Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 42e Législature
Volume 150, Numéro 180
Le mardi 13 février 2018
L’honorable George J. Furey, Président
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- Les affaires autochtones et du Nord
- Le Budget des dépenses de 2017-2018
- Le Budget des dépenses de 2018-2019
- Projet de loi interdisant l’importation de nageoires de requin
- Le Code criminel
- Projet de loi sur le cannabis
- Projet de loi sur la Semaine de la gentillesse
- Langues officielles
- Les défis de l’alphabétisation et des compétences essentielles au vingt et unième siècle
- Les travaux du Sénat
- ORDRE DU JOUR
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- Les travaux du Sénat
- Le ministère des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne
- Le système de paie Phénix
- Les quotas de pêche
- Les baleines noires de l’Atlantique Nord—L’industrie du crabe des neiges
- Les aires marines protégées
- Les effluents des usines de pâte à papier
- La protection du saumon de l’Atlantique
- La protection des cétacés
- La pêche côtière
- Les droits de pêche des Mi’kmaq
- Les infrastructures marines
- Les travaux du Sénat
- Les travaux du Sénat
- ORDRE DU JOUR
- Pêches et océans
- Agriculture et forêts
- Projet de loi sur le cannabis
- Projet de loi sur le renforcement de la sécurité automobile pour les Canadiens
- La Loi canadienne sur les sociétés par actions
- La Loi canadienne sur les coopératives
- La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif
- La Loi sur la concurrence
- Projet de loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques
- La Loi instituant des jours de fête légale
- La Loi sur l’Agence du revenu du Canada
- Modernisation du Sénat
- L’étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes
- La surreprésentation croissante des femmes autochtones dans les prisons canadiennes
- Les universités régionales
- La proposition intitulée « Second examen objectif »
- Le Sénat
- Question de privilège
- Peuples autochtones
- L’honorable Joan Fraser
- L’honorable Claudette Tardif
LE SÉNAT
Le mardi 13 février 2018
La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Question de privilège
Préavis
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, conformément à l'article 13-3(1) du Règlement du Sénat et pour donner suite au préavis présenté par écrit aujourd’hui, je donne préavis que je soulèverai une question de privilège aujourd’hui même, le 13 février 2018, concernant une communication aux médias qui résume le contenu d’une lettre portant la mention « Confidentiel » qui m’a été envoyée par la greffière du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration et que j’ai reçue le samedi 10 février.
Dans la matinée du 10 février, mon bureau a reçu un courriel accompagné d’une lettre qui m’était adressée et qui portait la mention « Confidentiel », datée du 9 février 2018 et expédiée au nom du comité directeur du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, dans laquelle on me demandait un complément d’information sur une demande de contrat de service que j’avais soumise le 31 janvier 2018. Le comité y faisait part de son avis sur ce qui était non parlementaire dans ma demande.
Le lundi 12 février 2018, le premier jour ouvrable où il était possible de répondre au comité, j’ai reçu un courriel de la part de CBC qui me demandait mes commentaires sur un courriel qui lui avait envoyé par le comité. Dans ce courriel, le comité évoquait et résumait une partie du contenu de la lettre confidentielle que j’avais reçue.
Étant donné que cette atteinte à la confidentialité est survenue le lundi 12 février, je soulève la question de privilège à la première occasion, conformément à l'article 13-2(1)a) du Règlement. Parmi les privilèges parlementaires conférés à tous les parlementaires figure la protection contre l’obstruction et l’ingérence dans l’exécution de leurs fonctions parlementaires. S’il est établi que cette situation constitue, à première vue, une atteinte au privilège, je suis prête à présenter une motion.
Le processus de récusation péremptoire
L’honorable Lillian Eva Dyck : J’interviens aujourd’hui pour offrir mes plus sincères condoléances à la famille de Colten Boushie, jeune homme de la Première Nation de Red Pheasant, en Saskatchewan. Colten a été tué par balle, après avoir été atteint derrière la tête par un projectile qu’avait tiré Gerald Stanley, un agriculteur blanc. L’avocat de Stanley a argué que le coup de feu était accidentel, résultant d’une mise à feu retardée, chose qui se produit rarement. Stanley a été acquitté le vendredi 9 février. Le procès s’est déroulé sur fond de racisme virulent à l’encontre de la population autochtone de la Saskatchewan, racisme dont témoignent les commentaires affichés sur les médias sociaux après le coup de feu. Les commentaires étaient tellement ignobles que le premier ministre de la province s’est senti obligé d’intervenir pour exhorter les gens à arrêter. Les commentaires affichés aujourd’hui sur les médias sociaux par certains sympathisants de Stanley sont vraiment effrayants.
L’acquittement a eu un retentissement à l’échelle du pays. De nombreux Canadiens ont été indignés par l’apparente inefficacité du système de justice. Les gens ont été scandalisés par le racisme virulent manifesté par certains Saskatchewanais. Encore une fois, les Autochtones sont l’objet d’un déni de justice fondé sur un racisme systémique.
Le lendemain du verdict, des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes du pays pour appuyer la famille et demander que justice soit faite. À Saskatoon, un millier de personnes environ s’étaient rassemblées, Autochtones et descendants de colons, demandant que justice soit rendue pour Colten.
Certaines personnes se demandent si, dans les circonstances, il était juste que le jury soit entièrement composé de Blancs. Chers collègues, au moment de la sélection du jury, l’avocat de M. Stanley s’est servi de la procédure de récusation péremptoire pour exclure délibérément les candidats jurés qui étaient visiblement d’origine autochtone. C’est ainsi que le jury s’est retrouvé composé seulement de Blancs. Même si ce n’est pas interdit par la loi, de nombreuses personnes se demandent si ce ne devrait pas l’être, surtout quand on sait très bien qu’il existe en Saskatchewan un niveau élevé de racisme envers les Autochtones.
Qui plus est, l’existence même de la récusation péremptoire ne tient pas compte des 150 années de dommages que notre système de justice colonial a infligées, particulièrement aux Autochtones. On avait déjà reconnu il y a des décennies que la récusation péremptoire constituait un grave problème pour les Autochtones du Manitoba.
Le Royaume-Uni a, en outre, adopté une loi pour mettre fin à cette pratique il y a des décennies.
Les Autochtones, les Canadiens en général, veulent que nos lois soient justes pour tous. Tant que les préjugés et le racisme auront une place manifeste dans le système de sélection du jury, la réconciliation sera impossible. La récusation des jurés éventuels devrait être justifiée. Elle ne devrait pas être fondée sur des préjugés personnels ou le racisme envers un candidat autochtone.
Cela suffit. Le Canada n’a que trop tardé à prendre la question de la récusation péremptoire au sérieux. La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, doit agir immédiatement et engager concrètement le processus qui mettra fin à cette pratique. Nous, les Autochtones du Canada, méritons mieux.
Le Tournoi des cœurs Scotties
Félicitations à l’équipe Jones
L’honorable Donald Neil Plett : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour souligner un autre superbe exemple d’athlétisme dans ma province, le Manitoba. Cela dit, je tiens à mettre un terme aux rumeurs suggérant que nous envisageons d’appuyer une campagne de Justin Trudeau visant à remplacer le nom du Manitoba par « Peopletoba ».
Chers collègues, la semaine dernière, au Tournoi des coeurs Scotties de 2018, le championnat de curling féminin le plus prestigieux au monde, les deux équipes qui se sont rendues en finale venaient du Manitoba. L’équipe Wild Card, d’East St. Paul, composée de la capitaine Kerri Einarson, de la troisième Selena Kaatz, de la deuxième Liz Fyfe et de la première Kristin MacCuish, a affronté en finale Jennifer Jones et Équipe Manitoba. Mme Jones, qui vient de mon ancien club de curling, le St. Vital Curling Club, a remporté la victoire avec son équipe : la troisième Shannon Birchard, la deuxième Jill Officer et la première Dawn McEwan. Dimanche dernier, pendant la finale, l’équipe l’a emporté sur son adversaire par la marque de 8 à 6 sans avoir à lancer sa dernière pierre. Jennifer Jones a remporté le Tournoi des cœurs Scotties pour la sixième fois dans sa carrière. Colleen Jones, de la Nouvelle-Écosse, est la seule autre femme à avoir atteint ce record historique.
Mme Jones a établi une première dans l’histoire olympique en devenant la première femme à terminer le tournoi de curling à la ronde aux Olympiques sans aucune défaite. Les gagnantes du Tournoi des cœurs Scotties de l’année dernière, qui forment une autre équipe fantastique du Manitoba sous la direction de Michelle Englot, étaient de retour cette année et représentaient Équipe Canada.
(1410)
Les Manitobains ont été fiers d’être solidement représentés par trois équipes au tournoi de cette année. Dans la pure tradition manitobaine, les partisans se sont mobilisés autour de leurs athlètes et ils les ont appuyées jusqu’au bout. Talentueuses, déterminées et animées d’un esprit sportif remarquable, les trois équipes ont fait la fierté des Manitobains et des autres Canadiens partout au pays.
Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour féliciter Équipe Manitoba et, en fait, toutes les équipes du Manitoba de leur succès au Tournoi des cœurs Scotties de cette année. Jennifer Jones participera au Championnat mondial Ford de curling féminin 2018, qui aura lieu à North Bay, en Ontario, alors que de nombreux autres excellents joueurs de curling canadiens prennent part actuellement aux épreuves des Jeux olympiques d’hiver.
Les Jeux olympiques de 2018
Félicitations à Kaitlyn Lawes et à John Morris
L’honorable Donald Neil Plett : Dans le même ordre d’idées, je tiens à féliciter Kaitlyn Lawes, qui est aussi membre du club de curling de St., Vital, et John Morris, qui, ce matin même, ont décroché la médaille d’or olympique en curling double mixte.
Chers collègues, veuillez vous joindre à moi pour souhaiter la meilleure des chances aux formidables équipes de curling canadiennes et à tous les membres d’Équipe Canada qui participent aux Jeux olympiques d’hiver de PyeongChang.
[Français]
Visiteurs à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Sandra Le Couteur, d’Alyre Robichaud, de Carl Philippe Gionet et de Jocelyne Kerry. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Cormier.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Sandra Le Couteur
L’honorable René Cormier : Honorables sénatrices et sénateurs, je profite de la présence à la tribune de l’artiste acadienne Sandra Le Couteur pour souligner la contribution exceptionnelle de cette artiste à la préservation, à la promotion et à l’animation de notre patrimoine culturel et, plus particulièrement, de notre patrimoine bâti.
La valeur de ce patrimoine bâti vient de ce qu’il nous rappelle la vie et l’histoire de ceux et celles qui ont bâti le Canada. Ses éléments constituent des lieux d’apprentissage pour tous les Canadiens, qu’ils soient jeunes ou vieux, nouvellement arrivés au pays ou établis de longue date. Ils constituent également une source de revenu touristique pour les collectivités et aident à préserver l’environnement en tirant profit des structures existantes.
[Traduction]
Une petite île appelée Miscou se trouve à la bordure de la péninsule acadienne, sur la côte nord-est du Nouveau-Brunswick. Miscou est un mot mi’kmaq qui signifie « terre basse ou sol humide » et qui a été mentionné pour la première fois dans les comptes rendus des voyages de Samuel de Champlain remontant au XVIIe siècle.
[Français]
Avec l’humour qu’on lui connaît, Mme Le Couteur, celle qu’on appelle affectueusement chez nous « la demoiselle du traversier », dira plutôt que Miscou signifie « l’endroit où les oiseaux virent de bord », car l’île est située au bout du continent.
[Traduction]
Honorables collègues, c’est à cet endroit que se trouve le mythique phare de l’île Miscou.
[Français]
Reconnu par le Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine, ce phare a été construit en 1856 à l’extrémité nord-est du Nouveau-Brunswick, qui donne sur la baie des Chaleurs.
[Traduction]
Le phare de l’île Miscou a une valeur historique inégalée, notamment parce que la tour de bois a une forme octogonale tout à fait originale. Les touristes et les gens du coin peuvent aussi manger au restaurant ou profiter de l’aire de repos sur place.
[Français]
Ce qu’ignorent les touristes et les citoyens de la région qui y viennent nombreux chaque été, c’est que ce phare a bien failli disparaître. Fermé pendant 10 ans, il a été sauvé grâce à des historiens passionnés et à des bénévoles dévoués, comme l’artiste Sandra Le Couteur, qui a redonné au phare sa lumière et sa voix. Grâce à son inlassable détermination, soutenue par son mari et gérant, Alyre Robichaud, et tout en poursuivant sa carrière musicale au sein de la francophonie et dans le monde, cette chanteuse, poète, comédienne et conteuse, une des voix les plus vibrantes de l’Acadie, a contribué à sauvegarder cet édifice.
D’ailleurs, elle anime aujourd’hui ce lieu qui fait partie intégrante du patrimoine bâti de l’Acadie, du Nouveau-Brunswick et du Canada. Le phare de Miscou est devenu grâce à elle un lieu de diffusion culturelle estival unique permettant aux Canadiens et Canadiennes de voir et d’entendre des artistes de l’Acadie et de la francophonie. Chaque été depuis maintenant 10 ans, sous la direction artistique de Mme Le Couteur, la série de spectacles « Voir Miscou et mourir » permet à des artistes acadiens et de la francophonie d’investir ce petit phare et d’y rencontrer un public local et touristique ravi et sous le charme de ce lieu unique, à proximité de l’océan Atlantique.
Merci, madame Le Couteur, de votre inestimable contribution à la préservation, à la promotion et à l’animation de ce lieu historique inspirant. Nous sommes heureux de vous avoir remis aujourd’hui la médaille du 150e anniversaire du Sénat afin de souligner votre inestimable contribution aux efforts en vue de garder vivante l’histoire de l’Acadie et du Canada. Je vous remercie.
[Traduction]
Les souvenirs olympiques
L’honorable Nancy Greene Raine : Honorables sénateurs, vous l’aurez évidemment deviné : aujourd’hui, je souhaite célébrer et me remémorer quelques souvenirs liés aux Jeux olympiques. Ils ne datent pas d’hier – c’était il y a plus de 50 ans –, mais je garde une image très claire, non seulement de mon propre passage aux Olympiques, mais surtout des Jeux de Vancouver, car j’ai pu voir cette année-là le Canada se mobiliser comme jamais, et que dire des Canadiens qui entonnaient spontanément l’hymne national en déambulant dans les rues.
Je sais qu’aujourd’hui, le même enthousiasme doit s’être emparé des habitants de PyeongChang, en Corée. Je tiens à saluer tous ceux et celles grâce à qui un tel événement est possible, notamment les bénévoles qui organisent les activités et s’investissent dans le sport pendant toutes ces années et, bien sûr, les familles et les entraîneurs des athlètes, qui les soutiennent jusqu’au bout. Aujourd’hui, les Canadiens se joignent aux athlètes pour non seulement célébrer les victoires et les médailles que nous commençons à remporter – les choses vont drôlement bien jusqu’ici –, mais aussi réparer les cœurs brisés qui sont le lot de pareilles compétitions.
Voilà pourquoi je dis toujours qu’il n’y a pas meilleure émission de téléréalité que le sport : il n’y a rien d’artificiel dans les émotions que nous voyons.
Je crois que nous devrions aussi être fiers d’un programme qui a été mis sur pied avant les Jeux de Calgary et qui existe encore aujourd'hui, le programme À nous le podium. Je suis particulièrement fière du fait qu’il ait pour partenaire Du terrain de jeu au podium, car nous ne dirons jamais assez à quel point il est important que les enfants aillent jouer dehors et commencent à songer à leurs rêves. Les Canadiens qui nous représentent aujourd’hui ont d’ailleurs de quoi inspirer de grands rêves.
Je vous remercie de m’avoir permis de me remémorer mes souvenirs. Bonne chance à tous les Canadiens. Allez, Canada!
[Français]
Les Jeux olympiques de 2018
L’honorable Chantal Petitclerc : Honorables sénatrices et sénateurs, je tiens moi aussi à vous parler de ces Jeux olympiques qui battent leur plein depuis maintenant cinq jours. Je soupçonne que, parmi ceux et celles qui ont suivi les exploits de nos athlètes, rares sont ceux qui n’ont pas eu un moment d’émotion ni versé une petite larme, et pour cause, car nos athlètes et ceux du monde entier représentent non seulement la haute performance, mais surtout des valeurs qui nous sont chères. Stéphane Laporte l’a très bien exprimé ce week-end dans La Presse, et je cite :
Malgré tout le côté sombre de l’empire olympique, il y a toujours une raison fondamentale de regarder les Jeux : pour apprendre l’âme humaine. Apprendre sa force. Apprendre sa beauté. Apprendre ses victoires. Apprendre ses échecs.
Comme vous, je suis fière des médailles que nous avons remportées à ce jour, fière de Mikaël Kingsbury, le roi des bosses, digne héritier du « Boss des bosses », Jean-Luc Brassard, qui l’avait inspiré alors qu’il n’était qu’un enfant. Je puis vous assurer qu’il y a de nombreux petits gars et petites filles qui, au moment où je vous parle, supplient leurs parents de leur donner des skis! C’est cela, la beauté de l’olympisme.
Cependant, ce n’est pas des médailles dont j’avais envie de vous parler aujourd’hui.
[Traduction]
Il y a certains aspects des Jeux olympiques dont on ne parle pas aux nouvelles, mais qui sont très éloquents. Ce dont je m’apprête à vous parler est assez extraordinaire. Lorsqu’on entre dans la Maison olympique du Canada, à PyeongChang, on peut lire ce qui suit sur un grand mur rouge :
Dans cette enceinte, lieu de rassemblement de tous les cœurs olympiques, vous êtes accueillis, acceptés et respectés.
Qui que vous soyez, d’où que vous veniez, cette maison est la vôtre.
Vous êtes ici chez vous, indépendamment de votre sexe, orientation sexuelle, race, situation familiale ou matrimoniale, identité ou expression de genre, âge, couleur, incapacité, et quelques soient vos caractéristiques sexuelles, croyances et convictions politiques ou religieuses.
Tout ce que nous vous demandons, c’est de respecter tous les concurrents olympiques, de faire du bruit et d’applaudir le plus fort possible ceux qui portent la feuille d’érable et les couleurs du Canada!
Soyez fiers.
Soyez authentiques.
Soyez olympiques!
[Français]
Bravo à l’équipe olympique canadienne d’avoir fait ce choix conscient de clamer haut et fort que, pour les Canadiens, la diversité est toujours une force, jamais une faiblesse.
(1420)
Visiteur à la tribune
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Marie-Célie Agnant. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Mégie.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le Mois de l’histoire des Noirs
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, en ce mois de l’histoire des Noirs, je prends la parole afin de souligner l’œuvre impressionnante de Marie-Célie Agnant. Cette écrivaine québécoise née à Port-au-Prince, en Haïti, est auteure de poèmes, de romans et de nouvelles. Elle publie également de la littérature pour enfants et pour la jeunesse, tout en écrivant des pièces de théâtre.
En raison de la qualité et de la profondeur de ses textes, elle est fréquemment comparée à l’une de ses influences littéraires, la grande auteure québécoise Gabrielle Roy. Dans ses écrits qui sont traduits en plusieurs langues, Mme Agnant aborde avec passion des thèmes sociétaux de la plus haute importance. En effet, son judicieux choix de mots et sa recherche esthétique éveillent le lecteur aux enjeux comme la condition féminine, la famille, les inégalités, les relations de pouvoir, l’exclusion, la solitude et le racisme.
À travers ses récits, la romancière nous amène à nous questionner sur la Femme avec un grand « F ». Peu importe le passé, le présent, ou l’avenir de ses personnages, elle arrive à en dépeindre une image forte. Honorables sénateurs, savez-vous quel terme Mme Agnant emploie pour désigner ces femmes lorsqu’elle nous fait vivre leur quotidien? Des « guerrières ». C’est ainsi qu’elle les nomme. Sa plume fine mue par la liberté nous transporte au cœur des combats que mènent ces guerrières. Grâce à l’écriture, cette auteure dénonce le silence qui est constamment imposé à ces guerrières. Après avoir dû se battre ardemment pour prendre sa place sur la scène littéraire, Marie-Célie Agnant pave ainsi le chemin pour les femmes des générations suivantes. En effet, de plus en plus de jeunes femmes suivent ses traces en s’intégrant à l’univers de l’écriture afin de donner une voix à celles qui en sont exclues.
Par l’écriture, à travers les vibrants témoignages de ses personnages, elle illustre la démarche de construction identitaire et participe activement à l’évolution culturelle tant des membres issus de l’immigration que de ceux de la société d’accueil. Son style d’écriture s’inscrit donc dans le courant du multiculturalisme canadien, préconisant des rapports harmonieux entre les cultures.
À la lumière de ce qui précède, vous comprendrez pourquoi la poétesse a reçu, en novembre dernier, le prestigieux prix de l’Académie des lettres du Québec pour son recueil de poèmes intitulé Femmes des terres brûlées. Ce prix littéraire est décerné à un auteur de poésie de très grande qualité. D'ailleurs, en 1993, c'est Anne Hébert, écrivaine québécoise bien connue, qui a reçu ce prix.
Merci, madame Agnant, de votre généreuse contribution au Canada d’aujourd’hui et de demain.
[Traduction]
AFFAIRES COURANTES
Les affaires autochtones et du Nord
L’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada—Dépôt de document
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, l’Entente sur la gouvernance de la nation crie entre les Cris d’Eeyou Istchee et le gouvernement du Canada.
[Français]
La Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens—Dépôt du rapport annuel de 2018
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport annuel de 2018 de la Loi sur la modification et le remplacement de la Loi sur les Indiens.
Le Budget des dépenses de 2017-2018
Dépôt du Budget supplémentaire des dépenses (C)
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2017-2018.
Le Budget des dépenses de 2018-2019
Dépôt du Budget provisoire des dépenses
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le Budget provisoire des dépenses de 2018-2019.
[Traduction]
Projet de loi interdisant l’importation de nageoires de requin
Projet de loi modificatif—Présentation du neuvième rapport du Comité des pêches et des océans
L’honorable Fabian Manning, président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans, présente le rapport suivant :
Le mardi 13 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a l’honneur de présenter son
NEUVIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-238, Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation de nageoires de requin), a, conformément à l’ordre de renvoi du 23 novembre 2017, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :
1.Titre intégral, page 1 : Remplacer le titre intégral par ce qui suit :
« Loi modifiant la Loi sur les pêches et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (importation et exportation de nageoires de requin) ».
2.Article 1, page 1 : Remplacer la ligne 1 par ce qui suit :
« 1 Loi interdisant l’importation et l’exportation de nageoires de requin. ».
3.Article 3, page 2 :
a)Remplacer la ligne 12 par ce qui suit :
« (1.1) Il est interdit d’importer ou d’exporter, ou de tenter d’importer ou d’exporter, »;
b)remplacer les lignes 14 et 15 par ce qui suit :
« contrairement à celle-ci, tout ou partie de nageoires de requin séparées de la carcasse ou de produits qui en proviennent. ».
4.Article 4, page 2 : Remplacer les lignes 20 à 22 par ce qui suit :
« l’importation ou l’exportation de tout ou partie de nageoires de requin séparées de la carcasse ou de produits qui en proviennent s’il estime :
a) d’une part, que l’importation ou l’exportation est effectuée à des fins ».
Respectueusement soumis,
Le président,
FABIAN MANNING
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion du sénateur Manning, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Présentation du vingtième rapport du Comité des banques et du commerce
L’honorable Douglas Black, président du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, présente le rapport suivant :
Le mardi 13 février 2018
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce a l’honneur de présenter son
VINGTIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-237, Loi modifiant le Code criminel (taux d’intérêt criminel), a, conformément à l’ordre de renvoi du 23 novembre 2017, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport avec les modifications suivantes :
1.Article 1, page 1 : Remplacer la ligne 14 par ce qui suit :
« Canada majoré de quarante-cinq pour cent si le capital prêté ou ».
