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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 45

Le lundi 28 octobre 1996
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le lundi 28 octobre 1996

La séance est ouverte à 20 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

 

Feu l'honorable Arthur Tremblay, O.C., B.A., M.A., M.Ed.

Hommages

L'honorable John Lynch-Staunton, (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, un des premiers collègues que j'ai eu l'honneur de rencontrer peu après mon arrivée au Sénat fut l'honorable Arthur Tremblay, dont nous avons appris le décès hier avec une profonde tristesse.

Son nom, évidemment, m'était très familier. Je le savais un de ces grands mandarins qui ont tant marqué le Québec durant les années 1960. Je connaissais sa lucidité et son érudition sur toutes les questions constitutionnelles. Je n'étais pas sans savoir qu'il avait oeuvré dans les milieux éducatifs et intellectuels avant d'entreprendre une carrière dans le domaine public et que de nombreuses universités lui avaient accordé des doctorats honorifiques.

Ce que je ne savais pas, et ce que j'ai vite appris par la suite, c'est qu'avant tout, l'honorable Arthur Tremblay était un homme marqué d'une simplicité et d'une affabilité envers tous et chacun que le hasard amenait sur son passage. C'est ce qui faisait des uns qui le côtoyaient l'envie des autres qui ne pouvaient se vanter du même privilège.

Je garderai toujours une image de cet homme assis, de préférence en groupe, une bière non loin de la main, prêt à discuter et à argumenter avec une précision intellectuelle qui ne cessait d'impressionner même ceux qui ne partageaient pas toujours ses idées et ses opinions.

Il était de ceux, il y a un an moins deux jours, et ils étaient nombreux, qui s'affirmant toujours fédéralistes ont voté OUI au référendum. Il n'y voyait aucune contradiction car pour lui, et pour tellement d'autres au Québec qui sont toujours en attente, l'avenir du Canada, dont il était fier citoyen, repose en grande partie sur une reconnaissance formelle de l'évolution du Québec dont il était fier défenseur. La confirmation de cette réalité ne pourrait mieux honorer sa mémoire.

J'offre à son épouse Pauline et à leurs enfants Suzanne et Simon-Pierre, et à toute sa famille l'expression de mes condoléances les plus profondes.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris le décès de notre ex-collègue, l'honorable Arthur Tremblay.

[Traduction]

Depuis sa nomination au Sénat, en 1979, jusqu'à sa retraite, en juin 1992, Arthur Tremblay a fait sa marque en matière constitutionnelle au cours de nos débats les plus tumultueux. Il est devenu un très proche conseiller de deux anciens premiers ministres, soit les très honorables Joe Clark et Brian Mulroney.

Il était un des plus importants membres conservateurs du comité mixte spécial sur le rapatriement de la Constitution de la Grande-Bretagne au Canada, en 1980. Il a aussi coprésidé le comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur l'entente constitutionnelle de 1987.

Il était un ardent défenseur des questions dans lesquelles il croyait. Même si nous ne partagions pas toujours son opinion en matière constitutionnelle, il défendait vivement et fermement ses convictions et les exprimait avec beaucoup de vigueur. Il a aussi manifesté le même zèle à l'égard de la réforme de cet endroit. Peu après sa nomination, il a demandé que le Sénat soit réformé. Une de ses premières propositions dans cette veine visait l'élection du Président du Sénat.

Arthur Tremblay a été au coeur de l'une des plus importantes affaires à intéresser sa province. Il a été, dans les années 60, le principal architecte de la réforme de l'éducation au Québec. Au cours de son imposante carrière, M. Tremblay a été sous-ministre de l'Éducation de sa province, professeur d'université et auteur.

 

  • (2010)
En 1989, M. Tremblay a publié une histoire du système d'éducation du Québec des débuts de la Confédération à 1964. On me dit que, depuis qu'il était à la retraite, il travaillait à un autre ouvrage concernant, cette fois-ci, la réforme du système d'éducation québécois.

Voici ce que la Presse canadienne disait de M. Tremblay lors de son départ de cette Chambre à 75 ans:

[Français]

Le sénateur Tremblay a l'oeil clair, une mémoire d'éléphant et une intelligence vive.

[Traduction]

En 1993, le journal Le Droit écrivait ceci:

[Français]

Il n'y en a pas deux comme le sénateur Arthur Tremblay.

[Traduction]

Ceux d'entre nous qui ont eu le plaisir de travailler avec lui au Sénat partagent ce sentiment.

[Français]

Nous exprimons nos condoléances les plus sincères à son épouse, à sa famille et également aux citoyens de sa province qui ont perdu quelqu'un de si dévoué.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, j'ai connu l'honorable Arthur Tremblay dès son arrivée au Sénat en septembre 1979. Au moment de sa nomination, il s'était déjà distingué, pendant 17 ans, dans la haute fonction publique du Québec.

Pendant la Révolution tranquille, comme le leader du gouvernement vient de nous le rappeler, plusieurs des postes clés, l'éducation, la planification et le développement, les affaires intergouvernementales lui avaient été confiés par les premiers ministres Lesage, Johnson, Bertrand, Bourassa et Lévesque.

Comme grand commis de l'État, il avait gagné le respect et l'admiration de ses compatriotes du Québec et également de ses collègues professionnels à travers le Canada.

Ce furent deux de ses collègues de l'extérieur du Québec qui proposèrent la nomination du sénateur Tremblay au Sénat. Le premier ministre Clark ne connaissant pas M. Tremblay, c'est sur l'inspiration de William Davis, ancien ministre de l'Éducation de l'Ontario et premier ministre de cette province à l'époque, et de Marcel Massé, alors greffier du Conseil privé à Ottawa, aujourd'hui ministre dans le gouvernement fédéral, que M. Clark a invité Arthur Tremblay à Ottawa.

Le premier ministre Clark lui avait demandé d'assurer la préparation d'un livre blanc sur le fédéralisme, projet qui s'est vu transformer, après la défaite du gouvernement conservateur, en 1980, et le retour du parti au rang de l'opposition. M. Tremblay a collaboré avec M. Clark et ses conseillers en formulant leurs interventions dans le débat référendaire de 1980 en faveur du NON.

Au cours des mois qui ont précédé les débats parlementaires sur le projet constitutionnel du premier ministre Trudeau en 1981 et 1982, le sénateur Tremblay avait coprésidé avec l'honorable Jake Epp un comité du caucus conservateur chargé de formuler la politique et la stratégie de notre parti.

Après l'élection du gouvernement conservateur en 1984, le sénateur Tremblay a été nommé conseiller constitutionnel du premier ministre Mulroney, et il a déployé ses vastes connaissances du dossier au profit d'un comité ministériel que j'ai eu l'honneur de présider à partir de 1986. Au lac Meech, en avril 1987, à l'édifice Langevin, deux mois plus tard, en juin 1987, et au Centre des conférences, en juin 1990, le sénateur Tremblay était à nos côtés. Il fut un interlocuteur respecté par tous, un conseiller intelligent et raffiné.

Sa contribution aux débats du Sénat, pendant ses 13 ans en cette Chambre, ne s'est pas limitée au grand dossier constitutionnel. Il a présidé notre comité permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, et il a participé, comme membre, aux délibérations de plusieurs autres comités de toute la gamme des activités gouvernementales.

C'est à l'automne 1995 que Arthur Tremblay a fait sa dernière intervention dans les affaires publiques, la plus dramatique, et pour beaucoup de ses amis, la plus poignante aussi. Celui qui s'était engagé pour le NON en 1980 et, après le rapatriement de 1982, pour l'Accord du lac Meech, s'est déclaré en faveur du projet souverainiste au référendum de 1995.

Il n'avait pas complètement renoncé à sa foi fédéraliste, et le sénateur Lynch-Staunton y a fait allusion tout à l'heure, la souveraineté qu'il recherchait était celle d'un État membre de la fédération. Il avait désespéré du fédéralisme canadien tel qu'il lui semble évoluer actuellement. Il a qualifié son geste comme un OUI que l'on se donne à soi-même pour occulter le NON de l'autre.

Pour beaucoup de ses amis, qui n'étaient pas d'accord avec son analyse, sa prise de position n'était pas, cependant, surprenante. À 78 ans, il a découvert, disait-il, que la route qu'il avait choisie jusque-là était une voie sans issue.

Arthur Tremblay nous a quittés au temps du référendum de 1995, sans jamais rompre les amitiés qu'il avait nouées au cours des années à travers le Canada et surtout en cette Chambre. Pour ma part, je conserverai toujours la mémoire d'un serviteur de l'État qui fut d'une grande intelligence et de la plus haute intégrité. Je regrette profondément la disparition d'un merveilleux ami et collègue.

L'honorable Roch Bolduc: Honorables sénateurs, j'ai connu Arthur Tremblay dans les années 1950: il était alors professeur à l'École de pédagogie de l'Université Laval. De Paris et de Harvard, Arthur s'est fait connaître au public informé par la qualité de son mémoire, c'est-à-dire celui des professeurs de l'Université Laval, devant la Commission Tremblay chargée d'étudier les problèmes constitutionnels dans les années 1950.

J'étais jeune fonctionnaire à Québec et nous le consultions alors soit sur des problèmes de méthodologie, soit sur des questions relatives à la formation des maîtres parce qu'à l'époque, l'enseignement professionnel relevait du ministère de la Jeunesse.

Il avait une intelligence vive et c'était fascinant de le voir et surtout de l'entendre réfléchir tout haut sur un problème. L'9il vif, l'imagination débordante, il caressait les idées avec un plaisir sans cesse renouvelé. Déjà, par exemple, il mettait l'accent sur l'introduction de l'informatique dans les milieux de l'éducation.

