Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
2e Session, 37e Législature,
Volume 140, Numéro 18
Le mardi 19 novembre 2002
L'honorable Rose-Marie Losier-Cool, Présidente suppléante
LE SÉNAT
Le mardi 19 novembre 2002
La séance est ouverte à 14 heures, l'honorable Rose-Marie Losier-Cool (Son Honneur la Présidente suppléante) étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
VISITEURS DE MARQUE
Son Honneur la Présidente suppléante: Honorables sénateurs, je vous signale la présence à notre tribune de M. George Bowering, premier poète officiel du Parlement. M. Bowering, qui réside en Colombie-Britannique, est nommé pour deux ans.
[Français]
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
[Traduction]
Honorables sénateurs, je vous signale également la présence à notre tribune du sénateur Alan Ferguson, président du Comité permanent des affaires étrangères et du commerce de l'Australie. Il est accompagné de sénateurs et de députés du Parlement australien.
[Français]
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
[Traduction]
LA DÉFENSE NATIONALE
LA COMPARUTION DEVANT LE COMITÉ PLÉNIER D'ANCIENS COMMANDANTS DES FORCES CANADIENNES EN AFGHANISTAN ET DE LA FORCE OPÉRATIONNELLE INTERARMÉES EN ASIE DU SUD-OUEST
L'ordre du jour appelle:
Le Sénat en Comité plénier afin d'accueillir le lieutenant-colonel Pat Stogran, ancien commandant du groupement tactique du 3e bataillon de la Princess Patricia Canadian Light Infantry, groupement tactique des Forces canadiennes en poste en Afghanistan de février à juillet 2002, et le major-général Michel Gauthier, ancien commandant de la Force opérationnelle interarmées du Canada en Asie du Sud-Ouest de février à octobre 2002, pour discuter de la préparation et de la formation avant le déploiement et des expériences des Forces canadiennes en Afghanistan dans la lutte contre le terrorisme.
(Le Sénat s'ajourne donc à loisir et se forme en comité plénier sous la présidence de l'honorable Lorna Milne.)
La présidente: Honorables sénateurs, conformément à l'ordre adopté, le Sénat se forme en comité plénier dans le but de recevoir le major général Michel Gauthier, ancien commandant de la Force opérationnelle interarmées du Canada en Asie du Sud-Ouest et le lieutenant-colonel Pat Stogran, ancien commandant du Groupement tactique du 3e bataillon, Princess Patricia Canadian Light Infantry, Forces canadiennes, en poste en Afghanistan de février à juillet 2002, pour discuter de la préparation et de la formation avant le déploiement et des expériences des Forces canadiennes en Afghanistan dans la lutte contre le terrorisme.
Avant de commencer, honorables sénateurs, j'attire votre attention sur l'article 83 du Règlement, qui dit:
Lorsque le Sénat se forme en comité plénier, chaque sénateur doit occuper son propre siège. Un sénateur qui veut prendre la parole se lève et s'adresse au président du comité.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, de renoncer à l'application de l'article 83?
Des voix: D'accord.
La présidente: Il en est ainsi convenu.
Le sénateur Carstairs: Je propose, appuyée par l'honorable sénateur Kenny, que le major général Michel Gauthier et le lieutenant-colonel Pat Stogran prennent place dans la salle du Sénat.
La présidente: Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix: D'accord.
Conformément à l'ordre du Sénat, le major général Michel Gauthier et le lieutenant-colonel Pat Stogran prennent place dans la salle du Sénat.
Le sénateur Kinsella: Puis-je proposer, madame la présidente, si cela convient aux honorables sénateurs, que durant la première ronde, nous nous limitions à environ huit ou neuf minutes par sénateur?
Le sénateur Carstairs: Comme vous le savez, honorable sénateur, le Règlement prévoit dix minutes. Si les sénateurs veulent réduire ce délai, je serais certes d'accord. Je sais que de nombreux sénateurs veulent participer à ce débat.
(1410)
La présidente: Au nom de tous les honorables sénateurs, je souhaite la bienvenue au major général Michel Gauthier et au lieutenant-colonel Pat Stogran.
Le major général Michel Gauthier, ancien commandant, Force opérationnelle interarmées du Canada en Asie du Sud-Ouest: Honorables sénateurs, c'est un honneur pour le lcol Stogran et pour moi-même de vous présenter notre rapport dans cette salle historique, tout comme nous avons eu l'énorme privilège de commander le personnel des Forces canadiennes lors de l'opération Apollo, contribution militaire du Canada à la campagne de lutte contre le terrorisme dans le monde.
[Français]
Comme vous le savez déjà, le Canada compte parmi les toutes premières nations à s'être jointes aux États-Unis lors de la campagne antiterroriste. Depuis le début du mois d'octobre de l'année dernière, sur le plan des affaires internationales, la force militaire canadienne a été présente. En effet, plus de 5000 soldats, marins et aviateurs canadiens ont été déployés outre-mer afin de contribuer à cette mission capitale qui consistait à éliminer la menace terroriste. Le professionnalisme et le dévouement dont a fait preuve le personnel des Forces armées canadiennes dès les premiers jours de cette campagne sont une source de fierté et d'inspiration pour tous ceux d'entre nous qui ont le privilège d'être leurs chefs.
Au cours des prochaines minutes, je vous présenterai un aperçu de la contribution canadienne à cette campagne antiterroriste. Par la suite, le lieutenant-colonel Stogran vous parlera plus en détail du groupement tactique du 3e bataillon du PPCLI et de la campagne terrestre en Afghanistan. Par la suite, nous serons heureux de répondre à vos questions.
[Traduction]
Dans un contexte plus personnel, je vous dirai que j'ai assumé mes fonctions de commandant de la Force opérationnelle interarmées du Canada en Asie du Sud-Ouest, basée au U.S. Central Command de Tampa, en Floride, le 19 avril 2002, soit le lendemain du tragique incident survenu à la ferme Tarnak. C'est dans le contexte de ce triste incident que j'ai pu observer le professionnalisme exemplaire du personnel des Forces canadiennes. J'ai pu le voir dans le comportement du lcol Stogran au cours de la période qui a immédiatement suivi le bombardement, prenant soin de ses soldats, morts et blessés, tout en préparant sans tarder la mission opérationnelle suivante. J'ai eu l'occasion de voir le même professionnalisme chez les militaires de tous les grades et des trois environnements, en réaction à la foule de situations difficiles et sans précédent qui sont le propre des opérations militaires du XXIe siècle.
Opération «Liberté immuable» est le nom donné par les États-Unis à la campagne antiterroriste mondiale. La contribution du Canada à cette opération a été significative sur plusieurs fronts. La force navale du Canada a été la première à arriver sur place, après la composante américaine. Durant sa période de pointe, la participation canadienne consistait en six bâtiments de guerre et un effectif de quelque 1 500 marins.
Les opérations d'interdiction constituaient un élément clé de la campagne maritime du CENTCOM. Elles visaient les têtes de mouvements terroristes et consistaient à intercepter des chefs terroristes fuyant l'Iran ou le Pakistan à bord de navires marchands ou de bateaux de pêche. Le commodore canadien responsable de la Force navale au cours des douze derniers mois avait pour mission de diriger ces opérations. Cela signifie que, presque tous les jours, il pouvait avoir jusqu'à neuf navires de huit pays différents sous son commandement. La situation est encore la même aujourd'hui.
Les navires canadiens et alliés patrouillent la région de façon constante, interpellant presque tous les bâtiments passant dans ce secteur et, au besoin, arraisonnant les bâtiments jugés suspects. Dans la conduite de leur mission, les navires canadiens, avec des avions de reconnaissance CP 140 Aurora et des hélicoptères Sea King en soutien direct, ont effectué plus de 50 p. 100, soit environ 16 000 de l'ensemble des interpellations faites par la coalition et 64 p. 100, ou environ 200, du nombre total d'arraisonnements. Les hélicoptères Sea King ont effectué plus de 360 missions dans le théâtre d'opérations. À cet égard, il y a lieu de noter qu'en juillet, c'est un navire canadien, le NGSM Algonquin, qui, à deux reprises, a capturé des individus soupçonnés d'être des agents d'Al-Qaïda.
La contribution du personnel naval canadien a proportionnellement dépassé de loin son effectif numérique. Dans ce type de mission, les qualités requises sont le savoir-faire dans l'art du commandement, un bon entraînement militaire, un comportement professionnel et de la détermination, avec des règles d'engagement bien établis ainsi qu'une interopérabilité sans faille avec les forces maritimes américaines.
À cet égard, une lettre que m'a envoyée le vice-amiral Timothy Keating, commandant des Forces navales de la coalition, reflète bien la perception alliée de notre contribution navale. Le vice-amiral Keating dit notamment dans cette lettre: «Personne n'a pu stimuler la puissance tactique des forces de la coalition dans le golfe d'Oman autant que le commodore canadien Eric Lehre. Il a servi avec distinction, et nous avons apprécié les services qu'il a rendus à cette juste cause.»
[Français]
Avec quatre types d'aéronefs en activité dès le début de la campagne, la contribution de nos forces aériennes à celles de la coalition fut et demeure diverse et valable. Un détachement de transport aérien stratégique, à l'aide d'un Airbus CC150, a été déployé dès le 16 novembre 2001, jusqu'à la fin de mai 2002, lorsque ces services ont cessé d'être essentiels. Au cours de cette période, dans le cadre du soutien logistique apporté à la coalition, l'appareil Airbus a transporté près d'un million de livres en approvisionnement.
Pour appuyer les opérations maritimes, deux avions de reconnaissance CP140 Aurora, basés dans le désert d'Arabie, ont effectué quotidiennement des missions de surveillance d'une durée de huit à dix heures. Grâce à leur capacité de surveillance multiple, les avions Aurora ont contribué de façon importante à la reconnaissance de l'image maritime et ont servi la coalition dans la conduite de ses opérations antiterroristes en mer. Ces avions ont également joué un rôle clé dans la capture en mer de quatre individus soupçonnés d'être des terroristes. De plus, un détachement de transport aérien tactique, composé de quelque 200 membres du personnel de l'Armée de l'air et de trois CC130 Hercules s'est ensuite ajouté en janvier. Le détachement a pour mission d'assurer le transport sur courte distance des forces de la coalition. Des équipes aériennes ont assuré le transport de plus de 3 500 passagers et de 4,3 millions de livres de fret. Une grande partie de ces missions comportait des missions d'appui aux combats, avec décollage et atterrissage à la base aérienne de Kandahar, en Afghanistan, et ce pratiquement tous les jours.
[Traduction]
Les Hercules et les Aurora, ainsi que les Sea King embarqués sur nos navires sont en train d'établir la norme de la coalition par leur taux de missions accomplies. Ils se sont tous mérités les louanges appuyées de nos alliés. Je crois que nous avons réussi à atteindre ce succès pour trois raisons principales: nos équipages aériens sont on ne peut plus professionnels et bien entraînés, nos équipes au sol sont pleines de ressources et travaillent sans relâche; et, plus que toute autre nation, nous avons un esprit d'équipe. Les objectifs de la coalition passent en premier lorsqu'il s'agit de remplir une mission.