2.Nouvel article 1.1, page 2 : Ajouter, après la ligne 15, ce qui suit :
« 1.1 (1) Tous les trois ans suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, un comité, soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, désigné ou constitué à cette fin, procède à l’examen du taux criminel.
(2) Le comité remet au Parlement un rapport, accompagné des modifications qu’il recommande au taux criminel. ».
Respectueusement soumis,
Le président,
DOUGLAS BLACK
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le rapport?
(Sur la motion du sénateur Black, l’étude du rapport est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
[Français]
Projet de loi sur le cannabis
Préavis de motion tendant à autoriser certains comités à étudier la teneur du projet de loi
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que nonobstant toute disposition du Règlement, pratique habituelle ou ordre antérieur, en ce qui concerne le projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois :
1.sans que cela ait d’incidence sur le déroulement des délibérations portant sur le projet de loi C-45 :
1.1.le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit autorisé à examiner la teneur des éléments des parties 1, 2, 8, 9 et 14 du projet de loi;
1.2.le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à examiner la teneur du projet de loi dans la mesure où il concerne les peuples autochtones du Canada;
1.3.ces deux comités soumettent leur rapport au Sénat au plus tard le 19 avril 2018;
2.si le projet de loi C-45 est lu une deuxième fois, il soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel cas le comité sera autorisé à prendre en considération tout rapport déposé en application du point 1 du présent ordre dans le cadre de son examen du projet de loi.
[Traduction]
Projet de loi sur la Semaine de la gentillesse
Première lecture
L’honorable Jim Munson dépose le projet de loi S-244, Loi instituant la Semaine de la gentillesse.
(Le projet de loi est lu pour la première fois.)
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?
(Sur la motion du sénateur Munson, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)
[Français]
(1430)
Langues officielles
Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur la perspective des Canadiens au sujet d’une modernisation de la Loi sur les langues officielles auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat
L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :
Que le Comité sénatorial permanent des langues officielles soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, au plus tard le 28 février 2018, son rapport provisoire sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles : la perspective des jeunes Canadiens, si le Sénat ne siège pas, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.
Les défis de l’alphabétisation et des compétences essentielles au vingt et unième siècle
Préavis d’interpellation
L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :
J’attirerai l’attention du Sénat sur les défis de la littératie et des compétences essentielles au 21e siècle pour le Canada, les provinces et les territoires.
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à la motion adoptée par le Sénat le jeudi 8 février 2018, la période des questions aura lieu à 15 h 30.
ORDRE DU JOUR
Les travaux du Sénat
L’honorable Diane Bellemare (coordonnatrice législative du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : la deuxième lecture du projet de loi C-45, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.
[Français]
Projet de loi sur le cannabis
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dean, appuyée par l’honorable sénateur Forest, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole, aujourd’hui, pour participer au débat sur le projet de loi C-45. Le projet de loi propose d’atténuer un grave problème de santé publique en légalisant et en réglementant le cannabis au Canada. Aussi, le projet de loi C-45 propose de limiter rigoureusement l’accès au cannabis.
D’entrée de jeu, je tiens à remercier les sénateurs qui ont pris part aux délibérations jusqu’à maintenant. Leur analyse contribuera à orienter l’étude du comité sur cette mesure législative importante du point de vue de la santé et de la sécurité publique. Je sais que cette étude sera approfondie et tournée vers l’avenir.
[Traduction]
Plus particulièrement, j’aimerais remercier le sénateur Dean pour son approche sérieuse et novatrice à titre de parrain du projet de loi C-45 et pour l’allocution éloquente et instructive qu’il a prononcée au début de l’étape de la deuxième lecture, à la fin de novembre dernier. Comme le sénateur Dean nous l’a dit, l’interdiction du cannabis ne dissuade pas un grand nombre de Canadiens d’en consommer, surtout les jeunes Canadiens, qui sont plus exposés à ses effets nuisibles s’ils en consomment fréquemment et intensivement.
De plus, des dizaines de milliers de Canadiens se sont retrouvés avec un casier judiciaire pour simple possession.
Cette interdiction soutient un vaste marché illégal sans normes de qualité ou de sécurité et permet à des criminels et à des organisations criminelles d’empocher des milliards de dollars en profits.
Surtout, l’interdiction du cannabis a mené directement à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, où la proportion de jeunes consommant du cannabis au Canada est la plus élevée du monde.
Le projet de loi C-45 nous propose de remédier au taux élevé de consommation parmi les jeunes au Canada grâce à une nouvelle approche de contrôle strict du cannabis et d’éducation du public. Il s’agit de résoudre les problèmes de santé et de sécurité qui existent au Canada présentement ainsi que de priver le crime organisé de ce marché.
[Français]
Dans mon intervention d’aujourd’hui, je ne tenterai pas d’égaler les observations du sénateur Dean sur le principe de la Loi sur le cannabis et sur l’urgence de celle-ci du point de vue de la santé publique. Par souci de transparence pour le public et pour le Sénat, je parlerai plutôt de trois aspects importants de l’étude du Sénat sur le projet de loi C-45.
[Traduction]
Premièrement, je voudrais vous fournir de l’information sur les consultations effectuées par le gouvernement auprès de ses partenaires autochtones en ce qui a trait à la légalisation, car je sais que les sénateurs sont nombreux à s’intéresser beaucoup à cette importante question.
Deuxièmement, à partir des commentaires et des conseils formulés par de nombreux sénateurs, je proposerai une structure qui permettrait à trois comités sénatoriaux de mettre leur expertise en commun et de procéder de manière collaborative à l’étude du projet de loi C-45.
Troisièmement, je vous présenterai mon point de vue concernant le moment qui pourrait être choisi pour tenir le vote à l'étape de la deuxième lecture et amorcer les délibérations des comités sur le projet de loi C-45.
Pour des raisons que je vous explique à l’instant, je proposerais que le Sénat se prononce sur le projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture le jeudi 1er mars ou avant. Afin que le public comprenne bien, je précise que le choix de cette date aurait pour effet d’accorder aux sénateurs deux semaines additionnelles pour le débat de deuxième lecture, en plus des quatre semaines déjà consacrées à ce débat. Tous les sénateurs pourraient ainsi donner leur opinion. Par ailleurs, le 1er mars est la dernière journée de séance avant la pause de deux semaines qui est déjà prévue pour le début de mars, dans le calendrier des travaux du Sénat. Si le vote avait lieu le 1er mars ou avant, les comités sénatoriaux pourraient organiser leurs audiences pendant ces deux semaines de relâche…
Recours au Règlement
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’invoque le Règlement, Votre Honneur.
Je ne sais pas si le sénateur est en train de parler du principe du projet de loi ou de la motion d’attribution de temps. Je ne sais plus tout à fait où nous en sommes.
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, comme je l’ai dit au début de mon intervention, j’ai l’intention de parler du projet de loi, de la manière dont le Sénat considère la question législative dont nous sommes saisis, et, de manière transparente, de ma confiance que nous pourrons accomplir, grâce à la collaboration, ce que nous avons l’intention d’accomplir en ce qui a trait à ce projet de loi. Je ne parlerai pas des motions que j’ai proposées. Comme je l’ai indiqué au sujet de la motion pour laquelle j’ai donné préavis un peu plus tôt, je la présenterai demain. Pour ce qui est des autres points que j’aborderai, mon but est d’informer, de manière transparente, tous les sénateurs de ce qu’il en est au sujet de cet important projet de loi.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme vous le savez, lorsque les sénateurs prennent la parole au sujet d’une question touchant au débat, nous leur laissons généralement beaucoup de latitude lorsqu’il s’agit d’un projet de loi.
Ainsi donc, veuillez poursuivre, sénateur Harder.
Le sénateur Harder : Merci, Votre Honneur.
En discutant ouvertement et publiquement du processus sénatorial à venir, il sera plus facile pour les Canadiens de suivre et de comprendre le processus suivi par le Sénat pour étudier le projet de loi C-45. Nous pouvons également offrir une plus grande transparence aux intervenants quant au rythme de nos délibérations et à la date probable de mise en œuvre. Comme vous le savez, ces renseignements revêtent une grande importance pratique et financière pour les partenaires provinciaux, territoriaux, autochtones et municipaux, ainsi que pour les investisseurs, le marché des affaires et celui du travail, les forces de l’ordre, les responsables de la réglementation, les gens qui courent le risque d’avoir un casier judiciaire pour des infractions liées à la possession, et, surtout, pour tous les Canadiens qui attendent la mise en œuvre depuis plusieurs années en raison d’un engagement politique important qui a été fait pendant la campagne électorale de 2015.
[Français]
Pour en venir au premier sujet, je sais que l’engagement actuel du gouvernement auprès des partenaires autochtones en ce qui a trait aux répercussions de la légalisation du cannabis dans leurs collectivités suscite un vif intérêt chez les sénateurs. Le gouvernement s’en réjouit et, puisque le Sénat estime qu’il s’agit d’un aspect important du processus de légalisation, je tiens à fournir certaines précisions qui pourraient être utiles.
(1440)
[Traduction]
Son Honneur le Président : La traduction semble poser problème.
Le sénateur Harder : Je poursuis.
Je peux affirmer que le gouvernement a à cœur d’examiner attentivement les besoins et les intérêts particuliers des communautés autochtones dans le contexte du processus législatif du projet de loi C-45 et du processus de mise en œuvre qui suivra, et qu’il a donc mené beaucoup d’activités de rayonnement et de mobilisation auprès d’experts, d’organisations représentatives, d’administrations, de jeunes et d’aînés autochtones.
À titre d’exemple, dans le cadre des premières activités de participation organisées par le groupe de travail, des représentants autochtones de partout au pays ont pris part, entre autres, à des tables rondes d’experts, à des rencontres bilatérales et à une table ronde des peuples autochtones. Grâce à ces activités, le groupe de travail a pu obtenir de précieux renseignements, découvrir différents points de vue et mieux comprendre les premiers points d’intérêt de ses partenaires inuits, métis et des Premières Nations. C’est à partir de ces éléments fondateurs que le groupe de travail a formulé ses conseils à l’intention du gouvernement.
Quand le groupe de travail a terminé ses travaux, le gouvernement a continué de discuter avec des hauts dirigeants d’organismes et de gouvernements autochtones.
Je peux aussi dire aux sénateurs que les ministres de la Santé fédérale, provinciaux et territoriaux ont rencontré des dirigeants autochtones pour discuter du cannabis pendant la réunion des ministres de la Santé qui s’est tenue à Edmonton en octobre dernier. La ministre de la Santé a personnellement communiqué avec des représentants de l’Assemblée des Premières Nations, d’Inuit Tapiriit Kanatami et du Ralliement national des Métis pour leur demander de participer à des consultations publiques sur l’approche réglementaire proposée.
Des fonctionnaires fédéraux continuent de tenir des réunions bilatérales et des rencontres régulières avec des représentants des Premières Nations, des Inuits et des Métis, ainsi que des séances de consultation plus larges avec des communautés et des organisations autochtones. Seulement au cours des derniers mois, les fonctionnaires fédéraux ont assisté à près de 30 rencontres avec des communautés et des organisations autochtones de partout au pays, et ils y ont fait des exposés. Les sénateurs se souviendront que j’ai décrit en détail plusieurs de ces rencontres en novembre, avant la deuxième lecture du projet de loi C-45.
Le sénateur Patterson sera peut-être heureux d’apprendre que, le 31 janvier, la ministre de la Santé a rencontré Pat Angnakak, ministre de la Santé du Nunavut. Le 5 février, le secrétaire parlementaire Bill Blair a eu une réunion avec l’organisation Pauktuutit Inuit Women of Canada et, le 1er février, avec des représentants de l’organisme Nunavut Tunngavik Incorporated ainsi que la mairesse d’Iqaluit, Madeleine Redfern.
Les communautés autochtones ont désigné la santé publique comme l’une de leurs plus grandes priorités, à la suite de quoi le gouvernement a collaboré avec des groupes autochtones et des experts pour mettre au point et distribuer du matériel d’information et de communication culturellement adapté. Lorsque c’est possible, le gouvernement appuie des groupes autochtones afin qu’ils dirigent eux-mêmes les efforts déployés pour sensibiliser la population et l’inviter à participer. Par exemple, le gouvernement fournit du financement au groupe de travail sur le cannabis mis sur pied par l’Assemblée des Premières Nations.
Par ailleurs, le gouvernement a investi dans des programmes de santé publique et de santé mentale destinés aux communautés autochtones, y compris des programmes qui répondent aux préoccupations que soulève à juste titre le sénateur Patterson relativement aux communautés du Nord.
Le gouvernement investit plus de 350 millions de dollars chaque année afin de répondre aux besoins des Premières Nations et des peuples inuits en matière de santé mentale. Cet argent va à la promotion de la santé mentale, à la prévention de la toxicomanie et du suicide, aux services d’intervention en cas de crise, au traitement et au suivi ou encore au soutien aux anciens élèves des pensionnats indiens qui sont admissibles et à leur famille.
En outre, la Stratégie nationale de prévention du suicide chez les jeunes Autochtones prévoit du financement sur plus de 10 ans pour divers projets communautaires de prévention du suicide qui visent à accroître certains facteurs de protection, comme la résilience, et à réduire certains facteurs de risque par la prévention, la sensibilisation, l’éducation et les interventions de crise.
Je m’attends à ce que cette approche de santé publique pour la consommation de cannabis dans les communautés autochtones soit explorée en détail par les membres du Comité sénatorial des peuples autochtones, qui pourraient y consacrer une étude. Comme je l’ai déjà indiqué au Sénat, le gouvernement accueillerait favorablement une telle étude. J’en aurai davantage à dire là-dessus prochainement.
Outre la santé publique, les communautés autochtones ont souligné que la sécurité publique constitue également une priorité. Plus récemment, en janvier, le gouvernement a annoncé un investissement fédéral pouvant atteindre 291,2 millions de dollars sur cinq ans pour des services de police dans les collectivités inuites et des Premières Nations. Ce financement est destiné aux collectivités recevant actuellement des services dans le cadre du Programme des services de police des Premières Nations.
En ce qui concerne les possibilités de développement économique, en date du 25 janvier, il y avait 4 producteurs autorisés de cannabis et 10 demandeurs actuels se sont déclarés comme étant affiliés à des organisations autochtones.
En vue de la légalisation, le gouvernement offre maintenant un service d’accompagnement aux demandeurs autochtones, afin de les aider dans le cadre du processus d’obtention d’un permis. Lorsqu’une demande est présentée, un professionnel de la délivrance de permis communique avec le demandeur afin de l’orienter tout au long du processus.
[Français]
Honorables sénateurs, les renseignements que je vous ai transmis aujourd’hui ne sont pas exhaustifs. Le gouvernement continuera de transmettre aux sénateurs de l’information afin de les aider à exercer la diligence nécessaire.
Mardi dernier, l’honorable Ginette Petitpas Taylor, ministre de la Santé et ministre responsable des consultations auprès des partenaires autochtones, a participé à la séance en comité plénier du Sénat. Elle a répondu à des questions sur le projet de loi C-45, y compris sur la participation des Autochtones au processus. Je peux affirmer que la ministre Petitpas Taylor continue de se réjouir de l’intérêt que portent les sénateurs à cette question et à tous les autres aspects de la légalisation du cannabis qui touchent la santé publique.
[Traduction]
Je vais maintenant parler de l’étude prochaine en comité du projet de loi C-45. Comme j’ai pu profiter des observations et des idées de nombreuses personnes dans cette enceinte, j’aimerais faire quelques observations sur la façon dont le Sénat pourrait, en faisant preuve de collaboration et d’innovation, organiser l’étude en comité du projet de loi C-45. L’objectif serait de tirer parti des connaissances du Comité des peuples autochtones pour ce qui est des consultations auprès des Autochtones, du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles en ce qui concerne les mesures pénales prévues dans le projet de loi C-45, et du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie pour ce qui est de l’ensemble du cadre de légalisation, ainsi que de la préoccupation centrale du projet de loi C-45, c’est-à-dire la santé publique et la réduction des méfaits.
J’ai présenté aujourd’hui, aux fins d’étude par les sénateurs, une motion d’initiative ministérielle qui tient compte des observations et des idées dont m’ont fait part les sénateurs et qui vise à établir un équilibre entre ces observations et ces idées.
La motion propose que, lorsque le Sénat aura pris une décision sur le principe du projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture, le Sénat demande au Comité des peuples autochtones d’étudier la teneur du projet de loi en ce qui a trait aux Autochtones. La motion prévoit également que le comité présente un rapport au Sénat au plus tard le jeudi 19 avril. La motion vise à exprimer officiellement l’appui du gouvernement à l’égard de l’excellente proposition faite par la sénatrice Dyck. Elle vise également à proposer un échéancier, qui donnerait au Comité des affaires sociales suffisamment de temps pour étudier les conclusions du Comité des peuples autochtones et pour tenir des audiences avant de présenter son rapport sur le projet de loi C-45.
À titre de précision, la date que je propose, soit le 19 avril, permettrait de commencer la troisième lecture du projet de loi C-45 au début de mai. Je souligne également que l’étude du projet de loi au Comité des peuples autochtones commencerait idéalement bien avant l’éventuel renvoi du projet de loi à un comité aux termes d’une motion distincte appuyée par le gouvernement. Ainsi, le comité aurait plus de deux mois pour étudier la teneur du projet de loi jusqu’à la date proposée pour la présentation du rapport.
Cependant, puisque les gens se demandent, à juste titre, à quelle date la légalisation pourrait entrer en vigueur, je vais faire preuve de transparence en disant aux Canadiens que, si l’étude en comité respectait cet échéancier, le projet de loi pourrait entrer en vigueur cet été. Comme les ministres responsables du projet de loi C-45 l’ont indiqué au Sénat la semaine dernière, la levée de l’interdiction visant le cannabis entrerait en vigueur après une période de réglementation de 8 à 12 semaines à partir de la date de la sanction royale.
Honorables sénateurs, je vais revenir à la teneur de la motion dans un moment. En ce qui concerne les délibérations, je serais le premier à dire…
Recours au Règlement
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Votre Honneur, j’invoque le Règlement. Je suis désolée de cette deuxième intervention. Le leader vient de parler de la teneur de la motion.
Votre intervention porte-t-elle sur le projet de loi, sénateur, ou sur la motion dont nous avons seulement pris connaissance aujourd’hui? Nous n’avons pas encore examiné le contenu de la motion. Nous en sommes à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi. C’est un projet de loi très volumineux, et le sénateur Harder est le septième intervenant. J’essaie de comprendre où s’en va le débat. Je croyais qu’il s’agissait du débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi, et non de la motion dont vous avez donné préavis, sénateur, mais dont nous n’avons pas commencé à débattre. Voilà mon recours au Règlement.
(1450)
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Votre Honneur, je soumets humblement qu’il s’agit du même recours au Règlement. Par souci de transparence, je crois qu’il est essentiel que tous les sénateurs aient le point de vue du gouvernement sur la façon dont nous pourrions étudier cette à la séance en
Je retourne au contenu…
La sénatrice Martin : À ce sujet, ne devrions-nous pas le faire lorsque nous serons saisis de la motion dont il a été donné préavis, et non maintenant, à l’étape de la deuxième lecture? Je pensais que nous examinions le principe du projet de loi. Nous serions très intéressés d’entendre les propos du leader, mais pas au sujet du contenu de la motion, dont nous serons saisis demain.
Le sénateur Harder : Votre Honneur, je propose respectueusement de continuer mon intervention.
Son Honneur le Président : Vouliez-vous prendre la parole, sénateur Tkachuk?
L’honorable David Tkachuk : Notre leader a déjà exprimé ce que j’avais l’intention de dire. Nous pouvons poursuivre.
Son Honneur le Président : Normalement, nous ne débattons pas une motion avant qu’elle soit présentée. Cependant, selon ce que j’ai compris des propos et de la réponse du sénateur Harder, il n’allait pas plonger dans les détails de la motion, mais il souhaitait plutôt parler de la façon de procéder pour le débat sur le projet de loi C-45.
Nous vous accordons donc une certaine marge de manœuvre, sénateur Harder. Cela dit, l’objection soulevée par la sénatrice Martin est tout à fait juste : nous ne débattons pas de la motion.
Le sénateur Harder : Merci, Votre Honneur.
J’exhorte le Sénat à tenir compte du calendrier approximatif dont j’ai parlé pour nos délibérations à l’étape de la deuxième lecture. En effet, les nombreux intervenants touchés par la loi sur le cannabis voudront raisonnablement se préparer en vue de la mise en œuvre d’une façon organisée et réfléchie.
Par exemple, le Sénat pourrait tenir compte du fait que des investissements importants ont été faits dans des domaines critiques afin de permettre une transition ordonnée et responsable. En effet, il y a eu un investissement de 161 millions de dollars dans la formation et l’équipement des forces de l’ordre afin de leur permettre de détecter et de décourager la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue, un investissement initial de 46 millions de dollars pour sensibiliser le public à la conduite avec les facultés affaiblies par la drogue et aux risques que le cannabis pose pour la santé, particulièrement pour les jeunes, un investissement de 526 millions de dollars pour mettre en oeuvre et implanter le cadre fédéral et un investissement de 1,4 million de dollars dans 14 projets de recherche partout au pays visant à évaluer l’impact de la légalisation et de la réglementation du cannabis au Canada.
De plus, en décembre 2017, le gouvernement fédéral a conclu une entente importante avec ses homologues provinciaux et territoriaux afin d’élaborer un cadre de taxation du cannabis. Cette entente a été conçue pour tenter de maintenir les prix à un niveau assez bas pour empêcher les criminels de poursuivre leurs activités tout en compensant les coûts liés à la sensibilisation du public, à l’administration et à l’application.
La motion que j’ai déposée aujourd’hui propose de demander au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles d’examiner la teneur des éléments des parties 1, 2, 8, 9 et 14 du projet de loi C-45, en raison de l’expertise de ses membres en matière de droit pénal.
Je rappelle que la partie 1 établit les principales interdictions, obligations et infractions liées au cannabis.
La partie 2, dont nous avons débattu à l’étape de la deuxième lecture, fournit un mécanisme de contravention pour certaines infractions à la Loi sur le cannabis.
La partie 8 porte sur les mandats de perquisition nécessaires pour permettre aux policiers de procéder à des perquisitions et des saisies liées au cannabis.
La partie 9 établit les exigences du contrôle et de la gestion du cannabis, des produits chimiques et d’autres biens saisis, trouvés ou obtenus de toute autre manière.
La partie 14 apporte des changements au Code criminel afin de faire correspondre adéquatement les renvois à des dispositions de la Loi sur le cannabis.
En ce qui concerne l’étude de la teneur du projet de loi par le Comité des affaires juridiques, la motion propose également la date du 19 avril pour le dépôt du rapport.
Pour l’information du public, les études réalisées par les Comités des peuples autochtones et des affaires juridiques reproduiraient une approche semblable à celle qu’adopte généralement le Sénat pour les projets de loi d’exécution du budget ̶ sauf que, dans ce cas, cela se fait dans le cadre d’une étude préalable. Il s’agit de renvoyer des parties de gros projets de loi à différents comités, afin de mettre à profit une expertise particulière et de faire un examen très poussé. Il y a donc des précédents en ce qui concerne cette motion, même si les études seraient menées simultanément et non préalablement. De plus, cette pratique concorde avec l’excellente tradition du Sénat qui consiste à se concentrer sur les politiques et à collaborer.
Conformément à cette motion, ces deux rapports seraient renvoyés au Sénat et pris en compte par le Comité des affaires sociales lors de son étude plus approfondie du projet de loi C-45 dans son entier et, du point de vue de la santé publique, lors de l’étude article par article.
Le Comité des affaires sociales n’aurait pas d’échéance, mais, comme dans le cas des Comités des peuples autochtones et des affaires juridiques, les sénateurs des trois comités garderaient un canal de communication constructive ouvert entre eux, je suppose, relativement à leur échéance respective. De toute évidence, ils partageraient leurs conclusions et assisteraient peut-être aux audiences des uns et des autres.