Puis vint la Révolution tranquille, dont il fut l'un des architectes. J'ai alors travaillé à ses côtés pendant trois années pleines de situations exaltantes. La réforme scolaire se fabriquait par la Commission Parent dont il était membre mais, en même temps, en tant que conseiller principal du ministre de la Jeunesse, Paul Gérin-Lajoie, Arthur proposait sans arrêt au gouvernement des politiques et des programmes, à court et à long termes, destinés à un virage majeur du système de l'éducation: hausse de l'âge de la fréquentation scolaire obligatoire, régime de financement des commissions scolaires, généralisation de la taxe de vente, régionalisation des commissions scolaires, rapport sur l'enseignement technique et professionnel, et j'en passe.

Durant l'élection de l'automne 1962, qui portait sur la seconde nationalisation de l'électricité, le ministre partit en campagne électorale, et Arthur put se concentrer sur la production du rapport de son comité d'étude. Il dicta littéralement 20 pages par jour pendant un mois. À Noël, les deux tomes du rapport de 550 pages étaient prêts. C'était un document formidable mais qui n'a pas reçu toute l'attention qu'il méritait à cause de l'effervescence politique de l'époque où l'opinion publique était sollicitée par beaucoup de problèmes qui surgissaient en même temps.

Puis Arthur présida l'Office de planification et de développement, qui oeuvrait à l'élaboration et à la mise en 9uvre de projets conjoints avec le gouvernement fédéral dans le développement régional.

Durant les années 1960, à Québec, certains hauts fonctionnaires, dont M. Tremblay, siégeaient à des comités ad hoc du Cabinet avec quelques ministres. Nous abordions les sujets chauds choisis par le premier ministre et lui faisions rapport. Messieurs Lesage et Daniel Johnson père, ainsi que M. Bertrand, avaient adopté cette façon de faire pour tenter de résoudre les difficultés nombreuses qu'ils rencontraient.

L'opinion d'Arthur avait du poids à cause de sa maîtrise intellectuelle et de son expression sincère. Puis il bifurqua à plein temps vers les relations fédérales-provinciales, où j'ai aussi eu le plaisir de le retrouver lors de discussions relatives aux municipalités et les questions relatives à l'habitation.

Mais peu importe où nous travaillions, nous pouvions toujours nous revoir autour d'une table pour continuer nos débats non seulement sur les sujets litigieux dont nous étions chargés, mais sur tous les grands débats de société de l'époque.

Arthur, qui était de quelques années notre aîné, devint ainsi le maître à penser de toute une génération de cadres de l'État.

Puis, à l'invitation de M. Clark, il accéda au Sénat. Chacun sait le rôle important qu'il y joua particulièrement à cette période et durant l'époque de M. Mulroney dont il fut, à l'occasion de l'Accord du lac Meech, un des conseillers sur les questions constitutionnelles. J'ai eu de nouveau le plaisir, en 1992, de travailler avec lui sur une proposition concernant le partage des pouvoirs avant l'Entente de Charlottetown.

Enfin, Arthur Tremblay avait aussi des amis dans les milieux académiques et culturels. Il était un homme attachant et simple. Il aimait la nature, la pêche, notamment, mais aussi la littérature française qu'il connaissait fort bien. Produit du Saguenay durant la période de la crise des années 30, disciple du père Lévesque, il faisait partie des pionniers de l'étude des sciences sociales au Québec avec, entre autres, ses amis Jean-Charles Falardeau, Albert Faucher, Maurice Lamontagne et Jean Marchand.

Il faut savoir que ces hommes ont vécu la première partie de leur carrière professionnelle à l'époque de M. Duplessis et ils trouvaient que le premier ministre de la province n'était guère progressiste, c'est-à-dire, à leurs yeux, pas assez interventionniste en économie et en éducation, par exemple, et trop, par ailleurs, dans l'exercice discrétionnaire du pouvoir. C'est l'affrontement entre deux mentalités qui explique, en partie, l'engagement de certains d'entre eux sur la scène publique provinciale et d'autres sur la scène fédérale parce que tous croyaient, je pense, à l'action positive du gouvernement de l'époque.

Je perds un ami de toujours et un grand copain. À Pauline, qui l'a si bien secondé et à ses enfants, j'offre mes sympathies.

[Traduction]

L'honorable Richard J. Doyle: Honorables sénateurs, il y a un peu plus d'un an, lorsque nous avons enfin réalisé que le référendum au Québec menaçait très concrètement la solidarité de notre pays, nous avons appris que notre ancien collègue, Arthur Tremblay, figurait parmi les partisans du camp du OUI.

Arthur n'était pas une girouette de la politique canadienne. Lorsque le premier ministre Clark l'a nommé au Sénat, on l'a immédiatement reconnu comme l'un des grands hommes d'État de la Chambre haute - comme un habile orateur plein de sagesse et ayant l'expérience des guerres constitutionnelles incessantes au Canada.

Lorsque, en juin 1992, le leader du gouvernement de l'époque, Lowell Murray, a rendu hommage au sénateur Tremblay au moment de sa retraite, il a bien décrit le sentiment de la Chambre haute. Il a dit ceci:

Son inestimable contribution comme parlementaire lui vaut le respect et la gratitude de ses pairs et de ses compatriotes. Les 13 dernières années ont été le couronnement d'une carrière déjà renommée dans les secteurs de l'éducation et de l'administration publique.

J'ai eu la chance, honorables sénateurs, d'avoir Arthur Tremblay comme voisin pendant sept ans à Ottawa. Il m'a servi de mentor sur les coutumes obscures des comités du Sénat.

Je savais qu'Arthur était une des personnes que les premiers ministres envoyaient chercher quand tout semblait aller mal pour le pays. Il a été, à mon avis, le participant le plus efficace et le plus sûr de lui dans le fameux débat sur l'Accord du lac Meech et, quand Pierre Trudeau est venu au Sénat pour s'opposer à l'accord, Arthur a été le dernier à l'interroger et il lui a posé les questions les plus difficiles.

Vingt et un jours après, le sénateur Tremblay a donné son propre avis sur l'Accord du lac Meech. Permettez-moi de citer cette éclatante allocution. Il a dit:

Ce que la Loi constitutionnelle de 1987 réalisera lorsqu'elle sera proclamée, ce sera de restaurer l'ordre normal des choses dans une fédération comme la nôtre. Il n'était pas normal en effet que la Loi constitutionnelle de 1982, qui était destinée à trancher le dernier lien colonial qui nous rattachait encore au Parlement de Westminster, il n'était pas normal que cette loi franchisse toutes les étapes légales requises sans que le Québec soit partie à l'opération...

À entendre certains commentaires qui ont été faits [...] à l'effet qu'il n'y avait pas urgence en la matière, je me suis senti vraiment inscrit dans une sorte de durée de cette anomalie dans laquelle nous sommes depuis cinq ans maintenant. Un jour ou l'autre, il fallait sortir de l'impasse dans laquelle on se trouvait, non seulement le Québec, je le répète, mais la fédération canadienne dans son ensemble. Cela aurait été le mérite et l'honneur de M. Mulroney d'avoir posé le premier geste significatif dans la perspective de la restauration de la normalité des choses. [...] Il l'a fait cependant en des termes qui montrent bien jusqu'à quel point il était conscient que, dans la poursuite de cet objectif, il fallait procéder avec prudence et discernement dans le contexte d'alors.

Le sénateur Tremblay ne savait sans doute pas, ce jour-là, en 1988, quelle importance auraient la prudence et le discernement dans l'évaluation des malheurs qui devaient s'abattre par suite du discours fleuve de l'ancien premier ministre Trudeau au Sénat.

  • (2030)
Est-ce l'exaspération, la colère, la déception ou la douleur qui ont poussé Arthur à se ranger de l'autre côté au moment du référendum tenu à cause de l'échec de l'Accord du lac Meech? Ou était-ce une autre raison un peu moins noble? Une raison à laquelle Arthur Tremblay a fait allusion dans son dernier discours au Sénat, en juin 1992? Il a dit:

Habituellement, dans des situations d'ambivalence de ce genre ou de comportements contradictoires - à toutes fins utiles, où l'on se confronte à l'intérieur de soi-même - j'ai toujours constaté que mieux valait ne pas trop parier sur la spontanéité de ses propres intuitions et que mieux valait s'en remettre aux usages et aux traditions.

Le mot clé était-il «habituellement»?

[Français]

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'ai eu l'honneur de connaître l'honorable Arthur Tremblay à l'Institut canadien des affaires publiques il y a déjà très longtemps et quelques membres du gouvernement étaient présents, dont l'honorable whip. C'était dans les années 1950, dans les années de Maurice Duplessis. C'était ce qu'il y avait de plus connu. À tous les mois de septembre, on se rencontrait et comme j'étais très jeune étudiant, on me donnait chaque année une bourse de 50 $ pour pouvoir assister à cette réunion, à Sainte-Adèle.

On y retrouvait tout ce que le Québec pouvait compter de personnes intéressées à la chose publique, à la chose de l'éducation et à l'avenir du Québec et du Canada. Ensuite, j'ai eu l'occasion de le connaître dans ses multiples activités en ce qui concerne la Constitution.

Comme j'aime beaucoup l'histoire et que je sais que ceux qui lisent les Débats du Sénat, pour avoir une idée plus complète - je parle surtout pour les étudiants qui aiment à savoir qui était telle ou telle personne - je vous référerais aux Débats du Sénat du mercredi 17 juin 1992. J'incite même les honorables sénateurs à relire les discours très éloquents des honorables sénateurs Lowell Murray, Royce Frith, Gérald Beaudoin, Mario Beaulieu, Pierre De Bané, Solange Chaput-Rolland, Brenda Robertson, Lorna Marsden, Gildas Molgat et Richard Doyle qui lui rendaient hommage à l'occasion de son départ.

