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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 109

Le lundi 15 décembre 2014
L'honorable Pierre Claude Nolin, Président

LE SÉNAT

Le lundi 15 décembre 2014

La séance est ouverte à 17 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATION D'UN SÉNATEUR

Le Forum sur les droits des femmes, la paix et la sécurité

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, j'ai participé récemment, à Istanbul, à un forum visant à permettre aux femmes de dénoncer l'extrémisme.

Un groupe de participantes a fait une déclaration que j'aimerais vous lire. Elle s'intitule « Le monde à un point tournant : les femmes ont les solutions » :

Nous, 60 représentantes de 13 pays du Moyen-Orient, de l'Afrique du Nord et de l'Asie qui, de concert avec nos collègues d'Europe et d'Amérique du Nord, nous sommes réunies en Turquie à l'occasion du troisième Forum annuel sur les droits des femmes, la paix et la sécurité organisé par l'International Civil Society Action Network, n'avons qu'une chose à dire : assez!

Assez de la violence, assez de l'importation d'idéologies extrémistes qui n'ont aucun fondement culturel, religieux ou historique, assez des armes et des bombes qui nous obligent à enterrer nos concitoyens, et même nos enfants, à l'âge où ils devraient aller à l'école et construire leur avenir. Dans nos pays, les gens souffrent à deux pas des guerres et des actes de violence les plus horribles que le monde ait connus ces dernières années.

La grande majorité de nos concitoyens sont des gens pacifistes que tiennent en otage une poignée d'extrémistes, de membres de forces d'occupation et de dirigeants autoritaires. Nous, militantes pour la paix, le pluralisme et le respect des droits, sommes la cible de ces forces. D'une part, notre nom se retrouve sur la liste noire de l'EIIS, aussi appelé Daesh, et d'autres milices extrémistes parce que nous osons tout simplement défendre la liberté. D'autre part, nous sommes harcelées, menacées et arrêtées par les forces de l'État et les forces d'occupation parce que nous osons exiger de simples services, qui vont de l'accès à l'eau potable à la bonne gouvernance, en passant par le respect des droits fondamentaux, l'égalité et le leadership.

Les politiques des acteurs internationaux, notamment l'imposition de sanctions, la vente d'armes, la traite des personnes et le commerce de la drogue, contribuent à la souffrance de nos populations. Nos filles sont contraintes à se joindre à des milices ou enlevées, violées et vendues, tandis que les forces extrémistes et régressives bénéficient de ces politiques. [...]

Nous avons de graves problèmes à surmonter. Même si nous ne sommes pas à l'origine de ces problèmes, nous sommes forcées d'en assumer les conséquences. Vous pouvez penser que rien de bon n'est possible dans de telles circonstances, mais vous avez tort. Nous [les femmes] sommes fortes, et nous continuons à travailler parce que nous refusons d'abandonner nos valeurs, de même que notre espoir pour l'avenir. Nous mobilisons les jeunes pour contester les idéologies de la haine. Nous rejetons toute interprétation de la religion qui excuse ou encourage la violence, ainsi que l'oppression des femmes. Nous véhiculons un message de paix et de pluralisme, car c'est ce message qui a permis aux habitants de la région de vivre ensemble dans la paix malgré leurs différences.

Nous travaillons avec les femmes pour approfondir leurs connaissances sur les droits universels et les interprétations inclusives de la religion, ainsi que pour renforcer leur voix, respecter leur dignité et leur donner des emplois. Nous travaillons avec les hommes pour lutter contre la culture de la violence qui s'est répandue dans notre région. Nous déployons de grands efforts pour forcer nos gouvernements à respecter les engagements qu'ils ont pris.

Honorables sénateurs, ces femmes ont ensuite dit ceci :

Nous sommes aujourd'hui à la croisée des chemins. La communauté internationale peut poursuivre ses politiques et ses stratégies inefficaces qui entraînent une plus grande radicalisation et fomentent plus d'extrémisme violent, ou elle peut suivre notre exemple. Une chose est certaine : notre image de la région, tout comme notre vision de l'avenir, est fondée sur la paix, la liberté, la dignité, le respect des droits, le pluralisme et la prospérité pour tous.

Honorables sénateurs, je vous demande de tendre la main aux femmes de cette région. Nous pouvons tous travailler ensemble pour amener la paix dans le monde.

Merci.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Projet de loi no 2 sur le plan d'action économique de 2014

Présentation du quinzième rapport du Comité des finances nationales

L'honorable Joseph A. Day, président du Comité sénatorial permanent des finances nationales, présente le rapport suivant :

Le lundi 15 décembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des finances nationales a l'honneur de présenter son

QUINZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-43, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014 et mettant en œuvre d'autres mesures, a, conformément à l'ordre de renvoi du vendredi 12 décembre 2014, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Votre comité a aussi fait certaines observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,
JOSEPH A. DAY

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d'aujourd'hui, p. 1501.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur L. Smith, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

L'ajournement

Préavis de motion

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, lorsque le Sénat s'ajournera après l'adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu'au mardi 27 janvier 2015, à 14 heures.

[Français]

Le Sénat

Préavis de motion tendant à encourager le gouvernement à retirer le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États de l'accord économique et commercial global

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, attendu que l'accord de libre-échange avec l'Union européenne comprend des règles de protection des investissements assorties d'un mécanisme de règlement des différends entre États et investisseurs par l'arbitrage (ISDS);

Attendu que l'introduction de telles règles risquerait de porter atteinte à la capacité des parlements canadiens fédéral, provinciaux et territoriaux de légiférer, particulièrement dans les domaines sociaux, sanitaires et environnementaux, en exposant les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux à devoir verser des dédommagements substantiels aux investisseurs qui s'estimeraient lésés par de nouvelles mesures;

Attendu qu'il existe déjà un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d'investissements, inspiré de l'Organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce,

Le Sénat du Canada invite le gouvernement à réviser les chapitres 10 (investissements) et 33 (règlement des différends) du projet d'accord de libre-échange négocié avec l'Union européenne afin que soit retiré de l'accord le mécanisme de règlement des différends investisseur/État.


(1710)

[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

La citoyenneté et l'immigration

Les réfugiés syriens

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Ma question s'adresse au leader du gouvernement au Sénat. J'avais cru comprendre, à tort, que les réfugiés syriens arrivaient au pays suivant un processus régulier. Or, j'apprends maintenant que le Canada en a accueilli seulement 200. Est-ce exact?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénatrice, nous continuons d'accueillir des réfugiés. Comme nous l'avons toujours fait, nous continuerons à défendre la population syrienne. Nous espérons un avenir stable et démocratique pour la Syrie.

Le Canada est au premier rang des pays de l'Ouest qui offrent une protection permanente aux réfugiés syriens et irakiens les plus vulnérables. Nous continuons à nous préoccuper des crises humanitaires toujours plus nombreuses et nous agissons sur plusieurs fronts pour aider les personnes déplacées dans le cadre de conflits.

Le Canada compte toujours parmi les trois principaux pays dans le monde qui accueillent des réfugiés. Nous avons déjà pris des engagements importants. Nous en sommes fiers, et nous en ferons davantage.

Depuis le début du conflit, le Canada a accueilli plus de 1 900 réfugiés syriens par l'entremise de son Programme d'aide à la réinstallation. Depuis 2013, nous avons approuvé la demande de plus de 1 150 Syriens qui veulent rester au Canada de façon permanente. Ces chiffres continuent d'augmenter et ils augmenteront encore en 2015.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de votre réponse. Je crois comprendre que, jusqu'ici, seulement 200 réfugiés syriens ont trouvé asile dans notre pays. Je vous lis un extrait d'un article qui a été porté à ma connaissance :

Martin Mark est furieux contre l'inertie qui, à ses yeux, paralyse le système canadien d'octroi de l'asile depuis le début de la guerre civile en Syrie.

« Il n'y a que ça, des retards et des atermoiements », affirme le directeur exécutif du bureau des réfugiés de l'archidiocèse catholique de Toronto [...] « C'est notre réputation à l'étranger qui en sort amochée. »

« Si je dis aux responsables d'une église qu'ils peuvent commencer à amasser de l'argent et à voir aux préparatifs parce que les réfugiés s'en viennent, il y a de bonnes chances que leur réaction soit positive. Mais si je termine en leur précisant qu'en réalité, les réfugiés seront ici dans trois ans, ils vont m'envoyer paître. »

Monsieur le leader, pourquoi n'avons-nous pas accueilli plus de 200 réfugiés jusqu'à maintenant?

Le sénateur Carignan : J'ai dit que nous approchions de 2 000.

[Français]

Le Canada a accueilli plus de 1 900 réfugiés syriens par l'entremise de son Programme d'aide à la réinstallation. C'est le chiffre que je vous donne.

[Traduction]

Il y en a 2 000, pas 200.

La sénatrice Jaffer : Parce que je vous respecte beaucoup, je ne dirais jamais que vous induisez les honorables sénateurs en erreur; toutefois, je vous demande respectueusement de bien vouloir vérifier combien de réfugiés sont réellement arrivés au Canada. Il est vrai que le Canada était censé accueillir 1 900 réfugiés aux termes de l'engagement international qu'il a pris, mais seulement 200 sont arrivés.

Je viens d'aller visiter les camps en Turquie. Le gouvernement turc a accueilli 2 millions de réfugiés. En trois jours, dans la foulée des combats à Kobané, la Turquie a accueilli 130 000 réfugiés. Elle a mis sur pied des camps de réfugiés, lesquels coûtent 30 millions de dollars par mois.

Monsieur le leader, que faisons-nous au sujet des réfugiés syriens?

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme il est 17 h 15, conformément à l'article 9-6 du Règlement, je dois interrompre les délibérations et demander que la sonnerie retentisse jusqu'à 17 h 30, auquel moment le Sénat passera à la tenue du vote reporté sur le projet de loi C-428.

Convoquez les sénateurs.

(1730)

La Loi sur les Indiens

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Ngo, avec l'appui de l'honorable sénatrice Marshall, propose :

Que le projet de loi C-428, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (publication des règlements administratifs) et prévoyant le remplacement de cette loi, soit lu pour la troisième fois.

La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Marshall
Ataullahjan Martin
Batters McIntyre
Bellemare Meredith
Beyak Mockler
Black Nancy Ruth
Boisvenu Ngo
Carignan Oh
Dagenais Patterson
Demers Poirier
Eaton Raine
Enverga Rivard
Fortin-Duplessis Runciman
Frum Seidman
Gerstein Smith (Saurel)
Greene Stewart Olsen
Housakos Tannas
Johnson Unger
Lang Verner
LeBreton Wallace
Maltais Wells
Manning White—44

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Hervieux-Payette
Campbell Jaffer
Chaput Joyal
Charette-Poulin Kenny
Cools Massicotte
Cordy Mitchell
Cowan Moore
Dawson Munson
Day Ringuette
Downe Sibbeston
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif—25
Furey

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucune

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, nous reprenons maintenant la période des questions, à laquelle il reste 25 minutes et 54 secondes. Si la sénatrice Jaffer veut bien répéter sa question, je remettrai l'horloge en marche afin que le sénateur Carignan puisse répondre à la question.

La citoyenneté et l'immigration

Les réfugiés syriens

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Monsieur le leader, comme j'ai beaucoup confiance en vous, je ne pense pas que vous ayez induit le Sénat en erreur en affirmant que 1 900 Syriens sont arrivés au Canada. Je me trompe peut-être, mais, selon les recherches que j'ai faites, j'ai cru comprendre que le Canada n'avait accueilli jusqu'ici que 200 réfugiés syriens. Pourriez-vous confirmer le nombre de réfugiés syriens qui sont arrivés jusqu'à maintenant en terre canadienne?

[Français]

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Sénatrice, comme je l'ai dit tout à l'heure, je peux réitérer le nombre de réfugiés syriens et irakiens que nous avons réinstallés au Canada; ensemble, ces chiffres représentent plus de 22 000 réfugiés, ce qui place le Canada parmi les trois premiers pays au monde en ce qui a trait à l'acceptation et à la réinstallation des réfugiés. Depuis le début du conflit, le Canada a accueilli plus de 1 900 réfugiés syriens par l'intermédiaire de ses programmes d'asile et de réinstallation. Depuis 2013, nous avons approuvé la réinstallation permanente de plus de 1 150 réfugiés syriens au Canada, et nous avons déjà pris l'engagement le plus important, par habitant, parmi tous les pays au monde en ce qui concerne les réfugiés de la Syrie et de l'Irak. Nous sommes fiers de notre bilan, et nous continuerons à déployer des efforts en faveur des réfugiés.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Merci de votre réponse, monsieur le leader. Vous avez parlé de 23 000 réfugiés irakiens et syriens. Or, ma question portait uniquement sur les réfugiés syriens. Combien de réfugiés syriens ont foulé le sol canadien?

(1740)

[Français]

Le sénateur Carignan : J'ai dit 22 000, et non 23 000 Syriens et Irakiens. Je répète, pour la quatrième fois, qu'on parle de 1 900 réfugiés syriens, par l'intermédiaire de nos programmes d'asile et de réinstallation, depuis le début du conflit. Depuis 2013, nous avons approuvé la réinstallation permanente de plus de 1 150 réfugiés syriens au Canada. Si vous me posez la question une cinquième fois, je vous donnerai la même réponse.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Monsieur le leader, c'est une question très sérieuse, et je vous demanderais respectueusement de vous renseigner d'ici demain pour nous confirmer s'il s'agit de 1 900 personnes.

Depuis trois ans et demi que dure la guerre en Syrie, 10 millions de personnes ont été déplacées. Le Canada a eu de la difficulté à réinstaller outre-mer à peine 200 réfugiés syriens, selon moi, et il est encore en train de traiter les demandes d'asile de 1 300 autres personnes qui sont arrivées au Canada par leurs propres moyens.

Pendant la même période, monsieur le leader, l'Allemagne a réinstallé 6 000 personnes, accueilli 11 800 autres demandeurs d'asile syriens, et promis d'offrir une protection sous la forme d'un visa de résidence renouvelable de deux ans à 20 000 personnes de plus parmi les victimes les plus vulnérables qui sont prises au piège au Moyen-Orient. La Suède, un pays dont la population équivaut environ au quart de celle du Canada, a accordé le statut de résident permanent à plus de 30 000 Syriens.

Il y a deux mois, après que le Canada eut déclaré en juillet 2013 qu'il allait accepter 200 réfugiés syriens parrainés par le gouvernement d'ici la fin de cette année, le gouvernement suédois a annoncé qu'il accorderait la résidence permanente à tous les Syriens arrivant en Suède et satisfaisant aux exigences des contrôles de sécurité normaux, et que ces gens pourraient faire venir leur famille immédiate.

Au cours des trois premiers mois de la nouvelle politique établie par Stockholm, alors que les fonctionnaires canadiens tentaient encore de traiter les demandes des premiers réfugiés parrainés par le gouvernement, plus de 5 000 réfugiés syriens sont arrivés en Suède. Le Canada, quant à lui, a de la difficulté à atteindre l'objectif de 200 réfugiés parrainés par le gouvernement pour cette année. La Suède accueille 600 réfugiés syriens par semaine, mais le Canada ne répond pas à l'appel.

Monsieur le leader, je viens d'aller visiter des camps de réfugiés situés à la frontière de la Syrie et de la Turquie. Je suis allée à Gaziantep, puis à Kilis, et j'y ai vu l'horreur. J'ai vu des femmes qui ont été blessées par des bombes-barils, une chose que je ne souhaite pas à mon pire ennemi.

À une époque, personne n'accueillait plus de réfugiés que le Canada. Il n'est pas caractéristique du Canada d'en accueillir seulement 200 ou 1 900. Que fait le Canada pour aider les réfugiés syriens?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, je ne sais plus comment vous dire qu'il ne s'agit pas de 200 réfugiés. Je ne sais pas pourquoi vous maintenez ce chiffre. Le nombre de réfugiés syriens que le Canada a accueillis, depuis le début du conflit, est de 1 900, par l'intermédiaire de ses programmes d'asile et de réinstallation. Depuis 2013, nous avons approuvé la réinstallation permanente de plus de 1 150 réfugiés syriens au Canada. Nous avons déjà pris l'engagement le plus important, par habitant, de tous les pays du monde en ce qui concerne les réfugiés syriens et irakiens. Nous sommes fiers de notre bilan. Nous allons en faire encore plus. Ces chiffres, comme je l'ai dit tout à l'heure, continuent d'augmenter. Ils augmenteront beaucoup en 2015. Nous continuons à nous préoccuper des crises humanitaires qui, malheureusement, sont toujours plus nombreuses.

[Traduction]

L'honorable Art Eggleton : Monsieur le leader du gouvernement, le problème avec vos chiffres, c'est qu'ils sont insignifiants. En 2013, le gouvernement du Canada a accepté d'accueillir 1 300 réfugiés syriens, dont 200 seraient parrainés par le gouvernement lui-même — voilà pourquoi nous maintenons ce chiffre — et 1 100 par des organisations communautaires et des répondants privés. Voilà d'où nous vient le chiffre 200.

Mais si le processus est de longue haleine, les chiffres de 1 300 ou de 1 900 dont vous parlez sont insignifiants. Comme l'a signalé la sénatrice Jaffer, la Suède, dont la population est un quart de celle du Canada, en a accueilli 30 000. En 1975, quand les réfugiés de la mer vietnamiens commençaient à arriver au Canada, nous en avons accepté 50 000, dont la moitié, 25 000, étaient parrainés par le gouvernement. L'autre moitié a été parrainée par le secteur privé.

Comparativement parlant, les chiffres que vous nous citez sont totalement insignifiants. Le nombre de personnes déplacées par le conflit en Syrie s'élève à 7 millions. Plusieurs d'entre elles sont des enfants. Plusieurs d'entre elles sont dans les camps dont a parlé la sénatrice Jaffer.

Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a dit qu'il aimerait que les pays comme le Canada s'engagent, ensemble, à en accueillir 100 000. Certaines organisations canadiennes disent qu'il faudrait plutôt en accueillir 10 000. Même ce nombre est assez faible comparativement au nombre de réfugiés vietnamiens que nous avons accueillis dans les années 1970 et au début des années 1980, voire insignifiant comparativement à ce que font la Suède et l'Allemagne aujourd'hui.

Comment pouvez-vous affirmer que c'est à cela que se résume la contribution du Canada en réponse au problème des réfugiés syriens? Le nombre de réfugiés que nous nous sommes engagés à accueillir est insignifiant.

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, c'est votre opinion. Je vous dis que nous avons accueilli plus de 1 900 réfugiés par l'entremise de nos programmes d'asile et de réinstallation. Depuis 2013, nous avons approuvé la demande de plus de 1 150 Syriens qui veulent rester au Canada de façon permanente. Ces chiffres augmenteront substantiellement en 2015. Nous allons continuer d'accueillir des réfugiés en grande quantité.

[Traduction]

Le sénateur Eggleton : J'ai une autre question complémentaire. Existe-t-il actuellement un processus de sélection parmi les réfugiés syriens qui donne la priorité à certains groupes religieux, comme les minorités chrétiennes ou certaines autres minorités? Est-ce que certains groupes sont privilégiés ou est-ce que tous les réfugiés syriens, peu importe leur religion, sont traités sur un pied d'égalité?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénateur, un réfugié est un réfugié. Nous devons nous assurer qu'il s'agit d'un réfugié au sens des différentes conventions. C'est sur ces conventions que nous nous basons pour accueillir les réfugiés.

[Traduction]

L'honorable Jane Cordy : Votre réponse est pour le moins intéressante, car M. Costas Menegakis, le secrétaire parlementaire, a déclaré que le gouvernement conservateur accordera la priorité aux minorités ethniques et religieuses persécutées, celles qui sont véritablement à risque, et qu'il n'a pas à s'excuser d'agir de la sorte.

Il l'a clairement dit : vous allez accorder la priorité à certaines minorités ethniques ou religieuses. Quelle affirmation est exacte, la vôtre ou celle de M. Menegakis?

[Français]

Le sénateur Carignan : Sénatrice, vous savez que, pour être réfugié, il faut être menacé dans son pays. Une personne peut être menacée à cause de la religion. Le fait d'être menacé fait d'une personne un réfugié. Si les personnes ne sont pas menacées à cause de leur religion, elles ne sont pas nécessairement des réfugiés. Nous nous assurons que les personnes accueillies sont des réfugiés.

[Traduction]

La sénatrice Cordy : En fait, l'approche décrite par Costas Menegakis va à l'encontre de la politique du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Selon cette politique, ce sont les plus vulnérables et ceux qui courent le plus grand danger qui devraient être protégés en premier, ce qui ne correspond pas toujours à l'ethnicité ou à la religion. Pouvez-vous nous dire qui tient des propos qui sont justes, entre vous et le secrétaire parlementaire? Si c'est lui et que, comme vous l'avez mentionné, la religion est un facteur de sélection, ne craignez-vous pas de violer la politique du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés?

[Français]

Le sénateur Carignan : Comme je l'ai dit, nous nous assurons que les personnes sont des réfugiées au sens des conventions. Ce sont des réfugiés que l'on accueille au Canada.


(1750)

[Traduction]

ORDRE DU JOUR

La Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés
La Loi sur le mariage civil
Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Report du vote

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Ataullahjan, appuyée par l'honorable sénateur Meredith, tendant à la troisième lecture du projet de loi S-7, Loi modifiant la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la Loi sur le mariage civil, le Code criminel et d'autres lois en conséquence.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends aujourd'hui la parole à propos du projet de loi S-7, dont le titre est « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. » Ce projet de loi porte sur quatre aspects, qui sont très différents : premièrement, la polygamie; deuxièmement, l'âge minimal national pour le mariage; troisièmement, le mariage forcé; et quatrièmement, la provocation.

Honorables sénateurs, je vais d'abord parler d'un aspect très inquiétant, soit le titre court du projet de loi, « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. »

Comme je l'ai mentionné à l'étape de la deuxième lecture, et je vous le rappelle aujourd'hui, selon le dictionnaire, l'adjectif « barbare » signifie « cruel et brutal », tandis que le substantif « barbare » désigne « un membre d'un peuple sauvage ou non civilisé, autrement dit, un étranger ». Le mot culture est défini ainsi : « la culture d'une société donnée, ses idées et ses coutumes ».

Honorables sénateurs, à l'étape de la deuxième lecture, c'est avec beaucoup de fougue que j'ai exprimé ce que je ressens à propos du titre de ce projet de loi. Je crois que, à l'étape de la troisième lecture, je dois vous faire part de ce que beaucoup de Canadiens ressentent à propos de ce titre.

