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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 35e Législature,
Volume 135, Numéro 88

Le jeudi 10 avril 1997
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 10 avril 1997

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

 

AFFAIRES COURANTES

La bibliothèque du Parlement

Dépôt du rapport annuel du bibliothécaire

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport annuel du bibliothécaire du Parlement pour l'exercice 1995-1996.

 

La Loi sur la radiodiffusion

Projet de loi modificatif-Rapport du comité

L'honorable J. Michael Forrestall, au nom du sénateur Bacon, présidente du comité sénatorial permanent des transports et des communications, présente le rapport suivant:

Le jeudi 10 avril 1997

Le comité sénatorial permanent des transports et des communications a l'honneur de présenter son

 

HUITIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été déféré le projet de loi C-216, Loi modifiant la Loi sur la radiodiffusion (politique canadienne de radiodiffusion), a, conformément à l'ordre de renvoi du mardi 3 décembre 1996, étudié ledit projet de loi et a convenu d'en faire rapport avec la modification suivante:

Page 1, article 1: ajouter après la ligne 19 ce qui suit:

«(C) lorsque la mesure est de nature à favoriser la réalisation des objectifs de la présente loi.»

Respectueusement soumis,

 

La présidente,
LISE BACON

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand étudierons-nous ce rapport?

(Sur la motion du sénateur Forrestall, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.

 

Le Code canadien du travail
La Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats

Projet de loi modificatif-Première lecture

Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-66, Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.

(Le projet de loi est lu une première fois.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Graham, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour dumardi 15 avril 1997.)

(1410)

 

La taxe sur les produits et services

La suppression de la taxe sur les imprimés-
Présentation de pétitions

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, 175 Canadiens de la belle province de la Colombie-Britannique se joignent aux milliers d'autres qui ont déjà prié le Sénat d'adopter le projet de loi S-11, qui libérerait la lecture du fardeau de la TPS. En leur nom, j'ai l'honneur de présenter ces pétitions.

 


PÉRIODE DES QUESTIONS

Le fonds d'assurance-emploi

L'accumulation d'excédents dans le fonds-
La réduction possible des taux de cotisation-
La position du gouvernement

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. L'énorme excédent comptable du fonds d'assurance-emploi augmente toujours au rythme de plus de 100 millions de dollars par semaine. Chaque semaine, le gouvernement du Canada continue de percevoir plus de 100 millions de dollars de plus qu'il ne verse aux chômeurs canadiens sous forme de prestations.

Quand le gouvernement va-t-il procéder aux réductions importantes des taux de cotisation qui sont nécessaires pour rééquilibrer le fonds d'assurance-emploi et cesser d'accumuler tant d'argent au détriment des pauvres?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le sénateur Oliver sait pertinemment que le gouvernement réduit systématiquement les taux de cotisation, depuis son arrivée au pouvoir, en 1993, époque où ils étaient constamment en hausse. Le ministre des Finances a signalé que c'est la voie qu'il entend continuer à suivre, comme la situation le justifie. En ce qui concerne le fonds en question, il a pris garde de veiller à ce qu'il y ait suffisamment de ressources disponibles pour les Canadiens, plutôt que de risquer que le fonds n'accumule un déficit à la suite de l'évolution de la situation. C'est sa position. Il a précisé clairement qu'il continuerait de réduire les cotisations selon la conjoncture économique.

Le sénateur Oliver: Il est intéressant que madame le leader ne parle que d'une réduction des cotisations, car c'est son gouvernement qui a également sabré dans le taux de prestations et réduit l'admissibilité, ce qui fait que de nombreux Canadiens qui étaient auparavant en mesure d'obtenir des prestations se retrouvent maintenant sans travail et sans source de revenu pour les aider en attendant qu'ils se retrouvent un emploi.

Les Canadiens contribuent au fonds, mais ils s'aperçoivent qu'ils n'obtiennent rien ou presque en retour. Le gouvernement se contente de garder l'argent. Cela améliore certes la situation du gouvernement en ce qui concerne le déficit, mais cela n'apporte rien aux chômeurs que le fonds est censé aider.

Si le gouvernement n'entend pas réduire les taux de cotisation immédiatement et équilibrer à nouveau le fonds, va-t-il au moins utiliser l'argent aux fins prévues, c'est-à-dire aider les Canadiens à se trouver immédiatement un emploi ou leur offrir la formation voulue pour qu'ils aient de meilleures chances d'en décrocher un?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, mon honorable collègue sait pertinemment que la nouvelle loi sur l'assurance-emploi contient un certain nombre de mesures actives qui sont conçues pour répondre à de nombreuses demandes de mon honorable collègue, puisqu'il est question d'offrir de la formation, d'aider les gens durant la période de transition où ils se cherchent un nouvel emploi et de verser des subventions salariales. La nouvelle Loi sur l'assurance-emploi renfermait tout un train de mesures destinées à répondre à certaines des préoccupations de mon honorable collègue. De plus, on a annoncé, au cours des derniers mois, une liste de mesures dans le domaine de la formation.

Mon honorable collègue parle d'une question avec laquelle je suis tout à fait d'accord. Même si les deux questions sont liées, la question de l'emploi, comme celle de la pauvreté chez les enfants, est la plus difficile et la plus importante au Canada. Même si les partis politiques peuvent être en désaccord sur la façon de s'attaquer au problème, l'objectif demeure le même. Il s'agit d'établir un climat favorisant la création du plus grand nombre possible d'emplois et offrant des débouchés au plus grand nombre de personnes possible, surtout les plus défavorisés.

 

L'environnement

L'indemnisation de la dépollution des anciennes bases militaires américaines-La position du gouvernement

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et porte sur l'enlèvement des déchets toxiques à l'ancienne base militaire américaine d'Argentia, à Terre-Neuve, de même qu'à d'autres anciennes bases militaires américaines ailleurs au Canada.

Les sénateurs comprendront que, comme des milliers d'autres Canadiens, j'ai été consterné, hier soir, en regardant le réseau de télévision nationale, d'apprendre que, l'automne dernier, le gouvernement avait conclu avec les Américains une entente quelque peu secrète, c'est le moins qu'on puisse dire, concernant le remboursement, au gouvernement du Canada, des frais de dépollution de toutes les anciennes bases américaines établies dans notre pays. Il est incroyable non seulement que le gouvernement accepte que le remboursement de 500 millions de dollars négocié à l'origine soit ramené à 100 millions, mais également que ces 100 millions soient destinés à l'achat de matériel militaire américain devant être utilisé au Canada.

On peut admettre que le montant ait été réduit à la suite de négociations, mais il est inacceptable que les Américains nous dictent la façon de le dépenser.

La ministre pourrait-elle expliquer pourquoi la Société Radio-Canada a dû invoquer la Loi sur l'accès à l'information pour dénicher ces renseignements? Pourquoi les Canadiens n'ont-ils pas été informés de cette entente renégociée? Le gouvernement a-t-il quelque raison valable à donner?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'aimerais obtenir pour le sénateur une réponse plus détaillée que celle que je peux lui fournir aujourd'hui. Je crois savoir que le montant de 500 millions de dollars américains dépasse de loin la demande initiale du Canada. Dans l'entente intervenue entre les deux gouvernements, le Canada a demandé aux États-Unis de faire une contribution équitable en vue de la dépollution de ces quatre anciennes bases militaires et les ententes conclues répondaient aux critères établis. Le Canada recevra quelque 135 millions de dollars canadiens, ce qui compensera les mesures correctives environnementales qui s'imposent dans les quatre bases.

Toutefois, honorables sénateurs, je préférerais donner une réponse différée et détaillée à cette question pour m'assurer de son exactitude.

Le sénateur Forrestall: Je n'ai aucun renseignement factuel sur le montant estimatif de 500 millions de dollars, mais on a dit qu'il se rapprochait beaucoup du coût de dépollution de ces bases militaires américaines.

J'accepte de recevoir une réponse différée, car je ne m'attends pas que madame le leader du gouvernement ait tous ces renseignements en main. Cependant, comme elle a pu en dénicher certains ce matin, pourrait-elle les présenter avant le déclenchement des élections générales, au lieu de les dissimuler?

(1420)

Ce sont des renseignements que les Canadiens ont le droit d'obtenir et qu'il faut leur fournir. Je voudrais que l'on dépose un aperçu de ce qui s'est passé, ainsi qu'une définition du mandat. Nous voulons tout savoir sur cette affaire. Des rencontres ont eu lieu entre qui, où et quand? Quels ont été les calculs? Comment est-on arrivé au montant de 100 millions de dollars? À quoi devait servir cet argent? En d'autres termes, quels travaux devaient être faits aux sites militaires pour 100 millions de dollars? Quel matériel militaire a-t-on acheté ou avait-on l'intention d'acheter avec cet argent?

Je propose au leader et à son gouvernement qu'ils gardent leur argent et qu'ils ne se donnent pas la peine de revenir là-dessus s'ils veulent continuer à nous traiter de cette façon. Nous ferons notre propre nettoyage.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, comme je l'ai mentionné, j'ai communiqué au sénateur tous les renseignements que j'ai obtenus aujourd'hui. Je prends sa question en considération et je m'efforcerai de lui fournir une réponse dans les plus brefs délais, puisque j'ignore la date de l'ajournement. Je vais certainement demander qu'on me donne les renseignements sans tarder. Je ne peux garantir que j'aurai tous les détails qu'il a demandés, mais j'essaierai d'obtenir tous les renseignements qui existent sur le sujet.

Le sénateur Forrestall: Ce dossier n'a rien de sacré.

 

Les relations canado-américaines

La position actuelle du premier ministre
sur le libre-échange

L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, nous nous en rappelons tous, lorsqu'il était dans l'opposition, le premier ministre était farouchement contre le libre-échange entre le Canada et les États-Unis: il a combattu le gouvernement conservateur, il a attaqué des réputations et il a soutenu que cet accord serait la chose la plus destructrice qui pourrait arriver au Canada. Nous constatons maintenant que, à l'occasion de son voyage à Washington, il s'est converti au libre-échange.

Madame le leader du gouvernement peut-elle expliquer les raisons de ce revirement? Pourquoi le premier ministre a-t-il maintenant décidé d'épouser la position des progressistes-conservateurs sur le libre-échange? Est-ce parce que les échanges commerciaux ont connu une augmentation spectaculaire entre les deux pays, comme le prévoyait notre gouvernement? Est-ce parce que nos exportations ont augmenté de façon phénoménale? Qu'est-ce qui pourrait bien expliquer cette conversion au libre-échange par rapport à sa position avant les dernières élections?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je me reporterai à ce que le premier ministre a lui-même dit à Washington. Il a abordé le dossier du commerce international en formulant le souhait d'élargir la portée des accords commerciaux à la dimension de tout le continent américain, comme nous tâchons de le faire avec le projet de loi dont le Sénat est maintenant saisi concernant le Chili.

À Washington, le premier ministre a reconnu qu'il était très sceptique, comme l'étaient beaucoup d'autres, à propos de l'accord de libre-échange avec les États-Unis, surtout à propos du caractère bilatéral de l'accord. Il a signalé quatre ou cinq points sur lesquels il voulait que les Américains ajoutent des dispositions à l'accord quand notre gouvernement est arrivé au pouvoir.

Le sénateur Berntson: Dont l'environnement.

Le sénateur Fairbairn: Mon honorable collègue a raison de dire que les échanges commerciaux entre nos deux pays ont connu une augmentation extraordinaire. Depuis la conférence de Miami en décembre 1994, le premier ministre a été un ardent défenseur de l'expansion de l'accord commercial bilatéral avec un pays de taille tellement disproportionnée par rapport au Canada pour l'élargir au Mexique et au Chili. À Washington, à l'instar du ministre du Commerce international, il parlait de l'élargir davantage aussi rapidement que possible pour y accueillir les principaux pays commerçants de l'Amérique du Sud.

Cette idée a également été au coeur des autres missions que le premier ministre dirige personnellement depuis quelques années dans diverses régions de l'Asie. Nous voulons que le Canada s'engage dans des relations commerciales aussi productives que possible avec des partenaires de partout dans le monde au lieu de dépendre de son voisin le plus riche et le plus proche.

Le sénateur Carney: Honorables sénateurs, le premier ministre a simplement rappelé aux Canadiens qu'il avait tort sur la question du libre-échange, comme il avait tort sur beaucoup de questions importantes pour les Canadiens et comme il continuera d'avoir tort à l'avenir sur d'autres questions.

 

L'Accord de libre-échange nord-américain-
La renégociation sur les mécanismes de règlement
des différends sur les droits antidumping-
La position du gouvernement

L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, les subventions, le règlement des différends sur les droits antidumping et l'énergie sont des sujets que je possède bien, puisque, lorsque j'étais ministre du Commerce international, nous avons négocié l'accord de principe avec les Américains. Dans leur livre rouge, les libéraux ont promis de renégocier des éléments de l'ALENA.

La renégociation n'a jamais eu lieu. Comme il s'agit d'une autre promesse rompue et que le gouvernement libéral a mis l'ALENA en oeuvre à peu près tel quel, madame le leader du gouvernement pourrait-elle expliquer pourquoi son gouvernement n'a pas respecté les délais prévus dans l'accord en ce qui concerne le règlement des différends, les droits antidumping et les subventions?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, comme je l'ai dit au sénateur Carney - qui peut utiliser tous les adjectifs qu'il lui plaira - le premier ministre a été très direct dans les propos qu'il a tenus à ce sujet à Washington.

Le sénateur Carney: Il a eu tort. Il a admis qu'il avait eu tort.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, le sénateur Carney a le droit de dire qu'il a eu tort. Le premier ministre a dit qu'il avait été sceptique...

Le sénateur Carney: C'est lui qui l'a dit, pas moi.

Le sénateur Fairbairn: ... comme bien d'autres personnes au sujet des avantages de l'accord de libre-échange. Il l'a admis.

Le sénateur Berntson: Il a dit qu'il avait commis une erreur.

Le sénateur Fairbairn: Je ne dis pas le contraire. J'ai dit que...

Le sénateur Lynch-Staunton: C'est dans le libre rouge.

Le sénateur Fairbairn: Il était sceptique, comme bien d'autres, au sujet des bienfaits de l'accord de libre-échange pour le Canada.

Le sénateur Doody: Des élections inutiles.

Des voix: Oh, oh!

Une voix: Ça tourne au sectarisme.

Le sénateur Fairbairn: Si je peux arriver à placer un mot, je dirai simplement...

Le sénateur Carney: Les libéraux ne peuvent pas expliquer ce retournement.

Le sénateur Lynch-Staunton: L'histoire est pleine de contradictions. Celles des libéraux.

Son Honneur le Président: À l'ordre. Honorables sénateurs, certains se croient peut-être en période préélectorale, mais nous en sommes toujours à la période des questions au Sénat.

[Français]

 

Les Affaires Intergouvernementales

les Modifications de l'article 93
de la Constitution réclamées par le Québec-
La position du gouvernement

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le gouvernement du Canada a-t-il l'intention de donner suite à la demande faite par le gouvernement du Québec, avec l'accord de la totalité de l'Assemblée nationale du Québec, au sujet des commissions scolaires linguistiques? Va-t-il donner suite à la demande du gouvernement du Québec et amender l'article 93 de la Constitution du Canada?

