes était la fille de 18 ans de ma meilleure amie.

Le Compassion Club a acquis une expérience exceptionnelle auprès de personnes aux prises avec des problèmes liés à la consommation de substances utilisant le cannabis comme outil de réduction des méfaits. Nous avons été témoins de cas où le cannabis a remplacé une consommation récréative et sur ordonnance d’opiacés, de cocaïne, d’alcool et même de fentanyl.

Comme vous le savez, la crise des opioïdes est une importante situation d’urgence de notre époque, qui touche la santé publique. Le pays a besoin de solutions maintenant. Comme vous l’avez entendu dire, le cannabis présente un excellent potentiel.

Alors, nous vous implorons de voter en faveur du projet de loi C-45, d’accélérer la légalisation du cannabis, quelles que soient ses formes ou sa puissance, et d’investir dans la recherche sur le rôle potentiel du cannabis en tant que partie de la solution à cette crise.

On m’a appris à croire qu’en tant que Canadien, nous utilisons notre pouvoir et notre privilège pour protéger ceux qui ne peuvent pas se défendre. Nous défendons les intérêts des personnes qui sont maltraitées. Je suis très déçue que le comité de la Chambre des communes ait décidé cette semaine de maintenir la taxe d’accise sur le cannabis thérapeutique.

La vérité, c’est que j’ai honte de mon pays et du fait que nous forçons des patients à payer non seulement une taxe de vente, mais aussi une taxe sur le vice à l’achat d’un médicament autorisé par leur médecin. Certaines familles paient des centaines de dollars par mois. Au pays, nous ne taxons pas les fournitures et soins médicaux.

Alors, je vous demande de bien vouloir nous rendre fiers de la compassion et de la sagesse de notre gouvernement et de retirer la taxe sur le cannabis thérapeutique autorisé par les médecins.

Le monde nous regarde. Ensemble, nous avons l’immense responsabilité de bien faire les choses. Nous savons que les effets préjudiciables de la prohibition sont bien plus importants que les risques liés à la consommation de cannabis. Les lois sur la prohibition touchent de façon disproportionnée les Autochtones, les gens de couleur et les autres groupes minoritaires. Partout dans le monde, des familles sont déchirées, des vies ruinées, des gens emprisonnés et l’avenir de jeunes personnes détruit.

Vous faites partie de la solution qui permettra de corriger cette grande injustice, et je vous remercie de votre travail diligent.

Vous pouvez vous fier au rapport de 2002 du comité sénatorial, ainsi qu’au processus et au rapport du groupe de travail sur la légalisation. Vous pouvez aussi faire confiance à votre équipe formidable, à Santé Canada, qui travaille sur ces enjeux complexes.

Je vous demande trois choses : protéger l’institution historique canadienne axée sur le cannabis thérapeutique; mettre le cannabis, quelles que soient ses formes ou sa puissance, sur le marché réglementé, et ce, dès que possible; et retirer la taxe cruelle imposée aux patients consommant du cannabis thérapeutique.

Je vous remercie de votre temps.

Le président : Merci beaucoup. Et enfin, nous cédons la parole à Kirk Tousaw.

Kirk Tousaw, avocat, Tousaw Law Corporation, à titre personnel : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs. Je comparais à titre personnel. Je me présente comme étant un consommateur de cannabis thérapeutique. J’utilise du cannabis quotidiennement pour traiter ma douleur chronique, et ce, depuis l’âge de 30 ans. Je me plais à penser que je suis là pour parler au nom des centaines de personnes que j’ai représentées devant des tribunaux pénaux et civils au cours des années où j’ai travaillé dans ce domaine, des victimes de la prohibition qui ne méritaient pas d’être criminalisées pour leur conduite.

Cela dit, voici une brève leçon d’histoire. Il y a 16 ans, feu le sénateur progressiste-conservateur Pierre Claude Nolin a présidé le Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites, qui a produit un rapport complet de 600 pages sur la question qui fait actuellement l’objet des délibérations de votre comité : comment le gouvernement du Canada devrait-il traiter la question du cannabis? J’ai eu le privilège de discuter de nombreuses fois avec le sénateur Nolin à ce sujet, et il me rappelait régulièrement qu’il avait commencé à étudier la question en tant qu’opposant farouche de la légalisation. En tant que père, il m’a dit qu’il craignait principalement les conséquences sur ses enfants. Toutefois, le sénateur Nolin a permis au comité de procéder à un examen rigoureux des données probantes, et, en effet, il a exigé qu’il le fasse, afin de tirer ses conclusions, et il y avait beaucoup de données probantes.

Cette étude du Sénat demeure l’une des analyses les plus complètes du cannabis et de la politique qui s’y rattache à avoir jamais été menée dans le monde. Au début du rapport, on reconnaissait que, à la base, en réalité, la discussion ne porte pas sur les gens qui consomment du cannabis. Sous le régime de la prohibition, les Canadiens en consomment beaucoup. Nous en cultivons. Nous en vendons, et nous en consommons en grandes quantités. Comme l’a indiqué le comité, la question est en réalité de savoir si la criminalisation de millions de Canadiens qui ont fait ces choix personnels constitue ou non une bonne politique publique.

Le comité a fondé son analyse sur des principes qui devraient vous orienter. Une bonne politique publique devrait promouvoir la liberté pour les personnes et la société dans son ensemble. Le rôle approprié de l’État est fondé sur le respect de l’autonomie et la responsabilité individuelle et sociétale.

Finalement, le sénateur Nolin et le reste du comité de neuf membres ont déterminé, en 2002, que la criminalisation était une mauvaise politique publique. Voici leur conclusion :

[…] l’état des connaissances permet de penser que, pour la vaste majorité des usagers récréatifs, la consommation de cannabis ne présente pas des conséquences néfastes sur leur santé physique, psychologique ou sociale à court ou à long terme.

Le comité a également conclu que c’était la prohibition qui causait le plus de préjudices à la société. Les principaux coûts sociaux liés au cannabis découlent des choix en matière de politique publique, principalement de la criminalisation continue de cette substance, alors que les conséquences de son usage représentent une petite fraction des coûts sociaux attribuables à la consommation de drogues illicites.

Le comité, qui avait conclu que l’interdiction du cannabis constituait une politique publique néfaste, a recommandé que la substance soit légalisée pour les Canadiens âgés de plus de 16 ans et que l’on accorde une amnistie à quiconque avait déjà été reconnu coupable de possession simple. La suggestion précise du comité concernant la politique pourrait sembler familière :

Le Comité recommande que le Gouvernement du Canada modifie la Loi réglementant certaines drogues et autres substances dans le but de créer un régime d’exemption criminelle. Cette loi prévoira : les conditions d’obtention des licences ainsi que de production et de vente; des sanctions pénales pour le trafic illégal et l’exportation; et le maintien des sanctions criminelles pour toute activité ne se conformant pas au régime d’exemption.

Mesdames et messieurs les sénateurs, on dirait que c’est précisément ce que le projet de loi C-45 propose de faire, et il faudrait féliciter le gouvernement du Canada d’aller de l’avant, maintenant, avec la réforme de nos lois régissant le cannabis.

Cela dit, à l’époque, je ne souscrivais pas — et cela n’a pas changé — à l’opinion selon laquelle l’adoption d’une approche fondée sur le droit pénal est appropriée. Au plus, le cannabis devrait être traité, en général, de la même manière que l’alcool, une substance bien plus dangereuse et qui fait l’objet d’une approche réglementaire assortie de dispositions extrêmement limitées concernant les infractions.