Honorables sénateurs, le lcol Stogran vous donnera sa version vécue des expériences sans précédent que le personnel, hommes et femmes, du Groupement tactique du 3e bataillon du Princess Patricia Light Infantry des Forces canadiennes, ont connues. Je vous dirai que l'ampleur et l'intensité des défis auxquels le lcol Stogran et le groupement tactique ont été confrontés sont difficiles à condenser en quelques mots: le terrain, les mines, la destruction, la chaleur et la poussière, le déploiement quasiment à l'autre bout de la planète, avec un minimum absolu d'équipement et de fournitures, l'intégration dans une unité de combat compacte d'une autre nation — la Force opérationnelle américaine Rakkasan — et plus important encore, pour la première fois après cinq décennies, se préparer à engager le combat contre un ennemi déclaré.
Permettez-moi d'évoquer certains aspects que le lcol Stogran hésite, par humilité, à relater lui-même. J'ai eu l'occasion de me rendre en Afghanistan à quatre reprises, et je peux vous dire qu'à chaque fois les louanges que les commandants américains des forces au sol ont exprimé à l'endroit de nos soldats étaient extrêmement flatteuses. Le premier des deux officiers qui commandaient la force opérationnelle Rakkasan, le colonel Francis Wiercinski, a décrit les prouesses et l'efficacité du Groupement tactique du 3e bataillon du Princess Patricia Light Infantry des Forces canadiennes, lors de l'opération Harpoon, comme les meilleures qu'il ait jamais vues au cours de 23 années de service militaire. Son successeur, le colonel Michael Linnington, a qualifié le lcol Stogran de meilleur de neufs commandants de bataillons placés sous ses ordres en Afghanistan — les huit autres étant évidement des Américains — et ajouté que la façon dont l'unité avait exécuté l'opération Cherokee Sky en juin était «parfaite, dans l'environnement le plus difficile que l'on puisse imaginer», un résultat qui n'aurait pu être atteint que par «une unité bien entraînée, bien dirigée, et en superforme».
[Français]
Outre ces unités opérationnelles, il y a lieu d'en mentionner rapidement deux autres. L'opération Apollo était suffisamment complexe pour justifier la création d'une unité conjointe de soutien national afin de répondre aux besoins de soutiens logistiques des ressources air, terre, et mer déployées. Le défi que représentait la nécessité de faire le pont entre les bases de ces unités au Canada et les éléments déployés en mer, dans le désert d'Arabie et en Afghanistan, était monumental. La réponse de notre personnel logistique a été impeccable.
[Traduction]
Depuis le début de l'opération, nous avons eu également eu un robuste élément de commandement national, installé auprès du quartier général du CENTCOM, à Tampa, dont la mission était de servir de trait d'union entre les unités tactiques et le niveau stratégique, à Ottawa. L'état-major travaille en étroite collaboration avec l'état-major du CENTCOM et a joué un rôle important dans la planification de la coalition, à Tampa.
(1420)
Je vous en dirais beaucoup plus si le temps me le permettait. J'ai rencontré littéralement des milliers de militaires canadiens au cours de mes six déploiements avancés dans la zone de mission. Je leur ai parlé et je les ai observés. On peut dire qu'il s'agit avant tout d'une épopée humaine, sous deux aspects importants: l'excellence professionnelle et la fierté à faire de son mieux, et le courage, dans des conditions exigeantes et difficiles; c'est, au même titre, une histoire de service loyal et dévoué à la nation.
Je terminerai en disant simplement que je m'estime très privilégié d'avoir joué un rôle dans cette importante campagne, et d'avoir eu l'occasion remarquable de voir de près un aussi grand nombre de Canadiens et de Canadiennes faire honneur à leur pays. Ces gens méritent toute notre considération.
La présidente: Je vous remercie. Nous entendrons maintenant le lcol Pat Stogran, qui a entendu les propos de haute estime tenus à son endroit.
Le lieutenant-colonel Pat Stogran, ancien commandant du Groupement tactique du 3e bataillon, Princess Patricia Canadian Light Infantry, Forces canadiennes: Honorables sénateurs, je tiens tout d'abord à abonder dans le sens du mgén Gauthier et à vous dire à quel point je suis honoré de me présenter devant le Comité plénier du Sénat.
En février dernier, j'ai eu le privilège de commander le Groupement tactique du 3e bataillon du PPCLI lors de l'opération Apollo, dans le cadre de la contribution des forces terrestres du Canada à la campagne contre le terrorisme dirigée par les Américains. Bien que le Groupement tactique ait eu pour fondement le 3e Bataillon, Princess Patricia Canadian Light Infantry, il comprenait aussi la compagnie C du 2 PPCLI, l'escadron de reconnaissance du Lord Strathcona's Horse (Royal Canadians), un des régiments blindés de l'Armée canadienne, un escadron de sapeurs du 1er Régiment du génie, un peloton de mortiers du 1er Régiment, Royal Canadian Horse Artillery et un vaste cadre de personnel de combat et de soutien logistique de combat venant de partout au Canada.
Lorsque nous sommes partis, nous savions que notre mission était de durée indéterminée, c'est-à-dire que nous ne savions pas à quel moment nous rentrerions au pays ou ce à quoi nous aurions à faire face en Afghanistan. Cette situation n'a certes pas influé sur nos soldats. Au contraire, nous avons entrepris nos tâches avec la ferme résolution de faire tout le nécessaire pour servir notre pays avec honneur. En bout de piste, notre participation à l'opération Apollo a été d'une durée de six mois, et nous avons quitté l'Afghanistan animés d'un sentiment de fierté et de devoir accompli.
Le Groupement tactique du 3e bataillon du PPCLI a très bien travaillé collectivement et, lorsque nous avons hérité de la responsabilité de défendre l'aérodrome de Kandahar, nous avons rapidement fait montre de nos grandes aptitudes dans les opérations de combat. Cela a favorisé l'établissement d'excellentes relations de travail avec nos partenaires de la coalition, soit la 187th Brigade Combat Team de la 101st Airborne Division, Force opérationnelle Rakkasan.
En plus d'assurer la défense de l'aérodrome de Kandahar, nous avons participé à trois opérations offensives à grande échelle mettant à contribution une force de la taille d'un bataillon à la poursuite d'Al-Qaïda. L'une de ces opérations a correspondu au premier assaut aérien de combat de l'histoire de l'armée canadienne dans la vallée de Sha I Kot, en mars 2002. Des sous-éléments du Groupement tactique ont aussi mené de nombreuses opérations offensives et défensives de moindre envergure.
Bien qu'Al-Qaïda n'ait jamais fait de victime parmi les nôtres, les soldats du Groupement tactique du 3e bataillon du PPCLI ont eu à faire face à toute la panoplie des craintes, anxiétés et appréhensions liées au déclenchement d'opérations de combat contre un ennemi déclaré, ainsi qu'à la crainte de voir des camarades être tués au combat.
Je sais que le Canada tout entier est fier de la performance de nos troupes en Afghanistan, mais personne ne l'est plus que moi, leur commandant. Nos troupes ont toutes démontré les compétences et le courage moral et physique hérités de nos vétérans qui ont participé aux conflits des 50 dernières années et plus. La performance du Groupement tactique du 3e bataillon, Princess Patricia's Canadian Light Infantry dans les opérations de combat offensives et défensives nous ont mérité le respect de nos alliés et de nos partenaires de la coalition, ce qui est un hommage au professionnalisme des membres des Forces armées canadiennes.
Enfin, je suis fier d'avoir fait partie, en tant que Canadien, de l'équipe qui a fait la preuve, une fois de plus, de l'engagement du Canada en faveur de la stabilité internationale et de la sécurité collective.
La présidente: Merci de vos déclarations, messieurs. Plusieurs sénateurs veulent vous poser des questions. Je rappelle aux honorables sénateurs que nous sommes convenus de limiter, dans la mesure du possible, la durée des questions à cinq minutes chacun.
Le sénateur Kenny commencera, suivi des sénateurs Forrestall, Banks et Kinsella.
Je rappelle aux sénateurs qui se trouvent à l'extrémité de la salle que l'application de l'article 83 du Règlement a été suspendue pour permettre aux honorables sénateurs de se déplacer vers cette extrémité-ci et voir de près les témoins.
Le sénateur Kenny: Mgén Gauthier et lcol Stogran, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada. Nous sommes heureux de vous accueillir. Je tiens à ce que vous sachiez que nous sommes extrêmement fiers du travail que vous avez accompli pour le Canada. Nous sommes heureux que vous soyez revenus sains et saufs.
Mgén Gauthier, pourriez-vous décrire au comité les relations de commandement et de contrôle, et expliquer comment s'exerçaient ces relations avec le Quartier général de la Défense nationale à Ottawa, le commandement central de Tampa, votre quartier général et le personnel canadien déployé dans le cadre de l'opération Apollo? Ces relations semblent plutôt compliquées. Pourriez-vous nous expliquer comment tout cela fonctionnait?
Le mgén Gauthier: Je vais tenter de démystifier et de simplifier les choses autant que possible, même s'il s'agit d'une question complexe. La force elle-même, une coalition de 43 pays, était complexe et la situation était également compliquée en raison de la nature et de l'ampleur des opérations.
La chaîne de commandement canadienne était, de mon point de vue, tout à fait limpide. En ce qui concerne les opérations quotidiennes, je disposais d'une ligne de communication directe avec le Quartier général de la Défense, nationale et avec le chef d'état-major de la Défense par l'intermédiaire du chef d'état-major adjoint de la Défense. On m'a confié le commandement opérationnel qui incluait, selon la définition établie, «toutes les Forces canadiennes, moins les forces spéciales présentes en Afghanistan».
Au moment où on me confiait le commandement opérationnel de ces forces, ces dernières étaient confiées au contrôle opérationnel du Général Franks du Central Command, à titre de commandant en chef du commandement central. Ce dernier a délégué le contrôle opérationnel de ces forces en suivant la chaîne normale de commandement. Les chaînes de commandement nationales et celles du CENTCOM étaient essentiellement parallèles.
J'ai conservé le commandement national des forces en déploiement. Je m'entretenais régulièrement par téléphone et autrement, avec le lcol Stogran et tous les autres commandants en affectation. Pendant ce temps, pour des raisons opérationnelles, le lcol Stogran, par exemple, se voyait en fin de compte déléguer le contrôle opérationnel. Il était mandaté aux termes du contrôle opérationnel de la Force opérationnelle Rakkasan, qui était essentiellement un organisme du niveau de la brigade. Entre la Force opérationnelle Rakkasan, qui est un commandement de composante terrestre, et le quartier général de CENTCOM à Tampa, il y avait deux autres échelons dans la chaîne de commandement, un quartier général de composante terrestre et un quartier général de force opérationnelle mixte, tous deux situés à Bagrum en Afghanistan. Du côté américain, il y avait de nombreux échelons dans la chaîne de commandement, alors que les liens étaient beaucoup plus directs du côté canadien.