J'aimerais d'abord commencer par citer Deepa Mattoo, une éminente avocate qui s'occupe des cas de violence faite aux femmes à la South Asian Legal Clinic of Ontario. Voici ce qu'elle a déclaré à la CBC :

Je vais être honnête et répéter ce que je dis depuis deux semaines. Je ne peux même pas voir plus loin que le titre du projet de loi, qui est très problématique. En effet, il cible ouvertement les communautés raciales marginalisées en proposant un cadre raciste. Autrement dit [...] on emploie un vocabulaire incendiaire. Je ne peux pas croire qu'il en est ainsi en 2014 et qu'on perpétue des mythes à propos de certaines cultures. On fait de la propagande à propos de certaines cultures.

Par la suite, elle a ajouté ce qui suit :

Hélas, le projet de loi affirme en fait que la violence, c'est quelque chose de culturel alors que c'est faux. La violence, c'est de la violence. La culture de la violence, c'est de la violence. Elle prend des gens pour cible. Elle ne s'en prend pas à des groupes marginalisés donnés. Le projet de loi il nous laisse tomber. Il laisse tomber la communauté. Tout en affirmant qu'il s'agit d'un problème propre aux minorités culturelles, il marque une rupture plutôt que l'établissement d'un dialogue avec elles. Essentiellement, il les laisse tomber [...]

Il cible des groupes marginalisés très précis. Prenons le libellé, par exemple. Il ne laisse aucun doute. Il cible des groupes précis.

À l'étape de la deuxième lecture, j'ai souligné les problèmes que pose le titre court du projet de loi. Depuis, honorables sénateurs, le comité a tenu des audiences. J'aimerais citer ce qu'on y a entendu.

Naila Butt, directrice générale du Social Services Network, a dit ceci :

Nous convenons que les pratiques que le projet de loi vise à restreindre ne sont pas désirables. Cependant, le titre connoté du projet de loi laisse entendre qu'il incombe à un groupe restreint de privilégiés triés sur le volet de prêcher la civilisation, qu'il incarne, auprès des barbares sauvages. Employer ce genre de vocabulaire au sein d'une société aussi multiculturelle, ouverte et démocratique que le Canada, où les immigrants forment la majorité de la population, n'est pas propice à l'atteinte des objectifs du projet de loi.

De fait, les Canadiens de Bountiful, en Colombie-Britannique, pratiquent déjà la polygamie. En moyenne, tous les six jours, une Canadienne se fait tuer par son conjoint. Chaque jour, plus de 3 300 femmes doivent dormir dans un refuge d'urgence pour échapper à une situation de violence familiale. Plus de 1 200 femmes autochtones ont disparu. Aussi bien Amnistie internationale que les Nations Unies ont exhorté le gouvernement Canada à passer à l'action dans ce dossier, mais en vain.

Elle a aussi ajouté ceci :

J'ai une question pour les honorables sénateurs : en quoi la violence dont est victime chacune de ces Canadiennes diffère-t-elle de celle que le projet de loi entend éradiquer? Pourquoi ne pas appliquer la tolérance zéro aux actes barbares commis à l'encontre de ces Canadiennes? Serait-ce que, comme le titre le sous-entend, la tolérance zéro s'applique exclusivement aux personnes qui ne sont pas nées ici ou qui ont une façon particulière de s'habiller, de parler ou de prier? La violence faite aux femmes, c'est une question de société et de santé publique qui nous concerne tous.

Selon le ministère de la Justice, chaque année, les contribuables dépensent au total 7,4 milliards de dollars pour réparer les torts causés par la violence conjugale. Il existe déjà des mesures législatives qui s'attaquent aux problèmes dont il est question dans le projet de loi. Cependant, d'après des recherches poussées qui ont été menées à l'échelle du Canada, si l'on veut vraiment changer la vie des victimes, il faut de toute urgence apporter des changements à plusieurs niveaux.

Honorables sénateurs, la Dre Butt a par la suite tracé un portrait de la violence au Canada, et il n'y a pas que les immigrants qui en sont victimes.

Il est intéressant de souligner que Mme Megan Walker, qui représentait le London Abused Women's Centre, un organisme qui aide les femmes battues de London, en Ontario, depuis quatre décennies, a affirmé qu'elle appuyait le projet de loi, mais elle a aussi dit ceci :

Le titre suscite beaucoup de controverses. Il semble que le mot « barbares » ne soit utilisé ni dans le titre long ni dans le reste du projet de loi. Vu la controverse que soulève l'adjectif « barbares », je vous inciterais à le retirer et à seulement utiliser le titre long [...]

Rappelons que Mme Walker appuie le projet de loi.

Voici une citation de la directrice exécutive du Conseil canadien des femmes musulmanes, Alia Hogben :

L'aspect le plus troublant du projet de loi, et bien des intervenants vous en ont parlé, est son titre, car cette question ne vise pas que les Canadiennes musulmanes, mais toutes les femmes. Il est décourageant de voir que le Canada utilise pareille expression dans ses mesures législatives.

Le titre est raciste et discriminatoire; il incite au racisme et perpétue des stéréotypes à l'égard de certains Canadiens, y compris des femmes comme moi. Souvenons-nous du traitement que nous avons réservé à nos Premières Nations, lesquelles sont encore considérées comme étant barbares, primitives et arriérées. L'incidence de cette discrimination, de ce racisme, se fait encore sentir aujourd'hui.

Ce projet de loi laisse entendre sans détour que ces pratiques barbares risquent de s'implanter dans notre beau pays sans violence où les femmes et les filles n'ont pas à subir les affres d'un mariage forcé ou précoce, où on exècre la polygamie, et où on ne pratique pas le féminicide, c'est-à-dire le meurtre de femmes et de filles. Notre organisme s'oppose fermement à l'expression « crime d'honneur », et nous espérons en discuter davantage plus tard.

Honorables sénateurs, au comité, j'ai posé au ministre de l'Immigration la question suivante :

Vous l'avez expliqué brièvement dans votre exposé, mais pourquoi avez-vous choisi un titre comme « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares »?

(1800)

Le ministre a répondu « parce que, selon nous, la violence faite aux femmes est barbare ». Il a ensuite poursuivi ainsi :

Nous devons nous montrer très clairs à l'intention des quelques personnes qui tentent de promouvoir des pratiques barbares encourageant la violence. L'adoption du projet de loi S-7 ferait savoir clairement aux gens déjà en sol canadien, et à ceux qui envisagent de s'établir ici, que nous ne tolérerons pas les pratiques culturelles qui briment les droits fondamentaux d'une personne. Nous ne tolérerons pas ceux qui veulent utiliser leurs pratiques culturelles pour justifier des actes barbares à l'endroit de femmes et de jeunes filles et perpétuer la violence faite aux femmes. Nous ne tolérerons pas ces pratiques en sol canadien.

Honorables sénateurs, le ministre qualifie de barbare la violence faite aux femmes. Je serais d'accord avec lui s'il qualifiait ainsi toute la violence que subissent les femmes au Canada, mais ce n'est pas le cas : son propos ne porte que sur la violence liée à des pratiques culturelles.

Nous avons reçu un mémoire soumis par Mme Go, de la clinique juridique Metro Toronto Chinese Southeast Asian. Voici comment elle commente le titre :

Violence faite aux femmes : Aperçu de la situation au Canada.

D'après la Fondation canadienne des femmes :

  • Au Canada, la moitié des femmes ont été victimes d'au moins un acte de violence physique ou sexuelle depuis l'âge de 16 ans.
  • 67 p. 100 des Canadiens disent connaître personnellement au moins une femme qui a déjà été victime de violence physique ou sexuelle.
  • En moyenne, tous les six jours au Canada, une femme est tuée par son partenaire intime.
  • Tous les jours au Canada, on compte plus de 3 300 femmes (ainsi que leurs 3 000 enfants) séjournant dans les divers refuges d'urgence afin d'échapper à la violence conjugale.

Honorables sénateurs, je vous invite à lire son mémoire. Il est long, mais très éclairant. Faute de temps, je ne vous lirai pas toutes les autres statistiques qu'elle y mentionne, mais je crois que nous devons en tenir compte et tenir compte de ce que disent les autres femmes. Il faut faire attention à qui on appelle des barbares, car on ne devrait pas lancer de pierres quand on habite dans une maison de verre.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, la première question dont traite le projet de loi est celle de la polygamie. Le Code criminel régit déjà la polygamie. Le paragraphe 293(1) dit ce qui suit :

Est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, selon le cas :

a) pratique ou contracte, ou d'une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter :

(i) soit la polygamie sous une forme quelconque,

(ii) soit une sorte d'union conjugale avec plus d'une personne à la fois,

qu'elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie;

b) célèbre un rite, une cérémonie [...] ou y aide ou participe.

Honorables sénateurs, la polygamie est déjà illégale au pays. Comme vous le savez tous, je viens de Colombie-Britannique où, malheureusement, la polygamie prospère parmi nous. Elle existe dans ma province. Je ne sais pas pour vos provinces, mais je sais que, en Colombie-Britannique, nous sommes aux prises avec cette pratique.

Le ministre de l'Immigration modifie la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, la seule partie du projet de loi dont il est vraiment responsable. La modification du paragraphe 41.1(1) dit :

Emportent interdiction de territoire pour pratique de la polygamie la pratique [...] de celle-ci [par] le résident permanent ou l'étranger.

En particulier s'il pratique la polygamie au Canada.

Honorables sénateurs, personne parmi nous n'osera prétendre que la polygamie est acceptable au Canada. Ce n'est pas le cas. Mais ce n'est pas parce que je suis pour la polygamie que je m'oppose au changement proposé. Ce qui me choque, ce sont les jeux politiques auxquels on se livre avec ce projet de loi. Lors de la deuxième lecture, je vous ai pourtant indiqué quelles seraient les conséquences de l'article en question. Le projet de loi dit que, si un homme polygame arrivait au Canada sans son épouse, on l'autoriserait à entrer sur le territoire. Cependant, si son épouse arrivait par la suite, elle se verrait refuser l'accès au Canada, car lui donner l'autorisation d'entrer équivaudrait à pratiquer la polygamie au Canada.

Alors, que sommes-nous en train de faire? Ce projet de loi est censé protéger les femmes, mais, en l'adoptant, nous refuserions à la femme le droit d'entrer au Canada parce qu'elle pratiquerait de ce fait la polygamie. Si vous ne me croyez pas, honorables sénateurs, dites-vous que j'ai posé la question au ministre et qu'il a interprété le projet de loi exactement comme moi.

Je vous cite d'ailleurs l'échange que nous avons eu :

La présidente : Monsieur le ministre, j'ai une question à vous poser qui concerne directement votre ministère, et elle porte sur la polygamie. Le paragraphe 41.1(1) du projet de loi dit ceci :

Emportent interdiction de territoire pour pratique de la polygamie la pratique [...] de celle-ci [par] le résident permanent ou l'étranger.

J'ai deux cas hypothétiques à vous soumettre. Un homme arrive au pays en tant que visiteur. Il est polygame, mais il arrive seul. Il pourrait se voir accorder le droit d'entrer au Canada parce qu'il n'y pratique pas la polygamie. Est-ce bien exact?

M. Alexander : C'est exact.

La présidente : Si lui et son épouse arrivaient en tant que visiteurs, ils se verraient interdire l'accès au territoire parce que les laisser entrer équivaudrait à lui permettre de pratiquer la polygamie au Canada. Est-ce bien exact?

M. Alexander : C'est exact.

Ce projet de loi vise-t-il bel et bien à protéger les femmes? Quel genre d'approche sommes-nous en train de privilégier à l'égard de la polygamie? Honorables sénateurs, je voudrais que vous preniez le temps d'y réfléchir comme il faut. Si le projet de loi disait qu'un homme qui a plusieurs épouses n'a pas le droit d'entrer au Canada, je serais d'accord. Mais je ne suis pas d'accord s'il dit qu'un homme qui a plusieurs épouses a le droit d'entrer au Canada et d'y rester à condition de n'être accompagné d'aucune de ses épouses.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Ce projet de loi, honorables sénateurs, a été décrit comme un projet de loi qui protégera les femmes. Ce projet de loi est censé protéger des femmes qui me ressemblent. Je vais vous dire une chose, honorables sénateurs. Nous avons eu Craig Jones. Si vous venez de la même province que moi, vous savez qu'il s'agit d'un éminent avocat qui a mené un dur combat contre la polygamie à Bountiful. Il était l'avocat représentant la province de la Colombie-Britannique. Pendant de nombreuses années, il a piloté le dossier de la polygamie à Bountiful. À ce stade-ci, je m'en voudrais de ne pas reconnaître le travail accompli par l'ancien procureur général, Wally Oppal, lorsqu'il a livré un dur combat pour tenter de mettre un terme à la polygamie à Bountiful.

Craig Jones est maintenant professeur à l'Université Thompson Rivers. Voici ce qu'il a déclaré :

Une seule mise en garde s'impose toutefois. Les lois relatives à la polygamie doivent être appliquées en tenant compte de la vulnérabilité des femmes et des enfants qui vivent déjà dans de tels ménages. Il importe que le gouvernement fédéral travaille de concert avec les provinces pour faire en sorte que les dispositions du droit pénal en matière d'immigration qui s'appliquent à la polygamie et que les règles relatives à la famille ne nuisent pas aux personnes mêmes qu'elles sont censées aider [...]

La criminalisation de la polygamie ainsi que l'adoption d'une règle contre l'immigration en vue d'un mariage polygame, et possiblement d'une autre règle prévoyant le renvoi de personnes faisant partie de familles polygames, pourraient avoir pour effet d'isoler davantage les femmes et les enfants vivant déjà dans des ménages polygames, et les autorités tant fédérales que provinciales devraient en tenir compte. Ce que je veux dire, c'est que cibler la polygamie afin d'aider des membres vulnérables de notre société peut, dans certains cas, nuire aux personnes mêmes que l'on essaie d'aider. Lorsque l'on s'attaque à la polygamie au moyen du droit pénal ou du droit de l'immigration, on ne crée pas une situation où tous sortent gagnants.

Selon moi, dans l'ensemble, les avantages de l'interdiction l'emportent sur les effets délétères. Par conséquent, j'appuie l'ajout des renvois à la polygamie dans le projet de loi, dans le cadre d'un effort général visant à dénormaliser et, éventuellement, à éliminer cette pratique. Toutefois, comme je l'ai mentionné, cela comporte des risques, et il faut prévoir diverses mesures dont les témoins précédents ont parlé, notamment des activités de sensibilisation et de l'aide sociale valable.

(1810)

Honorables sénateurs, j'aimerais vous rappeler que le Canada est signataire de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Nous avons été l'un des premiers pays à signer cette convention qui, à l'article 9, indique clairement que « le mariage ne change pas automatiquement la nationalité de la femme. Par là même, la convention attire l'attention sur le fait que le statut de la femme sur le plan de la nationalité était souvent lié au mariage et évoluait en fonction de la nationalité de son mari et, de ce fait, les femmes n'étaient pas considérées comme des personnes à part entière. »

Honorables sénateurs, j'ai relu la convention cette fin de semaine. Ma lecture m'a permis de constater que le Canada s'est engagé à éviter toute discrimination envers les femmes en fonction de leur état matrimonial. Selon cette logique, il ne faudrait pas exercer de discrimination envers une femme engagée dans une relation polygame.

Honorables sénateurs, nous devons aussi respecter nos obligations internationales, c'est pourquoi j'insiste pour que nous examinions très attentivement cette disposition. Elle pourrait bien faire du mal aux femmes que nous essayons de protéger.

Le projet de loi soulève aussi la question de l'âge minimal pour le mariage. Pour être honnête, honorables sénateurs, je ne comprends pas pourquoi on discute de l'âge minimal pour le mariage dans le cadre de l'examen de la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares. Je ne vois pas pourquoi, mais bon, qui suis-je pour soulever une telle question? Il est vrai que je ne suis pas dans le secret des dieux, mais je suis tout de même perplexe.

Le ministre a dit ceci :

La loi fédérale, qui ne s'applique qu'au Québec, fixe l'âge minimum à 16 ans. Dans le reste du Canada, la common law s'applique. Il y a un flou entourant l'âge minimum en vertu de la common law; il est probablement de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons...

Franchement, avez-vous déjà entendu parler du mariage d'un enfant de 12 ou de 14 ans qui se serait déroulé au Canada?

... mais il pourrait être de 7 ans seulement. En fixant l'âge minimal pour le mariage à 16 ans dans l'ensemble du pays, on établirait clairement que le mariage précoce est inacceptable au Canada et qu'il ne sera pas toléré.

Honorables sénateurs, tout d'abord, j'estime qu'il s'agit essentiellement d'une question provinciale, mais je tiens à vous rappeler l'âge minimal pour le mariage dans chaque province : en Alberta, 18 ans; en Colombie-Britannique, 19 ans; au Manitoba, 18 ans; au Nouveau-Brunswick, 18 ans; à Terre-Neuve-et-Labrador, 19 ans; aux Territoires du Nord-Ouest, 19 ans; en Nouvelle-Écosse, 19 ans; au Nunavut, 19 ans; en Ontario, 18 ans; à l'Île-du-Prince-Édouard, 18 ans; au Québec, 18 ans; en Saskatchewan, 18 ans; et enfin, au Yukon, 18 ans.

Pourquoi envisageons-nous donc de le fixer à 16 ans? Je ne comprends pas, honorables sénateurs. Si nous voulons protéger les femmes, pourquoi le fixerions-nous à 16 ans alors que toutes les provinces l'ont établi à 18 ou 19 ans?

Des voix : Bravo!

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, je dis souvent que je ne comprends pas, mais c'est vraiment le cas en ce qui concerne le projet de loi dont nous sommes saisis. Le Créateur doit veiller sur moi, car je ne fais que m'attirer des problèmes. La fin de semaine dernière, pendant que je faisais mes recherches, j'ai appris qu'aux Nations Unies, le Canada et la Zambie ont pris la tête d'un mouvement visant à ce que l'âge minimal pour le mariage soit de 18 ans dans tous les pays.

Voici ce que notre ministre des Affaires étrangères, John Baird, a déclaré au terme de la Troisième Commission :

L'appui sans réserve de la communauté internationale à l'égard de cette résolution met clairement en évidence le mouvement puissant à l'échelle mondiale qui vise à éliminer une pratique qui menace la vie et l'avenir de 15 millions de filles qui sont forcées à se marier chaque année.

Il poursuit en disant ceci :

Aux 700 millions de filles et de femmes de par le monde forcées à se marier alors qu'elles étaient encore enfants, le Canada vous appuie et continuera de collaborer avec des partenaires internationaux afin de faire en sorte que vos filles et vos petites-filles ne subissent pas le même sort.

Les mariages d'enfants, précoces et forcés constituent l'un des défis du développement les plus pressants de notre époque. Notre pays agira toujours selon ses valeurs profondes que sont la liberté, la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit, afin que tous puissent en profiter.

Honorables sénateurs, j'ai ici le document produit par la Troisième Commission des Nations Unies, qui était dirigée par le Canada et la Zambie. Il y est écrit noir sur blanc que, chaque année, 15 millions de jeunes filles sont mariées avant d'atteindre l'âge de 18 ans, et qu'au total, plus de 700 millions de femmes et de jeunes filles ont connu le même sort. Sur la scène internationale, le Canada fixe la limite à 18 ans. Pourquoi, dans ce cas, dit-il qu'elle devrait être à 16 ans au Canada? Qu'est-ce qui se passe, honorables sénateurs?

Une voix : Aucune crédibilité.

Une voix : Qu'on retire cette disposition

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, j'aimerais maintenant parler des mariages forcés. Je m'intéresse à ce dossier depuis de nombreuses années, honorables sénateurs, et j'aimerais d'ailleurs remercier lord Lester, de la Chambre des lords d'Angleterre. Lui aussi s'intéresse à ce dossier depuis très longtemps. Chaque fois que je suis allée à Londres, il me disait que, pour avoir étudié les communautés concernées, il était convaincu qu'il fallait aborder la question sous l'angle du droit civil. Il a directement contribué à ce que, dans son pays, les mariages forcés soient régis par le droit civil.

En 1999, honorables sénateurs, j'ai donné une conférence sur les mariages forcés à Bruxelles, en Belgique. Je n'ai pas le temps aujourd'hui de vous lire ma présentation au complet, mais disons seulement que j'ai surtout parlé des effets destructeurs que peuvent avoir les mariages forcés. Je disais qu'ils pouvaient détruire des communautés au grand complet, et je concluais en disant que, que nous le voulions ou pas, les mariages forcés sont une réalité dans de nombreuses sociétés industrialisées, surtout celles où on compte une forte proportion d'immigrants, et il faudra, tôt ou tard, que nous décidions si l'ensemble des femmes ont les mêmes droits fondamentaux, quelle que soit leur origine ethnique. Si jamais quelqu'un souhaite jeter un œil au reste du document, je l'ai avec moi.

Honorables sénateurs, à l'étape de la deuxième lecture, j'ai dit à plusieurs reprises que je croyais que le fait de criminaliser les familles arrangeant un mariage forcé était la mauvaise façon de procéder. Je crois qu'agir ainsi est vraiment une erreur.

J'ai depuis parlé à de nombreuses jeunes filles qui m'ont appelée après m'avoir entendue parler. Elles m'ont dit qu'elles avaient été mariées de force, mais qu'elles croyaient tout de même que leurs parents les aimaient et que rien ne pourrait les pousser à aller voir les policiers pour qu'ils emprisonnent leurs parents. Elles croient que cela leur ferait perdre l'amour de leurs frères et sœurs, ainsi que celui de leur communauté, ce qui les priverait de leurs racines. Elles m'ont dit qu'il fallait trouver un moyen de mettre fin aux mariages forcés sans détruire complètement leur vie en les forçant à quitter leur famille, leur collectivité et tout ce qu'elles connaissent.

Honorables sénateurs, je dois vous dire que je suis très fière du premier ministre quand il se rend en Afrique occidentale pour parler des mariages forcés. Il est très important que le premier ministre indique que, dans notre pays, nous n'accepterons pas les mariages forcés et que nous contribuerons à la lutte contre cette pratique partout dans le monde. Cependant, si nos efforts sont vraiment sincères, nous écouterons les petites filles qui nous supplient de ne pas les séparer de leurs familles et de leurs collectivités, les privant ainsi de leurs racines, et qui veulent seulement que nous mettions fin à cette pratique.

Je pourrais continuer ainsi, mais je n'ai pas le temps. Le projet de loi empêchera ces jeunes filles de demander de l'aide. Elles ne vont pas dire au gouvernement que leurs parents sont barbares et lui demander de les envoyer en prison.

