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Débats du Sénat (Hansard)

Débats du Sénat (hansard)

1re Session, 38e Législature,
Volume 142, Numéro 84

Le mardi 19 juillet 2005
L'honorable Daniel Hays, Président


LE SÉNAT

Le mardi 19 juillet 2005

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

LE DÉCÈS DE LILLIAN TO

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui pour parler de Lillian To, une dame de Vancouver qui faisait partie des 25 Canadiens les plus influents en Colombie-Britannique et qui est décédée le 2 juillet dernier. Le Canada est devenu le grand pays que nous connaissons aujourd'hui grâce à la contribution de millions d'immigrants qui ont choisi de venir vivre au Canada et de devenir Canadiens. Lillian est arrivée au Canada en 1973 et, au cours des 32 années qui ont suivi, elle a mis sa foi chrétienne au service des autres, avec une passion et une vision sans égales, laissant en héritage aux habitants de la Colombie-Britannique des principes d'acceptation, de respect et de tolérance.

Bien que de petite taille, Lillian avait de grands rêves et elle oeuvrait à une vaste échelle pancanadienne. Toujours à l'avant-garde des nouveaux dossiers sociaux, elle a toujours accordé une attention toute personnelle aux problèmes communautaires locaux qui se sont souvent par la suite révélés d'intérêt national. Elle a toujours défendu les autres et travaillé à créer des services innovateurs pour ceux qui étaient dans le besoin. C'était une personne compatissante et compréhensive qui accordait autant d'attention et de soins à une rencontre avec un immigrant ou un réfugié nouvellement arrivé qu'à une rencontre avec le premier ministre. En 1988, Lillian est devenue directrice administrative de la United Chinese Community Enrichment Services Society, également connue sous le nom de SUCCESS. Il s'agit d'une organisation caritative à but non lucratif qui a pour mission d'aider les nouveaux arrivants à surmonter les barrières linguistiques et culturelles. Lillian a transformé cet organisme, qui n'était à son arrivée qu'un petit bureau installé dans le quartier chinois, pour en faire l'un des services sociaux les plus importants en Colombie-Britannique. Sous sa direction, l'organisme s'est développé et il compte maintenant 350 employés et 9000 bénévoles enregistrés qui desservent plus de 760 000 personnes chaque année dans 12 bureaux et offrent plusieurs programmes de sensibilisation dans les quatre coins de la Colombie-Britannique.

Travailleuse et organisatrice communautaire infatigable, Lillian a travaillé en moyenne 14 heures par jour, sept jours par semaine tout au cours de sa carrière qui s'est étendue sur 37 ans. Si l'on voulait compter ses années de service en semaines de travail normales, on pourrait dire qu'elle a travaillé pendant un équivalent de 74 ans. Comme plusieurs autres vrais chefs, Lillian a généreusement donné de son temps et a toujours fait passer les autres avant elle-même. Toujours humble, elle n'oubliait jamais de mentionner la collaboration des autres à ses nombreuses réalisations, donnant un exemple d'altruisme qui a touché des centaines de milliers de Canadiens et les a inspirés à devenir de meilleurs citoyens.

Lilian laisse derrière elle le mari qui l'aimait, deux fils qui lui étaient très attachés et une belle-fille, ainsi qu'une collectivité et un pays qui ont été enrichis par sa présence, renforcés par ses réalisations et qui lui sont redevables des services qu'elle n'a cessé de rendre aux autres. Honorables sénateurs, Lillian To, qui a été mon amie durant de nombreuses années, sera regrettée dans toutes les collectivités de Vancouver et de la Colombie-Britannique.

LE DÉCÈS DE FRANK MOORES

L'honorable Ethel Cochrane : Honorables sénateurs, jeudi dernier j'étais à St. John's pour pleurer avec les gens de ma province la perte de l'ancien premier ministre Frank Moores. M. Moores est décédé la semaine dernière à la suite de la longue bataille qu'il a menée contre le cancer, à l'âge de 72 ans. Il était réputé pour la puissance de son charisme, pour son agilité d'esprit et pour l'authenticité qui caractérisait ses rapports avec les gens. Ces traits de caractère l'ont bien servi dans ses nombreuses réussites politiques au fil des années. Il a été élu comme député pour la première fois en 1968. Plus tard, il devenait le président du Parti progressiste-conservateur du Canada. En 1972, de retour dans sa province, M. Moores a mené le parti à sa première victoire depuis l'entrée de Terre-Neuve dans la Confédération en 1949. Commentant cette victoire historique, le premier ministre Danny Williams a eu ceci à dire : « Il a vaincu un Goliath, un homme légendaire tenu pour invincible, et il l'a fait grâce à son talent, à son génie, à son esprit, à son charme et à son sens politique. »

Durant son mandat, de 1972 à 1979, il a orchestré des changements profonds et durables. Selon Brian Peckford, qui lui a succédé comme premier ministre, on se souviendra de M. Moores comme du premier ministre qui a « grandement modifié le mode de gouvernance du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador ».

Honorables sénateurs, il l'a fait en renforçant des mesures que nous tenons tout simplement pour acquises aujourd'hui. Avant 1972, par exemple, Terre-Neuve et le Labrador n'avaient pas de loi solide en matière de soumissions publiques. Il a veillé à ce que ce soit l'entreprise qualifiée ayant soumissionné au plus bas prix qui se voie adjuger le contrat. C'était là une nouvelle façon de faire dans la province. On mettait désormais le cap sur la responsabilité et la transparence.

Il a également été l'instigateur d'une ère nouvelle à l'Assemblée législative, en valorisant le rôle et les responsabilités des députés de la House of Assembly. L'honorable John Crosbie, qui a fait parti du Cabinet Moores durant cinq ans, a déclaré que M. Moores était « celui à qui l'on devait le rétablissement de la démocratie dans le sens que tous pouvaient se sentir libres d'exprimer leurs opinions sans craindre des mesures de rétorsion de la part de personnages influents du gouvernement ».

Comme l'exige le processus démocratique, le même respect a été témoigné hors du cercle ministériel. Lorsque M. Moores a été porté au pouvoir, les députés de l'opposition n'avaient rien, pas même un bureau dans lequel exercer leurs fonctions. L'une des premières tâches qu'il s'est données comme premier ministre a été de charger un sous-ministre de trouver des locaux à bureaux pour les députés. Aux yeux de M.

Moores, il était indispensable que tous les députés soient traités avec équité et respect. Au terme de sa carrière politique à l'échelle provinciale, M. Moores a contribué à l'organisation de la campagne de M. Mulroney à la direction du parti, campagne que M. Mulroney a remportée en 1983, puis il a créé le prestigieux groupe de lobbying Government Consultants International.

Honorables sénateurs, c'est avec grande tristesse que Terre- Neuve-et-Labrador dit au revoir à cet homme franchement remarquable. Grand bien nous fit de le connaître, et c'est avec reconnaissance que nous chérirons éternellement l'héritage qu'il nous laisse. J'offre mes plus sincères condoléances à son épouse, Beth, à ses enfants et à toute sa famille.

L'ÎLE-DU-PRINCE-ÉDOUARD

LE MARATHON DE L'ESPOIR 2005

L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, le 20 avril 1980, un jeune homme a entrepris un périple qui allait devenir l'un des plus inspirants de notre histoire. Terry Fox avait baptisé sa course le Marathon de l'espoir, et son histoire, sa bravoure et sa détermination ont touché les Canadiens de tous les coins du pays.

Encore aujourd'hui, son oeuvre se perpétue. En effet, on organise tous les ans des courses Terry Fox, au Canada et dans plus de 50 pays dans le monde. Ces courses attirent plus de trois millions de participants qui célèbrent ainsi la mémoire de Terry Fox et contribuent à recueillir des fonds destinés à la recherche sur le cancer.

Au Canada, des Canadiens partout au pays prennent part chaque année, en septembre, aux courses organisées dans leurs localités. Cette année, qui marque le 25e anniversaire du Marathon de l'espoir, une course spéciale aura lieu le 18 septembre, à l'Île-du- Prince-Édouard. Ce matin-là, le pont de la Confédération, ce pont de 13 kilomètres de long qui relie l'Île-du-Prince-Édouard au Nouveau-Brunswick, sera fermé à la circulation automobile, et les participants pourront traverser à la course ou à la marche le pont qui enjambe le détroit de Northumberland.

(1410)

Honorables sénateurs, de grands progrès ont été réalisés dans la recherche sur le cancer et dans le traitement de cette maladie depuis que Terry Fox a lancé son Marathon de l'espoir. Il faut que ce progrès se poursuive dans les années à venir.

J'invite les Canadiens à se rendre à l'Île-du-Prince-Édouard pour participer à cet événement unique à la mémoire de Terry Fox. Comme Terry lui-même l'a dit il y a 25 ans :

Si vous donnez ne serait-ce qu'un dollar, vous participez au Marathon de l'espoir.


AFFAIRES COURANTES

LE MARIAGE ENTRE PERSONNES DE MÊME SEXE

PRÉSENTATION D'UNE PÉTITION

L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, au nom de quelque 2 321 Canadiens de la région du Grand Toronto préoccupés par la question, je présente une pétition à l'appui de la définition traditionnelle du mariage, soit l'union d'un homme et d'une femme. La pétition est accompagnée d'une lettre dont je vous fais lecture :

La Chambre des communes a adopté le projet de loi C-38, et c'est maintenant le Sénat qui en fait l'étude. Pour les gens qui croient dans le caractère sacré du mariage, c'est-à-dire la majorité silencieuse, l'adoption du projet de loi C-38 est une page sombre de l'histoire de notre grand pays.

Parce qu'il invoque la Charte canadienne des droits et libertés, le projet de loi C-38 vise apparemment à remédier à une injustice pour cause d'inégalité. Cependant, dans le présent cas, le fait d'invoquer l'égalité des droits n'est qu'un écran de fumée. La discrimination à l'endroit des unions entre personnes de même sexe aurait certainement existé si les unions homosexuelles et le mariage traditionnel étaient des réalités comparables traitées différemment. Cependant, le Sénat peut faire comprendre au Parlement qu'en réalité il ne s'agit pas de réalités comparables mais bien de réalités fondamentalement très différentes. Il suffit d'un critère simple pour différencier ces deux réalités : la société peut compter sur le mariage traditionnel pour se perpétuer, avec l'arrivée de générations futures, et non sur les unions homosexuelles parce que ces dernières ne peuvent tout simplement pas donner de progéniture. Comme elles sont distinctes, ces réalités ne devraient pas être toutes deux désignées par le terme « mariage ». En fait, le projet de loi C-38 est une mauvaise application du principe de l'égalité des droits à deux réalités différentes.

Même si le projet de loi C-38 est maintenant au Sénat, nous sommes conscients qu'il est presque impossible, même pour le Sénat, de le renverser. Toutefois, le Sénat a le pouvoir de modifier cette mesure législative de façon à atténuer ses effets préjudiciables sur la société. Par conséquent, nous demandons que le Sénat :

1) favorise, si possible, une désignation différente pour le mariage entre personnes de même sexe, afin d'indiquer que celui-ci est fondamentalement différent du mariage traditionnel;

2) resserre ou renforce le libellé des amendements, ou intègre de nouveaux amendements au projet de loi afin de protéger véritablement les groupes religieux dans l'exercice de leurs libertés de religion, de croyance, de conscience et de parole; et, par dessus tout, que le Sénat apporte une attention particulière

a) au droit des commissaires aux mariages de refuser de célébrer des mariages entre personnes de même sexe;

b) au droit des organisations religieuses de contrôler l'utilisation de leurs biens; et

c) au droit des parents et des enseignants de discuter de ce qui est enseigné dans les programmes de vie familiale.

Nous avons confiance que le Sénat puisse trouver une façon d'éliminer, dans la mesure du possible, la tache noire que constitue la version actuelle du projet de loi C-38. Nous vous prions de faire part de nos préoccupations à tous les autres sénateurs.

Les soussignés sont les 2 321 Canadiens au nom desquels je présente la pétition.


PÉRIODE DES QUESTIONS

LES RELATIONS CANADO-AMÉRICAINES

LE DAKOTA DU NORD—LE DÉTOURNEMENT DES EAUX DU LAC DEVILS

L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Honorables sénateurs, lors du récent sommet du G8 tenu en Écosse, le premier ministre Paul Martin a encore une fois fait des démarches auprès du président des États-Unis, George W. Bush, afin de régler l'impasse ayant trait au lac Devils. C'est la cinquième fois au cours des 16 derniers mois que M. Martin discute de cette question avec le président des États-Unis.

Suite aux démarches faites par M. Martin, le leader du gouvernement au Sénat peut-il nous donner des assurances que ce différend fera l'objet d'un règlement qui respectera la position du Canada? En d'autres mots, y a-t-il lieu d'être optimistes et de croire que les efforts du premier ministre vont permettre d'en arriver à un règlement satisfaisant de ce dossier?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je suis désolé, mais je n'ai absolument rien de nouveau à ajouter aux réponses que j'ai données à la question posée par le sénateur Johnson au sujet du lac Devils vers la fin du mois dernier.

Le sénateur Stratton a raison, le premier ministre a régulièrement abordé directement la question avec le président Bush. Le premier ministre Doer a aussi été très actif, tout comme des députés de l'autre endroit, y compris l'honorable Reg Alcock et des députés des autres partis.

Ce n'est pas une question partisane. C'est une question qui suscite des préoccupations légitimes au Canada et nous avons fait part de ces préoccupations légitimes aux États-Unis, au niveau présidentiel, au niveau de la secrétaire d'État et au niveau du gouverneur du Dakota du Nord. J'aimerais sincèrement pouvoir parler de développements positifs dans ce dossier, mais je ne peux malheureusement pas le faire.

Le sénateur Stratton : Je conviens avec le leader du gouvernement qu'il ne s'agit pas d'une question partisane. Tous les partis ont intérêt à ce que la question soit réglée.

Les Ami(e)s de la Terre Canada et la municipalité de Gimli, où habite le sénateur Johnson, ont demandé un avis juridique à David Estrin, un avocat spécialisé en environnement, au sujet de poursuites possibles dans deux causes distinctes si le projet de détournement des eaux du lac Devils se concrétise. Un de ces procès aurait lieu devant la Cour fédérale du Canada et l'autre devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba.

Compte tenu des mesures juridiques que le gouvernement fédéral envisage peut-être et au cas où le détournement se ferait le 1er août ou vers cette date, est-ce que le gouvernement fédéral estime que ces deux poursuites devant les tribunaux peuvent être utiles à sa stratégie générale?

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, je n'ai aucun renseignement sur la position du ministère de la Justice et je ne sais rien de l'avis de Me Estrin.

J'ai déjà dit ici que des poursuites pouvaient être entreprises devant les tribunaux canadiens, mais que les actions les plus importantes devaient être prises devant les tribunaux des États- Unis. Les efforts déployés par le Canada pour persuader les gouverneurs des États touchés — parce que le Dakota du Nord n'est pas le seul État en cause, d'autres États sont aussi touchés — de s'adresser aux tribunaux aux États-Unis pourraient être utiles, mais jusqu'ici, aucune démarche n'a été faite en ce sens. Des lettres ont été envoyées au président et à la secrétaire d'État par le gouverneur de l'Ohio, comme il a déjà été dit ici, et, je crois, par le gouverneur du Minnesota.

Le sénateur Stratton : Merci.

LES PÊCHES ET LES OCÉANS

LA DIMINUTION DU FINANCEMENT ACCORDÉ À UN CHERCHEUR INDÉPENDANT ÉTUDIANT LES STOCKS DE MORUE DU NORD

L'honorable Gerald J. Comeau : Honorables sénateurs, ma question s'adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat. Il y a deux semaines, M. George Rose, un des chercheurs dans le domaine des pêches les plus connus et respectés de Terre-Neuve-et-Labrador — la plupart des Canadiens de l'Atlantique qui connaissent ce domaine sont au courant des travaux de M. Rose —, a annoncé que le ministère des Pêches et des Océans a réduit le financement de ses recherches.

Depuis 15 ans, M. Rose procède à des études annuelles des stocks de morue du Nord. Il est un des seuls chercheurs indépendants de la province et ses travaux révèlent des données précieuses sur l'état des stocks de morue du Nord.

Cette nouvelle a choqué bien des gens, y compris le premier ministre de Terre-Neuve, M. Williams, le ministre provincial des Pêches et même le ministre fédéral des Ressources naturelles, John Efford. Ce dernier a dit que cette réduction du financement était une erreur.

(1420)

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous dire si le ministère des Pêches et des Océans, par l'entremise du gouvernement, annulera sa décision et rétablira le financement complet des précieux travaux de M. Rose sur les stocks de morue du Nord?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je ne peux que prendre note de cette question, car je ne suis pas au courant des faits.

Dans l'intervalle, je répondrai aux questions qui m'ont été posées au préalable sur l'aquiculture au Nouveau-Brunswick. J'espère que les sénateurs ont remarqué que le gouvernement du Canada a décidé d'injecter 20 millions de dollars supplémentaires dans l'aquiculture dans la province du Nouveau-Brunswick. De plus, le sénateur Comeau m'a parlé des pêcheurs de crabe. Comme il le sait sans doute maintenant, le ministre des Pêches et des Océans, l'honorable Geoff Regan, rencontrera des représentants de l'industrie de la pêche au crabe.

Le sénateur Comeau : Honorables sénateurs, je remercie le ministre de sa réponse.

Pour l'aider dans son enquête sur la réduction du financement octroyé à M. Rose, je lui signale qu'on a invoqué pour justifier ces compressions le fait que l'argent serait apparemment réorienté de la morue du Nord vers d'autres espèces d'une plus grand valeur, comme le crabe, notamment. Or, si ces autres espèces ont une plus grande valeur actuellement, c'est tout simplement parce que la pêche de la morue du Nord est dans une situation très difficile et précaire, ce qui signifie que nous devrions affecter cet argent à la recherche sur la morue du Nord pour découvrir ce qui s'est passé il y a 15 ou 20 ans. Il faudrait rétablir le financement accordé à des chercheurs indépendants comme M. Rose, qui est largement respecté et bien connu.

Le ministre usera-t-il de ses excellents pouvoirs de persuasion auprès du Cabinet, comme je sais qu'il l'a fait à propos de l'aquaculture au Nouveau-Brunswick et de la pêche du crabe en Nouvelle-Écosse, pour faire en sorte qu'on rétablisse le financement accordé à M. Rose, qu'on puisse ainsi découvrir ce qui est arrivé aux stocks de morue du Nord et qu'on essaie de rétablir cette ressource extrêmement précieuse pour Terre-Neuve-et-le-Labrador?

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, je serai très heureux de transmettre le plaidoyer du sénateur Comeau au ministre Regan et de m'enquérir de la situation.

LA DÉFENSE NATIONALE

LES HÉLICOPTÈRES SEA KING—LEUR REMISE EN ÉTAT POUR UNE MISSION EN AFGHANISTAN

L'honorable J. Michael Forrestall : Honorables sénateurs, j'ai deux questions à poser au leader du gouvernement au Sénat et je voudrais savoir s'il a obtenu une réponse à celle que j'ai posée hier au sujet des prestations devant être versées à d'ex-membres de la Deuxième Force opérationnelle interarmées.

Ma première question concerne les hélicoptères Sea King. Sincèrement, mon pire cauchemar s'est maintenant concrétisé. Le leader du gouvernement peut-il confirmer que l'Industrial Marine Products de Halifax reconfigure actuellement un certain nombre de Sea King — huit, je crois — afin qu'ils soient utilisés en Afghanistan?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, en ce qui concerne la question sur les demandes de prestations présentées par du personnel de la FOI2 à la suite de blessures, je me suis renseigné et on a porté à mon attention l'article publié dans l'Ottawa Citizen d'hier. Je vais continuer de me renseigner aussi énergiquement que le temps me le permet.

Pour ce qui est des Sea King, comme d'habitude, ce que le sénateur Forrestall affirme va plus loin que l'information dont je dispose. Une fois de plus, je vais toutefois me renseigner sur les prémisses sur lesquelles repose sa question. L'idée d'utiliser des Sea King en haute altitude en Afghanistan serait plutôt étonnante.

LES HÉLICOPTÈRES SEA KING—L'ACHAT DE MATÉRIEL USAGÉ

L'honorable J. Michael Forrestall : Honorables sénateurs, je suis sensible à la préoccupation du leader, particulièrement en ce qui concerne la Deuxième Force opérationnelle interarmées. J'attends avec impatience une réponse sur cette question.

Hier, j'ai reçu une réponse différée à une question où je demandais si le gouvernement envisageait l'achat de G222 excédentaires comme appareils de recherche et de sauvetage à voilure fixe. La réponse a été quelque peu équivoque. J'avais demandé précisément si on nous donnerait l'assurance que nous n'utiliserions pas ces très vieux appareils, rappelant notre expérience avec les Sea King.

On m'a dit que le ministère de la Défense nationale s'informe maintenant au sujet de l'achat auprès des États-Unis, de la Grande- Bretagne et de l'Égypte, je crois, de certains de leurs Sea King légèrement usagés. Je ne connais pas l'âge de ces appareils, car je n'ai pas eu l'occasion de faire enquête là-dessus.

Les Forces canadiennes doivent avoir droit à un équipement sûr, de bonne qualité et fiable. Dieu sait qu'elles méritent cela, à tout le moins.

Le leader du gouvernement pourrait-il me dire, s'il le sait — et s'il ne le sait pas, pourrait-il se renseigner — si nous envisageons d'acheter de l'équipement usagé des États-Unis? Dans l'affirmative, avant que le gouvernement ne conclue une entente, est-ce qu'on peut indiquer clairement aux Canadiens les états de service de l'équipement que nous avons l'intention d'acheter de façon à ce que la population ait l'occasion de réagir?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, cette question est légitime. Je n'en connais pas les fondements, parce qu'on ne m'a pas informé du fait qu'un achat de ce type était envisagé. Toutefois, l'assurance que ces appareils sont exploitables du fait qu'ils respectent toutes les exigences qui leur sont imposées en matière de sécurité, devrait certainement être acceptée d'office.

Le sénateur Forrestall : Honorables sénateurs, je dois quitter le Sénat d'ici environ deux ans. Si le leader du gouvernement est toujours à son poste et veut compter sur du bon personnel qui lui donne des informations à jour au sujet de ce qui se passe en matière de défense, M. Joe Varner et moi-même sommes disponibles.

Le sénateur Austin : Je vous remercie.

LES FINANCES

LES MODIFICATIONS AU BUDGET DE 2005—LE RECOURS À DES CRÉDITS SUPPLÉMENTAIRES POUR INTÉGRER DES CRÉDITS D'ORIGINE LÉGISLATIVE PROVENANT DE L'ANNÉE FINANCIÈRE PRÉCÉDENTE

L'honorable Donald H. Oliver : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat et elle porte sur la date de dépôt et le contenu du budget des dépenses et du budget supplémentaire des dépenses.

Pendant notre étude en comité du projet de loi C-48, M. Peter Devries, du ministère des Finances, a donné au Sénat l'assurance que le Parlement pourrait examiner les dépenses prévues par le projet de loi C-48 quelques mois après le fait, lorsqu'on en rendrait compte comme crédit d'origine législative dans le « premier budget supplémentaires des dépenses de 2006-2007, qui serait déposé aux environs du mois de novembre, comme le veut le tradition. »

Même s'il a raison à cet égard, le Parlement ne serait toujours pas en mesure d'obtenir les détails des dépenses avant qu'elles ne soient engagées, ce qui préoccupe vivement l'opposition. Cependant, je mets en doute l'affirmation de M. Devries selon laquelle nous serions en mesure de contester ces dépenses après coup, pendant l'étude du Budget supplémentaire des dépenses, car ce budget ne porte habituellement que sur l'exercice en cours. De par sa nature, il ne donne pas des chiffres à jour sur les postes législatifs d'une année précédente. Comme le leader du gouvernement au Sénat le sait, dans le projet de loi C-48, le budget porte sur des paiements effectués au cours de l'exercice précédent.

Le leader pourrait-il dire au Sénat si la présentation du Budget supplémentaire des dépenses sera modifiée pour incorporer des postes législatifs inscrits au cours d'exercices précédents?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je suis désolé de ne pouvoir donner plus de détails que ceux qu'a présentés M. Devries lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales.

Le sénateur Oliver : Honorables sénateurs, la politique a-t-elle été modifiée pour incorporer soudainement des chiffres des années précédentes, ce qui n'a jamais été le cas auparavant dans le Budget supplémentaire des dépenses?

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, je devrai me renseigner.

LE DÉVELOPPEMENT SOCIAL

LE PROGRAMME D'APPRENTISSAGE ET DE GARDE DE JEUNES ENFANTS—L'ACCESSIBILITÉ

L'honorable Ethel Cochrane : Honorables sénateurs, ma question s'adresse également au leader du gouvernement au Sénat et porte sur des observations que Ken Dryden, ministre du Développement social, a faites récemment au sujet du programme de garde de jeunes enfants dont le gouvernement fédéral propose la création.

(1430)

Le 8 juillet, le ministre a donné une entrevue au réseau CBC Newsworld. Il a dit que le programme d'apprentissage et de garde de jeunes enfants serait accessible à tous. Quelques secondes plus tard, il a dit que les services offerts dans le cadre du programme ne seraient pas accessibles dans tous les centres.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous expliquer ce qu'entendait le ministre par ces observations? Comment ce programme peut-il être accessible à tous et ne pas être offert dans tous les centres?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je ne suis pas au courant des observations précises qu'a faites le ministre Dryden et auxquelles madame le sénateur Cochrane fait allusion. Comme les sénateurs le savent, le gouvernement compte honorer son engagement à investir 5 milliards de dollars sur cinq ans dans un programme national d'apprentissage et de garde de jeunes enfants.

Les sénateurs savent également que la mise en oeuvre du programme fait l'objet d'accords fédéraux-provinciaux et que ce sont les provinces et les territoires qui administreront le programme. À l'heure actuelle, je n'ai pas d'autres renseignements à donner au sénateur Cochrane. Toutefois, sa question m'intrigue et je m'efforcerai de savoir ce que le ministre Dryden veut dire.

Le sénateur Cochrane : Honorables sénateurs, le 16 juin, le ministre Dryden a déclaré quelque chose de semblable dans le Globe and Mail. Il a dit que la portée du plan ne serait jamais réellement universelle. Cependant, le gouvernement continue d'affirmer que le programme sera accessible à tous.

Le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous expliquer ceci : comment le gouvernement fédéral peut-il continuer à justifier ce programme auprès des familles canadiennes des régions rurales? Ces dernières subventionneront des services de garde d'enfants qui ne seront offerts que dans les centres urbains, des services auxquels elles n'auront pas accès.

Des voix : Oh, oh.

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, l'exposé du sénateur Cochrane est contestable. Je pense que la prémisse de sa question est très discutable.

Puisque que nous faisons référence au Globe and Mail, comme le sénateur Comeau le sait, j'attire l'attention des sénateurs sur l'article en première page de l'édition du lundi 18 juillet. Il a trait à la position des Canadiens par rapport au projet de loi C-38. Toutefois, nous ne nous y attarderons pas.

Le sénateur St. Germain : Combien vous a coûté cette publicité?

Le sénateur Austin : Pour répondre à madame le sénateur Cochrane, le gouvernement fédéral a l'intention de donner aux Canadiens qui utilisent les garderies accès à des services de garde d'enfants administrés par les provinces. Il n'a pas l'intention de financer la garde d'enfants assurée par les parents dans leur maison privée, si c'est ce qu'elle suggère.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je comprends que l'argent prévu au titre de ce nouveau train de mesures sera affecté aux garderies agréées et à des concepts de garderie compréhensibles. Je comprends que l'argent pourra servir à augmenter le nombre de places disponibles, à hausser le salaire très bas des travailleurs et travailleuses en garderie ou à accroître la qualité des installations. De nombreuses garderies sont dans des sous-sols, notamment.

Le problème est que les fonds alloués sur les cinq prochaines années ne permettent pas d'agir simultanément sur ces trois fronts. Ils ne permettent même pas d'agir sur un seul de ces fronts. Lors des déplacements de notre comité, on nous a dit que les provinces seraient confrontées à ce problème. On s'attend à ce que les places soient dans des garderies. Or, les fonds sont insuffisants. Ils seront peut-être suffisants dans 20 ou 50 ans, mais les fonds alloués pour les cinq prochaines années ne sont pas suffisants.

Le sénateur Mercer : Il faut bien commencer quelque part.

Le sénateur Andreychuk : Pourquoi le gouvernement a-t-il présenté la chose comme s'il y avait une stratégie en place? On a donné de faux espoirs à des millions de Canadiens. N'aurait-il pas mieux valu indiquer que c'était la première étape, si bien que les Canadiens auraient trouvé la situation plus logique et plus acceptable?

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, c'est la bonne vieille question du verre à moitié plein ou à moitié vide. Comme en témoignent les ententes signées par plusieurs provinces relativement au programme de garderies, l'amélioration des services de garde est un besoin criant au Canada. Cela dit, l'injection de 5 milliards de dollars sur cinq ans n'est pas rien.

Je ne peux qu'être d'accord avec madame le sénateur Andreychuk sur le fait qu'il n'y aura jamais assez d'argent. Les besoins sont énormes et importants. Toutefois, le ministre Dryden a dit clairement qu'il ne s'agit pas d'un programme ponctuel.

Le gouvernement du Canada est déterminé à poursuivre les négociations avec les provinces, en fonction de la capacité de contribution du Canada pour la suite des choses. Cela dit, ce programme doit être vu comme étant un progrès par rapport à la situation actuelle.

L'AGRICULTURE ET L'AGROALIMENTAIRE

LE RAPPORT INTITULÉ UN POUVOIR DE MARCHÉ ACCRU POUR LES PRODUCTEURS AGRICOLES CANADIENS

L'honorable Leonard J. Gustafson : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Premièrement, je transmets les félicitations des agriculteurs pour l'ouverture récente de la frontière. Je tiens à le faire parce que les efforts ont été concertés. Je précise que le ministre a toujours transmis au Cabinet les questions qui lui ont été posées au sein du Comité sénatorial de l'agriculture. La frontière est bel et bien ouverte. Il faudrait voir plus souvent ce type d'efficacité de la part du gouvernement.

Honorables sénateurs, le rapport tant attendu de Wayne Easter, secrétaire parlementaire, sur les revenus agricoles et les prix à la production, vient d'être publié. D'après celui-ci, les agriculteurs, notamment dans l'industrie céréalière, font faillite. Ceux qui sont couverts par un office de commercialisation se débrouillent plutôt bien.

En ce qui concerne les recommandations et les conclusions formulées dans le rapport, que pouvons-nous attendre du gouvernement pour mieux aider les agriculteurs canadiens à surmonter les défis auxquels ils sont confrontés?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Je remercie l'honorable sénateur de ses commentaires à propos de l'ouverture de la frontière au bétail canadien. Nous en avons parlé hier. J'ai notamment tenté de souligner que les mesures prises devant la Ninth Circuit Court aux États-Unis dans le but de renverser l'injonction provisoire étaient fondées sur des preuves scientifiques et motivées par la campagne énergique du département américain de l'Agriculture, appuyée par le ministère canadien de l'Agriculture. Je le remercie pour cela.

Le sénateur St. Germain : N'oubliez pas les intervenants!

Le sénateur Austin : Nous verrons à propos des intervenants. La question sera traitée le 27 juillet. Nous verrons dans quelle mesure les intervenants désintéressés auront été utiles.

(1440)

Revenons à la question sur le rapport fraîchement publié de l'honorable Wayne Easter, député de Malpeque et secrétaire parlementaire du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, intitulé Un pouvoir de marché accru pour les producteurs agricoles canadiens. Comme l'a dit l'honorable sénateur, le rapport émet certaines recommandations qui auront une incidence sur les producteurs primaires. Cependant, comme le dit M. Easter, la véritable question est celle du déséquilibre et de l'absence de position dominante sur le marché pour l'agriculture, autant au Canada qu'ailleurs. Selon lui, comme l'a déjà fait remarquer le sénateur Gustafson, bien que la gestion de l'offre équilibre les positions de ces marchandises sur le marché canadien, elle ne se prête pas aux marchandises destinées à l'exportation.

Si les honorables sénateurs veulent bien m'accorder un instant, j'aimerais leur donner de l'information tirée du rapport. Les questions posées par M. Easter sont les suivantes : Pourquoi les prix à la ferme sont-ils en déclin, alors que les prix de détail se sont accrus significativement et même, dans certains cas, considérablement? Pourquoi les coûts des intrants agricoles augmentent-ils sans arrêt, alors que les revenus agricoles attribuables aux marchés ont fléchi si rapidement? Pourquoi les pressions exercées sur les revenus agricoles sont-elles vécues partout dans le monde et non pas seulement au Canada?

M Easter constate ceci :

Les détaillants en aliments ont obtenu un taux de rendement moyen de 12 p. 100 entre 1990 et 1998. Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC) a signalé que : « Le secteur de la vente d'aliments au détail est rentable, malgré le fait que les prix des aliments ont progressé plus lentement que la moyenne des prix depuis 1990. »

À l'inverse, il constate aussi ceci :

Le revenu agricole net réalisé au Canada a décliné, passant de plus de 3 milliards de dollars par année en 1989 à moins de zéro en 2003.

Je pourrais donner encore plus d'information tirée du rapport, mais le sénateur Tkachuk ne veut plus entendre parler de la situation de l'agriculture au Canada. Quoi qu'il en soit, je partage les inquiétudes du sénateur Gustafson, comme je l'ai déjà indiqué à de nombreuses reprises.

LES INJUSTICES DANS LE PROGRAMME CANADIEN DE STABILISATION DU REVENU AGRICOLE

L'honorable Leonard J. Gustafson : Honorables sénateurs, j'ai une question complémentaire. Le Programme canadien de stabilisation du revenu agricole ne fait rien pour compenser la baisse de la marge de production des agriculteurs. Je vous résume la situation. Un producteur donné, qui a une bonne récolte et une marge de production bien au-dessus de la moyenne, peut toucher une somme importante du PCSRA. En revanche, un autre producteur, qui a subi trois années de sécheresse, peut ne rien toucher du PCSRA. Autant que je sache, ce problème n'est toujours pas réglé et il faudrait absolument qu'il le soit avant l'année prochaine. En septembre, on produira le rapport pour 2004. Le ministre peut-il nous dire si le comité d'examen a étudié ce problème?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, comme je l'ai déjà dit alors que je répondais à une question du sénateur Gustafson, les ministres de l'Agriculture se sont réunis ce mois-ci. Je n'ai pas la date exacte de leur réunion, mais la question du PCSRA, et notamment des critères de ce programme, était à l'ordre du jour de leur réunion.

Je sais de quoi parle le sénateur Gustafson. Le programme n'a pas fonctionné de façon à offrir un soutien au revenu à de nombreux producteurs agricoles vulnérables.

LA SANTÉ

LA VENTE TRANSFRONTALIÈRE DE MÉDICAMENTS SUR ORDONNANCE

L'honorable Marjory LeBreton : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader au gouvernement au Sénat et concerne la récente annonce que la ministre de la Santé a faite au sujet de la vente transfrontalière des médicaments sur ordonnance. Le ministre dit avoir l'intention d'interdire l'exportation en vrac de médicaments sur ordonnance à partir du Canada. Cependant, le ministre est demeuré très vague au sujet des autres initiatives qu'il entend mettre en oeuvre. Par exemple, dans un communiqué de presse du 29 juin, Santé Canada affirme que le ministre resserrera la réglementation fédérale sur la relation entre médecin et patient et qu'un réseau d'approvisionnement en médicaments sera mis sur pied. Aucun détail n'a cependant été fourni quant à la façon dont le ministre entend procéder dans l'un ou l'autre cas.

Outre l'interdiction prévue des exportations en vrac de médicaments, le leader du gouvernement au Sénat pourrait-il nous fournir les détails du plan du ministre et nous indiquer quand il sera présenté au Parlement et aux Canadiens?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je vais me renseigner.

Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, le ministre affirme que l'interdiction d'exportations en vrac ne sera pas permanente et n'entrera en vigueur qu'advenant une pénurie dans l'approvisionnement national. Cela signifie que l'approvisionnement aux Canadiens devra poser un problème identifiable avant qu'on ne mette un terme aux exportations en vrac. Cela semble aller à l'encontre de l'objet de l'interdiction. Le leader du gouvernement pourrait-il nous expliquer comment le système doit fonctionner?

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, je vais également me renseigner à ce sujet.


ORDRE DU JOUR

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'aimerais appeler les projets de loi d'initiative ministérielle dans l'ordre suivant : premièrement, le projet de loi C-2, puis les projets de loi C-23, C-22, C-38 et C-48.

LE CODE CRIMINEL
LA LOI SUR LA PREUVE AU CANADA

PROJET DE LOI MODIFICATIF—TROISIÈME LECTURE

L'honorable Landon Pearson propose : Que le projet de loi C-2, Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d'autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, soit lu une troisième fois.

Son Honneur le Président : Avant d'accorder la parole aux sénateurs qui veulent intervenir, je souligne que les deux premiers intervenants, normalement un sénateur du gouvernement suivi d'un sénateur de l'opposition, ont plus de temps à leur disposition. Cependant, le sénateur Andreychuk désire prendre la parole en premier.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je prendrai très peu de temps. Le sénateur Nolin, qui était le porte- parole de l'opposition, a appuyé les observations et l'adoption du projet de loi. Je voulais simplement le préciser pour que ce soit bien clair.

Je désire également souligner que, contrairement à ce qu'on a lu dans l'Ottawa Citizen, qui affirmait qu'il était inhabituel que des observations soient annexées à un rapport, nous le faisons souvent. En fait, c'est devenu une habitude, au moins depuis 12 ans que je suis ici. Lorsque j'ai été nommée au Sénat, il était inhabituel que des observations soient annexées à un rapport, mais c'est maintenant un processus qui fonctionne bien et que nous voyons souvent. Certains sénateurs estiment peut-être que c'est une pratique inhabituelle et peu souhaitable, mais je crois que les observations constituent un bon moyen de signaler certaines préoccupations au sujet d'un projet de loi.

Honorables sénateurs, le projet de loi crée certaines difficultés et nous les avons signalées. Il se pourrait que certaines soient des lacunes constitutionnelles. Cependant, ce n'est pas la première fois que la question se retrouve devant le Parlement. Celui-ci s'est déjà débattu avec ce sujet auparavant. Je crois que, si le législateur a erré, c'est pour protéger les enfants; par conséquent, la liberté artistique pourrait être compromise. Le comité a signalé cela. Il a senti l'urgence qu'il y avait à faire adopter le projet de loi et je tiens à exprimer mon soutien aux déclarations du comité.

Quelques témoins, et un en particulier, ont souligné que nous ne devons pas nous imaginer que nous avons maintenant protégé les enfants de la pornographie et que le projet de loi est le seul moyen de le faire. Le gouvernement adopte souvent des lois pour remédier à certains maux, particulièrement aux maux qui frappent les enfants. Nous devrions savoir que la question a de très nombreuses ramifications, qu'elle est très complexe, particulièrement si l'on tient compte des nouvelles technologies, et, à cet égard, je compte sur le gouvernement pour continuer de chercher des moyens d'aider les enfants qui sont victimes de prédateurs sexuels. Nous devons nous préoccuper de la protection des enfants et ne pas croire qu'une seule mesure législative les protégera en toutes circonstances.

Je suis très heureuse que le projet de loi traduise la volonté politique exprimée par la population, qui désirait que quelque chose soit fait et que l'on tente à nouveau de modifier la loi. Je félicite le comité, pour qui il n'a pas été facile de prendre une décision. J'appuie sa décision.

(1450)

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

PROJET DE LOI SUR LE MINISTÈRE DES RESSOURCES HUMAINES ET DU DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES

TROISIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) propose : Que le projet de loi C-23, Loi constituant le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences et modifiant et abrogeant certaines lois, soit lu une troisième fois.

(Sur la motion du sénateur Stratton, le débat est ajourné.)

PROJET DE LOI SUR LE MINISTÈRE DU DÉVELOPPEMENT SOCIAL

TROISIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) propose : Que le projet de loi C-22, Loi constituant le ministère du Développement social et modifiant et abrogeant certaines lois, soit lu une troisième fois.

(Sur la motion du sénateur Stratton, le débat est ajourné.)

PROJET DE LOI SUR LE MARIAGE CIVIL

TROISIÈME LECTURE—SUSPENSION DU DÉBAT

L'honorable Serge Joyal propose : Que le projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil, soit lu une troisième fois.

— Honorables sénateurs, les réunions de la semaine dernière du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel le Sénat a confié l'étude du projet de loi C-38, se sont avérées une expérience des plus intéressante. Je sais que certains de nos collègues qui n'y ont pas assisté ont sans doute passé la semaine à la campagne ou ailleurs avec leur famille et profité du beau temps. Toutefois, tous les membres du comité, des deux côtés du Sénat, ainsi que les sénateurs indépendants, et je souligne que le sénateur Prud'homme a assisté à toutes les rencontres, ont vécu une expérience hors du commun. Nous sommes reconnaissants au Sénat de nous avoir confié l'étude des divers aspects du projet de loi C-38.

Je tiens à souligner l'engagement de tous les sénateurs, et particulièrement la courtoisie, l'attention, le soin et le professionnalisme dont les sénateurs de l'opposition et du gouvernement ont fait preuve tout au cours du processus. Le leader adjoint de l'opposition, le sénateur Stratton, avait précisé que le travail du comité devait être fait de manière consciencieuse, équilibrée et juste.

Nous avons entendu 33 témoins qui provenaient des milieux les plus érudits, soit de l'Université McGill, d'Osgoode Hall, de Calgary, de Winnipeg et de l'Université du Québec. Des représentants des diverses Églises nous ont présenté des témoignages marquants et ont exprimé en toute franchise leurs convictions profondes dans le contexte de leur foi respective. De même, nous avons entendu les porte-parole de divers groupes qui travaillent à ce dossier depuis de nombreuses années.

C'est avec beaucoup de gratitude que je rappelle aux sénateurs que certaines de nos rencontres ont été diffusées sur le réseau CPAC grâce à la demande effectuée par le sénateur St. Germain, qui tenait à ce que les Canadiens puissent voir le Sénat à l'oeuvre.

Honorables sénateurs, ce fut un privilège pour moi de siéger à ce comité et d'assister aux réunions de la semaine dernière. J'aimerais remercier très sincèrement notre collègue, madame le sénateur Bacon, qui a présidé ce comité de main de maître grâce à son expérience et à ses grandes connaissances, acquises il y a plusieurs années alors qu'elle présidait le Cabinet du gouvernement du Québec. Je l'en remercie. Nous lui sommes tous reconnaissants de son engagement envers le comité.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, j'aimerais aborder trois dossiers cet après-midi. Tout d'abord, comme le sénateur Di Nino a dit en présentant sa pétition, ne devrions-nous pas opter pour un concept d'union civile au lieu d'accorder aux couples homosexuels la capacité juridique de se marier, selon la définition du mariage? C'est le premier point que tous les témoins qui ont comparu devant le comité ont soulevé.

Ensuite, j'aimerais aborder le droit à la liberté de religion et de conscience. C'est une question très sérieuse. Je voudrais aborder certains aspects avec vous, à la suite des témoignages que nous avons entendus la semaine dernière.

Enfin, honorables sénateurs, comme le sénateur Di Nino a dit lorsqu'il a présenté sa pétition, je vais aborder avec vous les retombées de cette décision sur la société canadienne et, surtout, sur l'unité familiale.

Ne devrions-nous pas opter pour une forme d'union civile au lieu du mariage? Un des premiers arguments présentés à l'étape de la deuxième lecture était que le mariage, selon la définition traditionnelle, devrait être réservé aux personnes de sexe opposé, et qu'une nouvelle forme d'union devrait être établie pour les personnes de même sexe, que l'on pourrait appeler « union civile ». Honorables sénateurs, il est facile de tomber dans ce que Gérard Pelletier a déjà appelé « le piège des mots ». On nous a dit que, traditionnellement, le mariage est l'union d'une personne avec une autre du sexe opposé, son mari ou sa femme, dans une relation consensuelle ou contractuelle reconnue par la loi. Jusqu'à l'an dernier, c'était la définition qu'on pouvait retrouver dans les dictionnaires en ligne.