La relation est essentiellement la même du côté de nos forces navales. Le commodore de la marine et les bateaux qu'il commandait ont été affectés au contrôle opérationnel du commandant du NAVCENT dont j'ai parlé dans mes remarques d'introduction, le commandant du Naval Forces Central Command, le vice-amiral Keating. La situation est la même du côté de l'aviation.
Voulez-vous que je vous donne des détails à ce sujet également? Est-ce que cela répond à votre question, sénateur?
Le sénateur Kenny: Oui, je vous remercie.
Lcol Stogran, pourriez-vous répondre à la même question selon votre optique personnelle? Comment cela fonctionnait-il au quotidien?
(1430)
Le lcol Stogran: À toutes fins pratiques, je recevais mes ordres directement du colonel Wiercinski et, plus tard, du colonel Linnington, les commandants de la force opérationnelle Rakkasan. Lorsque j'ai été déployé initialement dans le cadre de l'opération Apollo, on m'a confié quatre tâches dont se composait ma mission primordiale. J'ai été chargé d'assurer la sécurité périmétrique du terrain d'aviation; de faciliter l'aide humanitaire une fois qu'elle arriverait sur place; d'effectuer ce que nous appelions des exploitations de sites névralgiques, soit l'opération offensive consistant à se rendre dans une zone où le réseau terroriste d'Al-Qaïda opérait ou était soupçonné d'avoir opéré, afin de recueillir des preuves; et de mener des opérations offensives sur commande.
On m'a remis ce que je décrirais comme de très solides règles d'engagement pour toutes les tâches à caractère défensif. En vertu de ces règles d'engagement solides, mes soldats avaient le droit d'user d'une force létale contre une personne s'ils la soupçonnaient animée d'une intention hostile. Autrement dit, si un soldat jugeait qu'il avait une crainte raisonnable de subir un dommage ou une blessure grave, il pouvait recourir à la force létale pour se défendre.
Quand nous avions affaire aux talibans et aux membres d'Al- Qaïda en tant qu'ennemis déclarés, nous étions autorisés à effectuer des opérations offensives en vertu des lois régissant les conflits armés. Pour ce faire, dans tous les engagements planifiés et dans toutes les opérations offensives à caractère délibéré, je devais consulter mes supérieurs hiérarchiques pour recevoir l'approbation finale du général Gauthier.
Le sénateur Forrestall: Je me joins au sénateur Kenny pour vous souhaiter la bienvenue à tous deux, en vous assurant en même temps de notre plus vif respect pour votre professionnalisme et pour la fonction et le rôle que vous avez exercés en notre nom.
Vous constaterez dans certaines des questions que l'on vous posera cet après-midi un reflet de bon nombre des demandes de renseignements et des préoccupations ayant fait suite à la commission d'enquête sur la Somalie
Lcol Stogran, comment et quand avez-vous reçu votre premier ordre de préparer des forces à se déployer en Afghanistan?
Le lcol Stogran: J'ai été prévenu initialement que nous avions été choisis pour nous déployer en Afghanistan le 14 novembre 2001, sauf erreur. L'intention initiale, d'après ce que j'ai compris à ce moment-là, était de nous déployer dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité.
À partir du 14 novembre 2001, j'ai participé à des activités de reconnaissance et de liaison ici au Quartier général de la Défense nationale. Le bataillon préparait tout notre équipement en vue de notre déploiement. À l'époque, nous pensions que ce serait dans la région de Baghran.
À la façon dont les choses évoluaient aux alentours de Noël, nous avons compris que nous ne serions pas invités à participer à la Force internationale d'assistance à la sécurité et notre attention s'est portée sur l'opération de la coalition, l'opération «Liberté immuable». Je pense que c'est le 8 janvier 2002, ou aux environs de cette date, que j'ai reçu l'ordre de nous joindre à la Force opérationnelle Rakkasan.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que l'effectif de votre unité était complet le 8 janvier 2002?
Le lcol Stogran: Oui, monsieur. Nous avions été renforcés par la compagnie C du 2e bataillon du PPCLI pour que l'effectif de l'infanterie soit complet. Bien sûr, les effectifs des autres unités étaient complets également.
Le sénateur Forrestall: Quand vous a-t-on dit de vous préparer à jouer un rôle plutôt robuste aux côtés de nos alliés et amis du Sud? Quand vous a-t-on mis au courant?
Le lcol Stogran: Nous avons été avertis que nous ferions partie de la coalition le 8 janvier 2002. Toutefois, sénateur Forrestall, j'avais été prévenu en avril 2001 que je prendrais le commandement de la Force de réaction immédiate (terrestre). C'est une force qui est dans un état de préparation élevé pour faire face aux urgences telles que les opérations d'évacuation de non combattants. À partir de cette date, le groupement tactique s'est lancé dans un programme d'entraînement intensif axé sur le combat qui a facilité notre déploiement en janvier 2002 avec la force de la coalition.
Le sénateur Forrestall: Est-ce que la composition de votre groupement tactique vous a préoccupé avant le déploiement? Si oui, en avez-vous fait part à la chaîne de commandement? Quelle a été la réponse?
Le lcol Stogran: Monsieur, ma principale préoccupation concernant le groupement tactique était qu'à aucun moment nous ne nous étions entraînés en tant que bataillon complet. Je connaissais bien la compagnie C du 2 PPCLI. Nous avions effectué un exercice d'entraînement en octobre auquel avaient participé la compagnie C et le major Ford en tant que membres du groupement tactique. Je connaissais également le peloton de mortiers qui nous avait été assigné en raison d'une affiliation régulière que mon bataillon avait eu avec cette batterie. Nous avions coopéré avec l'escadron de reconnaissance du régiment blindé dans le cadre d'un exercice en avril de l'année précédente.
Toutes les composantes m'étaient familières. J'ai exprimé mes inquiétudes, toutefois, du fait que nous n'avions jamais eu l'empreinte d'impact de la FRIT sur le sol, quoique cela n'a jamais rien empêché.
Le sénateur Forrestall: Avez-vous en tête la date où vous vous êtes engagé officiellement à un entraînement en vue du déploiement en Afghanistan?
Le lcol Stogran: Monsieur, nous n'avons jamais mené de véritable entraînement de prédéploiement sur le théâtre afghan. Je le répète, nous avions eu une année d'entraînement très intensif qui a culminé, en octobre de l'an dernier, par un exercice que j'ai qualifié de «Hardis braves», au cours duquel le commandant de la première brigade nous a autorisés à louer des simulateurs à laser ultramodernes afin que nous puissions nous entraîner dans un environnement de combat aussi réaliste que possible.
La présidente: Sénateur Forrestall, je vous rappelle que nous avons convenu d'une période de questions de cinq minutes. Peut-être accepterez-vous de reprendre la parole à la fin.
Le sénateur Forrestall: Je n'ai pas approuvé une limite de cinq minutes. Je croyais que la limite serait de sept ou huit minutes. Nous avions escompté une limite de dix minutes. Cela étant dit, je propose que nous allions de l'avant.
Le sénateur Banks: Je tiens à remercier le mgén Gauthier et le lcol Stogran d'avoir accepté notre invitation. Je suis un sénateur de l'Alberta. Le colonel sait déjà à quel point nous, Albertains, sommes fiers de votre rendement et de celui des hommes et des femmes qui servent avec vous. Les gens d'Edmonton, en particulier, sont fiers de la participation des régiments Princess Patricia's Canadian Light Infantry et Lord Strathcona's Horse (Royal Canadians).
Vous devriez savoir aussi que le comité dont j'ai l'honneur de faire partie a eu l'occasion d'entendre des personnes qui ont servi sous votre commandement. Les personnes qui ont servi sous votre commandement appuient vigoureusement la mention élogieuse que vous avez reçue de vos supérieurs. Ils vous tiennent en très haute estime.
Vous avez lu comme nous tous, j'en suis sûr, des articles et observations de diverses associations et observateurs de la presse — électronique et écrite — sur les difficultés que vous avez eues, d'abord, à vous rendre en Afghanistan et, ensuite, à obtenir le matériel dont vous aviez besoin une fois rendus là-bas, depuis les uniformes et les bottes à l'équipement de vision de nuit. Auriez-vous l'obligeance de nous en parler un peu?
Le lcol Stogran: Monsieur, il est difficile pour moi de commenter en détail les difficultés qu'a éprouvées le groupement tactique lors du déploiement, car j'étais déjà en Afghanistan, en janvier, en train travailler avec le commandement de la brigade à laquelle j'appartenais. Je n'ai pas participé au déploiement en tant que tel.
(1440)
À ma connaissance, il y a eu, sur l'aire de trafic, des problèmes concernant le chargement de notre fourbi et de l'équipement. Par contre, grâce à l'aide offerte par les forces aériennes des États-Unis, tout s'est très bien passé au moment de la réception à destination.
Quant aux problèmes concernant notre fourbi, je pense que notre bilan en Afghanistan est éloquent. À cet égard, nous n'avons pas vraiment éprouvé de problèmes nous ayant empêchés de faire ce que nous avions à faire. Nous avons pu mener des opérations nocturnes grâce aux lunettes de vision de nuit et aux marqueurs laser qui ont été fournis pour nos systèmes d'armes. L'armée de terre a toutefois fait le maximum pour veiller à ce que nos fantassins aient l'équipement nécessaire et puissent mener des combats la nuit.
Nous avions une liste d'autres pièces d'équipement que nous avons demandées pour des besoins opérationnels urgents ou immédiats, mais nous n'avons pas obtenu la plupart d'entre elles; cependant, par chance ou en raison d'une bonne gestion, cela ne m'a vraiment pas empêché de répondre aux demandes de mon commandant au sein de la coalition.
Le sénateur Banks: Cela en dit long sur votre ingéniosité et celle des gens qui relèvent de vous.
Dans votre exposé préliminaire, vous avez mentionné que vous étiez responsable de la distribution de l'aide humanitaire quand celle-ci arrivait à destination. Est-elle arrivée à destination?
Le lcol Stogran: L'aide humanitaire proprement dite a été lente à venir. Lorsque nous avons entrepris notre mission, un organisme gouvernemental devait nous fournir 100 000 $ pour l'aide humanitaire. Cette somme n'arrivait pas. Nous avons soumis des plans et des propositions et nous avons travaillé avec le quartier général du mgén Gauthier afin d'établir une orientation. Nous avons commencé à nous préparer dès le premier jour. Je considérais la question de l'aide humanitaire comme un aspect très important de nos opérations là-bas, non seulement dans l'optique de la sécurité opérationnelle, mais aussi pour montrer aux habitants que nous n'étions pas là à titre de force d'occupation et que nous nous intéressions à la reconstruction de leur pays.
