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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 36e Législature
Volume 137, Numéro 80

Le mardi 29 septembre 1998
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mardi 29 septembre 1998

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction

Nouveau sénateur

Son Honneur le Président informe le Sénat que le greffier a reçu du registraire général du Canada le certificat établissant que Vivienne Poy a été appelée au Sénat.

 

Présentation

Son Honneur le Président informe le Sénat que le sénateur attend à la porte pour être présenté.

L'honorable sénateur suivant est présenté, puis remet les brefs de Sa Majesté l'appelant au Sénat. Le sénateur, en présence du greffier, prête le serment prescrit et prend son siège.

L'honorable Vivienne Poy, de Toronto (Ontario), présentée par l'honorable B. Alasdair Graham, c.p., et l'honorable Lucie Pépin.

Son Honneur le Président informe le Sénat que l'honorable sénateur susmentionné a fait et signé la déclaration d'aptitude prescrite par la Loi constitutionnelle de 1867, en présence du greffier du Sénat, commissaire chargé de recevoir et d'attester cette déclaration.

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, quelqu'un a déjà dit que l'habit et les bonnes manières ne font pas l'homme, mais quand il est fait, ils en améliorent grandement l'apparence. Ceux de mes collègues qui songent à s'améliorer sur ces points mais ont remis cela à plus tard, en estimant que rien n'est laid pour qui aime, trouveront rassurant de savoir, si les conditions changent, que le sénateur Vivienne Poy, qui a un oeil créateur infaillible pour travailler avec l'essentiel, siège maintenant parmi nous.

Pour Vivienne Poy, styliste de mode, entrepreneure, auteure et historienne, l'aptitude à voir le monde dans un grain de sable a toujours été naturelle. Première Canadienne d'origine chinoise à être nommée au Sénat, elle représente une communauté dotée d'une riche culture historique. C'est une culture qui chérit la famille et la communauté, le labeur, le dévouement à autrui, des valeurs comme la paix, la collaboration et le respect du bien commun, la musique, la littérature et les arts.

Les Canadiens d'origine chinoise ont apporté un génie spécial à leur pays d'élection, de sorte qu'ils ont des représentants aux talents exceptionnels dans toutes les sphères d'activités au Canada, qu'ils soient artisans ou architectes, diffuseurs ou athlètes, biologistes moléculaires ou lieutenants-gouverneurs, ministres ou généticiens, journalistes ou entrepreneurs. À titre individuel, ils sont devenus de véritables agents de progrès dans la vie et la société canadiennes, tout en enrichissant les Canadiens et en solidifiant l'unité nationale.

Selon une remarque célèbre d'Yves Saint-Laurent, «les modes passent, mais le style est éternel». Le style s'appliquent à bien des choses, honorables sénateurs. Le style, c'est la grâce, la culture, l'esprit et l'esthétique. C'est tout cela que le sénateur Poy apporte au Sénat du Canada et elle y joint d'autres qualités fort précieuses. Elle a une profonde dévotion envers la famille et la collectivité. De même, c'est une femme qui se dévoue vigoureusement à l'éducation.

Vivienne Poy possède d'ailleurs une formation impressionnante qu'elle a acquise dans son pays d'origine, Hong Kong, ainsi qu'en Angleterre et au Canada. Le sénateur Poy siège aussi au conseil des gouverneurs de l'Université McGill et l'an dernier, l'Université de Toronto lui a décerné un prix pour services bénévoles exceptionnels. Parmi ses nombreuses activités communautaires, elle siège au conseil d'administration du Musée des beaux-arts du Canada et agit à titre de présidente d'honneur du centre culturel chinois du grand Toronto. Elle apporte au Sénat toutes ses qualités innées de leader, grâce auxquelles elle a reçu l'International Women's Day Award en 1996 et elle est devenue membre de Women Entrepreneurs of Canada.

Quelqu'un a dit que «l'universitaire cherche, mais l'artiste trouve». Chez le sénateur Vivienne Poy, nous apprécions l'esprit d'une universitaire qui cherche la vérité et l'âme d'une artiste qui la trouve. Au Sénat, où notre recherche du bien représente constamment un devoir et un privilège, nous trouverons dans le sénateur Poy une collègue pondérée, énergique et créative, oui, quelqu'un qui a du style.

Sénateur Poy, nous sommes heureux de vous accueillir au Sénat.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, je ne puis pas ajouter grand-chose à ce que le leader du gouvernement au Sénat a dit à propos de notre nouvelle collègue et de ses antécédents. Néanmoins, je tiens à mentionner que dans les notices biographiques qu'a distribuées le cabinet du premier ministre, il est indiqué qu'en 1981, le sénateur Poy crée sa propre entreprise, Mode Vivienne Poy, et connaît pendant 14 ans un succès remarquable. Il ne fait aucun doute à mes yeux que le fait qu'il y ait eu un gouvernement conservateur au pouvoir pendant neuf de ces années n'est pas pour rien dans le succès qu'elle a connu, un succès partagé par de nombreuses petites entreprises au Canada durant cette période.

Quand un sénateur est nommé, on veut généralement savoir quelles sont ses qualifications, contrairement à ce qui se passe lors de l'élection d'un député à la Chambre des communes où tout ce qui intéresse les gens, c'est de savoir à quel parti il est affilié. Aussi s'attend-on à ce que, quoi que l'on pense d'un Sénat nommé, les personnes nommées au Sénat apportent avec elles certaines qualités dont elles pourront faire profiter le Parlement. Et je n'hésite pas à le répéter chaque fois que j'en ai l'occasion, le fait que la diversité des antécédents, des talents, des connaissances et des engagements que l'on trouve au Sénat du Canada est au moins égale sinon supérieure à celle que l'on trouve au sein de n'importe quelle législature élue au Canada, qu'elle soit fédérale ou provinciale, le prouve. Je ne doute pas que les contributions du sénateur Poy au Sénat ne feront que confirmer ce fait indéniable.

(1420)

Sénateur Poy, nous vous adressons tous nos meilleurs voeux de succès dans vos nouvelles responsabilités.

 

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je tiens à vous signaler la présence à notre tribune de Son Excellence Rinchinnyamyn Amarjargal, ministre des Affaires étrangères de Mongolie, accompagné de sa femme, Mme Balormaa, et de Son Excellence Jalbuu Choinhor, ambassadeur de Mongolie au Canada.

Monsieur le ministre des Affaires étrangères et monsieur l'ambassadeur, nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat du Canada.

 

Le décès de l'honorable Florence B. Bird

Hommages

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, samedi dernier a eu lieu à Ottawa un service commémoratif en l'honneur d'une de nos anciennes collègues, feu Florence Bird, qui est décédée au mois de juillet de cette année.

Avant d'entrer au Sénat, Florence Bird a été pendant longtemps journaliste, d'abord de la presse écrite puis de la radio, et commentatrice de nouvelles au réseau anglais de la Société Radio-Canada de 1941 à 1967. Le nom de plume du sénateur Bird était Anne Francis. J'entends encore cette voix familière et ces mots célèbres: «Ici Anne Francis qui vous parle d'Ottawa».

Je recommande à tous les honorables sénateurs la lecture de l'autobiographie d'Anne Francis, publiée en 1974. Florence y raconte qu'elle est née avec une cuiller d'argent dans la bouche à Philadelphie, nous décrit son mariage avec John Bird, un Sud-Africain de naissance qui devait devenir un journaliste respecté basé à Ottawa du Financial Post avant d'occuper le poste de chef du service des nouvelles chez Southam.

Pendant la crise économique de 1929, Florence Bird a été témoin des longues queues pour toucher les bons de pain. C'est lorsqu'elle participa activement à l'effort de guerre qu'elle commença à utiliser un nom de plume, Anne Francis, inspiré du nom d'une arrière-grand-mère, pour éviter, a-t-elle toujours dit, que son mari ne soit ennuyé par ses idées féministes. Cependant, ceux et celles qui ont eu l'insigne honneur de connaître cette femme remarquable que le premier ministre Lester Pearson choisit, en 1967, pour diriger la première Commission royale sur la situation de la femme, diront peut-être que c'était également parce qu'elle avait besoin d'être perçue comme indépendante de son très estimé mari.

Lorsque que Florence Bird a été nommée au Sénat en 1978, elle avait déjà la réputation d'être une femme intemporelle et au-dessus des politiques de parti. J'étais l'un de ceux qui connaissaient bien sa passion pour les droits des minorités et son engagement de tous les jours envers les droits de la femme au Canada. Florence pouvait être coriace dans les échanges, sans pour autant se départir de ses qualités de coeur.

Elle a produit un des plus importants rapports de commission royale de notre époque, un rapport épuisé trois jours après sa publication. Il a vraiment sensibilisé les Canadiennes aux injustices du système, un système qui était si enraciné qu'il semblait presque impossible d'imaginer tout ce qu'il recelait d'intolérable.

À une autre occasion et sur un autre sujet, après le règlement de la fameuse affaire «personne» en 1929, Nellie McClung a vraiment touché le coeur de la question lorsqu'elle a dit:

 

Ce fut un choc pour bon nombre de femmes canadiennes qui n'avaient jamais su qu'elles n'étaient pas des personnes avant qu'on leur dise qu'elles l'étaient.
Honorables sénateurs, un choc de ce genre a secoué le pays à la suite du dépôt du rapport sur la situation de la femme. Les femmes, qui s'étaient vu traitées différemment pendant de longues années, ont commencé à voir l'étendue des injustices. Elles ne savaient pas qu'elles n'étaient pas des citoyennes à part entière avant qu'on leur affirme qu'elles l'étaient.

Florence Bird, qui est décédée le 18 juillet dernier, était un être humain magnifique. Elle a fait un travail magnifique auprès des réfugiés, des personnes âgées et des démunis. Elle avait un esprit d'équité modèle et une passion pour la vérité.

En cette veille du cinquantième anniversaire de l'affaire «personne» et de la commémoration des «Famous Five» qui ont assuré cette victoire, nous pensons à une femme qui a repris le flambeau de ces bagarreuses de l'Alberta, une femme qui vient d'une province où cet esprit belligérant continue de nous hanter. Oui, nous pensons à l'esprit de Florence Bird, cette femme marquée au sceau de l'intemporalité qui s'est élevée au-dessus des partis politiques.

Nous nous souvenons des paroles suivantes de Charlotte Whitton, ancien maire d'Ottawa:

 

Quoi qu'elle fasse, une femme se doit d'être au moins deux fois meilleure qu'un homme pour qu'on la considère deux fois moins bonne que lui. Heureusement, ce n'est pas si difficile.
Nous transmettons aux amis et à la famille de Florence Bird l'expression de nos plus sincères condoléances.

L'honorable Mabel M. DeWare: Honorables sénateurs, je prends la parole au nom de mes collègues de ce côté de la Chambre pour rendre hommage à la mémoire de l'honorable Florence Bird, décédée au mois de juillet.

Cette femme extraordinaire a fait profiter le Sénat de son temps et de ses talents de 1971 à 1983, cela avant l'arrivée ici de beaucoup d'entre nous. Cependant, la réputation de Florence Bird, une parlementaire dévouée, perdure. Moi-même, même si je n'ai pas eu le plaisir de la connaître personnellement, j'ai été témoin de ses efforts en faveur des Canadiennes pendant la plus grande partie de sa vie.

Florence Bird a travaillé comme journaliste pendant de nombreuses années, sous le nom de plume d'Anne Francis. Elle a surtout été commentatrice au réseau anglais de Radio-Canada de 1941 à 1967. Elle a également produit des documentaires sur les droits des femmes et les affaires internationales.

Du fait de son engagement en faveur des femmes, elle fut invitée à présider l'importante Commission royale d'enquête sur la situation de la femme, qui a remis son rapport en 1970. En grande partie en raison de son succès dans ce rôle, elle fut faite compagnon de l'Ordre du Canada en 1971, année où elle fut aussi nommée au Sénat.

Ses amis la décrivent comme une femme terre-à-terre, mais correcte. Même après sa retraite du Sénat, en 1983, Florence Bird a continué à travailler sans relâche et avec passion à l'amélioration du sort des femmes. Si l'on regarde l'évolution de la situation, on peut dire que, dans une large mesure, elle a réussi.

Honorables sénateurs, le Canada reste appauvri par la perte de Florence Bird, mais pourtant, il a été enrichi par son travail.

[Français]

L'honorable Lucie Pépin: Honorables sénateurs, c'est un privilège pour moi de dire quelques mots en hommage à l'honorable sénateur Florence Bird. Journaliste douée, amie dévouée du genre humain et championne infatigable des droits des femmes, le sénateur Bird était une Canadienne exceptionnelle qui a contribué à l'élargissement des droits et des perspectives des femmes au sein de la société canadienne.

Le sénateur Bird a donné un second souffle aux femmes de ce pays. Après Nelly McClung et Thérèse Casgrain, qui nous ont obtenu le droit de vote, Florence Bird, conjointement avec ses collègues de la commission, a travaillé avec acharnement à l'application de l'engrenage qui a généré tous les changements de la vie des femmes au Canada.

Nous nous souvenons tous et toutes de l'énergie avec laquelle Florence Bird a servi le peuple canadien mais surtout les femmes de ce pays. Son vif intérêt pour les droits de la personne et son expérience des affaires internationales lui ont été de précieux atouts dans l'accomplissement de ses fonctions parlementaires.

Toutefois, Florence Bird restera dans notre mémoire collective à cause de ses réalisations comme présidente de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada.

Forte de ses 20 ans d'expérience comme journaliste et communicatrice, Florence Bird a été la première à convaincre les médias de téléviser les audiences publiques de la commission d'un bout à l'autre du pays, amplifiant de ce fait la voix des femmes.

[Traduction]

(1430)

Les femmes au foyer, les enseignantes et les détenues vivent des vies bien différentes, mais un fil conducteur liait leurs expériences respectives. Leurs droits à toutes étaient en quelque sorte niés dans un monde bâti autour du privilège de l'homme. Les répercussions sur la société canadienne ont été à la fois profondes et irréversible. Les audiences de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme ont été un point tournant dans l'évolution de la conscience canadienne. Il était désormais impossible de rebrousser chemin. Les Canadiennes étaient déterminées à occuper une place différente dans leur société.