(1820)

L'autre chose à laquelle personne n'a pensé, c'est que, si vous êtes un immigrant et que vous vous adressez à la police et que votre père est accusé et reconnu coupable, toute la famille sera expulsée. Pensez-vous qu'une petite fille voudra que sa famille soit expulsée afin qu'elle ne soit pas obligée de contracter un mariage forcé? Que fera-t-elle? Voilà les choix que nous donnons.

Honorables sénateurs, je vous demande de bien réfléchir à ce que nous faisons.

À l'étape de la deuxième lecture, j'ai longuement parlé de la provocation, du fait qu'elle n'a jamais été utilisée pour les meurtres d'honneur. J'aimerais encore une fois vous parler longuement des meurtres d'honneur et de la provocation; je le ferai peut-être un autre jour.

J'aimerais vous recommander un livre que le Secrétariat à la condition féminine du Québec a écrit sur les meurtres d'honneur. Mme Miville-Dechêne est venue témoigner devant notre comité. Je félicite vraiment le Secrétariat à la condition féminine du Québec de cette étude dans laquelle il explique en détail ce qu'est un meurtre d'honneur. Je ne peux pas vous dire combien de fois elle nous a demandé de nous débarrasser du titre. Ce n'est pas la bonne façon de faire les choses; ce n'est pas la bonne façon de créer l'harmonie.

Honorables sénateurs, je n'ajouterai rien d'autre concernant la provocation, sauf que le ministre a déclaré qu'il veut faire cesser les meurtres d'honneur. Moi aussi, je veux les faire cesser. Nous sommes sur la même longueur d'onde, mais s'il veut les faire cesser, pourquoi ne pas simplement publier une déclaration pour dire que les tribunaux n'utiliseront jamais les meurtres d'honneur comme défense? Pourquoi changer la définition de « provocation »? Pourquoi ne pas envoyer un message clair à tout le monde : le Canada n'accepte pas les meurtres d'honneur? Pourquoi ne pas le stipuler dans le Code criminel? Pourquoi ne pas dire que les meurtres d'honneur ne serviront jamais de défense pour la provocation ou le meurtre? Ce serait bien. J'en serais satisfaite. Le projet de loi ne parle pas de meurtres d'honneur, il tourne autour du pot. Tout ce qu'il fait, c'est changer la définition de « meurtres d'honneur ».

Le projet de loi ne dit pas un mot sur les meurtres d'honneur. Dans dix ans, voire dans cinq ans, qui se souviendra de la raison d'être de cette modification de la loi? Pourquoi a-t-on choisi de changer la définition de la provocation, un concept déjà présent dans notre système pénal? Quand ils s'expriment, ils emploient l'expression « meurtre d'honneur », mais ils ont choisi de ne pas s'en servir dans le projet de loi. Ils ont tort.

Le comité a entendu de nombreux témoins lui dire que le projet de loi doit être accompagné de mesures de prévention. Voici ce que nous a indiqué Aruna Papp, qui est une partisane du projet de loi :

J'ai rencontré le ministre juste avant de venir témoigner devant votre comité et je l'ai prévenu. Je lui ai dit : « Si j'accepte de venir parler de ce projet de loi, c'est que j'ai bon espoir qu'il sera accompagné des ressources nécessaires. C'est très important. » Le ministre a acquiescé. Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Nous faisons de la prévention et nous commençons la sensibilisation dans les écoles. Nous en parlons à tous les parents, y compris à l'école primaire. Les gens sont choqués lorsque des adolescentes rentrent chez elles et auraient aussitôt envie de retourner à l'école.

Elles voudraient sortir avec leurs amies.

Nous avons besoin de ressources.

Honorables sénateurs, j'aurais un dernier mot à dire. J'ai travaillé avec Aruna, Naila et Deepa pendant de nombreuses années. Je connais l'excellent travail qu'elles accomplissent et j'ai beaucoup de respect pour elles.

J'ai également collaboré avec Alia Hogben, qui préside le Conseil canadien des femmes musulmanes, et je voudrais que vous lisiez ses paroles dans le compte rendu de l'audience. Elle est d'avis que considérer des enfants comme différents de nous et ne pas les considérer comme les nôtres revient à leur accorder une forme de traitement différent. Elle précise qu'elle est travailleuse sociale. Elle est parfaitement au courant de ce qui s'est produit dans l'affaire Shafia. Lorsque ces jeunes filles ont demandé de l'aide, elles n'en ont pas reçu parce qu'on ne les a pas considérées comme des Canadiennes — et ce n'est pas moi qui le dis, c'est bien elle. On leur a réservé un traitement différent.

Honorables sénateurs, je pourrais vous répéter pendant des heures que, à cause de ce projet de loi, nous serons perçus comme étant différents. Ces jeunes filles étaient Canadiennes; elles étaient originaires du Canada. Les jeunes filles dont nous parlons étaient Canadiennes. Nous devons protéger nos jeunes filles.

Honorables sénateurs, à l'étape de la deuxième lecture, je vous ai dit que nous pouvions raccommoder les fissures et faire régner l'harmonie, plutôt que de faire des coups bas et de diviser les collectivités. Voilà le pouvoir que possèdent les membres de la classe politique.

Je tiens à vous dire aujourd'hui que, à l'approche de Noël, une des plus belles choses que nous pouvons constater, c'est l'harmonie et l'amour qui règnent au sein de notre société, de nos familles et de nos collectivités. Après les événements survenus sur la Colline du Parlement, regardez à quel point les gens sont chaleureux les uns envers les autres alors que les Fêtes approchent à grands pas; c'est parce que l'harmonie nous tient à cœur.

Honorables sénateurs, ce projet de loi divise nos collectivités. Vous n'avez aucune idée à quel point certaines d'entre elles sont bouleversées à l'idée d'être qualifiées de « barbares ».

Quand j'étais petite, ma mère rêvait que je devienne pianiste. Mon père, quant à lui, disait que j'allais faire de la politique. Vous savez maintenant qui a eu raison — mon père. Ma mère est décédée depuis trois ans. Au moment où j'examinais ce projet de loi, je me suis souvenue de ce qu'elle me disait. Quand j'étais petite, pour l'agacer en rentrant de l'école, je jouais parfois au piano en n'utilisant que les touches blanches. Vous en ferez l'expérience. Il n'est pas possible de jouer un morceau harmonieux en n'utilisant que les touches blanches. Parfois, je ne jouais que sur les touches noires. Vous essaierez cela aussi. Ce n'est pas harmonieux. Ma mère me disait alors qu'il fallait jouer à la fois sur les touches blanches et les touches noires pour que la musique soit harmonieuse.

Honorables sénateurs, je vous le dis, ce genre de projet de loi qui divisera des communautés viendra détruire la belle harmonie qui règne dans notre pays. Il faut que tout le monde se sente inclus dans notre communauté; ne la divisez pas.

Honorables sénateurs, je vous demande de ne pas passer maintenant à la troisième lecture du projet de loi, car j'aimerais proposer un certain nombre d'amendements.

Motion d'amendement

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose que le projet de loi S-7 ne soit pas lu maintenant pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à la page 2,

(i) à l'article 4, par substitution, à la ligne 8, de ce qui suit :

« d'avoir atteint l'âge de dix-huit ans. »,

(ii) par adjonction, après la ligne 21, de ce qui suit :

« Modification corrélative

Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil

5.1 L'article 6 de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil est remplacé par ce qui suit :

6. Nul ne peut contracter mariage avant d'avoir atteint l'âge de dix-huit ans. »;

b) à la page 3,

(i) à l'article 7, par substitution, aux lignes 12 à 26, de ce qui suit :

« 7. L'article 232 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (2), de ce qui suit :

(2.1) Malgré le paragraphe (3), le fait que l'accusé croit que la victime ait agi d'une manière socialement ou moralement inappropriée ou inacceptable et qu'elle ait déshonoré l'accusé ou la famille de l'accusé ou en ait été la honte n'équivaut pas à une provocation pour l'application du présent article. »,

(ii) à l'article 8, par substitution, aux lignes 33 à 37, de ce qui suit :

« constituerait une infraction visée aux articles 293.1 ou »;

c) à la page 4, à l'article 9, par substitution, à la ligne 12, de ce qui suit :

« atteint l'âge de dix-huit ans. »;

d) à la page 7,

(i) à l'article 14, par substitution, à la ligne 7, de ce qui suit :

« mariage de personnes de moins de dix-huit ans) ou »,

(ii) à l'article 15, par substitution, à la ligne 25, de ce qui suit :

« de dix-huit ans) ou 810.2 (engagement — »;

e) par intégration des changements nécessaires à la désignation numérique des dispositions et aux renvois.

Au fond, honorables sénateurs, je demande que l'âge passe de 16 à 18 ans et que la définition du terme « provocation » soit supprimée pour la remplacer par une autre définition.

Je vous remercie, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

(1830)

Son Honneur le Président : Le débat porte sur les amendements.

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, je souhaite poser quelques questions à la sénatrice Jaffer. La sénatrice a beaucoup investi dans le projet de loi. Ses déclarations sont fort exhaustives.

Son Honneur le Président : Sénatrice Jaffer, il vous reste six minutes. Nous pouvons les passer à répondre à des questions même si le débat porte sur les amendements. Je suis disposé à permettre que les six minutes soient consacrées aux questions.

La sénatrice Cools : Sénatrice Jaffer, je vous remercie beaucoup pour un discours et une analyse que je qualifierais de très convenables et indiqués.

Quelques aspects du projet de loi sont plutôt gênants. J'aimerais que vous nous en parliez. Je vais vous poser certaines questions afin que vous puissiez y répondre.

Le projet de loi S-7 est une ingérence massive du gouvernement fédéral dans les champs de compétence des provinces, notamment la célébration du mariage, la propriété et les droits civils, établis aux termes de l'article 92. Il est très important que nous nous penchions sur cette question car, comme tout le monde le sait, la compétence sur la célébration du mariage a été accordée aux provinces dans l'une des versions subséquentes de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique à l'insistance du Québec, qui tenait à ce que les mariages soient effectués et célébrés par des prêtres catholiques plutôt que protestants.

Je constate, après avoir consulté la liste des témoins, qu'aucun procureur général provincial n'a été invité à comparaître.

La sénatrice Jaffer : Je me suis bel et bien penchée sur la question, et, d'après ce que j'ai pu comprendre, le gouvernement fédéral et les provinces ont une compétence partagée dans le domaine; ainsi, le gouvernement fédéral a le pouvoir de fixer l'âge minimal à partir duquel quelqu'un peut se marier aux fins de l'application de la Loi sur le divorce et autres. D'après ce que j'ai pu comprendre, le projet de loi est recevable. Mais nous n'avons invité aucun constitutionnaliste à comparaître; il se peut donc que j'aie tort.

La sénatrice Cools : Sénatrice Jaffer, vous avez mentionné à plusieurs reprises la Loi sur le mariage civil. Cette loi a été adoptée récemment, en 2005, avec le seul objectif d'accorder aux couples de même sexe le droit au mariage. Toutes les autres questions relatives au mariage sont entièrement demeurées de la compétence des provinces. Je n'ai pas compris pourquoi le projet de loi S-7 propose de modifier la Loi sur le mariage civil. Peut-être pouvez-vous nous donner une explication?

La sénatrice Jaffer : Non, j'ignore la raison.

La sénatrice Cools : Il y a une dernière chose que je souhaite aborder, honorables sénateurs : de prime abord, le projet de loi semble employer le Code criminel comme un outil pour réglementer le mariage, un outil assez grossier et rudimentaire, ce qui est une autre forme d'ingérence dans une sphère presque sacrée des compétences provinciales, soit la célébration de mariages. Avez-vous des observations à nous livrer sur ce sujet?

La sénatrice Jaffer : Lorsqu'un projet de loi est présenté, c'est pour régler un problème, qui pourrait être lié à la cyberintimidation ou à Internet. Il est question ici d'un projet de loi omnibus. On y traite de polygamie, de mariage forcé et de l'âge de la nubilité au pays. On y prévoit également des modifications au Code criminel. Il s'agit d'un projet de loi fourre-tout. Nous n'avons pas eu l'occasion de nous entretenir avec le ministre de la Justice, qui a décliné l'invitation de comparaître devant notre comité parce que le ministre de l'Immigration est responsable du dossier. Les trois questions relevaient de son portefeuille, mais le ministre de l'Immigration est le ministre responsable du projet de loi à l'étude.

L'honorable Nicole Eaton : Mon intervention ne saurait rivaliser de sophistication avec les arguments juridiques de la sénatrice Cools, mais je dirai que pendant son témoignage, le ministre n'a pas mentionné une seule fois les personnes. Il n'a parlé que d'actes barbares.

Ne serait-il pas barbare de dire à ma fille de 15 ans : « Chérie, je crois que ce serait financièrement avantageux pour moi si tu allais à Bountiful pour épouser ton cousin âgé de 20 ans »?

La sénatrice Jaffer : Je ne comprends pas votre question. Qu'est-ce qui est barbare? Je ne comprends pas. J'ai cité les propos exacts du ministre, alors je ne suis pas sûre de comprendre où vous voulez en venir.

La sénatrice Eaton : Le ministre n'a jamais qualifié qui que ce soit de barbare. Il a parlé de comportements barbares.

La sénatrice Jaffer : Il a dit que la violence envers les femmes était barbare.

La sénatrice Eaton : N'êtes-vous pas du même avis?

La sénatrice Jaffer : J'espère que vous avez entendu tout mon discours. J'ai dit que, compte tenu des circonstances actuelles, nous ne pouvons pas dire que la violence envers les femmes est barbare. Si nous considérons cela comme un comportement barbare, alors tous les actes de violence commis au Canada sont barbares, y compris ceux commis envers les femmes et les jeunes filles autochtones disparues. Pourquoi ne menons-nous pas une enquête nationale à ce sujet? C'est un cas de comportement barbare.

Pourquoi ne pas mener une enquête nationale à ce sujet? Voilà ce qui est barbare.

La sénatrice Eaton : Je ne m'oppose pas à ce que vous dites, mais ce n'est pas l'objet du projet de loi. Tout geste qui vise à s'en prendre aux femmes est barbare. Je suppose que je ne comprends pas pourquoi vous avez tant de difficulté à croire qu'un mariage précoce ou forcé n'est pas barbare. J'ai du mal à comprendre pourquoi vous pensez que c'est acceptable, et qu'il faudrait peut-être se montrer plus souple parce que ce ne sont pas nos coutumes. Non. N'est-il pas barbare de forcer quelqu'un à se marier à un âge précoce?

(1840)

La sénatrice Jaffer : Je ne peux pas interpréter ce que vous croyez, parce que je ne peux pas lire dans vos pensées. Cependant, je vous ai dit que je me penche sur les problèmes liés au mariage forcé depuis 1999. Je veux que les petites filles obtiennent de l'aide. Je ne veux pas qu'elles aient à subir cela. Toutefois, ce n'est pas en traitant leur père de barbare qu'on y parviendra.

Son Honneur le Président : Sénatrice Jaffer, souhaitez-vous disposer de cinq minutes de plus pour terminer vos observations? Non?

La sénatrice Jaffer : Non.

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Eggleton souhaite-t-il participer au débat?

Le sénateur Eggleton : Non.

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

La sénatrice Martin : Le vote!

Son Honneur le Président : Nous allons commencer par l'amendement.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Puis-je avoir les instructions des whips?

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Que la sonnerie retentisse durant 30 minutes.

L'honorable Jim Munson : Que la sonnerie retentisse durant 30 minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 19 h 11.

Convoquez les sénateurs.

(1910)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Jaffer
Campbell Joyal
Chaput Massicotte
Cools Mitchell
Cordy Moore
Cowan Munson
Dawson Nancy Ruth
Day Ringuette
Downe Sibbeston
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif
Furey Watt—25
Hervieux-Payette

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Marshall
Ataullahjan Martin
Batters McIntyre
Bellemare Meredith
Beyak Mockler
Black Neufeld
Boisvenu Ngo
Carignan Oh
Dagenais Patterson
Demers Poirier
Eaton Raine
Enverga Rivard
Fortin-Duplessis Runciman
Frum Seidman
Gerstein Smith (Saurel)
Greene Stewart Olsen
Housakos Tannas
Johnson Unger
Lang Verner
LeBreton Wallace
Maltais Wells
Manning White—44

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucune

Son Honneur le Président : Nous revenons maintenant à la motion principale. L'honorable sénateur Eggleton a la parole.

L'honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, je regrette que les arguments fort convaincants de la sénatrice Jaffer soient restés lettre morte, malgré la fougue dont elle a fait preuve lorsqu'elle les a présentés. C'est à se demander comment le second examen objectif peut bien tenir le coup ces temps-ci. Je pense que, depuis que les conservateurs sont majoritaires, aucun projet de loi d'initiative ministérielle étudié ici, dans cette enceinte, n'a fait l'objet d'amendements. Aucun.

Vous direz peut-être qu'il y a eu le projet de loi C-377. C'était un projet de loi d'initiative parlementaire. Vous direz peut-être aussi qu'il y a eu un amendement au projet de loi sur la prostitution, mais il a été demandé par le grand patron. Autrement, les gens se plient aux exigences. Pensons-y. À n'en pas douter, le second examen objectif en prend pour son rhume.

Vous demanderez si ce n'était pas la même chose lorsque les libéraux étaient au pouvoir. Fait intéressant, entre 2001 et 2004, la Bibliothèque du Parlement a mené une étude, qui a révélé que 10 p. 100 des projets de loi d'initiative ministérielle étudiés par le Sénat avaient fait l'objet d'amendements. C'était au moment où un seul parti détenait la majorité au Sénat et à la Chambre des communes.

Voilà où nous en sommes aujourd'hui. Nous sommes saisis du projet de loi S-7, qui propose certaines mesures figurant déjà dans la loi. Il y a lieu de se demander pourquoi on recommande d'adopter une loi supplémentaire, qui s'ajouterait aux lois existantes. Certaines pratiques, comme les mariages forcés, la mutilation des organes génitaux féminins, la polygamie et les meurtres d'honneur, sont déjà illégales au pays, compte tenu des lois en vigueur et de la façon dont elles ont été interprétées par les tribunaux. Ces lois et interprétations visent entre autres les enlèvements, la séquestration, les meurtres et les mauvais traitements. Tous ces actes sont déjà couverts.

(1920)

Lorsqu'il a témoigné au comité, le ministre a admis que personne n'a encore remporté un procès en plaidant le crime d'honneur. Dans ce contexte, pourquoi justifier le projet de loi par les meurtres d'honneur? Comme l'a signalé la sénatrice Jaffer, si je ne m'abuse, il n'en est même pas question dans le projet de loi. Cela n'a jamais réussi, pas plus que personne n'a monté avec succès une défense de provocation en invoquant une simple insulte.

Si le gouvernement tenait à veiller à tout prix à ce que personne ne puisse monter une défense de provocation autour d'une simple insulte ou d'un crime d'honneur, il aurait pu l'écrire. Sauf qu'il ne l'a pas fait. Il a plutôt apporté une modification générale à la notion de provocation.

Cette mesure pourrait aussi se retourner contre les femmes. Il arrive qu'une situation provoque chez une femme un sentiment qui la pousse à commettre un acte criminel par légitime défense. Il n'y a donc pas que les hommes. Les femmes aussi pourraient être visées. Pourtant, aussi bien le ministre que les autres ministériels affirment que c'est une question de violence faite aux femmes et aux enfants.

La sénatrice Eaton a demandé à la sénatrice Jaffer si, à son avis, nombre de ces agressions — ces mariages forcés et ainsi de suite — étaient des actes « barbares ». Vous savez quoi? Là n'est même pas la question. Employer le mot « barbare » pose assurément problème, mais au-delà de cela, que fait-on? Comment entend-on offrir aux gens les services qu'il leur faut? C'est ce qu'ont demandé de nombreux organismes qui ont témoigné au comité. Ils ont dit qu'ils pourraient régler beaucoup de problèmes si nous leur donnions les ressources nécessaires.

Prenons l'exemple du Royaume-Uni, où il est question de créer une Unité des mariages forcés. Ce pays fournit bel et bien des services, des services sociaux. À l'opposé, le gouvernement n'a que la loi et l'ordre à la bouche. Il ne cherche qu'à jeter les gens en prison au lieu de se concentrer sur les besoins humains. Il est là, le vrai problème.

La plupart des organismes qui ont fait valoir cet argument aident les femmes et les enfants victimes de violence. Par exemple, la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, offre chaque année des services de consultation juridique et d'interprétation à environ 4 000 femmes. Que pense cet organisme du projet de loi S-7? Cet organisme estime que le projet de loi va faire en sorte que des communautés raciales entières vont être traitées en criminelles et risquent de devoir quitter le pays et que les femmes et les enfants qui ont survécu à la violence vont être de nouveau des victimes. Je le répète, ces derniers vont être de nouveau des victimes. Le projet de loi va créer de nouveaux obstacles institutionnels qui empêcheront les communautés marginalisées de signaler les cas de violence et d'obtenir du soutien.

La sénatrice Jaffer a cité la directrice générale de la South Asian Legal Clinic, qui a témoigné au comité. Dans un rapport produit en 2013, cet organisme ontarien a souligné quelque chose de très éclairant :

La criminalisation des mariages forcés créera des obstacles pour les victimes qui ont besoin d'un accès à la justice. Premièrement, les victimes seront moins susceptibles de signaler qu'elles ont été forcées de se marier, car elles ne veulent pas mettre leur famille en danger. Deuxièmement, à cause de l'augmentation des préjugés associés à cette pratique, les gens qui sont à l'origine d'un mariage forcé couvriront mieux leurs traces. La création de ces obstacles aura malheureusement pour effet de pousser les victimes à se terrer encore plus dans la clandestinité, plutôt qu'à demander de l'aide.

Où est la logique dans tout cela? Que faisons-nous pour aider les femmes et les enfants? Les témoins qui ont dit ça connaissent ce problème et ils sont saisis quotidiennement de dossiers semblables. Il a été souligné que la Force Marriage Unit du Royaume-Uni, qui s'attaque aux mariages forcés, est beaucoup plus efficace que pourrait l'être n'importe quelle mesure législative sur la loi et l'ordre.

Voilà ce que pensent ces organisations.

Le Fonds des Nations Unies pour l'enfance, l'UNICEF, en l'occurrence un groupe de défense des droits, nous a avertis : à cause du projet de loi sur les pratiques culturelles barbares, des enfants seront traités comme des criminels. Le conseiller principal en matière de politiques d'UNICEF Canada, Marvin Bernstein, affirme comprendre l'objet du projet de loi, mais soutient qu'en protégeant un enfant, nous pourrions en mettre un autre en danger.

