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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 41e Législature,
Volume 149, Numéro 149

Le mardi 9 juin 2015
L'honorable Leo Housakos, Président

LE SÉNAT

Le mardi 9 juin 2015

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Le vérificateur général

Dépôt de son rapport au Sénat du Canada—Les dépenses des sénateurs

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je demande votre consentement pour déposer un document. Le consentement est-il accordé?

Des voix : D'accord.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du vérificateur général du Canada concernant son audit du Sénat.


[Français]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Question de privilège

Préavis

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, conformément à l'article 13-3(4) du Règlement du Sénat, je donne préavis que, plus tard aujourd'hui, j'entends soulever une question de privilège concernant les fuites dans les médias relatives au rapport du vérificateur général du Canada sur les dépenses du Sénat.

Ces renseignements confidentiels, qui ne devaient être rendus publics que vers 14 h 5 aujourd'hui, selon le communiqué du Président du Sénat du 8 juin 2015, ont fait les manchettes des journaux et des médias en ligne, ainsi que des nouvelles télévisées, et ce, depuis maintenant six jours.

La crédibilité de notre institution est considérablement minée auprès de l'opinion publique, alors que des noms de sénateurs circulent dans les médias, ce qui constitue une infraction à leur droit fondamental à la présomption d'innocence, et sans qu'ils puissent exercer une équitable défense.

Honorables sénateurs, si le Sénat arrivait à la conclusion que la question de privilège était fondée de prime abord, je demanderais officiellement et publiquement à la présidence d'ordonner une enquête sur l'origine de ces fuites et de prendre les mesures nécessaires qui s'ensuivront.

[Traduction]

Le sénateur Plett : Alors, pourquoi avez-vous laissé filtrer ces renseignements?

La Première Guerre mondiale

Le rôle des infirmières militaires du Canada

L'honorable Pana Merchant : Honorables sénateurs, l'année dernière a été marquée par des commémorations de la Grande Guerre il y a 100 ans, et il y en aura aussi en 2015.

Notre attention s'est portée sur les héros et les jeunes hommes de notre nation, encore jeune à l'époque, et nous avons oublié la contribution et les sacrifices de Canadiennes.

Les femmes en service il y a 100 ans n'occupaient pas les postes de combat de l'époque. Elles ne pouvaient même pas être commis ou assumer des fonctions de soutien, mais les très courageuses, les dévouées pouvaient, comme le disaient les affiches, servir le roi et le pays comme infirmières.

Trois mille Canadiennes, des infirmières militaires — comme on les appelait — ont servi en Angleterre, en France, en Belgique et dans les pays en guerre du bassin méditerranéen. Des infirmières de tout le Canada ont été faites prisonnières ou sont mortes, ayant connu un sort semblable à celui de leurs frères, en servant le pays. De plus, au moins une d'entre elles, l'infirmière militaire Creswell, originaire de ma ville, Regina, a été décorée pour son courage par la reine mère.

Je félicite la Fondation Historica du Canada pour la vidéo qu'elle a mise en ligne sur YouTube et qui raconte l'héroïsme de nos infirmières militaires.

Ce qu'elles ont vécu se rapproche de ce qu'ont vécu leurs compatriotes masculins.

Certaines ont voyagé à bord de navires qui ont été torpillés. D'autres ont été coincées dans des raids aériens. Et toutes étaient soumises à de rudes conditions : manque d'eau, matériel limité, aliments de mauvaise qualité, vermine, sans compter la difficulté constante de veiller à ce que tout soit propre.

Les difficultés que les infirmières militaires du Canada ont connues dans la péninsule de Gallipoli, dans mon pays d'origine, la Grèce, m'ont particulièrement intéressée. L'automne venu, deux hôpitaux de campagne, comptant 1 700 lits, avaient été installés. En arrivant à Gallipoli, les infirmières découvraient un nombre effarant de soldats malades ou blessés. L'été fut terriblement chaud. L'eau potable devait être transportée d'Alexandrie, en Égypte. Les conditions insalubres et l'abondance de poussière et de mouches ont causé autant de morts que les blessures au combat. Les mouches constituaient probablement la plus grande menace.

Le manque criant de vivres convenables était effroyable.

Il n'y avait parfois rien d'autre à manger que des comprimés de lait malté, et la plupart des infirmières militaires avaient des accès de dysenterie, de diarrhée et de nausées.

Les infirmières militaires du Canada se désolaient aussi de ne pas pouvoir aider suffisamment les soldats blessés.

À l'occasion du centenaire de la campagne de Gallipoli de 1915 et des postes infirmiers de l'île de Lemnos, je me suis entretenue, le 14 avril dernier, avec les ambassadeurs du Canada et de l'Australie en Grèce, Leurs Excellences Robert Peck et John Griffin.

Le grand monument du Hall d'honneur — près de l'entrée de la Bibliothèque du Parlement — qui est consacré aux infirmières militaires du Canada illustre bien leurs grandes réalisations au fil des ans.

Honorables sénateurs, rendons ensemble hommage aux infirmières tombées au front.

La Coupe du monde féminine de la FIFA, Canada 2015

L'honorable Betty E. Unger : Honorables sénateurs, je vais parler aujourd'hui d'un sport que je comprenais peu et que je n'aimais pas vraiment jusqu'à présent, c'est-à-dire le soccer.

Toutefois, tout cela a changé. Je suis pleine d'admiration et de respect pour l'équipe canadienne de soccer féminin, à l'instar d'innombrables Canadiens partout au pays.

Le samedi 6 juin, le match inaugural de la Coupe du monde féminine de la FIFA, le plus important et le plus prestigieux événement sportif féminin dans le monde, a eu lieu à Edmonton, ma ville natale, et j'ai été extrêmement heureuse d'y assister. Le match s'est déroulé dans le stade Commonwealth, sous les acclamations de plus de 53 000 partisans enthousiastes, soit la plus grande foule de tous les temps à assister au match d'une équipe nationale dans n'importe quel sport au Canada.

En outre, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux partisans et dignitaires sur place, notamment la nouvelle lieutenante-gouverneure de l'Alberta, Lois Mitchell, de Calgary, qui sera assermentée le vendredi 12 juin.

Notre nouvelle lieutenante-gouverneure a manifesté un vif intérêt pour le Sénat et elle s'est dite très impressionnée par les travaux des comités sénatoriaux. Elle s'intéresse particulièrement au domaine de l'agriculture. J'en ai donc profité pour lui expliquer brièvement le travail de notre Comité de l'agriculture et lui parler du rapport que notre président vient de déposer au Sénat sur la santé des abeilles domestiques, ce qui l'a beaucoup intriguée. Naturellement, je lui ai promis de lui envoyer une copie du rapport sur l'importance de la santé des abeilles domestiques. Puis, ce fut le retour au match.

Les minutes s'écoulaient, et les deux équipes n'avaient toujours pas marqué de but; les partisans commençaient à s'impatienter et à s'agiter, car ils ne voulaient pas un match ex aequo, ce qui les aurait déçus, mais ce verdict devenait de plus en plus évident à mesure que la partie tirait à sa fin. Puis, il y eut une intervention divine : à la 92e minute, un tir de pénalité a été accordé au Canada, contre la Chine, ce qui a changé la donne. La capitaine, Christine Sinclair, a alors marqué son 154e but international, ce qui a permis au Canada de remporter le match 1 à 0.

Notre héroïne a ensuite couru vers le banc afin de célébrer avec ses coéquipières, devant une foule en délire.

(1410)

En terminant, je rappelle que les Edmontoniens sont renommés pour leur attachement au bénévolat, ce que tout le monde a pu constater lors du match de la FIFA. À chacun et chacune de ces bénévoles, je dis un gros « merci », car c'est grâce à eux que cette journée ensoleillée a pu se dérouler à la perfection. Que la coupe du monde commence. Go, Canada, go!

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Le commissaire à la protection de la vie privée

La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques—Dépôt du rapport annuel de 2014

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques pour la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2014.

[Français]

La commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique

Dépôt du rapport annuel de 2014-2015

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2014-2015 de la commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2015.

[Traduction]

Le commissaire au lobbying

Dépôt du rapport annuel de 2014-2015

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le septième rapport annuel du Commissariat au lobbying du Canada pour l'exercice financier se terminant le 31 mars 2015.

[Français]

Le Budget des dépenses de 2015-2016

Le Budget supplémentaire des dépenses (A)—Dépôt du vingtième rapport du Comité des finances nationales

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le vingtième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales portant sur les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l'exercice se terminant le 31 mars 2016.

(Sur la motion du sénateur Day, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

[Traduction]

Projet de loi no 2 de crédits pour 2015-2016

Première lecture

Son Honneur la Présidente intérimaire annonce qu'elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-66, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l'administration publique fédérale pendant l'exercice se terminant le 31 mars 2016, accompagné d'un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

Projet de loi de crédits no 3 pour 2015-2016

Première lecture

Son Honneur la Présidente intérimaire annonce qu'elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-67, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l'administration publique fédérale pendant l'exercice se terminant le 31 mars 2016, accompagné d'un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

Projet de loi sur les langues autochtones du Canada

Première lecture

L'honorable Serge Loyal dépose le projet de loi S-229, Loi visant la promotion des langues autochtones du Canada ainsi que la reconnaissance et le respect des droits linguistiques autochtones.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Joyal, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l'ordre du jour de la séance d'après-demain.)

[Français]

Transports et communications

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à reporter la date du dépôt de son rapport final sur les défis que doit relever la Société Radio-Canada et à le déposer auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Dennis Dawson : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l'ordre du Sénat adopté le lundi 9 décembre 2013, la date du rapport final du Comité sénatorial permanent des transports et des communications relativement à son étude des défis que doit relever la Société Radio-Canada en matière d'évolution du milieu de la radiodiffusion et des communications soit reportée du 30 juin 2015 au 30 juillet 2015;

Que le Comité sénatorial permanent des transports et des communications soit autorisé, durant la période entre le 22 juin 2015 et 30 juillet 2015, et nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.


[Traduction]

ORDRE DU JOUR

La Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon
La Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut

Projet de loi modificatif—Message des Communes

Son Honneur la Présidente intérimaire annonce qu'elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-6, Loi modifiant la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon et la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut, accompagné d'un message informant le Sénat qu'elle a adopté le projet de loi sans amendements.

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suspension du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dagenais, appuyée par l'honorable sénatrice Fortin-Duplessis, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

L'honorable Larry W. Campbell : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui au sujet du projet de loi C-2, à l'étape de la troisième lecture. Je crois qu'il n'est pas nécessaire que je me lance dans une longue description de la dépendance et de ses effets sur nos collectivités, sur nous tous, mais je pense que vous devez savoir pourquoi ce projet de loi est nuisible. Il porte atteinte au droit des personnes qui consomment des drogues d'avoir accès à des services visant à sauver des vies et à protéger la santé.

Vous pouvez penser ce que vous voulez de ces personnes, mais le fait est qu'elles souffrent d'une dépendance et qu'elles ont les mêmes droits que tous les autres citoyens du pays. Or, nous les traitons différemment des autres personnes qui souffrent d'une maladie.

Nous ne songerions jamais à faire cela pour un centre anticancéreux, par exemple. Nous n'envisagerions jamais de faire cela à quelqu'un qui a des problèmes cardiaques. Pourtant, pour une raison qui m'échappe, trouver une solution médicale à ce problème semble être le cadet des soucis du gouvernement.

(1420)

Le projet de loi C-2 cultive la désinformation sur les centres de consommation supervisée et ne reconnaît pas le fait avéré que la prestation de services de consommation supervisée réduit les préjudices pour la santé et les préjudices sociaux associés à la consommation de drogues. Il ne parle même pas du fait que les sites d'injection supervisée peuvent prévenir les décès par surdose et réduire le nombre d'infections au VIH et à l'hépatite C. Il fait fi des quelque 18 rapports évalués par les pairs qui montrent que les services de consommation supervisée contribuent à l'ordre public et à la sécurité.

Il met uniquement l'accent sur les risques associés à la consommation de drogues illicites, comme si les sites de consommation supervisée aggravaient les risques, alors que les preuves démontrent clairement le contraire.

Je me rappelle lorsque nous nous battions pour Insite à Vancouver en 2002-2003. Quelqu'un avait dit que si nous ouvrons un site d'injection supervisée, le nombre de gens qui s'injectent des drogues dans la vallée du bas Fraser augmenterait. Pensez-y. Est-ce qu'une personne qui n'a jamais consommé d'héroïne se lèverait un beau matin et déciderait de commencer à se rendre dans un site d'injection supervisée à Vancouver, simplement parce qu'elle en a la possibilité?

Comme je l'ai dit aux médias, dire que les sites d'injection créent des toxicomanes, c'est aussi faux que de dire que les mouches créent des ordures. Il n'y a pas d'effet pot de miel. La criminalité chute autour de ces sites — le nombre de personnes qui s'injectent des drogues en public, autour des flaques d'eau, dans les ruelles, à la vue de nos enfants, de nos touristes et de nos familles diminue. Grâce au centre Insite, ces problèmes ne se produisent plus dans les rues.

Il reste un seul problème à Vancouver, et c'est qu'il n'y a qu'un seul centre du genre. Avec plus de 800 injections par jour, il fonctionne au maximum de sa capacité. Nous pourrions facilement en avoir deux ou trois autres, ce qui diminuerait le taux de mortalité ainsi que le taux d'infection au VIH et le taux d'hépatite, et réduirait les risques associés à la consommation de drogues en public.

Le projet de loi C-2 est tout à fait contraire à l'esprit de la décision que la Cour suprême du Canada a rendue en 2011, ce qui, assurément, ne devrait surprendre personne parmi nous. À combien de reprises avons-nous dû adopter un projet de loi au Sénat pour ensuite le voir faire l'objet d'une contestation devant la Cour suprême, qui l'a invalidé parce qu'il était anticonstitutionnel?

En misant sur la « sécurité publique » aux dépens de la santé publique, ce projet de loi est contraire au principe dont les juges ont souligné l'importance et qui consiste à trouver le juste équilibre entre la sécurité publique et la santé publique. En érigeant des obstacles qui rendent encore plus difficile l'ouverture de centres de consommation supervisée, le projet de loi C-2 ignore le constat de la Cour suprême du Canada, qui considère ces services comme essentiels pour les groupes les plus vulnérables de consommateurs de drogues et qui est d'avis qu'empêcher l'accès à ces services est une violation des droits de la personne.

Le projet de loi C-2 impose des règles excessives aux gens qui veulent faire une demande, des règles qui n'existeraient pas s'il s'agissait d'autres services de santé. Il faut répondre à 26 conditions avant de pouvoir simplement transmettre la demande au ministre. Ce n'est pas tant que ces conditions sont sans importance, mais qu'elles sont énoncées avec tellement de précision qu'il sera toujours impossible d'ouvrir un centre d'injection supervisée au Canada, quel que soit l'endroit, parce qu'on sera toujours à moins de 400 pieds de quelque chose ou à un endroit qui ne convient pas pour une raison ou une autre. Bien entendu, il y aura toujours de l'opposition de la part du public.

À Vancouver, le public s'opposait à l'idée même d'ouvrir un centre d'injection supervisée. Nous en avons tenu compte. Nous avons répondu aux objections des gens. Nous leur avons parlé. La communauté chinoise ne voulait pas du centre dans ce qu'on appelle le Chinatown. Je lui ai promis que ce ne serait pas le cas, et nous avons tenu parole.

Il faut, bien entendu, répondre aux plaintes du public. Il faut répondre à la population et tenir des consultations. Il ne suffit pas que quelqu'un présente une demande pour qu'il y ait du jour au lendemain un centre d'injection supervisée. Ce n'est pas du tout ainsi que les choses se passent.

Une idée a tout d'abord été lancée. Le sénateur Dagenais en a parlé. Il a convenu qu'il devrait y avoir des centres d'injection supervisée dans les grands centres urbains, et je suis d'accord avec lui.

Je me suis rendu à Toronto et je me suis adressé aux conseillers municipaux, car ils envisageaient d'établir des centres d'injection supervisée. J'ai conclu que la ville n'en avait probablement pas besoin puisque le nombre de consommateurs de drogues injectables n'était pas assez élevé pour qu'un tel centre soit une option viable. Je n'ai donc jamais considéré cette possibilité comme étant une panacée.

Les opinions entourant l'accès aux services de santé essentiels ne sont pas examinées de manière équilibrée. Prenons l'Association canadienne des policiers... Eh bien, les choses ont changé. Lorsque j'étais policier, nous circulions dans les rues et faisions appliquer la loi. Maintenant, les policiers semblent faire la loi et décider de ce que dit la loi et de la façon dont elle devrait être appliquée, sans avoir la moindre idée de ce que la loi stipule. L'Association canadienne des policiers a tort. L'Association canadienne des chefs de police a raison.

Le projet de loi C-2 confère à certaines autorités un droit de veto unilatéral concernant la création de centres d'injection supervisée, car une demande d'exemption ne peut être examinée que si certains groupes ont soumis une lettre d'opinion. Le processus d'exemption peut facilement être retardé ou bloqué. Si nous demandons à ces 26 groupes différents de nous faire parvenir une lettre d'opinion, combien de temps cela prendra-t-il? Vous savez comment les choses fonctionnent. Vous envoyez la lettre, elle franchit les étapes du processus, elle circule, mais aucune décision n'est jamais prise.

Comme pour tous les autres services de santé qui permettent de sauver des vies, ce ne sont pas les administrations municipales, les forces policières ou encore le ministère responsable de la sécurité publique, par exemple, qui devraient décider s'il est nécessaire ou non de mettre en œuvre des services de consommation supervisée. Au départ, il faudrait se dire qu'il s'agit d'un établissement de santé et que les responsables de la santé possèdent les compétences nécessaires pour gérer convenablement un établissement de santé. Il va sans dire que tous ces autres groupes devraient avoir leur mot à dire, mais ils ne devraient pas être autorisés à passer outre les préoccupations des responsables de la santé.

À Vancouver, ces spécialistes appartiennent au réseau Coastal Health, qui dessert l'ensemble de la vallée du bas Fraser. Coastal Health appuie sans réserve cette initiative depuis sa création.

Le projet de loi C-2 favoriserait de façon indue l'opposition publique et encouragerait la discrimination envers les personnes qui consomment des drogues. Comme je l'ai dit la dernière fois, personne n'organise de journée consacrée aux toxicomanes. Ce ne sont pas des gens sympathiques et chaleureux, que l'on souhaiterait inviter à souper, mais il n'en demeure pas moins que ce sont des êtres humains. Nous ne devrions donc pas les abandonner à leur sort et les laisser mourir.

Chose certaine, honorables sénateurs, si vous adoptez ce projet de loi, des gens vont mourir. Voilà la réalité. Des gens vont mourir si vous adoptez ce projet de loi. Je veux que vous réfléchissiez à cela et à ces personnes.

Des sénateurs font un travail incroyable en vue de prévenir des décès : la sénatrice Batters, dans le dossier du suicide, et la sénatrice LeBreton, auprès de MADD, Les mères contre l'alcool au volant. Dans le cas qui nous occupe, il s'agit tout simplement d'une autre tentative visant à empêcher des gens de mourir. Ce n'est pas plus compliqué que cela.

On estime que 4,1 millions de Canadiens ont consommé des drogues injectables à un moment donné de leur vie. Au Canada, 11 p. 100 des gens qui consomment des drogues injectables sont séropositifs et 59 p. 100 ont déjà été atteints ou sont atteints d'hépatite C. Chez les Autochtones, 58 p. 100 des nouveaux cas d'infection par le VIH sont attribuables à la consommation de drogues injectables.

Selon une étude réalisée à Toronto, 54 p. 100 des gens qui consomment des drogues injectables l'ont fait dans un lieu public comme des toilettes ou une cage d'escalier et 46 p. 100 des personnes interrogées l'ont fait dans une rue ou dans une ruelle dans les six mois précédant l'entrevue. Au cours de l'été 2014, l'Agence de la santé et des services sociaux de Montréal a enquêté sur 83 cas de surdose grave, dont 25 ont été mortelles.

À Vancouver, les risques que les usagers partagent des seringues sont inférieurs de 70 p. 100 chez les clients du centre Insite. En quatre ans, le centre a probablement permis d'éviter 48 décès par surdose. L'ouverture du centre Insite a entraîné une augmentation de 33 p. 100 du nombre de personnes qui entreprennent un traitement à long terme de la toxicomanie.

Je propose que ce projet de loi ne soit pas lu maintenant et que les amendements suivants soient étudiés.

(1430)

Motion d'amendement

L'honorable Larry W. Campbell : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose :

Que le projet de loi C-2 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 5 :

a) à la page 8, par substitution, aux lignes 14 à 45, de ce qui suit :

« graphe (2) autorise le ministre à examiner une demande d'exemption pour des raisons médicales, auquel cas il est tenu d'examiner ce qui suit :

a) les preuves, s'il en existe, des conséquences de ce site de consommation supervisée sur le taux de criminalité;

b) les conditions du milieu justifiant l'établissement d'un tel site;

c) la structure réglementaire en place à l'appui d'un tel site;

d ) les ressources pour maintenir les activités d'un tel site;

e) le soutien ou l'opposition à un tel site exprimés par la collectivité. »;

Avant de conclure que j'ai acquis quelque aptitude pour les lettres, sachez que ces amendements sont tirés directement de la décision de la Cour suprême.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Campbell : Ils reflètent la volonté de la Cour suprême. Voici le reste des amendements :

b) à la page 9, par suppression des lignes 1 à 47;

c) à la page 10, par suppression des lignes 1 à 45;

d) à la page 11, par suppression des lignes 1 à 46;

e ) à la page 12, par suppression des lignes 1 à 47;

f) à la page 13, par suppression des lignes 1 à 43;

g) à la page 14, par substitution, à la ligne 1, de ce qui suit :

« (4) Lorsque l'exemption aurait pour effet de ».

Je vous presse d'envisager ces amendements, honorables sénateurs. Prenez soin d'y réfléchir en votre âme et conscience. Songez aux raisons pour lesquelles nous nous trouvons ici, c'est-à-dire veiller sur tous les Canadiens, et pas seulement sur ceux qui souffrent d'une maladie qui nous semble acceptée du public.

Je vous demande de voter en faveur de ces amendements et de montrer à tout le Canada que nous défendons ceux qui voient leurs droits bafoués. Ceux dont on nie, dans bien des cas, l'existence même. Je vous demande d'aller au plus profond de votre cœur.

Je vous remercie.

(Le débat est suspendu.)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d'une délégation parlementaire dirigée par Son Excellence Ólafur R. Grímsson, président de la République d'Islande.

Au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Projet de loi modificatif—Troisième lecture— Motion d'amendement—Report du vote

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dagenais, appuyée par l'honorable sénatrice Fortin-Duplessis, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-2, Loi modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Campbell, appuyée par l'honorable sénatrice Fraser, que le projet de loi C-2 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 5 :

a) à la page 8, par substitution, aux lignes 14 à 45, de ce qui suit :

« graphe (2) autorise le ministre à examiner une demande d'exemption pour des raisons médicales, auquel cas il est tenu d'examiner ce qui suit :

a) les preuves, s'il en existe, des conséquences de ce site de consommation supervisée sur le taux de criminalité;

b) les conditions du milieu justifiant l'établissement d'un tel site;

c) la structure réglementaire en place à l'appui d'un tel site;

d) les ressources pour maintenir les activités d'un tel site;

e) le soutien ou l'opposition à un tel site exprimés par la collectivité. »;

b) à la page 9, par suppression des lignes 1 à 47;

c) à la page 10, par suppression des lignes 1 à 45;

d) à la page 11, par suppression des lignes 1 à 46;

e ) à la page 12, par suppression des lignes 1 à 47;

f) à la page 13, par suppression des lignes 1 à 43;

g) à la page 14, par substitution, à la ligne 1, de ce qui suit :

« (4) Lorsque l'exemption aurait pour effet de ».

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Campbell, avec l'appui de l'honorable sénatrice Fraser, propose que le projet de loi C-2 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu'il soit modifié à l'article 5...

Une voix : Suffit!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Merci.

L'honorable Jane Cordy : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?

L'honorable Larry W. Campbell : Absolument.

La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. J'ai trouvé excellents les arguments que vous avez soulevés, notamment en ce qui concerne les préjugés liés à la santé mentale, à la maladie mentale et aux dépendances.

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a fait une étude sur la santé mentale. On en parle souvent comme du rapport sur la santé mentale et la maladie mentale, mais, en fait, le titre complet du rapport est Santé mentale, maladie mentale et toxicomanie. Nous avons décidé d'inclure la toxicomanie dans l'étude parce que beaucoup de toxicomanes éprouvent également des problèmes de santé mentale et qui ont recours à l'automédication. Nous savons que nombre de sans-abri toxicomanes ont également des problèmes de santé mentale.

Nous avons beaucoup parlé au Sénat des préjugés liés aux troubles de santé mentale. Nous voici maintenant, avec ce projet de loi, sur le point d'éliminer Insite, un endroit où les gens peuvent aller pour s'injecter d'une façon que l'on pourrait qualifier de plus saine. Pourtant, comme vous l'avez dit pendant votre intervention, il ne nous arriverait pas de dire que nous fermons un centre de soins de santé ou un centre de traitement du cancer.

Croyez-vous que ce projet de loi stigmatise davantage les personnes aux prises avec des problèmes de dépendance?

Le sénateur Campbell : Je vous remercie de votre question.

Le problème avec ce projet de loi, c'est qu'il a été rédigé par des gens qui ne comprennent pas ce qu'est la maladie mentale, ou la pauvreté, ou la violence, ou encore la toxicomanie. Pour un grand nombre de personnes qui sont dans la rue en ce moment, il est rare qu'elles soient aux prises avec un seul de ces problèmes. Souvent, ces personnes sont atteintes d'une maladie mentale et sont toxicomanes, ou alors elles sont pauvres, victimes de violence et toxicomanes, ou encore elles sont aux prises avec tous ces problèmes.

Ce qui est étonnant, c'est que nous pouvons examiner la situation et savoir exactement quand cela s'est produit. Cela s'est produit lorsque nous avons fermé les établissements psychiatriques en Colombie-Britannique. On a dit à ces personnes : « Ne vous en faites pas. On vous trouvera une place dans la collectivité, un endroit où habiter et où vous pourrez obtenir de l'aide. » Puis on leur a remis un billet d'autobus et une bouteille de médicaments, et ces personnes sont montées dans l'autobus et sont venues dans ma ville.

Ces personnes sont parmi les plus démunies parce qu'elles ne comprennent pas ce qui se passe autour d'elles. Alors tout le monde s'en prend à elles. Ces personnes font l'objet de discrimination et sont exploitées par tout le monde. Elles ne se rétablissent jamais et vivent dans la pauvreté. Si vous venez à Vancouver et voyez par vous-même la situation des Autochtones qui vivent au centre-ville, vous constaterez qu'il y a un très grand nombre de personnes aux prises avec de tels problèmes. Cette situation les stigmatise encore davantage. Cela envoie comme signal que la maladie dont souffre une personne et qui met sa vie en danger n'a pas d'importance puisque cette personne est en quelque sorte inférieure. Aux yeux du reste de la population, cette personne ne mène pas une vie saine; elle est une droguée. Voilà le message que véhicule le projet de loi.

Plutôt que d'ouvrir nos bras et traiter cela comme un problème de santé mentale, ce qui nous permettrait d'économiser des millions de dollars en soins de santé, en services sociaux, en procédures judiciaires, en services policiers et en services à la famille — et la liste continue — nous imposons des restrictions. Cela aura, sans nul doute, une incidence sur les personnes les plus vulnérables.

L'honorable George Baker : J'aimerais demander une précision à l'auteur de la motion, qui a dit, en expliquant l'amendement, que ce n'étaient pas ses paroles, mais bien celles de la Cour suprême du Canada. À titre de précision, l'honorable sénateur dit-il qu'il éliminerait les critères prévus au projet de loi, soit les mêmes critères que certaines personnes qui ont témoigné devant le comité considéraient comme inconstitutionnels, et qu'il les remplacerait par la liste exacte des critères proposés par la Cour suprême du Canada dans son jugement, à savoir le même jugement auquel le gouvernement du Canada affirme essayer de se plier dans son projet de loi? Est-ce bien cela?

