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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 92

Le mardi 4 novembre 2014
L'honorable Noël A. Kinsella, Président

LE SÉNAT

Le mardi 4 novembre 2014

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Première Guerre mondiale

La contribution de Terre-Neuve-et-Labrador

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Honorables sénateurs, la semaine prochaine, le 11 novembre, d'un bout à l'autre du Canada, des collectivités souligneront le jour du Souvenir et rendront hommage aux anciens combattants du Canada et à ceux qui ont porté l'uniforme. Cette année, nous soulignerons aussi le centenaire du début de la Première Guerre mondiale. Aujourd'hui, je rends hommage aux hommes et aux femmes de Terre-Neuve-et-Labrador qui ont servi durant la Première Guerre mondiale.

En 1914, lorsque la guerre a été déclarée, Terre-Neuve était un dominion indépendant, un pays, de l'Empire britannique, et comptait une population de 250 000 habitants.

Lorsque la Grande-Bretagne est entrée en guerre en 1914, Terre-Neuve s'est immédiatement engagée à la soutenir. Plus de 12 000 Terre-Neuviens ont endossé l'uniforme, servant principalement dans les forces britanniques et les forces canadiennes. D'autres ont voulu s'enrôler, mais ne répondaient pas aux critères médicaux, ce qui témoigne de l'état nutritionnel à Terre-Neuve à l'époque.

Les Terre-Neuviens et les Labradoriens ont courageusement servi à Gallipoli et à Beaumont-Hamel, à Monchy-le-Preux, à Ypres et à Cambrai. En reconnaissance de sa contribution, le régiment de Terre-Neuve s'est vu décerner le titre « Royal ». C'est le seul régiment à avoir reçu cet honneur durant la Première Guerre mondiale.

Les Terre-Neuviennes ont aussi participé à l'effort de guerre. Des infirmières ont servi dans des hôpitaux pour convalescents et au front. D'autres femmes se sont portées volontaires pour donner des cours de secourisme et fournir des soins de base aux soldats.

Tout de suite après la déclaration de guerre en 1914, 700 femmes ont assisté à la première réunion de la Patriotic Association of the Women of Newfoundland, dont l'objectif était d'aider les hommes de la province à s'acquitter de leur mission de défense de l'Empire britannique. Les Terre-Neuviennes se sont mobilisées et ont confectionné des chaussettes, des chemises, des oreillers, des pyjamas, des chemises d'hôpital, des tuques et des mouchoirs. C'était tout un exploit quand on pense que la majeure partie de la population de Terre-Neuve-et-Labrador était dispersée dans des centaines de petits villages côtiers isolés, comme c'est habituellement le cas dans une économie de pêche.

En deux ans seulement, les femmes de Terre-Neuve-et-Labrador avaient tricoté plus de 62 000 paires de bas pour les soldats canadiens partis au front, à l'étranger.

Le mois dernier, à la résidence du lieutenant-gouverneur, à St. John's, Son Honneur Patricia Fagan a tenu une réception pour souligner le 100e anniversaire de la création de la Patriotic Association of the Women of Newfoundland et pour reconnaître sa contribution à l'effort de guerre durant la Première Guerre mondiale.

Honorables sénateurs, je vous invite à vous joindre à moi pour rendre hommage aux hommes et aux femmes de Terre-Neuve-et-Labrador qui ont soutenu le Canada durant la Première Guerre mondiale.

Le décès de Mark Dunn

L'honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, c'est avec une immense tristesse que je prends la parole aujourd'hui pour rendre hommage à la mémoire d'un vieil ami. Pour être honnête, il n'était pas si vieux, et c'est ce qui rend cette nouvelle encore plus difficile à accepter.

Le 25 octobre, Mark Dunn est décédé à l'âge de 54 ans. Mark Dunn faisait partie du paysage politique sur la Colline du Parlement depuis, il me semble, une éternité. Il a occupé plusieurs fonctions importantes, allant de journaliste à conseiller auprès de certains ministres et chefs. J'ai connu Mark alors qu'il était journaliste. Que ce soit pour La Presse Canadienne ou pour Sun News, on savait quand Mark était dans la salle, quand il prenait part à un point de presse ou quand il posait une question. Je me suis toujours demandé comment une personne pouvait afficher un air aussi bourru tout en gardant le sourire.

C'est ici, à Ottawa, qu'il a occupé son dernier poste, celui de correspondant national principal pour Sun News. D'après les témoignages que j'ai entendus lors de la cérémonie de célébration de sa vie samedi dernier, il était très aimé et très respecté par l'équipe de Sun News.

Mais c'était toujours ainsi pour Mark. Dans certains milieux, bien des gens le craignaient. Comme on dit souvent, il tolérait mal la bêtise. Bien des choses ont été dites au sujet de Mark — par exemple, son langage très coloré pour tout décrire, surtout pour faire le portrait des politiciens. Cependant, Mark était aussi un enseignant, un rédacteur qui aidait ses collègues à améliorer leurs articles et un homme généreux qui partageait ses connaissances avec autrui.

Mark Dunn a connu une carrière hors du commun en tant que journaliste et à titre de conseiller d'un ministre et d'un chef de parti. Que dire de son parcours? Il a quitté Sun News en 2001 pour devenir conseiller politique de l'ancien ministre libéral Denis Coderre. Puis, il s'est joint à l'équipe de l'ancien chef libéral Stéphane Dion, pour enfin retourner chez Sun News. Voilà qui n'est pas à la portée de tout le monde, mais

Mark s'est montré à la hauteur grâce à sa facilité d'interagir avec les gens. Il avait à cœur le système politique, et il a pu le comprendre dans ses moindres détails. Infatigable, il posait des questions, fouillait et essayait de sentir le pouls de l'univers parlementaire.

Dans sa notice nécrologique, on peut lire que ses écrits journalistiques lui étaient inspirés par son aversion pour la stupidité et l'injustice. Il s'exprimait avec une intelligence marquée d'un humour irrévérencieux, dans une langue qu'il maîtrisait comme peu de journalistes arrivent à le faire.

La notice dit aussi que c'était le genre de journaliste de la vieille école qui ne craint rien et dont nous aurions encore désespérément besoin aujourd'hui. Un attaché de presse raconte que c'est lui qui lui a montré comment pester contre les journalistes en s'assurant qu'ils l'apprécient.

Il a été fidèle à lui-même en tant que conseiller pendant une campagne électorale. C'était en 2008. Lors de nos déplacements au cours de la campagne de Stéphane Dion, c'est grâce à sa vivacité d'esprit et à son humour mordant que nous avons pu demeurer sereins. Nous avons peut-être perdu les élections, mais Mark n'a jamais perdu son humanité et sa bienveillance à l'égard de ceux qui l'entouraient.

Honorables sénateurs, il est difficile de perdre un ami, n'est-ce pas? Mais c'est encore plus difficile de perdre son mari. Aujourd'hui, je voudrais souhaiter à Gloria Galloway, qui est journaliste au Globe and Mail, toute la force que peuvent lui inspirer les sentiments des nombreuses personnes pour lesquelles il était un ami, des autres pour lesquelles il a été un guide et des autres encore pour qui il fut un bon vieux collègue journaliste dont les bougonneries dans la tribune de la presse nous manqueront.

Les années passent et ne nous rajeunissent pas. Je voudrais dire à sa mère, Eleanor, avec laquelle j'ai travaillé au cours des années 1970, que je garde un souvenir impérissable des moments de la vie de son fils que j'ai partagés avec lui sur la route et, de temps en temps, dans un bar.

Quel compagnon, quel fils, quel mari, quel frère et quel beau-père! Mark Dunn a vécu pleinement une vie qu'il aimait passionnément. Bien entendu, il nous manquera beaucoup.

Le musée Polin

L'inauguration du musée de l'histoire des juifs polonais

L'honorable Linda Frum : Honorables sénateurs, la semaine dernière, j'ai eu le grand honneur de faire partie des nombreux délégués étrangers qui étaient présents à la cérémonie d'inauguration du musée de l'histoire des juifs à Varsovie, en compagnie du président de la Pologne et du président d'Israël.

(1410)

Le musée est situé au cœur de ce qui était la partie juive de Varsovie, une zone que les nazis avaient transformée en ghetto pendant la Seconde Guerre mondiale.

Ce magnifique musée consacré aux 1 000 ans d'histoire de la Pologne juive est en quelque sorte un miracle. Il a pu être bâti grâce aux 80 millions de dollars versés par le gouvernement polonais et à 50 millions de dollars provenant de fonds privés. Cependant, ce qui est plus remarquable encore que les généreuses sommes recueillies pour créer cette formidable institution, c'est le motif qui l'inspire. Ce nouveau musée ne sert pas à commémorer la façon dont beaucoup de juifs sont morts en Pologne, mais plutôt à célébrer la façon dont ils ont vécu et, bien souvent, leur prospérité.

Les premiers juifs sont arrivés en Pologne au Moyen Âge. Au milieu du XVIIIe siècle, 750 000 juifs vivaient au Royaume uni de Pologne et de Lituanie. Au fil du temps, la population juive de Pologne est devenue la plus importante communauté juive du monde.

L'antisémitisme était un fait indéniable pour les juifs de Pologne, mais il y a eu aussi des périodes de prospérité, de créativité, de tolérance, de coopération et de coexistence. Lors de l'invasion des nazis, en 1939, la Pologne comptait 3,3 millions de juifs, soit le tiers de la population juive d'Europe. Rappelons que 90 p. 100 de ces âmes innocentes ont péri lors de l'Holocauste.

Le président Komorowski a déjà dit cette phrase célèbre : il n'est pas possible de comprendre l'histoire de la Pologne sans comprendre l'histoire des juifs, et vice versa.

Tous ceux qui ont des liens avec la Pologne savent que c'est vrai. Toutefois, c'est seulement après la chute du communisme, en 1989, qu'il a été possible d'envisager franchement les rapports dynamiques entre la Pologne et la population juive.

Maintenant que le Musée Polin est ouvert, cette possibilité a pu se concrétiser. Je cite encore une fois le président Komorowski :

C'est remarquable de prendre ainsi part à la rédaction d'une page d'histoire, car nous ne faisons pas seulement cimenter les relations qu'entretiennent les Polonais et les Juifs depuis des siècles, nous travaillons aussi pour l'avenir des relations entre les Judéo-Polonais et les Israéliens d'origine polonaise.

Pour moi qui suis juive d'origine polonaise et qui ai épousé le fils de survivants de l'Holocauste, prendre part à l'ouverture de ce musée fut une expérience très forte en émotions. C'est avec une fierté toute particulière que je signale aux sénateurs que la conservatrice de génie qui œuvre dans les coulisses du musée, Barbara Kirshenblatt-Gimblett, est originaire de Toronto.

En soi, le musée a pu voir le jour grâce à la contribution de nombreuses personnes, y compris un certain nombre de Canadiens. À tous ceux et celles qui ont pris part, de près ou de loin, à l'inestimable commémoration de la vie et de la civilisation judéo-polonaises, je dis ceci : « Merci; soyez bénis. » Grâce à vos efforts, nous assistons aujourd'hui au début d'une nouvelle ère axée sur l'amitié, le respect et la compréhension, des choses qu'on ne célébrera jamais assez.

La Première Guerre mondiale

Les colloques Canada-France

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, vous trouverez sur votre pupitre un dépliant bien spécial, dans les deux langues officielles, sur une initiative unique en son genre qui aura lieu ici, au Sénat, les 11 et 12 novembre prochains, sous la présidence de notre distingué Président, le sénateur Kinsella, et de Son Excellence l'ambassadeur de France au Canada, M. Philippe Zeller.

Cette initiative a ceci de particulier que, parmi tous les Parlements des pays alliés qui ont pris part à la Première Guerre mondiale, celui du Canada est le seul à organiser, avec nos amis, les parlementaires de France, un colloque ayant pour thème « Le Canada et la France dans la Grande Guerre 1914-1915 ». Il y sera question des effets transformateurs que la guerre a eus sur le Canada et la France, notamment sur le Parlement du Canada. En effet, je rappelle, honorables sénateurs, que notre Parlement est sorti transformé de la guerre.

Au total, 20 historiens, dont 10 originaires du Canada et 10 originaires de la France, seront invités à aborder un aspect particulier de la transformation que le Canada a connue au cours de la guerre.

Heureusement, un colloque aura également lieu à Paris, en France, à l'Assemblée nationale, au printemps de 2015, et il empruntera une approche complémentaire à celle qui sera adoptée ici la semaine prochaine.

Honorables sénateurs, vous êtes tous invités à prendre part à l'ouverture publique du colloque qui se déroulera mardi après-midi de la semaine prochaine, soit le 11 novembre.

Le colloque revêtira une importance particulière, parce qu'il sera suivi, le printemps prochain, par la parution d'un livre qui réunira toutes les contributions, lesquelles pourraient donner lieu à une approche qui compléterait notre façon d'envisager la guerre 100 ans plus tard. Le colloque aura lieu sous l'égide de l'Association interparlementaire Canada-France et de l'Association interparlementaire France-Canada.

[Français]

L'initiative est appuyée par le ministre des Anciens Combattants.

[Traduction]

L'honorable Julian Fantino ouvrira le colloque de la semaine prochaine. Comme je l'ai mentionné, celui qui aura lieu en France se déroulera sous l'égide du Président de l'Assemblée nationale, M. Claude Bartolone, et de l'ambassadeur du Canada en France, M. Lawrence Cannon, qui était au Parlement hier.

J'ai une vraie dette envers notre honorable Président, qui a parlé de l'initiative dans son exposé et qui a remercié le président français hier, parce que cela met en relief le fait que le colloque est reconnu par le gouvernement français comme une initiative commémorative officielle qu'il organise et subventionne, du moins le volet français, et qu'il s'agit d'une initiative officielle entreprise conjointement par nos Parlements.

J'aimerais vous rappeler, honorables sénateurs, que les Britanniques, les Américains, les Australiens et les Néo-Zélandais, aux côtés desquels nous nous sommes battus durant la guerre, n'ont pas pris l'initiative de se joindre aux Parlements français et canadien pour examiner conjointement la façon dont cette guerre a modifié notre mode de vie. Comme je l'ai mentionné, elle a même modifié la façon dont nous faisons les choses au Parlement.

Je suis sûr que les honorables sénateurs voudront lire le texte du colloque quand il sera publié et disponible sous forme imprimée. Je pense que le Sénat aime procéder à un second examen objectif des questions. Nous visons un but précis en procédant au second examen objectif de cette question 100 ans après le début de la guerre, surtout après avoir écouté la sénatrice Marshall parler des conséquences que la guerre a eues pour les femmes.

Comme les honorables sénateurs le savent, et je n'aborderai pas tous les détails, les Canadiennes ont obtenu le droit de vote durant la guerre. Cela a eu des répercussions immédiates sur l'électorat et la participation de l'électorat canadien à la guerre. Les politiciens ont dû modifier leurs discours pour pouvoir s'adresser aux femmes et tenir compte des préoccupations de cette partie de l'électorat.

Toutes sortes de questions seront soulevées lors du colloque, et je tiens à rappeler de nouveau aux honorables sénateurs que, s'ils ne sont pas à Ottawa, ils pourront envoyer leurs adjoints à leur place ou des membres de leur entourage. Ce séminaire est, bien sûr, ouvert au public. Les mesures de sécurité habituelles, que vous connaissez tous, s'appliqueront. L'inscription est recommandée, et le dépliant précise où s'inscrire.

Je vous remercie de nouveau, honorable sénateurs, de votre attention, et je sais infiniment gré à notre Président d'avoir été la première personne à accepter cette initiative. Je crois que, grâce à son appui, nous avons réussi à rallier tous les autres acteurs. Je tiens à le souligner parce que, sans l'accord du Président, cette initiative remarquable n'aurait pas lieu. Merci, monsieur le Président.

La Semaine nationale de la sécurité des aînés

L'honorable Judith Seidman : Honorables sénateurs, les Canadiens vivent plus longtemps que jamais. En 2011, l'espérance de vie à la naissance était de 81,7 ans, soit une augmentation de près de 25 ans depuis 1921. Il n'y a aucun doute que cette longévité accrue sera accompagnée de changements au sein de la société, dont plusieurs sont déjà en cours. Nous savons par exemple que les aînés âgés de 65 ans ou plus font plus d'heures de bénévolat, en moyenne, que n'importe quel autre groupe d'âge.

Cependant, nous savons aussi que les Canadiens âgés sont plus susceptibles d'utiliser des médicaments sur ordonnance au fur et à mesure qu'ils vieillissent.

On peut lire, dans un rapport de 2014 de l'Institut canadien d'information sur la santé, que la plupart des aînés prennent en moyenne 5 médicaments d'ordonnance ou plus et que plus de 40 p. 100 des Canadiens âgés de 85 ans ou plus prennent plus de 10 médicaments d'ordonnance. Quelles sont, par conséquent, les répercussions de cette augmentation?

(1420)

Il n'y a aucun doute que les aînés plus âgés ont souvent des besoins complexes et qu'ils peuvent souffrir de multiples problèmes de santé chroniques qui sont difficiles à gérer. Nous savons que l'utilisation de multiples médicaments, qu'on appelle aussi polypharmacie, peut avoir des conséquences inattendues.

Dans le cadre de l'étude du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur les produits pharmaceutiques sur ordonnance au Canada, nous avons appris que la question suscite des inquiétudes grandissantes, notamment dans les établissements de soins de santé de longue durée, où l'utilisation de multiples médicaments est plus de deux fois plus élevée que pour les aînés qui résident encore à leur domicile.

Des témoins ont exprimé des préoccupations parce que des événements indésirables comme des chutes sont souvent attribuables à des interactions médicamenteuses ou à la polypharmacie.

Comment pouvons-nous nous assurer que les aînés prennent les bons médicaments, et pas plus? Les pharmaciens suggèrent d'augmenter le nombre de réévaluations des médicaments, ce qui permettrait de faire un suivi des changements de l'état de santé au fil du temps. Une telle approche laisse présager un virage à plus grande échelle, c'est-à-dire l'instauration d'une culture fondée sur la déprescription, qui nous encourage à changer notre façon d'envisager l'utilisation de médicaments chez les personnes âgées.

Honorables sénateurs, du 6 au 12 novembre, nous soulignons la Semaine nationale de la sécurité des aînés au Canada. Profitons de l'occasion pour réévaluer l'utilisation des médicaments d'ordonnance chez les personnes âgées. Il n'y a aucun doute qu'il s'agit d'une question qui est de plus en plus importante pour les Canadiens et qui est d'importance vitale si nous voulons garantir la sécurité du nombre croissant de personnes âgées.


AFFAIRES COURANTES

La citoyenneté et l'immigration

Dépôt du Rapport annuel au Parlement sur l'immigration de 2014

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le Rapport annuel au Parlement sur l'immigration de 2014, conformément au paragraphe 94(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Son Excellence François Hollande, président de la République française

L'allocution aux membres du Sénat et de la Chambre des communes—Adoption de la motion tendant à imprimer en annexe

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que l'adresse du Président de la République française, Son Excellence monsieur François Hollande, prononcée le lundi 3 novembre 2014 devant les deux Chambres du Parlement, de même que les présentations et les observations qui s'y rapportent, soient imprimées sous forme d'annexe aux Débats du Sénat de ce jour et constituent partie intégrante des archives de cette Chambre.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

(Le texte des discours figure en annexe, p. 2403 )

Énergie, environnement et ressources naturelles

Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Richard Neufeld : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article 5-5a) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles soit autorisé à siéger à 17 heures le mardi 4 novembre 2014, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Neufeld, avec l'appui de l'honorable sénateur Lang, propose que, avec le consentement du Sénat et nonobstant... Puis-je me dispenser de lire la suite?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Y a-t-il des questions? Sénatrice Fraser.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : J'aimerais savoir pourquoi on cherche à obtenir le consentement pour cette mesure.

Le sénateur Neufeld : Le comité tient une longue audience ce soir, avec trois groupes de témoins. On nous a demandé de nous pencher sur trois assez grandes sections du projet de loi d'exécution du budget, et nous avons jugé qu'il nous faudrait plus de temps pour examiner adéquatement toutes ces questions afin de recueillir tous les renseignements possibles. Je me suis entretenu avec le vice-président, le sénateur Massicotte, et il est du même avis.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

(La motion est adoptée.)

[Français]

Agriculture et forêts

Motion tendant à autoriser le comité à siéger en même temps que le Sénat

L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, au nom de l'honorable Percy Mockler, avec le consentement du Sénat et nonobstant l'article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts soit autorisé à siéger à 17 heures le mardi 4 novembre 2014, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l'application de l'article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs? Sénatrice Fraser, vous avez la parole.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : J'ai encore la même question : pourquoi demande-t-on cette permission?

Le sénateur Maltais : Certainement, sénatrice Fraser. Les témoins qui viennent d'un peu partout au Canada sont déjà ici. Ils devront s'en retourner trop tard ce soir si nous ne siégeons que vers 20 heures ou 21 heures. De plus, la journée de demain est déjà très chargée.

La sénatrice Fraser : J'aurais juste un commentaire à faire. Évidemment, je ne vais pas refuser la permission, car je comprends vos priorités. Cependant, en règle générale, je n'aimerais pas qu'on prenne l'habitude de faire cela pour des témoins qui ne sont pas ministériels, parce que, normalement, on fait exception pour les ministres. Je voudrais qu'on admette que, quand le Sénat siège, les comités ne siègent pas. Cela fait partie de notre Règlement. J'ai l'impression que nous sommes en train de nous dire que si le Sénat ne siège pas à un moment convenable pour nous, nous ne sommes pas tenus de respecter le Règlement.

Sénateur Maltais, je n'ai rien contre votre proposition. Je la comprends et je l'accepte. Cependant, je me sentais inspirée de rappeler aux gens quelle devrait être, selon moi, notre habitude.

Le sénateur Maltais : Sénatrice Fraser, j'accepte votre consentement avec plaisir, surtout dans un esprit d'économie, parce que c'est notre comité qui doit payer les dépenses des témoins. Si on doit le faire deux fois, cela double les dépenses, et ces fonds proviennent des citoyens du Canada.

Vous avez raison quant au Règlement; cependant, s'il existe des motions spéciales qui exigent un consentement unanime, comme vous venez de nous l'accorder, je suis d'accord avec le fait que nous ne devrions pas le faire à répétition ni en faire mauvais usage.

Je vous remercie.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(1430)

[Traduction]

La sécurité alimentaire dans le Nord

Préavis d'interpellation

L'honorable Wilfred P. Moore : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J'attirerai l'attention du Sénat sur la sécurité alimentaire dans le Nord.


PÉRIODE DES QUESTIONS

La sécurité publique

Les services de sécurité—Leur surveillance par le Parlement

L'honorable Wilfred P. Moore : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. Comme vous le savez, de ce côté-ci, nous encourageons les Canadiens à participer directement à notre démocratie en posant une question au gouvernement par votre intermédiaire durant la période des questions. Par conséquent, voici une autre excellente question, qui nous vient d'Edward Roback, de Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Il se dit préoccupé par l'approche actuelle du gouvernement à l'égard de la surveillance du SCRS et de la GRC par le Parlement. M. Roback demande ce qui suit :

De nombreux Canadiens s'inquiètent que certaines actions du SCRS et de la GRC puissent être illégales ou contraires à l'éthique et qu'elles ne soient pas surveillées adéquatement par le Parlement. Pourquoi un comité multipartite n'assure-t-il pas une surveillance complète de ces deux organismes? Pourquoi ne peut-on pas faire preuve de transparence envers le public sur le plan de la surveillance, en omettant toutefois certains détails, évidemment, afin de protéger les innocents?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Les corps policiers — notamment la GRC— sont soumis à des lois qui doivent être respectées. Les différentes instances sont là pour assurer que les agences et les corps policiers comme la GRC puissent agir de façon convenable. Ainsi, il est important de s'assurer que les différentes instances puissent travailler et atteindre leurs objectifs.

Comme vous le savez, le Comité de surveillance des activités du renseignement, le CSARS, publie un rapport annuel. Nous remercions d'ailleurs le CSARS pour ses rapports, dont l'un a été déposé récemment. Ce comité joue un rôle important en ce qui concerne l'obligation de nos organismes de sécurité nationale de rendre compte à la population. Je crois comprendre que le Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, passe en revue les recommandations qu'il contient et met en œuvre celles qui permettent le mieux d'assurer la protection des Canadiens, ainsi que celle de leur vie privée.

Quant au ministère de la Sécurité publique, on m'indique que le ministre estime qu'il reçoit de la part du SCRS des séances d'information complètes et qu'il a pleinement confiance en la capacité du service.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Monsieur le leader, les deux Chambres sont saisies de projets de loi qui préconisent la surveillance parlementaire. Joyce Murray a déposé à l'autre endroit le projet de loi C-622, qui a été débattu à l'étape de la deuxième lecture le 30 octobre. De plus, notre ancien collègue et votre propre ancien collègue de caucus, le sénateur Hugh Segal, a présenté le projet de loi S-220, qui est toujours au programme au Sénat. Ne devrions-nous pas tenir ici un débat plus approfondi sur le projet de loi S-220, compte tenu du rôle toujours grandissant que nous jouons dans la lutte contre le terrorisme?

[Français]

Le sénateur Carignan : Les projets de loi dont sont saisies les Chambres sont étudiés au moment opportun, et il appartient aux Chambres de déterminer le moment qu'elles jugent le plus approprié pour procéder à l'étude des projets de loi, selon le programme législatif.

[Traduction]

Le sénateur Moore : C'était une leçon de civisme intéressante, monsieur le leader.

Comme plusieurs l'ont souligné, le Canada est le seul membre du Groupe des cinq qui n'exerce pas de surveillance parlementaire. Comment le gouvernement justifie-t-il l'absence de surveillance parlementaire dans une démocratie comme le Canada?

[Français]

Le sénateur Carignan : Le processus législatif suit son cours. Au sein du Service canadien du renseignement de sécurité, il y a un organisme présidé par un ancien juge qui s'assure que la loi est respectée par rapport aux services de renseignement. Il appert que c'est le cas et, comme vous le savez, on ne tolérerait pas, de toute façon, que des actes illégaux soient commis par une agence de l'État. C'est pourquoi nous avons des organismes de surveillance et des agences qui révisent ces activités. Nous avons pleinement confiance en l'organisme qui supervise le SCRS.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Je trouve intéressant que vous mentionniez un juge. On nous dit que l'actuel système de surveillance porte ses fruits. Pourtant, le SCRS et le CSTC ont induit un juge en erreur afin d'obtenir des mandats pour intercepter des communications de Canadiens à l'étranger. Ces deux organismes ont obtenu le soutien d'agences de renseignement étrangères sans en informer le juge. C'est illégal.

En tant que législateurs, acceptons-nous que la loi puisse être enfreinte sous l'actuel système ou devrions-nous rehausser un peu la barre? Vous chantez les louanges de ces deux organismes et pourtant ils enfreignent la loi. À votre avis, devraient-ils être en mesure d'enfreindre la loi ou devrions-nous rehausser un peu la barre et assurer la surveillance qu'exige le Parlement?

[Français]

Le sénateur Carignan : À la page 5 du rapport, il est mentionné que les activités du CSTC ne ciblent pas de façon délibérée les communications privées des Canadiens, ou de toute autre personne au Canada, ce qui serait illégal. Il est également indiqué que le nombre de communications privées interceptées de façon non intentionnelle était assez bas pour qu'il soit possible de les examiner une à une. Le commissaire a conclu que le CSTC continue d'agir dans le respect de la loi.

Je tiens également à préciser que, à la page 3 de son rapport annuel, le commissaire s'est dit, et je cite :

[...] préoccupé de voir que certains commentateurs agitent des peurs fondées, non pas sur des faits, mais plutôt sur une information partielle et parfois inexacte concernant certaines activités du CSTC.

Sénateur, nous croyons qu'il est important de disposer d'un organisme de surveillance indépendant qui puisse assurer une surveillance exhaustive et impartiale du CSTC, et c'est ce que nous avons à l'heure actuelle.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Dans vos observations précédentes, vous avez mentionné le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Monsieur le leader, il y a actuellement deux sièges vacants à ce comité et les Canadiens se demandent s'ils ont raison de faire confiance à ce système alors que deux des cinq sièges à ce comité sont vacants en cette période cruciale. Comment les Canadiens peuvent-ils avoir confiance en ce système en l'absence de surveillance parlementaire?

[Français]

Le sénateur Carignan : En ce qui concerne la question d'exercer ou non une surveillance parlementaire, le fait qu'il y ait des sièges vacants n'empêche pas le comité de fonctionner. Nous en avons un bel exemple ici. Il y a des sièges vacants et cela ne nous empêche pas de fonctionner. Le CSARS est composé d'éminents Canadiens qui surveillent les services de sécurité, et nous avons pleinement confiance en leur capacité d'évaluer avec impartialité les actions prises par le SCRS en vue de protéger les Canadiens et les Canadiennes.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Monsieur le leader, je ne sais pas si nous tenons vraiment compte de la situation d'ensemble. Avec chaque pouvoir que nous accordons à ces organismes de sécurité, nous érodons, petit à petit, nos libertés personnelles. L'érosion de nos libertés personnelles ne commande-t-elle pas une surveillance parlementaire de nos organismes de sécurité? Comme les Canadiens seront appelés à faire de grandes concessions, ne devrions-nous pas renforcer le contrôle démocratique que nous exerçons sur ces entités en créant un comité de surveillance parlementaire?

(1440)

[Français]

Le sénateur Carignan : J'entends votre opinion; lorsqu'un débat sur les projets de loi qui vous intéressent aura lieu à la Chambre, je vous suggère d'en tirer quelques éléments pour votre discours. Quant à nous, comme je l'ai dit, le CSARS est composé d'éminents Canadiens qui surveillent nos services de sécurité, et nous sommes persuadés qu'ils évalueront avec impartialité les actions prises par les services de sécurité.

[Traduction]

Le sénateur Moore : Monsieur le leader, lors des événements du 22 octobre, les sénateurs et les députés de la Chambre des communes ont été littéralement enfermés sans savoir ce qui se passait et sans pouvoir réagir à ce que le président français, François Hollande, a décrit comme un acte de profanation contre notre Parlement.

Je vous rappelle — et je rappelle aussi au gouvernement — que nous sommes les gardiens ultimes de notre démocratie — et non le milieu de la sécurité, ni le SCRS, ni le CSTC, ni la GRC. C'est à nous, parlementaires, que revient la responsabilité ultime de protéger les droits, les biens et la vie des Canadiens. Pourquoi les parlementaires devraient-ils être laissés dans l'ignorance plutôt que d'être autorisés à jouer totalement leur rôle dans la défense de notre pays et de nos concitoyens? Ou encore le gouvernement croit-il que les parlementaires ne peuvent pas travailler ensemble pour assurer la sécurité de tous les Canadiens?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je ne sais pas si vos propos concernent toujours la question du citoyen; j'imagine que ce n'est plus le cas. En ce qui a trait à l'événement qui a eu lieu, nous avons agi conformément aux règles de sécurité et aux indications des services de maintien de l'ordre. Ils ont fait un travail important et digne de mention, qui a contribué à sauver la vie de plusieurs d'entre nous et de membres de notre personnel. Nous avons, nous aussi, été « pris » en confinement à l'intérieur d'une des salles, comme plusieurs membres de notre personnel et de l'administration.

Cela dit, les services ont agi dignement, ce qui nous permet d'être en santé, aujourd'hui, en cette Chambre, pour poursuivre l'avancement du programme législatif et assurer la défense des droits et libertés démocratiques des Canadiens.

[Traduction]

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Le sénateur Moore a fait allusion au Groupe des cinq, qui, comme vous le savez, est une alliance qui se compose d'organismes de renseignement du Canada, ainsi que de pays qui sont nos partenaires à l'échelle internationale, soit les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Sur ces cinq pays démocratiques, seul le Canada ne dispose pas d'une forme de surveillance parlementaire proactive. Lorsque, l'autre jour, cette question a fait l'objet d'un débat à la Chambre des communes, votre collègue, le député Ryan Leef, a déclaré que nous étions différents. En quoi sommes-nous différents?

[Français]

Le sénateur Carignan : Nous sommes différents, parce que nous avons un comité composé d'éminents Canadiens qui surveillent nos services de sécurité.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : En quoi le Canada est-il différent des quatre autres partenaires, qui sont des pays démocratiques?

[Français]

Le sénateur Carignan : Comme vous le savez, des choix sont faits dans le cadre de l'établissement d'une loi. La législation canadienne a décidé de confier à un comité composé d'éminents Canadiens la surveillance des services de sécurité. Nous avons pleine confiance dans le fait qu'ils évaluent avec impartialité les mesures prises par nos services de sécurité en vue de protéger les Canadiens. Si vous voulez modifier la loi ou déposer un projet de loi modificatif, vous pouvez le faire, comme le sénateur Segal l'avait fait, et nous pourrons en débattre.

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Ma question était la suivante : en quoi le Canada est-il différent? Vous dites que le Canada a choisi de créer ce groupe d'éminents Canadiens pour lequel vous n'avez pas assez d'estime, comme l'a souligné le sénateur Moore, pour en combler les postes vacants. Il n'y a que trois membres en poste sur une possibilité de cinq. Si ce groupe est d'une telle importance, pourquoi n'avez-vous pas comblé les cinq postes?

De quelles considérations stratégiques le gouvernement tient-il compte pour décider que ce moyen est meilleur que la surveillance parlementaire qu'ont choisie les quatre autres membres du Groupe des cinq?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je n'étais pas là au moment où la loi a été adoptée, mais si vous consultez d'autres parlements, ils vont diront peut-être que la seule et unique législature qui détient la solution est le Canada et que l'on devrait s'en inspirer pour en arriver à un meilleur système.

[Traduction]

L'honorable Grant Mitchell : En fait, au sein du gouvernement, il y a au moins neuf groupes distincts qui sont liés au milieu du renseignement et ils font partie d'au moins cinq ministères et deux organismes distincts.