L'aide humanitaire prévue dans le plan nous a aussi permis de faire des percées au chapitre du renseignement. Après avoir gagné la confiance des militaires afghans, nous avons commencé à travailler en plus étroite collaboration avec les forces locales qui entouraient le périmètre. C'était un aspect important de mon plan. De plus, compte tenu de leur histoire et de leur culture, les soldats canadiens n'aiment pas aller dans un pays qui est en difficulté sans porter secours à la population locale. L'aide humanitaire est un facteur moral très important pour nos soldats.
Avec le temps, on s'est aperçu que l'on ne recevrait pas le financement attendu de l'organisme gouvernemental. D'après ce que j'ai pu comprendre, le ministère de la Défense nationale nous a fourni une somme de 50 000 $ puisée à même son fonds d'exploitation.
Des hommes d'affaires canadiens, qui se trouvaient alors à Dubai, nous ont aussi donné de l'argent. Nous avons utilisé tout cet argent pour acheter des pompes à eau à la population locale et construire une demi-douzaine d'écoles.
Le sénateur Kinsella: Colonel, j'aimerais maintenant que l'on parle de vos règles d'engagement. Pouvez-vous indiquer aux honorables sénateurs la date à laquelle vous avez reçu votre première version des règles d'engagement avec laquelle vous pouviez entreprendre l'entraînement? Ces règles mentionnaient-elles la façon de traiter les prisonniers? De même, quelles instructions avez-vous reçues en ce qui concerne le transfert aux États-Unis des prisonniers talibans ou des membres d'Al-Qaïda? Avez-vous agi sur les ordres du Quartier général de la Défense nationale ou le comportement à adopter était- il expliqué clairement dans les règles d'engagement que vous aviez reçues?
Le lcol Stogran: Sénateur, je ne puis vous dire la date exacte à laquelle le bataillon a reçu ses règles d'engagement officielles, puisque j'étais à l'étranger à ce moment-là. On nous a remis une ébauche de règles d'engagement en novembre ou décembre et nous avions alors commencé l'entraînement de nos troupes afin qu'elles connaissent le but, sinon les détails précis, des règles d'engagement que nous pourrions devoir respecter.
Les troupes canadiennes étaient bien au fait des règles d'engagement. Elles en avaient obtenu copie au mois de janvier. Je sais que le commandant adjoint a mis en oeuvre au Canada un programme d'entraînement intensif en mon absence.
J'étais convaincu que les troupes étaient parfaitement au courant des règles d'engagement à leur arrivée sur le théâtre des opérations. L'avocat militaire m'a assuré qu'elles connaissaient bien les règles dont nous disposions à ce moment-là.
Si ma mémoire est fidèle, les règles d'engagement ne faisaient pas mention du traitement des prisonniers en tant que tel, mais on pourra me corriger là-dessus. Nous entraînons nos militaires à traiter les prisonniers conformément aux conventions internationales et aux lois existantes concernant les conflits armés. Avant le déploiement des troupes, nous n'avions reçu aucune indication précise quant à la façon de traiter les prisonniers talibans ou membres d'Al-Qaïda et à leur transfert à la Force opérationnelle Rakkasan. Je reconnais que, au début de notre mission, nous étions sous le contrôle opérationnel de cette force. Ayant visité les installations de détention à court terme, j'ai pu constater que les prisonniers y étaient traités conformément aux conventions internationales. J'étais bien à l'aise d'y envoyer toute personne que nous aurions pu détenir. Nous n'avons pas transféré de prisonniers avant d'avoir établi des protocoles à cet effet au sein de la chaîne de commandement.
Le sénateur Kinsella: Étant donné que le rapport d'enquête sur la Somalie soulignait qu'il était important, à l'avenir, que les règles d'engagement respectent le droit canadien, et que la peine de mort n'existe pas au Canada, le ministère de la Défense nationale a-t-il donné des directives ou des conseils à nos officiers sur le terrain en ce qui concerne le traitement et le transfèrement de prisonniers qui risquaient fort d'encourir la peine de mort s'ils étaient remis aux États-Unis?
Le mgén Gauthier: Pour revenir à la première partie de votre question et compléter les propos du lcol Stogran, à mon avis, en tant que commandant de la force opérationnelle nationale, les règles d'engagement ont été une des réussites de cette mission. Sur le plan organisationnel, nous avons beaucoup appris au cours des neuf années qui ont suivi les incidents survenus en Somalie. Je peux vous dire que rares ont été les occasions où le lcol Stogran et moi avons eu besoin de discuter ou de débattre de questions concernant les règles d'engagement. Il en va de même pour les règles d'engagement d'autres éléments de la force, en mer et ailleurs. Il s'agit là d'un constat positif sur les progrès que nous avons accomplis.
En ce qui concerne le traitement des prisonniers, je dois dire, avec tout le respect que je lui dois, que la mémoire du lcol Stogran lui fait peut-être légèrement défaut, car un ordre permanent de la force opérationnelle a été publié au sujet du traitement des prisonniers, en fonction des directives que nous aurions reçues. Le lcol Stogran était fort occupé en Afghanistan, ce qui explique peut-être qu'il ne se souvient pas exactement de l'aspect administratif de la question.
Des instructions ont été données. Nous pouvons vous fournir un exemplaire de l'ordre permanent, qui explique comment traiter les prisonniers. Le fin mot de l'histoire, du moins au niveau opérationnel, c'est qu'il est impossible de discuter longuement de cet aspect, car le lcol Stogran n'avait pas à sa disposition toutes les ressources spécialisées nécessaires pour procéder à des interrogatoires en règle afin de déterminer si un suspect en particulier devait être libéré. Dans l'ensemble, ce sont les Américains qui ont pris ces décisions.
(1450)
La règle, dans une perspective canadienne, était tout d'abord qu'il fallait cataloguer et documenter soigneusement tout cela. Le lcol Stogran et son personnel le savent parce que nous avions des rapports concernant certains détenus. Les rapports montaient par la voie hiérarchique, par notre intermédiaire, jusqu'au niveau national, en fait jusqu'au gouvernement du Canada, d'une façon très opportune.
Les directives disaient essentiellement qu'il fallait remettre les détenus aux forces américaines le plus rapidement possible pour qu'il soit possible de déterminer s'ils devaient ou non être maintenus en détention. Dans tous les cas où le 3 PPCLI a effectivement gardé des personnes, leur détention a été courte. Ces personnes ont par la suite été libérés plutôt que d'aller plus loin dans le processus de détention.
Est-ce que cela répond à votre question, monsieur?
Le sénateur Kinsella: Je vous remercie.
Le sénateur Wiebe: Mgén Gauthier et lcol Stogran, permettez-moi tout d'abord de joindre mes félicitations à celles de mes collègues. Je crois parler au nom de tous les honorables sénateurs en vous demandant de transmettre nos félicitations et nos remerciements aux hommes et aux femmes du Groupement tactique du 3 PPCLI, qui ont dignement représenté le Canada en Afghanistan.
Dans vos observations, lcol Stogran, vous avez mentionné que le groupement tactique canadien était formé de membres de différentes unités. Est-ce que cela signifie que nous n'avons pas un groupement tactique de la taille d'un bataillon qui s'entraîne constamment dans une base du Canada?
Le lcol Stogran: Sénateur, nous disposons de plusieurs éléments ayant la taille d'un bataillon. Je dois préciser que le groupement tactique que je commandais à ce moment comportait de nombreuses fonctions spécialisées, comme une liaison arrière nationale ou un élément de transmissions qui nous permettait de communiquer avec le Canada.
L'élément du service dentaire attaché à notre groupement venait de l'extérieur de la configuration normale d'un bataillon d'infanterie. C'est de ce genre de fonctions que je voulais parler quand j'ai dit que certains éléments venaient de Petawawa ou de Kingston.
Le sénateur Wiebe: Est-ce que c'était la première fois dans les huit dernières années que les membres d'un groupement tactique de la taille d'un bataillon s'entraînaient ensemble d'une façon aussi intensive?
Le lcol Stogran: Je dois avouer encore une fois que je ne le sais pas. Je ne peux pas vraiment parler des premiers groupements tactiques chargés d'importantes missions de maintien de la paix et déployés au Kosovo.
Le groupement tactique que j'ai commandé était très robuste par la diversité de ses capacités, qui allaient des transmissions au système de surveillance Coyote des véhicules blindés. C'est probablement l'un des groupements tactiques les plus robustes dont les membres aient été entraînés ensemble dans l'histoire récente.
Le sénateur Wiebe: Une fois l'unité rentrée au Canada, est-ce que les membres du personnel ont été renvoyés à leurs unités respectives ou gardés ensemble comme bataillon?
Le lcol Stogran: Oui, monsieur, pour la plupart. Nous avons gardé la plupart des membres du groupement tactique ensemble à Edmonton pendant une certaine période.
Le sénateur Wiebe: Les personnes qui ont servi en Afghanistan ont acquis une expérience, des connaissances et des capacités extraordinaires pendant leur déploiement. De quelle façon les forces ont-elles l'intention d'utiliser cette expérience pour former de nouvelles recrues ou du personnel actuel au Canada? Est-il raisonnable que je vous pose cette question?
Le mgén Gauthier: Sénateur, je ne peux pas donner une réponse officielle à cette question.
Je me souviens d'une conversation avec le lcol Stogran, à Kandahar, où nous avions discuté de la façon de réintégrer ses soldats à tous les aspects de la vie canadienne, tant militaires que civils. Nous avions alors tous deux bruyamment convenu du fait qu'il fallait persuader ces soldats de faire profiter l'armée des expériences fort enrichissantes qu'ils avaient vécues en Afghanistan à leur retour au Canada.
Le lcol Stogran: Comme la question va sans doute être posée plus tard, je tiens à ajouter certaines précisions quant à notre programme de réintégration à Guam. Un élément crucial de ce programme était la réintégration dans le milieu de travail. Durant le temps passé avec les soldats, nous leur avons bien fait comprendre que leur expérience en Afghanistan était précieuse pour l'armée et que, en réintégrant les forces, ils devraient se conduire de manière à ce que l'armée souhaite profiter de cette expérience. J'ai essayé de convaincre les soldats qu'ils ne devraient pas espérer changer l'armée, mais qu'ils devraient la modeler grâce à leur expérience.
Certains soldats de notre bataillon ont été nommés à des postes dans nos institutions de formation. Je travaille au Quartier général de la Défense nationale où j'espère pouvoir contribuer à façonner l'armée de l'avenir.
Le sénateur Comeau: Ma question s'adresse au lcol Stogran et porte sur le renseignement, ce qui est une question délicate, j'en conviens. Je ne demanderai pas au lcol Stogran de compromettre la sécurité militaire ou la sécurité de l'État de quelque façon que ce soit. Je poserai des questions d'ordre général. S'il le désire, il devrait se sentir libre de répondre aussi de manière générale.