Le sénateur Campbell : C'est exact. Je ne suis pas contre ce projet de loi. Je ne suis pas contre le fait qu'une mesure législative prévoie comment nous y prendre. En fait, avec mes amendements, tout ce que je fais, c'est d'éliminer des détails, soit les 26 raisons. Ces 26 raisons peuvent être regroupées sous 5 éléments. Je tiens à m'assurer que, lorsque le projet de loi sera adopté, nous ne nous retrouverons pas devant la Cour suprême et que le projet de loi ne sera pas jeté à la poubelle. J'aimerais qu'il y ait des précisions sur la manière de créer des centres d'injection supervisée.

Le maire Coderre, à Montréal, dit qu'il en ouvrira trois. Je crois qu'il nous incombe de mettre en place un cadre qui répond aux préoccupations du public, des autorités policières et de tous ceux que cela inquiète. Si je me réveillais un jour et que j'apprenais qu'il allait y avoir un centre d'injection supervisée dans ma rue, j'aimerais en savoir davantage. J'aimerais savoir qui l'administre. Cependant, je ne déchirerais pas ma chemise en raison de la venue d'un tel centre, parce que je comprendrais que, si un tel centre voit le jour dans ma rue, c'est qu'il y a déjà un problème. Un centre d'injection supervisée n'ouvre pas ses portes dans un quartier où il n'y a aucun problème. Je saurais déjà qu'il y a un problème en ce qui concerne la consommation de drogues injectables.

Honorables sénateurs, je veux simplement que ce soit clair. Je ne veux pas que la loi soit contestée devant le plus haut tribunal du pays et que la Cour suprême finisse par dire : « Ces 26 articles sont anticonstitutionnels. Ils rendent la loi inapplicable. Ils la rendent impossible à conserver. » Je préfère nettement regrouper les 26 articles en 5 articles, permettre aux gens de s'exprimer et laisser le ministère de la Santé examiner la mesure et tirer ses conclusions.

Je n'ai rien contre le projet de loi C-2. J'en ai contre son libellé et le fait que le projet de loi a été rédigé par des personnes qui ne comprennent pas le problème en cause. J'ai tenté de vous aider à le comprendre.

(1440)

L'honorable Mobina S. B. Jaffer : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Campbell : Oui.

La sénatrice Jaffer : Sénateur, on a beaucoup parlé des 26 questions ou, si vous préférez, des 26 catégories de renseignements que tout centre devrait fournir pour pouvoir exercer ses activités. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet? Est-ce que cela signifie que le centre Insite devra présenter une nouvelle demande? Est-ce que quiconque pourra réussir à fournir les 26 types de renseignements requis pour obtenir une exemption?

Le sénateur Campbell : Tout d'abord, je ne sais pas si le centre Insite devra présenter une nouvelle demande, mais je peux vous dire ceci : si ce centre ne parvient pas à obtenir une exemption, vous pourrez venir me rendre visite en prison, car on devra m'arrêter pour que je quitte le pas de la porte du centre. Je n'accepterai pas que des gens meurent dans ma ville parce que quelqu'un a décidé qu'il en serait ainsi. S'il fallait fournir 26 sortes de renseignements et se conformer à chaque critère, il serait impossible d'exploiter un centre. Pourquoi? Parce qu'il y aurait au moins deux ou trois personnes qui ne voudraient pas accorder d'exemption. Je dis simplement qu'il faut retirer les critères qui sont clairs et les intégrer aux cinq catégories que la Cour suprême a établies après mûre réflexion. D'ailleurs, elle a été on ne peut plus claire à ce sujet : c'est ce qu'il faut faire, et c'est ce qui fonctionnera. Donc, faisons-le, et voyons ensuite ce qui se passera.

Croyez-moi, honorables sénateurs. Je vous promets qu'il n'y aura pas des tonnes de centres d'injection supervisée qui ouvriront leurs portes dans votre ville. Cela n'arrivera pas.

Le sénateur Plett : Un seul, c'est déjà trop.

Le sénateur Campbell : Un seul, c'est déjà trop; c'est ce que nous dit le sénateur à l'esprit éclairé qui est assis là-bas. C'est ce qui arrive quand on habite dans un trou perdu. J'en ai assez de cette situation. J'en ai vraiment assez. Un seul centre, ce n'est pas suffisant. Peut-être que le sénateur se fiche que des gens meurent par chez lui, mais moi, je me préoccupe de ce problème dans ma ville. S'il défendait véritablement les valeurs chrétiennes, comme il le prétend, il comprendrait ce que je veux dire.

La sénatrice Jaffer : Sénateur Campbell, vous parlez de votre ville, qui est aussi la mienne. Pouvez-vous expliquer aux sénateurs à quoi ressemblait notre ville avant l'ouverture du centre Insite et ce qui arrive aux gens maintenant?

Le sénateur Campbell : Entre 1996 et 2000, j'ai enquêté chaque année sur plus de 300 décès par surdose survenus à Vancouver. À l'échelle de la province, il y en a probablement eu près de 700. Nous avons vu le taux de mortalité baisser presque immédiatement après l'ouverture d'Insite. Nous avons aussi constaté une diminution des cas d'hépatite et d'infection au VIH, ce qui était crucial pour nous.

Une vie. Que vaut une vie? Voilà la question que nous posons. Nous avons probablement sauvé 50 vies en 4 ans. Je n'en suis pas certain, mais je sais en tout cas que nous en avons sauvé plus qu'une. C'est tout ce que j'ai à dire. Je demande simplement qu'on donne une chance à ces centres, mais il n'y en aura pas partout. Ils ne viendront pas s'installer dans les petites villes. Le sénateur Plett n'a pas à craindre qu'on en ouvre un à Brandon, même si la ville connaît certains problèmes.

Il faut qu'il existe un problème, qu'il y ait une crise dans une localité pour que les responsables des soins de santé examinent la situation et déterminent ce qui se passe. Voilà ce qui motive l'ouverture d'un centre.

L'honorable Art Eggleton : Honorables sénateurs, je joins ma voix à celles de l'intervenant précédent et de plusieurs autres Canadiens qui nous demandent de repenser le projet de loi C-2, qu'on appelle la Loi sur le respect des collectivités.

Pardonnez-moi, mais, après avoir minutieusement étudié le projet de loi et avoir entendu de longs débats là-dessus, je n'arrive toujours pas à voir de quelles collectivités le projet de loi est censé assurer le respect. À l'heure actuelle, l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances donne au ministre de la Santé la possibilité de soustraire les centres d'injection supervisée à l'application de la loi s'il estime que des raisons d'intérêt public, notamment des raisons médicales ou scientifiques, le justifient.

Sans cette exemption, les clients et le personnel s'exposeraient à des poursuites judiciaires pour possession de substances illégales.

Il est à noter que ces établissements ne sont pas là pour fournir de la drogue à leurs clients, mais pour offrir un lieu sécuritaire et aseptisé ainsi que des services d'aide pour ceux qui veulent cesser leur consommation. En cas de problème, ils offrent des services médicaux d'urgence. Ils sauvent des vies.

Vous savez tous qu'il n'y a actuellement qu'un seul établissement de ce genre au Canada qui bénéficie de cette exemption, c'est-à-dire le centre Insite, à Vancouver. Mes collègues qui ont pris la parole au sujet de ce projet de loi ont fait d'excellents discours expliquant les avantages que procure le centre Insite dans le quartier Downtown Eastside de Vancouver. J'aimerais seulement revenir sur quelques-uns de ces faits. Sur les 1 418 cas de surdose observés au centre Insite entre 2004 et 2010, il n'y a eu aucun décès, grâce à la surveillance efficace du personnel de l'établissement.

Le centre est parvenu à réduire les comportements, comme le partage de seringues, qui augmentent le risque de contracter le VIH. On a observé une augmentation du nombre de personnes ayant décidé de suivre une cure de désintoxication et une diminution des cas d'injection dans beaucoup d'endroits publics comme les parcs et les cages d'escalier. Cela se voit même autour du centre Insite, où la quantité de déchets liés aux injections a considérablement diminué.

Malgré les bienfaits que le centre Insite offre à la population de façon quotidienne, le projet de loi C-2 menace l'existence du centre, et il est presque certain qu'il empêchera la création de centres similaires à l'avenir. En vertu du projet de loi, les centres d'injection supervisée du Canada auraient plusieurs obstacles à surmonter au moment de demander une exemption aux termes de l'article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Pour bien des gens, il n'est tout simplement pas logique d'essayer de faire obstacle à des services dont l'efficacité a été prouvée. La Cour suprême n'a certainement pas trouvé cela logique. Dans sa décision historique de 2011, elle a affirmé que le fait de refuser l'accès à ces services d'injection aurait des effets :

[...] exagérément disproportionnés par rapport aux avantages que le Canada pourrait tirer d'une position uniforme sur la possession de stupéfiants.

Selon la cour :

[...] il est démontré qu'Insite a sauvé des vies, sans avoir aucune incidence négative observable sur les objectifs du Canada en matière de sécurité et de santé publiques

Voilà ce qu'on peut lire dans la décision de la Cour suprême, une décision empreinte de respect pour les collectivités. Finalement, la cour a jugé que la fermeture d'Insite brimerait les droits des utilisateurs de ce centre et irait donc à l'encontre de la Charte.

Le gouvernement s'est immédiatement dit « déçu » de cette décision, mais déçu de quoi, exactement? Déçu que le centre ait sauvé des vies? Déçu de ne pas pouvoir enfreindre la Charte et bafouer les droits de personnes souffrant de dépendances dévastatrices?

Je doute que le nouveau projet de loi C-2 réponde aux critères prévus par la Cour suprême, laquelle conclura qu'il enfreint la Charte des droits et la Constitution. Je crois, en effet, que la nouvelle mesure se retrouvera devant la Cour suprême si on l'adopte dans sa version actuelle.

Honorables sénateurs, en vertu du projet de loi C-2, les organismes qui souhaitent gérer un site de consommation supervisée doivent fournir au ministre 26 éléments d'information pour qu'on prenne leur demande en considération. Vingt-six. L'Association du Barreau canadien a commenté cette exigence en ces termes :

Nous craignons que le projet de loi C-2 assujettisse les demandeurs à un processus de demande si rigoureux et à tant de nouvelles conditions qu'il sera pratiquement impossible d'établir de nouveaux centres d'injection sûrs ou de continuer à exploiter les centres existants.

Comme l'a souligné le sénateur Campbell, aucune autre clinique de santé n'est tenue de fournir autant de renseignements.

Je trouve particulièrement problématique la disposition selon laquelle il faudra soumettre au ministre une vérification du casier judiciaire des éventuels membres du personnel. Cette vérification des antécédents criminels porterait sur les 10 dernières années, une longue période. Si je me souviens bien, l'organisme Onsite, établi juste au-dessus d'Insite, offre du counselling et un soutien fourni par les pairs. Pour ceux qui veulent se libérer d'une dépendance, l'une des stratégies les plus efficaces consiste à profiter de l'expérience d'autres personnes qui ont réussi à s'en sortir. Il est fort probable que plusieurs de ces personnes auront, à un certain moment, été accusées d'une infraction liée à la drogue. Après tout, ils étaient eux-mêmes toxicomanes. Ils veulent maintenant aider les autres, mais leur dossier sera traité différemment en raison d'infractions relatives aux drogues qui remontent à un passé plus sombre — un passé, je tiens à le répéter, qu'ils ont surmonté avec courage.

(1450)

Est-ce l'intention du gouvernement d'empêcher le counseling entre pairs, qui s'est révélé si efficace pour surmonter la toxicomanie? Est-ce son intention? Pour quelle raison le ministre, plus que quiconque, a-t-il besoin de ce genre de renseignements personnels?

Honorables sénateurs, mon collègue, le sénateur Campbell, a donné un excellent aperçu de la situation dans sa ville de résidence, Vancouver, et du bon travail qu'Insite accomplit là-bas. J'aimerais vous parler de la situation dans ma ville, Toronto.

En 2013, le médecin hygiéniste de Toronto a publié un rapport demandant des centres comme Insite à des endroits précis dans la ville. À l'heure actuelle, Toronto a un réseau impressionnant de centres de services qui facilitent l'échange de seringues. Grâce à ces centres, les toxicomanes peuvent échanger leurs seringues usagées contre des seringues propres. Selon ce rapport, en 2010 seulement, 75 000 toxicomanes ont visité ces centres de services, et 1,1 million de seringues ont été distribuées avec d'autres matériels d'injection stériles. Tout cela en une seule année, je le répète.

Ces centres ne fonctionnent pas comme Insite. Ils ne peuvent pas faciliter les injections supervisées. Les toxicomanes y obtiennent des seringues avant de trouver un autre endroit où s'injecter. S'ils ne se rendent pas chez eux ou dans un refuge, ils disent qu'ils s'injectent dans des cages d'escalier, des ruelles ou dans des toilettes publiques.

À Toronto, le programme d'échange de seringues a permis d'accomplir un excellent travail de distribution de seringues stériles en vue de réduire le nombre de maladies et de décès, mais il ne peut pas faire grand-chose pour sauver la vie d'un toxicomane qui meurt d'une surdose dans une cage d'escalier, dans une ruelle ou dans une toilette publique.

Dans la région de Toronto, il ne reste plus grand-chose à faire sinon que de ramasser les seringues contaminées sur les pelouses et dans les cages d'escalier.

C'est pour cette raison que le rapport du médecin hygiéniste de 2013 recommande la mise en place de services d'injection supervisée aux endroits qui facilitent déjà la distribution de seringues propres. Au lieu d'aller se chercher une seringue propre et de s'en aller, les toxicomanes pourraient se faire une injection dans un environnement qui les protège et protège le voisinage.

Honorables sénateurs, comme le savent certains d'entre vous, je suis le responsable d'un groupe de travail de Toronto qui a pour mission d'améliorer les logements sociaux. Comme vous vous en doutez, beaucoup de ces logements sont occupés par des toxicomanes. De plus, comme vous le savez probablement, les logements sociaux accueillent aussi un grand nombre de familles — des gens qui ont beaucoup d'enfants. Pour dire les choses simplement, l'argument selon lequel un centre d'injection supervisée attirerait des toxicomanes dans une communauté ne tient pas la route. Les drogues sont déjà là.

La question qu'il faut se poser est la suivante : un enfant est-il plus en sécurité lorsque le voisin se fait une injection dans la cage d'escalier de l'immeuble ou dans un centre d'injection supervisée au bout de la rue?

Le gouvernement veut vous faire croire que des centres d'injection comme Insite encouragent la consommation de drogues et qu'ils attirent les toxicomanes dans les quartiers où ces services sont offerts. La seule raison qui puisse expliquer l'existence du projet de loi C-2, c'est qu'Insite et d'autres centres semblables à l'étranger sont des exemples qui vont tout à fait à l'encontre de la perception du gouvernement selon laquelle les toxicomanes sont des criminels et qu'ils doivent être traités comme tels.

Comme ils ne peuvent pas nier les faits fondés sur des préceptes juridiques ou scientifiques, les conservateurs s'en remettent à la désinformation en suggérant que de tels centres pourraient voir le jour « près de chez nous ».

Il y a à peine quatre jours, le ministre de la Justice a affirmé que le gouvernement voulait focaliser ses efforts sur le traitement des toxicomanes et non pas rendre « plus disponibles des drogues souvent illégales ». Il répondait en cela à la Ville de Montréal, qui venait d'annoncer son intention d'ouvrir ses propres centres d'injection supervisée. Une telle déclaration de la part du ministre traduit une compréhension profondément erronée du rôle que jouent ces centres.

Honorables sénateurs, si nous empêchons ces collectivités de se servir d'un outil comme Insite pour transformer une situation qui est dangereuse à l'heure actuelle, nous leur manquerons de respect. Cela ne ferait qu'augmenter le nombre de décès et de maladies qui surviennent déjà trop souvent au sein de ces collectivités. Les services d'injection supervisée réduisent le nombre d'aiguilles contaminées qui jonchent les rues. Ils permettent d'offrir des services d'aide aux toxicomanes qui demandent de l'aide et, plus important encore, ces services sauvent des vies. Voulez-vous bien me dire pourquoi nous devrions refuser ces services aux collectivités qui en ont grandement besoin?

Nous devons respecter ces collectivités. Je vous demande de voter en faveur de l'amendement que le sénateur Campbell vient tout juste de proposer. Grâce à celui-ci, le projet de loi sera raisonnable. Si l'amendement n'est pas adopté, le projet de loi devrait être rejeté.

L'honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, j'aimerais poser une question au sénateur Eggleton. Je suis désolé de ne pas l'avoir informé de la teneur de ma question plus tôt mais, comme il a été maire de Toronto, je crois qu'il sera en mesure d'y répondre.

Il y a environ deux semaines, le maire de Montréal a fait une déclaration publique en compagnie d'un représentant de l'équipe du Service de police de la Ville de Montréal responsable des problèmes de toxicomanie. Il a dit qu'il approuverait la création d'un centre d'injection supervisée s'il obtenait l'autorisation du ministre de la Santé de la province. Il a affirmé qu'il irait de l'avant sans l'autorisation de la ministre de la Santé du gouvernement fédéral puisqu'il devrait attendre longtemps pour l'obtenir. Cela signifie que, si le gouvernement provincial autorise l'ouverture d'un centre d'injection et que le maire et les forces policières sont d'accord, Montréal pourrait contourner la procédure proposée dans le projet de loi C-2.

Étiez-vous au courant?

Le sénateur Eggleton : Vous venez tout juste de me l'apprendre.

Si tous ces intervenants ont évalué ce que l'ouverture d'un tel centre pourrait avoir comme incidence sur la ville et qu'ils sont d'accord — cela semble être le cas, d'après ce que vous me dites —, j'estime que le projet devrait être lancé. Reste à voir si cela est possible et dans quelle mesure le gouvernement fédéral pourrait intervenir sur le plan juridique. Je l'ignore, et vous le savez sans doute mieux que moi.

Le sénateur Joyal : Je suis désolé, mais je n'ai pas eu le temps de me pencher là-dessus, car je préparais un autre dossier. Je tente de comprendre la logique en cause étant donné que l'on propose de modifier le Code criminel. Ce n'est pas rien. Le Code criminel s'applique d'un bout à l'autre du Canada et devrait être interprété de la même façon d'un bout à l'autre du Canada. Revient-il à l'autorité provinciale responsable des mises en accusation d'informer le directeur des poursuites pénales de ne pas s'attaquer à un établissement présumément illégal où l'on consomme de la drogue? Peut-être est-ce le moyen de contourner le processus qu'instaurerait le projet de loi C-2.

Le sénateur Eggleton : Eh bien, c'est tout à fait possible. Il y a un autre dossier — qui m'échappe — dans lequel le gouvernement du Québec a décidé qu'il n'engagerait aucune poursuite. Ce serait une façon inusitée de mettre cette façon de faire à l'épreuve.

La santé relève des provinces, alors si le ministre de la Santé estime que le centre d'injection devrait ouvrir ses portes, d'autant plus qu'il jouit du soutien bienveillant du maire de Montréal, du service de police et d'autres intervenants, alors, oui, peut-être qu'il pourrait procéder ainsi. Pour ce qui est des ramifications légales ultimes de la situation, peut-être que le gouvernement fédéral reculerait. Je l'espère, d'ailleurs.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, j'interviens moi aussi à propos du projet de loi C-2 et des amendements que propose le sénateur Campbell.

Avant de poursuivre, je tiens à remercier le sénateur Campbell à la fois d'être le porte-parole relativement au projet de loi et de nous faire profiter de ses connaissances particulières dans ce dossier. Lorsqu'il prend la parole, j'ai conscience de profiter de sa longue expérience à ce sujet. Je lui sais gré de tout ce qu'il fait par rapport aux questions de cet ordre, car il assure ainsi la sécurité de ma ville.

(1500)

Honorables sénateurs, aujourd'hui, vous avez entendu des personnes qui ont été maires de Vancouver et de Toronto. Et maintenant le maire de Montréal dit qu'il va faire aménager un centre d'injection supervisée. Honorables sénateurs, nous parlons ici de trois personnes très responsables, qui ne font pas ces déclarations à la légère. Par conséquent, lorsque vous voterez sur le projet de loi, je vous demande de réfléchir à ce que les maires Campbell, Eggleton et Coderre nous disent : nous avons besoin de centres d'injection supervisée pour rendre nos villes plus sûres et pour sauver des vies.

Au Canada, chaque vie est précieuse. Nous nous préoccupons de chaque vie, sans aucune exception. Par conséquent, nous devrions tenir compte de ce que ces trois maires font valoir.

Pendant que je prends la parole au sujet du projet de loi C-2 sur les centres d'injection supervisée, je veux vous dire un mot sur mon lieu de résidence, Vancouver. Ceux d'entre nous qui vivent à Vancouver connaissent les bienfaits qui découlent d'un centre d'injection supervisée, tant pour les résidants de la ville que pour les personnes les plus vulnérables, celles qui sont sans ressources.

Je veux vous faire part d'une question que ma fille, Farzana, qui avait huit ans à l'époque, m'avait posée alors que je me rendais au travail. C'était avant la création du centre d'injection. Elle m'avait dit : « Maman, pourquoi le monsieur se lave-t-il le bras avec l'eau sale d'une flaque? » Je me suis retournée et j'ai vu un homme qui, effectivement, se lavait le bras avec l'eau sale d'une flaque, et qui s'est ensuite injecté quelque chose dans le bras. Ma fille m'a longtemps posé des questions au sujet des actes de ce monsieur. Elle était perplexe et confuse. Je n'ai jamais été capable de lui expliquer précisément ce qu'elle avait vu, parce que je ne voulais pas entrer dans les détails. Plus tard, lorsque le centre Insite a été créé, j'ai songé aux nombreuses petites filles qui ne verraient pas ce que ma propre fille avait vu et qui l'avait vraiment perturbée. Outre le traumatisme subi par ma fille, je ne pouvais m'empêcher de penser que cela ne correspondait pas à ma vision du Canada. Comment un Canadien peut-il se trouver dans une situation aussi désespérée? Nous, Canadiens, devons nous occuper non seulement des malades et leur garantir l'accès aux hôpitaux, mais aussi des personnes les plus vulnérables qui ont très peu de ressources à leur disposition.

Honorables sénateurs, je peux confirmer que le centre d'injection supervisée Insite a joué un rôle très important dans ma ville.

Le projet de loi C-2, Loi réglementant certaines drogues et autres substances, est la loi canadienne en matière de contrôle des stupéfiants. Cette mesure législative vise à protéger la santé publique et à assurer la sécurité publique. Les activités comportant l'utilisation d'une substance désignée sont interdites, sauf si elles sont autorisées par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, par ses règlements, ou en vertu d'une exemption aux termes de l'article 56.

Honorables sénateurs, sauf erreur, environ 10 000 demandes d'exemption en vertu de l'article 56 sont reçues chaque année. La majorité d'entre elles sont liées à des activités courantes faisant appel à des substances désignées, par exemple des essais cliniques, des traitements à la méthadone et la recherche universitaire.

En septembre 2011, la Cour suprême du Canada a rendu une décision au sujet du centre d'injection supervisée Insite de Vancouver. La cour a confirmé le pouvoir discrétionnaire du ministre d'accorder des exemptions, mais elle a ajouté que les décisions doivent être rendues conformément à la Charte canadienne des droits et libertés, et qu'elles doivent concilier les questions liées à la santé publique et à la sécurité publique. La cour a précisé les facteurs dont le ministre doit tenir compte au moment d'évaluer une demande d'ouverture d'un centre d'injection supervisée. Les cinq facteurs qui ont été retenus par la cour et qui font partie de l'amendement du sénateur Campbell sont les suivants : premièrement, la preuve, si preuve il y a, de l'incidence du centre sur la criminalité; deuxièmement, les conditions locales indiquant que le centre répond à un besoin; troisièmement, la structure réglementaire en place permettant d'encadrer le centre; quatrièmement, les ressources disponibles pour assurer l'entretien du centre; cinquièmement, les expressions d'appui ou d'opposition de la collectivité.

Honorables sénateurs, je ne maîtrise pas ces questions aussi bien que le sénateur Campbell, mais je suis membre du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. J'aimerais vous faire part de certains points dont nous avons discuté au comité.

J'ai posé la question suivante au ministre Blaney, le ministre de la Sécurité. J'ai dit ceci :

Monsieur le ministre, j'ai examiné ce projet de loi et je me suis creusé les méninges, parce que j'ai travaillé toute ma vie au centre-ville de Vancouver. Quand mes enfants étaient plus jeunes, des aiguilles à injection, toutes sortes de choses jonchaient le sol. Quand j'étais partie au travail, ils les ramassaient, et j'étais simplement pétrifiée. À l'entrée en vigueur de ce projet de loi, j'aurai les mêmes soucis avec ma petite-fille, parce qu'avec l'existence d'Insite, il y a un endroit sûr permettant aux gens de se faire leurs injections. Je crois que ce projet de loi fera disparaître cet environnement sûr.

La Cour suprême du Canada a clairement dit que votre pouvoir discrétionnaire n'était pas absolu; vous deviez tenir compte de l'article 7 de la Charte des droits et libertés quand il était question de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne. Je crois que ce projet de loi ne tient pas compte des questions liées à l'article 7 que la Cour suprême du Canada a précisées. Pouvez-vous me montrer où cela est précisé?

Le ministre Blaney a répondu ce qui suit :

Sénatrice Jaffer, je vous remercie de votre question. J'aimerais d'abord vous rassurer : toute disposition législative présentée par le gouvernement fait l'objet d'un examen de la part de notre ministère de la Justice. Nous ne pouvons pas donner d'assurance à 100 p. 100, mais nous sommes tout à fait convaincus que ce projet de loi est constitutionnel et qu'il respecte en tous points la décision rendue par la Cour suprême [...]

Votre deuxième question serait [...] une question que je vous poserais. Vous avez des enfants. J'ai des enfants. En fait, ce projet de loi demande : pensez-vous que vous devriez être consultée si un site de consommation devait ouvrir ses portes juste en face de votre maison? C'est ce que fait ce projet de loi.

J'ai répondu au ministre que je n'ai aucun problème avec la consultation, mais que je veux que nous nous assurions de respecter la Charte.

Honorables sénateurs, j'ai également posé une question à la ministre Ambrose — et je ne vais pas tout lire, car cela figure dans la transcription des délibérations du comité —, mais, en gros, j'ai voulu savoir quels seraient les effets sur les hôpitaux dans ma région, si le centre Insite était fermé. Voici la question que j'ai posée :

Madame la ministre, là où je vis, nous avons un hôpital, St. Paul's, qui s'occupe des personnes cardiaques pour l'ensemble de la vallée du bas Fraser. Si Insite n'existe pas, les gens qui souffrent iront à l'hôpital St. Paul's. C'est une question de ressources. Insite a permis [au gouvernement provincial] d'économiser 17 millions de dollars. Ma préoccupation est la suivante : en l'absence d'Insite, l'hôpital St. Paul's subira de nouveau des pressions.

La ministre Ambrose a répondu que ces choses ne sont pas mutuellement exclusives et, si je me souviens bien, elle m'a aussi rappelé que ces questions sont du ressort des provinces.

Honorables sénateurs, peu m'importe s'il s'agisse de questions de compétence fédérale ou provinciale. On parle ici d'hôpitaux et, si leurs ressources sont mises à rude épreuve, alors tous les gens de la vallée du bas Fraser en souffriront.