Que veut-il dire par là? Il a déclaré qu'en fait, puisqu'on souhaite éviter qu'un enfant se retrouve dans une situation où il sera obligé de contracter un mariage forcé, il ne faudrait pas oublier que des enfants pourraient être obligés de célébrer un mariage forcé qui pourrait toucher un enfant, d'y assister ou d'y participer d'une autre manière.

Quand on parle de criminaliser les gens qui assistent à un mariage forcé ou y participent d'une autre façon, n'oublions pas qu'il peut s'agir d'enfants. Les gens ainsi criminalisés ne seraient pas tous des adultes, ce qui pourrait créer de graves problèmes.

Quand les fonctionnaires du ministère de la Justice ont comparu devant le comité, je leur ai posé des questions à ce sujet. Ils ont répondu que ce n'était pas le but visé et qu'à leur avis, les avocats de la poursuite n'agiraient pas ainsi.

Rappelons-nous que notre pays reconnaît la primauté du droit. C'est donc dire que les bonnes intentions ne suffisent pas : le contenu de la loi est important.

C'est pourquoi l'UNICEF a demandé les modifications suivantes : que les enfants soient exclus des modifications apportées au Code criminel, que les forces de l'ordre consultent des spécialistes de la protection des enfants avant d'entamer le processus juridique, et que les enfants puissent venir au Canada si leur père les a laissés dans leur pays d'origine quand il a dissous une union polygame pour immigrer au Canada. Comme vous le constatez, les femmes et les enfants peuvent aussi se retrouver victimes de ces situations de polygamie.

On sait aussi qu'il y a parfois des situations de violence conjugale quand un homme immigre au Canada et parraine son épouse pour qu'elle vienne le rejoindre. Dans ce cas, la femme hésitera fortement à dénoncer cette violence puisque, étant donné la façon dont les règles d'immigration sont actuellement gérées dans notre pays, elle craint à juste titre d'être déportée s'il y a le moindre doute que son mari pourrait cesser de subvenir à ses besoins financiers. Elle pourrait devenir, encore une fois, victime.

Bref, ce projet de loi ne cherche pas vraiment à protéger les femmes, selon moi. Sa motivation me semble avant tout politique, comme l'illustre le titre du projet de loi.

Le titre du projet de loi est, selon moi, non parlementaire. Je sais qu'il est de la nature du gouvernement actuel de donner aux projets de loi des titres assez créatifs, mais selon moi, beaucoup vont trop loin. Le cas présent en est un exemple. Le titre dit « Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares ». À mon avis, il est non parlementaire et ne doit pas faire partie de ce projet de loi.

En combinant les mots « culturelles » et « barbares », je crois que l'on dénigre non seulement les auteurs de ces actes, mais aussi des communautés entières. Si l'on consulte un dictionnaire, on voit que le mot « culture » y est défini comme désignant l'« ensemble des aspects intellectuels propres à une civilisation, une nation », bref ses convictions, son mode de vie, et cetera. Selon un autre dictionnaire, cela désigne les us et coutumes, les usages sociaux ainsi que des caractéristiques matérielles d'un groupe racial, religieux ou social. Un autre encore dit : « Ensemble de convictions partagées, de manières de voir et de faire qui orientent plus ou moins consciemment le comportement d'un individu, d'un groupe. »

Eh bien, je crois que si l'on combine ces deux mots, c'est ce que l'on obtient : on dénigre des communautés. Les témoins qui ont comparu devant le comité l'ont dit. Plus de 90 p. 100 des témoins entendus par le comité trouvaient le titre déplacé.

Je répète les propos de la directrice exécutive de la South Asian Legal Clinic, Deepa Mattoo :

Hélas, le projet de loi affirme en fait que la violence, c'est quelque chose de culturel alors que c'est faux. La violence, c'est de la violence [...]

En effet, il cible ouvertement les communautés raciales marginalisées en proposant un cadre raciste. [...] On emploie un vocabulaire incendiaire.

Voilà ce qu'en pense une personne qui s'occupe continuellement de ce genre de question.

Le projet de loi découle du même souhait que nous avons tous de mettre un terme à ces pratiques. Nous sommes tous d'accord là-dessus. Je crois simplement qu'on s'y prend mal. Le projet de loi mise sur l'incarcération et la condamnation plutôt que sur la résolution du problème. Le projet de loi victimisera de nouveau les femmes et les enfants.

(1930)

Il y a un autre élément qui m'intrigue, compte tenu de récents articles publiés dans les journaux, et c'est l'utilisation du terme « barbare ». Je suppose que l'on pourrait qualifier le gouvernement fédéral de barbare. Pour quelle raison? Eh bien, nous avons appris que le gouvernement appuie le recours intensif à l'isolement cellulaire. L'isolement cellulaire pour les personnes atteintes d'une maladie mentale est en quelque sorte une peine de mort pour nombre d'entre elles. Nous avons pu le constater dans le cas d'Ashley Smith et dans celui d'Edward Snowshoe. Environ la moitié des personnes qui meurent en prison meurent en isolement cellulaire, et le taux de décès au sein de la population carcérale est beaucoup plus élevé que chez la population générale.

Les gens sont gardés en isolement cellulaire pendant bien trop longtemps. Edward Snowshoe est resté 162 jours en isolement cellulaire et il s'est pendu. Ashley Smith a passé 2 000 jours en isolement cellulaire, pendant une période donnée, et elle s'est suicidée.

L'isolement cellulaire est une mesure particulièrement odieuse. S'il faut l'imposer, comme cela semble être la volonté du gouvernement, qui ne semble pas non plus vouloir apporter de changement, alors il faut à tout le moins tenir compte du nombre de jours pendant lesquels une personne est placée en isolement cellulaire ainsi que de sa santé mentale. Je vais citer quelques personnes à ce sujet. Nelson Mandela a déclaré ce qui suit :

J'estime que l'isolement cellulaire est l'aspect le plus horrible de la vie en prison. Il n'y a ni début ni fin. Vous êtes seul avec vos pensées, qui peuvent finir par vous jouer des tours.

Le sénateur John McCain, qui a été prisonnier de guerre au Vietnam, a affirmé ce qui suit :

L'isolement cellulaire est une chose horrible. Il brise votre volonté et affaiblit votre résistance plus efficacement que toute autre forme de mauvais traitement.

Cela me semble barbare, et il est tout à fait inapproprié que ce mot se trouve dans le projet de loi.

Motion d'amendement

L'honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, par conséquent, je propose :

Que le projet de loi S-7 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à l'article 1, à la page 1, par suppression

(i) de l'intertitre précédant la ligne 4,

(ii) des lignes 4 et 5;

b) par intégration des changements nécessaires à la désignation numérique des dispositions et aux renvois.

Ainsi, le titre abrégé serait éliminé et on utiliserait uniquement le titre intégral. À mon avis, ce dernier est un titre plus normal.

L'honorable A. Raynell Andreychuk : J'aimerais poser au sénateur Eggleton certaines des questions que je voulais poser à la sénatrice Jaffer.

Son Honneur le Président : Sénateur Eggleton, demandez-vous que l'on vous accorde plus de temps pour répondre aux questions de la sénatrice Andreychuk? Accorde-t-on cinq minutes au sénateur Eggleton?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Andreychuk : Il s'agit d'un débat très sérieux. Je crains que la façon dont le débat se fait au Sénat soit trompeuse, puisque nous examinons des éléments disparates. Nous n'étudions pas tout le contexte de cet enjeu.

La sénatrice Jaffer a affirmé qu'elle s'opposait aux meurtres d'honneur et à toute autre pratique du même acabit. En fait, nous avons bel et bien essayé d'éliminer la polygamie au Canada. Nous avons tenté, à l'échelle internationale, de réduire les mariages forcés, sans succès. N'est-il pas temps de déclarer qu'il s'agit d'une pratique barbare quand les pays qui acceptent la polygamie et les mariages forcés se serrent les coudes en affirmant « Cela ne fait pas partie de notre culture, nous ne traitons pas les femmes de cette façon. »?

Le sénateur Eggleton : Les mariages forcés sont tout à fait inacceptables, et nous devons certainement prendre des mesures en ce qui concerne la polygamie. Toutefois, je dois préciser que la polygamie est illégale depuis longtemps, soit depuis environ 100 ans, mais que nous n'avons rien fait à cet égard. Nous entendons constamment parler de la situation à Bountiful, en Colombie-Britannique, mais nous n'avons mis en place aucune mesure. Rien n'a fonctionné, aucun gouvernement — peu importe son allégeance, je dois le préciser — n'a pu changer les choses. Et voilà qu'on se concentre ici sur ce problème chez les immigrants.

Si vous comptez empêcher quelqu'un d'entrer au Canada parce qu'il est polygame, d'accord, mais il semble que ce ne soit pas ce que prévoit le projet de loi. En fait, les victimes de cette mesure en matière d'immigration pourraient être les femmes et les enfants, et c'est ce qui m'inquiète : nous nous attaquons du jour au lendemain à la polygamie par le moyen de l'immigration, mais nous n'avons jamais agi ici même, au Canada.

Je veux parler aussi des mariages forcés. Je reviens encore à ce que la sénatrice Jaffer disait. Y aura-t-il des enfants qui auront recours aux tribunaux pour dire : « Mes parents sont barbares : ils veulent me marier de force »? Selon moi, ce n'est ni réaliste ni pratique. Il serait plus efficace de miser sur les services sociaux qui permettraient d'éviter de tels mariages. La criminalisation des mariages forcés est une mesure insuffisante qui, au lieu de protéger les gens que nous voulons aider, en fera des victimes.

La sénatrice Andreychuk : Sénateur Eggleton, vous avez tout à fait raison de dire que nous n'avons pas éliminé la polygamie et les mariages forcés au Canada et ailleurs. Par contre, je vous rappelle le débat qu'il y a eu au comité et l'argument qui voulait qu'on ne donne pas suite aux cas de violence faite aux femmes mariées sous prétexte que de telles mesures marginaliseraient davantage ces femmes dans leur groupe et en feraient des victimes. Nous avons finalement convenu que nos ressources et nos mesures de soutien étaient insuffisantes. Il faut qu'il y en ait. En fait, nous avons modifié nos lois et nos politiques de façon à ce que des accusations soient portées même si la femme affirme qu'elle ne veut pas être séparée de son mari, si elle est battue par lui et si elle est en danger. Je crois d'ailleurs que les femmes sont plus en sécurité depuis que des ressources sont à leur disposition. Vous avez parlé du Royaume-Uni, qui a fourni des ressources et créé une sanction pénale.

N'est-il pas temps, après 100 ans, de tenter quelque chose? Je n'ai entendu aucune proposition autre que de serrer la vis encore davantage et d'approuver la marche à suivre afin de pouvoir en débattre et ainsi déterminer si nous sommes sur la bonne voie. Beaucoup de femmes qui ont vécu de telles situations affirment que le mariage forcé et la polygamie sont des pratiques barbares.

Le sénateur Eggleton : Dans le même ordre d'idées, l'isolement cellulaire de personnes atteintes de maladie mentale est barbare; cela dit, qu'allons-nous faire à l'égard de cette question-ci, et de celle des mariages? Les services de soutien : je n'ai entendu aucun ministre ni qui que ce soit d'autre affirmer qu'on allait financer les services de soutien ou appuyer les organisations qui manquent désespérément de fonds, comme la South Asian Legal Clinic of Ontario ou la Schlifer Clinic, organisations qui aident les personnes touchées par ces problèmes au quotidien. Ces organisations mêmes sont les parties qui affirment que nous sommes sur la mauvaise voie. Selon elles, nous avons déjà toutes les dispositions législatives nécessaires. Ces dispositions nous donnent les moyens de nous attaquer au problème, mais il nous faut des services de soutien — ce qu'on pourrait appeler une unité chargée des mariages forcés. Voilà en quoi, selon moi, le projet de loi laisse à désirer.

Son Honneur le Président : La période réservée aux questions adressées au sénateur Eggleton est écoulée.

La sénatrice Cools : Je souhaite intervenir au sujet de la motion principale lorsque tous les amendements auront été rejetés.

(1940)

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Les whips pourraient-ils me dire ce qu'il en est?

L'honorable Jim Munson : Votre Honneur, nous souhaitons reporter le vote à demain.

Son Honneur le Président : Le vote est reporté à demain, à 17 h 30.

Projet de loi no 2 sur le plan d'action économique de 2014

Seizième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur la teneur du projet de loi—Fin du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l'étude du seizième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie (teneur du projet de loi C-43, (sections 5, 7, 17, 20 et 24 de la partie 4)), déposé au Sénat le 27 novembre 2014.

L'honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, j'aimerais parler brièvement du rapport du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, qui a été déposé au Sénat le 27 novembre. Il porte sur plusieurs aspects du projet de loi C-43, c'est-à-dire le deuxième projet de loi d'exécution du budget à avoir été présenté par le gouvernement. Je tiens d'abord à remercier les membres du comité. Même si, bien souvent, ils divergeaient d'opinion quant à la valeur des mesures étudiées, le rapport qu'ils ont produit tient compte de ces divergences.

Comme nous le savons tous, le projet de loi C-43 est — lui aussi — de nature omnibus. Or, comme, par définition, les projets de loi omnibus sont peu commodes à étudier, pas moins de sept comités sénatoriaux ont été appelés à en faire l'étude. De son côté, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie était chargé d'étudier la teneur des sections 5, 7, 17, 20 et 24 de la partie 4 du projet de loi C-43, projet de loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 11 février 2014. Je vais commencer par parler de la section 5, mais très brièvement, car le sénateur Eggleton en a très clairement expliqué la teneur dans son allocution. Comme on peut lire dans le rapport :

La section 5 modifierait la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, plus précisément la « norme nationale » concernant le Transfert canadien en matière de programmes sociaux, qui s'appliquerait uniquement à certains groupes de personnes. Selon la norme nationale actuellement définie dans la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces, les gouvernements provinciaux et territoriaux ne peuvent pas imposer d'exigence en matière de résidence aux bénéficiaires de l'aide sociale sans s'exposer à une pénalité sous la forme d'une réduction du paiement effectué au titre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux par le gouvernement fédéral.

Honorables sénateurs, la modification proposée dans la section 5 ferait disparaître essentiellement toute pénalité imposée par le gouvernement fédéral pour ne pas avoir suivi la norme nationale, et donnerait le champ libre aux provinces et aux territoires pour qu'ils imposent des durées de résidence minimale comme critère d'admissibilité aux programmes d'assistance sociale, sans qu'ils aient à subir de réduction des sommes qui leur sont versées par le gouvernement fédéral dans le cadre du Transfert canadien en matière de programmes sociaux.

Ce changement de politique vise les demandeurs d'asile qui viennent chercher au Canada un endroit sûr. Ils n'ont ni argent ni ressources, et beaucoup n'ont ni connaissances ni parenté au Canada. Honorables sénateurs, les réfugiés sont incapables de travailler au Canada tant qu'ils n'ont pas obtenu leur permis de travail, et celui-ci leur est délivré une fois qu'ils ont séjourné au pays pendant six mois. Ils ont un urgent besoin d'assistance pour se loger et se nourrir jusqu'à ce qu'ils se soient bien établis. La modification législative qui nous est soumise permettra aux provinces et aux territoires d'adopter des dispositions législatives établissant des critères de résidence ayant pour effet de refuser aux réfugiés l'aide dont ils ont besoin. Ils seront alors sans abri et devront s'en remettre à la charité pour survivre.

Je suis perplexe devant les motifs du changement proposé. Qui demande ce changement, et dans quel but?

Lors des travaux du comité, nous avons pu constater que les provinces et les territoires n'avaient pas demandé de tels changements. Un témoin du gouvernement nous a dit qu'il avait eu des discussions avec les provinces. Comme le sénateur Eggleton l'a souligné, le gouvernement de l'Ontario a déclaré ne pas avoir été consulté. En interrogeant le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, on s'est aperçu qu'il n'avait, lui non plus, aucunement discuté des critères de résidence avec le gouvernement fédéral. Alors, je me demande qui a été consulté et qui a tenu des discussions avec les représentants du gouvernement. Je me demande aussi pourquoi le gouvernement apporte ce changement. Et comme c'est le même gouvernement qui a éliminé les services de santé pour les réfugiés, il nous faut nous demander si notre pays n'est pas en train de fermer la porte aux réfugiés. En tout cas, on dirait bien que nous voulons leur rendre la vie plus difficile une fois qu'ils sont arrivés au Canada.

Je crois réellement que ce changement est fondamentalement inacceptable. Il est anticanadien de cibler les plus vulnérables et de les abandonner. Je suis convaincue qu'aucun gouvernement provincial ou territorial ne serait assez insensible pour saisir l'occasion offerte par le gouvernement fédéral. Cependant, je ne peux m'empêcher de craindre que ce changement ne soit qu'une petite partie d'une vaste réforme de la politique gouvernementale. Comme le sénateur Eggleton, je suis préoccupée par le fait que nous ne pouvons pas prévoir les répercussions que ce changement aura et savoir s'il s'inscrira dans d'autres changements à l'avenir. Nous ne savons pas ce qui motive cette proposition de changement, qui pourrait avoir des effets dévastateurs sur la vie des réfugiés qui viennent au Canada en quête d'un refuge sûr. Je me range du côté de mes collègues libéraux au comité qui se sont opposés vivement à cet article. Je ne peux appuyer les modifications proposées dans la section 5, d'autant plus que les provinces et les territoires n'ont pas réclamé ce changement, et qu'ils n'ont pas été consultés à ce sujet.

Le comité a également examiné la section 20 et, encore une fois, même si la majorité de ses membres a appuyé cette modification, de vives objections ont aussi été formulées. Comme vous le savez, l'administrateur en chef de la santé publique dirige actuellement l'Agence de la santé publique du Canada, et il a le statut de sous-ministre. Cette disposition lui enlèverait le statut de sous-ministre et créerait le poste de président de l'Agence de la santé publique du Canada. C'est le titulaire de ce nouveau poste qui dirigera désormais l'agence et qui aura un statut équivalent à un sous-ministre.

Notre comité s'est également penché sur la section 17, qui modifie la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques afin de créer de nouveaux fichiers dans la Banque nationale de données génétiques. Comme vous le savez, la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques a été promulguée en 2000, et l'utilisation des empreintes génétiques a bien sûr contribué considérablement à la résolution d'enquêtes criminelles.

Les modifications proposées à la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques étendraient l'utilisation de l'identification par les empreintes génétiques aux enquêtes sur les personnes disparues en créant trois nouveaux fichiers. Le premier serait le fichier des personnes disparues, qui comprendrait le profil d'identification génétique des personnes disparues; ce profil serait établi à partir d'effets personnels, comme une brosse à cheveux ou une brosse à dents. Le deuxième serait le fichier des restes humains, qui comprendrait les profils d'identification génétique provenant de restes humains. Le troisième serait le fichier des parents de personnes disparues, qui serait composé de profils d'identification génétique fournis volontairement par les proches parents des personnes disparues et pouvant être comparés au fichier des restes humains.

De toute évidence, le comité appuie l'objectif des changements proposés dans la section 17, qui renforceront et élargiront le rôle de la Banque nationale de données génétiques. Cela dit, des préoccupations ont été exprimées par le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Daniel Therrien, qui pense que la loi augmentera l'échange de renseignements avec les autres pays ou les organisations internationales. Voici ce qu'il a recommandé au comité :

Compte tenu des préoccupations que nous avons exprimées sur le recours aux profils de personnes disparues dans l'application de loi, et sachant qu'à deux reprises des comités du Sénat chargés d'examiner la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques se sont dits préoccupés par la possibilité d'échange de renseignements avec un État étranger concernant une infraction qui pourrait ne pas en être une au sens des lois canadiennes, je vous encourage fortement à retirer du projet de loi les modifications proposées qui ont pour effet d'accroître l'échange d'information à l'échelle internationale.

(1950)

M. Therrien a également déclaré qu'il faudrait établir une différence entre la communication de l'information à des fins humanitaires et celle effectuée à des fins d'exécution de la loi. Il est nécessaire de protéger la vie privée et, bien entendu, il faudrait appliquer des critères rigoureux aux fins pour lesquelles les renseignements tirés de la Banque nationale de données génétiques seraient utilisés.

Le comité a également examiné la section 24 du projet de loi C-43. Ces dispositions autoriseraient les ministres de la Citoyenneté et de l'Immigration ainsi que de l'Emploi et du Développement social à créer une liste contenant le nom et l'adresse des employeurs reconnus coupables de certaines infractions en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ou de toute autre loi fédérale ou provinciale qui régit l'emploi ou le recrutement. Les employeurs dont le nom apparaîtrait sur la liste ne seraient pas autorisés à avoir accès au Programme des travailleurs étrangers temporaires ou au Programme de mobilité internationale.

Pendant les travaux du comité, la sénatrice Merchant a posé d'excellentes questions sur l'identité des personnes qui seraient chargées de déterminer la culpabilité de ces employeurs. Des témoins ont aussi exprimé des préoccupations non seulement au sujet de la détermination subjective de la culpabilité, mais aussi de l'absence d'un processus d'appel.

Joyce Reynolds, première vice-présidente, Affaires gouvernementales, Restaurants Canada, a aussi formulé des inquiétudes au sujet de la liste proposée. Elle a dit craindre que le projet de loi accorde aux fonctionnaires le pouvoir général de dénoncer publiquement un employeur sans exiger des motifs valables ou le respect des principes de justice naturelle. Son organisation croit qu'il faudrait mettre en place des mécanismes de surveillance et un processus d'appel.

M. Maynard, de l'Association du Barreau canadien, a aussi parlé de la liste d'employeurs qui serait créée en vertu du projet de loi C-43. Il a dit que cette liste ne protégerait pas les travailleurs étrangers. Elle aurait plutôt pour effet de faire perdre à des employeurs le droit d'avoir accès à ce programme.

La loi exige déjà que tous les employeurs se conforment aux lois fédérales et provinciales en matière de recrutement. M. Maynard a posé diverses questions, dont : Qui verra son nom être inscrit sur la liste? Que signifie l'expression « reconnu coupable »? Il a aussi laissé entendre que le gouvernement devrait déterminer attentivement les infractions qui justifieraient l'inscription sur la liste et les rendre publiques.

Honorables sénateurs, je crois que la plupart d'entre nous, si ce n'est pas la totalité, croient qu'il fallait modifier le Programme des travailleurs étrangers temporaires. Toutefois, comme l'a déclaré Gordon Maynard, de l'Association du Barreau canadien, ces modifications sont une « [...] réaction très excessive du gouvernement [...] ».