Je me souviens que, durant l'enquête sur la Somalie, un témoin a déclaré qu'un officier du renseignement avait dû naviguer sur Internet pour se procurer les informations nécessaires dans les sites de la BBC et de CNN parce qu'il n'avait pas obtenu les renseignements appropriés à l'époque. Pourriez-vous dire aux honorables sénateurs quel genre de renseignement vous avez obtenu relativement à l'Afghanistan avant le déploiement?
Le lcol Stogran: Pour autant que je me souvienne, avant le déploiement, nous avons reçu surtout des renseignements de nature générale.
Le sénateur Comeau: Étiez-vous satisfaits de la qualité et de la quantité des renseignements obtenus? Lorsque vous avez demandé des informations, avez-vous obtenu toutes celles dont vous aviez besoin?
Le lcol Stogran: Au moment du déploiement sur le théâtre des opérations, j'avais une solide capacité de renseignement. Nous avions une excellente capacité de renseignement d'origine électromagnétique. J'avais deux agents de renseignement ainsi que deux sous-officiers dans ma cellule de renseignement, et ils étaient hautement compétents. Ils recevaient des images de sources situées au Canada, et ils collaboraient étroitement avec les Américains. J'étais extrêmement satisfait de leur apport sur le champ de bataille.
Ma plus grande inquiétude, c'était que nos homologues américains refusaient de communiquer à des étrangers une partie de leurs renseignements. Nous avions un accès total à toutes les informations recueillies au moyen de certaines installations de la Force opérationnelle Rakkasan. Nous avions des moyens extrêmement solides en matière de renseignement.
Le sénateur Comeau: C'était sur le théâtre des opérations?
Le lcol Stogran: Oui, monsieur.
Le sénateur Comeau: Avant de vous rendre sur le théâtre des opérations, avez-vous eu accès à l'information qui était à la disposition des Britanniques et des Américains?
Le lcol Stogran: Nous avions des contacts avec des sources situées au Quartier général de la Défense nationale. L'information à laquelle j'avais accès était également à la disposition de nos alliés de l'OTAN et d'ABC. J'en déduis que nous faisions également appel à ces sources. Je suis satisfait du type d'information que nous recevions à l'époque.
Le mgén Gauthier: Je comprends tout cela un peu mieux maintenant, après avoir passé deux semaines à mon nouveau poste de directeur général du renseignement, au Quartier général de la Défense nationale.
Le sénateur Comeau: Félicitations.
Le mgén Gauthier: Je peux dire sans détours que je commence à mesurer l'étendue de mon ignorance. Nous avons des accords et des arrangements avec nos alliés, et cela est essentiel au processus du renseignement. Je peux donner au sénateur l'assurance que le renseignement est partagé et continu d'être partagé de façon suivie. Je suis certain que ce type d'information est transmis jusqu'au niveau de l'unité.
(1500)
Le sénateur Comeau: Encore une fois, avant le déploiement, étiez- vous conscient ou avez-vous été avisé qu'il existait une section afghane au ministère des Affaires étrangères avec qui vous auriez pu communiquer ou échanger si des problèmes se posaient?
Le lcol Stogran: Lorsque nous avons reçu notre premier avertissement l'an dernier, le ministère des Affaires étrangères a collaboré activement à de nombreuses séances d'information organisées à notre intention, comme d'autres agences gouvernementales d'ailleurs. Oui, j'étais très conscient qu'il existait une telle section au ministère des Affaires étrangères.
Le sénateur Comeau: Lorsque vous avez dû vous rendre sur le théâtre des opérations, aviez-vous reçu tous les documents pertinents relatifs au pays, comme les cartes géographiques et les renseignements dont vous aviez besoin en tant que groupe d'opérations?
Le lcol Stogran: Je dirais que oui. En ce qui concerne les cartes de la région, elles étaient plutôt rudimentaires. Nous utilisions dans certains cas des cartes conçues par les Soviétiques. Nous avions également certaines cartes locales que les forces de la coalition avaient révisées et améliorées. Dans l'ensemble, j'étais satisfait des produits fournis par mes services de renseignement.
Le sénateur Comeau: De nombreux groupes ne venaient pas évidemment des États-Unis ou de la Grande-Bretagne. Avez-vous eu accès à des renseignements provenant d'autres pays membres de la coalition?
Le lcol Stogran: Comme je l'ai dit auparavant, j'étais satisfait du travail de nos agents du renseignement.
Je peux vous dire que ma cellule du renseignement entretenait d'excellentes relations de travail avec les forces spéciales des États- Unis et de la coalition qui étaient sur place. Même lorsque, en tant que membres de la coalition, nous avons perçu un certain désaccord entre les forces conventionnelles des États-Unis et leurs forces spéciales relativement à l'échange de renseignements, nous avons réussi à obtenir des renseignements des forces spéciales américaines et d'autres troupes sur place.
La présidente: Je rappelle aux honorables sénateurs que huit autres sénateurs désirent intervenir dans la première ronde et quatre dans la deuxième ronde et qu'il ne nous reste qu'une demi-heure.
Le sénateur Smith: Madame la présidente, je voudrais me faire l'écho des propos élogieux des orateurs précédents. Je m'en tiendrai à une question générale, car je sais que votre liste est longue.
Au début de vos observations, mgén Gauthier, vous avez dit que les Forces canadiennes apportent une contribution qui va au-delà de leur capacité. Je tiens à ajouter que vos propos m'ont semblé assez convaincants.
Je ne vous demanderai pas votre avis sur la question de savoir si le gouvernement devrait s'engager dans de telles missions, mais il est juste d'essayer d'en savoir un peu plus sur l'enthousiasme, le moral et l'esprit des troupes et de leurs commandants qui ont participé à ces missions. Nous participons aux missions de maintien de la paix depuis 50 ans. Ces missions comprennent maintenant la protection de la sûreté internationale, ce qui peut entraîner des combats. Le moral a-t-il été maintenu? Êtes-vous en mesure d'accomplir ces missions? Que pensent les troupes du rôle qu'en est venu à jouer le Canada?
Le mgén Gauthier: Voulez-vous parler de la mission en Afghanistan?
Le sénateur Smith: Oui, en conséquence.
Le mgén Gauthier: Je serais surpris qu'un seul soldat de toute l'armée ne se porte pas volontaire pour cette mission. Je suis convaincu que le col Stogran est du même avis en ce qui concerne son bataillon ou son groupe de combat. Et je n'exagère pas. C'est typique de mes soldats, dont je suis très fier après près de trois décennies de service dans les forces. Ils ne rejetteraient pas la possibilité de prendre part à une telle mission. J'ai rencontré, soit dit en passant, non seulement des soldats, mais encore des aviateurs et des marins. J'en ai rencontré un qui participait à sa neuvième mission de six mois en 15 ans de carrière. Deux autres en étaient à leur huitième mission de six mois. D'autres en étaient à leur quatrième ou cinquième déploiement de six mois. Et j'en passe. J'ai rencontré un sergent du 3e Bataillon du PPCLI, un technicien des approvisionnements qui était un jeune simple soldat au sein du 4e Régiment de combat du génie que j'ai commandé en 1992, lorsque nous nous sommes déployés en Croatie en tant que première unité dans ce conflit. C'était sa première mission. Quand je l'ai rencontré en Afghanistan, il en était à sa sixième mission.
Ils répondent présent à chaque fois, bien sûr. Toutefois, cela n'est pas sans effet sur leur vie familiale. Je lui ai demandé ce qu'était sa vie familiale et il m'a répondu qu'il avait été marié, mais qu'il avait divorcé depuis. Évidemment, c'est le prix que nombre d'entre eux doivent payer pour leur enthousiasme, pour le rythme opérationnel, le rythme des missions des Forces canadiennes que vous connaissez déjà assez bien.
D'un point de vue moral, lorsqu'il s'agit d'une nouvelle mission, on aurait bien du mal à trouver quelqu'un qui refuse de participer. Toutefois, il y a un prix à payer pour cela. Ce prix est la croissance.
Le sénateur Meighen: Je pourrais continuer de répondre pour vous à la dernière question du sénateur Smith. Il y a certes un prix considérable à payer pour l'accélération intense du rythme des opérations des forces armées. Général, j'ai peut-être tort d'affirmer que vous avez donné l'impression que c'est un prix acceptable. Je ne suis pas certain qu'il le soit. Je ne suis pas convaincu que les Canadiens soient satisfaits de voir l'éclatement des familles sur une large échelle, qui d'après ce que je comprends est attribuable à l'accélération très considérable du rythme des opérations. Ne conviendriez-vous pas qu'il est impératif de s'attaquer au problème et que vraisemblablement, la meilleure façon de procéder est de ralentir le rythme des opérations ou d'augmenter les effectifs en activité dans le secteur militaire, en particulier dans l'armée?
Le mgén Gauthier: J'espère ne pas avoir donné un seul instant l'impression que je crois que la situation est acceptable pour ce qui est de l'éclatement des couples et du stress vécu par les familles. Je regrette vivement cet état de choses. C'est pourquoi je vous ai fait part de ces faits et de ces chiffres. Je pourrais en citer encore bien d'autres. J'ai commandé pendant deux ans le secteur du Centre de la Force terrestre, l'armée en Ontario, qui comptait 12 000 réservistes réguliers et civils. Ce message est celui que plusieurs d'entre vous qui siégez au comité entendu lors de vos visites.
Évidemment, du point de vue d'un officier, il ne s'agit pas d'exiger davantage d'argent. Je ne puis que répéter ce que nos supérieurs et le ministre ont dit, à savoir qu'il s'agit de durabilité, d'équilibre entre les tâches qui nous sont confiées et des ressources qui sont mises à notre disposition. Soit que l'on réduit les tâches, soit que l'on augmente les ressources.
Le sénateur Meighen: Il est à espérer que nous opterons sous peu pour l'une ou l'autre de ces solutions.
À propos des réservistes, compte tenu de l'importance de leur rôle en Bosnie, en Croatie et ailleurs, étaient-ils avec vous, lcol Stogran ?
Le lcol Stogran: La plupart du temps, ils n'y étaient pas. Il y a peut- être eu des individus que je n'ai pas vus dans la liaison arrière nationale, mais en ce qui concerne les éléments de combat et le soutien logistique du combat, il n'y a pas eu de réservistes.
Le sénateur Meighen: Comment l'expliquez-vous?
Le lcol Stogran: Cela s'explique par la rapidité de la réaction et par notre incapacité à maintenir les réservistes dans un état permanent de préparation. Au sein du 3e bataillon, j'ai travaillé en Saskatchewan avec plusieurs régiments qui brûlaient de faire partie de la force de réaction immédiate. Quand nous avons cru que nous serions envoyés en Afghanistan, ils tenaient à être des nôtres, mais il s'est avéré impossible de les joindre à notre équipe, du fait de l'attente prolongée que nous avons dû subir.
Le sénateur Meighen: Qu'auriez-vous fait si la durée de la mission avait été prolongée? Je crois savoir que cela n'aurait pas pu être le cas, compte tenu du nombre des effectifs que nous avions à notre disposition, mais si vous aviez sérieusement manqué d'effectifs, auriez-vous pu compter sur les réservistes pour compléter vos troupes?