Je me suis demandé comment vous expliquer en quoi consiste le centre Insite. Après mûre réflexion, je me suis dit que je ferais mieux de vous citer les propos de M. Russell Maynard, directeur de programme d'Insite :

J'aimerais [...] vous fournir des renseignements qu'on n'entend pas très souvent. Insite est beaucoup plus qu'un centre d'injection supervisée. Il reçoit environ 800 visites par jour, et sa clientèle de base comprend probablement environ 300 utilisateurs. Cela ne représente pas un grand nombre de personnes. En fait, il ne s'agit que d'une poignée de personnes, et nous parlons ici d'un projet très local, qui mise beaucoup sur l'action communautaire. Insite a pour mandat d'essayer de faire tout en son pouvoir pour améliorer la sécurité des collectivités qui sont aux prises avec des problèmes de toxicomanie, ce qui est généralement le cas dans chaque centre urbain du monde développé. Ce sont toujours les régions à faible revenu qui en sont touchées.

Je travaille étroitement — et j'insiste sur le mot « étroitement » — avec les agents du Service de police de Vancouver. Je les rencontre régulièrement. J'assiste toujours à des réunions. On m'invite à parler aux nouveaux policiers avant qu'ils se mettent à faire des patrouilles dans le quartier centre-est de la ville, afin de leur faire comprendre le contexte du centre d'injection et des gens qui le fréquentent.

Qui sont les clients des centres d'injection? La réponse n'est pas simple à comprendre. Pourtant, il s'agit d'un groupe incroyablement homogène partout dans le monde, que ce soit en Espagne, au Danemark, à Vancouver ou à Sydney, en Australie. En général, il s'agit de gens qui viennent de familles d'accueil. Ayant grandi dans des milieux désavantagés, ces gens fréquentent l'école, sans toutefois pouvoir se concentrer sur leurs études en raison de leur mode de vie. Ensuite, ils passent entre les mailles du filet pour le reste de leur vie. Ils finissent par être des gens à faible revenu, qui prennent des médicaments sans prescription médicale ou qui utilisent des drogues pour toutes les mauvaises raisons. Tout ce que nous essayons de faire à Insite, c'est, premièrement, de les garder en vie pour leur offrir un traitement et, deuxièmement, de leur fournir les services dont ils ont besoin — logement, soins de santé et santé mentale.

Je veux m'assurer que le comité sénatorial comprend bien ceci, et là encore, il s'agit d'un chiffre puissant : chaque année, 450 clients d'Insite sont directement transférés à un service de désintoxication. Je parle en tant que spécialiste en toxicomanie — à ma connaissance, aucun autre projet dans le monde entier n'affiche de tels résultats. Je le répète : chaque année, 450 personnes passent de l'étage d'Insite à un service de traitement.

Comment cela se traduit-il concrètement? En clair, nous ne connaissons aucun autre modèle qui réussit à diriger les toxicomanes vers la voie du traitement. Imaginez, si vous le pouvez, que vous devez vous cacher dans des entrées d'immeubles ou dans des ruelles pour dissimuler votre consommation. Et un jour, vous apprenez qu'il y a un projet dans votre collectivité. Il s'agit d'un centre où l'on vous dit : « Très bien. Nous reconnaissons qu'il s'agit d'un problème sinistre et chaotique. Entrez donc, et essayons de voir ce que nous pouvons faire. » Du coup, chaque jour, vous interagissez avec des gens comme ceux qui sont assis autour de cette table. Voilà un changement profond dans votre mode de vie. Au lieu d'entretenir des relations uniquement avec des toxicomanes et d'autres personnes ayant une vie chaotique, vous vous trouvez maintenant dans une salle remplie de gens qui mènent une vie fonctionnelle et dont le travail consiste à vous diriger vers des services de santé mentale et des services cliniques. C'est ce que nous faisons, jour après jour, 365 jours par année, 18 heures par jour.

(1510)

Il a poursuivi en disant ceci :

Je tiens à gagner la confiance de ceux qui ne sont pas convaincus, et c'est pourquoi je veux m'assurer que tout le monde dans la salle reconnaît ceci : il n'y a pas d'autre modèle plus puissant dans le monde développé que le site de consommation supervisée à Vancouver, un site dont la conception est purement canadienne. Insite est unique en son genre par rapport aux autres centres d'injection; ainsi, on trouve un centre de désintoxication et un programme de rétablissement aux étages supérieurs. C'est comme une clinique sans rendez-vous, assortie de services spécialisés — par exemple, la chirurgie oculaire, et cetera —, bref un endroit où l'on offre un continuum de soins.

Honorables sénateurs, j'ai posé une question à M. Maynard sur les environs du centre. Je craignais qu'il y ait des seringues un peu partout. Voici ce qu'il a répondu :

C'est un peu une zone grise [...] Le projet de loi, lui, n'a pas de zone grise. Il stipule les choses clairement. Ce qui rend la réponse à votre question opaque c'est que la Cour suprême du Canada a déjà été saisie trois fois de l'affaire Insite. Il est difficile d'imaginer que, si Insite ne répondait pas aux critères, il s'adresse de nouveau aux tribunaux. Ce serait un retour en arrière. Il est par ailleurs difficile d'imaginer que nous n'aurions pas encore une fois gain de cause devant les tribunaux.

Honorables sénateurs, j'ai été complètement abasourdie lorsqu'il nous a dit ceci : « Treize juges ont examiné le dossier et tous les 13 ont pris le parti d'Insite en entendant les preuves fournies pendant des jours. »

L'article 5 du nouveau projet de loi énonce 26 obligations. Ces 26 obligations seront très difficiles à respecter.

Honorables sénateurs, de nombreux témoins ont comparu devant le comité pour dire que le projet de loi va à l'encontre de la Charte. La Coalition canadienne des politiques sur les drogues explique pourquoi le projet de loi C-2 est néfaste dans le rapport Une injection de raison : premièrement, « le Projet de loi C-2 alimente la désinformation sur les services de consommation supervisée »; deuxièmement, « [il] est entièrement contraire à l'esprit de la décision de 2011 de la Cour suprême du Canada »; troisièmement, « [il] impose un processus de demande excessif qui ne serait pas exigé pour d'autres services de santé »; quatrièmement, « [il] prête un poids disproportionné aux "opinions" sur l'accès à des services de santé cruciaux »; et cinquièmement, « [il] accorde à certaines autorités un droit de véto unilatéral sur la mise en œuvre des services de consommation supervisée. »

Pourrais-je avoir cinq minutes de plus?

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils d'accord pour accorder cinq minutes de plus à la sénatrice Jaffer?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Jaffer : Honorables sénateurs, la Coalition canadienne des politiques sur les drogues a continué d'énumérer toutes les raisons pour lesquelles le projet de loi C-2 ne répond pas aux critères établis par la Cour suprême du Canada.

Nous avons entendu le témoignage d'un homme qui utilisait les services de ce centre et qui travaille maintenant là-bas. Il nous a suppliés de veiller à ce que ce centre ne soit pas fermé, parce que c'est cet endroit qui lui a permis de vaincre son problème.

Avant de conclure mon intervention, je tiens à vous faire part de ce qu'a dit Mme Donna May, la mère d'une toxicomane, quand elle a comparu devant le comité. Je la cite :

Ma fille est morte. [...]

Dans un premier temps, j'estime essentiel d'amener nos politiciens à reconnaître qu'il s'agit d'une maladie en prêtant une oreille attentive aux citoyens de leur collectivité. Pour être moi-même entrée en contact avec de nombreux députés fédéraux et provinciaux ainsi qu'avec mes conseillers municipaux, je peux vous dire qu'ils préfèrent qu'on ne leur parle pas de cette réalité qu'ils jugent épouvantable. Mais reste quand même qu'aucun parent n'est à l'abri. Et tout ne part pas nécessairement d'une drogue vendue dans la rue. Ce n'est pas ce qui a été à l'origine de la toxicomanie de ma fille. Tout a commencé avec une prescription d'Oxy à la suite d'une chute dans l'escalier du sous-sol. Elle souffrait d'un problème de santé mentale qui n'avait pas été diagnostiqué, et elle a découvert que le médicament apaisait les voix qu'elle entendait dans sa tête.

Honorables sénateurs, cette mère nous implore de protéger les membres les plus vulnérables de notre société.

Je suis allée visiter Insite avec mon époux. Il n'est pas facile d'y accéder. Quand j'étais à l'intérieur, j'ai vu des gens y entrer avec dignité. Ils ont pu s'occuper de leurs problèmes, suivre une cure de désintoxication et même subir une chirurgie oculaire.

Le jour où mon mari et moi avons quitté Insite, nous étions remplis d'humilité à l'idée qu'il y avait des Canadiens qui se souciaient des plus vulnérables. Je vous pose aujourd'hui la question directement : allons-nous être de ceux qui se préoccupent des plus vulnérables?

Merci.

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Étant donné qu'il reste fort peu de temps aux cinq minutes accordées à la sénatrice Jaffer, je vais simplement participer au débat.

Je n'avais pas prévu parler de cette question, mais comme j'habite à Vancouver et que je viens d'entendre mes collègues, le sénateur Campbell et la sénatrice Jaffer, je me sens obligée d'ajouter mon point de vue, puisque j'habite à Vancouver depuis plus de 40 ans.

Je tiens simplement à dire que j'éprouve le plus grand respect pour les deux sénateurs, car je sais à quel point, comme à moi, leur ville leur tient à cœur. Je l'ai déjà dit au sénateur mais, à titre de maire, il nous a très bien servis et je le dis avec fierté. C'est aussi comme Vancouvéroise très fière que j'interviens aujourd'hui.

Je tiens à dire que nous ressentons tous de la compassion pour tout le monde, puisque nous sommes Canadiens.

Cela dit, je précise que j'appuierai le projet de loi, mais non l'amendement. J'ajoute simplement que, à mon sens, il y a un point de vue qui... J'ai écouté attentivement les débats pour voir si les points de vue de ces personnes y avaient été pris en compte et j'ai constaté que non. J'estime donc qu'il m'incombe de dire à tout le moins que je ne suis pas avocate, je ne défends pas une cause et je ne suis pas une experte comme le sénateur Campbell. Je ne voulais donc pas nécessairement influencer le débat.

J'ai lu certaines choses sur l'approche des quatre piliers. J'ai travaillé en étroite collaboration avec Sam Sullivan, un successeur du sénateur Campbell. Je sais cependant que j'ai entendu des témoignages anecdotiques et j'ai discuté avec des gens qui habitent précisément au centre-ville de Vancouver, dans le quartier chinois, à proximité du site d'injection. Ils parlent des changements qu'ils n'ont pas vus et des difficultés qu'ils éprouvent encore.

Le sénateur Campbell a dit que le centre d'injection avait retiré de la rue les traces de la toxicomanie, mais ce n'est pas le point de vue de la Vancouver Chinatown Merchants Association, et ce n'est pas l'avis de ceux qui essaient de joindre les deux bouts, qui multiplient les heures de travail pour contribuer à ce quartier chinois historique, dont le passé est profondément triste, mais qui demeure, par ordre d'ancienneté, le deuxième en Amérique du Nord. C'est un quartier tout à fait particulier.

Je collabore étroitement avec certains membres de cette collectivité, et les faits anecdotiques dont j'ai entendu parler à propos des difficultés qu'ils éprouvent là-bas et de ce qu'ils voient dans les rues et les ruelles indiquent bien qu'il y a là des problèmes tout à fait réels pour eux.

(1520)

Je voudrais demander aux sénateurs d'en face s'ils ont entendu directement le point de vue de ces gens-là, s'ils ont discuté avec eux, car ce que je retiens de leur opinion, ce n'est pas tellement un soutien pour le site, mais plutôt de l'inquiétude, de la déception parce qu'ils n'ont remarqué aucun changement dans leurs rues, dans leur quartier.

J'ai été éducatrice — et d'autres sénateurs ont travaillé dans le même domaine — pendant 21 ans, et mon mari enseigne toujours dans des écoles alternatives dans un quartier où il travaille avec des jeunes aux prises avec des problèmes de toxicomanie. Comme parent, je dirai qu'Insite a fait de l'excellent travail. J'apporte cette précision, mais je dois dire que ce centre a toujours été un lieu très controversé. Les Vancouvérois ne sont pas unanimes. Étant donné les faits anecdotiques qui m'ont été signalés par les habitants du quartier avec qui j'ai discuté et mon expérience de parent et d'enseignante, et sachant ce qui se passe dans l'établissement, je dois dire que le plus grand défi que nous ayons à relever, c'est celui de l'éducation de nos élèves, pour éviter qu'ils ne soient victimes de drames semblables.

En somme, il existe un vrai dilemme, un défi, en ce qui concerne l'acceptation de ce centre.

Pour ma part, je suis profondément déchirée au sujet d'Insite, qui fait partie de la vie de notre ville depuis un bon moment. Je connais ceux qui se sont faits les champions de cette cause. Je n'ai pas participé directement. J'ai plutôt été une observatrice et j'ai écouté le point de vue de ces intervenants. Je ne souscris pas forcément à tout ce qui s'est dit. Étant donné mon expérience personnelle, je vais appuyer le projet de loi, mais non les amendements.

Le sénateur Campbell : La sénatrice a-t-elle pris connaissance des 18 études évaluées par des pairs qui ont été consacrées à Insite?

La sénatrice Martin : Non, je regrette. J'ai commencé par préciser que je n'étais pas une spécialiste en la matière, mais j'habite dans la ville dont on a abondamment parlé et j'ai entendu des témoignages dans des conversations et des réunions d'intervenants, et j'ai entendu le point de vue d'habitants du quartier, et ce sont là les préoccupations que je veux faire valoir dans le cadre du débat.

Le sénateur Campbell : Le problème, à mon avis, c'est qu'il s'agit de rumeurs, d'allégations.

La sénatrice Martin : Ce ne sont ni des rumeurs ni des allégations.

Le sénateur Campbell : Oui, car cela ne repose pas sur des faits. J'ai une question à vous poser : savez-vous que le quartier chinois m'a appuyé à la dernière élection?

La sénatrice Martin : Pardon?

Le sénateur Campbell : J'ai eu le plein appui de la Chinatown Merchants Association. Le saviez-vous?

La sénatrice Martin : Oui, monsieur le sénateur. Nous vous avons tous appuyé, mais là n'est pas la question.

Son Honneur le Président : À l'ordre, s'il vous plaît. Deux sénateurs ne peuvent avoir la parole en même temps. Sénateur Campbell, je crois que vous le comprenez. Je vous invite à poser votre question.

Le sénateur Campbell : Vous ne devez pas accorder plus de poids à des faits anecdotiques qu'à des études scientifiques évaluées par des pairs. Voilà pourquoi nous avons ce genre de difficulté. Si vous faites un sondage à Vancouver, vous constaterez que la vaste majorité est favorable au centre.

La sénatrice Martin : Les faits anecdotiques dont je parle me sont signalés par des gens qui habitent là-bas, qui travaillent là-bas. J'apporte simplement ces faits dans le débat. Je sais que vous avez été un maire très populaire. Cela ne fait aucun doute. Je parle du témoignage de gens qui sont directement touchés par le centre.

La sénatrice Cordy : Cela demeure anecdotique.

La sénatrice Jaffer : L'honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Martin : Oui.

La sénatrice Jaffer : Madame la sénatrice Martin, nous nous préoccupons tous trois de notre ville. Il ne s'agit donc pas de savoir qui s'en préoccupe le plus. Toutefois, je travaille dans ce quartier depuis 1975. J'y ai mon cabinet d'avocat. Je puis vous dire que, grâce à Insite, les marchands n'ont plus à ramasser les seringues dans les rues tous les matins comme autrefois.

Je ne prétends pas que ce soit parfait mais, si nous fermons Insite, ce qui se fait maintenant à l'intérieur se fera dans la rue. La situation des marchands sera-t-elle plus agréable?

Son Honneur le Président : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

La sénatrice Martin : Le vote!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter l'amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : De toute évidence, les non l'emportent.

Et deux honorables sénateurs s'étant levés :

Son Honneur le Président : Convoquez les sénateurs.

Le sénateur Munson : Votre Honneur, nous souhaitons reporter le vote à demain.

Son Honneur le Président : Conformément à l'article 9-10(2) du Règlement, le vote est reporté à 17 h 30, à la prochaine séance, et le timbre sonnera à compter de 17 h 15.

Projet de loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Donald Neil Plett propose que le projet de loi C-26, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, édictant la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants) et modifiant d'autres lois en conséquence, soit lu pour la troisième fois.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-26, Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d'enfants, à l'étape de la troisième lecture.

Depuis la dernière fois où ce projet de loi a été débattu au Sénat, il a été rigoureusement étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous avons entendu les témoignages de spécialistes de la justice pénale, de victimes, de partisans de la réhabilitation des criminels, de centres de défense des droits des enfants, de services de police, et ainsi de suite. Je suis heureux de pouvoir indiquer au Sénat que les témoins étaient très largement favorables à ce projet de loi.

Chers collègues, le projet de loi C-26 vise à remédier aux peines injustement légères qui continuent d'être imposées dans les cas d'exploitation sexuelle des enfants, qu'il s'agisse d'infractions sexuelles avec contact ou de pornographie juvénile. Le public canadien a pu voir plusieurs fois des délinquants être condamnés à une peine d'emprisonnement d'un ou deux ans pour avoir agressé sexuellement un enfant ou à des peines purgées simultanément, plutôt que consécutivement, lorsqu'ils avaient agressé plusieurs enfants.

Bien que plusieurs d'entre nous n'osent pas remettre en question l'expertise des juges dans certaines de ces affaires, il est impossible de justifier rationnellement la majorité des peines imposées dans les cas d'exploitation sexuelle des enfants.

M. David Butt, conseiller juridique de la Kids Internet Safety Alliance, a déclaré ceci lorsqu'il a témoigné devant le comité pour y exprimer son accord concernant les augmentations des peines minimales obligatoires :

Les juges sont formés pour tenir compte des précédents, et il n'y a rien de mal à cela. Lorsqu'ils doivent déterminer la peine, ils se demandent quelles peines ont été imposées dans le passé. Or, c'est là que le bât blesse. Ils sont obligés de regarder derrière. On ne peut pas avancer lorsqu'on a le regard fixé sur le rétroviseur. Il nous faut pouvoir nous extirper du carcan des précédents. Nous devons parfois intervenir et apporter les ajustements juridiques nécessaires.

Il dit encore ceci :

Dans ce contexte, je vois les peines minimales obligatoires comme une façon responsable de hausser la barre de manière à tenir compte de l'importance fondamentale de la protection des enfants, sans pour autant faire entièrement disparaître le pouvoir discrétionnaire des juges [...]

[...] Le Parlement doit intervenir et dire que nous devons nous tourner vers l'avenir et être visionnaires, et que nous voulons une réalité différente et meilleure pour nos enfants.

Honorables sénateurs, je suis tout à fait d'accord. Nous avons maintenant l'occasion de nous tourner vers l'avenir lorsqu'il s'agit de protéger les enfants.

Le projet de loi C-26 apporte plusieurs modifications importantes à la loi actuelle. Premièrement, les peines maximales et minimales seraient haussées pour de nombreuses infractions sexuelles contre des enfants. Par exemple, la peine maximale pour toutes les infractions sexuelles mixtes contre des enfants passera à deux ans moins un jour sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et à 14 ans sur déclaration de culpabilité par mise en accusation. Ce projet de loi ferait également en sorte que les infractions les plus graves liées à la pornographie juvénile, soit la production et la distribution de pornographie juvénile, soient obligatoirement assorties d'une peine maximale de 14 ans. La peine minimale obligatoire d'un an continuerait de s'appliquer. Cette réforme particulière tient compte des répercussions dévastatrices de la distribution de pornographie juvénile, et surtout dans un environnement technologique où les images demeurent accessibles pour une durée indéterminée.

(1530)

Les peines pour non-respect d'ordonnances de surveillance — c'est-à-dire les ordonnances d'interdiction, les ordonnances de probation et les engagements de ne pas troubler l'ordre public — seraient également haussées pour que les individus qui violent les conditions qui leur sont imposées par les tribunaux pour protéger les enfants aient à subir les conséquences de leurs actes.

Monique St. Germain, avocate-conseil pour le Centre canadien de protection de l'enfance, a insisté sur l'importance d'appliquer des peines plus sévères en cas de non-respect des conditions imposées par les tribunaux. Elle a dit ceci :

Lorsque des conditions sont imposées à un délinquant, le tribunal prend en considération la nature des infractions commises et le risque que représente le délinquant. Les conditions visent à gérer ce risque et à éviter que le délinquant fasse d'autres victimes. Les conditions sont extrêmement importantes pour assurer la protection continue des enfants. Par conséquent, la peine infligée en cas de non-respect doit être rigoureuse.

Chers collègues, le projet de loi C-26 veillerait également à ce que toute preuve indiquant qu'un délinquant a commis une infraction alors qu'il faisait l'objet d'une ordonnance de sursis ou qu'il était en libération conditionnelle ou d'office soit considérée comme un facteur aggravant dans la détermination de la peine.

Après avoir entendu les témoignages des victimes et des défenseurs des droits des victimes au comité, je crois que la disposition la plus importante du projet de loi porte sur le fait que les juges déclarent souvent que les délinquants accusés d'infractions d'ordre sexuel contre plusieurs enfants peuvent purger des peines simultanément, ce qui signifie que le délinquant ne purge qu'une seule peine.

Aux termes des nouvelles dispositions, les tribunaux doivent imposer des peines consécutives dans deux situations. La première, c'est lorsque les délinquants sont condamnés en même temps pour des infractions de pornographie juvénile et de contacts sexuels. Cette disposition établit que les préjudices causés sont plus graves lorsque la pornographie juvénile est utilisée en vue d'obtenir des contacts sexuels.

La deuxième situation, c'est lorsqu'un délinquant est condamné au même moment pour des infractions de contact sexuel avec plusieurs enfants.

Honorables sénateurs, ces nouvelles dispositions feraient en sorte que les agresseurs sexuels qui s'en prennent à plusieurs enfants n'obtiennent pas de réductions de peine. Le système de justice pénale doit faire en sorte que chaque victime compte et soit prise en considération lors du prononcé de peine.

Ellen Campbell, présidente du Centre canadien de sensibilisation aux abus, elle-même ayant été victime d'agression sexuelle lorsqu'elle était enfant, a parlé au comité d'un cas que j'ai déjà mentionné au Sénat, celui de Gordon Stuckless. Il a obtenu ce qu'on appelle un « rabais de peine » pour le viol répété de 24 garçons et a été traité comme un délinquant primaire lorsqu'il a enfin été arrêté. Il a été condamné à deux ans moins un jour d'emprisonnement.

Martin Kruze, la première victime à dénoncer M. Stuckless, s'est tragiquement suicidé peu après cette misérable condamnation.

Voici ce qu'a déclaré Mme Campbell devant le comité :

Je me suis souvent demandé ce qui se serait passé si le projet de loi C-26 avait déjà été en vigueur lorsque Martin a dénoncé son agresseur. Il aurait pu espérer que des mesures soient prises.

Chers collègues, quel genre de message ce regroupement d'infractions envoie-t-il aux victimes qui hésitent à dénoncer leur agresseur?

Comme l'a soutenu Charles Adler :

Martin Kruze a survécu aux innombrables viols commis par Gordon Stuckless, mais il n'a pas réussi à surmonter le viol commis sur sa personne par le système de justice pénale.

Sheldon Kennedy a souligné qu'il s'agit d'un problème important. Il a déclaré ceci :

Je pense que c'est ce que les victimes craignent le plus, de ne pas être crues et de ne pas obtenir de soutien pour dénoncer leur agresseur. Lorsqu'elles le font, elles sont rassemblées en un seul groupe, et on impose une peine globale à l'agresseur. Je pense que c'est une honte, une véritable honte.

Honorables sénateurs, en vertu de cette nouvelle disposition, Gordon Stuckless devrait purger une peine minimale obligatoire pour chacune des 24 victimes connues. Cette disposition envoie un message clair aux victimes : elles comptent, elles seront entendues, et on tiendra compte de chacune d'entre elles dans la peine imposée à l'agresseur.

Le projet de loi C-26 prévoit également d'importantes réformes qui permettraient de retracer les pédophiles, notamment lorsqu'ils se rendent à l'étranger pour commettre des infractions contre des enfants dans des pays dont les systèmes juridiques sont moins rigoureux que les nôtres. Par exemple, grâce aux modifications proposées à la Loi sur l'enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, le délinquant sexuel déclaré coupable d'une infraction sexuelle visant un enfant devrait indiquer qu'il s'absente du pays et donner le lieu et l'adresse où il séjourne. Comme le ministre MacKay l'a dit au comité, nous ne voulons pas que notre pays exporte ses problèmes.

Le projet de loi propose d'autres modifications à la loi qui permettraient la communication de renseignements entre les responsables du Registre national des délinquants sexuels et l'Agence des services frontaliers du Canada. Les délinquants sexuels inscrits seraient tenus de fournir leur numéro de passeport et de permis aux responsables du registre, qui seraient autorisés à divulguer certains renseignements sur les agresseurs sexuels d'enfants inscrits.

L'Agence des services frontaliers du Canada serait autorisée à recueillir, à un point d'entrée, des renseignements sur les voyages des délinquants sexuels inscrits, si elle en a reçu la demande des responsables du registre.

Le projet de loi C-26 prévoit aussi la création d'une nouvelle banque de données accessible au public contenant des renseignements sur les délinquants sexuels à risque élevé ayant agressé des enfants, grâce à la Loi sur la banque de données concernant les délinquants sexuels à risque élevé (infractions sexuelles visant les enfants). Cette loi autoriserait la GRC à mettre sur pied et à administrer une banque de données nationale accessible au public contenant des renseignements sur les délinquants sexuels à risque élevé ayant agressé des enfants et ayant déjà fait l'objet d'un avis public dans une province ou un territoire.

Plusieurs victimes et représentants de centres d'appui aux enfants ont souligné l'importance de cette banque de données. Sheldon Kennedy et Ellen Campbell, qui ont été des victimes dans leur enfance et qui défendent maintenant les droits des enfants victimes, ont témoigné après avoir entendu l'intervention du commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien. M. Therrien a dit douter de l'efficacité d'une banque de données interrogeable et accessible au public concernant les agresseurs sexuels d'enfants à risque élevé, mais il a aussi admis qu'aucun nouveau renseignement ne serait rendu public après l'entrée en vigueur de la banque de données proposée et que le projet de loi n'enfreindrait aucunement la Loi sur la protection des renseignements personnels.

La divergence d'opinions entre M. Therrien et les défenseurs des droits des victimes portait principalement sur le droit des Canadiens d'avoir accès à ces renseignements. Après avoir entendu l'intervention de M. Therrien, les deux témoins ont soutenu qu'il était extrêmement important que les parents et les familles aient accès à ces renseignements afin qu'ils puissent prendre les précautions qui s'imposent.

Voici ce qu'a déclaré le sénateur McInnis au commissaire à la protection de la vie privée :

Il n'est pas question ici, si je puis dire, d'un criminel ordinaire. Il s'agit d'un agresseur sexuel d'enfants à risque élevé, qui est susceptible de récidiver.

[...] je pense que les parents veulent connaître l'identité du délinquant afin que, si celui-ci se trouve dans leur quartier, ils puissent accompagner leur enfant à l'école et le protéger. C'est important. C'est pourquoi je ne suis pas d'accord avec vous.

Chers collègues, nous manquons à nos devoirs envers nos enfants depuis trop longtemps en ne traitant pas ce crime avec tout le sérieux qui s'impose. Voici ce que David Butt, de la Kids Internet Safety Alliance, a laissé entendre devant le comité :

Quand nos valeurs ne nous poussent pas suffisamment à dénoncer des crimes [...] nous devons retrouver un juste équilibre.

Il a cité l'exemple d'une personne non armée qui commet un vol d'une valeur d'environ 8 000 $ dans une banque, une somme qui, et je cite : « [...] est inférieure à l'erreur d'arrondi de n'importe quelle grande banque ». Cette personne écoperait d'une peine minimale de cinq ans de prison.