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je me contenterai de dire, outre le fait que l'ajout apporté à la résolution qui a été, je crois, proposée à l'Assemblée nationale hier représente un pas dans la bonne direction, que le gouvernement attend le résultat du vote à l'Assemblée nationale du Québec avant de faire une déclaration officielle à ce sujet.

[Français]

 

la Proportion du consensus exigé de l'Assemblée nationale du Québec pour les modifications à l'article 93 de la Constitution-La position du gouvernement

L'honorable Jean-Claude Rivest: Le consensus de l'Assemblée nationale est très significatif et va être communiqué la semaine prochaine au gouvernement du Canada. Est-ce l'intention du gouvernement du Canada d'exiger du Québec un très large consensus pour obtenir l'amendement constitutionnel qui va créer des commissions scolaires linguistiques, alors que ce même gouvernement a procédé, aux mêmes fins, pour la province de Terre-Neuve, sur la base d'un référendum qui donnait à peu près 50/50? Pourquoi faut-il un consensus pour le Québec, alors qu'à Terre-Neuve cela n'en prenait pas?

[Traduction]

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le ministre concerné, M. Dion, a relevé à plus d'une occasion que le ministre québécois, M. Brassard, a déclaré qu'un large consensus de la communauté anglophone du Québec était nécessaire. De toute évidence, de grands efforts sont déployés en ce sens. Nous attendrons le résultat du vote à l'Assemblée nationale du Québec avant que le gouvernement ne se prononce.

 

Le Québec-Le renvoi du projet de modification
de la Constitution à un comité parlementaire-
La position du gouvernement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, la ministre admettra-t-elle que la définition d'un consensus obtenu par vote parlementaire n'a, en soi, rien de rassurant? Étant donné que le gouvernement du Québec refuse de tenir des audiences publiques à ce sujet, la ministre peut-elle confirmer que, si les choses en viennent là, la Chambre des communes ou le Sénat tiendra des audiences publiques?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il m'est impossible de répondre aujourd'hui à cette question. Je la soumettrai à mes collègues et je demanderai une réponse.

 

Les droits de la personne

LE Changement dans le coparrainage d'une
résolution sur la Chine aux Nations Unies-
La position du gouvernement

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, on rapporte que le premier ministre risque de laisser tomber son parrainage ancien et traditionnel d'une résolution de l'ONU condamnant les violations des droits de la personne en Chine. C'est ce que rapporte un certain nombre de journaux de tout le Canada. C'est une question dont j'ai déjà parlé et qui me bouleverse beaucoup.

Si les journaux ont raison et si le gouvernement canadien ne coparraine pas une résolution de l'ONU condamnant les violations des droits de la personne en Chine, jusqu'où ira le gouvernement dans la prostitution aux impératifs économiques aux dépens des valeurs et des principes qui ont présidé à l'édification de notre pays?

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, la question que me pose aujourd'hui le sénateur Di Nino ressemble à la série de questions que m'a posées hier le sénateur Andreychuk. Je m'étais engagée à transmettre ces questions directement à mes collègues à leur retour de Washington et je l'ai fait ce matin. Je n'ai pas de réponse à donner aujourd'hui à mon collègue.

On a fait savoir à Washington que le gouvernement discuterait de la question de la motion dans le contexte des changements qui sont survenus. C'est avec éloquence que le sénateur Andreychuk a exposé l'affaire hier. J'ai moi-même communiqué cela ce matin. J'attends l'issue d'autres discussions.

Le sénateur Di Nino: Honorables sénateurs, samedi soir dernier, j'ai participé à une activité de financement pour le compte de Martin Lee, le courageux champion de la démocratie de Hong-Kong qui est venu au Canada et à Ottawa pour pouvoir s'entretenir avec un haut représentant du gouvernement comme M. Axworthy ou Mme Copps. Il semble qu'il ait beaucoup de mal à se faire recevoir par un ministre de la Couronne. Le premier ministre est trop occupé pour le recevoir ou refuse de le recevoir.

La ministre usera-t-elle de son influence auprès de ses collègues du Cabinet pour obtenir pour M. Lee un rendez-vous avec un des ministres avec lesquels il souhaite s'entretenir?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je transmettrai certainement les demandes et observations du sénateur Di Nino à mes collègues.

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, si la décision de coparrainer la résolution condamnant les violations des droits de la personne en Chine n'a pas encore été prise, la ministre peut-elle m'expliquer sur quoi s'appuiera cette décision? Quels facteurs pourraient nous empêcher de prendre cette initiative?

Je comprends fort bien que la France puisse avoir pris certaines décisions. Il s'agit toutefois d'un choix interne du gouvernement français. La décision sera-t-elle prise uniquement en fonction de considérations commerciales ou le sera-t-elle en fonction des problèmes que l'on observe actuellement en Chine sur le plan du respect des droits de la personne?

Si la question des droits de la personne doit être prise en considération, des personnes comme M. Lee, les représentants d'Amnistie Internationale et diverses autres sources chinoises seraient sûrement d'excellentes sources à consulter afin de déterminer si nous coparrainerons la résolution ou non. Allons-nous nous appuyer sur le fait que la France a refusé de coparrainer la résolution pour ne pas nous joindre à nos collègues animés des mêmes idées et poursuivre la défense des droits de la personne?

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, comme je l'ai dit hier, des pourparlers à ce sujet ont eu lieu à d'autres niveaux, alors que des représentants du gouvernement étaient à Washington. Pour l'instant, tout ce que je puis dire à l'honorable sénateur, c'est que je doute fort qu'on prenne des décisions en se fondant seulement sur un type de considérations.

À tout hasard, je transmettrai les observations de mes collègues, les sénateurs Di Nino et Andreychuk, aussi énergiquement qu'ils les ont exprimées.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, pour évaluer le problème du respect des droits de la personne en Chine, allons-nous prendre en considération les répercussions financières, économiques et commerciales auxquelles nous nous exposerions en n'appuyant pas le Danemark, les États-Unis et le Royaume-Uni et simplement évaluer si la Chine mettra ses menaces à exécution et usera de son influence pour empêcher certains pays de commercer là-bas? La Chine a déjà tenté d'intimider le Danemark. Nous ne céderons certainement pas à l'intimidation.

Si nous ne coparrainons pas cette résolution, nous devrions nous retirer de la Commission des droits de l'homme, car celle-ci fonctionne par consensus. Cela signifie que nous ne devons pas laisser tomber les coparrains qui sont animés des mêmes idées que nous. Autrement, nous détruirons ce que nous avons tenté d'accomplir depuis la création de la commission.

J'espère que tous ces facteurs seront pris en considération et que nous ne céderons pas à la pression des menaces qui pèsent implicitement sur nos relations avec la Chine. La Chine peut opter pour la meilleure solution et se joindre à nous au sein de la Commission sur les droits de l'homme. J'en appelle au premier ministre. C'est fondamental pour le Canada.

(1440)

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je vais encore une fois ajouter les observations éloquentes du sénateur Andreychuk à ses autres déclarations. Je lui ai signalé hier que ses questions sont hypothétiques. Je ne présume pas de l'issue.

Le sénateur Lynch-Staunton: Tout est hypothétique lorsque c'est négatif.

Le sénateur Fairbairn: Je vais certainement transmettre ses observations à diverses sources.

 

L'environnement

L'utilisation du Banff Centre pour le camp d'entraînement de la Ligue des Cadets de l'Armée-
La position du gouvernement

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, dans un autre domaine, j'ai suivi la question de la Ligue des Cadets de l'Armée du Canada. Cet organisme tient son camp d'entraînement pour officiers supérieurs dans la région de Banff depuis de nombreuses années. Je sais que la présidence en est bien consciente. Sont également invités au camp des collègues d'autres pays. C'est un exercice d'apprentissage du commandement qui donne de bons résultats. Le centre est conçu pour la formation en alpinisme et en d'autres activités.

Une étude a été faite pour déterminer s'il fallait que le camp se tienne ailleurs. Ce camp utilise l'espace de façon minimale. À mon avis, c'est l'un des usages du Banff Centre qui ne nuit pas au caractère migratoire de certaines des espèces de cette région.

Je voudrais savoir quand la décision sera prise et si elle tiendra compte de l'usage particulier que fait le camp du centre, par opposition aux activités touristiques, de son utilisation limitée et de son importance pour la Ligue des Cadets de l'Armée.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne doute pas qu'il sera tenu compte de tous ces facteurs. Je ne sais pas quand la décision sera prise. Le sénateur sait sans doute qu'on a fait une étude très approfondie sur un des corridors les plus spectaculaires et les plus menacés dans un secteur du sud de l'Alberta que je connais fort bien et qui, à bien des égards, est l'une des plus belles régions du Canada. C'est également une des composantes de notre réseau de parcs nationaux où les abus ont été le plus grand sur le plan environnemental.

L'étude sur la vallée Bow visait à déterminer, d'un point de vue d'experts, comment on pouvait contenir certains des dommages déjà faits et protéger le secteur sans nuire à Banff et au succès du tourisme. À un certain point, les préoccupations environnementales relatives à l'écosystème et à la faune doivent obtenir l'attention qu'elles méritent.

Le camp est un élément important de la solution qui sera proposée au terme de l'étude. Je sais que cette question est prise au sérieux, comme le sont toutes autres questions liées au corridor qui sont examinées. Bref, je ne sais pas quand la décision sera annoncée, mais je vais tenter de le savoir pour le sénateur. J'ai toutefois la conviction que, quelle que soit la décision qui sera prise, ce sera une décision difficile, car rien n'est facile en ce qui concerne le corridor de la vallée Bow.

Il est urgent de surveiller la croissance et de protéger les routes migratoires des animaux qui ont été gravement perturbées ces dernières années. Cela ne nuit pas seulement à l'environnement, mais constitue également un danger pour la population.

Tous les facteurs doivent être pris en considération, et je suis sûre que les mesures seront étudiées sérieusement pour permettre aux cadets de poursuivre leur entraînement dans la région. Je m'efforcerai d'obtenir le plus d'information possible sur la question pour l'honorable sénateur.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, je ne parlais pas de l'environnement, même si j'appuie sans réserve la protection de l'environnement.

Ce que je dis, c'est que j'espère que dans l'étude et le débat sur l'utilisation du territoire de Banff et la protection de l'environnement, on ne sacrifiera pas l'usage limité d'une portion du parc par la Ligue des Cadets de l'Armée. La Ligue des Cadets de l'Armée offre un programme très valable. J'espère que la question ne sera pas traitée comme une question secondaire, mais comme une question importante en soi.

Le sénateur Fairbairn: Honorables sénateurs, je crois que c'est ainsi qu'on la traite. Je connais le dossier. J'appuie tout à fait les objectifs de ce camp d'entraînement. Il n'est pas vu comme un élément secondaire, mais comme un élément important, et je suis convaincue que son cas sera étudié avec soin.

 

Les travaux du Sénat

La réponse à une demande d'information sur
le retard dans le dépôt de réponses à des
questions inscrites au Feuilleton

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je n'ai pas de réponses différées aujourd'hui, mais je tiens à dire, en réponse aux remarques très légitimes formulées hier par le chef de l'opposition, le sénateur Lynch-Staunton, que nous sommes en rapport avec les autorités compétentes à l'autre endroit à ce sujet. Nous avons exercé des pressions. Nous espérons être en mesure de déposer des réponses dès la semaine prochaine.

Le sénateur Doody: Ce serait bien.

L'honorable John Lynch-Staunton (leader de l'opposition): Je suis désolé, je n'ai pas compris ce que le leader adjoint a dit. A-t-il dit qu'il espérait être en mesure de déposer des réponses dès...

Le sénateur Graham: La semaine prochaine.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, quelques réponses ne suffisent pas. J'insiste là-dessus. Ces questions sont inscrites au Feuilleton depuis mai dernier. Dire d'un ton détaché que vous allez nous donner quelques réponses on ne sait trop quand la semaine prochaine ne suffit pas. Nous nous attendons à ce qu'on nous fasse la courtoisie de nous donner les réponses. Quel est le problème?

Le gouvernement est en mesure de répondre à des questions inscrites au Feuilleton depuis un, deux ou trois mois seulement, mais il ne peut toujours pas répondre à des questions qui y figurent depuis dix mois.

Le sénateur Doody: Il y a des questions plus embarrassantes que d'autres.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, j'ai des raisons de croire qu'il existe une intention délibérée de ne pas répondre à certaines questions. Je trouve insultant que l'on me dise que l'on pourra donner les réponses à quelques questions au cours de la semaine prochaine. Nous devrons invoquer la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir les réponses. Cela irait probablement plus vite. Le gouvernement manque de respect envers le processus parlementaire.

Le sénateur Doody: Présentez une motion pour outrage au Parlement.

L'honorable Joyce Fairbairn (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, j'espère sincèrement que le sénateur Lynch-Staunton n'aura pas à invoquer la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir les réponses. Comme mon collègue l'a dit, depuis 24 heures, nous déployons toute la diligence possible pour réunir les réponses. Nous voulons donner ces réponses.

Le sénateur Berntson: Nous les accepterons une à la fois.

Le sénateur Fairbairn: Nous avons l'intention de donner les réponses au Sénat. Si nous réussissons à en avoir avant les autres dès le début de la semaine prochaine, nous les communiquerons, mais nous voulons en avoir beaucoup à donner.

Le sénateur Doody: Comment la population peut-elle vous aider à obtenir les réponses?

 


ORDRE DU JOUR

Projet de loi de mise en oeuvre de l'accord de libre-échange Canada-Chili

Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur De Bané, C.P., appuyé par l'honorable sénateur Losier-Cool, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-81, Loi portant mise en oeuvre de l'Accord de libre-échange Canada-Chili et d'autres accords connexes.

L'honorable Peter Stollery: Honorables sénateurs, je vis dans le centre-ouest du centre-ville de Toronto que vous connaissez tous, près de la rue College et du chemin Dovercourt. En fait, j'habite à quelques milles à peine de l'endroit où mon arrière-arrière-grand-père habitait lorsqu'il a émigré au Canada, en 1861.

(1450)

Les acres de terrain industriel où était installée la compagnie Massey Ferguson, anciennement Massey Harris, sontà 15 minutes de marche de chez moi. J'ai de la difficulté à me rappeler quelle ancienne usine vacante faisait quoi. Est-ce John Inglis qui fabriquait des cuisinières et des machines à laver et qui était célèbre pour ses mitraillettes durant la guerre? Est-ce sur les cinq acres vacants du côté sud de la rue Sudbury que se trouvaient les installations de la compagnie Robert Bury and Son? Je ne sais pas; elle est partie depuis plus de dix ans déjà.

Massey Harris s'étendait sur plus de 100 acres. Du point point d'observation de l'arrêt de tramway, au coin de King et Shaw, tous ces champs vacants au milieu d'une grande ville en disent long sur l'époque où nous vivons.

