Journaux du Sénat
49 Elizabeth II, A.D. 2000, Canada
Journaux du Sénat
2e session, 36e législature
Numéro 69 - Annexe
Le mardi 20 juin 2000
14h00
L'honorable Gildas L. Molgat, Président
Le mardi 20 juin 2000
Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a l'honneur de présenter son
HUITIÈME RAPPORT
Votre Comité, à qui a été renvoyé le Budget principal pour l'exercice 2000-2001, a examiné le document en question, conformément à l'ordonnance de renvoi du 2 mars 2000, et présente ici son deuxième rapport intérimaire.Le Budget des dépenses pour 2000-2001 a été déposé au Sénat le 2 mars 2000 et renvoyé au Comité des finances nationales pour examen. Comme il le fait habituellement, le Comité a convoqué une réunion pour faire un premier examen du budget; il compte également en tenir d'autres plus tard. Le soir du mercredi 22 mars 2000, des représentants du Conseil du Trésor ont comparu devant le Comité : MM. Keith Coulter, J. Kevin Lindsey et Andrew M. Lieff. Ils ont répondu aux questions des membres du Comité. Les résultats de cette rencontre figurent dans le cinquième rapport du Comité : Premier rapport provisoire du budget des dépenses pour 2000-2001, qui a été présenté le 23 mars 2000. Le Comité a ensuite continué l'examen du budget.
AUTRES AUDIENCES
A. La présidente du Conseil du Trésor
Le mardi 30 mai 2000, l'honorable Lucienne Robillard, présidente du Conseil du Trésor, a témoigné devant le Comité et abordé de nombreux éléments du budget. Dans son mot d'introduction, la ministre Robillard a parlé de certains changements importants apportés au budget et de différentes initiatives. Elle a signalé la bonne tenue de l'économie canadienne par rapport aux pays du G-7 et le fait qu'elle a franchi le cap du millier de milliards de dollars.
Selon la ministre, plusieurs raisons expliquent la hausse de 4,6 milliards de dollars par rapport à l'an dernier : le gouvernement investira un milliard de dollars de plus dans le Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux et il ajoutera 700 millions de dollars à la sécurité de la vieillesse. L'injection de fonds dans la sécurité de la vieillesse, le supplément garanti et les allocations au conjoint est attribuable au vieillissement de la population. Elle résulte en partie de l'augmentation du nombre de bénéficiaires et du taux moyen des prestations.
La ministre Robillard a enchaîné sur d'autres aspects de l'économie et de la politique du gouvernement en la matière. Ses observations et déclarations ont suscité un débat animé entre les membres du Comité et la ministre.
Plusieurs aspects du budget ont laissé les membres perplexes : pourquoi les annonces faites au moment du dépôt du budget fédéral ne se retrouvent-elles pas dans le Budget principal des dépenses? Il semble y avoir régulièrement un écart de 3 à 4 milliards de dollars entre les deux documents. Le Comité s'est demandé si, à l'ère de l'informatique, il ne serait pas possible de réduire cet écart. Les sénateurs aimeraient examiner les plans de dépenses actualisés du gouvernement. La ministre a reconnu que l'écart constituait un irritant pour les parlementaires et elle a rappelé au Comité que le gouvernement évaluait constamment ses méthodes de présentation des rapports dans l'espoir d'améliorer l'exactitude et l'actualité de tous les documents. Cependant, la nature des pratiques comptables entraînera toujours une variation entre les deux grands documents des dépenses.
Intéressés par les dépenses du pays au titre des affaires étrangères, les sénateurs ont remarqué qu'elles émanaient de plusieurs ministères et organismes : l'Immigration, la Défense nationale, les Affaires étrangères et le Commerce international, l'Agence canadienne de développement international ainsi que le ministère des Finances. Le Comité a remarqué en particulier l'existence de nombreux programmes d'annulation de la dette pour des pays en développement, les dépenses de guerre ou de paix, les contributions à l'expansion des exportations, etc. Bien que certains de ces engagements résultent des obligations associées à des traités signés par le Canada, les sénateurs se sont dit préoccupés par l'importante marge de man9uvre discrétionnaire dont jouit la haute direction des ministères pour ce genre de dépenses. Ils se sont même demandé si les parlementaires ne devraient pas participer davantage à l'établissement des paramètres à l'intérieur desquelles sont inscrites les dépenses destinées aux pays en voie de développement. La ministre a répondu que le Cabinet y participait déjà passablement pour assurer une certaine cohérence à l'échelle du gouvernement. De plus, toutes les dépenses des ministères sont assujetties aux lignes directrices et à l'examen du Conseil du Trésor pour éviter tout abus des pouvoirs de dépenser.
