Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 39e Législature,
Volume 143, Numéro 106
Le mardi 12 juin 2007
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- La commissaire à l'intégrité du secteur public
- La vérificatrice générale
- L'étude des services et des avantages sociaux, des activités commémoratives et de la Charte des anciens combattants
- La Loi constitutionnelle de 1867
- La commissaire à l'intégrité du secteur public
- Projet de loi de crédits no 2 pour 2007-2008
- L'étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir de l'agriculture et des forêts
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- Les finances
- L'Accord atlantique—Les recettes tirées du pétrole et du gaz extracôtiers
- Les paiements de péréquation aux provinces
- L'Accord atlantique—Les recettes tirées du pétrole et du gaz extracôtiers—Les paiements pour le développement économique
- L'Accord atlantique—Les recettes tirées du pétrole et du gaz extracôtiers—Le budget de 2007—L'appui du caucus conservateur
- Les travaux publics et les services gouvernementaux
- Les affaires indiennes et le Nord canadien
- Réponse différée à une question orale
- Les anciens combattants
- Le Sénat
- Les finances
- ORDRE DU JOUR
- Projet de loi de 2006 modifiant la taxe de vente
- La Loi électorale du Canada
La Loi sur l'emploi dans la fonction publique - L'étude de la Proposition relative aux frais d'utilisation concernant le Programme international pour les jeunes
- La Loi du traité des eaux limitrophes internationales
- La Loi de l'impôt sur le revenu
- La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés
- L'étude de rapports récents et du plan d'action concernant l'eau potable dans les communautés des Premières nations
- L'étude sur la politique de sécurité nationale
- Question de privilège
- Le Sénat
- Le Sénat
- L'étude des questions liées aux obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne
- L'éducation postsecondaire
- Les travaux du Sénat
- Projet de loi de mise en òuvre du Protocole de Kyoto
- Les travaux du Sénat
- Annex
LE SÉNAT
Le mardi 12 juin 2007
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
LE DÉCÈS DU SOLDAT DARRYL CASWELL
MINUTE DE SILENCE
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant de passer à nos travaux, je vous invite à vous lever et à observer avec moi une minute de silence à la mémoire du soldat Darryl Caswell, qui est décédé tragiquement hier alors qu'il servait son pays en Afghanistan.
Les honorables sénateurs observent une minute de silence.
VISITEURS À LA TRIBUNE
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Mary Deros, conseillère municipale du district de Parc-Extension, à Montréal. Elle est accompagnée de M. Hagop Hagopian, pilier de la communauté arménienne de Montréal. Ils sont les invités de l'honorable sénateur Marcel Prud'homme, C.P.
Nous leur souhaitons la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
LE TRÈS HONORABLE JOHN GEORGE DIEFENBAKER
LE CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE DE SON ÉLECTION À LA TÊTE DU PAYS
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d'État (Aînés)) : Honorables sénateurs, j'attire votre attention sur un anniversaire important dans l'histoire du Canada. Il a eu lieu dimanche dernier. Il y a 50 ans, le 10 juin 1957, le très honorable John George Diefenbaker remportait les élections fédérales. J'ai un vif souvenir de cette journée et de la célébration de joie de mes parents, qui ont toujours été conservateurs.
John Diefenbaker, avocat très respecté et prospère de la Saskatchewan, était un homme courageux, coloré et passionné. C'était un populiste, un visionnaire et un homme qui croyait fermement dans l'importance des droits de la personne. Son gouvernement, par exemple, a vendu du blé pour la première fois à la Chine communiste, forgeant des relations avec ce pays.
M. Diefenbaker avait une vision de la souveraineté du Nord et du Canada. Sa vision s'est traduite par le Programme d'établissement des voies d'accès aux ressources, que le chef du Parti libéral de l'époque, l'honorable Lester Pearson, avait ridiculisé, le renommant le Programme des voies d'accès aux igloos.
L'attachement de M. Diefenbaker envers les droits de la personne a mené à la Déclaration canadienne des droits, que le Parlement a adoptée en 1960.
Comme Thomas Axworthy l'a indiqué dans l'Ottawa Citizen, dans un article paru sur la page en regard de la page éditoriale, en août 2002, la Charte canadienne des droits et libertés n'existerait pas aujourd'hui « si Diefenbaker n'avait pas pavé la voie avec son dévouement de tous les instants à l'égard des droits de la personne ».
Le gouvernement de Diefenbaker a donné le droit de vote aux Indiens inscrits.
M. Diefenbaker a nommé Ellen Fairclough, première femme à siéger au Cabinet.
Au sein du Commonwealth, il a mené la charge contre le système d'apartheid en Afrique du Sud.
(1410)
Il a fait adopter le principe de la traduction simultanée au Parlement, permettant ainsi à tous les parlementaires de participer aux débats dans la langue officielle de leur choix. Il voulait que tous les Canadiens se sentent chez eux dans leur propre pays.
Même si John Diefenbaker a eu plus que sa part de critiques, il devrait être reconnu comme un grand Canadien. Il ne faut pas oublier cependant que lorsqu'il est arrivé au pouvoir, le pays était au bord de la récession, aucun plan de relance n'avait été prévu et des décisions difficiles devaient être prises, des décisions que le précédent gouvernement libéral n'avait pas voulu prendre.
L'une des critiques faites à l'égard de M. Diefenbaker, l'une des plus injustes d'ailleurs, porte sur la décision qu'il a prise d'annuler le financement de l'Avro Arrow, un avion très dispendieux pour lequel il n'y avait plus d'acheteurs en vue. Toutefois, comme l'a souligné Joseph Martin dans l'édition de lundi du Globe and Mail :
Le chasseur à réaction était dépassé au point de vue technologique et beaucoup trop coûteux. Le gouvernement libéral précédent avait décidé de l'annuler et prévoyait en faire l'annonce après sa réélection.
Du point de vue financier, il aurait été insensé de continuer de dépenser de l'argent pour cet appareil, mais cela n'a pas empêché Radio-Canada et d'autres journalistes de faire de nombreux reportages sur la décision prise par Diefenbaker d'abandonner l'Avro.
Honorables sénateurs, j'aimerais terminer en citant les paroles prononcées par John Diefenbaker au cours du débat sur la Déclaration canadienne des droits, dont j'ai une épreuve numérotée sur mon mur. Je considère que ses propos définissent bien l'homme et résument magnifiquement les valeurs démocratiques qui unissent les Canadiens :
Je suis Canadien, un Canadien libre, libre de m'exprimer sans crainte, libre de servir Dieu comme je l'entends, libre d'appuyer les idées qui me semblent justes, libre de m'opposer à ce qui me semble injuste, libre de choisir les dirigeants de mon pays. Ce patrimoine de liberté, je m'engage à le sauvegarder pour moi-même et pour toute l'humanité.
Je tiens à féliciter ce grand homme qui a joué un rôle tellement important dans une période clé de notre histoire.
LA PARTICIPATION DU CANADA EN AFGHANISTAN
L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, comme nous l'avons appris, hier soir, en Afghanistan, une bombe des talibans a causé la mort d'un jeune soldat canadien. Il s'agit de Darryl Caswell, des Royal Canadian Dragoons, de Petawawa, en Ontario. Deux autres soldats ont été blessés lors du même incident, leur véhicule ayant été atteint par un engin explosif improvisé. La perte de la vie de ce jeune homme est tragique et je sais que vous avez une pensée pour lui et ses proches.
Honorables sénateurs, dans certains milieux, cet incident a, une fois de plus, soulevé la question de la présence du Canada en Afghanistan, et notamment sa présence militaire. Deux articles parus dans les médias cette semaine nous apportent peut-être une réponse. L'un d'eux porte sur Roshan, ce qui signifie espoir ou lumière, une petite entreprise de téléphones cellulaires appartenant à hauteur de 50 p. 100 au Fonds Agha Khan pour le développement économique. L'entreprise offre non seulement la capacité de communiquer, mais aussi la sécurité et des occasions économiques pour la population afghane, qui est en situation difficile. Au grand étonnement général, l'entreprise, soutenue par un organisme sans but lucratif, compte 1,3 million d'abonnés et continue d'ajouter à sa clientèle quelque 60 000 abonnés par mois. Elle emploie environ 900 personnes, dont 20 p. 100 sont des femmes. Le PDG de l'entreprise a déclaré :
Nous sommes plus qu'une entreprise de téléphonie; nous aidons à rebâtir notre pays.
Dans un endroit si longtemps et si férocement ravagé par les horreurs de la guerre, l'arrivée de cette lueur d'espoir reflète bien la résilience des Afghans.
Honorables sénateurs, les Forces canadiennes ont joué et continuent de jouer un rôle de premier plan dans la stabilisation de la région de Kaboul, rendant possible ce genre de réussite.
L'autre reportage est plus poignant, mais il a tout autant à voir avec la présence canadienne en Afghanistan. C'est l'histoire de Zakia Zaki, journaliste et militante des droits de la personne de 35 ans assassinée alors qu'elle dormait avec son garçon. Elle est la deuxième femme journaliste qui a été assassinée la semaine dernière en Afghanistan. De quoi était-elle donc coupable? Son crime a été d'être une femme courageuse qui souhaitait contribuer à sa collectivité et à son pays en faisant avancer la cause des femmes.
Honorables sénateurs, les hommes et les femmes des Forces canadiennes sont prêts à mettre leur vie en péril pour la plus honorable des causes, la protection des droits de femmes comme Mme Zaki et de leur droit de participer à la société dans l'égalité.
Les talibans ne sont pas d'accord et, lorsqu'ils le peuvent, ils cherchent à imposer leurs opinions radicales par des mesures d'intimidation et, trop souvent, en exécutant froidement ceux qui ne sont pas d'accord avec eux.
Les honorables sénateurs conviendront avec moi, j'en suis certain, que la participation du Canada en Afghanistan est justifiée.
[Français]
L'HONORABLE DANIEL HAYS, C.P.
HOMMAGES
L'honorable Jean Lapointe : Honorables sénateurs, j'aimerais commencer cet hommage en vous interprétant un extrait d'une chanson popularisée par les Compagnons de la chanson :
Il était tellement, tellement grand qu'on aurait pu croire un moment qu'il était pour atteindre le ciel.
C'est ainsi qu'à mes yeux est apparu le Président du Sénat lors de ma nomination.
(1415)
C'est avec un pincement au cœur et beaucoup de chagrin que j'ai appris, il y a quelques semaines, que notre collègue — je devrais plutôt dire notre ami, notre bon ami — le sénateur Daniel Hays, nous quitterait cet été pour relever d'autres défis.
Je me souviendrai toujours de son acharnement au travail et de son dévouement pour la chose publique, que ce soit en tant que leader adjoint du gouvernement au Sénat ou en tant que leader de l'opposition au Sénat.
Mais ce qui m'a vraiment le plus marqué de cet homme extraordinaire, c'est sa grâce, son calme, sa délicatesse et sa manière bien à lui d'être distingué lorsqu'il occupait le siège de la présidence du Sénat. Le sénateur Hays fait partie de la crème de ces gens qui ont une flamme dans les yeux lorsqu'ils nous entretiennent des différents enjeux de notre pays, que ce soit à l'interne ou à l'international, que ce soit en anglais ou en français.
Pour ma part, je prends et je continuerai de prendre — pour les années qu'il me reste en votre compagnie — le sénateur Hays comme modèle. Je suis certain que ma diplomatie ne sera jamais aussi raffinée que la sienne, mais je continuerai à me nourrir de sa subtilité et de sa sophistication.
Merci pour tout, sénateur Hays. Je vous souhaite le repos le plus doux que vous puissiez trouver en compagnie de votre charmante Kathy, mais surtout, je vous souhaite une santé de fer pour que vous puissiez continuer à inspirer le plus de gens possible pour de nombreuses années à venir.
L'honorable Marcel Prud'homme : Honorables sénateurs, je serai absent demain et ne pourrai donc pas me joindre aux hommages qui seront rendus à notre ami, le sénateur Hays. Mais que pourrais-je ajouter après avoir entendu le témoignage émouvant du sénateur Lapointe?
Je tiens à dire que nous, au Sénat, perdons un ami, un homme d'une grande compétence. Dans mon cas, cela remonte à très loin puisque j'ai eu l'honneur d'être député à la Chambre des communes avec le père du sénateur Hays, l'ancien maire de Calgary. Grâce à M. Trudeau, j'ai eu l'honneur d'être délégué aux Nations Unies avec le père du sénateur Hays et donc de mieux le connaître. J'ai ensuite eu l'honneur de siéger avec son fils au Sénat et de découvrir avec lui une partie du monde qui m'était inconnue ou qui lui était inconnue. D'autres sénateurs accompagnaient également le sénateur Hays, qui s'est vraiment dépassé pour l'honneur de notre pays, le Canada, partout où il passait.
(1420)
Je pense que s'il a pu si bien servir son pays et le Sénat, nous le devons en grande partie à son épouse, Kathy. En voulant le saluer avant mon départ aujourd'hui, je voudrais qu'il transmette à Kathy nos remerciements les plus sincères. Elle a très bien accompli sa tâche d'accompagnatrice.
Je suis très honoré que ce soit au moment où je termine ces hommages, que j'aurais voulu encore plus éloquents, de voir l'entrée de notre ami, le sénateur Hays, et je voudrais qu'il relise le touchant témoignage du sénateur Lapointe.
Je sais qu'il est de nature plus réservée que la mienne, mais je tiens à ce qu'il sache que lorsque j'utilise le mot «ami», il s'agit pour moi d'un mot trop précieux pour en abuser.
[Traduction]
J'aimerais beaucoup remercier le sénateur Hays pour l'amitié dont il m'a gratifié pendant bien des années et de m'avoir fait part de nombreuses histoires intéressantes au sujet de son regretté père. Comme je l'ai dit plus tôt, ce fut un honneur pour moi d'être un député à la Chambre des communes, non seulement sous M. Pearson, mais également sous M. Trudeau, que j'ai eu l'honneur d'accompagner aux Nations Unies.
Honorables sénateurs, le sénateur Daniel Hays a fait un travail extraordinaire au service du Canada. Le Canada est fier d'avoir eu un si grand serviteur.
[Français]
Je l'appellerais, ce qui est assez exceptionnel, un grand serviteur de l'État. Pour moi, c'est ce qu'il a été, un grand serviteur de l'État, bien accompagné par son épouse, Kathy, que je voudrais saluer aujourd'hui.
[Traduction]
LE TRÈS HONORABLE JOHN GEORGE DIEFENBAKER
LE CINQUANTIÈME ANNIVERSAIRE DE SON ÉLECTION À LA TÊTE DU PAYS
L'honorable Lowell Murray : Honorables sénateurs, j'aimerais me joindre au leader du gouvernement au Sénat pour souligner le cinquantième anniversaire de l'élection du gouvernement Diefenbaker. Malheureusement, les légendes politiques populaires portent d'habitude sur les dernières années au pouvoir assez tumultueuses de M. Diefenbaker. L'histoire nous dit aussi qu'il a recréé un parti politique réellement national. Il a fait une place aux provinces de l'Ouest et à l'Atlantique au sein du Canada. Sous son gouvernement, les aspirations de ces régions étaient au centre du programme national.
Madame le sénateur LeBreton a mentionné la Déclaration des droits. Les gens plutôt marginalisés ont toujours su qu'ils pouvaient compter sur John Diefenbaker, un grand défenseur des opprimés. Une des premières mesures prises par son gouvernement a été d'accorder le plein droit de vote aux Autochtones.
M. Diefenbaker était à la tête d'un gouvernement progressiste et socialisant. Il avait fait campagne contre l'avarice dont faisaient preuve les libéraux de St-Laurent envers les vieillards pensionnés, et malgré la grave récession dans laquelle le pays a sombré pendant son mandat, il a maintenu son engagement envers la justice sociale. Quand il est retourné dans l'opposition, il s'est opposé au fédéralisme coopératif de M. Pearson, bien qu'il en fût en quelque sorte l'auteur. Il avait nommé son ami, Emmett Hall, éminent homme de loi saskatchewannais, au poste de président de la commission d'enquête parlementaire qui a tracé les grandes lignes du régime d'assurance-maladie que nous connaissons aujourd'hui. Il a éliminé l'exigence selon laquelle une majorité des provinces devaient donner leur consentement avant que soit mis sur pied un régime national d'assurance-hospitalisation, entraînant ainsi sa mise en oeuvre; et il a été le premier à effectuer un transfert de points d'impôt, en l'occurrence au Québec, afin que les universités dans cette province puissent profiter des subventions fédérales.
Honorables sénateurs, M. Diefenbaker a pris une position décidément indépendante en matière de politique étrangère. Les liens qui existent toujours entre le Canada et Cuba, le commerce avec la Chine dont a parlé le sénateur LeBreton, le leadership de son ancien ministre Howard Green en matière de désarmement nucléaire et son refus de doter les missiles Bomarc d'ogives nucléaires, sa lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud furent toutes des contributions importantes aux affaires internationales, même si dans certains cas, à l'époque, elles étaient contraires aux politiques américaines.
[Français]
On se souvient des problèmes que la langue française a posés à M. Diefenbaker et à beaucoup d'autres leaders fédéraux de l'époque. Je tiens à souligner cependant que seule la Loi sur les langues officielles a eu plus d'impact sur la dualité linguistique du régime fédéral que l'introduction, par le gouvernement de M. Diefenbaker, de la traduction simultanée dans les deux Chambres du Parlement.
[Traduction]
Finalement, un mot au sujet du Sénat. M. Diefenbaker n'a jamais même passé près d'obtenir la majorité dans cette Chambre, mais il a toujours respecté l'institution. En 1965, alors que le gouvernement de M. Pearson tentait d'obtenir que les sénateurs prennent leur retraite à 75 ans, M. Diefenbaker, tout en faisant preuve de mépris à l'égard de certaines des récentes nominations au Sénat, exprimait son admiration pour une grande partie du travail effectué en ce lieu et demandait au premier ministre Pearson de tirer parti du talent qui s'y trouvait en nommant davantage de ministres provenant du Sénat. Il nous a laissé amplement matière à réflexion, même après 50 ans.
(1425)
[Français]
AFFAIRES COURANTES
LA COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC
DÉPÔT DU CERTIFICAT DE NOMINATION DE MME CHRISTIANE OUIMET
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le certificat de nomination de Christiane Ouimet au poste de commissaire à l'intégrité du secteur public.
LA VÉRIFICATRICE GÉNÉRALE
LA MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN—DÉPÔT DU RAPPORT DE JUIN 2007
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de juin 2007 de la vérificatrice générale du Canada à la ministre du Patrimoine canadien.
[Traduction]
L'ÉTUDE DES SERVICES ET DES AVANTAGES SOCIAUX, DES ACTIVITÉS COMMÉMORATIVES ET DE LA CHARTE DES ANCIENS COMBATTANTS
DÉPÔT DU RAPPORT INTÉRIMAIRE DU COMITÉ DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE
L'honorable Colin Kenny : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le seizième rapport du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, un rapport intérimaire intitulé Une controverse qui persiste : l'exposition de la campagne de bombardement stratégique au Musée canadien de la guerre.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion du sénateur Kenny, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)
LA LOI CONSTITUTIONNELLE DE 1867
PROJET DE LOI MODIFICATIF—RAPPORT DU COMITÉ
L'honorable Donald H. Oliver, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :
Le mardi 12 juin 2007
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l'honneur de présenter son
TREIZIÈME RAPPORT
Votre Comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (durée du mandat des sénateurs), a, conformément à l'ordre de renvoi du mardi 20 février 2007, étudié ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les amendements suivants :
1. Page 2, article 1 (titre abrégé) : Remplacer le mot « 2006 » avec le mot :
« 2007 ».
2. Page 2, article 2 : Remplacer les lignes 8 à 16 par ce qui suit :
« 29. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et des autres dispositions de la présente loi, le mandat des sénateurs est de quinze ans; il ne peut être ni prolongé, ni renouvelé.
(2) Le siège d'un sénateur devient vacant lorsque celui-ci atteint l'âge de soixante-quinze ans.
(3) Malgré le paragraphe (1), mais sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le mandat du sénateur appelé au Sénat avant l'entrée en vigueur de la Loi constitutionnelle de 2007 (durée du mandat des sénateurs) se poursuivra jusqu'à ce que celui-ci atteigne l'âge de soixante-quinze ans. »
et avec la recommandation suivante :
« Que le projet de loi, tel qu'amendé, ne soit pas lu une troisième fois tant que la Cour suprême du Canada ne se sera pas prononcée sur sa constitutionnalité. ».
Ont été jointes en annexe au présent rapport les observations de votre Comité sur le projet de loi S-4.
Respectueusement soumis,
Le président,
DONALD H. OLIVER
(Le texte des observations figure en annexe, p. 2614.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion du sénateur Oliver, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)
[Français]
LA COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC
AVIS DE MOTION TENDANT À L'APPROBATION DE LA NOMINATION DE MME CHRISTIANE OUIMET
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, je donne avis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que conformément à l'article 39 de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, chapitre 46 des Lois du Canada (2005), le Sénat approuve la nomination de Christiane Ouimet à la tête du commissariat à l'intégrité du secteur public.
PROJET DE LOI DE CRÉDITS NO 2 POUR 2007-2008
PREMIÈRE LECTURE
Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu des Communes un message accompagné du projet de loi C-60, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l'administration publique fédérale pendant l'exercice se terminant le 31 mars 2008.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Comeau, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance dans deux jours.)
(1430)
[Traduction]
L'ÉTUDE SUR L'ÉTAT ACTUEL ET LES PERSPECTIVES D'AVENIR DE L'AGRICULTURE ET DES FORÊTS
AVIS DE MOTION VISANT L'ADOPTION DU RAPPORT INTÉRIMAIRE DU COMITÉ DE L'AGRICULTURE ET DES FORÊTS
L'honorable Joyce Fairbairn : Honorables sénateurs, je donne avis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le troisième rapport du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts intitulé La politique agricole et agroalimentaire au Canada : Les agriculteurs d'abord!, déposé au Sénat le 21 juin 2006, soit adopté.
PÉRIODE DES QUESTIONS
LES FINANCES
L'ACCORD ATLANTIQUE—LES RECETTES TIRÉES DU PÉTROLE ET DU GAZ EXTRACÔTIERS
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le premier ministre Harper et des membres de son Cabinet ont induit les Canadiens en erreur en déclarant qu'il n'y avait pas eu de modifications à l'Accord atlantique. En fait, madame le leader du gouvernement elle-même a déclaré à tort que le budget ne modifiait pas l'Accord atlantique. Le gouvernement conservateur a ridiculisé les relations fédérales-provinciales. Quand le premier ministre et son gouvernement conservateur feront-ils ce qu'ils doivent faire et tiendront-ils la promesse qu'ils ont faite à la population de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve-et-Labrador en respectant l'Accord atlantique?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d'État (Aînés)) : Honorables sénateurs, comme je l'ai déclaré en répondant à la question du sénateur la semaine dernière, le gouvernement a respecté entièrement les accords atlantiques signés par le gouvernement précédent en novembre 2005. Tout ce qui existait au moment de la signature de ces accords, y compris la formule de calcul de la péréquation, a été respecté par le gouvernement. La vérité, c'est que ce qui existait avant la présentation du budget est exactement la même chose que ce qui existait après. Les provinces visées ont eu la possibilité d'adhérer à la nouvelle formule si elles le désiraient. Si elles ne le désiraient pas, les accords en place restaient en vigueur.
Je crois que le premier ministre a déclaré correctement hier que le gouvernement ne renie pas ses contrats et, si c'était le cas, pourquoi ne serait-il pas amené devant les tribunaux?
Le sénateur Cordy : Je trouve inhabituel que la ministre déclare que le gouvernement respecte entièrement l'accord. Le ministre Hearn a déclaré que les détails étaient encore à l'étude. En fait, ce matin, j'ai eu une rencontre avec le premier ministre et le ministre des Finances de la Nouvelle-Écosse et je leur ai posé la question. J'ai mentionné que le premier ministre du Canada avait déclaré qu'il avait respecté entièrement l'accord et mes vis-à-vis m'ont répondu que ce n'était tout simplement pas vrai.
Nous avons atteint de nouveaux abîmes dans les relations fédérales-provinciales. Lorsque le gouvernement Harper rompt une promesse, son attitude consiste à dire : amenez-moi devant les tribunaux! Pourquoi les Néo-Écossais devraient-ils s'adresser aux tribunaux pour forcer le premier ministre à tenir parole?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, les accords ont été honorés. La formule de péréquation en vigueur au moment où le gouvernement précédent a signé l'entente est en place. Je crois que la confusion vient des gens qui lisent l'accord tel qu'il était lorsque le gouvernement précédent l'a signé ainsi que la déclaration selon laquelle il respecterait la formule de péréquation en place. Certains tentent d'extrapoler à partir de ces dispositions de l'accord qui a été signé par le gouvernement précédent, et d'y superposer les résultats du rapport et les recommandations de la Commission O'Brien.
(1435)
Le fait est que la Nouvelle-Écosse obtient 95 millions de dollars de plus en raison des transferts fédéraux que ce qu'elle recevait en vertu de l'ancienne entente. Comme il a été mentionné, la Nouvelle-Écosse a eu la possibilité de continuer selon l'Accord atlantique et la formule de péréquation en place ou de passer à la nouvelle formule. Il ne lui était pas permis de revenir plusieurs fois sur sa décision, mais elle avait quand même un an pour revenir aux accords initiaux.
Le sénateur Cordy : Il n'y a confusion que du côté du premier ministre.
LES PAIEMENTS DE PÉRÉQUATION AUX PROVINCES
L'honorable Hugh Segal : Honorables sénateurs, quand il était premier ministre de l'Ontario, Bob Rae, qui est aujourd'hui le candidat libéral désigné dans Toronto Centre-Rosedale, s'était dit fort préoccupé chaque fois que les paiements de péréquation financés par les contribuables canadiens de certaines provinces riches permettaient que, dans d'autres provinces, la capacité financière par habitant augmente au point de dépasser la moyenne dans les provinces cotisantes. M. Rae trouvait cette situation hautement problématique.
Madame le leader pourrait-elle dire si un gouvernement a déjà eu l'intention de produire cette distorsion du principe fondamental de la péréquation, qui est d'égaliser les chances entre les provinces riches et pauvres, et non d'inverser le cycle?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d'État (Aînés)) : Honorables sénateurs, cela est exact en ce qui concerne le budget du ministre Flaherty. Toute la question de la péréquation est en cause depuis des années. En donnant suite à bon nombre des recommandations de la Commission O'Brien, qui, je m'empresse de le souligner, avait été chargée par les provinces de faire des recommandations...
Des voix : Non.
Le sénateur LeBreton : Elle avait été nommée par le gouvernement Martin, mais les provinces...
Le sénateur Rompkey : Elles avaient la leur.
Le sénateur LeBreton : ... mais le gouvernement Martin et les provinces avaient discuté à maintes reprises de la Commission O'Brien et ne parvenaient pas à s'entendre.
Finalement, les gouvernements doivent faire preuve de leadership. Le gouvernement canadien doit faire preuve de leadership et il n'a pas renié sa promesse. D'ailleurs, on m'a signalé ce matin que le Comité sénatorial permanent des finances nationales, que préside le sénateur Day et dont font partie des sénateurs tels que James Cowan, Grant Mitchell et William Rompkey, dans son septième rapport présenté en décembre 2006, a formulé des recommandations, dont la recommandation no 4, qui se lit comme suit :
Que le gouvernement fédéral inclue la totalité des revenus tirés des ressources naturelles dans le calcul de la capacité fiscale des provinces, sans distinction entre les ressources renouvelables et les ressources non renouvelables.
Ce rapport présenté au Sénat fait valoir des arguments identiques à ceux du sénateur Segal. Dans ce cas, les accords et les paiements de péréquation ont été honorés, ce que certains refusent d'admettre. La réalité est que le premier ministre et le gouvernement ont déclaré, avec raison, que nous ne rompions aucun contrat. Ce contrat n'a pas été rompu; le gouvernement en place ne rompt aucun contrat. C'est une chose que le gouvernement précédent a faite à propos des hélicoptères et des poursuites ont été intentées contre le gouvernement.
Le sénateur Cordy : Des promesse faites, mais rompues.
Le sénateur LeBreton : Cette promesse n'a pas été rompue; c'est une promesse faite et tenue. Le gouvernement doit faire preuve de leadership pour assurer l'équilibre fiscal et l'équité.
L'ACCORD ATLANTIQUE—LES RECETTES TIRÉES DU PÉTROLE ET DU GAZ EXTRACÔTIERS—LES PAIEMENTS POUR LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE
L'honorable James S. Cowan : Honorables sénateurs, à un moment ou à un autre, des accords sur le développement économique existent entre le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires; des accords qui garantissent le développement de notre industrie aérospatiale ou automobile, ou quelque autre industrie manufacturière.
(1440)
J'ai une question à poser au leader du gouvernement au Sénat. Y a-t-il des versements au titre du développement économique, en dehors des paiements compensatoires prévus dans l'Accord atlantique, qui font l'objet d'une récupération en vertu du budget conservateur?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d'État (Aînés)) : Honorables sénateurs, je peux citer un paiement au titre du développement économique : l'Accord atlantique et les droits de ces provinces à leurs revenus tirés de l'exploitation du pétrole et du gaz extracôtiers.
Il est très clair que le gouvernement, pendant la préparation du budget de mars 2007, était très conscient de l'engagement pris envers Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse et qu'il allait honorer l'Accord atlantique signé par le gouvernement précédent, sans plafonnement et avec la formule de péréquation alors en vigueur. C'est là un engagement que nous avons pris et que nous avons tenu.
Le sénateur Cowan : Madame le ministre veut-elle dire que le budget ne prévoit pas la récupération des paiements compensatoires prévus par l'Accord atlantique?
Le sénateur LeBreton : Je dis que les provinces de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse ont le choix. Elles peuvent s'en tenir à l'accord...
Le sénateur Cordy : Ce n'est pas la question.
Le sénateur LeBreton : ... négocié avec le gouvernement précédent, sans plafonnement et selon la formule de péréquation alors en place, ou bien elles peuvent opter pour la nouvelle formule de péréquation et alors, il faudra respecter les conditions de la nouvelle formule.
Le sénateur Cowan : Honorables sénateurs, la semaine dernière, j'ai demandé au leader du gouvernement au Sénat l'avis juridique qui confirmerait sa position. Je présume qu'elle essaie de le trouver.
Je la renvoie à l'article 4 de l'Accord atlantique, qui traite des paiements compensatoires en vertu de la formule de péréquation en vigueur à l'époque. L'article 8 renvoie à la loi de mise en œuvre de l'Accord atlantique — au moment où le calcul est fait. Il n'y a là aucune allusion à une période de péréquation limitée à celle au cours de laquelle cet accord a été signé. La première fois que cette idée apparaît, c'est dans le document budgétaire, à la page 124. On dit que les provinces peuvent choisir entre le régime de péréquation précédent jusqu'à ce que les accords sur les ressources extracôtières arrivent à expiration. Clairement et objectivement, cela va à l'encontre de l'Accord atlantique. Qu'en pense madame le leader du gouvernement?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, dans l'accord initial signé par le gouvernement précédent, c'est un fait que, lorsqu'on parle de l'accord au moment où il a été signé, des paiements de péréquation étaient versés. C'est la thèse de Bill Casey et c'est son interprétation.
Le gouvernement fédéral et les autres provinces — Colombie-Britannique, Alberta, Manitoba, Ontario, Québec, Île-du-Prince-Édouard et Nouveau-Brunswick — ont été très heureux de recevoir enfin les recommandations de la Commission O'Brien, espérant que ce débat sur la péréquation qui revient chaque année se terminera enfin.
Le fait est que, dans les cas Terre-Neuve-et-Labrador et de la Nouvelle-Écosse — et nous entendons parler aussi de la Saskatchewan —, c'est la Saskatchewan qui est la grande gagnante. Aucune province, qu'elle s'en tienne à l'ancienne formule ou opte pour la nouvelle, ne recevra moins d'argent. Toutes les provinces recevront plus d'argent.
Le sénateur Cowan : Nous nous verrons devant les tribunaux.