Honorables sénateurs, le rapport de la commission n'était rien de moins qu'un plan de changement social. Florence Bird et les autres membres de sa commission ont invité les gouvernements à tous les niveaux à prendre des mesures sur toute une gamme de problèmes juridiques, sociaux, sanitaires et économiques. Elles ont réclamé la création de commissions des droits de la personne pour protéger les droits individuels et des modifications aux lois sur les droits de la personne pour que le sexe devienne un motif de discrimination illicite. La commission a demandé que le mari et la femme deviennent égaux devant la loi, et des modifications du droit familial pour assurer un partage équitable du patrimoine familial.

La commission a formulé de vigoureuses recommandations demandant un accès plus facile à l'avortement, des congés de maternité payés, la parité de rémunération, des services de garderie et le rétablissement du statut autochtone pour des milliers de femmes et leurs enfants, qui avaient perdu leurs droits à cause de mesures législatives discriminatoires.

La commission a également réclamé la mise sur pied d'un conseil consultatif de la situation de la femme financé par l'État qui pourrait faire des recherches sur la condition féminine au Canada et donner en toute indépendance des conseils à ce sujet.

[Français]

C'est à cette époque que j'ai connu le sénateur Bird, lorsque j'étais vice-présidente et présidente du Conseil canadien de la situation de la femme. De plus, c'est à ce moment, en collaboration avec le bureau de Condition féminine Canada, que le «Persons Case», l'affaire «personne» a été instituée. Le bureau du sénateur Bird et celui du sénateur Yvette Rousseau étaient le refuge, la cour d'appel, le point de ralliement lorsque que nous désirions obtenir quelque chose du gouvernement et qu'il nous fallait des appuis.

Comme Thérèse Casgrain, le sénateur Bird venait d'un milieu social très privilégié qui ne lui aurait pas permis de connaître le quotidien des femmes si son intérêt à l'égard de la justice sociale ne l'avait pas motivée.

Je me suis attardée sur un seul aspect de la riche carrière de l'honorable sénateur Bird. La raison en est que, sans Florence Bird et son engagement indéfectible en faveur des droits des femmes et de la justice pour tous, les Canadiennes auraient été privées de bon nombre des droits et des possibilités d'épanouissement dont elles jouissent aujourd'hui.

[Traduction]

Florence Bird a toujours cru qu'il fallait rendre à la société ce qu'elle nous avait donné. À sa retraite, elle a ardemment défendu les droits des personnes âgées et donné généreusement de son temps à diverses causes, mettant sa grande expérience à leur disposition. Sa vigueur et sa façon de mordre dans la vie étaient de magnifiques exemples de l'inestimable contribution que peuvent faire les personnes âgées au sein de leur collectivité.

Nous avons tous une dette immense envers cette femme avant-gardiste et source d'inspiration.

L'honorable Joyce Fairbairn: Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre un moment aujourd'hui pour chanter les louanges de la regrettée Florence Bird et souligner ses réalisations ou simplement le rôle qu'elle a tenu dans la vie de notre pays.

Mes collègues se souviennent d'elle comme d'un ancien sénateur qui ajoutait beaucoup de crédibilité à l'image du Sénat par la substance et l'état d'esprit qu'elle donnait à ses débats durant le temps où elle y a occupé un siège, soit de 1978 à 1982. Sa contribution à notre pays, et surtout ce qu'elle a fait pour les femmes de notre pays, est légendaire.

Florence et son mari, John, étaient de mes amis. Ils m'ont prodigué soutien, encouragements et conseils enthousiastes à mon entrée à la tribune de la presse parlementaire, il y a 36 ans. Ils étaient tous deux journalistes et savaient se montrer compréhensifs. Ils étaient attentionnés, rieurs et à cheval sur leurs principes.

J'étais impressionnée par cette femme, que j'avais toujours connue sous le nom d'Anne Francis. J'avais été surprise d'apprendre qu'elle avait pris le nom de son arrière-grand-mère comme pseudonyme pour son travail. C'était un peu pour pouvoir mener une carrière sans qu'on la soupçonne d'avoir eu l'aide de son mari mais aussi, comme elle le disait avec un clin d'oeil, pour épargner à John le fardeau de l'une ou l'autre de ses déclarations publiques avec laquelle il n'aurait pas été d'accord.

Jeune fille, dans le sud-ouest de l'Alberta, j'écoutais avec fascination la voix d'Anne Francis à la radio de la SRC, en provenance d'Ottawa. Ma mère et toutes ses amies écoutaient cette voix depuis des années - non seulement parce qu'elle faisait du très bon travail d'analyse des enjeux nationaux, mais aussi parce que c'était la voix d'une femme articulée et compétente, à une époque où le journalisme était un monde d'hommes, surtout à la radio.

Elle a écrit, sous le nom de Florence, et parlé, sous le nom d'Anne, tant au Canada qu'à l'étranger. Partout où elle passait, elle établissait des normes d'excellence. Ses efforts partaient d'une grande préoccupation pour le bien-être des femmes, quel que soit leur milieu de vie.

Florence était une femme imposante, très grande, la tête auréolée par des cheveux blancs qui cherchaient constamment à s'échapper du chignon qu'elle se faisait pour les retenir. Elle avait de magnifiques yeux bleus et un accent de l'Université Bryn Mawr, vestige de sa jeunesse passée à Philadelphie, qui lui conférait un certain air patricien. Mais son sourire et son rire faisaient s'envoler toute impression de prétention.

Après avoir travaillé et vécu des années à Winnipeg, à Montréal et ailleurs dans le monde, les Bird se sont installés à Ottawa. Dans les années 50 et 60, ils ont été au centre des affaires publiques, ici, en raison de leur carrière journalistique et de la force même de leur personnalité. Florence s'est intéressée encore davantage aux efforts des femmes pour se tailler une place dans un monde du travail en rapide évolution. Ayant cheminé en solitaire pendant tellement d'années, elle a été consternée de voir les obstacles qui continuaient de s'élever, immuables, devant beaucoup d'autres femmes.

C'est avec un vif enthousiasme qu'elle avait accepté, en 1967, l'invitation du premier ministre de l'époque, Lester B. Pearson, de diriger la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme. Il s'agissait là d'une tâche révolutionnaire et d'une source d'inspiration. Grâce aux audiences remarquables tenues dans tout le pays, qui ont mené au rapport et aux167 recommandations qui ont changé notre vie, Florence s'est fait connaître comme le leader du mouvement féministe moderne au Canada. Jusqu'à la toute fin, elle s'est délectée de cet honneur.

Florence a donné une entrevue à quelques jours de son quatre-vingt-dixième anniversaire, en janvier dernier. Elle a dit avec humour:

Je suis une féministe impénitente. Pourquoi? Je ne peux imaginer aucune autre vocation pour une personne rationnelle.

Nous n'aurions pas pu avoir meilleure porte-parole. C'est animée de cet esprit qu'elle est arrivée au Sénat en 1978.

Plus tard la même année, son mari, John, est décédé. Elle avait dit qu'il était plus important à ses yeux que toute autre personne qu'elle avait connue. Dans ses dernières observations, lorsqu'elle a pris sa retraite du Sénat, elle a souligné la perte qu'elle avait ressentie, après 50 années de mariage solide. Elle avait alors exprimé sa gratitude à ses nouveaux collègues du Sénat pour leur compréhension et leur générosité, lorsqu'ils l'avaient aidée à sortir de sa tristesse et à entreprendre une nouvelle étape de sa carrière.

(1440)

Elle a contribué à notre institution de façon forte et déterminée, mettant au premier plan les causes qu'elle avait défendues toute sa vie: des pensions équitables pour les hommes et les femmes; le soutien aux familles; l'aide aux enfants à risque à cause de la pauvreté et de l'abus; et, toujours, l'égalité des chances pour les femmes, quel que soit leur statut, quel que soit l'endroit où elles habitent, qu'elles soient au foyer ou sur le marché du travail.

Honorables sénateurs, ses discours durant les débats constitutionnels du début des années 80 exprimaient de façon éloquente sa passion pour son pays et sa ferme croyance dans une Charte des droits et libertés pour tous les Canadiens.

Elle croyait aussi fermement dans le Sénat lui-même et, jusqu'à la fin, a préconisé des changements pour que nous soyions tous plus efficaces dans notre travail au nom des Canadiens. Ses dernières paroles au Sénat ont été les suivantes:

Je crois qu'il est de notre devoir de veiller à ce que notre grand pays demeure fort et uni pour tous les Canadiens.

Elle a été honorée souvent pour toutes ses réalisations. Elle a notamment été décorée de l'Ordre du Canada et a reçu le Prix de l'affaire «personne» en mémoire des cinq pionnières de l'Alberta qui ont ouvert les portes du Sénat aux femmes, en 1929.

Honorables sénateurs, puisque nous offrons aujourd'hui nos plus sincères condoléances aux parents et amis de Florence, je dois signaler que, même si John et elle n'avaient pas d'enfants, elle avait néanmoins une très grande famille qui l'adorait grâce au leadership qu'elle a offert aux femmes de notre pays.

Je suis une de ses «filles». En privé, je l'appelais toujours Anne, à sa plus grande joie, et je me souviendrai toujours d'elle avec admiration, gratitude et beaucoup d'affection.

L'honorable Peter A. Stollery: Honorables sénateurs, je veux rendre hommage à la mémoire de la remarquable Florence Bird. En 1955, lorsque j'ai rencontré Florence Bird pour la première fois, j'ai confondu le nom «Anne Francis» avec «Arlene Francis», qu'on voyait à l'émission What's My Line. Je me souviens d'avoir entendu mon père dire que je devrais rencontrer cette femme remarquable, Anne Francis, et je me demandais comment il avait pu faire la connaissance d'Arlene Francis de What's My Line.

Je ne me doutais guère, à mon arrivée au Sénat en 1980, que je prendrais place derrière Florence Bird et que j'aurais l'occasion de me lier d'amitié avec elle et de découvrir à quel point elle était quelqu'un de sensible, de profond.

Je n'ai jamais oublié Florence. Elle a été l'une des personnes les plus extraordinaires que j'aie jamais rencontrées. Je considère comme un insigne honneur et un grand plaisir d'être devenu ami avec elle au Sénat, où l'on rencontre parfois des gens assez singuliers. Elle était certainement l'un d'eux.

Je m'en voudrais de ne pas prendre la parole aujourd'hui pour rendre hommage à une remarquable ancienne collègue.

L'honorable Joan Fraser: Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi que d'ajouter ma voix aux hommages rendus à Florence - journaliste, féministe, membre d'une commission royale et sénateur. Florence Bird était un amalgame d'intelligence, de charme, de passion et d'énergie sans bornes. Par son travail à titre de présidente de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada, elle a contribué à la libération de toutes les femmes de ma génération et à la création d'un monde nouveau pour nos filles.

Elle n'avait que 19 ans quand elle a rencontré celui qui allait devenir son mari, John Bird. Quand il lui faisait la cour, il lui récitait des vers en latin. Elle a écrit dans son journal:

John Bird dit que j'ai beaucoup d'étoffe. Il pense que je peux devenir quelqu'un si je travaille fort.

John avait raison. Elle avait vraiment de l'étoffe.

John et elle sont venus au Canada en 1930 et, à Montréal, ils se sont liés d'amitié avec une génération de brillants Canadiens, des gens comme Norman Bethune, Frank et Marian Scott, Eugene Forsey, Carl Goldenberg et Blair Fraser.

Quand elle est devenue journaliste, elle est sortie de façon spectaculaire du ghetto auquel les femmes journalistes étaient confinées. Ce n'est qu'après s'être bien établie comme analyste des affaires internationales qu'elle s'est mise à rédiger des articles de cuisine. Ce n'était pas l'itinéraire normal de carrière pour les journalistes à l'époque, mais elle nous a ouvert la voie.

Il est difficile maintenant de se souvenir de ce qu'était la situation en 1967 lorsque Florence Bird a été nommée présidente de la fameuse Commission royale d'enquête sur la situation de la femme. Laissez-moi vous donner trois exemples. En droit, il n'existait pas de droit légal à l'avortement au Canada. Dans le monde du travail, il était presque universellement accepté que, comme une petite fille l'a dit à un membre du personnel de la commission, un patron est un «il», pas une «elle». Au Parlement, il y avait en tout et pour tout une femme à l'autre endroit et quatre au Sénat.

Beaucoup d'entre nous se rappelleront probablement à quel point la création de la commission royale avait été accueillie avec dérision d'un océan à l'autre. Le Ottawa Journal, par exemple, avait parlé avec condescendance de «ces filles». Le Vancouver Sun avait dit que la commission était probablement condamnée à servir de «mur des lamentations pour tous les papes écervelés, mécontents et frustrés en jupons».

Cependant, Florence Bird et ses six consoeurs commissaires ont persévéré. Elles ont reçu près de 500 mémoires et un millier de lettres, et elles ont mené une trentaine d'études, je crois. Surtout, elles ont tenu des audiences dans tout le Canada.

[Français]

Tout comme cela a été le cas avec l'autre grande enquête de l'époque, la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, ces audiences ont réveillé le pays. Les commissaires ont entendu des témoins experts et des femmes qui racontaient des histoires souvent tragiques. Je pense, par exemple, à une jeune femme qui avait voyagé 500 milles pour dire une seule chose aux commissaires: il ne faut pas obliger une jeune fille de 13 ans à se marier juste parce qu'elle est enceinte.

[Traduction]

Lorsque la commission a présenté son rapport galvanisant en 1970 - et grâce à son travail - l'attitude à l'égard des questions féminines avait dramatiquement changé. Le même Ottawa Journal qui avait parlé de «ces filles» a qualifié le rapport de «calme, délibéré. Lucide [...] d'une pertinence presque criante». Les recommandations de la commission allaient de l'établissement d'un congé de maternité à la reconnaissance des droits des femmes autochtones en passant notamment par les pensions. Elles n'ont évidemment pas toutes été mises en oeuvre en même temps, mais elles ont presque toutes été mises en pratique d'une façon ou d'une autre au fil des années.

Les Canadiennes peuvent vraiment dire qu'il suffit de regarder autour de soi pour voir un monument à Florence Bird. Celle-ci a été couverte d'honneurs bien mérités et elle a vu le monde amélioré grâce à son travail. Nous qui l'avons suivie lui serons éternellement reconnaissantes.

 


[Français

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L'Université d'Ottawa

Le Cent cinquantième anniversaire de sa fondation

L'honorable Gérald-A. Beaudoin: Les grandes démocraties ont beaucoup de respect pour leurs institutions.

