Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 36e Législature
Volume 137, Numéro 131
Le jeudi 22 avril 1999
L'honorable Gildas L. Molgat, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE
DU JOUR
- Projet de loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada
- Projet de loi sur l'extradition
- Projet de loi privé
- Les travaux du Sénat
- PRIVILÈGES, RÈGLEMENT ET PROCÉDURE
- L'hormone de croissance recombinante bovine
- La Loi sur la taxe d'accise
- Visiteurs de marque
- La compassion pour les Canadiens souffrant d'une perte d'autonomie
- L'ajournement
LE SÉNAT
Le jeudi 22 avril 1999
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
La Journée du livre au Canada
L'honorable Joyce Fairbairn: Honorables sénateurs, des Canadiens de tous âges célébreront la quatrième Journée annuelle du livre au Canada. Il y aura des manifestations dans les villes et villages du pays. Des écrivains et des artistes seront de la fête, lisant, chantant et jouant leurs oeuvres. Il y aura des prix, des concours et des spectacles ainsi qu'une foule d'activités destinées aux enfants.Dans ma ville natale, Lethbridge, en Alberta, la librairie Macabee's organisera un concours de poésie et de dessins sur signet. Une partie des dons offerts par les clients sera versée aux écoles locales pour qu'elles achètent des livres.
Le message essentiel de cette journée est que lire est important, et cela, dès les premières années pour la connaissance, le divertissement et le réconfort. Un autre message important est que l'alphabétisation est le sentier qui mène à la lecture et à l'apprentissage permanent. Tous les secteurs de notre société doivent intensifier leurs efforts en vue d'encourager les enfants à lire et d'offrir de l'aide, je l'espère, au plus de 40 p. 100 des Canadiens qui, dans la vie de tous les jours, lorsqu'il s'agit de lire, d'écrire ou de compter, ont du mal à accomplir des choses que nous tous, dans cette enceinte, tenons pour acquises.
Cette journée spéciale vise traditionnellement à promouvoir le partage et l'échange de livres entre amis. Le thème de cette année est «Réservez-vous un bon moment avec un livre». Au cours des trois dernières années, j'ai partagé un livre avec mon collègue, le sénateur John Lynch-Staunton. Je ne suis pas sûre cette année que je devrais lui demander de passer un bon moment avec moi, mais je voudrais lui offrir une lecture palpitante avec Kiss of the Fur Woman, par un de nos meilleurs auteurs canadiens, Tomson Highway.
J'espère que vous l'aimerez, sénateur. C'est un plaisir que de perpétuer cette tradition.
Des voix: Bravo!
L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, l'année dernière, à l'occasion de la commémoration de la Journée du livre au Canada, j'espérais pouvoir souligner cette journée en donnant au sénateur Fairbairn une copie encadrée du projet de loi S-10 sanctionné, c'est-à-dire le projet de loi soustrayant les imprimés à la perception de la TPS, une idée que je sais qu'elle continue de chérir en son for intérieur. Malheureusement, le projet de loi n'a pas encore été adopté. J'espère donc pouvoir lui en remettre une copie encadrée l'année prochaine.
Cette année, j'ai deux autres livres à lui donner, dont l'un remplace le cadeau de l'année dernière, qu'il m'est impossible de lui remettre, et l'autre vaut pour cette année. Lorsque le sénateur Fairbairn nous rappelle ses débuts à Ottawa, elle nous dit qu'elle y est venue comme jeune journaliste et que son coeur appartient encore aux médias et au journalisme en général. J'ai donc cru qu'il serait tout indiqué de lui offrir le dernier livre de Bill Fox, un ancien journaliste du Montreal Gazette qui est devenu l'attaché de presse du premier ministre Mulroney et qui lance officiellement son livre à Ottawa, la semaine prochaine. Ce livre s'intitule: Spin Wars.
Comme je sais aussi que le rôle de la femme dans toutes les professions, et certainement au gouvernement et en politique, tient particulièrement à coeur au sénateur Fairbairn, le deuxième livre que je lui offre est la biographie de l'une des femmes les plus distinguées, sinon la plus éminente, de l'actuelle législature. Il s'agit de la biographie, heureusement autorisée, d'Elsie Wayne. La biographie non autorisée ne sera probablement jamais jugée valable.
J'espère que le sénateur Fairbairn aimera les deux livres.
Le sénateur Fairbairn: Je vous remercie.
Son Honneur le Président: Je présume, honorables sénateurs, que la permission est accordée aux deux honorables sénateurs de s'échanger ces marques d'amour.
Des voix: Bravo!
Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord
La réforme de la Chambre des lords
L'honorable Jack Austin: Honorables sénateurs, j'aime l'atmosphère de la Chambre à l'heure actuelle. J'espère que vous me pardonnerez de vouloir en profiter pour passer à une autre question parce que je crois que c'est le bon moment d'attirer l'attention du Sénat sur deux événements qui ont eu lieu à 350 ans d'écart, mais qui portent directement, et de façon très contemporaine, sur la nature et le rôle du Sénat.Le principal personnage de cet événement survenu il y a 350 ans est Oliver Cromwell, alors devenu lord protecteur du Commonwealth d'Angleterre, d'Écosse et d'Irlande. Le 25 avril prochain marquera le quatre centième anniversaire de sa naissance. Était-il un tyran et un usurpateur ou plutôt un homme éclairé qui recherchait l'unité du pays au cours d'une période de rébellion? Je laisse à d'autres le soin de débattre de cette question. Je m'intéresse toutefois aux querelles qui existaient à l'époque relativement à la Chambre des lords.
Les sénateurs se rappelleront que la révolution puritaine se préoccupait avant tout de la suprématie du protestantisme et de l'avènement de la souveraineté ultime, que ce soit par l'intermédiaire du droit divin ou grâce à l'intervention du peuple. Les puritains considéraient la Chambre des lords comme une extension des pouvoirs du roi et ils en sont arrivés à la conclusion que pour détruire les prérogatives royales, ils devaient anéantir les pouvoirs de la Chambre des lords. L'un d'entre eux a écrit:
Les pairs étaient les fils de la conquête et de l'usurpation. Ils ne provenaient pas du peuple.
Un autre s'est demandé:
Si une Chambre haute devait être en désaccord avec les Communes, comment le gouvernement pourrait-il fonctionner?
Une réponse parue dans un petit ouvrage de 1648 intitulé: A Plea for the Lords soulignait que:
Depuis la Grande Charte, les pairs ont démontré qu'ils ne se laissaient pas impressionner par le roi...
- ou par ce que l'on pourrait appeler aujourd'hui le pouvoir exécutif -
Peu de temps après, vers la fin de l'année 1648, les lords ont rejeté la requête en vue de soumettre Charles Ier à un procès pour trahison envers le Parlement. Aucun des pairs ne s'est prononcé en sa faveur. Le roi a été condamné à mort sans l'approbation des lords et il a été exécuté le 30 janvier 1649.... et qu'il serait beaucoup plus difficile pour des Communes cherchant à prendre de l'expansion au détriment du bien-être du public de les intimider ou de les séduire.
Lors du débat aux Communes qui a pris fin le 19 mars 1649, les Communes ont adopté le «Supreme Bill», abolissant la Chambre haute par 44 voix contre 29. L'auteur du projet de loi déclara:
La Chambre des lords était inutile et dangereuse, et devrait être abolie.
Les pairs ne furent pas consultés. Avant le vote final, Oliver Cromwell dit aux Communes qu'elles «avaient tort d'aliéner les pairs».
On proposa un compromis, à savoir que les pairs et la Chambre des communes forment une seule assemblée, mais Cromwell s'opposa à l'idée parce qu'il craignait que les pairs n'exercent une trop grande influence. Ainsi, à partir de 1649, l'Angleterre se retrouva sans monarchie pendant 11 ans et sans Chambre des lords pendant huit de ces onze années.
Toutefois, le débat n'a jamais cessé. Dans un petit ouvrage publié en 1655, on pouvait lire:
Les lords sont les garants du droit et de la liberté.
Dans une autre partie de l'ouvrage, on pouvait lire:
Le gouvernement par une Chambre unique est dangereux, pas un Commonwealth, mais une oligarchie - l'autorité d'un groupe dominant - et non par un équilibre des pouvoirs contrôlé par l'ensemble du peuple.
En 1657, Cromwell dit aux dirigeants de l'armée puritaine:
Vous vous offensez de ce qu'il y ait une Chambre des lords. Moi, je vous dis qu'à moins d'avoir un certain équilibre des pouvoirs, vous ne pouvez être en sécurité.
Il cita ensuite Charles Ier disant dans les 19 articles de Charles Ier à la Chambre des communes:
La Chambre haute est une barrière de sécurité [...] un paravent et un rempart excellents [...] entre l'armée et les Communes.
Cromwell poursuivit:
Une Chambre haute sera une grande sécurité et un rempart pour les intérêts honnêtes, mieux assurée que la Chambre des communes, qui dépend de l'élection du peuple.
Son Honneur le Président: Je regrette d'interrompre le sénateur, mais les trois minutes dont il dispose ont expiré.
Le sénateur Austin: Puis-je poursuivre?
Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Austin: Les Communes rejetèrent l'appel lancé par Cromwell. Ce dernier meurt à la fin de 1658; son fils Richard Cromwell lui succède, mais reste en place moins d'un an. La Restauration rétablit officiellement la Chambre des lords le 29 mai 1660.
Le 24 novembre 1998, la reine a probablement prononcé son dernier discours devant une Chambre des lords composée de pairs héréditaires. Dans le discours du Trône, le gouvernement Blair annonçait l'abolition du droit des pairs héréditaires de siéger et de voter; la publication d'un livre blanc sur les mécanismes d'un système de nomination de pairs à vie; et la création d'une commission royale d'enquête chargée de faire des recommandations sur la poursuite de la réforme de la Chambre des lords.
Le débat à la Chambre des lords sur le projet de loi du gouvernement Blair concernant l'abolition de la pairie héréditaire a débuté le 29 mars 1999. Une proposition des lords indépendants en vue de maintenir en place 91 pairs héréditaires jusqu'à ce que la commission royale remette son rapport au Parlement a été acceptée par le gouvernement Blair.
La commission royale d'enquête, dirigée par le conservateur lord Wakeham, a établi la liste des grandes questions qu'elle allait étudier dans le cadre de son examen des fonctions d'une Chambre des lords réformée. Elle se penchera antre autres sur:
Contrairement à ce qui s'est passé il y a 350 ans, la valeur de la Chambre haute n'est pas en doute. Il s'agit de la rendre plus représentative de la population britannique et plus efficace en tant que Chambre d'examen et de protection de la Constitution et des droits du peuple.1. L'examen des projets de loi et mesures connexes.
2. L'étude de l'usage que fait le Cabinet du pouvoir exécutif.
3. Les enquêtes spéciales.
4. Les nominations à des postes publics importants.
5. La représentation des religions organisées.
6. Le bien-fondé d'une Chambre en partie élue et en partie nommée.
7. L'indépendance à l'égard de la discipline de parti.
8. La nature d'une Chambre plus représentative de l'ensemble de la société.
9. La taille de la Chambre des lords, leurs salaires et l'accès aux ressources.
Notre Sénat n'a jamais eu à se poser de questions sur son caractère héréditaire. Toutefois, à bien d'autres égards, nous avons beaucoup à apprendre du débat en cours en Grande-Bretagne, tout comme les Britanniques peuvent apprendre une chose ou deux du Sénat canadien. Les deux systèmes semblent être sur une voie convergente.
Le groupe des parlementaires de la côte de colombie-britannique
L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, je désire rendre compte à la Chambre des derniers faits concernant la création du Groupe des parlementaires de la côte de Colombie-Britannique. Une résolution appuyant le concept d'un groupe parlementaire non partisan et constitué de représentants de tous les partis, représentant les députés fédéraux et provinciaux, ainsi que les sénateurs de la côte Ouest a été adoptée au cours de la conférence des communautés côtières qui s'est tenue à Duncan, en 1998.Le réseau des communautés côtières est la seule organisation constituée pour représenter, à la grandeur du littoral de la Colombie-Britannique, les besoins et intérêts de plus de 40 villes et villages côtiers dans 10 districts régionaux et 3 conseils tribaux de la côte Ouest du Canada.
Le 9 avril 1999, à l'occasion de la conférence annuelle du réseau des communautés côtières et de la foire commerciale de Richmond, des parlementaires fédéraux et provinciaux représentant les communautés côtières de la Colombie-Britannique se sont réunis pour tenir la rencontre inaugurale du groupe des parlementaires de la côte. Cette rencontre a été pour les participants de tous les partis l'occasion d'échanger de l'information et de discuter de questions qui intéressent les communautés côtières. Les participants ont notamment discuté des projets de loi à l'étude qui visent des communautés côtières, notamment le projet de loi C-48 sur les aires marines de conservation, dont le Sénat sera saisi. Ils ont également discuté des problèmes relatifs aux pêcheries et du moratoire sur la mise en valeur des ressources pétrolières et gazières au large des côtes de la Colombie-Britannique; des goulots d'étranglement qui affectent la prestation des programmes fédéraux-provinciaux; de la détérioration des communautés côtières et de l'abandon des quais dans les communautés isolées.
L'idée principale qui est ressortie de la rencontre est que les communautés côtières ne pourront réaliser leur diversification économique que si des changements sont apportés aux programmes gouvernementaux et aux conditions d'accès aux ressources. Nous devons, tant au niveau fédéral que provincial, appliquer de nouvelles stratégies à long terme et trouver de nouvelles façons d'utiliser les ressources.
Notre groupe a entendu Johannes Nakken, secrétaire d'État du ministère des Pêches de la Norvège, qui a expliqué l'expérience de son pays relativement aux ressources pétrolières et gazières hauturières et à l'aquaculture.
Le groupe des parlementaires de la côte a trouvé la rencontre instructive et utile et a convenu de tenir de nouvelles rencontres conjointement avec le réseau des communautés côtières.
Les participants comptaient trois ministres provinciaux: Joy MacPhail, Dennis Streifel et Ian Waddell; trois députés fédéraux: John Duncan, Svend Robinson et Peter Stoffer, qui est de la côte Est; un sénateur, c'est-à-dire moi-même, qui agissais à titre de premier président; six députés provinciaux, à savoir Murray Coell, Ida Chong, Evelyn Gillespie, Glenn Robertson, Doug Symons et John van Dongen; huit maires et conseillers de communautés côtières, dont le maire de Port Hardy; et un représentant du ministre fédéral des Pêches et des Océans.
Le groupe a également pris connaissance d'un rapport renfermant des données provenant des statistiques régionales du quatrième trimestre de 1998, montrant que les localités côtières de la Colombie-Britannique sont en déclin constant depuis 1995, déclin qui réduit lentement la qualité de vie sur la côte de la province. L'emploi dans le secteur de la pêche n'a jamais été aussi bas. Selon des estimations provenant de rapports de Pêches et Océans, d'ici l'an 2000, quelque 15 510 emplois auront disparu dans le secteur de la pêche commerciale et sportive depuis le début des années 90. La côte a besoin de stratégies de reconstitution des stocks qui favoriseront leur abondance à l'avenir. S'il ne reste plus aucun pêcheur dans les localités, comme on l'a prédit, la pêche ne rapportera rien aux localités.
En février 1999, l'emploi dans le secteur forestier de la Colombie-Britannique a chuté de 26,7 p. 100 par rapport à la même période en 1998. Le tourisme est florissant, mais seulement dans certaines parties de la région. Toutes les régions côtières, sauf le Grand Vancouver, ont connu un déclin dans les ventes au détail au cours du troisième trimestre de 1997. On a constaté que plus les localités sont éloignées des grands centres urbains, plus les chiffres sont mauvais, ce qui témoigne des conséquences du déclin des secteurs de la pêche et des forêts sur les collectivités côtières.
Par exemple, l'année dernière, les collectivités de Skeena-Reine-Charlotte ont enregistré une hausse de 271 p. 100 du nombre des faillites par rapport à 1994.
Son Honneur le Président: Je suis désolé de devoir interrompre madame le sénateur Carney, mais la période de trois minutes dont elle dispose est écoulée.
La permission est-elle accordée au sénateur de continuer?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Carney: En raison des changements structurels apportés à l'économie des localités côtières de la Colombie-Britannique, il est primordial, dans le contexte de la conférence sur le développement économique des localités côtières, d'examiner les défis que doit relever la côte et d'élaborer des stratégies à long terme.
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, les 15 minutes réservées aux déclarations de sénateurs sont écoulées. Deux sénateurs désirent faire des déclarations. Les honorables sénateurs les autorisent-ils à les faire?
Le sénateur Prud'homme: Voilà ce qui arrive lorsqu'on ne respecte pas le Règlement.
Le sénateur Lynch-Staunton: Vous pouvez bien parler!
Son Honneur le Président: La permission de prolonger la période des déclarations de sénateurs est-elle accordée?
Des voix: D'accord.
Le génocide du peuple arménien
La commémoration du quatre-vingt-quatrième anniversaire
L'honorable Shirley Maheu: Honorables sénateurs, nous soulignons cette année le 84e anniversaire du génocide des Arméniens. Je tiens à faire part aux Arméniens de ma profonde sympathie et de mon soutien.Honorables sénateurs, nous ne devons jamais oublier les événements de 1915, qui ont coûté la vie à plus d'un million et demi d'êtres humains. Certains ont tenté de minimiser la gravité des atrocités commises à l'époque. Je crois pour ma part qu'il ne faut pas reculer devant les mots justes pour décrire les horribles crimes qui ont été commis.
Le 25 avril 1993, le très honorable Jean Chrétien a déclaré:
Je transmets mes sincères salutations à tous les membres de la communauté des Canadiens d'origine arménienne qui se réuniront pour souligner le 78e anniversaire du génocide des Arméniens.
Cette commémoration est l'occasion de rappeler les sacrifices de vos ancêtres et un épisode tragique de votre histoire. C'est aussi l'occasion de dire que vous êtes fiers de la vie que vous et vos familles vous êtes bâtie au Canada.
Les Canadiens ont de nombreux motifs de reconnaissance. Ils habitent un pays d'une immense beauté et aux ressources abondantes, surpassées seulement par la chaleur et générosité de ses habitants. Au fil des ans, des Canadiens d'origines diverses ont enrichi notre pays et l'ont rendu plus fort. Le Parti libéral tient à préserver la société multiculturelle du Canada et à soutenir son épanouissement.
[Français]
Honorables sénateurs, plusieurs parlements à travers le monde ont déjà formellement reconnu le génocide arménien. Cette reconnaissance permet aux Arméniens de partout dans le monde de tourner la page sur ce triste chapitre de leur histoire collective et de se tourner résolument vers l'avenir.
De plus, il faut toujours garder en mémoire ce massacre afin que de tels événements ne soient pas banalisés et qu'ils ne se reproduisent plus jamais, car ceux qui oublient le passé sont condamnés à le revivre.
Je souhaite finalement réitérer mes voeux de sympathie au peuple arménien. Je désire encourager la communauté arménienne du Canada dans ses démarches visant à ce que cette réalité historique ne soit jamais oubliée.
[Traduction]
Le décès de Wallace Pike
Hommage
L'honorable Bill Rompkey: Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour pleurer la mort de Wallace Pike, le dernier ancien combattant de Terre-Neuve et du Labrador de la Première Guerre mondiale. Il est mort à l'âge de 99 ans.Un de ses 50 petits-enfants a déclaré après sa mort, dimanche:
Nous avons perdu deux grands personnages cette semaine. Nous avons perdu Wayne Gretzky, qui portait le numéro 99 et nous avons perdu Grand-père, qui avait 99 ans.
En fait, Wallace Pike était un héros. Il a menti sur son âge pour s'enrôler dans le Royal Newfoundland Regiment. Poussé par l'esprit d'aventure et le patriotisme qui animent la jeunesse, Wallace Pike a quitté la paix et la tranquillité d'un petit village de pêche dans la baie de Bonavista pour aller combattre sur les champs de bataille de la France et de la Belgique.
Nous pouvons imaginer les horreurs auxquelles ces courageux soldats de Terre-Neuve et du Labrador, qui n'étaient guère plus que de jeunes garçons, ont dû faire face. À l'automne de 1917, Pike et ses camarades se sont retrouvés dans une tranchée, séparés simplement par une route d'une compagnie d'Allemands. Il devait écrire plus tard:
Il faisait vraiment nuit noire. Je devais regarder par-dessus la tranchée et m'accroupir ensuite et scruter l'obscurité pour m'assurer qu'aucun Allemand ne puisse nous tomber dessus. La seule compagnie que j'avais, c'étaient les gémissements d'un camarade blessé.
Après la guerre, il s'est joint à l'Armée du Salut, où il a obtenu en fin de compte le rang de brigadier. Il a dit à la Société Radio-Canada avant sa mort qu'il avait décidé de se joindre à l'Armée du Salut parce que lorsqu'il était en Europe, il avait dû tuer des hommes et il pensait qu'il pouvait peut-être maintenant aider à en sauver.
Nous n'avons pas perdu qu'un héros, mais une partie de notre histoire également. Jack Granatstein a demandé: «Qui a tué l'histoire canadienne?» Souvent, dans l'histoire canadienne, on oublie de parler de ce que les gens de ma province ont fait avant 1949.
Wallace Pike n'était qu'un des plus de 6 000 jeunes hommes et femmes d'une toute petite nation alors, qui se sont portés volontaires volontiers, avec empressement même, et qui sont allés risquer leur vie pour défendre ce qu'ils considéraient comme leur patrimoine. Nous avons formé notre propre régiment et Wallace Pike était présent à Cambrai lorsque l'adjectif «Royal» a été juxtaposé de façon permanente au Newfoundland Regiment.
Sur les plus de 6 000 jeunes qui se sont enrôlés durant la Première Guerre mondiale, 1 300 ont été tués, 2 300 ont été blessés et 180 ont été faits prisonniers de guerre. À Beaumont-Hamel seulement, sur 778 soldats qui ont attaqué la colline le 1er juillet 1916, seuls 68 étaient encore vivants le soir venu. Pour une petite région comme la nôtre, la fleur d'une génération a été décimée en quelques heures.
Nous saluons aujourd'hui Wallace Pike, le dernier des anciens combattants à avoir fait la guerre au cours de ce conflit déterminant. Wallace Pike n'est pas né Canadien, comme les gens de ma génération. Toutefois, comme d'autres de sa génération, il a choisi de se joindre au Canada, mais avant cela, il avait combattu pour défendre les valeurs et le patrimoine que nous chérissons tous et pour cette liberté chère à notre coeur, où qu'on vive au pays.
Visiteurs de marque
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, avant de passer au point suivant à l'ordre du jour, il convient que je porte à votre attention la présence d'une délégation à notre tribune. Il s'agit d'une délégation de Hollande dirigée par Son Honneur le maire de Holten, M. D.J. Verhoeven. M. Verhoeven est accompagné de M. Gerry van't Holt et de quelques membres de la fondation Welcome Again Veterans.Ce groupe hollandais est ici pour traiter avec les autorités canadiennes sur la question de la commémoration des Canadiens morts à la guerre en Hollande.
Nous sommes heureux de vous accueillir au Sénat du Canada.
Des voix: Bravo!
(1430)
PÉRIODE DES QUESTIONS
La défense nationale
Les forces de l'OTAN en ex-Yougoslavie-Le déploiement des forces terrestres-La disponibilité d'éléments de soutien-La position du gouvernement
L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Selon les médias, de 600 à 800 membres d'un régiment armé sont maintenant prêts à partir pour l'Europe. Il n'y a toutefois aucune mention d'éléments de soutien. Je pense en particulier aux hélicoptères ou à d'autres éléments de soutien qui, d'habitude, accompagnent au combat un groupe de cette importance.Le leader du gouvernement pourrait-il clarifier la situation et nous dire si ces estimations de 600 à 800 incluent tous les éléments de soutien, ce qui voudrait dire qu'il y aurait nettement moins de soldats qu'on pourrait le penser?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, on m'a assuré que tous les éléments de soutien auxquels l'honorable sénateur Forrestall fait allusion accompagneront les forces qui seront déployées, que le maximum de 800 mentionné soit atteint ou non. À vrai dire, on a dit de 500 à 800.
La semaine dernière, le sénateur Forrestall a affirmé qu'il avait entendu parler de 2 000. Le renseignement qui lui avait été communiqué alors était inexact.
Le sénateur Forrestall: Je ferais attention à cela.
Le sénateur Graham: Le sénateur peut se fier à ses sources, et de toute évidence, il en a d'excellentes au sein des forces armées, mais je crois que son chiffre de 2 000 était inexact. Je maintiens ce que j'ai dit.