J’ose affirmer que le comité du Sénat croyait que tout vestige d’un régime fondé sur le droit pénal devrait être extrêmement limité, puisque l’un des principes directeurs du rapport est le suivant : « … le droit pénal ne doit intervenir que lorsque l’action visée implique un danger significatif et direct à autrui ».

Durant les 16 années qui ont suivi, nous avons appris beaucoup plus de choses au sujet des effets préjudiciables de la prohibition et des conséquences de la légalisation. Nous avons observé des expériences de la légalisation, tacites et explicites, au pays et à l’étranger. Depuis 2001, il existe au pays un système d’accès légal, y compris de production à domicile légale de cannabis thérapeutique. Depuis 2014, nous sommes dotés d’un système de production et de vente commerciales à des fins médicinales, lequel compte maintenant 300 000 participants. Nous possédons un système relativement ouvert et étendu d’accès par des dispensaires dans de nombreuses grandes villes du Canada depuis 2014, ainsi qu’un système plus limité d’accès par des dispensaires depuis plus de 20 ans.

Dans la ville de Vancouver, au centre-ville de Toronto ou bien à Hamilton, Victoria, Seattle, Denver ou Los Angeles, on ne peut pas marcher 10 coins de rue sans passer devant un magasin qui vend du cannabis. Ces magasins vendent actuellement — du moins au Canada — ouvertement et en toute sécurité du cannabis soi-disant illicite dans presque toutes les villes de la Colombie-Britannique et dans la plupart des grands centres de population de toutes les provinces du pays.

Ces commerces font peur à certaines personnes, et je les comprends. Le changement est inquiétant, surtout lorsque l’on ne connaît pas bien les choses qui sont en train de changer. Toutefois, je comprends également que les données probantes indiquent clairement que les types d’effets néfastes que tant de personnes craignent n’ont pas été observés et ne le seront pas.

Le chaos ne règne pas sur Vancouver. Tous les jours, on voit des gens passer devant des dispensaires et certains y entrent, tout comme on le fait pour n’importe quel autre magasin. Un an après la mise en œuvre de ce changement, je soupçonne que nous allons surtout nous demander pourquoi nous en avons fait tout un plat.

J’ai quatre recommandations précises à formuler.

Premièrement, je veux répéter mon objection à une approche fondée sur le droit pénal, car une telle approche continuerait d’avoir d’importantes conséquences externes négatives, comme la continuité d’une application de la loi variable au désavantage des minorités visibles et des moins bien nantis. J’espère que nous passerons rapidement à une autre approche. Toutefois, nous devons au moins supprimer les casiers judiciaires pour possession simple, afin que nos mauvaises lois précédentes ne viennent pas miner les perspectives d’avenir de nos concitoyens. Nous devrions également retirer toutes les sanctions pénales prévues dans le projet de loi C-45 qui sont associées à la possession simple et à la production de cannabis aux fins de consommation personnelle.

À ce sujet, deuxièmement, je veux insister sur le fait que les jardins personnels légaux sont essentiels à cette réforme. Le fait de permettre la production et la vente commerciales, mais de criminaliser, en leur imposant des peines allant jusqu’à 14 ans d’incarcération, des gens — des Canadiens — qui veulent cultiver exactement le même plant pour eux-mêmes, chez eux, est contraire au but de la légalisation. La légalisation devrait et doit avoir pour but d’éviter la criminalisation des Canadiens à cause du cannabis. L’essor d’une industrie dynamique s’ensuivra nécessairement.

Troisièmement — et comme je suis père de quatre enfants âgés de moins de 18 ans, cette recommandation vient du cœur —, nous ne devons pas criminaliser les jeunes dans la poursuite de nos buts louables consistant à faire de notre mieux pour les garder en sécurité et leur procurer les outils dont ils ont besoin pour faire des choix responsables. Nous avons essayé l’approche pénale. Elle ne fonctionne actuellement pas, et, comme l’a déterminé le comité du Sénat, il s’agit en fait de la source la plus importante d’effets préjudiciables du cannabis. Une sanction pénale allant jusqu’à 14 ans d’incarcération pour un jeune de 19 ans qui partage un joint avec sa cousine de 17 ans est aberrante et moralement inacceptable.

Quatrièmement, à mesure que nous mettrons en œuvre ces changements, nous devrons chercher des moyens de faire sortir de l’ombre graduellement l’économie clandestine existante du cannabis pour la dévoiler au grand jour. Ce changement est inquiétant pour ces personnes également. La plupart — 95 p. 100 de l’industrie du pays — ne sont aucunement liées à des gangs criminels ou à des actes de violence. J’ai représenté des centaines de ces personnes au fil des ans. Ce sont de petits agriculteurs, de petits commerçants et des personnes qui adorent ce végétal. Ils sont également une source riche de connaissance et d’expérience, et soyons très francs : si nous ne les faisons pas rentrer dans les rangs, un grand nombre sont susceptibles de continuer à mener leurs activités en dehors du marché légal. Ce n’est pas une bonne politique publique.

Enfin, je veux remercier le comité de m’avoir donné la possibilité d’aborder cet enjeu critique. Je veux également remercier le Canada de prendre cette mesure et d’instaurer ce premier régime de légalisation. Il n’est pas parfait, mais il s’agit d’un premier pas important. J’ai hâte de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. Voilà qui met fin à la déclaration préliminaire de nos trois témoins. Je vais maintenant céder la parole à mes collègues. Encore une fois, cinq minutes seront allouées pour les questions et les réponses. Si les questions sont courtes, de même que les réponses, vous pourrez en poser davantage.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie tous infiniment de nous avoir raconté votre histoire personnelle et d’avoir partagé votre expertise avec nous. C’est utile. Merci.

Madame Black, si je puis vous poser la question, vous avez affirmé que vous représentez la B.C. Compassion Club Society, mais ensuite, par souci de transparence, vous nous avez dit que vous travaillez également pour Canopy Growth.

Mme Black : C’est exact.

La sénatrice Seidman : J’ai trouvé cela particulièrement intéressant. Je voudrais simplement savoir ceci : quand avez-vous accepté un poste à Canopy Growth?

Mme Black : Je travaille pour cette entreprise depuis plus de trois ans. Le poste que j’y occupe est celui de directrice de la sensibilisation et de la défense des droits des patients. En même temps, je continue d’être la fondatrice/mère du Compassion Club, et je serai toujours déterminée à assurer la prestation de soins continus aux clients dont je suis responsable au sein de cet organisme.

La sénatrice Seidman : Excellent. C’est intéressant. Ainsi, est-il de plus en plus courant que des défenseurs des droits des patients acceptent des postes rémunérés pour des producteurs de cannabis?

Mme Black : Je dirais qu’un grand nombre des producteurs autorisés cherchent des gens qui ont de l’expérience pour ce qui est d’éduquer les patients et de travailler auprès d’eux. Quand j’écoutais simplement le pharmacien parler de l’importance que la personne qui dispense le cannabis soit un pharmacien ou un professionnel de la santé… Selon moi, les professionnels de la santé ont un rôle très important à jouer, mais, fait plus important, ce dont les patients ont besoin, c’est l’accès à une personne qui possède de l’expertise en ce qui concerne le cannabis en tant que tel.