Nous avions une idée beaucoup plus complète, à ce moment-là, de qui était cet homme si charmant, si agréable, si compétent, si connu, si aimé, si distingué, Arthur Tremblay. À une autre occasion, j'ai eu l'honneur d'être nommé par le très honorable John Turner, un grand ami d'alors et de toujours, pour aller à Paris à l'occasion de la première réunion de la francophonie, sous la gouverne du très honorable Brian Mulroney, lui aussi un ami. Vous auriez dû voir Arthur, expliquant aux sénateurs et aux députés, à peu près tout ce que la francophonie du monde entier pouvait comporter, chaque détail, chaque pays, chaque conférence, chaque conseil qu'il avait donné aux cinq premiers ministres du Québec qu'il avait servis. Il était intarissable. Il était extraordinaire de renseignements que l'on n'a lus nulle part.

Mais si vous connaissez bien Marcel Prud'homme, je me suis empressé d'écrire, ce soir-là, les principaux événements de la journée. Je ne sais pas si cela servira un jour, mais que de détails sur certaines décisions gouvernementales, tant du gouvernement du Canada que du gouvernement du Québec!

Il serait très heureux que je souligne aujourd'hui un événement extraordinaire et historique. Le premier juillet 1980, l'honorable Francis Fox, avait décidé de proclamer le Ô Canada l'hymne national. Francis Fox, à l'occasion d'une grande cérémonie sur la colline, le premier juillet, avait invité notre collègue le sénateur Forrestall et moi-même. Pourquoi? Simplement parce que nous étions les deux seuls survivants, députés ou sénateurs, qui avions recommandé sous M. Pearson que le Ô Canada devienne l'hymne national. Francis Fox parlait du Ô Canada chanté à Québec en 1880. J'entendais toujours la voix précise du sénateur Tremblay qui disait: «Ce n'est pas vrai; c'est 100 ans et une semaine.» Écoutez bien, vous en anglais, l'histoire du Canada que l'on refait souvent, 100 ans et une semaine, disait-il, et Francis Fox qui continuait de dire, à l'occasion du centenaire, le premier juillet.

Voyez-vous comment on change l'histoire, alors que tout le monde sait que le Ô Canada a été écrit par Sir Basile Routhier pour la fête de la Saint-Jean-Baptiste le 24 juin, et non pas le premier juillet l980, mais 1880. Sir Basile Routhier a écrit cet hymne national en compagnie de Calixa Lavallée.

Pourquoi alors le sénateur Tremblay était-il sur l'estrade? Cela m'intriguait. Vous serez intrigués également.

[Traduction]

Il nous avait dit qu'il n'avait rien à faire là.

Sa femme était la petite-fille de Sir Basile Routhier. Peu de gens savent cela. Elle a des parents en Alberta et au Nouveau-Brunswick. Le Président de l'Assemblée législative de l'Alberta, un conservateur qui a été honoré ici la semaine dernière, est déterminé à faire quelque chose depuis qu'il a appris que des descendants de Sir Basile Routhier vivaient en Alberta. Je vous le dis: Canada, Canadiens français, Ô Canada!

Il s'opposait, comme je le fais aussi, à cette tendance que nous avons de chanter le Ô Canada en partie en français et de changer de langue à la fin. La plus belle partie du Ô Canada, pour nous, c'est justement la fin. En anglais, on dit: «We stand on guard for thee.» Pourquoi? En français, nous disons:

[Français]

Ô Canada, terre de nos aïeux, protégera nos foyers et nos droits.

[Traduction]

Et nous répétons ces mots deux fois.

[Français]

C'est la Charte canadienne des droits. C'est le vrai chant composé le 24 juin 1880 par Sir Basile Routhier. On a tendance à le chanter partiellement et cela finit par ne plus rien dire. On ne se comprend plus au pays puisque l'on ne chante pas la même chose. C'est un petit fait historique à l'occasion de son décès regrettable. Cela a été un honneur de recevoir des mains de Sa Majesté mon titre au Conseil privé. Qui était avec moi? Arthur Tremblay.

[Traduction]

Si vous consultez le Guide parlementaire canadien, vous verrez qu'Arthur Tremblay n'était pas seulement un sénateur. C'est Sa Majesté la Reine elle-même qui lui a conféré le titre de membre du Conseil privé le 1er juillet 1992.

J'ai pensé que je pourrais aujourd'hui me servir de cette occasion comme contexte historique pour ceux qui, comme lui, perdent lentement confiance dans ce beau pays qu'est le nôtre. Il n'était pas seul. De plus en plus de gens se demandent si tous ces rêves du sénateur Tremblay, sa lutte pour quelque chose de si simple...

[Français]

...la place des Canadiens français dans ce pays. C'est si simple, cela ne demande pas des traités de science politique; il s'agit tout simplement, avec générosité et intelligence, d'accepter un fait historique. C'était cela, Arthur Tremblay; c'était cela, le vrai Arthur Tremblay, que tout le Canada accepte avec générosité, compréhension et intelligence un fait historique. Comment peut-on ne pas comprendre? Il me disait dans une conversation:

Aujourd'hui, à travers le Canada, on se promène avec le drapeau du Canada.

Mais qui s'est battu le plus pour avoir un drapeau distinctif? Les Canadiens français. Rappelez-vous le fameux débat sur le drapeau en 1964, sous M. Pearson. Honni, combattu, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, en Colombie-Britannique; honni dans les provinces de l'Atlantique, c'était le grand scandale. J'ai assisté, jeune député, avec l'encouragement de M. Arthur Tremblay parce qu'il savait que c'était un symbole important pour un pays que le drapeau du Canada. Aujourd'hui, ceux qui ont crié le plus contre ce symbole d'unité sont ceux qui s'en servent, mais qui s'en servent et vous savez jusqu'où?

C'est comme dans l'Évangile: «Homme et femme de peu de foi...», dans ce pays qui pourrait être si grand si seulement l'on pouvait comprendre les messages que nous a livrés M. Arthur Tremblay.

J'offre à son épouse Pauline, à sa famille et à ses amis, qui le perdent et qui l'ont aimé, mes plus sincères sympathies.

 


[Traduction]

 

AFFAIRES COURANTES

Le Règlement sur l'assurance-emploi (pêches)

Présentation du rapport du comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie

L'honorable Mabel M. DeWare, présidente du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, présente le rapport suivant:

Le lundi 28 octobre 1996

Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l'honneur de présenter son

 

SEPTIÈME RAPPORT

Votre comité, à qui a été renvoyé le Règlement sur l'assurance-emploi (pêches) pris en vertu de l'article 153 de la Loi concernant l'assurance-emploi au Canada et approuvé le 17 septembre 1996 et toutes les questions s'y rapportant, a examiné ledit règlement, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 3 octobre 1996.

Après avoir entendu les représentants du ministère du Développement des ressources humaines, votre comité considère avoir terminé l'étude de cet ordre de renvoi.

Respectueusement soumis,

 

La présidente,
MABEL M. DEWARE

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?

Le sénateur DeWare: Honorables sénateurs, je propose que l'étude du rapport soit inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance du Sénat.

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, je voulais faire une brève intervention au sujet de ce rapport. Toutefois, comme l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance du Sénat, j'attendrai à ce moment-là pour vous faire part de mes observations.

(Sur la motion du sénateur DeWare, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

 


ORDRE DU JOUR

LA LOI SUR LES JUGES

Projet de loi modificatif-Troisième lecture-
motion d'amendement-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bryden, appuyée par l'honorable sénateur Stollery, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence, et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Nolin, appuyée par l'honorable sénateur Doody: «Que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié,

a) à l'article 4, page 3,

(i) par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit:

«approbation du Conseil.»,

(ii)par substitution, à la ligne 14, de ce qui suit:

«titre du paragraphe (1), le juge en chef ou le juge»,

(iii) par suppression des lignes 23 à 32;

b) à l'article 5, par substitution aux lignes 12 à 43, page 4, et aux lignes 1 à 26, page 5, de ce qui suit:

56.1 (1) Le juge auquel un congé a été accordé en vertu du paragraphe 54(1), peut, avec l'autorisation du Conseil accordée en vertu du paragraphe (2), exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale d'États ou l'une de ses institutions et être indemnisé, par le gouvernement du Canada, à l'égard de ces fonctions, de ses frais de transport et des frais de séjour et autres frais raisonnables.

(2) Lorsque le juge demande un congé en vertu du paragraphe 54(1) afin d'exercer des fonctions judiciaires ou quasi judiciaires pour une organisation internationale d'États ou l'une de ses institutions, le Conseil peut, à la demande du ministre de la Justice du Canada, autoriser l'exercice de ces fonctions.»

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, j'appuie l'amendement au projet de loi C-42 proposé par le sénateur Nolin. Le 1er octobre 1996, lors du débat à l'étape de la deuxième lecture, j'ai exposé un grand nombre de mes objections concernant le projet de loi à l'étude. L'amendement proposé par le sénateur Nolin permettra aux juges d'exercer certaines fonctions internationales, mais il limitera l'objectif et la portée de ces fonctions à des activités judiciaires et quasi judiciaires et il définira aussi la rétribution versée à cette fin. L'amendement proposé par le sénateur Nolin maintient l'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 ainsi que les droits du Parlement et la rétribution des juges. Honorables sénateurs, je voudrais d'abord revenir sur certains débats qui ont eu lieu ici même au Sénat, récemment et il y a longtemps, relativement à l'exercice de fonctions d'envergure internationale par les juges.