Les gens ne parlent pas seulement des grandes industries qui ont déménagé ou qui n'existent plus. Nous en parlons, bien sûr, mais nous parlons aussi beaucoup des magasins vides parce que, souvent, mes voisins et moi-même en connaissions l'ancien propriétaire. On a démoli une station-service près de chez moi pour construire un nouvel immeuble qui a d'abord abrité un magasin Beckers. Le magasin a fermé six mois plus tard, et le nouvel immeuble a été transformé en restaurant. Je ne sais plus combien de temps le premier restaurant a duré, mais un nouveau propriétaire l'a transformé encore une fois en un autre restaurant. Ce deuxième restaurant a fermé lui aussi. L'immeuble est resté inoccupé pendant un an. Nous regardons tous maintenant ce qui semble être des signes d'activité à cette adresse.

De l'autre côté de la rue, le taxidermiste a perdu son commerce après de nombreuses années. L'épicerie ne cesse d'ouvrir et de fermer, et j'ai remarqué l'autre jour que le magasin au coin de Dufferin et College était à vendre.

Évidemment, ce ne sont là que des observations personnelles. Il ne s'agit pas de statistiques officielles. Peu importe, j'ai téléphoné à l'hôtel de ville de Toronto pour obtenir des statistiques, que je voudrais partager avec les honorables sénateurs.

Je suis né en 1935 dans la ville de Toronto qui comptait 650 000 habitants à l'époque. La population est environ la même aujourd'hui. Évidemment, il n'y avait pas de Grand Toronto en 1935, pas de North York, d'Etobicoke ou de Scarborough. Je ne crois pas que le déclin de l'emploi que je suis sur le point de décrire soit attribuable à un transfert des emplois à l'extérieur de la ville. En fait, d'autres parties du Grand Toronto affichent des taux de chômage considérablement plus élevés que la ville de Toronto. Voici certains chiffres qui m'ont été fournis par le service de l'économie de la Ville de Toronto pour la période allant de 1987 à 1995.

En 1987, la ville de Toronto comptait 49 171 travailleurs dans des professions traditionnelles, c'est-à-dire la transformation alimentaire, les textiles, les industries métallurgique et chimique, le vêtement, le mobilier, les machines, le matériel électrique, l'impression, le tri du courrier, d'autres secteurs manufacturiers et les entrepôts. En 1995, ces secteurs d'activité ne comptaient plus que 23 853 travailleurs, soit moins de la moitié qu'en 1987.

La deuxième catégorie, celle des services, comprenait les terminaux de transport, l'équipement mécanographique, les parcs à bois, les grossistes, la réparation et les services automobiles, les concessionnaires d'automobiles et les entreprises de location d'autos et de camions. En 1987, ces secteurs d'activité comptaient 16 132 employés et, en 1995, 14 152. Seuls2 000 emplois y ont été perdus, mais, sur le plan statistique, ces chiffres désignent les parcs à bois fermés et les immeubles autrefois utilisés par les grossistes et qui sont maintenant à louer.

Une troisième catégorie, celle des industries nouvelles, comprend la photographie et les documents graphiques, le traitement des données, les films, vidéos et audios, les stations de radio et de télévision , les autres médias, les journaux et autres types de publications. En 1987, 30 642 personnes travaillaient dans ce secteur d'activité dans la ville de Toronto, comparativement à 28 681 en 1995, soit 2 000 emplois de moins.

Entre 1987 et 1995, la ville de Toronto a perdu29 259 emplois. Il n'est pas étonnant que, pour la première fois depuis la Crise de 1929, la valeur fiscale des immeubles ait diminué au cours des trois dernières années.

Honorables sénateurs, j'ai choisi les années 1987 à 1995, mais j'aurais pu remonter jusqu'en 1983, ce qui aurait donné un tableau encore plus sombre pour la catégorie des emplois traditionnels mais une situation meilleure dans les deux autres secteurs. J'aurais également pu citer les statistiques de 1985, mais l'année 1995 aurait paru pire encore. Quoi qu'il en soit, je ne tiens pas à jouer avec les statistiques.

On ne peut pas faire valoir que ces 29 259 emplois existent toujours ailleurs dans l'agglomération torontoise ou qu'ils se trouvent maintenant dans un autre secteur industriel. Il y a bien eu un certain transfert d'emplois, mais la ville affiche un taux de chômage de 8 p. 100, soit presque autant que dans l'immense et active région située à l'extérieur de l'agglomération et qui s'étend de Oakville à Ajax, puis jusqu'au lac Simcoe. La situation dans le reste de l'agglomération torontoise est encore bien pire que dans la ville elle-même puisque le taux de chômage y dépasse les 11 p. 100.

Au début de mon intervention, j'ai mentionné Massey Ferguson et d'autres entreprises disparues. Quand j'en ai parlé à des représentants municipaux, j'ai trouvé intéressant d'apprendre que, jusqu'à récemment, l'un des édifices du Centre TD était entièrement occupé par IBM. Il s'agit d'un édifice de 40 étages conçu par Mies van der Roh. Il n'y reste pas un seul emploi de IBM. Dans ce seul édifice, plus de 1 000 emplois ont disparu. J'ai trouvé cela instructif.

Bien des gens disent que ces pertes d'emplois, surtout dans les secteurs traditionnels, sont attribuables à l'accord de libre-échange avec les États-Unis. Il n'y a aucun doute que la crainte bien connue des Canadiens de n'avoir qu'une économie de succursales d'entreprises américaines a été atténuée avec l'ALENA. On n'a plus besoin des filiales canadiennes. John Inglis a été achetée par Whirlpool, et la plupart des emplois de ce secteur ont été transférés en Géorgie. Ce sont de petits nombres d'emplois dans chaque cas, mais ils s'additionnent. Environ165 employés du secteur du jouet ont perdu leur emploi quand la société Little Tykes a fermé à Guelph pour déménager les activités de fabrication pour le marché canadien au sud de la frontière. Epton Industries Inc., qui fabrique des pièces pour GM Canada, a transféré ses activités aux États-Unis et220 travailleurs ont reçu des avis de licenciement permanent. L'administration centrale de Canvac, à Chicago, a déménagé ses installations de production de papier métallisé à Greenfield, en Indiana, et 60 travailleurs ontariens ont perdu ainsi leur emploi. Ce genre de choses a cours dans tout le Sud de l'Ontario, et tout le monde le sait. On n'en voit pas l'avantage. Il faudra bien qu'un gouvernement canadien y voie à un moment donné, sinon il y aura des problèmes.

Toutefois, honorables sénateurs, les pertes d'emplois dans les secteurs traditionnels ont commencé avant l'accord de libre-échange avec les États-Unis. La raison, c'est ce concept mal compris, la mondialisation. Le Conseil consultatif sur l'adaptation, présidé par Jean de Grandpré, l'a signalé dans son rapport de 1989. Le rapport affirmait ceci:

De l'avis du conseil, il ne fait pas de doute que le processus de mondialisation amorcé dans les dernières décennies se poursuivra et prendra même de l'ampleur dans un avenir prochain.

Dans cette remarque, les mots «mondialisation» et «dernières décennies» sont importants, parce que le mouvement a commencé il y a longtemps. Qu'est-ce que la mondialisation, en fait? En préparant mon discours, j'ai relu l'étude effectuée par le professeur Richard Harris, de l'Université Simon Frazer, à l'intention du comité sénatorial permanent des affaires étrangères, en septembre 1994. Notre comité a organisé un genre de séminaire réunissant des témoins prestigieux, mais, en relisant l'étude et les délibérations de ce séminaire, j'ai eu l'impression que nous nous étions embourbés dans trop de détails. Je vois probablement plus clair parce que trois ans ont passé, que le problème du taux de chômage élevé persiste et que j'ai pu moi-même observer les développements à Toronto.

À mon avis, le mot « mondialisation » est une très mauvaise description de ce qui se produit réellement. Le mot «dispersion» serait plus juste. Les entreprises se sont dispersées dans le monde. M. Robert Reich, ancien secrétaire américain pour les questions de main-d'oeuvre, explique le phénomène dans son livre bien connu L'économie mondiale. L'administration centrale d'une entreprise se trouve dans un pays avec quelques directeurs et employés; la division de la fabrication, de la conception ou de la technologie peut se trouver n'importe où, pourvu qu'on y trouve les compétences voulues; le secteur de la fabrication se trouve dans un pays où la main-d'oeuvre est bon marché, surtout si le produit nécessite beaucoup de main-d'oeuvre. Il n'y a aucun contrôle des capitaux. Quand l'entreprise trouve qu'elle doit économiser davantage pour plaire aux actionnaires, elle peut déménager son secteur de la fabrication au Bangladesh, aux Philippines, en Indonésie ou en Chine. Les composantes de la société sont ainsi dispersées.

Ce processus a commencé au moins dans lesannées 50. Robert Reich explique comment le retour de la concurrence européenne et japonaise a réduit les profits des entreprises manufacturières américaines, les forçant progressivement à abandonner ce qu'il appelle le «compromis national» entre les entreprises et la main-d'oeuvre.

Le grand changement de l'Amérique a été écrit en 1952 par Frederick Lewis Allen. Pendant ces années de prospérité,M. Allen disait:

De même que chaque entreprise semblait mieux fonctionner si vous investissiez une partie de ses profits dans des améliorations, de même l'ensemble des entreprises pris comme un tout semblait mieux fonctionner si vous investissiez une partie du revenu national dans l'amélioration des revenus et du statut des groupes aux revenus les plus faibles, leur permettant d'acheter davantage de produits et donc d'accroître le marché pour tous.

J'ai commencé ma carrière de globe-trotter en faisant du stop dans l'Est des États-Unis dans les années 50. À vrai dire, j'ai fait mes premiers voyages quand j'avais 13 ans et que je faisais plus vieux que mon âge. C'était l'époque des élections de 1948 qui opposaient Truman à Dewey. Je me souviens encore de la visite que m'avait fait faire à la Bethlehem Steel Works de Buffalo un groupe d'ouvriers qui m'avait assuré que Truman l'emporterait. J'avais stupéfait mes jeunes amis de Toronto en leur disant cela puisqu'il était clair pour eux que Dewey l'emporterait.

Qui peut oublier les États-Unis de cette époque? Woodward Avenue, à Détroit, était une artère agréable fréquentée par les employés de bureau et pleine de cafés. Buffalo était célèbre à Toronto. Tout le monde y allait. Je ne parlerai pas de Washington, Miami et Baltimore. Les endroits qui me choquent le plus sont les petites villes: Elmira, Binghamton et Albany, dans l'État de New York, Frederick, au Maryland, et Hartford, au Connecticut.

(1500)

Les emplois avaient commencé à se disperser il y avait déjà un certain temps, mais, à mesure que la concurrence se faisait plus sauvage, la dispersion s'accélérait. L'amélioration des communications a aidé. Quand j'étais à l'étranger, entre 1958 et 1961, j'ai parlé une fois par téléphone avec le Canada de Nairobi, au Kenya. On pouvait le faire, mais c'était très compliqué. Je me souviens de mes amis à Nairobi et je me demande si la ligne suivait le Nil jusqu'à Karthoum. Aujourd'hui, les communications sont faciles. La dispersion est rapide et efficace. Elle a pris le nom de « mondialisation ». Les compagnies que Robert Reich décrit comme les principales compagnies américaines ne sont plus américaines.

En 1989, Gilbert Williamson, président de la National Cash Register, disait:

On m'a questionné l'autre jour à propos de la compétitivité des États-Unis, et j'ai répondu que c'était une chose à laquelle je ne pensais pas du tout. À la NCR, nous estimons être une compagnie compétitive dont le siège se trouve à être aux États-Unis.

Est-ce une coïncidence si, aux États-Unis, aux élections de 1960, 62,8 p. 100 des personnes ayant le droit de voter se sont prononcées, alors que, en novembre dernier, le taux de participation n'était que de 48,2 p. 10, le plus faible pourcentage depuis que les femmes ont obtenu le droit de vote en 1920? La ventilation des chiffres montre clairement que ce sont les gens au bas de l'échelle économique, les plus touchés par la dispersion, qui ne cessent de perdre du terrain, car ils n'élisent personne qui représente leurs intérêts. Est-ce le genre de société que nous voulons au Canada?

Le 22 mai dernier, The Globe and Mail rapportait un bon exemple des conséquences de la dénationalisation.

Selon le bureau du syndicat, l'International Union of Electrical Workers, qui a longtemps été considéré comme le syndicat le plus accommodant à la General Motors Corporation, se prépare pour une lutte d'envergure avec le numéro un de l'automobile.

C'est un revirement complet d'attitude pour l'IUE. Mais les dirigeants syndicaux disent qu'ils sont motivés en partie par l'insistance de GM à fixer des salaires plus bas pour les nouveaux ouvriers membres du syndicat et à déménager certaines opérations de fabrication au Mexique. En outre, les dirigeants syndicaux disent que GM est en train de prendre la même ligne dure avec les 25 000 membres de l'IUE, dont la plupart travaillent pour GM à l'énorme usine de pièces de Delphi Automotive Systems, qu'elle a suivie avec les Travailleurs unis de l'automobile.

«La compagnie avec laquelle nous avons affaire n'est plus la même», de dire Ron Given, principal négociateur de l'IUE avec GM. «La seule chose qui compte pour GM, c'est de faire le plus d'argent possible, sans aucun égard pour notre niveau de vie.»

L'article continue ainsi:

Alors que l'IUE et les TUA se préparent pour les négociations nationales qui débuteront le mois prochain, une section locale de l'IUE et GM, dont le siège social est à Détroit, sont déjà en train de négocier le transfert éventuel de 1 800 emplois de Warren, en Ohio, au Mexique...

Les dirigeants syndicaux disent que ce qu'il y a de plus troublant dans les projets de GM, c'est qu'ils montent les travailleurs automobiles américains contre leurs collègues mexicains. Un nouvel employé membre de l'IUE touche un salaire horaire moyen de 11,47 $ à Warren. Au Mexique, Delphi offre dès l'embauche un salaire horaire allant de 1,65 $ à 4 $.

En langage simple, aux États-Unis et au Canada de nos jours, si les travailleurs résistent trop fermement, on peut se passer de leur main-d'oeuvre et transférer leurs emplois dans un autre pays. L'Europe de l'Ouest résiste et certains observateurs affirment que c'est ce qui cause le taux de chômage élevé. Nous avons aussi un taux de chômage élevé et nous ne pouvons même pas facilement résister, en grande partie parce que nous avons signé l'ALENA. Où sont donc ces 29 259 emplois? Est-ce un prix acceptable à payer pour la libre circulation des capitaux? Qui profite de tout cela?

On pourrait croire que le problème intéresserait des organisations internationales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l'Organisation mondiale du commerce, du moins lors de leurs rencontres ministérielles annuelles. Il est bien évident qu'un pays ne peut à lui seul régler la question de la circulation des capitaux.

Permettez-moi de traiter brièvement du Mexique, car on parle souvent de ce pays comme d'un endroit populaire, en raison des salaires dérisoires, auprès des entreprises et de certains économistes éminents comme Jagdish Bhagwati de l'Université Harvard, qui tient des propos comme celui-ci:

Néanmoins, l'hypothèse populaire de nos jours, c'est que, si les normes relatives à l'environnement et à la main-d'oeuvre sont inférieures chez l'un de vos concurrents étrangers, celui-ci fait du dumping social sur votre marché et, par conséquent, vous avez le droit d'imposer des droits compensateurs à l'importation. Cette notion, qui gagne du terrain au sein de la CE et des États-Unis, est fondée sur deux arguments manifestement fallacieux.

