Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 41
Le mardi 13 décembre 2011
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
- Projet de loi sur le soutien de la croissance de l'économie et de l'emploi au Canada
- Projet de loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation
- Les travaux du Sénat
- La Loi constitutionnelle de 1867
La Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales
La Loi électorale du Canada - Projet de loi sur la sécurité des rues et des communautés
- Les travaux du Sénat
- La Loi constitutionnelle de 1867
La Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales
La Loi électorale du Canada - Affaires juridiques et constitutionnelles
- Le Sénat
LE SÉNAT
Le mardi 13 décembre 2011
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je tiens à signaler la présence à la tribune de M. Jacques Chagnon, président de l'Assemblée nationale du Québec.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Hommages
L'honorable Tommy Banks
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai reçu un avis du leader du gouvernement au Sénat qui demande que, conformément à l'article 22(10) du Règlement, la période des déclarations de sénateurs soit prolongée aujourd'hui, afin que l'on puisse rendre hommage au sénateur Tommy Banks, qui prendra sa retraite du Sénat le 17 décembre 2011. Je rappelle que, conformément à notre Règlement, les interventions des sénateurs ne peuvent dépasser trois minutes et qu'aucun sénateur ne peut parler plus d'une fois.
Toutefois, êtes-vous d'accord pour que nous consacrions la période des déclarations de sénateurs à nos hommages au sénateur Banks?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Nous disposerons donc de 30 minutes de plus pour les hommages, sans compter le temps alloué à la réponse du sénateur Banks. Le temps qu'il restera après ces hommages, s'il en reste, sera consacré à d'autres déclarations de sénateurs, si le Sénat y consent.
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Il en est ainsi ordonné.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, le premier ministre Chrétien a surpris beaucoup de Canadiens en nommant Tommy Banks au Sénat. Tommy était une légende canadienne. C'était un musicien de jazz qui avait joué avec des centaines des plus grands musiciens de notre époque, dirigé presque tous les principaux orchestres professionnels du Canada, et composé et enregistré de la musique. Il était connu partout au Canada, et à l'extérieur du pays, comme l'animateur du « Tommy Banks Show » d'Edmonton.
Soit dit en passant, Tommy, qui était déjà une figure emblématique au Canada, a vraiment connu son heure de gloire quand il a proposé une partie de hockey sur table à Wayne Gretzky, dans le cadre de son émission, et que cela s'est terminé par une partie nulle. Je ne connais personne d'autre au Sénat qui aurait pu empêcher la Merveille de gagner une partie de hockey, même sur table — sauf peut-être le sénateur Mahovlich. Je doute qu'aucun autre d'entre nous aurait même eu la témérité de lui lancer ce défi, et en direct, sur les ondes de la télévision nationale.
Nous aurions peut-être dû nous rendre compte dès le début que Tommy Banks peut tout faire, ou à peu près. Il nous en a certainement donné la preuve au Sénat. Membre infatigable d'un grand nombre de comités sénatoriaux, dont Finances nationales, Banques et commerce, Sécurité nationale et défense ainsi que Peuples autochtones. Il a aussi été, plusieurs années, président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles et, récemment, président du Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Il a parrainé des projets de loi traitant des espèces menacées ainsi que le projet de loi qui a mené à l'établissement du ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile. Il est aussi l'auteur de la Loi sur l'abrogation des lois, l'un des rares projets de loi sénatoriaux d'initiative parlementaire qui a été adopté, et même adopté à l'unanimité, à la Chambre des communes.
Sa capacité d'aller directement au cœur d'un enjeu, de formuler un argument ou une question avec passion et conviction en se fondant sur une analyse d'une rigueur intellectuelle extraordinaire, sans jamais perdre de vue le but final de renforcer la démocratie et les traditions parlementaires du Canada — ces qualités, et tant d'autres, ont fait du sénateur Banks le meilleur exemple de ce que doit être un sénateur.
Je ne puis m'empêcher de penser que la passion que notre collègue a entretenue pendant des décennies pour son domaine de prédilection, la musique, lui conférait une longueur d'avance sur nous quand il a été nommé au Sénat. Wynton Marsalis a dit un jour que rien, dans le domaine de la musique, ne pouvait mieux refléter le processus démocratique que le jazz. Selon lui, « pour faire du jazz, il faut arriver à s'entendre musicalement avec d'autres personnes. Il faut écouter les autres musiciens et jouer avec eux, même si l'on n'approuve pas ce qu'ils jouent. »
Qu'il ait ou non approuvé ce qui était proposé au Sénat, le sénateur Banks était toujours prêt à jouer. Dans cet orchestre que nous formons, il a toujours joué son rôle de parlementaire engagé et réfléchi.
Depuis son arrivée au Sénat, Tommy Banks a toujours défendu avec passion et ardeur les choses qui lui tiennent à cœur, dont une politique environnementale et énergétique responsable et tournée vers l'avenir, l'approvisionnement en eau potable pour les Premières nations et une
politique qu'il a qualifiée des « trois C », c'est-à-dire le contrôle canadien consciencieux de notre système bancaire au moyen d'une réglementation équilibrée. Le sénateur Banks a également souligné l'importance cruciale des arts et de l'industrie culturelle au Canada et, bien entendu, il a défendu de manière indéfectible les intérêts de sa chère ville, Edmonton. Le sénateur Banks est connu sous le sobriquet de « M. Edmonton », et tous ceux d'entre nous qui l'ont entendu parler de sa ville d'adoption savent à quel point ce surnom lui va comme un gant.
Honorables sénateurs, parmi les activités nombreuses et variées auxquelles s'adonne le sénateur Banks dans les domaines de la musique et de la politique, un élément se distingue des autres en tant que force unificatrice : son amour et son respect profonds pour le Canada — nos traditions, notre avenir, ce qui nous définit et ce que nous pouvons devenir. C'est l'impression qui se dégageait de son émission de télévision; c'est ce que ressentent les gens qui l'entendent jouer de la musique; et c'est ce que nous avons tous pu constater chaque fois qu'il prenait la parole au Sénat.
En terminant, permettez-moi de citer un autre jazzman, Herbie Hancock, qui, un jour, a dit ceci : « La vie ne consiste pas à trouver nos limites, mais plutôt notre infinitude. » À mon avis, c'est la meilleure façon de résumer la carrière qu'a menée jusqu'ici mon ami et collègue, le sénateur Banks.
Tommy, vous allez nous manquer énormément. Vous avez dit un jour que les musiciens n'arrêtent jamais de jouer. J'espère sincèrement que c'est vrai et que, pour faire suite à ce qu'a déclaré Wynton Marsalis, le musicien de jazz en vous n'arrêtera jamais de jouer non plus sur la scène politique.
Je sais que votre femme, Ida, se trouve aujourd'hui à la tribune. Nous vous faisons à tous les deux nos meilleurs vœux alors que s'amorce pour vous une autre étape de la vie pour vous.
L'honorable W. David Angus : Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup d'enthousiasme, un profond respect et une affection sincère que j'aimerais aujourd'hui dire quelques mots au sujet notre remarquable ami et collègue, le sénateur Tommy Banks.
(1410)
L'une des caractéristiques indéniables du Sénat, c'est qu'on y rencontre beaucoup de Canadiens gentils, remarquables et souvent célèbres. Vous apprenez à les connaître en tant que collègues et amis, et vous travaillez avec eux afin de faire du Canada un endroit encore meilleur. Vous apprenez à connaître des facettes de leur personnalité dont les journaux, la radio ou la télévision ne font pas état. Vous apprenez à connaître leurs qualités humaines, leurs particularités, leur sensibilité et leurs systèmes de valeurs. Honorables sénateurs, notre collègue, Thomas Benjamin — Tommy — Banks, est un exemple classique de ce type de sénateur.
Lorsque Tommy est arrivé ici au printemps de l'an 2000 avec sa longue chevelure blanche et ses boucles qui lui descendaient derrière le cou, il était déjà une célébrité dans toutes les régions du pays. Il était ce que des auteurs ont appelé, avec raison, une véritable icône canadienne, une légende vivante du monde de la musique. L'immense talent de Tommy en tant que musicien s'est exprimé de nombreuses façons, que ce soit comme compositeur, arrangeur, pianiste de concert et chef d'orchestre, d'orchestre de variétés, de Big Band, de petits orchestres, de trios et de quatuors, et aussi comme musicien de jazz et personnalité de la radio et de la télévision.
On vous a déjà parlé du « Tommy Banks Show », qu'il a animé avec beaucoup d'enthousiasme durant cinq ans, soit de 1968 à 1973.
On m'avait dit que Tommy Banks était un conservateur — ou peut-être un progressiste-conservateur — même s'il avait été nommé ici par le très honorable Jean Chrétien. Après son assermentation au Sénat, j'ai été fort surpris de le voir prendre place sur les banquettes du gouvernement libéral. Ma surprise était d'autant plus grande qu'il avait fait l'objet de nombreuses nominations fédérales entre 1984 et 1993, sous l'excellent gouvernement du grand Brian Mulroney.
J'ajoute que notre collègue avait accepté ces nominations avec classe et qu'il s'est admirablement bien acquitté de ses responsabilités, surtout dans le domaine de la culture et des arts, dont il est depuis longtemps un ardent et éloquent défenseur.
J'en suis venu à mieux connaître Tommy Banks, étant donné que nous avons travaillé ensemble au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. En fait, il m'a précédé à la présidence du comité, qu'il a dirigé durant trois mandats complets. J'ai appris beaucoup de choses drôles à son sujet, en fait des choses merveilleuses.
L'autre jour, alors que nous étions à Edmonton, la ville préférée de Tommy, pour tenir des audiences, Tommy a dû rentrer à la maison parce qu'il ne se sentait pas bien. Nous avons traversé une rue appelée la voie Tommy Banks. Je me suis dit : « Qu'est-ce que c'est que cela? » Cette rue est nommée en l'honneur de notre collègue et il ne se sent pas bien aujourd'hui. Plus tard, j'ai pensé que Tommy Banks a une voie bien à lui. Quelle est-elle, cette voie? Je vous dirais, honorables sénateurs, que c'est une voie marquée au coin de la musique, du rythme, de la courtoisie, de l'éducation, de la passion, de la détermination, de l'application et de la sensibilité. C'est aussi une voie faite d'imagination, de bonheur et de beaucoup d'humour. Surtout, honorables sénateurs, c'est, une voie fondée sur des principes et une voie canadienne, et c'est à mon avis, ce qui importe le plus. Que Dieu bénisse Tommy pour cela.
Je veux vous faire part de deux autres choses. Je pourrais parler encore et encore. Tommy est un type incroyable, nous le savons tous. Quand je suis arrivé au comité et que le sénateur Banks était à la présidence, s'il voulait expliquer quelque chose à un témoin ou à quelqu'un d'autre, il pouvait dire des choses comme : « L'eau monte et est retenue par le barrage, mais parfois, elle `` fait glou-glou-glou- glou `` par-dessus le barrage ». Il pouvait dire : « Ce mercure est dans l'atmosphère, puis '' zzt-zzt-zzt-zzt '', il sort de l'atmosphère », ou encore « Quand on cherche à voir ce que les sables pétrolifères produisent à partir du bitume, ça fait `` uuj-uuj-uuj '' et ça sort, tout simplement ». Tommy Banks a cette façon rythmée et musicale de dire les choses. J'ai toujours trouvé cela fabuleux.
J'ai aussi posé à Tommy des questions sur sa famille. Nous étions un jour à Vienne et Tommy voulait que nous rencontrions les dirigeants de l'OPEP. Il y avait là une femme et j'ai demandé qui elle était. Tommy m'a répondu que c'était sa femme. Je lui ai alors demandé son nom et, comme réponse, il a chanté ceci :
Ida! Sweet as apple cider,
Sweeter than all I know,
Come out! In the silv'ry moonlight [...]
Et le reste, comme le chante Frank Sinatra :
Of love we'll whisper, so soft and low!
Seems as tho' can't live without you,
Listen, please, honey do!Ida! I idolize yer
I love you, Ida, 'deed I do.
Tommy, je crois savoir qu'ils vous ont demandé ce que vous feriez à votre retraite et que vous avez répondu : « Je ne sais pas, mais il y a une chose que vous devriez savoir, et c'est que les musiciens n'arrêtent jamais de jouer. » Que la musique continue et que Dieu vous bénisse. Ayez une magnifique retraite.
L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, j'ajoute ma voix à celle d'autres sénateurs pour rendre hommage à notre collègue et ami, l'honorable sénateur Tommy Banks, qui prendra sa retraite en fin de semaine.
Je ne le connaissais pas avant d'arriver ici, mais, comme la plupart des Canadiens, je connaissais son travail comme musicien, directeur musical et personnalité de la télévision. Nous avons été appelés au Sénat à peu près au même moment. Nous avions beaucoup d'idées et d'expériences en commun et nous avons cherché ensemble dans le Règlement du Sénat quelle règle s'appliquait à un cas précis lorsque nous apprenions à nous débrouiller dans notre nouvel environnement. Nous avons été membres en même temps, avec le sénateur Kenny, du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, qui venait d'être créé et qui a été particulièrement actif et efficace à ses débuts.
Pendant toute la période que j'ai passée au Sénat avec le sénateur Banks, j'en suis venu à croire, comme la plupart d'entre nous, que le sénateur Banks illustre très bien ce que le Sénat devrait être, c'est-à- dire un endroit où les sénateurs agissent d'abord et avant tout en songeant à l'intérêt supérieur du pays et de sa population.
Pianiste accompli, chef d'orchestre, arrangeur, compositeur et personnalité de la télévision, Tommy Banks n'a pas suivi la voie normale pour arriver à la Chambre rouge. C'était peut-être son plus grand atout, Tommy est arrivé au Sénat fort de son expérience comme personnalité connue de la CBC, personnalité du monde du divertissement, président fondateur de l'Alberta Foundation for the Arts, membres du conseil d'administration du Conseil des Arts du Canada, où il avait été nommé par le très honorable Brian Mulroney, et membre des groupes consultatifs sectoriels sur le commerce international de l'Accord de libre-échange nord- américain, où il avait été nommé par l'honorable Michael Wilson.
À maintes plusieurs, au Sénat et en comité, le sénateur Banks a prouvé sa valeur en nous aidant à parvenir à un consensus et en choisissant les mots justes pour faire valoir notre point de vue dans un rapport.
J'ai eu la chance de me rendre en Afghanistan avec le sénateur Banks à titre de membre du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense et, au fil des ans, dans la plupart des bases militaires d'un bout à l'autre du Canada. On ne peut faire autrement qu'admirer son profond intérêt à l'endroit des soldats canadiens et de leurs familles.
Bien que j'aie déjà effleuré la carrière musicale du sénateur Banks, je m'en voudrais de passer sous silence l'une de ses plus grandes réalisations musicales, soit d'avoir été le pianiste attitré des Sénateurs chantants. Le génie musical de Tommy manquera sûrement à la chorale et, surtout, à notre public. Je crains que la chorale ne survive pas sans les conseils et le leadership de Tommy, mais le chœur n'a pas été invité à l'accompagner maintenant qu'il reprend sa carrière musicale. On ne peut donc qu'espérer qu'il se produira à l'occasion en tant qu'invité spécial du groupe.
Il ne fait aucun doute que Tommy Banks manquera au Sénat. On ne remplacera pas facilement le respect du décorum, l'esprit, la profonde intelligence et la compassion qui l'ont caractérisé durant son mandat ici. Nous devons au sénateur Banks et au Canada de perpétuer son héritage.
(1420)
Je vous transmets mes vœux les plus sincères, Tommy et Ida, alors que vous entreprenez la prochaine étape de votre vie.
[Français]
L'honorable Pierre Claude Nolin : Honorables sénateurs, vous avez entendu des sénateurs parler de deux comités importants auxquels a participé le sénateur Banks au cours de sa carrière.
J'aimerais vous parler d'un troisième comité qui ne prend pas beaucoup d'espace lorsqu'on lit sa biographie, mais je dois vous dire que, dans le cœur et l'esprit de plusieurs Canadiens, le travail qu'il a fait à ce comité demeure très important : je fais référence au Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites.
Je ne connaissais pas personnellement le sénateur Banks avant son arrivée au Sénat, en avril 2000, et quelques-uns d'entre nous réfléchissaient alors à la composition de ce comité qui ne serait composé que de cinq sénateurs. Le sénateur Tommy Banks a été identifié rapidement par ses collègues libéraux comme étant un candidat approprié pour participer, avec moi comme d'autres, tel le sénateur Kenny, aux travaux de ce comité.
Je dois vous dire que, lors de notre première réunion, le sénateur Banks a fait l’hypothèse suivante : « Chers amis, nous entamons les travaux d’un comité qui risque d’ébranler les colonnes du temple canadien, sinon mondial. À l’image des autres Canadiens, nous avons une opinion sur ce sujet. J’espère que chacun gardera cette opinion pour lui, au bénéfice des connaissances qui nous seront transmises par nos témoins. »
En d'autres mots, laissons de côté nos préjugés et concentrons- nous sur ce que la preuve nous démontrera. Ce fut une des premières phrases que j'ai entendue de cet illustre collègue qui allait devenir un de mes amis, le sénateur Banks. Cela m'a frappé parce que j'avais déjà une opinion, mais je me suis senti obligé de confirmer que, effectivement, il s'agissait de mettre de côté nos préjugés et de nous concentrer sur ce qu'allaient nous révéler les témoignages.
Honorables sénateurs, en mai 2002, nous avions terminé les auditions de plus de 300 témoins en comité. Nous avions reçu de la Bibliothèque du Parlement plus d'une vingtaine de documents de recherche et nous nous apprêtions à écrire notre rapport. Vous aurez compris que j'ai écrit avec les chercheurs une partie importante de ce rapport, en français. Au fur et à mesure que nous produisions les innombrables chapitres d'un rapport, qui allait compter environ 900 pages, il n'était pas question que l'on attende à la toute fin pour remettre aux sénateurs Banks et Kenny une version anglaise. Nous avons donc décidé de leur remettre les copies des versions anglaises du rapport au fur et à mesure que les chapitres étaient produits. Lorsque nous avions rédigé deux ou trois chapitres, nous nous réunissions pour être sûrs que, s'il fallait corriger le tir, on le corrigeait, sinon, on continuait.
Imaginez-vous que le sénateur Banks a découvert la langue de Molière à l'occasion de l'examen de ce rapport. Je dois vous dire que, pour un bonhomme d'Edmonton, il n'était pas évident de saisir les nuances et nous avons inséré dans le rapport beaucoup de nuances dans la langue de Molière, mais malgré tout, la traduction anglaise a, je pense, bien rendu le sens, et c'est grâce au sénateur Banks si nous avons été capables de produire, en français et en anglais, un texte acceptable.
Je voudrais remercier le Sénateur Banks pour tout le travail qu'il a fait avec moi lors des travaux de ce comité. Oui, nous avons ébranlé les colonnes du temple, pas uniquement au Canada, mais dans le monde entier. Si, aujourd'hui, le document est lu et relu par plusieurs gouvernements et parlementaires à travers le monde, c'est parce qu'il y a ajouté le grain le sel de Shakespeare qu'il nous fallait pour nous assurer que nous avions devant nous deux versions acceptables dans les deux langues officielles du Canada.
Je le remercie pour ce travail et lui souhaite bonne chance dans la poursuite d'une vie fort trépidante.
[Traduction]
L'honorable Grant Mitchell : Honorable sénateurs, je redoute le départ à la retraite du sénateur Banks depuis déjà fort longtemps. Le sénateur Banks a apporté une énorme contribution aux travaux du Sénat, bien entendu, mais aussi à la vie des Albertains et des Canadiens. Il a été un collègue extrêmement agréable à tous les égards. Il m'a fallu très peu de temps après mon arrivée ici pour me rendre compte que je m'ennuierais énormément de lui lorsqu'il nous quitterait, et il manquera à tous ceux qui siègent ici.
Comme je suis originaire d'Edmonton, pendant presque toute ma vie, j'ai vu en Tommy Banks un grand musicien. Je le respectais et l'admirais en tant que musicien et vedette de longue date pendant ma jeunesse, que j'ai passée à Edmonton. J'ai toujours cru qu'un excellent musicien de jazz doit être très, très doué, car c'est un langage complexe qui doit s'exprimer intuitivement pour donner toute sa mesure, et Tommy Banks connaît extrêmement bien ce langage. En fait, il maîtrise parfaitement le langage musical, en plus de sa langue maternelle.
J'ai rencontré Murray McLauchlan il y a plusieurs années, et je lui ai dit fièrement que je travaillais avec le sénateur Banks. M. McLauchlan, qui est lui aussi un grand Canadien, s'est alors lancé dans une extraordinaire description, très animée, de ses meilleurs souvenirs liés au sénateur Banks, avec qui il a travaillé sur divers projets musicaux. Son admiration pour lui était évidente et il était réellement content d'avoir de ses nouvelles. Lorsque je pense à cette rencontre, je peux très bien m'imaginer faire comme lui et expliquer spontanément à quel point j'admire et j'apprécie le sénateur Banks, et j'imagine très bien ses autres collègues, ses admirateurs et ses amis faire de même.
Pour jouer de la musique aussi bien qu'il le fait et demeurer aussi créatif et énergique pendant toutes ces années, il faut vraiment avoir du génie, et je crois que son génie a été tout aussi apparent dans le cadre de sa carrière de sénateur. Le sénateur Banks a fait montre des nombreuses qualités qui ont assuré sa réussite pendant sa première carrière, c'est-à-dire sa vive intelligence, son esprit très discipliné, sa compassion, sa passion à l'égard de son travail et, bien sûr, sa capacité de se dépasser. Il est devenu sans peine un sénateur compétent et respecté, qui a défendu avec ardeur les politiques publiques au Canada et a été un chef de file en la matière.
Je suis sans cesse étonné de constater à quel point il comprend rapidement un enjeu nouveau, réussit à percevoir quelque chose que personne d'autre n'a vu, exprime l'essence même de la question et propose une solution. Sa profonde empathie à l'égard des gens et de la condition humaine, son courage et son intégrité, de même que l'ardeur avec laquelle il défend ce qu'il estime être juste pour sa collectivité, Edmonton, l'environnement, l'armée, le milieu des arts, les agriculteurs, le Canada et l'Alberta, sont pour moi une source d'inspiration.
Je suis très triste de devoir faire mes adieux à Tommy Banks, qui est irremplaçable et qui nous manquera beaucoup.
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je joins moi aussi ma voix à celle des autres sénateurs pour rendre hommage aujourd'hui à une personne extraordinaire, le sénateur Banks. Bien des Canadiens savent que le sénateur Banks est un musicien de jazz renommé. Les sénateurs apprécient d'ailleurs ses talents musicaux.
Bien des Canadiens savent que le sénateur a fait de l'excellent travail au Sénat. Les sénateurs en sont d'ailleurs témoins.
De plus, bien des Canadiens savent que le sénateur Banks fait preuve d'une grande sagesse. Les sénateurs lui en sont d'ailleurs reconnaissants.
Merci, sénateur Banks, de l'excellent travail que vous avez accompli.
Je tiens à vous remercier du soutien que vous m'avez apporté, surtout au cours des derniers mois, depuis que j'ai perdu ma mère.
Sénateur Banks, je veux que vous sachiez que vous me manquerez beaucoup, tout comme je savais que vous alliez exprimer votre opinion pendant les débats. Vous n'avez jamais eu peur d'exprimer votre opinion, même si vous étiez le seul à défendre un certain point de vue.
Vous exprimiez votre opinion même lorsque vous saviez que peu de gens appuieraient votre point de vue.
Lorsque nous étions tous du même avis, vous évitiez au contraire de prendre la parole pour donner la possibilité à certains d'entre nous de s'exprimer et de briller.
Sénateur Banks, votre courage nous manquera au Sénat. Je vous remercie du leadership dont vous avez fait preuve.
(1430)
L'honorable Joyce Fairbairn : Honorables sénateurs, je tiens à dire quelques mots aujourd'hui sur mon cher ami et collègue, le sénateur Tommy Banks, et sur sa famille.
J'ai connu Tommy Banks en septembre 1957. Je venais de faire le trajet en autocar depuis Lethbridge, dans le Sud de l'Alberta, pour amorcer une nouvelle étape de ma vie, celle de mes études à l'Université de l'Alberta, à Edmonton. Un bon ami d'un grand nombre d'entre nous, un jeune homme appelé Joe Clark, partait aussi de sa ville natale, High River, pour se rendre au même endroit, avec le même projet que moi en tête.
Nous étions donc là. Nous avons dansé ce soir-là : Tommy Banks était à l'université avec son orchestre. C'était la semaine d'orientation pour tous les jeunes nouveaux. À cette époque, sénateurs, tout le monde était debout et dansait. C'était fantastique. Nous avons dansé toute la nuit, et je suis, depuis, une admiratrice inconditionnelle de Tommy Banks.
J'ai eu l'honneur de voir Tommy s'exécuter de nouveau, 54 ans plus tard, dans ma ville natale, Lethbridge. C'était en juin dernier. Il s'est présenté là-bas, et toute la ville est venue. Comme je le lui ai dit aujourd'hui : continuez, tout le monde vous attend.
Honorables sénateurs, Tommy Banks a apporté une extraordinaire contribution aux Canadiens. Il s'est rendu dans d'innombrables pays, il a fait partie de plusieurs comités sénatoriaux et de caucus, et il a été un excellent représentant de notre belle province, l'Alberta.
Je dois dire que ce que j'admire le plus chez notre ami Tommy, outre sa musique et son sourire, c'est le dévouement avec lequel il cherche à améliorer la vie des autres. Il fait de son mieux pour donner aux gens de tous les horizons une bonne chance de s'épanouir.
Tommy, vous avez été un merveilleux ami, et vous nous manquerez, à nous tous qui avons eu le plaisir de travailler avec vous.
Mes meilleurs vœux vous accompagnent, vous et Ida, pour de longues années de bonheur. Je vous reverrai. Vous ne savez même pas fermer votre porte. Je vous reverrai à Edmonton, et vous avez déjà promis de revenir là où se trouvent les montagnes, à Lethbridge. Dieu vous bénisse.
L'honorable Gerry St. Germain : Honorables sénateurs, c'est un honneur de rendre hommage au sénateur Tommy Banks.
Je n'ai jamais été tellement d'accord avec le premier ministre Chrétien sur ce qu'il a fait au fil des ans, mais je suis d'accord avec lui sur un point : il a fait un bon choix en nommant Tommy Banks au Sénat. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Une foule de choses me passionnent. Je me suis réjoui de cette nomination, et je m'en réjouis encore.
Je serais pas répétitif, Tommy, puisque ce n'est pas l'une de mes caractéristiques. Je dirai néanmoins que vous êtes une légende de la musique. C'est ainsi que je me souviens de vous. J'ai grandi au Manitoba, et je crois avoir entendu votre nom lorsque vous étiez vraiment jeune.
Le sénateur Banks : Nous étions alors jeunes tous les deux.
Le sénateur St. Germain : C'est exact, car je quitte le Sénat à mon tour l'an prochain.
Honorables sénateurs, le sénateur Banks est un perfectionniste; il s'exprime clairement; il s'acharne sur les détails. Je me souviens d'une certaine soirée passée dans une chambre d'hôtel et qui s'est prolongée jusqu'à deux heures du matin. Lui, le sénateur Moore, le sénateur Kenny et quelqu'un d'autre discutaient d'un problème de grammaire dans un rapport en voie de rédaction pour le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. Lorsque la discussion s'est enlisée sur une virgule, je leur ai dit : « Bon, les gars, je vais me coucher. Il est 2 h 30 du matin, et je m'en vais. »
« Tommy the Tory », voilà qui sonne bien mieux que « Tommy the Grit », ne croyez-vous pas? Dans votre prochaine incarnation, réfléchissez bien avant d'accepter des nominations. Ne prenez pas toujours la première qui se présente. La deuxième pourrait être tout aussi bonne.
Sérieusement, Tommy, je tiens à vous remercier. Vous m'avez toujours appuyé. Vous êtes venu participer à activités à Vancouver chaque fois qu'on a fait appel à vous. Nous avons organisé une activité de financement pour la Fondation Zajac, et vous étiez là. Vous avez brillé, comme d'habitude, avec un grand souci de la précision et du détail.
Je remercie votre famille de nous avoir permis de profiter de votre présence, car je sais quel sacrifice elle a consenti pour que vous siégiez ici.
Je terminerai en disant que, à mes yeux, vous êtes une légende, un bon ami et un homme extraordinaire. Dieu vous bénisse.
[Français]
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, même si son prénom — Tommy — semble familier, cet homme a montré énormément de dignité en étant l'un des vrais gentlemen de cette institution. J'aimerais appuyer mes commentaires à l'aide de deux citations d'une autre célèbre personne qui, à sa façon, a influencé les gens.
[Traduction]
La citation qui suit est de Winston Churchill, que certains des sénateurs d'en face aiment bien citer. Je l'ai tirée d'un ouvrage intitulé The Wicked Wit of Winston Churchill. Voici donc ce qu'on peut y lire :
Nul ne prétend que la démocratie est parfaite et le summum de la sagesse. En effet, on a dit que la démocratie était la pire forme de gouvernement, à l'exception de toutes les autres dont on a fait l'essai de temps à autre.
Churchill a prononcé ces paroles lors d'un discours qu'il a livré à la Chambre des communes en novembre 1947. Il avait alors eu l'occasion de voir toutes ces autres formes de gouvernement.
Ces paroles me rappellent à quel point vous êtes un grand démocrate. Je crois que la citation suivante pourrait décrire à merveille votre façon de voir les choses :
Lorsqu'on lui a demandé quelles sont les qualités dont a besoin un politicien, Churchill a répondu : « La capacité de prédire ce qui se passera demain, la semaine prochaine, le mois prochain et l'année prochaine, et la capacité d'expliquer, après coup, pourquoi cela ne s'est pas produit ».
[Français]
Cher collègue, vous avez été un mentor pour moi. Je me rappelle mes premiers jours au Sénat, alors que je vous voyais — moi, encore jeune — avec vos grandes vagues de cheveux blancs. Je voyais un homme d'une grande sagesse qui m'a bien fait comprendre que j'étais ici un junior, même après mon expérience au sein des Forces canadiennes. En tant que junior, sinon recrue, il était sage de ma part d'écouter mes aînés. Vous avez agi à titre de mentor avec beaucoup de persévérance, de patience et de dignité.
Je me rappelle très bien le souper que nous avons partagé, en prenant un bon steak de l'Ouest — même si c'était ici à Ottawa — et au cours duquel vous m'avez familiarisé avec les méthodes de travail au Sénat et les responsabilités des sénateurs. Vous avez précisé que nous avions au Sénat des responsabilités, et non seulement des privilèges.
(1440)
Ces responsabilités exigent un travail ardu, souvent accompli dans l'ombre. Ces responsabilités exigent également un travail visant à faire avancer notre démocratie et, notre système de gouvernance et à assurer que le peuple canadien est bien représenté au sein de la structure gouvernementale.
Le sénateur Banks a aussi montré son côté humain, surtout lorsqu'il a œuvré auprès des soldats et de leurs familles. Il est souvent facile d'élaborer des politiques, d'établir des directives et de rédiger des rapports qui contiennent de grands termes et de grandes ambitions.
Il est de plus en plus rare de voir que des hommes de la trempe et de la réputation du sénateur Banks sont encore capables d'humaniser ce travail et d'être humbles avec ceux qui les entourent.
Sénateur Banks, sachez que votre humilité vous honore et que c'est pour cela que tant de gens vous ont aimé dans l'exercice de vos fonctions, particulièrement les soldats et leurs familles.
Nous vous remercions et vous souhaitons bon courage et bonne santé.
[Traduction]
L'honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, je n'ai jamais vraiment été en bons termes avec Tommy. Nous avons siégé ensemble au sein de quelques comités, où nous nous sommes disputés sans cesse. Je crois que le Comité des banques a été le seul où Tommy et moi pouvions nous entendre sur beaucoup de questions; au Comité de la sécurité nationale et de la défense, ce n'était pas vraiment la même chose. Comme certains d'entre vous le savent, nous avons eu des désaccords dans quelques autres comités.
Je connais probablement Tommy depuis plus longtemps que la plupart d'entre vous parce que je l'ai rencontré au début des années 1970. J'évoluais alors dans les milieux du rock `n' roll. Pour apprendre comment mener ma barque, je me suis entretenu avec Tommy Banks, qui avait alors toute une réputation comme gérant de groupes. C'est le milieu au sein duquel j'évoluais en Saskatchewan. J'étais plus ou moins néophyte. Je suis allé discuter du métier avec lui. Il m'a énormément appris.
Je ne l'ai plus revu jusqu'à sa nomination comme sénateur libéral. Il est probable que bien peu d'entre vous possèdent un album de Tommy Banks. Moi, j'en ai un que j'avais acheté dans les années 1970. Plusieurs d'entre vous ne savent sans doute pas qu'il était associé au groupe Procol Harum et à l'Orchestre symphonique d'Edmonton et qu'il a produit avec eux un album extraordinaire de rock, qui est encore un de mes favoris. J'enrage chaque fois que je l'écoute parce qu'il me fait penser à Tommy le libéral d'ici, mais j'aime beaucoup l'album. C'est l'un des quelques disques de vinyle que j'ai gardés. Il y a des CD et toutes sortes d'autres formes de musique, mais j'aime écouter un certain nombre d'albums sur vinyle, et l'un d'entre eux est celui de Tommy Banks avec le groupe Procol Harum. J'aime toutes les chansons de l'album, et particulièrement Conquistador, A Salty Dog et A Whiter Shade of Pale. Tommy, c'est vraiment un album fantastique.
Vous avez toujours été un gentleman en ce lieu. Même si nous avions des désaccords, vos interventions me manqueront — peut- être pas toutes, mais certainement les meilleures. Bonne chance.
Honorables sénateurs, achetez donc quelques-uns de ses albums. Il aura besoin d'argent quand il nous aura quittés.
L'honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, c'est un plaisir pour moi de rendre hommage au sénateur Tommy Banks, qui est lui-même un hommage au Sénat.
Dans quel autre pays une personne qui a eu une longue et riche carrière dans le monde des arts et de la culture, comme musicien, chef d'orchestre, défenseur des arts et personnalité de la télévision, peut-elle être nommée à un poste où elle peut contribuer à l'élaboration des lois et des politiques nationales?
Le sénateur Banks est un exemple vivant de tout ce qui est grand et distinct en ce lieu. Ne devant sa réussite qu'à lui-même, c'est un penseur indépendant et consciencieux qui prend les choses au sérieux.
C'est un homme moderne qui respecte les grandes traditions du Parlement. Dans l'exercice de mes fonctions de whip de l'opposition, j'ai toujours apprécié l'engagement du sénateur Banks envers le travail que nous faisons ici et au sein des comités. Il répond toujours à l'appel quand on lui demande d'assister à une réunion ou de remplacer quelqu'un. Merci, Tommy, de m'avoir facilité la tâche.
Lorsque le sénateur Banks entre quelque part, y compris dans cette salle, on le sait toujours. Il arrive prêt à participer. C'est un orateur éloquent et cultivé. Il se sert de la langue avec art dans les débats et les discussions. Il présente ses arguments comme on doit les présenter, avec compassion, conviction et un désir authentique de collaborer. Lorsque le sénateur Banks s'intéresse à une question, on peut être sûr qu'il glanera tous les renseignements possibles sur le sujet et qu'il se fera une idée en conséquence.
Il suffit de considérer ses réalisations remarquables à titre de président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, ainsi que les mesures législatives qu'il a parrainées au fil des ans. Il est facile de voir avec quelle passion il cherche à protéger l'environnement. Tommy, j'ai beaucoup appris de vous au cours des réunions du Comité de la défense.
Au-delà des dimensions critiques du Sénat, ce qui importe pour le sénateur Banks, pour Tommy, c'est ce qu'il croit être juste et dans l'intérêt des Canadiens. À plusieurs occasions, ses paroles et ses actes m'ont inspiré et m'ont amené à examiner sérieusement les répercussions des lois et des politiques sur notre société. C'est ici, au Sénat, que ce genre de réflexion doit se produire.
Sénateur Banks, je voudrais, pour conclure, vous dire que je vous suis reconnaissant de votre énorme contribution au Sénat et aux gens que nous servons. J'ai hâte d'entendre parler des grandes choses que vous ferez après votre départ. Je sais que vous continuerez à défendre les programmes de musique à l'école et que les enfants canadiens profiteront de vos efforts par toutes sortes de moyens. Je sais aussi qu'il y aura quelques grands projets de musique à l'avenir. Vous pouvez être sûr, Tommy, que je serai aux aguets. Bravo!
L'honorable Pierre De Bané : Honorables sénateurs, je voudrais rendre hommage à un homme que j'admire profondément, le sénateur Tom Banks. Il a servi le Sénat pendant 11 ans, après avoir mené une carrière musicale internationale pendant une cinquantaine d'années.
Après avoir étudié le piano dans son enfance et avoir joué dans l'orchestre de jazz du saxophoniste Don Thompson à l'âge de 14 ans, le sénateur Banks a travaillé en étroite collaboration avec l'Orchestre symphonique d'Edmonton, l'Orchestre symphonique de Montréal et l'Orchestre philharmonique d'Hamilton, où il a joué aux côtés de célébrités telles qu'Aretha Franklin et Tom Jones.
Comme l'a dit le sénateur Tkachuk, sa contribution à la musique, à la composition, à l'exécution et à la gérance d'artistes a été très importante.
En 1967, il a dirigé un quintette de jazz à l'Expo 67. Il a été directeur musical aux cérémonies des Jeux du Commonwealth en 1978, aux Jeux universitaires mondiaux d'Edmonton en 1983 ainsi qu'aux cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux olympiques d'hiver de Calgary en 1988.
Incidemment, il est né à Calgary, même s'il a surtout exercé sa profession à Edmonton.
Bien sûr, le sénateur Banks a passé une grande partie de sa carrière dans le milieu de la télévision, de la radio et du cinéma.
Outre ses réalisations musicales, il a défendu avec ardeur les arts au Canada. Il a collaboré avec le Conseil des Arts du Canada et la fondation des arts de l'Alberta. En outre, il a été décoré de l'Ordre du Canada et de l'Ordre de l'excellence de l'Alberta, a remporté un prix Juno et un prix Gémeaux et a même une rue à son nom, comme nous l'a rappelé le sénateur Angus.
(1450)
Après une incroyable carrière de 50 ans comme musicien sur la scène internationale, il a été nommé au Sénat où il a siégé pendant 12 ans.
[Français]
Au fil des ans, il a fait montre d'un profond respect à l'égard du Parlement. Il a souvent mis de côté l'esprit partisan au nom du travail bien fait. C'est une qualité essentielle que doit posséder un grand parlementaire : un attachement soutenu à ses propres valeurs.
Le sénateur Banks a accompli un travail exemplaire au sein de plusieurs comités : énergie, sécurité nationale, finances. Il a, de plus, apporté une rare victoire sur la Colline du Parlement en faisant adopter un projet de loi. Cela est arrivé rarement, mais son projet de loi a été adopté : lorsqu'une loi n'a pas été promulguée en 10 ans, elle devient caduque.
Dans ce bref discours, je n'ai fait qu'effleurer les nombreuses réalisations de notre collègue. Quelle carrière! Cet homme nous a tous impressionnés par l'élévation de sa pensée. Nous ignorons quelles autres réalisations nous réserve le sénateur, mais, chose certaine, les citoyens d'Edmonton seront ravis du retour d'un des grands du monde de la musique au pays.
[Traduction]
Nous vous adressons, ainsi qu'à votre épouse bien-aimée, nos meilleurs vœux.
L'honorable Percy E. Downe : Honorables sénateurs, à l'époque où je travaillais au cabinet du premier ministre, on m'avait demandé d'entreprendre des démarches auprès de Tommy Banks pour lui demander s'il serait intéressé par une nomination au Sénat.
Je dois vous avouer que je crois être l'une des rares personnes ici présentes qui n'avait jamais entendu parler de Tommy Banks. Peut- être que dans ma famille, sur la côte Est, nous étions branchés en permanence sur l'émission de Don Messer et non celle de Tommy Banks. En examinant son curriculum vitae, je me suis demandé si un musicien de jazz avait sa place au Sénat, la Chambre qui examine les mesures législatives et les projets de loi. Je me suis dit que cela poserait peut-être un problème. Comme le sait le sénateur LeBreton, dans le cas d'une nomination qui fait l'unanimité, tout le monde a parlé au premier ministre et a recommandé la personne. Dans le cas où la nomination est sujette à controverse, on demande au responsable du cabinet du premier ministre de rendre des comptes et d'expliquer pourquoi il a convaincu le premier ministre de faire telle ou telle nomination. C'est donc avec une certaine appréhension que j'ai appelé M. Banks pour tâter le terrain. Je lui ai parlé quelques minutes, à la suite de quoi il a dit exactement ce qu'il fallait. Il était heureux de mon appel et de la proposition.
Il a ensuite dit : « Si vous cherchez un partisan, je ne suis pas votre homme », puis il a mentionné des politiques adoptées par le Parti libéral depuis quelques décennies sur lesquelles il n'était pas d'accord. C'était au point où je me demandais s'il avait déjà appuyé le Parti libéral. La conversation s'est terminée sur une bonne note et, une semaine plus tard, une lettre détaillée nous est parvenue. Elle venait de M. Banks, qui voulait s'assurer que le premier ministre comprenne bien pourquoi il ne souscrivait pas à certaines politiques antérieures du Parti libéral. Je me souviens qu'une longue partie de la lettre portait sur le Programme énergétique national et sur d'autres préoccupations. Lorsque j'ai montré la lettre au premier ministre, il a dit qu'elle était bien écrite et j'étais de son avis. Le seul fait de lire cette lettre a changé l'opinion que j'avais des musiciens. Elle était tellement bien écrite. Le premier ministre a dit : « C'est exactement le genre de personne que nous voulons au Sénat, c'est-à- dire un Canadien indépendant, intelligent et aux idées claires. » Il l'a donc nommé ici.
