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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 161

Le jeudi 23 novembre 2017
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 23 novembre 2017

La séance est ouverte à 13 h 30, le Président étant au fauteuil.

Prière.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée nationale de l’enfant

L’honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, nous soulignions le 20 novembre était la Journée mondiale de l’enfance — la Journée nationale de l’enfant au Canada. C’est à cette date que la Convention relative aux droits de l’enfant a été adoptée à l’unanimité par les Nations Unies en 1989.

La Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU constitue un cadre précieux pour assurer que les enfants puissent vivre, se développer et s’épanouir. Pour éliminer les iniquités sociales et respecter les droits des enfants, il faut d’abord en faire le choix. Si le Canada a fait ce choix lorsqu’il a ratifié la convention en décembre 1991, il ne respecte pas ses obligations envers tous les enfants du pays.

La Journée nationale de l’enfant nous rappelle tout ce qui a été accompli au chapitre des droits des enfants, mais elle nous fait aussi penser à tout ce qui reste à faire, plus particulièrement en ce qui concerne les plus vulnérables, comme les enfants autochtones ou les enfants atteints de déficiences physiques ou intellectuelles.

Selon UNICEF Canada, le Canada se classe au 25e rang sur 41 pays riches relativement au bien-être de l’enfant. Pensons-y, 25e. C’est honteux. Le Canada doit en faire plus pour respecter son engagement envers les enfants. Selon l’article 6 de la convention, tout enfant a un droit inhérent à la vie. Les gouvernements doivent assurer la survie et le développement sain de l’enfant.

Les soins de santé et les services de santé mentale, l’accès à des aliments nutritifs et à l’eau potable, de même que les services d’éducation ne sont pas les mêmes partout au pays. C’est pourquoi, avec bon nombre d’autres sénateurs, je continue de travailler en vue de la création d'un commissariat national à l’enfance et à l’adolescence au Canada. Cela permettrait d’offrir des chances égales à tous les enfants du pays. Ainsi, peu importe le milieu économique ou social dans lequel ils naissent, ils auront la possibilité de réussir et de se réaliser pleinement.

Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies recommande que les pays se dotent d’un commissariat à l’enfance. Le Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes a formulé la même recommandation. Deux anciens députés ont présenté des projets de loi visant à créer le commissariat à l’enfance. Le Comité sénatorial des droits de la personne, dirigé alors par la sénatrice Raynell Andreychuk, a aussi formulé la même recommandation dans son rapport de 2007 intitulé Les enfants : des citoyens sans voix. Nous devons remplir nos engagements envers les jeunes Canadiens, et la création du commissariat national à l’enfance serait un bon début.

Aujourd’hui, je pense aux dizaines de milliers d’enfants canadiens qui n’ont pas eu de petit déjeuner ce matin. Imaginez que, dans un pays comme le Canada, des enfants vivent dans la pauvreté et que des familles ne peuvent pas subvenir à leurs besoins fondamentaux. Le Canada devrait avoir honte.

Au cours des deux derniers jours, le Sénat a ouvert ses portes et a tenu des activités pour souligner la Journée nationale de l’enfant. Honorables sénateurs, 300 étudiants ont occupé ces sièges. Ils ont parlé de leurs expériences et de leurs droits en tant que jeunes, ainsi que de la possibilité d’apprendre les uns des autres. Ce fut inspirant de voir l’optimisme et la motivation qui animent ces jeunes.

Je me suis rendu compte à quel point ces jeunes sont chanceux, mais aussi que nous ne pouvons pas permettre que des enfants soient laissés pour compte. Tout près du Parlement, on peut trouver des endroits où des gens n’ont pas de petit déjeuner le matin ou ne peuvent pas bien s’alimenter. Il suffit d’aller au coin de la rue. Il n’est pas nécessaire de traverser le pays. Cette situation me choque.

Il s’agit de l’un des engagements les plus importants qu’une société peut prendre envers ses enfants. Honorables sénateurs, l’adage dit ceci : on peut chercher à s’assagir en vieillissant tout en continuant à regarder le monde avec des yeux d’enfant.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’un groupe de récipiendaires de la médaille du 150e. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Moncion.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La médaille commémorative du Sénat

L’honorable Lucie Moncion : Monsieur le Président, honorables collègues, dans le cadre des festivités visant à souligner le 150e anniversaire du Sénat, nous avons tous été invités à nommer 12 personnes qui ont apporté une contribution importante à la vie des Canadiennes et des Canadiens. Pour ma part, j’ai choisi de décerner ces médailles à 12 Franco-Ontariennes et Franco-Ontariens exceptionnels, qui, grâce à leur passion et à leur travail, ont contribué à améliorer la vie de leurs concitoyens et ont fait rayonner leurs communautés au-delà de leurs frontières.

Que ce soit dans le domaine des arts, de la culture, de la littérature, de la santé, de l’éducation, des affaires ou du développement social, tous les récipiendaires affichent un parcours remarquable.

Paul-François Sylvestre est un écrivain du sud-ouest de l’Ontario et un critique littéraire. Ce grand Franco-Ontarien compte à son actif plus d’une cinquantaine d’œuvres.

Élizabeth Allard est la première femme à occuper le poste de directeur des langues officielles au sein du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes. Elle a choisi de consacrer son temps à travailler à la reconnaissance des droits et au mieux-être des personnes âgées et des retraités de l’Ontario et du Canada.

Léo Therrien, un humaniste avant tout, est un travailleur social qui a consacré plus de 20 ans de sa vie à s’occuper des autres et, plus particulièrement, de l’amélioration des conditions de vie des personnes en soins palliatifs.

Lucie Hotte, femme de tête et de coeur, est professeure titulaire au département de français de l’Université d’Ottawa. Elle contribue à légitimer l’étude de la culture et de la littérature francophones en milieu minoritaire au Canada et sur la scène internationale.

Philippe Boissonneault est un éducateur de premier plan et un dirigeant engagé bien en vue. Grâce à son implication communautaire et à son leadership, il contribue activement, depuis plus de 35 ans, à l’épanouissement des communautés du Nord de l’Ontario.

Guy Mignault est directeur artistique du Théâtre français de Toronto. Ce grand bâtisseur de pont contribue, depuis plus de 25 ans, à l’épanouissement et à la vivacité de la collectivité artistique de l’Ontario français.

Clermont Duval est artiste peintre, écrivain et illustrateur. Ce résidant de Mattawa est reconnu à l’échelle mondiale et compte plus de 3 000 tableaux et près de 7 000 dessins à son actif.

Pierre Bélanger est un homme d’affaires et un activiste. Ce grand visionnaire contribue, depuis de nombreuses années, à la protection de l’environnement et à la création et à l’épanouissement d’entreprises dans le Nord de l’Ontario.

Mathilde Gravelle-Bazinet, membre du Barreau de l’Ontario, est une éducatrice et une infirmière reconnue. Cette grande dame multiplie les efforts afin de mener à bien un projet d’établissement de soins palliatifs pour la grande région de North Bay et de Parry Sound.

Caroline Arcand est une conférencière éminente, une coach et une leader. Cette grande dame de l’entrepreneuriat social assure la gestion et la rentabilité d’un nombre important d’entreprises sociales qui favorisent l’embauche de personnes qui font face à des défis d’employabilité.

Francine Garon est une femme engagée et une artiste aux doigts de fée. Depuis plus de 30 ans, cette grande dame consacre ses énergies à rehausser la vie artistique et communautaire de la ville de Kapuskasing.

Yaovi Hoyi (Yao) est un jeune auteur-compositeur-interprète et un artiste-entrepreneur pluridisciplinaire. Il consacre une grande partie de ses efforts aux activités de la scène et de l’écriture, et sert de mentor à des artistes en devenir de l’école secondaire De La Salle. Il m’a dit aujourd’hui qu’il faisait ce travail un peu partout au Canada.

Comme vous, je suis fière d’avoir eu le privilège de reconnaître et d’honorer des personnes qui, chacune à leur façon, font du Canada un pays où il fait bon vivre.

Je vous remercie, monsieur le Président, d’avoir accepté de remettre ces médailles, et je vous remercie de votre attention.

Des voix : Bravo!

(1340)

[Traduction]

Le Jour commémoratif de la famine et du génocide ukrainiens (« l’Holodomor »)

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage aux victimes de la famine et du génocide ukrainiens, l’Holodomor, en 1932 et 1933. Chaque année, nous nous rassemblons le quatrième samedi de novembre pour souligner le Jour commémoratif de l’Holodomor, une occasion de se souvenir des millions de personnes qui sont décédées sous l’emprise de l’Union soviétique au cours d’une famine artificielle.

En 1932, en s’inspirant des objectifs d’un programme d’industrialisation ambitieux, Joseph Staline a mis en œuvre un processus brutal de collectivisation de l’agriculture. Des millions de gens sont morts de faim, car ils étaient incapables de remplir des quotas de production céréalière qui ne cessaient d’augmenter. Les personnes qui résistaient étaient arrêtées ou abattues. Comme je l’ai déjà mentionné au Sénat, au plus fort de la famine, les paysans ukrainiens mouraient au rythme effarant de 17 personnes par minute, 1 000 personnes par heure et 25 000 personnes par jour.

Parallèlement, motivés par leur désir de détruire un mouvement de nationalisme ukrainien en plein essor, les Soviétiques ont arrêté les élites politiques et les intellectuels ukrainiens et les ont envoyés dans des prisons soviétiques. Le résultat de ces politiques est décrit succinctement par l’historienne Anne Applebaum dans son récent livre intitulé Red Famine : Stalin’s War on Ukraine :

Ensemble, ces deux politiques — l’Holodomor au cours de l’hiver et du printemps de 1933 et la répression des classes intellectuelle et politique de l’Ukraine dans les mois qui ont suivi — ont provoqué la soviétisation de l’Ukraine et la destruction de l’identité nationale ukrainienne et elles ont réduit à l’impuissance toute opposition ukrainienne à l’unité soviétique.

Je souligne fièrement que, en 2003, le Sénat a adopté à l’unanimité une motion visant à demander au gouvernement du Canada de reconnaître l’Holodomor comme un acte de génocide. Par la suite, le Parlement canadien a adopté la Loi sur le Jour commémoratif de la famine et du génocide ukrainiens (« l’Holodomor ») en 2008.

Honorables sénateurs, dans le même ordre d’idées, profitons de l’occasion pour nous souvenir des victimes de l’Holodomor et pour réaffirmer notre engagement à prévenir des tragédies similaires.

La Journée nationale de l’enfant

L’honorable Sarabjit S. Marwah : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour souligner la Journée nationale de l’enfant, que le Canada a célébrée pour la première fois en 1993. Je pense que tous les Canadiens conviennent qu’il va de soi que nous protégions les éléments les plus vulnérables de la société, en l’occurrence les enfants.

Plusieurs études de la Banque mondiale révèlent que chaque dollar investi dans les enfants permet d’en épargner trois en termes de soins de santé dans l’avenir. Selon l’OMS, préserver la santé pendant l’enfance importe plus qu’à tout autre âge, car un mauvais état de santé au cours des premières années d’existence peut entraîner des troubles perdurant toute la vie. Les faits sont éloquents. Plus on investit dans la santé des enfants, plus nous épargnerons à long terme.

Cependant, certains rapports sur la santé des enfants canadiens sont alarmants. Voici quelques faits. La pauvreté constitue un important déterminant de la santé. Selon le Conference Board du Canada, le Canada a obtenu, un « C », soit une note plutôt décevante au chapitre de la pauvreté chez les enfants, puisqu’il se classe au 15e rang sur 17 pays comparables.

D’après le Bilan de l’UNICEF publié en 2016, qui mesure le bien-être des enfants, le Canada se classe au bas du dernier tiers des pays industrialisés. Le taux de mortalité infantile est universellement reconnu comme un important indicateur du bien-être d’un pays. Or, selon rapport de l’UNICEF, le Canada arrive au 22e rang sur 29, pour ce qui est de la mortalité infantile, et la situation est nettement pire dans certaines collectivités autochtones.

Les troubles mentaux constituent également un problème. Soixante-dix pour cent des troubles de santé mentale se manifestent pendant l’enfance ou l’adolescence. En outre, l’obésité est en augmentation au Canada et elle a une incidence considérable sur la santé des enfants. Toujours dans le rapport de l’UNICEF, le Canada arrive en 27e place sur 29 à ce chapitre. Les enfants obèses risquent davantage de développer des problèmes de santé qui persisteront inévitablement à l’âge adulte.

Honorables sénateurs, ces chiffres sont alarmants et ils devraient servir d’avertissement. Étant donné qu’il est si complexe d’améliorer la santé des enfants, nous devons élaborer un concept révolutionnaire qui rallie tous les décideurs, les gouvernements et les organismes.

J’ai le privilège de présider le conseil d’administration de l’Hôpital pour enfants de Toronto, et les médecins, les scientifiques et les professionnels de la santé tiennent le même discours. Ces intervenants de première ligne constatent de leurs propres yeux à quel point nous ne prenons pas soin des générations futures.

Utilisons la Journée nationale de l’enfant comme cri de ralliement pour renforcer notre détermination et prendre des mesures afin d’avoir une incidence notable et positive sur la vie des enfants.

Comme Nelson Mandela l’a dit un jour, « il ne peut y avoir plus vive révélation de l’âme d’une société [ou d’une nation] que la manière dont elle traite ses enfants ».

Je crois que le Canada est l’un des meilleurs pays du monde. Alors, honorables sénateurs, conjuguons nos efforts afin d’être à la hauteur de notre vraie nature pour notre avenir et pour les enfants.

[Français]

La Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, le 25 novembre prochain, nous soulignerons la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes.

Je souhaite rappeler la pénible réalité que vivent les proches de personnes disparues. Bien souvent, ils sont sans nouvelles de leur femme, de leur sœur ou de leur fille depuis des mois, parfois même des années. Je sais que vous êtes très sensibles à ces drames, particulièrement à ceux qui surviennent dans les communautés autochtones. À chacun des bulletins de nouvelles, leur cœur chavire à la pensée que des restes humains retrouvés puissent être ceux de leur proche. Chaque fois, l’espoir fait place au désespoir et la douleur demeure toujours présente au quotidien.

Sous le gouvernement précédent, j’avais recommandé au ministre de la Sécurité publique, l’honorable Steven Blaney, d’apporter des modifications à la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques. Il fallait, en effet, améliorer l’efficacité des enquêtes sur les personnes disparues en facilitant l’identification des restes humains retrouvés. Le ministre Blaney avait accepté ma recommandation. Le 16 décembre 2014, le gouvernement adoptait la « Loi de Lindsey » en mémoire de Lindsey Nicholls, une jeune femme disparue en Alberta en 1993 qui, tragiquement, n’a jamais été retrouvée.

La loi permet la création de trois nouveaux indices humanitaires fondés sur l’ADN relativement aux personnes disparues, aux proches des personnes disparues et aux restes humains. Ces indices doivent fournir aux enquêteurs les outils supplémentaires nécessaires pour faire progresser les enquêtes sur les personnes disparues et les restes non identifiés et pour aider à fournir des réponses aux familles de personnes disparues, qui sont surtout des femmes et des enfants.

Honorables sénateurs, la Loi de Lindsey a été adoptée il y a presque trois ans. Le gouvernement actuel a tardé à mettre en œuvre la mesure sur les trois indices fondés sur l’ADN. Les projets de l’actuel gouvernement pour accepter les profils d’ADN ont été repoussés jusqu’au printemps 2017. Depuis, il n’y a plus de nouvelles. Cela contribue à perpétuer la souffrance des familles qui sont sans réponse. Pour ces familles qui attendent dans la douleur que soit retrouvé leur proche, mort ou vivant, cet immobilisme est inacceptable.

Honorables sénateurs, joignez vos voix à la mienne afin que le ministre de la Sécurité publique du Canada nous entende et entende ces familles et qu’il mette en œuvre la Loi de Lindsey le plus rapidement possible, car la violence à l’égard des femmes est un fléau au Canada qui persiste encore aujourd’hui. Il est temps que nous gardions à l’esprit la souffrance des victimes, qui sont sans défense ni recours. Gardons à l’esprit la souffrance des familles de ces victimes et exigeons de l’action. Je vous remercie.


[Traduction]

AFFAIRES COURANTES

Le Bureau du Conseil privé

La justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus—Dépôt du règlement

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le Règlement relatif à la la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, conformément à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski), L.C. 2017, ch. 21, art. 5.

(1350)

Modernisation du Sénat

Préavis de motion tendant à autoriser le comité spécial à reporter la date de son rapport final

L’honorable Stephen Greene : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, nonobstant l’ordre du Sénat adopté le lundi 19 juin 2017, la date du rapport final du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat relativement à son étude sur les façons de rendre le Sénat plus efficace dans le cadre constitutionnel actuel soit reportée du 15 décembre 2017 au 29 juin 2018.

[Français]

Le Sénat

Préavis de motion tendant à autoriser la photographie et l’enregistrement vidéo des hommages à feu l’honorable Tobias C. Enverga, Jr.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que des photographes et caméramans soient autorisés à avoir accès à la salle du Sénat pour photographier et enregistrer sur vidéo les hommages rendus à feu l’honorable sénateur Enverga, d’une manière qui perturbe le moins possible les travaux.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

Les finances

L’équité fiscale

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et porte sur un rapport que le directeur parlementaire du budget a publié aujourd’hui. Ce rapport analyse les changements apportés à l’imposition des revenus de placements passifs des sociétés.

D’après ce rapport, la ponction fiscale qui sera imposée aux petites entreprises permettra au gouvernement d’accroître ses recettes de 1 milliard de dollars en un an ou deux.

Voici ma question : pourquoi le gouvernement tient-il autant à imposer aux petites entreprises un ensemble archicomplexe de mesures fiscales, alors que les personnes les plus influentes du Parti libéral ne paient pas leur juste part d’impôt?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question.

Le gouvernement du Canada accueille favorablement le rapport du directeur parlementaire du budget. Ce rapport, comme la question du sénateur l’indique, analyse l’effet des changements que propose le gouvernement. Selon l’analyse effectuée, ces changements seront fortement axés sur un petit nombre de sociétés privées sous contrôle canadien qui détiennent la grande majorité des revenus de placements passifs. Tout en tenant compte des observations dont on lui a fait part pendant les consultations, le gouvernement entend mettre en œuvre ces changements afin de rendre le régime fiscal plus équitable et de réduire le fardeau fiscal des petites entreprises.

On s’attend à ce que le budget de 2018 donne plus de précisions et qu’il comprenne même un avant-projet de loi sur les changements proposés. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons prévoir avec exactitude les répercussions fiscales de ces mesures. Le gouvernement pense que ces mesures généreront beaucoup moins de recettes que les sommes estimées par le directeur parlementaire du budget.

Cependant, le gouvernement a été clair : ce n’est pas un exercice dont le but est de générer des recettes et ce ne l’a jamais été. Les mesures visent à garantir que les riches ne sont pas encouragés à se constituer en personne morale seulement pour pouvoir profiter d’un meilleur taux d’imposition que les personnes de la classe moyenne.

Actuellement, comme le suggère le rapport, il y a plus de 300 milliards de dollars en investissements passifs qui dorment dans les sociétés privées. Ces sommes ne contribuent pas à la croissance des entreprises. Quelque 80 p. 100 de cet argent appartient à la tranche des 2 p. 100 des propriétaires d’entreprise les plus fortunés.

Au moyen des mesures que le gouvernement mettra en œuvre, nous allons créer un seuil annuel de 50 000 $ pour les revenus de placement, ou d’environ 1 million de dollars d’économies, pour que les entreprises puissent toujours économiser afin de faire face aux imprévus ou d’investir plus tard dans la croissance.

Dans le cadre du plan du ministre des Finances, 97 p. 100 des entreprises ne seront pas assujetties à une hausse de l’impôt sur les revenus de placement. Les changements protégeront les placements antérieurs et les revenus qui en sont tirés.

Je pense que qu’il est important pour tous les sénateurs et pour l’ensemble des Canadiens de comprendre que ces encouragements sont en place afin que le capital de risque et les investisseurs providentiels du Canada puissent continuer d'investir dans les prochaines générations de l’innovation canadienne. C’est une question d’équité fiscale.

Le sénateur Smith : Je vous remercie beaucoup de cette réponse.

Juste pour que nous soyons tous sur la même longueur d’onde, disons que le rapport du cabinet du premier ministre indiquait que les gens le plus touchés seront les assureurs, les conseillers financiers, les conseillers en gestion, les courtiers en immeuble, les avocats, les médecins et les professionnels. Je veux seulement m’assurer que nous parlons bien de la même chose. Malheureusement, votre réponse n’était pas très claire à cet égard.

Le gouvernement a présenté des modifications complexes qui nuiront aux petites entreprises et les écraseront sous de la paperasse, comme l’a confirmé le cabinet du premier ministre ce matin. Il s’agit du rapport du cabinet du premier ministre, pas du nôtre. Pourtant, le gouvernement est prompt à défendre les fortunes d’autres libéraux bien branchés.

Un autre reportage sur les Paradise Papers diffusé aujourd’hui dans les médias nous apprenait que le responsable du financement du Parti libéral du Canada a eu recours à l’évitement fiscal bien après la date indiquée dans le démenti publié par cette personne il y a quelques semaines.

Compte tenu de ce que nous apprennent les nouvelles aujourd’hui, le leader du gouvernement pourrait-il nous dire si le premier ministre est toujours convaincu par les explications de son ami?

Le sénateur Harder : Honorables sénateurs, les mesures proposées par le gouvernement toucheraient environ 2 p. 100 des sociétés privées sous contrôle canadien. C’est un groupe très restreint qui est délibérément ciblé pour cette mesure.

Pour ce qui est des autres éléments de sa question, je me contenterai de dire que le premier ministre a donné son point de vue. C’est toujours le même. Il n’appartient pas au gouvernement de faire des commentaires sur les impôts payés par certains Canadiens.

Les déclarations du ministre

L’honorable David Tkachuk : Sénateur Harder, hier, j’ai demandé pourquoi il a fallu deux ans au ministre des Finances pour révéler à la commissaire à l’éthique sa participation dans une société privée qui possède une villa en France. Vous avez répondu ce qui suit :

[…] le ministre des Finances s’est appliqué à collaborer avec la commissaire à l’éthique et a suivi ses recommandations et ses conseils.

Sénateur Harder, devons-nous comprendre que c’est la commissaire à l’éthique qui a dit au ministre des Finances qu’il n’était pas nécessaire qu’il déclare sa participation dans une société privée propriétaire de la villa en France?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie encore une fois l’honorable sénateur de poser cette question.

Je tiens à le rassurer et à rassurer tous les Canadiens sur le fait que le ministre des Finances s’applique à collaborer avec la commissaire à l’éthique pour être certain de se conformer à la totalité des règles d’éthique, et c’est la position qu’il a adoptée.

Hier, j’ai décrit certaines des mesures précises qu’il a employées pour que la commissaire à l’éthique puisse mener un examen encore plus approfondi. J’ai aussi indiqué qu’il avait répondu à ses commentaires, qu’elle avait faits publiquement.

Le sénateur Tkachuk : Sénateur Harder, vous avez également dit que la mise en place d’un filtre anti-conflits d’intérêts au lieu d’une fiducie sans droit de regard était la meilleure mesure d’observation de la loi recommandée par la commissaire au ministre des Finances.

Sénateur Harder, convenez-vous que les meilleures mesures d’observation de la Loi sur les conflits d’intérêts sont les mesures énumérées dans cette même loi? En fait, le filtre anti-conflits d’intérêts ne figure pas parmi les mesures énumérées dans la loi, mais le dessaisissement des biens par la vente à un tiers qui n’a aucun lien de dépendance ou le dépôt dans une fiducie sans droit de regard y figure explicitement.

Le sénateur Harder : Je suis persuadé que la meilleure façon de respecter la Loi sur les conflits d’intérêts est de la respecter, comme le conseille la commissaire à l’éthique. Le ministre a tout fait, lors de ses rencontres avec la commissaire à l’éthique, pour s’assurer de se conformer à la loi.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’admissibilité à l’immigration—
Les personnes handicapées

L’honorable Jim Munson : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Hier soir, j’étais heureux de constater que le ministre de l’Immigration avait enfin — enfin! — après bien longtemps, accepté de lancer la discussion sur le refus des demandes d’immigration de personnes parce qu’elles ont un problème de santé. D’une certaine façon, je n’arrive pas à croire que cela soit inscrit dans la loi.

Selon le paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, certains immigrants sont interdits de territoire pour des motifs sanitaires en raison du fardeau excessif que l’on considère qu’ils représentent pour les services sociaux ou de soins de santé.

Récemment, un professeur de l’Université York qui a un fils atteint du syndrome de Down s’est retrouvé dans cette situation. On lui a enjoint de retourner dans son pays d’origine, ce qu’il a refusé de le faire.

Il y a aussi eu un autre cas mentionné pendant les témoignages présentés au comité de la Chambre des communes : un jeune garçon chinois de 9 ans s’est vu refuser le statut de résident permanent du Canada parce qu’il est atteint du syndrome de Down.