La semaine dernière, l'Université d'Ottawa célébrait le 150e anniversaire de sa fondation. Les greffiers Paul Bélisle, Robert Marleau et le bibliothécaire du Parlement, Richard Paré, ont fait une convocation spéciale au Parlement pour célébrer entre nos murs cet événement. Je désire les féliciter et les remercier. Le recteur Marcel Hamelin, le président du Bureau des gouverneurs, M. Richard Bertrand, le vice-recteur, M. Jean-Michel Beillard et le secrétaire, Pierre-Yves Boucher, ont rehaussé la cérémonie de leur présence.

Le même jour, l'honorable André Ouellet dévoilait un timbre commémoratif pour l'Université d'Ottawa.

[Traduction]

(1450)

L'Université d'Ottawa est unique en Amérique du Nord. Cette université est bilingue. Sa faculté de droit est non seulement bilingue, mais encore bijuridique. La common law est enseignée en français et en anglais et le droit civil l'est aussi désormais. À mon avis, cela est aussi unique en Amérique du Nord, sinon dans le monde entier.

[Français]

Plusieurs diplômés de l'Université d'Ottawa oeuvrent au Parlement à tous les paliers. Je suis fier d'avoir été doyen de la faculté de droit pendant dix ans et professeur titulaire pendant 20 ans, d'avoir dirigé le Centre des droits de la personne de 1986 à 1988 et d'être devenu professeur émérite depuis 1994.

Bravo à l'Université d'Ottawa, longue vie à l'Université d'Ottawa. Long live the University of Ottawa.

[Traduction]

 

Les anciens combattants

La reconnaissance des droits des anciens combattants de la marine marchande

L'honorable Norman K. Atkins: Honorables sénateurs, à l'instar de nombreux autres sénateurs, je suis inquiet de la situation qui prévaut actuellement sur la colline parlementaire, où deux membres âgés de l'Association des anciens combattants de la marine marchande ont entamé une grève de la faim.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces braves Canadiens luttent pour la reconnaissance et l'égalité avec leurs frères et soeurs anciens combattants des trois forces armées. Ils ont fait preuve de beaucoup de résolution, mais ont obtenu peu de résultats depuis 1945, il y a déjà 53 ans. Je n'approuve pas les grèves de la faim, mais au-delà de ce fait, nous devons reconnaître que les mesures extrêmes de ce genre sont le résultat d'une frustration extrême engendrée par l'inaction gouvernementale.

Tout récemment, la Caisse de bienfaisance de la Marine royale canadienne a reconnu les anciens combattants de la marine marchande comme membres de la marine canadienne et, à ce titre, elle accorde une aide à ceux qui en font la demande et y sont admissibles. La caisse de bienfaisance a été créée en 1943.

Les honorables sénateurs se souviendront que l'ancien sénateur Jack Marshall, qui est maintenant grand président de la Légion royale canadienne, a oeuvré inlassablement pour la reconnaissance et l'égalité des anciens combattants de la marine marchande et qu'il avait déposé un projet de loi d'initiative parlementaire à cette fin. Malheureusement, le Président avait jugé qu'il s'agissait d'un projet de loi financier et la mesure avait été rejetée à l'issue d'un vote. Je rappelle que j'avais voté contre la décision du Président, comme de nombreux sénateurs libéraux qui siègent encore ici aujourd'hui.

Honorables sénateurs, c'est en partie grâce à la détermination du sénateur Marshall que le ministre des Affaires des anciens combattants du gouvernement Mulroney, l'honorable Gerald Merrithew, a présenté, en 1992, le projet de loi C-84, Loi sur les avantages liés à la guerre pour les anciens combattants de la marine marchande et les civils. Cette mesure a remédié à de nombreuses injustices, mais elle n'a pas mis un terme au traitement inégal appliqué aux anciens combattants de la marine marchande. Ces derniers ne sont pas encore traités sur le même pied que les autres anciens combattants et ils attendent toujours d'être indemnisés.

Comment aurait-on pu savoir que le projet de loi C-84 aurait dû préciser, par exemple, que le jour du Souvenir, les anciens combattants de la marine marchande étaient autorisés à placer une couronne? Ce manque de sensibilité à l'égard de ceux qui ont sacrifié leur vie dépasse l'entendement.

Honorables sénateurs, la mesure législative présentée en juin par le sénateur Forrestall sous le nom projet de loi S-19, Loi sur la reconnaissance des services de guerre de la marine marchande, vise à redresser certains torts du passé. S'il prend force de loi, son préambule retracera les exploits des anciens combattants de la marine marchande. Il pourra même servir d'excuse à leur égard.

Le projet de loi S-19 demande que, à l'avenir, toutes mesures législatives du gouvernement accordent aux anciens combattants de la marine marchande les mêmes avantages qu'aux autres anciens combattants et leur garantissent d'être traités sur un pied d'égalité. Il leur accorde leur juste place dans les cérémonies commémoratives, ce qui aurait dû être fait depuis longtemps.

Ce projet de loi n'est pas de nature financière. C'est une déclaration de droits, une mesure de promotion de la justice sociale. Le projet de loi S-19 est un acte de reconnaissance. J'espère que tous mes collègues l'appuieront.

Honorables sénateurs, on me dit que le ministre des Anciens combattants s'apprête à présenter un projet de loi omnibus qui mettrait fin à toute discrimination à l'endroit des anciens combattants de la marine marchande, mais on ne l'a toujours pas vu. Il se fait attendre. J'espère qu'il sera déposé sous peu car, autrement, il y a ici deux anciens combattants de la marine marchande qui sont tellement frustrés qu'ils sont prêts à passer à l'action pour obtenir qu'on accorde à leurs collègues la reconnaissance et la compensation qui leur sont dues.

Son Honneur le Président: Je regrette de devoir interrompre le sénateur, mais il a dépassé de beaucoup le temps qui lui était alloué.

La permission de poursuivre est-elle accordée à l'honorable sénateur?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Atkins: Tant que cette question ne sera pas réglée de façon équitable, les Canadiens auront sous les yeux le spectacle navrant d'anciens combattants âgés mettant leur santé en danger devant le Parlement. Je trouve cela inacceptable et je suis certain que les honorables sénateurs et tous les Canadiens trouvent cela tout aussi inacceptable que moi.

Honorables sénateurs, le moment est venu de confronter notre passé et de corriger nos erreurs avant que les plus de 2 300 anciens combattants de la marine marchande ne commencent à disparaître. Il faut qu'ils sachent que leur sort nous tient à coeur et que nous apprécions à leur juste valeur les efforts qu'ils ont déployés au nom de notre liberté.

 

Les droits de la personne

La suppression des libertés civiles des Canadiens lors du sommet de l'APEC

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint suppléant de l'opposition): Honorables sénateurs, la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Constitution du Canada, contient certaines libertés fondamentales qui ont été étendues à tout le territoire canadien au fil des ans par la coutume et la loi. L'article 2 de la Charte porte que toute personne jouit du droit de réunion pacifique et d'association.

Honorables sénateurs, ces libertés fondamentales, combinées avec la liberté d'expression - libertés fondamentales chéries par les Canadiens -, constituent des outils essentiels utilisés par les citoyens pour se réunir afin de faire entendre leur voix. Peu importe où et quand des Canadiens s'assemblent légalement pour s'opposer à des actions gouvernementales précises, ils ne doivent pas être mis en danger ni tomber victimes d'abus de la part des forces policières.

Honorables sénateurs, le devoir du Parlement est d'agir lorsque les droits de la personne sont violés. Dans le passé, nous avons assisté à des incidents comme la «loi du cadenas» de 1937 et les règlements des années 50 qui limitaient les droits des Témoins de Jéhovah. Malheureusement, en novembre dernier, nous avons été témoins de l'incident qui a eu lieu lorsque des étudiants se sont réunis pour protester contre la présence du président indonésien Suharto au sommet de l'APEC.

Ce que le Parlement doit faire, honorables sénateurs, c'est déterminer si la GRC a porté atteinte aux droits civils des Canadiens et si cela s'est fait sur les ordres du cabinet du premier ministre. Le Parlement doit se porter à la défense des libertés civiles des Canadiens. Il est inacceptable que les droits et libertés de tant de Canadiens aient été sacrifiés pour ne pas blesser l'orgueil d'un dictateur étranger reconnu pour ses violations des droits de la personne.

En novembre dernier, les droits des Canadiens ont été foulés aux pieds pour plaire à un dictateur reconnu pour bafouer les droits de la personne. Le Parlement doit agir maintenant et le Sénat doit déterminer si ses comités doivent faire enquête sur les événements du sommet de l'APEC.

 


(1500) 

AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à la protection de la vie privée

Dépôt du rapport annuel

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer le rapport du commissaire à la protection de la vie privée pour la période ayant pris fin le 31 mars 1998.

 

L'ajournement

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à demain, le mercredi 30 septembre 1998, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

 

Sécurité et services de renseignement

Autorisation au comité spécial de reporter la date de présentation de son rapport final

L'honorable William M. Kelly: Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)i) du Règlement, je propose:

Que, par dérogation à l'ordre adopté par le Sénat le 26 mars 1998, le comité sénatorial spécial de la sécurité et des services de renseignement, autorisé à recueillir des témoignages et étudier certaines questions concernant la menace du terrorisme pour le Canada et les activités antiterroristes du gouvernement du Canada, examine l'étendue des menaces à l'échelle internationale, et plus particulièrement la menace du terrorisme pour le Canada, et fasse rapport à ce sujet; examine dans quelle mesure le gouvernement du Canada a donné suite aux recommandations du rapport du comité spécial sur le terrorisme et la sécurité publique (juin 1987) et du rapport du comité spécial sur le terrorisme et la sécurité publique (juin 1989), et fasse rapport à ce sujet; examine la capacité du gouvernement du Canada d'évaluer les menaces en ce qui concerne le terrorisme, et présente des recommandations à ce sujet; et examine le rôle directeur des ministères et organismes du gouvernement du Canada qui ont des responsabilités antiterroristes, leur état de préparation et le contrôle dont ils font l'objet, soit habilité à présenter son rapport final au plus tard le 30 novembre 1998; et

Que le comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Son Honneur le Président: Permission accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

 

La Loi sur les juges

Avis de motion tendant au renvoi d'une disposition du projet de loi modificatif au comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, conformément à l'alinéa 58(1)f), je donne avis que je proposerai:

Que, les sénateurs souscrivant à la hausse de traitement proposée à l'endroit des juges visés par l'article 96 de la loi et souhaitant examiner et adopter sans tarder la disposition en question, soit l'article 5 du projet de loi C-37, Loi modifiant la Loi sur les juges et d'autres lois en conséquence, le Sénat ordonne au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles de scinder le projet de loi C-37 et d'en examiner et adopter l'article 5, relatif à la hausse de traitement, séparément et indépendamment des autres dispositions du projet de loi afin de faciliter et de hâter l'adoption de ladite hausse de traitement par le Sénat tout en permettant au comité d'examiner soigneusement le reste du projet de loi.

 

L'Alberta

L'existence d'un état politique à l'intérieur du Canada-Avis d'interpellation

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, je donne avis que jeudi prochain, le 1er octobre 1998, j'attirerai l'attention du Sénat sur la situation politique de l'Alberta au sein du Canada.

 


PÉRIODE DES QUESTIONS

La justice

L'enquête sur la vente d'avions Airbus à Air Canada-L'état de la question en ce qui concerne la lettre envoyée aux autorités suisses-La possibilité d'un retrait ou d'une négation-La position du gouvernement

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, le 29 septembre est le troisième anniversaire de la date de l'infâme lettre que le ministre de la Justice et procureur général du Canada a envoyée au ministre de la Justice de la Suisse et dans laquelle il accusait trois Canadiens, y compris l'ancien premier ministre Mulroney, de s'être livrés à des activités criminelles.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il me dire si le document est toujours valide et entre les mains des autorités suisses ou s'il a été retiré?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, comme mon honorable collègue le sait à la suite de discussions précédentes au Sénat, cette question est entre les mains de la GRC. Le retrait ou non de cette lettre dépendra de la recommandation de la GRC. Je ne suis pas au courant d'une recommandation à ce sujet, mais je vais certes me renseigner pour mon honorable collègue et pour mon propre compte.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, cette lettre n'a pas été envoyée par la GRC mais bien sur du papier à en-tête du ministère de la Justice et a été signée par Kimberly Prost, une avocate chevronnée du ministère. Pourquoi la GRC a-t-elle besoin de s'occuper de cette affaire quand nous savons que la lettre a été envoyée par le ministère de la Justice? Pourquoi le ministère de la Justice ne prendrait-il pas la décision de retirer ou pas cette lettre?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, mon honorable collègue sait pertinemment que dans le protocole d'entente signé entre les parties en cause, c'est-à-dire le gouvernement, la GRC et l'ancien premier ministre Mulroney, il était entendu de façon implicite que l'enquête se poursuivrait. Il revient à la GRC de déterminer à quel moment elle se terminera.

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, la GRC et le gouvernement ont présenté des excuses pour le contenu de la lettre et ont dû verser des dommages et intérêts importants à la suite de cette accusation calomnieuse qui, depuis, a été trouvée tout à fait non fondée. Pourquoi n'a-t-on pas retiré la lettre? Laissons l'enquête se poursuivre, mais pourquoi de fausses allégations sont-elles toujours entre les mains des autorités suisses?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je porterai cette question à l'attention de mes collègues.

 

Les finances

Le licenciement de l'actuaire indépendant chargé d'étudier le Régime de pensions du Canada-Demande de faits nouveaux

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et fait suite à une question que j'ai posée la semaine dernière. Le ministre des Finances a récemment avoué qu'il était au courant des divergences de vues qui existaient entre le surintendant des institutions financières et l'actuaire en chef du Régime de pensions du Canada, Bernard Dussault. Le refus du gouvernement de s'attaquer aux problèmes découlant de ces divergences et son refus de reconnaître à la première occasion l'existence même de ces divergences illustrent le mépris total manifesté à l'égard de la recherche importante effectuée par cet actuaire.

Comme l'honorable sénateur Graham l'a déclaré la semaine dernière, cet organisme est indépendant du gouvernement et était sur le point de diffuser un rapport crucial pour tous les Canadiens, et il aurait été dans l'intérêt du ministre de veiller à ce que rien, et surtout pas des divergences de vues d'ordre professionnel, ne fasse obstacle à l'évolution de ce dossier.