Étant donné la position précaire de Tom à ses débuts à titre de sénateur libéral, j'ai un petit quelque chose qu'il pourra emporter avec lui, lorsqu'il va nous quitter. Ce souvenir pourra prendre place dans sa bibliothèque pour de nombreuses années.
Des voix : Bravo!
L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, je tiens à endosser les observations formulées par mes collègues aujourd'hui relativement à mon voisin de banquette, l'honorable Tommy Banks, qui est loin de prendre sa retraite.
Tommy, j'ai beaucoup de respect pour votre profonde intelligence, votre participation au Sénat, votre merveilleux sens de l'humour et votre empressement à partager vos talents musicaux au nom des arts et d'autres causes communautaires.
Sans répéter tout ce qui a été dit ici aujourd'hui, qu'il s'agisse du vol dans un hélicoptère Black Hawk à l'extérieur du périmètre de sécurité en Afghanistan, de la présentation du spectacle Guys and Dolls à London, de votre talentueuse prestation lorsque vous avez chanté, vous accompagnant au piano, chez un ami à Oakland, dans le comté de Lunenburg, en Nouvelle-Écosse, ou d'un souper avec vous et Ida, j'ai eu bien du plaisir en votre compagnie. Vous allez vraiment me manquer. Je vous souhaite, à vous, à Ida et à votre famille, beaucoup de succès. Je vais vous rendre visite à Edmonton. Merci, Tommy.
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je veux moi aussi souligner la contribution apportée par Tommy Banks aux Albertains, aux Canadiens, et aussi à titre de sénateur.
Nous avons tous les deux été nommés ici au printemps de l'an 2000 et, au cours des premières années, nous avons fait partie du nouveau Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. À l'époque, le comité, sous la présidence du sénateur Kenny, a publié des rapports remarquables, en bonne partie grâce aux efforts du sénateur Banks.
En présence du sénateur Banks, le niveau des débats au Sénat est toujours plus élevé. Qu'on soit d'accord ou non avec lui, le sénateur Banks apporte toujours dans les débats du Sénat une argumentation raisonnée, exposée avec la plus grande netteté. Son discours intelligent et clair, on le retrouve aussi dans son travail dans les comités sénatoriaux, qu'il s'agisse d'interroger des témoins ou de discuter d'amendements à apporter à des projets de loi. C'est ainsi que le Sénat devrait travailler.
Tommy, vous êtes doté d'une curiosité naturelle et d'un esprit inquisiteur, vous écoutez bien, tant au Sénat que dans les comités, et vous posez des questions sérieuses qui portent sur les aspects importants de l'objet étudié. J'ai l'impression d'être de retour à l'école, en train de remplir un bulletin scolaire. Vous avez été merveilleux.
Je sais que, en tant que promoteur de l'indépendance de pensée dans l'étude des projets de loi par les sénateurs, vous considérez que l'amélioration et la critique des projets de loi, sans égard aux allégeances politiques, sont un rôle majeur, un facteur qui fait la force d'un Sénat efficace, de sénateurs efficaces.
Je sais également que, lorsque les libéraux étaient au pouvoir, vous avez souvent proposé des amendements aux projets de loi ou voté en faveur des amendements d'autres sénateurs. Cela ne plaisait pas toujours aux ministres, mais cela ne vous importait guère. Vous faisiez ce qui vous semblait juste. Comme vous l'avez signalé récemment au cours d'une interview, au cours des trois dernières années, aucun projet de loi n'a été renvoyé par le Sénat à l'autre endroit avec des propositions d'amendement.
Tommy, vous êtes un fier Albertain, et vous avez parlé bien des fois de votre province et de votre chère Edmonton. Ce fut un plaisir de travailler avec vous au cours des 11 dernières années. Comme d'autres l'ont fait, je vous souhaite, à vous et à Ida, une heureuse retraite. Le sénateur Angus l'a dit tout à l'heure, les musiciens ne prennent pas leur retraite. Ils continuent de jouer. Ce ne sera peut- être qu'une nouvelle étape de votre vie. Mes meilleurs vœux vous accompagnent, vous et votre famille.
L'honorable Vivienne Poy : Honorables sénateurs, c'est pour moi un grand plaisir de rendre hommage à l'honorable Tommy Banks, un homme qui a conquis le respect et l'affection de bien des gens au cours de sa longue carrière qui a épousé bien des formes.
Nous le savons tous, le sénateur Banks est une figure emblématique au Canada, comme on l'a dit et répété. Il a eu sa propre émission de télévision à la CBC pendant de longues années, et il a mené une longue carrière comme jazzman, chef d'orchestre et compositeur.
Les sénateurs nommés ces dernières années ne peuvent pas savoir qu'ici, sur la Colline du Parlement, nous avons eu le plaisir de l'entendre jouer du piano aux défilés de mode organisés par le Sénat pour recueillir des fonds pour Centraide. Vous vous en souvenez?
Le sénateur Banks n'est pas un politicien de carrière. Comme nous le savons tous, c'est la diversité des antécédents de ses membres qui fait la richesse du Sénat du Canada. Plusieurs d'entre nous sommes ici pour représenter nos collectivités et nos régions, et Tommy Banks est dévoué à la cause de sa province, l'Alberta.
C'est pourquoi le sénateur a souvent dérogé à la ligne de parti, comme on l'a déjà dit, et laissé le bon sens guider ses décisions. Pour cette raison, je savais que je pouvais compter sur lui pour coparrainer mon projet de loi visant à modifier l'hymne national pour qu'il s'applique à tous les Canadiens. Lorsque je l'ai présenté pour la deuxième fois, au début du millénaire, il a vérifié le rythme et donné son aval.
(1500)
Le sénateur Banks a été d'accord avec moi : étant donné que la version anglaise originale du l'Ô Canada, signée par sir Robert Stanley Weir en 1908, tenait compte des deux sexes, et que les femmes ont été tout aussi importantes que les hommes dans l'édification de notre pays, il n'y avait aucune raison pour que la version plus récente ne puisse être modifiée au XXIe siècle pour rester fidèle à l'intention initiale de l'auteur.
Ce fut le projet de loi S-3, présenté en octobre 2002 et approuvé à l'unanimité par le Comité des affaires sociales. Cependant, le Parlement a ensuite été prorogé.
Je remercie le sénateur Banks de son appui.
Le fait que l'hymne national de l'Autriche ait été modifié récemment pour tenir compte des filles, tout comme celui de l'Australie a été modifié il y a de nombreuses années, m'a rappelé le rôle du sénateur Banks. Nous savons tous deux qu'un jour viendra où notre hymne national nous inclura tous.
Merci, Tommy, de tout ce que vous avez apporté au Sénat pendant de longues années. Je vous souhaite beaucoup de bonheur pendant ces années de retraite. Que votre musique ne s'arrête jamais.
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, c'est à la fois un honneur et un privilège de rendre aujourd'hui hommage à notre cher collègue, le sénateur Tommy Banks. Je dirai d'abord quel grand plaisir et quel grand bonheur ce fut pour moi de représenter l'Alberta au Sénat en compagnie d'un collègue aussi distingué, éloquent et cultivé, d'un homme qui abordait son travail au Sénat avec indépendance, détermination et intégrité et qui est toujours resté fidèle à ses principes.
Plusieurs des contributions importantes du sénateur Banks au Sénat ont déjà été rappelées et elles sont bien documentées : président du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles pendant de longues années; membre émérite du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense; auteur de l'importante Loi sur l'abrogation des lois; un travail minutieux au sein d'autres comités sur des questions qui ont aidé à modeler des politiques dans de nombreux domaines, depuis les questions urbaines jusqu'à la sécurité nationale.
Depuis sa nomination au Sénat, en 2000, le sénateur Banks s'est inspiré de sa passion pour la musique et de son expérience d'une richesse inouïe dans ce domaine pour devenir un important défenseur du rôle significatif du secteur des arts et de la culture dans notre société. Voilà qui témoigne de son engagement à faire du Canada un pays meilleur et de son dévouement à cette cause.
Ce qui est peut-être plus difficile à documenter, mais qui a fait de lui une source d'inspiration au Sénat, ce sont l'intégrité et l'indépendance d'esprit avec lesquelles il a abordé les dossiers au cours de sa carrière parlementaire. J'en suis arrivée à admirer et à respecter le sénateur Banks, comme plusieurs d'entre vous, non seulement à cause de son illustre carrière qui a précédé sa nomination au Sénat, de son extraordinaire éthique du travail, de son grand talent et de sa sagesse, mais aussi parce qu'il a vraiment incarné l'esprit de notre institution, qui doit faire un second examen objectif, et qu'il a su faire preuve d'indépendance dans sa réflexion et son action. Ces valeurs et qualités qui ont guidé le sénateur Banks tout au long de son mandat au Sénat ont beaucoup contribué à rendre notre institution meilleure et à servir l'intérêt public.
La contribution du sénateur Banks appartient désormais à l'histoire de notre institution, pour que nous et les générations futures puissions l'étudier et y réfléchir.
Cher Tommy, vous êtes un homme merveilleux, plein de vie et d'énergie, une force unificatrice et un vrai gentleman. La passion et la sagesse que vous avez apportées ici nous manqueront énormément. Je vous prie d'accepter mes meilleurs vœux de bonheur et de santé à vous et à Ida. Je vous souhaite une vie pleine de nouvelles entreprises personnelles et artistiques pour que nous puissions encore être touchés par votre grand talent.
L'honorable Michael Duffy : Honorables sénateurs, je voudrais me joindre à mes collègues afin de féliciter le sénateur Banks pour ses très nombreuses contributions au Canada, qui remontent bien au- delà de la décennie qu'il a passée ici, à la Chambre haute.
Avant ma nomination au Sénat, j'avais l'habitude de passer plusieurs soirées par semaine, à quelques pâtés de maisons d'ici, à écouter l'honorable sénateur me parler de l'importance d'un Sénat indépendant et de son rôle en tant que contrepoids à l'autre endroit. Dans la salle où nous avions l'habitude de nous rencontrer, il y avait de nombreux journalistes qui pensaient en savoir beaucoup sur la politique du pays. Toutefois, à chacune de nos rencontres et de nos conversations, j'ai appris beaucoup et ils ont appris beaucoup au sujet du Canada, de son Parlement et de ce que cela signifie d'être Canadien. Comme l'a dit le sénateur Tkachuk, le sénateur Banks est un excellent professeur et un grand Canadien dans tous les sens du terme. Il nous manquera beaucoup.
Pour finir sur une note politique, je dirais que je l'ai accompagné une fois à un rassemblement politique dans un grand parc d'Edmonton où tous les hommes présents portaient une cravate rouge. S'il avait été du côté des élus, il aurait été une vraie vedette. À en juger d'après la foule de ce jour-là, je crois qu'il n'aurait eu aucune difficulté à se faire élire à l'autre endroit. C'est un homme plein de charme, de chaleur, d'intelligence et d'humanité. Il nous manquera beaucoup.
Meilleurs vœux.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, les 30 minutes convenues sont écoulées. J'invite l'honorable sénateur Banks à prendre la parole.
L'honorable Tommy Banks : Honorables sénateurs, il y a environ deux semaines, j'ai rêvé que je prononçais un discours au Sénat. Quand je me suis réveillé, c'était bien ce que j'étais en train de faire. Pour éviter de transformer ce rêve en cauchemar, j'essaierai de mon mieux d'être bref dans mes observations, qui consisteront essentiellement en remerciements pour toutes les choses aimables que mes collègues des deux côtés de la Chambre ont dites. Je leur en suis très reconnaissant, aussi bien pour les notes d'humour que pour les compliments qu'ils m'ont faits.
Je tiens à les avertir, cependant, que je me réserve le droit de lancer quelques bonnes réparties au cours des deux prochains jours. Je crois bien que je le ferai.
Certains parmi nous qui ont exprimé des réserves — auxquelles je me suis parfois rallié — au sujet du temps que nous passons à prononcer des allocutions à l'occasion du départ de sénateurs à la retraite. Je dois vous dire que, à mesure qu'on s'approche de la date fatidique, ces réserves s'estompent.
Le sénateur Murray, parmi d'autres, a poussé la modestie jusqu'au point de ne pas nous laisser le plaisir de lui dire toute l'estime que nous avions pour lui, jusqu'au point même où quand, il y a quelques semaines, le sénateur LeBreton et le sénateur Cowan ont commencé, en parlant d'autre chose, à noter que le sénateur Murray était sur le point de partir, avec sa grande connaissance des questions de procédure, il a proposé la question préalable, empêchant ainsi toute autre observation sur la valeur de sa contribution au Sénat.
Vous aurez probablement noté que je suis loin d'avoir une telle connaissance des questions de procédure.
Honorables sénateurs, lorsque je suis entré pour la première fois ici, des décennies avant ma nomination, lorsque je suis passé par les grandes portes, que j'ai monté ces marches et que je suis entré dans cette salle, j'ai été frappé de stupeur. Je dois dire que, même après 11 ans, je suis encore intimidé chaque fois que je franchis ces portes et que je monte ces marches. Je suis toujours plein de respect chaque jour parce que j'ai le grand privilège d'apprendre de vous tous et du travail que nous faisons au sein de nos comités.
Être ici parmi vous a été le plus grand honneur que j'ai connu dans ma vie. Il n'y a qu'un seul endroit où j'aimerais mieux me trouver plutôt que d'être ici. C'est auprès d'Ida, à qui je dois tout. Je me ferai un plaisir de passer plus de temps avec elle dorénavant.
(1510)
Il y en a d’autre à qui je dois des remerciements: à Son Honneur ainsi qu’à ses prédécesseurs, le sénateur Hays et le sénateur Molgat, pour leur aide et leur courtoisie; aux leaders des deux côtés et à leurs prédécesseurs; aux greffiers au Bureau, qui m’ont si souvent tiré d’embarras; aux rédacteurs législatifs, qui m’ont tant aidé, notamment Mark Audcent, à qui je présente mes meilleurs vœux, et Michel Patrice; au Service de sécurité du Sénat — sénateurs, ne renoncez jamais à maintenir ce service, car il est très important pour nous —; aux pages, qui m’ont rendu service à d’innombrables reprises; à Thérèse Gauthier et Tom Smith, qui sont à la tribune aujourd’hui et dont le soutien, les avis et les conseils ont été inappréciables pratiquement depuis mon arrivée ici; à Vince MacNeil, dont les conseils furent toujours justes; et, enfin, à tous les honorables sénateurs, ainsi qu’aux Pères de la Confédération, pour la prévoyance dont ils ont fait preuve en créant cette institution.
Surtout, je remercie Ida, dont l'agréable compagnie est la seule au monde que je préfère à la vôtre, honorables sénateurs. N'oubliez jamais la raison d'être de cette assemblée, ce qu'elle représente, la raison de sa création, ce qu'elle peut faire et ce qu'elle peut être.
Je vous remercie beaucoup, encore une fois, pour vos compliments, honorables sénateurs, et pour toute la courtoisie dont vous avez fait preuve au fil des ans. Vous me manquerez et je vous verrai demain et jeudi.
Des voix : Bravo!
AFFAIRES COURANTES
Le commissaire à l'environnement et au développement durable
Le rapport de l'automne 2011—Dépôt du rapport et de l'addenda
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l'automne 2011 du commissaire à l'environnement et au développement durable ainsi que l'addenda qui contient des copies des pétitions relatives à l'environnement, reçues en vertu de la Loi sur le vérificateur général entre le 1er janvier et le 30 juin 2011.
La Loi d'interprétation
Projet de loi modificatif—Première lecture
L'honorable Charlie Watt présente le projet de loi S-207, Loi modifiant la Loi d'interprétation (maintien des droits autochtones ancestraux ou issus de traités).
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Watt, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)
[Français]
L'Assemblée parlementaire Canada-Europe
La réunion du Comité permanent des parlementaires de la région arctique, tenue les 28 et 29 septembre 2011—Dépôt du rapport
L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association parlementaire canadienne Canada-Europe concernant sa participation à la réunion du Comité permanent des parlementaires de la région arctique de l'Association parlementaire Canada-Europe, tenue à Syktyvkar, dans la République de Komi, en Russie, les 28 et 29 septembre 2011.
La Quatrième partie de la session ordinaire de 2011, tenue du 3 au 7 octobre 2011—Dépôt du rapport
L'honorable Consiglio Di Nino : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association parlementaire canadienne Canada-Europe concernant sa participation à la Quatrième partie de la session ordinaire de 2011 de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, tenue à Strasbourg, en France, du 3 au 7 octobre 2011.
[Traduction]
PÉRIODE DES QUESTIONS
Le Bureau du Conseil privé
La responsabilité ministérielle
L'honorable Tommy Banks : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Pourrait-elle dire à l'assemblée si le gouvernement du Canada estime que la gouvernance du Canada repose sur la primauté du droit?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, absolument, nous le croyons. Je suis certaine que le sénateur aura d'autres questions à poser, comme il l'a promis il y a un instant.
Le sénateur Banks : Je remercie madame le ministre pour sa réponse directe. Nous pourrons maintenant parler de la « période des réponses ».
Honorables sénateurs, comme il en est ainsi et qu'elle l'a affirmé, pourrait-elle dire à l'assemblée si le gouvernement du Canada estime que les ministres sont exemptés de l'application des lois du Canada et qu'ils sont au-dessus de ces lois?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, ma réponse est la même que précédemment. Le gouvernement respecte la loi et s'acquitte des responsabilités qui incombent à tout gouvernement élu.
Je m'assieds pour que le sénateur puisse passer à la troisième partie de sa fascinante question.
Le sénateur Banks : Honorables sénateurs, je ne suis pas certain que ma question soit fascinante, mais je la pose tout de même.
Pour que les Canadiens soient au courant à l'avenir, le gouvernement auquel appartient madame le leader continuera-t-il à permettre, si le mot est juste, que, dans l'exercice de leurs fonctions, les ministres fassent abstraction de la loi ou qu'ils se mettent au-dessus de celle-ci, autrement dit au-dessus des lois adoptées par le Parlement du Canada et qui font partie des Lois du Canada?
Le sénateur LeBreton : Je remercie le sénateur Banks de sa question. Cependant, pour autant que je sache, aucun ministre ne fait abstraction de la loi canadienne, notamment des mesures législatives adoptées par le Parlement.
[Français]
L'environnement
Les engagements pris à la conférence de Durban
L'honorable Pierre De Bané : Madame le leader du gouvernement au Sénat, les changements climatiques sont l'un des enjeux déterminants de notre époque. La période dont nous disposons pour limiter la hausse de la température moyenne de la planète se resserre rapidement.
Pourtant, le moins que l'on puisse dire, après six ans sous votre gouvernement, c'est que les efforts du Canada ont été très modestes par rapport à l'urgence de la situation.
De plus, votre gouvernement, par l'entremise du ministre de l'Environnement, a formellement renoncé, hier, à ses engagements internationaux en matière de changements climatiques, deux heures après son retour de Durban, où il avait nié vouloir se retirer du protocole. Cette décision était attendue depuis un certain temps, alors que le gouvernement est accusé de faire dérailler les efforts des pays qui souhaitent des actions immédiates et concrètes.
Comme nous nous retirons de nos engagements internationaux, tout en pointant du doigt d'autres grands pays émetteurs comme la Chine et l'Inde, qu'est-ce qui empêche ces pays de se retirer à leur tour d'un accord mondial éventuel en citant le précédent canadien que vient de créer votre gouvernement?
Votre gouvernement ne vient-il pas de perdre le peu de crédibilité qu'il lui restait sur la scène internationale qui aurait pu lui servir dans le cadre de la négociation éventuelle d'un accord environnemental planétaire?
[Traduction]
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, le sénateur De Bané se trompe peut-être au sujet de ce que le ministre de l'Environnement a indiqué avant son départ pour Durban. Depuis que nous formons le gouvernement, nous avons toujours dit assez clairement que le Canada participerait à un régime mondial de lutte contre les changements climatiques si tous les grands pays émetteurs y souscrivaient. Ces grands émetteurs sont, entre autres, les États-Unis, l'Inde et la Chine.
(1520)
Le Canada est absolument déterminé à faire sa part pour lutter contre les changements climatiques, mais il veut participer à un processus équitable, efficace et complet qui lui permette de continuer à créer des emplois et à stimuler la croissance économique sur son territoire. Nous estimons qu'un nouvel accord assorti d'engagements légalement contraignants pour tous les grands émetteurs constitue la voie de l'avenir.
Je crois que la plateforme de Durban se fonde sur le travail accompli à Copenhague et à Cancun. Le gouvernement a pris des mesures depuis 2006 pour vraiment réduire les émissions de gaz à effet de serre. Toutefois, je pense qu'il a toujours été clair que le Protocole de Kyoto n'aurait jamais pu vraiment améliorer la situation. C'est le premier ministre précédent qui a signé cet accord et nous connaissons tous l'opinion d'Eddie Goldenberg à ce sujet. Il a révélé que le gouvernement a signé le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques même en sachant qu'il était fort probable que le Canada n'atteigne jamais ses cibles de réduction des émissions. M. Goldenberg a dit ceci :
Le gouvernement lui-même n'était pas prêt à l'époque à faire tout ce qu'il fallait.
Par conséquent, de toute évidence, le gouvernement a signé un accord, mais n'a pris aucune mesure de 1997 à 2006. À notre arrivée au pouvoir, nous avons clairement indiqué que la signature du Protocole de Kyoto par le gouvernement précédent nous posait des difficultés. Depuis, nous avons aussi dit clairement que nous nous efforcerions de veiller à ce que tous les grands émetteurs participent aux négociations et que nous travaillerions en partenariat avec notre principal partenaire commercial, les États-Unis.
[Français]
Le sénateur De Bané : Le gouvernement affirme que le Protocole de Kyoto appartient au passé et que l'on doit chercher une nouvelle entente qui rassemblera les principaux pays émetteurs. Cependant, en attendant un accord planétaire hypothétique, le gouvernement a perdu des années cruciales durant lesquelles le Canada aurait pu faire des progrès importants dans la réduction des gaz à effet de serre. En se retirant du Protocole de Kyoto, le Canada se libère de son obligation de publier ses données d'inventaire annuel sur les émissions de gaz à effet de serre.
[Traduction]
Honorables sénateurs, le leader affirme que le gouvernement prend la question des émissions de gaz à effet de serre au sérieux. Si c'est vrai, le gouvernement accepterait-il de publier, de manière purement volontaire, les progrès réalisés à cet égard depuis son arrivée au pouvoir? Madame le leader envisagerait-elle de publier ces données de manière purement volontaire, pour montrer que le gouvernement prend la question au sérieux?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, il est juste de dire que nous avons régulièrement rendu publiques les différentes mesures que nous avons prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Soyons clairs, comme nous l'avons dit, pour le Canada, le Protocole de Kyoto est une chose du passé. Voilà pourquoi nous invoquons notre droit légal de nous retirer de Kyoto.
Pour ce qui est du bilan du gouvernement, qui est non négligeable, je signalerai quelques-unes des mesures prises. La plateforme de la conférence de Durban, à laquelle le ministre Kent vient de participer, constitue un cadre juste et équilibré aux fins d'une action responsable et efficace de lutte contre les changements climatiques mondiaux à l'échelle internationale. D'importants progrès ont été réalisés afin de mettre en œuvre les initiatives prévues dans l'Accord de Cancun, comme je l'ai dit tout à l'heure. On a convenu d'un mandat en vue de négocier un nouveau traité après Kyoto qui comportera des engagements de la part de tous les grands émetteurs, ce qui est tout à fait normal, étant donné que le Canada contribue aux émissions mondiales à raison de moins de 2 p. 100. Nous continuerons de collaborer avec nos partenaires internationaux.
Notre gouvernement cherche le juste équilibre entre, d'une part, l'assainissement de l'environnement et, d'autre part, la protection des emplois et la croissance économique, comme je l'ai dit il y a un instant. Nous maintenons notre engagement à réduire d'ici 2020 les émissions de gaz à effet de serre du Canada pour qu'elles se situent à 17 p. 100 sous le niveau de 2005. Nous faisons de bons progrès à cet égard. Avec les provinces, nous avons déjà franchi un quart du chemin à parcourir pour atteindre notre objectif de 2020. Nous nous employons à réduire les émissions par une approche de réglementation par secteur, et nous avons commencé avec le transport et l'électricité.
Le 16 novembre, nous avons diffusé un document de consultation sur l'élaboration d'un règlement concernant les émissions de gaz à effet de serre pour les modèles de voitures et de camions légers qui seront mis sur le marché à partir de 2017. Nous avons diffusé un projet de règlement sur la production d'électricité à partir du charbon, règlement qui a pour but de favoriser l'abandon du charbon à forte teneur en soufre.
Nous avons récemment investi 600 millions de dollars de plus dans le Programme de réglementation de la qualité de l'air.
Comme je l'ai indiqué il y a un instant, les États-Unis, notre partenaire commercial le plus important, dont l'économie est fortement intégrée à la nôtre, collaborent avec nous dans ce dossier. Il est logique que, dans le contexte nord-américain, nos approches soient harmonisées, s'il y a lieu, avec celles des États- Unis.
Les finances
Les thèmes et les illustrations des billets de banque
L'honorable Nancy Ruth : Honorables sénateurs, le ministre des Finances Flaherty a indiqué, à propos de la nouvelle série de billets de banque en polymère, la septième depuis 1935, qu'il est important pour les Canadiens de retrouver leur histoire sur ces billets. La sixième série a constitué un progrès visible dans la mise en valeur de la diversité canadienne et de l'intégration des groupes sous- représentés, y compris les femmes, les enfants et les Autochtones.
Pouvons-nous recevoir l'assurance que la diversité et l'intégration seront mises en valeur encore davantage dans la septième série? Jusqu'à maintenant, je sais que sur le billet de 100 $ figure l'image d'une femme regardant dans un microscope. Le navire de la garde côtière Amundsen a remplacé les Célèbres cinq sur le billet de 50 $. Quel rôle le gouvernement fédéral joue-t-il dans le choix des thèmes et des illustrations des billets de banque? Le gouvernement fédéral peut-il établir des critères comme la diversité et l'intégration et voir à ce que les images sur les billets de banque répondent à ces critères? Le gouvernement fédéral a-t-il pris de telles mesures? Madame le leader peut-elle fournir aux sénateurs de la documentation pertinente à ce sujet?
Que devons-nous faire si moi, un autre sénateur ou tout autre Canadien souhaitons faire partie des gens consultés par la Banque du Canada pour déterminer comment faire connaître toutes les dimensions de l'histoire de notre pays au reste du monde? Comment pouvons-nous participer directement?
Enfin, honorables sénateurs, est-ce que les billets de 20 $, de 10 $ et de 5 $ célébreront la diversité du Canada? Les Canadiennes et les Canadiens pourront-ils se voir dans les modèles qui seront retenus?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, il est de notre devoir à tous de reconnaître le travail incroyable que le sénateur Nancy Ruth fait à titre personnel et professionnel pour améliorer la vie des femmes et des filles de notre pays. Notre gouvernement est également déterminé à reconnaître la contribution des Canadiennes et des Canadiens à l'amélioration de la vie des femmes dans toutes les collectivités du pays, et particulièrement des Célèbres cinq.
Permettez-moi de noter, honorables sénateurs, que la statue des Célèbres cinq, que nous voyons tous les jours et qui reçoit le plus grand nombre de visites sur la Colline du Parlement, se trouve là justement à cause du travail de certaines personnes appartenant au Sénat. Le sénateur Joyce Fairbairn avait proposé une motion, que j'avais appuyée, afin de placer la statue à un endroit bien en vue de la Colline du Parlement. Jusque-là, il n'y avait eu que des statues d'hommes et de monarques sur la Colline.
(1530)
Un de nos collègues que je ne nommerai pas, mais qui a été président du Comité de la régie interne, si les sénateurs souhaitent consulter nos annales, ne pensait pas que c'était une bonne idée et voulait que la statue soit placée quelque part, sur la rue Rideau. En fait, l'héritage des Célèbres cinq se perpétuera grâce aux Prix du gouverneur général, décernés en commémoration de l'affaire « personne ». Cette initiative avait été prise en 1979, sous le gouvernement conservateur de Joe Clark. De plus, en octobre dernier, notre gouvernement a commémoré l'affaire « personne » à titre d'événement historique national.
Comme le sénateur l'a signalé, la Banque du Canada a régulièrement produit de nouveaux billets de banque au cours des dernières décennies, souvent pour honorer différents aspects de la vie canadienne, y compris les Célèbres cinq sur le billet de 50 $. Je dois cependant admettre que je n'ai pas souvent des billets de 50 $ dans la poche.
Comme les sénateurs le savent, nous avons fait la transition à un nouveau billet de banque en polymère pour renforcer la sécurité et économiser l'argent des contribuables. Nous adoptons aussi de nouveaux motifs pour tous les billets de banque. Ainsi, comme le sénateur l'a signalé, le nouveau billet de 100 $ célèbre la contribution des femmes canadiennes aux sciences, tandis que le nouveau billet de 50 $ rend hommage aux hommes et aux femmes qui servent dans la Garde côtière canadienne, dont c'est le 50e anniversaire.
Pour ce qui est des billets de 5 $, de 10 $ et de 20 $, je prends note de la question. Je ne sais pas pour le moment ce qui figurera sur ces billets. Je ne pense d'ailleurs pas qu'une décision a été prise à cet égard. Toutefois, je crois que c'est un moyen de célébrer les nombreuses contributions des Canadiennes et des Canadiens, y compris les grandes réalisations des femmes dans notre société.
Le sénateur Nancy Ruth : Lorsque madame le leader donnera sa réponse, peut-elle aussi y inclure les critères que la Banque du Canada doit respecter au chapitre de la diversité et de l'inclusion? J'apprécierais de savoir comment cela se fait et comment il est possible de participer au choix des images qui figureront sur les billets.
Le sénateur LeBreton : Je serai heureuse de le faire.
L'environnement
Les engagements pris à la conférence de Durban
L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, je doute que nous ayons jamais un billet de 20 $ pour commémorer des mesures ou des contributions du gouvernement à la lutte contre les changements climatiques dans le monde.
La conférence de Durban constitue un autre cuisant recul pour la réputation internationale du Canada. En l'espace de quelques jours, le gouvernement a réussi à s'attirer des critiques acerbes pour toutes sortes de choses : utiliser la politique d'aide au développement pour intimider certains pays sous-développés, travailler en coulisse pour miner ces importantes négociations internationales, revenir sur l'engagement qu'il a pris de financer le Fonds vert pour le climat et, d'une façon générale, être l'incarnation de la mauvaise conduite sur la scène internationale.
Combien des 1 500 experts en communication qui concoctent actuellement les messages du gouvernement Harper a-t-il fallu mettre à contribution pour créer ce désastreux spectacle de relations publiques?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Comme d'habitude, les faits du sénateur sont complètement faux, tout comme l'étaient hier soir ses attaques contre mon collègue, l'honorable Tony Clement. Le sénateur semble croire qu'il peut tenir ces propos scandaleux au Sénat. Il est vrai qu'il peut le faire parce qu'il n'y a pas de recours légal, mais ce qu'il dit n'est pas plus proche de la vérité simplement parce qu'il peut parler impunément au Sénat.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Mitchell : Je vous remercie d'avoir répondu à cette question.
Le gouvernement ne comprend-il donc pas qu'il y a un lien direct entre notre réputation internationale, la façon dont les gens considèrent le Canada dans le monde et la tendance de certains pays à rejeter des projets essentiels pour le Canada, comme le pipeline Keystone?
Le sénateur LeBreton : Encore une conclusion vraiment tirée par les cheveux. Le fait est que nous sommes allés à Durban, tout comme nous sommes allés à Copenhague et à Cancun, tout à fait déterminés à faire avancer ce dossier. C'est très important, et je crois que les sondages arrivent à la même conclusion. Le public canadien comprend la situation. Il croit que le gouvernement devrait prendre des mesures positives pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour collaborer avec ses partenaires internationaux. Toutefois, le public ne croit pas que le Canada devrait prendre place à la table de négociations en l'absence des principaux émetteurs, c'est-à-dire des États-Unis, de l'Inde et de la Chine. C'est le gros bon sens.
Par conséquent, le ministre Kent, qui vient juste de rentrer de Durban, a participé pleinement à toutes les réunions et en est sorti avec la conviction qu'il y a maintenant un plan qui permettra d'avancer et de s'attaquer aux questions touchant les changements climatiques en sachant au moins que les principaux émetteurs seront tous présents et reconnaîtront tous qu'il est nécessaire d'agir.
L'honorable Gerry St. Germain : Honorables sénateurs, ma question s'adresse aussi au leader du gouvernement au Sénat.
Je ne prétends pas être un spécialiste des changements climatiques, mais comment l'autre côté peut-il ne pas prendre au sérieux le fait que les grands émetteurs sont maintenant présents à la table de négociations? Ils ne l'étaient pas auparavant. J'essaie de comprendre.
Pourquoi signerions-nous une entente si les grands émetteurs n'y adhèrent pas aussi? Ils sont maintenant à la table, mais il semble y avoir encore du mécontentement. Si les grands émetteurs ne sont pas parties prenantes, quelle différence cela ferait-il de continuer avec le Protocole de Kyoto, qui a peut-être été signé uniquement pour pouvoir dire qu'on a apposé notre signature sur une entente?
Madame le leader pourrait-elle m'expliquer à quoi rime tout cela? Je suis sincère. Je ne sais pas ce qui se passe. Je suis plus confus que jamais.
Le sénateur LeBreton : Le sénateur a parfaitement raison. Ceux qui ont signé l'accord de Kyoto en 1997 ont reconnu que, d'abord, ils ne savaient pas vraiment à quoi ils s'engageaient et, deuxièmement, qu'ils n'avaient pas l'intention de respecter les engagements pris, surtout du fait que les grands émetteurs n'étaient pas parties à l'entente.
Honorables sénateurs, regardons un peu ce qui se produirait en vertu du Protocole de Kyoto. Le Canada aurait à faire des choix radicaux et irresponsables pour éviter les pénalités très lourdes, qui se chiffreraient à plusieurs milliards de dollars. Pour atteindre les cibles fixées pour 2012 en vertu du Protocole de Kyoto, il faudrait retirer de la circulation tous les véhicules — y compris les autos, les camions, les VTT, les tracteurs, les ambulances, les voitures de police —, ou interrompre toute l'activité du secteur agricole et fermer le chauffage dans tous les bureaux, hôpitaux, maisons, usines et édifices au pays. C'est ce qu'il faudrait faire pour respecter les engagements pris par le gouvernement précédent.
Quel serait le coût de ces mesures? Ces mesures entraîneraient la perte de milliers d'emplois et le transfert à d'autres pays de 14 milliards de dollars payés par les contribuables canadiens. Ce montant correspond à 1 600 $ par famille canadienne. Vous savez quoi? Toutes ces mesures n'auraient aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
La justice
L'aide juridique en matière civile
L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat.
Le Conseil consultatif de la situation de la femme de l'Île-du- Prince-Édouard a récemment lancé une campagne pour sensibiliser les gens à la nécessité d'améliorer l'accessibilité du système de justice pour les questions liées au droit de la famille.
La présidente, Diane Kays, a beaucoup parlé du fait que plusieurs femmes ont du mal à payer les frais juridiques liés aux procédures du droit de la famille.
Voici ce qu'elle a dit :
L'accès au système de justice coûte très cher lorsqu'il s'agit d'entamer des procédures liées au droit de la famille, notamment la séparation, le divorce, la garde de l'enfant, le droit de visite de l'enfant ou la pension alimentaire pour l'enfant ou la conjointe. Cette situation affecte beaucoup de citoyens de l'Île-du-Prince-Édouard à revenu faible ou moyen, mais les femmes et les enfants qui doivent faire face à la violence sont particulièrement vulnérables.
(1540)
Je suis certaine que cette situation affecte non seulement ma province, mais aussi tout le Canada.
Depuis 2007, le ministre fédéral de la Justice refuse de rencontrer ses homologues provinciaux pour discuter de l'aide juridique en matière civile.
Pourquoi le ministre fédéral de la Justice ne veut-il pas rencontrer les ministres provinciaux pour discuter de ce dossier important?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, rien ne me démontre que le ministre fédéral de la Justice a refusé de rencontrer ses homologues des provinces et des territoires; je ne suis donc pas prête à accepter cette affirmation.
Cependant, j'indique au sénateur que la ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux et ministre de la Condition féminine, Rona Ambrose, a augmenté à un niveau sans précédent le financement des programmes destinés aux femmes. Il y a plus de groupes qu'auparavant qui demandent à participer à ces programmes — car ces groupes doivent soumettre une demande — parce que cette approche concrète fonctionne, contrairement aux approches adoptées autrefois.
L'année dernière, Condition féminine Canada a accordé des subventions et des contributions de plus de 19 millions de dollars pour appuyer la réalisation de 300 projets. Ces projets couvrent toute la gamme d'initiatives qu'entreprennent les organisations féminines, notamment dans le but de renforcer l'autonomie des divers groupes de femmes et de leur offrir un soutien, de réduire la violence à l'endroit des femmes et de contribuer à leur sécurité économique, et aussi d'accorder des subventions afin que ces groupes puissent participer à des initiatives démocratiques favorisant la cause des femmes et contribuant à l'élimination du fléau qu'est la violence à l'endroit des femmes.
Le sénateur Callbeck : Je suis certainement reconnaissante au gouvernement d'investir plus d'argent dans les programmes destinés aux femmes, honorables sénateurs. Cependant, si madame le leader donne suite à la question que j'ai posée précédemment, elle constatera qu'en 2005-2006, sous le précédent gouvernement, le ministre de la Justice travaillait fort avec ses homologues provinciaux, mais en 2007, le nouveau ministre a refusé de les rencontrer. Je pense qu'elle constatera que c'est le cas.
Pour reprendre les paroles de la juge Beverley McLachlin :
L'aide juridique aux Canadiens à faible revenu est un service public essentiel. Il faut la voir de la même façon que les soins de santé et l'éducation. Le bien-être de notre système de justice, de même que la confiance de la population à son endroit, en dépendent.
De nombreuses organisations ont proposé que les sommes accordées aux provinces pour l'aide juridique en matière civile constitue une enveloppe séparée , en marge du transfert canadien en matière de programmes sociaux. Le gouvernement a-t-il envisagé la chose?
Le sénateur LeBreton : Il est clair que madame le sénateur me demande de prendre l'engagement de rétablir le Programme de contestation judiciaire, ce que je ne ferai pas. Ce programme a perdu sa raison d'être. Sauf erreur, l'aide juridique est administrée par les provinces.
Les groupes féminins disposent de nombreux mécanismes de soutien, dont la plupart sont offerts par Condition féminine Canada. Je remercie le sénateur d'avoir reconnu que le financement destiné aux programmes pour les femmes a beaucoup augmenté sous la direction de notre gouvernement.
Pour ce qui est de l'affirmation du sénateur selon laquelle le ministre de la Justice refuse de rencontrer ses homologues provinciaux, j'ai beaucoup de mal à le croire. Cependant, je prends note de la question et demanderai au ministre de confirmer si c'est effectivement le cas.
L'environnement
Les engagements pris à la conférence de Durban
L'honorable Nicole Eaton : Honorables sénateurs, j'ai une question complémentaire à celle que le sénateur St. Germain a posée au leader du gouvernement au Sénat.
L'empreinte carbone du Canada est inférieure à 5 p. 100; moins de 2 p.100 des émissions sont attribuables aux sables pétrolifères. Madame le leader du gouvernement au Sénat pense-t-elle que la conférence de Durban donnera l'occasion au ministre Kent de présenter ces faits à un plus grand auditoire?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je l'espère bien, honorables sénateurs.
Le sénateur Mitchell : N'y comptez pas.
Le sénateur Mercer : Bienvenue dans un monde utopique.
Le sénateur LeBreton : J'ai lu plusieurs reportages. La plupart des critiques à l'égard du ministre Kent et de sa prestation n'ont pas été exprimées par des groupes internationaux, mais par des groupes canadiens.
Le sénateur Mitchell : Sa réponse n'est pas meilleure.
Le sénateur Cordy : Sa prestation.
Le sénateur Hervieux-Payette : À l'ordre, à l'ordre.
Le sénateur LeBreton : Ce rappel à l'ordre indique que la période des questions est terminée, mais ne signifie pas que je ne peux pas donner ma réponse.
Je crois, honorables sénateurs, que, maintenant que tout le monde est à la table de négociations, nous aurons l'attention des autres pays. Bien entendu, ils ont déjà reconnu que le Canada contribue peu aux émissions de gaz à effet de serre et les sables pétrolifères en génèrent encore moins. Nous avons cependant toute une industrie au Canada et en Amérique du Nord qui a décidé de s'en prendre aux sables pétrolifères.
La réponse est oui, honorables sénateurs. Cette conférence offrira au ministre Kent une bien meilleure occasion de présenter les faits concernant le Canada.
Le sénateur Mitchell : Vous rêvez en couleur. Ce sont des vœux pieux.
ORDRE DU JOUR
Projet de loi sur le soutien de la croissance de l'économie et de l'emploi au Canada
Troisième lecture
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Gerstein, appuyée par l'honorable sénateur Braley, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-13, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget de 2011 mis à jour le 6 juin 2011 et mettant en ouvre d'autres mesures.
L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, dans le cadre du débat sur le projet de loi C-13, je discuterai essentiellement d'un élément précis du projet de loi, soit la partie 18, intitulée « Loi électorale du Canada ». Elle ne comporte qu'une seule disposition : une modification à l'article 435.01 de la Loi électorale du Canada.
Je soulève ce point, honorables sénateurs, parce que l'une de nos principales responsabilités relativement à l'étude d'un projet de loi venant de l'autre endroit consiste à en analyser les répercussions, que ce soit sur la Constitution du Canada ou sur la Charte des droits et libertés.