Honorables sénateurs, en 1992, le gouvernement Mulroney a négocié l'Accord de libre-échange nord-américain. En 1993, le Sénat du Canada a étudié le projet de loi habilitant l'ALENA, le projet de loi C-115, qui mettait en question le rôle des juges. L'article 218 du projet de loi C-115 modifiait la Loi sur les mesures spéciales d'importation, de manière à ajouter le paragraphe 77.013(1) établissant des groupes spéciaux et le paragraphe 77.013l(2) autorisant la nomination de juges canadiens au sein de ces groupes spéciaux binationaux chargés de régler les différends, ce que la Loi sur les juges interdisait formellement. Par conséquent, le projet de loi C-115 a modifié l'application de la Loi sur les juges. Les sénateurs libéraux alors dans l'opposition ont misé sur l'opposition de celui qui était à l'époque le chef de l'opposition, John Turner, et sur celle des sénateurs libéraux à l'Accord de libre-échange de 1988, pour faire valoir que l'exercice de telles fonctions par les juges n'était pas conforme à l'usage au Canada et pour s'opposer de ce fait au projet de loi de mise en oeuvre de l'ALENA de M. Mulroney, le projet de loi C-115.

Ce sont les sénateurs John Stewart et Allan MacEachen qui ont mené cette affaire. À la troisième lecture, le 17 juin 1993, le sénateur Stewart a dit ceci:

 

Notre Loi sur les juges empêche les juges d'être membres de ces groupes binationaux. Le paragraphe proposé pour la Loi sur les mesures spéciales d'importation dirait ce qui suit:
Les juges ainsi que les anciens juges des juridictions supérieures canadiennes peuvent faire partie d'un groupe spécial.

Dans ce paragraphe, le gouvernement du Canada demande à la Chambre d'appuyer sa décision d'acquiescer à la demande des Américains qui souhaitent qu'on modifie la nature de ces groupes.

Il a dit aussi ceci:

Fatigués de voir que les groupes spéciaux leur ont donné tort à maintes reprises, les Américains en sont venus à mettre en doute la compétence des membres de ces groupes [...]

Les Américains veulent que les groupes spéciaux soient composés entièrement de juges autant que faire se peut et à 100 p. 100 si possible.

Puis le sénateur Stewart a proposé, en ces termes, un amendement visant à supprimer la partie pertinente de l'article 218:

 

Que le projet de loi C-115 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais que l'article 218, à la page 159, soit amendé en supprimant le paragraphe 77.013(2) et en renumérotant le paragraphe 77.013(3) pour qu'il devienne le paragraphe 77.013(2).
Les sénateurs libéraux, dont j'étais, avaient discuté ces questions à fond au caucus et étaient unanimes pour ce qui était du rôle des juges canadiens. Prenant la parole le même jour au sujet de cet amendement, le sénateur MacEachen a cité les délibérations du comité sénatorial permanent des affaires extérieures sur le projet de loi C-115 et le témoignage donné, le 8 juin 1993, par le sous-procureur général adjoint, Direction des impôts, ministère de la Justice, Konrad von Finckenstein.

 

  • (2050)
Le sénateur MacEachen a rapporté ses échanges avec M. von Finckenstein en déclarant:

 

Il est intéressant de rapporter une partie de ce témoignage. Il démontre non seulement que les Américains ont demandé [...] que la composition des groupes d'arbitrage soit rajustée pour permettre que des juges et des anciens juges en fassent partie [...], mais aussi que nos négociateurs ont accepté leur requête. De plus, le gouvernement du Canada a apporté un amendement spécial en ce sens à son projet de loi.
Il a poursuivi :

 

J'ai ensuite demandé au conseiller juridique s'il était vrai que, pour se rendre à la requête des Américains, le gouvernement du Canada avait prévu modifier la Loi sur les juges:
[...] D'après ce que je comprends, nous avons répondu à la requête des Américains en modifiant la Loi sur les juges pour permettre à ces magistrats de participer, est-ce exact?

Le sénateur MacEachen rapporte ensuite la réponse de M. von Finckenstein:

M. von Finckenstein: Non, le projet de loi devant vous ne contient aucun amendement à la Loi sur les juges.

Le sénateur MacEachen rapporte qu'il a répondu comme suit au témoin:

Je me suis donc trompé.

Honorables sénateurs, j'étais présente à cette réunion du comité. J'ai observé le malaise du témoin et ses hésitations lorsqu'il affirmait que le projet de loi C-115 ne modifiait pas l'application de la Loi sur les juges. J'ai observé le sénateur MacEachen, un ancien ministre des Affaires étrangères et un homme bien informé des affaires juridiques du Canada et des affaires internationales, j'ai vu sa frustration évidente et j'ai vu qu'il se demandait si le témoin n'était pas en train de nous tromper. M. von Finckenstein a finalement cédé en disant:

Je vous demande pardon, sénateur, j'ai fait une erreur.

Le sénateur MacEachen a poursuivi son discours:

 

... c'était un revers tout à fait temporaire de mon argument parce que le témoin a reconnu que, pour que les juges puissent faire partie des groupes d'arbitrage, il avait fallu modifier la Loi sur les mesures spéciales d'importation. Une modification a été prévue pour se rendre à la requête des Américains et permettre aux juges...
La proposition d'amendement du sénateur Stewart et les sénateurs libéraux ont été défaits par les sénateurs ministériels. L'article 218 du projet de loi C-115, qui acquit force de loi, a établi une nouvelle utilisation du pouvoir judiciaire. Je signale cependant que le rôle proposé pour les juges dans le projet de loi était limité aux fonctions judiciaires.

Le projet de loi C-42 est un renversement complet de la politique libérale. Devant l'impossibilité de retrouver la marque du caucus libéral dans ce renversement de politique qu'incarne le projet de loi C-42, j'en suis arrivée à la conclusion qu'il était l'oeuvre de fonctionnaires et de quelques juges intéressés.

En tant que libérale, je demeure opposée à la protection d'intérêts privés. Personne ni aucun organisme ne peut louer les services des juges pour quoi que ce soit. Les salaires des juges, c'est l'affaire du Parlement. En tant que libérale, je demeure ouverte à des changements de la politique gouvernementale, y compris en ce qui concerne le déploiement des juges. Toutefois, ces changements doivent faire l'objet d'un débat libre au sein du caucus libéral et en consultation avec la population, qui a le droit d'avoir une magistrature inattaquable.

Honorables sénateurs, je vais maintenant parler de l'Agence canadienne de développement international, l'ACDI, et plus particulièrement du soutien financier et de la participation de cet organisme aux activités de certains juges canadiens, ce qui est sans précédent. Je n'ai pas établi la nature et la portée du soutien financier accordé par l'ACDI à l'intention ou au nom de juges canadiens, ni l'ampleur de sa participation à leurs activités. Je ne connais pas davantage l'ampleur des activités et des déplacements internationaux des juges canadiens en cause ni l'identité de ces derniers.

Lorsque le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a examiné le projet de loi C-42, il n'a pas entendu le ministre des Affaires étrangères, M. Lloyd Axworthy, ni le ministre responsable de l'ACDI, M. Pierre Pettigrew ou le commissaire à la magistrature fédérale, M. Guy Goulard. J'aurais pourtant cru leur témoignage d'une importance cruciale.

Toutefois, le sous-ministre de la Justice, M. George Thomson, a comparu devant le comité sénatorial permanent des finances nationales lorsque ce dernier a examiné le Budget des dépenses principal, le 23 octobre 1996. En réponse à ma question concernant sa présence à une table ronde de l'ACDI et de la magistrature en avril 1996, M. Thomson a confirmé qu'il y était et a ajouté:

Le juge en chef Lamer y a assisté au début pour indiquer que l'appareil judiciaire est prêt à aider d'autres pays à mettre en place des systèmes judiciaires. Je crois qu'il était le seul juge présent...

Cette réunion a eu lieu plusieurs mois avant la présentation du projet de loi C-42. Les conséquences pour l'indépendance judiciaire, pour les juges du Canada et pour la justice elle-même sont énormes en ce qui concerne le financement des programmes de l'ACDI supervisés par le sous-ministre, Guy Goulard, commissaire à la magistrature fédérale. Qu'un sous-ministre choisisse les juges pour de tels programmes entraîne des risques en ce qui concerne la bonne administration de la justice. Comme le sénateur Andreychuk le disait à la deuxième lecture du projet de loi C-42:

...le public ne peut comprendre pourquoi le juge A a certaines possibilités et pas le juge B.

Cet échange et cette collaboration entre l'ACDI, le Conseil canadien de la magistrature et la Commission de la magistrature fédérale sont très troublants. Cet échange de biens et de services ne tient pas compte de l'intérêt public et nuit à l'indépendance judiciaire et la justice elle-même.

Honorables sénateurs, j'en viens maintenant à Mme le juge Louise Arbour, de la Cour d'appel de l'Ontario. J'ai demandé instamment au gouvernement de présenter en ce qui la concerne, une mesure législative spéciale l'exemptant de la Loi sur les juges. Le gouvernement a refusé. L'un des principes du Parlement et de l'appareil judiciaire est qu'aucun juge ne devrait être à l'origine d'une loi spéciale pour son avancement personnel et, en outre, que les magistrats en exercice ne devraient pas susciter des conjectures et des soupçons du public à l'égard de leurs jugements.

La résolution 1047 du 29 février 1996 du Conseil de sécurité des Nations Unies nommait Mme le juge Arbour procureur du Tribunal international pour la poursuite des criminels de guerre alors qu'elle était encore commissaire chargée de l'enquête sur certains événements survenus à la prison pour femmes à Kingston. Au moment de sa nomination par le secrétaire général des Nations Unies, M. Boutros-Ghali, elle avait enfreint la Loi sur les juges. Je cite un article de Naomi Klein publié dans le numéro de juillet-août 1996 de la revue Ms et intitulé «Is War Crimes Prosecution in the Right Hands?»:

Au moment de la publication de son rapport de 311 pages,en avril 1996, Mme Arbour avait déjà été nommée à la direction du tribunal pour la poursuite des criminels de guerre. Il était impossible de ne pas voir dans ses conclusions une répétition de son nouveau rôle de défenseur international des droits des femmes qui ont été systématiquement humiliées par des hommes en position de pouvoir.