Je suis d'avis que le total des forces à déployer, s'il était de l'ordre de 800, incluerait des forces de soutien.
Les forces de l'OTAN en ex-Yougoslavie-Le déploiement des forces terrestres-La durée de la période d'entraînement
L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, en fait, nous n'en avons pas 800. Nous avons un escadron de reconnaissance, un escadron d'hélicoptères, de l'aide médicale et toute une variété d'autres éléments, de sorte que le nombre est quelque peu inférieur à 500 ou 800, comme le ministre le laisse entendre.C'est le ministre qui a fait allusion à un groupe de bataillon d'infanterie, ce qui est évidemment loin des chiffres mentionnés. Le ministre pourrait-il m'expliquer pourquoi ces troupes aptes au combat auraient besoin d'une période d'entraînement de 45 à 60 jours une fois sur le terrain, pour être entièrement opérationnelles?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, la pierre angulaire de la politique de défense du Canada est une force armée apte au combat et toutes armes réunies. Nous devons aussi remplir les engagements contractés envers l'alliance de l'OTAN il y a 50 ans.
Le personnel des Forces canadiennes de la BFC Edmonton a reçu toute la formation requise et sera bientôt prêt à être déployé au besoin, mais uniquement pour la mise en application d'un accord de paix.
Les affaires étrangères
Le conflit en ex-Yougoslavie-Les efforts du gouvernement pour mettre fin à la guerre
L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Chaque jour, j'ouvre les journaux, j'écoute la télévision, en osant espérer que le gouvernement canadien prendra une initiative afin de mettre fin à cette guerre catastrophique qui se déroule au Kosovo et en Serbie. Je suis quotidiennement déçu de voir le carnage et la souffrance se poursuivre aux deux endroits et de voir que le gouvernement canadien ne fait rien sinon acquiescer à tout ce que propose l'OTAN. Pourtant, cette même organisation s'est engagée maladroitement dans la pire crise mondiale depuis la fin de la guerre froide. Le gouvernement canadien affirme qu'il discute, qu'il consulte et qu'il réfléchit. Entre-temps, d'innombrables personnes meurent.Quand le gouvernement va-t-il agir, proposer un plan, relancer les Nations Unies, faire appel à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe? Quand le gouvernement va-t-il nous dire ce qu'il compte faire pour mettre fin à cette guerre?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, en général, j'admire les interventions du sénateur Roche, mais je dois exprimer mon plus farouche désaccord avec ce qu'il a dit aujourd'hui. Il est injuste de laisser entendre que le Canada ne fait qu'acquiescer. C'est surtout injuste à l'égard des Forces canadiennes qui sont dans les Balkans pour remplir nos engagements à l'égard de l'OTAN et pour représenter le Canada de façon courageuse et louable.
Des voix: Bravo!
Le sénateur Roche: Honorables sénateurs, j'ai demandé ce que le gouvernement canadien compte faire maintenant.
Le conflit en ex-Yougoslavie-Les efforts du gouvernement pour mettre fin à la guerre-Les propos d'éminentes personnalités
L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, j'attire l'attention du gouvernement sur une déclaration de l'ancien premier ministre du Canada, Brian Mulroney, qui a dit que le gouvernement devrait faire preuve de leadership et profiter de son siège au Conseil de sécurité des Nations Unies pour chercher à obtenir une solution négociée afin de mettre fin à la guerre.Si cette citation est à caractère trop partisan, je peux citer des leaders religieux canadiens qui sont venus à Ottawa la semaine dernière pour demander qu'on mette fin aux bombardements.
Je peux aussi citer Robert McNamara, ancien secrétaire américain de la Défense, qui est venu à Ottawa il y a quelques semaines. Il a dit hier dans le New York Times que nous étions sur le point de commettre le même genre d'erreurs tragiques qu'au Viêtnam en ne nous retirant pas assez vite.
Ma dernière citation - et j'espère que le leader ne contestera pas celle-là - vient de Geoffrey Pearson. C'est le troisième jour d'affilée que je prends la parole pour demander au gouvernement ce qu'il fera au sujet de la lettre que M. Pearson a écrite au gouvernement au nom de l'Association canadienne pour les Nations Unies, un des organismes les plus prestigieux au pays, demandant qu'on mette fin aux bombardements.
Ne sont-ce pas là des preuves suffisantes? Qu'avons-nous besoin de plus?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, mon honorable collègue a eu l'amabilité de m'envoyer une copie de la lettre de M. Pearson. Je ne sais pas encore si la lettre est parvenue au premier ministre du Canada, à qui elle est adressée. Je crois qu'il ne convient pas du tout que je fasse des commentaires sur cette lettre avant que le premier ministre ne l'ait vue ou qu'il y ait répondu. Il répondra certainement en temps opportun à M. Pearson, qui est lui-même un ancien diplomate respecté.
(1440)
Nous discuterons de notre réaction à cette crise avec nos alliés de l'OTAN au sommet de l'OTAN qui se déroulera cette semaine. Nous devons penser avant tout au sort des habitants déplacés du Kosovo. Une chose est claire, Milosevic doit se plier aux conditions établies par l'OTAN et confirmées ces derniers jours par le secrétaire général des Nations Unies et par des représentants de l'Union européenne.
Honorables sénateurs, nous pourrions nous contenter de regarder Milosevic faire encore plus de carnage dans cette région du monde et étendre ses activités à d'autres pays.
Le sénateur Roche: Faites intervenir l'ONU!
Le sénateur Graham: Il fallait que nous fassions quelque chose.
Le sénateur Roche ne cesse de mentionner le Conseil de sécurité des Nations Unies. Nous savons qu'il nous est impossible d'obtenir un consensus, à cause du veto que détiennent la Chine et la Russie. Les consultations se poursuivent entre notre premier ministre et le premier ministre de la Chine et le président Eltsine, et entre notre ministre des Affaires étrangères, notre premier ministre et nos alliés de l'OTAN.
Honorables sénateurs, la question est grave. Nous agissons de la façon qui nous semble la plus responsable. Nous agirons en harmonie avec nos partenaires de l'OTAN, comme nous le faisons depuis 50 ans, et nous prenons part à cette décision de concert avec nos alliés de l'OTAN.
Des voix: Bravo!
La défense nationale
Les forces de l'OTAN en ex-Yougoslavie-Le déploiement des forces terrestres-La position du gouvernement
L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Ma question complémentaire, honorables sénateurs, vise à déterminer la position du Canada en ce qui concerne l'envoi de troupes terrestres dans une zone de guerre.Je m'inspire d'un article paru aujourd'hui dans la Gazette de Montréal, qui reprend mot pour mot une réponse que le premier ministre de la Grande-Bretagne a fournie à la Chambre des communes hier. Le titre dit: «Il faut se préparer à envoyer des troupes, selon Blair». Cela nous confirme la position de la Grande-Bretagne. Le sous-titre dit: «L'OTAN se prépare à une guerre terrestre; le Canada s'engage à suivre l'Alliance...»
À mon avis, le gouvernement ne fait pas preuve de leadership, puisqu'il suivra simplement la consigne de l'Alliance. En réponse à une question, le premier ministre a déclaré:
Si nous nous retrouvons un jour devant la nécessité d'envoyer des troupes terrestres, nous le ferons avec les autres.
Ce que nous voulons savoir, c'est quelle est la position du Canada sur l'envoi de troupes terrestres? S'agit-il seulement de suivre le voeu de la majorité? S'agit-il de dire à l'Alliance qu'il existe d'autres solutions de rechange?
Pouvons-nous ramener ces gens-là à la table de négociation? Pouvons-nous recourir à quelque mécanisme pour en arriver au moins à une accalmie? N'existe-t-il pas de solution de rechange? Quel est le rôle du Canada dans cette affaire? Ce que nous dit le premier ministre, c'est que si l'OTAN décide d'envoyer des troupes, nous en enverrons aussi. Ce n'est pas là faire preuve de leadership.
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, 19 pays sont membres de l'OTAN.
Le sénateur Lynch-Staunton: Alors?
Le sénateur Graham: Nous faisons partie de cette alliance de l'OTAN.
Le sénateur Lynch-Staunton: Alors?
Le sénateur Graham: Le Canada joue toujours un rôle de premier plan en engageant des pourparlers, non seulement avec nos alliés de l'OTAN, mais aussi avec la Russie et la Chine, sans oublier l'Ukraine, comme l'a mentionné l'autre jour le sénateur Andreychuk. Nous aurons des discussions avec nos alliés de l'OTAN à la conférence de l'OTAN qui aura lieu à Washington dans quelques jours.
Honorables sénateurs, notre politique à l'égard du Kosovo a toujours été claire. Notre but demeure que les Kosovars rentrent sains et saufs au Kosovo.
Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, j'espère qu'on répondra par oui ou par non à ma dernière question complémentaire. Le Canada favorise-t-il, à l'heure actuelle, l'envoi par l'OTAN de troupes terrestres dans la région des Balkans, oui ou non?
Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, cette question sera discutée aux réunions de l'OTAN, à Washington.
Le sénateur Lynch-Staunton: Quelle est votre position?
Le sénateur Graham: Je pourrais peut-être demander au chef de l'opposition quelle est la position du chef de son parti sur l'envoi de troupe dans cette région du monde.
Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, le leader du gouvernement n'a pas à demander au chef de l'opposition quelle est la position du chef de son parti. Toutefois, je puis vous dire quelle était la position du chef de mon parti au cours de la crise de la guerre du Golfe, lorsqu'il était premier ministre. Il a consulté le Parlement. Il a tenu des scrutins au Parlement et il a tenu le Parlement constamment informé par l'intermédiaire du ministre des Affaires étrangères. Il s'est arrangé pour s'assurer que la guerre du Golfe était faite avec l'approbation et la sanction des Nations Unies. Que fait le premier ministre Chrétien à propos de la crise actuelle? Il attend qu'on lui dise quoi faire.
Le sénateur Oliver: Rapatriez-les!
Le sénateur Graham: Le premier ministre et moi-même avons déjà déclaré que si des troupes terrestres sont envoyées en Yougoslavie à d'autres fins que celles du maintien de la paix, il y aura des discussions à ce sujet au Parlement.
Le sénateur Lynch-Staunton: Que dire d'un vote?
Le sénateur Graham: J'ai dit au chef de l'opposition et j'ai annoncé à tous les honorables sénateurs qui ont demandé une séance d'information que j'ai pris des dispositions, au nom du Sénat, pour que de telles séances aient lieu, celles-ci ayant été fixées provisoirement au début de la semaine prochaine. Nous espérons que les ministres des Affaires étrangères et de la Défense nationale seront présents. J'informerai les honorables sénateurs, au plus tard demain, du moment et de l'endroit où se tiendront ces séances d'information.
Le sénateur Lynch-Staunton: Si nous obtenions des réponses, il n'y aurait pas de débat.
L'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord
Le prochain sommet-L'inscription à l'ordre du jour du déploiement de forces terrestres-La position du gouvernement
L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, j'ai une question complémentaire. Le premier ministre a dit qu'il s'attend à ce que les dirigeants des États membres de l'OTAN discutent de l'envoi de troupes terrestres lors des rencontres du week-end prochain.Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire si le premier ministre a demandé que la question de l'envoi de troupes terrestres soit abordée lors de la rencontre des membres de l'OTAN?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je n'ai pas vu l'ordre du jour de la réunion ni aucune demande que le premier ministre aurait présentée expressément en ce sens à l'OTAN. Il est inévitable et évident que pareille question sera abordée lors de la réunion des membres de l'OTAN.
Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, le leader est-il en train de dire que le premier ministre va évidemment soulever la question? Est-il en train de dire qu'il s'attend à ce d'autres, peut-être, soulèvent la question? Ce que je veux savoir, c'est si le premier ministre a demandé que la question soit inscrite à l'ordre du jour.
Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je ne sais pas si le premier ministre a posé cette question-là en particulier. Peut-être que le secrétaire général de l'OTAN ou un membre de l'Alliance l'a posée.
Les gouvernements alliés n'ont pas songé au déploiement de troupes dans d'autres scénarios, bien que cette question puisse être discutée au cours du sommet de l'OTAN.
Le sénateur Andreychuk: Honorables sénateurs, au sein de l'OTAN, la tradition veut que tous les pays membres travaillent ensemble et que les questions qui touchent l'un d'eux les concernent tous.
Si le premier ministre Blair affirme maintenant qu'il faut discuter du déploiement de forces terrestres, faut-il en conclure que cette option est maintenant au programme ou enfreint-il la coutume de l'OTAN, qui consiste à discuter de ce genre de questions à huis clos et non publiquement?
Le sénateur Graham: Je pense qu'il n'est à l'avantage de personne que ce qui sera au programme soit discuté à l'avance dans la presse. Toutefois, si le premier ministre Blair a dit qu'il souhaite que cette question soit au programme, je ne doute pas qu'elle sera discutée.
La défense nationale
Les forces de l'OTAN en ex-Yougoslavie-L'utilisation d'armes nucléaires-La position du gouvernement
L'honorable Pat Carney: Honorables sénateurs, comme vous le savez, le Canada a été un ferme partisan et défenseur du Traité de non-prolifération des armes nucléaires. Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire si le Canada a une position sur l'utilisation des armes nucléaires dans la crise actuelle?L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, oui, nous avons une position. Nous sommes contre la première utilisation. Ce serait un nouveau sujet dans les discussions. Je sais que l'OTAN discutera du désarmement nucléaire. C'est une question délicate et j'espère que l'on ne s'aventurera pas sur ce terrain. Je connais le Canada, le premier ministre, le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense, et je ne pense pas que cette possibilité soit envisagée à quelque moment que ce soit.
Les frappes aériennes de l'OTAN en ex-Yougoslavie-Les images montrées aux nouvelles d'un récent raid de bombardement par un CF-18- Le démenti des autorités-La responsabilité du gouvernement
L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il y a quelques jours, des députés du gouvernement ont critiqué un député de mon parti à l'autre endroit concernant une question qui portait sur le déploiement d'une unité des Forces canadiennes au Kosovo. Ce matin, à l'occasion d'un exposé en direct du Pentagone diffusé sur CNN, nos alliés américains ont montré avec fierté une vidéo dans laquelle un CF-18 des Forces canadiennes atteignait une cible en Yougoslavie. Ils ont dit qu'il s'agissait d'un CF-18 canadien. De plus, les porte-parole du Pentagone semblaient être très au courant de l'étendue de l'attaque.(1450)
Juste avant que le Sénat amorce ses travaux cet après-midi, j'ai regradé un exposé télédiffusé par la chaîne Newsworld. Les porte-parole militaires canadiens ont refusé de corroborer ces images et ont dit qu'elles présentaient un risque pour la sécurité de nos pilotes. Les militaires canadiens ont même semblé douter qu'il s'agissait d'un appareil canadien. Les représentants des médias qui assistaient à cet exposé ont été à juste titre mystifiés. Ce fut un spectacle embarrassant et qui appelle une remise en question du rôle et du leadership du Canada dans ce domaine.
Le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous donner l'assurance qu'une personne prend charge de ces initiatives au MDN? Nous avons chaque jour l'air un peu plus fou. Quand le ministre de la Défense nationale se présentera-t-il au micro à l'occasion de ces exposés et informera-t-il exactement les Canadiens de ce qui se passe en Yougoslavie?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, peu importe les images que les Américains ont réussi à se procurer et à montrer à la télévision et qui correspondent selon eux à des avions de chasse CF-18 canadiens, je laisserai au chef d'état-major de la Défense et au chef de nos forces aériennes le soin de se prononcer sur la pertinence ou non de cette action. Les militaires canadiens seraient les mieux placés pour confirmer ou pour infirmer la véracité de ces images.
Peut-être madame le sénateur LeBreton n'était-elle pas à son fauteuil lorsque j'ai déclaré hier que le commandant suprême des Forces alliées, lors de sa tournée de nos militaires en poste en Italie, qui est le point de départ de nos missions dans la région, a félicité les pilotes canadiens pour leur compétence. Il a déclaré qu'ils étaient des pilotes de premier ordre et parmi les meilleurs au monde.
Le sénateur Lynch-Staunton: Et alors? Que dira-t-il d'autre?
Le sénateur Graham: Le sénateur Lynch-Staunton marmonne.
Le sénateur Lynch-Staunton: Que pense donc M. Chrétien?
Le sénateur Graham: Il dit: «Et alors? Et alors quoi?»
Madame le sénateur LeBreton pourra, à l'occasion de la séance d'information que j'ai arrangée pour le début de la semaine prochaine avec le ministre de la Défense nationale et le ministre des Affaires étrangères, poser la même question ou toute autre question qu'elle désire.
Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, lorsque j'ai vu la séance d'information du Pentagone ce matin, je dois avouer que j'ai éprouvé un tout petit peu de fierté en entendant dire que c'était un CF-18 canadien qui avait atteint la cible. Cependant, après cela, en voyant à la télévision les officiels canadiens tenter de nier qu'ils savaient, comme si nous ne participions pas à la mission, j'ai trouvé qu'ils donnaient un spectacle désolant et embarrassant.
Étant donné qu'il semble y avoir un conflit entre le Pentagone et les Forces canadiennes, le gouvernement du Canada logera-t-il une plainte auprès des États-Unis pour dénoncer cette atteinte apparente à la sécurité et critiquera-t-il le gouvernement des États-Unis, comme il a critiqué le député conservateur à l'autre endroit pour avoir fait courir des risques aux militaires canadiens?
Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je laisserai au chef d'état-major de la Défense le soin de s'occuper de cela, car je lui fais entièrement confiance, comme tous les Canadiens, j'en suis sûr.
Honorables sénateurs, je voudrais revenir à une question posée par le sénateur Forrestall au sujet des avantages qui seraient accordés à nos militaires en service actif et au sujet des conditions d'admissibilité.
En répondant à une question posée ce matin, le général Jurkowski a déclaré qu'il y avait une série d'avantages, des allocations spéciales, des indemnités pour risque d'hostilités et bien d'autres choses qui restaient en vigueur en dépit du changement de nom. Il a ajouté que les militaires sur place avaient accès à toutes ces indemnités et prestations et que si, par malheur, quelque chose leur arrivait, leurs familles auraient droit à tous ces avantages.
J'en ai déduit que tous les avantages auxquels faisait allusion le sénateur Forrestall étaient offerts au personnel en service actif.
Les relations entre le Canada et les États-Unis
La perte de l'exemption spéciale prévue dans le règlement sur le commerce international des armes-La possibilité d'un différend commercial-Les efforts visant à resserrer la politique d'exportation d'armes
L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, j'aimerais revenir à la série de questions posées hier par mon collègue, le sénateur Kelleher, au sujet des changements qui pourraient être apportés au règlement américain sur le commerce international des armes.Il faut savoir, même si cela déplaît au ministre des Affaires étrangères, que les changements que les États-Unis se proposent d'apporter au règlement en question ont été motivés par l'inquiétude de Washington face à l'absence, au cours des dernières années, de politique canadienne de contrôle de l'exportation de technologie et d'équipement américains vers des pays tels que l'Irak, l'Iran et la Chine.
Laissez-moi rappeler aux honorables sénateurs que durant la mission de maintien de la paix de 1993, lors d'une exposition sur le commerce de matériel de défense qui s'est tenue à Ottawa, le ministre actuel des Affaires étrangères, qui était à l'époque porte-parole du Parti libéral en matière d'affaires extérieures, a accusé le gouvernement conservateur d'être trop laxiste dans sa politique de contrôle d'exportation d'armes. Selon lui, la politique canadienne de contrôle d'exportation d'armes devait être resserrée et prévoir une reddition de comptes plus stricte au Parlement. Le porte-parole libéral en matière d'affaires extérieures a également dit qu'il voudrait que les libéraux reprennent le pouvoir pour élaborer:
Selon l'actuel ministre des Affaires étrangères, si cette mesure n'était pas prise, les futurs gardiens de la paix canadiens pourraient se retrouver sous le feu d'armes étrangères renfermant des pièces fabriquées au Canada.... un registre, un centre d'échange d'information sur les pays auxquels les entreprises canadiennes peuvent ou non vendre des armes. Cette liste serait élaborée dans le cadre d'audiences parlementaires.
Étant donné ces déclarations de l'ancien porte-parole libéral en matière d'affaires extérieures, le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous dire quelles mesures ont été prises par les divers ministres des Affaires étrangères depuis 1993 pour resserrer la politique canadienne d'exportation d'armes?
L'honorable B. Alasdair Graham (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, officiellement, la proposition américaine découle d'une préoccupation au sujet d'un certain nombre d'incidents où des Canadiens ont vendu ou essayé de vendre, semble-t-il, du matériel militaire renfermant de la technologie américaine à l'Iran, à l'Irak ou à quelque autre pays.
Le gouvernement canadien s'inquiète de l'annonce américaine dont on a parlé hier. Cela aurait pour effet de grandement réduire l'éventail des produits exempts de permis d'exportation au Canada, ce qui aurait des répercussions négatives sur plusieurs industries canadiennes.
Cela dit, je sais que les fonctionnaires canadiens et américains continuent de discuter de ce changement dans la réglementation internationale touchant le trafic des armes. Le ministre Axworthy a discuté de la question avec la secrétaire d'État Albright et il le fera à nouveau lorsqu'ils se rencontreront à Washington dans le cadre du sommet de l'OTAN, cette fin de semaine. Nous avons eu d'importantes discussions bilatérales depuis que les États-Unis ont fait cette annonce. Des hauts fonctionnaires des deux pays se sont réunis en mars et ont abouti à un accord très large sur une approche pour minimiser la perturbation de nos échanges bilatéraux dans le domaine de la défense. Nous ne sommes pas encore parvenus à une solution tout à fait satisfaisante, mais les discussions se poursuivent.
Le sénateur Nolin: Entre-temps, quelles mesures spéciales ont été adoptées par l'actuel ministre de la Défense sur cette importante question?
Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je pense que c'est davantage le ministre des Affaires étrangères qui s'occupe de cette question. À ma connaissance, le ministre de la Défense nationale ne participe pas directement à ces discussions.
Le sénateur Nolin: Nous avons la preuve que des véhicules blindés canadiens ont été vendus à un pays européen dont nous venons de recevoir les représentants. Ces pièces d'équipement ont abouti en Iran. Nous en avons la preuve. Le ministre de la Défense nationale doit certes prévoir des changements de politique pour veiller à ce que cela ne se reproduise pas. Quelles sont les mesures qu'il a prises?
(1500)
Le sénateur Graham: Honorables sénateurs, je ne suis au courant d'aucune mesure particulière. À ce que je sache, il n'existe aucune preuve - même si mon honorable ami peut peut-être en donner - indiquant que le Canada a été utilisé pour l'exportation de marchandises et de technologies américaines ou canadiennes de nature délicate vers des pays où leur utilisation suscite des inquiétudes.
La meilleure façon d'apaiser les inquiétudes concernant la possibilité que des équipements et des technologies ne finissent pas dans pays tiers non autorisés est de maintenir l'étroite coopération qui existe entre nos organismes d'exécution respectifs. Je sais que c'est là une question qui sera examinée par nos principaux ministres en temps opportun.
Le sénateur Nolin: Si le ministre veut des preuves, je suis sûr que lorsque le ministre des Affaires étrangères rencontrera son homologue à Washington, celle-ci se fera un plaisir de lui montrer les photos.
Visiteurs de marque
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'un groupe d'élèves de l'école Louis-Riel de Calgary, en Alberta. Ils sont venus jusqu'ici pour voir le Sénat en pleine action. Ils ont à leur tête leur professeur, George Lougheed.Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix: Bravo!
ORDRE DU JOUR
Projet de loi sur l'Agence des douanes et du revenu du Canada
Troisième lecture-Motion d'amendement-Report du vote
L'ordre du jour appelle:Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Carstairs, appuyée par l'honorable sénateur Bacon, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-43, Loi portant création de l'Agence des douanes et du revenu du Canada, et modifiant et abrogeant certaines lois en conséquence.
L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, nous continuons d'avoir de sérieuses réserves au sujet du projet de loi C-43. Je voudrais attirer l'attention du Sénat sur plusieurs promesses qu'a faites le ministre lorsqu'il a comparu devant notre comité les 17 et 18 février. Je tiens à ce que ces promesses figurent dans le hansard car nous voulons tenir le gouvernement responsable.
Je précise que je ne soulève pas ces points dans l'intention de mettre en doute l'intégrité du ministre ou du sous-ministre. Les ministres, ça va et ça vient, comme les sous-ministres. La personne qui sera à la tête de ce portefeuille dans un mois, un an ou une décennie ne partagera peut-être pas les vues de M. Dhaliwal. Je rappelle aux honorables sénateurs que, sur les 31 ministres de second plan nommés par le premier ministre, cinq seulement, y compris le premier ministre, sont encore au poste qui leur avait été attribué initialement.
