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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 146

Le mardi 2 juin 2015
L'honorable Leo Housakos, Président

LE SÉNAT

Le mardi 2 juin 2015

La séance est ouverte à 14 heures, l'honorable Ghislain Maltais, Président suppléant, étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Commission de vérité et réconciliation

L'honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, cette semaine, la Commission de vérité et réconciliation tiendra sa dernière activité publique, ici, à Ottawa. Depuis 2010, la Commission de vérité et réconciliation a entendu les témoignages d'environ 7 000 anciennes victimes de partout au pays sur les expériences horribles qu'elles ont vécues dans les pensionnats indiens.

On a enlevé quelque 150 000 enfants autochtones à leurs parents pour les placer dans des pensionnats parce qu'on voulait « tuer l'Indien dans l'enfant ». Un grand nombre d'entre eux y ont subi des sévices physiques, émotionnels et sexuels. Des enfants ont été maltraités, battus, soumis à des expériences scientifiques contraires à l'éthique et même torturés avec des chaises électriques improvisées. On estime qu'environ 6 000 enfants sont morts et que plusieurs d'entre eux ont été inhumés dans des tombes anonymes.

Des années 1880 jusqu'en 1996, année de la fermeture du dernier pensionnat en Saskatchewan, on a enseigné aux enfants autochtones qu'ils étaient inférieurs et on les punissait lorsqu'ils parlaient dans leur langue maternelle. La juge en chef de la Cour suprême du Canada, Beverley McLachlin, a parlé de « génocide culturel ». Ce matin, le juge Sinclair a dit que ce n'était rien de moins qu'un « génocide culturel ».

Honorables sénateurs, ma mère, Eva McNab Quan, de la nation Gordon, a vécu dans un pensionnat. Elle n'en a jamais parlé. Grâce à tout le travail de la Commission de vérité et réconciliation, nous comprenons maintenant pourquoi notre mère avait si honte d'être Indienne, pourquoi elle faisait semblant d'être Écossaise et pourquoi elle nous disait de dire que nous étions Chinois. On lui avait appris au pensionnat à avoir profondément honte d'être Indienne. Cette honte nous a été transmise et a été renforcée par les agissements et l'attitude des gens autour de nous. Je tiens à exprimer ma profonde gratitude à deux aînées maintenant décédées, Laura Wasacase et Emma Sand, qui m'ont appris à être fière de mes origines cries.

Honorables sénateurs, les effets des politiques gouvernementales antérieures visant à tuer l'Indien dans l'enfant se font ressentir encore aujourd'hui. Les séquelles intergénérationnelles des pensionnats se manifestent par les taux élevés de violence familiale et de toxicomanie, le nombre considérable d'enfants autochtones placés dans des familles d'accueil, la surreprésentation des Autochtones dans les prisons et les centaines de femmes autochtones disparues ou assassinées. Voilà autant de problèmes qui sont attribuables aux torts causés par les pensionnats.

Ce matin, la Commission de vérité et réconciliation a rendu public le sommaire de son rapport final. Ce document pourrait faire la lumière sur un passé sombre et profondément troublant, mais il nous indiquera la voie à suivre grâce à 94 recommandations, notamment celles de mettre en œuvre intégralement la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de lancer une commission nationale d'enquête sur les assassinats et les disparitions de femmes et de jeunes filles autochtones tuées. Remercions-en le ciel.

Je voudrais exprimer mes remerciements les plus sincères au président de la Commission de vérité et réconciliation, le juge Murray Sinclair, ainsi qu'aux deux commissaires, le chef Wilton Littlechild et Mme Marie Wilson, pour le dévouement et le leadership dont ils ont fait preuve dans le cadre de leur travail sans précédent sur les pensionnats indiens. Ils ont fait, ce matin, des discours inspirants, qui ont suscité beaucoup d'émotions. J'ai ressenti une profonde tristesse, mais aussi un grand soulagement. Personne ne pourra nier les séquelles durables des pensionnats indiens sur les Autochtones. On ne peut plus nier la vérité ou en faire fi. Merci.

Des voix : Bravo!

L'honorable Peter MacKay, C.P.

L'honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, aujourd'hui, je rends hommage à un homme que je suis fière de compter parmi mes amis et mes collègues parlementaires : le ministre de la Justice, Peter MacKay, député de Nova-Centre. Peter et moi nous sommes rencontrés en 2002, à un congrès du Parti de la Saskatchewan, tenu à Regina. Peu après, en 2003, il m'a demandé d'assumer la fonction de coprésidente en Saskatchewan pour sa course à la tête du Parti progressiste-conservateur du Canada. Nous sommes vite devenus des amis.

Peter MacKay a été élu député pour la première fois en 1997 et a été réélu cinq autres fois par la suite. La circonscription de Nova-Centre adore le clan MacKay. Son père, Elmer MacKay, a été député pendant sept mandats avant les 10 longues années que Peter a passées à la Chambre à représenter cette circonscription.

Peter a rapidement gravi les échelons et il a été élu chef du Parti conservateur en 2003. Cette année-là, Peter MacKay a réussi le remarquable exploit, de concert avec le premier ministre actuel Stephen Harper, de fusionner le Parti conservateur et l'Alliance canadienne. Ce pari audacieux a finalement permis d'unir la droite canadienne et de porter le Parti conservateur du Canada au pouvoir en janvier 2006, soit à peine deux ans après la fusion.

Au cours des neuf dernières années et demie, Peter a été titulaire des portefeuilles fédéraux les plus importants, notamment les Affaires étrangères, la Défense et, depuis deux ans, la Justice. Dans ces fonctions, il a servi le Canada avec distinction. J'ai eu l'honneur de côtoyer le ministre MacKay lorsque j'ai travaillé avec lui sur les mesures législatives de justice pénale qu'il a présentées. Je suis particulièrement fière

d'avoir parrainé le projet de loi du gouvernement sur la prostitution, qui a complètement changé la façon dont on considère, au Canada, l'exploitation inhérente des victimes dans le dossier de la prostitution.

Peter est un homme politique loyal, travaillant, attentionné et efficace. Il excelle en campagne électorale. Je garde un excellent souvenir d'une belle journée que j'ai passée avec mon mari, Dave, au cours de l'éreintante campagne de l'hiver 2006. Avec l'esprit d'équipe qui le caractérise, Peter est venu aider Dave à se faire réélire dans la circonscription de Palliser.

(1410)

Lors de la Journée du hockey au Canada, nous avons organisé un match à l'extérieur. En ce jour de janvier, la température était anormalement chaude, et Peter et Dave avaient le sourire fendu aux lèvres comme des petits enfants, tandis qu'ils patinaient sur la patinoire de Moose Jaw.

Peter est aussi un ami gentil et généreux. Même lorsque son horaire est très chargé, il trouve toujours le temps d'appeler ou d'envoyer un message.

La semaine dernière, au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, le ministre MacKay a montré le respect qu'il éprouve pour le Sénat du Canada quand il a tenu les propos suivants :

Je tiens simplement à exprimer au comité notre reconnaissance à votre égard pour le bon travail que vous faites, surtout quand vous devez vous pencher sur des questions de droit qui peuvent être très complexes.

Les membres du comité de la Chambre des communes seront fâchés de m'entendre faire ces remarques, mais je pense que vos délibérations montrent que vous avez beaucoup d'expérience, ce qui est très utile pour les Canadiens. Je tiens donc à vous remercier.

J'ai été particulièrement heureuse qu'il complimente le Sénat à ce moment-ci.

Honorables sénateurs, Peter MacKay a énormément contribué au Canada à titre de député, de chef de parti politique et de ministre fédéral. Veuillez vous joindre à moi pour le remercier de ses 18 années de dévouement à notre pays, alors qu'il s'apprête à quitter la Colline pour passer plus de temps avec sa jeune famille, qui est sur le point de s'agrandir : son épouse, Nazanin, son fils de deux ans, Kian, — qui deviendra sûrement, un jour, voltigeur de centre pour les Yankees de New York — et sa fille, qui devrait voir le jour cet automne.

Nous souhaitons à Peter beaucoup de succès dans toutes ses futures entreprises.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le décès de Jacques Parizeau, G.O.Q.

L'honorable Diane Bellemare : Honorables sénateurs, je voudrais souligner aujourd'hui le décès et la contribution de M. Jacques Parizeau, ancien premier ministre du Québec, qui a été un homme d'État important pour le Québec.

M. Jacques Parizeau était un grand économiste, un aristocrate à sa façon, un homme d'État et un Québécois que les Torontois aimaient écouter — car il parlait un anglais impeccable —, même s'ils n'aimaient pas toujours ce qu'il disait.

Il a été le premier Québécois diplômé de la London School of Economics and Political Science. Alors, faisons abstraction de ses idées politiques sur les relations entre le Québec et le Canada et concentrons-nous sur la contribution qu'il a apportée au développement économique du Québec. Jacques Parizeau faisait partie de cette équipe de Québécois, tous partis confondus, qui a fait faire au Québec un grand bon économique et social dans son histoire.

Professeur aux HEC, il a également été cadre supérieur au sein de l'équipe de Jean Lesage, dans les années 1960, quand a activement participé à l'élaboration de la stratégie économique et sociale du gouvernement dans le contexte de la Révolution tranquille. Il a d'ailleurs été l'un des artisans de la grande démocratisation du système de l'éducation québécois qui a rendu accessible l'éducation supérieure aux familles ouvrières, dont je suis issue.

Cependant, on se souvient surtout de lui pour le rôle qu'il a joué dans la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec, dont le siège social portera dorénavant son nom.

On le connaît aussi comme ministre des Finances du Québec qui, dans le cadre de toutes ses décisions budgétaires, voulait créer un entrepreneuriat québécois. Il s'est occupé de nombreux ministères à saveur économique de 1976 à 1984, et la liste de ses réalisations est trop longue pour qu'on puisse les énumérer ici.

Chers collègues, en terminant, je vous rappelle aussi que le premier ministre Brian Mulroney aurait aimé le nommer sénateur en 1987 afin qu'il le soutienne dans sa volonté de voir le Québec signer la Constitution canadienne de 1982 « dans l'honneur et la dignité ». Cependant, il aurait décliné cette invitation avec un sourire, selon les rumeurs journalistiques.

Je tiens à présenter toutes mes condoléances à sa famille et à ses amis. Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président suppléant : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de représentants de l'Organisation de l'aviation civile internationale : son président, Son Excellence Olumuyiwa Benard Aliu, son secrétaire général, Son Excellence Raymond Benjamin, et sa directrice de l'Administration et des Services et secrétaire générale désignée, Mme Fang Liu.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président suppléant : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'une délégation parlementaire dirigée par le sénateur et Président du Sénat de l'Australie, l'honorable Stephen Parry.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président suppléant : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de l'ambassadrice de la République fédérale démocratique d'Éthiopie au Canada, Son Excellence Birtukan Ayano Dadi, qui est accompagnée du ministre-conseiller au Commerce et à l'Investissement, M. Michael Tobias Babisso. Ils sont les invités de l'honorable sénateur Meredith.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L'Éthiopie

L'honorable Don Meredith : Honorables sénateurs, j'aimerais souligner aujourd'hui le 50e anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques entre la République fédérale démocratique d'Éthiopie et le Canada ainsi que le 24e anniversaire de la victoire du 20 ginbot, qui avait lieu la semaine dernière. Je félicite Son Excellence Birtukan Ayano Dadi et son équipe pour la manière exceptionnelle et soutenue dont elles favorisent l'établissement de relations positives et axées sur la collaboration entre nos deux pays.

Plus tôt cette année, du 21 au 25 février pour être exact, j'ai eu l'immense privilège de me rendre en Éthiopie à la tête d'une délégation commerciale canadienne. Il s'agissait de la première mission canadienne en sol éthiopien ayant pour but les échanges commerciaux et les investissements. Nous avons alors pu constater l'extraordinaire collaboration qui unit l'ambassade éthiopienne à Ottawa et l'ambassade canadienne à Addis-Abeba.

Notre mission visait à mobiliser les entrepreneurs canadiens qui s'étaient déjà montrés intéressés à se rendre en Éthiopie et à analyser plus avant les occasions d'investissements et d'échanges commerciaux à partir des renseignements recueillis lors du Sommet des affaires Canada-Afrique, qui a eu lieu l'année dernière à Toronto. Notre délégation a aussi pris part aux activités organisées à l'occasion du 50e anniversaire de l'établissement de relations diplomatiques entre le Canada et l'Éthiopie.

Honorables sénateurs, l'Éthiopie est un pays en plein essor dont la population dépasse les 94 millions d'habitants. Les possibilités infinies qui nous ont été présentées et qu'on a pu imaginer à toutes les étapes de notre mission m'ont inspiré. Au cours de mon voyage, j'ai pu apprécier moi-même avec intérêt les perspectives d'affaires dans les secteurs de l'agriculture, de l'agroalimentaire, de l'énergie, des finances, des mines, du logement ainsi des technologies de l'information et de la communication. Quelques entreprises canadiennes ont manifesté leur intérêt et aimeraient investir et faire des affaires en Éthiopie, ce qui créerait des emplois dont ont bien besoin les Canadiens et la jeunesse éthiopienne.

Honorables sénateurs, il y a 30 ans, l'Éthiopie était aux prises avec une grave sécheresse. Aujourd'hui, c'est la cinquième économie d'Afrique et elle connaît une croissance rapide. Le Canada est résolu à favoriser le développement de l'Éthiopie et prévoit concentrer son aide sur la croissance économique et les investissements dans les secteurs du commerce international, de l'énergie et des mines. C'est pourquoi, en 2014, le gouvernement a désigné l'Éthiopie comme bénéficiaire clé de l'aide internationale au développement fournie par le Canada, qui est au troisième rang des pays donateurs les plus importants en Éthiopie. Cependant, il ne s'agit pas d'une relation à sens unique. Selon Exportation et développement Canada, l'Éthiopie importe du Canada des produits d'une valeur totale de 137 millions de dollars. Les principales importations sont les biens d'équipement, les aliments, les boissons, le tabac et le carburant.

Compte tenu de ce que j'ai appris et vécu au cours de mon voyage, je demeure optimiste concernant le potentiel des relations commerciales entre le Canada et l'Éthiopie, relations que nous voudrions mutuellement avantageuses.

Honorables sénateurs, je suis heureux que Son Excellence Birtukan Ayano Dadi soit ici avec nous aujourd'hui. Nous espérons encore 50 autres années de collaboration et d'échanges mutuellement avantageux dont naîtront diverses perspectives nouvelles et qui favoriseront le développement économique des deux pays.


AFFAIRES COURANTES

L'Entente définitive sur l'autonomie gouvernementale de la Première Nation de Délįnę
L'Entente sur le traitement fiscal de la Première Nation de Délįnę

Dépôt de documents

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, l'Entente définitive sur l'autonomie gouvernementale de la Première Nation de DélįnE et l'Entente sur le traitement fiscal de la Première Nation de DélįnE.

Règlement, procédure et droits du Parlement

Dépôt du septième rapport du comité

L'honorable Vernon White : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le septième rapport (intérimaire) du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, intitulé Une question de privilège : Document de travail sur le privilège parlementaire au Canada au XXIe siècle.

(Sur la motion du sénateur White, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi de 2014 instituant des réformes

Projet de loi modificatif—Dépôt du huitième rapport du Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

L'honorable Vernon White, président du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement, dépose le rapport suivant :

Le mardi 2 juin 2015

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement a l'honneur de déposer son

HUITIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada (réformes visant les candidatures et les groupes parlementaires), a, conformément à l'ordre de renvoi du jeudi 14 mai 2015, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

Le président,
VERNON WHITE

Son Honneur le Président suppléant : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur White, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

(1420)

[Français]

Projet de loi visant la délivrance simple et sécuritaire des permis d'armes à feu

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur le Président suppléant annonce qu'il a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi sur les armes à feu et le Code criminel et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, accompagné d'un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur le Président suppléant : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

[Traduction]

Affaires sociales, sciences et technologie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à siéger pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Qu'en conformité avec l'article 12-18(2)b)(i) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à se réunir du mardi 4 août 2015 au vendredi 28 août 2015 inclusivement, même si le Sénat est ajourné à ce moment pour une période de plus d'une semaine.

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer le rapport sur l'incidence croissante de l'obésité auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur l'incidence croissante de l'obésité au Canada durant la période allant du 7 août au 4 septembre 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Peuples autochtones

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer le rapport sur l'étude des problèmes et des solutions possibles liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières nations auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur les problèmes liés à l'infrastructure dans les réserves des Premières nations durant la période allant du 22 juin au 15 juillet 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Le rôle et la mission du vérificateur général

Préavis d'interpellation

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, conformément aux articles 5-1 et 5-6.(2) du Règlement, je donne préavis que, dans deux jours :

J'attirerai l'attention du Sénat sur :

a) le vérificateur général du Canada, titulaire d'une charge créée par une loi dont les pouvoirs se limitent à ceux précisés dans la Loi sur le vérificateur général; et sur ses pouvoirs, en vertu de cette loi, à titre de « vérificateur des comptes du Canada », qui n'incluent pas la vérification du Sénat et des sénateurs; et sur une grande réalisation de la Chambre des communes britannique, à savoir la création de la vérification des crédits, à laquelle tous les ministères sont soumis; et sur cette vérification des crédits, qui a inspiré la loi canadienne de 1878 menant à la création de la charge de vérificateur général du Canada en tant qu'agent entièrement indépendant du ministère des Finances et, plus particulièrement, du gouvernement;

b) sur le rôle du vérificateur général dans la vérification des crédits, qui consiste à vérifier les dépenses du gouvernement et à certifier qu'elles sont conformes à ce que la Chambre des communes a établi et adopté dans sa loi de crédits; et sur l'objectif et le rôle de la vérification des crédits, à savoir l'examen des comptes de crédit des ministères, dont ne fait pas partie le Sénat, qui n'est donc pas soumis à l'examen du vérificateur général;

c) sur l'honorable chef libéral britannique, William Gladstone, réputé pour ses connaissances constitutionnelles, sur sa défense des pouvoirs de la Chambre des communes dans les finances publiques et le contrôle des fonds publics, et qui, à titre de Chancelier de l'Échiquier, a parrainé en 1866 l'Exchequer and Audit Departments Act, qui a servi de base à la loi canadienne de 1878, Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics, qui a créé la nouvelle charge indépendante de vérificateur général du Canada; et sur le fameux et puissant Comité des comptes publics de la Chambre des communes britannique et son 1865 Report from the Committee of Public Accounts, qui précise le rôle de la vérification des comptes publics des ministères;

d) sur ce rapport, qui consigne le point de vue et l'opinion du vérificateur sur son rôle et sa charge qui ne consiste jamais à conseiller, à contrôler ni à réprimander, ni à corriger ou à prévenir, mais bien à détecter; et sur le fait que cette grande réalisation qu'est la vérification des crédits est grandement méconnue des Canadiens, car, récemment, les vérificateurs généraux, selon leur propre définition, ont élargi leur rôle en l'éloignant des fonctions quantitatives et arithmétiques de la vérification pour se concentrer sur des sphères politiques et qualitatives à un tel point que bon nombre de Canadiens croient maintenant, à tort, que le vérificateur général est le représentant des contribuables et le gardien de leur argent, rôle qui revient en fait à la Chambre des communes et non au vérificateur général, qui n'a absolument aucun pouvoir de représentation, puisque ceux-ci appartiennent aux élus, choisis par la population pour la représenter sur le principe qu'il n'y a pas d'impôt sans représentation.

