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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 37e Législature,
Volume 139, Numéro 30

Le mardi 1er mai 2001
L'honorable Dan Hays, Président


 

LE SÉNAT

Le mardi 1er mai 2001

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

LES AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALES

LES PAIEMENTS DE PÉRÉQUATION

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, les paiements de péréquation ont été mis en oeuvre au Canada pour éviter qu'il y ait des provinces riches et des provinces pauvres. En fait, la Constitution du Canada prévoit que les programmes de péréquation devraient permettre à toutes les provinces d'offrir des niveaux comparables de services avec des niveaux d'imposition comparables.

L'économie de la Nouvelle-Écosse s'est améliorée, du moins depuis quelques années, grâce en grande partie à l'exploitation des ressources énergétiques situées au large des côtes, que le gouvernement Buchanan avait entreprise. Malheureusement, un plafond a été imposé aux paiements de péréquation en 1982, ce qui a fait en sorte que les provinces les plus pauvres ne puissent jamais rattraper leur retard. Ce plafond contribue à élargir les disparités entre les provinces riches et les provinces pauvres et conduit à un système à deux vitesses pour ce qui est de la prestation des services essentiels dans tout le pays. Les provinces riches peuvent réduire leurs taux d'imposition et offrir de meilleurs services de santé à leurs citoyens et des encouragements aux entreprises, alors que les provinces pauvres prennent de plus en plus de retard et voient leurs jeunes diplômés brillants partir pour des provinces prospères.

Honorables sénateurs, notre gouvernement provincial cherche des alliés ici à Ottawa pour aider à obtenir l'équité pour nos citoyens. Malheureusement, les gens qui sont en mesure d'aider notre province, les députés libéraux de l'Atlantique, ne font pas leur devoir une fois de plus. Il faut reconnaître que les députés néo-démocrates de l'Atlantique nous aident, mais les députés libéraux minent nos efforts. Le ministre responsable de la Nouvelle-Écosse suit la ligne de parti car il ne veut pas perdre son poste au Cabinet alors que sa doublure, Geoff Regan, doit éviter de se mouiller s'il veut obtenir un poste au Cabinet si jamais Paul Martin devient chef du Parti libéral.

L'attitude de M. Regan est particulièrement inacceptable, car il fait resurgir d'anciennes batailles politiques des années 70 pour justifier son manque d'appui à l'égard de l'équité pour les Canadiens de l'Atlantique. C'est aussi répréhensible que les 100 et quelque députés de l'Ontario qui ont une perception négative des Canadiens de l'Atlantique. Dans l'une de ses récentes diatribes dans les médias, M. Regan a dit que c'est à cause du fardeau de la dette que nous devons supporter collectivement d'être pauvres. Il ne faut pas désespérer cependant, car, comme il l'a indiqué, il va trouver une façon créative d'alléger ce fardeau.

Honorables sénateurs, je prétends que ce n'est pas cet endettement qui nous nuit, mais plutôt un guérillero qui bloque nos efforts pour aider notre région. À cause de la solidarité ministérielle, on peut comprendre que le ministre de la Nouvelle-Écosse ne défende pas les intérêts des gens de la Nouvelle-Écosse, mais M. Regan et les autres députés libéraux d'arrière-ban n'ont pas cette excuse. Un poste au Cabinet ne vaut pas cela. Votre premier devoir est envers votre région. Rappelez-vous les élections de 1997, et ce qui se produit lorsqu'on place ses aspirations personnelles au-dessus de son devoir à l'égard des électeurs.

L'HONORABLE NORMAN K. ATKINS

LES PROPOS SALUANT SON RETOUR AU SÉNAT

L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je voudrais souhaiter à nouveau la bienvenue parmi nous au sénateur Norman Atkins. Il est merveilleux de le voir de nouveau parmi nous en aussi bonne santé. Nous espérons que cela continuera, ce qui lui permettra même de nous donner du mal de temps à autre.

Le sénateur Atkins: À compter d'aujourd'hui.

LA NOUVELLE-ÉCOSSE

SACKVILLE—LA CÉLÉBRATION DU PATRIMOINE À L'ÉCOLE CAVALIER DRIVE

L'honorable Jane Cordy: Honorables sénateurs, le 27 avril 2001, j'ai eu l'extrême plaisir de visiter l'école Cavalier Drive, à Sackville, en Nouvelle-Écosse. L'école célébrait le patrimoine pour la deuxième fois. Les élèves de la 4e à la 9e année ont présenté des projets individuels ou collectifs. La Célébration du patrimoine, c'est un peu comme une foire scientifique, sauf que l'accent est placé sur l'histoire.

J'ai été extrêmement impressionnée par la qualité du travail des étudiants. L'effort que les jeunes avaient investi dans leurs projets était évident, non seulement par la présentation mais aussi par les connaissances qu'ils révélaient. J'ai passé un moment fantastique à passer en revue les projets et à parler de leur travail aux élèves. Ces jeunes connaissent très bien l'histoire du Canada.

Les projets portaient sur toutes sortes de sujets, depuis Lucy Maud Montgomery, jusqu'aux Canadiens qui ont combattu durant la guerre du Vietnam, en passant par les Acadiens, les anciens premiers ministres Pierre Elliott Trudeau et sir John A. Macdonald. C'était un plaisir de voir l'enthousiasme manifesté par les élèves qui étaient ravis de faire partager leurs connaissances à leurs familles et aux visiteurs.

La qualité du travail des élèves était impressionnante. Outre l'exposition des projets des élèves, des groupes historiques et culturels locaux avaient été invités à venir faire partager et célébrer leur travail. Des ateliers avaient été organisés à l'école à l'intention des élèves sur des sujets comme les crieurs de village, la bibliothèque de l'Assemblée législative et les héros sportifs de la Nouvelle-Écosse.

L'immense succès de cet événement est dû en grande partie à ses coordonnateurs, Stephen Davidson et Maritza Adelaar, qui sont tous deux instituteurs dans cette école. La célébration du patrimoine est parrainée et promue par les producteurs de l'émission télévisée Heritage Minutes, un organisme privé qui se concentre sur la promotion et la célébration du patrimoine.

Le grand gagnant de cette Célébration du patrimoine a été Matt Francis. C'est lui qui représentera la commission scolaire régionale d'Halifax à la Célébration nationale du patrimoine qui se tiendra à Kamloops, en Colombie-Britannique.

Honorables sénateurs, je félicite Mme Joan MacMullin, de l'école Cavalier Drive, et les membres de son personnel d'avoir donné aux élèves la possibilité de participer à un événement comme celui-ci. C'est à leur enthousiasme et à leurs efforts que les élèves et la communauté doivent le succès de cet événement.

LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ DU CANADA

LES NOMINATIONS

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, il y a quelques semaines, j'ai abordé dans cette Chambre les questions de l'éthique, de l'honnêteté et de l'intégrité. Nous nous tourmentons de voir le cynisme du public au sujet de la politique et des politiciens. Peut-on s'étonner que les citoyens réagissent de cette façon? Puis-je rappeler à mes honorables collègues ces mots tirés du premier livre rouge libéral:

[...] Les conservateurs ont également pratiqué le copinage lorsqu'ils ont comblé des milliers de postes au sein des conseils, des commissions et des agences. Le Conseil des ministres est chargé de ces nominations en vertu de la loi.

Les libéraux ont ajouté qu'ils nommeraient davantage de femmes, de représentants de différents groupes ethniques et que le mérite serait le seul critère de sélection. Par conséquent, que devons-nous penser lorsque nous lisons dans l'édition du samedi du journal montréalais The Gazette un article sur les injections massives de libéraux qui touchent maintenant une rémunération annuelle de 89 000 dollars à titre de membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié?

(1410)

Pour mémoire, je précise ne jamais avoir laissé entendre qu'une allégeance politique doive empêcher une personne d'être nommée à un poste gouvernemental, mais c'est une question d'éthique.

Honorables sénateurs, pouvez-vous imaginer le gros titre s'étalant sur huit colonnes, l'outrage ressenti à l'égard des libéraux ou le remous dans l'opinion publique si le conjoint d'un de nos collègues progressistes-conservateurs dans cette Chambre ou ailleurs bénéficiait d'une telle nomination? Il ne s'agit pas d'indépendance ou de compétence d'un conjoint, mais d'une question d'éthique, d'hypocrisie, de duplicité et surtout, de reddition de comptes. Nous nous désolons de voir que le public ne trouve pas les politiciens dignes de confiance.

Honorables sénateurs, je vois déjà un de nos collègues d'en face rédiger, à un autre titre, un éditorial rempli d'indignation et de désapprobation sur cette question.

VISITEURS DE MARQUE

Son Honneur le Président: Je signale aux honorables sénateurs la présence à notre tribune d'une délégation de députés de la Diète, membres de la Ligue d'amitié parlementaire Canada-Japon, dirigée par M. Hosei Norota.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

LE DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES

LE PROGRAMME DE PRÊTS D'ÉTUDES

L'honorable Norman K. Atkins: Honorables sénateurs, je signale au départ que je suis ravi d'être de retour dans cette Chambre. Je remercie mes collègues pour leurs bons voeux, et surtout le docteur Keon pour son merveilleux talent.

C'est la première fois que je prends la parole dans cette nouvelle législature. Je voudrais revenir sur une question que j'ai soulevée à maintes reprises lors de la dernière législature, à savoir les difficultés posées par le programme de prêts aux étudiants tel qu'il est aujourd'hui conçu et appliqué par le gouvernement du Canada.

En mars dernier, Statistique Canada a publié un rapport intitulé: «L'avoir et la dette des Canadiens: un aperçu des résultats de l'Enquête sur la sécurité financière». Cette enquête a porté sur deux aspects intéressant au plus haut point certains d'entre nous qui sommes préoccupés par l'état de l'enseignement postsecondaire au Canada. D'un point de vue positif, l'enquête a révélé que, pour ce qui concerne la capacité de gagner leur vie, les Canadiens qui détiennent un diplôme sanctionnant des études universitaires sont nettement supérieurs en nombre parmi ceux qui se situent au-dessus de la valeur médiane des avoirs. Il existe un rapport définitif entre l'accumulation de richesses et la détention d'un diplôme sanctionnant des études universitaires de premier, deuxième ou troisième cycles. Voilà qui confirme de façon concluante ce que nous sommes nombreux à soutenir, à savoir que le succès financier passe par l'enseignement supérieur.

Une autre partie de cette enquête me paraît préoccupante, en ce qu'elle révèle qu'un plus grand nombre de ceux qui poursuivent des études postsecondaires sont obligés de faire appel à des prêts étudiants et qu'ils terminent leurs études lourdement endettés. Plus de 30 p. 100 des Canadiens âgés de moins de 25 ans continuent de s'endetter avec des prêts étudiants, ou se démènent pour les rembourser. Pour le groupe suivant, celui des Canadiens âgés de 25 à 34 ans, ceux qui se débattent à ce jour pour rembourser leurs prêts étudiants sont encore nombreux, dépassant les 22 p. 100.

Non seulement il y a un trop grand nombre de jeunes Canadiens qui doivent contracter des dettes et ensuite les repayer pour obtenir un diplôme d'études postsecondaires, mais les montants qu'ils doivent rembourser sont très élevés. Ce sondage de Statistique Canada démontre qu'au Canada, ce sont les jeunes, et plus particulièrement les jeunes parents, qui ont le plus de dettes. Ces jeunes doivent 53 $ pour chaque tranche de 100 $ de biens qu'ils possèdent, et ce en grande partie à cause de leurs dettes d'études.

Ces statistiques démontrent bien combien il est difficile pour les jeunes Canadiens qui démarrent d'atteindre un certain niveau de stabilité financière en raison du lourd fardeau imposé par les dettes d'études. Nous devons trouver une meilleure façon de régler les problèmes financiers liés à l'obtention d'un diplôme postsecondaire. Si nous ne nous penchons pas très bientôt sur ce problème, seuls les jeunes issus de familles riches pourront faire des études collégiales et universitaires. La promesse que nous avons faite aux jeunes de les aider à soutenir la concurrence et à réussir dans un contexte d'économie mondiale ne s'appliquera qu'aux riches. Nous n'aurons pas tenu notre promesse de permettre à tous les Canadiens qui ont les compétences nécessaires d'accéder à l'éducation postsecondaire.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

L'AJOURNEMENT

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)h) du Règlement, je propose:

Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'à demain, le mercredi 2 mai 2001, à 13 h 30.

Son Honneur le Président: La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

L'ASSEMBLÉE PARLEMENTAIRE DE LA FRANCOPHONIE

DÉPÔT DU RAPPORT DE LA SECTION CANADIENNE À LA RÉUNION TENUE DU 15 AU 17 MARS 2001

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool: Honorables sénateurs, en vertu de l'article 23(6) du Règlement, j'ai l'honneur de déposer à la Chambre, dans les deux langues officielles, le rapport de la section canadienne de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie ainsi que le rapport financier y afférant.

Le rapport a trait à la réunion de la Commission de la coopération et du développement de l'APF, qui s'est tenue au Valle D'Aoste, en Italie, du 15 au 17 mars 2001.

DÉPÔT DU RAPPORT DE LA SECTION CANADIENNE À LA RÉUNION TENUE DU 26 AU 28 MARS 2001

L'honorable Pierre De Bané: Honorables sénateurs, en vertu de l'article 23(6) du Règlement, j'ai l'honneur de déposer à la Chambre, dans les deux langues officielles, le rapport de la section canadienne de l'Assemblée parlementaire de la Francophonie ainsi que le rapport financier y afférant.

Il s'agit du rapport qui a trait à la réunion de la Commission des affaires parlementaires de l'APF, qui s'est tenue au Luxembourg, du 26 au 28 mars 2001.

TRANSPORTS ET COMMUNICATIONS

AVIS DE MOTION TENDANT À AUTORISER LE COMITÉ À ÉTUDIER LA RÉGLEMENTATION DU TRANSPORT PAR AUTOBUS

L'honorable Lise Bacon: Honorables sénateurs, je donne avis qu'à la prochaine séance du Sénat, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé à entendre le ministre des Transports afin de permettre une session d'information concernant la réglementation du transport par autobus.

Que le Comité fasse rapport au plus tard le 30 septembre 2001.

[Traduction]

DROITS DE LA PERSONNE

AVIS DE MOTION AUTORISANT LE COMITÉ À PERMETTRE LA DIFFUSION ÉLECTRONIQUE DE SES DÉLIBÉRATIONS

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, je donne avis qu'à la prochaine séance du Sénat, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé à permettre la diffusion de ses délibérations publiques par les médias d'information électroniques, de manière à déranger le moins possible ses travaux.

(1420)

AVIS DE MOTION AUTORISANT LE COMITÉ À ENGAGER DU PERSONNEL

L'honorable A. Raynell Andreychuk: Honorables sénateurs, je donne avis qu'à la prochaine séance du Sénat, je proposerai:

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit habilité à retenir les services de conseillers, techniciens, employés de bureau ou autres éléments nécessaires pour examiner les projets de loi, la teneur des projets de loi et les prévisions budgétaires qui lui ont été renvoyés.

L'ACCÈS AUX DONNÉES DE RECENSEMENT

PRÉSENTATION D'UNE PÉTITION

L'honorable Lorna Milne: Honorables sénateurs, la semaine dernière, je vous ai promis des nouvelles de l'Alberta. Je suis ravie d'avoir l'honneur de présenter une pétition signée par 2 115 Canadiens de l'Alberta — la plupart résidant à Calgary, mais quelques-uns à Lethbridge, Barnwell et Edmonton — qui effectuent des recherches généalogiques. Les pétitionnaires demandent ce qui suit:

Les pétitionnaires demandent au Parlement de prendre toutes les mesures jugées nécessaires pour modifier, avec effet rétroactif à 1906, les dispositions de la Loi sur la statistique portant sur la confidentialité et le respect de la vie privée afin d'autoriser la diffusion au public, après une période raisonnable, des recensements effectués après 1901, à commencer par celui de 1906.

Ces signatures, honorables sénateurs, s'ajoutent aux 6 092 signatures que j'ai présentées au cours de la présente année civile. J'ai maintenant présenté 8 207 signatures depuis le début de la présente législature et plus de 6 000 au cours de la trente-sixième législature, toutes réclamant l'intervention immédiate du gouvernement relativement à cette page très importante de l'histoire canadienne.


PÉRIODE DES QUESTIONS

LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

LES NOMINATIONS

L'honorable Marjory LeBreton: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et concerne la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Comme on a pu le lire dans la Gazette de Montréal samedi dernier, le professeur François Crépeau, de l'Université du Québec aurait affirmé que:

Ces nominations [...]

— c'est-à-dire les nominations à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié —

[...] causent des problèmes étant donné que les membres de la Commission doivent leur poste à une intervention politique plutôt qu'à leurs compétences [...]

Il a ajouté:

Certains membres nommés n'ont tout simplement pas les compétences requises.

Le même article cite les paroles du professeur Fernand Gauthier, de l'Université de Montréal:

La Commission est devenue une aile du Parti libéral.

À titre de membre du Cabinet, madame le leader du gouvernement au Sénat pourrait-elle demander à la ministre de l'Immigration de nommer des gens compétents? Je ne remets pas en question les compétences de tous les membres de la Commission. Je rapporte tout simplement les propos de ces deux professeurs. Les membres de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié examinent des questions extrêmement délicates et difficiles concernant l'entrée au Canada.

L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Les nominations à la Commission de l'immigration et du statut de réfugié sont fondées sur les compétences. Les candidats sont soumis à certaines épreuves. Ils doivent prouver leurs compétences, et ils le font. Tous les membres de la Commission ont été nommés de façon honorable.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, je remercie madame le leader du gouvernement de sa réponse. Deux professeurs de la province de Québec appartenant à deux établissements d'enseignement hautement respectés ont une autre opinion. Puisque madame le leader du gouvernement a dit que les candidats étaient soumis à des épreuves et jugés selon certains critères avant d'être nommés membres de cette très importante commission, j'ose ajouter à un très bon salaire, pourrait-elle fournir les lignes directrices et les épreuves auxquelles les candidats doivent se soumettre?

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, je ne remets pas en question les compétences des deux professeurs. Pour dire franchement, je suis quelque peu sceptique du fait qu'ils contestent les compétences de candidats qui ont montré leur intérêt et qui ont été retenus pour représenter, pour reprendre l'expression du sénateur, cette très importante Commission d'appel de l'immigration et du statut de réfugié.

En ce qui concerne les détails des lignes directrices, je chercherai à savoir si l'information est disponible. Dans l'affirmative, je la communiquerai au sénateur.

Le sénateur LeBreton: Honorables sénateurs, en ce qui concerne tout ce dossier des nominations, comme je l'ai dit durant ma déclaration, je n'ai jamais mis en doute le droit des gens de servir le gouvernement à cause de leur allégeance politique. Cependant, il semble régner, dans tout le pays et certainement autour d'Ottawa, l'impression que le gouvernement peut agir comme bon lui semble. Le leader du gouvernement au Sénat va certainement reconnaître que la confiance de la population et la reddition de comptes font gravement défaut, dans ce domaine comme dans bien d'autres. Les gens ne semblent avoir aucun recours et ne pas pouvoir dire un seul mot par rapport à ces procédures.

Madame le leader du gouvernement peut-elle défendre le gouvernement, qui a tant critiqué les autres gouvernements dans le passé? Tout cela est bien hypocrite car, de toute évidence, le gouvernement libéral croit pouvoir faire tout ce qu'il veut alors que le reste de la population doit obéir à un autre ensemble de normes.

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, il est intéressant de voir que madame le sénateur adopte cette position. Elle a sûrement tiré ses informations d'un article paru dans le quotidien The Gazette de Montréal. Permettez-moi de citer l'article en question:

Les membres de la CISR ne sont pas tous d'anciens libéraux. Quelques-uns, dont Charles DeBlois, qui fut député conservateur, ont des liens avec le Parti conservateur.

Le sénateur LeBreton: Ne sommes-nous pas chanceux, honorables sénateurs, il y en a un sur 32! Il ne s'agit pas des nominations comme telles. Il s'agit de la reddition de comptes et de l'éthique. En notre qualité de parlementaires, nous devons examiner ce qui se passe ici et nous demander s'il est vraiment étonnant de voir que les gens sont las de la politique et des politiciens.

Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, de toute évidence, nous sommes nombreux à nous intéresser encore aux politiciens et à la politique, et à y croire. Madame le sénateur s'exclame que c'est merveilleux d'en avoir un sur 32. Elle devrait peut-être examiner les résultats des dernières élections au Québec.

LE CABINET DU PREMIER MINISTRE

LES CRITÈRES DES NOMINATIONS

L'honorable Terry Stratton: Honorables sénateurs, la ministre sait sans doute que j'ai déposé le projet de loi S-20 au Sénat il n'y a pas très longtemps. Ce projet de loi propose qu'un comité plénier du Sénat approuve certaines de ces nominations.

Pour montrer que le gouvernement fait preuve de plus d'ouverture et de transparence, ne serait-il pas souhaitable de rendre publics les critères de nomination à ces postes, afin que les personnes intéressées et estimant qu'elles possèdent les qualités requises puissent présenter leur candidature? Les gens veulent un processus public. Ne serait-ce pas possible?

L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, le projet de loi déposé par le sénateur est à l'étude. J'ai trouvé l'intervention du sénateur Banks très intéressante. En réponse aux discours à l'étape de la deuxième lecture du sénateur Stratton, le sénateur Banks, nommé depuis peu à la Chambre, a dit qu'il ne voudrait pas que l'on tienne en cet endroit le genre d'audience ou d'enquête ayant cours aux États-Unis et donnant lieu à des attaques très personnelles à l'endroit des personnes nommées.

Je crois comprendre qu'un processus est déjà en place. Les députés peuvent analyser toute nomination de leur choix. Malheureusement, ils se prévalent rarement de cette possibilité.

Le sénateur Stratton: Honorables sénateurs, mes inquiétudes et celles du public tiennent au fait que ce processus n'est pas transparent, ce qui constitue le problème fondamental. Tous ne tireraient-ils pas partie d'un processus plus transparent? Nous pourrions annoncer les postes. Nous pourrions mettre à l'essai une mesure innovatrice dans le cadre de laquelle des particuliers de toutes allégeances politiques possédant les qualités requises pourraient présenter leur candidature.

(1430)

Le sénateur Carstairs: Je ne suis pas convaincue que l'honorable sénateur comprenne intégralement le processus en vigueur. Bon nombre de ces postes sont annoncés dans la Gazette du Canada. Il y a des appels publics de mise en candidature.

Le sénateur Stratton: Si c'est le cas, je saurais gré au leader du gouvernement de me communiquer ceux qui sont annoncés et qui sont rendus publics.

Le sénateur Carstairs: Si l'honorable sénateur m'accorde plusieurs jours à cette fin, je serai heureuse de lui fournir cette information.

[Français]

STATISTIQUE CANADA

LE QUESTIONNAIRE DU RECENSEMENT—L'OMISSION DES ACADIENS COMME GROUPE CULTUREL

L'honorable Gerald J. Comeau: Honorables sénateurs, lors du dernier recensement, à la question sur l'origine ethnique, plusieurs groupes culturels ont été proposés, mais il semble que les Acadiens aient été omis. N'oublions pas que les Acadiens furent les premiers colonisateurs du Canada, après les Autochtones, bien sûr. Que pourrions-nous faire pour nous assurer que cet oubli ne soit pas répété lors du prochain recensement?

[Traduction]

L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je remercie l'honorable sénateur de sa question. En ce qui concerne les données de recensement — il a le formulaire et je ne l'ai pas encore vu —, je crois comprendre que c'est un processus d'auto-identification. Je ne sais pas pourquoi les Acadiens, y compris moi-même, ont été omis, mais j'aborderai certainement la question avec le ministre intéressé.

[Français]

Le sénateur Comeau: Honorables sénateurs, les Acadiens ne s'identifient pas comme des Canadiens français. Ils s'identifient comme des Canadiens qui parlent français. Madame la ministre peut-elle s'assurer que cette distinction est claire pour les fonctionnaires?

[Traduction]

Le sénateur Carstairs: Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Il a tout à fait raison de dire qu'il y a une différence entre ceux qui s'identifient comme Acadiens et quelqu'un qui parle français. Malheureusement, je peux m'identifier comme Acadienne, mais je ne peux certainement pas m'identifier comme quelqu'un qui parle français et, par conséquent, certainement pas comme Canadienne française. Je peux garantir à l'honorable sénateur que je ferai très clairement la distinction.