Tout d'abord, le ministre nous a dit qu'il continuerait de rendre des comptes. Nous surveillerons assurément la situation de près, car nous craignons que tôt ou tard, un futur ministre quelconque ne se mette à parler d'«entité indépendante» pour se décharger de cette responsabilité. Nous craignons également qu'un ministre, une fois qu'il n'a plus à exercer un contrôle direct, ne se contente de l'avis des hauts fonctionnaires dans des dossiers dont il n'aurait jamais dû se départir.
Nous ne serons d'ailleurs pas les seuls à surveiller. Voici à ce sujet les propos de Garth White, porte-parole de la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante:
Pour sûr, si les dispositions de ce projet de loi relatives à l'obligation de rendre des comptes ne donnent pas les résultats escomptés, le gouvernement aura tôt fait de s'en rendre compte et il ne fait aucun doute pour quoi qu'il devra payer le prix politique, qui sera fort élevé.
Nous ne saurions nous contenter de la parole du ministre. Nous n'aurons de cesse de surveiller la situation.
Hier, nous avons proposé un amendement en faveur du principe du mérite. Nous croyons fermement que le principe du mérite devrait être inscrit dans le projet de loi pour que les employés de Revenu Canada sachent parfaitement comment ils seront traités lors des mutations. Aucune protection n'est encore prévue à leur endroit. Notre préoccupation est que, s'ils ne jouissent d'aucune protection quant à la sécurité d'emploi, ils ne croiront pas le ministre sur parole, même s'il leur dit que le gouvernement va s'occuper d'eux. Il faut donc leur donner une garantie fondée sur autre chose qu'un simple engagement verbal du ministre car, comme je l'ai dit, les ministres passent.
Motion d'amendement
L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, par conséquent, je propose:Que le projet de loi C-43 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 54, à la page 17,
a) par substitution, à la ligne 9, de ce qui suit:
b) par suppression des lignes 13 à 15.«54. L'Agence élabore un programme de» ;
Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix: Oui.
Des voix: Non.
L'honorable David Tkachuk: Je propose l'ajournement du débat.
Son Honneur le Président: L'honorable sénateur Tkachuk, appuyé par l'honorable sénateur Gustafson, propose: Que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat. Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: Oui.
Des voix: Non.
Son Honneur le Président: Que tous ceux qui sont en faveur de la motion d'ajournement veuillent bien dire oui.
Des voix: Oui.
Son Honneur le Président: Que tous ceux qui sont contre veuillent bien dire non.
Des voix: Non.
Son Honneur le Président: À mon avis, les non l'emportent.
Le Sénat est saisi de la motion d'amendement. L'honorable sénateur Stratton, appuyé par l'honorable sénateur Cohen, propose:
Que le projet de loi C-43 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 54, à la page 17,
a) par substitution, à la ligne 9, de ce qui suit:
«54. L'Agence élabore un programme de»;
b) par suppression des lignes 13 à 15.
Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion d'amendement?
Des voix: Oui.
Des voix: Non.
Son Honneur le Président: Que tous ceux qui sont en faveur de la motion d'amendement veuillent bien dire oui.
Des voix: Oui.
Son Honneur le Président: Que tous ceux qui sont contre veuillent bien dire non.
Des voix: Non.
Son Honneur le Président: À mon avis, les non l'emportent.
Et deux sénateurs s'étant levés:
Son Honneur le Président: Que les whips se consultent et qu'ils décident du moment où l'amendement sera mis aux voix.
[Français]
L'honorable Léonce Mercier: Honorables sénateurs, en vertu du Règlement, je demande que le vote soit reporté à la prochaine séance du Sénat.
[Traduction]
Son Honneur le Président: Le whip du gouvernement a demandé que le vote soit reporté à la prochaine séance du Sénat.
Projet de loi sur l'extradition
Troisième lecture-Motions d'amendement-Suite du débat
L'ordre du jour appelle:Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Bryden, appuyée par l'honorable sénateur Pearson, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-40, Loi concernant l'extradition, modifiant la Loi sur la preuve du Canada, le Code criminel, la Loi sur l'immigration et la Loi sur l'entraide juridique en matière criminelle, et modifiant ou abrogeant d'autres lois en conséquence;
Et sur les motions d'amendement de l'honorable sénateur Grafstein, appuyées par l'honorable sénateur Joyal, c.p., que le projet de loi ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié:
a) par substitution, à la ligne 30, à la page 17, de ce qui suit:1. à l'article 44:
«b) soit les actes à l'origine de la demande d'extradition sont sanctionnés par la peine capitale en vertu du droit applicable par le partenaire;
c) soit la demande d'extradition est présen-»;b) par substitution, aux lignes 1 à 5, à la page 18, de ce qui suit:«(2) Malgré l'alinéa (1)b), le ministre peut prendre un arrêté de remise lorsque le partenaire qui demande l'extradition lui donne l'assurance que la peine capitale ne sera pas imposée ou, si elle est imposée, ne sera pas exécutée, et qu'il est satisfait de l'assurance qu'on lui a donnée.».
a) par substitution, au terme «accord», de «accord général d'extradition»;2. à l'article 2 et nouvelle partie 3:
b) par substitution, à l'expression «accord spécifique», de «accord spécifique d'extradition»
c) à l'article 2:
««extradition» Livraison d'une personne à un État aux termes d'un accord général d'extradition ou d'un accord spécifique d'extradition.»,(i) à la page 2, par adjonction, après la ligne 8, de ce qui suit:
(ii) à la page 1, par suppression des lignes 7 à 10;
(iii) à la page 2, par substitution, à la ligne 13, de ce qui suit:««partenaire» État qui est soit partie»;«accord général d'extradition» Accord en vigueur auquel le Canada est partie, qui porte en tout ou en partie sur l'extradition, à l'exception de tout accord spécifique d'extradition.(iv) à la page 1, par adjonction, après la ligne 10, de ce qui suit:
«accord général de remise» Accord en vigueur auquel le Canada est partie, qui porte en tout ou en partie sur la remise à un tribunal international, à l'exception de tout accord spécifique d'extradition.»,
«accord spécifique d'extradition» Accord visé à l'article 10 qui est en vigueur.(v) à la page 1, par substitution, aux lignes 11 et 12, de ce qui suit:
«accord spécifique de remise» Accord visé à l'article 10, tel qu'il est modifié par l'article 77, qui est en vigueur.»,
d) à la page 32, par adjonction, après la ligne 4, de ce qui suit:(vi) à la page 2, par substitution, aux lignes 7 et 8, de «b) un territoire.»; à la page 2, par adjonction, après la ligne 16, de ««partenaire judiciaire» Tribunal international dont le nom figure à l'annexe.»; et à la page 2, par adjonction, après la ligne 8, de ««remise à un tribunal international» Le fait de livrer une personne à un tribunal international dont le nom figure à l'annexe.»;
«PARTIE 3
REMISE À UN TRIBUNAL INTERNATIONAL
77. Les articles 4 à 43, 49 à 58 et 60 à 76 s'appliquent à la présente partie, à l'exception de l'alinéa 12a), du paragraphe 15(2), de l'alinéa 15(3)c), des paragraphes 29(5), 40(3), 40(4) et de l'alinéa 54b):a) comme si le terme «extradition» se lisait «remise à un tribunal international»;
b) comme si l'expression «accord général d'extradition» se lisait «accord général de remise»;
c) comme si l'expression «partenaire» se lisait «partenaire judiciaire»;
d) comme si l'expression «accord spécifique d'extradition» se lisait «accord spécifique de remise»;
e) comme si l'expression «État ou entité» se lisait «tribunal international»;
f) avec le modifications prévues à l'article 78 à 82;
g) avec les autres modifications exigées par les circonstances.
78. Pour l'application de la présente partie, l'article 9 est réputé se lire comme suit:
«9. (1) Les tribunaux internationaux dont les noms apparaissent à l'annexe sont désignés partenaires judiciaires.
(2) Le ministre des Affaires étrangères peut par arrêté, avec l'accord du ministre, radier tout nom de l'annexe ou y ajouter d'autres noms de tribunaux internationaux.»
79. Pour l'application de la présente partie, le paragraphe 15(1) est réputé se lire comme suit:
«15. (1) Le ministre peut, après réception de la demande de remise à un tribunal international, prendre un arrêté introductif d'instance autorisant le procureur général à demander au tribunal, au nom du partenaire judiciaire, la délivrance de l'ordonnance d'incarcération prévue à l'article 29.»
80. Pour l'application de la présente partie, les paragraphes 29(1) et (2) sont réputés se lire comme suit:
«29. (1) Le juge ordonne dans les cas suivants l'incarcération de l'intéressé jusqu'à sa remise:
a) si la personne est recherchée pour subir son procès et le juge est convaincu que la personne qui comparaît est celle qui est recherchée par le partenaire judiciaire;
b) si la personne est recherchée pour se faire infliger une peine ou pour la purger et le juge est convaincu qu'elle est celle mentionnée dans l'arrêté.
(2) L'ordonnance d'incarcération indique le nom de l'intéressé, le lieu où il sera détenu et le nom du partenaire judiciaire.»
«a) soit accueillir l'appel, au motif, selon le cas:»
81. Pour l'application de la présente partie, la partie de l'alinéa 53a) qui précède le sous-alinéa (i) est réputée se lire comme suit:
82. Pour l'application de la présente partie, l'alinéa 58b) est réputé se lire comme suit:
«b) soit la désignation de l'infraction à l'origine de la demande de remise;»
e) par le changement de la désignation numérique de la partie 3 à celle de partie V et des articles 77 à 130 à celle d'articles 83 à 136;
f) par le changement de tous les renvois qui en découlent.»
L'honorable Serge Joyal: Honorables sénateurs, c'est un privilège que de participer à ce débat fondamental. Cette occasion me permet de réaffirmer ma profonde conviction que de tous les projets de loi que nous débattons dans cette Chambre, il n'y en a pas de plus importants que ceux qui portent sur le droit inaliénable à la vie. Le projet de loi C-40 est de ce nombre. C'est pourquoi, après avoir longuement réfléchi à ses conséquences, j'ai décidé d'appuyer les amendements proposés par le sénateur Grafstein.
En notre qualité de législateurs, nous avons la responsabilité incommensurable d'adopter des mesures législatives qui portent sur les droits et la liberté de nos concitoyens. Le plus important de tous les droits, celui sans lequel tous les autres droits n'ont aucun sens, est le droit fondamental à la vie. Quand nous légiférons sur cette question, nous ne devons jamais perdre de vue que nous avons l'extrême privilège de voir à ce que ce don de Dieu soit protégé.
Il incombe assurément au Sénat de veiller à ce que le Canada respecte, dans ses lois et décisions, ses obligations relativement aux droits de la personne. Le Sénat a toujours défendu les droits de la personne. De fait, ceux qui considèrent le Sénat comme un organe important du Parlement canadien rappellent son rôle de protecteur des minorités et de défense des droits humains fondamentaux.
Dès les années 50, la première Présidente du Sénat, Mme Muriel McQueen Fergusson, a donné l'exemple. Elle a entrepris de faire modifier un projet de loi afin de protéger un droit humain fondamental. À l'époque, les femmes qui travaillaient dans la fonction publique n'étaient pas traitées de façon égale aux hommes parce qu'elles étaient obligées de démissionner lorsqu'elles se mariaient. Madame le sénateur Ferguson a agi. En tant que sénateur, il lui a été possible de proposer des modifications législatives pour remédier à cette injustice.
En 1991, le Sénat est allé jusqu'à opposer son veto à un projet de loi, pour la première fois en plus de 30 ans. Le projet de loi portait sur l'avortement, une question qui soulève un problème fondamental. Étant donné le caractère profondément moral de la question, le projet de loi a fait l'objet d'un vote libre. Il a été adopté par la Chambre des communes, mais rejeté au Sénat.
Durant la législature actuelle, le Sénat a amendé ou rejeté, pour les mêmes raisons, des projets de loi provenant de l'autre endroit. Par exemple, le Sénat a jugé que le projet de loi C-220 restreignait trop la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés et il l'a rejeté.
Durant la législature actuelle, les sénateurs ont aussi amendé le projet de loi C-37 modifiant la Loi sur les juges, une des principales raisons étant que le projet de loi contenait une définition qui allait clairement à l'encontre d'une interprétation clairement établie en vertu de la Charte. Le Sénat a donc abrogé un article au complet. Le ministère de la Justice a repris le projet de loi afin de rédiger l'article de façon à ce qu'il ne viole aucun droit fondamental en matière d'égalité.
Comment le gouvernement a-t-il réagi au plus récent amendement du Sénat? La secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice, Mme Eleni Bakopanos, a déclaré ce qui suit à la Chambre des communes, à l'appui de l'amendement apporté par le Sénat:
Loin d'exprimer des réserves, le gouvernement a bien accueilli les initiatives du Sénat.C'est un parfait exemple de la nécessité de soumettre à l'examen du Sénat les mesures législatives adoptées par la Chambre. Le gouvernement est d'avis que le Sénat a fait un excellent travail.
Après examen des travaux du Sénat depuis la Deuxième Guerre mondiale, j'ai constaté qu'en général, lorsque le Sénat a amendé ou rejeté un projet de loi, il l'a toujours fait pour des raisons de justice fondamentale ou pour sauvegarder des droits fondamentaux de la personne.
Alors même que nous débattons de cet amendement au Sénat, le comité sénatorial du Règlement et de la procédure se prépare à recommander au Sénat d'instituer un comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je sais que beaucoup de sénateurs, des deux côtés du Sénat, appuient cette idée depuis longtemps.
Or, je vous dis aujourd'hui, honorables sénateurs, que le projet de loi C-40 est la preuve éclatante qu'il faut absolument créer ce comité. Nous reconnaissons tous le rôle important que le Sénat joue dans les dossiers relatifs aux droits de la personne, et ce serait extrêmement insouciant de notre part que de laisser passer cette occasion de nous porter à la défense de l'un de nos droits les plus fondamentaux, le droit à la vie, tel qu'il est exprimé dans les quatre documents capitaux dont le Canada se réclame et dont je citerai des passages plus tard.
Si nous ne défendons pas les droits de la personne et le droit à la vie dans le cadre de cet important projet de loi, comment pourrons-nous prétendre avec crédibilité en être les champions?
Honorables sénateurs, le Sénat n'est pas un cercle d'études théoriques, mais une assemblée législative et, à ce titre, nous avons une décision à prendre, une décision consistant à confirmer l'applicabilité de la peine de mort aux Canadiens ou aux citoyens d'autres pays que nous pourrions extrader dans des pays où la peine capitale est toujours en usage, notamment aux États-Unis.
Si nous avons des raisons sérieuses de croire que les dispositions du projet de loi sont fondamentalement défectueuses sous le rapport des droits de la personne, n'avons-nous pas le devoir d'amender le projet de loi? Si nous rejetons cet amendement afin d'adopter le projet de loi plus rapidement, parce qu'il y a d'autres projets de loi au Feuilleton qui exigent notre attention, nous ferons du rôle du Sénat dans la protection des droits de la personne une farce. Cela réduirait à bien peu de chose le rôle très réel que nous sommes censés jouer dans le processus législatif, et ce alors même que certains membres de l'autre endroit, beaucoup de membres des médias et d'autres personnes mettent régulièrement et systématiquement en doute l'importance du Sénat.
Si nous rejetons ces amendements, honorables sénateurs, ces mêmes critiques pourraient mettre en doute la sincérité de notre décision de créer un comité permanent des droits de la personne et ne voir dans cette importante initiative qu'une cynique manoeuvre de relations publiques.
Honorables sénateurs, certains prétendent que nos principes fondamentaux ont des limites territoriales. Au-delà des frontières canadiennes, ces droits fondamentaux pourraient être menacés. En d'autres mots, notre respect des droits de la personne s'applique uniquement à l'intérieur de nos frontières. Une fois que nous sommes hors du Canada, soit aux États-Unis, ces principes s'évanouissent pour laisser place à l'interprétation qu'en font les gouvernements des différents États des États-Unis.
Cela me rappelle le débat de 1976 sur la peine de mort, auquel j'ai pris part, ainsi que huit de mes collègues ici présents: les sénateurs Whelan, Corbin, Rompkey, Prud'homme, De Bané, Stollery, Gauthier, ainsi que le sénateur Balfour, de l'opposition.
Certaines personnes étaient d'accord en principe sur l'abolition de la peine de mort, mais restaient favorables au maintien d'exceptions, par exemple pour le meurtre d'un agent de police ou dans le cas de tueurs en série impénitents. J'ai toujours pensé qu'une fois qu'un principe fondamental tel que le droit inaliénable à la vie était fermement établi, il était moralement et intellectuellement contradictoire de l'assujettir à des exceptions ou de le soumettre à la discrétion absolue d'une personne.
Dans le cas du projet de loi C-40, le principe fondamental qui est en jeu est le caractère sacré de la vie, que ce soit au Canada, aux États-Unis, au Rwanda, au Kosovo ou, dans l'hypothèse où il existe encore, durant le troisième Reich.
L'article 44 du projet de loi C-40 prévoit en effet une exception au principe fondamental que la vie est un droit inaliénable. S'il est accepté tel qu'il est actuellement, sans modification, ce projet de loi laissera à une personne la discrétion de décider de la vie ou de la mort d'un citoyen canadien ou étranger qui est sous la protection de la loi canadienne.
(1510)
Honorables sénateurs, j'ai soulevé la question le 17 mars dernier lorsque Mme Anne La Forest, doyenne de la faculté de droit de l'Université du Nouveau-Brunswick, a comparu devant le comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai alors fait part de mes préoccupations relativement à la peine de mort, pour faire suite à ses commentaires voulant que le Canada pourrait bien devenir un refuge pour les meurtriers américains.
J'aimerais citer le procès-verbal de cette réunion:
Le sénateur Joyal: Je veux m'attarder sur cet aspect car il pose une question fondamentale de philosophie juridique. Si nous suivons votre raisonnement, pour éviter de devenir un sanctuaire, nous reconnaîtrons la validité de la peine de mort dans tout pays. Or, j'estime que si vous décidez que la vie humaine représente la valeur ultime, quel que soit le crime commis par la personne, vous devez en tirer les conséquences.
J'essaie de concilier votre position avec les valeurs philosophiques fondamentales en jeu. Sans vouloir vous froisser, j'ai l'impression que vous avez quelque peu retourné votre veste en disant: «Nous ne voulons pas devenir un sanctuaire pour les criminels. S'il y a la peine de mort dans leur pays, alors qu'ils retournent l'affronter, un point c'est tout». C'est facile à dire. Je ne dis pas que vous êtes dans le tort ni que votre position est indéfendable. Cependant, dans notre pays, nous avons promulgué une Charte et vous avez dit que la Charte rend caduque toute loi du Parlement du Canada - et j'englobe là les deux Chambres. Autrement dit, si nous devions rétablir la peine capitale, notre loi serait rendue caduque par l'article 12 de la Charte.
C'est une valeur tellement fondamentale que nous, Canadiens, avons décidé de la respecter en toute circonstance. Lorsque vous dites: «Parce qu'il a commis un crime aux États-Unis, il ne devrait pas pouvoir venir au Canada», je comprends le malaise que vous décrivez. On peut imaginer un scénario où un assassin en série américain franchirait la frontière canadienne et cetera, mais la question n'est pas là. La question est de savoir quelles valeurs fondamentales nous appliquons et où les appliquons-nous? Sont-elles confinées à notre territoire? Je considère que nous voulons appliquer certaines valeurs partout où elles sont en jeu. Le Canada est reconnu pour cela dans le monde entier.
Laissez-moi vous donner un autre exemple. Nous commerçons avec un pays qui enfreint grandement la liberté d'expression. Je ne le nommerai pas. Le ministre des Affaires étrangères se rend dans ce pays et dit: «Laissons cela de côté. Peu nous importe. Nous allons commercer avec vous». Vous savez à quel point cela gêne de nombreux Canadiens. Ils estiment que si l'on adhère à un ensemble de principes, il faut s'y conformer.
Je respecte totalement votre raisonnement là-dessus, mais je ne suis pas sûr qu'il soit en accord avec mes idéaux, avec l'ensemble de valeurs que nous cherchons à préserver dans notre pays.
Dans l'allocution que le sénateur Bryden a prononcée plus tôt cette semaine, il a évoqué deux cas où la Cour suprême du Canada a tranché en faveur de l'extradition dans un pays où la peine capitale pourrait être appliquée: Ng c. le Canada et Kindler c. le Canada. Le sénateur Bryden a mentionné que, dans ces cas, la Cour suprême du Canada a soutenu que l'extradition était légale, même si la personne extradée risquait de se voir infliger la peine capitale pour une infraction, et que cette extradition n'allait pas à l'encontre des dispositions de la Charte.
Examinons ces questions encore une fois. À première vue, elles semblent inquiétantes. Cependant, après une étude plus minutieuse, on constate que ces objections, à mon avis, ne sont pas valables. Ce qui est dit dans l'arrêt Kindler, c'est que la Charte canadienne des droits et libertés ne s'applique pas à l'extérieur du territoire. Autrement dit, le gouvernement du Canada peut décider de ne pas extrader une personne, mais s'il le fait, la cour ne peut pas le tenir responsable des actes d'un autre gouvernement qui n'est pas assujetti à la Charte, c'est-à-dire un autre territoire.
Dans l'arrêt Kindler, la Cour suprême ne favorise certainement pas la peine capitale à l'étranger, comme certains pourraient être portés à le conclure. Elle dit tout simplement que les actes d'un gouvernement d'un autre pays ne sont pas assujettis à la Charte et que le gouvernement du Canada ne peut pas en être tenu responsable.
Honorables sénateurs, examinons un instant la fiabilité de notre système de justice. Certes, il est de bonne réputation, digne de foi et entièrement indépendant, mais il n'est pas à l'abri des erreurs. Des Canadiens innocents ont été accusés d'un crime, ont été condamnés et ont épuisé tous les recours en appel. Bien que nous tenions notre système de justice en très haute estime, nous sommes également conscients, malheureusement, de cas comme ceux de David Milgaard et de Donald Marshall. Dans ces deux cas, notre système de justice a condamné deux personnes innocentes, et elles ont toutes deux été condamnées à une peine d'emprisonnement à perpétuité, sans possibilité de libération conditionnelle avant 25 ans.
Son Honneur le Président: Je regrette d'interrompre l'honorable sénateur, mais ses 15 minutes sont écoulées.
L'honorable sénateur a-t-il la permission de continuer?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Joyal: M. Milgaard a passé 25 ans en prison avant que son innocence ne soit finalement établie. Dans le cas de M. Marshall, on imagine facilement qu'il aurait pu être exécuté, de sorte que, si le Canada n'avait pas aboli la peine capitale en 1976, ces deux hommes auraient été exécutés avant que leur innocence ne soit établie.
Dernièrement, il y a eu le cas de Leonard Pelletier, autochtone canadien extradé aux États-Unis. C'est le sénateur Whelan qui m'a signalé un article paru à cet égard le dimanche 19 avril dernier. M. Pelletier, citoyen canadien, purge deux peines consécutives d'emprisonnement à vie dans une prison d'État. Allan Rock, en tant que ministre de la Justice, a demandé à Warren Allmand, ancien solliciteur général et dirigeant du Centre international des droits de la personne, de se pencher sur la procédure d'extradition. En d'autres termes, il s'agit à première vue d'une erreur judiciaire.
Honorables sénateurs, même si les États-Unis ont un système judiciaire très respectable, nous savons qu'il y existe bien d'autres cas du genre. Les États-Unis comptent parmi les quatre pays responsables de 75 p. 100 de toutes les exécutions au monde. À ce jour, plus de 3 500 personnes attendent leur exécution.
Contrairement aux normes internationales, 70 de ces personnes qui sont dans l'antichambre de la mort ont été condamnées pour des crimes qu'elles ont commis avant d'avoir 18 ans. Plus de 100 pays ont aboli la peine capitale parce qu'ils la jugeaient inhumaine et sans pouvoir dissuasif. Même si le rétablissement de la peine de mort n'a eu aucun effet sur le nombre des meurtres aux États-Unis, le nombre des exécutions augmente sans cesse. Des innocents sont donc exécutés, mais il n'y a pas plus de sécurité dans les villes américaines.
Ces 20 dernières années, plus de 70 personnes sont sorties de l'antichambre de la mort après qu'on eut prouvé qu'elles avaient été condamnées à tort. D'autres n'ont pas eu cette chance.