Le lcol Stogran: Voulez-vous dire quand nous étions sur le théâtre des opérations, si nous avions eu à attendre plus longtemps?
Le sénateur Meighen: Si vous aviez eu à attendre sur place plus longtemps, oui.
Le lcol Stogran: Il convient de poser cette question à ceux qui ont mobilisé nos forces, au Canada. Compte tenu de mon expérience et de mon entraînement avec le 3e bataillon et les réservistes, ces derniers étaient des soldats zélés. Je les aurais accueillis à bras ouverts au sein de notre équipe s'ils avaient pu recevoir un entraînement les rendant aptes au déploiement.
Le sénateur Meighen: Combien de temps leur faudrait-il pour un tel entraînement, compte tenu de leur niveau actuel?
Le lcol Stogran: Cela dépend, je pense, du temps écoulé depuis leur dernier déploiement pour une mission en Bosnie ou ailleurs. Normalement, nous aimons les avoir à notre disposition pendant une période de 90 jours, monsieur.
(1510)
Le mgén Gauthier: Cela dépend bien sûr du genre de mission. Dans le cas de la Bosnie, par exemple, ce serait une période de 90 jours. Pour une mission beaucoup moins bénigne, si je peux m'exprimer ainsi, notamment en Afghanistan, il faudrait selon moi bien plus que 90 jours.
Le sénateur Meighen: A-t-on recensé des cas de syndrome de stress post-traumatique depuis votre retour, colonel, et, le cas échéant, quelle mesure avez-vous adoptée à cet égard?
Le lcol Stogran: Le syndrome de stress post-traumatique, en tant que tel, est difficile à quantifier et à identifier. Je suis demeuré en contact avec certains de mes collègues du 3e bataillon afin de savoir quel genre de problèmes peuvent s'être manifestés dans les familles et chez les soldats pendant leur congé. Je signale à titre purement anecdotique qu'il y a eu des tensions dans certains couples. Il est difficile de dire si cette situation est liée au stress découlant des opérations ou à des problèmes préalables.
À ce stade-ci, si je me fonde sur mes discussions avec les spécialistes que j'avais dans le théâtre des opérations — travailleurs sociaux, médecins et aumôniers — je ne peux qu'émettre l'hypothèse que le 3 PPCLI disposait d'un mécanisme d'adaptation très efficace, dans la mesure où il permettait aux gens de s'exprimer et de laisser libre cours à leurs émotions.
Notre aumônière, qui a beaucoup d'expérience dans les déploiements outre-mer, a déclaré qu'elle n'avait jamais vu un aussi grand niveau d'ouverture que celui du Groupement tactique du 3 PPCLI. Les hommes et les femmes voulaient parler de leurs problèmes. J'ai également fait part de mes sentiments aux soldats.
Je continue d'espérer que le genre d'ouverture et de possibilités que nous avions dans le théâtre des opérations, ainsi que pendant la période de debriefing à Guam, permettra aux soldats de livrer leurs pensées au lieu de les garder pour eux-mêmes.
Le mgén Gauthier: Sénateurs, le colonel Stogran fait ici preuve d'humilité. À mon avis, aucune unité de la taille d'un bataillon s'étant déployée hors du pays au cours des 10 dernières années n'était mieux préparée que le 3 PPCLI à faire face aux événements traumatisants auxquels les soldats on été confrontés. Tout cela tenait à l'équipe qu'il avait mise sur pied, et au leadership dont il a fait preuve avant et pendant le déploiement, pour faire face précisément à ce genre de situation. L'infrastructure humaine, si je peux m'exprimer ainsi, était en place pour affronter la situation, son unité comprenant toute une batterie de spécialistes, de conseillers et de leaders. On ne peut qu'espérer que ces mesures auront pour effet d'aboutir à une faible incidence du syndrome de stress post- traumatique au cours des mois et des années à venir.
[Français]
Le sénateur Joyal: Honorables sénateurs, je voudrais reprendre un élément de la question du sénateur Meighen. Quel a été l'impact sur le moral de vos troupes suite aux incidents à la suite desquels quatre soldats canadiens ont perdu la vie et d'autres ont été blessés?
C'est une chose d'aller à la guerre et de faire face à l'ennemi directement, mais c'en est une autre de se sentir en situation de risque avec les alliés auxquels nous avons joint nos forces.
Tous les jours que nous siégeons en cette Chambre, nous voyons sur les murs des illustrations des horreurs de la guerre; de la destruction, de l'état des réfugiés, des gens qui perdent la vie, d'autres qui font face à un destin incertain. Nous voyons aussi que les soldats de nos troupes ne peuvent avoir de protection contre les feux alliés. Croyez-vous que les incidents qui se sont produits auraient pu être évités si une coordination plus expérimentée avec les forces américaines avait été mise en place?
[Traduction]
Le lcol Stogran: Vous avez raison, sénateur. Pour un soldat, il n'y a pas de façon plus démoralisante de perdre des collègues que par suite d'un incident fratricide. Je sais que nous avons poussé les limites de la sécurité dans notre propre entraînement afin de polir nos tactiques, nos techniques et nos procédures en vue d'affronter les membres d'Al-Qaïda, et j'ai eu peur chaque jour que nous provoquions nous-mêmes un incident fratricide.
Chaque jour où ils portent l'uniforme vert, les soldats professionnels essaient de se conditionner à la possibilité de perdre des amis. Je sais ce que c'est puisque je l'ai moi-même vécu avec nos soldats. C'est une épreuve difficile à traverser.
Dans notre cas, je crois que l'ouverture du bataillon a été un facteur clé qui nous a permis de poursuivre notre mission. Nous avons également été touchés par l'appui incroyable manifesté par les Canadiens. Les soldats doivent vraiment être capables d'enterrer leurs morts et de poursuivre leur mission.
Nous étions avec la Force opérationnelle Rakkasan. Nous avons combattu avec les membres de cette force opérationnelle et nous avons également pleuré avec eux. Le colonel Wiercinski a partagé notre douleur comme si nous étions des Américains. Nous faisions partie de la Force opérationnelle Rakkasan. À l'interne, au sein de la force opérationnelle, je suis certain que nous avions mis en place tous les mécanismes nécessaires, dans la mesure de nos capacités, du point de vue des opérations terrestres, pour réduire au minimum les risques d'incident fratricide en dépit de la nature dangereuse de notre mission là-bas.
Je ne peux cependant pas faire de remarques éclairées sur les mécanismes qui existaient entre la force terrestre, mon commandant immédiat et la force aérienne, qui, en cette nuit fatidique, dépassait vraiment notre compréhension, à nous qui étions au sol, car il y a tellement de choses qui bougent dans le ciel. Je ne peux vraiment pas faire de remarques éclairées sur ces mécanismes.
[Français]
Le sénateur Joyal: Sans aller au fond de l'enquête qui a eu lieu, quelles sont les modifications ou les initiatives que vous recommanderiez pour éviter que de tels incidents se reproduisent à l'avenir?
[Traduction]
Le lcol Stogran: Je le répète, en tant qu'officier d'infanterie, je ne pourrais pas dire comment nous devrions synchroniser les forces aériennes et terrestres pour prévenir un accident de cette nature. Tout ce que je puis dire, c'est que je suis convaincu que, chez les forces terrestres opérant dans la région, la ferme Tarnak était un terrain d'entraînement reconnu pour les troupes terrestres, Kandahar était une base reconnue pour les troupes terrestres, et nous avions des mécanismes en place pour travailler avec l'aviation, à savoir quand les avions Hercules et les avions de transport arrivaient sur le théâtre. Je ne pourrais pas me mettre à dire comment on pourrait accroître ou améliorer la coordination des avions de combat.
[Français]
Le sénateur Joyal: Je voudrais revenir sur la question des réfugiés et de la condition des civils. Il y a eu davantage de décès dans la population civile qu'il n'y a eu de combattants d'Al-Qaïda mis hors combat. Pouvez-vous nous informer sur les secours décrits de l'opération tant du côté du Canada que du côté des alliés? Ces secours, selon votre expérience pratique du milieu, ont-ils été suffisants pour alléger la situation des civils touchés par le conflit?
[Traduction]
Le lcol Stogran: Au risque d'avoir l'air d'esquiver une autre question, je ne pourrais pas vraiment parler de la capacité des organismes d'aide humanitaire dans la région. Je puis également dire que durant le temps que nous avons passé dans le théâtre d'opérations avec la force opérationnelle Rakkasan, le nombre des pertes civiles, jusqu'au dernier mois, a été maintenu à un minimum absolu.
(1520)
Je puis également dire que, lorsqu'il y a eu des pertes de vie dans la population civile dans la zone du terrain d'aviation de Kandahar, nos partenaires au sein de la coalition ont mis leurs installations médicales à contribution. Je ne puis me rappeler aucun cas où nos hôtes américains n'ont pas traité la population locale lorsque des blessures avaient été infligées par des armements. Cela est vrai aussi dans le cas du bombardement qui a eu lieu à Deh Rawud, à l'endroit même où se déroulait un mariage. La Force opérationnelle Rakkasan s'est vivement employée à traiter toutes les victimes civiles et à détourner des ressources vers l'hôpital de la ville de Kandahar pour que les blessés de ce bombardement puissent être soignés.
[Français]
Le mgén Gauthier: C'est une question que se pose aussi le général Franks. Est-ce que la sécurité mène à l'aide humanitaire ou la précède-t-elle? Ou est-ce que l'aide humanitaire mène à une situation plus sécuritaire? C'est une question qui est débattue non seulement dans le domaine militaire, mais aussi dans le domaine des organisations d'aide humanitaire.
[Traduction]
Le sénateur Atkins: Madame la présidente, nous devrions féliciter le mgén Gauthier pour sa promotion.
Le mgén Gauthier: Merci.
Le sénateur Atkins: Nous verrons si le lcol Stogran obtiendra bientôt un galon.
Quel équipement vous faisant défaut, que d'autres forces de la coalition avaient, auriez-vous pu utiliser en Afghanistan?
Le lcol Stogran: Il faudrait que je revoie la liste que nous avons présentée au mgén Gauthier pour son approbation.
À mon retour au Canada, j'ai cru comprendre que la question des uniformes avait suscité tout un débat. Nous aurions aimé avoir des uniformes pour les climats arides, mais honnêtement je dois reconnaître que nous ne les aurions pas portés en tout temps. Lorsque nous avons effectué des missions en montagne, le terrain ressemblait aux environs de Kananaskis, et nous étions heureux d'avoir nos uniformes verts.
Nous aurions peut-être pu avoir de petits véhicules tout terrain pas plus gros que des minitracteurs. Nous en avions demandé. Nous aurions pu embarquer ces minitracteurs passe-partout avec nous dans les hélicoptères.
Nous avons demandé toutes sortes de choses qui nous auraient probablement permis d'être meilleurs dans une certaine mesure, mais il n'y a aucun vrai manque fondamental qui me vient à l'esprit à ce stade-ci.