Depuis 2005, le second élément de la définition du mariage est l'union d'une personne avec une autre du même sexe, dans une relation semblable à celle du mariage traditionnel.

(1500)

Voici la définition que le dictionnaire donne du mariage :

État d'une personne qui est mari ou femme; relation entre des personnes mariées l'une à l'autre; vie conjugale.

Le terme s'applique parfois aujourd'hui à des rapports durables entre conjoints de même sexe.

Ainsi le dictionnaire note-t-il une évolution. J'ai pu constater la même chose dans une encyclopédie. On donne aujourd'hui une définition étendue au mot « mariage ». Ce qui veut dire que, dans le monde de la lexicographie, les définitions antérieures n'enchaînent pas. Il importe de le comprendre pour éviter le piège de la facilité qui peut nous faire affirmer obstinément, parce qu'on nous l'a dit, que le mariage ne peut que concerner un homme et une femme, ne peut être qu'un rapport de longue durée de nature contractuelle. Or, il suffit de parcourir un dictionnaire pour trouver cinq définitions différentes et distinctes du même mot. Le mot « concept » par exemple, n'a ni un seul sens, ni une seule définition. On n'a qu'à consulter divers dictionnaires pour le constater.

Mais revenons à la question. Devrions-nous poursuivre l'idée de l'union civile du fait que cela contenterait tout le monde : ceux qui s'opposent au mariage entre personnes de même sexe garderaient pour eux le mariage et ceux qui souhaitent être unis auraient une institution bien à eux.

Honorables sénateurs, voilà qui risque de jouer de mauvais tours. Permettez-moi de vous rappeler ce que nous disaient aussi bien le Washington Post et l'Ottawa Citizen en février de cette année et en 2003 respectivement en ironisant dans leurs manchettes sur la nécessité incontournable d'une école secondaire pour gais. Pensez-y : une école secondaire pour gais. Autrement dit, aux États-Unis, et particulièrement à New York, le phénomène du harcèlement des étudiants gais a une telle ampleur — on parle ici d'intimidation, d'agression, de passage à tabac, de quolibets — et la frustration de ceux qui sont l'objet est telle que la commission scolaire de New York a envisagé la création d'une école entièrement réservée aux étudiants gais : un endroit où ils seraient heureux, où ils seraient ensemble, où ils auraient l'occasion de s'extérioriser et de s'exprimer sans risque d'intimidation, de menaces ou de chantage. Ce serait leur école.

Or, permettez-moi de vous citer ce qu'on a dit de ce projet. « Pour faire valoir que tous méritent le respect sans égard à la race, à l'orientation sexuelle et au sexe, mieux vaut les réunir dans le même milieu et faire abstraction de leurs différences que de les isoler, les étiqueter et souligner leurs différences. »

Qu'aurions-nous si nous avions une union civile pour les homosexuels? Cela signifierait que, lorsque qu'on remplit une demande de passeport, il y aurait une catégorie supplémentaire. On serait célibataire, marié ou membre d'une union civile. Il en irait de même lorsqu'on se présente aux douanes, au retour d'un voyage. Cela nous arrive à tous : une petite fiche nous est distribuée dans l'avion, et il y a plusieurs catégories d'état civil. Immédiatement, si vous faites partie d'une union civile, vous seriez mis à part. L'agent des douanes saurait immédiatement que vous êtes une personne faisant partie d'une union civile. L'agent des douanes remettrait ses lunettes et vous regarderait une deuxième fois.

Ce concept de la séparation en deux institutions différentes, honorables sénateurs, est complexe. Mais cela ne s'arrête pas là. Il est erroné sur le plan conceptuel, d'un point de vue constitutionnel. Et il est erroné sur le plan constitutionnel dans sa définition de l'union. Les tribunaux au Canada, particulièrement la Cour d'appel de l'Ontario et celle de la Colombie-Britannique, ont été éloquents quant à la nature de la distinction éventuelle qui serait mise en œuvre dans la division des institutions en deux. Il existerait une subdivision du mariage appelée l'union civile.

Comment la Cour d'appel de l'Ontario a-t-elle vu cette option? Dans sa décision de 2003, au paragraphe 107, elle a déclaré :

Dans ce cas, les couples formés de personnes du même sexe sont exclus d'une institution sociétale fondamentale, le mariage. On ne saurait laisser de côté l'importance sociétale du mariage et les avantages correspondants, qui sont disponibles uniquement aux personnes mariées.

Plus loin, la cour dit que « l'exclusion perpétue l'opinion selon laquelle les mariages entre personnes de même sexe méritent moins d'être reconnus que ceux entre personnes de sexe opposé. En agissant ainsi, elle offense la dignité des personnes de même sexe qui vivent une union soutenue ». Il s'agit de la définition théorique.

Qu'en est-il de la dimension juridique? La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a dit ceci au paragraphe 156 de la décision rendue en 2003, dans l'affaire Barbeau v. British Columbia (Attorney General) :

Il ne faut pas demander à cette cour de reconnaître les couples de même sexe « quasi égaux » ou de laisser aux gouvernements le soin de choisir parmi des solutions en deçà de l'égalité.

Honorables sénateurs, la Cour suprême du Canada a elle aussi été appelée à se pencher sur cette définition en décembre dernier, dans le cadre du Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe. La cour a été très claire quant à la façon dont elle conçoit le mariage, par opposition aux unions civiles. Elle a dit ce qui suit, au paragraphe 33 :

Le mariage et l'union civile sont deux institutions distinctes à l'intérieur desquelles les couples peuvent exprimer leur engagement et structurer leurs obligations juridiques. L'union civile ne constitue pas tout à fait un mariage et est donc régie par la province. Le pouvoir de légiférer relativement à ce type de relation conjugale ne saurait cependant s'étendre au mariage. Si nous acceptions que la compétence provinciale sur les relations entre personnes du même sexe inclut le mariage entre personnes du même sexe, nous devrions aussi reconnaître que la compétence provinciale sur les relations entre personnes de sexe opposé inclut le mariage entre personnes de sexe opposé.

La Cour a été très claire. Elle a ajouté que « la province de Québec a institué un régime d'union civile pour permettre à des personnes engagées dans une relation conjugale d'acquérir toute une série de droits et de responsabilités (voir la Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation) ».

Qu'est-ce que la Cour suprême a fait? Elle a tenu compte du fait que cinq provinces avaient adopté des mesures législatives relativement à des relations fondées sur des unions civiles. La première province ayant légiféré en ce sens est la Nouvelle-Écosse. En 2000, la Nouvelle-Écosse est devenue la première province au pays à adopter une mesure sur les unions libres enregistrées.

Le sénateur Mercer : C'est nous.

Le sénateur Joyal : C'est la Nouvelle-Écosse, en 2000. Nous ne parlons pas de mariage, mais d'union libre. Le Québec a aussi adopté, en 2002, une loi intitulée « Loi instituant l'union civile et établissant de nouvelles règles de filiation ».

Ensuite, il y a eu le Manitoba. Cette province a adopté la Common-law Partners Property and Related Amendments Act. Le Manitoba a aussi adopté un principe visant à reconnaître, dans une certaine mesure, les relations entre personnes de même sexe. L'Alberta, dernière province ayant légiféré à cet égard, avait formulé une proposition dont nous avons discuté la semaine dernière avec des témoins. Cette province a adopté la Adult Independent Relationship Act.

(1510)

Cette loi est longue et complète. Elle porte sur les unions qui ne sont pas tout à fait des mariages. La Cour suprême a indiqué que la façon de maintenir l'égalité était de donner accès à la même institution à deux types de couple, faute de quoi l'accès à cette institution était réservé à un seul groupe.

Permettez-moi de fournir aux honorables sénateurs un exemple. Nous avons deux langues au Parlement. Je peux vous parler français; I can speak to you in English. Le Parlement est accessible dans les deux langues. En passant, grâce au travail du sénateur Smith et à une motion présentée par le sénateur Corbin, nous pourrions reconnaître les langues autochtones, sous certaines réserves, plus tard dans l'année. Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie qu'au sein de la même institution tous ont exactement le même statut, les mêmes droits et les mêmes privilèges.

Des écoles de New York offrent un système pour les homosexuels et un autre pour les hétérosexuels. Quel système scolaire offre la province de notre distingué collègue, le leader de l'opposition au Sénat? Au Nouveau-Brunswick, il y a un système scolaire francophone et un système anglophone, mais ceux-ci ne sont pas réservés à certains ou fermés. Les deux systèmes sont accessibles à tous. Ils sont ouverts et perméables et on peut choisir celui qu'on veut. Il n'y a pas un système pour les francophones et un autre pour les anglophones. Si c'était le cas, il faudrait maîtriser la langue voulue. Il doit y avoir perméabilité entre les deux langues.

Honorables sénateurs, c'est la même chose avec ce projet de loi. Il permet aux couples homosexuels et aux couples hétérosexuels d'accéder aux mêmes institutions. Notre comité s'est penché longuement sur cette question avec l'appui des témoins.

La liberté de religion est l'autre question importante que nous avons abordée. Cette question est omniprésente dans le projet de loi C-38. On la retrouve à cinq endroits différents : dans trois des Attendus et dans deux des articles de fond. Elle est mentionnée dans le contexte de l'avis de la Cour suprême sur la définition de la liberté de religion et de la liberté de conscience.

La Cour suprême a traité en détail du sens et des conséquences des droits à la liberté de conscience et à la liberté de religion. Je vais lire aux honorables sénateurs ce qu'a dit la Cour suprême au paragraphe 57 de son Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe au sujet de la liberté de religion :

Le droit à la liberté de religion consacré à l'al. 2a) de la Charte englobe le droit de croire ce que l'on veut en matière religieuse, le droit de professer ouvertement nos croyances religieuses et le droit de les manifester par leur enseignement et leur propagation, par la pratique religieuse et par le culte [...]. L'accomplissement de rites religieux représente un aspect fondamental de la pratique religieuse.

La Cour suprême a donc très clairement défini la liberté de religion ou le droit à la liberté de religion.

De surcroît, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques définit également de façon précise et définitive la portée de la liberté de conscience et de la liberté de religion. Les restrictions en sont clairement définies. Le paragraphe 1 de l'article 18 du Pacte dit :

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, des pratiques et l'enseignement.

Le paragraphe 3 de l'article 18 dit ceci :

3. La liberté de manifester ses religions ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.

Honorables sénateurs, j'aimerais maintenant citer le rapport de 1993 du Haut-Commissariat aux droits de l'homme. L'article 8 porte sur la définition de ces restrictions :

En interprétant la portée des clauses relatives aux restrictions autorisées, les États parties devraient s'inspirer de la nécessité de protéger les droits garantis en vertu du Pacte, y compris le droit à l'égalité et le droit de ne faire l'objet d'aucune discrimination fondée sur les motifs spécifiés aux articles 2, 3 et 26.

Autrement dit, la liberté de religion est absolue, en ce qui concerne les idées et les convictions. Personne ne peut être forcé d'adhérer à une religion, de changer ses convictions religieuses ou de trahir sa conscience. Toutefois, les manifestations de la religion sont balisées par la loi, conformément au principe de la primauté du droit. Ces balises sont nécessaires pour la protection du public sur le plan de la sécurité, de l'ordre, de la santé, de la moralité et des droits et libertés fondamentaux. Ce sont les éléments que l'on retrouve à l'article 1 de la Charte.

Honorables sénateurs, à propos des limites de la liberté de religion, la Cour suprême a statué qu'il est permis de refuser le mariage religieux à des personnes lorsque leur union serait contraire aux convictions religieuses du célébrant. Dans son jugement de décembre 2004, la Cour suprême écrit ce qui suit au paragraphe 58 :

Il semble donc clair que le fait d'obliger les autorités religieuses à marier des personnes du même sexe contrairement à leurs croyances religieuses porterait atteinte à la liberté de religion garantie à l'al. 2a) de la Charte. Il semble aussi qu'en l'absence de circonstances exceptionnelles — que nous ne pouvons pas prévoir maintenant —, une telle atteinte ne pourrait être justifiée au sens de l'article premier de la Charte.

Au sujet des lieux sacrés de célébration du culte, la Cour suprême dit aussi :

La question qui nous est soumise se limite à la possibilité que les autorités religieuses soient contraintes de marier des personnes du même sexe. Toutefois, des craintes ont été exprimées relativement à l'obligation de collaborer à de tels mariages, notamment par l'utilisation forcée de lieux sacrés pour leur célébration. Le raisonnement qui nous a amenés à conclure que la liberté de religion protège les autorités religieuses contre la contrainte d'avoir à marier deux personnes du même sexe nous porte à croire que la même conclusion vaudrait à l'égard de ces craintes.

La cour dit très clairement que les autorités religieuses ne peuvent être contraintes de marier des personnes du même sexe, pas plus qu'une Église ou quelque confession religieuse que ce soit ne peuvent être contraintes de louer leurs lieux ou d'en autoriser l'utilisation pour la célébration de mariages entre personnes du même sexe.

Le gouvernement ontarien a adopté un projet de loi qui est également très clair à cet égard. Le projet de loi s'intitule : « Loi modifiant diverses lois en ce qui concerne les unions conjugales » et a été adopté en mars 2005 à l'Assemblée législative de l'Ontario. Il modifiait 73 lois. Je cite le paragraphe 18.1(1) :

Ne constitue pas une atteinte aux droits, reconnus dans la partie I, à un traitement égal en matière de services et d'installations le fait pour une personne inscrite en vertu de l'article 20 de la Loi sur le mariage de refuser de célébrer un mariage, de permettre qu'un lieu sacré soit utilisé pour la célébration d'un mariage ou pour la tenue d'un événement lié à la célébration d'un mariage, ou de collaborer d'autre façon à la célébration d'un mariage, si le fait de célébrer le mariage, de permettre l'utilisation du lieu sacré ou de collaborer d'autre façon est contraire :

a) soit à ses croyances religieuses;

b) soit aux doctrines, rites ou coutumes de la confession religieuse à laquelle elle appartient.

(1520)

Honorables sénateurs, il est clair que cinq provinces ont adopté des mesures législatives semblables. En fait, dans le Code civil du Québec, il existe une disposition analogue relativement à l'union civile. Il s'agit du paragraphe 521(2) :

Aucun ministre du culte ne peut être contraint à célébrer une union civile contre laquelle il existe quelque empêchement selon sa religion et la discipline de la société religieuse à laquelle il appartient.

Nous avons appris qu'il est arrivé que des commissaires civils refusent de célébrer des mariages civils. Honorables sénateurs, les droits des commissaires civils sont protégés en vertu de ce que la Cour suprême a statué, à savoir que personne ne devrait être contraint d'agir contrairement à ses croyances. La jurisprudence de longue date sur cet aspect de la réalité est d'ailleurs inscrite dans la Charte des droits et libertés, en son article 24, ainsi que dans de nombreux codes provinciaux des droits de la personne. Le commissaire civil qui, dans une province, ne veut pas être contraint de célébrer des mariages civils en raison de croyances et de convictions profondes qui l'en empêchent parce que cela est contraire à sa foi se trouve exactement dans la même position que le juge qui ne voudrait pas entendre de causes de divorce parce que cela est contraire à ses croyances. Cela arrive néanmoins. Comment agir en pareilles circonstances? La solution consiste essentiellement à exercer l'obligation de prendre des mesures d'adaptation. Qu'est-ce que cette obligation de prendre des mesures d'adaptation? C'est l'obligation de ne pas nier le droit de faire célébrer son union ni le droit d'obtenir une décision dans une cause de divorce ou de faire avaliser son divorce par la cour. Dans le fond, c'est le droit d'avoir accès à une autorité compétente qui célébrera le mariage ou avalisera le divorce. Cela cadre avec la décision de longue date que la Cour suprême du Canada a rendue au sujet de l'atteinte portée à un droit personnel par rapport à ce qui pourrait être ressenti comme de la discrimination.

La Cour suprême, dans sa décision concernant la Public Service Employee Relation Commission de la Colombie-Britannique, c'est- à-dire l'affaire Meiorin, en 1999, a clairement indiqué : « Si la norme discriminatoire à première vue n'est pas raisonnablement nécessaire pour que l'employeur en réalise l'objet légitime ou, autrement dit, s'il est possible de composer avec des différences individuelles sans que l'employeur subisse une contrainte excessive [...] l'employeur n'a pas établi l'existence d'un moyen de défense contre l'accusation de discrimination. »

L'application de la norme dans sa forme actuelle est raisonnablement nécessaire pour que l'employeur en réalise l'objet légitime sans subir de contrainte excessive. Il découle de la décision dans l'affaire Meiorin qu'il faut interpréter les dispositions législatives en matière de droits de la personne partout au pays de cette façon. En particulier, les employeurs ne peuvent pas faire preuve de discrimination à moins de prouver qu'il est raisonnablement nécessaire d'agir ainsi, notamment qu'ils n'auraient pas pu raisonnablement composer avec l'employé.

C'est essentiellement ce qui se passe lorsque le commissaire au mariage civil se sent lésé parce qu'on exige qu'il célèbre un mariage entre personnes de même sexe ou qu'il en soit témoin. Qu'a fait le ministre de la Justice après la décision de la Cour suprême? Il a écrit à ses homologues des provinces et des territoires et attiré leur attention sur la déclaration de la Cour suprême du Canada en matière de protection de la liberté de religion. Le ministre de la Justice a pris les devants dans ce dossier afin d'établir une approche commune relativement au respect de la diversité religieuse.

Nous le savons tous, la diversité religieuse est une caractéristique de notre pays. Il existe 31 religions différentes au Canada. Certaines Églises interdisent les mariages interconfessionnels. Certaines religions, par exemple la religion musulmane, interdisent le mariage entre une musulmane et un chrétien. Certaines Églises interdisent le mariage des divorcés. Si l'on prend connaissance de la doctrine ou des prescriptions de nombreuses Églises, on se rend compte qu'il y a une infinité d'approches du mariage. Chaque Église a son approche qui a évolué avec le temps. Elle a établi des règles selon ses croyances et son interprétation des écrits. Le mariage civil a pour but de permettre à quiconque estime ne pas pouvoir se soumettre à ces prescriptions d'accéder au mariage. Cela n'empêche pas la personne d'avoir un mariage religieux. Le projet de loi ne brime pas les droits des Églises et des citoyens canadiens. L'article 3 du projet de loi stipule clairement, et je cite :

Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.

Honorables sénateurs, c'est un projet de loi fédéral alors que la célébration des mariages est de compétence provinciale. La Cour suprême a été très claire à ce sujet. Toutefois, je crois que le ministre de la Justice doit faire preuve de leadership dans ce dossier et nous indiquer comment nous devons aborder la question. Le parlement fédéral, c'est à dire le Sénat et l'autre endroit, ne peut légiférer au nom des provinces à cet égard, mais ce que l'on dit dans ce projet de loi, c'est que le fait de considérer que le mariage est également l'union d'un homme et d'une femme dans le contexte de la définition traditionnelle du mariage, n'est pas une chose qui devrait engendrer quelque restriction ou interdiction que ce soit au niveau fédéral. C'est ce que l'on trouve à l'article 3.1 :

Il est entendu que nul ne peut être privé des avantages qu'offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois pour la seule raison qu'il exerce, à l'égard du mariage entre personnes de même sexe, la liberté de conscience et de religion garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, ou qu'il exprime, sur la base de cette liberté, ses convictions à l'égard du mariage comme étant l'union entre un homme et une femme à l'exclusion de toute autre personne.

Ce que nous disons dans la loi fédérale, c'est que, en ce qui concerne la loi fédérale et aux termes de cette loi, nul ne peut être privé d'aucun de ses droits, ni se voir imposer des sanctions, ni être obligé de faire quoi que ce soit qui serait contraire à ses convictions à l'égard de la définition du mariage.

Autrement dit, le Parlement indique très clairement, dans les limites de ses responsabilités constitutionnelles, ce qu'il considère être les droits de tous les citoyens à l'égard de la liberté de conscience et de religion, pour ce qui est de la compétence fédérale. Le fait que les provinces doivent bientôt reconnaître le même genre de protection va dans le sens de la Charte des droits et libertés puisque la Cour suprême du Canada a, dans toutes ses décisions, interprété et respecté de façon cohérente les doctrines de l'Église. La plus récente affaire remonte à l'été 2004, il s'agit de l'affaire Amselem, qui porte sur la religion juive et sur la possibilité pour les personnes de cette confession de s'établir, d'après les prescriptions des Saintes Écritures de la foi hébraïque. La Cour suprême, par la voix du juge Iacobucci, a statué au paragraphe 50 que :

(1530)

À mon avis, l'État n'est pas en mesure d'agir comme arbitre des dogmes religieux, et il ne devrait pas le devenir. Les tribunaux devraient donc éviter d'interpréter — et ce faisant de déterminer — , explicitement ou implicitement, le contenu d'une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d'ordre religieux. Statuer sur des différends théologiques ou religieux ou sur des questions litigieuses touchant la doctrine religieuse amènerait les tribunaux à s'empêtrer sans justification dans le domaine de la religion.

En conclusion, les tribunaux devraient éviter cela. Il n'y a pas de raison de craindre que la liberté de religion et de conscience ne soit entièrement reconnue dans notre jurisprudence lors de l'interprétation de la Charte, en particulier de son alinéa 2a). En ce qui concerne la question de la religion, la Cour a établi qu'il fallait laisser l'Église s'occuper de ses affaires, respecter son autonomie et de ne pas se prononcer sur le bien-fondé d'une prescription religieuse. C'est essentiellement la position qu'a adoptée la Cour suprême l'été dernier, dans l'affaire Amselem dont j'ai fait mention.

Honorables sénateurs, je conclus en parlant brièvement de l'incidence du projet de loi C-38 sur les enfants parce que cette question a été soulevée comme il se doit, dans cette Chambre et au comité. Il faudrait l'aborder en fonction de la réalité de la famille canadienne d'aujourd'hui. Il faut se rendre compte que, aujourd'hui, il y a divers modèles de familles canadiennes et que ces modèles sont parfois complexes. La famille formée d'un père, d'une mère et de deux ou trois enfants fait partie de la réalité canadienne, mais ce n'est pas le modèle dominant au Canada. Permettez-moi de citer certaines statistiques provenant de Statistique Canada. Au Canada, : 20 pour cent des familles sont monoparentales. Sur un total de 8 300 000 familles, on compte 1 300 000 familles monoparentales et 1 200 000 familles résultant d'unions de fait. En outre, le nombre de familles reconstituées, d'une façon ou d'une autre, par des parents divorcés est presque égal au nombre de familles monoparentales.

Honorables sénateurs, voilà la réalité.

Il y a exactement un an, le Sénat a adopté, pratiquement à l'unanimité, un projet de loi parrainé par le sénateur Morin et le sénateur Keon. J'ai vérifié le compte rendu parce je voulais savoir quelles étaient les préoccupations des sénateurs au sujet des enfants engendrés dans le cadre de la Loi sur la procréation assistée. Or, on n'y trouve nulle part l'expression d'inquiétudes au sujet de la filiation, à savoir le droit de connaître l'identité des donneurs du processus de reproduction assistée. On laisse cette question aux soins des cliniques, comme les sénateurs s'en souviendront. Durant l'étude du projet de loi C-38 au comité, deux témoins et un sénateur se sont inquiétés de la détermination de la filiation. Ne devrait-on pas donner à l'enfant de parents qui font appel à la procréation assistée le droit de connaître son origine? Certaines provinces ont légiféré en cette matière, qui relève du droit civil et du droit de propriété, en refusant d'autoriser la détermination de la filiation. En matière de filiation d'enfants issus d'une procréation médicalement assistée, l'article 542 du Code civil du Québec, adopté par l'Assemblée nationale du Québec il y a deux ans, prévoit ce qui suit : « Les renseignements nominatifs relatifs à la procréation médicalement assistée d'un enfant sont confidentiels. »

Ainsi, au moins un gouvernement provincial a pris position sur la question. Cela veut-il dire que nous ne pouvons en discuter? Pas du tout, honorables sénateurs, étant donné que, dans sa sagesse, le Sénat a prévu cette possibilité. Je cite à cet effet l'article 70 de la Loi sur la procréation assistée : « Le Parlement désigne ou constitue un comité, soit du Sénat, soit de la Chambre des communes [...] chargé spécialement de l'examen, dans les trois ans suivant l'entrée en vigueur de l'article 21, de l'application de la présente loi. »

Honorables sénateurs, nous aurons l'occasion d'examiner longuement la préoccupation exprimée par deux témoins et un sénateur. Notre réflexion sera alimentée par des statistiques, des chiffres et d'autres études, étant donné que le projet de loi a un an. Les sénateurs savent pendant combien d'années nous avons attendu cette mesure qui a été en filigrane pendant près de cinq ans après sa présentation au Parlement.

Le projet de loi C-38 ne concerne pas que les différences entre les cellules familiales qui sont bien réelles au Canada aujourd'hui. Des témoins ont parlé des enfants homosexuels que la majorité marginalise au sein du système scolaire. M. Ian Kroll, professeur et psychiatre de l'Université de Calgary qui est venu témoigner devant le comité, a dit que les enfants homosexuels qui acceptent leur identité sexuelle sont cinq ou six fois plus susceptibles que leurs camarades hétérosexuels d'être la cible d'actes de violence à l'école ou lorsqu'ils font le trajet entre chez eux et l'école. En raison de ces attitudes négatives, ils sont deux fois plus susceptibles de développer un sentiment d'insécurité et parce qu'ils ont le sentiment d'être mis à l'écart, ils sont plus susceptibles de consommer des drogues à haut risque plus tard dans la vie. Ils sont aussi trois fois plus susceptibles de faire une tentative de suicide que les aux autres enfants de l'école. Voilà ce que vivent les enfants aujourd'hui. Si nous abordons la question des enfants dans le cadre du projet de loi, nous devons tenir compte de cette réalité.

Au sein du comité, nous avons entendu d'importants témoignages à propos de la famille. Permettez-moi de clore là-dessus. En juin dernier, la Société canadienne de psychologie...

Son Honneur le Président : Je suis désolé, mais la période de temps allouée au sénateur est écoulée.

Le sénateur Joyal : Puis-je avoir la permission de continuer?

Une voix : Cinq minutes.

Le sénateur Joyal : Je vais faire en sorte de ne pas prendre plus de cinq minutes, honorables sénateurs.

La Société canadienne de psychologie n'a pas besoin d'explication sur la crédibilité de ses membres professionnels qui disent que l'homosexualité ne constitue pas un problème ou un trouble psychologique et n'a pas été considérée comme telle par la communauté des professionnels de la santé depuis quelque 30 ans. Les couples homosexuels sont comparables aux couples hétérosexuels sur le plan de la qualité de la relation. Les parents gais et lesbiennes sont aussi susceptibles que les parents hétérosexuels de fournir un environnement favorable et sain à leurs enfants. Le développement de l'identité sexuelle, de la personnalité et des relations sociales des enfants est sensiblement le même, que les parents soient homosexuels ou hétérosexuels. La conception que les gais et les lesbiennes adultes ne sont pas faits pour être parents ou que le développement psychosocial de l'enfant est compromis n'a aucun fondement scientifique. Notre point de vue se fonde sur les résultats d'environ 50 études empiriques et au moins 50 autres articles et chapitres de livres et ne découle absolument pas des résultats d'une seule étude. Ces articles ont été publiés dans des périodiques tels Developmental Psychology, The Journal of Child Psychology and Psychiatry, American Psychologist, Marriage and Family Review, American Journal of Orthopsychiatry, entre autres.

(1540)

Les conclusions de la science — dans la mesure où il s'agit d'une science — sont que le plus grand risque pour les enfants n'est pas l'orientation sexuelle des parents, puisque cela n'entraîne aucun trouble psychologique chez les enfants, mais bien la détresse causée par la stigmatisation et l'isolement que vivent ces familles, en raison des préjugés et de la discrimination systématiques dont elles font l'objet. Autrement dit, ce sont le harcèlement, l'isolement, la prise pour cible, la stigmatisation et l'idée que : « oh, oui, mais vous êtes homosexuel ». Voilà, en vérité, honorables sénateurs, le stigmate auquel ce projet de loi s'oppose.

Permettez-moi de conclure en disant que j'étais ici, à Ottawa, comme bon nombre d'entre vous au cours des dernières semaines, et que je vous invite à visiter le Musée canadien de la guerre. Vous vous demandez quel est le lien entre le musée de la guerre et le mariage civil? Je vais vous lire un passage d'un guide touristique sur les choses à voir et à faire à Ottawa. J'ai ici la version française :

[Français]

Ce musée présente des milliers d'artéfacts militaires, y compris plusieurs impressionnants tableaux d'art. Or, l'un des artéfacts les plus curieux est une machine qu'on a surnommée la « trieuse à fruits »[...]

[Traduction]

« La trieuse à fruits »; en langage populaire, « fruit » est synonyme de fif, de pédé.

[Français]

Dans les années 1960, la Gendarmerie royale du Canada avait fait enquête sur plus de 8 000 personnes gaies et lesbiennes. Cette période de « chasse aux fifs » avait été largement inspirée par la campagne du sénateur américain Joseph McCarthy, qui persécuta les communistes et les homosexuels, entres autres.

L'un des moyens utilisés pour détecter si une personne avait une orientation homosexuelle, c'était cette « trieuse à fruits » qui mesurait les réactions physiologiques d'une personne face à une stimulation visuelle supposément homoérotique.

Le gouvernement fédéral avait engagé un chercheur de l'Université Carleton à Ottawa pour concevoir un tel appareil. Or, on opta plutôt pour un modèle américain qui est aujourd'hui exposé au musée. Au Canada, pendant cette période, près de 150 fonctionnaires fédéraux lesbiennes et gais ont démissionné ou ont été congédiés.

[Traduction]

Honorables sénateurs, tel est notre passé.

Quelle est la signification de la Charte? La Charte a une dimension correctrice et un objectif. Elle est correctrice parce qu'elle existe pour remédier à un tort, tout autant qu'elle existe pour remédier au tort fait aux Autochtones dans les pensionnats. On pouvait être Autochtone, mais on ne pouvait pas parler sa langue; on ne pouvait afficher sa religion ou s'habiller comme un Autochtone; si on se comportait comme un Autochtone, on était puni.

Le présent projet de loi vise à restaurer la dignité de certains êtres humains que nous, à titre de pays, de gouvernement, avons traqués, humiliés, dont nous avons détruit la vie et que, dans certains cas, nous avons poussés au suicide.

Son Honneur le Président : Je regrette de dire que les 45 minutes du sénateur Joyal, prolongées de cinq minutes, se sont terminées au moment de sa conclusion.

L'honorable Gerry St. Germain : Merci, Votre Honneur. Honorables sénateurs, je n'irais pas aussi loin que le sénateur Joyal en ce qui concerne les délibérations du comité. Toutefois, je suis d'accord avec lui pour dire que la civilité a été le maître mot et que le respect a été maintenu du début à la fin. Les travaux ont été approfondis, équilibrés et équitables, comme l'avait demandé le leader adjoint de l'opposition.

Il y a eu 33 témoins. Cela a demandé beaucoup de temps et, souvent, j'aurais souhaité que nous ayons davantage de temps pour étaler un peu plus les témoignages, de sorte que nous aurions peut- être pu mieux comprendre. Je félicite aussi de sa patience et de son leadership madame le sénateur Bacon, qui a su bien diriger les audiences du comité.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour participer à la troisième lecture du projet de loi C-38, le projet de loi sur le mariage civil. Au début de mon allocution, je n'ai d'autre choix que de faire remarquer que, sur une question aussi fondamentale ayant des effets sur notre société, nous n'avons pas consacré suffisamment de temps à l'examen des répercussions de ce projet de loi.

Le gouvernement a indiqué très clairement au Sénat qu'aucun amendement ne serait accepté; adoptez le projet de loi sous sa forme actuelle. Je crois que nombreux seront ceux qui regretteront d'avoir adopté ce projet de loi sous sa forme actuelle.

Le projet de loi C-38, dans son libellé actuel, redéfinit l'institution du mariage que le genre humain a toujours connue. Il constitue une réponse politique à une inégalité provoquée par le gouvernement sur le plan de l'accessibilité d'avantages sociaux et juridiques pour certains types de familles et de relations de cohabitation. Je suis d'avis que dans son rapport intitulé Au-delà de la conjugalité, la Commission du droit du Canada est allée avec compétence au cœur de ces inégalités dans ces relations sociales.

Nous pouvons prendre chaque question et la réduire en petits morceaux, et trouver un moyen de résoudre les inégalités et les injustices, mais l'analyse finale doit prendre du recul et veiller à ce qu'il y ait un remède d'ensemble; face à certaines questions, il est plus important de protéger le tout que ses parties.

À mon avis, le projet de loi C-38 ne constitue pas la meilleure solution pour offrir l'équité sociale et la justice aux couples homosexuels. La solution que propose le projet de loi C-38, bien qu'elle puisse être juste pour un groupe de personnes, est injuste pour un autre groupe. J'estime que le mariage, le contrat matrimonial selon lequel un homme et une femme établissent entre eux un partenariat pour toute la vie, est, de par sa nature, destiné à assurer le bien des conjoints, ainsi que la procréation et l'éducation des enfants.

Ce n'est pas uniquement ceux qui appartiennent à une religion qui reconnaissent le mariage de cette manière. L'actuelle définition juridique du mariage, de même que celle que donne le dictionnaire, reconnaît que le mariage constitue exclusivement la relation ou l'engagement juridique d'un homme et d'une femme. Je sais que le sénateur Joyal a présenté un argument différent en se fondant sur le dictionnaire, mais dans cette définition, on présume davantage, à savoir que le mariage vise deux objectifs : le bien des conjoints et la procréation et l'éducation de la progéniture, des enfants.

Le mariage en tant que communauté naturelle existait bien avant que l'État ne le légalise ou que le dictionnaire ne le définisse. L'État a participé à l'institution du mariage pour veiller à l'ordre et pour protéger le bien des conjoints et des enfants qui sont le fruit de cette relation. La principale préoccupation de l'État est l'intérêt des enfants, car il sait que, comme ils sont porteurs d'espoir pour l'avenir de la société civile, les enfants doivent grandir dans un milieu stable et aimant.

Les relations entre personnes de même sexe et les relations hétérosexuelles ne sont pas la même chose. Ce sont deux réalités différentes, étant donné qu'elles ne visent pas le même but. On ne peut dire que ces relations sont égales, puisque leurs buts ne sont pas, et ne peuvent pas, être les mêmes.

Il ne s'agit pas d'intolérance — personne ne veut faire preuve d'intolérance — d'un manque de respect — nous prônons tous le respect — de droits de la personne ou d'injustice. Il s'agit de l'essence du mariage. Or, si l'on veut reconnaître cette réalité plutôt qu'affaiblir la vie familiale, il est nécessaire de préserver et de renforcer la famille pour le bien-être de la société tout entière. La société ne peut, au nom des principes de compassion et de tolérance, être dupée en compromettant la vérité.

Honorables sénateurs, les Canadiens et le Sénat ont entendu des intervenants faire valoir tous les points de vue possibles dans le cadre du débat sur ce projet de loi. Un grand nombre de points de vue ont été formulés quant à la façon dont le mariage et d'autres formes de relations devraient être reconnues au sein de notre société. Même si certains de nos esprits les plus brillants ont fait valoir que le mariage est beaucoup plus que le simple fait de vivre ensemble, comme des amis, il est clair que le gouvernement a décidé qu'il veut faire adopter cette mesure à toute vapeur, et c'est la raison pour laquelle il a recours à la clôture.

Même si l'objectif ultime du gouvernement est clair — soit la reconnaissance juridique du mariage entre personnes de même sexe — et même si, peut-être, la majorité des sénateurs appuient cet objectif, des réserves ont été formulées de tous les côtés relativement au prix à payer pour atteindre ce but. Ce qui est particulièrement important ce sont les graves préoccupations soulevées au cours du débat et lors des audiences de comité, tant ici qu'à l'autre endroit, relativement aux répercussions de l'adoption du projet de loi C-38 sur la liberté de religion et de conscience.

Il existe des raisons solides et convaincantes, à mon avis, pour lesquelles certains sénateurs s'opposent au projet de loi en principe et estiment que la société devrait continuer de reconnaître la définition traditionnelle du mariage en vertu de la common law, soit l'union d'un homme et d'une femme. Je vais expliquer certaines de ces raisons dans une minute. Je comprends aussi les convictions et les principes de ceux de l'autre camp qui pensent que les unions entre personnes de même sexe devraient être reconnues légalement comme des mariages. J'exhorte toutefois ce groupe de sénateurs à voter contre le projet de loi parce que celui-ci n'offre pas de protections suffisantes à ceux qui, en leur âme et conscience, et souvent pour des raisons religieuses, croient le contraire.

(1550)

Je vais d'abord expliquer pourquoi je pense que le principe de ce projet de loi est inacceptable et pourquoi la société canadienne devrait maintenir la définition traditionnelle du mariage.

Comme je l'ai expliqué tout à l'heure, je pense que l'institution du mariage est foncièrement liée à la capacité de procréation propre aux couples hétérosexuels et que la mariage est dans l'intérêt de l'État parce qu'il assure que les enfants sont élevés dans des foyers stables et aimants et dans des familles qui reposent sur la relation entre une mère et un père.

On a déjà cité le juge La Forest auparavant, mais il est important de rappeler que ses paroles sont représentatives de ce que la loi sous- tend implicitement et des valeurs fondamentales auxquelles croyaient la plupart des Canadiens il y a quelques années, et qu'elles n'ont jamais été contredites ni invalidées par un jugement subséquent de la Cour suprême. Voici ce qu'il dit :

Le mariage est depuis des temps immémoriaux fermement enraciné dans notre tradition juridique, qui elle-même est le reflet de traditions philosophiques et religieuses anciennes. Mais la véritable raison d'être du mariage les transcende toutes et repose fermement sur la réalité biologique et sociale qui fait que seuls les couples hétérosexuels ont la capacité de procréer, que la plupart des enfants sont le fruit de ces unions et que ce sont ceux qui entretiennent ce genre d'union qui prennent généralement soin des enfants et qui les élèvent. Dans ce sens, le mariage est, de par sa nature, hétérosexuel.

La notion selon laquelle le mariage est, dans sa nature même, une institution hétérosexuelle et qu'il est fondé sur la capacité d'un homme et d'une femme à avoir et à élever des enfants ne rejette pas d'autres formes de familles — les familles monoparentales, les familles élargies, et autres — qui réussissent aussi très bien à élever leurs enfants et subvenir à leurs besoins. Cette notion n'exclut pas que les homosexuels puissent être des parents affectueux pour leurs enfants, quand ils en ont. Cependant, les données sociologiques sont claires : en règle générale, la situation idéale pour un enfant est d'être élevé par une mère et un père mariés, et c'est pour faire en sorte que le plus grand nombre possible d'enfants soient élevés dans un tel milieu que l'État, historiquement, a appuyé l'institution traditionnelle du mariage.

Honorables sénateurs, si le projet de loi du gouvernement est adopté, le Parlement du Canada déclarera que le mariage n'a plus rien à voir avec la capacité qu'ont les hétérosexuels de procréer ou avec la réalité sociologique et psychologique selon laquelle les enfants s'épanouissent davantage quand ils sont élevés dans une famille intacte dirigée par une mère et un père mariés. Nous dirons que le mariage ne consiste pas à veiller à l'avenir de nos enfants dans la société mais plutôt à répondre aux besoins d'adultes qui entretiennent d'étroites relations personnelles, émotionnelles et sexuelles.

À en voir son titre et son sous-titre, le rapport influent de 2001 de la Commission du droit du Canada sous-entend tout cela. Le rapport s'intitule Au-delà de la conjugalité : la reconnaissance et le soutien des rapports de nature personnelle entre adultes. Si le projet de loi est adopté, notre pays sera réellement allé au-delà de la conjugalité.

Les défenseurs du mariage homosexuel demandent aux couples hétérosexuels ce qu'ils perdront si les couples de même sexe peuvent accéder à l'institution du mariage. Ils perdront l'assurance que le gouvernement reconnaît leur union comme étant une union conjugale qui est, du moins potentiellement, une union procréatrice que l'État appuie parce qu'elle est le fondement d'un environnement familial propice à l'éducation des enfants. Du jour au lendemain, les millions de couples mariés au Canada ne seront plus reconnus comme faisant partie d'unions conjugales, procréatrices et intergénérationnelles, unions qui sont le fondement de la société et sans lesquelles cette dernière ne pourrait se perpétuer. Ainsi, tous les mariages, homosexuels et hétérosexuels, seront des relations personnelles et émotionnelles reconnues en droit qui n'auront aucun autre but intrinsèque que le bien-être des deux personnes concernées.

Honorables sénateurs, Mme Margaret Somerville, éthicienne médicale et juridique à l'Université McGill, fait valoir ce point avec grande éloquence dans son livre intitulé Divorcing Marriage. Elle dit :

La question centrale est la suivante : Le mariage doit-il être une institution axée essentiellement sur les enfants ou sur les adultes? La réponse déterminera qui aura la priorité en cas de conflit irréconciliable entre les intérêts d'un enfant et les demandes des adultes...

Ceux qui croient que les enfants ont besoin et ont le droit d'avoir une mère et un père, de préférence leurs parents biologiques, s'opposent au mariage entre conjoints de même sexe, car le mariage ne pourrait plus alors continuer d'institutionnaliser et de symboliser la capacité procréative

inhérente des partenaires; c'est donc dire que le mariage ne pourrait pas être essentiellement axé sur les enfants.

Ceux qui croient que le mariage concerne principalement deux adultes s'engageant l'un envers l'autre sont pour le mariage homosexuel. À leurs yeux, l'engagement étant le même, que les conjoints soient du même sexe ou de sexe différent, il serait discriminatoire d'interdire le mariage entre personnes de même sexe. Cet argument est axé sur les adultes.

Bref, accepter le mariage entre conjoints de même sexe revient à abolir la norme, la valeur acceptée selon laquelle les enfants ont, d'emblée, le droit de connaître leur mère et leur père et d'être élevés par ceux-ci dans leur famille biologique. Il existe des exceptions bien limitées, réglementées et justifiées à cette norme, comme l'adoption, qui sont nécessaires. Cependant, abolir la norme aurait des répercussions d'une portée considérable.

Le Sénat a un choix important à faire et ce choix doit être dicté par des principes. Il y a ceux qui croient de bonne foi que l'essence du mariage est le lien affectif et personnel entre deux adultes consentants, et il est normal que ces gens soient pour le mariage homosexuel. Mais il y a aussi ceux qui croient que le mariage est une institution sociale axée sur la procréation et sur l'éducation des enfants et que cette institution ne devrait pas être altérée. Évidemment, les gens qui ont cette perception du mariage favorisent le maintien de sa définition traditionnelle.

Néanmoins, j'exhorte les honorables sénateurs qui adhèrent de bonne foi à la première vision du mariage — c'est-à-dire qui pensent qu'il s'agit principalement d'un droit que devraient avoir deux adultes entretenant une relation intime — à rejeter le projet de loi tel qu'il est actuellement, ne serait-ce que pour dire clairement au gouvernement que nous devons prendre plus au sérieux les conséquences de ce projet de loi une liberté de religion et de conscience.

On prétend que le projet de loi protège la liberté de religion, mais nombreux sont les gens qui soutiennent avec vigueur que cette protection ne sera pas efficace et que les droits des fidèles et les droits des opposants au mariage homosexuel pour des raisons de conscience seront à la merci des tribunaux judiciaires et des tribunaux des droits de la personne, qui ont placé jusqu'à maintenant les droits des couples homosexuels au-dessus de la liberté de religion et d'expression.