(1445)
L'ACCORD ATLANTIQUE—LES RECETTES TIRÉES DU PÉTROLE ET DU GAZ EXTRACÔTIERS—LE BUDGET DE 2007—L'APPUI DU CAUCUS CONSERVATEUR
L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Compte tenu du fait que le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Rodney MacDonald, a sommé les sénateurs qui représentent la province de « retarder le projet de loi d'exécution du budget », est-ce que les membres du caucus conservateur de la Nouvelle-Écosse défendront ce document trompeur ou bien prendront-ils la défense de la population de la province en votant contre le budget Harper?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d'État (Aînés)) : Honorables sénateurs, les sénateurs de ce côté-ci qui représentent la Nouvelle-Écosse sont tout à fait conscients de ce qui figurait dans l'Accord atlantique. Nous leur avons bien expliqué ce que nous avions exactement convenu avec ces provinces. Nous avons respecté ces accords. Je crois que le premier ministre MacDonald et le premier ministre Williams les ont interprétés d'une autre façon, ce qui est leur droit.
Le fait est que le gouvernement n'a pas renié l'accord. Ce n'est pas une chose qu'il ferait ou songerait à faire.
J'ai eu l'occasion d'écouter les propos du premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador sur les ondes du réseau anglais de la radio de Radio-Canada samedi. Il est absolument répréhensible que le premier ministre d'une province traite les gens de menteurs à la radio et soutienne que cet argent a été enlevé à Terre-Neuve-et-Labrador pour être donné au Québec. Ce sont des propos qui sèment la division et qui sont faux. Danny Williams a peut-être réussi à menacer de laisser le drapeau canadien et à intimider Paul Martin, mais il ne s'en tirera pas à si bon compte avec notre gouvernement.
Le sénateur Moore : Si les sénateurs de la Nouvelle-Écosse prennent la part de la population de la province plutôt que celle d'un premier ministre fourbe, est-ce que madame le leader du gouvernement leur donnera des garanties de protection aussi fermes que celles que le ministre des Affaires étrangères a données à ses collègues de l'autre endroit, ou devraient-ils aller tout de suite prendre leurs sièges nouvellement attribués pour épargner au whip de remplir la paperasse?
Le sénateur LeBreton : Le fait est que je suis sûre que mes collègues comprendront ce que le gouvernement fait et essaie de faire. J'ai la certitude qu'ils seront encore tous deux mes voisins après le vote sur le budget.
LES TRAVAUX PUBLICS ET LES SERVICES GOUVERNEMENTAUX
LES MARCHÉS NON CONCURRENTIELS DU MINISTÈRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
L'honorable Sharon Carstairs : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au ministre des Travaux publics.
Le sénateur Milne : Il est ici.
Le sénateur Carstairs : Soyons honnêtes, il est toujours présent pendant la période des questions. Il était un peu esseulé là-bas. J'ai donc pris sur moi de préparer des questions tous les jours pour qu'il se sente plus à l'aise ici, puisqu'il est probable qu'il ne siégera pas au Parlement pendant très longtemps encore.
Honorables sénateurs, au lieu d'utiliser Accès entreprises Canada et la base de données publique sur les contrats attribués par le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux pour le compte de Finances Canada, il s'avère que le MDN a passé des marchés dont plus de 40 p. 100 sont classés non concurrentiels et que le pourcentage, en dollars, a plus que doublé. Le ministre des Travaux publics peut-il nous expliquer pourquoi cela se produit pendant son mandat?
L'honorable Michael Fortier (ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux) : Honorables sénateurs, je serai heureux d'expliquer les raisons pour lesquelles nous dépensons plus d'argent afin de mieux équiper nos militaires, qui ont été privés pendant trop longtemps des capacités dont ils ont besoin.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Fortier : Il est tout à fait indiqué que nous leurs fournissions l'équipement nécessaire.
En ce qui concerne le rapport, que je n'ai pas lu mais dont j'ai vu un résumé, ce qui est évidemment important, c'est de déterminer comment les gens analysent et interprètent les méthodes d'achat à mettre en œuvre pour obtenir cet équipement, qu'il s'agisse de matériel militaire ou, dans le cas d'un autre ministère, de vaccins ou peut-être même de mobilier. Le Conseil du Trésor considère un PAC, ou préavis d'adjudication de contrat, qui, m'a-t-on dit, constitue le véritable déclencheur dans le rapport, comme un instrument concurrentiel. Je suis bien d'accord. Les PAC existent depuis longtemps déjà.
(1450)
En fait, je crois qu'ils nous donnent une occasion unique de réduire les retards dans l'acquisition de l'équipement. Dans certains cas, j'ai pu constater qu'il a fallu 188 mois pour obtenir du matériel militaire. En nous servant d'un PAC, si nous pensons qu'il y a un fabricant, nous l'identifions tout en offrant aux concurrents possibles l'occasion de se manifester pour nous dire qu'ils fabriquent aussi le même genre d'équipement. Cela s'est déjà produit dans le passé.
Honorables sénateurs, en réalité, le recours aux PAC n'est pas aussi fréquent qu'on essaie de vous le faire croire. Lorsque nous utilisons des PAC, nous nous assurons, avec l'aide des professionnels de Travaux publics, qu'il n'y a qu'un seul fabricant capable de fabriquer l'équipement en question, mais nous accordons aussi du temps aux autres pour qu'ils puissent nous prouver, le cas échéant, que nous avons tort. Avant notre arrivée, il y a eu des cas où des gens ont pu montrer qu'ils fabriquaient du matériel qui, à notre connaissance, n'était produit que par une source exclusive.
Je crois que le système fonctionne bien. Nous continuerons d'être aussi concurrentiels que possible.
Je voudrais rappeler aux honorables sénateurs que nous avons eu recours à un PAC pour acheter les Boeing C-17. Nous croyons avoir payé 5 à 7 p. 100 de moins que n'importe quel autre acheteur de ce type d'appareil.
Le sénateur Carstairs : Sans vouloir contredire le ministre, je ferai remarquer que cela n'explique pas pourquoi les contrats sans concours ont augmenté, passant de 35 p. 100 à près de 41 p. 100 de l'ensemble des contrats. Cela n'explique pas non plus pourquoi le ministre de la Défense, qui a déjà été lobbyiste et qui avait des contrats avec cinq des dix entrepreneurs de défense globale, ne fait pas plus l'objet de contrôles plus poussés quand il adjuge ces contrats sans concours. C'est inacceptable. Le ministre pourrait-il expliquer cela aux sénateurs?
Le sénateur Fortier : Je m'empresse de rappeler à madame le sénateur que nous ne sommes pas d'accord sur les définitions; restons-en là. Les préavis d'adjudication de contrat assurent un processus concurrentiel, de sorte que le « jeu d'aller et retour » pourrait durer longtemps. À ce qu'on me dit, abstraction faite du préavis d'adjudication de contrat, le nombre de véritables contrats à fournisseur unique baisse nettement.
En vertu de la politique du Conseil du Trésor, il y a des exceptions où il n'y a pas d'autre choix que le contrat à fournisseur unique, comme dans les cas d'urgence ou dans les cas où quelqu'un possède un droit de propriété intellectuelle sur un logiciel en particulier.
Pour ce qui est du ministre, il a divulgué au commissaire à l'éthique toutes ses activités passées. Nous sommes très heureux de le compter dans notre équipe. Il y apporte beaucoup d'expérience sur le plan militaire. Il est très apprécié des soldats et il fait un travail superbe comme ministre de la Défense.
Le sénateur Carstairs : Honorables sénateurs, nous avons affaire à une question fondamentale. Dans 35 p. 100 des cas, le contrat est attribué à un fournisseur unique. Or, voici que sous le ministre actuel, ce pourcentage atteint presque 41 p. 100. Quel changement a donc pu survenir en un an pour qu'il soit devenu tellement plus nécessaire d'attribuer des contrats à fournisseur unique?
Le sénateur Fortier : Je suppose que madame le sénateur cite le rapport et c'est justement à cette donnée que je ne souscris pas. Il n'est pas question d'attribuer des contrats à un fournisseur unique. Un préavis d'adjudication de contrat n'a rien à voir avec l'attribution d'un contrat à fournisseur unique. Si on fait abstraction du préavis d'adjudication de contrat, madame le sénateur se rendra compte qu'il y eut un nombre négligeable de contrats à fournisseur unique au cours des 18 derniers mois, depuis que je suis en poste. Si elle prend les dix dernières années, par exemple, elle constatera que cette période de 16 à 18 mois n'est pas tellement différente de ce qu'on a connu au cours de périodes similaires.
Nous faisons du bon travail. Le ministère fait du bon travail. Nous faisons de bonnes affaires pour les contribuables et, surtout, nous fournissons aux militaires l'équipement dont ils ont désespérément besoin.
[Français]
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, entre 1985 et 1989, j'étais responsable de l'acquisition de tout le matériel de l'Armée de terre. Conformément aux mesures supplémentaires inscrites dans le livre blanc, publié en 1987 durant le mandat du premier ministre Mulroney, il y a eu des acquisitions, malgré le fait que le livre blanc ait été vidé de sa substance par le budget de 1989. À ce moment-là, on avait identifié des besoins. Il fallait aller directement à la source de ces besoins selon ce qui était disponible.
(1455)
On aurait tout de même pu fournir un résumé comme celui que vous avez évoqué sur le contrat d'achat d'avions C-17, pour donner aux gens la preuve qu'on ne se fait pas avoir, la preuve que le prix payé est un prix privilégié, moindre, raisonnable comparativement au prix que d'autres pourraient devoir payer pour les mêmes pièces d'équipement.
Êtes-vous en mesure de nous faire part de faits concrets qui pourraient nous confirmer que nous ne sommes pas en train de nous faire avoir par le vendeur?
Le sénateur Fortier : Honorables sénateurs, le système est transparent et le prix payé pour les avions C-17 a été annoncé lors de la signature du contrat. Ces documents sont donc publics. Quelqu'un comme le sénateur, qui connaît particulièrement bien cette industrie, pourrait le constater, en comparant les prix que d'autres pays ont payés — nous, nous le savons parce que nous comptons des experts, au ministère des Travaux publics, qui travaillent avec le ministère de la Défense nationale et qui ont une bonne idée du prix payé d'un pays à l'autre pour ce genre d'actifs.
En ce qui a trait au processus d'appel d'offres PAC, je vous dirai, pour vous rassurer, que pour qu'il fonctionne bien, il faut également que le manufacturier sache que le client — nous, dans ce cas-ci — a un plan B et qu'il ne va pas payer un prix déraisonnable pour acquérir ces appareils.
Nous devons donc faire appel à une stratégie d'approvisionnement et utiliser les avis d'adjudication de contrats, mais il faut toujours se prévaloir, en parallèle, d'une autre option au cas où les négociations achopperaient avec le manufacturier qui, bien entendu, sait qu'il est le seul choix parce qu'il a été désigné par le gouvernement.
Jusqu'à présent, d'après mon expérience, le ministère gère très bien cet équilibre, que ce soit pour l'équipement militaire, médical ou de haute technologie, et je suis donc rassuré quant au système en place à l'heure actuelle.
[Traduction]
LES AFFAIRES INDIENNES ET LE NORD CANADIEN
L'ACCORD DE KELOWNA—LES PROPOS DU MINISTRE
L'honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, j'aimerais revenir au monde des accordéons. J'ai une question à poser à madame le leader du gouvernement au Sénat au sujet de l'Accord de Kelowna.
Récemment, le sénateur Terry Stratton a pris la parole au cours d'un débat et a proclamé qu'il n'y avait pas d'accord, qu'il n'existe pas d'accord. Il a ajouté que le premier ministre avait eu la sagesse de choisir le candidat le plus qualifié pour occuper le poste de ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et interlocuteur fédéral auprès des Métis et des Indiens non inscrits, et que les fonctions diversifiées remplies par le député de Calgary-Centre-Nord au cours de sa carrière lui avaient permis d'acquérir une grande compétence dans les dossiers touchant les Autochtones. Il faisait allusion à Jim Prentice.
Honorables sénateurs, je suis encouragé de voir notre collègue être aussi élogieux à l'endroit du ministre. Cela dit, il doit comprendre ma confusion lorsque je l'entends contredire les propos de cette même personne, qui a dit très clairement, au réseau de télévision APTN lors de la dernière campagne électorale fédérale, qu'il était le porte-parole du parti sur l'Accord de Kelowna. Il a ajouté qu'il tenait à préciser, pour le bénéfice des gens qui écoutaient ce réseau, que son parti appuyait cet accord.
Qui s'exprime au nom du parti relativement à l'Accord de Kelowna, le ministre ou notre collègue?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement et secrétaire d'État (Aînés)) : Honorables sénateurs, c'est notre porte-parole de l'époque, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, l'honorable Jim Prentice, qui a assisté aux réunions tenues à Kelowna, en novembre 2005. Dans le communiqué de presse qui a suivi les rencontres de Kelowna, on ne parlait pas d'accord. L'honorable sénateur peut le vérifier. C'est le Globe and Mail de Toronto qui a plus tard parlé d'accord. C'est à ce moment-là que l'expression « l'Accord de Kelowna » est apparue dans la terminologie politique.
Le fait est, comme le sait le sénateur Munson, qu'il n'y a pas eu d'accord. Aucun accord n'a été signé et aucun cadre financier n'a été élaboré en fonction du soi-disant accord. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a fait de grands progrès et a beaucoup de crédibilité dans ce domaine. Les honorables sénateurs seront à même de constater sa maîtrise de ces dossiers et l'étendue de ses connaissances en la matière lorsqu'il fera une annonce plus tard dans la journée.
(1500)
Le sénateur Munson : Madame le ministre dit ce qu'elle doit dire. Il n'en reste pas moins que M. Prentice s'est publiquement et bruyamment proclamé « porte-parole du parti concernant l'Accord de Kelowna ». Ce sont ses propres paroles. Il a ajouté ceci : « [...] j'aimerais que nous soyons bien clairs à l'intention de vos téléspectateurs. Nous appuyons l'Accord de Kelowna. »
Le sénateur LeBreton : Comme je viens de le dire en réponse à la question du sénateur, les rencontres de Kelowna sont devenues l'Accord de Kelowna dans les médias et dans l'esprit de la population, même si aucun accord n'a été signé. Le ministre, M. Prentice, avait parfaitement raison de dire qu'il est le porte-parole de notre parti pour tout ce qui touche Affaires indiennes et du Nord Canada. Il a déclaré à maintes reprises que le gouvernement donne son entière adhésion à l'esprit des rencontres tenues à Kelowna.
[Français]
RÉPONSE DIFFÉRÉE À UNE QUESTION ORALE
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer la réponse à une question orale posée par l'honorable sénateur Dallaire, le 17 avril 2007, concernant les anciens combattants, les célébrations de la crête de Vimy — la traduction française des plaques commémoratives.
LES ANCIENS COMBATTANTS
LES CÉLÉBRATIONS DE LA CRÊTE DE VIMY—LA TRADUCTION FRANÇAISE DES PLAQUES COMMÉMORATIVES
(Réponse à la question posée le 17 avril 2007 par l'honorable Roméo Antonius Dallaire)
Ce gouvernement a un engagement ferme envers les deux langues officielles du pays et est chargé d'assurer l'emploi égal du français et de l'anglais dans toutes les opérations de l'État et dans la traduction de tous les produits utilisés et exposés par le gouvernement.
Les panneaux d'exposition en question ne constituent qu'une petite partie d'une vaste exposition. Tout le reste du matériel d'information exposé au Centre d'information de Vimy a été produit par le gouvernement du Canada dans les deux langues officielles et est de grande qualité.
Le ministre des Anciens Combattants est intervenu promptement et a fait enlever les panneaux dès qu'il a été mis au courant, le 5 avril dernier, des erreurs contenues dans le texte en français, erreurs qu'il a d'ailleurs qualifiées de « tout à fait inacceptables ».
Anciens Combattants Canada prend très au sérieux la responsabilité qui lui incombe de refléter la dualité linguistique du Canada. Les langues officielles du pays doivent être correctement présentées dans tous les lieux et établissements du gouvernement du Canada, y compris au Monument commémoratif du Canada à Vimy en France. Anciens Combattants Canada va continuer de s'assurer que le matériel exposé dans les lieux qui relèvent de sa responsabilité est conforme à la législation canadienne et, à l'avenir, que la traduction de tout le matériel exposé fait l'objet d'un contrôle de la qualité accrue.
Les mesures prises par le Ministère à la suite des erreurs relevées sur les panneaux assureront la haute qualité des produits traduits aux fins de présentation au public, dans le cadre du travail qu'accomplit Anciens Combattants Canada en collaboration avec la population canadienne et d'autres citoyens du monde pour préserver le souvenir des exploits et des sacrifices qu'ont réalisés les Canadiens et les Canadiennes en temps de guerre et de paix et en périodes de conflits.
[Traduction]
LE SÉNAT
HOMMAGE AUX PAGES À L'OCCASION DE LEUR DÉPART
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant que nous passions à l'ordre du jour, j'aimerais signaler qu'à compter d'aujourd'hui et pendant toute la semaine, nous ferons nos adieux aux pages qui nous quittent et leur souhaiterons du succès dans leurs projets futurs.
Notre fière Albertaine, Amy Marlene Robichaud, est page au Sénat du Canada depuis deux ans. Elle est fière d'avoir relevé ce défi exceptionnel. Cet automne, Amy reprendra ses études en administration publique à l'Université d'Ottawa, en plus d'assumer la présidence de l'English Debating Society.
Rachel Dares, de Toronto, en Ontario, a servi comme page pendant qu'elle terminait son baccalauréat en journalisme à l'Université Carleton. Elle s'estime choyée d'avoir pu partager cette expérience d'apprentissage avec une si belle équipe. Dans l'avenir, Rachel prévoit voyager et travailler comme journaliste à l'étranger, faire du parachutisme, apprendre d'autres langues et obtenir son permis de plongée.
Jamie Mouawad, de Moncton, au Nouveau-Brunswick, quitte le programme des pages du Sénat en emmenant avec elle de nombreux bons souvenirs. Son séjour de deux ans au Sénat fut une expérience enrichissante. Jamie a obtenu un diplôme avec distinction en études internationales et en langues modernes à l'Université d'Ottawa. Elle compte approfondir ses études en droit et dans le domaine des droits de la personne.
ORDRE DU JOUR
PROJET DE LOI DE 2006 MODIFIANT LA TAXE DE VENTE
TROISIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT
L'honorable Michael A. Meighen propose que le projet de loi C-40, Loi modifiant la Loi sur la taxe d'accise, la Loi de 2001 sur l'accise, la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien et d'autres lois en conséquence, soit lu pour la troisième fois.
Son Honneur le Président : Quelqu'un veut-il intervenir?
(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)
LA LOI ÉLECTORALE DU CANADA
LA LOI SUR L'EMPLOI DANS LA FONCTION
PUBLIQUE
PROJET DE LOI MODIFICATIF—MOTION D'AMENDEMENT—ADOPTION DU RAPPORT DU COMITÉ
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Oliver, appuyée par l'honorable sénateur Nolin, tendant à l'adoption du douzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, avec des amendements), présenté au Sénat le 5 juin 2007;
Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Nolin, appuyée par l'honorable sénateur Johnson, que le douzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ne soit pas maintenant adopté, mais qu'il soit modifié :
a) par suppression de l'amendement no 1;
b) à l'amendement no 7, par substitution du texte suivant les termes « Page 16, article 40 : » par ce qui suit :
« Remplacer les lignes 30 à 39 par ce qui suit :
« 40. La Loi sur l'emploi dans la fonction publique est modifiée par adjonction, après l'article 50, de ce qui suit :
50.1 Malgré le paragraphe 50(2), l'employé occasionnel peut être nommé au bureau du directeur général des élections en vue d'une élection tenue en vertu de la Loi électorale du Canada, ou d'un référendum tenu en vertu de la Loi référendaire, pour une période ne dépassant pas 165 jours ouvrables par année civile. » »;
c) par le changement de la désignation numérique des amendements 2 à 11 à celle d'amendements 1 à 10.
L'honorable Lorna Milne : Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre aujourd'hui la parole au sujet du douzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui porte sur le projet de loi C-31, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Comme le sénateur Nolin l'a souligné la semaine dernière, ce projet de loi a fait l'objet d'un effort concerté en réponse à un rapport du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre de l'autre endroit, rapport qui a reçu l'appui de tous les partis représentés au sein de ce comité.
La première fois que je me suis penchée sur ce projet de loi, ma principale préoccupation portait sur le changement apporté par le comité chargé de ce projet de loi à l'autre endroit afin de permettre que la date de naissance des électeurs apparaisse sur les listes électorales qui seraient transmises aux bureaux de tous les partis politiques, partout au Canada. Bien que je comprenne qu'un tel renseignement puisse être utile aux candidats, certains membres de votre comité jugeaient que cette utilité serait grandement surpassée par le risque de mauvaise utilisation de ce renseignement aux fins de crimes associés au vol d'identité.
Le projet de loi C-31 apporte aussi un certain nombre de changements à la façon dont les données sont recueillies et tenues à jour dans le Registre national des électeurs. Il permet aussi au directeur général des élections, à Élections Canada, de partager davantage de renseignements avec ses homologues provinciaux. De plus, le projet de loi C-31 permet aux directeurs du scrutin de mettre à jour le Registre national des électeurs entre les périodes électorales, et non uniquement durant les périodes électorales comme c'est le cas actuellement.
Honorables sénateurs, c'est sur l'embauche d'employés avant, durant et après les périodes électorales que je veux mettre l'accent aujourd'hui dans mon discours. Dans la première version de ce projet de loi, les articles 40 et 41 visaient à modifier la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Les fonctionnaires qui accompagnaient le ministre Van Loan lors de sa comparution devant le comité, le 10 mai 2007, ont expliqué que ces dispositions permettraient de prolonger, par règlement, la durée d'emploi des employés électoraux occasionnels au-delà de la période actuelle de 90 jours, pour une période non définie.
Lorsqu'on a demandé clairement si ces dispositions visaient expressément les employés électoraux et si elles permettraient au directeur général des élections d'embaucher les mêmes personnes deux fois si, par hasard, il y avait deux élections au cours d'une même année, Mme Natasha Kim, conseillère principale en politiques au Secrétariat de la législation et de la planification parlementaire du Bureau du Conseil privé, a simplement répondu oui. Ce n'est cependant pas ce que l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada nous a appris quelques jours plus tard.
(1510)
Les représentants de l'Institut ont avisé les membres du comité que ces dispositions auraient une incidence sur l'ensemble de la fonction publique fédérale, et non seulement sur Élections Canada, fait qui a d'ailleurs été confirmé par la présidente de la Commission de la fonction publique, Maria Barrados, lorsqu'elle est venue témoigner devant le comité. Et cela arrive à un moment où les médias ont beaucoup parlé du fait que seulement 15 000 des 45 000 personnes embauchées par le gouvernement fédéral en 2005 occupaient des postes permanents ou des postes dotés pour une période déterminée. De plus, Mme Barrados nous a dit qu'elle avait négocié une entente selon laquelle aucun de ces employés temporaires ne serait ou ne pourrait être embauché pour plus de 165 jours. Toutefois, cette limite ne se trouvait nulle part dans le projet de loi.
Honorables sénateurs, cette contradiction apparente a mis certains membres du comité devant un dilemme. Un certain nombre d'entre eux voulaient aider le directeur général des élections en prolongeant la durée d'emploi des employés électoraux embauchés par Élections Canada dans les cas où il y a plus d'une élection au cours d'une année civile, mais pas au prix de changer la façon dont l'ensemble de la fonction publique embauche ses employés occasionnels. Par conséquent, les membres du comité ont voté pour la suppression des articles 40 et 41 dans le projet de loi C-31.
Je ne crois pas que le comité ait voulu à quelque moment que ce soit faire obstacle à la tenue d'élections justes dont les résultats seraient dignes de foi, alors j'ai été contente d'apprendre que le gouvernement présenterait une solution de rechange à l'étape du rapport. Cette solution, c'est-à-dire l'amendement proposé par le sénateur Nolin, réduit la portée des articles s'appliquant à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique de manière à ce qu'ils portent uniquement sur le recours à des employés occasionnels par Élections Canada pour une période n'excédant pas 165 jours. La limite actuelle de 90 jours demeurera en vigueur pour tous les autres ministères.
J'appuie l'amendement du sénateur Nolin pour deux raisons. Premièrement, je crois qu'Élections Canada n'aura plus à craindre de perdre des employés occasionnels d'expérience à cause d'une disposition de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique conçue pour s'appliquer dans l'ensemble de la fonction publique fédérale. Grâce à cet amendement, le directeur général des élections et son personnel pourront surmonter les difficultés dont le sénateur Nolin a parlé dans son discours du 6 juin et pourront continuer de veiller au bon fonctionnement du système électoral démocratique du pays.
Deuxièmement, j'appuie l'amendement du sénateur Nolin parce qu'il limite la portée de la disposition. L'amendement prévoit que la disposition s'appliquera uniquement au personnel embauché par le bureau du directeur général des élections pour la tenue d'élections et de référendums. Compte tenu de la formulation de l'amendement, la Commission de la fonction publique et les autres organes de l'administration fédérale ne pourront pas se servir de la disposition pour modifier sensiblement les règles à suivre lorsqu'ils font appel à des employés occasionnels ou qu'ils souhaitent les maintenir au sein de l'effectif dans la fonction publique fédérale.
Bien que le système actuel d'embauche des fonctionnaires ne soit pas parfait, je doute que, dans l'autre endroit, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre ait eu l'intention d'améliorer ce système dans son ensemble lorsqu'il a étudié les modifications à apporter à la Loi électorale du Canada.
Pour terminer, honorables sénateurs, j'aimerais profiter de l'occasion pour remercier tous les sénateurs qui ont pris part aux travaux sur le projet de loi C-31 du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Leur contribution a été d'une grande utilité pour évaluer la série de problèmes complexes que vise à résoudre ce projet de loi.
Après avoir étudié le projet de loi et l'amendement proposé par le sénateur Nolin, j'invite les honorables sénateurs à appuyer cet amendement pour les raisons que je viens de donner. Il s'agit d'un projet de loi important qui, je l'espère, facilitera la tenue des élections futures et permettra aux Canadiens de continuer d'éprouver le même sentiment de fierté à l'égard de leur système électoral.
Son Honneur la Présidente intérimaire : D'autres sénateurs veulent-ils prendre la parole? Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion modifiée?
(La motion modifiée est adoptée.)
Son Honneur la Présidente intérimaire : Nous passons maintenant à la motion principale modifiée, le douzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles sur le projet de loi C-31.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion modifiée?
(La motion modifiée est adoptée et le rapport est adopté.)
Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand le projet de loi sera-t-il lu pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Nolin, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)
L'ÉTUDE DE LA PROPOSITION RELATIVE AUX FRAIS D'UTILISATION CONCERNANT LE PROGRAMME INTERNATIONAL POUR LES JEUNES
ADOPTION DU RAPPORT DU COMITÉ DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
Le Sénat passe à l'étude du treizième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international (Proposition relative aux frais d'utilisation du ministère des Affaires étrangères concernant le Programme international pour les jeunes), présenté au Sénat le 6 juin 2007.
L'honorable Consiglio Di Nino propose que le rapport soit adopté.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)
LA LOI DU TRAITÉ DES EAUX LIMITROPHES INTERNATIONALES
PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT
L'honorable Pat Carney propose que le projet de loi S-225, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales (captage massif d'eau), soit lu pour la deuxième fois.—(L'honorable sénateur Carney, C.P.)
— Honorables sénateurs, les Canadiens croient que nos précieuses ressources d'eau douce sont protégées des visées de nos voisins. Mon grand-père, John Joseph Carney, qui s'est établi dans la vallée de l'Okanagan dans les années 1890, le croyait aussi. Il avait tort.
La maison en rondins de mon grand-père était construite sur le versant aride d'une colline donnant sur la vallée Ellison, qui était exposée en plein soleil et qui servait alors de pâturage pour le bétail — c'était avant les vergers et les vignobles. Le principal attrait de la propriété était un gros ruisseau d'eau bouillonnante appelé Punch Bowl, qui traversait un fourré de saules près de la maison.
Lorsque la question des droits d'utilisation de l'eau a été introduite, John Joseph s'est indigné. Pourquoi donc avait-il besoin d'un permis pour une source d'eau située tout près de sa maison? Il s'en est plaint à son épouse, Bridget, mais celle-ci a insisté pour qu'il selle son cheval, Billy, et qu'il se rende en ville pour demander le permis nécessaire.
Fils d'immigrants irlandais, John Joseph raffolait du whisky. Il s'est donc arrêté dans un bar pour se désaltérer et pour discuter de la question du permis avec ses acolytes. Il n'est malheureusement pas arrivé à temps au bureau des eaux. Par contre, son voisin est arrivé à temps pour s'accaparer les droits d'exploitation du bassin Punch Bowl, juste à côté de la maison des Carney. Cet événement a marqué le début du déclin de notre propriété familiale.
J'ai déjà raconté cette histoire au Sénat. Lorsque le vieux John Joseph est décédé, il n'y avait ni grain dans la grange ni bétail dans les pâturages. Tout avait disparu car il n'avait pas d'eau pour la propriété. La question des droits et des permis d'utilisation de l'eau est devenue un enjeu viscéral pour notre famille. Il y a quelques semaines, je suis passée près de la vieille propriété. C'est un terrain privé, alors je n'y suis pas allée, mais j'ai pu voir que le bosquet de saules était toujours là. Je n'ai donc pas su s'il y avait encore de l'eau dans le Punch Bowl.
Pendant que j'occupais les fonctions de ministre responsable de l'Accord de libre échange nord-américain, en 1986, je surveillais de près les questions relatives à l'eau. Mon négociateur en chef, Simon Reisman, partisan déclaré d'un organisme appelé Alliance nord-américaine pour l'eau et l'énergie, APAWA, préconisait la construction de barrages sur pratiquement toutes les rivières de l'Alaska et de la Colombie-Britannique pour détourner l'eau vers une dépression naturelle de 500 milles de long appelée sillon des Rocheuses pour l'acheminer ensuite vers le sud, au Texas, en Californie et au Mexique, ce qui aurait été le plus grand projet d'ingénierie du monde. L'opposition du Canada a eu raison de ce projet. L'ALE ne fait à peu près pas référence à l'eau. Il en est question à la liste tarifaire 22.01, qui traite des eaux minérales naturelles ou artificielles, des eaux aérées auxquelles on n'a pas ajouté de sucre, d'édulcorants ou d'arômes. À un moment donné, on a ajouté « la glace et la neige », ce qui est plutôt ambigu.
(1520)
L'ALE et l'ALENA qui a suivi, et qui inclut le Mexique, prévoient aussi que, si un produit comme l'eau devient un produit échangeable, le Canada pourrait devoir accorder aux sociétés américaines et mexicaines un traitement national. Le Canada serait essentiellement obligé d'accorder aux Américains et aux Mexicains le même accès qu'ont les Canadiens aux ressources en eaux douces si l'eau devenait un produit échangeable.
Évidemment, pour nous protéger, il faut interdire les exportations de quantités massives d'eau, ce que le gouvernement Mulroney a fait avec sa Politique nationale de l'eau, une politique que le gouvernement Harper maintient. Cependant, une politique n'est pas une loi et on peut la modifier sans passer par le processus parlementaire. C'est pourquoi, en 2001, en ma qualité de porte-parole du Parti conservateur au Sénat, j'ai commencé à m'inquiéter au sujet du projet de loi C-6, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, présenté par le gouvernement libéral.
Ce projet de loi, qui n'avait rien d'éclatant, a été présenté comme une mesure interdisant les prélèvements massifs d'eau. Il a été adopté par la Chambre des communes sans que personne ne remarque qu'il permettait en fait de tels prélèvements là où il n'existait pas de telle permission auparavant. Le sénateur Corbin, un libéral du Nouveau-Brunswick, avait déclaré que le projet de loi C-6 inscrirait dans la législation « une disposition sans ambiguïté sur les prélèvements d'eau libre dans les bassins relevant des pouvoirs du gouvernement fédéral ».
Même si le projet de loi C-6 a été présenté comme un projet de loi de nature administrative devant donner force de loi au traité et clarifier l'opposition du gouvernement en ce qui concerne les prélèvements de grandes quantités d'eau, il a été rédigé d'une façon qui pouvait permettre ces prélèvements.
L'intention du projet de loi C-6 n'a jamais figuré dans le texte législatif; on l'a simplement sous-entendue dans la réglementation qui, comme nous le savons en notre qualité de législateurs, peut être modifiée sans passer par le Parlement.