(1540)

Les tribunaux n'ont jamais manqué de protéger les biens des grandes institutions. M. Butt a ensuite comparé cette situation à celle d'un enfant dont la vie est détruite parce qu'il est agressé par un adulte en qui il avait confiance. L'enfant constate ensuite que son agresseur bénéficie de la probation ou, comme l'a dit M. Butt, « rentre chez lui écouter la télé ».

Pour un enfant qui a été agressé, la comparaison avec la peine de cinq ans infligée pour le vol d'une somme équivalant à l'erreur d'arrondi d'une banque est vraiment terrible. Nous devons continuer de protéger les enfants grâce à la prévention et au traitement, mais nous devons, en même temps, imposer des peines adéquates à ceux qui se rendent coupables de tels crimes.

Honorables sénateurs, avant de conclure, je voudrais aborder brièvement les préoccupations de mon collègue, le sénateur Campbell, qui craint essentiellement que de longues peines d'emprisonnement ne privent les délinquants des traitements appropriés et qui établit un lien entre le manque de traitement et la récidive.

Voici ma réponse. Tout d'abord, comme l'a noté Sue O'Sullivan, ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, lorsque des délinquants sexuels restent plus longtemps en prison, ils ont accès aux traitements pendant une plus longue période. Le Service correctionnel du Canada offre différents programmes qui visent à prévenir la récidive. Toutefois, nous n'avons pas affaire ici à des criminels ordinaires ni même à des délinquants sexuels ordinaires.

Comme on peut le voir sur le site web de SCC, les données tirées du programme de Clearwater indiquent que les pédophiles, même après traitement, font courir un plus grand risque à la communauté que les autres délinquants sexuels.

J'ai également des statistiques tirées de revues psychiatriques examinées par des pairs, selon lesquelles le quart des pédophiles hétérosexuels et la moitié des pédophiles homosexuels et bisexuels récidivent. Ce taux de récidive est élevé.

Comme le constate le journal médical de Harvard, il n'existe aucun traitement efficace contre la pédophilie. La pédophilie est une orientation sexuelle et le journal fait remarquer ceci :

La pédophilie, comme les autres orientations sexuelles, ne risque guère de changer. Par conséquent, l'objectif du traitement consiste à empêcher la personne de réagir aux pulsions pédophiles, soit en diminuant l'excitation sexuelle liée aux enfants, soit en augmentant la capacité de l'individu à gérer cette excitation. Cependant, aucune mesure ne réduit les risques plus efficacement que le fait d'empêcher la personne de se trouver en présence d'enfants.

Le journal médical de Harvard conclut que, puisqu'il n'existe aucun remède, il est impératif de mettre l'accent sur la protection des enfants.

Bien que le sénateur Campbell affirme que les conservateurs éprouvent une aversion pour la science, en fait, cette approche est fondée sur des données probantes et elle reflète le risque établi de récidive chez les pédophiles, l'inefficacité des traitements et les conséquences traumatisantes et dévastatrices à long terme de ce type de crime chez les victimes.

Je félicite le gouvernement qui, après avoir écouté les groupes de victimes et les experts, a présenté cette mesure législative exhaustive qui protègera les enfants contre les prédateurs sexuels. J'espère que tous les sénateurs voteront en faveur de ce projet de loi important.

Merci.

L'honorable Céline Hervieux-Payette : J'ai une question à poser.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Plett, acceptez-vous de répondre à des questions?

Le sénateur Plett : Oui.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Depuis quelques années, le sénateur Plett et moi sommes rarement d'accord en ce qui concerne l'éducation des enfants, et plus particulièrement la violence faite aux enfants. Maintenant, tout à coup, il se soucie beaucoup de la santé des enfants et voudrait mettre tout le monde derrière les barreaux aussi longtemps que possible.

Appuyez-vous toujours le maintien de l'article 43 du Code criminel, qui permet aux parents de frapper leurs enfants à des fins éducatives?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Madame la sénatrice, permettez-moi d'abord de dire que je trouve choquant que vous mettiez sur le même pied, d'une part, le fait de donner une fessée à un enfant et, d'autre part, le viol et l'atteinte à la pudeur d'un enfant. Il n'existe aucune corrélation entre les deux situations et je ne m'abaisserai pas à répondre à cette question.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous encourage, sénateur, à lire le jugement de la Cour suprême qui a justement retiré la permission — dans le cas des enfants âgés de 12 ans et plus, et ce, pour des raisons sexuelles — aux parents de donner la fessée à leurs enfants. Ne dites pas qu'il n'y a pas de corrélation. Il y en a une.

Dans le cadre de votre projet de loi, avez-vous envisagé des mesures comme la castration physique ou chimique?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je dirai encore une fois que j'appuie pleinement mes garçons quand ils disciplinent leurs enfants d'une façon affectueuse. Si cela comprend une petite tape sur le derrière, je n'y vois pas d'inconvénient. Par contre, je suis opposé à toute atteinte à la pudeur. Je le répète, il n'y a absolument aucun lien.

Deuxièmement, le projet de loi traite de l'exploitation sexuelle des enfants. Il n'a rien à voir avec le fait de leur donner une fessée. Nous avons un autre projet de loi à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je vous encourage à lire le dernier rapport de la Commission de vérité et réconciliation. Il contient un article en particulier qui recommande le retrait de l'article 43, parce qu'il y a eu trop d'incidents concernant des jeunes Autochtones et qu'il y a une corrélation, même si vous la niez. La Cour suprême a reconnu que, lorsque les enfants grandissent, il y a une menace sur le plan sexuel. Par ailleurs, la Cour suprême a retiré aux parents la possibilité de donner la fessée aux enfants âgés de plus de 12 ans. N'éliminez pas cette question.

Lors de votre étude approfondie, avez-vous examiné le fait que les pédophiles sont souvent issus de familles où il y a des cas d'abus et que ces gens ont été eux-mêmes victimes de pédophilie?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Non.

[Français]

La sénatrice Hervieux-Payette : Je trouve étrange que l'on n'ait pas rapporté le fait qu'il s'agit de déviations qui, la plupart du temps, sont liées aux mauvais traitements reçus pendant l'enfance et que, à l'âge adulte, ces personnes perpétuent ces actes. Il faudrait agir plus tôt avant qu'ils prennent cette tangente.

Lorsque vous citez l'article paru dans le journal médical de Harvard, selon lequel il n'y a aucune thérapie, croyez-vous que ce soit ainsi partout dans le monde, et que les pays d'Europe ou d'ailleurs n'ont jamais pris de mesures dans le cadre du traitement des pédophiles afin que ces personnes réintègrent la société de façon sécuritaire?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je crois que vous avez demandé si toutes les revues médicales disent la même chose que celle de Harvard. Je ne sais pas. Je n'ai pas lu toutes les revues du monde pour savoir ce qu'elles disent. J'ai simplement cité le journal médical de Harvard.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Une voix : Le vote!

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, au nom du sénateur Campbell, le débat est ajourné.)

(1550)

Le Sénat

La Loi sur l'abrogation des lois—Adoption de la motion tendant à faire opposition à l'abrogation de la loi et de dispositions d'autres lois

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement), conformément au préavis donné le 3 juin 2015, propose :

Que, conformément à l'article 3 de la Loi sur l'abrogation des lois, L.C. 2008, ch. 20, le Sénat a résolu que la loi suivante et les dispositions des autres lois ci-après, qui ne sont pas entrées en vigueur depuis leur adoption, ne soient pas abrogées :

1. Loi sur les grains du Canada, L.R., ch. G-10 :

- alinéas d) et e) de la définition de « installation » ou « silo » à l'article 2 et paragraphes 55(2) et (3);

2. Loi sur les contraventions, L.C. 1992, ch. 47 :

- alinéa 8(1)d), articles 9, 10 et 12 à 16, paragraphes 17(1) à (3), articles 18 et 19, paragraphe 21(1) et articles 22, 23, 25, 26, 28 à 38, 40, 41, 44 à 47, 50 à 53, 56, 57, 60 à 62, 84 (en ce qui concerne les articles suivants dans l'annexe : articles 1, 2.1, 2.2, 3, 4, 5, 7, 7.1, 9, 10, 11, 12, 14 et 16) et 85;

3.Loi de mise en œuvre de l'Accord sur le commerce intérieur, L.C. 1996, ch. 17 :

- articles 17 et 18;

4.Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10 :

- article 140;

5.Loi modifiant la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire et abrogeant la Loi sur les marchés de grain à terme, L.C. 1998, ch. 22 :

- paragraphe 1(3) et articles 5, 9, 13 à 15, 18 à 23 et 26 à 28;

6.Loi de mise en œuvre du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, L.C. 1998, ch. 32;

7.Loi sur le précontrôle, L.C. 1999, ch. 20 :

- article 37;

8.Loi sur l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public, L.C. 1999, ch. 34 :

- articles 155, 157, 158 et 160, les paragraphes 161(1) et (4) et article 168;

9.Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations, L.C. 2000, ch. 12 :

-articles 89 et 90, paragraphes 107(1) et (3) et article 109;

10.Loi sur la responsabilité en matière maritime, L.C. 2001, ch. 6 :

- article 45;

11.Loi sur le Yukon, L.C. 2002, ch. 7 :

- articles 70 à 75 et 77, paragraphe 117(2) et articles 167, 168, 210, 211, 221, 227, 233 et 283;

12.Loi modifiant le Code criminel (armes à feu) et la Loi sur les armes à feu, L.C. 2003, ch. 8 :

- article 23;

13.Loi modifiant la Loi sur les pensions de retraite des Forces canadiennes et d'autres lois en conséquence, L.C. 2003, ch. 26 :

- articles 4 et 5, paragraphe 13(3), article 21, paragraphes 26(1) à (3) et articles 30, 32, 34, 36 (en ce qui concerne l'article 81 de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes), 42 et 43;

14.Loi sur la procréation assistée, L.C. 2004, ch. 2 :

- articles 12 et 45 à 58;

15.Loi de 2002 sur la sécurité publique, L.C. 2004, ch. 15 :

- articles 78 et 106;

16.Loi modificative et rectificative (2003), L.C. 2004, ch. 16 :

- articles 10 à 17 et 25 à 27;

17.Loi d'exécution du budget de 2005, L.C. 2005, ch. 30 :

- partie 18 à l'exception de l'article 125;

18.Loi modifiant certaines lois relatives aux institutions financières, L.C. 2005, ch. 54 :

- paragraphes 1(1) et 27(2), articles 29 et 102, paragraphes 140(1) et 166(2), articles 168 et 213, paragraphes 214(1) et 239(2), article 241, paragraphe 322(2), article 324, paragraphes 368(1) et 392(2) et article 394.

— Honorables sénateurs, le projet de loi S-207, qui a créé la Loi sur l'abrogation des lois, a été adopté à l'unanimité par les deux Chambres du Parlement et a reçu la sanction royale le 18 juin 2008. Je crois qu'il s'agissait d'un projet de loi parrainé par l'ancien sénateur Banks. La loi est entrée en vigueur deux ans plus tard.

L'objet de la Loi sur l'abrogation des lois est d'encourager le gouvernement à se demander sérieusement si les mesures législatives qui n'ont pas été mises en vigueur neuf ans ou plus après leur adoption sont encore nécessaires. Permettez-moi de vous décrire le processus suivi avant de commencer à expliquer les différents éléments du rapport.

L'article 2 de la Loi sur l'abrogation des lois impose au ministre de la Justice de déposer devant les deux Chambres du Parlement, dans leurs cinq premiers jours de séance, un rapport annuel énumérant les lois et les dispositions ayant été sanctionnées neuf ans ou plus avant le 31 décembre de l'année civile précédente, mais qui n'ont pas encore été mises en vigueur.

Conformément à l'article 3 de la loi, toute loi ou disposition énumérée dans le rapport annuel est abrogée le 31 décembre de l'année du dépôt, à moins d'être mise en vigueur avant cette date ou que l'une des deux Chambres du Parlement n'adopte une résolution s'opposant à son abrogation.

Nous en sommes à la cinquième année de mise en œuvre de la Loi sur l'abrogation des lois. Le cinquième rapport annuel, déposé le 29 janvier 2015 à la Chambre des communes et le 3 février 2015 au Sénat, contient une loi et des dispositions de 18 autres lois.

Honorables sénateurs, je vous demande d'adopter ce cinquième rapport. La motion porterait adoption d'une résolution, avant le 31 décembre de cette année — aujourd'hui, je l'espère, après que j'aurai fini mes explications — visant à empêcher l'abrogation, à la fin de l'année civile, de la loi et des dispositions de 17 autres lois énumérées dans la motion.

Onze ministres ont recommandé le report de l'abrogation de certaines mesures législatives. Il s'agit des ministres des Affaires autochtones et du Développement du Nord canadien, de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, des Finances, des Affaires étrangères, de la Santé, de la Justice, de la Défense nationale, de la Sécurité publique et de la Protection civile, des Travaux publics et des Services gouvernementaux et des Transports, ainsi que du président du Conseil du Trésor.

Je vais maintenant donner les raisons pour lesquelles chacun de ces ministres a recommandé le report de l'abrogation.

Premièrement, en ce qui concerne les Affaires autochtones et le développement du Nord canadien, le ministre recommande le report de l'abrogation de certaines dispositions de la Loi sur le Yukon. Les articles 70 à 75 de cette loi autorisent le gouvernement du Yukon à nommer son propre vérificateur général et à cesser de recourir aux services du vérificateur général du Canada. Le gouvernement du Yukon doit prendre des mesures afin d'établir le poste de vérificateur général avant que les dispositions en cause n'entrent en vigueur.

Les autres dispositions de la Loi sur le Yukon consistent en modifications corrélatives à d'autres lois, qui devraient prendre effet une fois que la Loi fédérale sur l'Office des droits de surface du Yukon aura été abrogée et que l'Assemblée législative du Yukon aura adopté des mesures législatives pour la remplacer. Jusqu'ici, ces mesures n'ont pas encore été sanctionnées.

Deuxièmement, en ce qui concerne l'Agriculture et l'Agroalimentaire, le ministre recommande le report de l'abrogation de certaines dispositions de la Loi sur les grains du Canada ainsi que la mesure modificative intitulée Loi modifiant la Loi sur les grains du Canada et la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire et abrogeant la Loi sur les marchés de grain à terme.

Dans le budget fédéral de 2010, le gouvernement avait annoncé qu'il avait l'intention de mettre en œuvre ses plans visant à moderniser la Loi sur les grains du Canada. Des modifications ciblées de cette mesure législative ont été présentées dans le cadre de la Loi de 2012 sur l'emploi et la croissance. En 2013, les dispositions qui n'étaient pas en vigueur ont été examinées à la lumière des modifications de 2012 et d'autres changements que l'industrie des grains considérait nécessaires. L'examen a abouti au dépôt du projet de loi C-48, Loi sur la modernisation de l'industrie des grains au Canada. Ce projet de loi traite de beaucoup des dispositions qui n'ont pas été mises en vigueur. C'est pour cette raison que le ministre demande le report de l'abrogation de ces dispositions.

Ensuite, le ministre des Finances demande le report de l'abrogation des dispositions de deux lois. La première recommandation concerne plusieurs dispositions qui n'ont pas été mises en vigueur de la Loi modifiant certaines lois relatives aux institutions financières. Ces dispositions concernent les formulaires que les actionnaires des institutions financières peuvent utiliser pour voter par procuration et exemptent certaines communications destinées aux actionnaires du cadre régissant les communications relatives aux procurations. De plus, ces dispositions modifient la Loi sur l'association personnalisée le Bouclier vert du Canada, loi d'intérêt privé portant création du Bouclier vert du Canada, fournisseur sans but lucratif de soins médicaux et dentaires, et l'assujettissant à certaines dispositions de la Loi sur les sociétés d'assurances.

Ces dispositions visent à modifier les articles de la Loi sur les sociétés d'assurances auxquels le Bouclier vert du Canada est assujetti. Le report de l'abrogation de ces dispositions est recommandé parce que le règlement de la Loi sur les banques relatif aux procurations fait actuellement l'objet d'un examen au ministère des Finances et que les résultats de l'examen doivent être pris en considération afin de déterminer s'il convient ou non de mettre en vigueur les dispositions en cause.

La seconde recommandation de report concerne les articles 17 et 18 de la Loi de mise en œuvre de l'Accord sur le commerce intérieur. Ces dispositions visent à modifier certains articles de la Loi sur l'intérêt afin de faciliter la mise en place éventuelle d'un règlement ayant trait à une initiative d'harmonisation des mesures de divulgation du coût du crédit qui est mentionnée dans l'Accord sur le commerce intérieur.

Des discussions sont actuellement en cours en vue de renouveler le cadre du commerce intérieur canadien. Par conséquent, le report de l'abrogation de ces dispositions est recommandé jusqu'à ce qu'on puisse connaître la portée exacte des négociations et les incidences possibles sur les articles 17 et 18 de la loi.

Le ministre des Affaires étrangères recommande en outre le report de l'abrogation d'une loi et des dispositions de deux autres lois. La première recommandation concerne la Loi de mise en œuvre du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires. Cette loi prendra effet aussitôt que le traité entrera lui-même en vigueur. Toutefois, cela exige la ratification du traité par 44 États précis, dont huit n'ont pas encore déposé leurs instruments de ratification.

Il est essentiel que la loi ne soit pas abrogée pour qu'une fois le traité en vigueur, la loi elle-même puisse prendre effet immédiatement afin de mettre en œuvre le traité au Canada. De plus, le maintien de cette loi est une preuve de l'engagement du Canada à mettre en œuvre le traité.

Le second report concerne l'article 37 de la Loi sur le précontrôle. La loi met en œuvre un accord bilatéral Canada-États-Unis sur le prédédouanement dans le domaine du transport aérien. L'article 37 interdit la révision judiciaire au Canada des décisions des contrôleurs qui refusent d'effectuer le précontrôle ou l'admission des personnes ou l'importation de marchandises aux États-Unis. Cet article ne peut pas être mis en vigueur avant que les États-Unis n'accordent les mêmes pouvoirs au Canada puisque l'accord est réciproque.

Des négociations visant à actualiser l'accord ont récemment abouti. Le report de l'abrogation de l'article 37 est demandé pour qu'il soit possible d'étudier la mise en vigueur dans le contexte de la mise en œuvre par le gouvernement de ses obligations aux termes de l'accord actualisé.

Le troisième report vise l'article 106 de la Loi sur la sécurité publique de 2002, qui promulgue la Loi sur la mise en œuvre de la convention sur les armes biologiques ou à toxines. Ce report est recommandé afin que le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement puisse poursuivre la consultation au niveau national et international aux fins d'évaluer toutes les répercussions de l'abrogation de la loi, y compris les conséquences politiques pour les alliés du Canada et la population canadienne.

La ministre de la Santé recommande le report de certaines dispositions d'une loi. Cette recommandation vise les articles 12 et 45 à 58 de la Loi sur la procréation assistée.

À la suite d'une décision rendue en 2010 par la Cour suprême du Canada, la capacité du gouvernement fédéral de réglementer le secteur complexe et controversé de la procréation assistée a été redéfinie et réduite sensiblement. Par conséquent, la demande de report vise à permettre à Santé Canada de poursuivre son évaluation quant à la façon de réglementer ce secteur. Cet exercice inclura un examen de l'incidence sur la responsabilité et les relations fédérales-provinciales.

Le ministère de la Santé aura besoin de plus de temps pour mobiliser les intervenants intéressés et touchés et ainsi pouvoir présenter des options et des considérations opérationnelles utiles, et élaborer un plan de mise en œuvre.

Le ministre de la Justice recommande le report de certaines dispositions renfermées dans deux lois. La première recommandation vise des dispositions de la Loi sur les contraventions. La loi prévoit un système de procédure pour les poursuites liées aux infractions fédérales appelées contraventions.

(1600)

Le ministre de la Justice a conclu des ententes avec plusieurs provinces afin que le régime fédéral des contraventions soit mis en œuvre par l'intermédiaire des systèmes provinciaux existants. Le ministère de la Justice est toujours en pourparlers avec trois provinces : Terre-Neuve-et-Labrador, la Saskatchewan et l'Alberta.

Même si le ministère de la Justice compte encore confier aux systèmes provinciaux existants l'application des dispositions du régime fédéral des contraventions, le déroulement des négociations dépend largement des priorités et des capacités des provinces. Par conséquent, si des ententes ne peuvent être conclues avec les trois autres provinces, le ministère de la Justice pourrait devoir mettre en place une infrastructure fédérale autonome dans ces provinces, en mettant en vigueur les dispositions de la loi qui ne le sont pas encore.

Le deuxième report vise certaines dispositions de la Loi sur la modernisation de certains régimes d'avantages et d'obligations. Il s'agit d'une mesure législative exhaustive qui modifie 68 lois fédérales afin d'assurer un traitement égal aux couples mariés et non mariés dans la législation fédérale. L'entrée en vigueur de deux des dispositions restantes repose sur l'entente négociée et fait l'objet de discussions avec les gouvernements concernés des Premières Nations. Les trois autres dispositions prévoient une infrastructure fédérale autonome qui pourrait devoir être mise en œuvre si les modifications attendues dans les législations provinciales et territoriales ne sont pas adoptées. Ces cinq dispositions sont nécessaires afin d'assurer l'uniformité dans toute la législation fédérale. Elles feraient en sorte que les couples mariés et non mariés soient traités de la même façon au titre de l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le ministre de la Défense nationale demande le report de dispositions contenues dans deux mesures législatives. Le premier report vise des dispositions non en vigueur de la Loi modifiant la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et d'autres lois en conséquence. Ces dispositions modifieraient la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes et seraient liées aux prestations supplémentaires de décès et aux règles régissant le service accompagné d'option.

Le ministère de la Défense nationale a entrepris un examen exhaustif de la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes, y compris des dispositions qui ne sont toujours pas en vigueur. Cet examen donnera lieu à l'élaboration d'un règlement, qui apporterait plus de souplesse et une plus grande clarté pour l'application de la loi. Le ministère poursuit son travail afin d'élaborer la réglementation nécessaire à l'entrée en vigueur de ces dispositions. Cette réglementation donnera une meilleure orientation et une plus grande clarté à l'application de la loi.

Le deuxième report concerne l'article 78 de la Loi de 2002 sur la sécurité publique. Il ajouterait à la Loi sur la défense nationale une nouvelle partie V.2, qui autoriserait certaines activités en vue d'assurer l'intégrité des ministères, ainsi que des systèmes de technologie de l'information des Forces armées canadiennes et des données contenues dans ces systèmes. Le ministère et les Forces armées canadiennes ont commencé à examiner leurs autorisations législatives et leurs prérogatives. Pour cette raison, un report est recommandé afin que le ministère et les Forces armées canadiennes puissent prendre le temps nécessaire pour décider si la partie V.2 de la Loi sur la défense nationale devrait entrer en vigueur.

Pour ce qui est de la sécurité publique et de la protection civile, le ministre responsable demande le report de l'article 23 de la Loi modifiant le Code criminel (armes à feu) et la Loi sur les armes à feu.

Cette disposition a pour but de modifier le paragraphe 31(2) de la Loi sur les armes à feu. À l'heure actuelle, la loi permet à une personne de céder la propriété d'une arme à feu à un organisme public, y compris à une municipalité. La modification vise à énoncer clairement que, en cas de cession d'une arme à feu à une municipalité, le certificat d'enregistrement y afférent doit être révoqué par le directeur de l'enregistrement des armes à feu. Le report de l'abrogation automatique vise à permettre au ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile de préparer une présentation pour paver la voie à l'entrée en vigueur de cette modification.

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux demande un report relativement à la partie 18, à l'exception de l'article 125 de la Loi d'exécution du budget de 2005. Les dispositions en question modifient plusieurs articles de la Loi sur le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, et elles donnent au ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux le pouvoir exclusif de passer des contrats de service. Elles permettent aussi au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux de passer des contrats lorsque des fonds suffisants pour s'acquitter des obligations en vertu d'un contrat n'ont pas été prévus.

La ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est en train d'élaborer diverses possibilités de réforme des achats du gouvernement fédéral. On recommande donc un report pour que ce ministère puisse mener à bien les consultations nécessaires auprès des groupes intéressés, et recueillir et analyser les données pour se prononcer sur la valeur de ces dispositions sous l'angle de l'initiative en cours de réforme des achats du gouvernement fédéral.

La ministre des Transports recommande des reports portant sur les dispositions de deux lois. Le premier concerne l'article 45 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. S'il entre en vigueur, cet article donnera effet aux Règles de Hambourg. Il s'agit d'une convention internationale sur le transport maritime des marchandises que l'ONU a adoptée en 1978.

Le ministère des Transports... Puis-je avoir encore cinq minutes?

Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d'accord, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

La sénatrice Martin : Le ministère des Transports, en consultation avec les groupes intéressés, est en train de faire une analyse approfondie de l'ensemble de la législation qui régit le transport maritime des marchandises au Canada, et il formulera des recommandations afin de la moderniser pour honorer l'engagement du Canada à se conformer au droit international, et plus particulièrement à la législation de ses grands partenaires commerciaux. Comme cet examen n'est pas encore complété, il est prématuré d'abroger l'article 45 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime. On demande donc à reporter cette abrogation.

La deuxième demande de report concerne l'article 140 de la Loi maritime du Canada. Cet article permettrait au Canada de conclure des accords avec un tiers autre que Marine Atlantique SCC, fournisseur actuel, pour honorer l'obligation constitutionnelle du Canada envers Terre-Neuve-et-Labrador de fournir un service de transbordeurs entre North Sydney, en Nouvelle-Écosse, et Port-aux-Basques, à Terre-Neuve-et-Labrador. Cela semble terriblement familier, honorables sénateurs.

Le ministère des Transports voudrait garder la latitude que lui laisse l'article 140 en matière de politique. L'abrogation de cet article dès maintenant limiterait la capacité du ministère d'étudier toutes les politiques possibles pour assurer ce service de transbordeurs à l'avenir.

Le président du Conseil du Trésor recommande une disposition de report pour deux lois. Le premier report concerne certaines dispositions de la Loi sur l'Office d'investissement des régimes de pensions du secteur public qui traitent des pensions et autres avantages pour les Forces armées canadiennes. Ces dispositions modifieraient la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes pour permettre de prendre des règlements prescrivant les conditions, les modalités et le moment du versement des contributions et le montant des prestations.

Les dispositions législatives dans le domaine des pensions et autres avantages sont très complexes. Avant de mettre ces dispositions en vigueur, il faut qu'il y ait des consultations entre les Forces armées canadiennes et le Secrétariat du Conseil du Trésor de façon que les règlements se rapprochent suffisamment des autres mesures législatives en matière de pensions. Reporter l'abrogation de ces dispositions permettra d'achever le travail sur la politique et les aspects financiers concernant ces dispositions.

La deuxième recommandation de report concerne certaines dispositions de la Loi modificative et rectificative de 2003, dispositions qui modifient la Loi sur la pension de retraite des lieutenants-gouverneurs, la Loi sur les traitements et la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires. Lorsque ces dispositions entreront en vigueur, elles feront en sorte que les lieutenants-gouverneurs aient la même protection que les députés en matière de pension en ce qui concerne l'invalidité. Il ne faut pas que ces dispositions entrent en vigueur avant que la réglementation nécessaire soit établie. La planification est en cours pour que celle-ci soit prête à temps pour que les modifications entrent en vigueur avant la fin de 2015. Le report de l'abrogation de ces dispositions est recommandé, au cas où des faits ou problèmes imprévus empêcheraient leur entrée en vigueur cette année.

La Loi sur l'abrogation des lois prévoit que tout report est temporaire. Toute loi pour laquelle un report d'abrogation est obtenu cette année figurera de nouveau dans le rapport de l'an prochain. Toute loi qui figurera dans ce prochain rapport annuel sera abrogée le 31 décembre 2016 à moins qu'elle ne soit mise en vigueur ou ne fasse l'objet d'une autre exemption, au plus tard à cette date, pour une autre année.