On parle ici d'un processus fort complexe et les possibilités que des choses passent entre les mailles du filet sont nombreuses. De même, les possibilités de fluctuations de la politique, de la philosophie et de la théorie à l'égard du renseignement de sécurité ne manquent pas.

Cette complexité, à elle seule, n'est-elle pas suffisante pour envisager la création d'un organe parlementaire de surveillance qui pourrait avoir une vue d'ensemble, garantir une certaine cohérence, veiller à ce que rien ne soit oublié et s'assurer que les ressources soient utilisées de la façon la plus efficace et la mieux coordonnée possible?

[Français]

Le sénateur Carignan : Je vous réitère que nous sommes dotés d'un comité composé d'éminents Canadiens qui s'assurent de surveiller les services de sécurité. Nous sommes persuadés qu'ils évaluent le tout avec impartialité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, le commissaire Plouffe, dans son rapport, conclut que le CSTC continue d'agir dans le respect de la loi.

Je tiens à préciser qu'il a souligné ce qui suit dans son rapport annuel, et je cite :

Je suis préoccupé de voir que certains commentateurs agitent des peurs fondées, non pas sur des faits, mais plutôt sur une information partielle et parfois inexacte concernant certaines activités du CSTC.

Les organismes actuels font leur travail de façon impartiale, et il s'agit de la meilleure voie pour continuer à surveiller nos services de sécurité.

[Traduction]

Le sénateur Mitchell : Lorsque le leader du gouvernement s'entête à faire valoir que le Canada doit agir différemment de tous ses principaux alliés dans ce dossier, cela me rappelle la mère qui regarde un défilé de soldats et qui dit : « Pourquoi mon petit Jean est-il le seul à avoir le pas? »

Puisqu'il est si évident qu'il faut agir de façon coordonnée et uniforme avec nos alliés afin que rien ne nous échappe, qu'il faut gérer la complexité de cette activité et qu'il faut protéger les intérêts des Canadiens, de quoi le gouvernement a-t-il peur et pourquoi ne veut-il pas que les services du renseignement au Canada fassent l'objet d'une supervision adéquate et appropriée par un comité multipartite du Parlement?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, j'ai beaucoup de respect pour vous et je ne veux rien vous enlever, mais le comité est actuellement composé d'éminents Canadiens qui s'assurent que les activités des organisations sont menées conformément à la loi. Nous avons pleinement confiance en leur travail.

(1450)

[Traduction]

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : D'éminents Canadiens comme Arthur Porter.

Honorables sénateurs, lorsque je constate l'opposition acharnée du leader à l'idée qu'il pourrait être utile d'adhérer aux mêmes principes que nos partenaires démocratiques dans ce secteur, et compte tenu de l'observation formulée par M. Leef et répétée par mon leader, à savoir « Nous sommes différents », cela me rappelle une doctrine à laquelle adhèrent surtout les États-Unis, et qui porte le nom commode d'« exceptionnalisme ». Cette notion revient souvent dans la politique américaine. Les Américains doivent croire qu'ils sont exceptionnels et l'exceptionnalisme est leur principe directeur.

Un jour, un éminent penseur américain qui a des vues normales et non extrêmes, que ce soit d'un côté ou de l'autre du spectre politique, m'a expliqué que l'exceptionnalisme signifie que « les règles normales ne s'appliquent pas à moi parce que je suis exceptionnel ». Monsieur le leader, je pense que c'est ce que vous dites. Les règles normales, les principes normaux que tous nos partenaires démocratiques dans ce secteur ont jugé essentiel d'adopter ne s'appliquent pas au Canada en vertu d'un quelconque miracle. Je ne comprends toujours pas pourquoi vous pensez que nous sommes si différents.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, le Sénat du Canada est le seul sénat non élu au monde. Est-ce que j'entends dire qu'il devrait l'être?

[Traduction]

Le sénateur Cowan : Vous avez bien essayé, mais cela n'a pas fonctionné. Il existe un petit document qu'on appelle la Constitution. Vous devriez en parler à M. Harper.

La sénatrice Fraser : Ce n'est pas la question que, j'ai posée. Monsieur le leader, vous êtes vraiment un bon élève de M. Calandra. Vous êtes en train de devenir son émule.

Soit dit en passant, j'imagine que, si nous devions créer un parlement en recommençant à zéro, cette institution ne serait pas identique à celle qui a été créée pour nous par les Pères de la Confédération. Toutefois, je pense que, lorsqu'il en a eu la possibilité, le Sénat a très bien servi les Canadiens et il peut continuer de le faire. Cela dit, vous n'avez toujours pas répondu à ma question. Qu'est-ce qui nous rend si différents?

[Français]

Le sénateur Carignan : Comme je l'ai dit, sénatrice, les parlementaires présents au moment où la loi a permis de créer des centres ou des organismes qui surveillent les agences de sécurité au niveau de la GRC ont décidé qu'il était préférable que le comité soit composé d'éminents Canadiens qui surveillent les services de sécurité. Nous sommes persuadés qu'ils évalueront avec impartialité les actions prises par les services de sécurité.

Il existe, en anglais, une expression qui dit que si ce n'est pas brisé, pourquoi le réparer?

[Traduction]

La sénatrice Fraser : Ce doit être la première fois que le leader laisse entendre qu'un gouvernement passé a fait quelque chose de bien. Pour ma part, j'estime que, s'il est vrai qu'un gouvernement antérieur a fait beaucoup de bonnes choses, il n'était pas parfait, pas plus que le système actuel ne l'est.

Je vous le demande pour la dernière fois : pourquoi répugnez-vous autant à adopter un système qui sert si bien nos partenaires démocratiques? Voulez-vous dire que, d'une façon quelconque, notre démocratie est plus parfaite que celle des pays du Groupe des cinq, qui sont nos partenaires?

[Français]

Le sénateur Carignan : Vous voulez maintenant vous inspirer des Américains, alors que, habituellement, vous nous dites que nous le faisons trop souvent. Nous sommes d'accord pour dire que les organismes canadiens chargés du renseignement de sécurité doivent être soumis à un solide dispositif de surveillance. Cependant, ce dispositif existe déjà, il fonctionne et il n'y a pas de raison de le changer.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

La Loi sur le droit d'auteur
La Loi sur les marques de commerce

Projet de loi modificatif—Dépôt d'une lettre des Communes

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai souvent entendu des gens dire que, si on reste sur les berges d'une rivière assez longtemps, on finit par tout voir passer sous ses yeux. Je me retrouve une fois de plus à dire que c'est là un argument très élégant qui témoigne de la sagesse dont nos fondateurs, les Pères de la Confédération, ont fait preuve en imaginant un parlement bicaméral. Un parlement bicaméral permet notamment de mieux étudier les mesures législatives. Il s'est avéré bien souvent, dans le contexte canadien, qu'il était avantageux que deux Chambres examinent les projets de loi.

J'ai reçu du Président de la Chambre des communes une lettre au sujet du projet de loi C-8. On est en train d'en distribuer des copies, mais je demande la permission de déposer cette lettre, qui était accompagnée d'une nouvelle version du projet de loi C-8 sous forme de parchemin.

D'abord, ai-je la permission du Sénat de déposer cette lettre?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme je l'ai dit, un nouveau projet de loi C-8 sous forme de parchemin était joint à la lettre. Vous vous rappellerez que, le 2 octobre, nous avons adopté le projet de loi à l'étape de la première lecture. Le Sénat a entamé le débat à l'étape de la deuxième lecture. Ce débat vient tout juste de commencer, la décision ayant été prise de donner suite au projet de loi après la première lecture, qui est une formalité. Aucune décision n'a été prise sur le principe du projet de loi à l'étape de la deuxième lecture.

On peut juger que la différence entre le projet de loi initial et la nouvelle version est minime. Il s'agit de renuméroter les articles pour garantir la cohérence entre les lois, si jamais le projet de loi devait recevoir la sanction royale. Toutefois, nous ne pouvons rien faire de cette nouvelle version du projet de loi C-8 à moins que le Sénat ne décide de mettre de côté les délibérations qui ont eu lieu jusqu'à maintenant sur la version déjà reçue et adoptée à l'étape de la première lecture.

J'invite tous les honorables sénateurs à s'exprimer à ce sujet, à la lumière des documents qui ont été fournis. Honorables sénateurs, je voudrais entendre votre point de vue. Je serais mal à l'aise de lire le message de nouveau à moins que le Feuilleton ne soit corrigé par suppression de l'ordre existant. Nous ne pouvons pas être saisis de deux versions du projet de loi C-8. Je voudrais connaître votre avis.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Votre Honneur, merci de nous avoir communiqué ces documents. À dire vrai, ce genre de chose n'arrive que trop souvent. Une fois, c'est trop, deux fois, c'est vraiment trop. La Chambre des communes nous renvoie des mesures entachées d'imperfections.

En fait, la question est relativement complexe. Je suggère fortement que, avant que nous ne fassions quoi que ce soit pour régler ces difficultés, nous prenions une journée, nous prenions la soirée pour lire les documents de la Chambre des communes et réfléchissions sérieusement à ce qui serait la meilleure solution.

Je suis de votre avis : nous ne pouvons être saisis de deux versions du même projet de loi, mais comment régler le problème? La nuit portera conseil.

[Français]

L'honorable Dennis Dawson : Honorables sénateurs, la version française de la lettre du Président de la Chambre des communes mentionne la version du projet de loi sous forme de parchemin. Dans la version anglaise, il est plutôt indiqué :

(1500)

[Traduction]

« Along with an alternate parchment version of the bill. » Pourquoi y a-t-il deux versions différentes du même document? Ne serait-il pas plus facile d'avouer que la Chambre a commis une erreur et de nous renvoyer le projet de loi révisé?

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Merci de nous avoir communiqué ces lettres aujourd'hui. Je conviens avec la sénatrice Fraser que c'est une très bonne idée de prendre une journée pour réfléchir à ce que vous avez dit, au contenu de ces lettres et à la solution idéale. J'aimerais appuyer la proposition de la sénatrice Fraser et je souhaite que nous attendions une journée pour prendre une décision.

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L'honorable Denise Batters propose que le projet de loi C-36, Loi modifiant le Code criminel pour donner suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Procureur général du Canada c. Bedford et apportant des modifications à d'autres lois en conséquence, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je suis très heureuse de prendre la parole à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-36, Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation.

Le projet de loi C-36 a été étudié au Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes en juillet 2014, il a fait l'objet d'une étude préalable au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en septembre 2014, et le comité sénatorial vient tout juste de consacrer deux autres journées à l'étude de cette mesure après la deuxième lecture.

Le projet de loi est en bonne voie d'être adopté avant l'expiration du délai d'un an que la Cour suprême du Canada a fixé le 20 décembre 2013 dans l'arrêt Bedford. S'il n'était pas adopté, la plupart des activités de prostitution mettant en cause des adultes seraient décriminalisées au Canada. Le projet de loi C-36 donne directement suite aux préoccupations en matière de sécurité soulevées dans l'affaire Bedford. Il donne aux prostituées la possibilité de retenir des services de sécurité et de travailler dans des lieux fixes, et il permet à ceux qui vendent des services sexuels de négocier, sauf — ce qui a pour but de protéger les enfants et les collectivités — dans des circonstances très limitées.

En même temps, l'un des objectifs de la mesure législative consiste à réduire sensiblement et, au bout du compte, à faire disparaître la demande de services sexuels, parce que c'est la seule vraie façon de garantir la sécurité des personnes vulnérables dans le milieu de la prostitution, qui est une activité comportant des risques. Légaliser ou décriminaliser la prostitution ferait accroître la demande de services sexuels, ce qui entraînerait une augmentation de la traite de personnes vulnérables afin de répondre à cette demande accrue.

Ainsi, le projet de loi C-36 tient compte de la nécessité d'améliorer la sécurité des prostituées, comme on l'a souligné dans la décision Bedford, tout en reconnaissant que la prostitution est un affront aux droits à l'égalité ainsi qu'à la sécurité publique.

Le projet de loi C-36 repose sur une approche asymétrique en matière de criminalisation. Pour la première fois, la transaction de prostitution constituera une infraction criminelle. Les clients de l'industrie du sexe seront passibles de poursuites criminelles, tandis que les personnes qui vendent des services sexuels jouiront d'une immunité dans presque tous les cas. La seule exception sera évidemment lorsque la transaction de prostitution porte atteinte au droit à la protection contre tout préjudice de nos citoyens les plus vulnérables, c'est-à-dire nos enfants.

Le Code criminel du Canada prévoit le recours à la criminalisation asymétrique dans le cas d'autres infractions, notamment la prostitution juvénile et l'imposition d'un taux d'intérêt criminel. Dans les deux cas, l'une des deux parties à la transaction criminelle est considérée comme ayant été exploitée et elle ne fait donc pas l'objet de poursuites pour avoir joué un rôle dans le crime, contrairement à l'auteur de ce crime, qui, lui, est tenu responsable, à juste titre.

Le projet de loi C-36 place le Canada parmi d'autres pays aux vues similaires qui ont adopté, ou qui pensent adopter, une approche visant à traiter la prostitution comme une forme d'exploitation sexuelle qui cible les personnes vulnérables, principalement des femmes et des jeunes filles, y compris celles qui sont désavantagées par certains facteurs socioéconomiques tels que leur jeune âge, la pauvreté, la toxicomanie ou encore les mauvais traitements qui leur ont été infligés.

Une telle approche vise à abolir la prostitution, qui est considérée comme une pratique sexiste néfaste. Cette approche fait de plus en plus l'unanimité à l'échelle internationale, et pas seulement dans les pays où elle a été mise en œuvre. Par exemple, le 20 mars 2014, au Royaume-Uni, un rapport parlementaire appuyé par tous les partis a recommandé la mise en œuvre d'une version de cette approche. Le Conseil de l'Europe et le Parlement européen ont tous les deux appuyé cette approche. Ce n'est pas seulement parce qu'elle atteint ses objectifs. C'est aussi parce qu'elle évite les répercussions négatives de la décriminalisation ou de la légalisation.

Les recherches révèlent que la décriminalisation et la légalisation mènent à la croissance de l'industrie du sexe. La demande augmente là où la prostitution a été décriminalisée ou légalisée, tout comme l'offre requise pour répondre à cette demande, et les populations vulnérables sont représentées de manière disproportionnée parmi les travailleurs du sexe. Résultat : les groupes vulnérables sont davantage exploités. Un fait important demeure : en facilitant la prostitution pour ceux qui prétendent avoir choisi librement de l'exercer, on augmente le nombre de personnes qui sont contraintes de s'y adonner. C'est ce qui se produirait au Canada si nous ne donnions pas suite à la décision Bedford.

Il ne faut pas non plus oublier que nous partageons une frontière avec l'un des pays les plus peuplés du monde, les États-Unis, où tous les aspects de la prostitution sont criminalisés, sauf dans un État. Si le Canada devait décriminaliser la prostitution, la demande de services sexuels ne viendrait pas seulement de notre pays. Il y aurait aussi une demande énorme en provenance des États-Unis.

Les recherches montrent également que la décriminalisation et la légalisation font augmenter la traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Il y a beaucoup de profits à réaliser en obligeant à se prostituer des personnes qui n'ont aucun pouvoir et qui sont souvent incapables de faire respecter leurs droits. Or, les gens sans scrupules sont prêts à tout pour maximiser leurs profits. Ils peuvent prétendre vouloir aider ou protéger ces personnes, mais il est dans leur intérêt d'encourager et même de contraindre à se prostituer celles qu'ils prétendent protéger. C'est notamment ce qui fait qu'on observe plus de comportements abusifs dans les régimes qui traitent le travail du sexe comme une profession légitime. Les exploiteurs peuvent se cacher derrière une apparence de légitimité. C'est pourquoi, dans le projet de loi C-36, nous nous sommes attaqués au problème de la sécurité soulevée dans la décision Bedford en permettant aux prostituées d'embaucher des tiers pour assurer leur protection. Cela dit, un tiers qui tire profit de l'exploitation d'une prostituée sera passible de poursuites criminelles.

Le projet de loi C-36 donne aux organismes d'application de la loi les outils dont ils ont besoin pour briser la relation d'exploitation entre prostituées et proxénètes.

Lorsqu'il a comparu devant le comité, Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, nous a dit que la police doit avoir l'autorité d'intervenir dans une situation d'exploitation afin de déterminer si quelqu'un est victime de traite et prendre les mesures qui s'imposent. Durant les discussions entre victimes de traite à des fins d'exploitation sexuelle organisées par la Fondation canadienne des femmes, l'une des participantes a dit ceci :

Si un agent de police était entré dans ma chambre d'hôtel pour me parler, me dire qu'il y avait moyen de s'en sortir et m'offrir de l'aide [...] Si un agent de police était en compagnie d'une femme qui a survécu à la traite, je leur ferais confiance et je m'en irais sans hésitation.

Son Honneur le Président intérimaire : Lorsqu'un sénateur a la parole, je vous prierais de ne pas traverser la ligne entre lui et le fauteuil.

La sénatrice Batters : Une autre a dit ceci :

Si la police interdisait aux hommes d'acheter des services sexuels, nous ne serions pas une proie aussi facile. Les hommes savent où sont les foyers collectifs et les centres d'achat, et ils savent repérer les filles vulnérables.

Quelles prostituées sont vulnérables? Les deux comités qui se sont penchés sur le projet de loi C-36 ont entendu des personnes affirmer qu'elles avaient choisi la prostitution comme métier et qu'on ne devrait pas les empêcher de gagner leur vie comme bon leur semble. Une minorité très bruyante de prostituées adoptent cette position à l'égard de la prostitution, mais c'est justement là où se situe le problème, honorables sénateurs : elles constituent une minorité bruyante. Le projet de loi est conçu dans le but de venir en aide aux personnes vulnérables, les prostituées et victimes de la traite qui n'ont aucune voix et aucune option.

La décriminalisation ou la légalisation n'améliorera pas la situation pour beaucoup de personnes qui travaillent dans le commerce du sexe ni pour les collectivités ou la société en général. La prostitution est souvent accompagnée d'autres activités criminelles malsaines et dangereuses. Il faut réfléchir à cela et à ce que cela signifie pour nos collectivités. La consommation de drogues, le crime organisé, la violence, toutes ces choses vont de pair avec la prostitution. Quel effet tout cela a-t-il sur notre société? De surcroît, quel message envoyons-nous aux jeunes si la société en vient à sanctionner ce genre d'activité?

Nous avons entendu des témoins au comité qui disent avoir été attirées vers le commerce du sexe, souvent alors qu'elles étaient mineures, par d'autres prostituées, par des amies ou par leurs petits amis, qui leur ont présenté le commerce du sexe comme une activité lucrative et intéressante.

Beaucoup de prostituées commencent à pratiquer ce métier à l'âge de 13 ou 14 ans.

(1510)

Honorables sénateurs, nous devons veiller à ce que les citoyens les plus jeunes et les plus vulnérables ne soient pas attirés vers la prostitution, et nous n'y arriverons pas si des activités de prostitution ont lieu presque dans leurs cours, près des endroits où ils jouent ou près des écoles. C'est pourquoi nous avons modifié la disposition du projet de loi qui a trait à la communication afin qu'elle s'applique uniquement à ceux qui vendent des services sexuels près d'un terrain de jeu, d'une garderie ou d'une école et c'est aussi pourquoi nous avons doublé les sanctions pour les clients qui achètent des services sexuels près de ces endroits parce que nous ne pouvons pas tolérer que ce genre de chose se passe devant nos enfants. Ce ne sont même pas les accessoires relatifs aux drogues qu'on retrouve autour des cours d'école ou des terrains de jeu qui nous préoccupent le plus, honorables sénateurs. Nous ne pouvons tout simplement pas risquer de perdre d'autres enfants au profit de cette industrie du sexe qui a des effets dévastateurs sur eux et qui les déshumanise.

L'honorable sénatrice Jaffer a affirmé que notre objectif, en tant que sénateurs, consiste en partie à protéger les droits des minorités et, par conséquent, que nous devrions protéger les droits de la minorité de prostituées qui choisissent de leur plein gré de pratiquer ce métier. Nous pourrions le faire, honorables sénateurs, mais à quel prix? Ces prostituées qui choisissent de leur plein gré d'exercer ce métier et qui n'ont jamais été forcées de le faire et qui n'ont jamais subi d'abus, ces prostituées qui choisissent la prostitution comme métier simplement parce que les horaires souples leur conviennent, notamment, comme l'a récemment déclaré Edward Herold devant notre comité, ces prostituées ne sont pas les personnes qui ont le plus besoin d'être protégées. Nous avons plutôt le devoir de protéger les membres les plus vulnérables de notre société, c'est-à-dire les enfants, les victimes d'abus, les personnes qui ne sont pas en mesure de choisir ou de se faire entendre. Nous sommes tous d'accord pour dire que les personnes qui se prostituent viennent très souvent de milieux marginalisés, et nous sommes tous d'accord pour dire que la prostitution est liée à des niveaux élevés de violence et de détresse. Toutefois, nous n'arrivons pas à nous entendre sur la façon dont la loi devrait intervenir pour régler ces problèmes graves. Pourquoi le projet de loi C-36 rejette-t-il la décriminalisation? Pourquoi traite-t-il la prostitution comme une forme d'exploitation sexuelle?

Les recherches sur les pays qui ont légalisé ou décriminalisé la prostitution fournissent une réponse à cette question. Comme je l'ai déjà mentionné, la décriminalisation est liée à une croissance de l'industrie du sexe et à des taux plus élevés de traite des personnes à des fins d'exploitation sexuelle. Elle engendre également une augmentation du nombre de personnes vulnérables entraînées dans la prostitution, une intensification des mauvais traitements infligés aux personnes vulnérables, une hausse des pratiques coercitives visant à attirer les personnes vulnérables et à les empêcher de quitter le milieu, et, en plus de tous ces comportements abusifs, une hausse de la traite des personnes.

Le projet de loi C-36 permettrait de prévenir les effets néfastes de la décriminalisation. Les personnes qui prétendent avoir choisi le commerce du sexe disent aussi ne pas avoir besoin des infractions relatives à la prostitution qui sont proposées dans le projet de loi. Selon elles, les infractions visant la traite des personnes, la séquestration, les agressions et les agressions sexuelles leur fournissent suffisamment de protection contre les mauvais traitements associés à la prostitution. Honorables sénateurs, c'est peut-être vrai pour les personnes qui décident de la vente de leurs services sexuels, mais qu'en est-il de celles qui n'ont pas le choix?

Certains ont fait valoir que nous ne devrions pas criminaliser les clients, ceux qui achètent des services sexuels, parce que la majorité d'entre eux sont de bons gars seuls qui sont incapables de trouver une partenaire parce qu'ils ont un handicap, parce qu'ils sont malchanceux, ou en raison de facteurs sociaux. Honorables sénateurs, je regrette, mais le seul fait qu'un homme éprouve des difficultés à trouver une partenaire sexuelle ne rend pas acceptable le fait d'acheter un autre être humain. À cet égard, l'ancienne prostituée Larissa Crack a dit : « Le droit d'un homme d'acheter des services sexuels s'arrête à mon droit de ne pas être exploitée. »

Les hommes n'ont pas le droit d'acheter des femmes, et il va de soi que l'inverse est également vrai. En tant que société, nous ne devrions pas permettre qu'un prix soit apposé sur un autre être humain, même si la personne semble d'accord. Compte tenu des inégalités trop fréquentes qui existent dans les transactions de prostitution — des aspects tels que la pauvreté, le désespoir, la dépendance, la violence et les mauvais traitements entrent en jeu —, nous ne pouvons pas accepter d'emblée que l'acte de prostitution est toujours pleinement consensuel. Je le répète, c'est peut-être le cas pour une petite minorité qui se livre au commerce du sexe, mais certainement pas pour la grande majorité des prostituées, que celles-ci travaillent dans la rue ou à l'intérieur. J'insiste sur ce point. Dans une large mesure, le débat entourant la décision Bedford repose sur la prémisse selon laquelle la prostitution qui se fait à l'intérieur est sûre. Honorables sénateurs, cette forme de prostitution est peut-être moins dangereuse, mais elle n'est pas sûre.

La Fondation canadienne des femmes a écrit :

La traite sexuelle est liée à la prostitution. Les femmes et les filles victimes de la traite sont souvent forcées à se prostituer dans certains lieux particuliers, comme les salons de massage, les agences d'escortes et les bars de danseuses, et les trafiquants font de la publicité pour leurs services sexuels dans certaines publications.

Entre celles qui choisissent la prostitution de plein gré et celles qui l'exercent par désespoir ou parce qu'elles y sont forcées, la distinction est largement théorique. En réalité, les prostituées, qu'elles soient victimes ou non de la traite des personnes, sont majoritairement vendues aux mêmes endroits et aux mêmes clients. Étant donné l'essence même de ce commerce, je doute qu'on puisse s'attendre à ce que les clients se soucient grandement du fait qu'une prostituée soit une victime ou non de la traite de personnes. On échange de l'argent pour une rencontre intime qui est en réalité totalement dénuée d'intimité. Les clients n'ont pas à s'intéresser outre mesure au passé de la prostituée, sa vie, ses motivations ou même au fait qu'elle consente réellement à la transaction. S'il est vrai que des clients — une minorité — développent une forme de relation avec les prostituées dont ils achètent les services, il ne faut pas oublier que, s'il s'agissait d'une véritable relation, aucun échange d'argent ne serait nécessaire pour qu'elle se poursuive. Peu importe qu'un client soit gentil, la loi s'applique quand même. Comme une ancienne prostituée l'a dit durant son témoignage devant notre comité : « [Voici] la façon dont on peut réellement veiller à la sécurité des travailleuses du sexe : nous ne permettons pas aux hommes de les acheter. »

Le projet de loi C-36 rejette la décriminalisation et interdit la prostitution pour de nombreuses raisons. Il y a tout simplement trop de risques liés à ce commerce. Une industrie du sexe prospère entraîne toute sorte de conséquences : une hausse du nombre de personnes qui vendent leurs services sexuels parce qu'elles n'ont pas d'autres options véritables ou parce qu'elles y sont forcées; une augmentation correspondante de la violence et des traumatismes liés au fait d'être forcé de se prostituer; une augmentation du crime organisé, comme le trafic de drogue et la traite de personnes; et, enfin, la normalisation d'une pratique sexiste qui menace l'égalité des droits des groupes vulnérables qui risquent fort d'être forcés à se prostituer.

D'après les témoignages entendus par le comité, nous savons qu'on choisit rarement de s'adonner à la prostitution. Dans bien des cas, on y est contraint par des individus qui profitent de ce commerce, ou on s'y prête faute d'autres options. Est-ce à dire que la loi devrait protéger les prostituées seulement lorsqu'elles sont victimes d'un crime violent? Comment faire en sorte que celles-ci aient des moyens suffisants pour signaler de mauvais traitements? Comment faire pour qu'elles puissent signaler de tels abus lorsque ceux-ci se produisent? La crainte de représailles de la part de l'exploiteur réduit trop souvent les personnes exploitées au silence. Celles-ci ont peur, et avec raison. Les exploiteurs ont évidemment tout intérêt à garder les personnes vulnérables dans le milieu de la prostitution et plusieurs d'entre eux ont recours à d'horribles traitements pour arriver à leurs fins. Comment enrayer cet engrenage?

La réponse est simple. On met un frein à la prostitution en ciblant ceux qui créent une demande et ceux qui profitent des fruits de ce commerce. C'est ce que propose le projet de loi C-36. Il favorise les prostituées qui n'ont pas choisi ce métier. La prostitution cible les plus vulnérables, tandis que le projet de loi C-36 vise ceux qui tirent profit de l'exploitation sexuelle, c'est-à-dire les clients qui achètent des services sexuels et les prédateurs qui profitent de la vente de ces services. Cette mesure législative protège les prostituées qui sont exploitées en leur permettant d'embaucher des personnes pour les protéger et de travailler à un endroit fixe, tout en les exemptant dans une large mesure de faire l'objet de poursuites criminelles. Le projet de loi C-36 prévoit un budget de 20 millions de dollars pour aider les prostituées à quitter l'industrie du sexe.

En outre, le projet de loi C-36 donne aussi aux forces de l'ordre les outils nécessaires pour intervenir avant qu'une de ces personnes vulnérables ne soit agressée, violée, séquestrée ou ne devienne victime de la traite de personnes, ainsi que pour prévenir un crime grave associé à la prostitution.

Enfin, le changement de paradigme qui caractérise le projet de loi C-36 protège nos collectivités, et en particulier nos enfants. Il s'oppose à la normalisation d'une pratique qui vise à attirer principalement les jeunes et les plus vulnérables dans la terrible industrie de l'exploitation sexuelle.

Le projet de loi C-36 envoie un message fort, à savoir que nous avons tous droit à la dignité, à l'égalité et au respect. La loi ne devrait pas permettre aux puissants de ce monde d'user et d'abuser de ceux qui le sont moins. Le corps humain ne devrait pas être une marchandise pouvant être achetée et vendue.

Honorables sénateurs, je vous demande de vous joindre à moi pour défendre le droit à l'égalité, pour défendre nos collectivités et, surtout, pour protéger les plus vulnérables. Joignez-vous à moi pour appuyer le projet de loi C-36.

Des voix : Bravo!

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, j'ai une question. J'ai écouté attentivement le discours de la sénatrice Batters et j'aimerais qu'elle clarifie ses propos. J'ai cru comprendre qu'elle faisait une distinction entre « acheter des femmes » et « acheter des services ». Dans le cadre de ses explications, je me demande si elle pourrait me fournir une définition du terme « service sexuel » et me dire qui sont les personnes qui offrent des services sexuels.

(1520)

La sénatrice Batters : Bien entendu, cela ne s'applique pas uniquement aux femmes. Si j'ai parlé des femmes, c'est parce que ce sont d'abord et avant tout les femmes qui vendent des services sexuels et que ce sont d'abord et avant tout les hommes qui achètent des services sexuels offerts par les femmes. Pour ce qui est de la définition, je pense qu'il n'y en a pas.

La sénatrice Cools : Je veux savoir comment la loi définit le terme « services sexuels ».

La sénatrice Batters : Je ne sais pas si une telle définition existe dans cette loi en particulier, mais si la sénatrice le désire, je peux lui fournir une réponse ultérieurement.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Si vous me le permettez, sénatrice Batters, j'ai moi aussi une question. Est-ce que je peux vous la poser?

La sénatrice Batters : Oui.

La sénatrice Jaffer : Sénatrice Batters, je respecte énormément le travail que vous avez accompli en ce qui concerne ce projet de loi, et je suis fermement convaincue que vous croyez tout ce que vous avez dit. Par contre, une chose m'inquiète — et vous savez que nous nous entendons toutes les deux sur presque tout, sauf sur cet aspect. Ne pensez-vous pas que les travailleuses du sexe devraient avoir des droits? Ne pensez-vous pas qu'elles devraient avoir le droit d'être protégées au même titre que toutes les autres femmes au Canada?

La sénatrice Batters : Je crois que c'est en grande partie pour cette raison que le projet de loi C-36 tente par tous les moyens d'aborder l'ensemble des préoccupations soulevées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bedford, de façon à offrir diverses formes de protection aux femmes et aux personnes qui travaillent dans l'industrie de la prostitution. À mon avis, telle est la situation.

Si, après avoir lu l'arrêt Bedford, je n'avais pas eu l'assurance que le projet de loi y apportait une réponse, je n'y serais pas aussi favorable.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, j'interviens moi aussi à propos du projet de loi C-36. Dans mon discours à l'étape de la deuxième lecture, j'ai relevé les éléments du projet de loi qui me préoccupent le plus. Je vous ai rappelé que le projet de loi ne porte pas sur la traite des personnes ni sur la prostitution juvénile. Il vise plutôt à proposer un moyen de protéger les personnes qui choisissent de travailler dans l'industrie du sexe. Or, dans sa forme actuelle, il n'apportera aucune sécurité aux travailleurs du sexe adultes et consentants.

Tout comme vous, honorables sénateurs, j'ai eu bien des échos de partisans et de détracteurs du projet de loi. Une lettre m'a particulièrement marquée, celle de Taryn Onody, qui compte parmi les femmes que vise le projet de loi. Pour éviter toute confusion, elle m'a raconté son histoire et elle a eu la bonté et la générosité de m'autoriser à vous la raconter à mon tour. Je ne vous citerai qu'un extrait de sa lettre.

J'avais 21 ans lorsque je suis entrée dans l'industrie du divertissement pour adultes. J'ai grandi en banlieue de Toronto. Je suis catholique et pratiquante. Mes parents appartiennent à la classe moyenne aisée. Mes frères et sœurs travaillent et paient leurs impôts.

Je viens d'une famille merveilleuse. Mes parents sont exceptionnels et m'ont très bien élevée. J'étais une élève surdouée, avec d'excellentes notes. Je détiens d'ailleurs plusieurs diplômes d'études postsecondaires. Je suis la fille d'à côté.

Je me suis intéressée à l'industrie du sexe parce que, après cinq ans, j'étais lasse du travail de bureau. Je m'ennuyais. J'avais l'impression d'être dans une impasse. J'avais envie de mener une vie plus enrichissante. J'ai repéré la petite annonce d'un salon de massage. C'est une employée du salon qui m'a fait passer l'entrevue. Elle était très gentille. C'était une fille ordinaire, comme moi. J'ai travaillé pour cette entreprise pendant six ans.

Je continue de citer Taryn :

[Français]

Compte tenu de la position que j'ai occupée dans l'industrie du divertissement pour adulte, j'ai eu de nombreuses expériences. Choquant. Mais cela n'a rien à voir avec la façon dont c'est dépeint dans le projet de loi C-36.

J'ai travaillé avec un groupe de femmes très ambitieuses. Ces femmes m'ont enseigné à travailler fort. Elles m'ont montré les ficelles du métier, m'ont appris à devenir plus forte et plus habile ainsi qu'à épargner mon argent. J'ai eu la chance de collaborer avec des femmes qui s'entraidaient, qui travaillaient en équipe et donnaient des exemples fantastiques des avantages que pouvait procurer le revenu tiré d'une telle entreprise.