Le projet de loi ne définissait pas ce qu'on entendait par prélèvement massif d'eau, et c'est sa première lacune. Il interdisait quelque chose qu'il ne définissait pas. La définition a été ajoutée par la suite dans le règlement, qui peut être modifié, et interdisait le prélèvement d'un débit continu de plus de 50 000 litres par jour, ce qui représente environ un camion-citerne d'eau.
Deuxièmement, il y a eu des exceptions à l'interdiction de faire des prélèvements massifs d'eau. Dans le cadre d'un règlement, le ministre des Affaires étrangères pouvait, sous certaines conditions, accorder des permis concernant les prélèvements massifs d'eau. Au cours des délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, de nombreux experts ont exprimé les mêmes préoccupations que moi à l'égard du projet de loi C-6.
Par exemple, l'avocat Barry Appleton, spécialiste du droit commercial, a dit ceci :
Si les objectifs du projet de loi consistent à régler le dossier de l'eau douce dans le contexte d'une stratégie globale, je dirais que le projet de loi C-6 est déficient. Plutôt que de créer l'occasion d'établir une politique globale des eaux qui repose sur le principe du développement durable — ce qui me semble être l'objectif ici —, la législation a créé un mécanisme pour accorder des licences, sous certaines conditions, pour que de l'eau puisse être exportée du Canada aux États-Unis. Je suis sûr que cela n'était pas son intention. Tout de même, selon la façon dont le projet de loi est formulé, c'est visiblement l'effet obtenu.
M. Howard Mann, également expert dans le domaine, a dit :
Il y a un risque véritable. [...] une fois que les exportations commencent, les autorités gouvernementales, qu'elles soient fédérales ou provinciales, ne peuvent arbitrairement empêcher qu'elles se poursuivent. [...] S'engager dans cette voie, c'est s'engager vraiment.
M. Nigel Bankes, professeur de droit à l'Université de Calgary, a dit :
Pour ce qui est de savoir si le projet de loi C-6, qui donne des pouvoirs discrétionnaires au gouverneur en conseil et qui confère d'autres pouvoirs par voie de règlement, peut servir à autoriser des exportations en vrac d'eaux limitrophes, je pense que la réponse est oui. Est-ce que le captage d'eau à des fins d'irrigation aux États-Unis serait autorisé s'il est possible de prouver, dans le cadre d'une évaluation environnementale ou autrement, qu'il n'influerait pas le niveau des eaux limitrophes?
Certains de mes collègues conservateurs, notamment le sénateur Murray, qui était conservateur à l'époque et qui l'est toujours, ont vainement tenté de proposer au projet de loi C-6 des amendements tenant compte de ces préoccupations.
Je suis ravie de présenter le projet de loi S-225, qui remédie enfin à certaines lacunes perçues dans la loi actuelle. Cette mesure législative assurerait une meilleure protection de nos réserves d'eau douce qui sont en train de devenir notre plus précieuse ressource.
Le projet de loi S-225 est court et il vise simplement à modifier la Loi du traité des eaux limitrophes internationales afin d'interdire le captage massif d'eaux limitrophes des bassins hydrographiques où elles se trouvent. L'interdiction s'applique à toutes les eaux limitrophes au sens de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales. Le projet de loi prévoit certaines exceptions pour des utilisations bien déterminées, comme la lutte contre les incendies. Toutefois, on ne prévoit plus de pouvoir de réglementation permettant d'établir d'autres exceptions, ce qui est très important. Chose plus importante encore, le projet de loi exige que certains règlements proposés soient présentés à chacune des Chambres du Parlement et il prévoit que ces règlements ne pourront être pris si l'une ou l'autre des Chambres adopte une motion désapprouvant le règlement proposé.
L'article 1 modifie l'article 10 de la loi existante en définissant l'expression « captage massif d'eaux limitrophes » dans la loi plutôt que dans le Règlement où cette expression est actuellement définie. J'ai déjà déclaré qu'il était facile de modifier le Règlement, mais non la loi. J'ai utilisé la même définition que l'on retrouve actuellement dans le Règlement, c'est-à-dire le captage de plus de 50 000 litres d'eaux limitrophes, traitées ou non, par dérivation, notamment grâce à un pipeline, canal, tunnel, aqueduc ou chenal. Toutefois, cela ne prévoit pas le transfert à l'extérieur du bassin hydrographique de tout produit qui contient de l'eau, par exemple de l'eau embouteillée ou toute autre boisson en bouteille ou autre.
L'article 2 modifie l'article 13 de la loi et prévoit l'interdiction du captage massif. Il interdit le captage massif d'eaux limitrophes, par utilisation ou dérivation, sauf si elles doivent être utilisées « à bord d'un moyen de transport, notamment un navire, un aéronef ou un train » ou encore, comme je l'ai souligné, « pour la lutte contre les incendies ou à des fins humanitaires, de façon temporaire, dans le cadre d'un projet non commercial. »À ces fins, pour l'application du traité,
[...] le captage massif d'eaux limitrophes est réputé, étant donné l'effet cumulatif de ce type d'activité, modifier le débit ou le niveau naturels des eaux limitrophes de l'autre côté de la frontière internationale.
L'article 3 porte sur la question de la participation parlementaire, alors que, dans la loi actuelle, le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre, peut prendre un règlement et définir, par exemple, les termes des articles 11 à 26, conformément aux dispositions de l'alinéa 21(1)c).
Le nouveau paragraphe 21(3) du projet de loi S-225 exige que tout projet de règlement soit déposé devant chaque Chambre du Parlement, après quoi il peut être renvoyé au comité compétent de celle-ci. Par la suite, le comité peut, dans les 30 jours de séance, présenter à la Chambre un rapport de rejet du projet de règlement. Une motion visant l'adoption du rapport est alors présentée et mise aux voix en conformité avec la procédure de la Chambre.
Enfin, le règlement proposé peut être pris si aucun rapport de rejet n'est présenté ou si la motion visant l'adoption du rapport est rejetée.
Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a laissé entendre que la Loi sur les textes réglementaires accordait déjà au Parlement la permission d'étudier les règlements. Cette loi permet seulement au Comité mixte permanent d'examen de la réglementation d'examiner les règlements qui ont déjà été mis en vigueur, une fois qu'ils sont un fait accompli. Il n'existe aucun mécanisme qui exigerait qu'un règlement changeant la définition de « captage massif d'eaux limitrophes » soit porté à l'attention du Parlement avant son adoption. Il n'est pas inhabituel qu'un tel processus prenne jusqu'à 18 ans à ce comité.
Il est vrai que le captage massif d'eaux est interdit, mais seulement dans la mesure où cela correspond à la définition qui figure dans le règlement. Il suffirait de le modifier pour que les 50 000 litres se transforment en 1 million de litres sans même qu'il y ait eu d'examen parlementaire.
Tout semble être une question de sémantique puisque le paragraphe 21(1) autorise le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre, à prendre un règlement ou à modifier le règlement actuel et, ainsi, la définition de l'expression « captage massif d'eaux limitrophes » pourrait à tout moment être modifiée de façon importante sans que les parlementaires soient consultés.
(1530)
Il y a d'autres interprétations du libellé actuel de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales lorsqu'il s'agit de règlements d'application. Le projet de loi S-225 est donc une occasion en or pour discuter de toutes ces questions. Il faut aborder ce dossier avec un esprit ouvert.
J'ai rencontré pendant la journée des fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international pour discuter du projet de loi que je propose. J'ai trouvé leurs opinions fascinantes, bien que parfois déroutantes, et j'ai hâte de les entendre expliquer leurs préoccupations plus à fond, lorsque le projet de loi sera étudié par le comité.
Au fond, ces fonctionnaires affirment que le projet de loi proposé est inutile. Ils rejettent la prémisse selon laquelle la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, modifiée en 2001, est imparfaite. Ils soutiennent en fait qu'elle assure une protection de très haut niveau, pour citer une lettre du sous-ministre Leonard Edwards. Les modifications que je propose leur semblent donc inutiles.
Voici le raisonnement qu'ils tiennent à propos du captage d'eau massif : la LTELI ne traite aucunement des exportations d'eau massives. Elle interdit plutôt le captage massif, sous réserve de certaines exceptions, dans les eaux limitrophes du Canada. Puisque le captage est interdit, soutiennent-ils, la question des exportations ne se pose pas. Voici ce que dit encore la lettre du sous-ministre : cette approche a été retenue, de préférence à une interdiction de l'exportation, expressément pour éviter que l'eau ne soit soumise aux exigences de l'ALENA.
Ce traitement de l'eau comme ressource dans son état naturel plutôt que comme produit pouvant faire l'objet d'un commerce est largement reconnu par la réglementation d'autres pays sur le commerce mondial, prétendent les fonctionnaires. Je crois savoir que cela est juste, pour l'instant, mais que cela pourrait être contesté.
La LTELI s'applique seulement aux bassins qui touchent la frontière canado-américaine, disent-ils. Voilà qui est déroutant, car la loi s'applique à la portion canadienne du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, au bassin de la baie d'Hudson et au bassin des rivières Saint-Jean et Sainte-Croix. Je ne savais pas que la frontière internationale passait par la baie d'Hudson, mais les fonctionnaires ont expliqué que le lac des Bois, qui est traversé par la frontière internationale, est considéré comme faisant partie du bassin de la baie d'Hudson. Toutefois, ce raisonnement ne vaut pas pour le lac Champlain, que les Canadiens considèrent comme une étendue d'eau limitrophe et les Américains comme une rivière. Vous pouvez voir quelles ambiguïtés la loi actuelle suscite.
Des cours d'eau internationaux comme le Columbia et la Kootenay, dans ma province, la Colombie-Britannique, ne sont pas visés par la LTELI parce qu'ils ne constituent pas des eaux limitrophes, mais des eaux transfrontalières. Ils sont en soi des exportateurs de quantités d'eau massives, puisqu'ils coulent d'un pays vers l'autre. Ces eaux sont visées par d'autres traités internationaux, disent les fonctionnaires.
Les provinces ont compétence à l'égard des bassins hydrographiques situés dans leur territoire, et toutes les provinces ont des lois qui portent sur le captage massif d'eau, sauf le Nouveau-Brunswick, qui a une politique interdisant les exportations massives d'eau — et qui prévoit légiférer, mais il en est question depuis plusieurs années.
Mes inquiétudes au sujet des larges pouvoirs discrétionnaires que la LTELI confère au ministre pour accorder des exceptions à l'interdiction du captage massif sont sans fondement, disent les fonctionnaires, car ces permis doivent respecter l'esprit de la loi. Je rétorque ceci : l'esprit de la loi permet d'octroyer des permis.
Selon moi, la définition de la notion de « captage massif d'eaux limitrophes » devrait figurer dans la loi plutôt que dans un règlement d'application, qui peut être modifié sans recours au Parlement, mais les fonctionnaires disent que cela empêcherait de modifier la définition ou de tenir compte d'innovations technologiques, comme l'utilisation de citernes souples, et le gouvernement ne pourrait réagir rapidement à d'éventuelles transgressions de la loi. En fait, ils pourraient ajouter une raison claire, mais qui reste tacite : les fonctionnaires n'aiment pas les lois élaborées par les parlementaires; ils préfèrent les règlements rédigés par les fonctionnaires. En fait, je rejette leurs objections, car il est possible de légiférer très rapidement, au besoin, et le processus réglementaire peut prendre des mois, voire des années, comme nous l'avons constaté.
Enfin, les fonctionnaires prétendent que la surveillance nécessaire des règlements est déjà en place, grâce à la Loi sur les textes réglementaires. Voilà qui me semble très inquiétant, car, comme je l'ai déjà dit, les sénateurs qui connaissent bien le processus savent que l'examen a lieu après le fait et peut prendre des années. Il n'y a pas de délais normalisés.
Les fonctionnaires soutiennent que le ministère, six ans après l'adoption des modifications initiales, prend maintenant des mesures pour renforcer le régime de permis de la LTELI selon le Règlement sur les dispositions législatives et réglementaires désignées pris en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale. Cela voudrait dire que tout projet exigeant un permis aux termes de la Loi du traité sur les eaux limitrophes internationales donnerait lieu automatiquement à une évaluation environnementale lorsque certaines normes ont été respectées. Ceux qui ont été soumis à ce processus le trouveront au mieux imprévisible.
En fait, il existe plusieurs précédents de contrôle parlementaire de règlements pris en vertu d'une loi. Voilà le type de contrôle réglementaire qui est réclamé dans le projet de loi S-225. Les dispositions réglementaires porteraient sur des questions clés comme ce qui constitue, aux fins de la loi, une utilisation ou un usage, une obstruction, une diversion ou un ouvrage, la définition de tout mot ou de toute expression employés dans les articles 11 à 26 et qui ne sont pas définis dans la loi, et les exceptions à l'application des paragraphes 11(1) et 12(1).
J'ai demandé aux fonctionnaires de répondre aux inquiétudes de nombreux Canadiens en renforçant la Loi du traité sur les eaux limitrophes internationales pour faire en sorte que, désormais, le Parlement, représentant tous les Canadiens, puisse contrôler tous les règlements, toutes les modifications de règlements qui risquent d'ouvrir la porte à des exportations massives d'eau maintenant ou plus tard. Les Canadiens veulent prendre part à ce débat, mais la loi existante les empêche de le faire.
Pour montrer aux honorables sénateurs toute la complexité de la question, je vais citer les propos tenus en 2001 par John Manley, alors ministre des Affaires étrangères, lors de la modification initiale de la Loi du traité sur les eaux limitrophes internationales :
... pour être crédible, toute politique à ce sujet doit tenir compte de deux facteurs importants. En premier lieu, la gestion des eaux canadiennes est du ressort de plusieurs compétences. Deuxièmement, toute approche du problème doit tenir compte de nombreux facteurs naturels et artificiels qui grèvent lourdement nos ressources en eau.
Prétendre qu'un gouvernement peut, à lui seul, trancher la question d'un coup de baguette législative, ou que l'on puisse la réduire à une seule dimension, telle «l'exportation d'eau», comme le voudraient certaines critiques, serait irréaliste, inefficace et contraire à notre but à tous.
Sauf que, dans la loi actuelle, notre but à tous n'est pas très clair.
J'ai conclu que les honorables sénateurs devraient appuyer le projet de loi et l'adopter à l'étape de la deuxième lecture pour que nous puissions le renvoyer au comité en vue d'une étude minutieuse du problème que je viens d'exposer.
L'honorable Jerahmiel S. Grafstein : Madame le sénateur me permettrait-elle de lui poser une question ou deux?
Le sénateur Carney : Bien sûr.
Le sénateur Grafstein : Honorables sénateurs, je félicite madame le sénateur du vaste examen qu'elle a fait de cette question fort importante. Je conviens avec elle qu'il y a beaucoup de confusion et qu'il y a chevauchement des responsabilités, dans les lois, entre les ordres fédéral et provincial. Félicitations, donc, pour cette intervention. Selon moi, il faut renvoyer le projet de loi au comité le plus rapidement possible pour que nous puissions étudier de façon intensive ce que je considère comme un domaine déroutant et confus, celui des exportations massives d'eau. J'appuie le principe préconisé par le sénateur.
Cela dit, ce n'est qu'une partie de l'équation. L'autre partie, ce sont les Américains. Lorsqu'il s'agit d'une frontière et d'un traité, il y a toujours deux parties. Voici ma question : comment ma collègue peut-elle être convaincue que, si nous adoptons cette mesure, une mesure ou une disposition semblable sera adoptée aux États-Unis pour faire en sorte que notre objectif à tous soit atteint, c'est-à-dire que les exportations massives ne soient pas permises sans une approbation fédérale ou au moins une approbation gouvernementale?
Le sénateur Carney : Honorables sénateurs, il est impossible d'avoir cette assurance. Comme le ministre Manley l'a dit dans son premier discours de deuxième lecture, il doit y avoir huit États dans la région des Grands Lacs, en plus de l'Ontario et du Québec, qui s'intéressent à certaines de ces questions. Nous ne savons pas. Les réponses des bureaucrates, selon qui les autres questions sont régies par d'autres traités internationaux, comme celui du Columbia, ne me rassurent pas beaucoup, car nous ne connaissons pas vraiment très bien tous ces traités.
(1540)
Je pense que l'examen de la modification que je propose nous permettrait d'effectuer un survol complet de ce que nos traités couvrent, à savoir l'eau douce, les eaux limitrophes et les eaux transfrontalières. Nous pourrions même aborder ce qui vous intéresse dans les eaux douces intérieures afin de découvrir quelles sont les protections. Il ne sert pas à grand-chose que nous interdisions le prélèvement d'eau de notre côté de la frontière, par exemple dans les Grands Lacs, si les États-Unis ne se dotent pas de mesures législatives parallèles. Les fonctionnaires m'ont dit que certains États avaient convenu de mesures législatives parallèles mais d'autres non. Toutefois, le grand public ne le sait pas. Voilà l'occasion d'examiner cet enjeu avant qu'il ne se transforme en crise.
Le sénateur Grafstein : Honorables sénateurs, supposons que le projet de loi a été adopté, que le gouvernement fédéral s'est engagé à agir et que nous avons départagé les responsabilités des différentes administrations; supposons qu'il est absolument clair que l'eau du côté canadien est frappée d'une interdiction. À l'heure actuelle, d'après ce que je comprends, au moins un grand embouteilleur vient au Canada, installe un tuyau, tire l'eau, puis la nettoie ou la minéralise, ou peu importe, et la met dans des bouteilles que nous utilisons de temps en temps ici, au Sénat.
Supposons un instant que nous ne réussissons pas à atteindre notre objectif global, qui est d'avoir un système sûr et strict pour empêcher les exportations massives. Comment le projet de loi empêcherait-il cette activité, si les Américains ne sont pas d'accord? Je suis en train de parler de notre côté de la frontière.
Le sénateur Carney : Honorables sénateurs, comme je l'ai dit, l'Accord de libre-échange permet à l'eau embouteillée de traverser la frontière. Ce type d'eau n'est pas visé par le concept de prélèvement massif. Je le répète : à mon avis, l'un des problèmes est que l'eau en vrac n'est définie nulle part. C'est un des problèmes graves.
Mon projet de loi ne vise nullement à stopper les envois transfrontaliers d'eau embouteillée destinée à la consommation humaine. Toutefois, je souhaite que le Parlement examine minutieusement tout règlement autorisant le prélèvement massif d'eau, de manière à ce que ce genre de prélèvement soit conforme à l'esprit de la loi.
(Sur la motion du sénateur Segal, le débat est ajourné.)
LA LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU
PROJET DE LOI MODIFICATIF—TROISIÈME LECTURE
L'honorable David Tkachuk propose que le projet de loi C-294, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (programmes sportifs et récréatifs), soit lu pour la troisième fois.—(L'honorable sénateur Nancy Ruth)
— Honorables sénateurs, ce projet de loi existe sous une forme ou une autre depuis plusieurs sessions parlementaires. Je souhaite remercier les membres du comité, en particulier le président, le sénateur Day, et la vice-présidente, le sénateur Nancy Ruth, pour avoir fait progresser rapidement cette mesure législative proposée à l'étape du comité. Je tiens également à remercier le sénateur Mahovlich, ainsi que le député de Prince-Albert, M. Brian Fitzpatrick, d'avoir été si tenaces et concentrés dans cette entreprise. Le projet de loi C-294 est plutôt anodin, mais il aura un effet salutaire pour de nombreux jeunes athlètes, hommes ou femmes, de ce pays.
Selon moi, ce projet de loi redresse un tort qui avait été commis quand le gouvernement a décidé d'imposer les allocations pour pension et logement. Je suis persuadé que tous les jeunes athlètes seront reconnaissants du bon travail accompli par les honorables sénateurs.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)
LA LOI SUR L'IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS
PROJET DE LOI MODIFICATIF—DEUXIÈME LECTURE—AJOURNEMENT DU DÉBAT
L'honorable Yoine Goldstein propose que le projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171), soit lu pour la deuxième fois.—(L'honorable sénateur Comeau)
— Honorables sénateurs, le projet de loi C-280, tendant à modifier la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, est extraordinairement simple. Il ne contient qu'un seul paragraphe, portant sur l'entrée en vigueur des articles 110, 111 et 171 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Ces dispositions créent une nouvelle section d'appel des réfugiés au sein de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada. Ces articles de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés visaient la création d'une telle section, mais n'ont jamais été mis en vigueur et le nouveau mécanisme d'appel n'a jamais été créé.
Derrière cette apparente inactivité de certains gouvernements, y compris, malheureusement, les gouvernements libéraux, on trouve une histoire assez complexe. On affirme que la politique engendre des alliances bizarres. Cela n'a jamais été plus clair que dans cette situation, car je parraine au Sénat un projet de loi d'initiative parlementaire qui a été présenté par le Bloc québécois à l'autre endroit. Je fais peu d'efforts pour expliquer l'inactivité des gouvernements libéraux précédents, mais je suis soulagé par le fait que je condamne également l'inactivité du présent gouvernement.
J'ai parlé à deux anciens ministres de l'Immigration et à deux anciens arbitres qui ont affirmé que tout le système relatif aux réfugiés ainsi qu'à l'admission des réfugiés et à la reconnaissance du statut de réfugié devrait être changé mais, malheureusement, cela ne se produira pas de sitôt. Honorables sénateurs, apportons les changements que nous pouvons, même si cela ne constitue pas une solution idéale.
Voici l'histoire, qui est assez complexe. En 1951, les Nations Unies ont adopté la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés. Le Canada est partie à cette convention. En vertu de celle-ci, le Canada ne peut pas renvoyer directement ou indirectement des réfugiés dans un pays où ils seront persécutés. L'article 33 de la Convention des Nations Unies énonce les responsabilités des États en ce qui concerne la protection des réfugiés de la manière suivante :
1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.
(1550)
Bien que tous les cas de réfugiés soient délicats, ils le sont encore plus si la liberté du réfugié en question est menacée advenant qu'il soit expulsé vers un autre pays — généralement son pays d'origine, mais pas toujours.
Le Canada a le mérite d'avoir mis sur pied la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada conformément à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, qui a reçu la sanction royale en novembre 2001 et qui est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Cette loi, qui à l'époque avait été présentée pour la première fois, avait été conçue pour moderniser le processus de détermination du statut de réfugié.
Devant traiter, annuellement, entre 23 000 et 38 000 revendications du statut de réfugié et demandes d'asile connexes, la Section de la protection des réfugiés était surchargée, ce qui a entraîné des retards inacceptables.
Cette situation était clairement inacceptable. Les retards dans le traitement des revendications sont très difficiles à vivre pour les demandeurs du statut de réfugié et leur famille, et bien que le traitement des revendications par le Canada pendant la Seconde Guerre mondiale ait été abominable, récemment, le processus de détermination du statut de réfugié s'est beaucoup amélioré, ce qui nous a valu un bon bilan, pour ne pas dire un bilan exceptionnel, en ce qui concerne le traitement des revendications du statut de réfugié.
La loi de 2001 a été conçue afin de simplifier le processus. Aux termes de la Loi sur l'immigration de 1985, les revendications du statut de réfugié étaient entendues par des tribunaux composés de deux commissaires. En cas d'opinions divergentes entre les deux commissaires, la décision en faveur du demandeur était, dans la plupart des cas, considérée comme étant la décision du tribunal.
La simplification prévue dans la nouvelle loi consistait à réduire de deux à un le nombre de commissaires qui traitent les revendications, doublant ainsi, en théorie, le nombre de revendications qu'on pourrait traiter avec le même nombre d'employés. Cependant, à cause du risque d'erreurs accru découlant du fait que les revendications étaient traitées par un seul commissaire, la loi prévoyait aussi la création de la Section d'appel des réfugiés, chargée d'examiner les décisions et, quand les circonstances l'exigent, de les renverser dans l'intérêt du demandeur.
Tandis que l'on proclamait et mettait en œuvre sans délai les dispositions qui ramenaient le nombre de commissaires des tribunaux de deux à un, les dispositions de protection, qui créaient une section d'appel chargée de rattraper les erreurs occasionnelles, n'ont jamais été mises en œuvre. En répondant à des questions sur le sujet, au début de 2004, l'ancienne ministre de l'Immigration, Judy Sgro, déclarait ceci :
Il importe que les gens qui recherchent la protection de notre pays la reçoivent le plus rapidement possible. Mettre en place à ce moment-ci le système d'appel auquel vous avez fait allusion aurait, je crois, complètement paralysé le système.
Exactement un an plus tard, le ministre de l'Immigration, M. Joseph Volpe, déclarait :
Encore trop de temps s'écoule avant qu'une décision ne soit prise et avant que les décisions prises aient des répercussions. Le fait d'ajouter un autre mécanisme de révision ou d'appel à ce que nous offrons déjà ne nous permettra pas vraiment de régler ce problème. En fait, le résultat pourrait être pire. J'ai donc décidé de ne pas mettre la [Section d'appel des réfugiés] sur pied.
Sauf le respect que je dois à ces deux ministres, de même qu'au ministre actuel, qui refuse aussi de mettre sur pied la Section d'appel des réfugiés, aucun d'entre eux n'a le droit ou n'a eu le droit de mettre de côté la volonté exprimée par le Parlement et, quoi qu'il en soit, leur raisonnement à cet égard est fautif.
Lorsque le projet de loi C-11, qui créait la Section d'appel des réfugiés, a été adopté, Peter Showler, alors président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a déclaré ceci devant le comité :
Dorénavant, la grande majorité des décisions de protection seront rendues par un seul commissaire, contrairement au modèle actuel en vertu duquel les revendications sont normalement entendues par un tribunal composé de deux commissaires. Les audiences tenues par un commissaire unique sont un moyen beaucoup plus efficace de trancher les revendications. Il est vrai que les revendicateurs ne pourront plus tirer profit du bénéfice du doute actuellement accordé par un tribunal composé de deux commissaires. Toutefois, cet inconvénient perçu est largement compensé par la création de la Section d'appel des réfugiés, la SAR, où tous les demandeurs d'asile déboutés et le ministre pourront interjeter appel [...]
Le gouvernement de l'époque a réduit la composition des tribunaux de deux membres à un membre en promettant qu'une Section d'appel des réfugiés serait mise sur pied. En fait, cette section était bel et bien créée par la loi, mais la partie de la loi où elle se trouve n'a jamais été promulguée.
Honorables sénateurs, l'absence de promulgation trahit la confiance des Canadiens. Cela revient à faire fi de la volonté du Parlement. Bien que les demandeurs d'asile dont la demande est refusée aient le droit de demander un examen judiciaire de la Section de première instance de la Cour fédérale, cet examen ne permet pas de remplacer la décision de la Commission du statut de réfugié par une décision d'un tribunal. La seule chose possible est le renvoi de la décision à une commission, là encore, composée d'un seul membre, pour un nouvel examen. Honorables sénateurs, cela est injuste, et ce projet de loi vise à remédier à cette injustice. Si nous ne pouvons pas offrir aux demandeurs d'asile la possibilité raisonnable de revendiquer le statut de réfugié et si, de fait, on ne donne aux demandeurs d'asile qu'une seule chance, une seule audience devant un seul arbitre, sans aucun recours, dans la pratique, notre système condamne certains réfugiés véritables à la torture et à la mort.
Le Canada ne devrait jamais approuver l'injustice. Je recommande vivement aux honorables sénateurs d'appuyer ce projet de loi.
(Sur la motion du sénateur Comeau, le débat est ajourné.)
L'ÉTUDE DE RAPPORTS RÉCENTS ET DU PLAN D'ACTION CONCERNANT L'EAU POTABLE DANS LES COMMUNAUTÉS DES PREMIÈRES NATIONS
ADOPTION DU RAPPORT DU COMITÉ DES PEUPLES AUTOCHTONES
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur St. Germain, C.P., appuyée par l'honorable sénateur Gustafson, tendant à l'adoption du huitième rapport du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones, intitulé L'approvisionnement en eau potable sécuritaire pour les Premières nations, déposé au Sénat le 31 mai 2007.—(L'honorable sénateur Tardif)
L'honorable Jerahmiel S. Grafstein : Honorables sénateurs, je prends la parole pour commenter ce rapport et j'aimerais féliciter le président et le vice-président du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d'avoir fait cette étude, dont le rapport s'intitule L'approvisionnement en eau potable sécuritaire pour les Premières nations.
Le rapport donne froid dans le dos, mais ce n'est pas le premier en son genre. Les rapports traitant de traitements horribles, de l'indifférence et de la négligence de tâches nécessaires à l'approvisionnement des communautés autochtones en eau potable sûre s'accumulent.
La qualité de l'eau potable n'intéresse pas seulement les collectivités autochtones, honorables sénateurs. Comme je l'ai signalé dans mon projet de loi, qui est actuellement à l'étude dans l'autre endroit et vise à modifier la Loi sur les aliments et drogues par l'ajout de l'eau potable saine, le problème ne date pas d'hier. Ce n'est cependant que maintenant que la question de la salubrité de l'eau potable et de son incidence sur notre système de santé en arrive à un point de convergence.
Sept années après le terrible scandale de Walkerton, après que des mesures législatives eurent été adoptées, que des sommes eurent été investies et ainsi de suite, le gouvernement provincial ontarien s'est décidé à faire une chose toute simple qu'il aurait pu faire il y a des années, à savoir effectuer des analyses pour déceler la présence de plomb dans les réseaux de distribution d'eau. On a découvert avec horreur que l'eau qui se boit à Queen's Park, l'Assemblée législative de l'Ontario, était contaminée par la présence de plomb, ce qui la rendait cancérigène. Quand on cherche à expliquer l'incidence accrue du cancer au Canada, que l'on parle du cancer du sein, de la prostate ou de n'importe quel organe interne, l'un des facteurs fondamentaux est le plomb. Après sept années de réglementation, de promesses et d'autres choses du genre, on décèle du plomb dans les locaux de l'assemblée législative de la province.
Je ne veux pas parler uniquement des collectivités autochtones et du ministère fédéral ou provincial responsable du scandale qui s'est produit dans ma province. L'eau potable pose problème d'un bout à l'autre du Canada : en Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba, au Québec et dans les Maritimes.
La semaine dernière, le sénateur Nolin a répété qu'un obstacle constitutionnel empêche le règlement de ce problème, mais il n'y a aucun obstacle de ce genre. Il n'y a pas le moindre doute, quand il s'agit des collectivités autochtones, que le gouvernement fédéral a une responsabilité directe pleine et entière. Toutefois, la lecture de ce rapport me donne froid dans le dos. On y lit ce qui suit :
En 1995, une évaluation faite par le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) et Santé Canada établissait que 25 p. 100 des systèmes de traitement des eaux dans les réserves présentaient des risques pour la santé et la sécurité des populations autochtones vivant au sein des collectivités visées.
(1600)
Le rapport poursuit ainsi :
En 2001, une nouvelle évaluation révélait que près des trois quarts des systèmes de traitement de l'eau potable à l'intérieur des réserves présentaient des risques importants. Récemment, en mars 2007, le MAINC a publié un rapport d'étape sur l'eau potable des Premières nations indiquant que les systèmes de traitement des eaux de 97 collectivités des Premières nations étaient classés comme présentant un risque élevé.
Le rapport contient une discussion intéressante concernant la réglementation, le paiement de l'infrastructure avec l'argent tiré de cette réglementation et le détournement de l'argent de l'infrastructure. Enfin, le rapport dit que nous avons besoin d'une autre étude.
Honorables sénateurs, je ne crois pas qu'il faille étudier ce problème plus longtemps. Nous avons besoin de mesures législatives. J'exhorte tous les sénateurs à lire ce rapport. Il est terrifiant. D'une part, Santé Canada dit que tout citoyen canadien devrait, pour préserver sa santé, boire huit verres d'eau par jour. Si les habitants des collectivités autochtones le faisaient, ils tomberaient malades.
Qui est responsable? Nous sommes l'assemblée des régions. J'ai soulevé cette question à maintes reprises. J'ai déposé un autre projet de loi qui, je l'espère, sera renvoyé au comité. Il traite des ressources d'amont destinées à préserver l'eau, mais il a encore été retardé. Mais je persisterai. Entre-temps, des enfants, des femmes et des hommes mourront et, s'ils ne meurent pas, ils seront malades. Le sénateur Keon sait bien tout cela. Il y a un lien direct et incontestable entre le plomb et le cancer. Cependant, ce n'est pas le seul produit chimique qu'on trouve dans les collectivités autochtones. Ce n'est que l'un des nombreux produits chimiques.