La vérification intégrée du vérificateur général

Préavis d'interpellation

L'honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, conformément aux articles 5-1 et 5-6.(2) du Règlement, je donne préavis que, après-demain :

J'attirerai l'attention du Sénat sur :

a) l'étude du vérificateur général du Canada effectuée en 1988 par le Comité sénatorial des finances nationales; le témoignage du 3 février du vérificateur général en exercice, Kenneth Dye, dans lequel il décrit le Parlement comme étant son « client », mais ajoute que son bureau se considère comme un « serviteur du Parlement »; son explication de vérification intégrée, le terme employé dans la motion gouvernementale du Sénat du 6 juin 2013 invitant le vérificateur général à procéder à une vérification des dépenses des sénateurs; le terme employé par le vérificateur général, soit « audit de performance », pour décrire cette même vérification des sénateurs;

b) les travaux d'érudition sur le rôle du vérificateur général et son intrusion dans les sphères de la politique et de l'élaboration des politiques; le témoignage de la professeure de l'Université Carleton Sharon Sutherland devant notre comité des finances nationales le 28 janvier 1988; l'abandon par les vérificateurs généraux de leur rôle traditionnel de vérification comptable quantitative; leur entrée dans les sphères des politiques et des conseils, conséquence inexorable de l'adoption en 1977 de la Loi sur le vérificateur général, aboutissement politique de la campagne médiatique fructueuse menée par le vérificateur général en exercice, James Macdonell;

c) le fait politique que cette loi a conféré au vérificateur général le nouveau pouvoir inédit de se prononcer sur l'« optimisation » des dépenses gouvernementales; ces interprétations qui, ne se prêtant pas aux mesures arithmétiques ni à la quantification, seront inévitablement imparfaites, puisque la nature humaine fait en sorte que de telles interprétations tendront à être d'ordre social, politique et qualitatif, et, étant tellement subjectives et sélectives, ne peuvent constituer des mesures fiables pour dégager de saines conclusions sur les dépenses gouvernementales;

d) le fait que de telles opinions de vérificateurs, politisées comme elles le sont, étant forcément devenues des opinions sur la politique publique, mineront la réalité constitutionnelle selon laquelle la politique publique est l'apanage des acteurs politiques, des gouvernements et des Parlements; l'alinéa 7(2)d) de la Loi sur le vérificateur général relative à l'« optimisation des ressources », ainsi libellé :

7.(2) Dans le rapport mentionné au paragraphe (1), le vérificateur général signale tout sujet qui, à son avis, est important et doit être porté à l'attention de la Chambre des communes, notamment les cas où il a constaté que : [...] d) des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience;

et

e) le fait que la Loi sur le vérificateur général de 1977 de M. Macdonell a transformé en profondeur la vérification des finances publiques; le virage de ce nouveau rôle de vérification vers la réglementation du gouvernement, et maintenant même des Chambres du Parlement, au détriment de la vérification des crédits, de telle sorte que, dans l'esprit du public, les vérificateurs généraux sont devenus un frein sur les acteurs politiques, les députés et les sénateurs; ce nouveau rôle de contrôle social et politique du vérificateur général et les résultats malheureux qui en découlent; la Fondation canadienne pour la vérification intégrée, fondée, financée et dirigée par le bureau du vérificateur général Macdonell; son célèbre article, La vérification intégrée — Un aperçu général, qui dit en page 7 :

Même si la fonction première du vérificateur est d'assurer la crédibilité de l'information financière, des faits récents indiquent que l'on commence à percevoir le vérificateur dans une optique plus vaste comme un protecteur de l'ordre public [...]

(1430)

Une voix : Bravo!


[Français]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Le commerce international

Les accords de libre-échange

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, ma question s'adresse au leader du gouvernement, et je l'invite à faire preuve de patience.

Monsieur le leader, j'espère que vous avez pris le temps de lire l'étude sur la performance économique du Canada que j'ai rendue publique mercredi dernier ou, à tout le moins, ce que la presse en a rapporté. Si c'est le cas, vous y aurez appris que les 80 000 emplois qui doivent être créés par l'accord de libre-échange Canada-Europe ne figurent pas dans l'étude préliminaire, contrairement à ce que laisse entendre la communication officielle du gouvernement; il s'agit de l'étude préliminaire concernant les négociations avec l'Europe. Ce chiffre de 80 000 emplois a été lancé, d'après mes renseignements et ceux des journalistes, par le ministre Fast lors de son témoignage devant le Comité permanent du commerce international de la Chambre des communes, le 6 octobre 2011.

Pourriez-vous me dire — ou demander au ministre Fast — par quel calcul votre gouvernement est arrivé à ce fameux chiffre de 80 000 emplois? Où est-il allé chercher ce chiffre? Personne ne s'opposerait à ce qu'il y ait 80 000 emplois, mais on veut en avoir le cœur net et savoir d'où provient ce chiffre.

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Avez-vous terminé?

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui.

Le sénateur Carignan : Vous vous assoyez, j'imagine?

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui, excusez-moi.

Le sénateur Carignan : Vous m'avez demandé d'être patient, alors... Je suis très patient, surtout ces temps-ci.

Sénatrice, je ne remets pas en cause le travail de vos employés — vous avez du bon personnel, et j'en connais un en particulier qui est extrêmement gentil —, sauf que, lorsqu'il s'agit des retombées économiques de l'accord de libre-échange, je préfère me fier à l'étude conjointe Canada-Union européenne, selon laquelle l'accord permettra d'augmenter le produit intérieur brut du Canada de 12 milliards de dollars par année et d'accroître les activités commerciales de 20 p. 100. Nous allons continuer de nous en remettre à des études crédibles qui ont été faites par des économistes canadiens et européens, tout en ayant beaucoup de respect pour les gens de votre personnel.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous remercie. Je suis, moi aussi, extrêmement heureuse des employés qui m'entourent. D'ailleurs, j'en ai un qui est économiste et qui a travaillé à l'Organisation mondiale du commerce. Il a donc acquis une expérience internationale.

Comme vous avez pu le lire dans l'étude, l'étude préalable à la conclusion de l'accord de libre-échange Canada-Europe repose sur des statistiques de 2004 et de 2006, qui datent d'avant la crise financière, la crise de l'euro, et la récession. Ainsi, pour la période de 2007 à 2013, cette étude préalable a estimé le taux moyen de croissance du PIB du Canada à 2,68 p. 100, alors qu'il n'a été que de 1,44 p. 100. Le taux de croissance du PIB de l'Europe avait été estimé à 2,55 p. 100, alors qu'il n'a été que de 0,37 p. 100, et celui du reste du monde à 4,45 p. 100, alors qu'il n'a été, en réalité, que de 2,79 p. 100.

Monsieur le leader, si les 80 000 emplois ont été calculés sur la base de cette étude préalable, comme le laisse supposer la communication officielle du gouvernement, comment se fait-il que votre gouvernement n'ait jamais révisé ce chiffre, compte tenu de l'obsolescence de ces données statistiques? On parle de données qui datent de 2004 à 2006. Je pense qu'on pourrait les réviser. Expliquez-moi d'où viendraient ces chiffres, car, à l'heure actuelle, on nous dit, selon les documents officiels du gouvernement, qu'ils étaient basés sur des études Canada-Europe menées de 2004 à 2006.

Le sénateur Carignan : Sénatrice, comme je l'ai déjà dit, les retombées de l'accord de libre-échange Canada-Europe sont énormes pour les Canadiens. On estime que cet accord ajoutera 12 milliards de dollars à notre économie, l'équivalent de 80 000 nouveaux emplois pour les Canadiens ou 1 000 $ de revenu annuel supplémentaire pour chaque famille canadienne. C'est un accord commercial conclu avec l'Union européenne qui apportera d'importantes retombées à long terme dans tous les secteurs de notre économie, et dans toutes les régions de notre pays.

Le Canada sera désormais l'un des pays développés qui jouira d'un accès préférentiel à plus de 800 millions de consommateurs dans les deux plus grandes économies du monde, c'est-à-dire l'Union européenne et les États-Unis. Nous allons donc continuer de travailler à l'aide d'études crédibles effectuées par des économistes canadiens et européens.

La sénatrice Hervieux-Payette : Vous êtes bon en mathématiques; 500 millions en Europe et 300 millions aux États-Unis font bien 800 millions, sauf que l'accord avec les États-Unis date tout de même de quelques années. L'étude préalable à l'accord de libre-échange Canada-Europe émet l'hypothèse que les négociations de Doha, sous l'égide de l'Organisation mondiale du commerce, auraient été conclues en 2014 — on pensait à cela entre 2004 et 2006 —, et que cela influencerait positivement les performances économiques liées à l'accord. Toutefois, l'étude stipule elle-même que, si les négociations de Doha n'étaient pas complétées au moment de la signature de l'accord, cela aurait un impact — possiblement négatif — sur les résultats estimés.

Or, monsieur le leader, les négociations de Doha n'ont toujours pas pris fin. Pourquoi votre gouvernement a-t-il volontairement ignoré cette donnée dans son calcul des 80 000 emplois qui ont été annoncés, mais aucunement confirmés par une étude à jour?

Le sénateur Carignan : Comme je l'ai dit, sénatrice, j'ai beaucoup de respect pour votre personnel.

(1440)

Cependant, en ce qui a trait au calcul des retombées économiques ou en matière d'emploi liées à l'accord de libre-échange Canada-Europe, je préfère m'en remettre aux économistes canadiens et européens de renom.

La sénatrice Hervieux-Payette : La différence entre les hypothèses énoncées en 2004 et la réalité de 2015 pose problème. Le 29 mai dernier, soit deux jours après avoir rendu publique mon étude démontrant que le Canada connaissait la pire reprise de ses exportations de son histoire moderne, Reuters, l'agence européenne par excellence, révélait que l'économie canadienne subissait la pire contraction depuis près de six ans en raison d'une chute de ses investissements et de ses exportations. Je vous assure, monsieur le leader, que je n'avais pas prévu recevoir le soutien de Reuters dans le cadre de ma campagne visant la transparence.

Monsieur le leader, votre gouvernement se rend-il compte que sa politique de signature d'accords de libre-échange à tout va ne fonctionne pas?

Le sénateur Carignan : Sénatrice, comme nous l'avons souvent précisé lors de nos échanges, le Canada est l'un des principaux pays du G7 qui détiennent une croissance économique importante, puisqu'il a créé plus de 1,2 million d'emplois depuis le creux de la récession. Lorsqu'on se retrouve parmi les pays en tête en ce qui a trait à la croissance économique, on peut affirmer que la stratégie canadienne de commerce et de développement économique fonctionne et fait l'envie de nombreux pays dans le monde.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je reviens à mon étude, qui démontre que les accords de libre-échange ne favorisent en rien l'économie canadienne. Actuellement, le Canada est en déficit dans le cadre de deux accords de libre-échange sur trois; il n'y a pas là de quoi se vanter.

Depuis 2006, votre gouvernement a signé un accord de libre-échange avec l'Islande; nous sommes en déficit. Votre gouvernement a signé un accord de libre-échange avec la Norvège; nous sommes en déficit. Votre gouvernement a signé un accord de libre-échange avec la Suisse; nous sommes en déficit. Votre gouvernement a signé un accord de libre-échange avec le Pérou; nous sommes en déficit. J'ajoute que votre gouvernement a signé un accord de libre-échange avec la Corée du Sud, et que nous sommes en déficit. Il n'y a qu'avec le Panama que nous atteignons tout juste l'équilibre, et avec la Colombie et la Jordanie que nous dégageons un excédent.

En outre, nous connaissons aussi un déficit avec le Mexique, Israël, le Chili et le Costa Rica, dont les accords ont été conclus avant votre gouvernement, et notre petit excédent avec les États-Unis ne tient qu'aux ressources naturelles.

Monsieur le leader du gouvernement au Sénat, où se situe l'efficacité économique de votre politique d'accords de libre-échange à tout crin, qui ne permet pas de créer des emplois au Canada? Au contraire, nous transférons les emplois par la suite dans les pays avec lesquels nous faisons des affaires.

Le sénateur Carignan : Sénatrice, depuis 2006, le Canada a signé des accords de libre-échange avec 38 pays, y compris deux accords de libre-échange historiques, dont l'un avec l'Union européenne et l'autre avec la Corée. Au cours de leurs 13 longues années de gouvernement, les libéraux ont signé seulement trois accords commerciaux, privant ainsi le Canada d'une voix à la table des négociations commerciales et faisant courir aux entreprises et aux travailleurs canadiens le risque important, par la suite, d'être à la remorque de leurs concurrents dans le contexte des marchés mondiaux.

Il n'est pas question, sénatrice, que l'on répète cette erreur, et nous allons continuer, dans le cadre de nos plans d'action économiques, de cibler la croissance et la création d'emplois. Nous allons poursuivre notre engagement à l'égard de la réduction des impôts et de l'équilibre budgétaire en 2015, et nous allons continuer de nous concentrer sur la création d'emplois et la négociation et la signature d'accords de libre-échange, lorsqu'ils sont à l'avantage du Canada. C'est une partie importante de notre stratégie, et nous allons continuer sur notre lancée.

La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur le leader du gouvernement au Sénat, mon étude a exigé près d'une année de travail au sein de mon bureau, sous ma direction. J'ai entrepris cette initiative et compris, en cours de route, qu'elle demandait énormément de recherches; nous y avons donc travaillé en profondeur. J'espère que vous prendrez le temps de lire cette étude, puisque nous proposons tout de même des solutions à la fin.

Ce qu'on remarque dans les accords de libre-échange — et je n'exclus pas les accords de libre-échange conclus par les libéraux —, c'est qu'ils ne font que reproduire et amplifier la situation commerciale qui existait avant l'accord. Autrement dit, un déficit commercial avant la conclusion d'un accord de libre-échange demeurera un déficit commercial après la conclusion de l'accord, et il en est de même pour un excédent.

Toutefois, lorsqu'on observe la situation actuelle des grandes économies en Europe, qu'il s'agisse de la France, de l'Allemagne ou de l'Italie, c'est la même chose; nous sommes en déficit, en général, par rapport à ces grands pays.

Vous me dites que, parce que nous aurons accès à 500 millions de consommateurs demain matin, nous serons des concurrents; je pense qu'il faudrait que votre gouvernement commence à réfléchir sur les moyens de créer un surplus et sur les actions à poser. Je n'ai pas noté d'actions concertées avec le secteur privé et avec les provinces.

Votre gouvernement va-t-il enfin commencer à établir un partenariat avec les autres acteurs économiques afin de réaliser des surplus, au lieu d'augmenter les déficits?

Le sénateur Carignan : Sénatrice, c'est ce que nous faisons, créer des partenariats, et c'est ce que vous critiquez. Alors là, je ne vous suis plus.

La sénatrice Hervieux-Payette : Je ne pense pas qu'il y ait une politique intégrée des exportations au Canada. Allez lire mon rapport, et vous verrez à quel point nous sommes loin les uns des autres et à quel point on a besoin de plusieurs mesures, à la fois au niveau provincial et au niveau fédéral, pour être en concurrence dans le contexte d'un ordre économique mondial.

Je vous rappelle que le gouverneur de la Banque du Canada a récemment parlé d'une performance économique « atroce » durant l'hiver dernier. Un stratège économique de la Banque TD Securities parle d'une « claire déception ».

En effet, le PIB s'est contracté de 0,6 p. 100 en pourcentage annualisé. Il s'agit d'une baisse inattendue, puisqu'on prévoyait une croissance de 0,3 p. 100; ce n'est pas beaucoup, mais un pourcentage positif plutôt que négatif serait tout de même préférable. De plus, les exportations de biens et de services ont reculé de 1,1 p. 100 en pourcentage annualisé; cela signifie encore une fois un déficit.

Monsieur le leader, la politique économique de votre gouvernement repose sur deux mantras typiques des politiques conservatrices : le libre-échange à tout va et le déficit zéro à tout prix.

Je viens de vous faire la démonstration que le premier est inefficace — tous les chiffres sont officiels et peuvent être observés dans n'importe quel organisme, comme l'OCDE —, alors dois-je aussi vous démontrer que l'obsession de l'équilibre budgétaire est contre-productive pour l'économie canadienne, et que cette contraction est liée au fait que nous avons mis tous nos œufs — et qu'il n'y a plus d'œufs — dans le même panier? Nous nous sommes donc battus pour éliminer des emplois dans la fonction publique fédérale, pour couper des programmes, pour éliminer des milliers de postes de fonctionnaires qui apportent leur aide et leur soutien aux entreprises privées, alors qu'un économiste sérieux, comme M. Stiglitz, qui est l'un des économistes es plus reconnus sur la scène mondiale, nous dit que l'équilibre budgétaire à tout prix est un risque pour l'emploi et un risque pour l'économie.

Allez-vous commencer à songer à investir dans l'économie canadienne, à renforcer vos investissements et à travailler avec le secteur privé, afin d'empêcher que nos jeunes soient aux prises avec un taux de chômage de 14 p. 100, et allez-vous arrêter de raconter aux gens que vous créez des centaines d'emplois? Les jeunes, même s'ils sont diplômés universitaires, ont de la difficulté à se trouver un emploi.

Quelles mesures entendez-vous prendre afin d'accroître nos investissements dans le domaine de la recherche et du développement, de faire avancer notre économie et, surtout, de nous débarrasser des déficits commerciaux?

(1450)

Le sénateur Carignan : Sénatrice, je peux vous citer le document intitulé Évaluation des coûts et avantages d'un partenariat économique plus étroit, qui est l'étude conjointe effectuée par l'Union européenne et le Canada. À la partie IV, au paragraphe 94, on donne le point de vue du secteur privé, et je cite :

Dans le cadre de cette étude, les consultations menées auprès du secteur privé ont suscité des points de vue communs entre les participants européens et canadiens. Le consensus général parmi les répondants est que la relation bilatérale économique n'a pas encore atteint son plein potentiel et qu'il existe d'importantes possibilités pour améliorer les échanges commerciaux et les flux d'investissement actuels entre l'Union européenne et le Canada. Les répondants canadiens ont clairement exprimé leur soutien à la conclusion d'un accord complet sur le commerce et l'investissement entre l'Union européenne et le Canada.

En particulier, l'accent fut mis sur la nécessité d'éliminer les droits de douane restants et, notamment, les crêtes tarifaires et les obstacles non tarifaires au commerce de biens et de services, et de continuer d'améliorer l'environnement propice à l'investissement ainsi qu'aux occasions d'investissement. Les répondants européens et canadiens appuient une collaboration plus étroite, notamment dans les domaines de la coopération en matière de réglementation de la mobilité de la main-d'œuvre et de la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. Ils ont aussi reconnu que les marchés publics des deux côtés présentaient des occasions d'affaires pour les exportateurs et les investisseurs. Les répondants européens ont indiqué que tout nouvel arrangement entre l'Union européenne et le Canada devrait inclure les achats des entités infranationales. Certains répondants sont favorables à toute coopération future entre l'Union européenne et le Canada sur l'application des DPI vis-à-vis des pays tiers.

Finalement, l'étude précise ce qui suit :

Les répondants européens ont indiqué que, quel qu'en soit le format, le renforcement de la collaboration entre l'Union européenne et le Canada devrait impliquer tous les paliers de gouvernement du Canada. Les répondants canadiens ont exprimé un intérêt commun vis-à-vis les États membres de l'Union européenne, soulignant leurs inquiétudes face à la complexité du marché européen, étant donné les politiques, la réglementation et les procédures administratives divergentes entre les États membres.

Il s'agit du point de vue du secteur privé, tiré de l'étude que vous avez commentée. Vous vous demandez à quel moment le gouvernement écoutera l'opinion du secteur privé — vous en avez un bel exemple, le secteur privé appuie complètement l'accord de libre-échange Canada-Europe. En fait, de toutes les personnes qui sont économistes ou qui se prétendent économistes, vous êtes la seule qui parle contre cette entente.

La sénatrice Hervieux-Payette : Monsieur le leader, je pense que vous exagérez un peu. Je ne remplace ni M. Poloz, ni les commentateurs, ni Reuters. Or, selon l'agence Reuters, les investissements du secteur privé ont diminué de 9,7 p. 100 sur une base annuelle.

Cela signifie que l'on n'a pas octroyé de nouveaux fonds dans le cadre des exploitations gazière et pétrolière, et que les entreprises ont dépensé beaucoup moins dans les secteurs de l'immobilier, de la machinerie et des équipements. Entre vous et moi, 9,7 p. 100, c'est un pourcentage extrêmement élevé.

Par contre, à l'heure actuelle, on constate une baisse de 11 p. 100 dans le domaine des services. Même si ces entreprises exploitent des mines, elles font affaire avec des entreprises du secteur tertiaire. Les services rattachés à ces industries ont diminué de 11 p. 100. Si c'est ce que vous appelez une économie en progression, qui générera des surplus budgétaires... Sans compter l'indécence de la réduction des investissements dans le domaine de l'innovation. Comment comptez-vous créer de la richesse au Canada? Comment allez-vous préparer l'avenir pour les jeunes et vous assurer que l'on continue de dégager des surplus budgétaires plutôt que de cumuler des déficits?

Le sénateur Carignan : Sénatrice, vous avez peut-être manqué le discours du ministre des Finances sur le budget. Ce dernier indiquait clairement que l'état des finances canadiennes fait en sorte que l'on peut prévoir des surplus. Nous prenons des mesures pour créer de la richesse, diminuer les impôts, donner plus d'argent aux Canadiens pour qu'ils puissent le dépenser selon leurs besoins, et réduire le niveau de la dette.

Il s'agit d'une formule qui fonctionne pour créer des emplois et de la richesse, équilibrer les budgets et baisser les impôts. Nous allons poursuivre nos efforts en ce sens. D'ailleurs, je vous invite à voter en faveur de notre Plan d'action économique de 2015, dont nous débattrons ici, dans cette Chambre. J'ai l'impression que vous allez voter contre ce projet de loi, et ce serait malheureux, car vous semblez avoir l'économie à cœur. Si c'est le cas, vous devriez appuyer notre plan d'action économique.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi antiterroriste de 2015

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Runciman, appuyée par l'honorable sénateur Boisvenu, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois.