Depuis 1991, il y a eu cinq exécutions au Texas, même si l'on entretenait des doutes sur la culpabilité des accusés. En janvier 1995, le Texas exécutait Jesse Jacobs, même si ses avocats soutenaient qu'il n'était pas le tueur et qu'il n'était peut-être même pas sur les lieux du meurtre.
En notre âme et conscience, pouvons-nous accepter qu'une personne, qu'il s'agisse d'un citoyen canadien ou non, soit extradée vers les États-Unis, mise à mort, puis déclarée innocente par la suite? Les honorables sénateurs sont-ils prêts à vivre en sachant qu'une telle possibilité existe? Ne nous leurrons pas. Je ne parle pas ici d'un événement imaginaire. Si nous adoptons ce projet de loi sans amendement, nous devons présumer que cela se produira un jour. Cela s'est déjà produit. Devrions-nous accepter une erreur pour prévenir une erreur potentielle?
Le Canada a déjà établi, à titre de principe fondamental, le caractère sacré de la vie humaine. Ce principe a mené à l'abolition de la peine capitale en 1976, partiellement parce qu'il n'existe aucun système de justice parfait et parce que, dans de rares cas, des innocents peuvent être reconnus coupables par erreur. La peine de mort a été abolie avant tout pour prévenir de telles erreurs judiciaires. La même logique s'applique à la loi concernant l'extradition.
(1530)
Il est parfaitement raisonnable que le Canada demande des garanties portant que la peine capitale ne sera pas appliquée avant d'accepter d'extrader une personne, ne serait-ce que pour prévenir l'exécution tragique d'un seul innocent.
Sur quels textes législatifs exécutoires se fonde le présent débat? D'abord, bien entendu, sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui stipule:
Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne.
Le deuxième texte est la Charte canadienne des droits et libertés, qui stipule:
Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Le troisième document, dont il n'a pas été question au comité ou à la Chambre, est le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur au Canada en mars 1976 et ratifié en décembre 1976. L'article 6 de ce pacte se lit comme suit:
Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine. Ce droit doit être protégé par la loi. Nul ne peut être arbitrairement privé de la vie.
Le quatrième document, qui n'a jamais été mentionné au comité ni au Sénat, est le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il faudrait appliquer ces documents dans l'étude du projet de loi C-40.
Honorables sénateurs, aux termes de ces quatre documents, nous devons examiner notre position au sujet de la peine capitale, qu'elle soit appliquée au Canada ou à l'étranger.
J'ai dit que la Charte canadienne des droits et libertés était un document fondamental qui lie le Canada. Avec le regretté sénateur Hays, j'ai présidé à l'adoption de 57 amendements au texte initial de cette Charte, et c'est un souvenir qui restera toujours pour moi très vivace.
Un autre document important est le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que le Canada a signé en 1976. Aux termes de l'article 2 de ce pacte, le Canada est tenu de:
Honorables sénateurs, comment notre engagement en droit international à respecter le principe fondamental du caractère sacré de la vie a-t-il été interprété par le comité des droits de l'homme des Nations Unies? Personne, ni au comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ni au Sénat, n'a étudié la question, même si cela est de la plus haute importance si nous voulons nous acquitter de façon responsable de notre rôle de défenseurs des droits de la personne.... respecter et (de) garantir à tous les individus se trouvant sur (son) territoire et relevant de (sa) compétence les droits reconnus dans le présent Pacte, sans distinction aucune.
Le sénateur Beaudoin a fait allusion à la question hier, mais il n'est pas allé jusqu'à l'étudier. J'ai examiné des causes dont le comité des droits de l'homme des Nations Unies a été saisi. Le deux grandes causes auxquelles le sénateur Bryden s'est reporté, les affaires Ng et Kindler, ont été revues à la lumière du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Canada a signé le premier protocole facultatif, qui reconnaît la compétence du comité des droits de l'homme des Nations Unies pour interpréter le pacte. Ce comité a donc examiné les deux affaires Ng et Kindler.
L'affaire Ng a été étudiée en novembre 1993. Dans cette affaire, huit des neuf juges du groupe d'étude ont conclu que le Canada:
- le Canada-[...] n'est pas tenu de garantir les droits d'individus relevant d'un autre État. Cependant, si ...
- le Canada-prend une décision concernant un individu qui relève de sa compétence et que la conséquence inévitable et prévisible c'est que les droits conférés à cet individu aux termes du Pacte seront violés dans un autre pays,
Plus loin, dans l'opinion de la majorité, le comité des droits de l'homme traite du pouvoir discrétionnaire du ministre en ces termes:peut lui même contrevenir au Pacte...
Le comité des droits de l'homme a posé la question en ces termes:[...] bien que le pouvoir du ministre soit discrétionnaire, sa discrétion est limitée par la loi. De plus, le ministre doit tenir compte des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés et des différents instruments, y compris le Pacte, qui décrivent les obligations internationales du Canada en matière de droits de l'homme.
- du Canada-Le point de départ pour étudier cette question doit être l'obligation...
[...] en vertu de l'article 2, paragraphe 1, du Pacte, de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte. Le droit à la vie est le plus fondamental de ces droits.
Quand à la possibilité que le Canada viole l'article 6 du Pacte en décidant d'extrader M. Ng, deux questions connexes se posent.Je ne m'attarderai pas sur ces questions, honorables sénateurs, car je sais que j'ai déjà abusé du temps qui m'est imparti. Les réponses à ces questions revêtent une importance capitale. Huit des neuf juges du comité des droits de l'homme ont déclaré ceci:
Si, en étant extradé par le Canada, M. Ng avait été réellement exposé aux États-Unis au risque de violation de l'article 6, paragraphe 2, cela aurait entraîné la violation par le Canada de ses obligations aux termes de l'article 6, paragraphe 1.
Le comité prend note du fait que le Canada [...] a aboli la peine de mort [...]Quant au point b) du paragraphe 15.1 ci-dessus, c'est-à-dire la question de savoir si le fait que le Canada a généralement aboli la peine capitale, conjugué à ses obligations aux termes du Pacte, l'obligeait à refuser l'extradition ou à obtenir les garanties qu'il était en droit de demander en vertu du traité d'extradition...- conclu avec les États-Unis-
- c'est-à-dire le Canada-[...] le comité est d'avis que l'abolition de la peine de mort ne libère pas le Canada des obligations qu'il a contractées en signant des traités d'extradition. Cependant, on devrait s'attendre à ce que, lorsqu'il exerce un pouvoir discrétionnaire autorisé aux termes d'un traité d'extradition (notamment, en exigeant ou pas des garanties que la peine de mort ne sera pas imposée), un État partie...
Dans le cadre de son étude, le comité des droits de l'homme a tenu compte du fait que le Canada a aboli la peine de mort depuis 1976.[...] qui a lui même renoncé à la peine de mort prenne sérieusement en considération le choix qu'il a fait.
Honorables sénateurs, je vous rappelle que la décision d'abolir la peine capitale a été reconfirmée au Sénat il y a moins d'un an, soit le 18 juin 1998, lorsque nous avons aboli la peine capitale prévue dans le cas de certaines infractions militaires. À l'époque, nous avons voté pour abolir la peine capitale, qui existait toujours pour certaines infractions militaires.
Permettez-moi de vous citer les propos du sénateur Rompkey, qui a proposé la deuxième lecture du projet de loi au Sénat le 16 juin 1998. Voici ce qu'il a dit:
L'abolition de la peine de mort dans le droit militaire était depuis longtemps attendue. J'ai constaté avec étonnement qu'elle existait encore. La peine capitale a été abolie dans le Code criminel il y a déjà 22 ans.
Revenons maintenant à l'affaire Ng. Le comité des droits de l'homme des Nations Unies a rendu une décision dans laquelle il concluait:
Le comité des droits de l'homme [...] est d'avis que les faits établis par le comité prouvent que le Canada a violé l'article 7 de la Convention. Le comité des droits de l'homme demande...
- au Canada-
- le Canada-[...] d'entreprendre toutes les démarches possibles pour éviter l'imposition de la peine capitale et prie...
Le comité des Nations Unies exhorte le Canada à «veiller à ce qu'une situation similaire ne se produise plus à l'avenir». Honorables sénateurs, l'avenir, c'est aujourd'hui.[...] de veiller à ce qu'une situation similaire ne se produise plus à l'avenir.
De l'affaire Ng, on peut tirer une conclusion claire, soit que la décision rendue par la Cour suprême sur l'applicabilité de la Charte canadienne des droits et libertés n'est pas le seul et unique élément de l'équation. Selon nos obligations découlant des traités internationaux, il nous incombe de veiller à ce que le droit inaliénable à la vie soit respecté non seulement au Canada, mais à l'étranger si les circonstances le permettent, notamment dans le cas d'une extradition.
Je prends quelques instants pour attirer l'attention du Sénat sur l'opinion individuelle d'un des juristes qui s'est prononcé dans l'affaire Ng. Dans l'opinion qu'il a livrée, M. Fausto Pocar a ajouté:
- c'est-à-dire le Canada-[...] un État partie qui a aboli la peine capitale [...]
(1540)[...] a, aux termes de l'article 6 de la Convention, l'obligation légale, à mon avis, de ne pas la rétablir.
- au Canada-Cette obligation doit renvoyer autant à un retour direct dans le pays qu'à un retour indirect comme lorsqu'un État partie a recours à l'extradition ou au retour obligatoire de telle manière qu'un individu se trouvant sur son territoire et étant assujetti à sa compétence peut être condamné à la peine capitale dans un autre pays. Je conclus donc que, dans le cas qui nous occupe, on a violé...
Honorables sénateurs, est-ce que cela pourrait être plus clair? Le Canada a supprimé la peine capitale il y a 22 ans et il y a moins d'un an dans le contexte militaire. Après avoir fait cela pour être conséquents au plan moral et intellectuel, nous ne devons pas rétablir la peine capitale, pas même indirectement. Permettre l'extradition d'une personne dans un cas où la peine capitale s'applique revient à rétablir indirectement la peine capitale au Canada.[...] l'article 6 de la Convention.
Honorables sénateurs, le pouvoir discrétionnaire que ce projet de loi accorde au ministre de la Justice est absolu. Qui peut nous assurer que nous aurons toujours un ministre de la Justice à l'esprit libéral qui respectera toujours le droit inaliénable de chacun à la vie? Un ministre de la Justice décidera peut-être un jour d'extrader aux États-Unis un enfant de 14 ans qui y sera condamné à la peine capitale, et il aura absolument le pouvoir de le faire. En adoptant le projet de loi sans amendement, nous nous ferions les complices d'un abus de droit scandaleux. Pouvons-nous nous en laver les mains une fois l'extradition faite?
Dans son allocution sur la modification, le sénateur Fraser a déclaré ceci:
L'expression «avant d'être extradée» a attiré mon attention. En termes clairs, le principe du respect des droits humains conformément à la loi est pertinent lorsque la personne se trouve au Canada. Toutefois, si nous trouvons le moyen de faire sortir la personne du Canada, nous nous trouvons à nous libérer de notre devoir de respecter ses droits. Nous nous en lavons les mains.[...] je ne peux pas croire qu'une personne devrait être privée de la protection de la loi canadienne avant d'être extradée rien que parce que le crime qu'elle a commis est très grave.
Comme l'a écrit le juge Cory de la Cour suprême dans son opinion minoritaire dans l'arrêt Kindler:
Honorables sénateurs, d'une part, pouvons-nous soutenir qu'aucun crime n'est assez grave pour priver quelqu'un de son droit fondamental et inaliénable à la vie au Canada et, d'autre part, mettre de côté, quand cela nous arrange, cette conviction dans la mesure où nous pouvons faire en sorte que le déni du droit inaliénable à la vie soit exécuté par quelqu'un d'autre?À mon avis, puisque la peine de mort est une peine cruelle, cet argument constitue un abandon indéfendable de la responsabilité morale. Cette position a toujours été condamnée. Le fait que Ponce Pilate s'en soit lavé les mains ne le libérait pas de sa responsabilité en ce qui concerne la peine de mort infligée par des tiers, et n'a jamais été vu d'un bon oeil.
Je le répète, d'une part, pouvons-nous déclarer qu'il n'existe pas de crime si grave qu'on peut priver de son droit humain fondamental celui qui le commet et, d'autre part, pouvons-nous écarter cette conviction à condition de trouver quelqu'un d'autre qui accepte d'appliquer ailleurs la peine privative de ce droit fondamental?
N'avons-nous pas l'obligation morale de tout faire pour que les droits fondamentaux soient respectés par un autre pays quand une telle possibilité existe, comme dans le cas de l'article 6 du Traité d'extradition canado-américain?
J'estime qu'il ne peut y avoir deux séries de droits: ceux que l'on respecte et que l'on protège au Canada, et ceux que l'on permet aux autres de violer à leur gré.
Il y a un choix fondamental. Le Canada a l'occasion de faire respecter le droit inaliénable à la vie. Il doit tout faire pour respecter cette obligation.
En ce qui concerne la crainte que le Canada devienne un refuge pour les fugitifs tentant d'échapper à la justice, quelle est la situation aux États-Unis, qui constituent le principal bassin de criminels susceptibles de venir au Canada? D'abord, je voudrais rappeler aux sénateurs que la peine de mort est en vigueur dans 38 États américains. J'ai vérifié.
Les lois de tous ces États prévoient aussi que le gouverneur de l'État peut commuer la peine de mort en peine d'emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle.
Je vais lire la loi de l'État de la Louisiane, qui est essentiellement la même que celle du Texas, de la Californie et de la Floride:
Le gouverneur peut accorder un sursis aux personnes qui ont été condamnées pour des crimes contre l'État, sur recommandation de la commission de réhabilitation, tel qu'il est prévu ci-après; il peut commuer une sentence, accorder le pardon à ceux qui ont commis un crime contre l'État et rembourser des amendes imposées pour ces crimes.
Lorsqu'ils doivent choisir entre laisser en liberté un individu soupçonné d'avoir commis un crime ou commuer une peine de mort en emprisonnement à vie, les États américains ont toujours choisi la dernière possibilité, qu'ils aient demandé l'extradition au Canada, à la France ou au Royaume-Uni. Les précédents sont bien établis.
La crainte de voir le Canada devenir un refuge sûr pour les criminels américains ne résiste pas à l'examen des précédents. On ne peut imaginer que les États-Unis préfèrent voir leurs criminels en liberté au Canada que de les avoir chez eux pour les punir de leurs crimes et les nourrir le reste de leur vie. Cela serait tout à fait contraire à l'intérêt public et l'opinion publique américaine se révolterait contre une telle situation.
Il est clair que le Canada a une culture juridique et des valeurs différentes de celles des États-Unis. Au Canada, nous n'appliquerions pas la peine capitale à des enfants de 14 ans seulement, comme deux États américains le font. Au Canada, nous n'appliquerions pas la peine capitale à des enfants de 16 ans, comme 11 États américains le font. Au Canada, nous n'appliquerions pas la peine capitale à des enfants de 17 ans, comme quatre États américains le font.
Honorables sénateurs, ce sont les valeurs et les principes juridiques que l'amendement veut inclure dans la loi. Je vous exhorte, au moment de voter sur les amendements, à examiner votre âme et conscience. Demandez-vous la nuit si vous n'éprouveriez pas, après un second examen de ce que nous faisons aujourd'hui, un peu de remords après que le Canada ait extradé un individu aux États-Unis et que celui-ci ait été envoyé à la chambre à gaz, à la chaise électrique ou condamné à recevoir une injection mortelle?
Tout indique que les criminels américains n'envahiront pas le Canada. Chaque fois qu'un pays, que ce soit le Canada, la France ou le Royaume-Uni, a demandé aux États-Unis l'assurance que le criminel ou la personne soupçonnée d'un crime ne serait pas exécuté, les États-Unis ont accepté de donner cette assurance. Leurs lois le leur permettent.
Chaque fois que le Canada peut faire respecter des principes fondamentaux, qu'il peut agir pour faire respecter le droit inaliénable à la vie, sans lequel tous les autres droits et libertés ne signifient rien, il a l'obligation morale de le faire.
[Français]
L'honorable Pierre Claude Nolin: Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au sénateur Joyal. D'abord, je félicite l'honorable sénateur pour l'exposé qu'il vient de faire. Je constate que la décision à ce sujet est loin d'être prise.
L'honorable sénateur veut que le projet de loi soit modifié à l'article 44, paragraphe 2. Si je comprends bien son raisonnement, selon le texte actuel du projet de loi, si le ministre de la Justice, qui a un pouvoir discrétionnaire, décidait de permettre l'extradition dans un État partenaire où la peine de mort existe, il serait en contradiction avec une obligation internationale. On doit empêcher que cela se produise.
Est-ce qu'un individu sous le coup d'une demande d'extradition, accordée par le ministre de la Justice et acheminée vers un pays où la peine capitale existe, a des recours judiciaires pour en appeler du pouvoir discrétionnaire du ministre, si nous adoptons le paragraphe 2 tel quel?
(1550)
Le sénateur Joyal: La question a déjà été jugée dans le cas de M. Ng, qui a été extradé aux États-Unis. M. Ng a contesté au comité des droits de la personne des Nations Unies la décision du Canada.
Le comité des droits de la personne des Nations Unies a conclu que le Canada n'agissait pas conformément à ses responsabilités selon le Protocole international des droits en laissant un citoyen être exécuté dans un système non conforme à ce qui est acceptable dans la convention internationale.
Le comité a demandé au Canada d'intervenir auprès du gouvernement américain pour empêcher l'exécution de la sentence et de prendre les mesures nécessaires pour qu'à l'avenir, cela ne se reproduise pas.
Par conséquent, le comité des droits de la personne des Nations Unies ne peut pas octroyer une injonction de surseoir à l'exécution, puisque le Tribunal des droits de la personne des Nations Unies n'est pas un tribunal supranational.
Selon le protocole que le Canada a signé, un individu a le droit d'aller directement au comité des Nations Unies. Ce dernier n'a pas juridiction pour empêcher un État, même contractant, d'exécuter la sentence de mort.
Dans le cas de M. Ng, le comité international a dit que le gaz que l'on aurait employé aux fins de l'exécution était déjà utilisé au cours de la Seconde Guerre mondiale. Vous savez, honorables sénateurs, à quoi servait ce gaz. Le comité des Nations Unies a établi que l'utilisation de ce moyen d'exécution était contraire à l'article 7 de la convention internationale.
Par conséquent, devant une décision semblable, selon le projet de loi, oubliez comme vous le dites que l'amendement soit adopté, nous nous retrouverions devant des situations potentiellement analogues à celle de M. Ng. Je l'ai dit plus tôt, il y a des États américains qui exécutent des enfants de 14, 16, et 17 ans. Presque la majorité des États américains qui imposent la peine de mort le font pour des personnes qui, dans notre système, ne seraient même pas considérées comme ayant l'âge de raison.
Nous laissons, dans le projet de loi, la discrétion au ministre de la Justice du Canada. Je me base sur l'idée que nous avons un ministre de la Justice «libéral». Qu'est-ce qui nous dit que, dans 5 ou 10 ans, nous aurons un ministre de la Justice pour lequel la peine de mort est une abomination que nous avons éliminée et que nous ne devrons pas la remettre en question? Vous connaissez les débats dans l'autre Chambre, nous les entendons régulièrement.
La Charte nous impose des obligations nationales au Canada. Lorsque nous traversons notre frontière, nous avons des obligations internationales. Vous ne cessez pas de croire que la vie est la chose la plus fondamentale parce que vous traversez la frontière américaine ou parce que vous êtes en France, en Grande-Bretagne, au Rwanda ou au Kosovo. Nous faisons la guerre actuellement parce que nous voulons maintenir les droits de la personne au Kosovo.
Mais lorsqu'il s'agit de mettre une personne à mort, quel que soit le crime, quel que soit le caractère odieux du crime, nous ne voulons pas intervenir dans les affaires des États-Unis. Le criminel étant de retour aux États-Unis, le gouvernement canadien s'en lave les mains.
M'est avis, honorables sénateurs, que cette perception est contraire à l'appréciation juste des droits de la personne que nous devons avoir dans ce pays.
Le sénateur Nolin: Est-ce qu'un tribunal canadien peut aller à l'encontre du pouvoir discrétionnaire du ministre en tenant compte de cette obligation internationale? Autrement dit, est-ce qu'un tribunal canadien peut dire au ministre: «M. ou Mme le ministre, vous faites erreur dans votre évaluation, vous êtes obligé de suivre tel protocole international, vous n'avez pas le droit de prendre la décision que vous avez prise?»
Le sénateur Joyal: Si le projet de loi actuel n'est pas modifié, il pourrait arriver qu'un individu, citoyen canadien ou étranger, se trouvant sur le territoire canadien ou soumis à la justice canadienne, argumente devant la Cour suprême que le Canada est lié par un protocole international et par le Protocole additionnel II. Il pourrait demander à cette cour d'interpréter l'obligation internationale du Canada.
Dans le contexte actuel du projet de loi, la discrétion du ministre n'est pas qualifiée. Le ministre peut dire qu'il a suivi la procédure des tribunaux canadiens, que l'accusé a eu la possibilité de se défendre, qu'il a été assisté par un procureur, que la preuve a été présentée, qu'il a eu amplement l'occasion de faire valoir ses droits, que la cour a conclu à l'opposé, et que, par conséquent, la loi canadienne a été respectée. Rien ne peut donc lui être reproché parce qu'il n'y a pas, dans le texte de la loi, l'élément qualificatif à la discrétion ministérielle. Et c'est en cela, à mon avis, que le projet de loi pèche.
En plus, nous donnons la responsabilité à une personne. Vous vous souvenez qu'autrefois, lorsqu'il fallait prononcer la peine de mort, le gouverneur en conseil devait ratifier l'ordre d'exécution. Dans le projet de loi actuel, nous donnons un pouvoir semblable à une personne, sans qualifier l'exercice de sa discrétion. Nous reculons puisque nous n'avons pas prévu, dans cette disposition, une définition des critères et la possibilité à un banc plus large de réévaluer la décision fondamentale qui consiste à laisser une personne être exécutée. C'est la question fondamentale soulevée par cet article.
Je ne voudrais pas que l'on interprète mal mes propos, mais nous n'avons pas discuté à fond de cette question au comité. Je l'ai soulevée sur le plan des principes avec la doyenne La Forest, de l'Université du Nouveau-Brunswick. Évidemment, pour toutes sortes de considérations, le comité dans sa majorité a estimé que le débat avait suffisamment couvert les points importants, d'où l'abstention du sénateur Grafstein et la mienne, ainsi que l'amendement que nous avons aujourd'hui.
Je respecte les avis différents de mes collègues. En tant que sénateur ayant la responsabilité de réévaluer les lois qui peuvent toucher au droit fondamental à la vie, il me semblait important, même si cet amendement est défait ici, d'attirer votre attention sur ce que nous faisons dans ce projet de loi, parce que cela me semble fondamental.
Le sénateur Nolin: Je suis convaincu qu'un traité international, pour qu'il ait force de loi au Canada, doit être entériné par une loi du Parlement, à moins que l'honorable sénateur ne démontre que le traité ou les documents internationaux auxquels nous avons adhéré font partie des statuts canadiens et qu'aucun tribunal canadien n'ordonnera à un ministre de renverser cette décision.
Par contre, là où je suis en léger désaccord avec lui, c'est sur la qualification de la discrétion du ministre. Je comprends le raisonnement du sénateur, mais le ministre doit quand même faire une certaine analyse. Il n'a pas seulement un pouvoir discrétionnaire, il y a un certain encadrement à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Il doit, dans un premier temps, examiner les actes à l'origine de la demande, donc il y a déjà un élément d'encadrement. Mais ce qui m'apparaît encore plus important est le fait que ces actes soient sanctionnés dans la loi du pays qui demande l'extradition, si ces actes encourent la peine capitale. Il y a donc un certain encadrement et la discrétion du ministre est qualifiée.
(1600)
Le sénateur Joyal: Honorables sénateurs, aucun ministre responsable au Canada ne dirait à M. Y ou à Mme X qu'il sera extradé demain matin. Il est évident que le ministre exercera son pouvoir discrétionnaire en bon père de famille.