[Français]

LE QUESTIONNAIRE DU RECENSEMENT—LA DUALITÉ LINGUISTIQUE CANADIENNE

L'honorable Jean-Claude Rivest: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement. La question soulevée par le sénateur Comeau est très importante. Le questionnaire pour le recensement ne permet pas de suivre l'évolution démographique des différents groupes culturels, entre autres des communautés francophones dont les Acadiens. Plus particulièrement, il ne nous permet pas d'évaluer la proportion des anglophones et des francophones au Canada.

Cette question a été soulevée à maintes reprises au Comité mixte des langues officielles. Malheureusement, les scientifiques du bureau de Statistique Canada n'en ont pas tenu compte. C'est une question très importante sur le plan de la défense et de la promotion de la dualité linguistique canadienne, au-delà des autres groupes ethniques qui, bien sûr, font partie de la réalité canadienne. Il est nécessaire de connaître combien de Canadiens se perçoivent comme des Canadiens français et combien se perçoivent comme des Canadiens anglais. Cela a une signification encore plus importante quant à l'évolution de la communauté acadienne.

[Traduction]

L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Je demanderais au sénateur Rivest de me donner des exemples précis de questions qui, selon lui, devraient être modifiées afin de permettre aux gens de s'identifier comme il le demande. Je puis lui assurer que s'il le fait, j'en parlerai au ministre compétent.

LE MULTICULTURALISME

LA CONFÉRENCE AMÉRICAINE DU SUD DE LA CALIFORNIE PRÉPARATOIRE À LA CONFÉRENCE MONDIALE CONTRE LE RACISME—LA LISTE DES PARTICIPANTS

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Elle porte sur un communiqué de presse de Patrimoine Canada, qui dit ceci:

Dirigée par l'honorable Hedy Fry, secrétaire d'État (Multiculturalisme) (Situation de la femme), une délégation d'experts canadiens représentant l'industrie cinématographique, les médias, les responsables de la réglementation, les universités et des groupes communautaires travailleront avec leurs homologues américains dans le cadre de la Conférence américaine préparatoire du sud de la Californie, qui se tient en préparation à la Conférence mondiale contre le racisme.

Madame le leader du gouvernement pourrait-elle avoir la bonté de nous donner le nom des personnes qui assistent l'honorable Hedy Fry, le nom des organismes qu'elles représentent ainsi que le nombre de membres de la délégation qui appartiennent à une minorité visible et nous indiquer les provinces ou les territoires d'où viennent les membres de la délégation?

L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Je remercie l'honorable sénateur de sa question. Je vais essayer d'obtenir ces renseignements le plus rapidement possible.

[Français]

RÉPONSES DIFFÉRÉES À DES QUESTIONS ORALES

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter en cette Chambre les réponses différées à quatre questions: la question du sénateur Oliver du 27 mars 2001 concernant Air Canada; la question du sénateur Gauthier du 29 mars 2001 concernant le maintien des droits linguistiques acquis; la question du sénateur Forrestall du 5 avril 2001 concernant le remplacement des hélicoptères Sea King; et la question du sénateur Spivak du 5 avril 2001 concernant le processus de réglementation du blé transgénique.

LES TRANSPORTS

AIR CANADA—LES DISCUSSIONS AVEC LES PILOTES DE CANADIEN INTERNATIONAL SUR L'ANCIENNETÉ—LES EFFETS SUR LA SÉCURITÉ

(Réponse à la question posée le 27 mars 2001 par l'honorable Donald H. Oliver)

Transports Canada dispose des moyens réglementaires nécessaires pour voir à ce que le nouveau transporteur résultant de cette fusion respecte toutes les conditions d'une transition sécuritaire.

Les critères utilisés lors de l'amalgame des listes d'ancienneté des pilotes d'Air Canada et de Canadien International ont, dès septembre 2000, fait l'objet d'un processus d'arbitrage. La portion réservée aux audiences a pris fin au début de février 2001.

Le 31 mars dernier, une décision sans appel qui lie les deux associations de pilotes était rendue.

Air Canada cherche par tous les moyens à atténuer les effets du stress émotionnel découlant de la décision. Des gestionnaires en relations humaines d'Air Canada, des conseillers en stress et des représentants des deux associations de pilotes se trouvaient dans le secteur des opérations aériennes entre le 30 mars et le 2 avril 2001. Il est prévu de réduire la présence de ces gestionnaires dès que les circonstances le permettront.

En outre, le jumelage des pilotes appartenant aux deux groupes n'aura pas lieu avant l'été, au plus tôt. Cette question fait partie du Plan d'intégration déjà approuvé et ne pourra être traitée avant que tous les autres points relatifs aux façons de procéder et aux facteurs humains aient été réglés, notamment en ce qui concerne le poste de pilotage.

Transports Canada a participé au processus en déléguant des inspecteurs des transporteurs aériens auprès des diverses opérations aériennes de Toronto et Vancouver. Transports Canada entend entretenir des relations étroites avec les gestionnaires d'Air Canada et prendre les mesures qui s'imposent pour prévenir tout risque en matière de sécurité y compris, s'il le faut, les interdictions de vol.

LA JUSTICE

LE MAINTIEN DES DROITS LINGUISTIQUES ACQUIS—LA DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

(Réponse à la question posée le 29 mars 2001 par l'honorable Jean-Robert Gauthier)

La Cour fédérale, division de première instance, a rendu sa décision en fin de journée le 23 mars 2001. Le jugement est très long et complexe. Les conseillers juridiques du ministère de la Justice analysent présentement le jugement et la procureure générale du Canada n'est pas en mesure, à ce stade-ci, de commenter davantage. Une décision sur l'opportunité d'en appeler doit cependant être prise d'ici le 23 avril 2001.

Il est important de noter que la Cour fédérale n'a pas ordonné au ministère de la Justice de modifier la Loi sur les contraventions. Elle ordonne plutôt au ministère de prendre les mesures nécessaires, qu'elles soient de nature législative, réglementaire ou autre, afin de respecter les droits linguistiques prévus aux articles 530 et 530.1 du Code criminel et à la partie IV de la Loi sur les langues officielles. Une modification de la loi ne constitue donc qu'une option parmi d'autres.

LA DÉFENSE NATIONALE

LE REMPLACEMENT DES HÉLICOPTÈRES SEA KING—LES MODIFICATIONS APPORTÉES AU PROCESSUS D'ACQUISITION

(Réponse à la question posée le 5 avril 2001 par l'honorable J. Michael Forrestall)

En ce qui regarde les modalités d'achat des 28 nouveaux hélicoptères maritimes, aucune nouvelle procédure n'est établie et le gouvernement n'a pas exclu la possibilité de réaliser des économies globales en adoptant une approche qui a été et qui demeurera fondée sur l'équité, l'ouverture et la transparence.

Le gouvernement a toujours eu la même stratégie d'achat à l'égard des hélicoptères maritimes. Peu après avoir annoncé le projet en août 2000, le gouvernement a publié une lettre d'intérêt énonçant sa stratégie d'achat et confirmé que le projet fera l'objet de deux appels d'offres distincts. Le premier portera sur le fuselage de l'hélicoptère et le second visera le système de mission et son intégration. Pour ce qui est de l'intégration du système, il reviendra au soumissionnaire qui obtiendra le contrat relatif au système de mission de modifier l'hélicoptère que choisira le gouvernement et de produire un hélicoptère maritime parfaitement intégré. Le soutien à long terme sera un élément des deux appels d'offres, de sorte que les fournisseurs éventuels assument la responsabilité à long terme de tous les équipements qu'ils vendent.

En ce qui concerne les économies globales, s'il est possible de réaliser des économies en adoptant la même cellule de base et les mêmes services de soutien à long terme pour l'hélicoptère de recherche et sauvetage autant que pour l'hélicoptère maritime, cela se reflétera dans les soumissions respectives des entrepreneurs principaux. Par exemple, l'obligation pour un soumissionnaire d'assurer jusqu'à 20 ans de services d'entretien et de soutien permettra aux entreprises qui ont déjà vendu leurs produits au Canada d'ajouter au prix qu'elles offrent tout avantage qui pourrait être associé à l'utilisation d'une flotte commune. Ainsi, de par sa nature même, la stratégie gouvernementale d'achat des hélicoptères maritimes facilite en fait l'inclusion d'économies globales dans le processus d'appel d'offres. Il faut aussi se rappeler que le rôle de l'hélicoptère de recherche et sauvetage et celui de l'hélicoptère maritime étant différents, ces appareils nécessitent des équipements de mission différents.

LA COMMISSION CANADIENNE DU BLÉ

LE PROCESSUS DE RÉGLEMENTATION DU BLÉ TRANSGÉNIQUE

(Réponse à la question posée le 5 avril 2001 par l'honorable Mira Spivak)

Avant qu'une variété de blé GM ne soit admissible à l'homologation, il faut que l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) en évalue l'incidence sur l'environnement et l'innocuité comme aliment pour animaux et que Santé Canada détermine si elle est sans danger en alimentation humaine. Jusqu'à présent, Monsanto n'a pas présenté de demande d'évaluation de l'innocuité d'une variété de blé GM.

Le processus d'homologation des variétés qui est en vigueur se fonde sur des principes scientifiques et ne tient pas compte des approbations accordées sur les marchés étrangers (acceptation par le marché).

Bien que le Comité de recommandation des inscriptions au catalogue du grain des Prairies, qui assure la responsabilité des essais des nouvelles variétés et de les promouvoir, dispose d'une clause qui lui permet de tenir compte des risques associés à la mise en marché du blé, il n'a pas eu à s'en prévaloir jusqu'ici lorsqu'une variété n'a pas obtenu d'approbation sur les marchés étrangers.

Pour être homologuées, les variétés de blé GM doivent subir trois ans d'essais et répondre à des critères scientifiques de rendement agronomique, de réaction aux maladies et de caractéristiques qualitatives.

Étant donné que les essais en vue de l'homologation d'une variété n'ont pas encore débuté, il est fort peu probable qu'une variété de blé GM soit admise à l'homologation avant 2005.

[Traduction]

LE PROGRAMME D'ÉCHANGE DE PAGES AVEC LA CHAMBRE DES COMMUNES

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, j'aimerais présenter les nouveaux pages qui nous viennent de la Chambre des communes.

À ma droite, je présente Shannon Headland, qui étudie les sciences politiques à la Faculté des sciences sociales de l'Université d'Ottawa. Shannon est originaire de Pointe-Claire, au Québec. Je vous souhaite la bienvenue.

[Français]

Héloïse Robinson est inscrite à la Faculté des arts de l'Université d'Ottawa. Elle est originaire de Victoria, en Colombie-Britannique.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

LA LOI SUR LES BREVETS

PROJET DE LOI MODIFICATIF—TROISIÈME LECTURE

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Wiebe, appuyé par l'honorable sénateur Corbin, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-17, Loi modifiant la Loi sur les brevets.

L'honorable David Tkachuk: Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi S-17, non pas en tant que porte-parole pour le projet de loi, mais en tant que président du comité qui a examiné le projet de loi. Le sénateur Lynch-Staunton vous entretiendra tout à l'heure de quelques questions, mais je veux me pencher un instant sur la démarche elle-même.

Nous avons bien débattu le projet de loi au comité. Le sénateur Lynch-Staunton et, bien sûr, le ministre Brian Tobin ont eu un échange animé. Je vous exhorte tous à en lire la transcription. C'est plutôt amusant. Le sénateur Lynch-Staunton a invoqué quelques souvenirs que le ministre a pris, je dois le dire, avec humour plutôt que par la défensive. Il appuie désormais notre ancienne position.

La dernière fois que la Loi sur les brevets a été modifiée, il y avait eu tout un débat qui s'était étendu à la grande entreprise et à la haute politique. On nous a dit que le projet de loi S-17 a d'abord été présenté au Sénat pour certains motifs. Le présent projet de loi modifie la Loi sur les brevets de façon qu'elle se conforme au jugement de l'OMC contre le stockage. Il faut adopter le projet de loi avant la fin d'août pour empêcher l'OMC d'imposer au Canada des sanctions qui nuiraient à de nombreuses entreprises, et pas seulement dans le secteur des produits pharmaceutiques.

On a entendu les deux camps sur les questions des médicaments génériques et de la protection des détenteurs de brevets pharmaceutiques. La démarche avait quelque chose de compliqué.

Il y avait une certaine unanimité. Je ne parlerai pas pour tous les sénateurs libéraux, mais certains ont manifesté de la sympathie pour la position des sénateurs de ce côté-ci. Le sénateur Lynch-Staunton a suggéré que des observations et des recommandations soient annexées au rapport du comité et nous aurions été d'accord sur ce point, mais pour une raison ou une autre, le greffier a déclaré que cela serait irrecevable. Nous avons soutenu de notre côté que des recommandations n'étaient pas irrecevables. Nous en avons déjà formulé souvent. Beaucoup d'entre vous faites partie de comités qui ont annexé à des projets de loi des recommandations qui ont été adoptées en troisième lecture au Sénat. On a cependant dit au président de notre comité que c'était irrecevable. Il a donc rendu une décision en ce sens.

Les libéraux ont adopté le projet de loi sans les recommandations dont nous avions parlé, mais c'était une question que je voulais porter à votre attention. Nous avons déjà utilisé le mot «recommande» dans un rapport d'observations. Notre greffier nous a donné un document déclarant que cela devenait un ordre du Sénat. Cela semble placer les agents du Sénat dans une situation très inconfortable et, si nous regardons ce qui se passe dans d'autres assemblées législatives, peut-être ne devrions-nous pas utiliser le mot «recommander». J'estime que si nous acceptons tous en comité d'utiliser ce mot et s'il arrive au Sénat, les sénateurs eux-mêmes pourront décider si oui ou non ils veulent l'utiliser. Il n'appartient pas aux membres du comité de décider. Nous pouvons utiliser le mot recommander et le Sénat pourrait ensuite adopter le rapport. Il deviendrait un ordre du Sénat si les sénateurs le désiraient ou ils pourraient décider de l'annexer pour ne pas mettre les greffiers trop mal à l'aise.

Dans notre cas, le mauvais conseil a été suivi. Il n'avait peut-être pas été donné, mais il a été suivi. Nous aurions pu formuler des recommandations qui auraient aidé le Sénat à faire savoir que ce qui manquait dans le projet de loi lui déplaisait davantage que ce qui s'y trouvait.

Honorables sénateurs, je porte la question à votre attention parce que nous devrons tous y revenir dans d'autres rapports de comités sénatoriaux où nous voudrons utiliser le mot «recommander», peu importe que nous acceptions ou non la décision. J'insiste sur un point: nous pouvons établir notre propre précédent plutôt que de nous en remettre à ce que font la Chambre des lords ou le Parlement australien. Peut-être devrions-nous établir un précédent et utiliser le mot «recommander».

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition): Honorables sénateurs, comme le sénateur Tkachuk l'a laissé entendre, il est inutile de discuter longuement de la teneur de ce projet de loi étant donné que l'Organisation mondiale du commerce a donné raison à l'Union européenne et aux États-Unis, qui contestaient certains aspects de notre Loi sur les brevets. Lorsqu'il a témoigné devant le Comité des banques, le ministre de l'Industrie a exhorté le Sénat à adopter le projet de loi le plus rapidement possible, car le Canada a un dossier impeccable pour ce qui est de respecter ses obligations internationales.

Je suis d'accord, tout comme je l'étais en 1992, lorsqu'une mesure législative semblable, le projet de loi C-91, issue d'accords conclus conformément au GATT et à l'ALE, a été déposée au Parlement. Le gouvernement de l'époque a fait valoir les mêmes arguments, soit les obligations internationales, que ceux invoqués par le ministre Tobin pour préconiser l'adoption rapide de cette mesure. L'opposition, dirigée par un certain nombre de députés qui sont aujourd'hui des représentants chevronnés du gouvernement libéral, le moindre d'entre eux n'étant pas le ministre de l'Industrie, a toutefois mené une charge à fond de train particulièrement malveillante contre le projet de loi, accusant les conservateurs d'être à la solde de l'industrie pharmaceutique et de légiférer pour autoriser des hausses astronomiques du prix des médicaments. Je suis certain que je ne suis pas le seul à me souvenir qu'un sénateur avait alors accusé, juste avant le vote sur le projet de loi C-91, ceux qui étaient en faveur de cette mesure législative d'être à la solde de ses bénéficiaires. Ce ne fut pas un des moments les plus brillants de l'histoire du Parlement.

Ce sénateur a pris sa retraite sans exprimer le moindre remords. Lorsqu'il a comparu devant le comité, le ministre de l'Industrie a reconnu que cette évaluation du projet de loi C-91 était loin d'être objective. Je le félicite d'avoir admis cela et d'avoir félicité le premier ministre Mulroney d'avoir été l'instigateur de l'ALE et de l'ALENA, qu'il appuie maintenant sans réserve.

De toute évidence, M. Tobin se conforme aux enseignements du «Nouveau Testament libéral», qui enjoint tous les aspirants de se repentir, car «la direction du royaume est à la portée de leur main».

Je veux prendre quelques minutes pour parler des observations énoncées dans le rapport du comité, car elles font suite aux témoignages entendus sur la nature de l'industrie et les règlements auxquels elle est assujettie, ce qui devrait être plus préoccupant qu'il n'y paraît.

À mon avis, il n'y a au Canada aucune autre industrie dont les membres ne sont pas tant des rivaux que des ennemis de longue date et qui se témoignent mutuellement un manque de respect pour le moins consternant. D'une part, il y a les sociétés pharmaceutiques qui innovent et qui créent des produits pour soulager la douleur, pour sauver des vies et pour prolonger notre longévité. D'autre part, il y a les fabricants de produits génériques qui choisissent les produits les plus rentables et qui en font des copies qu'ils mettent en marché à des prix nettement inférieurs à ceux des produits originaux, une fois les brevets expirés. Le premier groupe considère l'autre comme un parasite. Le deuxième dénonce les bénéfices exorbitants. Compte tenu de ces allégations, les Canadiens ont raison de se demander comment on pourrait établir une politique pharmaceutique dans notre pays.

Si la protection conférée par un brevet était éternelle, le monopole ainsi créé garderait les prix élevés. Cela est vrai pour n'importe quelle invention, bien sûr, pas seulement pour les médicaments. La protection par un brevet vise à permettre à l'inventeur non seulement de récupérer son investissement, mais aussi d'en tirer profit. Une protection limitée est imposée lorsqu'on craint que quelqu'un ne tire un avantage injuste de son invention. Une telle mesure est appliquée dans tous les pays dits avancés, et elle est bien acceptée et comprise au Canada, sauf par l'industrie pharmaceutique.

Nous avons appris au cours des audiences que les règlements visant l'industrie accordent aux médicaments une protection plus longue que ce qu'avaient prévu les législateurs ou que ce que précise la loi, et l'adoption de ce projet de loi ne changera rien à cette contradiction, à moins que les règlements ne soient modifiés en conséquence.

Le projet de loi S-17 est conforme à ce qu'on appelle, dans le cahier de breffage du ministère:

«[...] l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), formant l'annexe 1C de l'Accord sur l'OMC, auquel le Canada a apposé sa signature. L'article 33 de l'ADPIC exige que les membres de l'OMC offrent une protection conférée par un brevet d'une durée minimale de 20 ans, à partir de la date de dépôt du brevet.»

Le projet de loi S-17 impose cette protection de 20 ans, mais les règlements actuellement en vigueur permettent aux sociétés de produits pharmaceutiques, et seulement à ces sociétés, parmi toutes celles qui sont visées par la même loi, de prolonger cette période de deux ans. Si une demande de commercialisation d'un médicament générique équivalent à un médicament breveté est contestée devant les tribunaux pour avoir omis de respecter un autre brevet associé au même médicament, le ministre de la Santé ne peut pas émettre un avis de conformité pour une période pouvant atteindre jusqu'à deux ans, puisqu'il faudrait peut-être encore plus de temps pour régler l'affaire devant les tribunaux. Le report de la commercialisation du produit générique équivaudrait alors à protéger le médicament original au-delà de la période de 20 ans prévue par les législateurs.

Les témoins des compagnies pharmaceutiques et ceux des producteurs de médicaments génériques n'ont pas été très utiles pour expliquer les raisons de cette règle d'exception, car chaque partie a une opinion bien tranchée. Pas de règlements, pas d'inventions, clament les premiers. Les règlements entraînent des coûts plus élevés et des reculs financiers, prétendent les seconds. Des commentaires de la sorte n'ont pas tellement aidé le comité à se faire une juste idée de la controverse. Néanmoins, le comité en est arrivé à la conclusion suivante, qui fait partie de ses observations:

En général, le Comité pense que les tribunaux sont tout à fait capables de déterminer les procédures qui conviennent et que celles-ci ne devraient pas varier beaucoup d'une industrie à une autre. Les interventions réglementaires risquent de conférer par inadvertance un avantage indu à l'une ou l'autre des parties.

Le rapport dit ensuite ceci:

Étant donné les témoignages entendus selon lesquels le coût et le volume des poursuites judiciaires sont élevés, que les titulaires de brevet finissent par perdre la grande majorité de leurs causes, et que les titulaires de brevet profitent indirectement des retards qui s'ensuivent, une modification des règlements pourrait être indiquée.

(1450)

Dans son témoignage, le ministre a dit ceci:

L'intention devrait être d'accorder une protection par brevet d'une durée de 20 ans. L'intention devrait être d'éviter que l'on abuse du système pour prolonger de façon inutile et injustifiée la durée de la protection par brevet. C'est un point sur lequel je suis d'accord.

Enfin, je désire signaler que le comité a appuyé le ministre à l'unanimité en terminant son rapport de la façon suivante:

Par conséquent, le Comité exhorte [...]

Les sénateurs remarqueront que le comité n'a pas employé le mot «recommande», conformément aux instructions du président, mais bien «exhorte».

[...] le ministre, lorsque viendra le temps de réviser la loi et les règlements en question, de s'assurer qu'ils n'offrent à aucune des parties visées par un brevet un avantage non prévu par le Parlement.

De plus, le comité exhorte que tout changement proposé aux règlements en application de la Loi sur les brevets soit présenté aux deux Chambres du Parlement et qu'il soit renvoyé automatiquement aux comités concernés pour étude et présentation d'un rapport dans les 30 jours de séance suivant le renvoi en comité.

Les sénateurs savent très bien que ce n'est pas la première fois que des règlements sont publiés dans la Gazette du Canada sans qu'ils ne reflètent nécessairement l'intention du législateur, qui, en votant en faveur de ce projet de loi, confirmera que la protection par brevet dans le cas des médicaments devrait être et doit être, en vertu de la loi, limitée à 20 ans. Si on veut plaider en faveur d'une protection plus longue, qu'on le fasse ouvertement afin que le Parlement puisse agir en conséquence. Autrement, qu'on demande une révision des règlements, comme l'a fait le comité, en tenant compte du fait que, même si la rentabilité des sociétés ne doit pas être négligée — loin de là —, les intérêts des consommateurs, particulièrement dans le domaine de la santé, doivent toujours être le facteur déterminant, du moins espérons-le.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la Chambre est-elle prête à se prononcer?

Des voix: D'accord.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

LA LOI CANADIENNE SUR LES SOCIÉTÉS PAR ACTIONS
LA LOI CANADIENNE SUR LES COOPÉRATIVES

PROJET DE LOI MODIFICATIF—TROISIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Michael Kirby propose: Que le projet de loi S-11, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et la Loi canadienne sur les coopératives ainsi que d'autres lois en conséquence, soit lu une troisième fois.

L'honorable Donald H. Oliver: Honorables sénateurs, je suis prêt à faire part de mes remarques aujourd'hui. Toutefois, en raison de certaines négociations, je préférerais le faire demain.

(Sur la motion du sénateur Oliver, le débat est ajourné.)

PROJET DE LOI DE 2001 MODIFIANT LES TAXES DE VENTE ET D'ACCISE

DEUXIÈME LECTURE

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Rompkey, c.p., appuyée par l'honorable sénateur Hervieux-Payette, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise.

L'honorable C. William Doody: Honorables sénateurs, j'ai seulement quelques remarques à faire au sujet du projet de loi dont nous sommes saisis. Le sénateur Rompkey a expliqué avec force détails jeudi dernier que ce projet de loi ne fait qu'apporter des changements d'ordre plus ou moins technique à la Loi sur la taxe d'accise. C'est un projet de loi fait par des bureaucrates à l'intention et au nom des fonctionnaires du ministère des Finances.

