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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

2e Session, 36e Législature,
Volume 139, Numéro 54

Le mercredi 10 mai 2000
L'honorable Gildas L. Molgat, Président


LE SÉNAT

Le mercredi 10 mai 2000

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Les Nations Unies

L'élection du Canada à la Commission des droits de l'homme

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, le Canada s'enorgueillit aujourd'hui d'avoir été élu à la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Nous souhaitons que cela se sache. C'est la troisième fois que le Canada est élu à cette commission.

Les sénateurs savent que les États membres de cet organisme accèdent à ce statut par voie d'élection. Par le passé, le Canada a eu d'excellents représentants à la Commission des droits de l'homme, notamment en la personne de notre collègue, le sénateur Andreychuk. D'autres personnalités canadiennes ont également représenté le Canada quand il était membre de cette commission, entre autres Mme Ellen Fairclough et M. Yvon Beaulne.

Nous tenons à en féliciter le gouvernement et à présenter nos meilleurs voeux au représentant qui occupera le siège du Canada à la Commission des droits de l'homme.

[Français]

La contribution des peuples autochtones

L'honorable Aurélien Gill: Honorables sénateurs, à l'avenir, j'ai l'intention d'ouvrir des parenthèses afin de partager avec vous ce que nous n'avons pas assez coutume de partager au Canada: la contribution remarquable de certains de mes compatriotes autochtones, qui pourraient servir d'exemple à tous les Canadiens, mais dont on oublie malheureusement la valeur.

Force est donc de constater que très souvent, nous ignorons notre valeur parce que nous ignorons notre histoire.

(1340)

Qui connaît les contributions de Donnaconna, de l'Algonquin Tessouat, celles du Wendat Kondiaronk, de l'Ojibway Ponteac, du Shawnee Tecomseh, de l'Iroquois Ely Parker, du Siksikwa Crowfoot et de combien d'autres qui ont joué des rôles cruciaux dans notre histoire, sans parler des périodes récentes, voire actuelles, où on a vu les vertus de la patience et de la pondération se montrer avec tant de régularité dans le cours de nos difficiles relations?

L'année dernière mourait Joe Mathias. Il n'aura pas vu l'aboutissement du traité nisga'a. Fils de la nation Squamish, il a travaillé toute sa vie à la promotion de la négociation et de l'entente entre tous. Il a considérablement investi dans la promotion des droits des Premières nations de la Colombie-Britannique. Il défendait les droits des Premières nations, de toutes les Premières nations. Je l'ai rencontré à quelques occasions au cours de mes combats politiques. Je puis vous dire que ce qui m'a le plus impressionné chez cet homme, au point que je ne l'oublierai jamais, c'est son intelligence, la qualité de son expression, sa force tranquille, sa résolution pacifique, sa foi dans les négociations, même les plus frustrantes.

Depuis 30 ans, au Canada, nous devons beaucoup à ces leaders des Premières nations qui ont tout fait pour maintenir les débats dans la ligne de l'intelligence et de la civilité.

Nous n'honorons pas assez ces contributions. Joe Mathias fut remarquable parmi ceux-là. La tentation de l'abandon, de la violence et de l'intolérance est toujours présente. Il est très difficile d'être un leader autochtone au Canada, car il est très difficile de littéralement sacrifier sa vie pour une cause qui souffre autant d'ignorance que de désinformation. J'ai toujours vu Joe Mathias comme un pilier de patience et d'espérance. À l'occasion de la finalisation du traité nisga'a, je crois opportun de souligner officiellement la contribution d'un homme de sa trempe.

[Traduction]

L'Ordre impérial des filles de l'Empire

Le centenaire

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, c'est un plaisir pour moi de prendre la parole pour attirer votre attention sur le fait que l'année 2000 marque le centenaire de l'Ordre impérial des filles de l'Empire. La mission de cet ordre est d'améliorer la qualité de la vie des enfants, des jeunes et de tous ceux qui sont dans le besoin, au chapitre de l'éducation, des services sociaux et des programmes de citoyenneté.

L'Ordre impérial des filles de l'Empire a été fondé en 1900 par une Montréalaise, Margaret Polson Murray. Sa petite-fille, Margaret Sellers, vit maintenant à Winnipeg. Mme Murray a travaillé à la mise sur pied d'une fédération de femmes vouées à la promotion du patriotisme, de la loyauté et des services aux autres en faisant parvenir des télégrammes aux maires des grandes villes canadiennes les exhortant à réunir les femmes en vue de leurs collectivités.

Le 5 janvier 1900, une première section voyait le jour à Fredericton, au Nouveau-Brunswick, où les membres de l'ordre doivent d'ailleurs se réunir pour marquer le centenaire au cours de la première semaine de juin. L'ordre a été mis sur pied dans le but de soutenir les forces de l'Empire pendant la guerre des Boers.

Tout au cours des années 20, des sections ont vu le jour un peu partout au Canada et leurs membres ont aidé à la création de troupes de guides et à l'accueil de nouveaux immigrants. Au cours de la Grande Crise, les sections ont ouvert des centres de secours et travaillé en collaboration avec les services de bien-être public pour fournir de la nourriture, des vêtements et des soins médicaux. L'Ordre impérial des filles de l'Empire a été le premier organisme à faire parvenir une aide tant monétaire que matérielle à l'Angleterre lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté.

Au cours des années 50 et 60, les diverses sections ont concentré leurs efforts sur les bourses d'études, les bourses d'entretien et les secours nécessaires d'un bout à l'autre du Canada et partout dans le monde. Bon nombre de mes confrères de classe ont bénéficié de ces bourses. Au cours des années 70, l'ordre a été officiellement incorporé à titre d'oeuvre de bienfaisance et a connu de grands succès.

À l'heure actuelle, les membres de l'ordre oeuvrant un peu partout au pays recueillent plus de 3 millions de dollars par année qu'ils consacrent aux enfants, aux familles et aux collectivités canadiennes dans le cadre de divers programmes caritatifs.

En cette année qui marque son centenaire, l'ordre a choisi d'orienter son programme sur la violence et la négligence à l'égard des enfants. Grâce à des fonds de 200 000 $, l'ordre mettra sur pied un programme permanent de subventions qui sera accessible à toute personne ou groupe tentant de mettre au point et d'adopter des mesures en vue de mettre un frein à la violence et à la négligence envers les enfants.

Honorables sénateurs, au nom de tous les enfants de ce pays, j'aimerais remercier l'Ordre impérial des filles de l'Empire de ses efforts.

[Français]

Les franco-ontariens

Le Concours provincial de français

L'honorable Marie-P. Poulin: Honorables sénateurs, vendredi dernier, j'ai eu le plaisir et l'honneur de présider en cette enceinte du Sénat le Concours provincial de français de l'an 2000 de l'Université d'Ottawa et de l'Université Laurentienne. Cent cinquante jeunes de toutes les régions de l'Ontario ont occupé nos sièges à cette occasion. Ces jeunes ont travaillé à la rédaction, la lecture, la dictée et au résumé de ce concours provincial de français.

Ils étaient tellement fiers non seulement d'être reconnus, mais aussi d'être accueillis ici. Je leur ai souhaité la bienvenue au nom du Président, le sénateur Molgat, mais aussi en votre nom. Je crois que ce concours fut une belle et bonne utilisation de notre Chambre.

La pauvreté chez les femmes

L'honorable Lucie Pépin: Honorables sénateurs, permettez-moi aujourd'hui d'attirer votre attention sur une triste statistique tirée d'une étude réalisée récemment par le Front d'action populaire en réaménagement urbain. Shawinigan vient en tête des villes au Québec où les femmes locataires et chefs de famille ont le plus faible revenu annuel. Le Cap-de-la-Madeleine et Trois-Rivières viennent respectivement au 4e et au 9e rang de ce malheureux palmarès de la pauvreté.

Dans cette région, le revenu moyen de ces ménages est de 16 000 $ par année. Soixante-sept pour cent de ces femmes locataires consacrent plus de 25 p. 100 de leur revenu mensuel au logement, et 30 p. 100 vont même jusqu'à y consacrer plus de la moitié de leur revenu mensuel. La situation des femmes locataires de mon district n'est pas isolée; elle est le reflet de la situation plus générale des femmes au Canada.

Est-il besoin de rappeler que, selon le Conseil national du bien-être social du Canada, en 1996, 61 p. 100 des mères seules âgées de moins de 65 ans vivaient dans la pauvreté? Chez les mères de moins de 25 ans, ce taux était de 91,3 p. 100! Cette statistique est alarmante.

La pauvreté est regrettable, mais la pauvreté des femmes monoparentales est encore plus regrettable, parce qu'elle n'est pas sans conséquences sur la santé mentale des enfants. Je fais référence à une étude commandée par le Conseil scolaire de l'île de Montréal et publiée à la fin de l'année dernière, portant sur la santé mentale des enfants élevés dans des milieux défavorisés. Cette étude fait part d'observations inquiétantes: elle montre que la moitié des enfants de quatre et cinq ans ayant participé à l'étude présentaient au moins un problème mental. Cette proportion grimpait à 60 p. 100 chez le groupe des enfants âgés de six à huit ans. Les chiffres de ce dernier groupe sont d'ailleurs particulièrement alarmants: le tiers des six à huit ans souffrait de deux troubles mentaux ou plus et le pourcentage de ceux qui souffraient d'un trouble mental comme la dépression ou l'anxiété était quatre fois plus élevé parmi les enfants de milieux défavorisés. Parmi tous les enfants identifiés comme ayant un trouble mental, près de la moitié, 45,9 p. 100, vivaient dans une famille monoparentale.

La pauvreté est plus qu'une question d'argent; c'est un état qui hypothèque le présent et l'avenir de l'individu et de la famille, ainsi que la société où elle sévit. Grandir dans un contexte de pauvreté signifie avoir moins d'expériences d'apprentissage précoces et continues sur les plans mental et physique; c'est disposer de moins de ressources pour satisfaire ses besoins physiques parfois les plus élémentaires, comme le petit déjeuner avant d'aller à l'école.