L'honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, j'ai beaucoup de travail à faire sur ce projet de loi. Je vais donc énoncer immédiatement mes points.

[Traduction]

Le projet de loi C-51 est intitulé Loi antiterroriste. Je me pose de sérieuses questions quant à savoir s'il contribuera de façon significative à cet objectif, mais toujours est-il qu'il vise à s'attaquer au problème qui nous préoccupe. Il ne faut pas prendre la question à la légère. Aucune personne sensée ne prendrait la menace du terrorisme à la légère à ce moment-ci de l'histoire de notre pays.

À mon avis, le terrorisme se manifeste de quatre façons : deux dont nous parlons sans cesse et deux autres qui sont plus subtiles ou discrètes, qui sont moins évidentes et visibles dans notre cadre social.

Bien entendu, la première manifestation du terrorisme est le risque d'attentat en sol canadien. Nous en avons été témoins. Ce fut le cas de l'attentat qui a eu lieu au Québec et de l'attentat dans notre Parlement. Ce fut le cas du complot des 18 de Toronto et du complot visant à détruire un train de VIA Rail. Il s'agit de graves menaces d'attentats physiques qui pourraient tuer et blesser des gens et endommager, ou même détruire, des infrastructures.

La deuxième menace que pose le terrorisme est le risque de radicalisation de citoyens canadiens, qui peuvent se rendre à l'étranger afin de se battre pour des causes radicales. Nous avons amplement parlé de ces deux manifestations dans le cadre du présent débat, mais, comme je l'ai dit, il y en a deux autres qui, sans être aussi reconnues, sont tout aussi importantes à de nombreux égards.

Il ne faut pas perdre de vue le profil assez uniforme qui caractérise un grand nombre des individus qui se retrouvent dans ces deux catégories : ceux qui menacent de perpétrer des attentats ici ou qui les commettent, ou bien ceux qui se rendent à l'étranger. Nombre d'entre eux sont des jeunes issus de diverses collectivités de tout le pays, de Calgary à Montréal.

Hier, en préparant mon intervention, je me suis mis à imaginer ce que ce serait d'être le parent d'un jeune et d'apprendre un beau matin qu'il se trouve en Syrie ou qu'il a été arrêté à la frontière alors qu'il s'y rendait. Vous apprenez que ce jeune — ils sont souvent à peine âgés de 18 ans — que vous croyiez connaître, que vous avez élevé, aimé, protégé, soigné et entouré, se trouve en Syrie pour participer à une guerre qui n'a aucun lien avec son existence, ou qu'il a été arrêté alors qu'il tentait de s'y rendre. J'ai commencé à prendre conscience de l'impact qu'une telle chose peut avoir sur nos voisins et sur les collectivités partout au pays.

Imaginez un parent qui doit affronter une pareille horreur. C'est là une autre menace du terrorisme. Les jeunes gens peuvent être influencés par ce qu'ils voient sur Internet ou ce qu'ils apprennent d'autres sources au sujet d'individus ou d'endroits — des facteurs que nous ne comprenons pas encore — de sorte qu'ils prennent des décisions qui risquent de ruiner leur existence ou celle de leur entourage, ou encore de mettre fin à leurs jours. Il ne faut pas l'oublier. C'est ce qu'il importe de garder à l'esprit lorsque nous débattons de cette question; tâchons de nous souvenir que nous, les Canadiens, sommes tous dans le même bateau. Ce n'est pas une situation qui affecte seulement les habitants d'un pays lointain. Il n'y a pas de localité dans le monde qui est plus durement touchée par le problème qu'une autre, et qui mérite d'être isolée. Il y a des localités qui sont touchées de près et directement parce que certains de leurs habitants sont particulièrement impliqués et menacés par le problème. C'est ce que j'appelle la troisième menace.

(1500)

Il y a également la menace qui plane sur nos droits. Il serait paradoxal et malheureux que nos réactions à ces menaces soient si inappropriées que nous en venions à faire ce que les terroristes attendent de nous, soit éroder nos libertés démocratiques et civiles et, à certains égards — sans parler de réaction excessive —, que nous réagissions de manière à tomber à côté de la plaque, soumis aux pressions du moment, et ne prenions pas le temps de prendre du recul pour dire : « Attendez un instant. Que voulons-nous accomplir au juste et comment allons-nous y parvenir? »

Tout cela ne signifie pas pour autant que le projet de loi n'a aucune valeur. Il s'attaque à un certain nombre de questions qui méritent notre attention. En particulier, comme l'a indiqué le juge Major dans son examen de la tragédie d'Air India, une telle attaque aurait pu être évitée avec de meilleurs protocoles régissant le transfert d'information entre le SCRS et la GRC. À l'époque, la question de la nécessité de faire quelque chose pour améliorer le partage d'information entre organisations gouvernementales de sécurité faisait partie du débat et de l'analyse des préoccupations liées au terrorisme dans les milieux de la police et du renseignement.

Cela n'a pas été fait aussi bien que cela aurait pu l'être. Ces organismes ont réalisé des progrès, mais il est exact que nous devons nous attaquer au cloisonnement de ces organismes. Même si le projet de loi ne le fait pas adéquatement — à certains égards, je prétends qu'il le fait dangereusement —, le projet de loi traite de cette question.

À mon avis, il est possible de renforcer les dispositions portant sur la liste d'interdiction de vol. Nous pourrions notamment communiquer des renseignements et les accumuler plus rigoureusement. Par contre, je ne suis pas sûr que ces renseignements ont été accumulés plus soigneusement.

Enfin, nous pourrions renforcer la manière dont sont appliqués la détention préventive et les engagements de ne pas troubler l'ordre public, mais je suis cynique à cet égard, et je ne suis pas convaincu que ces mesures règlent complètement le problème qu'elles essaient de régler.

Néanmoins, le projet de loi comporte un certain intérêt; je ne dis pas le contraire. D'un autre côté, à mon avis, ce qui est important au sujet du projet de loi, ce n'est pas tant ce qu'il essaie d'accomplir; c'est qu'il ne le fait pas particulièrement bien. Dans certains cas, le projet de loi le fait de manière profondément dangereuse. Le projet de loi n'atteint pas un objectif essentiel. Chaque fois qu'un gouvernement commence à étendre les pouvoirs de l'État et, en particulier, les pouvoirs en matière d'application de la loi et de sécurité nationale, il faut redoubler de prudence en vue de protéger les libertés civiles et les droits démocratiques.

D'après moi, c'est là que le bât blesse en ce qui concerne le projet de loi. Il essaie d'atteindre l'objectif sans prendre les mesures de sauvegarde nécessaires. C'est particulièrement frustrant, parce que nous pourrions assurer la protection des libertés civiles et des droits en apportant des amendements qui ne seraient pas démesurés ou difficiles. Le temps est grandement venu d'apporter certains de ces amendements.

Vous pourriez avoir ce que vous voulez, soit des pouvoirs pour les forces policières, tout en protégeant les libertés civiles.

Lorsqu'il a témoigné devant le comité, le ministre Blaney a soulevé un point intéressant. Il a déclaré être arrivé à la conclusion qu'il n'y a pas de prospérité sans sécurité. C'est peut-être vrai; je n'en suis pas convaincu. Ces propos pourraient donner lieu à un débat intéressant du point de vue philosophique. Cela dit, je sais avec certitude qu'on ne peut pas garantir la sécurité si on ne protège pas les droits, un point c'est tout. Pourquoi protège-t-on les droits, si ce n'est pour souligner l'importance de la sécurité? La sécurité et les droits vont de pair et, selon moi, ces deux aspects sont indissociables.

Tout cela est très instructif et montre fort probablement que le gouvernement n'est pas parvenu à atteindre cet équilibre ou qu'il n'a même pas essayé, car il s'est concentré sur un seul aspect de la question. Le premier aspect dont il est question dans le préambule du projet de loi, à la page 2, est le suivant :

Attendu que la population du Canada est en droit de vivre à l'abri des menaces à la vie ou à la sécurité;

Cela nous amène à nous demander quelle devrait être la suite de cette entrée en matière. On devrait y ajouter ceci :

Attendu que la population du Canada est en droit de vivre à l'abri des menaces à la vie, à la sécurité et à ses droits;

Il aurait été si facile d'inclure cet aspect dans ce préambule; le fait qu'il n'y figure pas est donc très révélateur.

Comme je l'ai dit, je ne m'oppose pas à ce qu'on prenne des mesures pour lutter contre le terrorisme et je ne remets pas non plus en question la nécessité de lutter comme il se doit contre cette menace. Je dis tout simplement que ce projet de loi ne s'attaque pas très efficacement à ce problème et qu'il s'y attaque peut-être même de façon dangereuse.

Je tiens d'abord à situer les choses dans leur contexte. Il n'y a pas de stratégie globale. Wesley Wark, qui a participé à l'un de nos caucus ouverts cette semaine, a souligné que, au pays, un seul document énonçant une stratégie nationale en matière de sécurité a été rédigé, et c'était en 2004. Il a souligné que ce document n'était pas particulièrement brillant, mais qu'il représentait à tout le moins un bon point de départ. Nous n'avons toujours pas de stratégie.

Une stratégie antiterroriste doit satisfaire à un certain nombre de critères. Tout d'abord, nous devons en savoir davantage sur le processus de radicalisation. C'est l'objet du projet Kanishka. C'est une bonne initiative. Son financement est limité — il a d'ailleurs été réduit — et il ne se poursuivra pas encore bien des années.

Nous n'en savons pas assez sur le processus de radicalisation. Plusieurs témoins l'ont affirmé devant le comité.

Nous avons besoin de programmes préventifs et de programmes de réadaptation pour les personnes qui ont été radicalisées et celles qui ont atteint des stades pré-criminels par suite de l'évolution de leur radicalisation. La police doit faire du travail communautaire. Des policiers haut gradés nous ont dit et répété à diverses occasions que les meilleurs moments de leur vie professionnelle sont ceux où ils travaillent dans la communauté à établir des liens avec les gens, dans le but de régler les problèmes avant qu'ils ne se matérialisent.

Nous devons appuyer les communautés qui sont confrontées à ce problème. Elles comprennent souvent beaucoup de nouveaux immigrants qui n'ont pas les mêmes moyens d'action que les autres dans notre société. Elles ont besoin d'aide, de compréhension et de certaines ressources.

Nous avons besoin d'éduquer les gens. Comme l'a signalé la sénatrice Jaffer au cours d'une des réunions du comité, nous avons besoin d'efforts intenses et coordonnés, surtout pour contrer les messages transmis sur Internet.

L'un des problèmes qu'une stratégie de ce genre met en évidence, c'est que le gouvernement n'a pas affecté suffisamment de ressources à la lutte contre le terrorisme.

Certaines des questions abordées dans le projet de loi nous amènent à nous demander si nous avons vraiment besoin de nouvelles mesures législatives. Peut-être avons-nous toutes les lois nécessaires, mais pas suffisamment de ressources à la disposition de la police et des autres forces chargées de la sécurité nationale pour en assurer une application efficace.

L'exemple classique qui confirme cet argument est le fait que la GRC a affecté au terrorisme au moins 600 membres de son personnel qui s'occupaient d'autres grands dossiers criminels. Une analyse sommaire de ce facteur révélerait probablement que cela représente un coût annuel d'environ 120 ou 130 millions de dollars. Le premier ministre a annoncé l'affectation de 30 millions de dollars par an pour les cinq prochaines années. Cela est insuffisant.

Le gouvernement affirmera qu'il a augmenté les ressources de 2006 à 2012, mais, même s'il y avait, grâce à cette augmentation, des ressources suffisantes en 2012 en l'absence de la forte menace terroriste qui existe aujourd'hui, les budgets ont depuis été réduits de 15 à 20 p. 100 depuis ce temps. Les ressources actuelles ne suffisent donc pas pour combattre le terrorisme et affronter les autres pressions auxquelles la GRC, par exemple, est soumise. Le SCRS a avancé le même argument : il est obligé d'établir un ordre de priorité qu'il n'aurait peut-être pas adopté s'il avait disposé de ressources suffisantes.

L'autre lacune, dans le contexte de ce projet de loi, c'est une surveillance adéquate. Le monde a changé. Cela est indubitable. Pendant la guerre froide, aussi dangereux que le monde était alors, nous savions au moins comment gérer la situation. Nous avions fini par y parvenir. Cela nous avait pris des dizaines d'années, mais nous avions réussi à le faire.

Nous sommes maintenant en présence d'une menace d'un nouveau genre. C'est vraiment effrayant, surtout parce que nous n'avons pas encore trouvé le moyen d'y faire face. Il est évident que les choses ont changé d'une manière fondamentale. Cette menace est complexe, probablement d'une façon que nous n'avions pas prévue auparavant. Elle se manifeste sur notre propre sol, à l'intérieur de nos propres frontières et, de ce fait, touche à nos droits et à nos libertés civiles beaucoup plus que les menaces du passé, même du temps de la guerre froide.

(1510)

Nous devons restructurer la surveillance et l'examen. Précisons que la surveillance est l'activité à laquelle se livre un organisme au jour le jour. Elle comprend, dans une certaine mesure, des aspects de politique et de gestion et se fonde sur l'élaboration de plans et l'établissement de relations avec un service opérationnel en pensant à l'avenir. L'examen se fait en bout de ligne. Il s'agit de passer en revue ce qu'a fait un service opérationnel. Nous n'avons pas assez de surveillance. En fait, nous n'avons ni une surveillance externe de nos efforts relatifs à la sécurité nationale ni un bon examen opérationnel, mais je reviendrai plus tard sur ce point.

Bref, je dirais que tout cela nous permet de conclure que le projet de loi manque d'équilibre. L'équilibre du projet de loi est pour le moins insuffisant, surtout parce que le gouvernement n'a pas compris que le renforcement des pouvoirs de l'État là où cela est nécessaire doit s'accompagner de la protection nécessaire des libertés civiles et des droits démocratiques, qui seront inévitablement menacés par ce processus.

Les droits et libertés seront menacés de différentes façons. Tout d'abord, il y a la partie 1, concernant la loi proposée sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada. Comme son nom l'indique, cette mesure autorise certains organismes de notre gouvernement et d'autres gouvernements à échanger des renseignements. Au Canada, 17 organismes différents en recevront. Ce sont les institutions destinataires. D'autres ministères et organismes fédéraux auront l'obligation de leur communiquer de l'information s'ils estiment que c'est nécessaire. De plus, il y a environ 260 pays avec lesquels nous échangeons de l'information ou avons des relations en matière de sécurité nationale. Il s'agit d'un processus d'échange complexe qui comporte de nombreux risques pour la vie privée et les droits des citoyens.

Ce qui manque dans le projet de loi, ce sont des mesures qui pourraient protéger notre vie privée. Beaucoup d'éléments peuvent y contribuer. Par exemple, le projet de loi n'impose pas la conclusion de protocoles d'entente définissant le genre de renseignements pouvant être échangés entre les organismes canadiens et avec d'autres gouvernements ainsi que l'utilisation qui peut être faite de ces renseignements. Rien n'est prévu au sujet de tels protocoles d'entente entre les services qui échangent de l'information. S'ils décident de conclure de tels accords, le projet de loi n'en prévoit pas l'examen par un groupe ou un organisme de notre gouvernement. Aucun examen de l'information échangée n'est exigé et personne n'a les ressources ou les attributions lui permettant de le faire.

Le gouvernement soutiendra que le commissaire à la protection de la vie privée peut le faire. Or, il est probable que le commissaire n'a pas les ressources qu'il faut pour le faire, sans compter que, s'il peut examiner l'information échangée, il n'est pas habilité à se prononcer sur la légitimité de l'échange. De plus, le commissaire à la protection de la vie privée ne dispose pas des ressources nécessaires pour vérifier d'une manière plus ou moins régulière l'activité de 17 institutions destinataires qui échangent des renseignements à de multiples occasions.

Nous avons entendu hier et précédemment un excellent témoin de l'ARC, Mme Hawara, qui a été très directe. Nous lui avons demandé à quand remontait le dernier audit du vérificateur général. Elle a répondu : « Eh bien, à 2010. » Il y a cinq ans, la vérificatrice générale avait procédé à un audit du secteur de l'ARC qui s'occupe de questions liées à la sécurité nationale, à savoir les organismes de bienfaisance. Je lui ai aussi demandé : « À quand remonte la dernière vérification du commissaire à la protection de la vie privée? » Elle a répondu : « Je n'ai jamais vu le commissaire à la protection de la vie privée. »

Par conséquent, le commissaire à la protection de la vie privée réussirait à vérifier chacun de ces ministères et organismes — je ne sais pas — peut-être une fois tous les 17 ans. Et le vérificateur général? Qui sait? Il lui a fallu deux ans pour faire son audit du Sénat. Il a peut-être examiné les activités de quelques-uns de ces ministères et organismes. Toutefois, son bureau n'a probablement pas les ressources pour le faire, de sorte que personne ne vérifie rien.

La définition des renseignements pouvant être communiqués est beaucoup trop vaste. D'après le projet de loi, il s'agit de l'information pouvant se rapporter à la compétence — je ne sais pas vraiment ce que cela signifie — ou aux attributions de l'une ou l'autre des 17 institutions destinataires. Le terme « se rapporte » est extrêmement vague. En fait, le mot proposé par le commissaire à la protection de la vie privée, qui a présenté un excellent témoignage, était « nécessaire ». L'information devrait être nécessaire. L'argument du commissaire était le suivant : l'adoption du critère « se rapporte », qui s'appliquerait aux renseignements personnels de chacun, favoriserait considérablement une société dans laquelle les organismes chargés de la sécurité nationale auraient des pouvoirs virtuellement illimités leur permettant de surveiller et de classer les Canadiens ordinaires. « Vous savez quoi? C’est pire que le registre des armes à feu. »

Le fait est que ces institutions auraient de vastes pouvoirs d'examen de l'information parce qu'il suffit que celle-ci « se rapporte » à la compétence de l'organisme. Elle n'a pas à être nécessaire aux activités du destinataire. Il n'y a aucune limite réelle à l'utilisation qu'on peut faire de cette information une fois qu'elle a été communiquée. En définitive, il semble que rien ne peut empêcher — en tout cas, on ne m'a pas persuadé du contraire — la répétition de l'affaire Maher Arar. La période pendant laquelle l'information peut être gardée n'est soumise à aucune limite et rien n'est prévu pour qu'elle soit détruite en temps opportun.

Il y a aussi un problème lié à la définition de l'information pouvant être communiquée. Il pourrait s'agir de renseignements liés à une activité portant atteinte à la sécurité du Canada, ce qui comprend, entre autres, le fait d'entraver la capacité du gouvernement fédéral en matière de stabilité économique ou financière du Canada. Eh bien, c'est une définition très vaste de ce qui peut constituer une information pertinente. On peut comprendre les raisons pour lesquelles les groupes autochtones et environnementaux sont très inquiets. Prenons, par exemple, le cas d'un groupe autochtone qui établit un camp, comme cela se fait parfois dans le Nord, à proximité d'un pipeline ou qui essaie d'empêcher la construction d'un pipeline parce qu'il n'est pas du même avis que le gouvernement. À quel stade cette initiative cesse-t-elle d'être considérée comme une activité de défense d'intérêts pour être assimilée à du terrorisme si elle cause certains dégâts?

Le projet de loi propose en outre un changement très subtil, mais quand même fort alarmant, de l'expression consacrée « renseignements confidentiels désignés » qui décrit ce que l'ARC est autorisée à communiquer dans des cas prescrits. L'adjectif « désignés » a été supprimé, de façon qu'il ne reste que « renseignements confidentiels ». Dans quelle mesure cette expression est-elle plus vaste? Qu'est-ce qui empêche l'ARC d'exécuter un quelconque programme de métadonnées pour déterminer qui donne quoi à tel ou tel organisme de bienfaisance qui « se rapporte à la compétence » du SCRS? Et voilà le SCRS en possession de toutes sortes de renseignements sur différents organismes de bienfaisance et différents donateurs, sans aucune limite quant à l'utilisation qu'il peut en faire.

On peut imaginer un cas. Pendant le week-end — je sais que c'est purement anecdotique —, il y a eu une manifestation à la suite de laquelle on a raconté qu'un agent de la GRC a dit à un manifestant : « En ce moment, vous n'êtes pas un citoyen, pas pendant que vous manifestez. » Tout à coup, il y a un affrontement entre un manifestant et un agent de la GRC. Un compte rendu circonstancié, avec les noms des intéressés, est produit et communiqué au SCRS parce qu'il semble « se rapporter » à sa compétence. De son côté, le SCRS découvre que le manifestant vit dans le Nord, dans un camp proche d'un pipeline. Un dossier est donc monté sur ce jeune homme de 17 ou 18 ans, qui peut avoir de graves conséquences sur son avenir.