Le projet de loi prévoit un léger allégement fiscal. Par exemple, je suis sûr que les contribuables canadiens seront fascinés d'apprendre les mesures d'allégement fiscal prises en ce qui concerne les climatiseurs installés dans les automobiles et les nouvelles automobiles lourdes. Pour ce qui est des divers changements qu'il est proposé d'apporter à la TPS/TVH dans le projet de loi, je suis sûr que les personnes qui comparaîtront devant le comité sénatorial auquel est renvoyé le projet de loi C-13 pourront les examiner et les expliquer en détail.

Honorables sénateurs, à l'exception du programme de remboursement pour immeubles locatifs neufs, les changements proposés dans ce projet de loi n'ont pas vraiment d'incidence sur les recettes. Autrement dit, il n'y a guère de changements apportés à la TPS et ce programme de remboursement permettra aux contribuables d'épargner seulement 15 millions de dollars cette année.

Voilà le noeud du problème, honorables sénateurs. Dès que j'ai reçu le projet de loi, j'en ai pris connaissance avec enthousiasme et vigilance. Je m'attendais à ce que le gouvernement saute sur l'occasion pour supprimer ou, à tout le moins, réduire notablement la TPS. Le gouvernement pourrait peut-être même proposer un échéancier pour sa réduction jusqu'à sa disparition définitive, dans cinq ans par exemple. Cependant, il n'y a rien de tel dans le projet de loi.

Ceux qui, comme moi, siégeaient dans cette Chambre quand la TPS a été mise en place se souviennent de l'accueil que les sénateurs d'en face avaient réservé à cette taxe. Nous avons eu droit à des manifestations de colère et à des discours enflammés et passionnés. Pendant des heures et des heures, une obstruction systématique s'est traduite par des pages et des pages du hansard qui reprenaient des listes interminables d'abonnés du téléphone à Ottawa; nous avons été témoins de clochettes, de coups de sifflet, de cris et de bruits de mirliton — et cela a duré et duré. Cependant, le parti majoritaire au Sénat dispose aujourd'hui d'une occasion à la fois légitime et raisonnable de joindre le geste à la parole.

Que nous offre-t-il, honorables sénateurs? Il offre aux contribuables canadiens un allègement fiscal pour la climatisation de leur véhicule. Je m'attendais à tout le moins à un amendement qui aurait supprimé les taxes prélevées sur les livres et autres publications.

Comme beaucoup d'autres sénateurs, je me souviens bien du très touchant plaidoyer présenté par madame le sénateur Fairbairn en faveur de l'alphabétisation au Canada. L'amendement qu'elle avait proposé à l'époque aurait permis d'exempter les publications. Elle envisagera peut-être de le présenter à nouveau à la deuxième lecture, peut-être au comité, ou encore à l'étape de la troisième lecture lors du cheminement du projet de loi dans cette enceinte. Nous avons le temps de recevoir un tel amendement et d'autres que les sénateurs d'en face tenaient tant à proposer il n'y a pas de cela si longtemps, quelques années à peine.

Ce n'est pas comme s'il était possible d'accuser les sénateurs libéraux de s'opposer à leur parti là-dessus. Leur propre chef, M. Chrétien, a promis de supprimer le projet de loi s'il était élu — et il a été réélu à deux reprises. Le ministre des Finances lui-même, M. Martin, a un jour déclaré aux Communes que la TPS était «une mesure stupide, inepte et mal conçue». En sa qualité de candidat à la direction du Parti libéral, il a déclaré: «Je suis résolu à l'abolir et à la remplacer par quelque chose d'autre.» Le ministre acceptera peut-être de comparaître devant notre comité pour nous faire part de sa solution de remplacement.

Quoi qu'il en soit, honorables sénateurs, je ne prendrai pas trop de temps. Je veux laisser à mes collègues d'en face la chance de présenter les amendements qu'ils ont défendus avec tant de vigueur et de passion il y a quelques années. Je leur ai promis mon appui enthousiaste et éternel à tout amendement qu'ils présenteraient.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu une deuxième fois.)

RENVOI AU COMITÉ

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand ce projet de loi sera-t-il lu une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Robichaud, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.)

PROJET DE LOI SUR LA FONDATION DU CANADA POUR L'APPUI TECHNOLOGIQUE AU DÉVELOPPEMENT DURABLE

DEUXIÈME LECTURE—REPORT DU DÉBAT

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Sibbeston, appuyée par l'honorable sénateur Chalifoux, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-4, Loi créant une fondation chargée de pourvoir au financement de l'appui technologique au développement durable.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Cochrane a la parole.

[Français]

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, je croyais que le sénateur Cochrane allait prendre la parole à l'appel du projet de loi C-4. Je ne voudrais pas qu'elle perde cette occasion de s'exprimer. Je suis certain que les honorables sénateurs aimeraient entendre les propos du sénateur Cochrane, qui vient de se joindre à nous, au sujet de ce projet de loi.

[Traduction]

(1500)

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, ma collègue, le sénateur Cochrane, va parler de ce projet de loi. En temps voulu, je propose que nous poursuivions avec l'ordre du jour et que nous revenions à cet article.

Son Honneur le Président: Pour mettre les choses au point, nous reviendrons sur cette question soit pour proposer l'ajournement du débat, soit pour en parler plus tard dans le cadre des affaires émanant du gouvernement. Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

(Le débat est reporté.)

LA LOI SUR LES JUGES

PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein propose: Que le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence, soit lu une deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je suis heureux d'être en mesure de lancer le débat en deuxième lecture sur le projet de loi C-12, Loi modifiant la Loi sur les juges et une autre loi en conséquence. Ce projet de loi renferme des modifications à la Loi sur les juges pour assurer une rémunération équitable et appropriée aux juges nommés par le gouvernement fédéral. Ce projet de loi a pour but de prévoir dans la loi les engagements pris par le gouvernement dans sa réponse au rapport de la Commission d'examen de la rémunération des juges de 1999.

L'indépendance des juges est une caractéristique tout à fait évidente dans une société libre et démocratique. La paix, l'ordre et le bon gouvernement et, en fait, le gouvernement responsable, qui sont prévus par notre Constitution ne peuvent être réalisés sans une magistrature indépendante.

Notre Constitution de 1867 renfermait implicitement la tradition de la common law de la Grande-Bretagne. Comme le regretté juge Bora Laskin, ancien juge de la Cour suprême, nous le rappelle dans un recueil de conférences intitulé: British Tradition in Canadian Law, publié en 1969, la nomination des juges ressortissait aux autorités britanniques, comme prérogative royale. Avec l'avènement de la Confédération, le pouvoir de nommer les juges des cours supérieures, des cours de comté et des cours de district provinciales appartenait au gouvernement fédéral, en vertu de l'article 96 de la Constitution. Le gouvernement fédéral avait aussi le pouvoir de destituer ces juges en demandant au Gouverneur général d'adresser un avis à cet effet aux deux Chambres du Parlement, en vertu de l'article 99. L'amendement constitutionnel de 1960 est venu par ailleurs remplacer la nomination à vie des juges par leur retraite obligatoire à 75 ans.

Les honorables sénateurs devraient se rappeler les événements historiques complexes qui ont mené à l'indépendance des juges en Grande-Bretagne. En 1649, le Commonwealth de Cromwell abolissait la monarchie et la Chambre des lords, assurant en outre que la magistrature refléterait la volonté du pouvoir exécutif. Or, en 1688, l'Acte d'établissement introduisait ce que certains historiens ont appelé la révolution glorieuse et, si je peux ajouter, sans effusion de sang, la Restauration. L'Acte d'établissement et d'autres lois subséquentes rétablissaient la monarchie et la Chambre des lords et confirmaient enfin l'indépendance de la magistrature.

C'est à partir de ces circonstances historiques que le grand Blackstone a pressenti et articulé les bienfaits d'un régime de gouvernance mixte où les deux Chambres du Parlement exerçant le pouvoir législatif, à savoir le Sénat et la Chambre des communes, serviraient de contrepoids au pouvoir exécutif du Parlement et le surveilleraient. L'indépendance des pouvoirs de la magistrature constituerait un contrepoids additionnel. Tout cela allait s'insérer dans notre régime de gouvernance mixte.

Comme l'a souligné le regretté juge Laskin:

Deux aspects des dispositions judiciaires de la Constitution canadienne comportent un caractère unique. Le premier est le fait que les juges [...] sont nommés et payés par le gouvernement fédéral, bien que les cours soient constituées et organisées dans les provinces où elles se trouvent. Quant à l'administration des tribunaux, elle ressortit aux provinces respectives.

Le deuxième aspect comportant un caractère unique est que le Parlement est revêtu du pouvoir d'instituer des cours en vue d'une meilleure administration des lois. Au Canada, contrairement à d'autres pays, les juges fédéraux rendent des décisions en se fondant tant sur le droit fédéral que sur le droit provincial.

Les sénateurs se souviendront de la différence qui existe entre les tribunaux aux États-Unis. Les tribunaux fédéraux appliquent les lois fédérales, alors que les tribunaux des États appliquent les lois des États. Ce n'est pas le cas au Canada.

La Loi sur la Cour suprême du Canada a été promulguée en 1875. En 1913, Sa Majesté le roi George V a accordé le titre «honorable» aux juges. Tout comme les sénateurs, les juges ont le droit d'être appelés «honorables». Après 1949, par suite de l'adoption du Statut de Westminster de 1931 et de l'article 101 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, l'exercice de l'examen en appel de dernier ressort en matière civile et pénale a finalement été confié à la Cour suprême du Canada. Le Conseil privé du Parlement britannique a alors été remplacé par notre Cour suprême du Canada à titre d'organe d'appel ultime.

Au cours des années 60, dans une série de décisions, la Cour suprême du Canada a lentement modifié le principe de la chose jugée en ce qui touche sa propre jurisprudence. La Cour a en effet décidé qu'elle ne serait pas liée par ses propres décisions. Avec l'adoption de la Charte en 1982, le rôle des tribunaux a changé. La compétition entre la suprématie parlementaire et l'activisme judiciaire s'est unie.

Honorables sénateurs, il y a actuellement dans ce pays un débat viscéral ardent entre les juristes, la profession juridique, le Parlement, divers groupes publics et les juges en ce qui a trait à la portée adéquate de l'acte judiciaire par rapport à l'interprétation de la Constitution. Où les juges doivent-ils fixer leurs propres limites? Certains sont d'avis qu'on doit laisser plus libre cours à l'interprétation. D'autres favorisent la retenue des juges. Quant à moi, je suis d'avis que l'indépendance des juges est la contrepartie de leur retenue et de leur responsabilité.

L'activisme des juges peut s'appuyer sur des perceptions tant négatives que positives et avoir des effets secondaires négatifs ou positifs. L'activisme n'est pas nécessairement subjectif, comme certains arrêtistes peuvent l'avoir laissé entendre.

Honorables sénateurs, j'aimerais vous rapporter les paroles de certains juges qui indiquent bien combien les opinions peuvent varier sur cette très importante question et privilégier soit le rôle du Parlement, soit le rôle des juges.

Je parlerai tout d'abord d'un article rédigé par la juge Bertha Wilson, qui a été publié dans le Faculty of Law Review de l'Université de Toronto en 1986. Elle a parlé d'une décision prise par la Cour suprême en 1976, avant l'adoption de la Charte. Je cite ce que le juge Dickson a dit à la page 233 de l'arrêt Harrison c. Carswell de la Cour suprême.

Le rôle d'un tribunal, tel que je le conçois, est de rendre des décisions rationnelles et fondées sur des principes et des concepts éprouvés. Je ne mets aucunement en doute le pouvoir de la Cour d'agir de façon créative — elle l'a fait à de nombreuses reprises —, mais une question s'impose manifestement: quelles sont les limites des fonctions judiciaires?

Plus loin dans la décision, le juge déclare:

Si une modification doit être apportée au droit positif, [...] il semble que cette responsabilité incombe non pas à la Cour, mais à l'institution qui adopte les lois, c'est-à-dire l'assemblée législative, qui est représentative de la population et qui a pour fonction d'exprimer la volonté politique.

C'est ce qu'a dit le juge Dixon en 1976.

Dans un article rédigé en 1986, la juge Wilson expose son point de vue sur la même question. Je rappelle que cet article a été écrit après l'adoption de la Charte. Il y a une différence.

L'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982, et plus particulièrement des articles 1, 24 et 52, semble supprimer les raisons justifiant une retenue du pouvoir judiciaire, en lui conférant clairement un rôle interventionniste. Le pouvoir judiciaire ne peut plus faire valoir que la doctrine de la suprématie du Parlement l'empêche d'agir.

Plus loin, l'auteur ajoute, à la page 259 du même article:

La protection judiciaire des droits des individus et des minorités face à ceux de la majorité exige clairement une ségrégation nette des tribunaux par rapport à la machine majoritaire des assemblées législatives et du Parlement.

Un autre article rédigé par la juge McLachlin, avant sa nomination au poste de juge en chef de la Cour suprême, a paru dans le Alberta Law Review, en 1991.

(1510)

Sans citer cet article hors contexte, il est important de lire les deux articles, et de nous arrêter plus précisément au passage suivant, tiré de la page 554.

Finalement, à la différence de ce qui se passe aux États-Unis, les assemblées législatives canadiennes conservent le contrôle ultime de la plupart des questions, en vertu de la disposition de dérogation énoncée à l'article 33 de la Charte, qui confère aux assemblées législatives le droit de déroger aux décisions des tribunaux relativement à tous les droits énoncés dans la Charte, à l'exception de quelques-uns, sous réserve que la loi dérogatoire fasse l'objet d'un examen à tous les cinq ans. Bien qu'il soit politiquement difficile pour les assemblées législatives de s'en remettre à la disposition de dérogation, le fait demeure que cette disposition offre une protection dans les cas où il semblerait que la Cour se soit écartée du droit chemin. Ainsi, l'intervention des tribunaux au Canada n'est pas perçue par les assemblées législatives comme une menace à leur suprématie, comme cela s'est produit aux États-Unis.

Honorables sénateurs, ce n'est pas dans le cadre de ce projet de loi que nous réglerons la question. Il faut poursuivre les débats parlementaires sur le bien-fondé et les limites de l'activisme judiciaire. Le Parlement est fautif. Des mesures législatives nébuleuses constituent une invitation à l'activisme judiciaire. À son tour, cela dégrade le principe de la suprématie parlementaire. Ainsi, il se peut que la faute nous soit imputable, honorables sénateurs.

Le premier ministre Chrétien a brièvement présenté un des aspects d'une magistrature indépendante lorsqu'il a fait la déclaration suivante:

En effet, aussi bien rédigés que soient les textes de loi, il ne saurait y avoir de justice sans procès équitable mené par un appareil judiciaire compétent, indépendant, impartial et efficace. Un appareil judiciaire qui applique la loi de la même façon à tous les citoyens, sans distinction de sexe, de condition sociale, de croyance religieuse, d'opinion religieuse ou d'opinion politique.

Qui pourrait le contredire?

Les trois éléments de l'indépendance des juges prévus dans la Constitution sont l'inamovibilité, l'indépendance dans l'administration des affaires judiciaires et la sécurité financière. Conformément au principe de l'indépendance des juges, l'article 100 de la Constitution de 1867 confère au Parlement le rôle d'établir le traitement, les indemnités et les pensions des juges.

J'estime fort utile pour le Sénat d'examiner brièvement l'évolution des dispositions de la Loi sur les juges en ce qui a trait au traitement. Les premières mesures législatives fixant le traitement des juges ont été adoptées immédiatement après la Confédération, en 1868. Depuis, le Parlement a régulièrement reçu des propositions portant sur la rémunération des magistrats. Certaines dispositions ont également été prévues au sujet des diverses indemnités.

En 1981, la Loi sur les juges a été modifiée pour inclure des rajustements annuels de salaire, appelés indexations prévues par la loi, tenant compte de l'augmentation du coût de la vie.

Comme pour le traitement, les dispositions relatives à la retraite ont également évolué grâce aux modifications législatives apportées depuis la Confédération. Entre la Confédération et 1960, les magistrats avaient droit à une pension représentant deux tiers de leur traitement après 15 années de service, quel que soit leur âge. En 1960, certaines exigences d'âge ont été imposées et ont été rajustées à quelques reprises par la suite.

Vous vous souvenez sans doute, honorables sénateurs, qu'en 1960, il y a eu une modification de la Constitution.

Par exemple, le Parlement a introduit en 1998 ce que l'on appelle la «règle modifiée de 80», c'est-à-dire le droit à une pension entière après un minimum de 15 ans de service quand les années d'âge et les années de service totalisent 80.

Un autre changement important s'est produit en 1975, lorsque les juges ont été tenus pour la première fois de cotiser au taux de 7 p. 100 à leur régime de pensions.

Un important changement de processus a été mis en oeuvre avec l'application de la Loi sur les juges en 1981. Jusque-là, l'examen de la rémunération des juges avait été confié à des comités consultatifs spéciaux qui étaient constitués de temps à autre et qui faisaient rapport au ministre de la Justice.

En 1981, en reconnaissant qu'il était important de recevoir des avis objectifs concernant la sécurité financière des juges, le Parlement a institué une Commission d'examen de la rémunération des juges pour examiner si le traitement, les pensions et les indemnités des juges étaient suffisants et faire des recommandations non contraignantes — je répète, non contraignantes — à cet égard.

En 1998, le Parlement a modifié de nouveau ce processus afin d'accroître davantage l'indépendance et l'objectivité de la commission, conformément au principe bien établi d'indépendance judiciaire.

La série de critères statutaires qui guident la commission dans la formulation de ses recommandations constitue un élément plus important de ce processus amélioré. Je n'ai pas besoin de rappeler aux honorables sénateurs que ces critères ont été institués à la suite d'un amendement proposé au Sénat et accepté par la Chambre des communes.

Vous pouvez vous applaudir vous-mêmes, honorables sénateurs. Ce fut un grand coup en faveur de l'indépendance judiciaire, et il faudrait rappeler de temps à autre aux juges le rôle que joue le Sénat comme sauvegarde de l'indépendance judiciaire.

Il faut évidemment nous rappeler que les recommandations de la commission ne sont pas contraignantes. C'est au Parlement que la Constitution a confié la responsabilité et le pouvoir exclusifs d'établir la rémunération des juges. Cependant, si le Parlement décide de rejeter ou de modifier les recommandations de la commission, il est tenu par la loi et par la Constitution — je crois que c'est ainsi que le stipule la loi — de donner publiquement une justification raisonnable de sa décision et de son désaccord.

Au moyen du projet de loi C-12, le gouvernement propose de mettre en oeuvre la plupart des recommandations de la Commission d'examen de la rémunération des juges, y compris l'augmentation de leur traitement et quelques améliorations modestes proposées à leurs pensions et indemnités. Compte tenu de tous les facteurs qu'a examinés cette commission indépendante, dont les tendances qui se dessinent dans les secteurs public et privé, le gouvernement estime que les propositions énoncées dans le projet de loi C-12 sont raisonnables et suffisantes pour respecter le principe constitutionnel de la sécurité financière et le principe constitutionnel implicite de l'indépendance du pouvoir judiciaire.

Cela dit, le gouvernement n'est pas disposé à appliquer toutes les recommandations de la commission. Plus précisément, il reportera une proposition visant à augmenter le nombre de juges surnuméraires ou à temps partiel en attendant le résultat de consultations importantes avec les provinces et les territoires.

En vertu de la Constitution, le gouvernement fédéral est chargé de la nomination des juges, mais les provinces sont responsables de l'administration des tribunaux dans chacune d'elles, à la différence de ce qui se passe dans les territoires.

En outre, le gouvernement n'a pas accepté la recommandation de la commission à l'égard des frais juridiques, car la proposition de la commission n'établit pas de limites raisonnables en ce qui concerne ces frais. Au lieu de cela, le gouvernement propose une formule prévue par la loi, destinée à prévoir une contribution raisonnable aux frais de participation du pouvoir judiciaire, tout en en limitant la portée.

Honorables sénateurs, le gouvernement adhère au principe de l'indépendance du pouvoir judiciaire, car il s'agit là d'une condition préalable fondamentale pour garantir la vitalité de la règle du droit dans notre régime démocratique de gouvernement. Le gouvernement, tout comme le Parlement, ne peut agir autrement. De plus, il est de notre devoir, en vertu de la Constitution, d'assurer la santé et la viabilité économiques des mesures appropriées de contrôle de la répartition des pouvoirs et de faciliter la paix, l'ordre et le bon gouvernement au moyen de notre Constitution.

Nous devons veiller à ce que la magistrature soit économiquement saine et viable, pour qu'elle puisse exercer sa fonction.

En conclusion, les Canadiens conviennent que le Canada a la chance de disposer d'une magistrature qui est reconnue pour sa compétence, son engagement, son indépendance, son impartialité et son intégrité.

C'est précisément pour préserver le principe de l'indépendance des juges que le gouvernement a présenté le projet de loi C-2 et le soumet à l'étude du Sénat.

L'honorable Lowell Murray: Puis-je poser une question?

Son Honneur le Président pro tempore: Sénateur Grafstein, accepterez-vous des questions?

Le sénateur Grafstein: Toujours.

Le sénateur Murray: Étant le parrain du projet de loi, le sénateur Grafstein nous a donné une description très complète des dispositions qu'il renferme. Il l'a accompagnée d'un éditorial hautement intéressant de son cru que, je présume, il reconnaîtra comme tel et non comme étant celui de la ministre de la Justice. Quoi qu'il en soit, j'aimerais que le sénateur Grafstein nous dise — peut-être après y avoir réfléchi, à l'étape de la troisième lecture, par exemple — en quoi exactement il pense que l'ex-juge Bertha Wilson a tort dans son interprétation de la situation telle qu'elle existe depuis l'entrée en vigueur de la Charte en 1982.

Deuxièmement, j'ai trouvé très intéressants les propos du sénateur concernant la manière dont le Parlement devrait traiter les projets de loi dont la constitutionnalité est en doute. Il se souviendra, comme moi, de plus d'un projet de loi dont nous avons été saisis et qui ont donné lieu en cette enceinte à des débats de fond sur leur constitutionnalité.

Je me souviens, comme lui, de plus d'un projet de loi qui ont franchi l'étape de la seconde lecture et qui ont été renvoyés à un comité devant lequel un véritable défilé de juristes et de constitutionnalistes sont venus témoigner disant essentiellement que, à un égard ou à un autre, le projet de loi n'était pas constitutionnel. Néanmoins, nous sommes allés de l'avant et nous avons adopté le projet de loi, et dans au moins l'un des cas en invoquant l'argument suivant:

Ce n'est pas à nous de déterminer si un projet de loi est constitutionnel ou non; c'est le rôle de la Cour suprême.

(1520)

L'honorable sénateur doit savoir que le ministre de la Justice doit certifier le projet de loi avant qu'il ne sorte du Cabinet. Le ministre de la Justice donne son imprimatur, garantissant qu'il est conforme à la Charte des droits. Un processus similaire existait dans le cadre de la Déclaration des droits du premier ministre Diefenbaker. Le ministre de la Justice devait parapher le projet de loi, certifiant qu'il était conforme à la Déclaration des droits.

La ministre actuelle de la Justice ne veut pas discuter de ces questions avec nous et ne nous donne pas son avis. Sa position a toujours été qu'elle conseillait la Couronne, pas le Parlement. Existe-t-il une façon pour nous, honorables sénateurs, de nous interposer? Existe-t-il un processus selon lequel, si nous avons des doutes graves quant à la constitutionnalité d'un projet de loi, nous pourrions demander à la ministre de la Justice de comparaître devant nous et d'essayer de dissiper nos doutes?

Honorables sénateurs, mon collègue refusera peut-être de traiter de ces questions aujourd'hui, mais il aura l'occasion de le faire à l'étape de la troisième lecture.

Le sénateur Grafstein: Le sénateur Murray soulève d'importantes questions et il a parfaitement raison en disant que le discours est de moi et que le projet de loi est du gouvernement. Je ne voudrais pas que l'on attribue à la ministre de la Justice le discours que j'ai livré au Sénat. Les honorables sénateurs ont peut-être pu faire la distinction entre mon point de vue et celui du gouvernement. J'appuie de tout coeur ce projet de loi pour toutes les raisons que j'ai données.

L'honorable sénateur soulève la question la plus ardue à laquelle fait face le Sénat à l'occasion, soit celle-ci: jusqu'où doivent aller les sénateurs pour expliquer les définitions savamment rédigées pour assurer la suprématie du Sénat, au lieu de laisser les juges fournir ces explications?