Le projet de loi C-38 contient une prétendue protection pour les autorités religieuses qui ne veulent pas célébrer de mariages homosexuels, prévoyant que celles-ci sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses. Notons tout d'abord que la liberté religieuse est d'ores et déjà compromise, s'il faut préciser cela. Dans quelle société vivrions-nous si l'État pouvait forcer les religieux à célébrer des rites ou des sacrements contrairement à ce que leur dicte leur conscience? Qui plus est, comme de nombreuses personnes l'ont signalé, le gouvernement fédéral n'est pas à même d'accorder une telle garantie, même s'il le voulait.

Dans son renvoi, le gouvernement demandait à la Cour suprême du Canada si son projet de loi était constitutionnel. La cour a répondu que le Parlement peut légiférer relativement à la définition du mariage, mais qu'il n'a pas la compétence de décider qui peut célébrer les mariages, comme le sénateur Joyal, je crois, l'a fait valoir. Par conséquent, l'article 2 de l'avant-projet de loi, dont le libellé est presque identique à celui de l'article 3 du projet de loi C- 38, a été déclaré au-delà des compétences du Parlement. L'essence de cet article vise les personnes qui peuvent ou doivent célébrer des mariages et a trait à un domaine qui a été confié aux provinces en vertu du paragraphe 92(12). La Cour suprême du Canada a donc déjà statué que l'article 3 de ce projet de loi va au-delà des compétences du Parlement. Pour sauver les apparences, pour sauver la face, le gouvernement a tenu à conserver cette disposition dans le texte du projet de loi.

(1600)

Il est vrai que la Cour suprême a ensuite statué, relativement au renvoi, que la Charte devrait probablement permettre de protéger les autorités religieuses pour que celles-ci ne soient pas être contraintes à célébrer des mariages qu'elles désapprouvent. Cette mesure législative gouvernementale ne fait absolument rien pour garantir cette protection. Nous savons déjà que, dans plusieurs provinces, des commissaires aux mariages se sont vu retirer leur permis en raison de leur objection de conscience ou d'ordre religieux au mariage homosexuel. Un commissaire aux mariages de Terre- Neuve qui a comparu devant le comité nous a dit qu'elle avait été forcée de démissionner. Ce projet de loi ne sera d'aucune aide aux commissaires aux mariages.

Nombre de secteurs où la liberté de religion risque vraisemblablement d'être touchée par l'adoption du projet de loi C-38 relèvent de la compétence des provinces. Certaines provinces ont déjà statué que les commissaires aux mariages doivent accepter de célébrer des mariages entre personnes de même sexe sous peine de perdre leur permis d'exercer. Les commissions provinciales des droits de la personne sont saisies de cas concernant certains lieux publics. Il y a notamment le cas d'un conseil des Chevaliers de Colomb, en Colombie-Britannique, qu'on voulait forcer à permettre la célébration de mariages entre personnes de même sexe dans ses installations; celui d'un imprimeur évangéliste de Toronto, Scott Brockie, qu'on voulait forcer à imprimer des documents pour une organisation prônant le mariage homosexuel, ou encore celui des propriétaires d'un gîte touristique de l'Île-du-Prince-Édouard qui ont fermé leurs portes plutôt que d'être obligés d'accueillir des couples homosexuels. Une fois le projet de loi adopté, le nombre de ces incidents augmentera probablement. Il faudrait au moins attendre que toutes les provinces passent des lois pour protéger les droits des citoyens qui, à cause de leurs convictions morales, s'objectent au mariage entre personnes de même sexe.

Au cours du débat à l'autre endroit et lors des audiences du comité de la Chambre, on a fréquemment soulevé l'objection que des protections minimales pour les autorités religieuses qui, de toute façon, ne relèvent pas de la compétence fédérale, ne protégeraient pas vraiment les droits des opposants au mariage entre personnes de même sexe. En réaction aux critiques répétées, le gouvernement a finalement accepté deux amendements qui, selon lui, devraient protéger davantage les tenants de la définition traditionnelle du mariage. Le premier amendement, qui correspond maintenant à l'article 3.1, dispose que :

Il est entendu que nul ne peut être privé des avantages qu'offrent les lois fédérales ni se voir imposer des obligations ou des sanctions au titre de ces lois pour la seule raison qu'il...

... exprime ses convictions religieuses ou morales à l'égard de la définition traditionnelle du mariage.

Le deuxième amendement au projet de loi C-38, qui correspond maintenant à l'article 11.1, tente d'offrir une protection similaire, plus précisément aux organismes de bienfaisance religieux en ce qui concerne leur statut aux fins de l'impôt.

Ces amendements sont bienvenus. Toutefois, il y a un problème. Dans les deux cas, ils visent à protéger des gens qui se prévalent de leur liberté d'expression, en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, pour appuyer la définition traditionnelle du mariage. Cela semble positif, mais les tribunaux ont déjà statué qu'en cas de collision des droits prévus par la Charte, il incombe aux tribunaux d'établir un équilibre entre ces droits. Or, ce projet de loi risque de donner lieu à une collision de droits entre la liberté de religion et l'égalité pour les couples homosexuels.

Au paragraphe 52 de la décision dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, la Cour suprême déclare :

À la suite de l'adoption éventuelle de la Loi proposée, il est possible que le droit de se marier qu'elle confère aux couples du même sexe entre en conflit avec le droit à la liberté de religion, comme le laissent croire les scénarios hypothétiques évoqués par plusieurs intervenants.

Il est clair qu'une loi favorable aux mariages entre personnes de même sexe pourrait créer un conflit de droits avec ceux qui s'opposent à ce type de mariage pour des motifs religieux ou philosophiques.

La Cour continue :

Toutefois, la jurisprudence confirme que bon nombre, sinon la totalité de ces conflits pourront être résolus à l'aide de la Charte même, par la délimitation des droits requise par la jurisprudence portant sur l'al. 2a). Un conflit des droits n'emporte pas nécessairement l'existence d'un conflit avec la Charte; il peut généralement, au contraire, être résolu à l'aide de la Charte même, au moyen de la définition et de la mise en équilibre internes des droits en cause.

Cela signifie deux choses, honorables sénateurs. Tout d'abord, dans les deux dispositions censées protéger les minorités religieuses en déclarant qu'elles ne seront pas pénalisées lorsqu'elles exercent les droits que leur confère la Charte, le projet de loi n'ajoute rien aux droits qui sont déjà prévus dans la Charte. Deuxièmement, un conflit de droits pourrait quand même découler du projet de loi. Dans un tel conflit, les droits des groupes religieux ou d'autres groupes qui s'opposent au mariage entre personnes de même sexe devront être évalués par rapport aux droits à l'égalité.

Honorables sénateurs, comment les tribunaux ont-ils établi l'équilibre entre ces droits dans le passé? Dans l'affaire Trinity Western, en 2001, la Cour suprême a déclaré :

Ni la liberté de religion ni la protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle ne sont absolues. Il convient généralement de tracer la ligne entre la croyance et le comportement. La liberté de croyance est plus large que la liberté d'agir sur la foi d'une croyance.

Il semble donc que, s'il est acceptable au Canada, après l'adoption du projet de loi C-38, de croire que la définition traditionnelle du mariage est la meilleure, il pourrait être inacceptable d'agir en fonction de cette conviction.

Dans la cause R. v. Harding, qui a été entendue par la Cour d'appel de l'Ontario au sujet de l'expression des croyances religieuses, le tribunal a déclaré que dans une affaire de promotion de la haine contre un groupe identifiable, le fait que le message haineux soit fondé sur des croyances religieuses sincères ne constituait en aucun cas un moyen de défense acceptable.

Comme le juge de première instance l'a déclaré, dans des mots qui ont été cités par la Cour d'appel, l'appelant a :

[...] droit à ses opinions fondées sur des croyances religieuses et a droit de tenter publiquement de convaincre d'autres personnes du bien-fondé de ses croyances. Ses pamphlets et son message véhiculent des opinions fondées sur des croyances religieuses qui semblent sincères [...]

Cependant :

Même si l'expression de l'opinion religieuse est absolument protégée, cette protection ne peut s'appliquer à ce type de communication du simple fait que les deux messages sont utilisés dans le même contexte et que l'un sert à renforcer l'autre. Si tel était le cas, l'opinion religieuse pourrait être utilisée impunément, telle un cheval de Troie.

En l'espèce, l'appelant a publié des déclarations extrêmes contre les musulmans. Je n'ai aucunement l'intention de défendre ses déclarations. Cependant, je suis préoccupé par le fait que les tribunaux ont jugé que les croyances religieuses sincères ne pouvaient être invoquées comme moyen de défense dans le cadre de poursuites judiciaires pour crimes haineux.

Je suis préoccupé par le fait que la Cour suprême a dit que le projet de loi C-38 peut créer un conflit entre le droit à la liberté de religion et le droit à l'égalité des couples homosexuels et qu'il incombe aux tribunaux de déterminer l'équilibre approprié entre ces droits. Cela signifiera-t-il que, dans cinq ou dix ans, un pasteur, un prêtre catholique ou un conseiller scolaire fera l'objet de poursuites judiciaires pour crimes haineux, simplement pour avoir fait les mêmes déclarations à propos du mariage entre personnes de même sexe et du mariage traditionnel que celles qui ont été faites à la Chambre des communes et au Sénat au cours des derniers mois par les opposants au projet de loi? Sera-t-il considéré haineux de citer le livre des Romains de la Bible ou le catéchisme de l'Église catholique?

Le droit à la liberté de religion s'étend au-delà de la célébration du mariage. Qu'en est-il des droits des fidèles religieux de parler en public du mariage tel qu'ils le conçoivent? Qu'en est-il de la confusion de leurs enfants, à qui on enseigne une chose à l'église et à la maison, et une autre dans d'autres situations?

Nous savons que la Commission des droits de la personne de la Saskatchewan a jugé qu'une publicité qui ne faisait que citer des versets de la Bible était haineuse. Nous savons que l'évêque catholique de Calgary a été menacé de poursuites judiciaires devant la Commission des droits de la personne de l'Alberta. Jusqu'où iront les tribunaux et les commissions des droits de la personne à l'avenir? Nous ne le savons pas, honorables sénateurs. Malheureusement, ce projet de loi n'apporte pas vraiment de précision à ce sujet.

Il ne suffit pas d'inclure une disposition de protection qui stipule simplement que les gens sont libres de jouir de leurs droits à la liberté de religion et d'expression, garantis par la Charte, puisque les tribunaux ont déjà jugé que ces droits pouvaient entrer en conflit, selon la Charte, avec le droit à l'égalité et que ce sont ces mêmes tribunaux qui sont chargés d'établir l'équilibre interne.

Il ne suffit pas de dire que ce projet de loi protège la liberté de religion, puisque les tribunaux ont déjà jugé que les lois contre les crimes haineux ne permettent pas de défendre les propos tenus en vertu de croyances religieuses sincères. Comme l'a souligné le primat catholique de Québec, le cardinal Marc Ouellet, devant le comité la semaine dernière :

On voit déjà que, pour tout ce qui a trait à l'homosexualité, l'appel à la conscience risque d'être considéré comme de l'homophobie, et ces tentatives en vue d'intimider ceux qui ne partagent pas la façon dont l'État considère le mariage pourraient bien se multiplier après l'adoption du projet de loi C-38. Une fois que l'État aura imposé une nouvelle norme établissant que les comportements homosexuels contribuent au bien commun, ceux qui s'y opposeront pour des raisons de religion ou de conscience seront considérés comme des gens sectaires, anti-homosexuels et homophobes et risqueront d'être persécutés.

(1610)

Ce projet de loi devrait être rejeté, pas seulement parce qu'il modifie la définition traditionnelle du mariage qui, à mon avis et de l'avis de la majorité des Canadiens je crois, nous a toujours bien servis, mais parce que cela risque de pénaliser et même de criminaliser ceux qui continueront de croire à la définition traditionnelle du mariage une fois le projet de loi adopté.

Les tentatives du gouvernement en vue de protéger la liberté de religion ont été faites à contrecoeur et elles sont trop faibles. Nous devons rejeter ce projet de loi, reprendre le travail et préparer une nouvelle mesure législative qui établira un meilleur équilibre entre la définition traditionnelle du mariage et les droits des autres couples.

Même si nous persistons à adopter une mesure législative autorisant les mariages entre conjoints de même sexe, je suis d'avis que nous devons prévoir une défense beaucoup plus forte de la liberté de religion et voir à ce que les provinces respectent la liberté de religion d'ici ce que ce projet de loi soit adopté.

En outre, qu'en est-il des études des conséquences du projet de loi C-38 sur la famille nucléaire hétérosexuelle? Quelles répercussions aura-t-il sur les enfants? Nous ne savons rien de ces questions, et les experts nous ont dit qu'elles n'ont fait l'objet d'aucune étude.

Lorsque ce projet de loi aura force de loi, notre pays vivra une période de changement qu'il n'a jamais connue. Le projet de loi C- 250 nous a placés sur une pente glissante qui a changé complètement la façon dont notre société détermine ses valeurs morales.

Notre société a été construite sur des valeurs judéo-chrétiennes et c'est pour cela que notre pays est devenu un pays merveilleux. Certes, nous correspondons davantage à une mosaïque aujourd'hui, mais des gens s'emploient à faire en sorte que leur famille et leurs enfants vivent ici en raison de notre système traditionnel de valeurs. Pourquoi compromettre un si grand pays fondé sur ces valeurs simplement pour mener à terme les objectifs politiques d'un gouvernement qui a perdu tout sens moral?

Honorables sénateurs, nous devons tenir compte des conséquences négatives que cela peut avoir sur l'ensemble de notre société.

Le ministre a formulé devant le comité un certain nombre d'observations qu'il faut éclaircir pour le Parlement et pour la population. Il a affirmé que le projet de loi ne menaçait pas la liberté religieuse. Il a ajouté — et je paraphrase — que la définition du sexe opposé n'est pas conforme aux garanties fondamentales d'égalité figurant dans la Charte, que la liberté de religion n'est pas le parent pauvre de l'égalité et que chaque fois que les tribunaux seront confrontés à un affrontement entre les droits à l'égalité et les droits religieux, les droits à l'égalité ne vont pas l'emporter sur les droits religieux.

Il a ajouté que la liberté religieuse est la première de nos libertés et qu'il faut lui donner une interprétation étendue. Je vous prie de me dire ce que cela signifie. Nous en serions tous éclairés, comme le dit le sénateur LeBreton. Ce ne sont que des mots.

Le ministre a dit ensuite que certaines protections particulières concernant les services à la communauté devront être prévues dans les lois des provinces et que le projet de loi C-38 avait été rédigé et amendé justement pour donner encore plus d'assurance que le gouvernement fédéral allait assurer le respect des garanties de la Charte.

Selon ce que rapporte ce matin le Globe and Mail au sujet du commissaire aux mariages Orville Nichols, en Saskatchewan, le ministre a promis à nouveau que les dispositions relatives à l'égalité contenues dans la Charte, qui ont fait du mariage entre personnes de même sexe une réalité sur le plan légal, ne l'emporteraient pas sur les droits religieux. Cependant, il faut bien dire que les commissaires aux mariages sont persécutés du fait qu'ils défendent leurs croyances religieuses. Le ministre dit que la célébration du mariage relève des provinces et qu'il ne peut intervenir. Il a invité ses homologues provinciaux à prendre des dispositions concernant les autorités civiles. Voici ce qu'on dit dans l'article :

En cas de conflit entre les droits religieux et les droits à l'égalité, a-t-il déclaré, « intervient un principe de compromis raisonnable... »

Encore des mots qui, selon moi, n'éclaircissent en rien la situation.

Selon le Globe and Mail, M. Cotler a déclaré :

Il devrait y avoir moyen de trouver un arrangement satisfaisant pour ceux qui, en toute conscience, estiment qu'il n'est pas souhaitable pour eux de célébrer des mariages entre personnes de même sexe.

Tel est le principe du compromis raisonnable.

Ce que dit le gouvernement au sujet des protections de la Charte et des conséquences du projet de loi C-38 ne concorde tout simplement pas avec la réalité, avec ce qui se passe dans le vrai monde. Ceci n'est pas nouveau et en dit long sur ce que sont les valeurs canadiennes.

Le ministre a clairement dit devant le comité qu'il n'y a, ni dans la Constitution ni dans la Charte, de droit qui soit absolu. Si une telle déclaration n'est pas de nature à inquiéter les Canadiens, je me demande bien ce qui pourrait les inquiéter.

Il y a une chose que je sais cependant : avant même de devenir loi, cette mesure a causé de grands conflits dans notre société. Nous savons tous que les conséquences à long terme de la mesure proposée sont inconnues, mais nous savons certainement qu'elle aura une incidence sur le rapport entre l'Église et l'État.

À l'instar du sénateur Joyal, je ne veux pas que quiconque subisse de la discrimination. Personne dans cette assemblée ne le souhaite. Tous les jours, nous travaillons avec diligence au Sénat pour que tous les membres de notre société soient traités équitablement. Nous poursuivrons nos efforts. Toutefois, nous ne pouvons pas pénaliser un groupe afin de rendre justice à un autre. Nous ne pouvons pas permettre que le respect des droits cause des torts, mais nous pouvons progresser si nous agissons intelligemment.

MOTION D'AMENDEMENT

L'honorable Gerry St. Germain : Par conséquent, je propose, avec l'appui du sénateur Tkachuk :

Que le projet de loi C-38 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit lu une troisième fois dans six mois.

Son Honneur le Président : Des sénateurs se lèvent pour poser des questions. Le sénateur St. Germain a le temps de répondre à une question, s'il le désire, mais tout d'abord voici sa motion :

L'honorable sénateur St. Germain, avec l'appui de l'honorable sénateur Tkachuk, propose :

Que le projet de loi C-38 ne soit pas lu une troisième fois maintenant, mais qu'il soit lu une troisième fois dans six mois.

L'honorable sénateur désire-t-il parler davantage? Je sais que certains sénateurs ont des questions.

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, la motion laisse entrevoir une intention claire de retarder le débat sur la question. Évidemment, je ne peux pas accepter cela. Nous ne l'avons pas accepté à l'étape de la deuxième lecture; nous ne pouvons l'accepter maintenant. Nous préférerions grandement nous entendre sur un nombre précis de jours de débat. Cette motion signale clairement — je ne pense pas que nous ayons besoin d'indications plus claires — que cela ne sera pas possible. Je dois donc faire connaître haut et fort mon intention de présenter une motion d'attribution de temps le plus tôt possible.

J'aimerais souligner que le projet de loi C-38 a déjà été débattu longuement. Il a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui a tenu des audiences exhaustives. Nous en avons eu des échos aujourd'hui par le sénateur Joyal et par le sénateur St. Germain, qui a complimenté la présidente. Le comité a entendu 28 témoins, qui ont constitué une représentation équilibrée des tenants du projet de loi et des opposants. Durant ces quatre jours, les membres du comité se sont réunis pendant plus de 24 heures en tout. C'est l'équivalent de plusieurs semaines d'audiences quand le comité suit son horaire habituel.

Je veux me joindre aux autres sénateurs et remercier le président et les membres du comité du travail qu'ils ont fait dans le cadre de l'étude de ce projet de loi; il est maintenant temps d'aller de l'avant et de clore le débat. Ce ne sont pas seulement les honorables sénateurs qui se sont décidés; les Canadiens aussi se sont décidés. D'après de récents sondages, six Canadiens sur dix ont accepté la décision et veulent que nous passions à autre chose.

Honorables sénateurs, nous sommes des dirigeants. Ainsi, il est clair où nous devrions nous diriger. Les Canadiens sont venus à une conclusion. Ils se sont adressés à ceux d'entre nous qui étaient disposés à écouter, et il est temps de passer à autre chose.

À la première occasion, je proposerai de limiter la durée du débat, et j'encourage instamment tous les honorables sénateurs à s'opposer à la motion du sénateur St. Germain quand elle sera mise aux voix.

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Je présume que le sénateur Rompkey ne vient pas de donner un avis, mais qu'il faisait plutôt une observation sur le discours du sénateur St. Germain. Bien qu'il lui reste quelques minutes, je n'ai pas demandé au sénateur St. Germain s'il était disposé à entendre une observation ou à répondre à une question. Je devrais confirmer auprès du sénateur qu'avec le temps qu'il lui reste, il pourrait poursuivre son discours ou répondre à des questions. Le sénateur Rompkey indique qu'il a fait une observation.

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'ai une observation et une question pour le sénateur St. Germain, qui a participé à l'étude la semaine dernière du projet de loi C-38 par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Comme le savent tous les honorables sénateurs, l'Annexe I du Règlement du Sénat du Canada stipule ce qui suit quand le Sénat est saisi d'une question qui concerne les provinces :

(1620)

(Extrait du deuxième rapport du Comité permanent du Règlement et de la procédure du mardi 28 mai 1985. Le Sénat a adopté le rapport le 30 mai 1985.)

Le Comité permanent du Règlement et de la procédure recommande que ce qui suit soit observé par les comités du Sénat comme pratique générale :

Que lorsqu'un comité sénatorial étudie un projet de loi ou la teneur d'un projet de loi qui présente, à mon avis, un intérêt particulier pour une ou plusieurs provinces ou pour un ou plusieurs territoires, il devrait, en règle générale et dans la mesure du possible, inviter les gouvernements concernés à lui présenter des observations écrites ou verbales et leur accorder un délai raisonnable pour le faire, si la province ou le territoire répond à cette invitation par l'affirmative.

Le sénateur, dans son exposé, et le sénateur Joyal, dans ses observations, ont dit que, dans l'avis consultatif de la Cour suprême, l'article 3 dépasse les pouvoirs du Parlement. Or, si j'ai bien compris, le ministre de la Justice estime que cet avis a du moins une valeur d'interprétation.

On a également fait allusion, dans le débat, à des aspects qui relèvent des lois provinciales concernant les droits de la personne. En effet, on a fait référence à quelques cas qui ont été soumis aux commissions des droits de la personne de plusieurs provinces.

Le sénateur St. Germain et le sénateur Joyal ont semblé établir un lien entre les lois provinciales et ce projet de loi. La question que je pose est donc celle-ci : votre comité a-t-il invité les provinces à présenter des instances sur ce projet de loi?

Le sénateur St. Germain : Honorables sénateurs, autant que je sache, de notre côté comme de l'autre, personne n'a demandé aux représentants des provinces de comparaître devant le comité. Le sénateur Kinsella a fait une observation astucieuse sur la participation des provinces.

Honorables sénateurs, la question est sérieuse. Il y a dans notre pays des commissaires aux mariages dont la vie est brisée. Par exemple, Orville Nichols, de la Saskatchewan, célèbre des mariages depuis 25 ans. Il s'expose actuellement à un renvoi, en raison des mesures adoptées par la province. Dieu sait ce que ces provinces feront. Elles ont toutes des objectifs différents. Elles voient toutes cette situation sous un angle différent.

Les provinces devraient indiquer comment elles comptent harmoniser leurs lois de manière à ce que les gens aient un traitement équitable d'un bout à l'autre du Canada. Lors de sa comparution devant notre comité, le ministre Cotler semblait préoccupé par le fait que les provinces étaient divisées quant à la façon dont les tribunaux des droits de la personne traitaient les commissaires au mariage dans chaque province.

Je ne crois pas que le fait de retarder pendant une courte période de temps l'adoption de ce projet de loi fasse une grande différence au Canada. Nous pourrions étudier cette mesure de façon plus approfondie. Plusieurs difficultés, telles que la question des provinces et les effets de la mesure sur les enfants, ont été soulevées. Des témoins ont demandé à ce que l'adoption du projet de loi soit retardée.

Le sénateur Rompkey a dit que le pays s'était exprimé. Laissons le pays s'exprimer aux prochaines élections fédérales. N'adoptons pas cette mesure maintenant. Attendons. Faisons en sorte que les élections fédérales tiennent lieu de référendum sur ce projet de loi.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Son Honneur pourrait-il préciser où nous en sommes? Le sénateur Kinsella utilise- t-il du temps pour poser une question au sénateur St. Germain, même si celui-ci a proposé une motion pouvant faire l'objet d'un débat? Avons-nous commencé le débat sur la motion du sénateur St. Germain? Je ne sais pas très bien où nous en sommes.

Son Honneur le Président : Des 45 minutes qui ont été accordées au sénateur St. Germain, il en reste environ cinq. Il est le deuxième intervenant au sujet de la motion portant troisième lecture du projet de loi. La motion de renvoi qu'il a proposée est recevable. J'ai mis la motion à l'étude. Il a choisi de présenter sa motion de manière à avoir davantage de temps. La période qui lui était accordée est presque écoulée. Le sénateur Kinsella a posé une question au sénateur, et celui-ci a fourni une réponse.

Y a-t-il d'autres questions ou commentaires?

Le sénateur Austin : Le temps de parole du sénateur St. Germain est-il écoulé ou reste-t-il quelques minutes?

Son Honneur le Président : Selon mon interprétation du Règlement, un intervenant dispose de 45 minutes s'il est le premier ou le deuxième à prendre la parole à l'étape de la troisième lecture d'un projet de loi. Un intervenant peut présenter un amendement au début de son discours et en parler. Comme le sénateur St. Germain l'a fait, l'intervenant peut présenter un amendement dans le cadre de son discours et continuer de parler. Il peut aussi mettre fin à son discours immédiatement après avoir présenté sa motion, comme le sénateur St. Germain l'a fait, et accepter de répondre à une question. Le sénateur a accepté de répondre à la question du sénateur Kinsella.

S'il n'y a pas d'autres questions, l'intervenant suivant peut prendre la parole.

Le sénateur St. Germain : Honorables sénateurs, de toute façon, j'ai dit tout ce que je voulais vraiment dire.

Le sénateur Austin : Honorables sénateurs, j'aimerais discuter de la motion de renvoi du sénateur St. Germain. Cette motion peut faire l'objet d'un débat.

Je lance le débat en disant que l'intérêt public ne peut en aucune façon être servi en acceptant cette motion à ce moment-ci.

Le Canada est confronté depuis plus de 20 ans à la question qui fait l'objet du projet de loi C-38. Les sénateurs se souviennent peut- être que, dans le cadre des audiences du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution, en 1980- 1981, qui était présidé par le sénateur Joyal alors qu'il siégeait à l'autre endroit, le ministre de la Justice de l'époque, Jean Chrétien, avait témoigné à plusieurs reprises. Celui-ci avait dit clairement, en ce qui a trait à la définition des droits à l'égalité, que cette définition ne devait pas être restrictive et qu'avec le temps d'autres droits pourraient être inclus dans l'article 15 de la Charte.

Honorables sénateurs, le débat s'est poursuivi, comme le sénateur Joyal l'a mentionné dans son discours du 4 juillet, dans le cadre de ce qui était un processus bipartite, tout au long des années 1980. Lorsque le gouvernement Mulroney était au pouvoir, il a mis sur pied un comité de la Chambre des communes présidé par le député progressiste-conservateur Patrick Boyer. Ce comité a tenu des audiences dans tout le pays, puis a recommandé à l'unanimité que la Charte renferme une protection contre la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Nous avons alors assisté à l'émergence d'une politique bipartite qui arrive maintenant à son aboutissement.

En 1986, le ministre de la Justice progressiste-conservateur du gouvernement Mulroney, John Crosbie, avait accepté la recommandation du comité Boyer et promis que le gouvernement prendrait toutes les mesures nécessaires pour « s'assurer que l'orientation sexuelle constitue un motif de discrimination illicite dans tous les domaines de compétence fédérale ».

(1630)

En mettant en oeuvre cette décision stratégique, le gouvernement Mulroney a refusé de contester devant les tribunaux l'inclusion de l'orientation sexuelle dans l'article 15 de la Charte.

Le 4 juillet, dans son discours inaugural à l'étape de la deuxième lecture, le sénateur Joyal nous a aussi rappelé le rôle important que le sénateur Kinsella a joué afin que l'orientation sexuelle soit reconnue parmi les droits à l'égalité dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela faisait suite à une décision de la Cour d'appel de l'Ontario qui établissait que l'orientation sexuelle était clairement visée par la loi.

En 1995, le gouvernement Chrétien a modifié la Loi canadienne sur les droits de la personne afin d'y inclure expressément l'orientation sexuelle. Le sénateur Joyal nous a aussi rappelé qu'en 1995, la Cour suprême du Canada a déterminé qu'il fallait interpréter la Charte des droits et libertés comme incluant « l'orientation sexuelle » parmi les motifs de distinction illicite mentionnés à l'article 15 de la Charte, celui sur les droits à l'égalité.

C'est le gouvernement Chrétien qui a demandé à la Cour suprême du Canada son avis sur les droits à l'égalité et le droit des personnes de même sexe de se marier. La plupart des sénateurs ici présents se souviendront aisément du leadership passionné dont a fait preuve Martin Cauchon, le ministre de la Justice sous le gouvernement Chrétien; c'est lui qui a amorcé le processus législatif ayant mené au projet de loi C-38 dont nous sommes aujourd'hui saisis. Il faut reconnaître le leadership dont ont fait preuve dans ce dossier tant le premier ministre Chrétien que l'ex-ministre Cauchon, ce leadership remontant à 25 ans dans le cas de M. Chrétien.

Honorables sénateurs, les principes du projet de loi ont été âprement contestés lors des élections fédérales. Qui ne se souvient pas des arguments justifiant un renvoi à la Cour suprême ou de l'idée de soumettre à celle-ci une quatrième question, comme l'a fait le ministre de la Justice, Irwin Cotler?

Comme je l'ai dit, il est question au Parlement des principes du projet de loi C-38 depuis plus de 20 ans, et ses enjeux y ont été sérieusement et efficacement discutés avant et depuis les élections de juin 2004.

Comme le sénateur Joyal l'a souligné, un comité de la Chambre des communes est allé dans toutes les régions du Canada pour entendre plus de 400 témoins sur ce projet de loi. Les Canadiens ont bel et bien été consultés, à la fois par le comité de la Chambre des communes et par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qui, la semaine dernière, a entendu des personnes clés et des témoins représentatifs dans le cadre d'une étude exhaustive sur les aspects préoccupants du projet de loi.

Comme mon collègue le sénateur Rompkey l'a dit, les Canadiens ont décidé d'accepter le projet de loi C-38 et veulent que la question des droits à l'égalité des couples homosexuels et de leur droit de se marier soit réglée. Selon le sondage réalisé le lundi 18 juillet 2005, pour le compte du Globe and Mail et du réseau CTV, 55 p. 100 des Canadiens sont d'avis que le prochain gouvernement ne devrait pas toucher à la loi sur le mariage entre personnes de même sexe. Seulement 39 p. 100 des personnes interrogées sont d'avis qu'on devrait abroger ou modifier cette loi.

Honorables sénateurs, lorsqu'on jette un coup d'œil à l'allégeance politique des personnes sondées, on constate avec intérêt que, bien que les partisans conservateurs soient pour l'abrogation de cette loi ou pour une tentative de l'empêcher d'entrer en vigueur, les personnes qui seraient susceptibles de voter pour les conservateurs, elles, privilégient la position du gouvernement dans ce dossier. Selon la maison de sondage Strategic Council, après un long débat, l'opinion publique est désormais favorable au mariage homosexuel. Pour la population, il s'agit désormais d'une affaire réglée.

Honorables sénateurs, pendant que j'ai la parole, j'en profite pour féliciter, à l'instar des sénateurs Joyal et St. Germain, madame le sénateur Bacon et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour l'analyse rigoureuse et civilisée du projet de loi actuel qu'ils ont réalisée avec grande compétence. Le sénateur Bacon a présidé les audiences du comité de manière professionnelle et efficace. Je tiens également à souligner que les sénateurs des deux côtés ont agi avec courtoisie et professionnalisme, conformément à la conduite que l'on attend d'eux.

Honorables sénateurs, comme je l'ai dit, il ne sert à rien de remettre à plus tard. Il n'y a rien de nouveau à faire valoir; il n'y a pas de nouvelles positions à défendre. Tous les honorables sénateurs l'ont compris : à l'instar de la population canadienne, nous avons tiré nos propres conclusions. J'exhorte les honorables sénateurs — qu'ils appuient le projet de loi, s'y opposent ou s'abstiennent — à rejeter cette motion de renvoi afin que le débat puisse se poursuivre et que nous puissions le mener à bonne fin.

L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer la motion de renvoi. Mais auparavant, j'aimerais remercier madame le sénateur Bacon d'avoir mené d'une main de fer les audiences du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Elle s'est acquittée de sa tâche admirablement, en faisant preuve d'un très grand professionnalisme.

Comme le sénateur St. Germain l'a signalé, 33 témoins ont comparu. Les témoignages que nous avons entendus dans le cadre de nos travaux portaient uniquement sur le projet de loi. Ils n'avaient rien à voir avec ce qui se passait ailleurs dans le monde. Nous avons examiné la situation au Canada, à la suite de l'adoption de certaines mesures législatives et de décisions rendues par des instances inférieures, notamment dans huit des dix provinces et dans deux des trois territoires. Nous n'avons pas examiné la situation en Belgique, aux Pays-Bas ou en Espagne, par exemple. Ces pays ont tous trois adopté des mesures législatives concernant les unions homosexuelles. La Belgique et les Pays-Bas imposent cependant des restrictions en matière d'adoption. On se serait attendu à ce que nous nous penchions sur les raisons qui ont amené ces deux pays à imposer des restrictions, mais nous ne l'avons pas fait.

Le Danemark reconnaît des partenariats enregistrés, mais uniquement pour les couples homosexuels. Il n'autorise l'adoption d'un enfant que si celui-ci est déjà l'enfant d'un des deux membres du couple. Nous n'avons pas étudié cet aspect et n'avons pas posé cette question. Nous ne nous sommes pas penchés sur les raisons pour lesquelles ce pays a fait ce qu'il a fait. Il est malheureux que nous ayons omis de parler de leur expérience dans le cadre de notre débat.

L'Allemagne a une loi sur les unions à vie qui confère une partie mais pas la totalité des droits responsabilités associés au mariage. Pourquoi? Nous aurions dû nous le demander, mais nous ne l'avons pas fait.

En France, le Pacte civil de solidarité confère une partie mais pas la totalité des droits et responsabilités associés au mariage. Pourquoi? Nous aurions dû nous pencher sur la question. C'est ce que nous faisons, et nous le faisons très bien.

En Nouvelle-Zélande, on a déterminé que la définition du mariage en tant qu'institution hétérosexuelle n'est pas anticonstitutionnelle. On y trouve des unions civiles auxquelles sont associés une partie mais pas la totalité des droits et responsabilités associés au mariage. Une fois de plus, pourquoi? Encore là, nous n'avons pas étudié la question.

L'État de la Californie prévoit un système de partenariat domestique qui offre certains avantages accordés à l'échelle de l'État, mais non les avantages accordés au niveau fédéral.

Enfin, le gouvernement fédéral en Australie a interdit catégoriquement le mariage homosexuel tout en permettant les unions civiles dans les États et les territoires. Actuellement, on peut profiter de ce type d'union civile dans toutes les provinces à l'exception de deux.

Le second examen objectif est l'essence même du Sénat. C'est ce que nous faisons de mieux, et je suis en faveur de ce genre de travail. Nous devrions prendre le temps de nous pencher sur ces autres cas pour déterminer ce que d'autres pays ont fait, ce qu'ils font et pourquoi.

En plus de la définition du mariage et des limites à l'adoption, j'aimerais que le comité se penche aussi sur la définition de la famille dans le monde actuel.

(1640)

Dans le monde d'aujourd'hui, la définition de la famille a radicalement changé. Des frères cohabitent pour des raisons financières. Ils ne bénéficient pas des avantages que prévoit la loi sur le mariage entre personnes de même sexe. Des anciens combattants vivent ensemble comme une famille également pour des raisons financières. Ils ne bénéficient pas d'avantages particuliers. Voilà une inégalité flagrante. Alors qu'il est question de droits à l'égalité, on fait là une énorme entorse à ce principe.

Il faut examiner cet aspect, et cette Chambre le fait à merveille. Il faudrait retarder de six mois l'adoption de ce projet de loi pour, d'une part, examiner de façon appropriée la situation dans ces autres pays et, d'autre part, redéfinir la notion de famille.

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Je ne vois aucun sénateur intervenir au sujet de l'amendement du sénateur St. Germain. Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion d'amendement veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion d'amendement veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs. Y a-t-il une entente en ce qui concerne le temps? S'il n'y en a pas, le timbre retentira pendant une heure.

Le sénateur LeBreton : C'est 30 minutes.

Son Honneur le Président : Le timbre retentira pendant 30 minutes, ce qui veut dire que nous reviendrons pour voter à 17 h 10.

Convoquez les sénateurs.

(1710)

(La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.)

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Angus Kinsella
Buchanan LeBreton
Cochrane Meighen
Comeau Oliver
Cools Plamondon
Di Nino Prud'homme
Eyton St. Germain
Forrestall Stratton
Gustafson Tkachuk—19
Kelleher

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Atkins Lapointe
Austin Losier-Cool
Bacon Maheu
Baker Mahovlich
Banks Massicotte
Biron Mercer
Bryden Merchant
Callbeck Milne
Chaput Mitchell
Christensen Moore
Cook Munson
Cordy Pearson
Dallaire Pépin
Downe Petersen
Dyck Phalen
Eggleton Poulin
Fairbairn Poy
Fitzpatrick Ringuette
Furey Robichaud
Gill Rompkey
Grafstein Sibbeston
Harb Smith
Hubley Spivak
Jaffer Tardif
Joyal Trenholme Counsell
Kenny Watt—52

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucune

Le sénateur Kinsella : Honorables sénateurs, puisque nous poursuivons l'étude à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-38, permettez-moi de commencer par faire observer que nous reconnaissons tous que cette question a soulevé beaucoup de controverse dans la population canadienne, controverse qui a eu des prolongements jusque dans les audiences que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a tenues la semaine dernière. Les incidences que ce projet de loi pourrait avoir dans des domaines tels que la liberté de conscience et de religion constituent encore des causes d'angoisse, du moins si l'on en croit les témoins qui ont comparu devant le comité et d'autres personnes d'un bout à l'autre du pays.

Honorables sénateurs, comme je l'ai mentionné lors du débat à l'étape de la deuxième lecture, j'estime que, moyennant un tout petit rajustement, nous devrions pouvoir restaurer l'intégrité de ce projet de loi et cicatriser un grand nombre des divisions créées au pays par la façon dont la question est actuellement traitée dans le projet de loi.

Selon ma proposition, honorables sénateurs, rien ne serait retranché du projet de loi. Son libellé serait accepté tel quel et on y ajouterait simplement quelques mots. Je propose l'ajout d'un nouvel article 2 au projet de loi, lequel énoncerait le fait historique que le Parlement reconnaît depuis longtemps le mariage traditionnel entre un homme et une femme et continue de le faire. Puis j'ajouterais les mots « nonobstant le nouvel article 2, » devant les mots « Le mariage » de l'article 2 actuel, qui deviendrait l'article 3, les autres étant numérotés en conséquence. C'est aussi simple que cela et cette proposition résoudrait la question en donnant peut-être satisfaction dans une large mesure aux Canadiens qui ont exprimé des inquiétudes légitimes. Elle aurait également l'avantage de protéger tous les droits à l'égalité dont nous parlons.

Je vois là un correctif facile aux insuffisances du projet de loi, que je vais commenter maintenant. L'amendement n'ira pas à l'encontre du projet de loi C-38 tel qu'il existe actuellement mais aidera à surmonter les divisions qu'il cause présentement parmi les Canadiens. On s'entend largement pour juger essentiel le maintien de la reconnaissance par le Parlement du mariage traditionnel entre un homme et une femme et cette union fait également partie, bien entendu, de la catégorie de rapports définis dans le projet de loi comme étant le mariage civil. Autrement dit, l'article 2 actuel nous dit que le mariage est, sur le plan civil, l'union de deux personnes, à l'exclusion de toute autre personne. Les catégories de personnes visées par cet article sont clairement les hommes et les femmes.

Honorables sénateurs, comme je l'ai signalé lors du débat à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi C-38, la mesure contient une définition restreinte du mariage civil et ne contient aucune référence à quelque autre définition du mariage, notamment celle du mariage traditionnel. On a ainsi l'impression, sinon la certitude, d'une omission, ce qui a bouleversé les Canadiens. Or, le projet de loi peut facilement intégrer une définition du mariage qui reflète tout autant la réalité des couples de même sexe que celle des couples hétérosexuels, ce à quoi le gouvernement s'est montré réticent à toutes les étapes.

Je suis d'avis que l'harmonie est possible sur cette question qui est source de divisions. On s'en est servi pour créer un clivage politique, pour diviser là où aucune division ne devrait exister, ni sur le plan législatif, ni sur le plan pragmatique. Il n'est pas nécessaire d'exclure ou de rejeter la définition traditionnelle du mariage en voulant garantir l'égalité des droits pour tous.

(1720)

Certains ont fait valoir que l'amendement que j'ai proposé créera, je ne sais comment, un régime distinct mais égal ou reléguerait le mariage entre personnes du même sexe à un statut secondaire. Cette façon de voir se fonde à tort sur la fausseté de la démonstration par l'analogie et de la démonstration par l'absurde.

Comme les honorables sénateurs le savent, la doctrine du régime distinct, mais égal, a pour origine la tentative de ségrégation des enfants noirs et des enfants blancs, qui a été rejetée aux États-Unis par la Cour suprême de ce pays dans l'arrêt Brown v. Board of Education. L'argument de l'époque, aux États-Unis, était que si l'enseignement dispensé était d'égale qualité, alors, à toutes fins utiles, les groupes recevraient un traitement égal. Comme tout étudiant des droits de la personne le sait, la cour, dans l'affaire Brown v. Board of Education, n'a pas jugé que des régimes distincts étaient, par nature, inégaux, mais elle a simplement affirmé que la ségrégation, dans les faits, ne prodiguait pas une véritable qualité. L'issue de l'affaire reposait sur l'égalité de traitement, et non sur la distinction entre les traitements.

Toutefois, le sénateur Joyal a eu raison d'attirer notre attention sur le droit canadien et sur l'exemple éloquent que nous avons dans notre propre droit. Nous n'avons pas à nous reporter à des exemples inexacts, non comparables provenant des États-Unis. Comme l'a indiqué le sénateur Joyal, il n'existe pas de meilleur exemple canadien que l'article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés pour décrire le concept de l'égalité au moyen de la reconnaissance parallèle, mais distincte. Cet article consacre et protège des institutions parallèles sans dégrader ni l'une ni l'autre, tout en reconnaissant leurs différences inhérentes. Permettez-moi de citer le paragraphe 16.1 (1) de la Charte, qui est un amendement apporté à la Charte selon la formule bilatérale lors de notre examen de la résolution concernant la province du Nouveau-Brunswick.

Cette disposition reflétait la réalité dans ma province du Nouveau-Brunswick, où nous avons deux communautés linguistiques qui jouissent d'un traitement égal aux yeux de la loi. En voici le texte :

16.1 (1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

Honorables sénateurs, les termes appropriés pour cette discussion devraient donc être « parallèles mais distincts » et non « distincts mais égaux ».

J'ai laissé entendre que le projet de loi C-38 devrait prévoir la reconnaissance de la réalité historique du mariage traditionnel. Permettez-moi d'apporter quelques précisions à cet égard : je n'ai pas dit qu'on devrait créer une institution distincte, du genre de l'union civile, et la réserver aux couples homosexuels. Il n'y a rien dans la formulation que j'ai proposée ou dans mes observations précédentes qui pourraient laisser croire que j'ai l'intention de reléguer quelque définition du mariage à une position secondaire ou d'y accorder un statut inférieur. En fait, ceux qui connaissent bien les termes de l'article 16 de notre Charte reconnaîtront qu'il s'agit là d'un principe constitutionnel canadien qui prévoit que deux institutions parallèles et distinctes peuvent coexister en toute égalité et en toute harmonie.

