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Journaux du Sénat

49 Elizabeth II, A.D. 2000, Canada

Journaux du Sénat

2e session, 36e législature


Numéro 49 - Annexe « B »

Le jeudi 13 avril 2000
14h00

L'honorable Gildas L. Molgat, Président


Le JEUDI 13 avril 2000

Le Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure a l'honneur de présenter son

CINQUIÈME RAPPORT

1. Votre Comité est heureux de faire le rapport qui suit, en vertu de l'ordre de renvoi reçu du Sénat le 13 octobre 1999.

2. Le 7 septembre 1999, le sénateur Noel Kinsella a donné avis d'une question de privilège qu'il voulait poser au Sénat concernant le harcèlement et l'intimidation d'un témoin ayant comparu devant un comité sénatorial. Cette question de privilège a été débattue au Sénat le 8 septembre 1999. Le Président a pris la question en délibéré et déclaré, le 9 septembre 1999, qu'elle était fondée à première vue. Le sénateur Kinsella a alors proposé que la question soit renvoyée à votre Comité, pour qu'il l'examine et en fasse rapport.

3. La première session de la 36e législature a ensuite été prorogée, le 18 septembre 1999. Le 13 octobre 1999, le sénateur Kinsella a réitéré sa question de privilège, et le Président a de nouveau déclaré qu'elle était fondée à première vue. Le sénateur Kinsella a alors présenté la motion suivante, qui a été adoptée par le Sénat :

Que la question de privilège concernant un témoin qui a comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit renvoyée au Comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure, lorsqu'il aura été constitué, pour étude et rapport.

4. En rapport avec cette question de privilège, votre Comité a entendu les témoins suivants : le sénateur Kinsella et le Dr Shiv Chopra, le 7 décembre 1999; le Dr Margaret S. Haydon, le Dr Rajinder M. Sharma, et le Dr Gerard Lambert, le 22 février 2000; le Dr Sidarshan S. Malik, le Dr Cris Bastudde et le Dr Arnost Vilim, le 23 février 2000; ainsi que M. David A. Dodge et M. George D. Hunter, le 29 février 2000. Votre Comité sait gré à tous ces témoins de leur franchise et de leur aide.

5. Le sénateur Kinsella a expliqué au Sénat et à votre Comité que cette question a été portée à son attention le 15 août 1999 lorsqu'il coprésidait une table ronde sur la participation des citoyens aux affaires municipales. Le Dr Shiv Chopra, un scientifique à l'emploi de Santé Canada, lui avait alors indiqué qu'il avait été suspendu pendant cinq jours sans rémunération parce qu'il avait comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Après avoir obtenu plus de détails, le sénateur Kinsella s'est empressé d'écrire au sous-ministre de Santé Canada et a informé de la situation le sénateur Sharon Carstairs, alors leader adjointe du gouvernement au Sénat. À la première occasion, soit le 7 septembre 1999, il a soulevé la question au Sénat.

6. Les faits entourant cette affaire sont relativement complexes. Voici une brève récapitulation de ceux qu'il convient de connaître.

7. Le Dr Chopra travaille à titre d'évaluateur de médicaments au Bureau des médicaments vétérinaires de Santé Canada. Il participait à l'évaluation des demandes d'homologation de l'hormone de croissance bovine recombinante (STbr). Ce médicament a suscité beaucoup de controverse et, en juin 1998, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts a entrepris une étude de la STbr et de ses effets sur la santé humaine et animale. Dans le cadre de cette étude, cinq scientifiques de Santé Canada, dont le Dr Chopra, ont comparu devant le Comité le 22 octobre 1998. Comme plusieurs des scientifiques s'étaient inquiétés des répercussions possibles de leur comparution, le Comité avait demandé au ministre et à d'autres fonctionnaires de Santé Canada de lui garantir que les scientifiques témoignant devant lui seraient protégés et qu'ils ne subiraient pas de représailles. Il avait obtenu cette garantie. Le Comité a déposé son rapport provisoire sur la STbr le 11 mars 1999, mais le Dr Chopra a comparu devant lui à deux autres reprises : le 26 avril 1999, en tant que membre du « Groupe d'experts en sécurité publique », et le 3 mai 1999, en compagnie de trois autres scientifiques et du président de son syndicat, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC).

8. Entre-temps, le 26 mars 1999, le Dr Chopra participait à une conférence sur l'équité en matière d'emploi organisée par le ministère du Patrimoine canadien. Par la suite, en août 1999, il se voyait suspendu de ses fonctions pendant cinq jours, sans rémunération, à cause de déclarations qu'il avait faites à cette conférence. Cette suspension a fait l'objet d'un grief que le Dr Chopra et son syndicat ont déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Le Dr Chopra soutient que cette suspension constitue, en fait, une mesure de représailles à son endroit parce qu'il a comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts; d'autres scientifiques de Santé Canada partagent cet avis. Par ailleurs, M. Dodge, sous-ministre de Santé Canada, a déclaré que ce sont les propos que le Dr Chopra a tenus lors de cette conférence publique - il a traité un autre employé du Ministère de menteur - qui lui ont valu cette mesure disciplinaire.

9. Les scientifiques de Santé Canada qui ont comparu devant votre Comité ont fourni de nombreuses pièces justificatives concernant le travail au Bureau des médicaments vétérinaires et l'ambiance qui y règne. Le mandat que votre Comité a reçu du Sénat et l'objet de notre enquête se limitent toutefois aux questions de privilège parlementaire.