Comme je l’ai dit, j’ai fait inscrire cette motion au Feuilleton. Le débat commencera demain et il y aura une décision bientôt, je l’espère.
J’en viens maintenant à la question du moment adéquat pour voter sur le projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture, pour que l’examen approfondi puisse commencer. Comme je l’ai dit aujourd’hui, je propose que ce vote ait lieu le jeudi 1er mars ou avant, avant les deux semaines de relâche parlementaire qui sont prévues au Sénat, afin que les comités puissent en profiter pour convoquer des témoins et fixer des dates pour les audiences.
Pour expliquer le choix de cette date pour le vote, je vais passer brièvement en revue le processus suivi par le Sénat à ce jour et expliquer pourquoi je pense que deux semaines de séances supplémentaires…
Recours au Règlement
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l'opposition) : J’invoque le Règlement, Votre Honneur.
Son Honneur le Président : Sénateur Harder, la sénatrice Martin a déjà invoqué le Règlement concernant le débat sur la motion. Il est acceptable de discuter de l’échéancier et de son lien avec le projet de loi. Cependant, il n’est pas acceptable de débattre de la motion comme telle. Je vous préviens donc de ne pas dépasser cette limite, je vous prie.
L’honorable Peter Harder (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, Votre Honneur. Je veillerai à m’en tenir au déroulement de la deuxième lecture.
Honorables collègues, comme vous le savez, la deuxième lecture a commencé le 30 novembre l’an dernier. À ce jour, les sénateurs, qui ont pu profiter de la pause hivernale pour se préparer, ont eu quatre semaines de séances pour débattre du projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture. Entre les deux semaines supplémentaires que je propose pour cette étape, il y aura une autre semaine de pause pour préparer vos dernières observations. Je suis tout à fait ouvert à siéger le vendredi et le lundi jusqu’au 1er mars pour donner plus de temps aux sénateurs afin de débattre du projet de loi.
Bien entendu, ces derniers mois, le processus de débat officiel a également été complété par des séances d’information exhaustives organisées par le sénateur Dean et d’autres bureaux. Le sénateur Dean fait un travail absolument incroyable pour mettre les ressources nécessaires à notre disposition et communiquer inlassablement l’information.
Par exemple, le 1er novembre, les sénateurs Dean et Boniface — la marraine du projet de loi C-46 sur la conduite avec facultés affaiblies, bien sûr — ont tenu une séance d’information à l’intention de tous les sénateurs en compagnie de l’honorable Anne McLellan et du Dr Mark Ware, qui ont dirigé le Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis.
Le 30 novembre, le sénateur Dean a tenu une séance d’information à l’intention de tous les sénateurs en compagnie de représentants du gouvernement responsables du projet de loi C-45.
Le 13 décembre, le sénateur Dean a accueilli des chercheurs du Centre canadien de lutte contre les toxicomanies, qui ont présenté aux sénateurs un exposé sur les perceptions des jeunes de partout au pays à l’égard du cannabis.
Le 30 janvier, le sénateur Oh a organisé une présentation, avec les Directeurs de pédiatrie du Canada, sur les effets du cannabis sur les jeunes.
Le 6 février, pendant une séance télévisée de deux heures, les sénateurs ont posé leurs questions sur le projet de loi C-45 aux ministres de la Sécurité publique et de la Protection civile, de la Justice et de la Santé ainsi qu’au secrétaire parlementaire de la ministre de la Justice et procureure générale du Canada et de la ministre de la Santé.
Hier, le sénateur Dean a convié les sénateurs à visiter les locaux d’une entreprise de production de cannabis de Smiths Falls, Canopy Growth, activité qui devrait d’ailleurs se répéter le 26 février.
Bref, les préparatifs ont été aussi abondants que rigoureux, alors je crois que ce serait suffisant si nous prolongions le débat à l’étape de la deuxième lecture de deux autres semaines avant le renvoi au comité.
Cela dit, honorables sénateurs, je crains fort l’influence de la politique partisane sur le déroulement de nos travaux. Voyons les faits devant nous. Je suis, par exemple, inquiet du fait que le leader du caucus conservateur national a publiquement déclaré vouloir ralentir l’étude du Sénat sur le projet de loi C-45. Même si je suis tout à fait d’accord pour dire que nous devons prendre le temps nécessaire pour procéder à un second examen objectif…
Recours au Règlement
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : J’invoque le Règlement, Votre Honneur.
Oui, on vous a accordé une certaine latitude, sénateur Harder, et, quand vous parliez de ce que le sénateur Dean et les autres ont fait, on pouvait encore dire que vous parliez du projet de loi lui-même.
Mais là, Votre Honneur, je crois que nous sommes complètement ailleurs et que cela justifie un nouveau recours au Règlement. J’ai l’impression que nous en sommes encore à débattre de la même chose et que le sénateur Harder prononce la même allocution que celle qu’il avait commencé à prononcer, c’est-à-dire qu’il parle davantage de la motion dont il a donné préavis que du fond du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture.
Je pourrais contester le fait que, selon lui, certains comités devraient étudier telle ou telle partie du texte. Peut-être que certaines parties devraient être confiées à un autre comité. Il y a beaucoup à débattre au sujet de la motion, dont nous avons reçu préavis seulement aujourd’hui.
(1500)
Votre Honneur, je sais que vous êtes déjà intervenu plus tôt, mais je ne crois pas que le sénateur Harder ait changé son discours. Il continue de lire le même texte. Je ne sais pas quelles directives vous pourriez donner ou ce que vous pourriez ajouter dans le cadre de ce quatrième recours au Règlement, parce que je ne vois pas ce que le sénateur Harder a changé dans son discours.
Son Honneur le Président : Merci sénatrice Martin. Comme vous l’avez mentionné, j’ai averti le sénateur d’éviter de débattre de la motion. Je crois qu’il a corrigé le tir. Les derniers éléments que j’ai entendus portaient sur le projet de loi C-45 en tant que tel. Je ne l’ai pas entendu débattre de la motion depuis que je l’ai averti, alors je vais le laisser poursuivre.
Le sénateur Harder : Merci, Votre Honneur.
Bien que je considère que nous devons prendre le temps de bien exercer notre devoir de second examen objectif à l’étape de la deuxième lecture, tout retard potentiellement occasionné dans l’unique but de causer du retard dessert les Canadiens et la culture du Sénat. Nous devons demeurer vigilants afin d’user judicieusement de notre temps au Sénat, et accorder suffisamment de temps à l’étude en comité fait partie de nos responsabilités.
Honnêtement, ce que je crains, c’est que le 1er mars arrive et que nous soyons confrontés à certaines manœuvres procédurales d’obstruction auxquelles des sénateurs présentement en poste ont déjà eu recours sur de nombreuses questions d’initiative ministérielle ou non. Je m’explique : je ne veux pas me retrouver avec des motions d’ajournement à répétition exigeant de faire retentir la sonnerie pendant une heure et présentées dans le but apparent d’éviter qu’une décision soit prise en temps opportun à l’étape de la deuxième lecture juste avant un congé de deux semaines, ce qui nous ferait perdre cette période de préparation au comité. Je ne veux pas que nos débats sur une question aussi importante soient réduits à une partie de ping-pong procédural.
Honorables sénateurs, le Sénat devrait traiter tous les projets de loi de façon équitable et rapide. Maintenant que j'ai soulevé la possibilité qu’il accuse du retard, je tiens à préciser que je procède de façon transparente et en agissant de bonne foi avec tous les groupes du Sénat. Dans cet esprit, j’ai demandé à tous les groupes de direction d’approuver une motion demandant la tenue d’un vote à l'étape de la deuxième lecture au plus tard le 1er mars.
J’ai bon espoir que nous parviendrons bientôt à une telle entente, puisque j’estime qu’il s’agit d’une approche raisonnable. Cependant, s’il s’avère impossible de conclure une entente, il se peut que j’indique que je vais demander au Sénat l’autorisation de recourir à un mécanisme procédural connu, pour certains, sous le nom de répartition temporale et, pour d’autres, sous le nom d’attribution de temps.
Je vais expliquer la procédure afin que le gouvernement et le public puissent comprendre. Le Règlement du Sénat confère au leader du gouvernement au Sénat le pouvoir de demander à une majorité du Sénat de limiter éventuellement une étape du débat et de tenir un vote. Lorsqu’elle est utilisée de façon responsable, une motion d’attribution de temps établit un juste milieu entre le besoin de tenir un débat et le besoin concurrent de faire avancer les dossiers dans un délai raisonnable par souci de bonne gouvernance.
En tant que représentant du gouvernement au Sénat, je n’ai jamais présenté une motion d’attribution de temps. En revanche, le précédent leader du gouvernement au Sénat a présenté plus de 20 motions d’attribution de temps…
Son Honneur le Président : Sénateur Harder, excusez-moi de vous interrompre.
La sénatrice Stewart Olsen invoque le Règlement.
Recours au Règlement
L’honorable Carolyn Stewart Olsen : J’avais hâte d’entendre votre discours d’aujourd’hui parce que je voulais connaître la position du gouvernement sur le projet de loi et peut-être obtenir une explication sur son empressement à l’adopter. J’avais hâte d’entendre vos observations personnelles et vos arguments concernant la façon dont nous devrions voter. Cependant, votre discours est axé sur votre motion et sur les délibérations visant à faire avancer le dossier rapidement. Vous ne répondez pas à nos questions et vous n’avez présenté aucun argument solide appuyant l’idée qu’il s’agit d’une excellente mesure législative.
Votre Honneur, j’aurais préféré entendre parler de la substance du projet de loi plutôt que des raisons pour lesquelles nous devons nous dépêcher ainsi que de la menace d’une motion d’attribution de temps. Je voudrais que nous discutions de la motion demain et que vous nous disiez pourquoi il est nécessaire que nous adoptions ce projet de loi rapidement, et quelle tangente devrait prendre l’étude de ce projet de loi.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il n’est pas question présentement de la substance de la motion dont il a été donné préavis plus tôt aujourd’hui. Nous ne sommes pas saisis d’une motion d’attribution de temps. Si le représentant du gouvernement veut parler du projet de loi C-45 sous l’angle de l’échéancier suivant lequel, selon lui, l’étude du projet de loi devrait avoir lieu, il a tout à fait le droit de le faire. S’il avait été donné préavis d’une motion d’attribution de temps, il serait contraire au Règlement d’intervenir au sujet de la motion à ce moment-ci. Il faut attendre que la motion ait été proposée. Si le sénateur Harder s’écarte du sujet et se met à débattre de la motion dont il a été donné préavis plus tôt aujourd’hui, il sera rappelé à l’ordre, mais pour l’instant, il peut continuer son intervention.
Le sénateur Harder : Je tiens à ce que les sénateurs comprennent que, malgré mes réticences, je suis prêt à demander à la Chambre d’appuyer une motion d’attribution de temps ayant pour effet de renvoyer le projet de loi C-45 à des comités au plus tard le 1er mars. Je présenterais pour ce faire une motion d’attribution de temps en vue d’obtenir l’assentiment de la majorité des sénateurs à l’égard de l’échéancier que je propose, de manière à ce que l’étude du projet de loi par le Sénat se poursuive au sein des comités, où le second examen objectif peut avoir lieu davantage en profondeur.
Cependant, j’espère vraiment ne pas avoir besoin de recourir à une motion d’attribution de temps, bien que cela ne dépende pas de moi. Je préférerais nettement que nous procédions d’un commun accord.
Chers collègues, il n’est pas du tout surprenant qu’un thème récurrent ait marqué les débats sur la légalisation à l’autre endroit, dans la sphère publique et au Sénat : la date d’entrée en vigueur du projet de loi. Qu’il s’agisse d’un gouvernement provincial ou territorial qui doit prendre ces jours-ci des décisions cruciales sur la nature et les particularités du réseau de distribution et de vente au détail, qui doit financer des infrastructures, qui doit embaucher et former du personnel ou qui doit acheter le produit à des fournisseurs, en vue d’une entrée en vigueur cet été, où encore qu’il s’agisse des entreprises qui doivent se constituer des stocks, développer leur capacité ou décider de la forme, de l’emballage et de l’étiquetage du produit, tout le monde s’intéresse vivement au calendrier d’entrée en vigueur.
Nombre de ces détails figureront dans la réglementation, qui, comme je l’ai souligné plus tôt, ne peut pas être finalisée ou publiée officiellement avant que le projet de loi C-45 reçoive la sanction royale. Il faut donc un délai suffisant entre l’obtention de la sanction royale et l’entrée en vigueur pour tenir compte des conséquences pratiques de la mise en œuvre.
En termes simples, une période de transition est nécessaire en vue de la publication de la réglementation et l’acheminement de produits du cannabis par des producteurs autorisés par le gouvernement fédéral à des distributeurs et des détaillants provinciaux ou territoriaux autorisés.
Je peux communiquer certains détails aux sénateurs au sujet de cette réglementation. De novembre à janvier, Santé Canada a mené une consultation exhaustive auprès des Canadiens en ce qui concerne la conception du nouveau système de réglementation et les détails connexes. La rétroaction précieuse obtenue de milliers de particuliers, ainsi que de l’industrie et de gouvernements, orientera la conception de la version définitive de la réglementation. Celle-ci devra être publiée avant l’entrée en vigueur de la mesure législative.
Dans bien des cas, Santé Canada propose de s’appuyer sur le système de réglementation de calibre mondial qui existe depuis longtemps pour les producteurs actuels de cannabis à des fins médicales et de chanvre industriel. En adoptant bon nombre des mêmes contrôles réglementaires de production prévus dans la Loi sur le cannabis proposée, on ferait en sorte que des produits légaux soumis à un contrôle de la qualité seraient disponibles d’ici l’été 2018 et on commencerait dès maintenant à réduire les risques pour la santé et la sécurité publiques que pose le cannabis produit de façon illégale.
On constate, dans toutes les régions du pays, des signes positifs que l’industrie légitime du cannabis, qui est accréditée par le gouvernement fédéral, se prépare. On constate également d’importants investissements de capitaux visant à accroître la capacité de production.
Tout comme le gouvernement fédéral est en bonne voie de se préparer en vue de la mise en œuvre, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont eux aussi réalisé des progrès considérables à cet égard. Au cours des six derniers mois, les gouvernements provinciaux et territoriaux ont tenu des consultations publiques, ont présenté une mesure législative ou annoncé les éléments clés relatifs au processus de distribution, de vente et d’autres aspects importants de leur système à venir. Par exemple, l’Ontario a adopté une mesure législative qui entrera en vigueur le 1er juillet 2018. Dès le début, la Fédération canadienne des municipalités a dit clairement que les municipalités étaient prêtes à intervenir et en mesure de le faire pour aider le gouvernement fédéral à respecter son engagement à l’endroit des Canadiens.
[Français]
Cette période de transition est importante pour que les Canadiens obtiennent suffisamment de renseignements sur les nouvelles lois et pour que les forces de l’ordre soient informées, formées et prêtes à appliquer les règles. Il faut examiner ces questions et poursuivre les discussions, et le gouvernement est résolu à participer à...
[Traduction]
Son Honneur le Président : Avons-nous la traduction simultanée?
Veuillez continuer, sénateur Harder.
Le sénateur Harder : Honorables sénateurs, dans la mesure où nous savons que la mesure législative doit être mise en œuvre dans un contexte stable, adéquat et réglementé et où nous faisons ce que nous avons à faire, je suis convaincu que le Sénat réussira à l’étudier rapidement et à favoriser une transition harmonieuse et sans heurts dans l’intérêt des Canadiens et, plus particulièrement, des jeunes. J’incite les sénateurs à réfléchir à la meilleure façon de nous assurer que le débat à l’étape de la deuxième lecture se termine au plus tard le 1er mars.
(1510)
[Français]
Son Honneur le Président : Sénatrice Moncion, vous avez une question à poser?
L’honorable Lucie Moncion : Sénateur Harder, vous avez dit, au début de votre discours, que le prix du cannabis serait suffisamment bas « to offset the black market », comme vous l’avez dit en anglais. Le prix du cannabis vendu légalement sera d’environ 10 $ le gramme, je crois, alors que celui qui se vend sur le marché noir est de 5 à 7 $. Quand on sait que les Canadiens, les jeunes comme les moins jeunes, sont quand même conscients des prix, comment croyez-vous être en mesure de contrebalancer le prix du cannabis sur le marché noir en proposant un prix plus élevé?
Si on parle de concurrence des prix, je crois que ceux qui achètent en ce moment du cannabis sur le marché noir continueront de s’en procurer à 5 ou 7 $ plutôt que de le payer 10 $, taxes en sus. J’aimerais entendre votre point de vue au sujet de la fixation du prix du cannabis au gramme.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Je remercie la sénatrice de sa question. C’est une question importante dont la réponse intéresse les organismes de réglementation qui souhaitent atteindre l’équilibre adéquat. L’un des grands avantages de la légalisation est certainement d’assurer le contrôle approprié et une bonne sécurité du produit, ce qui garantira aux Canadiens participant au marché du cannabis à des fins récréatives que le produit est assujetti au même contrôle de qualité dont profite le marché actuel du cannabis à des fins médicales. Mon objectif était de faire part aux sénateurs des éléments à prendre en considération pour s’assurer que le prix fait contrepoids aux coûts liés à l’application et à la mise en œuvre de la légalisation, mais aussi pour s’assurer que ce prix n’encourage pas le marché illégal très bien établi, qui relève d’éléments criminels.
[Français]
La sénatrice Moncion : À ce moment-là, pour qui légalise-t-on la marijuana? Est-ce vraiment pour ceux qui ont recours au marché noir ou pour ceux qui n’y ont pas recours, mais qui veulent essayer un produit de qualité?
[Traduction]
Le sénateur Harder : Le gouvernement est d’avis que la légalisation est le choix stratégique approprié pour composer avec la réalité d’aujourd’hui. La réalité est que nous avons une très grande demande de cannabis, particulièrement parmi les jeunes. J’ai mentionné les taux de consommation de cannabis chez les jeunes. De plus en plus, ces derniers consomment du cannabis dont la qualité est source de préoccupation pour les parents. Parallèlement, ce produit est entre les mains d’éléments criminels, et cet enjeu doit être réglé.
La décriminalisation ne suffit pas pour régler ce dilemme. En effet, cela ne change pas le marché. En fait, nous devons changer le marché pour nous assurer de criminaliser les éléments criminels ou de les sortir du marché, de faire en sorte que cette distribution corresponde aux choix des provinces relativement à la distribution et d’avoir un produit qui est assujetti à un certain contrôle réglementaire pour que le marché soit responsable et qu’il réponde aux préoccupations en matière de santé publique.
En outre, on fait bien comprendre aux jeunes – surtout aux plus jeunes – qu’ils ne devraient pas consommer ou on leur conseille du moins de bien s’informer des coûts et des risques avant de le faire. C’est un problème que le gouvernement doit régler, problème qu’on a laissé perdurer pendant de nombreuses années.
Je rappellerais aux honorables sénateurs que Pierre Claude Nolin — que j’ai connu comme ami — avait, dans un rapport remis au Sénat il y a de cela de nombreuses années, prédit les choix que le gouvernement fait aujourd’hui. Je crois que son travail devrait nous pousser à approfondir le débat à l’étape de la deuxième lecture.
L’honorable Vernon White : Le sénateur accepterait-il une question?
Le sénateur Harder : Certainement.
Le sénateur White : Savez-vous que, si ce projet de loi est adopté, 100 p. 100 de la marijuana vendue aux jeunes de ce pays proviendra du marché noir? Laisser entendre que le marché sera propre et contrôlé est inexact. Je le répète : si le projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, 100 p. 100 de la marijuana vendue proviendra du marché noir. Est-ce que l’honorable sénateur s’en rend compte?
Le sénateur Harder : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d’accord avec vous.
Le sénateur White : Le gouvernement va-t-il alors se mêler du trafic de la marijuana pour le compte des jeunes âgés de moins de 18 ans? Je ne vois pas comment cette marijuana ne proviendra pas du marché noir. « Marché noir » veut dire illégal. La totalité de cette marijuana sera vendue illégalement, car c’est un crime aux termes du projet de loi. On aura donc affaire au marché noir.
Le sénateur Harder : Vous acceptez l’idée, sénateur, que le projet de loi prévoit des interdictions à la vente aux jeunes d’un certain âge. Il continuera d’en être ainsi à l’avenir. Au sens strict, le projet de loi a pour objectif un contrôle rigoureux de la distribution et, en même temps, la mise en place d’un solide programme d’éducation afin de sensibiliser les jeunes aux risques — particulièrement les jeunes âgés de moins de 18 ans qui, de l’avis du gouvernement, sont les plus vulnérables, parce que leurs facultés mentales sont en développement.
Le sénateur White : Vous avez déclaré que la marijuana vendue à des jeunes serait légale et ne proviendrait pas du marché noir. Pourtant, la situation que vous décrivez correspond tout à fait à un marché noir. Il y a marché noir quand des choses sont vendues illégalement, peu importe leur provenance. La marijuana vendue aux jeunes ne viendra pas de Tweed ni d’autres producteurs autorisés, puisqu’ils n’auront pas le droit de vendre des produits à des personnes de moins de 18 ans. Elle viendra donc du marché noir.
Deuxièmement, rappelons que les jeunes Canadiens de moins de 18 ans sont déjà les plus grands consommateurs de cannabis au monde. Ce que le ministre a dit la semaine dernière était faux alors et est toujours faux. En fait, le projet de loi à l’étude ne mettra pas fin à la vente de marijuana aux enfants de moins de 18 ans sur le marché noir, pas du tout.
Le sénateur Harder : Votre participation au débat serait la bienvenue.
L’honorable Nancy Greene Raine : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Harder : Volontiers.
La sénatrice Raine : J’aimerais savoir ce qui se fait actuellement pour sensibiliser les jeunes; cela me préoccupe grandement. J’ai vu passer des chiffres, qui parlaient par exemple d’un budget de 46 millions pour des activités de sensibilisation. Ces activités ont-elles déjà commencé? J’ai beau regarder partout dans l’espoir de trouver des programmes conçus pour sensibiliser les jeunes aux dangers de la marijuana, je n’en vois pas. Fait intéressant, je suis allée sur le site web que le gouvernement consacre au cannabis, et on y trouve un lien vers Jeunesse sans drogue Canada. Quand j’ai tenté de cliquer sur ce lien alors que j’étais assise ici, au Sénat, j’ai obtenu un message d’erreur disant que je n’ai pas la permission d’y accéder.
Il s’agit d’un organisme du secteur privé dirigé par des bénévoles, un organisme auquel le gouvernement semble se fier pour sensibiliser les enfants. Pourtant, il nous est impossible d’accéder à ce site ici, au Sénat. Où est la logique?
Comment allez-vous rejoindre les jeunes et les informer? Si cette initiative faisait partie de la plateforme électorale du premier ministre, les activités de sensibilisation auraient dû commencer dès son élection. Ce que nous voyons à l’heure actuelle est un premier ministre qui est fier du fait que la marijuana est acceptable. Les jeunes captent ce message. Ils pensent que c’est acceptable. Ils ne sont pas conscients des méfaits de la marijuana.
Que va faire le gouvernement pour lancer ces activités de sensibilisation sans plus attendre? Il semble que vous n’en cessiez plus d’attendre.
Le sénateur Harder : D’abord, j’aimerais vous dire que le premier ministre dit clairement depuis le début que la mesure législative a pour objet de veiller à ce que soient mis en place des mesures de contrôle appropriées, un cadre réglementaire approprié et des programmes appropriés destinés aux personnes qui doivent éviter la consommation récréative de marijuana en raison de leur âge.