En 1989, la Chambre des communes adoptait une résolution visant l'élimination de la pauvreté chez les enfants d'ici l'an 2000. Nous sommes encore loin de cet objectif: depuis plus de dix ans, non seulement le taux de pauvreté chez les enfants n'a pas diminué, mais il atteint aujourd'hui des sommets inégalés et ses conséquences sont dramatiques. Nous devons adopter le plus rapidement possible des mesures pour briser le cercle vicieux et honteux de la pauvreté chez les enfants et les familles monoparentales.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Privilèges, Règlement et procédure

Dépôt de document

L'honorable Jack Austin: Honorables sénateurs, à la demande de l'honorable sénateur Cools, avec la permission du Sénat et conformément au paragraphe 28(4) du Règlement, j'ai l'honneur de déposer une lettre datée du mercredi 8 décembre 1999 que j'ai reçue de l'honorable sénateur Pearson concernant les questions liées aux réunions parlementaires à huis clos.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la permission est-elle accordée?

Des voix: D'accord.

(1350)

L'ajournement

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement), avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)h) du Règlement, propose:

Que, lorsque le Sénat ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le jeudi 11 mai 2000, à 13 h 30.

(La motion est adoptée.)

Affaires sociales, sciences et technologie

Mise à jour de «De la vie et de la mort»-Avis de motion autorisant le sous-comité à siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Sharon Carstairs: Honorables sénateurs, je donne avis que, le jeudi 11 mai 2000, je proposerai:

Que le sous-comité de mise à jour de «De la vie et de la mort» soit autorisé à siéger le lundi 15 mai 2000, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

[Français]

Transports et communications

Avis de motion portant autorisation au sous-comité des communications, de siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Marie-P. Poulin: Honorables sénateurs, je donne avis que jeudi prochain, le 11 mai 2000, je proposerai:

Que le sous-comité des communications soit autorisé à siéger le lundi 15 mai 2000, même si le Sénat siège à ce moment, et que l'application de l'alinéa 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

[Traduction]

Agriculture et forêts

Avis de motion autorisant le comité à siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Joyce Fairbairn: Honorables sénateurs, je donne avis que, le jeudi 11 mai 2000, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à siéger le lundi 15 mai 2000, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, nous accueillons aujourd'hui à la tribune un distingué groupe de greffiers et d'agents parlementaires qui participent à la séance printanière du séminaire de coopération parlementaire. Les membres de ce groupe viennent des îles Vierges britanniques, de l'Inde, des États-Unis, de la Zambie et de la province de l'Ontario.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat. J'espère que votre séjour parmi nous fut à la fois utile et intéressant.


PÉRIODE DES QUESTIONS

L'Organisation des États américains

La ratification de la Convention interaméricaine des droits de la personne

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, pendant les déclarations de sénateurs, nous avons appris avec joie la bonne nouvelle selon laquelle le Canada sera de nouveau membre à part entière de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies. Le Canada participe à la protection et à la promotion des droits de la personne à l'échelle mondiale au sein de la famille de l'ONU, mais depuis qu'il est devenu membre de l'Organisation des États américains, sous le gouvernement du premier ministre Mulroney en 1990, il ne joue pas un rôle intégral au sein de tous les organismes de l'OEA voués aux droits de la personne. Cette situation est attribuable à un simple motif technique, le Canada n'ayant pas ratifié la Convention interaméricaine des droits de la personne.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il s'informer des progrès qui ont été accomplis à l'occasion de la réunion, le week-end dernier, du comité des fonctionnaires responsables de la législation en matière de droits de la personne au Canada, qui examine depuis 1990 si le Canada devrait ou non ratifier la convention? Une telle demande laisserait au moins savoir aux bureaucrates que cette Chambre du Parlement a à coeur de voir le Canada être en mesure de jouer un rôle optimal au sein du système de droits de la personne de l'OEA, et cela ne sera possible que si nous ratifions cette convention.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Kinsella d'avoir soulevé cette question et de sa déclaration préalable visant à souligner à tous les sénateurs que le Canada exerce de nouveau un rôle important au sein des Nations Unies en ce qui a trait au respect des droits de la personne.

Pour ce qui est de la ratification de la Convention de l'OEA, j'avais espéré que mon leader adjoint serait peut-être en mesure de m'aider à ce sujet, mais après s'être informé, il n'a pas été en mesure de le faire. Par conséquent, je communiquerai avec le ministre pour obtenir une réponse pour le sénateur.

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, je remercie le leader du gouvernement de cet engagement. Je voudrais signaler que le Canada accueillera la réunion de l'OEA en juin, à Windsor, en Ontario, si je ne m'abuse. Les autres membres de l'OEA vont sans aucun doute lui demander pourquoi sa participation n'est pas optimale.

Les Nations Unies

L'Ontario-La condamnation par le comité des droits de l'homme du financement des écoles confessionnelles

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, cela m'amène à ma question complémentaire au sujet de la participation du Canada à l'appareil des droits de la personne des Nations Unies, auquel nous avons apporté d'importantes contributions au fil des ans. Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous préciser ce qu'on fait pour s'assurer que le gouvernement de l'Ontario prend les mesures nécessaires pour veiller à ce que le Canada ne continue pas d'être condamné par le Comité des droits de l'homme des Nations Unies pour une violation des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques? Le ministre se souviendra que le Canada a été condamné pour ne pas avoir respecté l'une de nos obligations aux termes d'un traité sur le plan des droits de l'homme, à cause de la méthode choisie par l'Ontario pour financer ses écoles confessionnelles. Y a-t-il eu des consultations entre le gouvernement du Canada, qui nous représente sur la scène internationale, et le gouvernement de l'Ontario, qui ne semble pas attacher à cette condamnation d'une violation des droits de la personne par le Canada toute l'importance nécessaire pour remédier à la situation, comme nous le souhaiterions tous?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, il est évident que la condamnation dont le sénateur parle était regrettable. Il a tout à fait raison de dire que la réponse du gouvernement ontarien n'a peut-être pas été aussi complète que nous l'aurions souhaité.

Le sénateur comprendra les difficultés constitutionnelles qui se posent relativement au financement de l'éducation et à la réalisation des programmes d'enseignement, qui sont, c'est évident, de la compétence du gouvernement de l'Ontario. Bien entendu, depuis quelque temps, le gouvernement provincial est tout à fait au courant de la décision qui a été rendue et de la condamnation pour son inaction. Je suis tout à fait persuadé que des discussions ont eu lieu et sont en cours, même si je ne sais pas où elles en sont. Je vais certes me renseigner et essayer de savoir où en sont rendues les discussions en cours.

(1400)

Le sénateur Kinsella: Honorables sénateurs, lorsqu'il s'informera, le sénateur pourrait peut-être aussi rappeler à ceux qu'il consultera la position prise par la province de l'Ontario avant la ratification de ce traité en 1976. À la suite d'une lettre de l'ancien premier ministre Lester B. Pearson qui invitait tous les gouvernements canadiens à ratifier ces traités sur les droits de la personne, l'Ontario a accepté la norme relative aux droits de la personne énoncée dans le pacte et s'est engagé à prendre les dispositions nécessaires pour permettre au Canada de respecter ses engagements en matière de droits de la personne.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, cette information me sera effectivement utile dans mon intervention. J'ai l'intention de l'ajouter à la documentation. Voilà un autre cas où nous demanderons à la province de l'Ontario de tenir ses engagements.

La défense nationale

L'état de navigabilité des hélicoptères Sea King-Les préparatifs de voyage du leader du gouvernement-Demande du carnet de vol de l'aéronef

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, j'aimerais poser une courte question au leader du gouvernement. Je crois savoir que le leader du gouvernement voyagera à bord d'un hélicoptère Sea King en fin de semaine, probablement samedi. Tout en exhortant le ministre à ne pas s'approcher de la ville de Dartmouth, puis-je aussi lui demander de déposer, dès son retour au Sénat, une photocopie des carnets de vol et d'entretien des deux dernières années de l'hélicoptère à bord duquel il volera? Pourra-t-il aussi nous donner l'assurance que le Sea King était en mesure de remplir pleinement une mission opérationnelle? Une simple réponse par oui ou par non suffira.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): L'honorable sénateur a raison, je fais effectivement des démarches en vue de voyager à bord d'un hélicoptère Sea King dans le cadre de ce qui serait une mission de sauvetage normale ou simulée. J'espère pouvoir observer directement le fonctionnement de l'équipement et la compétence de l'équipage et je prévois d'être de retour ici la semaine prochaine pour vous donner un compte rendu.

Honorables sénateurs, j'ignore cependant les détails dont on me permettra de rendre compte, mais je serai certainement en mesure de vous faire un compte rendu général du vol, si toutefois mes démarches pour obtenir le vol aboutissent. Je précise qu'elles n'ont pas encore abouti. Le résultat sera peut-être décevant, mais si toutefois le vol a lieu, j'en rendrai compte au sénateur.

Le sénateur Forrestall: Le ministre pourrait-il s'efforcer d'obtenir le journal de bord ou un double de ce journal? On peut l'obtenir en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, mais je suis convaincu qu'on remettrait au leader des photocopies du document sans difficultés. Si la démarche du ministre est sérieuse, il faut que nous nous penchions sur le portrait d'ensemble. Je prie pour que le temps soit beau.

Le sénateur Boudreau: Je lirai la transcription de notre échange ici afin de déterminer en quoi consiste exactement la requête et je l'apporterai avec moi lors de mon voyage. J'espère pouvoir ramener l'information demandée.

La Société Radio-Canada

Les répercussions des compressions proposées

L'honorable J. Michael Forrestall: Honorables sénateurs, ma prochaine question porte sur un tout autre sujet. Elle s'adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat et a trait à la Société Radio-Canada.

Nous n'avons rien contre l'idée de voir un gouvernement procéder à des coupes - et nous savons que M. Hamm fait du mieux qu'il peut pour éliminer les déficits - cependant, nous croyons comprendre que Radio-Canada prévoit éliminer les bulletins de nouvelles The Maritimes Tonight et First Edition, sans parler des emplois qui vont avec.