Les membres du Comité ont également exprimé des réserves au sujet de certains aspects de la gestion du personnel au gouvernement. Ils ont notamment abordé la question de la représentation des femmes et des minorités dans la fonction publique québécoise et fédérale; ils ont demandé des précisions sur la notion d'équité en emploi du Conseil du Trésor et les valeurs qu'il a énoncées; et ils ont fait valoir la nécessité d'une législation de divulgation.
La ministre Robillard a reconnu que l'équité en matière d'emploi constituait un sujet de préoccupation réelle pour son ministère. Elle aimerait avoir une fonction publique représentative de la société. Bien que les taux de participation des hommes et des femmes à la fonction publique soient équitables, elle doute que les femmes y participent également à tous les niveaux. Selon elle, des progrès ont été réalisés à l'égard d'autres groupes, comme les personnes handicapées et les minorités, mais cela ne suffit pas. Elle n'est pas convaincue pour l'instant qu'il faille adopter une loi de divulgation.
D'autres points ont été abordés dont l'accroissement des dépenses par rapport au PNB, la hausse des taux d'intérêt, la politique d'immigration et la reconnaissance professionnelle, ainsi que le plan du gouvernement visant à garder les fonctionnaires d'expérience.
B. L'Agence canadienne de développement international
Le mercredi 31 mai 2000, M. Len Good, président de l'Agence canadienne de développement international (ACDI), a comparu devant le Comité et a répondu à des questions au sujet du budget de l'Agence. Dans sa déclaration liminaire, M. Good a fait un historique des politiques gouvernementales touchant à l'aide publique au développement. Cette évolution se divise selon lui en quatre phases.
Immédiatement après la Seconde Guerre mondiale, les gouvernements ont entrepris de rebâtir l'Allemagne et le Japon. Comme la reconstruction de ces économies allait bon train, la même approche a été adoptée pour les pays en développement. La construction de routes, de ponts et de barrages a suivi. Cette formule n'a pas réussi parce qu'elle écartait des aspects sociaux comme la santé, l'éducation ou les institutions. Cette période était caractérisée par un sentiment d'altruisme. Dans les pays développés, gouvernements et particuliers s'étaient donnés une mission de bâtisseurs dans les pays en développement. Il y a eu le Service universitaire canadien outre-mer, ou CUSO, et la création de l'ACDI au Canada. Ce sentiment d'altruisme n'est plus un principe directeur aussi important mais il est encore très pertinent dans l'aide au développement.
Dans les années 60, 70 et 80, la guerre froide, beaucoup plus que l'altruisme, a présidé au développement. C'est elle qui régissait l'aide bilatérale et elle a profondément influencé l'aide multilatérale. Les conséquences de cette man9uvre peu judicieuse se font encore sentir dans des régions du monde en développement et en Afrique en particulier. La guerre froide déterminait non seulement le montant de l'aide versée mais également sa destination.
Pour de nombreux pays donateurs, la fin de la guerre froide, en 1989-1990, a éliminé la raison d'être de l'aide au développement. D'après M. Good, les gouvernements ont commencé à remettre en question ces programmes. Il a fait remarquer que les statistiques de l'APD ont stagné dans les années 90, au point où, à la fin de la décennie, elles se situaient au même niveau qu'il y a dix ans. Le Comité constate que, bien que le ratio canadien de l'APD ait régressé au cours des années 1990, cette baisse résulte des mesures d'austérité budgétaire instituées pour combattre le problème du déficit. La baisse du niveau de l'aide canadienne ne traduit pas de changement fondamental dans la volonté du Canada d'accorder une aide aux pays en développement.
Les leçons apprises dans les 50 dernières années peuvent se résumer rapidement. D'abord et avant tout, il faut envisager le développement dans une optique globale. L'infrastructure matérielle est nécessaire, comme les routes et les écoles, mais il faut également une infrastructure sociale. Il faut en effet se pencher sur la santé, l'éducation et les filets de sécurité sociale. Le développement des institutions est important : un pays a besoin de bons tribunaux, d'un bon système juridique et d'une bonne fonction publique. Ce sont les fondements d'une société vigoureuse. La deuxième leçon apprise, selon M. Good, est que les donateurs doivent se concerter, ce qu'ils n'ont pas fait pendant longtemps. Ils ont travaillé sans coordonner leurs efforts. Mais cette attitude change, car les donateurs collaborent davantage. Troisièmement, il est important que les pays en développement prennent la direction de leur développement. Là où le développement était dirigé par la Banque mondiale ou par les donateurs bilatéraux, l'intérêt et l'enthousiasme n'ont pas tardé à s'étioler et les programmes de développement ont fini par avorter. Il n'en a resté qu'une dette énorme à laquelle il a d'ailleurs fallu s'attaquer.