(1520)
Maintenant, s’il n’y a pas encore eu de campagne de sensibilisation, c’est parce que les documents à cet effet sont en cours d’élaboration. Les ministres qui ont comparu au Sénat en ont parlé, et ils travaillent avec des groupes cibles. M. Blair, le secrétaire parlementaire, a discuté du travail qu’il a entrepris avec des communautés autochtones pour garantir que les documents qu’on prépare actuellement tiennent compte des différences culturelles et sont rédigés dans les langues appropriées. Or, jusqu’à ce que la mesure législative ait reçu la sanction royale, il serait difficile d’investir dans des documents volumineux expliquant le contexte de la mise en œuvre de la stratégie que le gouvernement adoptera, et d’en faire la distribution.
Il est préférable de tenir un débat approfondi sur les autres programmes de sensibilisation qu’on pourrait prévoir, mais ce dossier se trouve réellement au cœur de la stratégie de mise en œuvre du gouvernement, afin que les Canadiens soient bien informés et que les partenariats avec les provinces, les municipalités et, selon l’administration, les réseaux de distribution contribuent tous à établir un cadre réglementaire approprié pour ce produit.
La sénatrice Raine : Sénateur Harder, lorsque j’examine les sommes d’argent, le dernier budget ne prévoyait rien à cet effet. Je ne comprends pas comment vous pouvez dire que nous ne pouvons pas dépenser d’argent pour sensibiliser les enfants aux dangers de la marijuana parce que nous n’avons pas adopté de loi pour la légaliser. On sait que les jeunes succombent déjà aux revendeurs et qu’ils consomment de la marijuana.
Pourquoi attendons-nous? Pourquoi n’y a-t-il pas encore eu de campagne de sensibilisation? Qu’y a-t-il dans le prochain budget pour qu’on puisse s’attaquer le mieux possible à ce problème, à ce besoin en matière de sensibilisation? Allons-nous simplement laisser cette tâche au secteur du bénévolat? Cela me semble insensé. Qu’y a-t-il dans le budget à cet effet pour l’année prochaine?
Le sénateur Harder : Ce n’est pas à moi de dire ce que le prochain budget contiendra, mais il est évident que j’encourage l’honorable sénatrice à participer au débat.
L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : J’aimerais poser une brève question. Lorsque la ministre de la Santé a comparu dans cette enceinte la semaine dernière, je lui ai demandé : « Qu’avez-vous fait pour sensibiliser les enfants, la population? » Elle a répondu : « Nous nous affairons à discuter de différentes choses depuis un an. » Je lui ai dit : « Eh bien, le ministre Morneau nous a dit la même chose au sujet des modifications fiscales. Quelle est la somme prévue dans le budget pour les activités de sensibilisation? » La ministre a répondu : « Nous avons prévu 46 millions de dollars à cet effet. » J’ai ajouté : « Avez-vous commencé à mettre en œuvre le programme de sensibilisation? » Elle a répondu : « Eh bien, l’élaboration du programme va prendre au moins trois mois. »
Combien avez-vous dépensé jusqu’ici? Pas un sou. Quand allez-vous mettre en œuvre le programme? Le 1er mars. Dans les États américains du Colorado et de Washington, les campagnes de sensibilisation ont commencé 12 et 18 mois respectivement avant qu’on commence à vendre de la marijuana. Ici, ce sera trois mois.
Je viens de me faire interviewer sur les ondes du réseau CTV à Halifax. On m’a dit que, selon le gouvernement, les conservateurs font de l’obstruction. C’est faux; nous souhaitons analyser en profondeur tous les renseignements pertinents. La ministre nous a dit : « Nous allons sensibiliser les enfants. » Puis, on lui a demandé : « Le programme a-t-il commencé? » Elle a répondu que non. Avez-vous dépensé de l’argent? Non. Quand allez-vous commencer? Le 1er mars.
Cela signifie que le processus d’intégration est approximatif. Il y a des lacunes dans le processus d’intégration. Il n’est pas nécessaire d’être un génie pour comprendre cela. Tout ce que l'on demande, c’est si le programme va être mis en œuvre convenablement.
Le sénateur Harder : Il sera évidemment mis en œuvre convenablement.
J’invite l’honorable sénateur et les membres de son caucus à participer au débat pour nous exposer leur position. Une partie de leurs fonctions en tant que sénateurs consiste à participer aux débats, et j’espère que, au cours des prochaines semaines, ils vont prendre la parole.
[Français]
L’honorable Claude Carignan : Sénateur Harder, vous avez cité le rapport qu’avait préparé en 2002 le regretté sénateur Nolin, pour qui j’ai beaucoup de respect. Nous savons aujourd’hui que la science est claire à propos des effets néfastes de la consommation de cannabis sur la santé, particulièrement pour les gens âgés de moins de 25 ans. Pour tout le reste, il y a beaucoup d’inconnu, notamment en ce qui a trait à la santé.
Le rapport du sénateur Nolin remonte à 2002. Nous sommes en 2018. Lorsque vous citez ce rapport, j’ai l’impression que vous nous dites que la science était plus avancée à cette époque qu’elle ne l’est aujourd’hui. Pourquoi faites-vous référence à un rapport qui date de 2002 alors que nous savons que la science, même aujourd’hui, est confrontée à des éléments inconnus?
[Traduction]
Le sénateur Harder : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. J’ai parlé du travail du sénateur Nolin parce qu’il s’agit de la première occasion qu’a eue le Sénat d’étudier en profondeur cette question importante, de conscientiser la population et d’amener celle-ci à envisager la voie que le comité et lui recommandaient.
Nous avons perdu beaucoup de temps. Depuis cette étude, un certain nombre de choses ont changé, notamment le développement du marché de la marijuana utilisée à des fins médicinales. Il y a eu aussi l’infiltration d’éléments criminels dans le secteur du cannabis. Le gouvernement libéral en est donc venu à la conclusion – comme il l’a annoncé dans sa plateforme électorale et comme il l’a fait en proposant son projet de loi – que, pour protéger les enfants, il fallait légaliser et réglementer rigoureusement le contrôle et la distribution du cannabis.
[Français]
Le sénateur Carignan : Savez-vous combien de temps il a fallu aux membres du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites présidé par le sénateur Nolin pour étudier la question? Vérifiez combien de mois et expliquez-nous pourquoi vous demandez dans votre préavis de motion que nous ne prenions que trois semaines pour étudier ce dossier.
[Traduction]
Le sénateur Harder : Vous savez mieux que moi, sénateur, combien de temps l’étude du sénateur Nolin a duré. Ce que je peux vous dire, et que vous savez déjà, c’est que le Sénat a reçu le projet de loi C-45 le 28 novembre. Le 30 novembre, le parrain du projet de loi, le sénateur Dean, a demandé qu’il soit lu à l’étape de la deuxième lecture.
Depuis novembre, les membres du Groupe des sénateurs indépendants ont prononcé un certain nombre d’allocutions. La première allocution d’un sénateur conservateur a eu lieu jeudi dernier. Ce que je veux dire, c’est qu’il me semble tout à fait raisonnable que le débat se poursuive et s’élargisse et que d’autres sénateurs y participent cette semaine et la semaine de notre retour au Sénat, parce que c’est ce qu’il faut faire pour que le projet de loi soit étudié comme il se doit à l’étape de la deuxième lecture; cela dit, il devra un jour être renvoyé au comité. Cette décision appartient évidemment aux honorables sénateurs.
[Français]
Le sénateur Carignan : Je vous remercie. Vous avez mentionné que l’objectif était d’obtenir un produit de qualité afin d’éviter que l’on se retrouve avec des produits de moins bonne qualité, comme ceux qui sont vendus sur le marché noir. Normalement, lorsqu’un produit est mis sur le marché, il y a des possibilités de rappel. Donc, il s’agit de produits qui sont facilement identifiables et traçables.
Pouvez-vous nous expliquer quel système de traçabilité le gouvernement a l’intention de mettre en place pour pouvoir retracer la production de cannabis, de la graine jusqu’à la consommation publique?
[Traduction]
Le sénateur Harder : Sénateur, je vous invite à participer à la visite des installations de la société Canopy. Au Canada, nous avons l’avantage d’avoir acquis une expérience à ce chapitre avec la marijuana utilisée à des fins médicinales. Nous allons nous fonder sur cette expérience. Vous présentez manifestement de très bonnes raisons pour qu’un comité se penche sur les questions que vous soulevez. Nous en sommes à présent à l’étape de la deuxième lecture, soit le débat portant sur le principe du projet de loi. En tant que porte-parole de l’opposition officielle, votre participation à ce débat est la bienvenue.
L’honorable Fabian Manning : Je vous remercie de vos observations. J’ai certaines préoccupations relativement au projet de loi, comme bien d’autres, je pense. Si on prend l’exemple du Colorado, on constate que, depuis la légalisation, cet État a vu doubler le nombre de conducteurs impliqués dans des accidents mortels chez lesquels on a détecté la présence de marijuana. Dans les écoles secondaires, les infractions liées à la drogue ont augmenté de 71 p. 100.
(1530)
À mesure que j’essaie de rassembler de l’information sur le projet de loi, je m’interroge sur ce qui me semble un manque d’information scientifique publiée sur la façon de traiter les conducteurs ayant les facultés affaiblies. Nous sommes tous au courant que des personnes sont tuées ou blessées par des conducteurs aux facultés affaiblies par l’alcool.
Je me pose une question et, là encore, qu’on me corrige si je me trompe. Quand un policier s’approchera d’un véhicule, devra-t-il déterminer de visu si la personne au volant a les facultés affaiblies? Nous entendons dire que cette pratique a donné lieu à beaucoup de poursuites aux États-Unis.
Je me demande comment le gouvernement envisage de traiter les cas de conduite avec facultés affaiblies par la marijuana.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, il est 15 h 30 et, normalement, nous entamerions la période des questions, mais je crois comprendre que le ministre LeBlanc a été retardé. Donc, comme il a été convenu, nous poursuivrons les travaux du Sénat jusqu’à son arrivée.
Le sénateur Harder : Sénateur, vous soulevez la question du respect de la loi dans les cas de conduite avec facultés affaiblies, que ce soit par la drogue ou l’alcool. C’est, bien entendu, le sujet du projet de loi C-46, dont le comité est maintenant saisi. Je vous invite à participer aux délibérations du comité, où des personnes viennent témoigner pour dire comment le projet de loi renforce le régime à partir de ce que la science nous apprend et comment les applications techniques peuvent donner la capacité aux policiers de faire respecter la loi dans les cas de conduite avec facultés affaiblies par la drogue, y compris le cannabis. C’est une mesure législative qui apporte un complément important à la mesure législative dont nous discutons, mais ce n’est pas le sujet du projet de loi C-45.
Le sénateur Manning : Merci, sénateur Harder. Récemment, j’ai entendu des ministres déclarer aux médias que la mise en œuvre du projet de loi, initialement prévue pour le 1er juillet, serait reportée de 8 à 10 semaines.
Aujourd’hui, étant donné le plan que vous présentez, qui comprend la possibilité d’une motion d'attribution de temps, je me demande si le gouvernement prévoit faire adopter le projet de loi plus tôt afin qu’il soit mis en œuvre d’ici le 1er juillet. Est-ce que cela fait partie du plan dont il est question aujourd’hui?
Le sénateur Harder : Merci, sénateur. Soyons très clairs. Je propose qu’un débat approprié et continu soit tenu à l’étape de la deuxième lecture. Il faudra voir comment la troisième étape progressera une fois que le projet de loi nous sera renvoyé après l’étude en comité, pour laquelle deux mois ont été prévus.
Toutefois, je répète que, comme les ministres l’ont affirmé, le gouvernement ne mettra en œuvre cet important projet de loi que lorsque celui-ci aura reçu la sanction royale. Le processus de mise en œuvre ne se fera pas instantanément. La mise en œuvre se déroulera en une série d’événements couvrant une période de 6 à 12 semaines. Le gouvernement veut faire en sorte qu’elle ait lieu durant l’été.
[Français]
L’honorable Ghislain Maltais : Sénateur Harder, vous avez répondu à mon collègue, le sénateur Carignan, en ce qui concerne la qualité du produit. Au Canada, nous avons une politique très sévère de traçabilité et de sécurité alimentaire. On ne peut pas regarder un troupeau de vaches juste à l’œil pour savoir s’il est malade ou pas; on doit en faire un examen, souvent bête par bête. De la même façon, on ne peut pas déterminer si un champ de cannabis est bon ou pas seulement au regard; il faut faire des tests.
À l’heure actuelle, est-ce que le gouvernement, compte tenu du nombre de permis de production et de plants de cannabis qu’il y aura au Canada, y compris les quatre plants qu’on trouvera dans des centaines de milliers d’appartements au Canada, a prévu un système de vérification permettant d’indiquer que chaque produit n’est pas nocif pour la santé, comme on le fait dans la filière alimentaire?
[Traduction]
Le sénateur Harder : Encore une fois, je remercie l’honorable sénateur de sa question. En fait, le régime existant de marijuana à des fins médicinales prévoit exactement ce genre de mesures de contrôle et de surveillance pour assurer la qualité du produit avec une vigilance adéquate.
[Français]
Le sénateur Carignan : J’aimerais revenir au rapport du sénateur Nolin. Est-ce que le sénateur Harder a lu l’article du sénateur Nolin publié le 30 août 2010 où il dit ce qui suit, dans une lettre ouverte au journal Le Devoir :
Tout d’abord, nous n’approuvons pas l’utilisation des drogues à des fins ludiques. Nous préférerions vivre dans une société exempte de drogues tout autant que nous aimerions voir la paix régner sur notre planète.
Un peu plus loin, le sénateur précise que le comité avait recommandé l’âge légal de consommation à 16 ans, et je cite :
Le comité a recommandé que l’âge légal pour consommer ne soit en aucun cas inférieur à 16 ans car les découvertes scientifiques ont permis de déterminer que le cerveau humain est alors suffisamment développé et ne risque pas de souffrir physiquement de la consommation de cannabis.
Or, à l’heure actuelle, tous les experts médicaux et les sociétés médicales nous disent le contraire.
Pour la deuxième fois, je pose la question. Est-ce que le sénateur Harder est d’accord avec le fait que la science évolue et qu’il faudrait agir avec précaution avant de citer un rapport qui date de 2002, alors que la science n’était manifestement pas fixée et qu’elle ne l’est peut-être pas encore?
[Traduction]
Le sénateur Harder : Je vous remercie, sénateur, de la question. Cela me permet de répéter que, en parlant du rapport du sénateur Nolin, je ne voulais pas suggérer que celui-ci serve de base pour la mise en œuvre du régime du cannabis à des fins récréatives. Je faisais simplement valoir que le débat au Sénat du Canada, il y a de cela plusieurs années, était un des éléments du dialogue public à ce sujet.
La deuxième chose que je voudrais signaler à l’honorable sénateur est que la consommation de cannabis chez les jeunes suscite des préoccupations évidentes. Nous sommes confrontés à une crise. Ce projet de loi n’invente pas la consommation récréative du cannabis chez les jeunes. Il cherche plutôt à réglementer et à limiter la consommation de cannabis chez les jeunes gens en-dessous d’un certain âge.
L’objectif du projet de loi est de composer avec la réalité historique dont le gouvernement a hérité et de faire des progrès au-delà de l’interdiction et des campagnes qui invitent les jeunes à simplement dire « non », en proposant une approche plus moderne et contemporaine.
L’honorable Serge Joyal : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Harder : Oui.
Le sénateur Joyal : Merci, sénateur Harder. Ma préoccupation concerne les répercussions du projet de loi ou, comme on dit, la loi des conséquences imprévues. Je comprends l’objectif général du projet de loi, mais, sénateur, vous devez reconnaître que, avec la légalisation de quelque chose d’interdit, qui est défendu par la loi, une personne pourrait se retrouver avec un casier judiciaire qui aura une incidence sur sa carrière pendant tout le reste de sa vie. Elle pourrait ne pas pouvoir traverser la frontière ou prendre un vol vers de nombreux autres pays du monde. Je suis certain que le gouvernement aurait dû penser à l’effet de la consommation accrue. À mes yeux, ce projet de loi ne réduira pas la consommation.
Selon un article que j’ai lu au sujet de l’armée, 20 p. 100 des soldats consomment du cannabis. On peut s’attendre à ce que la légalisation fasse grimper ce pourcentage.
Le gouvernement a-t-il mené une étude concernant l’incidence du projet de loi sur la hausse de la consommation, notamment chez les jeunes et les consommateurs à risque? Comme le sénateur Carignan l’a souligné, les jeunes sont à un stade où leur état mental est en voie de se stabiliser. Nous en sommes tous conscients. Personne ne remettrait cela en question de nos jours. Ce n’est certainement pas comme à l’époque du « flower power, dans les années 1960. Je ne sais pas quel âge vous avez exactement, sénateur Harder, mais, si vous avez connu cette époque, vous vous rappellerez que tout le monde croyait que fumer un joint permettait d’atteindre le nirvana et réglait tous les problèmes. En réalité, cela nous créait des problèmes.
Je crois que, si le gouvernement veut adopter une approche réaliste, il est très important qu’il évalue les risques liés à ce projet de loi afin de les atténuer, au lieu de déclencher une vague de consommation qui les aggravera.
(1540)
Le sénateur Harder : Sénateur, vous avez demandé mon âge. Permettez-moi juste de dire qu’il se pourrait bien que j’aie grandi à l’époque du « flower power », mais je ne m’en suis pas aperçu. Je suis probablement singulier à bien des égards en ce sens que je n’ai jamais vu de marijuana et n’en ai jamais senti non plus. Ce n’est pas un sujet de fierté pour moi; cela reflète juste la manière dont un petit garçon mennonite d’une région rurale du Canada grandit. C’était une substance plutôt rare.
Plus sérieusement, je voudrais ajouter quelques commentaires aux vôtres. Je voudrais faire observer d’abord que des ministres ont parlé des pays où, en fait, la consommation a baissé avec la légalisation. Personne ne peut cependant dire que ce sera le cas au Canada. Vous évoquez, avec raison, la loi des conséquences imprévues et parlez de la manière dont vous la prenez en considération.
Nous savons que le régime actuel, qui rend la consommation de cannabis illégale, est préjudiciable pour les jeunes, que la consommation de marijuana atteint son plus haut niveau chez ceux-ci, qu’elle continue d’augmenter et que nous devons essayer de changer les choses, ce que cette loi entend faire, grâce une politique publique.
Je peux assurer à l’honorable sénateur que le gouvernement prendra les jeunes pour cible dans ses programmes d’application de la loi et d’éducation publique afin de comprendre en particulier les conséquences que la consommation peut avoir pour les personnes qui n’ont pas l’âge légal, et pour les autres, afin de les informer de ce qui constitue un risque acceptable.
L’autre objectif, bien sûr, c’est qu’il y ait une application vigilante de la loi. C’est pourquoi le projet de loi C-46 — qui est étudié par un très éminent Sénat Canadien— accompagne cette mesure législative, afin que les responsables de l’application de la loi disposent de meilleurs outils en ce qui a trait aux crimes liés à la consommation de drogues et d’alcool, puisque nous sommes mieux informés aujourd’hui.
Le sénateur Joyal : Sénateur Harder, comme vous le savez, neuf États américains ont un marché licite. Le ministère de la Justice ou celui de la Santé ont-ils fait l’analyse de chiffres comparatifs sur l’augmentation, ou, comme vous l’avez mentionné, la baisse de consommation, pour qu’on puisse dresser un portrait objectif, plus complet et fiable des conséquences que le projet de loi pourrait avoir en fonction de l’expérience d’autres États?
Le sénateur Harder : Sénateur, je pense que vous soulevez une dimension essentielle au débat. J’espère que les sénateurs qui sont membres du comité pourront rencontrer les fonctionnaires responsables et obtenir davantage d’information, surtout à la suite des observations faites par des ministres au Sénat la semaine dernière, afin que nous y ayons accès lors des délibérations du Sénat.
L’honorable Ratna Omidvar : Merci, Votre Honneur, de me donner la parole. J’attends patiemment depuis un moment pour poser une question.
J’ai participé hier avec d’autres sénateurs à la visite de la société Canopy Growth, si je me souviens bien du nom. J’ai été rassurée de voir qu’il existe au moins des installations de production hautement perfectionnées, contrôlées, réglementées et sécuritaires de la sorte, si le projet de loi est adopté et que nous légalisons la consommation de cannabis.
Le PDG de Canopy Growth, M. Bruce Linton, nous a toutefois dit qu’une partie du projet de loi l’inquiétait. Ce n’est pas une partie du projet de loi dont nous avons beaucoup parlé. Je n’ai pas eu la chance de la trouver, mais je suis certaine que vous la connaissez. Le projet de loi permettra à des particuliers et à des entreprises ayant des permis bien précis de cultiver dans certaines circonstances du cannabis dans des champs plutôt que dans des serres et des installations contrôlées. Il nous a dit que ce qui le préoccupait était que, si le cannabis était cultivé dans des champs, et que des drones pouvaient y accéder — je n’y avais pas pensé —, cela créerait une autre forme de criminalisation.
J’aimerais savoir si vous avez une opinion à ce sujet et si ce point devrait aussi être abordé par le comité.
Le sénateur Harder : Je serai bref, car je vois que le ministre est ici.
À mon avis, c’est exactement le genre de question qui me semble approprié pour une étude au comité. Ce dernier pourrait entendre les témoignages de personnes qui travaillent dans le marché du cannabis employé à des fins médicinales et voir quelle est leur expérience à cet égard et si cela soulève des préoccupations.
Nous en sommes à présent au débat à l’étape de la deuxième lecture, soit l’accord de principe. J’espère qu’il y aura une vaste participation au cours des prochains jours, et que le Sénat aura une bonne discussion sur le projet de loi C-45.
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les travaux du Sénat
Conformément à l’ordre adopté par le Sénat le 10 décembre 2015, visant à inviter un ministre de la Couronne, l’honorable Dominic LeBlanc, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, comparaît devant les honorables sénateurs durant la période des questions.
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le Sénat doit passer à la période des questions. Je demanderais au ministre de prendre place.
Honorables sénateurs, nous avons parmi nous aujourd’hui pour la période des questions l’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne.
Monsieur le ministre, au nom de tous les sénateurs, je vous souhaite la bienvenue.
Le ministère des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne
Le système de paie Phénix
L’honorable Larry W. Smith (leader de l’opposition) : Je vais me lever pour souhaiter la bienvenue au ministre. Monsieur le ministre, bon retour à la période des questions du Sénat. Je sais que je parle au nom de tous les honorables sénateurs en disant que nous sommes heureux de vous avoir parmi nous aujourd’hui et que nous vous offrons nos meilleurs vœux de rétablissement.
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie.
Le sénateur Smith : Certains collègues de ce côté-ci m’ont dit : « S’il vous plaît, Larry, ne soyez pas trop dur envers le ministre. » Je leur ai répondu : « Jamais je ne ferais une telle chose. »
Ma question porte sur vos fonctions à titre de ministre responsable de la Garde côtière canadienne. Le désastre du système de paie Phénix a durement touché la Garde côtière : beaucoup de membres reçoivent une paie insuffisante, sont trop payés ou ne sont pas rémunérés.
En décembre dernier, Wade Spurrell, commissaire adjoint de la Garde côtière pour la région de l’Atlantique, a déclaré ceci en entrevue :
Il y a eu des moments pendant l’été où nous ne pouvions pas envoyer de navires en mer ou offrir des services de ce type. Nous avons eu des cas où des gens ont décidé de quitter la Garde côtière canadienne à cause de l’incertitude associée à leur rémunération.
Des navires immobilisés au quai et des membres de la Garde côtière qui quittent leur emploi : tout cela arrive parce que le gouvernement n’arrive pas à payer les employés de façon appropriée.
Monsieur le ministre, cette situation est-elle acceptable, selon vous? Que faites-vous pour veiller à ce que les membres de la Garde côtière canadienne reçoivent la paie à laquelle ils ont droit?