Dans sa formulation actuelle, le projet de loi C-38 fait fi de toute définition autre que celle qui prévoit le mariage à des fins civiles. L'amendement que j'ai l'intention d'apporter reconnaîtra le mariage traditionnel tel qu'il existe depuis des centaines d'années — et, à vrai dire, tel qu'il continuera d'exister pour des millions de Canadiens, quelle que soit la décision du Parlement — tout en reconnaissant et en respectant l'expansion de la définition juridique du terme afin de tenir compte des réalités modernes. Il est clair que cette solution législative canadienne est très différente de la situation dans laquelle se trouvait le tribunal qui a dû se prononcer dans l'affaire Brown v. Board of Education aux États-Unis.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à rejeter l'idée qu'il n'existe qu'une seule option, qu'il n'y a qu'une seule formulation acceptable et que le mariage traditionnel devrait être mis de côté par le Parlement. Nous pouvons assurer l'égalité sans tout détruire. Nous pouvons assurer l'égalité sans faire disparaître le concept actuel et historique du mariage auquel la plupart des Canadiens s'associent. Nous pouvons le faire sans renoncer à quoi que ce soit. Il peut exister une harmonie dans les définitions. Nous pouvons guérir les blessures profondes que cette fausse dichotomie a créées.

MOTION D'AMENDEMENT

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : Dans cette optique, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-38 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à la page 2 :

a) par substitution, à la ligne 41, de ce qui suit :

« 2. Le Parlement a reconnu et continue de reconnaître le mariage traditionnel entre un homme et une femme.

3. Malgré l'article 2, le mariage est, sur le plan civil, l'union »;

b) par le changement de la désignation numérique des articles 3 à 15 à celle des articles 4 à 18 et par le changement de tous les renvois qui en découlent.

Honorables sénateurs, j'ai déposé un exemplaire de cette motion sur le bureau plus tôt cet après-midi, afin que des copies puissent être faites et distribuées sans délai.

Son Honneur le Président : Il est proposé par l'honorable sénateur Kinsella, appuyé par l'honorable sénateur Stratton :

Que le projet de loi C-38 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à la page 2 :

a) par substitution, à la ligne 41, de ce qui suit :

« 2. Le Parlement a reconnu et continue de reconnaître le mariage traditionnel entre un homme et une femme.

3. Malgré l'article 2, le mariage est, sur le plan civil, l'union »;

b) par le changement de la désignation numérique des articles 3 à 15 à celle des articles 4 à 18 et par le changement de tous les renvois qui en découlent.

Honorables sénateurs, le texte, en anglais et en français, est en présentement distribué. Je vais regagner mon fauteuil. Si d'autres sénateurs souhaitent intervenir, ils prendront la parole. Dans le cas contraire, je vais voir si vous êtes prêts pour la question.

Je vais suivre une liste, en alternant entre le côté de l'opposition et celui du gouvernement. Je vais commencer du côté du gouvernement par madame le sénateur Bacon. Lors de la proposition d'amendements, il est difficile de suivre une liste précise, car les sénateurs qui ont déjà parlé ont le droit de prendre de nouveau la parole au sujet de l'amendement. J'ai l'intention de procéder comme suit : sénateur Bacon, sénateur Forrestall, sénateur Pépin, sénateur Gustafson, sénateur Cordy, sénateur Cools, sénateur Smith, sénateur Di Nino, sénateur Grafstein, sénateur Stratton, sénateur Hervieux-Payette et sénateur Banks. Sénateur Joyal, voulez-vous que votre nom soit ajouté à la liste?

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Serait-il souhaitable d'entendre ce que le parrain du projet de loi a à dire au sujet de l'amendement proposé?

Son Honneur le Président : Je vais inscrire le nom du sénateur Joyal à la place de celui du sénateur Bacon. Il sera le prochain à prendre la parole. J'ai fait lecture de la motion d'amendement, et le débat porte maintenant sur cette motion.

RECOURS AU RÈGLEMENT

L'honorable Marcel Prud'homme : J'invoque le Règlement, et je suis certain qu'il s'agit d'un recours au Règlement. Son Honneur sait que je le tiens en très haute estime; toutefois, de ce côté-ci, dans ce coin- ci, nous sommes quelque peu, non pas irrités, mais surpris lorsque nous entendons dire que tour de parole alternera entre le gouvernement et l'opposition. Je ne compte pas prendre la parole à ce sujet, du moins pas à ce moment-ci. Son Honneur a dit qu'il se montrerait juste, et il l'est, en donnant la parole au gouvernement, puis à l'opposition, puis au gouvernement, puis à l'opposition, et ainsi de suite. Toutefois, ne pourrait-il pas formuler cela autrement? Nous sommes onze sénateurs non alignés. Nous ne faisons pas partie du gouvernement — Dieu merci, parfois. Nous ne faisons pas partie de l'opposition, tant mieux pour le gouvernement. Nous sommes onze sénateurs non alignés. Je n'aime pas qu'on fasse référence à « nous » et à « eux ». Je ne parle pas au nom de tous les onze, mais il y a cinq progressistes-conservateurs, cinq indépendants et une néo-démocrate. Personne ne parle en notre nom. Si une personne parmi nous veut prendre la parole, elle le fera. Je remercie les sénateurs de leur patience à l'égard de ce recours au Règlement.

(1730)

Son Honneur le Président : Vous avez raison, sénateur Prud'homme, et je ferai attention. Le sénateur Corbin veut intervenir au sujet de ce recours au Règlement.

[Français]

L'honorable Eymard G. Corbin : Honorables sénateurs, nous commençons à tolérer une pratique qui n'est pas conforme au Règlement du Sénat. Je n'ai pas l'intention de soulever un rappel au Règlement majeur, mais il est clair que l'article 32 du Règlement prévoit que :

Un sénateur qui désire prendre la parole au Sénat doit se lever du siège qu'il occupe habituellement avant de s'adresser aux autres sénateurs.

Et l'article 33(1) se lit comme suit :

Lorsque deux sénateurs ou plus se lèvent en même temps pour parler, le Président donne la parole à celui qu'il juge s'être levé le premier.

Depuis quelque temps, je constate que la présidence procède à partir de listes. Je ne sais pas qui établit ces listes, mais je ne crois pas que ce soit la prérogative de la présidence d'établir des listes d'orateurs. Le Règlement est clair. Si on veut prendre la parole, on doit se lever de son siège et le premier sénateur à se lever est reconnu pour prendre la parole.

Je ne veux pas être difficile; je ne cherche pas à retarder le débat, mais je signale tout simplement que ce qui se passe depuis quelque temps commence à m'inquiéter. Si les porte-parole autorisés des partis peuvent me dire qu'ils ont convenu entre eux d'établir cette liste, c'est différent. Cependant, il faudrait que la présidence confirme que c'est le cas.

Néanmoins, pour revenir indirectement à la question soulevée par le sénateur Prud'homme, rien n'empêche un sénateur qui n'est pas sur la soi-disant liste de se lever avant n'importe qui et d'être reconnu pour prendre la parole. Je m'interroge sur la pratique des listes et j'aimerais qu'on m'explique comment on en est arrivé à cette façon de procéder qui est, quant à moi, contraire au Règlement du Sénat.

[Traduction]

Son Honneur le Président : D'autres sénateurs désirent-ils intervenir au sujet du rappel au Règlement?

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, je voudrais appuyer le rappel au Règlement. Les observations du sénateur Corbin sont extrêmement valables et évoquent une autre de ces pratiques insidieuses au Sénat, qui ont pour effet de miner les droits individuels des sénateurs. Je ne suis pas prête à me prononcer sur cette question, et je sais que la question du mariage nous préoccupe vivement, mais j'aimerais bien en savoir davantage sur la façon dont ces pratiques sont créées, sur ceux qui les créent et sur le pouvoir qui permet de les créer.

Les sénateurs se souviendront qu'il y a plusieurs années le Président disait au Sénat que les leaders s'étaient entendus, et cela s'arrêtait là. À l'époque, j'insistais pour que le Président demande le consentement de tous les sénateurs au sujet de l'entente intervenue entre les leaders. Une entente privée entre les deux leaders ne lie pas le Sénat. Bien des sénateurs peuvent penser que le sénateur Corbin est pointilleux, mais ce n'est pas le cas. Son argument est important et, en cours de route, nous devrions peut-être nous demander en vertu de quel pouvoir de telles mesures sont prises.

Chaque sénateur possède des pouvoirs, des privilèges et des immunités en vertu de l'article 18 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Nous possédons aussi collectivement les privilèges, les pouvoirs et les immunités que confère le Sénat. Cet aspect important peut être examiné comme il convient, et j'ai toujours estimé qu'il est très facile d'agir comme il convient.

Son Honneur le Président : Y a-t-il d'autres interventions? Sinon, je remercie le sénateur Prud'homme de son rappel au Règlement ainsi que tous les autres honorables sénateurs qui ont exprimé leur opinion.

Il n'est pas nécessaire que j'interfère dans les délibérations d'aujourd'hui sur cette mesure législative, mais j'étudierai la question à la lumière de la pratique suivie au Sénat. Je vérifierai comment nous en sommes venus à cette pratique et ce qui m'a amené, à l'occasion, à lire des listes de sénateurs pour indiquer dans quel ordre j'ai l'intention de leur accorder la parole même si, comme le sénateur Corbin l'a déclaré, ces sénateurs ne se sont pas levés lorsqu'ils voulaient la parole. Il est aussi arrivé que plus de deux sénateurs se lèvent en même temps. Je vous ferai savoir si ma façon de procéder est contraire au Règlement. Cela me donnera peut-être l'occasion de commenter la pratique.

Entre-temps, j'ai l'intention d'accorder la parole aux sénateurs qui demandent à parler. Le sénateur Joyal sera le prochain. On a signalé que, puisqu'il est le parrain du projet de loi du côté ministériel, il devrait être le premier à avoir la parole après un sénateur de l'opposition. Pour ce qui est des sénateurs indépendants, je garderai un oeil sur eux pour m'assurer qu'ils ont une juste chance de participer au débat.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je serai bref. Les amendements de l'honorable leader de l'opposition sont inacceptables pour trois raisons.

Premièrement, la définition de l'article 2 est une définition inclusive du mariage. Elle inclut à la fois le mariage entre personnes de sexe opposé et entre personnes de même sexe. Cette définition englobe absolument les deux définitions du mariage dont nous avons discuté.

Deuxièmement, ces amendements remettraient en question la décision de huit tribunaux provinciaux et de la Cour suprême du Canada, c'est-à-dire de 30 juges qui se sont prononcés clairement. La Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que, en common law, la définition du mariage est l'union volontaire pour la vie de deux personnes à l'exclusion de toute autre. C'est très clair et cela est conforme aux lois provinciales, territoriales et fédérales.

Troisièmement, le mot « nonobstant » pourrait faire croire que l'énoncé formel et simple de la définition contenue dans le projet de loi n'est peut-être pas tout à fait clair. Cela introduirait une notion de hiérarchie dans la définition, ce qui va à l'encontre de l'objectif du projet de loi qui est d'établir un accès égal à l'institution civile du mariage.

Je demande aux honorables sénateurs de voter contre cet amendement.

(1740)

Le sénateur Cools : Honorables sénateurs, j'appuie l'amendement du sénateur Kinsella au projet de loi C-38. Je suis tout à fait en désaccord avec ce que le sénateur Joyal a dit à propos de l'amendement du sénateur Kinsella. Je dirais même qu'il a tort, en l'occurrence.

Honorables sénateurs, j'appuie l'amendement du sénateur Kinsella parce qu'il atténue le caractère radical du projet de loi tel qu'il est maintenant libellé. Je m'oppose certes au projet de loi, et je dois le rappeler à tous les sénateurs.

Je voudrais appuyer l'amendement du sénateur Kinsella au nom d'une partie de la Constitution qui n'a pas été invoquée du tout dans tout ce débat. Je ne doute pas que les sénateurs savent fort bien que j'ai déjà déclaré que le gouvernement, en traitant la question du mariage comme une question de droits en vertu de la Charte, a abordé le problème d'une façon erronée. Je suis d'avis que, depuis 1759 et, certainement, depuis 1867, le droit du mariage a toujours cherché à protéger le mariage comme étant la consécration de l'union sexuelle d'un homme et d'une femme dans le but de procréer, ce qui est d'intérêt public.

Je souscris sans réserve à ce point de vue. Je suis d'avis que si le sénateur Joyal et le gouvernement du Canada tenaient tant à accorder des droits égaux aux personnes homosexuelles, ils auraient pu recourir au processus juridique qui convenait, à savoir proposer un amendement à Loi constitutionnelle de 1867 afin de modifier le paragraphe 91(26), sur le mariage et le divorce, et le paragraphe 92(12), sur la célébration des mariages dans les provinces, en vue d'apporter une modification de la définition du mariage.

Je dis depuis longtemps que rien dans la Charte des droits n'abroge ou n'altère la Loi constitutionnelle de 1867. Je crois sincèrement que la Charte est un complément à la Constitution. On parle sans cesse d'exclusion et d'inclusion; la Charte fait partie intégrante de la Constitution.

L'intérêt dont je voudrais parler aujourd'hui est l'intérêt public ou le bien public. La personne qui représente le bien public et l'intérêt public dans notre pays est Sa Majesté la Reine, la source du pouvoir exécutif.

Honorables sénateurs, nous tenons bien des choses pour acquises dans ce débat. Nous n'avons guère parlé des questions juridiques fondamentales, gaspillant plutôt notre salive en discutant de nos sentiments et de nos choix personnels. Nous avons tous oublié que deux personnes ne peuvent se marier et divorcer par leur seule volonté. Elles ont besoin pour cela d'un tiers en la personne de Sa Majesté la Reine.

Je voudrais parler du rôle de Sa Majesté à l'égard du droit du mariage. La reine incarne le caractère public du mariage et elle est partie à tous les mariages, car au Canada, c'est au nom de la lex prerogativa, de la prérogative royale, que les mariages sont célébrés. Aux termes de cette prérogative, Sa Majesté accorde pour la célébration des mariages des permis aux représentants du clergé et des commissions aux juges, juges de paix et commissaires au mariage. Grâce à la prérogative royale, le pouvoir juridique et civil est accordé à tous ces agents pour célébrer des mariages, déclarer des personnes officiellement mariées et accorder aux personnes mariées l'état civil particulier que le mariage confère. L'octroi des permis et commissions est un acte relevant de la prérogative royale. Par conséquent, la question à l'étude présente un intérêt réel pour Sa Majesté.

Honorables sénateurs, j'ai sous les yeux, je tiens à le dire, le texte du permis accordé à un ministre du culte qui sera autorisé à célébrer des mariages. Au Canada, il faut obtenir deux permis de Sa Majesté. Dès qu'on entend le terme « permis », cela veut dire que la prérogative royale de Sa Majesté intervient. Il y a le permis accordé au représentant du clergé ou au commissaire, et celui qui est remis au couple pour permettre que la personne autorisée célèbre le mariage.

Aux fins du débat en cours, je voudrais attirer l'attention sur quelques éléments. Je vais commencer par citer une source très impressionnante, puisqu'il s'agit d'un des auteurs et architectes de la Constitution, sir John A. Macdonald. La citation est extraite des documents parlementaires nos 89, 1877. En date de novembre 1869,  il s'agit d'un avis juridique du premier ministre John A. Macdonald à l'intention de ses supérieurs britanniques au sujet des pouvoirs relatifs au mariage concernant l'octroi de permis. Il ne faut pas oublier que sir John A. Macdonald était également le procureur général du Canada. Il s'agit donc d'un avis juridique du procureur général du Canada, et en voici le texte :

Le pouvoir accordé aux assemblées législatives locales pour qu'elles légifèrent sur la célébration du mariage a été ajouté dans la loi, croit-on comprendre, à la demande des représentants du Bas-Canada qui, à titre de catholiques, voulaient se protéger contre l'adoption d'une loi légalisant le mariage civil sans l'intervention d'un membre du clergé et la célébration de la cérémonie religieuse. Ils voulaient donc que l'assemblée législative de chaque province s'occupe de cette section de la loi sur le mariage.

Honorables sénateurs, sir John A. Macdonald renvoie à la répartition des compétences législatives en matière de mariage en vertu des paragraphes 91.26 et 92.12 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. C'est un clin d'oeil.

J'aimerais maintenant aborder la question des pouvoirs par rapport à la célébration du mariage par des personnes autorisées. Je crois que personne dans cette enceinte ne s'est donné la peine de se demander si l'article 15 de la Charte, qui porte sur les droits à l'égalité, s'applique à la prérogative royale en matière de célébration du mariage. Honorables sénateurs, permettez-moi de remonter à 1763 — après la bataille des Plaines d'Abraham où s'affrontèrent les Français et les Britanniques. Lors de la conclusion du traité, je crois qu'on a nommé le roi de France sa majesté très chrétienne et le roi d'Angleterre sa majesté britannique. D'aucuns trouvent cela très amusant, mais il s'agit de l'état du droit et c'est un des problèmes les plus actuels que nous ayons — le droit n'a plus de pertinence.

Les honorables sénateurs ne sont pas sans savoir que, après la conquête et la conclusion du traité, le Québec avait un statut politique qui lui était propre. Le gouverneur général, James Murray à l'époque, détenait les pouvoirs civils et militaires, ce qui était plutôt inusité sur le plan constitutionnel. Un fait intéressant que peu de gens semblent connaître, c'est que le 7 décembre 1763, le gouverneur général Murray, le gouverneur en chef de la province de Québec, a été investi du pouvoir d'octroyer des permis de mariage. Honorables sénateurs, ces pouvoirs qui lui ont alors été octroyés étaient ceux du lord évêque de Londres, lequel détenait des pouvoirs exclusifs sur les colonies relativement aux questions ecclésiastiques, dont le pouvoir de déléguer l'octroi des permis de mariage au gouverneur en chef.

Ce que nombre de gens ne comprennent pas, c'est que le gouverneur en chef a été investi des pouvoirs en matière de célébration du mariage en tant que gouverneur en chef et ordinaire de l'Église d'Angleterre parce qu'on s'attendait à ce que celui-ci devienne ordinaire de l'Église. Sachez que les pouvoirs en matière de mariage ont été transmis par le pape à l'archevêque de Canterbury, puis au lord évêque de Londres, puis au gouverneur en chef du Canada. Permettez-moi de lire un extrait des Instructions au gouverneur Murray, qui lui ont été remises par sa majesté le roi lors de sa nomination.

(1750)

L'article 35 dit :

Vous ne devez pas donner la préférence à un ministre protestant au détriment d'un bénéfice ecclésiastique dans la province de votre gouvernement sans un certificat du révérend père, le lord évêque de Londres, qui soit conforme à la doctrine et à la discipline de l'Église d'Angleterre, ainsi qu'à la vie saine et à la conversation;

« Conversation » a une signification particulière.

Je lis les instructions de décembre 1763. L'article 37 dit :

Et afin que la compétence ecclésiastique du lord évêque de Londres puisse s'exercer dans notre province sous votre gouvernement, dans la mesure du possible, nous estimons approprié que vous favorisiez et encouragiez l'exercice de cette compétence en acceptant uniquement les bénéfices, l'octroi de licences de mariage et l'homologation de testaments, que nous avons réservés pour vous, notre gouverneur...

C'est un point très important. C'est la pratique qui devait avoir cours dans les colonies britanniques, à tout le moins dans le Nouveau Monde. Je ne suis pas très au courant en ce qui a trait à l'Australie et à d'autres pays, mais cette pratique devait avoir cours dans le Nouveau Monde, notamment à la Barbade.

Si nous examinions les lettres patentes du gouverneur général, nous constaterions que ces pouvoirs sont mentionnés de nouveau. La loi du mariage, telle qu'elle existe toujours dans la Constitution, faisait partie des négociations entre le Canada français et anglais. Sir John A. Macdonald a aussi été l'auteur de 44 des 72 résolutions qui sont devenues des dispositions de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Il faut bien comprendre que le mariage, tel qu'il existe encore au Canada, faisait partie des pouvoirs conférés au gouverneur en chef James Murray.

Les débats sur la Confédération en font largement état. Hector Langevin, Taché et sir John A. Macdonald ont tous parlé de la protection du mariage. Peut-être devrions-nous nous demander comment et pourquoi cette institution a pu jouir de la protection de la Constitution.

En 1867, les rédacteurs de la Constitution tenaient à maintenir le statu quo. Il faut se souvenir que les Canadiens français, qui s'apprêtaient à entrer dans la Confédération, se préoccupaient de la création du « mariage civil » par les Anglais protestants, mariage qui ne requerrait aucun membre du clergé. Je dis que tous les mariages sont des mariages civils, parce que Sa Majesté, l'autorité civile et religieuse, célébrait les deux, s'inspirant du droit canon et du droit civil. Cependant, c'est précisément au principe que veut établir le présent gouvernement dans le cadre du projet de loi C-38 que les Canadiens français s'objectaient quand ils sont entrés dans la Confédération. Qu'a fait le gouvernement en créant ce concept artificiel du mariage civil? Il a dissocié le mariage civil du mariage. Pourtant, tous les mariages canadiens sont civils parce que le droit civil et le droit canon ont évolué et se sont intégrés à la common law. Blackstone nous le confirme, comme toutes les autres grandes autorités sur la common law.

J'aimerais lire la partie de l'entente de la Confédération relative au mariage qui porte sur l'accord de ces pouvoirs au gouverneur général. J'aimerais officiellement citer une déclaration de la commission du 1er juillet 1867, nommant le vicomte Monck comme le premier Gouverneur général du Canada.

L'article VII dit :

Par les présentes, nous vous autorisons, dans ledit Dominion, à exercer tous les pouvoirs que nous avons l'autorité d'y exercer relativement à l'octroi de licences de mariages, de lettres d'administration et d'homologation de testaments, et relativement à la garde et à la prise en charge des idiots et des déments, et à la gestion de leurs successions; et à présenter quiconque devant toute église, chapelle ou autre établissement ecclésiastique sur le territoire de nos provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, devant lesquelles nous aurons de temps à autre le droit de les présenter.

Honorables sénateurs, j'ai étudié ces questions en assez grand détail et suis profondément déçue qu'à toutes les étapes du processus, le gouvernement ait choisi de suivre ses propres souhaits et caprices plutôt que de s'inspirer de la loi. Honorables sénateurs, ce qui est tragique dans ce débat, c'est que ceux qui ne sont pas d'accord sur des points de droits sont traités d'homophobes. C'est malheureux. J'en viens presque à penser à l'oeuvre majeure d'Honoré de Balzac, Une passion dans le désert, dont la conclusion est que les plus grandes relations ont souvent pris fin à cause d'un simple malentendu.

Honorables sénateurs, j'ai étudié les jugements; j'ai cherché à comprendre comment le procureur général pouvait faire ainsi volte- face dans ce dossier. Comment le ministre Cauchon pouvait-il avoir à ce point raison, et son prédécesseur, Anne McLellan, avoir à ce point tort? J'ai examiné les témoignages et les arguments présentés afin de montrer que le projet de loi s'appuie sur le droit. Je ne suis pas avocate, mais je fais partie de la Haute Cour du Parlement et je suis une parlementaire. Je me dois de connaître les lois et de trouver le fil conducteur entre le moment où une loi a été adoptée et celui où on veut la modifier.

Certains disent que le Parlement n'a jamais beaucoup légiféré sur le mariage. Le Parlement a très peu légiféré sur le mariage en raison de la déférence constitutionnelle qui existe entre le droit législatif, la common law et le droit canon. Jusqu'à tout récemment, la plupart des politiciens du Canada conféraient au droit canon un caractère sacro-saint. Il en était ainsi parce qu'ils voulaient qu'il y ait harmonie et équilibre dans la Constitution.

Il serait plus facile de trouver une aiguille dans une botte de foin que de comprendre comment le gouvernement a pu suivre la trame du droit du mariage et en arriver à cette conclusion. C'est ce qui me permet de dire avec assurance que toute la question du mariage homosexuel repose sur une structure erronée. Il est intéressant de noter que la position que j'ai adoptée correspond à celle adoptée par le juge Pitfield, en Colombie-Britannique, dans sa toute première décision sur le mariage.

Je continue de penser que nous avons rendu aux homosexuels de notre pays un très mauvais service parce que, depuis de nombreuses années, à toutes les étapes du processus, on a essayé de masquer, de manipuler, de déformer et de présenter sens dessus dessous la réalité juridique. On a renversé les principes, et franchement, les homosexuels méritent mieux que cela. À mon avis, on ne peut pas créer un sentiment de fraternité ou d'amour entre les être humains avec des projets de loi qui sont aussi mal rédigés ou conçus et préparés à la hâte. Je pense que si l'on veut traiter les êtres humains avec dignité et respect, il faut aussi traiter les lois avec respect parce que, finalement, ces lois sont tout ce que nous avons pour nous protéger. Pour certains, cela semblera peut-être sentimental, mais chaque fois que nous annulons une loi, nous concluons un pacte avec le diable et, au bout du compte, c'est le mal qui finira par triompher, parce que nous aurons annulé toutes les lois.

(1800)

Honorables sénateurs, je défends Sa Majesté et ses intérêts relativement au mariage. J'aurais vraiment aimé que le gouvernement nous présente un projet de loi faisant appel à la générosité de tous et à leur compréhension de la loi — ce qu'il aurait pu faire.

(Le débat est suspendu.)

LES TRAVAUX DU SÉNAT

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est 18 heures; désirez-vous que je ne tienne pas compte de l'heure?

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Votre Honneur, pourriez-vous demander qu'on ne tienne pas compte de l'heure, avec le consensus de tous les partis?

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je voudrais savoir en particulier ce qu'en pensent les indépendants, mais aussi les sénateurs de l'opposition et du gouvernement. Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour que nous ne tenions pas compte de l'heure?

L'honorable Marcel Prud'homme : Honorables sénateurs, ce serait bien gentil de nous consulter ainsi pour chaque petit détail, mais je ne crois pas que ce soit la bonne façon de procéder avec les sénateurs indépendants. À l'avenir, on devra nous fournir davantage d'information.

Nous sommes d'accord pour ne pas tenir compte de l'heure, mais nous aimerions que le sénateur Rompkey, qui a siégé avec moi pendant de nombreuses années à la Chambre des communes, s'engage à ne pas entreprendre de débat sur d'autres sujets aujourd'hui, pour que nous puissions préparer l'ordre du jour de demain.

Il y a des gens qui semblent en savoir davantage que d'autres. Nous aimerions qu'une fois le présent débat terminé, si nous ne tenons pas compte de l'heure, les autres points soient inscrits à l'ordre du jour de demain.

Honorables sénateurs, je vous prie de m'excuser. Si certains honorables sénateurs sont à bout de patience, ils peuvent toujours sortir. On me dit qu'un souper est servi à l'heure actuelle, mais c'est une autre histoire. Ceux qui sont impatients peuvent sortir prendre une bouffée d'air frais.

Le sénateur Rompkey est un homme d'honneur. S'il dit qu'une fois que nous aurons terminé cette question — et c'est tout ce qu'il peut faire —, le reste de l'ordre du jour sera reporté à demain, j'imagine alors que nous ne tiendrons pas compte de l'heure.

Puis-je demander au sénateur Rompkey de commenter?

Le sénateur Rompkey : Honorables sénateurs, j'ai l'intention de proposer qu'une fois que nous aurons terminé l'étude des projets de loi C-38 et C-48, tous les autres points à l'ordre du jour soient reportés à demain. Nous devons terminer les initiatives ministérielles; ensuite, nous reporterons les autres points à demain.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je demande l'opinion de la Chambre. Convenons-nous de ne pas voir l'heure?

Des voix : D'accord.

PROJET DE LOI SUR LE MARIAGE CIVIL

TROISIÈME LECTURE

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Joyal, appuyée par l'honorable sénateur Callbeck, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-38, Loi concernant certaines conditions de fond du mariage civil.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'essayais de dire que nous sommes des parlementaires et que la loi est censée être notre outil de prédilection. Il faut se baser sur la loi, non sur les sentiments ou sur les souhaits.

Je me suis rendu compte que je suis peut-être en train de créer un léger malentendu. Peu de temps après la Confédération, Oliver Mowat et les partisans du pouvoir des provinces ont commencé à remettre en question l'autorité du fédéral.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai du mal à entendre le sénateur Cools. Si vous devez converser, je vous demande de le faire à l'extérieur de la Chambre.

Le sénateur Cools : En fait, je pense que lord Haldane a décrit cette étape de notre histoire comme une compétition entre sir John A. Macdonald et lord Watson, au moment où le Comité judiciaire du Conseil privé faisait de la Constitution autre chose que ce que ses créateurs avaient voulu qu'elle soit. Je ne veux pas créer de malentendu, parce que, ensuite, les lieutenants-gouverneurs exerçaient le pouvoir du gouverneur général d'accorder des permis de mariage. Quoi qu'il en soit, il s'agit toujours du pouvoir de Sa Majesté. En 1759, lorsque tout cela a commencé, le mariage était une question importante; il avait une signification considérable tant pour les sujets français que pour les sujets britanniques, au moment où on élaborait les conventions de capitulation.

Les députés catholiques romains se sont battus et ont gagné. Sir John A. Macdonald est allé à la conférence de Londres et la question du mariage a été divisée en mariage et en divorce et incluse au paragraphe 91(26), tandis que la célébration du mariage était incluse au paragraphe 92(12) de l'AANB de 1867.

Si vous en doutez, honorables sénateurs, lisez la première et la deuxième ébauches. Commencez en lisant les 72 résolutions, dont 44 ont été rédigées par sir John A. Macdonald, et lisez ensuite la première et la deuxième ébauches, puis les ébauches subséquentes. Je crois qu'il y en a huit en tout; je ne m'en souviens pas.

Quoi qu'il en soit, honorables sénateurs, j'ai été extrêmement déçue que le gouvernement ne puisse pas s'en tenir aux lois. Si le mariage homosexuel reçoit un tel soutien au Canada, proposez à l'ensemble du pays une modification constitutionnelle aux paragraphes 91(26) et 92(12), de manière à redéfinir le mariage pour qu'il englobe les unions homosexuelles. Si le soutien pour ce type de mariage est aussi grand que le prétend le gouvernement, je suis convaincue que cet amendement serait bienvenu. Je me suis demandé à moi-même, d'un point de vue politique, pourquoi il était plus facile de s'entendre avec certains tribunaux que de s'entendre avec la population. Je crois que nous savons tous pourquoi.

Il y a une autre question que je voudrais clarifier. Certaines personnes ne savent peut-être pas ce qu'était l'ordinaire de l'Église. L'Église a été divisée en provinces ecclésiastiques, et l'ordinaire de l'Église assurait un contrôle serré de chacune de ces provinces, sur bon nombre de questions.

Honorables sénateurs, j'ai trouvé un passage que mon avocat a utilisé dans son plaidoyer, en octobre dernier, lorsqu'il a comparu devant la Cour suprême. Dans son ouvrage Commentaries on the Laws of England, volume I, 1765 à 1769, William Blackstone parle de la relation qui devrait exister entre les tribunaux et le reste du système. Notre système constitutionnel présuppose un équilibre constitutionnel et une adhésion déférente. Sir William Blackstone a déclaré :

Dans ce pouvoir judiciaire lui-même, qui a une existence distincte, dans un corps particulier constitué d'hommes qui, bien sûr, sont nommés par la Couronne, mais ne sont pas amovibles à loisir, il y a une sauvegarde de la liberté publique qui ne saurait subsister longtemps dans un État, à moins que l'administration de la justice commune soit, dans une certaine mesure, séparée et du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif. Si le pouvoir judiciaire était uni au pouvoir législatif, la vie, la liberté et la propriété des sujets seraient entre les mains de juges soumis à l'arbitraire dont les décisions seraient régies seulement par leurs propres opinions, et non pas par des principes de droit fondamentaux...

Merci, honorables sénateurs. Ces questions sont importantes pour moi. Cela me fend le coeur que nous devions procéder comme nous le faisons. Je crois sincèrement qu'il s'agit d'une question ou d'incompétence du Cabinet du premier ministre ou de paresse, je ne sais trop. Je peux vous dire qu'au bout du compte, les institutions sont importantes parce qu'elles doivent nous survivre, et il en va de même des lois. Nous devons faire très attention au fil de la loi et à la façon dont nous modifions aujourd'hui la loi.

(1810)

J'ai beaucoup de respect pour le sénateur Joyal. Le sénateur Joyal le sait. J'ai collaboré avec lui sur beaucoup de questions. Toutefois, pour cette question particulière, le sénateur Joyal a fait un mauvais choix, pour employer le langage des jeunes. Il a fait un mauvais choix au sujet de la loi. La loi nous appartient tous. Il n'est pas bon de semer la zizanie entre homosexuels et hétérosexuels. C'est affreux de le faire.

Sénateur Joyal, je vous remercie pour tout votre travail. Je sais à quel point vous avez travaillé fort. Pour cela, je vous respecte.

Je voudrais remercier madame le sénateur Bacon pour sa patience à l'égard du comité, car nous nous sommes retrouvés dans une situation où nous essayions d'en faire trop. Je voudrais dire en outre qu'à part tout le reste, madame le sénateur Bacon est une femme extrêmement aimable.

[Français]

L'honorable Lise Bacon : Honorables sénateurs, en toute sérénité, je souhaite remercier tous ceux et celles qui ont apporté leur contribution aux travaux du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour l'étude du projet de loi C-38 sur le mariage civil des couples de même sexe.

Les circonstances entourant l'étude du projet de loi C-38 étaient exceptionnelles, en plein été et à l'intérieur d'un délai limité. La nature même de l'enjeu, qui implique les convictions profondes et les valeurs morales de chaque individu, nous a imposé une discipline stricte à laquelle nous n'avons pas dérogé tout au long du processus. Avec mon équipe, nous avons établi une série de principes directeurs qui ont guidé les décisions et les travaux du comité, tant à l'étape préparatoire que pendant les audiences.

Le premier de ces principes était la reconnaissance de la nécessité de maintenir un équilibre constant entre les tenants et les opposants au projet de loi. Le résultat final en témoigne bien : nous avons entendu les présentations de 14 groupes opposés et de 12 groupes favorables, 33 témoins en tout. Il fut nécessaire, à chaque désistement ou refus, de fournir les efforts appropriés pour maintenir la parité. Nous voulions aussi assurer un temps de parole équitablement et rigoureusement réparti entre les intervenants et les sénateurs.

Habituellement, ma préoccupation est de permettre aux témoins qui se déplacent et aux sénateurs qui tentent de comprendre des enjeux souvent complexes de bénéficier d'un maximum de temps pour s'exprimer. Dans le cas du projet de loi C-38, j'ai fait appel au sens de la discipline et à l'esprit de collaboration de mes collègues. La question était éminemment émotive, nos travaux impliquaient des audiences d'une certaine ampleur. J'ai donc opté d'allouer à chacun un temps de parole balisé, tout en gardant à l'esprit la nécessité pour les témoins de présenter convenablement leur message et pour les sénateurs d'obtenir des éclaircissements avant leur prise de décision. J'ai grandement apprécié la participation et le sérieux de mes collègues tout au long des audiences et ce, malgré la fatigue réelle. Le professionnalisme l'a emporté.

Nous avons tenu compte du critère de la représentativité linguistique et régionale du Canada dans nos choix. Nous avons consulté et élaboré plusieurs listes de témoins. Des efforts considérables furent nécessaires, en plein mois de juillet, pour mobiliser les universitaires en période de relâche de cours.

Des recherches ont aussi été entreprises pour trouver des représentants des Maritimes et de l'Ouest dans le but d'assurer une juste représentation du Canada.

En ce qui a trait à la télédiffusion des travaux, nous avons relevé un défi de taille; nous en sommes tous conscients. Il est hautement inhabituel que le Sénat soit en séance l'été. Dans le présent cas, il y avait en plus un autre comité qui siégeait en même temps que nous. Dans pareil contexte, il était très difficile de mobiliser les ressources essentielles et adéquates tout en respectant les délais et les normes de qualité. Toutefois, cela fut possible à partir de mercredi matin. Certains sénateurs ont insisté pour que les travaux soient télédiffusés. Je dois admettre que des efforts soutenus et des actions rapides ont rendu la chose possible. Je comprends l'intérêt que portaient certains sénateurs à cette question.

En terminant, je tiens à remercier l'ensemble du personnel qui a rendu possibles nos audiences : le greffier du comité et son équipe, les recherchistes de la Bibliothèque du Parlement. Je voudrais remercier à nouveau tout le personnel, le Service des installations, les traducteurs, les sténographes et l'équipe de télévision, qui a fait preuve de vaillance dans un contexte exigeant. Je voudrais aussi remercier les pages qui ont été avec nous pendant cette semaine. Je remercie spécialement les témoins et les sénateurs pour leur discipline remarquable pendant ces longues heures.

Dès le début, en faisant la promotion d'une préétude, nous avons souhaité qu'une étude aussi complète et approfondie que possible du projet de loi ait lieu au Sénat. Je crois que nous pouvons dire maintenant : mission accomplie.

Je dois admettre que les débats du comité ont été placés sous le signe de l'ouverture et du dialogue. L'enjeu à l'étude était d'une grande importance et d'une complexité indéniable. Des convictions religieuses, des valeurs personnelles et des principes moraux et juridiques pesaient tous lourd dans la balance. En bout de ligne, les débats ont eu lieu dans le respect et la compréhension de l'autre. Ce fut une expérience fructueuse et je voudrais vous en remercier.

[Traduction]

L'honorable J. Michael Forrestall : Honorables sénateurs, je voudrais me joindre à ceux qui ont exprimé leur appréciation du travail accompli par madame le sénateur Bacon. Je voudrais aussi exprimer mon appréciation, une fois de plus, au sénateur St. Germain et au sénateur Joyal, en particulier. Quand je regarde le fond de la salle, je ne vois qu'une seule personne qui ait siégé ici plus longtemps que moi, et ce n'est que de quelques mois. Nous sommes donc assez égaux sur ce plan.

Je dois remercier ces deux messieurs. Comme je l'ai dit, je remercie le sénateur Joyal pour tous les grands débats successifs auxquels il a participé et toutes les questions sérieuses qu'il a évoquées pour m'aider à comprendre le processus. Même si madame le sénateur Cools malmène beaucoup la loi, le processus est également important.

Comme beaucoup d'autres, j'ai pris l'habitude d'aller à l'autre endroit pour entendre parler certains parlementaires. Il en est de même ici. Quand je sais que plusieurs d'entre vous prendront la parole — pas tous en même temps, j'espère — et qu'ils interviendront sur des questions qui ont beaucoup d'importance pour les gens, j'aime écouter aussi attentivement que possible. Avec l'âge, ma mémoire me trahit fréquemment, mais pas pour ce qui est des impressions.

L'impression durable que j'ai, honorables sénateurs, c'est que je n'ai jamais trouvé nuisible de prendre le temps de bien faire les choses. Il faut du temps pour comprendre les questions complexes. Je suis sûr qu'il faut encore plus de temps pour le grand public.

Je suis catholique romain. Je crois avoir un esprit assez ouvert, de bien des façons, sur les affaires humaines et le discours humain. Je voudrais parler brièvement de l'importance que j'attache à préciser qui je suis. Cela n'est pas important. Toutefois, l'attention que j'accorde à mon mariage est une bénédiction sur laquelle j'espère être jugé un jour par qui de droit. Voilà ce qui est important. Ce n'est pas la cérémonie du mariage en soi. Il ne s'agit là que de fonctions civiles qui existent depuis toujours. La façon de le faire est presque un résultat du hasard, comme le dirait madame le sénateur Cools. Cette façon laisse la part la plus importante du mariage à l'individu ainsi qu'à la religion ou au processus de son choix.

(1820)

Honorables sénateurs, c'est une affaire complexe et très compliquée, mais il n'y a rien de mal à prendre notre temps. Le sénateur Kinsella a répondu à une très grave préoccupation que j'avais au sujet de ce projet de loi. Je n'ai aucune hésitation là- dessus. Avec le sénateur Prud'homme, je suis l'un de ceux — il y en a peut-être d'autres, madame le sénateur Fairbairn nous a certainement regardés de haut à l'autre endroit pendant des années — qui se sont occupés de l'abolition de la peine capitale. Je crois avoir voté huit fois à ce sujet. Cela ne signifie pas grand- chose, mais, si vous y pensez, si vous vous souvenez de ces années, vous vous rappellerez la façon magistrale dont l'affaire avait été menée, pas d'un seul coup, mais petit à petit. Comme société, nous avons évolué et avons acquis plus de maturité. Nous savions où nous allions et n'avions pas d'inconvénient à être menés.

Nous avons eu des débats sur l'avortement et différentes autres questions. Toutefois, dans les cas où les mesures législatives adoptées ont survécu et continuent à survivre sans être trop critiquées, nous avions avancé lentement, nous avions progressé petit à petit. Dans le cas de la peine capitale, le débat s'est poursuivi pendant deux ou trois législatures. Il a fallu beaucoup de temps pour en arriver à une décision finale.

L'amendement que le sénateur Kinsella a proposé est digne d'intérêt et d'attention. Il a choisi une approche très prudente, très soigneuse et très bien formulée pour combler cette lacune et répondre à une partie de mes préoccupations. Je vous demande de le lire. Il se trouve devant vous. Demandez-vous : Comment cet amendement modifiera-t-il le projet de loi? De quelle façon? Quelles conséquences désastreuses pourraient découler de l'adoption de cet amendement?

Honorables sénateurs, j'ai pensé à cela pendant un mois, peut-être six semaines. À l'hôpital, j'avais le temps de réfléchir. Je ne veux pas porter de jugement ou me montrer injuste envers les droits des autres. Le sénateur Kinsella dit :

Que le projet de loi C-38 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié, à la page 2 :

a) par substitution, à la ligne 41, de ce qui suit :

« 2. Le Parlement a reconnu et continue de reconnaître le mariage traditionnel entre un homme et une femme.

3. Malgré l'article 2, le mariage est, sur le plan civil, l'union »;

Comme nous le savons, les droits de tous les gens sont importants. Incidemment, je ne vois pas comment nous avons envisagé que cet amendement puisse refléter l'intention ou le libellé du projet de loi du gouvernement. Je voudrais vous exhorter à y penser sans perdre de vue qu'il importe peu que cette mesure soit adoptée cette nuit, demain, en octobre ou dans un an. Il est inéluctable que la société progresse et évolue et que ces choses finissent par être adoptées. Il vaut beaucoup mieux qu'elles le soient dans la paix, la compréhension et la bonne entente plutôt que dans la controverse et le désaccord. Une semaine, un mois, deux mois ne feront pas beaucoup de différence dans les millénaires à venir. Le mot « infini » est puissant.

Je vous exhorte à examiner l'amendement. Je sais que le premier ministre Martin et d'autres ont dit qu'ils n'accepteraient aucun amendement, mais, chers collègues, je crois que la bonne chose à faire est d'adopter cet amendement et de renvoyer le projet de loi à l'autre endroit. Ensuite, il nous reviendra ou non. Je suis de ceux qui croient qu'une fois une mesure adoptée, nous pouvons la modifier. Nous pouvons l'améliorer. Nous pouvons l'améliorer tout de suite. Nous servirions grandement la cause d'une procédure équitable en nous prononçant en faveur de l'amendement fort judicieux du sénateur Kinsella.

Des voix : Bravo!

[Français]

L'honorable Lucie Pépin : Honorables sénateurs, je suis très heureuse de prendre part aujourd'hui au débat à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-38.

L'adoption de ce projet de loi, en plus d'officialiser l'élargissement de la définition du mariage civil afin d'y inclure les unions de conjoints de même sexe, marquera notre grande avancée en tant que société.

Depuis quelques années, cette question occupe une place prédominante dans les arènes politiques et judiciaires au Canada. Je n'ai pas souvenance dans un passé récent d'une problématique ayant fait l'objet d'un examen aussi rigoureux et d'une discussion aussi large.

Comme on l'a mentionné plus tôt, au cours des derniers mois, huit cours provinciales, une cour territoriale, la Cour suprême du Canada, la Chambre des communes, un comité législatif spécial et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se sont, tour à tour, prononcés en faveur d'une définition plus inclusive du concept de mariage.