Honorables sénateurs, j'ai échangé avec des juges et il ne faut pas se surprendre de constater que plus le processus est ouvert, plus la participation est grande. Il faut donc déterminer la limite. Le devoir et la responsabilité du Sénat est d'abord de veiller à ce qu'il n'adopte aucune mesure législative, de quelque manière que ce soit, sans que les deux Chambres du Parlement ne soient convaincues qu'elle est conforme à la Constitution. C'est la première responsabilité du Sénat en matière législative.

La Charte complique la situation et nous avions été avertis, au cours des débats constitutionnels, que cela ouvrirait la porte à l'activisme judiciaire. Mais ce n'est pas nouveau.

Dans le cours de mes recherches en vue de l'étude du projet de loi C-12, je me suis penché sur l'expérience américaine, qui est intéressante. On peut résumer soigneusement cette expérience en se reportant aux opinions contradictoires de deux juges de la Cour suprême des États-Unis lorsque, dans l'affaire Marberry c. Madison, le juge en chef Marshall a déclaré clairement que la Cour pouvait déterminer si une loi du Congrès américain était anticonstitutionnelle. Il aura fallu attendre 30 ou 40 ans après la Constitution pour établir ce principe; et on l'a fait au moyen de la common law. C'est alors que le débat a commencé et on continue toujours aux États-Unis à se demander s'il faudrait être un partisan de l'interprétation stricte de la Constitution, ou si les juges devraient rendre leurs propres décisions en se fondant sur la quantité ou la qualité d'une loi.

Honorables sénateurs, notre tradition est différente de celle des Américains, et je me suis donné du mal pour arriver à cette conclusion. Nous avons une séparation des pouvoirs, mais c'est un pouvoir judiciaire. Le pouvoir législatif reste suprême à seulement un endroit — le Parlement — soit la Chambre des communes et le Sénat. Le pouvoir législatif n'est pas l'exécutif; l'exécutif propose et c'est le Parlement qui dispose. C'est l'essentiel de nos devoirs, de nos responsabilités, honorables sénateurs, c'est ainsi que j'interprète notre responsabilité constitutionnelle.

Je dis aux juges: «Ne vous lancez pas dans des aventures de votre côté. Nous allons garantir l'indépendance judiciaire et la défendre, car c'est notre tradition. Nous vous donnerons les moyens de mener une vie agréable et d'en profiter. En échange, vous devez faire preuve de retenue.» Les juges ne doivent pas introduire leurs idées personnelles ni essayer de supplanter le point de vue du Parlement, qui est celui de la population, représentée par les deux Chambres.

Honorables sénateurs, voilà ce que dit la théorie. La pratique est plus difficile. Une décision a été rendue précisément sur ce point la semaine dernière: un juge peut-il se permettre de statuer qu'une règle de droit va à l'encontre d'une loi? C'est trop demander. Je suis partisan de la doctrine de Laskin et de Blackstone, à savoir que si l'indépendance est accordée à un juge, sans restrictions, à l'abri des attaques publiques, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis où certains juges sont élus, il doit exercer le pouvoir judiciaire avec beaucoup de retenue. Les juges doivent faire preuve de prudence.

C'est la meilleure opinion que je puisse donner en la matière. Si d'autres sénateurs ne la partagent pas, il serait bon de continuer le débat à l'étape de la troisième lecture.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Honorables sénateurs, le sénateur Grafstein a fait allusion au principe de la suprématie du Parlement. Je me rappelle le débat du début des années 80; on se demandait dans quelle mesure une charte des droits et libertés constitutionnalisée empiétait sur la suprématie du Parlement. Nous nous sommes rassurés à l'idée que, lorsque le Royaume-Uni a adhéré à la Convention européenne des droits de l'homme, ce texte a dans les faits limité le principe de la suprématie parlementaire pour le modèle de tous les parlements.

Le Canada vit aujourd'hui sous le régime de la Charte, et tous les sénateurs sont mal à l'aise lorsque le judiciaire est accusé d'activisme judiciaire. Mais l'inverse, c'est le constitutionnalisme ou le «législativisme constitutionnel». Ne convenez-vous pas, honorables sénateurs, qu'il incombe davantage au pouvoir législatif, sous le régime de la Charte, de soumettre chaque proposition législative à un examen soigneux pour s'assurer qu'elle est conforme à la Constitution? On pourrait dire que le législatif devient ainsi une sorte de pouvoir judiciaire, et c'est précisément ce qui doit se passer dans ce nouveau contexte où le judiciaire se fait plus actif ou évolue vers le législatif.

Par conséquent, honorables sénateurs, ceux qui sont surpris parce qu'on accuse les tribunaux d'activisme judiciaire ne devraient-ils pas se surprendre de voir le législatif s'intéresser autant à la Constitution? En fait, cela ne devrait peut-être pas nous surprendre; nous devrions plutôt comprendre que cela fait partie de notre nouvelle tâche dans le contexte de la Charte.

Le sénateur Grafstein: Honorables sénateurs, le mouvement en faveur d'une loi internationale sur les droits de la personne est né précisément parce que, dans les pays où une telle loi était la plus nécessaire, les droits n'étaient pas fermement inscrits dans une Constitution et il n'existait pas de pouvoir judiciaire indépendant. Nous avons donc imposé une sorte de droit international, s'appliquant autant à nous qu'aux autres, pour déclencher ce genre de comportement démocratique. Au Canada, cette mesure n'abolit pas notre responsabilité en vertu de la Constitution, c'est-à-dire notre droit exclusif de légiférer, de faire des lois. Les juges ont le droit exclusif d'interpréter les lois. Il y a une différence.

Honorables sénateurs, la question n'est pas facile et la seule façon d'en débattre est de donner des exemples précis. Si mes collègues et moi avons des points de vue différents, en bout de ligne, la question est de savoir s'il s'agit d'interprétation ou d'élaboration des lois. En vertu de la Constitution, l'obligation de légiférer nous appartient en exclusivité. Le pouvoir d'interpréter les lois appartient aux tribunaux. Par conséquent, le sénateur Kinsella a raison; nous ne devrions pas adopter une mesure législative à moins d'être collectivement et individuellement convaincus qu'elle est conforme à la Constitution.

(1530)

En ce qui concerne l'argument du sénateur Murray quant aux avis, je dois dire qu'ils ne sont pas tous de même nature. Le ministère de la Justice doit obtenir un avis indépendant assurant que chaque mesure législative étudiée en cet endroit est constitutionnelle. C'est l'avis qu'on donne à la ministre de la Justice en sa qualité de premier conseiller juridique de l'État. Les honorables sénateurs ont un rôle indépendant car il doivent vérifier si l'avis de la ministre est juste.

Le sénateur Murray: Le gouvernement ne nous engagera jamais dans une telle démarche.

Le sénateur Grafstein: Je comprends cela, mais cet exercice ne me déplaît pas. Selon moi, cette tâche fait partie de nos responsabilités. Nous avons le personnel et les fonds nécessaires et nous pouvons certainement parvenir à une décision indépendante et à un avis satisfaisant sur chaque mesure législative.

L'opinion de la ministre m'intéresse, et je crois que la ministre a satisfait dans une grande mesure aux exigences constitutionnelles. Toutefois, nous différons parfois d'opinion, en l'occurrence, à l'égard d'un très petit nombre de projets de loi. Et pourtant, ce sont ces projets de loi qui se sont avérés les plus controversés et qui ont demandé le plus de temps au Sénat.

Bref, le système n'est pas mauvais. Toutefois, il n'est pas juste de critiquer les juges si nous ne prenons pas nos propres responsabilités législatives au sérieux.

Le sénateur Kinsella: Ma question au sénateur Grafstein porte non pas sur le rôle d'interprétation qu'exercent les juges, mais plutôt sur les remèdes qu'ils appliquent une fois qu'ils ont interprété une affaire. Notamment, je m'inquiète au sujet du remède qui consiste à lire dans une mesure législative quelque chose qui ne s'y trouve pas ou, après avoir lu la transcription des délibérations d'une assemblée donnée, à donner une importance accrue à quelque chose que les législateurs ont expressément rejeté.

Le sénateur Grafstein: Encore là, c'est la faute du Parlement. La Constitution établit des principes. La Charte expose les droits fondamentaux. Lorsqu'il s'agit d'un projet de loi, il incombe aux deux Chambres du Parlement de s'assurer que ces droits sont soigneusement cernés. Lorsque nous laissons des choses en suspens, nous invitons les tribunaux à faire ce qu'ils font.

Une partie du problème, c'est que la Constitution énonce tout simplement des principes et des droits, mais qu'elle n'établit pas l'interaction éventuelle de ces droits dans un projet de loi. Aucun droit n'est absolu. Il existe des limites à chaque droit et elles ressortent toujours dans un projet de loi. Le gouvernement propose des mesures législatives. Notre devoir est de déterminer si elles sont correctes. Je le répète, c'est facile à dire, mais plus difficile à faire.

L'honorable Anne C. Cools: Honorables sénateurs, je trouve intéressant ce que le sénateur Grafstein vient de dire. Je suis fascinée par certains des échanges. Ce que le sénateur Grafstein a essentiellement dit, c'est que le Parlement doit prendre ses responsabilités au sérieux, ce que nous pouvons tous convenir de faire. De plus, sauf erreur, il a dit que le Parlement doit se montrer particulièrement loyal envers la Constitution et il doit se montrer particulièrement vigilant pour faire en sorte qu'on respecte le plus fidèlement possible la Constitution.

Le sénateur Grafstein nous parlait du projet de loi C-12, qui vise à augmenter le traitement et les indemnités des juges ou à modifier ceux-ci. J'ai en main l'AANB et plus particulièrement les dispositions sur la judicature auxquelles le sénateur Grafstein a fait allusion. J'examine l'article 100. Il prévoit en partie ceci:

100. Les salaires, allocations et pensions des juges des cours supérieures, de district et de comté [...] seront fixés et payés par le parlement du Canada.

Cette disposition de l'AANB a une longue histoire qui remonte aux contestations devant les tribunaux britanniques.

Ma question au sénateur Grafstein est la suivante: est-il convaincu que le projet de loi dont nous sommes saisis est un exemple de mesure aux termes de laquelle le salaire est fixé par le Parlement? Ne serait-il pas plus juste de dire que le salaire a déjà été fixé ailleurs et qu'il n'est que payé par le Parlement? Ne serait-ce pas là une description plus juste de cette disposition de l'AANB?

Ceux qui ont pondu cette disposition de l'AANB étaient très compétents. Ce principe a une longue histoire au Canada, une histoire que bien peu de gens semblent connaître ou dont ils ne semblent guère se soucier. Ces problèmes remontent à l'Acte d'Union et aux rebellions survenues dans le Haut-Canada et le Bas-Canada. C'est un problème propre au Canada que cette disposition de l'AANB a tenté de régler.

Le sénateur Grafstein peut-il dire que, dans le projet de loi C-12, nous fixons et nous payons les salaires des juges?

Le sénateur Grafstein: J'estime, après avoir lu le projet de loi, que nous remplissons nos obligations constitutionnelles en vertu de l'article 100, c'est-à-dire que nous fixons les rémunérations tel qu'il est énoncé dans cet article. Au moment de l'étude en comité, je pourrai souligner à la satisfaction du sénateur que tel est le cas.

L'honorable Serge Joyal: Honorables sénateurs, je voudrais faire deux observations par suite de l'intervention du sénateur Murray. D'abord, je voudrais mentionner que le sénateur Murray avait, jusqu'à un certain point, raison quand il disait que le ministre de la Justice doit confirmer que le projet de loi est conforme à la Déclaration des droits ou à la Charte. Cet article de la Déclaration des droits traite uniquement de la Chambre des communes, pas du Sénat.

Autrement dit, quand un projet de loi est présenté au Sénat, le ministre de la Justice n'a pas l'obligation de confirmer que le projet de loi est conforme à la Déclaration des droits ou à la Charte. Je puis l'illustrer avec le projet de loi que j'ai moi-même déposé, le projet de loi S-8, et qui, à l'article 5, vise expressément à faire du Sénat une des deux Chambres à laquelle le ministre de la Justice doit confirmer que le projet de loi est conforme aux principes de la Déclaration des droits ou de la Charte.

Le sénateur Murray: Cette obligation s'applique tant aux projets de loi d'initiative parlementaire qu'aux projets de loi d'initiative ministérielle?

Le sénateur Joyal: L'obligation ne s'applique qu'aux projets de loi d'initiative ministérielle. Quand nous débattrons le projet de loi S-8, nous aurons l'occasion de discuter des différences de statut entre les Chambres relativement à cette obligation.

Je voudrais aussi attirer l'attention du sénateur Grafstein sur la question du poids qui serait accordé à une confirmation du ministre de la Justice selon laquelle un projet de loi est conforme à la Déclaration des droits ou à la Charte. Laissez-moi donner un exemple dont nous avons fait l'expérience au cours de la législature précédente sous la forme du projet de loi C-40.

(1540)

L'article 44 du projet de loi C-40, intitulé: Loi sur l'extradition, traite de la peine de mort. La ministre de la Justice est venue témoigner devant le comité et nous l'avons interrogée à ce sujet. Elle nous a assuré que cet article du projet de loi était conforme à la Charte des droits et libertés. C'était l'opinion du ministère de la Justice.

Deux ans plus tard, soit le 15 février de cette année, neuf juges de la Cour suprême ont statué que cet article contrevenait au droit à la vie garantie par la Charte, autrement dit une décision unanime. La ministre de la Justice était donc malheureusement dans l'erreur.

Par conséquent, quelle est notre position en tant que parlementaires? L'attestation donnée par le ministère de la Justice est une preuve prima facie de la conformité du projet de loi, mais elle ne nous décharge pas de notre responsabilité d'aller plus loin.

Un autre exemple qui me vient à l'esprit est l'expérience que nous avons connue il y a un an avec le projet de loi C-20, qui excluait la participation du Sénat. De nombreux sénateurs des deux côtés de cette Chambre avaient prétendu que l'exclusion du Sénat était anticonstitutionnelle. Des fonctionnaires du ministère de la Justice nous ont appris que cette mesure était bel et bien conforme à la Constitution. Nous savons tous que cette question n'est pas encore réglée. Peut-être qu'un jour le tribunal tranchera, mais le simple fait qu'il existe une attestation ne signifie pas que la question est réglée. Il nous appartient, en notre qualité de parlementaires, d'écouter les experts envoyés par le gouvernement ainsi que les divers autres témoins qui se présentent devant les comités, et de déterminer si le projet de loi est conforme à la Charte ou à la Constitution.

C'est un exercice très important, honorables sénateurs. Si nous ne le faisons pas, nous ouvrons la porte à des examens ultérieurs de nos lois par les tribunaux. Il nous faut choisir. Si, en tant que sénateurs et parlementaires, nous allons au-delà des idées reçues et nous nous assurons individuellement de la conformité des textes de loi avec notre interprétation de la Charte et de la Constitution, alors nous pourrons être assurés d'avoir accompli notre devoir selon notre conscience et au mieux de nos connaissances sur la base de l'information disponible. Si nous nous contentons d'accepter l'attestation du ministère de la Justice et de dire que l'affaire est classée, nous allons manquer notre coup dans certains cas et les tribunaux nous rappelleront que nous avons failli à notre devoir.

Le sénateur Murray: Quel est notre recours? Ferons-nous appel à des sénateurs juristes, c'est-à-dire à des gens très compétents en droit et en affaires constitutionnelles pour qu'ils se prononcent sur la constitutionnalité de projets de loi que nous étudions? Si oui, que ferons-nous ensuite? Est-ce que le reste de nous décidera d'interrompre l'étude d'une mesure et de ne pas l'adopter parce qu'elle contient peut-être une disposition anticonstitutionnelle? Est-ce notre rôle?

Nous arrivons également à des situations où un bon nombre de sénateurs ou de députés demandent d'interrompre une étude et de renvoyer la question devant la Cour suprême du Canada pour obtenir un avis. Je n'aime pas du tout cette façon de faire parce que, si nous commençons à renvoyer régulièrement devant la Cour suprême des projets de loi au sujet desquels nous avons des doutes, nous créerons un troisième organe législatif.

Le sénateur Grafstein: Comme je l'ai indiqué, le principe fondamental de la Constitution, c'est la paix, l'ordre et le bon gouvernement — le gros bon sens et le bon gouvernement. Le bon gouvernement signifie que l'on n'adopte pas de projet de loi qui amèneront les citoyens à prétendre qu'ils portent atteinte à leurs droits et qui les contesteront devant les tribunaux. Le bon gouvernement exige que nous ayons nous-mêmes l'impression, à première vue, que les lois que nous adoptons sont constitutionnelles.

Il existe dans la Loi constitutionnelle de 1867 un article étrange qui n'a jamais été clair à mes yeux. Il s'agit de l'article 18, sur le pouvoir législatif. J'ai toujours été intéressé par notre pouvoir. Voici un extrait de l'article 18:

Les privilèges, immunités et pouvoirs que posséderont et exerceront le Sénat et la Chambre des Communes et les membres de ces corps respectifs, seront ceux prescrits de temps à autre par loi du Parlement du Canada; mais de manière à ce qu'aucune loi du Parlement du Canada définissant tels privilèges, immunités et pouvoirs ne donnera aucuns privilèges, immunités ou pouvoirs excédant ceux qui, lors de la passation de la présente loi, sont possédés et exercés par la Chambre des Communes du Parlement du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne [...]

Dans les faits, tous les pouvoirs des communes, soit ceux des députés, ont été conférés aux deux Chambres du Parlement au Canada. Par conséquent, pour revenir à la tradition britannique, si la Chambre des communes, Chambre principale du Parlement, estime qu'un projet de loi est constitutionnel, il l'est. Il n'y a pas, en Grande-Bretagne, de Constitution, mais les lois sont nombreuses. En fait, de temps à autre, les tribunaux se sont prononcés sur la constitutionnalité des lois étudiées à la Chambre des lords.

À mon avis, nous avons les pleins pouvoirs et notre responsabilité consiste à assurer la paix, l'ordre et le bon gouvernement, et qui dit bon gouvernement dit bonnes lois, ce qui signifie qu'elles ne doivent pas être imprécises au point où les citoyens doivent s'adresser aux tribunaux pour faire respecter leurs droits, que nous sommes censés protéger, définir et soutenir. C'est une question de bonne gestion gouvernementale, et cela a du bon sens.

Le sénateur Kinsella: Le sénateur Grafstein est-il disposé à reconnaître que la position de principe qui sous-tend la certification par le ministre en vertu de la Déclaration canadienne des droits et la certification qui a cours en vertu de la Charte consiste à sensibiliser les rédacteurs à la réalité selon laquelle leur ministre aura à délivrer le certificat, de sorte que les rédacteurs devront avoir la Charte et la Déclaration des droits à l'esprit dans l'exécution de leur travail ainsi que, faut-il l'espérer, nos obligations internationales? Ce n'est pas qu'il existe une garantie. C'est une opinion de la ministre de la Justice. Par conséquent, lorsque la Chambre des communes et le Sénat examinent une proposition législative, nous sommes obligés de tenir compte du fait que cette mesure satisfait ou non aux dispositions de la Charte et des autres normes. Rien ne garantit que nous aurons raison car, en bout de piste, un tribunal, dans l'exercice de sa responsabilité interprétative, peut arriver à la conclusion que ce projet de loi, qui a été adopté par le Sénat, allait à l'encontre des dispositions de la Charte.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, avant de céder la parole à un autre sénateur, je souligne que la période de 45 minutes prévue pour le discours du sénateur Grafstein, ainsi que les commentaires et questions, est terminée. Permission est-elle demandée de prolonger cette période?

Le sénateur Grafstein: Je suis disposé à consacrer quelques minutes supplémentaires à cette question, mais je ne veux pas nuire à l'ordre des travaux du Sénat. Nous sommes censés nous constituer en comité plénier. Toutes ces questions peuvent fort bien être posées en comité. Je suis disposé à répondre en comité. Elles sont aussi de mise pour le débat en troisième lecture.

Je suis prêt à accepter, comme question de pratique et de politique...

Son Honneur le Président: Je crois que le sénateur Grafstein demande la permission de continuer. Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Grafstein: Je répondrai à toute autre question plus tard.

Lorsque la ministre de la Justice, le principal avocat de la Couronne, demande un avis concernant une question donnée et est convaincue de la validité du point de vue qui lui est communiqué, je ne pense pas avoir à intervenir dans l'exercice de son pouvoir ou de ses droits. Toutefois, cela ne me soulage pas de mon obligation comme parlementaire et comme sénateur de m'assurer, en me livrant à l'étude de la mesure législative, de la pertinence ou non de ce point de vue. C'est là où mon point de vue diffère de celui du sénateur Kinsella.

Je vois que d'autres sénateurs désirent poser des questions. Je suis à la disposition du Sénat. Je suis prêt à répondre, mais je ne veux pas abuser du temps du Sénat.

Son Honneur le Président: Une prolongation a été accordée au discours du sénateur Grafstein et aux observations et questions s'y rapportant.

Le sénateur Cools: Honorables sénateurs, je voudrais prendre la défense de la ministre de la Justice, Anne McLellan, en réponse à ce que disait le sénateur Joyal au sujet de la peine capitale visée dans le projet de loi sur l'extradition. La ministre s'est souvent trompée, mais dans ce cas-ci, elle avait raison.

(1550)

La question devrait peut-être faire l'objet d'un débat plus poussé à un moment donné, mais peut-être devrions-nous éviter de nous attarder à la question du traitement des juges dans le projet de loi C-12. Nous devons éviter d'être perçus comme favorables aux décisions des juges que nous aimons et opposés aux décisions des juges que nous n'aimons pas. En fait, la ministre a agi de plein droit et conformément à la loi. Les juges ont empiété et ont enchâssé. Si nous étions des parlementaires attentifs, nous examinerions la question de près. Je crois que, dans cette décision particulière, la Cour a joué un rôle d'activiste.

Beaucoup d'entre nous ont pris à coeur le projet de loi C-20, appelé Loi sur la clarté référendaire. Là encore, la critique est quelque peu curieuse. Beaucoup d'entre nous ont soutenu que le projet de loi était injuste et inconstitutionnel. Nous devons prendre soin, dans la société d'aujourd'hui, d'expliquer ce que nous entendons par «inconstitutionnelle». Pour moi, il s'agit d'une loi qui va à l'encontre de la loi du Parlement et parfois à l'encontre de la loi de la prérogative. Quand les gens disent qu'une loi est «constitutionnelle», ils veulent dire qu'elle va à l'encontre de la Charte. En fait, nous avons été saisis du projet de loi C-20 à la suite d'une opinion que la Cour suprême a donnée au ministre de la Justice de l'époque, Allan Rock, à la demande de ce dernier, au sujet de questions qu'il avait posées relativement à l'unité nationale et à la sécession. Il me semble, honorables sénateurs, que si nous voulons éviter certains de ces problèmes, c'est le Parlement du Canada, et non pas la Cour suprême du Canada, qui devrait tenter de répondre à ces questions.

L'honorable Sheila Finestone: Honorables sénateurs, je trouve ce débat fascinant. Je croyais qu'il portait sur le traitement des juges. Je croyais que c'était là l'objet du projet de loi. Or, il semble traiter des bonnes lois et du bon gouvernement, du détenteur de la responsabilité et de la relation symbiotique entre les législateurs et la loi, les juges et les questions juridiques, en regard de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits.

Je crois que nous sommes sur le point d'accueillir la commissaire aux droits de la personne. Je suis frappée du fait que le Tribunal des droits de la personne soit un tribunal administratif qui a eu un impact aussi important sur la vie et les finances de notre pays, surtout en ce qui concerne la décision en matière d'équité salariale, qui a coûté à notre gouvernement environ 3 milliards de dollars. À mon avis, c'est de l'argent bien dépensé pour corriger une erreur.

Ce tribunal et ses juges, qui sont des juges administratifs, ne sont pas visés par cette loi sur les juges. Ces juges sont pourtant aussi importants pour ce qui est d'interpréter un bon gouvernement et la primauté du droit. Serait-il déplacé de demander à l'honorable sénateur si on aurait dû les inclure? Le terme «juges» n'inclut-il pas aussi les juges des tribunaux administratifs?

Le sénateur Grafstein: Absolument pas. En vertu de la Constitution, il est clair que les juges relèvent de notre responsabilité. Vous soulevez une question totalement différente, à savoir dans quelle mesure l'exécutif peut, par le biais d'une mesure législative, déléguer la responsabilité à un tribunal indépendant. C'est une question totalement différente, c'est comparer des pommes et des bananes. Si madame le sénateur veut étudier la question quand la commission comparaîtra devant nous, libre à elle.