Au moyen de ces modifications, le gouvernement cherche à sévir contre les grandes chaînes de restaurants, les multinationales et l'utilisation abusive du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Or, il n'a pas tenu compte des milliers de petits restaurants et commerces indépendants familiaux qui comptent sur le programme pour pourvoir leurs postes vacants. Le gouvernement n'a pas non plus tenu compte des personnes handicapées ou des aînés qui dépendent du Programme des travailleurs étrangers temporaires pour trouver des aidants qualifiés.

En raison des nouveaux règlements mis en place par le ministre, il est difficile, sur le plan financier, pour beaucoup de Canadiens d'embaucher un travailleur étranger temporaire, ce qui cause des difficultés pour nombre de familles. L'escalade des frais et les exigences perpétuellement changeantes relatives aux demandes ont rendu le système inutilisable pour ces Canadiens.

Voici ce que Joyce Reynolds a déclaré au comité :

En Alberta, où se trouve la majeure partie de nos membres qui se prévalent du Programme des travailleurs étrangers temporaires, l'étude des demandes peut prendre des mois.

Autre chose : le formulaire de demande a changé trois fois depuis juin. On présente une demande en payant les frais de 1 000 $. S'il y a un problème mineur dans la demande, on se la fait renvoyer. Il faut alors présenter une nouvelle demande et il faut payer de nouveau les 1 000 $. On ne peut même pas utiliser la même demande. Il faut utiliser un formulaire différent et reprendre tout le processus.

La situation était assez difficile lorsque les frais s'élevaient à 275 $. C'est devenu insupportable.

Honorables sénateurs, je conviens qu'il fallait apporter des modifications au Programme des travailleurs étrangers temporaires, mais, à mon avis, la section 24 du projet de loi C-43 témoigne de la réponse conçue précipitamment et hâtivement par le gouvernement pour régler le problème. On ne surveille et on ne comprend pas assez bien les conséquences que ces modifications auraient sur les Canadiens. Des Canadiens dépendent du programme pour leur survie ou leur qualité de vie, notamment les personnes âgées et les personnes handicapées qui ont besoin d'aidants. Je suis d'accord avec Gordon Maynard, lorsqu'il a qualifié les modifications proposées de « réaction très excessive ».

Ces frais de 1 000 $, que le gouvernement a imposés en juin, sont un fardeau énorme pour les personnes âgées ou les Canadiens handicapés qui ont un revenu fixe et qui cherchent à engager un travailleur étranger temporaire comme soignant. Ces frais sont encourus pour l'étude de la demande, qu'elle soit acceptée ou non. Si le travailleur n'accepte pas l'emploi pour quelque raison que ce soit, il faut présenter une nouvelle demande et payer encore une fois 1 000 $. J'estime que c'est injuste pour les personnes qui ont un revenu fixe. Il y a certainement moyen de prévoir des exceptions dans le programme.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-43 est le plus récent projet de loi omnibus colossal du gouvernement et c'est un nouvel exemple de la façon dont il abuse de son pouvoir. Bien des mesures qui n'ont pas leur place dans un projet de loi d'exécution du budget et qui méritent d'être examinées et étudiées en profondeur individuellement.

Pour cette raison et pour les réserves que j'ai énoncées, en plus des objections que des témoins ont soulevées au sujet de ce projet de loi lors de l'étude au comité, je ne serai pas en mesure d'appuyer ce projet de loi.

Son Honneur le Président : Il n'y a pas de vote, parce qu'il n'y a pas de motion tendant à adopter le rapport. Par conséquent, si aucun autre sénateur ne souhaite prendre la parole, le débat sur cette motion est considéré comme terminé.

(Le débat est terminé.)

Le Code canadien du travail
La Loi sur les relations de travail au Parlement
La Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Report du vote

L'honorable Scott Tannas propose que le projet de loi C-525, Loi modifiant le Code canadien du travail, la Loi sur les relations de travail du Parlement et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (accréditation et révocation — agent négociateur), soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, j'interviens de nouveau au sujet du projet de loi C-525, un projet de loi que j'ai déjà qualifié de mesure législative sensée, ce que je maintiens. Il renforce les droits démocratiques des employés canadiens des secteurs sous réglementation fédérale en prévoyant que l'accréditation syndicale ou la révocation d'une accréditation fasse désormais l'objet d'un scrutin secret.

Le système actuel de vérification des cartes pour les industries sous réglementation fédérale exige que plus de la moitié des travailleurs signent une carte de membre pour qu'un syndicat soit automatiquement accrédité. Selon moi, ce système prête le flanc aux abus; des collègues de travail et d'autres parties intéressées pourraient exercer des pressions auprès des employés afin qu'ils signent leur carte de membre. Le projet de loi remplacerait l'accréditation automatique d'un syndicat par l'exigence de l'obtention d'une majorité de votes exprimés au scrutin secret à l'appui de l'accréditation.

À l'étape de la deuxième lecture, l'honorable sénatrice Fraser a exprimé des réserves en indiquant qu'il y a peu d'intimidation syndicale et qu'aucune des parties en cause — elle voulait dire les syndicats, les employeurs et le Conseil canadien des relations industrielles — ne réclame un tel projet de loi.

Honorables sénateurs, je vous rappelle qu'il y a une partie concernée par le projet de loi dont il n'a pas encore été question : les employés eux-mêmes. C'est d'ailleurs ce groupe, celui des employés, celui des Canadiens ordinaires, qui a inspiré le projet de loi au député Blaine Calkins. Le député a lui-même dit au comité que ce sont ses concitoyens qui ont porté le sujet à son attention.

Les travailleurs canadiens semblent approuver l'initiative. Des sondages indépendants montrent en effet que plus de 80 p. 100 des répondants, répartis dans toutes les provinces canadiennes, croient que le processus d'accréditation et de révocation d'accréditation devrait comporter un vote au scrutin secret. Soulignons d'ailleurs que les répondants syndiqués étaient les plus favorables à cette idée. Cela me semble démontrer clairement que le vote secret remporte la faveur des travailleurs.

(2000)

Comme certains remettent en question la gravité du problème que représente l'intimidation de la part des syndicats, j'aimerais faire quelques observations à ce sujet. Tout d'abord, bien que le Conseil canadien des relations industrielles ne fasse état que de deux plaintes fondées concernant des pratiques déloyales de la part de syndicats, il n'est pas impossible qu'il y ait des centaines d'autres cas non signalés. De la même manière, bien que le Conseil canadien des relations industrielles ne fasse état que de quatre plaintes fondées concernant des pratiques déloyales de la part des employeurs, il n'est pas impossible que des centaines d'autres cas ne soient pas signalés. Lorsqu'ils ont comparu devant le comité, des syndicats ont déclaré qu'ils pourraient citer des centaines de cas non vérifiés qui, à leur avis, représentaient des manœuvres d'intimidation de la part de l'employeur.

Peu importe l'ampleur réelle du problème que posent les manœuvres d'intimidation des chefs syndicaux ou des employeurs, un vote secret pourrait avoir un effet bénéfique. Les employés pourraient voter selon leur conscience sans craindre qu'un tiers influence leur vote.

De plus, quand il s'agit de défendre les droits des travailleurs, on ne devrait pas justifier un manque d'action au moyen d'arguments sur la gravité du problème. Si nous avons la possibilité de remplacer le système actuel par une autre méthode qui sera, d'après une grande majorité de Canadiens moi y compris, plus démocratique et plus apte à protéger les droits des travailleurs, nous devrions le faire. Le vote secret a déjà cours dans plus de la moitié des provinces canadiennes, qui représentent une majorité de travailleurs canadiens. Ce projet de loi mettrait simplement cette méthode à la disposition des travailleurs relevant de la responsabilité fédérale.

Au comité, des représentants syndicaux ont fait valoir que le fait de passer d'un système de vérification de cartes à un scrutin secret rendra la syndicalisation plus difficile. Personne ne devrait s'étonner qu'il soit plus facile de former un syndicat lorsqu'on peut se pointer, accompagné de quelques amis, chez un collègue pour lui demander, poliment ou autrement, de signer une carte syndicale. Le processus n'est pas équitable pour autant envers les travailleurs à qui on demande de prendre une décision importante.

À mon humble opinion, la facilité ou la difficulté de former un syndicat n'a rien à voir avec l'objectif du projet de loi, qui vise plutôt l'établissement d'un processus juste et équitable. Plus précisément, un scrutin secret permettra aux employés d'exprimer leur véritable opinion sans craindre l'intimidation du syndicat ou de l'employeur.

Voilà qui est un processus équitable, chers collègues. Ce processus existe déjà et fonctionne bien pour la majorité des travailleurs, en plus d'être appuyé par une forte proportion de Canadiens et par la plupart des syndiqués canadiens.

Je vous invite tous à appuyer le projet de loi.

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Je félicite le sénateur Tannas de la façon très éloquente et très claire avec laquelle il a tenté de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.

Les collègues qui ont entendu mon allocution à l'étape de la deuxième lecture sauront, même si le sénateur Tannas a omis de nous le rappeler, que je considère le projet de loi à l'étude comme mauvais. Les délibérations du comité durant les séances auxquelles j'ai assisté — j'ai lu les comptes rendus des autres — m'ont persuadée que j'avais raison. Le projet de loi est mauvais, du moins dans sa forme actuelle.

En apparence, il s'agit d'un projet de loi prodémocratie. En fait, chose intéressante qu'a soulignée le sénateur Baker au comité, il sera plus probable que l'accréditation soit accordée ou révoquée sans que la majorité des travailleurs souhaitent que cela se produise, puisque le scrutin secret ne tiendra compte — ce qui est approprié, selon moi — que des votes de ceux qui auront rempli un bulletin de vote. Initialement, le parrain voulait que le vote des personnes n'ayant pas participé au scrutin soit compté comme un vote contre l'accréditation et, si je me souviens bien, pour la révocation.

Il aurait ainsi, à tout le moins, été possible de déduire que la majorité appuyait une position donnée. Or, le vote serait plutôt tranché à la majorité des gens qui ont voté, soit 50 p. 100 plus un, et, même s'il y a d'ordinaire un fort taux de participation à ce type de scrutin, il n'est jamais, ou presque jamais, de 100 p. 100. Il faudra donc attendre pour voir comment les choses se passeront.

Le projet de loi n'a pas pour but de favoriser la démocratie; il vise plutôt, du moins en partie, à mon avis, à diminuer le taux de syndicalisation. Voilà ce que souhaitent ceux qui défendent le projet de loi; ils ont d'ailleurs dit au comité que c'est ce qui arriverait et que c'est une bonne chose.

Commençons par écarter un argument fallacieux.

Des témoins ont dit au comité sénatorial, comme ils l'avaient fait au comité de l'autre endroit, qu'il n'est pas judicieux de modifier les lois du travail au moyen de projets de loi d'initiative parlementaire parce qu'il s'agit d'un régime extrêmement complexe. Selon eux, pour qu'un régime de relations du travail fonctionne bien, il doit être fondé sur une compréhension et une confiance mutuelles, et les parties doivent avoir l'impression que le régime est conçu de façon à répondre à leurs besoins respectifs, dans la mesure du possible.

Au Canada, nous y sommes parvenus pendant de nombreuses années en tenant des consultations rigoureuses et approfondies avec les parties avant d'adopter des mesures législatives modifiant le régime de relations du travail, lequel, rappelons-le fonctionne et est admiré partout dans le monde. Voilà comment il faut s'y prendre.

Il ne faut surtout pas, comme nous l'ont fait savoir la plupart des témoins, modifier ce régime au moyen d'un simple projet de loi d'initiative parlementaire présenté de façon unilatérale, sans consultation avec les parties intéressées, et fondé sur les opinions du parrain de la mesure en question.

Les syndicats et moi ne sommes pas les seuls à le dire. À l'étape de la troisième lecture, j'aimerais citer de nouveau John Farrell, président de l'ETCOF, le plus grand regroupement d'employeurs qui sera touché par ce projet de loi. Il est en faveur du projet de loi, mais il n'aime pas la façon dont on a procédé, et il craint que cela crée un précédent. Je le cite :

En proposant des modifications au Code canadien du travail de manière ponctuelle, au moyen de projets de loi d'initiative parlementaire, on contourne le processus tripartite essentiel que constitue la consultation prélégislative.

Je poursuis la citation :

En utilisant des projets de loi d'initiative parlementaire pour réformer les lois du travail, on a tendance à politiser les relations de travail. Cela va créer un mouvement de balancier qui mènera à des mesures législatives extrêmes en matière de travail, ce qui entraînera de l'instabilité dans les relations de travail.

Avec ce projet de loi, le balancier va vers la droite, si j'ose dire. Il peut revenir vers la gauche. Cela ne peut que mener à l'instabilité.

En expliquant avec soin ce point de vue au comité sénatorial, on a présumé que cet argument constitue une attaque contre le droit des parlementaires de présenter des projets de loi d'initiative parlementaire. C'est franchement insensé. Ni moi ni personne d'autre — y compris au Sénat — ne conteste le droit des parlementaires de l'une ou l'autre des Chambres de présenter un projet de loi d'initiative parlementaire. Cela ne veut pas dire que tous les projets de loi de cette nature sont forcément bons.

(2010)

Qu'il s'agisse d'une initiative ministérielle ou parlementaire, nous avons le droit et le devoir d'évaluer chaque projet de loi dont le Sénat est saisi afin de déterminer si, à notre avis, il est conçu judicieusement, s'il est rédigé adéquatement, s'il vaut la peine d'être adopté ou s'il doit être amendé, voire parfois rejeté.

Évidemment, je dois admettre, comme l'a dit le sénateur Tannas, le présent projet de loi d'initiative parlementaire de M. Blaine Calkins n'est plus strictement un projet de loi d'initiative parlementaire. Le gouvernement l'appuie, au même titre qu'il semble appuyer tant de projets de loi d'initiative « parlementaire ». Il l'appuie si fermement qu'il l'a inclus sur la liste des projets de loi qui « doivent » être adoptés avant Noël.

Quoi qu'il en soit, pourquoi ce projet de loi est-il aussi manifestement antisyndical? Les raisons sont nombreuses, mais deux qui me préoccupent particulièrement se résument à la question fondamentale des délais.

Le premier délai est celui entre la signature d'une carte d'adhésion syndicale et la tenue du vote d'accréditation. Ce délai laisse place à l'ingérence et à l'intimidation, lesquelles, comme l'a dit le sénateur Tannas, peuvent provenir des deux parties. Les syndicats comme les employeurs peuvent faire preuve d'ingérence et d'intimidation. Toutefois, chers collègues, le déséquilibre est gigantesque.

L'intimidation et l'ingérence viennent beaucoup plus souvent de l'employeur que du syndicat puisque, comme je l'ai dit à l'étape de la deuxième lecture, l'employeur tient les cordons de la bourse et peut se servir de ce pouvoir pour faire craindre aux employées que leur emploi pourrait être compromis s'ils se syndicalisent.

En Colombie-Britannique, par exemple, où l'on fonctionne au moyen du système de scrutin secret, une étude de la professeure Sara Slinn, de la faculté de droit Osgoode Hall, conclut qu'entre 1990 et la mi-2007, la grande majorité des plaintes et des constatations de pratiques déloyales de travail ont été formulées contre les employeurs. De toutes les plaintes déposées en Colombie-Britannique au cours de cette période, 78 p. 100 ont été formulées contre des employeurs et seulement 21 p. 100 contre des syndicats.

D'accord, il est facile de se plaindre, mais que fait-on des résultats après que les plaintes ont fait l'objet d'une enquête? Après enquête, on a déterminé que les employeurs étaient visés dans 88 p. 100 des cas, alors que les syndicats n'étaient visés que dans 11 p. 100 des cas. Et l'histoire se répète à divers endroits.

De quel genre d'intervention ou d'intimidation s'agit-il? Il est habituellement question de la perte de son emploi, ce qui est plutôt intimidant pour la plupart des gens.

Le deuxième type de délai a trait à la tenue du scrutin après qu'un syndicat a demandé ce qui était auparavant l'accréditation, mais qui sera maintenant l'accréditation après la tenue du scrutin; il s'agit du délai entre la signature des cartes et la tenue du scrutin. Il est bien connu que, plus le délai entre la signature des cartes et la tenue du scrutin est long, moins il est probable que ceux qui ont demandé le vote remportent.

En Ontario, il est de nouveau question du professeur Slinn, entre 1995 et 1998, alors que le délai pour la tenue d'un scrutin n'était pas bien appliqué — en Ontario, le délai est de cinq jours, mais il n'a pas toujours été appliqué comme il se doit — la probabilité de réussite diminuait de 32 p. 100, soit près d'un tiers, lorsque les élections étaient reportées.

En Colombie-Britannique, de 1987 à 1997, en raison d'une application inadéquate du délai, la probabilité de l'accréditation diminuait de 10 p. 100 pour chaque période de 5 jours pendant laquelle le scrutin était reporté. Si le scrutin était reporté de 5 jours, la probabilité de réussite diminuait de 10 p. 100; si le scrutin était reporté de 10 jours, la probabilité de réussite diminuait de 20 p. 100, et ainsi de suite. Cette question des délais n'est ni théorique ni didactique.

À l'extérieur du gouvernement, dans le secteur privé, l'organisme qui sera chargé d'appliquer le projet de loi, si celui-ci devient loi, sera le Conseil canadien des relations industrielles. Pourra-t-il tenir des scrutins en temps opportun? Il nous est apparu clairement que c'est ce qu'il veut faire.

La présidente du Conseil canadien des relations industrielles, Mme Elizabeth MacPherson, a dit très clairement qu'il était important de tenir des votes rapidement, mais que la bonne volonté ne suffisait pas toujours. Elle estime — et je crois qu'il s'agit d'une sous-évaluation — qu'il lui faudra trois équivalents temps plein supplémentaires lorsque toutes les accréditations nécessiteront la tenue d'un scrutin secret. À mon avis, cette estimation n'est pas réaliste et est beaucoup trop modeste, mais bon, c'est ce qu'elle a estimé. Or, rien ne lui laisse croire qu'elle pourra obtenir de nouvelles ressources, pas même un seul équivalent temps plein. Elle a donc dit que le conseil s'engagerait à tenir un vote dans les cinq jours suivant la réception d'une demande d'accréditation.

On a par la suite proposé d'augmenter ce délai et de le faire passer à 10 jours ouvrables, puisque notre pays est très grand et que les distances à parcourir seront grandes. Comme cela a été dit, tenir un vote au sujet d'une même accréditation à Iqaluit et à Whitehorse engendre des coûts et il faut également prévoir du temps pour effectuer les déplacements. Ce ne sera pas une norme facile à respecter, surtout si l'on tient compte du fait que le conseil a énormément de difficulté à atteindre ses propres objectifs de rendement, et ce, même s'il ne tient de scrutin secret que pour moins de 20 p. 100 des demandes d'accréditation qui lui sont transmises.

Le conseil s'est donné pour objectif de traiter les demandes d'accréditation en 50 jours ou moins. Toutefois, comme les documents fournis par le conseil le montrent, lorsque l'on ordonne la tenue d'un vote, il est très difficile de respecter cet échéancier. Au cours du dernier exercice, soit 2013-2014, 0 p. 100 des demandes d'accréditation nécessitant la tenue d'un vote ont été traitées à l'intérieur du délai de 50 jours prévu selon les objectifs de rendement. La même chose s'est produite en 2011-2012.

J'aimerais bien croire qu'ils arriveront à le faire dans un délai de 5 ou 10 jours ouvrables, mais cela me semble hautement improbable.

Vous savez, l'adoption du projet de loi ne créerait pas seulement des problèmes de ressources au Conseil canadien des relations industrielles, mais également aux syndicats. Je cite le témoignage de Mme MacPherson au comité. Elle a déclaré qu'il faut tenir un scrutin le plus tôt possible et, pour cela, il faut des ressources. Elle a dit :

Je crains qu'à cause de ce que coûteraient les petites unités, les syndicats renonceraient à en mettre sur pied. Les personnes les plus vulnérables pourraient donc ne pas être représentées par un syndicat.

Cela me semble une conséquence fort probable.

(2020)

Les partisans du projet de loi estiment que c'est très bien, car ils n'aiment pas les syndicats. Ils cherchent à empêcher le plus de travailleurs possible de faire partie d'un syndicat. À mon avis, peu de gens et, à plus forte raison, peu de législateurs devraient adopter une telle position.

M. Calkins, le parrain du projet de loi, prétend qu'il a consulté les gens de sa circonscription. Il n'a consulté personne d'autre, mais, à ce qu'il dit, il a consulté bon nombre de ses électeurs.

Eh bien, l'opinion de la population peut varier d'une circonscription à l'autre. M. Calkins, député de l'Alberta, se réjouit d'avoir obtenu 81 p. 100 des voix lors des dernières élections. C'est tout un exploit, mais ce fait en dit long aussi sur sa circonscription et sur la mentalité des gens qui y habitent. Je dirais même que cette circonscription n'est peut-être pas représentative du reste du Canada.

Bon, jusqu'à présent, j'ai parlé du fond et de l'objet du projet de loi. Parlons maintenant de la forme.

Honorables sénateurs, la Chambre des communes nous a encore une fois transmis un projet de loi contenant une erreur. Tenez-vous bien... une erreur de numérotation. N'y a-t-il personne qui sache compter et lire à l'autre endroit? C'en est fatigant.

Le projet de loi C-525 modifie de façon particulière la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et une autre loi dont j'oublie le long titre. Quoi qu'il en soit, pour ce qui est de cette dernière loi, le parrain a visé juste. Il a d'abord modifié le pouvoir qui permet au conseil d'accréditer ou non des syndicats, c'est-à-dire de juger s'ils sont acceptables. Puis, il a changé les dispositions des autres lois connexes.

Le projet de loi C-525 prévoit la même modification concernant la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, sauf que les députés ont oublié de modifier les autres lois, ce qui fait perdre à la commission des pouvoirs que tout le monde estime qu'elle devrait détenir.

Mme Catherine Ebbs, qui est présidente de cette commission, affirme que les répercussions de cette modification ne sont pas fatales parce que la commission peut trouver des moyens plus longs d'arriver à la même fin. Cependant, elle précise que les conséquences de cette modification ne sont pas pour autant négligeables puisqu'elle obligera la commission à s'acquitter de tâches supplémentaires et entraînera — tenez-vous bien — des retards dans le traitement des demandes d'accréditation présentées par des regroupements d'organisations syndicales, ou je dirai plutôt encore plus de retards.