10. La définition classique du privilège parlementaire figure dans l'ouvrage Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament d'Erskine May :

Le privilège parlementaire est la somme des droits particuliers à chaque Chambre, collectivement, [...] et aux membres de chaque Chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d'autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu'il s'insère dans l'ensemble des lois, le privilège n'en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun. (22e édition, p. 65)

11. La protection conférée par le privilège s'étend aux personnes qui participent aux délibérations parlementaires, en particulier aux témoins. En 1993, le Comité permanent de la gestion de la Chambre des communes réaffirmait en ces termes les principes du privilège parlementaire et la protection que ce privilège accorde aux témoins :

La protection des témoins est un élément fondamental du privilège qui s'étend aux délibérations parlementaires et aux personnes qui y participent. Il est bien établi, au Parlement du Canada comme au Parlement britannique, que les témoins entendus en comité jouissent d'une immunité et d'une liberté de parole égales à celles des députés. [...] La protection des témoins s'étend aux menaces proférées contre eux et aux tentatives d'intimidation exercées sur eux relativement à leur exposé devant quelque comité parlementaire que ce soit. (Soixante-cinquième rapport, le 18 février 1993)

12. Comme le dit clairement la 22e édition d'Erskine May, s'ingérer auprès de témoins ou chercher à leur nuire a de graves répercussions :

Tout comportement visant à dissuader d'éventuels témoins de comparaître devant une Chambre ou un comité constitue un outrage. [...] De même, importuner des personnes qui ont témoigné devant une Chambre ou un comité ou proférer des menaces à leur endroit sera considéré par la Chambre comme un outrage. (pp. 126-127)

13. Le Sénat, et tous les sénateurs, traitent avec beaucoup de sérieux les allégations de représailles ou de harcèlement d'un témoin ou d'un éventuel témoin d'un comité sénatorial. Pour que le Sénat s'acquitte adéquatement de ses fonctions et de ses devoirs, il doit pouvoir convoquer des témoins et les entendre sans que ceux-ci fassent l'objet de menaces ou ne craignent des répercussions. Toute ingérence auprès d'une personne qui a témoigné devant un comité sénatorial ou qui a l'intention de le faire constitue une ingérence auprès du Sénat proprement dit et ne saurait être tolérée.

14. Il incombe à tous les sénateurs de faire valoir les privilèges du Sénat. Le sénateur Kinsella, en donnant suite à cette question dès qu'elle a été portée à son attention et en la soulevant au Sénat à la première occasion, mérite des félicitations. Tous les sénateurs devraient suivre son exemple.

15. Dans le cas du Dr Chopra, votre Comité est confronté à une difficulté de base. Rien ne prouve directement que la suspension de cinq jours sans salaire imposée au Dr Chopra est liée à ses comparutions devant le comité sénatorial. Ce que votre Comité doit faire, c'est examiner le cadre temporel, les raisons apparentes, ainsi que toutes les circonstances connexes et utiles afin d'en arriver à une conclusion concernant la vraie raison de la mesure disciplinaire prise à l'endroit du Dr Chopra. La sanction lui a apparemment été imposée à cause de propos qu'il a tenus à la conférence de Patrimoine canadien, mais n'est-ce là qu'un simple prétexte pour s'en prendre à lui parce qu'il a mis le Ministère dans l'embarras en comparaissant devant le comité sénatorial et en livrant un témoignage qui n'a pas plu au Ministère? La suspension est-elle attribuable à d'autres facteurs non liés au témoignage du Dr Chopra devant le Sénat? La tâche de votre Comité est d'autant plus complexe en raison du climat malsain qui existe au Bureau des médicaments vétérinaires et du contexte compliqué ayant entouré cette situation. Votre Comité est aussi conscient de l'existence de poursuites en Cour fédérale et d'une série de griefs en suspens. Bien qu'il soit déterminé à faire tout ce qui s'impose pour faire valoir les privilèges du Sénat et des sénateurs, il doit user de prudence.

16. Après un examen attentif de tous les faits, votre Comité est incapable de conclure qu'il y a eu outrage au Parlement. Votre Comité n'est pas aussi convaincu qu'il devrait l'être pour rendre un tel verdict. Il n'a pas réussi à établir la preuve requise pour déclarer qu'il y a effectivement eu outrage au Parlement. Cependant, cela ne signifie pas qu'il n'y a aucun élément de preuve. Les membres de votre Comité considèrent qu'il n'y a pas suffisamment de preuves étayant les allégations

17. Les faits montrent clairement que le milieu de travail au Bureau des médicaments vétérinaires de Santé Canada est des plus insatisfaisants, étant chargé de soupçon et de méfiance. Par conséquent, on ne peut pas ignorer totalement des allégations de cette nature. Votre Comité trouve la situation déplorable et exhorte le ministre et le sous-ministre de la Santé à prendre des mesures pour y remédier sans tarder.

18. Votre Comité tient à souligner que les allégations d'ingérence ou d'intervention auprès des témoins ou d'éventuels témoins de comités parlementaires sont extrêmement graves et qu'elles seront examinées avec diligence et en profondeur. Même si tous les sénateurs s'engagent à protéger les témoins qui comparaissent devant des comités sénatoriaux, les faits doivent être clairs avant que l'on puisse conclure à un outrage au Sénat.

Respectueusement soumis,

Le président,

JACK AUSTIN


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