L'honorable sénateur devrait lire le traité de lord Hewitt de 1929. Lord Hewitt y disait que la délégation excessive de pouvoirs à des organismes subordonnés nuisait au Parlement. Encore une fois, à mesure que le gouvernement devient de plus en plus complexe et le rôle du Parlement de plus en plus difficile, la suprématie parlementaire s'amenuise parce que nous déléguons les problèmes complexes à des organismes. C'est une question totalement différente et si les honorables sénateurs le souhaitent, nous en discuterons.

(Sur la motion du sénateur Nolin, le débat est ajourné.)

LA JOURNÉE SIR JOHN A. MACDONALD ET LA JOURNÉE SIR WILFRID LAURIER

TROISIÈME LECTURE

L'honorable John Lynch-Staunton (chef de l'opposition) propose: Que le projet de loi S-14, instituant la Journée sir John A. Macdonald et la Journée sir Wilfrid Laurier, soit lu une troisième fois.

— Honorables sénateurs, avant de proposer que ce projet de loi soit lu une troisième fois, je voudrais faire remarquer aux honorables sénateurs que ce projet de loi a attiré 15 sénateurs au Comité des affaires sociales où il était discuté la semaine dernière. Le comité faisait concurrence à une visite royale de l'autre côté, et nous avons donc été très flattés que 15 sénateurs aient trouvé le temps de discuter non seulement du projet de loi, mais aussi de l'état de l'histoire du Canada aujourd'hui.

Le sentiment général est qu'à sa manière, le projet de loi permettra aux Canadiens d'en apprendre davantage sur leur histoire en désignant une journée pour chacun de ces deux grands Canadiens. J'espère que la Chambre des communes emboîtera le pas. Afin de montrer l'intention dénuée de partisanerie de ce projet de loi, John Godfrey, député de Don Valley-Ouest, a accepté de le parrainer dans l'autre endroit. C'est une initiative des progressistes-conservateurs dans cette Chambre, le comité lui a réservé un accueil unanime, et M. Godfrey recevra à son égard, je l'espère, le même appui dans l'autre endroit. Je remercie les honorables sénateurs de l'attention qu'ils ont portée à ce projet de loi. Je propose que le projet de loi soit lu une troisième fois.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

PROJET DE LOI SUR LA DÉNONCIATION DANS LA FONCTION PUBLIQUE

TROISIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition) propose: Que le projet de loi S-6, Loi visant à favoriser la prévention des conduites répréhensibles dans la fonction publique en établissant un cadre pour la sensibilisation aux pratiques conformes à l'éthique en milieu de travail, le traitement des allégations de conduites répréhensibles et la protection des dénonciateurs, soit lu une troisième fois.

(Sur la motion du sénateur Kinsella, le débat est ajourné.)

LA CONFÉRENCE DES MENNONITES AU CANADA

PROJET DE LOI D'INITIATIVE PRIVÉE MODIFIANT LA LOI CONSTITUTIVE—RAPPORT DU COMITÉ—SUSPENSION DU DÉBAT

Le Sénat passe à l'étude du troisième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-25, Loi modifiant la Loi constituant en corporation la Conférence des Mennonites au Canada, avec un amendement), présenté au Sénat le 26 avril 2001.—(L'honorable sénateur Milne).

L'honorable Lorna Milne propose: Que le troisième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi S-25, Loi modifiant la Loi constituant en corporation la Conférence des Mennonites au Canada, soit adopté.

— Honorables sénateurs, puisque le comité a proposé un amendement au projet de loi, j'émettrai quelques commentaires.

Il s'agit d'un projet de loi tout ce qu'il y a de plus simple demandé par la Conférence des Mennonites du Canada. Il ne fait que mettre à jour la loi de 1947 constituant l'Église en corporation, renomme celle-ci Église mennonite Canada et autorise l'Église à poursuivre tous ses buts tant à l'échelle nationale qu'internationale.

(1600)

Les sénateurs remarqueront que l'un des amendements apportés au projet de loi a été proposé par le comité. L'amendement demandé par l'Église permettrait de réécrire les premières sections de la loi de 1947 afin de définir plus précisément en quoi consiste l'Église et d'apporter d'autres précisions dans les premières sections de la loi de 1947.

Je suis heureuse de dire qu'il n'y avait rien qui prêtait à la controverse ni dans le projet de loi ni dans son préambule. Je demande donc au Sénat d'adopter le rapport unanime du comité.

(Le débat est suspendu.)

[Français]

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LA PRÉSIDENTE REÇUE DEVANT LE COMITÉ PLÉNIER

L'ordre du jour appelle:

Le Sénat se forme en Comité plénier afin d'accueillir la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, Mme Michelle Falardeau-Ramsay, pour discuter des travaux de la Commission.


Le Sénat s'ajourne à loisir et se forme en comité plénier sous la présidence de l'honorable Rose-Marie Losier-Cool.

La présidente: Honorables sénateurs, avant de commencer, permettez-moi d'attirer votre attention sur l'article 83 du Règlement, lequel pose:

Lorsque le Sénat se forme en comité plénier, chaque sénateur doit occuper sa place. Un sénateur qui veut prendre la parole se lève et s'adresse au président du comité.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de déroger à l'article 83 du Règlement?

Des voix: D'accord.

Le sénateur Robichaud: Honorables sénateurs, je propose que Mme Michelle Falardeau-Ramsay soit invitée à prendre place dans la salle du Sénat.

La présidente: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

La présidente: Madame Falardeau-Ramsay, au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue! Avez-vous une déclaration préliminaire à faire? Tout d'abord, pouvez-vous nous présenter vos fonctionnaires?

Mme Michelle Falardeau-Ramsay, commissaire en chef de la Commission canadienne des droits de la personne: J'aimerais présenter les deux personnes qui m'accompagnent. Il s'agit de M. Charles Théroux, directeur du secrétariat exécutif à la Commission, et de M. Michel Paré, sous-secrétaire général par intérim.

[Traduction]

Je suis très heureuse et je dirais même que je me sens privilégiée d'avoir la chance de m'adresser au Sénat du Canada pour parler des activités de la Commission canadienne des droits de la personne. Je tenterai d'être brève pour que nous puissions passer rapidement à la discussion.

Comme vous le savez peut-être, la Loi canadienne sur les droits de la personne confère deux principales responsabilités à la commission. Celle-ci doit tout d'abord protéger les Canadiens contre la discrimination fondée sur les onze motifs interdits en vertu de la loi, et ensuite promouvoir le respect des droits de la personne dans des domaines comme l'information, l'éducation et la formation, ainsi qu'au sein de partenariats établis tant au Canada qu'à l'étranger.

Notre troisième secteur de responsabilité nous a été conféré par la Loi de 1995 sur l'équité en matière d'emploi. Cette loi vise principalement à corriger les désavantages subis par certains groupes dont les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles.

Au cours des dernières années, les plaintes formulées en vertu des droits de la personne ont beaucoup changé. Elles sont devenues beaucoup plus complexes et sont de plus en plus souvent soumises aux tribunaux, ce qui en augmente considérablement le délai de traitement. Dans un effort pour relever ces défis, la commission a procédé à un examen complet et a apporté un certain nombre de changements pour améliorer l'efficience et l'efficacité du processus de traitement des plaintes. Ainsi, nous avons lancé un projet pilote de médiation en 1998. Parce qu'il a donné de très bons résultats, nous avons adopté la médiation pré-enquête comme faisant partie de nos services. Nous avons souvent noté également que les parties en cause dans une plainte ne respectaient pas les délais pour soumettre les défenses et les réfutations. Même si cette question ne relève pas de notre contrôle, nous sommes toutefois déterminés à faire de notre mieux pour mettre en vigueur des normes de temps raisonnables.

De plus, des ajustements au cycle de réunion de la commission ont servi à maximiser l'utilisation du temps et à rationaliser le processus de prise de décisions. Le 1er avril, nous avons mis en oeuvre et rendu publiques une série de nouvelles normes de service. Elles étaient destinées à résoudre les problèmes de limites de temps qui étaient du ressort du personnel de la commission, ainsi qu'à améliorer la transparence du processus de traitement des plaintes. On a mis sur pied une unité de réception des plaintes pour lancer le processus officiel de traitement des plaintes, un plan complet de formation et des manuels de politique et de procédure, tout cela dans le cadre du programme de rationalisation de nos activités qui est presque terminé.

[Français]

Je suis heureuse de vous dire que nous avons déjà obtenu des résultats très positifs. En l'an 2000, par exemple, la Commission a fermé plus de dossiers qu'elle ne l'avait fait au cours de n'importe quelle autre année depuis 1997. Toujours en l'an 2000, nous avons réglé un plus grand nombre de plaintes et rendu un plus grand nombre de décisions qu'au cours des quatre années précédentes.

Comme on peut s'en rendre compte, le règlement des plaintes individuelles demande toujours beaucoup d'attention. Cependant, comme je l'ai mentionné plus tôt, nous constatons un changement dans la nature et la complexité des cas dont nous sommes saisis. Ainsi, un nombre grandissant de plaintes mettent en lumière des politiques et des pratiques discriminatoires d'employeurs et de fournisseurs de services, des politiques et des pratiques qu'il faut contester.

(1610)

De plus, la Loi canadienne sur les droits de la personne comporte un certain nombre de dispositions qui n'ont pas été encore invoquées comme, par exemple, celle qui autorise la Commission à mener des enquêtes publiques sur des questions de discrimination systémique.

Même si nous croyons que c'est là une suite logique du travail de la Commission, nous pouvons difficilement recourir à ce moyen plus général de mettre fin à la discrimination, en raison de la contrainte de plus en plus forte que nous subissons de gérer nos activités quotidiennes dans les limites des ressources existantes.

En fait, la mise en application de cette disposition précise fait partie de la série de recommandations présentées l'année dernière à la ministre de la Justice par un comité d'examen de notre loi dirigé par le juge Gerard La Forest. Nous développons également nos partenariats avec d'autres organisations pour promouvoir les droits de la personne de façon à faire un usage plus efficace de nos ressources.

Parmi les questions relatives aux droits de la personne qui se posent au Canada, il y a, bien entendu, le droit des Canadiens à une rémunération égale pour un travail de valeur égale. Cette question a beaucoup retenu l'attention ces dernières années. En février, la Commission a déposé un rapport spécial au Parlement sur la parité salariale.

Son principal message aux parlementaires était que les dispositions régissant ce droit fondamental de la personne nous ont menés à l'impasse et doivent être corrigées. Je crois d'ailleurs que le titre de ce rapport: «Le temps d'agir», résume bien où nous en sommes. La Commission favorise une application large et uniforme de la parité salariale dans le cadre d'un système proactif comportant des étapes et des calendriers de mise en oeuvre de la parité salariale chez les employeurs.

Pour remplacer l'approche fragmentaire actuelle, nous exhortons le gouvernement à adopter des modalités uniformes pouvant encourager la coopération entre la gestion et les syndicats, réduire ou même éliminer la nécessité de déposer des plaintes, réaliser la parité salariale beaucoup plus rapidement et donner les moyens de la maintenir.

Comme je l'ai mentionné au début de mon exposé, notre troisième sphère de responsabilités nous vient de la Loi sur l'équité en matière d'emploi. D'une façon générale, les employeurs coopèrent en prenant les mesures voulues pour satisfaire aux exigences de la loi, même s'ils ne le font pas toujours aussi rapidement et aussi complètement que nous l'aurions souhaité. Il n'y a pas de doute que la représentation des femmes s'est considérablement améliorée ces 13 dernières années. Les résultats obtenus dans le cas des Autochtones sont mitigés, étant meilleurs dans le secteur public que dans le secteur privé. La situation des Canadiens ayant une déficience est, cependant, loin d'être satisfaisante.

Dans l'ensemble, les personnes handicapées forment le groupe le moins bien représenté des quatre groupes désignés. En 1987, les personnes handicapées constituaient 1,6 p. 100 de l'effectif du secteur privé. En 1999, ce chiffre n'avait atteint que 2,4 p. 100, alors que leur taux de disponibilité était de 6,5 p. 100. Les statistiques du secteur public ne sont guère plus reluisantes.

La Commission dispose, en vertu de la loi, de certains pouvoirs pour s'attaquer aux problèmes. Elle peut ainsi obliger les employeurs à fixer des objectifs de recrutement pour accroître l'effectif des personnes handicapées et combler l'écart de représentation dans un délai raisonnable.

En ce qui a trait aux minorités visibles, leur représentation dans la fonction publique fédérale a baissé en 2000, ayant été ramenée de 5,9 p. 100 en 1999 à 5,5 p. 100 l'année dernière, alors que leur taux de disponibilité dépasse les 10 p. 100.

Tant le secteur public que le secteur privé ont beaucoup d'efforts à faire pour améliorer la représentation de ces groupes dans leurs rangs. Comme vous le savez, le gouvernement devrait bientôt annoncer un examen sur la Loi sur l'équité en matière d'emploi, qui en est à sa quatrième année d'application. En prévision de cet examen, la Commission entreprend une évaluation indépendante de son programme de vérification dont elle espère avoir les résultats plus tard dans l'année.

[Traduction]

Les sociétés du monde entier reconnaissent de plus en plus que cette discrimination et le refus de respecter les droits humains nuisent à chacun de nous, et non pas simplement à ceux qui sont victimes de discrimination. Tout cela nie à la société un énorme potentiel humain. Cela faisait sans aucun doute partie des motivations du Canada lorsqu'il a signé deux accords internationaux fondamentaux sur les droits de la personne il y a plusieurs années. Je parle du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Parmi les pays qui ont ratifié ces documents, tous n'ont pas inclus les principes auxquels ils souscrivent dans leur législation nationale. Le Canada n'est pas parmi ceux qui l'ont fait. Cette situation et l'absence de toute surveillance indépendante de notre respect des traités internationaux sur les droits de la personne font qu'il est difficile de mesurer le degré d'engagement du Canada.

Le juge La Forest a exprimé des craintes semblables dans son rapport à la ministre de la Justice l'année dernière. Parmi ses recommandations touchant des modifications à notre législation, il propose notamment, étant donné son indépendance à l'égard du gouvernement, que la commission joue le rôle de chien de garde du respect de ces documents par le Canada. Nous sommes d'accord et nous espérons recevoir sous peu la réponse de la ministre à ce rapport.

Entre temps, le travail que nous effectuons sur la scène internationale, avec des partenaires internationaux, contribue à répondre aux besoins spéciaux et aux responsabilités des institutions nationales indépendantes en matière de protection et de promotion des droits de l'homme. Ainsi, nous avons récemment collaboré avec nos partenaires des Amériques à la mise en place d'un réseau américain d'institutions nationales de défense des droits de l'homme. Ce réseau permettra à ces organismes de définir leurs intérêts communs, de mettre en commun leurs expériences et leur savoir-faire, et de s'entraider pour mieux servir les populations concernées. Il pourra également servir d'instrument de mobilisation de l'opinion publique dans les trois Amériques pour encourager les gouvernements à agir dans la transparence en matière de protection et de promotion des droits de l'homme.

J'espère que mes propos ont donné un aperçu de notre rôle et de notre mission et ont permis de faire le point de la situation des droits de l'homme au Canada.

Je profite de l'occasion pour remercier le Sénat de m'avoir donné la possibilité de traiter avec les sénateurs de ces questions importantes. Je serai ravie de répondre aux questions.

[Français]

La présidente: Je vous remercie, Mme Falardeau-Ramsay, pour cette présentation liminaire.

[Traduction]

(1620)

Le sénateur Andreychuk: Je vous félicite, madame Falardeau-Ramsay, ainsi que vos collaborateurs, pour tous vos efforts. Je sais que la question des droits de l'homme est un puits sans fond et vous avez effectué un travail admirable en abordant certaines questions de façon plus conséquente que par le passé. Votre travail commence aujourd'hui à porter fruit.

Je vous signale également que le Sénat vient de se pourvoir d'un Comité sénatorial permanent des droits de la personne et, en ma qualité de membre de ce comité, je suis impatiente de collaborer de près avec vous sur les questions intéressant les droits de l'homme. Ce sera sans doute la première d'une longue série d'occasions pour nous de collaborer.

Je voudrais poser deux questions. Elles sont plutôt générales, ce qui vous laissera le temps de réfléchir sur la façon dont vous souhaitez y répondre.

Le rapport La Forest a signalé une difficulté, que vous avez signalée vous aussi dans votre rapport, à savoir que vous devez faire beaucoup d'enquête, ce qui exige beaucoup de temps, et que cela provoque un arriéré de travail. Vous semblez vous être attaquée à cet arriéré grâce à la médiation, et je m'en réjouis. Les Canadiens — pour qui il est important que justice semble avoir été faite tout autant qu'elle ait été effectivement faite — ont encore l'impression que la Commission fait enquête et ensuite siège comme un tribunal. Même si vous avez établi une séparation adéquate, les gens estiment que la Commission n'est toujours pas séparée suffisamment pour leur donner une certaine confiance qu'ils sont traités d'une façon dénuée de préjugés, surtout quand ils n'obtiennent pas gain de cause devant le tribunal.

Pensez-vous que le temps est venu pour que ces deux rôles soient séparés de façon plus définitive? Les rôles de défense et de promotion des droits et de médiation pourraient peut-être faire partie de votre mandat, et le tribunal pourrait être un organisme autonome ailleurs. Je vous propose cela comme solution de remplacement.

La deuxième question a trait à votre rapport et à vos observations à propos des aspects internationaux du droit. Le Canada signe des traités. On a souvent l'impression que nous ne les mettons pas en application dans toute la mesure où nous pouvons le faire, et nous perdons notre rôle de chef de file dans les dossiers des droits de la personne.

J'ai été heureuse de constater que vous avez mentionné dans votre rapport que le sénateur Wilson a dirigé un groupe de travail parlementaire sur les droits de la personne. Je tiens à signaler que le député Irwin Cotler a lui aussi joué un rôle de premier plan à cet égard.

Madame Falardeau-Ramsay, comment pensez-vous que vous pouvez renforcer la surveillance de nos engagements à l'échelle internationale, comme vous l'avez mentionné dans votre rapport, au moyen d'une modification à la loi? Il est nécessaire d'établir un lien bien clair dans la Loi canadienne sur les droits de la personne entre les responsabilités internationales et les responsabilités nationales. Pouvez-vous me dire de façon générale en quoi doivent consister ces changements, à votre avis, afin que nous puissions concilier les responsabilités internationales et les responsabilités nationales?

Mme Falardeau-Ramsay: Je tiens d'abord à vous remercier de vos bonnes paroles à l'égard de la Commission et du travail que nous accomplissons.

En ce qui concerne votre première question, notre rôle est d'enquêter sur les plaintes, de faire de la promotion et d'éduquer le public. Quand la Commission est saisie d'une affaire à la suite d'une enquête, elle peut décider, en fonction de la preuve, soit de rejeter l'affaire, soit de l'envoyer en conciliation, soit de l'envoyer au tribunal.

Depuis 1998, une modification à la loi rend le tribunal aussi indépendant que possible de la Commission. Je dis cela parce qu'une décision récente de la Cour fédérale dans l'affaire de l'équité salariale à Bell Canada fait maintenant l'objet d'un examen. C'est l'une des nombreuses décisions concernant l'affaire Bell Canada. La Cour a décidé que le tribunal n'apparaissait pas aussi indépendant qu'il aurait dû l'être de la commission pour deux raisons. La première est que le président du tribunal avait été autorisé à prolonger le mandat des membres du jury, qui expirait pendant l'audition de l'affaire. La seconde raison était plus directement liée à la Commission. Les lignes directrices qui traitent de l'équité salariale aux termes de l'article 11 de notre loi s'appliquent non seulement à la Commission, mais aussi au tribunal, ce qui pourrait signifier que le tribunal n'est pas complètement indépendant dans ses raisonnements.

Premièrement, nous avons demandé à la Cour de s'assurer que le processus selon lequel le président du tribunal reconduit ou prolonge le mandat d'une personne pour la durée d'une affaire ne crée pas de parti pris ou de conflit.

Deuxièmement, nous avons demandé à la Cour d'appel de supprimer le mot «exécutoire». Par conséquent, les lignes directrices existeraient, mais elles n'auraient plus force exécutoire. Lorsque j'ai rencontré la ministre de la Justice récemment, j'ai demandé que ces deux aspects de la loi soient modifiés.

Le sénateur Andreychuk: Sommes-nous parvenus au point où il serait dans notre intérêt d'avoir un tribunal indépendant?

Mme Falardeau-Ramsay: Il l'est.

Le sénateur Andreychuk: Il ne ferait pas partie de la Commission des droits de la personne.

Mme Falardeau-Ramsay: Il est complètement distinct de la Commission des droits de la personne à cause de l'arrêt McBain rendu il y a quelques années. À l'époque, notre loi a été modifiée et le tribunal est maintenant complètement distinct de la Commission. Il n'y a absolument plus aucun lien entre ces deux organismes qui sont des organismes complètement différents.

Le sénateur Andreychuk: Vous avez précisé que vous vouliez que des changements soient apportés à la loi de manière à renforcer votre capacité de marier et de contrôler les obligations internationales.

Mme Falardeau-Ramsay: La reddition de comptes est assurée par un ministère, qui recueille les données rassemblées par les provinces et rédige un rapport. Par conséquent, la différence serait que cela serait fait par un organisme indépendant, comme en Australie et dans d'autres pays.

(1630)

Dans ces pays, les organismes de protection des droits de l'homme indépendants font rapport sur la façon dont le Canada remplit ses obligations relativement aux divers accords internationaux ratifiés par le Canada.

Le sénateur Grafstein: Je vais essayer d'être bref dans mes questions. Je vais essayer de faire comme le sénateur Andreychuk en vous posant mes trois questions avec le plus possible de précision.

En premier lieu, quel pourcentage de temps la Commission consacre-t-elle à la loi fédérale sur la parité salariale et l'équité en matière d'emploi? Nous savons que vous êtes devenus responsables des obligations des employeurs en 1995. Quel pourcentage du temps de la Commission et du tribunal, si vous pouviez me le dire, est consacré à cet aspect de votre travail, parce que votre mandat déborde la question de l'équité?

En deuxième lieu, pourriez-vous décrire brièvement comment la Commission vérifie ses propres activités relativement aux possibilités d'emploi pour les femmes, les minorités visibles, les personnes handicapées et les peuples autochtones au sein de la Commission? Qui vérifie le vérificateur?

En troisième lieu, j'ai une question qui diffère un peu de celle du sénateur Andreychuk. Le Canada a fait l'objet de critiques injustes selon lesquelles il n'aurait pas ratifié certaines conventions internationales, notamment en matière de droits humains. Auriez-vous l'obligeance de nous dire quels secteurs des droits de la personne nécessitent des modifications législatives au Canada pour que nous puissions régler ce problème particulier, par opposition au problème général de la ratification?

Mme Falardeau-Ramsay: D'abord, vous avez raison. La parité salariale est loin d'être le seul secteur où nous sommes actifs. Nous sommes actifs dans 11 autres secteurs de discrimination qui sont mentionnés dans le projet de loi, en plus de l'équité en matière d'emploi, comme je l'ai déjà dit. Toutefois, il est vrai que nous consacrons beaucoup de temps et de ressources à cette question.

Pour vous donner un exemple, nous avons 18 avocats à plein temps à la Commission. Six de ces avocats travaillent à plein temps sur les causes de parité salariale. En outre, nous faisons appel à des pigistes auxquels nous versons quelque 250 000 $ par année pour s'occuper de la question de la parité salariale.

Cela prend énormément de temps et de ressources, car, non seulement nos avocats sont occupés à régler des cas d'équité salariale, mais nos statisticiens et les enquêteurs examinent aussi activement certains cas. On leur demande de comparaître comme témoins et d'aider à préparer des cas. Cela veut donc dire que nous consacrons énormément de ressources humaines et financières à un nombre relativement faible de plaintes, car elles ne représentent que 8 p. 100 du total des plaintes que nous recevons.

En ce qui concerne ceux qui surveillent les surveillants, si je puis employer cette expression, nous avons demandé à une experte indépendante de mener l'étude à la Commission. Elle est conseillère spéciale du président de l'Université Queen's en matière d'équité dans l'emploi. Elle a déjà été chargée du dossier de l'équité dans l'emploi à la ville de Toronto, où elle a monté tout ce dossier. Nous avons été ravis de constater que nous répondions à toutes les dispositions de la loi, en plus de bénéficier d'une représentation amplement suffisante des quatre groupes désignés.