[Traduction]

Je suis une citoyenne respectueuse de la loi et je suis l'exemple parfait de la réussite dans l'industrie du divertissement pour adulte. Il peut s'agir d'un tremplin pour atteindre ses rêves, du simple plaisir de la chair ou d'un choix de vie, mais, quoi qu'il en soit, je crois fermement que le gouvernement canadien pourrait entrer dans l'histoire en adoptant une approche novatrice.

Taryn a par la suite décrit une situation hypothétique :

[Français]

Si j'avais une fille et qu'elle voulait travailler dans l'industrie du divertissement pour adulte, je voudrais qu'elle soit heureuse, qu'elle réussisse, garde la santé, travaille de manière sécuritaire et soit protégée. Je voudrais la même chose si ma fille voulait devenir infirmière, enseignante ou électricienne. Je voudrais savoir où elle travaille et si ce qu'elle fait est légal, autorisé ou normal. Je voudrais aussi que sa santé et sa sécurité passent en premier et que son patron soit gentil et accommodant. Un peu de compréhension fait beaucoup de bien aux travailleurs de l'industrie du sexe. Je voudrais qu'il y ait du personnel ou des mesures de sécurité là où elle travaille.

[Traduction]

Je voudrais que ses clients soient gentils, généreux, serviables, respectueux et en santé. Imaginez si nous pouvions faire des recherches poussées sur nos clients. On pourrait ainsi changer la vie de centaines de prostituées. Si nous souhaitons créer un bassin de clients sûrs, il est crucial que nous puissions partager rapidement des renseignements sur tout problème que nous rencontrons; même les renseignements sur les bons clients sont les bienvenus.

La criminalisation de tous les clients est tout à fait injuste, biaisée, moralisatrice et inconstitutionnelle. Je voudrais que ma fille ait accès à des soins de santé adaptés aux travailleuses du sexe. Il faudrait créer des cliniques bien financées qui disposent des ressources nécessaires pour offrir d'excellents soins de santé et de la formation sur les pratiques sexuelles sans risque.

[Français]

Je voudrais qu'elle ait accès à de l'aide juridique en cas de besoin, ainsi qu'à des services de police entièrement disponibles pour les fois où elle se sentirait menacée ou ciblée. Je voudrais que ma fille ait une situation financière solide, qu'elle soit responsable et à l'abri du besoin; autant de choses raisonnables que souhaite n'importe quel parent, n'est-ce pas?

[Traduction]

Je ne voudrais pas que ma fille soit stigmatisée. Voilà le plus gros problème de l'industrie du sexe : les préjugés. Tout Canadien devrait être puni pour s'être livré à des actes de violence, à la traite des personnes, au viol ou au vol, et ce, peu importe que ce crime ait été perpétré dans un bar d'effeuilleuses ou dans une boîte de nuit.

[Français]

Taryn suggère ensuite :

Pourquoi ne pas inventer un nouveau système, un système canadien? Le pays le plus connu au monde pour sa tolérance et sa diversité pourrait concevoir une approche fonctionnelle, libre de tout jugement. Pourquoi pas?

[Traduction]

Peut-être que votre fille ne choisirait jamais d'être une prostituée, mais peut-être aussi qu'elle en est déjà une. En fait, vous ne le sauriez jamais. Elle vous le cacherait à tout prix de peur d'être stigmatisée. Ce projet de loi touche bien plus de gens que vous et moi pouvons l'imaginer.

Cette partie de l'histoire de Taryn m'a vraiment frappée. Elle a conclu ses propos en disant ceci :

Nous sommes tous les filles ou les fils de quelqu'un. Nous méritons tous de jouir de droits, de la liberté et de la sécurité.

Honorables sénateurs, je vous ai lu l'histoire de Taryn, et je ne serais pas sincère si je vous disais que je partage entièrement son avis. Mon expérience est différente, et j'ai suivi un autre chemin. Pourtant, comme je vous l'ai indiqué à plusieurs reprises au Sénat, je crois qu'il ne nous revient pas de décider des droits que nous protégerons. Le Sénat est la Chambre de second examen objectif, une Chambre qui a été conçue précisément pour protéger les droits des minorités.

(1530)

Je ne crois pas que nous ayons le droit de dire que nous allons protéger les droits des gens qui nous ressemblent, qui partagent nos valeurs, qui pensent comme nous et qui font partie du même groupe que nous. En tant que sénateurs, nous devons aller plus loin. Nous devons protéger les droits de tous les Canadiens.

Honorables sénateurs, nous savons qu'il ne s'agit pas d'un projet de loi sur la traite des personnes. Il ne faut pas prendre ce projet de loi comme une mesure sur la traite des personnes. Il y a déjà deux projets de loi sur la traite des personnes au pays, et, la semaine dernière, nous avons débattu d'un autre projet de loi sur cette question. Celui-ci ne porte pas sur la traite des personnes, mais sur la prostitution. Lorsqu'on mêle les questions de la traite des personnes, de l'exploitation, de la prostitution et des droits des travailleuses du sexe, on brouille les cartes.

J'aimerais vous parler de l'analyse très pertinente réalisée par Leo Russomanno, un criminaliste du cabinet Webber Schroeder Goldstein Abergel, situé à Ottawa, qui a comparu devant nous lors de l'étude préalable de ce projet de loi. Je cite ce qu'il dit et ce qu'il m'a écrit au sujet de la constitutionnalité de ce projet de loi :

Le projet de loi C-36 est censé protéger les plus vulnérables tout en respectant la Charte des droits et libertés. Or, il n'atteint aucun de ces objectifs. Les objectifs cités dans le préambule sont presque entièrement contraires aux résultats que le projet de loi devrait produire en réalité. C'est comme si le gouvernement n'arrivait pas à saisir l'importance des conclusions établies par la Cour suprême dans l'affaire Bedford.

La Cour suprême a déclaré inconstitutionnelles les trois anciennes dispositions sur la prostitution. Il est important de souligner que, pendant le processus, la cour a reçu énormément de témoignages qui démontraient de façon catégorique que les travailleuses du sexe qui s'adonnent à la prostitution dans la rue étaient beaucoup plus susceptibles de subir des blessures physiques que celles qui travaillent à l'intérieur. Les travailleuses du sexe étaient également plus vulnérables si elles ne choisissaient pas leurs clients, que ce soit en communiquant avec le client potentiel directement ou par l'entremise d'un réceptionniste. Logiquement, les travailleuses du sexe qui pouvaient se permettre d'engager un garde du corps et un chauffeur étaient moins susceptibles de subir des blessures physiques. Par conséquent, en se fondant sur les éléments de preuve, la Cour suprême du Canada a déterminé que les dispositions contestées privaient effectivement les travailleuses du sexe du droit à la sécurité de la personne. Finalement, la cour a établi que les privations allaient à l'encontre des principes de justice fondamentale.

L'expression « principes de justice fondamentale » vient de l'article 7 de la Charte, qui est abondamment cité dans la jurisprudence. Lorsqu'on analyse une situation en vertu de l'article 7, il faut d'abord déterminer s'il y a atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Si c'est le cas, il faut ensuite voir si cette atteinte contrevient à un principe de justice fondamentale.

[Français]

Dans l'affaire Bedford, la Cour suprême a analysé trois principes qui ont été établis dans la jurisprudence et qui sont l'action arbitraire, la portée excessive et la disproportion abusive. Chacun de ces principes tente de mettre en parallèle l'objectif législatif de la disposition du Code criminel et les effets de l'interdiction.

[Traduction]

On constate un fossé entre les objectifs du projet de loi C-36 et ses conséquences probables. Selon le préambule, le projet de loi C-36 vise à protéger les travailleurs du sexe de « l'exploitation inhérente à la prostitution » et des « dommages sociaux causés par la chosification du corps humain et la marchandisation des activités sexuelles »; il vise aussi à « protéger la dignité humaine et l'égalité de tous les Canadiens et Canadiennes en décourageant cette pratique ».

Honorables sénateurs, cette mesure criminalise la demande de services sexuels dans l'espoir d'éliminer la prostitution. Elle se concentre sur la demande dans le but de protéger les travailleurs du sexe. Cette logique ne tient toutefois pas la route. En effet, pour éviter la criminalisation de leurs clients, les travailleurs du sexe éviteront de travailler à l'intérieur, dans des locaux fixes; ils courront donc davantage de risques.

[Français]

Les dispositions concernant la communication posent un problème semblable, mais encore plus manifeste. L'insistance du gouvernement à l'égard de la criminalisation de la communication ne tient absolument pas compte de la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Bedford et va à l'encontre de l'ensemble volumineux de preuves indiquant que les travailleurs du sexe communiquent en public pour gérer le risque d'atteinte à leur intégrité physique.

[Traduction]

Le projet de loi C-36 criminalise les transactions concernant l'offre de services sexuels, tout en plaçant le vendeur à l'abri des poursuites. Cette stratégie asymétrique comporte une faille fondamentale, puisqu'elle décourage les acheteurs de services sexuels de se rendre dans des locaux sûrs où ils risqueraient d'être arrêtés. Pour se protéger, les acheteurs préféreront naturellement aller dans un endroit inconnu et isolé.

Le projet de loi, tout comme les dispositions législatives qu'il tente de modifier, aggravera les risques pour les travailleurs du sexe en forçant ces derniers à aller là où est l'argent et loin de l'attention policière, c'est-à-dire dans les coins sombres de la société, à l'abri des regards.

[Français]

Étant donné les deux principaux changements visés par le projet de loi C-36, soit la criminalisation des transactions sexuelles et des objectifs législatifs plus ambitieux, la décision récente de la Cour suprême dans l'affaire Insite peut être éclairante.

La décision en question laisse entendre qu'une loi peut être arbitraire et contrevenir à l'article 7 lorsqu'elle n'a aucun lien ou lorsqu'elle est incompatible avec l'objectif qu'elle vise.

[Traduction]

Dans l'affaire Insite, la cour a reçu des éléments de preuve solides laissant entendre que le centre d'injection supervisée de Vancouver protégeait les toxicomanes, accomplissant les objectifs mêmes de la loi contestée. On pourrait en dire autant du projet de loi C-36. Celui-ci vise à protéger les travailleurs du sexe des risques de violence et à les encourager à signaler les cas de violence.

[Français]

En plongeant les travailleurs du sexe dans l'ombre et en les empêchant de prendre des mesures pour se protéger, cette loi aura précisément l'effet inverse à celui qui est recherché. Alors que le projet de loi C-36 est censé faire diminuer le mercantilisme et la commercialisation des services sexuels, il ne tient nullement compte du fait que la dure réalité de la prostitution est un aspect de la société qu'on ne peut faire disparaître facilement.

[Traduction]

Il serait naïf de la part du Parlement de présumer que le recours à l'utilisation brutale du droit pénal provoquera l'éradication du travail du sexe. Alors que faire si nous ne pouvons nous fier à cet objectif ambitieux? La Cour suprême indique clairement dans l'arrêt Bedford que l'intervention du législateur ne doit pas contribuer au préjudice.

[Français]

Nous devons alors nous demander si cette mesure législative permet d'accroître la sécurité des personnes à risque, de celles mêmes qu'elle prétend protéger. Si tel est le cas, il est probable que cette mesure législative soit inconstitutionnelle, en ce sens qu'elle continue de maintenir de façon arbitraire et disproportionnée les préjudices auxquels s'exposent les travailleurs du sexe.

[Traduction]

Le gouvernement choisit le couperet plutôt que le scalpel et néglige complètement les recommandations de la Cour suprême. Les propos de M. Russomanno ont été corroborés par le professeur Edward Herold, de l'Université de Guelph, qui, dans le mémoire qu'il a soumis la semaine dernière, déclare :

Il est important de noter que chacun des groupes [...] est d'accord avec l'idée selon laquelle des lois criminelles sont nécessaires pour contrer la prostitution forcée, notamment la traite de personnes et la prostitution juvénile. Toutefois, il existe des désaccords inconciliables relativement à la question de la prostitution adulte.

Il poursuit en étayant cette affirmation par l'opinion des Canadiens. Dans le cadre d'un examen approfondi réalisé en 2012, John Lowman et Christine Louie en sont arrivés à la conclusion que les récents sondages d'opinion au Canada n'appuient pas les points de vue du ministre de la Justice concernant le projet de loi C-36.

(1540)

Même si la plupart des gens croient qu'il faut bannir les prostitués des rues et si 96 p. 100 estiment que l'achat de services sexuels d'une personne âgée de moins de 18 ans devrait être illégal, la plupart des Canadiens ne croient pas qu'il faille rendre illégale la prostitution consensuelle entre adultes.

Honorables sénateurs, je vous exhorte à bien y réfléchir. Nous devrions à tout le moins prêter attention à la vaste majorité des témoins qui ont comparu au cours des délibérations du Comité de la justice de la Chambre des communes, pendant l'étude de préalable du Sénat et pendant les séances que le comité a tenues la semaine dernière. Tous, qu'ils appuient le projet de loi ou non, estiment qu'il faut supprimer toute disposition qui criminalise le travailleur du sexe.

Honorables sénateurs, nous avons tous nos idées préconçues et nos systèmes de valeurs personnels, et nous devons tenir compte des droits de tous les citoyens. J'ai appris, en passant du temps avec des travailleuses du sexe au cours de l'été, que, lorsqu'il s'agit de nos droits fondamentaux, nous devons faire abstraction de nos différents systèmes de valeurs et garantir les droits de tous les Canadiens.

J'ai pris cette question au sérieux, peut-être trop. Pour nous, tous les projets de loi sont sérieux, mais j'ai travaillé toute ma vie dans ce dossier. Comme je vous l'ai dit la semaine dernière, je suis allée à Calcutta pour étudier la question du trafic. Pendant que j'étais là-bas, j'ai rencontré des groupes confessionnels venus de l'Australie, du Canada et de la Nouvelle-Zélande qui étaient là pour aider des femmes à sortir de la prostitution. Ils consacrent beaucoup de temps à cet objectif. La première chose qu'ils font, et cela m'a beaucoup impressionnée, c'est de nourrir les enfants. Deuxièmement, ils offrent de bons services de garderie aux enfants de ces femmes. Troisièmement, ils procurent de bons logements aux femmes. Quatrièmement, ils aident les femmes à acquérir un métier. Dans ce cas particulier, ils leur enseignaient à coudre et les faisaient travailler dans des usines. Les femmes commençaient alors à gagner convenablement leur vie.

J'ai écouté le ministre et je peux dire honnêtement que je le crois sincère dans sa volonté d'éradiquer la prostitution. Il n'y a personne ici qui soit en désaccord avec lui. Cependant, comme pour toute chose en ce monde, les vœux ne suffisent pas pour faire disparaître les problèmes. Le ministre a déclaré qu'il consacrerait 4 millions de dollars par année à la lutte contre la prostitution.

Honnêtement, il n'est pas sérieux de prétendre éradiquer la prostitution et de prévoir 4 millions de dollars par année pour le faire. Ce n'est pas moi qui le dis : lorsqu'il a comparu devant le comité sénatorial, le ministre de la Justice du Manitoba a soutenu que 4 millions de dollars ne suffisaient pas. Il appuie le projet de loi, pour l'essentiel, mais il estime que 4 millions de dollars ne suffisent pas. À lui seul, le Manitoba dépense 8 millions de dollars par année pour lutter contre la prostitution. Le ministre a ajouté que, si les 4 millions de dollars étaient répartis au prorata de la population au Canada, le Manitoba ne recevrait que 200 000 $.

Honorables sénateurs, je l'ai dit la semaine dernière et je le répète : si nous voulons vraiment nous attaquer à un problème, il ne suffit pas de légiférer. Nous devons débloquer des ressources. Le ministre de la Justice prétend vouloir éradiquer la prostitution. Je souhaite la même chose. Tous ceux qui sont ici présents partagent cet avis. Aux termes du projet de loi à l'étude, le travail du sexe peut continuer. Dans ce cas, honorables sénateurs, je crois honnêtement que nous devons protéger les travailleurs du sexe. Lorsqu'il s'agit d'adultes consentants qui participent à ces activités, nous devons les protéger.

Même lorsque nous éradiquerons le trafic, objectif auquel je suis fermement attachée, il y aura toujours des adultes consentants qui se livreront à des actes sexuels contre rémunération. Nous avons le devoir de protéger tous les citoyens. Si nous voulons vraiment le faire, nous devons faire disparaître toute forme de criminalisation des travailleurs du sexe. Il y a bien des améliorations à apporter au projet de loi, mais il s'agit là de sa plus grave faiblesse, et il faut y remédier avant que nos concitoyens n'en souffrent. Nous ne pouvons pas continuer à criminaliser les travailleurs du sexe.

C'est pourquoi, honorables sénateurs, j'aimerais proposer un amendement très simple, à savoir la suppression complète de l'article 213 du projet de loi C-36. Comme on l'a dit la semaine dernière, cet article, qui se fonde sur la décision rendue dans la cause Bedford, ne tiendra pas la route, et d'ici à ce qu'il fasse de nouveau l'objet d'une contestation devant les tribunaux, il va assujettir un trop grand nombre de personnes aux effets préjudiciables de la mesure législative. C'est ma principale préoccupation à l'égard du projet de loi, et un grand nombre de personnes partagent cette préoccupation.

Tant des personnes qui appuient le projet de loi que d'autres qui s'y opposent ont fait allusion à cet article et ont dit que celui-ci devrait à tout le moins être modifié et, idéalement, supprimé. Les travailleurs du sexe ne doivent jamais être passibles d'accusations criminelles si nous voulons les protéger adéquatement.

Honorables sénateurs, nous avons la responsabilité de protéger ces personnes, comme l'arrêt Bedford l'a manifestement fait valoir. Les hommes et les femmes qui choisissent d'être des travailleurs du sexe ont été très clairs : criminaliser la vente de services sexuels dans quelque circonstance que ce soit ferait plus de tort que de bien. Si le ministre veut vraiment protéger ces femmes, il va supprimer cet article.

[Français]

Le ministre de la Justice a lui-même reconnu que le gouvernement a pour responsabilité d'assurer la sécurité de ceux qui choisissent de rester dans l'industrie du sexe. La criminalisation des travailleurs du sexe, quelles que soient les circonstances de la transaction, nous empêchera de nous acquitter de notre responsabilité à l'égard de la population canadienne.

[Traduction]

Honorables sénateurs, faisons ce pour quoi nous avons été envoyés à Ottawa. Je vous encourage à faire comme moi et à ouvrir vos horizons, à assouplir vos restrictions morales et à oublier vos préjugés personnels. Nous devons protéger chacun des Canadiens que nous représentons. Je vous demande de bien vouloir modifier ce projet de loi.

Motion d'amendement

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-36 ne soit pas lu pour la troisième fois maintenant, mais qu'il soit modifié

a) à la page 7,

(i) à l'article 14, par suppression des lignes 11 et 12 et de l'intertitre précédant la ligne 13,

(ii) à l'article 15, par substitution, aux lignes 16 à 35, de ce qui suit :

« 15. L'article 213 de la même loi et l'intertitre le précédant sont abrogés. »;

b) à la page 8,

(i) à l'article 15, par suppression des lignes 1 à 3,

(ii) à l'article 17, par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« a) par suppression de « 212, 213 »; »;

c) à la page 14, à l'article 22, par substitution, à la ligne 38, de ce qui suit :

« a) par suppression de « 212, 213 »; ».

Son Honneur le Président intérimaire : Un exemplaire de l'amendement sera remis aux interprètes, après quoi nous pourrons poursuivre.

(1550)

J'ai interrompu la sénatrice Batters parce que je pensais que c'était un moment opportun pour revoir le Règlement du Sénat. Je veux que tout le monde comprenne que je suis ici pour qu'il soit respecté. Il y a une règle très simple : il est interdit de passer entre le fauteuil et le sénateur qui a la parole. C'est arrivé beaucoup trop souvent, et je crois qu'il convenait de rappeler à tout le monde que cette règle doit être respectée.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président intérimaire : Merci beaucoup.

[Français]

Alors, je vais reprendre la lecture de l'amendement.

L'honorable sénatrice Jaffer propose, avec l'appui de l'honorable sénateur Smith :

Que le projet de loi C-36 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à la page 7 :

(i) à l'article 14, par suppression des lignes 14 et 15 et de l'intertitre précédant la ligne 16,

(ii) à l'article 15, par substitution, aux lignes 16 à 35, de ce qui suit :

« 15. L'article 213 de la même loi et l'intertitre le précédant sont abrogés. »;

b) à la page 8 :

(i) à l'article 15, par suppression des lignes 1 à 3,

(ii) à l'article 17, par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :

« a) par suppression de « 212, 213, »; »;

c) à la page 14, à l'article 22, par substitution, à la ligne 38, de ce qui suit :

« a) par suppression de « 212, 213, »; ».

Y a-t-il débat sur la proposition à l'amendement?

[Traduction]

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Votre Honneur, je vous remercie de nous avoir rappelé la règle voulant qu'aucun d'entre nous ne doive passer entre le fauteuil et le sénateur qui a la parole.

J'aimerais en citer une autre : « Lorsque le Président se lève, les autres sénateurs se tiennent assis. »

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président intérimaire : Sénatrice Fraser, je vous remercie de nous rappeler un autre aspect intéressant de notre Règlement. Merci, chers collègues. J'espère que tout le monde en prendra bonne note.

L'honorable George Baker : Honorables sénateurs, j'aimerais seulement dire quelques mots.

Tout d'abord, je dois mentionner que la sénatrice Batters a fait pour le gouvernement un excellent travail en ce qui a trait à ce projet de loi. De plus, le sénateur Runciman, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, mérite des félicitations pour l'étude très approfondie qu'il a chapeautée lorsque le Sénat a été saisi de ce projet de loi.

Toutefois, pour mettre en contexte l'adoption de ce projet de loi à la Chambre des communes, je précise que c'est un projet de loi ministériel en réponse à une décision de la Cour suprême du Canada dans une affaire de constitutionnalité. C'est une mesure législative importante.

Les amendements proposés par la sénatrice Jaffer ne portent que sur une chose, mais ils ont des répercussions importantes dans tout le projet de loi et dans la loi. Parmi tous les témoins qui ont comparu devant le comité sénatorial dont je me souviens — et il doit y avoir eu 60 personnes, groupes, et cetera — pas un seul n'a demandé le maintien de l'article 213 que la sénatrice Jaffer souhaite amender. En d'autres termes, les témoins étaient unanimes. Je dois également mentionner que la grande majorité des témoins étaient en faveur du projet de loi, mais souhaitaient que cet article en soit retiré.

Permettez-moi de décrire très brièvement la situation à laquelle nous étions confrontés au comité. Le gouvernement a présenté un projet de loi qui donne suite à chaque critique de la Cour suprême du Canada. Ce projet de loi permet à une personne qui offre ses services sexuels d'être à l'abri de toute poursuite pour un grand nombre de choses. Je vais vous en donner quelques exemples. Comme le ministre l'a déclaré au comité, le projet de loi permettra dorénavant à une personne d'offrir ses services à son domicile ou dans un appartement. Elle pourra alors embaucher un chauffeur et un réceptionniste et faire de la publicité.

Lorsque vous lisez le projet de loi, ces possibilités sont données à l'article 286.5, qui dit ceci :

286.5 (1) Nul ne peut être poursuivi :

a) pour une infraction à l'article 286.2 si l'avantage matériel reçu provient de la prestation de ses propres services sexuels;

b) pour une infraction à l'article 286.4 en ce qui touche la publicité de ses propres services sexuels.

(2) Nul ne peut être poursuivi pour avoir aidé ou encouragé une personne à perpétrer une infraction aux articles 286.1 à 286.4, avoir conseillé d'y participer ou en être complice après le fait ou avoir tenté de perpétrer une telle infraction ou comploté à cette fin, si l'infraction est rattachée à l'offre ou à la prestation de ses propres services sexuels.

Le gouvernement a tenté de donner suite à chacune des objections de la Cour suprême du Canada, mais ce qui est déroutant dans cette mesure législative — et ce n'est rien de nouveau —, c'est que, plus loin, le projet de loi interdit la publicité. La personne qui annonce des services sexuels sera poursuivie en justice. La personne qui fait la promotion de ces services ou qui aide à les offrir sera également poursuivie.

(1600)

Il y a donc matière à confusion dans le projet de loi, si bien que le simple citoyen serait porté à dire : « Écoutez, que vous rendiez la prostitution illégale ou que vous l'autorisiez, allez jusqu'au bout dans vos décisions. » Le projet de loi crée cette confusion.

La personne qui est intervenue avant moi a parlé de la constitutionnalité de la disposition. Le gouvernement a été très prudent dans ce cas-ci, car il a ajouté un préambule au projet de loi. En droit pénal, les préambules sont très rares.

Je me souviens du préambule de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je vois que le Président hoche la tête. La Cour suprême du Canada, au moment d'évaluer la constitutionnalité de cette mesure, a indiqué qu'elle tiendrait compte de trois éléments : le préambule, la teneur du projet de loi et les discours prononcés.

Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises au Sénat, parce que je lis des décisions judiciaires chaque jour, les délibérations du Sénat sont citées quatre fois plus souvent que celles de la Chambre des communes dans les jugements des tribunaux canadiens. Quant à savoir pourquoi, ce projet de loi est un très bon exemple. Je suppose que c'est à la fin du processus législatif, mais le gouvernement exprime ses intentions législatives dans ses discours. La sénatrice Batters les a bien expliquées. Le ministre l'a également bien expliqué devant le comité. Quelle était la différence entre ce que le ministre a dit à la Chambre des communes, ce qu'il a dit au comité de la Chambre des communes et ce qu'il a dit au comité du Sénat? Une énorme différence. Le ministre a déclaré que, pour la première fois dans l'histoire du Canada, la prostitution sera illégale aux termes de ce projet de loi. Ce n'est pas ce qu'il a dit à la Chambre des communes, mais telle était sa déclaration.

Si la Cour suprême du Canada devait se pencher sur ce nouveau projet de loi comme elle s'est déjà penchée sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, la première loi qui commençait par un préambule, elle tiendrait compte de son préambule, qui, comme la sénatrice Batters l'a souligné, et comme le ministre l'a fait au comité, est très clair. En voici quelques passages :

Attendu :

que le Parlement du Canada a de graves préoccupations concernant l'exploitation inhérente à la prostitution et les risques de violence auxquels s'exposent les personnes qui se livrent à cette pratique; [...]

qu'il importe de dénoncer et d'interdire l'achat de services sexuels parce qu'il contribue à créer une demande de prostitution;

qu'il importe de continuer à dénoncer et à interdire le proxénétisme [...]

Et ainsi de suite. Le préambule est donc très clair. La personne offrant des services sexuels est considérée comme une victime. La Cour suprême du Canada tiendrait compte de ce préambule. L'intention du Parlement y est assez claire.

La Cour suprême du Canada se pencherait ensuite sur la teneur du projet de loi, comme l'avocat, M. Russomanno, qui vient d'être cité, l'a dit au comité. Les dispositions du projet de loi prêtent un peu à confusion parce que, d'une part, la personne offrant les services sexuels est à l'abri de toute poursuite judiciaire. Elle serait à l'abri des poursuites judiciaires même si elle avait reçu des avantages matériels des services offerts ou en avait fait la promotion ou la publicité.

D'autre part, lorsqu'on passe à la section du projet de loi portant sur les infractions, section dont a parlé l'intervenante précédente, on peut lire ceci à l'article 213 :

Est coupable d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans un endroit soit public soit situé à la vue du public et dans le but d'offrir, de rendre ou d'obtenir des services sexuels moyennant rétribution :

Par « rétribution », on entend de l'argent, et il est illégal d'en offrir.

Ce libellé est suivi d'un deux-points et, bien sûr, si vous consultez la loi, c'est-à-dire ce qui figure dans le Code criminel, vous trouverez des dispositions ayant trait, comme la sénatrice Batters me l'a signalé avec insistance un jour, à la circulation routière et piétonnière. Autrement dit, vous ne pouvez pas entraver la circulation piétonnière, ou la circulation tout court, dans le but d'offrir vos services.

Le texte de loi poursuit en disant :

Est coupable d'une infraction...

— Voilà une autre allusion à l'article 213 —

... punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire quiconque, dans le but d'offrir ou de rendre des services sexuels moyennant rétribution, communique avec quiconque dans un endroit public...

Cette disposition a été modifiée par la Chambre des communes afin d'ajouter la mention « près d'un terrain d'école ou d'un terrain de jeu » ou quelque chose de ce genre.

Donc, vous constatez l'énorme contradiction qui figure dans le projet de loi.

Compte tenu du fait que tous nos témoins ont déclaré que cet article devrait être retiré du projet de loi, je peux comprendre pourquoi la sénatrice Jaffer vient de proposer ces 15 amendements à apporter au contenu du projet de loi.

Toutefois, au final, après avoir examiné le préambule, le contenu, puis les discours, la Cour suprême du Canada se reportera au discours prononcé par le ministre de la Justice devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, et elle verra les mots suivants répétés encore et encore : pour la première fois de l'histoire du Canada, il sera illégal de se livrer à la prostitution. Dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Bedford, la Cour suprême du Canada a mentionné à plusieurs reprises qu'il n'était pas illégal de se livrer à la prostitution au Canada.

La Cour suprême se reportera aussi au discours que la sénatrice Batters a prononcé ici, comme la Cour supérieure de l'Ontario s'est reportée au discours que le sénateur Wallace a prononcé lorsqu'il a présenté une mesure législative gouvernementale il y a quelques années. Une partie du jugement de la cour s'appuyait sur le discours du sénateur Wallace, qui parlait de la raison d'être de la mesure législative du point de vue du gouvernement.

Honorables sénateurs, je voudrais dire en conclusion que le Sénat a fait un merveilleux travail sur ce projet de loi, que la Cour suprême du Canada sera saisie de l'affaire en temps et lieu et que j'appuierai les amendements proposés par la sénatrice Jaffer au nom de tous les témoins que nous avons entendus. Je vous remercie.

L'honorable Serge Joyal : Sénateur Baker, vous avez parlé de la disposition du projet de loi qui permet à une personne qui offre des services sexuels de travailler de son côté sans faire l'objet de poursuites.

N'avez-vous pas été surpris d'entendre Mme Levman, du ministère de la Justice, dire, vers la fin de notre étude du projet de loi, qu'une forme coopérative d'offre de services sexuels serait admissible en vertu du projet de loi C-36?

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du fait qu'on puisse travailler en « coopérative » parce qu'il n'y aurait pas alors une tierce partie qui profiterait de l'offre de services sexuels et que, comme dans toute coopérative, les avantages seraient partagés entre tous les membres de la coopérative? Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?

Le sénateur Baker : Oui, monsieur le Président. Le sénateur Joyal a parfaitement raison. C'est bien ce que nous a dit la représentante du ministère de la Justice. C'est une de ces choses qui est très spécifique et très particulière dans son application lorsqu'on examine une mesure législative adoptée de cette façon. Nous avons appris, au cours de l'examen du projet de loi, que c'est un aspect qui n'y est pas mentionné et qui ne figurerait pas dans la réglementation. Par conséquent, il y a peut-être d'autres arrangements possibles qui ne sont pas mentionnés dans le projet de loi.

Pour ce qui est de ce que le ministère de la Justice a dit au comité, combien de jugements pourrions-nous trouver qui citent des déclarations faites par le ministère devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ou devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce?

(1610)

Nous constatons très souvent que les déclarations des fonctionnaires sont interprétées comme étant le point de vue du gouvernement sur l'application des mesures législatives en cause. J'ai été surpris par cette déclaration, mais c'est sûrement une chose que nous retrouverons dans la jurisprudence.

Le sénateur Joyal : Honorables sénateurs, c'est une question assez délicate, parce que chacun de nous a un point de vue personnel sur la moralité ou l'immoralité de la prostitution ou sur son caractère légal ou illégal. La prostitution, qui existe depuis des temps immémoriaux, est un phénomène qui continuera de se manifester, mais nous espérons que ce ne sera pas dans le contexte présenté dans les médias, c'est-à-dire des cas d'exploitation de personnes âgées de moins de 18 ans ou de personnes forcées à offrir des services sexuels à cause d'une toxicomanie ou de l'influence exercée par un proxénète, ou encore dans le cadre d'un trafic organisé par des bandes de rues, par la mafia ou par un autre réseau criminel. Nous réagissons tous à ces situations, qui nous amènent à réfléchir aux incidences de ce phénomène sur l'ensemble de la société.

Je voudrais tout d'abord souligner, pour les sénateurs qui n'ont participé ni à l'étude préliminaire ni à l'examen du projet de loi C-36, que les audiences du comité se sont déroulées d'une manière vraiment exemplaire sous la présidence du sénateur Runciman. À l'appui de cette conclusion, je voudrais vous lire un courriel que j'ai reçu de l'une des personnes qui ont comparu, une ancienne prostituée. Je crois que je devrais vous lire ce message parce qu'il témoigne du sérieux et de la responsabilité dont les sénateurs ont fait preuve au cours de cette étude complexe. Voici le texte du courriel :

Voici ce qu'on peut lire dans ce courriel :

Cher sénateur Joyal, je veux prendre un instant pour vous remercier de la question fort pertinente que vous m'avez posée quand j'ai comparu cette semaine devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour parler du projet de loi C-36.