C'est ce que M. Bhagwati a écrit dans l'Economic Journal en mars 1994.

Honorables sénateurs, je ne veux pas poursuivre et prendre davantage de votre temps, car c'est sans importance. Apparemment, M. Bhagwati, un éminent défenseur du libre-échange, oeuvre uniquement dans la sphère théorique et n'est pas au courant d'un phénomène connu de tous à travers le monde, soit que la corruption atteint les plus hauts niveaux du gouvernement au Mexique. Le McKinsey Global Institute a produit récemment une étude sur le Mexique. Le sénateur MacEachen a cité cette étude durant le débat sur l'ALENA. Je l'ai lue dans The Economist où l'auteur d'un article reconnaissait à regret que tout n'est pas parfait au royaume de l'économie mondiale.

Les honorables sénateurs doivent savoir que The Economist est devenu bien plus un pamphlet libertaire et favorable au libre-échange qu'une revue d'actualités; ce magazine a plutôt tendance à «fonder les faits sur la théorie et non la théorie sur les faits». L'article dans The Economist signalait que, selon le McKinsey Institute, les pays d'Amérique latine avaient considérablement amélioré leur productivité dans le domaine de l'acier au cours des récentes années. La production d'un travailleur mexicain a augmenté de 21 p. 100 de celle d'un travailleur américain en 1989 à 37 p. 100 en 1993. Pourtant, le coût de sa main-d'oeuvre reste égale au sixième du coût de cette même main-d'oeuvre aux États-Unis. Le rapport concluait que les aciéries d'Amérique latine pourraient très rapidement atteindre une productivité égale à 80 p. 100 de la productivité américaine. Par contre, les salaires ne doubleraient pas du jour au lendemain.

Son Honneur le Président: Je regrette de vous interrompre, sénateur Stollery, mais vos 15 minutes sont terminées. Autorisez-vous une prolongation, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Stollery: Merci, honorables sénateurs. Par conséquent, cet avantage concurrentiel pourrait éliminer les emplois des travailleurs de l'acier américains. The Economist ne parle jamais de choses comme les négociations collectives, les syndicats corrompus contrôlés par le gouvernement, l'absence d'indépendance judiciaire. Mais je ne suis pas ici pour parler du Mexique, vous m'avez déjà entendu sur ce sujet. Nos emplois s'envolent vers le Bangladesh, les Philippines, la Chine, partout où la main-d'oeuvre est bon marché.

Au Canada, le rapport de Grandpré disait:

Avec l'accroissement de la mondialisation, les sociétés canadiennes vont utiliser diverses stratégies, notamment fusions, acquisitions et autres rationalisations de la production pour être dans la meilleure position possible pour soutenir la concurrence internationale.

Cela ressemble au modèle américain, et je ne pense pas que ce soit la bonne solution. Je pense que nous devrions avoir beaucoup plus de discussions internationales que nous n'en avons, parce que les questions que soulèvent le mouvement des capitaux et la dispersion des emplois ne peuvent pas être résolues par un seul pays. Toutefois, les discussions ont lieu entre des personnes qui partagent le même point de vue et qui contrôlent l'OMC et les autres organisations. Et notre société? Et nos travailleurs? Nos devoirs constitutionnels sont envers les Canadiens. Un des avantages du Sénat pour le public, c'est que, n'ayant pas de responsabilités directes à l'égard des électeurs d'une circonscription, le sénateur peut, contrairement au député, consacrer plus de temps à la lecture et à la réflexion sur les questions de l'heure. Pour citer G.M. Young, dans Victorian England: Portrait of an Age:

[...] d'où l'avantage, même la nécessité, d'avoir quelque part dans l'État une personne qui n'a pas à se battre pour son poste, qui a le droit d'être entendue sur toute question dont elle pense devoir parler, qui a le droit de mettre en garde, d'encourager et, par conséquent, d'être consultée par les agents de l'autorité.

Le Chili n'est pas le Mexique, mais je suis néanmoins contre l'accord de libre-échange entre le Chili et le Canada. Je ne suis pas protectionniste, mais je m'oppose au libre-échangisme actuel, parce qu'il est néfaste pour nos concitoyens. À mon avis, ce n'est pas dans leur intérêt.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

 

Renvoi au comité

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand ce projet de loi sera-t-il lu une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur De Bané, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires étrangères.)

[Français]

 

La Loi sur le droit d'auteur

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Gigantès, appuyée par l'honorable sénateur Moore, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-32, Loi modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

L'honorable Normand Grimard: Honorables sénateurs, la technologie évolue plus vite que la loi. Par exemple, même si les animateurs de radio affirment encore qu'ils font «tourner» un succès musical en ondes, tout se passe par ordinateur maintenant: par conséquent une copie intermédiaire du disque a dû être faite. Également, il y a trente ans, nous ne concevions pas l'utilisation omniprésente de la photocopieuse dans les bureaux, ni non plus de la cassette audio inventée par la compagnie Philips, dans nos résidences et ailleurs. Une telle cassette allait devenir, quelques tours de manivelles plus tard, un outil extraordinairement populaire pour la copie de la musique enregistrée. Dans The Economist du 14 décembre 1996 comme dans La Pressedu 19 mars subséquent, je lisais des articles sur la façon de protéger le droit d'auteur sur Internet. Le législateur, je l'admets, ne peut refuser d'agir sous prétexte de la complexité d'un sujet, et c'est pourquoi le gouvernement nous présente aujourd'hui le projet de loi C-32 modifiant la Loi sur le droit d'auteur.

Quel ordre de grandeur faut-il donner? Au Canada, ce secteur apporte quelque 16 milliards de dollars à l'économie, et près de 670 000 personnes y travaillent. Ce droit permet aux créateurs de préserver les droits moraux à l'intégrité de leurs oeuvres et ensuite de toucher des redevances pour leur exécution. Le droit d'auteur subsiste normalement pour 50 ans plus la durée de la vie du créateur, sauf pour les photographies, où la limite est de50 ans pour une raison de qualité qui se déprécie.

Pour les artistes, une grande partie de l'administration du droit d'auteur se fait par l'intermédiaire de sociétés de gestion appelées «managing collectives», en anglais. Comme ces sociétés sont bien connues des intéressés et qu'elles sont rarement définies dans le langage courant, j'ai trouvé que leur intervention accentue encore le caractère technique de la loi.

[Traduction]

Le projet de loi C-32 a été critiqué universellement avant même que le comité de la Chambre des communes nous le renvoie avec 123 propositions d'amendement, dont76 rapidement adoptées le 12 décembre, la dernière journée de son étude en comité.

Le projet de loi C-32 impose de nouvelles redevances et monte les créateurs d'oeuvres artistiques contre les utilisateurs qui, en ces temps difficiles, ne sont pas disposés à payer davantage pour avoir accès à ces créations. Le milieu artistique lui-même est profondément divisé.

[Français]

Comme pour imprimer davantage que nous nous trouvons dans un milieu de tradition, la Loi sur le droit d'auteur date de 1924. Elle fut révisée pour la première fois en 1988 sous les conservateurs. Le projet de loi C-60 concrétisa une partie du livre blanc intitulé «De Gutenberg à Télidon» présenté sous les libéraux en 1984. Cette réforme abolissait la controversée licence obligatoire et donnait ses droits d'entrée à l'ordinateur. Les conservateurs avaient réservé pour plus tard l'autre partie de la révision du droit d'auteur.

Lu en première lecture aux Communes le 12 avril 1996, le projet de loi C-32 représente la deuxième phase de cette réforme, une transformation des plus importantes.

Par suite d'amendements apportés au comité des Communes, le projet de loi présenté diffère de celui devant nous. En particulier, le rôle des sociétés de gestion est mieux reconnu, partout où elles existent. Les radiodiffuseurs se sont vu reconnaître un certain droit d'enregistrement éphémère, quoique insuffisant par rapport à leur demande. Un délai d'implantation important a été réduit de cinq ans à trois ans; nous en reparlerons plus loin. Et une liste nombreuse d'exceptions dans le projet de loi C-32 original a été réduite à des proportions plus normales, quoique encore trop nombreuses au gré de la catégorie des artistes créateurs. Un sérieux époussetage législatif a été accompli par le comité du Patrimoine canadien de l'autre Chambre.

[Traduction]

Le Canada a ratifié la Convention de Berne de 1886 pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques et la Convention sur les droits d'auteur de 1982. En outre, le Canada est membre de l'Organisation mondiale du travail.

L'adoption du projet de loi C-32 aurait pour effet de consacrer le droit des artistes interprètes, des musiciens et des producteurs d'enregistrements sonores de toucher des droits voisins. Le Canada se joindrait ainsi à 50 autres pays, dont un grand nombre, il faut le préciser, d'Europe continentale. Le Canada deviendrait signataire de la Convention internationale sur la protection des droits des artistes interprètes ou exécutants, des producteurs de phonogrammes et des organismes de radiodiffusion. Or, il convient de le rappeler, parmi les grandes nations industrialisées, seuls les États-Unis n'ont pas ratifié la Convention de Rome.

C'est l'argument avancé à l'autre Chambre par le Parti réformiste et par les radiodiffuseurs, les hôteliers et les restaurateurs qui sont convaincus qu'ils ne peuvent pas trouver davantage d'argent en ces temps difficiles.

[Français]

En musique, les droits d'auteur traditionnels sont versés au compositeur qui a écrit la ligne mélodique et au parolier auteur du texte. Ces droits grugent un peu plus de 3 p. 100 du revenu des radiodiffuseurs. De ces derniers, les droits voisins exigeraient un déboursement additionnel variant entre 1 p. 100 et3 p. 100. La marge est énorme, mais c'est l'estimation approximative qu'on a. Les droits voisins seront fixés par règlement de la Commission du droit d'auteur. Et le projet deloi C-32, depuis le début, comporte une importante exception: limiter à 100 $ par année le versement à faire par les postes gratifiés de moins de 1,25 million de dollars en revenus publicitaires annuels. C'est, nous dit-on, le cas de 65 à 70 p. 100 d'entre eux. Sur la portion de leur revenu au-delà de 1,25 million de dollars, les autres postes payeront le plein montant des droits voisins après une implantation graduelle de trois ans au lieu d'une période de cinq ans, tel que mentionné dans le projet original. Les créateurs ont obtenu ce raccourcissement de délai de nature à les avantager, tandis que les utilisateurs jugent au contraire cet amendement avec un oeil défavorable.

Face au projet de loi C-32, comme en présence d'autres sujets, le Sénat, Chambre de second regard, se voit dans l'obligation de jouer le rôle d'arbitre. Au comité sénatorial chargé de l'étude après la deuxième lecture, le premier défi sera de déterminer le nombre de témoins que le comité entendra. Je pressens que nous nous trouverons devant un bouquet de demandes contradictoires. Les adversaires voudront nous faire entendre le plus de témoins: les partisans souhaiteront une adoption expéditive.

Les radiodiffuseurs présentent une opposition rangée à la création de droits voisins pour les artistes-interprètes, les musiciens et les producteurs d'enregistrements sonores. Avec raison, je crois, ils déclarent qu'ils font vendre disques et cassettes audio. C'est vrai que c'est après avoir entendu un succès à la radio que plusieurs achèterons des disques. Mais c'est aussi une médaille avec un autre côté. Et cet autre côté, honorables sénateurs, pouvons-nous refuser de le voir?

Les entreprises de radiodiffusion perdent des profits, mais la majorité des artistes au Canada gagnent des revenus annuels entre 7 000 $ et 13 000 $. Le monde artistique offre un spectacle de féerie, sous le grand chapiteau, avec les rangées de perles, vraies ou fausses, et les vêtements parfois encore garnis de paillettes, mais c'est aussi un monde ingrat. La récompense de l'artiste moins connu gonfle beaucoup plus souvent son orgueil que son porte-monnaie. Et c'est parce que les artistes propagent la culture que nous croyons légitime d'assurer une pitance plus substantielle aux artistes-interprètes, musiciens et producteurs en leur assurant des droits voisins sur les enregistrements sonores.

(1520)

Et les radiodiffuseurs ont raison: Céline Dion, Anne Murray, Roch Voisine et Alanis Morissette écrémeront la grosse part des revenus. Ceux-ci vendent le plus de succès, mais comment l'éviter? C'est bien ce que je me demande.

[Traduction]

Les deux autres aspects importants du projet de loi dont nous sommes saisis touchent également les radiodiffuseurs. Il faut savoir que les choses ont bien changé depuis que l'ordinateur et l'Internet ont remplacé la machine à écrire et le poste téléphonique à cadran.

Un amendement proposé par le comité de l'autre Chambre accorde aux radiodiffuseurs des «droits éphémères», à savoir le droit d'enregistrer des spectacles locaux et de les rediffuser sur une période maximale de 30 jours sans avoir à verser des droits d'auteur supplémentaires, pourvu qu'il n'y ait aucune société de gestion désireuse de négocier des contrats. Je fais référence à un article paru dans The Gazette du 2 janvier 1997. C'est une réserve importante. Une société de gestion est un organisme qui est créé par des artistes et qui autorise les radiodiffusions, perçoit les redevances et gère leurs oeuvres en leur nom.

Toutefois, les radiodiffuseurs font encore des pressions pour obtenir une exemption de «transfert de format», une expression technique désignant le procédé par lequel les radiodiffuseurs transfèrent de la musique d'un disque compact à un ordinateur pour la faire jouer. Jusqu'ici, le gouvernement a refusé d'accorder une exemption générale. Un dernier amendement proposé au projet de loi C-32 accorderait l'exemption pour une durée maximale de 30 jours. Les radiodiffuseurs font valoir qu'ils versent des redevances quand ils achètent des disques ou des cassettes et qu'ils ne voient pas pourquoi on devrait les mettre à contribution une deuxième fois.

[Français]

Le projet de loi C-32 comporte neuf parties, au moins trois de nature administrative et deux sur les violations et les recours. En énumérer toutes les dispositions est impossible.

Le droit d'auteur protège une oeuvre pendant 50 ans plus la vie du créateur, sauf les photos, où c'est 50 ans. Le Bloc québécois aurait souhaité accroître la protection pour les photos. Il lui aurait donné la parité avec les autres oeuvres d'art, mais le Bloc a échoué dans sa demande dans l'autre Chambre.

Dans un tout autre domaine, les importations parallèles de livres seront sanctionnées si elles violent les droits d'un distributeur exclusif reconnu au Canada.

Surtout, on peut s'interroger sur un amendement. L'article 45 autorise l'importation de livres usagés, sauf pour les manuels scolaires dans les collèges et les universités. Il faudra y respecter les droits d'un distributeur exclusif. Les respecter obligera les étudiants à payer 3 millions de dollars de plus pour l'achat de manuels neufs, sans compter les pertes de 2 millions de dollars à la revente et celles de 400 000 de dollars par les universités. Je me demande bien à qui sert cet amendement, apporté en plus à la dernière minute.