Il est important que la résolution soit adoptée avant le 31 décembre 2015. Autrement, la loi et les dispositions énumérées dans la motion seront automatiquement abrogées à la fin de l'année civile en cours. Cette abrogation entraînerait des incohérences dans la législation fédérale. L'abrogation de certaines dispositions pourrait même entraîner des tensions dans les relations fédérales-provinciales-territoriales et ternir la réputation internationale du Canada.

Si la résolution n'est pas adoptée au plus tard le 31 décembre 2015, des ministères fédéraux devront combler les lacunes qui en résulteront dans le dispositif législatif en présentant de nouveaux projets de loi. Ces projets de loi devraient suivre tout le processus législatif, depuis la formulation de la politique jusqu'à la sanction royale, ce qui serait coûteux et exigerait beaucoup de temps.

Donc, j'exhorte tous les honorables sénateurs à appuyer la motion et à voter en faveur d'une résolution voulant que la loi et les dispositions énumérées dans la motion ne soient pas automatiquement abrogées le 31 décembre prochain.

(1610)

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Je félicite et remercie encore une fois la sénatrice Martin de ces explications, qui l'ont obligée à assimiler en peu de temps une très grande quantité de renseignements de nature hautement technique. Selon moi, il est très important que nous ayons ces explications lorsque nous traitons de ce genre de motion chaque année.

Comme la sénatrice Martin l'a souligné à propos d'une des lois, certaines des propositions semblent familières et l'importance de ne pas abroger les dispositions législatives ne peut être niée. Les exemples de ce genre sont assez nombreux. Pensons par exemple à la disposition se rapportant au traversier entre la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve ou à la Loi de mise en œuvre du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires.

Toutefois, il y a toute une catégorie — plus grande — de dispositions législatives qu'on nous dit de conserver parce que les ministères concernés travaillent à améliorer tel ou tel aspect. Quand un ministère travaille pendant tant d'années sur un dossier — d'après ce qu'on nous dit —, il y a lieu de s'interroger.

Je rappelle aux honorables sénateurs que cette motion vise à empêcher l'abrogation de lois ou de parties de lois qui existent depuis au moins 10 ans. En général, on estime qu'une période de 10 ans est suffisante pour résoudre un problème.

Cette année, la motion traite de nouvelles dispositions, dont l'une soulève justement cette question.

La sénatrice Martin a mentionné un article de la Loi d'exécution du budget de 2005 qui traite de la réforme du processus fédéral d'approvisionnement. Quiconque est informé le moindrement conviendra que le système fédéral d'approvisionnement a bien besoin d'être modifié — mais 10 ans? Voilà des années que nous attendons cette réforme. J'espère que nous n'aurons pas à prolonger cette disposition de nouveau l'an prochain, car il serait formidable qu'une véritable réforme de cette politique voie enfin le jour.

Je me pose aussi des questions au sujet de la Loi sur la procréation assistée. La décision de la Cour suprême du Canada, qui nous a obligés à modifier nos lois, a été rendue en 2010, donc, il y a cinq ans. Faut-il vraiment cinq ans pour modifier nos lois afin de les rendre conformes à la décision de la Cour suprême du Canada?

C'est l'une des conséquences du projet de loi du sénateur Banks et nous ne l'avions peut-être pas tout à fait comprise au moment où il l'a proposé. Nous avions tendance à croire que les vieilles lois qui n'ont pas été appliquées devaient être retirées de nos recueils de lois, mais nous constatons qu'il existe aussi une vaste gamme de mesures législatives qui sont dans une situation intermédiaire, des cas où on nous promet que des progrès sont accomplis et qu'on arrivera au but visé un jour. Ceci nous donne au moins une chance de faire savoir au Sénat qu'il y a des progrès, mais nous aimerions tout de même voir le résultat final de ces progrès.

Cela dit, de ce côté-ci, nous sommes loin de nous opposer à cette motion. Au contraire, nous sommes fiers du fait que ce soit grâce à une initiative de notre côté que nous avons maintenant l'occasion de l'étudier.

Encore une fois, je remercie la sénatrice Martin de ses explications, qui sont importantes. En effet, même si elles semblent extrêmement techniques, elles sont importantes. Je suis d'accord avec la proposition qui a été faite, soit que le Sénat approuve cette motion.

L'honorable Joseph A. Day : Je me demande si ma collègue accepterait de répondre à une question. J'avais l'intention de poser une question à ma collègue d'en face, mais je n'ai pas eu l'occasion de le faire avant que vous preniez la parole. Donc, vous pourrez peut-être m'aider — ma question s'adresse à la sénatrice Martin.

Je ne sais plus ce qu'il en est : si nous adoptons cette motion, ces dispositions ne seront pas éliminées, c'est bien cela? Est-ce que cela signifie que nous devrons attendre encore 10 ans avant qu'elles nous soient de nouveau présentées? C'est la partie dont je ne suis pas sûr.

La sénatrice Fraser : Je ne connais pas les modalités de toutes les mesures législatives, mais je peux néanmoins répondre à cette question : non. Ces mesures nous seront de nouveau soumises l'an prochain. Il faut donc répéter l'exercice, pour ainsi dire, et reconduire les dispositions en cause sur une base annuelle.

Le sénateur Day : Merci. J'aurais pourtant dû m'en souvenir, car je partageais un pupitre avec le sénateur Banks lorsqu'il a préparé le projet de loi, mais, pour une raison ou pour une autre, j'avais oublié la période en cause. Cela se produit chaque année, alors certaines de ces mesures commenceront à nous laisser une impression de déjà-vu.

Le deuxième point que je tiens à soulever — et j'espère sincèrement que c'est un de ces dossiers sur lesquels le ministère se penche — concerne la Loi sur la pension de retraite des Forces canadiennes. Vous avez dit qu'il fallait plus de temps, car il s'agit d'un dossier complexe qui concerne le Conseil du Trésor et les Forces armées canadiennes.

C'est une initiative cruciale pour les membres des forces armées, donc j'espère sincèrement que nous ne la laisserons pas traîner indéfiniment, comme c'est parfois le cas.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi de 2014 instituant des réformes

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suspension du débat

L'honorable Scott Tannas propose que le projet de loi C-586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada (réformes visant les candidatures et les groupes parlementaires), soit lu pour la troisième fois.

— Chers collègues, j'interviens aujourd'hui pour parler du projet de loi C-586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada.

Depuis mon intervention à l'étape de la deuxième lecture, il a été abondamment question de ce projet de loi, dans cette enceinte et dans les médias. Nous avons tous suffisamment entendu parler de la Loi instituant des réformes pour savoir sur quoi elle porte. C'est pourquoi je n'entrerai pas trop dans les détails à son sujet. Je veux m'arrêter à l'objet du projet de loi et à quelques-uns des éléments les plus controversés qu'il comporte.

Tout le monde sait que le pouvoir des chefs de parti a considérablement augmenté au cours des 50 à 60 dernières années, au détriment des députés. La Loi instituant des réformes a pour but de redonner du pouvoir aux membres des caucus, ou groupes parlementaires, afin que les Canadiens aient la certitude que les députés qu'ils ont élus représentent les gens de leur circonscription sans le contrôle rigide des chefs de parti.

La question que nous devons nous poser en étudiant minutieusement ce projet de loi est la suivante : cette mesure législative atteindra-t-elle l'objectif visé sans entraîner d'importantes conséquences non désirées?

La sénatrice Fraser est la porte-parole de l'opposition en ce qui concerne ce projet de loi. Je dois souligner qu'elle a soulevé d'excellents points dans son allocution à l'étape de la deuxième lecture. Il y en a cependant quelques-uns sur lesquels je ne suis pas d'accord.

D'abord, la sénatrice a fait valoir que le projet de loi aura pour effet de décourager l'engagement citoyen dans la politique parce que l'augmentation des pouvoirs donnés aux membres des caucus se fera au prix d'une perte de pouvoir pour les militants.

J'estime que cet argument n'est pas valable, parce que, selon moi, les citoyens — en particulier ceux qui sont engagés sur le plan politique — comprennent qu'ils élisent des députés précisément pour les représenter.

Les citoyens confèrent aux députés un certain pouvoir décisionnel. Si un député prend des décisions qui ne correspondent pas aux convictions des citoyens, il ne sera pas choisi comme candidat aux prochaines élections — ou il ne sera tout simplement pas réélu.

(1620)

La sénatrice Fraser a également fait valoir que les dispositions législatives qui visent tous les partis politiques sont préoccupantes. J'aimerais lui répondre en disant que c'est dans la nature de ce genre de dispositions. Toute réforme du système parlementaire doit cibler l'ensemble des partis politiques afin qu'elle ne confère aucun avantage à l'un d'entre eux.

La sénatrice Fraser s'est dite également préoccupée par l'idée de modifier les dispositions législatives concernant l'approbation des candidats par les chefs de parti. Elle a expliqué que ce changement était illusoire, parce que les chefs de parti vont simplement exercer un contrôle sur ceux qui déterminent quels sont les candidats approuvés.

Chers collègues, je ne peux accepter un tel argument. Cela équivaudrait à dire que des gens essaieront d'abuser du système quels que soient les changements positifs qu'on y apporte. Cela ne peut tout simplement pas justifier le rejet de ce changement positif.

Il est vrai qu'aucune autre démocratie occidentale n'a une loi qui exige qu'un chef de parti approuve les candidats du parti. S'il est adopté, ce projet de loi apportera un changement positif qui permettra au Canada d'aligner ses pratiques sur celles d'autres démocraties occidentales.

La sénatrice Fraser et d'autres s'opposent à la définition que ce projet de loi donne du terme « groupe parlementaire ». Tout ce que je puis faire pour réfuter cet argument, c'est rappeler que le Sénat et la Chambre des communes sont deux Chambres distinctes et indépendantes. Il a été déterminé que le fait de définir un groupe parlementaire de la Chambre des communes de façon à y inclure le Sénat serait probablement inconstitutionnel.

Je vais maintenant parler de la disposition à laquelle les sénateurs semblent s'opposer le plus, c'est-à-dire le seuil de 20 p. 100 sur lequel on se fonderait pour déclencher un examen de la direction.

La sénatrice Fraser — je suis désolé de la mentionner sans cesse — et d'autres ont soutenu que cette disposition aurait pour effet de déstabiliser les chefs de parti. Nous savons tous que les chefs de parti ont des décisions difficiles à prendre et qu'il est impossible que ces décisions plaisent à tout le monde. Par conséquent, les opposants font valoir que ce projet de loi donnera plus de pouvoir aux mécontents et aux ambitieux.

J'aimerais soulever quelques points à ce sujet. Tout d'abord, n'oublions pas qu'il faudrait 50 p. 100 des votes, et non 20 p. 100, pour défaire un chef de parti. Il est donc faux de penser que 20 p. 100 des gens suffiraient à défaire un chef.

Deuxièmement, c'est faire fausse route que de voir dans cette mesure une façon de donner du pouvoir aux mécontents. En fait, elle donnerait du pouvoir à tous les députés du caucus, pas seulement à ceux qui acceptent mal certaines décisions difficiles. Si les mécontents peuvent obtenir l'appui de 20 p. 100 des députés afin de tenir un vote plus général, les 80 p. 100 qui restent, ceux qui comprennent que le premier ministre ou le chef doit parfois prendre des décisions difficiles, pourront, grâce à leur vote, faire taire les mécontents et dissiper les doutes.

D'un autre côté, si plus de 50 p. 100 des députés du caucus croient que le chef de leur parti ne prend pas des décisions qui servent les intérêts des Canadiens — qu'il soit premier ministre, chef de l'opposition ou simple chef de parti —, il serait bon de disposer d'un mécanisme pour le relever de ses fonctions. Les députés n'utiliseront pas cette option au moindre désaccord, mais ils pourront y avoir recours si le chef du parti n'agit plus dans l'intérêt des Canadiens.

Il arrive que tout le monde reconnaisse — sauf le chef lui-même — que le chef du parti devrait tirer sa révérence. Dans ces situations, les députés sont mieux placés que le parti ou les électeurs pour « pousser » le chef vers la porte.

J'aimerais, enfin, souligner un point qui m'apparaît particulièrement important : la Loi de 2014 instituant des réformes serait une mesure à adhésion facultative. Elle propose simplement un modèle aux caucus qui souhaitent mettre par écrit, en toute transparence, les règles tacites et implicites concernant l'organisation de leur groupe.

Advenant l'adoption du projet de loi, tout ce que les membres d'un caucus auront à faire est de voter pour déterminer s'ils veulent ce modèle. S'ils votent non, ils pourront écrire leurs propres règles. S'ils ne veulent pas écrire leurs propres règles, ils peuvent alors maintenir le statu quo — leurs règles demeureraient alors tacites et de facto.

En raison de cette souplesse, le projet de loi C-586 est, en fait, une tentative extrêmement modeste de rendre le système politique plus transparent. Je crois néanmoins que c'est un pas dans la bonne direction, chers collègues. En tant que sénateurs, nous devrions voir d'un bon œil et appuyer même les mesures qui n'encouragent qu'un petit peu la transparence dans notre système politique.

En terminant, je tiens à dire que je crois que cette mesure législative atteint son objectif, à savoir offrir un modèle optionnel pour écrire de manière plus transparente certaines des règles ponctuelles et tacites. Elle conférera davantage de pouvoirs aux députés du caucus.

Ce modèle optionnel mérite sûrement un vote au sein du caucus au début de chaque législature, tout comme ce projet de loi mérite assurément un vote au Sénat avant que nous rentrions chez nous.

Peu importe ce que vous pensez de la qualité du modèle proposé dans ce projet de loi, nous pouvons certainement tous appuyer la transparence accrue qu'il donne au système. Merci, chers collègues.

L'honorable Larry W. Campbell : L'honorable sénateur peut-il répondre à une question?

Je n'ai pas suivi la progression de ce projet de loi autant que j'aurais dû le faire, mais voici ce que je me suis demandé : si l'autre endroit nous fait parvenir un projet de loi qui bénéficie d'un appui semblable de la part de tous les partis qui y siègent, à l'exception du rôle constitutionnel que nous jouons dans l'adoption d'un projet de loi, à quoi bon compliquer les choses pour eux? Je ne comprends pas ce que nous devons faire avec cette mesure. Il me semble que c'est un problème de la Chambre des communes puisque nous n'avons pas de caucus national auquel siéger, de ce côté-ci. Je ne comprends pas cela.

Pouvez-vous me dire pourquoi nous devrions nous opposer à cette mesure législative alors que nous avons vu de telles démonstrations de la part des partis à l'autre endroit?

Des voix : Excellente question.

Le sénateur Tannas : Excellente question. Je crois que nous avons un rôle, le même rôle qu'avec toutes les mesures législatives qui passent par ici. En ce qui me concerne, l'une des plus importantes raisons pour lesquelles j'appuie ce projet de loi est précisément celle-là. Le projet de loi a été présenté à l'initiative des députés, il porte précisément sur la conduite qu'ils voudraient observer et il est appuyé massivement.

Je pense comme vous, sénateur.

(Le débat est suspendu.)

Le Budget des dépenses de 2015-2016

Le Budget principal des dépenses—Dépôt du vingt et unième rapport du Comité des finances nationales

Consentement ayant été accordé de revenir à la présentation ou au dépôt de rapports de comités :

L'honorable Joseph A. Day : Honorables sénateurs, j'ai l'honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le vingt et unième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales portant sur les dépenses prévues dans le Budget principal des dépenses pour l'exercice se terminant le 31 mars 2016.

(Sur la motion du sénateur Day, l'étude du rapport est inscrite à l'ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi de 2014 instituant des réformes

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Suite du débat

Consentement ayant été accordé de revenir à l'article no 2, sous la rubrique Autres affaires, Projets de loi d'intérêt public des Communes, Troisième lecture :

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Tannas, appuyée par l'honorable sénateur Oh, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-586, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada (réformes visant les candidatures et les groupes parlementaires).

L'honorable John D. Wallace : Honorables sénateurs, nous devrions normalement laisser le porte-parole en ce qui concerne le projet de loi parler après l'auteur de la motion et le parrain du projet de loi, mais la sénatrice Fraser a accepté de me laisser parler à sa place...

La sénatrice Fraser : Pas à ma place, mais avant moi, oui.

Le sénateur Wallace : Je croyais que c'était ce que vous aviez accepté. Merci beaucoup, sénatrice Fraser.

Je prends la parole pour appuyer le projet de loi C-586, qui a été présenté à la Chambre des communes par le député Michael Chong.

(1630)

Honorables sénateurs, il est plus que temps d'entreprendre le processus de renouvellement des institutions démocratiques du Canada. La nécessité de ce processus devrait être reconnue et bien accueillie, surtout par les sénateurs.

D'ailleurs, je crois que le projet de loi C-586, communément appelé Loi instituant des réformes, est un pas dans la bonne direction. C'est un pas en avant modeste, mais très important.

Quel est l'objectif du projet de loi C-586? Pourquoi M. Chong a-t-il décidé de présenter ce projet de loi à la Chambre?

En guise de réponse, j'aimerais vous lire la déclaration suivante, qui vient d'une lettre de Michael Chong datée du 25 février 2015. Je crois que vous êtes plusieurs à avoir reçu une lettre semblable :

Le projet de Loi instituant des réformes vise à renforcer le rôle des élus à la Chambre des communes. Les propositions présentées dans le projet de loi consolideraient le principe de la responsabilité ministérielle, en resserrant l'obligation de reddition de comptes de l'exécutif envers l'Assemblée et des chefs de parti envers leurs groupes parlementaires. En vertu du projet de loi, les groupes parlementaires des partis à la Chambre des communes pourraient déterminer comment ils se régiront.

Nous devons donc, chers collègues, répondre à des questions clés. Le projet de loi C-586, qui vise à instituer des réformes, est-il nécessaire? Le fonctionnement actuel de la démocratie canadienne et plus particulièrement des institutions démocratiques du gouvernement connaît-il des ratés majeurs? Si tel est le cas, le projet de loi C-586 permet-il de remédier à la situation?

Je ne peux m'empêcher de songer au discours prononcé à la Chambre par M. Chong, le 3 février 2015, à l'étape de la troisième lecture du projet de loi. Il avait alors affirmé catégoriquement qu'il y avait un problème à la Chambre des communes et que cela ne devrait pas étonner les députés.

Le problème fondamental, selon M. Chong, c'est que les pouvoirs sont centralisés entre les mains des chefs de parti. Il précise également qu'il ne s'agit pas d'un problème attribuable à un seul parti ou à un chef en particulier. Pour reprendre les termes de M. Chong, il s'agit d'un problème qui se prépare depuis des décennies.

M. Chong a exprimé avec vigueur que l'heure est maintenant venue pour les parlementaires de prendre des mesures, car les Canadiens sont de plus en plus déçus du fonctionnement de nos institutions démocratiques, et ce sont ces institutions, bien entendu, qui constituent la pierre d'assise de la prospérité et de la stabilité dont jouissent les citoyens canadiens.

Comme M. Chong l'a souligné, des mécanismes régulateurs du pouvoir sont à la base même de nos institutions démocratiques, et c'est pourquoi le projet de loi C-586 est si important, selon lui. Le projet de loi vise à renforcer ces mécanismes régulateurs au sein de notre système de gouvernement démocratique.

En termes simples, le projet de loi C-586 propose de rééquilibrer le pouvoir entre les parlementaires élus et les chefs de parti.

Certains ont exprimé publiquement des critiques à l'égard du projet de loi C-586, en raison de l'inclusion du seuil de 20 p. 100, grâce auquel les députés d'un groupe parlementaire d'un parti pourraient demander un examen de la direction au sein de leur groupe parlementaire respectif. J'estime que cette critique particulière vise à brouiller les pistes. Je signale également que M. Chong avait initialement proposé que le seuil soit de 15 p. 100, mais, après que les députés de tous les partis eurent discuté et débattu de la question à la Chambre, il a été convenu que le seuil serait de 20 p. 100.

Une fois de plus, je déclare que, à mon avis, les critiques relatives au seuil de 20 p. 100 sont une tactique de diversion, puisque, conformément au projet de loi C-586, ce seuil ne constitue pas une condition ou une exigence qui serait imposée pour toujours à l'un des groupes parlementaires ou à l'ensemble de ces groupes parlementaires.

À cet égard, je vais citer les propos du sénateur Tannas, le parrain du projet de loi C-586 au Sénat, pendant son intervention à l'étape de la deuxième lecture, le 23 avril 2015 :

Chaque parti aura le choix, comme le prévoit le projet de loi, d'adopter ces règles, de s'y soustraire ou de les remplacer par d'autres règles explicites de son cru.

Puis, le sénateur Tannas a ajouté ce qui suit :

[...] la règle du 20 p. 100 qui figure dans le projet de loi obligera les dirigeants des groupes parlementaires à rendre davantage de comptes à leurs membres. Rien n'oblige cependant un parti à l'adopter. Le projet de loi prévoit au contraire que le groupe parlementaire de chaque parti tient un scrutin pour décider s'il va ou non adopter cette règle après chacune des élections générales. Les caucus qui choisiront de ne pas adopter la règle du 20 p. 100 seront alors libres d'adopter une autre règle en lieu et place. S'ils ne le font pas, le statu quo sera maintenu.

La question importante, chers collègues, l'aspect vraiment important du projet de loi C-586, en ce qui a trait aux chefs de parti, est que l'appui au chef ou son remplacement devra être approuvé à la majorité des voix exprimées — soit plus de 50 p. 100 — lors d'un scrutin secret, par les députés du groupe parlementaire du parti.

De nos jours, je ne crois pas — tout comme, manifestement, la grande majorité des députés actuels — qu'il serait déraisonnable, en tout état de cause, de demander que le chef d'un parti ait l'appui de la majorité des députés du groupe parlementaire de son parti.

Honorables sénateurs, je vous rappelle qu'à l'étape de la troisième lecture à la Chambre des communes, 260 députés ont voté en faveur du projet de loi C-586 et que seulement 17 ont voté contre. Je pense que, si le projet de loi a reçu autant d'appuis à la Chambre, c'est en raison de l'importance des questions sur lesquelles il porte et du besoin que ressentaient manifestement les députés d'y réagir et de les régler et grâce à la ténacité, à la persévérance, à la crédibilité personnelle et au courage de Michael Chong.

Le projet de loi C-586 est le fruit d'un long débat, de discussions et de compromis et, enfin, d'un consensus auquel est parvenue la grande majorité des députés néo-démocrates, libéraux et conservateurs.

Honorables sénateurs, j'aimerais attirer votre attention sur le fait que, parmi les 260 députés qui ont voté pour le projet de loi C-586 à l'étape de la troisième lecture, on trouve 31 ministres conservateurs, dont Pierre Poilievre, ministre de la Réforme démocratique, ainsi que des ministres de premier plan, comme Joe Oliver, Lisa Raitt et Rob Nicholson. Aucun ministre n'a voté contre le projet de loi.

On compte également, parmi ceux qui ont voté en faveur du projet de loi, les leaders parlementaires à la Chambre des communes, à savoir Peter Van Loan, du Parti conservateur, Peter Julian, du NPD, et Dominic LeBlanc, du Parti libéral; les présidents de caucus, soit Guy Lauzon, du Parti conservateur, Irene Mathyssen, du NPD, et Francis Scarpaleggia, du Parti libéral; les whips des partis, soit Nycole Turmel, du NPD, et Judy Foote, du Parti libéral — à noter que John Duncan, du Parti conservateur, était absent lors du vote —; et les chefs des partis, nommément Thomas Mulcair, du NPD, et Justin Trudeau, du Parti libéral. Le premier ministre Harper était absent au moment du vote.

Comme je viens du Nouveau-Brunswick, je me dois aussi de signaler à mes collègues conservateurs et libéraux des Maritimes que tous les députés conservateurs, néo-démocrates et libéraux représentant des circonscriptions dans les provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l'Île-du-Prince-Édouard ont voté en faveur du projet de loi C-586 à l'étape de la troisième lecture, à l'exception de Keith Ashfield, qui n'était pas présent pour cause de maladie, et Peter MacKay, qui était absent lors du vote.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-586 touche directement, d'abord et avant tout, les députés élus. En effet, la carrière des députés et leur capacité de réussir le mieux possible, dans l'exercice de leurs fonctions, à remplir leur rôle et à assumer leurs responsabilités sont largement tributaires des choix que font les chefs de leur parti et de la façon dont ces derniers s'acquittent de leurs obligations.

Pour des raisons évidentes, cela ne vaut pas tant pour les sénateurs.

De plus, en ce qui concerne la direction des partis, il existe d'autres moyens et possibilités pour que les membres des partis politiques puissent également participer à la sélection de leur chef.

Encore une fois, chers collègues, si le projet de loi C-586 s'est rendu jusqu'à cette étape, je crois que c'est, premièrement, en raison de l'importance des questions qui y sont abordées, à savoir les rôles, les responsabilités et l'obligation redditionnelle des députés et de leur chef de parti, et, deuxièmement, grâce à la persévérance et à la crédibilité personnelle de Michael Chong.

(1640)

Il ne faut pas se leurrer. C'est le projet de loi de Michael Chong qui a reçu un appui massif de tous les partis à la Chambre des communes. Si le projet de loi est modifié au Sénat, ce ne sera plus sa mesure législative, la mesure législative pour laquelle il a obtenu un tel appui de la part de tous les partis à l'autre endroit. Dans ce cas-ci, un projet de loi modifié par le Sénat serait perçu pour ce qu'il serait, c'est-à-dire un projet de loi du Sénat qui ne reflète pas et qui ne respecte pas la volonté exprimée clairement par les députés élus de la Chambre des communes.

Dans le contexte actuel, et compte tenu des discussions, débats et compromis qui ont eu lieu à l'autre endroit afin que le projet de loi C-586 parvienne à cette étape, je crois fermement qu'un amendement proposé par le Sénat entraînerait sa perte. Je crains fort qu'un projet de loi modifié par le Sénat ne serait pas traité par la Chambre des communes dans le temps très limité qui reste avant la fin de la session parlementaire. En outre, une telle mesure ne recevrait pas l'appui de tous les partis à l'autre endroit. Or, il importe dans ce cas-ci de préserver l'appui multipartite, parce que cet appui est majeur et très significatif.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-586 marque le début, je dis bien le début, d'un processus attendu depuis longtemps de renouvellement de nos institutions démocratiques. Nous avons tous franchi depuis longtemps l'étape de la discussion relativement à la nécessité d'un tel processus. Le moment est venu de passer à l'action.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-586 non modifié et les efforts remarquables de Michael Chong méritent notre appui.

Des voix : Bravo!

L'honorable James S. Cowan (leader de l'opposition) : Le sénateur Wallace accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Wallace : Oui.

Le sénateur Cowan : Je souscris à une grande partie des propos formulés par les deux sénateurs. Ce qui me préoccupe ce n'est pas tant d'accorder plus de pouvoirs aux députés élus de la Chambre des communes vis-à-vis de leur leadership. Ma préoccupation est plutôt liée à mon statut en tant que membre d'un parti et, à la fin de mon intervention, je vais vous demander votre point de vue là-dessus parce que vous êtes aussi membre d'un parti politique. J'imagine que tous les grands partis politiques au pays ont évolué et ont dépassé le point où les membres du caucus choisissaient et expulsaient leur chef. Dans le cas de mon parti, ce sont non seulement les membres du parti qui peuvent voter pour choisir leur chef, mais aussi les militants, tels qu'ils sont définis.

Il serait un peu curieux de nous retrouver face à une situation où un grand nombre de Canadiens qui appuient un parti politique pourraient choisir son chef, indépendamment de la position des membres élus du parti, mais qu'une minorité de députés élus à la Chambre des communes pourrait alors contester ce choix. Mon problème n'est pas lié au fait que nous, sénateurs, ne sommes pas inclus dans ce groupe. N'est-il pas étrange que l'on nous demande d'appuyer un projet de loi qui donnerait à une petite minorité de parlementaires de l'une des Chambres du Parlement le pouvoir de déstabiliser le leadership d'un chef politique et même, dans certains cas, le pouvoir de faire tomber ce chef? J'aimerais avoir votre point de vue là-dessus.