Dans le troisième volet de sa question, le sénateur a demandé quels instruments internationaux n'ont pas été adoptés dans le cadre de notre loi.

Le sénateur Grafstein: Ce n'est pas la question que j'ai posée. Je reconnais que le Canada n'a pas ratifié certaines conventions internationales portant sur les droits de la personne. Laissons cela de côté. Dans ces conventions, en quoi le Canada n'atteint pas une norme internationale qui pourrait nécessiter une rétribution? À défaut de ratification, ces conventions comportent-elles des aspects dans lesquels le Canada ne respecte pas les normes internationales? Je pense que le Canada jouit d'une mauvaise réputation lorsque nous disons qu'il ne ratifie pas certaines conventions, alors que je sais pertinemment que nos normes sont plus élevées que dans bien des pays qui ratifient des conventions et ne les respectent pas. Lorsque certains disent que nous ne respectons pas nos obligations internationales, ils donnent une mauvaise réputation au Canada. Nos normes sont supérieures et, pourtant, les gens nous critiquent de ne pas ratifier certaines conventions internationales portant sur les droits de la personne.

Dans le cadre de vos préoccupations, y a-t-il un aspect des droits de la personne, que nous connaissons d'une manière générale, qui est prévu dans ces conventions internationales et que nous devrions examiner pour s'assurer que nos normes sont acceptables? Y a-t-il un aspect que nous ne respectons pas?

Mme Falardeau-Ramsay: La première chose qui me vient à l'esprit, c'est la condition sociale. On se souviendra que, l'an dernier, dans un projet de loi présenté au Sénat, on a recommandé de modifier nos lois afin d'ajouter la condition sociale à la liste des motifs de discrimination. C'est d'ailleurs un motif de discrimination aux termes du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, que le Canada a ratifié. Mais la condition sociale ne figure dans aucune loi fédérale. En fait, à deux ou trois reprises, la commission des Nations Unies a reproché au Canada de ne pas avoir incorporé dans ses lois les obligations qu'il a prises en vertu de ce document international.

Le sénateur Grafstein: J'ai déjà entendu cet argument, mais quand j'examine les conditions sociales au Canada et que je les compare à celles qui règnent dans les pays qui promeuvent ce programme, je dois dire que nos conditions sociales sont supérieures aux leurs. En fait, tout dépend de la manière dont on définit les conditions sociales. Je me souviens de ce débat.

Je ne trouve aucun exemple précis qui montre que nous accusons un recul par rapport aux normes internationales. Par comparaison, je pense que le Canada est un leader mondial justement parce que les conditions sociales y sont bonnes. Selon les Nations Unies, notre pays est le meilleur au monde à cet égard, en règle générale. Mon opinion à cet égard diffère de celle de la présidente de la commission. Vous ne vous attendez pas à ce que nous soyons tous d'accord avec vous, n'est-ce pas?

Mme Falardeau-Ramsay: Quel problème y aurait-il à incorporer les conditions sociales dans les lois, si nous les respectons dans notre société? Ce serait un signe que nous prenons au sérieux les obligations que nous avons prises en ratifiant un document international. Ce serait un signe que, lorsque nous ratifions un document international, nous prenons un engagement et que nous avons l'intention d'agir.

Je suis d'accord avec vous quand vous dites que nos conditions sociales sont probablement parmi les meilleures, sinon les meilleures dans le monde, mais cela ne veut pas dire qu'il est impossible de faire mieux.

(1640)

Par exemple, des Canadiens ne peuvent ouvrir un compte bancaire parce qu'ils reçoivent de l'aide sociale et qu'ils n'ont pas de documents établissant leur identité. C'est le genre de situations qui pourraient être réglées, si la condition sociale était inscrite dans nos lois. C'était aussi une recommandation de M. le juge La Forest.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Ma question porte sur les activités internationales de la Commission. L'ex-juge de la Cour suprême du Canada, Gerard La Forest, a rédigé le rapport du Comité de révision de la Loi canadienne des droits de la personne. Les recommandations 26 et 27 sont à l'effet que la commission devrait être autorisée à conclure des accords pour collaborer avec des organismes des droits de la personne à l'extérieur du Canada.

Si vous êtes d'accord sur cette proposition, pourquoi est-il important de lier la Commission canadienne des droits de la personne à d'autres organismes chargés de ces droits dont il est question? Il me semble que pareille collaboration s'impose. Quel est votre point de vue à ce sujet?

Mme Falardeau-Ramsay: Cette année, même si nous n'avons pas le mandat officiel de le faire, nous avons reçu un montant de 115 000 dollars du Conseil du Trésor pour les affaires internationales.

Depuis plusieurs années, nous avons des ententes avec des institutions nationales de protection et de promotion des droits de la personne. Ces ententes sont financées par l'ACDI, les Nations Unies, le Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies ou encore, le ministère des Affaires étrangères. Ces ententes permettent la mise sur pied de commissions.

Nous avons travaillé en Indonésie. M. Théroux, ici présent, a passé trois ans en Indonésie pour mettre sur pied ces commissions. Elles ont obtenu un grand succès et ceux qui ont acquis une telle crédibilité ont été impliqués dans le règlement du conflit au Timor oriental. Nous avons retenu de cette expérience que nous en retirons beaucoup plus que ce que nous pouvons donner. Nous avons beaucoup appris, que ce soit dans la façon de gérer nos propres affaires ou dans la façon d'aborder les déficiences, le racisme et les différences ethniques.

C'est une ouverture d'horizon considérable pour nos employés qui participent à ce genre de programmes. Des échanges avec d'autres commissions ont été organisés. Par exemple, nous avons organisé un échange. il y a deux ans, avec la commission de l'Australie, où nos deux employés ont échangé l'usage de leur maison et de leur voiture avec leurs homologues, de telle sorte que les coûts de cet échange étaient réduits. Ils ont eu la possibilité de travailler au sein d'une autre commission pendant un an.

Nous avons eu la chance, à notre tour, de recevoir une personne qui s'occupait des questions de déficience. Cela nous a été très profitable.

[Traduction]

Le sénateur Finestone: Nous vous souhaitons la bienvenue. J'ai été fort heureuse de vous entendre dire que vous partagez certains intérêts et activités avec des gens d'un autre pays du Commonwealth. Échanger ainsi vos résidences et vos automobiles est certes une idée des plus créatrice.

La Déclaration universelle des droits de l'homme et toute la question des droits politiques et civils les préoccupent autant que nous.

[Français]

Si c'est une obligation internationale, certaines déclarations considèrent la vie privée comme un droit humain fondamental. Êtes-vous d'accord?

[Traduction]

Êtes-vous d'avis que le respect de la vie privée est un droit de la personne au même titre que les droits inscrits dans la Déclaration universelle et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques?

Mme Falardeau-Ramsay: Oui, mais heureusement, au Canada, le Commissariat à la protection de la vie privée s'occupe des questions concernant le respect de la vie privée. Cependant, vous pouvez être assurée que nous analyserions tout élément de discrimination qui surgirait dans un dossier de plainte concernant la protection de la vie privée.

Nous sommes toujours disposés à collaborer avec le commissaire à la protection de la vie privée dans tout type de plainte portant sur les droits de la personne. Nous avons ce pouvoir en vertu de la loi.

Le sénateur Finestone: Je vous pose donc la question suivante: en 1996 et en 1997, les Canadiens ont manifesté bien des inquiétudes au sujet des droits des personnes handicapées. La discrimination se fonde-t-elle sur des caractères héréditaires ou des caractères génétiques?

Selon certains témoins handicapés que nous avons entendus partout au pays, cette problématique présente un fort potentiel de discrimination terrible dans l'emploi et dans l'obtention de prêts bancaires ou de logements.

On peut repérer les éléments les plus privés de la vie d'une personne par le dépistage génétique. Certains résultats des tests ne demeurent pas privés; ils sont consignés dans des fichiers d'assurance, des dossiers médicaux ou juridiques et même des dossiers de prêts bancaires ou d'hypothèques.

Dans ce tableau de discrimination que je viens de brosser, à qui une personne devrait-elle s'adresser pour demander l'équité salariale ou la protection contre toute discrimination fondée sur le dépistage génétique? À vous? Est-ce que l'utilisation de l'information sur mon code génétique personnel constitue une atteinte à ma vie privée? Est-ce que ce genre d'information personnelle sera en danger dans un avenir prochain?

Mme Falardeau-Ramsay: Je vois ce que vous voulez dire. Une question semblable serait de notre ressort car il s'agirait alors d'une déficience perçue. Un arrêt récent de la Cour suprême du Canada nous a aidés à cet égard. Dans Mercier c. la Ville de Montréal, le tribunal a statué qu'une déficience perçue était aussi importante qu'une déficience réelle. Il a dit que les résultats du dépistage génétique pouvaient être considérés comme une déficience perçue.

(1650)

Évidemment, ce serait bien plus simple si cela était mentionné directement dans la loi. Il n'aurait pas fallu que quelques cas soient renvoyés à la Cour suprême pour qu'on vérifie que c'était là l'interprétation du tribunal. Nous verrions donc d'un bon oeil ce genre de modification à la loi. Voilà en quoi consisteront les droits de la personne de demain et d'autres questions délicates comme l'euthanasie. Ce sont là les questions que la Commission des droits de la personne devra régler dans un proche avenir.

En outre, il sera important que nous menions des recherches en collaboration avec d'autres groupes visés par cette question afin que nous soyons prêts à régler ce genre de question lorsqu'elle se posera. Actuellement, nous n'avons pas les ressources pour le faire.

Le sénateur Finestone: Les personnes défavorisées du point de vue biologique peuvent faire l'objet de discrimination, car il n'y a pas, dans la loi, de définition de leurs droits. Est-ce là ce que vous voulez dire essentiellement? À quoi tient le manque de clarté? Comme vous l'avez répondu au sénateur Beaudoin, vous devez dans l'exercice de votre mandat interpréter les responsabilités du Canada aux termes de la déclaration universelle et en ce qui concerne les droits civils et politiques...

Mme Falardeau-Ramsay: Notre mandat n'inclut pas pareille interprétation. Nos pouvoirs se limitent aux 11 motifs de discrimination illicites mentionnés dans la loi et à la Loi sur l'équité en matière d'emploi. C'est tout.

Le sénateur Finestone: En ce qui concerne les 11 motifs de discrimination illicites, est-il vrai que la discrimination génétique relève de celle fondée sur un «handicap»?

Mme Falardeau-Ramsay: Elle relève de celle fondée sur une «déficience». On dit qu'il peut s'agir de n'importe quelle déficience physique ou mentale. Il y a toujours des cas de déficience perçue. Le jugement rendu dans l'affaire Mercier a clairement reconnu dans la loi que la déficience perçue relève de notre compétence.

Le tribunal est allé un peu plus loin dans un autre champ de compétence. Il ne s'agit pas vraiment d'une décision du tribunal, mais plutôt d'une opinion selon laquelle les tests visant à établir le profil génétique seraient inclus dans les motifs fondés sur une «déficience» dont il est fait mention dans la loi.

Le sénateur Finestone: Vous pourriez donc enquêter sur ces cas de discrimination.

Mme Falardeau-Ramsay: Oui.

Le sénateur Finestone: Cela suffit-il pour lancer une campagne de sensibilisation et de promotion axée sur l'éducation et l'information?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous serions ravis de faire cela, mais nous manquons de ressources. Nos ressources servent surtout à traiter les plaintes. Nous n'avons aucune emprise sur les plaintes, et notre financement a été réduit de façon marquée il y a quelques années. Nous avons reçu un petit peu plus d'argent, mais il est allé à l'exercice d'une nouvelle compétence conformément à la Loi sur l'équité en matière d'emploi. Seulement 2,3 p. 100 de notre budget sont consacrés à l'heure actuelle à la promotion et à l'éducation.

Le sénateur Finestone: C'est inquiétant. Il importe que nous tenions compte de cette information. On vous a sévèrement reproché de ne pas avoir, conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne, adopté une attitude préventive et proactive incluant l'éducation et la formation. C'est le gouvernement qui ne vous a pas fourni les fonds nécessaires et non vous qui les avez mal gérés, comme on vous le reproche parfois dans le rapport.

Mme Falardeau-Ramsay: C'est un cercle vicieux. Si nous accordons moins d'argent au traitement des plaintes, on nous reproche de prendre trop de temps et de ne pas bien faire notre travail.

Je vais donner aux honorables sénateurs un exemple des réductions auxquelles nous sommes confrontés. Lorsque je suis devenue vice-présidente de la commission, nous avions 60 enquêteurs et, si je ne m'abuse, nous en avons maintenant 26. Cela vous montre à quel point nous devons limiter nos activités. Pour accomplir le même travail, nous avons dû consacrer le plus gros de nos ressources au traitement des plaintes et réduire de façon très marquée nos activités de promotion et d'éducation. Il y a deux ou trois ans, après la publication du rapport du vérificateur général, nous avons même presque mis un terme à celles-ci, car il était nécessaire de consacrer notre budget au traitement des affaires.

C'est ainsi que nous arrivons mieux à traiter les plaintes à temps, mais pas à assumer la seconde partie de notre mandat. Pour investir dans l'information et l'éducation, il faudrait faire des réductions de l'autre côté. La situation est telle que nous prêterons toujours le flanc à la critique.

Le sénateur Finestone: Quoi que vous fassiez, vous avez toujours tort.

Merci. Il est important que nous comprenions bien ces faits.

Le sénateur Kinsella: L'un des objectifs visés au départ en créant la Commission des droits de la personne, et même toutes les commissions provinciales et territoriales semblables, était de combattre le racisme au Canada. Il me semble qu'il n'est pas nécessaire d'essayer de comprendre ou d'évaluer ce fléau qu'est le racisme au Canada au point d'imaginer qu'on brûle des croix au Canada. Il suffit d'allumer l'ordinateur et d'aller sur Internet.

Je voudrais aborder avec vous la question du racisme sur Internet, madame la présidente. Le problème s'aggrave-t-il au point de prendre des proportions alarmantes? Votre commission a-t-elle le mandat de combattre le racisme sur Internet? Que fera la commission à ce sujet? Quelle est la responsabilité du gouvernement du Canada?

Le problème prend de l'ampleur. Comment combattons-nous le racisme sur Internet?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous avons l'honneur d'être le premier pays où une plainte a été présentée à une commission au sujet de la propagande haineuse sur Internet. Il s'agit de l'affaire Zundel. L'affaire est maintenant terminée, et nous attendons la décision du tribunal. Les péripéties ont été nombreuses, car la Cour fédérale a été saisie de l'affaire bien des fois. La Cour fédérale a établi que nous avions compétence en la matière.

Il y a quelques semaines, nous avons reçu une autre plainte au sujet de la propagande haineuse sur Internet au sujet des gais et des lesbiennes. Je suis certaine que nous recevrons de plus en plus de plaintes de cette nature.

Nous attendons avec impatience la décision du tribunal. À partir de là, nous pourrons établir une jurisprudence intéressante et importante sur la question.

(1700)

Le sénateur Kinsella: Outre cet excellent travail qu'accomplit la Commission en étudiant chaque cas individuellement et en établissant du même coup la jurisprudence en matière de droits de la personne, la loi se trouve appliquée en réponse aux plaintes qui sont formulées. Nous avons là un système reposant sur les plaintes.

La Loi canadienne sur les droits de la personne ne renferme-t-elle pas de dispositions en matière d'éducation ou de développement permettant à la Commission de prendre des mesures préventives en vue de s'attaquer au racisme sur Internet? Par exemple, le gouvernement du Canada ne pourrait-il pas recourir à la technologie de pointe pour imposer des liens vers des pages Web présentant le pendant du point de vue raciste qui est présenté? Le gouvernement pourrait-il aider les écoles, et les parents bien avisés qui possèdent un ordinateur, en leur fournissant un moyen de filtrer le contenu sans nuire à la liberté d'expression d'autrui? Quels genres d'innovations semblables la Commission peut-elle rechercher? Et dans quelle mesure est-ce une responsabilité partagée avec le ministère de l'Industrie ou celui du Patrimoine canadien, et particulièrement avec le Secrétariat au multiculturalisme?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous serions certainement ouverts à un partenariat sur ces questions. Mais d'abord, il serait très important d'être en mesure de faire des recherches sur ces questions, afin de pouvoir déterminer le meilleur moyen de nous attaquer au problème.

Par exemple, nous serions intéressés à confier à la Fondation canadienne des relations raciales le soin de faire des recherches sur le sujet. C'est un organisme complètement indépendant, avec lequel nous pourrions facilement traiter.

Comme je l'ai expliqué au sénateur Finestone, il y a toujours un problème de ressources. Nous éteignons des feux. Nous répondons à des plaintes. Il nous faut faire cela en premier. Nous n'avons pas le choix. Nous remplirions mieux notre mandat si nous pouvions accomplir ce genre de travail et trouver des solutions aux problèmes existants, plutôt que de traiter des problèmes après qu'ils sont survenus, comme dans l'affaire Zundel.

Le sénateur Kinsella: Je suis d'accord avec vous. Il y a des concepteurs de logiciels qui peuvent créer de tels logiciels pour combattre le racisme. J'espère que vous userez de vos bons offices pour influencer la ministre du Patrimoine canadien et le ministre d'Industrie Canada.

Vous avez soulevé la question de vos ressources à trois reprises. Votre budget a-t-il diminué? Est-ce que le gouvernement a réduit votre budget ou est-ce qu'il l'a augmenté? Nous savons que vos responsabilités ont augmenté.

Mme Falardeau-Ramsay: Notre budget de base est de 15,1 millions de dollars. Nous avons reçu plus d'argent ces deux dernières années, mais c'était pour le règlement des cas d'équité en matière d'emploi. L'argent à servi à cela.

Pour ce qui est du traitement des plaintes, notre budget est resté inchangé et notre budget de promotion est le même depuis des années. Je le répète, il nous a fallu dépenser notre argent où nous l'avons fait parce que le besoin était là. Comme je l'ai dit dans mon exposé, nous avons accru dans toute la mesure du possible l'efficacité et l'efficience du processus de traitement des plaintes. Dans toute la mesure du possible, nous tentons de régler les cas par la médiation dès le départ afin d'éliminer la nécessité des enquêtes.

Le sénateur Kinsella: Nous espérons que votre comparution devant le Sénat aujourd'hui et à l'avenir permettra aux sénateurs de recommander au gouvernement de vous accorder davantage de ressources s'il veut vraiment que le Canada joue un rôle d'exemple dans le domaine des droits de la personne, de la génétique et de l'Internet, où il y a beaucoup de place pour cela.

[Français]

Le sénateur Pépin: Je vous souhaite la bienvenue au Sénat. Je me rappelle des campagnes que nous avons faites toutes les deux dans divers domaines, tel celui de la condition féminine. Cela m'amène à vous parler de la parité salariale. Vous nous dites qu'il y a eu prémédiation et que, maintenant, vous souhaitez que la notion de parité salariale soit plus large, plus uniforme et qu'elle se réalise plus rapidement. Que recommanderiez-vous à ce sujet pour que tout le processus se fasse plus rapidement? Évidemment, ceci en mettant de côté vos problèmes budgétaires.

Mme Falardeau-Ramsay: Dans le système tel qu'il est, la parité salariale dépend des plaintes que l'on reçoit. Dès que vous parlez de plaintes, vous parlez de litiges possibles et de délais. Vous parlez aussi de causes telles que, par exemple, la fameuse cause du Secrétariat du Conseil du Trésor c. l'Alliance de la Fonction publique du Canada ou, encore, de la cause de Bell Canada c. Syndicat canadien des communications de l'énergie et du papier qui, en fait, a commencé à la fin des années 80, donc 15 ans avant d'en arriver à une solution. Cela démontre que le système ne fonctionne pas.

Le pourcentage de nos ressources affecté à la parité salariale est aussi incroyable. Ce ne sont pas seulement nos propres ressources, mais aussi celles des organisations mises en cause dans ces cas.

Nous avons besoin d'un système beaucoup plus proactif; un système tel que celui utilisé pour l'équité en matière d'emploi, c'est-à-dire un système où des obligations sont imposées d'une façon générale à tous les employeurs. Elles ne seraient donc pas imposées seulement aux employeurs qui sont le sujet d'une plainte, mais à tous les employeurs, ce qui n'est pas le cas présentement. Actuellement, seuls les employeurs visés par une plainte sont assujettis à ces obligations. Avoir un tel système serait déjà beaucoup.

Ce système permettrait aussi de prendre en considération certains éléments qu'il est impossible de considérer pour le moment. Par exemple, il est possible qu'il y ait une période de mise en application qui dépende de la situation économique du pays en général. Au lieu de la mise en application immédiate, celle-ci pourrait être échelonnée sur une période de six mois ou d'un an. Il est important que cela se fasse rapidement; plus c'est rapide, moins cela coûte cher. Nous n'aurions pas à débourser les intérêts des montants résultant de la plainte qui, elle, peut remonter à 15 ans plus tôt. Cela coûterait moins cher en bout de ligne.

(1710)

Le ministre du Travail a annoncé qu'une étude serait entreprise sur la parité salariale. Il est important de toujours garder à l'esprit que la parité salariale n'est pas une question de droit du travail, mais bien une question de droits de la personne, de discrimination, de respect et de dignité: elle n'est pas négociable à une table de négociations collectives. On peut négocier des taux de paiement seulement une fois que la parité salariale a été établie.

Le salaire minimum ne se négocie pas puisque c'est la base. Il en est de même pour la parité salariale. La parité salariale est une base et elle ne se négocie qu'après. Il est très important de garder cela en mémoire, surtout au moment où les amendements à la loi seront étudiés par le Sénat.

Les définitions de la parité salariale devraient être beaucoup plus claires et les normes beaucoup plus précises. Par exemple, le terme «établissement» a donné lieu à une dispute de trois ans en cour. Si un tel terme donne lieu à une dispute de trois ans, les méthodes pour établir la façon d'assurer la parité salariale peuvent donner lieu à des années et des années de querelles d'experts. Il serait donc important que des normes précises soient spécifiées dans la législation.

Le sénateur Pépin: La loi doit être très claire et proactive afin que vous puissiez travailler plus facilement.

Mme Falardeau-Ramsay: Absolument.

Le sénateur Pépin: Vous parliez tantôt de certaines difficultés financières et de réduction de personnel. Êtes-vous, malgré tout, satisfaits du travail de la Commission en ce qui a trait à la promotion des droits de la personne? Croyez-vous pouvoir faire plus dans ce domaine? Nonobstant toutes les difficultés actuelles, y a-t-il certains dossiers dans lesquels vous croyez devoir vous impliquer?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous devrions définitivement faire plus. Nous savons tous que l'information et l'éducation sont la base de la communication: plus on pourra informer et éduquer les gens, plus on pourra prévenir le nombre de plaintes à la Commission.

Je trouve très malheureux que nous soyons devant une telle situation. Non seulement nous ne pouvons pas informer et éduquer, — ce qui serait essentiel — mais nous ne pouvons pas explorer les sujets principaux de discrimination dans les années à venir.

Ne pas pouvoir se préparer, pour moi, c'est très frustrant. D'une part, vous voulez vous assurer que vous remplissez bien le rôle pour lequel vous avez été formé et, d'autre part, vous êtes dans une situation où vous ne pouvez le faire parce que vous devez sans cesse éteindre des feux.

Le sénateur Pépin: Je sais que vos difficultés sont étroitement liées aux budgets. Si vous disposiez des fonds nécessaires, pensez-vous que vous pourriez vous orienter vers l'éducation et l'information?

Mme Falardeau-Ramsay: La première chose à promouvoir serait la formation et l'éducation en ce qui concerne la loi actuelle. On essaie déjà de le faire avec les ressources dont nous disposons et souvent, nous devons le faire par l'entremise de partenariats avec d'autres organisations.

L'an dernier, nous avons d'ailleurs agi en partenariat avec le Sénat et les ONG dans le cadre d'une foire et d'un banquet célébrant la contribution des personnes déficientes dans le monde du travail. Nous sommes très heureux de faire ce type de contribution quand nous le pouvons.

Récemment, un vidéo a été produit en partenariat avec la Fondation canadienne sur les relations raciales. Dans ce projet, nous avons fait la traduction des textes. C'est tout ce que nous pouvions nous permettre de faire. La tâche n'était pas énorme.