À la lecture de cette partie du projet de loi C-13, je me suis interrompu un instant pour me demander si ce point ne remettait pas essentiellement en question le paragraphe 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte sur la protection de la liberté d'expression. L'article 2, « Libertés fondamentales », prévoit que :
Chacun a les libertés fondamentales suivantes : [...]
b) liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication; [...]
Si je porte cet article à votre attention cet après-midi, honorables sénateurs, c'est parce que nous sommes à la période de l'année où de nombreux organismes de bienfaisance et autres s'adressent à chacun d'entre nous pour nous demander une aide financière. Je peux en nommer quelques-uns. Bien sûr, il s'agit entre autre d'organisations caritatives qui améliorent les conditions de vie des personnes démunies. Il y a des initiatives destinées à mettre en valeur nos institutions culturelles. Je vois des sénateurs des deux côtés dont le nom est associé à des initiatives de premier plan. Je ne veux nommer personne, mais certains me sont très bien connus. Certains sénateurs appuient des initiatives en matière d'alphabétisation et d'autres, des sociétés de protection des animaux. Il y en a qui aiment les fusils et qui pourraient s'intéresser aux activités de la National Rifle Association et lui verser beaucoup d'argent.
Comme tout Canadien, chacun de nous est libre de donner tout ce qu'il veut à ces causes. En fait, la force de nos convictions, notre générosité personnelle et la profondeur de notre poche sont les seules limites que nous nous imposons. Nous sommes aussi libres d'appuyer n'importe quelle initiative. Il y a même de nombreuses initiatives gouvernementales qui incitent les Canadiens à faire du bénévolat et à participer à des activités visant à améliorer les conditions sociales, culturelles et économiques de leurs concitoyens. C'est un des principes de notre société.
(1550)
Pourtant, quand il est question de la démocratie au Canada, le contexte change complètement. La démocratie est une question importante pour notre pays. En fait, c'est un des quatre principes fondamentaux de notre Constitution.
Les sénateurs seront nombreux à se rappeler le fameux renvoi à la Cour suprême du Canada à propos de la sécession du Québec, en 1985. En examinant les principes de notre Constitution, la Cour suprême a établi clairement que :
La démocratie est une valeur fondamentale de notre culture juridique et politique. Quoique [le principe démocratique] ait à la fois un aspect institutionnel et un aspect individuel, [...]
Plus loin, la cour affirmait également ce qui suit :
[...] pour bien comprendre le principe de la démocratie, il faut l'envisager comme l'assise que les rédacteurs de notre Constitution et, après eux, nos représentants élus en vertu de celle-ci ont toujours prise comme allant de soi.
La cour conclut finalement ceci :
La démocratie, dans la jurisprudence de notre Cour, signifie le mode de fonctionnement d'un gouvernement représentatif et responsable et le droit des citoyens de participer au processus politique en tant qu'électeurs ...
La démocratie est un principe fondamental. Parmi les projets de loi présentés au Parlement du Canada au cours des huit dernières années, plusieurs, dont celui-ci, avaient une incidence sur l'application du principe de démocratie. Certains de ces projets de loi concernaient le plafonnement des contributions versées aux partis politiques.
En 2004, la Cour suprême a examiné ces plafonds dans une affaire bien connue, dont les sénateurs des deux côtés se souviennent sûrement, Procureur général du Canada c. Stephen Joseph Harper. Dans cette décision importante et marquante, la Cour suprême se prononce sur les principes qui régissent le plafonnement des contributions versées à des partis ou à des groupes tiers.
La Cour suprême a déclaré ce qui suit au sujet du plafonnement des contributions :
Les plafonds prescrits [..] violent le droit à la liberté d'expression politique garanti par l'al. 2b) de la Charte [...]
Toutefois, le plafonnement des dépenses doit être soigneusement adapté, de façon que les candidats, les partis politiques et les tiers puissent communiquer leur message à l'électorat [...]
Autrement dit, la cour a déclaré à plusieurs reprises que :
[...] la démocratie libérale exige la libre expression des opinions politiques et que le discours politique représente un aspect fondamental de la liberté d'expression garantie par la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a jugé que la liberté d'expression emporte le droit de tenter de convaincre par la discussion pacifique. Elle a en outre fait remarquer que le processus électoral est le principal moyen permettant au citoyen ordinaire de participer au débat public qui façonne notre société. La Cour doit maintenant décider si ces objectifs légitimes sont réalisés par des dispositions législatives qui, dans les faits, privent le citoyen ordinaire de son droit d'exprimer utilement et efficacement ses opinions politiques pendant la campagne qui précède une élection fédérale.
Autrement dit, imposer des limites aux contributions est une violation de la liberté d'expression garantie par la Charte des droits et libertés.
La question qui se pose alors est celle-ci : ces limites respectent- elles l'article 1 de la Charte? Ou encore, peut-on prouver que ces limites sont justifiées dans une société libre et démocratique?
Comme la cour a déjà reconnu que l'imposition de limites est une violation de la liberté d'expression, on doit se demander, essentiellement, si l'on peut démontrer que ces limites sont justifiées dans une société libre et démocratique.
Pour vérifier la jurisprudence et la façon dont le Parlement du Canada a traité cette question, je me suis reporté de nouveau à la décision de la Cour suprême dans l'affaire Harper. La cour a été claire quant au principe qui doit être respecté quand une personne se bute à une nouvelle limite à la liberté d'expression garantie par la Charte des droits et libertés. Il ne fait aucun doute pour moi que la partie 18 du projet de loi C-13 impose une nouvelle limite à la liberté d'expression garantie par la Charte.
En fait, les sénateurs se rappelleront certainement que la cour, quand elle est aux prises avec une limite à l'application de la Charte ou une violation d'une de ses dispositions, applique le critère de l'arrêt Oakes. Voici les trois questions auxquelles les tribunaux doivent répondre pour vérifier si le critère est respecté, soit si l'on peut démontrer que la restriction est justifiée dans une société libre et démocratique.
La cour établit que la première question à poser est s'il est souhaitable d'énoncer de façon aussi précise et spécifique que possible, d'une part, l'objectif de la disposition attentatoire afin d'établir un cadre clair pour évaluer son importance, et, d'autre part, la précision avec laquelle les moyens choisis ont été conçus pour réaliser cet objectif.
La question a été établie dans le contexte d'une affaire célèbre dont certains sénateurs se souviendront, l'affaire Thompson Newspapers, une des premières causes pour lesquelles la Cour suprême du Canada a dû interpréter la Charte des droits et libertés après son adoption en 1982. En termes simples, la première question est celle-ci : quel est l'objectif de la loi? Comment circonscrire cet objectif?
Pour répondre à cette première question, j'ai relu les déclarations des représentants du gouvernement qui ont présenté la loi à la Chambre des communes — car une mesure législative de cet ordre est toujours présentée d'abord à la Chambre des communes, par le premier ministre du Canada — le 11 février 2003. C'est à cette époque qu'ont été présentés les premiers projets de loi interdisant le financement par les entreprises et les grands syndicats et visant à établir le financement public. Cela s'est fait en 2003.
Quel était l'objectif du gouvernement ou des principes sous- jacents à ces projets de loi quand ils ont été présentés pour la première fois en 2003? Le premier ministre à l'époque a décrit le projet de loi de la manière suivante :
Un projet de loi qui changera la façon de faire de la politique dans ce pays. Un projet de loi qui remédiera à la perception que l'argent est roi, que les grandes sociétés et les gros syndicats ont trop d'influence sur le gouvernement. Un projet de loi qui réduira le cynisme à l'égard de la politique et des politiciens. Un projet de loi qui est dur, mais juste.
Quand on examine l'application du projet de loi à cette époque, on constate que c'était un projet de loi équilibré. Le projet de loi avait limité à 1 000 $ les contributions des sociétés et des syndicats, ce qui était une somme minime; et à 10 000 $, celles des particuliers. En revanche, il avait augmenté le financement public. Autrement dit, les restrictions imposées et la violation de la liberté d'expression étaient compensées par le financement public afin d'atteindre l'objectif du projet de loi, qui consistait à remédier à la perception que l'argent est roi et que les grandes sociétés et les gros syndicats ont trop d'influence sur le gouvernement.
Examinons ensuite l'objectif de l'ancien président du Conseil du Trésor quand il a présenté le projet de loi C-2 Tous les sénateurs se rappelleront de la Loi fédérale sur la responsabilité. Le sénateur Oliver était le parrain de ce projet de loi au Sénat. Je suis allé voir ce que l'ancien président du Conseil du Trésor, John Baird, a dit à la Chambre des communes le 25 avril 2006 pour décrire l'objectif du projet de loi C-2. Il a affirmé ce qui suit :
Il existe plusieurs types de financement électoral. Nous croyons que l'argent ne devrait pas influencer le gouvernement, et la Loi fédérale sur [la responsabilité] aidera à retirer le gouvernement de l'emprise des grandes entreprises et des gros syndicats pour le redonner aux Canadiens ordinaires. Aux termes de notre loi, les contributions ne pourront plus dépasser 1 000 $ par année. Les sociétés, les syndicats et les organisations ne pourront plus verser de contributions.
Dans notre débat sur cette question, il faut surtout nous concentrer sur les mesures que nous pouvons prendre pour accroître la transparence du processus politique de manière à ce que les Canadiens aient davantage confiance dans l'intégrité de notre système démocratique.
(1600)
En d'autres termes, c'était essentiellement mutatis mutandis, le même genre de principe qui visait à éviter de donner l'impression que les grandes sociétés et les syndicats ont leur mot à dire dans les affaires publiques du Parlement et des partis politiques. Ce projet de loi, à mon avis, n'a pas soulevé la question fondamentale.
Le problème, avec le projet de loi C-13, est qu'il retire de la compensation un élément essentiel : la contribution de la population aux partis politiques. Je retourne au débat de la Chambre des communes, lorsque Ted Menzies, le 5 octobre 2011, il y a deux mois, a présenté le projet de loi pour tenter de contourner l'objectif de la loi. Il a dit :
Enfin, [la loi] respecterait les contribuables en éliminant progressivement les subventions directes accordées aux partis politiques [...]
C'était dit succinctement, mais bien peu a été dit à la Chambre des communes au sujet des objectifs du projet de loi. En fait, c'est au Sénat que l'objectif de la loi semble avoir été énoncé plus clairement, lorsque notre collègue, le sénateur Gerstein, a pris la parole le 24 novembre 2011. Le sénateur Gerstein me permettra certainement de citer son allocution, que j'ai écoutée attentivement — je crois qu'il a lu un discours écrit. Il a dit ceci :
C'est une question de principe, celui selon lequel aucun Canadien ne devrait être forcé de faire un don à un parti dont les politiques ne sont pas conformes à ses intérêts ou dont il ne partage pas la philosophie.
Honorables sénateurs, m'accordez-vous encore cinq minutes?
Des voix : Oui.
Le sénateur Joyal : Merci. Je vais essayer de conclure rapidement.
En d'autres termes, honorables sénateurs, le raisonnement qui sous-tend le projet de loi C-13 n'est pas lié directement aux objectifs initiaux, soit d'interdire les dons de sociétés et de syndicats, pas plus qu'il n'est lié à la compensation de ces interdictions par une subvention publique. Il n'y a pas de lien direct entre les deux.
Le principe ou l'objectif de transparence à l'origine de toutes ces initiatives, prises il y a huit ans, est difficile à déceler, car, à la lumière du principe selon lequel les Canadiens doivent avoir confiance en leur système politique, force est de constater que les systèmes d'interdictions des provinces fonctionnent bien différemment du système fédéral quant aux limites imposées.
En Colombie-Britannique, en Saskatchewan, à Terre-Neuve-et- Labrador et à l'Île-du-Prince-Édouard, aucune limite n'a été fixée, et les entreprises et les syndicats peuvent faire des dons. En d'autres mots, dans quatre provinces, il n'y a aucune interdiction comme celle que nous avons à l'échelle fédérale.
Par exemple, l'Alberta autorise les dons des sociétés et des syndicats, et chaque citoyen peut verser jusqu'à 20 000 $ par année à un parti politique. Cette limite est fixée à 30 000 $ s'il s'agit d'une année électorale. On est bien loin des 1 000 $ par citoyen.
Au Nouveau-Brunswick, c'est 6 000 $ pour chacun des partis politiques. Comme trois partis sont représentés à l'Assemblée législative du Nouveau-Brunswick, chacun des citoyens, des entreprises et des syndicats du pays peut faire un don de 18 000 $ au processus politique de cette province.
En Ontario, le montant maximal est fixé à 15 500 $, et les dons des entreprises et des syndicats sont autorisés.
En Nouvelle-Écosse, c'est 5 000 $ pour chacun des partis, mais les sociétés et les syndicats ne peuvent pas faire de dons.
Au Québec, il n'y a aucun don des entreprises et des syndicats. Le montant a été ramené à 1 000 $, mais pour chaque parti. Selon le bureau du directeur général des élections du Québec, 14 partis politiques sont enregistrés dans cette province. Par conséquent, un citoyen qui souhaite faire des dons à tous les partis débourserait au total 14 000 $. On est très loin des 1 000 $ par citoyen.
Au Manitoba, les dons d'entreprises et de syndicats sont interdits, et la limite est fixée à 3 000 $ par citoyen, par année.
En d'autres termes, si on compare à l'ensemble de la situation au pays, le milieu fédéral se trouve dans un monde à part.
La situation canadienne n'a rien de comparable au modèle démocratique de Westminster. Par exemple, au Royaume-Uni, il n'y a pas de montant maximal pour les dons aux partis politiques, et les sociétés sont autorisées à contribuer à ceux-ci. En Australie, tous les dons versés aux partis politiques proviennent de grandes entreprises. En Nouvelle-Zélande, tout le monde peut faire des dons aux partis politiques.
En Allemagne, aucune limite n'a été fixée quant aux dons versés par des particuliers et des sociétés. Au Danemark, en Norvège et en Suède — nous croyons toujours que la Scandinavie est le modèle à suivre —, il n'y a aucune limite.
En Suisse, un modèle en matière de démocratie, il n'y a pas de limite non plus.
Des limites ont toutefois été fixées en France. Ainsi, un particulier peut verser jusqu'à 4 600 euros et, comme les entreprises et les syndicats ne sont pas autorisés à faire des dons, on offre aux partis politiques une compensation sous forme de deniers publics; c'est le même principe que nous avions à l'origine au Canada.
Je ne parle pas des États-Unis, bien entendu, car nous savons tous qu'il y a eu une cause célèbre qui a été portée devant la Cour suprême des États-Unis, l'année dernière, en 2010. Il s'agit de l'affaire Citizens United v. Federal Election Commission, dans laquelle la majorité des juges de la Cour suprême des États-Unis avait tranché que le financement par les entreprises était permis. Honorables sénateurs, nous nous souvenons tous des conséquences que cet arrêt a eues.
Je ne suis pas en train de dire que le fait d'interdire les dons par des entreprises et des syndicats est inconstitutionnel. Ce n'est pas du tout ce que je dis. Dans l'affaire Harper, le tribunal a reconnu que de telles limites pourraient être permises et qu'elles sont constitutionnelles.
Je pars du principe que la limite qui a été établie à 1 000 $ par citoyen au niveau fédéral, sans exonération d'impôt pour les syndicats ou les sociétés ou autre dédommagement de la part du gouvernement, est, selon moi, exagérée et pourrait être contestée devant les tribunaux. Je crois que le contexte politique de notre pays ne justifie pas un principe à ce point strict que les limites imposées bafoueraient l'article 2 de la Charte sur la liberté d'expression et ne peuvent être justifiées en vertu de l'article 1 de la Charte. On ne peut démontrer que, dans une société libre et démocratique d'un pays membre de l'OCDE ou dans toute autre province, ces limites sont essentielles pour maintenir un régime de partis politiques qui soit crédible.
Honorables sénateurs, à mon avis, nous avons le devoir de réfléchir à cela au moment de voter sur cette mesure législative, dont l'intention est néanmoins louable. Je ne doute pas que c'est là l'objectif qu'a exprimé le sénateur Gerstein au nom du gouvernement, mais cette mesure pourrait être contestée devant les tribunaux. Je crois que nous devrions envisager cet aspect avant de voter sur le projet de loi, qui aurait pour effet d'annuler l'équilibre que parvenait à atteindre le projet de loi initial, qui pouvait résister à une contestation du fait qu'il était justifié aux termes de l'article 1 de la Charte.
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : L'honorable sénateur Joyal serait-il disposé à répondre à une question?
Son Honneur le Président : Je regrette, mais les cinq minutes supplémentaires du sénateur Joyal sont écoulées.
Le sénateur Carignan : Dans ce cas, j'aimerais utiliser mon temps de parole.
Son Honneur le Président : Oui, d'accord.
Le sénateur Carignan : J'ai écouté attentivement le sénateur Joyal, qui affirmait que l'imposition de limites dans le financement électoral pouvait constituer une atteinte à la liberté d'expression.
L'article du projet de loi C-13 dont il est question, c'est l'article 181, qui traite spécifiquement du financement public des partis politiques et qui, à mon avis, fait l'objet d'un tout autre débat. Laissez-moi vous expliquer pourquoi.
(1610)
Le financement des partis politiques, tel qu'il existe actuellement, s'effectue sur la base du résultat obtenu par le passé, ce qui apporte un avantage considérable à un parti existant, alors qu'un nouveau parti, qui n'a pas encore participé à une élection, même s'il a d'excellentes idées ne bénéficiera pas d'un financement public.
En 1993, j'ai participé à la création d'un parti politique au Québec qui, aujourd'hui, fusionne avec un nouveau parti, soit l'Action démocratique du Québec. La première chose que j'ai constatée comme conseiller juridique de ce nouveau parti, c'est que les deux partis existants profitaient d'énormes avantages institutionnels alors que le nouveau parti partait loin derrière.
Avec mon adjoint — M. Hébert, qui est ici à la tribune —, nous avons décidé de contester la constitutionnalité de la Loi électorale du Québec. Il s'agit de la cause Hébert c. Procureur général du Québec par laquelle nous avons fait déclarer inconstitutionnelles, les dispositions de la Loi électorale qui donnaient des avantages aux deux partis en présence, autrement dit, qui étaient arrivés premier et deuxième aux dernières élections.
Nous avons aussi traité une partie importante, soit le financement public accordé aux partis, sauf que le tribunal n’a pas jugé nécessaire de traiter ces questions parce que c’était suffisant pour annuler les dispositions de la Loi électorale, en fondant ses arguments sur l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui porte sur l’égalité du droit de vote et sur l’égalité des chances.
Tout cela pour dire que, lorsque nous prenons l'argent du public pour financer des partis politiques en se basant sur le résultat antérieur, nous violons le droit des nouveaux partis de se former et de promouvoir leurs idées. Leurs idées se font attaquer par d'autres partis qui bénéficient d'avantages de l'État. Cela enfreint la liberté d'expression, non pas du parti existant, mais du nouveau parti. Le nouveau parti peut ne pas avoir d'argent, mais il peut avoir d'excellentes idées qui ont tout avantage et intérêt à être connues et exprimées à la population.
Honorables sénateurs, le danger, c'est que le financement des partis politiques par l'État crée une distorsion, un financement artificiel pour des idées qui sont parfois dépassées et qui vont noyer le message existant d'un nouveau parti qui ne bénéficie pas d'avantages de l'État.
Je vois donc cela d'un tout autre œil et, selon moi, c'est plutôt l'inverse. Cela peut violer la liberté d'expression, mais celle du parti nouvellement formé qui ne bénéficie pas des avantages de l'État.
Voilà pourquoi le nouveau système sera basé sur l'adhésion des membres, des gens qui veulent contribuer avec leur propre argent, qui veulent soutenir les idées ou le programme d'un parti, selon les limites permises, mais à leur choix, au parti de leur choix, avec la somme de leur choix à l'intérieur des limites. De son côté, l'État va contribuer de toute façon par le biais des avantages fiscaux.
Les avantages fiscaux sont également importants. C'est une contribution importante de l'État, sauf qu'elle ne se fait pas en fonction de résultats antérieurs du parti politique, mais de l'adhésion et du choix de l'électeur au moment où il fait sa contribution. Je crois que c'est beaucoup plus respectueux de la liberté d'expression et que cela permet et permettra, je l'espère, à de nombreux nouveaux courants d'idées d'entrer au Parlement.
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
Des voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)
[Traduction]
Projet de loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation
Troisième lecture—Ajournement du débat
L'honorable Donald Neil Plett propose que le projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois, soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, je cite un grand homme qui a dit ceci :
Le moment est venu pour la Commission canadienne du blé et tous ceux qui s'opposent à notre plan de se rendre compte que le train a quitté la gare et qu'il file à vive allure à travers les Prairies. Mieux vaut monter à bord que de se coucher sur la voie ferrée, car il est bel et bien sur son erre d'aller. Il est temps que la Commission du blé évolue dans un contexte de commercialisation mixte, qu'elle cultive ses rapports avec ses clients et qu'elle offre un service concurrentiel parce que dorénavant ils auront le choix.
Aujourd'hui est vraiment un grand jour pour le Canada, notamment pour les agriculteurs de l'Ouest. Je suis ravi d'intervenir au sujet du projet de loi C-18, la Loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation. Il va sans dire que je suis enchanté que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts ait renvoyé cette mesure législative au Sénat sans propositions d'amendement.
Le comité a entendu des témoins de partout au Canada qui représentent tous les segments de l'industrie céréalière, notamment les chemins de fer, les administrations portuaires, les commissions du grain, la Commission canadienne du blé et, plus important encore, les agriculteurs et les producteurs de l'Ouest du Canada.
C'est également un grand jour pour Kenton Possberg, d'Humboldt, en Saskatchewan, et pour ses deux fils, Spencer et Taylor. Ces jeunes savent maintenant que leur père pourra commercialiser son grain comme il le souhaite, sans crainte de représailles, d'accusations criminelles ou d'être envoyé en prison. Ils grandiront en sachant qu'ils ont le droit de faire la mise en marché de leurs récoltes comme bon leur semble, après avoir pris le risque d'acheter les semences et les engrais et après avoir semé et récolté.
Jim Chatenay, un agriculteur de l'Ouest et un ancien administrateur de la Commission du blé qui a été incarcéré pour avoir vendu lui-même son blé, a déclaré ceci au comité :
Lors de mon second mandat, en 2002, je suis allé en prison parce que j'avais une dette. En 1996, j'ai traversé la frontière sans l'autorisation de la Commission du blé. J'étais administrateur à l'époque. Ce n'était pas en 1996, mais en 2002. Je suis allé aux États-Unis et vous savez ce qui m'est arrivé? J'ai été condamné à une amende de 4 000 $ ou à une peine d'emprisonnement de 64 jours pour avoir donné un boisseau de blé à un club 4-H. Je voulais tout simplement protester pour faire changer les choses.
Il a ajouté ce qui suit :
Le mythe le plus répandu, c'est celui de la prime. S'il y en a une, elle est si infime que les frais d'administration l'engloutissent au complet. Par exemple, à mon arrivée, en 1998, les frais d'administration pour vendre quelque 30 millions de tonnes de blé s'élevaient à près de 25 millions de dollars par année. À mon départ, en 2008, au bout de mes trois mandats — c'est le nombre maximal permis —, les frais d'administration s'élevaient à 84 millions de dollars, alors que nous ne vendions que 12 millions de tonnes de blé. Il y a un problème quelque part.
(1620)
En effet, honorables sénateurs, il y a effectivement un problème lorsque vos ventes ont chuté de 60 p. 100, alors que vos frais d'administration ont plus que triplé.
Contrairement au Parti libéral, le gouvernement conservateur respecte le droit des agriculteurs de prendre leurs propres décisions. Les agriculteurs devraient décider eux-mêmes s'ils veulent commercialiser leurs produits par l'entremise d'un système de mise en commun ou sur le marché libre. Nous défendons les intérêts des agriculteurs des quatre coins des Prairies. Nous appuyons les Canadiens qui ont écrit à leur député ou à leur sénateur, afin qu'ils adoptent cette mesure législative. Nous sommes ici pour défendre le droit des agriculteurs de décider de leur avenir.
Honorables sénateurs, j'aimerais parler des répercussions positives sur l'agriculture. Pour les agriculteurs, chaque jour est propice au changement. Nos clients, partout dans le monde, reconnaissent l'homogénéité et la qualité incomparables du blé, du canola, des légumineuses, de l'orge et du blé canadiens. Honorables sénateurs, nous avons des produits homogènes et de qualité, parce que nos agriculteurs qui travaillent dur savent s'y prendre pour cultiver les meilleurs produits au monde, qu'il s'agisse de l'irrigation, de l'ensemencement, de la fertilisation ou de la rotation des cultures. Ce sont les agriculteurs qui cultivent ces produits de qualité supérieure, pas la Commission canadienne du blé.
Beaucoup de renseignements erronés ont circulé sur l'autorité qui évalue la qualité du blé et de l'orge au Canada. Plusieurs ont mentionné à tort que c'est la Commission canadienne du blé qui est responsable de cette évaluation. Ce n'est tout simplement pas le cas. C'est la Commission canadienne des grains qui fixe les normes concernant les grains et qui réglemente leur manutention afin de faire en sorte d'avoir un produit sûr et fiable pour les marchés intérieurs et internationaux. Le projet de loi C-18 ne change rien à cela.
Depuis 2006, lorsque le gouvernement a reçu son premier mandat, nous avons donné la priorité aux agriculteurs dans toutes nos décisions liées à la politique agricole. Nous savons que lorsque les exploitations agricoles sont solides, toute la chaîne de valeur peut en bénéficier. Cinq ans plus tard, après s'être vu confier un mandat stable et majoritaire de la part des Canadiens, le gouvernement continue de collaborer avec les producteurs, afin qu'ils puissent gagner de l'argent en se taillant une place dans le marché, plutôt qu'en comptant sur un chèque qui arrive par la poste.
C'est ce qui se produit. Au cours des neuf premiers mois de l'année, les producteurs canadiens ont gagné presque 11 p. 100 de plus sur le marché qu'au cours de la même période l'année dernière. Nous continuons de créer un environnement commercial qui permet aux producteurs de prendre de l'expansion et de prospérer. Le secteur agricole devient ainsi un moteur de notre économie et il aide incontestablement le Canada à s'extirper d'une récession économique difficile. Ce qui est sûr c'est que nous n'en sommes pas arrivés là en faisant preuve de laxisme et en s'en remettant aux solutions traditionnelles. D'ailleurs les Canadiens n'ont pas élu le gouvernement conservateur pour qu'il s'en tienne au statu quo.
Si l'on s'attend à ce que les producteurs nourrissent sept milliards de personnes sur la planète, nous savons qu'ils auront de plus en plus besoin de règles commerciales qui se fondent sur la science, qui sont transparentes et qui sont prévisibles. Nous avons besoin de règles commerciales qui favorisent l'innovation au lieu de la gêner, parce que c'est vraiment important pour améliorer la productivité. C'est pour cette raison que le Canada assume un rôle de leader dans le dossier de la faible présence d'éléments génétiquement modifiés dans les grains. Nous consultons l'industrie et les gouvernements afin d'adopter une politique réaliste et pragmatique qui va faciliter le commerce. Nous avons suscité beaucoup d'intérêt et le ministre de l'Agriculture est impatient d'accueillir des représentants de la communauté internationale au début de l'année prochaine, afin de définir la voie technique à suivre.
Nous savons que la science est essentielle afin d'assurer un bel avenir aux producteurs de grains, et nous collaborons avec ces gens, parce que ce sont eux qui savent vraiment ce qu'il leur faut pour prendre de l'expansion et prospérer. N'oublions pas qu'un grand nombre d'innovations dans le secteur agricole prennent naissance dans l'atelier d'une ferme ou d'un petit fabricant. Malheureusement, plusieurs d'entre elles ne font pas leur chemin jusqu'aux marchés. C'est pour cette raison que, dans le budget de cette année, le gouvernement a doté l'Initiative d'innovation agricole d'un budget de 50 millions de dollars. Ce programme vise à favoriser l'innovation, qu'il s'agisse de nouvelles technologies, de nouveaux processus ou de nouveaux services.
Un marché ouvert et compétitif permet d'attirer les investissements, d'encourager l'innovation et de créer des emplois à valeur ajoutée. En fait, les entrepreneurs du secteur agricole prouvent constamment qu'ils peuvent aider notre économie et qu'ils vont le faire s'ils ont le contrôle de leur exploitation agricole et de leurs résultats.
Beaucoup de choses ont été dites au sujet de la commission du blé de l'Australie. Bien des opposants ont affirmé que les mesures de déréglementation ont eu des répercussions négatives sur les agriculteurs australiens. Honorables sénateurs, c'est loin d'être vrai. On a démontré que la situation des producteurs de blé de l'Australie n'a jamais été meilleure. Leurs exportations ont doublé. La production de blé a atteint le niveau record de 26 millions de tonnes en 2010-2011, alors que la moyenne des 10 dernières années était de 20 millions de tonnes. La productivité s'est améliorée. Il y a actuellement 26 organismes exportateurs et plus de 60 organismes de mise en commun. Il y a eu création d'emplois, augmentation des investissements et des rendements.
Je reprends les propos du ministre du Commerce de l'Australie, M. Craig Emerson :
Il est indéniable que l'expérience australienne a été bonne. Elle a été très bonne pour les producteurs de blé de l'Australie.
Selon lui, la transition a été « remarquablement douce ». Je dirais qu'elle a reçu l'« appui généralisé » des agriculteurs.
Les droits individuels des agriculteurs ne devraient plus jamais être bafoués par un monopole inefficace. Les agriculteurs sont des entrepreneurs. Ils ont risqué leur propre argent pour bâtir leur entreprise et la rendre plus rentable. Ils ont toujours choisi ce qu'ils allaient cultiver et le moment des récoltes. Ils ont choisi la façon de commercialiser leur canola, leurs cultures spéciales, comme les pois, les lentilles, les haricots et l'avoine, ainsi que leur bétail.
Or, jusqu'à présent, on a refusé aux agriculteurs de l'Ouest le droit de gérer leurs affaires en ce qui concerne l'aspect le plus important, à savoir la vente de leurs produits. La mesure législative que le gouvernement a présentée donnera aux agriculteurs de l'Ouest le libre choix en matière de commercialisation du blé, du blé dur et de l'orge. Grâce à elle, les agriculteurs de l'Ouest pourront profiter des mêmes débouchés commerciaux que ceux auxquels ont accès depuis longtemps les agriculteurs de l'Ontario.
Contrairement à ceux qui ne veulent donner le libre choix qu'à une partie des agriculteurs, le gouvernement ne laissera pas un sondage coûteux bafouer les droits individuels des agriculteurs. La mesure législative des conservateurs donne plutôt à tous les agriculteurs de l'Ouest le libre choix en matière de commercialisation. Ils auront donc le choix de vendre librement leurs produits sur le marché ou de les vendre par le truchement de la Commission canadienne du blé à participation facultative.
Le projet de loi sur le libre choix des producteurs de grains en matière de commercialisation donnera à tous les agriculteurs de l'Ouest la liberté de commercialiser leur grain comme bon leur semble, que ce soit en vendant leurs produits à un acheteur qui paie la totalité du montant à la livraison ou par voie de mise en commun par l'entremise de la Commission canadienne du blé. Ce projet de loi permettra aux producteurs et aux sociétés céréalières de conclure des contrats à terme visant l'achat ou la vente de blé, d'orge et de blé dur pour exécution après le 1er août 2012. Notre plan global apporte certitude et clarté aux agriculteurs, à l'industrie et à l'ensemble du marché.
Le gouvernement a toujours soutenu que les agriculteurs devaient avoir le choix des modalités de mise en marché de leur grain, qu'ils le vendent eux-mêmes sur un marché libre ou par l'intermédiaire d'une Commission canadienne du blé à participation facultative. Le projet de loi permet au gouvernement d'assurer à la Commission canadienne du blé le soutien nécessaire pour fonctionner comme organisme de commercialisation à participation facultative, en lui donnant le temps de faire la transition vers un régime de propriété entièrement privé. Nous collaborerons avec la commission afin que la transition se fasse le plus tôt possible. Ainsi, les agriculteurs et tous les éléments de la chaîne de valeur pourront faire leurs préparatifs en conséquence et assurer une transition ordonnée.
Comme c'est le cas chaque fois qu'il y a des changements, certains ont de la difficulté à comprendre comment les changements amélioreront les choses. Non seulement le Parlement a-t-il le droit de changer la loi, mais le gouvernement se doit de tenir les promesses qu'il a faites aux Canadiens de l'Ouest.
À l'autre endroit, il a beaucoup été question de députés conservateurs qui seraient en conflit d'intérêts parce qu'ils sont agriculteurs et députés. Honorables sénateurs, il s'agit simplement d'intervenants préoccupés par la question.
Comme l'indiquait Todd Korol, de Reuters, dans le Globe and Mail la semaine dernière :
[...] les conservateurs, les alliancistes, les réformistes et les progressistes-conservateurs ont toujours dominé les rangs de la communauté parlementaire agricole. Près des trois quarts des agriculteurs qui ont fait de la politique se sont présentés sous la bannière des conservateurs au cours des quarante dernières années et chaque fois qu'il y a eu des élections depuis 1957, les conservateurs ont envoyé plus d'agriculteurs à la Chambre des communes que tout autre parti.
(1630)
Le gouvernement collaborera avec le personnel de la Commission canadienne du blé et les agriculteurs qui veulent continuer d'avoir recours à ses services afin de lui donner toutes les possibilités de réussir dans un contexte de participation facultative.
Quelle que soit notre opinion sur le sujet, on peut difficilement remettre en question la valeur des investissements qui ont déjà été effectués en prévision du fait que le libre choix en matière de commercialisation allait être accordé aux producteurs de blé et d'orge. Au lieu de se replier sur eux-mêmes, les principaux intervenants présentent de nouvelles idées afin de mettre à profit les avantages du marché libre pour les agriculteurs.
En Alberta, Rahr Malting augmente sa capacité d'entreposage en investissant 6 millions de dollars, ce qui aidera les agriculteurs à mieux gérer les risques associés à l'entreposage et permettra d'offrir toute l'année de l'orge brassicole de qualité supérieure. Cet investissement a permis de créer 20 emplois dans le secteur de la construction dans cette collectivité rurale. En outre, l'entreprise Alliance Grain Traders a annoncé qu'elle investira 50 millions de dollars dans la construction d'une usine de pâtes à Regina. Au total, 150 personnes travailleront à sa construction, et lorsque le projet sera terminé, 60 personnes travailleront à l'usine.
Des deux côtés de la frontière, on constate un regain d'intérêt pour le blé, les bourses de Minneapolis et de Winnipeg ayant annoncé toutes deux des contrats à terme pour le blé canadien. Honorables sénateurs, il s'agit d'excellentes nouvelles pour ma province. Voilà un autre outil de gestion des risques qui s'ajoute à ceux dont disposent déjà les producteurs.
Le président de la Western Canadian Wheat Growers Association, Kevin Bender, a déclaré ceci au comité :
Nous sommes aussi d'avis que le libre marché fera en sorte que le secteur privé investira beaucoup plus dans la recherche sur le blé. Les agriculteurs des Prairies pourront ainsi avoir accès à du meilleur matériel génétique et disposer d'un plus grand choix, ce qui leur permettra de cultiver les variétés qui leur conviennent le mieux.
Bref, nous croyons que la création d'un libre marché se traduira par une augmentation notable du revenu des agriculteurs et permettra d'assurer une plus grande prospérité dans les Prairies. Encore une fois, nous exhortons tous les sénateurs à adopter rapidement ce projet de loi.
Le président de la Western Canadian Barley Growers Association, Brian Otto, a déclaré ceci au comité :
Pour la campagne agricole de 2007-2008, les prix du blé dur ont atteint des sommets historiques. De toute leur carrière, jamais les agriculteurs n'avaient vu des prix aussi élevés. Cette année-là, le système de commercialisation de la Commission canadienne du blé ne nous a permis de livrer que 73 p. 100 de notre production. La Commission canadienne du blé nous a demandé de conserver 27 p. 100 du blé dur pour le vendre l'année suivante.
L'année suivante, le prix du blé dur a baissé de 136 dollars la tonne, et nous n'avons pas pu vendre notre production. L'année suivante, le système de commercialisation de la Commission canadienne du blé ne nous a permis de vendre que 52 p. 100 de notre blé dur. Cette année-là, le prix du blé dur a baissé encore de 170 dollars la tonne. Notre exploitation agricole a subi une perte de 67 000 $, qui est de nature à poser de sérieuses difficultés de trésorerie à n'importe quelle exploitation du genre. Le problème dont je vous parle est entièrement un problème de gestion de trésorerie.
Honorables sénateurs, le ciel ne nous tombera pas sur la tête avec la libéralisation de la commercialisation. La Commission canadienne du blé continuera d'exister. L'adresse sera toujours la même : 423, rue Main, Winnipeg (Manitoba). Les personnes nommées membres du conseil d'administration resteront à leur poste pendant la période intérimaire, afin d'assurer la continuité.
Les sénateurs d'en face ont manifesté à plusieurs reprises leurs objections concernant la nomination, plutôt que l'élection, des membres du conseil d'administration. Une fois la période de transition passée, la nouvelle Commission canadienne du blé décidera si elle souhaite que les membres de son conseil d'administration soient élus ou nommés.
La Commission canadienne du blé continuera d'offrir ses services de commercialisation aux agriculteurs qui voudront faire ce choix. Voilà le mot clé, honorables sénateurs : « choix ».
Les agriculteurs qui ne souhaitent pas avoir recours au guichet unique, qui ont l'impression que ce système est un carcan pour eux et qui voudraient ajouter de la valeur à leur production ou la commercialiser à leur façon pourront le faire également. C'est le meilleur des deux mondes. C'est ce qu'on appelle la faculté de choisir, honorables sénateurs. C'est ce qu'on appelle la liberté.
Comme nous le savons tous, rien n'est facile. Tout changement comporte son lot de difficultés, mais offre aussi de nouvelles possibilités. Il ne fait aucun doute que de nouvelles allégeances et de nouvelles alliances verront le jour à mesure que s'effectuera la transition du secteur économique vers la nouvelle réalité. C'est tout à fait sain et c'est déjà en train de se produire. Notre gouvernement ne ménage pas les efforts de collaboration avec le secteur pour lever les obstacles sur le chemin menant au libre marché, de manière à ce que les agriculteurs et les autres acteurs du secteur puissent profiter des possibilités qui s'offrent à eux.
Au cours des consultations exhaustives que nous avons effectuées par l'intermédiaire du groupe de travail et dans d'autres forums, les gens du secteur ont soulevé un certain nombre de questions valables concernant la transition. Notre gouvernement participe actuellement à des discussions avec eux pour aplanir les difficultés. Alors que certains préfèrent attiser les craintes devant les bonnes nouvelles comme celles-ci, notre gouvernement s'active avec tous les maillons de la chaîne de valeurs pour abattre tous les obstacles pouvant gêner le progrès sur le chemin conduisant au libre marché.
Nous savons que la force de notre secteur des cultures agricoles dépend de l'efficience et de l'efficacité de la chaîne logistique établie entre l'exploitation agricole et le consommateur, et cela s'applique non seulement au blé et à l'orge, mais à tous les types de cultures des Prairies. Voilà pourquoi le ministre de l'Agriculture a récemment annoncé la création du Groupe de travail sur la logistique entourant les cultures, qui participera au processus de facilitation donnant suite à l'examen des services de transport ferroviaire des marchandises.
Ce groupe de travail comprend des experts de la chaîne de valeur des céréales qui intégreront le point de vue de l'industrie agricole au processus de facilitation du transport ferroviaire.
Ce sera un excellent groupe de rétroaction où tous les intervenants pourront trouver un terrain d'entente et échanger des idées dans un certain nombre de secteurs clés. Le groupe pourra donner son avis sur la façon de soutenir le processus de facilitation donnant suite à l'examen des services de transport ferroviaire des marchandises. Il pourra se pencher notamment sur les problèmes du réseau de transport et de la chaîne d'approvisionnement qui découlent de la transition vers le libre choix du mode de commercialisation du blé et de l'orge ainsi que sur les mesures du rendement visant l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement.
L'industrie a accueilli favorablement ce groupe de travail. Voici quelques commentaires formulés par une partie des principaux intervenants.
Rick White, directeur général de la Canadian Canola Growers Association, a déclaré ceci :
Le canola est la plus importante culture commerciale pour les agriculteurs canadiens, et il compte pour plus de 80 p. 100 des cultures exportées. Par conséquent, il est essentiel que notre industrie puisse compter sur un service ferroviaire efficace. Nous sommes très heureux que les producteurs de canola aient été invités aux discussions organisées par le groupe de travail, et nous espérons que ces échanges auront lieu dans les plus brefs délais.
Voici ce qu'a affirmé Kevin Hursh, directeur administratif de l'Inland Terminal Association of Canada, dont les 23 établissements, répartis dans l'ensemble de la Saskatchewan et de l'Alberta, traitent chaque année 2,5 millions de tonnes de céréales, de légumineuses à grain et d'oléagineux :
L'Inland Terminal Association of Canada espère que la transition vers des ententes relatives au service ferroviaire peut améliorer le transport des céréales vers les points d'exportation. L'association est heureuse de participer à l'élaboration du processus de mise en œuvre.
Voici une déclaration de Matt Sawyer, président de l'Alberta Barley Commission, qui représente les 17 000 producteurs d'orge de la province :
Le transport demeure un enjeu important pour les producteurs d'orge. En participant aux discussions de ce groupe, nous pourrons faire part de nos préoccupations, et nous pourrons désormais influencer les principales politiques qui seront adoptées à cet égard.