Selon moi, cette question est particulièrement pertinente dans le cas de l'opposition. Elle n'est certainement pas aussi critique pour le parti au pouvoir que pour les partis de l'opposition. Vous savez aussi bien que moi des situations où le mécontentement au sein d'un caucus a déstabilisé le leadership d'un chef politique choisi non pas par les députés du parti mais bien par ses membres. Cette question me préoccupe.

Je sais que, en vertu du projet de loi un caucus peut participer ou non, mais il me semble que la question de l'examen de la direction d'un parti devrait être encadrée dans les constitutions de chaque parti politique, plutôt que dans une loi qui s'applique à tous les partis. Ce ne sont pas les partis politiques qui vont intervenir, mais plutôt les députés qui ont été élus à la Chambre des communes.

C'est la remarque que je voulais formuler. Avez-vous quelque chose à ajouter, sénateur Wallace?

Le sénateur Wallace : Oui.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Wallace, souhaitez-vous disposer de cinq minutes de plus?

Le sénateur Wallace : Oui, s'il vous plaît.

Je vous remercie, sénateur Cowan. Il n'y a pas de doute que, à titre de membres de partis politiques, nous avons tous participé au choix des chefs de parti. C'est évidemment une chose qu'on prend très au sérieux.

Avec ce projet de loi, je fais confiance aux membres élus du Parlement qui, je le répète, occupent leur siège parce que les électeurs ont voté pour eux. Les électeurs les ont placés là pour qu'ils agissent d'une manière responsable en les représentant. Je suis persuadé que les députés exerceront leurs compétences et leurs droits d'une manière raisonnable en vertu de ce projet de loi.

Il y a des circonstances qu'ils connaissent bien, mais que les électeurs pourraient ne pas connaître, où l'intérêt du parti nécessite que des mesures soient prises. Les députés sont les mieux placés pour agir. Ils se trouvent à Ottawa et s'occupent tous les jours des questions qui sont importantes pour leur région. Il y a des moments, je crois, où ces députés doivent pouvoir agir s'ils estiment qu'une question sérieuse se pose au sujet du chef de leur parti.

En disant cela, je regarde mon collègue, le sénateur Mockler. Il a été plus touché que moi parce que je ne me trouvais pas à Fredericton à ce moment-là. Je me souviens bien des dernières années du gouvernement de Richard Hatfield au Nouveau-Brunswick. Le parti allait bien mal et son chef n'avait pas l'intention de renoncer à son poste. Il était évident que le parti n'avançait pas dans la bonne direction. Comme vous le savez, les élections qui ont eu lieu ont donné 58 sièges aux libéraux et aucun siège aux progressistes-conservateurs.

Dans des circonstances exceptionnelles, les députés devraient être en mesure d'agir et de prendre les décisions difficiles qui s'imposent.

Le sénateur Cowan : Sénateur, je comprends votre argument, mais le parti auquel j'appartiens a mis en place un mécanisme permettant de procéder à une révision de la direction. Je dirais qu'un tel mécanisme est préférable à ce projet de loi.

Je soutiens en outre que les partis n'ont pas tous une représentation égale dans le pays. À l'heure actuelle, plusieurs provinces ne sont pas représentées par mon parti à la Chambre des communes. Qui parlera pour les membres et les partisans du Parti libéral de la province ou des provinces qui ont participé au choix du chef du parti? En vertu de ce projet de loi, il est possible que ce chef soit déstabilisé ou limogé sans intervention de ces gens. Ils seraient cependant représentés dans les processus prévus dans les statuts du parti pour un cas de ce genre.

J'estime aussi que les députés, même s'ils représentent un parti politique, représentent davantage les électeurs de leur circonscription que les membres de leur parti politique qui y vivent.

Le sénateur Wallace : Comme nous le savons tous, les députés ont d'énormes responsabilités et un important rôle à jouer. Les attentes du public à leur égard sont très fortes. Le principe du projet de loi, c'est que les parlementaires élus doivent avoir la possibilité de faire le travail pour lequel ils ont été élus, et cela va plus loin que d'obéir aux ordres reçus et de se conformer à l'orientation prescrite. Nous savons qu'ils doivent faire partie d'une équipe.

Le souci de Michael Chong, que je partage, est que la balance du pouvoir et l'équilibre des rôles et responsabilités entre les chefs de parti et les représentants élus ne sont pas ce qu'ils devraient être. Un rajustement est nécessaire pour rétablir l'équilibre et permettre aux députés de s'acquitter de leurs fonctions. L'un des aspects de leur rôle nécessite justement qu'ils aient la possibilité, dans de très rares cas, de remettre en cause la direction de leur parti.

L'honorable Anne C. Cools : Je remercie le sénateur Wallace de sa déclaration. Je voudrais qu'il sache qu'il m'a vraiment convaincue et que j'appuierai le projet de loi de Michael Chong. Étant donné que nous n'avons que 11 secondes, je dirai simplement que l'honorable sénateur a été très convaincant et persuasif, et je l'en remercie.

(1650)

L'honorable Bob Runciman : Honorables sénateurs, je vais formuler quelques brèves remarques pour épauler mes collègues, les sénateurs Wallace et Tannas, et pour appuyer le projet de loi C-586.

D'entrée de jeu, il convient de noter que plusieurs sénateurs des deux côtés de cette enceinte qui ont servi à l'autre endroit appuient cette mesure législative. Je présume qu'au moins deux raisons expliquent cet appui. Premièrement, nos collègues sont peut-être plus conscients des dommages politiques et des dommages à la réputation que le rejet du projet de loi entraînerait pour une institution déjà en crise. Deuxièmement, étant donné qu'ils ont déjà été des représentants élus, ils sont très conscients de la nécessité d'une réforme et de la volonté des partisans de la base d'obtenir un tel changement. Je ne puis évidemment m'exprimer qu'en mon nom personnel, mais ce sont les deux raisons que je perçois.

Les dommages politiques et les dommages à la réputation de notre institution sont l'aspect qui me préoccupe le plus. Je ne peux comprendre que le Sénat puisse envisager de faire mourir, par un vote négatif ou par le biais d'un amendement, une mesure législative qui propose une modeste réforme démocratique de la Chambre élue. Le projet de loi a été appuyé par un très grand nombre de députés des trois partis, et ce n'était pas un vote tenu le vendredi après-midi. C'était un vote par appel nominal en bonne et due forme.

Depuis un an, peut-être plus, nous entendons beaucoup parler de façons de redorer l'image ternie du Sénat. De bonnes suggestions ont été faites par de bonnes personnes qui, je pense, se préoccupent vraiment de notre institution. Pourtant, certaines de ces personnes laissent maintenant entendre que nous devrions rejeter le projet de loi C-586. À mon avis, une telle attitude est vraiment bizarre. Rejeter le projet de loi C-586 ferait perdre leur sens à toutes ces belles paroles. Que signifieront toutes ces discussions, cette planification et cette stratégie si nous rejetons la mesure législative? Si nous ne comprenons pas le rôle que ce projet de loi peut jouer afin d'améliorer la gouvernance pour les Canadiens, j'en conclus qu'il existe une profonde incompréhension des graves conséquences négatives qui toucheraient notre institution déjà fragile.

Un grand nombre de personnes qui appuient le Sénat — en dépit des récents bouleversements —, ainsi que son rôle, vont voir là une trahison, et le nombre déjà restreint de Canadiens qui nous appuient va diminuer encore davantage.

Pour ce qui est de la deuxième raison — liée au fait d'avoir été élu —, je pourrais probablement parler durant des heures de la nécessité d'une réforme, mais je vais m'en tenir à quelques observations assorties d'exemples tirés de mon expérience personnelle dans mon ancienne vie.

Certains opposants au projet de loi ont dit que celui-ci fait fi de la volonté des partisans de la base. Ce point de vue est tout à fait contraire à mon expérience. Je milite au sein du Parti conservateur depuis la fin de mon adolescence. S'il y a une chose qui est toujours appréciée par les partisans de la base, c'est bien la capacité des députés fédéraux et provinciaux de mieux représenter leurs électeurs.

L'engagement que j'avais pris de défendre les valeurs de mes électeurs et les miennes est l'une des raisons pour lesquelles j'ai été choisi pour représenter le Parti progressiste-conservateur dans la circonscription de Leeds, Ontario, en 1981. Une fois élu, je me suis rapidement compte que, livrés à nous-mêmes, sans politique ni protocole pour favoriser un certain degré d'indépendance, il est très difficile de s'acquitter de cette responsabilité.

Quelques mois après mon élection, j'ai exprimé publiquement mon désaccord avec la décision du premier ministre de l'Ontario de l'époque, Bill Davis, d'acheter une société pétrolière afin de fournir au gouvernement, pour employer les mots de M. Davis, « une fenêtre sur l'industrie ». Non seulement cette décision allait à l'encontre des valeurs conservatrices, mais elle avait aussi été prise sans consultation auprès du caucus progressiste-conservateur. Mon opposition à cette décision m'a presque valu des coups de la part d'un ministre. Pendant ce temps, le trésorier de la province me chuchotait à l'oreille — je dis bien « chuchotait » — : « Continuez votre bon travail. » J'imagine qu'il ne voulait pas être entendu, de crainte de subir des représailles.

En 1984, le même premier ministre Davis nous a convoqués à une réunion d'urgence du caucus. Il nous a dit que lui, et lui seul, avait décidé d'accorder le plein financement au système scolaire catholique de la province. Il a dit à un caucus en état de choc qu'il ne tolérerait aucune discussion et que c'était à lui qu'il incombait de prendre cette décision. Le whip nous a ensuite ordonné d'accorder une ovation au premier ministre, lorsqu'il ferait son entrée à l'assemblée législative quelques minutes plus tard pour faire son annonce.

Indépendamment de ce qu'on peut penser de cette décision, le fait est que le caucus élu a été exclu de la prise d'une décision qui ne faisait pas partie du programme électoral de 1981 et qui était contraire à la position prise par le parti durant la campagne provinciale précédente. Au bout du compte, cette décision unilatérale a contribué à mettre un terme à 42 années de règne du gouvernement progressiste-conservateur en Ontario. Des milliers de conservateurs se sont croisé les bras lors des élections de 1985, mettant ainsi fin aux longues carrières de bien des députés provinciaux dévoués qui n'avaient pas eu leur mot à dire dans cette décision.

Je vous donne un exemple plus récent, que je tire d'un grand nombre de sources. À la suite d'une annonce portant que le gouvernement de l'Ontario allait retirer les machines à sous des champs de course de chevaux, le chef de l'opposition de l'époque a déclaré au cours d'une réunion que le caucus ne traiterait pas de cette question et qu'aucune discussion ne serait tolérée. Tout cela en dépit du fait que des milliers d'emplois risquaient d'être perdus dans de petites localités rurales de l'Ontario, où se trouve le noyau dur des partisans du Parti progressiste-conservateur provincial.

Au niveau fédéral, Justin Trudeau a récemment déclaré que les pro-vie ne pourraient être des candidats de son parti. Cette déclaration unilatérale a incité le député libéral pro-vie John McKay à formuler des réserves face à cette décision, mais celui-ci a été forcé de se rétracter. Évidemment, M. Trudeau et son parti font maintenant face à des poursuites, au motif qu'il s'est immiscé dans deux courses à l'investiture en Ontario, alors qu'il avait promis de ne pas le faire.

Au fil des années, nous avons vu les chefs néo-démocrates diriger leur caucus d'une main de fer dans le cas de dossiers comme celui du registre des armes d'épaule. Dans certains cas, ils ont même forcé leurs députés à faire fi de la volonté de la grande majorité de leurs électeurs.

Lorsque je me suis préparé à participer à ce débat et à discuter de l'argument lié aux intérêts de la base, j'ai jeté un coup d'œil au contenu des plateformes conservatrices. J'invite les sénateurs à en faire autant. Ces documents traitent de la nécessité de tenir des votes libres et de faire en sorte que les députés rendent des comptes à leurs électeurs. Ils traitent aussi d'autres processus liés à une réforme parlementaire nécessaire. Bref, c'est sur ces questions que porte le projet de loi C-586.

Lorsque j'entends des sénateurs dire qu'ils s'opposent au projet de loi parce qu'ils veulent défendre les intérêts de la base, je n'en reviens pas. Avoir un tel point de vue, c'est ignorer les milliers de Canadiens qui ont communiqué avec nos bureaux au cours des dernières semaines pour nous exhorter à appuyer cette mesure législative. Insinuer que les sénateurs ont une meilleure compréhension de la base que les 260 députés élus au Parlement qui ont voté en faveur du projet de loi, c'est vraiment ironique.

Le projet de loi C-586 n'est pas une panacée en matière de réforme démocratique. Comme le sénateur Tannas l'a souligné, c'est une modeste mesure législative qui renferme des dispositions sur la participation volontaire des caucus. C'est un début. L'adoption de ce projet de loi enverra un message positif aux Canadiens, qui se désintéressent de plus en plus de la politique, tant au niveau fédéral que provincial. L'adoption de cette mesure au Sénat rejaillira favorablement sur notre Chambre de second examen objectif. Suite aux spéculations selon lesquelles le projet de loi pourrait être rejeté, ce serait un signe positif et bien nécessaire pour dire aux Canadiens que oui, nous les écoutons.

J'invite tous les sénateurs à appuyer le projet de loi C-586 et à faire en sorte qu'il soit adopté avant l'ajournement d'été.

Merci, monsieur le Président.

Des voix : Bravo!

L'honorable Grant Mitchell : Merci beaucoup, sénateur Runciman, pour votre discours convaincant et passionné. De toute évidence, ce dossier vous tient très à cœur. Je l'ai constaté et, j'en suis sûr, nos collègues l'ont eux aussi constaté. Sénateur Wallace et sénateur Tannas, vous avez, vous aussi, prononcé de grands discours.

L'un des arguments récurrents en faveur du projet de loi est que celui-ci a reçu un appui considérable de la part des représentants élus.

(1700)

Sénateur Runciman, le projet de loi C-279 a également reçu un appui majoritaire de la part des représentants élus. De plus, il ne s'agissait pas d'un vote par oui ou non, mais d'un vote inscrit. Dix-huit députés conservateurs et tous les députés de l'opposition ont appuyé le projet de loi C-279. Et jusqu'à maintenant, vos dirigeants n'ont pas accepté que nous nous prononcions.

J'ai deux questions à vous poser. D'abord, allez-vous réclamer un vote sur cette mesure? Deuxièmement, voteriez-vous en faveur de cette mesure pour la même raison?

Le sénateur Runciman : Je ne crois pas que ces propos aient quoi que ce soit à voir avec mes observations sur le projet de loi C-586, mais je dirai que nous étudions chaque projet de loi pour ce qu'il vaut ou ne vaut pas.

Il est certain que je vais examiner cet autre projet de loi. Comme vous le savez, j'ai assisté aux audiences sur le projet de loi, tout comme vous, et je dirai qu'il n'est pas sans intérêt. Je m'interrogerai à ce sujet lorsque le vote sera appelé.

Quant au projet de loi à l'étude, c'est une tout autre paire de manches, si je puis dire. Comme je l'ai dit au cours de mon intervention, il traite essentiellement des députés de la Chambre des communes. Je répète que, à mon avis, le Sénat devrait l'appuyer.

L'honorable David P. Smith : Il s'agit d'une intervention impromptue, mais c'est un sujet qui m'a toujours fasciné. Je tiens à dire que je vais appuyer le projet de loi.

Pourquoi refuserions-nous d'adopter un projet de loi sur la façon dont l'autre endroit fonctionne, un projet de loi qui a été adopté par les Communes avec l'appui des trois partis? Sauf erreur, seulement 17 députés environ ont refusé leur appui. Si nous adoptions ici un projet de loi sur le fonctionnement de notre assemblée et s'il se heurtait à un veto à l'autre endroit, imaginez la réaction de la Chambre rouge.

Une voix : Cela arrive sans cesse.

Le sénateur Smith : Le projet de loi me plaît, son orientation me plaît. Je suis le premier à admettre qu'il n'est pas parfait. Dans la vie, la perfection est rare. Certains ont des réserves, songeant par exemple à la façon dont la direction pourrait être contestée, mais je crois que c'est un progrès.

J'ai été député il y a plus de 30 ans, mais je dois dire que, ces dernières années, les députés ont été de plus en plus réduits à un rôle de robot. C'est regrettable. Les députés devraient avoir plus de liberté pour dire ce qu'ils veulent, pour adopter parfois une position un peu différente. Sur les points essentiels, il faut être solidaire de son équipe, mais les députés devraient avoir plus d'indépendance à l'égard de leurs priorités à la Chambre des communes.

De nos jours, à peu près tout est soumis à la discipline de parti. En un sens, il est un peu paradoxal qu'au Parlement britannique, le modèle des Parlements, les députés aient beaucoup plus de latitude pour exprimer des points de vue différents. C'est bon, et c'est sain.

L'une des choses qui me plaisent vraiment là-bas, ce sont les trois catégories de discipline de parti. Effectivement, s'il s'agit d'une mesure budgétaire ou d'une mesure qui engage la confiance envers le gouvernement, la discipline est de rigueur. Par contre, en dehors de cela, les députés peuvent manifester leur indépendance et prendre une position légèrement différente, puisque la confiance n'est pas en cause et qu'on veut se faire une idée de ce que pensent vraiment les députés de tous les partis.

Je crois que le projet de loi marque un progrès. Nous devons respecter le fait que ce sont ici les députés qui parlent de l'organisation de leur travail, et les trois partis ont appuyé la mesure, à l'exception de 17 députés. Je sais que le projet de loi n'est pas parfait, mais c'est une amélioration, et je vais l'appuyer. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Fraser, le débat est ajourné.)

[Français]

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Recours au Règlement—Suspension du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dagenais, appuyée par l'honorable sénateur Doyle, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

L'honorable Claudette Tardif : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du rappel au Règlement soulevé dans le cadre du projet de loi C-377. Je tiens à remercier la sénatrice Bellemare d'avoir soulevé ce rappel au Règlement qui, à mon avis, est très justifié.

[Traduction]

À mon avis, les dispositions du projet de loi C-377 prévoyant la communication et la publication de certaines opérations financières et pratiques administratives des organisations ouvrières créent une nouvelle fonction et un nouvel objet au sein de l'Agence du revenu du Canada. De ce fait, les conditions de la recommandation royale qui autorise les dépenses actuelles de l'ARC sont modifiées. Comme une autorisation nouvelle et distincte de dépenser est créée d'une façon permanente, cela nécessite une recommandation royale, qu'on ne trouve évidemment pas dans le projet de loi.

D'anciens Présidents ont établi que les mesures législatives imposant de nouvelles fonctions à des organismes financés par les deniers publics nécessitent une recommandation royale si les nouvelles fonctions sont sensiblement différentes des fonctions existantes.

En février 2009, une décision de la présidence relative au projet de loi S-204 établissait, d'après les autorités en matière de procédure, qu'il faut tenir compte de quatre critères pour déterminer si un projet de loi nécessite une recommandation royale : premièrement, si une disposition affecte directement des fonds; deuxièmement, si une disposition permet d'effectuer une nouvelle dépense qui n'est pas déjà autorisée par la loi; troisièmement, si le projet de loi élargit l'objet de dépenses déjà autorisées; et quatrièmement, si une mesure étend certains avantages ou réduit les critères d'admissibilité à un avantage. Dans les quatre cas, le projet de loi nécessite une recommandation royale.

Deux de ces critères s'appliquent au projet de loi C-377 : l'autorisation d'une nouvelle dépense qui n'est pas déjà autorisée par la loi et l'élargissement de l'objet d'une dépense déjà autorisée.

Le projet de loi crée un nouvel objet pour l'Agence du revenu du Canada en la chargeant d'une fonction de déclaration publique sans lien obligatoire avec la fiscalité en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Le projet de loi ajouterait un objet supplémentaire en créant ce qui constituerait pour l'ARC « un système complet qui comprend le traitement électronique, les validations et l'affichage automatique sur le site web de l'ARC ».

Honorables collègues, nous devons nous demander de quelle façon le projet de loi C-377 contribue à la réalisation d'un objectif quelconque de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les dispositions du projet de loi sont-elles rationnellement et fonctionnellement liées à des dispositions existantes de la Loi de l'impôt sur le revenu? Non, ce n'est pas le cas.

L'Agence du revenu du Canada est chargée d'appliquer et d'interpréter la Loi de l'impôt sur le revenu. Son principal objectif, à titre d'administratrice fiscale du Canada, est de veiller à ce que les contribuables se conforment à leurs obligations fiscales et de protéger l'assiette fiscale du Canada.

Le projet de loi C-377 a strictement pour objet de communiquer au public des renseignements concernant un groupe particulier, soit les organisations ouvrières et les fiducies de syndicat. De plus, ces exigences de déclaration sont extérieures à toute obligation directe de ces organisations ou de leurs membres en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu.

Lorsque des fonctionnaires de l'ARC ont comparu devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, ils ont confirmé que le projet de loi avait strictement pour objet de divulguer des renseignements. Honorables collègues, compte tenu du fait que le projet de loi C-377 créerait un objet supplémentaire et de nouvelles exigences de programme qui modifieraient la Loi de l'impôt sur le revenu et l'objet de l'ARC, entraînant par conséquent de nouvelles dépenses, il doit être accompagné d'une recommandation royale.

Votre Honneur, je voudrais attirer votre attention sur une décision rendue par la présidence le 27 février 1991 au sujet du projet de loi S-18, Loi favorisant la réalisation des aspirations des peuples autochtones du Canada. Notre Président de l'époque avait statué que les dispositions imposant des fonctions supplémentaires à des organismes financés par les deniers publics nécessitaient une recommandation royale si les nouvelles fonctions étaient sensiblement différentes des fonctions existantes.

En examinant la situation de ce projet de loi, il est utile de rappeler ses antécédents législatifs. Dans sa première incarnation, il s'agissait du projet de loi C-317, qui établissait un lien entre la fonction de déclaration des organisations ouvrières et leur exonération en vertu de l'alinéa 149(1)k) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Toute organisation ouvrière qui ne se conformerait pas aux exigences de déclaration du projet de loi C-317 devait perdre son statut d'exonération.

Le projet de loi C-317 visait en outre à modifier le traitement fiscal des syndiqués si leur syndicat ne se conformait pas à ces exigences en les empêchant de déduire leurs cotisations syndicales de leur revenu aux fins de l'impôt.

(1710)

Votre Honneur, j'attire votre attention sur une décision du Président de l'autre endroit, rendue le 4 novembre 2011, concernant le projet de loi C-317. La présidence a conclu que le projet de loi ne respectait pas les dispositions du Règlement de l'autre endroit, car le fait de supprimer une exemption fiscale avait pour effet d'augmenter les impôts, ce qui nécessitait une motion de voies et moyens. Or, le projet de loi n'en prévoyait pas. La décision du Président a forcé M. Hiebert à retirer les parties du projet de loi C-317 qui établissaient des liens entre les exigences en matière de déclaration imposées aux organisations ouvrières et leur statut d'exemption fiscale, ainsi que la déduction fiscale des cotisations syndicales des membres.

M. Hiebert s'est conformé à la décision rendue, a retiré les éléments irréguliers, et la mesure législative est devenue le projet de loi C-377. Toutefois, après la suppression des articles, le projet de loi ne contenait plus de liens directs avec la fiscalité ou les avantages que reçoivent les organisations ouvrières ou leurs membres. Une organisation ouvrière ou une fiducie qui ne respecte pas les exigences du projet de loi C-377 ne perdra pas son statut d'exemption fiscale, et ses membres ne perdront pas la déduction fiscale sur leurs cotisations syndicales; par conséquent, l'analogie avec les organismes de bienfaisance est fondamentalement mauvaise.

Comme je l'ai indiqué, le projet de loi crée une toute nouvelle responsabilité ou fonction pour l'Agence du revenu du Canada, en sa qualité d'administrateur de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, il nécessite une recommandation royale. Les précédents sont clairs.

Comme l'a mentionné notre honorable collègue, la sénatrice Bellemare, qui a effectué des recherches approfondies sur le sujet, les sommes requises pour mettre en œuvre ce projet de loi sont énormes. Il ne s'agit pas de dépenses connexes, mais il est question de collecte de données — de nouveaux coûts qui dépassent le mandat de l'agence. De plus, 18 300 organisations ouvrières devront s'inscrire auprès de l'ARC, pour la mise sur pied, en fait, d'un registre de données.

Le niveau de détail des renseignements exigés par ce projet de loi a une portée beaucoup plus vaste que ce qu'exige le gouvernement de tout autre organisme en matière de publication d'information. Il crée une fonction nouvelle et distincte pour l'ARC, ce qui doit faire l'objet d'une recommandation royale.

On estime que le coût direct de la mise en œuvre du projet de loi C-377 pourrait atteindre 139 millions de dollars, puis 38,4 millions de dollars chaque année subséquente pour son maintien. Ces sommes ne figurent pas dans les prévisions budgétaires de cette année et le Conseil du Trésor n'a pas approuvé cette dépense supplémentaire. Ce projet de loi doit faire l'objet d'une recommandation royale, qui aurait pu et aurait dû être jointe au projet de loi par la Chambre des communes.

Votre Honneur, je me permets d'attirer votre attention sur la décision d'un ancien Président de l'autre endroit, rendue le 20 octobre 2006 à propos du projet de loi C-286, Loi modifiant la Loi sur le programme de protection des témoins (protection des conjoints dont la vie est en danger) et une autre loi en conséquence. Le projet de loi proposait d'étendre le programme de protection des témoins de manière à y inclure les personnes dont la vie est en danger en raison des actes commis contre elles par leur conjoint. Le Président a expliqué que le projet de loi proposait de créer une protection qui n'existait pas dans le cadre du programme de protection des témoins et que, ce faisant, le projet de loi proposait de créer une toute nouvelle fonction qui, à ce titre, n'était pas visée par les conditions d'une affectation de crédits existante. En effet, les nouvelles fonctions ou activités doivent être accompagnées d'une nouvelle recommandation royale.

Votre Honneur, j'attire votre attention sur une autre décision du Président de l'autre endroit, rendue cette fois-ci le 8 novembre 2006 au sujet du projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (création de fichiers). J'estime que les détails de cette situation sont fort semblables à ceux du projet de loi qui nous intéresse. Le projet de loi C-279 aurait ajouté un nouvel objet à la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et aurait créé de nouveaux profils dans la banque de données génétiques. La situation est comparable dans le cas du projet de loi sur les syndicats qui entraînerait la création d'une nouvelle base de données.

Le Président a expliqué qu'on changeait considérablement l'objet de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, de manière à ce qu'elle permette l'identification des personnes portées disparues au moyen de leurs données génétiques. Il a déclaré ce qui suit dans sa décision :

Un projet de loi proposant un objet très différent doit être accompagné d'une nouvelle recommandation royale.

Votre Honneur, permettez-moi de terminer en disant que, contrairement au projet de loi C-317, qui l'a précédé et qui a été rejeté, le projet de loi C-377 prévoit des exigences en matière de production de rapports et de publication qui n'ont aucun lien avec les prélèvements fiscaux ou les tarifs. Le projet de loi vise plutôt à utiliser les pouvoirs contenus dans la Loi de l'impôt sur le revenu pour produire de l'information publique, ce qui constituerait une nouvelle fonction ou activité. De plus, le projet de loi aurait nettement pour conséquence de créer, à l'ARC, une nouvelle fonction dans le domaine des relations de travail, fonction qui n'existe pas présentement et ferait double emploi avec celle dont s'acquitte déjà le Conseil canadien des relations industrielles. L'ARC aurait une nouvelle fonction et un nouvel objet en raison de ce projet de loi.

À mon humble avis, Votre Honneur, l'étude du projet de loi C-377 ne devrait pas se poursuivre parce que la recommandation royale nécessaire ne lui a pas été accordée.

(Le débat est suspendu.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme il est 17 h 15, conformément à l'ordre adopté par le Sénat le 4 juin 2015, je dois interrompre les délibérations pour tenir le vote par appel nominal à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-51. La sonnerie retentira pendant 15 minutes, pour que le vote ait lieu à 17 h 30.

