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Journaux du Sénat

54 Elizabeth II, A.D. 2005, Canada

Journaux du Sénat

1re session, 38e législature


Numéro 48 - Annexe

Le mardi 12 avril 2005
14 heures

L'honorable Daniel Hays, Président


Le mardi 12 avril 2005

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son

SIXIÈME RAPPORT

Votre Comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries), a, conformément à l'ordre de renvoi du mardi 26 octobre 2004, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les amendements suivants:

Page 1, article 1: Substituer, les lignes 7 à 15, par ce qui suit:

« b.1) pour l'application de l'alinéa (1)a), les jeux qui sont exploités par un appareil de loterie vidéo ou un appareil à sous, au sens du paragraphe 198(3), et qui ne sont situés ni dans un casino, ni dans un hippodrome, ni dans une salle de paris visée à l'alinéa 204(8)e); »

Page 1, article 2: Substituer, les lignes 18 à 20, par ce qui suit:

« 2. La présente loi entre en vigueur — au plus tard trois ans après la date de sa sanction — à la date fixée par décret après que les gouvernements provinciaux et territoriaux se sont vu offrir par le gouvernement du Canada l'occasion de participer à des consultations portant sur sa mise en œuvre. ».

Votre Comité a aussi effectué des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

La présidente,

LISE BACON

___________________________________________________________

OBSERVATIONS
annexées au Sixième rapport du
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles

Le projet de loi S-11, Loi modifiant le Code criminel (loteries), vise à limiter à certains emplacements, dont les hippodromes, les casinos et les salles de paris, l'exploitation d'appareils de loterie vidéo ou d'appareils à sous. Il prendra effet au plus tard trois ans après avoir reçu la sanction royale.

La politique du Canada sur le jeu apparaît dans deux ententes fédérales-provinciales (remontant à 1979 et 1985 respectivement) ainsi qu'à la Partie VII du Code criminel. Le contrôle du jeu relève maintenant en grande partie de la compétence des provinces, lesquelles ont chacune leurs lois et leurs organismes de contrôle en la matière. Le Code criminel autorise actuellement les provinces à délivrer des permis d'exploitation d'appareils de loterie vidéo à qui que ce soit. Toutes les provinces, à l'exception de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, et un territoire, le Yukon, permettent l'exploitation d'appareils de loterie vidéo (ALV) dans les bars de même qu'à d'autres endroits.

Le projet de loi S-11 part du principe que l'utilisation d'appareils à sous et, en particulier, d'ALV, est une forme de jeu bien différente, sous bien des aspects, que les paris sur les course de chevaux, les jeux de cartes et la roulette. Il y aurait semble-t-il au delà de 38 000 ALV au Canada, répartis à plus de 8 500 endroits.

Au dire d'un témoin, il est très facile d'apprendre à jouer avec ces machines et le jeu se déroule à vive allure. Les joueurs peuvent donc perdre de l'argent très rapidement. Une programmation non aléatoire des machines, générant un certain nombre de gains modestes ou ratés de justesse, entretient chez les joueurs l'illusion qu'ils sont sur le point de décrocher le gros lot, et les pousse à continuer.

D'après les témoignages recueillis, les ALV sont souvent installés dans les bars des quartiers défavorisés. Leur présence à ces endroits amène des gens qui n'auraient peut-être jamais été exposés au jeu autrement à se mettre à jouer, et ce sont souvent les plus démunis qui souffrent le plus de cette situation. Les études tendent aussi à démontrer que les personnes ayant un problème de jeu préfèrent les formes électroniques de jeu. Voilà autant de raisons pour lesquelles des spécialistes du comportement voient dans les ALV un problème de taille tant pour les particuliers que pour l'ensemble de la collectivité.

