Débats du Sénat (Hansard)
Débats du Sénat (hansard)
1re Session, 41e Législature,
Volume 148, Numéro 56
Le jeudi 1er mars 2012
L'honorable Noël A. Kinsella, Président
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le jeudi 1er mars 2012
La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil
Prière.
[Traduction]
AFFAIRES COURANTES
Exportation et développement Canada
Le compte du Canada—Dépôt du rapport annuel de 2010-2011
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel d'Exportation et développement Canada sur les transactions relatives au Compte du Canada pour l'exercice 2010- 2011.
L'Association législative Canada-Chine
Le Groupe
interparlementaire Canada-Japon
L'assemblée générale de l'Assemblée interparlementaire de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, tenue du 18 au 24 septembre 2011—Dépôt du rapport
L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de la délégation parlementaire canadienne de l'Association législative Canada-Chine et du Groupe interparlementaire Canada-Japon concernant sa participation à la 32e assemblée générale de l'Assemblée interparlementaire de l'ANASE, tenue à Phnom Penh, au Cambodge, du 18 au 24 septembre 2011.
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les anciens combattants
Le Programme de pension d'invalidité
L'honorable Robert W. Peterson : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. La question du traitement des demandes de prestations d'invalidité des anciens combattants a refait surface. L'ombudsman des vétérans a sévèrement critiqué le ministère fédéral pour ne pas avoir expliqué correctement pourquoi certains soldats ne se sont pas vus accorder des prestations d'invalidité et pour avoir rendu pratiquement impossible l'interjection d'appels de décisions. Malheureusement, le traitement des demandes de prestations versées aux anciens combattants handicapés a été une source constante de controverse au Canada et a incité d'anciens soldats à intenter un recours collectif contre Ottawa.
Tout cela est en partie attribuable au fait que le ministère des Anciens Combattants n'a pas bien informé les soldats les plus gravement blessés de l'aide financière à leur disposition. Le bureau de l'ombudsman a affirmé que même ses employés ne pouvaient pas comprendre les lettres envoyées par le gouvernement pour rejeter les demandes de prestations des soldats. Ce n'est pas correct.
Madame le ministre encouragera-t-elle le ministre des Anciens Combattants à donner suite rapidement aux recommandations contenues dans le rapport de l'ombudsman, en commençant par celle qui indique que les raisons derrière toutes les décisions concernant les prestations d'invalidité devraient être écrites en langage clair et qu'il faut expliquer clairement la manière dont l'évaluation des demandes a été faite? Chaque lettre devrait aussi inclure un avis de droit d'appel.
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Je remercie le sénateur de sa question. Je souscris entièrement à ce qu'il vient de dire. Le gouvernement accepte le rapport et les recommandations de l'ombudsman des vétérans, qui portent sur les 10 dernières années.
La plupart des gens savent que, bien souvent, les lettres du gouvernement peuvent être embrouillées et difficiles à comprendre. Par conséquent, je comprends parfaitement la situation de ces anciens combattants. Honorables sénateurs, il importe de souligner que le ministre des Anciens Combattants, M. Blaney, a déclaré publiquement qu'il acceptait le rapport de l'ombudsman. M. Blaney souscrit aux recommandations et a donné instruction aux fonctionnaires de son ministère de rédiger leurs réponses dans un langage plus clair et plus concis et d'en expliquer les motifs dans des termes compréhensibles. Il leur a aussi demandé de signaler aux anciens combattants qu'ils ont le droit d'en appeler de la décision qui les touche.
L'agriculture et l'agroalimentaire
L'Agence canadienne d'inspection des aliments
L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, M. Bob Kingston, président national du Syndicat de l'agriculture, a demandé que l'on renforce l'inspection des importations d'aliments. Lors d'une conférence de presse tenue à Vancouver le 28 février, il a déclaré que 2 p. 100 de tous les aliments importés au Canada étaient inspectés à l'heure actuelle — 2 p. 100, honorables sénateurs. En revanche, 30 p. 100 des aliments que nous consommons sont importés — je dis bien 30 p. 100. Permettez- moi de citer M. Kingston :
Actuellement, l'Agence canadienne d'inspection des aliments n'effectue aucune inspection de ces produits pour vérifier s'ils contiennent des insecticides ou pesticides, ou encore s'ils ont fait l'objet de traitements cosmétiques dans les pays d'origine. L'Agence connaît parfaitement l'existence de ce problème croissant, mais sa demande de ressources accrues pour l'inspection des importations tombera probablement dans l'oreille d'un sourd, d'autant que le gouvernement conservateur semble bien décidé à réduire de 10 p. 100 dans son prochain budget fédéral les fonds destinés à la salubrité de l'ensemble des aliments.
(1340)
Par conséquent, honorables sénateurs, nous devons augmenter le nombre d'inspections pour les importations. Or, comme le gouvernement réduit le budget de l'ACIA, le nombre d'inspections diminuera probablement.
Madame le leader du gouvernement pourrait-elle nous expliquer comment les Canadiens sont censés être rassurés sur la qualité des aliments qu'ils consomment si l'organisme gouvernemental responsable d'inspecter ces aliments n'a pas les ressources nécessaires pour s'acquitter de son mandat?
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, M. Bob Kingston n'est pas la personne la plus objective. Il ne manque pas de critiquer le gouvernement et véhicule souvent beaucoup de faussetés.
Le budget de 2011 comprenait 100 millions de dollars additionnels sur cinq ans pour améliorer la sécurité des aliments. Nous donnons suite à l'ensemble des 57 recommandations formulées par l'enquêteur indépendant dans le rapport Weatherill, et nous avons autorisé l'Agence canadienne d'inspection des aliments à créer 733 nouveaux postes d'inspecteur. Un rapport sur les pays de l'OCDE a fait l'éloge du système canadien d'assurance de la salubrité des aliments. D'ailleurs, au chapitre de l'efficacité des rappels d'aliments, l'OCDE a classé le Canada au premier rang des pays dans le monde.
Je suis très au fait des critiques incessantes de M. Kingston à l'égard du gouvernement. Je ne pense pas qu'elles soient justifiées ou valables, car les faits sont les faits.
Le sénateur Mercer : M. Kingston, en tant que président national du Syndicat de l'agriculture, a un rôle à jouer. Il assume son rôle et je respecte cela.
Honorables sénateurs, la réponse donnée par le leader ne me rassure pas, parce que nous savons que le couperet est sur le point de tomber et que, lorsqu'il tombera, il y aura moins d'inspecteurs; leurs promesses ne tiendront plus. Au bout du compte, il y aura moins d'inspecteurs des aliments.
En fait, je tiens à souligner que bon nombre de problèmes liés à l'inspection des aliments sont évitables. Or, il semble que le gouvernement préfère réagir à une crise plutôt que de la prévenir.
Que se passera-t-il si des Canadiens tombent malades en raison de la négligence du gouvernement? Trop souvent, ce dernier oublie que ses compressions budgétaires ont des répercussions sur les gens. Est- ce que le leader du gouvernement reconnaît que, à long terme, il est plus sécuritaire et moins coûteux de prévenir les tragédies plutôt que d'en assumer les conséquences?
Le sénateur LeBreton : Honorables sénateurs, je ne réponds pas aux questions hypothétiques. Il n'y a aucune raison de croire que ce que le sénateur imagine pourrait se produire.
La salubrité des aliments et la sécurité des Canadiens restent des priorités absolues pour le gouvernement. L'augmentation du nombre d'inspecteurs est une preuve patente de notre engagement. Il est manifeste que l'OCDE n'affirmerait pas que nous avons le meilleur système de rappel des aliments qui soit si nous étions engagés dans la voie que le sénateur Mercer nous accuse de suivre.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Fred Wah, le poète officiel du Parlement du Canada.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du Dr Agustin Lage, membre de l'Assemblée nationale du Pouvoir populaire de la République de Cuba et président du Groupe d'amitié parlementaire Canada-Cuba.
Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite également la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
[Français]
Réponse différée à une question orale
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer la réponse à la question orale posée par l'honorable sénateur Sibbeston, le 1er février 2012, concernant les ressources naturelles — la réforme réglementaire.
L'environnement
Le processus d'application de la règlementation
(Réponse à la question posée le 1er février 2012 par l'honorable Nick G. Sibbeston)
Les projets axés sur les ressources constituent un moteur important pour la création d'emplois et la croissance économique à long terme au Canada. Au cours des 10 prochaines années, on s'attend à un investissement de plus de 500 milliards de dollars dans les secteurs des mines et de l'énergie du Canada.
Pour que tous les Canadiens et les Canadiennes profitent pleinement des retombées du secteur des ressources naturelles, il faut un système réglementaire renouvelé et moderne qui facilite la croissance et l'investissement, protège l'environnement et assure un développement socialement responsable.
Améliorer le rendement de notre système réglementaire était et demeure l'une des priorités de ce gouvernement depuis le départ. Au cours des années récentes, d'importants changements ont eu lieu, dont la création du Bureau de gestion des grands projets en 2008 et les modifications ciblées à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale présentées dans le budget de 2010. Néanmoins, pour répondre aux objectifs des Canadiens et des Canadiennes en matière d'emploi, de croissance et de protection de l'environnement, plus de changements fondamentaux sont nécessaires.
Nous présenterons des changements importants, législatifs et réglementaires, pour répondre à ces préoccupations et nous moderniserons le système réglementaire fédéral en ce qui touche l'examen des projets. Grâce à ces changements, le Canada sera plus en mesure de créer des emplois et de favoriser une croissance à long terme tout en s'assurant que le secteur des ressources naturelles au Canada continue d'attirer l'investissement.
Le gouvernement est à l'écoute des questions et des propositions des intervenants lors de la Conférence annuelle des ministres de l'Énergie et des Mines et lors du récent examen parlementaire de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale.
Nous avons noté le fait que les retards inutiles mettent en péril la viabilité économique des grands projets et nuisent à la réputation du Canada comme un pays où il fait bon investir. Des échéances, du début à la fin, tout au long du processus d'examen permettraient d'éviter de longs retards sans pour autant compromettre la protection de l'environnement.
Nous avons également noté l'observation selon laquelle le gouvernement doit cibler ses ressources là où le besoin se fait le plus sentir, notamment en ce qui a trait aux grands projets ayant le potentiel d'avoir le plus d'impact sur l'environnement par rapport aux petits projets de nature routinière qui ne posent pas de risque.
Enfin, nous savons qu'une meilleure correspondance entre les processus d'examen fédéral et provincial est nécessaire et qu'il faut de nouvelles mesures pour faciliter une intégration plus homogène dans tous les ordres de gouvernement.
Tous les gouvernements ont signalé un besoin urgent d'agir en collaboration et avec efficacité. Notre but collectif est simple : un projet, un examen.
Le développement opportun et responsable de nos ressources naturelles dans toutes les régions du Canada profitera aux Canadiens et aux Canadiennes par la croissance et la création d'un revenu et des emplois nécessaires au soutien des programmes, notamment en matière de santé, d'éducation et de régimes de retraite.
[Traduction]
Projet de loi sur la sécurité des rues et des communautés
Présentation d'une pétition
Permission ayant été accordée de revenir à la présentation de pétitions :
L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de présenter une pétition portant sur le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Les pétitionnaires, des citoyens canadiens, affirment que le projet de loi ne tient pas compte des stratégies de prévention de la criminalité qui ont fait leurs preuves et qu'il prévoit plutôt des politiques idéologiques dont on a démontré l'inefficacité dans d'autres pays et qui coûteront cher aux contribuables. Par conséquent, ils demandent à tous les sénateurs de voter contre le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés.
[Français]
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, conformément à l'article 27(1) du Règlement, j'avise le Sénat que lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l'ordre suivant : premièrement, la motion no 31, sur l'attribution de temps; deuxièment, le débat sur l'adoption du neuvième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, sur le projet de loi C-10, suivi de tous les autres points des affaires du gouvernement, tels qu'ils apparaissent au Feuilleton.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous rappelle que, conformément au Règlement, la durée du débat sur la motion suivante sera de deux heures et demie; les leaders disposeront chacun de 30 minutes, et les honorables sénateurs disposeront de 10 minutes.
[Français]
Projet de loi sur la sécurité des rues et des communautés
Adoption de la motion tendant à l'attribution d'une période de temps
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement), conformément à l'avis donné le 29 février 2012, propose :
Que, conformément à l'article 39 du Règlement, une seule période de six heures de débat de plus, au total, soit attribuée pour disposer à la fois de l'étape du rapport et de l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois;
Que, si le débat à l'étape du rapport prend fin avant l'expiration des six heures, le Président mette aux voix immédiatement et successivement, conformément à l'article 39(4) du Règlement, toutes les questions nécessaires pour disposer de l'étape du rapport;
Que, si le débat à l'étape de la troisième lecture prend fin avant l'expiration des six heures, le Président mette aux voix immédiatement et successivement, conformément à l'article 39(4) du Règlement, toutes les questions nécessaires pour disposer de la troisième lecture;
Que, à la fin des six heures de débat, le Président interrompe, au besoin, les délibérations en cours et mette aux voix immédiatement et successivement, conformément à l'article 39(4) du Règlement, toutes les questions nécessaires pour disposer de l'étape du rapport, si nécessaire, et de la troisième lecture.
— Honorables sénateurs, il me fait plaisir de prendre la parole pour expliquer l'importance de la motion d'attribution de temps liée au débat sur le projet de loi C-10.
Tout d'abord, j'aimerais remercier l'ensemble des membres du comité permanent qui ont étudié le dossier. Vous avez eu l'occasion d'entendre divers témoins et le sénateur Wallace nous a déjà fait part des amendements qui ont été apportés au projet de loi. Le comité a travaillé sans relâche pour nous livrer un excellent rapport. Ainsi, il est juste de dire que les sénateurs ont déjà réfléchi pendant plusieurs heures à chacun des articles de ce projet de loi.
De plus, il est bon de rappeler que le projet de loi C-10 renferme une série de mesures dont nous avons débattu dans cette Chambre récemment. Ces mesures sont donc rassemblées et jointes à quelques autres qui viennent améliorer la sécurité de tous les Canadiens.
C'est, entre autres, parce que les Canadiens croient en notre engagement envers leur sécurité qu'ils nous ont confié un mandat clair en élisant un gouvernement fort et majoritaire en mai dernier. Nous avons promis aux Canadiens d'adopter ce projet de loi dans les 100 jours. Comme c'est le cas dans nos autres dossiers, nous allons livrer la marchandise.
(1350)
La meilleure façon d'éviter que la population ne soit désabusée de la politique, c'est de respecter nos promesses. La meilleure façon de s'assurer de la sécurité des Canadiens et d'un système judiciaire plus juste et plus efficace, c'est d'adopter le projet de loi C-10. Aujourd'hui, nous faisons des pas importants dans cette direction.
C'est ce que les Canadiens attendent de nous tous; la population a attendu assez longtemps.
Adoptons donc cette motion pour montrer que nous avons compris leur message de mai dernier. Remplissons notre promesse de faire du Canada un endroit plus sûr et plus juste. C'est notre devoir de parlementaires. Je vous demande donc de vous joindre à moi pour appuyer cette motion pour que nous puissions ensuite franchir toutes les étapes menant à l'adoption de cette loi tant attendue.
[Traduction]
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, ce n'est pas la première fois — et j'ai le sentiment que ce ne sera pas la dernière non plus — que j'ai l'occasion de faire des observations sur une motion d'attribution de temps qui nous vient de ce gouvernement. Il ne fait aucun doute que le recours à ce type de motion soit parfois justifié, par exemple lorsque des manœuvres dilatoires font délibérément traîner le débat en longueur ou lorsqu'un projet de loi vise à régler un enjeu urgent. Cependant, ce n'est pas le cas avec le projet de loi C-10.
Après l'étape de la seconde lecture, le Sénat a demandé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles de se pencher sur le projet de loi C-10 afin que le Sénat puisse mieux orienter ses délibérations et que l'examen du projet de loi soit mieux ciblé. Le comité a entendu plus de 100 personnes témoigner durant près de 60 heures. Il a par la suite présenté son rapport, qui renfermait un certain nombre d'amendements et d'observations auxquels souscrivaient tous les membres du comité.
Le comité a fait ce que nous lui avions demandé de faire, mais, hier, après moins d'une heure de débat sur ses conclusions, le gouvernement en avait déjà assez entendu; en fait, le président a tout juste eu le temps d'expliquer les amendements et les observations du comité et j'ai à peine pu faire quelques commentaires par la suite, c'est tout. Le sénateur Carignan a aussitôt donné avis de la présentation de cette motion visant à limiter le temps de débat.
Il a non seulement présenté l'avis de motion en agissant avec une précipitation injustifiée, mais il a ensuite réduit au strict minimum notre temps de parole pour tout débat additionnel.
Le paragraphe 39(2) du Règlement du Sénat stipule que :
Une motion [...] prévoit au moins une seule période de six heures de débats de plus, au total, pour disposer à la fois des étapes du rapport et de la troisième lecture d'un projet de loi dans l'intérêt public.
C'est exactement ce que la motion du sénateur Carignan nous accorde — six heures, pas une minute de plus.
Après seulement 30 minutes de débat sur un projet de loi omnibus qui contient plus de 200 articles, le gouvernement a décidé qu'il n'accorderait que six heures de débat de plus. Le gouvernement aurait pu prévoir plus de temps aux termes de l'article 39. Il aurait pu prévoir 12, 10 ou même sept heures, mais ce n'est pas ce qu'il a choisi de faire.
Nous disposons précisément de six heures pour débattre du projet de loi omnibus sur la criminalité avant qu'il soit mis aux voix — six heures, 360 minutes, pas une de plus.
Une voix : Ça, c'est après six ans.
Le sénateur Cowan : Mis à part les deux leaders, en vertu du Règlement, chaque sénateur pourra prendre la parole pendant un maximum de 15 minutes après la présentation du rapport du comité aux fins du débat plus tard aujourd'hui. Si 24 sénateurs prennent tout leur temps de parole, 80 d'entre nous n'auront pas la possibilité de participer au débat.
Une voix : C'est une honte.
Le sénateur Cowan : Le sénateur Carignan, avec sa motion, dit à près de 80 de ses collègues que le gouvernement n'est aucunement intéressé par ce qu'ils ont à dire.
Le sénateur Cordy : Quelle honte.
Le sénateur Cowan : Comme je l'ai dit, le projet de loi C-10 est un projet de loi omnibus. Il regroupe neuf mesures législatives présentées par le gouvernement Harper au cours des différentes sessions et législatures; aucune de ces mesures n'a été adoptée et plusieurs n'ont même pas été étudiées dans cette enceinte. Le projet de loi modifiera en profondeur huit lois, créera une toute nouvelle loi et modifiera en conséquence un nombre encore plus important de lois.
Je crois qu'aucun membre du comité n'avait apporté aux audiences le cahier d'information préparé par le ministère de la Justice, car il était tout simplement trop volumineux. Le résumé législatif, élaboré par la Bibliothèque du Parlement, comptait plus de 150 pages.
Honorables sénateurs, les projets de loi omnibus sont foncièrement dangereux. Les mesures législatives de ce type permettent de dissimuler des dispositions dangereuses, comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises dans cette enceinte au cours des dernières années. Elles ne permettent pas aux Canadiens intéressés et à d'autres intervenants qui connaissent très bien les sujets abordés de se faire entendre. Il arrive fréquemment que le point de vue des témoins se perde dans la masse lorsqu'il y a trop de monde au comité. D'autres témoins sont laissés pour compte et ne peuvent pas témoigner, supposément à cause des contraintes de temps.
Ne perdons pas de vue l'objet de ce projet de loi. Il propose des modifications qui feront en sorte que beaucoup plus de Canadiens se retrouveront en prison. Honorables sénateurs, s'il y a un projet de loi qui mérite qu'on l'étudie de façon approfondie et qu'on en débatte, c'est bien un projet de loi qui privera nos citoyens de leur liberté.
Nous savons tous que ce projet de loi est controversé, et nous avons tous reçu des centaines de courriels et d'autres communications de Canadiens très préoccupés...
Une voix : Des milliers.
Une voix : Des milliers.
Une voix : Des milliers.
Le sénateur Cowan : Ces gens nous demandaient — nous suppliaient — de réfléchir attentivement aux mesures proposées dans le projet de loi.
N'est-il pas insultant pour ces gens qu'on impose la clôture, qu'on coupe court aux débats et qu'on les limite le plus possible, et qu'on le fasse immédiatement, après n'avoir fourni que de très brèves explications?
L'Association du Barreau canadien a déclaré ceci :
La Section du droit pénal de l'ABC est d'avis qu'il est inapproprié et contraire à l'esprit du processus démocratique du Canada de regrouper en un seul projet de loi omnibus plusieurs initiatives en matière de justice pénale qui revêtent une importance critique, mais qui sont entièrement distinctes.
Je suis de cet avis. Ce n'est pas de cette façon qu'on doit s'y prendre si on veut élaborer les meilleures lois qui soient pour les Canadiens, plus particulièrement celles qui sont liées au Code criminel. Notre processus législatif n'a pas été conçu dans cette optique.
M. Harper a compris cela, du moins lorsqu'il siégeait dans l'opposition. En 1994, il avait pris la parole à la Chambre et s'était vivement opposé au recours à un projet de loi omnibus, et ce, dans l'intérêt de la démocratie, comme il l'avait fait valoir.
Malheureusement, il semble avoir changé d'avis depuis qu'il occupe les fonctions de premier ministre. En effet, il a présenté tellement de projets de loi omnibus d'une portée et d'une longueur sans précédent que notre ancien collègue, le sénateur Murray, a dit que le gouvernement Harper en viendrait un jour à déposer un seul projet de loi au Parlement, un super projet de loi qui renfermerait tout son programme législatif pour l'année.
Une voix : Bonne idée.
Le sénateur Cowan : Comme je l'ai dit au début de mon intervention, j'éprouve une certaine sympathie à l'endroit d'un gouvernement qui estime devoir agir plus rapidement dans le cas d'une mesure législative donnée, en raison d'un besoin public pressant. Toutefois, dans le cas du projet de loi C-10, un tel besoin n'existe pas. La prétendue urgence est uniquement liée au fait que, lors de la campagne électorale, les conservateurs ont promis d'adopter ce projet de loi omnibus dans les 100 premiers jours de la nouvelle législature.
Honorables sénateurs, pourquoi fixer un échéancier de 100 jours? Pourquoi 100 jours plutôt que 75 ou 90 ou encore 190? Rien dans le projet de loi n'exige que celui-ci soit adopté dans les 100 jours. En fait, un grand nombre de provinces et de territoires exhortent le gouvernement fédéral à ne pas faire entrer en vigueur trop rapidement certaines parties du projet de loi, étant donné qu'ils ne sont tout simplement pas en mesure de faire face aux répercussions.
Le dernier jour des audiences du comité, des fonctionnaires nous ont dit qu'en fait le projet de loi C-10 serait mis en application progressivement, au cours des prochains mois.
À cause d'un engagement électoral tout à fait arbitraire, nous, au Sénat, n'avons pu mener l'étude complète et appropriée que cette mesure législative nécessite. Beaucoup trop de Canadiens éminents ayant une connaissance approfondie des questions traitées dans le projet de loi n'ont pu être entendus par le comité. Je songe notamment à Anthony Doob, criminologue très respecté qui a consacré sa vie à l'étude de ces questions, et à David Daubney, ancien député progressiste-conservateur qui a présidé le Comité de la justice de l'autre endroit et qui est ensuite allé travailler au ministère de la Justice dans le domaine de la détermination de la peine. Ce ne sont là que deux des témoins que j'aurais voulu entendre relativement à cette mesure législative.
Les témoins qui ont été entendus n'ont eu que sept minutes pour présenter leurs mémoires sur ce projet de loi très volumineux. Comment pouvez-vous résumer votre point de vue sur toutes ces parties, sur ces dispositions d'une portée très étendue, en seulement cinq à sept minutes? Le sénateur Wallace s'est toujours montré très poli et il nous a donné la plus grande latitude possible, mais nous avons très souvent dû mettre fin aux séances avant que tous les sénateurs aient pu poser leurs questions.
Les deux ministres fédéraux qui ont témoigné, c'est-à-dire le ministre de la Justice Nicholson et le ministre de la Sécurité publique Toews, ont été très brefs. Plusieurs sénateurs, y compris notre collègue le sénateur Nolin, n'ont pas eu la possibilité de poser des questions avant que les ministres ne quittent la salle en vitesse, en raison semble-t-il de la tenue d'un vote.
Nous aurions espéré que, compte tenu de l'importance du projet de loi et de ses répercussions très étendues, ceux-ci seraient revenus au comité, mais ce ne fut pas le cas. Et maintenant, bien sûr, le débat est écourté.
(1400)
Honorables sénateurs, les témoins et les groupes qui n'ont pas pu comparaître devant le comité en raison des limites de temps imposées ont continué de nous envoyer leurs mémoires longtemps après que le comité eut terminé son étude du projet de loi. Nous avons tous des recueils de mémoires, qui représentent des centaines et des centaines de pages. Si nous voulons accomplir adéquatement notre tâche de législateurs, nous devrions tous étudier attentivement ces documents et évaluer les arguments qui y sont présentés avant de mettre le projet de loi aux voix.
Les sénateurs qui ne faisaient pas partie du comité ont-ils lu tout le matériel fourni? Ce débat tronqué sera-t-il suffisant pour les informer de la myriade de retombées complexes associées à ce gigantesque projet de loi? J'en doute. Nous devrions le reconnaître clairement : on nous empêche de jouer correctement notre rôle de parlementaires à l'égard de ce projet de loi. Ce fait, à lui seul, devrait nous porter à réfléchir avant que cette motion soit mise aux voix.
L'Association du Barreau canadien nous a fourni de judicieux conseils dans son mémoire, qui dit notamment ceci :
Les considérations politiques entourant la justice pénale ne devraient pas l'emporter sur les faits et les connaissances disponibles indiquant quelles sont les politiques les plus efficaces en justice pénale et quelle est la meilleure utilisation possible des ressources publiques.
Dans le cas présent, les considérations politiques l'ont emporté sur le bon travail des législateurs. Aucune raison légitime ne justifiait que la liste des témoins soit restreinte. Aucune raison valide ne justifiait qu'on empêche le Sénat de faire ce qu'il fait le mieux : dialoguer avec les Canadiens grâce à ses comités. Aucune raison légitime ne justifie que le débat s'arrête aujourd'hui.
Nous avons vu ce qui s'est produit à l'autre endroit parce que le gouvernement avait agi avec une précipitation déplacée et fait adopter ce projet de loi à toute vitesse. Au comité, mon collègue, Irwin Cotler, a proposé un certain nombre d'amendements raisonnables et fondés sur des données probantes, qui visaient à améliorer le projet de loi. Les conservateurs, majoritaires au comité, ont voté contre chacun de ces amendements; dans presque tout les cas, ils n'ont même pas tenté d'expliquer pourquoi l'amendement serait inapproprié. Apparemment, le simple fait qu'il ait été proposé par un libéral constituait une raison suffisante.
Nous savons tous ce qui s'est produit. Après que le comité eut mis les dispositions aux voix, le gouvernement s'est soudainement rendu compte que certains des amendements proposés par M. Cotler amélioreraient vraiment le projet de loi. Il a donc tenté de les présenter de nouveau à l'étape du rapport, mais leur Président les a jugés irrecevables pour des motifs de procédure. Ils ont donc dû être présentés au comité.
Dieu merci, le Sénat était là, mais quelle perte de temps — un temps précieux — si ce projet de loi avait réellement été urgent pour le bien des Canadiens.
Honorables sénateurs, le temps manque tout simplement pour que chacun de vous lise tous les comptes rendus, et encore moins les nombreux mémoires judicieux que des Canadiens et, bien entendu, d'éminentes autorités internationales nous ont envoyés. Permettez- moi d'insister pour que vous lisiez au moins le mémoire préparé par l'Association du Barreau canadien.
L'ABC est, comme plusieurs d'entre vous le savent, un organisme apolitique qui représente des procureurs de la Couronne, des avocats de la défense, des juristes et des professeurs de droit de tout le pays. Son mémoire, qui, selon moi, a été préparé soigneusement et judicieusement, traite pratiquement de tout le projet de loi. J'aimerais que vous puissiez lire tous les mémoires, mais si vous avez le temps d'en lire un seul, c'est celui que je recommande.
Si je devais recommander un seul autre document, ce serait un article important qui a été publié récemment dans le National Post. Ses trois auteurs comptent parmi les plus éminents spécialistes de notre système de justice pénale : il y a d'abord l'honorable Roy McMurtry, ancien procureur général de l'Ontario sous le gouvernement progressiste-conservateur de l'ancien premier ministre Bill Davis et ancien juge en chef de l'Ontario; puis Edward Greenspan, criminaliste d'expérience très réputé; et enfin Anthony Doob, professeur émérite de criminologie à l'Université de Toronto. L'article a été publié le 14 février et s'intitule : « Harper's incoherent crime policy ». Les auteurs soutiennent que, en raison de toutes les discussions qui entourent le projet de loi C-10, on peut facilement perdre de vue la portée véritable de la politique du premier ministre Harper en matière de criminalité. Selon eux, il ne faut pas s'arrêter seulement à telle ou telle disposition et, par exemple, se contenter de se demander s'il faut imposer une peine de six ou neuf mois de prison à quelqu'un qui cultive six plants de marijuana. Ils disent aussi ceci :
La question fondamentale à laquelle devrait répondre la politique en matière de criminalité est la suivante : « Comment, en tant que Canadiens, voulons-nous réagir face à ceux qui ont commis des crimes? »
Ils citent ensuite des faits fondamentaux — de simples vérités, comme ils le disent — qui doivent être pris en considération si on veut élaborer une politique sensée en matière de criminalité. Voyons un peu ces faits.
Beaucoup de jeunes Canadiens commettent des infractions relativement mineures — comme la possession de drogues, l'entrée par effraction et le vol à l'étalage — qui pourraient leur valoir une peine d'emprisonnement. En vieillissant, les gens deviennent beaucoup moins susceptibles de commettre des infractions. Dans bien des cas, lorsqu'une personne ne récidive pas pendant cinq à 15 ans, les risques qu'elle commette un autre crime sont les mêmes que pour une personne qui n'a jamais commis d'infraction. Nous savons qu'il existe des façons efficaces de réduire la criminalité. À elles seules, les modifications apportées aux lois pénales auront peu d'effets, voire aucun, sur la criminalité.
MM. McMurtry, Greenspan et Doob ajoutent ceci :
La politique de lutte contre la criminalité de M. Harper vaut moins que la somme de ses parties car elle ne tient pas compte de ces réalités fondamentales, ou ne les reconnaît même pas. Elle gaspille des ressources qu'on pourrait utiliser pour réduire la criminalité [...]
Cependant, la politique de lutte contre la criminalité de M. Harper vaut plus que la somme de ses parties, dans la mesure où elle démontre que le gouvernement n'a pas l'intention de tenir compte des données sur la criminalité, et qu'il ne se soucie pas de mettre en place un système de justice pénal équitable empreint de compassion.
Les auteurs concluent ceci :
Les conservateurs ont raison de dire que leur programme incohérent de lutte contre la criminalité est un tournant majeur pour la justice canadienne. Toutefois, ce virage ne nous sera pas bénéfique.
Honorables sénateurs, en mettant au point sa politique incohérente de lutte contre la criminalité, le gouvernement n'a pas tenu compte des données disponibles, et maintenant, il fait tout ce qu'il peut pour nous empêcher d'évaluer ce programme à la lumière de ces données. Au lieu de laisser des législateurs comme nous prendre en compte ce que les Canadiens pensent de ce projet de loi omnibus sur la criminalité, et de nous permettre d'en débattre, le gouvernement a sorti la guillotine en imposant une motion d'attribution de temps, présentée par le sénateur Carignan.
Honorables sénateurs, cette attitude est répréhensible. Ce n'est pas comme cela qu'on devrait élaborer des lois au pays. Ce ne n'est pas ce que les Canadiens attendent de leurs législateurs. C'est un jour sombre pour nous tous.
[Français]
L'honorable Claudette Tardif (leader adjoint de l'opposition) : Honorables sénateurs, la motion proposée par le leader adjoint du gouvernement ferait en sorte que le débat, à l'étape de l'étude du rapport et de la troisième lecture du projet de loi omnibus en matière de justice, serait limité. J'ai peine à croire que les membres de ce gouvernement, qui se vantent fièrement de défendre la liberté d'expression, puissent se permettre d'utiliser tous les moyens à leur disposition pour limiter le droit des sénateurs de l'opposition de s'exprimer, surtout qu'aucun sénateur du gouvernement ne nous a raisonnablement expliqué la ou les raisons pour lesquelles une telle motion d'attribution de temps s'avère nécessaire dans les circonstances actuelles.
Honorables sénateurs, les Canadiens s'attendent à ce que le Parlement étudie soigneusement tous les projets de loi qui lui sont présentés. Le projet de loi C-10 est un ensemble disparate de neuf projets de loi, regroupés en une énorme brique, contenant des mesures législatives dont les effets sont très sérieux. Avec une période de temps limitée à six heures, comment pouvons-nous nous acquitter de nos responsabilités à l'égard de tous les citoyens canadiens? Honorables sénateurs, c'est totalement inacceptable.
[Traduction]
Honorables sénateurs, comme on l'a déjà dit, on ne peut pas justifier une mauvaise politique en répétant, tel un mantra, qu'on a un mandat. Tous les Canadiens aspirent à des rues et à des communautés sûres et tous les parlementaires et tous les partis partagent cet objectif. Aucun parti politique ne peut prétendre être le seul à se préoccuper de la sécurité de tous les Canadiens. J'ai littéralement reçu des milliers de courriels de citoyens de ma province, l'Alberta, qui s'inquiètent des dispositions du projet de loi C-10.
Depuis l'étude du projet de loi C-10 ici à l'étape de la deuxième lecture, plusieurs études et analyses ont été effectuées. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a accompli un travail remarquable en étudiant ce volumineux projet de loi en très peu de temps. Je remercie le président du comité, le sénateur Wallace, et la vice-présidente, madame le sénateur Fraser, d'avoir admirablement géré cette tâche difficile. Je remercie également les membres du comité de tout le temps qu'ils ont consacré à cette étude. Cela dit, je suis déçue que le projet de loi qui nous a été renvoyé à l'étape du rapport ne tienne pas compte des témoignages entendus lors des audiences exhaustives du comité.
(1410)
J'aimerais simplement lire quelques observations formulées par des témoins qui ont comparu aux audiences du comité sur ce projet de loi. Le 2 février, l'honorable Daniel Shewchuk, ministre de la Justice du Nunavut, a dit ce qui suit :
L'importance accordée à l'incarcération dans le projet de loi — par le biais des dispositions sur les peines minimales obligatoires — garantira un afflux de détenus dans nos prisons territoriales déjà surpeuplées et provoquera un arriéré encore plus lourd au palais de justice [...]
Le projet de loi C-10 nous privera de ressources financières dont nous avons besoin pour travailler sur les causes profondes de la criminalité et pour financer les programmes de réadaptation, préférant proposer un modèle punitif qui ajoutera un stress supplémentaire à notre infrastructure correctionnelle déjà surchargée et à notre tribunal.
[...] je demande que l'application du projet de loi soit reportée afin que le gouvernement du Nunavut ait le temps, avec le gouvernement du Canada, d'élaborer l'infrastructure dont notre système judiciaire et correctionnel aura besoin pour assumer ce nouveau fardeau.
Honorables sénateurs, le témoignage a été entendu, mais on n'en a pas tenu compte.
L'Assemblée des Premières Nations a déclaré ce qui suit au comité le 20 février :
Les Premières nations sont d'avis que le projet de loi C-10 ne fera qu'accroître la surreprésentation déjà inacceptable des Autochtones dans le système de justice pénale.
Honorables sénateurs, le témoignage a été entendu, mais on n'en a pas tenu compte.
L'Association for the Treatment of Sex Offenders a déclaré ce qui suit au comité le 21 février :
Si notre but est de réduire la criminalité et la récidive par l'imposition de peines minimales obligatoires, l'inscription des délinquants au registre ou l'élimination de différents types de libération structurée dans la collectivité, nous ne pouvons pas nous attendre à des résultats très concluants, d'après ce qui se passe ailleurs, en particulier aux États-Unis. [...] Si nous voulons réduire la récidive, rien ne nous oriente vers cette voie.
Honorables sénateurs, le témoignage a été entendu, mais on n'en a pas tenu compte.
Le Centre de toxicomanie et de santé mentale a déclaré ce qui suit au comité le 23 février :
Nous savons, notamment, que pour les infractions mineures ou moins graves, l'imposition de peines minimales obligatoires et de peines plus sévères ne fait qu'augmenter le taux général de récidive. Si notre objectif est de le réduire, nous ferons le contraire de ce qu'il faut faire.
Honorables sénateurs, le témoignage a été entendu, mais on n'en a pas tenu compte.
Randall Fletcher, spécialiste de la déviance sexuelle pour les services correctionnels du gouvernement de l'Île-du-Prince- Édouard, a déclaré ce qui suit au comité le 21 février :
De nombreuses recherches effectuées au Canada indiquent que les programmes de traitement et de réadaptation offerts aux délinquants réduisent le taux de récidive, et ce, quel que soit le type d'infraction criminelle, y compris les infractions à caractère sexuel, alors qu'à elles seules, les peines n'ont aucun effet ou, s'il s'agit de peines sévères, elles ont le déplorable effet d'accroître le taux de récidive.
Encore une fois, honorables sénateurs, le témoignage a été entendu, mais on n'en a pas tenu compte.
Il a abondamment été question des visées idéologiques du gouvernement. On a aussi débattu en long et en large du mandat et du rôle de notre Chambre, ainsi que du respect que leur doit le gouvernement. Aujourd'hui, avec le fameux programme de répression de la criminalité du gouvernement, j'ai l'impression d'être témoin d'un des exemples les plus troublants de soumission du Sénat aux diktats de l'autre endroit et au programme du parti qui y est majoritaire.
Mon collègue, le sénateur Di Nino, pour qui j'ai beaucoup d'estime, a déjà traité du problème ici même, le 23 octobre 2003. Il a dit ce qui suit :
Trop souvent, surtout depuis une dizaine d'années, notre assemblée est soumise aux diktats de l'autre endroit [...] On ne devrait pas nous refuser la possibilité de consacrer tout le temps voulu à l'étude des dossiers [...]
Je n'ai pas souvent abordé cette question, mais je vous dirai franchement que je suis incapable de justifier ce genre de choses [...]
[Français]
Honorables sénateurs, hier seulement, l'ancienne juge de la Cour suprême du Canada, l'honorable Louise Arbour, a déclaré que ce gouvernement fait fausse route en mettant en œuvre les peines minimales obligatoires du projet de loi C-10.
Faisant partie d'un groupe de leaders internationaux comprenant l'ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan, l'ancien président du Brésil, Fernando Cardoso, et l'ex-directeur de la Réserve fédérale américaine, Paul Volcker, la Global Commission on Drug Policy a annoncé que le Canada est sur le point de répéter les mêmes erreurs graves que d'autres pays, s'avançant encore plus loin sur une voie qui s'est avérée immensément destructrice et inefficace. Honorables sénateurs, le Canada fait réagir le monde entier.
Honorables sénateurs, les Pères de la Confédération ont institué cette Chambre afin de faire une deuxième analyse approfondie de tous les projets de loi.
Une tendance inquiétante se dessine depuis que le gouvernement a remporté la majorité qu'il convoitait. À plusieurs reprises, nous l'avons vu, tant ici qu'à l'autre endroit, recourir à des stratagèmes procéduraux pour étouffer le débat sur ses mesures législatives.
Cette motion comprise, le gouvernement aura invoqué la clôture ou l'attribution de temps relativement à sept mesures législatives distinctes, dont la dernière regroupe neuf projets de loi. L'attribution de temps est un outil dont le gouvernement ne doit se prévaloir que lorsqu'il faut faire preuve de diligence extrême, pas pour damer le pion à ceux qui ne partagent pas son avis.
Honorables sénateurs, le Président Kinsella lui-même a qualifié la motion d'attribution de temps de guillotine et de bâillon dont use le gouvernement envers cette Chambre. Ainsi, le 18 décembre 2001, le Sénat étudiait le projet de loi C-36 — la première loi antiterroriste —, qui découlait des tragédies du 11 septembre 2001. Il s'agissait de toute évidence de circonstances hors de l'ordinaire. Pourtant, même à cette période critique, notre honorable Président, le sénateur Kinsella, qui occupait alors le rôle que j'occupe actuellement, celui de leader adjoint de l'opposition, a été d'avis que ces circonstances hors de l'ordinaire ne justifiaient d'aucune manière le recours à l'attribution de temps. Je cite ce qu'il a dit le 18 décembre 2001 :
Le gouvernement est prêt à imposer le bâillon pour clore le débat et faire mettre le projet de loi aux voix, comme il l'a fait aux Communes. [...] Ils ont laissé tomber les Canadiens.
Voilà ce qui est en jeu dans la motion dont nous sommes saisis. Le gouvernement utilise son pouvoir pour se donner des pouvoirs plus grands encore. Ce n'était pas nécessaire.
L'opinion du sénateur Kinsella était alors partagée par le sénateur Di Nino, qui a pris la parole quelques minutes plus tard pour faire écho aux propos de son collègue, le leader adjoint de l'opposition. Voici ce qu'il a dit :
Honorables sénateurs, de toutes les délibérations qui ont lieu dans cette Chambre, celle-ci me perturbe le plus. Mon ami, le sénateur Kinsella, a dit que cette mesure était la « guillotine ». On l'a appelée clôture et attribution de temps. Je dis également qu'elle bâillonne le Parlement.
Honorables sénateurs, si nous décidons collectivement que nos dispositions sur l'attribution de temps doivent être la règle...
Son Honneur le Président : À l'ordre!
Cela n'a rien à voir avec la guillotine, mais le Règlement est très clairs : chaque sénateur, pendant ce genre de débat, dispose de 10 minutes.
[Traduction]
L'honorable Joan Fraser : Votre Honneur, si je ne m'abuse, même si je proposais qu'on écoute ma collègue, le sénateur Tardif, plus longtemps, c'est impossible. Est-ce exact? Elle le confirme. Je ferai donc de mon mieux pour poursuivre sur la même lancée.
Honorables sénateurs, nous examinons au pas de charge un projet de loi d'une importance et d'une complexité incroyables. Il contient 104 pages, 208 articles et une annexe qui, comme on nous l'a rappelé, renferme neuf projets de loi distincts, dont seulement deux ont déjà fait l'objet d'un examen par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.
Comme on l'a déjà dit, ce comité a effectivement abattu beaucoup de travail pour faire de son mieux au sujet du projet de loi C-10. Oui, beaucoup de travail. Toutefois, ce dur labeur est loin d'être suffisant dans le cas de ce projet de loi.
Selon les chiffres dont je dispose, nous avons entendu 58 heures et demie de témoignages. Cela fait en moyenne six heures et demie par projet de loi, et il s'agit de projets de loi complexes, qui auront des incidences dramatiques sur la vie de nombreux Canadiens. Nous avons entendu 123 témoins. Cela représente 13,6 témoins par projet de loi, en incluant les fonctionnaires et trois ministres, dont deux ont comparu ensemble pendant à peine une heure pour témoigner sur huit des neuf projets de loi. Que pensez-vous qu'ils ont pu nous dire en si peu de temps? Pas grand-chose.
(1420)
Avions-nous des questions à leur poser sur les politiques justifiant divers éléments du projet de loi? Oui. Avons-nous pu poser ces questions? Pas beaucoup d'entre elles.
Je m'inscris en faux contre la généreuse affirmation du sénateur Carignan selon laquelle ce projet de loi tout entier a été examiné. La vérité, honorables sénateurs, c'est que, en dépit des efforts du comité, beaucoup d'éléments importants de ce projet de loi ont été complètement laissés de côté ou alors à peine effleurés.
Je vais en donner quelques exemples. Nous n'avons même pas jeté un coup d'œil à de longs passages du projet de loi traitant des peines multiples, de la fusion de peines, ou encore de l'isolement préventif. Nous avons à peine effleuré la surface de longs passages sur la réhabilitation, que l'on appellera maintenant la suspension de casier. Nous n'avons vraiment pas fait grand-chose pour ce qui est d'examiner des dispositions extrêmement importantes et très controversées qui limitent le recours aux peines avec sursis. Nous avons à peine eu le temps de nous pencher sur certains aspects des changements très complexes apportés à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, loi que quelqu'un — je ne me rappelle plus qui — a qualifiée d'« impénétrable ». Je défie quiconque ici présent de lire la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d'en comprendre exactement la teneur sans avoir à la relire quatre ou cinq fois, et c'est sans parler des modifications que le projet de loi C-10 lui apporterait.
Nous n'avons accordé quasiment aucune attention aux très importantes répercussions qu'aurait le projet de loi C-10 dans notre régime constitutionnel et en droit international. Ces éléments ont été évoqués. On nous a dit plusieurs fois que nous sommes probablement en contravention à la fois de la Constitution et du droit international avec le projet de loi C-10, mais nous n'avons pas eu le temps d'examiner ces questions comme il se doit.
Étant donné que le comité a été obligé de réaliser ses travaux en un temps quasi record, le dernier recours, la dernière ligne de défense, c'est le débat que nous avons aujourd'hui. Non pas le débat sur l'attribution de temps, mais le débat à l'étape du rapport et de la troisième lecture. C'est ici que le Sénat doit faire son travail à titre de Chambre de second examen modéré et réfléchi.
Beaucoup de sénateurs connaissent très bien les divers sujets touchés par ce projet de loi important et complexe. Ils n'auront pas le temps de faire les recherches nécessaires et de prendre connaissance des témoignages entendus par le comité ainsi que des mémoires reçus. Ils seront nombreux à ne même pas pouvoir prendre la parole au sujet de ce projet de loi. Nous ne ferons pas notre devoir. Nous ne ferons pas notre travail. Nous ne nous acquitterons pas de nos responsabilités comme le souhaite le peuple canadien.
La deuxième affirmation du sénateur Carignan que j'aimerais contester est celle qui veut que les Canadiens soient favorables à ce projet de loi. Nous savons que certains Canadiens, beaucoup de Canadiens, y sont favorables, mais nous savons aussi que beaucoup n'y sont pas, et ils sont des milliers. Nous devrions garder cela à l'esprit. Le peuple canadien est loin d'être unanime sur ce projet de loi. Raison de plus pour prendre le temps de bien l'étudier, contrairement à ce que nous nous apprêtons à faire.
Nous n'avons pas vu l'ombre d'une preuve qu'il serait urgent d'adopter une disposition ou une autre de ce projet de loi. Le Sénat n'a aucune excuse pour agir comme il s'apprête à le faire. Nous devrions avoir honte de nous.
Des voix : Bravo!
L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, je n'ai pas pu participer aux délibérations du comité la semaine dernière. Conformément au Règlement, j'espérais avoir le temps de prendre connaissance du compte rendu de ces délibérations, y compris les témoignages entendus pendant la semaine consacrée à l'étude du projet de loi, à l'étape du rapport, puis à l'étape de la troisième lecture. Il me semble très malheureux que le gouvernement ait jugé nécessaire et souhaitable de mettre un terme au débat, ce qui empêchera les autres sénateurs de comprendre ce très important projet de loi.
Honorables sénateurs, je voudrais remercier le sénateur Wallace, le sénateur Fraser et tous les autres sénateurs qui ont participé aux travaux du comité. J'au eu la chance d'examiner le rapport du sénateur Wallace hier, lors de l'étude à l'étape du rapport. Quand on sait lire entre les lignes, on comprend ce qu'il veut dire : nous avons fait ce que nous avons pu. On nous a confié une tâche et nous l'avons accomplie. Ça vaut ce que ça vaut.
Honorables sénateurs, permettez-moi de vous souligner qu'il faut tenir compte du paragraphe 39(2) du Règlement avant d'adopter la motion de clôture qui nous est soumise. Comme l'a souligné le sénateur Cowan, ce paragraphe prévoit qu'un certain nombre d'heures de débat doit être prévu dans la motion de clôture.
À l'étape de la deuxième lecture, il faut six heures de débat sur toute motion de fond et six heures de débat de plus sur une motion de deuxième lecture. Ce sont des étapes distinctes.
L'alinéa 39(2)d) dit ceci :
[...] une seule période de six heures de débat de plus, au total, pour disposer à la fois des étapes du rapport et de la troisième lecture d'un projet de loi d'intérêt public.
Le sénateur Carignan a bien raison de présenter cette motion, mais je dirais que, selon l'esprit de cet article, il devrait y avoir au moins six heures de débat pour chaque étape. Il y a deux étapes ici : l'étape du rapport, que nous avons entamée hier, et celle de la troisième lecture. Si nous avions prévu au moins 12 heures de débat, nous aurions tous eu la possibilité de nous exprimer sur ces questions. Ce n'est pas ce qui nous est proposé et c'est la raison pour laquelle je ne peux accepter ni appuyer cette demande de clôture.
Je vais lire les déclarations du sénateur Wallace d'hier, car, à mon avis, elles résument très succinctement la situation :
[...] le projet de loi C-10 est le résultat de la fusion de neuf projets de loi [...] Ces projets de loi portaient sur divers sujets, notamment les victimes du terrorisme, les travailleurs étrangers vulnérables, le transfèrement international des délinquants, la réglementation de certaines drogues, les infractions d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant, le système de justice pénale pour les adolescents, la détention à domicile, la libération conditionnelle et la réhabilitation.
C'est ce sur quoi nous avons demandé au comité de se pencher la semaine dernière et on nous dit maintenant que nous devrions pouvoir vider la question au cours des six prochaines heures de débat. J'affirme que c'est inconvenant, pour ne pas dire plus.
Honorables sénateurs, le sénateur Wallace a aussi dit ce qui suit hier :
Notre comité était fortement d'avis que nous devions analyser les éléments clés du projet de loi.
Il a ajouté ceci :
Il comportait neuf parties.
Ils ont étudié tout ce qu'ils ont pu, mais nous leur avons demandé d'étudier neuf mesures législatives. Ils se sont penchés sur les principaux points et ont tenté de les analyser durant le temps qui leur était imparti.
Honorables sénateurs, je suis fondamentalement contre les projets de loi omnibus. Ils ne se traduisent pas par de bonnes lois. Nous l'avons vu à plusieurs reprises et, selon moi, c'est le cas de celui-ci.
(1430)
Il se peut que le projet de loi omnibus ait sa raison d'être et qu'on puisse — théoriquement — nous expliquer pourquoi on a présenté une motion de clôture le jour même où nous avons commencé à débattre du projet de loi à l'étape du rapport, mais aucune explication en ce sens ne nous a été fournie. Pourquoi tant se presser? Il n'y a rien dans le projet de loi qui justifie une telle précipitation. En fait, plusieurs personnes ont manifesté leur inquiétude à son sujet.
Je vous le concède : comme en témoignent les multiples appels que nous avons reçus, plusieurs personnes souhaitent voir différentes parties de cette mesure législative adoptées. Or, lorsque je parlais à ces personnes et que je leur demandais si elles avaient examiné les autres parties du projet de loi, elles me répondaient que ce n'était pas le cas, mais qu'elles tenaient à ce que la partie qui les intéresse soit adoptée. Voilà la raison, honorables sénateurs, pour laquelle le gouvernement veut faire adopter la mesure législative sous la forme d'un projet de loi omnibus : pour faire passer de nombreuses dispositions sous le radar. Nous, parlementaires, avons tout lieu de nous inquiéter du fait que bon nombre des parties du projet de loi omnibus n'ont pas fait l'objet d'un examen rigoureux et pourraient très bien avoir des conséquences imprévues.
Honorables sénateurs, laissez-moi lire une citation qui provient d'un débat s'étant tenu le 25 mars 1994 :
[...] dans l'intérêt de la démocratie, il importe de se demander : comment les députés peuvent-ils représenter leurs électeurs pour ces diverses modifications quand ils doivent voter en bloc?
Honorables sénateurs, c'est M. Harper qui a tenu ces propos quand il était député du Parti réformiste du Canada à la Chambre des communes. Le projet de loi omnibus dont il parlait avait 21 pages, c'est-à-dire 83 pages de moins que le projet de loi C-10, et pourtant, M. Harper se préoccupait de sa longueur.
Le sénateur Mitchell : Wow. Faisons le calcul.
Le sénateur Day : Cette citation de M. Harper illustre bien la raison pour laquelle plusieurs sénateurs trouvent cette mesure législative problématique.
Comme je l'ai indiqué, ce projet de loi comporte des aspects adéquats et nécessaires, ce qui n'est pas surprenant puisqu'il regroupe neuf projets de loi différents. C'est le processus qui nous inquiète, honorables sénateurs, et c'est bien du processus dont je parle ici, et pas nécessairement de tous les éléments de la mesure législative.
Nous savons que ce projet de loi pourrait causer et causera des problèmes. Nous le savons parce qu'il a déjà attiré tellement d'attention dans le monde que cela a incité les États-Unis et l'Australie à nous mettre en garde.
Honorables sénateurs, des amendements ont été apportés. Les six amendements proposés par Irwin Cotler à la Chambre des communes ont finalement été intégrés dans le projet de loi. Le sénateur Wallace l'a mentionné hier. Durant les audiences du comité sénatorial, 16 autres amendements ont été proposés. Ils ont été rejetés de façon sommaire, tout comme les amendements d'Irwin Cotler l'avaient été à la Chambre des communes. Honorables sénateurs, c'est indicatif de la façon dont les choses ont été faites et du processus que nous observons maintenant.
Ce qui m'inquiète, c'est que le gouvernement ne semble pas vouloir accepter de conseils des personnes qui ne font pas partie de son cercle intime. Il ignore même les membres de son propre caucus.
Nous avons tous reçu la lettre de notre collègue, le sénateur Nolin, nous demandant d'examiner plus attentivement le projet de loi. Il signale que le ministre de la Justice, lors de sa comparution devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, a affirmé ce qui suit : « Notre expérience montre que le renforcement des peines n'engendre pas de nouveaux criminels, mais fait plutôt en sorte que les criminels existants restent en prison pour une durée plus appropriée. » Nous nous demandons, honorables sénateurs, à quelle expérience le ministre fait allusion.
Son Honneur le Président : J'ai le regret d'informer le sénateur que les 10 minutes dont il disposait sont écoulées.
L'honorable Terry M. Mercer : Honorables sénateurs, c'est habituellement un plaisir pour moi d'intervenir au Sénat au sujet d'un projet de loi — je dis bien habituellement. Cependant, aujourd'hui, je suis très déçu de l'absence de logique dont fait preuve le gouvernement en présentant cette mesure législative boiteuse. Je suis aussi gêné pour sept de nos collègues nommés par M. Harper qui viennent de se joindre à nous. Ils sont maintenant saisis pour la première fois d'un important projet de loi, mais ils n'ont même pas eu la possibilité d'entendre les témoignages présentés devant le comité ni les longs débats en cette enceinte et les messages provenant des deux côtés. Toutefois, on va leur demander — ce qui sera probablement le cas parce qu'ils sont membres du caucus — de voter sur ce projet de loi. Il ira de l'avant.
Malgré les témoignages d'innombrables experts qui nous ont dit que le projet de loi était bancal, malgré toutes nos tentatives destinées à améliorer le projet de loi au moyen d'amendements fondés sur les témoignages de ces experts et malgré les milliers de courriels que j'ai reçus de Canadiens qui rejettent le projet de loi et les propos alarmistes du gouvernement Harper, celui-ci est prêt à dépenser des milliards de dollars dans la mise en œuvre d'un programme rétrograde de lutte contre la criminalité qui va à l'encontre des faits et des preuves. Le gouvernement ne comprend pas les liens qui existent entre la toxicomanie, la santé mentale et la criminalité. Il ne comprend pas non plus que les jeunes ne peuvent pas être traités comme des adultes. De plus, il désavantage nettement les membres les plus vulnérables de notre société, notamment les Autochtones canadiens.
Nous savons tous qu'au Canada, le taux de criminalité est en baisse depuis 20 ans; toutefois, il semble bien que le gouvernement se moque des faits et des preuves. En fait, le ministre de la Sécurité publique a même déclaré qu'il n'avait que faire des statistiques. Voici ce qu'il a déclaré le 1er février, lors de sa comparution devant le Comité des affaires juridiques :
Peu m'importe si les statistiques montrent que la criminalité a diminué de 5, de 3 ou de 1 p. 100, ou qu'elle a augmenté de 10 p. 100; c'est le danger qui m'intéresse, et c'est ce que reflète le projet de loi.
Honorables sénateurs, si les données démontrent que le taux de criminalité est effectivement en baisse et si nous possédons déjà des lois sévères, notamment dans le domaine de la sécurité des enfants, je ne comprends pas pourquoi certaines dispositions de ce projet de loi s'avèrent nécessaires.
Voici ce qu'a déclaré l'Association du Barreau canadien le 8 février :
Ce que nous disons à notre société, tout comme la Cour suprême du Canada l'a dit, c'est que notre Cour suprême applique probablement les lois relatives à la pornographie juvénile qui sont les plus sévères au monde, plus sévères que celles des États-Unis.
Il a ajouté ceci :
J'aimerais vous dire que nous devrions probablement commencer par faire savoir à tout le monde que nous avons des lois sévères, parce que c'est le cas. C'est là la différence. On laisse entendre à tort que nous ne défendons pas nos enfants. Je peux vous dire que nous le faisons.
S'il est absolument nécessaire de renforcer les lois pour protéger nos enfants, soit, nous le ferons. Cependant, nous voulons avoir la preuve que c'est absolument nécessaire, car, si ce n'est pas justifié, pourquoi les renforcer?
Honorables sénateurs, je ne peux pas passer en revue toutes les répercussions de ce volumineux projet de loi, mais j'aimerais parler brièvement de son incidence sur nos jeunes.
Nous avons tous entendu dire que, si ce projet de loi est adopté, beaucoup de jeunes risquent d'être incarcérés pour avoir fumé un joint ou fait pousser un plant de marijuana. Je crois que certaines personnes présentes ici aujourd'hui se sont déjà rendues coupables d'une telle infraction. Le gouvernement insiste sur le fait qu'il ne visera pas les particuliers, mais plutôt les grandes installations de culture de marijuana et les narcotrafiquants. Pourtant, d'après le projet de loi, toute personne qui possède six plants risque d'être condamnée. Selon vous, une personne qui fait pousser six plants exploite-t-elle une grande installation de culture de marijuana? Nous devrions peut-être poser la question au sénateur White, car il est le mieux informé d'entre nous tous.