Les Assemblées législatives de Terre-Neuve, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont toutes trois adopté des résolutions exhortant le gouvernement à maintenir le bulletin de nouvelles régional de l'heure du souper dans le Canada atlantique. Ce bulletin est important pour nos auditeurs, qui vivent en grande partie dans des régions rurales. Il est aussi important pour nos pêcheurs et pour nos travailleurs forestiers, en d'autres mots, pour les gens qui vivent en dehors des villes.

Le ministre a-t-il fait quoi que ce soit jusqu'à maintenant pour vérifier si ces compressions étaient absolument nécessaires? Y a-t-il une possibilité de négocier? Peut-on en sauver au moins un ou deux programmes? La disparition de The Maritimes Tonight et de First Edition constituerait une grande perte pour les trois provinces.

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, notre collègue soulève une autre question très importante. Pour ce qui est des propositions dont fait état la rumeur, il semble que ce qui a déjà été vu comme étant une institution nationale se détourne assez nettement des services régionaux.

Radio-Canada fonctionne maintenant indépendamment du gouvernement, ce qui est probablement une bonne chose qu'approuveraient la plupart des gens. En fait, les simples citoyens et d'autres intervenants ont réclamé que Radio-Canada soit indépendante du gouvernement et n'accepte pas de directives de sa part sur la gestion, la programmation et le reste.

Cela dit, les Canadiens apportent un soutien très substantiel à cette institution au moyen de leurs impôts, et ils le font parce que, de l'avis de beaucoup, il s'agit d'une institution nationale au service de l'ensemble du pays. Il s'agit d'ailleurs d'un facteur très important d'unité pour le pays.

C'est la ministre du Patrimoine, Mme Copps, qui exposera la position du gouvernement, mais je puis dire que je partage certaines des préoccupations soulevées par le sénateur et que je transmettrai ces instances aussi vigoureusement que possible.

La défense nationale

L'accord avec les États-Unis sur le système de défense antimissiles balistiques-La possibilité de formation d'un comité spécial du Cabinet

L'honorable Douglas Roche: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le ministre se rappellera que, hier, il s'est engagé à répondre à une question que je lui ai posée concernant un article paru la semaine dernière dans le Toronto Star, selon lequel un comité spécial du Cabinet avait été constitué pour examiner la question controversée consistant à décider si le Canada devait participer au projet de système de défense antimissiles des États-Unis.

Le ministre est-il en mesure de dire catégoriquement aujourd'hui au Sénat s'il existe un comité spécial du Cabinet chargé d'examiner cette question et, dans l'affirmative, quand il fera rapport?

L'honorable J. Bernard Boudreau (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je n'ai pas eu l'occasion de faire confirmer auprès des autorités concernées si un tel comité avait été constitué ou non. Je ne suis pas au courant de l'existence d'un tel comité. D'après les renseignements les plus récents que je possède, aucune demande n'a été faite au Canada pour qu'il participe au projet, et la question n'est pas activement à l'étude.

Si je parais hésitant, c'est uniquement parce que je devrais répondre à cette question par une information à jour. Je n'étais pas en mesure de le faire hier après-midi, mais j'espère pouvoir le faire dès demain.

Le sénateur Roche: Je puis comprendre que le ministre s'occupe peut-être de plusieurs questions, et je respecte cela.

(1410)

Cependant, le ministre sait-il que des porte-parole du gouvernement américain sont en train d'exercer des pressions sur le ministère des Affaires étrangères et sur celui de la Défense nationale pour que la chose soit activement prise en considération?

Dans le discours que j'ai fait au Sénat hier soir, et qui débute à la page 1292 du hansard, j'ai décrit les conséquences catastrophiques d'une décision affirmative sur la politique étrangère du Canada, d'où l'urgence de l'affaire.

Le ministre s'emploiera-t-il à informer la Chambre sur les points suivants: ce comité existe-t-il bel et bien? Comment le gouvernement du Canada procédera-t-il à la prise d'une décision concernant cette affaire qui revêt une extrême importance? Quelle décision entend-on prendre?

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je m'emploierai à fournir ces renseignements au sénateur Roche demain. Comme je l'ai mentionné, à ma connaissance, un tel comité n'existe pas et aucune décision n'a été prise ou est sur le point de l'être.

L'honorable Marcel Prud'homme: Honorables sénateurs, le ministre pourrait-il nous dire si la paix a été rétablie entre le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense nationale à ce propos? Je fais allusion à la déclaration faite par M. Eggleton, ministre de la Défense nationale, en réaction aux propos que l'honorable Lloyd Axworthy a tenus à ce sujet.

Le sénateur Boudreau: Honorables sénateurs, je ne suis au courant d'aucune discussion de la sorte, comme je l'ai dit à l'orateur qui vous a précédé. J'essaierai d'en obtenir confirmation.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, par ordre du Sénat, la sonnerie retentira à 15 h 15 pour la tenue d'un vote à 15 h 30.

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'aimerais que le bureau mette en délibération l'article no 1, les motions, comme le premier ordre à traiter, et l'article no 3, comme le deuxième ordre à aborder.

comité spécial du sénat sur le projet de loi C-20

Motion de constitution-Report du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Hays, appuyée par l'honorable sénateur Robichaud, c.p.-(L'Acadie-Acadia):

Qu'un comité spécial du Sénat soit constitué afin d'étudier, après la deuxième lecture, le projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec;

Que, nonobstant l'article 85(1)b) du Règlement, le comité soit composé de quinze membres, y compris:

Le sénateur Joan Fraser
Le sénateur Céline Hervieux-Payette, c.p.
Le sénateur Colin Kenny
Le sénateur Marie-P. Poulin (Charette)
Le sénateur George Furey
Le sénateur Richard Kroft
Le sénateur Thelma Chalifoux
Le sénateur Lorna Milne
Le sénateur Aurélien Gill;

Que le quorum soit constitué de quatre membres;

Que le comité ait le pouvoir de faire comparaître des personnes et produire des documents, d'entendre des témoins, et de faire imprimer au jour le jour documents et témoignages, selon les instructions du comité;

Que le comité soit habilité à permettre le reportage de ses délibérations publiques par les médias d'information électroniques, en dérangeant le moins possible ses travaux; et

Que le comité soit autorisé à retenir les services de professionnels et du personnel de soutien et autres qu'il juge nécessaires.

L'honorable Dan Hays (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, le débat sur cette motion est ajourné par madame le sénateur Cools. Elle ne souhaite pas prendre la parole aujourd'hui. Cependant, si d'autres sénateurs désirent le faire maintenant, elle n'y voit aucune objection.

(L'ordre est reporté.)

Projet de loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la Sécession du Québec

Deuxième lecture-Suspension du débat

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Boudreau, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Hays, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-20, Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec.

L'honorable Serge Joyal: Honorables sénateurs, je voudrais d'abord très brièvement remercier l'honorable sénateur Michael Pitfield, avec qui j'ai siégé à l'autre endroit. Je lui suis très redevable pour sa compréhension et ses connaissances étendues des institutions canadiennes.

[Français]

J'appuie le but du projet de loi C-20. Il y a quatre ans, j'ai appuyé la décision du gouvernement de saisir la Cour suprême du Canada des principes constitutionnels impliqués dans la question de la sécession.

Lorsque le premier ministre d'une province et ses ministres promettent de faire fi de la primauté du droit et de la Constitution du pays pour réaliser la sécession, il est du devoir du gouvernement national de demander un avis et d'établir clairement quelle est la loi du pays lorsque la souveraineté de l'État, l'intégrité du territoire et les libertés et les droits fondamentaux des citoyens sont en cause.

Ce n'est pas en évitant de discuter de ces questions qu'elles vont disparaître. Au contraire, comme l'observait l'ancien juge de la Cour suprême du Canada, M. Willard Estey:

[Traduction]

Premièrement, nous devons nous rappeler que la Constitution est le véritable rempart entre le chaos et le progrès civilisé.

[Français]

S'il existe des impératifs juridiques et constitutionnels, c'est d'abord pour empêcher le débat sur l'unité de sombrer dans le chaos et l'anarchie et, ensuite, pour protéger la démocratie, seul rempart permettant de garantir les droits et libertés des citoyens canadiens.

[Traduction]

Maintenant que l'autre endroit a étudié le projet de loi et qu'il y a apporté certains amendements, il incombe au Sénat d'examiner attentivement ses dispositions afin de s'assurer que les objectifs du projet de loi C-20 permettent au gouvernement d'atteindre son but, celui de contribuer à préserver l'unité et l'intégrité de notre pays.

Honorables sénateurs, je veux exposer cinq arguments à cette étape-ci de notre étude du projet de loi C-20. Premièrement, le Canada est indivisible. Deuxièmement, la Couronne a un devoir auquel elle ne peut se soustraire, celui de protéger la souveraineté de l'État, l'intégrité territoriale de notre pays et les droits et libertés de ses citoyens. Troisièmement, le lien indissociable entre la Couronne ou l'État et ses citoyens ne peut être rompu sans l'autorisation de tout le Canada. Quatrièmement, la souveraineté de l'État dépend du peuple canadien, et la Constitution appartient à ce dernier. Cinquièmement, le Sénat a le devoir fondamental de protéger les régions et les intérêts des minorités dans toute démarche menant à la sécession.

En nous acquittant de la tâche qui incombe au Sénat, celle d'examiner le projet de loi C-20, nous devons nous assurer de la légitimité, de la constitutionnalité, du caractère moral et de la cohérence intellectuelle de cette mesure législative.

En ce qui concerne mon premier argument au sujet de l'indivisibilité du Canada, la Constitution canadienne ne contient pas de disposition officielle semblable à l'article 1 de la Constitution de la République française, qui établit que la France est une république indivisible. Contrairement à la Constitution canadienne, les lois fondamentales d'un grand nombre d'autres fédérations et pays unitaires du monde entier comprennent des dispositions garantissant expressément la survie de l'État.