Au Canada comme au Sénat, nous luttons pour défendre le droit qu’ont tous les enfants de faire partie de la société car, comme notre collègue vient de le souligner, nous sommes portés par l’idée que les enfants peuvent tous, sans exception, participer à la société. Pourtant, si je comprends bien, pour qu’un candidat à l’immigration soit considéré comme un fardeau excessif, il suffit actuellement que le coût prévu des services de santé et des services sociaux dont il aura besoin soit estimé à plus de 6 665 $ par année sur une période de cinq ans.

(1400)

Le ministre en a parlé hier, mais il n’a pas fixé d’échéancier. Combien de temps faudra-t-il pour que cette disposition de la loi et cette politique soient modifiées? C’est une question de respect des droits de la personne et d’ouverture à l’intégration dans notre pays. Quand les personnes handicapées auront-elles enfin le sentiment que le gouvernement du Canada défend leur intégration à la société et aux valeurs canadiennes?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie encore le sénateur pour sa question et pour son travail constant dans la défense de cette cause. La déclaration du ministre est la preuve qu’il est déterminé à examiner ces études.

Je n’ai entendu parler d’aucun échéancier qu’il se serait publiquement engagé à respecter pour cet examen, mais je peux vous assurer qu’il l’entreprend avec l’intention de l’effectuer rapidement pour que le gouvernement puisse en arriver à une conclusion sur l’opportunité de modifier cette disposition d’interdiction qui existe depuis longtemps et sur la façon de la modifier, compte tenu de la pratique qui fait l’objet d’un débat depuis un certain temps.

Le sénateur Munson : Par « rapidement », veut-on dire que l’examen sera terminé au cours du mandat du gouvernement actuel?

À titre de représentant du gouvernement, qu’en pensez-vous?

Le sénateur Harder : Comme le sénateur le sait, je n’ai pas de point de vue sur cette question à titre de représentant du gouvernement, mais je pourrais en avoir un comme ancien sous-ministre de l’Immigration.

Permettez-moi de poser la question au ministre, et je transmettrai sa réponse au Sénat.

Les finances

La récusation du ministre dans les dossiers
où il est en conflit d’intérêts

L’honorable Denise Batters : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le sénateur Harder, il y a quatre semaines, je vous ai demandé combien de fois le ministre des Finances, Bill Morneau, s’était récusé lorsque le Comité du Cabinet chargé de la gestion des litiges a discuté d’un dossier où le ministre était en conflit d’intérêts. Comme j'avais prévu qu’une telle situation pouvait se produire, je vous avais demandé de me fournir la réponse dans un délai de quelques jours plutôt que de six à huit mois, comme vous le faites habituellement. Or, 28 jours se sont écoulés, et je n’ai que le silence pour toute réponse.

Les Canadiens ont le droit de savoir si Bill Morneau tire profit de son poste de ministre des Finances, et si ses intérêts financiers sont en conflit avec ses fonctions publiques. Dans cette enceinte, vous avez la responsabilité de répondre aux questions au nom du gouvernement Trudeau. Vous avez eu des semaines pour le faire. Nous avons besoin de votre réponse maintenant. Combien de fois le ministre Morneau s’est-il récusé au Comité du Cabinet chargé de la gestion des litiges parce qu’il était en conflit d’intérêts?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vais répéter ma réponse d’il y a 28 jours.

La sénatrice Batters : Sénateur Harder, vous avez le titre de leader du gouvernement au Sénat, ainsi que le salaire, le budget et tout le personnel qui s’y rattachent. Vous avez eu quatre semaines pour répondre à cette question. Vous avez le devoir de donner la réponse aux Canadiens dès maintenant. Veuillez répondre à la question.

Le sénateur Harder : Je répète : je vais m’informer, puis vous donner la réponse.

La justice

La légalisation du cannabis—
La consultation des communautés inuites

L’honorable Dennis Glen Patterson : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Sénateur Harder, lors d’une récente séance d’information sur les projets de loi C-45 et C-46, l’ancienne présidente du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis du gouvernement fédéral, Anne McLellan, a dit aux sénateurs que les recommandations du groupe de travail disent très clairement qu’il faut mener des consultations supplémentaires sur les répercussions plus vastes de la légalisation. Par ailleurs, le chapitre 32 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut dit clairement que le gouvernement a l’obligation de consulter les Inuits au sujet de toute politique ayant des répercussions sociales et culturelles importantes.

Quelles organisations inuites le gouvernement a-t-il consultées au sujet de la légalisation du cannabis?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Je vais tenter d’y répondre de façon satisfaisante. S’il manque des éléments de réponse, je me renseignerai davantage sur le sujet.

Je tiens à assurer au sénateur et à tous mes collègues que le gouvernement est déterminé à travailler en étroite collaboration avec ses partenaires autochtones, y compris ceux de la nation inuite. Ainsi, les intérêts de toutes les communautés touchées, de partout au Canada, seront pris en considération et respectés tout au long de la mise en œuvre du projet de loi sur le cannabis, qui est actuellement à l’étude à l’autre endroit.

Je souligne que le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis a mené de vastes consultations auprès des organismes et des peuples autochtones, dont l’Inuit Tapiriit Kanatami, ainsi qu’auprès du gouvernement du Nunavut. Lors des récentes réunions des ministres de la Santé, la question du cannabis figurait à l’ordre du jour. La ministre a également eu l’occasion de rencontrer des organismes autochtones.

De plus, comme l’honorable sénateur le sait, lors de l’étude du projet de loi C-45, les sénateurs examineront le rôle des communautés autochtones dans le processus de mise en œuvre. J’encourage l’honorable sénateur et tous mes collègues à participer aux discussions pour déterminer la meilleure façon de garantir que toutes ces voix seront entendues pendant l’étude. Je sais que le sénateur Dean, à titre de parrain du projet de loi, a proposé des façons novatrices pour le Sénat de tirer parti des expériences associées au projet de loi C-14 et, ainsi, assurer une consultation adéquate des intervenants.

Le sénateur Patterson : Merci.

Sénateur Harder, je suis bien conscient du fait que le gouvernement a consulté un organisme inuit situé à Ottawa, l’Inuit Tapiriit Kanatami. Toutefois, le 26 octobre 2017, la Nunavut Tunngavik Incorporated, la société de mise en œuvre des revendications territoriales au Nunavut, a adopté une résolution unanime. Elle demandait au gouvernement de retarder la légalisation, de consulter les Inuits sur la pertinence de légaliser le cannabis, de déterminer l’échéancier et les mesures d’atténuation visant les répercussions négatives potentielles et d’établir au Nunavut des centres de thérapie et de réhabilitation pour traiter les dépendances aux drogues et à l’alcool dans le cadre de tout plan de légalisation.

Ma question complémentaire est la suivante : le gouvernement envisage-t-il de tenir des consultations significatives, comme il doit le faire en vertu de l’accord sur les revendications territoriales protégé par la Constitution, auprès de la Nunavut Tunngavik Incorporated, afin de tenir compte de ses préoccupations avant l’adoption du projet de loi?

Le sénateur Harder : Je me renseignerai à propos de la Nunavut Tunngavik Incorporated, mais je tiens à assurer aux sénateurs que le gouvernement acceptera, comme il se doit, toutes les obligations qu’il a prises aux termes des accords sur les revendications territoriales.

[Français]

La Cour suprême—La nomination d’un juge en chef

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Hier, la ministre de la Justice du Québec, Stéphanie Vallée, a réitéré le souhait de l’ensemble du milieu juridique québécois en ce qui a trait à la nomination du prochain juge en chef de la Cour suprême du Canada. Mme Vallée a demandé clairement au gouvernement Trudeau de respecter la tradition d’alternance entre le droit civil et la common law et de faire en sorte que le prochain juge en chef de la Cour suprême du Canada provienne du Québec.

Sénateur Harder, je vous ai déjà posé cette question il y a un certain temps, et vous m’avez donné une réponse politique — ou diplomatique, devrais-je dire. Puisque nous sommes sur le point de souligner le départ de la juge en chef actuelle et qu’il apparaît imminent que ce siège soit pourvu au cours des prochains jours, le gouvernement a-t-il l’intention, oui ou non, de choisir le prochain juge en chef parmi les trois juges québécois qui ont été proposés?

[Traduction]

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je ne peux malheureusement pas vous répondre par « oui » ou par « non ». Je peux simplement vous dire que le premier ministre fera très bientôt une annonce à ce sujet.

Les affaires étrangères

La Tanzanie—Les droits de la personne

L’honorable A. Raynell Andreychuk : Ma question s’adresse au sénateur Harder. Je ne vous en ai pas informé au préalable, mais j’aimerais qu’une enquête soit menée et que l’on réponde à ma question.

Le président de la Tanzanie, John Magufuli, a déclaré publiquement que les jeunes filles qui tombent enceintes ne seront pas autorisées à retourner à l’école après avoir donné naissance à leur enfant. Cette décision constitue une violation grave du droit fondamental à l’éducation.

Le gouvernement Trudeau s’est à maintes reprises engagé à faire avancer les droits des femmes et des enfants, ainsi que l’autonomisation des femmes et des filles. Puisque c’est le cas, pouvez-vous dire au Sénat quelles démarches le gouvernement a entreprises pour faire comprendre au président Magufuli le caractère erroné — si je puis m’exprimer ainsi — de cette politique et les graves conséquences qu’elle aura? Ces filles ne sont pas tombées enceintes toutes seules, mais elles seront les seules à être punies en ne pouvant pas retourner à l’école. On estime à 8 000 le nombre de filles qui ne pourront pas terminer leur scolarité.

Nous attachons une grande importance aux questions féminines en Afrique et avons accordé, à ce que je sache, un financement conséquent à la Tanzanie. J’aimerais donc savoir ce que le gouvernement fait pour mettre un terme à cette politique erronée et à cette évidente violation des droits des jeunes filles en Tanzanie. Comment allons-nous adapter notre programme et notre engagement si cette politique reste en place?

(1410)

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question et de la vigilance dont elle fait preuve dans ce dossier. Elle ne sera pas surprise que je dise que l’état des droits de la personne en Tanzanie se dégrade depuis longtemps, avant que cette mesure ait été prise et en raison d’autres mesures que le gouvernement du Canada soulève déjà avec insistance auprès du gouvernement tanzanien.

Comme l’honorable sénatrice l’a mentionné dans sa question, le gouvernement du Canada a adopté une approche très dynamique et militante dans sa politique étrangère et dans ses programmes d’aide en ce qui concerne les questions féminines et l’égalité hommes-femmes.

Le gouvernement du Canada a mobilisé le gouvernement de Tanzanie sur cet enjeu précis. Je vais me renseigner pour savoir s’il y a eu des échanges au plus haut niveau du gouvernement et, si oui, comment cela s’est passé, pour que tous les sénateurs soient au courant du plus récent engagement. Personne ne sera surpris d’apprendre qu’il s’agit d’un dossier dans lequel le ministère et l’agence de développement ont été très actifs de façon bilatérale ainsi qu’avec d’autres donateurs et organismes pertinents afin d’attirer l’attention de la famille des Nations Unies sur cette question et, bien sûr, celle des pays du Commonwealth, qui, comme les sénateurs le savent, se réunissent au printemps prochain.

La sénatrice Andreychuk : Dans la même veine, en raison des progrès qu’il y a eu en Tanzanie, le système d'éducation et les processus en place ont changé afin de veiller à ce que les capacités pédagogiques soient suffisantes et afin d’aider les jeunes filles. Personne ne sera étonné d’apprendre que, si une jeune mère en santé peut aller à l’école, c’est de bon augure pour le pays. Nous avons apporté d’autres changements afin de nous concentrer davantage sur l’aide gouvernementale que sur les ONG et l’éducation, par l’entremise de divers groupes de soutien.

Pendant ce temps, le gouvernement pourrait-il envisager de trouver d’autres façons de veiller à ce que ces jeunes filles poursuivent leur éducation par d’autres moyens? Je crois qu’il y a suffisamment d’autres options pour y parvenir.

Le sénateur Harder : Le gouvernement du Canada prend des mesures concrètes pour transiger directement avec le gouvernement de la Tanzanie et exercer une influence sur lui relativement à la décision qu’il a prise, tant bilatéralement qu’avec d’autres intervenants, et se penche sur d’autres façons d’atténuer les torts qui ont été causés aux personnes mêmes de cette région que nous tentons d’aider avec notre programme de développement et notre politique étrangère. Les suggestions présentées par l’honorable sénatrice font, en fait, partie de ce large éventail de solutions possibles.

[Français]

Les finances

La politique fiscale en matière de radiodiffusion

L’honorable Ghislain Maltais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Le gouvernement du Québec a décidé de taxer Netflix, une société de câblodistribution qui fera affaire sur le territoire du Québec. Plus tôt aujourd’hui, le ministre fédéral des Finances a annoncé que, dès le 1er janvier 2018, le gouvernement du Québec devra apporter certaines mesures législatives pour percevoir la taxe provinciale, mais aussi la taxe fédérale, puisque, selon les ententes conclues entre le gouvernement fédéral et les provinces, ce sont les provinces qui perçoivent la TPS et qui la transmettent à Ottawa.

Cependant, le ministre fédéral des Finances peut renoncer à ce que le gouvernement du Québec perçoive cette taxe. Le leader du gouvernement peut-il nous dire si le gouvernement à l’intention de renoncer à cette taxe?

[Traduction]

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Je ne sais pas si le ministre des Finances a pris cette décision. Cette question me donne l’occasion d’aller me renseigner.

Les affaires étrangères

Les droits de la personne

L’honorable Frances Lankin : Votre Honneur, j’ai une question complémentaire à la question de la sénatrice Andreychuk.

Sénateur Harder, vous avez parlé du fait que les programmes pour les femmes et les enfants sont au cœur de la politique étrangère du gouvernement. Je remercie la sénatrice Andreychuk d’avoir soulevé cette question, mais j’aimerais aller au-delà de ce cas précis et parler de la situation au Myanmar et au Bangladesh, et des réfugiés rohingyas.

Hier soir, à la suite des points qui ont été soulevés par la sénatrice McPhedran et l’honorable Bob Rae, envoyé spécial au Myanmar, au sujet des réfugiés rohingyas, nous avons appris qu’il y a 120 000 femmes enceintes ou qui allaitent dans le camp de réfugiés au Bangladesh. On rapporte que, dans la majorité des cas, ces femmes seraient devenues enceintes à la suite d’un viol par des militaires du Myanmar.

J’ai peine à imaginer ce que vivent ces personnes. Aujourd’hui, nous apprenons que les réfugiés dans les camps commencent à retourner en Birmanie. Étant donné la façon dont ils ont été traités par ce pays, il n’est pas clair si ce retour est volontaire ou forcé.

Nous savons que ces 120 000 femmes enceintes ou allaitantes se trouvent actuellement dans une situation désespérée, qui ne fera que s’aggraver si elles retournent dans un pays qui ne les considère même pas comme des citoyennes ou, j’ose le dire, comme des êtres humains.

Puisque vous vous penchez sur la question, j’aimerais que vous demandiez au gouvernement de préciser sa politique étrangère générale lors de telles crises. Que prévoit-il faire pour protéger les femmes, y compris les femmes enceintes, et les enfants, plus particulièrement les petites filles, et pour veiller à ce que les besoins essentiels de ces personnes soient assurés, à ce qu’elles bénéficient des soutiens nécessaires, à ce qu’elles puissent de nouveau vivre en sécurité et à ce que les jeunes filles puissent s’instruire?

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénatrice de sa question complémentaire, dont la portée est très vaste.

En ce qui concerne la crise des Rohingyas, je me contenterai de répéter ce que la sénatrice a mentionné elle-même, à savoir que le gouvernement du Canada a nommé Bob Rae comme envoyé spécial afin d’assurer un engagement de haut niveau et de garantir la présence sur le terrain d’une personne qui pourrait observer directement ce qui se passe là-bas. Le gouvernement attachera une grande importance aux recommandations qu’il lui fera.

Comme vous le savez, le gouvernement a débloqué 25 millions de dollars supplémentaires pour aider les Rohingyas, argent qui s’ajoutera aux fonds de contrepartie recueillis dans le cadre de la campagne de financement qu’il a lancée et qui — je crois — prendra fin durant cette semaine ou à la fin de la semaine prochaine.

Quand de telles tragédies se produisent, le gouvernement du Canada fait appel à l’esprit de générosité des Canadiens.

Le retour au pays, comme votre question l’a laissé entendre, devra être étroitement surveillé afin de vérifier que la bonne volonté prévaut, et ce, à cause des risques que sous-tend votre question. Sachez que je me réjouis de faire régulièrement rapport des mesures additionnelles prises pour que le Canada, au moins, puisse travailler avec les parties et les organismes concernés afin de garantir le suivi des personnes touchées et d’assurer à celles-ci un soutien, ainsi qu’avec d’autres organisations internationales et pays aux vues similaires.

Réponses différées à des questions orales

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer les réponses aux questions orales suivantes : la question posée par l’honorable sénateur Oh, le 18 octobre 2017, concernant le revenu national, l’Allocation canadienne pour enfants et l’admissibilité des enfants des réfugiés, et la question posée par l’honorable sénateur McIntyre, le 19 octobre 2017, concernant les institutions démocratiques et le directeur général des élections.

Le revenu national

L’Allocation canadienne pour enfants—
L’admissibilité des enfants des réfugiés

(Réponse à la question posée le 18 octobre 2017 par l’honorable Victor Oh)

L’Agence du revenu du Canada (ARC) reconnaît que de nombreux réfugiés dépendent des avantages et des crédits qu’elle administre au nom du gouvernement du Canada, en particulier de l’Allocation canadienne pour enfants (ACE). L’ARC comprend les préoccupations soulevées au sujet des enfants de réfugiés nés au Canada et se félicite de la possibilité de clarifier certaines questions.

Pour être admissible à l’ACE, le particulier ou son époux ou conjoint de fait doit être, entre autres conditions, un citoyen canadien, un résident permanent, une personne protégée ou un résident temporaire qui a vécu au Canada pendant 18 mois consécutifs et a un permis valide durant son 19e mois de résidence.

Cependant, c’est le particulier, et non l’enfant, qui doit remplir les conditions ci-dessus. Les réfugiés qui entrent au Canada en tant que résidents permanents ou titulaires d’un permis de séjour temporaire valide qui satisfont à la condition ci-dessus sont admissibles à l’ACE. Dans le cas des réfugiés qui entrent au Canada sans statut légal, le statut de personne protégée n’est accordé que lorsque le réfugié reçoit un avis de décision positif de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Avant la décision, le réfugié n’a pas de statut légal au Canada et ne peut pas recevoir de prestations, que l’enfant soit né au Canada ou non.

Les institutions démocratiques

Le directeur général des élections

(Réponse à la question posée le 19 octobre 2017 par l’honorable Paul E. McIntyre)

Les Canadiens et les Canadiennes ont raison d’être fiers de leurs institutions démocratiques et doivent pouvoir faire confiance au rôle indépendant et non partisan que remplit Élections Canada dans l’administration des élections fédérales.

Le gouvernement du Canada a lancé le processus de sélection pour la nomination d’un nouveau Directeur général des élections. La nouvelle approche de nomination ouverte, transparente et fondée sur le mérite, mise en œuvre par le gouvernement, a pour objectif de trouver des candidats très qualifiés, qui sont véritablement le reflet de la diversité canadienne.

Le nom du nouveau Directeur général des élections sera dévoilé publiquement après la fin du processus de sélection. Le gouvernement anticipe qu’un nouveau Directeur général des élections sera en poste bien avant les prochaines élections fédérales.


[Français]

ORDRE DU JOUR

La Loi canadienne sur les sociétés par actions

La Loi canadienne sur les coopératives

La Loi canadienne sur les organisations
à but non lucratif

La Loi sur la concurrence

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wetston, appuyée par l’honorable sénateur Joyal, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence.

L’honorable Claude Carignan : Honorables sénateurs, je suis heureux de participer au débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-25.

Il me semble important de rappeler que le débat à cette étape porte sur le principe sous-jacent de ce projet de loi qui apporte des modifications à des lois techniques, modifications qui provoquent, pour la plupart, peu de débats chez les Canadiens hors des cercles un peu plus initiés à ces questions.

Cela dit, je tiens à remercier les sénateurs Wetston, Moncion, Massicotte, Wallin, Omnivar et Dupuis de leur contribution au débat sur le projet de loi C-25. Ils ont décortiqué, de façon quasi chirurgicale, le contenu du projet de loi, particulièrement en ce qui a trait à la notion de diversité. Il ne me semble donc pas nécessaire de vous résumer de nouveau, chers collègues, les changements apportés par le projet de loi C-25 dans leurs menus détails.

(1420)

Permettez-moi toutefois de revenir sur quelques éléments entourant le projet de loi.

Premièrement, il faut souligner l’historique du projet de loi, qui est le fruit d’une large consultation. Il faut se rappeler que les modifications proposées sont issues d’un examen obligatoire de la législation fait par un comité de la Chambre des communes, en 2010, et qui a, par la suite, donné lieu à une consultation entreprise en 2014 par le gouvernement Harper.

À la page 154 du budget de 2015 du gouvernement conservateur, on pouvait lire ce qui suit, et je cite :

[...] le gouvernement proposera de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions afin de promouvoir la mixité au sein des entreprises canadiennes, en utilisant le modèle de divulgation « se conformer ou expliquer » largement reconnu [...]

Des modifications seront également proposées pour moderniser le processus d’élection des administrateurs et les communications [...] renforcer la transparence des sociétés en imposant une interdiction explicite sur des effets payables au porteur [...], et des modifications se rapportant aux lois régissant les coopératives et les sociétés à but non lucratif seront également introduites [...]

Nous sommes certainement satisfaits, de ce côté-ci de la Chambre, de constater que le gouvernement Trudeau a suivi les recommandations qu’ont formulées les intervenants de l’industrie lors des consultations de 2014.

Nous avons donc, devant nous, ce qui est essentiellement un projet de loi non partisan, élaboré par deux gouvernements successifs différents. De plus, les mesures contenues dans le projet de loi C-25 ont fait l’objet de réelles consultations menées sur une base élargie. Le gouvernement a respecté le consensus qui se retrouve au sein de l’industrie.

Dans notre système parlementaire, être le porte-parole de l’opposition pour un projet de loi ne veut pas nécessairement dire s’opposer au projet de loi. Je vous invite donc, chers collègues, à conclure le débat à l’étape de la deuxième lecture et à renvoyer le projet de loi au comité pour qu’il y fasse l’objet d’une étude. Cependant, avant que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se penche sur le contenu du projet de loi C-25, je me permettrai quelques remarques qui serviront, je l’espère, de mise en garde quant à la suite de nos délibérations.

Tout d’abord, j’aimerais attirer votre attention sur le rôle du Sénat. Ceux qui me connaissent savent très bien que je crois fermement au rôle que le Sénat peut et doit jouer dans notre système parlementaire. Je ne suis certainement pas de ceux qui veulent faire de cette Chambre une société de débats, où les décisions sont laissées à l’autre endroit, sous prétexte que le Sénat ne devrait jamais remettre en question ce que les élus ont pu décider. En ce sens, je ne souscris pas du tout à cette idéologie de vouloir atrophier les pouvoirs du Sénat.

Néanmoins, nous devons savoir reconnaître nos limites comme institution. Il me semble qu’il pourrait être périlleux pour le Sénat de mettre en cause un équilibre fragile, établi dans une législation technique, qui a fait l’objet de consultations intensives et qui est le fruit d’un large consensus chez les gens qui seront touchés par de telles mesures législatives.

Deuxièmement, il y a le système canadien d’incorporation. Nous devons tenir compte du système que nous essayons de changer. La Loi canadienne sur les sociétés par actions est la loi constitutive de près de 270 000 sociétés. La quasi-totalité de ces sociétés a choisi ce véhicule d’incorporation. Au Canada, il est possible de s’incorporer, tant au fédéral qu’au provincial. Ce ne sont d’ailleurs que 10 p. 100 des sociétés canadiennes qui fonctionnent sous le régime fédéral, et moins de la moitié sont des sociétés publiques. Le législateur doit donc être prudent lorsqu’il impose des obligations aux sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Il est en effet très facile pour elles de transférer leur incorporation au gouvernement provincial, si jamais les obligations deviennent insoutenables ou pratiquement inapplicables. Le système d’incorporation lui-même contient une échappatoire facile et entièrement légale.

D’ailleurs, les intervenants de l’industrie voient eux-mêmes le gouvernement fédéral comme un leader quant aux questions de gouvernance des sociétés. Il s’agit, pour le gouvernement fédéral, de montrer la voie à suivre et de procéder à des changements qui peuvent faire consensus et qui seront ensuite adoptés au niveau provincial. Si les changements aux lois corporatives sont trop brusques ou radicaux, le gouvernement fédéral perdra son rôle de leadership. Il le perdra parce qu’il n’apparaîtra plus comme un acteur proposant une position équilibrée et pratique.