Ce débat ne s'est pas seulement tenu au sein de nos institutions, mais également sur la place publique et dans les médias à travers le pays. La richesse des échanges nous a donné l'opportunité d'entendre toutes les opinions possibles et toutes les options envisageables sur le sujet. Les discussions et les réactions suscitées par cette question me rappellent celles soulevées lors d'un long débat sur le droit à l'avortement au Canada. Il s'agit d'un combat dans lequel j'ai été directement impliquée et qui a façonné ma carrière politique.

(1830)

Nous avions ouvert, dans les années 1960, les premières cliniques de planning de naissances au pays et travaillé à en assurer l'accès et le financement public. En réalité, au-delà de l'accès à ces services, nous nous battions pour la reconnaissance du droit aux femmes d'avoir le contrôle sur leur corps.

Malgré l'évidence de la cause pour laquelle nous luttions, nous nous heurtions aux valeurs morales et religieuses de plusieurs de nos concitoyens. Ceux-ci qualifiaient notre lutte d'immorale et, pire encore, de menace pour la société. Quelques années plus tard, nous pouvons tous constater que ces prévisions se sont avérées loin d'être fondées.

En 1991, le Sénat a bloqué à nouveau de justesse la criminalisation à nouveau de l'avortement, empêchant ainsi un recul important au niveau du droit des femmes. Encore aujourd'hui, en 2005, le Sénat a les moyens d'aller à la défense des droits d'un groupe de Canadiens et de Canadiennes.

Pour ma part, je suis animée par le même esprit qu'en 1991, lorsque nous demandions aux sénateurs de permettre aux Canadiennes d'avoir le contrôle sur leur corps et d'être considérées comme des citoyennes à part entière. Pour moi, voter pour le projet de loi C-38 est une manière de défendre un autre principe contenu dans la Charte canadienne des droits et libertés, celui de l'égalité.

La reconnaissance des droits des homosexuels s'est faite de façon progressive au Canada. L'importance de la section 15 de la Charte des droits et libertés à cet égard ne peut être niée. Cette section stipule que :

La loi ne fait exception de personne et s'applique également à tous et à toutes, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination [...]

Ces quelques mots ont joué un rôle clé dans les décisions rendues par les cours sur la question de mariage entre conjoints de même sexe.

Au Canada, nous reconnaissons que nous sommes tous égaux et que nous devons tous êtres traités de façon égale, hommes et femmes, que nous soyons chrétiens, juifs, musulmans ou athées, quels que soient notre origine ethnique, notre sexe ou notre orientation sexuelle. La Charte est décrite comme un document vivant qui évolue avec le temps et la société. Son texte ne doit pas servir à exclure des membres de la société canadienne, mais doit donner à chacun les pouvoirs nécessaires pour pleinement s'épanouir comme citoyen et citoyenne.

Nous avons de quoi être fiers de former un pays qui a fait le choix de protéger les droits des minorités et qui reconnaît qu'il est essentiel qu'il en soit ainsi dans nos lois.

À la lumière de ces obligations constitutionnelles, le gouvernement canadien offre depuis quelques années aux couples hétérosexuels et homosexuels les mêmes avantages et les soumet aux mêmes obligations. L'État n'a pas à faire de discrimination au sujet des relations amoureuses entre deux adultes consentants, qu'ils soient de sexe opposé ou de même sexe. Ainsi, le gouvernement doit non seulement traiter ces couples de la même façon, mais il doit les reconnaître de la même façon. J'insiste sur le mot « reconnaître ». Il s'agit d'une question d'égalité.

Nous sommes convaincus que le projet de loi C-38 ne modifie pas l'institution du mariage religieux au Canada. Je crois que mon soutien total au projet de loi C-38 serait différent s'il s'agissait de dépouiller un groupe pour en habiller un autre. La distinction entre le mariage civil et le mariage religieux, entre le contrat et le sacrement, est clairement tracée.

Nous sommes également convaincus, puisque c'est spécifié dans la loi, que les autorités religieuses pourront continuer de définir et de célébrer le mariage conformément à l'enseignement de leurs textes sacrés. Elles ne seront pas forcées de célébrer les unions qui vont à l'encontre de leurs croyances. La liberté religieuse est clairement protégée dans le projet de loi C-38, tout comme elle l'est dans la Charte canadienne des droits et libertés qui l'inspire.

De plus, l'élargissement du mariage civil aux conjoints de même sexe n'enlève absolument rien aux couples hétérosexuels déjà mariés ou qui désirent l'être. Plusieurs couples continueront de rechercher cette reconnaissance formelle par l'état de leur relation, avec tous ses avantages et toutes ses obligations.

Honorables sénateurs, je suis fière du message que nous envoyons à nos citoyens et citoyennes homosexuels qui ont souffert de la discrimination et de la stigmatisation. Nous leur disons que lorsqu'ils choisissent un partenaire de vie, lorsqu'ils rencontrent le grand amour, leur relation a la même valeur que celle d'un couple hétérosexuel. Tant qu'ils seront ensemble, ils recevront la même reconnaissance et, s'ils se séparent, ils recevront la même protection. Leurs partenaires ne seront plus jamais de purs étrangers au point de vue légal, mais bien leur époux ou épouse légitime.

À travers le projet de loi C-38, nous disons aussi aux jeunes homosexuels qu'ils n'ont pas à avoir honte de ce qu'ils sont. Leur différence n'est pas un défaut. Les jeunes gais et lesbiennes peuvent eux aussi aspirer à rencontrer un partenaire avec qui ils pourront se marier, partager une vie et même fonder une famille. L'homosexualité n'a pas à être vécue par ces jeunes comme la condamnation à une vie vécue en marge de la société.

Le projet de loi C-38 rappelle que c'est bel et bien la décision de se marier ou non qui représente le choix d'un style de vie. L'orientation sexuelle n'est ni un choix ni un style de vie.

Honorables sénateurs, nous aurons, au cours des prochaines heures, à nous prononcer une dernière fois sur cet important projet de loi. Mon souhait est que nous joignions nos voix à celles des cours et tribunaux, de la Chambre des communes et des Canadiens et Canadiennes qui nous ont demandé, dans un sondage cette semaine, d'aller de l'avant.

Lorsque je voterai en faveur du projet de loi C-38, ce sera un moment fort de mon mandat ent tant que sénateur, car j'ajouterai ma voix à celle de mes collègues afin de bâtir une société canadienne plus juste. Il s'agira, pour plusieurs de nos concitoyens et concitoyennes, de la dernière étape d'un long combat pour l'égalité.

Je ne puis terminer sans applaudir certains d'entre eux qui ont travaillé dans l'ombre, de près ou de loin, pour que le projet de loi C-38 voie le jour et devienne loi. Je pense, par exemple, à Michael Hendricks, à René Lebœuf, à Michael Leshner et Michael Stark, aux représentants et représentantes canadiennes d'Equal Marriage, d'Égale Canada, et de la Coalition québécoise pour le mariage civil des conjoints de même sexe, pour n'en nommer que quelques-uns. Je sais l'énergie qu'il faut pour faire avancer les questions de droits. Ce combat est juste et cette cause est noble. Bravo!

[Traduction]

L'honorable Leonard J. Gustafson : Honorables sénateurs, c'est pour moi un honneur de pouvoir dire quelques mots ce soir, mais je serai très bref. Je tiens à ce qu'il soit bien clair que je m'oppose au projet de loi C-38.

Le sénateur St. Germain : Bravo!

Le sénateur Gustafson : La situation de ce soir me rappelle par sa grande solennité l'époque où nous avons voté à la Chambre des communes sur la Constitution et les droits civils. Chacun d'entre nous doit interroger sa conscience et se demander quels seront les effets d'un projet de loi semblable sur l'avenir d'un pays comme le Canada.

Selon moi, les grands oubliés, dans l'étude de ce projet de loi, ce sont les enfants. La semaine dernière, j'ai entendu un chiffre qui m'a estomaqué. Chez les jeunes de 16 à 26 ans, la première cause de décès est le suicide. Les enfants et les jeunes d'aujourd'hui sont en quête de réponses. Il est fort important que nous leur donnions un cadre de vie qui les renforcera et dans lequel ils pourront devenir des jeunes gens et des jeunes femmes solides.

Le projet de loi à l'étude m'inspire de vives inquiétudes, car je ne pense pas que nous en ayons vraiment compris exactement les conséquences. La question m'inquiète également si je me place du point de vue du grand public. Je suis persuadé que beaucoup de sénateurs ont fait les mêmes constatations que moi. Quand je me promène dans la rue, des gens me posent des questions sur ce projet de loi. C'est tout ce que j'ai entendu. Je n'ai rencontré personne qui soit en faveur de cette mesure. Je me demande d'où viennent les sondages dont on nous parle. Je ne crois pas qu'ils reflètent l'opinion réelle du grand public. En tout cas, c'est mon interprétation de la situation.

Je viens d'appeler à l'Assemblée législative de la Saskatchewan, et la dame à qui j'ai parlé m'a dit qu'elle avait fait son propre sondage. Elle a simplement posé une question. Je lui ai demandé quels résultats elle avait obtenus. Elle m'a dit : « 99 p. 100. » Cela, c'était en Saskatchewan. Je doute que ce soit bien différent en Alberta ou au Manitoba. Je suis préoccupé par le public dont la voix n'a pas été entendue. Pourquoi le processus d'adoption de ce projet de loi est-il si précipité?

(1840)

J'aimerais lire certains passages de messages que j'ai reçus, et que sans doute tous les sénateurs ont reçus. Le premier provient de l'Alliance évangélique du Canada, qui représente 75 Églises et 140 organismes et confessions auprès d'environ 11 p. 100 de la population canadienne. Voici ce que dit ce message :

Nous vous exhortons à prendre votre rôle de Chambre de second examen objectif au sérieux et à tenir compte avec soin des préoccupations exprimées par tant de Canadiens au sujet des retombées de l'adoption de ce projet de loi sur le mariage, sur la liberté de religion et, ultimement, sur la société canadienne.

Le deuxième message que j'aimerais lire provient de la Coalition manitobaine pour la vie :

Le mariage entre un homme et une femme est la seule union naturelle qui puisse favoriser la procréation et entretenir la société.

Le troisième message provient de la Conférence des évêques catholiques du Canada :

La question n'est pas seulement le fondement et la définition du mariage, établis et célébrés depuis la nuit des temps par toutes les religions et toutes les cultures et inscrits dans la nature. L'avenir du mariage en tant qu'institution sociale fondamentale et du rôle irremplaçable du mari et de la femme dans la conception et l'éducation des enfants est également en péril. Le mariage assure la stabilité du milieu familial, la continuité entre les générations passées et futures, ce qui exige une mère et un père.

Ce message est très long. La Conférence des évêques catholiques du Canada explique son point de vue sur la situation et sur ce projet de loi imposé aux Canadiens.

Le quatrième message que je vais lire provient du Dr Mohan Rageer, médecin et ancien professeur de la faculté des sciences de la santé de l'Université McMaster :

Selon une croyance hindoue, la création nécessite l'union de deux principes divins, l'un masculin, l'autre féminin.

Le cinquième message, qui m'est adressé par le rabbin, le Dr David Novak, professeur d'études juives à l'Université de Toronto, dit ceci :

Le mariage entre personnes de même sexe n'a aucun fondement dans la tradition juive normative et va même à l'encontre de toute notre tradition depuis ses origines dans la révélation biblique.

Le sixième provient de Nirmal Singh Dhillon, producteur et réalisateur de Insight into Sikh Television. Il exprime le point de vue des Sikhs. Le voici :

Parfois, la rectitude politique et le souci de l'image prédominent. Aujourd'hui, ce ne sont pas les notions de bien ou de mal qui balisent le débat social...mais plutôt la rectitude politique et les aspects qui mettent l'intervenant à son avantage. Dans un tel climat, la notion de bien devient souvent toute secondaire. Selon les préceptes du sikhisme, le mariage est l'union entre un homme et une femme.

Le septième message, je l'ai reçu du Dr Mobarak Ali, imam de la Etobicoke Muslim Community Organisation. Le voici :

Pour l'Islam, le mariage est une institution sacrée et non pas simplement une coutume ou une tradition. Par définition, tout mariage conforme est conclu exclusivement entre un homme et une femme.

Le huitième message a été transmis par le révérend David Mainse, le fondateur de Crossroads Television, 100 Huntley Street. Voici le contenu de son message :

Celui qui croit vraiment en Jésus-Christ suit ses instructions et se conforme à ses avis sur le mariage traditionnel. Le mariage date d'avant le gouvernement. Il s'agit d'un pacte religieux. Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme.

Honorables sénateurs, j'ai sur mon bureau de nombreuses autres lettres de gens qui s'opposent à la mesure législative proposée dont nous débattons ce soir. Je vais en lire encore une.

Comme sénateurs, on vous demande de procéder à un second examen objectif. Au nom de tous ceux qui sont venus avant nous, qui se sont battus, ont souffert et sont morts pour défendre les idéaux intemporels qui forment aujourd'hui le cœur même de notre nation, je vous prie de ne pas accorder votre consentement à la mesure législative sur le mariage entre personnes de même sexe selon le libellé de la Chambre des communes que vous avez devant vous.

Honorables sénateurs, j'ai bien aimé mon expérience au Parlement jusqu'à maintenant. J'ai siégé 14 ans à la Chambre des communes et je suis au Sénat depuis 12 ans. J'aime bien le Sénat et je sais que les sénateurs font du bon travail, mais je rappelle que nous avons de grandes responsabilités. Nous sommes maintenant saisis d'une question sur laquelle nous devrons voter en notre âme et conscience. J'espère que, au moment de voter sur cette mesure, tous les honorables sénateurs penseront à tous les gens, et ils sont légion, qui nous ont écrit parce qu'ils se préoccupent de cette question. J'espère que le Sénat fera ce qui s'impose à l'égard du projet de loi C-38.

L'honorable Jane Cordy : Je voudrais remercier ceux d'entre vous qui ont participé au débat sur le projet de loi C-38. Si des points de vue passionnés ont été exprimés sur la définition du mariage, je suis d'accord avec d'autres qui ont dit souhaiter que le débat soit juste et équilibré; et j'estime qu'il l'a été.

Je conviens aussi que peu de sénateurs ont adopté des points de vue extrêmes. De fait, il importe que tous les sénateurs, qu'ils votent ou non en faveur du projet de loi C-38, reconnaissent que ceux qui ont parlé partagent certaines idées dans ce débat. Il faudra s'en souvenir après le vote.

Honorables sénateurs, la plupart d'entre nous ont grandi en croyant que le mariage étant l'union d'un homme et d'une femme. C'est ce qu'on croyait. La plupart des ménages de mon voisinage avaient des enfants, mais certains n'en avaient pas et cela était accepté aussi, car ces ménages étaient formés d'un homme et d'une femme. Dans notre enfance, jamais nous n'aurions pensé qu'un homme pouvait être marié avec un autre homme ou qu'une femme pouvait être mariée avec une autre femme. Tous se souviennent sans doute des commentaires désobligeants qui étaient faits sur des gens que l'on soupçonnait d'être homosexuels. Faut-il s'étonner, donc, qu'ils cachaient souvent leur orientation sexuelle et prétendaient être ce qu'ils n'étaient pas? Un ami m'a dit récemment que, pendant des années, des homosexuels se sont mariés avec des personnes de sexe opposé. En tentant ainsi de se conformer à la norme, ils se sont souvent blessés et ont, du même coup, blessé leur conjoint et leurs enfants.

Quand j'ai commencé à enseigner en 1970, j'avais une classe de 38 élèves. Tous avaient un père et une mère. Tous étaient membres de familles traditionnelles. Était-ce une bonne chose? Eh bien, pour la plupart d'entre eux, c'était une bonne chose, mais pour d'autres cela ne l'était pas.

En 2000, ma dernière année dans l'enseignement, ma classe comptait des enfants qui étaient élevés par des mères ou des pères célibataires. Il y avait des belles-mères et des beaux-pères. Il y avait des enfants élevés par leurs grands-parents et d'autres élevés par des parents de famille d'accueil. Il y avait des enfants qui n'avaient jamais connu leurs parents naturels.

(1850)

Honorables sénateurs, qu'on le veuille ou non, le portrait de la famille traditionnelle — le père, la mère, avec leurs deux enfants et le chien — ne correspond pas à la réalité. Je sais par expérience, pour avoir enseigné au primaire pendant 30 ans, que les enfants se développent bien au sein d'une famille heureuse, aimante et unie. Le sexe des parents n'a aucune importance. Ce qui importe, c'est l'amour réciproque, le respect, le sens des responsabilités et la loyauté qui règnent au sein de la famille.

Le changement n'est pas facile. Il peut être particulièrement difficile d'examiner les choses sous un angle nouveau, surtout quand il s'agit de mariage et que l'on doit envisager cette institution d'une façon totalement différente de celle que nous avons toujours connue. Mal à l'aise, plusieurs préféreront laisser les choses telles qu'elles sont. Honorables sénateurs, je ne crois pas que ce soit la solution. Nous ne pouvons pas refuser à des gens le droit de proclamer publiquement leur amour et de prononcer leurs voeux de mariage parce qu'ils sont gais ou lesbiennes.

Je suis catholique et j'estime qu'il est primordial d'examiner la question de la liberté de religion. Le projet de loi C-38 respecte la liberté de religion garantie par la Charte. Les groupes religieux pourront, comme il se doit, refuser de célébrer les mariages de personnes de même sexe. Non seulement le principe de la liberté de religion est prévu à cinq endroits différents dans le projet de loi, mais la Cour suprême a toujours déclaré que la liberté de religion devait être entièrement respectée.

Autoriser le mariage de couples homosexuels ne diminue en rien le mariage des couples de sexe opposé. Les couples de gais et de lesbiennes peuvent maintenant vivre ensemble. Je propose que nous fassions le bon choix et que nous leur permettions de se marier.

Honorables sénateurs, j'appuie les observations qu'a présentées madame le sénateur LeBreton le 6 juillet. Prenons une décision et passons aux autres questions cruciales qui nous attendent, et je pense ici aux listes d'attente dans le secteur de la santé, à la santé mentale, aux enfants qui vivent dans la pauvreté et à la santé et à la sécurité des Canadiens.

Le sénateur Bryden a déjà cité mes propos, publiés dans un magazine, où je disais que lorsqu'on prenait une décision, on devait être capable de se regarder dans la glace et de se dire qu'on avait fait le bon choix. Honorables sénateurs, en ce qui me concerne, le vote en faveur du projet de loi C-38 constitue le bon choix.

Comme je l'ai déjà dit, le changement n'est pas toujours facile, mais il est inévitable. Dans le présent cas, nous devrions non seulement risquer le changement, mais également l'accepter — un changement qui soit empreint de tolérance, d'ouverture et de respect.

Des voix : Bravo!

L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, avant de lire les notes que j'ai préparées, j'aimerais dénoncer les propos tenus par ma collègue, madame le sénateur Cordy, malgré tout le respect que je lui dois, et lui faire savoir qu'elle m'a insulté. Non seulement elle m'a insulté, mais elle a également insulté toutes les personnes qui ont voté contre ce projet de loi pour les bonnes raisons.

La dernière fois que j'ai pris la parole, j'ai parlé de malhonnêteté; c'est rabaisser le débat à un niveau qui, selon moi, nuit à toutes les parties que de laisser entendre que l'amour et le respect, de même que le droit de proclamer sa volonté de vivre une relation merveilleuse avec une autre personne, appartiennent en exclusivité à certaines personnes. Si c'est ce que madame le sénateur Cordy et d'autres tentent d'insinuer, c'est-à-dire qu'ils sont les seuls à pouvoir reconnaître et comprendre ce que cela implique et que certains d'entre nous laissent entendre que deux personnes ne peuvent s'aimer et vivre ensemble, alors ils ont tort et ils ne rendent pas justice au débat. C'est ce qui m'insulte. Je n'ai jamais dit cela. Si l'on se reporte à mes observations, j'ai laissé entendre que ce n'était pas là l'objet du débat.

Je souhaitais poser quelques questions au sénateur Joyal, cet après-midi, ce que je n'ai malheureusement pas pu faire, à cause de la limite de temps. Si j'ai bien compris ce que l'honorable sénateur a dit — je n'ai pas lu son intervention, car je m'efforçais de suivre ce qu'il disait — je tiens franchement à le féliciter. En effet, j'ai tiré de ses propos une chose qui n'était pas ressortie du débat jusqu'ici, à savoir qu'il souhaite que la définition du mariage soit modifiée. C'est ce que j'ai compris de ses propos. Je pense que c'est en tout cas une description honnête de l'objet central du débat, car il est vraiment malhonnête de parler d'amour, de respect et de toutes les bonnes choses qui font que l'union de deux personnes est significative et enrichissante. Je pense que c'est comme cela qu'il faut aborder la question et, en ce sens, je ne partage pas l'avis du sénateur Joyal.

Je voudrais faire valoir quelques points au sujet desquels je me proposais de poser des questions. Ils ont trait à la liberté religieuse. Le sénateur a dit que nul ne peut être contraint à célébrer des cérémonies de mariage, si cela est contraire à ses croyances religieuses. Or, une trentaine de personnes ont dû quitter leur emploi — j'y reviendrai plus tard quand je lirai mes notes — à Terre-Neuve, en Saskatchewan et dans une autre province que j'oublie, mais qui figure dans mes notes.

Ce n'est pas ce que j'appelle la liberté religieuse. Je pense que c'est le sénateur Joyal, ou peut-être un autre sénateur, qui a mentionné que les Chevaliers de Colomb avaient refusé de louer une de leurs salles pour qu'on y célèbre un mariage homosexuel. Leur geste a été condamné, et je pense que cela fait l'objet de contestations; ils ont été traités de bigots, entre autres choses. Ce n'est pas ce que l'appelle la liberté religieuse.

Le sénateur Joyal a dit, je crois, qu'il s'agit de rétablir la dignité de certains êtres humains. Je suis d'accord avec lui. J'ai toujours prôné le respect de la dignité, et je continuerai à le faire, mais nous ne devrions pas pour autant compromettre la dignité de certains autres. À mon avis, c'est ce que le projet de loi risque de faire.

Le débat sur le projet de loi C-38 a créé un état d'intolérance et suscité la dissension. Même dans cette enceinte, la situation a atteint des extrêmes et le fossé séparant les camps s'est creusé. Il sera plus difficile d'aplanir les divergences; pourtant, il le faut si nous voulons continuer à vivre en harmonie dans une société compréhensive et tolérante.

J'impute carrément la responsabilité au premier ministre. Il a montré qu'il n'avait pas les qualités de leader nécessaires pour gérer une telle question de conscience. Ce qui me fâche, c'est que je crois sincèrement que l'acrimonie et le conflit auraient pu être évités. De nombreux Canadiens, homosexuels et hétérosexuels, sont de cet avis.

D'aucuns confondent le dialogue avec des questions de droits et de privilèges, et d'autres parlent d'amour et de respect comme si un groupe ou un autre pouvait s'approprier ces qualités. Ce sont de faux arguments qui ne rendent pas justice au sérieux du débat.

La vaste majorité des Canadiens sont en faveur de droits et privilèges complets et égaux pour tous les Canadiens. Oui, bien que ce n'ait pas été facile d'en arriver là, la plupart des Canadiens acceptent désormais que l'on reconnaisse aux couples homosexuels les mêmes droits et avantages. Alors, à quoi rime ce débat? Pour moi, il se résume en un mot : mariage. Ceux et celles qui n'étaient pas présents lorsque le sénateur Banks a abordé la question auraient intérêt à lire ses commentaires.

(1900)

Ce débat ne porte pas sur l'amour et le respect, comme certains voudraient nous le faire croire. Il ne porte pas sur la possibilité pour les couples homosexuels d'établir une relation à vie de soutien, de confort, de responsabilité et, oui, d'amour. Nos collectivités ont pour la plupart accepté cela, qui constitue déjà ou constituera bientôt une réalité partout dans le pays, comme il se doit.

Pour moi, comme pour la majorité des Canadiens, je crois, le mot « mariage » définit depuis des siècles l'union d'un homme et d'une femme. C'est une chose que la plupart des députés, à l'autre endroit, croyaient il n'y a pas si longtemps. J'ai été déçu de voir qu'un certain nombre de nos collègues de l'autre endroit qui visaient le Cabinet ou des postes de secrétaires parlementaires ont changé d'avis sur la question.

Je crois honnêtement que nous aurions pu éviter beaucoup de l'acrimonie et de la zizanie en invitant les intéressés à trouver une solution, qui existe, j'en suis convaincu. Lorsqu'on parvient à un règlement honorable d'une question difficile, les deux parties sont un peu déçues parce que chacune a dû renoncer à quelque chose. Dans un règlement honorable, il y a ni gagnants ni perdants absolus, comme le gouvernement libéral va nous obliger à accepter dans ce cas. Nous sommes des législateurs. Nous faisons des lois et pouvons, de concert avec les intéressés, concevoir ou modifier des mesures législatives de façon à assurer un compromis honorable aux deux parties. Toutefois, j'ai l'impression que cela n'arrivera pas. Je sais compter.

Certains d'entre nous ont une autre préoccupation : ce débat discordant aura des incidences sur les organisations religieuses et les objecteurs de conscience. J'ai été frappé par les lettres à la rédaction qui ont paru dans le numéro de samedi du Globe and Mail en réponse aux récents commentaires du cardinal Ouellet concernant le risque que l'Église soit taxée d'homophobie si elle refuse de marier les couples de même sexe.

Je voudrais citer deux de ces lettres. Voici le texte de la première :

Le bon cardinal n'a pas à s'inquiéter. Il n'est pas question de savoir comment vous pourrez le qualifier. La loi permet aux églises d'être homophobes si on leur demande de marier un couple de même sexe, tout comme elles peuvent rejeter l'inclusivité quand elles déterminent qui peut recevoir les sacrements ou quels enfants peuvent être baptisés. C'est leur domaine. Elles ont le droit d'agir comme elles l'entendent.

Voici une autre lettre :

Je ne suis pas sûr de ce qui est le plus insultant : son hypothèse que le sectarisme et l'homophobie méritent d'être protégés par suite de leur origine religieuse, ou bien le culot qu'il a de parler aux médias de son impression qu'il ne peut pas s'exprimer.

Je crois savoir qu'il y a de nombreuses autres lettres, et je suis prêt à parier que beaucoup d'entre elles ne sont pas publiables.

Il y a en outre un article dans le Globe and Mail d'aujourd'hui qui parle d'un homme qui est pris dans ce conflit déchirant. Un certain Orville Nichols, conseiller matrimonial à Regina, risque de perdre son emploi parce qu'il refuse de marier des couples de même sexe, considérant que de tels mariages sont contraires à ses croyances religieuses et personnelles. Voilà où en est la liberté de religion, avant même l'adoption de la loi.

L'article révèle en outre ce qui suit :

À Terre-Neuve, au moins un commissaire aux mariages sur dix a donné sa démission lorsque la province a décrété que les commissaires devaient célébrer ces mariages. Au Manitoba, où la même décision a été prise, au moins douze commissaires ont démissionné. En Saskatchewan, au moins huit commissaires ont renoncé à leurs fonctions, mais M. Nichols refuse de se joindre à eux.

Je voudrais exprimer mes félicitations à M. Nichols pour avoir résisté et pour s'être battu au nom de ceux qui sont pris dans ce conflit qu'il aurait été possible d'éviter. Ces divisions, cette acrimonie, ces risques de conséquences futures n'auraient pas existé si le gouvernement Martin avait eu le courage d'affronter les problèmes au nom de tous les Canadiens et avait encouragé les deux parties à trouver un compromis honorable et équitable. Toutefois, M. Martin, premier ministre indécis et inefficace, a choisi cette voie peut-être parce que, comme d'autres, il parle directement à Dieu et connaît seul les bonnes réponses.

Je dois admettre qu'il y a quelques années, j'étais disposé à accorder à M. Martin le bénéfice du doute. J'espérais qu'il ferait un bon premier ministre, surtout après ce que son prédécesseur nous a fait subir. Comme je me trompais! La façon dont il a mené cette affaire prouve sans l'ombre d'un doute, du moins pour moi, qu'il passera à l'histoire comme l'un des pires exemples de leadership politique de notre pays. Pis encore, je crains que la réaction de nombreux Canadiens qui se sentent marginalisés par cette question ne crée des blessures qu'il sera très difficile de guérir. J'espère que nous trouverons bientôt le leadership qui manque dans le gouvernement Martin pour commencer à atténuer les divisions qui existent maintenant dans les collectivités canadiennes, divisions qui ont été gravement attisées par le débat sur cette question.

Honorables sénateurs, ce débat est loin d'être terminé, je le crains. Si le Sénat a un rôle réel à jouer dans l'élaboration des politiques publiques, nous devons affronter ces problèmes, au nom de tous les Canadiens et de tous les intéressés de toutes les régions du pays, avec franchise, équité et empathie, sans prendre parti, car personne n'a l'exclusivité du bien ou du mal, de la sagesse, du vrai ou du faux. Prions le Ciel pour qu'il nous donne la sagesse de le reconnaître.

Des voix : Bravo!

L'honorable Noël A. Kinsella (leader de l'opposition) : À part les commissaires aux mariages, les greffiers de la Cour fédérale sont habilités à être témoins au cours d e la célébration de mariages. Le sénateur Di Nino a-t-il entendu dire que le ministère de la Justice, évidemment sous l'autorité du ministre de la Justice, mène une enquête pour déterminer si les greffiers de la Cour fédérale accepteront de célébrer des mariages homosexuels si le projet de loi est adopté?

Le sénateur Di Nino : Bien que je n'en aie pas entendu parler officiellement, je suis au courant de rumeurs selon lesquelles cela se produit, en ce qui concerne non seulement les greffiers, mais aussi d'autres fonctionnaires. Je crois que leur rôle dans cette affaire sera très bientôt évoqué.

Je crains, comme cela se produit dans les provinces, qu'ils ne soient forcés de célébrer des mariages contraires à leurs croyances religieuses ou de renoncer à leurs fonctions. J'espère que je me trompe. Je n'ai entendu que des rumeurs, rien d'officiel. Peut-être le sénateur Kinsella est-il mieux informé comme moi.

Le sénateur Kinsella : Le sénateur Joyal a attiré notre attention sur le principe du compromis raisonnable, mais je m'empresse d'ajouter qu'en vertu de la législation canadienne sur les droits de la personne, ce principe est soumis à la règle de minimis. La jurisprudence a établi que le compromis raisonnable est une exigence minimale.

Quant à la question des greffiers de la Cour fédérale à qui le ministère de la Justice du Canada aurait demandé s'ils accepteraient de célébrer de tels mariages et qui auraient à déclarer, s'ils refusent, qu'ils le font pour des motifs religieux, est-ce que le sénateur Di Nino a une idée des incidences d'une telle déclaration sur la carrière des greffiers en cause?

Le sénateur Di Nino : Je remercie le sénateur Kinsella de sa question. J'imagine qu'ils n'auraient plus aucun espoir d'avancement. Je soupçonne qu'ils auraient à souffrir des conséquences de leur décision.

(1910)

Nous commençons à peine à voir les répercussions que cette mesure législative — si elle est finalement adoptée par notre assemblée — aura dans un certain nombre de secteurs au pays, y compris des attaques à l'endroit de l'Église par des extrémistes homophobes ou d'autres, que ceux-ci soient chrétiens, juifs, musulmans ou hindous.

Je suis d'accord avec le sénateur Kinsella qu'il s'agit d'une question qui aura probablement une incidence négative sur ceux qui, en raison de leurs croyances religieuses, ne se conformeront pas aux lois du pays telles qu'elles sont rédigées à l'heure actuelle.

L'honorable David P. Smith : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-38. Il est important pour moi d'exprimer mon point de vue. J'espère qu'au fil de mon intervention, on comprendra pourquoi cette question me tient à coeur.

Je suis et j'ai toujours été un ardent défenseur de la Charte, en particulier des principes liés aux droits des minorités. Tout comme le sénateur Joyal et le sénateur Gustafson, j'étais député en 1981, lorsque la Charte a été adoptée. Certains épisodes comptent parmi les meilleurs souvenirs de ma vie publique.

Je me souviens des événements ayant entouré le dossier des personnes handicapées. En 1980, le premier ministre Trudeau m'avait nommé à la présidence d'un comité spécial chargé d'étudier le dossier des personnes souffrant d'un handicap physique ou mental. Les Nations Unies avaient désigné 1981 comme étant l'Année internationale des personnes handicapées. Nous avons parcouru le pays d'un bout à l'autre et notre délégation comptait plus de 600 membres. Nous avons présenté un rapport en février 1981. Quelques mois plus tard, lorsque la première ébauche de la Charte a été présentée, l'article 15 ne renfermait aucune allusion aux handicaps physiques ou mentaux. J'étais outré. J'ai pris la parole au caucus. Certaines réunions du caucus ressemblaient à des séances de thérapie axées sur le cri primal. Je me souviens d'une cause dont le sénateur Prud'homme s'était fait le grand défenseur, en vain, mais il avait néanmoins raison.

J'ai pris la parole à peu près cinq fois pour expliquer pourquoi il était important de faire mention des personnes ayant un handicap physique ou mental. Je commençais à être découragé et certaines personnes disaient en privé que nous ne savions pas ce que cette mesure entraînerait, ce que les tribunaux diraient, et que cela pourrait mener à des décisions coûteuses. J'avais répliqué qu'il fallait avoir confiance que les tribunaux allaient interpréter cette disposition d'une façon pratique. Après ma cinquième intervention, je m'en retournais à l'édifice du Centre lorsque l'ancien sénateur MacEachen mit son bras sur mon épaule et me dit de ne pas lâcher, que je faisais ce qu'il fallait faire.

Je n'oublierai jamais la semaine qui a suivi, lors de la réunion du caucus. Au moment où je m'apprêtais à prendre la parole. M. Trudeau s'est levé et a dit : « David, nous n'avons pas besoin de réentendre ce discours. Nous prenons cette mesure parce que c'est la chose à faire. »

Des voix : Bravo!

Le sénateur Smith : Honorables sénateurs, je peux lire l'article 15. Il est parfois bon de revenir à l'essentiel :

La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Les sénateurs savent comment les tribunaux ont interprété le bien- fondé du mot « sexe » dans la Charte. J'admets d'emblée que, lorsque nous débattions la Charte, la question du mariage entre personnes du même sexe était loin d'intéresser qui que ce soit. Je suis en accord avec la direction qu'ont prise les tribunaux.

Je dois souligner, à titre de confidence — et non pour susciter des conflits — que, comme certains d'entre vous le savent, ma femme est juge en chef de la Cour supérieure de l'Ontario. Elle a présidé l'assemblée lorsque la question a été renvoyée à la cour divisionnaire. Cette assemblée s'est entendue à l'unanimité pour dire que la question allait à l'encontre de la Charte; elle a dit que cette question fondamentale devrait être tranchée par le Parlement et elle lui a donné deux ans pour la régler. J'étais d'accord. Les parlementaires devraient s'attaquer directement à ces questions.

Lorsque cette question a été renvoyée à la Cour d'appel, cette dernière a dit qu'elle appliquerait immédiatement la décision. Comme plus de deux ans se sont écoulés, cela importe peu maintenant. Le sénateur Joyal a donné un bon aperçu de la loi, et je ne veux pas répéter ces arguments juridiques.

Je veux présenter un point de vue particulier dans ce débat. Je sais que certains Canadiens estiment que le projet de loi C-38 contrevient à la liberté de conscience et de religion que confère l'article 2 de la Charte. Je suis particulièrement sensible à ce point de vue, car mon très bon ami — et nous serons toujours des amis — le sénateur Gustafson et moi avons été évangélistes. Je suis très près de la communauté évangélique. J'ai beaucoup d'affinités avec cette communauté et je comprends son point de vue. Je sais que cette communauté est parmi celles qui s'opposent le plus à ce projet de loi.

Mon père, de regrettée mémoire, mon grand-père, deux de mes frères, un oncle, un neveu et trois cousins germains ont été ou sont tous des ministres du culte et des évangélistes. La plupart des représentants de cette communauté se sont exprimés et leur réaction est négative. Bien que je respecte ce point de vue et que j'aie des affinités avec cette communauté, je ne réagis pas du tout de cette façon.

Je me considère comme un chrétien. Pour moi, le christianisme veut dire une foule de choses, comme l'amour, la compréhension, la compassion, le respect d'autrui, la tolérance et l'égalité des droits. Je crois que la question dont nous sommes saisis concerne l'égalité, la Charte et les droits des minorités. Je ne reconnais pas qu'il s'agit d'une question de religion ou de foi.

L'article 2 de la Charte existe toujours, et il dit ceci :

Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion...

L'article 3 existe toujours dans le projet de loi, et on y a ajouté l'article 3.1, qui dit : « Il est entendu que... » Qu'y a-t-il de plus clair? L'article 3.1 est une longue disposition qui renforce l'article 3.

Quelles que soient mes convictions religieuses ou celles de qui que ce soit d'autre — ce peut même être l'absence de convictions religieuses, comme chez les agnostiques, les athées, et cetera —, je suis profondément attaché au principe de la séparation de l'Église et de l'État. Je ne veux pas que les lois du pays où j'habite soient dictées par des prédicateurs, des mollahs, des rabbins, des cardinaux ou des prêtres. Je veux que les lois soient adoptées par des institutions — surtout l'assemblée élue, mais aussi notre propre institution — qui représentent tous les Canadiens.

On a prétendu, je le sais, ou on a exprimé la crainte que des prêtres, des rabbins, des mollahs et des prédicateurs évangélistes soient forcés de célébrer des mariages qui, selon leurs convictions, sont incompatibles. Je ne marche pas. Je ne crois pas qu'il soit possible d'avoir une loi plus claire. Il n'y a là rien de neuf.

Les honorables sénateurs connaissent bien l'opinion de prêtres sur le mariage de personnes divorcées. Certains rabbins orthodoxes refusent de célébrer un mariage si l'une des deux personnes provient d'un groupe conservateur ou réformé. Des sectes hassidiques refusent le mariage si l'une des deux personnes vient d'une autre secte hassidique. Je peux vous parler de certaines excentricités de divers prédicateurs évangélistes qui forcent presque le sourire. Ce que je veux dire, c'est qu'il n'y a rien de neuf dans cette dynamique. Avez-vous jamais entendu parler d'un tribunal qui contraindrait ces gens à célébrer ce genre de mariage? Pouvez-vous me citer un seul cas?

Le sénateur St. Germain : Cela s'est fait en Saskatchewan.

(1920)

Le sénateur Smith : La situation est différente lorsqu'il s'agit d'un employé rémunéré du gouvernement provincial.

Une voix : Quelle est la différence?

Le sénateur Smith : Malheureusement, je dois dire que des propos alarmistes ont été soulevés dans le cadre de ce débat, peut-être pas ici, car je crois que nous avons eu un bon débat, mais au niveau public. Je ne crois pas que l'idée que ces opinions aient une certaine valeur puisse tenir la route.

J'aimerais terminer sur une autre note, qui pourrait n'influencer personne d'autre que moi. Ce n'est peut-être pas politiquement correct. Vous direz peut-être que cela ne rime à rien. Je vais tout de même vous en faire part.

J'ai connu des gens qui étaient très hostiles envers la communauté gaie. Je pense à trois familles en particulier. Une grande partie de cette hostilité était liée à des croyances religieuses. Puis, tout d'un coup, ils ont découvert qu'un membre de leur famille était homosexuel. Cela a modifié leur façon de voir les choses. Leur façon de voir les choses a changé parce qu'il s'agissait d'une personne qu'ils connaissaient et qu'ils aimaient et ils pensaient que cette personne devrait avoir des droits.

J'ai de nombreux amis homosexuels qui m'ont parlé en toute franchise de ce que c'était que de grandir en étant homosexuel. Dans bien des cas, je leur ai demandé quand ils s'étaient rendu compte de leur orientation pour la première fois. Tous, sans exception, m'ont dit qu'ils avaient toujours senti cette attirance.

Je connais un jeune homme qui a toujours su qu'il était homosexuel. Il vient d'une famille éclatée. Il a été élevé par ses grands-parents. Ceux-ci l'ont amené à la campagne où nous avions un chalet. Il avait le même âge que mes jumelles. Nos familles étaient très amies. Dès que je l'ai vu, j'ai pensé qu'il serait homosexuel, et il l'est. Tous les ans, mes filles vont au Défilé de la fierté gaie à Toronto pour montrer à leur ami qu'elles l'appuient. Elles pensent qu'il mérite d'avoir des droits égaux. Je suis fier d'elles.

La semaine dernière, j'étais en Angleterre et j'ai vu dans le Times de Londres un article sur un livre qui vient d'être publié. L'article s'intitule « Né homosexuel ou devenu homosexuel : à quel camp appartenez-vous? L'orientation sexuelle serait déterminée à la naissance, selon un nouveau livre audacieux. » Le livre s'intitule : Born Gay : The Psychology of Sex Orientation. Je ne suis pas un scientifique. Je ne peux pas me prononcer sur la valeur scientifique de cet ouvrage, mais il confirme l'intuition que j'ai depuis des années. Certains pensent peut-être que ce n'est pas pertinent, mais cela renforce mon opinion.

Mes amis de l'autre camp, je vous aime; je respecte nos valeurs; notre amitié et notre camaraderie subsisteront. J'ai seulement un point de vue différent. Je veux tendre la main aux membres de cette communauté et leur accorder les droits que la Charte reconnaît aux minorités.

Le sénateur Cools : Honorables sénateurs...

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Cools, il y a d'autres sénateurs qui ne sont pas intervenus du tout. Vous avez déjà pris la parole.

L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : J'invoque le Règlement. Madame le sénateur Cools a parlé de l'amendement. Elle veut maintenant parler du projet de loi proprement dit. Je pense que c'est tout à fait opportun.

Honorables sénateurs, discutons-nous de l'amendement ou du projet de loi? Certains sénateurs ont parlé du projet de loi, et d'autres, de l'amendement.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous débattons de l'amendement.

Le sénateur Stratton : Quand allez-vous nous dire que nous débattons du projet de loi proprement dit? Les sénateurs des deux côtés supposent que nous discutons du projet de loi. Personne ne sait vraiment de quoi nous débattons.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sommes-nous prêts pour le vote sur l'amendement?

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, je serais porté à souscrire à l'analyse du sénateur Stratton, d'après laquelle les sénateurs ont pris la parole à la fois sur l'amendement et sur le projet de loi. La présidence a bien donné la parole aux sénateurs qui voulaient intervenir et ceux-ci ont parlé soit de l'amendement, soit du projet de loi. Il y a manifestement eu une entente, certainement parmi les sénateurs de notre côté, voulant qu'ils pouvaient parler de l'amendement ou du projet de loi.

Nous serions heureux d'entendre les sénateurs à propos de l'amendement ou du projet de loi.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Puis-je poser une question pour ma propre édification? Est-ce que les sénateurs seront autorisés à prendre la parole deux fois, avant quelqu'un qui n'a pas encore pris la parole? Je voudrais connaître la teneur de l'entente.

L'honorable Marcel Prud'homme : J'ai un rappel au Règlement à faire. Je l'ai fait privément et je vais le faire publiquement. Nous traitons en ce moment d'un amendement, qu'il y ait entente ou pas. S'il devait y avoir une multiplicité d'amendements, et je ne pense pas que cela sera le cas, tout sénateur, indépendamment de l'existence d'une entente, pourrait prendre la parole à propos de tout amendement, mais prendre la parole seulement une fois au sujet d'un amendement. Nous devons d'abord nous prononcer sur l'amendement, puis passer à la lecture finale et au vote final.

Si certains sénateurs ont choisi de parler à la fois de l'amendement et du projet de loi proprement dit, eh bien soit! Je crois que c'est tout à fait légitime. Ils ne vont pas répéter leur discours. Nous les écouterons.