Alors, il y a des emplois — soit auprès de producteurs autorisés, soit auprès de cliniques spécialisées dans le cannabis — pour les personnes qui ont distribué du cannabis dans la désobéissance civile et qui ont enfreint ces lois injustes jusqu’à ce que le pays décide de commencer à les transformer. De fait, nous ne sommes pas assez nombreux. Je travaille à transformer, par l’intermédiaire de Canopy Growth, la majeure partie de l’expérience que j’ai acquise et de la formation que j’ai reçue en plateformes d’éducation afin que les connaissances soient accessibles à une bien plus grande échelle, même aux pharmaciens, qui — je l’affirmerais — ont probablement une quantité exceptionnelle de choses à apprendre au sujet du cannabis.

La sénatrice Seidman : Merci. Si je puis… La période dont je dispose est courte. Je ne veux pas vous couper la parole ni vous interrompre, mais je voulais aborder la question de la taxe d’accise, car il s’agit clairement d’un enjeu important.

Au Sénat, nous effectuons l’étude préalable de parties du projet de loi C-24, et l’amendement qui aurait exempté le cannabis thérapeutique de la taxe d’accise n’a pas été adopté à la Chambre des communes. Quels conseils auriez-vous à nous donner, ici et maintenant, au Sénat, concernant la façon d’aborder une disposition du projet de loi quand il arrivera?

Mme Black : Ce que j’affirmerais, c’est que je crois que les gens de Santé Canada et de l’Agence du revenu du Canada sont très intelligents et qu’ils vont trouver un moyen de faire fonctionner un système où les patients pourront obtenir un remboursement pour les taxes qu’ils paient, ou bien un système où ils seront dispensés de payer ces taxes.

Je vous dirais que, d’un point de vue moral, éthique et compassionnel, c’est un des éléments les plus importants que vous pouvez corriger : la taxe imposée aux patients. La taxe de vente, en soi, n’est ni éthique ni acceptable, et elle ne correspond pas à l’essence de nos lois fiscales.

La sénatrice Seidman : Je ne veux pas vous interrompre, mais je voudrais obtenir le point de vue de quelqu’un d’autre à ce sujet. Peut-être M. O’Hara.

M. O’Hara : Laissez-moi ajouter une chose importante. Comprenez le terme « cannabis thérapeutique ». Au Comité des finances, l’autre jour, j’ai entendu la députée O’Connell affirmer que le cannabis thérapeutique était déjà exempté de la taxe d’accise. Par conséquent, l’amendement qu’avait déposé le NPD était redondant.

Ce qu’il importe de souligner, c’est que nous jouons en quelque sorte double jeu avec le terme « cannabis thérapeutique ». Selon un certain nombre de conversations que j’ai eues et qu’ont tenues un certain nombre de députés, il est question de cannabis thérapeutique dans le cas de Sativex, qui est un dérivé de cannabis thérapeutique sur ordonnance, mais il ne s’agit pas de cannabis thérapeutique en soi. J’exhorterais tout le monde à comprendre cela et à ne pas être confus si cette question est soulevée et, essentiellement, à être préparé pour les discussions qui auront lieu.

La sénatrice Seidman : Alors, comment devrions-nous traiter cette disposition du projet de loi?

M. O’Hara : C’est très simple. Le cannabis thérapeutique qui est autorisé aujourd’hui devrait être pleinement exempté de toutes les taxes, et surtout de la taxe d’accise. Nous devons reconnaître que cette taxe est essentiellement une taxe cumulative. Il s’agit d’une taxe sur une taxe. Elle est intrinsèquement mauvaise et ne devrait tout simplement pas exister.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Dean : Merci. Maître Tousaw, je songe à votre argument au sujet du partage dans un contexte social et des conséquences en ce qui a trait à la proximité d’âge, dans le cas d’une personne qui partage avec un pair ou un membre de sa parenté. Quel serait votre conseil, si nous tentions de nous attaquer à ce problème? Qu’est-ce qui constituerait un moyen direct qui permettrait simplement d’ouvrir la voie à un peu de partage dans un contexte social?

M. Tousaw : Disons-le clairement. Je pense que le projet de loi C-45 va dans la bonne direction en ne criminalisant pas les jeunes Canadiens pour la possession de moins de cinq grammes de cannabis. Vous avez tout à fait raison d’affirmer que cette question de la proximité d’âge pose un problème très grave. Ma fille aînée est âgée de 17 ans. Son groupe de pairs comprend des personnes de 14 ans et d’autres qui sont âgées de 18, 19 et 20 ans. C’est un comportement parfaitement normal pour de jeunes Canadiens de 19 ans qui pourraient consommer du cannabis de le partager avec leurs pairs, lesquels pourraient ne pas avoir atteint l’âge légal sous le régime du projet de loi C-45.

Nous avons établi une exemption de proximité d’âge dans les lois sur la conduite sexuelle, par exemple, dans le Code criminel. Ce type de disposition reposant sur la proximité d’âge — si vous avez deux ou trois ans de plus ou de moins que la personne avec qui vous vous adonnez à l’activité en question — pourrait facilement être importé dans le projet de loi. Toutefois, je pense que ces exemptions ne vont pas nécessairement assez loin.

L’un des autres effets du projet de loi est qu’il criminalise également un parent qui voudrait que son adolescent, par exemple, consomme du cannabis à la maison plutôt qu’à l’extérieur avec ses amis ou à l’occasion d’une fête ou dans une situation de ce genre. Dans le cas de l’alcool, actuellement, on peut permettre à ses enfants d’en consommer chez soi, sans crainte de sanction pénale, et c’est logique. C’est ainsi qu’on enseigne aux jeunes l’adoption d’un comportement approprié. Ce genre d’idée du fruit défendu pousse en fait les gens vers une consommation de substances qui n’est pas sécuritaire. Nous observons ce phénomène dans le cas de l’alcool et d’autres substances.

Je pense qu’il importe de reconnaître que les parents doivent jouer un rôle actif et participatif dans le développement de leurs enfants. Je préférerais de loin que mes enfants soient initiés au cannabis sur mon patio arrière et par moi que par un commerçant ou un pair qui se balade en voiture ou à l’occasion d’une fête en compagnie d’autres jeunes de 16, 17 ou 18 ans. Nous savons qu’ils le font. Ne nous berçons pas d’illusions. Nous affichons des taux de consommation de cannabis chez les jeunes parmi les plus élevés dans le monde occidental, et nos jeunes sont assez sages. Ils se portent très bien. Au pays, nous obtenons de bons résultats dans le cas de beaucoup d’enfants. Évidemment, ces résultats dépendent de la situation socioéconomique, comme toutes choses, mais nous devons être sensibles à ces enjeux et ne pas regarder les jeunes en leur disant qu’ils peuvent être incarcérés pendant 14 ans s’ils passent un joint à une personne de leur groupe de pairs. Il me semble que c’est complètement insensé.

Le sénateur Dean : Je m’adresse à Mme Black; vous avez mentionné des préoccupations au sujet de l’imposition de limites et de restrictions quant aux produits du cannabis à puissance élevée. Au début de la légalisation, au Canada, il n’y aurait que deux produits faisant l’objet d’une limite, soit le cannabis séché et l’huile, deux produits qui ne sont pas très puissants; je pense qu’il est juste de l’affirmer. Dans le cadre de discussions qui ont été tenues ici, on a suggéré que des limites de puissance soient imposées, même dans le cas des quelques produits offerts au départ, qui seront peu puissants, peut-être en fonction de l’âge. Quelle est votre réaction à ces suggestions?