Convoquez les sénateurs.

(1730)

Projet de loi antiterroriste de 2015

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, l'honorable sénateur Runciman propose, avec l'appui de l'honorable sénateur Boisvenu :

Que le projet de loi C-51, Loi édictant la Loi sur la communication d'information ayant trait à la sécurité du Canada et la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, modifiant le Code criminel, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et apportant des modifications connexes et corrélatives à d'autres lois, soit lu pour la troisième fois.

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien se lever.

La motion, mise aux voix, est adoptée.

POUR
LES HONORABLES SÉNATEURS

Ataullahjan McIntyre
Batters Mockler
Bellemare Nancy Ruth
Beyak Neufeld
Black Ngo
Carignan Ogilvie
Dagenais Oh
Doyle Patterson
Eaton Plett
Enverga Poirier
Fortin-Duplessis Raine
Frum Rivard
Gerstein Runciman
Greene Seidman
Lang Smith (Saurel)
LeBreton Stewart Olsen
MacDonald Tannas
Maltais Tkachuk
Manning Unger
Marshall Wallace
Martin Wells
McInnis White—44

CONTRE
LES HONORABLES SÉNATEURS

Campbell Jaffer
Chaput Joyal
Cools Lovelace Nicholas
Cordy Massicotte
Cowan McCoy
Dawson Merchant
Day Mitchell
Downe Moore
Dyck Munson
Eggleton Ringuette
Fraser Sibbeston
Furey Smith (Cobourg)
Hervieux-Payette Tardif
Hubley Watt—28

ABSTENTIONS
LES HONORABLES SÉNATEURS

Aucun.

La Loi de l'impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Recours au Règlement—Report de la décision du Président

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Dagenais, appuyée par l'honorable sénateur Doyle, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (exigences applicables aux organisations ouvrières).

L'honorable Bob Runciman : Honorables sénateurs, j'aimerais présenter de nouveaux renseignements pour vous aider dans votre examen du rappel au Règlement soulevé par la sénatrice Bellemare au sujet du projet de loi C-377.

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a reçu un courriel de Tara Hall, directrice de la Section des affaires parlementaires de la Direction générale des affaires publiques de l'Agence du revenu du Canada. Ce courriel est daté du 19 mai 2015, le jour suivant le rappel au Règlement de la sénatrice Bellemare. Il a donc une incidence directe sur son argument.

À titre de président du comité, je demande le consentement de déposer ces renseignements afin qu'ils puissent être à votre disposition quand vous vous pencherez sur cette question.

La lettre précise que tous les coûts associés à la mise en œuvre du projet de loi C-377 seront puisés dans le budget de l'Agence du revenu du Canada. On y lit ceci : « Nous aimerions confirmer que l'agence absorbera ces coûts dans notre budget. »

(1740)

Cela confirme que le projet de loi ne prévoit pas de nouvelles affectations et, par conséquent, une recommandation royale n'est pas nécessaire. Je fais remarquer que cela rejoint ce que l'Agence du revenu du Canada a dit publiquement à d'autres occasions dont, tout récemment, le 29 avril de cette année, dans un article paru dans iPolitics, où l'on peut lire ceci :

Dans un courriel, un porte-parole a présenté deux scénarios possibles. Dans le premier, on avait les prévisions initiales de 1,2 million de dollars par année pour les deux premières années, et de 800 000 $ annuellement par la suite, pour un bassin de 1 000 déclarations de revenus.

Le second scénario laisse entendre, dans le cadre de la mesure législative, que près de 16 000 organismes seraient visés. Même si les frais de démarrage n'augmenteraient que légèrement, soit de 2,6 millions de dollars sur deux ans, les coûts pour administrer le programme augmenteraient à 1,5 million de dollars par année, ce qui est près du double.

Le porte-parole signale aussi que, si le projet de loi est adopté, les coûts associés à l'un ou l'autre des scénarios proviendraient du budget existant de l'ARC.

Le porte-parole auquel le journaliste fait référence est un fonctionnaire de l'Agence du revenu du Canada, et ces chiffres sont bien différents de ceux qui ont été présentés par la sénatrice Bellemare. Quoi qu'il en soit, je pense que ce qui est important, c'est que l'ARC a confirmé qu'elle mettra en œuvre ce projet de loi dans le cadre de son budget existant, ce qui veut dire que l'argument en faveur de la nécessité d'une recommandation royale n'est pas pertinent.

Je demande la permission de déposer la lettre.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D'accord.

L'honorable Yonah Martin (leader adjointe du gouvernement) : Votre Honneur, je prends la parole au sujet du recours au Règlement de la sénatrice Bellemare, formulé le 28 mai, concernant le projet de loi C-377. La sénatrice Bellemare a invoqué le Règlement pour faire valoir que le Sénat ne peut pas étudier le projet de loi C-377, car il exige une recommandation royale.

La sénatrice Bellemare a invoqué le Règlement en laissant entendre que le Sénat ne pouvait pas étudier le projet de loi C-377, parce qu'il devait être accompagné d'une recommandation royale.

Votre Honneur, je vous exhorte à déclarer que ce rappel au Règlement n'est pas justifié. Je vous signale que, le 6 décembre 2012, le Président de la Chambre des communes, après s'être penché sur un rappel au Règlement portant sur le même sujet, a conclu que le projet de loi C-377 ne nécessitait pas de recommandation royale. Qui plus est, certaines des questions examinées par le Président de la Chambre des communes sont les mêmes que celles soulevées par la sénatrice Bellemare dans son discours.

Le premier argument invoqué par la sénatrice Bellemare est que la mise en application du projet de loi C-377 obligerait l'Agence du revenu du Canada à obtenir de nouveaux crédits. Comme le sénateur Runciman vient de le dire dans son intervention sur ce rappel au Règlement, l'Agence du revenu du Canada a déclaré publiquement à plusieurs reprises que les coûts associés au projet de loi C-377 seraient assumés au moyen du budget actuel de cette agence. En gros, l'agence a confirmé que le projet de loi C-377 ne nécessiterait pas de nouveaux crédits, ce qui signifie que la recommandation royale n'est pas nécessaire.

J'aimerais aussi attirer votre attention sur le fait que les chiffres communiqués par l'Agence du revenu du Canada n'ont pas changé de façon spectaculaire depuis la décision rendue en 2012.

Deuxièmement, la sénatrice Bellemare soutient que le projet de loi C-377 doit être accompagné d'une recommandation royale parce qu'il confierait un nouveau mandat à l'Agence du revenu du Canada. Cependant, en 2012, le Président de la Chambre des communes a conclu spécifiquement que le projet de loi C-377 ne confierait pas un nouveau mandat à l'agence et que, en conséquence, il ne nécessitait pas une recommandation royale.

Voici ce que le Président a alors déclaré :

À l'examen attentif de la question, il apparaît à la présidence que les dispositions du projet de loi — en particulier celles prévoyant que l'agence doit imposer aux organisations ouvrières de nouvelles exigences en matière de dépôt et rendre les renseignements publics — pourraient entraîner une augmentation de la charge de travail ou des charges d'exploitation, mais qu'il n'y aurait pas de dépense découlant d'une nouvelle fonction proprement dite. En d'autres mots, dans le cadre de son mandat actuel, l'agence impose déjà des exigences en matière de dépôt et diffuse déjà des renseignements au public. On peut donc dire que les exigences créées par le projet de loi C-377 sont déjà comprises dans le pouvoir de dépenser de l'agence.

Votre Honneur, il est clair que le Président de la Chambre des communes a déjà répondu aux préoccupations visant à savoir si le projet de loi C-377 crée un nouveau mandat. Il a rendu une décision selon laquelle les exigences du projet de loi s'inscrivent déjà de la gestion quotidienne de l'agence. Je le répète, il n'y a pas de faits nouveaux qui rendraient caduque la décision du Président de la Chambre des communes. Le mandat de l'ARC, l'essence et la substance du projet de loi C-377 n'ont pas changé depuis 2012.

J'attire votre attention sur quelques dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu pour renforcer ce point. Aux termes de l'article 5 de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada, l'agence soit appuyer l'application et l'exécution de la législation fiscale.

En outre, l'article 220 de la Loi de l'impôt sur le revenu stipule ceci :

Le ministre assure l'application et l'exécution de la présente loi. Le commissaire du revenu peut exercer les pouvoirs et fonctions conférés au ministre en vertu de la présente loi.

Sont nommés ou employés de manière autorisée par la loi les fonctionnaires, commis et préposés nécessaires à l'application et à l'exécution de la présente loi.

Au fond, une recommandation royale n'est pas nécessaire chaque fois qu'un projet de loi crée un nouveau mandat, seulement lorsque le mandat est nouveau et distinct. Il est clair que l'article 5 de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada et l'article 220 de la Loi de l'impôt sur le revenu fournissent le pouvoir général pour les dispositions et les exigences du projet de loi C-377.

Permettez-moi maintenant de faire référence à un projet de loi d'initiative parlementaire provenant du Sénat pour illustrer davantage ce point. Le 6 octobre 2009, la sénatrice Ringuette a présenté le projet de loi S-241, Loi modifiant la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières (cartes de crédit et de débit). Aux termes du projet de loi, le surintendant des institutions financières devrait contrôler l'utilisation des cartes de crédit et de débit au Canada et publier de l'information à ce sujet. En outre, il serait tenu de publier un rapport. La sénatrice Ringuette a proposé l'ajout du paragraphe 3.1(2) stipulant que :

La loi a aussi pour objet d'établir un organisme de surveillance chargé de contrôler l'utilisation des cartes de crédit et de débit au Canada et de formuler des recommandations à ce sujet en application de l'article 7.2.

Le projet de loi voulait soumettre le Bureau des institutions financières à toutes ces nouvelles exigences. Dans la décision qu'il a rendue le 1er décembre 2009, le Président du Sénat a déterminé que malgré les nouvelles responsabilités et le fait que la création d'un nouvel organisme de surveillance était envisagée, le projet de loi S-241 ne nécessitait aucune recommandation royale, et il a dit ce qui sui :

L'actuelle Loi sur le Bureau du Surintendant des institutions financières a pour objet d'« assujettir les institutions financières et les régimes de pension au contrôle réglementaire [...] en vue d'accroître la confiance du public envers le système financier canadien ». Le projet de loi S-241 ajouterait à la loi un objet supplémentaire concernant l'utilisation des cartes de débit et de crédit. On peut considérer que cet objet se rattache directement à l'objet actuel de la loi, étant donné que les cartes de crédit et de débit constituent des éléments essentiels, voire des parties intégrantes, d'un système financier moderne et des opérations des institutions financières.

Le projet de loi S-241 ne renferme pas de dispositions portant affectation de fonds publics. Le surintendant des institutions financières est un poste qui existe déjà et qui est soutenu par un bureau, lequel est financé par des crédits permanents et des cotisations prélevées auprès d'organismes réglementés. C'est à ce bureau que reviendrait cette nouvelle fonction. C'est le surintendant qui serait chargé de consulter d'autres organismes déjà existants.

Le Président a également dit ce qui suit :

L'objet qui sera ajouté par le projet de loi S-241 cadre avec les rôles généraux et les fonctions actuelles du Bureau du surintendant des institutions financières. À la lumière de l'information disponible, ce rappel au Règlement n'est pas fondé, et le débat sur la motion de deuxième lecture peut se poursuivre.

Enfin, la sénatrice Bellemare a fait valoir que le projet de loi C-377 contredit en quelque sorte la Loi fédérale sur l'équilibre budgétaire, contenue dans le projet de loi C-59. Votre Honneur, cet argument n'est pas valable, car les correspondances entre les deux projets de loi n'ont rien à voir avec la nécessité d'une recommandation royale pour le projet de loi C-377. Essentiellement, la Loi fédérale sur l'équilibre budgétaire oblige le gouvernement à équilibrer tous les ans les recettes et les dépenses, y compris les dépenses engagées pour remplir un mandat et assumer les responsabilités se rapportant à une loi.

Une loi sur l'équilibre budgétaire n'empêche pas les législateurs d'adopter de nouvelles mesures législatives qui ajoutent, abolissent, élargissent ou modifient les obligations des organismes et des ministères existants. Plusieurs provinces se sont dotées d'une loi sur l'équilibre budgétaire et elles adoptent constamment de nouvelles lois prévoyant de nouvelles responsabilités et obligations.

En réalité, bien que de telles lois exigent d'établir annuellement un équilibre entre l'ensemble des recettes et celui des dépenses, les recettes et les dépenses des entités individuelles changent continuellement. Prétendre le contraire revient à dire que les parlementaires ne peuvent pas adopter de projets de loi après que soit entrée en vigueur une loi sur l'équilibre budgétaire.

Votre Honneur, le projet de loi C-377 ne nécessite pas une recommandation royale. Je vous demande de déclarer irrecevable ce rappel au Règlement et de procéder à la troisième lecture du projet de loi.

(1750)

L'honorable Joan Fraser (leader adjointe de l'opposition) : Votre Honneur, j'ai eu l'occasion de consulter des autorités en la matière, et je suis sûre que le projet de loi doit vraiment faire l'objet d'une recommandation royale pour deux raisons fondamentales. Il est fort possible que le projet de loi coûte plus cher que le gouvernement l'avait prévu au départ. Ensuite, le projet de loi crée une fonction entièrement nouvelle pour l'Agence du revenu du Canada en ce qui concerne non seulement la lettre, mais aussi l'esprit de la loi.

Je vais d'abord examiner les coûts. Beaucoup de chiffres ont été lancés. Je trouve intéressant que les chiffres que le sénateur Runciman a cités soient, en fait, restés les mêmes au sein de l'ARC depuis trois ans. Je ne sais pas si l'agence vit dans un monde où l'inflation ou les règlements de travail n'existent pas, mais l'agence utilise les mêmes chiffres qu'elle utilisait il y a trois ans, même si la base sur laquelle s'appliquent les chiffres est maintenant radicalement différente.

Au départ, nous pensions tous que 1 000 organisations seraient visées par le projet de loi. Même l'ARC admet maintenant que ce seront davantage 16 000 organisations qui seront visées. Le directeur parlementaire du budget, qui n'a absolument rien à gagner dans tout cela, prétend qu'au moins 18 300 organisations seront visées par le projet de loi, et cela ferait évidemment grimper les coûts.

Bref, l'ARC dit que, si cela vise 1 000 organisations, il en coûtera 820 000 $ par année après la mise en place du système. Si ce sont 16 000 organisations qui sont visées, cela coûtera 1,5 million de dollars par année. C'est possible. Par contre, même si le directeur parlementaire du budget n'a pas été en mesure d'obtenir tous les renseignements dont il avait besoin de l'ARC, son rapport dit qu'il est fort possible que le fonctionnement de ce système nous coûte annuellement plus de 30 millions de dollars. C'est une grosse somme. Ce ne sont pas des dépenses accessoires.

Comme le sénateur Runciman l'a mentionné, l'ARC a déclaré qu'elle couvrirait ces coûts, quels qu'ils soient, à l'aide des crédits existants. Cet aspect n'est pas nécessairement pertinent, et il m'amène directement à mon deuxième point.

Votre Honneur, c'est un fait clairement établi : lorsqu'un projet de loi modifie ou élargit les fonctions d'un organisme ou d'un ministère existant, il nécessite une recommandation royale. Ma collègue, la sénatrice Tardif, a déjà cité certaines décisions de la présidence à cet égard, tout comme la sénatrice Martin d'ailleurs. J'aimerais répéter ce que le Président a déclaré à ce sujet le 24 février 2009 :

[...] un projet de loi visant à élargir l'objet d'une dépense déjà autorisée [par le Parlement] devra, la plupart du temps, être accompagné d'une recommandation royale.

En effet, la décision rendue relativement au projet de loi S-241, dont la sénatrice Martin a parlé, indique en des termes très explicites que dans ce cas, une recommandation royale n'était pas nécessaire, car l'objectif du projet de loi correspondait aux fonctions et aux rôles généraux existants de cet organisme établi. Cela dit, l'important, c'est de déterminer si on modifie les fonctions de l'organisme.

À la page 746 de la 24e édition de l'ouvrage d'Erskine May, on peut lire ceci :

Une résolution de finances...

— c'est ainsi qu'on appelle la recommandation royale en Grande-Bretagne —

... s'impose dès qu'un doute survient et qu'il semble que la nouvelle proposition risque de donner lieu au prolongement d'un financement autorisé par la loi ou à l'augmentation des dépenses susceptibles d'être engagées relativement à la demande desdits montants.

Je le répète, c'est ce qu'on peut lire à la page 746. À la page 750 de l'ouvrage d'Erskine May, on peut lire ce qui suit :

Lorsqu'un projet de loi comporte une disposition qui élargit l'objectif de dépenses déjà autorisées par la loi, par exemple en multipliant les fonctions d'un organisme public existant ou d'un organisme financé par le gouvernement [...], cette disposition exige habituellement une autorisation par l'intermédiaire d'une résolution de finances.

Dans la sixième édition de l'ouvrage de Beauchesne, le commentaire 596 dit ceci :

[...] la communication à laquelle la recommandation royale est annexée doit être considérée comme établissant une fois pour toutes...

— cela s'applique à la recommandation royale autorisant les crédits généraux pour diriger l'Agence du revenu du Canada —

... la communication à laquelle la recommandation royale est annexée doit être considérée comme établissant une fois pour toutes [...] non seulement le montant de l'imputation, mais aussi l'objet de la dépense, le but visé, les conditions et réserves qui s'y rattachent [...] tout amendement empiète sur le droit d'initiative de la Couronne dans le domaine financier, non seulement s'il alourdit la dépense, mais aussi s'il en étend l'objet et le but visé...

— de l'affectation initiale.

Voici ce que dit l'ouvrage d'O'Brien et Bosc à la page 834 :

[...] la recommandation royale est nécessaire non seulement dans les cas où des sommes d'argent sont affectées, mais également lorsque l'autorisation de dépenser à une fin particulière...

— la perception de l'impôt sur le revenu —

... est modifié de façon significative. Sans recommandation royale, un projet de loi qui augmente le montant du prélèvement ou qui en élargit l'objet, les fins, les conditions ou les réserves est irrecevable du fait qu'il empiète sur l'initiative financière de la Couronne.

— à moins d'obtenir une recommandation royale.

Donc, dans les faits, ce projet de loi change-t-il le mandat et les fonctions de l'ARC? À mon avis, c'est incontestable.

Nous savons tous, chers collègues, que la Loi de l'impôt sur le revenu et la déclaration des droits des contribuables reposent toutes les deux sur la promesse de garder confidentielles les déclarations de revenus des Canadiens. La déclaration des droits des contribuables stipule que les Canadiens ont droit à la vie privée et à la confidentialité.

L'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu dit ceci :

Sauf autorisation prévue au présent article...

— cela s'applique principalement dans le cas de procédures pénales —

... il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d'une entité gouvernementale : [...] de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d'en permettre sciemment la prestation;

Voilà qui me semble clair. En fait, cet article est tellement clair que le projet de loi C-377 comporte une disposition qui permet de le contourner. En effet, le projet de loi prévoit que, malgré cet article de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre peut communiquer au public les renseignements que les organisations ouvrières doivent fournir, notamment en les publiant sur le site Internet du ministère. Il serait difficile d'aller plus loin.

À mon avis, chers collègues, en exigeant la diffusion de ces renseignements détaillés sur Internet — rien de moins —, on démolit complètement le principe fondamental de protection de la vie privée. Il s'agit d'une modification flagrante de l'objet et de la fonction d'un organisme existant. Je ne pourrais pas trouver meilleur exemple.

J'aimerais vous rappeler, chers collègues, que les renseignements qui seront ainsi communiqués au public sont extrêmement détaillés. On ne parle pas seulement du salaire des gens, mais aussi des primes et des cadeaux qui leur ont été versés. Le projet de loi vise la publication de renseignements détaillés sur les employés et sur les entrepreneurs. Si une entreprise a un contrat de plus de 5 000 $ pour fournir de l'encre en poudre pour photocopieuse à un syndicat, elle devra le dire à l'ARC, le syndicat devra le dire à l'ARC et l'ARC devra faire savoir au grand public non seulement combien d'argent l'entreprise a reçu, mais aussi tout le reste et le temps consacré à des activités non syndicales, comme des activités politiques.

(1800)

Depuis quand l'agence de perception est-elle autorisée à publier des données sur les activités politiques des Canadiens? Assurément, on va ici complètement à l'encontre des principes fondamentaux, des objectifs et du mandat de l'ARC.

Il ne s'agit pas ici d'un projet de loi en matière fiscale, comme l'ARC l'a admis. Il porte plutôt sur la communication de renseignements.

Son Honneur le Président : Madame la sénatrice Fraser a la parole.

La sénatrice Fraser : Il me reste encore un point, Votre Honneur, et il s'agit des solutions.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l'article 3-31 du Règlement, je dois quitter le fauteuil pour le reprendre à 20 heures, et les travaux reprendront à ce moment-là, à moins, honorables sénateurs, que vous préfériez ne pas tenir compte de l'heure.

Des voix : Ne tenons pas compte de l'heure.

La sénatrice Fraser : Pardonnez-moi, Votre Honneur. Je me suis laissé emporter et je n'ai pas vu le temps passer.

La question qui se pose maintenant est celle des solutions.

Votre Honneur, vous pourriez décider que le projet de loi est irrecevable et qu'il faut le laisser tomber. Vous pourriez décider que nous pouvons, comme cela s'est fait par le passé, attendre de recevoir une recommandation royale. C'est une possibilité. Vous pourriez encore dire, ce qui me semble préférable, que le projet de loi serait acceptable s'il était amendé par l'ajout d'un article disant que le projet de loi ne s'appliquera qu'une fois que les dépenses pertinentes auront été recommandées par le gouverneur général et que le Parlement aura affecté les crédits. Cela s'est fait par le passé. Ce fut un moyen très commode et méticuleux de s'attaquer par la procédure à des projets de loi de qualité douteuse. De plus, il y a des précédents.

Par conséquent, Votre Honneur, je vous prie instamment de décider que, dans sa forme actuelle, le projet de loi est irrecevable parce qu'il doit s'accompagner d'une recommandation royale, mais qu'il existe des solutions.

[Français]

L'honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénateurs, à mon tour, je désire prendre la parole au sujet de ce rappel au Règlement.

La sénatrice Bellemare a soulevé trois raisons pour lesquelles le projet de loi C-377 devrait recevoir une recommandation royale. Elle a dit tout d'abord que, en modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu, le projet de loi C-377 entraîne d'importantes activités de cueillette de renseignements de la part de l'Agence du revenu du Canada. La collecte de renseignements ne relèverait pas du mandat permanent de l'Agence du revenu du Canada, son mandat étant plutôt le prélèvement des taxes et des impôts ainsi que la protection de l'intégrité fiscale.

À cela, je réplique en citant un extrait de la décision rendue par le Président de la Chambre des communes, le 6 décembre 2012, qui s'est exprimé ainsi :

L'Agence du revenu du Canada est déjà responsable de l'application de divers régimes de prélèvements et d'avantages fiscaux, ainsi que d'une vaste gamme d'autres programmes et activités. Aussi, l'article 5 de la Loi sur l'Agence du revenu du Canada prévoit que l'Agence est chargée de fournir l'appui nécessaire à l'application et au contrôle d'application de la législation fiscale.

Le Président de l'autre endroit a poursuivi en disant ce qui suit, et je cite :

En d'autres mots, dans le cadre de son mandat actuel, l'Agence impose déjà des exigences en matière de dépôt et diffuse des renseignements au public.

M. Brian McCauley, sous-commissaire adjoint de la Direction générale de la politique législative et des affaires réglementaires de l'Agence du revenu du Canada, a indiqué ce qui suit lors de la séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce le 23 mai 2013, et je cite :

Nous croyons comprendre que ce projet de loi vise à fournir des renseignements qui seraient disponibles au public. Il existe d'autres dispositions dans la Loi de l'impôt sur le revenu qui nous obligent à faire cela [...]

La sénatrice Bellemare, quant à elle, a souligné ce qui suit, et je cite :

Le projet de loi C-377 exige une recommandation royale, car les activités prévues au chapitre de la cueillette de renseignements n'ont aucune conséquence fiscale.

Elle a poursuivi en disant ce qui suit :

Cela ne constitue pas une extension des activités de l'Agence du revenu du Canada s'appliquant aux organismes de bienfaisance qui ont des conséquences fiscales.

Cependant, M. Ted Gallivan, directeur général de la Direction des déclarations des entreprises, Direction générale des services de cotisation et de prestations de l'Agence du revenu du Canada, a indiqué, au cours de la réunion du Comité des banques évoquée plus tôt, et je cite :

Nous étudions cette mesure sous l'optique de la divulgation et non pas à des fins d'administration fiscale ou d'évaluation fiscale. Depuis cinq ans, nous avons procédé à trois mesures : une sur le bois d'œuvre, une sur la déclaration de renseignements des sociétés de personne et une troisième sur les institutions financières désignées particulières. Ces trois mesures ont été effectuées dans ma section et l'installation de la TI a coûté environ 2 millions de dollars.

Honorables collègues, les représentants de l'Agence du revenu sont d'avis que le projet de loi C-377 semble relever de leur mandat. La sénatrice Bellemare a fait valoir que des changements sont survenus depuis que le Président de la Chambre des communes a rendu sa décision en décembre 2012. Permettez-moi d'être en désaccord avec cela. Pour ce qui est de savoir si ce projet de loi relève du mandat actuel de l'Agence du revenu, je souligne qu'aucun changement n'a été apporté au mandat de l'Agence du revenu du Canada ni à la teneur du projet de loi C-377. En conséquence, la décision du Président s'applique toujours.

Le deuxième point de la sénatrice Bellemare porte sur les coûts de mise en œuvre du projet de loi qui, selon elle, pourraient atteindre 139 millions de dollars la première année et, par la suite, 38,4 millions de dollars par année.

Monsieur le Président, j'ignore comment la sénatrice Bellemare a fait ses calculs, mais les chiffres de l'Agence du revenu sont tout à fait différents. L'agence a répété à plusieurs reprises — et vient de le réitérer publiquement — que le coût de la mise en œuvre de ce projet de loi s'établirait à 1,2 million de dollars par année au cours des deux premières années, et à 800 000 $ par année par la suite dans le cas de 1 000 organisations. Par ailleurs, il en coûterait 2,6 millions de dollars par année pour les deux premières années, et 1,5 million de dollars par année par la suite pour 16 000 organisations.

La sénatrice Bellemare a également indiqué que, si les mesures contenues dans le projet de loi sont mises en œuvre, les organisations ouvrières devront augmenter les cotisations syndicales pour se conformer à la nouvelle loi. Or, cela n'est que spéculation et, en toute franchise, si les organisations ouvrières procèdent ainsi, cela témoignera d'une piètre gestion de leur part. Selon le ministère des Finances, des cotisations syndicales évaluées à environ 860 millions de dollars ont été déduites dans les déclarations de revenus en 2012. Il s'agit d'une somme importante. Si les gouvernements peuvent trouver le moyen de déplacer des fonds pour répondre à de nouvelles demandes, les syndicats peuvent le faire aussi.

Honorables sénateurs, je trouve cet argument pour le moins étrange. À en croire les représentants des syndicats, se conformer à la nouvelle loi n'entraînerait pas de coûts supplémentaires. Les chefs syndicaux ont dit qu'ils fournissent déjà à leurs membres des rapports exhaustifs de toutes leurs dépenses. Si cela est vrai, les exigences du projet de loi C-377 portant sur les mêmes renseignements ne devraient pas représenter un fardeau supplémentaire.

Honorables sénateurs, le point le plus important de cette argumentation est que l'Agence du revenu a déjà confirmé qu'elle mettra en œuvre le projet de loi C-377 dans le cadre de son budget annuel.