M. LeBlanc : Sénateur Smith, merci de vos paroles bienveillantes au début de votre intervention. Je tiens à vous dire, à vous et à vos collègues, que je me sens bien. J’ai hâte de poursuivre mon travail, et vos généreux commentaires sont très importants pour moi. Je vous remercie donc pour ceux-ci.
De plus, sénateur Smith, je souscris sans réserve à la prémisse de votre question en ce qui concerne les problèmes que représente le système de paie Phénix pour les hommes et les femmes remarquables qui sont au service de la Garde côtière canadienne. J’ai eu la chance de travailler avec le commissaire adjoint Spurrell à Terre-Neuve-et-Labrador et en Nouvelle-Écosse. Au ministère, nous avons passé en revue, en compagnie de la haute direction de la Garde côtière, un certain nombre de scénarios très pénibles. En effet, près de 100 p. 100 des membres du personnel navigant ont maintenant été touchés par la situation inacceptable du système Phénix.
Sénateur, vous me demandez si la situation est acceptable. Elle est loin d’être acceptable. Elle est épouvantable. Je sais qu’elle a causé des problèmes colossaux aux hommes et aux femmes de la Garde côtière. Vous avez raison : nous perdons des gens très talentueux, compétents et chevronnés qui acceptent des postes chez Marine Atlantique ou dans des entreprises privées de services maritimes parce que la situation est tout simplement inacceptable. Cela a un effet domino sur la capacité de la Garde côtière d’offrir les services auxquels les Canadiens s’attendent avec raison et que la Garde côtière veut offrir.
Nous collaborons avec Services publics et Approvisionnement Canada de façon prioritaire. Nous avons un certain nombre d’initiatives pilotes qui conviennent parfaitement à la Garde côtière en raison des répercussions considérables de la situation sur les employés. Je continuerai d'insister pour que nous améliorions la situation tous les jours, toutes les heures, et que nous la corrigions pour les femmes et les hommes de la Garde côtière.
Le sénateur Smith : Monsieur le ministre, je vous remercie de la réponse.
Les problèmes existent depuis plus de deux ans. En décembre, CBC/Radio-Canada a rapporté que les problèmes du système ont obligé le personnel des opérations de recherche et sauvetage à utiliser des navires qui devaient travailler à l’entretien des bouées. Vous avez mentionné que vous étudiez et évaluez la situation. Où en êtes-vous dans cette évaluation en ce qui concerne les délais? Selon vos estimations, combien de temps sera nécessaire pour régler le problème ou, à tout le moins, pour voir des progrès vers le rétablissement de la situation pour les personnes aux prises avec des problèmes de paie?
(1550)
M. LeBlanc : Merci, sénateur Smith. Je crois que vous comprendrez mon hésitation à donner un échéancier. Cela dit, la question est excellente. C’est une question que plus de 5 000 membres de la Garde côtière et leurs familles se posent tous les jours. Combien de temps sera nécessaire pour régler cette catastrophe?
L’une des difficultés a été que, à plusieurs reprises, nous avons donné un échéancier pendant lequel nous pensions pouvoir accomplir des progrès graduels. Puis, pour toutes sortes de raisons, certaines étaient connexes, d’autres ne l’étaient pas, nous n’avons pas pu respecter ces échéanciers. Ainsi, chaque jour et chaque semaine où le problème n’est pas réglé produit des contrecoups sur le personnel de la Garde côtière, mais pas seulement sur lui. Il peut y avoir un effet d’entraînement, comme je l’ai dit, dans les services que les Canadiens sont en droit de recevoir.
Je peux vous dire que cette préoccupation est soulevée lorsque je rencontre les fonctionnaires de mon ministère et lorsque je discute avec mes collègues du Cabinet. Elle l’est à répétition. Il est évident que c’est un sujet de discussion hebdomadaire ou quotidien dans notre ministère. Nous continuerons simplement à faire le travail nécessaire, avec nos partenaires, pour que les cas les plus urgents soient, évidemment, traités en priorité et que, un jour, plus personne ne soit touché par ce problème dans les institutions à l’échelle du gouvernement du Canada. Je parle à titre de ministre responsable de la Garde côtière, mais, malheureusement, les fonctionnaires fédéraux vivent tous la même situation.
Le sénateur Smith : J’ai une question toute simple pour boucler notre discussion. Avez-vous eu l’occasion de communiquer personnellement ce message à vos membres et, le cas échéant, avez-vous mis sur pied un programme pour leur donner une rétroaction constante? Au moins, ils savent que vous vous souciez vraiment de connaître l’évolution de leur situation.
M. LeBlanc : Sénateur Smith, la réponse est oui. J’ai eu le privilège de visiter des postes de la Garde côtière, des petits comme des grands, partout au pays. C’est l’un des beaux côtés du travail que j’ai la chance d’effectuer. À chacune de ces occasions, depuis le Collège de la Garde côtière canadienne de Sydney, en Nouvelle-Écosse, jusqu’au plus petit poste de bateau de recherche et sauvetage, les membres du personnel de la Garde côtière soulèvent la question. Je les invite à le faire, car je veux entendre ce qu’ils ont à dire. Cela dit, je tiens à ce qu’ils sachent que le gouvernement et l’ensemble des Canadiens sont profondément frustrés de la situation. Bien franchement, celle-ci mérite qu’on y porte une attention urgente. C’est ce que je leur dis et j’entends continuer de le faire jusqu’à ce que la situation soit corrigée.
Les quotas de pêche
L’honorable Norman E. Doyle : Monsieur le ministre, j’aimerais vous poser une question au sujet de la mactre de Stimpson, une ressource actuellement exploitée par les habitants de Grand Bank, sur la péninsule de Burin, une collectivité qui produit des produits de la mer depuis 27 ans. Le gouvernement a récemment retranché 25 p. 100 du quota de pêche de la mactre de Stimpson. On me dit que c’est une décision sans précédent.
Le problème, c’est que la mactre de Stimpson commençait à peine à procurer une certaine stabilité économique à la région de Grand Bank, à Terre-Neuve, et ce, grâce à l’entrepreneuriat et à l’investissement de Clearwater. À eux seuls, les trois navires employés par Clearwater pour récolter cette ressource valent 200 millions de dollars. Il s’agit donc d’une occasion d’emploi importante pour les habitants de Grand Bank.
Selon Rex Matthews, le maire de Grand Bank, ces collectivités craignent maintenant, avec raison, que la réduction de 25 p. 100 des quotas de pêche de la mactre de Stimpson imposée à Clearwater n'entraîne une baisse considérable de l’emploi, avec la perte d’emplois à temps plein pour la classe moyenne. C’est toute l’économie de la péninsule de Burin qui sera touchée. Le ministre peut-il indiquer pourquoi il était nécessaire pour le gouvernement de réduire de 25 p. 100 les quotas de pêche des habitants de la péninsule de Burin, qui, dans certains cas, se retrouvent maintenant sans travail?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question, sénateur Doyle. Comme vous le savez déjà, le problème de la mactre de Stimpson préoccupe le gouvernement actuel, mais il a aussi préoccupé le gouvernement conservateur précédent. En fait, ma prédécesseure, l’honorable Gail Shea, avait entamé un processus de demande de propositions ou un quelconque processus public permettant aux gens de demander à devenir un nouveau participant à la pêche à la mactre de Stimpson. Ce processus a commencé sous le gouvernement précédent, mais il n’a pas été mené à terme. On m’a dit que de nombreuses entreprises de Terre-Neuve-et-Labrador et d’autres régions du pays avaient présenté des propositions. Je suis au courant parce que les entrepreneurs m’en parlent lorsque je les rencontre dans les aéroports du Canada atlantique et au salon des produits de la mer de Boston.
Sénateur Doyle, vous avez raison d’affirmer que le gouvernement a entamé un processus public à la fin de l’été, au début de septembre, au cours duquel il a demandé à des communautés autochtones de se réunir, de collaborer avec des entreprises qui ont de l’expérience dans la pêche hauturière et de présenter une proposition au gouvernement pour expliquer comment les retombées économiques pourraient bénéficier aux communautés autochtones et aux autres collectivités qui dépendent de certaines de ces ressources.
Je peux dire que nous avons reçu des propositions. Je n’ai pas pris de décision en ce qui concerne ces 25 p. 100 des quotas.
Je ne voudrais pas vous donner tort, monsieur le sénateur, mais il n’est pas tout à fait exact de dire que nous avons réduit de 25 p. 100 les quotas de cette pêche. En fait, j’ai distribué seulement 75 p. 100 des quotas, c’est-à-dire du total des prises admissibles, parce que je n’ai pas encore pris de décision concernant le nouvel arrivant dans cette pêche.
Je peux dire que nous avons reçu des propositions, y compris de la part de la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Je continue d’examiner les propositions et j’espère prendre une décision dans un avenir pas trop éloigné.
Toutefois, comme il s’agit d’une question très importante pour votre province, monsieur le sénateur, je veux aussi que vous sachiez que je suis très sensible aux conséquences sur l’emploi à Grand Bank. Mon collègue récemment élu, Churence Rogers, m’en a parlé à quelques reprises. J’ai eu la chance de rencontrer le maire également. Je suis conscient de l’importance de cette entreprise et des bons emplois qu’elle fournit à la population de Grand Bank. Je ne voudrais pas que vous pensiez que je n’y suis pas sensible ou que je ne veux pas continuer de veiller à ce que les gens de Grand Bank continuent de bénéficier de ces retombées économiques.
Les baleines noires de l’Atlantique Nord—L’industrie du crabe des neiges
L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) : Bienvenue, monsieur le ministre. Ma question concerne la mort tragique de baleines noires de l’Atlantique Nord. Pas un seul sénateur n’a oublié les images horribles des carcasses de baleines mortes flottant à la dérive l’été dernier dans la baie des Chaleurs.
Vous avez fait une annonce à la fin de janvier concernant des changements aux règles applicables à la pêche au crabe des neiges dans le sud du golfe du Saint-Laurent, changements qui comprennent une réduction de la longueur des cordes flottant à la surface de l’océan, des codes de couleur pour marquer les cordes et l’obligation de déclarer toute perte d’équipement. Ces changements ont pour but de réduire le risque de voir des baleines emmêlées dans l’équipement de pêche. Ce sont des changements substantiels qui ont passablement d’importance pour l’industrie du crabe des neiges.
Je crois comprendre que la saison commence en avril. Avez-vous obtenu une bonne réponse des pêcheurs? Pouvez-vous nous dire si cette initiative est susceptible de connaître du succès?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci de votre question, sénateur Day. Je vous remercie aussi d’avoir fait écho aux inquiétudes que j’ai entendues partout au pays au sujet de la situation tragique de la baleine noire.
Comme vous l’avez dit avec raison, la mort de 12 baleines noires entre juin et septembre dans le golfe du Saint-Laurent et dans la baie des Chaleurs, et leurs environs, a donné lieu à de vastes efforts à l’échelle mondiale, notamment de la part de mon ministère et de nos partenaires américains. La National Oceanic and Atmospheric Administration des États-Unis est l’un des chefs de file mondiaux de la recherche et des mesures de protection destinées à assurer la survie à long terme de cette espèce en voie de disparition.
Honorable sénateur, je peux vous dire que je suis extrêmement encouragé par la réponse de l’industrie de la pêche commerciale et de l’industrie du transport maritime. Elles peuvent faire beaucoup de choses en collaboration avec nous pour réduire les impacts entre ces mammifères majestueux et l’activité humaine et le taux de mortalité qui en découle.
Les nécropsies effectuées par des scientifiques sur sept des baleines mortes ont révélé que les deux facteurs de risque les plus importants sont l’enchevêtrement dans les filets de pêche et les collisions avec les navires. Mon collègue, le ministre des Transports, et moi avons élaboré toute une série de mesures.
Sénateur Day, les changements apportés aux engins utilisés pour la pêche au crabe des neiges représentent une bonne première mesure parmi celles que nous pouvons prendre pour réduire la quantité de filets qui flottent à la surface de l’eau. Les baleines noires s’alimentent à la surface de l’eau. Elles se prennent alors dans les filets qui flottent entre les bouées. Malheureusement, elles traînent parfois des engins de pêche au crabe sur plusieurs kilomètres — parfois, disent les scientifiques, sur des centaines de kilomètres —, ce qui cause leur perte.
(1600)
L’industrie de la pêche veut être un partenaire. Nous étudions aussi de nouvelles technologies. J’espère pouvoir annoncer des mesures pour des pièges sans corde. On m’a informé que l’industrie de la pêche a hâte de mettre à l’essai un piège qu’elle peut placer au fond de l’océan, repérer à distance et remonter à la surface sans corde. Il s’agit d’idées emballantes.
Nous continuerons de prendre les mesures nécessaires afin de nous assurer de faire tout notre possible pour minimiser les circonstances tragiques de l’été dernier. Je suis très heureux que les provinces et l’industrie veuillent travailler en partenariat avec nous.
Le sénateur Day : Monsieur le ministre, lors de votre conférence de presse à Moncton, vous avez parlé d’une autre initiative qui consiste à utiliser la Garde côtière pour déplacer la glace afin que la saison de pêche au crabe des neiges puisse commencer plus tôt, ce qui réduirait les chances d’une collision entre les baleines en migration et les navires de l’industrie du crabe des neiges. Pourriez-vous faire le point sur la question?
M. LeBlanc : Merci, sénateur Day. Vous avez raison. L’industrie a elle-même suggéré cette mesure. J’ai discuté à maintes reprises du sujet avec le commissaire de la Garde côtière canadienne et d’autres mandataires. De toute évidence, la capacité d’envoyer des brise-glaces ouvrir certains ports clés, notamment dans le Nord du Nouveau-Brunswick ou au Québec, pourrait nous permettre de commencer la saison plus tôt que normalement. Des scientifiques affirment que rien ne nous empêche de commencer la saison à la fin de mars ou au début d’avril. Cela dépend souvent des glaces flottantes, des caractéristiques des glaces et de la capacité des flottes de pêche à se rendre jusqu’aux zones de pêche du crabe. S’il y a un moyen d’ouvrir ces ports essentiels, alors la Garde côtière est certainement en train de préparer une stratégie en ce sens.
Comme vous avez travaillé avec la ligue navale et la Garde côtière, vous savez, sénateur, que nos priorités sont naturellement la sécurité du transport maritime et les activités de recherche et sauvetage maritime. Vous pouvez imaginer les situations qui peuvent se produire aux alentours de Terre-Neuve-et-Labrador et de la Voie maritime du Saint-Laurent. La disponibilité des brise-glaces se précisera selon l’évolution de la situation, mais la Garde côtière me dit qu’elle a bon espoir que cette option puisse être envisagée.
L’année dernière, les baleines ont atteint les bancs extérieurs du golfe du Saint-Laurent en juin. J’espère que nous pourrons lancer la saison plus tôt. Les quotas seront probablement moins élevés que ceux de l’année dernière, qui ont atteint un niveau sans précédent, ce qui veut dire qu’on pourrait alors mettre fin à la pêche plus tôt, du moins à proximité des bancs extérieurs où les premières baleines sont arrivées l’année dernière, et on pourrait alors rapprocher les engins de pêche des côtes. Cela fera certainement partie de nos priorités.
Les aires marines protégées
L’honorable Patricia Bovey : Je vous souhaite la bienvenue, monsieur le ministre. Je suis heureuse que vous soyez de retour pour cette deuxième période des questions.
J’aimerais vous poser une question sur le projet de loi actuellement à l’étude à l’autre endroit et qui porte sur la Loi sur les océans. Je crois comprendre que le Sénat pourrait en être saisi ce printemps. Je signale aux honorables sénateurs que j’ai accepté de parrainer ce projet de loi d’initiative ministérielle lorsqu’il nous sera renvoyé.
Je salue les efforts que le ministre a déployés afin de protéger des aires marines, et je crois comprendre que le Canada protège maintenant 7,75 p. 100 de ses océans.
Certaines questions soulevées par des intervenants ainsi que par des députés, que ce soit au comité de l’autre endroit ou ailleurs, ont trait aux activités permises dans les aires marines protégées. Par exemple, la pêche y sera-t-elle permise? L’exploitation pétrolière et gazière y sera-t-elle permise? Le projet de loi ne semble pas préciser ce qui serait permis ou interdit.
Quelles mesures prenez-vous ou envisagez-vous de prendre pour répondre aux préoccupations exprimées au sujet des activités liées aux zones de protection marine existantes ou futures?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question, honorable sénatrice. Je vous remercie d’avoir accepté de nous aider à présenter au Sénat ce qui, selon nous, constitue une mesure législative importante qui permettra de renforcer la Loi sur les océans. Je serai heureux de travailler de concert avec vous et vos collègues dans cette enceinte, et plus particulièrement les membres de votre comité sénatorial. Je l’ai dit à l’autre endroit et je vais le répéter ici, si des collègues souhaitent suggérer des amendements pouvant renforcer ou améliorer cette mesure législative, nous sommes tout ouïe. Nous sommes ravis de travailler en collaboration avec vous.
En ce qui concerne la question des normes minimales, comme on les appelle communément, j’en entends parler dans le monde entier lors de conférences sur les océans et j’en entends aussi parler de la part de groupes environnementaux et de l’industrie, dont les préoccupations sont légitimes, dans la mesure où nous affirmons que nous allons assurer la protection de nos espaces maritimes. Je crois aussi que les Canadiens sont très attachés à l’idée d’accroître la protection accordée à nos espaces maritimes. C’est quelque chose que nous avions promis aux Canadiens lors de la campagne électorale, et c’est un objectif que nous comptons atteindre ou dépasser.
La question est la suivante. Quelles sont les pratiques appropriées et, selon les scientifiques, quelles sont les pratiques appropriées en vue d’atteindre les principaux objectifs en matière de conservation?
Je suis déterminé à réunir un petit groupe, de sept personnes probablement, qui possède de l’expérience dans ce domaine et qui sera en mesure de fournir des conseils au gouvernement et aux Canadiens en matière de normes minimales. Pour que cela soit jugé crédible, il ne faudra pas que les normes minimales soient différentes pour une zone de protection marine dans une région du pays par rapport à une autre zone dans une autre région du pays. Nous devons être conséquents et frapper l’imagination des jeunes Canadiens. Ceux-ci doivent voir qu’il s’agit de mesures sérieuses et responsables, mais qui ne représentent pas une situation où des activités économiques qui ne nuisent aux principaux objectifs de conservation subissent forcément des répercussions négatives.
Nous allons demander à sept Canadiens d’un peu partout au pays d'étudier la question — des scientifiques, des représentants de l’industrie, des Autochtones. Je devrais pouvoir annoncer leur nom dans les prochains jours. J’ai bon espoir que nous pourrons intégrer leurs recommandations à la réglementation afin que nous puissions dire que les aires de protection marine du Canada sont encadrées par une série de normes minimales.
Je peux vous assurer, sénatrice, que ce sentiment est partagé par bon nombre de pays. Ce midi, j’ai eu le privilège de passer du temps avec la ministre britannique responsable de ce dossier. Son gouvernement et elle sont dans la même situation que nous. Je crois que, si nous nous y prenons bien, nous pourrons contribuer à l’atteinte d’un consensus mondial.
Les effluents des usines de pâte à papier
L’honorable Diane F. Griffin : Soyez le bienvenu, monsieur le ministre. En janvier, le premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard a écrit à la ministre de l’Environnement et du Changement climatique pour lui parler du projet d’usine de traitement des effluents de la Northern Pulp dans le comté de Pictou, en Nouvelle-Écosse. Le premier ministre MacLauchlan craignait qu’une voie d’évacuation dans le détroit de Northumberland ait des conséquences indésirables pour la pêche commerciale et l’aquaculture.
Vous êtes ministre des Pêches et des Océans; cette question devrait donc être une priorité pour vous. Que fait le gouvernement à propos des effluents que rejette l’usine de pâte à papier de Pictou? Avez-vous entendu, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique et vous, les inquiétudes du gouvernement et des pêcheurs de l’Île-du-Prince-Édouard?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci de votre question, sénatrice Griffin. Le premier ministre MacLauchlan m’en a directement fait part lors d’une cérémonie à laquelle j’assistais en sa compagnie. Nous avons justement parlé de ce dossier. Comme vous l’avez dit vous-même, il a écrit au gouvernement de la Nouvelle-Écosse pour lui exprimer ses vives inquiétudes. Je peux également vous dire que le député qui représente le comté de Pictou est venu m’en parler lui aussi.
Voilà, selon moi, qui montre à quel point il est important de resserrer la Loi sur les pêches de manière à mieux pouvoir nous attaquer aux éléments qui menacent le poisson et son habitat, car ils revêtent une importance capitale pour les pêcheurs de votre province et de la mienne et pour l’économie de l’Île-du-Prince-Édouard, du Nouveau-Brunswick et de tout le Canada atlantique. Pour de nombreuses localités du pays, la pêche est la seule activité économique possible. On peut même parler de dépendance économique. Le fait qu'un projet puisse mettre en péril le moyen de subsistance d’une partie de la population est évidemment une grande source de préoccupation pour le gouvernement.
Comme vous le savez probablement, Le fait qu'un de la Nouvelle-Écosse mène un examen environnemental sur cette question. Ma collègue, la ministre de l’Environnement et du Changement climatique — avec qui j’ai discuté un certain nombre de fois au sujet de cette question —, et moi sommes déterminés à travailler avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse. Au titre de la Loi sur les pêches, le ministère de l’Environnement et du Changement climatique a des pouvoirs législatifs en ce qui concerne ces effluents.
Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse nous a dit qu’il nous demandera peut-être de l’aider avec le travail scientifique. J’ai indiqué au premier ministre McNeil et au premier ministre MacLauchlan — que j’ai remercié d’avoir soulevé cette question et d’avoir attiré l’attention du public sur la question — que, si le gouvernement du Canada peut les aider dans le cadre de ce processus ou offrir une plus grande transparence et rassurer les pêcheurs avec lesquels je sais que vous parlez, ce serait un privilège de le faire.
(1610)
[Français]
La protection du saumon de l’Atlantique
L’honorable Percy Mockler : Il n’y a aucun doute que les sénateurs du Nouveau-Brunswick vous souhaitent également la bienvenue au Sénat, et je suis heureux de vous voir en pleine forme.
Vous savez, monsieur le ministre, qu’il y a un problème dans la rivière Miramichi. Les statistiques démontrent qu’il y a une abondance du bar rayé dans ses eaux, ce qui cause un problème écologique et une pression énorme sur le saumon sauvage de l’Atlantique. Ce défi important qui persiste a des conséquences économiques énormes pour les gens de la Miramichi. Selon la Fédération du saumon de l’Atlantique et la Miramichi Salmon Association, c’est une situation très alarmante qui exige que des gestes soient posés maintenant.
Monsieur le ministre, je sais que vous êtes sensible à ce phénomène. Pouvez-vous partager votre position avec nous? Est-ce que le ministère a prévu un plan stratégique de gestion pour régler ce déséquilibre et veiller à ce que nous protégions le saumon de l’Atlantique, le roi de nos rivières? La pêche sportive est une industrie importante partout au Canada, et surtout dans la Miramichi. Nous attendons des nouvelles de votre part.
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci, sénateur Mockler, de votre question. Comme je l’ai dit la dernière fois que j’ai eu le privilège d’être dans cette Chambre avec vous, j’ai des souvenirs de vous et moi en canot sur la rivière Restigouche, à la pêche au saumon, il y a bien des années. Je n’ai pas eu la chance de pêcher dans la rivière Miramichi avec vous. Si nous y allions, nous ne serions pas en canot.
Vous avez soulevé une question importante. Il faut non seulement protéger le saumon de l’Atlantique, qui est essentiel à l’économie de notre province et à celle du Canada atlantique, mais aussi en augmenter la population. Il faut trouver des méthodes de conservation, y compris avec des partenaires internationaux. J’ai pu en discuter avec le ministre du Groenland lorsqu’il était de passage à Shediac, par exemple. Nous avons énormément de travail à faire pour protéger le saumon de l’Atlantique. Cela dit, je ne nie pas l’importance de la question et la volonté de tous, chez nous et à travers le pays, pour y arriver.