Cela m’amène à un autre point, soit le système canadien des valeurs mobilières. En matière de gouvernance des sociétés publiques, soit celles qui ont fait un appel public à l’épargne, nous avons affaire à des questions qui sont à la frontière entre le pouvoir fédéral de légiférer sur les sociétés par actions incorporées sous sa juridiction et le pouvoir des provinces de légiférer sur le commerce des valeurs mobilières et sur les exigences de gouvernance pour les sociétés publiques. Comme la Cour suprême l’a rappelé en 2011 dans le Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières, les valeurs mobilières sont de compétence provinciale.

Or, la plupart des changements importants apportés à la législation canadienne dans le projet de loi C-25, à tout le moins ceux qui ont fait l’objet de la grande partie du débat au Sénat jusqu’à maintenant, touchent les sociétés publiques. Le législateur fédéral se doit d’être prudent. Le marché des valeurs mobilières au Canada, est déjà très complexe, et nous n’avons certainement pas besoin de créer des règles contradictoires entre deux juridictions.

De plus, nous devons nous demander jusqu’où le législateur peut s’immiscer dans ce qui représente essentiellement des transactions entre personnes qui ont la capacité de contracter. Je le rappelle, personne n’est obligé d’investir dans une société par actions, et aucune société n’est obligée de faire un appel public à l’épargne. Comme je l’ai déjà mentionné, je crains de voir les sociétés migrer vers un régime provincial si le régime fédéral devient trop exigeant.

Cependant, il y a également un autre danger, soit celui de voir les sociétés abandonner la voie de l’appel public à l’épargne. Je suis convaincu que le sénateur Wetston pourrait vous entretenir sur les conséquences néfastes de la réduction de l’activité sur les marchés des valeurs mobilières, alors que les occasions d’investissement pour les investisseurs institutionnels disparaissent. Je suis convaincu que ce sont les actionnaires, et non l’État, qui sont les mieux placés pour forcer les entreprises à adopter des règles de gouvernance favorisant la transparence et la démocratie. En outre, ce sont les actionnaires qui doivent exiger que les conseils d’administration soient plus efficaces, ce qui inclut le fait d’être plus représentatifs de la communauté dans laquelle l’entreprise évolue. Dans une économie de marché, toute intervention du gouvernement doit se faire avec circonspection, tout en sachant qu’il peut y avoir des conséquences inattendues.

Cela dit, on peut s’étonner que le gouvernement ait choisi de ne pas légiférer sur la question du concept Say on Pay, c’est-à-dire sur le droit des actionnaires de se prononcer sur la politique de rémunération des dirigeants des sociétés publiques. On m’a expliqué que c’est parce qu’il n’y avait pas de consensus au sein de l’industrie. Je l’ai dit et je le répète : je respecte cet argument. Toutefois, je crois que le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, dans son étude sur le projet de loi, peut faire œuvre utile sur cette question et sur les autres questions de gouvernance en déterminant quels changements pourraient être adoptés ou au moins analysés dans le cadre d’une prochaine révision de la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

La diversité est un autre sujet particulier. En fait, je m’en voudrais de ne pas vous entretenir de ce sujet, qui a fait l’objet de la plus grande partie des débats portant sur le projet de loi C-25 jusqu’à maintenant, à savoir la question de l’obligation, pour les sociétés publiques, de présenter des renseignements relatifs à la diversité au sein de leur conseil d’administration et de la haute direction. Plusieurs orateurs ont déjà souligné que le terme « diversité » ne faisait pas l’objet d’une définition précise, et que les obligations créées par le projet de loi C-25 sont essentiellement d’informer. et non d’agir.

J’ai déjà mentionné ce qui m’apparaissait être les limites de notre action sur ce projet de loi. Ces limites sont certainement très présentes quant à cette partie du projet de loi. En effet, ici, on parle de diversité, et non d’égalité des genres. Le genre n’est que l’un des critères de diversité généralement reconnus, avec l’origine autochtone, le handicap et l’appartenance à une minorité visible. Certains ajouteront peut-être l’orientation sexuelle. Soyons pratiques : est-ce que les sociétés voudraient divulguer, par exemple, l’orientation sexuelle des membres de leur comité de direction? Pourtant, une définition rigide de la notion de diversité pourrait nous amener vers cette conséquence plutôt inattendue.

(1430)

Je souhaite donc que le Comité des banques se penche sur la question de la définition de la diversité et sur la façon de sensibiliser les entreprises canadiennes aux avantages de créer un conseil d’administration et une direction dont la teneur reflète mieux la communauté dans laquelle elles évoluent. Je crois fermement à ces objectifs. Toutefois, ne soyons pas dupes. Cette étude n’est pas que théorique ni un débat sur l’égalité en matière d’emploi. Il s’agit de fixer les exigences imposées par le gouvernement fédéral à certaines sociétés publiques, qui forment une part non négligeable de l’économie canadienne.

Parlant de la notion de diversité, je me demande pourquoi la langue n’est pas considérée comme un critère de diversité. Tous les arguments que j’ai entendus pour faire la promotion de la diversité au sein des conseils d’administration et de la haute direction des entreprises s’appliquent parfaitement à la diversité linguistique. Comment est-il possible qu’une société publique qui fait des affaires ne compte aucun administrateur ou dirigeant capable de parler la langue de 23 p. 100 de ses clients potentiels? Pourtant, c’est souvent le cas.

Bien sûr, ces sociétés se privent de talents, elles se coupent d’une partie de leurs clients, de leurs employés et de leurs fournisseurs. Pourtant, je n’ai entendu personne suggérer qu’il fallait des quotas ou d’autres mesures coercitives pour imposer la diversité linguistique aux conseils d’administration et à la haute direction des sociétés publiques canadiennes. Si le Comité des banques choisit de se pencher sur la définition de la diversité, pourquoi ne pourrions-nous pas étudier la question de la diversité linguistique? Honorables sénateurs, je crois que la question de la diversité doit faire l’objet d’une attention particulière au sein du comité afin que celui-ci puisse viser l’ensemble des concepts de diversité, ce qui inclut le genre, mais aussi les autres éléments caractéristiques de la notion de diversité.

Honorables sénateurs, ce sont les éléments que je voulais porter à votre attention et soumettre à votre réflexion. Nous sommes à l’étape de l’adoption du principe du projet de loi. Je suis persuadé que le Comité des banques saura faire une étude approfondie, notamment de la notion de diversité et des conséquences liées au fait de la définir ou non. Le comité pourra formuler des recommandations à cet effet. Par conséquent, je vous demande d’adopter le projet de loi C-25 à l’étape de la deuxième lecture pour qu’il soit renvoyé au Comité des banques.

[Traduction]

L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, je souhaite prendre part au débat, parce qu’il arrive que des projets de loi présentés au Sénat soient ce que j’appelle des projets de loi de poutine interne, soit des projets de loi dont l’objectif est de simplifier la procédure et des projets de loi d’ordre administratif.

Selon moi, le projet de loi C-25 n’est pas un projet de loi d’ordre administratif. À la page 9 du projet de loi C-25, modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et d’autres lois, la partie XIV.1, dont le titre est « Présentation de renseignements relatifs à la diversité », soulève une question constitutionnelle fondamentale.

Lorsque nous étudions un projet de loi, la première question qu’il faut se poser est de trouver sa place au sein des valeurs qui sous-tendent notre système. Ces valeurs, particulièrement en matière de diversité, se fondent sur deux parties précises de la Charte:

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

On parle donc de la diversité.

28. Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes.

En d’autres termes, les valeurs qui sous-tendent les lois doivent favoriser le maintien du patrimoine multiculturel canadien et, évidemment, le désir d’amélioration des garanties d’équité pour les personnes des deux sexes.

Si je lis la partie XIV.1, à la page 9 du présent projet de loi, je conclus que ce dernier est loin d’atteindre les standards de la politique du gouvernement. Quelle est cette politique? Elle a été énoncée par le premier ministre, en septembre, lorsqu’il a dit que le gouvernement allait, sans équivoque, défendre les droits des femmes.

Je le répète, c’est sans équivoque, le gouvernement va défendre les droits des femmes.

Le problème de ce projet de loi, à mon avis, c’est qu’il affecte les droits des femmes et leur place dans l’économie, dans les cas où le gouvernement peut intervenir, parce que c’est un projet de loi qui concerne les sociétés par actions. Cela se trouve dans le titre du projet de loi.

Je vous rappelle que, il y a 50 ans, le rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, dirigée par Florence Bird, a été présenté dans cette enceinte. Certains d’entre vous se souviennent d’elle. Communicatrice, journaliste et auteure, elle a été la première femme à présider une commission royale au Canada. Ce rapport parle notamment de la place des femmes dans l’économie. J’aimerais citer des extraits du rapport qui s’appliquent aux circonstances entourant le projet de loi C-25.

Au paragraphe 11, à la page 25 du rapport, Florence Bird déclare ce qui suit :

On sait que peu de femmes […] atteignent le sommet de la hiérarchie dans le monde des affaires. Il est rare qu’elles soient membres des conseils d’administration ou des bourses de valeurs.

Plus loin, au paragraphe 46, à la page 33 du même rapport, elle dit ce qui suit :

Il est certain que la composition des conseils d’administration et du haut personnel devrait être modifiée pour que le pouvoir de décision soit mieux réparti entre les sexes dans le monde des affaires. Il est non moins incontestable que l’absence des femmes aux postes de direction signifie que le pays n’utilise pas pleinement les compétences dont il dispose.

Plus loin, au paragraphe 53, elle déclare ceci :

Parce qu’elles ne siègent pas dans les conseils d’administration, le pouvoir de décision des grandes entreprises […] échappe [aux femmes].

Ce rapport décrit la situation telle qu’elle était il y a 50 ans — pas ce qu’elle était hier ou il y a 10 jours ni ce qu’elle est depuis l’élection du gouvernement actuel. C’étaient la perception et la conclusion de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme. Honorables sénateurs, cette commission a reçu 900 témoignages, 1 000 lettres, 468 mémoires et 160 recommandations. Elle est à l’origine de ce qu’on appelle aujourd’hui la politique sur la condition féminine au Canada.

J’ai vu la sénatrice McPhedran cet après-midi. Elle a fait partie des personnes qui préconisaient l’inscription de l’article 28 dans la Charte, article dont je viens de faire la lecture et qui prévoit que les femmes ont le droit de participer à parts égales aux affaires du pays.

Vous vous demandez peut-être comment les sénatrices peuvent promouvoir la condition féminine et le droit des femmes à l’égalité. Florence Bird a été sénatrice de 1978 à 1983. Elle siégeait sous la bannière libérale mais n’avait jamais été membre du Parti libéral. Son travail et ses interventions montraient son indépendance d’esprit.

Je tiens aussi à rappeler que, si l’avortement n’est pas criminel au Canada, c’est en raison du vote de l’ancienne sénatrice Pat Carney. Elle a été ministre progressiste-conservatrice pendant des années, présidente du Conseil du Trésor, ministre du Commerce international et ministre de l’Énergie, des Mines et des Ressources. Elle a aussi été sénatrice de 1990 à 2008. C’est son vote qui a créé l’égalité entre les voix « pour » et les voix « contre », ce qui a permis de défaire le projet de loi du gouvernement. C’est pourquoi l’avortement n’est pas un crime aujourd’hui au Canada. Elle était une conservatrice, elle était indépendante et elle a été à l’origine, comme l’a dit le sénateur Munson, du droit de choisir des femmes. Voilà, à mon avis, une chose qu’il est important de ne pas oublier.

(1440)

Vous vous rappelez les Cinq femmes célèbres, auxquelles rend hommage la sculpture devant laquelle nous passons pour venir dans cette enceinte? Les Cinq femmes célèbres se sont battues pour que les femmes soient reconnues comme des personnes égales en matière de statut et de droits. Le gouvernement de l’époque s’est opposé à leurs efforts. Mackenzie King s’est battu contre elles et a remporté la bataille à la Cour suprême, mais l’a perdue à Londres. Plusieurs d’entre elles auraient naturellement aimé siéger au Sénat, mais devinez ce qui est arrivé? Mackenzie King leur en voulait. Ainsi, au lieu de nommer l’une de ces cinq femmes, il a nommé Cairine Wilson, dont un buste se trouve ici, dans l’entrée.

Les femmes ont joué un rôle très important au Sénat pour ce qui est de défendre leur capacité tant de faire leurs propres choix que de contribuer à l’économie.

Certains collègues ont parlé du fait que la nomination de femmes aux conseils d’administration ne doit pas être seulement symbolique. Regardons ce qui se passe en Europe. En 2015, l’Allemagne — qui n’est pas le plus petit pays d’Europe, mais plutôt la locomotive économique du continent — a adopté une loi selon laquelle les conseils d’administration devraient être composés à 30 p. 100 de femmes en 2016, puis à 50 p. 100 en 2018. Voulez-vous des noms de sociétés allemandes? Volkswagen, BMW, Daimler, Siemens, la Deutsche Bank, BASF, Bayer et Merck, pour n’en nommer que quelques-unes. Les conseils d’administration de toutes ces grandes sociétés devaient être composés à 30 p. 100 de femmes en 2016 et à 50 p. 100 en 2018.

Honorables sénateurs, j’ai quelque chose d’amusant à vous dire. Je ne sais pas si vous vous souvenez de la vente de la C Series de Bombardier à Airbus qui a eu lieu il y a trois semaines. Qui est le propriétaire d’Airbus? C’est la France, et elle a une loi similaire qui oblige la représentation paritaire des deux sexes dans le conseil d’administration de cette société. L’Espagne est également actionnaire d’Airbus et elle a aussi une loi semblable. Il y a l’Allemagne, comme je viens de le mentionner, et cette entreprise a son siège social dans les Pays-Bas, qui est un autre pays qui a un pourcentage semblable de femmes qui siègent au conseil d’administration.

La situation est amusante parce que, lorsque la C Series appartenait à Bombardier, rien n’obligeait le conseil d’administration de Bombardier à inclure des femmes parmi ses membres. Cependant, après la vente de la C Series à Airbus, la composition du conseil d’administration a soudainement changé et maintenant, la moitié des personnes qui administrent la C Series sont des femmes. Pensez-vous que la valeur de la C Series diminuera? Non. Je connais beaucoup de sénateurs qui, comme moi, entretiennent des liens avec des entreprises canadiennes qui n’ont aucune obligation d’inclure des femmes dans leur conseil d’administration, mais ces entreprises en possèdent d’autres en Europe dont 30 ou 50 p. 100 du conseil d’administration est composé de femmes.

Je vois que le représentant du gouvernement sourit et je suis convaincu qu’il comprend ce que je veux dire.

Autrement dit, ce n’est pas parce qu’une compagnie est obligée de faire rapport que vous avez atteint l’objectif. En effet, deux études comparant la situation du Canada à celle de la France ont été menées parce que des gens craignaient que, en raison de la nomination de femmes aux conseils d’administration, la qualité des membres ne soit pas complètement garantie.

Dans le cadre d’une étude importante comparant le rendement d’entreprises françaises et canadiennes en fonction de la composition de leur conseil d’administration, l’Université Laval a conclu ce qui suit :

[Français]

Au final, l’ensemble de nos résultats réfutent de façon non équivoque la thèse selon laquelle l’imposition de quotas entraîne une dégradation du capital humain dans les CA.

[Traduction]

Autrement dit, on entretient l’idée que, si on donne trop de place aux femmes, on mine le leadership économique de l’entreprise. Cette étude réfute entièrement cette idée.

Une étude semblable a comparé des entreprises en Norvège. Ce pays est le premier de l’Europe à avoir imposé des quotas relativement à la participation des femmes, et l’étude a comparé les conseils norvégiens aux conseils du Royaume-Uni, qui a la même politique que celle qui est proposée dans le projet de loi : se conformer ou expliquer. Quelle a été la conclusion de la comparaison entre le Royaume-Uni et la Norvège?

[…] on a obtenu une croissance rapide de la diversité au sein des conseils d’administration sans que la qualité des directrices en soit affectée […]

[…] l’analyse […] ne révèle aucune répercussion « négative » découlant de cette initiative, comme la nomination de femmes inexpérimentées ou la croissance rapide du nombre de nominations obtenues par un groupe donné de directrices.

J’espère que le Comité des banques demandera à ces personnes de venir témoigner parce que, je le répète, nous devons mettre cette question en contexte. Personnellement, honorables sénateurs, je suis convaincu qu’une politique fondée essentiellement sur le concept de « se conformer ou expliquer » constitue une fausse politique et un recul à l’égard de la démarche visant l’égalité de statut pour les hommes et les femmes.

En fait, ce genre de politique ne garantit jamais de résultats. C’est ce qu’a constaté l’auteur d’un article publié au Royaume-Uni, où il existe une telle politique. Dans ce texte, intitulé « Les avancées en matière de diversité sexuelle ralentissent pour la première fois étant donné que les entreprises britanniques recrutent moins de femmes pour siéger à leur conseil d'administration », on peut lire ceci :

Selon un rapport publié tous les deux ans par l’entreprise de recrutement Egon Zehnder, en 2016, 29 p. 100 des nouvelles personnes recrutées pour siéger aux conseils d’administration au Royaume-Uni sont des femmes, ce qui représente un recul par rapport aux 32,1 p. 100 de 2014 et par rapport aux 31,6 p 100 de 2012.

Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que le modèle « se conformer ou expliquer » ne garantit pas le changement. C’est ce qu’a confirmé la présidente de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. Je vais la citer, parce que c’est ce qu’il faut garder à l’esprit au moment d’évaluer la situation :

Le nombre de femmes siégeant à des conseils d’administration n’a augmenté que d’un point de pourcentage au cours de l’année pendant laquelle les organismes de réglementation des valeurs mobilières ont commencé à obliger les sociétés à surveiller et à divulguer la représentation des femmes au sein de leur conseil d’administration.

Dans les 677 sociétés inscrites à la TSX et faisant l’objet d’une analyse par des organismes de réglementation provinciaux […] les femmes occupent 12 p. 100 des sièges au sein des conseils d’administration, alors que ce taux était de 11 p. 100 il y a un an.

Son Honneur le Président : Avons-nous le consentement pour accorder cinq minutes de plus?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Joyal : Merci, honorables sénateurs.

Dans 55 p. 100 des cas, les sociétés comptent au moins une directrice, soit une hausse de 6 p. 100 par rapport à l’an dernier.

Or, cela signifie que 45 p. 100 des sociétés n’ont aucune femme au sein de leur conseil d’administration.

Je répète que 45 p. 100 des sociétés ne comptent aucune femme au sein de leur conseil d’administration. J’entends parfois des gens dire que des femmes sont nommées simplement de manière symbolique. C’est peut-être le cas lorsqu’il n’y a qu’une femme au sein d’un conseil d’administration. Si, toutefois, des femmes occupent de 30 p. 100 à 40 p. 100 des sièges au sein d’un conseil d’administration, on ne peut plus dire que ce sont des nominations symboliques. Prenons cette enceinte. Sur 95 sénateurs, 41 sont des femmes. S’agit-il de 41 nominations symboliques? S’il n’y avait qu’une femme, ce serait peut-être le cas, mais les 41 femmes qui siègent au Sénat n’ont pas été nommées simplement de manière symbolique, car nous sommes sur le point d’atteindre un équilibre assez juste.

Je crois que le temps est venu, honorables sénateurs, de fixer des objectifs. Je ne suis pas stupide. Je connais l’économie. J’ai un intérêt dans les affaires. Nous devons prévoir un délai raisonnable, mais il faut à tout le moins établir une orientation. À mon avis, il faut fixer un objectif de 30 p. 100 dans cinq ans et de 40 p. 100 deux années plus tard. Cet objectif est fondé sur celui de l’Union européenne.

(1450)

Honorables sénateurs, j’aimerais vous lire une phrase tirée d’un livre que le sénateur Wetston m’a donné pour alimenter ma réflexion et qui a été publié l’an dernier.

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Joyal : Eh bien oui, nous nous parlons, lui et moi. L’extrait en question se trouve à la page 167. J’insiste sur chacun des mots pour qu’ils se gravent bien dans votre esprit :

C’est aux hommes de consentir à ce qu’il y ait plus de femmes au sein des conseils d’administration et des équipes de direction.

Pensez-y un instant. Essentiellement, la progression des femmes est entre les mains des hommes. Ne croyez-vous pas qu’il serait temps que le Comité des banques se penche sérieusement là-dessus?

Je remercie le sénateur Wetston de m’avoir fait connaître ce livre, parce que la philosophie tout entière y est résumée.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Joyal : Au Sénat, les femmes ont le droit de contrôler leur corps. Elles ont le droit de faire partie de notre assemblée parce qu’elles se sont battues contre le gouvernement de l’époque pour obtenir ce droit.

Il y a 50 ans, d’aucuns ont émis l’idée que le gouvernement devrait aider les femmes à grimper les échelons du pouvoir économique. De nos jours, elles peuvent accéder aux plus hauts postes politiques, comme en témoignent les premières ministres actuelles ou passées de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de l’Ontario, du Québec et de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons aussi une ex-première ministre du Canada, Kim Campbell, qui a pris la parole en ces murs en mai dernier.

En politique, les femmes ont réussi à fracasser le plafond de verre, et elles sont sur le point de faire la même chose dans les sphères économiques. Ce sera alors à nous, grâce à ce projet de loi, de franchir la prochaine étape. Voilà pourquoi, honorables sénateurs, si le comité n’en amende pas le texte pour y préciser un échéancier raisonnable, en se fiant à l’expérience de nos partenaires canadiens et européens et en comptant sur la profession de foi du gouvernement actuel, qui se dit profondément féministe, nous aurons raté une occasion en or.

Voilà pourquoi j’envisage de présenter un amendement à l’étape de la troisième lecture si les sénateurs qui siègent au comité n’ont pas la possibilité d’examiner la question à fond et de prendre une décision historique pour ce qui est du pouvoir économique que nous souhaitons donner aux femmes. Voilà l’enjeu que soulève le projet de loi.

Son Honneur le Président : Sénateur Joyal, votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous avoir plus de temps pour répondre à une question?

Le sénateur Joyal : Oui.

Son Honneur le Président : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Une voix : Non.

Son Honneur le Président : J’ai entendu un « non ». Je suis désolé.

L’honorable sénateur Wetston, avec l’appui de l’honorable sénateur Joyal, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Des voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

Renvoi au comité

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Wetston, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.)

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—
Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénatrice Omidvar, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois.

L’honorable Marc Gold : Honorables sénateurs, le projet de loi C-46 s’attaque à un grave problème social, soit la conduite avec capacités affaiblies, et il le fait de façon prudente et responsable. Néanmoins, il s’agit d’un projet de loi complexe qui soulève plusieurs questions quant à son application concrète. Je pense notamment aux répercussions sur les ressources municipales et policières, à la possibilité que les groupes minoritaires soient ciblés de façon disproportionnée et à l’incidence sur notre système judiciaire. Je suis persuadé que certains de nos collègues aborderont ces questions importantes, entre autres, à mesure que nos travaux progresseront.

Aujourd’hui, je me pencherai sur les aspects constitutionnels du projet de loi C-46, dans l’espoir que mes propos aideront à orienter nos délibérations au sein du comité et dans cette Chambre.

[Traduction]

Néanmoins, je vous assure que je ne vous traiterai pas comme des étudiants de première année en droit constitutionnel.

Je commence en parlant des modifications que le projet de loi apporte en ce qui concerne l’alcool au volant.

Le projet de loi introduit un système de contrôles routiers aléatoires pour détecter la consommation d’alcool. Ce système pourrait remplacer celui qui est en place à l’heure actuelle, qui exige uniquement que le conducteur d’un véhicule se soumette à un alcootest s’il y a des raisons de croire qu’il a consommé de l’alcool ou que ses facultés sont affaiblies.

Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a examiné très attentivement les aspects constitutionnels de la question. Les nombreux experts juridiques qui ont témoigné ont tous convenu que les alcootests aléatoires contrevenaient bel et bien à la Charte, plus précisément au droit à la protection contre la détention ou l’emprisonnement arbitraires, de même qu’au droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit. Certains experts ne s’entendent pas sur le fait que les alcootests pourraient également empiéter sur le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

Quoi qu’il en soit, d’après l’article 1 de la Charte, les droits dont nous jouissons ne sont pas absolus, mais ils « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ».

La Cour suprême du Canada a établi un critère à quatre volets qui permet de déterminer si une restriction donnée, bien que prescrite par la loi, s’inscrit bel et bien dans des limites raisonnables.

Son Honneur le Président : Certains sénateurs ont du mal à entendre le sénateur Gold. J’invite les sénateurs qui discutent entre eux à poursuivre leur conversation à l’extérieur de la salle.

Pardonnez-moi de vous avoir interrompu.

Le sénateur Gold : Je vous remercie.

Le projet de loi C-46 respecterait les deux premiers volets du critère, d’une part, parce que les tribunaux ont déjà conclu que la réduction des préjudices causés par la conduite avec facultés affaiblies est un objectif important qui justifie qu’on restreigne les droits garantis par la Charte et, d’autre part, parce que les contrôles aléatoires de l’alcoolémie sont directement liés à l’objectif du projet de loi, qui consiste à dissuader les automobilistes ayant bu de l’alcool de prendre le volant. Ce sont toutefois les autres volets de l’analyse de l’article 1 qui suscitent davantage la controverse et qui ont provoqué des réactions au comité de l’autre endroit.