Mme Black : Eh bien, les gens vont simplement consommer davantage de matière végétale afin d’obtenir l’effet souhaité. Alors, on pourrait se retrouver à inhaler deux grammes de cannabis d’une traite pour tenter d’obtenir l’effet souhaité, ce qui n’est pas dans l’intérêt de la santé publique. Lorsque les gens consomment des fleurs ou des extraits puissants qui ont été fabriqués, ils peuvent inhaler ou ingérer une bien plus petite quantité de matière végétale pour obtenir l’effet souhaité. Ainsi, les limites de puissance ne permettront pas d’atteindre les buts consistant à limiter la quantité de THC ou de CBD qu’absorbent les gens.

De plus, vous ne feriez que les forcer à continuer d’accéder aux produits qu’ils veulent sur un marché non réglementé. Alors, en réalité, le but est de retirer tous les produits, quelles que soient leurs formes ou leur puissance, du marché noir pour les mettre sur le marché réglementé.

Quand nous distribuons le cannabis d’une manière réglementée, nous avons la possibilité d’offrir une éducation appropriée. Au Compassion Club, tous les patients suivent une séance d’admission d’une heure et demie. Je ne dis pas que c’est nécessairement reproductible dans un environnement de vente au détail, mais le genre de connaissances que nous possédons quant à la façon d’enseigner aux gens — les patients ou les consommateurs récréatifs —, la façon de commencer à consommer et d’augmenter lentement leur dose jusqu’à ce qu’ils atteignent l’effet souhaité sans ressentir d’effets indésirables… nous pouvons fournir cette information dans un environnement réglementé, et il s’agit de votre meilleur outil pour éviter les effets indésirables que je crois que vous tentez de prévenir par l’imposition de limites potentielles quant à la puissance.

Le sénateur Dean : Merci. Vous nous avez donné de bons conseils.

M. O’Hara : Nous entendons constamment des témoignages de patients, surtout de personnes qui sont atteintes de sclérose en plaques ou qui ont des nausées induites par la chimiothérapie. Ils ont besoin d’un taux élevé de THC. Il y a aussi la question du coût. Nous nous opposons tout à fait à cela. Nous n’appuyons pas les limites de THC.

La sénatrice Poirier : Merci à tous de vos exposés. Ils sont grandement appréciés.

Ma première question s’adresse à Me Tousaw. Nous avons entendu beaucoup de discussions au sein du comité au sujet du risque associé au cannabis, mais nous n’avons pas autant entendu parler du fait que la sensibilisation quant aux conséquences de la loi est vraiment insuffisante. En ce qui concerne la possession, la culture à domicile ou la limite d’âge, à votre avis, les Canadiens — jeunes et âgés — sont-ils suffisamment conscients des conséquences du projet de loi C-45 et sont-ils bien informés à ce sujet? S’ils ne sont pas pleinement conscients des conséquences de ce projet de loi, à votre avis, quelles pourraient être les répercussions sur le système judiciaire?

M. Tousaw : Il s’agit d’une question très judicieuse, et je l’élargirais davantage. Non seulement les Canadiens ne sont pas au courant des conséquences du projet de loi C-45, mais ils ne connaissent pas bien les lois qui régissent actuellement le cannabis. Je ne peux pas vous dire combien de personnes avec qui je parle pensent que le cannabis est légal actuellement. C’est absolument stupéfiant. Je parle à des gens de l’industrie réglementée qui ne savent pas comme fonctionne l’ensemble de règles. Le manque de connaissance…

Regardez, c’est compliqué. Vous lisez le projet de loi. Vous l’avez fait. Ce n’est pas facile à faire. Vous devez procéder à une lecture laborieuse. Il contient des renvois. Vous devez y réfléchir d’une manière approfondie. Toutefois, il règne énormément de confusion. Et le problème qui s’y rattache tient au fait que le projet de loi prévoit un très grand nombre de limites quelque peu arbitraires que les gens vont simplement, inéluctablement, enfreindre par inadvertance.

Par exemple, on aura le droit de posséder 30 grammes de cannabis séché, puis un ratio d’équivalence s’appliquera à d’autres produits du cannabis. Ainsi, il faudra effectuer ce calcul dans sa tête au moment de quitter son domicile : « Je peux emporter deux biscuits, pas quatre, car quatre signifie que j’enfreins la loi, mais pas si j’en emporte deux » ou bien « J’ai un pot de cannabis. Dois-je le peser avant de quitter mon domicile? » Ce n’est pas très logique, et c’est complètement arbitraire.

Quand on va acheter de l’alcool, on peut entrer dans le magasin et en acheter assez pour tuer une petite ville, le mettre dans le coffre de sa voiture et s’en aller. Nous comptons sur l’exercice de la responsabilité individuelle des Canadiens. Nous ne dépendons pas d’une affirmation du gouvernement selon laquelle on ne peut acheter que six bières à la fois, chaque jour, ou bien selon laquelle on peut acheter six bières maintenant, aller la porter chez soi, revenir au magasin, en acheter six autres, et aller les déposer à la maison.

Voilà le système que nous établirons dans le cas du cannabis, et ce n’est pas très logique. C’est pourquoi l’une des recommandations que j’adresse au comité est que toutes les sanctions pénales associées à la possession et à la production de cannabis à des fins personnelles — pas commerciales, personnelles — devraient être éliminées du projet de loi C-45. Les Canadiens méritent de cesser d’être criminalisés pour leurs choix individuels et personnels. Ils le méritent de la part du comité et du gouvernement. Voilà le but de la légalisation.

Il faut aussi éduquer les gens. Je crois que les responsables de Santé Canada ont fait un très bon travail jusqu’à maintenant pour éduquer le public à chaque étape à propos des modifications législatives qui seront apportées et de leurs possibles incidences.

La meilleure chose que nous puissions faire pour les Canadiens, c’est de présenter les choses de façon simple. Vous avez le droit de posséder du cannabis. Vous ne pouvez pas en vendre de façon illégale. Vous avez le droit d’en posséder et d’en faire pousser. Tout comme vous ne pouvez pas brasser de la bière dans votre garage et la vendre, vous ne pouvez pas non plus faire pousser du cannabis dans votre garage et le vendre. Toutefois, vous ne devriez pas risquer une peine d’emprisonnement de 14 ans parce que vous avez 5 plants de cannabis dans votre jardin, plutôt que 4. Cela est complètement insensé.

La sénatrice Poirier : Ma prochaine question s’adresse à M. O’Hara. Pourriez-vous faire une comparaison concernant l’accès au cannabis thérapeutique dont certains Canadiens ont besoin? Quelles seront les incidences du projet de loi C-45 sur l’accès au cannabis médicinal? Empêchera-t-il l’accès à ce type de cannabis? Selon vous, les patients ayant besoin de cannabis thérapeutique seront-ils exposés à des dangers s’ils doivent recourir à d’autres médicaments moins efficaces?