Les députés de la Chambre ne se sont peut-être pas rendu compte de ce que le projet de loi faisait. Ce problème est survenu parce que des amendements ont été apportés au comité et que leurs effets sur les autres lois n'ont pas été correctement examinés. La Chambre des communes ne s'est peut-être pas rendu compte de son erreur, mais nous l'avons remarquée. Nous l'avons remarquée.

La sénatrice Bellemare a reçu un avis juridique à ce sujet. Elle a été la première à nous faire part du problème. Nous en avons parlé au comité. Nous en avons parlé longuement. Et qu'est-ce que le comité a décidé de faire? Rien. Il a décidé de voter en faveur de ce projet de loi, alors que nous savons qu'il comporte des lacunes. C'est ce qu'il a fait.

Honnêtement, c'est extrêmement embarrassant, chers collègues. Il serait si simple de corriger ce projet de loi en lui apportant un simple amendement, ou plutôt plusieurs simples amendements. Mais non! L'argument des membres du comité est qu'ils ne pourraient pas apporter de tels amendements parce que cela torpillerait le projet de loi. Ils croient que cela nous forcerait à renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes, puis que ce dernier disparaîtrait à tout jamais.

La sénatrice Cordy : Au lieu de quoi nous avons un projet de loi bancal.

La sénatrice Fraser : Bref, mieux vaut adopter une mauvaise mesure législative que de la renvoyer à la Chambre des communes. C'est ce qu'on nous dit. Eh bien, je suis fatiguée de l'entendre, cet argument-là. On nous l'avait aussi servi pour les projets de loi C-428, C-442, C-394 et C-290, et voilà qu'on nous le ressert pour le projet de loi C-525. Bon, j'admets que, dans le cas du projet de loi C-394, on pouvait y trouver un certain bon sens, puisque le député qui l'avait présenté en premier lieu est devenu secrétaire parlementaire, ce qui veut dire, d'après les règles étranges des Communes, qu'il ne pouvait pas en demeurer le parrain.

Mais pour les autres, cet argument est complètement spécieux. Si nous modifions un projet de loi — et je rappelle que la Constitution nous oblige à étudier les mesures législatives — qui nous vient des Communes, il y est renvoyé, mais — ô malheur — il se retrouve alors au bas de la liste de priorité. Savez-vous ce qui se passe à l'autre endroit? Les députés peuvent négocier la place des mesures sur la liste de priorité. S'il s'agit d'un projet de loi auquel un nombre suffisant de personnes tiennent — et nous savons déjà que le gouvernement y tient mordicus —, il est tout à fait possible de le faire passer en deux temps trois mouvements en haut de la liste de priorité.

Or, voilà plutôt qu'on nous demande de faire fi des observations du comité et d'adopter ce projet de loi. Le comité a pourtant trouvé une légère erreur dans le texte. Vous souvenez-vous de Mme Ebbs, selon qui c'était loin d'être négligeable? Une légère erreur de rédaction. Et quelle solution nous propose-t-on? D'adopter le projet de loi tel quel, afin que l'erreur en question puisse être corrigée par une autre mesure législative, à adopter avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-525. Je rappelle qu'il entrera en vigueur dans les six mois. Il serait apparemment beaucoup trop difficile et complexe de le modifier dès maintenant. On nous demande donc de prêter foi à d'éventuels changements, qui pourront peut-être, je dis bien peut-être, figurer dans une mesure législative distincte qui devra repasser par toutes les étapes du processus : première lecture, deuxième lecture, deux fois la troisième lecture, débats à l'étape du rapport — et tout cela en six mois.

Ne serait-il pas plus simple de modifier le projet de loi? Autrement, je devrai considérer que nous avons carrément failli à notre devoir constitutionnel.

Motion d'amendement

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Chers collègues, je propose donc, en amendement, que le projet de loi C-525 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié :

1. à la page 5, par adjonction, après l'intertitre « LOI SUR LES RELATIONS DE TRAVAIL DANS LA FONCTION PUBLIQUE » précédant la ligne 14, de ce qui suit :

« 8.1. L'alinéa 39d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique est remplacé par ce qui suit :

d) l'autorité dévolue à tout regroupement d'organisations syndicales ayant valeur d'autorité suffisante au sens de l'alinéa 64(1.1)c); »;

2. à la page 6, par adjonction, après la ligne 37, de ce qui suit :

« 12.1. Le paragraphe 100(1) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

100. (1) À la demande de l'employeur ou de toute organisation syndicale faisant ou ayant fait partie d'un regroupement accrédité comme agent négociateur, la Commission révoque l'accréditation de celui-ci si elle arrive à la conclusion qu'il ne remplit plus les conditions d'accréditation fixées par l'alinéa 64(1.1)c). ».

Essentiellement, le paragraphe 64(1) deviendra le paragraphe 64(1.1). Ça peut sembler insignifiant, comme changement, mais comme je le disais, c'est loin d'être négligeable.

Une voix : Bien dit.

Son Honneur le Président intérimaire : L'honorable sénatrice Fraser propose, avec l'appui de l'honorable sénateur Munson... Puis-je me dispenser de lire toute la motion?

La sénatrice Fraser : Suffit!

(2030)

Son Honneur le Président intérimaire : Souhaitons-nous débattre des amendements? Monsieur le sénateur Baker, vous avez la parole.

L'honorable George Baker : Honorables sénateurs, je serai très bref. J'aurais voulu écrire un discours pour féliciter avant tout le président et les membres du comité, y compris le sénateur Tannas, qui est venu témoigner devant le comité en tant que parrain du projet de loi.

La moitié des provinces du Canada prévoient la tenue d'un scrutin secret et l'autre moitié ne le prévoient pas. Terre-Neuve vient d'adopter le scrutin secret, alors nous en sommes à six contre quatre, mais s'il y a un changement de gouvernement, Terre-Neuve retournera à l'autre système, car ce choix dépend du genre de gouvernement qui est au pouvoir. Alors, la question consiste à nous demander si l'accréditation et la révocation devraient se faire par scrutin secret. C'est la question qui a été posée à la Chambre des communes lorsque le projet de loi a été présenté.

Comme l'a souligné la sénatrice Fraser, nous avons déjà résolu un problème semblable auparavant. Un projet de loi contenant des erreurs substantielles nous avait été soumis. Il traitait du problème des gangs à Toronto et contenait une disposition prévoyant une peine minimale obligatoire pour les gens qui encourageaient les jeunes de moins de 18 ans à se joindre aux gangs, à l'époque où les médias étaient constamment en train de parler de fusillades. Au cours de l'étude du projet de loi par le comité de la Chambre des communes, le NPD a proposé un amendement qui a été accepté par le comité.

N'oublions pas comment fonctionne la préparation des projets de loi d'initiative parlementaire à la Chambre des communes. C'est le ministère de la Justice qui rédige les projets de loi ministériels, et un comité de coordination composé des présidents des comités vérifie les projets de loi pour veiller à ce qu'ils ne contiennent aucune erreur. Dans le cas des projets de loi d'initiative parlementaire — et nous en avons vu beaucoup de ce type récemment —, le ministère de la Justice fournit une évaluation d'une page indiquant si le projet de loi est légal et s'il contient des erreurs. Au moment opportun, lorsque le comité commence l'étude du projet de loi, une motion est présentée, habituellement par le secrétaire parlementaire du ministre en question, et le projet de loi est modifié de manière à ce qu'il modifie correctement la loi visée.

Toutefois, ce qui s'est passé avec ce projet de loi-là, et ce projet de loi-ci, c'est que durant le processus d'amendement au comité permanent de la Chambre des communes, plusieurs amendements ont été présentés, lesquels n'avaient pas été approuvés par le ministère de la Justice. C'est là où la confusion s'est installée. Dans le projet de loi sur les gangs, présenté il y a environ trois mois, le mot « contraindre » a été placé au mauvais endroit, raison pour laquelle il n'avait pas de sens. C'est ce que, en droit, on appelle une « absurdité manifeste ». Un article du projet de loi auquel on faisait référence n'existait plus; une autre absurdité.

Les juges regardent cela et disent qu'une loi s'applique à un article de la loi qui n'existe plus. C'est une absurdité, et c'est évident, alors c'est une absurdité manifeste. Nous allons donc essayer de comprendre le message que le législatif a voulu envoyer en adoptant cette absurdité, et c'est le tribunal qui prend la décision.

Le comité permanent de la Chambre des communes a fait une grossière erreur il y a trois mois. Nous avons adopté le projet de loi avec une observation pour que la Chambre des communes amende le projet de loi afin d'en corriger les absurdités.

Qu'est-il arrivé avec ce projet de loi-ci? Il est arrivé quelque chose de similaire. Durant la fin de semaine, le fait que les sénateurs s'apprêtent à adopter le projet de loi sur les syndicats en dépit d'erreurs de rédaction a, malheureusement, fait les gros titres.

Ce projet de loi, comme je l'ai dit, détermine la question : les votes d'accréditation ou de révocation d'accréditation devraient-ils être faits par scrutin secret ou par signature où le syndicat commencerait à récolter les signatures à 50 p. 100 plus un? Voilà la question.

La Chambre des communes a adopté le projet de loi. Quelle est l'intention du Parlement? Il a l'intention d'instaurer un scrutin secret pour l'accréditation et la révocation d'accréditation des syndicats régis par les trois mesures législatives fédérales.

Par conséquent, la question qui se pose est la suivante : le Sénat devrait-il amender le projet de loi? Le sénateur Tannas a clairement fait valoir un argument très solide, auquel a aussi fait allusion la sénatrice Fraser. Il a dit que, lorsqu'un projet de loi d'initiative parlementaire est amendé au Sénat, il doit être renvoyé à la Chambre des communes, car le libellé doit être parfaitement le même. Pour pouvoir être adopté à la Chambre des communes et au Sénat, un projet de loi doit donc être présenté avec exactement le même libellé aux deux endroits.

Par conséquent, le projet de loi est renvoyé à la Chambre des communes, mais à quel endroit est-il inscrit au Feuilleton? Il est inscrit à l'endroit que l'on appelle la « liste de priorité ». Trente initiatives parlementaires figurent dans cette liste à tout moment. La liste est établie en fonction du nom des députés, et non des questions examinées.

Comme le sénateur Tannas l'a fait remarquer, si nous décidons d'amender le projet de loi, nous devrons le renvoyer à la Chambre des communes, où il sera inscrit au 31e rang dans la liste de priorité. Les questions sont examinées selon l'ordre de priorité établi, à moins d'une entente spéciale. Le sénateur Tannas a souligné que, normalement, il faut prévoir trois jours, puisque chaque motion fait l'objet de deux jours de débat. Par conséquent, on parle de 100 jours, soit 6 mois. Si on siège du lundi au vendredi, cela nous amène en juillet. Il en est arrivé à la conclusion suivante : l'intention du Parlement est-elle de tuer le projet de loi? C'est l'argument qu'il a fait valoir. C'est aussi l'argument soulevé par le sénateur Plett dans le cas du dernier projet de loi dont nous avons été saisis. C'est donc la question que doit trancher le Sénat.

Je conviens que les amendements proposés sont nécessaires. Ils visent à corriger des absurdités évidentes, car, dans les deux cas, elles renvoient à des articles du projet de loi qui n'existent plus. Le projet de loi contient des erreurs. Les articles en question n'existent plus. Le sénateur Tannas soutient qu'il faut adopter le projet de loi tel quel et laisser les tribunaux décider ce qu'il convient de faire. Toutefois, nous préciserons que le Sénat recommande que le libellé soit modifié avant que la loi entre en vigueur.

C'est la phrase que nous avons ajoutée à notre observation au sujet de la dernière erreur commise à la Chambre des communes.

Ce que je souhaite faire valoir est ceci : comme nous présentons maintenant des projets de loi d'initiative parlementaire qui modifient de façon considérable les mesures législatives portant sur des questions d'intérêt public, le processus à la Chambre des communes comporte d'importantes lacunes. Le gouvernement n'est pas à blâmer. Le parrain du projet de loi n'est pas responsable du libellé du projet de loi. Ce n'est pas comme ça qu'il l'a formulé.

(2040)

J'ai examiné les dossiers liés au projet de loi parce que je tenais à savoir ce qui s'est produit exactement. Ce qui s'est produit est totalement absurde. Je remercie la sénatrice Bellemare d'avoir souligné l'une des erreurs. C'est le sénateur Cowan qui a souligné la seconde erreur. Il mérite également des félicitations.

Qu'est-ce qui a donné lieu aux erreurs et comment peuvent-elles être corrigées? J'espère que la Chambre des communes porte attention, car nous en arriverons à un point où il y aura tellement d'absurdités dans le droit canadien que nous ne saurons plus en quoi il consiste. C'est ce qui se produira si nous continuons dans la même veine.

Comment peut-on corriger la situation? Ce sont les comités permanents de la Chambre des communes qui s'occupent des projets de loi. Dans le cas qui nous occupe, le comité a étudié quatre amendements sur un aspect particulier, dont trois ont été présentés par le NPD. Les pires amendements étaient ceux proposés par le NPD, car ils annulaient certaines parties des projets de loi, parties qui n'auraient pas dû l'être. Voilà où réside le problème. La Chambre des communes n'effectue aucune vérification une fois que la modification est apportée et que le projet de loi est renvoyé à l'étape du rapport. Le mal est fait. Soit que le ministère de la Justice intervienne à l'étape du rapport à la Chambre des communes et déclare que le projet de loi comporte des absurdités manifestes, soit que le Bureau du greffier à la Chambre des communes assume un autre rôle à l'étape du rapport et affirme qu'il n'est pas possible de procéder comme on l'a fait jusqu'à présent.

Nous savons tous que nous ne pouvons pas compter sur les députés qui ont fait ces erreurs. Il s'agit d'erreurs manifestes. On ne peut pas compter sur le fait qu'ils apporteront eux-mêmes les corrections. Il faut quelqu'un qui possède certaines compétences sur le plan juridique pour l'examiner et préciser que le projet de loi comporte des erreurs manifestes. Voilà pourquoi je suis intervenu aujourd'hui.

Cela s'applique aussi à d'autres projets de loi. Nous étudions actuellement le projet de loi C-290 et nous ne pouvons pas le renvoyer.

L'autre projet de loi était parrainé par M. Parm Gill, un député conservateur qui avait été nommé secrétaire parlementaire. Le projet de loi C-290 est parrainé par le leader parlementaire adjoint du NPD, qui est vice-président de la Chambre des communes. Dans ces deux cas, si le parrain d'un projet de loi est président ou vice-président de la Chambre des communes, ou s'il est secrétaire parlementaire, le projet de loi qui est amendé au Sénat retombe au bas de la liste et devient le numéro 129. Si le parrain d'un projet de loi d'initiative parlementaire est encore simple député, le projet de loi qui est modifié au Sénat retourne alors au numéro 31 de la liste de priorité de la Chambre.

Nous devons faire comprendre à la Chambre que, compte tenu des problèmes auxquels nous avons fait face, ce projet de loi ne doit pas être adopté avant que ces erreurs soient corrigées. Je pense que le comité a fait un bon travail à cet égard en formulant ses observations au sujet de ce projet de loi. Je félicite tous les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles d'avoir entrepris cette démarche additionnelle dans le cas du présent projet de loi.

[Français]

L'honorable Diane Bellemare : J'aimerais poser une question au sénateur Baker.

Le sénateur Baker : Oui.

La sénatrice Bellemare : Je me sens interpellée par ce débat, et j'ai pris la parole sur le sujet au comité. Je ne veux pas intervenir sur le fond du projet de loi pour l'instant, mais peut-être le ferais-je à un autre moment.

[Traduction]

Croyez-vous qu'il pourrait être judicieux que la recommandation soumise au Sénat par le comité devienne une motion, afin d'exercer davantage de pression pour qu'on trouve le moyen de régler cette absurdité?

Le sénateur Baker : C'est une question intéressante et j'y répondrai comme suit : j'ai déjà vu des observations formulées par un comité sénatorial être utilisées dans la jurisprudence. Autrement dit, j'ai déjà lu au Sénat un élément de jurisprudence des cours supérieures dans lequel une observation faite par le comité était mentionnée. L'observation en question se trouve sur le site web. Je sais cela et, même si cela n'a pas le même effet qu'une motion complète, nous acceptons que l'observation du comité permanent fait partie des délibérations du Sénat. La jurisprudence y accorde une certaine importance, alors je crois que, compte tenu du sujet en question, cette observation a une grande incidence, même s'il vaudrait peut-être mieux en faire une motion car cela renforcerait notre position, comme je l'ai constaté par le passé.

Le Sénat est composé d'une majorité de sénateurs ministériels, de sénateurs conservateurs. Dans sa motion, le sénateur Tannas affirme que nos observations vont au-delà des observations précédentes; nous voulons non seulement que cela soit rectifié...

Son Honneur le Président intérimaire : Sénateur Baker, votre temps de parole est écoulé.

Le sénateur Baker : Je demande cinq minutes de plus.

Son Honneur le Président intérimaire : Le Sénat accorde-t-il cinq minutes de plus au sénateur Baker?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Baker : J'aimerais conclure sur ceci. Je l'ai vu dans la jurisprudence. Je peux vous dire que tous les mois, toutes les semaines au Canada — j'ai vérifié ce matin même —, il y a deux énoncés de décisions judiciaires qui citent quelque chose qui a été dit au Sénat, et il y en a de plus en plus. Qui plus est, la fréquence a augmenté au cours des deux ou trois dernières années.

On ne peut pas en dire de même de la Chambre des communes. Voilà qui illustre encore une fois l'influence réelle des comités du Sénat, du moins en ce qui concerne la législation. Autrement dit, notre travail sert de référence.

La Cour suprême du Canada a dit que la fonction première du Sénat est d'effectuer un second examen objectif, et c'est précisément ce que nous faisons. Le Sénat du Canada fait de l'excellent travail, mais la qualité de notre travail dépend du bon fonctionnement de la Chambre des communes et de ses comités; lorsque ceux-ci ne sont pas bien structurés, un projet de loi sur trois ou quatre que nous étudions est criblé d'absurdités patentes. La Chambre va devoir prendre note du présent débat et des observations du comité et du Sénat. Je pense que la Chambre des communes et tous les partis politiques devront bien réfléchir lorsque le Sénat conseille de ne pas adopter le projet de loi tant que les corrections nécessaires n'auront pas été apportées.

Ils ne se soucient peut-être pas des détails, mais nous devrions procéder de la même manière chaque fois que ce genre de situation se produit.

L'honorable Scott Tannas : Je veux remercier le sénateur Baker de son intervention. En tant que dernier arrivé au Sénat, je n'ai pas beaucoup d'expérience, c'est pourquoi j'étais à la fois intimidé et enchanté d'avoir une porte-parole aussi éloquente et chevronnée que la sénatrice Fraser. Je suis heureux d'avoir pu écouter votre intervention et d'avoir eu la chance de me réfugier derrière votre expérience. Merci.

Son Honneur le Président intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président intérimaire : L'honorable sénatrice Fraser, avec l'appui de l'honorable sénateur Munson, propose... Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président intérimaire : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président intérimaire : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président intérimaire : Je vois deux sénateurs se lever.

Les whips en sont-ils arrivés à une entente?

L'honorable Jim Munson : Votre Honneur, nous aimerions que la sonnerie retentisse pendant 30 minutes.

Son Honneur le Président intérimaire : La sonnerie retentira pendant 30 minutes, ce qui signifie que le vote aura lieu à 21 h 19.

Convoquez les sénateurs.

(2120)

La motion d'amendement, mise aux voix, est rejetée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Baker Hervieux-Payette
Campbell Jaffer
Chaput Joyal
Cordy Massicotte
Cowan Mitchell
Dawson Moore
Day Munson
Downe Ringuette
Eggleton Smith (Cobourg)
Fraser Tardif
Furey Watt—22

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Andreychuk Martin
Ataullahjan McInnis
Batters McIntyre
Beyak Meredith
Black Mockler
Boisvenu Nancy Ruth
Carignan Neufeld
Dagenais Ngo
Demers Oh
Eaton Poirier
Enverga Raine
Fortin-Duplessis Rivard
Frum Runciman
Gerstein Seidman
Greene Smith (Saurel)
Housakos Stewart Olsen
Lang Tannas
LeBreton Unger
MacDonald Verner
Maltais Wells
Manning White—43
Marshall

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Bellemare Wallace—2

Son Honneur le Président : Nous débattons de la motion principale. L'honorable sénateur Cowan a la parole.

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Chers collègues, avant la semaine dernière, je n'avais même pas l'intention de parler du projet de loi. Je suis encore d'avis qu'il s'agit d'une mauvaise mesure législative. Le gouvernement veut absolument affaiblir les syndicats canadiens, et c'en est un autre exemple.

Le comité a entendu des témoignages convaincants et indépendants selon lesquels les motifs invoqués pour présenter ce projet de loi sont tous simplement fallacieux. Nous sommes encore une fois saisis d'un projet de loi qui se veut une solution à un problème qui n'existe pas et, encore une fois, des témoins ont dit que la solution pourrait entraîner de bien plus gros problèmes que ceux qu'elle est censée régler.

J'ai déjà longuement parlé des attaques idéologiques que le gouvernement lance contre ceux qui, à son avis, le critiquent, y compris les syndicats, mais ce n'est pas ce dont je veux vous parler aujourd'hui. C'est plutôt le processus troublant auquel le gouvernement a souvent recours pour faire adopter des projets de loi qui me pousse à prendre la parole ce soir.

La dernière fois que j'ai parlé d'un projet de loi d'initiative parlementaire présenté par un conservateur, c'était il n'y a même pas deux semaines. Cette fois-là, le gouvernement avait utilisé sa majorité dans un comité sénatorial puis ici même afin de faire adopter un projet de loi après avoir empêché les sénateurs d'entendre des témoins qui s'opposaient à la mesure législative ou qui voulaient simplement la remettre en question. Les personnes qui n'étaient pas du même avis que le gouvernement ont été écartées du processus et n'ont pas pu témoigner, et les observations d'au moins l'une d'elles ont même été cachées jusqu'à la fin de nos délibérations.

Pensez-y. On nous a fait voter sur le projet de loi S-219 alors que des points de vue divergents nous avaient été délibérément cachés. C'est inacceptable. Je me suis donc abstenu de voter sur ce projet de loi parce que le gouvernement avait agi de telle sorte qu'il m'avait été impossible de tirer des conclusions sur le bien-fondé du projet de loi.