Nous aurions pu inclure une telle disposition dans la Constitution du Canada en 1982, mais nous ne l'avons pas fait. Était-ce une bonne décision? Seule l'histoire nous dira quelle aurait été l'approche la plus sage à adopter. Quoi qu'il en soit, l'absence dans la Constitution canadienne d'une disposition explicite semblable à l'article 1 de la Constitution française signifie-t-elle que le Canada n'a aucune règle? Cela veut-il dire que notre pays ne s'appuie sur aucun principe et que le Canada n'est rien d'autre qu'une association sans statut de parties indépendantes liées seulement par des intérêts accessoires ou marginaux? Le Canada peut-il être dissous aussi facilement qu'un cercle sportif comprenant une minorité de membres qui menacent d'annuler leur adhésion parce qu'ils ne sont pas satisfaits des services? Voilà, en fait, la question que bon nombre de mes collègues ont soulevée dans leurs interventions.

Honorables sénateurs, si nous voulons déclarer que le Canada est indivisible, nous devons être bien certains de comprendre pourquoi, légalement et du point de vue constitutionnel, il est indivisible. J'ai l'intention de vous présenter aujourd'hui les conclusions auxquelles je suis arrivé.

Tout d'abord, le fait que le mot «indivisibilité» ne figure pas dans le texte ou qu'il n'en soit pas fait mention ne signifie pas qu'il n'y a pas de règles.

(1420)

Deuxièmement, le principe de l'indivisibilité a été inscrit dans notre Constitution en 1867. Il a été préservé et affirmé dans le rapatriement de 1992 et confirmé dans l'avis sur le Renvoi sur la sécession, en 1998.

Les intentions des pères de la Confédération sont exprimées clairement dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Ce préambule prescrit ce qui suit:

Considérant que les provinces du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont exprimé le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu'une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d'Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni.

Le renvoi à la Couronne n'était pas accidentel. Il y a une profonde signification juridique dans le libellé «une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne [...] avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni.»

Le Canada, honorables sénateurs, est une monarchie constitutionnelle. Qu'est-ce que cela signifie? En 1867, la Constitution du Canada a inclus tous les principes qui ont jeté les fondements de son indivisibilité. Dans son avis, la Cour suprême a inscrit au paragraphe 62 que le principe de la démocratie «n'est pas mentionné expressément dans le texte même de la Loi constitutionnelle de 1867[...

La Cour suprême a expliqué ce silence apparent de la manière suivante:

Cela aurait sans doute paru inutile, voire même saugrenu, aux rédacteurs [...] Il est évident que notre Constitution établit au Canada un régime de démocratie constitutionnelle [...] Le caractère représentatif et démocratique de nos institutions politiques était tout simplement tenu pour acquis.

De même, il suffisait aux pères de la Confédération de garantir l'indivisibilité de l'union en définissant le pays comme «une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne [...] avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni.»

Honorables sénateurs, permettez-moi d'emprunter le raisonnement utilisé par la Cour suprême du Canada pour expliquer l'absence de renvoi à la démocratie dans la Loi constitutionnelle qui a donné lieu à la naissance d'un nouveau pays appelé Canada. Exprimer l'indivisibilité du Canada dans un article précis de la Loi constitutionnelle de 1867 «aurait sans doute paru inutile, voire même saugrenu, aux rédacteurs [...]. Il est évident que notre Constitution considère que le Canada sera [...]» indivisible. L'indivisibilité du Canada a été «simplement présumée».

À mon avis, il existe des preuves à l'appui de la présomption d'indivisibilité, et c'est là l'objet de mon troisième argument. Les pères de la Confédération savaient ce qu'ils faisaient lorsqu'ils ont rédigé notre Constitution. Au moment de la Confédération, en 1865, les États-Unis sortaient d'une guerre civile. En 1861, le président Abraham Lincoln a interprété la Constitution comme le liant au devoir de maintenir la perpétuité de la nation américaine. Il pensait que l'absence de dispositions prévoyant la dissolution de l'union le confirmait dans l'idée que la dissolution n'était pas possible légalement. Le président Lincoln s'est engagé à faire preuve d'une loyauté inébranlable à l'égard de son devoir constitutionnel et a noté qu'il ne pourrait faillir à son devoir que si ses maîtres politiques, le peuple américain, renonçaient à leur souveraineté en lui refusant les ressources dont il avait besoin pour continuer.

Le président Lincoln a expliqué sa position à l'égard de la Constitution dans le discours inaugural qu'il a prononcé en 1861. L'histoire nous enseigne que le peuple américain n'a pas renoncé à sa souveraineté et que le président Lincoln s'est acquitté de ses obligations constitutionnelles.

Ce dramatique épisode de l'histoire américaine n'a pu échapper à l'attention des pères de la Confédération, qui prenaient part aux entretiens à l'origine de la Confédération au moment même où la guerre civile approchait de sa fin. Si les pères de la Confédération avaient voulu que le Canada soit divisible, ils l'auraient exprimé plus clairement, compte tenu de ce que leur avait appris l'expérience américaine. Au lieu de cela, parce qu'ils ont été témoins de la tragédie américaine, ils savaient que le silence des auteurs de la Constitution entraînait la présomption légale indéniable de l'indivisibilité.

Honorables sénateurs, j'aimerais expliquer les détails de la troisième prémisse sur laquelle je me base pour dire que la Constitution du Canada a toujours contenu la garantie de l'indivisibilité. L'indivisibilité du Canada a été testée pour la première fois le 14 mars 1868, soit une année après la fédération, lorsque l'Assemblée de la province de la Nouvelle-Écosse a adopté une résolution demandant à la Couronne de permettre à la Nouvelle-Écosse de se retirer de l'union. La réponse, donnée par le représentant de l'autorité souveraine de l'époque - le secrétaire aux Colonies, le duc de Buckingham et de Chandos - fut totalement en accord avec le principe selon lequel la nouvelle union était constitutionnellement indivisible:

Je suis confiant que l'Assemblée et les habitants de la Nouvelle-Écosse ne seront pas surpris du fait que le gouvernement de Sa Majesté estime qu'il ne serait pas justifié de conseiller l'annulation d'une grande mesure étatique.

Comment ce cas se traduit-il dans le débat d'aujourd'hui? Étant donné que la Constitution ne parlait pas de la divisibilité du Canada, les autorités juridiques et politiques de l'époque, à Ottawa et à Londres, ont supposé avec raison que la Nouvelle-Écosse ne pouvait pas légalement se séparer du Canada en 1868. La Nouvelle-Écosse n'a pas réussi parce qu'une telle séparation aurait constitué une violation de l'indivisibilité du Canada, qui était implicitement garantie par le texte de la Constitution dès le début.

Mon quatrième argument repose essentiellement sur le fait que «indivisibilité» est synonyme de «intégrité territoriale». L'indivisibilité, ou l'intégrité territoriale, est un attribut qui n'appartient qu'aux États souverains. Puisque le Canada est un État souverain, il a le droit de faire reconnaître internationalement son intégrité territoriale. Pour maintenir le statut d'État souverain du Canada, le gouvernement canadien est inexorablement tenu de prendre les mesures requises pour sauvegarder le territoire canadien. Agir autrement équivaudrait à inviter les autres États souverains à reconnaître une déclaration unilatérale d'indépendance. La souveraineté par rapport au territoire demeure une responsabilité fondamentale de la Couronne canadienne. Ses conseillers sont obligés de protéger l'intégrité territoriale contre toute menace interne ou externe.

Mon cinquième argument est que, dans les deux cas de campagnes référendaires portant sur la sécession, soit celles de 1980 et 1995, les premiers ministres Trudeau et Chrétien ont nettement affirmé que le gouvernement du Canada n'avait pas reçu la mission de présider à la division du Canada, ni sous la forme d'un mandat populaire octroyé par les citoyens canadiens, ni en vertu de la Constitution. Il y a cinq et vingt ans respectivement, les premiers ministres du Canada ont eu raison de conclure qu'ils n'avaient jamais reçu le mandat de démanteler le Canada, ni implicitement, ni explicitement, par écrit.

Si le Canada était indivisible en 1868, en 1980 et en 1995, il le demeure certainement encore aujourd'hui. Pourquoi alors certains croient-ils que les principes et les règles qui ont présidé à la fondation du Canada ont été modifiés? Est-ce que quelque chose a changé?

À mon avis, les principes constitutionnels qui assurent l'indivisibilité du Canada étaient inscrits dans la Constitution en 1867 et le sont encore aujourd'hui. En fait, l'avis consultatif émis en août 1998 par la Cour suprême est venu renforcer ces principes.

Mon sixième argument est que le Canada est un État souverain et a fondamentalement droit à la reconnaissance de son intégrité territoriale. Le droit à l'intégrité territoriale est inscrit dans la loi du pays. Il est reconnu par la communauté internationale dans divers instruments internationaux, notamment la Charte des Nations Unies, la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États et l'Acte final d'Helsinki.

Le Canada a le droit d'exiger que les pays étrangers respectent totalement son intégrité territoriale, tout débat sur une question de sécession est absolument interne et national et la communauté internationale doit le reconnaître comme tel. Il n'y a pas d'exception à ce principe. Aucune province de notre pays ne se trouve dans une soi-disant situation coloniale et aucune condition présumée d'oppression ne pourrait servir de base à une quelconque intervention dans une affaire qui est entièrement d'ordre national et interne au Canada. À mon avis, ces six points permettent de conclure que le Canada est indivisible.

(1430)

Honorables sénateurs, mon deuxième argument d'ordre général est que la Couronne ne peut se soustraire à son devoir de maintenir l'unité et de protéger l'intégrité territoriale du Canada. Quel est le principe constitutionnel fondamental qui est en cause dans toute sécession? Selon moi, l'essence même de notre Constitution impose au gouvernement du Canada le devoir inéluctable de préserver l'intégrité territoriale du Canada, de maintenir un état de droit et d'assurer la continuité de la Constitution. Ce devoir incombe à la Couronne, que celle-ci agisse sur l'avis de ses ministres fédéraux ou de ses ministres provinciaux. Aucun ministre ne peut constitutionnellement conseiller au représentant fédéral ou provincial de Sa Majesté d'agir à l'encontre de ce devoir fondamental.