Les spécialistes travaillant auprès des joueurs à problèmes estiment que les ALV représentent la forme de jeu causant la plus grande accoutumance. Les jeunes seraient, semble-t-il, les plus vulnérables. On ne saurait nier les coûts sociaux se rattachant au jeu compulsif. Ce dernier peut mener à l'endettement, parfois même à la faillite et au crime. Dans les trois cas, c'est toute la famille qui en souffre, dont ses éléments les plus vulnérables, les enfants et les personnes âgées. Des joueurs désespérés peuvent aller jusqu'à s'enlever la vie, comme en font foi un certain nombre de suicides directement attribués à la perte de sommes considérables dans des ALV. Le jeu compulsif peut aussi entraîner des problèmes conjugaux, un divorce, une perte de productivité au travail ou une dépression, et nécessiter une thérapie.

En 1999, l'Association canadienne de santé publique a adopté une résolution demandant aux gouvernements de prendre des mesures afin de minimiser le tort causé à la santé publique par les ALV, notamment de restreindre l'accès à ces appareils. Un des attendus de cette résolution faisait état d'une étude sur les accros des ALV, au cours de laquelle presque tous les joueurs interrogés ont déclaré n'avoir jamais eu d'ennuis avant de découvrir les ALV.

Les témoins entendus par le Comité n'étaient pas tous d'accord pour dire que les ALV sont aussi nocifs qu'on veut bien le laisser entendre ci-dessus, mais nous avons noté qu'au cours des dernières années, le gouvernement du Québec s'est attaché à réduire considérablement le nombre de machines et d'emplacements où elles se trouvent, diminuant du coup leur visibilité et leur accessibilité. La Nouvelle-Écosse vient d'annoncer pour sa part qu'elle apporterait des modifications techniques aux ALV et réduirait le nombre de ces machines et de leurs emplacements. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador a gelé pour l'instant le nombre d'ALV dans la province et il entend le réduire de 15 p. 100 au cours des cinq prochaines années, en plus de limiter à cinq le nombre de machines par emplacement. Un témoin a aussi indiqué que, en 1996, le ministre albertain responsable du jeu avait confié à son homologue ontarien qu'on n'aurait jamais dû laisser installer des ALV dans les bars de l'Alberta.

Le Comité reconnaît que l'adoption du projet de loi S-11 pourrait avoir des répercussions considérables sur les recettes des provinces et des commerces du secteur privé détenteurs d'un permis d'exploitation d'ALV. Les statistiques indiquent que la Nouvelle-Écosse, l'Alberta et la Saskatchewan tirent près de 2,8 p. 100 de leurs recettes des ALV, le Québec, l'Île-du-Prince-Édouard et le Nouveau-Brunswick, entre 1,3 et 1,6 p. 100.

Bien entendu, les recettes des provinces et des entreprises privées provenant de cette source correspondent à des pertes du côté des particuliers. Certaines personnes peuvent subir des pertes sans trop de mal. D'autres, cependant, ne sont pas en mesure d'absorber des pertes et c'est alors que les coûts sociaux mentionnés ci-dessus, des coûts que les programmes provinciaux s'adressant aux joueurs compulsifs ont peine à atténuer, entrent en jeu. On peut dire que les recettes des provinces découlant des ALV représentent une arme à deux tranchants: ces recettes sont les bienvenues, sauf que l'on peut avoir à payer pendant des années les coûts sociaux associés aux joueurs compulsifs et à leur famille. D'ailleurs, d'après un témoin entendu par le Comité, des études ont établi le coût social des loteries vidéo à trois à cinq fois la somme des revenus qu'elles génèrent.

Il faut aussi tenir compte de l'impact des ALV sur l'économie locale. Selon les témoignages entendus, environ 75 p. 100 des profits tirés des machines vont aux provinces et le reste, au détaillant. Cela signifie que 75 p. 100 des revenus sortent de la région. Voilà une somme particulièrement importante si la majeure partie de l'argent vient des résidents locaux, et non des touristes. Même si une partie de cet argent retourne dans la communauté sous forme de transferts ou de dépenses de la part du gouvernement, on ne peut parler d'un montant équivalent. Par conséquent, si on décidait de retirer les ALV des bars, ces établissements risqueraient d'en souffrir, mais il serait juste d'ajouter que l'argent dépensé dans cette forme de divertissement pourrait être dépensé dans d'autres formes de divertissement au plan local, et ainsi rester en plus grande partie dans la région. En bout de ligne, toute la communauté pourrait y gagner financièrement.