M. O’Hara : Je vais vous donner une réponse courte : le projet de loi C-45 ne touche pas directement au cannabis thérapeutique. Il concerne davantage l’utilisation à des fins récréatives. Les patients qui utilisent du cannabis médicinal seront encore en mesure d’avoir accès à du cannabis par l’entremise du système régi par le RACFM, qui, jusqu’à maintenant, n’est visé par aucune modification. Il s’agit d’un des points que nous soutenons fortement, c’est-à-dire le maintien de ce système. Le projet de loi C-45 ne contient aucune disposition comme telle qui vise le cannabis à des fins médicinales.

La sénatrice Poirier : Monsieur O’Hara, de ce que je comprends, votre organisation milite auprès des responsables des sociétés d’assurance pour que le cannabis médicinal soit couvert. Pouvez-vous faire le point sur ce projet ou nous en donner un aperçu? Combien de sociétés d’assurance offrent actuellement une couverture pour ce produit? Croyez-vous que d’autres sociétés d’assurance emboîteront le pas?

M. O’Hara : C’est une excellente question. Dans les faits, il y a très peu d’assureurs qui offrent une couverture actuellement, et il est important de souligner que cette couverture est optionnelle dans le cadre d’un régime d’assurance. Le fait que des assureurs offrent la couverture ne signifie pas que cela est très répandu. Toutefois, il y a certaines sociétés qui l’offrent actuellement. La Sun Life en est une, et il y en a quelques autres.

Je m’attends à ce que cela se répande. Cette question soulève beaucoup d’intérêt et suscite beaucoup de discussions au sein de cette industrie.

La sénatrice Poirier : Merci.

Le président : Puis-je poursuivre sur ce sujet? Y a-t-il des provinces qui l’ajoutent à leur liste de médicaments couverts?

M. O’Hara : C’est une bonne question. Ce n’est pas le cas, à ma connaissance.

Le sénateur Manning : Je remercie les témoins.

Brièvement, maître Tousaw, pour faire suite à votre commentaire concernant la confusion qui règne, je suis d’avis que nombre de personnes croient qu’il s’agit de décriminalisation, au lieu de légalisation, si je me fie aux propos que j’ai recueillis auprès de certaines personnes, qu’il soit question de cannabis à usage médicinal ou autre.

Les responsables de l’Institut C.D. Howe ont recommandé que le gouvernement examine la possibilité d’octroyer un pardon aux personnes précédemment déclarées coupables de possession de cannabis et de retirer les accusations de possession simple en instance pour libérer des ressources fort nécessaires en vue de la légalisation du cannabis. Des responsables du gouvernement ont mentionné qu’ils n’ont pas l’intention d’octroyer des pardons en ce moment.

Je sais que vous avez déjà exprimé votre déception quant à cette décision du gouvernement. Pour quelle raison le gouvernement ne pourrait-il pas offrir une forme d’amnistie à la suite de la légalisation?

M. Tousaw : C’est une excellente question, monsieur le sénateur. Il n’y a aucune raison pour ne pas le faire. Dans les faits, il y a des milliers de poursuites pour possession simple en instance dans le système pénal au Canada aujourd’hui. On a arrêté environ 25 000 personnes par année pour la possession simple de cannabis, pendant que le gouvernement du Canada tenait des débats sur le processus et l’adoption de la légalisation. C’est injuste.

La ministre de la Justice peut ordonner au Service des poursuites pénales du Canada de retirer toutes les poursuites pour possession simple de cannabis ou pour toute infraction liée au cannabis à tout moment. Je recommande avec insistance à la ministre de le faire. La Cour suprême du Canada a récemment rendu l’arrêt Jordan concernant les délais excessifs. Le système judiciaire est déjà surchargé et montre chaque jour d’autres signes de déclin. Il manque de juges. Pourquoi utilisons-nous des ressources limitées afin de poursuivre des personnes pour possession simple de cannabis?

Nous savons aussi, en passant, que des accusations de possession simple sont portées de façon discriminatoire contre les personnes de minorités visibles et de statut socioéconomique faible. Il s’agit d’un processus tout à fait immoral et contraire à l’éthique. Nous devrions laisser tomber les poursuites pour possession simple, et nous aurions dû le faire bien avant. Le sénateur Nolin a déposé son rapport en 2002. Je crois qu’il s’agit d’une étape importante, mais que nous pourrions faire tellement plus. Nous pouvons y arriver sans modifier de mesures législatives; nous pouvons le faire au moyen de politiques.

Le sénateur Manning : Je crois qu’hier encore des personnes ont été accusées de possession dans ma province natale de Terre-Neuve-et-Labrador, et nous sommes ici en train de débattre de cette question.

Le gouvernement a beaucoup parlé de la façon dont la Loi sur le cannabis permettra de sévir contre le crime organisé. Nous avons entendu des témoignages divergents quant à l’efficacité de cette mesure législative. Nous avons entendu, de divers groupes, nombre d’histoires différentes.

Une de celles qui ont été souvent mentionnées ici précédemment, c’est ce qui s’est passé au Colorado. Hier soir, au bulletin de nouvelles national à CBC, Briar Stewart a présenté un reportage sur la situation actuelle au Colorado et le fait que le marché noir contrôlé par le crime organisé semble avoir explosé et que ce type d’organisations est répandu là-bas.

Pourriez-vous peut-être nous aider à comprendre les différents points de vue quant à la présence du crime organisé dans le marché noir? Qui fournit actuellement du cannabis de façon illégale aux Canadiens? S’agit-il de gangs criminalisés qui mènent des activités à grande échelle, comme le laisse entendre le gouvernement? Devons-nous nous pencher sur cette situation?

M. Tousaw : Une fausse idée très répandue, c’est que les acteurs du marché du cannabis illicite au pays sont liés au crime organisé. Des membres du groupe de témoins précédent l’ont dit, et je l’ai mentionné dans mes commentaires : au Canada, dans une proportion d’environ 95 p. 100, l’industrie du cannabis destiné à la consommation ne correspond pas à l’idée que nous nous faisons du crime organisé, de gangs criminels et de personnes qui posent des gestes violents.

J’ai représenté des centaines, sinon plus d’un millier de personnes accusées d’infractions liées au cannabis au cours des 15 dernières années. Je peux affirmer que, à quelques très rares exceptions, je les inviterais chez moi — et j’en ai invité un grand nombre — pour rencontrer les membres de ma famille et s’asseoir à ma table de cuisine. Ce sont de bonnes personnes qui, autrement, sont des citoyens respectueux de la loi.

Je crois qu’utiliser des termes comme « sévir » fait partie du problème. Le projet de loi C-45 ne permettra pas de sévir contre le crime organisé. La seule façon de faire — et, à mon avis, l’expérience tirée de la prohibition le soutient — pour éliminer une économie souterraine liée à un produit, c’est de rendre ce produit légal et de faciliter les choses pour que les personnes délaissent le marché illicite très prospère et bien établi qui existe aujourd’hui, et qu’elles sortent de l’ombre.

Les responsables de Santé Canada ont pris plusieurs bonnes mesures, dont l’établissement de règles relatives aux microcultivateurs et à la microtransformation, et la décision stratégique de ne pas écarter automatiquement les personnes ayant déjà pris part à l’industrie illégale.

Les provinces ont adopté différentes approches à ce sujet. En Colombie-Britannique, si je me souviens bien, des responsables ont déclaré, de façon très claire, qu’il n’y aurait pas d’interdiction systématique. Par contre, le gouvernement de l’Alberta a adopté une position contraire. Donc, en Alberta, où il existe un système de commerce au détail privé très robuste, on affirme plutôt que si vous avez déjà vendu du cannabis, vous ne pouvez pas prendre part à cette nouvelle industrie. Il me semble qu’il y a quelque chose qui cloche.