Le ministre peut-il nous dire si, oui ou non, les mesures prises par le surintendant des institutions financières ne constituent pas indubitablement une tentative pour contrôler et manipuler des renseignements, notamment des renseignements qui n'auraient pas été favorables à l'endroit du gouvernement?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il serait plus utile de poser la question au surintendant des institutions financières.

Le sénateur Berntson: Ne siège-t-il pas à cette Chambre?

Le sénateur Graham: Même s'il ne siège pas à cette Chambre, sénateur Berntson, j'informe les honorables sénateurs que le surintendant des institutions financières sera disponible mercredi afin de discuter publiquement du licenciement de l'actuaire en chef du RPC mercredi. À l'instar des journalistes, les sénateurs d'en face qui le désirent pourront lui poser des questions à ce moment-là.

 

Les observations de l'actuaire chargé d'étudier la caisse du régime d'assurance-emploi-La position du gouvernement

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, j'ai une question complémentaire qui fait également suite à la question que j'ai posée la semaine dernière. Les honorables sénateurs ne sont pas sans savoir que l'actuaire en chef de la caisse de l'assurance-emploi, Michel Bédard, a envoyé, par courrier électronique, des messages à ses collègues au sujet de l'excédent de la caisse, dans lesquels il espérait que le ministre des Finances, Paul Martin, déciderait de ne pas outrepasser la loi afin de consacrer l'excédent à d'autres priorités. Il écrivait:

J'espère que l'ensemble des actuaires n'appuieront pas le principe selon lequel le gouvernement pourrait utiliser l'excédent au titre de l'assurance-emploi pour acheter des sous-marins, réduire l'impôt sur le revenu des particuliers ou améliorer les soins de santé, pas plus que la caisse du RPC...

Les gestes posés par l'actuaire du régime d'assurance-emploi pourraient-ils être considérés comme des divergences de vues sur le plan professionnel? M. Bédard sera-t-il à la recherche d'un nouvel emploi dans les semaines qui viennent?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Non, honorables sénateurs. M. Bédard a naturellement droit à ses opinions. L'actuaire en chef fournit à la commission une analyse financière de la caisse d'assurance-emploi. Ses opinions sont toujours bien accueillies.

 

L'agriculture

Le rapport du vérificateur général sur l'effet du Programme des avances en espèces sur les agriculteurs-La position du gouvernement

L'honorable Mira Spivak: Honorables sénateurs, le chapitre 11 du rapport du vérificateur général passe en revue le Programme des avances en espèces du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. Comme les sénateurs le savent, le Parlement a récemment adopté la Loi sur les programmes de commercialisation agricole, qui actualise les avances en espèces consenties aux agriculteurs. Dans le cadre de l'examen législatif qui a conduit à la réorganisation de ce programme, le vérificateur général a exprimé la crainte que le ministère n'aie pas communiqué toutes les études et évaluations internes portant sur l'efficacité du programme en question du point de vue de l'atteinte des buts et objectifs fixés.

Le ministère n'a pas encore démontré que le programme a permis d'améliorer les possibilités de commercialisation et l'accès des agriculteurs à du crédit. Comme il s'agit d'une question de transparence et de responsabilité envers le Parlement comme envers les intervenants concernés, le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire, s'il le sait, pourquoi ces évaluations internes n'ont pas été communiquées?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je ne sais pas pourquoi l'évaluation n'a pas été communiquée. Je vais cependant essayer de trouver une réponse à la question de l'honorable sénateur.

J'ajouterais que le gouvernement est toujours heureux de prendre connaissance des recommandations constructives du vérificateur général.

Le sénateur Spivak: Le vérificateur général a également fait remarquer que des données non scientifiques donnent à penser que, compte tenu de l'effet du programme sur les marges de crédit d'exploitation que les banques accordent aux agriculteurs, il est plausible que le Programme des avances en espèces ne contribue guère à l'atteinte d'un des ses buts, soit celui d'accroître le crédit mis à la disposition des producteurs. Le ministère n'a pas répondu de façon précise à cette préoccupation exprimée dans le rapport. Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il essayer, par ses bons offices, de nous obtenir auprès de ses collègues une réponse plus détaillée à cette préoccupation soulevée par le vérificateur général?

Le sénateur Graham: Comme les honorables sénateurs le savent, le gouvernement a centralisé les activités de recouvrement en transférant la responsabilité à l'égard du recouvrement pour défaut de paiement de la Commission canadienne du blé à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Cela devrait avoir pour effet d'accroître l'efficacité du recouvrement.

Si je peux me permettre un commentaire, la nouvelle Loi sur la commercialisation agricole met en application plusieurs dispositions qui aideront à prévenir les défauts de paiement. Parmi ces dispositions, notons l'obligation imposée aux producteurs défaillants de payer tous les frais de recouvrement ainsi que l'interdiction d'accorder d'autres avances aux producteurs défaillants. Ces mesures visent non seulement à assainir les finances, mais aussi à garantir la plus grande transparence possible.

Le sénateur Spivak: Honorables sénateurs, au Canada comme ailleurs, la situation des agriculteurs est alarmante. Leur revenu n'a pas augmenté depuis les années 70 et, dans certains cas, il a même diminué considérablement. J'espère que tous les moyens seront mis en oeuvre pour faire en sorte que le nombre de défauts de paiement diminue.

 

La santé

La nouvelle société responsable du sang-La conformité avec les recommandations de la commission Krever-La position du gouvernement

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, la nouvelle Société canadienne du sang a commencé à exercer son activité. Je profite de l'occasion pour encourager le gouvernement à clore ce dossier et à compenser tous ceux qui doivent l'être, comme l'a mentionné le juge Krever dans son rapport.

Ce qui me préoccupe, c'est que dans tous les communiqués de presse de la société, il est précisé que les recommandations du juge Krever n'ont pas été appliquées dans le cas de la nouvelle société. En fait, tous les communiqués précisent que la Société du sang continuera de fonctionner comme le faisait la Croix-Rouge et qu'il n'y aurait aucune différence marquée pour l'instant. Les porte-parole de l'organisme ont dit qu'ils espéraient donner suite aux recommandations de la commission Krever à une date ultérieure.

Compte tenu qu'il y a eu amplement de temps pour étudier le rapport Krever, je pose les questions suivantes au leader du gouvernement au Sénat: pourquoi certaines questions restent-elles sans réponse en ce qui a trait à l'approvisionnement sanguin au Canada? Pourquoi les recommandations de la commission Krever n'ont-elles pas été appliquées? Le gouvernement a-t-il pris des mesures pour s'assurer que ces recommandations soient mises en oeuvre, afin que les Canadiens n'aient pas à subir d'autres préjudices découlant de mesures prises par la nouvelle société?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, premièrement, le gouvernement est heureux de voir que la nouvelle Société canadienne du sang est maintenant en activité. Nous souhaitons bonne chance à la nouvelle équipe de gestion et à tous les employés de la nouvelle société, durant cette période de transition difficile, ainsi qu'au cours des mois à venir.

Le Programme des produits thérapeutiques de Santé Canada a travaillé en étroite collaboration avec les nouveaux responsables afin de s'assurer que le transfert du système d'approvisionnement sanguin se fasse d'une façon qui ne compromette pas la sécurité et la qualité du sang et des composants sanguins.

Les changements opérationnels proposés par la nouvelle société ont été étudiés et améliorés par le Programme des produits thérapeutiques. En outre, des inspections ont été effectuées partout au pays pour s'assurer que les employés des centres de collecte du sang soient prêts pour le transfert des opérations.

Maintenant que le nouveau système est en place, j'espère que les préoccupations soulevées par le sénateur Andreychuk seront prises en considération en temps utile. Nous voulons donner à la nouvelle société le temps nécessaire pour être opérationnelle. Je suis convaincu que la société tiendra compte de toutes les préoccupations formulées par l'honorable sénateur aujourd'hui.

Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, étant donné que la responsabilité de l'erreur incombe toujours au gouvernement fédéral, celui-ci s'engage-t-il à assumer la responsabilité de tout préjudice qui pourrait être causé aux Canadiens à compter de maintenant? Il s'est écoulé suffisamment de temps pour mettre en place la nouvelle société et pour mettre en oeuvre les recommandations formulées. Le public ne devrait plus devoir courir des risques. Le gouvernement va-t-il prendre cet engagement?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je suis convaincu que l'on tiendra compte de ces préoccupations en temps utile.

 

Les finances

Le rapport du vérificateur général sur la nouvelle Stratégie d'information financière-La position du gouvernement

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Selon le vérificateur général, l'information financière au sein du gouvernement fédéral est toujours d'une qualité nettement inférieure aux normes acceptables dans le secteur privé. Le vérificateur général craint que le gouvernement ne possède pas les systèmes qui pourraient lui fournir l'information sur les coûts dont il a besoin pour fixer les frais d'utilisation de façon appropriée. Il dit que le processus de remplacement des systèmes comptables archaïques du gouvernement avance trop lentement et note dans son communiqué de presse qu'il ne faut plus tarder. Il est d'avis que la priorité doit être donnée à la mise en oeuvre de la Stratégie d'information financière.

Or, le Conseil du Trésor répond que l'intégration du nouveau système d'information financière prendra du temps car «elle nécessite non seulement une amélioration de l'information disponible, mais également une nouvelle culture».

Honorables sénateurs, on nous dit ensuite qu'établir un cadre de formation pourrait contribuer à l'atteinte de cet objectif.

Devons-nous croire que le principal obstacle à l'amélioration de notre système comptable, une politique annoncée dans le budget de 1995, est l'incapacité du gouvernement de gérer et diriger ses hauts fonctionnaires?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Non, honorables sénateurs, absolument pas. Comme je l'ai dit, le gouvernement est heureux de connaître l'avis du vérificateur général. Il y a parfois des divergences d'opinions sur l'opportunité de respecter les procédures comptables. Il est arrivé toutefois que nous tenions compte de tous les avis exprimés aujourd'hui par le vérificateur général et nous continuerons de le faire à l'avenir.

(1520)

Le sénateur Lynch-Staunton: Seulement lorsque vous êtes d'accord avec lui. Demandez à Paul Martin.

Le sénateur Stratton: Il semble que cela prend beaucoup de temps. Je rappelle au leader que c'était en 1995 et que nous sommes maintenant en 1998.

Le vérificateur général souligne également le besoin de passer à une comptabilité d'exercice. La réponse du gouvernement est que tous les intéressés, y compris le Parlement, doivent être consultés. Le gouvernement songe-t-il à tenir de telles consultations? Dans l'affirmative, quand les tiendra-t-on? Le leader du gouvernement peut-il garantir au Sénat que les deux Chambres du Parlement y participeront?

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, des consultations se tiennent sur une base permanente. Si les sénateurs désirent, individuellement ou collectivement, présenter leurs vues, nous disposons des mécanismes nécessaires au Sénat pour faire exactement ce que le sénateur Stratton suggère.

 

Les affaires indiennes et du Nord canadien

Le rapport du vérificateur général sur les revendications territoriales-La position du gouvernement

L'honorable Janis Johnson: Honorables sénateurs, ma question porte également sur le rapport du vérificateur général. Le vérificateur général, Denis Desautels, dit que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien fait traîner en longueur le règlement des revendications territoriales des Premières nations. Il constate également que le ministère a un système très faible pour établir les montants, la valeur des terres et les autres ressources prévus dans les règlements finals et l'application des ententes.

Au paragraphe 14-11 de son rapport, le vérificateur général écrit:

 

Le Ministère prévoit dépenser 262 millions de dollars en 1998-1999 pour les revendications globales, bien qu'il n'indique pas clairement dans le Budget des dépenses qu'il soumet au Parlement les montants à prévoir pour la négociation et la mise en oeuvre des ententes, et les paiements à verser en vertu de celles-ci.
Le sénateur Graham peut-il dire au Sénat si le gouvernement est maintenant en mesure de déposer des renseignements donnant les prévisions financières que le ministère a préparées pour qu'on affecte des ressources financières au règlement des revendications territoriales?

L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il faut comprendre que le rapport du vérificateur général porte sur les traités négociés pendant plus de 20 ans. Les politiques et les méthodes ont considérablement évolué pendant cette période et par la suite. Le vérificateur général a reconnu que la négociation des traités soulève des questions complexes et que la durée des négociations dépend de toutes les parties.

Tous les honorables sénateurs conviendront que le gouvernement fédéral a grandement simplifié le processus de négociation et a aussi amélioré ses méthodes pour établir les actifs - les terres et les ressources - qui doivent figurer dans les ententes finales.

Nous reconnaissons, sénateur Johnson, qu'il y a encore place pour des améliorations et que les traités devraient se négocier plus rapidement.

Le sénateur Johnson: Le vérificateur général a également déclaré que les «requérants s'opposaient en particulier à une politique qui, à leurs yeux, tentait d'éliminer les droits ancestraux en échange des avantages précis prévus par une entente de règlement.» L'honorable leader du gouvernement peut-il nous confirmer, à nous et aux Premières nations du Canada, que le gouvernement ne cherchera pas à convaincre les autochtones de renoncer à leur identité propre en échange d'ententes de règlement? L'honorable leader nous donnera-t-il cette assurance?

Le sénateur Graham: Je regrette, pourriez-vous répéter la question?

Le sénateur Lynch-Staunton: Répondez par «oui» ou «non».

Le sénateur Johnson: Nous parlons du vérificateur général, qui a dit que les requérants s'opposaient en particulier à une politique qui, à leurs yeux, tentait d'éliminer les droits ancestraux en échange des avantages précis prévus par une entente de règlement. Les sénateurs de ce côté-ci de même que les Premières nations veulent savoir si le gouvernement tentera de convaincre les autochtones de renoncer à leur identité propre en échange d'ententes de règlement.

Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je suis sûr que le gouvernement ne ferait jamais une telle chose.

 

Dépôt de réponses à des questions inscrites au Feuilleton

Le développement des ressources humaines-La caisse d'assurance-emploi

L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement) dépose la réponse à la question no 121 inscrite au Feuilleton par le sénateur Phillips.

 


ORDRE DU JOUR

Projet de loi sur la sanction royale

Prise en considération du rapport du comité-Motion d'amendement-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Milne, appuyée par l'honorable sénateur Bryden, tendant à l'adoption du douzième rapport du comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-15, Loi relative aux modalités d'octroi par le Gouverneur général, au nom de Sa Majesté, de la sanction royale aux projets de loi adoptés par les Chambres du Parlement, avec des amendements), présenté au Sénat le 18 juin 1998;

Et sur la motion en amendement de l'honorable sénateur Grafstein, appuyée par l'honorable sénateur Pépin, que le rapport ne soit pas adopté maintenant, mais qu'il soit renvoyé au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour étude plus approfondie.-(L'honorable sénateur Murray, c.p.).