Voici ce qu'a déclaré la Saskatchewan Short Line Association, qui représente 11 exploitants de lignes ferroviaires sur courtes distances de la Saskatchewan et un membre associé du Manitoba :
La Saskatchewan Short Line Association aimerait féliciter le ministre de l'Agriculture, M. Gerry Ritz, pour la mise sur pied du Groupe de travail sur la logistique entourant les cultures. L'association est très heureuse de participer à ce groupe de travail.
Enfin, voici les commentaires de Doug Chorney, président de Keystone Agricultural Producers, le plus grand organisme spécialisé en politiques agricoles du Manitoba, qui représente plus de 7 000 familles d'agriculteurs et 22 groupements de producteurs spécialisés :
Nous sommes heureux que le gouvernement fédéral réagisse aux commentaires des organismes agricoles généraux et fasse le nécessaire pour continuer de tenir compte des intérêts des agriculteurs lors de la mise en œuvre des recommandations découlant de l'examen des services de transport ferroviaire des marchandises.
Ce groupe de travail se veut une façon de réunir tous les intervenants afin qu'ils travaillent ensemble à l'avancement de ce secteur. Nous voulons que les producteurs agricoles et les autres intervenants puissent participer pleinement à l'élaboration d'un système logistique efficace de tout premier ordre. Nous examinons toutes les étapes de la chaîne de valeur afin d'accroître l'efficacité chaque fois que c'est possible. Notre objectif : mettre sur pied un système logistique solide et efficace des agriculteurs jusqu'aux consommateurs.
Ainsi, nous montrerons à nos clients que nous disposons d'un système de tout premier ordre qui peut leur procurer ce dont ils ont besoin, au moment où ils en ont besoin.
(1640)
Pour ce qui est des voies ferrées, notre gouvernement a récemment annoncé la nomination de M. Jim Dinning, qu'il a chargé d'administrer un processus de facilitation dans le cadre de l'Examen des services de transport ferroviaire des marchandises. Ce processus réunira des expéditeurs, des compagnies de chemin de fer et d'autres intervenants clés en vue d'élaborer des accords de service types ainsi qu'un processus simplifié de résolution des différends commerciaux. Au terme du processus de facilitation, notre gouvernement compte présenter un projet de loi pour donner aux expéditeurs le droit de conclure des accords de service avec des compagnies de chemin de fer et d'offrir un processus permettant de mettre en place de tels accords quand les négociations commerciales échouent.
Qui plus est, au cours des prochains moins, nous effectuerons, de concert avec Transports Canada, une étude sur la chaîne d'approvisionnement en grain. Toutes ces initiatives sont présentées dans le but de faire intervenir toutes les parties concernées et de faire progresser le secteur.
Les producteurs craignent qu'ils ne puissent plus accéder aux wagons de producteurs, dont ils se servent pour expédier leurs produits de haute qualité de la ferme au port. Leur droit d'accéder à ces wagons est protégé aux termes de la Loi sur les grains du Canada. La Commission canadienne des grains alloue ces wagons aux producteurs; cela ne changera pas.
En vertu des nouvelles règles, les producteurs et les lignes ferroviaires sur courtes distances pourraient conclure des accords commerciaux avec les compagnies céréalières ou la Commission canadienne du blé à participation volontaire pour commercialiser leurs céréales. Les lignes ferroviaires sur courtes distances s'attendent à des changements puisqu'elles auraient un plus grand choix de partenaires commerciaux pour traiter la quantité de grains que leur confieraient les producteurs.
Kevin Friesen, président de la Boundary Trail Railway Company et agriculteur au Manitoba, affirme que le gouvernement est à l'écoute et qu'il envisage l'avenir avec optimisme en ce qui concerne les lignes ferroviaires sur courtes distances et l'utilisation de wagons de producteurs. Nous observons déjà la création de quelques partenariats très intéressants, ce que la publication agricole Western Producer a décrit comme « une percée dans la coopération des chemins de fer ». Mobil Grain Ltd. et West Central Road and Rail se sont associées pour créer la 12e ligne ferroviaire sur courtes distances de la Saskatchewan.
Big Sky Rail couvrira 354 kilomètres sur les anciennes lignes du CN, à l'ouest du lac Diefenbaker. Sheldon Affleck, président de la compagnie, a dit ceci :
Il est possible d'au moins doubler, voire [...] de tripler, les arrivages par cette voie. Les agriculteurs ont manifesté [...] un grand intérêt en peu de temps.
Comme l'a dit le ministre de l'Agriculture à l'autre endroit :
Un agriculteur qui veut utiliser un wagon de producteurs n'aura qu'à téléphoner au même numéro que d'habitude. Il remplira le wagon de son produit, qui sera expédié au port.
Il y a eu beaucoup de tapage à propos du port de Churchill, et il semble que, peu importe ce que le gouvernement ou les autres intervenants aient dit, les propos alarmants annonçant la fin imminente du port de Churchill se soient répandus comme une trainée de poudre. Un sénateur a même été jusqu'à prendre au sérieux l'opinion d'une pure inconnue dans un avion qui revenait du Brésil, et d'un agriculteur de la Saskatchewan qui avait été mal informé et qui affirmait que le port de Churchill serait fermé si jamais le projet de loi C-18 était adopté.
Brad Chase, le président d'OmniTRAX, à qui appartient le port de Churchill, a affirmé ce qui suit à l'occasion de son témoignage devant le comité :
Pour ce qui s'en vient, on a un objectif clair; nous allons concentrer nos efforts sur le Nord et diversifier nos activités en offrant des services de transport de marchandises et de carburant au Nunavut. Il y a là une économie en forte croissance, et nous sommes bien placés pour croître au même rythme. Nous regardons aussi du côté de la Saskatchewan, surtout du côté de l'industrie de la potasse, où il y a pour environ 10 millions de tonnes métriques d'exportations par année auxquelles nous ne participons pas du tout, et les occasions de croissance dans ce domaine seront considérables. Nous nous attendons à une croissance de plus de 100 p. 100 au cours des cinq prochaines années environ, selon ce que nous avons vu et entendu à ce sujet. Pour toute cette exportation, il faudra assurer le transport ferroviaire et une capacité portuaire, et ça, c'est une bonne nouvelle pour nous. Nous sommes ravis d'avoir accès à ce secteur intéressant.
Au cours de l'audience, j'ai interrogé M. Chase concernant la possibilité d'explorer d'autres marchés et, plus particulièrement, d'expédier du carburant à Churchill puis, vers le Nord, au Nunavut et dans d'autres régions. Voici ce qu'a répondu M. Chase :
C'est une excellente question.
Cela m'a plu.
Le Nunavut est en plein essor. La région de Kivalik se trouve juste au-dessus de nous. Les besoins en carburant d'entreprises comme Agnico-Eagle et du gouvernement du Nunavut sont considérables et ne cessent d'augmenter. Nous n'avons pas suffisamment contribué à ce marché. Nous avons déployé de nombreux efforts ces derniers temps, en plus d'essayer de rétablir le corridor commercial qui existait autrefois. Nous avons un parc de stockage de 50 millions de litres à Churchill. C'est l'un des autres produits que nous expédions. Pour nous, le transport vers le Nord de marchandises et de carburant représente une excellente possibilité de croissance. Le gouvernement du Nunavut, par exemple, a besoin de quelque 200 millions de litres de carburant, tandis que la consommation actuelle d'Agnico-Eagle se chiffre à environ 70 millions de litres. D'autres entreprises sont en train de s'installer dans la région. Le marché est en pleine croissance, et nous aimerions inciter certaines des entreprises qui faisaient autrefois les beaux jours de l'industrie portuaire au Manitoba à revenir s'établir dans les environs.
M. Chase a ajouté ce qui suit :
Nous avons travaillé très fort au cours des six derniers mois pour vraiment essayer de comprendre le fonctionnement de ce marché afin de présenter une proposition de valeur aux producteurs, surtout ceux du Nord de la Saskatchewan et du Nord du Manitoba, et de leur offrir une solution de rechange aux éventuelles grandes sociétés céréalières dans un nouveau marché. Nous nous voyons également aux premières lignes, à travailler en partenariat avec des entreprises telles que, idéalement, une nouvelle commission du blé, et à tirer parti de ses connaissances du commerce mondial pour veiller à ce que nous ayons une chaîne complète, du producteur au consommateur, qu'une entente puisse être conclue et que nous ayons des services ferroviaires et portuaires à offrir.
Comme vous pouvez le constater, honorables sénateurs, le propriétaire du chemin de fer jusqu'à Churchill et le propriétaire du port de Churchill entrevoient l'avenir d'un œil positif.
Honorables sénateurs, les changements se font attendre depuis longtemps. C'est précisément parce que projet de loi est si important que nous devons le faire adopter rapidement au Sénat. Les intervenants de l'industrie, les agriculteurs et les consommateurs du monde entier ont besoin de certitude et de clarté. Les producteurs doivent commencer à se préparer pour les prochaines semailles printanières; les agriculteurs pourront enfin être maîtres des céréales qu'ils produisent.
Je ne m'excuse pas d'accélérer l'étude du projet de loi afin que les agriculteurs, les transformateurs et les expéditeurs puissent compter sur les modifications qui s'en suivront. Ce qui importe, honorables sénateurs, c'est que le Canada a une industrie du grain de calibre mondial, mais qu'il nous faut adapter les outils dont nous nous servons aux réalités du marché moderne.
La variété des grains produits au Canada est plus grande que jamais. Le blé ne représente plus que le tiers des cultures, alors que dans les années 1950, les trois quarts des terres cultivées étaient ensemencées en blé.
L'industrie des biocarburants constitue un nouveau client important pour les producteurs de grains. Qu'il s'agisse de la Commission canadienne du blé, vieille de 75 ans, ou de la Loi sur les grains du Canada, qui date de 40 ans, nous devons nous moderniser afin que les producteurs puissent répondre à l'augmentation de la demande mondiale en denrées alimentaires. Les réponses d'hier ne permettent pas de relever les défis d'aujourd'hui. Nous avons besoin de nouvelles approches d'une nouvelle génération d'agriculture. Il faut nous tourner vers un avenir où les jeunes agriculteurs auront enfin les outils qu'il leur faut pour réaliser leurs rêves. Que nous investissions dans l'innovation ou que nous donnions aux producteurs de grains de l'Ouest le libre choix en matière de commercialisation, le gouvernement aide les agriculteurs et l'industrie céréalière à devenir concurrentiels et à réaliser des profits. Nous voulons aider les entrepreneurs à tirer parti de l'innovation, à ajouter de la valeur à leurs récoltes, à créer des emplois et à favoriser la croissance dans tous les coins de notre beau pays.
Les sénateurs voteront soit pour enraciner l'industrie céréalière de l'Ouest par le passé, soit pour la tourner vers l'avenir. Ils voteront soit pour punir les céréaliculteurs de l'Ouest en raison de leur lieu de résidence, soit pour leur octroyer les mêmes droits qu'aux agriculteurs d'ailleurs au Canada.
Ce vote est un choix entre étouffer l'économie de l'Ouest ou créer des emplois et des débouchés économiques. Ce vote répondra à la question fondamentale de savoir si le gouvernement devrait enchaîner les agriculteurs ou les libérer. les agriculteurs qui désirent depuis longtemps vendre leurs récoltes sur le marché libre et qui ne pouvaient pas le faire par crainte d'être emprisonnés auront enfin le libre choix.
Les agriculteurs et toute la chaîne de valeur ont besoin de clarté et de certitude au moment d'entreprendre leur planification. Plus vite ils seront fixés, mieux ce sera.
Comme vous le voyez, le projet de loi n'est pas qu'une simple question d'articles et de paragraphes. Il vise à conférer aux cultivateurs de blé et d'orge de l'Ouest les mêmes droits et les mêmes possibilités qu'aux agriculteurs qui cultivent d'autres produits ailleurs au pays. Il vise à leur donner le droit de faire ce qu'ils veulent avec les cultures qu'ils ont plantées, qu'ils ont plantées à leurs frais, qu'ils ont cultivées pendant des mois et qu'ils ont récoltées sans prendre de répit.
Notre gouvernement est convaincu que les agriculteurs, peu importe où ils habitent et ce qu'ils cultivent, sauront prendre leurs propres décisions en matière de commercialisation en fonction de ce qui convient le mieux à leur entreprise.
Nous voulons rendre les commandes aux agriculteurs pour qu'ils puissent continuer à faire rouler l'économie. De nouvelles possibilités d'affaires passionnantes attendent les agriculteurs dans tout l'Ouest du Canada. Le projet de loi à l'étude est une étape vitale, et j'espère que tous les sénateurs feront ce qui est juste, c'est- à-dire appuyer les agriculteurs et voter en faveur du projet de loi.
(1650)
Des voix : Bravo!
L'honorable Bert Brown : Honorable sénateurs, j'ai deux points à faire ressortir. La Presse canadienne a fait état du fait que jamais la Commission canadienne du blé n'a été modifiée sans un référendum auprès des agriculteurs des quatre provinces de l'Ouest. En réalité, l'article 47.1 a fait l'objet de bien des modifications apportées par certains, mais pas par les agriculteurs.
Lorsque mes parents m'ont exhorté à reprendre l'exploitation agricole familiale, je l'ai fait. J'ai mis sur pied une société, la Brownhill Farms Limited. La Commission canadienne du blé a prétendu que nous ne pouvions toucher que la moitié de notre paiement initial pour notre blé et notre orge parce nous étions une seule entité. Ma femme, Alice, a lancé une campagne épistolaire pour faire modifier la règle de la commission. Elle a réussi lorsqu'elle a écrit au député de Bow River, Gordon Taylor. M. Taylor a expliqué, dans une intervention, que c'était une sinistre blague qui obligerait Alice et Bert Brown à divorcer et à vivre dans le péché pour obtenir l'intégralité de leur paiement initial pour leur blé. Cette initiative a transformé pour toujours la Commission du blé à l'égard d'un grand nombre d'exploitations constituées en sociétés. Il y a eu de nombreux autres changements sur une période de 90 ans.
Mon deuxième point, c'est que les droits de surestarie, pour les navires qui attendent à l'ancre que la commission soit prête à les charger, coûtent des millions de dollars aux agriculteurs. Tous ces frais étaient déduits des prix du grain. Cette pratique de la CCB est une trahison des agriculteurs et c'est une forme d'exploitation injustifiée. Lorsqu'on achète une voiture ou un camion, il y a des frais de transport sur la facture, et ils sont payés par l'acheteur, non par le vendeur.
Sur le trajet de 12 rues depuis mon appartement jusqu'au Sénat, je suis passé près de trois chantiers de construction. À chaque endroit, trois ou quatre camions attendaient d'être chargés par les excavatrices. Je garantis aux sénateurs que les chauffeurs de ces camions se font payer chaque minute d'attente. Ce coût est transmis à l'entrepreneur, puis à l'acheteur. Seule la Commission canadienne du blé arrache de l'argent à répétition aux producteurs de blé et d'orge. Les agriculteurs de l'Ontario et du Québec peuvent vendre leur blé et leur orge où bon leur semble.
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement. Les usages veulent que le porte-parole de ce côté-ci ait 45 minutes à titre de deuxième intervenant. Je crois comprendre que le sénateur Brown a déjà pris la parole, mais je voudrais que les 45 minutes soient réservées au sénateur Peterson.
L'honorable Robert W. Peterson : Honorables sénateurs, c'est un parcours remarquable qui nous a menés là où nous en sommes aujourd'hui. Si le Parti conservateur, qui siégeait dans l'opposition en 2005, avait pu observer la conduite que le même parti tiendrait en 2011, il en aurait exigé la démission.
Je n'ai jamais vu aucun gouvernement imposer l'adoption d'un projet de loi avec un pareil mépris pour le processus parlementaire : il a écourté le débat, réduit des parties intéressées au silence, rejeté les amendements, fait fi des lois et refusé de tenir compte des décisions des tribunaux. Il est difficile de percevoir les conséquences de cette arrogance aujourd'hui, honorables sénateurs, mais elles seront graves, qu'on approuve ou non l'intention que traduit le projet de loi C-18. Des choses ont été oubliées. Des erreurs et des fautes de jugements n'ont pas été corrigées. Il y aura des effets non souhaités. L'abandon du guichet unique de commercialisation sera bien plus compliqué, atroce et brutal qu'il aurait dû l'être.
Bref, le second examen objectif, qui est la raison d'être du Sénat, n'a jamais pu avoir lieu. Tout cela pourquoi? Je comprends que le gouvernement veuille s'arroger le mérite de tout ce qui se fait, des changements pour le mieux qui sont apportés dans la vie des Canadiens, mais il se méprend lourdement.
Honorables sénateurs, lorsque vous retournez dans vos régions, constatez-vous que les gens de la rue se rappellent quel parti a amendé un projet de loi? Le Canadien moyen sait-il même combien d'audiences de comité ont été consacrées à un projet de loi donné? Sait-il combien d'heures le débat a duré? Non, bien sûr que non, mais là n'est pas la question. Ce qui importe, c'est que nous faisons ces choses pour de bonnes raisons. En discutant à fond des projets de loi, en écoutant le point de vue d'intervenants très variés et en amendant les détails des textes législatifs, y compris au moyen d'amendements de l'opposition, nous produisons de meilleures lois pour les Canadiens. Ainsi, lorsque le processus parlementaire est mis de côté, des difficultés surgissent.
Un bel exemple est l'arrêt que la Cour fédérale a rendu la semaine dernière. À qui voulait l'entendre, le ministre a prétendu vouloir assurer un climat de certitude sur le marché; pourtant, son approche a abouti à des résultats diamétralement opposés. Il a refusé de consulter les agriculteurs sur la décision d'éliminer le guichet unique, et la cour a conclu qu'il pourrait s'agir là d'un affront à la primauté du droit. Le ministre a fait un pied de nez à la cour, il a interjeté appel et il a continué d'imposer l'adoption rapide du projet de loi C- 18 au Sénat.
Des voix : Quelle honte.
Le sénateur Peterson : Il aime bien souligner la partie de la décision qui dit que les requérants confirment que la validité du projet de loi C-18 et la validité et les effets de tout texte qui pourrait devenir loi par suite du projet de loi C-18 ne sont pas en cause dans les demandes en instance.
À écouter ses fanfaronnades, on oublierait presque que la défaite n'a jamais été concédée, mais que la bataille n'a jamais eu lieu, faute de temps. Le gouverneur général aurait parfaitement le droit de refuser la sanction royale tant que les questions de droit en suspens et les instances en cours n'auront pas été réglées. Quelle certitude régnera sur le marché si le Gouverneur général retarde la sanction royale? Pire encore, le gouvernement a beau continuer avec arrogance à essayer de le faire adopter, que se passera-t-il lorsqu'il essaiera d'appliquer le projet de loi C-18? Ce sera une poursuite judiciaire après l'autre.
Comment le marché peut-il être stable quand le gouvernement ne peut pas mettre en œuvre cette mesure législative? Comment les agriculteurs peuvent-ils prévoir de vendre leurs grains s'ils ne savent pas à qui ils peuvent les vendre?
Honorables sénateurs, notez bien ce que je vous dis. En tentant coûte que coûte de faire adopter ce projet de loi, le ministre et le gouvernement vont mettre les agriculteurs dans une situation intenable.
Cela ne s'arrêtera pas la première année. Le gouvernement affirme que la transition se fera en douceur sur une période de cinq ans, mais ce n'est pas comme cela que les choses se dérouleront. Lorsqu'il a comparu devant le comité de la Chambre des communes, le ministre a dit qu'il aimerait que le gouvernement puisse retirer rapidement son aide à la Commission canadienne du blé et qu'il serait heureux si cela pouvait se faire en deux ans.
La commission australienne du blé a été vendue à Agrium seulement deux ans après avoir perdu son monopole. Depuis, les propriétaires d'exploitations familiales sont écrasés par les multinationales. Une grande quantité d'agriculteurs sont en train de quitter la profession. Imaginez ce qui arrivera au Canada. Le gouvernement ne veut même pas laisser les agriculteurs donner leurs opinions sur le projet de loi et le plan de transition.
Ce projet de loi laisse trop de questions sans réponse. Comment les agriculteurs peuvent-ils faire entendre leurs préoccupations sans administrateurs élus? Comment les agriculteurs obtiendront-ils de meilleurs prix quand le gouvernement n'a pas mené une seule étude crédible? Pourquoi les analystes d'investissements et les économistes agricoles, comme Richard Gray, de l'Université de la Saskatchewan, affirment-ils que les prix seront plus bas? Pourquoi les experts affirment-ils qu'il n'y aura pas beaucoup d'entreprises à valeur ajoutée créées comme dans l'industrie du canola parce que la structure de l'industrie du blé est complètement différente? Comment les agriculteurs peuvent-ils se doter d'un coussin financier pour surmonter la période de transition quand le gouvernement veut se servir du fonds de réserve de 200 millions de dollars, qui a été amassé par eux, pour financer le lancement de la nouvelle Commission canadienne du blé?
(1700)
Quelles mesures de protection pourra-t-on mettre en œuvre si les concurrents de la Commission canadienne du blé ne permettent à celle-ci d'avoir accès aux terminaux portuaires qu'à des taux prohibitifs?
Quelles mesures de protection pourra-t-on mettre en œuvre si les taux exigés aux silos-élévateurs sont exorbitants?
En l'absence d'un guichet unique, quelles mesures restera-t-il pour protéger les producteurs contre les compagnies ferroviaires qui exercent un duopole?
Comment les wagons de producteurs pourront-ils survivre si la Commission canadienne du blé n'est plus là pour leur accorder la priorité sur le plan logistique?
Comment les lignes ferroviaires sur courtes distances pourront- elles survivre si les wagons de producteurs disparaissent?
Qui paiera les centaines de millions de dollars que devra assumer la commission en raison des changements apportés à la loi?
Nous aurions pu nous pencher sur ces problèmes et, à tout le moins, les atténuer si on avait permis au processus parlementaire de suivre son cours. Imaginez à quel point on aurait pu améliorer la situation si les agriculteurs avaient été autorisés à exprimer leurs préoccupations devant le comité? Au lieu de cela, ils ont dû manifester leur mécontentement en criant de la tribune des visiteurs et en déchargeant du grain à la porte des bureaux de députés ministériels. C'est un jour triste pour la démocratie canadienne.
Honorables sénateurs, nous pouvons décider d'approuver automatiquement cette atteinte au Parlement ou choisir de défendre nos droits démocratiques en rejetant ce désastre. Joignons nos voix à celles des agriculteurs et disons au gouvernement qu'il doit refaire ses devoirs et rectifier la situation.
J'aimerais parler d'un autre point qui a été mentionné par le sénateur Plett. Les libéraux n'ont pas mis d'agriculteurs en prison; la Commission canadienne du blé n'a pas mis d'agriculteurs derrière les barreaux; le tribunal a envoyé des agriculteurs en prison parce qu'ils avaient enfreint la loi. Je pense que mes collègues d'en face, qui ne jurent que par le maintien de l'ordre, sont en mesure de comprendre cela. Quelle est leur devise, déjà? Vous commettez un crime, vous purgez votre peine.
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'aimerais traiter d'un point qui a particulièrement attiré mon attention. Il s'agit de l'article 47.1, dont on a parlé lors du débat sur la question de privilège, dans lequel les aspects juridiques et constitutionnels ont été soulevés par les membres de l'opposition, principalement quant au processus d'adoption du projet de loi C-18, qui se base sur un argument de texte fondé sur l'article 47.1 de la loi et sur un jugement déclaratoire de la Cour fédérale.
Il serait bon de relire l'article 47.1. Dans un premier temps, à la page 4 du jugement, on dit qu'un ministre qui représente l'exécutif ne peut plus déposer un projet de loi. Je cite :
Il ne peut être déposé au Parlement, à l'initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d'orge [...] totalement ou partiellement [...]
J'évite certains passages qui vont dans le même sens :
[...] a) il a consulté le conseil au sujet de la mesure;
b) les producteurs de ce grain ont voté — suivant les modalités fixées par le ministre — en faveur de la mesure.
Je rappelle que le juge de la Cour fédérale a traité spécifiquement de l'effet de l'adoption du projet de loi C-18, ou du processus d'adoption du projet de loi C-18, en ces termes :
[Traduction]
La présente requête est de nature simple. Elle vise à examiner la conduite du ministre conformément aux exigences de l'article 47.1. Les requérants confirment que la validité du projet de loi C-18 et des effets de toute mesure législative susceptible de devenir loi en raison du projet de loi C-18 n'est pas en cause dans la présente requête.
Les requérants ont été clairs sur le fait que leur requête n'est pas une contestation de la souveraineté du Parlement concernant l'adoption de cette mesure.
[Français]
Nos collègues de l'opposition ont tout de même tiré la conclusion politico-juridique que le processus d'adoption de la loi était invalide parce que le ministre n'avait pas suivi la manière et la forme décrites à l'article 47.1 quand il a présenté le projet de loi.
L'article 47.1 est-il constitutionnel? Une législature peut-elle être liée, que ce soit pour la manière et la forme ou pour un droit substantif, par un parlement antérieur, et ce pour l'adoption d'une loi ordinaire? Je précise « par une loi ordinaire » car, évidemment, la situation est différente pour une loi constitutionnelle, comme la Charte constitutionnelle telle la Déclaration canadienne des droits et libertés de la personne, par exemple.
Le professeur Hogg est clair, et ce passage est aussi cité dans le jugement :
[Traduction]
Ainsi, même si le Parlement fédéral ou une assemblée législative provinciale ne peuvent être liés sur le fond...
[Français]
J'insiste.
[Traduction]
... sur le fond d'une future mesure législative, ils peuvent être liés pour ce qui est de la manière et de la forme d'une future mesure législative.
[Français]
Pourquoi un parlement ne peut-il pas lier un parlement futur, particulièrement sur le fond? La raison est simple. Un parlement est souverain, et il ne peut lier ses successeurs en tentant d'imposer ses politiques pour l'avenir et ainsi enfreindre les règles élémentaires de la démocratie. C'est la base de la primauté du droit telle que décrite par Dicey dans The Law of Constitution.
La Loi d'interprétation, à l'article 42.(1), réaffirme le principe suivant, et je cite :
Il est entendu que le Parlement peut toujours abroger ou modifier toute loi et annuler ou modifier tous pouvoirs, droits ou avantages attribués par cette loi.
Comme le disait la Cour suprême :
Toutefois, lorsqu'une loi ne présente aucun caractère constitutionnel, il est fort peu probable qu'elle traduise une intention de la part du corps législatif de se lier pour l'avenir.
Il existe, il est vrai, une école de pensée qui suggère que, pour une loi ordinaire, dans un cas explicite et clairement exprimé, un parlement peut adopter une procédure de forme et de manière pour l'adoption d'une loi future.
Un parlement qui empêche un ministre de déposer un projet de loi sans l'approbation préalable d'un groupe de non-élus ne fixe pas une procédure de manière et de forme. Il agit dans la substance de la loi. Pire, il abdique son pouvoir et ses responsabilités à des non-élus, ce qui est inconstitutionnel et, évidemment, contraire à la primauté du droit.
La Cour suprême, dans le Renvoi relatif au régime d'assistance, citait avec approbation une décision de la Cour suprême de l'Australie-Méridionale, dans West Lakes Ltd v. South Australia :
Même s'il m'était possible d'interpréter la loi conformément à l'argument de la demanderesse, je ne pourrais considérer la disposition en cause comme prescrivant le mode ou la forme d'une mesure législative future.
Honorables sénateurs, j'attire ici votre attention sur ce qui suit :
Une disposition exigeant qu'une entité qui ne fait pas partie de l'appareil législatif donne son consentement à un certain type de législation [...] ne prescrit pas, à mon sens, un mode ou une forme d'adoption de lois, mais équivaut plutôt à une renonciation dans cette mesure au pouvoir législatif.
Ces propos sont confirmés par la Cour suprême et cités avec approbation.
La Cour suprême nous indique également, et je cite :
(1710)
Il est évident en effet que la souveraineté du Parlement vient empêcher un corps législatif de se lier les mains en ce qui concerne la teneur de la législation future. Or, l'argument relatif au « mode » et à la « forme » veut précisément que le corps législatif en question se soit imposé des restrictions, non pas à l'égard de la teneur, mais quant à la procédure à suivre dans l'adoption d'une loi future [...]
Comme le disait l'auteur S.A. Smith, cette règle est logique et démocratique parce qu'elle empêche la majorité du jour de prolonger, au détriment des législateurs de demain, sa propre conception des choses. C'est exactement ce que le gouvernement libéral a fait en adoptant l'article 47.1.
Premièrement, il a imposé sa conception des choses aux futurs parlementaires que nous sommes tous, ici, aujourd'hui.
Deuxièmement, il a abdiqué ses responsabilités de législateur entre les mains de non-élus.
Troisièmement, il a décidé qu'un groupe d'agriculteurs pourrait non seulement imposer ses vues aux autres agriculteurs, mais à l'ensemble des citoyens canadiens, au détriment de l'intérêt collectif et de tous les citoyens du pays.
Voilà pourquoi ce type de législation n'est pas autorisé constitutionnellement. Comme le dit la Cour suprême, toute restriction imposée au pouvoir exécutif, comme par exemple au ministre, de déposer des projets de loi, constitue une limitation de la souveraineté du Parlement.
Voici une dernière question: même en admettant qu’une procédure soit inconstitutionnelle, parce qu’elle prétendrait, comme certains le disent, viser seulement la forme et la manière, un parlement peut abroger ou modifier une loi qui fixe la manière et la forme de façon tout à fait valide, et ce, sans exiger que la loi qui abroge ou modifie ait été adoptée selon la manière et la forme prescrites par l’article. En d’autres mots, rien n’empêche le Parlement de modifier l’article 47.1 sans passer par la procédure fixée à l’article 47.1.
Le professeur Hogg cite d'ailleurs, dans son ouvrage, la décision de Canadian Tax Payers Federation v. Ontario, où des cousins, le premier ministre Dalton McGuinty a fait adopter une loi qui imposait une nouvelle taxe sans passer par le référendum imposé par une loi antérieure du gouvernement conservateur. Peter Hogg disait alors ce qui suit :
[Traduction]
L'exigence de tenir un référendum imposé par une loi antérieure s'appliquait aux projets de loi visant à imposer une nouvelle taxe, mais pas aux projets de loi visant à modifier ou à abroger la loi sur la protection des contribuables elle-même.
[Français]
Ainsi, pour qu'une loi impose la manière et la forme d'être efficace, elle doit prévoir la manière et la forme qui s'applique également à la loi qui modifierait l'article qui prévoit la manière et la forme, ce qui n'est manifestement pas le cas ici. Pour exprimer son opinion, le professeur Hogg cite la Cour d'appel fédérale concernant une décision sur l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé. Peter Hogg, dans son ouvrage sur la note 54 d), page 12 et 13, nous dit ce qui suit.
[Traduction]
De toute façon, on ne saurait interpréter l'article 47.1 comme restreignant sa propre modification ou abrogation.
[Français]
Il cite la juge Karen Sharlow, de la Cour d'appel fédérale, qui a rendu un jugement, en 2008, encore avec les amis de la commission, dans lequel elle traite de l'article 47.1 et qui nous dit ce qui suit :
[Traduction]
Nous voudrions signaler toutefois que, selon notre interprétation, l'article 47.1 ne limite pas de façon importante la souveraineté du législateur. L'article n'empêche pas le législateur d'adopter toute législation qu'il juge appropriée, y compris une législation qui modifie ou abroge l'article 47.1 lui-même.
[Français]
Il s'agit d'une décision de la Cour d'appel fédérale prononcée en 2008.
Honorables sénateurs, qu'ont en commun les amis de la commission, Harold Bell, Ken Eshpeter, Terry Boehm, Lynn Jacobson, Wilf Harder et Keith Ryan? Tous ces amis de la commission se sont fait dire par deux décisions de la Cour fédérale, une en appel et une en première instance, que le Parlement pouvait légiférer, en l'occurrence par le projet de loi C- 18, une loi qui modifie le processus, la manière et la forme de l'article 47.1, car sinon, cela constituerait une atteinte à la souveraineté du Parlement.
Je suis déçu que des parlementaires ici, aujourd'hui, dans le cadre du débat, portent atteinte ou tiennent des discours qui enfreignent à la souveraineté du Parlement. Je crois, honorables sénateurs, que, pour ce projet de loi en particulier, on doit cesser d'imposer nos vues pour l'avenir et lier les parlements futurs. Ce qui est bon aujourd'hui ne le sera pas nécessairement dans 10 ans. On doit laisser la discrétion aux futurs parlementaires d'adopter des lois. Voilà ce qu'est la démocratie.
[Traduction]
Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il des questions ou poursuivons-nous le débat? Le sénateur Chaput a la parole.
[Français]
L'honorable Maria Chaput : Honorables sénateurs, j'aimerais aujourd'hui parler de la Commission canadienne du blé, un sujet qui nous a beaucoup occupés récemment et qui mérite, certes, d'être amplement et sérieusement discuté. Par ricochet, je parlerai aussi du projet de loi C-18.
La Commission canadienne du blé est née de la simple réalisation que les fermiers canadiens, à titre individuel, auraient très peu de pouvoir de négociation face aux grandes entreprises de grain et de transport. L'histoire de la Commission canadienne du blé est typiquement canadienne, caractérisée par cette attitude qu'est la nôtre de surmonter tout défi en unissant nos efforts et en faisant preuve d'initiative et de créativité. C'est l'histoire aussi d'un gouvernement qui, il y a plus de 75 ans, a écouté les doléances des fermiers et a collaboré avec eux afin d'en arriver à une solution qui leur convenait.
Notons en passant que c'est spécifiquement la grande crise économique de cette époque qui avait incité le gouvernement à participer à cette initiative des fermiers. Dans un monde toujours choqué par le krach économique de 1929, la commission offrait de la stabilité aux fermiers dans un climat mondial économique incertain. Un parallèle historique s'impose à cet égard.
Mentionnons aussi que si la participation à la commission était volontaire, à ses débuts en 1935, ce modèle était déjà abandonné au début des années 1940, au profit de la participation obligatoire. La participation volontaire, on l'avait alors compris, n'offrait tout simplement pas les avantages souhaités, notamment la stabilité des revenus des fermiers. Encore une fois, il y a là des leçons historiques à tirer.
Depuis ce temps, l'évolution de la Commission canadienne du blé a de quoi rendre fiers tous les Canadiens. Nous parlons, en fait, d'une institution qui, de ses modestes débuts, est devenue le plus important organisme de vente de blé et d'orge au monde, contrôlant 20 p. 100 du marché mondial; une institution dirigée par les fermiers, pour les fermiers, qui maintient à Winnipeg un siège social de renommée internationale et qui est à la source de 2 000 emplois au Manitoba relevant directement ou indirectement de la commission. Le gouvernement manitobain crédite même la commission d'avoir contribué à son économie à la hauteur de centaines de millions de dollars.
(1720)
Elle s'inquiète, sur son site web, que. après son démantèlement :
L'avenir du Manitoba en tant que plaque tournante du transport continental serait compromis. Le port de Churchill et nos débouchés commerciaux liés à l'Arctique seraient menacés.
La Commission canadienne du blé est aussi une institution qui, surtout depuis la réforme de 1998 par laquelle 10 de ses 15 administrateurs sont désormais élus par les fermiers, permet réellement aux fermiers de décider de ses orientations, priorités, et de son avenir.
Nos fermiers ont bien sûr été à la hauteur de la tâche, multipliant les options pour les membres tout en maintenant les avantages indéniables offerts par le maintien du guichet unique.
Bref, nous avons depuis 76 ans, dans l'Ouest canadien, une institution qui est née de l'effort collaboratif des fermiers et du gouvernement et qui a su grandir et évoluer, par ce même effort collaboratif, afin de mieux servir les agriculteurs et tous les Canadiens.
Cette dernière année est certainement la moins glorieuse de l'histoire de la commission. En fait, avec tout ce qui s'est passé lors de ces derniers mois, une seule question me revient continuellement à l'esprit : Comment en sommes-nous rendus là?
Comment en sommes-nous rendus à entendre, en novembre dernier, le ministre fédéral de l'Agriculture accuser gratuitement le président de la commission de voler l'argent de ses membres avant de se voir obliger à se rétracter?
Comment en sommes nous rendu à voir la collaboration entre la commission et le gouvernement complètement disparaître, au point où elle est remplacée par des poursuites judiciaires? Comment en sommes nous rendu à soudainement voir la voix des fermiers complètement ignorée, alors qu'elle avait pris de plus en plus de place — et avec raison — dans l'administration de la commission?
Comment en somme-nous rendus à entendre le gouvernement délibérément laisser planer des doutes, sans preuves à l'appui, sur la légitimité et l'intégrité du processus démocratique au sein des membres de la commission? Avons-nous tout simplement oublié que nous parlons ici d'une institution qui avait elle-même invité la vérificatrice générale du Canada à étudier ses livres?
Comment en somme-nous rendus à recevoir un grand nombre de lettres de la part de fermiers qui ne comprennent pas pourquoi on refuse tout simplement de les écouter?
Comment en sommes-nous rendus, finalement, à entendre la Cour fédérale reprocher au gouvernement d'avoir violé la loi?
Tant de questions inquiétantes et de réponses qui tardent toujours. Face à toutes ces questions, personne, malheureusement, ne pourra dire que le gouvernement a abordé le sort de la commission de manière posée et responsable. Cette dégénération rapide et honteuse n'était jamais inévitable.
Si le gouvernement a été dûment élu par l'électorat canadien, j'ose croire qu'il sait aussi que les Canadiens ne lui ont jamais donné carte blanche. J'ose croire aussi que, malgré ce qu'on a entendu à plusieurs reprises, le gouvernement est au courant du fait qu'il n'a pas toujours raison par le simple fait qu'il a été élu.
J'ose croire, finalement, que le gouvernement comprend aussi que son droit d'implanter son programme politique n'a jamais éliminé sa responsabilité de communiquer et de collaborer, en tout respect et en toute bonne foi, avec les intervenants concernés.
Ceci est à la base même du principe de la bonne gouvernance démocratique, comme nous l'a si bien rappelé la Cour fédérale, la semaine passée.
J'implore donc le gouvernement de faire preuve de retenue et de dignité dans ses interventions publiques futures et de reconsidérer le sort de la Commission canadienne du blé avec sérieux et sobriété. Nous avons entendu, lors de la réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts la semaine passée, des témoignages de plusieurs fermiers qui entretiennent des préoccupations sérieuses quant à l'avenir de leurs fermes. Ils méritent d'être respectés.
Au minimum, puisque le dossier est judiciarisé et que le gouvernement a décidé de porter la décision de la Cour fédérale en appel, il faudrait permettre à la justice de suivre son cours.
Encore une fois, nos fermiers le méritent. Encore une fois, notre processus démocratique le mérite.
[Traduction]
L'honorable George Baker : Honorables sénateurs, je n'ai que quelques observations à formuler au sujet du projet de loi. C'est l'intervention du leader adjoint du gouvernement au Sénat qui m'a incité à intervenir. Il a cité l'ouvrage Constitutional Law of Canada, du professeur Hogg. Je pourrais moi aussi citer un passage de cet ouvrage :
Est-ce que le Parlement ou une assemblée législative seraient liées par des règles qu'ils se seraient imposés eux- mêmes quant aux « modalités » de promulgation des lois? La réponse, à mon avis, est oui [...] Par conséquent, le Parlement fédéral ou une assemblée législative provinciale ne peuvent pas se lier eux-mêmes quant au fond de futures mesures législatives, mais ils peuvent le faire quant aux modalités applicables aux futures mesures législatives.
Afin de réfuter davantage l'argument, je dirai que, comme le sénateur le sait, dans la décision de la Cour fédérale, la question a été soulevée au nom du ministre par le ministère de la Justice. Je constate que le sénateur avait plutôt entre les mains la décision signée par un juge de la Cour fédérale. Le sénateur a omis les mots suivants, qui se trouvent au paragraphe 10 de la décision :
Le ministre...
— c'est-à-dire le ministère de la Justice. —
... a allégué que l'article 47.1 ne correspond pas aux exigences rattachées à la disposition sur les « modalités » de promulgation des lois. Je rejette cet argument et conclus que le débat sur les « modalités » n'est pas véritablement à trancher par le tribunal. L'article 47.1 est présumé constitutionnellement valide [...]
Le juge explique ensuite la marche à suivre pour contester la constitutionnalité d'une disposition législative. Tout d'abord, comme nous le savons tous, un avis de question constitutionnelle devrait être présenté à un tribunal, ce qui n'était pas le cas dans l'affaire dont nous parlons. D'après ce que j'ai compris, la constitutionnalité de l'article n'est pas remise en question non plus dans l'appel du ministère de la Justice.
Honorables sénateurs, la question soulevée remonte à 1998. Cette année-là, j'étais à l'autre endroit, et le sénateur Stratton était ici. Nous faisions tous deux partie de comités qui se penchaient sur la loi dont nous parlons aujourd'hui.
Je dirai, d'entrée de jeu, que le sénateur Plett a fait un excellent travail de défense de la position du gouvernement sur le projet de loi et que le sénateur Peterson a fait un excellent travail pour l'autre camp. Les deux ont présenté des arguments solides sur la question.
En 1998, nous avons adopté l'article 47.1. C'est à ce moment que l'article est entré en vigueur. Les sénateurs se souviendront que c'était l'époque où les deux tiers des membres de la Commission canadienne du blé étaient élus par les agriculteurs. Nous avons donné aux agriculteurs le contrôle de la Commission canadienne du blé. Les sénateurs remarqueront que, dans ce jugement, la Cour fédérale mentionne les débats au Sénat, et non ceux de la Chambre des communes. Ce sont les débats du Sénat qui étaient mentionnés dans le jugement.
(1730)
Voilà où je veux en venir. L'article 47.1, auquel le sénateur qui vient d'intervenir au nom du gouvernement a fait allusion, dit ce qui suit :
Il ne peut être déposé au Parlement, à l'initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d'orge, ou le blé ou l'orge produit dans telle région du Canada, à l'application de la partie IV [...]
Qu'est-ce que la partie IV?