Je souligne ce qui suit :

En juillet, j'ai eu une très mauvaise expérience quand j'ai comparu devant le Comité de la justice de la Chambre des communes. J'ai écrit à ce sujet quand je suis retournée chez moi. Sur une note personnelle, je tiens à vous dire que mon père est un ancien combattant de la Seconde Guerre mondiale qui a été décoré pour ses services et qui m'a appris à aimer ce pays et ses institutions. Mes parents étaient âgés quand ils m'ont eue et, même si mon père savait que j'avais des problèmes et que j'étais toxicomane, il n'a jamais su que j'étais une travailleuse du sexe, car je ne voulais pas lui faire de peine. Bien que je continue à avoir un profond attachement envers ce pays et la démocratie pour laquelle mon père s'est battu, je suis très déçue par la façon dont les représentants du gouvernement Harper traitent ceux qui s'opposent au projet de loi C-36 et qui militent en faveur de la décriminalisation du travail du sexe. Cela a donc signifié beaucoup pour moi d'être traitée avec dignité et respect par vous, ainsi que par les autres sénateurs libéraux. Mon père est mort peu de temps après que j'ai réussi à me défaire de ma dépendance, mais je sais qu'il serait fier de la militante que je suis devenue. Il m'a appris à défendre ce qui est juste et à me battre pour ce que je crois, et je vais continuer ma lutte pour que les travailleurs du sexe soient traités équitablement.

Je vous remercie sincèrement encore une fois, Monsieur.

Pour ma part, je tiens à signaler que les commentaires négatifs ne s'appliquaient pas aux sénateurs ministériels siégeant au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Je peux certainement en témoigner. Ces commentaires se rapportaient à l'expérience vécue par ce témoin à la Chambre des communes. Ce courriel est signé par Mme Kerry Porth, représentante de la Pivot Legal Society et ancienne travailleuse du sexe.

Cela dit, honorables sénateurs, je tiens à apporter mon point de vue personnel sur le projet de loi C-36. J'ai la conviction personnelle que le projet de loi est entaché de trois imperfections. D'abord, il repose sur l'idée préconçue que tout travail du sexe, toute offre de services sexuels se caractérise par l'exploitation. C'est là une hypothèse. Elle n'a pas été vérifiée. On la tient pour acquise. Sur quelles bases repose-t-elle? Il peut y avoir divers motifs. Comme je l'ai dit dans mes premières observations, l'un d'eux pourrait être la moralité.

On pourrait dire aussi qu'il s'agit d'une exploitation du corps humain, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme. Mais cela existe. Dans la vaste majorité des cas, le travail du sexe n'est pas en soi de l'exploitation. Un grand nombre de prostitués, hommes ou femmes, se livrent à cette activité volontairement. Nous en avons entendu des témoignages. Bien entendu, nous avons entendu aussi d'autres points de vue. Cela ne fait aucun doute. Ce n'est pas une activité facile. C'est une activité dangereuse sous tous rapports. La Cour suprême l'a reconnu dans sa décision, mais faire reposer tout le principe du projet de loi sur l'idée que tous les services sexuels sont de l'exploitation, voilà qui ne pourrait satisfaire au critère de réalité devant la Cour suprême. En fait, les trois femmes qui se sont adressées à la Cour suprême se livraient à ces activités sexuelles de leur plein gré, et la Cour suprême l'a reconnu. Personne ne l'a contesté.

L'autre aspect de la présomption qui est à la base du projet de loi et qui ne satisferait pas aux critères de réalité est que toutes les personnes qui offrent des services sexuels sont considérées comme criminelles. Voilà qui rend les activités sexuelles criminelles, comme mon collègue, le sénateur Baker, l'a dit. Par ailleurs, comme le projet de loi reconnaît que l'activité sexuelle est une forme d'exploitation, il s'ensuit que toutes les personnes qui se livrent à des activités sexuelles sont des victimes; elles sont victimisées. On présume qu'elles sont des victimes.

Par rapport à cette conclusion, le projet de loi prévoit certaines exceptions, comme l'ont expliqué le sénateur Baker et la sénatrice Jaffer avec beaucoup d'éloquence. Oui, il y a des exceptions. Autrement dit, si une personne offre elle-même des services sexuels dans son propre appartement, elle ne commet pas d'infraction même si elle a engagé un garde du corps ou une personne chargée de prendre ses appels ou d'aller chercher les clients. Tant que les services sont offerts à titre individuel, ils sont autorisés.

Au terme de notre étude, nous avons même appris en écoutant le dernier témoin qui a comparu — comme je le disais dans ma question au sénateur Baker — que, si les services sont offerts dans le cadre d'une forme de coopérative, ils seraient autorisés en vertu du projet de loi C-36 et des nouvelles dispositions du Code criminel. L'hypothèse selon laquelle les personnes en cause sont exploitées et victimisées ne tient plus si les services sont offerts dans le cadre d'un certain type d'organisation, qu'il s'agisse d'une coopérative ou de services offerts sur une base individuelle. Je trouve qu'il y a là quelque chose d'irrationnel.

Il y a un autre aspect qui manque de logique : si on offre des services sexuels en compagnie d'un groupe de personnes et qu'on est jugé coupable par la police, on aura un casier judiciaire. En ayant un casier judiciaire, une personne aura beaucoup plus de difficulté à réaliser sa réinsertion sociale, autrement dit à quitter ce genre d'activité pour essayer d'occuper un emploi ou d'assumer des responsabilités, dans le cadre d'une vie normale.

(1620)

J'ai demandé à certains témoins ce qu'ils en pensaient, et voici la réponse ou les observations que j'ai reçues à ce sujet. Voici un extrait d'un courriel que l'un des témoins m'a envoyé la semaine dernière :

Au cours de mon témoignage, j'étais contente de vous entendre poser des questions ayant trait à la suppression des casiers judiciaires des personnes accusées de prostitution. Vous avez correctement qualifié ce problème de « loi des conséquences imprévues ». En essayant de criminaliser la prostitution, on risque de stigmatiser davantage les travailleurs du sexe. Évidemment, cela pose un problème sérieux aux femmes qui ont été exploitées comme marchandise sexuelle, puis accusées de prostitution ainsi qu'à celles qui ont été victimes de la prostitution et néanmoins accusées d'une infraction criminelle.

Autrement dit, nous présumons que toute activité liée à la vente de services sexuels repose nécessairement sur l'exploitation des personnes. Nous considérons les personnes qui se prostituent comme des victimes, mais, du même souffle, nous les accablons d'un casier judiciaire tout en leur demandant de mener une vie normale.

Nous savons tous qu'une personne qui a un casier judiciaire ne peut pas travailler dans la fonction publique et se voit aussi interdire de nombreux emplois, même des emplois mal rémunérés dans de grandes multinationales. Je ne les nommerai pas, mais j'en ai beaucoup d'exemples à l'esprit. La personne est empêchée de voyager parce qu'avec son passeport, on peut retracer son casier judiciaire. Pour toutes sortes de motifs que je ne conteste pas aujourd'hui, nous avons, au cours des dernières années, rendu plus difficile la suppression d'un casier judiciaire. Nous avons changé les règles autorisant une personne à demander la suppression de son casier judiciaire.

Je ne conteste pas le fait que certaines prostituées sont des victimes, que d'autres sont exploitées et ainsi de suite. Nous connaissons tous des histoires d'horreur à ce sujet. Encore une fois, je ne cherche pas à minimiser les objectifs recherchés, mais j'estime que, en prenant des mesures pour rendre plus difficile la radiation d'un casier judiciaire, on victimise une deuxième fois la prostituée. Bref, le projet de loi comporte des éléments irrationnels. Je suis sûr qu'en examinant le système général mis en place par ce projet de loi, la cour devra, comme je l'ai dit, s'occuper des effets pervers.

Il en est de même pour un second aspect du projet de loi qui est aussi fort contestable : la criminalisation du client. Nous reconnaissons tous qu'en criminalisant le client au lieu de placer toute la responsabilité sur la femme ou l'homme qui se prostitue, nous cherchons à réduire la demande. C'est ce que j'appelle une simple loi du marché. En réduisant la demande, on réduit l'offre. Je vais vous présenter une petite analogie. Si personne ne veut acheter des pommes, on fera pousser moins de pommiers parce que la récolte ne trouve pas preneur. Encore une fois, cela me semble très irrationnel : en criminalisant le client et en permettant à une personne d'offrir des services sexuels, nous nous plaçons en fait dans une drôle de situation.

Voici une autre analogie. Supposons que vous soyez autorisé à offrir vos services comme peintre en bâtiment. Vous avez le droit d'acheter de la peinture et des pinceaux. Vous pouvez vous procurer les échelles et les échafaudages dont vous avez besoin. Vous avez la possibilité de louer une camionnette pour transporter vos affaires. Toutefois, si quelqu'un vous aborde pour acheter vos services comme peintre, on estimera qu'il commet un acte criminel. Il y a là quelque chose qui manque de logique. Une activité est légitime ou ne l'est pas. Elle peut être légitime dans certains cas si vous travaillez tout seul, mais elle ne le sera pas si vous travaillez en groupe. À première vue, c'est très irrationnel.

Il y a un autre aspect important dans cette situation. Que fait-on en criminalisant le client? Quels effets cela aura-t-il sur l'offre de services sexuels? C'est très simple. Elle passera dans la clandestinité. Pourquoi? Parce qu'une personne qui veut acheter des services sexuels d'une autre personne ne voudra pas le faire en public. L'offre de services deviendra donc clandestine. Les prostituées devront se tenir dans des ruelles sombres. Autrement, elles ne pourront pas négocier.

Honorables sénateurs, puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président intérimaire : Les sénateurs accordent-ils cinq minutes de plus au sénateur Joyal?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : On ne réussira ainsi qu'à faire courir un plus grand risque aux prostituées lors de la négociation de leurs services. La Cour suprême l'a clairement reconnu dans l'affaire Bedford. L'aspect de la négociation est essentiel pour la sécurité de la prostituée. La cour l'a dit très explicitement. Il suffit qu'une seule prostituée soit soumise à un plus grand risque pour que la disposition soit jugée inconstitutionnelle en vertu de l'article 7 de la Charte, qui garantit la sécurité de la personne.

En criminalisant le client dans le but de réduire la demande, comme je l'ai dit, c'est-à-dire en réduisant l'offre de services et en décourageant les prostituées, nous compromettons leur sécurité. Je ne suis pas le seul à avancer cet argument. Le British Medical Journal a publié en juin une longue étude qui évalue les répercussions de la criminalisation du client. Je vais vous lire le titre. Je ne lirai évidemment pas l'étude, mais je voudrais mentionner le titre de l'étude qui a paru dans le British Medical Journal. Pour ceux qui ne connaissent pas cette publication, je dirai qu'il s'agit d'une revue scientifique très sérieuse et très fiable. Quel est le titre de l'étude? C'est « Criminalisation of clients : reproducing vulnerabilities for violence and poor health among street-based sex workers in Canada — a qualitative study », ce qui signifie « Criminalisation du client, ou comment reproduire les facteurs de vulnérabilité à la violence et aux maladies parmi les travailleuses du sexe de la rue au Canada : Une étude qualitative ».

Nous en avons entendu parler par des représentants du Service de police de Vancouver et du Service de police de la Ville de Montréal, qui ont adopté le modèle de criminalisation du client. En fait, cette disposition du projet de loi C-36 sera certainement contestée parce qu'elle aura pour conséquence imprévue de rendre plus dangereuse l'offre de services sexuels. En effet, elle créera un déséquilibre qui ne permettra plus à la personne qui offre ses services de négocier avec son client de façon à préserver sa sécurité et sa santé et à être en mesure de refuser certaines formes d'activités sexuelles. En criminalisant le client, la personne qui offre ses services se sent obligée d'accepter n'importe quelle condition et devient donc plus vulnérable au chapitre de la sécurité et de la santé. À mon avis, cette disposition du projet de loi sera contestée parce qu'elle est contraire à la conclusion à laquelle la Cour suprême avait abouti en examinant les anciennes dispositions du Code criminel à cet égard.

Quels étaient les trois éléments de l'affaire Bedford? La Cour suprême s'est fondée sur trois critères pour se prononcer contre les dispositions du Code criminel. La première disposition, relative à la tenue d'une maison de débauche, a été déclaré inconstitutionnelle. Le projet de loi C-36 en tient compte. Le projet de loi C-36 abroge la définition de « maison de débauche » dans le Code criminel en lien avec la prostitution. On a maintenu la notion de « maison de débauche » seulement pour les actions indécentes.

(1630)

La section du Code criminel portant sur le fait de vivre des produits de la prostitution est le deuxième élément qui a été abrogé dans l'affaire Bedford.. Le troisième élément était la communication en public à des fins de prostitution, qui est la section que le sénateur Baker a mentionnée. Comme je l'ai dit, la cour a déclaré à plusieurs reprises dans l'affaire Bedford que la communication est essentielle pour la sécurité et la santé de la prostituée.

La section du projet de loi C-36 qui limite les communications sera certainement contestée à nouveau devant les tribunaux, honorables sénateurs, où l'on invoquera l'exploitation et la victimisation, qui n'ont pas été reconnues dans l'affaire Bedford. Les trois personnes qui ont contesté les casiers judiciaires devant la Cour suprême étaient des adultes consentants — elles n'ont pas été contraintes et n'étaient pas âgées de moins de 18 ans. Elles savaient parfaitement ce qu'elles faisaient. La cour a reconnu à plusieurs reprises qu'il s'agissait d'une activité dangereuse, mais que ce n'était pas une raison pour l'interdire. Lorsqu'on se livre à des activités dangereuses, on doit prendre les mesures voulues pour préserver sa sécurité et sa santé.

Son Honneur le Président intérimaire : Sénatrice Batters, vous voulez intervenir sur les amendements. Fort bien.

La sénatrice Batters : J'ai une brève réponse à donner sur cette série d'amendements proposés par les sénateurs libéraux d'en face, et plus particulièrement sur la disposition relative à la communication.

Je voudrais présenter à mes collègues les quatre principales raisons pour lesquelles, à mon avis, nous devrions conserver ces dispositions. D'abord, selon un sondage Angus Reid, les Canadiens approuvent cette disposition. Le sondage indique que 89 p. 100 des Canadiens et des Canadiennes conviennent qu'il devrait être illégal de vendre des services sexuels dans les lieux publics où se trouvent des enfants. Ils approuvaient la modification avant même que la Chambre des communes ne la limite considérablement.

En outre, le sénateur Baker a indiqué dans ses remarques que les témoins ayant comparu au comité au sujet du projet de loi C-36 ont tous dit que cette disposition devrait être supprimée. Toutefois, je tiens à rappeler à mon ami et collègue que les deux témoins des services policiers qui ont comparu devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, soit Bernard Lehre, de Québec, et Tom Stamatakis, président de l'Association canadienne des policiers, ont convenu que cette disposition leur donnerait la possibilité de s'interposer entre une prostituée qui est possiblement victime de la traite de personnes et son trafiquant.

Voici ce qu'a déclaré M. Stamatakis :

La loi doit nous permettre légalement d'intervenir dans des situations en vue de déterminer ce qui s'y déroule. Selon moi, les dispositions du projet de loi nous permettent de le faire. C'est à ce moment que les policiers feront usage de leur pouvoir discrétionnaire pour déterminer comment ils doivent procéder.

Il dit aussi ceci :

Si vous pouvez faire en sorte que la prostituée s'éloigne de la personne qui la force à se prostituer, vous pouvez récolter des éléments de preuve pour faire avancer votre enquête et, avec un peu de chance, intenter des poursuites.

Les policiers et les procureurs ont un pouvoir discrétionnaire pour décider s'ils portent des accusations contre les prostituées en vertu de cet article, et les juges ont toujours un pouvoir discrétionnaire lors de la détermination de la peine.

Cet article permettra de protéger nos collectivités ainsi que nos citoyens les plus vulnérables, les enfants. La prostitution est souvent accompagnée d'activités dangereuses liées aux drogues, au crime organisé et à la violence, et nos enfants ne devraient pas y être exposés.

M. Stamatakis a aussi déclaré ce qui suit :

Je suis tout à fait d'accord avec ces dispositions. À mon humble avis, ces dispositions se font attendre depuis longtemps.

Il a ensuite donné des exemples de prostitution près d'écoles et de garderies. Ces situations causent du tort aux enfants, à cause non seulement de la présence de prostituées, mais aussi de la tenue d'activités criminelles qui accompagnent souvent la prostitution.

Il a ajouté ce qui suit :

À Vancouver, les parents se réunissent avant le début de la journée d'école pour nettoyer le terrain de jeu des seringues utilisées par des prostituées et des consommateurs de drogues injectables qui utilisent ces endroits pour se livrer à ce genre d'activités.

En tant que Vancouvérois, j'ai même vécu personnellement de telles situations. Des lieux publics à proximité de ma maison étaient malheureusement utilisés par des prostituées pour offrir leurs services sexuels, et ce comportement aurait pu causer du tort à mes enfants, qui étaient à ce moment encore assez jeunes, s'ils avaient interrompu une transaction, par exemple. Des torts graves peuvent être causés dans de telles circonstances.

Honorables sénateurs, je dirais que les enfants sont plus susceptibles de tomber dans le piège du commerce du sexe ou des activités criminelles connexes si ce comportement est normalisé ou glorifié. Je tiens à rappeler à mes collègues que même les groupes qui souhaitaient la suppression de cet article ont signalé qu'ils appuieraient le projet de loi C-36, et ce, même si cet article continuait d'y figurer.

Larissa Crack, de la Northern Women's Connection, a déclaré ce qui suit :

[...] mais si [le projet de loi] demeure tel quel, je vais quand même l'appuyer, puisqu'il répond à 99 p. 100 de nos attentes en criminalisant les clients et les personnes qui exploitent les femmes, et qu'il reconnaît la violence inhérente à la prostitution.

Diane Matte a fait la déclaration suivante :

[...] si le projet de loi répond à 99 p. 100 de nos attentes pour ce qui est de changer les paradigmes de la société canadienne, nous n'allons pas jeter le bébé avec l'eau du bain.

Voici ce qu'a déclaré Keira Smith-Tague :

[...] je crois que l'alternative de ne pas adopter le projet de loi du tout, d'éliminer toute incrimination, créerait une situation encore beaucoup plus dangereuse pour les femmes. J'appuie donc le projet de loi.

Honorables sénateurs, je vous demande de voter contre les amendements et en faveur du projet de loi.

Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : Nous voterons d'abord sur la motion d'amendement.

L'honorable sénatrice Jaffer, avec l'appui de l'honorable sénateur Smith, propose que... puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : Je ne suis pas sûr. Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président intérimaire : Les whips ont-ils des instructions? La sonnerie retentira pendant 30 minutes. Convoquez les sénateurs.

(1700)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Joyal
Campbell Lovelace Nicholas
Chaput Massicotte
Charette-Poulin McCoy
Cools Merchant
Cowan Mitchell
Dawson Moore
Day Munson
Downe Ringuette
Fraser Robichaud
Furey Smith (Cobourg)
Jaffer Watt—24

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk McIntyre
Ataullahjan Meredith
Batters Mockler
Beyak Nancy Ruth
Boisvenu Neufeld
Carignan Ngo
Dagenais Ogilvie
Demers Oh
Doyle Patterson
Eaton Plett
Enverga Poirier
Fortin-Duplessis Raine
Frum Runciman
Gerstein Seidman
Greene Seth
Housakos Smith (Saurel)
Johnson Stewart Olsen
Lang Tannas
LeBreton Tkachuk
MacDonald Unger
Maltais Verner
Manning Wallace
Marshall Wells
Martin White—49
McInnis

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Nolin—1

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le vote porte maintenant sur la motion de l'honorable sénatrice Batters, appuyée par l'honorable sénatrice Beyak, portant que le projet de loi C-36 soit lu pour la troisième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Des voix : Avec dissidence.

Son Honneur le Président : Adoptée, avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

(1710)

[Français]

Projet de loi interdisant les armes à sous-munitions

Troisième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Suzanne Fortin-Duplessis propose que le projet de loi C-6, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui dans le cadre de la troisième lecture au Sénat du projet de loi C-6, Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes à sous-munitions. La convention est un important traité en attente de ratification par le Canada.

Les conséquences dévastatrices des armes à sous-munitions sont bien connues. Ces armes dispersent de petites sous-munitions qui peuvent dévaster un large territoire et, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, elles ont été utilisées dans plus de 35 conflits dans le monde. Lorsque ces sous-munitions n'explosent pas comme prévu et qu'elles restent sur le sol, elles constituent une très grave menace pour les civils qui vivent dans les environs. Les sous-munitions qui n'ont pas explosé provoquent des tragédies humaines, car elles tuent et mutilent des civils longtemps après la fin des conflits. Les coûts économiques liés à ces décès, à ces blessures et à la dépollution des zones contaminées représentent également un lourd fardeau pour la reconstruction après un conflit.

La grande majorité des victimes déclarées sont des civils. Toutefois, ces munitions qui n'ont pas explosé peuvent aussi constituer une menace pour nos soldats. À cet égard, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a entendu, la semaine dernière, le témoignage de Mme Lynn Bradach, qui a perdu son fils, un membre du Corps des Marines des États-Unis, durant une opération de dépollution de zones contaminées par les armes à sous-munitions en Irak.

Ce sont ces préoccupations humanitaires qui ont conduit à la négociation de la Convention sur les armes à sous-munitions. Le Canada a participé activement à ces négociations, qui ont mené à son adoption en mai 2008, à Dublin, puis à son entrée en vigueur en août 2010. Le Canada s'est toujours engagé à protéger les civils des incidences causées par les débris de guerre explosifs, qui frappent sans discernement. Il était donc logique que nous jouions un rôle de premier plan dans ces négociations. Pendant la période relativement courte depuis l'adoption du traité, 87 États l'ont ratifié ou y ont adhéré, et 27 autres, y compris le Canada, l'ont signé. De toute évidence, beaucoup de pays sont préoccupés par les graves répercussions humanitaires des armes à sous-munitions et se montrent déterminés à en débarrasser le monde.

Le Canada a déjà pris des mesures concrètes pour remplir ses obligations futures en vertu de la convention. Il n'a jamais utilisé d'armes à sous-munitions dans le cadre de ses opérations militaires, et tous ses stocks sont maintenant détruits. De même, il présente déjà volontairement des rapports annuels à des fins de transparence, en vertu de la convention, ce qu'il devra faire obligatoirement en tant qu'État partie. De plus, depuis 2006, il a versé plus de 215 millions de dollars pour aider les pays touchés par les armes à sous-munitions et les mines terrestres à dépolluer les zones contaminées, à sensibiliser les populations aux risques qui y sont liés et à prêter secours aux victimes, notamment dans certains des pays les plus contaminés du monde, comme le Laos et l'Afghanistan. Nous continuerons d'aider les pays touchés à remédier aux conséquences des mines terrestres et des armes à sous-munitions.

Pour respecter la plupart des obligations énoncées dans la convention, des mesures législatives nationales ne sont pas nécessaires. À titre d'exemple, la convention interdit au Canada de mettre au point, de stocker ou d'utiliser des munitions interdites. Or, nous n'en avons jamais fabriqué ni utilisé, et nous ne le ferons pas. Aucune mesure législative n'a été nécessaire pour permettre la destruction de nos stocks. Par ailleurs, l'obligation de promouvoir les normes de la convention sera mise en œuvre par les voies diplomatiques. Le Canada est déterminé à tout faire pour que le plus grand nombre possible de pays adhèrent à la convention et respectent ses obligations, afin que nous puissions mettre un terme aux souffrances humaines causées par les armes à sous-munitions.

(1720)

La convention exige que les États parties appliquent, en vertu de leur législation pénale nationale, les interdictions prescrites. Ainsi, le projet de loi C-6 vise à mettre en œuvre les parties de la convention dont l'application nécessite l'adoption de dispositions pénales au Canada. La convention interdit, pour le Canada, non seulement d'acquérir, de fabriquer ou d'utiliser des armes à sous-munitions, mais elle exige aussi de veiller à ce que les personnes et les entreprises qui relèvent de sa compétence ne le fassent pas non plus. Le projet de loi C-6, une fois adopté, interdira l'utilisation, la mise au point, la fabrication, l'acquisition, la possession, le transport, l'importation et l'exportation d'armes à sous-munitions. Par ailleurs, en raison de la portée plus large de l'infraction proposée pour leur possession au Canada, il sera également interdit d'en stocker sur le territoire canadien. Cette infraction vise toutes les formes de possession de munitions interdites sur notre territoire, y compris tous les modes de stockage, que ce soit par des Canadiens ou par des personnes à l'extérieur du pays. Il est facile d'appliquer la loi en cas d'infraction liée à la possession et, si nécessaire, d'engager des poursuites au sein du système de justice pénale du Canada.

Le projet de loi interdira également à quiconque d'aider ou d'encourager une autre personne à commettre une activité interdite. Cela englobe non seulement les activités au Canada, mais également les situations où une personne au Canada aide ou encourage une activité interdite dans un autre pays, même si cette activité n'est pas illégale là-bas. Ses dispositions s'appliquent à toutes les situations où une personne a connaissance de l'activité interdite et qu'elle a, dans une certaine mesure, l'intention d'encourager et d'aider quiconque à poursuivre cette même activité. La seule exception est liée aux situations où l'assistance a lieu dans le cadre d'opérations militaires internationales permises par la convention et où la personne qui reçoit l'assistance est autorisée à posséder ou à utiliser des armes à sous-munitions parce que son pays n'a pas adhéré à la convention.

Le projet de loi C-6 prévoit certaines exceptions à ces interdictions générales. Étant donné que la convention implique le recours au droit pénal, il est nécessaire de créer des exceptions pour que les membres des Forces armées canadiennes, y compris les civils qui y sont associés, ne puissent être tenus criminellement responsables lorsque, dans le cadre de leur travail, ils participent à des activités militaires autorisées expressément par la convention, en particulier celles qui sont liées à la clause d'interopérabilité.

Ces exceptions sont nécessaires pour protéger les membres des Forces armées canadiennes. C'est d'ailleurs pourquoi le Canada a appuyé l'article 21 de la convention et que le projet de loi C-6 prévoit les mêmes garanties. Ce projet de loi relève du droit pénal. En vertu de ses dispositions, toute personne qui participe à des activités illicites impliquant des armes à sous-munitions est passible de poursuites judiciaires, d'une amende et d'une peine d'emprisonnement. En ayant recours au droit pénal, nous devons, cependant, agir de manière responsable et prudente afin de ne pas punir nos soldats pour des activités de coopération militaire autorisées par la convention.

Le projet de loi C-6 a été rédigé d'une manière claire et sans ambiguïté, ce qui garantit que les membres des Forces armées canadiennes comprendront leurs obligations juridiques et les exceptions permises. Il s'agit aussi de s'assurer que les personnes et les entreprises au Canada — qui ne sont pas visées directement par les obligations énoncées dans la convention — pourront être poursuivies en vertu du droit canadien, et qu'elles le seront si elles participent à des activités interdites.

Dès le début des négociations sur la convention, le Canada a veillé, en priorité, à ce que celle-ci autorise les États parties à poursuivre leur coopération et leurs opérations militaires avec des États qui choisissent de ne pas en être parties, comme les États-Unis. C'est exactement ce que permet l'article 21.

Il était essentiel que le traité autorise ce genre de coopération militaire entre des États parties et des États non parties. Sans disposition en ce sens, de nombreux pays qui souhaitaient s'attaquer aux répercussions des armes à sous-munitions en adhérant à la convention ne l'auraient probablement pas fait. Le degré d'interopérabilité militaire avec des États non parties varie considérablement, de sorte qu'il ne faut pas se surprendre que chaque État ait adopté sa propre approche pour élaborer sa loi de mise en œuvre. C'est ainsi que des pays sans alliances ni relations de coopération aussi étroites que celles du Canada peuvent adopter des exceptions plus strictes pour leur personnel militaire, alors que d'autres pourraient n'en adopter aucune.

Or, le Canada et les États-Unis sont les seuls pays à entretenir des relations de défense et de sécurité aussi étroites. Une telle coopération s'avère cruciale pour notre propre sécurité et elle permet également au Canada de contribuer à la paix et à la sécurité mondiales. Notre pays entretient également des relations de défense étroites avec de nombreux autres États non parties à la convention.

Le Canada dissuadera les autres États d'utiliser des armes à sous-munitions. Toutefois, dans la mesure où la convention l'autorise à le faire, il continuera de coopérer avec ses alliés en matière de formation et dans le cadre d'opérations militaires, et ce, même s'il ne s'agit pas d'États parties. Certaines de ces opérations militaires pourraient certes impliquer l'utilisation d'armes à sous-munitions par nos alliés. Toutefois, les membres des Forces armées canadiennes ne tireront jamais de sous-munitions, pas plus qu'ils n'en largueront ou n'en lanceront eux-mêmes. De même, ils ne demanderont jamais expressément que l'on utilise de telles armes lorsqu'ils exercent un contrôle exclusif sur le choix des munitions qui doivent être utilisées.

Il est bon de noter que le projet de loi C-6 n'autorise aucune activité en particulier. Il ne fait qu'énoncer certaines interdictions et exceptions. Ces exceptions font en sorte que les membres des Forces armées canadiennes ne pourront être tenus criminellement responsables d'un certain nombre d'activités qu'ils pourraient être appelés à réaliser dans le cadre de la coopération militaire avec un État non partie. Cet aspect est vraiment important et répond à plusieurs questions qui nous ont été posées. Ces activités comprennent le soutien logistique, le ravitaillement des aéronefs, le contrôle de la circulation aérienne ou un soutien aérien rapproché. La portée de ces exceptions est strictement limitée, de sorte que seules les personnes qui agissent au nom du Canada sont visées, et ce, uniquement lorsque l'activité en question fait partie d'une forme autorisée de coopération militaire, et que l'autre pays concerné n'est pas un État partie à la convention. C'est là un point très important, car il signifie que, à mesure que d'autres pays adhéreront à la convention et qu'ils renonceront à ces munitions, les exclusions juridiques auront de moins en moins d'effet.

(1730)

Au cours des audiences tenues par le comité, on s'est demandé si le projet de loi devait ériger en infraction le fait, pour une personne, d'investir dans une entreprise qui fabrique des sous-munitions. La convention ne l'exige pas et, en pratique, une telle disposition serait très difficile à appliquer. Elle exige plutôt que les États parties interdisent d'aider quiconque à poursuivre des activités interdites par ses dispositions. En conséquence, au sens du projet de loi, le fait d'aider ou d'encourager une autre personne ou entreprise à mener des activités telles que la production, la mise au point ou le transfert d'armes à sous-munitions constitue une infraction. Cela comprend non seulement l'investissement, mais aussi d'autres formes d'encouragement ou d'assistance.

Il s'agit d'une distinction importante à faire. Si quelqu'un achète une entreprise pour fabriquer des armes à l'étranger ou investit spécifiquement dans le but de financer des activités illicites, en vue de s'enrichir, cela devrait être considéré comme un crime, et ce le sera.

D'autre part, si un Canadien — sans avoir conscience d'aider ou d'inciter à la production d'armes à sous-munitions, ou sans en avoir l'intention — détient des actions dans une grande entreprise qui fabrique de telles armes, cela ne devrait pas être considéré comme un crime, et ce ne le sera pas. Il existe de nombreuses autres façons, en plus de l'investissement, par lesquelles une personne qui se trouve au Canada peut aider ou encourager une autre personne ou entité à fabriquer ou à utiliser des armes à sous-munitions. C'est pourquoi le projet de loi fera en sorte que ces activités fassent l'objet de poursuites.

Honorables sénateurs, ce projet de loi a d'abord été présenté sous le titre de projet de loi S-10, en 2012, lors de la session précédente. Cependant, le gouvernement a consenti à un amendement depuis ce temps, lorsque le projet de loi C-6 était à l'étude à la Chambre des communes l'année dernière. Le gouvernement a toujours eu pour politique d'interdire l'utilisation effective, et sous toutes ses formes, des sous-munitions par le personnel des Forces armées canadiennes, même dans le cadre d'échanges avec les forces armées d'un État non partie. Toutefois, l'intention initiale consistait à recourir à une directive contraignante du chef d'état-major de la Défense pour mettre en œuvre cette politique. Cependant, après avoir écouté les préoccupations exprimées pendant les délibérations du comité, nous avons décidé de consacrer cette politique dans la loi, et l'amendement proposé à l'alinéa 11(1)c) produit cet effet. Cet amendement recueille, en outre, l'adhésion de tous les camps.

Certains des amendements qui ont été présentés dans le cadre des délibérations du comité sénatorial n'ont pas été adoptés. Les amendements proposés aux paragraphes 11(1)a) et b) du projet de loi supprimeraient quelques-unes des exceptions importantes autorisées pour le personnel des Forces armées canadiennes. Cela aurait pour effet non seulement de compromettre la sécurité des Canadiens, mais aussi d'exposer nos propres soldats à des poursuites éventuelles pour un large éventail d'activités qui, en fait, ne sont pas interdites par la convention elle-même.

En ce qui concerne la proposition qui vise à inclure dans le projet de loi une clause prévoyant la présentation de rapports annuels, il est à noter que la convention oblige déjà les parties à rendre compte annuellement de sa mise en œuvre. Lorsque le Canada sera un État partie, nous devrons présenter un rapport annuel au secrétaire général des Nations Unies, qui agit en qualité de dépositaire de la convention. Ces rapports rendent compte des efforts déployés par chaque État pour détruire les armes à sous-munitions qu'il possède, dépolluer les zones contaminées et assurer la réadaptation des victimes. Le Canada estime que ces documents s'avèrent importants et nécessaires pour amener tous les pays à respecter leurs obligations. C'est pourquoi nous transmettons déjà ces rapports volontairement.

Honorables sénateurs, le projet de loi dont la Chambre est saisie est conforme en tous points à l'engagement du Canada de protéger les civils contre les conséquences des restes explosifs de guerre, qui frappent aveuglément. La ratification de la Convention sur les armes à sous-munitions par le Canada permettra de réaffirmer clairement cet engagement. Je suis fière d'appuyer le projet de loi C-6, qui nous permettra de ratifier la convention et de continuer à contribuer à l'éradication, une fois pour toutes, du fléau des armes à sous-munitions. Je vous demande donc d'appuyer avec moi ce projet de loi.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)

[Traduction]

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Maltais, appuyée par l'honorable sénateur McIntyre, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole pour participer au débat sur le projet de loi C-377.