Le troisième volet du critère exige que la mesure législative ne porte pas atteinte au droit garanti par la Charte plus qu’il n’est nécessaire pour réaliser l’objectif. Quant au quatrième volet, il exige que les moyens choisis soient proportionnels à l’objectif, c’est-à-dire qu’il faut trouver le juste équilibre entre la restriction des droits garantis par la Charte et les avantages voulus par la loi.

Je traiterai ces deux derniers aspects ensemble, car bon nombre d’universitaires ont fait valoir, à juste titre, selon moi, qu’il y est question de la même chose, c’est-à-dire de l’ampleur de la restriction des droits par rapport aux avantages voulus.

[Français]

Ceux qui appuient le projet de loi C-46 font valoir le fait que la vérification aléatoire sur la route est rapide, non invasive et non stigmatisante, et qu’elle est comparable au contrôle aléatoire permettant de vérifier si un conducteur a un permis valide, un certificat d’immatriculation ou une preuve d’assurance. Même si les détracteurs du projet de loi contestent ces affirmations, du moins en partie, j’ai tendance à me ranger du côté de ceux qui soutiennent que les dérogations à la Charte sont relativement mineures dans le contexte d’une activité comme la conduite, qui est déjà fortement réglementée.

Cependant, cela n’est pas suffisant. L’article 1 requiert aussi une analyse visant à déterminer la mesure dans laquelle les moyens proposés dans la loi sont nécessaires pour permettre l’atteinte des objectifs de la loi, et si ces objectifs peuvent être réalisés sans enfreindre nos droits ou en les enfreignant moins. Dans le cas du projet de loi C-46, cela revient à évaluer l’efficacité des tests d’haleine aléatoires.

[Traduction]

C’est donc là le cœur du problème.

Comme l’a mentionné la sénatrice Boniface dans son discours au Sénat, de nombreuses études montrent les bienfaits qu’a eus le contrôle aléatoire de l’alcoolémie pour réduire la conduite avec facultés affaiblies par l’alcool ailleurs dans le monde. Les partisans du projet de loi se fondent sur ces études pour appuyer leur interprétation de l’article 1 dans ce contexte.

Par contre, les détracteurs du projet de loi remettent en question l’importance que l’on doit accorder à ces études. Ils soutiennent que les études comparatives ne tiennent pas compte des pratiques actuelles du Canada relativement au contrôle sélectif de l’alcoolémie et que l’incidence et les bienfaits prévus du contrôle aléatoire demeurent hypothétiques.

Honorables sénateurs, si les détracteurs ont raison, cela affaiblit considérablement l’argument selon lequel le projet de loi respecte l’article 1.

(1500)

C’est pourquoi le comité sénatorial qui étudiera ce projet de loi devrait avoir pour tâche principale de tenter de résoudre les interprétations contradictoires de ces études. En outre, il devrait s’assurer qu’il existe un plan exhaustif visant à faire connaître le nouveau régime de tests routiers, car c’est un élément clé pour que la loi ait l’effet dissuasif escompté. Le comité devrait aussi veiller à ce que des ressources adéquates soient prévues pour que le programme soit efficace.

Il est évident que le système fédéral canadien complique l’application des dispositions prévues dans le projet de loi, car ce sont les provinces, les municipalités et les services de police locaux qui en sont responsables. Néanmoins, à titre de législateurs, nous avons la responsabilité de nous assurer qu’un plan adéquat de mise en œuvre est prévu et est accompagné des ressources nécessaires. Cette condition doit absolument être respectée pour que le projet de loi soit conforme à la Charte.

Parlons maintenant brièvement des dispositions du projet de loi C-46 concernant les infractions de conduite après avoir consommé de la drogue.

Comme vous le savez, le projet de loi crée de nouvelles infractions dont seront coupables les personnes qui prendront le volant lorsque le taux d’une drogue comme le THC dans leur organisme dépassera une certaine limite. Ce projet de loi est important, que le cannabis soit légalisé ou non. Des gens se droguent, puis prennent le volant. Il y en a qui l’ont fait hier et d’autres, aujourd’hui. Des gens le feront aussi demain. C’est un problème dont on ne parle pas assez et dont il faut s’occuper.

Contrairement à la règle en vigueur pour les alcootests effectués au hasard, le projet de loi prévoit qu’un conducteur ne pourra être obligé de fournir un échantillon de salive pour y détecter la présence de drogue que s’il existe un motif raisonnable de le soupçonner d’avoir les facultés affaiblies. Cependant, si le test effectué sur la route indique la présence de drogue dans l’organisme, le conducteur pourra être obligé de fournir un échantillon de sang. Puis, s’il s’avère que le taux de THC dans le sang dépasse une certaine limite, qui doit être précisée dans un règlement, le conducteur aura commis un acte criminel. La gravité de cet acte et la peine qui en résultera dépendront du taux lui-même et de l’éventuelle présence simultanée d’alcool.

Il convient cependant de noter, honorables sénateurs, qu’il s’agit d’infractions en soi. Il n’est pas nécessaire que le conducteur ait les capacités affaiblies.

[Français]

Honorables sénateurs et sénatrices, la conduite avec capacités affaiblies par la drogue est depuis longtemps un crime au Canada, mais prouver que l’affaiblissement des capacités est causé par la drogue n’a jamais été chose facile.

Premièrement, ce n’est que récemment que des appareils pouvant être utilisés sur le terrain pour détecter la présence de drogues dans le système ont été mis à la disposition des policiers. De plus, ces appareils peuvent seulement détecter la présence de certaines drogues dans la salive, pas leur concentration.

Deuxièmement, les appareils qui mesurent la concentration de drogues dans les liquides corporels, comme le sang ou l’urine, ne font que cela. Ils ne peuvent établir le fait qu’une personne est en état de capacités affaiblies.

Il faut admettre que les connaissances scientifiques dont nous disposons actuellement ne nous permettent pas d’établir clairement un lien entre la quantité de THC dans l’organisme et l’affaiblissement des capacités, car l’effet du THC varie grandement selon la quantité consommée, le moyen d’ingestion, le temps écoulé depuis l’utilisation et les différences individuelles entre les gens. Autrement dit, il est impossible d’établir clairement une corrélation entre une concentration donnée dans le sang et la mesure dans laquelle les capacités sont affaiblies.

[Traduction]

Honorables sénateurs, cela ouvre la porte à la possibilité que les infractions en soi puissent enfreindre l’article 7 de la Charte, qui stipule que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de la justice fondamentale.

Nos tribunaux ont établi qu’une loi imposant la peine d’emprisonnement, même si elle repose sur un pouvoir discrétionnaire, constitue, du fait même de cette peine, une privation de liberté. À cet égard, la seule question est de savoir si la violation est conforme aux principes de la justice fondamentale.

Nous, sénateurs, n’avons pas à nous préoccuper de la signification au sens procédural du concept de justice fondamentale — la justice naturelle pour les avocats dans la pièce. Quant à la justice fondamentale au sens concret — et je choisis mes mots soigneusement ici —, nos tribunaux ont été quelque peu incohérents, pour ne pas dire extrêmement inutiles, pour ce qui est d’énoncer des critères clairs et prévisibles visant à déterminer si une loi enfreint la justice fondamentale.

Néanmoins, pour nos fins, il est suffisant de savoir que les principes de la justice fondamentale, quel qu’en soit le sens, sont violés par des lois qui sont vagues, ou arbitraires, ou excessives.

Les infractions en soi dont nous discutons aujourd’hui sont tout sauf vagues. Elles sont très précises. À mon avis, honorables sénateurs, elles ne sont pas non plus arbitraires. Les données présentées aux membres du comité de la Chambre établissent clairement que l’utilisation du cannabis a effectivement un effet sur les activités mentales et motrices nécessaires à une conduite sécuritaire sur la route. De plus, les niveaux de THC qui sont actuellement proposés dans le projet de règlement correspondent aux données scientifiques dont nous disposons. Ces niveaux sont fondés sur l’expérience d’autres États. Peu importe ce qu’on pourrait dire, ils ne sont pas arbitraires.

Toutefois, cette mesure législative ratisse-t-elle plus large que nécessaire pour atteindre ses objectifs? Cela dépend, bien entendu, de la façon dont nous définissons les objectifs.

En lisant le projet de loi, j’ai vu que l’un des objectifs était de dissuader les gens de consommer de la drogue avant de prendre la route. Dans cette optique, les règles de l’illégalité en soi peuvent être justifiées justement parce que nous n’avons pas la base scientifique qui nous permettrait de corréler avec plus de précision la concentration de THC dans l’organisme et l’affaiblissement des facultés. C’est une approche prudente, un premier pas, en attendant de disposer de plus de connaissances scientifiques.

À tout le moins, dans le cas de l’usage récréatif du cannabis, je suis raisonnablement certain que les dispositions sont conformes à la Charte, mais que dire de ceux qui consomment actuellement du cannabis à des fins médicales?

Honorables sénateurs, la Cour suprême, dans l’arrêt Carter, a déterminé que le droit de prendre des décisions concernant les soins qui nous sont prodigués fait partie du droit à la liberté protégé par l’article 7 de la Charte. Dans l’affaire Smith, le tribunal a jugé que l’accès à des produits du cannabis à des fins médicales était aussi couvert par l’article 7.

Pour les raisons invoquées par la sénatrice Saint-Germain hier, il est possible que le projet de loi empiète sur les droits protégés par la Charte des personnes qui consomment du cannabis pour des raisons médicales. Pourquoi? Parce que le THC peut demeurer détectable dans le sang des consommateurs réguliers pendant des jours, voire des semaines, après la dernière prise. Les utilisateurs à des fins médicales se retrouvent donc devant un dilemme : soit ils doivent cesser toute consommation plusieurs jours avant de conduire, soit ils renoncent pour toujours à conduire. De plus, un consommateur de cannabis à des fins médicales aura tendance à avoir un seuil de tolérance plus élevé qu’un utilisateur fréquent et, par conséquent, n’aura pas les facultés autant affaiblies que le consommateur occasionnel, même avec la même concentration de THC dans l’organisme. Un consommateur de marijuana à des fins médicales pourrait donc être reconnu coupable d’un des délits considérés comme une infraction en soi tout en n'ayant nullement les facultés affaiblies.

Je reconnais que cette dernière observation semble s’appliquer également à ceux qui consomment régulièrement du cannabis à des fins récréatives. Je vois toutefois une différence entre une personne qui choisit de consommer de la drogue puis de conduire sans se préoccuper de la loi, et quelqu’un à qui on a prescrit du cannabis à des fins médicales conformément à ses droits constitutionnels, à tort ou à raison, et qui ne peut donc pas conduire sans commettre une infraction.

Il faut se demander s’il y aurait moyen d’atteindre les objectifs visés par le projet de loi sans pénaliser les personnes qui exercent leur droit à un traitement médical, conformément à la Constitution.

Honorables sénateurs, nous pouvons envisager différentes options, séparées ou combinées. Je tiens toutefois à dire d’entrée de jeu, en toute franchise, qu’elles créeraient peut-être autant de problèmes qu’elles n’en régleraient.

On pourrait, par exemple, prévoir une exception aux règles de l’illégalité en soi à l’intention des consommateurs de drogue à des fins médicales. La conduite avec facultés affaiblies par la drogue serait toujours criminelle, bien sûr. Il en a toujours été ainsi, que les drogues aient été fournies sur ordonnance ou non, et cela restera.

Il y a une autre option : on pourrait créer une exception fondée sur la diligence raisonnable. Ainsi, il reviendrait au consommateur de drogue à des fins médicales de démontrer qu’il a laissé passer assez de temps entre la consommation de la drogue et le moment où il a pris le volant, et qu’il avait de bonnes raisons de croire que ses facultés ne seraient plus affaiblies par la drogue.

Une troisième option serait de voir à ce que les consommateurs de drogue à des fins médicales ne soient pas passibles d’emprisonnement. On éviterait ainsi les contestations fondées sur l’article 7, puisque les tribunaux canadiens ont statué que l’imposition d’une amende ou la suspension du permis de conduire ne portent pas atteinte au droit à la liberté prévu par la Charte.

J’espère que le comité se penchera sur ces enjeux. La situation n’est pas exactement la même que pour les contrôles aléatoires de l’alcoolémie, et l’autre endroit ne semble pas avoir étudié suffisamment les enjeux constitutionnels qui découleraient de l’application des infractions en soi aux consommateurs de drogue à des fins médicales.

Honorables sénateurs, je conclurai en revenant à mon point de départ. Le projet de loi C-46 vise à résoudre un problème social important de façon prudente et responsable, et j’en appuie le principe. Cependant, comme c’est un projet de loi complexe qui aurait certainement une incidence sur les droits constitutionnels garantis par la Charte, il mérite une étude approfondie tant au comité qu’au Sénat.

(1510)

Merci de votre attention.

Son Honneur le Président : Votre temps de parole est écoulé, sénateur Gold, mais un sénateur aimerait poser une question. Voulez-vous plus de temps pour y répondre?

Le sénateur Gold : Oui, Votre Honneur, merci. J’en serais ravi.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Je remercie le sénateur Gold. J’ai commencé à prendre connaissance du projet de loi C-46 et, ce matin, j’ai eu la chance de rencontrer les représentants à titre de critique officiel de notre groupe pour ce projet de loi.

Je m’interroge sur la volonté du gouvernement d’établir une infraction criminelle par voie de règlement. Vous avez remarqué que les limites imposées en termes de quantité de drogue le sont par décret plutôt que par l’exercice du pouvoir qu’a le Parlement de fixer ces limites, comme c’est le cas pour la limite de 0,08 concernant le taux d’alcoolémie. On nous explique que c’est parce que la science évolue et qu’on veut être flexible. Cependant, comme nous avons entendu une interprétation particulière de la science de la part de certains ministres, je m’inquiète quant au fait que ces limites soient fixées par voie de règlement par le gouvernement, notamment en ce qui a trait à la nature de la définition de la science, mais également à la publication, puisqu’un décret est moins public qu’un débat tenu au Parlement. Un décret est établi comme s’il s’agissait d’une loi.

Ma question est la suivante. Avez-vous étudié en profondeur cette volonté du gouvernement de passer outre l’autorité du Parlement d’établir un acte criminel?

Le sénateur Gold : Sénateur, je vous remercie de votre question. J’avoue que je n’ai pas étudié profondément cet aspect de la question. Toutefois, vous avez raison lorsque vous dites que, normalement, on retrouve les limites dans la législation comme telle. J’ai aussi compris que la raison pour laquelle le gouvernement a légiféré par voie de règlement, c’est que la science « évolue » et qu’on en saura davantage, au fur et à mesure, au sujet de l’affaiblissement des capacités.

Cependant, j’avoue que je n’ai pas étudié la question plus en profondeur.

Le sénateur Carignan : Ce qui me surprend, c’est la possibilité de demander un échantillon d’urine — qui donne beaucoup d’information sur la consommation que fait une personne — pour tenter d’établir la quantité de THC dans le sang, alors qu’il n’existe aucune corrélation entre le niveau de THC dans l’urine par rapport au niveau de THC dans le sang.

Avez-vous également noté cette incongruité, notamment sur la question des fouilles abusives? Parce que si l’on demande un échantillon d’urine et que l’information que nous avons est non pertinente à la preuve de l’infraction que l’on veut établir, cela m’apparaît être une fouille abusive également.

Le sénateur Gold : Encore une fois, sénateur, c’est une bonne question. Je crois qu’il y a beaucoup de questions techniques. Je ne veux pas minimiser leur importance, mais j’espère que le comité se penchera sur tous les aspects que je n’ai pas mentionnés du tout, par exemple les déclarations de fait. De toute évidence, plusieurs aspects du projet de loi C-46 devront faire l’objet d’une étude approfondie en comité, et je crois qu’on réussira à le faire.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Budget des dépenses de 2017-2018

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier le Budget supplémentaire des dépenses (B)

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 22 novembre 2017, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2018;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à siéger même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2017

Rejet de la motion tendant à autoriser certains comités à étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 22 novembre 2017, propose :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à examiner la teneur complète du projet de loi C-63, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 22 mars 2017 et mettant en œuvre d’autres mesures, déposé à la Chambre des communes le 27 octobre 2017, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat;

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à siéger pour les fins de son examen de la teneur du projet de loi C-63 même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

Que, de plus, et nonobstant toute pratique habituelle :

1.Les comités suivants soient individuellement autorisés à examiner la teneur des éléments suivants du projet de loi C-63 avant qu’il ne soit présenté au Sénat :

a)le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce : les éléments des sections 2, 4, 5, 6, 10 et 12 de la partie 5;

b)le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles : les éléments de la section 7 de la partie 5;

c)le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles : les éléments de la section 11 de la partie 5;

d)le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie : les éléments de la section 8 de la partie 5;

2.Chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-63, soit autorisé à siéger pour les fins de son étude, même si le Sénat siège à ce moment-là, l’application de l’article 12-18(1) du Règlement étant suspendue à cet égard;

3.Chacun des différents comités indiqués au point numéro un, qui sont autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-63, soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 12 décembre 2017;

4.Au fur et à mesure que les rapports des comités autorisés à examiner la teneur de certains éléments du projet de loi C-63 seront déposés au Sénat, l’étude de ces rapports soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance;

5.Le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit simultanément autorisé à prendre en considération les rapports déposés conformément au point numéro quatre au cours de son examen de la teneur complète du projet de loi C-63.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion portant sur l’étude préalable du projet de loi C-63, le deuxième projet de loi d’exécution du budget que le gouvernement présente cette année.

Une étude préalable sera utile dans le cas du projet de loi pour trois raisons. Premièrement, elle nous permettra d’utiliser notre temps plus efficacement pour nous concentrer sur certaines mesures contenues dans la mesure législative. Deuxièmement, les comités sénatoriaux les mieux outillés pourront examiner en profondeur les mesures budgétaires et entendre les témoignages d’intervenants et de Canadiens. Troisièmement, l’étude préalable ouvrira un dialogue plus tôt avec le gouvernement et l’autre endroit pour discuter des préoccupations et des questions à propos de la mesure législative.

L’étude préalable représente un outil efficace pour l’exécution du mandat du Sénat du Canada. En résumé, elle nous permettra de faire notre travail et de bien le faire.

Permettez-moi de préciser tout de suite ce qu’une étude préalable ne fera pas. Elle n’empêchera pas le Sénat de discuter et de débattre pleinement du projet de loi ni de le mettre aux voix, une fois qu’il aura été adopté à l’autre endroit et renvoyé ici. En d’autres mots, une étude préalable n’empêche aucunement un second examen objectif ni ne remplace l’étape de l’étude en comité dans les travaux du Sénat. Au contraire, elle enrichit le processus. C’est ce que l’expérience nous a appris.

Les assemblées législatives utilisent les études préalables de différentes façons — certaines y ont recours plus souvent que d’autres. Dans les cas des projets de loi budgétaires et d’autres mesures législatives complexes et volumineuses, les études préalables se sont révélées un outil extrêmement utile qui permet une analyse plus approfondie et une efficacité accrue.

Les études préalables nous permettent de bonifier le rôle de second examen objectif en fournissant le temps et l’espace nécessaires pour une approche ciblée, un dialogue et un examen approfondi dans le contexte du calendrier parlementaire du gouvernement.

À titre d’ancien greffier du Sénat, Gary O’Brien a affirmé cette année ce qui suit devant le Comité sur la modernisation du Sénat :

J’ai toujours été convaincu du bien-fondé des études préalables. C’est une très bonne façon pour le Sénat de participer dès le début d’un projet de loi.

De plus, une étude préalable améliore notre efficacité, particulièrement dans le cas des projets de loi budgétaires, lesquels jouent un rôle crucial dans la gouvernance. J’ajoute que l’adoption de tels projets de loi dans les meilleurs délais est une façon importante pour le Sénat d’offrir une certitude juridique et économique aux entreprises et aux foyers canadiens.

Certains universitaires croient que le Sénat du Canada doit effectuer plus, et non moins, d’études préalables.

Le professeur Paul Thomas a affirmé que le recours aux études préalables permet au Sénat d’exercer de manière un peu moins conflictuelle son influence sur l’objet des projets de loi, avant qu’il ne les reçoive de la Chambre des communes.

Andrew Heard souligne que l’étude préalable peut nous être avantageuse parce qu’elle permet d’étaler l’échéancier de l’examen législatif, mais il nous rappelle qu’elle doit être menée de manière à conserver l’influence perceptible du Sénat sur le processus législatif et que les changements proposés dans le cadre de cette étude doivent être compilés et rendus publics.

En 2001, on a demandé au Président du Sénat de se prononcer sur une question concernant l’étude préalable d’un projet de loi antiterroriste complexe. Je vais maintenant citer quelques extraits de la décision qu’il a rendue à l’époque :

L’étude préalable fait partie des usages du Sénat depuis plus de trente ans. […] Cette façon de procéder vise à laisser plus de temps au Sénat pour étudier les projets de loi, en particulier lorsque ceux-ci sont complexes et controversés, sans perturber le calendrier législatif global du gouvernement. Elle permet en même temps aux sénateurs d’intervenir plus activement dans le processus législatif puisqu’elle fait en sorte que le travail du Sénat ait une certaine influence sur l’étude d’un projet de loi, lorsque celui est encore à l’étude à la Chambre. […]

On s’y attendrait, le rapport de l’étude préalable a assurément alimenté le débat sur le projet de loi, mais il n’en a pas limité le déroulement ni déterminé la conclusion. Les deux ont été traités comme des procédures différentes et séparées.

Plus récemment, soit en 2007, les sénateurs ont été appelés à se prononcer à huit reprises sur la réalisation d’une étude préalable des deuxièmes lois d’exécution du budget. Ils ont voté en faveur d’une telle étude dans six de ces cas.

(1520)

Il est évident que l’étude préalable est une pratique bien établie au Sénat.

Elle permet au Sénat d’avoir son mot à dire à une étape importante du processus législatif. De plus, cette pratique permet au Sénat d’être prêt à se prononcer sur les questions litigieuses liées à des projets de loi volumineux et complexes afin que les débats soient productifs et que les Canadiens puissent comprendre le point de vue du Sénat. Les études préalables ont également permis au Sénat de mettre en garde la population et le gouvernement en temps opportun.

Quatre projets de loi en tout ont fait l’objet d’études préalables au cours de la présente législature. Dans les quatre cas, les études ont été approfondies, constructives et utiles pour cerner des enjeux fondamentaux, et parfois même répondre à ceux-ci.

Les honorables sénateurs se souviendront peut-être de l’étude préalable du projet de loi C-29, la Loi no 2 d’exécution du budget de l’an dernier. L’étude préalable a permis au Sénat d’examiner en profondeur toutes les parties du projet de loi. Lorsqu’il a reçu le projet de loi C-29, il était ainsi prêt à se concentrer sur les questions les plus importantes nécessitant une analyse plus approfondie. Vous vous souviendrez que les questions portaient sur la prépondérance du régime fédéral de protection des consommateurs dans le secteur bancaire et la suppression de certaines échappatoires fiscales. Le débat que nous avons eu à ce sujet a été rigoureux, complet et compréhensible pour les Canadiens. Il a aussi convaincu le gouvernement de retirer la section du projet de loi portant sur la protection des consommateurs et les banques afin d’en reporter l’examen.

Un autre exemple récent de la valeur ajoutée des études préalables est le cas du projet de loi C-44. Si le Sénat n’avait pas eu l’occasion de fournir des commentaires constructifs sur les mesures concernant le directeur parlementaire du budget, une collision dangereuse entre les deux Chambres aurait pu avoir lieu.

Certes, les études préalables nous aident à bien faire notre travail, mais elles aident également l’autre endroit. Mme Petitpas Taylor, qui a été secrétaire parlementaire et qui est maintenant ministre, a souligné ce qui suit concernant l’étude préalable du projet de loi C-44 que nous avions faite :

L’étude minutieuse et approfondie que le Sénat a faite du projet de loi C-44 est un volet important de notre examen parlementaire. Les travaux des sénateurs ont éclairé nos délibérations en nous permettant de bénéficier d’un point de vue législatif indépendant pendant les travaux de la Chambre. Les sénateurs, qu’ils soient indépendants, libéraux ou conservateurs, ont soulevé des questions auxquelles le gouvernement a pu réfléchir davantage et dont il a fait une étude approfondie.

Enfin, honorables sénateurs, je sais que vous vous souviendrez de l’étude préalable du projet de loi C-14 concernant l’aide médicale à mourir.

Dans le cadre de nos délibérations entourant l’étude préalable, la sénatrice Fraser a pris soin de souligner que, bien qu’elle appuyait la motion relative à l’étude préalable, celle-ci ne remplacerait aucunement les délibérations rigoureuses du comité et de l’ensemble des sénateurs lorsque la version finale du projet de loi parviendrait au Sénat.