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, la motion d'ajournement sur cette motion est inscrite à mon nom depuis le 18 juin dernier, notre dernier jour de séance avant l'ajournement d'été. On m'a fait savoir que j'avais parlé trois minutes, donc qu'il me reste 12 minutes.

Le projet de loi du sénateur Lynch-Staunton n'a pas divisé les sénateurs selon les lignes de parti. De toute évidence, des sénateurs des deux partis appuient le projet de loi, comme on l'a vu lors de l'étude en comité. Je crois qu'il serait juste de dire que les réserves exprimées au sujet du projet de loi se retrouvent aussi des deux côtés du Sénat.

Ma position est singulière, en fait elle est unique. Comme je l'ai reconnu au Sénat lorsque j'ai brièvement pris la parole en juin, un projet de loi pratiquement identique à celui présenté par le sénateur Lynch-Staunton avait été présenté en mon nom il y a quelques années, quand j'étais leader du gouvernement au Sénat. L'opposition libérale, qui était alors majoritaire en cet endroit, a fait obstacle au projet de loi en question. Son chef à l'époque, le sénateur MacEachen, refusait de l'appuyer pour des raisons que j'ai bien tenté d'expliquer, et réussi je crois, lors de mon intervention du 18 juin dernier.

Après mûre réflexion, j'ai eu tendance à partager le point de vue du sénateur MacEachen à propos de ce projet de loi. Finalement, quand les conservateurs sont devenus majoritaires en cet endroit, je n'ai rien fait pour le ressusciter.

Comme je l'ai dit, les deux côtés de cette Chambre ont certaines réserves à l'égard du projet de loi, tout comme les deux côtés l'appuient. La présidente du comité elle-même, lorsqu'elle a fait rapport sur le projet de loi en juin dernier, a exprimé certaines réserves à son sujet. Le sénateur Cools aussi. Le sénateur Phillips a exprimé certaines craintes et le sénateur Grafstein propose maintenant un amendement - en fait, l'amendement que nous examinons aujourd'hui - qui aurait pour effet de renvoyer le projet de loi au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour plus ample examen. J'appuie l'amendement du sénateur Grafstein.

Le compte rendu de la séance du comité du 18 juin montre que plusieurs autres solutions ont été proposées au comité en remplacement de ce projet de loi, certaines par des membres du comité, d'autres par un témoin, M. John Aimers, de la Ligue monarchiste du Canada.

(1530)

La lecture des délibérations du comité me donne à penser que ces suggestions avaient retenu l'attention des membres de ce dernier, mais que le comité avait décidé de ne pas en débattre, soit en raison de l'ajournement imminent pour l'été, soit pour tout autre motif. Je cite le compte-rendu:

Le président: On nous a fait des suggestions merveilleuses, mais ce dont nous sommes saisis aujourd'hui, c'est du projet de loi. Nous devons l'étudier. Par conséquent, s'il n'y a plus de questions pour le témoin, nous allons maintenant procéder à l'étude du projet de loi article par article.

Là s'est arrêtée la discussion sur les autres solutions.

L'une des propositions était que, au lieu d'envoyer un représentant, comme c'est le cas actuellement, le Gouverneur général en personne assiste à la cérémonie de la sanction royale. La cérémonie serait télévisée et le Gouverneur général ferait une brève déclaration expliquant la signification de la sanction royale dans notre démocratie parlementaire. Une autre suggestion consistait à relever les juges de la Cour suprême de l'obligation de représenter le Gouverneur général; à leur place, on nommerait d'éminents Canadiens comme, par exemple, des membres de l'Ordre du Canada et des officiers militaires supérieurs à la retraite. Un membre du comité avait proposé que ce soit la reine elle-même qui donne la sanction royale par téléconférence. Dans tous les cas, la pratique actuelle de convoquer les deux Chambres dans la présente enceinte était maintenue.

Ce sont là trois options qui ont été présentées au comité. Je suis sûr qu'il y en a d'autres qui vaudraient la peine d'être étudiées. À mon avis, elles devraient être prises sérieusement en considération avant que nous ne décidions de transférer la cérémonie de la sanction royale de la colline du Parlement vers un bureau privé à Rideau Hall. Le projet de loi dont nous sommes saisis maintiendrait la cérémonie dans la présente enceinte, et elle n'aurait lieu en présence des deux Chambres du Parlement qu'à titre exceptionnel.

Je pense que nous devrions y réfléchir à deux fois avant de renvoyer ce projet de loi à la Chambre des communes, où il sera presque certainement adopté. Les députés détestent être convoqués en cet endroit pour écouter un représentant de la Couronne octroyer la sanction royale aux projets de loi adoptés par le Parlement. Je dis, avec tout le respect que je leur dois, que leur ressentiment vient du fait qu'ils comprennent mal, ou qu'ils ignorent entièrement, l'évolution de notre démocratie parlementaire.

On se lamente souvent du fait que les Canadiens, jeunes et moins jeunes, ne connaissent pas notre histoire et nos traditions. Le professeur Granatstein, dans son livre Who Killed Canadian History?, publié cette année, accusait les systèmes d'enseignement des provinces et les départements d'histoire de nos universités. Le rôle de la Couronne dans le Parlement, un rôle central dans notre régime de démocratie parlementaire, n'est pas bien compris. Au mieux, les gens pensent qu'il est symbolique, mais symbolique de quoi? La majorité pense que c'est un restant de notre passé colonial. Ce n'est pas surprenant. Quand avez-vous entendu pour la dernière fois un personnage public décrire les principes et le fonctionnement de la monarchie constitutionnelle? Depuis 25 ans, nos Gouverneurs généraux parlent avec éloquence des valeurs canadiennes et même des vertus du fédéralisme canadien, mais il est rare qu'ils disent un mot de la Couronne, qu'ils représentent dans notre démocratie parlementaire. C'est regrettable.

Je dirais en passant que cette ignorance de certains éléments fondamentaux de notre régime parlementaire amène bien des gens à penser que nous pourrions transplanter un Sénat de type américain dans le contexte fédéral canadien, pourtant très différent, en particulier du fait du régime parlementaire. Ce serait, notamment, la formule pour paralyser le gouvernement fédéral, ce qui est d'ailleurs l'objectif réel de certains de ceux qui le proposent.

Honorables sénateurs, nous ne perdrions rien à renvoyer ce projet de loi au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, comme le proposait le sénateur Grafstein. Nous trouverons peut-être alors le moyen d'insuffler plus de vie et de signification dans la cérémonie de la sanction royale, de manière à la rendre pour les Canadiens un symbole vivant et important de la démocratie parlementaire et des libertés qu'elle leur donne.

(Sur la motion du sénateur Cools, le débat est ajourné.)

 

La Loi de l'impôt sur le revenu

L'accroissement du plafond de la proportion de biens étrangers des régimes de revenu différé-Motion proposant une modification -Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Meighen, appuyé par l'honorable sénateur Kirby:

Que le Sénat presse le gouvernement de proposer, dans le budget de février 1998, une modification à la Loi de l'impôt sur le revenu, tendant à porter à 30 p. 100, par augmentations de 2 p. 100 par année sur cinq ans, le plafond de la proportion de biens étrangers des régimes de revenu différé (régimes de pension, régimes enregistrés d'épargne-retraite, régimes de pension agréés) comme cela a été fait entre 1990 et 1995, alors que le plafond de biens étrangers des régimes de revenu différé a été porté de 10 p. 100 à 20 p. 100:

 

a) parce que les Canadiens devraient avoir la possibilité de tirer avantage de meilleurs rendements sur leurs investissements dans d'autres marchés, ce qui aurait pour effet d'augmenter la valeur des avoirs financiers qu'ils détiennent en prévision de la retraite, de réduire le montant de supplément du revenu de sources gouvernementales dont les Canadiens pourraient avoir besoin et d'augmenter les recettes fiscales que le gouvernement tire des revenus de retraite;
b) parce que les Canadiens devraient avoir plus de flexibilité au moment d'investir les épargnes qu'ils accumulent en prévision de leur retraite tout en réduisant les risques que comportent ces placements grâce à la diversification;
c) parce qu'une amélioration de l'accès aux marchés boursiers mondiaux permettrait aux Canadiens de participer tant aux économies qu'aux secteurs industriels à plus forte croissance;
d) parce que le plafond actuel de 20 p. 100 est devenu artificiel depuis que les particuliers et les régimes de pension disposant de grandes ressources peuvent le contourner en ayant recours, par exemple, à des décisions stratégiques en matière d'investissement et à des produits dérivés;
e) parce que les problèmes de liquidité des gestionnaires de fonds de pension, qui constatent maintenant qu'ils doivent acquérir une participation significative dans une seule société pour satisfaire à l'obligation de détenir 80 p. 100 de biens canadiens, se trouveraient atténués.-(L'honorable sénateur Carstairs).
L'honorable Michael Kirby: Honorables sénateurs, j'appuie la motion que le sénateur Meighen, appuyé par moi-même, a présentée il y a un certain temps. La motion invite essentiellement le gouvernement à modifier la Loi de l'impôt sur le revenu de manière à faire passer de 20 à 30 p. 100 le plafond de la proportion de biens étrangers des régimes de revenu différé, mieux connus sous le nom de REER, de régimes de pension et d'autres modes d'épargne en vue de la retraite. La motion propose de faire passer ce plafond de 20 à 30 p. 100 en l'augmentant de 2 p. 100 par année pendant cinq ans.

Permettez-moi de prendre un instant pour vous expliquer les origines de la règle concernant la proportion maximale de biens étrangers. Lorsque les dispositions législatives sur les REER ont été présentées pour la première fois pendant les années 60, le gouvernement de l'époque voulait que l'épargne en vue de la retraite ne soit pas assujettie à l'impôt tant que l'épargnant n'utilisait pas cette épargne à titre de revenu. Parce que ces économies n'étaient pas assujetties à l'impôt pendant qu'elles rapportaient de l'intérêt et que le gouvernement renonçait à des recettes en n'imposant pas ces revenus au moment où ils étaient gagnés, on a estimé que les revenus et l'épargne en question devaient demeurer au Canada et servir à des investissements canadiens, dans l'intérêt des Canadiens. Par conséquent, on a établi une règle qui, à l'origine, exigeait que 90 p. 100 des sommes soient investies au Canada et qui permettait que 10 p. 100 soient investies à l'étranger.

Le gouvernement conservateur, dans son budget du printemps 1990, a fait passer cette limite de 10 à 20 p. 100, si bien que 80 p. 100 des sommes devaient être investies au Canada et 20 p. 100 pouvaient être investies à l'étranger. Comme le sénateur Meighen et moi-même l'expliquons dans notre motion, le budget du printemps 1990 a prévu des augmentations de 2 p. 100 par année sur cinq ans. Le plafond a donc augmenté à raison de 2 p. 100 par année pendant cinq ans, entre 1990 et 1995, pour finalement atteindre sa limite actuelle de 20 p. 100.

(1540)

De nombreuses autres organisations conviennent que le temps est venu d'accroître la limite des 20 p. 100. À plusieurs reprises dans le passé, le comité des banques a pris parti en faveur d'un relèvement du plafond après avoir entendu les arguments d'un éventail très varié de groupes.

Nous croyons que les Canadiens devraient être libres de décider où investir en vue de leur retraite, d'autant plus que la participation de l'État au revenu de retraite des particuliers va en diminuant comparativement à ce qu'elle était dans le passé. Autrement dit, puisque les Canadiens doivent de plus en plus s'assurer un revenu de retraite par leurs propres moyens, il m'apparaît indiqué qu'ils exercent une responsabilité accrue à cet égard et disposent, par conséquent, d'une marge de manoeuvre maximale qui leur permette de faire fructifier leurs ressources et de disposer d'un revenu de retraite suffisant. Le gouvernement aurait tort de restreindre la marge de manoeuvre des particuliers en limitant à 20 p. 100 la part de leurs investissements étrangers, alors qu'on leur demande d'assumer une plus grande responsabilité à l'égard de leur revenu de retraite.

C'est la raison pour laquelle nous proposons au Sénat d'adopter cette motion, qui demande au gouvernement de relever le plafond de 20 p. 100 à 30 p. 100.

Honorables sénateurs, il y a deux autres éléments intéressants. Premièrement, la limite de 20 p. 100 ne constitue aucunement un plafond pour les investisseurs avertis. Je m'explique. Les investisseurs avertis, qui savent faire des investissements éclairés tout en respectant les règles, peuvent investir 20 p. 100 de leur argent à l'étranger, puis placer les 80 p. 100 restants dans un fonds mutuel, lequel est investi à 80 p. 100 au Canada et à 20 p. 100 à l'étranger, mais est néanmoins considéré comme étant investi au Canada. Étant donné que 20 p. 100 du fonds mutuel est investi à l'étranger et que 80 p. 100 de la somme totale investie est placée dans ce fonds, cela signifie qu'une tranche supplémentaire de 16 p. 100 est investie à l'étranger. L'investisseur ayant une certaine connaissance des règles pourrait donc investir jusqu'à 36 p. 100 à l'extérieur du Canada, et cela en dépit du plafond de 20 p. 100. La règle des 20 p. 100 ne pose aucun problème pour les personnes de cette catégorie, qui se situent au niveau supérieur de l'échelle de revenu et qui comprennent précisément comment les formules mathématiques fonctionnent.

Comme il a été signalé au comité sénatorial des banques, la règle des 20 p. 100 n'est pas non plus un problème pour les grandes caisses de retraite au Canada. Celles-ci ont mis au point un système qui a été approuvé par le gouvernement il y a plusieurs années. Le phénomène n'est donc pas récent. Les caisses de retraite contournent la règle des 20 p. 100 en continuant de détenir les actifs, lesquels sont investis au Canada, mais en procédant à un judicieux échange de revenu avec une caisse de retraite dans un autre pays, de sorte que l'argent est investi au Canada, mais tous les revenus se retrouvent à l'étranger. En échange, les revenus tirés des investissements étrangers se retrouvent dans la caisse de retraite canadienne et la lettre de la loi est respectée. Une de ces grandes caisses a d'ailleurs donné un exemple détaillé au comité. Ce système d'échange de revenu permet aux grandes caisses de retraite de contourner la règle des 20 p. 100.