Le CSARS, qui surveille les activités du SCRS, n'a aucun moyen de suivre une piste. Il peut examiner l'information utilisée par le SCRS, mais, si cette information est communiquée à l'ARC, à l'ASFC ou à un autre groupe, il ne peut pas suivre la piste. Bien entendu, cela signifie qu'il ne peut pas procéder à un examen adéquat, contrairement à ce qu'affirme le gouvernement.

(1520)

Cela comporte donc beaucoup de risques sur le plan de la protection de la vie privée. La partie 2 concerne la liste d'interdiction de vol. Cette liste est en soi une bonne idée. Toutefois, si votre nom figure sur cette liste d'interdiction de vol et que vous souhaitez qu'il soit retiré parce qu'une erreur a été commise, alors à ce moment-là vous aurez de vrais problèmes. Vous pouvez en appeler devant les tribunaux, mais le juge pourrait fonder sa décision sur des renseignements et d'autres éléments de preuve même si le résumé des renseignements et des éléments de preuve n'est pas fourni à l'appelant. Le résumé a-t-il été fourni à l'appelant? L'appelant pourrait donc ne jamais savoir pourquoi son nom a été inscrit sur la liste. Si l'appelant s'adresse aux tribunaux, ceux-ci ne sont nullement tenus de lui fournir l'information si des préoccupations liées au caractère secret ont été soulevées. Ainsi, le juge peut rendre une décision à ce sujet.

Le ministre peut, en fait, retirer des renseignements qu'il ou elle a fournis aux tribunaux, alors que le juge, bien qu'il ait pris connaissance de ces renseignements et peu importe ce qu'il pense de leur pertinence, ne peut pas les utiliser. Le juge peut, cependant, utiliser des éléments de preuve et des renseignements qui ne seraient pas admissibles dans une procédure judiciaire habituelle. À n'importe quel moment dans une procédure, le juge doit, à la demande du ministre, entendre des renseignements ou d'autres éléments de preuve à huis clos et en l'absence de l'appelant, c'est-à-dire de l'intéressé.

Vous pourriez affirmer que c'est tout à fait normal, car certaines choses doivent être gardées secrètes. C'est vrai, mais on retrouve dans la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés une disposition qui prévoit la nomination d'un avocat spécial. Celui-ci joue un rôle très important. Il est tenu de respecter le caractère confidentiel de renseignements devant être tenus secrets, tout en représentant les intérêts d'une personne qui a été accusée de quelque chose et, dans ce cas-ci, dont le nom figure sur la liste d'interdiction de vol. L'avocat spécial discute tout d'abord avec l'appelant, pendant plusieurs jours, ou pendant une semaine, pour obtenir tous les renseignements dont il a besoin parce qu'il ne pourra pas discuter de nouveau avec l'appelant. Il assiste ensuite à l'audience, lors de laquelle il représente l'appelant. Selon certains, le juge pourrait tout de même avoir recours à un intervenant désintéressé, ce qui est très différent d'un avocat spécial puisque l'intervenant ne peut pas défendre l'appelant. L'intervenant désintéressé se charge de quelques tâches supplémentaires pour le juge, mais il n'a jamais l'occasion de discuter avec l'appelant.

C'est une situation qui existe au Canada au XXIe siècle. Le ministre peut restreindre la transmission de la preuve à l'appui de son dossier, exclure l'appelant du processus, faire en sorte que personne ne représente l'appelant et ne pas divulguer à l'appelant ce dont on l'accuse au juste. C'est incroyable. Nous sommes au Canada. Nous sommes au XXIe siècle. C'est toute une menace à l'équité de la procédure juridique.

Il y a plusieurs problèmes avec la partie 3, qui vise le Code criminel, dont la plupart concernent des définitions. Selon moi, elles ratissent trop large, ce qui ouvre une fois de plus la porte à de faux positifs. Autrement dit, on considérera à tort que des gens commettent des gestes criminels.

Certaines personnes estiment que les expressions « préconise » et « terrorisme en général » sont essentielles pour conclure à l'échange d'information et, au bout du compte, reconnaître les infractions au Code criminel. Or, d'aucuns soutiendront que la législation actuelle en matière de discours haineux fait déjà, essentiellement, le nécessaire. La différence, en l'occurrence, c'est que rien n'est précisé relativement à la défense, ce qui n'est pas le cas dans les lois relatives aux propos haineux. Je cite la présentation de l'Association du Barreau canadien :

La proposition ne prévoit aucune exigence d'intention et ne comporte pas de défense d'intérêt public, d'éducation ou de discussions religieuses.

Même les services policiers redoutent cette restriction, cette entrave à la liberté d'expression, car elle risque de décourager les membres d'une communauté de choisir d'exprimer leurs préoccupations ou de rapporter les propos d'autres membres de la communauté à l'égard de la violence ou du terrorisme. Elle pourrait même nuire au processus d'enquête et à la possibilité de déjouer les complots avant que le pire se concrétise.

Le projet de loi dit aussi que, pour qu'il y ait infraction, le geste doit être préconisé sciemment. Certaines personnes affirment qu'il faut aller encore plus loin et employer le mot « délibérément ». « Sciemment » pourrait s'appliquer — tiens, tiens — à l'activité de financement du Parti conservateur où l'on a cité la menace qu'un membre de l'EIIS a proférée contre le West Edmonton Mall, qui se situe à environ un kilomètre de chez moi. Les conservateurs ont sciemment rapporté ce message d'incitation au terrorisme, alors le mot « délibérément » serait préférable en l'occurrence.

La détention préventive et l'engagement de ne pas troubler l'ordre public sont probablement sans grande utilité. MM. Forcese et Roach ont reconnu dans leur exposé que les changements apportés à la détention préventive et à l'engagement de ne pas troubler l'ordre public sont uniquement d'ordre législatif, alors que le vrai problème se situe sur le plan des ressources et des opérations. Il se peut que les lois visées doivent être modifiées, mais ces deux témoins n'étaient pas convaincus qu'on avait traité adéquatement les questions liées aux ressources ni que ces modifications étaient réellement nécessaires. Je ne dis pas qu'elles le sont ou qu'elles ne le sont pas. Je dis que nous ne sommes pas certains que la police ait les ressources suffisantes pour faire respecter les lois déjà en place, encore moins pour en imposer de nouvelles.

Le problème que suscite la partie 3 du Code criminel est donc, je le répète, qu'elle amplifie les choses avec de faux positifs, créant le danger que des gens soient pris dans le filet de la lutte contre la criminalité alors qu'ils ne le devraient pas et qu'ils n'aient pas de moyens de défense bien définis, comme dans le cas de la tenue de propos haineux.

En ce qui concerne les dispositions touchant le Service canadien du renseignement de sécurité, à la partie 4, elles s'articulent autour de nouvelles activités liées à l'exécution d'un mandat — un nouveau mandat spécial — qui permettront aux agents et aux autorités du SCRS de se livrer à ce qu'on appelle des activités perturbatrices. Le danger, c'est qu'il peut s'agir d'activités policières. Même si le projet de loi précise que rien ne permet au SCRS de se livrer à des activités policières, rien ne dit non plus qu'elles ne le peuvent pas. En fait, on répète l'erreur de la GRC, qui, assumant à la fois les fonctions liées au maintien de l'ordre et celles qui se rapportent au renseignement de sécurité nationale, avait dépassé les bornes, il y a quelques décennies, en mettant le feu à une grange pour perturber ce qu'elle croyait être une réunion terroriste. C'est à cause de cela que le SCRS a été créé, pour séparer les services de renseignement des services de police.

Maintenant, nous revenons en arrière, mais ce qui est encore pire — et il s'agit de la menace la plus flagrante pour les droits des citoyens —, c'est que, compte tenu de ces mandats, le projet de loi permet expressément à cet organisme d'aller à l'encontre de la Charte des droits. J'ai bien dit que l'on permet expressément d'aller à l'encontre de la Charte des droits. Ce n'est pas comme les autres mandats qui sont conçus, en quelque sorte, pour ne pas enfreindre la Charte des droits. Ce projet de loi permet expressément d'enfreindre la Charte des droits. Je tiens à citer de nouveau le mémoire de M. Forcese et de M. Roach, dans lequel les auteurs font des observations fort surprenantes et frappantes sur cet aspect du projet de loi :

Cette proposition...

— de façon stupéfiante —

... rompt...

— avec les principes fondamentaux de notre système juridique.

Pour la première fois, on demande à des juges d'absoudre d'avance une infraction à nos droits garantis par la Charte, en audience secrète et sans appel, où seul le gouvernement est représenté. Il n'y a pas d'analogie avec les mandats de perquisition. Ils sont conçus pour assurer le respect de la Charte.

Il s'agit d'un mandat qui porte atteinte aux droits constitutionnels. Un autre témoin a dit que c'est comme si on ajoutait secrètement une disposition de dérogation à cette loi. Ce qui est également très déconcertant, c'est que ces mandats seront accordés en secret — parce qu'ils ont trait à des renseignements secrets — mais, encore une fois, sans que l'on fasse appel à un avocat spécial, à une personne qui représente l'intérêt public dans le cadre de ce processus. Notre système juridique, qui est respecté et reconnu dans le monde entier, est fondé sur le processus accusatoire. Notre magistrature est efficace, mais elle n'est pas infaillible, et elle est fort consciente de la valeur du processus accusatoire, qui lui permet de faire la part des choses en se fondant sur les faits qui lui sont présentés quotidiennement dans le cadre de notre système judiciaire. Or, dans ce cas-ci, les faits ne lui seront pas présentés dans le cadre de ce système.

On propose donc de permettre à un organisme qui ne devrait pas agir comme une force policière de commencer à effectuer des activités policières qui pourraient enfreindre la Charte des droits, de demander un mandat pour pouvoir enfreindre la Charte des droits lorsqu'il décidera d'aller de l'avant, et tout cela sera fait en secret, sans la présence d'un tiers ou d'un intervenant externe pour faire contrepoids aux arguments du gouvernement. C'est un affront, un empiètement sur nos droits civils et un risque énorme sur ce plan. Et ce n'est pas tout.

(1530)

La Cour suprême a indiqué très clairement que l'on doit rendre des comptes; c'est une caractéristique essentielle d'un régime de mandat qui respecte la Charte des droits et libertés. Le projet de loi ne prévoit aucun processus de reddition de comptes structuré pour ces mandats.

Je dirai que le ministre a le mérite d'avoir affirmé, après qu'on ait insisté tout au long de nos audiences — et je félicite le président, le sénateur Lang, d'avoir également insisté sur ce point; c'est dans nos observations —, qu'il verra à ce que les mandats reviennent au CSARS, l'organisme d'examen du SCRS. Cela ne figure toutefois pas dans le projet de loi, ce qui signifie qu'on ne procédera pas nécessairement ainsi. De plus, nous ne savons pas si les ressources disponibles permettront de le faire.

Il y a également un problème avec la définition de « sécurité nationale », la façon dont elle diffère entre ministères et la manière dont ces ministères l'harmoniseraient.

Dans la partie du projet de loi qui porte sur la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, le problème est encore une fois le mépris des procédures régulières dans le cadre des audiences sur les certificats de sécurité. C'est dans ces audiences que les avocats spéciaux ont été autorisés, mais, conformément au projet de loi C-51, le gouvernement aura le droit de filtrer l'information qu'ils reçoivent. Le ministre pourra donner de l'information et la reprendre, et le juge ne sera plus en mesure de s'en servir par la suite. De plus, l'appelant visé par les audiences sur le certificat de sécurité ne sera pas présent, ce qui signifie que la balance penchera encore plus du côté du gouvernement.

Encore une fois, nous aurons au XXIe siècle, dans une démocratie qui a déjà été moderne, la possibilité de tenir des audiences secrètes où l'information peut être contrôlée par la Couronne. Or, cette information peut être pertinente et importante pour la défense, qui devra s'en passer, tout comme son représentant dans les audiences secrètes.

Je vais maintenant conclure mes observations et passer aux amendements. L'ajout d'une surveillance pourrait changer la situation et régler une bonne partie du problème. Il nous faut une surveillance parlementaire assurée par les deux côtés de la Chambre et tous les partis. Les autres pays membres du Groupe des cinq se sont dotés d'une surveillance semblable, qui donne de bons résultats. Il nous faut des processus d'examen opérationnels et administratifs plus vastes. À l'heure actuelle, seulement 3 des 17 groupes mentionnés disposent d'un processus d'examen. Le SCRS est surveillé par le CSARS, le CSTC a un commissionnaire, un tout petit groupe, et la GRC peut compter sur la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes. Le rapport O'Connor propose la mise en place d'un « super CSARS » qui accomplirait, pour ces 17 agences, le travail que le CSARS fait déjà pour le SCRS. On pourrait aussi accorder plus de pouvoirs au conseiller en sécurité nationale. Différentes options sont possibles. songez-y un instant : personne n'examine ce que fait l'Agence des services frontaliers. Personne. Nous devons faire en sorte de fournir les ressources nécessaires au commissaire à la protection de la vie privée, à la GRC, au SCRS et aux organismes qui travaillent à ces dossiers importants.

C'est pourquoi je proposerai des amendements au projet de loi. J'espérais ne pas avoir besoin de les lire, mais je le ferai, après tout. Ce sera la partie la plus enlevante de mon discours.

En conclusion, la portée des pouvoirs proposés est renversante, particulièrement parce qu'ils sont proposés par un gouvernement qui déteste les gouvernements interventionnistes. Et pourtant, difficile d'imaginer meilleur exemple que ce projet de loi pour montrer un gouvernement interventionniste qui s'immisce dans la vie des Canadiens de mille et une façons. J'en ai décrit quelques-unes, mais on pourrait probablement en trouver d'autres encore.

Je proposerai plusieurs amendements à cette mesure. Je proposerai qu'on établisse des politiques pour définir la communication d'information; qu'on prévoie des protocoles d'entente dans la loi; qu'on exige que le commissaire à la protection de la vie privée soit informé de ces protocoles d'entente et des renseignements communiqués. Ces amendements offriraient une façon plus pondérée de définir les renseignements sur les contribuables qui seront couverts par cette mesure. Par ailleurs, nous éliminerons toute possibilité de contrevenir à la Charte des droits. Nous donnerons au CSARS un pouvoir qu'il n'a pas actuellement, celui d'examiner adéquatement comment le SCRS utilise les nouveaux mandats. Nous permettrons au CSARS, au commissaire du CSTC, au comité d'examen de la GRC et au commissaire à la protection de la vie privée d'échanger des renseignements pendant leurs examens, donc de suivre le cheminement des renseignements. Nous assurerons une surveillance. Toutes ces idées se retrouveront dans les amendements que je propose.

Motion d'amendement

L'honorable Grant Mitchell : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-51 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié :

a) à l'article 2, à la page 5 :

(i) par adjonction, après la ligne 17, de ce qui suit :

« (1.1) L'institution fédérale qui communique des renseignements en vertu du paragraphe (1) le fait conformément à des politiques clairement établies visant à vérifier la pertinence, la fiabilité et l'exactitude de ces renseignements. »,

(ii) par adjonction, après la ligne 20, de ce qui suit :

« (3) Avant de communiquer de l'information en vertu du présent article, l'institution fédérale doit conclure, avec l'institution fédérale destinataire, une entente écrite qui précise les principes régissant la communication d'information entre elles.

(4) L'entente écrite conclue en application du paragraphe (3) respecte les principes énoncés à l'article 4 et comporte des dispositions sur les modalités de la conservation et de la destruction de l'information partagée, la confirmation de la fiabilité de cette information et son utilisation future.

(5) L'institution fédérale :

a) avise le Commissaire à la protection de la vie privée de toute entente écrite qu'elle prévoit conclure;

b) accorde au Commissaire à la protection de la vie privée un délai raisonnable pour formuler des observations.

(6) Copie de l'entente écrite conclue en application du paragraphe (3) est fournie au Commissaire à la protection de la vie privée. »;

b) à l'article 6 :

(i) à la page 8, par substitution, à la ligne 33, de ce qui suit :

« 6. Le passage du paragraphe 241(9) de »,

(ii) à la page 9 :

(A) par substitution, à la ligne 6, de ce qui suit :

« b) des renseignements confidentiels désignés, s'il »,

(B) par suppression des lignes 25 à 27;

c) à l'article 42, à la page 49 :

(i) par substitution, aux lignes 22 à 25, de ce qui suit :

« mesures qui seront contraires au droit canadien. »,

(ii) par substitution, à la ligne 28, de ce qui suit :

« d'application de la loi et ne l'autorise pas à prendre des mesures qui porteront atteinte à un droit ou à une liberté garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. »

d) à l'article 50, à la page 55, par substitution, à la ligne 4, de ce qui suit :

« 50. (1) L'alinéa 38(1)a) de la même loi est modifié par adjonction, après le sous-alinéa (vii), de ce qui suit :

(viii) examiner l'utilisation, la conservation et la communication subséquente de toute information communiquée par le Service à une institution fédérale, au sens de l'article 2 de la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, au gouvernement d'un État étranger ou à l'une de ses institutions, ou à une organisation internationale d'États ou à l'une de ses institutions;

(2) L'article 38 de la même loi est modifié »;

e) à la page 55, par adjonction, après la ligne 12, de ce qui suit :

« 50.1 Le paragraphe 39(2) de la même loi est modifié par adjonction, après l'alinéa b), de ce qui suit :

c) au cours des examens visés au sous-alinéa 38(1) a)(viii), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces examens et qui relèvent de l'institution fédérale concernée;

d) au cours des examens visés au sous-alinéa 38(1) a)(viii), est autorisé à avoir accès aux informations qui se rapportent à ces examens et qui relèvent du gouvernement d'un État étranger ou de l'une de ses institutions, ou d'une organisation internationale d'États ou de l'une de ses institutions, sur demande présentée au gouvernement, à l'organisation internationale ou à l'institution concernés. »;

(1540)

« 50.2 La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 39, de ce qui suit :

39.1 (1) Si le comité de surveillance a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi ou des fonctions attribuées au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications par la Loi sur la défense nationale, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, il peut communiquer toute information qu'il peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications;

b) à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada;

c) au Commissaire à la protection de la vie privée.

(2) Le comité de surveillance avise le directeur de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le directeur s'oppose à la communication de l'information, le comité de surveillance peut refuser de communiquer l'information s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par le Service des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi.

(4) Dans le cas où le comité de surveillance ne tient pas compte de l'opposition du directeur, ce dernier dispose de dix jours pour demander à un juge de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par le Service des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi.

(6) Le comité de surveillance peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que le comité de surveillance peut demander au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée de lui communiquer l'information qu'il estime nécessaire pour l'exercice des fonctions qui lui sont conférées en vertu de la présente loi. ».

f) à la page 55, par adjonction, après la ligne 20, de ce qui suit :

« 51.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l'article 55, de ce qui suit :

PARTIE III.1

COMITÉ PARLEMENTAIRE SUR LE CONTRÔLE DE LA SÉCURITÉ

55.1 (1) Est constitué le Comité parlementaire sur le contrôle de la sécurité, composé de membres des deux Chambres du Parlement, à l'exception des ministres et des secrétaires parlementaires.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), le Comité est composé de huit membres, dont quatre sénateurs et quatre députés, et comprend au moins un membre de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes.

(3) Si l'une ou l'autre des deux Chambres du Parlement comprend plus de quatre partis reconnus, la composition du Comité est augmentée afin de comprendre un membre de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes et de maintenir un nombre égal de sénateurs et de députés.

(4) Les membres du Comité sont nommés par le gouverneur en conseil et exercent leur charge à titre amovible jusqu'à la dissolution du Parlement suivant leur nomination.

(5) Un membre provenant du Sénat ou de la Chambre des communes appartenant à un parti de l'opposition reconnu dans cette Chambre ne peut être nommé au Comité qu'après consultation du chef de ce parti.

(6) Un membre provenant du Sénat ou de la Chambre des communes ne peut être nommé au Comité qu'après approbation par résolution de cette Chambre.

(7) Les membres du Comité cessent d'occuper leur poste s'ils sont nommés ministre ou secrétaire parlementaire ou s'ils cessent d'être sénateur ou député.

(8) Les membres du Comité et les personnes qu'il engage sont tenus, avant d'entrer en fonctions, de prêter le serment de secret et de s'y conformer à la fois lors de leur mandat et après celui-ci.

(9) Pour l'application de la Loi sur la protection de l'information, chaque membre du Comité et chaque personne qu'il engage est une personne astreinte au secret à perpétuité.

(10) Malgré toute autre loi fédérale, les membres du Comité ne peuvent invoquer l'immunité fondée sur le privilège parlementaire en cas d'utilisation ou de communication de renseignements qu'ils ont en leur possession — ou dont ils prennent connaissance — en leur qualité de membre du Comité.

(11) Les réunions du Comité sont tenues à huis clos lorsque la majorité des membres du Comité présents l'estiment nécessaire.