Le sénateur Di Nino : Je suis convaincu que vous allez nous le dire.
Le sénateur Baker : Voici ce que dit la partie IV :
[...] seule la Commission peut
a) exporter du blé ou des produits du blé...
b) transporter ou faire transporter d'une province à une autre...
c) acheter ou consentir [...]
C'est le principe du guichet unique. Autrement dit, l'article 47.1 stipule qu'il est interdit de modifier cette disposition sans quoi? Il stipule qu'il est interdit de la modifier sans soumettre la modification au vote des agriculteurs et obtenir leur approbation.
Je vous invite à consulter les Débats du Sénat de cette journée-là, parce que le juge de la Cour fédérale dit, au paragraphe 26 :
En ce qui concerne un amendement au projet de loi, lequel deviendrait l'article 47.1, le ministre a témoigné au Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts le 5 mai 1998.
Si vous consultez les délibérations du 5 mai 1998, vous constaterez que, entre autres, le sénateur Eugene Whelan et, bien sûr, le sénateur Stratton — le champion de la question — ont participé au débat. Voici ce que le ministre de l'Agriculture de l'époque a déclaré avant que le sénateur Stratton ne pose des questions, et je cite :
Ce sera au gouvernement en place d'éviter un débat sur la bonne décision à prendre. Cet amendement prévoit que, si le ministre juge bon de demander au Parlement d'accroître ou de restreindre le mandat de la Commission canadienne du blé, il doit au préalable consulter les agriculteurs en tenant un vote.
Il ajoute ce qui suit :
[...] qu'il soit dit clairement qu'il faudra présenter un projet de loi au Parlement et, avant cela, tenir un vote.
Voici ce que le sénateur Stratton dit ensuite :
[...] je suis sûr que vous pourriez fournir ces réponses dans votre sommeil [...]
Le sénateur pose ensuite une question au ministre, qui répond ce qui suit :
C'est vrai qu'il faudra prendre certaines décisions importantes, mais mieux vaut qu'elles soient prises par les agriculteurs selon les voies démocratiques plutôt qu'imposées par des gouvernements [...]
Des voix : Bravo!
Le sénateur Baker : Le sénateur Stratton répond ensuite ceci :
Je comprends. Seulement je ne voudrais pas que l'élection de ce conseil ne tourne en un nouveau Massacre à OK Corral.
Bien sûr, nous savons maintenant que le sénateur Stratton avait raison, car, au fond, c'est la situation à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui.
Ce qui est clair, honorables sénateurs, c'est qu'il existe des arguments valables pour et contre. La Chambre des communes n'a pas été saisie de cette question. Elle a adopté le projet de loi. Le jugement de la Cour fédérale a été rendu après. On peut se demander ce qui serait arrivé si le jugement avait été rendu tandis que la Chambre était encore saisie du projet de loi.
Honorables sénateurs, le juge déclare, dans sa décision :
L'article 39 du projet de loi C-18 propose de remplacer complètement le mode de mise en marché du blé au Canada par l'abrogation de la Loi après une période de transition. Je considère que le Parlement avait l'intention, en adoptant l'article 47.1, d'éviter que cela se produise sans qu'on ait consulté comme il se doit et obtenu un consentement.
Le juge poursuit ainsi :
À mon avis, accepter l'interprétation du ministre à l'exclusion de celle des demandeurs engendrerait une absurdité [...]
Le juge a formulé plusieurs autres observations.
Ce que j'ai trouvé intéressant, honorables sénateurs, c'est qu'il a rendu sa décision uniquement en anglais. C'est intéressant. Oui, uniquement en anglais. À la Cour fédérale, il n'y a qu'un motif possible pour ce faire, comme le savent les sénateurs Angus et Nolin.
Le juge peut appliquer l'alinéa 20(2)b) de la Loi sur les langues officielles, qui établit que les décisions sont simultanément mises à la disposition du public dans les deux langues officielles, sauf
[...] si le tribunal estime que l'établissement [...] d'une version bilingue entraînerait un retard qui serait préjudiciable à l'intérêt public ou qui causerait une injustice [...]
[...] la décision — exposé des motifs compris — est rendue d'abord dans l'une des langues officielles [...]
Malheureusement, le juge n'a pas expliqué pourquoi il avait appliqué l'alinéa 20(2)b) de la Loi sur les langues officielles. Il dit seulement, au paragraphe 3 de l'introduction de son jugement :
Je suis d'avis que de mettre la présente ordonnance à la disposition du public simultanément dans les deux langues officielles entraînerait un retard préjudiciable à l'intérêt public.
Malheureusement, il n'explique pas davantage, mais il voulait sûrement dire qu'il fallait publier sa décision immédiatement parce que le projet de loi n'avait pas encore été adopté au Sénat.
Honorables sénateurs, il y a bien eu un référendum en vertu de l'article 47.1. C'est un cabinet comptable qui l'a organisé. Des questionnaires ont été envoyés aux agriculteurs. Ils ont renvoyé leurs réponses et 62 p. 100 de tous les producteurs de blé ont dit qu'ils voulaient conserver la formule du guichet unique et 51 p. 100 des producteurs d'orge ont dit qu'ils voulaient que la Commission canadienne du blé soit maintenue.
Face aux résultats de ce sondage, je suppose que le gouvernement s'est dit : « Si nous nous conformons aux exigences de la loi, nous ne réussirons pas à obtenir le consentement des agriculteurs. »
Pour conclure — et le sénateur Plett l'a dit à la Commission canadienne du blé —, il y a eu des irrégularités dans le scrutin, dont la Commission canadienne du blé n'a pas parlé dans ses réponses au sénateur Plett.
Voilà les faits. C'est aussi un fait que les deux parties dans ce débat ont dit, comme au paragraphe 8 :
[...] la validité du projet de loi C-18 et des effets de toute mesure législative susceptible de devenir loi en raison du projet de loi C-18 n'est pas en cause dans la présente requête.
La cour a conclu que l'allégation d'illégalité, du fait que le gouvernement n'agissait pas en toute légalité, n'était pas sans fondement.
(1740)
Son Honneur le Président : À l'ordre, s'il vous plait. Les 15 minutes dont disposait le sénateur sont écoulé.
Le sénateur Tardif : Cinq minutes de plus.
Le sénateur Robichaud : Dix minutes.
Son Honneur le Président : Sénateur Baker, demandez-vous cinq minutes de plus?
Le sénateur Baker : Oui.
Son Honneur le Président : Allez-y.
Le sénateur Baker : En d'autres termes, honorables sénateurs, je m'avance peut-être un peu, mais il me semble que lorsque des modifications sont apportées à une loi d'une manière qui va à l'encontre de cette loi, et que vous êtes touché d'une façon ou d'une autre, vous pouvez vous adresser aux tribunaux. Vous avez cette procédure de recours.
Si un gouvernement change les règles, applique rétroactivement des dispositions ou enfreint la loi, la personne concernée peut évidemment s'adresser aux tribunaux. J'imagine que c'est ce qui se produira.
Le sénateur Brown : Puis-je poser une question au sénateur Baker?
Le sénateur Baker : Oui. Selon la question, je déciderai si je souhaite y répondre ou non.
Le sénateur Mercer : C'est ainsi que nous fonctionnons ici.
Le sénateur Brown : Pourriez-vous, je vous prie, lire de nouveau les articles précédant et suivant immédiatement l'article 47.1, comme vous l'avez fait il y a quelques minutes?
Le sénateur Baker : Oui. La partie IV de la Loi sur la Commission canadienne du blé commence à l'article 45, sous la rubrique « Commerce du blé ou des produits du blé ». Il y est écrit ceci : « Sauf autorisation contraire des règlements, seule la Commission peut » effectuer une série de choses : exporter, transporter, vendre, acheter, et ainsi de suite.
Puis, à l'article 46, sous la rubrique « Règlements », on peut lire ceci : « Le gouverneur en conseil peut, par règlement [...] ».
Puis, dans la partie V, il est écrit ceci :
Il ne peut être déposé au Parlement, à l'initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d'orge, ou le blé ou l'orge produit dans telle région du Canada, à l'application de la partie IV [...]
La partie IV définit le monopole. La partie V dit que le ministre ne peut pas présenter un projet de loi ayant pour effet de soustraire totalement ou partiellement le blé à l'application de la partie IV, sauf si les conditions suivantes sont réunies :
[le ministre] a consulté le conseil au sujet de la mesure [et] les producteurs de ce grain ont voté — suivant les modalités fixées par le ministre — en faveur de la mesure.
L'honorable Wilfred P. Moore : J'ai une question à poser au sénateur Baker.
Sénateur Baker, si le ministre ne permet pas aux agriculteurs de voter comme prévu dans la loi actuelle, pourriez-vous nous dire ce qu'il peut en résulter en vertu de la Charte? D'autres doctrines seraient-elles enfreintes?
Le sénateur Baker : Voilà une question intéressante. La doctrine des attentes légitimes et la doctrine de la justice naturelle sont comprises dans l'article 7 de la Charte, sous la rubrique des garanties juridiques. La Cour suprême du Canada a rendu à de nombreuses reprises des jugements indiquant que les droits et les doctrines qui ne sont pas définis expressément dans la Charte découlent de l'article 7, sous la rubrique des garanties juridiques. Par conséquent, on pourrait éventuellement soulever un argument constitutionnel, selon lequel il y aurait eu violation de la Charte.
Prenons, par exemple, la doctrine des attentes légitimes. Si vous êtes un agriculteur et que vous êtes devenu membre de la Commission canadienne du blé et avez planifié votre avenir en conséquence, la doctrine des attentes légitimes s'applique à vous, parce que la loi stipule que le ministre doit prendre telle et telle mesure avant de modifier la loi. Vous pourriez alors avoir recours aux tribunaux en vertu de cette doctrine en faisant valoir que vos droits fondamentaux ont été violés.
Le sénateur Mercer : C'est honteux!
Une voix : Le vote!
Son Honneur le Président : Je crains que la période de 15 minutes et les cinq minutes supplémentaires dont disposait le sénateur Baker ne soient écoulées.
Une voix : Accordez-lui-en cinq autres.
(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)
[Français]
Les travaux du Sénat
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, après discussion avec le leader adjoint de l’opposition, compte tenu de l’heure et du fait que le sénateur Cowan utilisera son temps de parole de 45 minutes pour parler du projet de loi C-10, compte tenu également du fait que d’autres personnes ont annoncé qu’elles voulaient s’exprimer et que, de toute façon, nous attendons de l’autre endroit le projet de loi C-20 concernant la représentation équitable, nous suggérons à la Chambre de suspendre immédiatement la séance pour la pause du repas et de la reprendre à 19 h 30.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le leader adjoint du gouvernement et le leader adjoint de l'opposition se sont consultés. En temps normal, nous déclarerions qu'il est 18 heures et reviendrions à 20 heures. Il est cependant proposé que, compte tenu des circonstances actuelles, nous suspendions la séance immédiatement pour revenir à 19 h 30. La sonnerie retentirait pendant 15 minutes à compter de 19 h 15.
Y a-t-il consentement unanime?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Il est donc ordonné que la séance soit suspendue jusqu'à 19 h 30, la sonnerie débutant à 19 h 15.
(La séance est suspendue.)
(1930)
(Le Sénat reprend sa séance.)
La Loi constitutionnelle de 1867
La Loi sur la révision des
limites des circonscriptions électorales
La Loi électorale du Canada
Projet de loi modificatif—Première lecture
Son Honneur le Président annonce qu'il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-20, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et la Loi électorale du Canada, accompagné d'un message.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons- nous le projet de loi pour la deuxième fois?
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 57(1)f) du Règlement, je propose que la deuxième lecture du projet de loi soit inscrite à l'ordre du jour de la présente séance.
Son Honneur le Président : La permission est-elle accordée?
Des voix : D'accord.
(Sur la motion du sénateur Carignan, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la présente séance.)
Projet de loi sur la sécurité des rues et des communautés
Deuxième lecture—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Runciman, appuyée par l'honorable sénateur Stewart Olsen, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, j'ai souligné à plusieurs reprises dans cette enceinte qu'il est important que nous nous acquittions de la tâche qui nous incombe en vertu de la Constitution — soit de faire un examen approfondi du programme législatif que propose le gouvernement, d'écouter les Canadiens qui souhaitent exprimer leur point de vue, d'examiner les témoignages de façon objective et de veiller à ce que les projets de loi dont nous sommes saisis soient de la meilleure qualité possible. Au besoin, nous apportons des amendements aux projets de loi. C'est ce que nous avons fait des centaines de fois et qui a permis d'améliorer les lois canadiennes. Le bien public doit toujours être notre objectif ultime.
Les politiques publiques doivent être fondées sur les meilleurs renseignements possibles sur ce qui donne des résultats et sur ce qui n'en donne pas. Cela devrait toujours constituer notre point de départ. Commençons par présenter certains faits incontestables. Le taux de criminalité au Canada ne cesse de décliner depuis 20 ans. Le taux d'homicide est tombé à son plus bas niveau en 44 ans, soit depuis près d'un demi-siècle.
Lorsque le sénateur Boisvenu a pris la parole la semaine dernière, il a présenté des statistiques sur la criminalité chez les jeunes. Permettez-moi de renvoyer le sénateur au rapport de 2010 de Statistique Canada sur la criminalité, où il est dit ceci :
À l'instar du taux global de criminalité, le taux de criminalité chez les jeunes suit une tendance générale à la baisse depuis dix ans. En 2010, le taux de crimes commis par des jeunes était inférieur de 7 p. 100 au taux enregistré l'année précédente et de 11 p. 100 à celui constaté 10 ans plus tôt.
Le sénateur Boisvenu mettait surtout l'accent sur la criminalité juvénile au Québec. Je cite de nouveau le rapport.
En 2010, la gravité des crimes commis par des jeunes a diminué dans chaque province et territoire sans exception. Les valeurs de l'IGC...
C'est l'indice de gravité des crimes.
... chez les jeunes étaient les moins élevées au Québec, suivie de l'Île-du-Prince-Édouard et de la Colombie-Britannique.
Il semble, honorables sénateurs, que nos politiques de lutte contre le crime fonctionnent bien. Contrairement à ce que le premier ministre Harper a dit aux Canadiens, le crime ne fait certainement pas de ravages dans nos rues. En effet, un sondage récent de Statistique Canada a confirmé que, en 2009, 93 p. 100 des Canadiens ont déclaré qu'ils se sentaient bien protégés contre les crimes. C'est similaire aux résultats obtenus la dernière fois qu'on a posé cette question, en 2004, quand 94 p. 100 des Canadiens ont donné cette même réponse.
Par le passé, les gouvernements ont adopté des politiques intelligentes et honnêtes pour lutter contre le crime, et ils ont dit aux Canadiens la vérité sur le crime. Cette approche a permis d'élaborer des politiques qui fonctionnent pour les Canadiens. Les faits le confirment. Le taux de criminalité a diminué, et les Canadiens se sentent généralement en sécurité dans leurs domiciles et dans leurs collectivités.
Peut-on faire plus? Absolument. Il y a toujours trop d'actes criminels, mais les preuves et les faits sont clairs : les politiques pénales canadiennes étaient sur la bonne voie.
Le gouvernement Harper propose une approche radicalement différente. J'ai l'esprit ouvert, honorables sénateurs. Si on me fournit des preuves, je suis prêt et disposé à croire que cette nouvelle approche est meilleure que celle qui a réduit la criminalité, qui est à son plus bas niveau depuis des décennies. Malheureusement, le gouvernement ne s'intéresse pas aux preuves. Le ministre de la Justice lui-même a affirmé dédaigneusement : « Nous ne dirigeons pas en nous fondant sur des statistiques. »
Honorables sénateurs, cette déclaration est extrêmement inquiétante. Le ministre de la Justice affirme que le gouvernement ne croit pas aux politiques fondées sur des preuves. La solution du gouvernement consiste à emprisonner plus de gens pour plus longtemps.
Le projet de loi C-10 porte sur le droit pénal du Canada. Nous avons le devoir, à l'égard des Canadiens, d'exiger du gouvernement qu'il démontre, non par des boniments, des discours alarmistes ou des arguments émotifs, mais par des faits et des preuves, que ces changements sont nécessaires et pertinents et qu'ils feront progresser le programme du gouvernement promettant d'accroître notre sécurité. Le gouvernement n'a toutefois présenté aucune preuve de l'efficacité de ses propositions. Absolument aucune! Au contraire, toutes les données indiquent en fait que les moyens employés par le gouvernement ne réduiront pas la criminalité. En fait, ils pourraient même l'accroître à long terme. Ce n'est donc pas surprenant que les conservateurs s'empressent de rejeter les preuves et les faits et qu'ils essaient de convaincre les Canadiens de ne pas en tenir compte.
Le gouvernement Harper a regroupé neuf projets de loi dans un seul mégaprojet de loi, qu'il a intitulé « Loi sur la sécurité des rues et des communautés ». Le gouvernement Harper aime que ses titres soient des déclarations percutantes. Toutefois, comme on l'a constaté par le passé, les projets de loi ont souvent l'effet inverse de leur titre pompeux.
La Loi fédérale sur la responsabilité est à l'origine de la période de gouvernance la moins transparente et la plus fermée de l'histoire du Canada. Comme nous l'avions prédit à l'époque, la Loi sur la lutte contre les crimes violents, adoptée en 2008, ne s'est pas attaquée aux crimes violents. Si c'était le cas, nous n'aurions pas besoin du projet de loi C-10 aujourd'hui.
(1940)
Les sénateurs se souviendront de l'ancien feuilleton britannique « Yes, Minister ». L'un des épisodes illustrait avec une effroyable perspicacité cette pratique. Sir Humphrey Appleby, le bureaucrate suprême, disait ceci :
J'ai expliqué que nous avions intitulé le livre blanc Gouvernement ouvert parce que c'est toujours dans le titre qu'il faut se débarrasser des choses difficiles. C'est beaucoup moins dangereux que de le faire dans le texte des lois. C'est la loi de la pertinence inverse : moins on a l'intention d'en faire dans un dossier, plus il faut en parler.
En fait, les Canadiens ont proposé d'autres façons, plus exactes, de décrire le projet de loi C-10. Le 21 septembre, la rédaction du Globe and Mail a parlé du projet de loi omnibus, selon lequel « la prison est la solution à tous les maux », sous le titre « L'obsession des conservateurs n'a pas de quoi nous impressionner ».
Dan Leger, du Chronicle Herald, le quotidien de ma ville, Halifax, l'a décrit comme étant « un projet de loi mal nommé, qui n'est qu'un ramassis de dispositions; la plupart sont insensées si l'objectif réel consiste à lutter contre la criminalité ». Il a déclaré ceci : « En fait, c'est un tel fouillis de dispositions insensées qu'il faudra des années à un nouveau gouvernement pour faire le ménage dans tout ça ». Le titre de son article résume bien son point de vue : « Le projet de loi sur la criminalité : une mesure coûteuse, inefficace et entièrement politique ».
Le ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, n'a pas mâché ses mots lorsqu'il a déclaré ceci :
On n'assiste pas à un geste « tough on crime », mais plutôt à un geste « tough on democracy ».
Le projet de loi C-10 est surtout fondé sur le recours accru aux peines minimales obligatoires. D'abord, les preuves le montrent clairement : les peines minimales n'ont aucun effet dissuasif. Le ministre de la Justice lui-même a reconnu que leur utilité est limitée avant de devenir ministre du gouvernement Harper. En 1988, le ministre de la Justice, M. Nicholson, était vice-président du Comité de la justice et du solliciteur général à l'autre endroit. Des pressions étaient alors exercées par le public afin qu'on ait davantage recours aux peines minimales obligatoires, et les mêmes arguments qu'aujourd'hui étaient avancés, soit que ces peines sont nécessaires pour lutter efficacement contre la criminalité.
Le comité, sous la vice-présidence de M. Nicholson, avait alors conclu, à la lumière des témoignages entendus et des faits portés à sa connaissance, qu'hormis dans le cas de certains récidivistes sexuels violents, il ne pouvait se déclarer en faveur de l'instauration de nouvelles peines minimales. C'était la vérité à l'époque où M. Nicholson était membre du comité, et ce l'est encore aujourd'hui. Or, M. Nicholson n'a jamais osé revenir sur la contradiction apparente entre les propos qu'il tenait alors et la position que défend actuellement le gouvernement.
Les peines minimales obligatoires ont eu la cote pendant de longues années aux États-Unis. Or, elles n'ont rien donné là-bas, et rien ne nous indique qu'elles vont donner quoi que ce soit ici, au Canada. J'invite les sénateurs, et plus particulièrement mes amis d'en face, à se rendre sur le site web de l'organisme rightoncrime.com, dont se réclament de nombreux conservateurs américains bien en vue, comme Newt Gingrich; l'ancien gouverneur Jeb Bush; Grover Norquist; l'ancien baron de la drogue William Bennett; et l'ancien secrétaire à la Justice des États-Unis, Edwin Meese III. Je vous lis un paragraphe de la page où sont énoncés les principes de cet organisme :
Les conservateurs sont reconnus pour la rigueur avec laquelle ils combattent la criminalité, mais n'oublions pas que les dépenses liées au système de justice pénale gagneraient aussi à être examinées de plus près. Nous devrions par exemple exiger que les autorités cherchent des moyens plus efficients d'assurer la sécurité publique. Pensons par exemple aux prisons et aux pénitenciers : en effet, s'il est indéniable qu'ils jouent un rôle capital en ce qu'ils permettent de mettre hors d'état de nuire les délinquants dangereux et les criminels endurcis, ils sont loin d'être une panacée. Dans certains cas, ils peuvent même produire l'effet contraire et endurcir certains délinquants qui étaient tout sauf violents à leur entrée dans le système carcéral, ce qui veut dire qu'ils constitueront un risque accru pour la société quand ils en sortiront.
Les Américains ont fait une démarche inhabituelle et ont mis en garde les Canadiens, leur conseillant de ne pas répéter leurs erreurs en matière de justice pénale. Tracy Velazquez, du Justice Police Institute de Washington, a dit ceci récemment :
Nous serions désolés d'apprendre qu'un autre pays a fait les erreurs que nous avons commises il y a 20 ans en imposant des peines minimales obligatoires, des peines plus sévères aux jeunes. Nous avons vu les torts qu'elles ont causés à notre pays, tant sur le plan humain que financier. Nous avons pensé nous comporter en bons voisins en faisant part de nos préoccupations sur les conséquences de ce projet de loi pour le Canada.
Dans une entrevue publiée le 19 octobre dans iPolitics, elle a dit qu'un grand nombre d'experts qui suivent ce qui se passe à l'étranger ont du mal à comprendre pourquoi, alors que le taux de criminalité du Canada n'a jamais été aussi bas depuis des décennies, le gouvernement fédéral a adopté des politiques qui ne sont pas fondées sur des preuves solides. Elle a dit à iPolitics que l'expérience des États-Unis montre que cette approche donnera lieu à un plus grand nombre d'incarcérations et à une diminution de la sécurité publique.
Une diminution de la sécurité publique, honorables sénateurs; pensez-y. Comme les conservateurs qui cherchent à lutter judicieusement contre la criminalité l'ont appris, l'incarcération peut endurcir les contrevenants non violents à faible risque, qui deviennent une plus grande menace pour le public à leur sortie de prison. À moins que les criminels soient tous emprisonnés à perpétuité, ils sortiront un jour de prison.
Le projet de loi C-10 ne rendra pas les rues et les collectivités plus sures; c'est tout le contraire. Ce projet de loi rendra les rues et les collectivités moins sûres pour les Canadiens. Est-ce ce que nous voulons léguer aux générations à venir?
Le gouvernement nous répète sans cesse que nous avons tort de poser des questions au sujet des coûts de cette manie à emprisonner les gens. Ils demandent : « Qu'en est-il des coûts pour les victimes de crime? ». Je demande ceci : « Pourquoi n'êtes-vous pas préoccupés par le nombre de victimes que vous allez faire avec ce projet de loi insensé? »
L'une des modifications apportée par le projet de loi est particulièrement troublante, honorables sénateurs. Les modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en changeraient les principes sous-jacents. La loi actuelle établit un certain nombre de principes du système de justice pénale pour les adolescents et ajoute qu'ils visent à « favoriser la protection durable du public ». Le projet de loi C-10 supprimerait cette référence. Pensez-y. Un principe de base de l'interprétation législative, c'est que les changements sont apportés dans un but donné. Le ministre de la Justice du Québec a demandé au comité de l'autre endroit de ne pas apporter cette modification et de conserver ce segment important de la loi. La majorité conservatrice a refusé. Ce gouvernement ne se soucie pas de la protection durable de la population canadienne.
Ce n'est pas pour rien que le gouvernement conservateur rejette l'avis de ceux qui croient qu'à long terme, ce projet de loi va nuire à la sécurité publique. Il ne se soucie pas de l'avenir, comme le prouve ce projet de loi. Il n'a que faire des coûts que ça représente pour les futures victimes et pour les prochaines générations de contribuables canadiens.
Il ne faut pas se leurrer, c'est une mesure coûteuse que le gouvernement conservateur impose aux Canadiens. J'ai d'ailleurs remarqué que, lorsqu'il s'est adressé à nous, récemment, le parrain de ce projet de loi, le sénateur Runciman, n'a pas dit un seul mot sur les coûts du soi-disant programme de lutte contre le crime des conservateurs, ce qui n'est pas vraiment surprenant. Dans le seul domaine des services correctionnels, les dépenses du gouvernement fédéral sont passées de 1,6 milliard de dollars en 2005-2006 — moment où le Parti conservateur de M. Harper est arrivé au pouvoir — à 2,98 milliards de dollars en 2010-2011, ce qui représente une augmentation de 86 p. 100 des dépenses du fédéral, et on s'attend à ce qu'elles doublent encore.
Selon la toute dernière estimation des coûts du programme gouvernemental sur la loi et l'ordre, une des seules estimations dont on dispose, en fait, parce que le gouvernement refuse d'en fournir les coûts complets, il en coûterait au total 19 milliards de dollars aux contribuables canadiens pour construire les pénitenciers qui seraient nécessaires, et 3,8 milliards de plus de dollars par année en frais d'entretien et d'exploitation. C'est à l'Institut de recherche et d'informations socio-économiques du Québec que nous devons ces données.
Honorables sénateurs, ce ne sera pas le gouvernement fédéral qui devra assumer le vrai fardeau de ces coûts, notamment de ceux qui découlent du projet de loi C-10, même si c'est à lui qu'on doit ce régime coûteux, mais les provinces. Celles-ci estiment d'ailleurs que c'est au gouvernement fédéral de régler la note, puisque c'est son programme. Mais quelle a été la réponse du gouvernement conservateur? Voici ce qu'on peut lire dans Le Devoir du 8 octobre :
Le gouvernement conservateur ne ressent aucune obligation de dédommager les provinces qui verront leurs coûts carcéraux augmenter à la suite de l'adoption des projets de loi resserrant la justice criminelle. Le bureau du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, invite plutôt les provinces à couper dans l'aide sociale, l'éducation postsecondaire ou les services sociaux pour financer leurs prisons.
(1950)
Voici une citation de Michael Patton, porte-parole de M. Toews :
Depuis que nous formons le gouvernement, les paiements de transfert aux provinces ont augmenté de 30 p. 100, ce qui représente 12,7 milliards de dollars. Il appartient à chaque province d'affecter les ressources provenant du Transfert canadien en matière de programmes sociaux en fonction de ses propres priorités.
Honorables sénateurs, le Transfert canadien en matière de programmes sociaux a pour but de subventionner les programmes sociaux des provinces, comme l'enseignement postsecondaire, l'aide sociale et les centres de la petite enfance. Il a été établi que ce sont précisément ces programmes-là qui contribuent à faire en sorte que les gens ne commettent pas de crime. Autrement dit, c'est le genre de programmes qui préviennent réellement la criminalité. En mettant en place ces programmes, les provinces assurent le meilleur soutien possible aux victimes, puisqu'elles empêchent au départ que des crimes soient commis. Le gouvernement dit aux provinces qu'elles devraient prendre l'argent de ces programmes pour bâtir et faire fonctionner des prisons.
Deux provinces, l'Ontario et le Québec, ont carrément affirmé qu'elles n'assumeraient pas les coûts supplémentaires qu'engendrerait l'adoption du projet de loi C-10. Les autres provinces n'ont pas été aussi catégoriques, mais elles semblent avoir une opinion tout aussi arrêtée. Cette politique est une politique fédérale, et la facture ne devrait pas en être refilée aux provinces.
Tasha Kheiriddin, du National Post, un journal qui n'est pas particulièrement connu pour ses opinions de gauche, a signé le 8 novembre un article sur le sujet intitulé « Ottawa planifie, les provinces paient ». Elle a écrit :
Les conservateurs se plaisent à parler de la décentralisation et du respect des compétences fédérales et provinciales. Mais vu le pouvoir considérable qu'a M. Harper d'apporter des changements d'envergure nationale, il s'avère beaucoup trop tentant pour lui de ne pas joindre le geste à la parole.
N'oublions pas, honorables sénateurs, que les mêmes contribuables payent les factures des gouvernements fédéral et provinciaux, mais personne ne sait — si quelqu'un le sait, il n'osera pas le dire — combien coûteront ces multiples incarcérations. C'est justement pour cette raison que nous exigeons avec autant d'insistance que le gouvernement révèle combien coûtera son programme en matière de justice pénale. N'oublions pas que chaque dollar consacré à la construction et à l'exploitation d'établissements carcéraux, qu'ils proviennent des provinces ou du fédéral, est un dollar de moins que nous pouvons attribuer aux nombreuses autres priorités au Canada, que ce soit les soins de santé, l'éducation, le logement autochtone, ou autre.
Selon moi, il est tout simplement inacceptable que le gouvernement se contente d'accuser ses détracteurs d'être indulgents envers les criminels ou de n'avoir aucune compassion à l'égard des victimes de la criminalité. Le gouvernement a remporté les dernières élections parce qu'il a promis de gérer prudemment l'économie, mais pourtant, il a présenté un projet de loi dont il ne peut informer les contribuables du coût. Promesse faite, promesse trahie.
J'aimerais brièvement parler du cheminement de ce projet de loi. Madame le sénateur LeBreton, leader du gouvernement au Sénat, a dit ceci en cet endroit, le 6 décembre :
[...] nous aurons amplement l'occasion de l'étudier lorsqu'il sera renvoyé au comité [...]
Je la crois sur parole. J'ose espérer qu'elle a dit cela parce que son gouvernement a compris que le délai artificiel de 100 jours de séance imposé pour l'adoption de ce projet de loi était tout simplement absurde. Quel événement magique aura lieu après 100 jours de séance?
Le ministre de la Justice a affirmé que le comité de l'autre endroit a entendu plus de 50 témoins, laissant entendre par là que le projet de loi avait été examiné en détail et que tout ce qui devait être dit avait été dit. C'est loin d'être le cas, honorables sénateurs.
Le comité de l'autre endroit a accordé à chaque témoin cinq minutes pour parler du projet de loi, qui compte plus de 100 pages et qui regroupe neuf mesures législatives distinctes. Chaque témoin avait donc la possibilité de parler de chacune d'entre elles pendant 30 secondes. Tous les témoins disposaient de cinq minutes, sans exception. Les ministres provinciaux de la Justice disposaient de cinq minutes. Les diverses associations du Barreau disposaient de cinq minutes. Beaucoup de témoins se sont littéralement fait interrompre au beau milieu d'une phrase. Il va sans dire que la période consacrée aux questions et aux observations entre députés et témoins était strictement limitée; ainsi, beaucoup de députés ont seulement pu interroger un ou deux témoins par groupe.
Le résumé législatif du projet de loi C-10 élaboré par la Bibliothèque du Parlement fait plus de 150 pages. L'Association du Barreau canadien a soumis un mémoire de 90 pages. Comment peut-on résumer le contenu de 90 pages en cinq minutes? Ce n'est pas ainsi que le Parlement devrait adopter des lois, et encore moins des modifications importantes au droit pénal, modifications qui auront certainement pour effet de priver davantage de Canadiens de leur liberté.
Malheureusement, l'autre endroit n'a pas bien fait son travail en ce qui concerne ce projet de loi. On n'a pas permis aux députés de faire leur travail. Faisons le nôtre. Éliminons cette échéance artificielle et totalement inutile. S'il y a une raison objective, sérieuse et légitime à cette dernière, il faut nous le dire, car, à ce jour, on ne nous a fourni aucune raison.
J'espère que le comité pourra adopter une approche plus raisonnable concernant l'étude de ce projet de loi. Les personnes qui veulent se faire entendre devraient pouvoir s'exprimer pleinement, comme il se doit. S'il faut les entendre en groupes, il faudrait constituer ces groupes par thème et non regrouper tout un méli-mélo de témoins qui aborderont différentes parties du projet de loi. J'espère que les sénateurs qui participeront aux réunions disposeront d'autant de temps que nécessaire pour interroger les témoins.
Enfin, j'ose également espérer que, cette fois-ci, le gouvernement permettra aux sénateurs d'en face d'écouter attentivement les amendements proposés afin d'en évaluer le bien-fondé et de se prononcer à leur égard. Plusieurs d'entre nous ont été témoins du spectacle désolant qui s'est déroulé à l'autre endroit, alors que les députés de l'opposition ont présenté des arguments étoffés pour appuyer certains amendements à partir des témoignages présentés devant le comité, qui ont ensuite été rejetés du revers de la main par les conservateurs majoritaires et, souvent, sans qu'ils aient même tenté de réfuter les arguments de l'opposition.
Nous avons vu les conséquences d'un tel comportement. Irwin Cotler, mon collègue libéral à l'autre endroit, avait proposé des amendements à une partie du projet de loi qui visaient à améliorer le projet de loi, afin qu'il atteigne l'objectif que vise le gouvernement, mais ils ont été rejetés par les conservateurs majoritaires. À peine quelques jours plus tard, le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, a voulu présenter, pour ainsi dire, les mêmes amendements que ceux qu'avait proposés M. Cotler, mais ils ont été jugés irrecevables par la présidence. Le Président de l'autre endroit a jugé que les amendements auraient dû être présentés au comité. Je m'attends à ce que le gouvernement les présente au comité sénatorial. C'est pour cette raison que le Sénat existe. Je me demande toutefois quels autres amendements pourraient être apportés au projet de loi.
Le professeur Anthony Doob, un criminologue très réputé de l'Université de Toronto, a comparu au comité de l'autre endroit. Pendant la brève présentation qu'il a eu l'occasion de donner, il a attiré l'attention du comité sur une disposition dont les conséquences étaient franchement absurdes. Aux termes de cette disposition, une peine minimale de 9 mois serait imposée à une étudiante vivant dans un appartement loué qui cultive un seul plant de marijuana en vue de partager le stupéfiant avec son petit ami. En revanche, si l'étudiante était propriétaire d'un appartement où elle cultive 150 plants, la peine minimale obligatoire serait de six mois seulement. Les conservateurs ont aussitôt dit que c'était une erreur de rédaction, et on a procédé à une correction à l'examen article par article.
Quelles sont les autres dispositions absurdes ou erreurs de rédaction que nous verrons dans ce gigantesque projet de loi? Que découvrirons-nous lorsqu'on l'étudiera de façon appropriée? Je pose la question, car ce n'est pas le seul résultat bizarre qui a été relevé à propos de ce projet de loi. Le 23 septembre, le National Post a publié un article indiquant certaines des étranges peines minimales obligatoires prévues dans le projet de loi C-10. L'article portait le titre suivant : « Des peines d'emprisonnement plus longues pour les cultivateurs de marijuana que pour les violeurs ». Voici ce que l'article rapportait :
Le projet de loi impose une peine minimale obligatoire d'un an pour les personnes reconnues coupables d'avoir agressé sexuellement un enfant, d'avoir leurré un enfant par Internet ou d'avoir commis un acte de bestialité en présence d'un enfant. Les peines automatiquement appliquées pour ces trois délits sont moins sévères que celles imposées pour la culture de la marijuana à moyenne échelle dans un bâtiment loué ou sur des terres appartenant à quelqu'un d'autre. Un pédophile qui amène un enfant à regarder du contenu pornographique avec lui, ou encore un pervers qui s'exhibe devant des enfants sur un terrain de jeu, se verrait imposer une peine minimale de 90 jours, soit la moitié de la peine applicable pour un homme reconnu coupable d'avoir cultivé six plants de marijuana dans son propre domicile.
La peine maximale pour la culture de marijuana serait doublée, passant de 7 à 14 ans. C'est l'équivalent de la peine maximale imposée à une personne qui utilise une arme en violant un enfant, et c'est quatre ans de plus que la peine qui s'applique lorsqu'on agresse sexuellement un enfant sans utiliser une arme.
Honorables sénateurs, voilà ce qui arrive lorsque le Parlement usurpe le rôle d'un juge. On dit souvent que le droit pénal est un instrument radical. Or, il s'avère beaucoup plus radical lorsqu'il supprime le pouvoir judiciaire discrétionnaire.
(2000)
La semaine dernière, le sénateur Andreychuk a rappelé au Sénat les propos du juge Dickson :
Il existe au Canada une séparation des pouvoirs entre les trois branches du gouvernement — le législatif, l'exécutif et le judiciaire.
Notre système judiciaire repose sur l'équilibre délicat des rôles répartis entre le Parlement, les juges, les procureurs et les policiers, un équilibre qui a évolué au fil des siècles.
Honorables sénateurs, les peines minimales obligatoires bousculent cet équilibre sans qu'on puisse savoir de quelque façon que ce soit quel sera le nouvel équilibre, ni qu'on y ait réfléchi au préalable.
Laissez-moi donner un exemple concret. Le ministre de la Justice Nicholson se plaît à dire aux Canadiens que le projet de loi est « [...] très ciblé. Il vise les trafiquants de stupéfiants. » Il a déclaré ceci :
Nous parlons d'individus mêlés au crime organisé et, en fait, ce trafic génère pas mal de violence.
Je serais ravi qu'un projet de loi s'attaque aux individus violents mêlés au crime organisé. Le problème, c'est que le projet de loi C-10 est loin d'être aussi précis que le prétend le ministre de la Justice. La définition de « trafic » — le sénateur Baker nous l'a déjà signalé — viserait notamment un étudiant de 18 ans qui offrirait de la drogue à un ami au cours d'une fête. Le simple fait d'en offrir — que la personne l'accepte ou non et qu'elle la paie ou non — est inclus dans la définition du « trafic ».
Est-ce qu'on devrait infliger la même peine minimale obligatoire à cet adolescent qu'à un membre du crime organisé qui vend activement de grandes quantités de drogue? Les Canadiens veulent-ils réellement envoyer ces jeunes en prison?
Le gouvernement répond : « Ne soyez pas ridicules. Dans un tel scénario, personne n'inculperait vraiment l'adolescent. »
Autrement dit, ce pouvoir est retiré au juge, à qui il incomberait traditionnellement d'analyser le cas de l'adolescent comparaissant à son tribunal afin de déterminer quel serait le meilleur moyen de le détourner de la drogue. On le confère plutôt au procureur, qui décide de porter ou non des accusations contre l'adolescent — voire de conclure une entente pour qu'il plaide coupable à un chef d'accusation moindre, sans peine minimale obligatoire —, sinon aux policiers eux-mêmes, qui décident d'arrêter ou non le jeune.
Notre système n'est pas conçu pour fonctionner ainsi. Les procureurs ne sont pas des juges, et les policiers non plus. Les Canadiens voudraient-ils donner un tel pouvoir à la police et aux procureurs, plutôt qu'à des juges impartiaux?
Notre système de justice pénale est déjà surchargé à l'extrême, comme l'a indiqué le président de l'Association canadienne des juristes de l'État devant le comité de l'autre endroit. Voici un extrait de son témoignage :
Compte tenu de ses ressources actuelles, le système de justice pénale ne peut mettre en application entièrement et de façon constante un grand nombre de nos lois criminelles. Voilà le contexte dans lequel s'insèrent ces modifications. [...]
En ce qui concerne ces infractions, nous nous attendons à ce que les répercussions systémiques sur le terrain consistent en [...]
Il parlait alors des répercussions du projet de loi C-10.
[...] une augmentation de la charge de travail globale, en grande partie parce que le taux de procès augmentera. En l'absence de nouvelles ressources substantielles tangibles pour appuyer cette nouvelle charge de travail, ces infractions viendront exacerber une situation déjà dangereuse de surcharge de travail.
Que doit-on en conclure, honorables sénateurs? Cela veut dire que des affaires qui devraient faire l'objet d'un procès ne se retrouveront pas devant les tribunaux. On négociera une réduction des accusations en échange d'un plaidoyer de culpabilité ou encore il n'y aura aucune procédure. Tout se décidera derrière des portes closes. Le droit pénal deviendra une comédie, où la pratique sera le contraire de la théorie. La loi sera probablement différente selon le lieu où l'on habite. Elle sera appliquée strictement à certains endroits, mais tranquillement ignorée à d'autres endroits. Habiter à un endroit vous vaudra la prison pour certains actes auxquels la police ne s'intéressera même pas à d'autres endroits.
Est-ce ainsi qu'on espère « sévir contre le crime »? Est-ce la version canadienne d'un programme pour faire régner « la loi et l'ordre »?
La réponse habituelle du gouvernement consiste à ignorer la question et à répéter son mantra : Ils s'inquiètent du sort des victimes. Honorables sénateurs, nous nous inquiétons tous du sort des victimes de la criminalité. Mais les victimes ont besoin d'une aide sérieuse, et non de solutions illusoires.
Steve Sullivan est l'ancien ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, nommé par le gouvernement conservateur. Il est catégorique au sujet du projet C-10, qui contient bel et bien, selon lui, des dispositions réclamées par les défenseurs des droits des victimes. Cependant, il ajoute que ces dispositions ne sont pas nouvelles et qu'elles ont été présentées pour la première fois par le gouvernement libéral, en 2005, sous forme de modifications législatives semblables.