Je n'ai pas l'intention de participer au débat sur l'amendement, mais je me propose de participer au débat en troisième lecture. Je veux que cela soit clair. C'est la règle, c'est la bonne façon de procéder et la voie à suivre. Le sénateur Cools peut se lever maintenant et poser des questions, mais elle a déjà pris la parole à propos de l'amendement. Elle est une bonne amie, ce que je ne nierais pas, mais si elle le souhaite, elle peut prendre la parole plus tard. Elle peut maintenant poser des questions, s'il reste encore du temps, mais elle s'est prononcée sur l'amendement, d'un point de vue technique, selon le Règlement du Sénat. Il y a peut-être eu un accord, mais de ce côté-ci, nous ne sommes pas au courant d'un accord permettant à chacun de parler en même temps de l'amendement et du projet de loi, après quoi nous passerions au vote final.

Le vote aura lieu lorsque le débat sur l'amendement sera terminé et que nous passerons à la troisième lecture. Il n'y aura peut-être pas d'intervention en troisième lecture, mais je prendrai la parole à l'étape de la troisième lecture.

Son Honneur le Président : Je précise que c'est le sénateur Prud'homme qui a invoqué le Règlement. Sénateur Cools, est-ce que le recours au Règlement vise à déterminer si les discours sont pertinents par rapport à l'amendement ou, comme le stipule le Règlement du Sénat que vous avez fort bien récité, si un intervenant peut prendre la parole une fois au sujet d'un amendement et une fois au sujet de la motion principale?

Le sénateur Cools : Je vous remercie, honorables sénateurs. Cette façon de procéder me préoccupe toujours. Nous devrions savoir clairement en tout temps où nous en sommes.

J'avais l'impression que nous en étions à la motion principale. Je serai donc très claire. J'ai déjà utilisé mon droit d'intervention sur l'amendement. J'exerce maintenant mon droit de parole sur la motion principale, c'est-à-dire la motion portant troisième lecture du projet de loi, n'est-ce pas?

Son Honneur le Président : Vous prendrez la parole lorsque nous en serons à la motion principale. Nous en sommes à l'amendement. Est-ce compris?

Le sénateur Cools : En sommes-nous à la motion d'amendement du sénateur Kinsella ou à la motion principale?

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vais donner des éclaircissements. Voici où nous en sommes. Nous débattons du projet de loi C-38 à l'étape de la troisième lecture. Les sénateurs Joyal, St. Germain, Austin et Stratton ont pris la parole au sujet de la motion principale portant troisième lecture du projet de loi.

(1930)

Le sénateur St. Germain a proposé un amendement visant à reporter indéfiniment le projet de loi et nous nous sommes prononcés sur cet amendement, qui a été défait.

Nous avons ensuite repris le débat et le sénateur Kinsella a proposé un amendement. Nous discutons en ce moment de cet amendement. Lorsque nous aurons terminé le débat sur l'amendement, nous mettrons celui-ci aux voix. Après, nous reprendrons le débat sur la motion principale.

Madame le sénateur Cools est intervenue dans le débat sur l'amendement, mais pas dans le débat sur la motion principale, du moins à ma connaissance. Je vérifierai auprès du greffier. Le sénateur Cools pourra donc le faire au moment où nous en serons là.

Le sénateur Cools : Je me plierai à cette décision, mais j'avais la nette impression que les derniers intervenants du côté ministériel parlaient de la motion principale parce que je n'ai entendu aucun d'entre eux exprimer une opinion sur l'amendement du sénateur Kinsella. J'en ai donc déduit que nous étions passés à la motion principale.

Son Honneur le Président : Je peux comprendre comment cela s'est produit puisque, comme nous le faisons parfois, nous donnons une interprétation assez libérale de ce qui se rapporte à un amendement ou à une motion principale. Il y a parfois de la confusion. C'est un aspect intéressant de nos pratiques, mais cela n'a rien de nouveau. Personne ne s'y est opposé, du moins à ma connaissance.

Nous devons maintenant poursuivre le débat à l'étape de la troisième lecture sur l'amendement du sénateur Kinsella.

Le sénateur Rompkey : Honorables sénateurs, je me demande si nous pourrions convenir que, jusqu'à maintenant, les discours portaient sur l'amendement, que cette étape est maintenant terminée et que, dorénavant, les sénateurs qui prendront la parole se prononceront sur la motion principale de sorte que nous puissions voter et conclure. Je crois qu'il serait préférable de regrouper tous les votes à la fin de la journée. Pouvons-nous convenir que, jusqu'à maintenant, les discours portaient sur l'amendement, que dorénavant ils porteront sur la motion principale et que nous passerons ensuite aux votes?

Le sénateur Stratton : De ce côté-ci, nous approuvons cette façon de faire. Il y a eu de toute évidence de la confusion, mais nous convenons que, jusqu'à maintenant, les interventions ont porté sur l'amendement. À partir de maintenant, elles porteront sur la motion principale. Nous voterons ensuite sur l'amendement et sur le projet de loi lui-même.

Son Honneur le Président : Il convient peut-être de rappeler aux honorables sénateurs que, par le passé, nous avons déjà permis à des sénateurs, particulièrement lorsque nous avons été saisis de plus d'un amendement, d'aborder l'amendement ou la motion principale dans leurs observations. Dans les faits, c'est ce que nous sommes en train de faire.

On peut difficilement procéder de la façon suggérée puisque ce que propose le sénateur exclut la possibilité de prononcer des discours sur l'amendement. Selon moi, ce ne serait pas conforme à la façon normale de procéder. Toutefois, nous pourrions préciser simplement que ces discours peuvent porter sur l'amendement ou sur la motion principale, comme on l'a fait d'ailleurs, selon moi, depuis la présentation de l'amendement du sénateur Kinsella. Cela permettrait d'établir clairement pour tout le monde, espérons-le, qu'on peut parler sans enfreindre le Règlement. Si les observations portent sur l'amendement, alors c'est bien. Si les observations portent sur la motion principale, alors c'est bien aussi. S'il n'y a qu'un amendement, tout devrait bien aller. S'il y en a un deuxième, nous ferons comme nous l'avons déjà fait, c'est-à-dire que nous regrouperons les amendements. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter tant que le problème ne se pose pas.

Avec votre consentement, je suggère que nous reprenions le débat.

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Sénateur Smith, aviez-vous terminé?

Le sénateur Smith : Oui.

Son Honneur le Président : J'étais sur le point de donner la parole au sénateur Stratton. Avez-vous des observations à formuler, sénateur Cools?

Le sénateur Cools : Le sénateur Stratton, mon leader, m'a fait signe d'y aller, alors c'est ce que j'ai fait. J'ai simplement obéi.

Son Honneur le Président : Ce n'est à cela que je faisais référence. Madame le sénateur Cools et le sénateur Prud'homme veulent tous deux prendre la parole sur cette question.

Les deuxièmes discours devraient être prononcés, à mon avis, au moment opportun, c'est-à-dire lorsque nous nous serons prononcés sur l'amendement. Nous pourrions le faire dès maintenant, si c'est ce que souhaitent les sénateurs.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Nous pourrions également le faire plus tard, mais nous risquons alors de perdre le fil et de ne plus savoir qui a pris la parole deux fois et qui a pris la parole une fois. Je suggère de donner la parole à madame le sénateur Cools dès que nous en aurons terminé avec l'amendement.

Le sénateur Cools : Votre Honneur, je pense que les leaders se sont réunis et il semblerait, d'après ce qu'ils viennent de dire, qu'ils se sont entendus sur la façon de procéder suivante, soit que les honorables sénateurs qui prennent la parole précisent tout d'abord si leur intervention portera sur l'amendement ou sur la motion principale. Ai-je bien compris, sénateur Rompkey?

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, pourrions-nous tout simplement procéder par demande de permission? Madame le sénateur Cools fera maintenant son discours sur la motion principale. Est-ce d'accord?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Prud'homme : Désolé, mais je n'accorderai pas ma permission. Le Sénat doit donner l'exemple. Tout allait bien jusqu'ici, et tout s'est déroulé de façon ordonnée. Le sujet est le même. Certains sénateurs ont peut-être fait des interventions qu'ils auraient faites en troisième lecture. Je n'y vois pas d'inconvénient, car cela veut dire qu'ils ne feront pas deux fois le même discours. Il nous reste à disposer intelligemment de l'amendement et à demander le vote sur cet amendement. Cela pourrait se faire très rapidement, si les whips le veulent bien. Nous reviendrons alors à la motion principale.

Dans certains cas, les sénateurs pourraient voter différemment, et même faire valoir des arguments différents. Je pense que nous ne devrions pas traiter des deux à la fois. Vous avez procédé de façon ordonnée, tout en laissant beaucoup de latitude aux intervenants dans le débat, mais je pense que le débat porte actuellement sur l'amendement.

Avec tout le respect que je dois à mon amie et laborieuse collègue, madame le sénateur Cools, je signale qu'elle est intervenue au sujet de l'amendement. Réglons la question. D'autres sénateurs souhaitent-ils intervenir au sujet de l'amendement? Dans la négative, demandez le vote. À moins qu'il n'y ait un autre amendement, ce qui est peu probable, nous passons à la troisième lecture.

À l'étape de la troisième lecture, ceux qui sont déjà intervenus au sujet de l'amendement et de la troisième lecture ne devraient vraisemblablement pas se répéter. Il est probable que très peu d'entre nous choisiront d'intervenir uniquement au sujet du projet de loi à l'étape de la troisième lecture et non au sujet de l'amendement. En ce qui me concerne, à cette heure tardive, il me semble logique de procéder de cette façon qui, par surcroît est conforme au Règlement.

Certains ont peut-être convenu de combiner les deux. Le danger, lorsqu'on ne suit pas le Règlement et qu'on combine les deux, c'est que certains peuvent croire que nous en sommes à l'étape de la troisième lecture et faire une intervention en fonction de cela alors que d'autres ont l'impression que nous parlons de l'amendement et interviennent à cet égard. Voilà mon impression.

J'imagine une décision de la présidence qui est déjà claire. Le président demandera : « D'autres sénateurs désirent-ils intervenir au sujet de l'amendement? Dans la négative, nous mettrons l'amendement aux voix. » Ensuite, nous reviendrons à la troisième lecture et pourrons avoir un débat intelligent pour que tout le monde puisse comprendre ce qui se passe.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, je pense que la seule façon de traiter de la question est de procéder de façon ordonnée, comme nous le faisons habituellement. Je propose donc que nous mettions l'amendement aux voix, à moins que d'autres sénateurs ne souhaitent d'abord en parler. Nous pouvons voter sur l'amendement et passer ensuite à la troisième lecture, comme l'a suggéré le sénateur Prud'homme.

Son Honneur le Président : C'est une bonne idée. Je n'ai qu'une chose à ajouter : le sénateur Banks aimerait proposer un sous- amendement. Est-ce vrai?

Le sénateur Banks : Oui.

Son Honneur le Président : Pour qu'il puisse le faire, nous devons continuer sur l'amendement. Je propose de donner la parole au sénateur Banks et de faire ensuite ce qu'a proposé le sénateur Austin, c'est-à-dire examiner l'amendement et le sous-amendement, à condition que ce dernier soit recevable.

L'honorable Tommy Banks : Honorables sénateurs, je tiens avant tout à dire que j'aurais aimé que tous ceux qui ont critiqué la façon dont ce projet de loi a été traité au Parlement aient pu entendre le débat à l'étape de la deuxième lecture et les délibérations du comité au cours de la dernière semaine, et qu'ils aient pu nous voir aujourd'hui. Ils auraient vu à quel point il est faux de dire que ce projet de loi allait être adopté à la « va-vite », comme on dit familièrement. Il est évident que ce n'est pas le cas. Toutes les parties se penchent sur ce projet de loi soigneusement et minutieusement, et je suis reconnaissant d'avoir eu l'occasion de contribuer au débat.

Madame le sénateur Carstairs a conclu son discours à l'étape de la deuxième lecture en faisant un argument du fond du coeur de façon émotionnelle, pour ne pas dire dramatique. Une personne en a parlé aujourd'hui en disant que si l'un de ses enfants venait lui présenter son conjoint et qu'il s'agissait d'une personne du même sexe, elle voudrait que tout soit mis en œuvre sur le plan juridique pour que son enfant profite des mêmes avantages qu'elle, au cours de ses nombreuses années de vie conjugale heureuse. Je ne pense pas que quelqu'un, sénateur ou autre personne raisonnable, veuille empêcher des Canadiens de profiter de la joie, du confort, des plaisirs et des avantages sociaux et économiques que procure le mariage. J'espère que personne n'osera jamais songer à faire pareille chose.

(1940)

La question est la suivante : comment pouvons-nous nous assurer que tous les Canadiens puissent avoir ces droits? Comment y arriver? Le caractère exhaustif du débat entourant ce projet de loi et du débat qui suivra ne fait aucun doute. Mais je ne suis pas d'accord avec l'argument qui veut que ce projet de loi soit la seule manière de garantir ces droits à tous les Canadiens et qu'il faille donc gommer toute distinction entre un type de mariage et un autre. Si on s'en tient à cet argument, le simple fait de permettre une telle distinction viole les droits des Canadiens. Voilà, selon moi, le point où l'argument ne tient plus ou encore le point où je deviens trop stupide pour pouvoir comprendre comment, en suivant cet argument, on a conclu que ce projet de loi était la seule manière d'arriver au résultat souhaité.

Honorables sénateurs, il existe déjà deux types de mariage reconnus au Canada, et des mariages des deux types sont célébrés chaque jour conformément aux lois du pays. Il y a, d'une part, le mariage traditionnel, c'est-à-dire le mariage tel qu'on le conçoit généralement et que certains désignent par cette expression. D'autre part, il y a l'union de fait, que l'on connaît comme telle. Selon les chiffres dont nous disposons actuellement, 1 200 000 Canadiens vivraient en union de fait. C'est un type particulier de mariage, qui est différent du type traditionnel et que l'on désigne donc par une autre expression. Les deux types de mariage ont une existence légale. Ils sont reconnus par la loi et sont courants dans notre pays, même s'ils demeurent distincts et que la loi les désigne par des noms différents, compte tenu de leurs différences l'un par rapport à l'autre. Je crois qu'ils ne sont pas considérés séparément sur les fiches remplies aux douanes par les gens qui arrivent de l'étranger ou sur les formulaires de demande de passeport. Les deux types sont tout simplement un reflet de la réalité.

Cette distinction entre les deux types de mariage, qui correspondent à deux types de relation, constitue-t-elle une violation des droits de la personne? Non, pas du tout; la Cour suprême du Canada a dit que cela ne portait pas atteinte aux droits. Dans sa décision dans l'affaire Nouvelle-Écosse (procureur général) c. Walsh, rendue le 20 décembre 2002, la Cour suprême du Canada a déclaré :

L'exclusion [...] des conjoints de sexe opposé non mariés n'est pas discriminatoire au sens du par. 15(1) de la Charte. La distinction ne porte pas atteinte à la dignité de ces personnes et ne les prive pas d'un bénéfice ou avantage accordé aux personnes mariées.

Dans le même jugement, au sujet de l'existence du mariage et de l'union de fait, la Cour suprême a déclaré :

[...] cette distinction reflète les différences entre ces unions et respecte l'autonomie et la dignité fondamentales de la personne. Dans ce contexte, on ne peut soutenir qu'il y a atteinte à la dignité des conjoints de fait.

Donc, un type de mariage qui diffère du « mariage » tel qu'il est universellement perçu et qui est décrit différemment afin de refléter cette différence n'est pas discriminatoire du simple fait qu'il porte un nom différent. La distinction ne porte pas atteinte à la dignité des personnes en cause.

Par conséquent, un troisième type de mariage, comme celui proposé par le sénateur Kinsella dans son amendement et qui vise les personnes de même sexe, ne serait pas discriminatoire. Il ne porterait pas atteinte à la dignité des personnes en cause, en autant que toutes les précautions soient prises afin que les droits, les avantages et les obligations de ces personnes soient identiques à ceux du mariage.

Honorables sénateurs, le préambule du projet de loi C-38 contient un « attendu » qui stipule que le Parlement n'a pas la compétence constitutionnelle nécessaire à l'établissement d'une institution autre que le mariage pour les couples de même sexe, ou pour qui que ce soit d'autre. C'est absolument exact. Cependant, rien dans la Constitution n'empêche le Parlement de créer ou de permettre, comme il l'a fait dans le cas de l'union de fait, une troisième catégorie de mariage en la décrivant d'une manière nullement péjorative ou indigne. L'article 91 de la Charte énumère les prérogatives exclusives du Parlement. Le paragraphe 26 accorde au Parlement le pouvoir législatif exclusif sur les questions ayant trait au mariage et au divorce. Par conséquent, le Parlement peut et, à mon avis, doit établir une telle distinction. Ce faisant, nous devons veiller à ce qu'une telle catégorie de mariage soit tout à fait conforme à la Charte et à son esprit et, pour reprendre les mots du tribunal, « reflète les différences entre ces unions et respecte l'autonomie et la dignité fondamentales de la personne. ».

Honorables sénateurs, il a été signalé plus tôt que la Cour suprême n'a pas voulu répondre à la quatrième question à savoir si la définition du mariage comme étant l'union d'un homme et d'une femme irait à l'encontre de la Constitution. J'ai bien l'impression que si le Parlement avait légalisé la définition contenue dans la résolution de la Chambre des communes de 1999, alors la Cour suprême aurait peut-être répondu autrement aux autres questions contenues dans le renvoi. La Cour a déclaré que, selon l'état actuel du droit, il n'existe aucune raison d'exclure les couples de même sexe du mariage. Si une telle définition avait été légalisée, la réponse aurait peut-être été autre.

Nous avons débattu à fond de ce projet de loi, honorables sénateurs. Pour ce qui est d'établir la distinction qui s'imposait, j'estime que le sénateur Kinsella a eu la bonne approche.

(1950)

Je m'excuse d'avoir la témérité de faire ceci, mais j'aimerais proposer un sous-amendement à l'amendement du sénateur Kinsella. Je partage l'avis du sénateur Joyal relativement à cet amendement; en effet, l'article dérogatoire que le sénateur Kinsella suggère d'ajouter comme article 2 de la loi — il viendrait immédiatement après le titre — ferait passer en deuxième l'objet de la loi. Je pense qu'on peut faire mieux.

MOTION DE SOUS-AMENDEMENT

L'honorable Tommy Banks : Par conséquent, je propose, avec l'appui du sénateur Corbin :

Que la motion d'amendement soit modifiée :

a) en éliminant le nouvel article 2 dans l'amendement proposé;

b) en éliminant le nouvel article 3 dans l'amendement proposé et en lui substituant l'article suivant :

« 3. Nonobstant l'article 2, le Parlement a reconnu et continue de reconnaître de mariage traditionnel entre une femme et un homme »; et

c) en modifiant la numérotation des articles 3 à 15, qui deviendraient les articles 4 à 16, et en modifiant tous les renvois à ces articles par voie de conséquence.

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Banks, avec l'appui de l'honorable sénateur Corbin, propose :

Que la motion d'amendement soit modifiée comme suit :

a) en éliminant le nouvel article 2 dans l'amendement proposé;

b) en éliminant le nouvel article 3 dans l'amendement proposé et en lui substituant l'article suivant :

« 3. Nonobstant l'article 2, le Parlement a reconnu et continue de reconnaître le mariage traditionnel entre une femme et un homme »;

c) en modifiant la numérotation des articles 3 à 15, qui deviendraient les articles 4 à 16, et en modifiant tous les renvois à ces articles par voie de conséquence.

De combien de temps le sénateur Banks dispose-t-il? Deux minutes? J'ignore s'il souhaite parler plus longtemps ou répondre à des questions pendant ces deux minutes.

L'honorable Marcel Prud'homme : En faisant preuve de patience, nous arriverons bien à la fin de la journée, mais, à mon humble avis, ce n'est pas un sous-amendement. Nous devrions l'examiner tout de suite. Selon moi, c'est un nouvel amendement. Nous devrions en finir avec l'amendement en tant que tel, après quoi nous pourrions passer à un nouvel amendement.

Je suis d'avis que c'est plus qu'un sous-amendement à un amendement proposé à un projet de loi. J'attire votre attention là- dessus. Nous n'avons pas besoin d'ajourner les travaux du Sénat pour cela. J'estime que c'est un amendement qui devrait être présenté après que nous en aurons fini avec l'amendement du sénateur Kinsella. J'écouterai, toutefois, votre explication.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, pendant que le sénateur Banks a parlé de l'examen de l'amendement qu'il a ensuite présenté, j'ai pu discuter avec le greffier au Bureau de la recevabilité dudit amendement, dont le sénateur Banks avait parlé plus tôt avec le greffier au Bureau et au sujet duquel il avait consulté le texte et le Règlement. Je conclus, en me fondant sur ma compréhension de la procédure — et je reconnais avoir eu de l'aide — que le sous- amendement est recevable.

En conséquence, nous sommes maintenant saisis d'un sous- amendement. Le sénateur Banks n'a plus de temps, mais nous devons d'abord en finir avec cela avant de passer à l'amendement, puis à la motion principale.

L'honorable Jack Austin (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, en ce qui concerne d'abord le sous-amendement, je voudrais dire que l'on sait bien au Sénat que le sénateur Banks n'a pas appuyé le projet de loi C-38. Il a parlé contre cette mesure à l'étape de la deuxième lecture, comme les sénateurs s'en souviendront. Ensuite, le sénateur Banks m'a fait savoir, après le début du débat de ce soir sur ce projet de loi, qu'il présenterait ce sous-amendement.

Je voudrais dire le plus simplement possible que la Charte ne comprend qu'une seule définition du mariage — du concept du mariage qui relève de la responsabilité constitutionnelle du gouvernement fédéral —, à savoir l'union d'une personne admissible et d'autre personne admissible. Toute autre définition est de la catégorisation; cela ne pourrait viser qu'à miner la définition simple assurant l'égalité.

Je comprends la bonne volonté du sénateur Banks ainsi que celle du sénateur Kinsella. Toutefois, ce sont des amendements qui ne sont pas conformes à l'esprit et au principe du projet de loi. J'exhorte les sénateurs à le comprendre et à traiter maintenant du sous-amendement et de l'amendement.

Des voix : Le vote!

L'honorable Jerahmiel S. Grafstein : Honorables sénateurs, j'ai l'intention de prendre la parole à l'étape de la troisième lecture et je vais être très bref, en ce qui a trait tant à l'amendement qu'au sous- amendement.

À mon avis, même si c'est très séduisant, c'est contraire à mon interprétation de la Charte, parce que la différence entre le mariage en vertu de la common law et le mariage traditionnel tel que défini par le sénateur Banks, et maintenant cette autre catégorie présentée par le sénateur Kinsella, ne tient pas compte de la notion de choix individuel — de liberté individuelle et de choix individuel. Il n'y a pas de choix individuel pour une personne du même sexe lorsqu'elle prend une décision fondée sur une catégorisation. C'est la raison pour laquelle on dit clairement dans le projet de loi que la « loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous »; il y a aussi un attendu selon lequel « chacun jouit de la liberté de religion ». Ce qui manque, toutefois, c'est une allusion aux droits individuels et au choix individuel.

Des voix : Le vote!

[Français]

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, j'ai l'impression que nous parlons du sous-amendement, de l'amendement et du projet de loi. Si vous me permettez, je ferai mon discours en tenant compte de ces trois points.

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup d'humilité que j'aborde l'étude du projet de loi C-38 à l'étape de la troisième lecture. Depuis deux ans, je tente d'approfondir l'essence de ce projet de loi et d'en comprendre la signification pour les générations futures. C'est pourquoi je désire partager avec vous et avec tous les Canadiens intéressés le résultat de mes recherches sur le sens de l'institution qu'est le mariage et sur ses effets sur les enfants des générations futures.

Afin de bien comprendre la raison du projet de loi C-38, il importe de se référer à l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, adopté par les Pères de la Confédération, qui conférait au gouvernement fédéral, par l'article 91, la juridiction sur le mariage. Comme les droits découlant du mariage étaient principalement de nature civile, donc de juridiction provinciale, ces droits auraient dû être à l'article 92. Afin d'obtenir le consensus constitutionnel pour des raisons religieuses — le Québec refusant de reconnaître le divorce en 1867 et ce, pour plus de 100 ans —, l'autorité législative du mariage se retrouve donc devant le Parlement canadien « pour le meilleur et pour le pire ».

Rappelons-nous qu'il n'y a pas si longtemps, le Sénat devait adopter des projets de loi privés pour accorder la dissolution des mariages québécois. Aujourd'hui, on nous demande d'étendre la définition du mariage aux couples de même sexe alors que la définition légale originale était l'union d'un homme et d'une femme; la seule définition reconnue en droit civil — excluant ce dont parlait le sénateur Banks, le mariage de droit commun, qui n'existe pas au Québec.

J'ai parrainé une étude lexicologique depuis l'existence de la publication des dictionnaires au XVIe siècle. Il s'agit d'une étude réalisée par Natalia Teplova, étudiante au doctorat à la Chaire de recherche James-McGill du Département de langue et littérature françaises, sous la gouverne du professeur Marc Angenot, étude que j'ai déposée au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'aimerais seulement vous donner un aperçu des définitions jusqu'à la plus récente du Petit Larousse 2006, qui a été omise par mon collègue, le sénateur Joyal. Je me réfère brièvement à l'étude.

Tout d'abord, en 1694, on disait que le mariage était l'union d'une femme et d'un homme pour le lien conjugal.

(2000)

Plus loin, au XIXe siècle :

Union légitime d'un homme et d'une femme, le mariage est un sacrement qui sanctifie la société légitime que l'homme et la femme contractent ensemble pour avoir des enfants et les élever chrétiennement. Cette société, une fois établie entre les chrétiens, est indissoluble et ne peut être rompue que par la mort des deux époux.

On retrouvait cette définition dans le Nouveau dictionnaire universel illustré, publié par Paul Guérin et G. Bovier-Lapierre.

Au XXe siècle, dans le Dictionnaire de langue française d'Émile Littré, on peut lire :

Union d'un homme et d'une femme consacrée soit par l'autorité ecclésiastique, soit par l'autorité civile, soit par un et par l'autre.

Finalement, le Larousse 2006, qui sera publié en septembre prochain, nous dit :

Acte solennel par lequel un homme et une femme établissent une union entre eux, dont les conditions, les effets et la dissolution sont régis par les dispositions juridiques en vigueur dans leur pays, par leurs lois religieuses ou leurs coutumes.

Je me suis donc inspirée des différentes versions qui ont été publiées afin de comprendre le sens de l'institution qu'on s'apprêtait à modifier de façon assez considérable.

Contrairement aux remarques d'un témoin au comité qui niait l'élément scientifique des auteurs de dictionnaires, je précise que ces guides linguistiques nous permettent, surtout sur le plan légal, d'en arriver à une compréhension d'un concept ou d'un mot en acceptant les définitions lexicologiques. Sans ces dictionnaires comme arbitres de nos discussions, les législateurs que nous sommes pourraient difficilement accomplir leur tâche.

À l'instar du sénateur Banks, je crois que le rôle des législateurs n'est pas de se substituer aux lexicographes. J'en conclus donc que le mariage est l'union d'un homme et d'une femme, se référant pratiquement toujours à la finalité de l'union qui est la procréation. Par contre, c'est le rôle des sénateurs de s'assurer que les lois respectent la Charte des droits et libertés.

J'ai d'ailleurs eu le privilège de participer à l'adoption des amendements constitutionnels de 1982 et, en particulier, de me battre avec le petit nombre de femmes qui étaient au Parlement à ce moment-là au sujet de l'article 15 de la Charte, qui conférait le droit à l'égalité des femmes et des hommes.

D'ailleurs, le nombre de lois canadiennes qui ont dû être modifiées suite à l'adoption de la Charte était très important. Ces modifications ont été apportées dans les cinq années suivant son adoption. À ma souvenance, il n'a jamais été question de spécifier des droits particuliers pour les gais et lesbiennes puisque leurs droits étaient protégés par la Charte. L'article 15 de la Charte reconnaissait le droit à l'égalité, mais ne changeait pas la nature fondamentale des personnes. On ne créait pas des individus du troisième type. D'ailleurs, l'égalité ne niait pas le droit à la différence.

Pour mieux comprendre ce concept d'égalité face au mariage, j'aimerais citer quelques-unes des réflexions d'un des grands défenseurs des droits des minorités, Me Julius Grey, publiées dans un article du magazine Options politiques, volume 24, numéro 9 :

[Traduction]

« Equality Rights versus the Right to Marriage — Toward the Path of Canadian Compromise » :

[Français]

Comme l'article est très long, je vais vous résumer l'opinion de Me Grey sur la question.

[Traduction]

On peut dire à juste titre que le mariage monogame entre un homme et une femme est l'institution la plus importante en Occident. D'autres institutions — sociales, économiques et politiques — ont dépéri et disparu, mais jusqu'à maintenant le mariage a survécu, même aux changements les plus draconiens...

Même s'il est effectivement possible de défendre le fait de réserver le mot « mariage » aux hétérosexuels sans faire preuve de mauvaise foi ou de sectarisme, il est aussi vrai que le mariage a subi des changements radicaux depuis un demi- siècle...

Il est clair que tous les droits des personnes mariées, par exemple en ce qui a trait aux pensions, à l'immigration parrainée, aux successions, à l'adoption et aux avantages fiscaux, doivent s'appliquer aux homosexuels...

Toutefois, une union civile peut satisfaire à ces exigences aussi facilement que le mariage, et la décision d'utiliser ou non le mot « mariage » dépend de facteurs autres que la Charte.

[Français]

Je conclus avec la première phrase de son article :

La décision d'employer ou non le mot « mariage » relève de facteurs indépendants de la Charte proprement dite.

Je souscris entièrement à cette opinion.

La dignité reconnue dans nos lois est respectée puisque les personnes gaies veulent être reconnues comme différentes. Nous connaissons les jeux gais, les parades gaies, la littérature gaie, la famille gaie, et le dénominateur commun qui qualifie ces activités est la fierté de ceux qui y adhèrent.

D'un côté, on célèbre la différence de façon très significative, de l'autre, on veut partager une institution qui est, depuis des temps immémoriaux, l'apanage de personnes hétérosexuelles.

Comme Me Grey, je soutiens que ce projet de loi est beaucoup plus un acte politique qu'un exercice juridique visant à confirmer des droits égaux aux partenaires de même sexe.

Personnellement, depuis toujours, j'ai réclamé le droit à l'égalité, pas à la similarité. Je suis fière de ma différence sur les plans psychologiques et physiologiques, et j'invite mes honorables collègues à réfléchir à ce concept d'égalité et de différence.

Les effets du projet de loi C-38 sur la cellule familiale sont immenses. Je reprends quelques propos du docteur Margaret Somerville, spécialiste en éthique de l'Université McGill, qui a comparu devant le comité et qui nous a dit ceci :

Lorsqu'il se limite à l'union d'un homme et d'une femme, le mariage établit, comme étant la norme, les droits des enfants à un père et une mère biologiques, qui doivent les élever [...] Parce qu'il ne repose pas sur la procréation, le mariage de conjoints de même sexe enlève ces droits à tous les enfants, et non uniquement aux enfants de couples de même sexe. Le projet de loi C-38 reconnaît expressément et applique ce changement en redéfinissant la condition parentale en général, de la condition parentale naturelle ou biologique à la condition parentale légale.

C'est le projet de loi C-38 qui a cet effet. Les nouvelles techniques de reproduction peuvent également modifier les fondements biologiques de la condition parentale et soulever le problème quant aux droits des enfants par rapport à leurs antécédents des parents biologiques.

Cette dernière ajoute :

La loi établissant le droit des enfants adoptés de connaître l'identité de leurs parents biologiques est devenue la norme.

Il faut dire que cette question évolue très rapidement. Ce nouveau phénomène n'a pas été étudié lorsque nous avons modifié nos lois sur la reproduction assistée.

Le docteur Somerville ajoute :

Les droits des enfants doivent inclure : i) le droit d'être conçu avec un patrimoine biologique naturel — c'est-à-dire avoir des origines biologiques non modifiées —, être conçu à partir du sperme naturel d'un homme identifié et d'un ovule naturel de femme identifiée; et ii) le droit de connaître l'identité de ses parents biologiques.

Le fait de connaître notre parenté biologique et notre rapport à celle-ci est essentiel à la détermination de notre identité et nous aide dans nos relations avec les autres ainsi qu'à trouver un sens à la vie.

Les enfants et leurs descendants qui ne connaissent pas leur origine génétique ne peuvent se sentir intégrés à un réseau de personnes dans le passé, le présent et le futur, par lesquels ils peuvent tracer la ligne du passage de la vie, des générations passées jusqu'à eux, mais également à partir d'eux-mêmes.

Même si je ne suis pas une spécialiste sur la question, je dois dire que je porte attention à ces propos. Lorsque nous allons visiter notre médecin, il nous pose certainement ces questions sur les antécédents biologiques ou génétiques de nos parents afin de pouvoir appliquer les traitements. C'est un peu la même chose dans le cas du cancer du sein : l'histoire biologique de la famille est extrêmement importante, non seulement au niveau curatif, mais également au niveau préventif.

Je pense que ces questions n'ont pas été étudiées en profondeur. Même lorsque la législation canadienne a tenté d'encadrer les méthodes de reproduction assistée, elle n'est pas allée au-delà de cette question de connaître les antécédents génétiques des parents.

Dans cet esprit, j'ai eu recours à des spécialistes, qui ont travaillé plus d'un an à une étude sérieuse qui devrait vous convaincre qu'il n'y a pas lieu de céder aux pressions d'accélérer l'adoption du projet de loi C-38.

(2010)

J'ai demandé une étude à une professeure du Département de psychologie de l'Université du Québec à Montréal, Mme Nicole Tremblay, qui a été assistée d'Émilie D'Amico, étudiante au doctorat dans le même département d'Émilie Jodoin, également étudiante au doctorat et de Danielle Julien, professeure-chercheure au Département de psychologie.

Leur étude était une revue des études empiriques sur le développement cognitif et psychosocial, et sur la qualité de l'environnement familial des enfants conçus à l'aide de techniques de procréation assistée.

Vous me demanderez quel est le rapport avec cette question; ces chercheures en font état et mentionnent toutes les études publiées depuis plus de dix ans. Il n'y a eu que deux études qui ont été menées. De ces études, deux comparaisons montrent une moins bonne adaptation comportementale chez les enfants de familles homoparentales, et une autre montre l'inverse. Il y a eu deux études : l'une est positive et l'autre est négative. Les chercheures concluent qu'il est donc difficile de tirer des conclusions claires à partir de ces résultats.

Je vous lis le résumé de cette étude qui est disponible et qui a été déposée au comité, où les auteures concluent que :

D'autres études seront nécessaires pour identifier les différents éléments individuels et contextuels susceptibles de jouer un rôle dans l'adaptation des familles ayant recours aux techniques de reproduction assistée et de leurs enfants et clarifier les effets directs des TRA. [...] la réalisation d'études auprès d'échantillons d'enfants canadiens conçus à l'aide des TRA serait également souhaitable.

Cela veut dire qu'à l'heure actuelle, on procède totalement dans l'inconnu. On accepte un concept, mais on ne voit pas exactement quelles seront les conséquences pour les autres générations.

Dans le domaine scientifique, il existe un principe qui s'appelle le principe de précaution. Pour le philosophe Jonas, commenté dans La lettre EMERIT, parue en septembre 2000, ce principe de responsabilité relève de l'éthique — et je reviens aux études qui devraient être faites.

Ce dernier nous dit :

Le pouvoir que nous confèrent aujourd'hui la science et la technologie entraîne une responsabilité nouvelle et inédite : « léguer aux générations futures une terre humainement habitable et ne pas altérer les conditions biologiques de l'humanité ».

Il plaide donc pour une nouvelle conception des responsabilités. Ce dernier nous dit que :

... cette forme de connaissance scientifique est souvent entachée de lourdes incertitudes.

Il nous dit également :

Celle-ci rend « moralement obligatoire » d'envisager, pour toute décision qui pourrait avoir des conséquences irréversibles et incertaines, quel serait le scénario catastrophe.

Je pense que, en tout que personnes responsables qui veulent aller au fond des choses dans un nouveau phénomène et, un nouveau concept et une nouvelle façon de faire sur le plan scientifique — et là je parle des enfants —, il est important de penser plus loin et de penser aux enfants à naître à partir de procréation assistée pour les couples de même sexe.

Le mariage, l'union d'une femme et d'un homme en vue de la procréation, n'est certainement pas une institution inventée par Hollywood, même si les bons films d'antan avaient tous une fin semblable à « Ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants ». C'est une institution qui n'est pas uniquement la confirmation d'un amour partagé car, chez diverses cultures, plusieurs couples se marient à partir des arrangements établis par les parents, les conjoints ne s'étant pas même rencontrés.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai le regret d'informer le sénateur Hervieux-Payette que son temps de parole est écoulé.

Le sénateur Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, puis-je avoir deux minutes pour conclure?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, en adoptant le terme « mariage » pour une institution qui ne reflète pas la réalité de la majorité des Canadiens, nous n'offrons pas l'égalité promise par le projet de loi C-38. En effet, chaque province, en vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, reconnaît aux conjoints des droits civils différents d'une province à l'autre.

Son Honneur le Président : Je remarque qu'il y a beaucoup de bruit. Je vous demanderais de limiter vos conversations ou d'aller discuter à l'extérieur de l'enceinte.

Le sénateur Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, comme l'éminent juriste de droit civil Julius H. Grey, j'affirme que l'union civile est l'institution appropriée pour reconnaître l'union des personnes de même sexe et que le mot « mariage » n'est pas une question de Charte proprement dite.

Je reconnais cependant que le lobby gai a réussi à obscurcir cette question au point de nous forcer à l'approfondir et à nous interroger sur le motif qui force l'usage d'un mot en en détournant la signification. Il n'y a pas de grandes oppositions à la reconnaissance mêmes droits aux couples de même sexe, en autant que l'institution n'empiète pas sur l'institution du mariage, dont le but est la procréation. Il me semble que le fait de détourner la finalité d'une telle institution fondamentale nous force à réfléchir.

De façon honnête et méthodique, j'ai tenté d'aller au fond de cette question en demandant à des universitaires reconnus dans le domaine lexicologique et anthropologique d'effectuer des recherches. À la lumière de ces études et des témoignages entendus au devant le comité, je ne peux accepter de voter en faveur du projet de loi c-38 tel quel. Ce serait contraire à mes convictions profondes sur mon rôle de sénateur, qui est de protéger les institutions canadiennes et ses citoyens les plus vulnérables, les enfants. Au terme des discussions d'aujourd'hui, je déciderai si j'appuie l'amendement ou le sous-amendement qui sont devant nous.

L'honorable Jean Lapointe : Honorables sénateurs, je n'avais pas du tout l'intention d'intervenir dans ce débat, et cela pour des raisons personnelles. Je suis chrétien, j'ai une sœur qui est religieuse et, selon Monseigneur Turcotte, qui est archevêque et un ami aussi, je me sentais dans une position très précaire.

Ce soir, à la suite de l'intervention du sénateur Kinsella, et particulièrement de celle du sénateur Forrestall qui est un homme que j'admire beaucoup, je pense que dans mon cas il s'agit d'une question humaine et d'une question de minorité.

La Charte et la Constitution sont toutes deux du chinois pour moi. Je n'ai pas la capacité d'étudier tout cela. Toutefois, après ce qu'a dit le sénateur Joyal, j'en suis venu à la conclusion que je vais appuyer le projet de loi C-38 mais avec, dans mon cœur, un peu de réserve.

Des voix : Question!

[Traduction]

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer sur le sous-amendement du sénateur Banks?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur du sous-amendement veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que ceux qui sont contre veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, un accord a-t-il été conclu au sujet de la sonnerie?

Le sénateur LeBreton : Conformément au paragraphe 66(1), je demande que le timbre sonne pendant une heure.

Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs.

(2120)

(La motion de sous-amendement du sénateur Banks, mise aux voix, est rejetée.)

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Angus Kelleher
Atkins Keon
Banks Kinsella
Buchanan LeBreton
Cochrane Meighen
Comeau Oliver
Cools Phalen
Corbin Plamondon
Di Nino Sibbeston
Eyton St. Germain
Forrestall Stratton
Gustafson Tkachuk—24

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Austin Kenny
Bacon Losier-Cool
Baker Maheu
Biron Mahovlich
Bryden Massicotte
Callbeck Mercer
Chaput Milne
Christensen Mitchell
Cook Munson
Cordy Nancy Ruth
Dallaire Pearson
Downe Pépin
Dyck Peterson
Eggleton Poulin
Fairbairn Poy
Fitzpatrick Ringuette
Furey Robichaud
Gill Rompkey
Grafstein Smith
Harb Spivak
Hubley Tardif
Jaffer Trenholme Counsell
Joyal Watt—46

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Hervieux-Payette Prud'homme—3
Moore

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Je comprends donc que vous êtes prêts à vous prononcer. Voici la motion.

Le vote porte sur l'amendement présenté par le sénateur Kinsella et appuyé par le sénateur Stratton. Désirez-vous un vote par assis et levé?

Des voix : Oui.

(La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.)

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Angus Kelleher
Atkins Keon
Buchanan Kinsella
Cochrane LeBreton
Comeau Meighen
Cools Oliver
Corbin Phalen
Di Nino Plamondon
Eyton Sibbeston
Forrestall St. Germain
Gustafson Stratton
Hervieux-Payette Tkachuk—24

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Austin Kenny
Bacon Losier-Cool
Baker Maheu
Biron Mahovlich
Bryden Massicotte
Callbeck Mercer
Chaput Milne
Christensen Mitchell
Cook Munson
Cordy Nancy Ruth
Dallaire Pearson
Downe Pépin
Dyck Peterson
Eggleton Poulin
Fairbairn Poy
Fitzpatrick Ringuette
Furey Robichaud
Gill Rompkey
Grafstein Smith
Harb Spivak
Hubley Tardif
Jaffer Trenholme Counsell
Joyal Watt—46

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Banks Moore
Merchant Prud'homme—4

(2130)

Son Honneur le Président : Nous reprenons le débat sur la motion portant troisième lecture, et plusieurs sénateurs ont exprimé la volonté de prendre la parole. Ce sont les sénateurs Grafstein, Cools, Milne et Prud'homme.

Le sénateur Grafstein : Honorables sénateurs, il se fait tard, la nuit tombe, mais les arguments concernant le projet de loi sur le mariage civil sont frais et neufs. Pendant ce temps, l'opinion publique se calme. Elle évolue, comme elle l'a fait après un débat explosif sur la peine capitale. Pourtant, le projet de loi fait l'objet de débats intenses dans les salles à manger, les salles familiales et les chambres à coucher. Il y a eu des débats dans nos synagogues, nos mosquées, nos églises et non temples ainsi que dans toutes les institutions non confessionnelles. C'est que la question touche la nature même d'un élément fondamental de notre société, la famille. On dit que le dernier refuge, pour le gredin, lorsqu'il est à bout d'arguments rationnels, est de se rabattre sur les liens mystiques et indéfinissables de la famille et les valeurs familiales. On ne peut pas le dire cette fois-ci. Le projet de loi porte sur la substance même du mariage, il nous touche tous, il concerne la famille et il est une question d'équité.

Le projet de loi ne vise pas à rétablir la dignité individuelle ni à promouvoir une minorité quelconque. Il ne s'agit pas d'assurer un traitement distinct ou égal. Le projet de loi porte sur l'égalité des droits de tous les citoyens dans un régime de primauté du droit. Honorables sénateurs, le seul rempart qui sépare notre société du chaos, c'est la primauté du droit.

Avec l'indulgence des sénateurs, je vais passer rapidement en revue les arguments que j'ai invoqués pour m'opposer au projet de loi sur le mariage civil dans mon propre débat intérieur, ainsi que les conclusions de la réfutation que j'ai faite moi-même de nombre des arguments qui ont été invoqués contre l'égalité des droits au mariage homosexuel et contre le traitement des droits des minorités qui est implicite dans cette mesure législative.