Voici ce que le représentant de l'Association canadienne des policiers a déclaré devant le Comité des affaires juridiques le 2 février dernier :
Quoi qu'il en soit, pour revenir à ma réponse précédente, du point de vue de la capacité, je ne me souviens pas la dernière fois qu'un membre de la brigade des stupéfiants de la police de Vancouver ait demandé un mandat ou exécuté un mandat pour une opération de culture de la marijuana avec six plants. Nous ciblons les groupes de crime organisé, les grosses opérations de culture qui ont typiquement des centaines de plants. Même si l'on voulait respecter la loi à la lettre par rapport à la limite, nous n'aurions pas la capacité de faire cela nulle part au pays.
(1440)
Ce n'est pas seulement ridicule de consacrer autant de ressources policières à poursuivre une personne qui veut cultiver six plants de cannabis; c'est tout simplement impossible, et pourtant, c'est l'une des dispositions de ce projet de loi.
Nous devons faire confiance à nos forces policières et à notre système judiciaire afin d'assurer la sécurité publique, mais, à de nombreux égards, ce projet de loi ne contribue en rien à assurer cette sécurité.
En ce qui concerne les peines minimales obligatoires, par exemple, le 22 février, l'ancien juge Merlin Nunn a déclaré ce qui suit au Comité des affaires juridiques :
Je crois qu'il faut faire confiance aux tribunaux et aux juges et ne pas douter qu'ils imposeront les peines appropriées aux personnes qui comparaissent devant eux. Il se peut que deux personnes commettent le même crime, mais que leur situation soit si différente que chacune mérite peut-être une peine tout à fait différente.
Il a poursuivi en déclarant ceci :
Prenons par exemple une situation dont il a été question dans les journaux dernièrement. Un jeune s'était pris en photo lui-même dans le miroir, en shorts, en train de pointer une arme à feu. Les policiers, qui se trouvaient sur les lieux pour une tout autre raison, l'ont vu ainsi et l'ont inculpé. Dans un tel cas, la peine minimale est d'une durée de trois ans. Un juge a déclaré que la peine minimale ne devrait pas s'appliquer dans une telle situation, car il s'agirait d'une peine cruelle et inusitée. Ce n'est pas le genre de situation que vise le projet de loi, mais chose certaine, je n'aimerais pas être à la place de ce jeune.
Honorables sénateurs, nous avons tous été jeunes. Nous avons tous fait des folies à l'occasion pendant notre jeunesse. Est-ce que ce jeune homme mérite de passer trois ans en prison? Je ne suis ni juge ni avocat, mais il me semble qu'il est pour le moins stupide de dépenser de vastes sommes d'argent pour emprisonner ce jeune homme.
Il faut adopter une approche équilibrée à l'égard de notre système judiciaire. J'ai lu un mémoire très intéressant, qui a été présenté au Comité des affaires juridiques par les professeurs Corrado et Peters, de l'Université Simon Fraser. En voici un extrait :
Nous sommes surtout préoccupés par le fait que les modifications proposées à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents donneront lieu à une augmentation du nombre de jeunes contrevenants condamnés à des peines de prison plus longues, sans qu'on tienne compte de plusieurs enjeux cruciaux exposés dans les recherches menées au Canada et dans d'autres pays relativement aux diverses répercussions négatives que l'incarcération peut avoir sur les jeunes contrevenants.
Ils ont ensuite ajouté ce qui suit :
La meilleure intervention consiste à agir tôt et à suivre les jeunes pendant leur développement en leur offrant du soutien. En l'absence de programmes, les jeunes contrevenants dangereux atteints de troubles mentaux resteront dans l'engrenage du système des jeunes contrevenants et se retrouveront ensuite dans le système des adultes.
Je suis tout à fait de leur avis.
Honorables sénateurs, les retombées des politiques prévues par le projet de loi C-10 imposeront un immense fardeau financier aux provinces, qui devront composer avec un nombre accru de détenus tout en étant privées de pouvoir judiciaire. Nous venons tous de provinces aux prises avec des problèmes financiers. Dans ma province, par exemple, nous nous inquiétons des coupures qui ont déjà commencé à toucher les écoles et les hôpitaux, et il faudra maintenant composer avec ce fardeau supplémentaire qu'est le coût de mise en œuvre du projet de loi C-10.
Le directeur parlementaire du budget estime qu'il en coûtera plus de 13 milliards de dollars pour mettre en œuvre seulement quelques- unes de ces mesures, mais le gouvernement n'a pas présenté d'estimé crédible et ne veut pas dire aux Canadiens combien tout cela coûtera. Une fois le projet de loi adopté, nous serons dans la même situation que lorsqu'on reçoit son compte de carte de crédit après Noël : ce sera une surprise totale.
Le 2 février, un représentant de l'Association canadienne des policiers a déclaré ce qui suit au Comité des affaires juridiques :
[...] je rappelle à tous les honorables sénateurs que les budgets des services de police partout au Canada sont, dans bien des cas, déjà trop serrés.
Encore une fois, je suis certain que le sénateur White pourrait nous aider dans ce domaine.
Le témoin a ensuite ajouté ce qui suit :
Pour garder nos collectivités sûres, nous avons besoin des outils et des ressources nécessaires pour ne pas entraîner de compressions dans les services, ce qui aurait pour effet d'effacer les gains réalisés et de nous faire courir des risques inutiles.
Mes membres sont d'avis que ce projet de loi entraîne des coûts, mais que ces coûts sont nécessaires pour faire appliquer la loi. Nous espérons que le gouvernement fédéral et ses partenaires provinciaux pourront rapidement s'entendre sur la meilleure façon de régler les questions de financement sans attendre.
Ce qu'ils nous disent, c'est que si nous souhaitons mettre ces mesures en place, il nous faudra beaucoup plus d'argent et que nous devrons investir beaucoup plus d'argent dans le système.
Qui assumera le coût des changements prévus par le projet de loi C-10? Les Canadiens.
Son Honneur le Président : J'ai le regret d'informer le sénateur que la période de 10 minutes qui lui était accordée est écoulée.
Une voix : Le temps file.
[Français]
L'honorable Rose-Marie Losier-Cool : Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 dont nous débattons aujourd'hui, est un effort législatif bâclé. Bien sûr, certains des principes qui le sous-tendent sont acceptables mais malheureusement, beaucoup d'autres ne le sont pas. Plusieurs des dispositions sur lesquelles nous serons appelés à voter à l'étape de la troisième lecture sont contestables, reposent sur une idéologie et méprisent la plupart des statistiques et des témoignages rendus publics depuis plusieurs années.
[Traduction]
Toutefois, le gouvernement insiste pour faire adopter ce projet de loi, en profitant de la faible majorité qu'il a obtenue auprès du quart seulement de la population canadienne. Plutôt que de veiller aux intérêts de tous les Canadiens, loin de là, le gouvernement actuel cherche à plaire à son électorat et, ce faisant, défigure le pays au point de le transformer en un État implacable et contrôlant, qui investit beaucoup plus dans ses prisons et ses jouets militaires que dans la population qu'il prétend représenter.
[Français]
Le projet de loi C-10 traite, entre autres, de terrorisme, d'immunité des États, de drogues et autres substances, d'armes à feu, de sursis, de peines minimales obligatoires, du système correctionnel, de libérations conditionnelles. C'est beaucoup pour un seul projet de loi et, comme le veut l'adage, qui trop embrasse mal étreint.
Si ce projet de loi avait été scindé dans ses composantes afin qu'elles soient étudiées séparément, nous n'aurions peut-être pas tous les problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui. Le gouvernement actuel prétend préférer l'option omnibus sous prétexte que chacune des composantes du projet de loi actuel a été étudiée sous profondeur dans le précédent Parlement.
Le gouvernement actuel explique de la même façon sa décision d'imposer le bâillon à certaines étapes de l'étude de ce projet de loi : puisque chaque composante du projet de loi a déjà été étudiée en profondeur par le passé, pourquoi reprendre le processus et y passer autant de temps sous le présent Parlement?
[Traduction]
En raisonnant de la sorte, le gouvernement actuel manifeste encore une fois son mépris caractéristique à l'égard de la population, des experts, des faits avérés et du processus démocratique. Il oublie délibérément que plus du tiers des personnes élues à l'autre endroit sont nouveaux à Ottawa. Ces personnes n'avaient-elles pas le droit de se faire entendre sur un projet de loi aussi énorme?
Et que dire des nouveaux sénateurs? En effet, nous comptons plusieurs nouveaux joueurs ici également. Ne méritaient-ils pas eux aussi d'avoir le temps et l'occasion d'étudier ce projet de loi? Le gouvernement actuel compte-t-il abandonner le concept du second examen objectif qui jusqu'à maintenant caractérisait le Sénat du Canada?
[Français]
Outre le fait que tous ces nouveaux législateurs n'ont eu ni l'occasion ni le temps d'étudier en profondeur ce pot-pourri législatif qu'est le projet de loi C-10, certains des anciens législateurs auraient pu, avec du recul, affiner ou modifier leur opinion de certaines des dispositions du projet de loi. Après tout, comme le dit un autre adage, il n'y a que les fous qui ne changent pas d'idée.
Je remarque d'ailleurs avec un plaisir surpris que l'actuel ministre de la Justice a reconnu le bien-fondé des remarques d'un prédécesseur libéral, et a convenu que certaines des dispositions de son projet de loi étaient mal rédigées, et sa modifié ces dernières en conséquence.
(1450)
Il est regrettable que ce soit la seule personne qui ait changé d'idée du côté des banquettes du gouvernement.
Ce projet de loi comporte en effet plusieurs dispositions fortement contestées non seulement au chapitre de l’efficacité exagérée que leur prête l’idéologie du présent gouvernement, mais aussi des coûts élevés que ces mesures susciteront, non seulement à court terme, dans un contexte d’austérité budgétaire, mais aussi à plus long terme, imposant ainsi un fardeau financier aux prochains gouvernements, aux provinces, et même à la prochaine génération. Pour qui douterait de mes paroles, vous n'avez qu'à lire les études d'experts indépendants, qui sont régulièrement citées dans les médias, et même les rapports de notre propre directeur parlementaire du budget. Ce dernier, pas plus tard qu'avant-hier, nous apprenait que l'élimination des peines d'emprisonnement avec sursis, une seule des nombreuses dispositions du projet de loi, pourrait coûter jusqu'à 145 millions de dollars aux contribuables.
[Traduction]
Je ne parlerai même pas de tout ce qui a été dit sur le coût des prisons qui devront être construites — Dieu sait combien il y en faudra — pour loger les nouveaux criminels que créeront les nombreuses mesures répressives et inefficaces du projet de loi C-10.
Avant-hier, j'ai lu dans le Journal de Montréal que le coût de détention moyen d'un détenu dans un pénitencier fédéral s'élève maintenant à 114 000 $ par année, ce qui représente une hausse de 30 p. 100 en quatre ans. Honorables sénateurs, lorsqu'on multiplie ce coût par le nombre de nouveaux prisonniers que créera le projet de loi, on a une bonne idée de la somme considérable qui aurait pu servir à des fins plus utiles.
[Français]
Le gouvernement actuel prétend que le projet de loi C-10 ne mènera pas à un accroissement de la population carcérale, mais, encore une fois, le gouvernement n'appuie ses dires sur aucune preuve fiable et se contente d'un message idéologique livré par des personnes ne disposant pas de suffisamment d'expertises ni d'objectivité. Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas écouté davantage les vrais experts, consulté les vraies statistiques et fait preuve d'une vraie ouverture d'esprit?
Le manque de rigueur, de profondeur et d'objectivité, qui a jusqu'ici entouré le cheminement législatif du projet de loi C-10, est très préoccupant pour qui s'inquiète encore des institutions et pratiques démocratiques qui ont façonné notre pays. La méthode arbitraire et autoritaire employée par l'actuel gouvernement pour forcer l'adoption de son projet de loi C-10, sans accepter de débat ni aucune des modifications proposées par les partis de l'opposition, n'a pas sa place dans une démocratie.
Quelle est l'urgence d'adopter ce projet de loi?
[Traduction]
Oui, quelle est l'urgence? Le gouvernement nous conseille-t-il de « prendre garde aux ides de mars »?
L'honorable Catherine S. Callbeck : Honorables sénateurs, je tiens à participer au débat sur l'attribution de temps concernant le projet de loi C-10.
J'estime qu'on ne devrait avoir recours à l'attribution de temps que lorsqu'une situation nous demande d'agir de toute urgence. Selon moi, le projet de loi C-10 n'est pas du tout urgent; rien ne nous oblige à l'adopter dans six heures. Le gouvernement ne s'intéresse manifestement pas à ce que les sénateurs ont à dire, car, en six heures, il ne sera pas possible à tous les sénateurs de prendre la parole au sujet de cette importante mesure législative.
Le sénateur Tardif : C'est exact.
Le sénateur Callbeck : Je tiens toutefois à féliciter et à remercier le sénateur Wallace, le sénateur Fraser et les membres du comité de leur travail acharné dans l'important dossier du projet de loi C-10.
J'aimerais maintenant exprimer quelques préoccupations — les miennes et celles de nombreux Canadiens — quant aux modifications prévues dans le projet de loi C-10.
Depuis environ trois mois, je reçois des courriels et des lettres. J'ai parlé à de nombreuses personnes au sujet de ce projet de loi. À vrai dire, je crois avoir reçu plus de courrier des Prince-Édouardiens sur cette mesure législative que sur toute autre question au cours des 10 dernières années.
Ces gens posés sont fort préoccupés. Ils sont préoccupés par les conséquences du projet de loi et ils s'inquiètent du fait que le contenu du projet de loi :
[...] transformera radicalement le système judiciaire du Canada pour l'éloigner des principes de prévention et de réadaptation pour le faire basculer vers une perspective punitive fondée sur l'exclusion, et ce, à un coût social et financier énorme.
Ils souhaitent qu'on cherche davantage à aider les toxicomanes et les personnes atteintes de maladie mentales qui ont besoin de traitements. Ils souhaitent que les juges continuent d'utiliser leur bon sens lorsqu'ils imposent des peines. Ils se préoccupent du fait qu'on facilite la criminalisation des jeunes contrevenants en prison plutôt que leur réadaptation afin qu'ils deviennent des adultes productifs. Ils veulent que les établissements offrent davantage de programmes de réinsertion et d'alphabétisation et demandent au Sénat — la Chambre de second examen objectif — de combler les lacunes du projet de loi qui nous mène vers une voie qui a bien mal servi plusieurs pays.
Je partage ces inquiétudes qui, comme je le disais, ont été exprimées par des Canadiens dans des courriels et des lettres. Le taux de criminalité diminue depuis 20 ans, mais le gouvernement conservateur est déterminé à mettre en place un programme de lutte contre la criminalité rétrograde, à caractère idéologique, qui coûtera des milliards de dollars et qui, je le répète, n'a pas fonctionné dans d'autres pays.
Dans le peu de temps dont je dispose cet après-midi, j'aborderai trois différents aspects. Le premier concerne la santé mentale. Nous savons déjà que le Service correctionnel du Canada ne traite pas adéquatement les personnes souffrant de maladie mentale incarcérées dans ses établissements.
En 2010, le Bureau de l'enquêteur correctionnel a publié un rapport indépendant qui dévoilait d'importantes lacunes quant au financement, à la mise en œuvre et à la responsabilisation en matière de prestation des services de santé mentale dans les pénitenciers fédéraux. Lorsque ce rapport a paru, l'enquêteur correctionnel, M. Howard Sapers, a souligné que les besoins des détenus souffrant de maladie mentale dépassaient la capacité actuelle du Service correctionnel. Dans le communiqué de presse sur le rapport, il a déclaré :
Les pénitenciers canadiens sont en train de devenir les plus grands établissements psychiatriques du pays. Le Service correctionnel du Canada a l'obligation légale de fournir les services de santé mentale attendus, y compris les traitements et les interventions cliniques. Cette obligation n'étant pas respectée, trop de délinquants souffrant de problèmes de santé mentale sont tout simplement « entreposés » dans les établissements fédéraux. En procédant ainsi, les services correctionnels ne sont ni sûrs ni efficaces.
Le rapport souligne aussi le fait que, bien que la Stratégie en matière de santé mentale du Service correctionnel du Canada ait été élaborée il y a six ans, certaines de ses dispositions n'ont toujours pas été mises en œuvre par manque de financement. Le rapport signale que les délinquants souffrant de problèmes de santé mentale sont souvent placés dans des unités d'isolement, où ils peuvent être observés pendant de longues périodes. L'enquêteur correctionnel a condamné cette pratique, qu'il juge inhumaine et non sécuritaire.
(1500)
Une mesure législative comme celle dont nous débattons cet après-midi, soit le projet de loi C-10, enverra un plus grand nombre de délinquants derrière les barreaux, pour des périodes plus longues, et rendra plus intenses les défis auxquels le Service correctionnel du Canada sera confronté dans l'avenir en ce qui concerne la question de la santé mentale.
La deuxième source de préoccupations est l'absence de programmes de réinsertion et de réadaptation dans le système. Le gouvernement fédéral a annoncé des investissements qui serviront à agrandir certains de ses établissements correctionnels. Cependant, à ce que je sache, aucun engagement n'a été pris pour allouer des fonds additionnels à des programmes de réinsertion et de réadaptation qui empêcheront les délinquants de retourner en prison.
Le sénateur Mercer : Il n'existe pas.
Le sénateur Callbeck : Je sais. Je l'ai cherché.
Nous avons déjà perdu le système des prisons agricoles, en dépit des témoignages répétés de bénévoles, d'organismes communautaires et d'anciens détenus qui ont confirmé l'immense valeur du programme qui était en place.
Nous savons que sans ces programmes, le risque de récidive ne fait qu'augmenter. Des études ont par exemple montré que le fait de participer à des programmes de perfectionnement en lecture et en écriture peut éviter à des détenus de retourner ensuite en prison. Les trois quarts des délinquants canadiens ont des capacités de lecture et d'écriture limitées, ce qui n'est pas étonnant. Environ 36 p. 100 d'entre eux n'ont pas terminé leur neuvième année, et le niveau moyen d'éducation des individus qui se retrouvent dans un établissement fédéral — c'est-à-dire ceux qui sont condamnés à deux ans ou plus —, est une septième année. En investissant plus dans le perfectionnement des compétences en lecture et en écriture, on peut aider ces délinquants à devenir des membres plus productifs de leur collectivité à leur sortie de prison.
Comme il est clair que la grande majorité de ces détenus finissent par se retrouver dans la société, il est parfaitement logique de les aider à acquérir les outils psychologiques et les compétences professionnelles voulus pour pouvoir devenir des membres productifs de la société.
Encore une fois, je n'ai trouvé nulle part d'indication que le gouvernement s'engage à accroître le financement dans ce domaine. J'ai examiné le mémoire présenté au comité par Janice Sherry, ministre de l'Environnement, du Travail et de la Justice et procureure générale de l'Île-du-Prince-Édouard. Elle dit que, pour préparer la mise en œuvre de ces dispositions — celles du projet de loi C-10 —, on va devoir détourner des ressources destinées à la prévention de la criminalité et aux efforts de réinsertion.
Honorables sénateurs, nous devrions investir plus dans ces domaines et non pas moins, comme cela va sans doute arriver dans les provinces, comme Janice Sherry a dit que cela allait arriver à l'Île-du-Prince-Édouard, si le gouvernement fédéral ne débloque pas de fonds.
Le troisième point de mon argumentation, c'est que les Canadiens n'ont pas envie qu'on dépense l'argent des impôts qu'ils ont payés au prix de leur labeur à mettre en place un programme de justice qui a été un fiasco lamentable dans d'autres pays. Le directeur parlementaire du budget, M. Kevin Page, a étudié les conséquences financières qu'entraîneront les modifications de l'admissibilité à des peines de prison avec sursis. Son rapport est sorti mardi. Il constate que cela coûtera près de 8 millions de dollars de plus au gouvernement fédéral, compte tenu du coût des poursuites et de l'examen des demandes de libération conditionnelle, mais que ce sont les provinces qui seront le plus durement touchées parce que ce sont elles qui paient la facture des poursuites, des tribunaux, des prisons et de l'examen des demandes de libération conditionnelle. Cela leur fera une facture supplémentaire de 137 millions de dollars, sur la base des données de 2008-2009.
Mon temps de parole est-il expiré?
Son Honneur le Président intérimaire : J'ai le regret d'informer le sénateur que son temps de parole est écoulé.
L'honorable Dennis Dawson : Honorables sénateurs, je vais faire quelques brèves remarques sur le projet de loi C-10, mais, avant cela, j'aimerais dire un mot sur le bâillon. On a beau dire que c'est de l'attribution de temps, il faut appeler un chat un chat. C'est une motion de bâillon qui empêche le débat.
Je vais parler des rôles respectifs du système judiciaire et des législateurs que nous sommes. Cela fait 35 ans que je suis ici à un titre ou à un autre. Je suis arrivé comme député avec mon ami David Smith il y a 35 ans. J'ai fait du lobbying auprès de certains d'entre vous de l'autre côté et de certains autres de ce côté-ci quand j'étais lobbyiste, et je suis législateur au Sénat depuis six ans. J'ai vu évoluer le processus législatif sous divers angles.
Je parle souvent du bon vieux temps. Certains nouveaux sénateurs seront peut-être étonnés d'apprendre que, quand j'étais à l'autre endroit, la Chambre des communes, les députés écoutaient les témoignages. Ils examinaient et, effectivement, ils amendaient régulièrement des mesures législatives, même dans le cadre d'un gouvernement majoritaire — même avec un gouvernement majoritaire conservateur ou un gouvernement majoritaire libéral, ils acceptaient quand même des propositions d'amendement. Les gens du ministère de la Justice qui rédigeaient les lois étaient contents — enfin, peut-être pas tout le temps —, mais ils comprenaient notre démarche parce qu'elle s'inscrivait dans un processus d'examen de leur proposition. En tout cas, c'est comme cela que cela se passait et c'est ainsi que cela devrait se passer.
[Français]
Nous écoutions les témoignages et agissions en conséquence.
[Traduction]
Nous étions bien informés, nous avons écouté et nous avons apporté des amendements. Le gouvernement actuel a lentement affaibli le système. Maintenant, les comités sont censés adopter sans discernement tous les projets de loi que le gouvernement leur présente. Dans ce cas-ci, il s'agit d'un méli-mélo compliqué de près d'une dizaine de projets de loi déjà présentés et qui n'ont pas été adoptés par le passé.
[Français]
Nous avons tous été témoins de la soirée de spectacle du comité de la Chambre des communes sur le projet de loi C-10. En tant que Québécois, j'ai été choqué de la manière insultante dont le ministre Fournier a été traité par la direction du comité, alors qu'il est venu deux fois à Ottawa pour tenter d'améliorer le projet de loi. Par le passé, comme je l'ai mentionné, nous écoutions les intervenants et apportions des changements. C'est moins vrai en 2012.
[Traduction]
À propos de l'époque où je faisais du lobbying, je dirai que mon travail, dans ce temps-là, consistait à représenter des gens de l'extérieur qui voulaient participer à l'étude des projets de loi pour les amender. Les parlementaires entendaient des points de vue différents. Ils avaient le point de vue politique du ministre, celui des bureaucrates et celui des groupes intéressés qui voulaient se faire entendre. Ces groupes se présentaient devant les comités, donnaient leur opinion, parfois favorable au projet de loi et parfois défavorable. Et le plus souvent, ils proposaient des amendements puisque, à cette époque, le processus était tel que les projets de loi pouvaient être améliorés. L'objectif des comités était justement de les améliorer.
Le lobbying faisait partie du processus, et il en était un élément honorable. Nous traversons la plus grande crise qui soit à cause d'une façon de faire qui affaiblit tout le processus législatif. On sait que le gouvernement actuel exerce des pressions sur les témoins pour qu'ils s'abstiennent.
[Français]
Ils intimident des organisations non gouvernementales afin que celles-ci ne viennent pas témoigner.
[Traduction]
Cela va à l'encontre de tous les principes modernes de la consultation dans l'élaboration des lois. Nous devons entendre les témoins. Cela fait partie du processus.
Nous avons entendu et lu des choses au sujet du manuel que le gouvernement a préparé pour contrôler les comités à l'autre endroit. Cela a mené à une diminution majeure du nombre d'amendements adoptés aux comités.
L'histoire du Parlement nous apprend que les projets de loi ont toujours été amendés à la Chambre, au Sénat et aux comités. Comme je l'ai déjà dit, les rédacteurs des projets de loi s'y attendent. Souvenez-vous de la Loi fédérale sur la responsabilité. Le Sénat a apporté des centaines d'amendements. Ils ont été renvoyés à la Chambre, où la plupart ont été adoptés, car nous pouvons améliorer les projets de loi lorsqu'ils nous sont renvoyés, nous le faisons et nous devons le faire.
Je dois vous le demander : le gouvernement a-t-il trouvé tellement de talents au ministère de la Justice que d'année en année il y a de moins en moins d'amendements proposés et acceptés que par le passé? Ces rédacteurs sont-ils à ce point supérieurs à ceux d'il y a 20 ans que leurs textes ne méritent aucun amendement? J'en doute.
Il y a moins d'amendements à la Chambre et presque aucun au Sénat. Le processus de rédaction s'est-il amélioré au point que nous n'ayons plus besoin de jouer notre rôle de sénateurs, comme le sénateur Callbeck l'a dit, qui est de procéder à un second examen objectif?
Par le passé, nous pouvions améliorer des projets de loi que la Chambre jugeait bons. C'est là le rôle du Sénat dans notre démocratie.
De façon générale, nous avons l'esprit de parti moins marqué. Nous tenons des débats constructifs. Nous encourageons l'amélioration des projets de loi et donc de notre pays, et nous donnons plus d'importance aux projets de loi adoptés à l'autre endroit.
Permettez-moi d'aborder brièvement l'aspect judiciaire de la chose. Il y a un système de freins et contrepoids entre le législatif et le judiciaire. J'ai entretenu des relations de travail avec des juges au Québec à différents niveaux. Comme certains d'entre vous le savent, j'ai aussi épousé une juge, mais je vais essayer de laisser cette considération de côté ici. Cela colore un peu ma réflexion. J'estime que ce que nous faisons en affaiblissant le législatif est déjà assez déplorable, mais en même temps, nous affaiblissons le système judiciaire. Nous légiférons; il juge.
(1510)
Nous ne devrions pas franchir cette ligne de démarcation. Nous ne devrions pas limiter le pouvoir des juges de déterminer les peines, mais plutôt l'accroître. Ce sont eux qui voient dans quelles circonstances une infraction a été commise. Souvent, ils voient et entendent des jeunes gens et des jeunes femmes et souvent des membres des collectivités autochtones expliquer les circonstances de leurs crimes et oui, ils font parfois preuve de clémence. Cela fait partie de leur travail, de leur pouvoir discrétionnaire, pas du nôtre. Nous avons un bon système. Nous avons un taux de réhabilitation plus élevé que celui de nos voisins, et le temps a fini par prouver que leurs mesures de répression de la criminalité étaient mauvaises.
[Français]
Oui, des erreurs ont été commises, oui, je peux sympathiser avec les victimes et les groupes de victimes, mais le système fonctionne, et plus encore, il fonctionne mieux qu'ailleurs.
[Traduction]
Oui, nous devons un peu modifier le système de temps en temps, mais je ne crois pas que nous devions détruire un bon modèle. Bref, faisons d'un côté comme de l'autre notre travail comme la Constitution l'exige.
[Français]
Le ministre de la Justice et procureur général du Québec, M. Jean- Marc Fournier, est venu rencontrer les membres du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l'autre endroit afin de démontrer à quel point ce projet de loi était diamétralement opposé au modèle provincial qui, soit dit en passant, a fait ses preuves au cours des 40 dernières années.
La solution du gouvernement n'est pas une vraie solution, dit le ministre Fournier : c'est comme une plaie infectée sur laquelle on met un pansement. Un pansement ne guérit pas, il cache la plaie. Arrive le moment où on enlève le pansement, et la plaie est parfois encore plus infectée.
Qu'est-ce qu'on fait? Justement, on est en train de changer le système de justice de façon draconienne. Si le projet de loi est adopté, on change de priorités. On ne lutte plus contre le crime à long terme.
Premièrement, le projet de loi mise sur l'emprisonnement plutôt que sur la réhabilitation. Deuxièmement, il impose des peines automatiques qui affaiblissent notre système de justice et le rôle des juges. Troisièmement, les mesures apportées par le gouvernement imposent un énorme fardeau budgétaire sur les provinces.
Ce n'est pas ce que les Canadiens veulent. Nos concitoyens veulent une meilleure administration de la justice.
[Traduction]
La justification souvent entendue de tous ces excès — et nous avons entendu le même refrain aujourd'hui encore de la part de mon collègue, le leader adjoint au Sénat, le sénateur Carignan, toujours la même cassette — est : « Nous avons un mandat du peuple. Chouette alors! » Tous les jours, nous voyons de mieux en mieux ce que ces gens-là étaient prêts à faire pour obtenir ce mandat : faire des dépenses non permises, recourir à la ruse, à un type de politique inspirée des Américains. Honorables sénateurs, la fin justifie les moyens.
[Français]
J'ai comme l'impression de m'adresser au fan club de Karl Rove.
[Traduction]
L'opiniâtreté du gouvernement est phénoménale. En effet, cette semaine, il a reçu une lettre de la Global Commission on Drug Policy le pressant de cesser cette interdiction destructrice, coûteuse et inefficace de la marijuana. Cette commission compte parmi ses dirigeants d'anciens membres du gouvernement américain, dont George Shultz, qui était secrétaire d'État sous l'administration Reagan. Si l'ancien secrétaire d'État de Ronald Reagan nous dit que ce projet de loi fait fausse route, pourquoi continuons-nous dans cette voie? La lettre de la commission contenait également ceci au sujet du projet de loi C-10 :
Le Canada est sur le point de répéter les mêmes graves erreurs déjà commises par d'autres pays, avançant encore plus loin sur une voie qui s'est avérée extrêmement destructrice et inefficace quant à l'atteinte de ses objectifs.
Honorables sénateurs, nous devons nous demander quel genre de gouvernement s'entêterait à faire adopter une mesure législative qualifiée d'inefficace, dangereuse et au bout du compte improductive, comme l'ont indiqué la Global Commission on Drug Policy et M. Fournier. Il n'y a qu'une réponse à cette question : un gouvernement irresponsable. Les conservateurs aiment bien dire à quel point les partis de l'opposition ne sont pas aptes à gouverner le pays, mais au cours des prochaines années, lorsque le Canada sera aux prises avec les nouveaux criminels, ce projet de loi sera entré en vigueur, et nous n'aurons pas uniquement le gouvernement à blâmer, mais également nous tous ici présents. Si nous adoptons ce projet de loi, nous n'aurons que nous-mêmes à blâmer.
L'honorable Robert W. Peterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-10, le projet de loi omnibus sur la criminalité, et je vous invite à continuer de l'examiner avec attention. Si nous continuons de précipiter l'adoption du projet de loi C-10, le Canada sera aux prises avec une criminalité accrue, des coûts plus élevés et moins de justice.
Le projet de loi C-10 regroupe neuf projets de loi distincts. Il fait plus d'une centaine de pages et contient au-delà de 200 articles. Pourtant, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles n'a consacré que 11 jours à son examen. Il est manifestement impossible d'accorder à l'un ou l'autre des projets de loi qu'il contient l'attention qu'il mérite dans le délai serré imposé par le gouvernement conservateur.
Cette mesure législative est complexe. Elle affectera les Canadiens de nombreuses façons, que ce soit voulu ou non. Il faut du temps pour bien écouter les Canadiens, évaluer leurs préoccupations et apporter des corrections à un projet de loi. Au Canada, le Sénat est reconnu comme étant la Chambre de second examen objectif. L'imposition de l'attribution de temps dans le cas du projet de loi C- 10 vient certainement entacher cette réputation.
L'examen parlementaire n'est pas seulement miné par l'empressement, mais aussi par les coûts. Le gouvernement n'a jamais fourni de documents décrivant de façon exhaustive et appropriée les coûts de ce projet de loi. Pourtant, le directeur parlementaire du budget a, sans l'aide du gouvernement, été en mesure d'établir les coûts de certaines des mesures contenues dans le projet de loi C-10, et déterminé que ces seules mesures devraient coûter plus de 13 milliards de dollars. Un tel coût est effrayant.
Lorsque les conservateurs étaient dans l'opposition, mes collègues d'en face se sont mis dans tous leurs états à propos d'une dépense de 1 milliard de dollars. Or, ils refusent de se demander si les mesures prévues dans ce projet de loi valent une dépense 13 fois plus importante. À ce prix, le gouvernement pourrait embaucher des dizaines de milliers de policiers. D'après vous, qu'est-ce qui contribuerait le plus à la sécurité des Canadiens?
Le projet de loi C-10 est loin de constituer la meilleure utilisation possible des deniers publics et relève d'une politique publique pour le moins douteuse. Mary-Ellen Turpel-Lafond, qui se consacre à la défense des jeunes, a bien cerné le problème lorsqu'elle a dit :
Si certains jeunes récidivent, ce n'est pas à cause du système, mais en raison d'un manque de soutien.
Pire encore, le projet de loi C-10 ne donnera pas les résultats escomptés. Aucune étude ne montre que son principal outil, les peines minimales obligatoires, réduit véritablement la criminalité. Les criminels commettent des crimes pour des raisons complexes, mais aucun n'hésite à le faire parce qu'il risque une peine de trois ans au lieu de deux. En réalité, la plupart d'entre eux pensent qu'ils ne se feront pas prendre et le projet de loi C-10 ne prévoit rien pour aider à attraper les criminels.
Ce projet de loi ne fait rien non plus relativement au lien entre la criminalité, la toxicomanie et la maladie mentale, ni pour remédier aux inégalités profondes vis-à-vis de la population autochtone, qui est surreprésentée dans le système carcéral. Avec le projet de loi C- 10, leur nombre augmentera considérablement dans les prisons. Ce n'est pas une bonne chose. Trop souvent, les prisons deviennent des écoles du crime. Les jeunes qui n'ont commis qu'une seule erreur y côtoient des criminels endurcis qui leur montrent les ficelles du métier et les contraignent à se joindre à des gangs pour assurer leur propre sécurité en prison.
Dans certaines provinces, les prisons sont occupées à près de 200 p. 100 de leur capacité et le projet de loi C-10 n'a même pas encore été adopté. Cette surpopulation exacerbe les problèmes dans les prisons.
Un des plus importants organismes de charité œuvrent dans le domaine de la justice et des services correctionnels dans notre pays, la Société John Howard du Canada, a exprimé de vives inquiétudes relativement au projet de loi C-10. Selon elle, le projet de loi C-10 gênera ses efforts pour offrir des solutions justes, efficaces et humaines aux causes et aux conséquences de la criminalité et pour accroître la sécurité dans les collectivités.
On sait bien que les États-Unis ont déjà emprunté cette voie. Les législateurs et les gouverneurs républicains dans des États comme le Texas, la Caroline du Sud et l'Ohio sont en train d'abroger les peines minimales obligatoires et d'accroître les mesures de supervision communautaire et financent le traitement de la toxicomanie, car ils savent que cela accroîtra la sécurité publique, à un coût moindre pour les contribuables.
Ils ont constaté que les peines minimales obligatoires faisaient augmenter significativement le nombre de détentions préventives et de renvois, et qu'elles engorgeaient les tribunaux, qui croulaient sous les procès. Ils ont déclaré ceci :
[...] les études démontrent clairement que l'incarcération fait augmenter le taux de récidive, en particulier chez les jeunes, ainsi que chez les personnes incarcérées pour la première fois.
Le chef de police de Fredericton, Barry McKnight, l'a bien compris. Il a déclaré ceci au comité :
Ce ne sont ni les arrestations, ni les incarcérations qui règleront ce problème.
Il y a ensuite la question de la justice. Les peines minimales obligatoires enlèvent toute compassion au processus pénal. Par exemple, si un jeune atteint d'un trouble mental bousculait un policier, il serait accusé de voies de fait, et il se verrait imposer une peine minimale obligatoire. Aux termes de ce projet de loi, un collégien qui cultiverait six plants de marijuana dans sa résidence verrait sa peine aggravée s'il offrait un joint à son colocataire.
(1520)
D'ailleurs, lors d'un récent procès, un magistrat a jugé inconstitutionnelle l'imposition d'une peine minimale obligatoire à une personne condamnée pour la première fois pour possession d'une arme à feu chargée, car il s'agirait d'une « punition cruelle et inhabituelle ». Le juge aurait pu envoyer un homme marié en prison pour avoir été photographié alors qu'il tenait l'arme de poing de son cousin.
Comment en sommes-nous arrivés là? Au cours des six dernières années, le Parti conservateur s'est targué d'adopter la ligne dure envers les criminels, tout en accusant les parties de l'opposition de prôner l'indulgence envers les criminels. Pour les sénateurs d'en face, aucune autre justification n'est nécessaire; ils croient qu'un projet de loi doit obtenir leur appui simplement parce qu'il est sévère. Cette attitude simpliste cause du tort à notre processus parlementaire.
Nous ferions mieux de convenir que tous les crimes doivent être punis, que nous devons punir les criminels de façon intelligente, et que nous devons à la fois sévir contre les criminels et nous attaquer aux causes de la criminalité. Ainsi, nous mettrions de l'avant un plan pour rendre le Canada plus sécuritaire, au lieu de mettre en œuvre cet inefficace programme de vengeance et de représailles. Des intervenants de la droite autres que le Parti conservateur, comme Conrad Black et le National Post, sont du même avis.
Honorables sénateurs, défendons le Parlement, la justice et les contribuables. Rejetons le projet de loi C-10 et attelons-nous à la tâche difficile de rendre le Canada plus sûr.
Je vais signaler un dernier point sur lequel les sénateurs pourront se pencher. Nous dépensons 8 800 $ par année pour éduquer nos jeunes et nous sommes pourtant prêts à en dépenser 114 800 $ pour les mettre en prison. Il y a quelque chose qui cloche ici; pensez-y.
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet de la motion de clôture que le gouvernement impose sur le projet de loi C-10.
Comme vous le savez tous, il s'agit d'un projet de loi omnibus sur la criminalité divisé en neuf mesures distinctes que l'on a étudiées séparément à la troisième session de la 40e législature. Ce projet de loi omnibus comporte neuf mesures législatives.
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a siégé plus de 50 heures et entendu 111 témoins sur le projet de loi. Nous avons entendu le témoignage de victimes, d'anciens juges, de nombreux policiers et des personnes qui travaillent avec les contrevenants. Même après avoir entendu tous ces témoins, nous n'avons pas été en mesure d'étudier en profondeur tous les aspects du projet de loi C-10.
J'ai moi-même reçu plus de 10 000 courriels, des centaines d'appels et de nombreuses lettres de citoyens qui font tous état d'inquiétudes au sujet de ce projet de loi. Ce matin, une organisation du nom de Leadnow a fait parvenir une pétition électronique à mon bureau. Cette pétition comprenait plus de 50 000 signatures de détracteurs du projet de loi C-10. Malheureusement, je croyais à tort que l'on continuerait de débattre en profondeur de ce projet de loi omnibus sur la criminalité et que l'on aborderait les nombreux problèmes qu'il comporte. Il y a certains points que j'aimerais débattre au Sénat — des points importants, complexes et profondément enchâssés dans le projet de loi.
On cite souvent le juge Nunn quand on parle du projet de loi C- 10. En fait, on dit souvent que c'est le rapport du juge Nunn qui a mené à la présentation du projet de loi dont nous sommes saisis. Sachant cela, j'ai été troublée d'entendre le juge Nunn, lors de sa comparution à notre comité, exprimer des préoccupations au sujet des peines minimales obligatoires et dire qu'il n'y était pas favorable.
Honorables sénateurs, si quelqu'un dont le rapport se reflète directement dans le projet de loi et à qui le gouvernement octroie souvent une partie de la paternité du projet de loi C-10 exprime des doutes, n'avons-nous pas, nous aussi, raison de nous inquiéter? À mon avis, cela montre que le Sénat doit examiner le projet de loi encore plus attentivement.
Puisque je dispose aujourd'hui d'un temps limité pour m'exprimer, j'aborderai à peine quelques-unes de mes vives préoccupations, ainsi que deux amendements que j'ai proposés au comité et que j'aurais aimé pouvoir présenter dans cette enceinte. Le premier amendement se veut un garde-fou relativement aux peines obligatoires et se lit ainsi :
Le tribunal qui détermine la peine à infliger à une personne reconnue coupable d'une infraction prévue par la présente partie et pour laquelle la loi prescrit une peine minimale n'est pas tenu d'imposer le minimum prévu s'il est d'avis :
a) que des circonstances exceptionnelles sont associées à l'infraction ou au délinquant;
b) qu'eu égard à toutes les circonstances en cause, imposer ladite peine minimale serait excessif ou déraisonnable.
Honorables sénateurs, cet amendement reflète ce que notre comité a entendu à de nombreuses reprises, notamment de la part de l'Association du Barreau canadien et du juge Nunn. C'était un « amendement garde-fou ». J'ai porté l'attention du comité sur l'importance de laisser une certaine latitude au juge dans la détermination d'une peine en présence de circonstances exceptionnelles, même lorsque le projet de loi C-10 impose des peines minimales. Il vise à ce que les dispositions proposées dans le projet de loi C-10 relativement aux peines minimales ne contraignent pas indûment le juge, de manière à le laisser tenir compte de facteurs qui rendraient une peine minimale excessive ou déraisonnable et imposer une peine différente ou moindre.
L'Association du Barreau canadien et les services juridiques autochtones de Toronto tenaient à un garde-fou général pour toutes les peines minimales obligatoires actuellement prévues dans le Code criminel. Ils ont donné de nombreux exemples de pays qui se sont dotés d'un tel dispositif, comme le Royaume-Uni, l'Australie et les États-Unis. Nous savons tous que les juges doivent avoir un peu de latitude en présence de circonstances exceptionnelles, et l'amendement la leur aurait donnée.
J'ai aussi présenté au comité un amendement relatif aux infractions en matière de drogue impliquant des questions de santé mentale. Il propose ceci :
Le tribunal qui détermine la peine à infliger à une personne reconnue coupable d'une infraction prévue par la présente partie peut, s'il pense que la personne a besoin de soins de santé mentale, reporter la détermination de la peine afin de lui permettre de participer à un programme de santé mentale approuvé par le procureur général ou de recevoir un traitement psychiatrique.
L'amendement dit également ceci :
Le tribunal n'est pas tenu d'infliger une peine minimale d'emprisonnement à la personne qui termine avec succès un programme visé au paragraphe (6) ou qui reçoit un traitement psychiatrique.
Le comité a entendu le commissaire du Service correctionnel du Canada, M. Don Head, qui a indiqué que, parmi la population carcérale, 13 p. 100 des hommes et 29 p. 100 des femmes souffraient de troubles de santé mentale. Cet amendement concerne uniquement les infractions liées aux drogues.
Plusieurs témoins ont attiré notre attention sur l'importance de cet amendement. M. Howard Sapers, l'enquêteur correctionnel du Canada, a déclaré que les caractéristiques des détenus étaient en train de changer. Je voudrais que les sénateurs réfléchissent ce soir, avant de se coucher, au passage suivant de son témoignage, car ces paroles me hantent. M. Sapers a déclaré ceci : « Les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais certains délinquants sont des patients. » Je répète : « Les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais certains délinquants sont des patients. »
M. John Bradford a indiqué que, en prison, la personne est simplement placée sous contrôle, tandis que, dans un établissement psychiatrique, elle reçoit des soins individualisés pour l'aider à guérir. Commençons par leur fournir un traitement avant que le juge se prononce de nouveau. Traitons les troubles des délinquants plutôt de les incarcérer.
Honorables sénateurs, on a dit beaucoup de choses dans cette enceinte, mais deux lois n'ont pas été abordées, et elles m'intéressent vivement. La première est la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme, qui vise à prévenir les attentats terroristes contre le Canada et les Canadiens. Cette loi précise que les Canadiens et les citoyens des autres pays ont droit à la paix, à la liberté et à la sécurité. Au cours de la dernière session, le projet de loi C-10 avait été présenté au Sénat sous la forme du projet de loi S-10. Le sénateur Segal et le sénateur Tkachuk pourront vous confirmer que j'étais très inquiète et que je me suis beaucoup agitée à l'époque parce qu'une victime ayant entrepris une poursuite judiciaire contre un État étranger risquait de perdre le procès si, en raison d'une amélioration des relations entre le Canada et cet État, ce dernier se voyait accorder l'immunité.
Je suis très heureux de constater qu'on a tenu compte de mes objections dans le nouveau projet de loi, qui prévoit ceci :
La radiation de l'État étranger de la liste après que des actions ont été intentées contre lui pour avoir soutenu le terrorisme n'a pas pour effet de restaurer l'immunité de juridiction de celui-ci dans ces actions ou dans tout appel ou procédure d'exécution connexe.
(1530)
Honorables sénateurs, cela prouve que nous pouvons modifier des projets de loi, que nous pouvons apporter des modifications dans l'intérêt des Canadiens. Cependant, cette mesure nécessite encore bien des améliorations. La semaine dernière, notre comité a entendu de nombreux témoins qui ont soulevé des préoccupations très importantes. Il faut leur accorder l'attention qu'elles méritent.
David Quayat et Hilary Young nous ont avisés très clairement que, en application de notre fédéralisme et du partage constitutionnel des pouvoirs, la création de motifs de poursuites relève généralement de la compétence des provinces. Je crains que l'on suscite des attentes chez les victimes d'actes terroristes. Lorsqu'elles poursuivront ceux qui leur ont fait du tort, elles constateront que leurs démarches ne seront pas nécessairement couronnées de succès, et elles risquent d'être déçues encore une fois.
Une autre loi me préoccupe particulièrement : la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Cette mesure permettra aux agents d'immigration, en vertu d'une directive ministérielle, de refuser des permis de travail à des ressortissants étrangers que l'on juge susceptibles d'être victimes d'exploitation, ce qui est fort louable. La modification en question vise à empêcher la traite des personnes, les mauvais traitements et l'exploitation d'immigrants vulnérables, particulièrement les femmes. Toutefois, des éléments de ce projet de loi sont aussi très troublants.
Par exemple, en vertu du projet de loi à l'étude, un employeur peut demander à Ressources humaines et Développement des compétences Canada un avis relatif au marché du travail énonçant qu'il n'y a personne au Canada qui peut occuper l'emploi visé. L'employeur est alors autorisé à faire venir de l'étranger un employé avec un permis de travail. Le problème que me pose cette disposition, et dont j'aurais aimé discuter, est le suivant : pourquoi, à ce moment-là, refuse-t-on le permis de travail à l'employé?
À mon avis, si l'on cherche à protéger des personnes vulnérables, particulièrement les femmes, il serait plus juste de s'attaquer à la racine du problème et, d'entrée de jeu, d'interdire aux employeurs d'obtenir des avis relatif au marché du travail pour embaucher des employés, au lieu d'intervenir une fois le permis de travail accordé.
Son Honneur le Président : Excusez-moi, les 10 minutes accordées au sénateur sont écoulées.
L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, j'aimerais commenter sous un angle légèrement différent les enjeux du projet de loi. Mes collègues ont abordé la mesure de différentes manières substantielles. Ils ont évoqué sa relation — ou son absence de relation —, avec les solutions en matière de lutte contre le crime, de prévention, de réadaptation, etc. Il y a un autre volet dans ce dossier.
La mesure s'articule indéniablement autour de la criminalité; mais elle est beaucoup moins axée sur la prévention du crime que le gouvernement le prétend. En fait, elle s'appuie sur un programme de répression de la criminalité faible et voué à l'échec. D'ailleurs, ses failles seront manifestes dans un avenir rapproché — en fait, le processus est déjà enclenché —, et elles se traduiront par des coûts humains énormes. Ces coûts seront assumés par les victimes vulnérables et sans méfiance, de même que par ceux que le gouvernement considère exclusivement comme des criminels de tout acabit, comme autant de facettes du Mal — des criminels qui deviendront eux-mêmes, à bien des égards, les victimes de ce projet de loi.
Cette mesure dépasse le simple domaine du crime et de la répression de la criminalité. Il fait essentiellement de la vengeance et du châtiment, par opposition au pardon, des moteurs du processus de guérison chez les personnes qui ont fait l'expérience de la criminalité. Dans ce contexte particulier, cela en dit long sur nous, sur notre identité en tant que Canadiens. Le projet C-10 représente nos valeurs, la façon dont nous en faisons la promotion, leur place dans notre société, nos relations avec autrui, nos rapports avec les personnes plus vulnérables. Si nous pouvions offrir à certaines personnes un peu plus de compréhension, cela nous amènerait à créer une société plus forte, plus saine, plus généreuse et plus compatissante.
Ce projet de loi vise à ramener des problèmes complexes à des questions très simplistes que ne régleront pas les « remèdes » — j'emploie ce mot dans son sens le plus vague — encore plus simplistes proposés par le projet de loi et le gouvernement. Il montre la différence qu'il y a entre comprendre et accepter la science, la recherche et le bon sens et se laisser guider par une idéologie qui touche le gouvernement et ses membres à un certain niveau affectif, mais qui ne réglera absolument pas les problèmes qu'ils ont définis. Bien sûr, à bien des égards, nous convenons de la nature des problèmes, mais il y a certainement une grande différence dans notre évaluation des symptômes.
Ce projet de loi touche la démocratie dans la mesure où il a des incidences directes sur des questions d'équité et de justice, mais maintenant, à cause de la clôture, il touche également à la démocratie parce que la clôture constitue une attaque contre les institutions démocratiques dans lesquelles nous travaillons. La clôture est une agression contre les processus démocratiques qui confèrent et protègent les droits et libertés qui font du Canada l'une des sociétés les plus remarquables, les plus enviées, les plus justes et équitables — du moins jusqu'ici — sur terre. Par conséquent, ce projet de loi ne touche pas seulement au crime et à sa répression. Il porte maintenant sur la démocratie, le processus démocratique et l'agression que représente cette clôture.
Cette clôture n'est pas un simple incident isolé. En fait, elle fait partie d'un schéma.
Le sénateur Mercer : Ils y sont accros.
Le sénateur Mitchell : C'est une vraie dépendance qui exige un traitement.
Le gouvernement a imposé la clôture 24 fois depuis qu'il a la majorité au Parlement. Je n'en suis pas sûr, mais je parierais bien que c'est plus que ce que le gouvernement précédent a fait pendant les 13 ans qu'il a passés au pouvoir.
J'ai cru que c'était un record, mais, quand j'étais à l'Assemblée législative de l'Alberta, il y a un été pendant lequel le gouvernement a invoqué la clôture 18 fois. Il est probable que cela représente davantage par jour, par mois ou par autre unité de temps, mais c'est sûrement un record en chiffres absolus.
Ce n'est pas seulement que la clôture d'aujourd'hui fait partie d'un schéma. Elle fait également partie, à bien des égards, d'une attaque contre nos institutions démocratiques, nos processus démocratiques et contre l'ardeur avec laquelle on encourage ou décourage les gens de participer à des discussions, à des actions, à des processus et à des débats démocratiques dans le pays et dans la société.
Nous avons été témoins d'exemples à couper le souffle d'événements qui illustrent ce que je dis à ce sujet. Pour la première fois dans l'histoire de notre pays, nous avons eu un gouvernement déclaré coupable d'outrage au Parlement. Ils peuvent prétendre que c'est à cause de la composition du Parlement d'alors, mais nous avons déjà eu beaucoup de gouvernements minoritaires. Jamais dans l'histoire du Canada un gouvernement n'a été déclaré coupable d'outrage au Parlement. Les fondements de cette décision sont parfaitement évidents.
Le fait est que le gouvernement prenait des décisions — justement sur ce projet de loi — et demandait que des décisions soient prises sans jamais fournir le genre de renseignements que toute institution parlementaire démocratique est fondée à exiger.
Ensuite, il y a bien sûr les multiples occasions où le gouvernement a bâillonné nos scientifiques au mépris de la liberté d'expression. Nos scientifiques du ministère de l'Environnement sont reconnus dans le monde pour leurs recherches crédibles et de calibre mondial, qui font l'objet d'un examen par les pairs. Ceux qui n'ont pas été congédiés ont été systématiquement muselés parce qu'on leur a interdit de parler de leur travail.
Pour ce qui est de l'accès à l'information, le programme a été entravé d'une manière sans précédent. Les gens n'ont jamais rien vu de semblable. Lorsque les documents demandés sont finalement communiqués, ils sont souvent lourdement caviardés et presque inutilisables dans le contexte de l'accès à l'information.
C'est peut-être là l'un des aspects les plus sérieux et les plus révélateurs de la nature de ce gouvernement. Si les groupes qu'il subventionne ne sont pas d'accord avec lui, le gouvernement coupe leur financement. Nous l'avons vu dans le cas de KAIROS. Ne se contentant pas de mettre fin au financement de cette organisation, le gouvernement en a sournoisement pris le contrôle pour étouffer le débat et faire taire les groupes qui expriment des opinions ou prennent des positions qu'il n'aime pas. C'est ainsi qu'il a agi dans le cas de nombreux groupes de femmes qui recevaient du financement et remplissaient un rôle très important en représentant les femmes et en prenant leur défense dans la société et dans le processus d'élaboration de la politique publique du gouvernement. Il leur a coupé les fonds pour les museler.
(1540)
Au-delà de la clôture, le gouvernement a lancé des attaques directes touchant le fonctionnement de ces organismes et la façon dont ils sont traités. Par exemple, il y a quelques années, pendant qu'il était encore minoritaire, le gouvernement a rédigé un énorme manuel destiné à apprendre à ses membres comment entraver le processus et le fonctionnement des comités parlementaires.
Le sénateur Mercer : Le manuel des coups fourrés.
Le sénateur Mitchell : Oui, c'était un de leurs manuels des coups fourrés.
Plus récemment, depuis qu'il détient la majorité, le gouvernement conspire pour faire en sorte que le travail des comités parlementaires — qui, par tradition, respecte bien sûr l'ouverture et la transparence démocratique — se fasse à huis clos, en secret, afin que les Canadiens ne voient pas ce qu'il essaie de faire.
Nous sommes témoins, de plus en plus souvent — ce qui est fort déconcertant —, de différentes formes d'intimidation. Comme je viens de le mentionner, le gouvernement coupe les fonds des groupes qui veulent simplement participer, d'une façon légale et responsable, au débat et au processus d'élaboration de la politique publique du pays. Il y a une stratégie concertée d'intimidation. Très récemment, des efforts ont été déployés pour diaboliser des groupes environnementaux et discréditer ainsi ce qu'ils ont à dire dans le cadre de processus établis par le gouvernement pour permettre une discussion ouverte des questions qui se posent, par exemple au sujet du développement et de l'environnement. Ces groupes sont maintenant intimidés par le genre de mesures que prend le gouvernement, que renforce une récente interpellation faite par un sénateur.
Le gouvernement a lancé des attaques intimidantes contre des groupes environnementaux, et je vais en discuter plus en détail lorsque je vais aborder cette interpellation.
Voilà maintenant que l'équité du système électoral a été elle aussi attaquée. Toutes les attaques auxquelles je viens de faire allusion étaient répréhensibles, mais celle-ci fait peut-être montrer d'un cran la gravité du travail de sape que le gouvernement mène à l'endroit de la démocratie. Je fais évidemment allusion à leur plaidoyer de culpabilité dans le dossier des transferts de fonds, qui était de toute évidence de la tricherie. Que ces tactiques leur aient ou non permis d'acheter ou de voler des élections, il y a certainement eu intimidation et affaiblissement du processus démocratique.
C'est qui est encore plus déconcertant, c'est d'apprendre qu'on a tenté d'empêcher ou de dissuader des électeurs de voter. On ne sait pas encore si le gouvernement a volé les élections en ayant recours à cette tactique, mais il ne fait aucun doute que l'équité du processus électoral a vraiment été attaquée et minée par le gouvernement. Lorsque celui-ci a vu ce qui se passait, il n'a rien fait pour corriger la situation.
L'une des plus...
Son Honneur le Président : J'ai le regret d'annoncer que le temps de parole du sénateur est écoulé.
[Français]
L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, habituellement c'est un plaisir de m'adresser à cette Chambre, mais aujourd'hui c'est avec beaucoup de tristesse et surtout d'inquiétude que je prends la parole à propos de cette motion visant à limiter le débat.
Je veux juste citer quelques dossiers récents à travers lesquels on peut voir le genre de fédéralisme qui est celui d'aujourd'hui. Du côté des ententes sur la santé, il n'y a eu aucune consultation; on a tout simplement dit aux provinces : « Voilà votre forfait, c'est à prendre ou à laisser. » Il y a une autre expression en anglais : It's our way or no way.
Ce n'est pas nécessairement la façon dont je m'imaginais, venant du Québec, l'esprit de la Confédération. Un gouvernement fédéral implique un partage de pouvoir et, lorsque ce pouvoir est exercé par les deux niveaux de gouvernement, on s'entend d'abord pour discuter comment traiter les questions de façon opérationnelle.
Je me rappelle un dossier pour lequel on a tenu beaucoup de consultations. Je pense aux accords de Kelowna, qui ont été jetés aux orties le lendemain du jour où le gouvernement conservateur a pris le pouvoir. Les provinces, le gouvernement fédéral et tous les joueurs s'étaient entendus sur une façon de traiter les problèmes autochtones, en impliquant tout le monde et en s'assurant d'aller dans la bonne direction. Aujourd'hui encore, ce dossier fait l'objet d'une attention qui n'est certainement pas à la hauteur du problème.
En ce qui a trait au dossier de la justice, c'est la même chose. On sait que, dans ce domaine, l'administration est de juridiction provinciale, qui inclut les procureurs et les cours. Quand il s'est agit par le passé du Code criminel, qui est de juridiction fédérale, il y a toujours eu consultation. J'ai siégé à la Chambre des communes, je siège ici aujourd'hui, et je pense que c'est le devoir d'un gouvernement fédéral, lorsqu'on veut faire adopter une législation dont l'application concerne conjointement les deux ordres de gouvernement, que ceux-ci s'assoient à la même table pour en discuter.
