Journaux du Sénat
47 Elizabeth II, A.D. 1998, Canada
Journaux du Sénat
Numéro 68 - Appendice
Le jeudi 4 juin 1998
14h00
L'honorable Gildas L. Molgat, Président
ANNEXE
OBSERVATIONS SUR LE PROJET DE LOI C-28
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce (le « Comité ») s'est penché, le 26 mai 1998, sur le projet de loi C-28, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu et d'autres lois. Des hauts fonctionnaires du ministère des Finances et des représentants de la Première nation crie de Mikisew sont venus lui exprimer les craintes que les modifications à l'alinéa 149(1)d) de la Loi de l'impôt sur le revenu leur inspire.
Le Comité désire formuler les observations suivantes au sujet du projet de loi C-28.
MODIFICATIONS PROPOSÉES À L'ARTICLE 149 DE LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU
L'article 149 de la Loi de l'impôt sur le revenu soustrait à l'impôt le revenu imposable de toute société, commission ou association dont le gouvernement fédéral, un gouvernement provincial ou une municipalité canadienne détient au moins 90 p. 100 des actions ou du capital. Le Comité s'est fait dire que les tribunaux ont étendu leur interprétation de cet article à d'autres entités qui servent d'organismes publics et assurent des fonctions gouvernementales.
Le projet de loi C-28 clarifierait entre autres la portée de cette exemption dans diverses situations où une entité ou un ensemble d'entités détient sinon la totalité au moins 90 p. 100 des actions ou du capital d'une société, commission ou association. Selon le nouvel sous-alinéa 149(1)d.5), les filiales municipales n'obtiennent l'exonération fiscale que si au maximum 10 p. 100 du revenu est tiré d'activités exercées en dehors des limites géographiques de la municipalité qui détient leurs actions ou leur capital.
Des représentants de la Première nation crie Mikisew ont comparu devant le Comité pour exprimer leur opinion au sujet de la modification proposée à l'alinéa 149(1)d).
La Première nation crie Mikisew habite l'extrémité nord-est de l'Alberta aux abords du lac Athabaska. Leur collectivité est isolée et pendant neuf mois de l'année on ne peut s'y rendre ou en sortir que par bateau ou par avion. Les Cris Mikisew ont créé diverses entreprises pour répondre à leurs besoins, dont des entreprises d'approvisionnement en carburant, de transport aérien, de construction, de matériaux de construction et de services de main-d'oeuvre pour la mise en valeur des sables bitumineux à Fort McMurray. Ils précisent que leurs entreprises n'ont pas pour objet de verser un dividende ou de réaliser des profits pour leurs actionnaires, mais plutôt de permettre aux membres de la collectivité de se former, de trouver de l'emploi et d'assurer des services communautaires essentiels.
Comme les Cris Mikisew se livrent à des entreprises qui exercent leurs activités en dehors de la collectivité, ils prétendent que l'imposition de cette limite géographique de 10 p. 100 entraverait gravement l'aptitude de leur collectivité isolée à s'épanouir et à prendre part à la vie économique. Ils rappellent que l'article 149 encourage la création, par les premières nations, d'institutions et de structures de gestion qui favorisent à leur tour le progrès économique. Les Cris Mikisew nous ont aussi fait remarquer qu'en établissant les structures d'administration et de gestion nécessaires pour profiter de l'exonération fiscale, ils établissent en même temps les fondements de l'autodétermination.
Le ministère des Finances a signalé au Comité que ses hauts fonctionnaires et les Cris Mikisew ont commencé à discuter d'autres façons, dont une éventuelle entente fiscale entre le gouvernement fédéral et les Cris Mikisew, pour régler ces sujets d'inquiétude.
Le Comité comprend les préoccupations des Cris Mikisew et estime qu'il est dans l'intérêt public de trouver une solution à leurs problèmes.
Le Comité constate que les modifications proposées à l'article 149 ne toucheront les Cris Mikisew qu'à partir du 1er avril 1999. Il encourage le ministère et les Cris Mikisew à faire de leur mieux pour trouver, d'ici là, un compromis mutuellement acceptable par lequel les Cris Mikisew pourraient continuer de prendre part au développement économique essentiel à la croissance et la prospérité de leur collectivité.
Le Comité a demandé qu'on le tienne au courant de l'avancement des discussions entre les Cris Mikisew et le Ministère et il a accepté de revoir la question au moment où il étudiera les mesures législatives d'exécution du budget au printemps prochain si elle n'a pas été réglée d'ici là.
MODIFICATIONS À LA LOI SUR LES ARRANGEMENTS FISCAUX ENTRE LE GOUVERNEMENT FÉDÉRAL ET LES PROVINCES RELATIVES AU TRANSFERT CANADIEN EN MATIÈRE DE SANTÉ ET DE PROGRAMMES SOCIAUX
Le budget fédéral de 1995 a modifié le régime de transferts fédéraux aux provinces et territoires en matière d'assistance sociale, de santé et d'enseignement postsecondaire. Jusque là, ces transferts se faisaient en vertu de deux ententes : le Régime d'assistance publique du Canada (RAPC) pour l'assistance sociale, et les accords sur le Financement des programmes établis (FPE) pour la santé et l'enseignement postsecondaire.