Dans la quatrième période, celle que nous connaissons, la politique d'aide au développement est régie par les intérêts du Canada. Par « intérêts du Canada », M. Good n'entend pas l'approche à court terme destinée à étendre les marchés des produits canadiens et à créer des emplois pour les Canadiens. La nouvelle justification de la coopération est qu'il est dans l'intérêt du Canada d'aider ces pays à se développer. L'altruisme sous-tendra toujours les efforts de développement mais ce n'est plus la motivation première. La coopération du Canada repose sur un nouveau fondement. En effet, nos politiques nationales sont à un tel point déterminées ou influencées par les événements mondiaux, les marchés internationaux et les conditions atmosphériques qu'il est nécessaire de bien connaître les besoins du monde en développement pour assurer le bien-être de nos citoyens. Les problèmes de ces pays finiront par toucher le Canada. Le gouvernement doit essayer de développer et de communiquer de plus en plus cette vision du monde, par l'intermédiaire du gouvernement et l'ACDI, et ainsi contribuer à régler un problème encore très présent.
Les sénateurs se sont réjouis qu'on leur ait présenté le cadre à l'intérieur duquel la politique étrangère canadienne doit se situer. Ils trouvaient cependant que les principes directeurs dont disposent les administrateurs sont trop vagues et pas assez sélectifs et qu'ils ne reposent pas sur des critères mesurables. Les programmes gouvernementaux devraient être balisés par des paramètres. Par exemple, il est arrivé que des régimes autoritaires bénéficient de notre aide et que le Canada ait versé de l'argent à des gouvernements ayant de fortes dépenses militaires. Voilà qui est embarrassant dans le cas des conflits de destruction réciproque en Afrique. Le Comité s'est demandé pourquoi les régions admissibles à l'aide étrangère ne faisaient pas davantage l'objet de restrictions. M. Good a convenu que les six priorités du Canada pour l'attribution de l'aide ne tenaient pas compte des considérations géographiques et des endroits où l'ACDI est présente. Les priorités de l'aide étrangère concernent la manière dont l'Agence intervient à l'intérieur d'un pays.
Le Comité a remis en question le degré d'influence des intérêts commerciaux du Canada dans les activités de l'ACDI. M. Good a admis que c'était le rôle des autres ministères de veiller aux intérêts commerciaux du Canada et il a bien précisé que ces intérêts ne guidaient pas le travail de l'ACDI. L'Agence vise peut-être à faire participer d'autres ministères au développement, mais elle est consciente qu'ils ont presque tous une dimension internationale dans leur travail. Qu'il s'agisse du ministère de l'Agriculture, de la Justice ou de l'Énergie, ils ont tous des connaissances et des fonds considérables à apporter au développement. L'ACDI cherche beaucoup plus qu'avant à collaborer avec les autres ministères pour faire avancer le développement, mais hésite lorsqu'elle constate que l'objectif visé est d'ouvrir les marchés pour les exportateurs canadiens.
En terminant, le Comité a cherché à se renseigner sur l'aide qui est apportée par l'ACDI pour la participation des juges canadiens au développement international. Dans certains programmes, des juges du Canada donnent des conseils sur la mise en place des systèmes de justice dans d'autres pays. Le Comité a dit craindre que ces pratiques de la part de juges en exercice ne soient pas appropriées compte tenu de leurs obligations judiciaires exclusives en vertu du droit canadien, sauf disposition contraire. M. Good a réussi à justifier la prestation de services d'experts par le Canada pour établir des systèmes judiciaires dans des pays étrangers, mais il n'a pas pu apaiser les craintes des membres selon qui cette aide ne doit aucunement mettre en cause des juges canadiens en exercice.