La sénatrice Martin a également exprimé son appui à l’égard de la motion relative à l’étude préalable, en reconnaissant que la pratique permettait au Sénat de faire un « travail remarquable ».

Le sénateur Joyal a cité des universitaires qui se spécialisent dans la procédure parlementaire, dont le professeur Paul Thomas, qui a dit ce qui suit :

Le mécanisme de l’étude préliminaire s’est avéré des plus efficaces lorsqu’on voulait influencer la pensée du gouvernement sans que le Sénat renonce au droit qu’il conserve toujours de proposer des amendements.

Je répète que le sénateur Joyal, dans sa sagesse, a ajouté, dans ses propres mots, « c’est ce que nous devons garder à l’esprit en amorçant l’étude préalable. »

Comme l’ont dit si éloquemment ces honorables collègues, l’étude préalable est justifiée en temps et lieu au Sénat.

L’étude préalable permet au Sénat de jouer son rôle complémentaire avec efficacité et rigueur au profit des Canadiens.

Honorables sénateurs, nous avons du travail à faire. Les ménages et les entreprises comptent sur le gouvernement pour faire le travail qu’il a promis de faire et, en tant que parlementaires, nous avons un rôle intégral à jouer. Il est tout à fait raisonnable et légitime que les Canadiens s’attendent à ce que le projet de loi mettant en œuvre le budget de 2017 soit adopté en 2017. Selon moi, les Canadiens s’attendent à ce que nous respections le cycle parlementaire et le cycle budgétaire parce qu’il est parfaitement logique d’effectuer les travaux du jour aujourd’hui.

Je tiens à rappeler au Sénat que, au cours des 10 dernières années, les huit projets de loi no 2 d’exécution du budget ont été adoptés en décembre, avant la pause hivernale. La dernière fois qu’un projet de loi no 2 d’exécution du budget a été approuvé après la pause, c’était il y a plus de 10 ans. Je tiens à préciser qu’il y a une exception, soit le projet de loi C-28, qui a été présenté au cours de la 39e législature et qui n’a pas fait l’objet d’une étude préalable.

L’étude en temps opportun des projets de loi budgétaires est une bonne pratique du Sénat et est tout à fait conforme aux droits et aux privilèges du Sénat, ainsi qu’à son devoir d’examiner tous les projets de loi.

Dans ce cas-ci, comme en témoigne la motion, l’étude préalable permettra au Sénat d’effectuer un examen précieux et diligent de la loi d’exécution du budget. Ainsi, lorsque la Chambre des communes renverra le projet de loi au Sénat, nous serons en mesure de poursuivre nos travaux de façon plus efficace, parce que nous aurons déjà examiné le projet de loi en profondeur.

Les retards n’ajouteront pas à notre charge de travail; cette dernière va simplement s’accumuler.

Nous pouvons nous attendre à un nouveau projet de loi d’exécution du budget au début de 2018, ainsi qu'à un nouveau budget. Il ne serait pas responsable de créer un arriéré de projets de loi d’exécution du budget alors que nous disposons d’un outil flexible et sensé pour traiter un grand nombre de mesures législatives complexes en temps opportun. L’étude préalable est une façon pragmatique et responsable d’aborder les travaux.

Les entreprises canadiennes et les ménages canadiens comptent sur le gouvernement pour respecter les promesses qu’il a faites. Tout retard politique entraîne de l’incertitude. Lorsqu’il y a de l’incertitude politique, il y a de l’incertitude économique. Comme nous le savons tous, le gouvernement a un rôle à jouer pour réduire les incertitudes dans l’esprit du public.

Une étude préalable du projet de loi C-63 cadre avec un Sénat plus actif — un Sénat qui est essentiel au processus législatif, un partenaire précieux au sein du Parlement bicaméral du Canada, dont l’objectif commun est de faire du bon travail pour tous les Canadiens.

En conclusion, je vous demande d’appuyer la motion d’étude préalable. Nous n’abdiquons pas nos responsabilités. Au contraire, je crois que cela nous aidera à nous acquitter de nos responsabilités. J’espère que nous pourrons voter aujourd’hui même sur la motion à l’étude. Le comité pourra ainsi entamer ses travaux dès le début de la semaine prochaine.

L’honorable Art Eggleton : J’aimerais que le sénateur Harder nous dise où en est exactement le projet de loi C-63 dans le processus de la Chambre des communes et quand le projet de loi sera vraisemblablement renvoyé au Sénat.

Le sénateur Harder : Je vous remercie de votre question, honorable sénateur. Je crois comprendre que l’autre endroit est toujours en train de débattre du projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Je crois que le projet de loi a quitté le comité. Je suis incapable de prédire quand le débat se terminera à l’autre endroit, mais je m’attends à ce que le projet de loi arrive, selon la coutume, suffisamment tôt au Sénat pour que nous puissions en débattre avant le congé des Fêtes.

Le sénateur Eggleton : Si le projet de loi en est à l’étape de la troisième lecture, il pourrait être renvoyé ici le premier jour de la semaine prochaine. À quoi servira une étude préalable, si, effectivement, nous recevons le projet de loi sous peu?

Le sénateur Harder : Je comprends votre question. J’aimerais faire deux observations. La première, c’est que j’espérais que la motion soit présentée au Sénat il y a plusieurs semaines. Ce n’est pas ce qui s’est produit pour diverses raisons, qui sont évidentes pour les sénateurs. Cependant, même si la Chambre des communes devait nous renvoyer le projet de loi — le soumettre à un vote la semaine prochaine, puis le renvoyer ici la semaine suivante, hypothétiquement —, cela permettrait au comité d’entamer l’étude du projet de loi, de sorte que nous disposerions de 10 jours supplémentaires de délibérations en comité avant le congé des Fêtes.

L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Honorables collègues, il y a en fait deux aspects à cette motion. Ces deux aspects se confondent et nous parlons parfois des deux en même temps, mais il importe de comprendre qu’il y a deux aspects.

D’abord, il y a la longueur de ce projet de loi omnibus d’exécution du budget. Il compte 317 pages. On y crée quelques banques. J’ai avancé des arguments ici à plusieurs reprises au sujet des projets de loi omnibus, et nous y revoici.

Nous acceptons généralement de scinder un projet de loi et d’en renvoyer des parties à différents comités pour qu'ils y soient étudiés. Cette façon de procéder montre bien que le projet de loi renferme de nombreuses mesures qui ne peuvent être étudiées adéquatement par un seul comité.

De façon générale, nous sommes d’accord avec la leader adjointe du gouvernement pour répartir la charge de travail entre les divers comités, mais il s’agit là d’une solution pratique pour traiter un projet de loi multidimensionnel. J’aimerais revenir au cas d’un projet de loi portant sur un seul sujet qui nous serait renvoyé.

Le projet de loi C-49 ne pose aucun problème en tant que projet de loi omnibus, parce qu’il ne porte que sur les transports. Il peut donc être confié au Comité des transports, et c’est tout.

Par contre, quand il s’agit d’étudier un projet de loi qui part dans tous les sens, les choses se compliquent et nous faisons des erreurs. Nous avons commis des erreurs par le passé. Vous avez entendu parler de ces erreurs.

(1530)

Celle qui ne cesse de me revenir à l’esprit est notre assentiment à une petite disposition située à la toute fin d’un document de 300 ou 400 pages qui permettait à l’exécutif d’emprunter de l’argent sans avoir à obtenir l’autorisation du Parlement. Il s’agissait de l’un des rôles fondamentaux du Parlement et nous l’avons abdiqué sans débat, et la plupart d’entre nous ne l’ont même pas remarqué avant qu’il ne soit trop tard. Voilà ce qui me préoccupe généralement au sujet des projets de loi omnibus d’exécution du budget.

L’autre aspect est l’étude préalable. Les commentaires du sénateur Harder étaient axés sur l’étude préalable, mais je veux que vous gardiez les deux aspects à l’esprit. Je me méfie généralement de l’étude préalable. Je sais qu’elle est prévue dans le Règlement. Je sais qu’elle peut être un outil utile de temps à autre. Cependant, j’estime qu’elle nous empêche de jouer notre rôle de Chambre de second examen objectif. Elle nous impose un rôle parallèle à celui de la Chambre des communes, ce qui m’a toujours préoccupé. J’en ai déjà parlé.

Permettez-moi de me pencher un peu plus en détail sur la motion et la situation que nous avons.

Le projet de loi C-63, Loi no 2 d’exécution du budget, porte sur le budget présenté à l’autre endroit le 22 mars dernier. Le premier projet de loi d’exécution du budget dont a parlé le sénateur Harder, c’est-à-dire le projet de loi C-44, a reçu la sanction royale le 22 juin, juste avant la pause estivale, après que la Chambre des communes a rejeté les amendements du Sénat. Nous avions convenu de ne pas exiger l’adoption de nos amendements. Vous vous souvenez sûrement tous de cette période en juin.

Il s’agit du deuxième projet de loi que nous étudions qui aurait pour objectif de mettre en œuvre certains éléments du même budget, le budget de 2017. Le projet de loi C-63 a atteint l’étape du rapport à l’autre endroit. Hier, le comité l’a renvoyé sans amendements; cela répond à la question du sénateur Eggleton. Si j’ai bien compris, le projet de loi devrait être étudié aux étapes du rapport et de la troisième lecture lundi et mardi.

Chers collègues, un des principaux arguments habituellement présentés pour demander une étude préalable — celui que vient d’ailleurs tout juste de donner le sénateur Harder —, c’est que cette façon de faire donne l’occasion à la Chambre des communes de tenir compte de nos conclusions pendant sa propre étude du projet de loi. L’autre endroit peut ainsi tenir compte de nos recommandations et apporter des amendements au projet de loi en fonction de nos préoccupations avant de nous le renvoyer. C’est l’argument qu’on entend souvent.

Cependant, le Comité permanent des finances de la Chambre des communes a déjà terminé l’étude du projet de loi. Il a mené son étude article par article. Comme je l’ai mentionné, le programme prévu à la Chambre des communes indique que le projet de loi franchira l’étape du rapport sans amendements, alors cela se fera assez rapidement, et que la troisième lecture sera effectuée lundi et mardi. À notre retour, mardi après-midi, le projet de loi pourrait nous être renvoyé.

S’il y avait une occasion pour que l’autre endroit tienne compte des conclusions et des recommandations d’une étude préalable, cette occasion est passée depuis longtemps. Le sénateur Harder a mentionné qu’il aurait voulu que cette motion soit présentée plus tôt, et peut-être que la situation aurait été différente si cela avait été le cas. La réalité est que le projet de loi pourrait nous être renvoyé la semaine prochaine, alors pourquoi débattons-nous présentement de cette motion? Même si elle était adoptée aujourd’hui, est-ce qu’on peut prétendre avec sérieux que le Comité des finances de l’autre endroit serait en mesure de tenir compte des travaux d’une étude préalable qui ne débuterait que la semaine prochaine?

Il faut aussi tenir compte du travail que notre comité effectuera ici. Le Comité permanent des finances nationales se trouve actuellement dans ma province, le Nouveau-Brunswick, où il tient des audiences sur les nouvelles propositions fiscales du ministre des Finances, M. Morneau, à la demande et sur les encouragements du gouvernement. Quand le comité reviendra à Ottawa, il devra élire ses vice-présidents et s’organiser parce qu’il n’a pas pu faire cela sur la route. Il devra travailler sur son rapport sur les audiences concernant les modifications fiscales qu’il a tenues d’un bout à l’autre du pays. Enfin, il devra entreprendre l’examen du Budget supplémentaire des dépenses (B), conformément à la motion que nous venons d’adopter. C’est ce que le Comité des finances devra faire au cours des prochains jours. Il ne pourra pas entreprendre l’étude préalable avant au moins une semaine.

Dans ces circonstances, peut-on s’attendre de manière réaliste à ce que notre comité puisse mener une étude préalable à temps pour qu’elle soit examinée à l’étape du rapport lundi prochain à l’autre endroit? Je ne crois pas.

Chers collègues, on nous dit que le projet de loi C-63 doit être adopté rapidement, c’est-à-dire avant que le gouvernement commence à travailler sur son budget de 2018. On nous dit qu’il ne serait pas raisonnable d’être encore en train d’examiner un projet de loi d’exécution du budget de 2017 alors que le gouvernement prépare le budget de 2018, qui devrait être publié en mars prochain. On nous dit qu’il serait inconcevable de s’attendre à ce que le gouvernement présente le nouveau budget sans d’abord avoir fait adopter les projets de loi d’exécution du budget de 2017. Toutefois, est-ce que ce serait vraiment inconcevable?

Examinons un autre projet de loi no 2 d’exécution du budget, soit celui qui portait sur le budget de 2004. Ce budget avait été présenté par Ralph Goodale, alors ministre des Finances, le 23 mars 2004. Près d’un an plus tard, le 7 mars 2005, le Sénat a été saisi du projet de loi no 2 d’exécution du budget, le projet de loi C-33. Je m’en souviens parce que j’étais le parrain de ce projet de loi.

Le sénateur Plett : C’était un horrible projet de loi.

Le sénateur Day : Il a fini par être adopté par le Sénat. Merci d’avoir appuyé ce projet de loi à ce moment-là.

Le sénateur Mercer : Il n’était pas au Sénat à l’époque.

Le sénateur Day : Il n’y a pas eu d’étude préalable pour ce projet de loi, honorables sénateurs. Il a été traité comme un projet de loi ministériel normal. C’est ce qu’il était, même s’il touchait à certains aspects importants du budget d’un an plus tôt.

Toutefois, entre-temps, le 23 février 2005, M. Goodale avait déposé le budget de 2005. Le Sénat a reçu et adopté le projet de loi no 2 d’exécution du budget de 2004 bien après que le gouvernement eût eu déposé le budget de l’année suivante. Je crois que cela montre que l’idée selon laquelle il faut à tout prix que tous les projets de loi d’exécution du budget de l’année en cours soient traités le plus rapidement possible parce qu’un nouveau budget sera déposé au mois de mars de l’année suivante est erronée. Personne ne trouvait cela inusité en 2004 ou 2005.

(1540)

En fait, le sénateur Murray a déclaré, pendant un débat tenu le 20 avril 2005 : « […] il ne faudrait pas donner à ce projet de loi un caractère d’urgence […] »

C’est généralement ce que nous cherchons à déterminer quand il est question de mener une étude préalable : quelle est l’urgence? Pourquoi faudrait-il s’attaquer rapidement à ce dossier précis? Pourquoi le processus normal ne conviendrait-il pas?

Le sénateur Murray a tenu ces propos alors que le projet de loi à l’étude visait à mettre en œuvre les dispositions d’un budget déposé 13 mois plus tôt, et qu’un autre budget avait été déposé entre-temps.

Lorsque je suis intervenu à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-33, j’ai d’ailleurs rappelé aux sénateurs que mes observations portaient sur le budget de 2004 et non sur celui de 2005, annoncé peu de temps auparavant. Ces deux budgets modifiaient les frais de sécurité facturés aux passagers en vertu du Droit pour la sécurité des passagers du transport aérien. Le Sénat n’a eu aucune difficulté à traiter les modifications prévues dans le budget de 2004 et le projet de loi no 2 d’exécution du budget, dont nous débattions ce jour-là, et ce, même si le budget de 2005 modifiait encore les frais en question.

Bref, il est utile de savoir comment le Sénat a traité le projet de loi C-33, une mesure d’exécution du budget présentée par le gouvernement libéral de l’époque. Cela dit, l’actuel gouvernement libéral nous dit maintenant qu’il faut adopter le nouveau projet de loi budgétaire avant la fin de l’année civile, donc plusieurs mois avant le dépôt du prochain budget. On ne nous a malheureusement pas fourni de motifs qui justifieraient cette urgence. Nous n’avons toujours pas reçu le projet de loi, mais nous pourrions le recevoir dès la semaine prochaine. Le gouvernement nous encourage vivement à accepter la motion d’examen préalable pour que nous puissions le traiter rapidement dès sa réception.

On nous presse de renoncer à notre rôle de Chambre de second examen objectif pour endosser celui de Chambre d’examen concomitant. S’il y avait une raison impérieuse d’adopter cette approche, je pourrais y souscrire, mais je n’en vois aucune qui justifie une étude préalable. S’il y avait dans le projet de loi C-63 des dispositions qui ne pouvaient pas entrer en vigueur avant la sanction royale, cela nous amènerait à reconsidérer notre décision de procéder à l’étude préalable, mais il n’y en a aucune.

Il y a plus d’une semaine, mes services ont demandé à ceux du représentant du gouvernement s’il y avait dans le projet de loi des dispositions urgentes, supposant l’adoption avant l’ajournement pour les vacances de Noël et du Nouvel An. On nous a répondu qu’il n’y en avait pas, en ajoutant que le sénateur Harder « estimait que l’adoption du projet de loi C-63 cette année était opportune et raisonnable, compte tenu des attentes du public, des pratiques antérieures relatives aux projets de lois budgétaires et de la nécessité de diligenter l’examen du programme législatif du gouvernement ».

C’est à peu près ce que vient de nous dire le sénateur Harder. J’ai déjà montré, avec l’exemple du projet de loi C-33 en 2004, que les pratiques antérieures ne justifient pas l’idée que le Sénat doit automatiquement approuver les études préalables de tous les projets de loi d’exécution du budget afin que nous puissions les expédier dès leur renvoi chez nous, surtout s’ils ne contiennent pas de disposition urgente.

Je conviens cependant de la nécessité pour le gouvernement de diligenter l’examen de l’ensemble de son programme législatif. Cela doit toutefois se faire dans le respect du rôle que doit jouer le Sénat en tant qu’organe législatif complémentaire chargé de porter un second regard attentif aux projets de loi. J’ai pour priorité d’assurer que le Sénat puisse jouer ce rôle. Il doit pouvoir disposer du temps nécessaire pour examiner les textes de loi adoptés à l’autre endroit. L’étude préalable systématique court-circuite le processus. La Chambre des communes aura étudié le projet de loi C-63 pendant plus d’un mois avant que nous le recevions. Il y avait été présenté le 22 octobre. Pourquoi le Sénat serait-il censé l’adopter en quelques jours après l’avoir reçu?

Le gouvernement doit mieux gérer son programme législatif.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Day : La Chambre des communes ne devrait pas tenir pour acquis que nous allons contourner nos pratiques habituelles et traditionnelles afin de pallier sa difficulté à gérer son programme.

Enfin, chers collègues, je note que le programme électoral de 2015 du Parti libéral dit ceci, à la page 32 :

M. Harper s’est également servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d’étudier ses propositions et d’en débattre convenablement. Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique en modifiant le Règlement de la Chambre des communes.

Quels que soient les changements apportés au Règlement de la Chambre des communes, cela n’a pas empêché le gouvernement de nous envoyer récemment ce projet de loi omnibus de 317 pages.

Même si le Président de l’autre endroit a jugé que certaines mesures de ce projet de loi devaient faire l’objet d’un vote distinct à l’étape de la deuxième lecture, puisqu’il n’en était même pas question dans le budget de 2017, il est évident que la fameuse « pratique antidémocratique » des projets de loi omnibus se poursuit. Pourtant, le programme électoral de 2015 du Parti libéral disait très clairement que ces projets de loi « empêch[ent] les parlementaires » de faire leur travail. Or, le Sénat demeure une institution parlementaire canadienne fondamentale.

Chers collègues, nous devons avoir le temps de faire notre travail lorsque nous examinons d’importants projets de loi ministériels. En menant régulièrement des études préalables, nous ne faisons qu’aider — voire encourager — le gouvernement à recourir à des projets de loi omnibus, ce qui complique encore davantage les travaux du Parlement et des parlementaires.

Mon opposition à ce que la Chambre des communes nous envoie de volumineux projets de loi d’exécution du budget à la dernière minute ne date pas d’hier. Par exemple, en 2012, nous avons reçu le deuxième projet de loi d’exécution du budget de l’année le 6 décembre. Il avait 414 pages. Lors de mon intervention du 10 décembre 2012, à l’étape de la deuxième lecture, j’ai souligné que le projet de loi arrivait très tard et qu’on s’attendait malgré cela à ce que nous l’adoptions en quelques jours.

J’ai dit : « Quel mépris de notre rôle de contrôleurs des dépenses publiques. » J’ai expliqué que le fait de réaliser une étude préalable allait à l’encontre de notre rôle en tant que Chambre de second examen objectif.

J’ai tenu les propos suivants :

Nous perdons le rôle pour lequel le Sénat a été créé. Nous abandonnons ce rôle pour nous adapter à une nouvelle pratique.

Le sénateur Mitchell a immédiatement lancé : « C’est une attaque contre la démocratie. »

Des voix : Oh, oh!

Le sénateur Day : Voilà ce que, à dit le sénateur Mitchell au sujet de l’étude préalable de ce projet de loi omnibus d’exécution du budget : « C’est une attaque contre la démocratie. » Ses mots peuvent être trouvés à la page 3013 des débats.

En décembre 2014, nous avons reçu un autre projet de loi omnibus d’exécution du budget, le projet de loi C-4. Il comptait 460 pages. Le 10 décembre, lorsque j’ai parlé du rapport d’étude préliminaire du Comité des finances nationales, j’ai déclaré :

Les études préliminaires détournent notre attention de notre rôle traditionnel de second examen objectif.

(1550)

J’ai aussi profité de l’occasion pour critiquer une fois de plus le recours du gouvernement aux projets de loi omnibus d’exécution du budget. J’ai déclaré ceci :

Nous avons répété à maintes reprises qu’il n’est pas judicieux de regrouper tant de mesures différentes dans un projet de loi omnibus, car il est alors presque impossible d’étudier ces mesures comme il se doit. La vraie question […] est de savoir si le recours à de tels projets de loi omnibus d’exécution du budget sert l’intérêt public.

Je ne croyais pas — et je ne crois toujours pas — que le recours aux projets de loi omnibus d’exécution du budget et les études préliminaires servent l’intérêt public. Peu importe l’allégeance du gouvernement qui présente ces projets de loi, cette façon de faire entre en conflit avec le rôle fondamental du Sénat, qui est la Chambre législative de second examen objectif. Comme on ne nous a donné aucune raison de traiter le projet de loi C-63 différemment ou d’une façon spéciale en raison de dispositions pressantes, je ne peux pas appuyer cette motion d’étude préliminaire.

[Français]

L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : J’ai le grand honneur d’occuper le poste de leader de l’opposition au Sénat. En cette qualité, de pair avec les membres du caucus, notre objectif est de procéder à un examen complet de tous les projets de loi, notamment les projets de loi du gouvernement. Essentiellement, cela signifie que nous devons veiller à ce que toutes les opinions contraires à celle du gouvernement soient entendues.

[Traduction]

En tant que caucus, nous avons l’obligation, les uns envers les autres, d’accomplir avec rigueur l’importante tâche de donner une voix à ceux qui s’opposent au programme législatif du gouvernement. Au bout du compte, nous croyons que le processus politique et le public sont mieux servis par nos efforts visant à examiner, à modifier et à contester la volonté du gouvernement et à débattre de celle-ci.

Ce sont les représentants du gouvernement au Sénat qui ont présenté cette motion, et ils l’ont présentée uniquement en fonction de précédents, plus précisément de la tradition des 10 dernières années qui consistait à faire l’étude préliminaire, jusqu’à la Loi no 2 d’exécution du budget de 2016.

Le représentant du premier ministre nous a dit que, puisque cette pratique avait eu cours pendant toutes ces années, elle devait être maintenue.

De nombreux sénateurs récemment nommés qui siègent parmi nous aujourd’hui sont au courant des études préalables qui ont eu lieu au cours des 10 années ayant précédé l’arrivée au pouvoir du gouvernement actuel, puisque la plupart sinon la totalité d’entre eux ont été nommés par le premier ministre, qui s’opposait vigoureusement aux études préalables des projets de loi pendant cette période. En fait, ils ont été nommés sénateurs dans le cadre de l’engagement du premier ministre à désavouer la pratique des études préliminaires typiques des 10 années de pouvoir conservateur de même que d’autres pratiques, notamment le recours aux projets de loi budgétaires omnibus.

Les sénateurs actuels qui étaient auparavant liés au parti formant le présent gouvernement participent aujourd’hui au plan de ce parti de créer un « nouveau » Sénat, c’est-à-dire le Sénat « moderne » du premier ministre. Il s’agit d’un Sénat qui, selon la proclamation du chef de parti aujourd’hui premier ministre dans un moment mi-dramatique, mi-spontané, doit répondre à un besoin urgent. Le Sénat doit contenir l’exécutif pour l’empêcher de s’immiscer indûment dans toutes les sphères de l’État, notamment dans les affaires du Sénat.

De nombreuses belles paroles ont été entendues et des discours nobles ont retenti depuis ce jour de 2014. Une grande campagne a été menée et elle a été remportée par ceux qui avaient promis de ne plus jamais laisser l’exécutif mettre le Sénat totalement à ses ordres.