Lorsque le RAPC et l'assurance-maladie ont été institués, au milieu des années 60, les paiements du gouvernement fédéral aux provinces et aux territoires reposaient sur les dépenses des provinces et des territoires au titre de l'aide sociale et correspondaient au montant des sommes dépensées par les provinces et les territoires aux termes des programmes en question.
Le Financement des programmes établis a été lancé en 1977. Sous ce régime, les transferts prenaient deux formes : des liquidités et des points d'impôt. Pour effectuer les transferts de points d'impôt, le gouvernement fédéral réduit ses taux pour permettre aux administrations provinciales d'augmenter les leurs d'un montant équivalent. Ainsi, le FPE a modifié le financement de la plupart des programmes sociaux à coûts partagés; là où les dépenses étaient partagées à égalité entre le gouvernement fédéral et les provinces on est passé à une contribution fédérale comportant des transferts pécuniaires bien moindres et des points d'impôt.
Les transferts par habitant dans le cadre du FPE étaient gelés depuis 1990 et la majoration des montants versés par le fédéral à l'Ontario, à l'Alberta et au Québec (les provinces exclues des paiements de péréquation) dans le cadre du RAPC était plafonnée à 5 p. 100 par an.
Dans son budget de 1995, le gouvernement fédéral a annoncé la création d'un programme de financement global appelé Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCMSPS). À compter de 1996-1997, les transferts fédéraux au titre du RAPC et du FPE étaient fusionnés en un financement global composé de versements monétaires et de points d'impôt. Le TCMSPS ne repose pas sur ce que les provinces dépensent au titre de l'assistance sociale, de la santé ou de l'enseignement postsecondaire, et les provinces ne sont pas tenues de consacrer à ces domaines les montants qui leur sont transférés ainsi. Les provinces doivent cependant respecter les principes de la Loi canadienne sur la santé et accorder l'assistance sociale sans exiger une période de résidence minimum.
Le budget de 1995 fixait les versements au titre du TCMSPS (liquidités et points d'impôt) à 26,9 milliards de dollars pour 1996-1997 et 25,1 milliards pour 1997-1998. Le budget fédéral de 1996 prolongeait le financement du TCMSPS jusqu'à 2002-2003. Il maintenait, entre autres choses, le montant total des versements à ce titre à 25,1 milliards pendant les deux premières années puis le laissait augmenter. Comme le volet monétaire du transfert diminuera à mesure que la valeur des points d'impôt augmente, en l'espace de dix ans le gouvernement fédéral n'aurait plus du tout versé de transferts pécuniaires à certaines provinces. Il lui aurait alors été bien difficile de s'immiscer dans le contenu de programmes pour lesquels il ne verse pas d'argent. Par conséquent, le budget a fixé le niveau du plancher des transferts pécuniaires à 11 milliards de dollars pour chacune des cinq années, garantissant ainsi un transfert monétaire d'au moins 11 milliards.
Le projet de loi C-28 modifierait la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces en ce qui a trait au TCMSPS en portant ce niveau plancher à 12,5 milliards de dollars. La loi actuelle fixe à 25,1 milliards le montant total des transferts, ce qui comprend à la fois le volet monétaire et les points d'impôt, au titre du TCMSPS. De cette somme, 13,5 milliards prennent la forme de points d'impôt, tandis que le reste est versé en espèces. Le transfert de points d'impôt n'est pas touché par cette modification.
Selon les hauts fonctionnaires du ministère des Finances, le fait de porter le seuil du volet monétaire à 12,5 milliards augmentera les dépenses fédérales au titre du TCMSPS de 900 millions cette année et de 7 milliards pour la durée de ce régime.
Le Comité juge ce seuil important puisqu'il garantit que le gouvernement fédéral continuera de verser des fonds aux provinces et d'exercer ainsi une certaine influence sur les soins de santé par le biais de la Loi canadienne sur la santé. Les tendances indiquent que dans plusieurs provinces, sans ce versement monétaire minimal, la contribution fédérale au TCMSPS prendrait à terme la forme uniquement de points d'impôt.
Le Comité constate également que le montant des transferts fédéraux en espèces au titre du TCMSPS augmentera dans chaque province et territoire sur la période de sept ans allant de 1997-1998 à 2002-2003. Avec le temps, la portion du montant total des transferts monétaires diminuera cependant dans certaines provinces à mesure que le volet des points d'impôt augmente. Un transfert de points d'impôt apporte cependant moins à certaines provinces qu'un transfert monétaire. Selon les témoignages recueillis par le Comité, la valeur d'un point d'impôt à Terre-Neuve est de 17 $ par habitant sans prendre en compte le programme de péréquation, et de 21 $ par habitant lorsqu'on en tient compte.
Il est important, pour assurer plus de fonds fédéraux aux provinces dans le cadre du TCMSPS, de hausser le seuil minimum des transferts monétaires. Le Comité craint vivement, cependant, une détérioration du système de soins de santé au Canada. Il note que le gouvernement fédéral n'a aucun contrôle sur la façon dont les provinces et territoires dépensent les montants reçus au titre du TCMSPS et qu'en réalité l'influence fédérale sur l'orientation des soins de santé diminue à mesure que la composante des points d'impôt augmente. La hausse des versements en espèces contribuera certes à faire en sorte que les provinces continuent de respecter les principes de la Loi canadienne sur la santé, mais elle ne garantit pas une amélioration de la qualité des soins de santé.