(12) Le Comité a pour mandat d'examiner les activités du Service ainsi que les cadres législatif, réglementaire, stratégique et administratif de celui-ci et d'en faire rapport annuellement à chaque Chambre du Parlement.

(13) Le Comité a le pouvoir d'assigner devant lui des témoins et de leur enjoindre :

a) de déposer oralement ou par écrit sous la foi du serment ou d'une affirmation solennelle si ceux-ci en ont le droit en matière civile;

b) de produire les documents et pièces qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions.

(14) Malgré toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, mais sous réserve du paragraphe (15), le Comité est autorisé à avoir accès aux renseignements qui se rattachent à l'exercice de ses fonctions et qui relèvent d'un ministère ou d'un organisme fédéral et à recevoir des employés les informations, rapports et explications dont il juge avoir besoin dans cet exercice.

(15) À l'exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada visés par le paragraphe 39(1) de la Loi sur la preuve au Canada, aucune des informations visées au paragraphe (14) ne peut, pour quelque motif que ce soit, être refusée au Comité.

(16) Le rapport annuel visé au paragraphe (12) est présenté au président de chaque Chambre du Parlement, qui le dépose devant la Chambre qu'il préside dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant la réception du rapport.

(17) Dans le présent article, « Comité » s'entend du Comité parlementaire sur le contrôle de la sécurité constitué au titre du paragraphe (1).

Si vous permettez que j'interrompe la lecture de la motion un instant, j'aimerais mentionner que les modifications connexes concernent la capacité du CSARS de communiquer de l'information lors de ses examens, c'est-à-dire de suivre le fil de l'information en s'adressant à d'autres organismes.

MODIFICATIONS CONNEXES

Loi sur la défense nationale

51.2 La Loi sur la défense nationale est modifiée par adjonction, après l'article 273.64, de ce qui suit :

273.641 (1) Si le commissaire a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi ou des fonctions attribuées au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, il peut communiquer toute information qu'il peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité;

b) à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada;

c) au Commissaire à la protection de la vie privée.

(2) Le commissaire avise le chef de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le chef s'oppose à la communication de l'information, le commissaire peut refuser de communiquer l'information s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par le Centre des fonctions que lui attribue la présente loi.

(4) Dans le cas où le commissaire ne tient pas compte de l'opposition du chef, ce dernier dispose de dix jours pour demander à un juge, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par le Centre des fonctions que lui attribue la présente loi.

(6) Le commissaire peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que le commissaire peut demander au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité, à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada ou au Commissaire à la protection de la vie privée, de lui communiquer l'information qu'il estime nécessaire pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

51.3 La Loi sur la Gendarmerie royale du Canada est modifiée par adjonction, après l'article 45.47, de ce qui suit :

45.471 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, si la Commission a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi ou des fonctions attribuées au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications par la Loi sur la défense nationale ou au Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels, elle peut communiquer toute information qu'elle peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications;

b) au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité;

c) au Commissaire à la protection de la vie privée.

(2) La Commission avise le commissaire de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le commissaire s'oppose à la communication de l'information, la Commission peut refuser de communiquer l'information si elle est convaincue, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par la Gendarmerie des fonctions que lui attribue la présente loi.

(4) Dans le cas où la Commission ne tient pas compte de l'opposition du commissaire, ce dernier dispose de dix jours pour demander à un juge, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par la Gendarmerie des fonctions que lui attribue la présente loi.

(6) La Commission peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que la Commission peut demander au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou au Commissaire à la protection de la vie privée, de lui communiquer l'information qu'elle estime nécessaire pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi.

Loi sur la protection des renseignements personnels

51.4 La Loi sur la protection des renseignements personnels est modifiée par adjonction, après l'article 34, de ce qui suit :

34.1 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, si le Commissaire à la protection de la vie privée a des motifs raisonnables de croire qu'il est nécessaire, pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi ou des fonctions attribuées au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité par la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications par la Loi sur la défense nationale ou à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, il peut communiquer toute information qu'il peut obtenir ou avoir en sa possession sous le régime de la présente loi :

a) au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications;

b) au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité;

c) à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada.

(2) Le Commissaire à la vie privée avise le responsable de l'institution fédérale de son intention de communiquer de l'information visée au paragraphe (1) et lui donne un délai raisonnable pour formuler des observations.

(3) Dans le cas où le responsable de l'institution s'oppose à la communication de l'information, le Commissaire à la vie privée peut refuser de communiquer l'information s'il est convaincue, sur le fondement de motifs raisonnables, que cette communication causerait un préjudice grave à l'exercice par l'institution fédérale de ses fonctions.

(4) Dans le cas où le Commissaire à la vie privée ne tient pas compte de l'opposition de l'institution fédérale, cette dernière dispose de dix jours pour demander à un juge, au sens de l'article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, de surseoir à la communication de l'information.

(5) Le juge peut rendre l'ordonnance de sursis visée au paragraphe (4) s'il est convaincu, sur le fondement de motifs raisonnables, que la communication de l'information causerait un grave préjudice à l'exercice par l'institution fédérale de ses fonctions.

(6) Le Commissaire à la vie privée peut demander à un juge de lever l'ordonnance de sursis au motif que les circonstances ont changé.

(7) Il est entendu que le Commissaire à la protection de la vie privée peut demander au commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications, au comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ou à la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la Gendarmerie royale du Canada, de lui communiquer l'information qu'il estime nécessaire pour l'exercice des fonctions que lui attribue la présente loi.

g) à l'article 57, à la page 57, par suppression des lignes 4 à 31;

h) à l'article 59, à la page 57, par substitution, à la ligne 41, de ce qui suit :

« 85.4 (1) Il ».

(1550)

J'ajouterais simplement que les deux dernières dispositions visent à faire contrepoids aux pouvoirs conférés au ministre par la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.

Son Honneur le Président : L'honorable sénateur Mitchell, avec l'appui de l'honorable sénatrice Lovelace Nicholas, propose que le projet de loi C-51 ne soit pas maintenant lu pour la troisième fois, mais qu'il soit modifié :

(a) à l'article 2, à la page 5...

Des voix : Suffit!

L'honorable Dennis Dawson : Honorables sénateurs, il est habituellement difficile d'être à la hauteur de la prestation du sénateur Mitchell, mais, étant donné la lecture qu'il vient de nous faire, je pense être en mesure de m'en sortir aussi bien que lui.

Il y a aujourd'hui 38 ans que j'ai été assermenté comme député libéral au Parlement, alors je me suis fait une grande fête avec moi-même. Personne ne se surprendra du fait que je sois un libéral.

[Français]

Je n'apprendrai rien à personne en déclarant que je suis un libéral. J'ai beau avoir été écarté du caucus, j'ai appuyé le Parti libéral depuis les 40 dernières années. Je lui accorde encore mon soutien aujourd'hui dans le cadre de presque tous les enjeux, et je vais certainement l'appuyer aux prochaines élections. Cela dit, est-ce que cela signifie que je me sens obligé d'appuyer toutes les mesures que le Parti libéral propose, professe et appuie? La réponse à cette question est non, pas nécessairement.

Je ne le fais pas de gaieté de cœur, mais il arrive des moments dans la vie où les principes personnels doivent prendre le dessus sur les intérêts partisans. C'est d'ailleurs le cas pour le projet de loi C-51, Loi édictant la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada, dont nous sommes actuellement saisis en cette Chambre.

[Traduction]

Je suis du même avis que nombre de mes collègues qui ont parlé de ce projet de loi. Je crois que la question fondamentale est de savoir s'il atteint un juste équilibre entre l'élargissement des pouvoirs dont dispose l'État pour pallier les risques et l'érosion prononcée des droits et libertés des Canadiens. Comme beaucoup de mes collègues, je conviens qu'il y a un problème de terrorisme au Canada — et ailleurs aussi, bien entendu — et que nous devons faire face à ces impératifs avec détermination, cohérence et désintéressement.

[Français]

Je reconnais d'ailleurs les efforts déployés par le ministre de la Sécurité publique, qui a tenté d'élaborer un projet de loi qui contribuera à la protection des Canadiens. C'était son devoir et, s'il ne s'agissait que d'appuyer cet aspect du projet de loi, j'aurais pu voter en faveur de ce texte de loi. Or, pendant que le ministre de la Sécurité publique tentait de répondre aux appréhensions et aux inquiétudes légitimes des Canadiens quant à leur sécurité face à la menace terroriste, il est plus difficile de comprendre pourquoi le premier ministre et le ministre de la Justice « dormaient au gaz », comme le dit l'expression, en ce qui a trait à la protection et à la promotion des libertés civiles des Canadiens et Canadiennes, préoccupations trop souvent absentes de ce projet de loi pour qu'on puisse l'appuyer.

[Traduction]

Ce projet de loi n'est pas équilibré.

[Français]

Dans sa forme actuelle, le projet de loi C-51 rompt l'équilibre nécessaire entre la protection des Canadiens contre la menace terroriste et la protection des droits et libertés des Canadiens et Canadiennes qui est garantie par notre Charte des droits et libertés constitutionnalisée. La reconnaissance de la lutte contre le terrorisme ne signifie pas nécessairement que l'on doive mettre de côté des éléments clés de notre régime de protection des droits et libertés.

[Traduction]

Comme l'a souligné mon honorable collègue et mon leader, le sénateur Cowan :

[...] ce projet de loi a pour simple effet de permettre l'ingérence ou un risque accru d'ingérence dans les affaires des Canadiens sans prévoir de contrepoids ou de surveillance dignes de ce nom et sans faire le moindre effort pour limiter la façon dont cette ingérence pourrait nuire à des Canadiens qui ne seraient impliqués d'aucune façon dans des actes, des menaces ou des activités terroristes.

[Français]

Par conséquent, je ne peux pas appuyer ce projet de loi du gouvernement conservateur. Je voterai contre. En optant pour cette position, je sais que je n'appuie pas la position du Parti libéral, qui a approuvé ce projet de loi à la Chambre des communes. Or, après 38 ans, je me sens un peu mal à l'aise, mais j'agis avec beaucoup de conviction. Manifestement, il y a un débat qui est en cours à l'heure actuelle dans notre société entre la sécurité publique et la protection des libertés fondamentales des Canadiens. Comme ce sont des débats qui ont lieu dans toutes les démocraties occidentales, de toute évidence, le Canada n'y échappe pas.

Je suis sensible à la question de la sécurité, pour ne pas dire hautement préoccupé par celle-ci. Cette question doit trouver sa réponse, sa prévention et sa répression au Canada et dans le reste du monde libre. Je conçois qu'un environnement sécuritaire est aussi une condition préalable à la prospérité. Elle doit être déterminée, mais j'accepte cet argument. Tracer la ligne de démarcation entre les libertés individuelles et la lutte contre le terrorisme est un défi considérable. Je reconnais que l'on doit donner aux responsables de la sécurité publique et aux autorités policières les moyens d'enquêter et de débusquer les auteurs potentiels de ces crimes. Ces problèmes se posent chez nous, pour les gens d'ici, comme on l'a vu lors des événements survenus récemment à Saint-Jean-sur-Richelieu et ici même, sur la Colline du Parlement.

Malgré les efforts nécessaires en vue d'assurer la sécurité des Canadiens, je ne peux accepter que la recherche de cette sécurité doive nécessairement entraîner un déclin ou un affaiblissement de nos libertés individuelles. J'avais des réserves lors de l'adoption, par mon gouvernement libéral, de la Loi constitutionnelle de 1982 et du rapatriement de la Constitution. Toutefois, je considère comme un point décisif et important, pour notre pays, l'adoption d'une Charte des droits qui était constitutionnelle et qui offrait aux Canadiens une meilleure protection face aux abus, réels ou appréhendés, des gouvernements.

En tant que libéral, ma fierté ne date pas d'hier et elle ne sera pas limitée par les actions de mon parti, même aujourd'hui. Or, Dieu sait que les gouvernements sont capables d'abus. D'ailleurs, les neuf dernières années du gouvernement conservateur nous aurons confortés dans ce choix que nous avons fait de nous doter, en 1982, d'une Charte des droits et libertés constitutionnalisée, alors que le gouvernement actuel s'est souvent fait réprimander par les tribunaux et l'opinion publique pour ses incartades à l'endroit des libertés fondamentales des Canadiens. Loin de moi l'idée de cautionner les agissements d'un Omar Khadr, mais l'acharnement juridique dont cet homme a été l'objet de la part du gouvernement conservateur est simplement scandaleux. Heureusement, à chaque étape, les tribunaux ont rappelé à ce gouvernement sans scrupule que les Canadiens ont des droits et des libertés, et que, s'ils ont des peines à purger, cela doit se faire dans le respect des lois et de nos institutions.

L'abus de pouvoir n'a pas été inventé par les conservateurs, mais ils en ont certainement perfectionné la méthode au point de la transformer en art, aussi pervers que cet art puisse être. Jamais ils n'étaient allés aussi loin que maintenant avec le projet de loi C-51.

(1600)

Rappelons que, selon le décompte du porte-parole du NPD à la Chambre des communes, pas moins de 45 des 48 témoins qui se sont présentés devant le comité, y compris plusieurs sommités dans le domaine juridique et des témoins du gouvernement, ont dit que le projet de loi C-51 comportait bien des lacunes. On a vu d'anciens premiers ministres, des juges retraités de la Cour suprême et plusieurs autres éminents Canadiens et Canadiennes exprimer de sérieuses réserves à l'endroit de ce projet de loi. Il est clair que le gouvernement conservateur aura choisi, en précipitant l'examen du projet de loi C-51 à la Chambre des communes, de faire de la petite politique et de sacrifier nos libertés au nom de la sécurité.

Pourtant, comme bien des experts l'ont expliqué en comité, et comme l'ont relevé des députés à la Chambre des communes, ce projet de loi réussit à menacer nos libertés civiles fondamentales et, dans la même veine, à proposer des mesures en vue d'améliorer la sécurité qui, dans de nombreux cas, pourraient s'avérer inefficaces et inutiles.

Ce projet de loi irait clairement trop loin, comme le soulignait mon collègue tout à l'heure, lorsqu'il permettrait à presque tous les ministères et aux agences gouvernementales de partager des renseignements sur à peu près tous les sujets, en plus du terrorisme et de la violence. La portée de ses dispositions est tellement vaste, si vaste que, selon le commissaire à la protection de la vie privée, elles pourraient permettre au gouvernement de dresser le profil personnel de chaque Canadien et chaque Canadienne.

Le projet de loi n'inclut aucun des amendements proposés par les députés de l'opposition officielle ou du Parti libéral. J'espère cependant que ceux-ci accepteront les amendements proposés par mon collègue, mais je me permets d'avoir des doutes sur le fait qu'ils soient adoptés. S'ils le sont, je changerai peut-être d'avis au sujet du projet de loi.

Je veux bien que le Parti libéral inclue dans sa plateforme électorale les éléments qu'il voudrait voir changer dans ce projet de loi, mais je ne me sens pas obligé d'appuyer ce projet de loi entre-temps, et de prendre la chance que l'on passe à autre chose avant qu'il ne soit modifié, d'autant plus que le gouvernement a refusé d'y incorporer une méthode formelle et prévisible en ce qui a trait à la révision parlementaire où, de temps en temps, la nature et la portée de la loi auraient pu être revues et corrigées au besoin.

D'autres observateurs, souvent sympathiques aux conservateurs, comme Andrew Coyne, ont été très critiques à l'endroit des conservateurs et du projet de loi.

[Traduction]

Je vais citer un extrait de l'article d'Andrew Coyne :

[...] le projet de loi C-51, Loi antiterroriste de 2015, un projet de loi dont la portée excessive et le risque d'abus manifestes ont été signalés par de nombreux juristes, dont certains ont pu témoigner durant la brève série d'audiences permises devant le Comité de la sécurité publique de la Chambre des communes (à la suite d'un débat encore plus bref à la Chambre), où plus souvent qu'autrement les députés conservateurs les ont soumis à des harangues lassantes au lieu de leur poser des questions.

[Français]

Je crois que ce gouvernement veut utiliser la ferveur du moment ainsi que la peur et l'angoisse des citoyens pour promouvoir son projet législatif, qui risque fort bien de brimer nos libertés fondamentales, sans toutefois s'attaquer efficacement à la racine des maux du terrorisme.

Je suis déçu que le Parti libéral ait décidé de les suivre dans cette volonté, mais il faut savoir qu'il y a encore des libéraux qui ne sont pas prêts à suivre le Parti conservateur dans la campagne de peur qu'il déploie au détriment de nos libertés individuelles sans s'attaquer intelligemment au terrorisme. Merci.

Des voix : Bravo !

[Traduction]

L'honorable Jane Cordy : Le sénateur Dawson accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dawson : Oui.

La sénatrice Cordy : Lorsque le sénateur Mitchell a pris la parole, il a dit que le projet de loi C-51 était pire que le registre des armes à feu, parce qu'il permet de recueillir et de communiquer des données personnelles sans aucune surveillance.

J'ai reçu une lettre qui était adressée au premier ministre Harper et à tous les sénateurs conservateurs. On y parle du fait que le gouvernement conservateur a éliminé le questionnaire détaillé obligatoire du recensement. La lettre à l'intention de M. Harper dit ceci :

En 2010, le gouvernement Harper a choisi de se débarrasser du questionnaire détaillé obligatoire du recensement. Quand le Globe and Mail a demandé au député Tony Clement d'expliquer cette décision, ce dernier a répondu : « J'estime que nous défendons les Canadiens qui ne veulent pas divulguer des renseignements très personnels à un organe du gouvernement et qui sont menacés d'une peine d'emprisonnement s'ils ne le font pas. »

Plus loin, on y parle du registre des armes à feu. Cette lettre, soit dit en passant, vient du groupe appelé Principled Conservatives and Libertarians against Bill C-51, qui n'est certainement pas un groupe libéral. Il dit ce qui suit :

Nous craignons vivement que, même s'il a promis que le gouvernement actuel ne permettrait pas la création d'une nouvelle base de données sur les propriétaires d'armes à feu et que toute mesure future ferait l'objet d'une surveillance politique, le gouvernement Harper compte se servir du projet de loi C-51 pour créer, sans aucune surveillance, des bases de données sur tous les Canadiens.

Je me demande si vous pourriez vous prononcer sur ce sujet, ainsi que sur la grande hypocrisie dont fait preuve le gouvernement en présentant le projet de loi C-51, qui permet la collecte de tous ces renseignements personnels et leur diffusion à de nombreux organismes gouvernementaux et pays, quand il a prétendu qu'il abolissait le questionnaire détaillé de recensement et le registre des armes à feu parce qu'il ne voulait pas recueillir ce type de renseignements.

Le sénateur Dawson : Nous savons quelles ont été les répercussions de la détérioration des données du recensement. Tous les organismes qui se servent de ces données ont maintenant admis depuis des années qu'elles ne sont plus aussi fiables qu'elles l'étaient par le passé. Ils doivent mener leurs propres études et se tourner vers d'autres sources, ce qui leur occasionne des dépenses.

En ce qui concerne les données du registre des armes à feu, le gouvernement a refusé de les transmettre au gouvernement du Québec. Pire encore, il a préféré le détruire. Certaines provinces ne voulaient peut-être pas avoir accès à ces données, mais ce n'était pas le cas du Québec. Il ne comprenait pas pourquoi le gouvernement fédéral ne voulait pas lui communiquer les données dans le registre puisque c'était des renseignements qu'il avait recueillis et avait en sa possession et pour lesquels le gouvernement québécois avait payé sa part des frais liés à leur collecte.

Maintenant, le gouvernement fédéral se lance dans une collecte folle de données. Ces bases de données lui donneront accès à plus de renseignements que le questionnaire détaillé de recensement et le registre des armes à feu. Combien coûtera tout cela? Que fera le gouvernement de ces renseignements? Comment les communiquera-t-il? Qui sera en mesure de superviser ces listes de renseignements? Nous devrons attendre pour obtenir ces réponses, mais je ne suis pas vraiment convaincu qu'elles feront l'objet d'une supervision.

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Puis-je poser une question au sénateur Dawson?

C'est un sujet un peu délicat, et j'espère que vous ne m'en voudrez pas, mais je sais que vous venez du Québec et que vous connaissez très bien les enjeux qui existent là-bas. Pensez-vous que ce projet de loi aidera à rétablir l'harmonie dans votre province? Quels en seront les résultats dans votre province?

Le sénateur Dawson : Quand le débat a été lancé, la mesure législative a pu paraître séduisante. Les Québécois, comme l'ensemble de la population, avaient l'impression que leur sécurité pouvait être compromise. La nervosité était palpable, à voir les résultats des sondages réalisés au Québec, qui montraient, pour la première fois, que cet enjeu avait touché une corde sensible.