Tout d'abord, il y a le principe selon lequel la famille est fondée sur la procréation, qui doit venir après le mariage. Pourtant, nous connaissons tous de nombreux mariages hétérosexuels qui ne sont pas fondés sur la procréation, mais sur l'amour, le respect et l'intérêt mutuel. Notre collègue, madame le sénateur Fairbairn, est un excellent exemple. Il y a des familles et des mariages sans enfants, et nos lois ne leur témoignent aucun mépris, et ils ne font l'objet d'aucune discrimination, d'aucun traitement différent. En 2001, Statistique Canada nous apprenait que, sur 8,3 millions de familles au Canada, 2,4 millions, c'est-à-dire environ 20 p. 100, n'avaient pas d'enfants.

Ensuite, certains disent que le mariage homosexuel n'est pas une bonne chose pour la société. Or, aucune preuve scientifique ne montre que le mariage homosexuel est moins bénéfique que le mariage hétérosexuel ni que les enfants issus d'unions homosexuelles souffrent du fait que chaque famille est traitée avec respect et équité. La Société canadienne de psychologie a conclu que toutes les données scientifiques connues montrent que les enfants de familles homosexuelles ne diffèrent guère des enfants qui ont des parents hétérosexuels, sur le plan du développement psychologique, identitaire et sexuel. L'association conclut que tous les enfants doivent avoir le sentiment que la société accepte et reconnaît leur famille, et les enfants de parents homosexuels ne font pas exception à ce principe.

Le troisième argument est que les droits à l'égalité proposés dans le projet de loi sur le mariage civil porteraient préjudice à la liberté de religion, y compris le droit d'enseigner les avantages spirituels du mariage hétérosexuel. Cet argument comporte plusieurs questions complexes dont nous devons discuter. La protection de la liberté de religion définie par la Cour suprême comprendrait le droit de continuer d'enseigner que le mariage hétérosexuel est une bonne chose pour la société. La Cour suprême a ajouté que les ministres du culte ne pouvaient être forcés de célébrer des mariages homosexuels. Il est tout aussi clair qu'aucune institution religieuse, ni synagogue, ni église, ni mosquée, ni temple ne seraient forcés de célébrer des mariages homosexuels étant contraires à leurs convictions religieuses. Aucun organisme de bienfaisance religieux ne serait privé de son statut d'organisme de bienfaisance en vertu des protections accordées par la Charte.

Il y a une triple protection de la liberté de religion qui rime avec égalité — d'abord et avant tout, la Charte; puis, la décision de la Cour suprême et, enfin, le projet de loi en tant que tel, qui résume ces principes dans les paragraphes 1 et 6 du préambule. Permettez- moi de citer de nouveau le paragraphe 6 :

[Attendu] que chacun jouit de la liberté de conscience et de religion au titre de l'article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés;

L'article 3 du projet de loi prévoit par ailleurs ceci :

Il est entendu que les autorités religieuses sont libres de refuser de procéder à des mariages non conformes à leurs convictions religieuses.

C'est un énoncé tiré directement de la Charte et inséré dans le projet de loi. Nul ne peut donc affirmer qu'il serait inconstitutionnel que le Parlement insère le même énoncé dans une loi.

L'argument parfois avancé selon lequel les droits à l'égalité prévus à l'article 15 de la Charte l'emportent sur les droits religieux et la liberté de religion prévus à l'article 2 du projet de loi est tout simplement erroné. Bien au contraire, ces droits — le droit à l'égalité et la liberté de religion — sont soigneusement protégés et respectés dans la Charte, dans la jurisprudence et dans les lois, y compris la Constitution.

Qu'en est-il de l'argument relatif à la restriction fondée sur les relations conjugales dans les mariages hétérosexuels? Que dit la Cour suprême dans l'affaire M c. H en 1999? Permettez-moi de citer brièvement cette décision, qui porte sur la définition des relations conjugales.

Les tribunaux ont eu la sagesse d'adopter une méthode souple pour déterminer si une union est conjugale. Il doit en être ainsi parce que les rapports dans les couples varient beaucoup. Dans les circonstances, la Cour d'appel a eu raison de conclure que rien ne donne à penser que les couples de même sexe ne satisfont pas aux exigences de la définition juridique du mot « conjugal ».

Dans cette décision, on peut lire plus loin que la distinction pertinente est établie entre les personnes formant une union conjugale d'une certaine permanence avec une personne de sexe différent et celles qui forment une union conjugale d'une certaine permanence avec une personne du même sexe. C'est ce que dit la Cour suprême du Canada à propos de la définition des relations conjugales.

L'argument suivant est d'ordre métaphysique et il fait valoir que le mariage entre personnes du même sexe est contre le droit naturel. Le droit naturel, comme la common law, évolue. Le droit naturel n'est pas statique. Il fut un temps où la polygamie était acceptable aux termes du droit naturel. J'extrapole des propos du sénateur Joyal pour affirmer que le droit naturel est parfois subjectif. L'évolution qui caractérise le parcours sinueux de l'humanité, l'évolution du droit naturel — c'est ce que nous en concluons — est plutôt, comme certains de ses partisans l'ont avancé, semblable à celle de la Charte, selon la doctrine de l'arbre vivant. Je soutiens pour ma part qu'on ne peut se servir de la doctrine de l'arbre vivant pour écarter le principe fondamental selon lequel le Parlement fait les lois et la Cour suprême les interprète. Il n'en demeure pas moins que le droit naturel a bel et bien évolué. Pourtant, certains observateurs définissent leur droit naturel dans une forme antique, même si ce droit naturel antique demeure bien vivant dans de nombreuses régions du monde. La polygamie est autorisée dans de nombreuses régions du monde. Aux termes du droit naturel antique, les femmes n'ont pas droit à un traitement égal devant la loi, mais à un traitement différent. Au Canada, nous pouvons tous convenir que le droit naturel comprend la reconnaissance de l'égalité entre les sexes et de différences entre les sexes, mais ces différences ne devraient pas l'emporter sur l'égalité de traitement au seul motif du sexe.

Si je puis me permettre un commentaire personnel, au XIIe siècle, à Cordoue, en Espagne — où je me suis rendu le mois dernier — Maïmonide, un des plus importants savants talmudiques, a conclu que la polygamie devait être interdite à ceux qui pratiquaient le judaïsme. C'était au XIIe siècle. Le droit naturel a changé. Objet de mépris à son époque, Maïmonide reste à ce jour une source vénérée de pensées talmudiques. Il a découvert qu'on pouvait concilier la raison et la révélation.

Le prochain argument, complexe, consiste à savoir si la primauté du droit, en l'occurrence une loi du Parlement, empiète sur le droit religieux et pervertit les règles de la doctrine religieuse. Une fois de plus, la Charte et la Cour suprême ne peuvent être plus claires : la loi protège le droit de toute église, synagogue ou mosquée et de tout temple de promouvoir la pratique pacifique de leur doctrine religieuse. Honorables sénateurs, l'État n'a rien à faire dans la pratique des doctrines de nos fois respectives. Lisez la décision de la Cour suprême de 2004 où cette dernière a fait preuve de retenue en refusant de devenir un arbitre de la doctrine religieuse. Je vais aussi citer un passage de cette décision.

(2140)

L'al. 2a) a pour objet d'assurer que la société ne s'ingérera pas dans les croyances intimes profondes qui régissent la perception qu'on a de soi, de l'humanité, de la nature et, dans certains cas, d'un être supérieur ou différent. Ces croyances, elles, gouvernent la conduite et les pratiques de ceux qui les ont.

À mon avis, l'État n'est pas en mesure d'agir comme arbitre des dogmes religieux, et il ne devrait pas le devenir. Les tribunaux devraient donc éviter d'interpréter — et ce faisant de déterminer —, explicitement ou implicitement, le contenu d'une conception subjective de quelque exigence, « obligation », précepte, « commandement », coutume ou rituel d'ordre religieux. Statuer sur des différends théologiques ou religieux ou sur des questions litigieuses touchant la doctrine religieuse amènerait les tribunaux à s'empêtrer sans justification dans le domaine de la religion.

C'était un cas remarquable de retenue appropriée de la part de la Cour suprême du Canada.

Qu'en est-il de l'article paru dans les journaux aujourd'hui au sujet d'une province où un commissaire aux mariages a été renvoyé pour avoir refusé de célébrer un mariage homosexuel? Ce problème sera bientôt résolu. Un commissaire aux mariages exerçant des fonctions publiques laïques a refusé de contrevenir à ses croyances religieuses dans l'exercice de ses fonctions. J'espère que les lois provinciales et les tribunaux protégeront les personnes qui refusent de bonne foi de célébrer des mariages homosexuels en raison de leurs croyances religieuses. Cela est possible tant que les couples homosexuels qui souhaitent se marier auront accès à un commissaire aux mariages dans n'importe quelle province. Le 15 mars, l'Assemblée législative de l'Ontario a expressément adopté une telle mesure, le projet de loi 171. Aux termes du paragraphe 92(8), les provinces ont le droit, comme des sénateurs l'ont indiqué, d'investir des fonctionnaires ou des personnes désignées du pouvoir de célébrer des mariages. Ces personnes seront protégées si elles refusent de bonne foi de célébrer un mariage homosexuel en raison de leur conscience morale, tant que les provinces offriront des solutions de rechange appropriées et rendront accessible en pleine égalité la célébration du mariage homosexuel par d'autres fonctionnaires.

Permettez-moi d'invoquer un argument fondé sur l'égalité et la liberté de circulation et d'établissement dont personne n'a encore parlé aujourd'hui. Comme l'Association du Barreau canadien l'a judicieusement signalé, le fait de ne pas avoir une loi d'application générale en matière de mariage homosexuel au Canada empêche les couples mariés légalement dans une province qui autorise le mariage homosexuel de déménager dans une province où le mariage homosexuel n'est pas reconnu. Cela contrevient à la liberté de circulation et d'établissement et accroît l'incertitude quant à l'égalité des droits et des obligations des époux dans le cas où le mariage éclaterait ou qu'un des conjoints décéderait. Ces couples seraient appelés à refuser des possibilités d'emploi de manière à ne pas perdre les avantages dont ils jouissent en tant qu'époux mariés civilement. Cela est contraire à la lettre et à l'esprit de la Charte. La citoyenneté canadienne offre à tous la même protection et le même bénéfice de la loi.

L'argument le plus étrange de tous est celui de la « pente dangereuse » qui menacerait notre avenir. Selon cet argument, une loi sur le mariage civil donnerait lieu à des préjudices incalculables et à la destruction de la cellule familiale, pis encore, à la polygamie. De toute évidence, ceux qui brandissent cet argument n'ont pas lu le projet de loi, qui restreint la définition du « mariage civil » à « l'union légitime de deux personnes, à l'exclusion de toute autre personne ». Par ailleurs, la polygamie, la bigamie et l'inceste, qui ont déjà été trouvés acceptables en vertu de la loi naturelle dans certaines civilisations, mais pas dans la nôtre, continueront d'être des actes criminels qui ne contreviennent pas à la Charte.

J'ai une autre réflexion au sujet de la séparation de l'Église et de l'État. Nous avons remarqué que notre voisin du sud a adopté la doctrine de la séparation de l'Église et de l'État, alors que la doctrine religieuse devient plus profondément ancrée dans leur dialectique civique actuelle. Aussi, il est très bon de rappeler qu'en 1955, dans l'affaire Chaput c. Romain, que le sénateur Joyal a portée à notre attention, la Cour suprême du Canada propose une dialectique intéressante, mais différente quant à l'exercice de la liberté de religion et au rôle de l'État au Canada. Permettez-moi de citer le juge Taschereau :

Dans notre pays, il n'existe pas de religion d'État. Personne n'est tenu d'adhérer à une croyance quelconque. Toutes les religions sont sur un pied d'égalité, et tous les catholiques comme d'ailleurs tous les protestants, les juifs, ou les autres adhérents des diverses dénominations religieuses, ont la plus entière liberté de penser comme ils le désirent. La conscience de chacun est une affaire personnelle, et l'affaire de nul autre. Il serait désolant de penser qu'une majorité puisse imposer ses vues religieuses à une minorité. Ce serait une erreur fâcheuse de croire qu'on sert son pays ou sa religion en refusant à une minorité, dans une province, les mêmes droits que l'on revendique pour soi-même avec raison dans une autre province.

Je rappelle qu'il s'agit d'une décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1955, soit avant l'adoption de la Charte.

Par conséquent, s'il n'y a pas de religion d'État au Canada, la question concerne-t-elle le maintien d'une doctrine religieuse par l'État, ou le fait que cette doctrine religieuse porte atteinte au rôle de l'État en empêchant un traitement égal de tous les citoyens?

Enfin, que dire des répercussions de ce projet de loi sur le rôle du Canada dans le monde? Qu'est-ce que cela nous dit du Canada du XXIe siècle? Qu'en penseront nos voisins de partout dans le monde?

Comme les honorables sénateurs le savent sûrement, parce que je fais partie de l'OSCE, la plus importante organisation internationale vouée à la défense des droits démocratiques et des droits de la personne ainsi qu'à la sécurité et à la coopération, j'ai pu examiner directement, comme d'autres sénateurs, les diverses étapes de l'évolution des droits démocratiques et des droits de la personne dans un grand nombre d'États parmi les 55 qui sont membres de l'OSCE. J'ai voyagé et j'ai participé activement, avec d'autres parlementaires, à de nombreuses réunions dans différents États membres de l'Europe et de l'Asie où les êtres humains et les membres des minorités luttent quotidiennement pour surmonter les obstacles auxquels ils se heurtent et accéder ainsi au terrain fertile que constitue l'égalité, que ce soit à l'égard des races, des religions ou des sexes. Tous surveillent le Canada et espèrent qu'il donnera l'exemple en ce qui concerne les nouveaux droits et l'égalité au XXIe siècle.

Honorables sénateurs, je me suis convaincu moi-même d'appuyer le projet de loi et j'espère aussi avoir convaincu quelques membres hésitants de ma famille et aussi quelques membres de ma confession religieuse et beaucoup de mes amis hésitants.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, mais le temps dont vous disposiez est écoulé, sénateur Grafstein.

Le sénateur Grafstein : Je demande la permission de continuer.

Des voix : D'accord.

Le sénateur Grafstein : Je voudrais dire quelques mots au sujet de l'honorable sénateur Joyal, qui a consacré les 20 dernières années au leadership. Nous avons tous vu émerger ce leadership dans des discours éloquents à l'étape de la deuxième lecture et, aujourd'hui, dans ce débat en troisième lecture. Nous avons aussi été témoins de son brillant exposé et de son équité devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'ai lu la majeure partie de la transcription et tous trouveront sa prestation remarquable. Nous avons eu le privilège d'assister à une des plus belles illustrations de ce qu'est un « honorable sénateur ». Notre débat a permis d'insuffler une nouvelle vie à ces deux mots. Je crois que le débat ainsi que les travaux du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et de tous les honorables sénateurs passeront à l'histoire comme une des heures de gloire du Sénat. Nous devons beaucoup au sénateur Joyal. Tous les progrès se font par étape; trouvons ensemble l'étape suivante.

L'honorable Consiglio Di Nino : Puis-je poser une question à l'honorable sénateur?

Son Honneur le Président : Le sénateur Grafstein a obtenu du temps pour terminer son discours. Il faudrait qu'il demande du temps supplémentaire. Je ne pense pas qu'il y ait consentement unanime.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'interviens dans le débat en troisième lecture sur le projet de loi C-38. Il n'est pas nécessaire que je répète une fois de plus ma forte opposition à ce projet de loi qui se fonde sur l'interprétation que je fais de la loi du mariage que nous avons au Canada depuis 250 ans et sur mon interprétation de la Charte des droits. Je crois sincèrement qu'en arrivant à sa position sur le mariage homosexuel, le gouvernement s'est engagé dans une action de démolition et de vandalisme constitutionnels. Il n'est pas possible qu'après un examen sérieux des 250 dernières années d'existence de l'institution du mariage, un esprit juridique arrive à la conclusion que le mariage peut un jour inclure les homosexuels. Je rejette ces arguments de même que ceux qui ont été présentés par le sénateur Grafstein et d'autres aussi qui affirment que, parce que certains couples mariés n'ont pas d'enfants, d'une manière ou d'une autre cela invalide la loi sur le mariage. C'est l'argument le plus illégal que je n'ai jamais entendu de ma vie. C'est comme si on reniait 800 ans d'existence de la loi sur le mariage simplement parce que certains couples mariés n'ont jamais eu d'enfants. C'est de la foutaise. Des adultes, particulièrement des adultes qui prétendent être des avocats, devraient trouver de meilleurs arguments que cela. C'est carrément de la foutaise. Je n'ai jamais entendu de telles inepties de toute ma vie. Quel babillage sur les sentiments de celui-ci et de celle-là! Personne ici ne pense différemment de tous les autres au sujet de ses amis et de sa famille. Tous les sénateurs qui sont ici aiment tout autant leurs enfants et leurs amis homosexuels.

(2150)

Je rappelle au sénateur Smith que j'ai été vivement critiquée en 1979 et en 1980, lorsque je me suis présentée dans la circonscription de Rosedale, parce que j'appuyais trop les droits des homosexuels et les homosexuels à cette époque-là. Tout cela ne tient pas debout. Je ne crois pas que quiconque de ce côté-là est plus juste, plus équitable, plus aimable ou plus aimant que quiconque de ce côté-ci. Oublions cela.

L'Église et l'État — honorables sénateurs, je le répète, c'est de la foutaise. Au Canada, la séparation entre l'Église et l'État existe depuis longtemps. En fait, il n'y a jamais vraiment eu d'Église reconnue; il y a eu des projets en ce sens, mais cela ne s'est jamais produit. Non, sénateur Grafstein, les libéraux qui sont actuellement ici ne veulent pas séparer l'Église de l'État; ils veulent séparer les Canadiens de leurs religions. C'est là toute la différence.

Pour passer au point suivant, plus tôt aujourd'hui, je parlais des intérêts de Sa Majesté la reine Elizabeth II dans ce projet de loi. S'il s'agissait d'un projet de loi différent, je me serais attendu à ce que le sénateur Joyal demande au Président de veiller à ce que ce projet de loi soit accompagné du consentement royal. Ce projet de loi concerne les prérogatives de Sa Majesté car, dans notre pays, un mariage est célébré en vertu du droit de la prérogative, de lex prerogativa.

Je le répète, tous les mariages sont à la fois civils et religieux. Le concept civil exprimé dans le projet de loiC-38 est frauduleux car, ce qui est intéressant au sujet de la Constitution du Canada, c'est que le gouverneur en chef — le premier et aussi le Gouverneur général en 1867 — appartenait aux deux autorités, la civile et l'ecclésiastique. Ne nous leurrons pas à ce sujet.

Je ne comprends tout simplement pas pourquoi le gouvernement n'a pas pu agir conformément aux lois du pays au sujet de ce projet de loi. Si nous sommes fiers de dire que notre système est un joyau du constitutionnalisme britannique et du constitutionnalisme international, pourquoi n'agissons-nous pas en conséquence? Si vous l'aviez fait, je vous aurais appuyé. Or, je ne vais pas vous appuyer, car je fais quelque chose que beaucoup de gens ne font plus — de la lecture.

Honorables sénateurs, j'aimerais maintenant parler de mes objections sérieuses relativement à la présentation et à l'étude de ce projet de loi. Les intérêts de Sa Majesté ont été ignorés. La loi de la prérogative a été ignorée. Et j'aimerais maintenant parler des intérêts du Parlement concernant ce projet de loi. C'est à titre de parlementaire que je m'exprime, et c'est un grand privilège d'être ici.

Honorables sénateurs, j'ai été navrée au départ de voir le gouvernement de ce pays, par la voix du procureur général, faire un renvoi à la Cour suprême sur un avant-projet de loi en se servant d'un article particulier de la Loi sur la Cour suprême qui lui donne ce pouvoir. Le concept d'avant-projet de loi n'existe pas sur le plan constitutionnel. En employant l'expression « avant-projet de loi », on cherche à tromper les gens.

Honorables sénateurs, selon le dictionnaire parlementaire d'Abraham et Hawtrey :

Un projet de loi est la version préliminaire d'une loi présentée à l'une ou l'autre des Chambres du Parlement par un député ou un sénateur.

Or, un juge n'est ni député, ni sénateur. En outre, j'aimerais citer l'encyclopédie du Parlement de Wilding et Laundy :

Un projet de loi est une loi à l'état préliminaire.

Un projet de loi ne peut pas voir le jour à la Cour suprême du Canada. Il doit être présenté à l'une des deux Chambres. Ne nous méprenons pas. Un projet de loi est la version préliminaire d'une loi, et il est donc insensé de parler de la version d'avant la version préliminaire d'une loi.

Jusque dans le choix des mots, on s'est efforcé d'induire les gens en erreur. En fait, un projet de loi est une requête faite à Sa Majesté pour qu'elle proclame une loi conforme au projet en question. En soumettant le projet de loi à Sa Majesté, on lui demande de proclamer la loi telle qu'elle est rédigée dans le projet de loi. Lorsque les projets de loi sont nés, au début de l'histoire parlementaire, c'était des requêtes adressées au roi, et celui-ci, en retour, rédigeait une loi. Au fil du temps, les lois promulguées se sont mises à ressembler de plus en plus aux projets de loi.

Dans tout ce débat, je n'ai entendu personne citer une autorité parlementaire. Nous constituons une Chambre du Parlement, mais nous ne citons jamais d'autorités parlementaires. Nous citons la Cour suprême, nous citons un juge à propos des droits et nous citons des tas d'autres gens, mais nous ne pouvons pas citer une seule autorité parlementaire, ni aucun grand parlementaire ayant marqué l'histoire du Canada ou du Royaume-Uni, à l'appui de nos arguments. Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.

Je remarque aussi, dans les décisions du Président, qu'il n'a pas cité une seule autorité parlementaire. Erskine May et Beauchesne ne sont pas des autorités parlementaires. Ce sont des ouvrages de référence. Les autorités parlementaires sont les vraies autorités, les parlementaires et les précédents établis dans les deux Chambres.

Dans la détresse que j'ai ressentie lorsque le gouvernement a fait ce renvoi à la Cour, j'étais fermement convaincue, comme je l'ai dit et répété à maintes et maintes reprises, que les tribunaux n'ont rien à voir dans les délibérations du Parlement. En vertu de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, nous avons des droits, des pouvoirs et des responsabilités à titre de membres du Sénat et de la Chambre des communes. Ces droits, pouvoirs et responsabilités comprennent le droit de produire, de déposer et de débattre des motions et des projets de loi.

Cela est important pour le bon fonctionnement du Parlement, y compris les mesures prises par Sa Majesté la Reine, car, comme je l'ai déjà dit, les projets de loi sont des pétitions d'une Chambre du Parlement à l'autre demandant à Sa Majesté d'édicter la mesure législative proposée. Honorables sénateurs, je crois qu'en vertu de l'article 18, le dépôt, l'examen et l'approbation des projets de loi constituent sans doute les plus importantes des délibérations parlementaires, qu'en vertu de l'AANB, la Cour suprême du Canada n'a absolument aucun rôle à jouer dans les délibérations du Parlement, et qu'on lui a attribué un tel rôle en lui demandant de répondre à des questions concernant cette créature inconnue qu'on appelle un avant-projet de loi.

Certains honorables sénateurs n'ont peut-être pas pensé à cela. D'autres y ont peut-être pensé sans y attacher d'importance. Je voudrais vous affirmer que j'y ai pensé et que non seulement j'y attache de l'importance, mais je soutiens que c'est très répréhensible. Toute la procédure suivie dans le cas du projet de loi C-38 a eu tendance à saper le rôle du Parlement.

Honorables sénateurs, le rôle du Sénat est compromis quand tous les journaux et tous les journalistes disent depuis plusieurs jours que le Parlement est ajourné alors que le Sénat siège encore. Notre position est particulièrement affaiblie à cause de tout cela.

Honorables sénateurs, vous savez bien sûr que je pense très sérieusement — surtout après ce qu'a dit l'ancien premier ministre libéral Pierre Elliott Trudeau du rôle de la Cour suprême dans le renvoi de 1980 — que cette question n'aurait jamais dû être renvoyée à la Cour.

(2200)

Pour l'honneur des autorités parlementaires, je pensais que nous devions trouver des autorités parlementaires qui ont abordé la question des relations appropriées qui doivent exister entre les tribunaux et le Parlement. Je voudrais rappeler aux honorables sénateurs que si nous examinons l'AANB, nous découvrirons qu'il n'existe pas de pouvoir judiciaire. La Constitution canadienne diffère de celle des États-Unis. Au Canada, il n'y a pas de pouvoir judiciaire parce que notre régime n'est pas axé sur la séparation des pouvoirs. Les ministres responsables sont investis de pouvoirs. La partie VII de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique s'intitule « Judicature », parce que, en quelque sorte, il n'y pas de pouvoir judiciaire.

Des positions ont clairement été prises au Canada quant à la nature de la relation entre les tribunaux et les Chambres du Parlement, particulièrement lors de l'établissement d'un gouvernement responsable, surtout en Ontario. Je tiens à citer certaines des plus grandes sommités de tous les temps qui étaient des parlementaires et qui étaient extrêmement articulés.

Je commence avec sir Robert Peel, qui a été premier ministre de Grande-Bretagne. Le 15 mars 1843, à la Chambre des communes, il a dit ce qui suit au sujet de la relation appropriée entre les tribunaux et le Parlement :

... la Constitution nous donne un pouvoir de contrôle sur les tribunaux. Les fonctions que nous pouvons avoir à remplir à cet égard, et dont nous avons le droit de nous acquitter, doivent naturellement faire l'envie des tribunaux.

Honorables sénateurs, il n'y a pas de dialogue entre les tribunaux et le Parlement, comme le prétend le gouvernement. C'est de la foutaise. Selon la législation du Parlement, les pouvoirs parlementaires ont toujours été jalousement conservés. Nous respectons les tribunaux et ils nous respectent, et nous ne nous immisçons pas dans nos domaines respectifs. Cette idée de dialogue est une nouveauté. La Charte des droits et libertés n'a pas modifié le rôle du Parlement du Canada à l'égard des affaires qui concernent le pays.

Je passe rapidement à un autre penseur éloquent et articulé qui était lui aussi parlementaire, Edmund Burke. Je lis un extrait d'un ouvrage de William Hearn, intitulé The Government of England. Voici :

« J'ai toujours compris », a dit M. Burke à la Chambre des communes, « qu'une supervision des doctrines et des procédures des tribunaux était un des principaux objets de la constitution de cette Chambre; qu'il faut à la fois surveiller l'avocat et le droit [...] nous n'avons pas d'opinions préconçues que, par entêtement et par un sens mal placé de l'honneur, nous nous croyons obligés de soutenir en toute circonstance — pour que, avec un esprit parfaitement dégagé, nous puissions présider à l'application de la justice nationale...

Selon moi, le Parlement du Canada n'a pas exercé sa surveillance sur l'application de la justice nationale, puisque nous avons dans le projet de loi C-38 un préambule qui nous subordonne aux tribunaux. On nous répète constamment que les tribunaux disent ceci ou cela, qu'ils nous disent que nous devons faire ceci ou cela. Je me suis opposée avec force au projet de loi C-20, la loi sur la clarté. Je me suis insurgée contre le titre de cette loi : « Loi donnant effet à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême du Canada dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec ».

Son Honneur le Président : Sénateur Cools, je suis désolé de vous interrompre, mais je dois vous informer que votre temps de parole est terminé. Demandez-vous la permission de poursuivre?

Le sénateur Cools : Je souhaiterais avoir quelques minutes encore pour donner quelques citations.

Le sénateur Stratton : Nous allons accepter une prolongation de cinq minutes.

Le sénateur Cools : Merci, honorables sénateurs.

Permettez-moi de vous lire une citation extraite de la biographie d'Edmund Burke signée par le révérend Robert H. Murray. À propos de l'importance et de la vitalité de la Chambre des communes, Edmund Burke a dit :

La vertu, l'esprit, l'essence de la Chambre des communes, c'est d'être le reflet des opinions de la nation. Elle n'a pas été créée

pour contrôler la population, ainsi que l'enseigne depuis peu une doctrine qui traduit la plus pernicieuse tendance. Elle a été conçue comme un moyen de contrôle à la disposition de la population.

Il poursuit en ces termes :

Un regard vigilant et jaloux qui surveille l'exécutif et le judiciaire; un protecteur attentif des deniers publics; une institution ouverte qui permet la présentation des plaintes du public; voilà autant de caractéristiques authentiques de la Chambre des communes.

Honorables sénateurs, je crois vraiment en ce système. Cela tient peut-être au fait que j'ai grandi dans une colonie britannique. J'ai écouté tous ceux qui ont pris la parole il y a quelques heures et qui ont demandé comment on se sentait lorsqu'on est gai. Comment se sent-on lorsqu'on est ceci ou cela ou à peu près n'importe quoi? Tous ont leurs douleurs. Honorables sénateurs, je suis la première Noire sénateur en Amérique du Nord. Personne ne m'a jamais demandé quelle impression cela me donnait d'être depuis si longtemps la seule personne de race noire dans cette enceinte. Mais cela n'est pas important, à mes yeux, car c'est un insigne honneur de siéger au Sénat. À mon avis, toutes les autres questions sont moins importantes et secondaires.

Honorables sénateurs, toute ma vie, j'ai été la seule personne de race noire ici et là. C'est un fait : les être humains souffrent, les homosexuels souffrent, les gauchers souffrent, les gens brillants souffrent, les jolies filles souffrent, les filles moches souffrent, les petits hommes souffrent, les grands hommes souffrent. Nous devons comprendre qu'il y a certains aspects de la vie où il faut être indulgent. De même, nous devons comprendre qu'il y a certains aspects de la vie où la condition humaine est faible.

Honorables sénateurs, j'aimerais terminer en citant un autre illustre parlementaire du Haut-Canada, William Lyon Mackenzie. Dans une adresse à Sa Majesté, reprise par Margaret Fairley dans son livre The Selected Writings of William Mackenzie 1824-1837, il a déclaré :

... car il n'existe pas actuellement, et n'a jamais existé non plus dans la province, de véritable obstacle constitutionnel à la propension naturelle des hommes en possession du pouvoir à promouvoir leurs propres idées et intérêts partiaux au détriment des intérêts de la grande masse de la population.

William Lyon Mackenzie était maire de Toronto et également membre de l'assemblée législative.

Le sénateur Smith : Une divagation contre Sa Majesté.

Le sénateur Cools : C'est possible, mais ce dont il est question, c'est de ses déclarations à propos du Pacte de famille et du rôle des juges.

En terminant, j'aimerais citer un juge qui maintient...

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Cools : Bon nombre de juges, honorables sénateurs, ont maintenu...

Une voix : Seulement ceux qui partagent votre point de vue.

Le sénateur Cools : Non, je n'ai pas besoin que qui que se soit partage mon point de vue.

Son Honneur le Président : À l'ordre, s'il vous plaît. Il ne reste que quelques secondes au sénateur Cools.

Le sénateur Cools : Bon nombre de juges ont expliqué à maintes reprises la nature de la relation appropriée entre les tribunaux et le Parlement. Je les cite de temps à autre. Je cite tous ceux qui font respecter les droits du Parlement et les bonnes relations constitutionnelles, l'adhésion constitutionnelle déférente, l'équilibre constitutionnel et la nature de la Constitution.

(2210)

Lord Fletcher Moulton a écrit ce qui suit dans la décision de la Cour d'appel du Royaume-Uni rendue en 1912 dans l'affaire Scott c. Scott :

Nous demandons et obtenons obéissance et respect pour notre fonction, parce que nous ne sommes rien d'autre que les agents nommés pour veiller à ce que chaque personne s'acquitte de ses obligations. Cette obéissance et ce respect doivent cesser si, ne tenant pas compte de la différence entre les fonctions législatives et judiciaires, nous essayons de créer des obligations et de les imposer à des personnes qui refusent de les accepter et qui n'ont rien fait qui puisse rendre ces obligations exécutoires à leur endroit contre leur volonté.

Il poursuit en disant :

Les tribunaux sont les gardiens des libertés du public et devraient être un rempart contre toutes les atteintes à ces libertés, d'où qu'elles puissent venir. Il leur incombe d'être vigilants. Mais ils doivent l'être doublement à l'égard des empiétements venant des tribunaux eux-mêmes. Dans ce cas, c'est sur leurs propres actes qu'ils doivent se prononcer et contre eux-mêmes qu'ils doivent protéger le public.

Son Honneur le Président : Je regrette de vous interrompre, sénateur Cools, mais votre temps de parole est écoulé.

L'honorable Lorna Milne : Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole ce soir pour appuyer le projet de loi C-38 à l'étape de la troisième lecture. Tout au long de ma carrière au Sénat, j'ai appuyé sans réserve les droits des minorités. Cette responsabilité fait non seulement partie du mandat du Sénat, mais elle est profondément ancrée dans notre culture et elle constitue un élément clé de ce qui rend cette assemblée si spéciale et si importante pour la société canadienne.

Honorables sénateurs, ce fut véritablement une révélation que d'assister aux audiences du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles la semaine dernière. Je veux aussi mentionner que madame le sénateur Bacon a fait un travail extraordinaire pour ce qui est de concilier les divers intérêts relativement à cette question. Elle a dirigé des audiences bien équilibrées qui illustrent le genre de travail que nous accomplissons au Sénat. Notre collègue mérite des félicitations.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Milne : Honorables sénateurs, à la suite de cette semaine d'audiences, je n'ai pas changé d'avis sur cette question, et je ne m'attendais pas à le faire. Ce qui me surprend véritablement c'est de voir à quel point mon appui à ce projet de loi est plus fort après les audiences qu'il ne l'était avant celles-ci. Il n'y a aucun doute que les positions des différents témoins entendus la semaine dernière étaient rigides et diamétralement opposées.

Il y a dix raisons qui font que ma position se trouve renforcée à la suite des audiences. La première, c'est le cardinal Ouellet, primat de l'Église catholique romaine au Canada, qui me l'a donnée lorsqu'il a expliqué comment l'Église catholique allait traiter les baptêmes après l'adoption du projet de loi. Il a déclaré que l'Église...

[Français]

Nous ne pouvons accepter les signatures de deux pères ou deux mères comme parents d'un enfant.

[Traduction]

Il nous a certainement laissé à tous la nette impression qu'il refuserait de baptiser l'enfant d'un couple marié gai.

Honorables sénateurs, j'ai toujours pensé que l'on apprenait aux chrétiens à accepter tout enfant, quelles que soient les circonstances. Je propose très humblement que le cardinal Ouellet se penche à nouveau sur le verset 16 du chapitre 18 de l'Évangile selon saint Luc, où on peut lire ceci :

Et Jésus les appela, et dit : Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les en empêchez pas; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Milne : En deuxième lieu, j'ai été confortée dans ma position par l'argument de l'ancien sous-ministre des Finances et ancien chef de cabinet du premier ministre Mulroney, Stanley Hartt, pour qui tout ce débat :

...est tenu pour des raisons d'ordre politique, de manière à ce que son issue soit un sujet de satisfaction pour la population.

— comme s'il n'était pas du tout question de droits dans ce débat.

Les troisième et quatrième commentaires qui ont renforcé ma position ont été formulés par Phillip Horgan, président de la Ligue catholique des droits de l'homme. En réponse à une question du sénateur Rivest, il a déclaré que tout catholique remettant en cause les croyances de l'Église par rapport au mariage homosexuel n'était pas un vrai catholique. Il estime apparemment que les catholiques canadiens ne devraient pas parler pour eux-mêmes.

Ce qui est encore plus scandaleux, c'est l'idée que le gouvernement devrait se mêler de choisir les gagnants et les perdants des débats sur les questions religieuses. J'ai posé la question suivante à M. Horgan :

Je pense que nous avons établi précédemment que le gouvernement n'a pas à choisir un groupe religieux plutôt qu'un autre, car la Charte offre une protection contre cela, n'est-ce pas?

M. Horgan a rapidement répliqué :

Je n'ai pas dit que j'étais d'accord, madame le sénateur.

Je me demande, honorables sénateurs, ce qu'il adviendra du concept de la liberté de religion si le gouvernement se met à déterminer les gagnants et les perdants religieux?

Mme Diz Dichmont, ancienne commissaire aux mariages de Terre-Neuve, m'a fourni une autre raison d'appuyer les droits des minorités dans ce débat. Elle a fait valoir ceci :

J'ai des frissons; il me semble qu'à bien des égards nous commençons à régresser au lieu de progresser dans ce pays, étant donné que nous modifions nos mœurs et même nos lois pour répondre aux pressions des minorités [...] Essayons-nous d'être à l'avant-garde ou sommes-nous, en fait, rétrogrades?

En adoptant ce projet de loi, nous sommes avant-gardistes. Chaque fois que nous agissons comme des leaders dans cette enceinte et que nous offrons aux Canadiens une société plus inclusive, nous sommes d'avant-garde. Honorables sénateurs, cela me réchauffe le cœur et ne me donne aucun frisson.

Mme Ditchmont a fait une autre déclaration qui m'a déconcertée. Elle a affirmé :

L'activisme gai a pris naissance en Allemagne sous le régime d'Hitler et sur la scène disco. Il a augmenté en intensité et même en violence au fil des ans...

Les questions horribles que soulève cette citation sont presque innombrables. Je peux vous garantir que quiconque croit que le mouvement gai qui appuie le projet de loi est violent n'a jamais assisté à la parade de la fierté gaie au centre-ville de Toronto. On pourrait soutenir que les participants sont trop joyeux, trop enthousiastes, trop colorés, mais violents? Je ne le pense pas.

Je tiens à dire clairement que la véritable violence à l'endroit des homosexuels dans les années 1930 et 1940 est apparue lorsque Hitler a résolu d'exterminer tous les homosexuels lors de sa tentative de génocide des juifs, des Tziganes et d'autres groupes. Ne nous y trompons pas, les homosexuels sont loin d'être des auteurs de violence, ils en sont les victimes depuis des siècles.

La septième raison qui a ancré mon appui à ce projet de loi, c'est le témoignage de Mme Gwendolyn Landolt, présidente de REAL Women of Canada, devant le comité. Selon elle, premièrement, il y a davantage de problèmes de santé mentale au sein de la communauté homosexuelle; deuxièmement, les homosexuels ont une espérance de vie beaucoup plus courte en raison de leur mode de vie; troisièmement, des parents du même sexe ont une influence sur l'orientation sexuelle des enfants; quatrièmement, l'orientation sexuelle n'est qu'une caractéristique du comportement humain; cinquièmement, le projet de loi C-38 donnera lieu à une baisse du taux de natalité au Canada et sixièmement, moins de 2 p. 100 des homosexuels sont monogames.

Honorables sénateurs, si vous remplacez le mot « homosexuel » ou « orientation sexuelle » par le mot « femme » dans chacun de ces cas, vous taxeriez sans doute la personne qui l'utilise de misogynie. Je laisse à d'autres le soin de tirer des conclusions quant à l'étiquette que j'accolerais à Mme Landolt.

Les huitième, neuvième et dixième raisons m'ont été données par le témoignage ampoulé — pour ne pas dire narcissique — d'un professeur du collège Augustine, M. John Patrick. Selon lui, en adoptant ce projet de loi, nous allons :

...permettre des modes de vie qui causent des préjudices gratuits à autrui.

Il a ensuite tenté de fournir une liste des problèmes physiques associés à l'homosexualité.

(2220)

Honorables sénateurs, toutes les grandes revues de médecine et de psychiatrie canadiennes, européennes et américaines ont depuis longtemps cessé de croire que les activités homosexuelles sont une maladie ou qu'elles peuvent mener à une grave maladie.

Le professeur Patrick a dit croire que le système canadien d'éducation était déficient et que nous, pauvres sénateurs, ne serions probablement pas en mesure de comprendre certains de ses propos. Il a également affirmé que le Canada était actuellement gouverné par des barbares et il a dit attendre avec impatience l'arrivée d'une certaine révolution éclairée, comme ce qui s'est produit à la fin du bas Moyen Âge.

Honorables sénateurs, si notre gouvernement est primitif et si le Parti libéral, qui a mis sur pied le filet de sécurité sociale, présenté ce budget équilibré et produit des chefs comme Laurier, Pearson, Trudeau et Chrétien, est un gouvernement barbare, il ne me reste qu'une chose à dire : Qu'on amène les hordes!

La dixième raison, qui est également la plus importante, qui explique pourquoi j'appuie la présente mesure, se trouve également dans les propos du professeur Patrick, qui a laissé entendre que ceux qui appuient le projet de loi C-38 :

...ne basent leur prétention au droit des homosexuels de modifier la signification du mot « mariage » sur aucun fondement intellectuel tangible. Ils se contentent d'invoquer la Charte. La Charte n'est qu'un document. Quels sont les vrais arguments?

Un document, un simple document. Vous vous rendez compte.

Une voix : Quelle honte!

Le sénateur Milne : J'interviens donc ici en cette enceinte pour défendre ce que je crois être l'un des documents les plus importants de toute l'histoire du Canada. C'est la Charte qui nous protège tous et qui nous garantit la liberté fondamentale de vivre, de jouer et de prier comme bon nous semble dans une société libre et démocratique. C'est la même Charte qui protège maintenant les droits de tous nos témoins, même ceux avec lesquels je ne suis pas d'accord, de prendre la parole pour défendre leur position tant dans la rue qu'ici au Sénat. C'est une Charte qui est imprégnée des valeurs que la société canadienne et toutes les sociétés occidentales mettent au point depuis des centaines d'années.

M. Patrick a demandé où était l'argument. Je vais lui répondre. Il peut le trouver dans les oeuvres de Locke, Hobbes, Rousseau et Voltaire. Il peut le trouver dans celle de Trudeau et Chrétien, qui ont concocté ce bout de papier; et, effectivement, il peut le trouver parmi les sénateurs ici présents, comme le sénateur Joyal et le sénateur Austin, qui ont travaillé sur la Charte au comité mixte spécial.

Honorables sénateurs, je suis fière d'affirmer que je me lèverai pour appuyer le projet de loi C-38. C'est une question de dignité et de droits de la personne. Notre Charte exige de chacun d'entre nous de traiter tout le monde de la même façon et c'est exactement ce que j'ai l'intention de faire.

Des voix : Bravo!

L'honorable Terry Stratton (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, comme je l'ai déjà dit, chaque fois que je regarde le projet de loi, je me demande si nous en avons vraiment besoin. C'est là la question que je me suis posée à propos du projet de loi C-38.

[Français]

Afin d'y répondre, j'ai dû examiner attentivement le projet de loi et les faits qui l'entourent.

[Traduction]

Comme nous le savons tous, la situation juridique est la suivante : les tribunaux dans huit provinces et deux territoires ont déterminé que le fait de limiter le mariage aux hétérosexuels constitue une violation de la section de la Charte portant sur l'égalité des droits. Ces arrêts touchent environ 90 p. 100 de la population canadienne, ce qui veut dire que le mariage homosexuel est déjà légal pour 90 p. 100 des Canadiens.

Même sans le projet de loi C-38, la situation serait inchangée dans les provinces et territoires où les tribunaux ont rendu leur décision, et il semble que les autres provinces et territoires suivront bientôt la tendance. Pourquoi? Parce que la Cour suprême du Canada n'a eu l'occasion d'entendre un appel dans aucun de ces cas. Le gouvernement fédéral a décidé que le mariage homosexuel était la voie de l'avenir et a refusé d'interjeter appel des décisions des tribunaux provinciaux.

Quand la Cour suprême a eu l'occasion de se prononcer sur le caractère constitutionnel du mariage homosexuel, elle a refusé de le faire. Elle a préféré renvoyer la question au Parlement, ayant reconnu le choix politique clair du gouvernement libéral. Elle s'est retenue de faire part de sa décision, qui aurait probablement été de dire que la définition du mariage en tant qu'institution hétérosexuelle était effectivement constitutionnelle. Stanley Hartt a été très clair à ce sujet.

Par conséquent, comme l'a mentionné le ministre de la Justice Irwin Cotler au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, même si nous décidions de laisser tomber le projet de loi C-38, les lois existantes seraient toujours en vigueur :

Le mariage homosexuel serait toujours légal, du moins dans huit provinces et un territoire, et nous avons entendu dire que ce sera également bientôt le cas dans le reste du pays.