Le magazine Ms a souligné le revirement du juge Arbour concernant les lois sur la protection des victimes de viol, dans son rapport sur la prison des femmes, et émis des doutes sur son intégrité, jetant aussi une ombre sur sa décision dans l'affaire Regina c. Finta, un procès intenté à un présumé criminel de guerre nazi. Le magazine Ms niait l'impartialité des jugements rendus par le juge Arbour. C'est grave pour le juge Arbour, et cela peut lui nuire grandement.

Chez nous, dans son numéro du 23 octobre 1996, on pouvait lire dans la revue à potins Frank un article sur «les amis haut placés du juge Arbour».

 

... Mme Arbour a beaucoup d'amis et d'alliés qui peuvent l'aider à se hisser au sommet. [...]
C'est Goldstone qui a usé de ses talents pour obtenir la nomination de Mme Arbour aux Nations Unies. Au Canada, c'est son conjoint de fait, le boutonneux sous-procureur général de l'Ontario, M. Larry Taman, qui a dirigé la manoeuvre dans les cercles juridiques.
Larry Taman a succédé à George Thomson au poste de sous-procureur général de l'Ontario quand George Thomson est venu à Ottawa pour assumer les fonctions de sous-procureur général du Canada. C'est bien connu à Toronto que ce sont des amis.

Honorables sénateurs, la seule existence de ces suppositions prouve ce que j'avance. On a éveillé le monstre du doute sur les liens possibles entre les conclusions du juge Arbour et l'obtention de son nouveau poste, ce qui la place en bien fâcheuse position. Tous les juges qui manifesteront de l'intérêt envers un poste et une rémunération semblables s'attireront des critiques, des doutes et des réactions cyniques.

Le 23 octobre, à une réunion du comité sénatorial permanent des finances nationales, quand on lui a demandé quel pouvait être le salaire du juge Arbour aux Nations Unies, M. George Thomson, sous-ministre de la Justice, a répondu ceci:

Je ne sais tout simplement pas ce que les Nations Unies lui ont offert comme rémunération et je ne suis pas convaincu que nous avons le droit d'obtenir d'elle le renseignement. Nous ne le savons pas pour l'instant.

Ce à quoi M. Harold Sandell, adjoint de M. Thomson, a ajouté:

C'est une question privée entre le juge Arbour est les Nations Unies. Nous ne sommes pas au courant.

L'article 100 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit que les salaires des juges relèvent du Parlement. On m'a dit que le contrat du juge Arbour fixait sa rémunération à 250 000 $ US non imposables et prévoyait plusieurs milliers de dollars additionnels pour son compte de dépenses. Avec une telle rémunération, il n'y aura bientôt plus personne dans les rangs de la magistrature si les juges canadiens ont le droit de solliciter, auprès des instances internationales, des postes prévoyant une rémunération de cet ordre. En outre, si les juges qui occupent un tel poste peuvent continuer à utiliser leur titre et à remplir leurs fonctions au Canada, les conséquences pourraient être catastrophiques pour la justice canadienne.

Au sujet de la nomination du juge Arbour, le ministre de la Justice, M. Allan Rock, a déclaré le 3 octobre 1996 au comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles:

Je ferais remarquer que d'autres juges éminents ont déjà rempli de telles fonctions. Le procureur en chef sortant pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, monsieur le juge Goldstone, s'est vu lui-même accorder un congé du Tribunal constitutionnel de l'Afrique du Sud. On se souviendra également, madame la présidente, que monsieur le juge Robert H. Jackson, en congé de la Cour suprême des États-Unis en 1945 et 1946, a été procureur en chef américain au Tribunal des crimes de guerre de Nuremberg.

 

  • (2100)
Je vais montrer que ces deux cas ne sont pas du tout des précédents et qu'ils ne nous sont d'aucun secours dans l'étude du projet de loi C-42. D'abord, le juge Richard Goldstone; à son sujet, le gouvernement d'Afrique du Sud a écrit ceci:

Selon le ministère de la Justice d'Afrique du Sud, aucune modification législative n'a été faite - ni n'est requise - pour accorder un congé au juge Goldstone.

Ce n'est donc pas un précédent du tout. Cet exemple ne nous est d'aucun secours parce qu'aucune mesure législative ou parlementaire n'était requise.

Ensuite, on a le cas du juge Robert Jackson, qui a été à Nuremberg de 1945 à 1946. Son absence de la Cour suprême des États-Unis et son rôle à Nuremberg ont fait l'objet de bien des critiques. Ses deux propres successeurs au poste de juge en chef de la Cour suprême des États-Unis se sont opposés à lui. Le juge en chef Harlan Stone a décrit les activités du juge Jackson comme «le parti de règlement de comptes de Jackson». À la mort de Stone, en avril 1946, son successeur, le juge en chef Frederick Vinson, s'est également opposé au recours à des juges de la Cour suprême.

Le brigadier-général Telford Taylor a déclaré:

Au cours des premières étapes des procès de Nuremberg, plusieurs juges fédéraux ont accepté des invitations à siéger, mais le juge en chef Vinson a peu de temps après déclaré qu'aucun membre d'une cour fédérale ne devait servir à Nuremberg.

Ce fut la position que les juges en chef successifs de la Cour suprême des États-Unis d'Amérique ont toujours adoptée.

C'est ce que Taylor, conseiller principal lors de ces procès pour crimes de guerre, a écrit dans son rapport final au secrétaire de l'armée sur les procès de Nuremberg.

Un cas plus utile venant du ministre de la Justice aurait été celui du juge Donald Morand, de la Cour suprême de l'Ontario.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, le délai accordé à l'honorable sénateur est écoulé, lui accordez-vous la permission de terminer son intervention?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Cools: À l'époque, le juge en chef a insisté pour que le juge Morand démissionne s'il voulait remplir les fonctions d'ombudsman en Ontario. Le juge Morand a donc démissionné et est devenu ombudsman en 1979.

En passant, beaucoup de gens ont pensé que le travail de Jackson à Nuremberg empêcherait sa nomination à titre de juge en chef de la Cour suprême. Par contre, les médias canadiens nous disent chaque jour que le travail de la juge Arbour à l'étranger lui assurerait une nomination à la Cour suprême du Canada, dont elle deviendrait un jour juge en chef. Le commissaire à la magistrature fédérale, Guy Goulard, m'a lui-même assurée qu'elle était sur la bonne voie pour être nommée à la Cour suprême du Canada.

La juge Arbour est actuellement à l'emploi des Nations Unies à La Haye, sans l'autorisation du Parlement. Elle a pu aller là-bas en vertu de deux décrets, en date du 7 août 1996 et du 1er octobre 1996, qui visaient à légitimer rétroactivement la situation. Ces deux décrets empêchent le Parlement d'exercer ses droits constitutionnels à cet égard.

Le 17 octobre 1996, le professeur Ted Morton, politicologue à l'Université de Calgary, a témoigné devant le comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet du projet de loi C-42. Il a dit de madame le juge Arbour:

D'aucun affirmeront que je m'attache à des vétilles. Je leur réponds ceci: s'il n'est pas possible de s'attendre que les juges des tribunaux d'appel et le ministre de la Justice respectent la lettre et l'esprit de la loi, alors qui le fera?

Honorables sénateurs, pour préserver l'indépendance judiciaire, pour qu'on n'ait jamais à destituer un magistrat et pour maintenir la confiance et l'intérêt du public à l'égard des magistrats, j'appuie l'amendement au projet de loi C-42 que propose le sénateur Nolin.

Pour terminer, j'aimerais dire que l'amendement du sénateur Nolin n'est pas parfait. Si je l'avais rédigé, il serait légèrement différent. Quoi qu'il en soit, il mérite mon appui.

La pratique parlementaire veut que les projets de loi concernant le salaire et les émoluments des juges aient l'appui des deux côtés de la Chambre. Le projet de loi C-42 n'a pas cet appui. On a prétendu que le projet de loi C-42 était une mesure modificative d'ordre technique. Il ne l'est pas, et pourtant, il a suscité le mécontentement et la division dans cette enceinte; il ne respecte pas ce très vieux principe des plus essentiels qui veut que les questions concernant la magistrature, dont celle de leur salaire, ne fassent l'objet d'aucune opposition.

Ce n'est pas la fin du débat car un autre aspect de l'indépendance judiciaire entre en jeu lorsque nous parlons de courtoisie institutionnelle et de la courtoisie qui existe entre les juges et nous-mêmes, c'est-à-dire le Parlement. Nous leur accordons la protection et l'indépendance judiciaire, et ils nous accordent de garder leurs distances.

Pour terminer, j'aimerais citer le juge John McClung, de la Cour d'appel de l'Alberta, qui dans la décision qu'il a rendue en 1996 dans le cadre de l'affaire Vriend et al. contre Alberta a dit:

 

...aucun de nos précieux mécanismes législatifs de protection traditionnels ne joue lorsque les juges décident d'écumer les mers parlementaires.
Honorables sénateurs, nous sommes ici devant un tel cas.

(Sur la motion du sénateur Carstairs, le débat est ajourné.)

 

LA LOI SUR LA FAILLITE ET L'INSOLVABILITÉ
LA LOI SUR LES ARRANGEMENTS AVEC LES CRÉANCIERS DES COMPAGNIES
LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

PROJET DE LOI MODIFICATIF-DEUXIÈME LECTURE-AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Michael Kirby propose: Que le projet de loi C-5, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de l'impôt sur le revenu, soit lu une deuxième fois.

-Honorables sénateurs, j'ai le plaisir de vous entretenir du projet de loi C-5, qui propose des modifications à la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et à la Loi de l'impôt sur le revenu.