Cependant, avec le temps, on s'est rendu compte que le projet de loi comportait un coût. J'estime que le ministre de la Sécurité avait le devoir d'essayer d'instaurer des mesures de sécurité. Or, habituellement, quand le Cabinet discute de ce genre de choses, il essaie d'établir un équilibre. Lorsque le ministre de la Sécurité réclame plus de mesures, le ministre de la Justice ou le premier ministre disent normalement : « Nous devons trouver le juste équilibre entre la sécurité et la protection des droits et libertés. » C'est ce qui fait défaut ici.

La sénatrice Jaffer : Y a-t-il du temps pour...

Le sénateur Dawson : Cinq minutes de plus?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Jaffer : Nous avons empêché 10 jeunes de quitter le pays, et je crois comprendre que nous y sommes parvenus parce que leurs parents en ont avisé les autorités. Ils ont donc fait confiance aux autorités. Quel effet le projet de loi aura-t-il sur cette confiance qu'ont les parents envers les autorités?

Le sénateur Dawson : Ce projet de loi dissuadera-t-il, d'une façon ou d'une autre, des gens qui veulent aller à l'étranger pour y mener des activités « stupides »? Je ne pense même pas que cette mesure législative aborde ce genre de question.

De toute évidence, certaines personnes commenceront à avoir l'impression que leur liberté est mise en péril, ce qui engendrera du ressentiment envers d'autres personnes. Cela va à l'encontre de l'objectif du gouvernement, car on n'adopte pas de lois pour créer un climat d'insécurité.

(Sur la motion de la sénatrice Jaffer, le débat est ajourné.)

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Déclaration du Président

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dagenais, appuyée par l'honorable sénateur Doyle, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

Son Honneur le Président : Jeudi dernier, la sénatrice Bellemare a invoqué le Règlement afin de savoir si le projet de loi C-377 devait s'accompagner d'une recommandation royale. Si j'ai pris la question en délibéré, ce n'est pas parce que j'estimais que le rappel au Règlement était suffisamment étayé — même si le point soulevé est important et complexe —, mais bien parce qu'aucun autre sénateur n'a pris la parole.

Selon l'article 2-5(1) du Règlement, c'est le Président qui décide si les arguments présentés pour un rappel au Règlement ou une question de privilège sont suffisants. Dans le cas qui nous intéresse, nous serions mieux en mesure de comprendre la question en reprenant l'examen du rappel au Règlement. Je suis conscient qu'un certain nombre de sénateurs aimeraient parler de cette question. Je souhaite par conséquent informer les sénateurs que j'écouterai d'autres arguments lorsque l'ordre du jour en appellera de nouveau l'étude. Par souci de clarté, je précise que nous n'examinerons que le rappel au Règlement de la sénatrice Bellemare, à savoir si le projet de loi doit s'accompagner d'une recommandation royale. À ce moment-là, le Sénat ne recommandera pas de procéder à la troisième lecture du projet de loi.

(1610)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice Nancy Ruth, appuyée par l'honorable sénateur Patterson, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-225, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

L'honorable Judith Seidman : Honorables sénateurs, le 6 février 2015, la Cour suprême du Canada a maintenu, dans l'affaire Carter c. Canada la conclusion d'un tribunal de la Colombie-Britannique selon laquelle « la prohibition de l'aide médicale à mourir viole les droits que l'article 7 garantit aux adultes capables voués à d'intolérables souffrances causées par des problèmes de santé graves et irrémédiables ». La décision de la Cour suprême du Canada affirme qu'« en leur laissant subir des souffrances intolérables, elle [la loi] empiète sur la sécurité de leur personne ».

La Cour suprême a suspendu les effets de sa décision pendant une période de 12 mois pour donner aux législateurs la possibilité d'agir : « La réponse législative ou réglementaire au présent jugement devra concilier les droits garantis par la Charte aux patients et aux médecins. »

L'opinion publique a forcé des pays des quatre coins de la planète à s'engager dans un débat public sur l'intérêt de la légalisation de l'aide médicale à mourir. La sénatrice Nancy Ruth et le sénateur Campbell ont présenté un projet de loi qui est pertinent et arrive à point nommé. Il facilitera d'importantes discussions qui traînent en arrière-plan et n'ont que trop tardé. Il est néanmoins certain que nous serons immédiatement plongés dans le domaine de l'abstrait, aux prises avec des problèmes dont la discussion est difficile et qui trouvent rarement leur solution dans le débat, des problèmes qui soulèvent souvent plus de questions qu'ils n'éclairent les réponses. Par exemple, comment résoudre le conflit apparent entre les droits individuels et les droits collectifs, comment concilier la liberté de choix et les facteurs sociaux qui limitent ce choix? Le serment d'Hippocrate est-il un empêchement à l'aide médicale à mourir et, si oui, dans quelles circonstances? Comment protéger les personnes vulnérables contre des interprétations trop larges et veiller à ce qu'il y ait des paramètres clairement énoncés?

Cette discussion publique nous forcera tous à affronter de grandes questions de philosophie, d'éthique et de religion. Nous devrons nous interroger sur les valeurs morales de notre temps et sur les paradigmes sociaux qui prévalent.

Dans son intervention à l'étape de la deuxième lecture, la sénatrice Nancy Ruth a parlé d'un sondage Ipsos Reid réalisé en septembre 2014 qui a révélé que 84 p. 100 de l'ensemble des Canadiens sont favorables à l'aide à mourir. Par contre, ceux qui auraient la tâche d'aider des patients à mourir, c'est-à-dire les médecins, ont des opinions partagées avant à cette initiative. Des médecins ont fait remarquer que c'était là une profonde transformation de leur façon d'exercer la médecine. La décision de la Cour suprême du Canada précise : « Certains praticiens de la santé considèrent la modification du droit comme le prolongement naturel du principe de l'autonomie du patient, alors que d'autres craignent que l'on déroge aux principes de déontologie médicale. »

Honorables sénateurs, il est important de prendre note du choix délibéré des termes employés dans le projet de loi. En effet, le projet de loi S-225 emploie l'expression « aide médicale à mourir » plutôt qu'« aide au suicide » ou « euthanasie ». Bien des gens emploient indifféremment ces termes, qui se distinguent pourtant par des nuances subtiles. L'euthanasie désigne une action directe du médecin pour mettre fin à la vie d'un patient, ce qui se distingue de l'aide médicale à mourir, où une personne provoque volontairement sa propre mort avec l'aide d'une autre personne, d'habitude un médecin, un parent ou un ami. L'aide médicale au suicide décrit un acte analogue à l'aide à mourir, mais elle évoque inévitablement la stigmatisation associée au suicide.

Ces choix dans l'utilisation d'un seul terme peuvent avoir un impact profond sur la perception qu'on a de l'intention traduite par le projet de loi et même sur la vraie signification juridique d'un acte donné. L'euthanasie, c'est quand des médecins posent un acte à l'endroit d'une personne. C'est une intervention directe. Alors que l'aide à mourir comporte l'idée que la personne qui souhaite mourir reçoit de l'aide ou obtient l'assistance d'un médecin. La responsabilité repose sur la personne qui désire mourir et prend des mesures en conséquence.

Le Canada peut voir un peu partout dans le monde des exemples de lois sur l'aide médicale à mourir et s'inspirer des débats qui ont cours dans les pays qui se sont déjà donné une telle loi.

En Suisse, l'aide au suicide est légale depuis 1937, comme le code pénal suisse le précise. Par contre, la participation d'un médecin n'est pas exigée, et il n'est pas nécessaire non plus que la personne soit un malade en phase terminale.

En 1996, l'Assemblée législative du Territoire du Nord, en Australie, a été la première au monde à légaliser l'aide médicale à mourir en adoptant le Rights of the Terminally Ill Act. Moins d'un an plus tard, cependant, le Parlement fédéral d'Australie a modifié cette loi pour la priver de tout effet légal, et a retiré le pouvoir constitutionnel de ce territoire de légiférer en matière d'euthanasie. Récemment, par suite d'un sondage national de 2012 qui a révélé que 83 p. 100 de la population était favorable à l'aide à mourir, le Sénat d'Australie a proposé un avant-projet de loi qui a été renvoyé à un comité pour enquête et étude. En novembre 2014, le comité législatif des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat australien a recommandé des consultations plus poussées avec des experts compétents avant que le projet de loi ne poursuive son parcours. Il a aussi recommandé que les sénateurs soient autorisés à voter selon leur conscience si un projet de loi de cette nature était présenté au Sénat.

Dans la fédération américaine, il est clairement du ressort des États de légiférer en la matière, et divers États ont adopté une loi sur l'aide médicale à mourir. L'Oregon a ouvert la marche, en adoptant en 1997 son Death with Dignity Act. Washington a suivi son exemple en 2008 et le Vermont a fait de même en 2013. Le modèle de l'Oregon, qui a été largement repris par les rédacteurs des projets de loi de Washington et du Vermont, permet aux médecins de prescrire une dose mortelle de barbituriques que le patient doit prendre lui-même : c'est le patient qui doit faire le dernier geste. D'ici la fin de 2015, 25 États en tout, ainsi que le district de Columbia, auront étudié une loi sur l'aide à mourir.

La loi de l'Oregon limite l'accès à l'aide à mourir aux patients en phase terminale ayant six mois ou moins à vivre. Cette loi est maintenant généralement acceptée dans tout l'État et soulève peu de débats. Cela s'explique en partie par le milieu des soins palliatifs en Oregon, qui est l'un des États américains comptant les taux les plus élevés d'aiguillages vers les établissements de soins palliatifs, de prescriptions d'opioïdes et de communications sur la fin de vie. Les rapports annuels faisant le suivi des personnes qui demandent l'aide à mourir indiquent que 90 p. 100 d'entre elles reçoivent des soins palliatifs, et que 95 p. 100 de ces personnes meurent chez elles.

L'aide médicale à mourir, dans une forme semblable à celle que propose le projet de loi S-225, a été officiellement légalisée par le Parlement néerlandais en novembre 2001 et par le Parlement belge en 2002.

Honorables sénateurs, le paragraphe 241.1(6) proposé dans l'article 3 du projet de loi S-225 indique ceci :

Le médecin aidant informe la personne qui souhaite formuler une demande d'aide médicale à mourir de ses diagnostic et pronostic médicaux, de ce qu'il adviendra si l'on accède à sa demande, des autres traitements possibles —notamment les soins de confort, les soins palliatifs dispensés à l'hôpital ou en maison de soins et le soulagement de la douleur — ainsi que de son droit de retirer sa demande à tout moment.

L'article 3 énonce diverses options pour l'aide à mourir qui, ensemble, représentent les soins de fin de vie. L'exigence législative proposée visant à explorer tous les traitements de remplacement possibles pose un défi particulier dans le contexte canadien.

(1620)

À l'heure actuelle, il n'y a que 30 p. 100 des Canadiens qui ont accès aux soins palliatifs, en raison des longs délais d'attente, et ce même dans les situations critiques. Avec la loi sur l'aide médicale à mourir, le Canada doit examiner ses soins palliatifs et ses soins en fin de vie. Pour que cette loi soit appliquée conformément à ce que la Cour suprême du Canada a conclu, il faut des services de soins palliatifs plus solides et plus accessibles. En septembre 2014, l'honorable ministre de la Santé, Rona Ambrose, a dit que nous devrions nous assurer d'avoir les meilleurs soins en fin de vie possible avant de parler de suicide assisté et d'euthanasie.

Nous sommes maintenant saisis d'une question plus générale : en quoi consistent les soins palliatifs? La définition la plus couramment acceptée est celle de l'Organisation mondiale de la santé, qui définit les soins palliatifs comme suit :

[...] une approche qui améliore la qualité de vie des patients et des familles confrontés au problème associé à une maladie potentiellement mortelle. Cette approche prévient et soulage la souffrance grâce au dépistage précoce et à l'évaluation irréprochable du traitement de la douleur et des autres problèmes physiques, psychosociaux et spirituels.

Les soins palliatifs ne sont pas une nouveauté. Les premiers hospices ont été mis sur pied à l'Hôpital St-Boniface de Winnipeg et à l'Hôpital Royal Victoria de Montréal. En 1973, le Dr Balfour Mount a créé l'expression « soins palliatifs ». Depuis, notre propre Chambre a participé activement à orienter l'évolution des soins palliatifs. En juin 1995, le Comité sénatorial spécial sur l'euthanasie et l'aide au suicide a déposé un rapport intitulé De la vie à la mort. Cinq ans plus tard, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a examiné les progrès qui ont été réalisés pour mettre en œuvre les recommandations formulées dans le rapport.

Plusieurs études ont suivi. Elles ont été réalisées par plusieurs institutions distinctes, notamment par des comités du Sénat et de l'autre endroit, Santé Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada, les IRSC. Une initiative lancée par les IRSC et des partenaires en juin 2003 — laquelle a pris fin en 2009 — a été louée, sur la scène internationale, pour ses approches novatrices.

L'intérêt d'appuyer les soins palliatifs au Canada a connu un nouvel essor après la publication, en 2010, du rapport sénatorial intitulé Monter la barre : Plan d'action pour de meilleurs soins palliatifs au Canada. Une année plus tard, le Comité parlementaire sur les soins palliatifs a publié le rapport intitulé Avec dignité et compassion : Soins destinés aux Canadiens vulnérables. Le rapport recommandait de créer un secrétariat des soins palliatifs ayant pour mandat de créer et de mettre en œuvre une stratégie nationale de soins palliatifs et de fin de vie.

Il y a des établissements de soins palliatifs partout au pays. Dans une fiche d'information qu'elle a publiée en octobre 2014, l'Association canadienne de soins palliatifs souligne que seulement 16 à 30 p. 100 des Canadiens ont accès à des services de soins palliatifs ou de fin de vie, ou en reçoivent. Le pourcentage varie en fonction du lieu de résidence. Ils sont encore moins nombreux à recevoir des services de deuil.

Le Dr Garey Mazowita, président du Collège des médecins de famille du Canada, a déclaré ceci :

Même si les hôpitaux fournissent d'excellents soins, ce ne sont pas forcément les meilleurs endroits où recevoir ces soins. Beaucoup de Canadiens préféreraient recevoir ces soins à domicile, lorsque cela est indiqué.

Honorables sénateurs, malgré ces défis, il y a eu de vrais succès et progrès au chapitre des soins de fin de vie au Canada. En Colombie-Britannique, l'organisme Fraser Health a ouvert des résidences offrant des soins palliatifs fournis par des équipes multidisciplinaires qui accompagnent les personnes en fin de vie.

L'Alberta a mis la touche finale à son cadre de soins palliatifs et de fin de vie en 2014. Il est destiné aux patients au seuil de la mort et à leur famille. Il est architecturé autour de la multiplication de services et d'évaluations interdisciplinaires, comme le soutien préventif au deuil et la gestion de la douleur et des symptômes.

En Ontario, le cadre des soins de fin de vie de l'Association médicale de l'Ontario vise à rapprocher les experts et la population pour améliorer la qualité des soins de fin de vie partout dans la province.

Au Québec, la Loi concernant les soins de fin de vie a été adoptée par l'Assemblée nationale, avec l'appui de tous les partis, et a reçu la sanction royale le 10 juin 2014. La loi prévoit la création d'un régime de soins palliatifs et des dispositions sur l'aide médicale à mourir, de façon assez semblable au projet de loi S-225, les différences principales concernant les témoins, l'absence de délai d'attente prescrit et les dispositions relatives aux médecins qui refusent d'administrer le traitement final. La loi entrera en vigueur en décembre 2015.

Il reste toutefois des questions en matière de compétence. La province de Québec soutient que l'aide médicale à mourir est un acte médical et, par conséquent, qu'elle relève de la compétence du gouvernement provincial. Les opposants, quant à eux, affirment que cela contrevient directement au Code criminel, qui interdit explicitement l'aide à mourir. Ces questions ne seront pas réglées tant et aussi longtemps que le gouvernement canadien ne se conformera pas aux exigences du jugement de la Cour suprême.

Honorables sénateurs, bien que la discussion nationale entourant les soins de fin de vie ait progressé, il reste encore beaucoup de travail à faire. Si le Canada ne dispose pas d'un régime de soins palliatifs accessible et universel, il est extrêmement difficile de légiférer en matière d'aide médicale à mourir. Au cours des 15 dernières années, nos propres rapports parlementaires ont fait état de la nécessité absolue d'une stratégie nationale en matière de soins palliatifs. En effet, le dernier rapport indique ce qui suit :

Dans les régions où des soins palliatifs sont offerts, la qualité et l'accessibilité varient en fonction du lieu de résidence. [...] La disparité des services est encore plus prononcée dans les régions moins peuplées. Dans bon nombre de régions du Canada, il n'y a tout simplement pas de services de soins palliatifs. [...] Avec le vieillissement de la population, la demande de services de santé axés sur les aînés s'accentuera, mais le système de santé actuel semble mal préparé à faire ce virage.

Enfin, je tiens à remercier mon honorable collègue, la sénatrice Batters, de son discours bien senti, dans lequel elle a souligné une lacune importante qu'elle a constatée dans le projet de loi S-225, là où il est question de souffrances psychologiques insupportables.

Nul doute que les législateurs souhaiteront prendre des dispositions pour empêcher que soient maltraitées des personnes qui peuvent se trouver à un moment de leur vie où elles sont particulièrement vulnérables. Il sera essentiel de rédiger des modalités très précises pour réduire les interprétations beaucoup trop larges de cette mesure législative.

Le projet de loi S-225 nous rappelle qu'il est nécessaire d'avoir une conversation nationale sur cette question — une conversation difficile, qui portera sur l'éthique, la médecine, la loi et la religion. Comme on le précise dans l'arrêt Carter c. Canada :

D'une part, il y a l'autonomie et la dignité d'un adulte capable qui cherche dans la mort un remède à des problèmes de santé graves et irrémédiables. D'autre part, il y a le caractère sacré de la vie et la nécessité de protéger les personnes vulnérables.

Honorables sénateurs, il est temps de tenir cette conversation nationale. Je vous remercie.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, au nom du sénateur Doyle, le débat est ajourné.)

Comité de sélection

Adoption du cinquième rapport du comité

Le Sénat passe à l'étude du cinquième rapport du Comité de sélection (désignation du président à titre intérimaire), présenté au Sénat le 28 mai 2015.

L'honorable Elizabeth (Beth) Marshall : Je propose l'adoption du rapport.

Son Honneur le Président suppléant : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

(1630)

Le Sénat

Motion exhortant les députés de la Chambre des communes à inviter le vérificateur général à effectuer une vérification approfondie des dépenses—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Downe, appuyée par l'honorable sénatrice Chaput,

Que le Sénat exhorte les députés à la Chambre des communes du Parlement du Canada à se rallier aux efforts du Sénat en faveur d'une transparence accrue en prenant acte de la demande de longue date des vérificateurs généraux du Canada actuel et antérieurs d'examiner les comptes des deux Chambres du Parlement, et en invitant le vérificateur général du Canada à effectuer une vérification approfondie des dépenses de la Chambre des communes, y compris des députés;

Que les vérifications de la Chambre des communes et du Sénat soient effectuées simultanément, et que les résultats concernant les deux Chambres du Parlement soient publiés en même temps.

L'honorable Stephen Greene : Honorables sénateurs, mes notes ne sont pas encore prêtes. J'ai parlé avec le sénateur Downe et j'aimerais ajourner le débat à mon nom.

(Sur la motion du sénateur Greene, le débat est ajourné.)

Le Bureau du vérificateur général

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné préavis le 14 mai 2015 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat sur les termes, les conditions et le mandat du vérificateur général du Canada, conformément aux articles 3(1) et 3(1.1) de la Loi sur le vérificateur général, qui se lisent comme suit :

3. (1) Le gouverneur en conseil nomme un vérificateur général du Canada par commission sous le grand sceau, après consultation du chef de chacun des partis reconnus au Sénat et à la Chambre des communes et approbation par résolution du Sénat et de la Chambre des communes.

(1.1) Le vérificateur général occupe sa charge à titre inamovible pour un mandat de dix ans, sauf révocation motivée par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes.

sur son mandat et l'indépendance unique qui lui est accordée à titre de « vérificateur des comptes du Canada », afin de lui permettre de vérifier et d'attester que les dépenses du gouvernement sont conformes aux lois de crédit dictées et adoptées par la Chambre des communes; sur son devoir constitutionnel d'appuyer le Comité des comptes publics et la Chambre des communes à l'égard de leur prééminence dans les finances nationales et de leur pouvoir de contrôler les deniers publics.