J'espérais que nous en ayons terminé avec ce débat. Cela fait des mois — plus d'un an, en fait — que nous pensions nous être débarrassés de ce projet de loi. Maintenant, après tout ce temps, nous nous retrouvons à la case départ, à l'équivalent parlementaire du film Le jour de la marmotte. Dans ce film, le personnage interprété par Bill Murray se voyait obligé de revivre la même journée jusqu'à ce qu'il devienne meilleur. Dans notre cas, nous sommes obligés d'étudier de nouveau un projet de loi dans l'espoir de nous entendre pour apporter des changements pour le pire. Cela serait une erreur, honorables collègues.

Nous avons bien fait notre travail en 2013. Le Sénat a suivi la plus pure tradition, il s'est élevé au-dessus de la ligne de parti et a rejeté un projet de loi qui était, et qui demeure aujourd'hui, très mauvais. Comme des sénateurs des deux côtés l'ont dit à ce moment-là, c'est un projet de loi inconstitutionnel, qui va à l'encontre des valeurs fondamentales canadiennes en matière de protection de la vie privée ainsi que des droits fondamentaux prévus par la Charte des droits et libertés. Il est très mal rédigé et, comme quelques provinces nous l'ont dit, il compromettrait sérieusement les relations de travail dans tout le pays. Chacun de ces arguments aurait été suffisant pour rejeter carrément le projet de loi, ou à tout le moins pour le modifier, ce que nous avons fait. Ces arguments étant réunis, nous savions collectivement que nous devions agir, et c'est ce que nous avons fait. Ce fut un moment où il y avait de quoi être fier de cette institution.

Comment pouvons-nous être encore une fois saisis du projet de loi dans sa forme originale? Cette mauvaise mesure est de retour à la Chambre, qui pensait s'en être débarrassée. Je vais prendre quelques minutes pour rappeler aux sénateurs comment nous en sommes arrivés à cette étape inhabituelle du processus.

(1740)

Le 13 décembre 2012, la journée avant que nous ajournions pour le congé de Noël, la Chambre des communes a renvoyé pour la toute première fois ce projet de loi au Sénat. La sénatrice qui parrainait le projet de loi en a parlé le jour suivant la reprise des travaux, et nous avons ensuite tenu ce que, à mon avis, la plupart d'entre nous considéreraient comme un débat sérieux. Des questions et des préoccupations de premier plan ont été soulevées, et nous étions tous impatients de les examiner en comité et d'entendre le point de vue des Canadiens intéressés.

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a ensuite tenu de longues audiences et a reçu de nombreux mémoires. Le comité a entendu les témoignages de représentants de gouvernements provinciaux, de divers syndicats, de professeurs, du commissaire à la protection de la vie privée du Canada et de porte-parole de groupes représentants des Canadiens de partout au pays, comme des médecins, des infirmières, des scénaristes, des comptables, des enseignants, des policiers, des pilotes de ligne et des membres du secteur des assurances.

Après avoir effectué cet examen approfondi, le comité a préparé un rapport très inusité. Je vais rappeler à tout le monde ce qu'on pouvait y lire :

Bien que le Comité adopte le projet de loi C-377 sans amendement, il tient à noter qu'à la suite de trois semaines d'étude — après avoir entendu le témoignage de 44 témoins et reçu de nombreux mémoires de la part de gouvernements, d'organisations syndicales, d'universitaires et d'associations professionnelles, entre autres — on a soulevé dans la grande majorité des témoignages et mémoires d'importantes préoccupations au sujet de cette mesure législative.

L'une de ces principales inquiétudes concerne la validité constitutionnelle du projet de loi en ce qui a trait à la répartition des pouvoirs et la Charte. On a également soulevé d'autres points portant sur la protection des renseignements personnels, le coût et l'importance d'une plus grande transparence et le manque de précision quant aux entités visées par le projet de loi.

Le Comité partage ces préoccupations.

Le Comité n'a proposé aucun amendement car il est préférable que ces questions importantes soient débattues par l'ensemble du Sénat.

Comme l'espérait le comité, l'ensemble du Sénat s'est lancé dans un débat sérieux, réfléchi et approfondi à l'étape de la troisième lecture. Plusieurs amendements ont été proposés par des sénateurs des deux côtés de l'enceinte. Puis, suivant l'une des meilleures traditions parlementaires, les sénateurs de toutes les affiliations politiques ont amendé le projet de loi avant de le renvoyer à l'autre endroit aux fins d'examen.

Nos efforts ont largement été cités comme un exemple de l'excellent travail dont le Sénat est capable lorsque nous travaillons de façon indépendante et avec ouverture d'esprit. Je sais que beaucoup de sénateurs citent le projet de loi C-377 pour donner un exemple du bon travail dont nous sommes capables.

Dans la foulée du jugement de la Cour suprême du Canada concernant le Renvoi relatif à la réforme du Sénat, nous avons eu de longs débats sur le rôle du Sénat. La sénatrice Eaton, qui parrainait au tout début le projet de loi C-377 au Sénat, est intervenue dans l'un de ces débats. En nous rappelant combien il est important pour nous d'agir indépendamment, elle a salué les amendements que nous avions apportés au projet de loi, affirmant qu'il s'agissant d'un exemple où le Sénat avait exercé à bon escient son indépendance, qui est une de ses caractéristiques essentielles. Voici ce qu'elle a dit le 26 mars :

Nous ne devons, et ne pouvons, pas permettre que le Sénat se contente d'approuver automatiquement les projets de loi que lui renvoie la Chambre des communes. Nous avons constaté l'indignation tacite qui éclate lorsque le Sénat décide d'exercer sa prérogative et de rejeter des projets de loi.

Cette situation s'est produite l'an dernier, lorsque nous avons étudié le projet de loi d'initiative parlementaire C-377, qui portait sur la transparence des syndicats. L'autre endroit avait adopté ce projet de loi sans amendement. Toutefois, après avoir étudié les dispositions de cette mesure législative, nous avons conclu qu'il existait des préoccupations importantes sur sa validité constitutionnelle, tant au chapitre du partage des pouvoirs que du point de vue de la Charte. Parmi les autres questions soulevées, mentionnons la protection des renseignements personnels, la nécessité d'une plus grande transparence et les coûts qui en découleraient, ainsi que le manque de précisions quant aux personnes auxquelles s'appliquerait la mesure législative.

Compte tenu de ces préoccupations et de la considération portée à celles-ci en cet endroit, nous n'avons pas adopté la législation. Elle a été renvoyée à l'autre Chambre, comme il se doit.

La sénatrice Eaton avait tout à fait raison. En général, qu'il s'agisse d'un ministre ou d'un simple député, un auteur de projet de loi n'aime guère que des modifications soient apportées à sa mesure législative. Comme notre collègue l'a raconté avec justesse, certains ont exprimé leur indignation par rapport à ce que nous avions fait. Néanmoins, comme la sénatrice Eaton l'a si bien dit, c'était ce qu'il fallait faire. Nous avons fait notre travail.

Pour terminer l'histoire, le 26 juin 2013, nous avons apporté des amendements au projet de loi C-377 et ordonné qu'un message soit envoyé à la Chambre, pour l'informer que nous avions adopté leur projet de loi avec amendements et que nous les priions de l'approuver. Toutefois, chers collègues, le Parlement a été prorogé avant que l'autre endroit n'ait l'occasion d'étudier nos amendements. Les députés n'ont pas pu lire nos observations et réfléchir aux nombreuses questions soulevées durant nos délibérations. C'est comme si notre message et nos amendements avaient disparu dans l'espace.

Chers collègues, je suis d'avis que les députés devraient avoir la possibilité d'étudier et de se prononcer sur nos amendements. Les nombreux Canadiens qui ont pris le temps de présenter leurs points de vue à notre comité, dont l'opinion se reflète dans les observations de notre comité, les délibérations du Sénat et les amendements au projet de loi, méritent de voir leur contribution examinée par l'autre endroit.

Pour ma part, je préférerais renvoyer rapidement nos amendements à l'autre endroit pour examen, sans repasser d'abord par tout le processus de notre côté. Je me demande si le nouveau parrain du projet de loi au Sénat, le sénateur Runciman, serait ouvert à une telle approche.

Je pose la question parce que rien n'a changé depuis juin 2013. Le projet de loi est tout à fait identique. Aucun nouveau sénateur qui aurait pu vouloir participer au débat sur la question n'a été nommé depuis.

Bien entendu, nous avons perdu quelques sénateurs, y compris le sénateur Segal, qui a proposé l'amendement que nous avons adopté. Cela dit, comme il l'a mentionné récemment à La Presse Canadienne, le projet de loi C-377 était :

[...] mal rédigé, imparfait, inconstitutionnel et mal conçu sur le plan technique lorsqu'il a été amendé la dernière fois. Sans amendement, il n'est pas devenu parfait simplement parce qu'un sénateur a pris sa retraite pour faire autre chose [...]

J'ai lu très attentivement le discours prononcé par le sénateur Runciman à l'étape de la deuxième lecture. Son argument principal à l'appui du projet de loi C-377 était que la loi de l'Ontario, contrairement à la loi fédérale, ne limite pas les dépenses des tiers pendant une campagne électorale, et il a fait valoir qu'à son avis, les syndicats ont utilisé cela pour défaire le gouvernement provincial dont il faisait partie — c'était en 2003, donc, il y a plus de 10 ans — et, par la suite, comme nous le savons, pour favoriser l'élection des gouvernements libéraux qui se sont succédé depuis en Ontario.

Je peux certes comprendre la frustration que certaines personnes éprouvent lorsque leur parti ne cesse de perdre aux élections. J'ai vécu cela. J'ai subi cela. J'ai quelques t-shirts qui le prouvent. Sur une note plus sérieuse, chers collègues, il y a toute une marge entre cet argument et le projet de loi C-377. En fait, en prétendant que le Parlement fédéral devrait légiférer parce que la loi électorale de l'Ontario ne correspond pas à nos attentes, on montre à quel point le projet de loi C-377 empièterait sur la compétence des provinces — et c'est vraisemblablement l'objectif visé. Je vais revenir à la question constitutionnelle plus tard.

Lorsque j'ai étudié le discours du sénateur Runciman, ce qui m'a surtout frappé, c'est le fait que certains éléments bien précis n'y figuraient pas. Ainsi, il n'a pas tenté de faire valoir que la situation a changé depuis la dernière fois que nous avons étudié le projet de loi C-377. Il n'a invoqué aucun nouvel argument pour donner suite aux vives inquiétudes qui ont été exprimées à propos du projet de loi à ce moment-là par plusieurs sénateurs des deux côtés de notre enceinte.

Donc, quelles étaient ces graves inquiétudes? Le fait que le sénateur Runciman ait décidé de ne pas soulever ces préoccupations ou de ne pas en traiter ne signifie pas qu'elles n'existent plus, ou qu'elles ont été réglées par magie pendant que nous nous occupions d'autres questions. J'invite mes collègues à relire les excellents débats que nous avons eus l'an dernier pour se rappeler de ce qui est en jeu. Pour l'instant, je vais simplement prendre quelques minutes pour rappeler aux honorables sénateurs certains des problèmes fort troublants que nous avons constatés.

(1750)

Comme nous nous en souvenons tous, le projet de loi C-377 exigerait une divulgation publique complète par ce qu'on appelle les « organisations ouvrières ». La définition de cette expression est tellement large qu'elle semble inclure non seulement tous les syndicats, tant ceux des grandes sociétés internationales que ceux qui ne comptent que quelques membres, mais aussi les organisations professionnelles. Lorsqu'ils ont témoigné, les représentants des associations Doctors Nova Scotia et Doctors Manitoba, qui ne sont pas des syndicats, ont dit qu'ils pensaient que leurs associations seraient visées. En effet, il semble que même les associations d'employeurs soient englobées dans la définition donnée dans le projet de loi. Même Merit Canada, qui est le véritable rédacteur de cette malheureuse mesure législative, serait probablement visé par cette définition.

Plusieurs organisations canadiennes se rendent maintenant compte qu'elles seront probablement touchées par le projet de loi, même si elles ne sont certainement pas des syndicats. Elles commencent aussi à comprendre ce que cela signifiera pour elles et pour tous ceux avec qui elles traitent : paperasse, formalités administratives, coûts et divulgation publique de renseignements secrets, y compris de l'information concurrentielle.

L'ampleur de la divulgation exigée par le projet de loi est sans précédent dans le droit canadien. Chaque organisation ouvrière et chaque fiducie de syndicat — je vais revenir sur ce point dans un instant — est tenue de produire par voie électronique une série d'états qui sont ensuite affichés sur Internet afin que tous puissent en prendre connaissance. L'obligation fondamentale de divulgation est énoncée à l'alinéa 149.01(3)b). Elle prévoit que chaque organisation ouvrière et chaque fiducie de syndicat doit produire, et je cite l'alinéa (3)b) :

[...] des états pour l'exercice indiquant le montant total — ou la valeur comptable dans le cas des investissements et des éléments d'actif — des opérations et versements, les opérations et versements dont la valeur cumulative relativement à un payeur ou un bénéficiaire donné est supérieure à 5 000 $ faisant l'objet d'inscriptions distinctes précisant le nom du payeur et du bénéficiaire, l'objet et la description de l'opération ou du versement et le montant précis payé ou reçu, ou à payer ou à recevoir, et comprenant [...]

Suivent alors plus de 20 sous-alinéas qui précisent certains des renseignements qu'il faut déclarer en vertu du début de cet alinéa qui ratisse excessivement large. Je dis bien « certains » des renseignements qu'il faut déclarer, car le début de l'alinéa, que je viens de citer, se termine par les mots « et comprenant ». Comme le savent les sénateurs, cette formulation ouverte signifie que la liste qui suit n'est pas nécessairement exhaustive. La liste fournit des exemples d'éléments qui sont incontestablement inclus, mais on pourrait néanmoins exiger la déclaration de renseignements qui ne figurent pas dans les sous-alinéas, mais qui correspondent néanmoins au libellé fort imprécis du début de l'alinéa.

Je vous donne un exemple des éventuelles répercussions de cette imprécision. Les députés ont amendé le projet de loi dans le but de limiter l'identification publique des Canadiens visés. Ils voulaient que l'exigence s'applique uniquement à certains sous-alinéas parmi la longue liste que j'ai mentionnée. Le problème, honorables sénateurs, vient du libellé retenu pour l'amendement. Les députés ont en effet ajouté le paragraphe (7) sans revoir le libellé du début de l'alinéa, qui impose l'obligation floue de nommer chaque payeur et chaque bénéficiaire d'une somme supérieure à 5 000 $. Je suis absolument convaincu que l'amendement visait à baliser cette obligation, mais je me demande si le libellé, dans sa forme actuelle, atteint cet objectif. L'ancienne commissaire à la protection de la vie privée a été interrogée à ce sujet lorsqu'elle a témoigné au Comité des banques. Son avocate générale principale et elle ont d'ailleurs convenu que le libellé de l'amendement n'est « pas clair ».

On a posé une question à ce sujet à l'ancienne commissaire à la protection de la vie privée lorsqu'elle a témoigné au Comité des banques. La commissaire et son avocate générale principale s'entendaient pour dire que le libellé de l'amendement faisait en sorte que « ce n'est [...] pas clair ».

Voilà qui fait ressortir un problème que bien des Canadiens ont soulevé concernant les projets de loi d'initiative parlementaire : puisque les avocats du ministère de la Justice ne rédigent pas ces mesures législatives et qu'ils ne les examinent pas, il peut y avoir des lacunes. Dans l'exemple précédent, à cause des règles qui limitent les débats sur les projets de loi d'initiative parlementaire à l'autre endroit, cet amendement, qui avait été proposé à l'étape du rapport, n'a pas fait l'objet d'un examen ou d'un débat approfondis. Il n'y a tout simplement eu aucun débat à ce sujet. Heureusement, les règles du Sénat ne sont pas aussi strictes, et nous avons été en mesure de remplir notre rôle de « Chambre de second examen objectif », pour reprendre les mots des Pères de la Confédération, ou « d'assemblée législative complémentaire chargée de porter un second regard attentif aux projets de loi », comme la Cour suprême l'a si bien dit récemment.

Revenons au projet de loi C-377. Au titre de cette mesure législative, il faudrait établir des états indiquant les opérations et les versements dont la valeur cumulative relativement à un payeur ou à un bénéficiaire, qui peut être nommé ou non dans ce cas, est supérieure à 5 000 $. Ces états seraient par la suite affichés sur Internet, et tout le monde y aurait accès.

Notre ancien collègue, le sénateur Segal, a bien expliqué les choses :

Avec le seuil de 5 000 $ prévu dans le projet de loi, un syndicat serait obligé de déclarer publiquement tout achat d'une provision de café pour deux ans, d'une voiture d'occasion, d'un ordinateur ou d'une imprimante. Il en serait de même s'il fallait que le syndicat remplace la plomberie ou la chaudière de l'immeuble abritant ses bureaux. L'Agence du revenu du Canada est-elle si peu occupée?

En vertu de ce projet de loi, toute petite entreprise qui conclut un contrat de plus de 5 000 $ avec un syndicat verra la valeur, l'objet et la description de son contrat publiés sur Internet; ses compétiteurs pourront le consulter et proposer leurs services à plus bas prix. Est-ce en obligeant les PME à révéler des renseignements confidentiels sur leurs contrats à leurs compétiteurs simplement parce qu'elles font affaire avec un syndicat que nous les aiderons à prospérer et que nous favoriserons une saine concurrence?

Il y aura deux catégories d'entreprises au pays : celles qui ne font pas affaire avec des organisations ouvrières et qui peuvent ainsi maintenir la confidentialité de leurs renseignements de nature concurrentielle, et celles qui font affaire avec des organisations ouvrières et que nous allons punir en portant atteinte à leur compétitivité future.

Pour revenir aux plus de 20 sous-alinéas dont j'ai parlé plus tôt, ils englobent toutes sortes de renseignements, que ce soit les comptes débiteurs; les comptes créditeurs; les prêts supérieurs à 250 $ consentis à des cadres, à des employés, à des membres ou à des entreprises; les emprunts; la description, le coût, la valeur comptable et le prix d'achat ou de vente pour chaque achat ou vente d'investissements et de biens immobilisés corporels; le total des déboursés relatifs à « l'administration » ainsi qu'une catégorie distincte pour le total des déboursés relatifs au paiement des « coûts indirects ». Y a-t-il quelqu'un qui peut m'expliquer ce que désigne chacun de ces termes non définis? Et il ne s'agit là que d'une liste partielle des renseignements qui devront désormais être fournis.

Le sous-alinéa 149.01(3)b)(vii) est particulièrement problématique. Non seulement il comporte une erreur de ponctuation flagrante, mais il exige également que le nom et le salaire d'innombrables personnes soient publiés sur Internet, à la vue de tous. Je cite le sous-alinéa :

[...] un état indiquant les versements effectués au bénéfice des cadres, des administrateurs, des fiduciaires, des employés dont la rémunération est supérieure à 100 000 $ et des personnes exerçant des fonctions de gestion dont il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elles aient, dans la pratique normale, accès à des renseignements importants relatifs à l'entreprise, aux activités, aux actifs ou aux revenus de l'organisation ouvrière ou de la fiducie de syndicat, notamment le salaire brut, les allocations, les paiements périodiques, les avantages sociaux (y compris les obligations de prestations de retraite), les véhicules, les primes, les dons, les crédits de service, les paiements forfaitaires, les autres formes de rémunération et, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, toute autre rétribution versée [...]

Dans sa version actuelle, le sous-alinéa exigerait que soient déclarés les versements effectués au bénéfice des cadres, des administrateurs, des fiduciaires et des employés dont la rémunération est supérieure à 100 000 $. C'est assez clair. Mais qu'en est-il du passage suivant? Je cite :

[...] des personnes exerçant des fonctions de gestion dont il est raisonnable de s'attendre à ce qu'elles aient, dans la pratique normale, accès à des renseignements importants relatifs à l'entreprise, aux activités, aux actifs ou aux revenus de l'organisation ouvrière ou de la fiducie de syndicat [...]

(1800)

Est-ce que chacun comprend, ou, mieux encore, est-ce que tous ceux qui sont dans cette enceinte comprennent clairement qui est visé par cette formulation ou, ce qui est peut-être plus important, qui peut être exempté de sa portée?

On peut supposer qu'un grand nombre de personnes ont « accès » à « des renseignements importants relatifs à l'entreprise... de l'organisation ouvrière ou de la fiducie de syndicat ». Ces personnes pourraient inclure quiconque a accès à un classeur où sont conservés des documents ordinaires sur les activités quotidiennes. Qu'entend-on par « personnes exerçant des fonctions de gestion »? Des fonctions de gestion sur quoi ou sur qui? De toute évidence, il s'agit de personnes autres que les cadres, les administrateurs ou les fiduciaires, puisque ceux-ci sont déjà visés.

Son Honneur le Président intérimaire : Honorables sénateurs, êtes-vous d'accord pour ne pas tenir compte de l'heure?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Cowan : De toute évidence, ces personnes incluent des employés qui gagnent moins, et même bien moins que 100 000 $. Pourquoi adopterions-nous une loi exigeant que l'on affiche sur Internet les noms et les salaires de tous les employés de niveau moyen au sein d'une organisation ouvrière canadienne? Voudrions-nous que le nom et le salaire de tous nos amis et de tous les membres de notre famille soient affichés sur Internet? Si la réponse est non, pourquoi adopterions-nous une loi qui oblige tout Canadien lié à une organisation ouvrière à faire une telle divulgation? Est-ce le Canada que nous voulons?

Le projet de loi exige en outre la divulgation publique de la façon dont toutes ces personnes — les cadres, les administrateurs, les fiduciaires, les employés dont la rémunération est supérieure à 100 000 $ et cette vague catégorie d'employés de niveau moyen — occupent leur temps. En effet, les organisations ouvrières et les fiducies de syndicat seront tenues de produire des états donnant une estimation du pourcentage de temps consacré « à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail ».

Chers collègues, lorsque les représentants d'un syndicat rencontrent la ministre du Travail afin d'essayer d'éviter une grève, ces rencontres sont-elles considérées comme du lobbying ou comme une autre activité « non liée aux relations de travail » en vertu du projet de loi? Franchement, j'aurais pensé que la ministre du Travail voudrait encourager les représentants syndicaux à la rencontrer régulièrement, et non seulement lorsqu'une grève risque d'être déclenchée. Qui voudrions-nous que la ministre rencontre, sinon les représentants d'organisations ouvrières?

Afin d'assurer un équilibre, devrions-nous adopter une mesure législative exigeant que tous les ministres produisent une déclaration renfermant une estimation du pourcentage de temps qu'ils consacrent à des activités politiques partisanes, à des activités dans les circonscriptions, et à des activités de lobbying auprès d'autres ministres? C'est absurde.

Le projet de loi ne s'arrête pas là. En vertu du sous-alinéa (viii.1), les organisations ouvrières sont tenues de présenter un état indiquant une estimation raisonnable du pourcentage de temps consacré, encore une fois, « à la conduite d'activités politiques, d'activités de lobbying et d'autres activités non liées aux relations du travail » par des employés et des entrepreneurs. J'ai bien dit des entrepreneurs, chers collègues. Les organisations ouvrières doivent faire rapport de la façon dont des tiers, sur lesquels on suppose qu'elles n'ont aucun contrôle, occupent leur temps.

Honorables sénateurs, je vous donne un exemple. Un bureau de syndicat local passe un contrat de services de nettoyage avec une entreprise privée. C'est le seul contrat que cette entreprise indépendante a avec un syndicat. Toutefois, dorénavant, le bureau de syndicat sera tenu de fournir à l'Agence du revenu du Canada des renseignements détaillés sur l'entreprise de nettoyage. Sommes-nous vraiment à l'aise avec cette idée?

Le programme Du régiment aux bâtiments, que le sénateur Day connaît bien, est un autre exemple. Il s'agit d'une initiative qui offre des carrières dans les métiers de la construction aux anciens combattants qui rentrent au pays. C'est un partenariat avec les syndicats de la construction, les employeurs et le gouvernement au Canada. Quelle divulgation sera exigée de ces intervenants qui aident nos anciens combattants?

Un paragraphe proposé à l'étape du rapport à l'autre endroit rend le projet de loi encore plus absurde, si c'est possible. Il se lit comme suit :

(5) Il est entendu que les déboursés visés aux sous-alinéas (3)(b)(viii) à (xx) comprennent ceux effectués par l'intermédiaire d'un tiers ou d'un entrepreneur.

Chers collègues, comment pouvons-nous obliger une organisation à se charger de rapporter des paiements faits par des tierces parties, qui, par définition, ne sont pas à l'emploi ou sous le contrôle de cette organisation? Comment peut-on s'attendre à ce qu'elle sache cette information et encore moins qu'elle soit en mesure de la divulguer publiquement? Or, si elle ne la divulgue pas, elle devra payer une amende de 1 000 $ par jour après déclaration de culpabilité.

La liste des obligations à divulguer est interminable et décrit toutes les activités imaginables. De plus, au cas où l'on aurait oublié quelque chose, elle se termine par ces mots :

(xx) tout autre état prescrit;

Autrement dit, chers collègues, le gouvernement peut délibérer à huis clos et exiger la divulgation de tout ce qu'il souhaite obtenir : par exemple, pourquoi pas le nom et l'adresse de tous les syndiqués? Le gouvernement pourrait obliger la divulgation du menu du petit déjeuner servi au local syndical pour s'assurer qu'il n'est pas financé par les largesses des contribuables. Aucune limite n'est imposée à ce pouvoir de réglementation, et on n'aurait d'autre choix que de se conformer ou de risquer une amende de 1000 $ par jour.

Honorables sénateurs, je n'ai jamais vu de projet de loi qui intervient autant dans les affaires privées des Canadiens. Et comme je l'ai déjà dit, il n'est pas du tout certain que, dans son libellé actuel, il se limite aux syndicats. L'avocat général de Doctors Manitoba a déclaré ceci à notre comité sur les banques :

« [...]décrire chacune de ces transactions pourrait nous forcer à divulguer au public des renseignements personnels en matière de santé, de finances ou autres sur nos membres; cela nous placerait dans la position insoutenable de devoir enfreindre une autre loi pour nous conformer au projet de loi. »

Fait intéressant, lorsque, à l'autre endroit, on a demandé au ministre du Revenu national de fournir la même information qui figure dans le projet de loi C-377 concernant les employés de l'Agence du revenu du Canada qui administrent la base de données sur les organismes de bienfaisance, celui-ci a répondu ceci :

La Loi sur la protection des renseignements personnels interdit à l'ARC de divulguer les renseignements personnels de ses employés.

Pensez-y, chers collègues : la loi interdit au gouvernement de divulguer la même information sur ses employés que celles que nous exigerions des organisations syndicales et de leurs fiducies. Et, comble d'ironie, se sont ces mêmes employés de l'ARC qui administreront et appliqueront les dispositions de divulgation du projet de loi C-377 — en exigeant des organisations syndicales qu'elles publient à qui veut la voir sur Internet l'information que la loi leur interdit de divulguer sur eux-mêmes.

À l'autre endroit, au printemps dernier, on a inscrit au Feuilleton une question demandant combien d'employés du cabinet du premier ministre avaient des salaires annuels supérieurs à 150 000 $, à 200 000 $ et à 250 000 $. On a aussi demandé des renseignements sur les primes versées à ces employés. Remarquez bien, chers collègues, que l'on ne demandait pas de nom ou de salaire propre à un employé, mais simplement le nombre d'employés dans chaque catégorie, c'est-à-dire beaucoup moins d'informations que celles que l'on peut demander aux termes du projet de loi C-377. Le 6 mars 2014, le secrétaire parlementaire du premier ministre, le fameux Paul Calandra, a déposé la réponse suivante :

Monsieur le Président, lorsqu'il traite des documents parlementaires, le gouvernement applique la Loi sur la protection des renseignements personnels et les principes de la Loi sur l'accès à l'information. Les renseignements demandés n'ont pas été communiqués, car il s'agissait de renseignements personnels.

Lorsqu'il s'agit du personnel du premier ministre, on peut se prévaloir de la Loi sur la protection des renseignements personnels, mais lorsque l'on a affaire aux employés d'une organisation syndicale, la chasse est ouverte. Comment le sénateur Runciman, qui nous a rappelé avec fierté ses antécédents syndicaux au moment de proposer la deuxième lecture du projet de loi, peut-il le défendre?

Dans le témoignage qu'elle a fait devant notre comité sur les banques à propos du projet de loi C-377, la commissaire à la protection de la vie privée a été très claire. Elle affirme que le fait de nommer des personnes, comme le propose le projet de loi, constituerait :

[...] une atteinte considérable à leur vie privée. En ne limitant aucunement les recherches sur le Web, compte tenu de la puissance des moteurs de recherche de nos jours et de la facilité avec laquelle il est possible de reproduire les informations trouvées — le Web n'oublie jamais et les gens ont le droit d'être oubliés —, je crois que le projet de loi pourrait poser problème. J'y verrais un problème.

(1810)

Outre les préoccupations en matière de protection de la vie privée, notre comité s'est aussi fait dire que le projet de loi pourrait mettre des vies en danger et nuire à la sécurité de nos policiers, ceux-là mêmes qui doivent veiller à notre sécurité. Voici ce que Tom Stamatakis, le président de l'Association canadienne des policiers, a dit à notre Comité des banques et du commerce au sujet des risques auxquels ses membres s'exposeraient si le projet de loi C-377 était adopté :

Un membre de mon conseil exécutif, à Vancouver, est sergent au sein de l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé de la Colombie-Britannique. L'unique fonction de cette unité est de cibler les groupes criminels organisés, les gangs de motards criminels, et d'identifier les gangs qui participent à des activités criminelles graves. Leur principale fonction est de surveiller les membres des gangs et leurs activités en vue d'engager des poursuites contre eux. Le projet de loi C-377 mettrait cette personne dans une situation où, à tout le moins, son nom serait publié. Avec la technologie, de nos jours, il ne faudrait pas grand-chose pour que quelqu'un fasse quelque chose.

Comment ceux qui appuient le projet de loi C-377 comptent-ils calmer les inquiétudes relatives à la sécurité de nos agents de la paix? Est-il plus important de dénigrer les syndicats que d'assurer la sécurité de ceux qui ont juré de nous protéger?

En vertu du projet de loi C-377, les organisations ouvrières auront à divulguer des renseignements qui sont protégés par le secret professionnel, lequel est pourtant un privilège fondamental et crucial prévu par notre système juridique. La Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada — un organisme national qui coordonne le travail des 14 ordres professionnels provinciaux et territoriaux au Canada — a témoigné devant le Comité des banques en mai 2013 afin d'exprimer sa profonde inquiétude quant à cet aspect du projet de loi.

Comme je l'ai dit, les obligations de divulgation prévues dans le projet de loi s'appliquent non seulement aux organisations ouvrières, mais aussi aux fiducies de syndicat. Ralf Hensel, conseiller juridique principal et directeur des politiques à l'Institut des fonds d'investissement du Canada, a été entendu par le Comité des banques en juin 2013. Permettez-moi de lire un extrait de son témoignage :

La définition de fiducie de syndicat est tellement large que si nous l'interprétons d'une manière juste et raisonnable, elle engloberait l'ensemble des fiducies ou des fonds offerts au public qui ne comptent qu'un seul détenteur de parts ou bénéficiaire membre d'une organisation syndicale. Ce fonds serait alors assujetti aux exigences de divulgation complète prévues dans le projet de loi.

Essentiellement, tous les fonds mutuels qui n'ont qu'un seul investisseur qui est membre d'une organisation syndicale seraient biaisés et, par conséquent, seraient assujettis au projet de loi. Il n'est pas tout à fait clair si le fonds biaisé est tenu de déclarer les investissements personnels des membres d'une organisation syndicale uniquement ou de tous les investisseurs. Toutefois, nous ne croyons pas que l'intention des rédacteurs et des promoteurs du projet de loi était d'exiger que les fonds mutuels publics déclarent les placements personnels et les opérations d'épargne des investisseurs, qu'ils soient membres ou non d'une organisation syndicale.

La production et le dépôt de rapports précis constitueront en soi un fardeau administratif injustifié pour les sociétés de fonds, mais ce fardeau n'est rien si l'on compare aux activités qu'il faudra mener pour établir et entretenir des relations avec les investisseurs, s'il y en a, avec une organisation syndicale — c'est-à-dire avec tous les investisseurs actuels [...]

Plus tôt dans son témoignage, il avait indiqué qu'on compte 12 millions de ces investisseurs au pays.

[...] et avec tous les nouveaux investisseurs dans tous les fonds administrés par toutes les sociétés existantes, ce qui est énorme. On compte plus de 9 000 séries de fonds.

Il a conclu en disant ce qui suit :

On demande aux sociétés de faire des efforts herculéens.

M. Hensel utilise l'expression « efforts herculéens ». « Cauchemar » est plutôt le mot qui me vient à l'esprit.

Voici un autre scénario que j'ai entendu. À l'heure actuelle, de nombreux employeurs supplémentent les pensions des employés au-delà du plafond autorisé par les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, et paient ces suppléments à partir des recettes générales de l'entreprise. Or, si l'entreprise compte des employés, ne serait-ce que quelques-uns, qui sont membres d'un syndicat, alors ce syndicat pourrait être considéré comme ayant un « intérêt bénéficiaire ou financier » dans le « fonds » qui paie ces suppléments de pension, c'est-à-dire, le fonds des recettes générales de l'entreprise, ce qui, en vertu de la définition de « fiducie de syndicat » du projet de loi, signifie que le fonds des recettes générales de l'entreprise serait considéré comme étant une fiducie de syndicat et donc assujetti à toutes les obligations de divulgation du projet de loi. Et si, chers collègues, l'employeur en question était un gouvernement provincial, et que ces suppléments, au lieu d'être payés à partir des recettes générales de la province, étaient payés à partir du Trésor? Dans ce cas, le cauchemar ne fait qu'empirer.

Chers collègues, ce ne sont là que quelques exemples des problèmes qui ont été décelés dans le cadre de notre étude du projet de loi l'an dernier et des autres problèmes qui continuent d'être soulevés et qui nous ont collectivement convaincus que le projet de loi ne peut être adopté sans faire l'objet d'amendements considérables.