La prohibition et les peines prévues dans le Code criminel, y compris les peines minimales obligatoires instaurées en 2012 par le gouvernement canadien précédent, n’ont eu aucun effet sur l’offre et la consommation de cannabis, ni sur la demande pour ce produit au pays. Ces mesures n’ont rien réduit.

Donc, nous ne pouvons pas régler ce problème avec le droit criminel. Nous devons utiliser des stratégies économiques qui relèvent du gros bon sens. Le marché illicite disparaîtra quand il sera facile de participer au marché légal, qu’on pourra obtenir le même éventail de produits que ceux offerts sur le marché noir et qu’on obtiendra un bon service à la clientèle et des produits à des prix au moins aussi avantageux. Voilà comment éliminer le marché illégal. À mon avis, l’idée que nous allons y arriver en utilisant une approche fondée sur le droit criminel a mené à un échec monumental.

Le président : Nous devons poursuivre.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de vos exposés. Ma question s’adresse à Me Tousaw. Je souhaite aborder davantage la judiciarisation des jeunes. Je partage votre avis à ce sujet, parce que beaucoup de jeunes gens consomment de la marijuana. Je viens d’une réserve. Des personnes dans ces collectivités utilisent la marijuana pour affronter leurs problèmes sociaux. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de Gordon Crews. Il a travaillé auprès d’un grand nombre de jeunes en détention. Il a interrogé d’anciens détenus, et ils lui ont dit : « Ne judiciarisez pas les jeunes. Offrez-leur d’autres programmes. » Pouvez-vous nous parler un peu de ce sujet?

M. Tousaw : Je crois que c’est très sensé. Permettez-moi de situer le contexte. La consommation de cannabis par les jeunes fait partie du développement. Il s’agit d’un comportement normal, qui est adopté non pas par tous, mais par un grand nombre de jeunes gens. Ils vont consommer du cannabis. Ils vont consommer de l’alcool avant d’avoir l’âge légal pour le faire. Les jeunes feront ce genre de choses. C’est comme ça.

Que pouvons-nous faire? Il ne faut pas aggraver les répercussions de cette consommation par des démêlés avec le système de justice pénale. Le fait d’être judiciarisé pour la possession simple de cannabis n’offre aucun avantage au jeune. En fait, il n’y a que des effets négatifs. On en vient à craindre les policiers et à éprouver du ressentiment à leur égard. On devient empêtré dans le système de justice pénale. On peut avoir un casier judiciaire pour le reste de nos jours. Il est possible qu’on ne puisse se rendre aux États-Unis. De futurs employeurs peuvent écarter notre candidature. Il y a une quantité de conséquences néfastes qui découlent de cette situation, parce que nous avons choisi d’étiqueter un comportement normal comme un comportement criminel. Nous devons adopter une approche différente.

Nos jeunes sont notre ressource la plus précieuse. J’ai quatre enfants âgés de 7 à 17 ans. Je ne m’inquiète pas du fait qu’ils essaieront peut-être le cannabis. Ce qui m’inquiète, c’est que, s’ils essaient ce produit et qu’ils se font arrêter par un policier, ils craignent ensuite tout au long de leur vie de s’adresser à des policiers quand ils auront besoin de leur aide. J’ai été ce jeune de 16 ans. J’ai été arrêté pour possession simple de cannabis plus d’une fois. Je suis devenu très antipathique à l’égard des policiers. Ce n’est que quand je suis devenu un avocat en exercice et que j’ai côtoyé ces agents de façon quotidienne — à titre d’adversaire, je vous l’accorde — que ce sentiment m’a quitté. J’ai compris qu’ils sont des êtres humains, comme tout le monde, et qu’ils essaient de faire un travail très difficile. En ce qui concerne la toxicomanie, on leur a confié une tâche impossible. Ils ne devraient pas être les premiers intervenants dans le domaine de la toxicomanie. Les parents, les éducateurs et les travailleurs sociaux devraient jouer ce rôle, et non le système de justice pénale.

La sénatrice McCallum : Ma question s’adresse à Mme Black. J’ai trouvé votre organisme très encourageant. Vous avez dit que vous avez établi une norme d’excellence en matière d’éducation. Venant d’une collectivité des Premières Nations où il y a beaucoup de dépendances, je me demandais si vous pourriez nous en dire un peu plus.

Mme Black : Assurément. Tout d’abord, il s’agit de prendre du temps. Au Compassion Club, nous avons la possibilité de passer entre une heure et une heure et demie avec chaque nouveau client pour lui offrir une séance d’information individualisée. C’est un choix que de faire ces investissements et de consacrer du temps du personnel à cette tâche.

Avec les années, nous avons mis au point des méthodes d’enseignement pour montrer aux gens comment ils peuvent consommer du cannabis de façon sécuritaire et éviter les effets indésirables. Lorsque le cannabis est consommé par inhalation, la personne ressent les effets immédiatement, et il lui est plus facile d’éviter les effets indésirables. Elle peut utiliser son vaporisateur et inhaler une petite dose, attendre une minute ou deux, puis décider si elle veut en prendre davantage — si elle veut prendre une autre dose — jusqu’à ce qu’elle ressente les effets.

Il faut beaucoup plus de temps pour ressentir les effets lorsque le cannabis est ingéré, parce que la substance doit passer dans la voie gastro-intestinale avant d’être absorbée par le sang. Donc, ce sont surtout les personnes qui consomment du cannabis par voie orale que nous devons sensibiliser. Disons qu’une personne consomme un produit du cannabis, mais ne ressent toujours rien après deux heures. Elle va vouloir en consommer davantage, et c’est ce qu’on appelle les doses cumulées. La personne va probablement finir par ressentir en même temps les effets des deux doses. Les jeunes connaissent bien le phénomène : votre teint devient pâle, vous avez la nausée, vous faites de l’anxiété et, dans les cas graves, vous pouvez même vomir. C’est important d’éviter que cela n’arrive à une personne âgée ou à une personne dont le système est fragile.

Avant, nous n’avions pas accès à des laboratoires, puisque ce que nous faisions était contre la loi. Aucun laboratoire ne voulait travailler avec nous, et il nous était impossible d’obtenir des données précises. On recommandait aux gens de prendre seulement une petite bouchée du biscuit, puis d’attendre le lendemain avant d’en reprendre. On leur disait d’attendre 24 heures.

Aujourd’hui, dans le monde moderne, nous pouvons étudier le cannabis en laboratoire. Par exemple, si je parle avec quelqu’un qui n’a jamais consommé de cannabis de sa vie et qui cherche à soulager ses douleurs grâce au THC, je vais lui dire de prendre une dose égale de THC et de CBD, d’équilibrer les deux, et de ne pas prendre plus de 2,5 milligrammes, une dose très faible, pour commencer. Je vais lui recommander également d’attendre 24 heures avant de prendre une autre dose de 2,5 milligrammes. De cette façon, la personne est pratiquement assurée d’éviter tout effet indésirable. Cette méthode pourrait facilement être appliquée dans le marché du cannabis à des fins récréatives, y compris pour les produits plus puissants. C’est possible d’enseigner aux gens comment consommer de façon sécuritaire : ils doivent commencer avec une faible dose et augmenter très lentement et avec mesure. De cette façon, ils peuvent déterminer la dose dont ils ont besoin pour ressentir les effets désirés, sans aucun effet indésirable.