Tout gouverneur général ou lieutenant-gouverneur qui recevrait un avis ministériel du premier ministre du Canada ou du premier ministre d'une province lui demandant de poser un geste clairement inconstitutionnel à l'encontre de l'intégrité territoriale du Canada n'aurait qu'une possibilité, aux termes de la Constitution, soit de n'en tenir aucun compte.

Son Honneur le Président: Honorable sénateur Joyal, je regrette, mais votre temps de parole est épuisé. Demandez-vous la permission de poursuivre?

Le sénateur Joyal: Oui.

Son Honneur le Président: Permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Joyal: Merci.

L'obligation constitutionnelle de la Couronne découle de la relation de réciprocité entre les citoyens et le souverain. Le citoyen doit allégeance au souverain, mais le souverain a en retour l'obligation équivalente et contraire de gouverner et de protéger le citoyen. Ce lien mutuel est bien établi dans la jurisprudence dérivée de la common law concernant la Couronne.

C'est encore l'état du droit aujourd'hui, comme le confirme le serment du couronnement que fait le souverain en ce qui concerne le Canada.

La relation d'obligation mutuelle entre le citoyen et le souverain ou l'État a une signification légale très profonde, car elle intéresse en substance la citoyenneté.

Honorables sénateurs, la citoyenneté est une adhésion sérieuse et loyale à l'État canadien, dans lequel la souveraineté du peuple canadien est organisée. Un double patrimoine de droits et de devoirs est le droit du sang inaliénable de tout citoyen canadien. Entre l'État canadien et le citoyen canadien, il y a un engagement profond. Tout comme le citoyen doit loyauté et responsabilité au Canada, le Canada a le devoir inévitable de garantir les droits de tous les Canadiens de protéger la collectivité, la pérennité de la Constitution et l'intégrité du territoire canadien. La citoyenneté canadienne est le sceau qui scelle cet engagement. Le gouvernement du Canada n'a pas la prérogative de briser ce sceau. Au contraire, le gouvernement du Canada n'a d'autre choix que de maintenir et de défendre la souveraineté du peuple canadien et de maintenir et de défendre leurs droits individuels et collectifs conformément à la Constitution, où qu'ils décident de vivre sur le territoire canadien.

Honorables sénateurs, la citoyenneté n'est pas un privilège. La citoyenneté est plus qu'un droit. La citoyenneté est l'expression même du lien indissociable entre l'État et l'individu.

J'en arrive maintenant à mon troisième argument. Le lien indissociable entre l'État et ses administrés ne peut être coupé sans l'autorisation de tout le Canada. La décision de la puissance exécutive du Canada de négocier la détermination des droits des citoyens canadiens est de la plus haute gravité et ne peut certes pas être déclenchée par une seule majorité simple dans un vote à la Chambre des communes.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Joyal: Par la même logique, qui veut que la citoyenneté ne peut être aliénée par le gouvernement exécutif, il s'ensuit qu'aucun gouvernement exécutif au Canada n'a jamais eu le mandat ou la prérogative de mettre fin à l'obligation de la Couronne envers les citoyens collectivement. Pareille prérogative ne peut appartenir à la Couronne parce que la Couronne est l'incarnation de l'absolue souveraineté de la population du Canada. La Couronne tire son autorité légale et sa légitimité du fait qu'elle est le dépositaire de la souveraineté de la population canadienne, qui, selon la Cour suprême, est énoncée dans la Constitution. Autrement dit, le gouvernement exécutif n'a pas le pouvoir d'abroger la souveraineté de la population du Canada parce que, ce faisant, il se trouverait à annuler la source même de son autorité.

Il est erroné, à mon avis, de soutenir que le gouvernement exécutif dispose de la prérogative ou de la capacité d'anéantir la volonté souveraine des Canadiens de vivre dans la primauté du droit et de jouir de la protection de leurs droits et libertés en vertu de la Constitution dans tout le territoire canadien.

Comme l'a dit la Cour suprême au paragraphe 72 de son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec:

En d'autres mots, le principe du constitutionnalisme exige que les actes de gouvernement soient conformes à la Constitution [...] La Constitution lie tous les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, y compris l'exécutif [...] Ils ne sauraient en transgresser les dispositions: en effet, leur seul droit à l'autorité qu'ils exercent réside dans les pouvoirs que leur confère la Constitution. Cette autorité ne peut avoir d'autre source.

Par cet énoncé, la cour reconnaît qu'aucun gouvernement exécutif ne peut prendre l'initiative d'anéantir les principes du fédéralisme, du constitutionnalisme, de la primauté du droit, de la démocratie et de la protection des droits des minorités, sans le consentement et l'agrément clairs de toutes les institutions législatives qui incarnent la volonté souveraine des Canadiens.

Honorables sénateurs, la Constitution est l'expression de la volonté souveraine du peuple canadien. La Couronne n'a pas la prérogative d'annuler l'État. Aucun roi n'a eu la prérogative d'abolir la Couronne et de démanteler le royaume. Il peut abdiquer, mais la Couronne lui survivrait, tout comme le royaume. Il est faux, à mon avis, de soutenir que les négociations en vue de la sécession sont similaires aux négociations en vue d'une modification constitutionnelle ordinaire ou aux négociations en vue de la ratification d'un traité international par le Canada. Ces deux derniers types de négociations peuvent être entrepris par l'exécutif fédéral exerçant ses prérogatives en vertu de la compétence qui lui est conférée par l'article 91, soit pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada.

Cependant, une modification de la Constitution qui aurait pour effet de permettre la sécession d'une province serait de nature totalement différente et aurait des conséquences très différentes. Elle briserait complètement l'équilibre qui se trouve actuellement dans la Constitution. Elle détruirait la Constitution en tant que système cohérent et fonctionnel. Elle anéantirait les idéaux qui en sous-tendent les dispositions. En outre, elle mettrait en danger la forme unique de fédéralisme que nous avons élaborée au cours des 133 dernières années.

La Couronne et ses ministres ont, de par la Constitution, l'obligation de protéger la souveraineté de la population et l'intégrité du territoire. La souveraine ne saurait passer outre à la Constitution. Elle ne dispose d'aucune prérogative pour mettre fin au Canada, et elle ne peut accepter d'avis contraire de la part de ses seuls ministres canadiens, tant fédéraux que provinciaux. Plutôt qu'une prérogative, la souveraine a un droit inéluctable de protéger la Constitution du Canada ainsi que l'intégralité territoriale du pays.

Bien des commentaires ont été faits sur la prérogative qu'aurait le pouvoir exécutif d'amorcer des négociations sur la sécession. Je prétends pour ma part que le Cabinet n'a aucune prérogative qui l'autoriserait à entreprendre des mesures visant à mettre fin au Canada. Un argument a été avancé selon lequel, dans le projet de loi C-20, le gouvernement rend officiel le veto de la Chambre des communes sur ce qui est décrit comme une prérogative absolue du pouvoir exécutif. Selon cet argument, la prérogative sur laquelle s'appuie le pouvoir exécutif n'est limitée que par l'usage d'un gouvernement responsable, qui veut que la Chambre des communes puisse censurer le gouvernement pour une mauvaise utilisation de sa prérogative. Je soutiens respectueusement que cette position est constitutionnellement intenable.

Il n'est tout simplement pas possible d'accorder à la Chambre des communes un veto législatif sur l'utilisation d'une prérogative qui n'existe pas. Si la prérogative existait, le gouvernement n'aurait alors que faire d'un projet de loi à soumettre à la volonté de la Chambre des communes. La Chambre des communes dispose déjà de tous les moyens nécessaires pour contrôler la prérogative. La conclusion logique que nous sommes obligés de tirer de cet argument, c'est l'inutilité du projet de loi C-20, parce qu'il s'ensuit inévitablement que le projet de loi C-20 délègue à la Chambre des communes le pouvoir de restreindre l'utilisation d'une prérogative, pouvoir dont disposent déjà les Communes.

Je ne souscris pas à cette argumentation. À mon avis, la prérogative d'engager le pouvoir exécutif à participer à des négociations devant mener à la sécession n'existe tout simplement pas. La Couronne ne s'engagerait dans de telles négociations qu'après avoir obtenu un mandat officiel de la part du Parlement, mais seulement après que les citoyens canadiens et les assemblées législatives provinciales aient officiellement donné leur autorisation.

(1440)

Honorables sénateurs, mon quatrième argument est que l'autorisation de démanteler le Canada ne pourrait venir que de l'expression claire de la volonté d'une majorité de citoyens dans les cinq régions du Canada.

[Français]

Ce n'est qu'une fois que les citoyens se sont prononcés que le gouvernement fédéral pourrait, en concertation avec les provinces, solliciter du Parlement l'autorisation spéciale de négocier. Une telle autorisation ne pourrait être donnée qu'au moyen d'une loi spéciale adoptée sur l'avis et avec le consentement tant du Sénat que de la Chambre des communes, et déposée pour parer spécifiquement à la situation particulière donnant lieu à la demande du gouvernement.

Affirmer le contraire équivaut à répudier la position juste que les premiers ministres Trudeau et Chrétien ont adoptée dans le passé, à savoir qu'ils n'avaient ni le mandat ni l'autorité constitutionnelle de démanteler le pays.

Le projet de loi C-20 est la mesure par laquelle le Parlement éliminera pour la première fois l'entrave juridique qui a empêché jusqu'à maintenant le gouvernement de participer à toute négociation visant la sécession. Le projet de loi propose au Parlement de supprimer cette entrave sans savoir dans quelle situation le gouvernement de l'heure participerait à de telles négociations.

Pour obtenir le consentement du Sénat, le parrain du projet de loi en demande beaucoup. D'abord, il nous demande aujourd'hui de donner à la seule Chambre des communes le plein pouvoir de libérer la Couronne de ses obligations constitutionnelles dans un avenir imprévu et des circonstances tout aussi imprévues. Deuxièmement, il nous demande d'avoir foi en un tiers du Parlement et de laisser de côté la Couronne et le Sénat. Troisièmement, il nous demande d'avoir foi en l'issue d'un scrutin à la Chambre des communes où la décision se prendra à la simple majorité des voix. Quatrièmement, il nous demande d'avoir foi en une Chambre où quatre des cinq partis ont maintenu que 50 p. 100 plus une voix suffisent pour démanteler le pays. Cinquièmement, il nous demande d'accepter que le sort du Canada puisse se décider par une seule voix si le Président devait se prononcer en cas d'égalité des voix.