Quant au bar rayé, vous avez raison : il y en a une abondance. Je le constate sur les quais non loin de ma maison et j’entends parler mes cousins de la présence du bar rayé, surtout dans la rivière Miramichi. J’ai été estomaqué, lorsque je suis devenu ministre, de constater que les avis scientifiques sur lesquels nous nous basons dataient de plusieurs années. Nous avons pris, depuis un certain temps, des décisions sur la pêche récréative au bar rayé et sur la possibilité d’offrir aux Autochtones une pêche commerciale du bar rayé, entre autres. Nous avons pris beaucoup de ces décisions en fonction d’avis scientifiques désuets, alors que la réalité sur le terrain — ou, devrais-je plutôt dire, dans l’eau — nous indiquait exactement le contraire.
Je suis à la veille de prendre des décisions qui ouvriront — de beaucoup, je l’espère — la pêche récréative au bar rayé, et ces décisions seront fondées sur de nouvelles données scientifiques. Je ferai tout ce que je pourrai en fonction des données scientifiques qu’on me donnera, mais celles-ci seront beaucoup plus avancées et plus récentes afin de refléter la réalité qu’on constate dans les cours d’eau. J’espère bientôt annoncer des mesures qui permettront d’équilibrer — comme vous l’avez si bien dit, sénateur Mockler — la population de bar rayé et de diminuer ses effets sur le saumon de l’Atlantique. J’ai l’intention, si cela est conforme aux avis scientifiques que je n’ai pas encore formellement reçus, de voir si l’on pourrait discuter avec les Premières Nations du système de la rivière Miramichi de la possibilité d’offrir une pêche commerciale limitée du bar rayé. Ce serait une autre façon importante de trouver cet équilibre. Je n’ai pas encore reçu le document qui me permettra de prendre ces décisions, mais j’ai raison de croire que je le recevrai bientôt.
[Traduction]
La protection des cétacés
L’honorable Donald Neil Plett : Monsieur le ministre, je vais faire écho aux propos du leader de mon parti. Je me réjouis de votre guérison et je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.
Monsieur le ministre, le projet de loi que vous proposez, le projet de loi C-68, interdit la capture de cétacés sauvages, sauf lorsqu’il est question d’un animal blessé ou nécessitant une réadaptation. Lors des entrevues que vous avez données dans les médias, vous avez affirmé que les Canadiens appuyaient massivement ce principe.
C’est vrai qu’il m’est arrivé une ou deux fois de ne pas appuyer les politiques des libéraux, mais ce n’est pas le cas dans ce dossier; je suis d’accord avec vous, monsieur le ministre. Assurément, nous avançons dans la bonne direction et je crois que, dans le cas de ce projet de loi, le gouvernement a trouvé le juste équilibre.
Cependant, certains — notamment des activistes américains ou même, à vrai dire, plus près de nous, la chef du Parti vert, Elizabeth May — considèrent qu’il faudrait aller beaucoup plus loin et même empêcher l’accouplement des cétacés en captivité et interdire à des aquariums modernes de renom de présenter des cétacés.
À l’inverse, des chercheurs vétérinaires et des biologistes de la vie marine nous ont dit qu’il était sans danger de permettre à ces animaux sociaux d’interagir et de s’accoupler et que permettre aux humains d’admirer des cétacés vivant dans des conditions adéquates de captivité n’avait rien de préoccupant, puisque cela permet aux gens de bien mieux comprendre les cétacés.
Monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous, mais pourriez-vous dire à quel point vous croyez en l’équilibre atteint par le gouvernement et expliquer ce qui vous a convaincu d’aller dans cette direction?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci, Votre Honneur, et merci, sénateur Plett. Merci de votre appui à l’équilibre que nous cherchions à obtenir au moyen des modifications à la Loi sur les pêches que nous avons présentées la semaine dernière.
J’ai bien suivi la discussion qui a eu lieu au Sénat. L’ancien sénateur Moore et plusieurs autres ont vivement intéressé le gouvernement libéral avec le projet de loi S-203. Mon prédécesseur, l’ancien ministre des Pêches et des Océans, s’y est aussi vivement intéressé. J’ai discuté avec un certain nombre de sénateurs et de députés du juste équilibre qu’il fallait atteindre.
Dans la mesure où nous avions l’intention de présenter des modifications visant à renforcer et à moderniser la Loi sur les pêches, je me suis dit que nous pourrions intégrer ce qui était prévu dans le projet de loi S-203.
C’est ce que nous avons fait. Lorsque le Sénat sera saisi des modifications proposées, j’espère que nous pourrons tirer profit des réflexions, des observations et de l’expérience des sénateurs.
À notre avis, il faut laisser au ministre la possibilité d’autoriser la mise en captivité d’un cétacé lorsque l’animal est blessé ou a besoin de soins médicaux. Une exception pourrait être prévue dans ce cas.
Toutefois, il faut selon nous mettre un terme à la mise en captivité des cétacés en elle-même. C’est ce que nous voulons faire en modifiant la Loi sur les pêches.
Dans plusieurs provinces – dont l’Ontario, où se trouve bien sûr Marineland –, certaines pratiques dans ce domaine relèvent du gouvernement provincial. Lorsqu’il est question d’animaux gardés en captivité dans des installations comme celles-là, je ne veux pas m’ingérer dans un domaine de compétence provinciale.
La semaine dernière, alors que j’étais en Colombie-Britannique, j’ai pris note de la décision du Board of Parks and Recreation de Vancouver au sujet de l’aquarium de Vancouver.
J’espère que nous trouverons le juste équilibre. Évidemment, si la Chambre des communes était saisie du projet de loi S-203, elle serait heureuse d’en débattre également, mais j’ai hâte de voir quelles seront les recommandations et les observations des sénateurs lorsque le Sénat se penchera sur la Loi sur les pêches, et j’espère que vous le ferez bientôt afin que vous puissiez nous aider à trouver ce juste équilibre.
La pêche côtière
L’honorable Jane Cordy : Monsieur le ministre, pour faire écho aux commentaires précédents, j’aimerais vous dire que je suis ravie de vous revoir sur la Colline. Je vous offre volontiers mes meilleurs vœux de santé. Je vous souhaite de nouveau la bienvenue au Sénat.
Monsieur le ministre, j’aimerais parler du projet de loi visant à modifier la Loi sur les pêches qui a été présenté récemment à l’autre endroit. Je suis sûre que notre ancien collègue, le sénateur Moore, s’est réjoui en lisant les modifications, et qu’il sera très heureux d’apprendre qu’il sera désormais illégal de capturer des baleines, des dauphins et des marsouins dans les eaux canadiennes.
(1620)
J’ai une question au sujet des permis de propriétaire-exploitant dans le secteur de la pêche côtière du Canada atlantique. D’après ce que je comprends, le ministère des Pêches et des Océans a des politiques exigeant que les titulaires de permis de propriétaire-exploitant dans le secteur de la pêche côtière mènent les activités pour lesquelles le permis a été délivré. Ils devront donc être présents sur le bateau de pêche, le but étant que les retombées socioéconomiques de la pêche côtière profitent à la localité où le permis a été délivré.
Comme les politiques existent déjà, qu’est-ce qui vous a incité, monsieur le ministre, à présenter une mesure législative pour les inclure dans une loi?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Merci, sénatrice Cordy, de poser cette question. Pour ce qui est des politiques du propriétaire-exploitant et de séparation des flottilles, vous avez raison. Elles sont la pierre angulaire de l’indépendance économique des pêcheurs côtiers et des pêcheurs semi-hauturiers dans le Canada atlantique et au Québec. Ces politiques existent probablement depuis 40 ans.
À notre avis, à différents moments, différents gouvernements de tous les partis n’ont pas appliqué ces politiques avec autant de constance qu’ils auraient pu le faire. Plusieurs choses expliquent pourquoi différentes sociétés commerciales ou différents pêcheurs se sont retrouvés parties à ce qu’on appelle communément des accords de contrôle, ou accords de fiducie. Ces accords indiquent que l’entreprise de pêche n’est pas dirigée par la femme ou l’homme titulaire du permis, mais indirectement par une entreprise de transformation du poisson ou un autre type d’entreprise.
Je représente de petites localités côtières comptant des centaines de pêcheurs de homard et de crabe des neiges. Il ne fait aucun doute que, si nous permettions à une ou deux entreprises de détenir tous ces permis, à la longue, les retombées économiques dans ces collectivités qui dépendent de ces pêcheurs seraient grandement diminuées.
Nous avons pensé qu’il fallait profiter de l’occasion pour préciser clairement dans la loi que le ministre pourra tenir compte de facteurs sociaux, économiques et culturels au moment de prendre des décisions concernant la délivrance des licences et les allocations. D’ailleurs, nous sommes impatients de connaître l’opinion des parlementaires à ce sujet. Cela existe depuis l’adoption de la première Loi sur les pêches, un an après la Confédération, en 1868. Ces facteurs ont toujours motivé les ministres de tous les partis politiques qui ont eu l’occasion d’occuper mon poste. Nous avons pensé que nous devrions dire clairement qu’il s’agit d’un des objectifs de la loi et que le gouverneur en conseil peut prendre des règlements en fonction de cet objectif afin de renforcer l’application de ces principes.
Sénatrice Cordy, il s’agit d’une mesure que les représentants des 72 000 personnes qui tirent leur subsistance directement ou indirectement de la pêche réclament aux gouvernements depuis de nombreuses années. Lorsque je suis intervenu à la Chambre des communes ce matin au sujet de la Loi sur les pêches, nombre des représentants élus de ces pêcheurs étaient présents à la tribune.
Je crois que c’est une mesure qui a trop tardé. Nous pouvons affirmer aux hommes et aux femmes qui dépendent économiquement de ces ressources que faisons en sorte de renforcer leur indépendance et de garantir que leurs enfants pourront également profiter de ces ressources publiques d’une façon qui sera peut-être semblable à la leur et à celle de leurs parents et de leurs grands-parents.
Les droits de pêche des Mi’kmaq
L’honorable Dan Christmas : Je suis heureux de vous voir ici en bonne santé, monsieur le ministre LeBlanc.
Monsieur le ministre, comme vous le savez, depuis 18 ans, il existe un différend latent au sujet des droits de pêche des Mi’kmaq en Nouvelle-Écosse, surtout en ce qui a trait à la pêche au homard. Même si ces droits ont été confirmés par la Cour suprême du Canada en 1999, dans la décision Marshall. À l’époque, la cour a confirmé le droit des Mi’kmaq de tirer une « subsistance convenable », l’équivalent moderne de faire le troc pour obtenir des biens essentiels dans le cadre des pêches.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous dire où en sont les négociations que votre représentant a entreprises depuis sa nomination l’automne dernier? Pourriez-vous nous parler également de la nature des discussions qu’il a eues à la table de négociations de la Nouvelle-Écosse et avec l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse, et des résultats de ces discussions?
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie de votre question, sénateur Christmas. Vous mettez en lumière un enjeu qui revêt une immense importance pour moi et pour tous les Canadiens, soit le respect des droits des Autochtones. Les gouvernements — je dis bien « les gouvernements » au pluriel car, dans ce cas-ci, il s’agit de respecter les droits de pêche des Mi’kmaq-Malécites et des Pescomodys sur notre côte — bref, les Canadiens s’attendent, tout d’abord, à ce que tous les gouvernements du pays reconnaissent les droits des Autochtones garantis par la Constitution et travaillent de bonne foi avec les peuples autochtones afin que ces droits prennent tout leur sens.
Il est, entre autres, extrêmement important de collaborer avec les Mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse et avec le Canada atlantique de manière à concrétiser, pour les personnes dont le mode de subsistance en dépend, les droits de pêche que la Cour suprême a définis, à juste titre, dans l’arrêt Marshall il y a près de 20 ans.
Nous faisons des progrès considérables, sénateur Christmas. Les gouvernements précédents, tant conservateurs que libéraux, ont aussi fait des progrès considérables. Cela ne suffit toutefois pas, selon nous. Les choses ne sont pas aussi avancées qu’elles devraient l’être. J’en ai parlé avec les chefs de la Nouvelle-Écosse. En compagnie de Jim Jones, que j’ai nommé principal négociateur fédéral, j’ai eu une excellente discussion de deux ou trois heures, à Truro, avec l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse. Nous avons discuté très ouvertement de gestes pratiques qui pourraient donner des résultats rapides et notables pour leurs communautés.
Le principal négociateur fédéral, Jim Jones, a participé à plusieurs rencontres. Nous nous reverrons à la fin de la semaine prochaine et il me fera le point sur la situation. Je demeure en communication avec lui. Il a rencontré plusieurs communautés autochtones.
Essentiellement, nous demandons aux communautés de dire ce qu’elles souhaitent en matière d’accès aux pêches commerciales. Quelle méthode comptent-elles employer? Comment prévoient-elles réunir des navires et des flottes? Il s’agit d’une approche tout à fait flexible, où différentes communautés se concentrant sur différentes espèces nous indiquent comment collaborer avec elles, afin d’acquérir un accès commercial aux retombées économiques véritables et collaborer sur d’autres possibilités économiques qui profiteront aux nations mi’kmaq de la province et du Canada atlantique. Il s’agit de la mise en marché et de la transformation de ces différentes espèces.
Je suis toujours rassuré lorsque j’entends parler de la réussite des communautés autochtones qui participent de manière constructive et positive à la pêche commerciale. En tant que ministre, je dois faire tout en mon pouvoir pour que le gouvernement fédéral accompagne ces gens dans cette importante entreprise.
[Français]
Son Honneur le Président : Sénateur Forest, il reste deux minutes pour la période des questions.
Les infrastructures marines
L’honorable Éric Forest : Comme un Gaspésien, je vais parler rapidement. Monsieur le ministre, je suis très heureux de vous accueillir ici. Selon les Comptes publics de 2016-2017 du Programme des ports pour petits bateaux, qui inclut le Programme de rétrocession des ports pour petits bateaux, sur les 313 millions de dollars autorisés, votre ministère a dépensé 296,2 millions, ce qui laisse des crédits de 17 millions de dollars non utilisés. Hier, dans le Budget supplémentaire des dépenses (C) de 2017-2018, on constatait une réduction des autorisations pour la révision des investissements dans les infrastructures.
Monsieur le ministre, comment pouvez-vous concilier ces deux situations? D’un côté, vous avez dit clairement, lors de votre visite au congrès BioMarine de Rimouski, qui a été particulièrement appréciée, que des projets comme ceux des ports de Rimouski et de Matane étaient des priorités et que vous attendiez les crédits nécessaires pour les réaliser. D’un autre côté, on constate que votre ministère n’utilise pas l’ensemble des crédits qui lui sont accordés. À mon avis, c’est une question d’efficience et de crédibilité. Il y a des crédits non utilisés et des projets très importants qui attendent d’être réalisés.
L’honorable Dominic LeBlanc, C.P., député, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne : Je vous remercie, sénateur, de votre question. Vous avez raison, nous avons eu la chance d’en discuter lorsque nous étions ensemble à Rimouski. J’ai aussi eu l’occasion d’aborder la question avec vos collègues de cette belle région du Québec, avec mes collègues de la Chambre des communes et avec le ministre provincial. En outre, le ministre Lessard, le ministre D’Amour et moi avons discuté à maintes reprises de l’importance d’investir précisément dans les projets que vous venez de soulever. Il n’y a pas de doute que, au fil des années, les crédits budgétaires ont été assez élevés à certaines époques. Dans le cadre du budget fédéral, de l’argent avait été octroyé il y a deux ans. nous n’avons pas reçu d’investissement supplémentaire important il y a un an. Alors, les crédits que nous avons dépensés au cours du dernier exercice étaient ceux qui avaient été consacrés, dans certains cas, au cours des années précédentes, y compris, il faut le dire, pendant la période de l’ancien gouvernement conservateur qui avait, à certains moments, investi d’une façon assez importante et rassurante en faveur des ports et des infrastructures. C’est une tradition, sénateur, que j’ai l’intention de poursuivre. Nous avons annoncé il y a environ une heure, à la période des questions de la Chambre des communes, que le prochain budget fédéral sera présenté dans deux semaines. Je souhaite poursuivre les investissements, y compris le projet du port dont j’ai discuté avec vous et avec mes homologues du Québec. J’espère avoir de bonnes nouvelles dans les semaines et les mois à venir.
(1630)
Si vous me le permettez, monsieur le Président, je crois qu’il s’agit de la dernière question. Vous avez indiqué que nous arrivions à la fin de la période des questions. Or, je tenais à vous dire quelque chose, monsieur le Président.
[Traduction]
Quand je suis devenu membre du Cabinet après les élections de 2015, le premier ministre m’a demandé d’être leader du gouvernement. Je me suis précipité pour rencontrer la direction du Sénat afin de voir comment nous pouvions trouver des idées créatives pour que le gouvernement puisse être présent au Sénat afin d’y donner son point de vue sur les politiques et de répondre aux questions des sénateurs au sujet des politiques, des mesures législatives et des dépenses. J’ai eu le privilège de travailler avec la direction de l’époque sur ce qui était à ce moment-là un projet au stade de l’expérimentation et qui consistait à inviter des ministres élus au Sénat pour répondre aux questions des sénateurs.
C’est la deuxième fois que j’ai le privilège de le faire. C’est un énorme privilège. Je ne prétends pas parler au nom de tous mes collègues, mais il n’y en a pas un seul qui a dit que son expérience n’avait pas été intéressante et positive.
Je tiens à dire aux sénateurs qui sont présents et qui ont travaillé sur ce projet avec moi il y a deux ans que je suis fier du petit rôle que j’ai joué pour faire en sorte que des ministres puissent venir au Sénat. J’espère, Votre Honneur, que vous et vos collègues garderez cette tradition. C’est certainement quelque chose que mes collègues du Cabinet apprécient. Peut-être qu’un jour on m’invitera à nouveau à venir ici.
[Français]
Les travaux du Sénat
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le temps accordé à la période des questions est écoulé. Merci beaucoup, monsieur le ministre.
[Traduction]
ORDRE DU JOUR
Pêches et océans
Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat
Consentement ayant été accordé de passer aux motions, article no 296 :
L’honorable Fabian Manning, conformément au préavis donné le 6 février 2018, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans soit autorisé à se réunir le mardi 13 février 2018, à 17 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.
— Essentiellement, je présente cette demande car il est 16 h 33 et que nous sommes à quelques minutes du début possible de la séance du comité.
En bref, puisqu'elle se tiendra dans 27 minutes seulement, le but de la séance ce soir est de poursuivre l’étude approfondie du comité sur les activités de recherche et sauvetage maritime. C’est une séance particulièrement importante parce qu’il s’agira de la première audience du comité consacrée à la prestation de services de recherche et sauvetage maritime dans l’Arctique canadien, une région vaste et éloignée qui ne compte aucune ressource de recherche et sauvetage exploitée par la Garde côtière canadienne ou l’Aviation canadienne pour intervenir en cas de détresse en mer.
Deux témoins experts ont été invités à participer à la séance. L’un est professeur de science politique à l’Université de la Colombie-Britannique et se spécialise dans la souveraineté dans l’Arctique, le changement climatique et le droit de la mer. Il comparaîtra par vidéoconférence.
L’autre témoin est un chercheur de la région de Toronto qui se spécialise dans le changement climatique et son incidence sur les incidents de recherche et sauvetage dans l’Arctique canadien. Il s’est déplacé pour venir à Ottawa aujourd’hui et il sera prêt à rencontrer le comité sous peu.
Honorables sénateurs, je comprends que ma demande sort un peu de l’ordinaire, mais je demande néanmoins votre consentement.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Agriculture et forêts
Autorisation au comité de siéger en même temps que le Sénat
Consentement ayant été accordé de revenir aux préavis de motion :
L’honorable Diane F. Griffin : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5a) du Règlement, je propose :
Que le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts soit autorisé à se réunir le mardi 13 février 2018, à 17 heures, même si le Sénat siège à ce moment-là, et que l’application de l’article 12-18(1) du Règlement soit suspendue à cet égard.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Griffin : Honorables sénateurs, des témoins qui ne sont pas de la province — ils sont au nombre de deux et viennent d’universités dans les Prairies — et un témoin de l’Ontario participent à cette réunion. Nous avons déjà dû reporter une fois la comparution de ces trois scientifiques et nous sommes prêts à entendre leurs témoignages ce soir. Il s’agit de notre étude sur les changements climatiques que nous essayons de finir très prochainement.
Il est difficile d’avoir des réunions à 17 heures le mardi, mais malheureusement, c’est notre lot, puisque nous sommes membres d’un de ces comités. Je vous demande de faire preuve de patience et de nous donner votre consentement pour que nous puissions poursuivre ce travail.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Projet de loi sur le cannabis
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Dean, appuyée par l’honorable sénateur Forest, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-45, Loi concernant le cannabis et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, le Code criminel et d’autres lois.
Son Honneur le Président : Nous reprenons maintenant le débat sur le projet de loi C-45.
Sénatrice Omidvar, en aviez-vous fini avec votre question? Vous posiez une question quand nous avons arrêté le débat.
L’honorable Ratna Omidvar : Oui, merci.
En dehors du fait que, quand j’ai quitté les lieux, sénateur Harder, j’avais un mal de tête terrible à cause du parfum, plutôt puissant, dans l’édifice, ce fut une visite très instructive.
L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler brièvement du projet de loi C-45 à l’étape de la deuxième lecture. Je me concentrerai sur deux points, dans mon discours aujourd’hui. Le premier concerne l’obligation pour le Canada de respecter les traités internationaux en matière de marijuana et le second porte sur les conséquences sur la santé et sur les coûts des soins de santé de la consommation de tabac par rapport à la consommation de marijuana.
Parlons tout d’abord de la participation du Canada à trois traités internationaux sur le contrôle des stupéfiants. Précisons qu’en légalisant la marijuana, le Canada enfreindrait trois traités des Nations Unies auxquels il est partie : la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la Convention sur les substances psychotropes de 1971 et la Convention des Nations Unies contre le traffic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes de 1988.
Il est important pour le pays d’honorer ses engagements internationaux en matière de lutte contre les changements climatiques et de respect des droits de la personne. Nous ignorons toutefois comment l’actuel gouvernement entend concilier la légalisation de la marijuana avec les obligations qu’a acceptées le Canada dans le cadre de ces conventions sur le contrôle des stupéfiants.
[Français]
Le projet de loi C-45 a été déposé à l’autre endroit en avril dernier. Malgré tout ce temps, pendant lequel le gouvernement aurait pu préparer son approche quant à notre participation à trois conventions des Nations Unies, nous ignorons toujours comment il entend se pencher sur la question de la violation imminente de ces trois traités internationaux par le Canada.
[Traduction]
Nous savons avec certitude que le gouvernement est conscient de la situation. En mars 2017, lors de comparutions distinctes durant la période des questions au Sénat, la ministre des Affaires étrangères et la ministre de la Santé d’alors ont toutes deux confirmé aux honorables sénateurs que le projet de légalisation de la marijuana du gouvernement amènera le Canada à enfreindre ces conventions.
(1640)
Les deux ministres ont aussi confirmé qu’ils avaient discuté de cette question précise. Toutefois, près d’un an plus tard, nous ne connaissons toujours pas les plans du gouvernement à cet égard.
Le Canada se retira-t-il complètement de ces traités? Le Canada cessera-t-il d’en être signataire, puis tentera-t-il de négocier une façon d’y adhérer de nouveau, si possible? Le Canada décidera-t-il de ne rien faire et de continuer d’être signataire de ces traités, tout en sachant qu’il les enfreint? Encore une fois, nous n’en savons rien. Le gouvernement actuel n’a donné aucun indice sur ses intentions, ni aux Canadiens, ni à ses partenaires internationaux.