Enfin, selon la sénatrice Bellemare, il y a un lien entre la Loi sur l'équilibre budgétaire et les coûts associés au projet de loi C-377. Je l'invite à relire mes arguments sur la question des coûts, et je précise que, si l'Agence du revenu confirme qu'elle peut mettre en œuvre les nouvelles mesures législatives en respectant son budget actuel, cela signifie que l'équilibre budgétaire sera maintenu et que le projet de loi n'aura aucune incidence sur la Loi sur l'équilibre budgétaire.

Je remets également en cause un rappel au Règlement qui est fondé sur un projet de loi qui n'a pas encore été adopté par le Parlement. Monsieur le Président, compte tenu de tout ce que nous avons entendu aujourd'hui, je vous exhorte à vous prononcer contre ce rappel au Règlement et à nous laisser procéder immédiatement à la troisième lecture du projet de loi C-377.

Des voix : Bravo!

L'honorable Diane Bellemare : Monsieur le Président, je vous exhorte à exiger la recommandation royale, sinon nous contreviendrons à l'article 7 de la Loi sur la gestion des finances publiques et de la Politique sur la structure de la gestion, des ressources et des résultats, entrée en vigueur le 23 février 2010.

(1810)

Honorables sénateurs, vous savez que la gestion des crédits a beaucoup changé depuis 1867. Vous savez sûrement que le Comité sénatorial permanent des finances nationales étudie ce dossier de manière détaillée et que le Conseil du Trésor a une approche très rigoureuse quant à la gestion des crédits. Ainsi, chaque ministère et agence doit déposer chaque année une architecture d'alignement des programmes, c'est-à-dire un répertoire de tous les programmes entrepris par les ministères. Ces programmes sont présentés selon les liens logiques qui existent entre eux et selon leurs liens avec les résultats stratégiques auxquels ils contribuent.

L'architecture de programmes est le document initial qui sert à établir la structure de la gestion, des ressources et des résultats. En d'autres mots, honorables sénateurs, chaque ministère doit présenter ses programmes, qui sont liés à sa mission fondamentale, et, à l'intérieur de chacun des programmes, chaque ministère énumère les crédits et les ressources humaines dont il a besoin.

Le Conseil du Trésor doit adopter cette architecture de programmes qui est liée aux résultats stratégiques, lesquels sont des objectifs clairs et précis, liés à la mission du ministère. De plus, aucun changement important ne peut être apporté à cet alignement de programmes sans devoir passer par le Conseil du Trésor. Dans ce contexte, l'adoption du projet de loi C-377 incorpore un nouveau résultat stratégique pour l'Agence du revenu et l'oblige donc à faire approuver cette initiative par le Conseil du Trésor, car elle n'aura pas les crédits nécessaires pour gérer les mesures contenues dans le projet de loi C-377.

Permettez-moi de vous dire également, honorables sénateurs, que, dans le contexte de ce projet de loi, le Président Milliken a déjà rendu une décision en 2007 qui a été utilisée par le Président de la Chambre des communes, Andrew Scheer : ce n'est pas le fait d'exercer une activité comme la collecte de renseignements qui fait en sorte que l'agence n'aura pas besoin d'une recommandation royale. L'activité d'un ministère doit être liée aux résultats stratégiques, et c’est ce que prévoit la politique dont je vous parlais plus tôt.

Toutes les activités d'un ministère sont des opérations ou des processus internes qui visent à utiliser des intrants pour produire des extrants, qui sont les résultats stratégiques. Le Conseil du Trésor précise, par exemple, que la formation, la recherche, la construction, la négociation, les enquêtes et les sondages sont des intrants, des activités qui, en soi, n'ont rien à voir avec le mandat d'une organisation. Ce ne sont pas ces intrants qui définissent le mandat proprement dit de l'agence. Le mandat de l'agence est clair : c'est la gestion des taxes et des impôts et la préservation de l'intégrité fiscale.

D'ailleurs, honorables sénateurs, si vous consultez le rapport sur les Plans et priorités de l'Agence du revenu, vous verrez tous les résultats stratégiques qui y sont énumérés, en plus des programmes qui y sont associés. Il n'est question nulle part de la reddition de comptes des organisations ouvrières.

Le sous-programme des organismes de bienfaisance est classé dans le programme de l'aide aux contribuables et aux entreprises et vise à aider les contribuables à déterminer s'ils peuvent faire un don à un organisme de bienfaisance donné, parce que cet organisme de bienfaisance remet des reçus d'impôt. Dans tous les autres programmes, selon les résultats stratégiques qui y sont associés, il n'est question nulle part de reddition de comptes.

Ainsi, je vous prie, honorables sénateurs, d'exiger la recommandation royale. Dans ce contexte, elle est nécessaire, parce que le ministère ou l'agence en question sera hors-la-loi et ne pourra pas créer un sous-programme dans le cadre d'un résultat stratégique qui n'existe pas. Cet organisme devra obtenir l'approbation du Conseil du Trésor pour recevoir les crédits nécessaires. Je n'insisterai pas sur l'évaluation des coûts potentiels du projet de loi C-377, car mes collègues en ont parlé et plusieurs débats ont porté sur ce sujet. La question n'est pas là. La question est de savoir si le projet de loi C-377 correspond au mandat de l'Agence du revenu du Canada; or, il ne correspond pas à son mandat. Concrètement, cela ne correspond à aucun résultat stratégique ou programme de cette organisation qui aurait été accepté par le Conseil du Trésor.

L'agence devra donc faire demande auprès du Conseil du Trésor pour faire accepter à nouveau une architecture de programmes. Il faudra qu'un ministre s'en charge, car une mesure administrative ne suffira pas. Voilà ce que je voulais vous répondre.

Son Honneur le Président : Je remercie tous les sénateurs qui ont participé au débat. J'ai suffisamment d'arguments pour en arriver à une conclusion dans les jours qui suivront.

[Traduction]

La Loi canadienne sur les droits de la personne
Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Vingt-quatrième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles—Motion d'amendement—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénateur Runciman appuyée par l'honorable sénatrice Batters, tendant à l'adoption du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne et le Code criminel (identité de genre), avec amendements), présenté au Sénat le 26 février 2015;

Et sur la motion d'amendement de l'honorable sénateur Mitchell, appuyée par l'honorable sénatrice Dyck, que le vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles ne soit pas maintenant adopté, mais qu'il soit modifié par suppression de l'amendement no 3.

L'honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, j'interviens aujourd'hui à propos de l'amendement du sénateur Mitchell au projet de loi C-279, qui vise à modifier le rapport relatif au projet de loi dûment adopté par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le rapport du comité renferme en effet un amendement proposé par le sénateur Plett qui permettrait de restreindre l'accès aux installations fédérales non unisexes dans le but de protéger des personnes en situation de vulnérabilité. Le sénateur Mitchell vous demande maintenant de supprimer l'amendement du sénateur Plett, pourtant dûment adopté par la majorité des sénateurs qui siègent au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le sénateur Mitchell dénonce le fait que les amendements proposés par le comité retardent l'adoption du projet de loi C-279. Ce qu'il omet de mentionner, toutefois, c'est que les membres libéraux du comité ont voté dans le même sens que leurs homologues conservateurs pour faire adopter deux de ces groupes d'amendements et que, compte tenu de ces amendements acceptés à l'unanimité, le projet de loi C-279 doit, de toute façon, être renvoyé à la Chambre des communes, que l'amendement du sénateur Plett relatif aux installations non unisexes soit adopté ou non.

Les amendements proposés dans notre rapport, qui ont été approuvés à l'unanimité au comité, concernent certaines questions de première importance. Tout d'abord, nous avons supprimé la définition d' « identité de genre » incluse dans le projet de loi. L'avocat Michael Crystal, qui s'est dit en faveur du projet de loi quand il a témoigné devant notre comité, a néanmoins reproché à la définition d'identité de genre figurant dans le projet de loi — je reprends ses mots — d'avoir une portée trop grande, d'être incomplète et de n'être même pas nécessaire. En outre, il a fait valoir que, en général, on évite d'inclure des définitions dans les lois concernant les droits de la personne, en partie parce que si on définit un motif de discrimination, on en exclut forcément d'autres qui échappent à la définition stricte donnée.

Il vaut également la peine de signaler que, des provinces et territoires du Canada qui protègent l'identité de genre par voie législative — il y en a au moins cinq —, aucun ne définit l'expression dans ses lois. Les sénateurs libéraux membres du comité ont tous appuyé l'amendement prévoyant la suppression de la définition d'identité de genre du projet de loi.

Les sénateurs libéraux membres du comité ont également appuyé une disposition de coordination concernant le projet de loi C-13, qui porte sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité et qui a récemment été adopté par le gouvernement fédéral. Ce projet de loi incluait le sexe dans la liste des caractéristiques protégées en vertu des dispositions du Code criminel relatives au crime haineux. Or, comme il a été adopté en premier et que le motif du sexe ne figure pas dans le projet de loi d'initiative parlementaire C-279, présenté par un député néo-démocrate, l'adoption du projet de loi C-279 tel quel irait à l'encontre de cet important changement. Il était, par conséquent, nécessaire d'amender le projet de loi C-279 afin qu'il y soit précisé que le sexe est également protégé dans le Code criminel contre les propos et les crimes haineux. Autrement, les femmes ne seraient pas protégées contre des actes haineux déplorables. C'est, de toute évidence, une conséquence qui n'est pas voulue, mais qui a une incidence considérable.

Nous voilà donc avec une mesure législative qui est d'ores et déjà destinée à retourner à l'autre endroit, parce qu'elle pose quelques problèmes sérieux. Il est donc malhonnête de la part du sénateur Mitchell de soutenir que les conservateurs retardent l'étude de ce projet de loi alors que des membres de son caucus et lui-même ont convenu que le projet de loi C-279 doit être renvoyé à la Chambre des communes pour une étude plus approfondie. Par ailleurs, comme le sénateur Plett l'a déjà souligné, aucun des sénateurs libéraux qui siègent au Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles n'a ajouté la moindre observation au rapport du comité sur cette question lorsqu'on lui en a donné l'occasion. Le sénateur Mitchell a plutôt choisi de ralentir l'étude de ce projet de loi en proposant que ce rapport soit modifié par suppression de l'amendement proposé par le sénateur Plett, alors qu'il a déjà été adopté par la majorité des membres du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

(1820)

Si nous n'étions pas occupés à débattre aujourd'hui de l'amendement du sénateur Mitchell, nous en serions peut-être à l'étape de la troisième lecture en ce moment. Honorables collègues, j'espère que vous vous joindrez à moi pour rejeter l'amendement du sénateur Mitchell qui vous demande d'aller à l'encontre de la volonté du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur la sécurité ferroviaire

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Ajournement du débat

L'honorable Donald Neil Plett propose que le projet de loi C-627, Loi modifiant la Loi sur la sécurité ferroviaire (sécurité des personnes et des biens), soit lu pour la deuxième fois.

— Merci, honorables collègues. Je serai bref. Honorables collègues, alors que nous poursuivons notre étude sur l'amélioration de la sécurité ferroviaire, c'est pour moi un privilège de prendre la parole aujourd'hui au sujet du projet de loi C-627, Loi modifiant la Loi sur la sécurité ferroviaire, puisqu'il reflète la volonté du gouvernement de faire de notre pays un chef de file mondial en matière de sécurité.

Ce projet de loi propose de modifier la Loi sur la sécurité ferroviaire afin de mieux protéger les personnes et les biens contre les risques liés aux activités ferroviaires.

La députée qui parraine le projet de loi, soit Joyce Bateman, députée de Winnipeg-Centre-Sud, s'est engagée à veiller personnellement à la sécurité des familles et des collectivités de sa circonscription et de l'ensemble du Canada. Les Canadiens partagent ses préoccupations.

Comme on le sait, en raison de la tragédie de Lac-Mégantic et d'autres accidents ferroviaires, les Canadiens portent une attention beaucoup plus marquée au nombre de trains qui traversent leur collectivité et à la cargaison souvent dangereuse qu'ils transportent.

Quand elle a expliqué à l'autre endroit ce qui l'avait amenée à présenter ce projet de loi, Mme Bateman a parlé d'une dame dont le fauteuil roulant était resté coincé à un passage à niveau. Un passant est heureusement venu à son secours. Cet incident est à l'origine du projet de loi C-627, qui modifierait la Loi sur la sécurité ferroviaire. Les modifications proposées visent à protéger les personnes et les biens en cas d'accidents pouvant survenir sur la voie ferrée ou aux passages à niveau.

Le projet de loi se concentre sur deux aspects. Premièrement, il propose d'expliquer plus clairement que certaines personnes ont le droit d'intervenir pour protéger la sécurité des personnes et des biens.

Deuxièmement, il propose de conférer au ministre des Transports le pouvoir d'ordonner certaines actions s'il estime qu'il existe une menace importante à la sécurité des personnes ou des biens ou à l'environnement.

Voici un survol rapide des modifications proposées. Le projet de loi propose de modifier la Loi sur la sécurité ferroviaire en donnant au ministre le pouvoir de rendre sans effet l'opposition à une installation ferroviaire proposée, s'il est convaincu que l'installation en question est d'intérêt public. Il élargit le pouvoir de l'inspecteur de la sécurité ferroviaire afin qu'il puisse limiter les activités d'une compagnie de chemin de fer lorsque ces activités risquent de compromettre la sécurité des personnes ou des biens. Il crée un nouvel arrêté ministériel afin que le ministre puisse ordonner à une compagnie de prendre les mesures correctives nécessaires si une activité exercée dans le cadre de l'exploitation ferroviaire est une menace importante à la sécurité des personnes ou des biens ou à l'environnement. Enfin, si un arrêté ministériel promulgué en raison d'une menace importante fait l'objet d'une requête en révision auprès du Tribunal d'appel des transports du Canada, il demeurera en vigueur pendant le processus d'appel.

Dans l'éventualité où une ordonnance du ministre des Transports serait portée en appel, ce dernier amendement vise à assurer que l'action visée par l'ordonnance soit exécutée et non interrompue jusqu'au règlement de l'appel. En d'autres mots, l'examen peut suivre son cours, mais l'ordonnance reste en vigueur et doit être exécutée.

Bien que ces amendements puissent sembler anodins, l'effet qu'ils peuvent avoir pour améliorer la sécurité ferroviaire ne devrait pas être sous-estimé.

Le projet de loi permet de préciser et d'accroître la capacité du ministre des Transports et de ses fonctionnaires d'effectuer une surveillance et une application rigoureuses des dispositions relatives à la sécurité des chemins de fer fédéraux. Il précise en outre que la sécurité ferroviaire qu'il couvre englobe la sécurité des personnes et des biens.

Le projet de loi C-627 vient compléter le projet de loi du gouvernement C-52, Loi modifiant la Loi sur les transports au Canada et la Loi sur la sécurité ferroviaire, puisque les deux sont alignés sur les objectifs de la Loi sur la sécurité ferroviaire.

De façon plus spécifique, le projet de loi C-52 confère de nouveaux pouvoirs aux inspecteurs de la sécurité ferroviaire en leur permettant de transmettre un avis ou un avis accompagné d'un ordre à toute personne ou toute compagnie dont les activités ferroviaires sont touchées par la menace. Par contre, dans ce cas particulier, le libellé indique que la menace se limite aux activités ferroviaires.

Aux termes du projet de loi C-627, l'inspecteur de la sécurité ferroviaire est en mesure de transmettre un avis ou un avis accompagné d'un ordre si les activités ferroviaires sont touchées par une menace qui compromet les activités ferroviaires ou la sécurité des personnes ou des biens.

De plus, le projet de loi C-52 autorise le ministre à ordonner, par arrêté, à une compagnie, à une autorité responsable du service de voirie ou à une municipalité d'apporter des mesures correctives, de suivre des procédures ou de cesser une activité, selon ce qu'il aura jugé nécessaire de faire et qu'il aura précisé pour assurer la sécurité ferroviaire.

Le projet de loi dont nous sommes saisis donne au ministre un nouveau pouvoir lui permettant d'ordonner la prise de mesures correctives lorsqu'il y a une menace importante à la sécurité des personnes ou des biens ou à l'environnement.

La ministre des Transports nous a confirmé que le gouvernement appuie le projet de loi, et je signale aux honorables sénateurs que le projet de loi C-52 renferme des dispositions afin que, si jamais les deux mesures législatives reçoivent la sanction royale, leur entrée en vigueur soit harmonisée.

Je presse mes honorables collègues de donner à la ministre et aux inspecteurs de la sécurité ferroviaire le pouvoir dont ils ont besoin pour faire du réseau ferroviaire canadien le réseau le plus sûr du monde. J'invite chacun d'entre vous à appuyer le projet de loi C-627, qui représente un pan important de la stratégie globale du gouvernement visant à améliorer la sécurité ferroviaire.

(Sur la motion du sénateur Eggleton, le débat est ajourné.)

Règlement, procédure et droits du Parlement

Motion tendant à autoriser le comité à examiner des changements au Règlement et aux pratiques du Sénat pour faire en sorte que les délibérations du Sénat concernant les mesures disciplinaires à l'endroit des sénateurs et d'autres personnes respectent l'application régulière de la loi—Suite du débat

L'ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l'honorable sénatrice McCoy, appuyée par l'honorable sénateur Rivest,

Que le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement soit autorisé à examiner, afin d'en faire rapport, des changements au Règlement et aux pratiques du Sénat qui, tout en reconnaissant l'indépendance des organes parlementaires, feront en sorte que les délibérations du Sénat concernant les mesures disciplinaires à l'endroit des sénateurs et d'autres personnes respectent l'application régulière de la loi et tiennent compte, de façon générale, des autres droits, notamment ceux garantis par la Déclaration canadienne des droits et la Charte canadienne des droits et libertés;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 30 novembre 2014.

L'honorable Stephen Greene : J'aimerais ajourner le débat pour le reste du temps de parole dont je dispose.

(Sur la motion du sénateur Greene, le débat est ajourné.)

(1830)

[Français]

Question de privilège

Décision de la présidence

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, j'aimerais soulever une question de privilège, chose que je n'ai jamais faite avant aujourd'hui, durant toutes mes années au service des Canadiens et des Canadiennes. La situation est, en effet, grave pour notre institution, qui est déjà passablement attaquée par des médias, des personnalités et des partis politiques de toutes sortes.

Alors que le rapport du vérificateur général sur les dépenses du Sénat ne devait être révélé publiquement qu'aujourd'hui, vers 14 h 5, selon le communiqué du Président du Sénat du 8 juin 2015, de nombreuses fuites ont fait en sorte que des renseignements confidentiels qui étaient sous embargo ont fait les manchettes des journaux et des médias en ligne, ainsi que des nouvelles télévisées. Ces révélations ne cessent de prendre de l'ampleur depuis six jours et comprennent moult détails, comme le nom des sénateurs supposément concernés, les montants d'argent qui seraient contestés par le vérificateur et la liste des sénateurs dont le dossier serait transmis à la Gendarmerie royale du Canada.

Ces fuites portent atteinte au droit fondamental de la présomption d'innocence de tous les sénateurs, ainsi qu'à un processus juste et équitable pour leur défense. En outre, elles causent un préjudice inouï à notre vénérable institution, entravant son bon fonctionnement et minant sa crédibilité.

Il est manifeste que des sénateurs, quels qu'ils soient ou quelle que soit leur allégeance politique, se sont sentis pris au piège et ont été tenus au silence par l'obligation de ne pas commenter le rapport du vérificateur général jusqu'à ce qu'il soit rendu public, tout en constatant que leur nom était donné en pâture aux médias et aux crieurs aux loups de toute nature.

Cette situation est dramatique, car elle porte atteinte à une institution qui a une légitimité constitutionnelle, un rôle éminemment important à jouer dans la vie des Canadiennes et des Canadiens, et qui a tellement contribué, sans toutefois recueillir la reconnaissance qu'elle mérite.

Le Sénat devra se relever, et cela passe par une pleine compréhension de ce qui s'est passé et par la mise en lumière des responsabilités liées à ces fuites, car je considère qu'il y a, pour le moins, entrave au déroulement du travail parlementaire, voire potentiellement outrage au Parlement.

D'après Joseph Maingot, dans son l'ouvrage intitulé Le privilège parlementaire au Canada, et je cite :

Toute indiscrétion commise dans l'enceinte du Parlement contre un député ou sénateur peut également donner lieu, à première vue, à une question de privilège. C'est notamment le cas de l'interception d'une communication privée dans l'enceinte du Parlement.

Par ailleurs, permettez-moi de vous rappeler, honorables sénateurs, que le Sous-comité sur le privilège parlementaire du Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement a publié un rapport, en janvier dernier, intitulé Une question de privilège : Document de travail sur le privilège parlementaire au Canada au XXIe siècle.

Selon ce rapport, et je cite :

Il n'existe pas de définition précise des types d'offenses pouvant constituer une atteinte au privilège ou un outrage qui pourraient inciter le Parlement à porter des accusations et à imposer des sanctions. Une telle absence de précision était acceptée, auparavant, à l'ère des droits et de la primauté du droit, mais cela devient de plus en plus problématique.

Toutefois, le comité précise ce qui suit dans son rapport :

Il va sans dire que les parlementaires doivent être en mesure de travailler dans un climat libre de toute obstruction, ingérence et intimidation afin de servir la population efficacement. Toutefois, il faut faire la distinction entre les formes d'obstruction par des moyens physiques — comme des barrages, des cordons de sécurité et des piquets de grève — et l'obstruction par des moyens non physiques, comme l'atteinte à la réputation d'un député. Les deux types peuvent soulever des questions de privilège.

Enfin, en ce qui concerne les mesures disciplinaires, le rapport mentionne ce qui suit :

En règle générale, les pouvoirs de prendre des mesures disciplinaires sont exercés contre des parlementaires et des non-parlementaires dans les cas d'outrage au Parlement ou d'entrave au déroulement des travaux parlementaires. Il est essentiel que le Parlement ait le pouvoir de sanctionner les outrages pour bien s'acquitter de ses responsabilités. Son pouvoir de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre des députés n'est généralement pas contesté et se manifeste de bien des façons.

Honorables sénateurs, les quatre critères à remplir pour que la priorité soit accordée à ma question de privilège sont énumérés au paragraphe 13-2(1) du Règlement. Les second et troisième critères stipulent que la question de privilège doit se rapporter « directement aux privilèges du Sénat, d'un de ses comités ou d'un sénateur », et qu'elle doit viser à « corriger une atteinte grave et sérieuse ». Comme je l'ai expliqué, l'atteinte est historiquement grave et concerne directement les privilèges de notre institution, ainsi que ceux des sénateurs individuellement.

Le dernier critère précise que la réparation « ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire ». Or, honorables sénateurs, il n'existe aucune autre procédure qui permettrait de comprendre et de sanctionner l'origine de ces fuites, d'autant plus que nous en sommes aux dernières semaines de la législature.

Enfin, le premier critère stipule que la question de privilège doit être « soulevée à la première occasion ».

Comme vous le savez, le rapport du vérificateur général a été transmis à la présidence du Sénat jeudi dernier et, aujourd'hui, mardi, j'ai véritablement, pour la première fois, l'occasion de soulever cette question de privilège.

En conclusion, honorables sénateurs, la fuite d'un rapport confidentiel, qui a pour effet de piéger des sénateurs sans leur donner la possibilité de s'expliquer pendant près de six jours, jette un discrédit sans précédent sur notre institution, ainsi que sur la réputation et le travail de tous les sénateurs.

Si Son Honneur conclut que la question de privilège paraît fondée à première vue, je suis prête à présenter en conséquence une motion visant à mettre en place une enquête indépendante sur ces fuites.

L'honorable Claude Carignan (leader du gouvernement) : Est-ce que la sénatrice Hervieux-Payette accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Hervieux-Payette : Oui.

Le sénateur Carignan : J'ai été l'une des premières victimes de cette fuite, jeudi dernier. Le Président, le leader de l'opposition et moi avons été témoins d'une fuite alléguant que nous étions mentionnés dans le rapport, ce qui m'a causé énormément d'embarras.

Croyez-vous, à part votre question de privilège, que nous pourrons identifier la source directe qui est à l'origine de la fuite de ces éléments du rapport?

La sénatrice Hervieux-Payette : Écoutez, j'ai aussi vu les photos en première page du Globe and Mail, et, tout comme vous, le Président et le sénateur Cowan, je n'en étais pas très heureuse.

Je crois que nous devons faire preuve de diligence, donc ne pas attendre trop longtemps pour faire enquête et prendre les mesures nécessaires que le Président recommandera. Cependant, il est important d'aller au fond des choses. Compte tenu du petit nombre de personnes qui ont reçu le rapport jeudi dernier, il y a certainement, quelque part, une enquête à faire et un rapport à présenter au Sénat.

Son Honneur le Président : Est-ce que d'autres sénateurs désirent prendre la parole sur cette question de privilège?

[Traduction]

Je déclare que la question de privilège paraît fondée à première vue.

[Français]

Motion de renvoi au Comité du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

L'honorable Céline Hervieux-Payette : Honorables sénateurs, conformément au paragraphe 13-6(1) du Règlement, je propose :

Que ce cas de privilège, qui concerne les fuites du rapport du vérificateur général sur son audit du Sénat, soit renvoyé au Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement pour qu'une enquête indépendante soit ordonnée et un rapport rendu public dans les meilleurs délais.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(1840)

Affaires sociales, sciences et technologie

Autorisation au comité de siéger pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie, conformément au préavis donné le 2 juin 2015, propose :

Qu'en conformité avec l'article 12-18(2)b)(i) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé à se réunir du mardi 4 août 2015 au vendredi 28 août 2015, inclusivement même si le Sénat est ajourné à ce moment pour une période de plus d'une semaine.

— Honorables collègues, le fondement de cette motion est que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie complétera son étude sur l'obésité ce mois-ci — du moins, nous l'espérons. Cette motion vise simplement à nous donner la possibilité de tenir une réunion du comité en août, afin d'approuver le rapport qui sera déposé au Sénat.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Autorisation au comité de déposer le rapport sur l'incidence croissante de l'obésité auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie, conformément au préavis donné le 2 juin 2015, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur l'incidence croissante de l'obésité au Canada durant la période allant du 7 août au 4 septembre 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

— Honorables collègues, cette motion nous donne simplement la possibilité de déposer le rapport au Sénat.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Droits de la personne

Autorisation au comité de déposer son rapport sur l'examen des mécanismes internationaux visant à accroître la coopération pour régler les disputes familiales transfrontalières auprès du greffier pendant l'ajournement du Sénat

L'honorable Mobina S. B. Jaffer, conformément au préavis donné le 3 juin 2015, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat son rapport sur l`étude de la convention de La Haye sur l'enlèvement durant la période allant du 29 juin 2015 au 4 septembre 2015, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

— Honorables sénateurs, le Comité des droits de la personne a examiné le rapport et l'a approuvé, mais des illustrations doivent y être intégrées. Les responsables des communications nous informent que 12 ou 13 rapports seront publiés en juin, sauf erreur de ma part quant au nombre exact. Quoi qu'il en soit, ils n'auront pas le temps de travailler à la préparation de notre rapport, dont nous devrons attendre la version finale quelque temps. C'est la raison pour laquelle nous vous demandons de nous permettre de déposer notre rapport au Sénat pendant l'ajournement.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

Affaires sociales, sciences et technologie

Autorisation au comité de reporter la date du dépôt de son rapport final sur l'incidence croissante de l'obésité

L'honorable Kelvin Kenneth Ogilvie, conformément au préavis donné le 4 juin 2015, propose :

Que, par dérogation à l'ordre adopté par le Sénat le mercredi 26 février 2014, la date pour le rapport final du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie sur l'incidence croissante de l'obésité au Canada soit reportée du 30 juin 2015 au 30 septembre 2015.

— Honorables sénateurs, cette motion autorisera le comité à poursuivre son étude au-delà de la période prévue dans les deux motions précédentes.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : D'accord.

(La motion est adoptée.)

(La séance est levée, et le Sénat s'ajourne au mercredi 10 juin 2015, à 13 h 30.)

© Sénat du Canada

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