Une question que je me pose et à laquelle on n'aura certainement pas de réponse concerne les coûts, à propos desquels, pour ma part, je n'ai vu aucune étude. En fait, où est l'étude coûts/bénéfices qui fait que, demain matin, nos rues seront plus sûres? J'ai pu voir en revanche une expertise, et nous aurons l'occasion d'en parler plus tard, montrant qu'aucun expert n'était d'accord au sujet de l'avancée que représentait ce projet de loi. Où sont les ententes fédérales-provinciales pour la limite des coûts additionnels?
J'aimerais simplement vous rappeler, honorables sénateurs, la position de ma province et du ministre de la Justice du Québec, M. Jean-Marc Fournier. Ce dernier, tout comme moi, s'inquiète du manque de preuves scientifiques à l'appui de l'approche du gouvernement Harper en matière de justice criminelle. M. Fournier a annoncé que le Québec n'avait pas l'intention de payer la note de plusieurs millions de dollars qui découlera de l'adoption du projet de loi omnibus.
Ma proposition est très simple : pourquoi n'attend-on pas que le premier ministre et les premiers ministres des provinces, ou les ministres de la Justice, s'assoient ensemble, examinent la situation et en arrivent à une solution dans l'intérêt de tous les Canadiens?
Ma conviction profonde est qu'on ne veut pas entendre parler de preuve scientifique, on ne veut pas entendre parler les experts. Je pense que, en tout cas au Canada, Mme Louise Arbour fait partie des personnes les plus réputées et les plus admirées dans le monde au niveau de l'administration de la justice, et Mme Arbour fait partie des groupes qui ont fustigé le gouvernement à propos de ce projet de loi.
Quant à une des questions qui préoccupent M. Fournier, ce projet de loi va nous mener directement à une spirale de l'emprisonnement. Il n'y aura certainement pas d'économie, certainement pas de réhabilitation; il n'y aura pas un sou non plus, je ne l'ai vu nulle part, pour compenser les victimes.
Je pose encore la question : où est l'étude coûts/bénéfices?
Nous avons seulement vu le rapport de l'officier qui s'occupe des budgets de la Chambre, nous disant qu'on entrait dans une spirale de dépenses de centaines de millions de dollars et qu'on allait devoir construire des prisons.
Je me pose la question suivante : est-ce qu'on se dirige vers le modèle américain, dans lequel la création d'emplois futurs se fera en construisant des prisons privées, que l'on confiera à des entreprises privées, et en créant des emplois de gardiens de prison? Je ne suis pas sûre que ce soit ce qui va nous amener sur le devant de la scène internationale en termes de productivité.
Une des choses que M. Fournier dénonce et regrette, comme moi, c'est cette philosophie de vengeance qui se profile derrière le projet de loi C-10.
(1550)
Selon lui, celui-ci n'assure pas la sécurité à long terme — et je souscris à cette optique. Le ministre a affirmé ce qui suit :
Un combat efficace et durable contre la criminalité ne peut pas se limiter à emprisonner les contrevenants. Le fait d'avoir toute l'intervention sur l'emprisonnement ne constitue qu'une solution temporaire et superficielle.
Je cite le ministre lorsqu'il dit que c'est une solution soft on crime.
M. Fournier nous a rappelé à plusieurs reprises que, même en prolongeant les peines pour les jeunes contrevenants, ces derniers devront un jour sortir de prison et retourner dans la société.
J'aimerais rappeler aux honorables sénateurs que j'ai participé à l'élaboration de deux projets de loi. Le premier portait sur la protection de la jeunesse, et le deuxième portait sur la refonte complète de la Loi sur les jeunes contrevenants, sous le gouvernement Trudeau. La philosophie allait alors main dans la main car, lorsqu'on doit protéger des enfants, c'est généralement parce qu'ils sont en danger. Bien souvent, ils sont en danger de commettre des actes répréhensibles parce qu'ils sont malheureux, maltraités, dans la rue et n'ont pas de parents. Or, les conservateurs ont trouvé comme solution non pas de les mettre dans la rue, mais en prison. Cette solution et cette philosophie sont non seulement dépassées, mais ne font pas honneur au Canada.
M. Fournier met au défi le gouvernement fédéral de fournir des faits et des preuves pour justifier les changements fondamentaux qu'il veut apporter au système. Autrement dit, si demain matin les 10 ministres provinciaux et le gouvernement fédéral s'asseyaient pour voir comment améliorer la sécurité de nos communautés au Canada, peut-être le gouvernement trouverait-il qu'on a besoin d'un peu plus de services sociaux; peut-être trouverait-il qu'on a besoin d'aider un peu plus la communauté autochtone; peut-être trouverait-il également qu'il est important d'aider les filles-mères à prendre soin de leurs enfants. En ce sens, le Québec a trouvé une solution, soit la création de garderies pour permettre aux jeunes mamans, la plupart du temps célibataires, d'avoir quelqu'un qui s'occupe de leur petit, pendant qu'elles cherchent une formation professionnelle pour se sortir un jour de la misère.
Il existe des solutions, mais ce n'est pas celle qui a été retenue dans le projet de loi C-10.
Il semble que, à l'heure actuelle, lorsqu'on parle de preuves scientifiques, qu'il s'agisse de Statistique Canada ou d'autres institutions fédérales, on n'a pas intérêt fournir les faits et la preuve scientifique. Je trouve ce fait inquiétant. À mon avis, on commence généralement à régler un problème quand on en connaît la nature et les avenues de solutions, en examinant ce qui se fait dans les pays occidentaux. Or, nous empruntons une voie qui ressemble à celle des pays qui ne font pas partie de l'OCDE et qui va totalement à l'encontre d'une philosophie de réhabilitation.
Le fait de dire que nous ne sommes pas en faveur d'une amélioration du système de justice et de la protection des Canadiens dans les rues est tout à fait faux. Toutefois, le projet de loi C-10 est la solution contraire. C'est pourquoi j'estime qu'on manque une belle occasion de se réunir aujourd'hui pour discuter du projet de loi C-10.
Le ministre Fournier n'est pas le seul à tenir ces propos. Le premier ministre de l'Ontario a fait de même en disant que lui non plus ne paiera pas la facture. Le Québec et l'Ontario, ensemble, comptent plus de 50 p. 100 de la population canadienne. Qui donc paiera la facture? Ce sera tout de même un Canadien qui le fera. Ou bien les Canadiens recevront deux factures, l'une du gouvernement fédéral et l'autre du provincial, ou il n'en recevra qu'une du fédéral. Il reste que M. McGuinty, devant la situation difficile que vit l'Ontario, n'a pas besoin de dépenses additionnelles. Construire de nouvelles prisons ne fait pas partie du programme de l'Ontario.
Je recommande donc aux honorables sénateurs de tout simplement demander au ministre que ce projet de loi soit reporté aux calendes grecques.
[Traduction]
L'honorable Larry W. Campbell : Honorables sénateurs, je prends la parole pour discuter de la motion du gouvernement visant à limiter le débat sur le projet de loi C-10. Le rôle du Sénat consiste à faire un second examen objectif, mais le gouvernement nous empêche d'étudier en profondeur d'importantes mesures législatives.
En raison des contraintes de temps imposées par le gouvernement pour le débat sur le projet de loi et son étude, nous n'avons pu examiner toute l'information nécessaire pour adopter cette mesure législative en toute bonne conscience. Le projet de loi renferme neuf mesures législatives distinctes et il touche à une foule d'aspects. Qu'il s'agisse de terrorisme, de narcocriminalité, de réhabilitation ou d'immigration, il y a vraiment de tout dans ce projet de loi.
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a tenu 11 jours d'audiences pour traiter de toutes les parties du projet de loi. Comment le gouvernement peut-il croire que c'est suffisant pour lire des mémoires et entendre des témoignages cruciaux concernant cette mesure législative?
La partie qui porte sur l'augmentation des peines minimales obligatoires dans le cas des délinquants sexuels, ainsi que sur la création de deux nouvelles infractions, a été étudiée en une journée. De même, les changements proposés à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés n'ont pratiquement pas été examinés. Le comité a entendu deux groupes de témoins, ainsi que le ministre et des fonctionnaires. Il a consacré moins d'une journée à l'étude de ces changements.
Seulement deux groupes de témoins ont discuté des modifications à la Loi sur le transfèrement international des délinquants, ce qui a pris environ deux heures. Les changements proposés à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents — qui totalisent 27 articles — ont été examinés en une seule journée. De même, les modifications à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, qui représentent plus de 50 articles du projet de loi, ainsi que les changements liés à la réhabilitation et à la libération conditionnelle, sans oublier le resserrement des conditions visant les peines avec sursis, n'ont pas fait l'objet d'une étude approfondie, puisqu'on ne leur a consacré qu'environ une journée et demie.
Le sénateur Tardif : C'est une honte.
Le sénateur Campbell : Ce sont des changements complexes qui ont des répercussions profondes. Ceux-ci auraient donc dû faire l'objet d'un examen approprié, ce qui n'a pas été le cas.
Un grand nombre de groupes et d'organismes ont demandé à être entendus par le comité, mais n'ont pu l'être en raison des contraintes de temps ridicules. Qui plus est, en limitant la durée du débat sur le projet de loi, le gouvernement fait preuve de mépris à l'endroit des témoins qui sont venus à Ottawa afin de présenter leurs points de vue au comité. Nous n'avons pas eu le temps de faire en sorte que leurs voix soient entendues comme il se doit.
L'attribution de temps a été imposée à toutes les étapes du débat. Il s'agit d'un abus de pouvoir qui est malheureusement devenu une pratique courante du gouvernement. Le message qu'on nous envoie est clair, comme il l'a d'ailleurs été dès la présentation du projet de loi : le gouvernement se moque des preuves, il se moque de ce que lui disent les témoins et il se moque du second examen objectif.
L'honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, je veux souligner trois choses. Je m'appuierai sur ce que le sénateur Campbell vient de dire et sur ce que le sénateur Fraser et d'autres ont dit plus tôt.
D'abord, je trouve ahurissant que nous n'ayons pas achevé le travail. N'est-ce pas là un manquement à notre devoir? Le sénateur Fraser a dit que certains éléments du projet de loi n'avaient pas reçu l'attention voulue au comité. Or, le comité s'est penché longuement sur ce projet de loi. Il a siégé toute la semaine et travaillé très fort, mais c'est un gros projet de loi. L'Association du Barreau canadien dit qu'il est trop valumineux. Elle dit qu'il comporte trop d'éléments qui ne devraient pas faire l'objet d'un seul projet de loi et elle fait remarquer qu'un bon nombre d'éléments n'ont pas été examinés très attentivement. Avons-nous manqué à notre devoir? On dirait bien.
Le sénateur Tardif : Oui.
Le sénateur Eggleton : Pourquoi parler d'attribution de temps alors que le travail n'est pas terminé? Pour véritablement faire ce que l'on attend de nous, c'est-à-dire procéder à un second examen objectif, nous devrions renvoyer le projet de loi au comité. Nous ne pouvons pas assurer un tel examen si nous ne faisons pas notre travail.
Le deuxième point que j'aimerais soulever, c'est qu'une foule de personnes se sont prononcées sur le projet de loi — des gens provenant de divers milieux et reconnus pour leur importance, leurs réalisations et leurs compétences, notamment un ancien juge en chef de l'Ontario, une ex-juge de la Cour suprême du Canada et des représentants de l'Association du Barreau canadien. Différents organismes ont aussi donné leur avis au sujet du projet de loi. Est-ce que les sénateurs conservateurs siégeant au comité ont tenu compte de leurs suggestions? Non, d'aucune façon.
Toutes ces personnes, qui sont extrêmement compétentes dans leur domaine, ne vous ont-elles pas fourni les arguments qui vous auraient permis d'appuyer ne serait-ce qu'un amendement? Ou est- ce que l'idée, c'est simplement : « Bon, nous l'avons promis aux dernières élections, donc nous allons le faire »?
(1600)
Si c'est simplement cela, c'est une insulte au Parlement, parce que vous vous devez de faire les choses dans les règles. Sinon, à quoi bon le comité? À quoi bon discuter de tout cela si votre décision est déjà prise? Cela revient à dire : « Ne venez pas m'embrouiller avec des faits, parce que ma décision est déjà prise. » Encore une fois, c'est un manquement au devoir. On ne peut tout de même pas refuser d'entendre tous ces gens. Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord avec tout ce qu'ils ont dit, mais il y a certainement eu quelqu'un qui a dit quelque chose d'utile à un moment donné. Pourtant, vous n'avez pas accepté une seule proposition d'amendement. « Non, nous l'avons promis lors de la campagne électorale et nous allons le faire. »
Pourquoi alors avoir renvoyé le projet de loi au comité? Pourquoi n'avez-vous pas exigé qu'on fasse les trois votes dans la même journée pour en finir? Vous insultez les gens quand vous leur dites : « Allez-y, dites tout ce que vous voulez. Faites siéger le comité pendant une semaine, mais en fin de compte nous ferons exactement ce que nous avons toujours eu l'intention de faire sans écouter un seul mot de ce que vous nous direz ».
Il y a quelqu'un qui trouverait honteux de voir une chose pareille au Parlement, et c'est l'ancien premier ministre Diefenbaker. Le premier ministre Diefenbaker était un grand défenseur de notre Parlement. C'est quelqu'un qui respectait cette institution et qui estimait qu'elle devait accomplir son devoir de façon correcte et pragmatique. Il disait : « Le Parlement ne se limite pas à la procédure, c'est le gardien de la liberté de la nation. »
À votre avis, que penserait M. Diefenbaker du nombre de reprises où M. Harper a imposé la clôture et l'attribution de temps durant cette législature depuis les élections de mai, un nombre record de fois? Cela aussi, c'est une insulte à la mémoire et aux croyances de M. Diefenbaker ainsi qu'à cette institution. Faisons notre travail; rejetons l'attribution de temps et retournons à un examen sérieux de ce projet de loi.
L'honorable David P. Smith : Honorables sénateurs, je me joins aujourd'hui à ce débat sur l'attribution de temps visant le projet de loi C-10. Ce projet de loi est un amalgame de neuf projets de lois. Il est volumineux, avec plus de 200 articles. Il y a beaucoup de choses à absorber. Je pense que ce n'est pas correct d'imposer l'attribution de temps. Ce projet de loi laisse à désirer. Il y a des choses qui ne vont pas. Franchement, je crois que c'est le débat qui s'impose et non le bâillon.
Le ministre de la Justice dit qu'il est équilibré et axé sur des lois précises pour maintenir les criminels en prison. Il dit que cette démarche respecte les droits des accusés, mais qu'« elle ne permet pas que leurs droits aient préséance sur la sécurité de la collectivité ».
Je tiens à dire que j'ai un profond respect pour le ministre de la Justice, mais que je ne suis pas de son avis sur ce point. Je suis avocat. Il y a 40 ans, quand j'ai été admis au barreau, je me suis occupé de nombreuses affaires pénales. Je ne résiste pas à l'envie de signaler qu'un an après, mon épouse est devenue procureure de la Couronne. C'était une époque intéressante. Nous ne nous sommes jamais trouvés l'un en face de l'autre.
C'est un domaine du droit que je connais bien. Je sais ce que disent les membres de la profession et toutes les organisations; ils sont massivement contre ce projet de loi.
Tout d'abord, je préciserai que la démarche sur laquelle insistent les libéraux en matière de criminalité et de justice est une démarche fondée sur les faits, rentable et axée sur la prévention du crime. Regardez les statistiques sur l'opinion des Canadiens : entre 2009 et 2010, le nombre de crimes signalés à la police a diminué de 4 p. 100 et la criminalité violente a reculé de 3 p. 100. Selon Statistique Canada, 93 p. 100 des personnes interrogées en 2009 se disaient satisfaites de leur sécurité personnelle. C'était le même pourcentage que cinq ans auparavant, avant l'arrivée des conservateurs et de leur philosophie consistant à « mettre derrière les barreaux tous les délinquants », donc il n'y avait aucune différence.
Je doute que les Canadiens appuient ce projet de loi en grand nombre. Presque aucun courriel, parmi les centaines que j'ai reçus, n'allait en sa faveur.
Les peines minimales pour les infractions liées à la drogue constituent un des éléments importants du projet de loi qui ont reçu pas mal d'attention. On ne fait notamment pas la différence entre la possession de disons 6 et 600 plants de marijuana. Comme l'a souligné le sénateur Nolin, pour qui j'ai le plus grand respect, cet aspect du projet de loi n'a aucun sens. Pas plus tard qu'hier, la Commission mondiale sur les politiques en matière de drogue est intervenue dans ce débat, par ll'intermédiaire d'une lettre où elle se prononce contre le projet de loi. Cet organisme international respecté, qui compte dans ses rangs Mme Louise Arbour, ancienne juge à la Cour Suprême du Canada, a fait cette cinglante déclaration à l'intention du gouvernement :
[...] en proposant dans son projet de loi C-10 des peines d'emprisonnement obligatoires pour les infractions mineures liées au cannabis, le Canada est sur le point de répéter les mêmes graves erreurs que d'autres pays et de s'engager encore plus loin sur une voie qui s'est avérée immensément destructrice et inefficace.
Honorables sénateurs, la commission affirme que le gouvernement envoie le mauvais message avec cette politique antidrogue. Elle poursuit dans sa lettre en disant ceci :
Le Canada possède une fière tradition internationale de politiques innovatrices et réalistes. Les tactiques musclées de lutte antidrogue comme les peines minimales obligatoires pour les infractions mineures liées à la drogue imposeront un fardeau énorme aux contribuables canadiens, sans pour autant rendre nos collectivités plus sécuritaires; au contraire, elles accroîtront l'emprise des groupes criminels organisés sur l'industrie de la marijuana.
La commission n'est pas la seule à penser ainsi. L'organisme américain Law Enforcement Against Prohibition a fait parvenir au Sénat une lettre signée par 28 juges, policiers et enquêteurs spécialisés dans les stupéfiants, en fonction et à la retraite, dans laquelle on peut lire ce qui suit :
Durant toute notre carrière, nous avons eu à appliquer les lois sur la marijuana; or, nous avons constaté combien leurs effets pervers causent des dommages, notamment la croissance du crime organisé et de la violence liée aux gangs.
N'est-ce pas là ce que nous tentons de combattre avec ce projet de loi? C'est pour le moins paradoxal.
Et puis il y a le coût. Demandez à Kevin Page, directeur parlementaire du budget. On lui a demandé de fournir au Sénat et à la Chambre des communes une analyse indépendante de l'état des finances du pays. Il a donné suite à une demande d'un député de l'autre endroit et s'est penché sur le coût de l'un des éléments du projet de loi, les peines d'emprisonnement avec sursis. Dans son rapport sur l'incidence financière des changements à l'admissibilité aux peines d'emprisonnement avec sursis au Canada, il conclut que, comme nous le soupçonnions, si le projet de loi C-10 avait été en vigueur en 2008-2009, le plan du gouvernement aurait entraîné une augmentation des coûts.
Ce que je trouve particulièrement révélateur, c'est sa conclusion selon laquelle environ 4 500 contrevenants ne seraient plus admissibles à une peine avec sursis et seraient donc passibles d'une peine de prison; et le coût moyen par contrevenant augmentera considérablement, passant d'environ 2 600 $ — à cause de ces peines légères — à 41 000 $. Le coût serait multiplié par 16. Cela vient de qui? Du directeur parlementaire du budget.
Le gouvernement a affirmé que ce projet de loi n'entraînerait aucune augmentation des coûts. Le directeur parlementaire du budget dit qu'il coûterait près de 8 milliards de dollars aux autorités fédérales, tandis que les provinces assumeraient des coûts plus élevés pour les poursuites, les tribunaux, les prisons et les audiences de libération conditionnelle.
D'autres pourront revenir là-dessus, mais, en Ontario seulement, on dit que cela coûtera un milliard de dollars.
Je suis également préoccupé au sujet des collectivités autochtones. En 2006, les Autochtones représentaient 3,1 p. 100 de la population adulte, mais 18 p. 100 des détenus dans les prisons provinciales et territoriales et 19 p. 100 dans les établissements fédéraux. Avec ces peines minimales, ces chiffres vont augmenter. Je trouve vraiment que c'est une honte.
Par ailleurs, j'ai lu avec intérêt les observations sur le projet de loi formulées par l'ancien député conservateur David Daubney. Il a récemment pris sa retraite du ministère de la Justice. Il a déjà présidé le Comité permanent de la justice qui, à son époque, a publié une étude sur la détermination des peines. Dans une interview publiée dans le Globe and Mail, il a dit : « La politique [du gouvernement] est fondée sur la peur — la peur des criminels et la peur des gens qui sont différents [...] Je ne crois pas que ce point de vue sévère soit généralisé. » Jusqu'à sa retraite en octobre, il était coordonnateur de l'équipe de réforme de la détermination des peines au ministère de la Justice.
J'ai toutefois constaté avec plaisir que le gouvernement a écouté notre brillant porte-parole à l'autre endroit qui est lui-même un ancien ministre de la Justice et, en conséquence, a proposé ces amendements; je lui en reconnais le mérite.
(1610)
Je veux également dire objectivement que je faisais partie du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme, et que j'ai apprécié le fait que le gouvernement a également tenu compte de notre rapport.
Toutefois, à une époque où le gouvernement prêche l'austérité et où il nous a déjà avertis qu'il y aurait des compressions dans le prochain budget, ce qui mettra en péril des emplois et des pensions, il est en train de se lancer dans des dépenses extravagantes et inconsidérées pour s'attaquer à un problème d'une manière fondée sur une idéologie, et non sur des faits concrets. Cela s'inscrit dans son programme d'achat d'avions et de construction de prisons. Je ne vais pas m'attarder sur la question des avions les plus chers au monde, mais j'aimerais simplement dire que je croyais que la guerre froide était terminée.
Le gouvernement fonde son fantasme de lutte contre le crime sur une mesure législative américaine qui a échoué, et il le fait aux dépens des Canadiens qui ne se sentent même pas menacés. Je sais que les sénateurs aborderont d'autres lacunes de ce projet de loi, mais je voulais prendre quelques instants pour affirmer que je ne crois pas que nous devrions imposer l'attribution de temps pour un tel projet de loi.
L'honorable Elizabeth Hubley : Honorables sénateurs, je suis profondément troublée par de nombreux aspects du projet de loi C- 10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. D'après les témoignages qui ont été rendus au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, il m'apparaît évident que ce projet de loi comporte encore de graves lacunes qui doivent être corrigées.
Je suis particulièrement préoccupée par les effets des peines minimales obligatoires sur nos prisons déjà surpeuplées, le manque d'accès à des programmes et à des services pour les détenus et le remplacement du principe voulant que les services correctionnels emploient les méthodes les moins restrictives possibles par la prise de mesures nécessaires et proportionnelles. Les prisons surpeuplées menacent la sécurité des détenus et du personnel des services correctionnels et nuisent à la réadaptation des délinquants.
Voici ce que Howard Sapers, l'enquêteur correctionnel, a dit à propos des prisons surpeuplées quand il a comparu devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles :
Plus les prisons seront surpeuplées, plus il sera difficile et coûteux d'en arriver à une solution tout en aidant les délinquants à vivre comme des citoyens respectueux des lois à leur mise en liberté.
Honorables sénateurs, beaucoup trop de détenus canadiens sont logés dans des installations qui ne répondent pas aux normes des Nations Unies, et certains détenus placés en isolement se retrouvent deux par cellule. C'est tout simplement inacceptable. Le surpeuplement va s'aggraver si nous adoptons ce projet de loi et ses dispositions sur les peines minimales obligatoires.
M. Sapers a aussi dit au comité que, outre le problème de surpeuplement, notre système correctionnel doit s'adapter au changement du profil des délinquants. Les membres du comité ont en effet appris que dans les prisons fédérales, un détenu sur cinq a au moins 50 ans; que, à leur admission, 36 p. 100 des détenus sont classés comme ayant besoin de soins psychologiques ou psychiatriques, ou d'un suivi; que 63 p. 100 des délinquants déclarent avoir consommé de l'alcool ou des drogues le jour où ils ont commis leur infraction; que 20 p. 100 sont d'origine autochtone; et que 9 p. 100 sont de race noire.
Honorables sénateurs, les délinquants qui ont des problèmes de santé mentale ou de toxicomanie et ceux qui ne possèdent pas l'éducation ou les compétences nécessaires à l'obtention d'un emploi doivent avoir accès à des programmes pendant leur incarcération. Ce qui est frustrant, c'est que l'enquêteur correctionnel a constaté que, dans toutes les prisons, il y avait davantage de détenus sur la liste d'attente pour ces programmes que de détenus participant à ces programmes.
Pour rendre les rues et les communautés plus sûres, il faut mettre l'accent sur le traitement et la réadaptation. La plupart des délinquants finissent par sortir de prison un jour, et lorsque cela se produit, les Canadiens méritent de savoir que ces délinquants possèdent les compétences nécessaires pour mener une vie productive et abandonner la criminalité.
J'ai bien peur que ce projet de loi mette trop l'accent sur les peines et le châtiments, et pas assez sur la réadaptation et la prévention. Kim Pate, directrice exécutive de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, a expliqué au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles que la majorité des femmes, des hommes et des jeunes qui sont en prison ont aussi été d'abord des victimes.
Honorables sénateurs, je crois que la prévention est le meilleur moyen de réduire la criminalité. Nous devons intervenir tôt afin de détourner les enfants vulnérables d'une vie de criminalité. C'est particulièrement important dans les collectivités où la pauvreté, le désespoir et la criminalité se transmettent d'une génération à l'autre.
En outre, je suis particulièrement préoccupée par la disposition qui remplacerait le principe selon lequel le service correctionnel doit employer les mesures les moins restrictives possible pour assurer la protection du public, du personnel et des délinquants par le principe qui fixe pour norme des mesures n'allant pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs visés. Cette modification donnerait aux gardiens de prison un pouvoir de recourir à la force beaucoup plus grand que celui qu'ils ont maintenant.
Honorables sénateurs, je crains fort que ce changement touche durement les détenus atteints de maladie mentale. Lorsque je songe aux conséquences de ce genre de changement sur les délinquants, je ne peux m'empêcher de penser aux personnes vulnérables, comme Ashley Smith. Je comprends qu'il peut être difficile pour le personnel des prisons de composer avec les détenus atteints de maladie mentale. Cela dit, il est impératif que nous continuions d'attendre d'eux qu'ils observent les normes les plus rigoureuses qui soient. Il est important de se rappeler que, lorsque nous incarcérons une personne, nous la privons temporairement de sa liberté, mais nous ne lui retirons pas ses droits en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.
Honorables sénateurs, l'enquêteur correctionnel a déclaré au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles qu'il s'inquiétait lui aussi des implications du changement qui est proposé et des messages qu'il transmet, sans compter que ce changement va à l'encontre du maintien d'un système correctionnel comptable, sûr et juste. Manifestement, des préoccupations persistent au sujet de cet aspect du projet de loi C-10 et de ses conséquences sur les détenus canadiens.
Je ne trouve pas que ces préoccupations ont été vraiment prises en considération. Compte tenu de ces préoccupations énormes quant à l'effet qu'auront les peines minimales obligatoires sur les prisons, qui sont déjà pleines, et sur les détenus atteints de maladie mentale, je ne peux appuyer ce projet de loi. Je pense que nous adoptons la mauvaise approche en matière de criminalité et que nos rues et nos collectivités n'en seront pas plus sûres.
[Français]
L'honorable Fernand Robichaud : Honorables sénateurs, je suis d'accord avec ma collègue, le sénateur Callbeck, pour dire que nous ne devons invoquer ce règlement que dans un cas où il y a une certaine urgence pour faire adopter un projet de loi, dans un premier temps, et que nous ayons pu nous entendre au sujet du nombre d'heures ou de jours accordés à l'étude de ce projet de loi.
L'honorable sénateur Wallace, lors de la présentation du rapport du comité, nous disait qu'un bon travail avait été fait, mais qu'on n'avait pas, par contre, pu entendre toutes les...
Son Honneur le Président : Je m'excuse, honorables sénateurs, je dois interrompre le sénateur Robichaud.
[Traduction]
Les deux heures et demie sont écoulées, je suis donc tenu de demander le vote.
L'honorable sénateur Carignan, avec l'appui de l'honorable sénateur Eaton, a proposé que, conformément à l'article 39 du Règlement, une seule période de six heures de débat de plus, au total, soit attribuée pour disposer à la fois de l'étape du rapport et de l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.
Et deux honorables sénateurs s'étant levés :
Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs.
Les deux whips sont debout.
Le sénateur Munson : Une heure.
Le sénateur Marshall : Une heure.
Son Honneur le Président : Comme le prévoit le Règlement, et les whips le confirment, le vote se tiendra à 17 h 20. La sonnerie retentira pendant cette période.
Ai-je la permission de quitter le fauteuil?
Des voix : D'accord.
(1720)
La motion d'amendement, mise aux voix, est adoptée.
POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS
Angus | Maltais |
Ataullahjan | Manning |
Boisvenu | Marshall |
Braley | Martin |
Brazeau | Meredith |
Brown | Mockler |
Buth | Neufeld |
Carignan | Ogilvie |
Cochrane | Oliver |
Comeau | Patterson |
Dagenais | Plett |
Demers | Poirier |
Di Nino | Raine |
Doyle | Runciman |
Duffy | Seidman |
Eaton | Seth |
Finley | Smith (Saurel) |
Fortin-Duplessis | Stewart Olsen |
Frum | Stratton |
Gerstein | Tkachuk |
Greene | Unger |
Housakos | Verner |
Lang | Wallace |
LeBreton | Wallin |
MacDonald | White—50 |
CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS
Baker | Losier-Cool |
Callbeck | Lovelace Nicholas |
Campbell | Mahovlich |
Chaput | Massicotte |
Cools | McCoy |
Cordy | Mercer |
Cowan | Merchant |
Dawson | Mitchell |
Day | Munson |
Downe | Nolin |
Dyck | Peterson |
Eggleton | Poulin |
Fraser | Poy |
Furey | Ringuette |
Harb | Robichaud |
Hervieux-Payette | Smith (Cobourg) |
Hubley | Tardif |
Jaffer | Zimmer—37 |
Joyal |
ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS
Aucun. |
Adoption du neuvième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles
L'ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Wallace, appuyée par l'honorable sénateur White, tendant à l'adoption du neuvième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois, avec des amendements et des observations), présenté au Sénat le 28 février 2012.
L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, avant de prendre la parole au sujet du projet de loi à proprement parler, je tiens à remercier le sénateur Wallace du travail qu'il a accompli à la présidence du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pendant l'étude de cette mesure législative complexe. J'ai participé à la plupart des audiences, notamment à toutes celles qui ont eu lieu au cours du marathon de la semaine dernière. Le comité a accompli du bon travail dans les limites des restrictions qui lui ont été imposées, grâce en grande partie au leadership exercé par le sénateur Wallace en tant que président et pour le sénateur Fraser à titre de vice-présidente. Nous leur en sommes tous reconnaissants.
Honorables sénateurs, comme nous l'avons entendu plus tôt cet après-midi, le gouvernement nous a imposé d'importantes contraintes, lesquelles ont considérablement nui à notre étude du projet de loi.
Plusieurs sénateurs connaissent bien la maxime « d'abord, ne pas nuire », qui est un précepte fondamental de l'éthique médicale. En tant que législateurs, nous serions bien avisés d'écouter cette maxime. Je suis convaincu que, si nous ne voulons pas nuire, nous n'avons d'autre choix que de rejeter le projet de loi C-10, car il aura un effet néfaste sur le système de justice pénale du pays et causera probablement des préjudices irréparables à de nombreux Canadiens.
M. Barry Stuart, ancien juge de la Cour territoriale du Yukon, a bien décrit le problème lorsqu'il a témoigné devant notre comité la semaine dernière. Voici ce qu'il a dit :
Enfin, le plus important, selon moi, est que [...] nous ne pouvons pas mettre en pratique une idée politique si elle ne se vérifie pas lorsqu'on la confronte aux meilleures données. Vous passez probablement davantage de temps à scruter l'information lorsque vous achetez un aéronef militaire que lorsque vous devez faire des choix concernant notre jeunesse [...] Vous devez prendre le temps de jauger clairement la question à la lumière des données. Si les données justifient les mesures, c'est parfait. Sinon, j'espère que vous aurez le courage de dire non.
Honorables sénateurs, nous devrions avoir le courage de dire non.
Malheureusement, comme je l'ai déjà dit aujourd'hui, on ne nous a pas donné, à nous et nos collègues de l'autre endroit, la possibilité d'étudier ce projet de loi aussi attentivement qu'il le mérite et l'exige.
(1730)
Le titre abrégé de ce projet de loi est « Loi sur la sécurité des rues et des communautés. » C'est un objectif que nous partageons tous. Qui ne souhaite pas la sécurité dans nos rues et nos communautés? Nous voulons tous que les gens qui violent la loi se voient infliger une peine juste et appropriée. Mais, lorsqu'on consulte honnêtement les témoignages que nous avons entendus, on doit conclure qu'en réalité, beaucoup de dispositions du projet de loi C-10 accroîtront l'insécurité dans nos rues et nos communautés et feront subir à des Canadiens des peines qui ne seront ni justes, ni appropriées.
Au cœur de ce projet de loi se trouve l'usage généralisé des peines minimales obligatoires, sur lesquelles le gouvernement mise énormément. Pourtant, ni le gouvernement, ni ses partisans n'ont produit une seule étude justifiant cette politique.
Permettez-moi de vous dire ce que montrent les études. Le centre de criminologie et d'études sociojuridiques de l'Université de Toronto publie un excellent périodique intitulé Criminological Highlights, qui est lu et considéré comme une source fiable d'information par des fonctionnaires fédéraux et provinciaux, des juges, des policiers, des avocats et des universitaires et qui compte des abonnés dans 35 pays.
En d'autres mots, il s'agit d'une publication respectée et appréciée dans le milieu international de la justice pénale. Pour le numéro de février 2010, des chercheurs ont examiné un large éventail d'études sérieuses sur l'effet de l'emprisonnement. Ils ont formulé un certain nombre de conclusions pertinentes. Premièrement, ils ont dit :
L'incarcération des délinquants qui pourraient faire l'objet de peines non privatives de liberté ne permet pas de réduire leur risque de récidive. Au contraire, l'incarcération pourrait même faire augmenter ce risque.
Deuxièmement, ils ont déclaré ceci :
Le fait d'incarcérer pour la première fois un délinquant fait augmenter son risque de récidive.
Troisièmement, ils ont conclu :
De nombreuses études ont révélé que les peines obligatoires n'ont aucune incidence sur les taux de criminalité. Les preuves montrent invariablement que ces peines nuisent à la responsabilité et au fonctionnement efficient du système de justice pénale.
Honorables sénateurs, il s'agit de conclusions importantes et, j'aurais cru, extrêmement pertinentes pour un gouvernement qui souhaite renforcer la sécurité des rues et des collectivités. Comme il dit mettre l'accent sur les résultats et la responsabilité, j'aurais pensé que le gouvernement souhaiterait éviter les résultats de ce genre. Au lieu de cela, le gouvernement s'affaire à réduire au silence toutes les voix discordantes qui refusent de se joindre au concert de louanges destiné à ses décisions idéologiques.
En mai dernier, le gouvernement Harper a cessé de financer cette publication de l'Université de Toronto. Pourtant, le montant n'était pas très élevé; je crois qu'il s'agissait d'environ 25 000 $ par année. Cependant, l'argent n'avait rien à voir avec cette décision, chers collègues, car nous avons tous pu constater que le gouvernement a tendance à financer uniquement les publications qui adhèrent à ses politiques et à cesser de subventionner celles qui osent être en désaccord avec lui.
Une voix : Ils souffrent d'une grande insécurité.
Le sénateur Cowan : Je crains fort que c'est ce qui s'est produit dans ce cas. Heureusement, le gouvernement libéral de l'Ontario a pris la relève, et cette publication très respectée pourra poursuivre ses activités.
En novembre 2010, The Sentencing Project, un organisme à but non lucratif bien connu, a publié un document intitulé Deterrence in Criminal Justice : Evaluating Certainty vs. Severity of Punishment. Il s'est penché sur des études ayant trait à la détermination de la peine, dont une méta-analyse canadienne portant sur 50 études qui remontaient à 1958 et qui touchaient un nombre total de 336 052 délinquants. Cet organisme a constaté que la décision d'incarcérer un délinquant au lieu de le garder dans la collectivité était associé à une augmentation de 7 p. 100 du taux de récidive. Autrement dit, chers collègues, l'emprisonnement d'un délinquant plutôt que son maintien dans la collectivité le rend beaucoup plus susceptible de récidiver, ce qui, évidemment, a pour effet de rendre nos rues et nos collectivités plus dangereuses, d'augmenter le nombre de victimes et de multiplier les coûts liés à la criminalité.
Certains sénateurs de ce côté-ci ont demandé à maintes reprises à madame le leader du gouvernement au Sénat quels étaient les coûts des projets de loi sur la criminalité de son gouvernement. Elle a toujours répondu que celui-ci était davantage préoccupé par les coûts pour les victimes. Eh bien, chers collègues, les preuves — les études véritables et sérieuses — sont éloquentes. Les politiques contenues dans le projet de loi C-10 qui imposeraient des peines d'emprisonnement minimales obligatoires et réduiraient la capacité des juges d'imposer une peine dans la collectivité sont des politiques qui augmentent en fait les risques d'actes criminels et le nombre potentiel de victimes. Si ce gouvernement se préoccupait vraiment des victimes de crimes et des coûts pour ces victimes, il retirerait ce projet de loi et en reprendrait l'élaboration.
Le fait est, honorables sénateurs, que les peines minimales obligatoires ne permettent pas de réduire la criminalité. Toutefois, l'imposition de ces peines a des conséquences très sérieuses sur le plan de la criminalité, car elle mine les fondements de notre système de justice pénale.
Soyons clairs. Il ne s'agit pas de la durée de la peine, même si le projet de loi contient quelques peines minimales obligatoires plutôt bizarres, des violeurs d'enfants devant recevoir des peines moins longues que certaines personnes condamnées pour une infraction liée aux drogues. Des défenseurs de ce projet de loi décrivent en détail certains crimes haineux tels que rapportés par les médias, puis demandent d'un air suffisant aux détracteurs du projet de loi : « Ne trouvez-vous pas que la peine est trop légère? » Là n'est pas la question, sénateurs. Je crois que ce genre d'arguments déforme le débat et occulte le véritable enjeu.
Graham Stewart — qui, jusqu'en 2007, était directeur exécutif de la Société John Howard — a bien décrit la situation : « L'opposition aux peines minimales n'est pas liée aux peines en soi, mais à qui décide des peines. »
Nous qui siégeons au Sénat, tout au haut de la colline, la Colline du Parlement, sommes-nous les mieux placés pour prévoir les tenants et les aboutissants de toutes les affaires dont un juge pourrait être saisi? Sommes-nous réellement en mesure de dire maintenant, des années peut-être avant la naissance même d'un délinquant, que c'est bien la peine minimale qu'il devrait recevoir?
Le sénateur Mitchell : C'est absurde.
Le sénateur Cowan : John Major, l'ancien juge de la Cour suprême, est un juriste éminent et respecté. Le gouvernement l'a même nommé pour diriger l'enquête sur la tragédie d'Air India. Le 15 décembre 2010, il a été interviewé dans le cadre de l'émission The Current, à la CBC. La question portait sur les peines minimales obligatoires. On lui a demandé s'il trouvait que c'était une bonne idée. Voici ce qu'il a répondu :
Non, je ne le crois pas. Il n'y a pas deux crimes identiques. La motivation n'est jamais la même. C'est comme vouloir réaliser la quadrature du cercle. À ma connaissance, deux étrangers n'ont jamais commis un crime de la même façon.
Le sénateur Tardif : C'est exact.
Le sénateur Cowan : Merlin Nunn, un juge à la retraite, a tenu à peu près les mêmes propos la semaine dernière à notre comité. Il a siégé durant 22 ans comme juge à la Cour suprême de la Nouvelle- Écosse. Voici ce qu'il a déclaré :
Je ne suis pas en faveur des peines obligatoires, car d'après mon expérience, les circonstances entourant une infraction donnée peuvent varier considérablement d'une personne à l'autre. En effet, si vous prenez cinq personnes différentes qui commettent la même infraction, les circonstances varieront considérablement.
Honorables sénateurs, le Canada possède un excellent système de justice pénale. En fait, c'est un modèle pour le reste du monde. L'un des principes fondamentaux de notre système, c'est qu'il veille à maintenir l'équilibre fragile des rôles, des pouvoirs et des responsabilités qu'assument la police, le procureur de la Couronne, l'avocat de la défense et le juge.
Un autre principe absolument fondamental, c'est qu'un juge décide de l'issue d'un cas en évaluant son bien-fondé et en jugeant la personne accusée qui se trouve devant lui ce jour-là. Ce n'est pas un système de justice universel. La justice pénale n'est pas un distributeur automatique : il ne suffit pas d'appuyer sur le bouton A1, B5 ou B6 pour obtenir une peine. D'ordinaire, les distributeurs automatiques proposent des aliments de mauvaise qualité. Par conséquent, nous devrions viser plus haut et veiller à ce que les procédures judiciaires au Canada soient de bonne qualité.
Graham Stewart nous a dit ce qui suit : « [...] la réalité, c'est que si la justice devient arbitraire, le public perd confiance. » Les peines minimales obligatoires sont, par définition, arbitraires. D'ailleurs, comme nous l'a dit M. Stewart, les Américains ont beaucoup moins confiance dans leur système judiciaire, truffé de peines minimales obligatoires, que les Canadiens dans le leur.
Je sais que les ministériels et leurs partisans n'aiment pas les allusions aux États-Unis. Ce n'est pas étonnant, mais c'est une simple mise en garde.
Comme M. Stewart nous l'a fait remarquer, lorsque nos voisins du Sud ont introduit les peines minimales obligatoires, leur but n'était pas de faire augmenter leur population carcérale. Au cours des années 1970, personne ne se doutait de l'incidence qu'aurait l'introduction de quelques peines minimales obligatoires. Ils souhaitaient accroître la sécurité publique et ils croyaient prendre les moyens nécessaires pour arriver à leurs fins.
(1740)
Honorables sénateurs, permettez-moi de lire des extraits du témoignage de M. Stewart sur les statistiques observées, qui sont pour le moins étonnantes :
De nos jours, un adulte américain sur 100 est en prison — je dis bien « est en prison » et non « a déjà été incarcéré » — un sur 100.
Parmi les hommes âgés entre 20 et 34 ans, un homme sur 30 est incarcéré — un homme sur 30 et, parmi les hommes noirs du même âge, c'est un homme sur neuf.
Au Vermont, au Michigan, en Oregon, au Connecticut et au Delaware, les budgets alloués aux services correctionnels sont maintenant plus importants que ceux alloués à l'éducation postsecondaire. Aux États-Unis, chaque classe compte deux enfants qui ont un parent en prison. La différence entre les taux d'incarcération aux États-Unis et au Canada découle de plusieurs facteurs, mais elle s'explique principalement par la politique de détermination de la peine, et notamment par les peines minimales obligatoires.
M. Stewart a aussi dit ceci :
Alors qu'aux États-Unis, la tendance était nettement aux peines minimales obligatoires, le Canada, dirigé successivement par des gouvernements d'allégeance politique différente, a évité les conséquences néfastes qu'une telle démarche comportait. En effet, le Canada a plutôt élaboré de solides politiques de détermination de la peine qui reflétaient les valeurs des Canadiens et a laissé aux juges le soin de décider des peines.
La semaine dernière, nous avons tous reçu une lettre extraordinaire de la part d'un organisme américain nommé Law Enforcement Against Prohibition, signée par des chefs de police à la retraite, des juges, des procureurs, des directeurs d'établissements carcéraux, des agents de la paix, des conseillers législatifs et par des agents des services fédéraux des douanes et de l'immigration. Les signataires se disent très inquiets de voir que les dispositions proposées dans la partie antidrogue du projet de loi C-10 sont très semblables à certaines mesures qui se sont révélées aux États-Unis de « coûteux échecs », pour reprendre leurs propres termes.
Ils déclarent dans leur lettre :
Ces politiques ont épuisé les budgets des États. Les fonds publics, qui sont limités, servent à incarcérer, à des taux record, des auteurs d'infractions non violentes liées aux drogues au lieu de financer des programmes qui permettent vraiment d'améliorer la sécurité des collectivités.
Honorables sénateurs, les pays qui ont instauré des peines minimales obligatoires remettent en question ces politiques et, dans certains cas, font marche arrière. Ils constatent avec incrédulité que, faisant fi des preuves, nous nous engageons dans une voie qui s'est révélée, à leurs dépens, un échec et qui leur a coûté tant de vies et de fonds publics.
Pas plus tard que cette semaine, Louise Arbour, ancienne juge à la Cour suprême du Canada et actuelle commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, Richard Branson, célèbre fondateur du Groupe Virgin, Fernando Henrique Cardoso, ancien président du Brésil, Ruth Dreifuss, ancienne présidente et ministre de l'Intérieur de la Suisse et Thorvald Stoltenberg, ancien ministre des Affaires étrangères de la Norvège et actuel haut-commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, ont envoyé une lettre ouverte à tous les sénateurs au nom de la Commission mondiale sur les politiques en matière de drogue.
Cette commission compte aussi, entre autres membres, George Shultz, ancien secrétaire d'État des États-Unis, et Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale américaine.
Les signataires nous invitent instamment à rejeter les peines minimales obligatoires et à voter contre le projet de loi C-10. Je cite un passage de la lettre :
Les États-Unis, dans le cadre de leur programme de lutte antidrogue qui s'est révélé inefficace, ont pendant des décennies construit de nouvelles prisons. Cette politique n'a fait qu'aggraver le problème de la drogue et n'a réduit ni l'approvisionnement en cannabis ni le taux de consommation. [...] Le Canada, qui envisage d'adopter le projet de loi C-10 prévoyant l'instauration de peines minimales obligatoires pour les auteurs d'infractions mineures liées au cannabis, s'apprête à reproduire les graves erreurs que d'autres pays ont commises et à s'engager dans une voie qui s'est révélée destructrice et inefficace.
John Paul Stevens, qui a été juge à la Cour suprême des États- Unis de 1975 à 2010, a écrit un article fascinant dans l'édition de novembre 2011 du périodique New York Review of Books. Il y fait le compte rendu d'un essai de William Stuntz sur l'effondrement du système de justice américain intitulé The Collapse of American Criminal Justice. Je vous en lis un paragraphe :
Au lieu de mettre l'accent sur certaines lois criminelles en particulier, cet ouvrage est axé sur l'importance du rôle joué par les différents décideurs dans l'administration de la justice pénale. Stuntz déplore le fait que les lois pénales ont limité le pouvoir discrétionnaire qui permet aux juges et aux jurés de prendre des décisions justes dans chaque cas, tandis que la prolifération de ces lois et leur portée ont donné un tel pouvoir discrétionnaire aux procureurs et aux policiers en ce qui concerne l'application de la loi que ces derniers peuvent ainsi définir la loi sur le terrain.
Beaucoup de gens prédisent que c'est exactement ce qui se produira ici aussi.
Comme je l'ai dit il y a quelques instants, notre système de justice criminelle est fondé sur un délicat équilibre entre le rôle joué par les policiers, les procureurs, les avocats de la défense et les juges. Le projet de loi C-10 modifierait cet équilibre de façon draconienne, et rien ne prouve que les choses changeraient pour le mieux. Je m'explique.
Sachant que les juges auront perdu tout pouvoir discrétionnaire quant au choix de la peine d'emprisonnement pour un crime donné, ce seront maintenant les procureurs qui jouiront de ce pouvoir discrétionnaire et, en fait, les policiers, car ce sont eux qui détermineront les accusations qui devront être portées contre une personne, qu'il s'agisse d'un crime passible d'une peine minimale obligatoire ou d'un autre crime, de même que les modalités de ces accusations. Selon les témoins entendus par le comité, cette situation fera en sorte qu'on négociera beaucoup plus souvent des plaidoyers, car les contrevenants accepteront d'enregistrer un plaidoyer de culpabilité pour une infraction moindre afin d'éviter d'être condamnés à une peine minimale obligatoire.
Cela relève du pouvoir discrétionnaire procureur de la Couronne, et on s'en remettra également de plus en plus au pouvoir discrétionnaire des policiers. En fait, certains sénateurs d'en face ont mentionné fièrement les déclarations faites par des représentants des services policiers pendant les audiences. Même si le projet de loi C-10 impose des peines minimales obligatoires dans certaines situations — par exemple lorsqu'une personne offre à un ami de la drogue au cours d'une fête, sans demander d'argent en contrepartie, et ce, que l'ami en question accepte ou non cette offre —, on nous a dit de ne pas nous inquiéter, car les policiers ont donné l'assurance qu'ils ne porteraient pas d'accusations contre cette personne.
Honorables sénateurs, on nous demande de retirer aux juges leur pouvoir discrétionnaire, alors qu'ils possèdent les compétences nécessaires pour l'exercer de manière impartiale et objective, afin de donner ce pouvoir aux policiers.
Le sénateur Tardif : C'est incroyable.
Le sénateur Cowan : Il ne fait aucun doute que la plupart des policiers exerceront ce pouvoir discrétionnaire dans l'intérêt public, dans leur optique à eux. Cependant, au cours des dernières années, trop fréquemment, des policiers ont abusé de leur pouvoir discrétionnaire et, ce faisant, ont trahi la confiance du public.
Croyons-nous vraiment que les Canadiens préfèrent donner plus un plus grand pouvoir discrétionnaire à la police plutôt que de laisser les juges déterminer des peines justes et appropriées?
Le projet de loi C-10 pose aussi un problème grave en ce qu'il repousse les limites de notre système de justice pénale plus loin que jamais auparavant. Le juge Barry Stuart a déclaré dans son témoignage que si tout le monde plaidait non coupable, le système de justice pénale serait tout bonnement paralysé. Il n'a tout simplement pas la capacité de traiter un volume pareil de procès. Quand on est accusé d'une infraction qui entraîne une peine minimale obligatoire de prison, quel intérêt y a-t-il à plaider coupable?
Les témoins de l'Association du Barreau canadien, qui regroupe les avocats de la défense et de la Couronne, nous ont dit de façon très claire que le projet de loi C-10 allait entraîner une surcharge de travail démesurée pour les responsables de la justice pénale. Daniel MacRury, président de la Section nationale du droit pénal de l'Association du Barreau canadien a déclaré dans son témoignage, en parlant de la Nouvelle-Écosse :
Le marchandage de plaidoyer est une réalité. Dans notre province, il n'y a qu'environ 15 p. 100 des dossiers qui donnent finalement lieu à un procès.
C'est bien 15 p. 100.
S'il y a davantage de dossiers qui donnent lieu à un procès, je me demande comment nous ferons.
Je voudrais aussi parler du rôle des victimes et de leurs intérêts. Je regrette que le sénateur Boisvenu ne soit pas là pour entendre cela. Le gouvernement a prétendu qu'il se préoccupait par-dessus tout des intérêts et des droits des victimes. Malheureusement, je crois qu'il crée des attentes illusoires que ce projet de loi ne permettra pas de combler.
Tout d'abord, on nous promet que les peines minimales obligatoires vont faire baisser la criminalité de sorte qu'il y aura moins de victimes à l'avenir. Honorables sénateurs, cela ne concorde pas du tout avec les faits. Au contraire, les meilleures preuves et les meilleures études, qui n'ont été contredites ni par les témoignages ni par les études présentées par le gouvernement, montrent que les peines minimales obligatoires entraîneront un recul de la sécurité publique à long terme et une hausse de la criminalité, et qu'il y aura donc plus de victimes.
On nous a dit et répété que les victimes voulaient participer au processus pénal. Je crois qu'elles risquent d'être déçues, car il y aura tellement de pression sur les tribunaux qu'il y aura, comme je l'ai déjà dit, une foule de négociations de plaidoyers, d'arrangements à huis clos dont seront exclues les victimes, ultimement de non-lieux parce que la liste des affaires à traiter sera beaucoup trop longue.
(1750)
Steve Sullivan a été le premier ombudsman des victimes d'actes criminels nommé par le gouvernement Harper. Il ne mâche pas ses mots, qu'il soit ou non d'accord avec le gouvernement. Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'il n'ait pas été reconduit à ce poste.
Le sénateur Cordy : Quelle surprise!
Le sénateur Cowan : Malheureusement, il n'a pas eu l'occasion de comparaître devant notre comité, mais il a témoigné au comité de l'autre endroit. Voici une partie de son témoignage, et n'oubliez pas qu'il s'agit bien de l'ombudsman des victimes :
Travaillant en première ligne et ayant l'occasion de discuter de ces enjeux avec de nombreux collègues et membres de nos réseaux, je trouve que les questions abordées dans le projet de loi ne sont pas celles qui reviennent le plus souvent lorsque nous parlons des problèmes quotidiens des victimes d'actes criminels.
Il a ajouté par la suite que :
Je crains fort [...] que la charge de travail des procureurs de la Couronne ne devienne beaucoup plus lourde. Ils auront à s'occuper d'un plus grand nombre de procès, de transactions pénales et de suspensions d'instances. Cela n'aidera pas les victimes qui demandent justice.
Jamie Chaffe, de l'Association canadienne des juristes de l'État, nous a prévenus que le surcroît de travail que va occasionner le projet de loi C-10 « aura un effet négatif sur la sécurité des Canadiens, sur le principe de la primauté du droit et sur la confiance de la population dans l'administration de la justice au Canada. »
Voici ce que nous a dit M. MacRury, de l'Association du Barreau canadien :
Les gens vont chercher les poursuivants et essayer de les amener à décider de procéder par voie de déclaration sommaire de culpabilité et non pas par voie de mise en accusation alors qu'il s'agit manifestement d'un acte criminel. Cela vous place dans une situation où vous êtes tenté d'effectuer ce choix pour éviter une injustice. Je ne pense pas qu'un tel résultat soit juste parce qu'en fin de compte il faut expliquer à la victime, par exemple, que vous procédez par voie sommaire. Ce n'est pas non plus équitable pour la victime. Ce sont tous des gens que le système doit traiter de façon équitable et nous devons être transparents dans ce domaine. Ce qui m'inquiète, c'est que ce processus est transparent à l'heure actuelle, parce que cela se passe ouvertement en salle d'audience, mais si nous encourageons ce que j'appelle le « marchandage du choix », ce qui arrivera avec ce projet de loi, cela ne me paraît pas non plus très sain.
Avec le projet de loi C-10, le gouvernement Harper applique au système de justice pénale la même définition orwélienne de la transparence qu'il applique au gouvernement lui-même.
Honorables sénateurs, je souhaite également parler de ce que certains d'entre nous ont appelé la « fausse dichotomie » entre la victime et le délinquant. En réalité, les faits montrent que rien n'est tout à fait noir ni tout à fait blanc — il arrive trop souvent que les délinquants aient déjà été des victimes. Kim Pate, de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, nous a livré un témoignage fort éloquent à cet égard :
Au Canada, de nombreux rapports attestent de la surreprésentation des Autochtones qui ont d'abord été des victimes. J'ai déjà mentionné devant le comité que Service correctionnel Canada a constaté que 91 p. 100 des femmes qui purgent des peines fédérales ont été victimes de violence et que bon nombre d'entre elles sont peut-être incarcérées parce qu'elles se sont défendues ou qu'elles ont réagi à des actes de violence. Malgré cela, aucune différence n'est établie une fois qu'elles entrent dans le système, et le fait de mettre en place des mesures punitives encore plus sévères pour les crimes qu'elles ont commis ne les aidera pas, ni elles ou ni d'autres.
Plus tard, en réponse aux questions du sénateur Dagenais, elle a expliqué en détail qu'il faut agir davantage sur les déterminants de la criminalité en intervenant plus tôt :
[...] de meilleurs services sociaux et des approches plus universelles, en passant par exemple par l'amélioration des programmes scolaires et des programmes de loisirs, tout ce qui, nous le savons, fait en sorte que les jeunes sont moins susceptibles de devenir des proies faciles ou de participer à des activités criminelles.
D'abondantes données indiquent que les Canadiens autochtones subiront de façon disproportionnée les répercussions de ce projet de loi. Comme nous l'avons entendu, ils sont déjà nettement surreprésentés dans nos prisons. Bien qu'ils ne forment que 4 p. 100 de la population générale, ils constituent près du quart de la population carcérale. Dans l'Ouest du pays, les statistiques sont encore plus criantes. En Saskatchewan, les Canadiens autochtones forment 11 p. 100 de la population, mais 81 p. 100 des nouveaux détenus admis dans les prisons. Comme l'a répété à plusieurs reprises Shawn Atleo, chef national de l'Assemblée des Premières Nations, les enfants de certaines communautés autochtones risquent davantage de finir en prison que de finir leurs études secondaires.
Le juge Barry Stuart a une longue expérience des délinquants autochtones. Il a été honnête avec nous : il n'est pas contre l'utilisation des peines d'emprisonnement. Toutefois, sa longue expérience lui a enseigné que la prison seule est inefficace. Elle doit être utilisée conjointement avec des formes de soutien communautaire, ce qui exige des ressources communautaires.
De plus, le juge Stuart est maintenant membre du Smart Justice Network, une coalition non partisane de Canadiens dotés d'une vaste expérience qui œuvrent en faveur d'un système de justice pénale amélioré et fondé sur des données probantes. Il a pris la parole à une conférence de presse tenue après sa comparution devant notre comité. Il a expliqué avoir vu à plusieurs reprises des enfants qui avaient été retirés de leur famille et placés, avec les meilleures intentions du monde, se retrouver devant un tribunal pour adolescents. Pendant de sa comparution devant le comité, il a cité des chiffres à l'avenant. Il nous a dit qu'après avoir quitté son poste de magistrat, il avait rendu visite en prison à certains de ses « clients », comme il les appelle. À l'occasion de l'une de ces sessions, les détenus ont formé un cercle. Il a demandé à ceux qui avaient été placés de lever la main. Des 27 criminels présents — cela se passait dans un pénitencier à sécurité maximale —, plus des trois quarts avaient été placés.
Le juge Stuart croit fermement que nous dépensons beaucoup trop d'argent au bout du processus — pour la justice pénale et le système carcéral —, et beaucoup trop peu au début, là où les problèmes commencent.