On se serait attendu à ce que l'Association des travailleurs et des travailleuses de la restauration et de l'hôtellerie du Québec s'opposent au projet de loi S-11, sous prétexte que son adoption pourrait provoquer des pertes d'emploi. Au lieu de cela, l'Association a appuyé le projet de loi. Elle n'était pas d'accord avec certaines estimations effectuées au Québec quant au nombre d'emplois qui seraient sacrifiés advenant le retrait des ALV des bars de la province.

En outre, l'Association a fait savoir qu'au cours d'un sondage réalisé dernièrement auprès d'un échantillonnage représentatif d'employés de bars exploitant des ALV dans la région de Montréal, quelque 90 p. 100 des répondants ont dit être d'accord avec l'idée de retirer ces appareils des bars. Dans un autre sondage sur le sujet, 70 p. 100 des répondants partageaient aussi cet avis. L'Association a également fait remarquer que la proximité des ALV avait un effet négatif sur les habitudes de jeu de certains employés et causait parfois un stress considérable au personnel devant traiter avec des joueurs désemparés.

Comme il est indiqué précédemment, les témoins entendus par le Comité ne croient pas tous que les ALV sont aussi nuisibles qu'on le dit. Un représentant de l'industrie du jeu a contesté certaines données non scientifiques présentés dans le but de démontrer la propriété qu'ont les ALV de créer une dépendance. Selon lui, les comportements extrêmes signalés sont très rares et sont souvent attribuables à des manquements au plan de la gestion ou des règlements. À la défense du système existant, il a fait observer que 75 p. 100 environ des Canadiens s'adonnent à des formes légales de jeu, que les problèmes de jeu sont peu courants (et sont plus liés au caractère de la personne qu'au type de jeu), que le jeu constitue une importante source de profits pour les gouvernements, les oeuvres de bienfaisance et les entreprises et qu'il est même devenu un moyen de développement économique, notamment pour les communautés des Premières nations.

Depuis l'apparition au Canada des ALV, il y a une quinzaine d'années, il a fallu imposer certaines restrictions en raison des inquiétudes soulevées par ces appareils. Ainsi, seuls les endroits fréquentés par une clientèle d'âge adulte sont autorisés à exploiter ces appareils et le nombre total de ceux-ci est plafonné dans certaines provinces. D'après les résultats d'un sondage d'opinion mené en 1999 par la Canada West Foundation et intitulé Canadian Gambling Behaviour and Attitudes, 70 p. 100 des 2 200 Canadiens consultés étaient d'accord pour dire qu'on devrait cantonner les appareils de loterie vidéo dans les casinos et les hippodromes, et la moitié des répondants étaient grandement en faveur d'une telle mesure.

Le Comité comprend que l'adoption du projet de loi S-11 aura des implications au chapitre des relations fédérales- provinciales, aux termes des ententes de 1979 et 1985 sur le jeu. Il faut se rappeler, cependant, que le projet de loi S-11 n'interdit pas les ALV, mais qu'il vise plutôt à les confiner dans les casinos, les hippodromes et les salles de paris. Autrement dit, les deux seules provinces qui n'ont pas de casino pourraient toujours autoriser l'exploitation d'ALV dans leurs hippodromes.

Le Comité a écrit à toutes les provinces et tous les territoires pour solliciter leur avis concernant le projet de loi S-11. Trois provinces, soit le Québec, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan, y étaient fermement opposées, tandis que les cinq autres provinces ou territoires ayant fait connaître leur réponse au moment de la rédaction du présent rapport ont soit indiqué ne pas avoir d'argument à faire valoir pour le moment, soit noté tout simplement qu'une modification à la loi les affecterait sans doute.

Tout en étant conscient des implications financières pour les provinces des modifications au Code criminel proposées dans le projet de loi S-11, le Comité estime qu'elles constituent un moindre mal par rapport aux coûts sociaux mentionnés précédemment. Le besoin d'une politique sociale judicieuse, s'inspirant des avis éclairés des spécialistes du domaine, devrait nous convaincre de renoncer à certains revenus.


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