[Traduction]

La Loi sur le droit d'auteur proposée, le projet de loi C-32, dans son libellé actuel, pose un problème particulier pour les libraires canadiens qui se spécialisent dans la vente de livres qui n'ont pas été vendus au moment de leur première parution. Le problème que soulève le projet de loi C-32, c'est qu'on donne aux distributeurs canadiens des droits de distribution exclusifs. Le distributeur pourrait détenir des titres sur sa liste de distribution aussi longtemps qu'il le veut, empêchant un revendeur d'importer ces titres d'éditeurs américains, même une fois que les droits de cet éditeur ont expiré. Cette incapacité d'importer ce type de livres des États-Unis entraînerait, en fait, la faillite de ces revendeurs.

Il est irréaliste de penser qu'on peut placer un policier à côté de chaque photocopieur dans les bibliothèques d'universités pour prévenir la reproduction illégale de livres. Le projet de loi C-32 aborde ce problème de trois façons. Les universités continueront d'utiliser des extraits de livres pour les examens et seront en mesure de faire des copies de ces extraits pour leurs étudiants. Cependant, elles devront en venir à une entente avec une société de gestion. On me dit qu'elles le font déjà. Une partie des profits recueillis grâce aux frais de photocopie vont aller à la société de gestion.

On reconnaît le droit de faire une copie à des fins privées, mais on impose certaines restrictions. À des fins pédagogiques, les établissements d'enseignement peuvent reproduire un seul exemplaire d'émissions d'information ou de documentaires, mais ils doivent détruire cet exemplaire après un an. Le seul exemplaire d'autres types d'émissions doit être détruit dans les 30 jours.

Pour la conservation et la consultation sur place, les bibliothèques, les archives et les musées peuvent faire des copies d'oeuvres qui se détériorent. On trouve cette disposition dans le nouvel article 30.1 du projet de loi. La reproduction d'une oeuvre non publiée déposée dans une archive peut également être rendue disponible à des fins privées de recherche.

[Français]

Non moins important, le projet de loi C-32 qui modifie la Loi sur le droit d'auteur, établit une redevance sur la vente des cassettes audio vierges.

Cette redevance est créée dans la Partie VIII du projet de loi et, comme les droits voisins, elle garnira l'assiette au beurre des artistes-interprètes, des musiciens et des producteurs d'enregistrements sonores. Les auteurs d'oeuvres musicales en profiteront aussi. Au Canada, il s'est vendu en 1996 44 millions de bandes audio vierges, dont 39 millions ont par hypothèse servi à effectuer des copies privées d'enregistrements sonores par des artistes. Qui ne repique jamais des cassettes et avec la meilleure intention du monde?

Encore là, cependant, la nouvelle redevance crée des malheureux. L'industrie des producteurs de cassettes audio redoute la faillite, un marché «gris», des pertes d'emplois, et des complications si cette redevance est imposée, comme le veut le ministre, à l'importation plutôt qu'au niveau du détaillant.

Bien entendu, la loi ouvrira des recours juridiques en recouvrement pour les musiciens, les artistes-interprètes et les producteurs d'enregistrements sonores autorisés à recueillir des droits voisins. La Commission du droit d'auteur déterminera les redevances, à partir d'une grille de tarifs que «pourraient» soumettre les sociétés de gestion.

Cette législation est très technique. Elle donne du fil à retordre même aux profanes avertis. L'article 92 exige qu'après l'adoption du projet de loi C-32 un rapport soit fait dans les cinq ans. Et un comité de la Chambre des communes ou mixte des deux Chambres, selon le cas, se penchera sur l'application de la Loi sur le droit d'auteur.

En résumé, les principales questions sont de déterminer si nous acceptons les droits voisins pour les artistes-interprètes, musiciens et producteurs d'enregistrements sonores, ainsi que la taxe sur les cassettes audio vierges et les avantages. Acceptons-nous le régime universel de supervision par les «sociétés de gestion», voulu en bonne partie par le Bloc québécois? La musique américaine étant exclue, manifestement ces sociétés, je tiens à le dire, sont plus fortes au Québec que dans le reste du Canada à cause de la production musicale originale qui a une plus grande incidence dans la province de Québec. Je reconnais que la question des droits éphémères réclamés par les radiodiffuseurs pour la copie des disques laser sur leur disque dur fera l'objet d'une étude très attentive par notre parti.

(1530)

Nous souscrivons à la deuxième lecture du projet de loi C-32 sous réserve d'amendements à étudier et à apporter, s'il y a lieu.

[Traduction]

Il y a eu un débat impressionnant au comité de l'autre endroit sur ce projet de loi: 65 témoins ont comparu et 190 mémoires ont été déposés. Le débat va peut-être reprendre ici.

Je vais terminer en citant, puisque cela résume bien la question, la conclusion du Résumé législatif révisé, en datedu 14 janvier 1997, que le Service de recherche de la Bibliothèque du Parlement a préparé:

Étant donné les nombreux amendements apportés au comité, la nouvelle version du projet de loi C-32 diffère considérablement de la première version. Les «perdants» en vertu du projet de loi révisé voudront sans doute faire des représentations auprès des parlementaires pour reprendre le terrain perdu, tandis que les «gagnants» voudront sans doute en faire autant afin de conserver leurs acquis. Par conséquent, la controverse entourant le projet de loi ne risque pas de s'estomper, mais pourrait bien en fait s'intensifier au cours des semaines à venir. Il reste donc encore à voir si le projet de loi amendé en comité sera adopté tel quel ou modifié de nouveau.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint suppléant de l'opposition): Honorables sénateurs, j'attendais pour intervenir, pensant qu'un sénateur du gouvernement allait prendre la parole.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Il l'a déjà prise. Le sénateur Grimard a parrainé le projet de loi.

Le sénateur Kinsella: Cela est quelque peu étonnant qu'aucun autre sénateur du gouvernement ne désire prendre la parole. Pour un projet de loi aussi complexe et aussi important que celui-ci, le gouvernement n'a qu'un seul orateur, son parrain.

Le sénateur Gigantès: Mais quel parrain!

Le sénateur Kinsella: Le sénateur Gigantès a effectivement apporté une excellente contribution au débat, tout comme notre collègue, le sénateur Grimard.

Honorables sénateurs, vous vous rappelez peut-être que, mardi, lorsque le parrain du projet de loi a pris la parole, je lui ai posé une question et lui ai dit que, lorsque la ministre du Patrimoine canadien a déposé le projet de loi C-32 à la Chambre des communes le 25 avril 1996, il y a environ un an, le ministre de l'Industrie, M. Manley, avait écrit que le projet de loi établirait un juste équilibre entre les droits de ceux qui créent des oeuvres et les besoins de ceux qui les utilisent.

Honorables sénateurs, comme le sénateur Grimard l'a souligné, il s'agit là en effet de l'équilibre entre les intérêts et les droits du créateur et ceux de l'utilisateur. Notre tâche consiste, il me semble, à évaluer d'un oeil critique si cet équilibre a été atteint dans de justes proportions.

Le projet de loi a été présenté initialement à l'autre endroit, a franchi les étapes nécessaires et a été considérablement amendé. Nous sommes saisis aujourd'hui d'un projet de loi complètement différent de celui qui a été présenté pour la première fois à l'autre endroit.

Lorsqu'il a été présenté à l'autre endroit, les deux ministres ont dit qu'ils pensaient avoir atteint un juste équilibre. Il me semble, honorables sénateurs, que nous devrons examiner cette affirmation en profondeur.

Beaucoup de groupes de créateurs et d'utilisateurs ont appuyé le projet de loi initial en dépit de ses lacunes. Ils l'ont fait en affirmant qu'il constituait un compromis valable qui établissait un équilibre juste et raisonnable entre les droits des créateurs et les besoins des utilisateurs concernant l'accès à des oeuvres protégées par des droits d'auteur. Il est important de remarquer que, maintenant, seuls certains groupes de créateurs réclament l'adoption du projet de loi C-32 dans la forme dans laquelle il est parvenu au Sénat.

Honorables sénateurs, que s'est-il passé pour que de si nombreux groupes, surtout des groupes d'usagers, se dressent contre le projet de loi tel qu'adopté à l'autre endroit? Au début, quand le projet de loi a été présenté, il a reçu beaucoup d'appui.

Dans les derniers jours de l'étude du projet de loi C-32, le comité permanent du patrimoine canadien de la Chambre des communes s'est empressé de déposer des amendements rédigés à toute vapeur, dont plusieurs ont été adoptés sans que les membres du comité en discutent ouvertement ou les examinent attentivement. Le processus que le comité du patrimoine canadien a suivi dans les derniers jours des audiences a donné lieu à d'abondantes critiques venant de toutes parts, parce qu'on ne respectait même pas les normes minimales de diligence pour étudier les amendements proposés par le gouvernement.

De toute évidence, vers la fin des audiences du comité permanent du patrimoine canadien, la célérité devait l'emporter sur le principe d'équilibre afin de satisfaire la volonté apparente du gouvernement de faire adopter le projet de loi C-32 avant le déclenchement des élections prévu pour le printemps, comme le veut la rumeur.

(1540)

Par suite des amendements proposés par le comité du patrimoine canadien, le projet de loi C-32 a nettement favorisé les intérêts des sociétés de gestion des droits d'auteur et des droits des titulaires. Je suis d'avis que le projet de loi comporte maintenant de sérieuses lacunes et doit être amendé par le Sénat.

Nous sommes convenus que le comité sénatorial permanent des transports et des communications étudiera sous peu le projet de loi C-32. Au cours du débat en deuxième lecture, qui portera sur le principe du projet de loi, je veux insister sur l'importance pour les sénateurs de bien songer à ce qui a mené à cette deuxième phase des réformes visant la Loi sur le droit d'auteur.

Honorables sénateurs, à mon arrivée au Sénat, la première phase du processus était terminée, et je me souviens avoir passé un bon bout de temps à discuter avec l'honorable sénateurLorna Marsden, qui s'intéressait vivement à cette question. Nous partageons toujours un intérêt commun pour la réforme de la Loi sur le droit d'auteur et, en particulier, pour cette deuxième phase des réformes.

D'ailleurs, le comité aurait peut-être avantage à inviter notre ancienne collègue à comparaître, étant donné sa solide expérience, tant parce qu'elle a été membre du Sénat et qu'elle a participé à la première phase de la réforme que parce qu'elle préside une excellente université canadienne, un établissement qui est donc un usager.

Pensons un instant pour rappeler ce qui a mené à la phase actuelle de la réforme de la Loi sur le droit d'auteur. La première phase des réformes adoptées en 1988 devait consolider les droits des créateurs canadiens et faire en sorte qu'ils reçoivent une juste rémunération en cas d'utilisation de leurs oeuvres protégées par le droit d'auteur.

En 1988, et à maintes reprises par la suite, les usagers d'oeuvres protégées, surtout des bibliothèques et des maisons d'enseignement sans but lucratif, ont reçu l'assurance du gouvernement que, dans la deuxième phase des réformes de la Loi sur le droit d'auteur, des exceptions seraient prévues à leur intention, afin de rétablir l'équilibre de notre Loi sur le droit d'auteur.

Pendant les deux années qui ont mené à l'adoption des réformes de la première phase, le gouvernement a facilité la formation et les activités des comités consultatifs composés de représentants de créateurs, de maisons d'enseignement et de bibliothécaires chargés de discuter de la portée des exceptions à prévoir pour des utilisations particulières des oeuvres protégées par le droit d'auteur.

En 1989, le gouvernement a reconnu qu'on en est arrivé à un consensus sur la plupart de ces questions et, en 1990, il a commencé à élaborer un projet de loi pour la deuxième phase de la réforme sur la base de ces positions de compromis.

Les exceptions prévues dans la première version du projet de loi C-32, au moment de sa présentation, reflétaient ces compromis. Il est important de le rappeler.

Malgré les années de consultations et de compromis qui ont été consacrées à l'élaboration des exceptions prévues dans le projet de loi C-32 concernant les établissements d'enseignement et les bibliothèques, les amendements adoptés par le comité du patrimoine canadien de l'autre endroit ont atténué et affaibli davantage ces exceptions au point où le projet de loi n'offre plus, à mon avis, un équilibre raisonnable entre les droits des créateurs et les besoins des utilisateurs des oeuvres protégées par le droit d'auteur.

Par conséquent, il nous incombe, au Sénat, de rétablir l'équilibre dans le projet de loi C-32 en annulant certains des amendements injustes que le comité du patrimoine canadien de l'autre endroit lui a apportés.

Honorables sénateurs, je propose plus précisément que le Sénat songe à annuler les amendements du comité sur les points suivants: tout d'abord, il faudrait rétablir la définition initiale de l'expression «accessible sur le marché». La modification que le comité du patrimoine canadien a apportée à cette définition sape et rend effectivement inopérables certaines des exceptions prévues dans le projet de loi concernant les établissements d'enseignement et les bibliothèques.

L'État ne devrait pas accorder des exceptions d'une main et les retirer de l'autre. À cause de cette modification, la bibliothèque qui voudra remplacer des pages perdues ou endommagées d'un ouvrage rare ou non publié dans ses collections devra payer des redevances à une société de gestion collective du droit d'auteur pour pouvoir le faire.

Deuxièmement, il faudrait retirer du projet de loi la nouvelle restriction sur l'importation de manuels scolaires d'occasion, dont le sénateur Grimard a parlé. Cette disposition, en effet, impose une taxe sur l'apprentissage et prive les étudiants de l'accès à du matériel d'apprentissage à prix abordable à une époque où l'endettement croissant des étudiants devient un grave sujet de préoccupation. Si l'État veut soutenir les éditeurs canadiens de manuels scolaires, il ne devrait pas le faire au détriment des étudiants canadiens.

Troisièmement, il faudrait rétablir dans sa forme initiale, telle qu'elle figurait dans le projet de loi C-32 au moment de sa présentation à l'autre endroit, la disposition qui exempte les établissements d'enseignement de toute redevance à l'égard des photocopieuses à maniement individuel installées dans leurs locaux.

Dans la version originale du projet de loi C-32, cette disposition soustrayait les institutions à cette responsabilité pourvu qu'elles affichent un avertissement près des photocopieuses pour rappeler aux clients la nécessité de se conformer à la loi sur les droits d'auteur.

Il existe des dispositions semblables dans les lois sur les droits d'auteur d'autres pays comme les États-Unis et l'Australie. Honorables sénateurs, le comité du patrimoine de l'autre endroit a amendé cette disposition pour exiger que l'institution ait un accord de licence de la société de gestion, sans quoi elle serait responsable de toute infraction commise par un client qui reproduit un texte au moyen d'une photocopieuse. Cet amendement va bien au-delà des lois de pays comparables et, à dire vrai, il mettra les institutions sans but lucratif dans une situation pire que si elles étaient assujetties aux dispositions générales.

Plus déconcertant encore, ce changement risque de mettre les établissements d'enseignement sans but lucratif et les bibliothèques dans une situation où ils seront plus exposés à des poursuites que les entreprises à but lucratif, comme les études d'avocats, qui autorisent l'utilisation de photocopieuses libre-service dans leurs bureaux.