Dans une telle situation, vous suivez ce qui se passe, mais vous ne pouvez pas initier les projets. Ce n'est donc pas votre agenda qui est important. L'important est d'essayer de participer à tout ce que vous pouvez accrocher d'un côté et de l'autre pour au moins faire ce que vous pouvez dans le domaine. Ce ne sont pas vraiment vos priorités qui sont mises de l'avant.

Le sénateur Pépin: Vous avez le leadership, mais vous manquez de moyens.

[Traduction]

Le sénateur Cohen: Merci, madame la commissaire, d'avoir rappelé au Sénat le projet de loi sur la condition sociale. C'est moi qui l'ai présenté et, le jour où je l'ai fait, le Sénat en a été très fier. Le fait que la commission d'examen ait confirmé l'importance de ce projet de loi en disant que la condition sociale devait être ajoutée à la liste des motifs illicites de discrimination a été très gratifiant pour le Sénat.

En réponse à une question que j'ai posée en février, le gouvernement a fait savoir qu'il avait besoin de plus de temps pour étudier le rapport et consulter d'autres ministères.

À votre avis, pouvons-nous nous attendre à ce que la condition sociale soit bientôt ajoutée à la liste des motifs illicites de discrimination, ou bien cette recommandation va-t-elle tomber à l'eau? Devrons-nous continuer à rappeler le Canada à l'ordre, comme vous l'avez dit? Avez-vous, vous ou votre commission, été contactés par le ministère de la Justice concernant la rédaction d'un projet de loi relativement à la condition sociale? Dans quelle mesure votre ministère a-t-il pu recourir aux nouvelles lois ou les mettre en oeuvre en vertu du mandat qui est actuellement le sien?

Mme Falardeau-Ramsay: Non, le ministère de la Justice ne nous a contactés pour aucune de ces questions. Je n'en sais pas plus que vous. Nous ne savons rien sur l'ajout de la condition sociale à la liste. En fait, quand j'ai rencontré la ministre de la Justice il y a environ un mois et demi, je lui ai demandé quand elle pensait que nous aurions le rapport. La ministre m'a dit que son ministère n'avait pas fini de consulter d'autres ministères. Je ne suis pas dans le secret plus que vous, alors je n'ai aucune idée de ce qui se passe.

Il est clair, et vous l'avez mentionné dans le rapport  La Forest, que la condition sociale devrait faire partie de la loi.

Pour ce qui est des outils que nous avons en vertu de la loi et que nous ne pouvons utiliser, nous nous trouvons dans la même situation que pour les campagnes d'information et de promotion; nous n'avons pas l'argent nécessaire. Par exemple, le juge La Forest nous a recommandé d'exercer notre prérogative de faire tenir des enquêtes publiques sur certaines questions, ce qui permet non seulement de faire évoluer les choses, mais aussi d'informer la population; mais il faut de l'argent pour cela.

(1720)

Nous organisons de nombreuses consultations sur certaines de nos politiques. Nous avons entrepris de le faire sur Internet. L'impact n'est évidemment pas le même que celui d'une enquête menée sur une question précise. Comme vous le savez, la discrimination contre laquelle nous luttons est plus institutionnalisée que dans le passé. Elle ne vise pas que l'individu. Une enquête nous fournit le meilleur moyen d'aborder le problème.

Pour les mêmes raisons — et je regrette de reprendre le même refrain —, nous n'avons pas les fonds voulus pour ce faire. Nous devons parer au plus pressant.

[Français]

Le sénateur Joyal: Ma première question est liée à la référence que vous avez faite dans votre présentation, à savoir l'énumération des 11 motifs de discrimination contenus à l'article 3 de la loi. Ces motifs sont très précis: la race, le sexe, la religion, la déficience, et cetera.

Dans une réforme de la loi, ne serait-il pas souhaitable d'avoir une sorte de droit à l'égalité ou au bénéfice de la protection de la loi qui soit semblable à l'article 15 de la Charte? Ce faisant, le mandat de la commission aurait une portée beaucoup plus large que celle de couvrir simplement les motifs énumérés.

Nous savons tous que lorsqu'un motif est énuméré, par définition, il est limitatif. Comme certains sénateurs l'ont mentionné, il surviendra au cours des prochaines années — avec l'évolution sociale, économique et scientifique — toutes sortes de circonstances qui, d'une certaine façon, remettront en question le mandat de la commission.

L'inclusion d'une clause de droit à l'égalité ou d'une clause de bénéfice égal de la loi ne devrait-elle pas être l'amendement fondamental à apporter à la loi? Cela pourrait-il être la meilleure façon de faire face à la nouvelle portée des droits?

Mme Falardeau-Ramsay: Pour répondre à votre question, je dirais qu'il vaut mieux inclure ce type de clause dans une loi que de devoir amender la loi chaque fois. Si je prends comme exemple le motif de l'orientation sexuelle, qui a fait l'objet du dernier amendement, combien d'années ont été nécessaires pour amender la loi afin que ce motif de discrimination y soit inclus? Il a fallu attendre des décisions de la Cour suprême pour que la loi soit amendée. C'est un très long processus chaque fois.

Comme vous l'avez si bien dit, notre société n'est pas une société stable, elle évolue sans cesse. Par conséquent, les motifs de discrimination évoluent et on ne peut, avec des motifs bien définis et qui sont limitatifs, prendre en compte cette évolution de la société.

Le sénateur Joyal: Lors de votre rencontre avec madame la ministre de la Justice, à laquelle vous avez fait référence, a-t-il été question de la redéfinition de la portée de la loi?

Mme Falardeau-Ramsay: On n'a pas encore reçu de réponse quant à l'orientation que veut prendre la ministre de la Justice suite aux recommandations de ce rapport.

Le sénateur Joyal: En ce qui concerne la création d'un comité permanent sénatorial sur les droits de la personne, il me semble que c'est un développement majeur dans la promotion, l'éducation et, bien sûr, le respect des droits de la personne. Comment espérez-vous arrimer la commission et son travail avec celui de cet éventuel comité qui devrait être créé sous peu au Sénat?

Mme Falardeau-Ramsay: Il s'agit pour moi d'une excellente nouvelle. Si le Sénat crée un comité permanent sur les droits de la personne, vous pouvez être assurés que la commission est prête à collaborer et à coopérer, autant qu'elle le pourra, aux travaux du comité. Ce serait pour nous un excellent moyen de promouvoir les priorités de la commission et, par la même occasion, de faire de la promotion et de l'éducation.

Le sénateur Joyal: Iriez-vous jusqu'à soutenir que dans les amendements à apporter à la Loi sur les droits de la personne, ou dans une refonte à venir, une disposition confirmant la nécessité de créer un comité parlementaire sur les droits de la personne serait souhaitable, tel que le stipule la Loi sur les langues officielles, à l'article 38, où mention expresse est faite de l'importance d'un comité parlementaire donnant suite aux engagements du gouvernement du Canada à l'égard des droits de la personne?

Mme Falardeau-Ramsay: J'appuierais une telle disposition. Vous savez certainement que nous sommes les parents pauvres des comités parlementaires. Il y a présentement un comité parlementaire qui touche aux sujets ayant trait à la justice et aux droits de la personne, mais la question des droits de la personne passe souvent en second lieu parce les questions juridiques sont souvent plus visibles.

Il existe également un sous-comité parlementaire sur les personnes handicapées où une partie des discussions est consacrée à la question des droits de la personne. Je ne dis pas que ce n'est pas une partie importante, mais c'est une partie seulement.

Je pense que la disposition que vous avez mentionnée serait un excellent amendement à la loi, de la même façon que pour les langues officielles, nous sommes une agence du Parlement. En conséquence, je trouve qu'il serait normal qu'il y ait un comité parlementaire qui s'occupe plus précisément du domaine des droits de la personne.

Le sénateur Joyal: Seriez-vous prête à jouer un rôle équivalent à celui que le vérificateur général du Canada joue au comité des comptes publics, c'est-à-dire d'être en permanence à la disposition du comité et aider ce dernier, par l'intermédiaire des ressources qui sont les vôtres, pour que le comité, lorsqu'il aura déterminé son agenda de travail, puisse satisfaire à tous les objectifs que la loi nous obligerait à remplir dans le contexte d'un système redéfini?

Mme Falardeau-Ramsay: Dans le contexte d'un système redéfini, seule notre imagination a des limites ainsi que, évidemment, les ressources gouvernementales.

S'il était possible de mettre sur pied un tel système, ce serait tout à l'avantage des Canadiens.

(1730)

Le sénateur Joyal: Ma dernière question a trait à l'importance des instruments internationaux que le Canada a signés et qui n'ont pas été ratifiés.

La semaine dernière, grâce à l'initiative du comité coprésidé par le député de Mont-Royal et le sénateur Wilson, un professeur de l'Université McGill nous a entretenus de l'importance des instruments internationaux et de leur impact en droit canadien. L'une des recommandations contenues dans le rapport du juge La Forest, et je la lis:

Nous recommandons d'ajouter à la loi un préambule mentionnant les diverses ententes internationales sur l'égalité et la discrimination auxquelles adhère le Canada.

Cela me semble être une recommandation extrêmement importante pour pallier, dans une certaine mesure, ce défaut de ratification de certains instruments internationaux à cause d'une juridiction partagée entre les provinces et le gouvernement canadien dans le domaine des droits.

Il me semble extrêmement important que l'on ne dissocie pas les obligations que le Canada se reconnaît sur le plan international, de la manière dont il les assume en droit interne. La Cour suprême, dans la décision Burns et Rafay rendue en février dernier, a reconnu une force obligatoire à ces instruments même si, en pratique, ils n'ont pas été intégrés au droit interne canadien.

En d'autres termes, sur le plan international, le Canada ne peut pas prêcher le respect d'un certain nombre de valeurs ou de principes eu égard aux droits de la personne et agir différemment à l'intérieur de ses frontières nationales.

Comment voyez-vous la possibilité de réaliser cette étape — à mon avis extrêmement importante — de la part des législateurs fédéraux pour reconnaître dans la Loi canadienne des droits de la personne l'importance des instruments internationaux?

Mme Falardeau-Ramsay: Je crois comme vous qu'il est excessivement important — au moins dans le préambule d'une loi — d'avoir une référence aux instruments internationaux, qui sont la source de notre loi. Notre loi est entrée en vigueur en 1977, à la suite des obligations que le Canada a prises en ratifiant les instruments internationaux.

Il est très important de relier ces instruments internationaux à une clause qui ne soit pas une clause limitative. Cela permettrait d'évoluer en même temps que notre société et de mettre en place des moyens pour s'assurer que les Canadiens vivent en conformité et ont les droits et les obligations que le gouvernement a pris à leur égard en ratifiant ces instruments internationaux.

J'étais très heureuse de retrouver cette recommandation dans le rapport du juge La Forest. J'espère que le gouvernement prendra action sur cette recommandation.

[Traduction]

Le sénateur Wilson: Je suis vraiment ravie de votre présence parmi nous. Je suis également ravie que le comité chargé de la Commission canadienne des droits de la personne ait recommandé de confier à la commission le soin de vérifier si le Canada réussit à honorer les engagements qu'il prend dans les conventions et traités internationaux. Dans l'état actuel des choses, aucun organisme canadien n'en est chargé. La question des droits de l'homme suscite beaucoup d'intérêt au Canada, mais nous ne nous sommes pas encore donné les instruments politiques voulus. Je m'interroge souvent tard dans la nuit à savoir, si ce n'est pas vous qui en êtes chargée, qui le sera? Confiera-t-on cette responsabilité à quiconque? Vous pourriez peut-être me dire ce que le législateur pourrait faire, à votre avis, si ce devait être le cas, à savoir si nous ne chargeons pas un organisme canadien de cette surveillance.

Il y a deux ans, presque jour pour jour, le Canada a fait état de son bilan au comité des Nations Unies chargé de superviser les droits civils et politiques. Nos représentants ont communiqué des observations finales aux Nations Unies. À mon avis, elles ne nous permettent pas de nous préparer pour le Bangladesh afin de bien paraître, mais elles visent plutôt à hausser la barre pour les Canadiens en matière de droits de la personne. Les représentants du gouvernement canadien qui se sont rendus à cette rencontre ont été félicités d'agir de la sorte par les Nations Unies. Toutefois, ils ont promis de diffuser un communiqué de presse, de former un comité parlementaire pour surveiller l'évolution des choses et de distribuer les observations définitives à tous les parlementaires, mais rien de cela ne s'est produit.

J'ai téléphoné trois fois au ministère du Patrimoine canadien afin de savoir s'ils allaient faire quelque chose. On m'a répondu chaque fois que ce n'était pas le bon moment, ce qui m'a amenée à conclure que rien ne surviendrait de sitôt.

Dans quelle mesure pouvons-nous être confiants que la commission accomplira le travail crucial de surveillance? Où cette tâche se situe-t-elle dans vos priorités? Parmi toutes les choses à accomplir, pourvu que vous obteniez les ressources nécessaires, quelle priorité accorderiez-vous à la surveillance et à la communication, sans parler de l'analyse des plus récentes nouveautés? Nous n'en sommes même pas rendus aux choses qui sont assez ennuyeuses, et inconnues de la majorité des Canadiens.

Le deuxième aspect a trait aux ressources. Il nous incombe de faire preuve d'attention de sorte que, si le gouvernement vous confie la tâche de surveillance, les parlementaires puissent voir à ce que vous ayez les ressources supplémentaires nécessaires pour accomplir le travail.

Mme Falardeau-Ramsay: Premièrement, je ne connais pas d'institutions, d'organismes ou de ministères assurant la surveillance. Comme vous le savez, des rapports sont présentés. Toutefois, cela n'est pas assimilable à de la surveillance. Que je sache, il n'y a pas de surveillance véritable à l'heure actuelle.

De toute évidence, cela représenterait une très haute priorité pour la Commission. Je dis cela parce que c'est sur cette base que le Canada serait noté, si je puis dire, comme étant un pays qui reconnaît et respecte les obligations dont il a convenu en ratifiant divers instruments internationaux.

Manifestement, si nous avions les ressources pour le faire comme il convient, cela figurerait très haut sur notre liste de priorités. C'est comme les assises sur lesquelles nous assoyons la construction.

Le sénateur Wilson: À l'appui des commentaires du sénateur Joyal, je pense qu'un nombre réduit mais néanmoins critique de parlementaires seraient disposés à partager une partie de la responsabilité à cet égard avec la commission.

Mme Falardeau-Ramsay: C'est bien.

Le sénateur Stratton: Mis à part les croix que l'on brûle, pensez-vous que le racisme est bien ancré et se porte bien au Canada?

Mme Falardeau-Ramsay: Malheureusement, oui. Un grand nombre de plaintes sont fondées sur la race et l'origine ethnique. Actuellement, si j'ai bonne mémoire, quelque 35 p. 100 de nos cas sont basés sur la race, la couleur de la peau et l'origine nationale ou ethnique.

(1740)

Très souvent, les cas de discrimination sont subtils, mais il reste qu'ils sont fondés sur ces motifs. Je suis ravie de dire que nous ne voyons plus de cas où les gens disaient: «C'est parce que vous êtes Noir que vous ne pouvez pas obtenir cet emploi.» Mais dans un sens, c'est pire aujourd'hui, car on se sent parfois comme des peintres impressionnistes. Il faut toutes sortes de petits éléments de preuve, comme autant de touches de pinceau, afin de peindre la situation. Il y a dix ans environ, un tribunal aurait rendu une décision en trois jours, alors qu'il lui en faut dix aujourd'hui. La subtilité avec laquelle on pratique le racisme empêche souvent les gens de voir qu'ils sont les victimes d'une discrimination insidieuse. On a entendu des déclarations telles que: «Vous savez, ce n'est pas un style de gestion canadien», ou «Ces universités sont bonnes, mais pour le continent», et toutes sortes d'insinuations comme celles-là dans des causes concernant le NCAR. Le genre de preuve qu'il faut recueillir pour se préparer à plaider une cause prend beaucoup plus de temps à trouver. Voilà le nouveau visage de la discrimination.

Il arrive cependant que la discrimination se manifeste beaucoup plus directement à l'échelle provinciale, dans des dossiers comme le logement, qui ne sont pas de notre ressort.

Le sénateur Stratton: À votre avis, la situation s'améliore-t-elle ou empire-t-elle?

Mme Falardeau-Ramsay: C'est difficile à dire. Le nombre de cas dont nous sommes saisis est le même depuis longtemps. Cela pourrait être interprété comme signifiant qu'il y a moins de cas parce que la population est plus nombreuse. Les gens sont certainement plus au courant de leurs droits. Il est difficile de dire si la situation empire ou s'améliore. Je ne connais pas la réponse à cette question.

Le sénateur Stratton: Je pense que les conditions sociales sont prioritaires. Il y a des gens qui habitent dans le Nord, dans des communautés isolées où les enfants et les jeunes, hommes et femmes, n'ont quasiment pas d'avenir à cause des conditions sociales. C'est la pire forme de racisme, et je ne sais pas comment nous arrivons à nous tenir la tête haute dans les forums internationaux alors que de telles conditions existent dans notre pays.

Ne vous revient-il pas, en tant que présidente de la Commission des droits de la personne, de faire de cette question une priorité absolue, de sillonner le pays, d'en parler, et de continuer d'en parler? Le problème ne disparaît pas. Il semble empirer. Je viens d'une province où, à mon avis, il empire.

J'aimerais vous voir frapper les politiciens entre les deux yeux pour attirer leur attention et les encourager à traiter ces questions avec un peu plus de dynamisme qu'ils ne l'ont fait jusqu'à présent. Nous perdons des générations, les unes après les autres. Cela n'arrête pas.

Mme Falardeau-Ramsay: Je suis d'accord avec vous. C'est une question que je soulève où que j'aille. Chaque fois que je fais un discours, j'essaie d'y inclure ce sujet. Il est absolument honteux que, dans un pays comme le Canada, il existe des situations pareilles.

Il y a un ou deux ans, nous avons publié un rapport sur la situation des Innus du Labrador. Nous allons préparer une suite à ce rapport parce que nous voulons savoir quelle est la situation aujourd'hui. Sans essayer de deviner les conclusions de l'enquêteur, je serais surprise d'apprendre que la situation s'est améliorée. Comme vous le dites, il est important que nous exercions tous des pressions pour que les conditions sociales soient incluses dans la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Le sénateur Milne: Mme Falardeau-Ramsay, le sénateur Pearson m'a chargée de vous poser une question aujourd'hui. On a répondu à la plupart de ses préoccupations. Vous avez dit comment votre augmentation de budget était absorbée par l'accroissement des questions d'équité dont vous devez vous occuper. Vous avez parlé de la condition sociale et de la haine véhiculée sur Internet. On en vient au fait qu'il faut augmenter votre budget.

J'ai lu que vous consacrez 2,7 p. 100 de votre budget à la promotion et à l'éducation, ce qui est une partie importante de votre mandat. Selon mes calculs, cela représente environ 400 000 $. C'est tout. Vous n'êtes pas en mesure de transmettre le message là où le faudrait. Vous avez besoin de plus d'argent. De plus, y a-t-il certains changements dans la structure de la Commission elle-même, ou dans la loi, qui pourraient vous aider à mieux assumer votre mandat?

Mme Falardeau-Ramsay: Notre loi remonte maintenant à 20 ans. Après 20 ans, une mesure législative qui porte sur des questions sociales comme la Loi canadienne sur les droits de la personne, doit être modifiée d'une façon ou d'une autre. C'est pourquoi nous espérons qu'il y aura une réponse au rapport qui a été présenté par le groupe dirigé par le juge en chef La Forest. On pourrait ainsi améliorer notre loi pour que les objectifs qui ont été établis pour la Commission canadienne des droits de la personne et la Loi canadienne sur les droits de la personne puissent être plus facilement réalisés.

Le sénateur Milne: Me dites-vous que le rapport du juge en chef La Forest renferme toutes les mesures que vous souhaiteriez voir prises?

Mme Falardeau-Ramsay: Pas nécessairement. Si les recommandations du juge en chef La Forest ne sont mises en pratique qu'en partie, cela ne sera pratiquement d'aucune utilité, car nous devons décrire l'ensemble de la situation. Je n'ai aucun problème à envoyer tous les plaignants directement au tribunal pourvu qu'ils soient bien représentés; sinon on en arrive à un déséquilibre des pouvoirs. En tant que particuliers, les gens se retrouveront à faire face à de grandes organisations car la plupart des entreprises privées relevant de la compétence du gouvernement fédéral sont de grosses organisations avec des services juridiques où on retrouve six ou sept avocats prêts à les représenter. De plus, nous savons qu'il y a de nombreux services juridiques dans les divers ministères.

(1750)

Vous pouvez avoir un plaignant non représenté. Ce serait dangereux. Il serait nécessaire que le gouvernement fédéral établisse et finance des cliniques juridiques précisément à cette fin. Il faudrait faire plus d'éducation, de promotion et de recherche pour réduire le nombre des plaintes. Si le nombre des plaintes ne diminue pas, on rétablit un problème d'arriéré de travail au niveau du tribunal plutôt qu'à celui de la commission.

Il faudra examiner attentivement cette situation dans son ensemble quand viendra la réponse de la ministre au Parlement. Nous devons veiller à ce que le système soit viable et protège l'individu. Si les questions systémiques sont importantes, et je reconnais qu'elles le sont, les individus auront toujours un endroit où adresser leurs plaintes contre la discrimination qu'ils ressentent. La seule condition que j'imposerais à cet égard, c'est que nous considérions le problème dans son ensemble et non par petits bouts.

Le sénateur Milne: Vous chercheriez également à obtenir plus d'argent.

Mme Falardeau-Ramsay: Ce système coûterait beaucoup d'argent.

Le sénateur Chalifoux: J'ai trois sujets de préoccupation. Premièrement, mes collaborateurs ont effectué une modeste étude sur les possibilités d'emploi des Autochtones à l'intérieur de la Commission de la fonction publique et au sein de l'administration publique et ont constaté que la discrimination y était beaucoup répandue. J'aimerais savoir quel pouvoir vous avez pour vous attaquer à ce problème.

Deuxièmement, quand on est un Autochtone ou qu'on vit dans une localité isolée, c'est un mythe que le Canada est le pays où il fait le mieux vivre au monde. Les conditions de tiers monde qui existent dans notre pays sont absolument déplorables. J'ai appuyé les propos du sénateur Cohen quand elle a proposé le concept de condition sociale. Quelle est votre position et que se passe-t-il à cet égard?

Troisièmement, les femmes autochtones, les femmes autochtones détenues dans les prisons, les femmes autochtones dans les forces armées et les femmes autochtones ayant le statut défini dans la loi C-31 n'ont aucun droit. Lorsque j'ai reçu un appel de détenues du pénitencier de Prince Albert, elles avaient peur de dire quoi que ce soit à cause de répercussions qu'elles pourraient subir éventuellement de la part des gardiens de prison. Je veux savoir comment on peut remédier à ce problème. La Loi sur les Indiens supplante-t-elle encore la Loi sur les droits de la personne?

Mme Falardeau-Ramsay: D'abord, en ce qui concerne la situation de l'emploi de membres des peuples autochtones dans les services gouvernementaux, je suis d'accord avec vous. Si l'on exclut les Autochtones travaillant aux Affaires indiennes et du Nord canadien, la situation laisse à désirer. Elle s'est un peu améliorée, mais elle n'est pas très bonne. Grâce à nos vérifications aux termes de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, nous espérons améliorer encore la situation. Sauf erreur, nous procédons actuellement à la vérification de 35 ministères gouvernementaux, ce qui représente environ 85 p. 100 de la fonction publique. La tâche n'est pas toujours facile. Très souvent, nous devons retourner sur place parce que, même si les employeurs, y compris le gouvernement fédéral, avaient eu un an pour se préparer à une vérification, la plupart du temps, rien n'avait été fait. Les 180 vérifications auxquelles nous participons en valent 291, parce qu'il faut y retourner à cause du travail qui n'a pas été fait. L'équité en matière d'emploi devrait nous aider à faire quelque chose. Comme je l'ai dit dans ma présentation, nous examinons actuellement les résultats obtenus en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi, de sorte que, lorsque la loi sera révisée, nous serons en mesure de faire des recommandations précises.

En ce qui concerne le concept de la condition sociale, je suis entièrement d'accord avec vous. J'ai visité certains des endroits que vous avez mentionnés. Il faut absolument améliorer la situation. Je suis allée dans des pays du tiers monde et je puis vous assurer qu'ils n'ont rien à envier à la situation qui règne dans certaines réserves ou à la manière dont des Autochtones vivent dans les villes. Que cela soit possible dans un pays comme le Canada dépasse presque l'entendement.