Cependant, pour ce qui est des répercussions globales du projet de loi C-10, M. Sullivan a déclaré ce qui suit :
Je n'ai pas encore vu — car j'ai assisté à un certain nombre d'audiences — des preuves concluantes pouvant me persuader que le projet de loi assurera à long terme une plus grande sécurité aux victimes ou à la société. Le problème, pour moi, c'est qu'on présente le projet de loi comme un pilier de l'engagement envers les victimes alors qu'à part les dispositions que j'ai mentionnées au début de mon exposé, je n'y vois pas grand-chose qui puisse changer la vie de tous les jours des gens qui ont été victimes d'actes criminels.
C'était lors de son témoignage du 27 octobre dernier.
M. Sullivan a souligné que, d'après son expérience — et il a consacré sa vie à travailler avec les victimes d'actes criminels —, les victimes qui réclament justice veulent être incluses dans tout le processus. Il a déclaré qu'avec les déclarations des victimes, par exemple, un des plus grands facteurs concernant la satisfaction, c'est la reconnaissance par le juge du tort causé à une victime, même si la peine n'est pas celle à laquelle la victime se serait attendue.
M. Sullivan a demandé en quoi il serait utile aux victimes que le système devienne si engorgé que le nombre de négociations de plaidoyers et de suspensions d'instances augmente. Il soulève une bonne question.
M. Sullivan conclut ainsi :
Je suis d'avis que nous devrions utiliser les ressources limitées dont nous disposons pour aider les collectivités et renforcer les programmes susceptibles de contribuer à la guérison des victimes. Je crains fort que ce projet de loi ne soit pas très utile à cet égard.
Le gouvernement a défendu son projet de loi en affirmant qu'il aiderait les victimes d'actes criminels, pourtant, son propre ombudsman des victimes d'actes criminels a déclaré aux députés que le projet de loi n'aiderait pas les victimes et que les seules dispositions qui le faisaient vraiment étaient celles qui ont été présentées en 2005.
Honorables sénateurs, je tiens tout particulièrement à insister sur les dispositions modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents parce qu'elles ont suscité une grande controverse et ont été fortement critiquées.
Le ministre de la Justice du Québec, M. Jean-Marc Fournier, s'est présenté devant le comité de l'autre endroit, ce qui est inhabituel, pour exprimer les fortes objections du gouvernement du Québec à ces dispositions et à d'autres dispositions du projet de loi C-10. Il a déclaré qu'il demeurait « exceptionnel » pour le gouvernement du Québec d'agir de la sorte — c'est-à-dire de comparaître devant le comité — et que c'était la « gravité de la situation » qui le justifiait .
M. Fournier a dit ce qui suit au comité de la Chambre des communes :
Le projet de loi C-10 devient, par rapport à la situation actuelle, une loi favorisant la récidive et multipliant les victimes. De nombreuses études, même des études fédérales, démontrent que l'emprisonnement ne réduit ni l'incidence du crime, ni la récidive. Au contraire, on peut envisager que l'emprisonnement puisse être un facteur de récidive en servant d'école du crime. Une chose est certaine, un combat efficace et durable contre la criminalité ne peut pas se limiter à emprisonner les contrevenants. Par définition, il arrive un moment où le criminel sort de prison et retourne dans la société. Lutter durablement contre le crime, c'est porter une attention particulière à cette réinsertion dans la collectivité. Le fait d'axer toute l'intervention sur l'emprisonnement pour une période de temps ne constitue qu'une solution temporaire superficielle.
Ce sont les propos du ministre Fournier, pas les miens.
Il poursuit en disant ceci :
C'est une solution clémente relativement aux crimes. Apprendre un comportement acceptable à un jeune délinquant, c'est permettre d'éviter la répétition d'un comportement inacceptable. Si aucun enseignement et aucun suivi n'est fait quant au comportement à adopter en société, nous encourageons les délinquants à récidiver. Les solutions proposées par le projet de loi C-10 ne répondent pas à l'objectif avoué de sécurité publique. Elles ne répondent pas non plus aux besoins réels de pénalisation des délinquants ou aux objectifs de prévention du crime et de la récidive.
La déclaration de M. Fournier met surtout l'accent sur les dispositions du projet de loi concernant la justice pénale pour les adolescents. Le Québec, bien sûr, a adopté depuis longtemps une approche fondée sur la rééducation, la réadaptation et la réinsertion sociale des jeunes contrevenants, plutôt que sur leur emprisonnement. Cela n'exclut pas les victimes. Au contraire, le ministre Fournier signale que :
[...] l'approche de réadaptation fait plus de place à la victime que l'approche de l'emprisonnement. En effet, l'intervention auprès des adolescents contrevenants doit prendre en compte l'intérêt des victimes, l'impact que les délits ont eu sur elles, tout en s'assurant que leurs droits et leur dignité sont respectés. Les victimes ont notamment le droit d'être informées des procédures prises à l'égard de l'adolescent dans la prise en compte des torts causés à la victime. Un processus de réparation est imposé à l'adolescent lorsque c'est possible.
Comme il l'a dit à la Chambre des communes : « Cette façon de traiter la délinquance juvénile fonctionne. Le Québec affiche le taux de criminalité le plus faible au Canada. »
Cela s'applique à la criminalité en général et à la criminalité juvénile en particulier.
(2010)
Le ministre Fournier est revenu à Ottawa, cette fois-ci pour rencontrer le ministre de la Justice, M. Nicholson, pour discuter posément et en privé d'éventuels amendements au projet de loi C-10. Il était extrêmement déçu au sortir de cette réunion. Il a dit ceci :
Je suis venu ici aujourd'hui et je me suis heurté à une porte fermée sur tous les plans.
Il a demandé aux conservateurs de lui montrer les éléments de preuves sur lesquels ils s'appuient pour proposer des changements aussi profonds au droit pénal. Voici ce qu'il a dit :
Je lui ai demandé de présenter les études sur lesquelles il s'appuie pour modifier le système pour jeunes contrevenants.
Le ministre a répondu qu'il avait reçu des observations personnelles.
M. Fournier, qui, à mon avis, s'est montré très raisonnable, s'est contenté de réitérer qu'il voulait simplement qu'on lui montre les études.
Honorables sénateurs, le gouvernement a ensuite accepté de présenter les éléments de preuve. Un des rapports, qui provient de ma propre province, la Nouvelle-Écosse, a été rédigé en 2005 par l'ancien juge Merlin Nunn et porte sur la question de la justice pénale pour les adolescents. En effet, le premier ministre Harper a cité à plusieurs reprises le rapport du juge Nunn, comme s'il s'agissait d'un appui tacite pour les modifications législatives proposées.
Toutefois, honorables sénateurs, le juge Nunn a lui-même affirmé publiquement que le projet de loi C-10 va trop loin.
Le sénateur Cordy : C'est vrai.
Le sénateur Cowan : Il a dit : « Je ne l'aime pas. Je partage plutôt la position du Québec. »
Dans une interview donnée en 2008, le juge Nunn a dit que, lorsqu'on impose une peine à un adolescent, la solution la moins restrictive est la meilleure. « Les peines sévères n'ont aucun effet dissuasif », a-t-il dit à La Presse Canadienne.
À ma connaissance, il n'existe aucune preuve en Amérique du Nord que de garder des personnes en détention plus longtemps ou de les punir plus longtemps peut avoir des répercussions bénéfiques sur la société.
À propos des jeunes contrevenants, le juge Nunn a dit ceci :
La détention devrait être le dernier recours pour un enfant [...] Je n'ai aucun doute que certains enfants reconnus coupables doivent être maintenus en détention pendant une certaine période, mais je ne pense pas qu'on devrait les mettre au cachot et jeter la clé.
Au lieu d'être réadaptés, les jeunes contrevenants seront 10 fois pires lorsqu'ils sortiront de prison.
Honorables sénateurs, les modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents soulèvent de sérieux problèmes. Le fait d'incarcérer les jeunes délinquants pendant de plus longues périodes accroîtra-t-il la sécurité publique?
Des voix : Non.
Le sénateur Cowan : J'ai hâte d'entendre l'intervention du sénateur Duffy à ce sujet. Il sera fort intéressant de l'entendre débattre avec le juge Nunn.
Le fait d'incarcérer davantage de jeunes délinquants pendant de plus longues périodes accroîtra-t-il la sécurité publique?
Le professeur de droit Nicholas Bala, qui travaille depuis plus de 30 ans sur des questions concernant les enfants et les adolescents, a signalé que les jeunes délinquants placés en détention — notamment en détention avant procès — sont particulièrement vulnérables et risquent d'être recrutés par des bandes de jeunes criminels, ce qui pourrait entraîner un cycle sans fin de récidive. Or, le gouvernement cherche à obtenir exactement le résultat contraire.
Qu'est-ce qui dissuade les jeunes de se livrer à des activités criminelles et qui, par voie de conséquence, accroît la sécurité publique? Comme le juge Nunn l'a clairement indiqué : « L'imposition de peines sévères ne constitue pas un moyen de dissuasion efficace contre la criminalité ». Toutes les sources que j'ai consultées souscrivent à ce point de vue. Cependant, la réadaptation et la réinsertion sociale, comme les pratique le Québec, donnent des résultats positifs.
Sur quoi repose la nouvelle approche radicale présentée dans le projet de loi C-10? La publication du nom des jeunes délinquants, comme le propose le projet de loi C-10, les aidera-t-elle à devenir de jeunes adultes responsables?
Une voix : Non.
Le sénateur Cowan : Comme le soutiennent le professeur Bala et d'autres experts, cette nouvelle approche rendra-t-elle encore plus difficiles la réadaptation et la réinsertion des jeunes contrevenants dans la société?
Ces préoccupations s'appliquent à l'ensemble du projet de loi C- 10 parce que je crois que le gouvernement n'a pas compris une vérité fondamentale, en l'occurrence que le droit criminel est un outil très radical.
Le gouvernement Harper affirme vouloir sévir contre les récidivistes violents, les prédateurs sexuels et les membres du crime organisé qui vendent de la drogue à nos enfants, mais le projet de loi qu'il propose va bien plus loin.
On sait que les prisons canadiennes abritent un nombre disproportionné de personnes souffrant de problèmes mentaux. L'enquêteur correctionnel du Canada vient de publier son rapport annuel pour 2010-2011. Les statistiques sont effarantes. Un rapport interne du Service correctionnel du Canada révèle que 38 p. 100 des hommes admis dans des pénitenciers fédéraux nécessitent une évaluation particulière pour établir s'ils ont des besoins en matière de santé mentale. Pour les femmes, les statistiques sont encore pires. Plus de 50 p. 100 d'entre elles ont besoin d'une évaluation psychiatrique plus approfondie. Honorables sénateurs, on lit ensuite dans ce rapport que, selon toute probabilité, ces chiffres sont probablement plus élevés dans la réalité, puisque les troubles de santé mentale sont généralement sous-signalés dans un contexte carcéral.
Je veux être bien clair, honorables sénateurs : à mon avis, le projet de loi C-10 empirera une situation déjà déplorable, il ne l'améliorera pas.
Voici ce que l'enquêteur correctionnel, M. Howard Sapers, déclare dans son rapport :
Le fait d'incarcérer les détenus souffrant de troubles de santé mentale dans des conditions ou un environnement où il est difficile de répondre à leurs besoins va à l'encontre des objectifs en matière de sécurité publique et de réadaptation. En termes simples, il n'y a pas suffisamment de moyens, de ressources ou de professionnels pour répondre à la demande grandissante à laquelle doit faire face un système qui n'a jamais été conçu pour gérer une population aussi gravement malade.
M. Sapers a accordé une entrevue au Hill Times au sujet de son rapport et des répercussions prévues du projet de loi C-10 sur cette situation déjà difficile. Il a décrit comment on utilisait, dans certains cas, les espaces de traitement et les lieux réservés à la prestation des programmes pour loger des détenus. Cela signifie qu'il ne reste plus d'endroit pour offrir les traitements et les programmes nécessaires. Il a dit que le projet de loi C-10 n'allait qu'empirer le problème.
Permettez-moi de lire un court extrait de cet article paru dans le numéro du 8 décembre :
Selon M. Sapers, la pression ressentie dans les prisons et les budgets restreints ont déjà grandement limité l'accès aux programmes de désintoxication et à d'autres cours, notamment la formation de base à la littératie, qui est censée être offerte dans les établissements fédéraux.
« Je peux vous donner des exemples, particulièrement dans les prisons pour femmes d'un bout à l'autre du pays, où les locaux devant servir à la prestation des programmes, les salles d'entrevue, les bureaux sont utilisés pour loger les détenus parce que ces centres sont surpeuplés. »
Une lettre d'un lecteur parue le 8 décembre dans le Globe and Mail m'a particulièrement frappé, mais non parce qu'elle sortait de l'ordinaire. C'était plutôt l'inverse. Je crois que l'expérience décrite dans cette lettre est une description de ce qui se produit trop souvent dans nos prisons. Voici ce que disait l'auteur :
Mon frère, qui a des troubles mentaux, a été libéré récemment après 90 jours dans une prison provinciale. Il venait de purger la dernière d'une série de peines d'incarcération pour infractions mineures. On a ainsi gaspillé 15 000 $ de l'argent des contribuables pour le garder enfermé. Comme d'habitude, il en est ressorti aux prises avec les mêmes troubles, parce qu'il n'a pas eu la médication et l'aide qui auraient pu l'aider. Quand il essaie d'obtenir des services essentiels en santé mentale, on l'inscrit sur une liste d'attente. Quand il se retrouve à l'hôpital en pleine crise psychotique, on le renvoie chez lui parce qu'il « n'y a plus de chambres à l'auberge ».
Quand il est en bonne santé, mon frère est une personne intelligente et vaillante. Il peut contribuer à la société et payer des taxes et des impôts, s'il obtient les soins et les services de soutien appropriés. Quel énorme gaspillage de dignité humaine, de fonds publics et de possibilités sociales.
À cette époque où on ne pense qu'à réduire les coûts, je souhaite que le gouvernement cesse de gaspiller de l'argent et des vies en mettant derrière les barreaux les personnes atteintes de maladies mentales. Leur fournir les soins nécessaires constitue une option plus compatissante, plus rationnelle et plus responsable sur le plan social.
Cette lettre est signée par Lorraine Land, de Toronto.
Honorables sénateurs, soyons clairs. Comme le projet de loi C-10 va entraîner des coûts très élevés pour tous les ordres de gouvernement, il restera moins d'argent pour les services dont ont besoin nos concitoyens atteints de maladies mentales. Par conséquent, la situation s'aggravera énormément.
Honorables sénateurs, le frère de Mme Land n'est pas un criminel endurci. Quelle logique peut expliquer l'emprisonnement de nos concitoyens atteints de maladies mentales? Pourtant, le projet de loi C-10 enlèvera aux juges la capacité d'examiner l'accusé tel qu'il est. Ils ne pourront donc plus juger la personne devant eux, ce qui est pourtant fondamental dans notre système de justice. Voilà ce que font les peines minimales obligatoires : elles enlèvent aux juges leur pouvoir discrétionnaire.
Nous qui siégeons dans cette enceinte, comment pouvons-nous décider de ce qui convient le mieux au frère de Mme Land, à la sœur de telle personne ou à la mère ou au fils d'une autre? Cela nous est impossible, chers collègues. Pourtant, c'est ce que nous faisons quand, en tant que législateurs, nous usurpons le pouvoir discrétionnaire des juges, comme on nous demande de faire en adoptant ce projet de loi.
Le nombre de Canadiens d'origine autochtone qui sont aussi incarcérés dans nos établissements carcéraux est grandement disproportionné par rapport au pourcentage qu'ils représentent dans la population générale. Certains de mes collègues parleront des répercussions du projet de loi C-10 sur nos citoyens autochtones. Je doute qu'il soit judicieux de dire à des juges qu'ils doivent absolument imposer la même peine minimale à un membre du crime organisé qui fait du trafic de drogue qu'à quelqu'un qui a grandi dans la pauvreté au sein d'une Première nation dans des conditions de logement déplorables, sans eau courante, et qui se tourne vers la drogue, qu'il partage avec un ami dans la même situation. Est-ce que la drogue est la réponse? Non, mais la prison non plus.
(2020)
Le gouvernement s'est fait récemment reprendre par la Cour fédérale du Canada pour avoir commis un acte qui constitue une atteinte à la primauté du droit. Honorables sénateurs, je crains qu'avec un projet de loi comme le projet de loi C-10, on ne mette le droit sens dessus dessous. Dans un excès d'orgueil, le gouvernement essaie de plus en plus de s'approprier le rôle de la magistrature, de grignoter sa compétente en quelque sorte. En rejetant immédiatement la décision de la semaine dernière sur la Commission canadienne du blé et le projet de loi C-18, le gouvernement Harper a montré qu'il refusait d'écouter les décisions des tribunaux qui ne lui plaisent pas. Avec des projets de loi comme le projet de loi C-10, il essaie de bloquer ce genre de décision dans l'œuf en empêchant les juges canadiens d'exercer leur pouvoir discrétionnaire et de se prononcer comme on leur a appris à le faire et, franchement, comme on s'attend à ce qu'ils le fassent dans le cadre de notre système juridique.
Ce projet de loi fait 100 pages. Il comporte beaucoup de choses qu'il faut examiner. Je sais que plusieurs de mes collègues ont l'intention d'en évoquer un certain nombre au cours du débat. Je n'ai pu en aborder que quelques-unes, mais je voudrais revenir un instant sur la question de l'échéancier.
Encore une fois, j'espère bien que nous pourrons entendre des témoins sans entrave et qu'on n'obligera pas le comité à faire rapport du projet de loi au Sénat avant d'avoir eu la possibilité d'examiner correctement tous les aspects du projet de loi. Le ministre de la Justice a dit à plusieurs occasions que les diverses parties du projet de loi avaient déjà été présentées au Parlement et fait l'objet d'un examen approfondi. Je ne vois pas pourquoi on pourrait ou on devrait considérer qu'une étude effectuée par les parlementaires lors d'une législature précédente équivaut à une étude par les parlementaires de la nouvelle législature, surtout après des élections au cours desquelles un bon tiers des députés ont été remplacés, mais cela concerne l'autre endroit.
Honorables sénateurs, nous n'avons pas vu précédemment au Sénat la plupart des projets de loi regroupés dans ce projet de loi C- 10. C'est la première fois que nous examinerons ces dispositions. Comme je l'ai dit, en les regroupant, on a fait apparaître des incohérences étranges qu'il faut examiner, par exemple les lourdes sanctions imposées dans une partie par opposition à des sanctions plus légères imposées dans une autre pour des infractions qui sembleraient beaucoup plus répréhensibles.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 exige un examen critique sérieux et soigné. De notre côté, nous ne pouvons pas l'appuyer dans sa forme actuelle. Nous serions disposés à en appuyer certaines parties et à collaborer avec le gouvernement pour en améliorer d'autres, mais puisque le gouvernement a clairement montré à l'autre endroit que cela ne l'intéresserait pas d'accepter ni même d'examiner des amendements raisonnables proposés par l'opposition, nous n'avons d'autre choix que de nous opposer à ce projet de loi à l'étape de la deuxième lecture. Le gouvernement a malheureusement mélangé le bon grain et l'ivraie.
Je vais citer deux Canadiens éminemment respectés qui ont chacun accumulé une expertise considérable et une expérience concrète en la matière.
Le premier est David Daubney, qui a servi à l'autre endroit comme député progressiste-conservateur. Il a acquis une grande expertise en matière de politiques de détermination de la peine comme président du Comité de la justice de l'autre endroit. Il avait alors travaillé en étroite collaboration avec l'actuel ministre de la Justice, M. Nicholson. Il est ensuite entré au ministère de la Justice pour poursuivre son travail sur les politiques de détermination de la peine et d'autres aspects du droit pénal. L'autre jour, il a donné une rare et, à mon avis, une courageuse, entrevue, dans laquelle il a dit qu'il se sentait obligé de signaler que les politiques fédérales risquaient de défaire des décennies de recherche et de réforme correctionnelles. Il craint que nous ne retournions à l'époque des émeutes dans les prisons. Il a dit ceci :
Il est plutôt triste que j'aie à le faire, mais quelqu'un doit prendre le risque de parler. [...] Je suis triste pour mes collègues qui sont encore en poste. Il est clair que le gouvernement n'était pas intéressé par les résultats des recherches ni par les preuves qui ont été présentées de manière très convaincante.
Le deuxième est Alex Himelfarb, ancien greffier du Conseil privé. Il a beaucoup écrit au sujet du projet de loi omnibus sur la criminalité du gouvernement Harper. Il a passé une grande partie de sa carrière dans la fonction publique dans le secteur de la justice, à l'ancien ministère du Solliciteur général, devenu le ministère de la Sécurité publique, au ministère de la Justice et à la Commission nationale des libérations conditionnelles. Il a signé un article sur le projet de loi omnibus sur la criminalité intitulé « A Meaner Canada : Junk Politics and the Omnibus Crime Bill ». Récemment, le 7 décembre, après l'adoption du projet de loi C-10 à l'autre endroit, M. Himelfarb a rédigé un article intitulé « A Bad Day : What Now? » Il a présenté des arguments convaincants expliquant pourquoi les opposants du projet de loi devraient persévérer. Il a conclu son article ainsi :
En combattant ce genre de mesure législative, nous combattons aussi pour une nouvelle façon de faire de la politique.
Qui parmi nous n'a pas à l'occasion peur, surtout pour ses enfants; qui n'est pas souvent en colère ou horrifié en voyant aux nouvelles les crimes horribles qui sont commis; qui n'est pas ému par la souffrance des victimes et de leur famille? Et nous connaissons nos propres faiblesses, le fait que nous pouvons confondre justice et vengeance, que notre colère peut nous faire ignorer les preuves et qu'il nous arrive de perdre patience et d'agir à l'encontre de nos propres intérêts.
S'opposer à ce projet de loi punitif équivaut à s'opposer à une politique qui exploite nos faiblesses au lieu de faire ressortir ce qu'il y a de mieux en nous.
Et s'opposer à une mauvaise politique, ça réchauffe l'âme.
Honorables sénateurs, nous devrions tous faire un examen de conscience quant aux conséquences que le projet de loi C-10 aura pour nous et notre pays. Au lieu d'aborder la réforme de la justice pénale en tenant compte de propositions fondées sur l'expérience , le gouvernement Harper a, encore une fois, été aveuglé par son idéologie et il impose aux Canadiens un ramassis de mesures mal avisées, insensées et coûteuses, qui ne permettront même pas d'atteindre l'objectif déclaré du gouvernement qui est de mieux protéger les Canadiens et les collectivités.
La conclusion succincte de l'éditorial du Globe and Mail d'hier résume bien la situation : « Il va falloir que le gouvernement prenne un jour le risque d'écouter. »
Des voix : Bravo!
Une voix : Bravo!
[Français]
L'honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Est-ce que le sénateur accepterait de répondre à une question?
Le sénateur Cowan : Certainement.
Le sénateur Boisvenu : Je remercie le sénateur Cowan de sa présentation très élogieuse.
J'aurais aimé effectivement que vous parliez 99 p. 100 du temps pour les victimes et 1 p. 100 du temps pour les criminels. Vous avez parlé 99 p. 100 du temps pour les criminels et 1 p. 100 du temps pour les victimes. On s'aperçoit donc que le Parti libéral défend davantage les droits des criminels et le Parti conservateur les droits des victimes.
Normalement, lorsqu'on fait un mémoire, on le présente avec des données crédibles. J'ai en main le mémoire de l'IRIS que vous avez mentionné sur le coût du système. Je vais vous rapporter trois erreurs fondamentales dans ce document et ensuite, je vais vous poser une question.
La première erreur monumentale dans cette étude, que j'appellerais plutôt un exposé politico-économique, est la suivante : on dit qu'on va construire au Canada 27 nouvelles prisons. On va donc presque doubler le nombre de prisons. En fait, il s'agit de 27 améliorations locatives, soit des investissements dans 27 des 56 prisons, mais, pour eux, c'est 27 nouvelles prisons.
L’autre erreur monumentale, c’est que, en 2006, le gouvernement du Québec a annoncé des investissements majeurs dans le système carcéral québécois, car il avait fermé cinq prisons en 1995. En 2001, il y avait dans les prisons québécoises une surpopulation et, en 2006, M. Dupuis a dit que le gouvernement du Québec allait investir des millions — plus de 150 millions de dollars — dans les prisons du Québec. L’IRIS intègre dans le projet de loi C-10 le projet de construction de 2006 du gouvernement du Québec.
Troisième erreur professionnelle dans ce dossier — et c'est écrit dans le document, je vous invite à le lire si vous ne vous l'avez pas fait —, les auteurs disent : « Nous avons fait une analyse à partir de la recherche sur Internet, mais nous n'avons pas pu faire la vérification de toutes les données pour en assurer la véracité. »
Cela signifie que si votre mémoire est fait en partie de documents qui sont tout à fait inexacts et faux, comment peut-on considérer que l'ensemble des informations que vous y avez recueillies sont véridiques?
(2030)
[Traduction]
Le sénateur Cowan : Voilà exactement le genre de question que le sénateur pourra poser aux audiences du comité. Je ne suis pas l'auteur du rapport. Le sénateur pourra veiller à ce que les auteurs du rapport comparaissent devant le comité et il pourra alors leur poser, à loisir, toutes les questions qu'il voudra au sujet du rapport. C'est aux auteurs du rapport de défendre ce dernier. Les audiences servent à cela.
Ce que je voulais démontrer principalement, c'est que les preuves disponibles au Canada et ailleurs montrent que les peines minimales obligatoires sont inefficaces. Ce n'est pas en emprisonnant davantage de gens pendant de plus longues périodes que nous serons mieux protégés. C'est ce que nous disent les preuves. Pour autant que je sache, honorables sénateurs, il n'existe aucune preuve du contraire.
En ce qui concerne la question que le sénateur soulève au sujet de cette étude, je n'en ai lu que des extraits traduits. Je pense qu'il devrait veiller à ce que les auteurs soient convoqués au comité, afin qu'il puisse leur poser toutes les questions nécessaires pour déterminer qui a tort, eux ou lui? Je pense que c'est ce que devrait faire le sénateur.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : J'aimerais poser une question complémentaire.
Votre mémoire était très bon et très étoffé par rapport à l'information qui s'y trouvait, mais il était très peu crédible. Le ministre Dupuis est venu à Ottawa et a demandé au gouvernement de sortir études et analyses. Nous sommes allés chercher les mêmes analyses au bureau du ministre Dupuis et elles révèlent que la criminalité au Québec augmente et que la criminalité chez les jeunes augmente. Comment pouvez-vous alors accorder de la crédibilité au témoignage de M. Dupuis?
[Traduction]
Le sénateur Cowan : L'honorable sénateur vient du Québec. Son propre ministre de la Justice est venu à Ottawa dire précisément ce que j'ai dit dans mon discours.
Une voix : Oh, oh!
Le sénateur Cowan : Le sénateur Brazeau aura la possibilité d'intervenir. Chaque fois qu'il souhaite participer au débat, il peut se lever au lieu de rester à japper dans la rangée du fond.
Une voix : Un peu de respect!
Le sénateur Cowan : Pour autant que je sache, le ministre québécois de la Justice est venu à Ottawa et je crois qu'il a exprimé le même point de vue que moi dans mon discours. Il a dit que la démarche suivie par les gouvernements du Québec dans le passé et qui était axée moins sur l'incarcération et plus sur la réadaptation, avait donné de bons résultats, et que c'était pour cela que le taux de criminalité y était inférieur à ce qu'il est ailleurs dans le pays. Ce sont ses paroles. C'est ce qu'il a dit, et je l'ai accepté parce que cela me semblait conforme à ce que j'ai pu lire et entendre ailleurs dans le pays.
Je le répète, je suis sûr que le ministre va venir au comité. Le sénateur pourra lui poser ses questions, parce que c'est son point de vue, pas le mien.
L'honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, j'aimerais prononcer quelques mots sur le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés.
Le gouvernement conservateur a déposé un projet de loi en réaction aux éléments criminels qui menacent notre sécurité et la sécurité de nos collectivités. C'était à notre programme bien avant les élections de 2006 qui nous ont apporté notre premier gouvernement minoritaire. Ce ne sera une surprise pour aucun d'entre vous de savoir que je souhaite parler plus précisément de la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme, qui est à mon programme depuis 2005 et au programme du gouvernement depuis les élections de 2008.
Le parrain du projet de loi, le sénateur Runciman, a souligné dans son discours que cette loi permettra d'intenter des poursuites civiles contre les gens qui pratiquent la terreur. Comme l'ont dit des victimes d'actes terroristes qui témoignaient récemment au Comité de la justice de la Chambre des communes :
Avec ces procès, on peut faire rendre des comptes à ceux qui parrainent le terrorisme en saisissant leurs biens, en les exposant au regard du public et en les empêchant d'accéder au système financier du Canada.
Contrairement aux kamikazes et aux terroristes de première ligne, ceux qui financent et qui facilitent le terrorisme craignent la transparence et craignent d'être exposés au grand jour, et c'est ce qui leur arrive quand on leur intente des procès civils de ce genre. En un mot, on peut éviter que le sang coule en empêchant l'argent de circuler.
J'ai du mal à croire que c'est il y a sept ans déjà que les représentants de la CCAT, la Coalition canadienne contre le terrorisme, m'ont contacté ainsi que le député Stockwell Day, tous deux dans l'opposition, pour commencer à travailler sur cette mesure. Ce fut le début de notre long voyage auprès des victimes canadiennes de la terreur qui approche enfin de son terme. Durant cinq années tumultueuses de gouvernement minoritaire, notre parti a poursuivi sa collaboration étroite avec des victimes sur ce projet de loi, qui a été victime à plusieurs reprises de l'instabilité chronique du Parlement durant cette période de gouvernement minoritaire.
En fait, depuis 2005, les parlementaires ont présenté des versions de ce projet de loi à pas moins de 10 reprises, ce qui comprend trois mesures d'initiative ministérielle dont le projet de loi C-10 est seulement la plus récente itération. Je félicite le gouvernement conservateur d'avoir agi aussi rapidement pour présenter la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme en tant que partie du projet de loi C-10. C'est Stockwell Day qui, le premier, l'a présentée à la Chambre, en 2005, sous la forme des projets de loi C- 367 et C-394, et c'est la députée Nina Grewal qui l'a présentée de nouveau en 2006, sous la forme du projet de loi C-346. J'ai moi- même présenté au Sénat des versions antérieures de cette mesure à cinq reprises depuis 2005.
En disant cela, je ne veux rien enlever à nos collègues libéraux ici ou à l'autre endroit. La Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme est un aspect du projet de loi C-10 qui a, et qui a toujours eu, l'appui de tous les partis. En fait, c'est un libéral qui l'a qualifiée de mesure évolutive et historique. Tout au long de son cheminement, cette loi a été modifiée et améliorée et les sénateurs des deux côtés ont contribué énormément à ce processus, tant ici au Sénat qu'en comité. Sous la direction de madame le sénateur Fraser, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a tenu des audiences au sujet du projet de loi. Elle a fait de l'excellent travail, de concert avec tous ses collègues, mais je tiens à souligner sa contribution et celle, cela va de soi, du sénateur Baker.
Je suis fier d'avoir pu relater la genèse du projet de loi, mais le moment est maintenant venu de le propulser vers l'avenir. Il est temps de l'adopter, et j'invite tous les membres du Sénat à se joindre à nous pour appuyer le projet de loi C-10. Les victimes canadiennes du terrorisme ont suffisamment attendu, et il est temps pour nous d'agir.
Je voudrais discuter brièvement du projet de loi dans son ensemble. Comme le sénateur Runciman l'a mentionné dans le discours qu'il a prononcé ici la semaine dernière, le projet de loi C- 10 rassemble en une seule entité des mesures législatives connexes qui ont été présentées individuellement au cours de sessions précédentes du Parlement. Il vaut la peine de répéter que chacune d'elles a fait l'objet d'un examen et d'une discussion approfondis, que ce soit à la Chambre ou au Sénat, en comité, et dans toutes ces instances. Aucune d'elles n'a été adoptée, ce qui explique qu'elles aient été réunies dans ce projet de loi omnibus. Cette fois, les Canadiens ont voté de façon à donner au Parti conservateur une majorité, et cette décision était fondée sur un bilan qui incluait des mesures de lutte contre le crime, des mesures attendues depuis longtemps et dont le thème primordial est la défense des droits des victimes dans la société.
Cependant, ce thème a été noyé sous les références quasi constantes — et je veux consacrer un certain temps à cet aspect —, de la part des sénateurs d'en face et du Globe and Mail, à l'idée erronée que le projet de loi s'articulait entièrement autour de la construction de prisons. Cela a été mentionné à la période de questions ici. Les libéraux en face nous ont rabâché inlassablement les mêmes propos. Dans son discours à l'étape de la deuxième lecture à la Chambre, le porte-parole libéral pour le projet de loi C- 10 a consacré la plus grande partie de son intervention — Dieu merci assez brève —, à l'idée que le gouvernement avait présenté un projet de loi de 152 pages dans le but de bâtir davantage de prisons. C'est exact; ce n'est rien de plus qu'un plan de 152 pages pour la construction de prisons.
Voilà que nous avons droit à la même rengaine. Le projet de loi C- 10 n'était pas encore arrivé au Sénat que les sénateurs libéraux déploraient déjà les uns après les autres la construction à venir d'autres pénitenciers. C'est comme un mantra qu'ils répétaient sans cesse. Comme le disait si bien Mark Twain, que je paraphrase ici, une fausseté aura presque le temps de faire le tour du monde avant même que la vérité puisse finir de se chausser.
Permettez-moi de citer une source plus récente qui révèle aussi le penchant au mensonge qu'ont les libéraux dans cette affaire. Il s'agit d'un rapport du Comité de la sécurité publique de la Chambre des communes qui a été déposé en décembre 2010, il y a de cela un an exactement. Je recommande à tous les sénateurs de lire ce rapport, qui s'intitule La santé mentale et la toxicomanie dans le système correctionnel fédéral. Même s'il porte surtout sur la santé mentale, d'autres sujets y sont tout de même abordés, comme on peut le lire à la page 47 du rapport :
Pendant ses visites, le Comité a pu constater les conditions souvent inadéquates dans lesquelles travaillent les employés du SCC et sont incarcérés les délinquants fédéraux en raison principalement de la vétusté des établissements correctionnels. Des 57 établissements exploités par le SCC, bon nombre ont été construits dans les années 1800 et au début des années 1900 — Kingston (1832), Dorchester (1880), Saskatchewan (1911), Stony Mountain et Collins Bay (1920-1930) — ou encore au milieu des années 1900 — Joyceville (1950) et Archambault (années 1960). Seuls quatre établissements correctionnels fédéraux ont été construits depuis le milieu des années 1990. Les établissements correctionnels fédéraux ont environ 45 ans en moyenne.
(2040)
Autrement dit, ces établissements tombent en décrépitude, honorables sénateurs. Ils ne peuvent pas être habités. Ils sont surpeuplés, et les libéraux, apparemment dotés d'humanisme, proposent que nous continuions à permettre que des prisonniers vivent dans des conditions inhumaines propres au XIXe siècle — conditions qui, selon le rapport, nuisent aux programmes correctionnels modernes. Les sénateurs d'en face parlent de programmes correctionnels alors qu'ils savent pertinemment qu'ils ne peuvent pas être mis en œuvre dans des établissements et des prisons qui ont été construits il y a de cela 100 à 125 ans.
Le rapport dit que les conditions nuisent aux programmes et aux services correctionnels modernes et constituent une menace tant pour le personnel que pour les détenus. Comme par hasard, les libéraux et les médias ont omis de le mentionner dans leurs discussions au sujet du projet de loi C-10.
Les propos enflammés des libéraux tranchent par rapport à ce que leurs collègues du caucus qui ont siégé au comité ont recommandé il y a un an. Ils ont fait des recommandations à cet égard, et je vais vous les lire.
Recommandation 36 : Que le gouvernement fédéral appuie le renouvellement et la modernisation de l'infrastructure vieillissante du système correctionnel fédéral.
Recommandation 37 : Qu'au moment de construire de nouvelles infrastructures, le Service correctionnel du Canada prévoie, dans la mesure du possible, des toilettes et des fenêtres dans chaque cellule avec accès à la lumière du jour et à l'air frais.
Permettez-moi de répéter : Que le Service correctionnel du Canada prévoie, dans la mesure du possible, des toilettes et des fenêtres dans chaque cellule avec accès à la lumière du jour et à l'air frais.
Imaginez cela.
Recommandation 38 : Qu'au moment de construire de nouvelles infrastructures, le Service correctionnel du Canada tienne compte des considérations thérapeutiques. — C'est exactement ce que nous essayons de faire.
Ce rapport a été rédigé et présenté avant qu'un gouvernement majoritaire conservateur soit élu. En fait, nous étions en minorité à ce comité.
Voyons qui siégeait à ce comité : Mark Holland, un libéral récemment défait, en était le vice-président. Andrew Kania, un libéral récemment défait, en était aussi membre. Des députés du Bloc, Maria Mourani et Roger Gaudet, défaits eux aussi. Don Davies, un député néo-démocrate, était vice-président. Les autres libéraux qui ont participé à cette étude étaient Gerard Kennedy, Siobhán Coady, Joe Volpe et Bonnie Crombie, qui ont tous perdu leurs sièges aux dernières élections, Dieu merci. Ce qui rend les arguments que présentent ici les libéraux tellement scandaleux, c'est qu'ils savent la vérité. Leurs propres députés connaissent la vérité et ils ne peuvent tout simplement pas s'empêcher d'éviter d'y faire face dans une discussion sur la question. Il n'est pas étonnant que les députés libéraux qui siégeaient au comité aient tous subi la défaite.
Honorables sénateurs, en vérité, personne au Canada n'ira en prison, à moins d'avoir été jugé coupable d'avoir commis un crime grave. Toutefois, la logique veut que des personnes rationnelles pensent aux conséquences de leurs gestes. Tous ceux ici qui ont des enfants leur auront dit, à un moment ou l'autre de leur vie, de réfléchir aux conséquences de leurs actions. C'est un sage conseil, et ceux qui l'ignorent le font à leurs risques et périls. Ceux qui commettent des crimes graves et violents le font non seulement à leur propre péril, mais au péril de leurs victimes. Voilà pourquoi les conséquences sont si sévères, avec raison. Je suis fermement convaincu qu'en fin de compte, la criminalité diminuera et que moins d'individus iront en prison.
Qu'en est-il du coût du crime pour les victimes? Les libéraux n'en n'ont pas soufflé mot. En 2008, ce coût a atteint 14,3 milliards de dollars, même si les coûts imposés à des tiers, des proches, des amis ou d'autres personnes qui ont été ébranlés et menacés par la perpétration d'un crime ont été estimés à 2 milliards de dollars environ. Les victimes, leurs familles et leurs amis ont payé à hauteur de 16,4 milliards de dollars, mais les sénateurs de l'autre côté n'en n'ont pas soufflé mot. Vous en entendrez parler par nous parce que notre objectif est de réduire le prix que paient les victimes pour les crimes violents dans la société.
(Le débat est suspendu.)
Recours au Règlement—Report de la décision de la présidence
L'honorable Joan Fraser : Honorables sénateurs, j'invoque le Règlement.
Son Honneur le Président : Allez-y, sénateur Fraser.
Le sénateur Fraser : Honorables sénateurs, dans un élan d'éloquence aussi splendide que passionnée, mon ami, le sénateur Tkachuk, qui s'est sans doute emporté, a dit que la tendance au mensonge était une caractéristique de mon parti. Je crois qu'il est établi que le langage parlementaire interdit de traiter qui que ce soit de menteur. Le sénateur peut nous accuser de faire preuve de grandiloquence, d'avoir commodément oublié certains faits, et même d'éviter la vérité. Tout cela est acceptable, mais si on commence à traiter les gens de menteurs, Votre Honneur, on s'engage sur une pente très glissante.
Son Honneur le Président : Votre intervention porte-t-elle sur le recours au Règlement?
L'honorable Michael Duffy : Au sujet du recours au Règlement, le « hypocrite » est-il accepté en langage parlementaire?
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vais prendre toute cette question en délibéré.
Deuxième lecture—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Runciman, appuyée par l'honorable sénateur Stewart Olsen, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois.
Son Honneur le Président : Nous reprenons le débat. L'honorable sénateur Hervieux-Payette a la parole.
[Français]
L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, le gouvernement conservateur prouve une fois de plus, en ayant déposé son projet de loi C-10 intitulé « Loi sur la sécurité des rues et des communautés », qu'en matière de justice, il n'est motivé que par l'idéologie et la culture de la peur. Il n'y a aucun fondement rationnel digne de ce nom pour expliquer l'initiative conservatrice visant notamment à augmenter le nombre de peines automatiques, comme notre leader l'a mentionné, et rendre plus répressive la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Au lieu de s'appuyer sur les études d'experts sur les questions relevant du projet de loi C-10, le gouvernement conservateur prône, dans un esprit plus partisan que jamais, d'aller de l'avant avec son projet de loi omnibus. En réalisant la promesse électorale d'introduire ce projet de loi aussi volumineux dans les 100 premiers jours suivant son élection, le régime conservateur savait très bien que les intervenants du milieu juridique, social et médical n'auraient que très peu de temps pour soumettre des avis documentés et, finalement, moins de cinq minutes pour les présenter.
Considérant que, au Canada, le taux de criminalité est à son point le plus faible depuis 1973, il est complètement absurde et irresponsable d'introduire un tel projet de loi. La diminution du taux de criminalité est due en bonne partie au système d'imposition actuel de la peine qui a trouvé un juste équilibre entre la dénonciation, la dissuasion et la réhabilitation des délinquants. L'obsession du gouvernement conservateur pour la loi et l'ordre ne fait que mettre l'accent sur une disparité flagrante entre les besoins réels en matière de peines des délinquants, de prévention du crime et la récidive et les solutions qu'il propose. Le gouvernement conservateur non seulement ne tient pas compte des statistiques reconnues partout au Canada, mais il méprise l'avis des experts en la matière.