La première recommandation du rapport est la suivante :
Que le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien effectue une vérification professionnelle de l'infrastructure du service d'approvisionnement en eau, de même qu'une évaluation indépendante, en collaboration avec un représentant des Premières nations, des besoins en ressources humaines et en biens durables des collectivités autochtones en ce qui a trait à la distribution d'eau potable sécuritaire avant que la Stratégie de gestion de l'eau des Premières nations ne vienne à échéance, en mars 2008.
À mon avis, ce n'est qu'une plaisanterie.
Qu'au terme de l'évaluation indépendante des besoins, le ministère consacre les fonds nécessaires pour répondre à tous les besoins en ressources des collectivités des Premières nations relativement à l'approvisionnement en eau potable sécuritaire;
Qu'un plan complet pour la distribution des montants du fonds dédié soit terminé pour juin 2008; et
Qu'à l'achèvement du plan complet, le ministère en fournisse un exemplaire au Comité, et qu'il se présente devant lui pour faire un rapport sur le contenu du plan.
Très bien. À première vue, c'est une excellente recommandation, mais elle ne fera pas l'affaire. Nous avons fait cela à maintes et maintes reprises au Sénat, toujours en vain.
Que faut-il donc faire? Je ne crois pas qu'un sénateur devrait critiquer un comité sans au moins proposer une autre solution. Toutefois, avant de proposer ma solution, je voudrais donner lecture du nom des membres du comité.
Le président est l'honorable Gerry St. Germain. Le vice-président est l'honorable Nick Sibbeston. Il y a aussi le sénateur Larry Campbell, le sénateur Lillian Dyck, le sénateur Aurélien Gill, le sénateur Leonard Gustafson, le sénateur Elizabeth Hubley, le sénateur Sandra Lovelace Nicholas, le sénateur Robert Peterson, le sénateur Hugh Segal et le sénateur Charlie Watt, qui sont tous membres du Comité des peuples autochtones. Le comité compte également des membres d'office : le sénateur Marjory LeBreton, leader du gouvernement, ou, à sa place, le sénateur Gerald Comeau; le sénateur Céline Hervieux-Payette ou, à sa place, le sénateur Claudette Tardif. De plus, le sénateur Lorna Milne a été membre à temps partiel du comité.
Tout le monde a participé à ce rapport particulier. Voici ce que nous devrions faire, je crois : adopter un projet de loi d'initiative parlementaire. Trêve de rapports. Déposez un projet de loi d'initiative parlementaire au Sénat, et je l'appuierai. Le projet de loi serait très simple : compte tenu de votre négligence des cinq dernières années, dites-nous pourquoi vous ne pouvez pas le faire demain.
Le sénateur Cools : Aujourd'hui.
Le sénateur Grafstein : Aujourd'hui.
Je félicite tous les sénateurs d'avoir participé à la production de ce rapport. Je l'appuierai. Toutefois, il ne s'agit que d'un autre rapport qui n'offre rien pour remédier à la crise actuelle dans nos collectivités autochtones. En ce qui me concerne, je ne voudrais pas quitter cette Chambre en ayant sur la conscience le fait qu'à un moment donné, j'ai contribué à la mort ou à l'invalidité d'un enfant, d'une femme ou d'une personne au Canada. Si nous n'agissons pas, nous serons tous coupables.
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : L'honorable sénateur accepterait-il une question?
Le sénateur Grafstein : Oui.
Le sénateur Dallaire : Ma fille se trouve en Afrique du Sud, où elle travaille pour une ONG qui cherche à alimenter en eau potable toute une série de villages du sud-ouest. L'ONG est financée par différentes sources canadiennes, par de nombreuses entreprises et des fondations privées qui offrent de l'argent en vue d'atteindre l'un des Objectifs du millénaire, qui est d'apporter de l'eau potable aux pays en développement. Nous nous sommes engagés à prendre d'importantes mesures pour offrir de l'eau potable au monde en développement d'ici 2015.
Nous savons également que l'ACDI consacre beaucoup d'argent à faire exactement la même chose dans les pays en développement. Compte tenu de ce rapport du comité et de l'optique coloniale dans laquelle nous considérons encore nos Premières nations, pourquoi ne pas demander à l'ACDI d'envoyer de l'argent à la communauté des ONG pour qu'elle s'occupe de ce problème? Ne devrions-nous pas, en fait, faire participer beaucoup plus les ONG canadiennes et toute notre population au travail en faveur de la santé des collectivités autochtones et de leur capacité de survivre, au lieu de compter tout simplement sur les gouvernements pour se passer la balle?
Le sénateur Grafstein : Je suis bien d'accord avec l'honorable sénateur. Son point de vue est très semblable au mien. Lorsque j'ai réussi à convaincre le Sénat d'adopter, à l'étape de la troisième lecture, mon projet de loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues, c'est exactement l'argument que j'ai avancé. Au Canada, nous expédions des systèmes portables non seulement à l'Afrique, par l'entremise de l'ACDI, mais aussi à l'Afghanistan. L'armée le fait. Elle se sert du corps du génie pour installer les systèmes portables. Je me demande pourquoi nous sommes incapables d'en faire autant pour nos collectivités autochtones. L'ACDI dispose de milliards de dollars.
Il y a une autre chose scandaleuse que nous faisons. Nous sommes disposés à aider les pays pauvres du tiers monde, mais nous avons chez nous deux pays, deux Canada, celui de Toronto, Montréal et Vancouver et des collectivités urbaines, dont nous faisons partie, et celui des collectivités autochtones. Elles constituent le second Canada. Il y a donc un Canada riche et un Canada sous-développé. Il n'y a aucune raison de ne pas prendre de l'argent ici pour le dépenser là. Ce n'est qu'une question d'argent et de volonté.
J'ai une autre solution encore plus simple. Je regarde notre brillant collègue et ami, le sénateur Keon. La Loi canadienne sur la santé et son financement constituent l'un des grands problèmes du Canada. Notre filet de sécurité sociale progresse rapidement, absorbant la plus grande part de nos budgets fédéraux, provinciaux et même municipaux. Pourquoi ne voudrions-nous pas prévenir les problèmes de santé causés par le manque d'eau potable? Cela nous épargnerait des milliards de dollars.
Le professeur Schindler, à qui j'ai demandé de l'aide pour ma recherche, a dit que nous pouvions économiser des milliards de dollars par an en alimentant toutes les collectivités du Canada en eau potable, ce que nous ne faisons pas. L'argument est encore plus fort dans le cas des collectivités autochtones.
Cette situation est un scandale et une honte. À moins que le Sénat ne parle d'une seule voix pour dire que c'en est trop, la situation ne changera pas. Le sénateur Dallaire sera parti, je serai parti et le sénateur Keon aussi, mais les collectivités autochtones seront toujours aussi malades, faibles et handicapées à cause de votre négligence.
Le sénateur Dallaire : L'appareil dont parle le sénateur et qu'utilise le corps du génie peut produire assez d'eau propre pour 1 000 à 1 500 personnes de façon permanente. Il s'agit de l'ERDLator, un appareil autonome qui n'exige que du combustible diesel et un peu d'entretien.
(1610)
Nous pourrions acheter ces systèmes au coût de 1 million de dollars chacun, pour les appareils haut de gamme, les installer dans des villages un peu partout dans le pays et veiller à ce qu'il y ait un bon contrat de maintenance. Pourquoi ne pas confier cette tâche aux militaires et leur permettre d'acquérir de l'expérience en assumant une telle responsabilité, comme le Corps of Engineers le fait dans les réserves aux États-Unis?
Le sénateur Grafstein : Le sénateur reprend des commentaires que j'ai souvent formulés au Sénat dans le passé. J'espère que le comité tiendra compte de la facilité avec laquelle ces nouveaux systèmes pourraient être mis en place. On parle ici d'une nouvelle technologie facile à mettre en place, à enseigner et à appliquer pour sauver des vies et améliorer la santé des membres des communautés autochtones. C'est facile.
Je me pose les questions suivantes : pourquoi n'avons-nous pas formulé cette recommandation? Pourquoi aucun ministre ne l'a-t-il fait? Ces 20 ou 30 dernières années, on a entendu tous les premiers ministres dire qu'ils allaient régler le problème de l'eau potable dans les communautés autochtones. Les sénateurs Watt et Adams le savent et ils en ont assez d'écouter cela. Ils ont entendu ce discours si souvent.
Nous avons eu un grand premier ministre — mon grand premier ministre —, Jean Chrétien. Bien qu'il ait été ministre des Affaires indiennes pendant neuf ans, aucun progrès n'a été réalisé. Quand il est devenu premier ministre, il a promis de s'attaquer au problème. Il a tué mon projet de loi et a inscrit sa promesse dans le budget suivant; cette promesse n'a pas été remplie. Le premier ministre suivant a repris la promesse dans le budget suivant. Le gouvernement actuel s'est engagé à cet égard dans son budget; il n'y a toujours pas de progrès.
Que faut-il faire? C'est simple. C'est facile à faire. Il est facile de faire en sorte que les communautés autochtones, à cet égard du moins, soient en bonne santé.
Je vous prie de m'excuser, honorables sénateurs. Cette question me bouleverse, parce que je me bats depuis sept longues années et je ne vois aucun progrès. Je vois mes collègues qui manifestent leur accord en hochant la tête.
Je constate que mon temps de parole est presque écoulé et je demande l'autorisation de continuer.
Son Honneur le Président : Le sénateur Grafstein demande l'autorisation du Sénat de continuer. Est-ce d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
L'honorable Gerry St. Germain : Honorables sénateurs, j'ai assisté à une conférence de presse où j'ai entendu de bonnes nouvelles pour le Sénat, car le gouvernement vient d'annoncer officiellement qu'il donne suite à la plupart des recommandations dans le cadre de négociations sur des revendications précises. C'est un hommage à tous les sénateurs. J'ai collaboré étroitement avec sept sénateurs d'en face, et les résultats ont été très impressionnants. Les résultats sont là. D'ici 2008, le gouvernement aura mis en place un organisme indépendant.
Cette annonce va directement au cœur de ce que dit le sénateur à propos de l'eau. Je suis d'accord avec lui, l'approvisionnement en eau potable salubre pour nos peuples autochtones ne devrait même pas poser problème.
Je suis encouragé d'entendre le sénateur Dallaire dire que la technologie est disponible. Le sénateur est certainement au courant.
Tous les sénateurs peuvent être certains que si nous travaillons avec diligence, dans un esprit d'équipe, nous pouvons obtenir des résultats. Cette annonce en est la preuve. Pourquoi ne pas régler ensuite le problème de l'eau? Le ministre Prentice prend ce problème au sérieux. Il améliore le sort de ceux qui sont touchés.
Le sénateur Grafstein a raison; les uns après les autres, les gouvernements ont laissé la situation se détériorer, ce qui est inacceptable. Je l'ai déjà dit : nous ne serons jamais un grand pays. Peu importe notre réputation dans le monde aujourd'hui, nous ne serons jamais vraiment un grand pays tant que nous n'aurons pas réglé les problèmes auxquels font face les membres des Premières nations.
Je voudrais poser au sénateur la question suivante : cette nouvelle technologie est-elle utilisée à l'heure actuelle? Je regrette de n'avoir pu être présent quand il a livré son discours, parce que j'assistais à la conférence de presse. Je lui avais dit que je lirais son discours, mais je voudrais lui poser cette question maintenant.
Le sénateur Grafstein : Le sénateur m'a fait parvenir une note et je l'en remercie. Le sénateur m'a avisé qu'il serait ailleurs. Je n'aurais pas parlé en son absence, mais il m'a dit de poursuivre le débat.
Le sénateur Dallaire sait d'expérience et ma propre expérience, quoique limitée, m'a appris qu'une technologie économique facilement gérable et transportable pourrait être mise en place. Nous l'utilisons en Afghanistan. Les Américains le font en Irak. Nous l'utilisons en Afrique. Cette technologie est disponible en Allemagne et au Canada.
Le sénateur Corbin : Elle a été utilisée après le tsunami.
Le sénateur Grafstein : Nous avons vu son application partout dans le monde.
Le sénateur pourrait peut-être répondre à la question suivante : pourquoi cette technologie n'est-elle pas été utilisée pour aider les collectivités autochtones? Pourquoi ne se bat-on pas pour l'eau? Ce n'est pas une lutte contre la pauvreté : c'est une lutte visant à approvisionner en eau potable nos peuples autochtones. Je dis au sénateur : continuez de vous battre, et je vais tenter de poursuivre mes efforts, moi aussi.
Le sénateur St. Germain : Ce n'est pas nous qui sommes en cause, mais les membres de nos Premières nations et il est à peu près temps que le travail se fasse. Je peux garantir que si nous travaillons tous ensemble, si nous présentons des rapports bien ciblés auxquels les gens peuvent donner suite — pas en adoptant une approche précipitée ou au petit bonheur, mais plutôt une approche multicible —, nous allons y arriver.
Je remercie les honorables sénateurs, et en particulier le sénateur Grafstein, pour l'intérêt qu'il porte aux problèmes d'approvisionnement en eau des Autochtones, les études qu'il a réalisées et l'intégrité qu'il a apportée à ce débat en faisant valoir un point de vue apolitique.
L'honorable Wilbert J. Keon : Honorables sénateurs, il n'est pas question ici d'une nouvelle technologie. On connaît l'osmose inverse depuis 25 ou 30 ans, mais j'ignore ce qui s'est opposé à son application.
Honorables sénateurs, il nous faut ce projet de loi. Le simple fait que d'autres choses soient faites ne veut pas dire qu'il est inutile.
L'Agence de santé publique du Canada déposera son premier rapport annuel cette année. Elle doit faire rapport au Parlement une fois par année et signaler les problèmes de santé publique, et celui-ci vient au premier rang.
Le sénateur pourrait continuer de s'y intéresser, ce que je vais certainement faire moi aussi. Le sénateur saura que j'étudie la santé de la population, et la qualité de l'eau représente l'un des problèmes particuliers. Nous devrions veiller à ce que l'Agence de santé publique du Canada fasse rapport au Parlement une fois par année sur tout endroit où l'eau ne peut être bue sans danger.
Le sénateur Grafstein : Je me suis penché sur une approche intéressante pour voir si je pouvais inciter les titulaires d'une charge publique — élus, responsables nommés et bureaucrates — à s'acquitter de leurs responsabilités.
On a demandé à Harry Truman en quoi consiste le travail du président des États-Unis? Selon les mots immortels de Truman : Mon travail consiste à convaincre les gens d'accomplir le travail pour lequel ils ont d'abord été embauchés.
Commençons par les fonctionnaires et le ministre de la Santé. Je suis apolitique quand je le dis, du fait que cela s'applique à tout ministre de la Santé, tant fédéral que provincial. Aux termes de la Loi canadienne sur la santé, le ministre de la Santé est responsable de la santé publique au Canada. Ce projet de loi favorisera cela. Pourquoi les ministres et les sous-ministres responsables de la santé publique n'ont-ils pas pris ce problème au sérieux, que ce soit au ministère de la Santé ou au ministère chargé des affaires autochtones? C'est qu'ils ne s'y sentaient nullement pressés.
Si mon projet de loi n'avait pas été adopté par le Sénat, j'envisageais d'intenter un recours collectif contre le ministre de la Santé et les fonctionnaires qui avaient des rapports sur leurs bureaux et qui refusaient de les rendre publics parce qu'ils dénonçaient la situation. Je voulais que le droit civil et criminel sanctionnent cette négligence. Le sénateur Baker n'est pas ici, mais on se demande si cela n'aurait pas un fondement juridique. Je crois qu'il doit y avoir un fondement juridique. Cela aurait été mon dernier effort avant de quitter le Sénat, si mon projet de loi n'avait pas été adopté.
(1620)
Les fonctionnaires et les représentants élus sont censés croire au gouvernement responsable. Je ne crois pas qu'ils y croient, lorsqu'il s'agit de choses semblables. Tout ce que nous pouvons faire, c'est continuer à insister jusqu'à ce qu'ils s'acquittent des responsabilités qui leur ont été confiées lorsqu'ils ont été élus ou nommés.
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : J'invoque le Règlement. S'agit-il toujours du débat? J'ai l'impression que la montre du Président doit être terriblement défectueuse.
Son Honneur le Président : Tout est parfaitement en règle. J'ai une nouvelle montre.
Le débat se poursuit. Le sénateur Keon l'a amorcé. Nous en sommes aux observations et questions suivant l'intervention du sénateur. Je donne maintenant la parole au sénateur St. Germain, qui a une observation à faire et une question à poser au sénateur Keon.
Le sénateur St. Germain : Honorables sénateurs, j'ai une question à poser au sénateur Keon. Au cours des discussions, on a constaté que l'une des énormes difficultés éprouvées par les 630 Premières nations du Canada, c'est la capacité de surveiller les installations dont ont parlé les sénateurs Dallaire et Grafstein. Les Premières nations doivent avoir la capacité d'exploiter ces installations, et de le faire en tout temps. Le Programme de formation itinérante permet d'enseigner comment exploiter les installations. L'un des grands défis à relever en ce moment, c'est d'avoir sur le terrain des gens bien formés dans des localités parfois éloignées.
Le sénateur a-t-il des idées sur la façon d'accélérer la formation et l'affectation sur le terrain de ressources humaines pour combler cette lacune dans les collectivités des réserves? Nous avons examiné de près cette question pendant notre étude.
Au cours de l'étude, nous avons consulté des fonctionnaires, le groupe d'experts, la vérificatrice générale et divers groupes à qui le ministre avait demandé de cerner le problème. Harry S. Truman a dit un jour qu'il n'y avait pas de grands hommes, seulement des hommes ordinaires, des hommes ordinaires qui savent être dignes des grandes occasions.
Il nous faut maintenant un homme ou une femme de cette trempe. Il est certain que madame le sénateur Andreychuk se range parmi les premiers.
Le sénateur Keon pourrait peut-être nous donner des idées sur la façon de résoudre ce problème de capacité.
Le sénateur Keon : Honorables sénateurs, au cours des audiences que nous avons consacrées jusqu'à maintenant à la santé de la population — et il y est question des Premières nations, des Métis et des Inuits —, on a remarqué chez eux un vif désir de contrôler leur propre destinée, leurs propres affaires sur le terrain, au niveau local.
Les installations dont le sénateur Dallaire a parlé ne sont pas très compliquées. N'importe qui peut utiliser ces appareils. Il incombe à l'Agence de santé publique du Canada, qui est responsable des peuples autochtones, de veiller à ce que leur santé ne soit pas menacée. Il appartient à cet organisme de mettre en place un programme d'inspection — je vais parler aux responsables de cette question; je connais la plupart d'entre eux. Le gouvernement fédéral, qui est responsable de la santé des membres des Premières nations, devrait mettre ce matériel en place. Il ne coûte presque rien.
Le sénateur Dallaire : Il n'y a rien de mal à ce que notre pays utilise des ressources nationales. L'armée canadienne en est une. Nous bâtissons ces appareils, comme je l'ai déjà dit, pour qu'ils puissent résister à des soldats. Cela veut dire que personne ne pourrait les détruire. L'entretien doit être bon et simple, et la formation nécessaire pour assurer l'entretien doit aussi être très simple. Nous ne pouvons pas consacrer beaucoup de temps à ce travail. Pourquoi ne pas avoir un contingent d'ingénieurs canadiens dont le mandat national serait de prêter main-forte pour l'infrastructure? Je suis sûr que nous pouvons nous entendre avec l'industrie privée pour éviter les empiétements. Cela donnerait de l'expérience aux militaires pour leur travail à l'étranger et les militaires prendraient de l'importance au Canada par leur participation à un travail suivi. Le sénateur ne pense-t-il pas que ce serait une possibilité?
Le sénateur Keon : Je n'ai pas à rappeler au sénateur ce que l'armée américaine a accompli. On lui doit le réseau de routes et de ponts des États-Unis. Elle fait une foule de choses. Il serait excellent que l'armée canadienne fasse plus de travail de cette nature puisque, de toute façon, elle doit le faire à l'étranger.
Son Honneur le Président : Le sénateur St. Germain propose, avec l'appui du sénateur Gustafson, que le rapport soit adopté maintenant. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)
L'ÉTUDE SUR LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ NATIONALE
RAPPORT MODIFIÉ DU COMITÉ DE LA SÉCURITÉ NATIONALE ET DE LA DÉFENSE—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l'étude du quatrième rapport (intérimaire), tel que modifié, du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, intitulé Face aux turbulences, De la nécessité d'actualiser l'aide extérieure et la force militaire du Canada en réponse aux changements d'envergure qui surviennent, déposé au Sénat le 21 novembre 2006.—(L'honorable sénateur Banks)
L'honorable Wilfred P. Moore : Il s'agit d'un important rapport et je vois que cet article en est à son quinzième jour au Feuilleton. D'autres sénateurs voudront peut-être en parler — je crois d'ailleurs que le sénateur Banks aimerait le faire — et c'est pourquoi je vais ajourner le débat en son nom et reprendre le compte à zéro.
Son Honneur le Président : Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
(Sur la motion du sénateur Moore, au nom du sénateur Banks, le débat est ajourné.)
[Français]
QUESTION DE PRIVILÈGE
MOTION DE RENVOI AU COMITÉ PERMANENT DU RÈGLEMENT, DE LA PROCÉDURE ET DES DROITS DU PARLEMENT—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Tkachuk, appuyée par l'honorable sénateur Angus,
Que toutes les questions se rapportant à cette question de privilège, y compris celles qu'ont suscitées le moment choisi pour la réunion du 15 mai 2007 du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles et la façon dont cette réunion s'est déroulée ainsi que l'effet que cela a eu sur les droits et les privilèges des sénateurs, soient renvoyées au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour qu'il fasse une enquête et présente un rapport;
Que le Comité examine les comptes rendus écrit et oral des délibérations.—(L'honorable sénateur Comeau)
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorable sénateurs, je tiens à participer au débat sur la motion du sénateur Tkachuk visant à renvoyer sa question de privilège au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour examen et rapport.
Permettez-moi d'abord de remercier mes honorables collègues, qui se sont montrés indulgents à mon égard et m'ont donné la fin de semaine pour réfléchir à la situation. Vous vous souviendrez que j'ai proposé d'ajourner le débat jeudi de la semaine dernière et qu'on ne savait pas si la motion serait adoptée. Les honorables sénateurs savent qu'une motion d'ajournement du débat ne peut faire l'objet ni d'un débat ni d'amendements, et que la question doit être tranchée immédiatement. Cela est conforme à notre Règlement et il revient ainsi au Sénat de décider si une motion d'ajournement sera adoptée ou défaite.
C'est ce type de motion qui semble être à l'origine de la situation actuelle. Je ne referai pas le tour de la question, mais je soulignerai que le vote par appel nominal, réclamé le 15 mai 2007, était le dernier point inscrit au Feuilleton de la journée.
Pour en venir au sujet qui nous occupe, il reste que les sénateurs ne peuvent se trouver à deux endroits en même temps. Le déroulement de nos travaux repose sur la présence des sénateurs dans cette enceinte. On leur demande d'être présents dans cette Chambre. Je n'ai pas l'intention de rappeler les détails de la motion, mais permettez-moi de dire qu'en certaines occasions, cette exigence pose un défi aux whips et aux leaders des deux côtés.
Si, dorénavant, les sénateurs sont obligés de quitter cette enceinte tôt pour protéger leur droit de prendre part aux délibérations des comités, le Sénat en souffrira.
Il revient à chacun d'entre nous de s'assurer que cela ne se produise pas. Nous devons nous en assurer non seulement pour ceux et celles qui siègent aujourd'hui, mais également pour nos successeurs.
Pouvons-nous réellement ne rien faire et accepter l'idée que ce haut lieu de réflexion, défenseur des droits des minorités, s'apprête à abdiquer sa raison d'être dans le processus législatif?
(1630)
Si nous échouons aujourd'hui dans la défense des privilèges d'un sénateur, cela signifie que les sénateurs ne pourront plus avoir confiance en la Chambre et être sûrs qu'elle prendra la bonne décision plutôt que la décision la plus facile à prendre dans l'immédiat. Ce sera un déni de tout ce que nous représentons.
Honorables sénateurs, il est plutôt rare qu'un Président détermine qu'une question de privilège est fondée à première vue. Cela signifie qu'il y a déplacement du fardeau de la preuve.
Il incombe ainsi à ceux et celles qui s'opposent à cette motion de démontrer qu'il ne s'agit pas là d'une question de privilège.
Ils doivent expliquer la notion de privilège et nous dire qu'elle ne s'applique pas au cas qui nous préoccupe et que les circonstances l'entourant ne constituent pas une atteinte au privilège.
Ils pourraient prendre la parole et affirmer qu'ils estiment que les délibérations des comités ont préséance sur les travaux de cette Chambre et citer des décisions prises dans le passé par les Présidents pour prouver leur point de vue, mais je doute qu'ils en trouvent.
Ils pourraient aussi faire valoir qu'il n'est pas déraisonnable de priver des sénateurs de leur droit de prendre part aux travaux des comités, mais je doute qu'ils puissent en convaincre cette Chambre.
Honorables sénateurs, il ne suffit pas de dire que le Règlement a été respecté. Nous sommes tous d'accord : le Règlement a été respecté. Toutefois, il y a tout de même eu atteinte au privilège. Cela laisse croire qu'il y a des lacunes, soit au niveau du Règlement, soit dans son application. Cette question relève tout naturellement du mandat du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement.
La motion vise à demander au Sénat de procéder au renvoi de cette question de privilège au comité pour examen et rapport. C'est tout simple.
Je sais que les sénateurs concernés directement par cette affaire, notamment les sénateurs Cochrane, Tkachuk et Angus, estiment que le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement peut et doit recommander que les délibérations du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, en date du 15 mai, soient déclarées nulles et non avenues. Ils estiment également que le projet de loi C-288 devrait être renvoyé au comité pour une étude article par article en bonne et due forme, où les deux parties seront représentées. Enfin, le sénateur Angus propose que le Sénat se constitue en comité plénier pour effectuer une étude détaillée de ce projet de loi.
Ce sont là des remèdes pour lesquels la Chambre pourrait opter, mais non le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Le comité, lui, ne peut recommander que l'une ou l'autre de ces possibilités à la Chambre, ou même d'autres options. Mais là s'arrête son autorité. Il s'agit simplement d'une recommandation. Ceux et celles qui ont laissé entendre qu'il existe une conspiration visant à ordonner au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement d'appliquer ces propositions voient un complot inexistant et impossible à monter de toute façon.
Dois-je rappeler à mes honorables collègues que la grande majorité libérale dans cette Chambre se retrouve à tous les comités, y compris au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement? Il y a très peu de moyens pour nous, la minorité, d'imposer quoi que ce soit à la majorité.
Honorables sénateurs, il s'est produit un événement grave, qui vise le fonctionnement même de cette Chambre et de nos comités. Nous ne pouvons tout simplement pas balayer du revers de la main ce qui s'est passé, prétendre que tout est pour le mieux, faire comme si de rien n'était et espérer que tout sera comme avant.
Les personnes en situation minoritaire ont toujours une bien meilleure idée des enjeux que les membres de la majorité. Nous avons un problème et il faut qu'il soit réglé.
Honorables sénateurs, les majorités vont et viennent. Êtes-vous vraiment sûrs de vouloir créer ce précédent pour nos successeurs? Les gestes que nous posons aujourd'hui serviront de référence dans l'avenir. J'ose espérer que nous pourrons placer la barre assez haute, et qu'il n'est pas trop tard pour agir en ce sens.
Comme l'ont remarqué les sénateurs Banks et Carstairs, il se peut fort bien que, dans le passé, des comités aient commencé leurs délibérations un peu plus tôt, mais je doute que les choses se soient déroulées comme dans le cas qui nous occupe aujourd'hui, avec les conséquences que nous connaissons.
Honorables sénateurs, le privilège s'étend bien au-delà du Règlement. S'il semble y avoir conflit entre les deux, le privilège doit prévaloir. Je suis d'avis qu'il y a eu atteinte au privilège. Même si vous ne partagez pas entièrement ce point de vue, je crois qu'il faut au moins confier au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement le mandat d'examiner les enjeux qui entourent cette affaire.
C'est pourquoi je vous exhorte à réfléchir très soigneusement à des solutions qui pourraient, à l'avenir, nous éviter ce genre de problèmes afin que nous ayons une Chambre et des comités qui travaillent bien. Je vous encourage à procéder au renvoi éventuel de cette motion au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour examen et recommandations. Je vous remercie de votre attention et vous invite à réfléchir longuement avant de prendre une décision finale.
(Sur la motion du sénateur Cowan, le débat est ajourné. )
[Traduction]
LE SÉNAT
MOTION TENDANT À ENCOURAGER LA POURSUITE DU DIALOGUE ENTRE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE ET LE DALAÏ-LAMA—MOTION D'AMENDEMENT—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Di Nino, appuyée par l'honorable sénateur Andreychuk :
Que le Sénat encourage le gouvernement de la République populaire de Chine et le dalaï-lama, nonobstant leurs différends à l'égard de la relation historique entre le Tibet et la Chine, à poursuivre leurs discussions d'une manière prospective qui mènera à des solutions pragmatiques respectant le cadre constitutionnel chinois et l'intégrité territoriale de la Chine tout en répondant aux aspirations du peuple tibétain, à savoir l'unification et la véritable autonomie du Tibet;
Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Carstairs, C.P., appuyée par l'honorable sénateur Corbin, que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu'elle soit modifiée par substitution de tout ce qui suit immédiatement après le mot « gouvernement » dans la première ligne, par ce qui suit :
« du Canada et, en particulier le ministre des Affaires étrangères à s'entretenir avec le ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine au sujet du dalaï-lama et des aspirations du peuple tibétain. »—(L'honorable sénateur Di Nino)
L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, j'ai passé un certain temps à réfléchir à l'amendement du sénateur Carstairs. Je tiens à la remercier d'avoir lancé le débat sur cette motion.
Tout comme le sénateur Prud'homme, j'ai des opinions bien arrêtées sur cette question. Permettez-moi de dire tout d'abord que je suis nettement convaincu que non seulement nous pouvons mais aussi que nous devons dénoncer les injustices et les méfaits, quels qu'en soient les auteurs et quel que soit l'endroit où ils sont commis.
Honorables sénateurs, le monde a connu et, malheureusement, connaît encore des tyrans cupides et assoiffés de pouvoir, des brutes et des despotes qui exploitent ceux qui, dans la société, sont les plus faibles et les plus vulnérables, Ils se maintiennent au pouvoir essentiellement par la crainte et par des méthodes répressives. À bien des endroits, la justice et la primauté du droit n'existent pas ou ont trop peu d'importance pour être efficaces.
Les victimes de ces injustices fondent leurs espoirs sur ceux parmi nous qui vivent dans des sociétés libres et démocratiques. Nous ne devons pas les décevoir. En leur nom, nous devons leur permettre de garder l'espoir.
Ce que je considère à la fois merveilleux et encourageant dans le monde d'aujourd'hui, c'est que la technologie permet aux gens des parties les plus reculées du monde de recevoir des messages d'appui par le truchement du cyberespace. Pour quelqu'un de mon âge, c'est une sorte de rêve. Je sais que cela est possible au Tibet. La présente motion, tout comme des dizaines d'autres émanant de divers points du globe, a probablement été relayée aux Tibétains dans leur pays. Ils sauront qu'ils ne sont pas seuls et qu'ils ne sont pas abandonnés.
Honorables sénateurs, nous avons le privilège et l'occasion unique de participer au processus d'élaboration de la politique d'intérêt public, et cela inclut le fait d'exprimer nos avis sur diverses questions. Chacune de nos voix véhicule une certaine authenticité, qui vient enrichir l'étude de toute question. Cependant, les sénateurs réunis, formant le Sénat du Canada, exercent une influence très considérable, ne serait-ce que sur le plan moral. Nous avons souvent uni nos voix pour défendre ceux qui subissent des injustices ou qui sont incapables de se défendre eux-mêmes, tant sur le plan intérieur qu'à l'échelle internationale. Nous sommes disposés à être solidaires de ceux dont les droits fondamentaux sont niés, à dénoncer les torts et les abus partout dans le monde. C'est notre devoir de gardiens de notre prochain qui nous l'impose.
La motion du sénateur Dallaire sur le Darfour est un très bon exemple de cela. Les honorables sénateurs se rappellent peut-être que, le 27 mars, le sénateur Cools a invoqué le Règlement pour s'opposer à la forme de la présente motion. Au cours de ses observations, elle a dit ceci :
Je tiens à dire clairement que je n'interviens pas au sujet de la valeur ou du bien-fondé du contenu de cette motion. Je ne prends nullement position sur sa valeur; je me borne à en critiquer la forme.