Je n'ai aucun doute qu'il étudiera les documents ainsi que les transcriptions du procès. La discrétion n'est pas qualifiée: on ne tient pas compte de l'âge de la victime alors qu'au Canada, il y a un âge pour la responsabilité criminelle - ceci n'est pas mentionné dans le projet de loi - et on ne tient pas compte de la manière dont il sera exécuté. Le comité des Nations Unies est intervenu à ce sujet et a défini les façons de mise à mort qui sont inacceptables. Il n'y a pas de qualifications là-dessus. Cependant, le ministre peut revoir les précédents d'extradition et en retenir les éléments qui ont permis au Canada d'obtenir ces garanties. Il n'y a pas de demandes pour ce genre d'étude. La discrétion n'est pas qualifiée eu égard à l'importance du geste irrémédiable posé.
[Traduction]
L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Le sénateur voudrait-il répondre à deux questions?
Il a parlé du processus conformément au droit international en matière des droits de la personne et, en particulier, il a cité le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. N'est-il pas vrai, comme l'a demandé le sénateur Nolin il y a quelques instants, que ce pacte ne fait pas partie du droit interne au Canada comme c'est le cas en Australie? Le parlement d'Australie a adopté une loi pour intégrer le pacte à son droit interne. Donc, sur le plan du processus, n'est-il pas vrai que le comité des droits de la personne qui examine les communications ne peut que faire part de ses constatations à l'État partie intéressé et au particulier, comme le précise l'article 5 du protocole? Ainsi, ne s'agit-il pas d'un simple avis qui pourrait ne pas inquiéter beaucoup une personne menacée d'extradition?
Le sénateur Joyal: Le sénateur Kinsella soulève un point fondamental. Comme tous les sénateurs le savent, on a proposé de former un comité permanent des droits de la personne. J'espère sincèrement que cela se concrétisera. Les sénateurs des deux côtés appuient cette initiative et, en tant que membre du comité sénatorial permanent du Règlement, je peux dire que nous sommes sur le point de présenter notre rapport au Sénat à ce sujet. J'espère que les sénateurs adopteront le rapport. Ce sera un point tournant dans la vie et les responsabilités professionnelles du Sénat.
La première tâche qui s'impose aux membres du comité, c'est de retourner à l'école pour ainsi dire. Nous devrions retourner à l'école examiner quels documents s'appliquent au Canada, quelle est leur force obligatoire au Canada et quelles lois canadiennes devraient être resserrées. Nous avons souvent discuté ici de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
Les remarques que le sénateur a faites au sujet de l'article 5 du protocole montrent que, au niveau international, la protection des citoyens canadiens est très limitée parce que, ne faisant pas partie de notre droit interne, la question ne peut pas être examinée par nos tribunaux. Nous devrions étudier de façon approfondie la possibilité d'intégrer le pacte international et le protocole facultatif à notre droit interne, parce que le gouvernement du Canada et les institutions canadiennes sont liés par l'esprit et la lettre de ces documents.
Au comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, chaque fois que les sénateurs Beaudoin, Nolin, Bryden et Grafstein et moi avons l'occasion d'aborder la question des droits de la personne, nous pensons bien sûr aux obligations internationales du Canada.
J'ai entendu régulièrement des sénateurs parler du pacte, mais comme il ne fait pas partie de notre législation intérieure, bien qu'il constitue une sorte d'énoncé généreux d'opinions et d'objectifs, nous n'évaluons pas dans chacun des projets de loi que nous étudions si c'est ce que nous devrions faire, car il n'est pas exécutoire.
Honorables sénateurs, j'estime qu'en ce qui concerne le projet de loi C-40, nous avons aujourd'hui l'occasion d'agir d'une façon qui concorde avec la lettre et l'esprit de nos obligations internationales.
Le sénateur Kinsella: Dans la mesure où nous sommes en ce moment même engagé dans un processus législatif, n'est-il pas vrai que le paragraphe 2 de l'article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques comprend une obligation en vertu de laquelle les parties au pacte s'engagent à franchir les étapes nécessaires, y compris des étapes d'ordre législatif, pour satisfaire à la norme que l'honorable sénateur a mentionnée? L'honorable sénateur ayant invoqué l'article 6, je suis allé là-haut chercher mon exemplaire du pacte, et je note que la partie appropriée correspond au paragraphe 5 de l'article 6.
L'honorable sénateur nous a donné des statistiques concernant le nombre d'États de la république située au sud de notre frontière qui ont recours à la peine de mort et qui l'appliquent à des personnes de moins de 18 ans. J'ai eu tout un choc lorsqu'il nous a communiqué ces statistiques. N'est-il pas vrai que le droit auquel nous avons adhéré prévoit au paragraphe 5 de l'article 6 qu'une sentence de mort ne peut être imposée pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans et, tenez-vous bien, honorables sénateurs, ne peut être exécutée contre des femmes enceintes. C'est là un droit auquel nous avons donné notre adhésion.
L'honorable sénateur a rendu un fier service à la Chambre dans son discours cet après-midi. Peut-être voudra-t-il faire des commentaires au sujet du paragraphe 5 de l'article 6?
Le sénateur Joyal: Honorables sénateurs, je vous suis reconnaissant de votre patience. J'ai demandé à la Bibliothèque du Parlement de faire des recherches sur le sujet pour moi. J'en ai discuté avec le sénateur Grafstein après son intervention et j'ai entendu quelques objections. J'ai dit qu'il nous faut avoir plus de précisions sur la question de savoir à qui la peine de mort est appliquée. J'ai réclamé ces statistiques parce que j'avais l'impression - et je le dis en toute humilité - que nous faisions quelque chose qui était contraire à la documentation que j'ai lue. Les honorables sénateurs savent bien ce que c'est, on lit abondamment et à la fin certains renseignements persistent dans notre esprit sans qu'on souvienne de l'endroit où on les a glanés. J'ai donc demandé à la Bibliothèque du Parlement de me fournir quelques renseignements à ce sujet et voici les statistiques que j'ai reçues. Quatorze États américains appliquent la peine de mort aux jeunes de 18 ans. En outre, comme le sénateur Cools vient de le signaler, il y a un État qui applique la peine de mort aux femmes enceintes.
Si nous voulons faire quelque chose et avoir bonne conscience, ne devrions-nous pas y penser à deux fois avant de nous précipiter? Je le dis avec tout le respect que j'ai pour les priorités et les institutions du gouvernement. À dire vrai, le sénateur que je suis a dû y penser à deux fois avant de se prononcer contre une décision gouvernementale. J'ai déjà fait partie du gouvernement et je sais ce que c'est que la solidarité. Je suis membre d'un parti. Mais lorsqu'il s'agit d'une mesure de ce genre, nous devrions prendre le temps de l'étudier à fond. Il ne s'agit pas d'une mesure de retour au travail, quel qu'en soit la conséquence économique. Nous étudions une disposition qui porte sur le plus important des droits fondamentaux de la personne, et nous devons décider comment, en 1999, nous devons formuler la loi canadienne pour nos acquitter de nos devoirs à l'égard de ce droit.
(1610)
Il faut soumettre la réalité américaine à laquelle le sénateur Bryden a fait allusion dans son intervention à un second examen objectif afin de savoir exactement en quoi elle consiste. Pouvons-nous invoquer le fait que cette réalité se trouve de l'autre côté de la frontière ou d'un sombre rideau de fer, ou nous couvrir les yeux en répétant que, du moment que l'accusé est condamné là-bas, les Américains peuvent en faire ce qu'ils veulent, que cela nous est égal, que nous ne voulons pas nous immiscer dans les affaires internes de nos voisins? À mon avis, nous aurions tort. D'autres peuvent avoir une opinion différente; c'est leur droit et je le respecte.
Nous ne parlons pas de la liberté d'expression en matière de commerce, comme c'est le cas dans le projet de loi C-55, mais de la chose la plus importante de toute la vie. D'une certaine façon, les législateurs sont comme les juges. La différence, c'est que nous jugeons par anticipation. Nous établissons un cadre juridique dans lequel des condamnés vivront ou mourront, et nous le faisons dans un contexte qui n'est pas simple. J'ai consulté les archives pour savoir combien d'Américains ont traversé la frontière canadienne armés de fusils de chasse et se sont baladés dans nos rues pour tuer nos enfants. Cela s'est très rarement produit. Chaque fois que le Canada a demandé aux États-Unis de surseoir à la mise à mort d'un condamné, il a quand même été exécuté. Si nos amis américains se rendent compte que nous appliquons chez nous le principe de la clémence, peut-être pourrons-nous trouver un moyen de l'étendre à d'autres pays, ce qui serait une façon plus humanitaire de procéder.
L'honorable Joan Fraser: Le sénateur accepterait-il une autre question?
Le sénateur Joyal: Certainement.
Le sénateur Fraser: Je crois que personne n'aurait pu défendre ce point de vue plus éloquemment que le sénateur Joyal ne vient de le faire. Un élément en particulier me laisse quelque peu perplexe. Le sénateur Joyal nous a signalé à juste titre le fait qu'on applique la peine capitale à des adolescents aux États-Unis. Il y a certes peu de perspectives plus terribles que celle-là. Cependant, lorsqu'il combine cela avec sa suggestion selon laquelle le pouvoir discrétionnaire du ministre n'est peut-être pas fiable, je suis perplexe. Comme le sénateur Joyal le sait, ce projet de loi renferme une longue liste de motifs explicites au sujet desquels le ministre n'a aucun pouvoir discrétionnaire quant au refus d'extrader. C'est notamment le cas si cela va à l'encontre de la justice naturelle.
Je ne peux imaginer que l'envoi d'un jeune de 14 ans à la mort ne soit pas contraire aux principes de justice fondamentale au Canada. De plus, dans les éléments touchant le pouvoir discrétionnaire, on précise de façon explicite que le ministre peut refuser l'extradition si le délinquant avait moins de 18 ans au moment de l'infraction ou si l'extradition serait contraire aux principes fondamentaux de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Je me demande si le sénateur Joyal avait d'autres éléments que j'ai manqués pour mettre tellement l'accent sur le système américain qui exécute des adolescents.
Le sénateur Joyal: Honorables sénateurs, je reconnais que le projet de loi renferme des dispositions qui empêchent le ministre de la Justice d'extrader une personne qui serait soumise à la torture, par exemple. Cependant, je ne peux comprendre que lorsqu'il est question de la condition fondamentale d'une personne, c'est-à-dire le droit de survivre, cela est laissé à la discrétion du ministre.
Rien ne peut me convaincre que le système que nous avons à l'heure actuelle et le gouvernement que nous avons de nos jours survivront à jamais. Il y a un parti à l'autre endroit qui a un programme sur les jeunes contrevenants, sur lequel les honorables sénateurs ne voudraient pas se prononcer. Imaginez un instant que la personne qui a rédigé ce programme devienne ministre de la Justice. Quelle est la protection relativement à la peine capitale? Nous savons fort bien que ce parti prône la peine capitale. Ce n'est pas un secret. Cela n'a rien de confidentiel.
L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, nous prônons un référendum sur la question alors.
Le sénateur Joyal: Un référendum, c'est cela. Lorsque j'ai voté en 1976, je représentais la circonscription de Hochelaga-Maisonneuve. Le député qui représentait la circonscription voisine représentait l'autre parti. Il a effectué un sondage d'opinion à Hochelaga. Environ 80 p. 100 des électeurs ont dit être en faveur de la peine de mort. L'honorable Jacques Lavoie a déclaré à la Chambre des communes: «Je ne suis pas en faveur de la peine de mort, mais les résultats du sondage d'opinion que j'ai effectué me disent que je devrais l'être, je vote donc contre ce projet de loi». Je me suis alors levé pour dire: «Nous habitons le même quartier à Montréal. La majorité de mes électeurs et de mes concitoyens sont en faveur de la peine de mort, mais je suis contre.»
Quand nous légiférons sur des questions aussi importantes, nous devons tenir compte du fait que le système que nous avons mis en place est compartimenté. Cela veut dire que, avec les modifications qu'on se propose d'apporter à la Loi sur les jeunes contrevenants ou au système pénal au Canada, il faudrait réexaminer ce projet de loi.
À mon avis, puisque nous en avons la possibilité, pourquoi ne pas procéder à un second examen objectif de la question? C'est essentiellement ce que je propose.
La situation qui existe aux États-Unis ne me plaît guère en tant que citoyen libre de ce pays.
L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, avant de poser ma question, je veux préciser une chose que j'ai dite et qui a peut-être été mal comprise par le sénateur Joyal. Je parlais des femmes enceintes et de l'exécution des femmes enceintes. Je pense que j'ai dit le contraire de ce que le sénateur Joyal a entendu. Je disais que, autrefois, les femmes enceintes étaient à l'abri de la peine capitale et des châtiments corporels. C'était vrai même au sein des sociétés et dans les États qui pratiquaient l'esclavage. Je viens de lire un ouvrage sur l'esclavage et la situation des femmes enceintes.
Ce qu'il importe de souligner, quand on traite de ces cas, c'est que la protection qui était accordée à ces femmes l'était en vertu du principe qu'il fallait protéger l'enfant à naître, ou le foetus. Suivant la ligne de pensée du sénateur, les enfants à naître ne sont pas moins protégés qu'à toute autre époque de l'histoire. Je voulais le préciser, parce que je crois que les femmes enceintes devraient toujours être protégées.
Sénateur Joyal, honorables sénateurs, je comprends que les débats sur la peine capitale sont importants. Je crois qu'ils nous permettent de nous situer sur les plans moral, idéologique et politique. Cependant, le débat actuel ne porte pas sur la peine capitale. S'il s'agissait d'un débat sur la peine capitale, je suis sûre que les sénateurs seraient beaucoup mieux préparés.
(1620)
Le projet de loi C-40 porte sur des questions intérieures; il ne concerne pas les affaires étrangères et ne vise pas à faire davantage qu'indiquer ce que le gouvernement canadien doit faire dans certaines circonstances.
Le sénateur Joyal affirme que son amendement vise à limiter la discrétion du ministre de la Justice du Canada. Je crois qu'il fait beaucoup plus que limiter la discrétion du ministre de la Justice ou d'un autre ministre compétent au Canada. Selon moi, son amendement vise à permettre de légiférer à l'extérieur du Canada et à limiter la discrétion des ministres, souverains et gouverneurs de pays étrangers.
Le sénateur Joyal invoque la question des droits de la personne. J'aimerais bien savoir sur quel principe juridique il se fonde. Lorsque j'étais enfant, le fait d'imposer sa volonté et ses valeurs à quelqu'un était considéré comme du colonialisme.
Premièrement, le sénateur Joyal pourrait peut-être m'expliquer comment il est arrivé à la conclusion qu'il s'agit d'une question de droits de la personne. Deuxièmement, j'aimerais qu'il me dise sur quels principes juridiques il se fonde pour affirmer que nous devrions légiférer afin de commander au ministre de la Justice d'empiéter sur la discrétion d'autres États, en liant les gouverneurs et ministres d'autres États relativement à cette très importante question?
Puisque le sénateur Joyal a principalement pris comme exemple les États-Unis d'Amérique, nous n'avons pas encore abordé le volet du projet de loi qui concerne l'extradition non pas vers des pays, mais vers des tribunaux. Cela soulève une question cruciale relativement aux droits de la personne, en particulier en regard de la controverse qui entoure le Tribunal international pour le Rwanda à Arusha et le Tribunal international pour la Yougoslavie à La Haye.
Sur quoi se fonde le sénateur Joyal pour arriver à la conclusion que les droits de la personne nous permettent de lier le gouverneur de l'État du Texas?
Le sénateur Joyal: En ce qui concerne le premier point, j'ai simplement dit que dans certains États américains, des femmes enceintes peuvent être exécutées. Je souscris entièrement aux détails ajoutés par le sénateur Cools.
Au sujet du second point, soit ce qui m'a amené à croire que l'extradition est liée aux droits de la personne, j'aimerais vous faire part du texte de deux décisions rendues par le comité des droits de l'homme des Nations Unies dans des affaires d'extradition. Ce n'est pas moi qui suis arrivé à cette conclusion; elle se trouve déjà dans le cadre de notre système. Elle n'est pas aussi exécutoire que nous le voudrions, mais elle existe. Le Canada a adhéré à ces traités en 1976 et il doit maintenant respecter les obligations qu'ils lui imposent.
Quant à la façon d'obliger les Américains, j'aimerais citer l'article 6 du Traité d'extradition avec les États-Unis qui prévoit que:
Lorsque l'infraction motivant la demande d'extradition est punissable de la peine de mort en vertu des lois de l'État requérant et que les lois de l'État requis n'autorisent pas cette peine pour une telle infraction, l'extradition peut être refusée à moins que l'État ne garantisse à l'État requis, d'une manière jugée suffisante par ce dernier, que la peine de mort ne sera pas infligée, ou, si elle l'est, ne sera pas appliquée.
Voilà le texte complet de l'article 6 du traité d'extradition. Autrement dit, si le Canada demande que la peine ne soit pas exécutée, c'est le gouvernement des États-Unis qui décide de lui-même de donner cette garantie. C'est l'entente qui a été convenue entre nos pays depuis 1976.
Le sénateur Cools: C'est justement ce que je voulais dire. Le sénateur a cité un traité. Un traité est une entente entre des États souverains. Pourquoi le sénateur croit-il que cela pourrait s'appliquer dans une loi interne? C'est acceptable dans le cadre d'un traité parce que les deux gouvernements s'entendent. L'argument du sénateur ne sert donc, au mieux, qu'à affaiblir les modifications qu'il propose.
Le sénateur Joyal: Au contraire, honorable sénateur, je suis d'avis que le texte de notre amendement est presque identique à celui des traités. L'amendement emprunte le libellé des traités.
Si le sénateur lit l'amendement, elle constatera qu'il propose exactement le genre d'obligation sur laquelle le Canada et les États-Unis se sont entendus en 1976, à l'initiative des États-Unis.
Je ne comprends pas la préoccupation du sénateur. Aux termes de ce traité, le Canada a demandé par le passé que la peine capitale ne soit pas appliquée, et le gouverneur de la Floride a accédé à cette demande. Par conséquent, nous avons déjà appliqué les dispositions de l'article 6 du traité.
Le sénateur Cools: Je suis bien au courant de bon nombre de ces accords et de ces traités. J'ai déjà accordé la libération conditionnelle à beaucoup de détenus justement pour qu'ils soient extradés. Quand je siégeais à la Commission des libérations conditionnelles, j'ai connu bien des cas d'échanges de contrevenants où des Canadiens détenus aux États-Unis ont été autorisés à revenir au Canada.
Voilà précisément la question. Il faudrait chercher à appliquer certaines de ces mesures au moyen d'un traité ou d'un accord entre des États souverains, et non par des lois intérieures, où un ministre de notre pays tenterait de produire un résultat dans un autre pays. Si je me fie à ce que le sénateur Joyal vient de dire, un amendement n'est absolument pas nécessaire, car ces questions sont prévues dans des traités.
Le sénateur Joyal: Ce n'est pas ainsi que le comité international des droits de l'homme des Nations Unies s'est prononcé sur la question. J'ai ici des copies de deux décisions que j'aimerais montrer à l'honorable sénateur Cools. Elle pourra constater que ces décisions confirment qu'il ne s'agit pas seulement d'une question de traités, mais qu'il s'agit aussi d'une question de conventions internationales auxquelles doit se soumettre le Canada, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. C'est donc plus qu'une question de traités; c'est une question de pacte que le Canada doit respecter.
[Français]
L'honorable Louis J. Robichaud: Honorables sénateurs, le sénateur Joyal a été bombardé de questions et il se tire fort bien d'affaire.
Prenons l'exemple d'une Américaine qui aurait commis un crime passible de la peine de mort dans un État américain. L'accusée attend son procès et s'évade au Canada. Une demande d'extradition est faite auprès du ministère par l'État en question et le ministre refuse l'extradition. Est-ce que le ministre, par le fait même, n'a pas jugé l'accusée sans le bénéfice d'un procès? La cour ne l'a pas trouvée coupable d'un crime passible de la peine de mort.
Le sénateur Joyal: Le ministre peut prendre la décision de retourner aux États-Unis un fugitif américain qui aurait déjà été condamné. C'est arrivé en Pennsylvanie, par exemple. J'ai lu des cas antérieurs qui illustraient les circonstances décrites par l'honorable sénateur.
Le ministre de la Justice doit se poser la question fondamentale de savoir si, en retournant cette personne pour être détenue dans l'État d'origine, le ministre ne la soumet pas à la peine de mort. S'il prend cette décision, il confirme alors la sentence prononcée par le pays en question puisqu'il considère la possibilité de ne pas retourner cette personne. Il entreprend alors des discussions avec le gouverneur de l'État en question pour obtenir l'assurance que la personne sera retournée, que sa sentence ne sera pas exécutée mais sera transformée en emprisonnement à vie sans possibilité de libération, comme le statut de cet État le prévoit.
Le ministre a réévalué la sentence que l'État avait imposée en tenant compte des principes fondamentaux du droit canadien.
(1630)
Le sénateur Robichaud: Honorables sénateurs, je pense que le sénateur n'a pas tout à fait saisi ma question. Le fugitif n'a pas subi son procès aux États-Unis. Est-ce que le ministre n'agit pas comme juge en refusant l'extradition?
Le sénateur Joyal: Honorables sénateurs, il y a d'abord le procès qui se déroule au Canada. Le projet de loi, tel que présenté par l'honorable sénateur Fraser et appuyé par l'honorable sénateur Bryden, prévoit de manière explicite un système juridique à différentes étapes assujetti à la protection de la Charte lorsque le fugitif fait face à une demande d'extradition sans avoir été condamné aux États-Unis. Le cas auquel je faisais référence concerne un individu qui avait déjà été condamné aux États-Unis et qui s'était évadé de prison.
Dans le cas que l'honorable sénateur décrit, il y a un procès en bonne et due forme devant un juge. Une fois le juge satisfait, l'extradition est prononcée. Le ministre peut intervenir dans le cas où la personne est susceptible de se voir imposer la peine de mort. Il n'est pas le premier juge du procès. La décision d'extrader revient à un juge de nos tribunaux canadiens. Le ministre n'intervient qu'au moment où la personne sera extradée suite au prononcé du jugement. Il intervient avec le gouverneur ou le procureur de l'État en question afin que ces derniers ne recherchent pas la peine capitale si la personne est déclarée coupable. De plus, le gouverneur exercera son pouvoir discrétionnaire. Ce sont les deux assurances qu'il peut obtenir du droit américain. Ce n'est qu'en dernier ressort que le ministre devient le juge de la décision, à savoir si la personne sera extradée ou non, compte tenu qu'elle est susceptible de faire face à la peine capitale.
(Sur la motion du sénateur Cools, le débat est ajourné.)
[Traduction]
Projet de loi privé
L'Association des comptables généraux accrédités du Canada-Adoption du rapport du comité
Le Sénat passe à l'étude du vingt-deuxième rapport du comité sénatorial permanent des banques et du commerce (projet de loi S-25, Loi concernant l'Association des comptables généraux accrédités du Canada, avec des amendements), présenté au Sénat le 20 avril 1999.-(L'honorable sénateur Kirby).L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, je propose l'adoption du rapport.
Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)
Troisième lecture
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?L'honorable Donald H. Oliver: Avec la permission du Sénat, maintenant.
Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)
Les travaux du Sénat
L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, s'il vous plaît, un peu moins d'impatience de l'autre côté. Sous la rubrique «Rapports de comités», je me suis levé pour prendre la parole au sujet du no 3. Pourrions-nous y revenir?Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, si vous ne vous levez pas, il est impossible de savoir que vous voulez prendre la parole.
[Français]
L'honorable Eymard G. Corbin: Honorables sénateurs, on n'entend pas aussi bien à l'extrémité de la Chambre. C'est pour cela qu'il est parfois difficile pour certains de suivre ce qui se passe.
[Traduction]
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je demanderais aux greffiers au Bureau de parler plus fort et je dois demander aux honorables sénateurs de dire «reporté» plus clairement, de façon à ce que tout le monde puisse entendre. Autrement, je l'admets, il est impossible de suivre.
L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, je vous ferais humblement remarquer qu'il est parfois difficile d'entendre quoi que ce soit d'ici. Parfois, les choses vont trop vite. Si nous voulons prendre la parole au sujet d'un point à l'ordre du jour, l'occasion passe trop vite. Je demande avec le plus grand respect le consentement des honorables sénateurs pour revenir au point no 3 sous la rubrique «Rapports de comités» pour qu'on puisse en parler un moment aujourd'hui.
(1640)
Son Honneur le Président: On demande de revenir au point no 3 sous la rubrique «Rapports de comités». La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je suis disposée à accepter que nous y revenions, si telle est votre volonté. Cependant, je rappelle aux honorables sénateurs que, lorsqu'un sénateur indépendant veut intervenir sur une motion inscrite au nom d'un sénateur du gouvernement ou de l'opposition, il serait utile, avant que les travaux commencent, d'en informer le leader ou le leader adjoint du parti qui a ajourné le débat. Aucun sénateur d'un côté ou de l'autre ne voudrait limiter le débat ou empêcher la participation d'un sénateur qui ne représente ni le Parti libéral ni le Parti conservateur. Toutefois, si les sénateurs indépendants nous avertissaient, cela faciliterait le processus.