M. Tousaw : Si vous me permettez d’ajouter quelque chose, je dirais que ce n’est pas tellement différent de la posologie habituelle, peu importe le médicament. Quand votre médecin vous prescrit un antidouleur en vous disant d’en prendre un et, si ça fonctionne, de ne pas en prendre deux. Le lendemain, si les choses ne s’améliorent pas, vous en prendrez deux ou la dose maximale. Nous connaissons tous ça.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse à Mme Black. Pourquoi dites-vous que votre organisation, B.C. Compassion Club Society, est en danger en raison de la légalisation de la marijuana? Elle offre un service à la population. Pourquoi la sentez-vous en danger?

[Traduction]

Mme Black : Merci de la question. Présentement, dans le secteur du cannabis à des fins médicinales, nous travaillons avec des producteurs autorisés et des fournisseurs de cannabis par Internet et par la poste.

Le Compassion Club est un centre communautaire ainsi qu’un comptoir. Même après 20 ans, nous faisons toujours de la désobéissance civile. Nous essayons d’être aussi respectueux que possible des lois et des règlements municipaux. Le projet de loi C-45 ne comprend aucune disposition concernant les centres communautaires qui prennent soin de patients. Nous pourrions obtenir une licence de cannabis à des fins récréatives, mais cela voudrait dire que nous ne pourrions plus fournir des produits comestibles et d’autres extraits dont nos patients ont besoin. Donc, jusqu’à ce que la loi change, nous serons forcés d’enfreindre la loi si nous voulons continuer de fournir ce médicament aux patients qui en ont besoin.

Présentement, ni le Règlement sur l’accès au cannabis à des fins médicales ni le projet de loi C-45 ne prévoient un système d’octroi de licences qui nous permettrait de continuer de fournir en toute légalité les soins que nous fournissons à nos clients et qui sont parfois vitaux. Donc, quand je me demande ce que vous pouvez faire pour aider à protéger notre organisation, je me dis que vous pourriez surtout recommander, dans votre rapport au gouvernement, de trouver une façon d’accorder un statut et une protection spéciale à notre organisation. Nous sommes aussi disposés à travailler avec Santé Canada pour trouver une solution créative au problème relatif aux licences et ainsi continuer de faire légalement ce que nous faisons déjà. Vous devriez également inclure les produits comestibles et les extraits dans le marché réglementé. Nous ne voulons pas continuer de risquer la criminalisation lorsque nous fournissons des médicaments dont nos patients ont besoin.

[Français]

La sénatrice Mégie : Les dispensaires qui vont pulluler bientôt n’auront pas le même problème et ne s’en préoccuperont pas, puisque le produit sera légalisé. Ils pourront alors en vendre.

Ne pourriez-vous pas passer par le même chemin qu’eux, mais en vous adressant aux services aux patients? Est-ce possible?

[Traduction]

Mme Black : C’est possible. Nous pourrions demander pour obtenir une licence provinciale, mais dans ce cas, nous devrions renoncer à fournir des produits comestibles finis et des extraits à inhaler ou à ingérer, parce que ces produits ne sont pas légaux.

En outre, pour l’approvisionnement, la Colombie-Britannique a proposé de mettre en place un entrepôt central qui serait approvisionné par l’ensemble des producteurs autorisés. Ensuite, les dispensaires pourront y acheter le produit.

Je doute qu’il soit possible dans ce système d’assurer un contrôle de la qualité satisfaisant et le maintien de la qualité du produit, surtout puisqu’il est périssable. Je ne crois tout simplement pas qu’il sera possible d’assurer la qualité du médicament, et je sais qu’il sera impossible d’offrir toute la gamme de produits dont nos patients ont besoin.

Le président : J’aimerais poser une question, dans le même ordre d’idées.

Votre organisation existe depuis 20 ans. Cela veut évidemment dire que vous avez conclu une sorte d’entente avec les autorités locales, ou du moins qu’elles vous tolèrent. Les autorités doivent croire que vous faites du bon travail. Je me demande donc pourquoi vous vous sentez subitement menacés. Vous n’êtes pas obligés d’entrer dans le moule. Vous n’êtes pas entrés dans le moule au cours des 20 dernières années, alors pourquoi le faire maintenant? J’aimerais aussi savoir combien il y a d’organisations comme le Compassion Club. Est-ce qu’il y en a beaucoup?

Mme Black : Il existe d’autres dispensaires de cannabis à des fins médicinales qui sont excellents. Comme nous, les patients sont leur priorité, mais ce qui rend le Compassion Club particulier, c’est que tous nos profits servent au financement de notre centre de mieux-être. On combine le cannabis thérapeutique à des séances avec un conseiller, un diététiste, un herboriste et un acupuncteur. On offre ces services à des personnes qui vivent la plupart du temps dans une pauvreté extrême et font souvent partie de groupes minoritaires et marginalisés.

C’est de cette façon que nous arrivons à sauver les gens que le système de santé a oubliés. À ma connaissance, aucune autre organisation au pays ne fait ce que le Compassion Club fait.

Puisque le Canada compte modifier ses lois sur le cannabis, nous avons offert notre expertise au Comité de la santé et au Sénat. Nous ne ratons jamais aucune occasion d’aider le gouvernement à réviser ses lois sur le cannabis. Nous voulons cesser d’enfreindre la loi. Nous voulons agir en toute légalité. Nous voulons avoir une licence. Malheureusement, nous serons forcés de continuer à enfreindre la loi jusqu’à ce que tous les produits dont nos patients ont besoin soient légaux et intégrés au marché réglementaire.

Le président : Voilà qui met fin au premier tour. Avant de poursuivre, j’ai une question pour Me Tousaw.

Je suis tout à fait d’accord avec vous : nous devrions éliminer les infractions relatives à la possession simple, en particulier pour les jeunes.

Cependant, vous n’êtes pas le seul à avoir soulevé le problème du partage social, par exemple lorsqu’un jeune de 19 ans consomme du cannabis avec un jeune de 17 ans, et tous les scénarios du même genre. Aussi, un jeune peut se retrouver devant le tribunal pour adolescents parce qu’il a été arrêté en possession de plus de 5 grammes, alors qu’un adulte peut posséder jusqu’à 30 grammes. Il reste beaucoup de questions à étudier, par rapport au partage social, aux jeunes d’un âge rapproché, et cetera.

Certaines personnes sont d’avis — mais je sais qu’un avocat ne le reconnaîtrait jamais — que les jeunes dans cette situation ne seraient jamais poursuivis, que ce genre de poursuite ne serait jamais entamée, même s’il s’agit, techniquement, d’une infraction à la loi. Techniquement, dans certains cas, une amende pourrait être infligée. Toutefois, le risque demeure de se retrouver devant le tribunal pour adolescents ou le tribunal pour adultes et que cela aille plus loin.

Avez-vous quelque chose à dire à ceux qui prétendent que nous n’avons pas à nous inquiéter?

M. Tousaw : Je vais répondre en deux parties : premièrement, les gens croient souvent, à tort, que les personnes qui commettent une infraction relative à la simple possession ne font pas l’objet de poursuites au Canada. C’est faux : chaque année, 26 000 personnes accusées de ce genre d’infraction se retrouvent devant les tribunaux.