(1640)
Le 24 avril, le Président a décidé que la motion était recevable. Il a dit : « En pratique, tant au Canada qu'au Royaume-Uni, il semble y avoir suffisamment de souplesse pour permettre les motions comme celle proposée par le sénateur Di Nino. »
Effectivement, je pourrais donner l'exemple de plusieurs parlements du Commonwealth qui ont récemment interpellé le gouvernement chinois sur la question du Tibet. Le 26 février dernier, une motion a été déposée au parlement écossais. Elle s'adressait au gouvernement de la République populaire de Chine et aux représentants en exil du gouvernement du Tibet.
Il y a trois semaines, le 18 mai, une motion a été déposée au parlement britannique en vue d'un débat prochain. Elle demandait elle aussi au gouvernement chinois de faire un geste d'ouverture envers les Tibétains en des termes conciliants. Il s'agissait plus précisément d'exhorter le gouvernement de la République populaire de Chine et le dalaï-lama à reprendre et à maintenir le dialogue.
J'ai en main le texte complet de ces motions si les honorables sénateurs veulent en prendre connaissance.
Honorables sénateurs, permettez-moi de vous parler encore davantage des motifs qui m'incitent à défendre cette motion. Depuis 2002, des envoyés du dalaï-lama ont rencontré des représentants chinois à cinq reprises. Mais, en cinq ans, on n'a jamais été plus loin qu'un échange de positions et un accord pour poursuivre les discussions. Comme je l'ai dit auparavant, Sa Sainteté a accepté sans équivoque que la solution soit conforme au cadre constitutionnel chinois. Il a renoncé à l'indépendance à maintes reprises. Il ne réclame pas le retrait des troupes. Il ne réclame pas le départ des colons et il ne réclame pas non plus l'établissement de nouvelles frontières. Il a fait le maximum de concessions en tant que chef d'un mouvement non violent et pacifique de défense de la justice qui est sans égal dans l'histoire moderne en fait de longévité. Il est temps qu'à Pékin, les dirigeants lui rendent la pareille et apportent à la table de négociation des propositions raisonnables pour mettre fin à cette histoire tragique et trouver une solution honorable.
Un État responsable respecte les droits de tous ses citoyens. Le peuple tibétain doit obtenir son autonomie, et ce doit être une véritable autonomie. L'octroi de ce statut ne serait pas seulement une réponse aux attentes internationales ni une question liée aux droits de la personne et à la justice; par ce geste, la Chine agirait dans son propre intérêt pour favoriser son unité et renforcer sa crédibilité lorsqu'elle proclame être un État multiethnique et harmonieux. Honorables sénateurs, ce n'est pas seulement la cause d'un dirigeant en exil, c'est la lutte de tout un peuple pour la justice.
Le 7 février, j'ai indiqué que cette motion s'inscrivait dans le cadre d'une initiative mondiale. Permettez-moi de faire brièvement le point sur cette initiative. Le 15 février, le Parlement européen, un organisme représentant 27 pays, a adopté une longue résolution sur le Tibet. Le même jour, l'autre endroit a adopté une motion à l'unanimité. Cela n'a rien d'étonnant, puisqu'il ne s'agit pas d'une question partisane au Canada, ni dans aucune autre démocratie libre. En Europe, aux États-Unis et dans certaines régions de l'Asie, des assemblées législatives se sont exprimées par des motions et des déclarations, et dans le cadre d'audiences. Les parlements de la Suisse, de l'Autriche, de la Pologne, du Liechtenstein, de la Suède et de la France ont tous pris des mesures. Nous avons aussi appris qu'en Australie, dans plusieurs pays de l'Afrique, en Inde et dans au moins un pays de l'Amérique du Sud, des assemblées législatives encouragent maintenant leurs collègues et d'autres gouvernements à en faire davantage. Il se pourrait bien que d'autres pays se portent également à la défense du Tibet.
Le 10 mars, à l'occasion du 48e anniversaire du soulèvement national de 1959 au Tibet, des milliers de personnes du monde entier se sont ralliées pour appuyer le Tibet. En Allemagne, on a hissé près de 800 drapeaux tibétains autour des hôtels de ville et dans les capitales régionales de tout le pays. La République tchèque en a, pour sa part, hissés plus de 300, notamment à l'extérieur des bureaux du ministre de l'Environnement. Nancy Pelosi, la Présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, a déclaré ce jour-là que nous ne devons jamais oublier le peuple du Tibet et sa lutte sans fin.
Son observation faisait écho à une déclaration faite à l'Assemblée générale des Nations Unies il y a plus de 40 ans par le représentant de l'Irlande, Frank Aiken, qui a demandé :
[...] combien de banquettes resteraient inoccupées dans cette enceinte s'il avait toujours été convenu que lorsqu'un petit peuple ou une petite nation tombait sous l'emprise d'une grande puissance, personne ne pourrait jamais soulever son cas ici; qu'une fois que cette nation était inféodée à une autre, elle devait le rester à jamais?
La semaine dernière, en Australie, Sa Sainteté le dalaï-lama a dit que, d'ici 15 ans, si personne n'intervient, la culture tibétaine au Tibet commencera à disparaître. La semaine dernière également, au Sommet du G8, le premier ministre Harper a parlé au président chinois Hu Jintao des questions des réformes démocratiques et des droits de la personne, notamment. Le premier ministre Harper a de plus reconnu les progrès réalisés en Chine depuis 25 ans.
Je suis d'accord avec Sa Sainteté pour dire que le temps presse pour la culture tibétaine, mais je conviens aussi avec le premier ministre que les autorités chinoises font preuve comme jamais auparavant d'une ouverture à une forme d'influence étrangère. Les Jeux olympiques de 2008 en Chine, durant lesquels les projecteurs du monde entier seront braqués sur ce pays, représentent une occasion unique pour inciter de nouveau la Chine à parvenir à un compromis honorable sur la question tibétaine.
Honorables sénateurs, cette motion a fait l'objet d'un examen attentif et a été soigneusement libellée. Elle a été présentée aux représentants du dalaï-lama et à de nombreux collègues dans le monde. Elle reflète l'évolution du dialogue entre les Chinois et les Tibétains, ce dont le représentant de Sa Sainteté nous a fait part lorsqu'il a comparu devant un sous-comité de l'autre endroit au mois de novembre. Elle vise à envoyer un signal clair, mais non provocateur, afin d'appuyer le rapprochement des deux parties. Elle fait partie d'une initiative parlementaire mondiale à laquelle beaucoup de réflexion et d'efforts ont été consacrés. Elle vise un objectif clair et fondamental. Plus précisément, elle appelle les deux parties à trouver une solution pratique respectant le cadre constitutionnel chinois et l'intégrité territoriale de la Chine tout en répondant aux aspirations du peuple tibétain.
Honorables sénateurs, en dépit de la décision claire de la présidence, des précédents et de mes observations précédentes, dans un esprit de compromis, je suis prêt à offrir un sous-amendement à l'amendement du sénateur Carstairs. Ainsi, la motion devrait s'adresser au gouvernement du Canada plutôt qu'au gouvernement de la République populaire de Chine et à Sa Sainteté le dalaï-lama. J'espère que cela conviendra aux honorables sénateurs qui se préoccupent du libellé de la motion.
MOTION DE SOUS-AMENDEMENT
L'honorable Consiglio Di Nino : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :
Que la motion d'amendement soit modifiée par l'élimination de tous les mots suivant « du Canada et, en particulier, le ministre des Affaires étrangères, à » et leur remplacement par ce qui suit :
[...] encourager le gouvernement de la République populaire de Chine et le dalaï-lama, nonobstant leurs différends à l'égard de la relation historique entre le Tibet et la Chine, à poursuivre leurs discussions d'une manière prospective qui mènera à des solutions pragmatiques respectant le cadre constitutionnel chinois et l'intégrité territoriale de la Chine tout en répondant aux aspirations du peuple tibétain, à savoir l'unification et la véritable autonomie du Tibet.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, en ce qui concerne le sous-amendement de l'amendement du sénateur Carstairs, il est proposé par l'honorable sénateur Di Nino, avec l'appui de l'honorable sénateur Cowan au nom du sénateur Cordy, que la motion d'amendement soit amendée par l'élimination de tous les mots suivant « du Canada et, en particulier, le ministre des Affaires étrangères, à » [...]
Une voix : Suffit!
Son Honneur le Président : Voulez-vous en débattre, honorables sénateurs?
L'honorable Anne C. Cools : Je m'en remets au leader adjoint de l'opposition.
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Je propose l'ajournement du débat.
(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)
(1650)
LE SÉNAT
MOTION EXHORTANT LA GOUVERNEURE GÉNÉRALE À POURVOIR AUX POSTES VACANTS AU SÉNAT—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Moore, appuyée par l'honorable sénateur Phalen :
Qu'une humble adresse soit présentée à Son Excellence la Gouverneure Générale la priant de pourvoir aux postes devenus vacants au Sénat par nomination de personnes compétentes et remplissant les conditions requises.—(L'honorable sénateur Murray, C.P.)
L'honorable Lowell Murray : Honorables sénateurs, la question que soulève cette motion, ainsi que l'interpellation lancée il y a quelque temps par notre collègue, le sénateur Banks, consiste à déterminer si le premier ministre enfreint une convention constitutionnelle en ne comblant pas les postes vacants au Sénat. À quel point enfreindrait-il cette convention et, une fois la convention enfreinte, comment y remédier?
J'ai indiqué l'autre jour que j'appuierais la motion du sénateur Moore principalement parce que je partage son inquiétude quant au maintien du Sénat en tant qu'élément fonctionnel de nos institutions parlementaires, mais contrairement à lui je ne crois pas que ce qu'il propose remédiera à la situation de sitôt. Cependant, je voterai pour.
J'attire l'attention des sénateurs sur deux documents de la Bibliothèque du Parlement à ce sujet. L'un a pour titre « Notes on Vacancies in the Senate » et a été rédigé par Michael Dewing, de la Division des affaires politiques et sociales en 1999. L'autre s'intitule « Issues Related to Senate Vacancies » et a été écrit par Penny Becklumb, de la Division du droit et du gouvernement. J'ai demandé qu'on prépare ce document, qui a été publié le 17 mai 2007. Je présume que le premier document est facilement accessible. Si les sénateurs ou qui que ce soit ont besoin de ma permission pour consulter le second document, je donne ici même ma permission. Ces documents et certaines de leurs annexes contiennent des explications et des données historiques concernant les postes vacants au Sénat et des analyses sur l'argument concernant les conventions.
En ce qui concerne les vacances, je crois qu'il y en a actuellement 11 ou 12 au Sénat. J'ai pensé qu'il serait utile d'indiquer aux honorables sénateurs le nombre de vacances qui se sont accumulées au cours des différentes législatures. Si l'on remonte à la législature de 1930-1935, sous le gouvernement du très honorable R. B. Bennett, on constate que le nombre de vacances avait atteint 19. De 1935 à 1940, il y en avait 14; de 1940 à 1945, 18 et de 1945 à 1949, 11. En 1953, le nombre de vacances s'élevait à 23; en 1955, il était à 21. M. Diefenbaker a hérité de 14 vacances, qu'il s'est empressé de remplir naturellement parce que le nombre de progressistes-conservateurs au Sénat était tombé à sept à son arrivée au pouvoir. Sous le gouvernement de M. Pearson, le nombre de vacances a monté, mais pas aux niveaux précédents. En 1970, sous M. Trudeau, il y avait 13 vacances. Après les élections de 1974, ce chiffre était tombé à 12. M. Trudeau a laissé neuf vacances lorsqu'il a transmis le pouvoir à M. Clark en 1979. M. Clark a rempli ces vacances, et deux autres qui se sont produites. C'est sous le gouvernement Trudeau de 1980 à 1984, dernière période de majorité qu'il a connue, que le nombre des vacances a atteint 21 à la mi-décembre 1983. Pendant la plus grande partie du premier mandat de M. Mulroney, le nombre des vacances est resté inférieur à cinq, mais il est remonté à 14 à la mi-août 1990. Il a cependant rarement atteint ce niveau sous le gouvernement Chrétien.
Pour ce qui est de la durée, j'ai ici une note d'après laquelle, entre 1963 et 1999, la durée moyenne des vacances a été de 418 jours. Cette moyenne serait probablement plus élevée aujourd'hui. Toutefois, je voudrais mentionner quelques précédents de durée. Mon ami, le sénateur Moore, dit que nous avons actuellement un poste de sénateur qui est vacant depuis 14 mois, je crois.
Permettez-moi de vous citer quelques précédents. Les sièges auxquels le sénateur Frith, de l'Ontario, a été nommé en 1977, le sénateur Anderson, du Nouveau-Brunswick, en 1978, le sénateur Barootes en 1984 et le sénateur Macquarrie en 1979 ont tous étés vacants pendant plus de quatre ans. Le siège auquel le sénateur Steuart, de la Saskatchewan, a été nommé en 1976 était resté sans titulaire pendant plus de cinq ans. Les sièges auxquels le sénateur Bud Olson, de l'Alberta et le sénateur Roméo LeBlanc, du Nouveau-Brunswick ont été nommés étaient restés vacants pendant plus de six ans. Le siège auquel l'honorable Duff Roblin, du Manitoba, a été nommé en 1978 était resté libre pendant 8,4 années.
L'argument que j'essaie de présenter, qui est lié à la motion de mon honorable collègue, est que la situation d'aujourd'hui a de nombreux précédents, tant par le nombre de vacances que par leur durée.
Les nouveaux éléments introduits par le sénateur Moore se fondent tout d'abord sur le refus déclaré du présent premier ministre de remplir les vacances au Sénat. Il en a déjà rempli une et a l'intention d'en remplir une autre fin juin, au départ du sénateur Hays. Toutefois, ce sont là des exceptions qu'il a expliquées. D'une façon générale, il a déclaré qu'il ne nommerait pas de sénateurs. La question qui se pose est la suivante : à quel point peut-on demander à un tribunal de se prononcer sur son refus ou sur une déclaration de ce genre, ou peut-on agir d'une autre façon puisque c'est par un instrument d'avis du premier ministre au gouverneur général que les honorables sénateurs sont nommés?
Le second élément mentionné par le sénateur Moore, qui prendra de plus en plus d'importance avec le passage du temps, si le statu quo se maintient, ce sont les conséquences régionales et l'effet d'un refus de remplir les vacances sur l'équilibre régional qui est censé exister au Sénat.
Mon ami a mentionné sa province, la Nouvelle-Écosse, pour laquelle il y a actuellement trois vacances, ainsi que la sous-représentation qui en découle pour l'ensemble de la région des Maritimes. J'ai considéré deux autres provinces pour lesquelles le problème est plus grave ou potentiellement plus grave. La Colombie-Britannique, qui est déjà sous-représentée ici avec seulement six sénateurs, n'en a actuellement que cinq à cause d'une vacance. D'ici cinq ans, trois honorables sénateurs de la Colombie-Britannique seront partis à la retraite, ce qui ramènera la province à deux sénateurs sur six. Il en est de même pour Terre-Neuve-et-Labrador qui, ayant actuellement une vacance, n'est représentée que par cinq sénateurs. Il y aura trois départs à la retraite, ce qui ne laissera au Sénat, fin 2012, que deux représentants de la province. Tout cela se base sur l'hypothèse que tous les autres resteront en bonne santé et ne prendront pas une retraite anticipée. La situation régionale pourrait s'aggraver avec le temps si M. Harper reste au pouvoir sans changer d'avis.
(1700)
En ce qui a trait aux conventions, c'est plus difficile. Je crois qu'il est juste de dire que la solution aux bris de conventions constitutionnelles est de nature politique et donc assez floue. Je ne sais pas quelle serait la solution politique. Elle proviendrait peut-être de la Gouverneure générale, du Parlement ou, comme le document que m'a remis la Bibliothèque du Parlement l'indique, de l'opinion publique ou de l'électorat.
Ce que je vais dire est directement lié à ce que le sénateur Moore tente de faire à l'aide de cette motion. En 1955, un éminent sénateur libéral, un parlementaire de longue date dans les deux Chambres et un ancien ministre sous Mackenzie King a tenté de proposer, à titre d'initiative parlementaire, une modification constitutionnelle visant à faire en sorte que toute vacance au Sénat soit obligatoirement comblée dans les six mois. Le parrain de cette initiative était le sénateur W. D. Euler.
Le sénateur Segal : Il était très bien connu.
Le sénateur Murray : Oui. Il venait de la région de Kingston, comme vous, si je ne m'abuse. Il a été ministre du Commerce sous Mackenzie King. Son idée avait reçu un fort appui au Sénat. D'éminents experts en droit s'étaient prononcés sur la question. D'après ce que je peux conclure du débat, bien que la plupart d'entre eux appuyaient l'esprit de la motion — tout comme j'appuie l'esprit de la motion du sénateur Moore —, ils avaient des doutes sur l'application de la modification constitutionnelle, si elle devait être adoptée.
Le regretté sénateur Roebuck, qui était ici lors de mon arrivée sur la Colline du Parlement il y a quelque 40 ans, est l'un de ceux qui s'étaient prononcés. Le sénateur Farris, de la Colombie-Britannique, a déclaré ce qui suit : « Nul avocat ne voudrait risquer sa réputation en prétendant que ce texte signifie que la vacance peut être remplie trois, cinq ou même sept ans après qu'elle s'est produite. Cette disposition évoque sans aucun doute l'idée d'un délai raisonnable. » Même le sénateur Farris, qui appuyait la motion, a fait la déclaration suivante : « Aucune sanction ne peut être prévue si le Gouverneur général s'abstient d'exécuter le mandat qui lui est dévolu par la Constitution. »
Le sénateur Salter Hayden, avec qui certains d'entre nous ont travaillé lorsqu'il était président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, a dit que toute modification du système devrait découler de la pression de l'opinion publique puisque, comme il l'explique : « Je ne connais aucune disposition statutaire en vertu de laquelle une demande de mandement puisse être faite contre la Couronne pour sa négligence à se conformer à cet article de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. »
Le sénateur Hugessen, un autre sénateur important, a souligné ceci : « Il serait absurde [...] de chercher à imposer une peine au Gouverneur général parce qu'il ne s'est pas acquitté d'une fonction qui, de l'avis de tous, n'est pas une mesure qui lui soit personnelle, mais un geste qu'il ne pourrait poser que sur l'avis de [...] ses conseillers [..] »
Le sénateur John Connolly, que certains d'entre nous connaissent à titre d'ancien collègue au Sénat, partageait l'avis du sénateur Hugessen et il a dit : « La nouvelle injonction qu'on propose à l'adresse du Gouverneur général ne peut être obligatoire. Il ne peut s'agir que d'une directive. Aucun bref de mandement ni aucune procédure judiciaire de même nature ne peut s'exercer contre la Couronne. C'est une loi établie depuis longtemps. » Le sénateur Connolly a souligné que le Gouverneur général enfreignait déjà la Constitution en ne comblant pas les postes vacants dans un délai raisonnable, mais qu'il n'y avait pas de sanction juridique pour cela.
Honorables sénateurs, je vous laisse vous pencher sur la question et je vous invite à obtenir un exemplaire de ces documents, à y réfléchir, voire peut-être à lire le débat dont j'ai parlé.
Certains ont laissé entendre que ce que fait le premier ministre — ou plutôt ce qu'il ne fait pas — s'inscrit dans une stratégie qu'il a élaborée et qui viserait à faire en sorte que les postes vacants s'accumulent pendant un certain temps, ce qui provoquerait tôt ou tard une crise au Sénat. Le premier ministre croit que, à ce moment-là, — c'est la position qu'on lui attribue — une ou deux provinces prendront des dispositions pour tenir des élections. Il y aura alors une succession d'élections et, en un tournemain, il aura obtenu un nouveau Sénat.
Le sénateur Segal : Voilà une allégation sans fondement!
Le sénateur Murray : Cette éventualité poserait de nombreux problèmes, sans compter le fait qu'il y aurait une réforme du Sénat sans qu'on ait modifié quoi que ce soit, pas même la distribution régionale.
Le premier problème viendrait du fait que les provinces qui tiendraient de telles élections sénatoriales se retrouveraient dans la même position que l'Alberta lorsque celle-ci a voulu rédiger une loi dans les limites des pouvoirs de son assemblée législative. Il y a 17 ans, j'ai déclaré au Sénat, après avoir obtenu un avis juridique, que la loi de l'Alberta qui avait permis de nommer le futur sénateur Brown et l'ancien sénateur Waters au Sénat dépassait les limites du pouvoir de l'Assemblée législative de l'Alberta, pas uniquement sur un point ou deux, mais sur toute la ligne. De plus, la loi albertaine comportait des dispositions allant au-delà des pouvoirs du Parlement, si nous tentions de procéder unilatéralement. Les provinces qui s'engageraient dans cette voie rencontreraient les mêmes problèmes de rédaction. Quelqu'un interjettera appel, ce qui jettera encore une fois de l'huile sur le feu et personne ne sera plus avancé.
Le second problème est celui du Québec qui, à l'instar d'autres provinces peut-être, favorise depuis un certain temps des élections indirectes. M. Harper ne s'est pas montré très enthousiaste devant une telle perspective. Chaque fois que le sujet est revenu sur le tapis, le Québec a dit vouloir que les sénateurs représentant la province soient élus par l'Assemblée nationale.
Je vois le greffier qui se lève pour indiquer que mon temps de parole est écoulé.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour accorder plus de temps au sénateur Murray?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Murray : Le troisième problème est que la loi fédérale proposée, c'est-à-dire le projet de loi C-43, pourrait aussi faire l'objet de poursuites en justice par l'Ontario et le Québec. En effet, ces provinces nous ont donné un avertissement en ce sens. Si cela s'inscrit dans une grande stratégie de la part de M. Harper, il semble que ça ne mène à rien. Je répète que la seule crise qui est en train de se manifester est une crise de gouvernance qui touche directement le gouvernement et le parti conservateur dans cette enceinte.
Le sénateur Day et le sénateur Corbin ont pris ombrage du fait que le premier ministre ait parlé de la nécessité d'avoir un Sénat qui s'occupe des affaires du gouvernement. Je suis en désaccord avec eux, dans la mesure suivante : Nous devons nous occuper des affaires du gouvernement. Les projets de loi du gouvernement ont préséance sur notre Feuilleton et, par convention, dans les travaux de nos comités. Une masse critique de gens qui appuient le gouvernement est nécessaire au Sénat, afin de faciliter et d'appuyer le programme du gouvernement. Le gouvernement ne peut pas s'attendre à ce que l'opposition, ni même les sénateurs indépendants, acceptent cette responsabilité, puisqu'elle n'est pas leur responsabilité.
Je fais valoir un point que je crois avoir déjà exprimé. Avant qu'il ne reste plus que sept sénateurs qui appuient le Parti conservateur, le premier ministre a l'obligation, envers son gouvernement, son caucus et les gens qui ont voté pour son parti, d'être capable d'aller de l'avant avec son programme. Je comprends son point de vue au sujet des mandats d'une période déterminée, des élections et ainsi de suite, mais la solution immédiate qui s'offre à lui est de nommer une douzaine de personnes âgées de 65 ans ou plus, en attendant une réforme plus globale.
L'honorable Leonard J. Gustafson : Le sénateur Murray accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Murray : Oui, bien sûr.
Le sénateur Gustafson : D'après ce que j'entends de la base, les gens exigent des changements au Sénat et ils veulent des réponses. Il y a des personnes non politisées qui viennent me voir et qui souhaitent que des changements soient apportés au Sénat.
La représentation régionale est l'un des dossiers les plus importants. Une province comme la Colombie-Britannique, qui compte entre quatre et cinq millions d'habitants, n'a que six sénateurs. L'autre jour, le sénateur nous a entretenus des problèmes qui existent au Québec. Selon le sénateur, comment cette question peut-elle être réglée d'une façon qui sera avantageuse pour tous les Canadiens?
Le sénateur Murray : Honorables sénateurs, si certains des amis du sénateur Gustafson se plaignent du Sénat, ou exigent que celui-ci fasse l'objet de changements, j'espère qu'ils n'oublient pas de commencer en disant qu'ils espèrent que notre collègue continuera longtemps le bon travail qu'il fait ici en leur nom.
(1710)
Le sénateur Austin et moi avons présenté une modification constitutionnelle qui est présentement à l'étude au Sénat et qui propose une augmentation de la représentation de l'Ouest. Cette modification est bloquée quelque part du côté de la loyale opposition de Sa Majesté. Ce serait certes un grand progrès si nos vis-à-vis voulaient bien permettre qu'on soumette la question à un vote le plus tôt possible.
L'honorable Norman K. Atkins : Que pense l'honorable sénateur des pressions que la Chambre des communes exerce sur le Sénat, sans égard à l'appartenance politique, pour qu'il approuve de façon automatique les mesures qui lui sont soumises?
Le sénateur Murray : J'ai appris à ne pas tenir compte de ces pressions. Je dois dire que j'ai eu du mal à le faire. Je considère que l'on n'accorde pas suffisamment d'attention au rôle que nous jouons à titre de Chambre de révision, sans parler des importantes questions de politiques qui sont soulevées de temps à autres. Je pense par exemple au projet de loi C-52, le projet de loi d'exécution du budget, qui nous sera soumis bientôt et qui soulèvera certains problèmes puisque nous devrons décider de ce que nous devrons faire si nous nous y opposons en tout ou en partie.
Bon nombre des projets de loi qui nous sont soumis ont grand besoin d'être révisés, et nos comités font ce travail. Au lieu de se montrer amers, les députés, particulièrement ceux du parti ministériel, devraient nous remercier du travail que nous faisons à cet égard.
Son Honneur le Président : Les cinq minutes supplémentaires accordées au sénateur Murray sont écoulées.
L'honorable Anne C. Cools : Pourrait-il avoir plus de temps?
Son Honneur le Président : Suite du débat.
(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)
[Français]
L'ÉTUDE DES QUESTIONS LIÉES AUX OBLIGATIONS NATIONALES ET INTERNATIONALES EN MATIÈRE DE DROITS DE LA PERSONNE
MOTION DEMANDANT UNE RÉPONSE DU GOUVERNEMENT AU RAPPORT DU COMITÉ DES DROITS DE LA PERSONNE—REPORT DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Andreychuk, appuyée par l'honorable sénateur Stratton,
Que, conformément à l'article 131(2) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre des Affaires étrangères étant désigné ministre chargé de répondre au douzième rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne intitulé : Le Canada et le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies : À la croisée des chemins.—(L'honorable sénateur Corbin)
L'honorable Eymard G. Corbin : Honorables sénateurs, suite aux propos que j'ai tenus au moment de l'ajournement jeudi dernier, je constate que madame le sénateur Andreychuk a dû s'absenter. Je propose donc le report du débat à la prochaine séance.
(Sur la motion du sénateur Corbin, le débat est reporté.)
[Traduction]
L'ÉDUCATION POSTSECONDAIRE
INTERPELLATION—SUSPENSION DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Tardif, attirant l'attention du Sénat sur des questions concernant l'éducation postsecondaire au Canada.—(L'honorable sénateur Hubley)
L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je participe au débat sur l'interpellation de l'honorable sénateur Tardif concernant l'éducation postsecondaire. J'aimerais axer mes observations d'aujourd'hui sur les Autochtones, en particulier ceux de la Saskatchewan.
En une minute ou plus, je voudrais donner un bref aperçu de ce que je dirai aux honorables sénateurs. J'ai l'intention de citer des statistiques se rapportant aux écarts entre Autochtones et non-Autochtones sur le plan de l'éducation, puis d'aborder le sujet de manière générale et d'examiner quelques-uns des nombreux rapports qui ont été publiés sur les lacunes de l'éducation postsecondaire.
Tout d'abord, je fournirai aux honorables sénateurs des renseignements de base qu'ils connaissent déjà, j'en suis sûre. Selon le recensement de 2001 de Statistique Canada, 3 p. 100 de la population canadienne était autochtone. En Saskatchewan, il y avait environ 14 p. 100 d'Autochtones, et à Saskatoon, environ 9 p. 100.
Pour faire une mise en contexte, notons que les minorités visibles représentaient 14 p. 100 de la population.
LES TRAVAUX DU SÉNAT
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l'ordre du Sénat, nous devons suspendre les délibérations. La sonnerie commencera à se faire entendre. Après le vote, nous reprendrons là où l'honorable sénateur a dû s'arrêter.
Honorables sénateurs, le débat est suspendu afin que nous puissions procéder au vote prévu à 17 h 30. À partir de maintenant, la sonnerie retentira pendant 15 minutes.
Consignons au compte rendu qu'on m'a donné la permission de quitter le fauteuil.
Convoquez les sénateurs.
(1730)
PROJET DE LOI DE MISE EN ŒUVRE DU PROTOCOLE DE KYOTO
TROISIÈME LECTURE—MOTIONS D'AMENDEMENT ET DE SOUS-AMENDEMENT—SUITE DU DÉBAT
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Mitchell, appuyée par l'honorable sénateur Trenholme Counsell, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-288, Loi visant à assurer le respect des engagements du Canada en matière de changements climatiques en vertu du Protocole de Kyoto;
Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Tkachuk, appuyée par l'honorable sénateur Angus, que le projet de loi C-288 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié :
a) à l'article 3, à la page 3, par substitution, à la ligne 19, de ce qui suit :
« prise, dans toute la mesure du possible, de mesures efficaces et rapides par le »;
b) à l'article 5 :
(i) à la page 4 :
(A) par substitution, à la ligne 2, de ce qui suit :
« d'assurer, dans toute la mesure du possible, le respect des engagements du »,
(B) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :
« normes de rendement réglementées, pour une année, pour les émissions des véhicules qui sont équivalentes ou supérieures aux meilleures pratiques internationales à l'égard de toute catégorie réglementaire de véhicules automobiles, »,
(C) par adjonction, après la ligne 15, de ce qui suit :
« (iii.2) la reconnaissance des mesures rapides pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, »,
(ii) à la page 5,
(A) par substitution, à la ligne 10, de ce qui suit :
« a) dans les dix jours suivant l'expiration du »,
(B) par substitution, à la ligne 24, de ce qui suit :
« au paragraphe (1) ou dans les quinze premiers »,
(C) par substitution, aux lignes 27 à 31, de ce qui suit :
« qui est déposé devant chaque chambre du Parlement est réputé renvoyé au comité permanent du Sénat ou de la Chambre des communes qui étudie habituellement les questions portant sur l'environnement ou à tout autre comité que l'une ou l'autre chambre peut désigner pour »;
c) à l'article 6, à la page 6, par adjonction, après la ligne 33, de ce qui suit :
« (3) Pour l'application de la présente loi, le gouverneur en conseil peut, par règlement, limiter les émissions des « grands émetteurs industriels », personnes qu'il estime expressément responsables d'une partie importante des émissions de gaz à effet de serre du Canada, notamment :
a) les personnes du secteur de la production d'électricité, y compris celles qui utilisent des combustibles fossiles pour la produire;
b) les personnes de l'industrie pétrolière et gazière en amont, y compris celles qui produisent et transportent des combustibles fossiles, mais à l'exception des raffineurs de pétrole et des distributeurs de gaz naturel aux utilisateurs finaux;
c) les personnes du secteur énergivore, y compris celles qui utilisent l'énergie tirée des combustibles fossiles, les raffineurs de pétrole et les distributeurs de gaz naturel aux utilisateurs finaux. »;
d) à l'article 7 :
(i) à la page 6 :
(A) par substitution, à la ligne 37, de ce qui suit :
« Canada honore, dans toute la mesure du possible, les engagements qu'il a pris en »,
(B) par substitution, à la ligne 44, de ce qui suit :
« ce que le Canada honore, dans toute la mesure du possible, les engagements qu'il »,
(ii) à la page 7, dans la version anglaise, par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :
« (3) In ensuring that Canada makes all reasonable attempts to meet its »;
e) à l'article 9 :
(i) à la page 7, par substitution, à la ligne 37, de ce qui suit :
« pris afin d'assurer que le Canada respecte, dans toute la mesure du possible, »,
(ii) à la page 8 :
(A) par substitution, à la ligne 3, de ce qui suit :
« indiquée dans les trente jours suivant le délai »,
(B) par substitution, à la ligne 7, de ce qui suit :
« paragraphe (1) ou dans les quinze premiers »;
f) à l'article 10 :
(i) à la page 8 :
(A) par substitution, à la ligne 10, de ce qui suit :
« 10. (1) Dans les cent quatre-vingts jours suivant la »,
(B) par substitution, à la ligne 13, de ce qui suit :
« graphe 5(3) ou dans les quatre-vingt-dix jours suivant la »,
(C) par substitution, à la ligne 42, de ce qui suit :
« a) dans les quinze jours après avoir reçu les »,
(ii) à la page 9 :
(A) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :
« dans les quinze premiers jours de séance de »,
(B) par substitution, à la ligne 8, de ce qui suit :
« b) dans les trente jours suivant la réception des »;
g) à l'article 10.1, à la page 9 :
(i) par substitution, à la ligne 16, de ce qui suit :
« ment et au développement durable peut préparer un »,
(ii) par substitution, à la ligne 32, de ce qui suit :
« président du Sénat et à celui de la Chambre des communes au plus »,
(iii) par substitution, aux lignes 33 et 34, de ce qui suit :
« tard le jour où il est publié et chaque président le dépose devant sa chambre respective dans les quinze ».