Avant de consentir à tout ce qu'on nous demande, il nous faudra évaluer comment la logique qui sous-tend ces exigences cadre avec l'opinion de la cour selon laquelle, et je cite:

La démocratie [...] signifie davantage que la simple règle de la majorité.

Il nous faudra résoudre toute contradiction avant de pouvoir, de façon responsable, donner notre consentement.

Il faudrait, honorables sénateurs, dans un État de droit, préserver les intérêts de tous les citoyens canadiens de chaque province et région du territoire et assurer le maintien de l'ordre constitutionnel. C'est la raison fondamentale pour laquelle il nous faut une loi en bonne et due forme, adoptée sur l'avis et avec le consentement des deux Chambres du Parlement pour établir ces principes. La Couronne ne pourrait jamais envisager ainsi de renoncer à son devoir inaliénable de protéger ses citoyens sans le respect rigoureux de la primauté du droit et de la Constitution qui est, d'après la Cour suprême, l'expression de la souveraineté du peuple canadien.

Le projet de loi C-20 devrait viser à faire en sorte que l'intérêt collectif de tout le peuple canadien, les intérêts de toutes les régions du Canada et les intérêts de chaque citoyen soient protégés par les institutions auxquelles cette responsabilité fiduciaire a été confiée. Il est inconcevable qu'une province puisse jouir d'une souveraineté qui s'exercerait aux dépens de la souveraineté des autres provinces et régions ou de la souveraineté globale du peuple canadien. La souveraineté du Canada et le droit de jouir des avantages que procurent les droits et libertés constitutionnels sur tout le territoire canadien appartiennent à chaque citoyen canadien individuellement.

Avant de procéder à l'extinction perpétuelle des droits et libertés de chaque Canadien d'une partie quelconque du territoire, la Couronne devra solliciter l'appui et l'approbation de tous les citoyens dans l'ensemble du pays.

La Constitution du Canada appartient à tous et chacun des citoyens du Canada.

C'est ce que déclarait le juge en chef Rinfret, de la Cour suprême du Canada, en 1950, dans le cause Nouvelle-Écosse (Procureur général) c. le Canada (Procureur général). Je cite un extrait de la page 34:

La Constitution du Canada n'appartient ni au Parlement ni aux législatures; elle appartient au pays. C'est en elle que les citoyens de ce pays trouveront la protection des droits auxquels ils peuvent prétendre.

Le premier ministre Chrétien déclarait, en 1992, que la Constitution appartient au peuple canadien et qu'il faudrait le consulter avant d'y apporter des modifications de fond.

[Traduction]

Je cite le Vancouver Sun du 29 octobre 1992, page A-5:

M. Chrétien a ajouté que toutes les propositions constitutionnelles futures devront être soumises aux Canadiens.

Le chef de l'opposition de l'époque a déclaré ceci:

Nous avons donné la Constitution aux Canadiens et ce sera le test pour tout changement dans le futur.

[Français]

Honorables sénateurs, y a-t-il changement constitutionnel plus fondamental que le démantèlement du pays et l'extinction irrévocable des droits et libertés des citoyens?

Le gouvernement actuel, d'ailleurs, a reconnu l'importance primordiale de cette question dans le discours du Trône du 27 février 1996. Le Gouverneur général du Canada y exposait les priorités de ses ministres fédéraux, quatre mois après le dernier référendum sur la sécession. On y trouvait l'engagement suivant, et je cite:

Mais tant qu'il sera question d'un autre référendum au Québec, le gouvernement s'acquittera de sa responsabilité, qui est de s'assurer que [...] les Canadiennes et les Canadiens, où qu'ils vivent, ont leur mot à dire sur l'avenir de leur pays.

Le projet de loi C-20 est le moyen par lequel le gouvernement du Canada donne suite à cet engagement. Pour le respecter intégralement, la mesure doit faire en sorte que la volonté des Canadiens de chaque région soit pleinement articulée, et ce non pas par le moyen imparfait d'un vote à la simple majorité des voix à la Chambre des communes, où le principe de la simple représentation selon la population marginalise fortement les provinces et régions moins peuplées.

En outre, la règle de la majorité simple ne prend pas en compte les droits des minorités linguistiques, ne reconnaît pas pleinement les droits des minorités linguistiques et ne reconnaît pas pleinement les droits ancestraux et issus des traités conclus avec les autochtones. Ce sont ces négociateurs en position de faiblesse qui payeraient le prix de la sécession.

Dans son avis consultatif, la Cour suprême parle de la majorité des Canadiens dans leur ensemble. Dans un régime fédéral constitutionnel, la volonté souveraine du peuple canadien ne saurait être articulée par une simple majorité de la population concentrée dans une ou deux régions. C'est pourquoi le Canada est devenu une fédération plutôt qu'un État unitaire. Les sénateurs des régions de l'Atlantique et de l'Ouest devront réfléchir à leur responsabilité fiduciaire de faire en sorte que leurs régions se fassent entendre dans les institutions destinées à exprimer la volonté souveraine de la population de leurs régions.

L'idée qu'une simple majorité, tirée du Canada central et ne représentant qu'une fraction des citoyens canadiens, puisse autoriser des négociations sur le démantèlement du pays aux dépens, par exemple, des Maritimes et de l'Ouest, répugne au principe fédéral qui formait la condition fondamentale pour que les trois colonies fondatrices acceptent de former un seul et même Dominion sous la Couronne.

Je crois que le projet de loi C-20 est une tentative sincère de promouvoir l'unité du Canada. N'est-il pas ironique qu'il tente d'y arriver en violant la condition même pour laquelle les délégués du Québec au débat sur la Confédération ont accepté de participer à l'union, soit l'incarnation permanente du principe fédéral au Parlement par un Sénat efficace qui repose sur l'égalité régionale et qui possède le pouvoir réel de protéger les intérêts du Québec et de ses minorités, ce que ne saurait garantir à elle seule une Chambre élue d'après le principe de la simple représentation selon la population?

[Traduction]

(1450)

J'aimerais également citer l'ouvrage Constitutional Law of England, de Ridges:

[...] bien que le Parlement soit le seul souverain légal, l'électorat est le souverain politique.

[Français]

Seul le peuple canadien peut, en exprimant sa volonté souveraine par un référendum national qui recueille la majorité des voix dans chacune des régions du Canada et par le biais de ses représentants dans les deux Chambres du Parlement, permettre à la Couronne de se soustraire à son devoir incontournable de préserver le Canada, de voir à ce qu'il empêche légalement de démanteler le pays et d'abolir la souveraineté de sa population.

À mon avis, la meilleure façon d'assurer l'indivisibilité du Canada est de garantir la souveraineté du peuple de la fédération canadienne en faisant en sorte que sa volonté souveraine doive s'exprimer à chaque étape déterminante de tout processus susceptible d'aboutir à la sécession d'une partie de son territoire souverain. Chaque étape du processus, dont la première serait la décision d'engager des négociations, comporte le risque qu'une décision puisse avoir une incidence irréversible sur la souveraineté du peuple.

La solution qui consiste à protéger l'indivisibilité du Canada ne peut se concrétiser d'abord que par l'expression de la volonté souveraine du peuple canadien, par le biais d'un référendum national et, ensuite, par le respect rigoureux du principe fédéral, à savoir le droit qu'a chaque région de se faire entendre effectivement dans l'une des deux Chambres du Parlement, qui décideront de l'avenir de la souveraineté du pays.

Comme la Cour suprême du Canada l'a fait remarquer à juste titre, le Parlement du Canada forme, avec les assemblées législatives des provinces, la seule autorité juridique par laquelle la Couronne pourrait être libérée de son devoir incontournable d'assurer la pérennité de la Constitution. C'est la seule entité qui puisse autoriser la Couronne à abolir pour toujours les droits et libertés des citoyens du Canada, une fois que la population du Canada a exprimé clairement sa volonté de ne plus être unie au sein d'un même État.

[Traduction]

Plus jamais, unis dans un même pays.

[Français]

C'est là où repose l'indivisibilité de la fédération canadienne.

[Traduction]

Honorables sénateurs, j'arrive au cinquième argument. Le Sénat incarne le principe fédéral. Il a le devoir essentiel de protéger les régions et les droits des minorités dans le cadre de toute décision aboutissant à la sécession.

Pour que le Parlement puisse engager l'État, trois éléments doivent s'associer en vue d'adopter la loi. Le premier est l'État proprement dit, mais seulement avec l'avis et le consentement du Sénat, qui incarne le principe fédéral, et de la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, le Sénat est un élément essentiel de ce trio. Il en est en réalité le seul élément perpétuel. Au moins tous les cinq ans, les sièges de la Chambre des communes se libèrent à l'occasion des élections générales. Les ministres vont et viennent. Certains gouvernements n'ont pas duré plus de quatre ou cinq mois, mais l'effectif du Sénat est plus constant. Notre roulement est beaucoup plus graduel. Il est environ trois ou quatre fois moins rapide qu'à la Chambre des communes, où le mandat est d'une durée maximale de cinq ans. Notre effectif fait l'objet d'un renouvellement progressif et régulier étant donné que seulement quelques sièges à la fois se libèrent et que de nouveaux sénateurs sont convoqués en vue de les occuper. Le Sénat est la mémoire institutionnelle du Parlement, et l'incarnation du principe fédéral ayant pour objet de protéger les intérêts des régions et des minorités contre la règle de la majorité simple de la Chambre des communes, qui est la plupart du temps la règle du Canada central, qui recueille une minorité des voix à l'échelle nationale à l'occasion des élections générales.