À ma connaissance, il n'y a actuellement au Canada aucune personne et aucun organisme, public ou privé, qui soit tenu par la loi de publier le genre de renseignements qu'exigerait le projet de loi C-377. Ni le cabinet du premier ministre, ni les organismes de bienfaisance, ni les partis politiques ne sont soumis à une telle exigence. Les sociétés publiques et privées, qui bénéficient elles-mêmes de généreuses déductions d'impôt, n'ont pas à publier de tels renseignements. Dans ce contexte, comment pourrait-on justifier de soumettre les organisations ouvrières et les fiducies de syndicat à de pareilles exigences de publication?

Le parrain du projet de loi à l'autre endroit, M. Russ Hiebert, a dit au Comité sénatorial des banques que le public avait droit aux renseignements qui seraient publiés en vertu du projet de loi C-377, parce que la Loi de l'impôt sur le revenu accorde aux organisations ouvrières certains avantages fiscaux, dont la possibilité de déduire les cotisations syndicales. Voici ce qu'il a dit :

Le principe fondamental du projet de loi C-377, c'est que le public fournit des avantages importants et qu'il devrait savoir comment ces avantages sont utilisés.

Prenez un instant pour y penser, chers collègues. Pensez au précédent que nous créerons si nous adoptons ce projet de loi. Cela signifierait que quiconque demande une déduction d'impôt en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu devra être prêt à rendre publics tous les renseignements sur ses activités.

Tous les particuliers au Canada réclament des déductions d'impôt. Jusqu'où faut-il pousser la logique de M. Hiebert, alors? Oui, les cotisations syndicales donnent droit à des déductions d'impôt, mais c'est aussi le cas des frais d'adhésion qu'avocats, ingénieurs et médecins paient à leur organisme de réglementation provincial. Il faudrait aussi tenir compte du transfert direct de fonds publics à des entreprises.

Deux professeurs d'administration de l'Université de Regina, Sean Tucker et Andrew Stevens, ont publié un article à ce sujet dans le National Post. Ils ont d'abord décrit une firme d'ingénieurs typique, qui pourrait bénéficier d'avantages provenant de la Stratégie emploi jeunesse, du Programme d'encouragements fiscaux pour la recherche scientifique et le développement expérimental, ou du Programme canadien pour la commercialisation des innovations, qui font tous partie du plan d'action économique du gouvernement.

MM. Tucker et Stevens posent la question qui doit être posée :

Pourquoi les entreprises que le système d'imposition soutient tout autant sinon plus que les syndicats devraient-elles être traitées autrement que ces derniers?

Voici leur explication :

L'équivalent du projet de loi du député Hiebert dans le monde des affaires exigerait de cette société qu'elle divulgue publiquement les salaires de ses cadres supérieurs ainsi que toutes les transactions de plus de 5 000 $, et qu'elle précise les noms du débiteur et du créditeur. Mais aux termes de ce projet de loi, la responsabilisation irait encore plus loin.

Le gouvernement demanderait des rapports — dont il fixerait les paramètres — sur une douzaine de catégories d'activités commerciales et exigerait des cadres supérieurs qu'ils le mettent au courant de toutes leurs activités politiques et de lobbying. Les coûts de la production des rapports seraient assumés par l'entreprise et le non-respect de cette exigence serait sanctionné par une amende de 1 000 $ par jour. Et, comme l'étendue de la divulgation prévue aux termes du projet de loi C-377 n'est pas proportionnelle à l'avantage que l'entreprise procure à la société en général, toutes les entreprises seraient traitées sur un pied d'égalité.

L'idée d'une loi ciblant des entreprises peut sembler tirée par les cheveux. Elle serait assurément controversée si un futur gouvernement néo-démocrate songeait à prendre une telle mesure. Toutefois, Hiebert a déjà fourni un modèle pour une telle loi...

Voilà ce qu'ont dit les deux professeurs.

(1820)

Soyons clairs, chers collègues. Le projet de loi C-377 ne vise pas vraiment à déterminer qui doit rendre compte d'un avantage financé par les contribuables. Le projet de loi C-377 est un projet de loi antisyndical. Il vise à ensevelir les syndicats sous des montagnes de paperasse de sorte qu'ils ne pourront pas représenter leurs membres autant et aussi bien qu'ils le font maintenant. Pourquoi les syndicats? Un grand nombre de Canadiens pensent que c'est parce que les syndicats approuvent moins la façon dont le présent gouvernement aborde les relations de travail. En réalité, le projet de loi C-377 envoie un message aux Canadiens. Il leur dit qu'il n'est plus prudent de s'opposer au gouvernement du Canada. Si vous n'êtes pas d'accord, vous pourrez être et serez frappé avec toute la force de la loi. Le projet de loi le fait au moyen de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais personne ne devrait être dupe et, franchement, personne ne l'est.

Ce projet de loi ne porte pas sur quoi que ce soit qu'on pourrait imaginer dans une loi régissant l'impôt sur le revenu. Le projet de loi C-377 prend la Loi de l'impôt sur le revenu et en fait une arme à déployer contre ceux qui ne sont pas d'accord avec le gouvernement — un cheval de Troie, avec les fonctionnaires de l'ARC dans le rôle de guerriers peu enthousiastes qu'il tient en bride. Aujourd'hui, cette arme est dirigée contre les syndicats, mais qui seront les prochaines cibles?

Autre précision : le fait que les fonctionnaires de l'ARC devront administrer et faire respecter les dispositions de ce projet de loi signifie qu'ils auront moins de temps pour faire respecter les autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les fonctionnaires de l'ARC qui ont comparu devant le Comité des banques ont été très clairs à ce sujet. Comme l'un d'eux l'a dit : « [...] à tout le moins, il s'agira d'un coût de renonciation. D'autres activités seraient sacrifiées. »

Nous avons tous entendu notre collègue, le sénateur Downe, insister à plusieurs reprises auprès du gouvernement au sujet de la nécessité de récupérer les montants considérables qui sont dus aux contribuables canadiens et qui sont dissimulés à l'étranger. Il y a quelques jours, les Canadiens ont appris dans les Comptes publics publiés par le gouvernement lui-même que, au cours de la seule année dernière, les fraudes fiscales ont coûté 220 millions de dollars au fisc. Jusqu'à maintenant, l'ARC n'a récupéré que 2,2 millions de dollars et espère récupérer un montant supplémentaire de 9,2 millions de dollars. En d'autres termes, on doit encore à l'ARC 210 millions de dollars qu'elle ne recouvrera peut-être jamais. À cause des compressions budgétaires imposées par le gouvernement, l'ARC a dû réduire ses effectifs plusieurs fois et elle tente de s'en tirer avec des ressources moindres. Voulons-nous que les employés de l'ARC fassent enquête sur les centaines de millions de dollars d'impôts non payés et tentent de les recouvrer, ou voulons nous qu'ils passent leur temps à vérifier si telle ou telle section locale d'un syndicat a complètement divulgué au monde entier toutes ses dépenses en information et en formation, comme l'exige le sous-alinéa 18?

Il en coûtera très cher de se conformer au projet de loi. Le comité sénatorial des banques estime que cela coûtera des dizaines de millions de dollars aux syndicats. Le gouvernement Harper exigera donc que l'on consacre des dizaines de millions de dollars à des formalités administratives.

Si le projet de loi vise à amener les syndicats à faire preuve de transparence et à rendre compte de leurs affaires financières, il faut dire que les syndicats le font déjà. Comme les témoins l'ont dit les uns après les autres, le projet de loi C-377 est une solution en quête d'un problème.

Les lois de la plupart des provinces et les statuts des syndicats exigent déjà que ceux-ci fournissent à leurs membres des renseignements financiers, et c'est normal. Une société doit rendre des comptes à ses actionnaires, et un syndicat doit en rendre à ses membres. Le sénateur Runciman a exprimé son désaccord parce que, pour reprendre ses propos : « Parmi les 14 gouvernements qui peuvent prélever des impôts au pays, seulement 8 ont adopté des dispositions législatives obligeant pareille divulgation, mais leur portée est limitée et elles varient d'une province à l'autre. »

C'est ce qui m'amène à parler d'un grave problème du projet de loi C-377. En fait, par cette mesure législative, le gouvernement fédéral cherche à imposer aux provinces sa propre façon de concevoir les lois provinciales, ce qui est inacceptable.

Honorables sénateurs, il ne s'agit pas d'un cas où les provinces sont restées muettes et où il faut combler un vide législatif. Les provinces se sont exprimées. Le hic, c'est que le gouvernement fédéral n'aime pas ce qu'elles ont dit. Plusieurs constitutionnalistes ayant comparu devant le Comité des banques ont déclaré que le projet de loi C-377 était une intrusion dans le champ de compétence législative des provinces, selon le partage des pouvoirs de la Constitution. Bruce Ryder est professeur à l'Osgoode Hall Law School. Il enseigne le droit constitutionnel depuis plus de 25 ans.

Voici ce qu'il a dit au comité :

Je suis ici pour nous annoncer une mauvaise nouvelle. Le projet de loi C-377 ne relève pas de la compétence législative du Parlement du Canada. Sa caractéristique dominante est la réglementation des activités des organisations ouvrières, une question qui relève avant tout de la compétence provinciale pour adopter des lois portant sur la propriété et les droits civils, aux termes de l'article 92.13 de la Loi constitutionnelle de 1867. Si le projet de loi C-377 est adopté par le Parlement, il sera déclaré inconstitutionnel et inopérant par les tribunaux.

Le professeur Ryder n'est pas le seul à penser ainsi. D'autres constitutionnalistes sont du même avis, tout comme plusieurs provinces qui ont envoyé des représentants ou qui ont écrit au comité. Cinq provinces de toutes les tailles et de toutes les couleurs politiques — Parti libéral, Nouveau Parti démocratique, Parti québécois et Parti conservateur — ont déclaré que ce projet de loi n'était pas constitutionnel, qu'il n'était pas nécessaire et, en fait, qu'il allait nuire aux relations de travail dans les provinces. Un ministre provincial venu directement à Ottawa pour comparaître devant le comité a dit que le projet de loi « troublera l'équilibre en place ».

Le sénateur Runciman a fait porter ses observations sur une opinion soumise au comité par l'ancien juge de la Cour suprême Michel Bastarache, désormais avocat dans le secteur privé. Chose peu étonnante, il a omis de mentionner que l'opinion de l'ancien juge était incontestablement minoritaire — on pourrait la qualifier d'opinion non conformiste ou même d'opinion dissidente. En réalité, M. Bastarache avait été payé pour exprimer cette opinion par Merit Canada, l'organisme qui, à mon avis, est le véritable auteur de ce projet de loi.

M. Bastarache a soutenu que le projet de loi était constitutionnel pour la raison suivante :

Dans la mesure où les nouvelles dispositions portent sur la transparence ou l'intégrité financière, elles peuvent être considérées, à juste titre, comme relevant du pouvoir du Parlement de légiférer pour le « prélèvement de deniers par tous modes ou systèmes de taxation », en vertu du paragraphe 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867.

Le professeur Ryder était si troublé par cet argument qu'il a pris l'initiative inhabituelle d'écrire au comité. Voici ce qu'il lui a écrit :

Les sénateurs devraient s'inquiéter de la portée extraordinaire du pouvoir d'imposer des coûts importants de production de rapports financiers à des organismes sous réglementation provinciale que ce raisonnement sur le pouvoir d'imposition confère au Parlement.

Il a conclu en disant ceci :

Je suis d'avis, comme d'autres constitutionnalistes qui ont été cités lors des audiences du comité, au Parlement, que les tribunaux ne se laisseront pas berner par la ruse qui consiste à se servir de la Loi de l'impôt sur le revenu comme d'un cheval de Troie pour réglementer inconstitutionnellement l'ensemble des organisations ouvrières.

Honorables sénateurs, l'argument de l'ancien juge Bastarache est particulièrement dangereux.

Comme je l'ai dit au Sénat en juin 2013, tout citoyen, de par le fait qu'il est contribuable, est sujet à la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon cette logique, le Parlement aurait alors le pouvoir d'adopter n'importe quelle mesure législative les obligeant à faire n'importe quoi. Il pourrait ainsi dicter leur comportement aux enseignants des écoles publiques, aux comptables ou aux camionneurs, dont les activités sont assujetties à la réglementation provinciale en vertu de notre Constitution, simplement parce que ce sont des contribuables.

(1830)

Chers collègues, en juin de l'an dernier, le Sénat s'est exprimé avec éloquence et indépendance, fort de l'appui des deux partis. Il s'est exprimé au nom des provinces qu'il représente, dont cinq ont dénoncé l'inconstitutionnalité du projet de loi.

Il s'est porté à la défense d'une valeur canadienne, celle de la protection des renseignements personnels, s'élevant contre un projet de loi qui imposerait la publication sur Internet du salaire de simples citoyens. Tous leurs voisins, amis, parents et collègues de travail seraient au courant.

Il s'est porté à la défense des principes de l'élémentaire justice. Un journal a qualifié le projet de loi C-377 de « chasse aux sorcières ». En 2013, le Sénat a refusé de prendre part à cette chasse.

Je suis très déçu que le gouvernement ait décidé de soumettre ce projet de loi au débat. Comme il est resté au Feuilleton pendant une année complète, j'espérais qu'il y connaîtrait le sort qu'il mérite. Cependant, chers collègues, puisque le gouvernement nous contraint à vivre sa version du jour de la marmotte, assurons-nous de faire le travail correctement.

Si on ne veut pas ramener en vitesse nos amendements antérieurs à l'autre endroit, rappelons les témoins qui se sont exprimés avec tant d'éloquence en 2013 et d'autres témoins également, pour leur demander s'ils ont revu leurs graves préoccupations, pour leur demander si nous avons eu tort d'amender le projet de loi comme nous l'avons fait et pour savoir si nous devrions reconsidérer notre propre position. Le comité sénatorial devra une fois de plus faire un examen approfondi de cette mesure, car ceux qui subiront les conséquences du projet de loi C-377 méritent d'avoir la possibilité de se faire entendre.

Pour un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-377 a fait l'objet d'une attention hors du commun dans l'opinion publique, ce qui en montre, je crois, la portée et la nature sans précédent. Les médias nationaux et locaux en ont suivi la progression de près depuis qu'il est arrivé au Sénat.

Chers collègues, nous nous sommes exprimés d'une voix forte l'an dernier, et notre message a été entendu et bien accueilli dans tout le Canada. Les Canadiens sont à l'écoute. Ils veulent voir si nous allons de nouveau nous porter à leur défense. Nous ne devons pas les laisser tomber.

Son Honneur le Président intérimaire : Nous poursuivons le débat.

L'honorable Elaine McCoy : Puis-je ajourner le débat à mon nom?

L'honorable Serge Joyal : J'ai une question à poser.

Le sénateur McCoy : Je vous cède la parole, sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Je serai bref, car il est tard.

Vous avez été avocat, sénateur Cowan. En vous écoutant, à la lumière de l'opinion de l'ancien juge Bastarache selon laquelle on peut réglementer les syndicats au moyen du pouvoir fiscal, je me suis dit que, quand on aborde la constitutionnalité d'une mesure comme le projet de loi C-377, la première question que tout tribunal posera portera sur l'essence et la substance du texte législatif. Autrement dit, que vise le texte de loi? S'agit-il essentiellement de percevoir des fonds? Un projet de loi qui vise à assurer un financement obéit à une certaine logique. Il établit un barème d'imposition en fonction d'un certain nombre de facteurs.

Cependant, un projet de loi qui, sous couvert de percevoir un impôt, vise à régir toutes sortes d'autres éléments qui n'ont aucune incidence sur les revenus qu'on souhaite obtenir n'est plus un projet de loi de finances. Ce n'est plus une mesure fiscale. C'est essentiellement une ingérence dans un domaine qui n'est pas visé par une mesure qui vise à percevoir des fonds.

Je n'ai pas longuement étudié le projet de loi, mais, à vous écouter, j'ai la nette impression que l'argument juridique, l'argument constitutionnel voulant qu'il s'agisse d'une mesure financière ne satisfait pas au critère de l'essence et de la substance. La Cour suprême a rendu une multitude d'arrêts à ce propos.

Avez-vous tenu compte de cet argument lorsque vous avez préparé vos notes?

Le sénateur Cowan : Merci, sénateur Joyal. Je pense que c'est justement là la question. Je ne crois pas qu'un tribunal se fierait tout simplement aux commentaires du gouvernement pour déterminer l'objectif d'un projet de loi. Il examinerait le document pour voir quelle en est l'essence, quel est son véritable objectif.

À l'instar du professeur Ryder et de certains de ses collègues — je pense qu'il a parlé d'environ 25 collègues —, je crois que le véritable objectif de ce projet de loi est de réglementer les relations de travail, ce qui, selon la disposition de la Constitution portant sur la propriété et les droits civils, relève de la compétence des provinces. De l'avis de M. Ryder — et cela me semble logique —, cette mesure touche accessoirement la Loi de l'impôt sur le revenu, étant donné que ce n'est pas son véritable objectif. Selon le professeur et ses collègues, le véritable objectif est plutôt de réglementer les relations de travail, qui relèvent de la compétence des provinces.

Comme je l'ai mentionné, cinq provinces ont présenté leur point de vue aux membres de notre comité. Elles ont affirmé que cette mesure est inconstitutionnelle et qu'elle constitue une ingérence dans leurs affaires. Je suis d'accord avec vous, monsieur.

(Sur la motion de la sénatrice McCoy, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Sénat

Motion tendant à reconnaître la deuxième semaine de mai comme la Semaine internationale de la santé maternelle et infantile—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Que le Sénat reconnaisse la deuxième semaine de mai comme étant la « Semaine internationale de la santé maternelle et infantile » pour sensibiliser les Canadiens aux problèmes de santé qui touchent les mères et les enfants au Canada et dans le monde entier, pour réduire la mortalité maternelle et infantile, pour améliorer la santé des femmes et des enfants dans les pays les plus pauvres du monde, pour promouvoir l'accès égal aux soins pour les femmes et les enfants qui vivent dans des ménages de classes socioéconomiques inférieures, qui sont moins scolarisés, qui vivent sous le seuil de faible revenu, qui sont de nouveaux arrivants ou qui vivent dans des régions éloignées ou peu densément peuplées du Canada, et pour prévenir que des centaines de milliers de femmes et d'enfants meurent inutilement en raison de maladies évitables ou du manque de soins de santé adéquats pendant la grossesse, à la naissance ou pendant la petite enfance.

L'honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, j'ai quelques mots à dire au sujet de cette motion, et je serai très bref.

Dans un premier temps, j'aimerais féliciter ma collègue, la sénatrice Seth, d'avoir proposé cette motion. D'entrée de jeu, on peut affirmer sans se tromper que, si on n'avait pas eu de maman, aucun d'entre nous ne serait ici aujourd'hui. C'est une vérité absolue.

La Dre Seth a consacré sa vie aux soins mère-enfant. Elle continue et continuera de le faire à jamais. C'est sa passion et sa profession. Elle a aidé à mettre au monde une quantité exceptionnelle d'enfants. Elle a soigné les mamans avec dévouement et passion.

La motion consiste à reconnaître la deuxième semaine de mai comme Semaine internationale de la santé maternelle et infantile, dans le but de sensibiliser les Canadiens et Canadiennes. Pour notre pays, d'abord, c'est une bonne chose, mais il y a aussi l'humanité.

Le gouvernement du Canada, en particulier le premier ministre, le très honorable Stephen Harper, a consacré beaucoup d'efforts auprès des Nations Unies et a consenti des enveloppes annuelles supplémentaires pour que les soins mère-enfant soient rendus disponibles dans le plus grand nombre possible de pays.

Vous savez, une maman, on n'en a qu'une et on doit en être fier.

J'ai choisi ici un exemple qui intéressera certains sénateurs du Nouveau-Brunswick. Gisèle Michaud a été choisie Mère nationale de la Croix d'argent pour la période 2014-2015.

Le président national de la Légion royale canadienne, Tom Eagles, a annoncé la nomination de Mme Michaud à titre de Mère nationale de la Croix d'argent. Il y a une bonne raison pour qu'on lui octroie cette reconnaissance. Son fils, le caporal-chef Charles-Philippe Michaud, a été blessé par l'explosion d'un engin explosif improvisé — ma collègue en parlait tantôt — pendant une patrouille au sud-ouest de Kandahar, le 23 juin 2009. Rapatrié dans un hôpital militaire de Québec, il a succombé à ses blessures le 4 juillet 2009. Il n'avait que 28 ans.

(1840)

Mme Michaud est née et a grandi à Edmundston, au Nouveau-Brunswick. Elle est la cinquième mère du Nouveau-Brunswick à recevoir cette distinction depuis l'instauration de cette tradition. Tout au long de l'année, elle sera appelée à exercer d'autres fonctions en l'honneur des veuves et des mères de soldats ayant pris part à tous les conflits.

Nous n'avons qu'à nous rappeler la semaine du 22 octobre, en pensant aux papas et aux mamans qui en ont perdu leur fils sans aucune raison intelligente ou compréhensible. Pensons à eux aujourd'hui, et à ces mères qui ont perdu l'enfant à qui elles ont donné la vie, qu'elles ont chéri, qu'elles ont élevé jusqu'à l'âge adulte et qui a été lâchement assassiné.

Le caporal-chef Charles-Philippe Michaud faisait partie du troisième bataillon du Royal 22e Régiment établi à Valcartier, à Québec. Il avait servi en Bosnie en 2002, tout jeune, en 2003, et deux fois en Afghanistan, en 2004 et en 2009. Il est le 122e soldat mort au combat durant cette affreuse guerre.

Retenons donc aujourd'hui ce que Mme Michaud a fait comme sacrifice; pensons aux mamans des deux jeunes soldats disparus il y a à peine une semaine; retenons la leçon que la vie n'a qu'un prix, et ce prix, c'est lorsqu'on peut perdre la vie qu'on le paie.

Sénatrice Seth, merci et félicitations pour votre beau travail.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom de la sénatrice Hervieux-Payette, le débat est ajourné.)

[Traduction]

L'armistice de Moudania

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné préavis le 28 octobre 2014 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat, en cette année qui marque le centenaire du début des hostilités de la Grande Guerre de 1914-1918, sur le 11 novembre, connu de tous sous le nom de Jour du Souvenir, journée de deuil national et collectif, journée de commémoration et d'hommage à tous ceux qui ont combattu et sont tombés au service de Dieu, du roi et de leur pays et dont nous saluons l'ultime sacrifice par des actes à la fois individuels et collectifs de prière et de commémoration à l'occasion desquels nous nous arrêtons un instant et penchons la tête dans un recueillement sacré à la onzième heure du onzième jour du onzième mois en l'honneur de tous ceux qui ont tant donné d'eux-mêmes; et :

Sur deux soldats et êtres humains exceptionnels, qui se sont combattus dans la Grande Guerre, deux généraux distingués et militaires accomplis, à savoir le général Charles Harington, commandant en chef britannique de l'occupation alliée à Constantinople, et le général Mustafa Kemal, commandant des forces turques dans leur intrépide résistance au traité de Sèvres qui démembrait leurs terres en vue de les donner à certains des alliés qui les convoitaient; sur leurs troupes rassemblées, prêtes au combat et attendant les ordres pour lancer les hostilités à Chanak, sur les Dardanelles, en octobre 1922, et sur le destin qui les a fait se rencontrer là; sur leur détermination à éviter un bain de sang inutile, leur remarquable contribution à la paix turco-britannique et mondiale et leur volonté d'épargner à leurs soldats la mort dans une folle aventure en négociant et en signant, dans l'honneur et la justice pour tous, l'armistice de Moudania le 11 octobre 1922; et sur, Andrew Bonar Law, qui est né au Canada, qui est devenu premier ministre britannique de Grande-Bretagne le 23 octobre 1922, qui a servi pendant sept mois et est décédé le 30 octobre 1923, et sur son engagement ferme en faveur de la paix turco-britannique dans ce que les Britanniques, les dominions et les Canadiens ont appelé l'affaire de Chanak.

— Honorables sénateurs, il y a cent ans commençait la Grande Guerre. Aujourd'hui, je veux rendre hommage à deux illustres militaires qui ont participé à cette guerre et y ont survécu. Tous deux généraux et commandants, ils étaient particulièrement doués pour l'art de la guerre. Ils étaient tous deux imprégnés du sens du devoir et soucieux d'épargner les vies de leurs soldats. L'un était anglais et l'autre était turc. En 1922, la bataille qui s'annonçait les a tous les deux amenés à Chanak, un port de mer des Dardanelles. On écrit aussi Çanakkale aujourd'hui. La crise de Chanak a été engendrée par la mauvaise décision des Alliés, vainqueurs de la guerre, lors de la conférence de paix de Paris, en 1919, notamment le traité de Sèvres avec le sultan ottoman, traité qui a échoué. La fidélité de ces deux hommes est passée dans la légende, tout comme leur sens moral et leur lucidité. Ils étaient tous les deux déterminés à éviter un bain de sang inutile et à favoriser une paix juste.

Honorables sénateurs, les deux hommes dont je parle sont le général britannique Charles Harington, commandant en chef de l'armée alliée d'occupation à Constantinople, et le général turc Mustafa Kemal, chef du mouvement de résistance nationale du peuple turc au traité de Sèvres, qui prévoyait la partition de la région occupée par le peuple turc, dans l'Empire ottoman vaincu, pour la mettre sous domination britannique, italienne, française et grecque, au moyen de mandats. Ces hommes ne se sont jamais rencontrés, mais se vouaient un respect mutuel. Ils ont beaucoup légué à l'humanité et ont beaucoup contribué à la paix au Proche-Orient. Aujourd'hui, je voudrais honorer leur mémoire. Dans son livre intitulé Paris 1919, la Canadienne Margaret MacMillan écrit ceci, à la page 448 :

[...] la dernière étape du rétablissement de la paix en Turquie commença par la guerre.

À propos des décisions prises à la Conférence de paix de Paris, elle dit ceci :

Les politiques des Alliés étaient confuses, inappropriées et risquées. Elles ont créé des conditions idéales pour que le nationalisme turc prospère.

Honorables sénateurs, Mustafa Kemal et son Assemblée nationale, à Ankara, constituaient le gouvernement de facto de la nouvelle Turquie désormais affranchie de son passé ottoman.

Son Honneur le Président intérimaire : Chers collègues, je sais qu'il est tard, mais je vous demanderais d'accorder votre attention à la sénatrice Cools.

La sénatrice Cools : Les opérations militaires des alliés en vue de prendre Smyrne, Constantinople et les détroits aux Turcs ont incité ces derniers à résister contre la perte de leurs terres et de leurs maisons. Inspirés par l'autonomie gouvernementale du président Woodrow Wilson et dirigés par Mustafa Kemal, ils se sont battus pour défendre leurs terres lorsque les forces alliées britanniques, italiennes, françaises et grecques ont voulu s'emparer de leur butin. Le premier ministre Lloyd George, sourd à leur autonomie gouvernementale, s'est montré ferme dans sa marche mortelle à la guerre, dans l'affaire de Chanak. C'est la puissante influence politique qui l'a arrêté, qui l'a forcé à remettre sa démission et qui a ouvert la voie à la paix négociée par lord Curzon, qu'il méprisait tant.

Honorables sénateurs, à Chanak, la politique britannique s'est abattue sur le Canada. Le 18 septembre 1922, Lloyd George et Winston Churchill ont envoyé un télégramme au premier ministre Mackenzie King pour lui demander de déployer des troupes du dominion dans la guerre de Chanak, afin de chasser d'Europe « tous les Turcs, sans exception, avec armes et bagages ». Le Cabinet de Lloyd George, le ministre des Affaires étrangères, la Chambre des communes, les dirigeants militaires, le roi George, la presse et les Britanniques, qui pleuraient encore leurs fils morts durant la Grande Guerre, étaient tous opposés à cette décision. Pour eux, Chanak était la nouvelle guerre de Lloyd George. Dans son livre de 1969, intitulé The Chanak Affair, l'ancien député britannique David Walder a écrit ceci, à la page 83 :

Le généraux britanniques, à l'instar des conservateurs du gouvernement et au Parlement, étaient tous [...] pro-turcs, notamment parce qu'ils les respectaient en tant que soldats [...]

Honorables sénateurs, quand le premier ministre Robert Borden avait signé le traité de Sèvres, qui n'a pas été respecté, beaucoup étaient au courant de ses lacunes. M. Walder précise ce qui suit, à la page 286 :

À la conférence de Londres, les alliés ont admis que le traité de Sèvres devait être révisé et que le gouvernement de M. Kemal avait son mot à dire dans ce processus [...] que le nouveau gouvernement turc devait avoir Constantinople.

Le fait que le Canada n'ait pas envoyé de troupes à Chanak a sonné le glas du gouvernement de coalition de Lloyd George. La politique du Canada a contribué à résoudre un conflit politique britannique et a scellé la paix entre les Britanniques et la nouvelle Turquie. La paix de Chanak a joué un grand rôle dans la décision qu'a prise le caucus conservateur au Carlton Club le 19 octobre 1922. C'est là que les députés conservateurs ont voté la fin de leur coalition avec les libéraux et du mandat au pouvoir de Lloyd George. Peu de temps s'est écoulé entre l'envoi de son télégramme aux dominions et le moment de ce vote, mais ce fut un intervalle charnière pour la paix britanno-turque.

Honorables sénateurs, à la page 160 de son ouvrage The Decline and Fall of Lloyd George, un grand Canadien de cette époque, Max Aitken — lord Beaverbrook —, cite Frances Stevenson, la secrétaire et future épouse de Lloyd George, au sujet du télégramme fatidique :

Un matin [...] [le 15 septembre] ma porte s'est ouverte : c'était L.G. [Lloyd George] et Churchill, qui arrivaient de la salle du Cabinet. L.G. m'a demandé de sténographier le texte de Churchill. Je me suis rendue compte qu'il s'agissait d'une déclaration dans laquelle il demandait aux gouvernements du Dominion de l'appuyer en cas de guerre contre la Turquie. J'étais horrifiée par l'imprudence du message, car il présentait la possibilité que la guerre reprenne à grande échelle. L.G. et Churchill sont retournés dans la salle du Cabinet, l'ébauche en main [...] Je me suis demandé si je devais envoyer une note à L.G. pour le mettre en garde contre une telle mesure. J'ai ensuite pensé qu'il n'accepterait jamais qu'un tel télégramme soit envoyé. Puis, soudainement, j'ai appris que le télégramme avait été envoyé. C'est un des facteurs qui ont contribué à la chute du gouvernement de coalition. Du jour au lendemain, il était tombé.

(1850)

Beaverbrook dit ceci à la page 206, honorables sénateurs :

L'incident final du grand drame de l'éminent chef de guerre était une démonstration de force qui s'est avérée un exemple étonnant de faiblesse. La guerre avec la Turquie, une éventuelle guerre avec la France [...] Beaucoup de ses partisans l'ont déserté à ce moment-là car ils pensaient que son véritable objet, son but, consistait à obtenir un avantage personnel.

Au sujet du nouveau premier ministre, le Canadien Andrew Bonar Law, Beaverbrook dit, à la page 205 :

« Le roi a convoqué Bonar Law. » C'était la deuxième fois en huit ans. La première fois, il cédait sa place à Lloyd George. La deuxième, il succédait à ce même homme d'État.

Plusieurs jours plus tard, lors des élections générales du 15 novembre, le Canadien Bonar Law et ses conservateurs ont remporté une nette majorité et se sont vus accorder le mandat de faire la paix avec la nouvelle Turquie de Mustafa Kemal.

La position de Mackenzie King à l'égard de l'affaire de Chanak était bien connue. Walder cite un extrait du compte-rendu des discussions du Cabinet de Lloyd George du 30 septembre qui dit, à la page 295 :

Le Cabinet exprime des inquiétudes [...] quant aux sujets suivants :

De manière générale, la détérioration progressive et apparente de notre position et de notre prestige politiques, notamment aux yeux des dominions [...]

Les réserves du Canada, des dominions et de l'Inde au sujet de la guerre que Lloyd George voulait lancer à Chanak étaient claires.

Honorables sénateurs, le torpillage du traité de Sèvres par Mustafa Kemal est légendaire. Ses forces ont repris les terres turques cédées par Lloyd George à certains pays alliés, comme Smyrne, qui fut cédée à la Grèce. MacMillan parle des nouveaux dirigeants des pays alliés, de la défaite de Vénizelos en Grèce et d'Orlando en Italie, et des événements qui ont anéanti les derniers vestiges de la politique viciée des Alliés à l'égard de la Turquie. Le chapitre 29 de son ouvrage s'intitule « Atatürk et l'échec du traité de Sèvres ». À la page 450, elle écrit ceci à propos de l'effondrement des accords des Alliés :

En octobre 1921, la France signa avec le gouvernement d'Atatürk un traité qui prévoyait le retrait de toutes les troupes françaises de la Cilicie, au sud. La France obtint des concessions économiques, alors qu'Atatürk gagna quelque chose de beaucoup plus important, à savoir la reconnaissance d'une grande puissance.

À la fin de la Première Guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne étaient prêtes à se faire la guerre comme autrefois.

Honorables sénateurs, la France, qui était le bailleur de fonds des Ottomans, fut le premier pays à faire la paix avec Kemal, dans l'espoir de recouvrer ses dettes, et elle était maintenant prête à affronter la Grande-Bretagne. Le président français Poincaré retira ses troupes et les Italiens firent de même. À Chanak, les forces britanniques firent face seules aux troupes de Kemal. Le secrétaire aux affaires étrangères de Bonar Law, lord Curzon, rédigea le traité de Lausanne avec le général Ismet Inönu, l'homme de confiance d'Atatürk. Ce traité définissait les nouvelles frontières de la Turquie. À la page 453, MacMillan fait remarquer ceci :

Le traité de Lausanne n'était pas comme ceux de Versailles, [...] et de Sèvres, qui étaient des produits de la Conférence de paix de Paris [...] Il restait bien peu de chose des conditions du traité de Sèvres. [...] Les frontières turques englobaient désormais pratiquement tous les territoires turcophones [...] Les détroits demeurèrent turcs, mais une entente internationale régissait leur utilisation. Les anciennes capitulations humiliantes furent éliminées.