Le signal envoyé par le gouvernement est toutefois clair. Il va se conformer aux normes légales internationales jusqu’à ce que ce ne soit plus jugé à la mode de le faire.
[Français]
Les honorables sénateurs ont entendu, dans les médias ou ailleurs, que le gouvernement fédéral souhaite la légalisation de la marijuana d’ici le 1er juillet prochain. Je me permets de souligner que le document de consultation de Santé Canada sur la réglementation liée au projet de loi C-45 et qui a été rendu public en novembre dernier indique ce qui suit, et je cite :
Sous réserve de l’approbation du Parlement, le gouvernement a l’intention d’adopter le projet de loi sur le cannabis au plus tard en juillet 2018.
[Traduction]
Le Canada pourrait se retirer de ces trois traités sans enfreindre le droit international en donnant d’abord un préavis de son intention. En vertu de l’article 46 des Conventions internationales relatives au contrôle des drogues, si l’avis de retrait du traité est reçu au plus tard le 1er juillet d’une année donnée, il prendra effet le 1er janvier de l’année suivante. Si l’avis est reçu après le 1er juillet, il prendra effet comme s’il avait été reçu l’année suivante, avant le 1er juillet ou à cette date.
À ma connaissance, le gouvernement du Canada n’a pas émis un tel avis en 2017, que ce soit avant ou après le 1er juillet. Par conséquent, le Canada enfreindra ces trois traités internationaux lorsque le projet de loi C-45 entrera en vigueur cette année et il verra son intégrité compromise sur la scène internationale.
[Français]
L’Organe international de contrôle des stupéfiants a fait savoir ce qu’il pensait du processus du gouvernement fédéral visant à légaliser la marijuana dans le contexte des obligations internationales de notre pays. Dans un chapitre de son rapport annuel, paru en 2016, qui porte sur le Canada, l’Organe international de contrôle des stupéfiants indique que l’usage du cannabis à des fins non médicinales est incompatible avec les conventions des Nations Unies, qui limitent l’usage des stupéfiants à des fins médicales et scientifiques.
[Traduction]
En ce qui concerne le Canada, dans son rapport annuel de 2016, à la page 32, l’Organe international de contrôle des stupéfiants indique ceci :
Cette limitation est un principe fondamental au cœur même du cadre international de contrôle des drogues, qui ne souffre aucune exception et n’autorise aucune souplesse. L’OICS invite instamment le Gouvernement à poursuivre ses objectifs déclarés — la promotion de la santé, la protection de la jeunesse et la dépénalisation des infractions mineures et non violentes — dans le cadre de l’actuel régime de contrôle des drogues mis en place par les Conventions.
Honorables sénateurs, j’ai hâte d’entendre les explications du gouvernement quant à ce qu’il entend faire à l’égard des obligations internationales du Canada et de toutes les questions en suspens au sujet de la légalisation de la marijuana.
La prochaine question que je souhaite aborder au sujet du projet de loi C-45 est celle du lien entre la santé publique et le cannabis ou le tabac, plus précisément les coûts pour le système de santé.
Tout d’abord, nous comprenons tous les effets néfastes à court et à long termes de la consommation de cannabis ou de tabac. En 2005, Santé Canada estimait que les troubles médicaux liés au tabagisme entraînaient des coûts de l’ordre de 4 milliards de dollars par année pour le système de santé canadien. C’était en 2005; je suis convaincu que, 13 ans plus tard, ces coûts ont explosé.
[Français]
En fait, un rapport préparé l’an dernier par le Conference Board du Canada et remis à la Direction de la lutte contre le tabagisme de Santé Canada a conclu que, en 2012, les coûts directs des soins de santé attribuables au tabagisme au Canada s’élevaient à plus de 6,5 milliards de dollars. Le rapport estime à 45 400 le nombre de décès liés chaque année au tabagisme au Canada et indique que les coûts liés à l’usage du tabac ont soutiré à l’économie 16,2 milliards de dollars en 2012. Le manque à gagner qu’ont entraîné la morbidité et les décès prématurés liés à l’usage de la cigarette est estimé à 9,5 milliards de dollars, et le coût d’une invalidité de courte ou de longue durée a atteint 7 milliards de dollars. Ces tristes données montrent la dure réalité de l’incidence négative du tabac sur la santé.
[Traduction]
Le montant le plus élevé jamais accordé dans une cause civile aux États-Unis est celui de l’entente 1998 Tobacco Master Settlement Agreement. Dans le cadre de cette entente, les géants de l’industrie du tabac ont accepté de verser, sur 25 ans, 206 milliards de dollars à 46 États et 4 territoires américains, au Commonwealth de Puerto Rico et au district de Columbia. De plus, l’industrie du tabac a été forcée de faire d’autres concessions quant au ciblage des jeunes dans les publicités de cigarettes et d’autres produits en vue de réduire le tabagisme à l’échelle du pays.
Au Canada, d’une part, le gouvernement fédéral entend légaliser la marijuana et, d’autre part, toutes les provinces et tous les territoires ont lancé des poursuites contre les compagnies de tabac afin de récupérer les frais en soins de santé liés à la consommation de ces produits. Leurs réclamations en dommages s’élèvent à plusieurs milliards de dollars. Les poursuites judiciaires continuent.
Comme nous le dit le gouvernement fédéral, le projet de loi sur le cannabis a pour objectif de protéger la santé et la sécurité publiques, particulièrement chez les jeunes. Où est la logique? Qui va payer pour les effets à long terme de la marijuana? Toutes les provinces et tous les territoires ne vont-ils pas, comme ils l’ont fait pour les compagnies de tabac, lancer une série de poursuites pour récupérer les coûts liés aux soins de santé?
Je vous l’accorde, le 29 juillet 2011, la Cour suprême du Canada a statué que le gouvernement fédéral ne peut être tenu responsable dans les affaires visant à récupérer auprès des compagnies de tabac les sommes dépensées pour les soins de santé liés à la cigarette. Toutefois, la légalisation de la marijuana pourrait changer le scénario des poursuites judiciaires concernant les effets sur la santé et les coûts liés aux soins de santé.
À la séance du comité plénier tenue mardi dernier, le sénateur Carignan a soulevé la question auprès des trois ministres concernés en leur demandant s’ils avaient eu des avis juridiques sur les risques de recours collectif contre le gouvernement fédéral, qui sera éventuellement tenu responsable de la légalisation de la marijuana, et contre d’autres parties prenantes responsables de sa production et de sa distribution.
Les ministres n’ont pas répondu directement à la question du sénateur Carignan, se contentant de souligner le respect de la loi par le gouvernement, assurant tous les sénateurs que les risques pour la santé font l’objet d’avertissements et d’emballage appropriés, sans compter les campagnes de communication et de sensibilisation du public.
Honorables sénateurs, il n’est pas trop tard pour le gouvernement d’avoir l’avis de jurisconsultes, puisque les risques de recours collectif contre le gouvernement fédéral et d’autres parties prenantes sont réels. Étant donné le calendrier serré pour l’étude et l’adoption du projet de loi — huit à douze semaines après, selon la ministre de la Santé —, le gouvernement devrait s’assurer d’examiner en détail les risques juridiques que présente le projet de loi C-45.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
(1650)
Projet de loi sur le renforcement de la sécurité automobile pour les Canadiens
Projet de loi modificatif—Adoption des amendements des Communes
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Harder, C.P., appuyée par l’honorable sénatrice Ringuette,
Que le Sénat agrée les amendements apportés par la Chambre des communes au projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur la sécurité automobile et une autre loi en conséquence;
Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
La Loi canadienne sur les sociétés par actions
La Loi canadienne sur les coopératives
La Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif
La Loi sur la concurrence
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Motion d’amendement—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wetston, appuyée par l’honorable sénateur Cormier, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-25, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions, la Loi canadienne sur les coopératives, la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif et la Loi sur la concurrence, tel que modifié.
Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénateur Massicotte, appuyée par l’honorable sénateur Christmas,
Que le projet de loi C-25, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 24 :
a)à la page 9, par adjonction, après la ligne 34, de ce qui suit :
« 172.01 Dans l’année suivant la date d’entrée en vigueur du présent article, les sociétés visées par règlement établissent des objectifs chiffrés, tel un pourcentage, visant la représentation de chaque groupe désigné au sens des règlements, au sein des administrateurs et au sein des membres de la haute direction au sens des règlements, ainsi qu’un calendrier visant la réalisation de ces objectifs. »;
b)à la page 10 :
(i)par adjonction, après la ligne 2, de ce qui suit :
«(1.1) À l’assemblée annuelle tenue au moins un an après la date d’établissement des objectifs visés à l’article 172.01 et à chaque assemblée annuelle subséquente jusqu’à ce que ces objectifs soient réalisés, les administrateurs présentent également aux actionnaires un rapport sur les progrès que la société a accomplis dans la réalisation de ces objectifs au cours de l’année précédente. »,
(ii)par substitution, aux lignes 3 et 4 (telles qu’elles ont été remplacées par décision du Sénat le 7 février 2018), de ce qui suit :
« (2) La société fournit les renseignements visés aux paragraphes (1) et (1.1) à »,
(iii)par substitution, aux lignes 6 et 7 (telles qu’elles ont été remplacées par décision du Sénat le 7 février 2018), de ce qui suit :
« écrit qu’ils ne souhaitent pas les recevoir, en les envoyant avec l’avis visé au paragraphe 135(1) ou en les mettant à sa disposition avec toute circulaire visée au paragraphe 150(1).
(3) La société envoie simultanément au directeur les renseignements visés aux paragraphes (1) et (1.1), en la forme établie par lui, pour enregistrement.
(4) Dans les trois mois suivant leur réception, le directeur communique au ministre les renseignements enregistrés en application du paragraphe (3).
(5) Le ministre établit et fait déposer, devant chaque chambre du Parlement, dans les quinze premiers jours de séance de celle-ci suivant le 31 octobre, un rapport annuel qui contient, à l’égard de l’année précédente, une synthèse des données tirées des renseignements reçus en application du paragraphe (4). Le ministre publie le rapport après son dépôt. ».
L’honorable André Pratte : Honorables sénateurs, cet amendement n’a pas été déposé dans une recherche d’affrontement avec le gouvernement. Comme l’a dit le sénateur Harder dans son discours jeudi dernier, le gouvernement et les auteurs de l’amendement ont les mêmes objectifs. Je reconnais, sans hésitation aucune, que le gouvernement nous a écoutés, qu’il y a eu dialogue et que nous avons travaillé ensemble de bonne foi pour tenter de trouver un terrain d’entente. Malheureusement, nous ne sommes pas parvenus à concilier nos points de vue.
Ce n’est pas de l’impatience qui nous amène à nous opposer au gouvernement sur ce point. Ce n’est pas que nous croyons que son approche sera trop lente pour donner des résultats. Nous croyons qu’elle ne donnera absolument aucun résultat. Je vous demande de réfléchir au nombre incalculable d'occasions dans l’histoire où on a demandé à des groupes victimes de discrimination d’être patients, d’attendre quelques années pour que le temps, que le cours naturel des choses, redresse la situation. Des générations entières ont attendu en vain.
Le sénateur Harder a invité les sénateurs à se demander si le fait d’amender le projet de loi C-25, comme le sénateur Massicotte le propose, allait au-delà de l’approche prudente que devrait adopter le Sénat, étant donné qu’il est complémentaire à la Chambre des communes. Le représentant du gouvernement a déclaré ce qui suit :
[…] je me demande si l’amendement proposé au projet de loi C-25 témoigne de la pondération et du jugement avec lesquels nous devrions aborder nos relations avec l’autre endroit.
Le sénateur Harder soulève effectivement une question cruciale, qui sera ou qui devrait être au cœur de nos discussions sur la modernisation du Sénat : quel est le rôle de la Chambre haute, à la lumière de sa nouvelle composition, relativement aux projets de loi du gouvernement?
De toute évidence, je ne tenterai pas de répondre à cette question aujourd’hui, mais j’ai réfléchi à la façon dont elle s’applique au projet de loi dont nous sommes saisis. Quel est notre rôle en tant que sénateurs? Devrions-nous essayer de modifier tous les points qui, selon nous, peuvent être améliorés dans les projets de loi? Devrions-nous remplacer les politiques du gouvernement par nos propres choix chaque fois que nous croyons qu’un ministre fait fausse route? Bien sûr que non. Le Sénat n’est pas nommé pour gouverner. Ce sont les personnes de l’autre endroit qui se sont vu confier par les Canadiens le mandat de le faire.
Néanmoins, l’une de nos responsabilités, en tant que sénateurs, c’est de protéger les droits fondamentaux des Canadiens, particulièrement les droits des minorités. À mon avis, cette responsabilité dépasse le simple fait de garantir qu’un projet de loi respecte la Charte. C’est là, selon moi, où nous avons un rôle à jouer relativement au projet de loi C-25.
Des entreprises privées ont ignoré les droits des femmes, des Autochtones, des handicapés et des membres des minorités visibles pendant des dizaines d’années. Elles ont refusé d’intégrer des personnes issues de ces groupes à leur conseil d’administration dans des postes destinés à leurs cadres supérieurs.
Vingt-deux pour cent des Canadiens appartiennent à une minorité visible, mais seulement 4 p. 100 des membres des conseils d’administration des 500 entreprises du classement du Financial Post proviennent des minorités visibles. Alors que les minorités visibles constituent la moitié de la population de Toronto, seulement 7 p. 100 des postes de cadre supérieur dans les entreprises privées de Toronto sont occupés par des membres des minorités visibles.
Le sénateur Wetston a raison lorsqu’il dit que la représentation des femmes a progressé. L’année dernière, comme il l’a indiqué, 26 p. 100 des personnes nommées au conseil d’administration d’une société cotée à la Bourse de Toronto étaient des femmes. Cependant, je ne sais pas si nous devons nous en réjouir beaucoup puisque, à un moment où les sociétés en question sont censées faire tout leur possible pour nommer des femmes au sein de leur conseil d’administration, elles choisissent des hommes dans 74 p. 100 des cas.
Pour ce qui est de la place des femmes dans les postes de cadre supérieur, les progrès ont été récemment d’une extrême lenteur. En 2015, 40 p. 100 des sociétés cotées à la Bourse de Toronto ne comptaient aucune femme parmi leurs cadres supérieurs. En 2017, on constatait une baisse de seulement 2 points de pourcentage, la proportion de sociétés sans cadre supérieur de sexe féminin étant désormais de 38 p. 100.
Le ministre de l’Innovation, Navdeep Bains, cite souvent le cas du Royaume-Uni comme preuve de l’efficacité de l’approche consistant à « se conformer ou s’expliquer » :
Au Royaume-Uni, lorsque cette approche a été mise en œuvre, en 2010, les conseils d’administration comportaient environ 12,5 p. 100 de femmes, alors que la proportion de femmes a atteint 26 p. 100 en 2015.
C’est vrai, mais tâchons de voir un peu au-delà des grands titres. Après quelques années de progrès rapides, le Royaume-Uni affiche maintenant des statistiques moins emballantes. En 2017, il y avait 27,7 p. 100 de femmes dans les conseils d’administration des 100 entreprises britanniques les mieux capitalisées à la Bourse de Londres, ce qui veut dire que l’augmentation a été de moins de 2 points de pourcentage sur deux ans. De plus, même si les femmes sont un peu mieux représentées dans les conseils d’administration des entreprises britanniques, elles demeurent très minoritaires dans les postes de cadre supérieur. Par exemple, il y a six ans, cinq entreprises du club des 100 de la Bourse de Londres étaient dirigées par une femme. L’année dernière, le nombre était passé à six.
Le projet de loi C-25 abandonne des Canadiens sous-représentés parce qu’il propose une approche qui s’est avérée inefficace, dans le cas des femmes, et qu’il vise à appliquer la même méthode à d’autres groupes victimes de discrimination.
Chers collègues, comme le diraient les sénateurs Carignan et Harder, ce projet de loi n’est qu’un « projet de loi technique ». Le projet de loi C-25 porte sur les droits fondamentaux de milliers de Canadiens, notamment des femmes, des personnes appartenant à des groupes autochtones et à des minorités visibles, ainsi que des personnes handicapées qui veulent faire carrière dans le milieu des affaires. Ces gens sont victimes de discrimination depuis des décennies au sein des conseils d’administration des sociétés canadiennes. Il y a une injustice à réparer. Malheureusement, le gouvernement a choisi une politique de laisser-faire. Le Sénat du Canada a parfaitement le droit d’intervenir. Il en a même le devoir.
[Français]
Lorsque les droits fondamentaux des Canadiens sont en jeu, le Sénat est interpellé. C’est le cas ici. Les droits des femmes, des Autochtones, des personnes souffrant d’un handicap et des membres des minorités visibles, qui sont tous sous-représentés à la direction des entreprises, sont niés depuis des décennies. Il est temps d’effectuer un redressement. Le projet de loi C-25 faillit à la tâche. C’est pourquoi il est non seulement du ressort du Sénat, mais de son devoir d’intervenir.
Comme le sénateur Harder l’a expliqué, le modèle « se conformer ou s’expliquer » repose sur le principe selon lequel il faut « laisser le marché décider si un ensemble de normes est approprié pour les sociétés ». Je crois profondément aux vertus de la libre entreprise quand il s’agit du développement économique et de l’innovation. Cependant, l’histoire nous enseigne clairement que, lorsqu’il est question de justice sociale, on ne peut pas compter sur le libre marché.
Il est vrai que plusieurs études indiquent qu’une haute direction plus diversifiée améliore la performance financière d’une entreprise, d’où l’idée que, si l’État laisse les compagnies tranquilles, comme le gouvernement nous invite à le faire, elles diversifieront elles-mêmes leur haute direction, pour la simple raison que c’est bon pour les affaires. Cependant, à voir les résultats récents de la politique « se conformer ou s’expliquer », au Canada ou même au Royaume-Uni, ni les patrons ni les actionnaires ne croient vraiment à l’existence d’un tel lien de cause à effet entre la diversité et la rentabilité. Du moins, ils n’y croient pas suffisamment pour surmonter leurs préjugés.
[Traduction]
Pendant la discussion de la semaine dernière au sujet de l’amendement du sénateur Massicotte, la sénatrice Stewart Olsen a posé des questions très pertinentes sur la façon dont les sociétés devraient s’acquitter de l’obligation de rendre des comptes selon l’amendement. Les résultats seront-ils vraiment vérifiés? Qui fera rapport à ce sujet, et à qui le fera-t-on? Si la société n’atteint pas ses objectifs, que se passera-t-il?
Cela m’amène à l’autre aspect important de l’amendement du sénateur Massicotte, c’est-à-dire le mécanisme de reddition de comptes.
(1700)
Bien sûr, les sociétés feront d’abord rapport de leurs objectifs numériques et de leur progrès à leurs actionnaires. Elles enverront les mêmes renseignements au ministère pertinent. Ces obligations de rendre compte sont les mêmes que ce qui est exigé par la version actuelle du projet de loi C-25. L’argument du sénateur Massicotte selon lequel l’amendement imposerait un fardeau administratif considérable aux sociétés n’est pas valide.
Le gouvernement croit que la reddition de comptes à l’intention des actionnaires suffit, que, comme l’a dit le sénateur Wetston :
[i]ls peuvent et ils doivent favoriser un changement de culture qui soit à la fois significatif et durable.
Malheureusement, ce n’est pas ce que nous avons observé jusqu’à maintenant. En vérité, les actionnaires sont rarement des représentants du progrès social; toutefois, l’opinion publique peut l’être. Voilà pourquoi l’amendement dont nous sommes saisis ajoute une étape au système de présentation de rapports. La loi exigerait que le ministère compile les données reçues des sociétés et que, chaque année, il publie un rapport sur le progrès réalisé. Je souligne que les sociétés n’auraient aucun fardeau supplémentaire, car cette étape supplémentaire ne concernerait que le gouvernement.
La sénatrice Stewart Olsen craignait que cela puisse se traduire par encore davantage de bureaucratie. Je vous rassure : la Loi sur les sociétés par actions ne vise que 700 sociétés cotées en bourses. La compilation de ces données ne représentera pas une tâche accablante.
Cependant, ce simple rapport annuel servira à informer l’opinion publique de l’état de la diversité au haut des sociétés cotées en bourse au Canada. Si les cibles de diversité établies par le secteur privé sont trop faibles ou si le progrès est trop lent, les Canadiens exhorteront les sociétés à faire mieux.
De plus — et ce point est crucial —, rien ne sera dicté. Les sociétés demeureront absolument libres de nommer qui elles veulent à leur conseil et aux postes de direction, et d’avoir une représentation de 10, 33, 50 ou 0 p. 100 des groupes désignés au sein de la haute direction.
Honorables sénateurs, le gouvernement nous a fait savoir qu’il n’accueillerait pas cet amendement. Il aimerait nous amener à penser qu’il serait futile d’amender le projet de loi, puisque la Chambre rejettera la version amendée et renverra le projet de loi au Sénat. À quoi bon perdre notre temps, alors?
Cela semble logique, mais prenez un instant pour y penser. Est-ce à dire qu’il faudrait baisser les bras chaque fois que le gouvernement annonce qu’il ne démordra pas de sa position? Faudrait-il se contenter d’apporter des amendements seulement quand le gouvernement nous y aura autorisés?
Je ne suis pas de cet avis. Le gouvernement a le devoir de protéger et de promouvoir les droits fondamentaux des Canadiens. Quand nous croyons qu’il a failli à ce devoir, nous devons le dire et intervenir, pas par désir de tenir tête au gouvernement ou de le mettre dans l’embarras, ni parce que le nouveau Sénat souhaite montrer son pouvoir, mais parce que c’est — et que cela a toujours été — le rôle et le devoir du Sénat. Si nous n’intervenons pas lorsque les droits des minorités sont en jeu, quand le ferons-nous, je vous le demande?
Quand je suis arrivé au Sénat il y a près de deux ans, le moment qui m’a le plus impressionné a été celui de mon premier vote par appel nominal. Peu après, lorsque nous avons mis aux voix des amendements puis le projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir, à l’étape de la troisième lecture, j’ai pris conscience de l’immense responsabilité associée à la tâche de législateur et à chacun de nos votes. En décidant de nous lever ou de rester assis, nous changeons parfois le sort de milliers de Canadiens. À ce moment précis, quels que soient les détails du projet de loi à l’étude et les efforts que nous avons mis pour en saisir toutes les subtilités, ce qui nous guide, ce sont nos valeurs, nos principes fondamentaux et la réponse que nous donnons aux questions suivantes : qu’est-ce que je cherche à accomplir au Sénat? Pourquoi suis-je ici?
Comme vous, j’en suis sûr, ma réponse à ces questions est multiple. Cela dit, quand je suis venu au Sénat, c’était d’abord et avant tout dans le but de contribuer à la protection et à la promotion des droits fondamentaux des Canadiens, et plus particulièrement des minorités et des groupes sous-représentés. C’est dans cette perspective que j’examine chacune des mesures législatives dont nous sommes saisis.
Après avoir soupesé le pour et le contre de l’amendement du sénateur Massicotte, trois grandes questions demeurent : quelle est la raison d’être du Sénat? Est-ce au gouvernement de décider quand le Sénat devrait, ou non, amender un projet de loi? Si le Sénat reste coi quand le droit à l’égalité des chances de milliers de Canadiens est en jeu, que faisons-nous ici?