La règle veut que les grands régimes de retraite et les investisseurs très riches et raffinés s'en tirent alors que les Canadiens ne le peuvent pas parce qu'ils ne savent pas comment faire et qu'ils n'ont pas l'argent qu'il faut pour le faire. Si l'on veut que la fiscalité soit juste et équitable pour tous, il ne faut pas avoir en place une politique qui peut être manifestement contournée par l'élite de notre pays ou par de grandes institutions et que les Canadiens ordinaires, qui ont acheté des REER en prévision de leur retraite, doivent éviter parce qu'il est trop compliqué de le faire.

Je rappelle, honorables sénateurs, que cette modification bénéficie d'un appui bipartisan non seulement au comité des banques, mais encore dans beaucoup de groupes dont nous avons entendu parler. Des courtiers en valeurs mobilières aussi bien que des groupes de défense des consommateurs souhaitent que cette modification soit apportée et cela, au plus tôt.

Honorables sénateurs, les résultats d'une étude menée l'an dernier par la maison Ernst and Young qui ont été publiés en octobre 1997 montrent que si, au cours des 25 dernières années, la règle avait été de 30 p. 100, comme le sénateur Meighen et moi-même proposons, les investisseurs canadiens auraient gagné 1,6 p. 100 de plus en moyenne par année sur leur épargne-retraite. Un virgule six pour cent ne semble pas beaucoup, mais sur 20 à 30 ans, qui est la période d'investissement typique d'un REER, et sur la somme moyenne d'un REER au Canada, cela représente plus de 30 000 $. Même si 1,6 p. 100 par année ne semble pas beaucoup, cela compte s'il est composé sur une longue période.

Une étude menée par un éminent expert-conseil du secteur des pensions qui a été remise au comité des banques montre que, au cours de la dernière décennie - c'est-à-dire de 1985 à 1995 - la règle sur les biens étrangers a fait perdre quelque 20 milliards de dollars de dividendes aux caisses de retraite canadiennes. Or, comme cet argent finit par devenir un revenu de retraite pour les membres des caisses de retraite, le gouvernement fédéral aurait bénéficié d'une augmentation considérable de recettes.

Honorables sénateurs, nous avons deux bonnes raisons d'exhorter le Sénat à adopter cette motion et à faire cette recommandation au gouvernement fédéral - une recommandation qui était contenue dans trois différents rapports que le comité des banques a publiés ces dix dernières années sous ma présidence ou sous la présidence de mes prédécesseurs conservateurs. Les deux partis et tous les membres du comité appuient cette mesure depuis longtemps. D'abord, comme nous comptons de plus en plus sur le fait que les Canadiens subviendront à leurs besoins au moment de la retraite, nous devons les laisser maximiser leurs revenus et leur offrir le plus de diversification possible, afin qu'ils effectuent leurs propres investissements dans leur revenu de retraite. Ensuite, la question de l'équité nous préoccupe. Nous possédons actuellement une règle que contournent les plus grands régimes de retraite du pays, de même que certains gros investisseurs qui savent comment contourner les règles. Dans l'intérêt de la justice et de l'équité de la politique fiscale, nous soutenons qu'il faudrait réparer cette injustice et que, par conséquent, le plafond devrait passer de 20 p. 100 à 30 p. 100.

Enfin, honorables sénateurs, autant que nous sachions, le Canada est le seul pays à imposer un tel plafond sur les investissements étrangers dans sa loi sur l'épargne-retraite. Dans d'autres pays où ce plafond n'existe pas - et pour ceux qui craignent que des Canadiens ne sortent la totalité de leurs revenus du pays - il semble exister un plafond naturel. Par exemple, au Royaume-Uni, le taux moyen d'investissement étranger dans le régime équivalant à un REER se situe près de la barre des 30 p. 100. La plupart des gens ne sont ni disposés à parier, ni prêts à spéculer au point de sortir de leur pays un pourcentage énorme de leurs économies. Nous présumons que si nous passions de 20 p. 100 à 30 p. 100, et même si nous supprimions entièrement le plafond, le taux demeurerait encore à environ 30 p. 100. Il semble que ce soit le plafond naturel des investisseurs dans d'autres pays.

(1550)

Honorables sénateurs, avant que cette motion ne meure au Feuilleton, j'espère qu'au cours des prochaines semaines, nous voterons sur cette motion à temps pour envoyer la résolution au ministre des Finances, au moment où il songe aux changements qu'il apportera dans son budget de l'année prochaine.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je voudrais poser quelques questions au sénateur Kirby. Je commence mes observations en disant que, pendant de nombreuses années, j'ai souscrit aux arguments classiques qu'a présentés le sénateur sur cette question. J'en ai dit autant au sénateur Meighen il y a quelque temps. Cependant, à mesure que je vieillis et que j'envisage avec plus d'appréhension l'avenir de notre pays, en cette époque de mondialisation et de technologie, je commence à changer d'avis.

Le sénateur nous dira-t-il, et je sais qu'il le peut, si la justification de la limite actuelle est du domaine financier et économique ou si elle est du domaine social et politique au sens large?

Le sénateur Kirby: Honorables sénateurs, la justification comprend un peu des deux. Revenons à la limite initiale. La décision de passer de la limite initiale de 10 p. 100 à celle de 20 p. 100 a été prise parce que certains se plaignaient que la limite de 10 p. 100 était trop serrée.

On avait initialement fixé le plafond à 10 p. 100 parce que les REER devaient permettre de mettre des revenus à l'abri de l'impôt jusqu'au retrait des fonds. Par conséquent, dans un sens, la portion qui aurait normalement été payée en impôt pouvait s'apprécier par des investissements. Il s'agissait essentiellement de recettes que le gouvernement reportait à plus tard, et non pas des recettes auxquelles il renonçait, parce que les sommes seraient assujetties à l'impôt dès leur retrait. De façon générale, toutefois, elles sont imposées à un taux marginal moindre parce que les retraités ont des revenus moins élevés.

Dans un sens, cette appréciation de la valeur des investissements pendant que le REER était à l'abri de l'impôt constituait un bénéfice net pour les contribuables canadiens. Il n'y a pas de doute là-dessus. C'est une des caractéristiques les plus populaires des REER.

Étant donné qu'il s'agissait de recettes reportées pour le gouvernement fédéral, celui-ci était d'avis que la politique gouvernementale devait spécifier que la plus grande partie de ces fonds - 90 p. 100 au début, 80 p. 100 aujourd'hui - devrait être investie au Canada. Si aucun impôt n'était prélevé sur ces revenus, le gouvernement devait avoir le droit d'exiger à tout le moins qu'ils soient investis au Canada.

Telle a été la position des gouvernements canadiens depuis la création des REER, au milieu des années 60, jusqu'à aujourd'hui. La seule chose qui a changé, c'est la limite, qui a été modifiée en 1990 en raison des pressions exercées en faveur d'un relèvement parce que, selon les investisseurs, la limite était devenue trop basse. Le principe veut que si l'on accorde un avantage fiscal aux contribuables, il n'est pas déraisonnable de demander que l'argent mis à l'abri de l'impôt soit investi au Canada.

Nous sommes d'avis qu'à mesure que nous progressons vers la mondialisation et que nous rendons les particuliers responsables de leur propre avenir et de leur retraite, il convient de ne pas leur imposer des contraintes. C'est une chose.

L'autre, c'est qu'en réalité, certains investisseurs astucieux et les grosses caisses de retraite ont trouvé le moyen de contourner la loi. Celle-ci ne s'applique donc qu'aux Canadiens moyens, ce qui, à notre point de vue, est clairement injuste.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je dois vous signaler que la période des discours et des questions est terminée. La permission est-elle accordée de continuer?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Murray: Le sénateur pourrait peut-être expliquer pourquoi il faudrait relever la limite à 30 p. 100? Pourquoi 30 p. 100 et non 40 p. 100, ou pas de limite du tout?

Le sénateur Kirby: Sénateur Murray, c'est une très bonne question. Franchement, le sénateur Meighen et moi préférerions que la limite soit tout simplement supprimée. Nous croyons que, si aucun plafond n'était imposé, la moyenne nationale serait d'environ 30 p. 100 de toute façon.

Si on regarde les autres pays où aucun plafond n'est imposé, la proportion de l'épargne-retraite investie à l'étranger se situe entre 30 et 32 p. 100 dans presque tous ces pays.

La raison pour cela est que la plupart des personnes qui investissent à l'étranger sont prêtes à jouer un peu, mais l'expérience a prouvé qu'elles ne sont pas prêtes à jouer gros, à cause du risque de change et ainsi de suite. Dans la plupart des pays où il n'y a pas de plafond, les investisseurs qui prennent leurs propres décisions maintiennent leurs investissements à l'étranger à environ 30 p. 100.

Notre point de vue est pragmatique. Nous préférerions qu'il n'y ait aucun plafond. Si on impose un plafond de 30 p. 100, ce n'est pas vraiment une contrainte parce que très peu de gens vont essayer d'aller au-delà de ce pourcentage de toute façon. En 1990, on est passé de 10 p. 100 à 20 p. 100 par augmentations de 2 p. 100 par année.

Le sénateur Meighen et moi-même avons conclu qu'il serait peut-être plus facile de convaincre le ministère des Finances de porter le plafond de 20 p. 100 à 30 p. 100 d'après ce précédent - sachant à quel point le ministère des Finances aime les précédents - que de le convaincre d'adopter notre solution privilégiée, qui serait de n'imposer aucun plafond. Nous reconnaissons aussi que, si on impose un plafond de 30 p. 100, c'est comme s'il n'y avait pas de plafond à toutes fins utiles.

Le sénateur Murray: Honorables sénateurs, j'accepte les arguments que le sénateur invoque au nom de la logique et même de l'équité pour ce qui est des investisseurs privés. Toutefois, a-t-il pensé aux problèmes et aux dangers que cela pourrait créer au niveau des grandes institutions canadiennes si on adoptait une politique qui se trouverait à réduire leur intérêt dans l'avenir et le succès du Canada?

Le sénateur Kirby: Sénateur Murray, je veux m'assurer que je comprends bien votre question. Si on porte le plafond de 20 p. 100 à 30 p. 100, cela s'appliquera aussi aux grandes institutions de notre pays, ce qui fait que leur intérêt dans le Canada diminuera.

J'ai dit dans mes remarques que cette situation existait déjà. Les grandes institutions financières l'ont déjà fait. Elles l'ont fait de façon très intelligente en recourant à une forme de troc bancaire qui est légal et qui a été approuvé par le ministère des Finances, mais c'est comme si le plafond n'existait pas.

C'est un motif d'inquiétude légitime, sauf que c'est déjà fait. Elles ont stabilisé leurs investissements à 30 p. 100 ou un peu plus, en vertu de leur propre politique.

L'honorable Consiglio Di Nino: Honorables sénateurs, je devrais commencer par dire que j'ai pris la parole en faveur de la motion en exprimant certaines réserves. C'est au sujet de ces réserves que je veux maintenant parler.

Pour revenir sur les propos du sénateur Murray, on laisse maintenant entendre que, si la recommandation au ministre est acceptée, nous élèverons de 20 p. 100 à 30 p. 100 le maximum de biens étrangers dans les régimes de revenu différé. Nous donnerions alors à ces fonds communs la possibilité de passer de 30 p. 100 à une proportion plus importante. Cette possibilité vaudrait également pour les «investisseurs brillants», comme l'honorable sénateur les appelle, bien que ce procédé soit tellement courant que tout le monde le connaît maintenant.

Ou est-ce que l'honorable sénateur veut dire qu'on ferait d'autres recommandations au ministre pour qu'il fixe un plafond de 30 p. 100 et qu'il élimine en pratique les échappatoires ou les possibilités supplémentaires d'une hausse de ce 20 p. 100 et plus, comme c'est le cas maintenant, et de la proportion de 30 p. 100 et plus, comme on le propose?

Le sénateur Kirby: Franchement, nous n'avions pas pensé à cela, bien qu'il s'avère extrêmement difficile d'éliminer les échappatoires en raison du processus employé pour investir ces fonds. En fait, ce n'est pas une échappatoire. Cette façon de procéder est prévue dans la loi.

Maintenant, d'un point de vue pratique plutôt que théorique, si l'on hausse le plafond de 20 à 30 p. 100, on cessera dans les faits d'utiliser ces échappatoires, parce que, même compte tenu des échappatoires, les gens s'en tiennent volontairement à une proportion d'environ 30 p. 100.

Si l'on porte le plafond à 30 p. 100, je ne crois pas que ce soit nécessaire de faire des efforts pour éliminer les échappatoires. Il y en aura peut-être qui élèveront cette proportion jusqu'à 31 p. 100, mais dans les faits, les gens ne vont pas beaucoup au-delà de cela. À tout le moins, c'est une décision pratique des grands groupes financiers en ce qui concerne leurs placements sur les marchés.

Le sénateur Di Nino: Je ne suis pas sûr que je suis d'accord avec l'honorable sénateur, mais ce serait intéressant d'essayer.

Le sénateur Kirby: Honorables sénateurs, je veux être bien clair. Il y a certainement des exceptions, mais elles sont petites et isolées. La grande majorité des gros joueurs qui ont témoigné devant le comité précisément sur cette question ont indiqué qu'ils se maintenaient très près des 30 p. 100 - et je compte sur le sénateur Meighen pour me corriger si je me trompe. Ils peuvent avoir atteint 31 p. 100 et des poussières, mais pas les 40 ou 50 p. 100. Ils ont beaucoup plus tendance à se maintenir entre 28 et 32 p. 100, suivant leur propre politique.

(1600)

Le sénateur Di Nino: Vous avez peut-être raison. Si nous faisons cette recommandation, et si le ministre l'accepte et la met en oeuvre dans le règlement ou dans la loi, selon ce qui est préférable, je suggère que nous en surveillions l'application pour voir jusqu'où cela nous mènera.

Quand je suis intervenu à ce sujet en faveur de l'augmentation à 30 p. 100, je l'ai fait parce que je crois qu'il convient de donner aux Canadiens la chance de diversifier leurs portefeuilles et, à cause des marchés limités à notre disposition au Canada, la seule façon de bien les diversifier consiste à ouvrir la possibilité d'investir sur les marchés mondiaux.