Je suis disposée à donner mon approbation, honorables sénateurs.
Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
PRIVILÈGES, RÈGLEMENT ET PROCÉDURE
Étude du neuvième rapport du comité-suite du débat
Permission ayant été accordée de revenir au point no 3, les rapports de comités:L'ordre du jour appelle:
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Maheu, appuyée par l'honorable sénateur Ferretti Barth, tendant à l'adoption du neuvième rapport du comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure (sénateurs indépendants), présenté au Sénat le 10 mars 1999.-(L'honorable sénateur Kinsella).
L'honorable Marcel Prud'homme: Je ne crois pas que les sénateurs qui veulent intervenir sur une motion ou un point inscrit au Feuilleton au nom d'un autre sénateur se font un devoir d'avertir ce sénateur avant de prendre la parole. Ils se lèvent simplement et prennent la parole. Je ne vois pas pourquoi cela s'appliquerait uniquement aux sénateurs indépendants. Je sais qu'il serait poli de le faire. Cependant, personne ne sait si nous voulons intervenir sur un point donné.
Je voulais simplement poser une question au sénateur Kinsella parce que l'article était inscrit à son nom. Je voudrais savoir s'il a l'intention d'intervenir sur le sujet aujourd'hui. Nous ne voulons pas boycotter nos propres efforts.
Je remercie le sénateur Carstairs et tous les sénateurs qui se sont prononcés en faveur de cette mesure. Il importe que l'on sache que le comité a dû voter sur la présentation du rapport au Sénat.
Je demande simplement que nous évitions la précipitation. Je voulais demander au sénateur Kinsella s'il entendait participer au débat aujourd'hui. Sinon, quand pourrons-nous disposer de cette affaire?
En démocratie, les choses sont simples. Nous sommes élus ou nommés pour nous prononcer sur des propositions, non pour les reporter indéfiniment. Nous devrions décider un jour ou l'autre comment nous allons disposer de ce rapport.
Je n'entends pas faire une longue intervention. Depuis cinq ans et dix mois que je suis sénateur, tous connaissent mes opinions. Pourquoi me donner la peine de me répéter, sinon pour montrer aux nouveaux sénateurs avec quel feu je peux parler de cette question? Je n'en ressens pas le besoin. Je n'ai pas à abuser de l'obligeance des sénateurs. Certains diront: «Nous attendons de voir ce que vous avez à dire.» Mes vues sont bien connues. Inutile de reprendre mon discours habituel. Je remercie le sénateur Carstairs de m'avoir permis de préciser mes opinions.
La semaine dernière, le sénateur Wilson a protesté. Elle croit que je parle au nom des sénateurs indépendants. Elle m'a fait parvenir une note à cet effet. Je n'avais pas l'intention de parler en son nom. Cependant, je sais qu'elle désire aussi siéger aux comités.
Quand allons-nous régler cette affaire comme des amis qui souhaitent participer au débat?
L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, j'accepte volontiers de laisser intervenir tout sénateur qui souhaite prendre la parole à ce sujet. Toutefois, lorsqu'ils se seront tous exprimés, je voudrais que le débat soit de nouveau ajourné à mon nom.
Son Honneur le Président: Si aucun autre sénateur ne désire prendre la parole à ce sujet, le débat sera reporté au nom de l'honorable sénateur Kinsella.
(Le débat est ajourné.)
L'hormone de croissance recombinante bovine
Examen du rapport intérimaire du comité de l'agriculture et des forêts sur l'étude de son effet sur la santé des humains et des animaux-Suite du débat
L'ordre du jour appelle:Reprise du débat sur l'étude du huitième rapport (intérimaire) du comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts intitulé: «La STbr et le processus d'approbation des médicaments», déposé au Sénat le 11 mars 1999.-(L'honorable sénateur Milne).
L'honorable Nicholas W. Taylor: Honorables sénateurs, j'étais membre du comité qui a rédigé le rapport sur la STbr, l'hormone utilisée pour augmenter la production de lait chez les vaches.
Durant notre voyage en Europe, de même que durant certaines audiences tenues ici sur ce que nous devrions faire dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, l'un des points les plus fréquemment soulevés portait non seulement sur l'utilisation de la STbr, mais aussi sur le dialogue de sourds qui existe entre les producteurs d'aliments et les consommateurs d'aliments lorsqu'il est question d'additifs pharmaceutiques ou d'augmentation des hormones.
Notre comité reçoit de plus en plus de demandes de gens qui veulent que le gouvernement s'adresse à la communauté européenne pour lui demander d'interdire l'importation d'aliments canadiens qui ont été traités d'une façon quelconque ou qui ont fait l'objet d'une manipulation génétique. Les producteurs soutiennent en général que les scientifiques devraient prouver si l'additif utilisé a des effets néfastes ou non. Cela fait abstraction du point de vue des consommateurs. Les consommateurs, tant européens que canadiens, commencent à dire: «Vous nous dites que ces produits ne sont pas dangereux. À vous de prouver scientifiquement l'innocuité de ces additifs ou de la manipulation génétique.» C'est le monde à l'envers. Ce sont les producteurs qui devraient avoir à prouver que la manipulation génétique ou les additifs, loin d'être nocifs, accroissent la valeur de l'aliment.
Honorables sénateurs, bien des représentants de notre milieu agricole nous demandent de vendre leurs denrées parce qu'ils les ont produites. Leur production augmente, parce qu'ils ont recours à la manipulation génétique ou à des additifs. Les restrictions imposées en Europe et préconisées aussi sur notre continent sont attribuables à un manque d'information. Notre plus grand défi consiste à communiquer avec nos propres consommateurs.
L'association des producteurs américains de maïs a fait savoir à ses membres qu'ils devraient cesser de produire du maïs manipulé génétiquement, parce qu'elle est incapable de l'écouler sur le marché européen. Il faudrait, nous aussi, aborder la question. Nous devrions aviser nos producteurs que cette pratique est sérieuse, car après tout, c'est d'Europe que nous sont venues la thalidomide et la maladie de la vache folle.
Les consommateurs européens se préoccupent peut-être davantage que nous des additifs et des manipulations que subissent leurs aliments. J'ai remarqué que les ministères de l'Agriculture de divers gouvernements songent à imposer des droits compensateurs et des mesures de rétorsion à moins que notre boeuf, traité aux hormones, ne soit accepté par les Européens. Ce sont les consommateurs des supermarchés de Londres, de Vienne, de New York, de Calgary et de Terre-Neuve qui commencent à s'inquiéter de la façon dont les aliments sont produits.
(1650)
La STbr n'est que la pointe de l'iceberg. Nous avons parlé de sa présence dans le lait, mais on peut s'attendre à ce que la controverse augmente à mesure que d'autres additifs alimentaires seront connus. Je vous demande, honorables sénateurs, de vous en informer auprès des producteurs de votre région. Vous serez certes soumis à des pressions. Tout producteur, qu'il produise de la truite en aquaculture, du boeuf, du canola ou différentes sortes de céréales, est assiégé par les quatre ou cinq grandes entreprises seulement qui fabriquent les produits chimiques, les modifications génétiques et les hormones qui assurent un meilleur rendement et une croissance plus rapide.
Cela commence à inquiéter les consommateurs. Les producteurs doivent commencer à faire accepter l'idée qu'ils auront recours à un médicament ou à une modification génétique pour accroître leur production. Il leur incombe de faire accepter cette idée aux consommateurs. Ce n'est pas au gouvernement de convaincre les consommateurs du monde entier qu'ils doivent accepter cela.
La seule solution à long terme consiste à laisser les consommateurs décider. Ils seront peut-être méfiants et ils feront peut-être les mauvais choix, mais laissons-les décider s'ils veulent ou non acheter et consommer un aliment qui est étiqueté en conséquence.
Son Honneur le Président: L'article est reporté au nom de l'honorable sénateur Milne.
(Le débat est ajourné.)
La Loi sur la taxe d'accise
Projet de loi modificatif-Étude du rapport du comité-Suite du débat
L'ordre du jour appelle:Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Murray, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Cochrane, tendant à l'adoption du quinzième rapport du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (projet de loi S-10, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, avec un amendement), présenté au Sénat le 9 décembre 1998.-(L'honorable sénateur Carstairs).
L'honorable John G. Bryden: Honorables sénateurs, je suis ravi de voir qu'autant de sénateurs sont ici présents, car on m'a demandé de lire un texte inspirant et même brillant sur le projet de loi S-10 du sénateur Di Nino, afin qu'il ne soit pas rayé du Feuilleton.
Je tiens à expliquer ici les considérations de politique fiscale entourant le statut des articles de lecture à l'égard de la TPS et, dans ce contexte, la position du gouvernement sur la question.
Honorables sénateurs, pendant l'étude de ce projet de loi au Sénat, nous avons entendu évoquer des exemples de gens souffrant de problèmes de lecture. Les tenants de ce projet de loi ont parlé éloquemment de l'importance de faire la promotion de l'alphabétisation et de venir en aide aux étudiants. Je tiens à donner l'assurance aux sénateurs que le gouvernement du Canada est sensible à ces problèmes et qu'il partage leurs objectifs.
Par exemple, en 1996, le gouvernement a pris une mesure de remboursement de la totalité de la TPS prélevée sur les livres achetés par les bibliothèques publiques, les écoles, les collèges et les groupes d'alphabétisation communautaires. Cette mesure reconnaît le rôle important que jouent les établissements scolaires, les bibliothèques et les groupes communautaires en aidant les gens, quel que soit leur revenu, à obtenir les outils dont ils ont besoin pour apprendre à lire. C'est également un investissement responsable et efficient. Accorder l'aide directement aux groupes d'alphabétisation nous permettra de tirer un effet maximal de chaque dollar de recettes perdues.
En outre, le gouvernement a augmenté le financement du Secrétariat national à l'alphabétisation, créant ainsi d'autres possibilités pour les gens d'améliorer leurs techniques de communication et de lecture.
Le budget de 1998 a également dévoilé plusieurs initiatives visant à enrichir le soutien accordé aux étudiants et à leurs parents. Parmi elles, on compte la Fondation canadienne des bourses d'études du millénaire, qui attribuera des bourses de 3 000 $ en moyenne à 100 000 étudiants à revenus modestes et faibles; les Subventions canadiennes pour études, dont profiteront plus de 25 000 étudiants dans le besoin ayant des enfants ou d'autres personnes à charge; une aide accrue à la recherche de pointe et aux étudiants diplômés, grâce à une augmentation des crédits accordés aux trois conseils subventionnaires; une aide aux étudiants diplômés dans la gestion de leurs dettes, grâce à un allégement fiscal au titre des intérêts sur les prêts étudiants; des améliorations au Programme canadien de prêts aux étudiants pour aider les étudiants qui éprouvent des difficultés financières; et la Subvention canadienne pour l'épargne-études, subvention qui correspond à 20 p. 100 de la première tranche de 2 000 $ de cotisations versées à un régime enregistré d'épargne-études et qui vise à permettre aux familles de faire davantage d'économies pour l'éducation de leurs enfants.
Il importe de reconnaître que la plupart des étudiants du niveau postsecondaire ont droit au crédit pour TPS en faveur des contribuables à revenu modeste, qui s'élève à 199 $ par année et dont le montant passe à 304 $ pour les étudiants vivant à l'extérieur du foyer familial. Cela représente le montant de TPS que les étudiants paieraient sur des dépenses de 4 300 $ engagées par eux. Compte tenu du fait que la taxe ne s'applique pas à la plupart des dépenses engagées par les étudiants, nombre de ces derniers paient effectivement peu de TPS, voire pas du tout. Ce crédit pour TPS redistribue près de 3 milliards de dollars aux Canadiens à revenus modestes et faibles.
Honorables sénateurs, le gouvernement du Canada appuie l'alphabétisation et l'éducation, mais la question a toujours été de savoir si la meilleure façon d'y arriver consiste à soustraire le matériel de lecture à la TPS. Cette question est particulièrement importante lorsque l'on songe qu'elle entraînerait une perte de recettes estimative de 300 millions de dollars et que cette économie de taxes profiterait principalement aux gens très instruits qui sont les principaux acheteurs de matériel de lecture.
C'est sans doute aussi là pourquoi la vaste majorité des pays de l'OCDE, y compris les pays membres de l'Union européenne, à l'exception du Royaume-Uni, appliquent leur taxe de vente aux livres. Cela comprend le Danemark et la Suède, deux pays où le niveau d'alphabétisation est très élevé, bien que le taux de taxation des livres soit de 25 p. 100.
Honorables sénateurs, sur un plan pratique, soustraire certains produits à la TPS soulève toute une gamme de problèmes de définition. Il n'existe pas de définition universelle de l'expression «matériel de lecture». Cette mesure exigerait que le gouvernement établisse une distinction entre les produits qui seraient admissibles comme matériel de lecture et ceux qui ne le seraient pas. Par exemple, les produits informatiques offerts par l'Internet ou les disques compacts, les livres de bandes dessinées, les cartes et même les affiches satisferaient-ils à la définition de l'expression «matériel de lecture»?
Dans ses délibérations au sujet de ce projet de loi, le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a recommandé que cette mesure exclue le matériel dont la vente, l'achat ou la consommation fait l'objet d'une restriction selon l'âge prévue dans la loi, le matériel obscène au sens de l'article 163 du Code criminel ou le matériel de nature pornographique. Toutefois, la question suivante consiste à déterminer ce qu'est du matériel de nature pornographique. Toute délimitation établie par le gouvernement serait inévitablement controversée et contestée.
En tenant pour acquis qu'il existe des réponses claires à ces questions, cette mesure exigerait des vendeurs de tous le pays qu'ils connaissent exactement les produits admissibles comme matériel de lecture et qu'ils reconfigurent en conséquence leur système d'exploitation afin de tenir compte des articles taxables et de ceux qui ne le sont pas. Cette obligation s'appliquerait à tout l'éventail des vendeurs de matériel de lecture, des grandes chaînes aux plus petits exploitants de dépanneurs indépendants. Je crois, honorables sénateurs, que le fardeau de l'application augmenterait de façon marquée au sein des entreprises au Canada.
Honorables sénateurs, il est loin d'être clair que le fait de soustraire le matériel de lecture à la TPS constitue le moyen le plus efficace de soutenir les auteurs et les éditeurs canadiens, étant donné qu'un allégement fiscal semblable s'appliquerait nécessairement au matériel étranger concurrent.
Le gouvernement a préféré adopter une approche plus ciblée pour encourager une industrie canadienne de la littérature et de l'édition qui soit dynamique. Par exemple, le gouvernement a haussé de 25 millions de dollars en 1997-1998 le financement du Conseil des arts du Canada, un organisme qui aide les écrivains canadiens. Des fonds supplémentaires de 15 millions de dollars ont aussi été accordés aux éditeurs canadiens, par l'entremise du ministère du Patrimoine canadien, afin de promouvoir une industrie de l'édition qui soit viable et concurrentielle. Ce sont là quelques exemples des mesures que le gouvernement prend pour épauler l'industrie canadienne de la littérature et de l'édition.
En conclusion, honorables sénateurs, le gouvernement croit que les mesures ciblées qu'il a adoptées sont préférables à la suppression de la TPS sur les articles de lecture pour promouvoir la littérature, l'éducation et l'industrie canadienne de l'édition.
En revanche, le projet de loi S-10 ne permettrait pas de cibler efficacement les ressources pour atteindre ces objectifs, il créerait d'importants problèmes de définition et il entraînerait des coûts de mise en application et autres pour le gouvernement et le secteur privé. Le gouvernement veut s'assurer que chaque dollar de recette fiscale ou de dépense de programme auquel il renonce procure le maximum d'avantages aux Canadiens, sur le plan de l'alphabétisation et de l'éducation. Voilà pourquoi je suis persuadé que la suppression de la TPS sur les articles de lecture n'est pas la meilleure façon de promouvoir l'alphabétisation, l'éducation et l'industrie canadienne de l'édition.
(1700)
L'honorable Lowell Murray: J'aurais une question à poser à l'honorable sénateur Bryden, s'il veut bien y répondre. Je ne puis m'empêcher de mentionner qu'il a été responsable de la campagne que le Parti libéral a menée au Nouveau-Brunswick en 1993 et qui a été couronnée d'un énorme succès, ce dont je le félicite, puis de celle de 1997, qui a obtenu un peu moins de succès et pour laquelle il a toute ma sympathie.
Avant que le débat ne soit clos, pourrait-il fouiller dans ses dossiers et retrouver l'engagement formel que son parti national et son chef, l'actuel premier ministre, ont pris relativement à la suppression de la TPS sur les articles de lecture?
Le sénateur Bryden: Honorables sénateurs, tout ce que je peux m'engager à faire pour le sénateur Murray, c'est vérifier les archives.
L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, si cela peut être utile au sénateur Bryden, je lui rappelle, à la veille de la Journée mondiale du livre, que c'est le sénateur Fairbairn qui a proposé le premier amendement au projet de loi sur la TPS en avril 1990 afin de soustraire le matériel de lecture à cette taxe. Cet amendement est, mot pour mot, le même que le sénateur Fairbairn avait proposé et qui avait reçu l'approbation générale des libéraux.
De notre côté, nous avons voté contre. Cependant, à l'époque, le ministre Wilson avait déclaré qu'il fallait attendre un peu de voir les résultats de la TPS et que, si nous estimions que certains secteurs devaient être exemptés de cette taxe, les mesures seraient prises en conséquence. Je suis convaincu que si le ministre Wilson ou le ministre Mazankowski était encore au pouvoir, nous soustrairions le matériel de lecture à la TPS.
Que s'est-il passé ces dernières années pour amener le Parti libéral à changer d'idée sur la question? Tout particulièrement à la veille de la Journée du livre, pourquoi jeter une ombre sur une journée aussi importante, où nous nous efforçons d'inciter les gens à lire? Ce que vous venez de nous dire ne stimulera pas la vente de livres.
Le sénateur Bryden: Honorables sénateurs, je répondrai à la première question en disant que les deux côtés ont peut-être pris le pli de leurs fonctions respectives puisque les deux ont changé d'idée. Il se peut que le Parti libéral, ayant maintenant les rênes du pouvoir entre les mains, ait découvert de meilleurs moyens de favoriser l'alphabétisation, ce qui, comme je viens de l'expliquer, nous aurait amenés à changer de position.
Pour ce qui est de la deuxième question, loin de jeter une ombre sur la Journée mondiale du livre, si vous avez écouté attentivement ce que je viens de dire, comme l'a certainement fait l'honorable sénateur, vous m'auriez entendu parler des millions de dollars que le gouvernement a consacrés à la promotion de l'alphabétisation. Plutôt que de recourir à une mesure générale vague comme le projet de loi S-10, qui bénéficierait au premier chef à des gens comme nous, qui achètent souvent des livres et pas seulement des livres canadiens, mais aussi des livres et des périodiques importés des États-Unis et d'ailleurs, le gouvernement a tenté d'atteindre les mêmes buts en ciblant ses dépenses.
Ce que nous disons, c'est que, à notre avis, la meilleure utilisation que nous puissions faire de nos ressources, c'est d'investir dans l'alphabétisation, l'édition et l'éducation, et pas nécessairement de prendre simplement des mesures générales qui s'appliquent à tous ceux d'entre nous qui ont amplement les moyens de porter leur propre fardeau.
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, à entendre les propos du sénateur Lynch-Staunton à l'endroit du sénateur Fairbairn, je ne peux que faire remarquer que l'idylle du début de la journée s'est vite dissipée.
Le sénateur Lynch-Staunton: Attendez à l'an prochain!
(Sur la motion du sénateur DeWare, le débat est ajourné.)
Visiteurs de marque
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je vous signale la présence de visiteurs distingués à notre tribune. Ce sont des représentants du Centre Maria Labrecque, de Calgary, sous la direction de leur présidente, Micheline Paré.Nous accueillons aussi des représentants de la Société Alzheimer du Canada, sous la direction de leur présidente, Marg Eisner.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix: Bravo!
Son Honneur le Président: Je sais que vous attendiez depuis longtemps que nous en arrivions à ce moment, mais je suis certain que vous avez trouvé le reste de l'après-midi intéressant.
(1710)
La compassion pour les Canadiens souffrant d'une perte d'autonomie
l' institution d'une journée commémorative
L'honorable Dan Hays, conformément à l'avis du 21 avril 1999, propose:Que le 20 mai 1999 soit proclamé Journée de la compassion pour les Canadiens et Canadiennes qui souffrent d'une perte d'autonomie.
- Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd'hui pour attirer votre attention sur la question des personnes - le plus souvent des personnes âgées - souffrant de maladies qui ont pour effet de leur faire perdre leur autonomie.
Je remercierai d'abord le sénateur Cohen d'avoir appuyé cette motion; le sénateur DeWare et les dirigeants de l'autre côté d'avoir fait de cette question une question bipartisane; le sénateur Carstairs et nos dirigeants; et, enfin, le sénateur Fairbairn et le sénateur Callbeck qui, en plus du sénateur Carstairs, voudront peut-être dire quelques mots au sujet de cette motion.
Les maladies comme la maladie d'Alzheimer et les accidents cérébrovasculaires sont souvent la cause de conséquences dévastatrices qui affectent non seulement les victimes, mais aussi leurs familles et leurs amis. Si je propose cette motion, c'est parce que ma mère a été victime de la maladie d'Alzheimer, mais c'est aussi parce que des personnes qui me sont proches et dont les conjoints sont ou ont été victimes de cette maladie sont maintenant devenues leur principal soignant.
Un livre merveilleux, intitulé: Elegy for Iris, vient d'être publié à ce sujet. C'est un livre poignant sur Iris Murdoch, philosophe et romancière, qui a perdu son autonomie. Écrit par son mari, John Bayley, ce livre décrit les conséquences pour Iris Murdoch et pour son mari, qui a décidé de devenir son principal soignant. Je le recommande à tous les sénateurs. C'est un livre merveilleusement écrit, qui les aidera à comprendre à quel point cette expérience peut être à la fois frustrante et difficile.
[Français]
Honorables sénateurs, l'objet de cette motion est de souligner les difficultés vécues par les personnes âgées qui souffrent de ces maladies, en prenant en considération le fait que l'année 1999 a été proclamée l'Année internationale des personnes âgées par les Nations Unies. L'Assemblée générale avait décidé, en 1992, de consacrer l'année 1999 aux personnes âgées, pour rappeler que la population mondiale vieillit et que ce phénomène démocratique étendrait ses ramifications partout dans le monde.
Le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, a bien décrit le phénomène:
Durant la deuxième moitié du XXe siècle, l'espérance de vie moyenne s'est allongée de 20 ans. D'ici 30 ans, un tiers de la population des pays plus développés aura plus de 60 ans. Le monde, dans son ensemble, atteindra cette proportion avant l'an 2015. Aujourd'hui, environ 10 p. 100 de la population de plus de 60 ans a déjà 80 ans et ce pourcentage atteindra 25 p. 100 d'ici l'an 2050.
En reconnaissant ainsi la place des personnes âgées dans le monde, le secrétaire général Annan nous rappelle la contribution des aînés et le fait que la vie est en train de passer d'un sprint à un marathon.
[Traduction]
Le jour même où M. Annan proclamait l'Année internationale des personnes âgées, l'honorable Allan Rock et M. Don Harron annonçaient la pleine participation du Canada à ce programme. Du côté canadien, les efforts sont coordonnés par le comité de coordination du Canada, que coprésident M. Harron et l'honorable Flora MacDonald. Le comité a pour but de sensibiliser le public aux questions concernant les personnes âgées.
Honorables sénateurs, c'est pour ces raisons que j'ai proposé cette motion. Je pense qu'elle coïncide parfaitement avec les efforts des Nations Unies et du Canada. Je vous donnerai tout à l'heure certains détails au sujet des activités prévues dans le cadre de la Journée nationale de la compassion.
Avant de décrire les souffrances causées par la maladie d'Alzheimer, je voudrais souligner certains aspects positifs du vieillissement de la population. Cicéron l'a bien expliqué lorsqu'il a dit que les grandes choses ne s'accomplissaient pas seulement grâce à la force des muscles, à la vitesse ou à la dextérité, mais aussi grâce à la réflexion, à la force de caractère et au discernement - des qualités qui ne font pas défaut au grand âge qui en est au contraire plus riche.