Le président : Et beaucoup d’entre elles appartiennent à un groupe minoritaire.

M. Tousaw : C’est là où je voulais en venir. Va-t-on poursuivre mon enfant qui est blanc, privilégié et fils d’avocat? Non. Mais ce n’est pas suffisant. Nous savons que les lois sont exagérément appliquées contre les groupes marginalisés, les minorités visibles et les personnes défavorisées. Je trouve inacceptable que certaines personnes, comme mes enfants ou le frère de M. Trudeau, puissent échapper à des poursuites au criminel grâce à leur apparence ou aux gens qu’ils connaissent, alors que d’autres personnes qui n’ont pas de relations ou qui appartiennent à une minorité visible auront des démêlés avec la justice. Cependant, c’est une réalité, de nos jours, et la situation ne va probablement pas s’améliorer : les lois continueront d’être appliquées de façon inégale, ce qui devrait être absolument inacceptable dans une société libre et démocratique.

Le président : Nous allons commencer la deuxième période de questions. Nous aurons sept minutes.

La sénatrice Seidman : À dire vrai, on a déjà posé ma question. Je crois que M. O’Hara y a répondu quand il a parlé des compagnies d’assurance. Je n’ai rien d’autre à demander.

C’est tout, je voulais seulement que ce soit clair.

Le sénateur Manning : Encore une fois, merci à nos témoins.

J’appuie de tout cœur la décriminalisation, mais pas vraiment la légalisation. Je vais revenir sur les questions que j’ai posées tout à l’heure, maître Tousaw, à propos de la possibilité que les provinces adoptent chacune des règles différentes. Je sais, par exemple, qu’il existe certaines préoccupations dans la région du Colorado… Ce que je veux dire, c’est que le cannabis est légal au Colorado, mais pas dans l’État voisin. Le Québec, d’après ce que nous en savons, veut interdire la culture à domicile, ce qui n’est pas le cas du Nouveau-Brunswick.

Vous avez comparé les comptoirs de vente de cannabis de la Colombie-Britannique à ceux de l’Alberta. Du point de vue juridique, trouvez-vous préoccupant le fait que nous allons avoir une loi nationale, le projet de loi C-45, et des lois provinciales différentes? Cela risque-t-il d’occasionner des problèmes dans les provinces ou entre les provinces?

M. Tousaw : Je crois que oui. J’aborde toujours cette question de deux façons : d’un côté, il y a les commerçants, et de l’autre, les consommateurs. J’ai quelques préoccupations à propos de la réglementation du marché, des plans d’affaires, mais l’arrêt Comeau de la Cour suprême du Canada a clairement établi que les provinces ont le droit d’imposer leur propre règlement et même de restreindre le commerce interprovincial. Je doute que cette disposition soit contestée de nouveau avant un bon moment.

C’est du côté des consommateurs que j’estime que c’est problématique.

J’ai des préférences personnelles en ce qui concerne le marché. Je crois qu’il serait préférable d’avoir des détaillants privés qu’un monopole d’État. Je crois que ce serait beaucoup plus logique, et c’est ce qui va arriver à un moment ou à un autre; c’est ce qui arrivera dans le cas de l’alcool. C’est tout simplement plus logique.

En ce qui concerne les consommateurs, je crois qu’il ne convient pas du tout de réglementer la production personnelle de cannabis à l’échelle du pays. Au Canada, le gouvernement fédéral est le seul à pouvoir légiférer en droit criminel. Je trouve le Québec mal avisé de dire : « Cette activité qui est légale dans le reste du pays ne le sera pas chez nous, et nous allons punir et criminaliser les personnes qui font cela au Québec. » Cela va seulement perpétuer les problèmes de la prohibition, sans compter que c’est injuste. Pourquoi est-ce qu’une personne, à quelques mètres de là, dans la province d’à côté, pourrait faire pousser quatre plants en toute légalité alors que son voisin d’une autre province ne le pourrait pas et pourrait même être arrêté par la police pour cela. Cela n’a aucun sens. Je ne crois pas que cela devrait être toléré, et, pour parler franchement, je crois que les tribunaux vont, au bout du compte, trancher la question.

Je ne crois pas que la Constitution habilite les provinces à criminaliser une activité qui est légale dans le reste du pays. J’aimerais bien défendre une affaire de ce genre; c’est dommage que je ne maîtrise pas mieux le français.

La sénatrice McCallum : Voyez-vous quelque chose de discriminatoire dans la taxe d’accise et la criminalisation des jeunes?

M. Tousaw : Effectivement, surtout en ce qui concerne la taxe d’accise. Je vais me faire l’écho de tous ceux qui se sont prononcés aujourd’hui sur l’imposition d’une taxe d’accise sur le cannabis à des fins médicinales. Je veux que ce soit clair : présentement, la taxe d’accise n’est pas perçue sur le cannabis à des fins médicinales. Une taxe de la sorte serait une taxe sur la souffrance et la maladie des gens. Ce n’est pas quelque chose que l’on devrait faire. En outre, l’impact de ces politiques serait plus grand chez les groupes marginalisés, les minorités visibles et les personnes défavorisées étant donné la façon dont notre société est structurée, le racisme et la discrimination socioéconomique institutionnalisées. Ce genre de taxe frappe plus durement ces personnes que les nantis.

Moi, je peux payer un dollar supplémentaire par gramme. Je peux me le permettre pour acheter mon cannabis thérapeutique, mais ce n’est pas le cas de bien d’autres personnes. Nous devions nous préoccuper davantage de ces personnes que des gens comme moi, des gens qui ne sont pas gênés. Le même principe s’applique à tous les autres aspects du droit criminel concernant le cannabis.

Le président : Y a-t-il d’autres questions?

Nous avons terminé.

M. Tousaw : Nous pourrions continuer. J’ai beaucoup d’autres choses à dire.

Le président : Le Sénat se réunit dans 15 minutes, alors avons le temps de conclure.

Je veux remercier les trois témoins du deuxième groupe. Vous nous avez appris des choses très utiles. Merci d’avoir répondu à nos questions.

Chers collègues, avant de partir, j’aimerais vous rappeler que nous nous réunissons à nouveau demain matin à 8 heures. Nous allons discuter pendant quatre heures avec différents fonctionnaires des quatre rapports produits par les autres comités.

Je vous rappelle également que, pour les amendements ou les observations en ce qui a trait au projet de loi... Lundi à 15 heures… Nous commençons à 13 heures lundi, mais nous allons discuter pendant une heure demie avec M. Blair et les représentants de Santé Canada. À 15 heures, après une pause d’une heure entre les séances, nous allons passer à l’étude article par article. Donc, si vous avez des amendements et des observations, sachez que vous devez les présenter dans les deux langues officielles et qu’ils doivent être en harmonie avec le format des dispositions du projet de loi C-45. Vous ne pouvez pas présenter un vague libellé. Les amendements doivent viser une disposition du projet de loi. Je vous recommande de consulter le légiste pour que tout soit conforme. Les amendements et observations doivent être déposés d’ici 16 heures demain afin que nous puissions les organiser avant lundi. Nous allons les recevoir pendant la fin de semaine, alors nous n’aurons pas vraiment le temps de nous reposer, mais nous serons prêts pour lundi.

Donc, gardez tout cela à l’esprit, et nous nous reverrons demain matin à 8 heures.

(La séance est levée.)

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