Cependant, je mets également en garde contre la position que le sénateur Meighen et vous défendez, sénateur Kirby, soit l'élimination complète de ce plafond. Cela m'inquiète énormément. Étant donné ce qui est arrivé au Canada au cours des derniers mois, et ce qui est arrivé plus particulièrement au dollar canadien depuis peu, je m'estime en droit de dire que nous devrions faire attention de ne pas en arriver graduellement à éliminer ce plafond. Étant donné que nous utilisons de l'argent protégé, que nous utilisons en effet de l'argent appartenant aux contribuables canadiens, nous ne voulons pas nécessairement voir trop de cet argent servir à créer des emplois au Japon, en Allemagne et en Chine. Nous devrions continuer de chercher un certain profit pour les Canadiens, car c'est, jusqu'à un certain point, l'argent de leurs impôts que nous utilisons à cette fin.

Croyez-vous que, si l'on avait pu profiter aujourd'hui d'un plafond de 30 p. 100, cela aurait créé un problème encore plus grand pour le dollar canadien et pour l'économie canadienne que celui que nous observons depuis environ trois mois?

Le sénateur Kirby: Vous entrez dans un domaine de prévision économique que je ne suis pas certain de pouvoir maîtriser. Je vais revenir à votre première observation, à savoir qu'il devrait y avoir une certaine limite, et c'est en partie pour cela que nous avons proposé un plafond de 30 p. 100. Vous craigniez, avec raison je pense, que cela n'ait des répercussions spectaculaires sur la politique canadienne d'investissement, et vous avez donc conclu qu'il faudrait surveiller la chose attentivement.

Voilà un des grands avantages qu'il y a à modifier le plafond en l'augmentant de 2 p. 100 sur une période de cinq ans. Si on examine la situation à la fin de la deuxième année et que l'on constate que cette mesure a des effets perturbateurs, on peut annuler les trois dernières augmentations.

Je partage votre opinion, et je sais que le sénateur Meighen la partage lui aussi, à savoir qu'une augmentation radicale, en une seule fois, pourrait produire certaines des perturbations que vous redoutez, et qu'il faudrait donc procéder par augmentations graduelles, en surveiller les effets et être prêt à annuler les augmentations subséquentes si l'on constate qu'elles causent certains des effets négatifs qui pourraient se produire selon vous. Je serais le premier à admettre que cela constitue une possibilité, bien que très éloignée à mon avis.

L'honorable Mira Spivak: Honorables sénateurs, si la règle des 20 p. 100 ou 30 p. 100 importe peu aux grandes institutions, étant donné qu'elles sont déjà à l'extérieur du pays, pourquoi réclament-elles un changement? Si c'est une question d'équité, pourquoi ne pas se pencher sur la question des grandes institutions qui ne soutiennent pas l'économie canadienne? On a de nombreux exemples de cela: des directeurs généraux d'entreprises canadiennes qui vivent aux États-Unis, une famille qui possède toute une province qui vit à l'étranger, et cetera.

En ce qui concerne l'équité, pourquoi n'essayons-nous pas de voir comment nous pouvons égaliser les choses de l'autre façon? Il est certes important de maintenir cette règle qui nous permet de soutenir l'économie au Canada. Cette règle ne s'applique qu'aux REER. La diversification peut se produire à l'extérieur des investissements dans des REER.

De plus, partez-vous du principe que la mondialisation n'a que de bons côtés? Cela a été remis en question récemment.

Le sénateur Kirby: Je ne pense pas avoir dit que la mondialisation était bonne ou mauvaise. J'ai simplement dit que c'était une réalité.

Quoi qu'il en soit, permettez-moi de corriger deux ou trois idées fausses. Tout d'abord, les grandes institutions ne demandent pas ce changement, car elles n'en ont pas besoin. Le sénateur demande pourquoi nous prenons une mesure que les grandes institutions ont réclamée. Nous ne donnons pas suite aux instances des grandes institutions, car ce n'est pas un problème pour elles.

Le sénateur Spivak: Les courtiers en valeurs mobilières ont réclamé cette modification.

Le sénateur Kirby: Oui, les courtiers l'ont réclamée, à l'instar de certaines associations de consommateurs. Le fait est qu'un certain nombre de groupes veulent cette mesure, car ils souhaitent une plus grande souplesse.

Vous avez demandé pourquoi, si les gens veulent la diversification, ils ne le font pas à l'extérieur de leurs REER. Le fait est que seule l'élite canadienne a des investissements à l'extérieur de sa maison et de ses REER. Le fait est qu'il n'y a pas un grand nombre de Canadiens qui investissent dans autre chose que leur maison, leur régime de pension ou un REER pour leur retraite. En toute franchise, les Canadiens n'ont tout simplement pas assez d'argent pour ce faire.

Nous voulons veiller à ce que le Canadien moyen ait les mêmes avantages que les autres personnes sur le plan fiscal. Nous voulons tout simplement nous assurer que ces gens profitent des mêmes avantages fiscaux, même s'ils n'ont pas les ressources supplémentaires dont vous avez parlé leur permettant d'utiliser un modèle différent.

Le sénateur Spivak: L'autre côté de la question d'équité, c'est qu'il est injuste que ces grandes institutions puissent éviter de participer à l'essor économique du Canada grâce à tous ces moyens. Pourquoi ne pas se pencher là-dessus?

Le sénateur Kirby: Soyons clairs. Il est tout à fait injuste d'affirmer que les grandes caisses de retraite du pays n'ont pas un intérêt dans le Canada. Les caisses de retraite qui ont des actifs de 10 milliards de dollars, 12 milliards de dollars, 14 milliards de dollars ou 20 milliards de dollars et qui ont 70 p. 100 de leurs investissements au Canada ont un grand intérêt dans le Canada. On va faire face à un problème qui s'aggravera nettement au fur et à mesure que le fonds d'investissement du RPC grandira, alors qu'on aura d'énormes sommes à investir dans un nombre relativement limité d'actions. Aux termes des règles sur l'investissement, les entreprises doivent respecter certains critères pour que les caisses de retraite puissent y investir.

Lorsqu'il s'est penché sur la croissance du fonds d'investissement du RPC, le comité s'est notamment demandé ce qui se passerait lorsqu'il y aurait 100 milliards de dollars de plus destinés à être investis dans un nombre limité d'actions. Je n'ai pas utilisé cet argument plus tôt, car cela montre que nous devons prévoir une certaine diversification sous peine autrement d'avoir un marché faussé par le fait que nous devrons investir d'importantes sommes dans un nombre relativement limité d'actions. Une fois que le fonds d'investissement du RPC aura grandi, je pense que cette pression seulement forcera des changements.

Les prévisions au sujet du fonds du RPC montrent qu'il faudra quatre ou cinq ans avant qu'il n'atteigne 100 milliards de dollars, mais le fait est qu'entre-temps, nous devons apporter cette modification dans l'intérêt des Canadiens ordinaires.

[Français]

L'honorable Fernand Robichaud: J'ai une simple question à poser à mon honorable collègue. Est-ce qu'il pourrait me dire quel montant en dollars représente le pourcentage de 10 p. 100 dont on parle, c'est-à-dire le 20 à 30 p. 100 qui ne sera plus disponible sur le marché canadien et qui passera à un marché étranger?

[Traduction]

Le sénateur Kirby: Honorables sénateurs, je n'ai pas ce renseignement. Nous avons dû voir ces chiffres à un moment donné, mais pour faire le calcul, il faudrait voir le montant investi au cours d'une année type dans les fonds de pensions ou les REER, soustraire les grandes caisses de retraite, parce qu'elles appliquent déjà un pourcentage d'environ 30 p. 100, enlever le plus haut niveau de revenu des Canadiens, et voir ensuite ce qui en est du reste. Cependant, au cours de toutes les audiences sur les institutions financières de toutes sortes - banques, sociétés de fiducie, compagnies d'assurance, caisses de crédit, et cetera - que le comité des banques a tenues ces dix dernières années, la pénurie de capitaux n'a pas été un problème. Les témoins qui comparaissent ne disent pas qu'ils manquent de capitaux pour investir. La question est différente de celle des prêts. On peut entrer dans bien des débats sur le financement par emprunts, mais personne ne nous a dit que les entreprises canadiennes souffraient d'une grande pénurie de capitaux.

Je n'ai pas de données là-dessus, mais mon opinion personnelle est que, en raison de la situation, cela ne risque pas de faire problème.

Honorables sénateurs, je remarque que le sénateur Meighen a bien hâte de donner son point de vue. Je me ferai un plaisir de lui céder la parole si notre Règlement le permet.

L'honorable Michael A. Meighen: Honorables sénateurs...

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, c'est le sénateur Meighen qui a proposé la motion. S'il prend la parole maintenant, son intervention aura pour effet de clore le débat.

(Sur la motion du sénateur Carstairs, le débat est ajourné.)

(1610) 

La défense nationale

Motion visant à constituer un comité spécial chargé d'examiner les activités du Régiment aéroporté canadien en Somalie-Suite du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Lynch-Staunton, appuyée par l'honorable sénateur Berntson:

Qu'un comité spécial du Sénat soit nommé pour faire examen et rapport sur la manière dont la chaîne de commandement des forces canadiennes, tant sur le théâtre réel des opérations qu'au quartier général de la Défense nationale, a répondu aux problèmes opérationnels, disciplinaires, décisionnels et administratifs éprouvés durant le déploiement du Régiment aéroporté du Canada en Somalie, dans la mesure où ces questions n'ont pas été examinées par la Commission d'enquête sur le déploiement des forces canadiennes en Somalie;

Que le comité soit autorisé, pour étudier ces questions, à convoquer les témoins dont il pense obtenir des témoignages pertinents, incluant entre autres:

1) les ex-ministres de la Défense nationale;

2) le sous-ministre de la Défense nationale à l'époque;

3) le chef intérimaire d'état-major de la Défense nationale à l'époque;

4) le conseiller spécial du ministre de la Défense nationale à l'époque (M. Campbell);

5) le conseiller spécial du ministre de la Défense nationale à l'époque (J. Dixon);

6) les personnes occupant le poste de juge-avocat général durant la période en question;

7) le juge-avocat général adjoint (litiges) à l'époque;

8) le chef d'état-major de la Défense à l'époque.

Que sept sénateurs, dont trois membres constituent un quorum, soient désignés par le comité de sélection pour faire partie du comité spécial;

Que le comité soit autorisé à convoquer des personnes, à exiger la production de documents et pièces, à interroger des témoins sous serment, à faire rapport de temps à autre et à faire imprimer au jour le jour les documents et les témoignages qu'il juge à propos;

Que le comité soit autorisé à permettre le télédiffusion et la radiodiffusion, selon ce qu'il juge à propos, d'une partie ou de la totalité de ses délibérations;

Que le comité soit habilité à retenir les services de conseillers, professionnels, techniciens, employés de bureau et autres personnes jugées nécessaires pour la conduite de son étude;

Que les partis politiques représentés au comité spécial reçoivent des allocations pour l'obtention de services experts dans le cadre de l'étude;

Que le comité ait le pouvoir de se déplacer d'un endroit à l'autre au Canada et à l'étranger;

Que le comité soit autorisé à se réunir pendant les séances et les ajournements du Sénat;

Que le comité présente son rapport dans l'année suivant sa création et, dans l'éventualité où le Sénat ne siégerait pas, que son rapport soit réputé être présenté le jour où il est déposé auprès du greffier du Sénat; et

Que le comité spécial inclue dans son rapport ses constatations et ses recommandations concernant la structure, le fonctionnement et l'efficacité opérationnelle du quartier général de la Défense nationale, la relation entre les composantes militaires et civiles du quartier général de la Défense nationale, et la relation entre le sous-ministre de la Défense, le chef d'état-major de la Défense et le ministre de la Défense nationale.

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Forrestall, appuyée par l'honorable sénateur Beaudoin, que la motion soit modifiée en ajoutant, au deuxième paragraphe, ce qui suit:

«9) l'actuel ministre de la Défense.»-(L'honorable sénateur DeWare).

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'appuie la motion portant création d'un comité spécial du Sénat chargé d'examiner les aspects qui n'ont pas été abordés par la commission d'enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie, motion qu'a présentée l'honorable sénateur Lynch-Staunton. Je ne veux pas entrer dans les détails ni exposer les points forts ou les lacunes de la Commission d'enquête sur le déploiement des forces canadiennes en Somalie, puisque d'autres sénateurs ont déjà traité ces importantes questions.

Je suis d'avis que le Sénat devrait mener une enquête pour les raisons supplémentaires suivantes: premièrement, le Canada se vantant d'être une démocratie, il est très important que nous ne fassions pas preuve de négligence envers notre processus démocratique, notre façon de gouverner et notre respect du droit, et que nous ne prenions pas ces choses à la légère. Comme on l'a dit à propos des États-Unis, et je paraphrase ici, la démocratie peut disparaître si on ne prend pas soin d'elle et si on la mine graduellement par de toutes petites mesures en apparence inoffensives.

Il ne faut pas prendre à la légère la séparation des pouvoirs. L'organe exécutif ne devrait pas influencer indûment l'organe judiciaire, quelle que soit la justification que le gouvernement du jour pense avoir. Il ne devrait sûrement pas faire passer les sondages, les commentaires et autres choses du genre avant son obligation de respecter la suprématie du droit au Canada.

Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement avait tout le loisir de gérer l'affaire somalienne à sa guise. Ainsi, il aurait pu se limiter à une enquête interne, à une enquête administrative, à une enquête ministérielle interne ou à une enquête militaire. Il aurait également pu avoir recours à une enquête législative et à un tas d'autres mécanismes. De son propre gré, il a choisi un tribunal quasi judiciaire, indépendant, pourvu d'un mandat. Il s'est ainsi trouvé à créer une entité qui exige la non-ingérence de la part du gouvernement.

Or, il a fait tout le contraire. Comme on l'a souligné, l'exécutif, à savoir le gouvernement du Canada, s'est engagé sur la pente savonneuse du non-respect des règles, et on connaît la suite: premièrement, les fonctionnaires civils et les militaires ne se sont pas empressés d'apporter leur collaboration à la commission d'enquête. Comme on l'a dit, la commission a passé une bonne partie de son temps à trouver des stratagèmes pour les obliger à obtempérer à ses demandes de renseignements et de documents. Deuxièmement, le gouvernement, par l'entremise essentiellement du ministre Young, a ouvertement critiqué la commission d'enquête. Je soutiens que le gouvernement avait le devoir d'appuyer les travaux de la commission d'enquête qu'il avait créée. Troisièmement, l'enquête a été abrégée, ce qui représente, à mon avis, une intervention directe de la part du gouvernement. Même si le gouvernement et certains citoyens commençaient à croire que l'enquête durait trop longtemps, il n'y avait aucune raison de miner l'indépendance de la commission d'enquête. Le gouvernement se devait de laisser la commission d'enquête agir à sa guise et de respecter son mandat.