M. Michael Jackson, professeur à la faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique, nous a dit que la prison est devenue pour les jeunes hommes et les jeunes femmes autochtones l'équivalent des pensionnats pour leurs parents et leurs grands-parents. Il a déclaré : « La promesse d'une société juste n'était pas une éducation collégiale, mais une peine dans un pénitencier fédéral. »
Honorables sénateurs, plusieurs d'entre nous étaient présents lorsque le premier ministre a présenté des excuses historiques, longtemps attendues, et profondément émouvantes aux Canadiens autochtones en rapport avec les pensionnats. Cependant, les excuses ne sont pas suffisantes. Nous ne pouvons pas passer des excuses à l'indifférence aux conséquences de cette époque terrible pour les Canadiens autochtones aujourd'hui. Nous ne pouvons pas jeter de plus en plus d'Autochtones en prison, alors qu'il y a de fortes preuves qu'il y a un lien entre les deux. Quand cela va-t-il s'arrêter? Les pensionnats semblent avoir enclenché un cycle terrible de victimisation et de criminalité. Des mesures comme le projet de loi C-10 auront-elles pour effet d'envoyer un nombre toujours croissant de Canadiens autochtones derrière les barreaux et de perpétuer ce cycle pour leurs enfants? S'il y a une situation qui a montre que la justice n'est pas un système « à taille unique », c'est bien celle-là.
Il existe un autre problème lié au fait que le gouvernement actuel dispense la justice avec la même intelligence qu'une machine distributrice : l'incidence de cette mesure pour les Canadiens atteints de maladie mentale.
Howard Sapers, l'enquêteur correctionnel du Canada, s'est exprimé en ces termes :
[...] à mon sens, la vraie question est de savoir comment réagir au fait que les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais que certains criminels sont des malades.
Permettez-moi de vous citer certaines statistiques tirées du mémoire du Dr John Bradford, professeur de psychiatrie à l'Université d'Ottawa et membre du Groupe de services de santé du Royal d'Ottawa.
Trente-huit pour cent des hommes évalués dans une prison fédérale affichaient des symptômes de problèmes de santé mentale, et 78 p. 100 des hommes ayant participé à certaines études souffraient d'une grave dépendance à l'alcool. Les statistiques relatives aux femmes sont encore pires. Soixante-dix-huit pour cent avaient des problèmes de toxicomanie et 70 p. 100 environ avaient des problèmes liés à la consommation d'alcool. Le pourcentage de troubles mentaux ou de tentatives de suicide antérieures était extrêmement élevé, soit 41 p. 100.
Honorables sénateurs, ces personnes ont besoin de traitement, et non d'un séjour en prison. D'après le témoignage de M. Sapers et d'autres intervenants, nous savons que nos prisons ne sont tout simplement pas équipées pour fournir un traitement adéquat aux personnes qui en ont besoin, et franchement, elles ne devraient pas l'être. Je ne m'attends pas d'un hôpital qu'il fournisse des services correctionnels, et les Canadiens ne devraient pas être envoyés en prison pour recevoir des services de santé mentale.
Nous avons entendu un témoignage très solide de M. Derek Mombourquette, vice-président de l'Association canadienne des commissions de police. Je vais lire un court extrait de son mémoire au comité :
En 2012, nous sommes aux prises avec une situation où les policiers doivent à la fois maintenir l'ordre et s'occuper de ceux qui sont atteints de troubles mentaux. En effet, les policiers, qui sont formés pour maintenir l'ordre, sont toujours, par défaut, les intervenants de première ligne auprès des personnes qui ont des problèmes de santé mentale. Alors que les collectivités parviennent difficilement à s'assurer des services policiers suffisants et durables, on détourne des ressources policières pour s'attaquer à des problèmes qui seraient mieux gérés par un système de soins de santé.
(1800)
M. Mombourquette a conclu ainsi ses observations :
Malheureusement, pour les personnes atteintes d'une maladie mentale, les établissements correctionnels sont devenus les établissements de soins de santé mentale du XXIe siècle.
Honorables sénateurs, les faits montrent de façon évidente que le projet de loi C-10 ne fera qu'aggraver ces problèmes. Apparemment, le sénateur Boisvenu était prêt à l'accepter. L'autre jour, au comité, il a déclaré que nos établissements de soins de santé mentale ne sont pas en mesure de soigner toutes les personnes atteintes d'une maladie mentale et qu'il est donc acceptable d'envoyer les patients excédentaires en prison. De cette façon, on protège les Canadiens contre ces personnes.
Le gouvernement est-il de l'avis du sénateur Boisvenu? Partage-t- il son avis sur les traitements et les soins réservés aux personnes atteintes d'une maladie mentale? Ce que le sénateur décrit n'est certainement pas une vision de la justice que les sénateurs de ce côté- ci de la Chambre pourraient reconnaître et appuyer.
N'oublions pas que les coûts liés à cette campagne de punition et de vengeance feront en sorte que les provinces auront moins d'argent pour soigner les personnes atteinte d'une maladie mentale, ce qui leur éviterait d'être mises en prison.
Honorables sénateurs, en 2007, le ministère de la Justice a mené un sondage pour connaître l'opinion des Canadiens au sujet du système de justice pénale. Il a demandé aux répondants d'indiquer l'objectif le plus important dans la détermination de la peine. Les résultats étaient frappants. Parmi les sept objectifs, la réadaptation des délinquants figurait au premier rang. Moins de 2 p. 100 des répondants ont choisi la dénonciation, qui s'est classée au tout dernier rang.
Cependant, pendant nos audiences, nous avons entendu des témoignages très troublants sur les difficultés qu'éprouvent actuellement nos prisons lorsqu'il s'agit de fournir aux détenus les programmes et les traitements dont ils ont besoin.
Voici ce qu'avait à dire Howard Sapers, qui, rappelons-le, est l'enquêteur correctionnel du Canada :
J'ai dressé un portrait de la participation des détenus aux programmes en date du 1er février. J'ai découvert qu'à cette date, le pénitencier de Kingston comptait 356 détenus, dont seulement 47 participaient à un programme correctionnel de base, et que 177 personnes étaient sur la liste d'attente.
Toujours en date du 1er février, l'établissement de Bowden en Alberta hébergeait 579 détenus; 102 d'entre eux, soit moins de 20 p. 100, participaient à un programme correctionnel de base et 163 étaient sur la liste d'attente. À Collins Bay, où on comptait 466 détenus, seulement 42 d'entre eux, soit moins de 10 p. 100, participaient à un programme correctionnel de base, et la liste d'attente comprenait près de 180 noms.
À l'heure actuelle, les détenus qui désirent améliorer leur sort ne peuvent pas le faire en raison d'un manque de ressources. Le projet de loi C-10 mettra davantage de pression sur les services correctionnels et rallongera encore les listes d'attente.
En quoi cela favorisera-il la sécurité publique? En quoi cela rendra-t-il nos rues et nos collectivités plus sécuritaires? Nous savons que le pénitencier peut servir d'école du crime aux délinquants non violents qui en sont à leur première infraction et apprennent les ficelles de la criminalité auprès de criminels endurcis. Nous savons aussi que nous ne fournissons pas aux détenus les programmes et les traitements dont ils auraient besoin, à notre avis, pour pouvoir retourner dans leur collectivité en toute sécurité.
Honorables sénateurs, ces délinquants seront remis en liberté tôt ou tard et, selon des données concluantes, ils seront alors plus dangereux pour le public qu'ils ne l'étaient à leur arrivée en prison.
Certains d'entre vous ont peut-être écouté l'émission radiophonique The Current, diffusée ce matin à la radio de la CBC. J'aimerais vous répéter une conversation qui m'a paru remarquable. Il s'agit d'une entrevue avec Rob Sampson, qui était ministre des Services correctionnels dans le gouvernement Harris. Je crois qu'il avait succédé au sénateur Runciman à ce poste. Il est aussi l'auteur d'une feuille de route sur laquelle le gouvernement et le Service correctionnel du Canada se sont appuyés pour élaborer le projet de loi C-10.
L'autre participant du panel était Eric Sterling, qui était conseiller juridique auprès du comité judiciaire de la Chambre des représentants des États-Unis quand ce pays s'est tourné vers les peines minimales obligatoires, un changement qu'il considère maintenant comme une erreur colossale.
J'aimerais vous lire un extrait de cette conversation. Commençons par M. Sampson :
Dans le système ontarien et même dans le système fédéral, actuellement, le niveau d'instruction moyen est environ un secondaire deux. Je dirais que de 80 à 90 p. 100 des détenus dans les prisons ontariennes ne sont pas employables et que la proportion est à peu près semblable dans les pénitenciers fédéraux. Ils ne possèdent littéralement aucune compétence qui leur permettrait de trouver un emploi. Par conséquent, que la justice les condamne à six mois de détention à domicile, puis qu'on les renvoie vivre dans la société ne les aide aucunement. Et vous savez quoi? Ils récidivent. Pourquoi? Parce que la meilleure façon qu'ils connaissent de gagner de l'argent consiste à livrer de la drogue.
ANNA MARIA TREMONTI : Mais s'ils...
ROBERT SAMPSON : Ils [inaudible] d'occuper un emploi.
Je présume qu'il a dit qu'ils sont incapables d'occuper un emploi.
... ils ne possèdent aucune compétence leur permettant d'occuper un emploi. Par conséquent, le système doit les prendre en main assez longtemps pour leur permettre d'acquérir les compétences nécessaires et de les outiller.
ANNA MARIA TREMONTI : Vous dites donc qu'ils devraient aller en prison pour apprendre un métier?
ROBERT SAMPSON : Ils devraient aller en prison pour avoir l'occasion de transformer leur vie et d'échapper au cercle vicieux dans lequel ils se trouvent. C'est le problème. Nous... Les peines courtes ne donnent pas assez de temps au système pour aider ces gens. Un secondaire deux! Combien de temps vous a-t-il fallu pour faire vos études secondaires? Six semaines? Six mois? Non! Il faut du temps pour aider ces gens à se rendre compte que vendre et consommer de la drogue n'est pas une bonne façon de gagner sa vie!
Après un moment de silence, sans intervention d'Anna Maria Tremonti, M. Sterling a ajouté ceci :
En tout respect, je vous dirais qu'il me paraît absurde de vouloir se servir des peines minimales obligatoires comme moyen de former des toxicomanes sans instruction pour qu'ils puissent se rendre de la deuxième année du secondaire jusqu'au cégep en un an ou deux. Aux États-Unis, nous avons constaté qu'en remplissant nos prisons jusqu'à ce qu'elles soient surpeuplées, nous avons dû consacrer tellement d'argent à la sécurité qu'il ne nous en est plus resté pour la formation et la réadaptation.
C'était ce matin.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 comprend en outre d'importantes modifications à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Vous vous rappellerez la visite à Ottawa du ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, qui a demandé au gouvernement de renoncer à certaines de ces modifications. Il a souligné les bons résultats obtenus avec l'approche du Québec, qui est axée sur la réadaptation plutôt que sur l'incarcération. Il a rencontré le ministre de la Justice, Rob Nicholson, mais a dû rentrer bredouille. Le gouvernement fédéral a refusé d'écouter ses arguments. Voici ce qu'il a déclaré alors :
Ce qu'on nous propose aujourd'hui n'est pas la répression de la criminalité; c'est la répression de la démocratie.
Le ministre Fournier a affirmé avoir demandé au ministre Nicholson les études sur lesquelles le gouvernement s'était fondé pour apporter les modifications proposées dans le projet de loi C-10. Il est question ici du système de justice pénale pour les adolescents. Aucune étude ne lui a été fournie.
Par la suite, le ministre Nicholson a effectivement présenté un document — un seul — pour étayer la position du gouvernement. Il s'agit du rapport de la Commission d'enquête Nunn, qui a été présenté par le juge Merlin Nunn, un ancien juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse.
Le juge Nunn a été très clair lorsqu'il a comparu devant le comité. Il appuie, comme nous tous, certaines modifications qui seront apportées par le projet de loi C-10, mais il s'oppose vigoureusement à un certain nombre de dispositions importantes. Il a affirmé que les jeunes délinquants — les adolescents délinquants — sont fondamentalement différents des délinquants adultes. Les juger comme des adultes n'a aucun sens, ça ne fonctionne tout simplement pas. Je le cite : « [...] l'expérience a révélé que la détention ne menait à rien de concluant. » Pourtant, à cause du projet de loi C-10, davantage de jeunes seront incarcérés. Le juge Nunn s'est catégoriquement opposé à l'ajout envisagé des principes de dissuasion et de dénonciation dans la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Il a nous a raconté l'histoire d'un délinquant qui avait été déclaré coupable — il s'agissait du sujet de son enquête — et détenu dans l'établissement correctionnel pour adolescents de Waterville, en Nouvelle-Écosse. Comme l'a décrit le juge Nunn, tout se déroulait bien pour l'adolescent : il suivait des cours de natation donnés par la Croix-Rouge, il apprenait la guitare et découvrait les joies de la lecture. Il songeait à aller dans l'Ouest et à suivre des cours pour devenir électricien. Puis, il a atteint l'âge de 18 ans, et il a été transféré dans une prison pour adultes.
(1810)
Le juge Nunn a dit ce qui suit :
C'est tout simplement un endroit épouvantable où envoyer un jeune homme. On lit toutes sortes d'histoires sur ce qui se passe dans ces prisons, mais on les oublie. J'imagine que l'on reconnaît que ces incidents se produisent, mais personne n'y prête beaucoup d'attention. Je pense que c'est la raison pour laquelle il a eu des ennuis lorsqu'il est sorti de prison. Il a oublié ce qu'il avait appris dans le cadre du programme de réadaptation qu'il avait suivi au centre de détention juvénile.
Ce jeune homme n'est pas allé dans l'Ouest pour apprendre à devenir électricien. Il a plutôt été arrêté trois ou quatre fois depuis sa libération. Honorables sénateurs, est-ce ainsi que nous rendons nos rues et nos collectivités plus sûres? Je ne crois pas.
Le rapport Nunn est la seule étude que le ministre de la Justice a produite à l'appui de ses changements. L'auteur s'est empressé de faire remarquer que les changements allaient trop loin. Voici ce que le sénateur Angus a dit au juge Nunn : « On dirait que nous sommes allés un peu au-delà de vos recommandations. »
Plusieurs témoins nous ont avertis que les dispositions du projet de loi relatives au système de justice pénale pour les adolescents ne constituent pas un pas dans la bonne direction pour la justice criminelle ou la sécurité publique. Nous avons entendu le témoignage de représentants d'UNICEF Canada. Voici ce qu'ils disaient dans leur mémoire :
Pour bon nombre des changements proposés, rien n'indique qu'ils renforceront la sécurité publique ou réduiront la criminalité chez les jeunes. En fait, ils risquent d'avoir l'effet contraire.
Les représentants de l'UNICEF nous ont parlé d'une table ronde pancanadienne organisée par le ministre de la Justice en 2008. De nombreuses personnes y ont participé, dont des membres de la magistrature, des procureurs, des avocats de la défense et de l'aide juridique, des policiers, des agents de la GRC, des universitaires, des représentants d'ONG, des psychologues, des chercheurs, des intervenants dans des programmes de santé mentale chez les jeunes et de justice pour les adolescents, des défenseurs des enfants et des jeunes et des fonctionnaires des divers gouvernements provinciaux et territoriaux. Le rapport de la table ronde a résumé les observations des participants ainsi :
La vaste majorité des participants estiment que ce qu'ils considèrent comme des lacunes ne sont pas dans la loi [...]
On parle ici de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
[...] c'est plutôt le système qui a des lacunes. Toute modification devrait s'appuyer sur des données et résulter d'un processus aussi mûri que celui qui a mené à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
C'était le consensus généralisé parmi tous ceux qui travaillent en première ligne du système de justice pénale pour les adolescents. Le gouvernement Harper a-t-il accordé la moindre importance à leurs années d'expérience? Non, de toute évidence, parce qu'au lieu de changements conformes aux données recueillies, on nous a présenté des modifications idéologiques à la loi. Le processus n'a pas du tout été mûri : nous avons, au contraire, été obligés d'envisager ces modifications dans le cadre d'un projet de loi omnibus sur la criminalité en neuf parties adopté à la sauvette au Parlement, de manière à respecter l'échéance tout à fait arbitraire et artificielle de 100 jours décrétée par le premier ministre.
Des sénateurs de l'autre côté ont pris la défense du projet de loi en soutenant qu'il cible les jeunes qui commettent des délits graves et violents à répétition. Le problème, c'est qu'il va beaucoup plus loin. Donc sa forme actuelle, il comprend bien d'autres infractions. Un témoin, le Dr Joel Watts, de l'Institut Philippe-Pinel de Montréal, l'a comparé à la pêche à la drague. Il a déclaré :
[...] on prendrait peut-être les personnes qu'on cherche à attraper, mais on en prendrait aussi qui pourraient venir embourber inutilement notre système de justice pénale.
Il parlait du fait que le projet de loi prendrait dans ses filets des personnes atteintes de maladie mentale, mais je crois que ses observations s'appliquent tout autant à bien d'autres éléments du projet de loi.
En ce qui concerne les dispositions relatives à la justice pénale pour les adolescents, le mémoire de l'UNICEF était absolument sans équivoque. On peut y lire ceci :
Ils cherchent à mettre au pas les délinquants les plus violents, mais ils ratissent trop large. Il faut prendre les crimes violents au sérieux, mais les modifications proposées feront emprisonner davantage de jeunes pour des crimes beaucoup moins graves. Ce n'est pas difficile pour les adolescents d'entrer dans le système pénal, mais une fois qu'ils y sont il est loin de leur être facile d'en sortir.
Nos jeunes méritent certainement mieux qu'un gouvernement qui a pour unique politique à leur endroit de punir plus sévèrement leurs erreurs.
Honorables sénateurs, j'ai déjà mentionné que le projet de loi ne fera qu'empirer substantiellement les pressions actuellement exercées sur le système de justice pénale. Tout le monde est venu en témoigner, des policiers jusqu'aux avocats de la défense et de la Couronne en passant par les représentants du Service correctionnel, les professionnels de la santé mentale, les magistrats et les organismes communautaires.
Le gouvernement Harper a refusé de dire la vérité aux Canadiens au sujet des vrais coûts du projet de loi, et il a refusé de discuter avec les provinces et les territoires, qui devront absorber une grande partie des coûts attribuables au projet de loi et qui doivent avoir leur mot à dire si nous voulons vraiment que nos rues et nos collectivités soient sûres.
Je vais citer deux paragraphes d'un éditorial paru dans le Chronicle Herald de ce matin :
Le premier ministre Stephen Harper a certainement fait campagne en promettant de sévir contre le crime. Il peut donc légitimement prétendre que les électeurs ont appuyé ce programme en lui accordant la majorité.
Par contre, nous n'avons pas souvenir que M. Harper ait demandé le mandat de sévir contre les contribuables provinciaux en leur faisant payer le gros des coûts de l'emprisonnement d'un plus grand nombre de délinquants.
Cette semaine, le directeur parlementaire du budget a présenté un rapport qui fait état de son estimation des coûts d'une partie du projet de loi omnibus. Il a révélé l'existence de coûts là où le gouvernement a laissé entendre qu'il n'y aurait pas de coûts supplémentaires. Et ce n'est là qu'une partie du projet de loi. À toutes les occasions, le gouvernement Harper a tenu les Canadiens dans l'ignorance quant aux coûts de son programme d'incarcération. Nous nous rappelons tous que le gouvernement a été jugé coupable d'outrage au Parlement, une première dans l'histoire du Canada et même des gouvernements du Commonwealth. Il a été condamné parce qu'il a refusé de faire connaître les coûts de ses projets de loi antérieurs sur la criminalité.
Dans son rapport, le directeur parlementaire du budget signale ce qui suit : « L'absence de données a entravé l'analyse du DPB, qui a mené la recherche. Les données réelles de Sécurité publique Canada n'étaient pas disponibles. » Oui, honorables sénateurs, pourquoi s'arrêter à tenir seulement les parlementaires et les Canadiens dans l'ignorance? L'approche Harper de l'ordre public consiste évidemment à multiplier les obstacles pour quiconque essaie de trouver la vérité sur ses politiques, même s'il s'agit du directeur parlementaire du budget. Il a fallu cinq mois de travail à deux personnes pour établir les coûts de cette seule partie du projet de loi, celle qui porte sur les peines avec sursis. Le DPB estime que cette seule modification va entraîner des coûts de 145 millions de dollars par année pour les gouvernements fédéral et provinciaux. Je le répète, il ne s'agit ici que d'une partie du projet de loi.
Le gouvernement de l'Ontario nous a remis un mémoire le 21 février. Il y dit que, selon ses calculs, le projet de loi C-10 pourrait coûter aux contribuables ontariens plus de 1 milliard de dollars de plus pour les seuls services correctionnels et policiers provinciaux. Il dit vouloir collaborer avec le gouvernement fédéral pour dissiper ces préoccupations et ajoute :
À notre avis, il ne convient pas qu'un ordre de gouvernement crée un fardeau financier pour un autre sans discussion et sans une compensation financière suffisante.
Le gouvernement Harper continue de refuser toute responsabilité à l'égard du fardeau qu'il impose aux contribuables ontariens.
Le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard a écrit au comité le 23 février. Il critique vivement le projet de loi, disant qu'il :
[...] marque un changement important dans les principes bien établis de détermination de la peine consacrés par le Code criminel, changement qui pourrait nuire à l'administration de la justice dans la province.
À propos des peines minimales obligatoires, il écrit ceci :
La suppression de la discrétion judiciaire en faveur de peines uniformes pour tous aura parfois pour conséquence des décisions injustes. En outre, cette approche aura pour résultat l'incarcération inutile de certaines personnes, ce qui ne fera qu'accroître les coûts sans faire quoi que ce soit pour renforcer la sécurité dans nos rues et nos collectivités.
Soyons clairs : nos réserves au sujet des peines minimales obligatoires ne sont pas une forme d'appui pour les auteurs de crimes graves, notamment contre des enfants. Elles découlent de notre confiance en la capacité des juges d'imposer des peines équitables et justes, conformément à la primauté du droit et aux principes consacrés par le Code criminel.
L'Île-du-Prince-Édouard prévoit aussi que le projet de loi C-10 se traduira pour elle par une charge financière, et elle est en train d'évaluer ces coûts.
Le ministre de la Justice du Nunavut est venu témoigner au comité. Le ministre Shewchuk nous a dit que le Nunavut serait probablement le plus touché par le nouveau régime prévu par le projet de loi C-10. Il a expliqué comment le projet de loi aura pour conséquence un surpeuplement accru dans ses établissements correctionnels. Un plus grand nombre de délinquants seront envoyés dans des établissements du Sud. C'est une grosse dépense et c'est une mesure dont on sait qu'elle exacerbe les difficultés de la réinsertion sociale. Le ministre Shewchuk nous a expliqué qu'au Nunavut, la plupart des délinquants qui ont maille à partir avec la justice pénale sont aux prises avec les répercussions de la violence au foyer, de la pauvreté, de la toxicomanie et de l'alcoolisme, et bien souvent de la maladie mentale. Il a dit :
Le projet de loi C-10 nous privera de ressources financières dont nous avons besoin pour travailler sur les causes profondes de la criminalité et pour financer les programmes de réadaptation, préférant proposer un modèle punitif qui ajoutera un stress supplémentaire à notre infrastructure correctionnelle déjà surchargée et à notre tribunal.
(1820)
Cette semaine, le sénateur Lang a dit ceci, à propos du projet de loi sur le registre des armes à feu : « [...] on fait reculer la criminalité en dépensant efficacement l'argent des contribuables, pas en le consacrant à un système qui ne marche pas. »
Je suis du même avis.
Nous savons que l'incarcération pour des crimes mineurs et sans violence ne contribue pas à faire reculer la criminalité. En réalité, elle peut faire le contraire, lorsque le délinquant sort de prison. Entre-temps, l'argent dépensé pour incarcérer des gens, c'est de l'argent qu'on ne consacre pas à des mesures dont nous savons, car la preuve est faite, qu'elles fonctionnent dans la lutte contre le crime.
Au Canada, les droits de scolarité pour l'étudiant de premier cycle à l'université s'élèvent à 5 140 $ par année. Par contre, nous dépensons entre 90 000 $ et 140 000 $ par année pour chaque homme incarcéré dans un établissement fédéral, et 185 000 $ pour chaque femme. Quelle est la meilleure utilisation de fonds publics limités? Nous savons à quoi les gouvernements provinciaux et territoriaux estiment que l'argent doit servir. Si le gouvernement croit vraiment, comme il le prétend, à la nécessité de respecter les champs de responsabilité des provinces et des territoires, comment peut-il leur imposer ce projet de loi qui les obligera à dépenser des sommes colossales au détriment de leurs priorités? Et comment peut-il le faire sans même un semblant de discussion ou de négociation avec les provinces et les territoires?
Honorables sénateurs, voilà le nouveau fédéralisme : des déclarations unilatérales sur le financement des soins de santé et maintenant une avalanche de nouveaux détenus dans les prisons provinciales, gracieuseté du gouvernement fédéral.
Collègues, en adoptant ce projet de loi, nous suscitons de grandes attentes chez les Canadiens quant aux incidences positives qu'il aura sur la sécurité de nos rues et de nos communautés. Toutefois, à moins que nous ne soyons disposés à affecter des ressources partout dans le système, je crains fort que les Canadiens ne soient cruellement déçus. En cherchant à résoudre des problèmes complexes sur la base d'une idéologie plutôt que d'éléments concluants, nous n'assurerons pas des rues et des communautés plus sûres aux Canadiens.
Dans le discours que j'ai prononcé plus tôt, j'ai abondamment cité l'article rédigé par l'honorable Roy McMurtry, Edward Greenspan et Anthony Doob. Ils nous exhortaient à procéder à partir des faits élémentaires. Faisons-le tout de suite, même dans les grandes lignes.
Le taux de criminalité baisse régulièrement au Canada. En fait, il est à son niveau le plus bas en 30 ans. Les problèmes auxquels nous cherchons à nous attaquer — nous convenons tous, je crois, qu'il y a des problèmes — ne peuvent pas être réglés par une simple intervention des législateurs fédéraux, aussi bien intentionnés soient- ils. Je crois que le juge Barry Stuart avait raison : le problème a des racines profondes. Les lois et le processus de justice pénale se concentrent sur l'aboutissement du problème, alors que la prison seule est inefficace. Elle ne peut avoir un effet positif qu'avec des soutiens communautaires.
On ne fait pas beaucoup plus que jeter de la poudre aux yeux en adoptant des lois pénales et en disant : « Voilà, nous avons réglé ce problème. Nous pouvons passer au suivant. » Cela ne marchera pas. Nos rues et nos communautés ne seront pas plus sûres. Nous faisons de fausses promesses aux Canadiens en l'affirmant. Les problèmes ne peuvent pas être réglés par de simples mesures législatives, et certainement pas grâce à des modifications de lois pénales ou quasi pénales comme celles que nous avons devant nous aujourd'hui. Nous n'agissons pas dans l'intérêt des Canadiens en adoptant ces lois et en disant : « Voilà, nous avons fait notre part. Nos rues et nos communautés sont plus sûres. »
Comme vous le savez, je ne crois pas que les dispositions du projet de loi soient les bonnes. Je ne crois pas non plus qu'une réaction législative peut seule résoudre les vrais problèmes. La façon la plus efficace de faire consiste à agir auprès de nos communautés, à travailler à tous les niveaux de gouvernement ainsi qu'avec des organisations non gouvernementales de santé et de services communautaires qui ont de l'expérience et des compétences dans ces domaines.
David Mombourquette, de l'Association canadienne des commissions de police, a exhorté le gouvernement à :
[...] prendre l'initiative de collaborer avec ses partenaires provinciaux et territoriaux ainsi qu'avec d'autres grands intervenants afin d'élaborer un système cohérent et complet comprenant aussi bien des mesures énergiques de mise en vigueur et des poursuites que des programmes efficaces de prévention et de réadaptation [...]
Les observations annexées par notre comité au rapport sur le projet de loi C-10 abordaient certaines de ces questions. Le gouvernement devrait soigneusement examiner ces observations, puis investir dans des politiques pouvant avoir une influence positive réelle sur la vie des Canadiens. Recherchons et affrontons les causes profondes de la criminalité, comme la pauvreté, la toxicomanie, la maladie mentale et le manque d'éducation.
Chers collègues, j'ai longuement parlé, mais j'ai à peine effleuré quelques aspects de ce projet de loi omnibus. D'autres auront du temps, mais malheureusement pas assez dans le cadre de ce débat restreint, pour parler plus en détail de certaines autres mesures qu'il contient, comme les modifications à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et les vastes pouvoirs discrétionnaires conférés au ministre de la Sécurité publique en ce qui concerne le transfèrement international des délinquants.
Je dirai, pour conclure, que même si des parties du projet de loi contiennent des changements positifs, dans l'ensemble, cette mesure législative représente un recul pour la justice canadienne et tous les Canadiens. Contrairement à ce qu'affirme son titre abrégé, il ne rendra pas plus sûres nos rues et nos communautés. Ce titre est vraiment orwélien parce que les témoignages sérieux que nous avons entendus au comité nous portent à croire que le projet de loi aura l'effet contraire.
Au comité, nous avons proposé un certain nombre d'amendements raisonnables et fondés sur des faits qui, à notre avis, tempéraient les parties les plus inacceptables du projet de loi. Malheureusement pour les Canadiens, le gouvernement s'est servi de sa majorité pour les faire rejeter en totalité.
Honorables sénateurs, je crois que nous devrions légiférer au nom des Canadiens en fonction des faits et non d'une idéologie. Le projet de loi ne répond pas à ce critère. J'ai proposé au début de mon discours de juger le projet de loi en fonction du tort qu'il peut causer. Si j'applique ce critère, je ne puis appuyer cette malencontreuse mesure à cause du tort qu'elle causera aux Canadiens et à notre système de justice pénale.
Le sénateur Runciman : L'honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Cowan : Absolument.
Le sénateur Runciman : Le sénateur a consacré une bonne partie de son discours de ce soir à dénoncer les peines minimales obligatoires. Entre 1976 et 2005, des gouvernements libéraux ont institué 30 peines minimales obligatoires. Je suppose que le sénateur Cowan était ici pendant au moins une partie de cette période.
Le sénateur Cowan : Non, je n'y étais pas.
Le sénateur Runciman : Vous n'êtes pas arrivé avant 2005?
Le sénateur Campbell : Aucun d'entre nous n'était présent.
Le sénateur Runciman : Ces peines ont été établies par des gouvernements libéraux.
Je dois poser la question suivante : pourquoi les peines minimales obligatoires sont-elles si révoltantes quand c'est un gouvernement conservateur qui les établit, alors qu'elles ne l'étaient pas sous les gouvernements libéraux?
Le sénateur Cowan : C'est une très bonne question. Ma réponse est que je n'appuie pas ces peines minimales obligatoires plus que je n'appuie celles du projet de loi. Je crois que la preuve est faite — vous étiez là, vous l'avez entendu et vous avez reçu tous les...
Le sénateur LeBreton : Oh, oh.
Le sénateur Cowan : Sénateur LeBreton, vous aurez l'occasion de prendre la parole dans un instant. Écoutez-moi, et je vous écouterai. Le sénateur Runciman m'a posé une question à laquelle je veux répondre. Nous entendrons le sénateur LeBreton un peu plus tard, si j'ai la possibilité de donner ma réponse. Je vous remercie.
Je n'appuie pas les peines minimales obligatoires parce que tout ce que j'ai lu au cours des trois ou quatre dernières années que j'ai passées ici, tout ce que j'ai regardé au sujet de la Loi sur la lutte contre les crimes violents d'il y a trois ou quatre ans, peu après mon arrivée au Sénat, et au sujet de ce projet de loi m'a prouvé que ces mesures ne marchent pas.
Je n'ai aucune raison de croire que les peines obligatoires imposées par les gouvernements précédents — je suis sûr que le sénateur Baker et d'autres qui étaient ici à l'époque me corrigeront si j'ai tort — ont toutes été établies par des gouvernements libéraux. La plupart des peines minimales obligatoires ont été établies par le gouvernement libéral qui était en place pendant la plus grande partie de cette période. Je crois toutefois que certaines l'ont été sous le gouvernement Mulroney.
(1830)
Quoi qu'il en soit, je pense que nous devrions examiner cela de plus près. Mon argument est que, avant d'accroître le nombre de peines minimales obligatoires, nous devrions étudier très attentivement celles qui existent déjà. Il est bien possible qu'elles soient peu judicieuses, tout comme je crois que celles-ci le sont.
Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres questions? Le sénateur Jaffer a la parole.
Le sénateur Jaffer : J'ai une question à poser au sénateur. Il a beaucoup parlé des peines minimales obligatoires et de ses préoccupations à ce sujet. Il était présent au comité tout au long de la semaine dernière. Aurait-il l'obligeance de nous dire ce que nous pourrions faire, si nous en avions le temps, pour laisser un certain pouvoir discrétionnaire aux juges?
Le sénateur Cowan : Je crois que le sénateur en a brièvement traité dans son allocution au début de l'après-midi.
Aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Australie, il existe une soupape de sécurité qui consiste simplement en ceci que, dans des circonstances extraordinaires, à déterminer par le juge, celui-ci est habilité à imposer une peine autre que la peine minimale obligatoire qui est prévue par la loi.
Nous avons proposé une soupape de sécurité générale et le gouvernement a refusé. Ensuite, nous nous sommes repliés sur deux solutions possibles, dont l'une consistait à dire : « Eh bien, si vous ne nous accordez pas la soupape de sécurité générale consistant à rétablir le pouvoir du juge, dans des circonstances exceptionnelles, d'imposer une peine autre que la peine minimale obligatoire, alors faites-le au moins dans le cas des contrevenants autochtones. » Le gouvernement a refusé. Alors nous sommes revenus à la charge : « On nous a beaucoup parlé de l'incidence des maladies mentales dans notre système carcéral. Allez-vous au moins permettre aux juges devant qui comparaissent des contrevenants souffrant de maladie mentale d'imposer une peine autre que la peine minimale obligatoire? » Le gouvernement a encore refusé.
Le sénateur a absolument raison. Nous avons en effet proposé un mécanisme de portée générale — cette soupape de sécurité —, après quoi nous en avons proposé deux plus pointus, un pour les contrevenants autochtones et l'autre pour les contrevenants souffrant de maladie mentale. Le gouvernement a refusé dans les deux cas. Ces minimums obligatoires seront donc imposés et il n'y aura aucune soupape de sécurité, aucun pouvoir discrétionnaire pour les juges.
L'honorable Jane Cordy : Je remercie le sénateur de son discours. C'était un excellent discours et j'ai été particulièrement frappée par ses observations sur ceux qui ont une mauvaise santé mentale, et c'est justement ce dont j'ai traité à l'étape de la deuxième lecture. On sait qu'un Canadien sur cinq souffrira de troubles mentaux à un moment donné au cours de sa vie. Malheureusement, certains de ces Canadiens ayant des problèmes de santé mentale ont des démêlés avec la loi.
Je ne crois pas vraiment que les gens qui ont des problèmes de santé mentale sont vraiment conscients, au moment de commettre un crime ou d'entrer en conflit avec la loi, des peines minimales obligatoires et je ne suis donc pas certaine que ces peines auraient un effet dissuasif pour ceux qui souffrent de maladie mentale. Le sénateur ne convient-il pas que la société serait mieux servie si ceux qui ont une maladie mentale ou qui ont des problèmes de santé mentale au moment de commettre leurs crimes étaient traités dans un environnement hospitalier sécuritaire, au lieu de se morfondre en prison après avoir été condamnés à une peine minimale obligatoire de prison?
Le sénateur Cowan : Je remercie le sénateur de cette question. Comme je l'ai expliqué en réponse à la question du sénateur Jaffer, nous avons en effet proposé une soupape de sécurité qui habiliterait le juge à imposer une peine permettant à la personne d'éviter l'incarcération et de recevoir plutôt des traitements dans la collectivité.
Toute cette problématique des liens entre les personnes atteintes de troubles mentaux et le système correctionnel est profondément troublante pour tous. Je sais que le sénateur Runciman était particulièrement préoccupé par cette question durant les audiences et il était exaspéré — je suis certain qu'il nous le dira lui-même plus tard dans la soirée — par l'incapacité ou le manque de volonté du Service correctionnel du Canada pour ce qui est de traiter ces gens- là.
Au cours des années 1970 et 1980, s'engageant dans la même voie que d'autres démocraties occidentales, la plupart des provinces ont fermé beaucoup d'établissements psychiatriques et d'hôpitaux pour malades mentaux, estimant qu'on pourrait mieux aider et gérer les personnes internées jusque-là en les renvoyant dans la société. Cela nous a semblé logique, à l'époque. Ce que nous avons constaté, et nous l'avons encore compris la semaine dernière, c'est que les ressources nécessaires n'existent pas dans la collectivité.
Je ne crois pas que quiconque propose de renvoyer tous ces gens dans des établissements psychiatriques. Certains peut-être, mais l'enfermement n'est pas la solution, ni dans des établissements psychiatriques ni, encore moins, dans des établissements correctionnels. Voilà pourquoi je dis que le problème est très complexe.
Il y a des gens qui, de toute évidence, doivent se trouver dans un cadre correctionnel. Ils devraient se trouver et se trouveront en prison. Toutefois, il y a d'autres genres d'établissements et d'autres genres de services, qui font intervenir d'autres ministères, d'autres gouvernements, d'autres organismes, pour s'occuper de ces gens. À l'heure actuelle, il arrive souvent qu'ils soient simplement casés dans des établissements correctionnels qui, manifestement, ne sont pas prêts à s'en occuper, ne peuvent leur donner des soins et, du point de vue de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, ne peuvent faire en sorte qu'ils ne récidivent pas lorsqu'ils seront libérés.
Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres questions à poser au sénateur Cowan? Le sénateur Wallace a la parole.
L'honorable John D. Wallace : J'ai écouté très attentivement les observations du sénateur, et je dois dire qu'elles traduisent une certaine perspective. Étant donné que je me suis beaucoup occupé de cette question, tout comme le sénateur du reste, et que j'ai une compréhension des enjeux plus profonde que celle du grand public, je dois dire que j'ai entendu les témoignages dont parle le sénateur. Chose certaine, ils ne reflètent pas l'ensemble des témoignages, mais je ne crois pas que ce soit ici son rôle de faire la part des choses. Lorsqu'il a parlé de ces témoignages, il a adopté un certain point de vue. D'autres sénateurs, peut-être de ce côté-ci, montreront l'autre côté de la médaille.
Toutefois, ce que je remarque dans tout cela, et c'est une impression que j'ai eue en suivant le débat dans les médias et au Sénat, c'est la tendance à une simplification excessive, une tendance à graviter vers des slogans accrocheurs, à adopter des formules politiques et à simplifier la question à outrance. Nous savons tous qu'il ne s'agit pas du tout d'un problème simple. Les solutions ne sont pas simples. Il y a beaucoup de mesures à prendre.
Une voix : Et que dire du titre, Loi sur la sécurité des rues et des communautés?
Le sénateur Wallace : Le sénateur a dit par exemple que le projet de loi proposait une solution unique pour tous, qu'à cause de lui, il y aura une multitude de détenus, que la position du gouvernement se résume à dire que, une fois cette mesure prise, c'est terminé, il faut passer à autre chose, et que le projet de loi concerne des infractions mineures et sans violence. Ces affirmations sont tout simplement inexactes.
Le sénateur Cordy : Voyez le titre.
Le sénateur Wallace : Chaque fois qu'on fait des affirmations semblables, je crois qu'on induit le public en erreur.
Je reconnais là une technique de débat qui consiste à le circonscrire. D'un point de vue politique, nous comprenons tous cela, et c'est sans doute pour cette raison que les intervenants font ce genre de déclaration. Je crois néanmoins que c'est rendre un mauvais service que de perpétuer ces idées.
Il y a tant de points sur lesquels je pourrais interroger le sénateur, mais il y a une chose qu'il a dite au début de son intervention. Selon lui, si on enferme quelqu'un au lieu de le garder dans la collectivité, nos rues deviennent moins sûres. Il vaut mieux que les délinquants purgent leur peine dans la collectivité plutôt que d'être incarcérés pendant un certain temps. Je suppose qu'on en revient là à l'argumentaire au sujet des peines minimales obligatoires. Il vaut donc mieux que les délinquants purgent leur peine dans la collectivité.
Le sénateur croit-il vraiment cela, lorsqu'il considère les crimes graves, violents, les récidives qui sont visés dans le projet de loi? Il y a des infractions comme la publication et la diffusion de pédopornographie, les agressions sexuelles si la victime a moins de 16 ans, l'agression sexuelle avec une arme sur la personne d'un enfant de moins de 16 ans et le fait de s'entendre ou de faire un arrangement avec quelqu'un pour perpétrer une infraction d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant. Dans ces circonstances, est-ce qu'une période raisonnable d'incarcération ne convient pas? Je dirais aux sénateurs que les peines minimales obligatoires prévues dans le projet de loi sont raisonnables. Le sénateur croit-il que, dans ces circonstances, l'incarcération n'a pas sa place et qu'il vaut mieux que les délinquants purgent leur peine dans la société ou soient assignés à résidence?
Le sénateur Cowan : Sauf votre respect, sénateur Wallace, je n'ai rien dit de semblable. Tout ce que j'ai dit, c'est que vous enlevez toute latitude au juge. Le sénateur est avocat et il a exercé le droit devant les tribunaux. Je suis sûr qu'il a défendu des prévenus dans notre système, et il sait que le juge est là pour siéger en toute équité et impartialité, écouter la preuve et observer les témoins. Le sénateur conviendra sûrement avec moi que c'est le juge qui est le mieux à même de déterminer la juste peine dans les circonstances. Telle est ma position. Ma position, c'est que le juge...
(1840)
Une voix : On prive le juge de toute latitude.
Le sénateur Cowan : Je crois que le sénateur Tkachuk a réussi à se faufiler et sera sur la liste dans un moment.
Je dis — et le sénateur Wallace en conviendra, j'en suis sûr — que le système judiciaire et les juges devant lesquels le sénateur a déjà comparu, tout comme moi-même et le sénateur Oliver, savent ce qu'ils font. Ces gens ont la formation nécessaire pour évaluer la preuve, pour observer le comportement des témoins, pour porter le bon jugement et pour imposer la peine qui convient. Selon les circonstances, cette peine peut être la prison, une condamnation avec sursis ou autre chose. Ce que nous disons aujourd'hui, c'est que nous enlevons au juge son pouvoir discrétionnaire. Voilà ce que j'entends par une solution unique pour tous.
Écoutez ce qu'ont dit les juges Major et Nunn. Je suis sûr que si vous parlez à des juges du Nouveau-Brunswick, ils vous diront la même chose. Des gens peuvent commettre la même infraction, mais les circonstances sont toujours différentes. Tout ce que je prétends, honorables sénateurs, c'est que le juge devrait avoir un pouvoir discrétionnaire. Le fait de l'en priver, de prendre nous-mêmes la décision et d'inscrire dans la loi la peine à infliger dans un cas futur donné est, à mon avis, déplacé. Je suis bien d'accord que, dans les cas cités par le sénateur, une peine de prison devrait être imposée. Les gens qui commettent des crimes de ce genre dans ces circonstances iraient certainement en prison. Aucun juge ne pourrait faire autrement. Toutefois, c'est le juge qui doit détenir le pouvoir discrétionnaire. Nous ne devrions pas le lui enlever pour le confier, comme je l'ai dit dans mon discours, à des procureurs ou à la police.
Je crois qu'il serait très risqué de modifier ainsi le système dans lequel le sénateur et moi-même avons évolué pendant des années et qui a donné d'assez bons résultats.
Le sénateur Wallace : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Cowan : Très volontiers.
Le sénateur Wallace : J'ai encore une fois écouté attentivement les propos du sénateur. Il soutient que le projet de loi et, en particulier, les peines minimales obligatoires suppriment les pouvoir discrétionnaire du juge. J'estime que ce n'est pas le cas. Le projet de loi restreint ce pouvoir, mais ne le supprime pas. Il restreint l'exercice du pouvoir discrétionnaire à la période comprise entre le minimum et le maximum obligatoires. Dans l'intervalle, le juge continue à exercer son pouvoir.
Je dois ajouter que, à titre de législateurs, nous avons une responsabilité en matière de détermination de la peine. Nous avons la responsabilité de créer un cadre et de fixer des limites. Les législateurs ont l'obligation de protéger le public et d'élaborer des lois conçues à cette fin. Le rôle de l'appareil judiciaire est d'interpréter ces lois. Son rôle n'est pas de protéger le public. Il doit interpréter les lois que nous élaborons dans ce but.
Le sénateur Cowan : Je crois que j'ai dit ce que j'avais à dire.
Son Honneur le Président intérimaire : Y a-t-il d'autres questions à poser au sénateur Cowan?
Suite du débat. Le sénateur Runciman a la parole.
L'honorable Bob Runciman : Merci, Votre Honneur. Je suis heureux de cette occasion.
Honorables sénateurs, dans sa dernière réponse, le sénateur Cowan a dit que les individus mentionnés par le sénateur Wallace méritaient bien d'aller en prison. C'est justement le problème. Dans bien trop de cas, ils n'y vont pas. J'ai mentionné, au cours des audiences du comité, le cas d'un homme de Nanaimo, en Colombie- Britannique, qui a été condamné à la détention à domicile. Il avait plaidé coupable à cinq accusations d'agressions sexuelles sur quatre enfants âgés de sept à 14 ans. Parmi ses victimes, il y avait une petite fille de 11 ans qui avait une déficience intellectuelle. Il a été condamné à deux ans moins un jour à purger chez lui, dans la maison même où il avait commis ses crimes. Je pourrais citer aux sénateurs toute une série d'autres affaires du même genre. De toute évidence c'est la raison pour laquelle le gouvernement agit face à ce problème très sérieux.
Honorables sénateurs, je sais que vous connaissez bien le projet de loi. Je ne vais donc pas l'examiner en détail. Je vais plutôt parler un peu de ce que nous avons entendu au cours des longues audiences du comité sur le projet de loi C-10.
J'ai été longtemps titulaire d'une charge publique. J'ai notamment passé 29 ans à l'Assemblée législative de l'Ontario, mais je n'ai jamais rien connu d'aussi intensif que les quelques dernières semaines où j'ai siégé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous avons entendu une centaine de témoins au cours de près de 60 heures d'audiences, qui comprenaient des journées entières allant jusqu'au soir, même pendant une semaine de pause parlementaire. Le comité devait s'occuper d'un projet de loi important, composé de neuf mesures législatives antérieures, dans un laps de temps restreint. Toutefois, il n'a pas simplement passé en revue le projet de loi C-10. Les membres du comité ont fait leur devoir. Ils ont posé des questions judicieuses et ont soigneusement délibéré.
Je crois qu'il serait juste de dire que les travaux de ce comité n'étaient pas semblables à ceux des comités de l'autre endroit. Il n'y avait pas de querelles partisanes. Nous n'étions pas nécessairement d'accord les uns avec les autres, mais je crois que nous avons fait preuve d'une bonne dose de respect mutuel.
Je dois mentionner tout particulièrement le sénateur Wallace, président du comité. Il a établi un plan et l'a respecté jusqu'au bout. Il s'est montré équitable tant envers les membres du comité qu'envers les témoins. Il a maintenu la cohérence des discussions quand elles commençaient à dériver. Il était toujours guidé par la nécessité d'écouter tous les points de vue et de faire une étude approfondie du projet de loi C-10. Le sénateur Wallace a fait un travail exceptionnel dans des circonstances difficiles. Je tiens à l'en féliciter.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Runciman : Je voudrais également attirer l'attention sur le travail exceptionnel de madame le sénateur Fraser, vice- présidente du comité.
Elle a été la première à interroger chaque groupe de témoins. Ce n'était certainement pas un travail facile parce qu'il y a eu des jours où nous avons reçu huit groupes de témoins. Cela exigeait une grande préparation, et il était clair pour quiconque observait madame le sénateur Fraser qu'elle n'avait pas négligé ses préparatifs.
Une voix : Bravo!
Le sénateur Runciman : Oui, elle mérite des félicitations.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Runciman : Je sais gré à madame le sénateur Fraser de ce qu'elle a dit hier au sujet de la greffière de notre comité, Mme Shaila Anwar, et aussi à propos du personnel du Sénat qui organise la comparution des témoins et qui s'assure que tout se déroule sans anicroche. Si vous connaissiez Shaila, vous sauriez que les hommes et les femmes présents ici sont ses deuxièmes sénateurs favoris. À propos de sacrifice, l'une de nos séances s'étant terminée tard, elle a raté la presque totalité d'un match Sénateurs-Capitals. Je crois qu'elle est arrivée sur place pour les 10 dernières minutes du match.
Je crois que le sénateur Fraser a aussi fait référence au personnel. Je suis sûr que bien des employés des sénateurs ont travaillé avec diligence pendant de longues heures. Je sais que, parmi les membres de mon personnel, Barry Raison a travaillé pendant le weekend pour nous préparer en prévision d'amendements que nous n'avions pas encore vus. C'était un peu de la devinette. On nous a fourni les articles et les paragraphes de la loi susceptibles de faire l'objet d'amendements, mais nous devions en quelque sorte nous préparer à l'aveuglette et être prêts à toute éventualité. Je sais qu'il a fait de l'excellent travail, et je suis sûr que les collaborateurs des autres sénateurs en ont fait autant.
Je pense qu'on peut affirmer sans craindre de se tromper que certains sénateurs sont déçus du résultat, mais personne ne devrait se plaindre du processus. Il a été exhaustif, et les groupes de témoins ont présenté une multitude de points de vue.
Je voudrais vous parler d'un coup de téléphone qu'une grand- mère du Manitoba est passée à mon bureau au milieu de la semaine dernière. Elle nous a dit qu'elle avait toujours été favorable à l'abolition du Sénat, mais, après avoir regardé les audiences du comité à la télévision, elle a changé d'avis. Elle comprend maintenant le travail très utile qu'accomplit un comité du Sénat — et, non, son nom de famille n'était pas Plett!
Le projet de loi à l'étude a été amendé, comme vous le savez, afin de mieux servir les intérêts des victimes du terrorisme. Ces six amendements leur permettront de poursuivre les États étrangers qui figureront dans la liste qui sera établie, non seulement pour leur soutien au terrorisme, mais pour leur participation directe à des attentats terroristes.
Je tiens à souligner le travail du sénateur Tkachuk dans ce dossier au fil des ans. La Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et les modifications à la Loi sur l'immunité des États sont le résultat, en grande partie, de son dévouement à cette cause.
Des voix : Bravo!
Le sénateur Runciman : Comme l'a fait remarquer le sénateur Wallace, le rapport sur le projet de loi englobe des observations, et je crois que, collectivement, elles représentent de bons conseils à l'intention du gouvernement et reflètent les propos que nous avons entendus au comité.
(1850)
J'aimerais vous parler d'une observation en particulier, car le sénateur Cowan a fait référence à un dossier sur lequel j'ai travaillé au fil des ans. Aucun message n'a été communiqué plus clairement que l'incapacité du système correctionnel de s'occuper adéquatement du pourcentage important et toujours croissant de détenus, particulièrement des femmes, qui souffrent de troubles mentaux.
Comme le ministre de la Sécurité publique, M. Toews, et d'autres, dont le sénateur Cowan, si je ne m'abuse, l'ont évoqué au comité, cela s'explique en partie par la politique de désinstitutionnalisation. Cette théorie est valable, mais dans la pratique, elle a échoué car il n'existait ni soutien communautaire ni mécanisme de surveillance lorsque les institutions ont fermé leurs portes.
Le Service correctionnel du Canada n'est pour rien dans ce problème, mais il doit s'en occuper. Les personnes atteintes de troubles mentaux graves présentent un danger pour elles-mêmes et pour d'autres personnes dans l'établissement, aussi bien chez le personnel que parmi les détenus. Si nous renvoyons ces gens dans la société sans les traiter, nous n'honorons pas notre obligation envers la société. Nous ne répondons pas aux besoins en réadaptation et en réinsertion. Nous compromettons la sécurité publique et nous augmentons de beaucoup les risques de récidive.
L'observation sur la santé mentale exhorte le Service correctionnel du Canada à étudier des modes différents de prestation de ses services. L'exemple proposé est le Centre correctionnel et de traitement St. Lawrence de l'Ontario. C'est le genre d'établissement qu'il faudrait envisager.
J'étais le ministre chargé des services correctionnels en Ontario lorsque l'établissement a été conçu et construit, il y a près de 10 ans. Il demeure unique en ce sens que les services correctionnels assurent la sécurité tandis que les Services de santé Royal Ottawa se chargent des traitements. Le personnel de santé représente environ 80 p. 100 de l'effectif et celui des services correctionnels 20 p. 100. C'est exactement l'inverse de ce qu'on observe dans les centres de traitement de Corrections Canada, lorsqu'il est possible de trouver du personnel. Les résultats sont clairs. Le Dr John Bradford, psychiatre judiciaire, a dit au comité la semaine dernière que cet établissement avait fait diminuer le taux de récidive de 40 p. 100.
Cette année, l'enquête sur la mort d'Ashley Smith, une jeune femme de 19 ans qui s'est suicidée pendant son incarcération dans un établissement fédéral, a jeté un éclairage cru et très peu flatteur sur l'incapacité du système correctionnel de relever les défis propres aux détenus atteints de maladie mentale, particulièrement dans le cas des femmes. Comme le comité le dit dans son observation : « Les mesures à l'égard de cette question essentielle ne peuvent être reportées. » Nous espérons que la direction des Services correctionnels est à l'écoute.
Je voudrais aborder d'autres éléments du projet de loi C-10 et plus particulièrement ceux qui ont suscité le plus de controverse et qui, à mon avis, ont été les plus faussés par les critiques.
Nous avons beaucoup entendu parler du coût de la mise en œuvre du projet de loi pour les provinces. Fort bien, mais il ne faut pas oublier non plus que beaucoup de provinces ont réclamé des mesures qui figurent dans le projet de loi. Réagissant à ces préoccupations au sujet de la mise en œuvre, des ministres fédéraux, à la réunion récente des ministres fédéral, provinciaux et territoriaux de la Justice, ont accepté de prendre en considération les opinions des provinces pour fixer le moment de l'entrée en vigueur des différentes dispositions du projet de loi C-10.
D'ici cinq ans, il y aura un examen exhaustif de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, y compris une analyse des coûts et des avantages des peines minimales obligatoires. Cela se trouve à l'article 42 du projet de loi. Cet article est passé presque inaperçu.
Honorables sénateurs, lorsque nous discutons du coût de la justice et de l'application de la loi, nous devrions aussi parler du coût du crime. Selon une étude récente du ministère de la Justice, ce coût est renversant : 99,6 milliards de dollars en 2008. Et cela ne tient pas compte d'un certain nombre d'autres éléments. L'étude du ministère indique que, en fait, il a largement dépassé les 100 milliards de dollars en 2008.
Plusieurs témoins ont dit que le projet de loi, si on n'y prévoit pas d'exception dans l'application des peines minimales obligatoires, provoquera une incarcération massive de Canadiens autochtones. Selon eux, ces peines sont incompatibles avec l'article 718.2 du Code criminel, qui exige que l'on considère les solutions de rechange raisonnables à l'incarcération en accordant une attention particulière à la situation des délinquants autochtones. Il s'agit de ce qu'on a appelé le principe Gladue.
Honorables sénateurs, nous ne devrions pas oublier le genre d'infraction dont il est ici question. Dans le projet de loi C-10, les peines minimales sont prévues pour des infractions de narcotrafic et des infractions à caractère sexuel sur des enfants. Ce sont des infractions graves. Dans l'arrêt R. c. Wells, en 2000, la Cour suprême a dit que, en général, les délinquants autochtones et non autochtones qui commettent des crimes violents ou graves reçoivent des peines d'emprisonnement semblables.
Il faut aussi se rappeler que les peines minimales obligatoires et l'article 718.2 coexistent déjà dans le Code criminel. Lorsque l'ancien gouvernement libéral a mis en place des peines minimales obligatoires pour les infractions sexuelles sur la personne d'enfants, il n'a prévu aucune exemption pour les délinquants autochtones.
Enfin, il importe de signaler que les Autochtones sont également surreprésentés dans le système de justice pénale à titre de victimes, et le projet de loi C-10 aidera toutes les victimes.
J'ai dit, à l'étape de la deuxième lecture, que l'argument le moins crédible invoqué contre le projet de loi C-10 était qu'il équivaut à l'américanisation du système de justice canadien. J'ai signalé que, aux États-Unis, les peines minimales sont plusieurs fois plus longues que ce qui est proposé dans le projet de loi C-10, et le taux d'incarcération au Canada représente environ le septième de celui des États-Unis.
Le 23 février, le criminologue John Martin, de l'Université de Fraser Valley, a dit au comité que cette critique était à la fois imprudente et irresponsable. Il a signalé qu'une mégaprison comme celle de Folsom, en Californie, compte 4 500 détenus, alors que les établissements au Canada en accueillent environ 300, établissements auxquels il faudra peut-être ajouter quelques dizaines de lits à cause de la Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Pas de mégaprisons, pas de peines à l'américaine, pas de comparaison.
Nous avons aussi beaucoup entendu parler des réformes que le projet de loi C-10 apporte à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Les critiques ont dit qu'on n'avait pas besoin de modifier la loi, qu'elle fonctionnait bien et que les modifications auraient pour seule conséquence d'envoyer beaucoup plus de jeunes en prison.
Honorable sénateurs, rien n'est plus loin de la vérité.
Les modifications apportées par le projet de loi C-10 donneront au contraire plus de latitude aux juges en ce qui concerne l'emprisonnement avant la tenue du procès, les peines d'incarcération et la publication des noms lorsque la sécurité publique est menacée. Elles permettront aux juges de prendre en considération la dénonciation et une dissuasion spécifique. La plupart des modifications prévues dans cette partie du projet de loi C-10 visent un très faible pourcentage des jeunes contrevenants, soit entre 3 et 5 p. 100, nous dit-on, soit ceux qui échappent à tout contrôle et présentent un risque important pour la société.