Honorables sénateurs, le général Harington possédait de grandes compétences militaires et Mustafa Kemal était le commandant qui savait repérer les positions tactiques et s'emparer des terrains surélevés pour dominer le champ de bataille, comme il le fit à Gallipoli. La volonté des deux commandants de ne pas perdre inutilement des soldats est légendaire. Le premier détachement de soldats turcs avança jusqu'aux troupes britanniques le 23 septembre 1922. Les Turcs n'ouvrirent pas le feu, mais ils ne se retirèrent pas. À Chanak, les soldats des deux côtés attendaient nerveusement. À la page 245 de son ouvrage, Walder écrit ceci :

À Chanak, les Britanniques et les Turcs se trouvèrent pour la première fois à un cheveu de l'affrontement. [...] Pour Harington, la situation était aussi difficile qu'on puisse l'imaginer. Personnellement, il était aussi déterminé qu'un homme dans sa position puisse l'être à ce que la guerre n'éclate pas. Néanmoins, en tant que soldat, il était de son devoir d'obéir aux ordres de Londres, mais il était aussi responsable de ses hommes et il ne pouvait pas tolérer qu'ils se fassent écraser par les Turcs. Dans le fond, il était convaincu que Mustafa Kemal ne voulait pas entrer en guerre contre la Grande-Bretagne, mais évidemment, comme l'ont confirmé plus tard les observations faites dans son autobiographie, il devait avoir certaines réserves quant aux intentions du gouvernement britannique.

À la page 221, Walder affirme ce qui suit :

Toutefois, Harington ne voulait pas voir les Turcs provoqués, ni par les soldats sous ses ordres ni par des situations dangereuses ou impossibles élaborées par les politiciens de la rue Downing. [...] Les gestes précipités, l'arrogance et les moyens insuffisants sont source de dangers. Selon Harington, la voie la plus sûre consiste à ne pas dépasser ses propres capacités, tout en n'encourageant nullement les Turcs qui, moins posés que Kemal, pourraient penser qu'on pouvait basculer les alliés dans la mer, tout comme les Grecs.

À la page 250, Walder a aussi écrit au sujet de Constantinople occupée par les Alliées :

Sur le terrain, le nombre de Turcs surpassait celui des Britanniques à un point presque ridicule. De plus, à Constantinople, d'après ce qu'il écrit dans son télégramme ... « nous vivons dans une sorte de volcan »...il semble qu'Harington ne partageait pas l'assurance de Beatty quant à la capacité de la Marine de défendre à elle seule Constantinople.

Et à la page 282 :

Les soldats postés à Chanak avaient gardé leur sang-froid, mais les hommes d'État de la rue Downing avaient appuyé sur la gâchette.

Honorables sénateurs, à la page 281, Walder cite le télégramme du 29 septembre où le cabinet ordonne à Harington de déclencher les hostilités :

Le Cabinet a donc décidé que le commandant des forces turques près de Chanak devait être avisé immédiatement que si ses forces ne se sont pas retirées au moment que vous aurez fixé, nos forces combinées — toutes les forces à notre disposition, soit la marine et les armées de terre et de l'air — ouvriront le feu.

Honorables sénateurs, le cabinet s'est réuni le 30 septembre pour attendre la réponse d'Harington. À la page 296, Walder cite et commente le télégramme d'Harington à Lloyd George :

Je partage, a dit le général, la volonté du Cabinet de mettre fin à la procrastination de Kemal et je prends note de la décision du Cabinet. Je supplie néanmoins le Cabinet de s'en remettre à mon jugement pour le moment. Les forces britanniques ne courent aucun risque de danger ou de désastre tant que les Kémalistes n'auront pas déployé sérieusement leurs armes et leur infanterie.

Harington a ensuite souligné qu'il pouvait tenir sa position à Chanak, puis il a déclaré : « Il me semble tout à fait inopportun pour le moment, puisque le lieu de rencontre entre les généraux alliés et Kemal se situe à une distance de deux ou trois jours, selon Hamid, et puisque le gouvernement d'Ankara prépare sa réponse à la note des alliés selon laquelle je devrais ouvrir le feu, de mettre le feu aux poudres ici et partout ailleurs, car nous ne pourrons plus faire marche arrière. J'ai travaillé sans cesse au service de la paix, parce que je croyais que c'était ce que souhaitait le gouvernement de Sa Majesté. Qu'on perçoive comme un signe de faiblesse le fait que je n'ai pas ouvert le feu jusqu'à présent à Chanak est tout à fait erroné, car j'ai bien averti Hamid que je peux compter sur la pleine puissance de l'Angleterre et que je n'hésiterai pas à y avoir recours le moment venu [...] nous ne sommes pas pour le moment en guerre avec Kemal [...] » Les forces turques n'ont pas progressé davantage à Chanak; en fait, certaines troupes semblent s'être retirées. « J'estime », a affirmé Harington, « que la situation s'améliore de jour en jour [...] il est évident que les kémalistes ont reçu l'ordre de ne pas attaquer. Il n'y a jamais eu de danger. Veuillez dès que possible confirmer si ma décision est approuvée ou rejetée. Si la réponse de Kemal à ma dernière demande est insatisfaisante, je suis d'accord pour qu'on donne l'ordre. Il ne compte pas attaquer Chanak [...] à mon avis. »

Lloyd George, furieux, croyait que Harington lui avait désobéi. Il s'est donc réuni avec ses chefs d'état-major, Beatty, Cavan et Trenchard. Ils ont examiné le télégramme et ont dit ceci : « Le télégramme du général Harington change toute la situation. »

Lloyd George a tenté de nuire à Harington. Walder a affirmé ce qui suit à la page 298 :

Curzon a plus tard confié à Harington [...] qu'il avait été suggéré de voter pour établir s'il fallait le réprimander pour sa conduite, une proposition à laquelle il (Curzon) s'était opposé. Si cela avait eu lieu, le gouvernement de Lloyd George se serait retrouvé dans une très curieuse situation puisque, le 1er octobre, le général Harington a été informé que Mustafa Kemal le rencontrerait à Moudania ainsi que les autres généraux alliés.

L'armistice était imminent.

Kemal, Harington et lord Curzon n'ont jamais cessé d'œuvrer en faveur d'une paix équitable. Ils ont toujours compris — et il est très important de nous en souvenir — ils ont toujours su que le seul pouvoir des Britanniques à Chanak résidait dans la conquête, ce qui n'était sage ni sur le plan politique ni sur le plan moral, et tous hésitaient à lancer une agression britannique.

(1900)

Honorables sénateurs, le 3 octobre, le général Harington, qui s'en allait, en compagnie de deux généraux des forces alliées, entamer des pourparlers sur l'armistice avec le général Ismet Inonu, le représentant de Mustafa Kemal, a envoyé un message à ses troupes, qui s'impatientaient. Walder cite ses paroles à la page 299 :

[...] Il souhaitait que tous les militaires, quel que soit leur grade, sachent à quel point le monde appréciait la retenue dont ils avaient fait preuve dans cette situation fort éprouvante.

Son Honneur le Président : À l'ordre, s'il vous plaît.

La sénatrice Cools : Puis-je avoir encore quelques minutes?

Son Honneur le Président : D'accord?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : C'est le commandant en chef Harington qui a envoyé ce message à ses hommes qui se trouvaient sur les lignes de bataille et qui y sont demeurés pendant des semaines.

Le 11 octobre, ces généraux ont signé l'armistice de Moudania. Ils savaient que sans entente, ce serait la guerre. Voici ce que Walder a écrit à la page 318 :

C'est ainsi que le rêve de Venizélos de voir naître un empire grec s'est terminé et que la politique étrangère d'après-guerre de Lloyd George a pris fin.

L'armistice, honorables sénateurs, a vu le jour grâce à deux grands et valeureux commandants, Charles Harington et Mustafa Kemal.

Honorables sénateurs, la presse britannique, qui s'opposait essentiellement à cette guerre, et plus particulièrement le Daily Mail et le Daily Express, ont fait l'éloge du commandant Harington. Le London Opinion a publié une bande dessinée représentant l'opinion britannique. Cette bande dessinée, intitulée « Le soldat artisan de la paix retient les chiens de la guerre », montrait un commandant Harington très grand qui tirait d'un précipice deux grands chiens faisant un bond vers l'avant, dont la tête avait été remplacée par la tête de Lloyd George et de Winston Churchill. Walder cite la dernière déclaration publique de Lloyd George à la page 360 :

Les grands hommes perdent parfois la maîtrise des rênes — et la tête.

Honorables sénateurs, après le vote au Carlton Club, le pacifiste canadien Bonar Law a envoyé lord Curzon rencontrer le général turc Ismet Inonu au sujet du traité de Lausanne, qui a été signé un an plus tard. À propos du traité de Lausanne, leur chef-d'œuvre, Mme MacMillan a indiqué ce qui suit à la page 454 :

[...] le traité est encore perçu comme la plus grande victoire diplomatique de la Turquie moderne. À l'automne de 1923, les dernières troupes étrangères ont quitté Constantinople.

MacMillan termine son chapitre sur Ataturk et le traité de Sèvres par un hommage, à la page 455 :

En 1993, à l'occasion du 70e anniversaire du traité de Lausanne, le fils d'Ismet et le petit-fils de Curzon ont déposé ensemble une couronne sur la tombe d'Ataturk.

Les commandants Charles Harington et Mustafa Kemal ont servi avec honneur et distinction. Forgés par la guerre, ils ont instauré paix et fraternité. Nous nous souviendrons d'eux.

Je remercie beaucoup les honorables sénateurs. La sénatrice McCoy m'a demandé de proposer l'ajournement à son nom.

(Sur la motion de la sénatrice Cools, au nom de la sénatrice McCoy, le débat est ajourné.)

La crise de Chanak

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné préavis le 28 octobre 2014 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat, en cette année qui marque le centenaire du début des hostilités de la Grande Guerre de 1914-1918, sur le 11 novembre, connu de tous sous le nom de Jour du Souvenir, journée de deuil national et collectif, journée de commémoration et d'hommage à tous ceux qui ont combattu et sont tombés au service de Dieu, du roi et de leur pays et dont nous saluons l'ultime sacrifice par des actes à la fois individuels et collectifs de prière et de commémoration à l'occasion desquels nous nous arrêtons un instant et penchons la tête dans un recueillement sacré à la onzième heure du onzième jour du onzième mois en l'honneur de tous ceux qui ont tant donné d'eux-mêmes; et :

Sur les événements survenus en 1922, à peine quatre ans après la Grande Guerre, et connus sous le nom d'affaire de Chanak, à l'occasion de laquelle le Canada a défendu fermement contre la Grande-Bretagne son autonomie constitutionnelle en matière d'affaires étrangères, de guerre et de paix; sur le refus du premier ministre libéral Mackenzie King d'envoyer des troupes à Chanak, aujourd'hui Çanakkale, petit port turc des Dardanelles, comme le lui demandaient instamment le premier ministre britannique David Lloyd George et son secrétaire aux colonies Winston Churchill; sur le rejet total de cette guerre par les Canadiens et les Britanniques fatigués de la guerre et pleurant toujours leurs fils morts au combat; sur cette menace de guerre inexorablement issue du traité de Sèvres, création injuste, inapplicable et mort-née du premier ministre Lloyd George, traité injuste et humiliant qui chassait les peuples turcs de leurs terres ancestrales de Thrace orientale et d'Anatolie et auquel ils se sont opposés avec succès; sur le rôle du Canada dans l'arrangement qui a permis à l'occasion de l'affaire de Chanak d'éviter une guerre inutile et honnie; sur le jeu politique britannique où un seul vote du caucus conservateur a obligé le premier ministre Lloyd George et son gouvernement de coalition libérale à démissionner; et sur l'ascendant du premier ministre britannique né au Canada Bonar Law, qui a perdu deux fils dans la Grande Guerre et qui était alors l'homme le plus respecté en Grande-Bretagne, et sur sa politique de paix au Proche-Orient.

— Honorables sénateurs, je rends de nouveau hommage aux soldats qui ont fait l'ultime sacrifice au cours de la Grande Guerre, celle de 1914-1918, et à ceux qui ont mis fin à la guerre à Chanak, en 1922. L'affaire de Chanak a été l'occasion pour le Canada de défendre son autonomie en matière d'affaires étrangères, de guerre et de paix. Elle marque un virage dans la relation constitutionnelle du Canada avec le gouvernement britannique, distincte de celle que nous entretenions avec notre roi, George V. Le Canada a revendiqué son pouvoir décisionnel et celui de son Parlement à l'égard des Canadiens et des conflits. Alors que l'affaire de Chanak devait servir les ambitions du premier ministre britannique David Lloyd George, elle l'a conduit à la défaite. Elle posait par ailleurs la question de savoir si le calcul de l'ambition valait la vie d'un soldat, la vie d'un soldat canadien.

Honorables sénateurs, c'est grâce au premier ministre William Lyon Mackenzie King et parce que le Canada a défendu fermement sa position par rapport à Chanak que nous avons obtenu le plein contrôle de nos affaires étrangères, enhardissant et consolidant de ce fait les autres dominions. La détermination du premier ministre canadien a étonné David Lloyd George et Winston Churchill, alors secrétaire aux colonies, bien que la question n'ait rien eu de nouveau. Voici ce qu'écrit Norman Hillmer à la page 394 du premier volume de l'Encyclopédie canadienne, deuxième édition :

L'affaire Tchanak, en 1922, est la première mise à l'épreuve majeure de la politique étrangère du premier ministre Mackenzie King. Après la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne et le Canada signent le traité de Sèvres avec la Turquie vaincue, mais le traité est vite répudié. Dès septembre 1922, les forces nationalistes contrôlent presque toute la Turquie. Les troupes d'occupation britanniques sont entourées à Tchanak (aujourd'hui Çanakkale), un petit port dans le détroit des Dardanelles. Le 15 septembre, l'Angleterre fait parvenir un télégramme aux dominions, [leur] enjoignant d'envoyer des soldats pour démontrer la solidarité de l'Empire contre les Turcs. Le lendemain, la requête est rendue publique. C'est un manquement au protocole impérial et au bon sens politique. Et, ce qui n'arrange rien, King est averti par un journaliste du Toronto Star de l'imminence du danger avant même de recevoir la dépêche officielle britannique. King demeure réservé jusqu'à ce que le Cabinet convienne, le 18 septembre, que seul le Parlement a l'autorité de prendre une telle décision. La crise passe rapidement. L'attitude détachée de King annonce son intention de désengager la politique étrangère du Canada de celle de l'Angleterre. L'affaire Tchanak n'est toutefois pas une révolution dans les affaires canadiennes : depuis Macdonald, les premiers ministres sont réticents à engager le Canada dans des escarmouches impériales où l'Angleterre elle-même n'est pas menacée.

En 1885, le premier ministre John Macdonald a refusé d'envoyer des soldats canadiens au Soudan afin d'aider les Britanniques. Dans son livre publié en 1958, intitulé William Lyon Mackenzie King, MacGregor Dawson a écrit ce qui suit, à la page 415 :

Macdonald a refusé de façon très claire, voire violente, de participer à ce qu'il a qualifié de « projet misérable ». Il a dit qu'il n'était pas prêt à sacrifier des hommes et des fonds canadiens pour « sortir Gladstone et sa bande du précipice dans lequel ces imbéciles s'étaient eux-mêmes jetés ».

N'est-ce pas beau? On n'a aucun mal à visualiser sir John A. en train de prononcer ces paroles. Sa réaction n'a surpris personne.

Honorables sénateurs, le Canada comptait seulement quelque sept millions d'habitants à l'époque, et il avait perdu de nombreux hommes pendant la Grande Guerre. Les alliés ayant participé à la conférence de paix de Paris et l'Empire ottoman défait ont signé, en 1920, un accord de paix appelé traité de Sèvres. Après avoir divisé le vaste territoire de l'Empire ottoman, les alliés ont ensuite voulu répartir entre certains d'eux les terres appartenant aux peuples turcophones. Ces peuples turcs, animés d'un esprit de résistance nationaliste, ont combattu ces tentatives visant à occuper leurs terres. En septembre 1922, après avoir vaincu les troupes grecques en Anatolie de l'Ouest, les troupes nationales turques de Mustafa Kemal étaient prêtes à se battre contre les troupes britanniques, dirigées par le général Harington, à Chanak. L'affaire de Chanak a montré que le Canada et la Grande-Bretagne n'avaient pas à craindre les peuples turcs, qui voulaient simplement que leurs terres continuent de former un seul pays. Le Canada a donc remis en question la décision de Lloyd George, qui était prêt à sacrifier des soldats canadiens et des soldats britanniques malgré le fait que nos pays n'étaient pas menacés par les kémalistes. Mackenzie King a fermement annoncé que notre Parlement avait pris la décision de ne pas envoyer nos fils prendre part à cette nouvelle guerre — que nous n'avions pas souhaitée — si rapidement après avoir autant perdu pendant la Grande Guerre. Au bout du compte, aucun soldat britannique n'a été victime de violence à Chanak, et les soldats turcs n'ont pas tiré le moindre coup de feu. À la page 284 de son livre The Chanak Affair, publié en 1969, David Walder a écrit ceci :

Les Britanniques n'avaient aucun blessé à montrer pour prouver l'« agression » turque.

La véritable crise venait des dominions et, surtout, de la réponse politique du Dominion du Canada au message télégraphié par Lloyd George le 15 septembre et au communiqué de presse irréfléchi. MacGregor Dawson le cite à la page 409 :

[...] qu'un message ait été envoyé aux dominions « les invitant à être représentés par des contingents afin de défendre des intérêts pour lesquels ils avaient déjà fait d'énormes sacrifices, et sur une terre marquée par les souvenirs immortels du Corps d'armée australien et néo-zélandais ».

Honorables sénateurs, lorsqu'on lui a demandé ce qu'il pensait de ce communiqué, le premier ministre King n'avait pas encore pris connaissance du message. En Grande-Bretagne, bien des gens troublés par la crise de Chanak ont appuyé Mackenzie King, dont le prestige s'est accru au Canada. Parmi les membres du Cabinet de Lloyd George, il semble que seulement Winston Churchill et lui-même aient vu ce communiqué avant sa publication. MacGregor Dawson raconte l'épisode à la page 415 :

Lord Curzon [...] lut le manifeste « avec consternation ». M. Bonar Law [...] était étonné de l'inconscience de cet appel lancé sans consultations. M. Asquith dit qu'on y décelait « la double note de la provocation et de la panique ».

Ce message a aussi alarmé la France et l'Italie. Craignant que les britanniques ne semblent parler en son nom, le premier ministre de la France, M. Poincaré, retira ses troupes, à l'instar des Italiens. Les forces britanniques ont affronté seules les troupes de Kemal à Chanak. Après le refus du Canada d'envoyer des troupes, d'autres dominions qui avaient initialement accepté d'en envoyer, comme l'Afrique du Sud et l'Australie, ont suivi notre exemple. La décision de Mackenzie King et du gouverneur général Byng de ne pas envoyer des soldats canadiens a été abordée dans la presse britannique. À la page 229 de son ouvrage, David Walder a écrit ceci :

Le 18 septembre, sur la première page du journal Daily Mail, qui s'opposait avec virulence à toute possibilité de guerre au Moyen-Orient, on pouvait lire en gros caractères : « ARRÊTEZ CETTE NOUVELLE GUERRE! Le plan du Cabinet pour le grand conflit avec les Turcs. La France et l'Italie s'y opposent. Un appel extraordinaire est lancé aux dominions. » Cette dernière partie était plus conforme à la réalité que l'auteur de l'article le savait parce que, depuis qu'ils avaient essuyé un refus initial de la part du gouvernement canadien, Lloyd George et Churchill avaient tenté de nouveau de persuader notre gouvernement de faire preuve d'une certaine solidarité à l'égard de la Grande-Bretagne. Dans sa première réponse, Mackenzie King avait signalé la nécessité de convoquer le Parlement canadien, et s'était plaint du fait que le Canada n'avait été ni consulté sur cette question à l'avance ni même informé. Le 19 septembre, Lloyd George, ne semblant pas comprendre ces arguments, a de nouveau réclamé une assurance du soutien du gouvernement canadien. La réponse, signée par lord Byng, le gouverneur général, a été extrêmement cinglante. On pouvait y lire ceci : « Nous n'avons pas jugé nécessaire de réaffirmer la loyauté du Canada à l'Empire britannique. »

(1910)

Honorables sénateurs, Mackenzie King a rencontré les membres de son cabinet à trois reprises le 18 septembre. À la page 410 de son ouvrage, MacGregor Dawson cite un passage du journal de Mackenzie King en date de cette journée, où l'on peut lire ce qui suit :

J'ai constaté que tous les membres présents s'opposaient vivement à l'envoi d'un contingent canadien [...] Nous avons tous convenu que la décision d'envoyer un contingent nécessiterait d'abord la convocation du Parlement [...] Les membres du Cabinet se sont entendus sur cette question [...] Ils étaient tous enclins à croire que cette affaire était « une combine électorale » de la part de Lloyd George et de ses acolytes.

David Walder écrit ce qui suit, à la page 230 :

Le dernier appel de Churchill resta pratiquement lettre morte [...] Le même jour, le Times se montra plus diplomate [...] Il ne manifesta toutefois aucune sympathie envers le gouvernement britannique. Un auteur influent avait écrit, deux jours auparavant, que les ministres britanniques avaient multiplié les erreurs.

Le Daily Mail qualifia la déclaration de Churchill à la presse de quasiment démente et les condamna, lui et Lloyd George, pour leur attitude belliqueuse. Au sujet du ministère des Affaires étrangères, lord Curzon, un artisan essentiel de la paix en Turquie que Lloyd George avait en grippe, David Walder écrit ceci, à la page 231 :

Les autres journaux étaient généralement d'avis que lord Curzon [...] était l'homme de la situation. Le Times lui accorda son appui [...]

Honorables sénateurs, la réponse de Mackenzie King au câble de Lloyd George lui demandant des troupes eut d'importantes conséquences sur la scène politique britannique. Lors d'un vote tenu le 19 octobre, les députés conservateurs décidèrent de retirer leur appui au gouvernement de coalition que dirigeait Lloyd George. Dans son livre Paris 1919, Margaret MacMillan écrit ceci, à la page 452 :

L'aventure grecque en Asie Mineure avait déjà provoqué la chute de Venizélos. Elle avait maintenant raison de son grand protecteur, Lloyd George. La crise de Chanak était beaucoup trop pour un fragile gouvernement de coalition [...] Lorsque les conservateurs dirigés par Bonar Law formèrent un nouveau gouvernement, en novembre 1922, Curzon fut nommé de nouveau ministre des Affaires étrangères. Il partit presque immédiatement pour Lausanne, où la paix en Turquie devait enfin être scellée.

Le nouveau premier ministre britannique, le conservateur Andrew Bonar Law, était un Canadien né au Nouveau-Brunswick. Quelques années auparavant, il avait accepté de céder le poste de premier ministre à Lloyd George. Un autre Canadien, le conservateur Max Aitken, célèbre lord Beaverbrook, était alors actif sur la scène politique. Ancien ministre, il était proche de Bonar Law. À la page 162 de son livre publié en 1963 et intitulé The Decline and Fall of Lloyd George, Beaverbrook raconte l'opposition qui se manifesta au Royaume-Uni devant les folles aventures grecques et turques de Lloyd George :

L'opposition était vive au pays. La perspective d'autres entreprises à l'étranger ne suscitait pas le moindre enthousiasme, ni à la Chambre des communes, ni dans la presse, ni au sein de l'armée. Bien que les dominions populeux n'eussent pas répondu à la demande de troupes, les ministres ont semblé résolument déterminés à punir les Turcs et, si nécessaire, à aller en guerre.

Honorables sénateurs, passons maintenant à la réponse de notre gouverneur général à M. Lloyd George. Voici ce qu'a écrit lord Byng, comme le rapporte le troisième volume des Documents relatifs aux relations extérieures du Canada, à la page 79 :

L'opinion publique au Canada confirme le sentiment exprimé dans notre message précédent : le Parlement est seul apte à décider d'une éventuelle intervention du Canada au Levant. Nous ne jugeons pas nécessaire de réaffirmer la loyauté du Canada envers l'Empire britannique. Soyez assuré que, s'il s'avérait nécessaire de convoquer le Parlement, le Canada, conformément à la décision de son Parlement, veillerait à ce que le peuple canadien s'acquitte pleinement de ses obligations.

Seuls le Canada et l'Afrique du Sud ont fait respecter le rôle du Parlement. Je cite David Walder, à la page 215 :

Mackenzie King a répondu sans équivoque [...] que ses concitoyens ne désiraient pas s'impliquer dans une nouvelle guerre et que toute éventuelle intervention militaire supposerait nécessairement la consultation préalable du Parlement du Canada. Cette mise au point à peine subtile a apparemment échappé au Cabinet britannique, qui n'avait pas manifesté jusqu'alors la moindre intention de convoquer le Parlement britannique pour en prendre le pouls.

Honorables sénateurs, je ne peux pas expliquer tous les tenants et aboutissants de cette affaire. Cela dit, les partis, notamment le Parti progressiste, étaient essentiellement unanimes dans leur soutien de Mackenzie King. Les Canadiens étaient tous du même avis. Six mois plus tard, le 1er février 1923, Mackenzie King est intervenu à la Chambre des communes, citant son communiqué du lundi 18 septembre 1922, comme on peut le lire à la page 31 des Débats de la Chambre des communes :

Le Cabinet estime que, préalablement à l'envoi d'un détachement devant participer à un conflit en Orient, l'opinion publique au Canada exigerait l'autorisation du Parlement. Le Cabinet s'est mis en communication avec les ministres qui sont actuellement en Europe où ils représentent le Canada à la Société des Nations, et aussi avec le gouvernement britannique, afin de s'assurer si la situation actuelle en Orient justifie la convocation d'une session spéciale du Parlement.

J'ai informé le gouvernement britannique que notre Cabinet se réunirait tous les jours, s'il fallait, que nous serions heureux de recevoir tous les renseignements possibles et surtout que nous désirions savoir si, d'après lui, il était nécessaire de convoquer notre Parlement pour étudier cette importante question. Le gouvernement britannique a répondu qu'il ne voyait pas la nécessité de convoquer le Parlement.

Mackenzie King a parlé de ses ministres qui se trouvaient à Genève, y compris Ernest Lapointe, qui le gardait bien informé des événements en Grande-Bretagne et en Europe. En outre, le haut-commissaire du Canada à Londres avait rapidement fait savoir au premier ministre Mackenzie King que la presse britannique s'opposait à toute mesure de guerre. À Genève, Arthur James Balfour faisait quotidiennement rapport à son cabinet en Grande-Bretagne concernant les inquiétudes des dominions.

Honorables sénateurs, le 16 mai 1923, Joseph-Éloi Fontaine, député, a dit que la position du Canada faisait consensus au sein de la population. Voici ce qu'on peut lire à la page 2805 des Débats de la Chambre des communes :

Je veux aussi remercier l'honorable premier ministre pour avoir su refuser l'invitation de M. Lloyd George, alors premier ministre d'Angleterre de prendre part à la guerre qui semblait imminente en Turquie. Il était temps que quelqu'un mette fin à cet impérialisme à outrance. Aussi, tout le peuple du Canada, toute la presse du pays, ont approuvé cette conduite du premier ministre. Il n'y a eu qu'une voix discordante, celle de l'honorable chef de l'opposition.

Honorables sénateurs, une position fondée sur les principes et la morale rehausse automatiquement le débat public, en plus de procurer clarté et courage à ceux qui en ont besoin. C'est l'effet qu'a eu la position du Canada. Elle a grandement influencé le théâtre des opérations, l'état d'esprit des soldats qui se trouvaient à Chanak, le milieu politique britannique et la population. La position du Canada a permis d'éviter la guerre et d'innombrables décès. Elle a stimulé ceux qui souhaitaient voir la Grande-Bretagne adopter une meilleure politique étrangère à l'égard du nouvel État turc et de son chef, Mustafa Kemal, qui avait formé à Ankara, pendant des années, un gouvernement de facto avec la Grande assemblée nationale et son pacte national, sans jamais accepter le traité de Sèvres. Margaret MacMillan raconte ce qui suit, à la page 451 :

Après la débâcle de l'armée grecque, les rares forces d'occupation alliées qui gardent Constantinople et surveillent le détroit se retrouvent soudain à découvert. Alors que les forces d'Ataturk progressent vers le Nord, vers la mer de Marmara et Constantinople, le gouvernement britannique décide qu'il doit maintenir une position ferme à Chanak et à Ismid, du côté de l'Asie. Il fait appel à l'Empire britannique et à ses alliés, mais ne reçoit qu'excuses et reproches en guise de réponse. Parmi les dominions, seule la Nouvelle-Zélande se range sous le drapeau. Les Italiens s'empressent de garantir à Ataturk qu'ils demeureraient neutres, et la France ordonne à ses troupes de quitter Chanak. [...]

Bien que Lloyd George soit en faveur de la guerre, d'autres personnes plus posées, dont Curzon et les militaires en place, ont finalement gain de cause. Ataturk est enfin prêt à négocier. Le 11 octobre, l'armistice de Moudania permet aux Turcs de reprendre aux Grecs la Thrace orientale. En contrepartie, Ataturk promet de ne pas installer de soldats à Constantinople, à Gallipoli ou à Ismid tant qu'une conférence de paix n'aura pas décidé du sort de ces villes.

Son Honneur le Président : L'honorable sénatrice Cools demande-t-elle plus de temps?

La sénatrice Cools : Pourrais-je avoir cinq minutes?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : Merci, honorables sénateurs.

(1920)

Ce fut à l'époque une victoire éclatante pour le Canada.

Honorables sénateurs, après la démission de Lloyd George, le nouveau premier ministre de la Grande-Bretagne, Andrew Bonar Law, plaça le pays sur la voie de la paix. Une fois l'armistice conclu entre Charles Harington et Mustafa Kemal, il ne restait plus à lord Curzon que de négocier la paix avec la nouvelle Turquie de Mustafa Kemal. Le traité de Lausanne, signé le 24 juillet 1923 — qui aura, lui, été durable —, a marqué la plus grande victoire moderne de la Turquie. Ce document fondateur de la nouvelle Turquie est le seul traité datant de la Grande Guerre à avoir duré jusqu'à nos jours. Signé en grande pompe à Paris en présence de 400 délégués de la Grande-Bretagne et de l'empire, c'est le seul traité qui ait survécu et qui soit encore en vigueur.

Chez eux et en Grande-Bretagne, les Canadiens étaient des défenseurs de la paix avec la nouvelle Turquie et son président Mustafa Kemal. C'est à cette époque que le Canada a acquis le respect du monde entier pour son sens de l'équité. Bien des gens pensent que c'est arrivé après, mais ce fut bel et bien à ce moment-là.

Les peuples de couleur de l'Empire britannique se tournaient vers le Canada. Dans mon enfance à la Barbade, j'ai entendu parler des dommages qu'avait causés Lloyd George aux libéraux et de son attitude déplorable envers les gens de couleur britanniques. On en parlait beaucoup lorsque j'étais petite. Margaret MacMillan souligne ce qui suit, à la page 44 de son ouvrage :

[...] avec la désinvolture propre à son temps, il considérait les Indiens, de même que les autres populations de couleur, comme des gens inférieurs.

Honorables sénateurs, c'est significatif. L'Inde avait envoyé 1 250 000 soldats prendre part à la Grande Guerre. La position du premier ministre Mackenzie King, qui pensait que les terres du peuple turc devaient appartenir à ce dernier, était bien connue de la Grande-Bretagne. Tout comme les États-Unis, le Canada était alors très isolationniste. Il pleurait encore ses fils sacrifiés et ne voulait absolument pas participer à la guerre de Chanak. Les politiciens ont d'ailleurs voté sans tarder contre la participation à cette guerre. On n'a jamais demandé à notre Parlement d'envoyer des troupes pour déloger les occupants ancestraux, les Turcs, de leurs propres terres, et la politique a fonctionné. C'est grâce à la politique que la guerre a été évitée.

Nous nous souviendrons d'eux en temps de paix. Je tiens à offrir tous mes remerciements aux honorables sénateurs. Je dois reconnaître que j'adore ces questions, mais je crois également que nous avons envers le Canada le devoir historique de rappeler les immenses contributions de ceux qui nous ont précédés. Le premier ministre Robert Borden a brillé à la conférence de paix de Paris de 1919. C'est pendant ces années que le Canada a acquis sa réputation internationale de nation juste et équitable. Ce n'était pas en 1956, mais plus tôt. En grandissant, j'ai beaucoup entendu parler du libéralisme britannique et du dommage que Lloyd George avait fait au Parti libéral britannique, qu'il a littéralement détruit. Il a destitué Herbert Asquith.

De toute façon, je reviendrai sur le sujet. Il sera question de ce que j'appellerai mon quatuor turc pour le jour du Souvenir. Merci, c'est une belle histoire sur la façon dont nous avons mis fin à une guerre.

(Sur la motion du sénateur Meredith, le débat est ajourné.)

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mercredi 5 novembre 2014, à 13 h 30.)

Annexe

ALLOCUTION

de

Son Excellence François Hollande

président de la République française

devant les deux Chambres

du Parlement

à la

Chambre des communes,

à Ottawa

Le lundi 3 novembre 2014

Son Excellence François Hollande est accueillie par le très honorable Stephen Harper, premier ministre du Canada, l'honorable Noël Kinsella, Président du Sénat, et l'honorable Andrew Scheer, Président de la Chambre des communes.

L'honorable Andrew Scheer (Président de la Chambre des communes) : J'invite le très honorable premier ministre à prendre la parole pour présenter le président de la République française.