Sur un quatrième point, celui des enregistrements, il faudrait aussi rétablir l'exception dans son état initial pour permettre la copie de documentaires à montrer dans les classes.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-32, dans sa version initiale, permettait aux établissements d'enseignement de faire une seule copie d'une émission d'information ou d'un documentaire pour leurs étudiants. Je l'ai moi-même fait pour mes cours.

Le comité du patrimoine a apporté un amendement important qui rétrécit le champ d'application de l'exception par rapport à la proposition initiale. Les documentaires sont explicitement exclus. Par conséquent, si un professeur d'université veut montrer à ses étudiants une partie d'une émission télévisée, mettons Market Place ou Witness, l'université doit verser au télédiffuseur 50 $, 100 $ ou même plus pour faire un enregistrement de l'émission.

L'exception prévue au départ, dans le projet de loi qui a été déposé aux Communes et que le ministre appuyait, permettait aux professeurs d'enregistrer une émission et d'en montrer une partie en classe sans payer de droits.

(1550)

Enfin, une partie importante du projet de loi C-32, celle qui crée le nouveau régime de dommages préétabli, aurait dû être modifiée par le comité de l'autre endroit, mais ne l'a pas été. Sous sa forme actuelle, le projet de loi crée un régime de dommages préétabli qui peut mener au versement d'une compensation en cas de violation de la Loi sur le droit d'auteur, même si le contrevenant ne savait pas que l'activité à laquelle il s'adonnait constituait une infraction à la loi. C'est absolument injuste. Ceux qui ne sont pas conscients d'enfreindre la loi ne devraient pas être tenus responsables des dommages-intérêts préétablis.

Son Honneur le Président: Sénateur Kinsella, je regrette de vous interrompre, mais les quinze minutes qui vous étaient accordées sont écoulées.

Honorables sénateurs, le sénateur Kinsella a-t-il la permission de poursuivre?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Kinsella: Il ne me reste qu'un paragraphe, honorables sénateurs. Je vous remercie.

De plus, selon le projet de loi, les établissements d'enseignement et les bibliothèques sans but lucratif détiennent une licence de société de gestion collective pour profiter d'une exemption au régime de dommages préétablis. Les établissements d'enseignement et les bibliothèques subventionnés par l'État devraient profiter d'une exemption au régime des dommages préétablis, qu'ils aient conclu ou non un accord avec les sociétés de gestion collective chargées d'octroyer les licences.

Honorables sénateurs, nous devons examiner très soigneusement ces propositions si nous voulons rétablir dans le projet de loi C-32 l'équilibre que nous avait promis le gouvernement lorsqu'il a présenté cette mesure législative.

En terminant, je vous invite à ne jamais oublier que les établissements d'enseignement et les bibliothèques du Canada sont presque complètement subventionnés par l'État. L'oeuvre du créateur n'est rendue possible que par la formation que le créateur a lui-même reçue du régime d'éducation publique. L'octroi de ces exemptions revêt donc un caractère unique, puisque les exemptions sont accordées au régime d'éducation subventionné par l'État qui a contribué à former l'artiste ou le créateur et qui l'a aidé à atteindre son statut de créateur.

Au terme de longues consultations, les principaux intéressés, tant les créateurs que les utilisateurs, en sont venus à un compromis que traduisait le projet de loi sous sa forme originale, au moment où il a été présenté à l'autre endroit. Ce projet de loi a reçu l'appui du gouvernement et du ministère. Nous devrions profiter de notre examen de ce projet de loi pour en rétablir l'équilibre.

L'honorable Finlay MacDonald: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au sénateur Kinsella. D'après ce que vous avez dit, je crois comprendre que le projet de loi sera en fin de compte renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications. La situation est confuse. Au début, nous avions compris qu'il serait renvoyé au comité sénatorial

permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, puis cette décision a été modifiée avec l'accord, semble-t-il, des partis. Vous avez donc décidé de renvoyer le projet de loi au comité des transports. Pourquoi avez-vous décidé d'agir ainsi, puisque, en temps normal, ce projet de loi aurait dû être renvoyé au comité des banques et du commerce, qui s'est toujours penché sur la question du droit d'auteur?

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, je remercie le sénateur MacDonald de sa question. Je ne suis pas sûr de pouvoir y répondre. Le leader adjoint du gouvernement au Sénat serait peut-être en mesure de vous fournir une réponse plus éclairée.

En toute franchise, je n'arrive pas à me rappeler si une partie du problème était une affaire de charge de travail ou si c'était que le sujet recoupait la vocation de plusieurs comités permanents. Peut-être que le leader adjoint pourrait nous expliquer pourquoi il est renvoyé à ce comité.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission doit être accordée pour que le sénateur Graham réponde à une question.

La permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, comme l'a signalé le chef adjoint suppléant de l'opposition, la matière du projet de loi intéresse plusieurs comités.

En réponse à la question du sénateur MacDonald, je dirai que je ne me rappelle pas que le projet de loi devait d'abord être renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. C'est un projet de loi lourd et compliqué, comme le laissent entendre les très excellents exposés de son auteur, le sénateur Gigantès, et les allocutions qu'ont prononcées aujourd'hui les sénateurs Grimard et Kinsella.

Franchement, aucun comité ne s'est montré très désireux, à mon sens, de prendre la responsabilité d'examiner un projet de loi aussi compliqué. La plupart des préoccupations dont on m'a fait part venaient de l'industrie des communications. En consultation avec les chefs de l'opposition, on en est arrivé à la conclusion que le projet de loi devait être renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications pour qu'il examine, notamment, les éléments du projet de loi qui concernent la radiodiffusion et les récents progrès technologiques qui ont une incidence sur la protection du droit d'auteur.

Comme le savent les honorables sénateurs qui ont examiné le projet de loi, celui-ci porte en partie sur les enregistrements sonores et les signaux de communication des radiodiffuseurs. En ce qui concerne ces derniers, la Loi sur le droit d'auteur reconnaît pour la première fois les droits des radiodiffuseurs à l'égard de ces signaux.

Plus important encore, le projet de loi traite de la possibilité d'accorder des exemptions aux radiodiffuseurs en ce qui concerne les enregistrements éphémères et certains enregistrements. Ces questions présentent un intérêt considérable pour l'industrie de la radiodiffusion ainsi que d'autres groupes. Pour que les radiodiffuseurs et les autres parties intéressées puissent se pencher sur ces aspects spécifiques du projet de loi, il a été convenu que le projet de loi serait renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications. Le président du comité, le sénateur Bacon, a une longue expérience de tout le domaine visé par le projet de loi sur le droit d'auteur, qu'il s'agisse de culture, de communication ou d'autre chose; la même chose vaut pour le vice-président du comité, le sénateur Forrestall, et les autres membres compétents du comité. C'est pourquoi il a été décidé de renvoyer le projet de loi au comité sénatorial permanent des transports et des communications.

Le sénateur MacDonald: Honorables sénateurs, je comprends qu'un projet de loi peut être renvoyé à n'importe quel comité si l'on se fie à la charge de travail des divers comités, mais c'est là une meilleure excuse que celle que vous venez de donner. En ce qui concerne les communications intéressant la radiodiffusion, vous parlez d'embrouilleur à décalage dans le temps et de changement de format. Ce ne sont là que deux dispositions du projet de loi. Le projet de loi porte à 90 p. 100 sur des choses qui n'ont absolument rien à voir avec la radiodiffusion.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, si le sénateur veut parler de charge de travail, nous avons déjà procédé à la première lecture du projet de loi C-66, qui modifie le Code canadien du travail, et nous l'étudierons en deuxième lecture mardi prochain. Ce projet de loi sera renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, lequel est déjà saisi du projet de loi C-300. L'emploi du temps du comité est déjà prévu pour la prochaine semaine et peut-être même l'autre.

Comme le comité des transports n'est saisi d'aucun projet de loi pour le moment, nous avons pensé que nous pourrions lui renvoyer le projet de loi C-32, étant donné la charge de travail comparative des deux comités.

(1600)

L'honorable Philippe Deane Gigantès: Honorables sénateurs...

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je dois informer le Sénat que, si le sénateur Gigantès prend la parole maintenant, son discours aura pour effet de mettre fin au débat sur la motion portant deuxième lecture du projet de loi.

Le sénateur Gigantès: Honorables sénateurs, à la lumière des excellents discours des sénateurs Grimard et Kinsella, des observations des différents intéressés qui ont communiqué avec moi en tant que parrain du projet de loi - même si je ne suis pas un spécialiste en la matière - et des mémoires que j'ai reçus, le projet de loi me semble être le résultat d'un jeu d'équilibre très délicat où les créateurs ont fait la plupart des concessions.

Nous avons un petit pays assorti d'un petit marché pour les créateurs. Il est très difficile pour eux de gagner leur vie par la création. Ils ne sont pas comme moi; je suis plein de reconnaissance lorsqu'un étudiant d'université vient me voir avec une photocopie d'un de mes livres sur l'histoire de la Grèce antique et me demande de l'autographier. Je suis tellement heureux que je ne pense jamais aux droits d'auteur que je perds. Évidemment, je suis sénateur et j'ai une rémunération à ce titre. Il y a toutefois d'autres personnes qui essaient de gagner leur vie comme auteurs, et nous devons défendre leurs intérêts, mais c'est un exercice d'équilibre très délicat. Le comité sénatorial permanent des transports et des communications réexaminera cette question importante.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

 

Renvoi au comité

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Gigantès, le projet de loi est renvoyé au comité sénatorial permanent des transports et des communications.)

 

Le Code criminel
La Loi sur le ministère de la Santé

Projet de loi modificatif-Deuxième lecture-
Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carstairs, appuyée par l'honorable sénateur Cohen: Que le projet de loi S-14, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Santé (sécurité de l'enfant), soit lu une deuxième fois. - (L'honorable sénateur Pearson).

L'honorable Landon Pearson: Honorables sénateurs, je voudrais aujourd'hui accorder moi aussi mon appui au projet de loi S-14. L'objectif premier de ce projet de loi présenté par ma collègue, le sénateur Carstairs, le 12 décembre 1996, consiste à faire abroger l'article 43 du Code criminel et, ce faisant, à inciter les parents et les enseignants qui peuvent actuellement invoquer cet article à titre de défense s'ils sont accusés d'agression contre un enfant à invoquer d'autres articles du Code criminel pour leur défense s'ils estiment que leurs actes se justifiaient dans les circonstances.

Le projet de loi vise aussi à favoriser la création d'un programme de sensibilisation du public qui ferait suite à l'abrogation de l'article 43 et qui expliquerait aux gens pourquoi l'usage de la force pour corriger un enfant n'est plus acceptable dans la société canadienne; il vise aussi à promouvoir des méthodes de correction non violentes qui, de toute façon, sont beaucoup plus efficaces dans le développement des enfants.

D'entrée de jeu, je tiens à souligner que je ne suis pas du tout favorable à l'idée de criminaliser les parents pour une gifle occasionnelle. J'ai moi-même cinq enfants et dix petits-enfants maintenant qui me rappellent sans cesse comment de jeunes enfants peuvent être provocateurs et exaspérants. Chaque fois qu'un jeune enfant se conduit mal, il tente de nous dire quelque chose... qu'il est malheureux, qu'il est en colère, qu'il a faim, qu'il pense être mal aimé ou négligé. Cet enfant utilise alors le langage corporel pour attirer notre attention, pour nous demander de l'aide ou des conseils. Si nous répondons en le giflant, nous disons à l'enfant qu'il ne mérite pas notre respect, mais d'être traité avec violence.

C'est une leçon que j'ai tirée de mes propres erreurs. Quand mes enfants étaient petits, même si le Dr Spock disait qu'une fessée occasionnelle était acceptable, chaque fois que je suivais son conseil, je me sentais coupable. Plus je vieillis, plus je me sens mal à propos de ce comportement de jeune parent bien intentionné. Je suis heureuse de dire que mes petits-enfants n'ont jamais eu à subir ce genre de punition pour laquelle mes propres enfants m'ont pardonnée. Toutefois, cette sanction du plus respecté des experts en matière d'éducation des enfants a fait que j'ai utilisé une méthode qui, je le sais maintenant, était aussi avilissante qu'inefficace. C'est ce que nous tolérons si nous maintenons l'article 43.

Honorables sénateurs, nous avons fait énormément de progrès ces dernières années dans notre compréhension du sens véritable de la dignité humaine. Notre compréhension s'est traduite par des codes, des ententes et des conventions - le langage international des droits de la personne. Personne ne songerait maintenant à utiliser des châtiments corporels pour corriger une personne handicapée, une femme, un aîné souffrant de la maladie d'Alzheimer ou toute autre personne vulnérable. Or, on trouve toujours acceptable, dans notre Code criminel, d'infliger un châtiment corporel à des enfants.

Au Canada, le droit à la sécurité de la personne est protégé par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les gens ont droit à cette sécurité, peu importe leur âge. Pour le moment, en raison de l'article 43 du Code criminel, les enfants sont les seules personnes qui ne sont pas protégées de l'usage de la force sous forme de châtiments physiques.

À mon avis, c'est enfreindre la Charte que d'autoriser une défense globale fondée sur le statut des personnes en cause plutôt que sur les circonstances.

Honorables sénateurs, en 1991, le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Ce traité international reconnaît clairement le statut de l'enfant. Le paragraphe 19(1) de la convention porte que:

Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est confié.

Le paragraphe 28(2) est le suivant:

Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention.

L'article 3 dit que, dans toutes les mesures concernant les enfants, leur intérêt supérieur doit être une considération primordiale.

Frapper des enfants pour les discipliner constitue, à mon sens, une violation de leurs droits humains fondamentaux et une négation de l'égalité de leur statut. Nous savons aussi que ce genre de mauvais traitements se transmet d'une génération à l'autre. Ils encouragent les comportements violents, tant chez les enfants que chez les adolescents et les adultes. C'est aussi une pratique dangereuse qui peut entraîner des blessures sérieuses ou aboutir à des actes violents contre les enfants.

En s'opposant aux châtiments physiques contre les enfants, nous faisons plus que promouvoir une méthode d'éducation des enfants au détriment d'une autre, nous appliquons un droit humain fondamental dans tous les rapports entre les adultes et les enfants. Pénaliser des parents ou d'autres personnes s'occupant des enfants ne constitue pas une solution. Nous reconnaissons tous que la modification des comportements et des attitudes est un processus lent et difficile qui exige des campagnes suivies de sensibilisation du public.

L'expérience internationale montre que les changements juridiques visant à protéger les enfants contre la violence physique et le châtiment physique sont plus efficaces s'ils s'accompagnent de programmes d'éducation du public qui mettent l'accent sur des formes de discipline plus positives, des formes de discipline qui permettent aux enfants de comprendre leur comportement et d'apprendre à se discipliner eux-mêmes.

Par ailleurs, dans la plupart des cas, des poursuites criminelles ne seraient pas dans l'intérêt de l'enfant ou de la société. Dans les cas où il n'y a pas eu de dommage corporel, une accusation de voies de fait contre un parent ou une personne agissant à la place d'un parent irait à l'encontre du but recherché. Il existe un certain degré de châtiment corporel dans les familles canadiennes. Les sondages révèlent qu'un grand nombre de parents ont recours à une forme quelconque de discipline physique. Cette mesure est nettement mieux que d'enlever les enfants à leur famille. C'est évidemment pour cette raison que nous travaillons en vue de réduire ce genre de discipline.