C'est en raison du caractère fédéral du Canada que la Chambre des communes ne s'est pas vu confier un rôle unique et suprême. La Chambre des communes n'a jamais eu le pouvoir d'imposer seule quelque lien de droit que ce soit à l'État. En dernière analyse, la Chambre des communes peut avoir un droit de regard sur l'avis donné à l'État, mais elle ne peut seule modifier l'étendue du pouvoir de l'État faisant l'objet de cet avis ministériel.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-20 prévoit que, dans l'avenir, une majorité simple absolue de la Chambre des communes pourrait imposer un lien de droit à l'État. Cependant, il n'existe aucun précédent de ce genre. À mon avis, la Constitution n'autorise pas la Chambre des communes agissant seule à lier dans l'avenir l'État par rapport à son devoir incontournable de maintenir l'intégrité territoriale du Canada et de protéger les droits fondamentaux de ses citoyens.

Le projet de loi C-20 vise à déterminer si les résultats d'un référendum montrent qu'une majorité claire de la population d'une province a clairement déclaré qu'elle voulait que celle-ci cesse de faire partie du Canada. Selon le projet de loi C-20, la détermination de la clarté du processus mènera à un résultat sur seulement deux résultats éventuels.

Le premier résultat éventuel, c'est que la question ou la majorité, ou les deux, ne soient pas claires. En pareil cas, le projet de loi C-20 interdit toute négociation. Autrement dit, la Chambre des communes agira seule pour créer une interdiction légalement exécutoire sur la négociation, ce qui limite à jamais le pouvoir de l'État - non seulement celui du ministre en poste le jour du vote à la Chambre des communes, mais aussi ceux tous les ministres qui lui succéderont.

L'autre résultat hypothétique, c'est que la question et la majorité soient claires. Le projet de loi C-20 ne dit rien de cette éventualité. Où est l'expression de la volonté souveraine des Canadiens dans toute la fédération? Le projet de loi C-20 ne prévoit pas qu'une majorité des Canadiens des cinq régions puissent exprimer leur volonté souveraine, mais l'avis consultatif de la Cour suprême dit très clairement qu'une telle détermination par les «acteurs politiques» entraîne un devoir de négocier. Autrement dit, la Chambre des communes agirait seule pour déclarer que les résultats du référendaire sont dénués de toute ambiguïté. La Chambre des communes pourrait faire cette déclaration à la suite d'un vote à la majorité simple. Ce vote à la majorité simple déclencherait, selon la Cour suprême du Canada, la nécessité pour le gouvernement du Canada de prendre, contre son gré, la décision irrévocable de négocier une sécession.

Honorables sénateurs, nulle part dans son avis consultatif la Cour suprême n'a exclu le Sénat comme acteur politique pour déterminer la clarté de la question et de la majorité.

Des voix: Bravo!

Le sénateur Joyal: Bien au contraire. L'avis souligne le rôle du Sénat en tant qu'institution qui est au coeur du compromis qui a mené à la création de la Confédération.

Comme il faudrait obtenir le consentement de tout le Parlement pour soulager enfin l'État de son devoir de promouvoir l'unité et l'intégrité du territoire, le Sénat ne peut pas être exclu des dispositions du projet de loi C-20. En fait, cet aspect fait déjà partie d'une loi du Parlement. Je fais référence à la Loi sur les mesures d'urgence, adoptée par le Parlement en 1988, qui porte sur la protection de la souveraineté, de la sécurité et de l'intégrité territoriale du pays. Cette loi reconnaît et confirme les obligations de la Couronne. J'insiste bien, non pas les prérogatives de la Couronne, mais les «obligations de la Couronne». Quelles sont ces obligations? Permettez-moi de citer le préambule de la Loi sur les mesures d'urgence.

ATTENDU que l'État a pour obligations primordiales d'assurer la sécurité des individus, de protéger les valeurs du corps politique et de garantir la souveraineté, la sécurité et l'intégrité territoriale du pays;

ET ATTENDU QUE l'exécution de ses obligations au Canada risque d'être gravement compromise en situation de crise nationale et que, pour assurer la sécurité en une telle situation, le gouvernement en conseil devrait être habilité, sous le contrôle du Parlement...

- je répète, «sous le contrôle du Parlement» -

...à prendre à titre temporaire des mesures extraordinaires peut-être injustifiables en temps normal;

Honorables sénateurs, non seulement la Loi sur les mesures d'urgence reconnaît le devoir inévitable de la Couronne de garantir la souveraineté et l'intégrité territoriale du Canada, elle confère également au Sénat un rôle égal dans le processus régissant l'état d'urgence à chaque étape où le Parlement exerce sa responsabilité en matière de contrôle.

Peut-il y avoir une question plus liée à la souveraineté canadienne, aux droits des citoyens canadiens et à l'intégrité territoriale de l'État que l'autorisation donnée au gouvernement exécutif d'amorcer la sécession? Comment peut-on exiger que les deux Chambres approuvent les décisions liées à des situations d'urgence, alors qu'on peut éliminer le rôle du Sénat pour décider de l'avenir même de la souveraineté de toute la population canadienne et de la disparition des libertés et des droits fondamentaux garantis par la Constitution à tous les Canadiens, d'un bout à l'autre du pays?

(1500)

Si le Sénat est exclu du projet de loi C-20, une modification constitutionnelle officielle sera nécessaire, comme c'est arrivé en 1982. En 1982, on a confié au Sénat un véritable rôle où il devait exercer un véritable pouvoir à l'égard des modifications constitutionnelles. Cela représentait nettement plus que le rôle consultatif prévu aux termes du projet de loi C-20. Le sénateur Ray Perrault avait bien expliqué cet aspect très important dans son discours au Sénat, le 3 décembre 1981, à l'époque où il était leader du gouvernement au Sénat. J'ai averti le sénateur Perrault que j'allais le citer longuement à cet égard. À l'époque, il avait déclaré ce qui suit:

Le Sénat aura un rôle primordial à jouer dans le processus de modification. En effet, nous pourrons proposer des modifications à la Constitution. [...] En outre, le Sénat devra donner son consentement à toute future modification de la Constitution.

Il est vrai que la Chambre des communes pourra passer outre au point de vue du Sénat.

[...]

Toutefois, pour passer outre au Sénat, la Chambre des communes aura à adopter la résolution une seconde fois une fois les 180 jours écoulés. Il sera impossible d'aller à l'encontre de la décision du Sénat par voie de décret administratif. La Chambre des communes devra tenir un second débat, et ses députés devront alors tenir compte du point de vue des sénateurs et des raisons invoquées pour refuser l'amendement proposé. Pour déroger à la décision du Sénat, la Chambre des communes devra expliquer aux Canadiens pourquoi elle rejette ses recommandations.

[...]

Il s'agit de protéger le rôle historique du Sénat, ce mécanisme a servi à d'innombrables reprises à notre grand avantage: il s'agit, bien sûr, de la réflexion mûrie.

[...]

Le Sénat pourra exercer un veto suspensif de six mois et, si la Chambre des communes veut se passer de notre point de vue, elle devra se pencher sur les problèmes que nous aurons soulevés.

Honorables sénateurs, la procédure de modification adoptée en 1982 prévoyait essentiellement qu'on pourrait se passer du Sénat - et j'insiste sur ce point - car les assemblées législatives provinciales étaient reconnues comme les instances devant défendre les intérêts régionaux. Les provinces ont le pouvoir de participer directement à la modification de la Constitution, soit en vertu du principe fédéral des sept provinces représentant 50 p. 100 de la population, soit en cas d'unanimité des assemblées législatives provinciales et du Parlement fédéral, ce qui serait certainement l'ampleur du consentement requis pour démanteler le Canada.

Exclure le Sénat du projet de loi C-20 équivaut à faciliter la division du Canada. Ce n'est certes pas la raison pour laquelle nous sommes ici. Ce n'est certes pas l'objectif des sénateurs qui étudient le projet de loi C-20 en cette Chambre.

En notre qualité de sénateurs, nous devons pousser la recherche au-delà des circonstances courantes car si cette loi entre en vigueur, ce sera sans doute sous la direction d'un groupe différent de politiciens. À titre de législateurs, nous devons veiller à ce que le Canada demeure indivisible. Nous devons reconnaître le rôle distinct de chaque Chambre du Parlement selon la Constitution. On ne pourrait jamais accepter un projet de sécession à moins que la volonté souveraine de la population canadienne nous autorise formellement à le faire. Un référendum national exigeant des majorités dans les cinq régions, à chaque étape importante de tout processus qui pourrait irrévocablement mettre fin à la souveraineté du peuple, serait le seul moyen d'absoudre la Couronne de son obligation absolue de sauvegarder la souveraineté canadienne.

Au mieux, l'indivisibilité du Canada ne peut servir que les intérêts des Canadiens francophones dans un monde où les frontières nationales sont ténues et où la diversité culturelle commande des alliances stratégiques entre les pays si l'on veut réussir à contrebalancer l'influence écrasante et le poids culturel de nos voisins du Sud.

[Français]

Le Québec est le foyer principal de la langue et de la culture française au pays et son engagement à maintenir et à développer son caractère unique ne peut que bénéficier de l'intégrité du Canada, tout comme les peuples autochtones et les minorités de langues officielles seront toujours mieux protégés dans un pays uni régi par une Charte des droits et libertés généreuse et efficace.

[Traduction]

Le comité législatif dont on propose la création et que le Sénat chargera d'examiner le projet de loi C-20 doit s'assurer que cette mesure législative est solide. Il ne faut pas qu'un gouvernement - que le premier ministre d'une province ou du Canada - puisse prendre des mesures pour aller à l'encontre de la volonté souveraine de la population de jouir des mêmes droits et libertés à l'intérieur d'un territoire commun. C'est seulement avec le plein consentement des citoyens, exprimé directement dans le cadre d'un référendum national, par l'entremise de leurs assemblées législatives provinciales et, enfin, par l'entremise de l'ensemble du Parlement, que l'intendance de cette souveraineté pourra être cédée.

J'ai la conviction profonde que le comité devra établir une série de principes directeurs officiels afin de reconnaître la participation directe de tous nos concitoyens à une consultation nationale et de garantir un rôle adéquat au Parlement. Voilà pourquoi je proposerai au moment opportun, entre autres amendements, que l'article 1 soit modifié de manière à ce que le gouvernement du Canada doive, en tout temps, agir conformément au principe selon lequel le Canada est unique et indivisible.