Mes brefs propos porteront principalement sur l'impact, pour les consommateurs, de l'ensemble des modifications proposées à ces trois lois. Honorables sénateurs, je désire souligner brièvement certains points que le comité sénatorial permanent des banques et du commerce voudra examiner lorsqu'il étudiera le projet de loi.

L'un des objectifs fondamentaux des modifications proposées dans le projet de loi C-5 est de donner aux consommateurs débiteurs la possibilité de se réhabiliter rapidement et de le faire de manière responsable. Ces modifications visent donc surtout à inciter les débiteurs à se réhabiliter au lieu de déclarer faillite. Le projet de loi vise aussi à encourager les débiteurs à être plus responsables et à rembourser une portion de leurs dettes lorsqu'ils le peuvent. Par exemple, honorables sénateurs, la loi actuelle n'exige pas que tout revenu excédant les besoins essentiels du débiteur soit déposé auprès du syndic et serve à rembourser les créanciers. En vertu de la présente loi, il faut obtenir une ordonnance de la cour pour forcer un failli à verser ainsi ses revenus excédentaires. En outre, le refus d'un failli de verser tous les revenus excédant ses besoins ne constitue pas un motif d'opposition à la libération dans une cause de faillite.

En fait, le processus actuel est si terriblement laborieux et dispendieux que généralement, la plupart des créanciers jugent qu'il ne vaut pas la peine de se lancer dans ce processus long et complexe pour obtenir uniquement la partie des revenus du débiteur qui excède ses besoins.

On en a un exemple intéressant dans le fait que, bien souvent, ces auditions de l'opposition, comme on les appelle, sont reportées durant plus d'un an. Les coûts qui incombent alors au créancier font que ce recours légal n'en vaut pas la peine.

En outre, même après avoir attendu un an, le créancier n'a absolument aucune garantie que le jugement rendu par le registraire des faillites sera en sa faveur. Il semble y avoir un manque d'uniformité considérable dans les décisions tant des juges que des registraires qui entendent et traitent les causes.

En fait, honorables sénateurs, les règles actuelles ne favorisent pas un comportement très responsable de la part du débiteur. Les nouvelles règles prévues dans les modifications qui forment le projet de loi C-5 rendent le processus de faillite plus juste et plus raisonnable pour les créanciers. Elles ont pour effet de rééquilibrer la balance, qui penche un peu en faveur des débiteurs actuellement, pour donner un poids beaucoup plus juste et raisonnable aux créanciers. Selon les modifications proposées, les débiteurs seraient tenus de verser une portion de leur revenu excédentaire, c'est-à-dire tout revenu excédant le minimum requis pour vivre. Les sommes ainsi versées seraient alors redistribuées aux créanciers.

 

  • (2110)
Un autre aspect de la modification de la Loi sur la faillite que le comité sénatorial permanent des banques et du commerce voudra revoir est celui des prêts aux étudiants. Si des milliers d'étudiants canadiens peuvent obtenir de l'aide financière des gouvernements afin de poursuivre des études supérieures, c'est en partie parce que les étudiants qui ont profité antérieurement de cet avantage social ont effectivement remboursé leurs prêts. Ces remboursements sont recyclés et servent à aider d'autres étudiants. Cet aspect est particulièrement important de nos jours, à un moment où les trésors publics sont aux prises avec des déficits budgétaires. Pour que les générations futures d'étudiants canadiens puissent continuer de recevoir des bourses et des prêts garantis par le gouvernement, il est impératif de maximiser le taux de remboursement des prêts.

Le projet de loi C-5 prévoit que tout failli ne pourra être libéré de ses dettes découlant de prêts aux étudiants dans les deux ans après avoir quitté l'école. Cette disposition vise en partie à pallier la situation où des étudiants universitaires reçoivent des prêts afin de poursuivre des études postsecondaires et, peu après avoir reçu leur diplôme, avant même d'avoir occupé un emploi, s'engagent dans un processus de faillite. En vertu des règles actuelles, en déclarant faillite, ils sont entièrement libérés de leur obligation de rembourser leurs prêts d'étudiants.

Il est vrai que les étudiants sont la ressource la plus précieuse du Canada. Il est vrai aussi que les étudiants, comme tous les autres membres de la société, doivent assumer leurs responsabilités quant aux obligations qu'ils contractent dans le cadre de leurs études. Par conséquent, le comité sénatorial permanent des banques et du commerce voudra examiner de près les dispositions du projet de loi C-5 portant sur les prêts aux étudiants.

Il est également important, honorables sénateurs, de ne pas placer un fardeau injustifié sur les finances des personnes qui ont le plus besoin d'aide. À cet égard, les membres du comité sénatorial permanent des banques et du commerce apprécieront sans doute les divers amendements à la mesure législative présentés à l'autre endroit avant la troisième lecture. Ces amendements sont destinés à aider les familles à faible revenu qui sont confrontées à un problème d'insolvabilité. Par exemple, les familles en situation d'insolvabilité ne pourront plus voir saisir les crédits pour TPS et d'autres prestations similaires qui, de toute évidence, sont destinés à répondre aux besoins essentiels des familles. Le projet de loi contient également des amendements qui permettent de recevoir conjointement des propositions de plusieurs personnes si leur relation financière permet de les traiter comme une seule proposition. L'avantage de cela, c'est que des conjoints insolvables pourront faire des propositions conjointes, ce qui rationalisera notablement le processus et réduira les coûts.

Un autre changement important qu'apporte le projet de loi C-5 concerne l'équité du processus en ce sens que, à l'heure actuelle, la loi donne 30 jours avant que la proposition d'un consommateur ne soit présumée acceptée par les créanciers et 30 jours supplémentaires avant que le plan ne soit présumé accepté par les tribunaux. Malheureusement, l'histoire a montré ces dernières années que l'acceptation par les créanciers dépend beaucoup plus du temps qu'on ne pourrait le croire et, souvent, la période de 30 jours est insuffisante pour qu'un créancier accepte une proposition.

Un des amendements contenus dans la mesure législative porte sur la période d'attente, avant que la proposition d'un consommateur ne soit présumée acceptée par les créanciers, à 45 jours. Parallèlement, la période d'attente pour les tribunaux est réduite à 15 jours. Par conséquent, la période de 60 jours pour le processus en deux étapes reste le même, mais 15 jours supplémentaires ont été accordés aux créanciers pour qu'ils considèrent une proposition de réorganisation ou de refinancement avant que les débiteurs ne prennent une décision.

Honorables sénateurs, cette mesure a reçu l'appui du ministre de la Justice et du secrétaire d'État responsable de la Situation de la femme en ce qui concerne les aspects relatifs aux droits des époux et aux droits des victimes, particulièrement celui des victimes dans les cas de violence.

Aux termes de la loi actuelle, un conjoint n'est pas considéré comme un créancier en cas de faillite. En tant que tels, les conjoints n'obtiennent pas une part des biens du débiteur lorsqu'on les divise parmi les créanciers, même si une partie des dettes en question peut être constituée par des arriérés dans le paiement des pensions alimentaires à verser au conjoint et aux enfants. Aux termes des modifications contenues dans le projet de loi C-5, les pensions alimentaires à verser au conjoint et aux enfants sont non seulement reconnues comme des dettes légitimes, mais elles constituent des réclamations prioritaires sur les biens du débiteur, lorsqu'on les divise entre les créanciers.

Dans un autre domaine essentiel, honorables sénateurs, les gens qui sont poursuivis devant des tribunaux civils pour voies de fait ou agression sexuelle échappent à leurs obligations en déclarant faillite. Aux termes du projet de loi C-5, ils ne pourront plus être libérés d'un jugement dans ces cas-là. Ainsi, une personne condamnée à verser une indemnité à la suite de voies de fait ou d'une agression sexuelle ne pourra pas éviter de payer cette indemnité en déclarant simplement faillite.

Ces modifications favorisent la justice sociale et l'équité. En fait, le comité sénatorial permanent des banques et du commerce se penchera notamment sur ces aspects et s'attendra à recevoir des témoignages à ce sujet.

La responsabilité environnementale est un autre domaine qui suscite certaines observations au sujet des modifications proposées. Le projet de loi C-5 permet de réclamer des frais pour la dépollution de biens immobiliers. Ainsi, ce projet de loi aura d'importantes répercussions pour les propriétaires de biens contigus et les créanciers qui ont prêté en prenant en garantie des biens immobiliers qui sont pollués. Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce voudra se pencher sur les répercussions pour tout un éventail de parties intéressées lorsqu'il tiendra des audiences sur le projet de loi.

Le comité voudra également examiner un certain nombre de propositions qu'on a soumises en ce qui concerne ce projet de loi pour encourager les consommateurs à choisir la réhabilitation, le refinancement ou la réorganisation de leurs affaires à la faillite. Je le répète, ce projet de loi a pour principal objectif de mettre l'accent sur la réhabilitation des consommateurs, plutôt que de les voir déclarer faillite. Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce va vouloir se pencher sur toute la gamme des options envisagées plutôt que de se contenter d'examiner les options politiques que l'on a retenues pour faire face à ce problème.

 

  • (2120)
Les biens insaisissables constituent un autre sujet de préoccupation. Le comité de l'industrie de l'autre Chambre a entendu quantité de témoignages sur la nécessité d'établir des règles plus équitables concernant les biens insaisissables en cas de faillite. Plusieurs témoins ayant comparu devant le comité de l'autre Chambre ont suggéré, entre autres, que tous les REER, et pas seulement ceux qui sont liés aux polices d'assurance-vie, soient insaisissables en cas de faillite. Le comité sénatorial permanent des banques et du commerce voudra entendre des témoignages à ce sujet, car les témoignages présentés devant le comité de l'industrie de l'autre endroit étaient très controversés. Pourtant, cet aspect n'a pas été envisagé dans les amendements qui ont été proposés à l'issue de ces audiences.