Les personnes âgées font une précieuse contribution au Canada. Beaucoup font du bénévolat, fournissent des soins, et font partie intégrante de leur communauté et de leur gouvernement. La plupart sont en bonne santé, actives, capables de travailler et de participer à toutes sortes de loisirs. La plupart sont indépendantes, 92 p. 100 d'entre elles vivent chez elles.
[Français]
Honorables sénateurs, si l'avenir offre à la plupart des Canadiens et des Canadiennes la possibilité de vieillir en beauté et de continuer à être utiles à leur famille et à la collectivité, la motion qui nous est présentée ici concerne les autres, ceux et celles qu'une maladie pernicieuse prive ou privera des joies de l'automne de la vie. Ceux-là, honorables sénateurs, ne jouiront pas de leurs dernières années et méritent vraiment notre compassion, notre aide et nos prières.
[Traduction]
Des problèmes de santé comme les accidents cérébrovasculaires et la maladie d'Alzheimer sont particulièrement stressants pour le patient et le soignant, parce qu'ils ne nuisent pas seulement au bien-être du patient, ils réduisent l'essence même de leur humanité, leur âme. Platon a écrit que le bien-être des êtres humains dépendait en grande partie de la bonne relation existant entre les parties de notre être que sont la raison, la spiritualité et l'appétence. Autrement dit, l'esprit, le moral et le corps doivent tous bien fonctionner pour qu'une personne puisse être considérée comme étant fondamentalement en santé. La maladie d'Alzheimer détruit l'esprit et déséquilibre notre vie. C'est parce que cette maladie atteint l'essence de notre être qu'elle est si stressante pour toutes les personnes touchées.
Les ACV sont généralement tout aussi terribles, parce qu'ils peuvent emprisonner un esprit sain dans un corps abîmé. Il peut aussi arriver que les deux soient abîmés, ce qui est pire. Cela détruit l'unité des trois aspects de l'âme. Le philosophe Hannah Arendt a écrit qu'une partie de notre humanité était définie par nos actions et notre capacité de communiquer avec les autres et de rassembler le tout dans un courant politique unique. Toutes ces maladies s'attaquent à la capacité des personnes âgées de communiquer avec les autres et, par conséquent, à leur capacité de faire valeur leur identité et leur valeur.
[Français]
Honorables sénateurs, permettez-moi de prendre un moment pour vous donner quelques statistiques sur la maladie d'Alzheimer, qui est une des principales maladies causant la perte d'autonomie chez les personnes âgées. La maladie d'Alzheimer ne touche pas seulement les personnes de plus de 60 ans, mais c'est dans ce groupe d'âge qu'elle frappe le plus durement.
[Traduction]
Le numéro du 24 septembre 1998 du Globe and Mail rapportait des statistiques intéressantes. On compte quelque 250 000 Canadiens atteints de la maladie d'Alzheimer. En tant que Canadiens, nous avons dépensé 3,9 milliards de dollars au traitement de ce problème de santé et de ses conséquences comme la perte de revenus. La maladie d'Alzheimer touche directement une famille sur trois au Canada. Malheureusement, d'ici l'an 2030, trois quarts de million de Canadiens en souffriront.
L'ACV est une autre maladie qui réduit l'autonomie de la personne atteinte. Ce n'est que l'une des difficultés que doivent surmonter les patients qui survivent. Au Canada, chaque année, environ 50 000 personnes font un ACV, et 14 000 en meurent. C'est l'aspect tragique de l'équation, du point de vue humain. Du point de vue financier, seulement dans ma province, les ACV représentent environ 20 500 $ par personne atteinte par année, si l'on compte le coût cumulatif des soins de santé, des services sociaux, des pertes de revenus et de la productivité moindre.
Après avoir décrit le défi, examinons un peu les efforts positifs réalisés par les groupes communautaires qui se penchent sur ce problème et qui constituent de véritables modèles de compassion. La compassion fait partie intégrante de nos vies, et ceux qui sont au service du public ont tout particulièrement le devoir de venir en aide à ceux qui en ont besoin. Au Parlement comme dans les assemblées législatives provinciales, les entreprises de service du secteur privé et du secteur public et le secteur des soins de santé, nous avons tous un rôle à jouer. La mission du Centre Maria Labrecque est un bon exemple de ce qu'est la compassion. En fait, c'est le Centre Maria Labrecque qui nous a poussés, le sénateur Cohen et moi, à proposer cette motion et à demander que la journée du 20 mai 1999 soit reconnue comme la Journée de la compassion.
Pourquoi le 20 mai? Parce que c'est l'anniversaire de naissance de Maria Labrecque, une soeur de la Providence qui a consacré sa vie active à fonder bon nombre d'installations de soins de santé dans diverses provinces. Maria est maintenant atteinte de la maladie d'Alzheimer, et c'est en pensant à elle que Micheline Paré a fondé ce centre.
(1720)
Ce centre, situé à Calgary, a plusieurs missions, dont la plus importante est sans contredit de former une nouvelle génération d'intervenants spécialement préparés pour traiter les gens atteints d'une maladie qui les empêche de s'exprimer.
[Français]
Honorables sénateurs, le centre a été fondé en 1994 afin de trouver des solutions au problème des mauvais traitements infligés aux personnes âgées. Il arrive souvent que les soignants, que ce soient des membres de la famille ou des professionnels, ne savent pas bien comment traiter ces personnes. Le danger qui s'ensuit est de les traiter littéralement comme des non-personnes.
On ne respecte pas la dignité du patient, on lui impose un horaire rigide, on le traite comme s'il n'existait pas, on le place dans un fauteuil toute la journée comme un objet inutile. Bref, on le traite sans compassion.
[Traduction]
On peut remédier à ce genre d'abus en mettant sur pied un système de formation qui insiste tout particulièrement sur la douceur et la compassion. Je suis très fier qu'un organisme de Calgary s'occupe de former des intervenants en se basant sur ces principes. Il remporte d'ailleurs tellement de succès que 92 p. 100 de ses élèves travaillent dans le domaine infirmier.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui parmi nous la présidente du Centre Maria Labrecque, Micheline Paré. C'est un modèle de compassion. Elle a fait beaucoup pour promouvoir le principe et la réalité des traitements adaptés aux personnes âgées ayant perdu leur autonomie. C'est grâce à sa volonté et à ses efforts inlassables que nous avons pu préparer cette motion et proposer de reconnaître la journée du 20 mai comme la Journée de la compassion. Ce faisant, nous suivons l'exemple du maire Duerr, de la ville de Calgary, et de monseigneur Henry, du Diocèse catholique de Calgary, et nous donnons l'exemple aux autres.
Ainsi donc, honorables sénateurs, je vous exhorte à appuyer cette motion. La compassion envers les personnes âgées et les autres personnes qui ont perdu leur autonomie, voilà également ce que témoignent les efforts déployés par la Société Alzheimer du Canada et ses sections locales.
La section de Calgary, par exemple, a ouvert ses portes en 1981 et se veut un centre permanent de ressources et de défense concernant cette maladie. Forte du soutien que lui apportent tant les particuliers que les groupes, elle a créé le Club 36, un programme qui vise à prendre soin quotidiennement de certaines personnes et à donner un peu de répit aux préposés aux soins à domicile. La société s'occupe également de mettre sur pied des programmes de soutien, des ateliers d'éducation familiale et des programmes de sensibilisation du public.
[Français]
Au Canada, nous avons la chance d'avoir le réseau national des Fondations des maladies du coeur. Il y a une fondation dans chaque province canadienne; celles de l'Alberta et de la Colombie-Britannique servent les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon respectivement.
Le mois de juin a été désigné Mois d'information sur les accidents cérébrovasculaire. J'ai été impressionné par l'intérêt manifesté par les Canadiens vis-à-vis leur section chaque année. Juin est un mois important pour la Fondation des maladies du coeur en termes d'information et de collecte de fonds. Un ACV laisse souvent ses victimes aphones et en perte d'autonomie, mais les diverses activités de la Fondation des maladies du c9ur, dans chaque province du Canada, font beaucoup pour apporter un réconfort aux victimes et un soutien à leurs familles.
La Fondation des maladies du c9ur, tout comme le Centre Maria Labrecque et la Société Alzheimer, font beaucoup pour que chaque jour soit une journée de compassion à l'endroit des personnes âgées rendues silencieuses par la maladie.
[Traduction]
Honorables sénateurs, la Journée de la compassion entend souligner le fait que les personnes âgées qui ont perdu leur autonomie ont perdu bien davantage, certes, mais qu'ils ne perdront jamais leurs émotions ou leur état d'âme. Le 20 mai 1999, à Calgary, le Centre Maria Labrecque inaugurera la célébration de ce jour, qui a été reconnu par le comité canadien de l'Année internationale des personnes âgées. Le calendrier des festivités comprendra des activités spéciales à l'intention des personnes âgées, une soirée en l'honneur des personnes soignantes ainsi qu'un programme visant à encourager les habitants de Calgary à faire quelque chose de spécial pour une personne âgées qui accuse une perte d'autonomie.
J'espère que l'adoption de cette motion par la Chambre aujourd'hui incitera les Canadiens à réfléchir à ce qu'ils peuvent faire pour les personnes qui souffrent d'une perte d'autonomie et à mettre en oeuvre de nouveaux programmes sociaux. Le 20 mai 1999 sera un jour de réjouissances et de réflexion et sera l'occasion de nous rappeler que le véritable critère pour juger de la valeur d'une société ou d'un gouvernement, c'est la façon dont on s'occupe de ceux et celles qui ne sont pas capables de s'aider eux-mêmes. Telle est la mesure de notre compassion.
Des voix: Bravo!
L'honorable Erminie J. Cohen: Honorables sénateurs, je suis heureuse d'appuyer la motion de mon collègue, le sénateur Hays:
Que le 20 mai 1999 soit proclamé Journée de la compassion pour les Canadiens et les Canadiennes qui souffrent d'une perte d'autonomie.
Honorables sénateurs, la compassion est un sentiment que nous devrions toujours éprouver devant toute chose. Celui qui ne peut trouver en lui un peu de compassion devant la douleur ou les souffrances d'autrui est un être bien froid.
La motion porte toutefois sur un sujet différent sur le plan qualitatif. Comme mon honorable collègue l'a dit, les maladies comme la maladie d'Alzheimer détruisent l'identité même de la victime. Cette maladie et d'autres formes de démence sont aussi insidieuses qu'impossibles à arrêter.
Les honorables sénateurs ont entendu la description de certains des effets de ce fléau. Je voudrais encadrer ce portrait afin que l'on puisse vraiment apprécier l'effet de cette maladie sur ses victimes, sur leurs familles et, enfin, sur l'ensemble de la société.
La maladie d'Alzheimer commence par vous voler vos souvenirs l'un après l'autre. Lorsqu'elle s'aggrave, elle enveloppe d'une confusion vaporeuse des choses maîtrisées dès l'enfance. Puis, cette vapeur devient un véritable brouillard qui resserre de plus en plus les limites du monde perceptible. Après avoir fait perdre au patient l'usage de la parole et impitoyablement émoussé ses fonctions motrices, la maladie commet l'ultime vol: elle lui enlève son indépendance et sa dignité et le laisse vulnérable et isolé.
Jules de Goncourt a bien cerné le phénomène, il y a 150 ans. Décrivant la redoutable maladie avant même qu'elle n'ait un nom, il l'a définie comme suit:
Comme l'arbre, l'être humain se dépouille. La maladie le secoue violemment, le rapetisse... sa silhouette n'est plus la même pour ceux qui l'ont aimé et qui ont tant apprécié sa protection.
Honorables sénateurs, ces mots brossent peut-être un bien triste tableau, mais ce n'est rien en comparaison des pensées qui doivent traverser l'esprit du malade face à sa destinée, rien en comparaison des sentiments qui doivent animer les proches du malade, témoins de sa bouleversante transformation.
Cette réalité fait mal, mais nous, les Canadiens, nous refusons de céder au désespoir. Cette motion en témoigne et je voudrais prendre un moment pour vous dire, honorables sénateurs, comment les Canadiens du Nouveau-Brunswick font face la difficulté.
Chez moi, à Saint John, il y a un établissement portant le nom gaélique de Rocmaura Nursing Home. Construit et géré par les soeurs de la Charité, cet établissement assure confort et soutien à toutes les personnes âgées qui nécessitent des soins de santé. Reconnaissant les besoins particuliers de ceux qui sont atteints de la maladie d'Alzheimer, Rocmaura à créé une unité de soins spéciaux appelée Trinity Court.
À l'instar du nom Rocmaura, le nom de l'unité de soins spéciaux, ou USS, n'a pas été choisi au hasard. Outre l'allusion à la Trinité, il possède également une autre signification. Rocmaura a mené une étude exhaustive qu'elle vient de terminer il y a tout juste deux mois. Il s'agit d'une enquête longitudinale sur les avantages d'une USS. J'ai été frappée par une des conclusions centrales de la recherche, à savoir que la compassion et des soins attentionnés font effectivement une différence.
Ici, la trinité est un peu plus corporelle: premièrement, un malade à qui on doit offrir toutes les chances de vivre dans la plus grande autonomie possible, deuxièmement, une famille aimante et dévouée qui comprend que son rôle de premier aidant naturel doit céder la place à des soins spécialisés et, troisièmement, des personnes dévouées du secteur de la santé qui cherchent diligemment de nouveaux moyens pour améliorer la qualité de la vie des résidents.
L'étude Rocmaura a montré que la mise sur pied d'USS améliore sensiblement le profil du malade atteint d'Alzheimer. Les malades mangeaient davantage, dormaient mieux, participaient plus fréquemment à des activités sociales et physiques, avaient besoin de moins de médicaments et devaient être moins souvent l'objet de mesures de contention. Les membres de la famille qui les connaissaient le mieux ont tous estimé que, à bien des égards, la déchéance de la personne chère avait ralenti ou, dans certains cas, s'était corrigée modestement.
(1730)
Honorables sénateurs, il ne s'agit là aucunement d'un remède; il s'agissait plutôt d'une victoire pour la dignité humaine, et elle a été remportée grâce à la compassion, à une détermination à aider et à redonner une partie de la dignité si cruellement arrachée par la maladie et par la perte d'autonomie.
J'ai été mise au courant du succès de cette initiative en raison de ma participation à la Rocmaura Foundation. Par votre entremise, j'en fais part à tous les Canadiens, dans l'espoir qu'elle offrira un peu d'encouragement et contribuera à dissiper quelque peu l'incompréhension.
Honorables sénateurs, j'ai mentionné que Trinity Court n'était pas un remède à la maladie d'Alzheimer. En fait, on n'y connaît actuellement aucun remède. Divers paliers de gouvernement dépensent chaque année 4,5 millions de dollars pour contrôler cette maladie. Cela représente plus de 6 p. 100 du budget national de la santé.
La Société Alzheimer du Canada est la seule organisation nationale à se consacrer aux recherches sur la cause et le traitement de cette maladie dévastatrice. De plus, comme le faisait remarquer l'honorable sénateur de l'Alberta, les sections provinciales de la société offrent un soutien crucial aux membres des familles qui prennent soin de leurs proches atteints d'Alzheimer.
Au Nouveau-Brunswick, la Société Alzheimer a élaboré un cadre stratégique pour appuyer les patients atteints de cette maladie. Un élément de ce modèle, qui a été repris par d'autres provinces, correspond à l'élaboration d'une initiative axée sur le partenariat et les soins. Ancré dans le concept même de la compassion, ce projet a permis de créer des programmes communautaires de soutien et d'éducation extrêmement visibles. Plus récemment, grâce à la découverte de nouveaux produits pharmaceutiques prometteurs qui pourraient grandement améliorer la qualité de vie des personnes atteintes d'Alzheimer, le volet partenariat et soins s'est révélé un point de coordination efficace entre les compagnies pharmaceutiques et les patients.
C'est justement à ce genre d'activités que l'honorable Flora MacDonald et Don Harron, ce grand Canadien, consacrent leur énergie en tant que coprésidents du comité canadien de coordination de l'Année internationale des aînés. Au bout du compte, ces activités, qu'elles cherchent à célébrer les réalisations des aînés du Canada ou à sensibiliser la population aux besoins spéciaux des aînés du Canada, visent toutes à inciter les gens à se prendre en mains, à proclamer que les Canadiens sont tous responsables les uns des autres. Voilà la valeur qui définit la famille et ne sommes-nous pas, en fin de compte, tous membres de la grande famille canadienne?
Honorables sénateurs, la compassion et le soutien qui nous sont offerts nous réconfortent grandement. Nous retrouvons espoir grâce à la découverte de nouveaux modèles et de nouveaux médicaments qui peuvent freiner les effets dévastateurs de ces maladies. Nous continuons de croire à la guérison.
Puisque j'ai abordé la notion de famille, je tiens à vous raconter une histoire fascinante au sujet d'une famille de Harvey, au Nouveau-Brunswick. Linda Nee est une analyste en sciences sociales au National Institute of Health à Bethesda, Maryland. Depuis 21 ans, elle étudie les descendants d'une famille du comté de Northumberland, en Angleterre, qui a émigré au Nouveau-Brunswick en 1837 et s'est installée à Harvey. De là, les membres de cette famille se sont dispersés partout dans l'Est du Canada et huit États américains. Ils sont tous prédisposés à souffrir de la maladie d'Alzheimer familiale, l'une des formes les plus agressives de cette maladie et probablement celle qui a servi de précurseure à toutes les autres formes.
On a donné à cette famille le nom de «FAD 1», forme abrégée de Familial Alzheimer's Disease, famille numéro 1. Toutes les recherches génétiques liées à la maladie d'Alzheimer sont fondées sur les découvertes génétiques faites grâce à cette famille. Plus de 1 000 membres ont donné des cellules, du sang et des échantillons de peau. Le docteur Peter St. George-Hyslop de l'Université de Toronto, qui a découvert le gène AD3 en 1995, est d'avis que les contributions de cette famille habitant le lieu symbolique de Harvey, au Nouveau-Brunswick, ont été énormes. Ses efforts ont contribué à stimuler la recherche d'un traitement.
Trop souvent, nous pensons à ce que nous enlèvent des affections comme la maladie d'Alzheimer, la démence ou les attaques. Il est certain, honorables sénateurs, qu'elles ressemblent à des trous noirs d'où aucune lumière ne peut s'échapper. Cependant, en y réfléchissant bien, on peut s'en échapper et on le fait. Le prix de telles maladies est élevé, mais elles nous donnent l'occasion de réclamer en retour le cadeau de la compassion.
C'est comme si Dieu lui-même avait placé cette noirceur sur notre chemin pour nous défier de la convertir en lumière. On peut crier victoire lorsqu'on relève le défi non pas avec pitié ou indifférence, mais plutôt avec une authentique compassion pour les victimes et pour leurs proches, qui luttent vaillamment pour les aider à sauvegarder un certaine dignité et le respect d'eux-mêmes. Je pense à des personnes comme Maurice Dionne, l'ancien député de Miramichi, qui souffre de la maladie d'Alzheimer depuis 1991, et à sa femme dévouée, Precille, qu'il ne reconnaît plus, mais qui prend fidèlement soin de lui et oeuvre inlassablement pour la Société Alzheimer.
Cette motion a pour objet de reconnaître la souffrance, et le courage dont on fait preuve en l'affrontant. La motion dont nous sommes saisis, honorables sénateurs, nous offre l'occasion de reconnaître la valeur de la souffrance, physique et spirituelle, et les efforts héroïques que déploient les soignants afin d'atténuer cette souffrance.
Cette motion vise surtout à nous rappeler à tous que la vertu de la compassion doit nous amener tous les jours, et pas seulement le 20 mai, à traduire l'empathie en sensibilité et les bonnes pensées en actions généreuses.
Honorables sénateurs, je me permets de citer pour finir un extrait d'un poème de D.H. Misita, qui a si bien résumé les effets terrifiants de la maladie d'Alzheimer et le défi qu'elle nous pose.
Honorables sénateurs, si nous proclamons le 20 mai 1999 Journée de la compassion pour les personnes âgées qui souffrent d'une perte d'autonomie, nous aurons déjà fait beaucoup pour répondre à cette prière.Hier, ton visage m'était familier,
Pardon, je l'ai maintenant oublié.
Tantôt, je savais lacer mon soulier;
Aide-moi, je ne peux plus y arriver.
Il y a une semaine, je chantais cet air,
Les paroles me sont désormais étrangères.
Je connaissais cette maison, cet endroit.
Qui n'est plus qu'un espace vide et froid.
Avec le temps, pour moi tout s'en va;
Toi, s'il te plaît, ne m'oublie pas!
L'épinglette dorée que vous trouvez aujourd'hui sur votre pupitre est un cadeau de la Société Alzheimer qui dit, en anglais comme en français «ne m'oublie pas». Souvenez-vous-en, s'il vous plaît.
Des voix: Bravo!
L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je tiens à appuyer aujourd'hui la motion proposée par le sénateur Hays, avec l'appui du sénateur Cohen. Les sénateurs Cohen et Hays ont tous deux parlé des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Je tiens à parler, pour ma part, des victimes d'accident cérébrovasculaire.
Honorables sénateurs, en 1969, pendant qu'il voyageait avec le comité sénatorial sur la pauvreté, mon père est arrivé chez moi et a traversé ma cuisine en titubant. Comme mon père ne buvait pas, je savais qu'il n'était pas ivre, mais je ne savais pas ce qu'il avait. Il a dit qu'il était terriblement fatigué et est allé se coucher. Il s'est réveillé quatorze heures plus tard. Nous ne nous en sommes pas rendus compte à ce moment-là, mais papa venait d'avoir le premier d'une série d'accidents cérébrovasculaires mineurs.
En mai 1970, il a été terrassé par un ACV majeur qui l'a laissé incapable de dire un mot, lui qui, à ce moment-là, était un politicien âgé de 45 ans. Vous tous qui exercez cette honorable profession devez comprendre à quel point cela a dû être frustrant. Il était complètement paralysé d'un côté. Il souffrait d'incontinence urinaire. Il était soudainement devenu une personne vulnérable.
Mon père a été parmi les chanceux. Avec beaucoup d'efforts et avec le soutien constant de ma mère, il a recouvré l'usage de la parole. Avec l'aide des médecins, il a recouvré le contrôle de sa vessie. Il est resté paralysé d'un côté, mais a pu réapprendre à marcher avec des aides. Cependant, il n'a jamais pu s'exprimer avec la même clarté qu'auparavant, et je crois que le sénateur Stewart connaissait ses grands talents d'orateur. Il a perdu cela à tout jamais.
(1740)
Je l'ai amené au Sénat à quelques reprises. Je l'ai poussé dans son fauteuil roulant. L'expérience peut-être la plus pénible, toutefois, est survenue à Calgary. C'est là que mon mari et moi vivions à ce moment-là et qu'il nous a rendu visite, en 1973. Il a attrapé une pneumonie pendant son séjour là-bas. Je l'ai emmené à l'urgence d'un hôpital, et on m'a dit qu'il serait hospitalisé parce qu'il avait clairement besoin d'être soigné.
Quand je suis entrée dans sa chambre, une jeune préposée, qui était, je pense, une aide-infirmière et non une infirmière lui criait après. Elle le traitait de façon très irrespectueuse. Certes, il ne pouvait marcher et il ne s'exprimait pas très clairement, sans doute à cause de sa pneumonie. Je me suis vite rendu compte qu'on lui avait enlevé ses appareils auditifs. Comme moi, il en avait un à chaque oreille. Il ne pouvait pas comprendre ce qu'on lui disait.
J'ai demandé au personnel de lui remettre ses appareils auditifs, après quoi nous avons commencé à faire comprendre aux membres du personnel qu'il était certes handicapé et qu'il souffrait de toutes sortes de vulnérabilités, mais qu'il pouvait entendre. Il était encore un être humain doué d'une intelligence. Il pouvait répondre à leurs questions.
Sur une note plus légère, une des choses que mon père aimait le plus au monde, c'était de jouer au bridge. Lorsqu'il est décédé et qu'on lui a rendu hommage à la Chambre, le sénateur Henry Hicks, qui ne l'aimait pas particulièrement, a déclaré qu'il se contenterait de dire, au sujet de Harold Connolly, qu'il n'avait jamais connu un autre homme qui pouvait obtenir d'aussi mauvaises cartes et les jouer aussi bien.