Dans sa forme actuelle, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne donne pas aux juges les moyens dont ils ont besoin pour arrêter ces délinquants. Cela figurait dans le rapport de la Commission Nunn. Le sénateur Cowan vient justement de mentionner le juge Nunn. C'était l'une de ses principales recommandations en ce qui concerne les modifications à apporter à la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Le 22 février, le détective Stephen Nevill, du Service de police de Toronto, a raconté au comité les détails d'une affaire qui montre comment le système fonctionne, ou ne fonctionne pas, devrai-je dire. C'est un cas réel du tribunal de la jeunesse de la rue Jarvis. Il s'agit d'un jeune de 16 ans accusé de vol qualifié, de menaces de préjudices physiques et de possession de biens obtenus par des moyens criminels. Toutes les accusations ont été retirées une fois qu'il a terminé les sanctions extrajudiciaires qui lui ont été imposées. Il a ensuite été accusé et condamné pour entrave à un agent de police et non-observation d'un engagement, ce qui signifie qu'il avait été libéré sous caution, puis avait commis une autre infraction qui violait les conditions de sa libération et avait été condamné à nouveau. Il a reçu une amende de 1 $. Par la suite, il a été condamné pour une autre violation des conditions de sa libération sous caution et s'est encore vu imposer une amende de 1 $. Cet adolescent fait actuellement l'objet de multiples nouvelles accusations, dont la non- observation d'un engagement, la possession de marijuana, la non- conformité aux conditions de sa probation juvénile, le vol qualifié, l'utilisation d'une arme à feu factice...
Son Honneur le Président intérimaire : Sénateur Runciman, je regrette de vous informer que votre temps de parole est écoulé.
Le sénateur Fraser : Cinq minutes.
Son Honneur le Président intérimaire : J'ai une liste d'autres sénateurs qui souhaitent prendre la parole. Quel est le vœu de la Chambre? Faut-il accorder au sénateur cinq minutes supplémentaires?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Runciman : Je vous remercie.
Quoi qu'il en soit, je vais passer à autre chose. Je trouve difficile de croire que des gens qui examinent un cas comme celui que nous a raconté le détective Nevill puissent supposer que le système fonctionne bien. Les modifications apportées à cette loi aideront les tribunaux à mieux affronter les cas impliquant des délinquants adolescents à la fois violents et récidivistes.
Je voudrais conclure en parlant de l'article du projet de loi C-10 qui a suscité, et de loin, le plus grand nombre de lettres, d'appels et de courriels. Il s'agit des dispositions qui ont fait l'objet d'une grande confusion, parfois délibérément semée. Ce sont les modifications apportées à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
(1900)
Il y a un vrai malentendu au sujet de ceux qui sont la cible de ces modifications et de la situation actuelle du trafic des drogues au Canada. Le projet de loi cible très clairement les trafiquants et ce, pour une très bonne raison : les crimes liés à la drogue sont en hausse au Canada. Notre pays est devenu un fournisseur mondial de drogues synthétiques. Si vous ne me croyez pas, lisez le document publié cette semaine par les Nations Unies sous le titre Rapport de l'Organe international de contrôle des stupéfiants pour 2011, qui confirme cette triste réalité. Les saisies d'ecstasy destinée aux États- Unis ont doublé de 2007 à 2008.
Pendant que notre comité étudiait le projet de loi, la GRC a saisi à Toronto une énorme quantité d'un produit chimique contrôlé utilisé dans la fabrication du GHB, aussi appelé drogue du viol. La quantité saisie suffisait pour produire jusqu'à 4,8 millions de doses de la drogue, ayant une valeur de revente de 48 millions de dollars. Arrivé en contrebande de la Chine, le produit chimique était destiné à un laboratoire du crime organisé où il devait être traité pour être vendu, surtout à l'exportation.
C'était une très grosse saisie, mais elle était loin d'être unique. D'après Statistique Canada, le nombre de cas de production, d'importation ou d'exportation de drogues illégales s'élevait à 2 190 en 1990 et à environ 35 000 en 2010. Le crime organisé dirige le trafic de la marijuana au Canada, l'ayant transformé en industrie criminelle d'une valeur de plusieurs milliards de dollars. L'une des raisons de cette situation réside dans le manque de sévérité des peines imposées, surtout dans certaines régions du pays.
Le surintendant Eric Slinn, de la GRC, a dit à notre comité qu'il y a quelques années, les producteurs de marijuana de la Nouvelle- Écosse, craignant d'être condamnés à des peines fédérales, faisaient transférer leur procès en Colombie-Britannique, où ils étaient presque certains d'être condamnés avec sursis. Cela a eu d'importantes répercussions sur la croissance de l'industrie. La taille moyenne des plantations de marijuana dans la région de Cariboo, en Colombie-Britannique, atteint près d'un millier de plants, soit trois fois plus que dans les années 1990.
La police ne porte des accusations que dans 11 p. 100 des cas qui lui sont signalés. M. Plecas, professeur d'université de la Colombie- Britannique qui a comparu devant le comité, a dit que les peines imposées par nos tribunaux étaient loin de permettre la réhabilitation des délinquants, n'étant même pas assez sévères pour les dissuader ou pour renforcer la sécurité publique.
Enfin, j'aimerais aborder un point soulevé à plusieurs reprises par mon ami, le sénateur Baker. Il s'agit du célèbre cas de l'individu qui avait déjà été reconnu coupable d'une infraction liée à la drogue et qui, après avoir remis un seul comprimé à quelqu'un, se retrouve en prison pendant un an pour trafic de stupéfiants. Des représentants des forces de l'ordre ont répété à plusieurs reprises au comité que ce n'est pas le genre de cas sur lequel ils se concentrent. Il ne faut toutefois pas oublier l'éloquent exemple présenté par l'inspecteur, celui de la jeune fille qui est décédée après avoir pris un seul comprimé d'ecstasy pendant un rave. Il ne s'agit pas d'un cas isolé. Une dizaine de personnes sont mortes récemment uniquement dans le Sud de l'Alberta, et cinq autres décès en Colombie-Britannique sont liés à des comprimés d'ecstasy imprégnés d'une substance toxique. Voici ce que l'inspecteur Slinn avait à dire au sujet de cette affaire :
Cette jeune fille a perdu la vie pour 10 $. C'était une très jolie fille, qui voulait devenir mannequin. Le crime organisé ne se soucie aucunement de nos enfants et de nos petits-enfants. Ses membres exploitent tout ce qu'ils peuvent. Il nous faut tous les outils possibles pour les dissuader et les tenir responsables.
Je crois que, après avoir entendu cet exemple, il serait difficile d'éprouver de la sympathie pour l'hypothétique récidiviste au comprimé unique du sénateur Baker.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 ne résoudra pas le problème de la criminalité au Canada, mais il donnera aux policiers et aux tribunaux les outils dont ils ont besoin pour traiter plus efficacement certaines infractions. J'ajouterais que ces infractions sont en hausse au pays. Le gouvernement s'est engagé à mettre en œuvre ces mesures, le public les a endossées et nous agissons. J'espère que, le moment venu, tous les sénateurs voteront en faveur du projet de loi sur la sécurité des rues et des collectivités.
L'honorable Joan Fraser : Honorables sénateurs, je dois dire d'emblée que le projet de loi C-10 contient des éléments positifs. Je songe notamment à la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme. J'aimerais bien qu'il s'agisse d'un projet de loi distinct, car je voterais sans hésiter en sa faveur, comme je l'ai déjà fait par le passé. Malheureusement, on l'a fusionné à un projet de loi qui contient beaucoup d'autres éléments, dont certains sont également positifs.
La reconnaissance d'une culpabilité moins élevée pour les adolescents est un principe très important. Probablement aussi les infractions de nature sexuelle contre des enfants, même si nous n'avons pas examiné le tout en détail, mais la notion de ces infractions de nature sexuelle est certainement bonne.
C'est très bien de dire que le service correctionnel doit tenir compte du sujet favori du sénateur Runciman, la santé mentale, quand il traite avec des délinquants. Je tiens à saluer l'engagement, la ténacité et l'expertise en la matière dont a fait preuve le sénateur Runciman à propos non seulement de ce projet de loi, mais d'autres auparavant. Je tiens à féliciter la présidence de nous avoir tous ralliés à des remarques que je juge excellentes.
Malheureusement, ce projet de loi est truffé de mauvaises idées. Certaines sont purement mesquines ou même vicieuses. Dans cette liste, l'idée que je considérerais la plus vicieuse de ce projet de loi, c'est celle de lever l'interdiction de publication de l'identité des jeunes délinquants dès l'âge de 12 ans. Nous avons les témoignages d'experts qui montrent que la publication de l'identité d'un jeune risque d'avoir des conséquences dévastatrices tout le reste de sa vie, sans parler de l'impact immédiat. La stigmatisation qu'elle entraîne risque d'hypothéquer gravement ses chances de réadaptation, alors qu'un jeune contrevenant, un jeune de 12 ans, peut dans bien des cas — probablement la plupart des cas, sinon tous — se réadapter et devenir en grandissant un membre pleinement fonctionnel de la société, intégré et avec une attitude positive. Pourquoi faire une chose pareille? Il y a une foule d'autres éléments douteux ou néfastes, et je dois dire que le gouvernement a cultivé assidûment toutes sortes de mythes, tous faux, à propos de ce projet de loi. Voyons-en quelques-uns.
Premièrement, ce projet de loi ne viserait que les grands criminels ou les criminels violents et les récidivistes. Si seulement c'était vrai. À propos de la drogue, par exemple, le ministre de la Justice, M. Nicholson, dit que ceux qui seront touchés par ce projet de loi, ce sont les grands vilains méchants, ceux qui sont — et je le cite — « les trafiquants ». Nous souhaitons tous que la loi s'abatte impitoyablement sur la grande pègre sinistre des trafiquants. Ce sont des gens sordides et il ne faut pas les laisser filer.
Malheureusement, des experts du propre ministère de M. Nicholson ont aussi confirmé dans leur témoignage que ce projet de loi, dans sa forme actuelle, prendrait aussi dans ses filets « du menu fretin », des gens auxquels on infligerait des peines d'emprisonnement minimales obligatoires.
Pour ce qui est des sursis, le projet de loi réduit dramatiquement les chances des délinquants d'en obtenir un. Désormais, honorables sénateurs, ils ne seront octroyés qu'à des conditions très strictes. En premier lieu, il ne pourra y en avoir que pour des peines de moins de deux ans. Le juge peut décider au départ qu'un délinquant mérite deux ans de prison et estimer ensuite, après avoir pesé soigneusement tous les éléments, qu'il est raisonnable d'accorder le sursis, le délinquant devant purger sa peine dans la communauté, en étant par exemple astreint à rester à son domicile ou ailleurs. Les nouvelles règles du projet de loi peuvent se justifier dans certains cas. Je comprends qu'on supprime le sursis en cas d'enlèvement, par exemple, mais dans d'autres cas ce n'est pas aussi justifié.
J'estime que c'est vraiment exagéré de dire qu'il ne pourra jamais y avoir de sursis pour une personne accusée de présence illégale dans une maison d'habitation. C'est la même chose pour la suppression du sursis en cas de vol de voiture. Nous savons que dans certains cas, ces voleurs sont des criminels internationaux de haut vol, mais d'autres ne sont que des gamins qui chapardent une voiture pour aller faire une virée. Un jeune m'a volé ma voiture il y a quelques années pour aller faire une balade. Je l'ai récupérée. Je ne pense pas qu'il méritait la prison, quoiqu'un brin de service communautaire n'aurait pas été une mauvaise idée.
Le résultat paradoxal de ces nouvelles règles concernant le sursis, c'est que, comme nous l'ont dit divers témoins, nous allons dépenser beaucoup, beaucoup plus d'argent alors qu'en même temps la surveillance correctionnelle de ces délinquants sera, dans bien des cas, considérablement réduite. Le directeur parlementaire du budget dit que le temps moyen passé sous surveillance correctionnelle en vertu du projet de loi C-10 tombera de 348 à 225 jours, alors que le coût par délinquant grimpera de 2 575 $ à 41 000 $. Je trouve que c'est vraiment inconsidéré.
(1910)
Mythe numéro deux : nous avons besoin de ce projet de loi parce que le système actuel est trop mou et que les juges, en particulier, sont trop indulgents. En fait, le Canada a déjà l'un des taux d'incarcération les plus élevés du monde industrialisé; toutes ces peines ont été imposées par des juges et notre taux d'incarcération ne fera qu'augmenter quand ce projet de loi entrera en vigueur.
C'est un peu curieux. Le gouvernement n'aime pas donner de pouvoir discrétionnaire aux juges, qui sont pourtant les mieux placés pour jauger les faits et le contexte de chaque crime. En conséquence, le gouvernement refuse ce que le sénateur Cowan appelait une soupape de sécurité et qui pourrait s'appliquer seulement dans des circonstances exceptionnelles. Pourtant, le gouvernement aime bien donner un pouvoir discrétionnaire à tous les autres. Il aime s'accorder lui-même un pouvoir discrétionnaire. Par exemple, dans les dispositions sur le transfèrement international de prisonniers, il y a toute une page de critères établissant que ces mesures s'appliqueront si, de l'avis du ministre, telle ou telle situation s'avère. Cela me semble assez discrétionnaire.
Ce projet de loi donne au gouvernement le pouvoir d'augmenter par décret le nombre d'infractions pour lesquelles aucune réhabilitation ne peut être accordée.
Il établit tout un système pour les travailleurs étrangers vulnérables et les critères seront établis au moyen de simples instructions gouvernementales, et non par règlement, processus beaucoup plus officiel exigeant des consultations publiques.
Comme le sénateur Cowan l'a dit, le projet de loi donne un pouvoir discrétionnaire aux procureurs. Nous savons qu'il y aura davantage de négociations de plaidoyers. On a tendance à oublier qu'il y aura aussi davantage de cas auxquels on ne donnera tout simplement pas suite, parce que les tribunaux seront engorgés et qu'il n'y aura pas suffisamment de procureurs ou d'autre personnel judiciaire pour s'en occuper. Jamie Chaffe, de l'Association canadienne des juristes de l'État, a déclaré à notre comité qu'il y a déjà d'importantes dispositions du Code criminel qu'il leur est impossible de mettre en vigueur dans certaines provinces. Il a dit :
Nous avons à l'heure actuelle une situation dans laquelle certaines provinces les appliquent et d'autres ne le font pas. C'est une question qui compromet le principe de la primauté du droit et il faut que tous les acteurs fédéraux et provinciaux l'abordent ensemble.
Comme on nous l'a dit, la police obtient un pouvoir discrétionnaire en vertu de ce projet de loi. Va-t-elle ou non porter des accusations contre des gens trouvés en possession de six plants de marijuana? Va-t-elle inculper ou non tout un éventail d'autres contrevenants? La police est déjà surchargée elle aussi et le sera encore plus quand ce projet de loi entrera en vigueur; il faut bien donner du mou quelque part. La police exercera son pouvoir discrétionnaire.
Le Service correctionnel se voit accorder un pouvoir discrétionnaire très étendu dans un grand nombre de circonstances. Je trouve également inquiétant que, en vertu de ce projet de loi, nous laissons tomber la disposition de longue date voulant que le service correctionnel utilise les mesures le moins restrictives possible pour encadrer les contrevenants; au lieu de cela, on dit que l'on utilisera les mesures que le service correctionnel juge nécessaires et proportionnelles. C'est plus grave que cela en a l'air, chers collègues.
L'enquêteur correctionnel, Howard Sapers, a dit que le fait d'enlever l'expression « le moins restrictives » revient à enlever un mur de soutènement dans une structure.
Michael Jackson, avocat très éminent qui a plaidé de nombreuses affaires devant la Cour suprême, entre autres choses, a expliqué :
Le principe des mesures le moins restrictives n'a pas été inventé de toutes pièces. Ce ne sont pas seulement des paroles qui font bonne impression. Cela découle de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Oakes.
Cette décision est un pilier de notre jurisprudence pour l'application par nos tribunaux de la Charte des droits et libertés du Canada.
M. Jackson a ajouté ceci :
C'est une limite constitutionnelle ou une application du principe voulant que les autorités officielles de l'État soient tenues de respecter certaines limites [...] Cette disposition est l'une des règles d'or, comme l'a indiqué M. Sapers. C'est un principe fondamental qui sous-tend la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition.
Cette disposition disparaîtra. Dorénavant, le personnel correctionnel choisira non pas la mesure la moins contraignante qui puisse être justifiée en respectant la Constitution, mais plutôt la mesure qui leur paraît nécessaire et appropriée.
Mythe numéro trois : ce projet de loi améliorera la sécurité au Canada. En fait, comme le sénateur Cowan l'a si bien expliqué, les témoignages des experts montrent que c'est exactement le contraire qui se produira. Bien sûr, il y a des gens qui doivent être mis derrière les barreaux, et certains doivent le demeurer pendant longtemps, mais ce dont la plupart des délinquants ont besoin, si nous voulons éviter qu'ils récidivent une fois sortis de prison — et ils finissent à peu près tous par en sortir —, c'est d'un traitement soit en milieu carcéral, soit hors de ce milieu. Pourtant, dorénavant, encore moins de délinquants suivront des traitements et seront supervisés hors du milieu carcéral, car de nouvelles peines minimales obligatoires s'ajouteront, et les peines d'emprisonnement avec sursis ne pourront pas être autant employées. Un tel changement aura, comme nous l'avons entendu, un effet particulièrement désastreux sur les Autochtones, car ce sont eux qui ont bénéficié le plus, au cours des dernières années, de la tendance qui consiste à opter pour la justice réparatrice, qui est conforme aux pratiques et à la culture autochtones. C'est ainsi qu'ils règlent leurs problèmes de délinquance depuis des milliers d'années.
Il pourrait être acceptable d'adopter une telle orientation si les prisons s'occupaient de traiter les délinquants, mais ce n'est pas du tout ce qui se passe. Vous avez entendu le sénateur Cowan vous donner des statistiques dévastatrices sur le nombre de personnes qui peuvent suivre les programmes de base dans les prisons actuellement, comparativement aux listes d'attente. Dans son dernier rapport annuel, M. Sapers, l'enquêteur correctionnel, décrit le nouveau modèle de programmation que le Service correctionnel semble vouloir mettre en œuvre partout au pays. Selon lui, il y a lieu de s'inquiéter de la volonté de réduire ou de fusionner des programmes qui étaient auparavant distincts, par exemple, pour les toxicomanes, pour la prévention de la violence ou pour la gestion de la colère, en vue d'offrir un seul programme censé répondre à tous les besoins en même temps. Voici ce qu'a déclaré M. Sapers :
Ces mesures destinées à réaliser des économies font suite à l'élimination des programmes à faible intensité pour les délinquants sexuels. Par ailleurs [...] on réduit de beaucoup la durée des programmes pour les délinquants. Parfois, cette durée est divisée par trois.
Je mets tout le monde au défi d'affirmer que les prisons seront capables de fournir les traitements et les programmes de réadaptation dont les délinquants ont besoin, si nous voulons que nos rues soient effectivement plus sûres. Nos prisons débordent déjà. Près de 16 p. 100 de nos prisonniers sont deux par cellule. Un trop grand nombre d'entre eux sont même trois par cellule, alors que, selon les normes internationales, auxquelles nous adhérons prétendument, il faudrait s'en tenir à un prisonnier par cellule. Le Service correctionnel du Canada embauche du personnel intensivement, mais pas pour s'occuper des programmes.
Quatrième mythe : les coûts du programme de lutte contre la criminalité seront peu élevés et n'entrent, de toute façon, pas en ligne de compte. Nous savons tous que le directeur parlementaire du budget ne partage pas ce point de vue. Pensez aussi à l'incidence que cette mesure aura sur les provinces et sur les territoires, incidence qui sera d'autant plus importante que c'est dans les prisons provinciales et territoriales que se trouvent la majorité des prisonniers canadiens.
Le Nunavut, l'Ontario et le Québec ont exprimé leurs préoccupations. En Ontario, on s'attend à ce que certains établissements carcéraux fonctionnent à 150 p. 100 de leur capacité. Sachez, honorables sénateurs, qu'aux États-Unis, où, comme nous le savons, on n'est pourtant pas indulgent envers les criminels, les tribunaux ont estimé que l'incarcération dans une prison qui fonctionne à 137,5 p. 100 de sa capacité constitue un châtiment cruel et inusité. Or, les nôtres fonctionneront à 150 p. 100 de leur capacité.
Songez aux petites provinces. À l'Île-du-Prince-Édouard, que le sénateur Cowan a mentionnée, simplement à cause des projets de loi qui ont déjà été adoptés, la demande de places dans les prisons pour adultes augmente de près de 15 p. 100 par trimestre, selon les données fournies par le gouvernement de la province. Il s'agit d'une augmentation de la population carcérale de 15 p. 100 par trimestre qui résulte en grande partie des récentes modifications apportées à la législation fédérale et d'un changement de profil de la clientèle carcérale.
Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, accordons-nous cinq minutes de plus au sénateur?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Fraser : Comme je l'ai laissé entendre plus tôt, la suppression des peines d'emprisonnement avec sursis aura de très importantes répercussions directes sur les établissements provinciaux.
(1920)
Enfin, laissez-moi vous parler du mythe le plus cruel de tous, qui a également été mentionné par le sénateur Cowan. Je parle du mythe perpétué par le gouvernement selon lequel ce projet de loi aidera les victimes. Il est vrai que cela leur donnera une voix légèrement plus forte dans certains cas, mais cela ne fera rien d'autre pour elles.
Un témoin de l'Association du Barreau canadien nous a dit ceci :
Sans ressources supplémentaires, je peux vous dire que les victimes ne seront pas très satisfaites de voir des accusations retirées pour cause de retard. [...] La réalité est que le système n'est pas en mesure de mettre en œuvre ce projet de loi. [...] Sur le terrain, il n'y a pas de ressources pour mettre en œuvre ce projet de loi et vous allez susciter de fausses attentes chez les victimes, ce qui n'est pas juste.
Rien dans ce projet de loi n'aidera à guider les victimes à travers les dédales du système qui les laisse tomber maintenant et qui continuera de le faire.
Enfin, j'aimerais dire qu'il faux pas dire que toutes les victimes appuient ce projet de loi. Tous les sénateurs ont reçu une lettre de Matthew Cook, un habitant de Victoria, en Colombie-Britannique, mais je ne sais pas s'ils l'ont tous lue. Il y a trois ans, un jeune homme en état d'ébriété est entré chez lui par effraction. Il a pris un couteau de cuisine et s'en est servi pour poignarder la femme de M. Cook. Il lui a ouvert une artère, et lui a sectionné des nerfs. Mme Cook souffre d'une invalidité permanente, et son mari et elle ont subi d'énormes pertes financières à cause de cet incident.
M. Cook écrit ce qui suit :
[...] Après cet incident, j'ai commencé à travailler dans une résidence communautaire administrée par l'Armée du Salut, une maison de transition pour les hommes qui sont en libération conditionnelle. De ce fait je pense être à même de mieux comprendre notre système de justice pénale parce que je l'ai vu à travers les yeux des victimes et que, dans le cadre de mon travail au sein du système, j'ai pu nouer des relations avec des hommes qui ont commis des crimes similaires à celui que je vous ai décrit [...]
M. Cook s'oppose à l'imposition de peines minimales obligatoires, car il croit qu'elles ne feront que plonger davantage les délinquants primaires dans une culture du crime. Il affirme ceci :
Je constate que ce sont les liens noués en prison qui finissent par faire dérailler les bonnes intentions d'un détenu en libération conditionnelle et que des peines plus longues ne feront que renforcer ces liens.
Il termine sa lettre par ce que son épouse a dit à son assaillant dans sa déclaration de victime :
J'espère que votre passage en prison vous donnera l'occasion de mûrir et de faire un examen de conscience fructueux.
M. Cook dit ce qui suit :
N'est-ce pas pour cela que nous avons des pénitenciers? Pour donner aux hommes la possibilité de se repentir et de réintégrer la société guéris? Cela ne devrait-il pas être l'idéal auquel aspire notre pays? Je ne vois pas ces idéaux représentés dans le projet de loi C-10. Je vois un projet de loi qui va nous coûter cher, financièrement et moralement. Je vous implore, vous qui faites un second examen objectif, d'en empêcher l'adoption.
L'honorable Marjory LeBreton (leader du gouvernement) : Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi de prendre la parole aujourd'hui en qualité de leader du gouvernement au Sénat au sujet du projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés.
Le 2 mai 2011, les Canadiens, par leur appui massif, ont donné un mandat clair au premier ministre Harper et au Parti conservateur du Canada. Ils ont voté massivement en faveur d'un gouvernement conservateur majoritaire déterminé, entre autres, à protéger la société et à tenir les criminels responsables de leurs actes. Comme maints sénateurs le savent, le projet de loi C-10 remplit l'engagement pris par le gouvernement dans le discours du Trône de présenter des mesures législatives importantes pour protéger les Canadiens des criminels et des terroristes.
Comme nous l'avons déjà entendu à la Chambre des communes et au Sénat, le gouvernement a regroupé neuf projets de loi importants en matière de criminalité qui étaient inscrits au Feuilleton à différentes étapes de leur étude lors de la dernière législature. Nous savons tous ce qui est arrivé. L'opposition officielle — le Parti libéral à l'époque — s'est jointe aux autres partis de l'opposition pour défaire le gouvernement il y a 11 mois. Les Canadiens en ont pris note et ont élu un gouvernement conservateur majoritaire. Le projet de loi C-10 est une mesure législative complète qui rassemble tous ces éléments et répond aux préoccupations des Canadiens.
Les Canadiens veulent se sentir en sécurité dans leurs propres collectivités. Nous devons faire en sorte qu'ils le soient. En tant que Canadiens, nous voulons pouvoir élever nos enfants sans craindre que des criminels traînent dans nos rues et dans nos quartiers. Nous voulons et devons mettre un terme au commerce des trafiquants de stupéfiants qui vendent des drogues dangereuses et nocives près de nos terrains de jeux et de nos écoles. Nous ne voulons absolument pas être confrontés à des prédateurs sexuels qui rôdent dans les environs, un grand nombre ayant bénéficié d'une libération anticipée.
Le projet de loi contribue considérablement à instaurer des conditions grâce auxquelles les Canadiens se sentiront plus en sécurité dans leurs collectivités.
Honorables sénateurs, je veux rendre un hommage tout particulier à mon collègue, le sénateur Boisvenu, ainsi qu'à d'autres défenseurs des victimes de crimes. Sans relâche, ils ont tenté de faire comprendre à l'opposition l'importance d'adopter ce projet de loi rapidement afin que notre gouvernement puisse tenir ses engagements envers les Canadiens. Tout le monde connaissait et comprenait les propos que nous avons tenus pendant la campagne électorale — et avant — et ce que nous avions promis de faire.
Des personnes très respectées, comme Joe Wamback, Sharon Rosenfeldt et Sheldon Kennedy, ont souligné publiquement à maintes occasions la nécessité de réformer notre système de justice et notre législation en matière de sécurité publique. Ces ardents défenseurs du projet de loi ont préconisé son adoption sans délai. Qui peut mieux comprendre la douleur et la souffrance des victimes que le sénateur Boisvenu, Joe Wamback, Sharon Rosenfeldt et Sheldon Kennedy?
Je songe à mon amie Sharon, dont le fils a été une victime de Clifford Olson. Je ne sais pas comment elle a pu conserver sa santé mentale et sa dignité durant cette longue épreuve. Prenons le sénateur Boisvenu. Qui parmi nous voudrait être à sa place? Nous avons, envers eux tous, une immense dette de gratitude pour leur travail généreux et inlassable au nom des victimes du crime.
Des voix : Bravo!
Le sénateur LeBreton : Au Sénat, en tant que porte-parole de Canadiens de tous âges, d'un bout à l'autre du pays, nous avons le devoir de défendre les victimes de crimes, de protéger nos concitoyens, et de faire ce qu'il faut pour bâtir un Canada plus fort, plus sûr et meilleur. Cette mesure globale est un autre jalon important dans le cheminement vers cet objectif.
Tous les sénateurs siégeant ici ont vraisemblablement entendu des commentaires au sujet de ce projet de loi dans leurs collectivités. De fait, j'ai entendu plusieurs opinions dans ma propre communauté, Manotick, au sud d'Ottawa. J'ai aussi entendu la réaction de Canadiens d'un peu partout au pays. Leur message a été clair. Ils réclament des communautés plus sûres pour leurs familles. Ils comptent sur nous, sur leur gouvernement et sur tous les parlementaires pour prendre les mesures nécessaires pour y arriver.
Je vais maintenant aborder brièvement le contenu du projet de loi C-10 et expliquer les cinq parties qui le composent. La partie 1 englobe des réformes visant à décourager le terrorisme; elle offre un soutien aux victimes d'attentats terroristes et modifie la Loi sur l'immunité des États. La partie 2 inclut des réformes relatives à la détermination de la peine qui cibleront les auteurs d'agressions sexuelles contre les enfants et d'infractions graves en matière de drogue; en outre, les condamnations avec sursis seront supprimées pour des crimes graves et violents et des crimes contre les biens. La partie 3 renferme des réformes applicables après le prononcé de la peine dont le but est d'augmenter la responsabilité des criminels, d'éliminer la réhabilitation pour les crimes graves et de renforcer le régime international de transfèrement des criminels. La partie 4 inclut des réformes visant à mieux protéger les Canadiens contre les jeunes délinquants violents et récidivistes. Enfin, la partie 5 prévoit des réformes dans le domaine de l'immigration afin de mieux protéger les travailleurs étrangers vulnérables contre les mauvais traitements et l'exploitation, y compris la traite des personnes.
Bien qu'on ait reproché au projet de loi d'être compliqué et difficile à comprendre, je rappelle à mes collègues que ces réformes ne sont ni nouvelles ni inconnues des deux Chambres du Parlement. Elles ne sont certainement pas inconnues des Canadiens. Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, ces réformes ont toutes déjà été présentées au Parlement avant de mourir au Feuilleton à la suite de la dissolution de la précédente législature.
(1930)
Je voudrais aussi rappeler à mes honorables collègues qu'un grand nombre d'initiatives proposées dans ce projet de loi ont été débattues, étudiées et même adoptées au moins une ou deux fois par les deux Chambres à différentes étapes du processus législatif.
On ne peut pas vraiment dire qu'on soit en terrain nouveau ou inconnu. Pour l'essentiel, le projet de loi omnibus propose de nouveau des réformes cruciales de notre système de justice pénale exactement dans la même forme que celles-ci avaient auparavant, avec des changements techniques qui étaient nécessaires pour pouvoir les intégrer dans un seul projet de loi présenté au Parlement, le C-10.
Dans un effort pour que tous les sénateurs aient une bonne compréhension de ce projet de loi, je vais profiter de l'occasion pour faire un survol de ses diverses parties, surtout les éléments qui ont été mal compris, mal expliqués et je dirais même qui ont fait l'objet d'une confusion délibérée.
Les modifications proposées à la partie 1 vise à contrer le terrorisme au moyen d'une nouvelle loi proposée, la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme. Ces réformes reconnaissent que « le terrorisme est une question d'intérêt national qui touche la sécurité de la nation » et qu'il est prioritaire de « prévenir et de décourager les actes de terrorisme contre le Canada et les Canadiens ».
La menace réelle et imminente de terrorisme demeure constante pour des pays comme le Canada et les États-Unis — en fait, pour n'importe quel pays du monde libre — et nous devons toujours demeurer vigilants. C'est pourquoi l'on propose dans la partie 1 de permettre aux victimes d'actes de terrorisme de poursuivre les terroristes et ceux qui les soutiennent, y compris les États étrangers inscrits sur une liste, pour des pertes ou des dommages subis à la suite d'un acte de terrorisme ou d'une omission survenu n'importe où dans le monde depuis le 1er janvier 1985.
Nous devons faire cela en l'honneur des victimes des attentats terroristes comme ceux du 11 septembre et pour reconnaître la douleur et la souffrance des êtres chers qui ont survécu, comme Maureen Basnicki qui, je crois, est à la tribune du Sénat aujourd'hui.
On propose aussi de modifier la Loi sur l'immunité des États, de manière à retirer l'immunité à ces États qui sont inscrits sur la liste de ceux qui appuient le terrorisme.
Les sénateurs se rappelleront que les modifications proposées dans la partie 1 du projet de loi C-10 avaient auparavant été proposées et adoptées par le Sénat sous la forme du projet de loi S-7, intitulé Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme, durant la précédente session du Parlement. Notre collègue, le sénateur Dave Tkachuk, mérite des remerciements pour ses efforts à l'appui de ces importantes mesures.
Dans la partie 2, on propose d'importantes modifications au Code criminel et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances pour faire en sorte que les crimes graves et violents comme l'exploitation sexuelle d'enfants et les graves infractions en matière de drogue reçoivent des peines qui reflètent effectivement la gravité des crimes.
Cette partie du projet de loi inclut l'ancien projet de loi S-10, la Loi sur les peines sanctionnant le crime organisé en matière de drogue. Les sénateurs se rappelleront que dans la législature précédente, on avait proposé de modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances en vue d'imposer des peines obligatoires pour les infractions de production, trafic, possession aux fins du trafic, importation et exportation ou possession aux fins de l'exportation d'une drogue inscrite à l'annexe I, par exemple, l'héroïne, la cocaïne et la méthamphétamine, et de drogues de l'annexe II comme la marijuana.
Ces peines minimales obligatoires s'appliqueraient lorsqu'il y a un facteur aggravant, y compris lorsque la production de la drogue posait un risque potentiel pour la sécurité ou la santé, ou encore si l'infraction a été commise dans une école ou aux alentours d'une école.
De plus, ce projet de loi doublerait la peine maximale prévue pour la production de drogues de l'annexe II comme la marijuana, peine qui passerait de sept à 14 ans, et ferait passer de l'annexe III à l'annexe I les drogues connues couramment sous le nom de drogue du viol.
Pour établir le contexte, je précise que les drogues de l'annexe III comprennent diverses drogues visant à traiter le trouble du déficit d'attention comme Adderall et Ritalin. On trouve aussi à l'annexe III certains champignons psychédéliques, contrairement à l'annexe I, qui comprend des drogues comme l'héroïne, la méthamphétamine, la cocaïne et le PCP.
En conséquence, ces infractions seront maintenant passibles de peines maximales plus sévères, ce qui permettra d'assurer la sécurité des Canadiens en tenant les criminels à l'écart de nos rues et de nos collectivités pendant de plus longues périodes, et il y aura dissuasion — je pense que nous négligeons ce fait, honorables sénateurs; ces peines ont réellement un effet dissuasif pour d'autres criminels potentiels, et cela peut se prouver.
Cette partie du projet de loi C-10 permettrait aussi à un tribunal de reporter la détermination de la peine pendant que le délinquant toxicomane participe à un programme de traitement sous la surveillance du tribunal et, si le délinquant complète un tel programme avec succès, il permettrait au tribunal d'imposer une peine autre que la peine minimale.
Permettez-moi de répéter cette phrase, car ils passent toujours outre ces dispositions. Cette partie du projet de loi C-10 permettrait aussi à un tribunal de reporter la détermination de la peine pendant que le délinquant toxicomane participe à un programme de traitement sous la surveillance du tribunal et, si le délinquant termine un tel programme avec succès, il permettrait au tribunal d'imposer une peine autre que la peine minimale. Il est important que nous comprenions tous cela.
Le gouvernement est résolu à maintenir la sécurité de nos collectivités, tout en permettant aux délinquants de participer à des programmes de traitement de la toxicomanie, qui les aident à améliorer leur qualité de vie et, espérons-le, à contribuer à la société. Selon le mythe dont parle le sénateur Fraser le gouvernement ou quiconque dans la société ne ferait pas tout en son pouvoir pour tenter d'aider les personnes qui sont dépendantes de la drogue. Il est faux de laisser entendre que nous n'axerions pas tous nos efforts sur l'aide à prodiguer à ces personnes.
L'inclusion de ces mesures dans le projet de loi C-10 signifie que celui-ci a été présenté à quatre reprises.
Soit dit en passant, ces importantes mesures ont été adoptées par les deux Chambres, mais jamais au cours de la même session parlementaire. Ce projet de loi est identique à celui qui est mort au Feuilleton à la dissolution de la dernière législature.
Comme d'autres l'ont dit, nous avons tous reçu des tonnes de courriels, mais je dois dire — et je pense que vous en conviendrez aussi — que, dans un très grand nombre de cas, le texte était exactement le même; seul le nom du signataire était différent. C'est la chose la plus facile à faire au monde. Il n'est même pas nécessaire de réfléchir au contenu de la lettre; il suffit d'y inscrire son nom.
Évidemment, d'autres personnes nous ont fait part de leurs préoccupations légitimes et nous leur avons répondu. Toutefois, les gens qui nous ont inondés de lettres types estiment que les infractions graves liées à la drogue n'exigent pas l'adoption de mesures comme celles qui sont prévues dans ce projet de loi exhaustif. À l'instar de nombreux experts, je ne souscris pas du tout à ce point de vue. En fait, les statistiques prouvent le bien-fondé de ces mesures.
Les infractions graves liées à la drogue constituent un problème de taille au Canada et exigent une approche législative sérieuse. C'est ce que nous sommes en train de faire et c'est pourquoi nous avons présenté ce projet de loi.
Par exemple, le nombre d'infractions liées à la culture de marijuana a considérablement augmenté au cours des dernières années. En outre, d'après les données de la GRC, la production de drogues synthétiques a également augmenté au cours des dix dernières années. En effet, ces données indiquent que 25 laboratoires clandestins ont été démantelés dans l'ensemble du Canada en 2002, contre 43 en 2008. Une année plus tard, les divers corps policiers ont démantelé 45 laboratoires clandestins additionnels. La majorité de ces laboratoires produisaient de la méthamphétamine et de l'ecstasy. Il suffit de lire les journaux, surtout en Alberta, pour se rendre compte des ravages que font les drogues produites dans ces laboratoires. Elles sont dangereuses et ont causé la mort de nombreux Canadiens, surtout de jeunes Canadiens — nos enfants.
Le premier ministre Harper — les honorables sénateurs s'en souviennent sûrement, car je sais que nous suivons tous de très près ce que fait le premier ministre Harper — a dévoilé la Stratégie nationale antidrogue du Canada en octobre 2007. Cette stratégie était assortie de ressources nouvelles pour prévenir l'utilisation de drogues illégales, y compris les drogues utilisées par les jeunes. Elle était également assortie d'un plan pour traiter les toxicomanes et, bien sûr, de mesures de lutte contre le crime organisé et les crimes liés aux drogues illégales.
(1940)
La Stratégie nationale antidrogue comprend deux volets, à savoir sévir contre les crimes liés à la drogue et offrir un traitement aux toxicomanes. Elle se décompose en trois plans d'action : prévenir la consommation de drogues illicites, traiter les toxicomanes et lutter contre la production et la distribution de stupéfiants.
Malheureusement, parce que le nombre d'installations liées à la production et à la distribution de marijuana et de drogues synthétiques a augmenté en flèche au Canada, nous sommes confrontés à un grave problème. La situation est plus problématique dans certaines régions du Canada que d'autres. Elle est devenue très problématique dans plusieurs régions du pays et les autorités policières sont, à vrai dire, débordées. Comme nous l'avons tous entendu dire, le gouvernement n'est pas le seul à penser que les peines pour les infractions liées à la drogue et les peines imposées aux délinquants sont beaucoup trop clémentes et ne sont pas proportionnelles aux torts que ces activités causent aux collectivités. Les réformes proposées par le gouvernement dans le projet de loi C-10 répondront à ces préoccupations.
La partie 2 du projet de loi C-10 comprend des réformes qui avaient été proposées dans l'ancien projet de loi C-16, Loi mettant fin à la détention à domicile de contrevenants violents et dangereux ayant commis des crimes contre les biens ou d'autres crimes graves. Ces réformes indiquaient clairement que les peines d'emprisonnement avec sursis ne seraient pas envisageables pour les infractions passibles d'une peine maximale d'emprisonnement de 14 ans ou d'emprisonnement à perpétuité, les infractions poursuivies par mise en accusation et passibles d'une peine maximale d'emprisonnement de 10 ans dont la perpétration entraîne des lésions corporelles, qui mettent en cause l'importation, l'exportation, le trafic ou la production de drogues ou qui mettent en cause l'usage d'une arme, ni pour certaines infractions graves contre les biens et certains crimes violents passibles de dix ans d'emprisonnement et poursuivis par mise en accusation, comme le harcèlement criminel, la traite de personnes et le vol de plus de 5 000 $.
Nos collègues de l'autre endroit se rappelleront sans difficulté que c'est la troisième fois que le gouvernement conservateur présente ces réformes. Chaque fois, la Chambre des communes avait approuvé les principes et l'étendue de la mesure législative à l'étape de la deuxième lecture.
J'aimerais signaler que quelques modifications de forme ont récemment été apportées à la liste des infractions exclues passibles d'un maximum de 10 ans d'emprisonnement, afin d'inclure la nouvelle infraction de vol d'un véhicule à moteur et de faire en sorte que les dispositions de la version proposée de l'article 172.1 qui portent sur l'imposition de peines minimales obligatoires tiennent compte de l'amendement concernant les peines d'emprisonnement avec sursis.
Une importante section de la partie 2 du projet de loi C-10 prévoit de nouvelles peines minimales obligatoires plus lourdes pour toutes les formes d'exploitation sexuelle des enfants, comme le proposait l'ancien projet de loi C-54. Je suis certaine que tous les sénateurs s'entendent sur l'importance capitale de cette disposition du projet de loi. Plusieurs comités sénatoriaux ont entendu des victimes d'abus sexuels témoigner dans le cadre de différentes études. Il ne fait aucun doute que, malheureusement, l'exploitation sexuelle bouleverse la vie de nombreux Canadiens et que trop d'entre eux ont dû en subir les conséquences toute leur vie. Nous connaissons tous les cas très médiatisés de Sheldon Kennedy et de Theo Fleury et, dans le cadre des travaux de certains de nos excellents comités, nous avons entendu les histoires d'enfants de partout au pays qui ont été victimes d'actes cruels et innommables.
Outre de nouvelles peines minimales obligatoires plus lourdes, les réformes prévues dans la partie 2 du projet de loi créeraient deux nouvelles infractions qui favoriseront la prévention d'infractions d'ordre sexuel à l'égard d'un enfant. Ayant moi-même des enfants et des petits-enfants, je suis particulièrement fière du fait que le gouvernement considère cette question comme importante et urgente et qu'il fasse en sorte que les tribunaux imposent des conditions visant à empêcher une personne soupçonnée ou reconnue coupable de crimes d'ordre sexuel à l'égard d'enfants d'adopter des comportements susceptibles de faciliter ces crimes ou d'en permettre la perpétration.
L'ancien projet de loi C-54 avait reçu l'aval de tous les partis à la Chambre des communes.
Honorables sénateurs, vous vous souviendrez que le projet de loi en était à l'étape de la troisième lecture au Sénat lorsqu'il est mort au Feuilleton parce que les partis de l'opposition ont décidé de déclencher des élections inutiles et onéreuses qui leur ont été coûteuses à bien des égards.
Mes collègues conservateurs ont tous été très déçus. Je me rappelle à quel point ils étaient mécontents lorsque le projet de loi est mort au Feuilleton. Il aurait dû être adopté et il devrait être en vigueur aujourd'hui, car il est essentiel que ces mesures, qui visent à protéger les enfants du Canada, soient mises en œuvre. Or, nous avons de nouveau la possibilité de les adopter aujourd'hui.
Comme vous le savez, le gouvernement a apporté des changements au projet de loi depuis qu'il est mort au Feuilleton. Il a notamment augmenté les sanctions maximales et haussé du même coup les peines minimales obligatoires pour qu'elles soient proportionnelles à la nature des infractions. Nous avons aussi modifié le projet de loi de façon à y intégrer la production et la distribution de pornographie juvénile et à élargir cette disposition pour qu'elle s'applique au parent ou au tuteur qui pousse son enfant à commettre des actes sexuels interdits. Les changements que nous avons apportés au projet de loi respectent les objectifs de l'ancien projet de loi C-54.
De plus, les deux nouvelles infractions d'ordre sexuel seraient ajoutées à l'annexe 1 de la Loi sur le casier judiciaire afin que les personnes reconnues coupables de l'une ou l'autre de ces infractions soient soumises à la même période d'inadmissibilité pour la présentation d'une demande de suspension du casier judiciaire — ce qu'on appelle actuellement une demande de réhabilitation — que les personnes qui ont commis d'autres infractions d'ordre sexuel contre des enfants, ce qui est crucial. Je suis convaincue que les sénateurs conviendront que l'exploitation sexuelle des jeunes enfants est un crime des plus odieux, un crime inconcevable, et que le châtiment doit être à l'avenant.
Les changements apportés au projet de loi C-10 visent à condamner, de façon cohérente et adéquate, toutes les formes d'exploitation sexuelle des enfants par l'imposition de nouvelles peines d'emprisonnement obligatoires plus lourdes et de sanctions maximales plus longues.
Nous nous attaquons aussi à la grave question des crimes liés à la drogue au Canada, particulièrement lorsqu'ils sont le fait de groupes criminels organisés ou qu'ils visent les jeunes, parce que nous connaissons tous les répercussions de tels crimes sur la collectivité.
Je passe maintenant à la troisième partie du projet de loi C-10.
Cette partie du projet de loi propose des réformes aux règles applicables après le prononcé de la peine pour assurer un meilleur soutien aux victimes; il porte aussi sur la responsabilité du délinquant. J'ai entendu le commentaire de madame le sénateur Fraser concernant les victimes : elle a affirmé qu'il s'agissait de l'aspect le plus triste de ce projet de loi. Vous saurez que l'aspect le plus triste du présent débat, sénateur Fraser, c'est que vous pensez que les victimes ne souhaiteraient pas que nous fassions tout en notre pouvoir pour punir les responsables de ces horribles actes. Le gouvernement a répondu à la détresse des victimes et il a fait davantage pour les victimes que tout autre gouvernement du Canada.
C'est tout à fait limpide et c'est ce qui est ressorti à plusieurs reprises des discussions que j'ai eues avec les Canadiens, et je sais que mes collègues conservateurs des deux Chambres l'ont aussi souvent entendu. En ce qui concerne les coûts, ils savent qu'aucune dépense n'est trop élevée pour punir les criminels. Le plus important, c'est le coût pour les victimes et pour la société. Le coût de l'emprisonnement des contrevenants ne pèse donc aucunement dans la balance.
Les Canadiens sont révoltés lorsque des délinquants reçoivent une tape sur les doigts et gagnent un séjour tout compris dans un établissement carcéral. Ils veulent avoir une confiance inébranlable dans notre appareil judiciaire; il faut donc, pour ce faire, que les délinquants soient tenus responsables de leurs crimes.
La partie 3, tout comme les parties 1 et 2, prévoit des réformes qui ont déjà été présentées dans d'autres projets de loi dont le Parlement a été saisi lors de la dernière législature. Il n'y a rien de nouveau. Nous en débattons depuis six ans. Remarquez que les opposants n'en ont pas parlé beaucoup avant ça.
La partie 3 du projet de loi C-10 renferme aussi des propositions tirées du projet de loi supprimant la libération anticipée des délinquants et accroissant leur responsabilité Ces propositions modifieraient la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour reconnaître les droits des victimes, augmenter la responsabilité des délinquants et moderniser le système disciplinaire des détenus. Nous avons été très clairs. Le gouvernement est déterminé à prendre le parti des Canadiens, mais surtout, des victimes d'actes criminels. Nous croyons que les criminels doivent assumer la pleine responsabilité de leurs crimes. Je pense que tous les Canadiens sont également d'avis que pour prévenir la criminalité, il faut prévoir des conséquences, qui prennent la forme de peines appropriées et raisonnables.
(1950)
Ce projet de loi prévoit des mesures contre les comportements irrespectueux, intimidants ou agressifs des détenus des pénitenciers fédéraux du Canada, notamment le fait de lancer des substances corporelles. Il limiterait aussi les droits de visite des détenus qui ont été placés en isolement en raison d'infractions disciplinaires graves. Comme mon collègue, l'honorable Vic Toews, l'a déjà dit, les agents de première ligne du Service correctionnel ont réclamé de telles mesures, et nous sommes très fiers de pouvoir les satisfaire.
Je suis aussi très fière que le gouvernement se soit engagé à transformer notre système correctionnel afin de s'assurer qu'il joue son rôle correctionnel, que les pénitenciers ne deviennent pas des lieux où les contrevenants qui ont fait des victimes pourront se la couler douce. Comme de nombreux sénateurs le savent déjà, le gouvernement a pris d'importantes mesures pour donner suite aux recommandations énoncées dans la Feuille de route pour une sécurité publique accrue. Le projet de loi C-10, qui en est maintenant à l'étape de la troisième lecture ici, au Sénat, est la suite de cet important travail.
Cette initiative, qui a été présentée de nouveau dans le cadre du projet de loi C-10, propose maintenant des modifications de forme pour supprimer des dispositions adoptées précédemment dans le cadre de la Loi sur l'abolition de la libération anticipée des criminels, et prévoit des précisions sur des aspects comme le calcul de la peine, l'ajout de nouvelles infractions promulguées récemment dans d'autres lois et le changement du nom de la Commission nationale des libérations conditionnelles, qui deviendra la Commission des libérations conditionnelles du Canada.
Il comporte aussi des propositions qui avaient déjà été présentées dans le projet de loi C-5, Loi visant à assurer la sécurité des Canadiens, ou Loi sur le transfèrement international des délinquants. Ces propositions amélioreraient la sécurité publique en inscrivant dans la loi un certain nombre de nouveaux facteurs clés dont il faudra tenir compte au moment de décider du transfèrement de délinquants au Canada. Le projet de loi propose ces changements tels qu'ils ont été présentés la première fois.
On présente aussi de nouveau, dans le cadre du projet de loi C-10, des propositions qui étaient prévues dans le projet de loi visant à supprimer l'admissibilité à la réhabilitation pour des crimes graves, présenté à la dernière législature. Cette disposition augmenterait la période d'inadmissibilité à une suspension du casier, que l'on appelle actuellement une réhabilitation — un terme qui ne convient guère à mon avis — et permettrait de supprimer l'admissibilité à la suspension du casier pour certaines infractions et pour les personnes qui ont été condamnées pour plus de trois infractions dont chacune a fait l'objet d'une poursuite par voie de mise en accusation et qui se sont vu infliger pour chacune une peine d'emprisonnement de deux ans ou plus. Ce projet de loi corrige les incohérences qui se trouvaient dans les anciens projets de loi présentés au Parlement, mais correspond aux objectifs du gouvernement.
Le grave problème des jeunes contrevenants violents et récidivistes est un des aspects du droit criminel et du système de justice qui intéresse de nombreux Canadiens, moi y compris. L'honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice, a déclaré à plusieurs reprises qu'il a reçu beaucoup de messages de la part des Canadiens à cet égard, et je peux attester que mon bureau continue lui aussi d'en recevoir. C'est un sujet dont j'entends beaucoup parler.
La partie 4 du projet de loi C-10 réformerait la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents pour lui donner plus de mordant à l'égard des délinquants violents et récidivistes. Cette mesure est attendue depuis longtemps. Les Canadiens réclament ces changements depuis des années. Le gouvernement tient sa promesse aux Canadiens. Nous avons bien reçu leur message le 2 mai dernier et nous prenons fort au sérieux notre responsabilité de rendre les collectivités plus sûres. J'invite mes collègues de l'opposition à faire de même.
Les modifications que nous proposons sont les suivants : souligner la protection du public en tant que principe, ce qui facilitera la détention des adolescents accusés d'infractions graves dans l'attente d'un procès; s'assurer que les procureurs envisagent la possibilité de demander une peine applicable aux adultes pour les crimes les plus graves; empêcher les jeunes de moins de 18 ans d'être emprisonnés dans un établissement pour adultes, ce qui fait l'objet d'une autre fausseté qui refait sans cesse surface; et obliger les services de police à conserver des registres des mesures extrajudiciaires.
Plusieurs de mes collègues du Sénat se souviendront que ces modifications nécessaires avaient été proposées auparavant dans la Loi de Sébastien, qui avait été longuement étudiée par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes quand, malheureusement, elle est morte au Feuilleton pendant la dernière législature. Les provinces ont exprimé des préoccupations au sujet des dispositions de l'ancien projet de loi concernant l'assujettissement à la peine applicable aux adultes avant la tenue du procès et les ordonnances différées de placement sous garde. La nouvelle version du projet de loi tient compte des préoccupations que les provinces nous ont communiquées.
Par exemple, plusieurs provinces ont demandé à ce que les dispositions de détention avant le procès soient moins restrictives que celles qui étaient proposées dans le projet de loi C-4. Les modifications présentées dans le présent projet de loi donnent donc plus de latitude pour détenir les jeunes impossibles à contrôler et représentant un risque pour le public et pour eux-mêmes.
D'autres changements, mais de forme ceux-là, ont aussi été apportés. On a notamment supprimé les deux modifications suivantes apportées par le projet de loi C-4 : la suppression de la référence à la norme de preuve pour l'assujettissement à la peine applicable aux adultes, et la portée accrue des ordonnances différées de placement sous garde et de surveillance.
Enfin, la partie 5 propose des modifications à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés afin de permettre aux agents d'immigration de refuser d'émettre un permis de travail à des travailleurs étrangers si ce refus les protège contre le risque de subir un traitement dégradant ou attentatoire à la dignité humaine, notamment d'être exploités sexuellement ou d'être victimes de traite de personnes. Nos agents d'immigration jouent un rôle essentiel dans le processus d'immigration du Canada. Cette partie du projet de loi accroît les pouvoirs discrétionnaires des effectifs de première ligne, ce qui leur permettra du coup de mieux aider le gouvernement à lutter contre la traite de personnes.
Ces dispositions sont identiques à celles qui ont été proposées dans l'ancien projet de loi C-56 sur la prévention du trafic, de la maltraitance et de l'exploitation des immigrants vulnérables.
L'entrée en vigueur des réformes proposées dans l'actuel projet de loi serait semblable à celle proposée dans les projets de loi antérieurs. La partie 1 entrerait en vigueur dès que le projet de loi recevrait la sanction royale, tandis que les autres parties entreraient en vigueur à une date fixée par le gouverneur en conseil. Cela donnerait au gouvernement le temps de consulter les provinces et les territoires afin de déterminer combien de temps il faudrait pour mettre en œuvre ces réformes de manière efficace et en temps opportun.
Les Canadiens méritent de se sentir en sécurité dans leur résidence; les victimes méritent d'être traitées avec plus de respect; les agents des services correctionnels doivent avoir à leur disposition les outils dont ils ont besoin pour faire leur travail; et les délinquants doivent être prêts à assumer la responsabilité de leur comportement et, s'ils enfreignent les règles, à en subir les conséquences. Le projet de loi C-10 permettra d'atteindre tous ces objectifs.
Honorables sénateurs, je sais qu'il m'a fallu un certain temps pour passer en revue les détails de ce vaste projet de loi sur la criminalité, un projet de loi important présenté par le gouvernement, mais il m'apparaît essentiel que vous soyez bien au fait des mesures que prend le gouvernement afin de mieux protéger les victimes. Grâce aux discussions qui ont entouré tous les projets de loi quand ils ont été présentés au Parlement, et grâce au travail acharné qui a été accompli — je songe particulièrement aux quelque 60 heures que le comité sénatorial y a consacrées — nous avons donné à tous les intéressés de nombreuses occasions de comprendre ce projet de loi, puisqu'il est de notre devoir de veiller à la sécurité de nos collectivités et de défendre les intérêts des Canadiens respectueux des lois.
Au cours de la dernière campagne électorale, nous avons annoncé sans équivoque que ce projet serait prioritaire pour notre gouvernement. Nous avons regroupé les différents projets de loi afin de respecter cet engagement. On a fait un travail énorme et je suis certaine que vous conviendrez avec moi que nous avons consacré bien des heures, des mois et des années à examiner les détails de ce projet de loi.
Nos estimés collègues de la Chambre des communes ont étudié ce projet de loi avec soin afin d'exercer toute la diligence voulue. De nombreux députés ont pris la parole pour aborder des points importants pour leurs électeurs et pour tous les Canadiens.
Le gouvernement est fier des mesures prévues dans le projet de loi pour protéger les Canadiens et rendre nos rues, nos collectivités et notre pays plus sûrs. Si on se fie au mandat majoritaire que nous avons obtenu aux dernières élections, les Canadiens veulent que nous allions de l'avant. J'ai été heureuse de voir que, d'après un sondage réalisé au Québec, les Québécois appuient largement ces initiatives. Il vous serait impossible de savoir cela en lisant certains journaux de Montréal, mais c'est un fait.
(2000)
Ici, à la Chambre haute du Parlement, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a fait un travail d'étude phénoménal en rapport avec ce projet de loi. Sous la houlette de notre collègue, le sénateur John Wallace, le comité a entendu 106 témoins, pour plus de 60 heures de comparution. Je tiens à remercier personnellement tous les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles des deux côtés de la du Sénat pour leur dévouement et leur travail de réflexion.
Honorables sénateurs, je vous remercie de l'attention soutenue que vous m'avez accordée pendant que je passais en revue le projet de loi en détail. Je vous demande instamment de permettre au projet de loi de recevoir la sanction royale afin que nous puissions respecter nos engagements envers les Canadiens. J'espère que vous partagez la conviction de notre gouvernement selon laquelle la protection de la société doit primer dans notre système de justice.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 vise les crimes graves et violents au Canada, une catégorie de crimes qui est à la hausse selon les statistiques. En dépit de certains chiffres qui ont été avancés, les crimes violents se multiplient. Les Canadiens continuent de dire à notre gouvernement qu'ils sont en train de perdre confiance dans le système de justice, et je n'ai pas de mal à le croire. J'ai certainement perdu confiance dans le système de justice au niveau personnel. Le projet de loi C-10 est un jalon qui redonnera confiance aux Canadiens dans notre système de justice, un système dont la raison d'être est de les protéger. Les Canadiens veulent un système de justice équitable, cohérent et responsable. Le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés, fera en sorte que les citoyens et les familles respectueuses seront protégés, que les criminels auront des comptes à rendre pour leurs crimes, ces crimes qui compromettent la sécurité de la population et, chose primordiale, les victimes seront entendues, respectées et bien traitées.
L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je vais répondre à l'invitation qu'a lancée tout à l'heure le sénateur Wallace, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, lorsqu'il a interrogé le leader de l'opposition. Je vais donc éviter de faire des déclarations politiques de nature générale qui seraient susceptibles de recueillir une salve d'applaudissements ou d'alimenter les préjugés que certains d'entre nous pourraient éprouver à l'encontre de système ou de divers aspects des institutions juridiques canadiennes. Je vais plutôt axer mes commentaires sur certains éléments du projet de loi ayant trait à la Constitution et à la Charte.