En ce qui concerne votre troisième point au sujet des femmes autochtones, et plus précisément des détenues autochtones, il y a environ deux ans et demi, j'ai visité des prisons pour femmes au Canada pour savoir ce qui se passait. Évidemment, les problèmes sont nombreux. À tel point que, il y a un mois et demi, nous avons reçu une plainte de la Société Elizabeth Fry au sujet de la situation des femmes, surtout des femmes autochtones, dans les pénitenciers fédéraux.

Nous allons nous occuper de cette situation. Nous cherchons à déterminer comment nous allons pouvoir faire enquête car ce ne sera pas facile. Nous voulons procéder de manière à recueillir le plus de preuves possible. Ce point est très important.

Quant à votre dernier point, l'article 67 de la loi demeure en vigueur, ce qui signifie que nous ne pouvons changer ce qui est fait en vertu de la Loi sur les Indiens ou des règlements afférents. Nous nous occupons de tout ce qui n'est pas régi par la Loi sur les Indiens, mais nous ne touchons pas à ce qui relève directement à cette loi. C'est bien malheureux.

Le sénateur Graham: Vous avez fait une présentation très intéressante et des observations fort convaincantes. Le sénateur Milne a mentionné le pourcentage de votre budget de base, soit 15 millions de dollars, que vous consacrez à l'éducation.

Le sénateur Milne: Le chiffre exact est de 400 000 $.

Le sénateur Graham: Vous avez dit 2,7 p. 100.

Mme Falardeau-Ramsay: C'est effectivement 2,7 p. 100.

Le sénateur Graham: Quelle part de cette somme est dépensée dans les écoles du pays?

Mme Falardeau-Ramsay: La question est intéressante. Dans le cas des écoles, nous nous adressons aux commissions provinciales. L'éducation est de compétence provinciale et nous devons être prudents dans notre façon d'aborder ce genre d'éducation.

(1800)

Lorsque je visite les diverses régions du Canada, je le fais habituellement en compagnie de mon homologue provincial. Par exemple, nous communiquons avec les commissions scolaires pour expliquer ce qui est mis à la disposition des enfants sur notre site Web et nous faisons d'autres choses du genre. Il est difficile de dire précisément combien on consacre aux enfants dans les écoles.

[Français]

Le sénateur Robichaud: Je propose que la présidente du Comité plénier fasse maintenant rapport de l'état de la question et demande la permission de siéger de nouveau.

La présidente: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: Oui.


Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la séance du Sénat reprend.

RAPPORT DU COMITÉ PLÉNIER

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool: Honorables sénateurs, le comité plénier, auquel a été renvoyée l'étude des travaux de la Commission canadienne des droits de la personne, a fait rapport de l'état de la question et demande la permission de siéger de nouveau.

Son Honneur le Président: Quand le comité aura-t-il la permission de siéger de nouveau?

Le sénateur Losier-Cool: Je propose que le comité soit autorisé à siéger de nouveau plus tard ce jour.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

(La motion est adoptée.)

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures et je voudrais proposer que nous ne tenions pas compte de l'heure.

Son Honneur le Président: Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion?

Des voix: D'accord.

AUTORISATION AUX COMITÉS DE SIÉGER EN MÊME TEMPS QUE LE SÉNAT

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'alinéa 58(1)a) du Règlement, je propose:

Que tous les comités sénatoriaux devant siéger aujourd'hui soient autorisés à le faire pendant la séance du Sénat et que l'application du paragraphe 95(4) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président: Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LA PRÉSIDENTE REÇUE DEVANT LE COMITÉ PLÉNIER

L'ordre du jour appelle:

Le Sénat se forme en comité plénier afin d'accueillir la présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, Mme Michelle Falardeau-Ramsay, pour discuter des travaux de la Commission.

[Traduction]

Le Sénat s'ajourne à loisir et se forme en comité plénier sous la présidence de l'honorable Rose-Marie Losier-Cool.

Le président: Je crois que le sénateur Graham posait une question.

Le sénateur Graham: Comme j'étais sur le point de le dire, si le racisme et la discrimination sont si répandus dans une foule de secteurs de la société, il me semble qu'il conviendrait que vous dépensiez une partie de votre budget dans la sensibilisation dans les écoles et les universités.

Si votre budget de base est de 15 millions de dollars ou plus et que vous obteniez une augmentation, comment dépenseriez-vous cet argent en priorité? Une de vos priorités serait-elle la sensibilisation?

Mme Falardeau-Ramsay: Ce serait nécessairement la promotion de la sensibilisation. C'est là où nous avons échoué.

Vous parlez des universités. L'an dernier, notre priorité en information et en sensibilisation concernait les employeurs parce que 64 p. 100 des plaintes qui nous sont présentées étaient liées à l'emploi. Autrement dit, ce sont surtout les employeurs que nous devons sensibiliser. Prêcher aux convertis n'est pas nécessairement la meilleure chose à faire.

Je suis allée un peu partout au Canada. J'ai parlé dans des universités, principalement devant des étudiants en administration des affaires et en droit. Ils seront sans doute les employeurs de demain. Si nous disposions d'assez de ressources, nous pourrions tabler sur ce genre de sensibilisation. Nous pourrions, par exemple, développer des modules de droits de la personne qui pourraient être prêtés aux commissions provinciales. Nous pourrions donner de l'information simultanément sur les commissions fédérale et provinciales tant au niveau scolaire qu'au niveau universitaire. Il y a un réel besoin à ce niveau.

Le sénateur Graham: Je suis convaincu que vous obtiendriez beaucoup d'appuis au Sénat en ce qui concerne l'obtention de ressources supplémentaires pour la sensibilisation dans les écoles et les universités. Je vous félicite pour votre travail.

Je suis heureux que le Sénat ait jugé bon de former un comité sénatorial permanent des droits de la personne. J'espère que vous, en tant commissaire en chef, et votre personnel travaillerez de très près avec le comité sénatorial dans l'avenir. Il nous tarde de vous rencontrer de nouveau dans un proche avenir.

Mme Falardeau-Ramsay: Merci beaucoup. Vous pouvez compter sur notre collaboration à 100 p. 100.

Le sénateur Watt: Je tiens d'abord à dire que vous portez une épinglette en forme d'inukshuk. C'est une sculpture très solide qui sert de guide dans l'Arctique.

Je vais surtout parler au sujet des questions reliées à l'Arctique et à la région subarctique. La région subarctique comprend le nord du Québec et du Labrador.

La Constitution devrait s'appliquer à tous les êtres humains. J'estime que le droit à la vie vaut aussi pour les Autochtones de notre pays. C'est dans cette optique que je signale certaines déficiences et lacunes dans les rapports que nous, les Autochtones, entretenons avec nos partenaires du Sud.

Parfois, on se demande si tout cela a un rapport avec la discrimination, et parfois, on essaie de comprendre pourquoi il n'en est rien.

(1810)

Quand on vit dans l'Arctique, on vit extrêmement loin de la prétendue civilisation, et les deux modes de vie ne sont même pas comparables. Les autorités ne tiennent pas toujours compte de cette réalité. Je dirais que cette attitude est assez généralisée.

J'ai participé à l'étude de divers projets de loi. Il arrive, comme certains sénateurs l'ont déjà signalé, que les projets de loi ne tiennent pas bien compte des facteurs sociaux et économiques des populations visées.

Comme vous le savez, commissaire, nous, les gens qui vivons dans l'Arctique, nous faisons tout notre possible pour nous adapter aux changements massifs que le Sud impose au Nord, des changements qui nuisent souvent à notre mode de vie habituel. Bien des gens n'arrivent pas à s'y faire; ils sont laissés pour compte. Il y a de nombreux suicides parmi les jeunes. Il y a beaucoup de cas d'alcoolisme et de toxicomanie parmi nos jeunes et nos aînés.

Il nous arrive de nous demander comment nous pourrions nous attaquer à tous les problèmes. J'ai écouté le débat sur la question; j'ai écouté les réponses que vous avez données et je vois une lueur d'espoir. Il nous faut de l'espoir pour exercer notre droit à la vie garanti par la Constitution.

Nous avons signé à l'occasion des ententes avec la Couronne. Les Inuits de Nunavik ont été les premiers à signer un traité à l'ère moderne. Jusqu'à présent, le gouvernement canadien, à tort ou à raison, et peut-être à son insu, n'a pas respecté le traité qu'il a signé. J'ai parfois l'impression que le ministère de la Justice essaie de trouver un moyen de défaire ce qu'il avait déjà fait. Comment appelle-t-on cela? Est-ce de la discrimination, ou simplement une méconnaissance de l'importance que présente cette question? J'opterais pour la deuxième hypothèse. Peut-être que les fonctionnaires du gouvernement ne comprennent pas ou ne se rendent pas compte à quel point notre style de vie est différent.

Je ne sais pas si on pourra répondre à ma question aujourd'hui. J'espère qu'on pourra le faire un jour. Je souhaiterais un retour à un système de freins et contrepoids entre le Nord et le Sud. Tant que les résidants de l'Arctique ne se verront pas offrir une loi habilitante; tant qu'ils n'auront pas le pouvoir de protéger et d'améliorer leur vie; tant qu'ils n'auront pas le pouvoir d'infléchir les lois canadiennes de temps à autre, lorsque le besoin s'en fait sentir; et tant qu'ils ne pourront pas forcer le gouvernement à s'intéresser aux questions qui nous tiennent à coeur, nos problèmes ne seront pas résolus.

En votre qualité de commissaire, vous pouvez sensibiliser le gouvernement et la population en général, surtout ceux qui habitent dans le Sud, bien que les habitants du Nord doivent aussi être plus attentifs. Vous pouvez contribuer à rapprocher les parties afin d'amener la paix et la compréhension entre les deux races, car nous n'allons pas disparaître, et les habitants du Sud non plus. Il faut donc trouver une solution. Êtes-vous d'accord qu'un jour, nous devrons trouver un moyen de solutionner ce problème?

Mme Falardeau-Ramsay: Je pense que oui. Cela est intéressant, car vous reprenez les mots que notre ancien juge en chef utilisait dans une de ses décisions lorsqu'il disait que nous étions ici pour vivre ensemble et que nous ferions mieux de trouver un moyen de cohabiter.

Je suis entièrement d'accord avec vous. C'est ce que nous devrions faire. La commission essaie, surtout par le truchement de son rapport annuel, de faire avancer l'idée qu'il devrait y avoir moyen d'assurer que les gens du Nord et du Sud cohabitent en respectant la dignité de chacun. Si je n'avais pas espoir que cela se produira un jour, je ne serais pas ici aujourd'hui. Cela revêt une importance cruciale.

J'essaie d'aller dans le Nord chaque année. Je ne peux pas aller partout chaque année, mais j'essaie une année de me rendre au Nunavut, une autre au Nunavik, puis dans les Territoires du Nord-Ouest et au Yukon. Je veux savoir ce qui se passe, sans intermédiaire. J'ai la ferme conviction que ce n'est pas en restant dans son bureau à Ottawa que l'on peut se faire une véritable idée de ce qui se passe aux quatre coins du pays. Il faut se faire sa propre idée en allant rencontrer les gens. Je ne vois pas d'autres moyens. Les relations Nord-Sud pourraient certainement être meilleures si plus de gens faisaient de même.

Le sénateur Watt: Je voudrais vous suggérer de bien vouloir considérer que les Inuits du Nunavik sont les contribuables les plus taxés du Canada. Le coût de la vie, notamment le coût du transport, est très élevé chez nous. Je crois comprendre qu'Ottawa réduira à nouveau les subventions aux télécommunications. Si c'est le cas, cela veut dire que nous devrons payer encore davantage.

Pour vous donner un exemple, lorsque je suis à la maison, mon dollar ne vaut que 50 cents en pouvoir d'achat. Nous payons beaucoup d'impôts pour les transports et le reste. La situation est en train de devenir critique et elle se répercute sur la survie même de mon peuple, et je ne parle pas des problèmes sociaux. D'un point de vue économique, nous parvenons tout juste à joindre les deux bouts. En fait, certaines personnes n'y parviennent pas. Heureusement, les Inuits maintienne encore bien vivante leur tradition de partage avec leurs voisins. Ils partagent avec les autres membres de leur collectivité. Sans cela, beaucoup de gens chez nous mourraient.

J'ignore si cela relève de votre responsabilité, mais c'est une situation critique à laquelle il faut s'attaquer dès maintenant.

Mme Falardeau-Ramsay: Je ne sais trop non plus si cela relève de notre mandat, mais nous demanderons à notre personnel de vérifier si nous pouvons faire quelque chose. Peut-être ne le pouvons-nous pas. Je ne promets rien.

Le sénateur Watt: Je serai à l'entière disposition de vos agents pour leur fournir de l'information et vérifier si quoi que ce soit peut être fait.

[Français]

Le sénateur Prud'homme: Madame Falardeau-Ramsay, je suis très heureux de vous revoir. Nous étions confrères à l'université, en droit. Je dois dire que des femmes brillantes, il y en avait peu. Il y avait vous et Mme la juge en chef, Lise Lemieux, qui est actuellement interpellée.

[Traduction]

Ceux qui s'en prennent à elle sont en difficulté. Ils sous-estiment Madame la juge en chef du Québec. Elle peut affronter toutes les attaques des députés. Cela étant dit, je suis honoré d'avoir l'occasion de vous rencontrer.

[Français]

Vous avez très bien souligné trois points. D'abord, des échanges comme celui que nous avons aujourd'hui sont d'heureuses initiatives qui sont de plus en plus fréquentes au Sénat. J'aimerais que de pareilles initiatives soient établies à la Chambre des communes parce qu'elles sont beaucoup plus sérieuses que les débats où les gens s'engueulent. Dieu sait si je suis bien placé pour en parler, j'ai été député pendant 30 ans. Je ne fais pas de leçon de morale à la Chambre des communes, mais je pense que ces échanges sont beaucoup plus salutaires.

Je considère le Canada comme une expérience humaine. Il n'y a aucun doute que c'est un pays en changement continuel, et c'est pour cette raison que les questions qui vous ont été posées m'ont troublé. Lorsqu'on vous demande si, d'après vous, il y a plus de racisme aujourd'hui qu'il y en avait dans notre temps, je conçois qu'il est difficile de répondre à une telle question.

(1820)

Dans notre temps, le Canada était très différent. Plus le Canada s'ouvrira, plus il sera différent et plus de gens auront de la difficulté à s'adapter aux changements. Il est évident que vous avez besoin de certaines sommes d'argent pour l'éducation, pour ouvrir l'esprit des gens et les préparer aux changements. Il faut que cela se matérialise dans les faits.

J'espère que personne ne se choquera. Il faut parfois donner l'exemple. Je vais vous parler du Sénat. S'il y a un endroit où aucune discrimination ne devrait être présente, c'est bien dans les nominations au Sénat. Nous avons une autre option. J'ai toujours dit que le Sénat devrait être le représentant de cette totale égalité entre hommes et femmes. Je dois dire que des efforts considérables ont été accomplis dans ce domaine.

Je me souviens que lorsque j'étais député, il n'y avait que deux femmes sénateurs et une femme député. C'est un message que je vous lance, il faudrait peut-être regarder de ce côté. Je me demande si l'exemple à donner ne devrait pas venir du Sénat. Il y aura bientôt 15 sièges vacants au Sénat. Il y en a actuellement 12, et nous allons perdre — ils prendront leur retraite obligatoire — trois de nos collègues bientôt. Il y aura 31 femmes sénateurs alors. Certains diront que c'est extraordinaire. Oui, mais il pourrait y en avoir plus. Je crois à la totale égalité et le Sénat peut donner l'exemple.

Ce n'est que depuis très récemment qu'une deuxième femme siège au Comité des banques et du commerce, qui comprend 13 membres. Un homme vient de s'ajouter au nombre des sénateurs qui siègent au Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie; avant, celui-ci était composé de dix femmes et de deux hommes. Il y a peut-être un examen de conscience à faire. Nous devons nous regarder nous-mêmes. Je ne voudrais pas faire injure à personne mais, Dieu merci, il y a des femmes qui travaillent au Sénat. Je me suis amusé à compter que 60,5 p. 100 des sénateurs qui vous écoutaient attentivement étaient des femmes. Que l'on ne vienne pas me dire que les femmes ne sont pas capables de s'occuper de l'administration publique et d'autres dossiers aussi importants.

Il est inquiétant d'entendre dire qu'au Canada, il y a des racistes. Les gens vont répéter cela dans le monde entier. Nous sommes une expérience humaine dans un pays en complet bouleversement. Cela vient de partout. Nous n'avons pas préparé ni les coeurs ni les esprits aux changements rapides dans nos villes. Nous devrions probablement devenir vos porte-parole pour qu'il y ait plus d'argent disponible. Je pense que votre Commission est la meilleure, non pas parce que nous nous connaissons ou qu'il y aurait entre nous des liens d'amitié. Les hommes et les femmes politiques ne sont pas nécessairement les mieux aguerris.

Mme Falardeau-Ramsay: Cela me fait toujours plaisir de vous revoir. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il faut beaucoup d'éducation et de formation pour faire face aux changements qui sont toujours très difficiles à accepter. On a toujours peur de ce qu'on ne connaît pas. Il s'agit d'initier les gens et de les renseigner afin qu'ils n'aient pas peur.

(1820)

[Traduction]

Le sénateur Poy: Madame la commissaire, je vous remercie d'avoir accepté de comparaître aujourd'hui devant notre comité. Je ne comprends pas comment se font les plaintes à la Commission des droits de la personne.

Je parlerai des expériences de certains de mes électeurs en Ontario. Je croyais comprendre qu'il y avait une seule commission, ensuite je me suis rendu compte qu'il y en avait plusieurs et que l'Ontario a sa propre commission. Quel genre de contrôle, d'autorité avez-vous sur les commissions provinciales?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous n'avons aucune autorité sur les commissions provinciales. Notre Commission est complètement indépendante dans sa sphère de juridiction. En revanche, nous coopérons avec les autres commissions. Par exemple, il arrive souvent que des gens appellent d'abord la Commission canadienne des droits de la personne parce que, dans l'annuaire, «commission canadienne» vient avant «commission ontarienne», et que nous nous rendions compte que la question dont il s'agit ressort de la compétence provinciale. Nous les renvoyons alors directement à la Commission ontarienne des droits de la personne pour ne pas perdre de temps.

Toutefois, il arrive que les questions soient très compliquées et exigent d'être étudiées avant que nous puissions décider de quelle compétence, fédérale ou provinciale, elles relèvent. Souvent, cela prend du temps. Nous demandons à nos avocats d'examiner le dossier et de dire de quelle compétence il relève, à leur avis. S'il est décidé que la question ne relève pas de la compétence fédérale, nous renvoyons le dossier à la commission provinciale.

On peut nous joindre facilement par téléphone. Nous avons des numéros 1-800 et les gens peuvent nous appeler à frais virés. Il ne coûte rien de nous appeler. Les gens peuvent aussi nous joindre par courrier, par courrier électronique ou en se rendant à l'un de nos bureaux. Nous avons six bureaux régionaux au Canada. Toutefois, notre pays est tellement étendu qu'une personne habitant Saskatoon devrait se déplacer jusqu'à notre bureau à Winnipeg.

Le sénateur Poy: Avez-vous dit que votre Commission n'a aucune autorité sur les commissions provinciales?

Mme Falardeau-Ramsay: C'est exact.

Le sénateur Poy: Les commissions sont en fait indépendantes.

Mme Falardeau-Ramsay: Oui.

Le sénateur Poy: Qu'est-ce qui relève de votre compétence?

Mme Falardeau-Ramsay: Tout ce qui concerne l'emploi et les services est du ressort des autorités fédérales. À savoir, le gouvernement fédéral et ses différents organismes et sociétés d'État, et tout ce qui concerne les banques et le transport interprovincial ou international. OC Transpo, par exemple, est de notre ressort, car il s'agit d'une entreprise assurant le transport entre le Québec et l'Ontario. Les compagnies aériennes, les services d'autocars, les entreprises de camionnage et tout ce qui concerne les communications — télévision et radio — sont de notre ressort. S'ajoutent également les intérêts dits indigènes au Canada — le blé, les ports, les aéroports, l'énergie atomique, ainsi de suite. De façon générale, toutes ces questions sont de notre ressort.

(1830)

Le sénateur Poy: Vous avez parlé de l'importance de l'éducation et je vous rejoins là-dessus. Quels sont vos rapports avec la Fondation canadienne des relations raciales?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous travaillons en très étroite collaboration avec la Fondation. Nous nous réunissons régulièrement pour déterminer les moyens de concerter notre action. L'an dernier, nous avons mené ensemble un projet de lutte contre le racisme, lequel projet a débouché sur la réalisation d'une vidéo qui sera diffusée dans toutes les écoles canadiennes. Nous envisageons également de mener des recherches concertées. Nous cherchons différents moyens de collaborer. La Commission est fermement convaincue de l'utilité du travail en partenariat. Nous sommes d'avis que la Fondation canadienne des relations raciales est un partenaire idéal dans tous ces domaines.

Le sénateur Poy: L'éducation est du ressort des provinces; votre commission est un organisme fédéral. N'outrepasseriez-vous pas votre mandat si vous vous mêliez d'éducation dans les différentes provinces?

Mme Falardeau-Ramsay: Nous devons faire très attention. En Saskatchewan, par exemple, nous avons mis au point, en collaboration avec la Commission provinciale, du matériel scolaire sur les enfants autochtones. Dans la plupart des provinces, c'est comme cela que nous traitons avec les écoles. Lorsque je fais mes rondes, je ne peux pas parler aux élèves du secondaire ou du primaire. Je dois communiquer avec le conseil scolaire pour lui laisser savoir ce que la Commission met à sa disposition. C'est un sujet délicat. Il vaut mieux passer par la commission provinciale des droits de la personne.

[Français]

La présidente: Madame Falardeau-Ramsay, vous connaissiez déjà l'intérêt que porte le Sénat à toutes les questions relatives aux droits de la personne. Ceci vous a été confirmé aujourd'hui par les nombreuses questions et les nombreux commentaires qui vous ont été formulés. Votre présentation a certainement stimulé davantage notre intérêt pour cette question d'avenir.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je tiens à vous remercier pour votre généreuse contribution. Je remercie également MM. Théroux et Paré pour leur disponibilité.

Le sénateur Robichaud: Honorables sénateurs, je propose que la présidente du comité plénier fasse maintenant rapport que le comité a terminé ses délibérations.

La présidente: Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix: Oui.


Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, la séance du Sénat reprend.

[Plus tard]

RAPPORT DU COMITÉ PLÉNIER

L'honorable Rose-Marie Losier-Cool: Honorables sénateurs, le comité plénier, auquel a été renvoyé l'étude des travaux de la Commission canadienne des droits de la personne, m'a chargée de faire rapport que le comité a terminé ses délibérations.

[Traduction]

LA CONFÉRENCE DES MENNONITES AU CANADA

PROJET DE LOI D'INITIATIVE PRIVÉE MODIFIANT LA LOI CONSTITUTIVE—ADOPTION DU RAPPORT DU COMITÉ

L'ordre du jour appelle:

Reprise du débat sur l'étude du troisième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-25, Loi modifiant la Loi constituant en corporation la Conférence des Mennonites au Canada, avec un amendement), présenté au Sénat le 26 avril 2001.

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, avant de nous réunir en comité plénier, nous étions sur le point d'ajourner le débat sur les rapports de comité.

L'honorable Noël A. Kinsella (chef adjoint de l'opposition): Le vote.

Son Honneur le Président: Avant de mettre la chose aux voix, je tiens à informer les sénateurs que le sénateur Corbin a manifesté le désir de prendre la parole.

Le sénateur Kinsella: Il pourra le faire à l'étape de la troisième lecture.

Son Honneur le Président: L'honorable sénateur Milne, appuyée par l'honorable sénateur Finnerty, propose: Que ce rapport soit adopté maintenant. Plaît-il aux sénateurs d'adopter la motion?

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Son Honneur le Président: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Robichaud, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Français]

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Fernand Robichaud (leader adjoint du gouvernement): Honorables sénateurs, étant donné l'heure tardive, je demande que tous les points figurant à l'ordre du jour et au Feuilleton demeurent dans leur ordre actuel jusqu'à la prochaine séance du Sénat.

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 2 mai 2001, à 13 h 30.)


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