Le mgén Gauthier: Le Groupement tactique avait une longue liste de besoins. À l'occasion de chacune de mes quatre visites du groupement tactique, j'ai pu constater que c'était la principale exaspération des intéressés. Parce qu'ils étaient dans un milieu unique en son genre, ils avaient demandé un certain nombre de pièces d'équipement qu'on ne retrouve pas normalement dans un bataillon d'infanterie. Ces besoins se sont heurtés à deux ou trois obstacles. Il y a tout d'abord le processus d'approvisionnement sur lequel je dirai et j'ai dit dans mon compte rendu après action sur les leçons apprises, que notre processus de gestion du matériel, notre système d'approvisionnement, le système et le processus par lequel nous faisons en sorte d'envoyer la bonne pièce d'équipement au bon endroit au moment approprié, ne répond pas suffisamment aux besoins opérationnels. J'ai dit cela et c'est une question qui est étudiée très attentivement à la suite de cette opération.
L'autre question, bien entendu, est qu'il y a diverses réalités à divers niveaux. La réalité des soldats dans les tranchées est différente de la réalité stratégique, et tout au long du processus, entre les deux, il y a les décideurs qui doivent décider si une chose est nécessaire ou pas.
Selon moi, une combinaison de ces deux choses a fait que nous n'avons pas réussi aussi bien que nous aurions dû pour ce qui est de faire parvenir au 3e bataillon, Princess Patricia's Canadian Light Infantry, l'équipement dont les intéressés estimaient avoir besoin pour accomplir leur mission.
Le sénateur Atkins: Y a-t-il des choses qui, selon vous, ont été bien faites et y en a-t-il d'autres que vous changeriez ou vous referiez si vous en aviez l'occasion?
Le lcol Stogran: Au risque de donner l'impression que je me vante, sénateur, à la fin de la période de service, mes officiers supérieurs et moi-même avons effectué notre propre analyse après action et avons posé justement cette question. Nous étions fiers de l'excellent travail de nos troupes, mais nous devions nous demander ce qui aurait pu être fait différemment.
Il y a eu des problèmes mineurs dans le cadre de la mission. Cependant, je ne pense pas vraiment que nous aurions fait quoi que ce soit de vraiment différent. Nous ne sommes peut-être pas assez rigoureux dans notre propre analyse.
Le mgén Gauthier dira peut-être qu'il aurait souhaité que je fasse certaines choses différemment.
Le sénateur Atkins: Changeriez-vous quoi que ce soit dans le manuel de formation à la suite de la mission en Afghanistan?
Le lcol Stogran: Au contraire, sénateur, c'est le plus grand atout que nous puissions offrir à n'importe quelle coalition: les soldats expérimentés et très bien entraînés que nous avons dans les Forces canadiennes. Nous avons beaucoup de soldats qui ont eu de l'entraînement en Allemagne, dans le régiment aéroporté, et qui ont suivi des cours de calibre mondial dans différentes armées du monde. Il y a aussi l'expérience acquise au cours des opérations de soutien de la paix. Nous avons une culture unique et, à cause de notre entraînement et de nos antécédents, des avantages à offrir à une coalition.
Le mgén Gauthier: À mon avis, le premier enseignement positif dont j'ai fait part au Quartier général de la Défense nationale à mon retour, c'est qu'une direction efficace alliée à un entraînement efficace produit des soldats de grand calibre. Nous faisons cela depuis un certain temps dans les Forces canadiennes. Il y a une longue liste de choses que nous avons bien faites, à mon avis. Il y a en même temps une liste tout aussi longue de choses que nous pouvons améliorer. Nous avons relevé ces éléments dans le cadre des enseignements tirés de l'expérience.
Le sénateur Grafstein: Je voudrais ajouter mon mot de bienvenue au mgén Gauthier. Je crois comprendre que nos notes sont inexactes en ce qui concerne votre grade. Votre situation s'est grandement améliorée, peut-être en prévision de cette réunion. Je veux également souhaiter la bienvenue au lcol Stogran.
En Ontario, nous sommes aussi fiers du PPCLI. À titre d'élève- officier à London, en Ontario, dans les années 40 et 50, j'ai eu le privilège d'être attaché au PPCLI, alors commandé par le gén Rockingham, qui avait servi avec grande distinction durant la guerre de Corée. Votre mission la plus récente représente une étoile de plus à ajouter aux nombreux succès du PPCLI, et nous vous en félicitons.
Ma première question porte encore sur la surveillance et la liaison au sein de la structure de commandement en ce qui concerne les avions d'attaque pendant que le bataillon évoluait au sol. J'ai écouté attentivement le lcol Stogran qui a dit qu'il était persuadé — je ne veux pas citer ses paroles hors contexte — qu'il était couvert pour ce qui est du soutien logistique relatif aux Hercules, et cetera, mais qu'il restait une question sans réponse quant aux avions d'attaque tels que ce chasseur.
En rétrospective, mgén Gauthier, êtes-vous persuadé qu'il y avait une liaison suffisante entre la structure de commandement canadienne du bataillon et la structure de commandement américaine pour qu'il soit possible d'éviter un incident semblable à l'avenir?
Le mgén Gauthier: Sans aucun doute, monsieur. Je crois que nous aurions tout aussi bien pu avoir un bataillon américain faisant les mêmes exercices ce soir-là, au même endroit et avec les mêmes pilotes probablement dans les mêmes circonstances. La même bombe aurait été larguée sur des soldats américains au lieu de l'être sur des soldats canadiens.
Le sénateur Kinsella: J'invoque le Règlement. Je me demande si les sénateurs seraient d'accord pour poursuivre la discussion pendant 15 minutes supplémentaires si nos témoins sont prêts à rester 15 minutes de plus. Il est maintenant près de 15 h 30.
La présidente: J'aimerais souligner aux sénateurs qu'après le sénateur Grafstein, il y a encore les sénateurs Stratton, Mahovlich et Tkachuk qui sont inscrits pour un premier tour, puis quatre autres sénateurs pour le deuxième. Il serait bien de pouvoir terminer le premier tour.
Le sénateur Carstairs: Je n'ai pas d'objection, mais cela ne doit pas durer au-delà de 15 h 45.
Le sénateur St. Germain: J'aimerais également être inscrit sur la liste, madame la présidente.
La présidente: Je m'excuse, je ne vous avais pas vu, sénateur.
Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que nous continuions la discussion pendant 15 minutes, jusqu'à 15 h 45?
Des voix: D'accord.
La présidente: Je demanderais aux sénateurs d'être très brefs dans leurs questions.
(1530)
Le sénateur Grafstein: Colonel, votre mission a-t-elle changé après votre arrivée en Afghanistan? Nous croyons savoir que vous étiez responsable de la surveillance de l'aéroport de Kandahar pendant votre premier engagement. Les changements apportés à la mission vous ont-ils permis d'être pleinement préparé à affronter la nouvelle situation? Pouvez-vous nous décrire ces changements et nous dire si des modifications ont été apportées à votre mission initiale qui, sauf erreur, consistait à assurer la sécurité de l'aéroport de Kandahar?
Le lcol Stogran: Honorables sénateurs, lorsque j'ai quitté le Canada, mon mandat comportait quatre fonctions, dont la première était la défense de l'aéroport. Lorsque je suis arrivé sur le théâtre des opérations, j'ai été placé sous le commandement opérationnel du commandant local, le colonel Wiercinski. Nous agissions comme l'un de ses bataillons. Le colonel Wiercinski a établi un système de rotation en vertu duquel l'un de ses bataillons assurait la défense du périmètre de l'aéroport, un autre jouait ce que nous appelons le rôle de projection de la force, ou rôle de combat pour les opérations à l'extérieur du périmètre. Nous participions à ce système de rotation. Un autre bataillon était responsable de la sécurité au Pakistan, mais nous avons été tenus à l'écart de ces opérations.
Avant l'établissement du système de rotation, le colonel Wiercinski, et après lui le colonel Linnington, s'assurait que nous soyons pleinement informés au sujet des possibilités que comportaient les opérations offensives à venir, lorsque viendrait le moment de remplir notre rôle de combat. Bien que notre première mission offensive ait été l'opération Harpoon, dans la vallée de Shaw-I-Cot, qui est arrivée à point nommé compte tenu de la nature des combats auxquels le 101e régiment aéroporté avait pris part contre Al-Qaïda dans cette vallée, nous avons toujours eu beaucoup de temps pour nous préparer à nos opérations et recevoir toute l'information voulue. La protection de la force a toujours été une priorité pour moi. Sauf dans le premier cas, nous ne nous sommes pas sentis précipités dans une opération. Même l'assaut lancé dans la vallée de Shaw-I-Cot témoigne du professionnalisme des soldats et commandants canadiens, car nous faisions ce qu'on appelle une planification parallèle à tous les niveaux, depuis la compagnie de peloton de section jusqu'au bataillon. Je crois pouvoir affirmer que tous ces soldats étaient bien informés et prêts à participer à l'opération Harpoon.
Le sénateur Stratton: Bienvenue, messieurs. J'aimerais revenir à l'incident du tir ami. Selon certains comptes rendus, les soldats du Groupement tactique du Princess Patricia's ont reçu l'ordre de cesser le tir seulement cinq minutes avant l'incident du tir-ami. Est- ce le cas, et, dans l'affirmative, pourquoi les troupes canadiennes ont-elles reçu l'ordre de cesser le tir?
Le lcol Stogran: Honorables sénateurs, pendant notre entraînement autour de l'aérodrome de Kandahar, les ordres d'arrêter le tir étaient fréquents. Je ne pourrais commenter l'affirmation qu'un tel ordre aurait été émis seulement quelques minutes avant l'attaque. Il y avait eu un ordre d'arrêter le tir peu de temps avant, mais je ne saurais dire exactement si c'était ou non cinq minutes avant.
Je savais que nos procédures étaient sur la même longueur d'onde que celles du commandant des forces terrestres, le colonel Wiercinski, et de la Force opérationnelle Rakkasan. J'ai toujours été sûr que s'il y avait eu la moindre négligence dans la décision des pilotes, la justice suivrait son cours. Je savais également, malheureusement, que la défense avancerait toutes sortes d'arguments pour essayer de semer un doute raisonnable concernant les incidents de cette nuit-là. Tous les membres du groupement tactique, moi y compris, sont convaincus que nous avons fait tout ce qui pouvait être fait et que la zone était reconnue en tant que zone d'entraînement. Ce qui est malheureux c'est que les familles soient exposées à des arguments de cette nature. Les arguments de ce type sont repris par la presse depuis que le tribunal militaire a commencé à siéger.
Le sénateur Stratton: Je vous sais gré de cette réponse. Dans quelles circonstances ordonne-t-on normalement d'arrêter le tir, ou pouvez- vous nous décrire dans quelles circonstances un tel ordre serait émis? Respecte-t-on une série de critères, ou est-ce uniquement une réaction à ce qui se passe?