Il semble qu’un nouveau vocabulaire soit désormais régulièrement employé par ceux qui se sont joints à la quête du premier ministre. Pour défendre l’avènement du Sénat nouveau, libre de défier l’exécutif et de neutraliser ses tentatives d’ingérence dans les affaires de la Chambre haute, ils sont armés de dépliants sur papier brillant, de beaux discours, de contributions savantes à des magazines et de sites web encore plus brillants. On ne devait plus ménager aucun effort pour rejeter les mesures arbitraires. Aucun débat jugé nécessaire ne serait plus escamoté.

Tout juste 24 mois après la modernisation du Sénat, dès que l’institution a eu l’âge que les parents appellent celui de la « crise des 2 ans », lorsqu’il s’agit d’un enfant, la détermination du gouvernement a faibli jusqu’à ne plus être manifestement que l’ombre d’elle-même. Elle a fait place à la capitulation et au retour à des pratiques que l’on avait beaucoup méprisées et dénoncées par des envolées oratoires.

Quant à nous, nous vous souhaitons un bon retour, leaders du gouvernement, et nous espérons que vous allez nous épargner la poudre aux yeux qu’on nous sert depuis deux ans. Vous nous avez demandé — à nous, membres de l’opposition officielle — d’accepter qu’un projet de loi omnibus fasse l’objet d’une étude préalable. Nous l’avez-vous demandé parce que les besoins sont pressants? Vous nous avez répondu que, non, ce n’est pas la raison. Y a-t-il des questions urgentes? Vous nous avez dit que non. Vous estimez maintenant que, le Sénat ayant déjà procédé à des études préalables, votre soif inextinguible de changement a fini par vous persuader de reproduire ce qui s’est déjà fait. Vous ne voulez plus que le Sénat vous suive dans des sentiers inexplorés à la recherche de nouvelles façons de procéder. Soit dit en passant, vous avez aussi invité ceux-là mêmes que vous avez nommés au Sénat, et à qui vous vantiez les mérites de l’indépendance, à rentrer dans le rang.

Au bout du compte, la demande du gouvernement à l’égard d’une étude préalable sera peut-être acceptée. Nous verrons.

En terminant, je tiens à féliciter mon collègue et ami, le sénateur Joseph Day. Tandis que d’autres sénateurs ont souvent changé d’opinion, son point de vue a toujours été cohérent et il a su donner de bons conseils à ses collègues sur divers sujets, surtout à propos de la question des études préalables. Ses avis nous ont tous été utiles.

Je vous remercie.

L’honorable Terry M. Mercer (leader adjoint des libéraux) : Honorables sénateurs, le sénateur Harder a précisé aujourd’hui ce qu’une étude préalable nous permettrait d’accomplir. Or, le Sénat fera ce travail lorsqu’on lui soumettra le projet de loi proprement dit. Pour ce faire, il faut que la Chambre des communes se dépêche un peu, qu’elle adopte le projet de loi et qu’elle nous le renvoie.

Le sénateur Harder nous a ensuite dit que nous avions du travail à faire. Il a tout à fait raison. Cependant, cela est tout aussi vrai pour la Chambre des communes.

Le projet de loi C­63 et l’étude préalable : ceux d’entre vous qui sont ici depuis un moment ont entendu mes discours à la présentation de chaque nouveau budget. Peu importe le gouvernement en place, celui-ci nous renvoie le budget à la dernière minute et s’attend à ce que nous l’adoptions en insistant qu’il y a urgence à le faire. Même cette fois-ci, le gouvernement n’arrive pas à en faire une question urgente. Le sénateur Day a souligné le fait que les budgets pourraient prendre du retard si les travaux n’avancent pas à l’autre endroit.

Cette étude préalable continuera de permettre aux députés à la Chambre des communes de traiter les sénateurs avec peu ou pas de respect. Elle continuera de leur permettre d’être trop paresseux pour faire leur travail avec diligence. Les Canadiens s’attendent à mieux. Les électeurs s’attendent à mieux.

J’ai une question fondamentale. Imaginons que nous ayons le temps d’effectuer l’étude préalable et qu’entre-temps, au bout du couloir, les députés apportent un changement au budget, parce qu’ils ont repéré et corrigé une erreur. Alors quoi? Nous serions en train de perdre notre temps à étudier un budget qui n’est pas le bon? Nous voulons étudier le budget qui nous sera présenté.

J’ai un message pour les députés : arrêtez de nous faire perdre notre temps, relevez-vous les manches et faites votre travail. La population s’attend à ce que les députés fassent leur travail. Nous nous attendons à la même chose, parce que tout le monde sait que nous sommes prêts à faire le nôtre et que nous n’appuierons pas une étude préalable.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : L’honorable sénateur Harder, avec l’appui de l’honorable sénatrice Bellemare, propose que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit... Puis-je me dispenser de lire la motion?

Des voix : Suffit!

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Avec dissidence? Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent. Je vois deux sénateurs se lever.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés:

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie? Le vote aura lieu à 16 h 15. Convoquez les sénateurs.

(1610)

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Bellemare Mitchell
Black Moncion
Boniface Omidvar
Campbell Pate
Cormier Petitclerc
Duffy Pratte
Dupuis Ringuette
Gagné Saint-Germain
Gold Verner
Greene Wallin
Harder Wetston
Marwah Woo—25
Mégie

CONTRE
Les honorables sénateurs

Andreychuk Martin
Ataullahjan McCoy
Batters McIntyre
Bernard McPhedran
Beyak Mercer
Carignan Ngo
Dagenais Patterson
Day Plett
Doyle Poirier
Dyck Raine
Eggleton Richards
Fraser Seidman
Frum Smith
Griffin Stewart Olsen
Housakos Tannas
Joyal Tardif
Lankin Tkachuk
Lovelace Nicholas Unger
MacDonald Wells—39
Maltais

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

(1620)

[Français]

Le Sénat

Adoption de la motion concernant la période des questions de la séance du 28 novembre 2017

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 22 novembre 2017, propose :

Que, pour permettre au Sénat de recevoir un ministre de la Couronne au cours de la période des questions tel qu’autorisé par le Sénat le 10 décembre 2015, et nonobstant ce que prévoit l’article 4-7 du Règlement, lorsque le Sénat siégera le mardi 28 novembre 2017, la période des questions commence à 15 h 30, toutes les délibérations alors en cours au Sénat étant interrompues jusqu’à la fin de la période des questions, qui sera d’une durée maximale de 40 minutes;

Que, si un vote par appel nominal coïncide avec la période des questions tenue à 15 h 30 ce jour-là, ce vote soit reporté et ait lieu immédiatement après la période des questions;

Que, si la sonnerie d’appel pour un vote retentit à 15 h 30 ce jour-là, elle cesse de se faire entendre pendant la période des questions et qu’elle retentisse de nouveau à la fin de la période des questions pour le temps restant;

Que, si le Sénat termine ses travaux avant 15 h 30 ce jour-là, la séance soit suspendue jusqu’à 15 h 30, heure de la période des questions.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 22 novembre 2017, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 28 novembre 2017, à 14 heures;

Que les comités sénatoriaux devant se réunir ce jour-là soient autorisés à siéger même si le Sénat siège, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard;

Que l’application de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue ce jour-là.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Wayne Back. Il est l’invité de l’honorable sénatrice Batters.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Projet de loi relative au cadre sur les soins palliatifs au Canada

Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Eaton, appuyée par l’honorable sénatrice Seidman, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-277, Loi visant l’élaboration d’un cadre sur les soins palliatifs au Canada.

L’honorable André Pratte : Honorables sénateurs, j’interviens très tard dans ce débat et je m’en excuse. Mon cerveau peine encore à suivre tout ce qui se passe dans cette Chambre.

Tout a été dit sur l’importance d’améliorer l’accès aux soins palliatifs au pays et il serait inutile que je le répète. Je partage le sentiment d’urgence exprimé avec éloquence par ceux qui appuient ce projet de loi. Toutefois, j’aimerais dire quelques mots au sujet d’une chose dont on n’a pas beaucoup parlé et qui est au cœur des responsabilités du Sénat, et c’est la protection des champs de compétences des gouvernements provinciaux conformément à la Constitution.

[Français]

Comme vous le savez, en vertu de l’article 92 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, les provinces ont la compétence sur « l’établissement, l’entretien et l’administration des hôpitaux ». Cela s’est traduit, de nos jours, par le fait que la gestion des systèmes de santé relève essentiellement des gouvernements provinciaux.

Cependant, le gouvernement du Canada intervient également de façon importante dans le secteur de la santé par l’entremise de ses propres compétences dans divers domaines, par exemple en droit criminel, en recherche, en santé publique, auprès des Autochtones et des membres des Forces armées canadiennes.

De mon côté, je suis plutôt allergique aux approches rigides en matière de partage des compétences. Je préfère le fédéralisme coopératif que prône la Cour suprême depuis quelques années.

Cela dit, nous vivons dans une fédération et, dans un tel système, il doit régner un certain ordre, un ordre assuré par le respect des compétences prévues par la Constitution. Par ailleurs, le gouvernement national n’est pas « supérieur » aux gouvernements provinciaux, mais doit être leur partenaire. Pour ce qui est du domaine de la santé, Ottawa doit respecter l’autonomie de ceux qui gèrent les systèmes de santé, et ce, pour au moins deux raisons pratiques, au-delà des raisons purement constitutionnelles. D’abord, c’est parce que les gouvernements qui sont près des patients, des milieux, sont mieux à même de prendre les bonnes décisions. Ensuite, c’est parce qu’il s’agit déjà de systèmes d’une grande complexité, et rien ne serait pire que d’ajouter un niveau supplémentaire de bureaucratie par-dessus les bureaucraties provinciales existantes.

C’est, entre autres, avec ces idées en tête que j’ai abordé l’étude du projet de loi C-277.

Le projet de loi prévoit l’élaboration d’un cadre national « qui vise à favoriser l’amélioration de l’accès aux soins palliatifs pour les Canadiens ». Ce cadre aura pour objet notamment : a) d’établir en quoi consistent les soins palliatifs; b) de déterminer les besoins en matière de formation des fournisseurs de soins de santé et de tout autre aidant; c) d’envisager des mesures à l’appui des fournisseurs de soins palliatifs; d) de promouvoir la recherche ainsi que la collecte de données sur les soins palliatifs; e) d’établir des moyens de faciliter l’égal accès des Canadiens aux soins palliatifs; f) de prendre en considération les cadres, les stratégies et les pratiques exemplaires existants; et, enfin, g) d’examiner la possibilité de rétablir, au sein du ministère fédéral de la Santé, le Secrétariat des soins palliatifs et des soins de fin de vie.

[Traduction]

Dans les discours et les témoignages au comité sur le projet de loi et dans mes entretiens avec les principaux intéressés qui appuient son adoption, j’ai entendu des expressions comme « normes nationales » et « uniformité des soins », et c’est ce qui m’inspire des craintes, comme toujours lorsque le gouvernement fédéral, avec son énorme pouvoir de dépenser, prétend dicter aux provinces où et comment injecter des fonds dans les services de santé.

Il est vrai que l’accès aux soins palliatifs varie d’une région à l’autre du pays. Le manque de personnel formé est flagrant et les aidants ont désespérément besoin d’aide. Si un cadre national pouvait contribuer à combler ces lacunes, ce serait une bonne chose. C’est ce que j’ai entendu quand je me suis entretenu avec divers fournisseurs de soins palliatifs, y compris dans ma propre province, le Québec. Partout, les gens parlent de l’élan positif créé par le gouvernement fédéral il y a 15 ans grâce à la mise sur pied du Secrétariat des soins palliatifs et des soins de fin de vie. Or, il ne faut pas qu’un cadre national impose une façon de faire les choses pensée à Ottawa ou inspirée de recherches théoriques. Un tel cadre doit tenir compte adéquatement du travail qui se fait à l’heure actuelle et des plans qui existent déjà.

[Français]

Pour prendre le cas du Québec, que je connais mieux, la province a déjà un plan détaillé de développement des soins palliatifs et des soins en fin de vie pour la période de 2015 à 2020. Ce plan énonce neuf priorités, entre autres : assurer l’équité dans l’accès aux services de soins palliatifs et de fin de vie; assurer la continuité et la fluidité des continuums de services offerts par les différents intervenants et partenaires associés aux soins palliatifs et de fin de vie; faciliter le maintien dans son milieu de vie de la personne en soins palliatifs et de fin de vie; reconnaître et soutenir les proches aidants; assurer la qualité des services offerts à la personne et à ses proches; et, enfin, améliorer les compétences et le développement de la recherche.

(1630)

On constate que les préoccupations exprimées dans le projet de loi C-277 — égalité d’accès, appui aux fournisseurs de soins, amélioration des compétences, recherche — sont déjà au cœur du plan quinquennal mis en œuvre par le gouvernement du Québec. Aussi, toute approche fédérale en matière de soins palliatifs doit non seulement « prendre en considération », comme le dit le texte du projet de loi, mais « respecter » les plans déjà mis en place par les administrations provinciales qui ont à faire quotidiennement les choix très difficiles qu’exige la gestion du système de santé.

Je sais que, à la suggestion du gouvernement, quelques amendements ont été apportés à l’autre endroit afin d’assurer le respect de la compétence des provinces dans le domaine de la santé. Je m’en réjouis. Cependant, toutes mes inquiétudes ne sont pas calmées pour autant.

[Traduction]

Tout dépend du déroulement des choses. Je serai ravi si les mesures à l’échelle nationale stimulent davantage l’amélioration des soins palliatifs partout au pays, par exemple, en bonifiant la collecte des données, en introduisant des ressources financières additionnelles et en facilitant l’échange des idées.

Toutefois, si nous rêvons de soins normalisés d’un bout à l’autre du pays ou de normes nationales obligatoires, par exemple, par l’entremise de transferts ou de programmes fédéraux conditionnels, le projet de loi fera plus de mal que de bien, à mon humble avis. Il entraînera des querelles, des dédoublements et des inefficacités qui auraient facilement pu être évités.

Cela dit, honorables sénateurs, compte tenu de l’urgent besoin d’améliorer l’accès aux soins palliatifs dans de nombreuses régions du pays et du fait que j’ai consulté des intervenants de ma province et d’ailleurs au Canada — et dans l’espoir qu’un cadre sur les soins palliatifs sera élaboré en conformité avec les principes du fédéralisme coopératif —, je voterai en faveur du projet de loi C-277.

J’aurais dû dire plus tôt que le débat devrait être ajourné au nom de la sénatrice Petitclerc.

(Le débat est ajourné.)

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Ringuette, appuyée par l’honorable sénatrice Bovey, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel).

L’honorable Ghislain Maltais : Honorables sénateurs, je crois que nous avons fait le tour du sujet en ce qui concerne ce projet de loi, et ce qui m’intéresse, c’est la suite. Par conséquent, madame la Présidente suppléante, je propose que ce projet de loi soit renvoyé au Comité des banques et du commerce pour y être étudié.

L’honorable Pierrette Ringuette : Je remercie le sénateur Maltais de ses bonnes intentions dans ce dossier.

L’honorable Joan Fraser (Son Honneur la Présidente suppléante) : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Ringuette, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.)

Projet de loi interdisant l’importation
de nageoires de requin

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur MacDonald, appuyée par l’honorable sénateur Tkachuk, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin).

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, j’aimerais remercier le sénateur MacDonald d’avoir présenté ce projet de loi. J’ai d’ailleurs beaucoup apprécié la relecture du discours qu’il a prononcé en faveur de ce projet de loi, ainsi que les discours des sénatrices Galvez et Griffin.

Au cours des dernières semaines, j’ai eu la chance de visionner quelques documentaires très intéressants sur le sujet. Je ne veux pas trop m’attarder, mais j’aimerais attirer votre attention sur le fait que la collecte des nageoires de requin est illégale au Canada depuis 1994 et que, en 2015, le Canada a importé plus de 144 000 kilogrammes de nageoires de requin. J’ai l’impression qu’un bon nombre de Canadiens sont friands de ce délice. Je n’en ai jamais fait la dégustation personnellement.

En écoutant les discours qui ont été tenus dans cette Chambre, j’ai compris que la chasse aux requins se fait de façon atroce et odieuse; cependant, nous n’avons pas vraiment entendu parler des aspects socioéconomique, historique et culturel de ce type de chasse pour certaines populations de la planète. Je suggère qu’une petite réflexion soit faite à ce sujet. Je fais un parallèle avec tous les propos que nous avons tenus dans cette Chambre sur la chasse au phoque. Je me souviens à quel point nous étions outrés face aux agissements de la Communauté européenne qui voulait complètement anéantir l’importation du phoque, un peu comme on se propose de le faire avec ce projet de loi. Je crois que nous devrions nous attarder aux populations qui font une chasse respectueuse du requin.

En principe, j’appuie le projet de loi, mais je me demande si nous avons pensé à toutes ses conséquences. Ne devrions-nous pas examiner le projet de loi à travers des lunettes introspectives? Depuis ce matin, je suis membre du Comité des pêches et des océans du Sénat, et je serai présente lors des témoignages. J’ai bon espoir que des témoins pourront partager avec nous l’importance socioéconomique, culturelle et historique que revêt la chasse au requin dans certaines régions, et ce, avant que nous étudiions le projet de loi à l’étape de la troisième lecture, tel qu’il est proposé.

(1640)

Sur ce, je remercie le sénateur MacDonald et j’attends avec beaucoup de curiosité les délibérations et les témoignages qui seront apportés lors de l’étude en comité. Merci.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente suppléante : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente suppléante : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur MacDonald, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.)

Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à se pencher sur le financement des programmes d’alphabétisation au Canada atlantique—
Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Griffin, appuyée par l’honorable sénatrice Martin,

Que le Sénat affirme que l’alphabétisation est un pilier du civisme actif et un déterminant de l’amélioration de la santé, et qu’elle est essentielle à une économie novatrice et à la création de bons emplois durables;

Que le Sénat exhorte le gouvernement à tenir compte du contexte régional particulier du Canada atlantique, où les populations sont moindres et souvent établies en zones rurales, au moment de choisir entre le financement par projet et le financement de base pour ses programmes;

Que le Sénat exhorte également la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail à faire une exception aux conditions actuelles des programmes de financement par projet du Bureau de l’alphabétisation et des compétences essentielles afin de saisir le Conseil du Trésor d’une demande d’urgence de 600 000 $ en financement de base pour l’Atlantic Partnership for Literacy and Essential Skills, conformément au mémoire soumis au Parlement dans le cadre des consultations prébudgétaires de 2017;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’informer de ce qui précède.

L’honorable Paul E. McIntyre : Madame la Présidente, c’est au nom du sénateur Greene que le débat a été ajourné. Toutefois, j’en ai parlé avec lui, et il a accepté que j’intervienne aujourd’hui.

[Français]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer la motion de la sénatrice Griffin, motion tendant à exhorter le gouvernement à se pencher sur le financement des programmes d’alphabétisation au Canada atlantique. Les propositions de la sénatrice Griffin sont bien établies dans la motion, conformément au préavis donné le 26 septembre.

Avant d’aborder la motion, je dois évoquer la situation du Nouveau-Brunswick, qui m’interpelle beaucoup puisque la province est connue pour son taux élevé d’analphabétisme. Afin de pallier ce fléau d’envergure, en février dernier, le gouvernement du Nouveau-Brunswick dévoilait sa stratégie en matière de littératie. Les priorités clés de cette stratégie sont élaborées dans un document intitulé Exploiter le pouvoir de la littératie : la stratégie complète du Nouveau-Brunswick en matière de littératie. Mentionnons que la stratégie provinciale du Nouveau-Brunswick est fondée sur les recommandations formulées dans le rapport intitulé Le pouvoir de la littératie — Vers la stratégie globale en matière d’alphabétisation du Nouveau-Brunswick. Naturellement, afin d’appuyer ces efforts, le gouvernement provincial a investi des fonds dans le but de soutenir les programmes de littératie pour les enfants et les adultes.

Pour revenir à la motion, je souligne également qu’elle fait suite à un discours de la sénatrice Griffin sur l’importance de l’alphabétisation en tant que droit de la personne dans le cadre de l’interpellation de l’ancienne sénatrice Hubley, soit l’interpellation no 14.

Je comprends que, au Canada atlantique, le financement des programmes d’alphabétisation se divise entre le financement axé sur les projets et le financement de base. En ce moment, il semblerait que le ministère de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail appuie le modèle actuel de financement axé sur les projets. Or, selon l’organisme-cadre, le Partenariat atlantique pour l’alphabétisation et les compétences essentielles, ce modèle de financement ne tient pas compte du contexte régional particulier du Canada atlantique, où les populations sont moindres et souvent établies en zone rurale.

Je sais que le gouvernement fédéral travaille en étroite collaboration avec les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de soutenir l’intégration de l’alphabétisation et des compétences essentielles dans les programmes d’emploi et de formation. Je sais également que, pour ce faire, les provinces et les territoires peuvent compter sur le financement fédéral. Par contre, il s’agit surtout de financement par projet.

Cela étant dit, la motion de la sénatrice Griffin invite le Sénat à exhorter le ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et du Travail à faire une exception aux conditions actuelles des programmes de financement par projet du Bureau de l’alphabétisation et des compétences essentielles. Il s’agit de saisir le Conseil du Trésor d’une demande urgente de financement de base pour le Partenariat atlantique pour l’alphabétisation et les compétences essentielles, conformément au mémoire soumis au Sénat dans le cadre des consultations prébudgétaires de 2017. Ainsi, la motion réclame que les restrictions associées au financement par projet soient supprimées. Il est donc important que les quatre provinces de l’Atlantique reçoivent le même financement de base stable et permanent afin d’assurer la viabilité de ces programmes de littératie.

Par conséquent, honorables sénateurs, je vous invite à appuyer cette motion afin de soutenir l’alphabétisation dans les provinces de l’Atlantique.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente suppléante : Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs, pour que cet article reste ajourné au nom du sénateur Greene?

Des voix : D’accord.

(Le débat est ajourné.)

[Français]

Le Sentier transcanadien

Son histoire, ses bienfaits et ses défis—
Interpellation—Fin du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Tardif, attirant l’attention du Sénat sur le Sentier transcanadien — son histoire, ses bienfaits et les défis auxquels ce projet fait face à l’approche du 25e anniversaire de son existence.

L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, je joins aujourd’hui ma voix à celle de la sénatrice Tardif dans le cadre de la reprise du débat sur son interpellation attirant l’attention du Sénat sur le Sentier transcanadien — également connu sous le nom de Grand Sentier —, sur son histoire, ses bienfaits et les défis auxquels ce projet fait encore face. Je désire tout d’abord remercier la sénatrice Tardif d’avoir formulé cette interpellation, et je félicite également les sénateurs Petitclerc et Day d’avoir contribué de façon significative au débat.

Chers collègues, comme vous le savez, tout commence par un rêve. L’histoire du Grand Sentier a débuté grâce au rêve de deux Canadiens, le Québécois Pierre Camu et l’Albertain Bill Pratt. Ces deux visionnaires souhaitaient que les magnifiques sentiers récréatifs qui sillonnent le pays soient raccordés en « un seul sentier vert » qui relierait tous les Canadiens d’un bout à l’autre du pays.

(1650)

[Traduction]

Comme nous le savons tous déjà, le Sentier transcanadien — « l’un des réseaux les plus longs au monde de sentiers récréatifs polyvalents, comptant des parcours terrestres et sur l’eau, et traversant des paysages urbains, ruraux et sauvages » — a vu le jour en 1992 à l’occasion des célébrations du 125e anniversaire du Canada. Le Sentier transcanadien s’étend sur plus de 24 000 kilomètres d’un bout à l’autre du Canada, rejoint toutes les côtes, traverse chaque province et territoire et unit tous les Canadiens de 15 000 collectivités différentes.

Le plus long sentier du monde est formé de 500 sentiers individuels.

On peut lire ceci sur le site web du Sentier transcanadien :

Chaque tronçon du sentier appartient aux groupes de sentier locaux, aux offices de protection de la nature, aux municipalités, aux gouvernements provinciaux et fédéral, qui les créent et les gèrent également.

Des milliers de Canadiens, d’organismes communautaires partenaires, de sociétés et d’entreprises locales, ainsi que tous les ordres de gouvernements, participent à la création et à l’entretien de ces sentiers. Les sentiers n’appartiennent pas au Sentier transcanadien.

Le Sentier transcanadien est un projet de bénévolat canadien à grande échelle.

[Français]

Le sentier nous permet de faire le plein de paysages époustouflants. Il met en valeur toute la beauté urbaine, rurale et sauvage du Canada, que l’on retrouve le long des routes, des chemins pédestres et des voies navigables. Ainsi, le Grand Sentier met à la disposition des Canadiens un immense éventail d’expériences de plein air, alors que nous célébrons le 150e anniversaire du Canada. Bien que les paysages se trouvant tout au long du sentier à l’échelle nationale soient à couper le souffle, ceux que l’on retrouve sur le sentier qui traverse les quatre provinces de l’Atlantique offrent l’occasion de prendre part à une panoplie d’activités. Même si les provinces de l’Est sont les plus petites, ne vous méprenez surtout pas quant aux décors qu’elles ont à nous offrir. L’accès très facile à ces quatre provinces uniques et à leurs tronçons particuliers du sentier offre aux passionnés de plein air autant de paysages impressionnants et inoubliables que fortement diversifiés.