Sur le sous-amendement de l'honorable sénateur St. Germain, C.P., appuyé par l'honorable sénateur Di Nino, que la motion d'amendement soit modifiée par la suppression de l'amendement b)(i)(B) et par le changement de la désignation littérale de l'amendement b)(i)(C) à celle d'amendement b)(i)(B).
(La motion de sous-amendement, mise aux voix, est rejetée.)
POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS
Andreychuk | Meighen |
Carney | Nancy Ruth |
Comeau | Nolin |
Di Nino | Oliver |
Eyton | Segal |
Gustafson | St. Germain |
Johnson | Stratton |
Keon | Tkachuk—17 |
LeBreton |
CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS
Adams | Hays |
Atkins | Hervieux-Payette |
Bryden | Joyal |
Callbeck | Lavigne |
Campbell | Losier-Cool |
Carstairs | Mahovlich |
Chaput | Merchant |
Cook | Mitchell |
Cools | Moore |
Corbin | Munson |
Cordy | Murray |
Cowan | Peterson |
Dawson | Phalen |
Down | Ringuette |
Dyck | Robichaud |
Eggleton | Rompkey |
Fairbairn | Smith |
Fitzpatrick | Tardif |
Fox | Trenholme Counsell |
Fraser | Watt |
Goldstein | Zimmer—43 |
Grafstein |
ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS
Aucun. |
Son Honneur le Président : Le sous-amendement est donc rejeté.
LES TRAVAUX DU SÉNAT
L'honorable Gerald J. Comeau (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, je demande la permission du Sénat pour reporter tous les autres articles qui figurent au Feuilleton et au Feuilleton des avis à la prochaine séance du Sénat. Je demande la permission qu'ils conservent leur rang et je demande que l'interpellation du sénateur Dyck demeure inscrite à son nom.
Son Honneur le Président : Y a-t-il consentement unanime, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
(Le Sénat s'ajourne au mercredi 13 juin 2007, à 13 h 30.)
ANNEXE
Le projet de loi S-4,
Loi modifiant la
Loi constitutionnelle de 1867 (mandat des sénateurs)
Observations au rapport
du
Comité sénatorial permanent des
affaires juridiques et constitutionnelles
Introduction
« Supposons que vous les nommiez pour neuf ans, quelle sera la conséquence? Pendant les trois ou quatre dernières années de leur service ils auront devant les yeux l'expiration de leur mandat, et se tourneront avec anxiété du côté du gouvernement alors au pouvoir pour obtenir la faveur de se faire nommer de nouveau; la conséquence sera qu'ils se trouveront entièrement sous l'influence de l'exécutif. »
--- George Brown, 1865[1]
George Brown, membre du gouvernement de coalition de John A. Macdonald et George-Étienne Cartier dans ce qui est alors la province du Canada, explique plus loin dans son discours qu’on a voulu faire de la Chambre haute « un corps parfaitement indépendant, un corps qui serait dans la meilleure position possible pour étudier sans passion les mesures de cette Chambre, et défendre les intérêts publics contre toute tentative de législation hâtive ou entachée d'esprit de parti. »
Il ressort clairement des débats sur la Confédération que les constituants canadiens ont envisagé la possibilité d’un mandat de neuf ans renouvelable pour les sénateurs nommés, mais qu’ils ont conclu que cela menacerait l’indépendance de la Chambre haute vis-à-vis de l’exécutif – c'est-à-dire du premier ministre et de son cabinet. C’est pourquoi les Pères de la Confédération ont rejeté le mandat fixe renouvelable et préféré, à la fois pour le Sénat et la Cour suprême, la nomination à vie. Au début des années 1960, il a été décidé que les membres des deux institutions exerceraient leur mandat jusqu’à 75 ans.
Le projet de loi S-4, bien que bref, apporte un changement majeur à la pratique actuelle en ce qui concerne le Sénat du moins. Les sénateurs seraient désormais nommés sur la recommandation du premier ministre pour un mandat de huit ans renouvelable sans retraite obligatoire à 75 ans. Deux questions étroitement liées viennent tout de suite à l’esprit. Des traits essentiels de notre démocratie parlementaire telle qu’établie au moment de la Confédération s’en trouveraient-ils affectés et est-ce un changement que le gouvernement fédéral peut légalement apporter en passant par le Parlement sans la participation des provinces?
La place du Sénat dans l’appareil gouvernemental du Canada est sans doute la question la plus importante et la plus litigieuse à laquelle font face nos constituants. Certains d’entre eux, notamment ceux de la région la plus peuplée, le Haut-Canada (Ontario), préféreraient un parlement unicaméral, mais une seconde chambre est essentielle aux yeux de ceux des régions moins populeuses. Comme l’explique George Brown : « Nos amis du Bas-Canada ne nous ont concédé la représentation d’après la population qu’à la condition expresse qu’ils auraient l’égalité dans le conseil législatif. Ce sont là les seuls termes possibles d’arrangement[2][.] » Alexander Mackenzie, qui doit devenir notre deuxième premier ministre, observe : « La constitution de la chambre haute est la question la plus importante[3]. »
Il y a eu débat non seulement sur l’égalité de représentation des trois régions du pays (Maritimes, Québec, Ontario), mais sur la question de savoir si les sénateurs devaient être nommés ou élus, l’opinion de John A. Macdonald ayant finalement prévalu : « Il y a, je le répète, un risque plus grand de divergence de vues irréconciliable entre les deux organes du pouvoir législatif si la chambre haute est élue que si elle est nommée par la Couronne[4]. »
Les constituants s’entendent finalement sur un Sénat où les trois régions sont représentées à égalité et dont les membres sont nommés à vie par l’exécutif. Que ce soit là un compromis conçu pour obtenir l’unanimité des participants, Alexander Mackenzie n’en fait pas mystère : « Tout en estimant que nous serions mieux sans chambre haute, je sais qu’il ne s’agit pas pour le moment de choisir la meilleure forme de gouvernement possible, selon nos opinions particulières, mais de faire le mieux qu’on peut pour une communauté dont les vues sur la question divergent[5]. »
Si l’on reprend les termes d’Alexander Mackenzie, les deux grandes questions qui se posent actuellement aux membres du Comité sont de savoir si les dispositions du projet de loi S-4 nous rapprochent de «la meilleure forme de gouvernement possible» et s’il y a obligation constitutionnelle pour le gouvernement fédéral de tenir compte des vues des membres de notre communauté fédérale, à savoir les provinces, qui voient peut-être d’un autre œil ce qui est proposé? Voilà les questions qui ont encadré le travail du Comité.
Le projet de loi S-4 découle de la promesse électorale faite par le Parti conservateur en juin 2006 d’amorcer «la réforme du Sénat en élaborant un processus national permettant de choisir des sénateurs élus pour chaque province et territoire. »
Le nouveau gouvernement conservateur a lancé cette réforme en déposant le 30 mai 2006 le projet de loi S-4, préférant traiter la durée du mandat des nouveaux sénateurs avant d’apporter des changements à la façon de les sélectionner.
Le sujet du projet de loi a été renvoyé le 28 juin 2006 à un comité sénatorial spécial qui a recommandé en principe l’établissement d’un mandat de durée fixe pour les nouveaux sénateurs et conclu « qu’il ne semble pas nécessaire d’obtenir plus de précisions sur la constitutionnalité du projet de loi S-4… » Cependant, après le dépôt du rapport du Comité, le gouvernement a déposé le 13 décembre 2006 le projet de loi C-43, Loi sur les consultations concernant la nomination des sénateurs. Cette nouvelle étape dans la réforme voulue par le gouvernement fédéral a conduit des sénateurs ainsi qu’un certain nombre de constitutionnalistes et d’autorités provinciales à reconsidérer leur analyse du projet de loi S-4, notamment par rapport à sa constitutionnalité. C’est pourquoi le Comité, en prolongement du travail du Comité spécial, s’est intéressé de plus près aux questions constitutionnelles en évolution et aux principes définis dans le jugement que la Cour suprême a rendu en 1979, à savoir le Renvoi relatif à la Chambre haute.
I. Mandat de huit ans
Le projet de loi S-4 a pour objet de fixer à huit ans la durée du mandat des nouveaux sénateurs. En 1979, la Cour suprême du Canada s’est vu demander si le Parlement avait le pouvoir législatif d’édicter une loi modifiant la durée du mandat des sénateurs. La Cour a statué comme suit :
« À un certain point, la réduction de la durée des fonctions pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, “un deuxième coup d’œil attentif à la loi”. L’Acte [Loi constitutionnelle de 1867] prévoit une constitution semblable, en principe, à celle du Royaume-Uni, où les membres de la Chambre des lords siègent à vie. L’imposition de la retraite obligatoire à l’âge de soixante-quinze ans n’a pas modifié le caractère essentiel du Sénat. Cependant, pour répondre à la question, il faudrait que nous sachions quels changements sont proposés[6]. » [gras ajouté]
Cette assertion donne à penser que certaines durées de mandat seraient conformes à la Constitution, et d’autres non. Aucune des personnes qui ont témoigné devant le Comité n’a pu déterminer où se situait la ligne de démarcation. Même l’avocat général du gouvernement, Warren Newman, Section du droit administratif et constitutionnel du ministère de la Justice, a reconnu que certains changements, comme la réduction du mandat à un an, ne seraient pas jugés valables sur le plan constitutionnel. Il a de ce fait reconnu au nom du gouvernement que le pouvoir de modifier la durée du mandat des sénateurs en vertu de l’article 44 n’est pas absolu. Par contre, personne n’a pu tracer la ligne de démarcation critique.
Henry S. Brown, avocat de droit constitutionnel au cabinet Gowling Lafleur Henderson, a fourni au Comité un avis écrit fouillé et a aussi témoigné en personne. Il a signalé que, dans le Renvoi relatif à la Chambre haute, la Cour suprême a dit que le Parlement n’est pas habilité à apporter unilatéralement (c.-à-d. sans l’intervention des provinces) des modifications qui « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral[7] ».
La Cour devait aussi déterminer si la réduction de la durée du mandat « pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de sir John A. Macdonald, “un deuxième coup d’œil attentif à la loi[8]” » .
M. Brown a signalé ceci :
« […] la Cour suprême du Canada a fait explicitement mention de l'indépendance du Sénat qui est l'une de ses caractéristiques fondamentales. La Cour a dit que “on voulait faire du Sénat un organisme tout à fait” — et je souligne les mots “tout à fait” — “indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes. On y est arrivé en disposant que les membres du Sénat seraient nommés à vie[9].” »
Il y a donc trois caractéristiques essentielles à préserver dans toute proposition visant à modifier la durée du mandat : 1) l’indépendance totale du Sénat; 2) sa capacité d’assurer un second examen objectif; 3) son rôle de représentation provinciale et régionale.
Au sujet du mandat de huit ans, des témoins ont exprimé plusieurs appréhensions liées aux questions constitutionnelles, dont le fait qu’un premier ministre en poste pour deux mandats nommerait la totalité des sénateurs. Cette situation limiterait gravement la capacité du Sénat de remplir son rôle d’» organisme tout à fait indépendant » qui assure un second examen objectif. Presque tous les experts qui ont témoigné s’entendaient pour dire qu’il s’agissait là d’un problème important.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, a écrit ceci au Comité le 20 avril 2007 :
« Une préoccupation additionnelle du gouvernement du Nouveau-Brunswick au sujet du projet de loi S-4 dans sa forme actuelle est le fait que tout gouvernement fédéral qui serait au pouvoir pendant au moins deux mandats complets pourrait renouveler complètement l’effectif du Sénat au moyen d’un processus qui n’est pas encore défini. Cela découle directement de la réduction proposée, qui ramènerait à seulement huit ans la durée du mandat des sénateurs. Sous cet aspect également, la mesure ne peut que restreindre l’indépendance des représentants régionaux au Sénat. Pour une province comme le Nouveau-Brunswick, il est difficile de concevoir comment une telle proposition pourrait favoriser ses intérêts[10]. »
Comme indiqué plus haut, le Parlement n’est pas habilité, selon le Renvoi relatif à la Cour suprême, à apporter unilatéralement des modifications qui, « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral » . Le premier ministre Graham est manifestement d’avis que la mesure proposée constitue une modification de cette nature.
D’autres observations importantes ont mis en doute le bien-fondé du mandat de huit ans. Plusieurs témoins ont dit que les longs états de service des sénateurs leur permettaient d’acquérir une expertise précieuse sur des sujets particuliers et sur les règles de procédure du Sénat. Ils craignaient que la vision à long terme qui existe actuellement au Sénat s’affaiblisse ou se perde.
Un témoin a souligné que le mandat proposé diminuerait la stabilité du Sénat : « La durée du mandat actuel garantit pratiquement que le Sénat exercera une surveillance étroite et jouera un rôle de frein plusieurs années après le remplacement du parti au pouvoir à la Chambre des communes [...] Cela pourrait transformer considérablement la fonction de surveillance du Sénat, et il est certain que le Sénat ne sera plus un organisme “tout à fait indépendant”, comme l’exige la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute[11]. »
Le Comité a été impressionné par les commentaires réfléchis des témoins qui ont étudié de près la Chambre des lords britannique. La réforme de cette chambre a fait l’objet de beaucoup de réflexion, d’études et de débats au cours des dix dernières années. La proposition actuellement à l’étude est un mandat de 15 ans, soit l’équivalent de trois cycles électoraux du Parlement européen, et le remplacement du tiers des lords tous les cinq ans. Ce mandat de 15 ans ne serait pas renouvelable.
Gerard Horgan, politologue canadien qui enseigne à l’International Study Centre de l’Université Queen’s au Royaume-Uni, a commenté ainsi les résultats du rapport de la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords (commission Wakeham), publié en 2000 :
« Les aspirations de cette commission quant à la composition de la Chambre des lords concordent souvent avec les souhaits exprimés en rapport avec le Sénat canadien. Par exemple, la commission en question a fait valoir qu'un mandat de longue durée aurait les effets suivants : [Traduction] “Encourager les lords à faire preuve d'indépendance d'esprit et adopter une vision à long terme; dissuader les candidats politiquement ambitieux de solliciter un siège dans la seconde chambre; favoriser un style de débat qui est moins partisan; et laisser aux lords le temps d'absorber l'ethos particulier de la seconde chambre et d'assimiler la manière de s'y prendre pour contribuer avec le plus d'efficacité possible aux travaux.”
Étant donné ces aspirations et compte tenu des inconvénients possibles d'un mandat de longue durée, la commission a conclu que les lords devraient siéger l'équivalent de trois cycles électoraux, soit de 12 à 15 ans. En outre, la commission a dit avoir bien envisagé un mandat correspondant à deux cycles électoraux, mais a déterminé que [Traduction] “Ce serait un mandat d'une durée insuffisante pour créer le genre de seconde chambre que nous envisageons.”
[…]
En résumé, la commission Wakeham a d'abord fait valoir le principe selon lequel il doit y avoir tout au moins un rapport de trois pour un entre les membres de la Chambre des lords et les députés à la Chambre des communes. Ensuite, même si la réflexion sur la réforme de la Chambre des lords est loin d'avoir atteint son terme, l'argument en faveur d'un mandat d'une longue durée à la chambre haute ou au Royaume-Uni s'est révélé suffisamment convaincant pour que le gouvernement appuie l'idée d'un mandat de 15 ans. Enfin, étant donné la possibilité de choisir seulement une partie du contingent sénatorial provincial à chacune des élections consultatives, c'est une des objections possibles à l'idée d'établir un mandat d'une longue durée qui disparaît.
Pour terminer, je dirais simplement ceci : j'espère que mon mémoire et mes observations permettront aux honorables sénateurs de voir qu'il existe des raisonnements valables en faveur de l'adoption d'un mandat de longue durée à la chambre haute. Par contre, et ce n'est pas pour vous flatter que je le dis, car j'estime que cela est vrai : vous, sénateurs, êtes les véritables spécialistes de la question. Si, en tant que chercheur, je voulais savoir combien de temps il faut à un nouveau sénateur pour saisir l'ethos de la chambre, je vous poserais la question à vous. Dans le cas du projet de loi dont il est question, il importe tout autant que vous creusiez votre propre expérience que d'écouter des gens comme moi[12]. »
Meg Russell, du University College London, a elle aussi préconisé vivement l’étude de mandats plus longs :
« Pour ce qui est de l'ethos de la Chambre et de son indépendance et de ce que les gens apprécient à propos de la Chambre des lords, pour une grande part, les gens ont été nombreux à faire valoir qu'il importe d'avoir des mandats de plus longue durée. Comme le professeur Horgan l'a fait valoir, la commission royale a demandé 15 ans. De même, le gouvernement a recommandé récemment un mandat de 15 ans[13]. »
Lord Howe, membre conservateur de la Chambre des lords, a dit qu’à son avis, « 15 ans devrait être la durée minimale d'un mandat[14] » .
Le Comité est du même avis. Son amendement vise à porter le mandat de huit à quinze ans, car selon lui le premier ne répondrait pas au critère de la Cour suprême en matière de constitutionnalité tandis que le deuxième serait plus susceptible d’y satisfaire.
II. Mandats non renouvelables
Un bon nombre de témoins ont dit se préoccuper grandement de la proposition voulant que le premier ministre puisse renouveler les nouveaux mandats des sénateurs. Le projet de loi S‑4 passe sous silence la question du renouvellement. Cependant, le très honorable Stephen Harper a dit au Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat : « Ce silence vous permet de présumer qu'il y aurait possibilité de renouvellement[15]. »
La leader du gouvernement au Sénat, lorsqu’elle a parlé du projet de loi S‑4 à la Chambre haute, et le premier ministre Harper, dans son témoignage devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, ont dit clairement que la décision d’autoriser le renouvellement des mandats s’inscrivait dans le contexte de l’élection des sénateurs. Or, jusqu’ici, le gouvernement n’a pas proposé de modifier la Constitution pour prévoir un Sénat élu. Le projet de loi S‑4 ne traite aucunement cette question.
Pour beaucoup de témoins, la question primordiale est l’effet du caractère renouvelable des mandats sur l’indépendance des nouveaux sénateurs. M. Harper a jugé ces préoccupations non fondées :
« En ce qui concerne la possibilité que les sénateurs modifient leur comportement si le mandat est renouvelable, j'aurais tendance à écarter cette hypothèse. À la lumière de l'expérience que j'ai acquise, la volonté des membres de l'une ou l'autre des chambres de collaborer avec le gouvernement est déterminée d'abord et avant tout par leur appartenance politique. Que le mandat soit renouvelable ou qu'il ne le soit pas, cela ne fera probablement aucune différence. C'est mon opinion sur la nature humaine en ce qui concerne le processus législatif[16]. »
Cette affirmation décrit sans doute fidèlement ce qui se passe à la Chambre des communes, mais la situation au Sénat est un peu plus nuancée. En fait, il existe au Sénat une longue tradition de vote indépendant, ce que confirment les statistiques. M. Andrew Heard, professeur à l’Université Simon Fraser, a dit au Comité avoir effectué une étude sur les habitudes de vote au Sénat pour la période de 2001 à 2005 :
« On a l'impression, à tout le moins, qu'avec le temps, les sénateurs en viennent à disposer d'une plus grande liberté et d'une plus grande marge de manœuvre dans leurs choix que les députés. Il y a eu peu d'études statistiques ou empiriques à ce sujet, alors j'ai fait moi-même un petit examen de la période allant de 2001 à 2005 […] J'ai examiné 125 scrutins officiels auxquels ont participé 122 sénateurs, ce qui représente plus de 7 700 voix. Ce n'est qu'une fraction de toutes les mises aux voix, car, bien sûr, comme vous le savez, bien des mises aux voix se font oralement, et ces scrutins par appel nominal ne nous indiquent pas qui a fait dissidence. J'ai pris note des mises aux voix où des sénateurs se sont officiellement abstenus ou ont voté pour ou contre un projet de loi afin de déterminer dans combien de cas ils ont voté contre la position de leur caucus ou se sont abstenus. J'en ai conclu que les sénateurs sont très indépendants, certainement plus que les députés[17]. » [gras ajouté]
M. Heard était convaincu que la possibilité de renouveler les mandats nuirait sérieusement à l’indépendance des sénateurs :
« J'ai néanmoins une préoccupation concernant le mandat renouvelable. La possibilité que le premier ministre détermine quel sénateur pourrait voir son mandat renouvelé soulève de sérieuses questions quant à la façon dont voteront les sénateurs qui souhaitent voir leur mandat renouvelé. À cet égard, j'estime que la possibilité de renouveler le mandat pourrait nuire à l'indépendance des sénateurs lors des mises aux voix[18]. »
D’autres témoins partageaient cet avis. Jennifer Smith, chef du Département de science politique à l’Université Dalhousie, a fait valoir qu’un mandat renouvelable diminue l’indépendance de la personne nommée et influe par conséquent sur le rôle du Sénat comme lieu de second examen objectif. À son avis, il a aussi un effet sur le rôle de représentation fédérale du Sénat, car la perspective d’un renouvellement de mandat compromet l’indépendance du sénateur. Le renouvellement de mandat se répercute donc sur la nature du Sénat définie à l’époque de la Confédération.
David Smith, professeur à l’Institut de politiques d’intérêt public de la Saskatchewan, a exprimé une opinion semblable :
« Une disposition concernant la nomination renouvelable rendrait un sénateur désireux d'être renommé susceptible d'être influencé par le premier ministre, qui continuerait de faire les nominations à être approuvées par le gouverneur général. L'ambition et la perspective de possibilités futures occuperaient beaucoup plus de place qu'elles en ont aujourd'hui dans les calculs que les membres de la Chambre haute mettent dans leur travail. Ce commentaire se veut non pas une critique de ce comportement, mais plutôt une déclaration au sujet de la vie politique qui serait dorénavant caractéristique du Sénat[19]. »
Il faut toutefois préciser que, s’il ressort clairement des témoignages que le caractère renouvelable des mandats nuirait à l’indépendance du Sénat, certains ont émis des réserves sur le caractère non renouvelable conjugué à une durée fixe relativement courte. Par exemple, M. Smith a dit au Comité :
« Une disposition concernant la nomination non renouvelable pour un mandat fixe aurait pour effet de créer un renouvellement continuel de la Chambre. Les caractéristiques constituant à ce jour les forces du Sénat — l'expérience, les connaissances, le recul — disparaîtraient. De plus, plutôt que de devenir membre du Sénat à la fin de sa carrière, une personne inexpérimentée pourrait y entrer au début de sa carrière. Par exemple, une personne dans la trentaine nommée au Sénat pour un mandat de huit ans serait en position d'espérer obtenir un siège aux Communes à 40 ans. Si c'était le cas, le mandat des sénateurs pourrait bien être facilement perçu comme préliminaire à une période aux Communes, alors qu'il est actuellement perçu comme la suite d'une période passée dans la Chambre basse ou dans un autre emploi. En d'autres termes, la relation entre les deux Chambres serait renversée, et l'indépendance actuelle des sénateurs, dont la carrière politique tire à sa fin, serait compromise[20]. »
Le Comité reconnaît aussi que toute médaille a son revers. Tant que les sénateurs continuent d’être nommés, la possibilité de renouveler les mandats risque de porter sérieusement atteinte à leur indépendance et de miner par conséquent l’essence même du rôle et de la responsabilité constitutionnels de la Chambre haute. Si, en revanche, on en venait à élire les sénateurs, l’interdiction d’un deuxième (ou troisième) mandat pourrait compromettre l’obligation de rendre des comptes, qui est à la base d’un Sénat élu.
Le premier ministre du Nouveau-Brunswick est intervenu vigoureusement sur cette question, signalant qu’un mandat renouvelable
« […] permettrait au premier ministre fédéral de renforcer l’obligation des sénateurs de rendre des comptes dans le contexte du processus électoral consultatif suggéré, si on suppose que le gouvernement fédéral apporterait un tel changement. C’est au moyen d’élections que la population peut vraiment exprimer son approbation du travail effectué par ses représentants au Sénat. Si les sénateurs ne peuvent exercer leurs fonctions que pendant un mandat, des élections ne renforceront pas leur obligation de rendre des comptes. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick est d’avis que cette caractéristique de la proposition réduirait probablement l’efficacité du Sénat en tant qu’institution représentative. Un autre facteur est la probabilité qu’un mandat renouvelable renforcerait le respect de la discipline de parti. Une sénatrice ou un sénateur, s’il désire un nouveau mandat, ne manquera pas de voter conformément aux valeurs et aux principes du gouvernement fédéral au pouvoir. Cela ne peut qu’intensifier les pressions exercées sur les sénateurs pour qu’ils abandonnent les intérêts de leur région pour se conformer au programme du gouvernement à la Chambre des communes. En pratique, cela compromettrait la capacité du Sénat d’agir en tant que “chambre de second examen objectif”.
Il faut également remarquer que, étant donné la capacité apparente du gouvernement fédéral de renouveler le mandat des sénateurs si le projet de loi S-4 est adopté, ajoutée à l’abolition apparente de l’actuelle limite d’âge de 75 ans, les sénateurs pourraient demeurer en fonction plus longtemps que ne le permet actuellement l’article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867[21]. »
Le premier ministre de Terre-Neuve et du Labrador a écrit récemment au premier ministre Harper en envoyant copie de la lettre au président du Comité pour exprimer les préoccupations de son gouvernement concernant le projet de loi S-4. Il déclare que la disposition du projet de loi « prévoyant la renouvellement du mandat limiterait l’indépendance des nouveaux sénateurs en les rendant redevables au premier ministre et en les poussant à gagner sa faveur pour améliorer leurs chances de reconduction. Ce projet de loi amoindrirait donc l’indépendance du Sénat, son aptitude à servir de chambre de mûre réflexion et son efficacité à représenter les intérêts régionaux et provinciaux[22]. »
Au Royaume-Uni, les propositions visent nettement un mandat non renouvelable de 15 ans à la Chambre des lords. Lord Tyler, membre libéral démocrate de la Chambre des lords, a déclaré au Comité :
« Plus important encore, si nous devons bénéficier dans l'avenir d'indépendance par rapport aux partis, qu'il s'agisse de membres élus ou d'une forme de mise en candidature par les partis, nous voulons que les gens, lorsqu'ils arrivent à la Chambre haute, qu'elle soit appelée Sénat ou autre, se sentent aussi libres de toute influence ou pression de parti qu'ils peuvent l'être[23]. »
Le Comité partage l’avis des nombreux témoins et des auteurs de mémoire qui craignent que la possibilité d’un renouvellement ne porte sérieusement atteinte à l’indépendance des sénateurs et, par conséquent, du Sénat dans son ensemble. Rares sont ceux qui soutiendraient que l’indépendance de la Cour suprême du Canada ne serait pas ébranlée si le mandat actuel de ses membres – qui exercent leur charge jusqu’à l’âge de 75 ans – était transformé en mandat de huit ans, renouvelable selon le bon vouloir du premier ministre en poste (dont les lois et les politiques sont souvent contestées devant la Cour). L’indépendance de la Chambre haute du Parlement n’a pas moins d’importance pour notre régime gouvernemental. Par conséquent, le Comité a amendé le projet de loi S-4 de façon à prévoir expressément que le mandat de 15 ans des nouveaux sénateurs n’est pas renouvelable.
III. Limite d’âge de 75 ans
La Loi constitutionnelle de 1867 prévoyait au départ la nomination à vie des sénateurs, considérée comme la meilleure garantie d’indépendance à l’égard du gouvernement, et les mêmes modalités existaient au sein de la magistrature. Cette disposition a été modifiée en 1965 pour fixer une limite d’âge, 75 ans; elle a été adoptée à la suite d’un changement semblable dans la magistrature canadienne.
Le projet de loi S-4 supprimerait cette limite d’âge, ce qui permettrait aux sénateurs nommés de rester en poste pour leur mandat de huit ans même après avoir atteint l’âge de 75 ans. Par exemple, le premier ministre pourrait décider de nommer sénateur quelqu’un de 73 ans, qui exercerait son mandat de huit ans en restant au Sénat jusqu’à 81 ans. Selon la proposition, le premier ministre pourrait nommer un nouveau sénateur de 75 ou 80 ans, voire plus âgé, parce qu’il n’y aurait plus d’âge maximal. (Le projet de loi conserve cependant la règle constitutionnelle voulant qu’un sénateur ait au moins 30 ans.)
Bien que peu de témoins aient abordé la question, ceux qui l’ont fait se sont presque tous opposés à la proposition. Par exemple, M. Andrew Heard a signalé que, depuis 1965 (année où la limite de 75 ans a été établie), près de 23 p. 100 des sénateurs sont décédés avant la fin de leur mandat. Il a poursuivi ainsi :
« Il faut donc se demander de façon plus générale comment le Sénat peut faire face à cette réalité, soit le fait qu'il est composé de personnes qui sont à un âge avancé. Ce n'est pas seulement le fait que le taux de mortalité des sénateurs est plus élevé que celui des députés. Pendant la même période, seulement 3 p. 100 des députés sont morts, en comparaison avec 23 p. 100 des sénateurs. C'est aussi le fait que cela a une incidence sur le travail du Sénat, car nombreux sont les sénateurs qui sont malades, qui doivent prendre des congés prolongés ou ne peuvent travailler à temps plein comme ils voudraient le faire. Supprimer la retraite obligatoire pourrait aggraver les problèmes que connaît déjà le Sénat en raison de l'âge avancé des sénateurs. Rien ne justifie que l'on abolisse la retraite obligatoire et l'abolition de la retraite obligatoire pourrait avoir des conséquences néfastes[24]. »
D’autres témoins ont aussi recommandé de maintenir à 75 ans l’âge de la retraite obligatoire pour encourager une plus grande diversité d’opinions au Sénat.
Le Comité a été frappé par le contraste entre la proposition que renferme le projet de loi S‑4 et les efforts actuels pour réformer la Chambre des lords au Royaume-Uni. Il a tenu deux audiences par téléconférence avec des témoins de Londres : la première avec des universitaires qui ont une connaissance approfondie de la Chambre des lords et la seconde avec trois membres de cette chambre. Meg Russell, proche observatrice de la Chambre des lords à titre de chercheuse (au University College London actuellement) et de consultante auprès du gouvernement britannique et de la Commission royale sur la réforme de la Chambre des lords en 1999, a déclaré au Comité :
« Notre situation est assez différente de la vôtre. Vous avez déjà abandonné le mandat à vie et avez établi l'âge de la retraite à 75 ans. Nous ne sommes pas allés si loin. Pour nous, tout mandat qui n'est pas un mandat à vie représente une décision assez importante[25]. »
Les lords qui ont témoigné se sont dits très favorables à l’établissement d’un âge limite pour la retraite. Lord Howe of Aberavon, un conservateur, a dit : « Il se peut que nous [la Chambre des lords] devions imposer un âge limite pour la retraite, car sinon nous aurons une chambre majoritairement composée d'aînés. Je suis convaincu qu'il nous faut une sorte de système de retraite[26]. »
La baronne Deech, membre indépendant, a indiqué :
« Il est plus important de disposer d'un âge pour la retraite que d'une durée limite pour les mandats. Peu importe la durée du mandat, elle devrait être telle qu'on ne soit pas tenté d'utiliser le temps passé à la Chambre haute comme tremplin vers un poste lucratif en affaires, ou comme prélude à une élection à la Chambre basse. En d'autres mots, ce devrait être une période menant à la fin d'une carrière, sans que les gens ne soient trop âgés. Que l'âge de la retraite soit établi à 75 ans ou quelque chose du genre est une bonne idée — peut-être un âge de la retraite comparable à celui des juges. Si les juges demeurent sages jusqu'à l'âge de 70 ou 75 ans, alors je crois que les sénateurs le peuvent aussi[27] » .