En tant que législateurs, particulièrement au Sénat, il est de notre devoir de nous assurer que, lorsque nous adoptons une loi, nous le fassions avec tout le respect et la déférence qui est due à la Constitution du Canada, notamment en ce qui a trait au partage ou à la répartition des pouvoirs, ce qui constitue l'une des caractéristiques de notre système de gouvernement. Bien entendu, il faut aussi accorder aux dispositions de la Charte la primauté qui leur revient, particulièrement lorsque nous adoptons des lois en rapport avec le Code criminel. Nous savons que, lorsque c'est le cas, toutes nos décisions ont une incidence sur les libertés dont jouissent les Canadiens. S'il y a une valeur qui nous est chère dans ce pays, c'est la liberté et la dignité de chaque Canadien.
Je remercie le sénateur Baker, qui m'a fourni l'occasion d'exprimer mon opinion à cette étape du débat. Après avoir examiné les diverses parties du projet de loi passées en revue par le leader du gouvernement, je suis arrivé à la conclusion qu'au moins sept aspects de la mesure sont susceptibles de faire l'objet d'une contestation pour des motifs constitutionnels. Je le dis avec beaucoup d'inquiétude, car si le Parlement adopte des lois qui sont immédiatement contestées devant les tribunaux et dont les dispositions sont abrogées sur la base de la Constitution ou de la Charte, les Canadiens risquent de perdre confiance dans le travail du Parlement et dans le système judiciaire. Les Canadiens s'attendent à ce que le but principal du projet de loi soit avalisé par les tribunaux, mais lorsque les attentes et les promesses ne sont pas confirmées par les tribunaux, nous ne servons pas l'objectif visé par la loi et la confiance du Parlement. Les Canadiens doivent continuer à faire confiance au Parlement.
Le premier aspect du projet de loi qui pose problème est l'imposition de peines minimales obligatoires. Au cours des cinq dernières années, nous avons adopté plusieurs projets de loi prévoyant des peines minimales obligatoires. Nous avons, entre autres, adopté des modifications à l'article 95 du Code criminel concernant les armes à feu chargées et les dispositions relatives à la conduite en état d'ébriété causant des lésions et ultérieurement la mort. Je me rappelle que le leader de l'opposition avait alors parlé avec beaucoup d'éloquence de la nécessité d'adopter le projet de loi qui nous était soumis. Malheureusement, honorables sénateurs, ces deux dispositions adoptées à l'initiative du gouvernement et prévoyant des peines minimales obligatoires ont été invalidées par les tribunaux. La plus récente décision à cet égard a été rendue par la Cour supérieure de l'Ontario à la mi-février 2012 — il y a moins de deux semaines — dans l'affaire R. c. Smickle. La juge Molloy, qui présidait, est arrivée à la conclusion suivante :
Une personne raisonnable connaissant les circonstances de l'affaire et les principes qui sous-tendent la Charte et les dispositions générales du Code criminel relatives à la détermination des peines considérerait une peine de trois ans comme foncièrement injuste, disproportionnée, odieuse et inacceptable.
Il était question, dans ce jugement, des dispositions du Code criminel relatives aux armes à feu chargées que le Sénat a modifiées en 2007. Compte tenu de la Charte, on ne peut faire croire qu'une peine minimale obligatoire maintiendrait quelqu'un en prison pendant deux, trois ou cinq ans.
Il y a presque un an, en mars 2011, le juge Valmont Beaulieu, de la Cour du Québec, a rendu une décision semblable dans l'affaire R. c. Perry relativement aux modifications à la disposition concernant la conduite en état d'ébriété.
[Français]
Dans son jugement, le juge Beaulieu affirme qu'en restreignant ainsi le pouvoir discrétionnaire du tribunal, ces nouvelles dispositions peuvent entraîner l'imposition de peines injustes, exagérément disproportionnées et inappropriées et que, ce faisant, le tribunal se trouve à imposer des peines arbitraires en violation des articles 7 et 9 de la Charte.
[Traduction]
En moins d'un an, on nous a dit que les peines minimales obligatoires sont fragiles, voire vulnérables, sur le plan constitutionnel. Si nous continuons de légiférer par l'entremise du Code criminel et d'appliquer des peines minimales à toutes sortes de crimes pour diverses raisons, bonnes et moins bonnes, nous devrons certainement suivre la recommandation que des représentants de l'Association du Barreau ont faite lors de leur comparution au comité le 8 février dernier : intégrer une soupape de sécurité dans le Code criminel. M. Daniel MacRury, président de la Section nationale du droit pénal de l'Association du Barreau canadien, a suggéré l'ajout suivant :
Lorsque l'imposition d'une peine minimale obligatoire risque d'entraîner une injustice dans des circonstances extraordinaires, le tribunal peut envisager d'autres peines.
(2010)
J'ajouterais « en justifiant sa décision par écrit ». Je crois que les peines minimales seraient ainsi maintenues, mais au moins le tribunal n'aurait pas à rendre continuellement des décisions pour que ces peines minimales soient mises de côté.
Comme ma collègue, madame le sénateur Jaffer, l'a dit tout à l'heure, d'autres pays occidentaux imposent des peines minimales obligatoires, tels que les États-Unis, l'Australie et le Royaume-Uni, et une soupape de sécurité est prévue dans leur droit pénal. Autrement dit, nous ne ferions rien qui soit tout à fait contraire à la tradition du droit pénal dans les pays qui empruntent et adoptent des traditions semblables en matière pénal.
Les autres aspects des peines minimales obligatoires qui pourraient, à mon avis, donner lieu à une contestation judiciaire sont les retombées de ces décisions sur les Autochtones. Voici ce qui pourrait se passer. Comme vous le savez, honorables sénateurs, dans la célèbre affaire Gladue, la Cour suprême était arrivée à la conclusion que, comme les Autochtones du Canada avaient fait l'objet d'une discrimination systémique, la cour qui était appelée à prononcer une peine devait tenir compte des circonstances particulières liées à leur statut d'autochtone. C'est ce qu'on appelle le principe Gladue. Nous savons tous que les Autochtones sont surreprésentés dans les prisons du Canada. Mon collègue, le sénateur Cowan, nous a donné des chiffres. Je vais en répéter quelques-uns.
Dans les provinces des Prairies, les Autochtones représentent 60 p. 100 des détenus. Ils comptent pour environ 18,5 p. 100 de la population carcérale du Canada alors qu'ils ne constituent en fait que 2,7 p. 100 de la population canadienne. Autrement dit, la présence des Autochtones dans les prisons constitue un problème systémique. C'est ce qu'a dit la Cour suprême du Canada, et c'est pour cela que, lors de législatures précédentes, nous avons modifié l'alinéa 718.2e) du Code criminel pour que le juge chargé de prononcer la peine tienne compte de la condition particulière des Autochtones qui font l'objet d'une discrimination systémique dans le système judiciaire.
Que va-t-il se passer avec le projet de loi C-10? Il pose un problème délicat. Il ne mentionne pas les Autochtones mais, puisqu'il accroît le nombre de peines minimales, le principe Gladue ne compte plus. Quand un Autochtone sera déclaré coupable par un tribunal, on ne tiendra plus compte du fait que c'est un Autochtone. Cela veut dire que plus on imposera de peines minimales, moins les Autochtones seront protégés par les dispositions dont la Cour suprême a décidé qu'on devait obligatoirement tenir compte avant de prononcer une sentence. Autrement dit, on prive les Autochtones de la protection que leur a reconnue la Cour suprême dans une décision historique à propos de la présence des Autochtones dans le système de justice pénale du Canada. En multipliant les peines minimales, on finit par annuler l'effet de la décision Gladue.
À mon humble avis, ce qui va se passer, c'est que les avocats et les groupes d'avocats qui défendent des Autochtones, comme le groupe de Kenora que nous avons entendu au comité, vont contester la constitutionnalité de ces peines minimales puisqu'elles constitueront une négation de la protection à laquelle ils ont droit en vertu de notre Constitution. C'est très grave, et c'est ma deuxième objection en ce qui concerne la constitutionnalité de ce projet de loi.
Ma troisième inquiétude a trait aux dispositions du projet de loi qui portent sur la justice pour les adolescents. Dans une décision rendue en 2008 — ce qui est assez récent —, soit R. c. D.B., la Cour suprême du Canada a établi le principe que le tribunal doit respecter lorsqu'il doit décider de la criminalité d'un jeune contrevenant ou en juger. Permettez-moi de citer un extrait de la décision de la cour, car il est très important de garder ce principe à l'esprit :
Le principe de justice fondamentale en cause dans le présent pourvoi veut que les adolescents aient droit à une présomption de culpabilité morale moins élevée découlant du fait qu'en raison de leur âge les adolescents sont plus vulnérables, moins matures et moins aptes à exercer un jugement moral. C'est pourquoi les adolescents sont assujettis à un système de justice et de détermination de la peine distinct.
La cour poursuit ainsi :
Premièrement, elle [la présomption en question] est un principe juridique.
En d'autres mots, nous ne pouvons pas l'éviter et nous ne pouvons pas tenter de l'esquiver. Nous ne pouvons pas non plus jongler avec les différents concepts pour tenter de ne pas respecter le principe juridique voulant que les jeunes contrevenants aient droit à une présomption de culpabilité morale moins élevée.
À mon avis, le problème que pose le projet de loi, c'est l'article 185, en vertu duquel on élargirait l'interdiction de publication qui fait normalement suite à la décision de faire comparaître un jeune contrevenant devant le tribunal pénal pour adolescents. Le problème, c'est que cet article étend le principe en question, alors qu'en fait, dans la même décision, la Cour suprême a statué ce qui suit :
[...] l'interdiction de publication ne fait pas partie, en réalité, de la peine infligée à l'adolescent [...]
Le fait que le projet de loi est conçu de manière à établir des liens entre une infraction avec violence et une éventuelle interdiction de publication, sans toutefois définir en termes très restrictifs ce que signifie l'expression « infraction avec violence », ne répond pas au critère établi par la Cour suprême.
Pourrais-je avoir cinq minutes de plus?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Joyal : C'est la troisième raison pour laquelle je pense que ce projet de loi n'est pas acceptable.
La quatrième a trait au transfèrement international des prisonniers que le leader du gouvernement au Sénat a mentionné. Les sénateurs doivent savoir qu'au cours des quatre dernières années, la Cour fédérale du Canada a cassé à 13 reprises des décisions qui avaient été prises par les ministres de la Sécurité publique — MM. Toews, Van Loan et Day — et qui consistaient à refuser le transfèrement de prisonniers. Il s'agit d'un nombre sans précédent de cas dans lesquels la Cour fédérale a conclu que le fait de refuser le transfèrement de prisonniers pour la simple raison que cela constitue une menace pour la sécurité publique des Canadiens n'est pas acceptable en vertu du droit canadien.
La dernière décision à cet égard a été prise en février dernier, il y a moins de deux semaines. Le libellé du projet de loi, surtout la partie qui établit un lien entre la décision du ministre et le fait qu'un Canadien emprisonné aux États-Unis ou ailleurs dans le monde pourrait ne pas avoir habité longtemps au Canada, est contraire à l'article 6 de la Charte, c'est-à-dire à la liberté de circulation. Le projet de loi prévoit une sorte de motif flou, ou tout autre motif que le ministre pourrait évoquer pour refuser le transfert, ce qui, à mon humble avis, pourrait faire l'objet d'une contestation pour les mêmes motifs que ceux que j'ai évoqués dans les 13 décisions que j'ai mentionnées plus tôt.
Honorables sénateurs, le cinquième point concerne l'indemnisation des victimes du terrorisme. Je m'adresse au sénateur Tkachuk, qui a parrainé le projet de loi. J'ai appuyé ce projet de loi et j'appuie toujours son objectif, mais il y a un problème lié à deux aspects de son application. Le premier, c'est que le projet de loi crée un motif de poursuite en vertu de la Loi sur l'immunité des États et qu'il est contraire à l'article 92.13 de la Constitution canadienne, qui donne aux provinces la compétence en matière de droit de propriété et de droits civils. Nous avons entendu des témoins au comité qui ont soulevé la question. Ce serait contraire à cet article. Ce projet de loi ne pourrait pas être intégré à la Loi sur l'immunité des États.
(2020)
Le deuxième point, c'est que le projet de loi serait contraire au droit international. Je veux citer une décision de la Cour internationale de justice rendue le 3 février 2012, il y a moins d'un mois. La cour a refusé de permettre à l'Italie de poursuivre l'Allemagne devant les tribunaux afin d'obtenir réparation pour les dommages qui lui ont été infligés durant la dernière guerre mondiale, car la cour a conclu qu'on ne peut revenir sur l'immunité des États pour demander des dommages-intérêts ou une compensation, même quand il s'agit de gestes abominables comme ceux commis par le gouvernement nazi en Italie et dans d'autres pays. À mon avis, cette décision fort récente remet en question la portée du projet de loi et son libellé.
Enfin, honorables sénateurs, le projet de loi peut soulever deux autres problèmes d'ordre constitutionnel. Mon collègue le sénateur Cowan a parlé indirectement du premier, soit que le nombre de détenus dans les prisons canadiennes augmentera tellement que nous dépasserons le seuil fixé par la Cour suprême du Canada en mai 2011, il y a moins d'un an. La Cour suprême des États-Unis a conclu qu'un taux d'occupation carcérale qui dépasse de 137 p. 100 la capacité maximale contrevient au huitième amendement — la protection contre les peines cruelles ou inusitées —, qui correspond à l'article 12 de notre Constitution. J'ai jeté un coup d'œil au taux d'occupation dans les prisons canadiennes, et je peux vous dire qu'il est 170 p. 100 et 200 p. 100 en Colombie-Britannique supérieur à sa capacité. Le projet de loi aura pour conséquence imprévue d'ouvrir la porte à des contestations fondées sur la capacité carcérale aux termes de l'article 12 de la Charte.
Je pourrais évidemment mentionner la partie du projet de loi qui remplace le concept de la réhabilitation par celui de la suspension de casier, ce qui, à mon avis, porte atteinte à la dignité et à la liberté des Canadiens, qui sont fondamentales. Quand quelqu'un a payé sa dette, la société lui donne sa bénédiction — pardon d'employer un terme religieux, honorables sénateurs : la société lui rend sa liberté. Personne ne remet cela en question. À mon avis, toutefois, cela est contraire aux valeurs fondamentales du Canada.
Je suis désolé d'avoir parlé trop longtemps, honorables sénateurs, dans le peu de temps dont je disposais.
[Français]
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, c'est avec plaisir que je prends la parole aujourd'hui sur le projet de loi C-10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés.
[Traduction]
Le projet de loi est composé des mesures provenant de neuf projets de loi qui ont été présentés au cours de la dernière législature. Même s'il s'agit d'une mesure législative volumineuse, la plupart des articles— qui faisaient partie de plusieurs projets de loi distincts — ont déjà été examinés à l'autre endroit ou au comité.
[Français]
Avant d'aller plus loin, j'aimerais citer un témoin qui illustre, à mon avis, ce que bien des Québécois pensent.
Pour les victimes, le projet de loi C-10 est un immense message d'espoir. Que l'agresseur soit un adulte ou un jeune contrevenant, le projet de loi C-10 introduit des mécanismes assurant plus de sévérité à l'égard des crimes violents, des prédateurs sexuels et des narcotrafiquants. Une justice criminelle plus sévère et plus vigilante sera une justice également plus respectée et plus crédible. Le niveau de confiance de la population sera haussé. La réprobation sociale face à ce type de crime atteint des sommets actuellement. Le projet de loi C-10 apporte des solutions concrètes, notamment par les peines minimales obligatoires, l'imposition des peines pour adulte au jeune délinquant ayant commis un crime violent et grave, et la diffusion de l'identité du jeune violent à haut risque de récidive.
Un sondage récent révèle que 77 p. 100 des Québécois souhaitent une justice criminelle plus sévère. Il y va de la peine imposée, mais aussi du sentiment de sécurité que chaque citoyen doit éprouver pour lui et sa famille. Le gouvernement actuel a joué franc-jeu avec la population canadienne. Ses orientations en matière de justice criminelle étaient connues, et les électeurs les ont validées sans conteste en lui confiant un mandat majoritaire.
Voilà ce qu'un ex-ministre libéral de la Justice du Québec avait à nous dire.
Maintenant, comme je n'ai que peu de temps pour discuter de façon plus précise des différents aspects du projet de loi, j'ai décidé moi aussi de cibler un aspect en particulier et d'en faire une étude plus approfondie, soit les peines minimales.
Le projet de loi C-10 introduit, dans divers articles de loi, le principe de peines minimales devant être imposées pour différents crimes graves. Depuis un certain temps, on entend des critiques très sévères face à ce principe de peines minimales. En décembre dernier, lors des débats à l'autre endroit sur le projet de loi C-10, tout juste avant son adoption à l'étape de la troisième lecture, le critique du Parti libéral en matière de justice et de droits de la personne, l'honorable député Irwin Cotler, ancien ministre de la Justice, considère que le principe des peines minimales était une abomination dont il faut rigoureusement s'éloigner. Les peines minimales seraient, selon lui, préjudiciables.
D'autres membres de notre honorable Chambre s'insurgent régulièrement contre les peines minimales, notamment le sénateur Hervieux-Payette, qui ne manque pas une occasion d'associer les peines minimales à une soi-disant idéologie conservatrice inefficace et coûteuse. Le leader de l'opposition s'est aussi insurgé, encore aujourd'hui, contre les peines minimales. Le député Sean Casey, qui prenait la parole au nom du Parti libéral afin d'exposer la position de son parti face au projet de loi C-10, a déclaré ceci :
Ce genre de loi visant à réprimer la criminalité en augmentant la durée des peines minimales obligatoires n'a pas fonctionné [...] Elle repose sur une idéologie qui ne tient pas la route face aux faits et aux preuves.
Donc, nous pouvons raisonnablement nous convaincre que le Parti libéral est rigoureusement contre les peines minimales. Mais le député va plus loin. Selon lui, la volonté d'imposer des peines minimales serait idéologique, nous affublant, à mots couverts, d'être les porteurs de cette idéologie qui ne tient pas la route. C'était du moins leur position à l'automne 2011.
Rappelons toutefois ceci: la majorité des peines minimales qui sont introduites dans le projet de loi C-10 proviennent de l’ancien projet de loi C-54, Loi sur la protection des enfants contre les prédateurs sexuels, présenté il y a sept mois. Le 11 mars 2011, à l’étape de la troisième lecture, tous les partis représentés à la Chambre des communes, soit le Parti libéral, le NPD, le Bloc Québécois et le Parti conservateur, ont voté en faveur de ce projet de loi et de toutes les mesures concernant les peines minimales qu’il contenait.
Plus récemment, soit le 13 février dernier, une juge de la Cour supérieure de l'Ontario a décidé de ne pas imposer à un accusé la peine minimale de trois ans prévue à l'article 95 du Code criminel, estimant que, dans cette situation très particulière, une telle peine serait considérée comme cruelle et inusitée. Néo-démocrates et libéraux mènent, depuis, une charge à fond de train, blâmant l'idéologie du gouvernement conservateur et critiquant la pertinence des peines minimales.
Pour moi, ce fut le point de départ d'une recherche plus approfondie sur le dossier des peines minimales. J'ai décidé aujourd'hui de vous livrer quelques-unes de mes découvertes.
(2030)
La peine minimale de trois ans, prévue à l'article 95 du Code criminel et visée par une décision de la Cour supérieure de l'Ontario, a été adoptée à la Chambre des communes le 26 novembre 2007 ... avec l'appui massif de tous les partis de l'opposition, libéraux, néo- démocrates et bloquistes confondus. En fait, un seul député dans toute la Chambre s'y est opposé. Vous avez bien entendu : Denis Coderre. Gilles Duceppe, Stéphane Dion, Thomas Mulcair et Yvon Godin ont tous voté en faveur de cette peine minimale.
Mais il y a plus; dans son discours sur le projet de loi sur cette peine minimale de trois ans, le libéral Brian Murphy, porte-parole de l'opposition, déclarait, le 26 octobre 2007, et je cite :
Je me souviens que c'est un ministre de la Justice libéral qui a introduit le concept des peines minimales obligatoires, qui est présenté dans le cercle des journalistes conservateurs comme une invention conservatrice [...]
Avec de tels propos, j'ai compris que les libéraux avaient inventé les peines minimales au Canada. Comment expliquer que les « inventeurs » des peines minimales dénoncent aujourd'hui chaque utilisation de leur propre invention?
Honorables sénateurs, ces contradictions surprenantes et évidentes des membres du Parti libéral ont piqué ma curiosité, et j'ai donc dû, pour la satisfaire, procéder à une petite recherche historique des peines minimales au Canada. Il est toujours intéressant de savoir d'où l'on vient afin de bien mesurer le chemin parcouru mais surtout, comme le prétendent les libéraux, pour saisir si les peines minimales sont d'idéologie conservatrice et inutiles.
Cette petite recherche a été très instructive à plus d'un point de vue. Elle m'a permis de découvrir, contrairement à ce que prétend le député Brian Murphy, que ce n'est pas un ministre de la Justice libéral qui a introduit le premier le concept de peines minimales obligatoires, mais plutôt le très honorable John Thompson, premier ministre et ministre de la Justice conservateur, qui a fait adopter, en 1893, une peine minimale de trois mois d'emprisonnement pour les infractions prévues aux articles 92 et 95 du Code criminel, soit de se livrer à un combat concerté. Je rassure mon collègue, le sénateur Brazeau : cette peine n'existe plus.
En ce qui a trait à l'historique global de l'introduction des peines minimales, voici quelques faits forts intéressants.
De 1892 à 1921, à 11 reprises, des peines minimales furent introduites dans le Code criminel par des gouvernements conservateurs. Ce n'est qu'en 1922 qu'un premier ministre libéral, le très honorable William Mackenzie King, a fait adopter une première peine minimale de six mois d'emprisonnement. Pour quel type d'infraction? Pour l'importation, la possession, la fabrication ou la distribution de narcotiques et de l'opium. À cette époque, les libéraux semblaient avoir une réelle préoccupation contre le trafic de drogue! Ils sont les premiers à avoir adopté une peine minimale en matière de trafic de drogue.
Par la suite, l'introduction de peines minimales a été régulièrement utilisée. Mais sauriez-vous me dire combien de peines minimales furent introduites au Code criminel selon que le gouvernement soit libéral ou conservateur? Selon vous, honorables sénateurs, quel parti politique a introduit le plus de peines minimales dans l'histoire de notre pays? Au total, depuis 1892, 53 peines minimales furent introduites au Code criminel. De ce nombre, à 18 reprises, ce fut fait par un gouvernement conservateur et, à 35 reprises, par un gouvernement libéral. Les libéraux ont donc utilisé les peines minimales comme mesures punitives et dissuasives deux fois plus souvent que les conservateurs! C'est peut-être pour cela que le député Brian Murphy a eu l'illusion que les libéraux étaient les inventeurs des peines minimales.
Maintenant, j'ai une petite question quiz pour vous. Quel était le premier ministre qui a eu le plus souvent recours aux peines minimales? Trudeau, troisième, sept peines minimales. Martin, vous me direz? Deuxième, neuf peines minimales. Le premier, Jean Chrétien avec 11 peines minimales.
Vous voyez, honorables sénateurs, que lorsque l'on tente de dépeindre les conservateurs comme étant des idéologues prônant les peines minimales, j'ai un peu de difficulté à comprendre le raisonnement de nos amis puisqu'ils en sont les champions.
Justement, parlant de champions, j'ai une autre question quiz : qui fut le ministre de la Justice qui a battu tous les records de l'imposition de peines minimales? Dans toute l'histoire de notre pays, quel est le ministre de la Justice qui a adopté le plus de peines minimales? Nul autre que l'actuel critique libéral de la Chambre des communes, Irwin Cotler, celui-là même qui dénonce aujourd'hui l'introduction de peines minimales. C'est durant son règne au poste de ministre de la Justice, sous Paul Martin, que ce dernier a fait modifier neuf articles du Code criminel pour y introduire des peines minimales. L'ex-ministre Cotler est le champion de l'histoire du Canada, qui a fait adopter neuf sentences minimales en une seule année, mais il est suivi de près dans ce championnat par son prédécesseur à la Justice, l'honorable Allan Rock, qui avait introduit, quant à lui, huit peines minimales mais sur plusieurs années.
Finalement, ce qu'on doit en comprendre, c'est que la seule et unique théorie est vraiment celle-ci : faites ce que je dis, mais pas ce que je fais. Do as I say, not as I do.
Belle façon d'aborder la sécurité de la population!
Honorables sénateurs, nous sommes dans une société de droit, et la population s'attend des parlementaires à ce qu'ils sachent adopter les meilleures lois visant à les protéger. Face à certains fléaux sociaux, les citoyens qui ont élu leurs représentants refusent que des intérêts partisans viennent teinter nos décisions. Les gouvernements doivent les écouter. Lorsqu'un système est, pour certains types de crime, allé trop loin dans une direction et n'atteint plus les résultats et les objectifs escomptés, on se doit, comme parlementaires, de ramener le balancier de manière à rétablir l'équilibre.
En 1995, la préoccupation à l'égard des armes à feu et des crimes avec violence était importante et elle a amené une série de mesures comme l'adoption de neuf peines minimales. On constate que ces peines minimales ont eu un effet. Maintenant, on constate que les crimes commis aves des armes à feu ont diminué.
Son Honneur le Président : Le temps de parole du sénateur Carignan est écoulé. Lui donnez-vous, honorables sénateurs, la permission de continuer?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, aujourd'hui, ce que la population du Canada nous demande de faire, c'est de protéger les enfants contre les prédateurs sexuels et les trafiquants de drogue. Nous devons donc donner le signal aux tribunaux que la société ne tolère plus ces comportements déviants et que les peines associées à ces crimes doivent être augmentées.
J'insiste sur le signal que nous devons envoyer aux tribunaux, parce que dans le jugement que le sénateur Joyal citait tout à l'heure, la juge a établi un test pour évaluer la peine minimale, pour évaluer si la sanction constitue une peine inusitée et cruelle en faisant abstention de la peine minimale.
(2040)
Elle ne tient donc pas compte, dans son test, de la volonté exprimée unanimement par la Chambre des communes, qui voulait pénaliser plus sévèrement ce type d'infraction avec des armes à feu. Les tribunaux doivent saisir le signal que lance la population canadienne qui dit qu'elle n'accepte plus ce type d'infractions et ce type de sentences bonbon. Les tribunaux doivent saisir ce signal comme ils l'ont saisi avec les neuf peines minimales adoptées en 1995; comme Pierre Elliott Trudeau l'a fait en 1969 pour combattre le fléau de la conduite automobile avec facultés affaiblies; comme Jean Chrétien l'a fait en 1995 pour combattre le fléau des crimes avec violence commis avec des armes à feu; comme Paul Martin l'a fait en 2005 pour combattre le fléau de la pornographie juvénile.
Je vous invite maintenant, honorables sénateurs, à vous joindre à nous pour combattre les fléaux que sont les prédateurs sexuels et les trafiquants de drogue, et à appuyer sans réserve le projet de loi C-10.
L'honorable Maria Chaput : Honorables sénateurs, je ne peux pas, en toute bonne conscience, appuyer le projet de loi C-10, qui a de toute évidence été conçu avec peu de considération pour les effets néfastes qu'il risque de produire s'il est adopté dans son état actuel. On dira que le projet de loi a des éléments positifs aussi. C'est certainement vrai. Cela ne nous permet pas, toutefois, d'ignorer les éléments inquiétants qu'on y retrouve, notamment ses conséquences désastreuses pour les communautés autochtones.
Lors des délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, nous avons eu le privilège d'entendre des témoignages de divers intervenants qui ont tous traité des points précis qui les inquiétaient dans ce projet de loi. Ils ont aussi eu la sagesse d'offrir des pistes de solution. Il est inconcevable pour moi que l'on puisse dire aujourd'hui que nous, sénateurs, n'avons rien entendu lors de ces nombreux témoignages, qui aurait pu semer un doute quant à la qualité d'au moins une des dispositions de cet immense projet de loi. Il est inconcevable qu'on puisse dire que nous n'avons pas non plus été en mesure de proposer une amélioration, ne serait-ce qu'à une partie de ce projet de loi.
Certes, il y a eu six amendements. Ce sont les amendements qu'on avait rejetés à l'autre endroit, avant de se rendre compte qu'ils étaient peut-être nécessaires. Après ces heures et ces heures de témoignages au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, il me paraît invraisemblable de dire aujourd'hui que nous n'avons pas découvert d'autres problèmes, certains beaucoup plus importants que d'autres. Cela me rend aussi mal à l'aise de constater que le travail acharné et passionné de plusieurs témoins n'a finalement pas été sérieusement considéré.
Nous avons entendu des témoins nous parler de problèmes de santé mentale qui sévissent dans nos pénitenciers, de listes d'attente interminables pour les programmes de réhabilitation et de procureurs qui n'ont déjà pas les moyens de cibler les criminels les plus dangereux, c'est-à-dire ceux qui ne seront même pas affectés par les nouvelles peines minimales obligatoires, soit dit en passant.
Nous avons aussi entendu des témoins nous parler de programmes de réhabilitation, de programmes axés sur la prévention chez les jeunes contrevenants, de programmes communautaires qui mènent à des résultats positifs et concrets contre la criminalité et le récidivisme.
Nous avons aussi beaucoup entendu parler du besoin d'un programme axé sur la réhabilitation des victimes. Le projet de loi C- 10 ne traite rien de tout cela. Il ne traite pas de la question pourtant centrale de la santé mentale. Il ne traite certainement pas le surpeuplement des prisons car il y envoie surtout des personnes écopant des nouvelles peines minimales obligatoires, et non des criminels aguerris qui méritent des peines plus sévères.
Le projet de loi C-10 ne traite pas non plus des programmes communautaires, si ce n'est pour diminuer leur portée en y préférant le recours au système carcéral.
Contrairement à ce que plusieurs se bornent à répéter, il n'y a pas non plus grand-chose dans le projet de loi C-10 pour traiter les vrais besoins des victimes.
Des heures et des heures de témoignages donc, et si les sénateurs qui ont siégé au comité en sont ressortis fortement enrichis, le projet de loi C-10 n'en a absolument pas bénéficié. Je trouve cela déplorable.
Nulle part le manque de considération et de profondeur n'est-il aussi apparent que lorsqu'on parle des conséquences que pourrait avoir le projet de loi C-10 auprès des communautés autochtones.
Commençons en citant les évidences : la population autochtone est surreprésentée dans la population carcérale, et ce, de manière inquiétante. Le rapport du comité en fait état dans ses observations mais conclut, malheureusement, qu'il s'agit d'une question qui dépasse le système de justice pénale. Il est vrai que des efforts dans d'autres domaines peuvent aider à réduire la surreprésentation des Autochtones en prison, mais de là à dire que le système de justice pénale n'a aucun rôle dans la surreprésentation des Autochtones dans le système de justice pénale, il y a là, à mon avis, tout un pas à franchir. C'est une conclusion dénuée de contenu et, avec respect pour ces auteurs, elle trahit une certaine indifférence.
Selon le rapport annuel de 2009-2010 de l'enquêteur correctionnel, les programmes de réhabilitation n'ont pas les mêmes effets bénéfiques chez les détenus autochtones que chez le reste de la population carcérale. Il est très important de comprendre ce que cela veut dire. La mission du Service correctionnel du Canada est de :
Contribuer à la sécurité publique en incitant activement et en aidant les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois, tout en exerçant sur eux un contrôle raisonnable, sûr, sécuritaire et humain.
Toujours selon le Service correctionnel du Canada, leurs deux premières valeurs fondamentales sont premièrement :
[Le respect de] la dignité des individus, les droits de tous les membres de la société et le potentiel de croissance personnel et de développement des êtres humains;
Et, deuxièmement :
[La reconnaissance] que le délinquant a le potentiel de vivre en tant que citoyen respectueux des lois.
Or, si on accepte que les programmes carcéraux de réhabilitation n'aient pas les mêmes effets bénéfiques sur les détenus autochtones, il faut conclure que le système de justice pénale, en ce qui a trait à la réhabilitation des détenus autochtones, ne leur rend pas justice.
Qu'on ne vienne pas dire que ce même système n'a aucune responsabilité dans la surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral. Qu'on ne dise pas non plus qu'un projet de loi visant ce même système ne peut pas reconnaître ce problème non plus.
Nous avons entendu au comité le ministre de la Justice du Nunavut, M. Daniel Shewchuk. Je trouve important de partager ce que nous avons appris au comité, car vous n'en trouverez aucune indication dans le projet de loi qui est devant vous.
Selon le ministre :
Le Nunavut risque d'être la région la plus touchée par le nouveau système instauré aux termes du projet de loi C-10, notamment en ce qui a trait aux contrevenants Nunavois et à la réduction du pouvoir discrétionnaire des juges dans l'exercice de leur fonction de détermination de la peine. L'importance accordée à l'incarcération dans le projet de loi par le biais des dispositions sur les peines minimales obligatoires garantira un afflux de détenus dans nos prisons territoriales déjà surpeuplées, et provoquera un arriéré encore plus lourd au Palais de justice.
Ce qu'il faut vraiment retenir, c'est que le gouvernement du Nunavut a déjà trouvé des pistes de solution à la criminalité; je cite encore M. Shewchuk :
La plupart des crimes commis au Nunavut sont les produits de l'alcoolisme, ce qui atteste que des situations sous-jacentes déterminent le fort taux de criminalité dans notre territoire. Un programme pilote récemment mis en œuvre, de concert avec notre ministère des services sociaux et la GRC, a fait la preuve que la plupart des toxicomanes seraient disposés à demander de l'aide s'ils savaient où aller et quoi faire. Au cours des six premiers mois de fonctionnement du programme, 147 toxicomanes ont été arrêtés au moins deux fois. Soixante- dix-huit d'entre eux ont accepté de recevoir de l'aide. Soixante- sept d'entre eux ne sont pas retournés en détention depuis. C'est là un exemple modeste de la collaboration et de l'engagement de nos institutions, ainsi que des avantages d'une stratégie judiciaire axée sur la réadaptation, qui fonctionne au Nunavut.
Voici un exemple très concret, qui réduit le récidivisme et rend le Nunavut plus sûr.
(2050)
Pourquoi l'ignorer? Pourquoi dire que la sécurité passe nécessairement par l'incarcération? Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent tous composer avec des budgets limités. Cette décision par le gouvernement fédéral de limiter la discrétion des juges signifie qu'on dicte aux gouvernements provinciaux et territoriaux d'allouer une plus grande partie de leurs ressources à l'incarcération. Dans le contexte des communautés autochtones, je vous le rappelle, on est en train de leur imposer d'allouer une plus grande partie de leurs ressources à un système qui ne les respecte pas et qui ne répond pas à leurs besoins.
On est aussi en train de leur dire d'ignorer leur système de justice traditionnelle. La justice traditionnelle inuite, par exemple, qui est reconnue dans la jurisprudence de la Cour de justice du Nunavut, se fonde beaucoup plus sur des mesures de justice réparatrice sous la forme de sanctions communautaires traditionnelles. Elle mène aussi à de meilleurs résultats. Les peines minimales obligatoires, bien sûr, ferment toute possibilité à cet égard. Nous voici donc encore à imposer des solutions mal adaptées aux communautés autochtones. L'histoire semble malheureusement se répéter.
Voici quelques citations d'autres témoins qui ont comparu devant le comité.
[Traduction]
Voici ce qu'a dit M. Roger Jones, stratège principal de l'Assemblée des Premières Nations :
En 1996, la Commission royale sur les peoples autochtones a tiré deux conclusions : premièrement, qu'il y a un consensus selon lequel le système juridique a laissé tomber notre peuple; deuxièmement, que, malgré les centaines de recommandations des commissions et des groupes de travail précédents, il continuait de laisser tomber la population autochtone en 1996. Malheureusement, rien ne s'est produit entre 1996 et maintenant, c'est-à-dire en 16 ans, qui nous permettrait de tirer des conclusions différentes. C'est tragique et inacceptable.
La commission royale a signalé que tous les aspects du système de justice pénale, y compris les services de maintien de l'ordre, de détermination des peines, d'incarcération et d'assistance postpénale, étaient problématiques. Sous sa forme actuelle, le système de justice pénale a complètement laissé tomber les membres des Premières nations en ne respectant pas leurs différences culturelles, en ne faisant rien pour remédier aux préjugés systématiques qui existent contre notre peuple et en ne leur permettant pas de participer efficacement à l'élaboration et à la prestation des services.
Un autre témoin, Mme Christa Big Canoe, directrice du plaidoyer juridique d'Aboriginal Legal Services of Toronto, a affirmé ceci :
Nous croyons que la Loi sur la sécurité des rues et des communautés aggravera encore plus le problème de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons et qu'il ne tiendra pas non plus compte des préoccupations de sécurité légitimes des Canadiens autochtones et non autochtones. [...]
Quand les Autochtones représentent seulement 4 p. 100 de la population canadienne, mais qu'ils constituent le quart de la population carcérale, cela signifie que le système juridique a des lacunes et des problèmes évidents et en a toujours eu. Les tribunaux ont reconnu que le système juridique canadien avait laissé tomber les Autochtones du pays. Nous fournissons des services aux Autochtones pour empêcher que cela ait des répercussions négatives sur eux ou minimiser ces répercussions. Nous croyons que cette mesure législative, et plus particulièrement ses dispositions concernant les peines minimales obligatoires et l'interdiction des peines avec sursis, pourrait causer encore plus de torts.
Plus précisément, le recours accru aux peines minimales réduira les possibilités de peines avec sursis. C'est un problème parce que cette façon de faire enlèvera aux juges ce choix à envisager.
Mme Christa Big Canoe termine en disant ce qui suit :
Si je vous dis ceci, c'est que, en qualité de femme des Premières nations qui pratique le droit canadien et représente des Autochtones, je rêve qu'un jour il ne soit plus nécessaire d'avoir dans le Code criminel canadien une disposition qui nous demande expressément de porter une attention particulière aux Autochtones parce qu'on pourrait espérer que cette disposition aura porté fruits et que les problèmes systémiques et persistants que connaît le peuple autochtone n'existeront plus. Le fait est que nous n'en sommes pas encore là. En fait, selon les rapports et les statistiques, le nombre d'Autochtones incarcérés ne fait qu'augmenter et non l'inverse. Les peines minimales obligatoires et le retrait de certains types de peines avec sursis pour certains crimes ne fera qu'empirer les choses.
[Français]
S'il y a une leçon à tirer témoignages que nous avons entendus en comité, c'est bien que le problème de la criminalité est très complexe. Pour bien comprendre la criminalité, il ne faut pas avoir peur de parler de santé mentale, de réhabilitation, d'alcoolémie, de pauvreté, de prévention, de collaboration, de justice réparatrice, de sécurité réelle et durable, des droits des victimes, de la réhabilitation des victimes, des particularités de chaque communauté, des sentences justes et des circonstances de chaque accusé et de chaque victime. Il ne faut pas non plus avoir peur de parler de statistiques.
Je ne peux pas appuyer un projet de loi qui vise à modifier le Code criminel et qui omet de considérer presque tous ces facteurs liés à la criminalité. Un tel projet de loi ne peut pas non plus faire fi des piles d'études — tant académiques que préparées par les gens qui travaillent sur le terrain — qui ont sonné l'alarme.
On ne radie pas la criminalité en criant qu'on est désormais tough on crime . C'est vendeur, c'est accrocheur, mais ce n'est pas le cas.
On a beaucoup entendu dire que la confiance des Canadiens envers le système de justice pénale est ébranlée, même si les taux de criminalité sont en baisse constante. Si cela est vrai, et si le gouvernement est d'avis qu'il y a réellement un déficit de confiance, pourquoi ne prenons-nous pas l'initiative de parler réellement de la criminalité? Du fait que la criminalité est en baisse? Ou qu'elle pourrait l'être encore plus si nous investissions davantage dans la réhabilitation des détenus et dans le traitement des maladies mentales? Ou que les victimes sont mieux soutenues dans les provinces supposément soft on crime?
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps de parole de l'honorable sénateur est écoulé.
Des voix : Cinq minutes.
Son Honneur le Président : La permission est-elle accordée, honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Chaput : Ou que les communautés autochtones créent leurs propres solutions pour lutter contre la criminalité, et qu'on devrait encourager? Essayons-nous plutôt de profiter de cette perception publique pour des raisons simplement politiques? J'ose espérer que ce n'est pas le cas. Je me désole de constater, par contre, qu'on a décidé pour toutes sortes de raisons, d'après moi inacceptables, de laisser filer cette occasion et de remettre à plus tard la conversation réelle et approfondie sur la criminalité et la sécurité publique que les Canadiens méritent.
Honorables sénateurs, nous avons eu l'occasion d'entrevoir les effets non souhaités que le projet de loi C-10 risque d'avoir sur la sécurité de nos communautés, et nous n'avons apporté aucun amendement à cet égard. Je ne peux donc pas appuyer ce projet de loi.
Le sénateur Fraser : Est-ce que l'honorable sénateur accepterait de répondre à une question?
[Traduction]
Je vais poser ma question en anglais parce que je ne possède pas le vocabulaire en français. Comme madame le sénateur Chaput est un membre assidu du comité, elle se rappellera le témoignage de M. Scott Wheildon, l'avocat qui exerce au Nunavut.
Le sénateur Chaput : Oui.
Le sénateur Fraser : Il a expliqué que le Nunavut a beaucoup recours aux cours de circuit. Ce sont des tribunaux qui se déplacent. Puis, il a décrit ce qui se passe dans une petite collectivité inuite quand quelqu'un commet une infraction et que la collectivité gère ce problème conformément à la tradition séculaire. La collectivité se réconcilie et la vie reprend son cours normal. Puis, les magistrats, qui arrivent en avion, descendent des cieux et disent : « Désolés, nous n'avons rien à faire de la justice traditionnelle. Vous devez subir un procès. » À présent, les accusés encourront encore plus souvent une peine minimale obligatoire que par le passé.
D'après le sénateur Chaput, quel effet cela aura-t-il sur la confiance du peuple inuit dans notre système de justice?
[Français]
Le sénateur Chaput : C'est une très bonne question. Je pense à ce qu'ils ont dit lorsqu'ils ont parlé de l'importance de leur justice traditionnelle, qui est reconnue dans la jurisprudence et qui est justement basée sur des mesures de justice réparatrice.
Il n’y a aucun doute que ce qui va arriver, c’est que les collectivités autochtones feront encore moins confiance au système de justice qui, selon moi, semble être de plus en plus discriminatoire envers ce qu’elles sont. Cela aura un effet négatif encore plus grand sur ces collectivités, et j’en suis fort désolée.
(2100)
[Traduction]
L'honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, j'aimerais poser une question au sénateur Chaput.
J'ai écouté ses commentaires concernant le Nunavut et le fait que les peines minimales obligatoires portent préjudice aux délinquants autochtones. J'aimerais demander à madame le sénateur si elle sait que, dans la décision Gladue — dont il a été question ce soir au Sénat —, la Cour suprême a statué que cet alinéa du Code criminel ne doit pas être considéré comme un moyen de réduire automatiquement la peine d'emprisonnement des délinquants autochtones, mais que, en fait, en règle générale, plus grave et violent sera le crime, plus grande sera la probabilité, d'un point de vue pratique, que la période d'emprisonnement soit la même pour des infractions et des délinquants semblables.
Puisque le projet de loi C-10 met beaucoup l'accent sur les crimes graves et violents commis par des récidivistes, est-ce que le sénateur convient que, dans l'ensemble, le principe de la décision Gladue ne s'applique pas aux infractions visées par le projet de loi C-10?
[Français]
Le sénateur Chaput : La décision Gladue a fait que les juges ont considéré les circonstances particulières d'une communauté autochtone ainsi que ses méthodes traditionnelles de s'occuper de ce qui se passe dans cette communauté.
Si le juge a la discrétion, cela ne veut pas dire que toute la communauté, tous les membres d'une communauté autochtone auront moins. Au contraire, le juge prend en considération les circonstances particulières et rend un jugement en fonction de ce qui est possible. Cela n'exempte pas un criminel aguerri ou endurci d'être puni. Là n'est pas la question. Les circonstances particulières doivent être prises en considération afin de s'assurer que justice soit faite. C'est ainsi que je l'ai compris.
[Traduction]
Le sénateur Patterson : Me permettez-vous de poser une autre question? Le sénateur a mentionné le ministre Shewchuk, du Nunavut, qui a parlé des prisons surpeuplées.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je crains que la période de 15 minutes plus cinq ne soit écoulée.
Reprise du débat.
L'honorable David Tkachuk : Honorables sénateurs, j'aimerais aborder le neuvième rapport déposé par le Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Bon nombre de sénateurs savent que je suis intervenu au sujet du projet de loi C-10 à l'étape de la deuxième lecture et connaissent le fond de ma pensée. Aujourd'hui, j'aimerais parler des modifications que le projet de loi C-10 apporterait à la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme. Pour que le travail du Sénat porte ses fruits, il faut que les divers intervenants — pas seulement mes collègues sénateurs, mais également des citoyens ordinaires — collaborent. C'est ce qui motive mon intervention d'aujourd'hui.
Cela fait maintenant sept ans que le Sénat a été saisi pour la première fois du projet de loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme. Toutefois, la marche n'a pas été solitaire. J'ai compté parmi mes compagnons de voyage de nombreux membres de la Coalition canadienne contre le terrorisme. Je souhaite en nommer quelques-uns ici, car ils ont travaillé sans relâche pour que ce projet de loi voie le jour : Sheryl Saperia, Aaron Blumenfeld, Danny Eisen et, bien entendu, Maureen Basnicki. Ils sont à l'origine de l'idée même du projet de loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme. Ils ont réussi à nous convaincre, moi et bien d'autres personnes, et j'ai été fier de faire progresser leur idée. Sans leur détermination des sept dernières années, cette mesure législative n'aurait jamais vu le jour.
Pour Danny et Maureen, deux membres importants de la coalition, ce n'était pas une question politique. La justice pour eux n'était pas un concept abstrait; ils se sentaient directement concernés. Danny Eisen a perdu son cousin, dont il était très proche, lors des attentats. Son cousin était dans la force de l'âge; il n'avait que 31 ans. Il s'appelait Danny lui aussi, Danny Lewin; il était passager du vol 11. Au cours des sept années où nous avons travaillé au projet de loi, Danny Eisen ne m'en a jamais parlé. Je l'ai appris lors du dixième anniversaire du 11 septembre, dans un article qu'il a écrit dans le journal. Il y révélait que son cousin, un officier des forces spéciales, avait été tué — poignardé et grièvement blessé — en affrontant les pirates de l'air seul et sans arme. Depuis, Danny Eisen lutte contre les terroristes au nom de son cousin mort. Il a lui aussi lutté sans arme, mais grâce au projet de loi C-10, ce ne sera plus le cas.
Nous connaissons bien l'histoire de Maureen Basnicki. L'un des membres de sa famille a aussi été tué lors des attentats du 11 septembre 2001. Il s'agit de son mari, Ken, qui était spécialiste du marketing financier pour un fabricant de logiciels. Ken Basnicki se trouvait au 106e étage de la tour Nord du World Trade Center lorsque l'avion a percuté la tour. Comme Danny l'a écrit dans son article, Maureen Basnicki a dû organiser plusieurs enterrements, car elle a continué de recevoir des fragments du corps de son mari dans de petits paquets, par la poste, au cours des années qui ont suivi les attentats.
Il convient sans doute de dire, en lien avec cette histoire, qu'on a créé cette mesure législative au fil des ans en proposant une disposition et un amendement à la fois, jusqu'à ce que nous élaborions un projet de loi qui, dans sa forme actuelle, permet de rendre justice aux victimes d'actes de terrorisme.
Bien entendu, rien de tout cela n'aurait pu se concrétiser sans l'appui des gens qui siègent ici ou à l'autre endroit à l'heure actuelle ou qui y ont siégé. Stockwell Day, tout comme Nina Grewal, ont appuyé cette mesure dès le tout début. Ils ont présenté leurs propres projets de loi en la matière. Irwin Cotler a lui aussi appuyé ce projet de loi, dans une forme ou une autre.
Les amendements au projet de loi, qui visaient à le renforcer, ont été proposés par la Coalition canadienne contre le terrorisme. Ils ont été intégrés aux premières moutures et versions antérieures du projet de loi. Cela dit, j'aimerais remercier M. Cotler de sa détermination à présenter ces amendements à la Chambre. Je crois que sa détermination a porté ses fruits, car le gouvernement du Canada a présenté ces amendements en tant qu'amendements du gouvernement.
Puisque le sénateur Wallace a décrit ces amendements de façon détaillée hier, je n'en parlerai pas pour le moment. Je dirai simplement que, même si les conservateurs et les libéraux ne partagent pas la même opinion en ce qui concerne certains aspects particuliers de cette mesure législative, ils s'entendent sur le principe de celle-ci, soit rendre justice aux victimes d'actes de terrorisme, en leur donnant les moyens de lutter contre ce fléau et de prévenir les crimes haineux.
C'est pour cette raison que je tiens à exprimer ma reconnaissance aux sénateurs, ainsi qu'à tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui ont pris part à des audiences marathon pendant cinq jours consécutifs, la semaine dernière, afin que ce projet de loi soit présenté dans cette enceinte. Ils ont présenté et adopté des amendements importants visant cette mesure législative, la rendant ainsi plus efficace, ce que la Chambre des communes n'avait pas réussi à faire. Nous y sommes parvenus, ce qui devrait permettre de démontrer, je l'espère, le bien- fondé du Sénat.
Je souhaite aussi exprimer ma reconnaissance aux anciens membres du comité ainsi que du Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme. Au cours des sessions antérieures, ils ont tenu des audiences sur mon projet de loi d'initiative parlementaire, le précurseur de cette mesure législative et du projet de loi initial du gouvernement.
À ce sujet, je tiens à mentionner quelques sénateurs : le sénateur Wallace, qui a présidé avec brio le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles lors des audiences de la semaine dernière; le sénateur Fraser, qui présidait le comité lors de l'étude de mon projet de loi; le sénateur Runciman, qui est le parrain du projet de loi C-10 et qui a également eu l'amabilité de déposer tous les amendements importants; le sénateur Segal, qui a présidé le Comité sénatorial spécial sur l'antiterrorisme lors la session précédente; et enfin, le sénateur Baker, qui a toujours appuyé ce projet de loi et qui a parlé avec éloquence et expertise de son bien-fondé sur les plans juridique et constitutionnel. J'espère qu'il parlera au sénateur Joyal ce soir.
Pour terminer, je remercie les leaders au Sénat, qui m'ont encouragé, et plus particulièrement notre leader, madame le sénateur LeBreton. Je tiens également à remercier le premier ministre et le ministre de la Justice d'avoir pris l'initiative de transformer un projet de loi d'initiative parlementaire en projet de loi du gouvernement et d'avoir pris les mesures voulues pour le faire adopter. J'exhorte tous les sénateurs à appuyer le projet de loi C-10.
Le sénateur Jaffer : Honorables sénateurs, le sénateur Tkachuk accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Tkachuk : Bien sûr.
Le sénateur Jaffer : Je souscrit à tout ce que le sénateur a dit. Il conviendra avec moi que la semaine dernière, nous avons passé plusieurs jours à étudier ce projet de loi très attentivement. J'ai parlé tout à l'heure de l'une de mes grandes préoccupations — que le gouvernement a maintenant inclus comme amendement —, à savoir le droit des victimes de poursuivre les procédures judiciaires une fois qu'elle ont été amorcées. C'est une recommandation que j'ai formulée au comité. Elle a maintenant été approuvée et j'en suis ravie.
Je suis d'accord avec le sénateur lorsqu'il dit que nous avons laissé de côté la partisanerie dans le cadre de cette étude, et je pense que nous avons amélioré le projet de loi. C'est ce que nous disons. Cet endroit est un lieu de second examen objectif, où nous devons prendre le temps d'améliorer le projet de loi.
(2110)
Je sais que le sénateur Tkachuk n'était pas au sous-comité quand la question a été soulevée. Je croyais bien connaître ce projet de loi jusqu'à ce que deux jeunes professeurs, Hilary Young et David Quayat, comparaissent devant nous la semaine dernière pour nous dire qu'ils étaient préoccupés par le fait que la cause d'action est de compétence provinciale et non fédérale. Ils pensent qu'il pourrait y avoir des problèmes pour les victimes à l'avenir.
Je félicite le sénateur pour avoir défendu ce projet de loi pendant sept ans. Il a travaillé très fort et c'est tout à son honneur.
Si le projet de loi doit être encore étudié, cependant, c'est que la question de la cause d'action n'est pas encore réglée : s'agit-il d'une compétence provinciale ou le gouvernement fédéral peut-il prévoir une cause d'action dans un projet de loi?
Le sénateur Tkachuk : Je ne suis pas avocat et je ne peux certainement pas dire grand-chose de tous les arguments constitutionnels, mais je connais les arguments invoqués par ces deux ou trois témoins.
Je me rangerai du côté de ceux qui disent que ce projet de loi est constitutionnel. C'est ce que pense le doyen de l'école de droit Osgoode Hall, Patrick Monahan, l'un des plus éminents spécialistes du droit constitutionnel au Canada. Neil Finkelstein, une autre sommité en matière de droit constitutionnel, que beaucoup d'entre vous connaissent et qui a témoigné devant de nombreux comités du Sénat, est, lui aussi, d'avis que cette loi est constitutionnelle.
Bien entendu, le sénateur Baker est du même avis. Comme pour tous les projets de loi, ce sont les avocats qui ne s'entendent pas. Je vais lancer mes avocats à la poursuite des trois qui ont témoigné devant le comité.
Le sénateur Jaffer : Le sénateur Baker n'est pas ici, mais lorsque la question de la cause d'action a été soulevée au comité — ma collègue, madame le sénateur Fraser, ici présente, s'en souvient peut-être, elle aussi —, il a dit que c'était la première fois qu'elle était soulevée et qu'il avait des réserves à son sujet. Nous sommes maintenant saisis du projet de loi, mais c'est une autre raison pour laquelle il devrait être étudié plus en profondeur.
Son Honneur le Président : Nous poursuivons le débat. Le sénateur Jaffer a la parole.
L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois.
Ce projet de loi omnibus regroupe neuf projets de loi, dont la plupart ont été traités séparément pendant la troisième session de la 40e législature.
Après avoir entendu 110 témoins pendant 11 jours et plus de 50 heures, les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles semblent s'être entendus sur plusieurs principes très importants : tous les représentants des deux partis veulent avoir un effet dissuasif sur le crime organisé; tous les sénateurs souhaitent protéger nos adolescents et nos enfants contre les agressions sexuelles; enfin, tous les sénateurs souhaitent faire en sorte que les rues et les communautés des familles canadiennes soient sécuritaires. C'est ce que nous attendons du projet de loi C-10.
Honorables sénateurs, même si je souscris au principe du projet de loi C-10, qui vise à promouvoir la sécurité publique, je suis très préoccupée par le fait que ce projet de loi sera incapable d'atteindre ses objectifs. Le projet de loi C-10 hausse les attentes des Canadiens, mais de toute évidence il ne permettra pas d'atteindre les objectifs visés.
Le projet de loi C-10 n'aura pas d'effet dissuasif sur la criminalité et ne permettra pas de rendre nos rues plus sûres. Pire, il opprimera davantage des groupes déjà marginalisés, en particulier ceux qui souffrent de maladies mentales, les jeunes et les Autochtones.
Comme je l'ai indiqué, le projet de loi C-10 est constitué de neuf projets de loi distincts et comporte 114 pages. Divers aspects du projet de loi ont été remis en question pendant l'examen au comité, et certaines préoccupations importantes et pressantes ont été soulevées. Même si je suis particulièrement préoccupée par plusieurs éléments de ce projet de loi, le temps dont je dispose ne me permet que d'en aborder quelques-uns.
C'est pourquoi je vais parler des peines minimales obligatoires et des effets négatifs qu'elles auront sur ceux qui souffrent de maladies mentales, sur nos jeunes et sur les Autochtones.
Honorables sénateurs, plusieurs des personnes venues témoigner devant le comité ont parlé des effets négatifs que l'imposition de ces peines minimales obligatoires auraient sur les Canadiens. Daniel MacRury, de l'Association du Barreau canadien, était l'un de ces témoins. Voici ce qu'il avait à dire sur le sujet :
Nous croyons que ce projet de loi sera contre-productif si l'objectif est d'améliorer la sécurité publique. Il s'inspire d'une mauvaise approche en matière de lutte contre la délinquance, à toutes les étapes du système de justice pénale, de l'arrestation du délinquant à son inévitable réinsertion sociale, en passant par le procès, puis le traitement dans les établissements correctionnels. Il constitue un changement d'orientation profond puisque nous passons d'un système qui accordait la priorité à la sécurité publique par des peines individualisées, la réadaptation et la réinsertion sociale, à un système où ce sont la punition et la vengeance qui priment.
Honorables sénateurs, bien qu'on dise souvent que les peines minimales obligatoires sont dissuasives, ce ne sera pas le cas. Les juges auront les mains liées par ces peines et ne pourront pas évaluer chaque cas individuellement et se servir de leur pouvoir discrétionnaire. Les négociations de plaidoyers seront entravées, et le système de justice sera surchargé. Lui qui ne peut même pas répondre à la demande actuellement ne pourra certainement pas répondre aux besoins futurs qui seront créés par ce projet de loi.
Au cours de ma carrière d'avocat, j'ai appris beaucoup de leçons importantes. L'une de ces leçons est qu'on n'obtiendra jamais de bons résultats avec des peines uniformes pour tous les délinquants. Il n'y a pas deux cas pareils. Chaque cas doit être examiné dans son contexte particulier, et les peines doivent être imposées en conséquence. Malheureusement, le projet de loi C-10 contrevient à ce principe.
L'un des groupes qui subiront un préjudice si ce projet de loi est adopté est celui des personnes atteintes d'une maladie mentale. Treize pour cent des hommes et 25 p. 100 des femmes qui se trouvent actuellement dans notre système correctionnel souffrent de troubles mentaux. Au cours de l'étude réalisée par notre comité, nous avons entendu le témoignage de Howard Sapers, qui dirige le Bureau de l'enquêteur correctionnel du Canada. Il a alors énoncé la question qui se pose :
[...] la vraie question, je suppose, consiste à savoir quoi faire puisque les prisons ne sont pas des hôpitaux, mais certains délinquants sont des patients. Il s'agit de savoir ce que nous ferons des personnes incarcérées qui sont chroniquement et extrêmement malades. Certains pointeront du doigt les services de police et diront que c'est à ce stade qu'une décision différente devait être prise. D'autres pointeront du doigt les tribunaux et diront que, lorsque ces personnes malades mentalement ont comparu devant la justice, les tribunaux auraient dû prendre une décision différente.