Dans son témoignage du 1er novembre dernier, le ministre de la Justice du Québec, M. Jean-Marc Fournier, précisait que le choix excessif de l'emprisonnement comme sanction priorisée par le gouvernement conservateur n'était pas le bon. Je le cite :
Une chose est certaine, un combat efficace et durable contre la criminalité ne peut pas se limiter à emprisonner des contrevenants. Par définition, il arrive un moment où le criminel sort de prison et retourne dans la société. Lutter durablement contre le crime, c'est porter une attention particulière à cette réinsertion dans la collectivité.
Or, ce que propose le projet de loi C-10 va tout à fait à l'encontre de cette réalité. D'ailleurs, une étude portant sur l'incidence de l'emprisonnement sur la récidive des délinquants purgeant leur peine en prison du ministère de la Sécurité publique du Canada a déjà confirmé que l'emprisonnement était inefficace puisque cela ne réduisait pas le taux de récidivisme chez les criminels.
(2050)
Deux des trois conclusions étaient les suivantes — et je parle d'un ministère fédéral : la première, dans la plupart des cas est que l'emprisonnement ne réduit pas la récidive. L'affirmation voulant qu'un recours accru à cette mesure permette de dissuader les criminels de retomber dans le crime est sans fondement empirique. On pourrait donc réserver l'emprisonnement aux seules fins de châtiment et de neutralisation sélective de ceux qui présentent les plus grands risques pour la société; et la troisième recommendation suggère qu'il existe des moyens plus efficaces de réduire la récidive. Les programmes de traitement se sont révélés plus efficaces que l'imposition d'un châtiment plus rigoureux.
Ce que vient proposer le projet de loi C-10 vient tout à fait à l'encontre de ces deux conclusions, soit de miser sur l'emprisonnement plutôt que privilégier la protection du public à long terme. Le projet de loi omnibus comprend neuf projets de loi proposant des réformes qui ont été débattues par le Parlement au cours de la session précédente, dont celle sur le système de justice pénale pour adolescents; cette dernière tranche avec une vision de protection du public par la réinsertion préconisée par le Canada depuis 1908. La partie du projet de loi concernant les jeunes contrevenants impose de nombreux principes légaux qui mèneront les tribunaux à rendre leurs décisions dans un esprit de répression plutôt que de réhabilitation.
Le renforcement de la Loi sur les jeunes contrevenants proposé par le projet de loi C-10 est une reprise de l'ancien projet de loi C-4, déposé par le même gouvernement, le 16 mars 2010. Lorsqu'il a déposé son projet de loi C-4, Loi modifiant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, le ministre fédéral de la Justice d'alors, Rob Nicholson, a indiqué s'être inspiré principalement de deux éléments, soit le rapport de l'ancien juge Merlin Nunn et de l'affaire Sébastien Lacasse. J'aimerais aujourd'hui revenir brièvement sur ces deux éléments.
Premièrement, dans son rapport intitulé Spiraling Out of Control : Lessons From a Boy in Trouble, le juge Nunn avait présenté 34 recommandations portant sur l'administration judiciaire, les délais, les procureurs de la Couronne, la police et plusieurs autres aspects du système de justice pour les adolescents en Nouvelle-Écosse.
Dans son mémoire sur le projet de loi C-10, le Barreau canadien est revenu sur trois recommandations du rapport Nunn qui visaient la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Les voici : premièrement, une recommandation voulant que la protection du public soit un des objectifs principaux de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (et non son unique objectif principal); deuxièmement, une recommandation traitant d'une nouvelle définition d'une « infraction avec violence » comme un acte mettant en danger ou mettant probablement en danger la vie ou la sécurité; troisièmement, une recommandation traitant de la prise en compte, pour décider de la détention préventive, du fait qu'un adolescent ait fait l'objet de plusieurs déclarations de culpabilité.
Je partage l'avis du Barreau canadien : les dispositions incluses dans le projet de loi C-10 vont bien au-delà de ces recommandations. D'ailleurs, le juge Nunn avait fait une sortie virulente à l'endroit du gouvernement conservateur et de son projet de loi C-4.
Dans un article du journal The Record du 30 septembre 2008, le juge Nunn écrivait, et je cite :
Nulle part en Amérique du Nord n'a-t-il à ce que je sache, été démontré que le fait de maintenir des personnes en détention plus longtemps, de les punir plus longtemps, produise des effets bénéfiques pour la société [...] La détention devrait être l'option du dernier recours pour un enfant.
Il ajoutait sur les conservateurs :
Ils sont allés au-delà de ce que j'ai fait et au-delà de la philosophie que j'ai acceptée. Je ne crois pas que ce soit judicieux.
Le fait que le ministre conservateur n'ait pas suivi les enseignements du juge Nunn quant à la Loi sur la justice pénale pour les adolescents n'est pas surprenante. Depuis quand le gouvernement conservateur se fie-t-il sur l'avis d'experts ou sur des faits pour légiférer?
Malgré cette réticence bien connue des conservateurs, le ministre québécois de la Justice, M. Jean-Marc Fournier, a récemment invité le gouvernement fédéral, lors de son témoignage au comité parlementaire, à s'inspirer d'experts en justice pénale pour les adolescents. Je le cite :
Nous vous demandons d'écouter les intervenants des 40 dernières années qui, à coût d'études, des statistiques et de sciences, ont œuvré à la rééducation des jeunes délinquants. Si vous choisissez de rejeter leur expertise et leur science, vous avez le fardeau de soutenir vos propositions au moyen d'études et d'analyses sérieuses.
Le deuxième élément derrière la volonté de présenter le projet de loi C-4 était de rendre hommage au jeune Sébastien Lacasse, mort en 2004 après avoir été battu par un groupe de jeunes. Le gouvernement avait d'ailleurs choisi le titre du projet de loi en son honneur, soit Loi de Sébastien (protection du public contre les jeunes contrevenants violents). Comme l'a indiqué le Barreau canadien dans son mémoire, cette affaire n'aurait jamais dû être exploitée par le gouvernement puisqu'il fait appel aux émotions et qu'un projet de loi, honorables sénateurs, devrait toujours faire appel à un titre objectif et au réalisme de la situation. De plus, l'issue de cette affaire vient contredire la nécessité d'apporter des changements radicaux à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents puisque l'adolescent qui a tué la victime a été jugé comme un adulte en vertu de la version actuelle de cette loi. En effet, il y a déjà des mesures prévues dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents qui prévoit que, pour certains types de crimes très graves, les adolescents peuvent être jugés comme des adultes.
La volonté obsessionnelle du gouvernement conservateur d'imposer aux adolescents des peines d'adultes est malsaine puisqu'elle va à l'encontre du consensus des milieux juridiques canadiens défendant le fait que, lorsque des accusations criminelles impliquent des jeunes contrevenants, la prise en compte de leurs conditions spécifiques est cruciale. On peut se référer aux précisions apportées par le Barreau canadien dans son mémoire, et je cite :
Les adolescents ne devraient pas être emprisonnés pendant de longues périodes sauf dans les cas les plus graves. Un adolescent vivra par la suite de nombreuses années dans nos collectivités, de sorte qu'il est dans l'intérêt à la fois de la société et de l'adolescent de mettre l'accent sur la meilleure façon d'assurer la réadaptation. La façon la plus efficace de protéger la société à long terme est de réformer l'adolescent avant son retour dans la société.
Honorables sénateurs, il est impératif de maintenir la spécificité du droit pénal applicable aux jeunes, et ce, en ciblant la réhabilitation comme moyen de protéger le public à long terme.
Personne n'est en faveur des criminels! Personne ne minimise l'importance de défendre les victimes. Prétendre le contraire, c'est, comme le dit le bâtonnier sortant, Me Gilles Ouimet :
La façon démagogique de réduire les arguments des opposants au projet de loi C-10 [...]
De plus, comme le rappelle Me Danièle Roy, responsable des communications de l'Association québécoise des avocats et avocates de la défense :
Les avocats de la défense ne sont pas là pour remettre les criminels en liberté, mais bien pour s'assurer que les droits de tous, victimes comme accusés, soient respectés.
Quant au droit des victimes, il doit aussi être garanti par le devoir du législateur de ne pas créer une loi qui sera plus menaçante pour la société que la loi qu'elle remplacera. Et puis, souligne le professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal, Me Alain Roy :
En misant sur la sympathie que suscite naturellement le triste sort des victimes d'actes criminels, le gouvernement Harper fait preuve de machiavélisme inégalé. Le projet de loi C-10 ne fait avancer personne, ni les victimes, ni les enfants, ni le Canada. Il s'agit d'un recul qui ternira une fois de plus la réputation d'un pays autrefois reconnu pour son leadership en matière des droits humains.
Ainsi, comme le Barreau canadien le précisait dans son mémoire, lorsqu'on légifère, il faut se fier sur la notion d'intérêt public plutôt que de s'arrêter à l'opinion publique. Il faut miser sur une protection durable du public, une protection qui passe par la réhabilitation et la réinsertion plutôt que par le durcissement des peines. C'est dans l'intérêt des victimes, que ce projet de loi de 114 pages ignore totalement. C'est dans l'intérêt de toute la société canadienne.
À ce propos, Me Pierre Hamel, directeur-conseil aux affaires juridiques pour l'Association des centres jeunesse du Québec, croit qu'enlever la notion de durabilité à la protection du public sera très néfaste pour la population canadienne puisque l'article 3 de la loi :
[...] efface en outre la notion de protection durable du public, en introduisant le concept de protection tout court. On peut craindre les sentences visant la protection immédiate du public, sans possibilité de réinsertion.
(2100)
L'absence des mots « durable » ou « à long terme » à l'article 3 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents fait en sorte d'écarter la réhabilitation et la réinsertion sociale. La façon la plus efficace de protéger le public n'est pas d'emprisonner les adolescents à long terme, mais plutôt de réformer l'adolescent avant le moment de son retour dans la société.
Pour Me Ouimet :
[...] le sénateur Boisvenu [et] les conservateurs prétendent protéger le public, mais dans les faits, leur position n'est appuyée sur aucune donnée, sur aucune analyse sérieuse des besoins du système de justice, de la société, et c'est pour ça qu'il faut s'opposer à ce projet de loi ».
Pour moi, cette loi a plutôt une odeur de vengeance primaire.
Par ailleurs, le fait de traiter différemment la délinquance juvénile fait non seulement partie des enseignements de la Cour suprême du Canada, mais aussi de ceux qui proviennent de la médecine.
Comme le soutenait le psychiatre Ruben C. Gur dans un article scientifique intitulé Brain Maturation and the Execution of Juvenile :
[...] le développement cérébral continue bien au-delà de l'enfance et de l'adolescence [...].
Plusieurs études scientifiques récentes :
[...] ont en particulier révélé qu'une des dernières aires cérébrales à être mature est le cortex préfrontal, une aire qui, nous l'avons vu, est impliquée dans le jugement, la prise de décision et le contrôle des émotions [...]
C'est ce que M. Gur ajoutait dans son article. La science a reconnu à maintes reprises qu'avant l'âge de 22 ans, le cerveau n'établit pas toutes les connexions neurologiques et cérébrales que celui d'un être humain adulte est en mesure de faire. Juger un adolescent comme un adulte équivaudrait donc à faire abstraction des différences biologiques considérables du cerveau de l'adolescent qui affectent son jugement et sa prise de décisions.
D'ailleurs, la Société canadienne de pédiatrie se positionne aussi très clairement sur les dispositions concernant les jeunes contrevenants puisqu'elles mettent trop l'accent sur l'incarcération au détriment de la réadaptation et de la réintégration. La raison de cette contestation est très simple, étant donné que les effets du projet de loi C-10 s'avéreront incroyablement pervers puisqu'on jugera désormais l'adolescent comme s'il était un adulte. La Société canadienne de pédiatrie se joint donc au Barreau canadien et au Canadian Council of Child and Youth Advocates pour dénoncer le fait que les modifications prévus dans le projet de loi C-10 prévoyant des sentences plus sévères dès l'âge de 14 ans pour les enfants condamnés pour des délits graves seront lourdes de conséquences négatives pour notre société.
De plus, comme le projet de loi C-10 menace le traitement distinct que nécessitent l'enfant et l'adolescent, je me dois de vous rappeler que le gouvernement canadien contreviendrait, par cette loi, à la Convention relative aux droits de l'enfant, dont il est lui-même signataire. Le premier alinéa de l'article 40 de cette convention précise que l'enfant accusé en vertu de la loi pénale de l'État signataire doit pouvoir bénéficier d'un traitement différent de celui réservé à l'adulte. L'article dit ceci :
Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté [...]
[Traduction]
Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, encore cinq minutes?
Des voix : D'accord.
[Français]
Le sénateur Hervieux-Payette : L'article dit donc ce qui suit :
Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu d'infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au sein de celle-ci.
Le projet de loi C-10 ne respecte pas cette obligation internationale, et c'est entre autres pourquoi il doit être amendé, comme le propose le gouvernement du Québec.
Le gouvernement du Québec propose trois amendements relatifs à la partie du projet de loi portant sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Il propose d'abord d'ajouter la notion de protection « durable » — le mot « durable » est essentiel ici — du public à l'article 3 de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Deuxièmement, le gouvernement du Québec souhaite que l'on substitue à l'alinéa 3(1)a) de la version française de cette loi le terme « encourager » pour « favoriser ». Ainsi, on assure d'éviter l'affaiblissement de la notion de réadaptation et de réinsertion.
Enfin, le gouvernement du Québec souhaite pouvoir se soustraire à de nouvelles dispositions prévues dans le projet de loi C-10, levant l'interdiction de publier tout renseignement qui révélerait l'identité d'un adolescent. Le fait d'interdire la publication de l'identité est un facteur favorisant la réinsertion des jeunes au terme d'un processus de réadaptation. Je dois ajouter, honorables sénateurs, que cette mesure est absolument essentielle pour l'intégration du jeune comme adulte dans la société lorsqu'il aura servi sa sentence et aura complété un programme de réhabilitation.
Par conséquent, je vous demande d'appuyer les amendements proposés par le Québec concernant les jeunes contrevenants. Je pense que, comme parents, nous serons d'accord avec ceux qui ont des enfants en difficulté pour dire, qu'il faut les traiter, comme la convention internationale le prescrit, de façon humaine et, aussi, de façon canadienne.
[Traduction]
Son Honneur le Président intérimaire : Souhaitez-vous poursuivre le débat?
Le sénateur Boisvenu : J'ai une question à poser.
Son Honneur le Président intérimaire : Madame le sénateur Hervieux-Payette accepterait-elle de répondre à une question?
Le sénateur Hervieux-Payette : Oui.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : L'honorable sénateur, évidemment, comprendra que je suis en désaccord avec son mémoire. Elle dit que notre gouvernement va désormais privilégier la répression plutôt que la prévention et la réhabilitation. Or, elle sait très bien que le projet de loi C-10 ne touchera que 3 p. 100 des jeunes mineurs au Québec et 4 à 5 p. 100 au Canada anglais.
Je suis convaincu que madame le sénateur a rédigé son mémoire de sa propre main et qu'elle a fait ses propres recherches de son bureau.
Je poserai deux questions. Nombre de jeunes au Québec l'an dernier ont été condamnés devant un tribunal pour adultes. Combien de jeunes, avec le projet de loi C-10, seront condamnés devant un tribunal pour adultes? Affirmer que ce projet de loi sera répressif par rapport aux jeunes veut dire que vous disposez de données sur ce qui se faisait avant et ce qui se fera demain. Sinon, il s'agit d'une affirmation gratuite.
J'aimerais que l'honorable sénateur me dise combien de jeunes ont été condamnés au Québec, l'an dernier, devant un tribunal pour adultes, et combien le seront, en vertu du projet de loi C-10, au Québec demain.
Le sénateur Hervieux-Payette : Je comprends que l'honorable sénateur aimerait obtenir des données statistiques. Il me fera plaisir de lui répondre, comme l'a fait le leader du gouvernement, que je lui enverrai les données plus tard car je ne les ai pas avec moi.
J'aimerais tout de même rappeler à l'honorable sénateur que, lors du premier projet de loi sur la réforme de la Loi sur les jeunes délinquants de 1988, j'en étais la responsable à titre de secrétaire parlementaire du solliciteur général du Canada. C'était la première loi sur les jeunes contrevenants. Cette loi faisait suite à une loi sur laquelle j'avais travaillé au Québec, soit la Loi sur la protection de la jeunesse. On s'assurait alors que nos enfants, au Canada, et ceux qui étaient en difficulté avec la loi, aient une continuité de traitement.
Dans certains cas — et vous lirez certains de mes autres discours —, vous saurez que des enfants maltraités lorsqu'ils sont jeunes ont deux façons de répliquer. Certains s'automutilent, se suicident, ne réussissent rien dans la vie, et d'autres deviennent violents vis-à-vis la société. Je n'ai pas de statistiques à ce sujet. Toutefois, Statistique Canada a publié en la matière.
Enfin, ce n'est pas une question de nombre, mais une question de principe, lorsqu'on regarde un projet de loi. Je ne peux prédire l'avenir. Toutefois, le Canada doit respecter la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. On ne doit pas traiter les enfants comme des adultes. L'âge de 14 ans n'a jamais été légal. Je serais très heureuse de voir des parents, un jour, dire qu'au Canada on ne peut pas avoir deux systèmes de justice, soit un pour les jeunes âgés de 14 ans dans le reste du Canada et un pour les jeunes âgés de 16 ans au Québec. Il n'y a pas deux lois au Canada, mais une seule.
Bref, en ce qui me concerne, la réhabilitation est importante.
[Traduction]
Son Honneur le Président intérimaire : J'ai le regret d'informer le sénateur que son temps de parole est écoulé.
(2110)
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je souhaite commenter le projet de loi C-10. Vous savez que ce projet de loi est très volumineux; mon intervention portera donc surtout sur le manque de soutien et de soins pour les Canadiens atteints d'une maladie mentale qui se trouvent dans nos prisons et qu'on verra de plus en plus dans nos prisons à cause du projet de loi C-10.
Des changements radicaux sont sur le point de s'abattre sur nos services correctionnels. À cause des peines minimales obligatoires, qui limitent les possibilités de sursis, et de l'élimination de la pratique consistant à calculer en double le temps passé en détention avant le procès, les services correctionnels canadiens s'apprêtent à accueillir énormément de détenus supplémentaires. De plus, ces personnes seront désormais incarcérées plus longtemps, ce qui exercera encore plus de pressions sur les ressources. On estime que la population carcérale des établissements fédéraux comptera 4 000 détenus supplémentaires d'ici cinq ans. C'est une augmentation de 25 p. 100.
Les prisons au Canada sont pleines à craquer et elles ne peuvent accueillir un surcroît de 4 000 détenus. Pour loger ces nouveaux détenus, il faudra dépenser des centaines de millions de dollars pour agrandir les prisons. Comme le sénateur Tkachuk l'a déjà dit, il ne fait aucun doute que des réfections s'imposent dans beaucoup d'établissements; malheureusement, si le gouvernement veut injecter de l'argent dans les prisons, ce n'est pas pour les rénover, mais pour y enfermer le maximum de détenus, tout cela au nom de la prévention du crime.
Un problème que les services correctionnels du Canada devront affronter, c'est que le rythme de la construction de nouvelles cellules ne sera pas suffisant pour qu'ils absorbent la vague des nouveaux détenus. On craint donc le surpeuplement des prisons. Les directeurs de prison sont déjà contraints de mettre deux détenus par cellule. Dans certains établissements, on atteint déjà un taux d'occupation de 200 p. 100. Comme la population carcérale continuera d'augmenter, d'autres directeurs devront mettre deux détenus dans des cellules conçues pour un seul. Il y a aussi une augmentation du nombre d'« unités de responsabilité », c'est-à-dire des logements ouverts semblables aux casernes de l'armée. Dans certaines prisons pour femmes, on surmonte le problème du surpeuplement en logeant des détenues dans les gymnases. L'occupation double des cellules et les unités de responsabilité présentent des menaces accrues pour les employés et gardiens de prison, car il y a peu de portes verrouillées pour limiter les déplacements des détenus. Ce projet de loi compromet donc la sécurité du personnel carcéral.
Toutefois, comme nous le savons tous, les prisons ne sont pas que des briques et du mortier. Non seulement il faudra un plus grand nombre de cellules pour absorber la croissance de la population carcérale, mais les services correctionnels canadiens auront aussi besoin d'un personnel nettement plus nombreux pour gérer les prisons. On estime qu'il faudra plus de 3 000 nouveaux employés pour gérer les 4 000 nouveaux détenus qui seront incarcérés à cause de la législation conservatrice de répression de la criminalité.
Je crois comprendre que les stratégies de dotation du Service correctionnel du Canada prévoient, parmi les plus de 3 000 employés à engager, 1 373 agents correctionnels, 423 nouveaux agents des libérations conditionnelles et agents de programmes, 445 employés pour les services administratifs, 399 commis et seulement 35 nouveaux professionnels de la santé.
Service correctionnel Canada a affirmé que la santé mentale des détenus fait partie de ses cinq grandes priorités, et des progrès ont été réalisés dans la sensibilisation du personnel en matière de santé mentale. Toutefois, avec seulement 35 nouveaux professionnels de la santé, soit 10 psychologues et 25 membres du personnel infirmier, on peut se demander à quel point c'est vraiment une priorité. Ce ne sont pas 35 nouveaux professionnels des soins de santé répartis dans tout le Canada qui feront grand-chose pour améliorer le traitement des détenus de plus en plus nombreux dont la santé mentale est précaire.
Des études récentes ont même révélé une forte augmentation du nombre de détenus dont la santé mentale est chancelante. Entre 2004 et 2009, le nombre de détenus masculins en Ontario qui souffrent de troubles mentaux a augmenté de 5,7 p. 100. Dans la population carcérale féminine, le pourcentage des détenues atteintes est nettement plus élevé, puisque près de 31 p. 100 des détenues éprouvent des problèmes de santé mentale. Malheureusement, ces chiffres continuent d'augmenter et, honorables sénateurs, ils ne sont que la pointe visible de l'iceberg, puisqu'il s'agit seulement des cas diagnostiqués.
Tant par compassion que pour prévenir le crime, il est clair qu'il faut traiter les détenus dont la santé mentale est chancelante. Dans la plupart des cas, les détenus qui entrent dans un établissement correctionnel avec une maladie mentale et y restent sans recevoir de traitement ressortent dans un état encore pire. Les risques de récidive et même de crime beaucoup plus grave à la libération sont nettement plus élevés, à moins que les détenus ne reçoivent l'aide dont ils ont besoin. Maintenant que le problème du surpeuplement se répand, les prisons deviennent un milieu qui ne fait qu'aggraver les problèmes mentaux des détenus. Par contre, si ces détenus reçoivent pendant leur incarcération un bon traitement pour les maladies psychiatriques diagnostiquées chez eux, le pourcentage de récidive diminue nettement.
Déjà maintenant, notre système carcéral se ressent de la hausse du nombre de détenus, et le traitement des maladies mentales chez ces détenus semble de plus en plus relégué au second plan. Les prisons canadiennes sont de moins en moins en mesure d'accueillir et de traiter les nombreux détenus atteints de problèmes psychiatriques. Elles n'ont ni le personnel, ni les ressources, ni les installations nécessaires pour le faire.
Une tactique courante, dans nos prisons, à l'égard du détenu qui a des problèmes psychiatriques et fait une crise, c'est l'isolement cellulaire ou la contention physique ou pharmaceutique. Rien de tout cela ne constitue un traitement. L'isolement cellulaire peut même faire apparaître de nouveaux problèmes de santé mentale.
L'enquête récente sur le suicide de la détenue Ashley Smith montre bien que notre système n'arrive pas pour l'instant à déceler les détenus dont la santé mentale laisse à désirer et à les traiter.
On a constaté que des choses aussi simples que les visites familiales aident à apaiser les détenus atteints de maladies mentales et favorisent leur réadaptation. Toutefois, le projet de loi C-10 propose de limiter même les visites familiales de ceux qui sont en isolement cellulaire. Que fait donc le gouvernement?
Je félicite le sénateur Runciman d'avoir fait œuvre de pionnier, lorsqu'il était ministre des Services correctionnels de l'Ontario, en ouvrant le Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence Valley, à Brockville. Cet établissement est dirigé par les Services de santé Royal Ottawa et il offre des traitements aux détenus masculins dans un milieu hospitalier tout en assurant la même sécurité qu'une prison. Le programme donne des résultats. Au cours des cinq premières années de l'exploitation du centre de traitement, le taux de récidive chez les détenus a diminué de 40 p. 100 chez les personnes traitées.
Je crois savoir que le sénateur Runciman a pris la tête d'une initiative qui vise à créer un établissement semblable pour les femmes, et j'appuie de tout cœur ses efforts. Il faut le féliciter de sa compréhension du problème et des efforts qu'il déploie pour aider les malades mentaux qui se retrouvent dans le système carcéral.
Personne ne peut nier que des programmes comme ceux-là sont efficaces et qu'on en a désespérément besoin. Alors pourquoi n'y a- t-il pas la moindre part des 2 milliards de dollars affectés aux prisons du Canada qui soit consacrée au soutien des établissements qui traitent les délinquants atteints de maladie mentale? Cette approche a fait ses preuves. Nos rues sont plus sûres lorsque les délinquants qui ont besoin de traitements psychiatriques les reçoivent. N'est-ce pas ce que nous souhaitons, des rues plus sûres? Tout le monde y gagne : des rues plus sûres, et une vie meilleure pour ceux qui ont des troubles de santé mentale.
À mon avis, le gouvernement du Canada doit faire du traitement des détenus canadiens atteints de troubles mentaux une priorité. Mettre sous les verrous des malades mentaux sans les traiter ne fera rien pour rendre nos rues plus sûres. De plus, dans bien des cas, cela expose les travailleurs de première ligne des services correctionnels à des situations plus dangereuses.
Quand on laisse des détenus atteints de maladies mentales languir dans des prisons surpeuplées, sans traitement, mêlés au reste de la population carcérale, cela nuit à leur état de santé. Comme on l'a déjà dit, pendant le séjour en prison, la maladie du détenu s'aggrave par l'ajout de nouveaux problèmes d'ordre psychiatrique.
(2120)
Il faut assurer un meilleur soutien au personnel de la santé dans les services correctionnels canadiens. Le recrutement et la conservation du personnel sont difficiles. Le système manque de personnel et il peine à attirer de nouveaux professionnels de la santé mentale, car beaucoup craignent de travailler en milieu carcéral. La situation empirera avec la mise en œuvre du projet de loi C-10 parce que les ressources seront plus rares, et les prisons, surpeuplées.
La courte vue que traduit le projet de loi C-10, qui consiste à emprisonner les délinquants et à les oublier, n'est pas un bon moyen de prévention de la criminalité. Nous devons inclure la réadaptation et, dans le cas des délinquants chez qui une maladie mentale a été diagnostiquée, il faut offrir les traitements. Le gouvernement Harper voudrait bien que les malades mentaux qui ont commis un crime ne sortent jamais de prison, mais ce n'est pas ainsi que les choses se passent. La libération de ces individus une fois qu'ils ont purgé leur peine comme il se droit et qu'ils sont dans un état pire que lorsqu'ils sont entrés en prison n'est pas un moyen d'accroître la sécurité dans nos rues.
La prévention du crime exige une approche à multiples facettes. C'est un fait qui, selon moi, a été mis complètement de côté au profit de l'idéologie dans la rédaction du projet de loi C-10. Ne pas s'occuper des besoins du nombre impressionnant de détenus canadiens souffrant de maladies mentales ou de toxicomanies expose tout le monde à la criminalité.
J'ai beaucoup parlé des effets que le projet de loi C-10 aura sur les détenus atteints de maladies mentales, mais ce que je trouve le plus troublant, c'est le nombre de jeunes Canadiens souffrant de maladies mentales qui seront balayés par notre système de justice pour les adolescents et renvoyés en plus grand nombre devant les tribunaux pour adultes.
Des études montrent que jusqu'à 70 p. 100 des jeunes délinquants ont une forme ou une autre de maladie mentale. Il y a de nombreuses raisons à cela. Certaines maladies mentales se manifestent par un comportement agressif, surtout envers les personnes faisant figure d'autorité. Les médecins nous disent que ce comportement est plus répandu chez les jeunes parce que ceux-ci n'ont pas fini d'apprendre à faire face à la vie et à s'occuper de leurs problèmes. Il n'est pas rare que le premier contact d'un individu délinquant soit avec une personne qui n'est pas formée pour s'occuper de cas comme le sien, et les policiers sont souvent appelés sur les lieux pour maîtriser la situation.
Certains services de police donnent une formation à leurs agents pour qu'ils puissent faire face aux individus ayant des problèmes de santé mentale, mais, malheureusement, beaucoup d'agents ne reçoivent aucune formation particulière, ce qui fait qu'une situation peut rapidement dégénérer et qu'un jeune a alors des démêlés avec la justice.
Il a été prouvé que, lorsqu'un corps policier a des agents qui ont reçu la formation voulue pour faire face à des personnes atteintes de maladies mentales, leurs interventions donnent des résultats nettement meilleurs. Malheureusement, ce ne sont pas tous les services de police du Canada qui ont les ressources voulues pour former leurs agents afin qu'ils puissent reconnaître les situations dont je parle et y faire face.
La triste vérité, c'est que beaucoup de jeunes qui ont des démêlés avec la justice et qui ont des problèmes de santé mentale voient leurs difficultés aggravées du fait qu'ils vivent dans la pauvreté, ont des parents indifférents ou sont dans un milieu marqué par la violence. Quand ils se retrouvent face à un juge, c'est souvent parce que leur famille, puis les forces policières, ont manqué à leurs obligations envers eux. En raison des peines minimales prévues dans le projet de loi C-10, les juges n'auront plus la possibilité d'imposer un traitement à ces délinquants plutôt qu'une peine de prison.
Un amendement, visant à accorder aux juges le pouvoir discrétionnaire quant à l'imposition de peines, présenté à l'autre endroit par Irwin Cotler, un député libéral, a été rejeté par la majorité conservatrice. C'est malheureux. Les juges n'auront plus aucun pouvoir discrétionnaire face à un délinquant ayant des troubles mentaux. Certains jeunes dans cette situation se trouvent à un stade critique sur le plan de leur santé mentale. Pour un jeune délinquant qui souffre d'une maladie mentale, le fait de recevoir ou non un traitement peut déterminer la voie qu'il suivra le reste de sa vie. Des études montrent que plus un délinquant ayant des troubles mentaux reste longtemps sans traitement, plus sa santé mentale se détériore.
C'est particulièrement vrai dans les cas où les jeunes délinquants sont jugés comme des adultes et purgent leur peine dans une prison pour adultes. Ces prisons ne sont pas conçues pour les jeunes et, bien souvent, le personnel a trop à faire pour être en mesure de répondre aux besoins d'un jeune délinquant, qu'il ait ou non des troubles mentaux. Dans bien des cas, ces jeunes seront victimes de mauvais traitements aux mains des autres prisonniers. Quand ces inquiétudes sont exprimées, on entend trop souvent des gens réagir en disant : « Pourquoi penser au bien-être des prisonniers? Ils ont mérité leur sort. » C'est malheureux.
Cette réaction instinctive de vengeance peut être très forte quand on parle de criminalité dans notre société. Le gouvernement affirme que ce projet de loi vise à protéger les droits des victimes, mais ce n'est pas en punissant les délinquants qui ont des troubles mentaux sans leur offrir de traitement qu'on aidera la société et qu'on rendra les rues plus sûres à long terme.
Puis-je avoir cinq minutes de plus, s'il vous plaît?
Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, est- on disposé à accorder cinq minutes de plus?
Le sénateur Day : Absolument.
Le sénateur Mockler : Dans un esprit de coopération.
Des voix : Oui.
Le sénateur Cordy : J'aimerais vraiment qu'il y ait de la place pour la compassion et un certain pouvoir discrétionnaire dans un système judiciaire juste et équitable, au Canada.
Je ne veux absolument pas dire que les délinquants ayant commis des crimes violents, qu'ils aient ou non des troubles mentaux, ne méritent pas les peines prévues dans la loi, mais je crois qu'en retirant aux juges le pouvoir d'imposer un traitement plutôt qu'une peine d'emprisonnement à un jeune délinquant, on obtiendra le contraire de l'effet recherché.
Je sais que bien des sénateurs prendront la parole pour accuser les opposants au projet de loi C-10 d'être des libéraux laxistes qui méprisent les victimes canadiennes d'actes criminels. C'est insultant. J'estime, preuves à l'appui, que le fait d'emprisonner des criminels sans traiter les maladies mentales sous-jacentes ne sert ni ces personnes, ni la société à long terme.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Cordy : Je me suis entretenue avec bien des jeunes et des adultes d'un peu partout au Canada qui sont atteints de différentes maladies mentales. J'étais fière d'être membre du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie lorsqu'il s'est penché sur le dossier de la santé mentale, des maladies mentales et de la toxicomanie. Notre rapport, intitulé De l'ombre à la lumière, est une excellente étude qui a mené à la création de la Commission de la santé mentale du Canada. Bien des sénateurs d'en face qui ont aussi participé à cette étude peuvent témoigner des difficultés de connaissent les gens qui passent à la fois à travers les mailles du filet de notre système judiciaire et de notre système de santé.
Alors qu'un sondage révèle que 93 p. 100 des Canadiens se sentent à l'abri des actes criminels, on compte affecter des milliards de dollars de fonds publics à la mise en œuvre d'un projet de loi inspiré de politiques américaines de prévention de la criminalité qui sont inefficaces et pour lesquelles les considérations idéologiques l'emportent sur les faits. C'est un net recul. La triste réalité, c'est que le projet de loi ne tient pas compte des besoins des personnes ayant une maladie mentale qui ont des démêlés avec la justice et qui se retrouvent derrière les barreaux.
Le projet de loi C-10 attisera, en fin de compte, la violence chez les détenus et rendra les rues moins sûres.
Comme l'a dit Roy Muise, un spécialiste agréé par des pairs qui s'occupe de personnes qui ont des problèmes de santé mentale dans la région d'Halifax, au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, le 9 mai 2005, à Halifax :
J'espère que les Canadiens nous accueilleront au sein de la société en nous traitant comme des partenaires à part entière. Nous ne voulons pas être craints ou pris en pitié. N'oubliez pas que nous pourrions être vos mères et vos pères, vos sœurs et vos frères, vos amis, vos collègues de travail et vos enfants. Tendez-nous la main et voyagez avec nous sur la voie du rétablissement.
Honorables sénateurs, un Canadien sur cinq éprouvera des problèmes de santé mentale à un moment ou l'autre de sa vie. Certains, malheureusement, auront maille à partir avec la loi. Ne permettons pas, en tant que société, que les personnes atteintes de maladie mentale dépérissent en prison sans traitement. Assurons- nous plutôt de traiter ceux qui en ont besoin en offrant des traitements dans un milieu hospitalier sécuritaire ou en permettant aux juges d'utiliser leurs pouvoirs discrétionnaires pour envoyer un délinquant atteint d'une maladie mentale se faire soigner plutôt que de lui imposer une peine d'emprisonnement obligatoire. Voilà, honorables sénateurs, comment nous améliorerons la sécurité de nos collectivités.
Dans le cas des personnes atteintes d'une maladie mentale qui ont eu des démêlés avec la loi, voyageons ensemble sur la voie du rétablissement, comme l'a dit M. Roy Muise.
Honorables sénateurs, ne parlons pas de durcir la répression de la criminalité ou de faire preuve de laxisme à l'égard des criminels. Parlons plutôt de lutter intelligemment contre la criminalité, ou, comme l'ont dit les centaines de personnes qui m'ont envoyé des courriels, parlons d'une mesure législative qui rendra le Canada plus sûr, et non plus dur.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il des questions ou d'autres interventions? Sénateur Di Nino, vous avez la parole.
L'honorable Consiglio Di Nino : J'aimerais poser une question, si c'est possible.
Son Honneur le Président intérimaire : Senator Cordy, acceptez- vous de répondre à une question?
Le sénateur Cordy : Si nous avons le temps, oui, j'accepte.
Le sénateur Di Nino : Merci. Le sénateur a mentionné l'un des meilleurs rapports rédigés par cette institution, qui s'intitule De l'ombre à la lumière. Il y est question des problèmes de santé mentale au pays.
Il est vrai que madame le sénateur aurait aussi dû mentionner que c'est le gouvernement de M. Harper qui a accepté la recommandation figurant dans ce rapport et créé une Commission de la santé mentale; il a d'ailleurs demandé au président du comité responsable du rapport, le sénateur libéral Kirby, qui a maintenant pris sa retraite, de devenir président de cette commission.
Ne convient-elle pas que cela représente un très bon pas en avant pour régler les questions dont elle a fait mention?
(2130)
Le sénateur Cordy : C'est une excellente observation. Je remercie le sénateur. Il a tout à fait raison. Le président de la Commission de la santé mentale a été nommé par le gouvernement conservateur. Peut-être pourrions-nous inviter le sénateur Kirby à témoigner lorsque le projet de loi sera à l'étude au Sénat.
Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres interventions?
(Sur la motion du sénateur Tardif, le débat est ajourné.)
[Français]
Les travaux du Sénat
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'aimerais, avec le consentement de la Chambre, procéder immédiatement à la deuxième lecture du projet de loi C-20.
Son Honneur le Président intérimaire : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?
Des voix : Oui.
La Loi constitutionnelle de 1867
La Loi sur la révision des
limites des circonscriptions électorales
La Loi électorale du Canada
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : propose que le projet de loi C-20, Loi modifiant le Loi constitutionnelle de 1867, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et la Loi électorale du Canada, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis heureux de pouvoir exprimer mon appui au projet de loi C-20, Loi sur la représentation équitable, qui permet au gouvernement de respecter sa promesse d'assurer une représentation plus équitable à la Chambre des communes. Notre gouvernement s'acquitte donc avec diligence de cet engagement pris lors de la dernière élection. Cet engagement se lisait comme suit :
Les Pères de la Confédération ont reconnu que l'attribution des sièges à la Chambre des communes devrait refléter la part de la population de chaque province. De plus, la représentation en fonction de la population demeure un principe fondamental de notre démocratie.
Pour assurer le respect de ce principe et tenir compte des changements démographiques, il faut, à l'occasion, mettre à jour la formule d'attribution des sièges. Ces mises à jour visent à assurer une équité aux provinces.
En raison de changements démographiques majeurs depuis la dernière mise à jour, les provinces de la Colombie- Britannique, de l'Alberta et de l'Ontario sont considérablement sous-représentées.
Nous allons présenter une mesure législative pour rétablir une juste représentation à la Chambre des communes.
De plus, nous allons protéger le nombre de sièges des provinces affichant une faible croissance de la population. Nous allons assurer que le nombre de sièges du Québec ne diminue pas sous la barre de 75 et que la population du Québec soit représentée de façon juste.
Voilà l'engagement du gouvernement. Par ailleurs, il faut être conscient de l'importance de ce projet de loi, puisqu'il traite d'un droit fondamental pour une société libre et démocratique, le droit de vote, qui, au Canada, est garanti constitutionnellement pour l'article 3 de la Charte.
[Traduction]
Le projet de loi C-20 accroît le nombre de sièges à la Chambre des communes pour les trois provinces où la croissance est la plus forte, soit l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta. Compte tenu de leur essor démographique et des répercussions de la formule actuelle d'attribution des sièges, ces provinces sont devenues de plus en plus sous-représentées depuis 25 ans.
Pour rectifier la situation, le projet de loi sur la représentation équitable octroierait 15 sièges de plus à l'Ontario et six chacune à la Colombie-Britannique et à l'Alberta.
[Français]
Certains prétendent que nous ne devrions pas accroître le nombre de députés à la Chambre des communes par souci d'économie dans un contexte de restrictions budgétaires. Je ne suis pas de cet avis. D'autres avant moi ont également exprimé leur désaccord de faire des économies au détriment de la représentation équitable et effective. Lors des débats entourant le projet de modification constitutionnelle relative au découpage électoral tenu en 1985 et 1986, plusieurs parlementaires libéraux considéraient que la démocratie n'avait pas à subir une contrainte pour des raisons économiques. Lors des débats au Sénat concernant ces modifications, le sénateur libéral Richard J. Stanbury déclarait notamment ceci :
En ce qui concerne les économies, il s'agit de peu de choses en regard du souci d'accorder aux électeurs une représentation adéquate au Parlement.
[Traduction]
Le projet de loi sur la représentation équitable préserve également les sièges des provinces à faible croissance en maintenant les garanties constitutionnelles actuelles, le « seuil sénatorial », qui assure qu'une province ait au moins autant de sièges à la Chambre des communes qu'au Sénat, et la « clause des droits acquis », qui réserve au minimum à chaque province le nombre de sièges qu'elle possédait en 1986.
En plus de préserver leurs sièges, le projet de loi C-20 offre aux provinces à faible croissance une troisième protection constitutionnelle. Elle garantit que lorsque la proportion des sièges d'une province à la Chambre des communes est égale ou supérieure à sa proportion de la population — autrement dit, lorsqu'une province bénéficie d'une représentation proportionnelle ou est surreprésentée —, cette province ne peut devenir sous- représentée à l'issue d'une révision.
[Français]
La province de Québec, qui deviendrait sous-représentée en fonction de l'ajout projeté de sièges, sera la première à profiter de cette garantie, qu'on appelle la « règle de représentation ». À la suite de la prochaine révision de la représentation, le Québec obtiendra ainsi trois sièges supplémentaires, ce qui lui permettra de maintenir une représentation proportionnelle à sa population par rapport aux autres provinces.