Par ailleurs, comme on le mentionne sur le site Internet du Sentier transcanadien, et je cite :

[...] le tronçon du Grand Sentier situé au Nouveau-Brunswick est maintenant entièrement raccordé. Sur plus de 900 kilomètres, à partir de l’extrémité du nord-ouest, près d’Edmundston, jusqu’au pont de la Confédération au sud, le Grand Sentier traverse des paysages pittoresques, des communautés historiques et des marais magnifiques. Le tronçon du Grand Sentier au Nouveau-Brunswick a fait de cette province la cinquième sur le territoire du Canada (après Terre-Neuve-et-Labrador, l’Île-du-Prince-Édouard, le Yukon et la Saskatchewan) à avoir franchi la ligne d’arrivée. Cette importante réalisation a été soulignée tout récemment lors d’une célébration publique qui s’est tenue à la résidence historique du Nouveau-Brunswick où habite la lieutenante-gouverneure.

Honorables sénateurs, dans ma province, il y a cinq tronçons du Grand Sentier qu’il ne faut surtout pas manquer : du sentier Dobson au sentier pédestre de Fundy; les sentiers de la Vallée et Riverain Sud; le parc Waterfowl de Sackville et le sentier des Marais; le sentier du Petit Témis; et, enfin, le sentier de la baie de Fundy.

Il y en a pour tous les goûts et tous les âges. Que vous soyez un adepte de sensations fortes qui veut partir à l’aventure, que vous souhaitiez faire une randonnée en famille afin d’observer la magnifique flore et la faune et observer les plus hautes marées du monde, ou bien que vous désiriez jouer les touristes, ces cinq tronçons majestueux vous en mettront plein la vue.

Chers collègues, le Grand Sentier, c’est 25 ans de travail acharné, et ce n’est que le commencement. Comme je l’ai mentionné, l’année 2017 marque à la fois le 150e anniversaire du pays et le 25e anniversaire du Grand Sentier. Il est important de souligner que le sentier est maintenant complètement raccordé.

Mentionnons aussi qu’il faut distinguer entre raccordement et achèvement. Autrement dit, bien que le sentier ne soit pas encore terminé, il est complètement raccordé, c’est-à-dire qu’il est connecté d’« un océan aux deux autres », unissant ainsi tous les Canadiens d’un bout à l’autre du pays. L’annonce du raccordement du sentier a été célébrée le 26 août dernier dans toutes les provinces et tous les territoires.

Cette année, nous soulignons la réalisation du Grand Sentier, mais le travail doit se poursuivre. Il faut maintenant concentrer nos efforts sur l’avenir, sur le développement continu et la préservation de ce trésor national. Le Sentier transcanadien est un projet à long terme, un projet grandiose, qui est en constante évolution. Puisqu’il y a toujours place à l’amélioration, chaque génération devra s’impliquer et se l’approprier afin de l’entretenir, de le développer, en créant de nouveaux sentiers, et de le perfectionner davantage. Il faut donc continuer à travailler avec les bénévoles, les donateurs et les employés de tous les ordres de gouvernement dans le but de bonifier et d’améliorer le sentier.

Bien que le Sentier transcanadien unisse tous les Canadiens d’un bout à l’autre du pays, il nous reste encore énormément de chemin à faire. Comme l’ont mentionné les sénatrices Tardif et Petitclerc et le sénateur Day, il est vrai que certaines parties du sentier demeurent non sécuritaires. C’est donc quelque chose qu’il faut améliorer. En ce sens, le sentier est plus dangereux à certains endroits qu’à d’autres. C’est pourquoi il faut que les gouvernements provinciaux et fédéral encadrent la construction des sentiers, car il est primordial de mettre en place des normes de construction, de sécurité et d’accès afin de protéger les Canadiens et d’assurer une cohérence à l’échelle du pays.

Le gouvernement fédéral, dans son dernier budget, a pris l’engagement d’investir la somme de 30 millions de dollars, sur une période de cinq ans, afin que le Sentier transcanadien soit non seulement achevé et amélioré, mais également entretenu, et ce, de concert avec les provinces et la population canadienne. Espérons que le financement annoncé par le gouvernement fédéral assurera la mise en place de ces normes minimales.

Le Grand Sentier, c’est notre sentier. Des milliers de personnes l’empruntent pour y pratiquer la marche, le jogging, la randonnée, le vélo, le ski, l’équitation, le canotage, la motoneige, et j’en passe.

Honorables sénateurs, nous devons développer le Grand Sentier, le sécuriser, l’utiliser et le protéger. C’est un trésor et un symbole national que nous léguerons aux générations futures, un puissant symbole de l’unité canadienne, un rêve national.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente suppléante : Si aucun autre sénateur ne désire prendre la parole, le débat sur cet article est considéré comme terminé.

(Le débat est terminé.)

La surreprésentation croissante des femmes autochtones dans les prisons canadiennes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Pate, attirant l’attention du Sénat sur la situation actuelle des personnes qui comptent parmi les plus marginalisées, victimisées, criminalisées et internées au Canada, et plus particulièrement sur la surreprésentation croissante des femmes autochtones dans les prisons canadiennes.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation n19 concernant les femmes autochtones dans les prisons. J’aimerais d’abord remercier la sénatrice Pate, qui a présenté cette interpellation. Elle fait un travail remarquable en portant ces questions importantes à l’attention de toutes les personnes au Sénat. D’ailleurs, elle sensibilise la Chambre des communes et le grand public à ces enjeux depuis qu’elle est sénatrice, et elle a fait de même pendant de nombreuses années en raison de son rôle à la Société Elizabeth Fry et son militantisme relativement à la réforme pénitentiaire, notamment au sujet du traitement des femmes autochtones.

D’éloquentes interventions fort pertinentes ont été apportées dans le cadre de cette interpellation. Elles ont fait état de nombreux points préoccupants relativement aux statistiques très alarmantes. Derrière ces statistiques se trouvent des femmes qui vivent ce qui, nous en convenons tous, constitue des circonstances inacceptables, notamment en ce qui a trait au traitement dont elles font l’objet et aux conditions de leur emprisonnement dans la partie correctionnelle du système de justice canadien.

Aujourd’hui, j’aimerais me concentrer surtout sur la question de la mise en liberté et de la réinsertion sociale. Cela dit, je vais aussi parler brièvement du rapport du vérificateur général publié cette semaine. J’estime qu’il est pertinent par rapport à la mise en liberté et à la réinsertion sociale. En outre, d’autres points rejoignent les problèmes soulevés par les intervenants précédents.

Le Service correctionnel du Canada gère en partie la mise en liberté et la réinsertion sociale, conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Je signale que toute une histoire a mené à l’adoption de cette loi, ce qui s’est produit en 1992, si je ne m’abuse.

Au cours du débat à l’étape de la deuxième lecture de ce qui était alors le projet de loi C-36, le sénateur Consiglio Di Nino a parlé du travail du Sénat et de la Chambre des communes à l’égard du projet de loi, qui a beaucoup bénéficié de la consultation du public, et de l’examen qui en a été fait. En tout, plus de 12 000 personnes ont été entendues dans le cadre des consultations relatives au document de travail intitulé Vers une réforme, qui a été publié en 1990. Je crois comprendre que ce rapport a été rédigé par le Comité permanent de la justice et du Solliciteur général de la Chambre des communes. Certaines de ses recommandations ont mené à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, et y ont été incluses.

(1700)

Une recommandation portait précisément sur les enjeux relatifs aux détenus autochtones et soutenait que « [l]es changements culturels et économiques qu’ont connus les autochtones au cours de ce siècle ont eu des répercussions dévastatrices sur leur vie personnelle et familiale ». Le rapport donne ensuite quelques renseignements généraux.

Plus précisément, il recommande au Service correctionnel du Canada de passer :

[…] des contrats avec des organismes autochtones afin d’aider les [détenus] autochtones à présenter une demande de libération anticipée et à préparer leur mise en liberté.

Il y a un deuxième rapport sur lequel la Chambre des communes et le Sénat se sont fondés quand ils ont examiné le projet de loi C-36. C’était un rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peine qui s’intitulait, je crois, Des responsabilités à assumer. Dans un sens ou dans l’autre, ces titres vont de pair avec ces deux rapports.

Dans ce rapport, les auteurs parlent de certaines de leurs conclusions et de leurs recommandations, et ils attirent l’attention sur la façon particulière de conclure des ententes avec les communautés autochtones sur le soutien des programmes de libération et de réhabilitation des prisonniers autochtones. On peut y lire ceci :

Conformément à la politique selon laquelle le gouvernement encourage les autochtones à s’occuper davantage des questions qui les intéressent, la Loi sur l’administration correctionnelle proposée contient des dispositions relatives à la signature d’ententes entre les services correctionnels fédéraux et les collectivités autochtones, ce qui permettrait à ces dernières d’assumer plus ou moins de responsabilités à l’égard des détenus autochtones.

Cela a été inscrit dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition aux articles 81 et 84. Si on se rend dans le site web du Service correctionnel du Canada pour lire ce qu’on y dit au sujet de cette loi, on constate que ces dispositions établissent l’objectif de tenir compte des besoins particuliers et de la situation unique des Autochtones dans le système correctionnel, et que les articles 81 et 84 ont pour objet de corriger la surreprésentation des Autochtones dans les prisons fédérales. Toujours selon le site web, ces articles visent à faire participer les communautés autochtones au processus correctionnel et à permettre au Service correctionnel du Canada de collaborer avec ces communautés afin qu’elles puissent créer des services novateurs qu’il n’offre pas et qui sont potentiellement mieux adaptés à la culture des détenus autochtones.

Pourquoi tout cela concerne-t-il l’étude en cours et celle que mène l’autre endroit? C’est parce que rien n’a changé. Même si elles ont été adoptées, l’utilisation totalement déficiente de ces dispositions et l’absence épouvantable de ressources pour permettre aux communautés autochtones d’élaborer et de proposer ce type de services d’aide demeurent les principales raisons expliquant pourquoi un pourcentage beaucoup plus élevé de prisonniers autochtones attendent plus longtemps avant d’obtenir une libération conditionnelle et purgent une plus longue partie de leur peine et ne réussissent pas à obtenir un suivi et des programmes de réinsertion adaptés à leur culture après leur libération.

C’est particulièrement vrai dans le cas des femmes autochtones si l’on se fie à la proportion de femmes qui sont autochtones dans les prisons. Je vais revenir à ces statistiques dans quelques instants, mais on en a déjà parlé. Je voudrais passer aux conclusions présentées par le vérificateur général cette semaine. Je parle du rapport 5, intitulé La préparation des détenues à la mise en liberté — Service correctionnel Canada.

Le vérificateur général a conclu que le premier problème est la détermination de la cote de sécurité et des besoins en réhabilitation des délinquantes. Le rapport fait mention des femmes autochtones, et j’y reviendrai, mais il porte surtout sur la situation des femmes en général. Je vous rappelle encore une fois que les statistiques vous confirmeront que les femmes autochtones sont surreprésentées dans cette population. Il est donc précisément question de leurs conditions de détention.

J’ai été choquée d’apprendre que l’outil de détermination de la cote de sécurité qui est utilisé pour décider à quel établissement — à sécurité minimale ou maximale — envoyer les femmes, surtout les femmes autochtones, est un outil qui a été conçu il y a plus de 25 ans à partir d’un échantillon de délinquants de sexe masculin. Comme si ce n’était pas assez choquant, aucune mise à jour n’a été apportée à cet outil en 25 ans. Pour comprendre à quel point cet outil est inefficace pour déterminer avec précision la cote de sécurité des prisonnières, il suffit de faire une analyse fondée sur le sexe de la surreprésentation d’une population de détenus dans les établissements à sécurité maximale.

Pourquoi est-ce important? Eh bien, cela a un effet sur le type de programmes auxquels ces détenues peuvent participer et sur le soutien qu’elles peuvent obtenir. Il existe donc de nombreux problèmes. Il y a un outil de détermination de la cote de sécurité qui ne fonctionne pas. On a tenté dernièrement d’élaborer un outil qui tient compte de la spécificité des sexes, mais le vérificateur général a découvert que le personnel correctionnel met régulièrement de côté cet outil en faveur de l’outil de 25 ans. Il s’agit donc d’un outil inapproprié et on recommande clairement qu’il soit mis à jour de façon à tenir compte des véritables risques de récidive. Voilà les facteurs sur lesquels nous sommes censés nous pencher.

À ce problème s’ajoute l’accès réduit aux programmes dans les établissements à sécurité maximale. Il y a déjà un manque criant de programmes pour ces femmes, et le vérificateur constate que les programmes qui sont effectivement offerts ne tiennent pas compte de la date d’admissibilité à la libération conditionnelle. Dans certains cas, la femme entreprend une préparation qui serait adéquate en vue de la remise en liberté, mais elle n’est pas en mesure de terminer sa participation aux programmes avant la date à laquelle elle devient admissible à la libération conditionnelle. Par conséquent, il arrive souvent que ces femmes ne puissent pas être libérées comme elles y auraient normalement droit parce qu’elles n’ont pas encore fini de suivre les programmes jugés nécessaires, lors de l’évaluation, en vue de les préparer à leur remise en liberté et à leur réinsertion sociale sous surveillance. Ce problème est largement attribuable aux ressources insuffisantes pour les programmes ainsi qu’au genre de filtrage de sécurité qui a lieu. La remise en liberté et la réinsertion sociale sont ainsi retardées.

Le vérificateur constate que les femmes autochtones ont un accès particulièrement inégal aux programmes et aux interventions, et pas seulement dans le cas des services culturellement adaptés, là où c’est absolument évident. Les femmes autochtones sont les plus désavantagées par rapport à leur niveau d’incarcération. Elles ont un accès insuffisant à certains programmes dont on souligne les bons résultats, comme Sentiers autochtones et les pavillons de ressourcement. Le vérificateur recommande que l’on affecte plus de ressources à ces programmes.

Il est également vrai que ces femmes se voient refuser plus souvent l’accès aux possibilités d’emplois, comparativement aux autres. CORCAN est un programme offrant des emplois aux délinquants dans les établissements carcéraux, et les femmes autochtones n’y ont pas suffisamment accès. Elles sont sous-représentées parmi les participants à ce programme ainsi qu’à tous les programmes d’emplois hors du milieu carcéral où les délinquants sortent pendant le jour pour travailler. Bref, ce sont encore d’autres exemples des possibilités limitées de remise en liberté et de réhabilitation.

Bien que ce ne soit pas directement lié à la libération des délinquantes, le vérificateur constate que les services de santé mentale ont désespérément besoin d’être améliorés. Plusieurs d’entre nous savent qu’une forte proportion de la population carcérale est constituée de personnes ayant des problèmes de santé mentale et que nous ne faisons qu'entreposer ces personnes dans les établissements carcéraux parce qu’il y a un manque d’aide en santé mentale.

(1710)

On a pris des engagements et des ententes en vue de transférer des détenus dans des établissements qui peuvent leur prodiguer des soins de santé mentale. Il arrive couramment qu’on ne procède pas au transfert et qu’on laisse les gens en prison. Ce qui se rapporte encore plus à la question, ce sont les sévices majeurs subis par les gens, qui sont souvent placés dans une cellule d’isolement en raison de problèmes de comportement, que le personnel des établissements, qui manquent de ressources, est incapable de gérer.

Ce qu’on recommande, c’est de ne pas placer les détenues qui ont des problèmes de santé mentale dans une cellule d’isolement. On recommande aussi de déployer davantage de ressources afin de traiter les problèmes de santé mentale et, comme je viens de le mentionner, de mettre fin à la pratique de l’isolement.

En ce qui a trait à la libération des délinquantes dans la collectivité, le rapport du vérificateur indique que les trois quarts des délinquantes étaient encore incarcérées après la date de leur admissibilité à une libération conditionnelle. Je le répète, bon nombre d’entre elles sont des femmes autochtones.

Il est crucial d’intervenir en vue de planifier la libération des détenues pour que nous puissions régler le problème du récidivisme, en particulier, à l’aide de programmes qui s’attaqueraient aux problèmes dont souffrent déjà les personnes lorsqu’elles passent par le système de justice ou le système correctionnel. Ces personnes souffrent peut-être de dépendances ou elles sont peut-être victimes de mauvais traitements. Il existe une multitude de problèmes sociodémographiques qui sont des prédicteurs de récidivisme, et, si on ne s’y attaque pas à l’aide de programmes de soutien au cours de l’incarcération des détenues, on trace leur destin, et on le trace — je vais le dire directement — de façon raciste et discriminatoire, dans la mesure où les femmes autochtones manquent de soutien.

Finalement, je tiens à dire ce que cela signifie quant à la compréhension des enjeux et à l’incidence sur les femmes. On sait que les femmes n’obtiennent pas le soutien dont elles ont besoin : on effectue un filtrage inapproprié, et il y a un nombre beaucoup trop élevé de personnes qui se retrouvent dans un établissement à sécurité maximum.

Son Honneur le Président : Sénatrice Lankin, je suis désolé de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé.

Le consentement est-il accordé pour que la sénatrice puisse poursuivre pendant encore cinq minutes, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Lankin : Il n’y a pas suffisamment de mesures de soutien et de programmes d’intervention pour aider ces gens, de plus les programmes de mise en liberté ne sont pas offerts au moment opportun, de sorte que les gens ne sont pas prêts au moment où des possibilités de mise en liberté sous condition se présentent.

Pour revenir aux articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le ministre et Service correctionnel Canada sont responsables de se préparer, de contribuer et de participer aux efforts des collectivités autochtones locales, de mettre les détenus en liberté et de les assujettir à une supervision locale avec des interventions adaptées aux particularités culturelles en vue d’une réintégration.

Encore une fois, je dois dire que le ministère échoue lamentablement à assumer ses responsabilités dans ce dossier. Souvent, les responsables affirment que les collectivités autochtones ne sont pas au rendez-vous, qu’elles ont la responsabilité d’être proactive et de faire le premier pas. Votre Honneur, honorables sénateurs, comme vous le savez, ces collectivités sont débordées. Elles ont différents besoins pour divers programmes, mais ne disposent pas des ressources nécessaires. Il est manifeste que des ressources doivent leur être fournies à cet égard.

Il y a un travail qui est en cours pour attirer l’attention sur cette question et des demandes claires pour collaborer avec le gouvernement, un gouvernement qui a fait de la réconciliation et de l’avancement de ces questions une priorité. Je pense que le Sénat pourrait jouer un rôle utile grâce aux travaux du comité prévus à la suite de l’interpellation.

Je remercie de leur travail la sénatrice Pate et son personnel ainsi que le personnel de mon bureau. Ils nous ont fourni des renseignements et nous ont beaucoup aidés dans l’étude de ce dossier.

(Sur la motion de la sénatrice Pate, au nom de la sénatrice Dyck, le débat est ajourné.)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de M. Ngodup Tsering, de M. Tsering Tashi et de M. Thubten Samdup. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Patterson.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’état des prisonniers politiques au Tibet

Interpellation—Fin du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Patterson, attirant l’attention du Sénat sur l’état des prisonniers politiques au Tibet.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de mon interpellation sur l’état des prisonniers politiques au Tibet.

Comme vous le savez, nous avons le privilège, comme sénateurs, de rencontrer de temps en temps des délégations. En juin dernier, j’ai rencontré, au Canada, une délégation de Tibétains du Centre cultural canado-tibétain à Toronto et de Students for a Free Tibet. Elle était accompagnée de mon ami, ancien collègue et défenseur des droits de la personne au Tibet, Con Di Nino.

J’ai été touché par les histoires de ces jeunes Tibétains au sujet de la répression culturelle et religieuse exercée sur les Tibétains par la majorité chinoise. Ils ont raconté comment la langue tibétaine n’est plus parlée dans les écoles depuis 2000 et comment les Tibétains ne peuvent pas obtenir d’emploi à moins de parler, lire et écrire le mandarin. Ils m’ont dit à quel point il est devenu difficile d’obtenir des visas et comment cela nuit au tourisme, qui avait déjà été une source de revenus et qui renforçait les valeurs culturelles des Tibétains. Ils ont dit que les nomades qui vivaient de troupeaux de yaks ont été expulsés de leurs terres ancestrales et sont forcés de vivre dans des logements en béton dans des ghettos et que ce changement radical de leurs conditions de vie en a amené certains à se suicider ou à tomber dans l’alcoolisme ou la prostitution.

J’en ai vu des exemples de mes propres yeux dans la province voisine de Qinghai, où je me suis rendu avec des Canadiens du Nord en 2008 dans le cadre d’un échange. Nous avons parlé de l’expérience du Canada aux autorités chinoises. Nous leur avons dit que le fait d’avoir dépossédé les Autochtones de leurs terres ancestrales, de les avoir privés de leur mode de vie et d’avoir limité l’utilisation de leurs langues maternelles avait eu des conséquences intergénérationnelles désastreuses pour nombre d’entre eux.

Ces récits m’ont beaucoup touché puisque je représente une région qui s’emploie à préserver et à rehausser la langue première de la grande majorité de ses citoyens, soit l’inuktitut. Dans cette région, même avec les protections offertes par la Charte des droits et libertés et un gouvernement fédéral bienveillant, les Inuits doivent constamment lutter pour préserver leur langue et leur culture, sans parler du fait que les indicateurs de santé et sociaux négatifs continuent d’être de beaucoup supérieurs aux normes ailleurs au pays.

Ces jeunes Tibétains pensent que la majorité Han de la Chine veut s’emparer des vastes richesses naturelles du Tibet et les exploiter — l’eau, l’or, le cuivre et le zinc. Ils s’inquiètent aussi du retour de leur chef spirituel vénéré, le dalaï-lama, craignant qu’il ne les entraîne dans une révolution.

Cependant, ils m’ont dit que le dalaï-lama, qui a été fait citoyen d’honneur du Canada, souhaite simplement reprendre le dialogue avec le gouvernement chinois en vue de faire du Tibet une province véritablement autonome, comme le prévoit la Constitution chinoise. C’est ce qu’on appelle la voie du milieu, qui vise à trouver une solution pacifique à ces problèmes dans le cadre de la Constitution de la République populaire de Chine. Ils ont insisté sur le fait que la culture tibétaine et le bouddhisme étaient fondés sur les principes de la paix et de la compassion.

Cette position a été confirmée par le président du gouvernement tibétain en exil, M. Lobsang Sangay, qui était de passage à Ottawa en début de semaine. M. Sangay, qui détient un doctorat en droit de l’Université Harvard, soutient que la démarche la plus prudente consiste à tenter d’obtenir la reconnaissance en tant que région véritablement autonome de de la Chine et d'obtenir les pleins pouvoirs sur des questions comme l’éducation, la langue et les autres outils de préservation de la culture.

Ils m’ont encouragé à présenter cette interpellation pour faire la lumière sur la situation des Tibétains, qui sont réprimés dans leur propre patrie. Pour eux, le meilleur moyen de témoigner de la suppression des droits et libertés fondamentaux au Tibet est de relater l’histoire des prisonniers politiques qui, dans bien des cas, ont osé militer en faveur des les droits de la personne et en ont payé le prix fort.

J’aimerais aujourd’hui vous rapporter l’histoire d’un prisonnier qui, selon moi, est un prisonnier politique.

(1720)

Dans la culture tibétaine, le panchen lama est le deuxième grand conseiller spirituel après le dalaï-lama. Il contrôle la région Tsang, qui ne relève pas du gouvernement du Ganden Phodrang dirigé par le dalaï-lama.

Le 15 mai 1995, le dalaï-lama annonce que Gendhun Choekyi Nyima, alors âgé de 6 ans, a été reconnu comme le 11e panchen lama. Le gouvernement de la Chine rejette la déclaration du dalaï-lama, la qualifiant d’« illégale et invalide ». Le 17 mai 1995, les autorités enlèvent l’enfant et sa famille. Par la suite, les autorités chinoises installent à sa place Gyaincain Norbu. Gendhun Nyima et ses parents n’ont plus été revus depuis.

En mai 1996, la Chine reconnaît qu’elle détient Gendhun Choekyi Nyima et sa famille dans un endroit secret. L’ambassadeur de Chine à l’ONU prétend que « [Gendhun] a été placé sous la protection du gouvernement à la demande de ses parents ». Cette information est confirmée en septembre 1996 par des délégués de la commission d’État pour les affaires ethniques de la Chine en visite à Montréal, qui affirment que Gendhun Nyima est « en bonne santé et fait des études pour devenir moine » sous la protection des autorités chinoises.

En février 1998, des religieux américains en visite au Tibet apprennent que Gendhun Choekyi Nyima est à Pékin, mais, en mars 1998, le vice-gouverneur de la région autonome du Tibet, Yang Chuantang, déclare à des délégués australiens qu’il vit en fait à Lhari, où il est né. En avril 1998, un journaliste britannique apprend que l’enfant se trouverait dans un troisième lieu, probablement dans la province de Gansu, où il étudierait.