Si les travaux de la commission d'enquête prenaient trop de temps, il fallait en imputer la faute non pas à la commission d'enquête, mais au gouvernement. Il n'a pas précisé la durée du mandat de la commission. Il n'a pas critiqué ni modifié les longs délais accordés aux commissions d'enquête précédentes. On n'a qu'à penser à la commission Krever, à la Commission royale d'enquête sur les peuples autochtones et à la commission d'enquête sur la GRC. On a confié à toutes ces commissions un mandat clair, on leur a accordé toute la latitude désirée et on leur a imposé des délais qui furent prolongés. Comment les membres de cette commission d'enquête auraient-ils pu croire qu'ils devraient être ou qu'ils seraient traités différemment?

Comme d'autres, cette commission d'enquête a été induite en erreur. Si le gouvernement pensait réduire la portée de cette commission éventuellement, il aurait dû le faire dès le début. Les commissaires auraient peut-être adopté d'autres méthodes d'enquête ou carrément refusé le rôle qu'on leur confiait. Ils ont agi conformément aux habitudes établies et aux pratiques d'enquête habituelles.

Une autre raison qui me porte à croire que le Sénat devrait ordonner une enquête, c'est qu'on a terni la réputation des commissaires et d'un grand nombre de ceux qui ont été nommés ou touchés par cette enquête. Comme tous ceux qui ont oeuvré dans le domaine de la justice le savent, il est impossible de juger sans connaître tous les éléments de preuve. Comme son mandat a été restreint, la commission a été forcée de prendre des décisions qu'on peut facilement qualifier d'incomplètes.

Même le comportement des commissaires, en particulier celui qui dirigeait l'enquête, est mis en doute sur la base de témoignages incomplets. Si l'on avait permis d'entendre tous les témoins et de mener une enquête exhaustive, les résultats auraient peut-être été radicalement différents concernant tous les intervenants dans l'affaire de la Somalie. Certains voient leurs carrières bloquées alors que d'autres sont promus, aussi bien des civils que des militaires, et la recherche de la vérité n'a pu se faire.

La dernière raison pour laquelle je pense que l'enquête devrait se tenir au Sénat est celle-ci: nous attachons une grande importance à notre réputation et à notre influence au niveau international, et je pense que celles-ci ont été ternies et affaiblies. Nous avons souvent porté des jugements de valeur - et nous continuons nécessairement à le faire - sur le caractère démocratique d'autres gouvernements. Nous portons aussi des jugements de valeur sur le respect de la primauté du droit par les gouvernements d'autres pays. Nous leur avons maintenant fourni un précédent d'ingérence gouvernementale qui sape notre crédibilité au niveau international et qui fournit un argument à des régimes notoires, puisque ceux-ci peuvent maintenant dire qu'ils agissent tout simplement comme le Canada. D'aucuns pourront faire valoir que, par comparaison, le respect de la primauté du droit est intact dans notre pays, mais ce n'est guère réconfortant pour la majorité des Canadiens, qui pensaient que notre but était d'éviter toute comparaison avec de tels régimes.

En résumé, la plus grande tragédie au Canada est le traitement réservé à nos militaires. Il n'y a pas de sacrifice plus grand pour une personne que de se battre pour protéger et défendre les principes et les libertés de son pays. Avec cette enquête non terminée, nous risquons de ternir la réputation de bons soldats et de ne pas punir ceux qui méritent de l'être. Il eut été juste, équitable et démocratique de mener une enquête complète et impartiale. Cela ne s'est pas produit.

Honorables sénateurs, voilà pourquoi il est nécessaire que le Sénat tienne une enquête.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné.)

[Français

Le droit comparé

Conférence à Bristol, en Angleterre-Interpellation

L'honorable Gérald-A. Beaudoin, ayant donné avis le mardi 22 septembre 1998:

Qu'il attirera l'attention du Sénat sur sa participation au XVe congrès international de droit comparé, tenu durant la dernière semaine de juillet 1998, à Bristol, en Angleterre, une participation portant sur le sujet du constitutionnalisme au Canada.

- Honorables sénateurs, du 26 juillet au 1er août 1998 s'est tenu à Bristol, au Royaume-Uni, le XVe colloque international de l'Académie internationale de droit comparé.

Cette académie qui regroupe des juristes du monde entier se réunit tous les quatre ans pour discuter de questions juridiques dans plusieurs secteurs du droit y compris le droit constitutionnel, les droits et libertés et le droit parlementaire. Plusieurs centaines de juristes venus des cinq continents ont participé au congrès de Bristol.

J'ai présenté deux communications comme rapporteur pour le Canada. La première portait sur la constitutionnalisation de l'ordre juridique au Canada et la seconde sur le rôle du Parlement évaluateur au Canada.

Son Altesse Royale, le prince Philip, a suivi nos activités, le samedi 1er août, et j'ai eu l'insigne honneur de prendre la parole en sa présence et de résumer, en quelques minutes, un texte de 30 pages sur le constitutionnalisme au Canada. Ce texte sera publié par les Éditions Blais de Montréal, cet automne, dans le cadre du compte rendu du XVe congrès international de droit comparé à Bristol.

Le constitutionnalisme au Canada existe dans plusieurs domaines comme le fédéralisme, le parlementarisme, la protection des droits et libertés, les droits des minorités et la règle de droit.

(1620)

On parle beaucoup de droit constitutionnel au Canada et ce, depuis 1867, année où le Canada est devenu un État fédéral et aussi depuis 1982, année où une Charte des droits et libertés fut inscrite dans la Constitution canadienne. Depuis plus d'un siècle, les cours de justice canadiennes exercent un contrôle de la constitutionnalité des lois tant fédérales que provinciales. Des lois et des articles de loi ont été déclarés inconstitutionnels au motif qu'ils ne respectaient pas le partage des compétences législatives ou la Charte canadienne des droits et libertés. Les décisions judiciaires en matière constitutionnelle au niveau de la Cour suprême, depuis 1867, se comptent par centaines.

L'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 déclare que:

La Constitution est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions législatives incompatibles de toute autre règle de droit.

La Constitution canadienne, tout comme la Constitution des États-Unis, est supérieure à toutes les autres lois dans notre pays et dans nos cours de justice. Elle est la loi des lois. Elle est l'épine dorsale du système politique et constitutionnel. Le constitutionnalisme au Canada existait avant 1982 mais l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 en constitue l'assise par excellence.

Notre système parlementaire s'inspire de celui du Royaume-Uni. Toutefois, le Parlement fédéral et les législatures provinciales au Canada ne sont suprêmes que dans la sphère législative tracée et délimitée par la Constitution de 1867 et ses amendements. La Cour suprême a toujours eu un rôle de gardienne de la Constitution. Plusieurs articles de la Constitution canadienne de 1867 prévoient expressément comment le parlementarisme doit s'exercer au Canada.

En 1982, une Charte constitutionnelle des droits était enchâssée dans la Constitution. En l'espace de quelques années seulement, la Cour suprême du Canada a rendu 350 arrêts impliquant cette Charte qui lie les corps législatifs au Canada ainsi que l'exécutif. Le travail de cette cour est remarquable.

L'ancien juge en chef du Canada, Brian Dickson, déclarait avec raison, selon nous, que cette Charte de 1982 est l'événement le plus important qui s'est produit au Canada depuis l'établissement du fédéralisme en 1867.

Le Canada est, avec les États-Unis et l'Allemagne, dans le groupe des pays qui ont atteint le «stade ultime d'une complète et incontestable constitutionnalisation de l'ordre juridique».

Je me réjouis de cette évolution de la Constitution. Chez nous, cependant, certains juristes soulèvent à l'occasion la question du «gouvernement des juges» ou de «l'État des juges». Où se situe la frontière entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire? Y a-t-il empiètement du système judiciaire sur les pouvoirs du Parlement et des législatures au Canada? On ne peut pas ne pas s'interroger sur cette question dans un pays comme le nôtre, qui est à la fois une démocratie parlementaire et une fédération bien vivante. Le débat continue mais on sait bien que la constitutionnalisation a bel et bien eu lieu en 1867 et en 1982. À mon avis, le système fonctionne bien.

Le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire sont indépendants l'un de l'autre au Canada, comme c'est le cas au Royaume-Uni depuis l'Act of Settlement de 1701.

Dans une récente décision, la Cour suprême du Canada a bien dit que le Parlement doit occuper toute sa place. Il arrive dans des cas difficiles qu'il ne le fasse pas toujours et s'en remette au pouvoir judiciaire. Il revient au Parlement, à mon avis, de prendre toutes ses responsabilités dans le respect de la Constitution. Parfois, ces débats sont difficiles. On pense, par exemple, à l'euthanasie et à l'avortement. La Cour suprême et le Parlement créent le droit à leur manière mais pas de la même façon, pour employer les mots de l'ancien juge en chef Brian Dickson.

Notre Cour suprême est en quelque sorte notre cour constitutionnelle de facto. Il s'est créé au Canada un bon équilibre entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Somme toute, nous avons un bon modus vivendi entre les trois grands pouvoirs de l'État. La constitutionnalisation de l'ordre juridique a certes pris de l'ampleur depuis 1982; nous allons dans la bonne direction.

Ma deuxième communication à Bristol portait sur le parlementarisme au Canada.

On sait que nous avons un système bicaméral dans l'ordre fédéral et un système unicaméral dans chacune des dix provinces. Le droit de vote est protégé par l'article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés. La durée des législatures est prévue aux articles 4 et 5 de cette Charte.

Dans notre système politique et constitutionnel, le pouvoir judiciaire est nettement séparé et indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Ces deux pouvoirs toutefois ne sont pas nettement séparés; ils «vivent» ensemble, si je peux dire, en ce sens que si le gouvernement est majoritaire, il contrôle et le législatif, et l'exécutif. Ceci dit, le gouvernement répond à la Chambre des députés et, s'il perd la confiance de cette Chambre, il doit soit déclencher des élections, soit démissionner. S'il est minoritaire, sa situation peut devenir difficile. Nous avons eu un gouvernement minoritaire à sept reprises au niveau fédéral, en 1926, en 1957, en 1962, en 1963, en 1965, en 1972 et en 1979. En 1921, le gouvernement Mackenzie King n'avait pas une majorité de sièges à la Chambre des communes, mais le premier ministre fit une alliance avec un certain parti politque de l'époque, ce qui en fit, à toutes fins utiles, un gouvernement majoritaire. Le vote de confiance n'est pas expressément énoncé dans le texte de la Constitution; il s'agit d'une convention constitutionnelle de tout premier ordre et fort bien établie, qui fait partie de la Constitution du Canada depuis plus d'un siècle et demi, comme la Cour suprême l'a mentionné dans le renvoi sur le rapatriement de 1981.

Le parlementarisme existe au Canada depuis plus de deux siècles et a connu une évolution remarquable. Le gouvernement responsable est antérieur à la Confédération; le gouvernement ne peut demeurer en place que s'il a la confiance des élus du peuple. Le cabinet des ministres a pris plus d'importance avec les années. Le chef du cabinet des ministres, le «premier ministre», qui était au début un primus inter pares, est devenu un roi élu, pour employer l'expression de Maurice Duverger.

Le contrôle de la constitutionnalité des lois, qui est rigoureux au Canada, peut avoir lieu a posteriori, lorsque la loi est contestée ou a priori, ainsi qu'il est prévu dans la Loi sur la Cour suprême du Canada; le gouvernement fédéral peut demander un avis consultatif à la Cour suprême pour savoir si un projet de loi est constitutionnel. Il l'a fait à plusieurs reprises. Les provinces peuvent faire de même en s'adressant à leur Cour d'appel, avec appel possible à la Cour suprême du Canada. On compte environ soixante-quinze renvois au niveau fédéral et, en tout, cent vingt renvois.

Ces renvois peuvent être de la plus haute importance. Pensons, par exemple, au renvoi du 28 septembre 1981 sur le rapatriement de la Constitution et à celui du 20 août 1998 sur la sécession du Québec. Ces avis consultatifs n'ont pas de jure la même force qu'un arrêt; cependant, en pratique, ils ont la même valeur.

L'article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit que les juges des cours supérieures restent en fonction durant bonne conduite, mais peuvent être révoqués par le Gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes. Aucun juge n'a été ainsi destitué depuis la Confédération. C'est une forme d'«impeachment» qui nous vient du Royaume-Uni et qui est inscrit dans la Constitution de 1867 à l'article 99.

Le Sénat et la Chambre des communes ont les mêmes pouvoirs à trois exceptions près: un projet de loi qui implique une dépense de deniers publics doit prendre naissance à la Chambre des communes; le vote de confiance ou de défiance ne peut prendre place qu'à la Chambre des communes, le gouvernement n'étant pas responsable au Sénat; enfin, en matière d'amendement constitutionnel, le Sénat n'a qu'un veto suspensif de six mois. Pour le reste, le Sénat et la Chambre des communes ont les mêmes pouvoirs.

Il est rare, toutefois, que le Sénat oppose son veto; par contre, il lui arrive souvent de proposer des amendements; on sait tous que la Chambre des communes peut les accepter ou les rejeter. Si la Chambre des communes s'y oppose, il y a navette entre les deux Chambres dans le but d'en arriver à un compromis. L'une et l'autre Chambre disposent d'un veto. Ainsi, par exemple, il y a quelques années, en 1989, le Sénat a rejeté le projet de loi sur l'avortement adopté par la Chambre des communes. Le veto suspensif du Sénat en matière d'amendement constitutionnel s'est appliqué en 1996 dans le cas de l'amendement constitutionnel pour les écoles confessionnelles à Terre-Neuve.

La seconde fonction de notre Parlement et des législatures est de contrôler le gouvernement et l'administration. Cette fonction revêt de plus en plus d'importance dans le monde d'aujourd'hui. De plus en plus d'experts comparaissent devant nos commissions parlementaires, et nos lois sont fort étudiées dans nos commissions.

Voilà, en un court résumé, les deux rapports que j'ai présentés au congrès de Bristol.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si aucun autre sénateur ne désire intervenir, cet article à l'ordre du jour est considéré comme débattu.

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 30 septembre 1998, à 13 h 30.)


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