Quant à la question des fournisseurs impayés - un autre élément assez controversé de la législation actuelle sur la faillite, et je prévois que nous voudrons entendre des témoignages à ce sujet -, selon l'actuelle Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ils ont le droit de récupérer leurs biens auprès d'un acheteur insolvable, d'une société insolvable à laquelle ils ont vendu leurs biens, lorsque les biens ont été livrés dans les 30 jours qui précèdent une faillite et que le fournisseur satisfait aux conditions énoncées dans la loi. Cependant, ce droit est inopérant lorsqu'un acheteur insolvable entame des formalités de réorganisation, c'est-à-dire commence le processus de réorganisation aux termes de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, la LACC, qui, comme les sénateurs le savent, est essentiellement l'équivalent canadien du chapitre 11 aux États-Unis. Cela présente un problème parce que rien dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité n'empêche un débiteur de vendre les biens pendant une réorganisation. Dans ces circonstances, l'acheteur ne serait pas redevable au fournisseur de l'argent provenant de la vente des biens, car cette vente aurait eu lieu pendant cette période de réorganisation. Encore une fois, selon l'information recueillie et l'opinion répandue, cette disposition de l'actuelle Loi sur la faillite et l'insolvabilité est en réalité injuste pour les gens qui fournissent à des détaillants des biens destinés à être vendus.

Enfin, le comité voudra poser des questions difficiles sur le bien-fondé de l'existence de plusieurs lois portant sur les faillites. Par exemple, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies devraient-elles être alignées plus étroitement? Devrait-on procéder à un examen exhaustif de façon à obtenir une seule loi traitant de toutes les situations de faillite?

Honorables sénateurs, le comité sénatorial permanent des banques et du commerce déposera jeudi un rapport qui mentionnera le fait que la Loi sur la faillite régissant les institutions financières n'est couverte ni par la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, ni par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Si une institution financière fait faillite, elle est couverte par ce qu'on connaît comme étant la Loi sur les liquidations. Dans son rapport, le comité notera qu'il faut songer à apporter des modifications importantes à cette loi. En fait, la législation fédérale compte au moins trois lois, dont deux sont modifiées ici et la troisième est la Loi sur les liquidations, que nous mentionnerons dans notre rapport, jeudi. De toute évidence, il faut commencer à se demander s'il est logique d'avoir autant de lois différentes qui traitent des questions de faillite et d'insolvabilité.

Honorables sénateurs, au Canada, peu de gens doivent se soumettre aux procédures d'insolvabilité, mais tous bénéficient d'un cadre législatif permettant le règlement juste et équitable des problèmes associés à l'insolvabilité. La faillite et l'insolvabilité limitent l'accès au crédit et influent sur les frais qui y sont associés. Elles restreignent indiscutablement la volonté des entreprises de prendre des risques. Elles nuisent au sens moral et éthique sur les marchés, où il est nécessaire de pouvoir compter sur des débiteurs responsables et elles constituent un obstacle pour les créanciers et les débiteurs qui veulent agir de manière responsable.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-5 traite de nombreuses questions différentes. Toutefois, elles sont nettement distinctes les unes des autres, allant des prêts aux étudiants à l'environnement et à la protection des droits des époux en cas de faillite. Je m'attends à ce que le comité sénatorial permanent des banques et du commerce tienne une série d'audiences de grande envergure dans le cadre de l'étude de ce projet de loi. Je vous invite à appuyer la motion visant à renvoyer sans tarder ce projet de loi au comité pour que nous puissions organiser nos audiences.

(Sur la motion du sénateur Angus, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif - Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Cools, appuyée par l'honorable sénateur Haidasz, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-4, modifiant le Code criminel (détournement de la justice).-(L'honorable sénateur Watt).

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je voudrais maintenant intervenir au sujet de ce projet de loi.

Son Honneur le Président: Sénateur Cools, la motion est inscrite au nom du sénateur Watt actuellement.

Le sénateur Cools: J'en ai discuté avec le sénateur Watt, qui a accepté de me céder la parole.

Son Honneur le Président: Le sénateur Watt a renoncé à son droit de parole et est disposé à vous laisser parler à sa place?

Le sénateur Cools: Je puis vous assurer que j'en ai discuté avec le sénateur Watt.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si l'honorable sénateur Cools prend maintenant la parole, son intervention aura pour effet de clore le débat sur la question.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je prends la parole pour clore le débat en deuxième lecture du projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel (détournement de la justice). Je remercie les sénateurs Wood et Kelly d'être intervenus dans le débat.

En lançant le débat le 26 mars 1996, j'ai dit que le projet de loi S-4 allait remédier au méfait de supercherie et de tromperie commis contre les tribunaux par des auxiliaires de la justice. Le projet de loi S-4 dissipera les doutes quant au recours au secret professionnel des avocats et à l'immunité judiciaire pour se permettre de répandre des faussetés et de commettre des méfaits. Il va clarifier le rapport entre la vérité et le mensonge dans le cadre de la procédure judiciaire et confirmera le principe que la vérité est au centre de la procédure judiciaire et est essentielle aux intérêts de la justice. Le projet de loi S-4 tablera sur les règles de déontologie de la profession juridique pour leur donner un caractère juridique et les codifier dans le Code criminel du Canada. Le projet de loi établira des sanctions appropriées pour punir les violations des règles d'éthique professionnelle par les avocats contrevenants.

Dans mon intervention précédente, honorables sénateurs, j'ai évoqué de nombreuses affaires de fausses allégations devant les tribunaux, notamment S. Casey Hill c. Morris Manning et l'Église de Scientologie de Toronto, Plesh c. Plesh, Lin c. Lin, Paterson c. Paterson, et l'affaire du Révérend B. de Toronto. Je voudrais maintenant y ajouter l'affaire Allen c. Grenier en matière de garde d'enfant. Au cours de l'audition d'une requête devant la juge Patricia Wallace, de la Division générale de la Cour de l'Ontario, la mère, Mme Grenier, a soulevé des allégations d'abus sexuel à l'endroit du père, M. Allen. La juge a ajourné l'audition de la requête à cause de ces allégations, en demandant à la Société d'aide à l'enfance, la SAE, de prendre charge de l'enfant et de faire un rapport. Lorsque l'audition de la requête a repris deux semaines plus tard, la SAE a déclaré qu'elle avait eu la garde de l'enfant pendant trois jours seulement, après quoi la mère avait enlevé l'enfant. La SAE avait décidé de ne rien faire à propos de l'enlèvement. À cet égard, la juge Wallace a dit:

Je ne suis pas très impressionnée par les décisions de la Société. Il est complètement inacceptable qu'elle ait toléré un enlèvement sans en saisir le tribunal.

Par la suite, les procédures judiciaires ont prouvé que les allégations de la mère au sujet de mauvais traitements étaient fausses. La déclaration sous serment de l'agent de la Société d'aide à l'enfance disait:

... la mère a reconnu qu'elle ne croyait pas qu'il y ait un réel danger que l'enfant soit agressé sexuellement par le requérant.

Madame le juge Wallace a fait remarquer que les fausses allégations avaient nui à l'administration de la justice, disant:

J'estime que le comportement de l'intimée, qui a très clairement fait en connaissance de cause une allégation d'agression sexuelle sans fondement est bien pire et peut causer un tort incroyable non seulement à M. Allen et à sa réputation, mais aussi au système judiciaire et à l'administration de la justice. Il est intolérable qu'on joue de cette manière avec le système et la cour ne va pas le tolérer.

Honorables sénateurs, ce cas montre clairement toutes les conséquences sur les plans émotif et social que peut avoir la présentation de fausses allégations dans des procédures judiciaires. La vie de M. Allen a été détruite à cause de ces allégations présentées devant les tribunaux au cours de procédures faisant intervenir des organismes de protection de l'enfance. M. Allen a fini par obtenir des droits d'accès importants, mais le tort social et psychologique avait déjà été causé à M. Allen et à sa fille. Le projet de loi S-4 vise à corriger des situations semblables.

  • (2130)
Honorables sénateurs, mon projet de loi a obtenu un appui imprévu à cause d'un incident très remarqué d'accusations fausses et d'abus de la procédure survenu à Toronto. Pendant la semaine du 7 avril 1996, Donna Mercier a trompé les services policiers du Grand Toronto, les médias et des Torontois charitables. Ceux-ci ont donné 112 000 dollars pour soulager sa misère, et cet argent a été versé dans un compte bancaire qu'une force policière compatissante avait ouvert pour Donna Mercier. Elle a prétendu qu'elle était pauvre, seule avec un enfant, maltraitée par son mari, mortellement atteinte de cancer, et qu'elle s'était fait voler son sac à main qui contenait les 150 dollars qui lui restaient et le billet d'autobus pour envoyer son petit garçon à Winnipeg, où quelqu'un devait le prendre en charge après sa mort. Dans un appel télévisé à la charité publique, Donna Mercier est apparue en silhouette et dans l'anonymat, censément pour éviter d'être repérée par son mari violent. Nous savons maintenant que cette histoire était montée de toutes pièces et que cette femme mentait. La seule chose vraie dans l'histoire, c'est qu'elle avait un enfant avec qui elle vivait de l'aide sociale.

Donna Mercier a déjà trompé les gens de la sorte. En 1987, Donna Mercier avait fait faussement accuser son amant de l'époque, Kenneth Sylvia, de viol et de vol. À l'époque, cela avait beaucoup retenu l'attention du public et des médias, avec les marques d'outrage et de sympathie habituelles. Finalement, Kenneth Sylvia a été acquitté. La police a accusé Donna Mercier de méfait, une accusation pour laquelle elle a plaidé coupable. Honorables sénateurs, malgré cet antécédent, la police l'a crue encore une fois, sans qu'il y ait eu enquête et sans qu'aucune question n'ait été posée. Une brève vérification auprès du Centre d'information de la police, CIPC, aurait suffi pour révéler qu'elle avait un casier judiciaire. Je suis toujours surprise par la facilité apparente avec laquelle certaines femmes arrivent à tromper le système judiciaire et par la facilité avec laquelle le système se laisse tromper.