Comme l'a reconnu l'actuel premier ministre du Canada, c'est, de tout temps, la question la plus grave et la plus fondamentale sur laquelle le Parlement et les assemblées législatives auront eu à se prononcer.

Je suis certain que les honorables sénateurs réfléchiront, en leur âme et conscience, à la façon dont leur vote sur le projet de loi C-20 contribuera à faire du Canada un pays uni et indivisible.

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, je félicite le sénateur Joyal des arguments clairs qu'il a présentés dans son évaluation du projet de loi C-20 et, en particulier, dans son évaluation du rôle que le Parlement, la Couronne et tous les citoyens canadiens jouent pour ce qui est de protéger l'indivisibilité de notre pays et son intégrité territoriale et de reconnaître le caractère sacré de la citoyenneté canadienne. J'espère aussi que ses observations seront entendues à l'extérieur du Sénat, notamment par les auteurs de ce projet de loi.

Je voudrais toutefois que le sénateur clarifie ce qu'il a voulu dire, au début de son discours, lorsqu'il a mentionné qu'il appuyait le but du projet de loi. Je pense que ce sont les mots qu'il a utilisés. Dans mon esprit, cela remet en question la théorie de l'indivisibilité parce que cela permet, dans certaines conditions, de tenir des pourparlers menant à la division de notre pays. Cela remet certainement en question l'intégrité territoriale et menace la citoyenneté des Canadiens qui seraient touchés par cette division.

Quels sont les autres objectifs du projet de loi, s'il y en a, auxquels l'honorable sénateur souscrit?

Le sénateur Joyal: Honorables sénateurs, je n'ai pas abordé ce débat d'un point de vue politique. J'ai écouté très attentivement tous mes collègues qui sont intervenus dans cette enceinte pour parler du projet de loi C-20. Certains ont présenté des arguments politiques en faveur du projet de loi ou contre. Je crois qu'on peut aborder la question d'un point de vue politique. Pour une raison toute simple, j'ai décidé de concentrer mon intervention à ce stade du débat sur les principes constitutionnels et juridiques en jeu. Comme j'ai participé au débat sur l'unité, de façon très large, au cours des 30 dernières années, il me semble qu'il y a certains aspects de notre institution qui n'ont pas fait l'objet d'un débat clair. À cet égard, je voudrais utiliser un seul mot, «indivisible». C'est un nouveau mot dans le vocabulaire parlementaire du débat sur l'unité au Canada. Ce mot n'existe pas autrement. Son utilisation aurait été vue comme une provocation ou aurait créé une controverse si déchirante que la situation politique aurait été encore plus difficile à gérer.

(1510)

Honorables sénateurs, comme je l'ai dit cet après-midi, nous sommes maintenant saisis d'un projet de loi. Il renferme certains éléments et certains principes qui nous aident à comprendre les bases constitutionnelles fondamentales de notre pays et les principes auxquels nous pouvons souscrire, par une simple loi du Parlement, par une résolution de la Chambre des communes, par une loi des deux Chambres ou, fondamentalement, avec l'appui des Canadiens. J'aurais laissé passer une excellente occasion si je n'avais pas ouvert ce débat avec vous aujourd'hui.

Lorsque j'ai eu le privilège de coprésider le Comité mixte spécial sur le rapatriement de la Constitution, en 1981 et 1982, avec le regretté sénateur Harry William Hays, j'ai déclaré que le Canada devrait être indivisible et qu'on devrait inscrire cette notion dans la Constitution. À l'époque, cependant, c'était comme si j'avais prononcé un mot que personne ne devait prononcer, car nous venions juste de sortir d'un référendum au Québec. Bien entendu, cela aurait été perçu comme une provocation à l'égard du parti sécessionniste au Québec que d'affirmer immédiatement après le référendum de 1980 que le Canada était indivisible. Nous avons donc évité de le faire.

À mon avis, honorables sénateurs, nous ne pouvons plus l'éviter. Nous devons une bonne fois pour toutes regarder la réalité en face si nous voulons discuter du processus qui peut mener à la dislocation de notre pays.

J'estime que le projet de loi C-20 est une bonne occasion de jouer cartes sur table, pour parler familièrement. Si nous votons là-dessus, nous saurons exactement sur quoi nous nous prononçons, non avec l'impression que nous devons éviter d'aller trop loin parce qu'il y aura une réaction au Québec et que le premier ministre de la province va faire avancer d'un cran la machine référendaire et nous pousser un peu plus vers un autre référendum. Si le Parlement, en s'acquittant de son devoir inéluctable, légifère sur le processus qui mènerait à la dislocation du Canada, je ne pense pas que nous puissions éviter les questions que j'ai soulevées aujourd'hui.

Comme je l'ai dit au départ, honorables sénateurs, j'appuie le principe et l'objectif du projet de loi C-20 parce qu'il nous permet de tenir ce débat.

Son Honneur le Président: Je sais que les honorables sénateurs souhaiteraient prolonger le débat, mais un ordre du Sénat prévoit la tenue d'un vote différé.

L'honorable Lowell Murray: Honorables sénateurs, je sais que le timbre doit retentir sous peu. Cependant, je peux peut-être poser ma question au sénateur Joyal. Il pourra y réfléchir et me répondre plus tard.

Je félicite le sénateur Joyal de son discours très éloquent. Parlant de l'indivisibilité du Canada, il a cité le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. À son avis, l'adoption de la formule de modification, en 1982, a-t-elle changé la situation de façon marquée? Je pose la question à cause du mémoire déposé auprès de la Cour suprême du Canada par le procureur général du Canada. Le paragraphe 85 se lit ainsi:

[Français]

Bien que la Constitution du Canada ne prévoit pas expressément la sécession, le procureur général du Canada soutient que la Constitution du Canada peut accommoder tout changement à la fédération ou à ses structures institutionnelles, y compris un changement aussi extraordinaire que la sécession d'une province.

[Traduction]

Je pourrais aussi citer les arguments oraux qu'a apportés notre vieil ami, M. Yves Fortier, au nom du procureur général, à savoir:

[Français]

[...] que ce dernier ne prétend pas que la sécession ne peut se faire unilatéralement.

[Traduction]

Je pourrais aussi citer des passages des pages 5 et 6 de la version anglaise de l'avis consultatif de la Cour suprême sur la question. Je laisse cette question à l'honorable sénateur, car je vois que Son Honneur le Président s'apprête à se lever.

[Français]

Son Honneur le Président: Je regrette, honorables sénateurs, mais je dois interrompre la session. À la suite de la décision du Sénat hier, le timbre sonnera pendant 15 minutes et le vote aura lieu à 15 h 30.

[Traduction]

Le sénateur Lynch-Staunton: Honorables sénateurs, est-il entendu que nous reprendrons demain là où nous en sommes maintenant rendus?

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je n'ai aucune autre proposition. Nous sommes saisis du sujet.

(Le débat est suspendu.)

[Plus tôt]

Visiteurs de marque

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, je voudrais vous présenter un groupe qui se trouve dans les tribunes et qui doit partir immédiatement.

[Français]

J'aimerais souligner la présence à la tribune du Sénat des membres de la Fédération nationale France-Canada, dont la présidente est notre collègue, l'honorable Marie-P. Poulin. Ce groupe est en visite au Parlement dans le cadre de la journée France-Canada organisée conjointement par la fédération, l'Association interparlementaire Canada-France, l'ambassade de France et le ministère des Affaires étrangères. À 15 h 15, le groupe tiendra un colloque dans la pièce 256 dont le thème sera «La diversité culturelle des nouvelles technologies». Nous vous souhaitons la bienvenue au Sénat.


[Traduction]

(1530)

Projet de loi sur la Loi électorale du Canada

Troisième lecture-Rejet de la motion d'amendement

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Hays, appuyé par l'honorable sénateur Moore, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-2, Loi concernant l'élection des députés à la Chambre des communes, modifiant certaines lois et abrogeant certaines autres lois.

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Oliver, appuyée par l'honorable sénateur Murray, c.p.: Que le projet de loi C-2 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à l'article 350, à la page 144, par substitution, à la ligne 7, de ce qui suit:

«(2) 4 000 $ pour favoriser les élections d'un ou de».

Son Honneur le Président: Le vote porte sur la motion d'amendement. Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion d'amendement?

(La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.)

POUR

LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk, Atkins, Beaudoin, Berntson, Bolduc, Buchanan, Cochrane, Cogger, Cohen, DeWare, Di Nino, Doody, Forrestall, Grimard, Kelleher, Kinsella, LeBreton, Lynch-Staunton, Murray, Nolin, Prud'homme, Rivest, Roberge, Roche, Rossiter, Simard, Spivak, St. Germain, Stratton, Tkachuk-30

CONTRE

LES HONORABLES SÉNATEURS

Adams, Austin, Bacon, Banks, Boudreau, Bryden, Carstairs, Chalifoux, Chris tensen, Cook, Cools, Cor bin, De Bané, Fairbairn, Ferretti Barth, Finestone, Finnerty, Fitzpatrick, Fraser, Furey, Gill, Grafstein, Gra ham, Hays, Hervieux-Payet te, Joyal, Kenny, Kirby, Kolber, Kroft, Losier-Cool, Maheu, Mercier, Milne, Moore, Pearson, Pépin, Poulin, Poy, Robichaud (L'Acadie-Acadia), Romp key, Ruck, Sibbeston, Spar row, Stollery, Taylor, Watt, Wiebe-48

ABSTENTIONS

LES HONORABLES SÉNATEURS

Gauthier-1
L'honorable Jean-Robert Gauthier: Honorables sénateurs, j'aurais bien voté avec mes collègues libéraux, mais j'arrive de l'hôpital et je n'ai pas entendu la question dans son entier. J'en ai entendu une partie seulement. Le Règlement prévoit, je crois, qu'un sénateur ne peut pas voter s'il n'a pas entendu la question.

(Le Sénat s'ajourne au jeudi 11 mai 2000, à 13 h 30.)


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