Honorables sénateurs, en imposant des peines minimales obligatoires nous augmenterons le nombre de personnes atteintes d'une maladie mentale dans les prisons et nous limiterons le pouvoir discrétionnaire des juges. Ce projet de loi est fondé sur la dissuasion et la dénonciation, au détriment de la réadaptation et de la réinsertion sociale.
Mon mentor et associé en exercice du droit, l'honorable Thomas Dohm, c.r., qui était avocat et juge à la Cour suprême de la Colombie-Britannique, m'a dit que, quand il était juge, il était toujours très conscient qu'il ne jetait pas la clé de la cellule lorsqu'il condamnait quelqu'un à une peine d'emprisonnement. La plupart des délinquants devront un jour être réinsérés dans la société et il m'a toujours dit qu'il prenait en considération ce qui adviendrait de cette personne lorsqu'elle retournerait dans la société.
Si nous adoptons une approche aussi axée sur la dissuasion et la dénonciation, au lieu d'une approche axée sur la réadaptation et la réinsertion, nous refusons de donner à ceux qui souffrent de maladie mentale l'aide dont ils ont désespérément besoin.
Honorables sénateurs, les allégations selon lesquelles le projet de loi C-10 rendra nos rues et nos collectivités plus sûres créent de grandes attentes. Cependant, nous savons que ceux qui souffrent de maladie mentale ne recevront pas d'aide. Par conséquent, nos rues et nos collectivités ne seront pas plus sûres.
Tant et aussi longtemps que les délinquants qui doivent se réadapter ne recevront pas l'aide dont ils ont besoin, nous n'atteindrons jamais nos objectifs correctionnels et nos rues et nos collectivités ne seront pas plus sûres.
(2120)
Les jeunes forment un autre groupe qui subira les conséquences néfastes des peines minimales obligatoires. Le Canada est signataire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. Notre gouvernement a l'obligation d'évaluer les mesures législatives proposées pour s'assurer qu'elles respectent cette convention. Comme aucune évaluation n'a été déposée, nous, les parlementaires, ignorons malheureusement ce que cette évaluation spécifiait. Cela est exceptionnellement troublant, étant donné que le projet de loi C-10 semble aller directement à l'encontre de l'article 37 de la Convention des Nations Unies, qui précise que la détention doit « n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ».
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 est fondé sur la présomption que le fait d'être plus sévère envers les criminels et de punir les jeunes forcera ces derniers à être responsables de leurs actes. Le problème, c'est qu'on présume que ces jeunes comprennent le concept de responsabilité.
Pendant l'étude menée par le comité, nous avons appris que les mesures de dissuasion et de dénonciation ne sont pas efficaces pour combattre la criminalité chez les jeunes. En fait, elles font en sorte que plus de jeunes passent beaucoup de temps en prison, ce qui est déplorable à plusieurs égards, d'autant plus qu'il a été démontré que les prisons sont des écoles ou des universités du crime. Les jeunes détenus suivront une formation universitaire pour devenir de meilleurs criminels.
Le comité a entendu le juge Merlin Nunn, dont on dit souvent qu'il est à l'origine de ce projet de loi. Voici ce qu'il a dit :
[...] Lorsqu'on étudie une modification, on ne peut que se demander s'il est dans l'intérêt de l'enfant, car c'est la norme que le gouvernement devrait respecter. Le gouvernement a dit que c'est cette norme qu'il allait respecter. Je ne suis pas en train de critiquer le gouvernement. Peu importe dans quel camp on se situe, je crois que cette mesure est mauvaise. Il faut tenir compte des intérêts de l'enfant.
Le projet de loi C-10 a créé des attentes, car on disait qu'en sévissant contre les criminels, y compris les jeunes délinquants, on allait rendre nos rues et nos collectivités plus sécuritaires. Malheureusement, ce ne sera pas le cas. Si on jette les jeunes délinquants en prison, non seulement nos rues ne seront pas plus sécuritaires, mais les jeunes pourront perfectionner en prison leurs connaissances sur le crime, et ils présenteront un risque de récidive plus élevé.
Enfin, honorables sénateurs, j'aimerais parler des effets négatifs que ce projet de loi aura sur les Autochtones, qui sont actuellement surreprésentés dans nos populations carcérales. Dans l'affaire R. c. Gladue, jugée en 1999, la Cour suprême a souligné des principes de détermination de la peine très importants. La décision rendue dans cette affaire tenait compte à juste titre du grave problème de surreprésentation des Autochtones dans notre système de justice, ainsi que de la pauvreté et de la violence qui sont le lot d'grand nombre d'Autochtones canadiens depuis longtemps.
La Cour suprême du Canada a déclaré que le nombre d'Autochtones incarcérés est stupéfiant. Ces principes ne supposent d'aucune façon que les délinquants autochtones recevront des sentences moins sévères que les délinquants non autochtones. La Cour suprême insiste plutôt sur le fait que les tribunaux devraient tenir compte des conditions difficiles que vivent de nombreux Autochtones canadiens lorsqu'ils imposent une peine. Malheureusement, à cause des peines minimales obligatoires prévues dans le projet de loi C-10, on ne pourra plus tenir compte des principes énoncés dans le jugement de l'affaire Gladue, car les juges auront désormais les mains liées.
Le comité a eu l'occasion d'entendre le professeur Michael Jackson, qui a déclaré ceci :
Depuis 40 ans, je fais campagne — à titre de professeur, de conseiller, de membre de comités du Service correctionnel du Canada et de conseiller auprès de commissions royales — en faveur de l'importance de reconnaître et de respecter les droits des peuples autochtones et les droits de ceux qui se retrouvent dans un pénitencier parce qu'ils sont défavorisés par notre système de justice pénale.
Honorables sénateurs, il est d'une importance capitale que, tout comme le professeur Jackson, nous reconnaissions et respections les droits des peuples autochtones. Le projet de loi C-10 a créé beaucoup d'attentes, puisqu'il promet de rendre nos rues plus sécuritaires. Mais nous ne rendrons pas nos rues plus sécuritaires si nous jetons en prison, au lieu de les aider, les personnes qui sont depuis toujours accablées par la violence, les mauvais traitements et la pauvreté.
Si nous voulons accroître la sécurité de nos rues et de nos collectivités, nous devons prendre la résolution de nous attaquer à la source du problème. Je crois que nous devrions investir nos ressources non pas dans la construction de prisons, mais plutôt dans des programmes de réadaptation qui viendront en aide aux groupes vulnérables tels que les jeunes, les personnes atteintes de troubles mentaux, les peuples autochtones et les minorités, de façon à éviter les récidives.
Honorables sénateurs, le comité a entendu le témoignage de M. Howard Sapers, qui a présenté certains faits particulièrement troublants. Il a déclaré ceci :
Le profil des contrevenants change. Ils sont plus vieux et ils ont plus de dépendances et de problèmes de santé mentale. Les femmes, les Autochtones et les minorités visibles sont plus nombreux que jamais dans les pénitenciers fédéraux. Un détenu fédéral sur cinq est âgé de 50 ans ou plus; 36 p. 100 des nouveaux détenus ont besoin de services psychiatriques ou psychologiques ou d'interventions de suivi; 63 p. 100 des détenus indiquent avoir consommé de l'alcool ou de la drogue le jour où ils ont commis l'infraction qui a mené à leur emprisonnement; 20 p. 100 sont d'origine autochtone; et 9 p. 100 des détenus sont des Canadiens noirs.
Honorables sénateurs, j'aimerais vous rappeler que le document Pleins feux sur le Sénat décrit les devoirs du Sénat comme suit :
[...] le Sénat allait avoir pour principale fonction la révision et la correction des projets de loi présentés par la Chambre des communes, ce pourquoi il lui faudrait être impartial, avoir des connaissances spécialisées, de la patience et du zèle; de plus, il allait devoir représenter les provinces, les régions et les minorités.
Honorable sénateurs, nous avons la responsabilité de représenter les provinces, les régions et, en particulier, les minorités. Nous avons non seulement le devoir, mais aussi l'obligation de veiller à ce que les malades mentaux, les jeunes, les membres des minorités visibles, les Canadiens noirs et les membres des peuples autochtones soient protégés.
Nous avons souvent entendu ce dicton : il faut un village pour élever un enfant. Je voudrais y ajouter quelque chose. Il faut un village pour élever un enfant, il faut une collectivité pour garantir la sécurité de l'enfant, et il faut un pays pour protéger tous ses citoyens.
À titre de membres du Sénat du Canada, nous ne devons ménager aucun effort pour protéger tous les citoyens. Le projet de loi C-10 prétend assurer la sécurité de nos communautés et nos rues, mais il n'atteindra pas cet objectif. Il nuira plutôt à des populations qui sont déjà marginalisées, à des populations que les sénateurs ont l'obligation de protéger.
J'exhorte les sénateurs à rejeter le projet de loi C-10.
Son Honneur le Président : Madame le sénateur demande cinq minutes de plus.
Des voix : D'accord.
Le sénateur Fraser : Sénateur Jaffer, si je le puis, je voudrais revenir à la question de l'intérêt supérieur de l'enfant et au témoignage du juge Nunn. Vous pouvez sans doute me confirmer qu'il a bien dit que la notion d'« intérêt supérieur de l'enfant » n'est pas qu'une idée louable, mais qu'elle est aussi un élément de notre droit, étant donné que notre loi, la Loi sur le système de justice pour les adolescents, a incorporé par renvoi la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui dit que l'intérêt supérieur de l'enfant doit toujours être primordial.
Dans ce contexte, vous souvenez-vous, comme moi, qu'il a dit que de faire de la dénonciation et de la dissuasion des facteurs de la détermination de la peine pour les jeunes contrevenants était contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant?
Le sénateur Jaffer : Oui, sénateur Fraser. Pour répondre à votre question, je confirmerai que le juge Nunn a effectivement dit que nous devons veiller sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Au Canada, nous avons accepté la Convention relative aux droits de l'enfant. Son article 40 prévoit expressément que la dénonciation et la dissuasion ne doivent pas être des facteurs de la détermination de la peine, mais plutôt un dernier recours.
Honorables sénateurs, en septembre, nous irons à Genève pour essayer de justifier cette loi, car nous contreviendrons à la Convention relative aux droits de l'enfant si le projet de loi est adopté.
(2130)
[Français]
L'honorable Pierre Claude Nolin : Honorables sénateurs, avant de commencer mon discours, j'aimerais parler de la question de la justice criminelle pour les adolescents.
J'aimerais rappeler aux honorables sénateurs que la Cour d'appel du Québec a été saisie d'un renvoi, et la décision est fort importante. Elle fait grand état du fait que, lorsque nous avons amendé cette loi, en 2002, nous avons fait référence, dans le préambule, à cette convention. On ne pourra pas éviter que les tribunaux fassent référence aux décisions prises.
Honorables sénateurs, je vais limiter mes propos à la partie 2 du projet de loi C-10, plus spécifiquement aux amendements qui touchent la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
C'est le défaut des projets de loi omnibus; certains côtés seulement de ce projet de loi me conviennent. Je pense, entre autres, à la partie 1, à laquelle le sénateur Tkachuk a fait référence. Je n'ai aucun problème avec le phénomène constitutionnel. Le principe ferait en sorte que le Parlement fédéral aurait juridiction pour traiter de ce problème, et on en a déjà discuté.
Malheureusement, à cause des 15 minutes qui me sont accordées, je devrai limiter mon discours à la partie 2, qui touche la LRDS.
Lors de sa comparution devant le comité, le ministre Toews a tenu les propos suivants. Ils sont lourds de conséquence, et je crois qu'il a mis le doigt sur le vrai problème.
[Traduction]
Pour ma part, je ne me fie pas trop aux statistiques non plus. Je m'intéresse plutôt aux véritables dangers.
[Français]
Vous vous demandez sûrement pourquoi je fais référence à cette citation. C'est un peu pour introduire le phénomène des drogues à l'échelle mondiale. Je reviendrai sur la lettre de la Global Commission, qui a été acheminée au premier ministre et à chacun d'entre nous.
Il est important de garder à l'esprit que lorsque le ministre parle de danger, il a décidé que sa préoccupation était le danger : s'il y a un danger, je vais agir. À mon avis, il existe un danger. Lui et moi ne nous entendons pas sur la façon d'agir, mais il y a un danger et il est énorme.
Parlons du marché. Les faits suivants ne viennent pas de moi. Le sénateur Runciman a fait référence à une organisation plus tôt. Les Nations Unies ont un office qui s'occupe des drogues et du crime, mieux connu sous l'acronyme UNODC. Dans son dernier rapport, cet organisme des Nations Unies a établi le niveau monétaire du trafic des drogues à travers le monde à 450 milliards de dollars américain annuellement. Ce chiffre représente 50 milliards de dollars de plus que le trafic des armes à l'échelle mondiale. C'est vous dire l'ampleur du phénomène.
À qui profite ce marché complètement en marge des activités licites? Il profite au crime organisé, et principalement au trafic de drogue, mais aussi au développement par la diversification. Le crime organisé, financé par le trafic des drogues, se diversifie dans le trafic des armes, le trafic humain, la piraterie et le trafic d'organes. Le trafic de drogue finance principalement les activités du crime organisé.
Un autre phénomène qui, de plus en plus, prend de l'importance, à partir de cette somme de 450 milliards de dollars, c'est le financement du terrorisme. De plus en plus, les activités terroristes dans le monde sont financées par cet argent.
J'aimerais maintenant attirer votre attention sur deux pays. Le premier est le Mexique. Le Mexique a remplacé la Colombie comme pays où se concentrent les principales activités des cartels de la drogue. Il s'agit du cartel le plus important. Le Mexique a délogé, au cours des 20 dernières années, les trafiquants colombiens. Pour vous donner une idée de l'ampleur des cartels mexicains, ces entreprises sont comparables aux grosses capitalisations boursières. Je pense à Apple, Exxon, HSBC. D'ailleurs, ces cartels fonctionnent de la même façon. Ils sont animés par les mêmes principes économiques que les entreprises tout à fait licites : poids financier important, chiffre d'affaires, présence internationale, structure industrielle, capital humain utilisé, tous sont des facteurs qui se comparent aux grandes entreprises que je viens de mentionner.
La différence est essentiellement réglementaire. Dans un cas, les entreprises licites et toutes les facettes de leurs activités sont réglementées. Dans l'autre, elles sont réglementées en ce sens qu'elles sont interdites et que tout se fait hors de la réglementation. Toute leur activité industrielle est effectuée à l'extérieur des lois.
L'UNODC, pour le commerce de la cocaïne uniquement, établit ce marché à 88 milliards de dollars annuellement. Le marché de la cocaïne aux États-Unis représente 41 p. 100 du marché mondial de la cocaïne, soit l'équivalent de 36 milliards de dollars, et 90 p. 100 de la cocaïne qui alimente le marché américain provient du Mexique, transite par le Mexique ou est transformé au Mexique. Les cartels mexicains contrôlent 90 p. 100 du transfert de cocaïne vers les États- Unis.
Un chercheur de l'Institut technologique autonome de Mexico, un dénommé Buscaglia, nous dit que les cartels mexicains sont maintenant impliqués dans 47 pays à travers le monde, dont les États-Unis, le Canada, les pays européens et l'Afrique. Ils sont impliqués dans 48 des 50 États américains. Ils ont, à travers le monde, 235 centres de distribution en gros. L'argent des cartels mexicains a infiltré 81 p. 100 de l'économie du Mexique. Tout cet argent et ce marché parallèle ont créé des guerres de territoire, le tout causé par la surenchère économique.
Dans le monde des narcos, une réputation se fait en montrant son aptitude à la violence. Voici comment ce phénomène s'est transposé au Mexique. Au cours des quatre dernières années, 30 000 personnes ont perdu la vie de façon violente et non accidentelle. En 2010 uniquement, plus de la moitié de ces 30 000 personnes, soit 15 273, sont décédées par violence.
Le deuxième pays sur lequel j'aimerais attirer votre attention est le Guatemala, voisin du Mexique. Il s'agit d'un petit pays, comparativement au Mexique. Toutefois, il est plus violent que le Mexique. C'est un gros pays producteur de drogue, de cocaïne, de pavot et de cannabis. On retrouve au Guatemala les mêmes guerres de territoire.
Le sénateur Carignan faisait tout à l'heure des jeux de questions et réponses. Savez-vous combien on compte d'assassinats par jour au Guatemala? La réponse est 18. Tous les jours, 18 assassinats, en moyenne, se produisent au Guatemala.
(2140)
Au Guatemala, le taux d’homicide par 100 000 habitants est de 46, soit trois fois plus élevé qu’au Mexique. Rappelez-vous les 30 000 décès des quatre dernières années dont je vous ai déjà parlé, et multipliez cela par trois, toujours en proportion puisque la population du Guatemala est plus petite.
Il y a deux semaines, le président Peres, élu en novembre dernier, a décidé que, dorénavant, son pays allait prôner la légalisation des drogues dans le but d'affaiblir l'importance des cartels.
Le danger, vous l'avez. Ces cartels sont déjà impliqués au Canada. La Colombie-Britannique est déjà un producteur important. Ne pensez pas que le cannabis produit au Canada sert uniquement aux besoins canadiens. Le cannabis produit au Canada sert sur à alimenter le marché américain.
Les dangers auxquels fait référence le ministre et que je viens de vous expliquer sont très présents. Ce n'est pas une vue de l'esprit. Cela existe et cela nous guette. Nous n'avons pas les taux d'assassinat que l'on retrouve dans les pays mentionnés, mais cela nous guette.
C'est ce que nous a dit la Global Commission. Nous avons identifié ce qu'était la Global Commission et on nous a transmis une lettre, un peu plus tôt cette semaine. Je voudrais vous citer deux paragraphes à mettre dans le contexte des dangers que j'ai identifiés pour le Mexique et le Guatemala.
[Traduction]
Comme pour la prohibition de l'alcool, les données montrent que ce n'est pas en durcissant les lois relatives à la drogue au moyen de peines minimales obligatoires et d'autres sanctions légales que l'on réduira la criminalité et la violence associées à l'industrie du cannabis. Au contraire, ces lois ne viendront que consolider le pouvoir qu'exercent les criminels violents sur le marché du cannabis et gaspiller les précieux deniers publics.
Cette expérience s'est confirmée dans le monde entier. D'ailleurs, l'un des éléments qui fait vivre le crime organisé et qui alimente la violence en Colombie-Britannique ainsi que dans les autres provinces canadiennes est, quoique à une échelle moindre, précisément ce qui alimente la violence au Mexique : la demande de stupéfiants aux États-Unis. Un resserrement au Canada de la législation sur la drogue ne permettra pas d'éliminer cette cause première. Il est minuit moins une, mais nous espérons que le Canada optera pour une démarche fondée sur l'expérience pour encadrer l'industrie du cannabis étant donné l'accumulation accablante de preuves démontrant que le parcours proposé par le projet de loi C-10 est à la fois destructeur, ruineux et inefficace.
[Français]
J'aurais voulu déposer un amendement — c'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai voté contre la motion d'attribution de temps — mais le Règlement m'empêche de déposer un amendement à l'occasion d'une telle motion. Dans cet amendement, je vous aurais suggéré d'éliminer du projet de loi C-10 toute référence à des amendements à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Vous aurez compris que, pour cette raison, je voterai contre le projet de loi C-10, même si, malheureusement, je suis d'accord avec des portions du projet de loi. Je pense, entre autres, à certaines nouvelles infractions dans la partie 2 auxquelles je crois. J'éprouve quelques difficultés avec les sentences, mais je suis d'accord avec les infractions évoquées.
Un honorable sénateur a fait référence un peu plus tôt aux tribunaux qui utilisent les traitements pour les toxicomanes. Le Code criminel prévoit déjà, au paragraphe 720(2), le recours à de tels traitements. Ne vous imaginez pas que le projet de loi C-10 vient de créer le recours à ce type d'alternative. Les juges ont déjà cette alternative. Ne croyez pas que le projet de loi C-10 vient de l'inventer.
Je fais mienne la conclusion de la Global Commission on Drug Policy, que je cite :
[Traduction]
Le meilleur moyen de maîtriser l'industrie du cannabis au Canada et ailleurs dans le monde consiste de toute évidence à se détourner des stratégies de répression pénale, qui se sont soldées par un échec, pour plutôt adopter une démarche axée sur la santé publique et destinée également à enrayer la cause première du crime organisé. Le Canada a la possibilité de jouer...
[Français]
Son Honneur le Président : Je regrette, honorable sénateur Nolin, le temps qui vous était alloué est écoulé.
Le sénateur Nolin : Puis-je obtenir cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président : Êtes-vous d'accord honorables sénateurs?
Des voix : D'accord.
Le sénateur Nolin : Merci, honorables sénateurs.
[Traduction]
Le Canada a la possibilité de jouer un rôle de premier plan dans l'adoption de politiques de cet ordre, ce qui serait par ailleurs entièrement conforme à sa réputation mondiale d'État moderne, tolérant et visionnaire.
[Français]
Honorables sénateurs, j'aurais bien aimé que des gens de la Global Commission puissent être entendus par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. J'aurais bien aimé que le comité daigne entendre des chercheurs canadiens qui ont influencé le travail de la Global Commission, des chercheurs canadiens — et j'ai fait référence à ces études dans une lettre que j'ai fait parvenir à chacun d'entre vous récemment — qui ont démontré, après avoir fait une analyse de plusieurs études à travers le monde, que, dans des centres urbains, lorsqu'on augmente les efforts de répression, on engendre la violence, on ne la diminue pas. J'aurais aimé que le comité entende ces gens, mais cela a n'a pas été possible. Les listes étaient déjà complètes.
Pour toutes ces raisons, je vais voter contre le projet de loi C-10 et je vous encourage à faire de même.
[Traduction]
L'honorable Elaine McCoy : Honorables sénateurs, j'ai le plaisir de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-10. Je tiens d'abord à féliciter les sénateurs qui discutent depuis des années des questions dont nous sommes actuellement saisis. J'ai suivi une bonne partie des travaux du comité ces derniers jours et j'ai été encore une fois frappée de voir à quel point les échanges entre les membres du comité sont polis et de constater qu'il est possible d'avoir des opinions divergentes sans proférer des insultes, diaboliser l'adversaire ou se répandre en invectives colorées. Le sénateur Carignan a une fois de plus démontré ce soir, de façon très humoristique, qu'il est futile de prêter des intentions aux autres et de les affubler de toutes sortes d'étiquettes simplement parce qu'on n'a pas la même opinion qu'eux. Je félicite tous ceux qui ont pris part à l'étude de ces nombreuses mesures législatives au cours des dernières années et je me réjouis qu'autant de gens se soient comportés aussi dignement.
Mes observations ne porteront que sur une seule partie du projet de loi, à savoir celle qui se rapporte à la réglementation de certaines drogues et autres substances. J'admets que plusieurs parties du projet de loi C-10 sont admirables. Je regrette seulement qu'elles nous aient été présentées en un seul projet de loi.. J'aurais volontiers appuyé bon nombre de mesures qu'il contient, mais je ne peux pas souscrire au projet de loi C-10 dans son ensemble parce que les dispositions qui modifient la Loi réglementant certaines drogues et autres substances comportent des failles inacceptables qui entachent tout le reste. Je ne peux tout simplement pas les appuyer, et ce, pour deux raisons que je vais exposer. L'une a à voir avec ce dont le sénateur Nolin vient tout juste de parler, et je traiterai de la deuxième.
(2150)
La première a à voir avec ce qui est à mon avis l'inaptitude des rédacteurs de ces articles, même si c'est la quatrième fois que ce texte nous est présenté, et même après avoir entendu tous les bons conseils de tous les témoins et de tous les sénateurs qui ont fait diverses suggestions pour essayer d'améliorer ce projet de loi. Même après tous ces efforts, il existe encore une lacune irrémédiable dans le libellé de ce projet de loi en matière de drogues, en ce sens que l'on n'y fait pas de distinction entre une infraction grave et une autre infraction.
Si le but du projet de loi qui est, comme je le crois, de contrer le fléau des infractions graves, était atteint alors je pense que nous ne devrions pas être en train de tenir ce débat. Si l'on avait consenti juste un peu plus d'effort, ou peut-être beaucoup plus d'effort, ou si l'on avait suivi les conseils des témoins et même de nos propres sénateurs au cours des quatre dernières années, nous n'aurions pas ce débat. Malheureusement, le projet de loi tel qu'il est rédigé se rapproche dangereusement de cette bonne vieille époque digne de Dickens, quand on disait qu'on pouvait aussi bien pendre pour un mouton que pour un agneau, parce que cette distinction n'a pas été bien établie. Cela m'ennuie que nous, dans un pays civilisé au XXIe siècle, avec tous nos cheveux blancs dans cette enceinte, et avec tous les experts que nous avons entendus et consultés, n'ayons pas été en mesure d'en arriver à un tel niveau de sophistication qui nous aurait permis d'établir une distinction lorsqu'il est justifié de faire la différence.
Je me suis entretenue avec l'une de mes concitoyennes de longue date, qui a été procureure pendant 25 ou 30 ans, et je lui ai demandé son opinion. Il est intéressant de signaler qu'elle est passée au secteur privé depuis deux ans. Elle est maintenant avocate de la défense. Elle m'a dit : « Elaine, je suis une meilleure personne depuis que j'ai fait cela. » Il faut comprendre qu'elle et moi sommes de bonnes amies, mais elle est l'une des personnes les plus à droite que je connaisse. Elle habite à Calgary et elle est donc probablement partisane de nombre de partis qui ont connu beaucoup de succès à Calgary au fil des années.
Je dois admettre, à mon grand chagrin, que je croyais qu'elle voulait dire qu'elle faisait plus d'argent. Eh bien, en fait, ce n'est pas du tout ce qu'elle voulait dire. Elle a ajouté : « À titre de procureure, je ne rencontrais jamais l'accusé. Je prenais connaissance des accusations; je traitais avec la police; je traitais avec les autres procureurs; je traitais avec les juges, mais jamais avec les personnes qui étaient devant nous et qui étaient accusées d'un crime quelconque. » Elle a dit qu'aujourd'hui, bien sûr, elle les rencontre tous les jours et qu'elle passe beaucoup de temps dans les blocs cellulaires et dans les prisons. Elle a dit que c'est avec la plus grande consternation qu'elle a découvert un tout nouvel univers depuis qu'elle occupe ce poste.
Sa conclusion est que les prisons ne sont pas la seule solution, que les prisons n'obtiennent pas le résultat que nous souhaitons tous obtenir, du moins en partie, à savoir la réinsertion sociale. Elle me dit qu'elle est une bien meilleure personne parce qu'elle est une personne plus nuancée et qu'elle peut maintenant faire la distinction lorsqu'il y a une différence.
Je ai lu une bonne partie des témoignages qui nous été présentés j'ai écouté les arguments avancés de part et d'autre de la Chambre ce soir. Je suis impressionnée par la prépondérance de ce que j'appelle des opinions expertes, l'expérience professionnelle et, en conséquence, je n'appuierai pas ce projet de loi.
Si l'Association du Barreau canadien dit que ce projet de loi va restreindre la marge de manœuvre nécessaire pour parvenir à une solution juste, qu'il va faire diminuer le nombre de plaidoyers de culpabilité, qu'il va faire augmenter le nombre de procès et rallonger les délais, qu'il va exiger la mobilisation de ressources supplémentaires pour poursuivre et incarcérer un plus grand nombre de délinquants, je me dis que ce projet de loi ne tient pas la route et donc je ne l'appuierai pas.
Je suis aussi impressionné par ce qu'a déclaré la Commission mondiale sur les politiques en matière de drogue dans sa lettre ouverte au premier ministre. Elle est évidemment le reflet de l'expérience mondiale, ce dont parlait le sénateur Nolin. En vérité, c'est un débat que nous devrions avoir en dehors du cadre du projet de loi C-10, car je crois que c'est une question qui est de plus en plus présente dans la conscience de bien des gens. Je crois que l'opinion des Canadiens change et va changer à cet égard. Il faut commencer à voir plus loin que cette guerre contre la drogue. Elle a échoué, c'est certain. L'expérience l'a montré. On a beau y consacrer de plus en plus d'argent, multiplier les organismes de lutte antidrogue et jeter en prison de plus en plus de gens, c'est un échec. C'est comme la prohibition dans les années 1930. Nous avons créé l'une des industries les plus lucratives au monde, et elle s'appelle « les drogues illégales ».
Il y a peut-être beaucoup de gens que cette idée met mal à l'aise. Encore une fois, on peut probablement trouver une approche nuancée au problème. Je pense en tout cas que la marijuana serait un point de départ relativement facile et qu'on devrait peut-être passer plus de temps à discuter de drogues comme l'héroïne ou la cocaïne.
Je suis heureuse d'intervenir à la suite du sénateur Nolin dans ce débat, car c'est lui qui a présidé en 2001 notre comité sénatorial qui a publié un rapport sur la marijuana recommandant qu'elle ne soit plus considérée comme une drogue illégale et qu'on la réglemente correctement, pour pouvoir déterminer quand et comment elle pourrait être consommée et faire en sorte qu'elle ne soit plus une tentation pour les cartels de drogues, les gangs de jeunes et ainsi de suite. On ferait disparaître toute cette tentation.
Les profits colossaux des plantations de marijuana sont l'un des facteurs qui attisent la violence et l'activité criminelle en Colombie- Britannique, en Alberta et dans toutes les autres provinces. Il serait temps d'examiner ce problème dans une perspective beaucoup plus large pour voir s'il ne serait pas temps d'arrêter d'apporter les mêmes vieilles réponses aux mêmes vieux problèmes, ce qui ne fait que les aggraver.
C'est le vice fatal et fondamental de l'autre débat qui paralyse notre démarche face aux drogues et autres substances. J'aimerais bien que nous puissions convaincre le sénateur Nolin de diriger une nouvelle enquête ou un autre comité pour mettre à jour nos connaissances sur la question. Je crois qu'il serait grand temps de le faire.
D'ici là, je regrette de ne pas pouvoir appuyer un grand nombre de très bons aspects de ce projet de loi, mais je félicite tous mes collègues, notamment le sénateur Watt, qui a essayé sans relâche d'aborder de façon plus raffinée ces problèmes épineux.
L'honorable Larry W. Campbell : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui pour participer au débat sur le projet de loi C- 10, Loi sur la sécurité des rues et des communautés. Avant de commencer, j'aimerais cependant inviter les sénateurs Nolin et Runciman à venir me visiter en Colombie-Britannique pour que je puisse leur montrer que nous sommes en sécurité et que le taux de criminalité n'a pas augmenté de façon marquée au cours des dernières années — du moins sur l'île Galiano.
Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, ce projet de loi n'est pas bon pour le Canada. Comme de nombreux sénateurs qui ont pris la parole avant moi, je trouve déplorable de ne pas pouvoir voter pour les parties du projet de loi que j'appuie sans réserve, notamment celle qui concerne le terrorisme.
(2200)
Le projet de loi est un exemple patent de mesure fondée sur l'idéologie et de parti pris politique. Le mépris qu'a affiché le gouvernement à l'égard de toutes les preuves scientifiques démontrant qu'il faisait fausse route est, avouons-le, carrément honteux.
On se serait attendu à ce que le gouvernement examine objectivement la multitude de preuves qui établissent que son projet de loi ne changera rien à la sécurité des rues et des communautés. Selon les données présentées, la mesure législative aura une foule d'autres conséquences qui sont loin d'être aussi positives, comme profiter aux criminels organisés et envoyer le mauvais message aux trafiquants de drogue; gaspiller les fonds publics et les précieuses ressources policières, en plus de surpeupler les prisons déjà bondées et d'exercer une pression additionnelle sur les tribunaux déjà engorgés.
Le gouvernement ne nous a pas fourni d'idée précise des coûts rattachés au projet de loi. C'est comme regarder dans une boule de cristal et essayer de deviner ce qui nous attend. Il est cependant certain qu'il y aura des répercussions financières. On n'a qu'à voir ce qui s'est passé aux États-Unis : lorsqu'ils ont instauré leurs peines minimales obligatoires, les Américains estimaient que les coûts de ces mesures seraient de l'ordre de 55,2 millions de dollars sur cinq ans. Or, ils s'élèvent plutôt à 3,216 milliards, soit 58 fois plus que les estimations initiales pour la même période de cinq ans.
Nous savons également qu'à l'heure actuelle, on dépasse de 38 p. 100 la capacité du système carcéral américain et que des États comme la Californie ont pratiquement fait faillite parce que leurs prisons sont remplies de détenus condamnés pour des peines minimales obligatoires.
Ce projet de loi ne prévoit aucune mesure pour lutter contre les causes à l'origine de la criminalité liée aux drogues au Canada, ce qui ne fera qu'empirer la situation de nos concitoyens déjà marginalisés. Nos prisons comptent déjà un pourcentage disproportionné de membres de certaines populations, comme les Autochtones, les personnes atteintes de maladies mentales et les femmes.
L'enquêteur correctionnel du Canada, M. Howard Sapers, a déclaré que ce projet de loi allait aggraver le problème. De son côté, l'Association des psychiatres du Canada a fait savoir que cette mesure législative allait exacerber des problèmes liés à la décision de « parquer » les prisonniers en tant que dernier recours lorsqu'il n'est pas possible de les traiter.
Un témoin membre d'un groupe représentant les Premières nations du Manitoba a très bien résumé l'effet négatif qu'aura ce projet de loi sur les Premières nations. Voici ce qu'il a dit au comité :
Le projet de loi C-10 contribuera à perpétuer le cercle vicieux qui débute souvent quand on sépare les enfants des Premières nations de leurs familles et de leurs mères pour les placer dans des familles d'accueil. Ils sont ensuite plus susceptibles de se retrouver en centre de détention pour les jeunes, puis, à l'âge adulte, en prison.
Le projet de loi perpétuera les retombées des pensionnats indiens au Canada.
Je ne vais pas m'attarder plus longtemps à cette question qui mérite d'être approfondie et je ne vais pas aborder les problèmes plus profonds qui touchent à l'interdiction, car je crois que le sénateur Nolin s'est exprimé avec beaucoup d'éloquence à ce sujet.
Les gens qui militent en faveur du changement sont des politiciens qui vivent dans des pays touchés directement par le système d'offre et de demande qui a été créé par les États-Unis et leur appétit insatiable pour les drogues. C'est là que se trouve le problème. Il s'agit d'une question économique. La Colombie, le Guatemala, le Mexique et le reste de l'Amérique centrale et de l'Amérique du Sud vont se joindre à ce mouvement et reconnaîtront qu'ils ne peuvent rien y faire. Ces pays ne peuvent pas empêcher l'exportation de drogues tant que la demande existera. Nous savons que l'attrait est tout simplement irrésistible en raison des énormes quantités d'argent en cause et de la pauvreté qui afflige bon nombre de ces pays. Ils ne peuvent pas enrayer le fléau et il en résulte une escalade de la violence associée aux gangs, ce qui contribue lourdement aux décès liés au narcotrafic.
Selon un rapport publié en 2011 par la Commission mondiale sur les politiques en matière de drogue — et je pense que cela est important, puisque Vancouver a connu une augmentation spectaculaire du nombre de cas de VIH attribuable à la transmission du virus entre consommateurs de drogues injectables —, de nombreux pays qui comptent sur la répression et la dissuasion pour faire face aux taux croissants de transmission du VIH liés à la drogue connaissent les taux les plus élevés de VIH chez les groupes de consommateurs de drogues.
Le centre d'injection supervisé a ouvert ses portes à Vancouver et a distribué des seringues propres. Depuis, le nombre de cas de VIH et d'hépatite n'a cessé de chuter.
L'application de la loi ne règle pas tous les problèmes liés à la drogue. Il y a d'autres aspects à prendre en considération, notamment la prévention, la réduction des préjudices et le traitement. Au Canada, nous n'accordons pas suffisamment d'intérêt aux autres aspects clés. En fait, l'actuel gouvernement rejette le principe de réduction des préjudices, point à la ligne. En effet, il n'est mentionné nulle part dans sa politique antidrogue.
Pourtant, dans les pays qui appliquent ce principe dans leur stratégie de santé publique — comme le Canada —, le nombre de cas de transmission du VIH chez les toxicomanes qui s'injectent des drogues est systématiquement inférieur.
Des représentants de nos associations de police, venus témoigner au comité, nous ont dit que ce projet de loi propose une approche raisonnable, mais qu'il ne modifiera pas vraiment le cours des choses. Selon les représentants de l'Association canadienne des chefs de police, l'imposition de peines d'emprisonnement n'est pas la panacée. En effet, il ne suffit pas d'arrêter les gens ou des les incarcérer pour régler ce problème. Nous devons adopter une approche équilibrée tenant compte de tous les aspects de la problématique. Le projet de loi C-10 s'inscrit dans cette approche équilibrée. Je crains cependant qu'à lui seul il ne permettra pas de modifier le cours des choses.
En outre, les chiffres arbitraires inclus dans ce projet de loi ne sont pas fondés sur des preuves concrètes et servent seulement à inciter les petits criminels à élargir leur champ d'activité. Je ne veux pas entrer dans les détails par crainte que vous croyiez que j'ai appris ces renseignements ailleurs que dans des livres et qu'à partir de mon expérience policière. Cependant, si la peine associée à la culture de six à 200 plants est de six mois et qu'une personne tente de gagner un peu d'argent, elle ne cultivera pas six plants, mais plutôt 200. De même, si la peine pour la culture de 200 ou de 500 plants est la même, la personne aura tendance à cultiver 500 plants plutôt que 200. Si une personne reçoit une peine de deux ans moins un jour pour la culture de 1 000 plants, elle cultivera ces plants parce que cela lui permettra de gagner de l'argent. Au lieu de dissuader les personnes de cultiver des plants, cette mesure aura l'effet contraire parce que la peine pour la culture de six plants ou de 200 plants est la même.
En tant que policier, le nombre de plants n'est pas important pour moi. Une personne peut être une trafiquante même si elle cultive seulement six plants. Elle ne serait pas une trafiquante très intelligente et je ne consacrerais probablement pas beaucoup de temps à tenter de l'arrêter, mais elle en serait quand même une. En tant que policier, je pourrais mener une enquête sur cette personne, obtenir les preuves requises, la traîner devant un tribunal et la faire condamner.
Ces chiffres servent seulement à rendre les policiers paresseux. Quel travail cela exigerait-il? Le policier aurait seulement à trouver 200 plants, à arrêter la personne et à l'accuser de possession en vue de faire le trafic. Cela demandera peu ou pas de travail.
Nous ne devrions pas utiliser de chiffres pour établir des normes en matière de criminalité. Souvent, ils sont trop peu élevés et, au bout du compte, les peines qui y sont associées ne veulent rien dire.
Dans un article publié récemment dans l'Ottawa Citizen, M. Eric Sterling, qui a été un intervenant de premier plan dans la rédaction des lois fédérales américaines sur les peines minimales obligatoires, a dit que le nombre de plants fixé pour les diverses peines minimales du projet de loi C-10 est ridiculement bas, ce qui laisse entendre que les politiciens fédéraux ne comprennent pas la structure de l'industrie criminelle qu'ils tentent d'enrayer.
Dans la version précédente de ce projet de loi, les membres du comité se souviendront d'un criminologue du Collège universitaire de la vallée du Fraser. Je lui ai dit : « Nous venons tous les deux de la Colombie-Britannique. Combien de plants correspondent à une consommation personnelle? » Il a répondu : « Eh bien, je ne sais pas. Qu'en pensez-vous? » J'ai dit : « Je ne sais pas. Cent plants. » Il a répondu : « Cent plants? » J'ai dit : « Eh bien, il y a Noël, le jour de l'An, Hannoucah, Pâques, les anniversaires, les mariages et les funérailles. À la fin de l'été, il ne resterait plus rien. » Il a répondu : « Alors, je dirais peut-être 30. »
Comment pouvons-nous avancer des chiffres? C'est impossible. Il faut des données probantes.
Honorables sénateurs, si les recherches scientifiques, les faits incontestables ou les avertissements des experts en la matière ne suffisent pas à influencer le gouvernement, alors les résultats décevants de politiques semblables mises en œuvre aux États-Unis devraient sûrement l'amener à reconsidérer la question. Nous ne nous assimilons pourtant pas aux États-Unis en ce qui concerne notre système de justice criminelle ou notre système pénal, car ce pays se dirige dans la direction opposée. Les États-Unis se rendent maintenant compte de tous les ennuis qu'ils ont, de ce qu'il en coûte à la société et de ce qu'il en coûte monétairement. Nous sommes pires qu'eux. Nous nous engageons dans cette voie au moment où ils en sortent, et nous ne semblons pas apprendre.
(2210)
Le gouvernement ignore de façon éhontée les événements récents survenus aux États-Unis qui montrent clairement à quel point ce genre d'approche est boiteux. Je dois dire d'entrée de jeu que je ne suis pas systématiquement contre les peines minimales. Si c'était les libéraux qui étaient à l'origine de cette mesure, ils auraient probablement tort eux aussi. Je ne suis pas systématiquement contre les peines minimales. Tout ce que je dis, c'est que, pour emprunter cette voie, il faut une bonne raison. Il faut qu'elle ait fait ses preuves, qu'il y ait des preuves solides comme quoi cela changera quelque chose.
De plus, le gouvernement fait la sourde oreille aux arguments des experts juridiques et judiciaires aux États-Unis, qui nous exhortent à ne pas répéter les erreurs commises dans ce pays. Quand entendons- nous des politiciens américains s'excuser? Cela n'arrive jamais. Ils savent à quel point ce système est mauvais et à quel point ils sont en mauvaise posture.
Dans une lettre récente qu'ils ont tous signée, plus de 25 spécialistes, dont des juges, des avocats, des policiers et des enquêteurs aux stupéfiants, ont déclaré que les politiques de peines minimales sévères pour des infractions liées à la marijuana ont ruiné les États, puisque l'argent des contribuables, qui n'est pas en quantité illimitée, sert à emprisonner des personnes condamnées pour des infractions non violentes liée aux drogues en nombres record plutôt que d'être consacré à des programmes qui amélioreraient véritablement la sécurité. Un grand nombre d'États et de districts américains ont depuis fait marche arrière, et 14 États s'orientent maintenant vers une décriminalisation de la possession de marijuana.
En terminant, honorables sénateurs, la teneur de ce projet de loi dénote de l'ignorance. Il n'y a rien de logique dans cette mesure. Les données scientifiques, le bon sens et l'histoire récente nous indiquent que ce projet de loi n'atteindra pas son but, qui est d'accroître la sécurité dans nos rues et nos collectivités. En fait, ce serait le contraire.
Je cite M. Sterling une dernière fois :
D'innombrables personnes ont vu leur vie gâchée parce qu'elles ont écopé d'une peine d'emprisonnement et ont un casier judiciaire pour avoir commis une infraction non violente liée à la drogue. Selon ces preuves irréfutables [...] je ne peux voir qu'une raison pour laquelle le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux du Canada voudraient emprunter cette voie peu rentable : ils croient qu'il est rentable, sur le plan du capital politique, de s'afficher comme déterminé à sévir en matière de drogue et de criminalité.
Ce n'est pas cela sévir en matière de drogue ou de criminalité. Dans 10 ans, nous serons ici en train de revoir cette mesure pour y mettre fin.
Le projet de loi n'est pas dans l'intérêt supérieur des Canadiens, et je ne peux pas l'appuyer. Merci.
Son Honneur le Président intérimaire : Je crois que le sénateur Martin avait une question à poser. Sénateur Martin, souhaitiez-vous poser une question?
L'honorable Yonah Martin : Oui, j'ai une question à poser au sénateur Campbell.
Avec tout le respect que je lui dois, je rappelle au sénateur que je suis une résidante de Vancouver. Je vivais à Vancouver quand le sénateur était le maire de la ville. J'y vis encore. Qu'allons-nous dire à l'association des marchands du Chinatown qui, en raison des problèmes de drogue et des difficultés qui touchent notre ville, doit essayer de protéger son patrimoine culturel, qui rayonne dans la ville depuis 125 ans? Qu'allons-nous dire à un jeune garçon nommé Trenton, dont j'ai parlé à Abbotsford, qui vivait sur la même rue que les tristement célèbres frères Bacon? Jonathan a été tué l'été dernier. J'ai été son professeur en 11e année. Trenton vivait dans cette rue, et il a été séquestré pendant des mois. Les ressources policières d'Abbotsford ont été épuisées, parce qu'il fallait, en quelque sorte, protéger les criminels. Les amis de Trenton ne pouvaient pas lui rendre visite. Il ne comprenait pas, et son discours était rempli d'émotion. Qu'allons-nous dire à Eileen Mohan, la mère d'une des victimes de l'affaire Surrey Six? Son unique fils a été tué.
Je sais qu'il y a des données scientifiques, des experts et des statistiques, mais je pense aux victimes et à beaucoup de Canadiens respectueux des lois qui n'ont rien à se reprocher, et qui ont besoin de protection. Que dirait le sénateur à ces victimes et aux familles qui sont directement touchées par ces drames?
Son Honneur le Président intérimaire : Honorable sénateur, avant que vous répondiez, je signale que votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander à la Chambre plus de temps pour répondre au sénateur Martin?
Le sénateur Campbell : Oui.
Des voix : Cinq minutes.
Son Honneur le Président intérimaire : Cinq minutes. Vous avez la parole.
Le sénateur Campbell : Pendant 20 ans, j'ai consacré ma vie à m'occuper de personnes décédées, et pendant 20 ans, j'ai passé ma vie à traiter avec des victimes. Quelqu'un a dit ici aujourd'hui — je crois que c'était le sénateur LeBreton — : « Qui pourrait vouloir être à la place du sénateur Boisvenu? » Je suis tout à fait d'accord. Il n'y a rien que je puisse dire, rien que je puisse faire.
Pour répondre à la question concernant les marchands chinois, lorsque je me suis porté candidat à la mairie, je suis allé les voir et je leur ai dit que j'allais implanter un site d'injection supervisé. Je leur ai promis qu'il ne serait pas situé dans Chinatown. Ils ont voté pour moi. C'est tout ce que je peux dire. Chinatown a toujours été soumis à des pressions à Vancouver en raison de son emplacement. J'appuie ce quartier sans réserve. Le gang des Bacon Brothers et d'autres semblables sont un produit de notre société. C'est un groupe de sociopathes et de perdants qui se sont réunis en marge de l'école secondaire. Ils se sont rassemblés, et à cause de leur violence et, probablement, de beaucoup de stéroïdes, ils sont devenus un problème.
Que puis-je dire aux gens qui vivent dans leur rue? Je n'en sais rien. Je n'ai pas de réponse à cette question. Le gang Surrey Six est identique. Il est impossible de dire à quiconque a perdu un être cher qu'il y a une réponse à ce problème.
Est-ce que jeter les Bacon Brothers en prison pour le reste de leur vie me rendrait heureux? Absolument; cela ne fait aucun doute. Toutefois, ces éléments font tout de même partie de la société, et nous devons y faire face. Nous ne pouvons pas régler le problème en répétant qu'il faut tout simplement les jeter en prison. La vente non réglementée et exempte d'impôt de la marijuana en Colombie- Britannique représente 7 milliards de dollars par année. J'affirme qu'il faut taxer la marijuana. Retirez ce produit des mains des gangs, et ils passeront à autre chose. Il ne faut pas fermer les yeux. Il faut leur retirer ce commerce et les obliger à se tourner vers autre chose.
J'ai pitié des victimes. Comme je l'ai dit, pendant 20 ans, tous les jours, je me suis entretenu avec des gens qui avaient perdu des êtres chers, et j'avoue que je n'ai jamais été très doué pour répondre à leurs questions.
[Français]
L'honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, c'est avec une vive émotion et une très grande satisfaction que je prends la parole aujourd'hui sur le projet de loi C-10.
Cette prise de parole, je la fais évidemment en tant que membre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, mais aussi en tant que représentant et défenseur des droits des victimes d'actes criminels en ce lieu qu'est le Sénat du Canada.
D'entrée de jeu, je voudrais remercier et surtout souligner le travail impeccable du président du comité, le sénateur Wallace. Sa grande objectivité et sa grande rigueur ont permis à tous les témoins qui ont défilé devant les sénateurs du comité de pouvoir livrer, leur message en toute quiétude. Pour les sénateurs qui ont siégé à ce comité — un privilège que j'avoue détenir —, il nous a permis de faire notre travail de législateurs responsables avec une grande sérénité. Je tiens à exprimer au sénateur Wallace toute mon admiration pour son travail, qui n'était pas facile, je le sais.
Je tiens à féliciter le sénateur Fraser pour la qualité de son leadership par rapport au groupe en face de nous. Elle a très bien fait son travail. À l'occasion, j'ai même cru que le sénateur penchait de notre côté.
Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont siégé au comité et qui ont étudié avec beaucoup d'attention le projet de loi. Je les remercie pour la très grande écoute qu'ils ont manifestée envers les victimes et les groupes de victimes d'actes criminels qui sont venus témoigner.
(2220)
Pour une première fois dans l'histoire du comité, jamais autant de victimes d'actes criminels ne sont venues témoigner sur un projet de loi. On avait un très bon équilibre entre les victimes qui venaient parler de leur histoire et ceux qui défendaient davantage la partie du système qui gère nos criminels. Les victimes ont décidé de prendre la parole et, ma foi, j'ai comme l'impression à l'occasion que le fait qu'elles prennent la parole dérange. Cela dérange dans un système qui était dans une très grande quiétude depuis 30 ans.
À toutes ces victimes, je dis bravo! Bravo d'avoir sorti du silence! Bravo pour le courage que vous avez montré en venant nous raconter votre expérience devant le système de justice! Et merci de votre appuie.
Honorables sénateurs, depuis mon entrée au Sénat, je parcours les routes du Québec et du Nouveau-Brunswick pour expliquer les mesures comprises dans le projet de loi C-10, lesquelles ont fait l'objet de beaucoup de discussions dans cette Chambre comme dans l'autre. Depuis près de deux ans maintenant, j'explique la majorité des mesures qui ont déjà été étudiées.
Cette semaine, dans un sondage scientifiquement incontestable, la population du Québec se prononçait majoritairement en faveur des mesures comprises dans le projet de loi C-10. Cette majorité québécoise en faveur de notre projet de loi tranche vraiment avec l'image d'opposition que nous renvoient les médias du Québec. Cela explique pourquoi le projet de loi C-10, surtout au Québec, a été si démonisé, si critiqué, si décrié.
[Traduction]
Qui l'a décrié? Pas les victimes, ni les intervenants, ni la majorité de la population qui, selon les résultats du sondage de Focus Research publiés il y a quelques jours, est favorable au projet de loi. La mesure législative a surtout été critiquée par certains médias qui mènent délibérément une campagne de désinformation.
[Français]
Pour prouver mon affirmation, je vous présente, honorables sénateurs, deux exemples parmi tant d'autres d'informations véhiculées dans ces médias et qui, volontairement, dénaturaient la portée du projet de loi C-10, et, par ricochet, le gouvernement conservateur.
Le premier exemple concerne les mesures législatives touchant les jeunes contrevenants. Selon certains médias et défenseurs du statu quo, le projet de loi C-10 allait démolir le modèle québécois en matière de justice pénale pour les adolescents, et ces derniers se retrouveraient en prison avant l'âge de 18 ans s'ils obtenaient une sentence pour adulte. Le gouvernement conservateur allait mettre en prison des enfants. « Des enfants », ont-ils dit. Le projet de loi C-10 ne concernera que 3 p. 100 des jeunes criminels au Québec, car cette province gardera le pouvoir d'appliquer, aux jeunes de 16 et 17 ans, les mesures du projet de loi C-10.
La réalité est que, pour 97 p. 100 des jeunes délinquants au Québec, rien ne changera dans le système. Le modèle québécois, quoique questionnable sur le plan de sa performance selon les statistiques canadiennes sur la criminalité, reste intact. Après avoir connu une baisse du taux de criminalité chez les moins de 18 ans, entre 2000 et 2005, le Québec a connu une augmentation de 12 p. 100 de la criminalité chez les mineurs entre 2006 et 2010. Chose inquiétante, c'est la tranche des jeunes de 12-13 ans qui a connu la plus forte augmentation de la criminalité, soit 30 p. 100.
Mon deuxième exemple touche le contrôle des criminels qui font le trafic de drogue, particulièrement dans les cours d'école. Ces médias de la désinformation organisée ont affirmé que ceux qui se feront prendre à vendre quelques plants de pot allaient obligatoirement recevoir une peine d'emprisonnement. La réalité est tout autre. Le projet de loi est clair là-dessus. Le projet de loi parle de trafic de drogue et non de possession simple de drogue.
[Traduction]
Ce sont de parfaits exemples de fausses allégations qu'il fallait démentir au cours des différentes étapes de l'étude du projet de loi.
[Français]
Mais il y a pire. Une attitude inacceptable, bassement partisane, irresponsable socialement de la part d'organisations professionnelles, de certains professionnels et d'individus, ce comportement relève de la tyrannie institutionnelle. Elle fut manifeste de la part de certains chroniqueurs juridiques et défenseurs du statu quo.
Au cours des dernières semaines, la situation n'a pas été facile pour mon bureau, et c'était difficile de nous tenir debout pour défendre le projet de loi souhaité par une majorité de Canadiens. On a tenté de me faire taire en m'attaquant personnellement sur la place publique, en adressant des messages de menace à mon bureau et en critiquant mon droit de parole sous prétexte que je ne suis pas un élu. Comment expliquer que les plus ardents défenseurs de la liberté d'expression soient les médias, et que ce sont ces mêmes médias qui me disent de me taire?
Une société qui ne reconnaît pas un droit de parole égal à tous ses citoyens s'appelle une dictature.
Me Marc Bellemare, avocat défenseur des victimes d'actes criminels, l'a très bien expliqué lors de son passage au comité. « Au nom de qui parlent le Barreau du Québec et l'Association du Barreau canadien? » a-t-il demandé. D'un petit groupe d'avocats, confirme-t-il. Me Bellemare a affirmé, devant les membres du comité, n'avoir jamais été consulté sur la position du Barreau du Québec ni sur celle de l'Association du Barreau canadien, dont il est membre, sur ce projet de loi C-10. Et comment expliquer ces dizaines d'avocats que j'ai rencontrés personnellement, qui ont appelé au bureau pour me dire être d'accord avec le projet de loi C- 10, mais ne pas pouvoir en parler publiquement?
Nous n'avons jamais lâché.
[Traduction]
En effet, nous n'avons jamais lâché. Nous savons que le projet de loi C-10 est une bonne mesure législative. Toutes les victimes le savent. Nous avons fait une promesse aux Canadiens et nous appuyons ce projet de loi.
Des voix : Bravo!
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Toute la semaine, les membres du comité ont entendu les témoignages de plusieurs victimes, de représentants d’organismes de défense des victimes, de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, de chefs de police et de professionnels qui offrent des services aux victimes d’actes criminels.
Vous me permettrez de livrer ici quelques passages remarqués de leurs témoignages.
Mme Lianna McDonald, directive exécutive du Centre canadien de protection de l'enfance, a dit :
De nos jours, les enfants et les adolescents évoluent dans un monde de technologie qui les rend plus accessibles que jamais, et sur ce terrain de jeu où ils sont largement laissés à eux- mêmes, ils sont en proie aux adultes qui voudraient profiter d'eux. Ces mesures législatives sont nécessaires et aideraient grandement la police à inculper des individus et à mieux protéger les enfants au Canada.
M. Sheldon Kennedy, ex-hockeyeur de la Ligue nationale de hockey, a dit ceci :
[Traduction]
Selon moi, il y a une différence entre se voir offrir un traitement et le suivre. On offre toutes sortes de programmes à bien des délinquants et des criminels, mais on ne les oblige pas à les suivre. Je sais que Graham n'a pas suivi de programme.
[Français]
Mme Sandra Dion, policière et victime d'acte criminel, de la Ville de Québec a dit ce qui suit :
En tant que victime, le projet de loi C-10 est un petit pas de plus pour redonner aux victimes un sentiment de confiance dans le système judiciaire puisque ce projet a pour objectif d'augmenter la sécurité de la population. Cela représente pour moi le début d'une nouvelle ère afin de trouver l'équilibre entre le droit des détenus et celui des victimes.
Par ces déclarations, on constate que les victimes de la criminalité et leurs défenseurs appuient unanimement le projet de loi C-10, qui vient inscrire dans la législation des demandes pour lesquelles ils se sont battus pendant des décennies. Les victimes veulent que leurs voix soient renforcées aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles. Elles veulent avoir un accès plus important au dossier du criminel. Elles veulent que ces derniers payent un coût proportionnel au crime commis.
[Traduction]
Oui, le projet de loi prévoit des mesures administratives mineures en ce qui concerne les victimes d'actes criminels.
[Français]
C'est la première fois qu'un gouvernement, notre gouvernement, va reconnaître les droits des victimes d'actes criminels et va les inscrire dans la loi une fois pour toutes.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-10 vient réparer 30 ans de laxisme, de manque de rigueur et de libéralisme dans notre système de justice, qui a trop souvent favorisé le criminel au détriment de la sécurité des victimes et des familles canadiennes.
Honorables sénateurs, je veux également mentionner que toutes les victimes d'actes criminels, qui sont venues témoigner devant notre comité, ont remercié le gouvernement conservateur pour être enfin entendues, reconnues et respectées.
(2230)
Comme le disait une victime :
Ce projet de loi sera un baume sur nos plaies. Une nouvelle ère s'ouvre enfin, celle du respect des victimes envers les victimes de criminels par notre système de justice ».
De nombreux témoignages portaient sur les frustrations des victimes à voir les criminels s'en sortir avec des sentences bonbon. Leurs préoccupations sont tout à fait légitimes et vont bien au-delà de la portée des compétences fédérales. Le projet de loi C-10 viendra atténuer ces frustrations.
La réalité des victimes d'actes criminels est multidimensionnelle car elle englobe les responsabilités administratives et politiques de divers ordres de gouvernement au Canada. Les victimes ne veulent plus être les exclus du système de justice. Voilà l'importance de les impliquer lors de l'élaboration de politiques, de programmes concernant les organismes de victimes, avec les décideurs des ordres de gouvernement, de même que les divers secteurs d'activité professionnelle. Toutes les victimes nous ont avoué que les mesures efficaces à aider les victimes doivent aller au-delà du domaine de l'intervention pénale.