C. Le ministère de la Justice
Le mardi 6 juin 2000, M. Morris Rosenberg, sous-ministre de la Justice, a répondu à des questions sur le budget des dépenses de son ministère pour l'année 2000-2001. Il a décrit les fonctions et le rôle du ministère au sein du gouvernement. Les membres se sont attardés à plusieurs aspects du fonctionnement du ministère, notamment son influence sur la législation du gouvernement, les règlements et la formulation des traités internationaux. Les réponses fournies ont amené les membres à s'interroger sur la possibilité d'un conflit d'intérêt lorsque des hauts fonctionnaires publient des articles qui ont trait à des sujets d'actualité politique. M. Rosenberg a eu beau dire que les avocats savaient faire la distinction entre leurs positions personnelles et officielles, les sénateurs n'étaient pas convaincus que cette pratique de la part de hauts fonctionnaires soit la meilleure qui soit pour un gouvernement parlementaire. Ils craignent que des problèmes de confiance ne surviennent dans les rangs supérieurs de la fonction publique si ses membres prennent position ouvertement sur des sujets qui sont liés aux affaires publiques. Les sénateurs estiment que ce pourrait être un problème partout dans la fonction publique et c'est pourquoi le Comité a l'intention d'étudier cette question plus à fond lors de prochaines audiences.
Les sénateurs avaient aussi de nombreuses questions au sujet de la protection des renseignements personnels. Ils ont dit craindre que des entreprises puissent avoir accès à l'information détenue par le gouvernement sur les particuliers et s'en servent à des fins commerciales. Ils redoutent également l'utilisation du numéro d'identification personnel et notamment le numéro d'assurance sociale. M. Rosenberg a convenu que c'étaient des préoccupations légitimes et il a assuré le Comité que le ministère examinait la législation sur la protection des renseignements personnels. Le gouvernement estime que c'est un sujet important et réfléchit à la manière de procéder. Le Comité a rappelé au sous-ministre qu'il jugeait la question très importante et qu'elle méritait une attention immédiate.
Le Comité et M. Rosenberg ont parlé longtemps et très sérieusement des lacunes du système actuel des pensions alimentaires destinées aux enfants dans la Loi sur le divorce. Les membres trouvent la formule actuelle inadéquate et injuste à plusieurs égards. Ils déplorent notamment qu'il n'est pas tenu compte du revenu du parent qui a la garde et que tout le fardeau de la pension alimentaire revient au parent qui n'a pas la garde. Ils déplorent également certaines tactiques utilisées pour assurer le versement de la pension alimentaire. Le Comité estime que la preuve actuelle suffit pour justifier un changement immédiat à la législation. M. Rosenberg n'a pas pu assurer le Comité que des changements seraient apportés avant 2002, année où un examen de la loi est prévu. Les raisons qu'il a invoquées n'ont pas satisfait les membres, selon qui il est possible et justifié de prendre immédiatement des mesures correctrices.
La discussion sur les sujets précédents, la création d'une base de données au ministère du Développement des ressources humaines et le programme d'enregistrement des armes à feu a laissé aux membres l'impression que l'ingérence du gouvernement dans la vie privée augmentait à un taux alarmant. Le Comité s'est demandé s'il ne devrait pas y avoir quelqu'un au gouvernement qui s'occuperait de la protection des renseignements personnels pendant l'élaboration d'un texte de loi. Le Comité estime qu'en légiférant trop on force les gens à prendre position alors qu'avant ils ne pensaient pas nécessairement ainsi. M. Rosenberg a reconnu qu'il existait un sentiment croissant de frustration dans des segments de la population, mais il doute qu'on puisse remédier à la situation. Il a rappelé au Comité qu'en gestion des affaires publiques il faut équilibrer des points de vue divergents. Au chapitre des armes à feu, par exemple, il faut trouver un équilibre entre la sécurité du public, les moyens choisis pour protéger le public, le coût des permis, l'enregistrement, etc. et il faut se demander si l'on a trouvé le bon équilibre. Le gouvernement a recours de plus en plus souvent à la consultation publique avant de prendre une mesure législative importante. Les citoyens sont beaucoup plus engagés et ont l'occasion d'exprimer leur point de vue.
Enfin, le Comité a fait part à M. Rosenburg de ses préoccupations concernant la rémunération versée aux juges canadiens en exercice qui participent aux activités internationales du Canada. Le Comité s'inquiète particulièrement de la validité de ces usages et des mécanismes d'approbation et de financement des dépenses.
CONCLUSION
Comme il en a l'habitude, votre Comité prévoit de réexaminer plus en détail ces aspects et d'autres des plans de dépenses du gouvernement à une date ultérieure.
Respectueusement soumis,
Le président,
LOWELL MURRAY