Les juges canadiens sont obligés de prendre leur retraite à 75 ans. La plupart des Canadiens arrêtent de travailler à 65 ans. À la lumière de l’analyse statistique de M. Heard, l’abolition de la limite d’âge actuelle risquerait de ramener le Sénat à la situation d’antan, où les sénateurs étaient nommés à vie.
Le Comité estime que l’abolition de la retraite obligatoire à 75 ans équivaudrait à un recul. Cette mesure pourrait devenir acceptable si la Constitution était modifiée de façon à établir un Sénat élu. Toutefois, le gouvernement actuel n’a pas fait de proposition en ce sens.
L’abolition de la limite d’âge de 75 ans aurait probablement un effet sur la nature et la qualité des travaux du Sénat et influerait assurément sur l’attitude des Canadiens envers cette chambre. Si, comme le gouvernement l’a indiqué, un des objectifs du projet de loi est le renouvellement des idées et des points de vue au Sénat, le Comité n’est pas convaincu que l’abolition de la retraite obligatoire soit la meilleure façon d’y arriver. Il s’abstient d’émettre des hypothèses sur la raison pour laquelle le gouvernement propose cette mesure en maintenant l’âge minimal de 30 ans. Il n’y a pas d’âge minimal pour la Chambre des communes.
Le Comité est d’avis que la disposition adoptée en 1965 et fixant l’âge de la retraite à 75 ans pour les sénateurs, à l’exemple des juges, a eu pour effet d’améliorer le travail et la contribution du Sénat dans son ensemble. Aucun des témoignages entendus ne lui a fourni une raison probante de supprimer cette disposition, mais il a entendu des arguments de poids en faveur du maintien de la limite.
Par conséquent, le Comité a amendé le projet de loi S-4 de façon à conserver la disposition constitutionnelle exigeant que les sénateurs prennent leur retraite à 75 ans.
IV. Préoccupations relatives à la constitutionnalité du projet de loi S-4
Au cours du débat en deuxième lecture du projet de loi S-4, la principale préoccupation de nombreux sénateurs était de savoir si le Parlement a le pouvoir d’adopter cette modification constitutionnelle unilatéralement en vertu de l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette question a été examinée par le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, qui a étudié l’objet du projet de loi S-4 dans le cadre de son examen des questions touchant la réforme du Sénat. Bien que le Comité ait conclu que des modifications pourraient être apportées à la durée du mandat des sénateurs en invoquant l’article 44, pour de nombreux sénateurs il subsistait d’importantes questions au sujet de la constitutionnalité du projet de loi. C’est là la principale raison du renvoi de la mesure législative au Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour qu’il procède à un examen plus approfondi. La constitutionnalité du projet de loi S-4 était donc la préoccupation première de nos audiences. Nous avons cherché à déterminer si le Parlement a le pouvoir d’adopter de sa propre initiative la modification constitutionnelle énoncée dans le projet de loi S-4 ou si, en vertu de la Constitution, la modification nécessite l’accord des provinces.
Formules de modification
La Loi constitutionnelle de 1982 énonce quatre procédures par lesquelles des modifications constitutionnelles peuvent être adoptées. La procédure générale de modification de la Constitution du Canada est énoncée à l’article 38. Cette disposition permet les modifications qui sont autorisées par le Sénat et la Chambre des communes, et par les assemblées législatives d’au moins deux tiers des provinces dont la population confondue représente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces (appelée formule de modification 7/50). Les articles 41, 43 et 44 présentent ensuite trois autres formules relatives à des modifications constitutionnelles particulières. L’article 41 énumère certaines modifications qui doivent obtenir le consentement unanime du Sénat, de la Chambre des communes et de l’assemblée législative de toutes les provinces. L’article 43 traite de modifications qui s’appliquent à une ou à plusieurs provinces, mais non à toutes.
Le gouvernement est d’avis que le projet de loi S-4 pourrait être dûment adopté en vertu de l’article 44 qui prévoit ce qui suit :
44. Sous réserve des articles 41 et 42, le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relatives au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
Comme il est mentionné ci-dessus, l’article 41 porte sur certaines modifications qui doivent faire l’unanimité, tandis que l’article 42 traite de modifications qui ne peuvent être apportées que selon la formule de modification 7/50 énoncée à l’article 38.
Le paragraphe 42(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 se lit comme suit :
42. (1) Toute modification de la Constitution du Canada portant sur les questions suivantes se fait conformément au paragraphe 38(1) :
(a) le principe de la représentation proportionnelle des provinces à la Chambre des communes prévu par la Constitution du Canada;
(b) les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs;
(c) le nombre des sénateurs par lesquels une province est habilitée à être représentée et les conditions de résidence qu’ils doivent remplir;
(d) sous réserve de l’alinéa 41d), la Cour suprême du Canada;
(e) le rattachement aux provinces existantes de tout ou partie des territoires;
(f) par dérogation à toute autre loi ou usage, la création de provinces.
Contexte historique
Jusqu’en 1982, le principal document constitutionnel était l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, aujourd’hui appelée Loi constitutionnelle de 1867. Lorsque le Parlement britannique a adopté cette loi en 1867 (fait intéressant, elle a d’abord été adoptée par la Chambre des lords, puis par la Chambre des communes britannique), on n’a pas pensé à prévoir un mécanisme permettant de la modifier, sauf par l’adoption ultérieure d’une nouvelle loi du Parlement du Royaume-Uni[28]. En conséquence, le Parlement britannique a dû à quelques reprises adopter des lois « de nature plutôt technique » , par exemple l’Acte concernant l’Orateur canadien (nomination d’un suppléant) 1895, qui clarifiait le pouvoir du Parlement canadien de nommer un orateur suppléant au Sénat. Comme le chercheur James Ross Hurley l’a fait remarquer, « cet arrangement était plutôt boiteux[29] » .
En 1949, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique a été modifié afin de permettre au Parlement du Canada d’apporter de sa propre initiative certaines modifications à la Constitution. À cet égard, le paragraphe 91(1) prévoyait notamment ce qui suit :
91. […], il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir :
(1) La modification, de temps à autre, de la constitution du Canada, sauf en ce qui concerne les matières rentrant dans les catégories de sujets que la présente loi attribue exclusivement aux législatures des provinces, ou en ce qui concerne les droits ou privilèges accordés ou garantis, par la présente loi ou par toute autre loi constitutionnelle, à la législature ou au gouvernement d'une province, ou à quelque catégorie de personnes en matière d'écoles, ou en ce qui regarde l'emploi de l'anglais ou du français, ou les prescriptions portant que le parlement du Canada tiendra au moins une session chaque année et que la durée de chaque chambre des communes sera limitée à cinq années, depuis le jour du rapport des brefs ordonnant l'élection de cette chambre; toutefois, le parlement du Canada peut prolonger la durée d'une chambre des communes en temps de guerre, d'invasion ou d'insurrection, réelles ou appréhendées, si cette prolongation n'est pas l'objet d'une opposition exprimée par les votes de plus du tiers des membres de ladite chambre.
Avant qu’il ne soit abrogé en 1982 et remplacé par l’article 44 susmentionné, le paragraphe 91(1) a été utilisé à cinq reprises, notamment en 1965 pour modifier la disposition qui prévoyait alors la nomination des sénateurs à vie en imposant la retraite à l’âge de 75 ans. La Cour suprême a décrit les cinq modifications prévues au paragraphe 91(1) comme des « questions fédérales « internes » [30] » .
Le Renvoi relatif à la Chambre haute[31]
En 1978, le gouvernement canadien, alors dirigé par le très honorable Pierre Trudeau, a renvoyé une série de question à la Cour suprême du Canada afin qu’elle détermine si le Parlement du Canada pouvait adopter une loi en vertu du paragraphe 91(1) dans le but d’abolir le Sénat ou d’y apporter certaines réformes. L’une des questions visait à déterminer s’il ressortissait de la compétence législative du Parlement de promulguer des lois pour « changer le mandat des membres [du Sénat] » .
Dans son avis du 21 décembre 1979, connu comme le Renvoi relatif à la Chambre haute, la Cour suprême a porté une grande attention au contexte historique qui a donné lieu à la création du Sénat, citant abondamment les débats entourant la Confédération qui décrivent avec précision la raison d’être du Sénat, notamment la protection des intérêts des sections [aujourd’hui appelées régions] et des provinces. La Cour a mentionné le rôle que joue le Sénat pour assurer, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, « un deuxième coup d’œil attentif à la loi » . Elle a déclaré : « En créant le Sénat de la manière prévue à l'Acte, il est évident qu'on voulait en faire un organisme tout à fait indépendant qui pourrait revoir avec impartialité les mesures adoptées par la Chambre des communes. On y est arrivé en disposant que les membres du Sénat seraient nommés à vie[32]. »
La Cour a rejeté l’idée selon laquelle le paragraphe 91(1) permet d’abolir le Sénat, et elle a résumé sa réponse aux diverses questions précises sur la réforme du Sénat comme suit :
« [N]ous sommes d'avis que, bien que le par. 91(1) permette au Parlement d'apporter certains changements à la constitution actuelle du Sénat, il ne lui permet pas d'apporter des modifications qui porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral. Le Parlement britannique a déterminé le caractère du Sénat d'après les propositions soumises par les trois provinces pour rencontrer les exigences du système fédéral proposé. C'est à ce Sénat, créé par l'Acte, que l'art. 91 a donné un rôle législatif. Nous sommes d'avis que le Parlement du Canada ne peut en modifier unilatéralement le caractère fondamental et le par. 91(1) ne l'y autorise pas.[33] » [gras ajouté]
Au sujet de la question de savoir si le Parlement peut modifier unilatéralement la durée du mandat des sénateurs en vertu du paragraphe 91(1), la Cour a déclaré :
« Actuellement, lorsqu'ils sont nommés, les sénateurs occupent leur charge jusqu'à l'âge de soixante-quinze ans. À un certain point, la réduction de la durée des fonctions pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, [TRADUCTION] « un deuxième coup d'œil attentif à la loi » . L'Acte prévoit une constitution semblable, en principe, à celle du Royaume Uni, où les membres de la Chambre des lords siègent à vie. L'imposition de la retraite obligatoire à l'âge de soixante-quinze ans n'a pas modifié le caractère essentiel du Sénat. Cependant, pour répondre à cette question, il nous faudrait savoir quels changements on se propose d'apporter à la durée des fonctions[34]. » [gras ajouté]
Discussion
La décision concernant le Renvoi relatif à la Chambre haute a été rendue en 1979; la Constitution a été rapatriée en 1982, et le paragraphe 91(1) a été abrogé et que les formules de modification prévues aux articles 38, 41, 43 et 44 ont été promulguées à la même époque. Nous devons déterminer si le Renvoi relatif à la Chambre haute est toujours pertinent ou s’il a été remplacé par l’adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Autrement dit, l’article 44 visait-il à accorder au Parlement de nouveaux pouvoirs ou à reproduire, pour l’essentiel, l’ancien paragraphe 91(1)?
Le gouvernement actuel a présenté le projet de loi S-4 en soutenant que ces modifications qui, pour reprendre le discours de la Cour suprême, « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles attribuées au Sénat pour assurer la représentation régionale et provinciale dans le système législatif fédéral » , et nécessiteraient donc le consentement des provinces, ont toutes été codifiées à l’article 42 de la Loi constitutionnelle de 1982. Autrement dit, si une modification proposée au Sénat n’est pas mentionnée à l’article 42, le Parlement peut l’adopter unilatéralement en vertu de l’article 44. Cette position a été présentée au Comité par Matthew King, secrétaire adjoint du Cabinet, Législation et planification parlementaire, Bureau du conseil privé, au nom du gouvernement :
« Le gouvernement estime que l'approche choisie — qui consiste à modifier l'article 29 de la Loi constitutionnelle de 1867 en se fondant sur l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982 —, est parfaitement valide sur le plan constitutionnel.
Le gouvernement estime que les éléments de la réforme du Sénat qui nécessitent l'application de la formule de modification générale — qu'on appelle la formule d'amendement 7/50 — sont clairement énoncés à l'article 42 de la loi de 1982 et qu'il s'agit, en vertu de l'alinéa 42b), des pouvoirs du Sénat et de la méthode de sélection des sénateurs et, en vertu de l'alinéa 42c), du nombre de sénateurs qui peuvent représenter une province de même que les conditions de résidence des sénateurs.
Comme la durée du mandat n'est pas un des éléments expressément prévus par l'article 42, le gouvernement estime que le Parlement a le pouvoir d'adopter le projet de loi S-4 en invoquant l'article 44[35]. »
Cette position est renforcée par le préambule du projet de loi S-4, qui reprend les propos du Renvoi relatif à la Chambre haute, en précisant :
Attendu que le Parlement entend préserver les caractéristiques essentielles du Sénat, lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive au sein de la démocratie parlementaire canadienne.
Toutefois, Joseph Magnet, professeur de droit constitutionnel de l’Université d’Ottawa, nous a précisé très clairement ce qui suit :
« Dans une certaine mesure, ces attendus donnent une certaine idée de son objet. Ils font référence au principe démocratique. Ils tentent par ailleurs de fournir quelques indications — que je trouve personnellement bien utiles — du fait que le projet de loi S-4 reste dans les limites autorisées de l'ancien paragraphe 91(1). Autrement dit, les attendus indiquent qu'il s'agit de préserver les caractéristiques essentielles du Sénat en tant que lieu de réflexion indépendante, sereine et attentive. Les attendus l'indiquent de façon spécifique. C'est une affirmation intéressante et utile, mais elle n'est pas prépondérante[36]. »
La vaste majorité des témoignages que le Comité a entendus appuyaient l’affirmation selon laquelle le Renvoi relatif à la Chambre haute continue d’être une mesure pertinente et l’article 44 ne donne pas au Parlement plus de pouvoirs de modification que ne lui en accordait l’ancien paragraphe 91(1). Par exemple, M. Magnet a déclaré au Comité :
« L'objet même du projet de loi de rapatriement était de laisser les choses en l'état, sauf à rapatrier la Constitution en y ajoutant la Charte des droits et libertés ainsi qu'un mode de révision de la Constitution. Le rapatriement évitait spécifiquement d'étendre les pouvoirs du Parlement. L'article 31 de la Loi constitutionnelle de 1982 indique expressément l'intention du législateur : « La présente charte n'élargit pas les compétences législatives de quelque organisme ou autorité que ce soit » . Cette intention s'applique par hypothèse à l'article 44 qui, bien que ne figurant pas dans la charte, comporte des notes marginales indiquant clairement l'absence de tout changement.
Il en découle que la portée de l'article 44 n'est pas plus vaste que celle de l'ancien paragraphe 91(1). À mon avis, l'article 44 ne saurait justifier une mesure législative qui modifierait les caractéristiques fondamentales ou essentielles du Sénat. Contrairement à certaines opinions formulées à l'intention des sénateurs, je considère que pour un tribunal qui verrait dans le projet de loi S-4 une première étape en direction d'une modification de ces caractéristiques fondamentales, ce projet de loi ne serait pas nécessairement conforme à l'article 44, qui ne confère au Parlement aucun pouvoir supplémentaire pour modifier les caractéristiques essentielles du Sénat, sauf sur les quatre sujets énoncés aux alinéas 42b) et c)[37]. »
D’autres spécialistes de la Constitution sont arrivés à la même conclusion, notamment le professeur de droit constitutionnel John McEvoy, de l’Université du Nouveau-Brunswick, qui a étayé sa position par des extraits du compte rendu historique des délibérations tenues lors de l’examen de la Loi constitutionnelle de 1982. Il a fait état d’une motion présentée en 1981 par l’honorable Jake Epp dans le but précis d’exclure le Sénat de toute modification pouvant être apportée unilatéralement par le Parlement (ce qui deviendrait l’article 44). Pour expliquer son objectif, M. Epp avait déclaré :
« L'amendement rendrait impossible pour la seule Chambre, ou dans le cadre d'une simple initiative fédérale, de modifier le rôle ou les pouvoirs du Sénat. »
M. McEvoy a mentionné que M. Epp avait retiré cet amendement seulement après que le ministre de la Justice lui a assuré que l’amendement était inutile étant donné que le pouvoir fédéral de modification avait une portée restreinte et ne s’appliquait qu’à des questions internes comme une modification du quorum au Sénat. Il a déclaré :
« Le sens de ce fait historique tient au fait que l'intention déclarée, à l'époque où on étudiait le texte qui allait devenir la Loi constitutionnelle de 1982 — ou du moins, l'intention exprimée devant le Comité mixte spécial de la Constitution de 1981, coprésidé par le sénateur Joyal — était de maintenir le statu quo[38]. »
M. Andrew Heard a fait ressortir un problème crucial du raisonnement actuel du gouvernement, à savoir que si une question n’est pas mentionnée aux articles 41 ou 42, le Parlement peut la modifier unilatéralement en vertu de l’article 44. M. Heard a témoigné devant le Comité spécial sur la réforme du Sénat. Dans son rapport, ce comité a déclaré que, selon M. Heard, l’article 44 permet au Parlement d’agir unilatéralement pour réduire la durée du mandat des sénateurs. Toutefois, lorsque M. Heard a comparu devant notre Comité, il nous a appris qu’il avait revu sa position depuis son précédent témoignage. Il a présenté un puissant argument.
M. Heard a fait remarquer que l’article 42 ne peut être une liste exhaustive des questions que le Parlement ne peut modifier unilatéralement puisqu’il y manque certaines questions essentielles. Par exemple, l’ancien paragraphe 91(1) prévoyait expressément que le pouvoir fédéral de modification ne pouvait servir à modifier l’obligation de tenir une élection au moins tous les cinq ans. Cette obligation n’est mentionnée nulle part dans les pouvoirs de modification énoncés dans la Loi constitutionnelle de 1982. De même, le droit de voter lors d’une élection fédérale n’est traité dans aucune des formules de modification. On peut soutenir que ces deux questions sont des modifications « portant sur […] la Chambre des communes » qui ne sont pas expressément mentionnées aux articles 41 ou 42 comme nécessitant le consentement des provinces. Et pourtant, il serait absurde d’avancer que le Parlement a le droit d’adopter une modification qui permettrait au gouvernement de rester au pouvoir pendant 10, 20 ou 30 ans sans tenir d’élection générale, ou encore de restreindre le droit de vote en ne le donnant, par exemple, qu’aux militants d’un parti au pouvoir. M. Heard a déclaré :
« Si on soutenait que l'article 44 ne renfermait que les exceptions prévues aux articles 41 et 42, eh bien, le Parlement pourrait abolir le mandat maximal de cinq ans. Il pourrait, en théorie peut-être, abolir le droit de vote et le droit de se présenter comme candidat. La Cour suprême ne serait jamais d'accord et c'est précisément mon argument : la cour ne va pas interpréter plus largement les limites imposées dans cette interprétation littérale de l'article 44[39]. » [gras ajouté]
Henry Brown, c.r., de la société d’avocats Gowling, Lafleur et Henderson, et le professeur de droit constitutionnel Errol Mendes abondent dans le sens de M. Heard. Sa logique est puissante et nous a convaincus nous aussi.
La prochaine question est donc la suivante : le projet de loi S-4 est-il un exercice autorisé du pouvoir fédéral unilatéral prévu à l’article 44 dans les limites décrites par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute? Là encore, la grande majorité des témoignages de spécialistes que le Comité a entendus ont révélé d’importantes préoccupations sur le plan constitutionnel quant à savoir si le projet de loi peut dûment être adopté unilatéralement par le Parlement, sans que les provinces n’aient leur mot à dire.
Pour plusieurs spécialistes de la Constitution, la présentation du projet de loi du gouvernement C‑43 à la Chambre des communes le 13 décembre 2006 est un facteur important. En effet, ce projet de loi prévoit la consultation des électeurs en ce qui touche leurs choix concernant la nomination de sénateurs représentant une province. Au moment où le Comité spécial sur la réforme du Sénat a examiné l’objet du projet de loi S-4, le premier ministre, le très honorable Stephen Harper a témoigné devant lui et déclaré que son gouvernement était convaincu que « le Sénat devrait être élu[40] » . Il a également précisé l’intention de son gouvernement de « présenter à la Chambre […] un projet de loi ayant pour objet d’instaurer un processus de sélection des sénateurs élus. Ce projet de loi sera une preuve supplémentaire du sérieux avec lequel le gouvernement envisage la question d’une réforme véritable du Sénat[41]. »
Aucun projet de loi à cet égard n’a été présenté au cours de l’étude du Comité spécial et n’a donc pu être étudié par celui-ci. Le projet de loi C-43 n’a été déposé à la Chambre des communes que près de deux mois après que le Comité sénatorial spécial eut terminé son étude sur l’objet du projet de loi S-4.
Le gouvernement est d’avis que les projets de loi S-4 et C-43 ne devraient pas être étudiés ensemble, mais plutôt individuellement. M. Matthew King, du Bureau du Conseil privé, nous a déclaré ce qui suit :
« Le gouvernement estime [que le projet de loi C-43] n'est pas lié au projet de loi S‑4. Bien au contraire, il a affirmé sans équivoque que ces deux projets de loi ne sont pas liés entre eux et que chacun d'eux doit être évalué individuellement[42]. »
Nous comprenons que le gouvernement désire que nous étudiions le projet de loi S-4 individuellement, indépendamment du projet de loi C-43. Toutefois, les témoignages des experts en droit constitutionnel ont indiqué clairement qu’un tribunal procéderait différemment en examinant attentivement toutes les initiatives liées à une réforme du Sénat.
M. Magnet, qui a bien fait savoir qu’il présentait simplement son meilleur avis impartial, s’est livré à une analyse minutieuse de la façon dont un tribunal qui serait saisi de cette question aborderait la constitutionnalité du projet de loi S-4. Il a déclaré :
« Tout d'abord, [le tribunal] appliquerait la méthode éprouvée de l'analyse constitutionnelle mentionnée dans de très nombreux arrêts de la Cour suprême du Canada. Il se demanderait quels sont l'objet, la substantifique moelle et les effets juridiques et pratiques de cet amendement[43]. »
Pour répondre à cette question, M. Magnet a examiné un certain nombre de facteurs, notamment la teneur et le préambule du projet de loi S-4, l’historique des propositions de réforme du Sénat, et les déclarations du premier ministre Harper devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat. Il a ensuite mentionné ce qui suit :
« Il affirme ainsi que le projet de loi S-4 fait partie d'un ensemble à venir. Tout cela devrait amener le tribunal à considérer le projet de loi S-4 comme un élément d'une démarche globale ayant pour objet et substantifique moelle de modifier progressivement la représentation régionale — tout d'abord en modifiant la durée du mandat; deuxièmement en imposant le processus électoral; et enfin, comme l'a dit le premier ministre Harper, en essayant de provoquer, probablement par le biais d'une modification constitutionnelle, un changement dans la représentation des provinces[44]. »
M. Magnet a précisé au Comité que, selon lui, un tribunal jugerait que le projet de loi déborde le cadre des modifications permises par l’article 44. Il a déclaré : « À mon avis, l'article 44 ne saurait justifier une mesure législative qui modifierait les caractéristiques fondamentales ou essentielles du Sénat. Contrairement à certaines opinions formulées à l'intention des sénateurs, je considère que pour un tribunal qui verrait dans le projet de loi S-4 une première étape en direction d'une modification de ces caractéristiques fondamentales, ce projet de loi ne serait pas nécessairement conforme à l'article 44[45]. »
Il a terminé en disant :
« [J]'estime que le projet de loi S-4 risque de ne pas survivre à un contrôle quant à sa constitutionnalité. Je n'affirme pas qu'il n'y survivrait pas. Je dis simplement qu'il risque de ne pas y survivre, et je ne peux pas apporter davantage de précisions[46]. »
Le témoignage de M. Magnet a convaincu Roger Gibbins, président et chef de la direction de la Canada West Foundation et défenseur de longue date de la réforme du Sénat au Canada. M. Gibbins a témoigné devant le Comité (comme il l’a fait devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat) pour défendre fermement le projet de loi S-4. Toutefois, après avoir écouté les propos de M. Magnet, M. Gibbins a déclaré ce qui suit au Comité :
« Je me remets à peine des déclarations de M. Magnet, parce qu'il a soulevé des doutes dan mon esprit au sujet de la constitutionnalité du projet de loi, doutes que je n'avais pas plus tôt aujourd'hui. Il a présenté des arguments convaincants : si la cour estime qu'il s'agit d'une première étape, elle rejettera la mesure. C'est du moins la conclusion que je vois.
Si ce message est bien compris et a du sens, et j'ai trouvé cela assez convaincant aujourd'hui, ce serait une bonne idée de renvoyer la question à la Cour suprême. Mais plus essentiel encore, c'est inviter la Cour suprême à mettre un terme au processus.
Je suis décontenancé. Je ne sais pas très bien quoi faire parce que j'ai toujours cru qu'une certaine réforme du Sénat était nécessaire pour renforcer les liens entre les Canadiens et leur Parlement national, et je crains les conséquences, si ce débat était ajourné sans qu'un autre gouvernement veuille y toucher avant une ou deux générations.
Je suis déchiré. Je dois dire que les questions soulevées ce soir en ont soulevé aussi d'importantes dans mon esprit quant à la constitutionnalité de ce que nous faisons et même si cela me chagrine, je trouve ces arguments assez convaincants[47]. »
M. Errol Mendes, qui enseigne lui aussi le droit constitutionnel, est d’accord avec le professeur Magnet :
« Il est généralement reconnu que le projet de loi n'est que le précurseur d'une entreprise beaucoup plus vaste visant à inscrire les nominations au Sénat dans le cadre d'une élection fédérale consultative. À mon avis, si deux textes de loi ou les deux tentatives sont ainsi reliés, ce serait profondément inconstitutionnel.
Il me semble que cela représente une tentative de faire indirectement ce qu'il n'est pas possible de faire directement sans les instructions claires de l'article 42 et de la formule générale d'amendements. N'oublions pas en effet que la Cour suprême, dans le célèbre Renvoi relatif au rapatriement de la Constitution, avisait en 1981 le premier ministre Trudeau qu'il agirait en contravention des conventions constitutionnelles s'il rapatriait la Constitution sans le consentement substantiel des provinces. Il a donc renoncé, la Cour suprême du Canada a fait obstacle à cette tentative, et le reste est passé à l'histoire.
Dans l'élaboration d'un cadre d'élections fédérales consultatives des sénateurs, nous risquons d'avoir affaire à une tentative encore plus grave dans le droit fil du projet de loi S-4. Il s'agirait en effet de faire indirectement ce qu'il serait impossible de faire directement, aussi bien en vertu des conventions constitutionnelles que dans le cadre des lois constitutionnelles de 1867 et de 1982, et cela sans la participation ni le consentement des provinces.
En conclusion, les arguments que je vous ai livrés sont autant de raisons sérieuses qui justifient amplement le retrait du projet de loi S-4 jusqu'à ce qu'une étude sérieuse ait pu être réalisée afin de mieux comprendre les enjeux véritables de cette curieuse tentative faite à l'emporte-pièce pour réformer le Sénat afin de rendre celui-ci conciliable avec les principes d'une démocratie moderne[48]. » [gras ajouté]
Les gouvernements provinciaux sont également d’avis qu’il faut étudier les deux projets de loi séparément. Voici ce qu’écrit l’honorable Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique de l’Ontario :
« Je partage l’avis des experts en matière juridique et constitutionnelle qui ont témoigné devant le Comité et selon lesquels les projets de loi C-43 et S-4 devraient être examinés conjointement et non séparément. Le projet de loi S-4 et le projet de loi C‑43 sont intimement liés. Sans limites quant au mandat, il ne fait aucun doute que les sénateurs seraient élus à vie; sans élections, le pouvoir de nomination du premier ministre serait excessif. Conjointement, les changements inévitables occasionnés par ces deux lois modifieraient en profondeur le fonctionnement du Parlement en modifiant le caractère essentiel du Sénat. Pourtant, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi sans avoir consulté valablement et au préalable les provinces ou sans avoir obtenu leur consentement[49]. »
Le gouvernement du Québec a récemment écrit au Comité et nous a déclaré qu’avec le dépôt du projet de loi C-43,
« Les intentions fédérales sont donc maintenant connues. Le projet de loi S-4 ne peut plus être pris isolément. Il doit désormais être évalué à la lumière du projet de loi C-43, car son effet est différent selon que le mode actuel de sélection des sénateurs demeure ou est transformé.
Si l’on faisait abstraction du projet de loi C-43, le mandat fixe d’une durée de huit ans devrait être non renouvelable, et ce, pour des raisons d’indépendance. Par contre, dans l’hypothèse d’un Sénat qui se transformerait en chambre composée d’élus, comme l’envisage le projet de loi C-43, le caractère renouvelable du mandat devient un mécanisme important d’imputabilité.
Le fait que le projet de loi S-4 ne s’oppose pas à ce que le mandat de huit ans soit renouvelable exprime un lien organique entre ce projet de loi et le projet de loi C-43. Les deux projets de loi se révèlent ainsi deux composantes d’une même démarche législative fédérale dont l’objectif global est de « créer un Sénat élu », pour reprendre l’expression du premier ministre Harper. Les appréhensions que le gouvernement du Québec exprimait en septembre 2006 à l’égard des intentions fédérales se sont trouvées confirmées avec l’ajout du projet de loi C‑43.
Ce contexte amène le gouvernement du Québec à reconsidérer son appui au projet de loi S-4 en raison du fait que celui-ci ne peut plus être considéré comme une mesure limitée. Cette mesure s’inscrit désormais dans une démarche plus large révélée par le projet de loi C-43[50]. » [gras ajouté]
Le gouvernement du Québec s’interroge également sur la relation entre les projets de réforme du Sénat et le projet de loi C-56, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (représentation démocratique), que le gouvernement fédéral a déposé aux Communes le 11 mai 2007. Voici ce qu’il écrit :
« Bien que le Sénat du Canada n’ait pas été en mesure de rencontrer pleinement les objectifs qui étaient sous-jacents à sa création, il n’en reste pas moins qu’il fait partie intégrante du compromis qui a donné naissance au Canada en 1867, et qu’il est intimement lié à l’équilibre fédératif en général, et à l’équilibre des forces en présence au Parlement du Canada en particulier.
Même en ce qui concerne la composition de la Chambre des communes, le contexte fédératif a une influence. En effet, la proportionnalité ne s’y résume pas à une stricte réalité mathématique. Elle doit être le résultat d’un arbitrage subtil entre plusieurs facteurs, dont la nécessité pour les Québécoises et les Québécois, en tant que nation, de conserver une place effective au sein des institutions fédérales afin de faire utilement entendre leur voix dans la gouvernance de notre pays.
Le projet de loi C-56, prévoyant une diminution du poids du Québec à la Chambre des communes, est, dans ce contexte, une autre source importante d’inquiétude à l’égard des initiatives fédérales actuelles dans le champ institutionnel. C’est un projet de loi dont l’Assemblée nationale du Québec a également demandé le retrait dans sa résolution unanime du 16 mai 2007.
Les objectifs législatifs fédéraux concernant le Sénat sont par ailleurs de nature à faire naître des demandes concernant la répartition des sièges au Sénat, question où, du point de vue du gouvernement du Québec et comme il l’a souligné devant le Comité sénatorial spécial, les intérêts en jeu ont des racines profondes qui touchent à la dualité canadienne et aux origines mêmes de la fédération.
Il faut garder constamment à l’esprit que l’équilibre global de la représentation au sein du Parlement fédéral a constitué un enjeu crucial pour le Québec en 1867 et continue d’en être un pour le Québec d’aujourd’hui[51]. »
M. Alan Cairns nous a recommandé de voir dans le projet de loi S‑4 la première seulement de trois étapes vers la réforme du Sénat : durée du mandat, élections consultatives et nouvelle répartition des sièges. Il a dit :
« Cela force les sénateurs à prendre une décision très compliquée. Ils doivent déterminer, entre autres, si l'étape un est une position de repli acceptable advenant l'échec de la deuxième étape devant l'une ou l'autre des deux Chambres. C'est paradoxal, car il est intellectuellement possible d'appuyer la première étape à titre d'entrée en matière pour passer à la deuxième, mais de s'y opposer dans un contexte où le processus s'arrête là.