Il faut donc en conclure que, très bientôt, plus aucune barrière juridique n'empêchera deux personnes de même sexe de se marier au Canada. Ce projet de loi n'est pas nécessaire pour permettre le mariage homosexuel au Canada, puisque celui-ci existe déjà.

Cependant, je dois me poser une autre question à propos de ce projet de loi, et plus précisément au sujet de son deuxième objectif, à savoir la protection de la liberté de religion au Canada. Le ministre a souligné cet objectif lorsqu'il a dit au comité ce qui suit :

[...] ce projet de loi contient une disposition qui s'y trouve à titre d'assurance supplémentaire que la liberté de religion et de conscience déjà prévue à l'article 2 (a) de la Charte canadienne des droits et libertés sera effectivement protégée.

Malheureusement, cette disposition pose problème, puisqu'elle tombe hors du champ des compétences fédérales. La Cour suprême l'a dit clairement dans le Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, où l'on peut lire le passage suivant :

[...] seules les provinces peuvent édicter des exemptions aux règles en vigueur en matière de célébration, car de telles exemptions se rapportent nécessairement à la « célébration du mariage » visée au par. 92(12). L'article 2 de la Loi proposée [...]

— qui, honorables sénateurs, est l'équivalent de l'article 3 du projet de loi C-38 —

[...] ne relève donc pas de la compétence du Parlement.

Cette disposition n'a aucun effet si elle est adoptée par le Parlement parce que la célébration du mariage relève des provinces. La Cour suprême a indiqué que, bien que la Charte protège les autorités religieuses, les provinces doivent harmoniser leurs lois en conséquence pour confirmer cette protection. Voici précisément ce que dit la Cour suprême dans le renvoi :

Nous soulignons qu'il reviendrait aux provinces, dans l'exercice de leur pouvoir relatif à la célébration du mariage, de protéger les droits des autorités religieuses en légiférant relativement à la célébration des mariages entre personnes du même sexe. Il faut aussi signaler que les codes en matière de droits de la personne doivent être interprétés et appliqués dans le respect de la vaste protection accordée par la Charte à la liberté de religion.

Le projet de loi C-38 n'est pas nécessaire pour garantir l'existence du mariage entre personnes de même sexe au Canada parce que, comme je l'ai dit, cela existe déjà. Il n'est pas nécessaire non plus pour offrir des protections en matière religieuse, parce que ces protections sont censées être fournies par la Charte et les provinces.

Malheureusement, nous nous heurtons ici à un autre problème. La liberté de religion n'est pas assurée par la Charte ou les provinces. Selon un article paru dans le Globe and Mail du 19 juillet 2005 dont d'autres ont déjà parlé, un commissaire aux mariages de la Saskatchewan, Orville Nichols, s'attend à être le premier Canadien à être congédié pour avoir refusé de marier un couple d'homosexuels.

L'article du Globe and Mail mentionne ceci :

[...] marier des personnes de même sexe va à l'encontre de ses croyances religieuses et personnelles. À la fin de l'an dernier, le ministre de la Justice de la Saskatchewan, Frank Quennell, a dit clairement que les fonctionnaires de sa province ne pourront pas refuser de le faire.

La liberté de religion de M. Nichols n'est pas protégée. Il n'est pas le premier commissaire aux mariages à avoir eu des problèmes avec les autorités provinciales. Certains ont déjà remis leur démission pour des problèmes semblables au Manitoba, à Terre-Neuve et, maintenant, probablement aussi en Saskatchewan.

Comme on l'a déjà mentionné, dans une autre affaire, les Chevaliers de Colomb, une organisation d'hommes catholiques, ont annulé un marché conclu avec un couple de lesbiennes lorsqu'ils ont découvert que le couple entendait célébrer dans leur salle un mariage entre personnes de même sexe. Le couple a porté plainte contre les Chevaliers de Colomb auprès de la Commission des droits de la personne de la Colombie-Britannique qui n'a pas encore rendu sa décision. Des plaintes ont aussi été déposées auprès de la Commission des droits de la personne de l'Alberta, relativement aux déclarations que l'évêque catholique Fred Henry a faites contre le mariage entre personnes de même sexe.

Le ministre de la Justice, Irwin Cotler, a reconnu que c'est aux provinces, et non pas au gouvernement fédéral, qu'il incombe de protéger la liberté de religion lorsqu'il est question des mariages.

(2230)

Comme l'a dit le ministre devant le comité :

Nous ne pouvons légiférer, en qualité de gouvernement fédéral, à propos de questions qui relèvent de la compétence des provinces qui sont liées à la célébration du mariage, mais la législation relevant de la compétence des provinces est assujettie à la Charte des droits et libertés, qui s'applique à la fois aux législateurs fédéraux, provinciaux et territoriaux.

Il semble que tout ce que nous pouvons faire, c'est de demander et d'espérer que les provinces fassent ce que doit. C'est précisément ce que le ministre fédéral de la Justice a fait. Le Globe and Mail écrit que le ministre :

[...] a appelé ses homologues dans les provinces et les territoires à prendre des dispositions relativement aux fonctionnaires municipaux qui ne veulent pas célébrer un mariage entre personnes du même sexe.

C'est triste à dire, mais son appel, dans les faits, n'a connu qu'un succès limité. Une chose est claire : le projet de loi C-38 ne protège en rien la liberté religieuse au Canada.

[Français]

Nous n'avons pas besoin du projet de loi C-38. J'irai même jusqu'à dire que ce texte législatif a eu des effets néfastes.

[Traduction]

Le débat entourant le projet de loi C-38 a provoqué des dissensions extrêmement graves. Il n'est pas clair du tout que les Canadiens veuillent changer la définition du mariage. Ils n'ont pas tardé à transmettre des opinions à ce sujet à mon bureau, qui a été inondé d'appels téléphoniques, de télécopies, de courriels et de lettres venant de personnes m'exhortant à prendre position contre le projet de loi.

Les séances du comité à l'autre endroit ont été extrêmement acrimonieuses et, là aussi, elles ont occasionnellement dégénéré en insultes. Malgré une opposition claire et des appels lui demandant de ralentir l'étude de la mesure législative, le gouvernement a, avec entêtement, fait franchir au projet de loi C-38 les étapes du processus législatif. La clôture a été invoquée à quatre reprises dans le cas de ce projet de loi — à l'étape du rapport et à celle de la troisième lecture à l'autre endroit, à la deuxième lecture ici, puis voici que le gouvernement, à la troisième lecture, a exprimé son intention de le faire à nouveau. Ce comportement sape le processus démocratique et la légitimité du Parlement.

Je suis d'avis que les Canadiens et le Parlement ont été forcés sans aucune raison valable de tenir ce vilain débat. Des solutions de rechange comme les unions civiles ont été rejetées du revers de la main, rejet qui a même été inscrit dans le projet de loi, puisqu'on peut lire dans le préambule :

Attendu [...] que seule l'égalité d'accès au mariage civil respecterait le droit des couples de même sexe à l'égalité sans discrimination, et que l'union civile, à titre de solution de rechange à l'institution du mariage, serait inadéquate à cet égard et porterait atteinte à leur dignité, en violation de la Charte canadienne des droits et libertés;

Le fait est que le renvoi à la Cour suprême ne traitait même pas de la question d'instituer des unions civiles comme solution distincte, mais équitable. D'ailleurs, il y a fort à parier que la cour jugerait cela inconstitutionnel. Stanley Hartt l'a souligné dans son article maintenant bien connu paru dans le magazine MacLean's sous le titre « L'art libéral des faux-fuyants » :

Si le Canada devait adopter un régime d'union civile pour les homosexuels, il est pratiquement certain que cela serait jugé conforme à la Constitution, sans que les gouvernements n'aient à recourir à la disposition de dérogation de la Charte des droits et libertés.

La vérité, c'est que le mariage homosexuel n'est reconnu que dans trois autres pays — la Belgique, les Pays-Bas et l'Espagne. Deux de ces pays — la Belgique et les Pays-Bas — ont des restrictions relatives à l'adoption. Par ailleurs, les unions homosexuelles civiles, les partenariats domestiques et civils sont davantage monnaie courante dans le monde entier.

Fait à remarquer, l'euthanasie est légale en Belgique et dans les Pays-Bas, deux des pays qui reconnaissent le mariage homosexuel.

Le sénateur St. Germain : C'est la prochaine étape. C'est une pente glissante.

Le sénateur Stratton : La question vient automatiquement à l'esprit. Est-ce la prochaine étape? C'est une question logique.

Laissez-moi continuer en vous donnant la liste d'exemples de solutions de rechange à la modification de mariage choisies par d'autres pays, comme je l'ai dit plus tôt. Le Danemark a créé le concept de partenariat enregistré qui ne s'adresse qu'aux couples homosexuels. Il n'autorise pas l'adoption, sauf si les enfants sont ceux d'un des deux conjoints. L'Allemagne a adopté une loi sur le partenariat à vie qui prévoit une partie seulement des droits et responsabilités du mariage. La France s'est dotée d'un Pacte civil de solidarité, qui comprend une partie des droits et responsabilités du mariage. La Nouvelle-Zélande a jugé que la définition du mariage comme étant l'union de partenaires de sexe opposé était constitutionnelle. Elle prévoit un régime d'union civile comportant une partie seulement des droits et responsabilités du mariage. L'État de la Californie a un système de partenariat domestique qui offre certains avantages accordés par les États, mais non des avantages fédéraux. Le gouvernement fédéral de l'Australie a carrément interdit le mariage homosexuel, tout en autorisant les unions civiles au niveau territorial et à celui des États. À l'heure actuelle, les unions civiles sont permises dans toutes les provinces sauf deux.

Honorables sénateurs, le gouvernement libéral fait abstraction de l'expérience de pays comme ceux-là. Intervenant lourdement par voie législative et agissant non sans paternalisme, il a décidé qu'aucune de ces solutions ne convenait au Canada.

Dès 2003, l'année même où il a présenté à la Cour suprême du Canada les trois questions initiales sur un avant-projet de loi au sujet du mariage homosexuel, le gouvernement libéral a défendu la définition traditionnelle du mariage devant la Cour d'appel de l'Ontario. Pour quelque raison, il s'est ravisé, et voici que les libéraux de Paul Martin ont décidé de s'engager dans une voie qui sèmera la dissension.

[Français]

Il n'était pas nécessaire de créer ces divisions, parce que ce projet de loi n'était pas nécessaire.

L'honorable Marcel Prud'homme : Honorables sénateurs, je pense que je peux dire ouvertement que j'ai considéré, dès le début, que ce projet de loi — et je commence là où a terminé le sénateur Stratton — n'était pas nécessaire.

En second lieu, je veux remercier la présidente du comité, comme d'autres l'ont fait, pour sa grande patience. Ceux qui connaissent madame le sénateur Bacon savent qu'on ne peut pas lui dicter sa conduite lorsqu'elle préside. J'ai fait l'expérience humaine extraordinaire d'assister à 28 heures d'audiences, sans interruption — comme elle d'ailleurs, puisqu'elle les présidait. Je dois vous dire qu'on en a entendu de toutes les couleurs, et c'est ce qu'il y a de choquant lorsqu'on vient pour prendre une décision aussi importante que celle-ci.

J'ai voté tantôt pour l'amendement proposé par le sénateur St. Germain. Peut-être pas pour les mêmes raisons que celles qu'il a invoquées. C'est parce que je suis le plus ancien parlementaire, pas nécessairement le plus vieux; bientôt 42 ans. L'une des plus grandes expériences de ma vie a été de parcourir le Canada en 1971 pour le renouvellement de la Constitution. Pourquoi aurais-je préféré que nous ayons des assises à travers tout le Canada? Pour des raisons différentes de celles et ceux qui pensent que c'est rentable électoralement.

C'est parce que l'on peut trouver des sénateurs et des députés calmes, capables d'écouter des propos avec lesquels ils sont profondément en désaccord. Permettre à des gens de dire des choses que l'on trouve extravagantes, cela permet de libérer les cœurs et les esprits des méchancetés qui peuvent exister un peu partout. Lorsque vous les entendez s'exprimer en public, ceux qui pensent comme eux et comme elles ont presque honte de se dire : « je ne peux pas m'imaginer que c'était exactement ce que je pensais. » En ce sens, nous aurions pu tenir des séances de ce comité à travers tout le Canada, j'en suis convaincu.

Le sénateur Di Nino a dit : « c'est très simple. » J'adore les gens qui voient les choses aussi clairement que cela. Il a dit :

(2240)

[Traduction]

C'est un projet de loi à huit lettres, c'est-à-dire les huit lettres du mot « marriage », en anglais. Immédiatement, la confusion s'est installée dans l'esprit des Canadiens français.

[Français]

Si j'allais dans le même sens que lui, je devrais dire qu'il n'y a que sept lettres dans le mot « mariage » en français.

Qu'est-ce que je veux prouver par là? C'est que j'ai tellement entendu, depuis 42 ans comme parlementaire et pendant mes années d'université, de gens qui prédisent toujours la fin de nos institutions.

J'accompagnais M. Pearson et il m'avait fait promettre, en janvier 1964 — imaginez, nous étions minoritaires — il m'avait fait promettre à mes électeurs qu'il y aurait un drapeau canadien avant la prochaine élection. Quelle audace! Nous étions minoritaires, j'étais tout jeune et je l'ai promis. J'ai eu l'honneur d'accompagner M. Pearson au Manitoba, une province que je connais très bien puisque j'y ai fait mon entraînement militaire chez les Provost, à Shilo.

[Traduction]

Il va sans dire que j'ai choisi en premier lieu la marine, mais comme on n'y parlait que l'anglais, je me suis retrouvé à Shilo, au Manitoba, grâce à l'histoire. Tout le monde disait que ce serait la fin du Canada. Quel changement ce serait, ce drapeau canadien! Quelques années plus tard, je regardais gentiment et en souriant M. Marcel Lambert, ancien Président de la Chambre des communes, distribuer avec joie des drapeaux canadiens à des enfants. Lorsqu'il m'a demandé pourquoi je souriais, je lui ai dit que je me rappelais les discours qu'il avait prononcés lors du débat sur le drapeau du Canada, pendant les années soixante.

Puis, nous avons entrepris un autre débat difficile, qui portait celui-là sur l'hymne national. Ce devait être le plus atroce des débats. Le pays, tel qu'on l'avait connu, devait cesser d'exister. Il y a des gens qui veulent encore en faire un hymne bilingue. Ils veulent qu'on le fasse jouer en français en Colombie-Britannique, et en anglais à Chicoutimi. Je ne suis pas d'accord avec cette proposition. Quoi qu'il en soit, nous sommes venus à bout de ce débat.

Puis est arrivé le débat sur la peine de mort, une époque cruciale pour le jeune député que j'étais. Je me suis dit alors que nous devions faire une alliance, alors je me suis allié à Jim Fleming, de Toronto, qui est devenu ministre. Il a compris l'essence du Canada comme je la comprends. Nous sommes parvenus à une solution en vertu de laquelle, au lieu d'avoir la peine de mort au Canada, il devrait y avoir un minimum de 25 ans d'emprisonnement sans libération conditionnelle. Il était Canadien anglais, protestant et torontois. J'étais Canadien français, catholique et montréalais. Je pensais que nous devrions unir nos efforts et nous l'avons fait : nous avons réussi à faire abolir la peine capitale.

Puis s'est posée la question de l'avortement, qui était incroyable. Les journaux, même le Globe and Mail que je lis religieusement tous les jours, continuent de dire que c'est en raison de la Cour suprême que nous n'avons pas de loi sur l'avortement au Canada, mais cela n'est pas vrai. C'est en raison du Sénat et il est facile de s'en souvenir. Lorsque le projet de loi C-43 a été mis aux voix, 43 sénateurs se sont prononcés pour et 43, contre. Certains sénateurs ici présents ce soir se souviennent d'avoir voté pour ce projet de loi. Cela signifie que le Canada est l'un des seuls pays du monde occidental qui n'a aucune loi que ce soit sur l'avortement. Je crois à la vie. Durant ce débat, mon dilemme était aussi grand que pendant l'actuel débat sur le projet de loi C-38. Qui sommes-nous pour reprocher aux autres de jouer les Cassandre et de prédire la fin des temps? Moi, je dis qu'il ne faut pas s'inquiéter. Certains témoins qui ont comparu devant le comité la semaine dernière nous ont dit à quel point ce serait terrible. Une dame très bien de la Colombie- Britannique, la vice-présidente nationale de REAL Women, m'a entendu à mon meilleur. Je lui ai dit que je suis le plus jeune de douze enfants et que ma mère, elle, était une vraie femme. Cependant, elle s'est battue pour ses droits. Si elle avait attendu le Sénat et d'autres, les femmes n'auraient jamais pu voter au Québec. C'est grâce à des gens comme elle qu'après 800 ans, les femmes peuvent maintenant voter. Combien de siècles se sont écoulés avant que les Noirs soient considérés comme égaux aux Blancs?

Je sais — et je le dis ouvertement —, qu'il m'est difficile de voter en faveur de ce projet de loi, mais je le ferai. J'ai fait l'effort de comprendre les points de vue des gens sur cette question. Je sais que les membres de la plus vieille génération sont divisés. J'ai appelé plus de 100 personnes la semaine dernière et j'ai entendu des témoins pendant les 28 heures où le comité a siégé. Il reste quatre ex- présidentes toujours vivantes sur huit; les quatre hommes sont décédés. Je les ai consultées. J'ai parlé à leurs enfants et petits- enfants à Saint-Félix-de-Valois, près de Joliette — des jeunes et des moins jeunes. Pourquoi ne faisons-nous pas confiance aux gens? Tels ont été les premiers mots prononcés par le pape Jean-Paul ! Pourquoi craint-on ce projet de loi? Je ne l'aime pas, certes, mais nous en sommes saisis et qu'allons-nous faire? Le rejeter?

Le sénateur St. Germain : Oui, tout à fait.

Le sénateur Prud'homme : Certains disent oui, mais je vais prendre ma décision, l'expliquer et en assumer les conséquences. Si le comité avait voyagé d'un bout à l'autre du Canada lors de son étude du projet de loi, nous aurions pu réussir à l'expliquer aux gens en faisant preuve de patience les uns envers les autres. La vice- présidente de REAL Women of Canada a dit que je ne m'en souvenais peut-être pas, mais qu'elle m'avait parlé lors des délibérations, à Vancouver, en 1971. Elle a dit que j'étais aussi charmant à l'époque que je le suis aujourd'hui, mais que je ne parviendrais jamais à lui faire accepter ce projet de loi.

Les sénateurs ont un pouvoir de conviction. Le sénateur Tkachuk et moi avons demandé que le ministre vienne de nouveau au comité, et il l'a fait. Nous avons demandé que la télévision soit présente. Cela était censé être impossible, mais nous avons obtenu gain de cause le mercredi matin, à temps pour la comparution du ministre.

[Français]

C'était pour la présence de son éminence le cardinal Ouellet, qui a dit des choses. C'est à moi qu'il les a dites; c'est moi qui l'ai questionné. J'ai été surpris. Je m'attendais à un message d'espoir. Sur une planète troublée, n'y a-t-il pas suffisamment de division? Je me le demande et je le lui ai demandé. Il nous a répondu, comme l'a si bien dit madame le sénateur Milne, qu'il refuserait le baptême.

Alors là, j'ai vraiment éclaté dans mon cœur et dans mon esprit. Je me suis dit : comment peut-on refuser un enfant? Un enfant est un don de Dieu. Comment peut-on refuser à un enfant le baptême parce qu'il a des parents qui ne sont pas ce que nous aimerions qu'ils soient?

Je me souviens qu'il y avait une époque où on appelait un enfant seul un « bâtard ». On l'appelait un fils sans parents. On a connu cette époques. C'est regrettable. C'est évident que c'est regrettable, mais aujourd'hui oserions-nous dire d'un enfant qu'il est illégitime, que c'est un bâtard? Cela n'existe plus. Lorsque j'avais sept ans, jusqu'à l'âge de 15 ans, j'étais le meilleur collecteur de fonds pour la Sainte Enfance.

(2250)

[Traduction]

Il n'y a que les catholiques, les Canadiens français et les Acadiens qui puissent comprendre cela. Je n'ai jamais recueilli de fonds pour le Parti libéral du Canada, mais j'ai participé à des levées de fonds dans ma jeunesse. Il y avait un couvent en Chine appelé Soeur de l'Immaculée Conception. Ce sont ces religieuses qui m'ont ouvert les yeux et fait comprendre la Chine. Elles recueillaient les petites filles et certaines recevaient le baptême. J'ai rencontré certaines de ces filles. Le prêtre se préoccupait-il de savoir comment ces enfants avaient été conçus, s'ils étaient les fruits du péché ou des enfants illégitimes? Il les baptisait tout simplement, même si ce n'était peut- être pas approprié du point de vue culturel.

Ne craignez rien : l'institution du mariage est très forte, mais elle évolue. De mon temps, les familles comptaient un père, une mère, des grands-parents et de nombreux enfants. Je rencontre aujourd'hui de nombreux enfants et, souvent, les familles comptent peu d'enfants mais de nombreux parents. La situation est-elle pire aujourd'hui que dans le passé? Notre société subit une profonde mutation.

Le Canada ne montre pas la voie, car ce n'est pas l'exemple que j'attends de mon pays. C'est néanmoins une réalité contemporaine. Ce projet de loi créera beaucoup de problèmes. Je suis d'accord avec mes collègues; je ne veux pas que quiconque ait à subir des représailles en cas de refus.

Mon père était médecin. Il a aidé à naître 9 500 enfants. Il m'a enseigné le sens de la vie.

Les gens sont tellement pressés de partir qu'ils n'ont aucune patience. S'ils n'ont pas la patience d'attendre 15 minutes, je vais me taire et j'en parlerai une autre fois. Pour l'instant, il faut être patient.

Mon père a assisté à l'accouchement de ces enfants, et gratuitement dans plus de la moitié des cas, parce que je vivais dans un quartier ouvrier, et j'y vis encore aujourd'hui. Je suis sûr que mon père était contre l'avortement, mais il m'a dit que là n'était pas la question. On ne devrait pas être forcé de faire des avortements, qu'on soit infirmière ou médecin. Toutefois, dans certaines circonstances, les gens ne se demandaient même pas s'ils étaient en faveur de la vie, en faveur du bébé à l'encontre de la mère, ou en faveur de la mère à l'encontre du bébé. Quand un professionnel de la santé était seul et devait poser un acte, la philosophie n'entrait pas en ligne de compte. Il posait un acte médical, la plupart du temps. Je suis sûr que la priorité était toujours de sauver la mère, parce qu'elle avait tellement d'autres enfants dont elle devait s'occuper.

Aujourd'hui, nous savons que certains médecins peuvent refuser de faire un avortement. Je serais d'ailleurs d'accord avec eux, sauf pour les cas d'urgence. Je dirais que cela s'applique également aux infirmiers et infirmières qui refusent, pour des raisons religieuses, de participer à un avortement, à moins encore une fois qu'il ne s'agisse d'un cas d'extrême urgence. Toutefois, je ne vois aucune urgence à demander à une personne qui croit fermement que cela va à l'encontre de ses principes moraux ou autres d'intervenir, parce que j'en ai vu suffisamment au cours de mes 41 années. J'en ai entendu suffisamment au cours de mes 41 ou 42 années, pour pouvoir dire que ça suffit. Si c'est pour protéger le caractère sacré du mariage que vous voulez voter contre ce projet de loi, je dirais que ceux qui parlent du caractère sacré du mariage n'agissent pas toujours en toute sainteté à l'extérieur de leur demeure. Toutefois, ils sont toujours prêts à parler du caractère sacré du mariage.

J'aimerais beaucoup pouvoir vivre dans une société où il existerait un bel équilibre, où les familles seraient constituées de grands- parents, de parents et d'enfants qui auraient des petites amies et des petits amis, mais nous ne vivons pas toujours dans un monde idéal. Je dirai donc à mes collègues, avec beaucoup de difficulté d'ailleurs, que j'aurais préféré ne pas avoir à...

Son Honneur le Président : Sénateur Prud'homme, voulez-vous plus de temps? Cinq minutes, sénateur Prud'homme?

Le sénateur Prud'homme : Non, je ne voudrais pas abuser de la patience de mes collègues. Il est tard. Pour ma santé, j'aurais personnellement préféré que ce débat se tienne plus tôt. J'aurais pu être plus catégorique et plus passionné. Je n'aime pas lire un discours. Il aurait toutefois peut-être été mieux que je demande à un bon rédacteur de me préparer un bon discours. Je vous en prie, cessez les applaudissements. Tout comme l'alcool, cela a tendance à me monter à la tête.

Tout ce que je peux dire, honorables sénateurs, c'est que j'ai pris toute cette question très au sérieux parce que je tenais à me montrer juste. C'est l'un des premiers mots que j'ai appris en anglais? Est-ce juste? Est-ce injuste? Je crois que nous faisons preuve d'injustice lorsque nous ne traitons pas tout le monde de la même manière.

Mes deux derniers messages s'adressent d'abord aux gens plus âgés, aux gens de mon âge. Prêchez par l'exemple, montrez l'amour que vous avez envers les autres. Ne vous contentez pas de prêcher. Donnez l'exemple de la chrétienté. C'est ce que j'ai appris quand je suis allé aux lectures de la Bible par M. Manning. Je lui ai dit que mon père disait qu'il ne fallait pas prêcher, mais plutôt agir et que les gens diraient qui est cette bonne personne, qui est cette femme, qui est cet homme? Les gens diront voilà un vrai chrétien, un chrétien modèle. Je vois les grands titres d'ici. « M. Prud'homme affirme qu'il faut être un chrétien modèle. » Vous devez prêcher par l'exemple.

Pour ce qui est des jeunes, j'ai parlé à tous les jeunes qui travaillent au Parlement et je leur ai dit qu'ils devaient s'aimer les uns les autres avec passion.

[Français]

Croquez dans la vie, mais soyez sérieux et honnêtes avec vous- mêmes. Le corps humain, c'est comme un enfant, c'est un don de Dieu. On ne peut pas abuser de son corps.

Vous voyez jusqu'où je pourrais aller dans ce discours. Je veux que les gens de mon âge comprennent que par leur exemple, ils peuvent sauver cette soi-disant institution qu'est le mariage. Elle est peut-être sous attaque par certains, mais elle n'est pas en danger. Je ne le crois pas dans mon âme et conscience. Si je le croyais, je voterais contre le projet de loi.

J'ai attendu, j'ai réfléchi, j'ai consulté et j'en suis venu à la conclusion que ma conscience peut dormir en paix ce soir. Oui, j'ai voté pour le projet de loi, mais en laissant un message aux plus jeunes. En leur disant : « Soyez donc plus respectueux de votre corps. Soyez donc plus respectueux de vos aventures. Si vous choisissez le mariage traditionnel, soyez donc fidèles les uns envers les autres. Si vous choisissez une autre voie, soyez donc fidèles les uns envers les autres. » C'est ainsi qu'on doit respecter le corps humain. La cohabitation doit être harmonieuse et respectueuse. C'est ce que nous devrions prêcher. Il y a des gens comme moi qui auraient aimé aller partout au Canada avec le sénateur St. Germain et quelques autres amis du Parti conservateur pour écouter les Canadiens nous vomir leur méchanceté, pour pouvoir dialoguer avec eux en étant très sages et très patients, en comprenant qu'il y a des gens qui ont des choses à dire, en comprenant que des gens, depuis des années, voudraient nous crier leur désespoir. C'est en les écoutant qu'on peut arriver à dialoguer et à donner un message de réconfort à la population en lui disant : « Allez, n'ayez pas peur, le Canada est entre bonnes mains et l'institution du mariage n'est pas en danger. »

[Traduction]

L'honorable Ione Christensen : Honorables sénateurs, il se fait tard. J'avais préparé un exposé, mais la plupart des points que je me proposais d'aborder l'ont déjà été. Je ne vois par l'utilité d'en donner lecture pour qu'ils soient consignés au compte rendu; cela n'ajouterait rien au débat que nous avons eu. Je saute donc à la dernière phrase de mon exposé, car je pense qu'elle présente un intérêt pour nous.

J'ai reçu un courriel d'un de mes commettants me demandant comment j'allais voter sur le projet de loi C-38, et je lui ai répondu que j'allais l'appuyer. Voici ce que ce commettant, qui vit une relation de mariage homosexuel au Yukon, m'a écrit :

Vous ne pouvez pas vous imaginer le bien que cela fait à l'esprit humain de savoir que vous jouissez du même bénéfice de la loi.

L'honorable John G. Bryden : Honorables sénateurs, je ne m'étais pas rendu compte qu'il n'y avait pas de temps pour faire une observation. Je voulais juste faire une observation au sujet de l'exposé du sénateur Prud'homme.

Je siège ici depuis de 11 ans maintenant et j'ai eu l'occasion d'entendre les diatribes et les envolées oratoires du sénateur Prud'homme. Je veux juste lui dire que ce discours était l'un des meilleurs qu'il a jamais prononcés. Il a sans doute plu beaucoup à toutes les personnes ici présentes.

(2300)

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion portant troisième lecture du projet de loi C-48 veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : S'est-on entendu sur la durée du timbre?

Le sénateur LeBreton : Quinze minutes.

Le sénateur Losier-Cool : Quinze minutes.

Son Honneur le Président : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Le timbre retentira pendant 15 minutes. Le vote aura lieu à 23 h 17.

(2320)

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu une troisième fois, est adopté.)

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Atkins Losier-Cool
Austin Maheu
Bacon Mahovlich
Baker Massicotte
Biron Meighen
Bryden Mercer
Callbeck Milne
Chaput Mitchell
Christensen Munson
Cook Nancy Ruth
Cordy Pearson
Dallaire Pépin
Downe Peterson
Dyck Poulin
Eggleton Poy
Fairbairn Prud'homme
Fitzpatrick Ringuette
Furey Robichaud
Grafstein Rompkey
Harb Smith
Hubley Spivak
Jaffer Tardif
Joyal Trenholme Counsell—47
Kenny

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Angus Kelleher
Banks Keon
Buchanan Kinsella
Cochrane Merchant
Comeau Phalen
Cools Plamondon
Di Nino Sibbeston
Eyton St. Germain
Forrestall Stratton
Gustafson Tkachuk—21
Hervieux-Payette

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Corbin Moore—3
LeBreton

L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, je tiens à ce que le Sénat sache que je me suis abstenu de voter conformément à une entente que j'ai conclue avec un sénateur qui est absent. Si j'avais voté, j'aurais appuyé le sous-amendement du sénateur Banks, parce que j'estime qu'il est bien fondé, et j'aurais voté contre le projet de loi non amendé.

PROJET DE LOI AUTORISANT LE MINISTRE DES FINANCES À FAIRE CERTAINS VERSEMENTS

TROISIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT

L'honorable Art Eggleton propose : Que le projet de loi C-48, Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements, soit lu une troisième fois.

— Honorables sénateurs, je doute qu'un long discours de 45 minutes sur un nouveau sujet soit accueilli avec beaucoup d'enthousiasme.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Eggleton : Je serai donc bref. Je tiens cependant à réagir aux questions soulevées en comité. Les honorables sénateurs remarqueront que des observations ont été jointes au rapport du Comité des finances, au moment de sa présentation par le sénateur Oliver. J'aimerais souligner que ces observations, contrairement à bon nombre d'autres observations, ne provenaient pas du comité.

Son Honneur le Président : Je suis désolé de vous interrompre, sénateur Eggleton, mais je dois demander le silence. J'ai de la difficulté à vous entendre et je suis sûr qu'il en est de même pour d'autres sénateurs.

Le sénateur Eggleton : Honorables sénateurs, les observations jointes au rapport ne provenaient pas du comité; elles provenaient d'une minorité au sein du comité. Ce sont les membres conservateurs du comité qui ont présenté ce rapport. J'aimerais aborder certains points qu'ils ont soulevés, notamment leurs préoccupations concernant l'absence de précisions ou l'absence de rôle pour le Parlement.

Le sénateur Stratton : Surtout le NPD.

Le sénateur Eggleton : Je vais réfuter la question de l'absence de précisions en quatre étapes. Premièrement, si on considère de quelle façon les dépenses sont habituellement présentées dans les budgets, y compris celui de cette année et y compris les dépenses prévues aux termes du projet de loi C-43, on constate que les façons de présenter les dépenses ne sont pas vraiment différentes. Certaines dépenses, comme celles liées à l'assurance-emploi et à l'environnement, sont expliquées avec beaucoup plus de précisions, en raison des exigences législatives relatives à la mise en œuvre de diverses structures. Pour ce qui est des dépenses elles-mêmes, le projet de loi C-48 ne contient pas vraiment moins de renseignements que les budgets habituels.

Par exemple, le projet de loi C-43 prévoit environ 1 milliard de dollars pour la création du Fonds éco-net, fonds novateur qui favorisera la prise de mesures efficientes de réduction des émissions de gaz à effet de serre au Canada. C'est un bel objectif, mais on manque de détails sur la façon dont cette importante somme sera dépensée.

On prévoit aussi dépenser 398 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour améliorer les programmes d'établissement et d'intégration des nouveaux immigrants et les services qui leur sont destinés. C'est un objectif louable, mais encore une fois on donne autant de détails que dans le projet de loi C-48.

Un montant de 171 millions de dollars sur cinq ans servira à célébrer le Canada et à aider la voix de la diversité canadienne à résonner dans les collectivités du pays. Je pourrais continuer. La liste est longue. La quantité de détails offerts sur ces investissements ne diffère pas tellement de la quantité de détails fournis dans le projet de loi C-48 au sujet des quatre dépenses qui totalisent 4,5 milliards de dollars.

Deuxièmement, il ne peut pas y avoir davantage de détails notamment à cause des conditions imposées par le gouvernement dans le projet de loi. Il exige en effet d'atteindre un excédent de 2 milliards de dollars avant de dépenser les sommes inscrites dans le projet de loi.

Il existe quatre principes importants que je voudrais répéter. Premièrement, on en a parlé à l'étape de la deuxième lecture, mais il importe de noter qu'il faut d'abord s'assurer de n'avoir aucun déficit. Le ministre des Finances a dit clairement que, pour qu'on puisse donner suite à ce projet de loi, le gouvernement ne doit pas se retrouver dans une situation déficitaire. Deuxièmement, la garantie d'une réduction constante de la dette et les 2 milliards de dollars engagés au cours de chacun des deux prochains exercices — soit 4 milliards de dollars — font en sorte que nous continuons, comme auparavant, de réduire considérablement la dette et que la dette est sur le point de représenter 25 p. 100 du PIB, ce qui aura lieu d'ici 2015, dans une dizaine d'années. C'est carrément le meilleur bilan de tous les pays du G7.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Eggleton : Le troisième aspect est l'incorporation de deux mesures fiscales en particulier dans un projet de loi distinct : les dispositions qui ont été supprimées du projet de loi C-43 seront réintégrées. Le gouvernement s'est engagé à le faire.

Quatrièmement, les priorités en matière d'investissement sont conformes aux propres engagements de dépense du gouvernement.

C'est manifestement ce qui sera fait dans chacun de ces quatre secteurs, qu'il s'agisse du logement abordable, de l'enseignement postsecondaire, de l'environnement et de l'aide internationale. Tous ces éléments sont conformes aux programmes gouvernementaux qui ont été élaborés au fil des ans. Ils s'appuient sur ce cadre et sur cet investissement qui a été effectué.

Nous n'avons pas beaucoup de détails pour l'instant, mais nous n'avons pas atteint le niveau de 2 milliards de dollars qui nous permettrait de savoir si tout le montant de 4,5 milliards de dollars sera engagé en un an, deux ans ou si nous l'atteindrons ou non. De toute évidence, d'autres détails seront fournis et permettront aux sénateurs de présenter d'autres instances.

Il est intéressant de noter qu'un des témoins qui a comparu devant le comité était le contrôleur général du Canada. Ce mandataire du gouvernement, tout comme la vérificatrice générale, est très désireux de veiller à ce que les fonds soient dépensés judicieusement. Lorsqu'il s'est présenté au comité, il a dit qu'il aimait la démarche adoptée dans le projet de loi C-48. Il a estimé qu'elle était prudente et qu'elle favorisait une meilleure reddition de comptes et une meilleure surveillance. Il a dit cela parce que, jusqu'ici, depuis quelques années, nous avons des excédents budgétaires et, à la fin de l'exercice financier, les excédents budgétaires servent automatiquement à rembourser la dette.

Depuis plusieurs années, avant le début d'un nouvel exercice financier, nous inscrivons dans le cadre financier une partie de l'excédent que nous étions sur le point d'enregistrer et nous l'affectons à des mesures valables.

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Nous connaissons tous l'histoire des fondations pour l'innovation, pour la santé, pour les bourses d'études du millénaire, et des nombreuses autres nobles causes que ces sommes sont venues financer. La différence, en l'occurrence, est que le gouvernement nous dit aujourd'hui, une année complète avant la fin du présent exercice fiscal et encore plus si on va jusqu'au prochain exercice fiscal, que si nous obtenons des excédents de plus de deux milliards de dollars, c'est comme ça que nous les dépenserons. Nous les dépenserons sur l'environnement et les logements abordables, conformément aux programmes gouvernementaux.

Le contrôleur général a tout à fait raison quand il dit que c'est un progrès comparé aux années précédentes, quand un gouvernement, vers la fin de l'exercice, réservait une somme d'argent sans donner grand préavis à propos de leur destination réelle. En l'occurrence, nous le savons bien à l'avance, et même quand on allouera les sommes vers la fin de l'exercice financier, on aura le temps de tirer au clair les détails des dépenses, parce que les sommes ne seront pas dépensées avant la fermeture des livres, qui n'a lieu que plusieurs mois plus tard.

Enfin, parlant de détails, une fois de plus, ces programmes s'insèrent dans un cadre. Dans les quelques dernières années, le gouvernement a consacré deux milliards de dollars aux logements abordables : un milliard de dollars au logement abordable et un milliard de dollars aux initiatives pour les sans-abri. L'argent est consacré à l'économie d'énergie et aux travaux d'amélioration de l'efficacité énergétique. Voilà le genre de programmes sur lesquels le projet de loi se basera.

En ce qui concerne l'éducation postsecondaire, je sais qu'à l'étape de la deuxième lecture, le sénateur Kinsella, notamment, nous a fait part de ses préoccupations. Ce sont les provinces qui sont responsables de l'éducation, nous a-t-il dit. C'est vrai, et il y aura des consultations dans tous les cas où des sommes seront dépensées dans des domaines de compétence provinciale. En effet, le secrétaire du ministre qui a comparu devant le comité a très clairement dit qu'on tiendrait des consultations avec les gouvernements provinciaux à ce sujet.

Quoi qu'il en soit, il y a eu des investissements importants dans l'enseignement postsecondaire depuis un certain nombre d'années. Le gouvernement a en effet octroyé à cet égard quelque 5 milliards de dollars. Ces fonds ont été investis dans des secteurs comme les chaires de recherche universitaires. Un montant très important a été accordé pour les prêts étudiants. En fait, il y a des secteurs où l'on peut faire des investissements sans aucunement empiéter sur les compétences des provinces. Le Programme des bourses d'études du millénaire en est un autre exemple. Il y a de nombreux secteurs où l'on peut offrir une aide, notamment aux personnes à faible revenu.

Je veux parler des logements abordables parce que le sénateur Tkachuk est intervenu à cet endroit pendant le débat à l'étape de la deuxième lecture et a déclaré que tout ce que le projet de loi C-48 proposait de différent par rapport au montant prévu dans le budget initial se limitait à 100 millions de dollars. Il a dit que le ministre a parlé d'une somme de 1,5 milliard de dollars lorsqu'il est venu témoigner à ce sujet devant le comité de la Chambre des communes. Selon lui, le ministre, l'honorable Joe Fontana, a dit qu'à l'origine, le gouvernement s'était engagé à dépenser 1,5 milliard de dollars sur cinq ans, ce que le ministre Goodale a confirmé à la suite du dépôt du budget de 2005. Le sénateur Tkachuk a dit que le budget prévoyait l'octroi de 1,5 milliard de dollars sur cinq ans. Le gouvernement a porté à 1,6 milliard de dollars le montant de 1,5 milliard prévu à l'origine et il a décidé de le dépenser sur deux ans plutôt que sur cinq ans. Le gouvernement a donc décidé de dépenser plus rapidement une somme 100 millions de dollars sur deux ans.

C'est faux, honorables sénateurs. Le sénateur Tkachuk aurait dû lire ce que le ministre a ensuite déclaré durant cette même séance du comité. En effet, le ministre a dit que, il y a un an et demi environ, nous avons annoncé dans notre programme que nous allions injecter entre 1 et 1,5 milliard de dollars de plus dans l'aide au logement au cours des cinq années suivantes. Non, cela ne figurait pas dans le budget. En fait, il en a été question pour la première fois dans le projet de loi C-48, en ce qui concerne les dépenses engagées par le gouvernement; il s'agit donc du plein montant de 1,6 milliard de dollars, contrairement à ce qu'a dit le sénateur Tkachuk.

Ayant réglé ces points de détail, j'aborderai brièvement la question du rôle du Parlement. Là encore, le contrôleur général a dit que la reddition de comptes était meilleure ici. Il a mentionné que cela passe par le Conseil du Trésor et qu'il aurait son mot à dire quant à ce qui doit être soumis au Conseil du Trésor. Il a décrit des mécanismes identiques à ceux applicables à n'importe quel budget; les dépenses sont inscrites dans le Budget supplémentaire ou dans les rapports sur les plans et les priorités, avant même qu'elles ne soient effectuées.

Rien n'empêcherait les honorables sénateurs de convoquer un ministre devant le comité pour lui demander où en est l'élaboration de ses plans concernant les dépenses pour ces postes. J'estime en effet que le Parlement a un rôle à jouer et que le Sénat a également un rôle à jouer.

Ce projet de loi, qui aura pour effet d'affecter 4,5 milliards de dollars à la réalisation des priorités des Canadiens, à la réalisation des priorités de notre gouvernement correspondant aux questions qui préoccupent les Canadiens, mérite notre appui. J'espère que vous lui accorderez votre appui à l'étape de la troisième lecture.

(Sur la motion du sénateur Tkachuk, le débat est ajourné.)

AVIS DE MOTION CONCERNANT L'ATTRIBUTION DE TEMPS

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'interviens conformément à l'article 39 du Règlement pour signaler au Sénat que j'ai eu une discussion avec mon homologue relativement au projet de loi C-48 et qu'il a été impossible d'en arriver à un accord afin d'attribuer un nombre de jours ou d'heures donné aux délibérations à l'étape de la troisième lecture de ce projet de loi. Ainsi, je donne avis que je présenterai demain la motion d'attribution de temps suivante :

Que, conformément à l'article 39 du Règlement, pas plus de six heures de délibérations ne soient attribuées à l'étude à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-48, Loi autorisant le ministre des Finances à faire certains versements;

Que, lorsque les délibérations seront terminées ou que le temps prévu pour le débat sera écoulé, le Président interrompe, au besoin, les délibérations en cours au Sénat et mette aux voix immédiatement et successivement toute question nécessaire pour disposer de l'étape de la troisième lecture dudit projet de loi;

Que tout vote par appel nominal sur lesdites questions soit pris conformément au paragraphe 39(4) du Règlement.

Son Honneur le Président : Sénateur Rompkey, vous vouliez la permission de présenter la motion d'ajournement?

Le sénateur Rompkey : J'ai simplement donné un avis de motion et je vais maintenant proposer l'ajournement du débat.

LES TRAVAUX DU SÉNAT

L'honorable Bill Rompkey (leader adjoint du gouvernement) : Je suis désolé, j'aimerais proposer que tous les articles qui n'ont pas été abordés restent au Feuilleton, dans le même ordre, jusqu'à la prochaine séance. La journée a été longue et je vous prie de m'excuser, mais voilà la proposition que je veux faire.

Son Honneur le Président : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

(Le Sénat s'ajourne au mercredi 20 juillet, à 13 h 30.)


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