— Honorables sénateurs, le vérificateur général du Canada est titulaire d'une charge créée par une loi. C'est donc dire que ses attributions sont celles qui sont énoncées aux articles 5 à 11 de la Loi sur le vérificateur général, sous la rubrique « Attributions ». Aucune motion du Sénat ne peut ajouter de nouveaux pouvoirs à cette loi pour qu'il puisse procéder à la vérification du Sénat. La vérification doit son existence à la longue lutte de la Chambre des communes britannique à l'issue de laquelle elle a obtenu la prééminence concernant les finances publiques, les revenus et les dépenses, soit le contrôle des deniers publics. Ce fut la plus grande réalisation constitutionnelle de la Chambre des communes, l'assemblée représentant la population et faisant en sorte qu'il n'y ait pas de taxation sans représentation. Le « contrôle des deniers publics » signifie que les dépenses du gouvernement doivent être conformes à ce que les Communes ont dicté et voté dans leurs lois de crédits qui, au Canada comme en Grande-Bretagne, doivent émaner d'une motion ministérielle à la Chambre des communes.

La fonction de vérificateur général a été créée pour effectuer la vérification des crédits. Cette vérification était un sommet en matière de constitutionnalisme et de responsabilité ministérielle. Le vérificateur général devait vérifier et attester que les dépenses du gouvernement étaient conformes à ce que la Chambre des communes avait dicté dans ses lois de crédits, dont les annexes contenaient chaque crédit voté par numéro. Chaque crédit voté avait son propre compte. Au Canada, le contrôle des deniers publics a été établi à la Chambre des communes au début de notre nouvelle Confédération. Il s'était agi d'un but important dans le cadre des assemblées préalables à la Confédération.

Honorables sénateurs, au Canada, le sous-ministre des Finances a aussi été vérificateur général jusqu'en 1878. Cette année-là, le gouvernement du premier ministre libéral, Alexander Mackenzie, a divisé les deux fonctions. S'inspirant des réformes britanniques du chancelier de l'Échiquier, le libéral William Gladstone, un grand parlementaire britannique qui a présenté la loi de 1866 sur les ministères de l'Échiquier et de la Vérification, le ministre des Finances du gouvernement Mackenzie au Canada, Richard Cartwright, a présenté son projet de loi, l'Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics. Voici ce que le ministre a déclaré au sujet du nouveau vérificateur général indépendant le 19 mars 1878, à la page 1232 des Débats de la Chambre des communes :

[...] qu'il y aura quelques modifications dans des matières de détail à part la principale, qui consiste à séparer définitivement les fonctions du député du ministre des Finances de celles de l'auditeur-général, selon la coutume anglaise.

Honorables sénateurs, la loi de 1878 des libéraux avait pour objet de séparer complètement les fonctions du vérificateur général des fonctions du gouvernement.

Le ministre des Finances, comme le ministre de l'Échiquier britannique, jouait alors et joue toujours un rôle essentiel en ce qui concerne les finances nationales et les dépenses publiques. Conformément à l'annexe I.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le vérificateur général relève du ministre des Finances. Le 2 avril, le ministre des Finances Cartwright a expliqué en quoi consistait son projet de loi à la page 1646 des Débats de la Chambre des communes :

[...] pour arriver à une audition parfaite des comptes publics, il faut qu'il y ait séparation complète entre les charges d'auditeur et de député du ministre des Finances. Le principal objet du bill est de mettre cela à exécution [...] Il a donc été jugé à propos d'adopter la pratique anglaise et de nommer un fonctionnaire, qui resterait en charge durant bonne conduite, et qui pourrait être destitué, comme le sont les juges, à la suite d'une adresse des deux Chambres du Parlement.

Honorables sénateurs, compte tenu de la séparation complète et définitive des fonctions liées au ministère des Finances de celles du vérificateur général indépendant, le vérificateur général est chargé d'appuyer la Chambre des communes en matière de finances nationales et de dépenses publiques. Créé en vertu d'une loi, le poste de vérificateur général est une création du Parlement, distinct de la Couronne. Le problème de longue date vient du fait que les deux Chambres n'avaient pas le pouvoir de nommer leurs propres agents et devaient s'en remettre à la Couronne pour nommer les greffiers par commission. Les deux greffiers, dont le poste n'a pas été créé en vertu d'une loi, sont, contrairement au vérificateur général, d'anciens agents de la Couronne, qui assistent chaque jour aux séances des deux Chambres et qui servent les Chambres. Le 4 avril, le ministre des Finances Cartwright a expliqué que son projet de loi visait à créer un poste pour aider la Chambre des communes et non le gouvernement. Voici ce que prévoyait l'article 11 de sa loi aux fins d'une meilleure vérification :

Pour le plus complet examen des comptes publics du Canada, et pour qu'il en soit fait rapport à la Chambre des Communes, le Gouverneur-Général pourra nommer, sous le grand sceau du Canada, un officier qui sera appelé l'Auditeur-général du Canada, et cet officier pourra recevoir, à même le fonds du revenu consolidé [...]

Honorables collègues, à l'instar du salaire des juges, ce salaire était directement prélevé à même le Fonds du revenu consolidé. Cette technique était utilisée pour éviter que ces salaires soient sujets à des votes de confiance et aux conflits houleux quant aux crédits et aux votes en la matière. Au sujet de la durée de charge, l'article 12 de l'acte dit ce qui suit :

L'Auditeur-général restera en charge durant bonne conduite, mais pourra être démis par le Gouverneur-Général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

Honorables sénateurs, l'expression « durant bonne conduite » est la traduction de l'expression latine quamdiu se bene gesserint. Les deux expressions signifient « un mandat à vie », et c'est la durée des fonctions des juges des cours supérieures nommés en vertu de l'article 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Sous « Judicature », le paragraphe 99(1) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 concernant la « durée des fonctions des juges » dit :

[...] les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

La durée des fonctions des juges et des sénateurs a été accordée au nouveau vérificateur général indépendant, dont la durée des fonctions a depuis été modifiée, soit dit en passant. Cet aspect a été souligné par John A Macdonald. Le 4 avril 1878, à la page 1722 des débats de la Chambre des communes, il a dit :

C'est un officier judiciaire [...] indépendant du gouvernement.

L'expression « durant bonne conduite » de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 a été reprise de l'Acte d'établissement de 1701 :

La nomination des juges est quamdiu se bene gesserint, et leur salaire est fixé et établi; mais ils peuvent être révoqués sur adresse des deux Chambres du Parlement.

Honorables sénateurs, l'expression « durant bonne conduite » correspond à un mandat à vie, comme l'a confirmé une décision rendue par la Cour du Banc du Roi britannique en 1692 dans l'affaire Harcourt c. Fox. Les juges Gregory et Holt ont tranché sur l'inamovibilité des charges. Au sujet du terme « durant bonne conduite » et de l'Acte d'établissement, le juge en chef Holt indique ceci à la page 734 du volume 89 des English Reports :

[...] je connaissais l'état d'esprit et la volonté des représentants du Parlement au moment où cette loi avait été adoptée; ce qu'ils cherchaient à établir, c'est que les hommes devraient avoir non pas un rôle précaire ou dépendant du bon vouloir d'autrui, mais plutôt une position stable, leur permettant de prendre des décisions sans craindre d'être révoqués; nous le savons tous et nos fonctions de juges sont tellement inamovibles que seule la mauvaise conduite peut nous en destituer [...] Mais je suis d'avis que, depuis l'adoption de cette loi durant la première année du règne du roi et de la reine, il [le greffier de la paix] jouit absolument d'un mandat à vie, sa charge étant indépendante de celle du custos rotulorum, et que seule la mauvaise conduite peut le destituer de sa fonction.

À la page 728, on peut lire l'affirmation suivante du juge Gregory :

[...] j'en comprends qu'en vertu de cet acte, le greffier de la paix occupe sa fonction à vie et « qu'il en jouira tant et aussi longtemps qu'il préservera sa réputation »'. Si ces mots avaient été apposés à l'octroi de toute autre charge à Westminster Hall, le titulaire y aurait sans contredit droit à vie [...]

(1640)

Honorables sénateurs, de 1878 à 1977, les vérificateurs généraux du Canada ont occupé leur poste à vie, sous réserve d'une destitution par le Sénat et la Chambre des communes. Le premier vérificateur général indépendant, John McDougall, a occupé le poste pendant 27 ans, de 1878 à 1905; George Gonthier, pendant 15 ans, de 1924 à 1939; et Robert Seller, pendant 19 ans, de 1940 à 1959. La notion d'inamovibilité viagère est issue des concepts ancestraux de la common law en matière de propriété, comme la tenance, la tenure et la propriété foncière. En common law, un mandat à vie relevait en effet du domaine viager, au même titre qu'un bien immobilier ou un terrain. En ce qui concerne les sénateurs et les juges — nous, honorables sénateurs —, l'inamovibilité viagère, durant bonne conduite, ne dure plus jusqu'à la mort et prend plutôt fin lorsque le titulaire de la charge atteint 75 ans. Autrement, l'inamovibilité viagère n'est perdue que si le titulaire est déchu de son poste en raison d'actes répréhensibles.

Dans A Treatise on the Law of the Prerogatives of the Crown, publié en 1820, Joseph Chitty écrit ceci, à la page 85 :

[...] étant donné qu'ils sont constitués pour le bien public, il importe qu'ils soient correctement exécutés. À partir de ce principe, une condition est tacitement et péremptoirement ajoutée par la loi à l'octroi de tous postes, à savoir qu'ils soient remplis par les titulaires fidèlement, correctement et diligemment : à défaut de quoi le titulaire est déchu du poste ou susceptible de l'être.

Honorables sénateurs, c'est à la demande du vérificateur général de l'époque, James Macdonell, que la Loi de 1977 sur le vérificateur général a aboli l'inamovibilité viagère associée à ce poste pour la remplacer par un mandat correspondant à un nombre d'années défini. C'est M. Macdonell qui a eu l'idée de légiférer pour limiter le mandat du vérificateur général. Dans son ouvrage publié en 1979 et intitulé Cordial But Not Cosy : A History of the Office of the Auditor General, Sonja Sinclair évoque, à la page 122, la notion de mandat fixe, telle que l'envisageait M. Macdonell :

Conformément à la recommandation expresse de Macdonell, [...], les vérificateurs généraux devaient prendre leur retraite après 10 années de service, [...]. Comme il l'a expliqué au Comité des comptes publics, il avait vu de nombreux organismes souffrir du fait que leur directeur général avait été nommé sans que la durée de leur mandat soit déterminée [...]. « Après un certain temps, a-t-il dit au comité, n'importe quel dirigeant aura commencé à se nourrir de ses propres idées. »

C'est ainsi que le souhait d'un vérificateur général autoritaire et dominateur a mis fin à la véritable protection de l'indépendance dont jouissait réellement le vérificateur général.

Il est clair que le vérificateur général Macdonell ne connaissait pas grand-chose du droit parlementaire ni des lois concernant la durée des fonctions. Il a balayé du revers de la main l'indépendance accordée à cet agent pour qu'il aide la Chambre des communes. William Blackstone a écrit, à la page 36 du tome 2 de ses Commentaires sur les lois anglaises, paru en 1766 :

Les offices, qui donnent droit d'exercer un emploi public ou particulier, et de recevoir la rémunération et les émoluments qui s'y rattachent, [...]. Car un homme peut posséder un office [...] soit à vie, ou pour un nombre d'années, ou seulement à volonté, avec cette exception cependant que les offices de confiance publique, spécialement s'ils concernent l'administration de la justice, ne peuvent être concédés pour un nombre fixe d'années, [...].

Honorables sénateurs, le mandat fixe établi par Macdonell correspond au nombre d'années déterminé en common law dont parle Blackstone. Ce mandat inférieur élimine l'indépendance juridique de cet agent. Par sa volonté, ses campagnes publiques et ses limites personnelles, le vérificateur général Macdonell a irrémédiablement affaibli l'indépendance établie du vérificateur général par rapport au gouvernement. On le voit clairement dans sa Loi de 1977 sur le vérificateur général. C'était la nouvelle loi. Les sénateurs ne la connaissent peut-être pas tellement, mais cette loi était encore nouvelle quand je suis arrivée ici, en 1984. Il y avait de nombreux sénateurs qui ne digéraient pas la campagne du vérificateur général Macdonell. Le paragraphe 3(1) de cette loi remplace l'expression « gouverneur général » par « gouverneur en conseil », une autre réduction.

3. (1) Le gouverneur en conseil, par commission sous le grand sceau, nomme un vérificateur compétent appelé le vérificateur général du Canada à titre inamovible pour un mandat de dix ans, sous réserve de révocation par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes.

Chers collègues, une révocation sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes est une grave mesure prise par le gouverneur général, qui annule la nomination par commission, sur les conseils des deux Chambres. Lorsqu'il y a révocation sur adresse d'un agent, le gouverneur en conseil ne peut pas remplacer le gouverneur général. Une adresse est une procédure unique qui permet aux Chambres du Parlement de s'adresser au souverain et chef du Parlement. Lorsque l'agent est destitué, il n'y a pas d'adresse au gouverneur en conseil. Dans le cas d'une révocation sur adresse, le gouverneur général suit les conseils des deux Chambres, et non plus ceux du ministre qui, lui, avait recommandé la nomination qui est annulée. Il faut comprendre que la révocation d'un agent du Parlement constitue toujours une crise grave dans l'administration de la justice. C'est notamment pour cette raison que cette situation se produit rarement, mais le gouverneur général suivrait les conseils des deux Chambres, au lieu de se fier aux conseils du ministre qui avait recommandé la nomination au départ. La révocation sur adresse présentée par les deux Chambres au gouverneur général constitue un désaveu de la nomination faite sur les conseils du ministre. Dans une adresse, le gouverneur général doit absolument se servir de son jugement et de ses pouvoirs pour destituer quelqu'un à qui il avait confié une charge sur les conseils du ministre. Seul le gouverneur général peut destituer cette personne ou la suspendre de ses fonctions.

Honorables sénateurs, puisque le vérificateur général occupe sa charge à titre inamovible, il est protégé si jamais le gouverneur souhaitait le destituer sur les conseils du Cabinet. S'il était nommé pour une période déterminée, il ne serait pas protégé. L'indépendance dont jouit le vérificateur général du Canada est maintenant moindre que celle dont il jouissait à l'origine, et elle est encore plus réduite depuis que la Loi fédérale sur la responsabilité de 2006 a été adoptée. En effet, en vertu de l'article 110 de cette loi, le mot « motivée » a été ajouté après le mot « révocation ». Voici ce qu'on peut maintenant lire au paragraphe 3 (1.1) de la Loi sur le vérificateur général :

Le vérificateur général occupe sa charge à titre inamovible pour un mandat de dix ans, sauf révocation motivée par le gouverneur en conseil sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes.

Lorsqu'on parle de révocation motivée, on fait allusion au droit de congédier un employé. Les sénateurs devraient savoir que cela ne s'applique pas à la nomination des hauts fonctionnaires. Cette disposition fait en sorte que le haut fonctionnaire est traité comme un employé. Elle ne s'applique aucunement en cas de bonne conduite de la part du haut fonctionnaire, ce qui fait que le congédiement ne peut avoir lieu qu'en cas d'inconduite.

Par ailleurs, le terme « compétent », qui qualifiait auparavant le vérificateur à nommer, a également été retiré aux termes de l'article 110 de la Loi sur la responsabilité susmentionnée. Dans sa version actuelle, le paragraphe 3(1) ne précise pas si cela signifie que les vérificateurs qui ne sont pas compétents peuvent être nommés par le gouverneur.

Les modifications apportées à la loi sont ridicules et ont toutes été faites sur les ordres d'un vérificateur général en particulier.

Son Honneur le Président suppléant : Avez-vous besoin de quelques minutes supplémentaires?

La sénatrice Cools : Oui. Merci beaucoup.

Son Honneur le Président suppléant : D'accord?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Cools : Honorables sénateurs, depuis l'adoption de la loi de 1878, le statut juridique et constitutionnel du vérificateur général s'est dégradé selon la volonté des personnes qui ont occupé ce poste. En définissant eux-mêmes leur fonction, les vérificateurs généraux ont assumé les pouvoirs qu'ils voulaient exercer grâce à leur utilisation habile des médias, par l'entremise desquels ils se présentent à la population comme des gardiens qui surveillent les dépenses des politiciens, comme s'ils représentaient les contribuables.

Je remercie les honorables sénateurs de leur attention. Je tenais à dire que, pendant un certain temps, j'ai occupé le poste de vice-présidente du Comité sénatorial des finances nationales. Comme vous le savez, le sénateur qui occupe ce poste est chargé de piloter l'étude des projets de loi de crédits au Sénat. C'est ce que j'ai fait pendant de nombreuses années, et on m'a dit que je m'acquittais de cette tâche avec brio. Ce que je veux montrer par là, honorables sénateurs, c'est que, pendant ces années, j'en ai beaucoup appris sur les finances publiques et je me suis employée à étudier l'histoire et les circonstances entourant le poste de vérificateur général.

Honorables collègues, je signale que, en 1988, ce même Comité sénatorial des finances nationales a mené une étude sur le vérificateur général. Nos préoccupations étaient attribuables au fait que le vérificateur général a contrarié beaucoup de sénateurs en venant au Sénat pour procéder à une vérification de leurs dépenses, ce qui n'est, bien entendu, pas permis ou autorisé aux termes de la Loi sur le vérificateur général. Quoi qu'il en soit, je croyais qu'il serait utile d'en savoir plus sur l'origine de ce poste et les motifs de sa création, c'est-à-dire ce que le Parlement avait en tête quand il a créé le poste indépendant de vérificateur général.

(1650)

Je peux vous dire une chose : le Parlement n'a jamais imaginé que le vérificateur général du Canada mènerait un jour une vérification du Sénat et des sénateurs à la suite d'une motion d'initiative ministérielle présentée dans le cadre des affaires du gouvernement. La loi de 1878 prévoyait plutôt que le vérificateur général n'aurait rien à voir avec les affaires du gouvernement.

Honorables sénateurs, je vous remercie.

(Sur la motion du sénateur Moore, le débat est ajourné.)

La vérification des comptes du Sénat par le vérificateur général

Interpellation—Ajournement du débat

L'honorable Anne C. Cools, ayant donné préavis le 14 mai 2015 :

Qu'elle attirera l'attention du Sénat

a) sur le vérificateur général, comme titulaire de charge créée par une loi, pour exprimer que le Parlement n'a pas et n'a jamais eu l'intention de lui donner le pouvoir de procéder à la vérification de ses Chambres, soit le Sénat et la Chambre des communes; que, précédemment et jusqu'en 1878, le poste de vérificateur général faisait partie du bureau du sous-ministre des Finances; qu'en 1878, l'Acte pour pourvoir à la meilleure audition des comptes publics a été adopté pour séparer les deux bureaux et les deux postes et pour dissocier le vérificateur général du ministère des Finances et du gouvernement de façon à le retirer indéfiniment de toutes les affaires gouvernementales, dans le but de dégager le poste de vérificateur général de toute influence, de tout contrôle et de toute pression politique de la part du gouvernement en poste;

b) sur le constat — triste et malheureux — que le gouvernement ne semble pas faire, que l'indépendance singulière dont jouit le vérificateur général du Canada — à titre de vérificateur des comptes publics — lui interdit formellement d'obéir aux souhaits et désirs du gouvernement, en particulier aux motions de ce dernier, des motions qui — une fois adoptées — deviennent des ordres de la Chambre soumettant le vérificateur au pouvoir de sanction pour outrage par les Chambres; que l'audit du vérificateur général dont l'objet est le Sénat — la Chambre haute — compromet gravement son indépendance, puisque cette vérification — bien trop publicisée — n'a pas été amorcée à la demande des sénateurs mêmes, mais plutôt à la suite d'une proposition du leader du gouvernement au Sénat, à la suite d'une mesure de ce dernier, rapidement adoptée en juin, déposée par le ministre du gouvernement, sans trop de débats, grâce à un vote dicté par le parti; que les sénateurs ont appris les intentions du gouvernement ainsi que l'accord du vérificateur général de procéder à une vérification par les communiqués de la journée; qu'il est terrible que les sénateurs aient été les derniers à être mis au courant de cette décision unilatérale.

— Honorables sénateurs, depuis maintenant deux ans, tous les sénateurs en poste et certains anciens sénateurs sont contraints par une motion du gouvernement de se soumettre à une vérification du vérificateur général. Accablés et blessés, plusieurs ont pensé, peut-être à tort, que le gouvernement avait demandé l'aide du vérificateur général pour abolir le Sénat. En 2013, un enchaînement d'événements qu'on a appelé le scandale du Sénat incitait à tirer la terrible conclusion que le gouvernement du Canada s'efforçait de discréditer le Sénat. Cet automne-là, dans le discours du Trône du 16 octobre, le gouvernement a fait lire au gouverneur général, David Johnston, des propos inquiétants, à savoir que :

Le gouvernement demeure convaincu que le statu quo au Sénat du Canada ne peut plus durer. Ce dernier doit subir une réforme ou être éliminé, comme ses équivalents provinciaux.

Ces mots douteux ne conviennent pas au gouverneur général, ni au Sénat, la Chambre royale et fédérale qui est le seul endroit où le Parlement peut réunir ses trois composantes distinctes : les sénateurs, les députés des Communes et Son Excellence.