Le problème, c'est que les sénateurs ne peuvent simultanément s'opposer à la première étape appliquée seule et l'appuyer parce qu'ils aiment la première et la deuxième étapes lorsqu'elles sont liées. L'étape deux, manifestement, change le rôle du premier ministre et la nature de ceux qui sont élus.
Dans son rapport, le comité précédent avançait que le projet de loi S-4 n'est pas à ce point lié au projet législatif relatif aux élections consultatives qu'on ne pourrait envisager sa mise en œuvre de façon isolée. Toutefois, dans le cadre des travaux du comité précédent, de nombreux témoins ont déclaré très clairement qu'il serait inacceptable de mettre de l'avant le projet de loi S-4 sans établir un processus électoral consultatif.
Au moment de nous prononcer sur la première étape, nous devons déterminer si, advenant l'échec de la deuxième étape, elle constitue tout de même une amélioration du système. J'avancerais que cette étape, si elle n'est pas accompagnée d'une version quelconque de la deuxième étape, aura des conséquences négatives, car elle accroîtrait tout simplement le pouvoir du premier ministre dans le cadre du processus de nomination, grâce au contrôle que lui conférerait le roulement rapide découlant de mandats successifs de huit ans[52]. » [gras ajouté]
Toutefois, même si on considère en lui‑même le projet de loi S‑4, comme le souhaite le gouvernement, certains de ses éléments semblent outrepasser la compétence du Parlement en vertu de l’article 44 et nécessiter la mise à contribution des provinces. Le professeur de droit constitutionnel John McEvoy, par exemple, a déclaré ce qui suit :
« La décision de modifier la durée du mandat des sénateurs pour la limiter à huit ans, de permettre ou non un deuxième mandat, est d'une importance telle qu'elle est davantage qu'un enjeu intéressant le seul Parlement fédéral. Il ne s'agit pas d'une modification interne du Sénat; il s'agit d'un changement de structure qui devrait exiger, dans une certaine mesure, le consentement des provinces. Les démarches historiques structurelles d'interprétation constitutionnelle appuient cette conclusion. C'est un changement qu'il faudrait envisager en même temps que la réforme du mode de sélection[53]. »
M. McEvoy a aussi dit clairement qu’à son avis, les modifications proposées au projet de loi S‑4 auraient une incidence sur le rôle du Sénat comme organe de représentation régionale, ce rôle faisant partie intégrante de ses fonctions en tant qu’organisme de révision et d’enquête :
« La représentation régionale, le rôle d'enquête et le rôle de révision sont les trois parties symbiotiques du rôle du Sénat. Le représentant régional doit défendre les points de vue de la région qu'il représente non seulement dans un rôle, mais dans tous ses rôles. La voix du Sénat est très importante, et je ne suis pas d'accord avec l'hypothèse selon laquelle on devrait diviser le rôle du Sénat en ces trois rôles distincts. Il s'agit de rôles symbiotiques[54]. »
Selon M. Don Desserud, de l’Université du Nouveau-Brunswick :
« Je veux soulever deux points simples. Premièrement, je crois que c'est l'article 42, et non l'article 44, qui s'applique à l'amendement en question. Deuxièmement, je pense que les amendements antérieurs, qui ont modifié la durée du mandat des sénateurs en imposant la retraite obligatoire à 75 ans, ne sont pas directement comparables à l'amendement en question […]
L'article 42 précise que la procédure normale de modification — la règle de sept provinces et 50 p. 100 de la population — s'applique aux amendements touchant les pouvoirs et le mode de nomination des sénateurs. L'article ne parle pas d'amendements qui modifient radicalement les pouvoirs ou d'amendements qui augmentent ces pouvoirs; ils parlent d'amendements touchant ces pouvoirs.
[...] Je ne vois pas comment on pourrait envisager la modification de la durée du mandat des sénateurs pour créer des mandats fixes de huit ans comme autre chose qu'une modification des pouvoirs du Sénat[55]. »
M. David E. Smith, de l’Institut de politiques d'intérêt public de la Saskatchewan, qui a beaucoup écrit sur le Sénat du Canada, nous a déclaré ce qui suit :
« Le 20 septembre 2006, je me suis présenté devant le Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat afin de discuter du projet de loi S-4, qui porte sur la durée du mandat des sénateurs. Dans ces observations, j'ai déclaré que, à mon avis, le caractère fondamental du Sénat du Canada, qui se dégage des critères de nomination établis en 1864, l'âge et les exigences de propriété, l'inamovibilité viagère, à l'origine, de même que le nombre fixe de sénateurs, comme le formule le renvoi de 1980 relatif au Sénat de la Cour suprême du Canada, est l'indépendance. Toute proposition en vue de modifier le Sénat qui aurait pour effet de compromettre l'indépendance de celui-ci et qui, parallèlement, ne satisferait pas à certaines normes d'approbation provinciale pour la modification de la Constitution — un ensemble de circonstances qui rappellent celles qui ont mené au renvoi de 1980 — ébranlerait, selon moi, la principale caractéristique de la Chambre haute du Parlement.
Le gouvernement soutient que la modification proposée de passer à un terme fixe de huit ans pour les sénateurs, au lieu de la retraite obligatoire à l'âge de 75 ans, pourrait être mise en place par le Parlement, agissant seul, sous le régime de l'article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les honorables sénateurs ont entendu des témoignages contradictoires des spécialistes de la Constitution à l'égard de la justesse de cette position. Mon opinion est qu'un mandat fixe pour les sénateurs — renouvelable ou non, qu'ils soient élus ou nommés — remet en question le principe d'indépendance que les Pères de la Confédération ont tenté d'enraciner dans la structure du Sénat et que la Cour suprême du Canada a réitéré en 1980[56]. » [gras ajouté]
Mme Jennifer Smith, chef du Département de science politique à l’Université Dalhousie, n’a pas mâché ses mots pour décrire l’impact éventuel du projet de loi S‑4 :
« Je ne suis pas certaine que le Parlement du Canada puisse procéder à cette modification tout en respectant l'article 44 de la Constitution. Je dis cela tout simplement parce que je peux imaginer l'argument qu'on pourrait donner pour affirmer que cette modification est anticonstitutionnelle. Je peux imaginer l'argument qu'on pourrait formuler devant un tribunal, et je peux entrevoir comment ce tribunal pourrait conclure qu'un mandat renouvelable d'une durée de huit ans aurait des répercussions suffisantes sur le fonctionnement du Sénat pour toucher ses pouvoirs, et qu'on modifie donc arbitrairement ce qui, après tout, est une institution fondamentale de la Confédération. C'est comme couper l'herbe sous le pied des Canadiens. Cela pose problème[57]. » [gras ajouté]
Et, de fait, cette question préoccupe grandement certains gouvernements provinciaux. Plusieurs de ceux qui nous ont écrit se sont dits en désaccord avec la tentative unilatérale de réformer le Sénat de la part du gouvernement actuel.
Le 20 avril 2007, le premier ministre du Nouveau-Brunswick, Shawn Graham, a écrit ceci au Comité :
« Le gouvernement du Nouveau-Brunswick a examiné attentivement la modification proposée [le projet de loi S-4] et ne peut pas l’appuyer dans sa forme actuelle. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick n’accepte pas les conclusions du Comité [spécial sur la réforme du Sénat] voulant que le gouvernement du Canada ait le pouvoir constitutionnel de procéder unilatéralement au changement proposé de la durée du mandat des sénateurs. Notre étude de la jurisprudence sur la question, formulée dans l’énoncé de principe ci-annexé, appuie l’idée que les provinces doivent accorder leur consentement à tout changement touchant la représentation au Sénat.
En l’absence d’autres changements importants au Sénat, le fait de limiter à huit ans la durée du mandat des sénateurs a plus de chances de réduire l’efficacité de ce moyen d’expression des intérêts régionaux et sectoriels au Parlement que de l’améliorer. L’absence de tout détail concernant le choix des sénateurs et la possibilité de renouveler (ou non) leur mandat est un autre sujet de préoccupation.
L’ingéniosité de la Constitution canadienne consiste dans l’équilibre bien pensé qui a été établi entre les régions plus ou moins populeuses du pays ainsi qu’entre les droits de la majorité et la protection des minorités. Bien qu’un mandat limité à huit ans puisse être approprié dans le contexte d’une réforme générale du Sénat, le gouvernement du Canada, en abordant la réforme du Sénat de façon fragmentaire et unilatérale, risque d’obtenir des résultats très insatisfaisants et de provoquer des divisions[58]. » [gras ajouté]
Le gouvernement de l’Ontario partage les préoccupations du premier ministre Graham. Dans la lettre qu’elle a adressée récemment au Comité, l’honorable Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique de l’Ontario, fait siennes les préoccupations constitutionnelles et autres qu’exprime le premier ministre Graham dans sa lettre.[59]
La ministre Bountrogianni a témoigné devant le Comité spécial sur la réforme du Sénat. Après avoir précisé que la réforme du Sénat n’était pas une priorité pour le gouvernement de l’Ontario, elle a déclaré ceci :
« Quand on créa le Sénat à l'époque de la Confédération, ce fut d'après des principes de nomination des sénateurs, de mandat à vie et d'égalité régionale, non pas suivant la représentation selon la population. Il est clair que toute modification d'un de ces principes constituerait un important changement par rapport au rôle visé du Sénat — celui d'une chambre de réflexion —, nécessiterait une discussion nationale de grande envergure et l'assentiment du public canadien[60]. » [gras ajouté]
Dans sa lettre récente au Comité, la ministre Bountrogianni réitère les réserves de son gouvernement concernant la nature unilatérale des projets de réforme du Sénat du gouvernement fédéral : « Je crois qu’il serait approprié en vertu de notre système fédéral constitutionnel que la décision d’apporter des changements importants aux institutions fédérales soit entérinée par les deux partenaires, soit le gouvernement fédéral et les provinces. Tous les premiers ministres, dans un communiqué daté du 28 juillet 2006 étaient d’accord sur ce point : "Le Conseil de la fédération doit prendre part à toute discussion concernant des changements aux caractéristiques les plus importantes de grandes institutions canadiennes telles que le Sénat et la Cour suprême du Canada"[61]. »
En ce qui concerne le projet de loi S-4, la ministre Bountrogianni écrit :
« Pour ce qui est des réformes proposées dans le projet de loi S‑4, le gouvernement de l’Ontario appuie en règle générale les préoccupations d’ordre constitutionnel et autres soulevées par le premier ministre Graham dans sa lettre du 20 avril 2007 adressée à votre comité. Une réforme du Sénat fragmentaire et unilatérale est [traduction] « susceptible d’entraîner un résultat très insatisfaisant et fractionnel ». Je remarque que des préoccupations semblables concernant l’approche progressive en matière de réforme ont été soulevées par les gouvernements de la Saskatchewan et de Terre-Neuve et Labrador.
Le projet de loi S‑4, en soi, modifierait de façon radicale le véritable fonctionnement du Sénat, ce qui porterait atteinte au rôle traditionnel qu’il occupe en tant que chambre indépendante de second examen objectif. Le projet de loi est muet sur la question des renouvellements de mandat, ce qui signifie que les sénateurs pourraient devenir inutilement redevables au premier ministre s’ils sollicitent un nouveau mandat. Ils peuvent être prédisposés à se plaire aux volontés du premier ministre, qui, à la fin de deux mandats, pourrait avoir rempli le sénat de membres de son propre parti.
Le nouveau pouvoir de nommer chaque membre du Sénat en vue d’un mandat de huit ans qui incomberait au premier ministre élargirait grandement son pouvoir de nomination et porterait atteinte au fonctionnement indépendant de la Chambre haute. Il en découlerait une institution partisane avec des pouvoirs quasi-égaux à ceux de la Chambre des communes et une institution qui serait susceptible d’exercer ces pouvoirs dans le but de plaire à un gouvernement ou d’entraver son action, créant ainsi une situation embarrassante.
En outre, le gouvernement de l’Ontario s’est dit préoccupé par le fait que le gouvernement fédéral a également déposé le projet de loi C-43, Loi sur les consultations concernant la nomination des sénateurs. Le projet de loi C-43 établit un nouveau processus de sélection des sénateurs qui s’apparente à ce qu’il est convenu d’appeler des élections « consultatives ». Le premier ministre lui-même n’a pas hésité à relier ces deux lois comme faisant partie de la réforme plus large du Sénat qu’il propose. Je partage l’avis des experts en matière juridique et constitutionnelle qui ont témoigné devant le comité et selon lesquels les projets de loi C-43 et S-4 devraient être examinés conjointement et non séparément.
Le projet de loi S-4 et le projet de loi C‑43 sont intimement liés. Sans limites quant au mandat, il ne fait aucun doute que les sénateurs seraient élus à vie; sans élections, le pouvoir de nomination du premier ministre serait excessif. Conjointement, les changements inévitables occasionnés par ces deux lois modifieraient en profondeur le fonctionnement du Parlement en modifiant le caractère essentiel du Sénat. Pourtant, le gouvernement fédéral a déposé le projet de loi sans avoir consulté valablement et au préalable les provinces ou sans avoir obtenu leur consentement.
Le gouvernement de l’Ontario s’inquiète au sujet de la constitutionnalité des projets de loi S‑4 et C‑43 et fait remarquer que des questions graves ont été soulevées sur ce point par de nombreux universitaires et politicologues tant devant le Comité que le Comité spécial[62]. »
Dans une lettre qu’il a fait parvenir au premier ministre du Canada, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Danny Williams, c.r., indique que son gouvernement considère que les projets de loi S-4 et C‑43 sont des « tentatives pour remanier la Constitution du Canada afin de modifier considérablement les pouvoirs du Sénat et le mode de sélection des sénateurs au sens de l’alinéa 42(1)b) de la Loi constitutionnelle de 1982. Ces modifications ne peuvent être apportées unilatéralement par le Parlement grâce à la simple adoption de lois; elles nécessitent l’autorisation d’au moins deux tiers des provinces dont la population confondue représente au moins cinquante pour cent de la population de toutes les provinces[63]. » Il écrit :
« Les choix que nous faisons au sujet de nos institutions nationales sont des choix fondamentaux quant à la façon dont le gouvernement souverain représente la société canadienne. Il ne faut pas faire ces choix à la légère. En effet, ils auront des effets à long terme sur la façon dont notre société est gouvernée et sur le fonctionnement de la fédération. Toute modification devrait être étudiée en profondeur par les deux ordres constitutionnels de gouvernement dans le cadre d’un débat public national. L’actuelle approche fragmentaire et unilatérale n’est pas suffisante. Il y a tout lieu de croire que s’ils sont adoptés, les projets de loi S-4 et C-43 auront de nombreuses conséquences négatives et non voulues. En outre, ils ne portent que sur certains aspects du Sénat qui pourraient faire l’objet d’une réforme. Je crois comprendre que vous avez adopté cette approche parce que les conditions pour modifier la Constitution sont si sévères. Elles sont pourtant ainsi à dessein; les constitutions sont les règles de base de notre démocratie et elles devraient être difficiles à modifier. Les modifications constitutionnelles ne devraient être apportées qu’après un examen attentif et minutieux.
La modification d’une institution nationale essentielle comme le Sénat devrait comporter une consultation de gouvernement à gouvernement. Vous vous rappellerez que c’est là la position adoptée par tous les premiers ministres lors de la réunion du Conseil de la fédération tenu à St. John’s en juillet dernier. Cependant, rien n’indique que des consultations de gouvernement à gouvernement ont été prévues et aucune tentative n’a été faite pour obtenir l’appui des assemblées législatives provinciales pour les réformes proposées.
Compte tenu des préoccupations susmentionnées, le gouvernement de Terre‑Neuve‑et‑Labrador demande à votre gouvernement de retirer les projets de loi S‑4 et C-43. Nous préférerions que vous ne repreniez pas votre projet de réforme du Sénat, mais si décidiez d’aller de l’avant, vous devriez présenter un ensemble complet de réformes, établi à la suite de consultations de gouvernement à gouvernement et fondé sur la formule générale de modification de la Constitution prévue au paragraphe 38(1) de la Loi constitutionnelle de1982[64]. »
Dans une lettre envoyée récemment au Comité, le premier ministre du Nunavut, Paul Okalik, mentionne que son gouvernement croit que la réforme du Sénat, y compris le mandat proposé de huit ans, devrait s’effectuer dans le cadre d’une démarche unique et exhaustive faisant intervenir les provinces et les territoires. Il écrit ce qui suit :
« Il est indispensable, selon moi, que les provinces et les territoires participent à tout projet de réforme constitutionnelle, en particulier la réforme du Sénat.
Le gouvernement du Nunavut estime que plusieurs questions doivent être étudiées en ce qui a trait à la réforme du Sénat. Il souhaite faire des représentations et collaborer avec le gouvernement du Canada et avec les provinces et les territoires afin de faire du Sénat une institution plus efficace et représentative. Il convient notamment d’accorder de l’importance à la représentation des résidants du nord au Sénat.
La meilleure façon de procéder, entre autres pour limiter à huit ans la durée du mandat des sénateurs, serait de réformer en profondeur l’institution conformément à la Constitution[65]. »
Le gouvernement du Québec a été clair dans son évaluation de l’incidence des réformes proposées au Sénat par l’actuel gouvernement fédéral. Le ministre Pelletier (expert reconnu en droit constitutionnel) écrit : « Cette transformation du Sénat soulève des enjeux fondamentaux pour le Québec et la fédération canadienne en général. […] Les projets de loi fédéraux sur le Sénat ne représentent pas un changement limité[66]. » Il ajoute plus loin : « Le Sénat s’inscrit en somme dans un environnement constitutionnel complexe et cohérent faisant intervenir des considérations ayant trait au pacte fédératif et à l’équilibre des relations intergouvernementales[67]. »
Le gouvernement québécois n’a pas mâché ses mots pour présenter ses vues sur la voie à suivre en ce qui a trait au projet de loi S-4 :
« Somme toute, le gouvernement du Québec estime que la démarche législative fédérale que constituent les projets de loi S-4 et C-43, est susceptible de modifier la nature et la vocation du Sénat, le tout en dérogation au pacte originel de 1867.
De telles modifications échappent aux pouvoirs unilatéraux du Parlement du Canada. Elles relèvent plutôt d’un mécanisme coordonné de modification constitutionnelle, lequel requiert la participation des provinces et leur consentement.
La règle bien connue en droit, voulant que l’on ne puisse faire indirectement ce que l’on ne peut faire directement, s’applique intégralement en ce qui touche au processus de modification qui est ici en cause avec les projets de loi S-4 et C-43.
Le gouvernement du Québec ne s’oppose pas à une modernisation du Sénat. Mais si l’on cherche à modifier les caractéristiques essentielles de cette institution, la seule avenue est l’engagement d’un processus constitutionnel coordonné sur le plan fédéral-provincial qui associe pleinement les acteurs constitutionnels, dont le Québec, à l’exercice du pouvoir constituant.
Le gouvernement du Québec, avec l’appui unanime de l’Assemblée nationale, demande donc le retrait du projet de loi C-43. Il demande aussi la suspension des travaux sur le projet de loi S-4 tant et aussi longtemps que le gouvernement fédéral projette de transformer unilatéralement la nature et la vocation du Sénat[68]. » [gras ajouté])
Le seul gouvernement provincial qui manifeste publiquement son appui au projet de loi S-4 est celui de l’Alberta. Le gouvernement de la Saskatchewan reconnaît avoir obtenu un avis juridique selon lequel le projet de loi S-4 pourrait être adopté conformément à l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais il a déclaré à plusieurs reprises qu’il n’est pas favorable à une réforme progressive du Sénat et qu’il « n’appuie pas le projet de loi S-4[69] ».
Le gouvernement de la Colombie-Britannique a écrit au Comité pour lui signaler que : la réforme du Sénat et de la Constitution n’est pas une priorité pour lui; la province est plus favorable à l’abolition du Sénat qu’à sa réforme; si le Sénat n’était pas aboli, « des modifications importantes seraient requises pour [en] faire un organe réellement efficace qui pourrait enrichir le système parlementaire fédéral et être équitablement représentatif du rôle qu’occupe la Colombie-Britannique au sein de la fédération[70] ».
Pour résumer, les gouvernements des deux plus grandes provinces, des deux plus petites provinces et d’un territoire du Canada ont présenté au Comité leurs observations défavorables au sujet de la réforme unilatérale du Sénat prévue dans le projet de loi S-4. Ensemble, ces gouvernements représentent beaucoup plus de la moitié de la population canadienne, et trois des quatre régions décrites dans la Constitution. Une seule province a donné son appui au projet de loi; les autres ont manifesté, dans le meilleur des cas, de l’ambivalence, mais plus généralement, leur opposition à l’approche progressive proposée.
Comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la Chambre haute, l’un des rôles essentiels, voire d’importance capitale, du Sénat du Canada consiste à protéger et à défendre les intérêts régionaux et provinciaux contre les combinaisons de majorités à la Chambre des communes. Sir John A. Macdonald avait déclaré ce qui suit lors les débats sur la Confédération à la Conférence de Québec, et la Cour suprême a repris ses propos :
« À la chambre haute sera confié le soin de protéger les intérêts de section [maintenant appelés intérêts régionaux]; il en résulte que les trois grandes divisions seront également représentées pour défendre leurs propres intérêts contre toutes combinaisons de majorités dans l'Assemblée[71]. »
Nous croyons qu’il faut accorder énormément de poids aux préoccupations exprimées par ces gouvernements. Si nous ne représentons pas maintenant les intérêts de nos régions et provinces, au moment où l’institution établie pour les défendre est elle-même en jeu, alors nous donnons raison aux critiques qui mettent en doute que nous soyons encore utiles au sein de la démocratie parlementaire canadienne.
Conclusion
L’immense majorité des témoignages que le Comité a entendus convergent vers la conclusion que la démarche proposée par l’actuel gouvernement fédéral, qui consiste à adopter le projet de loi S‑4 conformément aux pouvoirs définis à l’article 44 de la Loi constitutionnelle de 1982, soulève d’importantes préoccupations sur le plan constitutionnel. Des experts en droit constitutionnel canadien ont souligné que cela ne pouvait se faire en vertu d’une modification unilatérale du fédéral et que le consentement des provinces était nécessaire. Et, de fait, plusieurs gouvernements provinciaux ont écrit pour affirmer que cette question ne relève pas d’une mesure fédérale unilatérale, mais plutôt d’une modification constitutionnelle à laquelle ils doivent être partie.
En tant que membres d’un comité législatif du Sénat, un organe de révision, nous croyons que notre devoir au sein de la structure parlementaire canadienne consiste à modifier au mieux de notre capacité les projets de loi dont nous sommes saisis. Dans cet esprit, nous avons modifié le projet de loi S‑4 afin de rectifier les éléments qui, selon nous, le rendraient nettement inconstitutionnel. Nous savons toutefois que de graves préoccupations subsistent quant à la compétence législative du Parlement relative au projet de loi, même dans sa forme modifiée. En outre, en modifiant les dispositions particulières du projet de loi, nous étions conscients d’apporter des changements qui, peut-être, « porteraient atteinte aux caractéristiques fondamentales ou essentielles » attribuées au Sénat au moment de la Confédération. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1979, la Cour suprême du Canada a été très claire :
« A un certain point, la réduction de la durée des fonctions pourrait nuire au bon fonctionnement du Sénat qui assure, pour reprendre les paroles de Sir John A. Macdonald, [traduction] « un deuxième coup d'œil attentif à la loi[72] » . »
Nous nous sommes efforcés de prescrire un mandat qui n’entraverait pas le fonctionnement du Sénat, mais nous reconnaissons, comme l’avait fait à l’époque le gouvernement du premier ministre Trudeau, que cette question ne relève pas de la décision d’un gouvernement ou d’un parlement quelconque; elle touche à la Constitution du Canada et devrait être renvoyée à la Cour suprême du pays. En 1979, la Cour suprême a invité le gouvernement à revenir devant elle avec une proposition visant la durée du mandat. Nous croyons que la Cour avait raison et que c’est de cette manière qu’il faut procéder.
Le professeur de droit constitutionnel Errol Mendes a déclaré que si le projet de loi S‑4 était adopté, que des sénateurs étaient nommés pour un mandat fixe et que des lois étaient ensuite adoptées par le Parlement et ces nouveaux sénateurs, « ce serait le chaos sur le plan constitutionnel » si on confirmait ultérieurement le caractère inconstitutionnel de S‑4[73]. Dans une lettre au Comité, l’avocat du gouvernement, Warren J. Newman, a par la suite cherché à distinguer la jurisprudence de la Cour suprême sur laquelle s’est appuyé le professeur Mendes. Il demeure un fait irréfutable : personne ne peut dire avec certitude quelles seraient les conséquences selon la Cour. Le « chaos constitutionnel » demeure une préoccupation majeure.
Les enjeux sont élevés. Il ne s’agit pas d’une situation où on peut accéder à la volonté du gouvernement de réformer rapidement le Sénat, puis attendre de voir si le gouvernement a agi à juste titre ou si les nombreux experts constitutionnels qui se sont inquiétés de la constitutionnalité du projet de loi avaient effectivement raison.
Nous exhortons donc le gouvernement à prendre le temps qu’il faut pour bien faire les choses cependant qu’il s’apprête à modifier l’arrangement constitutionnel négocié au moment de la Confédération. Nous demandons au gouvernement de renvoyer le projet de loi S‑4 tel que nous l’avons amendé à la Cour suprême du Canada. C’est ce qu’ont recommandé de nombreux témoins et c’est la voie de la prudence, avons-nous conclu.
Nous sommes conscients du fait que le premier ministre et son gouvernement tiennent à procéder rapidement à la réforme du Sénat. Mais nous croyons, et nous ne doutons pas que le premier ministre soit d’accord, que la Constitution prévaut. Aucune urgence réelle, objective, n’exige l’adoption rapide de ce projet de loi. À l’inverse, faire fausse route pourrait avoir des conséquences extrêmement déplorables – M. Mendes a évoqué la possibilité d’un « chaos sur le plan constitutionnel » .
Plusieurs partisans du projet de loi S‑4 ont dit l’appuyer du moins en partie parce qu’ils souhaitent que ses modifications déstabilisent le statu quo au point de rendre évidemment nécessaire une réforme en profondeur de la Chambre haute. Roger Gibbins a dit appuyer le projet de loi comme moyen de « déstabiliser le statu quo et nous forcer ou nous préparer à nous poser des questions structurelles plus fondamentales[74] » .
M. Gerard Horgan nous a dit :
« L'avantage que présente l'adoption progressive des réformes, telle que je la conçois, c'est qu'il s'agit d'introduire de l'instabilité dans le système. En ce moment, nous avons ce que la plupart tiendraient pour un système stable mais sous-optimal. L'introduction progressive des réformes aura peut-être pour effet d'introduire de l'instabilité et de faire avancer le processus[75]. »
Le Comité croit que toute modification à la constitution d’un pays devrait être motivée par le désir d’atténuer les tensions existantes et non de les exacerber, et c’est dans cette optique que nous avons abordé notre étude du projet de loi S‑4.
Nous sommes convaincus que le seul moyen de confirmer la constitutionnalité de la démarche adoptée par le gouvernement à l’égard de la réforme du Sénat consiste pour celui‑ci à renvoyer le projet de loi S‑4 tel que nous l’avons amendé à la Cour suprême du Canada.
Nous tenons également compte des graves préoccupations d’un certain nombre de provinces et de spécialistes de la Constitution concernant la constitutionnalité du projet de loi C‑43, et du lien inextricable (pour reprendre les paroles du gouvernement de l’Ontario) entre ce projet de loi et le projet de loi S-4. Nous croyons que le renvoi constitutionnel devrait donc porter à la fois sur le projet de loi C-43 et le projet de loi S-4 tel que nous l’avons amendé.
[1] Assemblée législative, 8 février 1865.
[2] Assemblée législative, 8 février 1865
[3] Assemblée législative, 23 février 1865
[4] Assemblée législative, 6 février 1865. La préférence de Macdonald pour une chambre haute nommée tenait à son expérience du parlement du Canada-Uni, où les deux chambres élues se trouvaient souvent dans l’impasse.
[5] Assemblée législative, 23 février 1865
[6] Renvoi : Compétence du Parlement du Canada relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54, 76-77.
[7] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 29 mars 2007, Fascicule no 24:81-82, passage tiré de l’arrêt de la Cour suprême.
[8] Id., 24:82.
[9] Ibid., passage tiré de l’arrêt de la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Chambre haute.
[10] Mémoire de Shawn Graham, premier ministre du Nouveau-Brunswick, 20 avril, 2007, p. 8.
[11] Mémoire de M. Brown, p. 36.
[12] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:103-105.
[13] Id., 23:105.
[14] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:12.
[15] Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 7 septembre 2006, Fascicule no 2:12.
[16] Ibid.
[17] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:45.
[18] Id., 23:46.
[19] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 25 avril 2007, Fascicule no 25:33.
[20] Ibid.
[21] Mémoire de Shawn Graham, premier ministre du Nouveau-Brunswick, 20 avril 2007, p. 7-8.
[22] Lettre de Danny Williams, premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, 30 mai 2007, p. 1. [traduction]
[23] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:12.
[24] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:44.
[25] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:105.
[26] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:12.
[27] Id., 24:13.
[28]. La modification de la Constitution du Canada, James Ross Hurley (1996), p. 7. M. Hurley a décrit certaines exceptions mineures, qui n’ont aucun rapport avec la question qui nous occupe.
[29] Id., p. 12.
[30] Renvoi : Compétence du Parlement relativement à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54 (ci-après Renvoi relatif à la Chambre haute).
[31] Renvoi relatif à la Chambre haute, [1980] 1 R.C.S. 54.
[32] Id.
[33] Id.
[34] Id.
[35] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:9.
[36] Id., 23:49.
[37] Id., 23:51-52.
[38] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:82.
[39] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:76.
[40] Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 7 septembre 2006, Fascicule no 2:9.
[41] Id., 2:8.
[42] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:10.
[43] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:49.
[44] Id., 23:50.
[45] Id., 23:52.
[46] Ibid.
[47] Id., 23:56-57.
[48] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 29 mars 2007, Fascicule no 24:63.
[49] Lettre de M. Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique, gouvernement de l’Ontario, 30 mai 2007.
[50] Mémoire de Benoît Pelletier, ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne, de l'Accord sur le commerce intérieur, de la Réforme des institutions démocratiques et de l'Accès à l'information, gouvernement du Québec, 31 mai 2007, p. 4-5.
[51] Id., p. 8-9.
[52] Id., 28 mars 2007, Fascicule no 24:36-37.
[53] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:85-86.
[54] Id., 23:93.
[55] Id., 23:87.
[56] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 25 avril 2007, Fascicule no 25:32-33.
[57] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 28 mars 2007, Fascicule no 24:41.
[58] Lettre de Shawn Graham, premier ministre du Nouveau-Brunswick, 20 avril 2007.
[59] Lettre de Mme Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique, gouvernement de l’Ontario, 30 mai 2007.
[60] Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 21 septembre 2006, 5:50.
[61] Lettre de Mme Marie Bountrogianni, ministre des Affaires intergouvernementales et ministre responsable du Renouveau démocratique, gouvernement de l’Ontario, 30 mai 2007.
[62] Ibid.
[63] Lettre de Danny Williams, c.r., premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, 30 mai 2007. [traduction]
[64] Ibid.
[65] Lettre de Paul Okalik, premier ministre du Nunavut, 18 mai 2007.
[66] Mémoire de Benoît Pelletier, ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne, de l'Accord sur le commerce intérieur, de la Réforme des institutions démocratiques et de l'Accès à l'information, gouvernement du Québec, 31 mai 2007, p. 6.
[67] Id., p. 8.
[68] Id., p. 12.
[69] Lettre de Harry Van Mulligan, ministre des Relations gouvernementales de la Saskatchewan, 29 mai 2007. Voir également ses correspondances précédentes du 21 mars 2007 et du 22 septembre 2006.
[70] Lettre de John van Dongen, ministre d’État aux Relations intergouvernementales de la Colombie-Britannique, 30 mai 2007.
[71] Renvoi relatif à la Chambre haute, p. 67.
[72] Id., p. 76.
[73] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 29 mars 2007, 24:65.
[74] Témoignage de Roger Gibbins dans les Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 21 mars 2007, Fascicule no 23:58; voir également le témoignage de M. Gibbbins dans les Délibérations du Comité sénatorial spécial sur la réforme du Sénat, 19 septembre 2006, 3:7.
[75] Délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 22 mars 2007, Fascicule no 23:108.