Cette affaire a passablement embarrassé la police du Grand Toronto, qui se soucie beaucoup des relations communautaires. La police a accusé de nouveau Donna Mercier de méfait. Ses troubles de la personnalité et la honte ressentie par le public qui s'est fait manipuler sont matières à réflexion.

À l'occasion de l'examen du projet de loi S-4, le comité entendra peut-être des témoignages sur le syndrome de Munchausen ou encore sur le syndrome de Munchausen par procuration, une pénible névrose qui se caractérise par une recherche constante de l'attention et la tromperie et pouvant conduire la personne qui en souffre à faire du mal aux enfants. Certaines malades vont même jusqu'à maltraiter des enfants pour attirer l'attention sur elles. Les femmes qui souffrent du syndrome de Munchausen par procuration sont réputées pour faire de fausses allégations d'abus sexuels commis contre des enfants. Les fausses allégations d'abus sexuel dans les cas relevant du syndrome de Munchausen par procuration sont différentes de celles qui découlent de querelles conjugales ou de disputes touchant la garde des enfants. J'espère cependant que notre comité se penchera sur ces questions urgentes d'ordre social.

Honorables sénateurs, le 17 avril 1996, j'ai assisté aux ateliers organisés dans le cadre de l'examen de la justice civile du Manitoba à l'invitation du président du groupe de travail chargé de l'examen, David Newman, député de l'Assemblée législative du Manitoba. Ce fut l'occasion d'examiner le fonctionnement de la justice civile et de tenir de vastes audiences publiques. Les autres membres du groupe de travail étaient Jeffrey Oliphant, juge en chef adjoint de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, Ron Perozzo, sous-ministre adjoint du ministère de la Justice du Manitoba, Gerry Mercier, juge en chef adjoint de la Division famille de la Cour du Banc de la Reine, le juge Guy Kroft, de la Cour d'appel du Manitoba, Brenda Cook, présidente du Collège communautaire d'Assiniboine et Colleen Suche, avocate privée. C'est la ministre de la Justice du Manitoba, Rosemary Vodrey, qui a ordonné cet examen. J'ai pris part à l'atelier intitulé «Protection de l'enfance», qui traitait de la protection des enfants et des fausses accusations de mauvais traitements infligés aux enfants. Je félicite la ministre Vodrey et le président du groupe de travail, M. Newman, pour leur travail de pionniers dans ces questions fort complexes. Ces problèmes de nature sociale nuisent au règlement des litiges et au déroulement des procédures judiciaires.

Honorables sénateurs, le recours à de fausses accusations en cas de litiges est difficile et complexe, et il comporte de nombreux aspects difficiles à cerner. J'ai étudié la question en profondeur. J'ai procédé à plusieurs consultations publiques à Calgary, Edmonton, Montréal, Ottawa, Peterborough et Toronto. Je le ferai encore ce week-end à Winnipeg. Certaines de mes réunions publiques ont attiré de 300 à 400 personnes passionnées par la question dont beaucoup nous ont fait part de leur histoire personnelle ou ont cité d'autres cas de fausses accusations dans le cadre de litiges matrimoniaux ou relatifs à la garde des enfants. De nombreux professionnels dans le domaine des services sociaux ont également parlé d'un grand nombre de cas connexes et exprimé leurs préoccupations.

Je souhaiterais que les honorables sénateurs aient entendu certaines de ces histoires. La douleur des conjoints ayant la garde ou pas qui sont impliqués dans ces litiges est une énorme tragédie pour les parents et les enfants. L'épuisement financier des parents et de leur famille, ainsi que l'éloignement de leurs enfants, constituent seulement quelques-uns des problèmes en question. Toutes les personnes impliquées sont déroutées et découragées de voir que les gouvernements, au Canada, permettent que les choses se passent aussi mal devant les tribunaux. L'angoisse des enfants qui sont pris entre deux feux est sans fin, et leurs problèmes émotifs demeureront pour des générations à venir. La situation des parents n'ayant pas la garde des enfants et essayant d'avoir accès à leurs enfants ou de faire respecter l'accès qu'on leur a déjà accordé mérite également l'attention du gouvernement.

Honorables sénateurs, j'ai cherché à obtenir les avis juridiques et politiques de grands esprits et d'intervenants dans le milieu. J'ai lu beaucoup de documents et des jugements, et j'ai examiné en profondeur des documents juridiques. J'ai observé moi-même certains litiges devant les tribunaux. Je suis persuadée que le projet de loi S-4, qui vient de l'un des rédacteurs de loi parmi les meilleurs et les plus expérimentés au Canada, est une excellente mesure législative sur le plan technique. J'attends avec impatience d'étudier cette mesure au comité et d'entendre des témoins sur cette question qui, jusqu'à maintenant, n'a pas suscité suffisamment d'intérêt dans la population au Canada et n'a absolument pas attiré l'attention du Parlement.

Honorables sénateurs, les litiges découlant de la rupture d'un mariage sont particulièrement déplaisants et amers. L'acrimonie et l'esprit de vengeance sont très forts. Dans un excellent article sur la question intitulé «The Divorce from Hell», publié dans le numéro de février 1996 du Toronto Life, Wendy Dennis parle de Ben Gordon, un demandeur qui a dépensé 275 000 $ sur sept ans, pour lutter devant les tribunaux et qui, en fin de compte, après s'être fortement endetté, a été séparé de son fils. Au sujet de son expérience avec cette affaire et des litiges familiaux, Mme Denis écrit:

... J'en suis arrivée à en apprendre beaucoup sur la façon dont les tribunaux de la famille fonctionnent et la majeure partie de ce que j'ai vu et constaté m'a vraiment retournée. J'ai vu des avocats utiliser tous les recours possibles aux termes de la loi pour s'enrichir, des juges surchargés et manquant de sagesse, des «experts» détenant un pouvoir incroyable qui a des répercussions catastrophiques, un père qui souhaitait simplement s'occuper de ses enfants être entraîné dans un système où les jeux étaient faits contre lui dès le départ. ...J'ai pu voir à l'oeuvre un système arbitraire soumis à aucun contrôle qui, d'une manière moralisatrice, prétendait agir dans l'intérêt de l'enfant, mais qui en était tout à fait incapable, ce qui est vraiment scandaleux.

La conduite de certains époux dans ces affaires est une tragédie sans nom pour les enfants. C'est le sort des enfants qui m'a conduite à présenter ces questions et le projet de loi S-4. Les torts qui leur sont faits sont souvent persistants, voire permanents. Le projet de loi S-4 prévoit que les tribunaux ne doivent pas être utilisés délibérément pour faire du tort, qu'aucune des parties ne doit tenter de détourner la justice pour se venger ou obtenir des avantages, qu'aucun avocat ne peut contourner les règles des pratiques légales en utilisant des documents faux, trompeurs ou incendiaires en cours. Le projet de loi S-4 dit:

 

135.1(2) Est coupable d'un acte criminel et passible d'une peine maximale d'emprisonnement de deux ans quiconque, étant avocat dans une procédure judiciaire:
a) soit trompe délibérément le tribunal ou tout autre organisme légalement chargé de la procédure, ou participe sciemment à un tel agissement;

b) soit produit délibérément ou invoque sciemment un document faux, trompeur, exagéré ou incendiaire, que le document soit attesté par serment ou non.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-4 est à mon avis la première solution législative et parlementaire que l'on ait élaborée jusqu'à présent. Il porte sur la responsabilité des avocats à l'égard des affidavits et des documents qu'ils produisent et qu'ils commandent en tant que commissaires à l'assermentation. Le secret professionnel des avocats et l'immunité judiciaire protègent de nombreux documents et de nombreuses procédures judiciaires. Cependant, la vérité doit se conjuguer aux intérêts de la justice de telle façon que les faussetés ne soient pas protégées par l'immunité judiciaire. Dans l'affaire Gartside c. Outram de 1856, sir William Wood, vice-chancelier de la Cour de chancellerie du Royaume-Uni, a exposé l'effet du mensonge sur le principe de l'immunité judiciaire et sur celui du secret professionnel des avocats en disant:

 

... il n'y a pas de confidence quant à la révélation d'une iniquité. Vous ne pouvez pas me faire complice d'un crime ou d'une tromperie et avoir le droit de m'obliger à garder le secret que vous avez l'audace de me révéler à propos d'une intention trompeuse de votre part: une telle confidence ne peut pas exister.
En sa qualité de commissaire aux serments et d'auxiliaire de justice, l'avocat est censé garantir l'authenticité des documents visés par les serments. Quant aux responsabilités de l'avocat et au secret professionnel concernant les communications frauduleuses, en 1851, dans l'affaire Russell c. Jackson, le vice-chancelier de la Cour de chancellerie, sir George Turner, a énoncé le principe suivant:

 

[...] l'existence d'un objectif illicite annule tout secret professionnel concernant des communications. Quand un avocat est partie à une fraude, il ne peut y avoir de secret professionnel lié aux communications tenues avec lui à ce sujet, puisque le fait de participer à une fraude ne relève pas de ses responsabilités comme avocat.
Honorables sénateurs, le projet de loi S-4 appuie ce principe. À titre d'auxiliaire de justice, un avocat est responsable de la loi au Canada et doit rendre compte de son rôle consistant à rédiger des affidavits et des documents juridiques et son rôle dans les procédures judiciaires. C'est dans l'intérêt de la justice, de l'ordre public, des lois et du Parlement. J'invite les honorables sénateurs à appuyer le projet de loi.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

RENVOI AU COMITÉ

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Cools, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.)

(Le Sénat s'ajourne à 14 heures demain.)


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