Cette nouvelle disposition, quoique sans lien direct avec l'article 52 de la Charte, rejoint néanmoins cette volonté des Pères de la Confédération de protéger le poids du Québec dans la fédération canadienne. L'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867 établit clairement la possibilité pour le Parlement d'accroître le nombre de députés à la Chambre des communes, mais impose l'obligation de protéger les proportions alors établies dans la représentation des provinces. Cette disposition visait, entre autres choses, à protéger le poids du Québec, minoritaire, dans la fédération. Pour s'en convaincre, la formule retenue à cette époque pour déterminer le nombre de circonscriptions additionnelles qui devaient être à chaque recensement, était ce qu'on appelait la « clause Québec ». Ainsi, l'unité de mesure, aussi appelée « quotient électoral », utilisée pour déterminer le nombre de circonscriptions au pays était calculé à partir de la moyenne de citoyens que l'on retrouvait dans les circonscriptions du Québec.
En 1903, lors des débats entourant la réforme électorale proposée par le gouvernement libéral dirigé par sir Wilfrid Laurier, ce dernier présentait l'obligation de tenir pour base de calcul le poids du Québec :
La province de Québec, ai-je besoin de le dire, sert de base à la représentation, et le chiffre des représentants de chaque province dépend de leur population comparée à la population du Québec.
[...] Toutes les provinces situées en deçà du Lac Supérieur, sauf la province de Québec, dont la représentation ne peut varier, perdront donc quelques-uns de leurs représentants.
(2140)
Cette situation ne se reproduira pas avec la nouvelle règle qui permettra de garantir un seuil de proportionnalité à chaque province.
[Traduction]
En promulguant une nouvelle formule constitutionnelle pour l'attribution des sièges à la Chambre des communes, la Loi sur la représentation équitable rapproche chaque province du principe de la représentation selon la population.
[Français]
Le projet de loi C-20 veut corriger les écarts importants de population dans les circonscriptions actuelles. Toutefois, il serait utopique et illusoire de penser qu'une refonte de la carte électorale puisse représenter une parfaite égalité du nombre de résidants dans chaque circonscription. Comme le souligne si justement l'ex- sénateur Beaudoin :
Le Canada est un pays peu peuplé et fort vaste. Ces deux facteurs rendent extrêmement difficile l'égalité dans les circonscriptions.
À ce titre, dans un jugement de la Cour suprême du Canada, le Renvoi sur les circonscriptions électorales de la Saskatchewan, 1991, le plus haut tribunal du pays, qui traitait des obligations sous- jacentes à la garantie du droit de vote, et ce plus particulièrement lors de redécoupage de circonscriptions, a, et je cite :
[...] rejeté le principe « une personne un vote » pour lui substituer le principe de la « représentation effective ».
Le sénateur Beaudoin nous explique la nature de ce jugement en ces termes :
La Cour suprême a statué, à la majorité, dans ce renvoi, que l'article 3 de la Charte ne consacre pas le principe « une personne un vote ». L'article 3 garantit plutôt le droit à une « représentation effective », concept plus large que celui de l'égalité du suffrage, la juge McLachlin déclarait :
[...] l'objet du droit de vote garanti par l'article 3 de la charte n'est pas l'égalité du pouvoir en soi, mais le droit à une « représentation effective ». Notre démocratie est une démocratie représentative. Chaque citoyen a le droit d'être représenté au sein du gouvernement.
Ce principe d'une représentation effective était d'ailleurs dans l'esprit des Pères de la Confédération. Ainsi, lors des débats en vue de répartir les nouveaux représentants à la Chambre des communes en 1872, sir John A. Macdonald l'a reconnu en tenant ces propos :
On constatera que bien que la règle ayant trait à la population ait été largement prise en compte, d'autres considérations ont aussi été jugées avoir du poids; de sorte que différents intérêts, classes et localités puissent être justement représentés, que la règle du nombre ne soit pas la seule appliquée.
Je souligne ici que lorsque sir John A. Macdonald parlait d'intérêts. il faisait notamment référence à la protection des minorités. L'histoire de la représentation proportionnelle au Canada démontre que la distribution des sièges n'a jamais été une question purement mathématique, tel que la Cour supérieure de la Colombie Britannique nous l'expose clairement dans l'affaire Campbell c. Canada, dans un jugement rendu le 30 décembre 1987.
Le tribunal nous dit ceci :
[Traduction]
Tout d'abord, on ne peut pas dire qu'une représentation mathématiquement parfaite a déjà été prescrite par la Constitution canadienne. On avait d'abord dérogé à cet idéal avec la clause du 1/20, ou des 5 p. 100, prévue dans l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867, puis, plus tard, la disposition relative à la représentation des territoires, la clause sénatoriale, la clause des 15 p. 100 et la formule de l'amalgame. La Constitution en vigueur après la révision de 1982 exigeait au moins l'application de la clause sénatoriale, de la formule de l'amalgame et de la représentation territoriale, qui permettaient toutes une représentation imparfaite selon la population. Manifestement, les modifications à la Constitution du Canada visaient, de toute évidence, à empêcher que des provinces perdent leur poids à la Chambre des communes en raison du déclin de leur population relative. Selon moi, « le principe de représentation prescrit par la Constitution n'oblige pas à assurer une représentation mathématiquement parfaite ».
[Français]
Cette position était d'ailleurs confirmée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans le même dossier en ces mots :
[Traduction]
Ainsi, la représentation proportionnelle prescrite par la Constitution de 1867 ne reflétait pas une représentation parfaite de la population.
[Français]
Dans l'arrêt Carter rendu en 1991, la Cour suprême du Canada affirmait ceci :
Il se fait donc que des dérogations à la parité électorale absolue peuvent se justifier en présence d'une impossibilité matérielle ou pour assurer une représentation plus effective. [...] La règle primordiale et la plus importante est que le droit doit s'interpréter conformément à son objet. Comme on le verra, peu de choses dans l'histoire ou la philosophie de la démocratie canadienne permettent de croire que les rédacteurs de la Charte visaient principalement, en édictant l'article 3, à atteindre la parité électorale.
Toutefois, la nouvelle formule pour déterminer le quotient électoral vise néanmoins à se rapprocher au maximum de l'accroissement réel de chaque province, rendant ainsi plus équitable la nouvelle carte électorale qui sera établie pour les prochaines élections.
(2150)
Cette disposition a été abrogée en 1946.
[Traduction]
Au cours des prochaines minutes, je vais faire un bref survol de l'histoire de la formule d'attribution des sièges à la Chambre des communes et de la procédure constitutionnelle pour modifier la formule. Je vais également présenter aux honorables sénateurs un bref aperçu des autres modifications proposées dans le projet de loi C-20.
[Français]
La taille de la Chambre des communes du Canada est lentement passée de 181 députés en 1867, à un moment où ce pays ne comptait que quatre provinces, au nombre de députés qu'on connaît aujourd'hui. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, maintenant connu sous le nom de Loi constitutionnelle de 1867, prévoit depuis son adoption par le Parlement de Westminster une formule de révision du nombre de sièges de la Chambre et d'attribution de ces sièges aux provinces.
[Traduction]
Cette formule a été modifiée à cinq reprises depuis 1867, et ses différentes versions présentaient souvent des caractéristiques communes. L'attribution des sièges a toujours été fondée sur le principe de la représentation selon la population. Chaque formule proposait une façon de comparer la population relative de chaque province et d'attribuer les sièges aux provinces à la lumière de cette comparaison.
[Français]
Or, la représentation stricte selon la population n'a jamais figuré au menu de ces formules puisqu'il serait impossible d'atteindre une représentation parfaite sans accroître considérablement la taille de la Chambre des communes. Ces formules ont toujours été conçues de façon à trouver un compromis entre, d'une part, la nécessité pour les provinces qui ont les plus hauts taux de croissance de la population de voir leur représentation augmenter et, d'autre part, la nécessité pour les provinces plus petites de maintenir un niveau de représentation approprié.
Divers moyens ont été pris au fil des ans pour atteindre cet objectif. Par exemple, au moment de la Confédération, une disposition stipulait qu'aucune province ne pouvait perdre des sièges à la suite d'une révision de la représentation, à moins que sa part de la population n'ait diminué de plus de 5 p. 100 depuis le dernier recensement décennal.
[Traduction]
En 1951, une nouvelle disposition a été adoptée garantissant qu'aucune province ne perdrait plus de 15 p. 100 de ses sièges à la Chambre des communes. D'après la même disposition, aucune province ne pouvait non plus avoir moins de sièges qu'une autre province ayant une population moindre. Ces garanties ont été renforcées en 1974 lorsque la Constitution a été modifiée pour établir qu'aucune province ne pouvait perdre des sièges par suite d'un rajustement. Cette disposition a été abrogée en 1985.
Toutefois, certaines autres garanties constitutionnelles adoptées au XXe siècle demeurent encore en vigueur aujourd'hui.
[Français]
La clause sénatoriale adoptée en 1915 est l'une d'entre elles. Comme je l'ai mentionné plus tôt, cette clause garantit à toutes les provinces une représentation à la Chambre des communes au moins équivalente en nombre de sièges à sa représentation au Sénat. Le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et, dans une moindre mesure, la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve-et-Labrador, sont les provinces à qui cette disposition profite.
Une autre garantie encore en vigueur aujourd'hui est la clause des droits acquis, qui assure aux provinces le maintien du nombre de sièges dont elles disposaient à l'entrée en vigueur de cette clause en 1986. Le Québec, la Nouvelle-Écosse, le Manitoba, la Saskatchewan et Terre-Neuve-et-Labrador sont les provinces qui en tirent parti.
Les nombreuses formules adoptées se caractérisaient toutes aussi par la nécessité de gérer la croissance de la taille de la Chambre des communes. Comme je l'ai mentionné précédemment de 1867 à 1946, le Québec détenait un nombre fixe de 65 sièges, et les autres provinces se voyaient attribuer des sièges selon la population moyenne d'une circonscription au Québec, sous réserve des garanties constitutionnelles précédemment discutées. On a cependant découvert que le fait de fonder la formule d'attribution des sièges sur les tendances de croissance démographique d'une seule province pouvait créer des fluctuations rapides de la taille de la Chambre ou de la représentation des autres provinces.
En 1946, la formule a été modifiée en vue de limiter le nombre de sièges à la Chambre des communes. Mais encore une fois, les tendances de croissance démographique variant d'une province à l'autre, les provinces connaissant une croissance moins rapide perdaient des sièges.
Une nouvelle formule de redécoupage fut adoptée en 1974, la formule de l'amalgame. Après l'avoir mise à l'essai en 1976, on se rendit compte que cette formule aurait entraîné une augmentation importante de la taille de la Chambre des communes à moyen et à long terme. Ainsi, l'idée de limiter la taille de la Chambre a refait surface dans les années 1980.
C'est ainsi qu'on a adopté la formule actuelle, qui limite à 279 le nombre de sièges attribués aux provinces, suivant le principe de la représentation selon la population. Des sièges supplémentaires sont ensuite attribués aux provinces qui observent une croissance moins rapide pour respecter les garanties constitutionnelles dont je vous ai entretenus plus tôt.
Cette formule s'est avérée utile pour limiter la taille de la Chambre des communes, mais elle a aussi accru la sous-représentation des provinces en plein essor démographique.
C'est pourquoi le projet de loi C-20 vise à maintenir le nombre de députés siégeant à la Chambre dans des limites raisonnables, tout en respectant les garanties constitutionnelles relatives au nombre de sièges et en assurant aujourd'hui et à l'avenir une représentation selon la population plus équitable des provinces en plein essor démographique.
Pour atteindre ces objectifs, la Loi sur la représentation équitable utilise un quotient électoral — qui est déterminé de la façon suivante : Le nombre de citoyens dans une circonscription moyenne en 2001, multiplié par la moyenne des taux d'accroissement populationnel de chaque province dix ans plus tard.
Autrement dit, on établit pour chaque province son pourcentage d'accroissement en fonction des prévisions populationnelles du statisticien en chef du Canada, suite au recensement de 2011, comparativement au recensement de 2001, puis on établit la moyenne de ces 10 taux d'accroissement populationnels et on multiplie ce chiffre ainsi obtenu au nombre de personnes que l'on retrouvait dans une circonscription moyenne en 2001.
Selon cette formule, le quotient électoral pour la prochaine révision sera de 111 166 citoyens. Cette formule protège donc l'ensemble des provinces quant à leur poids relatif à la Chambre des communes.
La taille de la Chambre des communes augmentera à 338 sièges après la prochaine révision de la représentation, mais elle devrait croître de façon modeste à l'avenir. L'Ontario, la Colombie- Britannique et l'Alberta bénéficieront également d'une représentation plus fidèle à leur population.
Tout changement à la formule d'attribution des sièges à la Chambre des communes constitue, par définition, une modification constitutionnelle.
La Loi constitutionnelle de 1982 stipule que le Parlement a compétence exclusive pour modifier les dispositions de la Constitution du Canada relative au pouvoir exécutif fédéral, au Sénat ou à la Chambre des communes.
La formule actuelle d'attribution des sièges à la Chambre qui respecte notamment la clause sénatoriale a été adoptée par le Parlement en 1986 en vertu de cette compétence exclusive. De la même façon, le projet de loi sur la représentation équitable devrait être adoptée selon cette procédure de modification.
Le projet de loi C-20 amende la formule d'attribution des sièges de la Loi constitutionnelle de 1867 et apporte aussi d'autres modifications au processus de révision de la représentation.
Tout d'abord, il exige que l'attribution des sièges aux provinces et le redécoupage des circonscriptions au sein de chaque province se fondent sur les meilleures données démographiques disponibles.
C'est pourquoi l'attribution des sièges aux provinces se fondera désormais sur les estimations de la population publiées par Statistique Canada.
Fondées sur les données du dernier recensement, les estimations de la population tiennent compte du sous-dénombrement net du recensement ou, en d'autres mots, du fait que le recensement ne peut joindre tout le monde.
Statistique Canada prépare déjà des estimations de la population qui sont utilisées, entre autres, dans le cadre de programmes comme le Programme de péréquation.
Wayne Smith, statisticien en chef du Canada, a déclaré ce qui suit au Comité permanent de la procédure :
Statistique Canada estime que les estimations démographiques du 1er juillet actuellement disponibles représentent la meilleure évaluation démographique des provinces et des territoires qui est disponible en ce moment ou qui sera disponible le 8 février. À notre avis, il convient donc de les utiliser aux fins du projet de loi C-20.
La simplification du processus de révision prévu dans Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales constitue la deuxième modification apportée par le projet de loi C-20.
À la suite de la dernière révision des limites des circonscriptions, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes et le directeur général des élections ont produit des rapports dans lesquels ils ont recommandé de réduire certains délais prévus dans la loi.
(2200)
Le projet de loi C-20 donne suite à ces recommandations et amende la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, notamment en devançant la date d'établissement des commissions indépendantes; en réduisant de 60 à 30 le nombre de jours minimum d'avis public que les commissions doivent donner avant la tenue des consultations; en permettant aux partis intéressés de déroger à l'obligation de fournir aux commissions un avis d'intention de comparaître; en réduisant de 12 à 10 mois le délai accordé aux commissions pour soumettre le rapport à l'examen du comité de la Chambre, ainsi qu'en réduisant de six à deux mois la prolongation que peut accorder le directeur général des élections; en réduisant de cinq mois le temps nécessaire pour l'entrée en vigueur de la nouvelle carte électorale.
Ces délais réduits permettront de déterminer et d'appliquer plus rapidement les nouvelles limites des circonscriptions.
Les modifications proposées à la formule constitutionnelle d'attribution des sièges de la Chambre des communes et à la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales s'appliqueront dès que le projet de loi C-20 recevra la sanction royale.
Le projet de loi C-20, même s'il est adopté après le 8 février, comprend une série de dispositions qui verront à son application, mais comme le disait le directeur général des élections, et celui-ci a insisté sur l'importance d'adopter le projet de loi avant cette date lorsqu'il a comparu devant le comité de la Chambre des communes, la meilleure date dans notre esprit serait avant que les commissions soient créées en février. Autrement, les commissions commenceront leur travail, la loi entrera en vigueur plus tard et elles devront recommencer leur travail. Évidemment, cela pourrait entraîner des coûts additionnels, mais également un degré de confusion assez important, selon le moment où la loi entrera en vigueur.
Par conséquent, j'exhorte les honorables sénateurs à procéder rapidement à l'étude du projet de la loi sur la représentation équitable.
Je conclus en disant que, selon moi, la formule proposée dans le projet de loi C-20 est la meilleure formule pour assurer une représentation plus équitable de toutes les provinces, et ce, d'une manière fondée sur des principes.
Je demande donc à tous les honorables sénateurs d'appuyer ce projet de loi en vue de rétablir une représentation équitable à la Chambre des communes.
L'honorable Dennis Dawson : L'esprit de Noël m'a quitté, honorables sénateurs. J'avais appuyé le projet de loi S-1002 du sénateur Meighen dans l'esprit de Noël, et j'avais fait la même chose pour le projet de loi S-4. Malheureusement, j'ai une mauvaise nouvelle pour vous; l'esprit de Noël n'est plus là et nous allons nous opposer à votre projet de loi. C'est la mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle, c'est que nous allons quand même collaborer puisque vous avez imposé imposés, encore une fois, un échéancier avec une date butoir en février.
[Traduction]
Ne craignez rien, mon discours sera assez court, dans l'esprit de Noël.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Dawson : Et je compte coopérer. Moi, le sénateur Verner et de nombreux autres sénateurs des deux côtés avons siégé à l'autre endroit. Le sénateur Comeau y était également, mais avant moi.
Quand j'étais à l'autre endroit, je me serais senti insulté si le Sénat avait pris des décisions concernant les limites électorales ou d'autres questions relatives aux élections de l'autre Chambre. Je peux vous donner l'assurance que le but n'est pas de faire de l'obstruction. Nous voulons coopérer.
Par ailleurs, nous avons la responsabilité de veiller à ce que les mesures législatives soient aussi bonnes que possible, ce qui n'est pas toujours le cas, comme les sénateurs le savent. C'est un peu surprenant car, depuis cinq ans, de moins en moins de nos modifications sont acceptées par la Chambre des communes. En fait, presqu'aucun amendement n'est accepté en comité ou à la Chambre. Le nombre d'amendements acceptés n'a pas cessé de baisser d'année en année.
De deux choses l'une : soit vous avez trouvé de si bons rédacteurs législatifs qu'ils ne font jamais d'erreurs, soit quelqu'un vous a dit de vous pincer le nez, de fermer les yeux et d'adopter les projets de loi le plus rapidement possible.
En 2005, le Sénat a présenté 500 amendements, dont 450 ont été acceptés par l'autre Chambre. Un an plus tard, au sujet du projet de loi sur la responsabilité, 175 amendements ont été présentés, et 150 ont été acceptés. Vos rédacteurs législatifs sont-ils devenus tellement bons qu'ils ont complètement cessé de faire des erreurs? J'en doute.
[Français]
Pour revenir au projet de loi, il m'est arrivé, comme vous le savez, de présenter des projets de loi sur le financement des partis politiques.
[Traduction]
Nous avons des opinions à formuler, mais je crois sincèrement qu'il y a une limite à notre responsabilité à l'égard de ce projet de loi. Je coopérerai dans les prochains jours pour permettre l'adoption de cette mesure, mais nous proposerons certainement les amendements que nous jugerons nécessaires et justifiés.
[Français]
Nous devons analyser la législation, entendre les témoins, constitutionalistes et experts en la matière, pour bien comprendre les enjeux de ce projet de loi.
Je sais que quelques honorables sénateurs des deux côtés ont des réserves quant à savoir si nous devons intervenir de façon importante ou non; pourtant entre l'obstruction et l'approbation à l'aveuglette, nous avons plusieurs options. Je vous assure, honorables sénateurs, que ce ne sera pas de l'obstruction, mais ce ne sera pas non plus une approbation à l'aveuglette.
Malgré ce bémol, je crois qu'il est de notre devoir d'indiquer nos réserves.
[Traduction]
En 1977, lorsque j'ai été élu pour la première fois à la Chambre des communes, il y avait 282 députés, puis nous sommes passés de 282 à 285. Ce fut un grand changement. D'après cette proposition, nous aurions 338 députés, soit 10 p. 100 de plus que nous n'en avons actuellement et 56 p. 100 de plus que nous n'en avions il y a 35 ans, lorsque je siégeais à la Chambre des communes. Selon le magazine The Economist, le gouvernement cherche à agrandir démesurément la Chambre des communes.
Honorables sénateurs, je n'appuie pas ce projet de loi pour les raisons suivantes. Il coûte trop cher, il dilue l'influence des députés et il établit une formule qui verra la Chambre des communes enfler continuellement tous les 10 ans. Il y a un meilleur moyen d'avoir un Parlement équitable pour tous, y compris le Québec, dont je parlerai dans quelques instants.
Les autres démocraties du monde n'augmentent pas la taille de leurs assemblées législatives. La Chambre des représentants des États-Unis est plafonnée à 435 pour une population 10 fois plus importante que la nôtre. Même si cette population augmente, le nombre des représentants restera le même, ce qui est une décision responsable. Le Parlement du Royaume-Uni, notre modèle parlementaire, a adopté une loi qui ramène le nombre des sièges de 650 à 600.
L'Australie, la France, l'Allemagne; aucun de ces pays n'ajoute des sièges à son assemblée fédérale.
Honorables sénateurs, nous devons nous demander ce qui suit : Pourquoi le gouvernement du Canada est-il le seul à vouloir laisser la taille de son Parlement croître d'une manière incontrôlée?
Le sénateur Mitchell : Les conservateurs aiment avoir un État tentaculaire.
[Français]
Le sénateur Dawson : Il est important pour moi de dire quelques mots en cette Chambre concernant la situation particulière du Québec, la province que je représente.
Dès la formation de notre pays, le rôle du Québec et son poids dans la prise de décisions concernant le nombre des parlementaires ont toujours été essentiels. La représentation du Québec à l’autre endroit est restée relativement constante, ce qui était une considération particulière que nous reconnaissons encore aujourd’hui, et que nous reconnaîtrons aussi dans les propositions que nous ferons en comité.
Notre proposition dans l'autre Chambre vise à protéger le partage des députés du Québec à la Chambre des communes avec une proportion d'un peu plus de 23 p. 100 des sièges. C'est exactement la situation actuelle et celle qui existait il y a quelques années. Cela représente proportionnellement le même pourcentage de la population du Québec par rapport au reste de la population canadienne. En fait, notre proposition est plus généreuse envers le Québec que la proposition des conservateurs.
Les conservateurs qui clament que nous réduirions la représentation du Québec et, par le fait même, l'influence du Québec à la Chambre des communes ne font que jouer à un jeu d'apparences. En adoptant le modèle conservateur, le Québec obtient plus de sièges, certes, mais dans une Chambre des communes encore plus grande, ce qui, en bout de ligne, n'arrange en rien la situation et ne représente en rien une situation plus avantageuse pour le Québec.
Oui, il est vrai que le Québec, en comparaison avec les provinces ayant des populations grossissantes, a peut-être été favorisé. Nous n'avons peut-être pas connu la même croissance, mais nous avons toujours joué un rôle historique dans la composition du nombre de députés à l'autre endroit.
(2210)
L'autre endroit a toujours reconnu le poids politique et économique que le Québec exerce et, avec notre formule, nous allons continuer de le faire.
[Traduction]
Parlons de prix. La Fédération canadienne des contribuables, qui ne compte pas particulièrement parmi nos amis et qui se range habituellement dans le camp conservateur, ne l'a pas fait cette fois- ci. Elle estime que 30 députés de plus coûteront 18 millions de dollars par an. En comptant 11,5 millions de dollars pour chaque élection, cela représente 84 millions de dollars supplémentaires tous les quatre ans. Ce n'est pas un petit montant.
D'ailleurs, le premier ministre Stephen Harper est d'accord avec moi. En effet, voici ce qu'il a dit en 1994 : « Une réduction du nombre des députés [...] ferait réaliser des économies considérables. »
Des voix : Bravo!
Le sénateur Mercer : Vas-y, mon Steve!
Le sénateur Dawson : Il avait raison alors, et il a raison aujourd'hui. Il avait ajouté : « Les Canadiens figurent déjà parmi les populations les plus excessivement représentées du monde. »
Le sénateur Mitchell : A-t-il vraiment dit cela?
Le sénateur Dawson : Je suis encore obligé d'être d'accord avec lui. C'est un peu embarrassant pour moi.
Vous demandez-vous parfois ce qui est arrivé à Stephen Harper? Je suppose qu'il a perdu ses principes en se rendant au cabinet du premier ministre, ou bien est-ce au 24, promenade Sussex? M. Harper a beau parler d'un gouvernement plus restreint, ses actes vont dans la direction opposée. Les conservateurs ont augmenté les dépenses du gouvernement dans une proportion effrayante, 21 p. 100, en 2006.
Le sénateur Mitchell : Combien?
Le sénateur Dawson : Vingt et un pour cent. De combien Stephen Harper a-t-il augmenté la taille du cabinet du premier ministre? De 30 p. 100. En combien de temps?
Le sénateur Mitchell : Deux ans?
Le sénateur Dawson : Vous avez raison, sénateur, deux ans. Le coût du Cabinet conservateur s'est accru de 16 p. 100 dans la même période. C'est incroyable. À un moment où le gouvernement devrait réduire les dépenses, les conservateurs sont en train de donner le pire exemple possible.
[Français]
Le rôle des députés, honorables sénateurs. Cela m'amène à mon troisième point, à savoir que l'augmentation continue de la taille de la Chambre des communes ne fera que diluer l'influence qu'a un député moyen à la Chambre.
La croissance du Cabinet de M. Harper — au risque de me répéter, 30 p. 100 en deux ans — nous montre bien à quel point le contrôle du « centre »...
[Traduction]
Le centre contrôle le processus politique au Canada.
[Français]
Les députés ont de moins en moins d'influence sur le gouvernement, dans un Parlement où les motions de clôture limitant les débats sont devenues la norme et où toute suggestion en vue d'améliorer la législation est ignorée.
[Traduction]
Les conservateurs ne veulent pas accepter d'amendements. Les projets de loi sont toujours parfaitement rédigés.
[Français]
Rencontrant beaucoup de résistance de la part du public, le secrétaire parlementaire de M. Harper a alors vanté leur plan en disant : « Nous allons réduire le budget des députés. »
Donc, si je comprends bien, et corrigez-moi si je me trompe, premièrement, on ajoute plus de députés à un Parlement contrôlé et après cela, on leur dit qu'ils recevront moins d'argent pour faire leur travail. M. Harper a d'ailleurs proposé lui-même d'affaiblir encore plus le poids politique des députés en coupant dans leurs budgets.
Le but de la loi devrait être de renforcer le rôle des députés en leur donnant une voix équitable au Parlement. Au lieu de cela, on ne fera que diluer leur influence.
[Traduction]
Honorables sénateurs, vous devez également penser que cette proposition du gouvernement équivaut pour la Chambre des communes à une « formule de croissance » permanente, pas seulement pour maintenant, mais aussi pour l'avenir. Tout le monde convient de la nécessité de répartir plus équitablement les sièges entre les provinces. Il n'est pas juste que, dans certaines circonscriptions de Toronto, 150 000 personnes élisent un député, alors qu'au Manitoba, deux députés, et de surcroît probablement pas des libéraux, représentent le même nombre de personnes.
La représentation selon de la population est inscrite dans la Constitution. Ce principe s'applique à tout le monde, quelle que soit la province où on habite. C'est pourquoi la formule actuelle attribue à chaque province une proportion équitable de sièges en fonction du pourcentage de la population canadienne qui y vit. Voilà la formule que nous proposons, et non 30 parlementaires de plus.
Il est possible de parvenir à une Chambre des communes plus équitable sans accroître la taille de celle-ci, sans augmenter les coûts et sans amoindrir l'influence des députés. Il y a des règles que nous pouvons modifier, comme la « clause sénatoriale », sénateur Carignan. Nous ne pouvons pas toucher à l'article de la Constitution qui garantit quatre sièges à l'Île-du-Prince-Édouard. Toutefois, la disposition sur les droits acquis, qui a été adoptée en 1985 et qui stipule qu'aucune province ne perdra de sièges, garantit bel et bien la croissance continue de la Chambre des communes. Avec l'autre Chambre, nous pouvons modifier cette règle.
Le plan conservateur maintient cette disposition sur les droits acquis, ce qui fait en sorte que la Chambre continuera de croître à une vitesse phénoménale si certaines provinces continuent de croître plus vite que d'autres. Si nous appliquons la formule conservatrice aux projections démographiques moyennes de Statistique Canada pour chaque province, nous nous retrouverons avec 345 sièges en 2021 et 353 en 2031. Nous atteindrons le même nombre que la Chambre des représentants.
Je n'arrive pas à voir comment on pourrait ajouter 45 sièges à la Chambre des communes. Ceux d'entre vous qui ont siégé à l'autre endroit savent qu'on y est déjà un peu à l'étroit. De toute façon, combien d'autres députés pourra-t-on interviewer à la chaîne CPAC?
[Français]
Honorables sénateurs, quel genre de legs laissons-nous à nos futurs législateurs si nous les attelons à une formule qui prône une Chambre des communes constamment en croissance?
Le Parti libéral a adopté une approche de principes responsables envers ce problème. Il s'agit d'un changement simple : remplacer la clause « grand-père », qui garantit une augmentation des sièges par la règle de 15, qui était utilisée dans les années 1950.
Cette règle empêche les provinces de perdre plus de 15 p. 100 de leurs sièges dans la redistribution.
Le résultat est une Chambre des communes qui parvient à une représentation équitablement désirée, et qui maintient un nombre de 308 sièges à l'autre endroit, tout en ne redistribuant que neuf sièges.
Le gouvernement prétend que le plan libéral crée des gagnants et des perdants. Ce n'est qu'un trompe-l'œil, ce n'est qu'une illusion, honorables sénateurs. Chaque province, incluant le Québec, aurait la même proportion de sièges sous le plan libéral que sous la proposition des conservateurs, et ce, pour les projections démographiques actuelles et futures.
[Traduction]
En guise de conclusion, honorables sénateurs, je dirai que je ne peux pas appuyer un projet de loi qui permet une croissance indéfinie de la Chambre de communes, entraîne des coûts inutiles et dilue l'influence des députés.
[Français]
Nous pouvons contrôler les coûts tout en renforçant l'influence de nos députés, et, par le fait même, arriver à une représentation plus équitable de toutes les provinces, incluant le Québec, sans augmenter le nombre de députés à la Chambre des communes.
Je rappelle au leader qu'il nous fera plaisir de collaborer avec lui et, s'il nous propose de se réunir en comité le plus rapidement possible, je suis convaincu que les sénateurs de notre côté se feront un plaisir de l'accommoder.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
L'honorable sénateur Carignan propose, avec l'appui de l'honorable sénateur Meighen, que le projet de loi C-20 soit lu pour la deuxième fois.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Des voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée avec dissidence et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)
[Français]
Renvoi au comité
Son Honneur le Président : Quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion du sénateur Carignan, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)
[Traduction]
Affaires juridiques et constitutionnelles
Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat
L'honorable John. D. Wallace : Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)a) du Règlement, je propose :
Que, jusqu'au 23 décembre 2011, pour les fins de son examen du projet de loi C-20, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867, la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales et la Loi électorale du Canada du gouvernement, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à siéger même si le Sénat siège à ce moment-là, l'application de l'article 95(4) du Règlement étant suspendue à cet égard.
Son Honneur le Président : La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(La motion est adoptée.)
(2220)
[Français]
Le Sénat
Motion tendant à la mise sur pied d'une stratégie nationale de prévention du suicide—Suite du débat
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dawson, appuyée par l'honorable sénateur Day,
Que le Sénat convienne que le suicide n'est pas qu'une tragédie personnelle, mais qu'il constitue aussi un grave problème de santé publique et une priorité sur le plan politique; et que le Sénat exhorte le gouvernement de travailler de concert avec les provinces, les territoires, des représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis et d'autres intervenants afin de mettre sur pied et de financer une Stratégie nationale de prévention du suicide, qui ferait, entre autres, la promotion d'une démarche complète et axée sur la recherche pour se pencher sur cette terrible perte de vie humaine.
L'honorable Roméo Antonius Dallaire : Honorables sénateurs, j'avais l'intention de parler de cette motion, qui traite d'un sujet critique et qui suscite énormément de soucis. Toutefois, étant donné l'heure tardive, il serait peut-être risqué pour moi de prendre la parole sur un tel sujet. Par conséquent, je demande que le débat soit reporté à la prochaine séance du Sénat.
(Sur la motion du sénateur Dallaire, le débat est ajourné.)
[Traduction]
Motion exhortant le gouvernement à respecter l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé—Ajournement du débat
L'honorable Wilfred P. Moore, conformément à l'avis donné le 7 décembre 2011, propose :
Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à respecter l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, lequel prévoit qu'il ne peut être déposé au Parlement, à l'initiative du ministre, aucun projet de loi ayant pour effet, soit de soustraire quelque type, catégorie ou grade de blé ou d'orge, ou le blé ou l'orge produit dans telle région du Canada, à l'application de la partie IV, que ce soit totalement ou partiellement, de façon générale ou pour une période déterminée, soit d'étendre l'application des parties III et IV, ou de l'une d'elles, à un autre grain, à moins que les conditions suivantes soient réunies :
a) il a consulté le conseil au sujet de la mesure;
b) les producteurs de ce grain ont voté — suivant les modalités fixées par le ministre — en faveur de la mesure.
— Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir au sujet de ma motion, qui a été présentée le 7 décembre. Comme les sénateurs le savent, j'ai abordé cette question à l'étape de la deuxième lecture du point de vue de la question de privilège. Il est franchement regrettable que les gestes du gouvernement m'amènent à prendre de nouveau la parole dans cette enceinte pour demander que nous, sénateurs, procédions à un second examen objectif et incitions l'exécutif du gouvernement à respecter la primauté du droit au Canada. Tous les honnêtes Canadiens devraient trouver alarmant que les mesures prises par le gouvernement puissent entraîner une pareille situation.
Le sénateur Mitchell : Ce l'est.
Le sénateur Moore : Le gouvernement prétend sévir contre la criminalité, mais c'est du vent. Si le gouvernement ne se donne pas la peine de respecter les lois qui régissent le Canada, comment les Canadiens peuvent-ils croire que le premier ministre et son cabinet agiront comme ils se doivent?
Le sénateur Mitchell : Bonne question.
Le sénateur Moore : Honorables sénateurs, ce n'est pas la première fois que le gouvernement ne respecte pas la primauté du droit au pays. Il existe une longue liste de cas d'abus de pouvoir.
Au cours de la dernière campagne électorale, M. Harper a dit que c'était lui qui fixait les règles du jeu. Je peux vous assurer, honorables sénateurs, que ce n'est pas vrai. Ce sont le Parlement, c'est-à-dire les deux corps législatifs, le peuple du Canada et la Couronne qui établissent les règles, et ces règles doivent être suivies.
Il est utile de rappeler ici quelques-uns de ces cas d'abus, car la tendance qui s'est développée est extrêmement décevante. Vous vous souvenez peut-être de Linda Keen. Elle a respecté la loi. Elle a refusé d'enfreindre la loi définissant son mandat et de trahir l'organisme qu'elle servait avec beaucoup de professionnalisme. Cela ne convenait pas au gouvernement, alors elle a été congédiée pour ne pas avoir enfreint la loi.
Le ministre de l'Industrie s'est approprié de sommes d'argent provenant du Fonds pour l'infrastructure frontalière et les a réparties dans sa circonscription en se cachant derrière le paravent du sommet du G8. Le Bureau du vérificateur général a indiqué qu'il avait enfreint les règles.
Le ministre de la Défense a été pointé du doigt deux fois par le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique. La ministre de la Coopération internationale a été déclarée coupable d'outrage au Parlement. Le gouvernement conservateur a été déclaré coupable d'outrage au Parlement. C'est le premier gouvernement de l'histoire du parlementarisme britannique à avoir fait l'objet d'un tel jugement. Le Parti conservateur du Canada a reconnu avoir enfreint les règles d'Élections Canada.
Comme je l'ai indiqué auparavant, ce comportement nous donne l'allure d'une république bananière, et c'est ce qui nous amène à ma motion d'aujourd'hui pour obliger le gouvernement à respecter la loi.
La Cour fédérale du Canada s'est prononcée la semaine dernière sur la validité des méthodes du gouvernement pour démanteler la Commission canadienne du blé. Je cite un extrait de cette décision :
1. Le ministre a contrevenu aux exigences procédurales en vertu de l'article 47.1 de la Loi sur la Commission canadienne du blé, L.R.C. 1985, ch. C-24, qui prévoient une consultation de la Commission et un vote des producteurs, avant de prendre des mesures pour que soit présenté au Parlement un projet de loi tel que le projet de loi C-18, Loi réorganisant la Commission canadienne du blé et apportant des modifications corrélatives et connexes à certaines lois [...]
Compte tenu de la décision de la Cour fédérale, le ministre de l'Agriculture est accusé par les agriculteurs de les avoir trahis en ne respectant pas sa promesse électorale de leur permettre de voter au sujet de l'avenir du système de commercialisation à guichet unique. Il est en outre pointé du doigt par la Cour fédérale du Canada pour ne pas avoir respecté son obligation statutaire et pour avoir enfreint les lois du Canada.
Le sénateur Mitchell : Promesse faite, promesse rompue.
Le sénateur Moore : Honorables sénateurs, ce doit être l'une des journées les plus sombres de l'histoire parlementaire canadienne — un ministre ne respecte pas les lois du pays, même s'il avait déclaré publiquement qu'il le ferait.
Le sénateur Mitchell : On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre.
Le sénateur Moore : Notre Constitution représente la primauté du droit et tout le monde y est assujetti — citoyens, députés, membres du Cabinet, sénateurs, et même le premier ministre.
Qu'en est-il de l'opinion de nos agriculteurs? De leur liberté d'expression à propos de leur avenir? Leur liberté d'expression est prévue dans la Loi sur la Commission canadienne du blé, qui garantit aux agriculteurs le droit de décider de l'avenir de la commission. Ils méritent d'être entendus au moyen d'un vote démocratique, comme le promet la loi et comme l'a promis le ministre.
Honorables sénateurs, on ne parle ici que d'une seule loi, la Loi sur la Commission canadienne du blé. Si un ministre peut faire fi d'une disposition de cette loi, qu'en est-il des autres lois? De la Loi sur la clarté? Je veux que mes collègues de Québec écoutent ce que je vais dire.
Des dispositions de la Loi sur la clarté permettent de déterminer si une question est claire ou non, si le résultat d'un vote sur une question exposée explicitement est clair ou non, et si le gouvernement a le droit ou non de négocier la séparation avec une province.
Si on se fie à ce qui se passe ici aujourd'hui, rien n'empêche un ministre de faire fi des dispositions de cette loi-là. La Loi sur la clarté pourrait être vidée de sa substance sur un caprice du premier ministre.
Comme si ce n'était pas suffisant, honorables sénateurs, qu'en est- il de la loi concernant les modifications constitutionnelles, la soi- disant Loi concernant les vetos régionaux? C'est la même chose. Elle prévoit que certaines provinces, dont le Québec, disposent d'un droit de veto en ce qui concerne les changements apportés à la Constitution.
(2230)
Qu'en est-il de cela? Qu'arriverait-il si le ministre déclarait qu'il allait faire fi de ces dispositions? Cela pourrait arriver. Lorsqu'on considère le précédent créé relativement à la Loi sur la Commission canadienne du blé, cela pourrait arriver. Cette loi pourrait aussi être vidée de son sens.
Des voix : Non.
Le sénateur Moore : Ne dites pas non. Vous créez un précédent, et je vous exhorte à ne pas le faire.
J'ai déjà parlé de cette question. Je tiens à rappeler aux sénateurs d'en face leur serment d'office :
Je jure fidélité et sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs.
Ainsi Dieu me soit en aide.
Ce serment est sans condition. Il ne dit pas : « Ainsi Dieu me soit en aide, et je peux manquer au serment à ma guise ». Ce n'est pas ce que dit le serment, si l'honorable sénateur veut prendre la chose à la légère.
Ce que je dis, honorables sénateurs, c'est que je ne veux pas que mes collègues d'en face se défilent et renoncent à assumer leurs responsabilités. Je pense qu'ils devraient se rappeler que, dans toute situation, l'intégrité triomphe toujours.
Nous ne sommes pas que des politiciens, honorables sénateurs, nous sommes les dépositaires de la règle du droit. C'est précisément ce genre d'abus irrationnel de la Chambre élue que notre Chambre est censée empêcher. C'est exactement ce que les Pères de la Confédération avaient en tête quand ils ont conçu le Sénat. Nous sommes réellement les défenseurs des minorités. C'est à nous de prendre fait et cause pour les sans-voix.
Dans cette situation, ce sont les agriculteurs qui n'ont pas la possibilité de faire entendre leur voix. C'est encore plus que cela, étant donné le refus du ministre jusqu'à maintenant de ne pas suivre la loi. Nous sommes les champions et les défenseurs de la Constitution pour tous les Canadiens, et c'est important. Je l'ai mentionné l'autre jour dans mes remarques au sujet de la question de privilège concernant cette affaire.
Je fais observer à tous que nous laisserions malheureusement tomber les personnes mêmes que nous sommes ici pour protéger. Je demande instamment à tous les sénateurs, y compris ceux d'en face, d'ouvrir leur cœur et de faire ce qu'il faut faire. Je sais que nous pouvons faire mieux que l'autre endroit. Je demande aux honorables sénateurs d'appuyer cette motion.
L'honorable Terry M. Mercer : Je propose l'ajournement du débat. Si le sénateur Plett veut m'entendre pendant 45 minutes ou une demi-heure, je peux prendre la parole maintenant. Je suis prêt.
(Sur la motion du sénateur Mercer, le débat est ajourné.)
(Le Sénat s'ajourne au mercredi 14 décembre 2011, à 13 h 30.)