Le très honorable Stephen Harper (premier ministre) : Monsieur le Président du Sénat, monsieur le Président de la Chambre des communes, mesdames et messieurs les députés, mesdames et messieurs les sénateurs, distingués invités.

Monsieur le président de la République française, hier, j'ai eu le plaisir de vous accueillir chez moi, en Alberta. Aujourd'hui, nous sommes tous honorés de pouvoir vous souhaiter la bienvenue dans notre Parlement.

Avant d'accéder aux plus hautes fonctions de votre pays, vous avez vous-même vécu la vie parlementaire pendant près de 20 ans. Nous sommes donc très touchés par votre présence parmi nous ce matin. Depuis votre élection à la présidence en 2012, j'ai pour ma part eu maintes occasions d'apprécier toute votre sagesse et votre courage au cours d'une période durant laquelle l'économie mondiale a été sérieusement ébranlée. Comme vous le savez, nous ne sommes pas au bout de nos peines.

[Traduction]

Or, monsieur le président, votre présence, celle de l'importante délégation commerciale qui vous accompagne ainsi que la récente signature de l'accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne montrent au reste du monde que nous sommes déterminés à travailler ensemble afin de favoriser la création d'emplois, la croissance et la prospérité pour les citoyens.

[Français]

Je trouve rassurant aussi de savoir que nos pays, pendant des circonstances difficiles dans le monde, ont su donner l'exemple d'une collaboration éclairée et fondée sur le partage de valeurs communes. Nos entretiens à Banff ont d'ailleurs confirmé que le Canada et la France, sur la scène internationale, partagent les mêmes attachements au multilatéralisme, à la démocratie, aux droits de la personne et à la bonne gouvernance.

Nous avons également pu confirmer la vitalité du Programme de coopération renforcée que nous avons mis au point l'an dernier et qui touche l'économie, la défense, le dialogue politique, la culture, le domaine universitaire et le domaine scientifique.

Il existe aussi entre nous une heureuse concordance sur les grands enjeux de sécurité internationale sur lesquels la France et vous, monsieur le président, exercez un leadership mondial. Les événements dramatiques qui se sont déroulés à quelques pas d'ici, il y a moins de deux semaines, nous ont rappelé que même nos institutions démocratiques les plus sacrées ne sont pas à l'abri de la folie meurtrière inspirée par des mouvements terroristes. Votre pays a aussi été cruellement éprouvé récemment par le meurtre insensé de deux de vos ressortissants en Algérie, que nous avons déploré et dénoncé.

Je suis donc heureux que nous ayons eu l'occasion hier de raffermir notre volonté et de revoir notre stratégie d'éradiquer les foyers les plus virulents du fléau terroriste, en particulier sur le territoire irakien où nos forces aériennes respectives sont engagées.

En plus de la menace djihadiste dans plusieurs pays, nous avons abordé le sujet de l'agression éhontée des troupes de Vladimir Poutine en Ukraine, ainsi que les urgences posées par les changements climatiques et l'éclosion terrifiante du virus de l'Ebola en Afrique de l'Ouest, des défis auxquels nous nous sommes engagés à travailler ensemble.

[Traduction]

Monsieur le président, ces défis s'ajoutent bien sûr à la longue tradition de collaboration entre le Canada et la France : nous sommes fiers de défendre ensemble nos valeurs communes et de répondre aux grandes menaces qui planent sur notre civilisation. Sur une plage de la Normandie, il y a un peu plus de quatre mois, nous avons, en compagnie de plus de 20 autres chefs d'État et de gouvernement, souligné le 70e anniversaire du débarquement des troupes alliées, qui a marqué le début de la libération de l'Europe du joug nazi. Cet anniversaire et le centenaire du début de la Première Guerre mondiale, que nous célébrons aussi cette année, emplissent les Canadiens d'une grande fierté et nous rappellent que, à deux reprises, ce pays jeune qu'est le Canada n'a pas hésité à venir en aide au vieux continent — d'où proviennent les ancêtres de la plupart des Canadiens.

Plus récemment, nous avons pris part au Sommet du G7, à Bruxelles, et à la réunion de l'OTAN au Pays de Galles. L'une de ces rencontres découlait d'une collaboration historique alors que l'autre portait sur les défis actuels et futurs que nous devrons relever. Je crois que notre participation à ces rencontres illustre clairement que la relation de longue date qui unit le Canada et la France est profonde.

[Français]

Monsieur le président, aux yeux de la vieille Europe, le Canada peut sembler un jeune pays. Pourtant, la France et le Canada ont fait connaissance il y a près de cinq siècles, quand le Malouin Jacques Cartier a abordé nos rivages. C'est lui qui a donné le nom de Canada à ces terres encore inconnues des Européens. Depuis ce temps, la grande aventure de la langue française en terre d'Amérique se poursuit. Je peux vous assurer, monsieur le président, que tous les francophones canadiens ressentent pour leur langue, leur culture et leurs institutions la même fierté et le même espoir que ceux que vos ancêtres ont apportés ici.

Tous les Canadiens et Canadiennes, aujourd'hui, vous sont reconnaissants du témoignage d'amitié et de solidarité que vous nous rendez par votre visite.

J'ai maintenant le privilège de vous inviter à cette tribune.

Chers amis, M. le président François Hollande.

[Applaudissements]

S.E. M. François Hollande (président de la République française) : Monsieur le premier ministre, cher Stephen, monsieur le Président du Sénat, monsieur le Président de la Chambre des communes, mesdames et messieurs les parlementaires, je suis très sensible à l'accueil que vous me réservez.

C'est un grand honneur que vous faites à la France de lui permettre, à travers ma voix, de s'exprimer ici, devant votre Parlement, ce haut lieu de la démocratie, qui a été profané le 22 octobre dernier par une attaque d'inspiration terroriste dont le but ultime était de s'en prendre à l'idée même de liberté, c'est-à-dire ce dont votre Parlement est le symbole.

Je salue le courage de Kevin Vickers, qui est devenu un homme connu partout dans le monde. J'adresse la solidarité de la France, mon pays, au peuple canadien dans l'épreuve qu'il a traversée, et je réaffirme ici que, face au terrorisme, il n'y a pas de place pour le renoncement, pour la concession ou pour la faiblesse. Car le terrorisme menace les valeurs sur lesquelles nos deux nations se sont bâties. C'est pourquoi la France et le Canada agissent ensemble pour prendre leurs responsabilités pour la sécurité du monde.

Mesdames et messieurs, une indéfectible amitié nous lie, Canadiens et Français. Elle s'inscrit dans une longue histoire, que vous avez rappelée, monsieur le premier ministre. Il y a tout juste 400 ans, un Français originaire des Charentes, Samuel de Champlain, remontait le Saint-Laurent depuis l'océan et fondait un nouveau pays, votre pays. Il fut le premier gouverneur général du Canada. Cet anniversaire de la création du Canada, nous le commémorerons et nous le célébrerons aussi pour les 150 ans de la Confédération, en 2017.

France et Canada sont également unis par le sang, par l'alliance qui s'est forgée lors de la succession des deux conflits mondiaux du XXe siècle. Le Canada et Terre-Neuve ont été présents aux côtés de la France, et ce, dès le premier jour des deux conflits, en 1914 comme en 1939.

La France a des cimetières militaires. À Vimy, à Hénin-Beaumont, à Beaumont-Hamel et à Dieppe, dans ces lieux de souvenirs, beaucoup de Français anonymes viennent s'incliner et éprouvent une émotion sans limite en mémoire du sacrifice de ces jeunes Canadiens, vos aînés, qui sont morts pour la France. C'est pourquoi j'ai tenu à honorer près de 600 vétérans canadiens qui ont participé aux débarquements de Normandie et de Provence, en 1944, pour libérer la France et pour libérer l'Europe. Je les ai faits chevaliers de la Légion d'honneur.

Ici même, dans ce Parlement, en juillet 1944 — la guerre n'était pas terminée —, le général de Gaulle affirmait que votre soutien dans ce qu'il appelait « les mauvais jours » était la plus haute preuve qu'il soit possible d'apporter de l'amitié entre la France et le Canada. Cette alliance ne s'est jamais relâchée. Elle a duré durant la guerre froide, lors des conflits de l'ex-Yougoslavie, en Afghanistan, en Libye, aujourd'hui en Afrique de l'Ouest, au Mali, mais également en Irak. Nos aviations combattent ensemble en Irak, non pas pour apporter la guerre, mais bien pour faire prévaloir les idées qui peuvent conduire à la paix.

Nous sommes toujours ensemble quand il s'agit de défendre la démocratie, l'aspiration des peuples à leur émancipation, la dignité humaine et les droits des femmes partout dans le monde. Le Canada et la France appartiennent à la même famille.

Je vais reprendre une de vos formules, monsieur le premier ministre, car je ne me le serais pas permis : le Canada est né en français, et donc il parle français. Cette relation intime englobe l'ensemble du Canada, depuis l'Atlantique et l'ancienne Acadie jusqu'aux dynamiques communautés francophones qui se sont développées aux confins du Pacifique, au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est toujours un plaisir et une fierté d'entendre parler français dans le monde et d'entendre parler français au Canada.

La Francophonie n'est pas une survivance de l'histoire, c'est un atout pour l'avenir, et les jeunes générations ont compris que le bilinguisme était une chance et que le français, c'est la langue de l'excellence culturelle, mais aussi la langue du développement économique. Bientôt, la Francophonie comptera le tiers des nations représentées à l'ONU, plus de 700 millions de locuteurs dès lors que l'Afrique a fait aussi le choix de la Francophonie. Le français n'appartient pas à la France. Le français, c'est la langue des libertés. Le français incarne des valeurs. Le français défend les droits de l'homme, et c'est pourquoi, d'ailleurs, vous venez de consacrer aux droits de l'homme un musée à Winnipeg, dans votre pays.

Mesdames et messieurs les parlementaires, le Canada et la France ont adopté, l'année dernière à Paris, à l'occasion de la visite du premier ministre, un Programme de coopération renforcée autour de trois priorités. La première était la plus simple à trouver : la croissance. Nous avons besoin de croissance dans les Amériques comme en Europe, et pour avoir de la croissance, il faut faire des échanges commerciaux entre nos deux continents, mais également entre nos deux pays.

Aujourd'hui, les échanges représentent 8 milliards de dollars entre la France et le Canada. La France est le huitième fournisseur du Canada et son neuvième client. Ce n'est pas la place que nous voulons occuper. La France ne revendique pas d'être la première, mais la seconde peut être occupée par d'autres. Nous pouvons donc faire davantage.

Je suis convaincu que l'Accord économique et commercial qui a été signé entre l'Union européenne et le Canada peut contribuer au développement de nos échanges. La France souhaitait cet accord et elle y posait des conditions. Il fallait que soient respectés les principes d'exclusion des services audiovisuels et que soient défendues l'origine et la qualité de nos produits agricoles, et vous étiez également attentifs à ce sujet. Toutefois, maintenant que l'accord est signé, il ne faut plus perdre de temps, il convient de le ratifier et de le mettre en œuvre.

La France est également présente au Canada, au-delà même de sa langue et de sa culture, par des entreprises. Plus de 550 sont implantées dans votre pays. C'est encore trop peu. J'invite donc beaucoup de chefs d'entreprises — d'ailleurs, ceux qui m'accompagnent en sont convaincus — à investir encore davantage au Canada. Je nous appelle, Canadiens et Français, à multiplier les investissements dans nos pays respectifs. Les réformes que j'ai engagées depuis deux ans et demi en France ouvrent une nouvelle perspective, car elles créent un contexte beaucoup plus favorable pour investir en France. J'ai voulu améliorer l'attractivité de mon pays, simplifier les procédures, alléger le coût du travail et soutenir l'innovation, la recherche et l'éducation, mais si la France fait des efforts, elle ne peut les accomplir seule, et c'est pourquoi l'Europe doit également agir.

Il y a deux ans, lorsque j'ai rencontré le premier ministre canadien, c'était l'image d'une Europe qui ne savait pas encore si elle pourrait préserver sa propre monnaie. Les risques d'éclatement étaient sérieux, des pays menaçaient de quitter l'Union économique et monétaire. Deux ans après, la zone euro est solide et robuste, mais la croissance, elle, est trop faible.

Alors, l'Union européenne se prépare à lancer un grand programme d'investissement public et privé dans les domaines de la transition énergétique, des infrastructures et des nouvelles technologies. J'invite le Canada à saisir aussi ces opportunités, avec son savoir-faire, car nous avons besoin de croissance, nous avons besoin de développement et nous avons besoin de progrès. Nous ne pouvons pas accepter que les jeunes, les plus jeunes, soient les premières victimes d'un système économique. Le premier devoir d'une économie, c'est de fournir à la jeunesse la croyance qu'il est possible de vivre mieux, et c'est aujourd'hui ce que nous avons à faire.

Le monde affronte des menaces nouvelles. Nous les avons évoquées. Nous partageons les mêmes objectifs au sein de l'Alliance atlantique qui contribuent à notre défense collective. Nous travaillons, lorsque c'est nécessaire, à des interventions extérieures. Au Mali, le Canada nous a apporté un soutien décisif dès les premières heures de l'intervention. Et là aussi, pour l'Afrique de l'Ouest, savoir que des peuples qui pouvaient être loin de ces lieux de conflit étaient capables de se réunir pour porter un soutien et une solidarité a créé un lien nouveau entre l'Afrique et les pays qui venaient ainsi en soutien.

Nos deux pays sont également engagés en Irak. J'imagine ce qu'ont pu être les débats ici, dans ce Parlement, sur une intervention en Irak. La France avait refusé d'intervenir en Irak il y a près de 10ans, parce que ce n'était pas ce que nous pensions juste pour le monde. Mais aujourd'hui, face à un mouvement terroriste qui tue, qui massacre, qui rase des villages, qui met les femmes et les enfants en situation de servage, qui les noie dans les puits, est-ce que nous pourrions rester sans réaction et indifférents, en pensant que cela ne nous concerne pas? Non.

Il y a toujours des doutes quand il y a une opération extérieure, et je les partage. Il y a toujours des interrogations. Combien de temps cela va durer? Est-ce qu'on a véritablement conscience de ce que l'opération va produire? Et si nous voulons travailler ensemble, et il le faut, nous devons nous dire que ce combat-là prendra du temps, qu'il ne se résoudra pas en quelques bombardements, parce que ce ne sont pas des bombardements qui permettent de trouver des solutions politiques, qu'il faudra associer les populations elles-mêmes et leur dire que ce sont elles qui doivent se débarrasser du terrorisme, et que ce sont nous, les nations, qui pouvons leur apporter l'appui et qui devons d'abord montrer le chemin.

Nos deux pays font face à ce qu'on appelle les phénomènes des combattants étrangers : des individus perdus, fanatisés et manipulés. Vous les connaissez maintenant. Le plus souvent, pas toujours, ce sont des convertis qu'on n'avait pas forcément, un moment, identifiés ou décelés comme pouvant basculer. Quand ils partent, ils vivent des situations d'horreur. Nous avons reçu des témoignages de ce qu'ils peuvent regarder ou de ce à quoi même ils peuvent participer. Alors, quand ils reviennent, hantés par ce qu'ils ont pu voir, ils peuvent être tentés de reproduire des massacres dans leur pays d'origine. C'est pourquoi nous devons renforcer notre coopération, celle des services spécialisés, mais dans le strict respect des libertés publiques, car si nous manquons aux libertés publiques, alors c'est une nouvelle victoire du terrorisme contre les démocraties.

Le Canada a voté l'an dernier de nouvelles dispositions législatives contre le terrorisme. La France vient de faire de même : contrôler les réseaux sociaux, interdire les départs, lutter contre les filières et suivre les combattants à leur retour. Mais, je l'ai dit, nous devons aussi chercher des solutions politiques aux conflits, partout, et faire en sorte qu'il puisse y avoir des conférences internationales qui permettent de donner une perspective, y compris à ceux qui combattent. Cette démarche de rechercher en permanence la solution politique, tout en étant ferme sur le respect de nos principes et capables même d'utiliser la force, cette démarche vaut également en Ukraine. Je sais combien le Canada est préoccupé par cette crise. Il y a plus d'un million de Canadiens d'origine ukrainienne qui vivent, dans la douleur et l'appréhension, la mise en cause de l'intégrité territoriale de ce qui était leur pays. Les sanctions, nous les avons prises de manière coordonnée, elles étaient nécessaires, elles sont encore nécessaires, mais elles ne peuvent pas être la seule réponse. L'objectif, c'est de convaincre Moscou et les séparatistes de renoncer à l'escalade et de revenir au dialogue. Il y a eu un protocole qu'on appelle l'accord de Minsk, qui a été signé le 5 septembre de cette année. C'est ce protocole, tout ce protocole, qui doit s'appliquer.

Dans le cadre de ce que j'ai appelé « les rencontres de Normandie », qui avaient finalement eu lieu le jour même où nous célébrions l'anniversaire du Débarquement et qui nous avaient permis, à Angela Merkel et à moi-même, de réunir — c'était la première fois qu'ils se rencontraient — Porochenko comme président de la république d'Ukraine et le président Poutine pour la Russie, c'était la première fois que ce forum pouvait avoir lieu. Il a été suivi par de nombreuses discussions téléphoniques ou rencontres. Je crois à ce format-là, mais il n'a de sens que s'il débouche sur un accord politique.

Il y a eu des élections, d'abord des élections en Ukraine, les seules que nous reconnaissons, et puis il y a eu des consultations dans une toute petite partie de l'Ukraine, mais qui méritent d'être considérées. Ces consultations ne peuvent pas être reconnues comme une séparation, ce sont des élections locales dont les conséquences sont locales et qui appellent le dialogue. J'appelle moi-même le président Poutine à rester dans ce cadre. Il ne s'agit pas de reconnaître des élections qui pourraient mettre en cause l'intégrité territoriale de l'Ukraine.

Mesdames et messieurs, il y a aussi le défi climatique. Ce n'est pas un défi pour les 10 prochaines années, c'est un défi pour le siècle. Ce n'est pas une menace pour un continent ou pour quelques îlots épars dans le monde, non, c'est un défi pour la planète. La température s'est élevée de près d'un degré Celsius depuis 200 ans et pourrait dépasser trois degrés Celsius d'ici la fin de ce siècle avec les conséquences que l'on connaît : la fonte des glaciers et l'élévation du niveau de la mer.

Dans son cinquième rapport de synthèse, paru le 1er novembre, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, un groupe incontestable, un groupe rassemblant les plus hautes autorités scientifiques, a fait un nouveau constat et il est sans appel : il y a un lien direct entre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine. L'inaction conduirait à un scénario catastrophique qui serait inacceptable, qui serait sans doute vivable pour nous, mais invivable pour nos enfants et nos petits-enfants. Il est encore possible de limiter l'élévation à deux degrés de la température de la planète, et c'est déjà beaucoup, si nous sommes capables de réduire de 40 % au moins les émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030 et, pour certains, 2050.

La conférence sur le climat va se tenir à Paris. Je remercie tous les participants d'avoir fait de Paris le siège de cette conférence, nous étions les seuls candidats.

Il y a deux cas de figure quand il n'y a qu'un seul candidat : c'est que ce n'est pas une vraie élection ou que personne ne veut prendre cette responsabilité. Nous l'avons prise. Nous l'avons prise pour le monde, et nous l'avons prise parce que nous voulons que ceux et celles qui, comme nous, sont conscients qu'il y a un danger puissent être ensemble. Ce n'est pas un danger simplement pour nos propres économies, mais un danger pour nos populations.

La France est capable de parler à tous les pays du monde. C'est un privilège qui tient à notre histoire, à notre diplomatie, à notre culture et à l'image que l'on se fait de nous. Nous sommes membres permanents du Conseil de sécurité, nous parlons à tous les dirigeants du monde. Alors nous leur disons que le rendez-vous est en décembre 2015. Je pense que le Canada, qui connaît aussi ces transformations, qui fait aussi de l'énergie un mode de développement, notamment dans ses territoires de l'Ouest, sera pleinement engagé dans ce combat contre le réchauffement climatique. En effet, le Canada veut protéger l'environnement, notamment en Arctique. Le Canada veut développer dans cette région ce qu'il a de ressources dans le cadre d'un écosystème.

J'ai rencontré les premiers ministres de provinces, notamment du Nord-Ouest. C'est un territoire vaste comme la France, avec 55 000 habitants, un territoire riche de sa nature, de son histoire et aussi de son avenir. C'est aussi pour ces territoires que nous devons réussir la conférence sur le climat.

Il y a une autre menace, et le premier ministre en a parlé, c'est la menace sanitaire, Ebola. Là aussi je salue l'effort du Canada. La France va se concentrer sur la Guinée, pays francophone. Le Canada a décidé de nous rejoindre dans ce dispositif, avec des volontaires francophones. C'est là que la Francophonie peut être aussi utile, car pour soigner, les malades ont besoin de se faire comprendre et les soignants de pouvoir également faire la démonstration, la pédagogie de leurs remèdes.

La réunion que nous avons tenue ce matin même avec les universitaires et chercheurs canadiens et français montre que nous sommes capables, ensemble, de travailler sur le plan scientifique, au plus haut niveau, pour lutter contre le virus, avec des tests, avec la recherche de vaccins. Voilà ce que nous pouvons faire, Français et Canadiens : aller là-bas sur place, pour soigner, et ici, préparer des vaccins et les solutions pour demain.

Lors du prochain sommet de Dakar, qui se tiendra le mois prochain, la France et le Canada seront présents pour donner une nouvelle impulsion à la Francophonie. Lors de ce rendez-vous de Dakar, un nouveau secrétaire-général sera nommé, mais je n'apprends rien à personne ici. Je veux que ce rendez-vous soit utile pour que nous puissions soutenir davantage la jeunesse francophone, protéger davantage le droit des femmes francophones, et que nous puissions aussi développer les technologies nouvelles dans l'ensemble de l'espace francophone. Nous voulons faire une Francophonie qui soit à la fois culturelle — elle l'est —, mais qui puisse être économique.

Le français doit unir les chercheurs, les créateurs et les entrepreneurs pour créer une nouvelle économie, pour tous les pays qui parlent le français ou qui voudraient le parler. La Francophonie, c'est aussi la diversité culturelle. Elle vous est chère, elle nous est chère et elle doit être défendue âprement contre l'uniformité, la marchandisation et la banalisation. Méfions-nous des langues qui ne ressemblent plus à rien, des fausses langues, des langues bâtardes, des langues inventées et des langues qui ne sont même plus écrites. Nous avons aussi à défendre toutes les langues. La Francophonie n'est pas une bataille d'une langue contre une autre, la Francophonie, c'est la bataille de la richesse culturelle du monde.

C'est pourquoi nous les Français, nous admirons votre culture, vos artistes, vos chanteurs, vos cinéastes, vos théâtres et vos créateurs.

La France relève la vitalité artistique du Canada, en français et en anglais. Xavier Dolan, un jeune créateur de 25 ans, s'est illustré tout récemment à Cannes. Dany Laferrière a été reçu à l'Académie française. Alice Munro s'est vu attribuer le prix Nobel de littérature. Alors, chaque fois que vous obtenez un succès, la France, qui est très prétentieuse, pense toujours qu'elle en a une part. Merci!

Le Canada est un pays aussi devenu très attirant pour les Français. Mes compatriotes sont plus de 200 000 à avoir fait le choix d'un séjour plus ou moins durable ici, chez vous. Je considère que ces mouvements contribuent au rayonnement et au développement de la France. Il n'y a rien à craindre. D'ailleurs, la France n'a jamais rien à craindre de la confrontation, de la compétition, mais surtout, de l'ouverture. L'expérience que ces Français acquièrent ici, elle est bénéfique, elle est communicative, et elle est utile au Canada et utile à la France.

Nous voulons donc même l'encourager avec des accords de mobilité, qu'on appelle ici des ententes de mobilité — j'ai compris que c'était le mot. Le mot « entente » est quand même beaucoup plus agréable à entendre qu'« accord ». « Accord », c'est quand on finit par être sur une même ligne; « entente », c'est parce qu'on peut passer toute sa vie ensemble. C'est pourquoi nous voulons multiplier ces accords de permis vacances-travail, de volontariat international en entreprise pour que vous puissiez avoir davantage de jeunes Français ici, et nous, de jeunes Canadiens en France.

Nous voulons aussi être très attractifs pour les étudiants étrangers. Nous sommes d'ailleurs un des pays les plus attractifs pour les étudiants étrangers, mais nous manquons de Canadiens. Sans doute, notre système d'enseignement supérieur n'avait pas été regardé comme pouvant être conforme avec le vôtre. Alors, nous avons fait en sorte, ce matin même, de multiplier les accords entre les universités et entre les instituts de recherche, et d'avoir un haut niveau d'exigence pour que nous ayons plus d'étudiants canadiens en France et plus d'étudiants français au Canada. Ces échanges scientifiques sont pour nous très importants. On a été capable de mettre au point un grand télescope Canada-France-Hawaï pour faire une astronomie de haut niveau et aussi une recherche excellente contre les maladies neurodégénératives. Voilà pourquoi je suis très heureux de faire cette visite d'État.

Je vois le Canada comme un pays ami, mais surtout comme un pays jeune, ouvert et fier de sa diversité. Vous gagnez de la population chaque année. Vous n'avez pas peur de l'immigration. Vous ouvrez aussi largement vos portes parce que vous êtes sûrs de votre modèle d'harmonie et de compromis. Préservez-le, c'est essentiel pour toute nation de pouvoir vivre ensemble. Ce qui fait la force d'une nation, c'est qu'elle peut savoir quel est son destin et quel est son avenir, et gagner de la population. La France a également cette même vitalité démographique. C'est une chance de savoir que nous serons plus nombreux ensemble et que nous pouvons vivre ensemble, dans le respect des autres, mais avec des règles qui doivent être les mêmes pour tous, pour que chacun sache bien quel est le mode de vie que nous voulons respecter.

La France, vous le savez, a une relation exceptionnelle, singulière, avec le Québec, et elle continuera de l'avoir. En même temps, la France veut travailler avec toutes les provinces du Canada. Je l'ai montré en allant en Alberta, et je suis ouvert à toutes les ententes avec toutes les provinces du Canada. Comprenez bien que si on a pour le Québec de l'amour, on a aussi de l'amitié à revendre et à offrir à tout le Canada.

Car ce qui nous unit, et je terminerai là, depuis des siècles et encore aujourd'hui, c'est la culture, la langue et l'économie, sûrement, mais c'est surtout une communauté de valeurs qui fait que nous nous comprenons tout de suite, que nous devinons ce que vous pensez et que vous interprétez toujours de la même manière positive ce que nous pouvons déclarer. Nous avons le respect des personnes.

Nous croyons au progrès, à la justice et aussi à l'exigence de respecter la planète. Je crois à la force de notre amitié, à cette vitalité qui nous anime et aux projets que nous allons bâtir ensemble.

Le Canada occupe une place particulière dans le cœur des Français. Le Canada d'hier nous rendait fiers. Le Canada d'aujourd'hui nous incite encore à être plus proches de vous. Faisons de notre amitié un capital pour nos économies, faisons de notre amitié une garantie pour notre sécurité, et faisons de notre amitié une espérance pour la jeunesse.

Vive le Canada et vive la France!

[Applaudissements]

L'honorable Noël A. Kinsella (Président du Sénat) : Monsieur le Président Scheer, votre Excellence monsieur le président Hollande, monsieur le premier ministre, honorables sénateurs et députés, mesdames et messieurs.

Au nom de toutes les personnes réunies ici aujourd'hui à cette séance conjointe du Parlement du Canada, j'ai l'honneur de vous remercier, monsieur le président, de votre discours.

Vos réflexions et remarques ont tout à fait souligné l'amitié liant profondément nos deux pays. Avant de faire votre entrée dans l'édifice parlementaire, vous avez participé à une cérémonie pour le dépôt d'une gerbe de fleurs au Monument commémoratif de guerre du Canada. Sachez que nous apprécions votre soutien, monsieur le président, dans le cadre des événements tragiques qui sont survenus à cet endroit même le 22 octobre dernier.

Le Canada est extrêmement reconnaissant du fait que vous ayez dénoncé cet acte terroriste odieux commis dans un lieu de la démocratie. Le Canada est déterminé à maintenir son engagement dans la coalition internationale contre le groupe État islamique. Merci, monsieur le président, de vos remarques et bons conseils.

Au-delà des questions de sécurité et de la lutte contre le terrorisme, le Canada et la France ont des occasions de collaborer sur de nombreux dossiers communs. La contribution des anciens combattants à l'histoire et au patrimoine en est un exemple. La semaine prochaine aura lieu le jour du Souvenir. Le Sénat du Canada sera l'hôte d'un colloque intitulé « Le Canada et la France dans la Grande Guerre 1914-1918 », qui permettra de réfléchir sur la signification et les retombées de ce moment historique pour nos deux pays.

Parmi ces activités de commémoration de la Grande Guerre, le Parlement canadien était censé recevoir, le 22 octobre, une délégation de la ville d'Arras. J'avais une rencontre prévue ce jour-là avec le maire, son honneur monsieur Frédéric Leturque, et les membres qui l'accompagnaient. Le déroulement dramatique et précipité des événements a fait en sorte qu'ils ne sont jamais entrés dans l'édifice parlementaire.

Monsieur le président, les liens historiques et culturels entre le Canada et la France sont nombreux et profonds, mais la ville d'Arras a une importance particulière pour les Canadiens, en cette année où nous marquons le centenaire de la Grande Guerre. Je suis extrêmement fier chaque fois que des visiteurs viennent nous voir et que nous leur racontons l'histoire du tableau de l'artiste canadien James Kerr-Lawson affiché dans la Chambre du Sénat. Le tableau illustre les ruines de la cathédrale d'Arras telle qu'elle se présentait vers 1917. Il fait partie d'une collection de huit toiles commémorant la participation du Canada à la Première Guerre mondiale, telle que celle représentant l'arrivée des soldats canadiens à Saint-Nazaire.

Les liens historiques entre nos deux pays sont représentés dans la Chambre du Sénat par plusieurs symboles, tels qu'une représentation de Jeanne d'Arc sculptée dans la pierre et de nombreuses représentations de la fleur de lys que l'on retrouve aussi dans l'emblème du Canada.

Merci, monsieur le président, d'affirmer aujourd'hui, avec votre présence et vos mots, l'histoire et la fraternité qui unissent le Canada et la France.

[Applaudissements]

L'honorable Andrew Scheer (Président de la Chambre des communes) : Votre Excellence monsieur le président Hollande, monsieur le premier ministre, monsieur le Président du Sénat, honorables sénateurs et députés, mesdames et messieurs, c'est pour moi un privilège et un honneur de souhaiter la plus cordiale des bienvenues à Son Excellence François Hollande, président de la République française, dans l'enceinte parlementaire, le siège de notre démocratie canadienne.

[Traduction]

Les relations bilatérales entre nos deux pays s'échelonnent sur plusieurs générations et remontent à l'exploration du Nouveau Monde par des Français, il y a de cela quelques siècles. Ces relations ont été enrichies par la langue et les valeurs que nous partageons. Elles ont aussi été resserrées par les hommes et les femmes qui ont combattu et sont morts côte à côte, en défendant les libertés que chérissent nos deux pays.

[Français]

Cette année, nous soulignons le centenaire de l'engagement du Canada dans la Grande Guerre, le 75e anniversaire de l'engagement du Canada dans la Seconde Guerre mondiale et le 70e anniversaire des débarquements du jour J en Normandie. Durant ces étapes marquantes de l'histoire du Canada, nos deux grands pays se sont tenus fièrement côte à côte. Aujourd'hui, notre alliance a atteint une envergure sans précédent. Jamais nos ancêtres n'auraient pu imaginer, il y a quelques générations seulement, toute l'ampleur que prendraient nos efforts communs.

[Traduction]

Nos liens culturels sont aussi profondément enracinés. Ils sont le fruit des contributions de Samuel de Champlain et de Jacques Cartier, qui ont aidé à dévoiler les secrets du Nouveau Monde, ainsi que de l'apport à la culture et à la société des premiers missionnaires catholiques français, qui ont fondé des villes, bâti des hôpitaux et propagé la foi à la grandeur du continent.

Les contributions de la France à l'ensemble des réalisations de l'humanité sont bien connues et respectées par tous les pays du monde, y compris le Canada. Dans les arts, la musique, la sculpture et la littérature, la France a produit au fil des siècles certains des artistes les plus doués et les plus influents du monde. En tant que Canadiens, nous sommes fiers d'abriter dans l'enceinte du Parlement une œuvre du sculpteur légendaire Auguste Rodin, un précieux cadeau du peuple français au Canada.

Monsieur le président, vous avez souligné l'importance des relations commerciales entre le Canada et la France. Alors que nos deux pays s'affairent à renforcer ces relations, les paroles du grand économiste français Frédéric Bastiat nous viennent à l'esprit. Il a dit que, dans le domaine du commerce, la prospérité d'un pays profite à tous les autres.

[Français]

En terminant, ce matin, M. Hollande a planté un arbre à Rideau Hall. Il s'agit pour moi d'un acte symbolique qui nous rappelle qu'il y a plus de 400 ans, la France s'est embarquée dans une grande aventure. Elle s'est implantée dans le Nouveau Monde. De cette petite pousse, un peuple s'est enraciné en Amérique du Nord. Aujourd'hui cette francophonie canadienne est multiple et diverse, enrichie de toutes les autres cultures qui composent la mosaïque canadienne.

Ici, au Canada, nous n'oublierons pas et nous n'échouerons jamais à reconnaître les grands cadeaux que nous avons hérités de nos ancêtres français. Dans le contexte culturel, linguistique et institutionnel, la France demeure aujourd'hui une partie importante de l'identité canadienne.

Au nom de tous les députés de la Chambre des communes, je vous prie d'accepter nos remerciements les plus sincères pour le privilège de votre visite cette semaine, ainsi que pour votre discours ici, aujourd'hui.

Merci.

[Applaudissements]

© Sénat du Canada

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