Lorsque mon père est rentré de l'hôpital, nous avons décidé de jouer au bridge. Ce n'était pas une mince tâche pour lui, car il était incapable de brasser les cartes, de les distribuer ou de les tenir. Il avait un réceptacle pour les cartes et il jouait, mais il obtenait ses mauvaises cartes habituelles. Il a décidé d'aller à la salle de bains et, avec l'aide de ma mère, il s'est rendu au bout du couloir. J'ai vite dit à mon mari: «Donne-lui un beau jeu.» C'est ce qu'il a fait. Il a réuni des as et des rois et les a placés dans le porte-cartes de mon père. Il a ensuite distribué le reste des cartes.
Mon mari était loin de se douter qu'il m'avait aussi donné un jeu fabuleux. Mon père et moi jouions ensemble. Mon père est revenu de la salle de bains, a regardé son jeu et a rayonné de joie. Il a fait une enchère, puis un contre et un surcontre, jusqu'à un total de 7 et il n'a jamais cessé d'en parler jusqu'à sa mort. C'était à n'en pas douter la meilleure main de bridge de sa vie. Il va de soi que nous ne lui avons jamais dit qu'elle avait été arrangée.
Mon père est mort en 1980 d'un autre accident cérébrovasculaire. Pendant une courte période, il a été placé sous respiration artificielle, comme beaucoup de victimes de cette maladie. Nous sommes six enfants, mais c'est à moi que ma mère a demandé d'interrompre la ventilation artificielle. J'étais loin de savoir que sept mois plus tard, j'allais devoir faire la même chose pour elle. J'ai dû le faire pour elle car elle s'était ruiné la santé à soigner mon père pendant dix ans.
Une journée de compassion, c'est pour moi une occasion de me souvenir, de marquer mon respect, d'améliorer les choses.
Des voix: Bravo!
L'honorable Joyce Fairbairn: Honorables sénateurs, cette motion visant à proclamer le 20 mai Journée de la compassion pour les personnes âgées et les personnes qui ont perdu leur autonomie par suite d'une maladie débilitante qui affecte le tissu cérébral est pour nous une occasion rare de sensibiliser le public.
Je remercie mes amis et mes collègues, le sénateur Dan Hays, de l'Alberta, le sénateur Erminie Cohen, du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Sharon Carstairs pour avoir proposé cette initiative au Sénat. Ils ont mon appui sincère comme, je crois, celui de tous les sénateurs.
Je remercie aussi en particulier Maria Lebrecque, qui est née au Québec et a grandi dans la région de Peace River, dans le nord de l'Alberta. Soeur de la Providence, elle aussi été infirmière et a joué un rôle dans la création de nombreux établissements de santé au Canada.
Je tiens à remercier Micheline Paré, présidente du Centre Maria Lebrecque, qui a été inauguré il y a cinq ans à Calgary. C'est une associée de longue date de soeur Lebrecque, dont l'anniversaire tombe le 20 mai.
Hélas, comme on l'a dit, soeur Labrecque souffre elle-même de la maladie d'Alzheimer. Le centre qui porte son nom a pour mission de veiller à ce que ceux qui sont atteints de cette forme de démence reçoivent tous les soins voulus.
Honorables sénateurs, à mon avis, il est plus que temps que notre pays se penche très attentivement sur les besoins uniques des personnes âgées, car elles constitueront au cours du prochain siècle le segment de la population qui connaîtra la croissance la plus rapide. Nous avons les données démographiques depuis de nombreuses années. Elles n'ont rien d'une surprise.
Pourtant, ce n'est que maintenant que nous commençons à saisir les véritables dimensions de cette réalité, et nous devons nous débrouiller pour nous y préparer. En fait, ces dimensions sont déjà là, sous nos yeux, et outre des fonds, elles exigent de la volonté, de la créativité et de la sensibilité des gouvernements, des collectivités, du système de soins de santé et des innombrables particuliers qui doivent composer avec ces cas spéciaux et relever quotidiennement le défi unique qu'ils représentent.
Le plus ingrat de tous ces défis consiste à créer un refuge où l'on puisse offrir soutien et respect à ceux auxquels la démence, dont la maladie d'Alzheimer est la forme la plus répandue, mais aussi les maladies du coeur et les accidents cérébrovasculaires, enlèvent graduellement toute autonomie. Comment leur faire savoir que nous les aimons du seul fait qu'ils soient là, et non seulement à cause des bonnes années qu'ils ont derrière eux? Comment utiliser chaque outil de la science médicale, comment faire preuve de compassion et de compréhension pratique pour donner à ces personnes tous les stimuli dont elles ont besoin pour conserver leur dignité dans leur milieu alors qu'elles ne peuvent exprimer leurs besoins et encore moins leurs désirs?
Ignorer leur importance comme membres de nos familles et de notre société et ne pas les écouter constitue la forme d'abus la plus cruelle que je puisse imaginer. Nous devons tous devenir leur voix, et c'est pour cela que cette motion a été présentée.
Chacun d'entre nous dans cette enceinte a probablement été touché par cette question par l'entremise de membres de la famille et d'amis, comme je l'ai été. Nous avons vu les gens qui se cachent derrière les statistiques. Je pense notamment à Muriel Hays, la mère du sénateur Dan Hays, qui a été vraiment une merveilleuse amie pour moi. Un autre a été mentionné par le sénateur Cohen, un ancien député de la Chambre des communes, Maurice Dionne, qui a représenté la circonscription de Miramichi pour le Parti libéral pendant de nombreuses années.
(1750)
Maurice, qui a maintenant 62 ans, a appris qu'il souffrait d'Alzheimer au début de cette décennie environ. Il m'a dit qu'il avait des trous de mémoire depuis un certain temps, comme nous en avons tous, mais il ne s'en est pas vraiment préoccupé jusqu'au jour où il a oublié d'aller chercher à l'école un de ses jeunes fils. Maurice était l'un de ces politiciens bagarreurs du Nouveau-Brunswick, semblable à beaucoup de ceux qu'on retrouve dans cette enceinte. Il a lutté avec vigueur pour obtenir des avantages pour sa région tout au cours de sa carrière.
Avant les élections générales de 1993, plutôt que de simplement se retirer et de retourner dans la région de Miramichi, il est venu à notre caucus national expliquer pourquoi il n'allait pas se représenter. Cela lui a demandé du courage. C'était difficile. Pour beaucoup de gens présents à ce moment-là, moi-même y compris, ce fut une véritable leçon pour ce qui est de comprendre une question que même alors, nous semblions ne vouloir discuter qu'à mots couverts.
Alors que nous avions tous du mal à nous maîtriser cette journée-là, notre collègue, ce qui lui ressemblait bien, a essayé de nous rassurer en faisant un peu d'humour et en nous disant qu'un des aspects positifs de sa maladie était le nombre de nouveaux amis qu'il se découvrait tous les jours. Lorsqu'il nous a quittés, Maurice et sa femme Precille sont devenus des défenseurs publics des victimes de l'Alzheimer. Ils ont décidé de sensibiliser les gens à cette maladie. J'étais à l'époque et je suis encore très fière d'eux. Je les ai appelés aujourd'hui simplement pour leur dire que cette motion était à l'étude aujourd'hui au Sénat, que nous pensions à eux et que nous allions certes leur envoyer un exemplaire du hansard d'aujourd'hui.
L'autre personne qui m'était la plus chère était ma mère. Le sénateur Prud'homme la connaissait. Au cours des dernières années de sa vie, elle a souffert de ce qu'on avait diagnostiqué comme simplement de la démence. C'était au milieu des années 80. J'ai demandé si cela voulait dire l'Alzheimer, mais à ce moment-là, personne n'était prêt à même utiliser le terme. Elle était donc atteinte de cette maladie.
Lorsque le diagnostic a été posé, elle perdait rapidement beaucoup de ses facultés cognitives, y compris la parole. Elle a tout simplement disparu. Au cours des trois dernières années de sa vie, jusqu'à sa mort à l'âge de 92 ans, en 1991, elle ne parlait pas du tout. C'était une gentille personne, entourée par des fournisseurs de soins gentils et compatissants à son égard et à mon égard également, durant cette période. Ces gens et elle-même m'ont appris beaucoup sur la façon de faire face à une chose que je ne pouvais ni voir ni entendre. Ma mère n'a jamais perdu sa capacité de me reconnaître, chose dont je suis vraiment très heureuse.
Lorsque j'en ai appris davantage sur les moyens d'affronter cette situation de mon mieux, il m'est apparu évident qu'elle avait retenu certaines choses, qu'elle avait pu reconnaître certaines voix jusqu'à la fin. Elle avait également conservé un sentiment de plaisir pour les petites choses qui avaient fait partie de sa vie ordinaire. Mon mari et moi la sortions, avec difficulté, car l'arthrite l'avait frappée d'incapacité et elle était en fauteuil roulant, pour aller pique-niquer dans notre vallée fluviale, à Lethbridge, où elle aimait sentir la brise venant des peupliers, admirer la faune, un chevreuil qui apparaissait soudainement devant les pique-niqueurs, ou des lapins, des écureuils, ou le chant des oiseaux. Il est sûr qu'elle reconnaissait vaguement le pont historique en contre-haut, qui est un monument dans notre localité, et elle le contemplait avec tendresse. Elle saluait les enfants qui jouaient et leur souriait avec ses yeux.
Peu de temps après, elle n'a plus voulu sortir. C'était trop pénible. Alors, nous nous prenions simplement les mains et je lui faisais la conversation. À chaque occasion, nous partagions ce qui est demeuré jusqu'à la fin, je crois, son plus grand plaisir: une petite coupe glacée au chocolat du Dairy Queen.
Je mentionne cela uniquement pour bien faire comprendre combien on a besoin de connaître et de ressentir pour remplir le mandat que sous-tend cette motion. Notre connaissance doit s'étendre à la prise de conscience de cette période difficile qui mène à la découverte du problème. Quand j'y repense, je suis triste de ne pas avoir compris parfaitement ce que ma mère a vécu quand sa personnalité a commencé à changer. Sans doute, j'aurais pu à tout le moins manifester plus de patience et de sensibilité pendant cette période marquée par l'anxiété et la peur qu'éprouve la personne qui se rend compte qu'elle perd son autonomie de jour en jour. On m'a dit si souvent que c'était le processus normal du vieillissement. Les premiers jours de la maladie auraient pu être mieux vécus si j'avais été mieux informée.
Voilà pourquoi je suis reconnaissante envers la Société Alzheimer du Canada et ses sections réparties un peu partout dans notre province. Je souhaite la bienvenue à la présidente de la section de Lethbridge, Beth Fisher, qui a été récemment nommée présidente de la Société Alzheimer de l'Alberta et qui, je crois, se trouve à la tribune aujourd'hui.
Je suis très fière des efforts accomplis par un ami très cher, Keith Robin, un dévoué bénévole qui oeuvre depuis 25 ans au sein de la Fédération des maladies du coeur. Il a été l'un des fondateurs du premier comité de ma ville natale, Lethbridge. Il a également été président de l'Alberta Heart and Stroke Foundation et membre de plusieurs de ses comités nationaux.
Ce genre de leaders, comme ceux qui sont présents à notre tribune aujourd'hui, de même que bon nombre d'autres bénévoles, ont aidé à créer les bases des campagnes de financement et des programmes de sensibilisation et d'aide aux malades et à ceux qui s'en occupent. Nous leur devons tous beaucoup.
La motion à l'étude aujourd'hui va un peu plus loin dans le même sens et pousse le gouvernement à s'engager clairement à offrir une certaine qualité de vie aux gens qui ne peuvent plus s'exprimer et à s'occuper de ceux qui ont perdu leur autonomie.
Honorables sénateurs, je suis au Sénat depuis près de quinze ans maintenant et j'ai également travaillé dans la communauté pendant ce temps. J'aimerais vous dire qu'à mon avis, les personnes âgées sont les plus sages, les plus actifs, les plus généreux et les plus franchement patriotiques de tous les Canadiens. Ils nous aident tous, et ils s'entraident les uns les autres, tout particulièrement lorsque les temps sont difficiles.
(1800)
Nous devons reconnaître leurs mérites. Nous ne devons jamais les laisser tomber. Les Canadiens sont fiers de dire qu'ils appartiennent à un pays qui est aux premiers rangs en matière de droits de la personne, de privilèges et de libertés, et qui n'hésite pas à accorder son aide à ceux qui en ont le plus besoin. C'est finalement là notre défi pour le XXIe siècle. Nous devrons le relever pour que notre nation soit réellement productive.
C'est avec beaucoup d'enthousiasme et de fierté que j'appuie la motion visant à reconnaître le 20 mai comme la Journée de la compassion, qui vise à nous rappeler chaque année la force de notre engagement.
En concluant, honorables sénateurs, j'aimerais vous rappeler que les sénateurs Hays et Cohen seront les hôtes d'une réception en l'honneur de nos amis à la pièce 263, la salle de la Francophonie, après la séance d'aujourd'hui. J'espère que nous y assisterons en grand nombre pour réaffirmer notre engagement.
Des voix: Bravo!
Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je présume que vous ne désirez pas que je tienne compte de l'heure.
Des voix: D'accord.
[Français]
L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, j'ignorais que nous voulions dès aujourd'hui donner suite à l'excellente proposition du sénateur Hays. Je parle ici au nom du sénateur Roche, qui m'a permis de vous dire que nous aurions apprécié savoir que cette excellente proposition serait débattue aujourd'hui.
[Traduction]
Nous ne savions pas que nous en serions saisis aujourd'hui. Ni le sénateur Roche ni moi n'oserions - et il m'a permis de le dire - nous opposer à cette excellente proposition.
[Français]
C'est une coïncidence extraordinaire parce que les quatre personnes qui ont parlé à ce sujet me rappellent quatre souvenirs. J'ai eu l'honneur de siéger aux Nations Unies avec le père du sénateur Hays. Quand vous êtes aux Nations Unies pour trois mois, vous développez certainement une meilleure connaissance des êtres humains.
Comme par hasard, le sénateur Carstairs a parlé de son séjour à Calgary. J'étais à ce moment très actif chez les jeunes députés libéraux et elle m'avait invité à parler devant les étudiants de son école à Calgary. Bien des gens ignoraient, ici même au Sénat, que le sénateur Carstairs a mené une carrière très remarquée en Alberta.
Lorsque le sénateur Fairbairn était active au bureau du Très honorable Pierre Elliott Trudeau, je me faisais toujours un point d'honneur d'aller la saluer. Pour lui faire plaisir, j'étais même allé visiter sa mère en Alberta sans le lui dire.
Le sénateur Cohen nous a parlé de M. Maurice Dionne. Je vais faire quelques commentaires à ce sujet. Souvent, on vit dans une société un peu méchante, pour ne pas dire hypocrite. Un soir, en quittant le Parlement, j'ai reconnu M. Dionne. La première réaction que les gens ont lorsqu'ils rencontrent une personne qui semble un peu perdue, c'est de croire qu'elle a trop bu. Je voyais bien que ce n'était pas le cas de M. Dionne. Effectivement, il était bel et bien perdu quelque part entre le Parlement et chez moi. Cela a été mon premier contact brutal avec ce dont ont parlé les sénateurs Hays et Cohen. Cela m'a frappé pour le reste de mes jours. L'ayant fréquenté, je sais que c'était un homme dur. Il avait des opinions très arrêtées sur plusieurs sujets, mais il m'a beaucoup appris. Je me suis occupé de lui.
Je suis en faveur de cette résolution. J'ai quelques commentaires sur l'attitude de la société à l'égard de ces gens en perte d'autonomie. La société devient de plus en plus dure. Aujourd'hui, on arrive dans un salon funéraire - comme on le faisait il y a 30 ou 40 ans - pour aller offrir nos condoléances aux proches de personnes qu'on a connues.
Autrefois, les jeunes versaient même une larme, ils étaient heureux de nous voir sympathiser. Aujourd'hui, les gens aiment bien notre présence dans les salons funéraires, ils sont très heureux de nous voir, mais on entend souvent des commentaires comme:
[Traduction]
«Elle avait 85 ans, ou il avait 95 ans», comme si cela n'avait plus d'importance. Ce sont des choses que je n'entendais jamais quand j'étais plus jeune, pas même quand j'étais député à la Chambre des communes. Aujourd'hui, on entend cela. Aujourd'hui, comme la société est en train de devenir cupide, on entend des gens dire: «Après tout, vous savez, ils avaient fait leur temps, alors nous devrions pouvoir avoir recours à l'euthanasie.» Je ne veux pas lancer un débat sur l'euthanasie, mais c'est presque pertinent à la question dont nous sommes saisis.
Cet après-midi, les gens ont pris la parole et parlé du fond du coeur. S'ils avaient quelque chose à dire, ils s'exprimaient. C'est ce que j'aime le mieux. Cet après-midi, nous avons eu un débat sur une autre question: le caractère sacré de la vie. C'est un débat très important. J'ai pu constater qu'il était très difficile pour le whip, mon ami, et pour certains autres, d'exprimer une opinion tranchée. Quelle était la question fondamentale? C'était le caractère sacré de la vie, puisqu'il s'agissait de décider si nous étions disposés à garder en vie, ici, au Canada, les pires criminels. J'ai voté en faveur de l'abolition de la peine de mort dans une circonscription qui y était favorable à 92 p. 100, et j'ai été réélu.
Nous devrions peut-être réfléchir ensemble sur ce que nous pouvons faire en tant que sénateurs. Nous avons un rôle à jouer. N'y a-t-il rien de plus important et de plus touchant que de réfléchir au sens véritable de la motion présentée par le sénateur Hays? Nous avions autrefois un comité sur la pauvreté ou sur le vieillissement, présidé par le sénateur Croll. Ce comité a produit un rapport extraordinaire, si je me rappelle bien.
Nous devons amener les gens à s'impliquer, nous devons nous impliquer nous-mêmes. Le 20 mai sera proclamé Journée des citoyens canadiens souffrant d'une perte d'autonomie, et il doit l'être. Cependant, il ne faut pas se contenter de penser à ces questions le 20 mai. Nous vieillissons, chers sénateurs. Je ne paraphraserai pas le discours du sénateur Hays. Toutefois, la société vieillit de plus en plus. Nous savons que cela va être coûteux. Négligerons-nous les personnes qui peuvent avoir perdu totalement leur autonomie sous prétexte qu'elles ne sont pas productives pour la société? Je félicite tous ces gens qui sont ici aujourd'hui.
[Français]
Je voudrais féliciter sincèrement les gens qui sont venus de l'Alberta aujourd'hui. Cela demande une grande patience que de s'occuper de quelqu'un qui est en perte d'autonomie.
[Traduction]
(1810)
J'ai connu ce type situation. C'est incroyable, il faut se comporter comme un saint chaque jour pour prendre soin d'une personne qui a subi une perte d'autonomie.
J'aime toujours faire des propositions concrètes. J'en ferais plus si j'étais membre des comités. J'aurai ce privilège un jour, probablement lorsque j'aurai quitté le Sénat. Je suis désolé de faire un tel rapprochement.
J'aimerais parler de ce que nous avons pu voir à la télévision ces deux derniers jours, à savoir ces jeunes gens qui en ont tué d'autres. Ils me font penser aux jeunes désaxés du film La fureur de vivre, qui m'a marqué lorsque j'étais jeune. Ce fut le grand film de notre jeunesse. Les honorables sénateurs auront remarqué qu'il ne s'agissait pas d'étudiants pauvres ou vivant dans les bas-fonds de l'Amérique du Nord. Il s'agissait d'enfants riches, qui se sont entre-tués. Ce n'est pas parce que...
[Français]
N'est-ce pas parce qu'il leur manque peut-être quelque chose de concret à faire? Peut-être une perte des valeurs, comme le soulignait le sénateur Nolin. On ne sait plus dans la société d'aujourd'hui ce qu'est la vie, le respect des aïeuls. On fait des débats pour retirer la religion des écoles, dont l'enseignement est censé faire connaître des valeurs très attachantes qui empêchent que nous développions l'égoïsme. Ne penser qu'à soi est la chose la plus facile, mais donner de son temps à quelqu'un qui ne sait même pas que vous lui donnez votre temps précieux, cela est d'une grande valeur. Si le sénateur me faisait l'honneur de me demander mon appui, j'irais n'importe où pour parler dans les écoles. À Calgary, il y a quelques écoles que je connais bien, mais il y en a ailleurs aussi, un peu partout, comme au Nouveau-Brunswick, d'où vient le sénateur Cohen. L'important, c'est d'aller parler de ces valeurs aux jeunes. Je l'ai fait ici, au Sénat, avec des groupes de jeunes.
[Traduction]
C'était le plus beau groupe de jeunes, des jeunes qui ont une santé vigoureuse. Ce groupe porte le nom de Société du Commonwealth, je crois. Ils étaient tous ici. Au lieu de m'asseoir à votre place, Votre Honneur, je me suis promené devant eux tous, ces hommes et ces femmes de demain venant de familles très riches. Je leur ai parlé des valeurs. On m'a dit que j'allais me casser le cou, mais j'ai accepté de jouer le jeu.
[Français]
Je leur ai parlé des valeurs humaines. J'ai parlé à des jeunes filles de 17, 18 et 19 ans et à des garçons forts comme de jeunes taureaux, qui avaient l'âme très sensible. Je leur ai parlé de romantisme, de choses dont on ne veut plus parler. Je leur ai parlé de tendresse à l'égard des personnes âgées - même en ce moment, je vous le dis, je suis dans cette atmosphère - et ils ont commencé à pleurer tranquillement, et à parler d'euthanasie. À ce moment-là, chacun a commencé à raconter son histoire.
[Traduction]
«Ma grand-mère a la maladie d'Alzheimer», a déclaré un grand et costaud jeune homme. Quand il a commencé à décrire ce que cela signifiait pour lui, il s'est mis à pleurer. C'était vraiment imprévisible. Tout le monde avait son histoire à raconter.
Il est terrible de toujours s'adresser aux mêmes sénateurs que je vois ici à la fin du débat. Je voudrais que ceux qui sont nantis et qui ont du personnel à l'extérieur du Sénat contribuent à leur façon à influencer les jeunes. Ce sont eux qui remercient ceux qui prennent le temps de s'arrêter, comme ceux qui sont à la tribune.
Je ne vais pas nommer une de nos anciennes collègues, que vous appréciez tous et qui traverse des moments difficiles, parce qu'elle ne reconnaît pas ses meilleurs amis, moi y compris. Elle siégeait au Sénat. Elle refusait de vivre plus longtemps. Si vous la visitez, elle ne vous reconnaît plus. C'était l'une des nôtres.
Honorables sénateurs, comment ne pas donner notre appui pour qu'on s'arrête le 20 mai de chaque année pour réfléchir à cette question, sans pour autant se limiter à cette date? Cela ressemble à la Journée internationale de la femme, qui inspire parfois des blagues assez impertinentes lorsqu'on est en présence de femmes. Je viens d'une famille où les femmes étaient très indépendantes. Ceux qui connaissent ma soeur auraient dû connaître ma mère. C'était une femme déterminée, qui croyait à l'égalité entre les garçons et les filles. À l'occasion de la Journée de la femme, j'entends souvent des propos comme: «Vous avez eu votre journée, maintenant.» Le jour de la Saint-Jean-Baptiste, les Canadiens français entendent des gens leur dire: «Vous avez eu votre journée. Oubliez votre cause pour le reste de l'année.»
[Français]
Chaque jour, nous devrions avoir une pensée, mais ce n'est pas suffisant, nous devrions poser un geste concret. Il y a au Sénat des gens qui ont cette détermination, cette sensibilité de croire qu'ils peuvent contribuer à l'humanité en donnant un peu plus de leur sens des valeurs à cette humanité qui ne demande que des messages d'amour alors qu'on lui lance des messages guerriers et de division. Et prenez-les tous: c'est tellement plus facile d'être anti-Noirs, de dire «Ah, les Juifs! Ah, les Canadiens français!», alors qu'il faut parler des vraies valeurs humaines tous les jours.
Honorables sénateurs, je termine en vous disant que si on nous faisait l'honneur de nous demander d'avoir un comité quelconque, je serais très heureux non pas d'en faire le choix exclusif, mais d'y participer. S'il y a un endroit où on devrait se pencher sur ces questions, c'est certainement au Sénat et non à la Chambre des communes. Je remercie le sénateur Hays de nous avoir fait réfléchir avec lui.
Je remercie également les sénateurs Cohen, Fairbairn et Carstairs, car c'est à cause d'elles que je me suis levé spontanément, même si j'avais un discours prêt sur à peu près toutes les autres résolutions, naturellement.
(La motion est adoptée.)
[Traduction]
L'ajournement
Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement:L'honorable Sharon Carstairs (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat, et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, je propose:
Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, ce soit à mardi prochain, le 27 avril 1999, à 14 heures.
Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
(La motion est adoptée.)
(Le Sénat s'ajourne au mardi 27 avril 1999, à 14 heures.)