Les travailleurs des services de protection de la jeunesse, les policiers et les tribunaux de la famille ont besoin de solutions de rechange dans la plupart des cas qui sont portés à leur attention. On a particulièrement besoin de programmes d'éducation et de services qui peuvent aider ces gens de façon positive. Bien que j'appuie entièrement l'abrogation de l'article 43 pour les raisons que j'ai déjà énoncées, je recommande qu'on fasse attention pour ne pas enlever cette disposition sans modifier certaines dispositions connexes.

(1610)

J'ai participé à des consultations sur l'article 43 organisées par le milieu non gouvernemental en 1994. Nous avons examiné ce qui pouvait être fait pour répondre à certaines des inquiétudes exprimées par les enseignants et les parents qui se trouvent parfois obligés de recourir à la force. Nous avons conclu que la protection assurée par les articles 34, légitime défense contre une agression non provoquée, et 37, le fait d'empêcher une attaque, du Code criminel ne s'appliquaient pas nécessairement à toutes les situations. Si les enseignants interviennent pour mettre fin à une bagarre, ils pourraient être accusés de voies de fait.

Dans un rapport publié en 1986, la Commission de réforme du droit disait que la défense de nécessité était celle qui convenait le mieux dans les situations où des enseignants et des capitaines de navire doivent maintenir l'ordre et la sécurité. Dans un rapport publié en février 1993, le sous-comité de la Chambre des communes chargé d'examiner ces questions a adopté la même position que la Commission de réforme du droit. Une clarification et une meilleure codification de la défense de nécessité améliorerait la situation en ce qui concerne les enseignants.

Il y a d'autres situations où des dispensateurs de soins sont justifiés d'employer la force pour protéger un enfant. Le fait d'immobiliser un enfant pour protéger d'autres enfants, des adultes, des animaux ou des biens peut également être justifié. Les articles 27 à 37 du Code criminel régissent de nombreuses situations de ce genre. Les articles 25 et 26 concernent également le recours à la force et devront également être examinés. Les répercussions de l'abrogation de l'article 43 sur ces articles devront être examinées et les mesures nécessaires devront être prises.

En outre, l'abrogation de l'article 43 devrait être précédée d'une analyse approfondie d'autres articles du Code criminel qui ont pour objet d'assurer la sécurité des maisons, écoles, installations et autres établissements pour les enfants et pour les adultes qui s'occupent d'eux. Cet exercice devrait aller de pair avec des mesures de sensibilisation du public visant à informer les enfants de leurs droits et responsabilités, à aider les parents et autres dispensateurs de soins à apprendre des façons positives d'enseigner aux enfants comment se comporter et à promouvoir des méthodes d'éducation des enfants qui mettent l'accent sur la dignité, le respect et l'autodiscipline.

Le modèle suédois peut nous être très utile à cet égard. Les autorités suédoises ont élaboré, dans le cadre de leur campagne d'information publique sur les châtiments corporels, un code des responsabilités parentales qui exige que les enfants soient traités avec le respect dû à une personne et ne soient pas placés dans des situations qui les briment de quelque façon que ce soit. L'abrogation de l'article 43 et les recommandations en vue de la sensibilisation du public à cet égard faites par madame le sénateur Carstairs lorsqu'elle a présenté le projet deloi S-14 constituent, à mon avis, des mesures positives visant à assurer aux enfants le statut et la protection qu'ils méritent.

(Sur la motion du sénateur DeWare, le débat est ajourné.)

 

Le Code criminel

Projet de loi modificatif-Rapport du comité des
affaires juridiques et constitutionnelles-Motion visant le renvoi du rapport au comité-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carstairs, appuyée par l'honorable sénateur Losier-Cool, tendant à l'adoption du seizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-3, Loi modifiant le Code criminel (accord sur le chef d'accusation), présenté au Sénat le 7 novembre 1996;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Cools, appuyée par l'honorable sénateur Robertson, que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour une étude plus approfondie. -(L'honorable sénateur Corbin).

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, je parlerai aujourd'hui de la motion d'amendement du sénateur Cools concernant la motion d'adoption du seizième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi S-3, laquelle motion d'amendement aurait pour effet de renvoyer le projet de loi au comité.

Avant que le Sénat ne décide de renvoyer le projet de loi au comité, je crois indiqué d'expliquer aux honorables sénateurs les circonstances qui ont amené le comité à décider à l'unanimité de recommander au Sénat de ne pas donner suite au projet de loi.

Le projet de loi S-3 a été déposé au Sénat le 28 février 1996. Il a été débattu en deuxième lecture et, le 2 mai 1996, il a été renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour être étudié et pour qu'il en soit fait rapport.

En juin, en tant que président du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, j'ai rencontré le sénateur Cools dans mon bureau, au nom du comité de direction, pour discuter du calendrier proposé par le comité au sujet du projet de loi et pour lui demander, en tant qu'auteur de cette mesure législative, de déposer auprès du greffier du comité une liste des témoins qu'elle aimerait voir comparaître devant le comité de façon à ce que le comité de direction puisse décider lesquels inviter.

Le sénateur Cools a dit dans ses remarques que le comité de direction ne l'avait pas rencontrée. Honorables sénateurs, le comité de direction ne rencontre pas les auteurs des projets de loi pour décider de la liste des témoins. J'imagine quelle serait la consternation de la Chambre si le ministre de la Justice ou le solliciteur général décidait pour notre comité de direction de la liste des témoins à faire comparaître pour leurs projets de loi.

Le sénateur Cools a fourni une liste d'éventuels témoins au greffier du comité le 24 septembre 1996. En septembre, au nom du comité, j'ai fait deux choses à propos de l'étude du projet de loi S-3. J'ai écrit au procureur général et au ministre de la Justice de chaque province pour voir si cela les intéressait de comparaître devant le comité. La négociation de plaidoyers étant administrée par les provinces, j'ai pensé que ce projet de loi les intéresserait. J'ai aussi demandé à la bibliothèque du Parlement de préparer un document d'information sur ce projet de loi à l'intention des membres du comité.

Le comité a reçu un certain nombre de réponses à mes lettres, mais aucune n'indiquait un intérêt à comparaître devant le comité. Le procureur général de l'Alberta, bien que ne voulant pas comparaître, a cependant exprimé certaines réserves quant à la constitutionnalité du projet de loi.

Dans le rapport du 6 septembre 1996 préparé par la bibliothèque du Parlement à l'intention des membres du comité, la question de la constitutionnalité était de nouveau soulevée:

La mise en oeuvre du projet de loi S-3 enfreint peut-être les garanties juridiques protégées par la Charte canadienne des droits et libertés. Par exemple, le paragraphe 11(h) garantit qu'un individu a le droit «de ne pas être jugé ni puni de nouveau» pour une infraction dont il a déjà été déclaré coupable et puni. L'absence de prescription signifierait que le projet de loi S-3 est encore plus sujet à contestation en vertu de la charte, car on pourrait arguer qu'une peine pourrait être invalidée à n'importe quel moment, même après qu'un accusé a purgé la peine de prison requise et a été libéré. En outre, l'article 7 de la charte garantit que chacun a le droit à «la liberté et à la sécurité de sa personne; [qu'] il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.» Le projet de loi S-3 peut sans aucun doute affecter les droits en matière de liberté et il reste à voir si les tribunaux jugeraient le processus envisagé dans cette mesure législative conforme aux principes de justice fondamentale.

C'était donc une grave préoccupation pour le comité d'examiner d'abord le projet de loi S-3 pour en étudier la constitutionnalité.

Honorables sénateurs, toute une section du ministère de la Justice, le service des droits de la personne, chargé de garantir que tout ce que fait le gouvernement - activités, législation et politiques - soit conforme à la Charte des droits et libertés, que le projet de loi soit issu du ministère de la Justice ou de tout autre ministère. En outre, il est du devoir du ministre de la Justice de garantir que toute loi est conforme à la charte. Il arrive très souvent, aux audiences du comité, que les sénateurs demandent si le projet de loi en particulier a bien reçu cette garantie.

On ne fait cependant pas cette vérification pour les projets de loi d'initiative parlementaire. Il incombe donc au comité - dans le cas présent, le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui vérifie toujours la constitutionnalité des projets de loi - de le faire savoir au Sénat s'il craint qu'un projet de loi soit inconstitutionnel.

Le comité a invité le sénateur Cools, l'un des auteurs du projet de loi, à témoigner pour lui expliquer la mesure. Le sénateur Cools a été entendu le 26 septembre 1996. Au nom du comité directeur, le 2 octobre 1996, j'ai écrit à l'Association du Barreau canadien pour l'inviter à commenter le projet de loi S-3. Dans une lettre datée du 21 octobre 1996, Mme Joan Bercovitch, directrice principale de la division des affaires juridiques et gouvernementales, à l'Association du Barreau canadien, m'a écrit pour décliner l'invitation.

Le comité a alors invité des représentants du ministère de la Justice à témoigner au sujet de ce projet de loi. Lors de son témoignage, le 24 octobre 1996, M. Yvan Roy, de la section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice, a soulevé la question du paragraphe 11h) de la charte.

En d'autres termes, dans le cas de Karla Homolka, ou dans celui d'autres personnes qui ont déjà été inculpées, nous parlons de rouvrir l'instruction et, d'après le paragraphe 11h), je suggérerais que cela pourrait poser un problème important en regard de la Charte.
(1620)

M. Roy a dit ensuite:

Je crains que par la suite, on ne dise qu'il est possible de limiter le droit prévu en vertu du paragraphe 11h), compte tenu de l'article 1 de la Charte des droits et libertés; cela risque d'être un travail très décourageant.

Le 24 octobre 1996, après que les fonctionnaires du ministère de la Justice aient témoigné, le comité directeur du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, composé des sénateurs Nolin et Lewis et de moi-même, s'est réuni pour discuter de la prochaine étape à franchir en ce qui concerne le projet de loi S-3. Les sénateurs Nolin et Lewis et moi-même étions unanimes pour dire que sa constitutionnalité soulevait de graves réserves et qu'on ne devrait pas convoquer d'autres témoins tant que le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au complet n'avait pas décidé de la marche à suivre.

Notre décision était basée sur le fait que nous craignions que le projet de loi n'aille à l'encontre du paragraphe 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, étant donné l'importance de cette décision, le comité directeur a convenu de soulever la question de savoir s'il fallait poursuivre l'étude du projet de loi S-3 à la réunion suivante du comité au complet et de lui laisser le soin de décider comment procéder.

Le comité des affaires juridiques et constitutionnelles s'est réuni le 31 octobre 1996. Le comité directeur lui a fait part de ses réserves concernant la constitutionnalité du projet de loi S-3, mais n'a fait aucune recommandation au comité sur la façon de procéder, lui demandant d'en décider.

Le comité a décidé de ne pas faire comparaître d'autres témoins et de présenter un rapport unanime au Sénat, recommandant que le projet de loi n'aille pas plus loin du fait qu'on craignait qu'il soit anticonstitutionnel et contraire au paragraphe 11h) de la Charte des droits et libertés, qui dit:

Tout inculpé a le droit:

h) d'une part de ne pas être jugé de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement acquitté, d'autre part de ne pas être jugé ni puni de nouveau pour une infraction dont il a été définitivement déclaré coupable et puni;

On a demandé au personnel de rédiger un rapport en ce sens. À sa réunion du 6 novembre 1996, le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a étudié l'ébauche du rapport, qui fut adopté à l'unanimité par le comité.

Honorables sénateurs, le comité n'est pas un tribunal. Nous ne pouvons pas déclarer catégoriquement que ce projet de loi est anticonstitutionnel. Toutefois, nous avons la responsabilité, en tant que membres du comité des affaires juridiques et constitutionnelles, de faire part de nos préoccupations au Sénat lorsque nous craignons qu'un projet de loi ne soit pas constitutionnel.

Honorables sénateurs, le 12 mars 1997, le sénateur Cools a présenté, comme à son habitude, un discours érudit et réfléchi sur la réhabilitation et les prérogatives royales. Bien que j'apprécie les commentaires du sénateur Cools à leur juste valeur, je dois rappeler aux honorables sénateurs que ce projet de loi ne touche pas Karla Homolka. Les modifications au Code criminel ne sont généralement pas rétroactives. Il n'y a rien dans ce projet de loi qui pourrait faire en sorte qu'il s'applique rétroactivement à Karla Homolka.

Le projet de loi S-3 traite des accords sur le chef d'accusation et crée une nouvelle infraction pour ceux qui, sciemment, omettent de révéler des informations ou dénaturent celles-ci. Cependant, on pourrait certainement affirmer que l'intention du législateur est d'appliquer la mesure législative rétroactivement et, par conséquent, de l'appliquer à Karla Homolka. Cependant, si tel était le cas, on pourrait alors dire que le projet de loi contrevient au paragraphe 11g) de la Charte, qui stipule:

Tout inculpé a le droit:

g) de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations;

Il est arbitraire et injuste pour un gouvernement de promulguer des lois dans le but de criminaliser des actions passées. Voilà pourquoi la Charte nous protège contre la rétroactivité en droit.

La liste que le sénateur Cools a envoyée le 24 septembre au greffier du comité ne renfermait que des noms de personnes liées à la cause Homolka. Le sénateur Cools déclare dans ses remarques au Sénat que le comité n'a jamais mis à sa disposition ses documents de recherche. Le sénateur Cools a assisté à la réunion du comité lorsque les fonctionnaires du ministère de la Justice étaient présents. Elle a aussi reçu un exemplaire du document de la Bibliothèque du Parlement.

Le sénateur Cools: Non.

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles travaille avec acharnement. Durant la deuxième session dela 35e législature, il a tenu 75 séances de travail. Nous avons siégé pendant plus de 150 heures.

Honorables sénateurs, je ne voudrais pas que le Sénat reste sous l'impression que le comité n'a pas assumé entièrement ses responsabilités à l'égard du projet de loi S-3. En appuyant la motion du sénateur Cools proposant le renvoi du projet de loi au comité, j'affirmerais que, selon moi, le comité n'a pas rempli sa tâche par rapport au projet de loi S-3. Un tel geste de ma part serait préjudiciable aux membres du comité, qui respectent au plus haut point le mandat de ce comité.

Je ne sais pas trop ce que le Sénat veut que nous fassions de ce projet de loi s'il le renvoie au comité. Le Sénat nous demande-t-il de faire venir d'autres témoins, avec les frais que cela représente, alors que tous les membres du comité doutent sérieusement de la constitutionnalité du projet de loi?

Honorables sénateurs, j'ai de nouveau soulevé cette question au comité au complet après la présentation de l'amendement du sénateur Cools visant à renvoyer le projet de loi au comité. Les membres du comité des affaires juridiques et constitutionnelles restent unanimes en ce qui concerne la constitutionnalité du projet de loi S-3. Honorables sénateurs, nous attendons votre décision et vos instructions.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint suppléant de l'opposition): Honorables sénateurs, est-ce que le sénateur Carstairs accepterait une ou deux questions pour préciser un peu?