Une fois de plus, le gouvernement se sert de sa majorité pour faire adopter un projet de loi — et même pas un projet de loi d'initiative ministérielle, car il ne s'agit que d'un autre projet de loi d'initiative parlementaire. Il le fait tout en admettant que le projet de loi contient des erreurs qui, d'après les témoignages entendus par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, créeront des problèmes considérables pour la commission chargée d'appliquer la loi à modifier, soit la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

Durant son allocution, ma collègue, la sénatrice Fraser, a admirablement bien résumé ces erreurs. En bref, les députés de l'autre endroit ont apporté des amendements à la suite de leur étude au comité. Ils n'ont malheureusement pas remarqué qu'un de leurs amendements entraînerait des conséquences. Le résultat est le suivant : si nous adoptons le projet de loi C-525 dans sa version actuelle, deux articles de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique feront référence à un alinéa de la loi qui n'existe plus.

Dans un langage prudent, des fonctionnaires ont soutenu devant le comité que les répercussions de cet état de choses ne sont pas négligeables. L'un des articles en question traite de la délégation d'un pouvoir de réglementation à la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique. La présidente de cette commission a déclaré au comité :

Je crois que le comité doit se préparer à l'éventualité que nous puissions perdre notre pouvoir de réglementation dans ce domaine, si le texte du projet de loi demeure tel quel. La réglementation actuellement en vigueur ne serait plus valide et nous passerions en mode gestion de risque. Que faire dans une telle éventualité?

Selon moi, il est impossible de prédire comment les tribunaux réagiraient.

(2130)

Donc, le pouvoir de prendre des règlements en bonne et due forme, qui seront probablement adoptés volontairement par le Parlement, après mûre réflexion, n'existera plus. Pire encore, un règlement qui a déjà été pris conformément à ce pouvoir et qui est en vigueur à l'heure actuelle ne serait plus valide.

Cet article et le règlement portent sur le pouvoir du conseil d'accréditer un regroupement d'organisations syndicales à titre d'agent négociateur pour ces organisations. Il y est question de la façon dont le conseil détermine si chacune des organisations syndicales formant le regroupement a donné à celui-ci l'autorité suffisante pour lui permettre de remplir ses fonctions. Il s'agit de l'un des éléments essentiels qui doivent être établis avant que le conseil accrédite le regroupement. Donc, chers collègues, cette erreur aura des répercussions sur les travailleurs fédéraux, qui auront de la difficulté à devenir accrédités à titre d'agent négociateur.

Ce n'était pas l'objectif du projet de loi C-525. Aucun membre du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles et aucun membre du comité de l'autre endroit n'a entendu de témoignages exposant le bien-fondé de cette approche, car elle n'était pas censée faire partie du projet de loi C-525. C'était une erreur, une erreur de rédaction.

Par ailleurs, le problème soulevé en ce qui concerne le deuxième article est encore plus grave. Je parle du paragraphe 100(1) de la loi, qui prévoit que le Parlement exige que le conseil révoque l'accréditation d'un regroupement qui a été accrédité à titre d'agent négociateur si le conseil est convaincu que le regroupement ne respecte plus les critères d'accréditation énoncés à l'alinéa 64(1)c) de la loi. Comme nous l'avons entendu, le problème, c'est que si nous adoptons le projet de loi C-525 dans sa forme actuelle, il n'y aura pas d'alinéa 64(1)c). Cet alinéa deviendra l'alinéa 64(1.1)c).

On a interrogé la présidente de la commission au sujet des conséquences de cette situation; voici sa réponse :

L'examen de ce paragraphe révèle qu'il aurait essentiellement le même effet que pour le problème des pouvoirs de réglementation, c'est-à-dire qu'il exigerait le respect de conditions d'accréditation définies dans un alinéa qui n'existerait plus. Bref, ce paragraphe...

— un paragraphe obligatoire et sciemment inséré dans la loi par le Parlement du Canada —

... n'aurait plus vraiment de sens.

Elle a ensuite cité des pouvoirs généraux auxquels la commission pourrait recourir pour compenser la perte de ce pouvoir, puis elle a conclu ainsi :

... mais, au bout du compte, le paragraphe 100(1) n'aurait essentiellement plus de sens.

Donc, honorables sénateurs, une directive obligatoire dans une loi adoptée par le Parlement n'aurait plus de sens. Elle n'aurait plus de sens non pas parce que les parlementaires, que ce soit à l'autre endroit ou ici même, veulent qu'elle n'ait plus de sens — au contraire, personne n'a le moindrement cherché à modifier ce paragraphe —, mais en raison d'une erreur dans le libellé du projet de loi.

La bonne nouvelle, c'est que les sénateurs qui siègent au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles ont fait leur travail. La sénatrice Bellemare a repéré la première erreur, et mes employés ont trouvé la deuxième. Le projet de loi n'est pas encore adopté. Nous avons repéré les erreurs à temps. Nous aurions pu les corriger en apportant deux amendements très simples, qui ont été proposés au comité et, de nouveau, ce soir, par la sénatrice Fraser.

Tout autre gouvernement nous remercierait de notre sens de l'observation et de notre minutie. Ce pourrait être l'exemple par excellence de la contribution du Sénat au processus législatif et de la pertinence de la Chambre de second examen objectif. Nous aurions évité bien des acrobaties à la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, qui sera contrainte de trouver comment composer avec la disparition soudaine de ces dispositions et, ce faisant, nous aurions fait économiser le Trésor public. Nous aurions fait en sorte de préserver l'intégrité de la loi et de la modifier strictement dans la mesure où nous entendions le faire.

Malheureusement, il semble que le gouvernement préfère de loin pouvoir dire qu'il a adopté une loi plutôt que de se préoccuper des erreurs qu'elle contient. Évidemment, quand on sait que le gouvernement gaspille des millions de dollars en fonds publics pour faire la promotion de programmes qui n'existent pas, il ne faut guère s'étonner qu'il n'hésite pas à en dépenser davantage pour corriger un problème qu'il a lui-même créé, alors qu'il pourrait facilement l'éviter sans dépenser un seul dollar de l'argent des contribuables.

Or, la majorité ministérielle au comité a rejeté ces simples amendements, et c'est également ce qu'a fait ce soir la majorité ministérielle en rejetant l'amendement proposé par la sénatrice Fraser.

Pourquoi? Qu'est-ce qui motive ce geste? Lorsque les amendements ont été proposés au comité, on nous a dit que de ne pas nous soucier de notre travail, puisque les tribunaux allaient le faire pour nous. Lors de l'étude article par article de ces questions, on a cité la jurisprudence ainsi que des extraits de jugements. On a cité en exemple des jugements des tribunaux. Comme un conseiller parlementaire l'a dit au comité, la rectification par les tribunaux de ce qu'on considère comme une erreur est effectuée au motif que le texte rectifié exprimera l'intention de son auteur.

Nous pourrons certainement comprendre nos collègues qui se demandent si, comme dans le livre de Lewis Carroll, ils sont passés de l'autre côté d'un nouveau miroir mystérieux. Cependant, au lieu de nous retrouver au pays des merveilles, comme Alice, nous sommes à Harperland, le monde à l'envers, car le gouvernement, qui a si souvent conspué les tribunaux pour ne pas s'en être tenu aux dispositions clairement énoncées dans les lois adoptées par la majorité conservatrice, appuie maintenant tout son argumentaire sur l'espoir que les tribunaux feront exactement la même chose et entreprendront de récrire une loi adoptée par le Parlement.

Cependant, je ne suis pas sûr que les tribunaux iront dans le sens que souhaitent mes collègues d'en face, ni qu'ils devraient le faire. Le problème, c'est que, contrairement à ce qui s'est passé dans les causes citées, en ce qui concerne le projet de loi C-525 et la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, les tribunaux n'auront pas affaire à des erreurs d'écriture passées inaperçues. Aucun tribunal ne pourrait affirmer qu'il s'agit d'erreurs involontaires. Nous les avons trouvées, nous connaissons leur existence, et si nous adoptons le projet de loi sans amendement, nous le ferons en étant parfaitement conscients que les dispositions en question renverront à des articles inexistants.

Je tiens à ce que ce soit très clair. Un vote contre l'amendement proposé par la sénatrice Fraser signifiait que vous saviez que ces articles perdraient tout leur sens et que c'était votre objectif. Vous espérez qu'un tribunal apportera à la loi un amendement que le Sénat a explicitement rejeté. Quelqu'un connaîtrait-il un précédent à cet égard?

Le rejet de cet amendement entraînera des coûts et un gaspillage de temps, d'argent et d'énergie. La Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique devra trouver une façon de maintenir le règlement et ses pouvoirs en se fondant sur d'autres dispositions, ou encore en faire adopter d'autres. Évidemment, les contribuables devront payer le salaire des membres de la commission pendant qu'ils s'adonneront à cette tâche tout à fait inutile. Et si les dispositions doivent être sauvées par les tribunaux, comme l'espèrent les conservateurs, il faudra un procès. Autrement dit, il faudra qu'une personne dont les droits ont été brimés assume le coût d'une poursuite en justice. Tout cela serait un gaspillage absurde, surtout que le gouvernement aime crier sur les toits qu'il se soucie de l'argent des contribuables.

Les Canadiens commencent peut-être à comprendre ce que veulent vraiment dire la loi et l'ordre sous le gouvernement Harper : le premier ministre donne des ordres, et de mauvaises lois sont adoptées.

Le sénateur Tannas, qui parraine cette mesure ici, a affirmé ce soir qu'il s'agissait d'un projet de loi plein de bon sens. Chers collègues, peut-on vraiment parler de bon sens quand on adopte une mesure dont les faiblesses, bien connues, pourraient facilement être corrigées? Cela ne relève pas du bon sens, mais du non-sens.

Soyons clairs, chers collègues. Cela n'aurait aucun sens, ni pour nous, ni pour les Canadiens. Deux journaux ont déjà parlé de cette absurdité, pour reprendre le terme du sénateur Baker.

Un internaute, Ian Coutts, a publié ce commentaire sur le site de l'Ottawa Citizen :

Apparemment, il n'est pas nécessaire que nos lois soient rédigées de façon à ce que les tribunaux les considèrent valides. Il suffit qu'elles s'appuient sur de bonnes intentions. Dans ce cas, pourquoi ne pas adopter une loi qui dirait simplement « les méchants vont en prison, mais pas les gentils »?

Voici ce qu'écrit June Winger, de Medicine Hat, en Alberta :

Combien a-t-on dépensé, exactement, pour en arriver à ce projet de loi mal ficelé? Les Canadiens méritent mieux que ça!

(2140)

La dernière citation que je vais vous lire est un passage d'un commentaire publié à la suite de l'article sur le site web du Globe and Mail.

Voilà l'exemple que donne la Chambre haute? Nous savons qu'il y a des erreurs, mais nous l'adopterons quand même. Dommage que l'université ne fonctionnait pas ainsi.

En effet, chers collègues, maintenant que nous avons rejeté les amendements de la sénatrice Fraser, les Canadiens attribueront au Sénat et au gouvernement une note d'échec bien méritée, et pour cause. L'auteur du commentaire publié sur le site web du Globe and Mail ajoute ceci :

Monsieur le gouverneur général, faites votre travail et refusez de ratifier le projet de loi, puisqu'ils admettent qu'il comporte des erreurs.

Voilà une possibilité intéressante.

Chers collègues, nous tenons de nombreux débats en cette enceinte sur le rôle du Sénat, dont plusieurs ont été amorcés dans le cadre d'une série d'interpellations lancées par notre Président. Nombre de discours éloquents ont été prononcés de part et d'autre de la Chambre pour souligner la valeur du travail qui s'effectue ici. L'examen législatif est la première responsabilité du Sénat. C'est la raison pour laquelle nous sommes une Chambre législative — une Chambre de second examen objectif.

Cela a été confirmé — si confirmation était nécessaire — en avril par la plus haute instance judiciaire au pays, la Cour suprême du Canada, dans l'avis rendu au sujet du Renvoi relatif à la réforme du Sénat, effectué par le gouvernement Harper. La cour dit ce qui suit, au paragraphe 15 :

[15] Ainsi, la Chambre haute — appelée Sénat par les auteurs de la Constitution — a été créée sur le modèle de la Chambre des lords britannique, mais adaptée au contexte canadien. Comme au Royaume-Uni, elle a été conçue pour permettre de donner un [traduction] « second regard attentif » (« sober second thought ») aux mesures législatives adoptées par les représentants du peuple à la Chambre des communes.

Des rôles supplémentaires se sont ajoutés (représentation des régions, représentation des minorités, et cetera), mais l'examen législatif était le rôle, et le plus fondamental, que le Sénat devait assumer.

Je reprends les mots mêmes de la Cour suprême :

[...] les nature et rôle fondamentaux du Sénat à titre d'assemblée législative complémentaire chargée de porter un second regard attentif aux projets de loi.

Notre examen des projets de loi s'attire souvent des éloges : pas toujours de la part du gouvernement du jour ou du parrain de la mesure législative — car personne, quelle que soit son orientation politique, n'aime que sa proposition soit modifiée —, mais de la part des Canadiens, qu'il s'agisse de spécialistes ou de gens ordinaires qui suivent nos délibérations. M. David Smith, éminent spécialiste du Sénat et professeur à l'Université de la Saskatchewan, a écrit ceci dans son ouvrage sur le Sénat :

Les bons commentaires à l'endroit de la Chambre haute du Canada portent surtout sur ce qu'elle fait, plutôt que sur les gens au nom desquels elle le fait. Même les critiques les plus sévères du Sénat louent son travail d'examen, d'enquête et de révision des projets de loi.

Bien des sénateurs, d'un côté comme de l'autre, ont déjà cité cette fameuse déclaration de sir John A. Macdonald :

Où serait l'utilité de la Chambre haute, si elle ne devait pas exercer, en temps opportun, son droit d'amender ou modifier la législation de la Chambre d'assemblée? Il ne faut pas que ce soit un simple bureau d'enregistrement des décrets de la Chambre basse, mais au contraire une Chambre indépendante, douée d'une action propre, et ce n'est qu'à ce titre qu'elle pourra modérer et considérer avec calme la législation de l'assemblée et empêcher la maturité de toute loi intempestive ou pernicieuse passée par cette dernière, sans jamais oser s'opposer aux vœux réfléchis et définis des populations.

Je suis convaincu, soit dit en passant, que personne n'oserait même insinuer que les erreurs que nous avons relevées correspondent « aux vœux réfléchis et définis des populations ». Au contraire, je suis persuadé que personne à l'autre endroit ne rejetterait la teneur des amendements dont il est question.

En fait, c'est un exemple parfait de mesure législative malavisée adoptée à la hâte par l'autre endroit. Chers collègues, ma question est donc la suivante : si nous n'apportons pas d'amendements au projet de loi dans de telles circonstances, quand le ferons-nous? Et si nous n'amendons pas le projet de loi, quel genre de Chambre sommes-nous?

J'ai mentionné que deux articles de journaux avaient déjà été publiés à ce sujet. Le premier article, paru dans l'Ottawa Citizen, s'intitule « Les sénateurs sont prêts à adopter un projet de loi sur les syndicats même s'il contient des erreurs de rédaction ». Le deuxième, rédigé par La Presse Canadienne et publié dans le Globe and Mail, porte le titre suivant : « Les sénateurs trouvent une erreur dans un projet de loi, mais décident tout de même de l'adopter ».

Honorables collègues, voulons-nous envoyer aux Canadiens le message que nous ne faisons pas le travail que nous devons faire pour eux?

Nous nous rappelons tous ce qui s'est passé il y a à peine six mois — et le sénateur Baker y a fait allusion plus tôt — quand le Sénat a adopté le projet de loi C-394 sur le recrutement par une organisation criminelle. Les sénateurs Joyal et Baker avaient trouvé deux erreurs dans le projet de loi. J'aimerais vous rappeler ce que le sénateur Plett, le parrain du projet de loi dans cette enceinte, avait dit à l'époque, c'est-à-dire le 3 juin. Je le cite :

Nos délibérations au sujet du projet de loi ont donné lieu à la découverte de deux omissions dans le libellé qui entraîneraient une certaine incohérence dans le Code criminel. Heureusement, les sénateurs Joyal et Baker les ont portées à notre attention.

Le problème, c'est qu'on ne peut renvoyer le projet de loi à l'autre endroit, comme le veut la procédure, car depuis la présentation initiale du projet de loi, l'auteur, Parm Gill, est devenu secrétaire parlementaire. Or, les secrétaires parlementaires ne peuvent présenter de projet de loi d'initiative parlementaire ni même recevoir du Sénat leur projet de loi amendé, ce que notre greffier confirme. Par conséquent, cela devrait entraîner la mort du projet de loi.

J'ai cru comprendre que le parrain du projet de loi au Sénat aurait accepté que nous amendions le projet de loi afin de corriger ces erreurs, n'eût été de la situation inhabituelle selon laquelle le parrain à l'autre endroit a été nommé secrétaire parlementaire. À mon avis, aucun sénateur n'aimait l'idée d'adopter un projet de loi avec des erreurs connues, mais, dans les circonstances, nous avons accepté que c'était nécessaire, car sinon, comme l'a dit le sénateur Plett, cela aurait entraîné « la mort du projet de loi ».

Chers collègues, c'était le projet de loi C-394. La situation est différente avec ce projet de loi-ci. Le statut de Blaine Calkins, parrain du projet de loi C-525 à l'autre endroit, n'a pas changé. Pour autant que je sache, aucune règle de l'autre endroit n'empêche que le Sénat renvoie le projet de loi amendé à M. Calkins. Notre greffier ne nous a rien dit en ce sens.

En outre, il n'existe aucune contrainte de temps externe qui commande l'adoption immédiate de ce projet de loi. En effet, M. Calkins a rédigé le projet de loi de sorte qu'il entre en vigueur six mois après avoir reçu la sanction royale. Visiblement, il ne voyait aucune urgence. En fait, le projet de loi avait initialement été déposé au Sénat le 10 avril 2014, mais le Sénat n'a été informé du nom du parrain du projet de loi que le 23 septembre. De toute évidence, personne ne voyait de raison objective d'en précipiter l'étude.

Le Parlement ne sera pas prorogé ou dissolu — le gouvernement Harper a adopté la loi sur la tenue d'élections à date fixe. Par conséquent, nous pouvons tous dormir tranquilles : il n'y aura pas d'élections avant octobre 2015. C'est dans près d'une année. Les députés ont donc amplement le temps d'étudier nos amendements et de les adopter s'ils sont d'accord.

Alors, pourquoi avons-nous refusé de faire notre travail et d'amender le projet de loi, afin de corriger ces erreurs très simples et évidentes?

La seule raison qui a été invoquée, c'est celle qui a été mentionnée par le sénateur Tannas devant le comité : « Compte tenu de la procédure en vigueur à l'autre endroit, nous allons faire avorter le projet de loi en le renvoyant là-bas. »

Chers collègues, je ne comprends tout simplement pas cet argument. Comme je viens de le souligner, les greffiers à la procédure du Sénat ne nous ont pas avisés que le projet de loi avorterait, comme ce fut le cas, par exemple, pour le projet de loi C-394. D'après ce que je peux comprendre, le sénateur Tannas ne prétend pas qu'on ferait avorter le projet de loi; il dit simplement que, compte tenu de la procédure probable à l'autre endroit, il se pourrait que, dans sa version amendée, le projet de loi ne fasse pas l'objet d'une mise aux voix.

La sénatrice Fraser et le sénateur Baker ont expliqué comment fonctionne le système. Il est possible de saisir la Chambre de nos amendements. Ceux-ci seraient inscrits au 31e rang sur la liste, mais on pourrait procéder à un échange pour les faire monter dans l'ordre de priorité. Si le gouvernement tient tant à faire adopter ce projet de loi, il pourrait exercer un peu de son influence sur les députés conservateurs dont le nom apparaît plus haut sur la liste que celui de M. Calkins. La Chambre des communes pourrait alors examiner nos amendements et, espérons-le, les approuver.

Chers collègues, ne serait-il pas préférable de laisser les députés s'occuper des questions de procédure, ainsi que des règles qui, ont-ils convenu, devraient régir leurs travaux?

En fait, le sénateur Tannas nous demande de substituer le point de vue de la Chambre élue au nôtre — d'établir que le projet de loi C-525 est plus important que les autres projets de loi d'initiative parlementaire qui figurent plus haut dans la liste de priorité de la Chambre des communes. Peut-être nous demande-t-il de présumer que les députés élus n'accepteront pas nos amendements et qu'ils choisiront de ne pas accélérer l'étude du projet de loi à l'autre endroit. Honorables sénateurs, il n'est pas de notre ressort de prévoir de quelle façon l'autre endroit choisira de mener ses travaux. Ce sont ses travaux, pas les nôtres.

(2150)

Le Sénat a été créé en tant que Chambre de second examen objectif. Sir John A. Macdonald n'a pas dit que nous allions exercer nos pouvoirs d'examen en fonction des particularités du Règlement de la Chambre des communes.

Si l'autre endroit reçoit nos amendements et décide alors de torpiller le projet de loi, comme le dit le sénateur Tannas, quel que soit le moyen choisi, c'est assurément sa prérogative et son droit constitutionnel de le faire.

Honorables sénateurs, je reviens à la même question fondamentale : si les circonstances et le moment ne sont pas appropriés pour adopter des amendements, quand le seront-ils? Comme on dit : si nous ne le faisons pas maintenant, quand le ferons-nous?

Je tiens à rappeler aux sénateurs qu'il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, et non d'un projet de loi d'initiative ministérielle. Il ne s'agit manifestement pas d'une priorité du gouvernement, sinon celui-ci aurait présenté un projet de loi d'initiative ministérielle. N'oublions pas non plus que ce projet de loi a été soumis au Sénat au mois d'avril et que ce n'est que récemment qu'il est devenu une priorité pour les sénateurs d'en face.

Comme il s'agit d'un projet de loi d'initiative parlementaire, il n'a probablement pas fait l'objet d'un examen attentif par des juristes du ministère de la Justice, comme cela aurait été le cas pour un projet de loi d'initiative ministérielle. Le sénateur Baker a bien expliqué le processus. S'ajoute à cela le fait que les problèmes auxquels nous faisons face découlent d'amendements adoptés à la hâte par le comité à l'autre endroit.

Personne ne remet en question la pertinence des amendements que le Sénat vient de rejeter. Je n'ai entendu personne dire que la sénatrice Bellemare ou moi avions tort lorsque nous avons souligné les erreurs. Tout le monde est d'accord pour dire que les erreurs doivent être corrigées et que ne pas les corriger créera certainement des difficultés pour la commission et peut-être aussi pour d'autres personnes. Ne pas corriger les erreurs maintenant aura des conséquences, et les corrections pourraient être faites avec de simples amendements.