Par conséquent, le moment est peut-être venu, dans ce dossier de l'accompagnement des victimes d'actes criminels au Canada, qu'un dialogue s'installe pour répondre aux défis globaux qui relèvent des provinces, des territoires et du gouvernement fédéral.
Dans ce sens, j'invite tous les ministres de la Justice du Canada à inscrire sur une base permanente ce sujet à l'ordre du jour de leurs rencontres annuelles. En 2012, dans ce magnifique pays qu'on appelle le Canada, les victimes d'actes criminels, tout comme les criminels, ne devraient-elles pas être traitées également et équitablement d'un océan à l'autre?
Les membres du comité sénatorial ont profondément été touchés par l'impact des séquelles permanentes infligées aux victimes venues témoigner à la suite de crimes sexuels commis par des individus qui se trouvaient en position d'autorité par rapport à leur victime, le plus souvent des enfants.
Malgré le fait que le projet de loi punira plus rigoureusement ces crimes odieux, une réflexion sur des mesures pénales plus sévères contre ces prédateurs sexuels en série s'impose et devra aller plus loin. Selon ces victimes, le projet de loi C-10 ne va pas assez loin.
De nombreuses victimes recherchent un équilibre entre les droits des victimes et les droits des délinquants. Les victimes ont mentionné que la poursuite d'un équilibre n'est pas une question de vengeance, mais plutôt la recherche d'une société juste et sécuritaire, non seulement pour elles et leurs familles, mais également pour toute la population canadienne.
Voilà la reconnaissance que nous leur accordons aujourd'hui, la promesse que nous remplissons, l'engagement que nous respectons, soit l'adoption du projet de loi C-10.
Je terminerai mon allocution avec deux témoignages qui expliquent très bien comment le projet de loi C-10 établira un équilibre souhaité entre la sécurité de nos communautés et la réhabilitation des criminels.
La première citation nous vient d'un psychologue, Éric Bergeron, qui œuvrent pour les services correctionnels canadiens et agit à titre d'expert à la Cour criminelle du Québec :
Pour certains délinquants, la répression est la forme la plus utile de réhabilitation. Ce sont des jeunes qui, dès le jeune âge, sont fortement criminalisés, présentent des éléments de personnalité psychopathiques et toutes les recherches montrent clairement que les interventions sont inefficaces sur eux.
[Traduction]
Son Honneur le Président intérimaire : Voulez-vous demander au Sénat cinq minutes de plus?
Le sénateur Boisvenu : Oui, s'il vous plaît.
Des voix : D'accord.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous pouvez continuer.
[Français]
Le sénateur Boisvenu :
Dans de tels cas, les peines bonbon qu'on leur donne au début de la carrière sont non seulement inefficaces, elles représentent des renforcements à leur délinquance. [...]
De dire que la répression s'oppose à la réhabilitation, c'est d'être incapable de comprendre qu'avant toute réhabilitation, le crime se doit d'être puni chez les individus ne présentant aucun malaise moral ni remise en question face à leurs agissements. Cette punition devient alors essentielle afin de mettre une limite claire à des personnes qui n'en ont jamais eu dans la vie, ou qui ont utilisé la violence afin de les abattre [...]
Répression et réhabilitation sont deux approches, aussi importantes l'une que l'autre, afin d'apporter une solution durable au problème de la criminalité. Comme société, on ne peut que sortir gagnant lorsque la pensée unique est mise en état d'arrestation
Oui, honorables sénateurs, il y a des choses à faire pour réduire la criminalité. Il y a des choses à faire et le projet de loi C-10 va les faire.
Le second témoignage est celui de la Dre Isabelle Gaston, urgentologue, spécialiste dans le traitement des enfants agressés sexuellement et mère de deux enfants assassinés récemment :
Pour que la société soit réellement gagnante au décompte final, je crois qu'il faut miser autant sur la victime que sur l'agresseur, parce qu'on ne comptabilise pas les coûts engendrés lorsqu'on reçoit, 20 ans plus tard, la victime pour tentative de suicide. La sanction doit devenir le point de départ de la réhabilitation tant pour l'un que pour l'autre. Malheureusement, en ce moment, il y a un réel déséquilibre entre le criminel et la victime.
La victime a besoin d'être protégée, d'être entendue, d'être crue. Elle a besoin qu'on lui fasse une place dans notre système de justice. Il faut cesser d'opposer réhabilitation du criminel avec sa répression. Je crois sincèrement que la solution optimale puisera sa réponse dans les deux options.
Honorables sénateurs, donnez une voix, votre voix, à toutes ces victimes, à toutes ces familles de victimes trop longtemps gardées injustement dans leur prison, celle du silence.
Ainsi, ce pouvoir que vous avez d'adopter le projet de loi C-10 sera dorénavant leur pouvoir de donner un sens à leur drame, à leur espoir, à leur vie.
Je vous remercie.
[Traduction]
L'honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, j'aimerais tout d'abord attirer votre attention sur une pétition que j'ai reçue ce midi. Lancée par Leadnow, cette pétition a été signée par 51 950 Canadiens qui s'opposent au projet de loi C-10.
J'aimerais aussi revenir sur les questions quiz du sénateur Carignan, qui étaient plutôt amusantes. Je commence à croire que le gouvernement souffre vraiment d'un complexe d'infériorité. Il doit constamment faire référence aux libéraux pour justifier ses propres décisions.
Un des points qu'il faut garder à l'esprit, c'est que les preuves évoluent constamment. Les données probantes recueillies en 1892, en 1922 ou il y a trois ans à peine sont différentes des données actuelles. Quand un gouvernement prend une décision — qu'il soit conservateur, libéral ou de tout autre horizon politique — il se fonde sur les meilleures données disponibles à ce moment-là. Ou du moins, j'espère qu'il procède ainsi. Certains pensent que les décisions sont surtout guidées par l'idéologie, mais j'ose espérer que nos décisions se fondent sur les preuves récentes. Dans ce cas-ci, nous recevons des quantités croissantes de preuves qui indiquent que les mesures législatives semblables au projet de loi C-10 font fausse route, particulièrement en ce qui concerne les peines minimales obligatoires imposées pour des délits mineurs.
Ce projet de loi va à l'encontre de ce que d'autres gouvernements nous ont dit et de ce que nous avons appris des États-Unis, en particulier. Il met l'accent sur le châtiment plutôt que sur la prévention. Il se concentre sur les prisons plutôt que sur la sécurité des collectivités. À mon avis, ce n'est pas la voie à suivre.
Je ne reviendrai pas sur chacune des parties du projet de loi, qui comporte des points positifs et des faiblesses. Je me concentrerai plutôt sur deux aspects. Le premier touche les peines minimales obligatoires, particulièrement dans le cas d'infractions mineures liées à la marijuana et non quand il s'agit de délits graves comme ceux qu'ont mentionnés les gens de l'autre côté. Le deuxième aspect touche l'incidence disproportionnée que ce projet de loi aura sur certaines des personnes les plus vulnérables de notre société.
Je soutiens que, si l'on veut que la peine imposée aux délinquants soit appropriée, c'est aux juges qu'il faut confier cette décision. Le juge peut tenir compte des faits et adapter la peine de façon à trouver un juste équilibre entre ce que mérite le délinquant et ce dont la collectivité a besoin, entre le criminel et la victime. Les juges ont la formation requise. Ils interprètent la loi et rendent justice de façon juste et équitable. J'ai confiance en eux. Si le juge croit que le délinquant pose un danger pour la société et devrait être incarcéré, qu'on mette ce délinquant derrière les barreaux. Mais il pourrait aussi décider de donner au délinquant une deuxième chance.
Leurs décisions peuvent bien entendu être revues. Si la poursuite n'est pas satisfaite de l'issue d'une affaire ou de la peine infligée à un contrevenant, la cause peut être réexaminée dans le cadre d'un appel. Grâce à ce processus, nous ayons un système ouvert et transparent qui, soit dit en passant, sert bien le Canada depuis 143 ans.
(2240)
Toutefois, ce projet de loi limiterait la capacité d'un juge de déterminer en quoi consiste une peine appropriée. Selon l'Association du Barreau canadien, il limiterait la portée de l'examen en appel dans les cas où une peine clairement inadéquate a été infligée. L'association ajoute qu'une approche universelle pour toutes les infractions, sans égard aux faits ou à la personne impliquée, pourrait produire des résultats injustes et disproportionnés. Je répète qu'une telle approche peut mener à des résultats injustes et disproportionnés. Voilà des propos percutants de la part d'une organisation très prestigieuse.
Deuxièmement, honorables sénateurs, bien souvent, les peines minimales obligatoires ne fonctionnent tout simplement pas. Comme des avocats, des juges, des criminologues l'ont répété, peu de données empiriques montrent que les peines minimales obligatoires ont un effet dissuasif général et précis. Les auteurs d'actes criminels ne réfléchissent habituellement pas à la sanction pénale avant d'agir. . Dorénavant, à cause d'un grand nombre de ces nouvelles peines minimales obligatoires, les individus qui auront commis des infractions criminelles mineures croupiront en prison d'où ils ressortiront plus endurcis, et ce, aux frais des contribuables et sans que cela ait renforcé la sécurité publique. Les délinquants finissent par sortir de prison. S'ils sont plus endurcis à leur sortie, c'est pire pour la population, n'est-ce pas?
En 1999, des chercheurs de l'Université du Nouveau-Brunswick ont examiné 50 études sur le récidivisme qui portaient sur un échantillon de 300 000 contrevenants. En tenant compte d'autres facteurs tels que les antécédents criminels et l'âge d'un détenu, ils ont découvert que plus une personne passait de temps en prison, plus elle risquait de commettre un autre crime à sa sortie. Les recherches et les faits sont probants. Les chercheurs ont découvert que c'était d'autant plus vrai pour les contrevenants à faible risque, ce qui porte à croire que la prison pourrait effectivement être une école du crime qui endurcit les contrevenants.
De plus, honorables sénateurs, nous avons reçu un conseil de notre voisin du Sud, qui a une longue tradition en matière de peines minimales obligatoires. Nous avons déjà entendu ce que je vais dire, mais je vais tout de même le répéter : 28 anciens et actuels responsables de l'application de la loi aux États-Unis ont signé une lettre nous disant que nous prenions la mauvaise direction. Pourquoi feraient-ils cela? Pour nous aider, après avoir vu ce qui s'est passé chez eux. Voici ce qu'ils ont déclaré :
[...] l'incarcération et les casiers judiciaires pour les auteurs d'infractions liées à la drogue qui ne sont pas violents ont détruit d'innombrables vies. À la lumière de preuves irréfutables et de l'abrogation des dispositions relatives à l'imposition de peines minimales obligatoires dans diverses régions des États-Unis, nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement fédéral du Canada [...] s'engagerait dans cette voie.
Quand ils parlent de vies brisées, il ne s'agit pas seulement de la vie de quelques-unes des personnes qui ont été incarcérées, il s'agit également de celle de leur famille et de leurs enfants. Les personnes qui sont touchées sont très nombreuses.
Dans de nombreux États américains, les peines minimales obligatoires ont conduit des gens à la faillite, honorables sénateurs, et beaucoup d'États abolissent maintenant ces peines pour des infractions mineures liées à la drogue. C'est comme le chalutier qui prend beaucoup de poissons dans ses filets. Il en prend des gros, bien sûr, et ce sont ceux-là que les honorables sénateurs d'en face disent vouloir prendre, mais rappelez-vous qu'il en prend aussi beaucoup de petits, et qu'une fois pris, ceux-ci n'échapperont pas au processus.
Honorables sénateurs, une autre chose qui me préoccupe grandement au sujet de ce projet de loi, c'est qu'il ciblera injustement les plus vulnérables parmi nous, en particulier ceux qui vivent dans la pauvreté. Les gens qui vivent dans la pauvreté ne sont pas tous liés à la criminalité, loin de là, mais les chiffres ne trompent pas. Plus de 70 p. 100 des personnes qui sont incarcérées n'ont pas terminé leurs études secondaires; 70 p. 100 des délinquants placés en détention n'ont jamais eu d'emploi stable. Quatre sur cinq ont de sérieux problèmes de toxicomanie et, si l'on ne tient pas compte de la consommation de drogues, environ le quart de toutes les personnes incarcérées dans les prisons fédérales présentent des signes de maladie mentale.
Bien que les autochtones ne représentent que 2,7 p. 100 de la population adulte canadienne, 18.5 p. 100 des délinquants adultes qui purgent actuellement des peines fédérales sont d'ascendance autochtone. L'enquêteur correctionnel souligne que 35 p. 100 des délinquants autochtones ont vécu dans la pauvreté. Dans la région du Grand Toronto, d'où je viens, les quartiers où l'on observe les taux les plus élevés d'incarcération sont aussi ceux où les revenus sont les plus faibles, les taux de chômage les plus élevés, les familles monoparentales les plus nombreuses et le niveau d'éducation le plus bas. Un juge d'une cour provinciale a fait cette intéressante remarque :
La pauvreté, avec son lot d'instabilité familiale, de toxicomanie, de maltraitance des enfants, d'abus sexuels et de violence familiale, constitue le premier terreau de la criminalité [...]
Il le souligne clairement : un problème en engendre un autre, c'est un cercle vicieux.
Plutôt que d'investir des milliards dans des mégaprisons pour loger tous ces nouveaux délinquants et de perpétuer le problème, nous ferions mieux d'investir dans des projets de développement de la petite enfance, des logements abordables, des programmes d'encadrement pour les jeunes, des initiatives pour aider les jeunes à risque, ainsi que dans des programmes de réadaptation. Ce sont là des moyens éprouvés pour réduire la pauvreté et le crime. Ce genre d'initiatives contribuerait à combler l'écart grandissant des revenus au pays, tout en améliorant la qualité de vie des gens.
En appuyant ce genre de programmes et en privilégiant la réhabilitation plutôt que l'incarcération, nous pourrons créer un pays où la réussite est possible et où les gens auront l'occasion de contribuer activement à l'économie et à la société au lieu de sombrer dans la criminalité.
L'honorable Linda Frum : Honorables sénateurs, à titre de membre du Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je tiens à profiter de l'occasion pour remercier le président du comité, le sénateur Wallace, et sa vice-présidente, madame le sénateur Fraser, pour avoir veillé à ce que les audiences sur le projet de loi C-10 se déroulent de manière réfléchie et respectueuse. Je tiens également à remercier tous les témoins pour leurs commentaires, leurs perspectives et leurs opinions, qui nous ont captivés et permis de comprendre de façon approfondie le projet de loi et ses conséquences.
Au cours des trois premières semaines de février, le comité a entendu plus de 100 heures de témoignages. En plus d'en avoir appris beaucoup plus que je n'aurais jamais pu l'espérer au sujet du Code criminel du Canada, j'ai eu le grand bonheur de passer beaucoup de temps de qualité et de veiller jusqu'aux petites heures avec mes collègues des deux côtés, un peu comme ce soir.
L'une des principales responsabilités du gouvernement consiste à protéger les Canadiens et à veiller à ce que quiconque commet un crime en soit tenu responsable. Le projet de loi C-10 adopte une approche multidimensionnelle pour assurer la sécurité des Canadiens et restaurer la confiance de la population dans notre système de justice pénale. Il atteint son objectif en imposant des peines plus lourdes à ceux qui s'adonnent à des crimes qui menacent nos collectivités et les fondements moraux sur lesquels elles reposent. Le projet de loi C-10 ne donne pas simplement une apparence de justice, il garantit que justice est rendue.
L'un des grands principes du projet de loi C-10 repose sur la protection et la considération des personnes directement touchées par la criminalité, à savoir les victimes. Cela peut sembler un lieu commun, mais dans nos échanges avec les divers témoins, une évidence s'est imposée : le rôle de la victime est négligé dans le système de justice pénale. Le projet de loi C-10 permet aux victimes de participer davantage au processus correctionnel et d'être mieux tenues au courant de l'évolution du dossier de leur agresseur tout en visant à réprimer plus sévèrement la criminalité de manière à empêcher à la source les criminels de faire des victimes.
Tout au long des témoignages, nous avons entendu des groupes de défense des victimes, y compris des parents qui ont perdu leur enfant à cause d'un crime haineux ou même aux mains d'une autre victime. Je tiens à remercier et à féliciter ces témoins courageux de nous avoir raconté leur histoire. Nous avons grandement apprécié leurs commentaires. Malheureusement, ils ont mis en lumière des éléments qui doivent être rectifiés depuis longtemps.
Comme l'a souligné Sharon Rosenfeldt, présidente du Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children :
[...] un sentiment est largement répandu : celui voulant que le processus de justice pénale laisse les victimes et leur famille en plan et que nos lois n'aient pas su évoluer au même rythme que les crimes graves [...]
Les victimes d'actes criminels doivent avoir confiance en ce système conçu pour les protéger et doivent se sentir en sécurité dans leur collectivité.
Le projet de loi C-10 s'attaque à ce problème de front et sous plusieurs angles. Premièrement, la mesure législative prévoit une sanction. Deuxièmement, il permettrait aux victimes d'être partie prenante au processus. Troisièmement, le projet de loi offrirait des recours aux victimes, comme la cause d'action civile prévue à la partie 1. Selon Mme Rosenfeldt, les améliorations apportées sur ces trois points contribueraient à restaurer la confiance de la population dans notre système de justice pénale. En outre, ces améliorations renforceront le sentiment général de sécurité de nos concitoyens.
(2250)
Le projet de loi C-10 règle des enjeux précis soulevés par des défenseurs des droits des victimes comme Mme Rosenfeldt, que je me permets de citer de nouveau :
Lorsque les victimes affirment qu'elles n'ont pas obtenu justice, c'est de la détermination de la peine qu'elles parlent. Les victimes ne participent pas au processus de justice criminelle et ne sont pas respectées par la police et la Couronne; cette situation est très difficile à accepter pour elles.
C'est justement pourquoi les défenseurs des droits des victimes qui ont témoigné ont tous appuyé les peines minimales obligatoires pour les infractions choisies.
Les propos de certaines personnes dans l'opposition donnent à penser que c'est dans le cadre du projet de loi C-10 que les peines minimales obligatoires ont été créées ou qu'à cause de lui, ce type de peine sera imposé pour la quasi-totalité des infractions prévues au Code criminel. Ces deux insinuations sont fort trompeuses.
Premièrement, le Code criminel prévoit déjà des peines minimales obligatoires pour diverses infractions. En fait, il y en avait déjà dans la première version du Code criminel, adoptée en 1892.
Deuxièmement, le projet de loi C-10 ne prévoit l'ajout de peines minimales obligatoires que pour un certain nombre d'infractions précises; il s'agit soit d'infractions d'ordre sexuel particulièrement graves et visant, pour la plupart, des enfants, soit d'infractions liées au trafic de la drogue. À ce sujet, les Canadiens ont raison de s'inquiéter parce qu'en 2010, les infractions liées à la pédopornographie ont augmenté de plus de 30 p. 100 et les crimes liés à la drogue sont en hausse depuis les années 1990. Les Canadiens veulent des réponses.
Voici une autre prétention qui a prêté à controverse : le projet de loi C-10 et les peines minimales obligatoires feraient grandement augmenter le nombre de détenus et engorgeraient l'appareil judiciaire. Aucun témoin n'a été en mesure de présenter des éléments de preuve pour étayer cette affirmation, tout n'était que conjectures. Cette prétention présuppose que le projet de loi C-10 prévoit une refonte en profondeur du Code criminel actuel qui toucherait de nombreuses infractions.
Je le répète, le projet de loi C-10 ne vise pas un large éventail d'infractions, seulement des infractions précises liées à des agressions sexuelles graves et au trafic de drogue lorsqu'il y a des facteurs aggravants. Il s'agit, heureusement, d'infractions assez rares vu leur gravité, mais il faut les traiter avec sévérité.
Comme l'a souligné Mme Rosenfeldt :
Un crime sur cinq qui est signalé par la police est considéré comme étant un crime violent, et trois cas de victimisation sur dix qui ont été déclarés dans l'Enquête sociale générale de 2009 étaient de nature violente. Ces crimes ne représentent qu'un petit pourcentage des crimes; cependant, ce sont là les infractions les plus graves et les plus sérieuses et en tant que telles, elles devraient être assorties d'une peine idoine.
Par conséquent, le projet de loi C-10 cible un faible nombre de crimes, mais il s'agit de crimes graves. Certains ont prétendu que les cours allaient être désespérément engorgées et que le nombre de procès allait grimper en flèche, mais cela ne demeure qu'une hypothèse. En outre, je figure parmi les nombreux Canadiens qui ont de la difficulté à comprendre ce qui pose problème dans le fait de s'assurer que ceux qui commettent les types de crimes visés par le projet de loi C-10 se voient imposer une peine d'emprisonnement ferme.
Il faut dissuader les gens d'adopter les comportements criminels ciblés dans le projet de loi C-10, et il ne fait aucun doute que la société canadienne doit les dénoncer. Je tiens à dire à ceux qui affirment que la dissuasion est un objectif inatteignable qu'il faut mettre ces dangereux prédateurs hors d'état de nuire et les empêcher de causer encore plus de tort aux personnes vulnérables auxquelles ils s'attaquent.
En ce qui concerne la nécessité de réformer les lois relatives aux agressions sexuelles, Ellen Campbell, présidente et fondatrice du Centre canadien de sensibilisation aux abus, a décrit l'horrible réalité en ces termes :
[...] Les victimes ne dénoncent pas leur agresseur, car elles savent qu'on ne lui imposera qu'une peine minime. C'est trop difficile pour elles de se lancer dans ce processus difficile en sachant que leur agresseur va s'en tirer.
Elle a ajouté ceci :
Je crois que les gens sont d'avis que le Canada a adopté une attitude laxiste à l'égard de la criminalité, et plus particulièrement à propos de ces crimes.
Les peines minimales obligatoires prévues pour les crimes sexuels ont pour objectif de régler ce problème en particulier. Elles permettent de s'assurer que les victimes ne souffrent pas davantage et d'éviter que de tels crimes se produisent. Les infractions d'ordre sexuel à l'égard des enfants n'ont pas leur place dans notre société.
Les sénateurs se rappelleront d'une situation survenue récemment en Colombie-Britannique. Un jeune homme avait filmé ce qu'on présume être un viol collectif. Il a été condamné à une année de probation et a dû rédiger un essai de 1 500 mots.
M. David Matas, un avocat d'Au-delà des frontières, une organisation de défense des droits de la personne, a déclaré ceci aux membres de notre comité :
Nous avons été consternés par une telle peine.
M. Mark Allan, directeur de la sécurité publique du Centre canadien de sensibilisation aux abus, a déclaré ceci au comité :
Il est possible de prévenir de nombreux crimes. Il est très difficile de prévenir l'exploitation des enfants, car cela se produit surtout derrière des portes closes, un peu comme la violence familiale. Au moins, dans ce dernier cas, nous pouvons sensibiliser les femmes adultes aux moyens d'échapper à leur agresseur. C'est très difficile lorsqu'il s'agit d'enfants.
Lorsqu'il est difficile de prévenir un crime, il faut séparer les agresseurs de leurs victimes, et c'est là que les peines minimales obligatoires entrent en jeu.
Le projet de loi C-10 tient compte de la terrible réalité selon laquelle les agressions sexuelles commises contre des enfants sont distinctes et constituent les plus dangereux et répréhensibles des crimes. Elles exigent une approche distincte afin d'encourager leur prévention.
Selon certains témoins et certains membres du comité, les peines minimales obligatoires pourraient être encore plus longues pour ces infractions, mais celles prévues dans le projet de loi C-10 suffisent à tout le moins à transmettre le message que nos tribunaux ne toléreront plus de tels gestes.
Malheureusement, en l'absence de peines plus sévères, la jurisprudence actuelle laisse penser que nos tribunaux ont effectivement tendance à faire preuve de tolérance. Lorsqu'un jeune homme ayant diffusé la vidéo d'un prétendu viol collectif qu'il aurait filmé s'en sort avec une probation et la rédaction d'un texte probablement plus court que ses devoirs d'anglais, il est clair qu'une réforme est nécessaire.
Après avoir entendu le courageux témoignage de victimes et de défenseurs des victimes, il devient extrêmement clair que le système de justice doit faire preuve de plus de sévérité à cet égard.
Le projet de loi C-10 prévoit également des peines minimales obligatoires pour les infractions liées au trafic de la drogue. En fait, le projet de loi C-10 ne vise pas les consommateurs de drogue occasionnels. Il ne vise pas non plus à accroître de façon arbitraire les pouvoirs des policiers. Il vise les dommages irréparables que le trafic de la drogue et les activités criminelles connexes causent à nos collectivités et à nos concitoyens.
Eric Slinn, directeur de la Sous-direction des drogues de la Gendarmerie royale du Canada, a fait remarquer ceci :
Le bien-être des collectivités est miné quotidiennement par des trafiquants de drogues qui n'ont aucun respect pour le bien-être de nos enfants et de nos collectivités.
Chaque jour, nos policiers voient les effets dévastateurs qu'ont les trafiquants et les producteurs de drogue sur notre société. Ce sont ces policiers qui doivent constamment arrêter les mêmes trafiquants et producteurs de drogue pour les empêcher d'empoisonner nos enfants et nos petits enfants et de les priver de leur jeunesse et de leur avenir.
M. Slinn considère que les dispositions du projet de loi C-10 contre le trafic de drogue nous aideront à réduire ce problème parce que, selon lui, c'est en réduisant la production et la distribution de ces substances dangereuses et illégales qu'on privera le crime organisé de son oxygène.
Beaucoup de gens, dans l'opposition, ne pensent pas qu'on devrait mettre l'accent sur le trafic de la marijuana, comme le prévoit le projet de loi. Cependant, M. Slinn nous a indiqué ceci :
La marijuana est pour le crime organisé de souche canadienne une source de revenus qui lui permet de financer ses autres activités illicites non seulement au Canada, mais partout dans le monde.
Il a ajouté :
Le crime organisé continue de contrôler la sous-culture jadis récréative de la marijuana pour en faire une industrie lucrative de l'ordre de plusieurs milliards de dollars. Pour les criminels, les risques liés à la santé et à la sécurité des Canadiens constituent les dommages collatéraux des guerres de territoire et de la violence qui minent sans distinction le bien-être des collectivités.
Les effets de la marijuana ne se limitent pas à ses utilisateurs, mais nuisent également de beaucoup d'autres manières au bien-être du public canadien.
En tant que mère de famille, je suis particulièrement dégoûtée de voir les trafiquants qui sont visés par ce projet de loi se livrer à leurs activités sans se soucier le moins du monde des effets de la drogue sur la jeunesse du pays. La Dre Gabriella Gobbi, neuroscientifique et professeure associée à l'Université McGill, a indiqué ceci à notre comité :
[...] le Canada est le pays qui affiche le taux de consommation de cannabis le plus élevé chez les adolescents.
Je ne suis pas certaine que beaucoup de gens soient au courant de cette statistique, mais nous devrions l'être, et c'est une bonne raison de s'inquiéter.
Honorables sénateurs, combien d'entre vous savaient que le Canada est le pays qui affiche le taux de consommation de cannabis le plus élevé chez les adolescents?
Pourquoi est-ce important? Écoutez le témoignage de la Dre Gobbi, une sommité mondiale dans son domaine. Selon elle, les dommages sur le cerveau des jeunes sont encore pires que ce qu'on croyait initialement; la consommation quotidienne de cannabis pendant l'adolescence prédispose à la dépression et à l'anxiété, en plus d'avoir des effets sur le cerveau possiblement irréversibles.
Voici ce qu'elle nous a dit :
[...] les personnes qui ont consommé du cannabis à 15 ans — ou même avant — sont quatre fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de psychose à 26 ans que les personnes qui n'en ont pas consommé. Plusieurs études démontrent aussi le lien qui existe entre la consommation de cannabis à l'adolescence et un risque accru de dépression, de suicide, de comportements antisociaux et de dépendance à d'autres drogues.
Il y a aussi une forte corrélation entre la consommation de cannabis et le taux de décrochage scolaire.
Soyons clairs : le projet de loi C-10 vise à protéger les jeunes qui sont vulnérables en ciblant les prédateurs qui leur proposent les substances à l'origine de ces problèmes en se moquant éperdument des conséquences de leurs actes. Le projet de loi C-10 cherche à protéger nos jeunes et nos collectivités en faisant clairement savoir que les narcotrafiquants s'exposent à des peines d'emprisonnement en raison des risques qu'ils font courir aux Canadiens. Ils portent préjudice à nos jeunes, dont ils sont les pourvoyeurs, et aux collectivités, dans lesquelles ils font des ravages. Ce projet de loi prend une position ferme à l'égard de cette pratique intolérable.
Nonobstant l'intransigeance de la position adoptée pour lutter contre le trafic de drogue, le projet de loi C-10 prévoit une porte de sortie explicite s'appliquant aux personnes condamnées pour des délits liés à la drogue. Un juge peut surseoir au prononcé de la peine d'une personne reconnue coupable des infractions en matière de drogue décrites dans le projet de loi C-10 si cette dernière participe à un programme de désintoxication. Si la personne suit ce programme avec succès, le juge ne sera pas forcé de lui imposer une peine minimale obligatoire et il pourra lui infliger une peine qui convient aux circonstances. Cette approche reconnaît les souffrances associées à la toxicomanie et permet une certaine souplesse judiciaire au besoin, tout en maintenant une position ferme à l'égard des trafiquants de drogue qui sévissent dans les collectivités canadiennes.
(2300)
J'aimerais dissiper une dernière idée fausse, soit que le projet de loi C-10 cible les utilisateurs de marijuana à des fins médicales. Ce n'est pas l'objectif du projet de loi. Le projet de loi n'empêche pas d'obtenir un permis valide ou n'invalide pas un permis existant, et il ne modifie pas les dispositions actuelles. En outre, les seules parties du projet de loi C-10 qui concernent la marijuana portent sur le trafic de celle-ci et exigent une preuve de circonstances aggravantes. Le projet de loi cible les personnes qui mettent en péril la sécurité des Canadiens, pas les personnes malades qui reçoivent un traitement.
Les utilisateurs de marijuana possédant un permis valide ne seront pas visés par le projet de loi C-10.
Entendre les témoignages de nos courageux agents du maintien de l'ordre lors des audiences du comité fut vraiment très enrichissant. La vaste majorité des témoins étaient reconnaissants d'avoir à leur disposition une grande variété d'outils pour protéger les Canadiens contre les prédateurs et les organisations criminelles de plus en plus sophistiquées.
M. Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, a affirmé ceci :
[...] l'ACP soutient entièrement les objectifs et les méthodes prévus dans le projet de loi C-10, des règles de détermination de la peine s'appliquant à ceux qui commettent des infractions sexuelles contre les mineurs aux restrictions touchant les condamnations avec sursis pour certaines des infractions les plus graves. Ces changements contribueront largement à faire en sorte que les criminels qui sont attrapés suite à nos enquêtes seront punis avec la sévérité voulue pour leurs crimes.
M. Slinn a ajouté ceci :
Tous les outils qui servent au maintien de l'ordre sont utiles. Un grand nombre de nos policiers et de nos agents affectés à la lutte antidrogue sont frustrés de voir les mêmes individus être toujours libérés et gagner des millions de dollars. Il doivent subir les conséquences de leurs gestes.
Le projet de loi C-10 vise à redonner un sentiment de sécurité et de justice aux victimes et à la collectivité. Cette mesure législative et les dispositions sur les peines minimales obligatoires qu'elle contient ne sont pas une épée brandie par les responsables de l'application de la loi vers les personnes qui se comportent d'une manière jugée légale, mais un bouclier pour protéger les plus vulnérables de ceux qui les attaquent sans se soucier le moins du monde du tort qu'ils font.
Les longues discussions sur les peines minimales obligatoires ont détourné l'attention de bien d'autres excellentes dispositions de ce projet de loi qui n'ont pas été suffisamment débattues. Par exemple, la partie 5 du projet de loi prévoit des outils pour réprimer le très grave problème de la traite des personnes à l'échelle internationale. On y constate clairement que le Canada n'est pas disposé à permettre ce type d'exploitation.
Son Honneur le Président intérimaire : Vous avez cinq minutes de plus.
Le sénateur Frum : Le gouvernement tient à ce que les criminels assument la pleine responsabilité de leurs actes et à ce que la sécurité des Canadiens respectueux de la loi et des victimes passe en premier dans le système judiciaire canadien. Nous continuerons de lutter contre la criminalité et de protéger les Canadiens pour que nos collectivités soient des milieux où l'on peut vivre, élever une famille et faire des affaires sans craindre pour sa sécurité. Le projet de loi C- 10 peut accroître la sécurité dans les rues et garantir le bien-être des familles canadiennes. Il prévoit des moyens de protection supplémentaires et des outils pour les forces de l'ordre.
Encore une fois, j'aimerais remercier tous les témoins pour les témoignages intéressants qu'ils nous ont livrés au cours des dernières semaines et tous mes collègues pour l'évaluation et l'analyse approfondies qu'ils ont faites. J'invite les sénateurs à appuyer ce projet de loi et, ce faisant, à contribuer à la sécurité de tous les Canadiens.
L'honorable Grant Mitchell : Je crois que je serai le dernier à prendre la parole.
Pour commencer, j'aimerais dire que, comme plusieurs d'entre nous, et certainement à l'instar du sénateur Eggleton, j'ai aimé l'exposé historique, si je puis dire, du sénateur Carignan. Toutefois, pendant qu'il parlait, je me suis rappelé une théorie qui gagne de plus en plus en crédibilité, à savoir que, quand vous ne pouvez pas expliquer pourquoi M. Harper agit d'une certaine façon, vous ne pouvez que constater qu'il fait une chose que les libéraux n'ont pas faite ou qu'il change une chose que les libéraux ont faite. Il réagit constamment aux libéraux.
Pendant que le sénateur Carignan parlait, je me suis dit : voilà la solution. Il suffit de dire au premier ministre que les libéraux appuyaient les peines minimales obligatoires et cela sonnera instantanément le glas de ce projet de loi. Allons chercher les bleus tout de suite. Apportez-les là-bas.
Plus sérieusement, je souhaitais aussi me pencher sur la question percutante qui a été posée avec beaucoup d'émotion par le sénateur Martin : que peut-on dire aux familles qui éprouvent une douleur et une angoisse épouvantables causées par la perte de leurs enfants aux mains de criminels? À mon avis, il faut leur dire la vérité. Il faut leur dire les faits tels qu'ils sont. Il ne faut pas leur dire quelque chose qui ne fonctionnera pas simplement pour qu'elles se sentent bien pendant un court moment.
En fait, ce qu'on sait avant tout au sujet de ce projet de loi, c'est qu'il va faire encore plus de victimes. Il ne fait absolument aucun doute dans mon esprit que de nombreux jeunes âgés de 18 ans seront arrêtés en possession de six plants de marijuana, qu'ils vont se retrouver derrière les barreaux et que leur vie sera littéralement brisée.
Ce dont je suis sûr aussi, c'est qu'on n'atténue pas une tragédie en en créant d'autres. Il existe une meilleure façon de faire les choses. Nous pouvons régler le problème en utilisant les données, en nous fiant aux connaissances acquises au fil des années et en nous inspirant des expériences vécues ailleurs, de manière à aider les familles dont le sénateur Martin a parlé, en utilisant des moyens efficaces, qui viendront véritablement les soutenir dans leur vie.
Beaucoup de choses ont déjà été dites, et je ne voudrais pas les répéter. J'aimerais tout simplement parler de deux ou trois points qui n'ont peut-être pas été soulignés avec autant d'insistance.
L'un de ces points a trait aux victimes. L'argument constamment invoqué par le gouvernement est que le projet de loi va aider les victimes. Je me suis creusé les méninges afin de voir comment cela pourrait être le cas. C'est vrai. J'ai remarqué qui si les conservateurs répètent sans cesse quelque chose, il faut immédiatement supposer que c'est mauvais. Moins leurs propos semblent vrais, plus ils sont susceptibles de les répéter et d'essayer de les présenter comme étant la vérité. En fait, le projet de loi va créer un plus grand nombre de victimes. En effet, tout ce que nous savons au sujet de la criminalité et de l'incarcération nous dit que le recours excessif et inopportun à l'emprisonnement forme de meilleurs criminels qui vont commettre plus de crimes et faire plus de victimes.
Mon deuxième point est que le projet de loi va faire des victimes, même dans les cas de crimes sans victime. Le jeune de 18 ans qui possède six plants de marijuana commet une erreur, comme peuvent en commettre des jeunes de 18 ans, mais il n'aura même pas à vendre sa marijuana, ni à la donner, pour se retrouver en prison. Tout est noir et blanc. On ne tient aucunement compte des circonstances. Ce jeune de 18 ans deviendra probablement une victime. Il sera probablement gêné dans son cheminement, alors qu'il aurait pu devenir un médecin, un avocat, un policier, un professionnel et apporter une contribution à la société si on lui avait donné une deuxième chance. Or, ce jeune aura bien plus de chances de devenir un meilleur criminel et de voir sa vie gâchée à bien des égards.
Troisièmement, le projet de loi ne va pas aider les victimes parce qu'il ne prévoit aucune indemnisation. Il ne prévoit aucun programme pour les victimes. Il va contribuer à faire plus de victimes parce que plus de crimes seront commis, et il va aussi faire des victimes dans le cas des crimes dits sans victimes.
Il y a quelque chose d'ironique dans la notion de victime qui sous- tend le projet de loi et l'approche du gouvernement en matière de criminalité. Au cours des dernières semaines, nous avons vu, avec le projet de loi sur la surveillance des activités sur Internet, que le gouvernement dit qu'il va intercepter les prédateurs — en permettant de les attraper — et ainsi protéger les jeunes et d'autres personnes qui, autrement, deviendraient les victimes de ces prédateurs. Supposons que les efforts du gouvernement échouent. Supposons que ces jeunes deviennent des victimes, certains d'entre eux parce qu'ils auront été agressés par ces prédateurs. Dans dix ou quinze ans, lorsque ces victimes auront un comportement criminel à cause de cet épisode, nous ne pourrons pas tenir compte des circonstances ni faire preuve de discernement, même si le comportement de ces victimes est lié à ce qui leur est arrivé, ce qui est déjà horrible en soi.
(2310)
Nous avons donc un gouvernement qui dit qu'il veut protéger les victimes, mais lorsque les personnes deviennent des victimes — et se comportent comme telles —, il ne montre aucune compassion, n'essaie pas de les comprendre et ne donne aucune latitude aux personnes qui ont le jugement et l'expérience nécessaires — les juges — pour s'occuper de leur cas et tenir compte des circonstances propres à cette jeune personne, qui a déjà une victime une fois et qui l'est pour la deuxième fois.
J'aimerais également parler d'un segment de la population très vulnérable qui sera particulièrement désavantagé par cette mesure législative, à savoir les femmes de ce pays. Le sénateur Eggleton a fait valoir que ce projet de loi fera sûrement beaucoup de tort aux personnes très vulnérables.
Il existe des preuves que cette mesure législative aura, pour diverses raisons, une incidence excessive et disproportionnée sur les femmes. Tout d'abord, il est rare que les femmes commettent des crimes violents. Par conséquent, on peut se montrer un peu plus indulgents envers elles. Or, avec ce projet de loi, il n'y aura plus vraiment de place pour l'indulgence. Il va sans dire, bien sûr, que les femmes autochtones doivent composer avec des circonstances particulières et qu'elles seront aussi particulièrement désavantagées par ce projet de loi.
Il est intéressant de noter que, en date d'août 2010, 512 femmes purgeaient une peine fédérale dans un établissement fédéral. Il y avait également 567 délinquantes en liberté surveillée — elles purgeaient une peine avec sursis. Ce chiffre chutera considérablement, car les juges ne pourront plus, aussi souvent qu'auparavant, imposer des peines avec sursis. Par conséquent, le nombre de femmes incarcérées augmentera. En fait, il a déjà augmenté. En effet, au cours des dix dernières années, le nombre de détenues incarcérées dans un établissement fédéral a augmenté de près de 40 p. 100.
Le fait le plus alarmant, cependant, c'est qu'au cours des 10 dernières années, le nombre de femmes autochtones incarcérées dans des établissements fédéraux a augmenté de près de 90 p. 100. Leur nombre ne cessera d'augmenter avec l'adoption de ce projet de loi.
Il y a un autre fait éloquent, soit les circonstances particulières avec lesquelles doivent composer les femmes — celles qui commettent une infraction et sont incarcérées. Premièrement, 77 p. 100 des délinquantes ont des enfants; un peu plus de la moitié d'entre elles ont déclaré avoir déjà fait appel à l'aide à l'enfance. En 2010, 86 p. 100 des délinquantes ont déclaré avoir déjà été victimes de mauvais traitements et 68 p. 100 ont déclaré avoir déjà été victimes d'abus sexuels dans leur vie. C'est une augmentation de 19 et 15 p. 100 respectivement au cours des 20 dernières années. Environ 45 p. 100 des délinquantes ont déclaré qu'elles n'avaient pas leur diplôme d'études secondaires au moment d'entrer dans le système carcéral. En outre, 70 p. 100 des femmes incarcérées dans un établissement fédéral ont des problèmes d'abus d'alcool et 78 p. 100 d'entre elles ont des problèmes de toxicomanie.
En outre, une étude récente a révélé que 29 p. 100 des délinquantes — soit près du tiers d'entre elles — avaient des problèmes de santé mentale lors de leur incarcération. De plus, 31 p. 100 des délinquantes prises en charge par le système — en plus des 29 p. 100 que je viens de mentionner — ont déjà eu des problèmes de santé mentale avant leur incarcération. Par ailleurs, près de la moitié des femmes intégrées au système disent avoir déjà commis des actes d'automutilation.
Cela souligne un ensemble de problèmes très graves touchant ces femmes qui, évidemment, sont susceptibles de commettre un délit et d'être incarcérées. Aucune disposition de ce projet de loi ne permettra de résoudre ce problème. À mon avis, aucun type de peine ne sera particulièrement efficace pour dissuader les personnes aux prises avec ce genre de problèmes, en particulier les femmes, de commettre un délit. Et les données tendent à corroborer cet avis.
Ces problèmes sont beaucoup plus profonds, et il faut s'y attaquer. Pour ce faire, on doit répondre aux besoins des femmes qui nous disent, lors de leur incarcération, qu'elles ont des problèmes fondamentaux qui les ont amenées à commettre un délit, et qu'elles sont, dans une large mesure, incapables de contrôler ces problèmes si on ne les aide pas.
Il y a un autre fait très révélateur : dans 80 p. 100 des cas, ces femmes ont été incarcérées à cause d'un crime lié à la pauvreté. De ce nombre, 39 p. 100 ont été incarcérées pour ne pas avoir payé une amende. Comment pourrons-nous corriger cette situation si nous imposons des peines minimales obligatoires, et si nous privons le système judiciaire de ses pouvoirs discrétionnaires, ou d'une bonne partie de ceux-ci, alors qu'on pourrait aider ces personnes qui, désormais, seront de plus en plus nombreuses dans la population carcérale?
Il est intéressant de constater que bon nombre de ces personnes qui commettent des crimes liés à la pauvreté dépendent de l'aide sociale. En Alberta, l'aide sociale versée à une famille monoparentale peut se situer à 52 p. 100 en dessous du seuil de pauvreté. À Terre-Neuve-et-Labrador, elle se situe à 27 p. 100 en dessous du seuil de pauvreté.
C'est à ces types de problèmes qu'il faut s'attaquer, et on ne pourra pas le faire au moyen d'un tel projet de loi proposant des solutions simplistes qui ne pourront pas régler des problèmes très complexes.
Par ailleurs, 77 p. 100 des femmes détenues ont des enfants. Les faits montrent de plus en plus que les femmes incarcérées souffrent de problèmes qui n'en font peut-être pas les meilleures mères; raison de plus pour leur offrir des programmes qui les aideraient, d'une part, à devenir de meilleurs mères et, d'autre part, à sortir du système pour de bon. Cependant, les faits récents montrent également que les enfants de mères incarcérées sont infiniment plus susceptibles de commettre des infractions, de se sentir en marge de la société et d'être confrontés à de graves difficultés au cours de leur vie.
Si l'on augmente le nombre de femmes incarcérées qui ont des enfants, on augmente le nombre d'enfants à risque, donc le nombre de jeunes adultes qui adoptent un comportement criminel, perpétuant ainsi le cercle vicieux.
J'aimerais conclure sur quelques citations pour illustrer un dernier point. Je pense qu'il est évident que ce projet de loi découle d'une approche vengeresse, axée sur la punition. Le jugement — et pas dans le bon sens du terme —, la colère et la frustration sont intrinsèques à ce type d'approche. De tels sentiments faussent habituellement le jugement.
La présidente de l'Association du Barreau canadien, Trinda L. Ernst, a déclaré que le projet de loi mettait l'accent sur le châtiment par-dessus tout. Le directeur général de la Société John Howard du Canada, Craig Jones, a pour sa part déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un programme de lutte contre la criminalité mais plutôt d'un programme de répression.
Tandis que j'examinais le projet de loi, il m'est revenu à l'esprit une anecdote relatée par Nelson Mandela, l'une des personnes les plus admirables de la planète. Je vais probablement m'emmêler les pieds, mais voici à peu près ce qu'il raconte : sous de vils prétextes, il a été emprisonné et a subi de terribles injustices pendant 27 ans. À sa libération, avant même d'arriver à la voiture, il avait pris une décision. Il avait passé 27 années de sa vie derrière les barreaux, certes, mais il était hors de question qu'il demeure prisonnier de la colère et de l'amertume pour le restant de ses jours; il s'est donc libéré de ces émotions.
C'est en quelque sorte une question d'intensité. L'indulgence et la compassion sont des valeurs fondamentales de toutes les grandes religions et cultures, notamment parce qu'elles sont des sentiments d'une grande puissance et qu'elles témoignent de notre nature humaine. Nous savons tous, au plus profond de nous-mêmes, que le châtiment n'aide ni la victime ni l'agresseur et qu'il n'apporte ni guérison ni délivrance.
Pourrais-je avoir cinq minutes de plus?
Une voix : Oui.
Le sénateur Mitchell : Merci.
Nelson Mandela a tout compris. Qu'a-t-il fait? Il a contribué à mettre sur pied la Commission de vérité et de réconciliation, qui a réussi à cicatriser les plaies et à souder un peuple. Nous avons un modèle de ce genre ici, au Canada, — ou du moins nous tentons d'en créer un — avec les Peuples autochtones et leurs problèmes. Je pense qu'il ne faudrait jamais l'oublier.
(2320)
Voici l'une de mes certitudes à l'égard de ce projet de loi : il s'attaque peut-être à un enjeu qui doit effectivement être réglé, mais la méthode utilisée est absolument inadéquate. La situation ne s'améliorera pas, elle s'aggravera, et la méthode employée pour y remédier nous déshonore tous au lieu de nous rendre meilleurs. Ce n'est ni de la compassion ni du pardon, c'est autre chose, plus vil, et le Canada n'en sortira pas grandi. Notre société s'en trouvera plus aigrie, plus irritée et plus frustrée. Comme l'un de mes collègues l'a affirmé, nous nous retrouverons ici dans cinq ou 10 ans pour régler tous les problèmes que créera ce projet de loi. Mais pensez au nombre de vies qui auront été irrémédiablement bouleversées à cause de l'erreur que nous commettrons dans 40 minutes lorsque le projet de loi sera adopté par les conservateurs.
[Français]
L'honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de fébrilité que je prends la parole en cette Chambre pour la première fois depuis ma nomination.
J'aimerais premièrement féliciter le sénateur Wallace, président du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, et le sénateur Fraser. C'est encore plus stimulant de le faire à l'idée de défendre le contenu du projet de loi C-10 que nous venons de débattre en comité et qui, j'en ai la conviction, va établir les nouveaux paramètres de sécurité que nous souhaitons pour nos enfants, pour les victimes d'actes criminels, pour nos personnes âgées, et pour tous les Canadiens et les Canadiennes qui vivent dans notre pays.
Le projet de loi C-10, c'est une loi et des dispositions visant la sécurité publique et la responsabilisation des personnes qui commettent des crimes.
Le projet de loi C-10, c'est le repositionnement souhaité du pendule de la justice que les citoyens canadiens attendent depuis longtemps.
En peu de mots, cette loi apporte de grands avantages à la communauté tout en préservant les programmes de réhabilitation qui caractérisent un pays de grande justice comme le Canada.
Le projet de loi C-10, c'est l'introduction de mesures qui vont enfin tenir compte des victimes; de mesures qui gardent en détention les délinquants dangereux dont la récidive est presque garantie et qui représentent un danger évident pour la société.
Le projet de loi C-10, c'est l'introduction de mesures d'emprisonnement minimales qui lancent un message significatif aux criminels selon lequel il y a un prix à payer lorsqu'on commet un crime au Canada.
Le projet de loi C-10, c'est la mise en place de mesures qui introduisent, entre autres, des peines d'emprisonnement minimales obligatoires pour combattre efficacement la production et la distribution de drogues illicites, un fléau qui détruit nos jeunes, favorise l'intimidation et rapporte gros au crime organisé.
Le projet de loi C-10, c'est aussi des mesures qui vont permettre de mieux encadrer les programmes de réhabilitation et de libération conditionnelle des délinquants qui ont accepté, et je le souligne, qui ont accepté, de se prendre en main et qui veulent redevenir un actif dans la société.
Je dois vous dire que nous avons écouté avec beaucoup d'ouverture les arguments des opposants à ces nouvelles dispositions en matière de justice.
Des témoins, avec toute leur crédibilité, et des sénateurs libéraux, avec toute leur expérience politique ont attiré notre attention sur quelques éléments de cette législation qui les inquiétaient. Nous avons échangé cordialement avec eux sur certaines valeurs qu'ils soulevaient et nous les avons confrontées avec différents témoignages que nous avons entendus. C'est après cet exercice que nous avons arrêté nos positions que je crois sincèrement les plus sages, les plus contemporaines et les plus éclairées dans les circonstances actuelles.
Au terme de cet exercice, je tiens personnellement à remercier toutes ces personnes pour leur participation, en personne ou par écrit, à ce débat important pour l'avenir du pays. Maintenant, c'est notre devoir à tous de compléter le processus législatif en toute sérénité, un devoir devant lequel nous n'allons pas nous défiler.
Comme l'a promis par le gouvernement, qui a été élu majoritairement en mai 2011, le Sénat canadien, en adoptant le projet de loi C-10, va donner au pays des règles judiciaires améliorées pour combattre les criminels qui menacent la sécurité de nos enfants et de la population en général.
Soyons francs pour quelques instants. Le changement fait toujours peur. C'est la même chose en affaires comme en politique. Au comité ces derniers jours, j'en suis venu vite à la conclusion qu'il était impossible qu'une réforme aussi importante et profonde plaise à tout le monde. Quelques protestations et quelques statistiques auxquelles ont peut faire dire bien des choses dépendant de quel côté de la clôture on se trouve, ont été portées brillamment à notre attention. Cependant, elles ne doivent pas entraver la volonté que nous avons de réformer le système et de responsabiliser davantage les grands intervenants de notre appareil judiciaire qui est déjà reconnu comme l'un des meilleurs au monde.
Je voudrais rappeler aux opposants du projet de loi C-10 que les mots « emprisonnement » et « réhabilitation », sont des notions qui peuvent quand même fonctionner. Quoi qu'on en dise, c'est exactement ce que va donner ce projet de loi C-10, pour peu qu'on soit confronté à des délinquants de bonne volonté.
Certains ne l'ont peut-être pas compris où ne veulent tout simplement pas le comprendre. C'est pourquoi je me permets de le répéter. Les droits des accusés sont maintenus, mais ils seront dorénavant liés à un processus qui tiendra compte des victimes et de la sécurité communautaire.
Je ne sais pas dans quelle mesure vous avez des contacts avec vos collectivités respectives. De mon côté, je me fais un devoir de ne rater aucune occasion de m'informer des attentes des citoyens face à la justice. Je les écoute, j'échange et je comprends leurs points de vue, et c'est justement pour cette raison qu'il faut agir aujourd'hui pour mettre fin au cynisme face aux sentences imposées et aux facilités de libérations conditionnelles dont bénéficient les criminels canadiens.
Je me permets de mettre en relief, à ma façon, quelques points qui seront corrigés par l'adoption du projet de loi de C-10.
Moi, Jean-Guy Dagenais, je ne voudrais pas passer à l'histoire pour avoir rejeté les dispositions du projet de loi C-10 qui vont rendre plus sévères nos lois pour contrer la pornographie juvénile et imposer des sentences minimales de prison à ceux qui abusent de nos enfants. Le projet de loi C-10, c'est la fin des sentences avec sursis permettant aux pédophiles d'échapper à la prison. Ce crime, en hausse de 30 p. 100, mérite d'être sévèrement puni.
Moi, Jean-Guy Dagenais, je ne voudrais pas que des femmes victimes de violence m'abordent un jour et me reprochent de ne pas avoir voté en faveur des dispositions leur accordant un statut particulier pour leur donner un droit d'intervention et le droit d'être gardées informées sans délai de toute action pouvant conduire...
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je suis dans l'obligation d'interrompre le débat.
[Traduction]
Conformément à l'ordre adopté par le Sénat, les six heures de débat s'étant écoulées, je dois donc mettre la question suivante aux voix.
L'honorable sénateur Wallace, avec l'appui de l'honorable sénateur White, propose que le neuvième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois, avec des amendements et des observations) soit adopté.
Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.
Et deux honorables sénateurs s'étant levés :
[Français]
Le sénateur Carignan : Honorables sénateurs, je demande la permission du Sénat pour que nous passions au vote sur le rapport maintenant. Les whips pourraient déterminer la durée de la sonnerie.
J'aimerais également que nous puissions passer immédiatement à l'étape de la troisième lecture et réserver un point à l'ordre du jour pour traiter des questions administratives habituelles, soit la motion d'ajournement.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Les whips ont-ils une recommandation à faire en ce qui concerne la sonnerie?
Le sénateur Marshall : Quinze minutes.
Le sénateur Munson : Oui, 15 minutes.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le vote par appel nominal aura lieu dans 15 minutes, c'est-à-dire à 23 h 45 ou à minuit moins le quart.
Ai-je la permission de quitter le fauteuil?
Des voix : D'accord.
(2340)
(La motion, mise aux voix, est adoptée et le rapport est adopté.)
POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS
Angus | Maltais |
Ataullahjan | Manning |
Boisvenu | Marshall |
Brazeau | Martin |
Brown | Meredith |
Buth | Mockler |
Carignan | Neufeld |
Cochrane | Ogilvie |
Comeau | Oliver |
Dagenais | Patterson |
Demers | Plett |
Di Nino | Poirier |
Doyle | Runciman |
Duffy | Seidman |
Eaton | Seth |
Finley | Smith (Saurel) |
Fortin-Duplessis | Stewart Olsen |
Frum | Stratton |
Gerstein | Tkachuk |
Greene | Unger |
Housakos | Verner |
Lang | Wallace |
LeBreton | Wallin |
MacDonald | White—48 |
CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS
Baker | Lovelace Nicholas |
Callbeck | Mahovlich |
Campbell | Massicotte |
Chaput | McCoy |
Cools | Mercer |
Cordy | Merchant |
Cowan | Mitchell |
Dawson | Munson |
Day | Nolin |
Downe | Peterson |
Dyck | Poulin |
Eggleton | Poy |
Fraser | Ringuette |
Furey | Robichaud |
Harb | Sibbeston |
Hervieux-Payette | Smith (Cobourg) |
Hubley | Tardif |
Jaffer | Zimmer—37 |
Losier-Cool |
ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS
Aucun. |
(2350)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, compte tenu de la motion d'attribution de temps, le temps alloué au Sénat pour débattre du projet de loi est écoulé. Conformément à l'article 62(2) du Règlement, le Sénat en est maintenant à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-10.
Troisième lecture
L'honorable John D. Wallace propose que le projet de loi C-10, Loi édictant la Loi sur la justice pour les victimes d'actes de terrorisme et modifiant la Loi sur l'immunité des États, le Code criminel, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et d'autres lois, soit lu pour la troisième fois sous sa forme modifiée.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur le Président : À mon avis, les oui l'emportent.
Et deux honorables sénateurs s'étant levés :
Son Honneur le Président : Le vote par appel nominal aura lieu immédiatement.
Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion suivante : Le sénateur Wallace, avec l'appui du sénateur White, propose que le projet de loi C-10, modifié par l'adoption du rapport, soit lu pour la troisième fois. Que ceux qui sont en faveur de la motion veuillent bien se lever.
(La motion, mise aux voix, est adoptée.)
POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS
Angus | Maltais |
Ataullahjan | Manning |
Boisvenu | Marshall |
Brazeau | Martin |
Brown | Meredith |
Buth | Mockler |
Carignan | Neufeld |
Cochrane | Ogilvie |
Comeau | Oliver |
Dagenais | Patterson |
Demers | Plett |
Di Nino | Poirier |
Doyle | Runciman |
Duffy | Seidman |
Eaton | Seth |
Finley | Smith (Saurel) |
Fortin-Duplessis | Stewart Olsen |
Frum | Stratton |
Gerstein | Tkachuk |
Greene | Unger |
Housakos | Verner |
Lang | Wallace |
LeBreton | Wallin |
MacDonald | White—48 |
CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS
Baker | Lovelace Nicholas |
Callbeck | Mahovlich |
Campbell | Massicotte |
Chaput | McCoy |
Cools | Mercer |
Cordy | Merchant |
Cowan | Mitchell |
Dawson | Munson |
Day | Nolin |
Downe | Peterson |
Dyck | Poulin |
Eggleton | Poy |
Fraser | Ringuette |
Furey | Robichaud |
Harb | Sibbeston |
Hervieux-Payette | Smith (Cobourg) |
Hubley | Tardif |
Jaffer | Zimmer—37 |
Losier-Cool |
ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS
Aucun. |
Son Honneur le Président : La motion est donc adoptée.
(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté.)
[Français]
L'ajournement
Adoption de la motion
Permission ayant été accordée de revenir aux avis de motion du gouvernement :
L'honorable Claude Carignan (leader adjoint du gouvernement) : Honorables sénateurs, avec la permission du Sénat et nonobstant l'article 58(1)h) du Règlement, je propose :
Que, lorsque le Sénat s'ajournera aujourd'hui, il demeure ajourné jusqu'au mardi 6 mars 2012, à 14 heures.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?
Des voix : D'accord.
(La motion est adoptée.)
(Le Sénat s'ajourne au mardi 6 mars 2012, à 14 heures.)