Honorables sénateurs, ce printemps-là, de nombreuses fuites médiatiques ont visé les finances de quatre sénateurs dont on a donné les noms. C'était un bon filon pour ceux qui détestaient le Sénat. Pendant l'été, ces événements du scandale du Sénat ont atteint leur moment de vérité. Le 5 juin, madame le leader du gouvernement au Sénat, la sénatrice Marjory LeBreton, a présenté de but en blanc une motion punitive du gouvernement voulant que le vérificateur général procède à une vérification de tous les sénateurs et, apparemment, d'anciens sénateurs. Le jour suivant, la motion du gouvernement a été rapidement adoptée à la suite d'un débat succinct.

Chers collègues, les vérifications constituent rarement des mesures d'urgence, mais la Sénatrice LeBreton n'a pas expliqué son empressement ni l'offensive du gouvernement contre les sénateurs. Cette motion du gouvernement, qui a à peine été débattue, constituait une mauvaise pratique parlementaire et un très grand manque de savoir-vivre au Parlement, car la Loi sur le vérificateur général ne lui accorde absolument aucun pouvoir pour examiner les affaires des sénateurs ou les contraindre à une vérification. Les vérificateurs généraux, qui ne sont pas au service du gouvernement, n'ont pas l'obligation de donner suite à une motion du gouvernement qui contraint les sénateurs à se soumettre à une vérification. Il aurait dû décliner l'invitation.

Honorables sénateurs, cet automne-là, les événements scandaleux qui ont secoué le Sénat ont atteint des sommets inégalés de non-sens avec les motions de suspension barbares du gouvernement, lesquelles ont été adoptées ici, le 5 novembre, menant à l'expulsion de trois sénateurs qui travaillaient dur. Comme elles étaient d'initiative ministérielle, ces motions de suspension ont pris le pas sur tous les travaux du Sénat. J'ai remarqué que cette préséance ne peut être revendiquée que par les ministres de la Couronne, mais qu'aucun ministre ne siège au Sénat. Ces motions ont été traitées ici malgré la prérogative royale voulant que la suspension et le retrait de ceux qui détiennent des mandats et des lettres patentes n'appartiennent qu'au gouverneur général qui leur a accordé leur charge et qui doit agir suivant les conseils du Sénat et de la Chambre, énoncés dans une adresse, selon la procédure parlementaire.

L'article V des Lettres patentes de 1947 constituant la charge de gouverneur général indique ce qui suit :

Et Nous autorisons en outre Notre gouverneur général, dans la mesure où cela Nous est validement possible, pour une raison lui apparaissant suffisante, à démettre de ses fonctions et à suspendre de l'exercice de celles-ci, toute personne remplissant une charge au Canada, sous le régime ou en vertu d'une commission ou d'un brevet accordé, ou qui pourra être accordé, par Nous ou en Notre nom ou sous Notre autorité.

Selon les lettres patentes, le gouverneur général est le seul qui peut suspendre un titulaire ou le démettre de ses fonctions.

Honorables sénateurs, ces motions de suspension délétères ont été traitées ici en recourant à la clôture et à l'attribution de temps. Ces motions ne peuvent être proposées que par des ministres de la Couronne, et seulement après une obstruction prolongée à des mesures gouvernementales requises d'urgence pour le bien public. Ces suspensions prendront fin à l'appel du premier ministre — le moment de ces suspensions est fonction de l'appel du premier ministre —, lorsqu'il décidera de mettre un terme à la présente session. Sénateurs, ces suspensions qui tiennent du sacrilège ont déstabilisé cette enceinte, et la vie des sénateurs visés. Je dirais même qu'elles ont mis à mal leur santé physique et mentale.

Honorables sénateurs, c'est avec beaucoup de tristesse que les Canadiens ont suivi les événements qui ont précédé la tenue des audiences de la Cour suprême — qui ont commencé le 12 novembre — au sujet du Renvoi relatif à la réforme du Sénat, dossier no 35203. Dans ce renvoi, soumis en vertu de l'article 53 de la Loi sur la Cour suprême, le gouvernement demandait à la cour de se prononcer sur quelques questions d'ordre juridique. La question 5, qui porte sur l'abolition du Sénat et qui comporte trois parties, se lit comme suit :

5. Pourrait-on, par l'un des moyens ci-après, avoir recours à la procédure normale de modification prévue à l'article 38 de la Loi constitutionnelle de 1982 pour abolir le Sénat :

a) ajouter une disposition distincte prévoyant que le Sénat serait aboli à une date précise, à titre de modification de la Loi constitutionnelle de 1867, ou de disposition distincte des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 s'inscrivant néanmoins dans la Constitution du Canada;

b) modifier ou abroger en tout ou en partie les renvois au Sénat dans la Constitution du Canada;

c) abroger les pouvoirs du Sénat et éliminer la représentation des provinces en vertu des alinéas 42(1)b) et c) de la Loi constitutionnelle de 1982?

Le 25 avril de l'année dernière, la Cour suprême a répondu à ces trois questions sur l'abolition par la négative : non, non et non. Des expressions comme « abolition du Sénat » et « caractère illégitime du Sénat » sont alors devenues de plus en plus fréquentes dans le discours public. Le 25 octobre 2013, à quelques jours du début des audiences, la sénatrice LeBreton, qui était alors leader du gouvernement, a parlé ouvertement du caractère illégitime du Sénat. En entrevue à l'émission de radio The Current de la CBC, elle a dit :

Je crois que nous devons tous — et plus particulièrement les sénateurs — reconnaître qu'à l'heure actuelle, aux yeux de la population, l'institution qu'est le Sénat n'est pas une organisation démocratique légitime [...]

Chers collègues, c'est tout à fait faux. Je n'ai absolument pas à reconnaître une telle chose. Tout cela est absurde.

Le gouvernement doit se rendre compte que sa responsabilité première est de faire respecter notre Constitution et notre système parlementaire bicaméral. Aucun gouvernement ne doit attiser le mépris du public à l'égard du Sénat. Je me souviens du 14 décembre 2006, lorsque, pendant que nous siégions, madame le leader du gouvernement, la sénatrice LeBreton et le premier ministre Harper ont tenu une conférence de presse à l'extérieur du Sénat. Voici ce qu'ont dit le premier ministre et David Aiken, journaliste de CTV :

M. Aiken : Bonsoir, monsieur le premier ministre. Vos observations d'hier exprimaient très clairement votre déception devant un Sénat non élu, qui n'a pas de comptes à rendre, et vous avez présenté [...]

Le très honorable Stephen Harper : Ça me déçoit toujours. Je suis un Canadien de l'Ouest, et chaque jour, dès mon réveil, l'idée du Sénat me dérange. Je maudis le Sénat.

Cela a profondément attristé les sénateurs. Il y avait beaucoup de brouhaha à l'extérieur du Sénat. Certains d'entre nous sont sortis pour assister à la conférence de presse. Il y avait des lumières. Voilà ce qui se passait. J'en ai été témoin, je l'ai entendu, je l'ai vu et j'ai obtenu la transcription.

Honorables sénateurs, les événements entourant le scandale du Sénat étaient inquiétants et troublants. En raison de l'inhumanité cruelle et sauvage de ces événements, du déroulement et de la chaîne des événements, d'aucuns ont dit qu'il s'agissait d'un acte de malveillance visant à détruire le Sénat. Les sénateurs, tout à leur honneur — et j'admire mes collègues pour cela — sont demeurés fidèles au poste. Ils ont fait leur travail de leur mieux dans ces conditions de travail très difficiles, malgré cette publicité néfaste et la motion du gouvernement les forçant à subir une vérification dont la légalité est discutable et douteuse.

Les sénateurs devraient être respectés pour leur détermination à servir le public. Je n'ai jamais rien vu de tel dans ma vie. Tous ces sénateurs ont persévéré, malgré tout.

(1700)

Comme je l'ai dit, les sénateurs devraient être respectés et félicités pour leur détermination à servir le public. Les sénateurs et les membres de leur personnel ont dû consacrer beaucoup de temps et d'énergie à cette vérification du Sénat imposée par le gouvernement. Ses effets ont été pernicieux sur l'état d'esprit des sénateurs et des Canadiens. Elle a diminué et infantilisé les sénateurs. Cette vérification a assujetti les sénateurs à un faux pouvoir, un pouvoir qui n'existe pas aux termes de la Loi sur le vérificateur général ou de la Loi constitutionnelle de 1867. Cet assujettissement va à l'encontre de la lex parliamenti, la loi du Parlement, ainsi que des principes, des pratiques et des coutumes des Chambres du Parlement. Cet assujettissement est totalement illégal et non parlementaire. Les deux Chambres ne relèvent pas des fonctions du vérificateur général, lesquelles sont définies de manière très précise dans la Loi sur le vérificateur général : il agit en tant que vérificateur des comptes publics. Or, les comptes du Sénat ne font pas partie des comptes publics.

Chers collègues, vous vous souviendrez que je m'étais opposée à la motion de la sénatrice LeBreton, qui était alors leader du gouvernement. J'ai parlé et voté contre cette motion le 6 juin 2013. J'ai alors déclaré que la Loi sur le vérificateur général n'accordait pas au titulaire de ce poste le pouvoir d'effectuer une vérification au sujet des sénateurs, même à la suite d'une motion présentée par une ministre, une motion qui aurait dû être traitée comme ce qu'elle était, soit une hérésie parlementaire, qui obligeait le vérificateur général à enfreindre la loi qui régit ses travaux. En effet, cette loi ne lui octroie pas le pouvoir nécessaire pour effectuer une vérification de l'une ou l'autre des deux Chambres et n'a pas non plus cette intention.

Honorables sénateurs, j'attire votre attention sur la foire aux questions concernant la vérification du Sénat qui figure sur le site web du vérificateur général. À la question « Quand est-ce que votre bureau a commencé l'audit du Sénat? », il répond ce qui suit :

L'audit a débuté à l'automne 2013, lorsque le Sénat nous en a confié le mandat. Le 11 juin 2013, le vérificateur général avait informé le Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration de la décision du Bureau d'accepter l'invitation du Sénat [...]

Honorables sénateurs, cette motion d'invitation du gouvernement a été rapidement adoptée au Sénat par un vote de parti. Le terme « invitation » est agréable. D'aucuns trouveront là un faux réconfort, croyant que, grâce à ce mot, le vérificateur peut acquérir comme par magie le pouvoir de soumettre à une vérification les sénateurs et leur institution. Pourtant, aucune motion du Sénat ne peut en soi modifier la Loi sur le vérificateur général pour l'autoriser à faire une vérification du Sénat, même sur l'ordre du gouvernement. La plupart des sénateurs ont trouvé ce débat expéditif sur la motion du gouvernement odieux et répugnant. Cependant, connaissant les vrais dangers auxquels ils s'exposaient, ils se sont tus et ils ont voté. Tous ceux qui siègent dans les deux Chambres savent que le gouvernement est prompt à frapper de son courroux ceux qui se mettent en travers de son chemin. Posez-moi la question, je peux vous expliquer. Forte de mes 32 ans ici, je peux vous en parler en long et en large.

Cette mesure du gouvernement, que le vérificateur général décrit comme son « mandat » et que le gouvernement qualifie d'« invitation », prévoyant la vérification des sénateurs a été un acte disciplinaire coercitif. Ce fut une manifestation publique du pouvoir, de la force du gouvernement pour faire régner la crainte chez les sénateurs et les amener à se soumettre. Le gouvernement a voulu montrer à la population son indignation moralisatrice, montrer qu'il était scandalisé par un Sénat et des sénateurs sans légitimité.

Honorables sénateurs, le Sénat et la Chambre des communes, qui sont des Chambres indépendantes, ont les pleins pouvoirs judiciaires de l'ancien lex et consuetudo parliamenti, pour diriger leurs propres affaires à l'abri de toute contrainte du gouvernement. Les leaders des deux Chambres doivent être des ministres. La responsabilité ministérielle, ici comme aux Communes, doit être exercée correctement par des partis politiques rivaux. Les partisans du Parti conservateur, qui détient la majorité, occupent, et c'est normal, tous les postes de commande au Sénat et contrôlent la plupart des comités, voire leur totalité, notamment le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, qui gère les dépenses du Sénat et des sénateurs, y compris leurs propres systèmes de vérification interne.

Tout cela a échoué. Nous devrions savoir pourquoi certains sénateurs ont été persécutés sans pitié et punis à cause des lacunes de ces systèmes. Si nos systèmes n'ont pas été à la hauteur, pourquoi trois sénateurs ont-ils dû payer le prix fort pour l'échec de ces systèmes?

Honorables sénateurs, le principe de la responsabilité ministérielle dans un gouvernement responsable veut que les ministres soient responsables de toutes les réussites et de tous les échecs dans les domaines qui sont de leur ressort. L'administration du Sénat est dirigée et contrôlée par le gouvernement. S'il y a des lacunes ou des systèmes qui ne sont pas à la hauteur, le ministre responsable, c'est-à-dire le leader du gouvernement au Sénat, doit en répondre, doit nous informer et nous rendre compte des lacunes des systèmes.

Au lieu de cela, madame le leader du gouvernement, par une motion sous la rubrique des affaires du gouvernement qui ont la priorité dans les délibérations du Sénat, a rapidement demandé au vérificateur général de soumettre chacun des sénateurs à une vérification. Voilà qui a suscité un profond malaise chez les sénateurs et garanti beaucoup plus de publicité négative dans les semaines précédant les audiences de la Cour suprême.

Chers collègues, cette vérification du Sénat, cette lamentable manifestation d'un pouvoir effréné, a été une démonstration de force extravagante et honteuse à l'égard des sénateurs. Cette vérification a été du vandalisme constitutionnel aux dépens du Sénat. Il porte également atteinte à l'indépendance du vérificateur général qui doit être à l'abri des ordres et des affaires émanant du gouvernement. Il ne devrait pas se charger des affaires du gouvernement. En 1878, il a été coupé, de façon complète et absolue, des affaires du gouvernement.

La motion du gouvernement a été à l'encontre du Règlement administratif du Sénat et plus particulièrement de l'article 5-2, qui empêche que le vérificateur général ne soit soumis à une motion du gouvernement. L'article 5-2, sous la rubrique « Vérificateur général du Canada », dispose ce qui suit :

Le Comité de la régie interne peut inviter le vérificateur général du Canada ou un vérificateur indépendant à faire la vérification de l'Administration du Sénat et de ses comptes, selon les modalités fixées par le Comité.

Son Honneur le Président suppléant : Voulez-vous avoir quelques minutes de plus, madame la sénatrice?

La sénatrice Cools : Oui, je vous en prie.

Des voix : D'accord.

Le sénateur Cools : Merci.

Honorables sénateurs, la raison d'être de cet article est d'empêcher tout gouvernement d'obtenir le soutien du vérificateur général contre des sénateurs. Voilà ce que le Sénat a décidé il y a quelques années, lorsque cet article a été mis en vigueur. De plus, il protège l'indépendance de ce mandataire du Parlement contre toute contrainte exercée par quelque mesure du gouvernement, et peut-être même contre ses propres ambitions, pour aider un gouvernement en procédant à une vérification des sénateurs. Les leaders du gouvernement au Sénat ne sont pas le père supérieur ou la mère supérieure qui imposent une pénitence aux sénateurs pour leurs péchés.

La motion ministérielle du 6 juin relative au vérificateur général était rude. Elle a complètement compromis l'indépendance du vérificateur général, fait regrettable qui a échappé à la plupart des observateurs et même au titulaire de ce poste. La mesure gouvernementale était flagrante au point d'être un acte de corruption. Madame le leader du gouvernement et le vérificateur ont en commun une méprise au sujet du rôle du vérificateur et de sa relation avec le gouvernement et les deux Chambres. Les motions du gouvernement, à titre d'initiatives ministérielles, ont la priorité au Sénat. Elles ne peuvent être proposées que par un ministre du gouvernement pour faire avancer les affaires d'intérêt public du gouvernement au Sénat. Les vérificateurs généraux ne sont saisis d'aucune affaire gouvernementale et ils ne s'en occupent pas. Dans ce cas, pourquoi le vérificateur général aurait-il été appelé au Sénat par une motion du gouvernement?

Honorables sénateurs, la grande question est la suivante : comment la vérification des sénateurs par le vérificateur général peut-elle être une affaire du gouvernement? Le poste de vérificateur général a été créé par une loi de 1878, expressément pour séparer complètement, pour couper absolument les vérifications du vérificateur général du gouvernement et de ses travaux. Il devait être indépendant du gouvernement, et être amovible non par le gouvernement, mais par une résolution des deux Chambres adressée au gouverneur général. Cette loi prévoyait que le vérificateur général ne devait faire rapport qu'à la Chambre des communes, précisément parce que son activité n'a rien à voir avec les travaux du gouvernement.

Nous devrions savoir en quoi la vérification des dépenses des sénateurs par le vérificateur général relève des affaires du gouvernement. Quelqu'un doit nous le dire. Nous devrions savoir quel est l'intérêt du gouvernement à l'égard de la vérification des sénateurs par le vérificateur général, vérification qui a été déclenchée par une motion ministérielle, ce qui, en soi, est étrange et constitue une atteinte à son indépendance et à ses pouvoirs de vérification.

Comme je l'ai déjà dit, c'est une horreur du point de vue constitutionnel.

Honorables sénateurs, aux termes de l'article 5 de l'actuelle Loi sur le vérificateur général, celui-ci a pour tâche de vérifier les Comptes publics du Canada, c'est-à-dire les dépenses des ministères du gouvernement, et non celles des sénateurs ni celles des députés. Cette loi définit le rôle et la relation limitée entre le Sénat et le vérificateur général. Sur le plan judiciaire, cette relation est limitée à la nomination et à la révocation du vérificateur général.

Les paragraphes 3(1) et 3(1.1) accordent au Sénat un rôle de surveillance pour protéger le vérificateur général de la main lourde du gouvernement, qu'il a choisi de tenir en acceptant l'invitation qui lui a été faite. Le paragraphe 3(1) prévoit le pouvoir du Sénat d'approuver ou de rejeter le candidat avant sa nomination. Le paragraphe 3(1.1) décrit le rôle du Sénat dans la révocation du titulaire pour inconduite, ce qu'on appelle déchéance et destitution. Une adresse est une communication entre les deux Chambres et la reine comme chef du Parlement, ou son représentant, le gouverneur général.

(1710)

Honorables sénateurs, je crains que le vérificateur général ne comprenne pas bien son rôle. L'an dernier, plus précisément le 13 mars, Jordan Press a publié un article dans l'Ottawa Citizen, dont le titre indiquait que le vérificateur général avait publié une liste de questions et réponses au sujet des dépenses du Sénat. Voici un extrait de cet article :

Le vérificateur général du Canada a l'intention de soumettre à la GRC toutes les dépenses contestables faites par des sénateurs qu'il découvrira, avant même que la vérification exhaustive des dépenses du Sénat qu'il effectue en ce moment soit rendue publique [...]

Il cite les propos d'un membre du personnel du vérificateur général :

« Si, après avoir terminé notre travail de vérification, nous avons des raisons de croire qu'une infraction criminelle a pu être commise, le dossier sera renvoyé à une autre instance », a déclaré le porte-parole, Ghislain Desjardins. « Il serait inapproprié d'émettre des hypothèses en ce qui concerne certains cas particuliers. »

Honorables sénateurs, je vais terminer mon intervention en soulignant que ces propos suffisants tenus par un membre du personnel du vérificateur général enveniment la situation, en plus de causer du tort. Les vérificateurs généraux n'ont aucunement le pouvoir de juger les sénateurs, ni de soumettre quoi que ce soit les concernant aux policiers ou à d'autres instances, et ils n'ont certainement pas le droit de rendre ces renseignements publics. Seul le Sénat peut prendre de telles décisions, en suivant un processus que les sénateurs auront eux-mêmes établi. Ce vérificateur, même s'il est un brave homme, ne détient aucun pouvoir juridique lui permettant de mener un examen ou d'obliger les sénateurs à participer à une vérification ou à tout autre processus. Même si la motion du gouvernement présentée par la sénatrice LeBreton a été adoptée ici, elle ne peut pas conférer au vérificateur un pouvoir qu'il ne possède pas, pas plus qu'elle ne peut aller à l'encontre de la Loi sur le vérificateur général, ni la contourner. Le vérificateur général est sans doute un brave homme, mais il n'est pas l'agent de contrôle social ou politique du gouvernement. Je remercie les sénateurs de leur attention.

Son Honneur le Président suppléant : Je suis désolé d'interrompre la sénatrice, mais le temps de parole dont elle disposait est écoulé.

(Sur la motion du sénateur Moore, le débat est ajourné.)

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mercredi 3 juin 2015, à 13 h 30.)

© Sénat du Canada

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