Le lcol Stogran: Très souvent, nous donnions l'ordre d'arrêter le tir parce qu'un avion cargo approchait de l'aérodrome de Kandahar. Nous avions une procédure selon laquelle, initialement, la tour de contrôle appelait le poste de commandement de notre bataillon et émettait l'ordre de mettre fin au tir de cette manière. Si je ne me trompe pas, à la suite de l'accident, nous avons essayé d'imposer un contrôle plus strict. Les détails exacts m'échappent un petit peu, mais on avait prévu que nous fournirions quelqu'un à la tour de contrôle. Je ne me souviens pas si cela s'est fait à la suite de l'accident ou si c'était déjà la pratique avant l'accident.
Le sénateur Mahovlich: J'aimerais offrir mes félicitations au major- général et au lieutenant-colonel pour le succès de leur mission.
Beaucoup décrivent la guerre comme des heures et des heures d'ennui, ponctuées par des moments de terreur totale, un peu comme le sport professionnel. Est-ce une bonne façon de décrire votre mission?
Le lcol Stogran: Honorables sénateurs, je commencerai par dire que c'est pour moi un honneur de voir l'une de mes anciennes idoles.
Pour répondre à votre question, il est intéressant que vous citiez ces propos. Dès le moment où nous avons été déployés et que j'ai rencontré les soldats en Afghanistan, j'ai employé pratiquement les mêmes termes: ils peuvent s'attendre à de longues périodes d'ennui, ponctuées par des moments de terreur intense. Nous avons connu cela. J'estimais que, après Al-Qaïda, notre plus grande menace serait la complaisance, étant donné particulièrement les conditions climatiques extrêmes que je savais que nous connaîtrions là-bas.
Les commandants ont relevé le défi et ont gardé les soldats prêts au combat. Nous avons maintenu un programme d'entraînement rigoureux à la ferme Tarnak, pour tenter d'éviter que ce sentiment de complaisance ne s'empare de nous.
Le sénateur Mahovlich: J'ai passé la majeure partie de ma vie à attendre des autocars, des trains, des avions et tout le reste.
Les soldats ont-ils pu prendre congé de leur mission opérationnelle? Dans l'affirmative, qu'ont-ils fait de leurs temps libres? Des artistes canadiens vous ont-ils rendu visite pendant votre mission en Afghanistan?
Le lcol Stogran: Honorables sénateurs, étant donné le caractère exceptionnel de ce déploiement, nous n'avons pas eu la possibilité d'appliquer le régime normal de rotation. Nous vous avons appliqué un plan en consultation et en coordination avec Tampa, que nous avons appelé le «programme de repos forcé», qui nous a permis de faire sortir du théâtre des opérations tous les soldats pour une permission de 96 heures à Dubai. Ce programme a été extrêmement fructueux. Nous avons ainsi envoyé 850 soldats en repos forcé. Nous n'avons eu aucun incident. Par là je veux dire qu'il y a eu aucun délit criminel, aucune blessure, rien de cette nature.
Il a également été bénéfique pour les troupes que le Quartier général de la Défense nationale et les décideurs permettent aux soldats d'acheter, aux frais de l'État, quelques vêtements civils. Normalement, quand nous donnons congé aux soldats, nous présumons qu'ils porteront leur tenue d'entraînement physique ou quelque chose du genre. Ce programme a été une grande réussite. Les soldats revenaient en pleine forme et prêts à poursuivre leur mission.
Nous avions également une troupe de divertissement du contingent canadien, un groupe professionnel de première qualité qui est venu donner des spectacles. Nous avions à Kandahar des danseurs, des chanteurs et des comédiens. J'ai été particulièrement fier de la qualité des divertissements. Même nos collègues américains étaient impressionnés. Voilà le genre de repos et de détente que nous avons offert.
Le sénateur Mahovlich: Major-général, les troupes canadiennes n'étaient pas aussi prêtes pour la guerre qu'elles l'étaient il y a 11 ans pour l'opération Tempête du désert. Cette affirmation est-elle juste?
(1540)
Le mgén Gauthier: La seule chose que je pourrais dire à ce sujet est que, d'après mon expérience personnelle des six derniers mois, les interventions du 3e bataillon du Princess Patricia's Canadian Light Infantry ont démontré que, dans ce cas précis, nous étions bien préparés.
Le sénateur Tkachuk: Messieurs, au nom des gens de la Saskatchewan, je vous remercie du remarquable effort consenti en Afghanistan. Encore récemment, un jeune homme de notre région a été tué à Bali, durant une attaque terroriste; alors nous sommes touchés de près.
Lcol Stogran, je crois que vous avez déclaré que l'avenir des opérations terrestres dépendait des capacités du transport aérien. Les médias ont pris un malin plaisir à faire état des uniformes inadéquats, mais ils ont aussi parlé du transport de nos troupes du Canada jusqu'en Afghanistan et de notre situation à cet égard. Je crois comprendre aussi que le commandant de l'armée songe à éliminer les bataillons de parachutistes.
Compte tenu des événements et de ce que vous avez appris en Afghanistan, pourriez-vous commenter ce qui s'est produit relativement au déplacement de nos troupes et parler de la possibilité de compter sur les avions américains pour assurer ce transport? Dans quelle mesure la disparition des parachutistes affecterait-elle les opérations?
Le lcol Stogran: Je ne peux que répéter ce que j'ai déjà dit à propos de notre déploiement là-bas, de mon point de vue de commandant au sol. Les mouvements aériens étaient aussi impeccables que possible, y compris entre les terrains d'aviation de Kandahar et de Baghran, ainsi que pour ce qui est de l'utilisation des hélicoptères. Nous avons été très bien servis par le transport aérien.
Je crois personnellement qu'il serait ridicule de se départir du régiment de parachutistes. J'ai déjà dit officiellement que la menace moderne est asymétrique par nature et qu'il nous faut pouvoir réagir rapidement. Le régiment de parachutistes demeure valable. Toutefois, dans notre armée, rien désormais n'est vraiment à l'abri des compressions.
En outre, en dépit du fait que je suis un fantassin et un parachutiste, je suis un partisan du char d'assaut, dont on a aussi songé à se départir. On nous demande de faire beaucoup plus avec beaucoup moins et, malheureusement, on envisagera encore un jour de se départir de ces atouts!
Le sénateur Tkachuk: Croyez-vous que la réorganisation proposée des bataillons découle de considérations opérationnelles ou n'est-ce, comme vous le laissez entendre, qu'une question d'argent?
Le lcol Stogran: Monsieur, je serai plus en mesure de répondre à cela une fois que j'aurai occupé mes prochaines fonctions et que j'aurai fait vraiment partie du processus. Comme le mgén Gauthier et le chef d'état-major de l'armée de terre l'ont mentionné, il s'agit d'un équilibre entre la capacité et la viabilité, et on ne peut pas vraiment avoir un sans l'autre. Il faut atteindre un équilibre. Il arrive un point où il faut évaluer le risque et déterminer de quelle capacité on peut se passer afin d'assurer la viabilité. C'est presque une question de déterminer qui vient en premier: la poule ou l'oeuf.
La présidente: Major-général, auriez-vous quelque chose à dire à ce sujet?
Le mgén Gauthier: Vous auriez de la difficulté à trouver, dans l'immeuble où je travaille, une personne qui dirait que l'argent n'est pas un problème. Bien sûr que c'est un problème.
Le sénateur Tkachuk: Comme vous avez répondu de cette façon, je comprends que c'est l'argent qui joue le rôle clé dans ces décisions. Autrement dit, ce n'est pas une question de choix quant aux opérations. Les décisions sont directement liées aux compressions budgétaires.
Le mgén Gauthier: Il y a toute une série de facteurs, mais, en bout de ligne, la capacité qu'on a dépend des moyens financiers dont on dispose. Toutes les forces armées partout dans le monde doivent relever le même défi. Leurs décisions seront guidées par les fonds disponibles et par d'autres éléments des politiques concernant les tâches et la nature des forces qu'on veut avoir.
La présidente: Merci. Le temps consacré au comité plénier prendra fin à 15 h 45.
Le sénateur Carstairs: Honorables sénateurs, je propose que le comité mette fin à sa séance à 15 h 45 et que la présidence déclare que le comité a terminé ses délibérations.
Le sénateur St. Germain: J'invoque le Règlement. Je voudrais que vous inscriviez mon nom sur la liste des sénateurs voulant poser une question aux témoins. Madame la présidente, je sais que vous ne voudriez pas faire preuve de discrimination à l'endroit de quelque personne que ce soit en fonction de sa provenance, mais en ma qualité de Canadien de l'Ouest et de sénateur membre de l'Alliance canadienne, j'aurais aimé poser une question. Quoi qu'il en soit, si c'est impossible, je vous félicite, messieurs, de l'excellent travail que vous avez accompli.
La présidente: Merci, sénateur St. Germain.
Le sénateur Kinsella: Le vote.
La présidente: Avant de mettre la question aux voix, je voudrais également remercier les témoins. Vous avez fait de l'excellent travail pour le Canada.
Des voix: Bravo!
La présidente: Honorables sénateurs, vous plaît-il d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
Le Sénat reprend sa séance.
L'honorable Lorna Milne: Le comité plénier, qui a accueilli le mgén Michel Gauthier et le lcol Pat Stogran, m'a chargée de vous faire rapport qu'il avait terminé ses délibérations.
AFFAIRES COURANTES
PROJET DE LOI SUR L'EXPORTATION ET L'IMPORTATION DES DIAMANTS BRUTS
PREMIÈRE LECTURE
Son Honneur la Présidente suppléante annonce qu'elle a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-14, Loi concernant le contrôle de l'exportation, de l'importation et du transit au Canada des diamants bruts et établissant un processus de certification pour leur exportation en vue de l'exécution par le Canada de ses obligations découlant du Processus de Kimberley.
(Le projet de loi est lu une première fois.)
Son Honneur la Présidente suppléante: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Carstairs, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après- demain.)
[Français]
PROJET DE LOI VISANT À MODIFIER LE NOM DE CERTAINES CIRCONSCRIPTIONS ÉLECTORALES
PREMIÈRE LECTURE
Son Honneur la Présidente suppléante annonce qu'elle a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-300, Loi visant à modifier le nom de certaines circonscriptions électorales.
(Le projet de loi est lu une première fois.)
Son Honneur la Présidente suppléante: Honorables sénateurs, quand lirons-nous ce projet de loi une deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Rompkey, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance dans deux jours.)
[Traduction]
LES TRAVAUX DU SÉNAT
L'honorable Sharon Carstairs (leader du gouvernement): Honorables sénateurs, je propose que la séance soit levée et que tous les articles à l'ordre du jour, les interpellations et les motions soient reportés à la prochaine séance du Sénat.
Son Honneur la Présidente suppléante: Plaît-il aux honorables sénateurs d'adopter la motion?
Des voix: D'accord.
(Le Sénat s'ajourne au mercredi 20 novembre 2002, à 13 h 30.)