Le sénateur Carstairs: Bien sûr, honorables sénateurs.

Le sénateur Kinsella: Le sénateur Carstairs a mentionné sa correspondance avec les provinces et territoires. Je n'ai pas entendu combien avaient répondu.

Le sénateur Carstairs: Je ne l'ai pas dit, sénateur Kinsella. Si je me souviens bien, c'est cinq ou six.

Le sénateur Kinsella: Est-il exact que la province de l'Alberta est une de celles qui ont répondu et qu'elle vous a dit que le projet de loi était douteux sur le plan constitutionnel, mais qu'elle ne voulait pas comparaître devant le comité?

Le sénateur Carstairs: Je fournirai au sénateur Kinsella une copie de la lettre du procureur général de l'Alberta. C'est en effet l'essence de ce qu'il disait dans sa lettre. Il ne voulait pas comparaître, mais il avait de sérieuses réserves quant à la constitutionnalité du projet de loi.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je voudrais poser une question au sénateur.

Est-ce que le sénateur Carstairs serait prête à me fournir copie des lettres qu'elle a reçues des différents ministères provinciaux? Me fournirait-elle également le matériel de recherche, y compris le document de la Bibliothèque du Parlement? Je n'ai rien reçu de semblable.

Le sénateur Carstairs: Je serai heureuse de fournir au sénateur Cools toutes les lettres que j'ai reçues des procureurs généraux et ministres de la Justice, ainsi que le document de la Bibliothèque du Parlement.

Le sénateur Cools: Puis-je également obtenir du sénateur Carstairs les avis juridiques écrits du ministère de la Justice ou d'ailleurs?

Le sénateur Carstairs: Ce que nous avons reçu du ministère de la Justice, ce sont les témoignages de ses représentants devant le comité, dont on peut prendre connaissance dans le compte rendu des délibérations du comité. Cependant, je vais demander à mon recherchiste de fournir cette information au sénateur Cools.

Le sénateur Cools: J'ai lu avec attention le témoignage des représentants du ministère de la Justice devant le comité. J'ai lu le témoignage de M. Roy. Je parlais plus particulièrement des avis juridiques qu'on a peut-être rendus, plutôt que du compte rendu des délibérations, qui est du domaine public.

Le sénateur Carstairs: Je le répète, ils ne nous ont pas donné un avis juridique sur ce projet de loi. Ils hésitent à le faire dans le cas de projets de loi d'initiative parlementaire. On ne peut compter que sur le compte rendu de leur témoignage.

Le sénateur Cools: Le sénateur Carstairs va-t-elle nous...

Son Honneur le Président: J'hésite à interrompre les délibérations. Cependant, le temps de parole du sénateur Carstairs est écoulé. Les questions font partie de ce temps de parole. Avec le consentement du Sénat, bien entendu, nous pouvons poursuivre.

Le Sénat est-il d'accord pour que nous poursuivions?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Cools: Le sénateur Carstairs pourrait-elle nous préciser pourquoi on a rendu cet avis juridique selon lequel le projet de loi serait inconstitutionnel? À ma connaissance, tout ce qui s'est passé, c'est qu'une affirmation a été faite. Quelqu'un a dit que le projet de loi S-3 était inconstitutionnel, sans fournir d'explication. Je ne comprends pas le raisonnement. Une déclaration sur une conclusion, ça ne suffit pas.

(1630)

Le sénateur Carstairs: Ma réponse à cette question, honorables sénateurs, est la suivante: le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles a consacré plusieurs séances à l'étude de ce projet de loi. Comme tous les sénateurs, ma collègue a eu la possibilité d'y assister. Elle aurait pu participer au débat et entendre les opinions exprimées. Or, il existe un compte rendu de cette réunion qu'elle peut consulter.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, il semble y avoir, de l'avis de plusieurs, un problème avec la charte, notamment l'article 11 et quelques-uns de ses paragraphes. Dans ce cas, le comité a-t-il également conclu que l'article 1 ne saurait sauver cette disposition?

Le sénateur Carstairs: Oui, à la lumière d'éléments de preuve que nous avons reçus du ministère de la Justice concernant l'article 1 de la charte, nous avons estimé qu'elle ne pouvait être sauvée.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, au nom du sénateur Robertson, le débat est ajourné.)

 

Le groupe interparlementaire canada-japon

Cinquième assemblée annuelle du forum parlementaire de l'asie-pacifique-interpellation-
ajournement du débat

L'honorable Dan Hays, ayant donné avis le 13 mars 1997:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur le rapport du Groupe interparlementaire Canada-Japon sur la cinquième assemblée annuelle du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique, qui a eu lieu à Vancouver, en Colombie-Britannique, du 7 au 10 janvier 1997.

- Honorables sénateurs, je voudrais faire quelques observations sur la cinquième assemblée annuelle du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique, qui a eu lieu à Vancouver, du 7 au 10 janvier 1997. Il y a quelques semaines, une copie d'un communiqué conjoint a été déposé au Sénat et à la Chambre des communes pour que les parlementaires puissent en prendre connaissance. Je voudrais fournir des détails sur notre participation à cette organisation.

Comme je l'ai mentionné, les rencontres ont eu lieu à Vancouver. C'était la cinquième assemblée de l'association, la première ayant eu lieu à Tokyo, la deuxième à Manille, la troisième à Acapulco et la quatrième en Thaïlande. À la dernière assemblée, il y a eu 92 parlementaires de 21 pays membres et, parmi ces pays, il y en avait 15 qui étaient membres aussi bien du FPAP que de l'APEC.

Le mot d'ouverture de la conférence a été prononcé par notre président, l'honorable Gildas Molgat. Le président de l'autre endroit, Gilbert Parent, avait participé aux travaux de l'organisation en septembre de l'an dernier, à la réunion du comité exécutif qui a eu lieu ici, à Ottawa. J'ai été nommé président de la réunion, et le sénateur Oliver a été élu vice-président. Je ferai remarquer que le sénateur Oliver était, je crois, la seule personne présente qui avait assisté à la réunion de fondation et à toutes les autres réunions du FPAP.

Le premier ministre a pu être des nôtres et a pris la parole à la séance plénière de la première journée, qui coïncidait avec le jour de son départ du Canada à la tête de la mission d'Équipe Canada - la troisième de ces initiatives - pour la République de Corée, les Philippines et la Thaïlande. Je suis heureux qu'il ait pu assister à la conférence, car cela a permis de respecter la coutume qu'ont les chefs de gouvernement du pays hôte de prendre la parole à la conférence du FPAP.

Toutes les résolutions de l'organisation ont été adoptées à l'unanimité. Même si l'adoption d'une résolution exigeait un «consensus», on a donné à ce mot le sens d'unanimité. Cela me paraît significatif à cause de la diversité des membres de l'organisation. Il est significatif que l'on ait réussi à parvenir vraiment à l'unanimité sur des résolutions prêtant à controverse, étant donné la diversité des membres, dont les États-Unis, la Russie, la Chine et d'autres pays qui, pendant la guerre froide, ne trouvaient pas toujours facile de s'entendre sur une position commune.

Honorables sénateurs, je voudrais citer brièvement la Déclaration de Vancouver qui a été adoptée à la conférence. C'est le Japon qui en avait pris initialement l'initiative. Le Japon a joué un rôle extraordinaire dans cette organisation, et il me paraît juste de dire qu'on lui doit sa création, la présidence ayant été assumée par l'ex-premier ministre du Japon, Yasuhiro Nakasone. Comme je le dirai dans un instant, il n'est probablement pas étonnant que le Japon ait joué ce rôle central.

Il serait utile de lire un bref passage de la Déclaration de Vancouver pour montrer pourquoi il s'agit d'une organisation importante et pourquoi ses travaux passés et futurs seront un élément crucial pour faire évoluer notre monde dans le sens que nous voulons.

Voici:

La communauté internationale est en train de construire un nouvel ordre mondial, maintenant que la Guerre froide est terminée, et l'Asie-Pacifique attire l'attention du monde entier parce que sa remarquable croissance économique en fait la région la plus dynamique. Les pays de cette région coopèrent plus étroitement que jamais, ce qui est dû en partie à des échanges économiques régionaux accrus, à un accroissement des échanges commerciaux et des investissements, aux progrès technologiques dans les transports et les télécommunications, et à la conscience de plus en plus vive d'une destinée commune qui les voue à vivre ensemble et à partager une même prospérité.

Et un peu plus loin:

[...] nous devrions assumer nos différences en vue de créer du neuf, au lieu de voir dans la diversité une source de conflits.

Plus loin, la déclaration prévoit ceci:

Ce que nous souhaitons, c'est l'unité dans la diversité de la région de l'Asie-Pacifique, en assurant le respect mutuel des coutumes, valeurs et traditions des divers pays tout en apprenant de nos expériences respectives et en cherchant un terrain commun sur lequel construire.

Pour assurer la prospérité générale de la région de l'Asie-Pacifique, il importe d'en arriver progressivement à un consensus par le dialogue et le respect des traditions des pays membres. Nous proposons par la présente de qualifier cette démarche progressive de «Façon Asie-Pacifique» comme principe directeur de toute l'humanité auXXIe siècle.

Les parlementaires du FPAP sont déterminés à faire de la communauté Asie-Pacifique un foyer commun où l'on peut mener une vie paisible et prospère. Et nous, parlementaires, qui avons une influence considérable sur l'élaboration de la politique dans nos pays respectifs, allons renforcer l'unité de la région et promouvoir la compréhension, la confiance et l'amitié entre nos divers pays afin de stimuler la collaboration en matière de politique régionale, de sécurité, d'économie et de culture, au moyen d'organisations interparlementaires régionales comme la FPAP, afin de résoudre et de prévenir les problèmes qui assaillent cette région.

Honorables sénateurs, le document décrit ensuite de façon plus détaillée des domaines spécifiques d'intérêt, dont la sécurité, l'économie, l'environnement, la loi et l'ordre, les droits de la personne, l'éducation et les échanges culturels, ce dernier présentant notamment un intérêt spécial pour deux de nos délégués à la conférence de Vancouver, soit Mme Anna Terrana et Mme Maud Debien.

(1640)

Cette organisation a vu le jour à la suite d'une initiative prise par le Japon, initiative que le Canada, les États-Unis et la plupart des membres actuels ont appuyée, à laquelle ils ont participé et qu'ils ont fait progresser. Le Japon se trouve dans une situation exceptionnelle. C'est un pays développé de l'Asie, un pays qui, comme le Canada et les États-Unis, possède une économie et une organisation sociale remarquables quant au partage de la richesse entre ses habitants. Le Japon a accompli cela surtout depuis la Seconde Guerre mondiale. À mon avis, ce qui est remarquable, ce n'est pas que le Japon soit la deuxième puissance économique du monde ou qu'il ait réussi à avoir une grande influence dans le monde entier en raison de ses industries couronnées de succès, mais bien qu'il se soit donné une économie et une société où les écarts de revenus entre les riches et les pauvres ne sont pas importants et que sa prospérité et ses nombreux autres aspects positifs résultent des décisions économiques qu'il a prises. Chaque année, les Nations Unies disent quels sont les meilleurs pays où vivre, et le Canada et le Japon se disputent souvent la première place. La plus remarquable réalisation de ce pays, c'est ce qu'il fait pour ses habitants et non, même si cela est également remarquable, le grand succès de son économie.

Le Japon est placé - je ne veux pas dire du point de vue géographique, bien que ce soit aussi le cas - entre la façade américaine de la région Asie-Pacifique et la partie asiatique. En tant que pays développé, il sert d'exemple aux autres pays asiatiques et de pont entre les valeurs occidentales, qu'il a, dans une large mesure, adoptées, et les valeurs traditionnelles de la région asiatique, qui sont en train de changer.

Le professeur Samuel Huntington, l'auteur d'un livre publié récemment, The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, dont il été beaucoup question dans un article publié dans la revue Foreign Affairs l'an dernier que bien des gens ont lu, précise que, durant la période de l'après-guerre froide, nous avons vu les trois principales composantes du monde - les pays non alignés, les pays occidentaux et le groupe communiste dirigé par les Russes et les Chinois - se fragmenter en de nombreuses parcelles culturelles comme l'Islam, l'Ouest, la Chine, le Japon, l'Inde, et que ces parcelles sont les nouvelles forces dirigeantes de notre époque. Sans souscrire à ce point de vue, je dois tout de même admettre que c'est une façon utile et controversée d'expliquer les changements qui sont survenus dans le monde. Un pays asiatique comme le Japon, qui se trouve entre deux cultures et qui possède une économie développée de type occidental, a un rôle d'intermédiaire à jouer.

Le Canada et les 24 autres pays membres du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique contribuent dans une large mesure à favoriser la compréhension du monde où nous vivons, qui est totalement différent du monde où nous avons vécu pendant si longtemps, durant la guerre froide. Par cette organisation et d'autres organisations parlementaires semblables, nous favorisons une meilleure compréhension de ce qu'il faut faire pour atteindre les objectifs sur lesquels nous nous sommes entendus à l'égard des droits de la personne et d'une plus grande libéralisation du commerce. En passant, cela crée toutes sortes de difficultés compte tenu des choix qu'il faut faire, comme nous l'a bien expliqué le sénateur Stollery, dans le discours provocant et édifiant qu'il a prononcé plus tôt aujourd'hui. Ces organisations restent néanmoins des points de convergence où beaucoup de travail peut être accompli.

Une autre organisation est bien sûr l'APEC, qui est un organisme permanent de haut niveau. C'est, pour le Canada, l'année de l'Asie et du Pacifique. Notre réunion du Forum parlementaire de l'Asie-Pacifique était le premier événement à contenu asiatique de l'année. De grands progrès sont réalisés aux échelons hiérarchiques supérieurs, mais il doit y avoir des échanges aux autres niveaux. Nous avons également vu des changements remarquables se produire et les contacts se multiplier dans le milieu des affaires, mais nous devons en faire autant au niveau parlementaire.

Honorables sénateurs, je vous ai livré quelques observations sur la récente rencontre à laquelle des parlementaires ont pris une part active. Nous avons commencé à travailler à l'organisation de cet événement il y a trois ans, et nos efforts ont culminé avec la tenue de la rencontre plus tôt cette année. Le communiqué conjoint a maintenant été déposé dans les deux Chambres.

J'espère que ces quelques observations concernant l'évolution du dossier vous auront intéressés et que cela nous donne une bonne idée de ce qui attend l'organisation dans l'avenir et des choses utiles qu'elle peut accomplir. Je vous encourage tous à vous y intéresser et, si vous en avez la possibilité, à prendre part à ses activités.

Je pourrais peut-être faire appel au sénateur Kinsella. Je crois que le sénateur Oliver aimerait dire quelque chose au sujet de cette interpellation. Si le débat pouvait être ajourné en son nom, je crois que ce serait utile.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné au nom du sénateur Oliver.)

L'ajournement

Permission ayant été accordée de revenir aux Avis de motions du gouvernement:

L'honorable B. Alasdair Graham (leader suppléant du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à mardi prochain, le 15 avril 1997, à 14 heures.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

(Le Sénat s'ajourne au mardi 15 avril 1997, à 14 heures.)

 


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