Chers collègues, si ce projet de loi n'est pas un bon exemple de cas où nous devons exercer notre droit d'amender un projet de loi de la Chambre basse, pour reprendre les paroles de sir John A. Macdonald, je me demande bien quand nous pourrions exercer ce droit. En restant les bras croisés, nous ferions la démonstration que la Chambre haute n'est, comme il le dit, « d'aucune utilité si elle se [borne] à sanctionner les décrets de la Chambre basse ».

Le 26 mars, la sénatrice Eaton a prévenu le Sénat que :

Nous ne devons, et ne pouvons, pas permettre que le Sénat se contente d'approuver automatiquement les projets de loi que lui renvoie la Chambre des communes.

Le sénateur Wallace a dit essentiellement la même chose le 29 avril :

Il ne fait aucun doute que le Sénat n'a pas été créé dans le but d'être la copie conforme de la Chambre des communes ou d'approuver d'office tout ce qu'elle propose. Bien au contraire.

Les sénateurs se rappelleront que nous avons tenu un débat intéressant à la fin du discours du sénateur Wallace, ce jour-là, et que débat a porté notamment sur la question de la portée que devraient avoir les amendements effectués par le Sénat. En réponse à une question de ma part, le sénateur Wallace a répondu ceci :

[...] je me suis moi-même demandé si le rôle du Sénat ne revient pas à examiner les aspects techniques des projets de loi d'abord présentés à la Chambre. Le rôle du Sénat consiste-t-il à garantir qu'ils sont exempts de toute lacune, sans remettre en question les politiques qui les sous-tendent?

Je vous pose encore la question : si nous refusons d'exercer notre droit d'amender ce projet de loi et si la majorité des sénateurs refusent d'adopter les amendements nécessaires, sommes-nous en train de renoncer au rôle principal du Sénat, qui consiste à examiner les projets de loi? Nous ne serons plus la Chambre indépendante de second examen objectif, mais une assemblée qui ne fait qu'approuver automatiquement les décisions du gouvernement. Nous ne serons plus une Chambre législative, mais un club d'amateurs de débats qui coûte 90 millions de dollars par année. Pourquoi nous prendrait-on au sérieux si nous ne sommes même pas capables de nous prendre nous-mêmes assez au sérieux pour donner suite à nos recommandations?

Il va sans dire que je suis très déçu qu'une majorité de sénateurs ait choisi de rejeter les amendements proposés par la sénatrice Fraser. Je comprends maintenant que les sénateurs se pliaient simplement à la recommandation du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles énoncée dans les observations jointes au rapport qu'il a présenté au Sénat. Je vais vous lire le dernier paragraphe de ces observations :

La situation est regrettable, mais le comité propose d'adopter le projet de loi et de corriger l'erreur de rédaction dans de prochaines mesures législatives avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-525.

Je signale également en passant que, pour une raison quelconque, le mot « recommande » s'est transformé en « propose », et ce, après que le comité ait décidé à l'unanimité, avant de s'ajourner, d'écrire dans ses observations « Bien que ce soit regrettable, le comité recommande... ». Cela dit, je pense que l'intention unanime du comité est claire. Les observations ont été rédigées en réponse à l'appel lancé aux membres du comité par la présidente de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique, qui devra nettoyer le gâchis que créera le projet de loi C-525. Elle a dit ceci :

À mon avis, si le projet de loi C-525 est adopté sous sa forme actuelle, il ne faudra ménager aucun effort pour rétablir le pouvoir de réglementation de la commission dont il est actuellement question à l'alinéa 39(1)d) de notre loi habilitante, et ce, de préférence avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-525.

En réponse à cette demande claire et ferme, le sénateur Tannas, parrain du projet de loi, a proposé de joindre des observations au rapport du comité. Plus précisément, il a proposé que le paragraphe que j'ai cité il y a quelques instants soit bien mis en évidence à la toute fin des observations. Au terme d'une discussion, les observations, dont celles dans le paragraphe en question, ont été adoptées à l'unanimité par le comité.

Chers collègues, j'ai constaté l'importance de cette question autant pour la présidente de la commission touchée que pour les membres du comité des deux côtés de l'enceinte. Cependant, nous avons un autre problème. Il suffit de lire les dispositions du projet de loi C-525 pour constater qu'à moins de l'amender, il entrera en vigueur six mois après la date de sa sanction. Étant donné le libellé actuel du projet de loi, rien ne pourra changer cela. Pour accéder au souhait du parrain du projet de loi et donner suite à la recommandation unanime du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, il faut amender cette disposition.

Par conséquent, je suggère que le projet de loi entre en vigueur à une date fixée par le gouverneur en conseil, soit le Cabinet, au moins six mois après la sanction royale. Cet amendement permettrait au gouvernement de reporter l'entrée en vigueur du projet de loi jusqu'à ce que les modifications nécessaires aient été apportées, comme le réclament la présidente de la Commission des relations de travail et de l'emploi dans la fonction publique et tous les membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je suis conscient que, pour ce faire, il faut s'en remettre au gouvernement et croire qu'il n'usera pas de la latitude qu'on lui donne pour mettre la loi en vigueur sans qu'elle ait été modifiée comme entendu ou avant la fin des six mois suivant la sanction royale. Je ne doute pas que mes collègues d'en face n'ont aucune difficulté à se fier au gouvernement. Avec cet amendement, je suis prêt à faire de même.

Motion d'amendement

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-525 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à la page 6, en substituant l'article 13 comme suit :

« 13. La présente loi entre en vigueur à la date fixée par décret du Gouverneur en Conseil, mais pas plus tôt que six mois après la date où elle reçoit la sanction royale. ».

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Puis-je connaître les instructions des whips?

L'honorable Jim Munson : Nous souhaitons reporter le vote à demain.

Son Honneur le Président : Le vote est reporté à demain, à 17 h 30.

(2200)

Projet de loi instituant la Journée du pape Jean-Paul II

Troisième lecture—Report du vote

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Fortin-Duplessis, appuyée par l'honorable sénateur Plett, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-266, Loi instituant la Journée du pape Jean-Paul II.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je sais qu'il se fait tard, mais j'avais promis à la sénatrice Fortin-Duplessis et à la sénatrice Martin que je prendrais la parole aujourd'hui. Bien entendu, je tiens à respecter cet engagement.

Honorables sénateurs, à première vue, ce projet de loi semble très simple et inoffensif. Cependant, après l'avoir lu et avoir réfléchi à tout cela, j'en suis arrivé à la conclusion que je ne peux pas appuyer ce projet de loi, et ce, pour trois raisons.

Je dis cela avec le plus grand respect pour celle qui parraine le projet de loi, la sénatrice Fortin-Duplessis, de même que pour tous les autres sénateurs qui ont appuyé le projet de loi. Évidemment, je respecte leurs convictions, et je respecte aussi l'engagement qu'ils ont pris de faire adopter ce projet de loi. Cela dit, à mon humble avis, ce projet de loi ne devrait pas être adopté pour trois raisons bien précises, que je vais maintenant énumérer.

Tout d'abord, ce projet de loi brouille le principe de la séparation de l'Église et de l'État, un principe fondamental de la Constitution canadienne. C'est un aspect très important.

Ensuite, sur le plan juridique, ce projet de loi privilégie une religion au détriment des autres. C'est aussi un aspect très important, car il remet en question l'article 2a) de la Charte des droits et libertés, qui porte sur la liberté de religion.

Enfin — et ce n'est certainement pas l'aspect le moins important —, ce projet de loi vise à reconnaître légalement un système de pensée et de croyances religieuses qui, bien souvent, va à l'encontre des droits fondamentaux garantis par la Charte, ainsi que des préceptes qui, parfois, entrent en conflit avec les principes de la primauté du droit et de la protection de la vie des citoyens.

Voilà les trois motifs principaux qui expliquent mon opposition au projet de loi, honorables sénateurs. Je m'en voudrais toutefois de donner l'impression que je suis anticlérical ou que je ne reconnais pas la valeur des églises catholiques romaines du Canada et, particulièrement, de ma province.

Je ne tiens pas vraiment non plus à me défendre de pareilles accusations. Je ne dévoilerai pas mes croyances personnelles. Je veux simplement vous rappeler ce que j'ai fait pour protéger le patrimoine de l'Église catholique romaine ces 45 dernières années; c'est d'ailleurs du domaine public, et certains d'entre vous, surtout ceux qui ont vécu au Québec ou qui en connaissent l'histoire, s'en souviendront peut-être.

En 1971, je suis intervenu pour empêcher la destruction de l'église Saint-Paul de Joliette, que la sénatrice Bellemare connaît, parce que le ministère des Travaux publics de la province voulait démolir le cimetière pour élargir une route, ce qui aurait, bien entendu, nui à la survie de l'église.

En 1976, je suis intervenu pour empêcher la destruction de l'église Notre-Dame-des-Anges à Montréal, qui se trouve sur la place Guy-Favreau, parce qu'il s'agissait d'une des premières églises protestantes de la ville. L'église a été sauvée, et elle abrite aujourd'hui l'église de la communauté chinoise, en plein cœur du centre-ville de Montréal.

Je suis personnellement intervenu pour empêcher la destruction d'un monastère des Sœurs grises au centre-ville de Montréal, et j'ai fait de même il y a moins de trois ans pour l'église Saint-Nom-de-Jésus-et-de-Marie de la circonscription d'Hochelaga-Maisonneuve, dans l'est de Montréal.

Il est de notoriété publique, et je dis cela en toute humilité, que je suis l'un des plus grands collectionneurs d'art religieux du Canada. J'ai donné des centaines et des centaines d'œuvres d'art religieux à de nombreux musées canadiens : des vases en argent, des vases en argent frappés d'or, des tableaux, des sculptures, et cetera. Quiconque visite le Musée des beaux-arts de Montréal, le Centre canadien d'architecture ou le Musée de la civilisation de Québec aura la chance d'en voir.

J'ai donné beaucoup de conférences et publié de nombreux articles dans le but de comprendre l'histoire de l'Église catholique romaine dans ma province et dans le reste du Canada. De toute évidence, je ne suis donc pas contre la religion. Je me suis exprimé publiquement en faveur du maintien de ce que j'appelle l'importance des églises dans toute société.

Cependant, compte tenu du libellé du projet de loi et de l'intention exposée dans son préambule, honorables sénateurs, je crois que nous devrions, comme l'ont recommandé le leader de l'opposition, un peu plus tôt, et vous-même, Votre Honneur, en reprenant les mots de John A. Macdonald, soumettre le projet de loi à un second examen objectif.

Pourquoi? Parce que je dirais que le projet de loi entache et enfreint le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Dès son titre, il indique noir sur blanc qu'il vise à instituer la Journée du pape Jean-Paul II, un saint de l'Église catholique romaine. Honorables sénateurs, il n'est pas question d'une motion visant à féliciter un lauréat du prix Nobel ou à souhaiter au dalaï-lama la bienvenue au Canada, mais bien d'une mesure législative qu'adopteraient les deux Chambres du Parlement pour inscrire à tout jamais dans les lois canadiennes que le Canada doit consacrer une journée à un saint catholique romain et perpétuer son souvenir. Pourquoi? Parce que le pape est le souverain pontife de l'Église catholique romaine. Il est à la fois un chef religieux et un chef d'État, un État qu'on appelle le Vatican, qui a des ambassadeurs aux quatre coins du monde, y compris à Ottawa. Il jouit de tous les privilèges d'un chef d'État. De 122 à 135 cardinaux l'élisent. Il s'exprime au nom de 1,2 milliard de catholiques. Ce n'est pas négligeable. Si on inscrivait dans les lois du Canada que les Canadiens doivent vouer à jamais une journée précise à rendre hommage à cette personne, on entacherait le principe de la séparation de l'Église et de l'État.

Honorables sénateurs, cet élément est d'une telle importance dans notre Constitution que, lorsque la reine prête son premier serment d'office — elle en prête trois —, l'archevêque lui demande ceci :

Promettez-vous et jurez-vous solennellement de gouverner les peuples du Royaume-Uni [...] du Canada, de l'Australie [...] selon leurs lois et coutumes respectives?

Donc selon les lois et coutumes du Canada.

Songez-y un instant, honorables sénateurs. Quand la reine a été sacrée reine de Grande-Bretagne et d'Irlande, elle a été assermentée protectrice de la foi parce qu'elle est chef de l'Église anglicane. Cependant, elle n'a pas de titre semblable en tant que reine du Canada. Dans ce contexte, elle s'engage à respecter nos lois et coutumes, comme le dit le serment, et notre Constitution n'établit aucune église particulière. C'est un élément fondamental de notre structure constitutionnelle. Cela n'empêche en rien la reine d'assister aux offices d'une église anglicane lors de ses visites au Canada. En fait, elle est la bienvenue dans toutes les églises anglicanes du Canada. À titre de reine du Canada, en tant que personne, elle peut aller dans n'importe quelle église anglicane pour se recueillir. Cependant, lorsqu'elle porte la couronne du Canada, elle ne défend aucun principe religieux. C'est un aspect fondamental, honorables sénateurs.

(2210)

Lorsque les Pères de la Confédération ont débattu de la façon de reconnaître les droits des minorités religieuses — ce dont il est question à l'article 93 de la Constitution et à l'article 29 de la Charte, qui portent sur les droits en matière d'éducation, notamment ceux des protestants et des catholiques —, ils l'ont fait pour protéger les droits des minorités, et non pour inclure dans la structure gouvernementale un engagement envers l'une ou l'autre des Églises.

Par conséquent, lorsque nous adoptons des projets de loi, il est très important que nous nous demandions quels seront leurs effets sur ce pilier fondamental de la structure canadienne.

Le deuxième aspect qui, à mon sens, est tout aussi fondamental, c'est le fait que ce projet de loi vise à ce que la loi privilégie une religion plutôt qu'une autre. C'est très dangereux, car cela va à l'encontre de l'objet de l'alinéa 2a) de la Charte des droits et libertés. De quoi est-il question dans cet alinéa? De liberté de religion. Tous les Canadiens ont droit à la liberté de religion, ce qui veut dire que toutes les religions sont sur un pied d'égalité. Chacun peut choisir sa religion. On peut choisir de ne pas avoir de religion. Ce droit est également garanti dans la Charte.

Nous allons permettre à notre système juridique d'aller à l'encontre de cette même liberté en inscrivant dans nos lois l'obligation de rappeler quelque chose de très particulier à tous les Canadiens le 2 avril de chaque année. Qu'est-ce qui sera commémoré? Vous trouverez la réponse dans l'objet du projet de loi. Où trouve-t-on l'objet du projet de loi? Il est inscrit dans le préambule. Le 2 avril, on commémorera une figure marquante de l'histoire de l'Église catholique romaine. C'est dans le deuxième paragraphe du préambule.

Deuxièmement, on sera encouragé à vivre les enseignements du Christ. Quels enseignements du Christ? Les enseignements du Christ interprétés par l'Église catholique romaine. Pourquoi? Parce que selon la doctrine, le pape est infaillible. Lorsqu'il se prononce sur les enseignements du Christ, il a toujours raison, un principe que ne reconnaissent pas la plupart des autres fois chrétiennes, que ce soit la foi anglicane, presbytérienne, épiscopalienne, unitarienne, luthérienne ou orthodoxe. Aucune autre religion de la foi chrétienne ne reconnaît le principe de l'infaillibilité du pape lorsqu'il interprète les enseignements du Christ. C'est pourtant l'intention du projet de loi, honorables sénateurs. Lisez-le. C'est le troisième paragraphe du préambule.

Dans notre étude du projet de loi, nous devons considérer le précédent que nous créerions en l'adoptant. Il ne fait aucun doute que nous reconnaîtrions une religion par-dessus les autres. C'est la perception que cela créerait. D'ailleurs, une conviction profonde de la doctrine de l'Église catholique romaine veut qu'elle ait, dans une certaine mesure, un degré de vérité supérieur aux autres Églises de la foi chrétienne parce qu'elle est la plus ancienne, et que toutes les autres sont dangereuses. Vous savez parfaitement bien qu'un principe de l'Église catholique romaine interdit de se marier à un protestant. Pourquoi? Parce que quiconque épouse un protestant risque de compromettre sa foi; il faut donc promettre d'éduquer ses enfants dans la foi catholique romaine.

Honorables sénateurs, le projet de loi semble bien inoffensif, mais je ne puis, personnellement, l'appuyer car j'estime que ce serait rendre un mauvais service à l'Église catholique romaine que d'alimenter au Canada la perception qu'une religion se situe à un autre niveau, est meilleure que les autres. Ce n'est pas dit ainsi, mais quand on lit le projet de loi et qu'on songe à son incidence, c'est, en fait, l'impression qu'il fait pénétrer dans l'esprit des gens.

Son Honneur le Président : Sénateur Joyal, voulez-vous qu'on vous accorde plus de temps?

Le sénateur Joyal : Puis-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président : Êtes-vous disposés à accorder cinq minutes de plus au sénateur Joyal pour qu'il termine son intervention?

Des voix : D'accord.

Le sénateur Joyal : Le troisième élément de ce projet de loi — le plus important, honorables sénateurs —, c'est qu'il accorde une reconnaissance légale à un système de pensée et à des préceptes religieux qui sont souvent à l'opposé de certains droits fondamentaux inscrits dans la Charte. À mon avis, honorables sénateurs, il s'agit d'une autre conséquence grave.

Pensons d'abord au principe d'égalité entre les hommes et les femmes. Y a-t-il un enjeu qui soit plus important aux yeux de l'ensemble des Canadiens — et qui fera toujours l'unanimité — que l'importance d'atteindre l'égalité entre les hommes et les femmes? L'histoire nous a montré que, pour l'Église catholique romaine et le pape Jean-Paul II, cette égalité n'a pas sa place. Je ne veux pas me montrer trop négatif à ce sujet, mais il reste que la doctrine de l'Église est simple : les femmes devraient s'incliner devant les hommes comme l'Église s'incline devant Dieu. Ainsi, les femmes ne peuvent pas avoir de responsabilité aux yeux de l'Église catholique romaine et elles ne peuvent pas être prêtres ni occuper un poste de gestion d'un niveau supérieur. C'est un monde d'hommes. Sans compter que, si on lit les enseignements de l'Église, on sous-entend que ce sont les femmes qui sont à l'origine du péché sur la Terre.

Dans une société laïque comme celle dans laquelle nous vivons aujourd'hui, celui qui défend les enseignements du Christ tels que l'Église catholique romaine les interprète entre en conflit avec ce principe d'égalité. Comme je l'ai dit, nous nous préoccupons quotidiennement de l'application de ce principe.

La religion va aussi à l'encontre d'un autre principe de la Charte que vous connaissez aussi bien que moi — nous en avons débattu il y a quelques années —, soit l'article 15 de celle-ci. Nous sommes tous égaux devant la loi et la loi nous procure tous les mêmes protections. Le mariage civil existe et l'homosexualité n'est pas une maladie mentale.

Or, selon la modification apportée au catéchisme en 1986, c'est-à-dire pendant le pontificat de Jean-Paul II, l'homosexualité est objectivement un trouble mental. Si vous êtes homosexuel, vous être nécessairement un citoyen de second ordre, puisque vous souffrez d'un trouble mental objectif.

Je ne vous apprendrai rien en disant que, chez nous, les gais peuvent faire carrière dans la fonction publique. Il y a des gais au gouvernement, dans la police, dans les diverses institutions du pays, dans l'armée. Fort heureusement, les Canadiens homosexuels peuvent être fiers de ce qu'ils sont et ils peuvent se marier. Or, selon l'Église, on bafouerait ainsi le principe voulant que le mariage puisse seulement être l'union d'un homme et d'une femme et n'avoir d'autre but que la procréation. Il est impossible de dissocier procréation et mariage. Les mariages gais ne sont donc pas des mariages, puisqu'il ne peut y avoir de procréation. Voilà pourquoi la procréation assistée, que nous avons adoptée et avalisée il y a déjà 10 ans, a été interdite par l'Église. Même chose pour l'usage de condoms par un couple marié — homme et femme —, puisque la procréation devient alors impossible. C'est ce qui résume la doctrine ayant actuellement cours dans l'Église et qui a été validée par le pape Jean-Paul II.

C'est ce qui nous amène à l'euthanasie. Le Sénat est actuellement saisi d'un projet de loi parrainé par la sénatrice Nancy Ruth, avec l'appui du sénateur Campbell, qui porte sur l'aide médicale à mourir. Sauf que, selon la doctrine de l'Église catholique romaine, tout le monde doit souffrir comme le Christ sur la croix. Il s'agit d'un précepte inviolable. Eh bien, ce précepte va à l'encontre du projet de loi dont nous discuterons au cours des prochains mois.

(2220)

Honorables sénateurs, il y a d'autres éléments que je voulais porter à votre attention, mais, compte tenu de ces arguments, je propose l'amendement suivant.

Motion d'amendement

L'honorable Serge Joyal : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-266 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit lu une troisième fois dans six mois à compter de ce jour.

Des voix : Bravo!

[Français]

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion d'amendement?

[Traduction]

Nous débattons de la motion, telle qu'elle a été modifiée.

Le Sénat est-il prêt à se prononcer?

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Les non l'emportent.

Et deux sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Plus de deux sénateurs se sont levés. Les whips ont-ils des instructions pour moi?

L'honorable Jim Munson : Nous souhaitons reporter le vote à la prochaine séance.

Son Honneur le Président : Le vote est reporté à demain.

Des voix : Oh, oh!

Son Honneur le Président : Ce sont les whips qui décident du moment du vote. Je suis prêt à être poli, mais les règles sont les règles. Ce sont les deux personnes qui sont chargées de prendre une décision à cet égard. À moins que quelqu'un ne soit pas d'accord avec leur décision, j'ai le consentement pour le report du vote, et celui-ci aura lieu demain, à 17 h 30.

[Français]

Projet de loi instituant la Journée nationale des produits du phoque et de la mer

Deuxième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Céline Hervieux-Payette propose que le projet de loi S-224, Loi instituant la Journée nationale des produits du phoque et de la mer, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, je propose l'ajournement du débat à mon nom pour le temps de parole qu'il me reste.

(Sur la motion de la sénatrice Hervieux-Payette, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Les travaux du Sénat

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Votre Honneur, puisqu'il est assez tard, il a été proposé que tous les articles qui n'ont pas été abordés restent au Feuilleton et Feuilleton des préavis, et je constate qu'il y a consentement de l'autre côté.

Son Honneur le Président : Êtes-vous d'accord, honorables sénateurs, pour que tous les articles qui n'ont pas été abordés restent au Feuilleton?

Des voix : D'accord.

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne à 14 heures demain.)

© Sénat du Canada

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