En 2000, lors d’entretiens tenus dans le cadre du dialogue bilatéral Union européenne-Chine sur les droits de l’homme, les délégués chinois montrent à des responsables européens et britanniques deux photos d’un jeune garçon qu’ils affirment être le panchen lama. Toutefois, une analyse médico-légale confirme par la suite que les photos ne sont pas celles de Gendhun Choekyi Nyima.

En août 2001, les autorités chinoises ont promis des photographies à une délégation polonaise qui s’était rendue au Tibet. Or, plus tard, on a dit à cette même délégation que le garçon était « très loin » de Lhassa et qu’on ne pourrait donc pas obtenir de photographies immédiatement. Elles n’ont jamais été fournies.

En octobre 2001, on a dit à une délégation australienne que les parents de Gendhun Choekyi Nyima insistaient pour qu’aucune délégation étrangère ne soit autorisée à le rencontrer.

Dans une déclaration faite le 6 septembre 2015, les autorités chinoises ont de nouveau reconnu que le panchen lama, qui avait alors 26 ans, vivait sous le contrôle de la Chine. « L’enfant désigné comme réincarnation du panchen lama fréquente l’école, vit une vie normale, en bonne santé, et ne souhaite pas être dérangé », a dit Norbu Dunzhub, membre du ministère du Front commun de la région autonome du Tibet.

Les procédures spéciales des Nations Unies ont soulevé ce cas à de nombreuses occasions, sans résultat. Très récemment, le 27 septembre 2013, pendant l’examen périodique de la Chine, le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies s’est informé de l’endroit où se trouvait le panchen lama. La Chine a refusé de répondre à la question, qui faisait suite à une question posée en 2005 sur l’éducation du panchen lama pendant sa détention.

Honorables sénateurs, je suis préoccupé et troublé par le fait qu’un enfant a été enlevé par l’État, que l’on ne sait toujours pas où il se trouve, et que nous ne connaissons pas son état de santé.

Pour terminer, honorables sénateurs, j’ose espérer que, alors que le gouvernement tend la main pour nouer le dialogue avec la Chine, cette interpellation permettra de souligner que nous devons aussi renforcer et défendre les droits fondamentaux de la personne et les libertés que nous chérissons et que nous nous assurons de protéger au Canada.

J’attends avec impatience la participation d’autres sénateurs à cette interpellation. J’ai hâte de les entendre faire part de leurs expériences et de leurs opinions.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation présentée au Sénat par mon honorable collègue, le sénateur Dennis Patterson, le 20 juin 2017. Je tiens à remercier le sénateur Patterson du leadership dont il fait preuve dans ce dossier.

[Français]

Cette violation des droits de la personne au Tibet est d’une grande importance. Nous devons continuer à mettre les faits en évidence et pousser les gouvernements à prendre des mesures concrètes.

[Traduction]

Mardi matin, j’ai rencontré quelques membres de la délégation du Tibet qui sont ici aujourd’hui. Le président en exil, Lobsang Sangay, qu’on appelle le sikyong, a souligné qu’il est important de régler la question du Tibet de façon pacifique et non violente. Le sikyong appuie la « voie du milieu » préconisée par le dalaï-lama, qui « mènerait à une réelle autonomie du Tibet dans le cadre de la Constitution chinoise ». Il a ajouté que, comme la Chine a établi un régime mixte pour Hong Kong et Macao, il serait illogique qu’elle continue de résister à l’adoption d’une solution semblable pour le Tibet.

D’après le rapport spécial de 2016 du Centre tibétain pour les droits humains et la démocratie, 194 Tibétains connus ont été emprisonnés chaque année, en moyenne, depuis 1991. On nous dit que, à l’heure actuelle, 2 057 prisonniers politiques tibétains seraient emprisonnés au Tibet, dans des centres et des prisons connus ou inconnus.

Chers collègues, la complexité qui entoure la situation du Tibet provient d’une confusion habilement cultivée. Les autorités chinoises refusent de communiquer le nombre de détenus, leur nom et l’endroit où ils se trouvent. Il nous est difficile d’avoir accès à des statistiques, mais la situation ne semble pas s’améliorer. De nombreux prisonniers sont victimes de torture, de violence et de traitements humiliants pendant les interrogatoires. Certains n’ont aucun procès, d’autres ont un procès qui ne satisfait pas aux normes internationales. Les punitions imposées aux prisonniers prennent parfois la forme de longues périodes d’isolement, et certaines personnes demeurent emprisonnées alors que leur peine est terminée depuis des années. La présomption d’innocence n’existe pas dans la loi chinoise et, dans le cas des prisonniers politiques, le verdict semble souvent décidé d’avance.

Bien que le Congrès national du peuple de Chine ait adopté un code de procédures pénales qui interdit la torture et d’autres méthodes coercitives visant à obtenir une confession, rien n’indique que ces nouvelles règles sont respectées dans le cas des prisonniers tibétains.

Contrairement aux articles 4 et 5 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui prévoient l’adoption de lois pénales en la matière et leur mise en application à l’intérieur du pays, le gouvernement chinois refuse d’étendre ces protections aux Tibétains.

Les articles 10, 11 et 14 de la convention, qui a été ratifiée par la Chine en 1988, prévoient aussi que le personnel chargé de l’application des lois reçoive une formation et des renseignements concernant l’interdiction de la torture; que l’on procède à des examens systématiques des règles, des instructions, des méthodes et des pratiques d’interrogatoire des personnes détenues; et, enfin, que les victimes de torture obtiennent réparation et soient réhabilitées comme il se doit.

Depuis les troubles survenus au Tibet en 2008, on rapporte que les autorités chinoises ont durci le traitement qu’elles réservent aux prisonniers politiques détenus au Tibet.

J’aimerais attirer l’attention sur le cas de la Dre Yeshe Choedron, une prisonnière politique qui a été arrêtée en mars 2008 et qui a été condamnée le 7 novembre 2008 à une peine d’emprisonnement de 15 ans par le tribunal populaire intermédiaire de Lhassa. Elle a été reconnue coupable d’espionnage pour avoir communiqué « au service de sécurité de la clique du dalaï-lama des renseignements préjudiciables à la sécurité et aux intérêts de l’État ».

La Dre Choedron avait 65 ans lorsqu’elle a été arrêtée. On pense que cette médecin tibétaine retraitée est détenue dans la prison de Drapchi. Elle fait partie des milliers de personnes qui ont été arrêtées, jugées secrètement et condamnées lors du soulèvement de 2008. Peu de nouveaux éléments de preuve ont été recueillis sur son cas depuis qu’elle a été condamnée il y a neuf ans.

Si elle est toujours en vie, la Dre Choedron aurait maintenant 74 ans.

(1730)

Selon des renseignements qui n’ont pas été confirmés par les autorités, la Dre Choedron serait, dans le meilleur des cas, en mauvaise santé. D’autres détenus emprisonnés en 2008 ont dit avoir été torturés ou maltraités pendant leur détention. En 2014, Tenzin Delek Rinpoche est mort en détention; une médaille du courage a été créée en son honneur.

Chers collègues, si je parle aujourd’hui de Yeshe Choedron et des prisonniers politiques au Tibet, c’est parce qu’il faut prendre conscience du problème. La communauté internationale, y compris le Canada, doit faire mieux pour lutter contre ces violations des droits de la personne et du droit international qui sont commises par la Chine.

Les gens comme Yeshe Choedron méritent, comme nous, de jouir de leurs droits et de l’égalité des chances. L’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. »

La protection des droits et la capacité d’en jouir ne sont pas réservées uniquement aux élites de ce monde. Le Canada s’est engagé à défendre les droits de la personne au pays comme à l’étranger.

La semaine dernière, à la réunion des ministres de la Défense sur le maintien de la paix des Nations Unies, j’étais présente lorsque le premier ministre du Canada a parlé de l’importance d’assurer une paix durable et la justice pour tous, en particulier en période de conflit, ainsi que de la nécessité de faire preuve d’audace. Le Tibet n’est qu’un des endroits où nous pouvons et devrions faire mieux et faire preuve d’audace en ce qui concerne la protection des droits de la personne.

Encore une fois, je remercie le sénateur Patterson du leadership dont il fait preuve dans le cadre de cette interpellation, et je tiens à souligner qu’on a décerné à la Dre Yeshe Choedron, qui est toujours détenue par la Chine, la médaille du courage Tenzin Delek Rinpoche. En conclusion, je prie pour que la Dre Choedron survive à des conditions de détention qui peuvent s’avérer mortelles. Merci, meegwetch.

[Français]

L’honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole dans le cadre de l’interpellation de l’honorable sénateur Patterson attirant l’attention du Sénat sur l’état des prisonniers politiques au Tibet. Je tiens aussi à remercier mes honorables collègues qui sont également intervenus pour sensibiliser le peuple canadien aux violations persistantes des droits fondamentaux de la personne dans cette région.

[Traduction]

Pour comprendre l’état des prisonniers politiques au Tibet, il faut d’abord se pencher sur les règles draconiennes de surveillance du public. Elles ont mené à la détention et à la mort de milliers de Tibétains innocents.

Pour vous donner une idée de l’extrême violence de la situation au Tibet, en 2016 et 2017, Freedom House a classé le Tibet au deuxième rang des pays qui ont les pires cotes globales en ce qui concerne les droits politiques et les libertés civiles, tout juste après la Syrie et devant la Somalie, l’Érythrée et la Corée du Nord.

Le fait que le peuple tibétain ait moins de droits et de libertés que les habitants d’un État en déroute et de la pire dictature du monde devrait soulever de vives inquiétudes sur le traitement des 3 millions de Tibétains aux mains des autorités chinoises. Depuis 1950, le Tibet est dirigé par le Parti communiste chinois. Il se compose de la Région autonome du Tibet et de 12 préfectures autonomes tibétaines.

Des observateurs du respect des droits ont documenté la multitude de violations des droits fondamentaux, y compris un taux alarmant de détentions, d’accusations et de condamnations de Tibétains pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression, de réunion, de religion et d’identité culturelle.

Les autorités chinoises limitent vigoureusement tous les médias d’information et les voix indépendantes au Tibet. Les personnes qui utilisent Internet, les médias sociaux ou d’autres moyens pour diffuser des opinions dissidentes ou pour publier du contenu politique délicat font face à des arrestations et à des peines sévères. L’expression culturelle tibétaine est notamment visée, étant donné que les autorités l’associent au séparatisme. Elle est encadrée par des restrictions particulièrement dures.

Au cours des dernières années, les personnes incarcérées comptent de nombreux auteurs, intellectuels et musiciens tibétains. Parmi les cas les plus connus en 2016, le blogueur Drukar Gyal, aussi appelé « Druklo », a reçu une sentence de trois ans d’emprisonnement en février dernier pour avoir incité à la séparation et avoir menacé la stabilité sociale.

En mars 2015, un populaire écrivain et blogueur tibétain, connu sous le nom de plume de Shokjang, a été arrêté. Personne ne savait où il se trouvait jusqu’au jour de février 2016 où il fut condamné à trois ans d’emprisonnement pour avoir « incité à la séparation de l’État ».

Deux autres écrivains, Lu Konchok Gyatso et Tashi Wangchuk, sont restés en détention en 2016, l'un pour avoir prévu la publication d’un ouvrage, et l’autre parce qu’il avait parlé au New York Times du fait que la langue tibétaine n’était plus enseignée. Privé d’un procès équitable et de l’accès à sa famille, Tashi Wangchuk a été torturé et a subi un traitement extrêmement inhumain et dégradant en détention. Il a été initialement maintenu dans une chaise de torture en métal pendant une longue période durant laquelle il a été soumis à un interrogatoire et battu à maintes reprises par des policiers. Depuis janvier 2017, nous n’avons aucune nouvelle sur son état, aucune preuve d’acte criminel n’a été rendue publique, et son accès à ses avocats est limité.

Depuis 2012, les autorités communistes ont mis en place des comités formés de représentants du gouvernement au sein de monastères afin de pouvoir gérer leurs activités quotidiennes et de leur inculquer la doctrine du parti. Ces campagnes de rééducation forcent habituellement les participants à souscrire à l’assertion du Parti communiste chinois selon laquelle la Chine a libéré le Tibet et à dénoncer le dalaï-lama.

La liberté de religion est très limitée au Tibet, en grande partie parce que les autorités considèrent la vénération du dalaï-lama et l’adhésion à l’unique forme de bouddhisme pratiquée dans la région comme des menaces à l’autorité du Parti communiste chinois. La possession d’articles ou d’objets liés au dalaï-lama peut donner lieu à du harcèlement de la part des autorités, à des arrestations et à des sanctions, y compris des restrictions sur les activités commerciales et la perte de prestations d’aide sociale. Le Bureau des affaires religieuses, qui contrôle toutes les activités religieuses, force les moines et les religieuses à signer une déclaration rejetant l’indépendance du Tibet, exprimant leur loyauté au gouvernement et dénonçant le dalaï-lama.

Depuis son arrivée au pouvoir, le président Xi a réclamé à maintes reprises la sinisation de toutes les religions, lançant des avertissements contre « l’infiltration étrangère par le biais de la religion » et « les transgressions idéologiques de la part d’extrémistes ». Sous son régime, un grand nombre de moines bouddhistes tibétains ont été arrêtés au cours de l’année pour avoir protesté publiquement contre la répression exercée par l’État, pour s’être opposés aux confiscations de terres ou pour avoir affiché des images du dalaï-lama.

Le dalaï-lama, qui a été nommé citoyen honoraire du Canada, continue de défendre les droits fondamentaux du peuple tibétain. Un homme qui enseigne la patience, la compassion et la tolérance représente la plus grande menace à la volonté de la Chine de conserver sa mainmise sur le Tibet. Les autorités chinoises prennent cette menace tellement au sérieux qu’elles sont allées jusqu’à bannir Lady Gaga tout simplement parce qu’elle s’était entretenue avec le dalaï-lama.

Honorables collègues, comme mon collègue, le sénateur Patterson, l’a mentionné, un jour, le sort réservé au successeur du dalaï-lama deviendra un problème pour le monde entier.

[Français]

La liberté de mouvement au Tibet est strictement limitée, surtout autour des dates sensibles. Les moines et les religieuses sont particulièrement ciblés. Les Tibétains de l’extérieur de la région autonome du Tibet qui se rendent à Lhassa doivent remettre leur carte d’identité nationale aux autorités et informer quotidiennement celles-ci de leurs projets. Selon Human Rights Watch, presque tous les habitants de la région autonome du Tibet se sont vu interdire les voyages à l’étranger en 2016.

Ces atteintes aux droits de la personne sont attribuables en grande partie au fait que le Parti communiste chinois contrôle le système judiciaire, d’où le manque d’indépendance des tribunaux. D’après une base de données incomplète sur la Chine constituée par la commission exécutive du Congrès des États-Unis, 650 prisonniers politiques tibétains étaient derrière les barreaux au 1er août 2016. Les accusés n’ont pas accès à une véritable représentation juridique. Les procès se tiennent à huis clos si la sécurité de l’État est invoquée. Les avocats chinois qui offrent de défendre des suspects tibétains ont été harcelés ou radiés du barreau.

Les forces de sécurité pratiquent couramment la détention arbitraire, et les familles des détenus sont souvent laissées dans le noir quant au lieu de détention ou à l’état de santé de leurs proches. De plus, des prisonniers de conscience tibétains seraient morts en détention dans des circonstances laissant croire à la torture. En février 2016, par exemple, un Tibétain dont on soupçonne qu’il a été torturé a succombé pendant qu’il purgeait une peine de 13 ans d’emprisonnement pour avoir refusé de hisser un drapeau chinois.

(1740)

Les autorités chinoises ont arrêté et condamné de nombreux écrivains, intellectuels et chanteurs tibétains pour avoir « fomenté le séparatisme ».

En décembre dernier, un militant pour la démocratie de 58 ans, Peng Ming, est mort en prison dans des circonstances suspectes. Sa famille n’a pas eu le droit de voir sa dépouille, et les autorités ont refusé à ses enfants d’âge adulte la permission d’entrer au pays pour prendre possession de ses cendres.

En juin, une religieuse bouddhiste du Tibet, Yeshi Lhakdron, de la préfecture de Kardze, dans la région tibétaine de Kham qu’administre maintenant la province du Sichuan, est morte torturée en détention, selon le Centre tibétain pour les droits de l’homme et la démocratie. Le même mois, un homme de 40 ans du Kardze qui avait été arrêté pour possession alléguée d’une arme à feu est mort en détention; il aurait été grièvement torturé.

Le 13 mai, Lobsang Choedhar, moine du monastère de Kirti, dans la région tibétaine d’Amdo, se trouvait dans un état critique après avoir été torturé en prison. Il avait purgé une peine de 13 années d’emprisonnement pour avoir réclamé le retour du dalaï-lama et la libération du panchen lama. Malheureusement, les autorités chinoises ont refusé d’entendre les appels à sa libération afin qu’il puisse recevoir des soins médicaux.

[Traduction]

Honorables sénateurs, les autorités dans certaines régions du Tibet continuent de détenir de façon arbitraire des Tibétains pour des périodes indéterminées. Je n’annonce rien de nouveau. Depuis que le Tibet a été annexé, des temples bouddhistes ont été détruits et des milliers de personnes ont été tuées, et la situation est toujours aussi sombre.

Le gouvernement chinois contrôle les régions frontalières, lutte contre le séparatisme et exploite les ressources naturelles. Pour ce faire, il mène une répression sévère contre le patrimoine unique religieux, culturel et linguistique du Tibet et les droits civils de la population tibétaine.

Honorables sénateurs, le Tibet est en état de siège et sa population souffre. Selon la Campagne internationale pour le Tibet, 150 Tibétains se sont immolés au Tibet et en Chine depuis le 27 février 2009, dont 26 étaient âgés de 18 ans ou moins. Le plus troublant dans tout cela est le silence qui règne sur les abus continus perpétrés par les autorités chinoises. Le Canada a une communauté tibétaine dynamique dont les membres sont d’abord venus ici comme réfugiés. Ils réclament la liberté et la justice.

Aujourd’hui, en 2017, alors que le Canada approuve l’acquisition d’entreprises d’État, entame des pourparlers de libre-échange et contribue à la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures dirigée par la Chine, il est plus important que jamais de parler avec la Chine des droits de la personne et des cas de prisonniers d’opinion.

Je remercie de nouveau tous les sénateurs qui ont participé à la discussion et j’invite tous mes honorables collègues à s’informer au sujet de l’état des droits de la personne et des prisonniers politiques au Tibet, qui souffrent tous les jours aux mains du Parti communiste chinois.

Honorables sénateur, le dalaï-lama a dit : « Il ne suffit pas d’avoir de la compassion. Vous devez agir. » 

J’espère que, comme parlementaires, nous porterons avec nous ces sages paroles, nous penserons au sort du peuple tibétain et nous demanderons la libération des prisonniers politiques à chaque occasion possible quand nous traitons avec la Chine.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation du sénateur Patterson attirant l’attention du Sénat sur l’état des prisonniers politiques au Tibet.

Ce qui suit est une déclaration que notre regretté collègue, le sénateur Tobias Enverga, avait l’intention de prononcer à l’appui de l’interpellation du sénateur Patterson. Je suis honorée de participer aujourd’hui au débat au nom du sénateur Enverga, qui, comme moi, accordait une grande valeur aux droits de la personne, à la primauté du droit, à l’équité, à la justice et au respect des procédures établies.

Chers collègues, malheureusement, la question soulevée n’a rien de nouveau. Elle fait les manchettes partout dans le monde depuis un bon bout de temps. Depuis des décennies, d’innombrables Tibétains sont fait prisonniers politiques par les autorités chinoises en République populaire de Chine. Souvent, ces personnes sont reconnues coupables de prétendus « crimes » pour des activités politiques pacifiques ou le simple exercice de leur droits fondamentaux de la personne. Ce groupe est formé de nombreux moines, religieuses, et personnes faisant valoir de manière inhérente la paix et l’harmonie. Ces prisonniers politiques endurent des conditions difficiles et brutales. Ils sont notamment torturés, privés de sommeil ou de nourriture et isolés pendant de longues périodes. Il est connu que plusieurs d’entre eux en sont morts. Ces atrocités et violations des droits de la personne se perpétuent depuis beaucoup trop longtemps et doivent cesser.

Honorables sénateurs, depuis le début des manifestations à la grandeur du plateau tibétain le 10 mars 2008, plus de 600 cas connus de personnes détenues à titre de prisonniers politiques ont été recensés. Dans le climat politique actuel de la République populaire de Chine, toute expression pacifique de l’identité tibétaine peut être caractérisée de « réactionnaire » et, donc, être perçue comme criminelle.

J’attire l’attention de la Chambre sur un cas précis, soit celui de M. Lobsang Jamyang, un moine écrivain capturé le 17 avril 2015 à l’âge de 28 ans dans la province chinoise de Sichuan. On croit qu’il est toujours détenu dans la région à l’heure actuelle. Après sa capture, on l’a empêché de communiquer avec l’extérieur pendant un an, ce qui enfreint la loi chinoise. En janvier 2017, M. Jamyang a été inculpé de « divulgation de secrets d’État » et de « participation à des activités séparatistes ». Aucun élément de preuve n’a été fourni pour appuyer ces affirmations. En mai 2016, M. Jamyang a été condamné à sept ans et demi de prison, le procès ayant eu lieu à huis clos.

Au moment de son emprisonnement, il étudiait le bouddhisme au monastère de Kirti. Il a également écrit des articles pour des sites web populaires de langue tibétaine au Tibet. L’état de santé actuel de M. Jamyang, un homme pacifique et un partisan du Tibet, est toujours inconnu, mais on rapporte qu’il a été battu et torturé durant son année d’emprisonnement avant la tenue de son procès et la détermination de sa peine.

Honorables sénateurs, le cas de M. Jamyang n’est pas unique. Il ne s’agit que d’un exemple parmi tant d’autres d’une tendance très inquiétante de violations de droits de la personne commises contre des Tibétains dans la République populaire de Chine.

Toutefois, il y a de nombreux groupes et de nombreuses personnes qui ont fait du travail remarquable à cet égard, qui ont sensibilisé la population à la persécution que vivent les Tibétains quotidiennement et qui ont offert un appui à ces victimes. J’aimerais saluer la Campagne internationale pour le Tibet, qui a non seulement réalisé des activités de sensibilisation à ce sujet au fil des ans, mais a également joué un rôle dans la libération de nombreux prisonniers politiques tibétains.

Honorables sénateurs, je tiens aujourd’hui à donner mon appui au sénateur Patterson et à dénoncer les actions menées à l’encontre des Tibétains, comme M. Jamyang, qui ont été faits prisonniers et soumis à des traitements inhumains pour avoir simplement exercé leurs droits fondamentaux. Nous sommes chanceux de pouvoir jouir de ces droits ici, au Canada. Merci de l’attention que vous avez portée à cette importante interpellation.

L’honorable Linda Frum : Honorables sénateurs, les violations des droits de la personne commis à l’égard des Tibétains par la République populaire de Chine perdurent depuis bien trop longtemps. Même dans le contexte du régime autoritaire de la Chine, le Tibet est l’un des pays qui a le plus souffert.

Depuis que Mao a conquis cette région en 1950, d’innocents Tibétains sont passibles d’emprisonnement pour des crimes qu’ils n’ont pas commis, se voient refuser le droit de pratiquer leur religion et ne sont pas en mesure d’exercer leur droit de parole.

Sophie Richardson, directrice pour la Chine de Human Rights Watch, a affirmé que le message des autorités chinoises à l’endroit des Tibétains était clair : le non-conformisme politique sera sévèrement puni.

Je remercie le sénateur Patterson d’avoir porté cette importante question à l’attention du Sénat. Je vais me servir de mon temps de parole pour vous exposer la situation difficile d’un écrivain et blogueur tibétain connu âgé de 30 ans qui s’appelle Druklo. Aussi connu sous son nom de plume, Shokjang, il est reconnu pour ses articles critiques qui poussent à la réflexion quant à la situation au Tibet, particulièrement en ce qui concerne la réinstallation des nomades tibétains. Shokjang a été arrêté par des agents de la police nationale et mis en détention par les autorités chinoises le 16 mars 2015. Il a été condamné, onze mois plus tard, à trois ans de prison. Aucune information n’a été divulguée quant aux accusations qui pesaient contre lui, et son état de santé demeure inconnu.

(1750)

Selon certaines sources, sa famille et ses amis ne peuvent le visiter que dans des conditions très strictes. Par exemple, si les visiteurs discutent avec Shokjang en chinois, ils peuvent rester avec lui pendant 30 minutes. S’ils parlent en tibétain, la visite est limitée à cinq minutes.

Il est inacceptable que Shokjang soit détenu pour avoir exercé sa liberté d’expression.

Je demande à tous les sénateurs de joindre leur voix à la mienne pour demander au gouvernement chinois de libérer Shokjang et tous les prisonniers d’opinion tibétains.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, si personne d’autre ne désire intervenir, cela mettra un terme au débat sur cette question.

(Le débat est terminé.)

(À 17 h 51, le Sénat s’ajourne jusqu’au mardi 28 novembre 2017, à 14 heures.)

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