[Français]
Comme chacun d’entre vous, à l’occasion de plusieurs votes comme celui qui aura lieu plus tard aujourd’hui ou au cours des prochains jours, j’ai été déchiré : d’une part, il y a le programme légitime du gouvernement, d’autre part, le rôle du Sénat en vertu de la Constitution, des conventions et des attentes des Canadiens. Il y a aussi cette question : quel est notre rôle au Sénat? Pourquoi sommes-nous ici? Le premier ministre ne nous a certainement pas nommés pour que nous adoptions tous les projets de loi du gouvernement les yeux fermés. Une chose est sûre, le Sénat a pour devoir, aujourd’hui comme de tout temps par le passé, de protéger les droits fondamentaux des Canadiens. C’est en grande partie pour cette raison que j’ai accepté l’invitation de M. Trudeau. Si j’endossais le projet de loi C-25 tel quel, si je ne tentais pas de l’améliorer afin de mieux protéger le droit à l’égalité des femmes, des Autochtones, des personnes handicapées et des Canadiens qui appartiennent à une minorité visible et qui font carrière dans le monde de l’entreprise, je trahirais le fondement de ma présence ici, parmi vous.
[Traduction]
Mes amis, que ce soit plus tard aujourd’hui ou au cours des jours à venir, quand le Président mettra l’amendement du sénateur Massicotte aux voix et que viendra le temps de vous demander si vous vous lèverez à l’appel des « oui » ou des « non », c’est la question que nous devrons tous nous poser, selon moi : pourquoi sommes-nous ici?
L’honorable Elizabeth Marshall : Le sénateur Pratte accepterait-il de répondre à une question?
[Français]
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Pratte, désirez-vous cinq minutes de plus?
Le sénateur Pratte : Oui, cinq minutes, s’il vous plaît.
[Traduction]
Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d’accord, honorables sénateurs? Lui accordons-nous cinq minutes de plus?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Marshall : Pendant que vous parliez, sénateur Pratte, j’en ai profité pour relire l’amendement, et il y est question de nombreux objectifs chiffrés, de quotas. Je vous ai entendu parler de protection des droits fondamentaux et des droits des minorités, mais qu’en est-il des droits des actionnaires?
Vous avez aussi parlé des sociétés cotées en bourse, dans lesquelles les actionnaires investissent de grosses sommes d’argent. Pourquoi ne serait-ce pas à eux de décider qui fera partie du conseil d’administration? Pourquoi les gouvernements devraient-ils intervenir avec une mesure de cet acabit en imposant des quotas aux gens et en les obligeant à nommer un nombre X de personnes provenant de tel ou tel groupe désigné?
Je pense que la sénatrice Dyck a posé une question très intéressante la semaine dernière lorsqu’elle a parlé d’une entreprise autochtone où l’on ne voulait que des Autochtones pour siéger au conseil. On ne voulait pas répondre aux exigences concernant les quatre groupes. Comment concilier les droits des quatre groupes désignés et les droits des actionnaires propriétaires de l’entreprise? Nous parlons des propriétaires de l’entreprise. Pourquoi le respect de ces quotas devraient-ils l'emporter sur les droits des actionnaires?
Le sénateur Pratte : C’est une question très importante.
Ce ne sont pas des quotas. Nous demandons à ces entreprises de se fixer un objectif numérique pour les quatre groupes sous-représentés, mais elles sont libres de déterminer de combien ils seront. Pour répondre à la question de la sénatrice Dyck, une entreprise pourrait décider, si elle voulait que tous les membres du conseil soient Autochtones, de fixer l'objectif de zéro pour les autres minorités visibles, par exemple, parce que la situation de cette entreprise fait que les membres du conseil doivent tous être Autochtones.
L’entreprise serait donc libre, selon sa situation, de déterminer ses objectifs pour ces quatre groupes.
Ce qui importe, c’est que les entreprises se donnent un objectif numérique, car il a été démontré que, lorsqu’une entreprise se fixe des objectifs numériques, elle obtient de meilleurs résultats. Si elle dit, par exemple : « Dans trois ans, notre conseil d’administration se composera de 33 p. 100 de femmes », il y aura plus de femmes à son conseil que si elle avait une politique générale disant : « Nous aurons plus de femmes au conseil d’administration. »
Lorsqu’on a des cibles, on obtient de meilleurs résultats, mais nous laissons les entreprises entièrement libres de fixer ces objectifs. Ce pourrait être zéro, selon la situation.
(1710)
La sénatrice Marshall : Il demeure que, une fois qu’on établit les objectifs, ceux-ci deviennent, concrètement, des quotas. Comme un objectif a été établi, la société se doit de l’atteindre. Il n’est pas du tout réaliste de penser qu’on établira un objectif de zéro; il y aura un chiffre concret que la société devra atteindre et sur lequel elle devra faire rapport.
Je trouve tout simplement que cet amendement est une ingérence dans l’exploitation des sociétés. Si j’avais beaucoup d’argent investi dans une société et que le gouvernement me dictait qui nommer au conseil d’administration – car c’est essentiellement ce qui arrive ici —, je trouverais cela très intrusif. Cet amendement est présenté comme s’il était avantageux pour les sociétés, comme si, grâce à l’amendement, celles-ci auraient de meilleurs résultats. Je pense que ce sont les actionnaires qui devraient tirer ces conclusions. J’ai participé à des assemblées annuelles ou les actionnaires se sont levés pour demander où étaient les femmes qui devaient siéger au conseil d’administration.
Je trouve cela tout simplement intrusif. Je pense qu’il y quelque chose d’inconciliable dans ce que vous dites au sujet des objectifs. Les sociétés n’ont pas à atteindre les buts, il leur suffit de les énoncer. Je trouve que cela revient à en faire abstraction.
C’est une intrusion dans les sociétés cotées en bourse, et vous n’avez pas réussi à me convaincre de l’appuyer; je dois dire que j’ai de grandes préoccupations à ce sujet.
Le sénateur Pratte : Ce que vous dites, en fait, confirme ce que nous disons. Les sociétés établiront leurs propres objectifs. Elles se sentiront obligées d’établir un objectif supérieur à zéro parce que, du point de vue social, il serait inacceptable qu’une société dise que son objectif est que 10 p. 100 des cadres soient des femmes après cinq ans, car elles savent que c’est inacceptable, n’est-ce pas?
[Français]
Son Honneur la Présidente intérimaire : Je suis désolée, mais votre temps de parole est écoulé.
[Traduction]
Y a-t-il d’autres questions? La sénatrice Lankin a la parole.
L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en faveur de l’amendement du sénateur Massicotte.
Avant de commencer mon discours, je tiens à rendre hommage au sénateur Wetston et au travail qu’il a effectué à titre de parrain. Toutefois, il y a encore plus important : lorsqu’il était président de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, le sénateur Wetston a joué un rôle d’éclaireur sur la question au cœur de l’amendement sur la diversité. C’était avant-gardiste de présenter une politique de type « se conformer ou s’expliquer » à l’époque. D’autres provinces ont ensuite suivi l’exemple. C’était un premier pas remarquable. C’était novateur et important. Je salue donc le travail qu’il a effectué.
Je parlerai aujourd’hui de quelques aspects de l’amendement. D’abord, penchons-nous sur ce qu’il fait. Très respectueusement, sénatrice Marshall, je ne pourrais avoir une opinion plus opposée à la vôtre. Beaucoup trop de gens au Sénat et ailleurs utilisent des expressions comme « quotas » et « cibles prévues par la loi ». Ces termes impliquent que le gouvernement dicte aux conseils d’administration les personnes qui doivent en faire partie. Une approche du type « se conformer ou s’expliquer » porte plutôt le message suivant : « Vous devez avoir une politique sur la diversité qui inclut des cibles en matière d’égalité des sexes et de diversité accrue, comme il est établi dans la Loi sur l’équité en matière d’emploi, et vous devez produire des rapports sur le sujet afin que nous puissions constater les progrès réalisés. »
Déjà, selon cette loi, les entreprises seront tenues de présenter des rapports sur leur politique en matière de diversité ou de s’expliquer si elles n’en ont pas. Chose certaine, elles doivent en parler dans les rapports annuels qu’elles envoient à leurs actionnaires. Ces rapports devraient être soumis au gouvernement aux fins de compilation.
Rien dans le projet de loi ne dicte à une société combien de femmes ou combien de membres de groupes représentant la diversité elle doit avoir dans son conseil d’administration. Il est faux de le laisser entendre. Cela n’est pas discutable.
J’espère que nous aurons un débat à ce sujet et que nous voterons sur la portée réelle de cet amendement.
Certains conseils d’administration n’ont pas de politique en matière de diversité même s’ils sont visés par les lignes directrices et le règlement de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. Globalement, les fruits de cette politique ne se voient pas, mais cette politique s’est avérée très fructueuse au sein des grandes compagnies. C’est très bien. Elle n’est pas fructueuse en soi, par contre; elle l’est parce que notre attention, nos connaissances et notre compréhension de l’importance de la diversité dans le processus décisionnel ont fait leur chemin et que tout cela est désormais admis dans le monde des affaires.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Je siège au conseil d’administration d’une entreprise cotée en bourse et d’une société d’État de l’Ontario. Les deux ont établi un quota selon lequel il faut au moins 40 p. 100 de femmes. Cela ne concerne que la diversité hommes-femmes. On parle du secteur public. Nous ne sommes pas dans une situation où, comme l’a très bien fait remarquer la sénatrice Marshall, on est redevable devant les actionnaires et où l’on doit tenir compte du secteur, de considérations géographiques ou de la composition de la communauté. Il s’agit simplement d’une approche globale.
Le secteur public a pris cette direction, et cela fonctionne.
Nous parlons de sociétés cotées en bourse. Nous ne disons pas que l’approche fonctionnerait. Nous ne fixons pas de quotas ou d’objectifs et nous ne proposons pas d’approche unique pour toutes les entreprises. Nous disons que chaque société doit prendre cet élément au sérieux, doit avoir une politique en la matière et considérer son propre secteur, ses conditions géographiques et la composition de la communauté dans laquelle elle est installée, puis agir en conséquence.
J’ai mentionné le fait que je siège au conseil d’administration d’une société cotée en bourse qui compte parmi les plus importantes du domaine de la transmission et de la distribution d’énergie. Ce conseil s’est doté d’une politique sur la diversité. Vous serez peut-être intéressés de savoir que le conseil a inclus dans cette politique une cible de 40 p. 100 pour la représentation hommes-femmes. Certains d’entre vous savent qu’un certain nombre de sociétés se sont engagées l’une après l’autre à atteindre une cible de 30 p. 100 pour ce qui est de la représentation hommes-femmes au sein de leur propre conseil. Nous faisons partie de ce groupe, mais nous avons visé plus haut que l’objectif fixé. Soit dit en passant, le pourcentage de femmes au sein de notre conseil d’administration est supérieur à 40 p. 100.
Il s’agit d’une très grande société. On constate que d’autres grandes sociétés font de même.
Qu’en est-il d’autres groupes? Dans notre société, nous accordons énormément d’importance aux Autochtones. Beaucoup de nos ressources et de nos installations traversent des territoires autochtones, et il faut tisser des relations. Le fait d'avoir des gens qui comprennent les Autochtones et leurs perspectives au sein du conseil enrichit nos délibérations.
C'est très important pour nous, en raison des communautés et des actionnaires que nous servons.
Une société minière affronte des réalités bien différentes de celles d’une société du secteur de l’énergie, des finances ou de l’assurance, par exemple.
La semaine dernière, j’ai été particulièrement intéressée de lire dans les documents remis au conseil d’administration une mise à jour sur les dossiers chauds en matière de gouvernance. Il s’agit d’une pratique courante qui consiste à informer les administrateurs des derniers débats, discussions ou décisions sur différents sujets. Il était question des progrès accomplis sur le plan des politiques de diversité, et on fournissait une analyse de leur incidence sur le conseil.
Le sénateur Wetston a déjà abordé le sujet, mais je veux en parler aussi puisque, à la lumière de notre discussion, il est important de bien la comprendre. Puisqu’il est question des droits des actionnaires, il convient de mentionner que les actionnaires se prévalent souvent des services d’une société d’experts-conseils pour leurs investissements. Ces sociétés sont très puissantes.
Je veux parler de deux d’entre elles. La première société s’appelle Institutional Shareholder Services et se décrit comme un chef de file mondial en gouvernance d’entreprise et investissements responsables.
(1720)
Comme le sénateur Wetston l’a souligné, dès février 2019, Institutional Shareholder Services va recommander que l’on ait recours à un vote d’abstention contre les présidents de comités des candidatures de toute entreprise qui n’aura pas dressé une politique officielle sur la diversité de genre ni nommé de femmes à son conseil d’administration. C’est la communauté des investisseurs qui dit aux actionnaires de ne pas voter pour le président d’un comité des candidatures si aucune politique sur la diversité de genre n’a été élaborée et si aucune femme n’a été nommée au conseil d’administration.
J’aimerais également revenir sur le deuxième exemple du sénateur Wetston, soit Glass Lewis. Cette société dit être le plus grand régulateur mondial au service des investisseurs institutionnels. Elle a des équipes aux États-Unis, au Canada, en Europe et dans la région de l’Asie-Pacifique. C’est une entreprise mondiale. Elle donne des conseils stratégiques et a des clients dans plusieurs pays du monde.
J’aimerais lire un extrait de son énoncé de politique et de ses circulaires. Voici ce qu’elle dit au sujet de la diversité :
En 2018, nous ne ferons pas de recommandations de vote sur la base uniquement de la diversité du conseil d’administration, ce sera plutôt l’un des nombreux facteurs dont nous tiendrons compte dans l’évaluation des structures de surveillance des entreprises. Toutefois, dès 2019, Glass Lewis recommandera de façon générale de voter contre les présidents de comités des candidatures de conseils d’administration dans lesquels il n’y a pas de femme ou qui n’ont pas de politique officielle sur la diversité de genre. En fonction d’autres facteurs, comme la taille de l’entreprise, l’industrie au sein de laquelle elle opère et son profil de gouvernance, il se peut que la portée de cette recommandation soit élargie pour y inclure d’autres membres des comités des candidatures.
Je suis membre du comité des candidatures du conseil d’administration duquel je fais partie. Donc, je fais attention à tout cela. Cela aura-t-il un impact sur notre conseil d’administration et sur notre analyse? Non, pas du tout, car nous avons déjà dépassé le chiffre des 40 p. 100. Nous avons une politique sur la diversité que le conseil d’administration examine et renouvelle tous les ans. C’est un de nos engagements annuels.
Les sociétés agissent déjà dans ce sens. Les conseillers des investisseurs institutionnels et des actionnaires disent clairement qu’il doit exister une politique et que des progrès doivent être réalisés, sinon, ils vont prendre des mesures.
Je ne pense pas que ce qui est recommandé soit radical. Je ne pense pas que ce soit intrusif, car les sociétés peuvent prendre leur propre décision. De plus, même Glass Lewis va étudier chaque entreprise, de même que le marché et la région dans laquelle elle évolue et tenir compte de ces facteurs.
Nous sommes d’avis que les sociétés peuvent tenir compte de ces facteurs, apporter des changements et peut-être revoir à la baisse, au besoin, la représentation de certains groupes si le marché concerné l’exige.
Glass Lewis dit en fait le contraire. Elle étudiera la situation. Si elle pense qu’elle doit se montrer plus dure, elle pourrait recommander que, en plus de voter contre le président du comité de nomination, on vote contre les membres du comité.
Il n’y a pas que les entités qui font toute cette recherche qui affirment que la diversité, cognitive et autre, renforce les entreprises et la prise de décisions. Toute personne qui a déjà assisté à une assemblée de l’Institut des administrateurs de sociétés — il y en a une tous les deux ans — sait qu’on parle abondamment de ce sujet, là et dans les conférences sur la gouvernance partout dans le monde.
Quand la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario envisageait la mesure que le sénateur Wetston et son équipe de direction et conseil ont proposé à ce moment-là, on avait demandé l’opinion d’un grand nombre de personnes. Je faisais partie du conseil de l’Institut des administrateurs de sociétés à l’époque. Ce conseil est composé de bénévoles. Comme bon nombre d’entre vous le savent, l’institut donne de la formation aux administrateurs. Je suis diplômée du Programme de perfectionnement des administrateurs IAS-Rotman. Il œuvre également dans le domaine des politiques et fournit des conseils en matière de politique de gouvernance.
L’Institut des administrateurs de sociétés a jeté un coup d’œil à ce qui était proposé à l’époque. La proposition a fait l’objet de consultations, puis a donné lieu à la recommandation de la politique « se conformer ou s’expliquer », dont vous avez entendu parler. Toutefois, à ce moment-là, la question portait sur la diversité hommes-femmes. Le conseil d’administration de l’Institut des administrateurs de sociétés s’opposait fortement, disant qu’il ne voulait pas de quota. Évidemment, ce n’est pas ce qui était suggéré. Même là, on comprenait mal et on disait à tort qu’il s’agissait de quotas et que cela mènerait à l’imposition d’une norme pour toutes les sociétés. Ce n’était pas le cas.
L’Institut des administrateurs de sociétés a dit : « Nous ne voulons pas non plus que vous teniez uniquement compte de la diversité hommes-femmes. Nous voulons voir une plus grande diversité, alors il faut aller plus loin que parler seulement des femmes au sein des conseils d’administration. »
Parlons d’un autre organisme de bonne réputation qui entretient des vues similaires, la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance, laquelle regroupe principalement des membres de tous les grands investisseurs institutionnels, tels que les régimes de retraite. La coalition parle de diversité depuis des années. Elle fait valoir très clairement la diversité hommes-femmes, de même que des catégories plus larges de diversité fondées sur l’ethnicité et d’autres facteurs reconnus dans les lois sur les droits de la personne et l’équité en matière d’emploi, ce qui, encore une fois, rejoint ce qu’envisage le gouvernement dans sa définition de la diversité.
J’ai rencontré des représentants de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance l’an dernier afin de parler du projet de loi. À cette occasion — je dois user de prudence ici — ils m’ont dit très clairement que, au sujet de la diversité hommes-femmes, ils accepteraient une politique telle que celle proposée dans l’amendement du sénateur Massicotte. Ils sont satisfaits de l’état actuel des choses, mais si une politique obligeant tous les conseils d’administration à se doter d’une politique en matière de diversité, à fixer un objectif à cet égard et à en faire rapport était présentée dans le cadre du présent processus, ils l’appuieraient. Cela fait des années qu’ils disent qu’il faut plus de diversité. Ils n’ont par contre jamais discuté de cet aspect.
Je les ai appelés aujourd’hui pour m’assurer, avant d’intervenir, que je les avais bien compris. Comme la question a été envisagée sous forme d’amendement au projet de loi, ils m’ont dit très clairement qu’ils ont vraiment l’intention d’avoir un débat sur des objectifs en matière de diversité et sur les groupes représentant la diversité à la prochaine rencontre du conseil d’administration. Il n’y avait aucune ambiguïté dans leur propos : ils n’y avaient même pas pensé dans d’autres secteurs que la représentation des femmes, mais ils en parlaient depuis des années. Ils appuient le principe fondamental dont nous parlons à propos de la représentation des femmes. Les entreprises devront envisager ce que cela suppose pour d’autres groupes.
Je ne pense pas que cela soit différent. Si une entreprise a la marge de manœuvre pour étudier le marché et le comprendre, qu’elle soit une entreprise minière ou une banque, ou qu’elle soit située dans une région où certains groupes sont surreprésentés, elle voudra que cela se reflète dans son conseil d’administration.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Avez-vous besoin de cinq minutes de plus, sénatrice?
La sénatrice Lankin : Oui, si c’est possible.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Le sénateur Plett : Cinq minutes.
La sénatrice Lankin : Merci beaucoup.
Finalement, il ne s’agit pas d’un saut dans l’inconnu pour ceux qui étudient la bonne gouvernance dans le secteur de l’entreprise.
J’aimerais, pour terminer, revenir aux commentaires du sénateur Harder. Lorsqu’il se demande s’il ne s’agit pas simplement d’un différend en matière d’orientation et si nous n’essayons pas de remplacer ce que propose le gouvernement par ce que nous considérons comme une bonne politique, cela m’intéresse au plus haut point, car je suis très sensible à cette question. Il faut toujours bien examiner les choses plutôt que de se dire : « Puisque la sénatrice Lankin pense que c’est une bonne politique, je vais proposer qu’on modifie le projet de loi en conséquence », alors que le gouvernement ne l’avait même pas envisagé. Là n’est pas notre rôle. Notre rôle est de procéder à un second examen objectif et de faire une proposition raisonnable pour améliorer le projet de loi et faire en sorte qu’il corresponde à nos aspirations et aux obligations légales qui sont les nôtres aux termes de la Charte des droits concernant la représentation et l’élargissement de cette représentation.
En tant qu’administratrice d’entreprise, si je croyais que le projet de loi impose un objectif que la société serait incapable d’atteindre, je le dirais. Si je croyais que d’autres sociétés, qui ont peut-être moins d’expérience avec les enjeux de diversité ou qui y sont moins exposées que celle dont je siège au conseil d’administration, je le dirais. Par contre, étant donné qu’on peut adapter toutes les situations, je ne crois pas que ce soit le cas. À mon avis, sénateur Harder, il n’est pas question d’imposer une orientation politique complètement différente, comme ce que vous avez laissé entendre dans votre observation.
L’une des choses que vous avez dites, c’est que le gouvernement est fermement convaincu que le système du type « se conformer ou s’expliquer » représente un équilibre approprié. Il fait l’objet d’un large consensus chez les intervenants et les députés.
(1730)
Je tiens à souligner que, comme le sénateur Carignan et vous l’avez mentionné à l’étape de la deuxième lecture, la question a été étudiée pendant deux législatures et remonte à 2014.
En 2013-2014, le sénateur Wetston a proposé la politique du type « se conformer ou s’expliquer » à la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario. Quelques années se sont écoulées depuis cette date. Je dirai que le monde a grandement changé en ce qui concerne la nécessité de s’attaquer aux questions d’égalité et de répondre aux aspirations de la population canadienne à cet égard. J’estime donc que la question est tout à fait recevable et qu’il n’y a aucun conflit avec la Chambre des communes.
Enfin, je veux citer la conclusion du discours prononcé par le sénateur Wetston à l’étape de la troisième lecture. Il a dit ceci :
[…] je vous invite à vous demander si le projet de loi C-25 prévoit un régime approprié, plutôt que le régime le plus rigoureux qui soit. Repose-t-il sur une approche qui encouragera le plus possible un changement durable vers une culture axée sur la diversité au sein des conseils d’administration et de la haute direction des entreprises? Si nous concluons que le projet de loi utilise un modèle qui tient compte de la géographie particulière du Canada, de ses caractéristiques démographiques, du large éventail de secteurs et du système fédéral-provincial de gouvernement, je pense que nous devrions l’appuyer.
La question exige une réponse subjective. À mon avis, la modification répond à tous les critères proposés par le sénateur Wetston. Je voterai donc en faveur de la motion du sénateur Massicotte. Merci beaucoup.
L’honorable Pamela Wallin : J’ai quelques mots à dire sur la demande de modifications au projet de loi C-25. Je pense aussi que j’aimerais commenter un avis que plusieurs d’entre nous partagent, c’est-à-dire qu’il ne revient pas au gouvernement de décider qui siège à un conseil d’administration.
Aujourd’hui, nous avons entendu que les sénateurs ont le droit — dans certains cas, une obligation — d’amender ou de changer un projet de loi. Cependant, amender le projet de loi n’est pas la seule manière d’assumer nos fonctions ou nos responsabilités. Notre travail est aussi d’évaluer la politique du gouvernement, de décider s’il se dirige dans la bonne direction, et de l’appuyer si nous sommes d’avis que c’est le cas — et je crois très fermement que c’est un comportement légitime pour un sénateur.
Premièrement, dans tout ce débat au sujet du projet de loi C-25, ainsi que du rôle du gouvernement et des modifications proposées, je crois très fermement qu’il faut d’abord et avant tout accorder de l’importance au mérite; deuxièmement, le modèle proposé par le gouvernement, du type « se conformer ou s’expliquer », est une approche réalisable.
Elle est certainement plus qu’une simple tape sur les doigts des entreprises ou une approche de laisser-faire. Elle impose la transparence, qui, selon moi, est l’outil le plus efficace pour promouvoir le changement. La transparence peut être compliquée et il est possible qu’elle n’offre pas la solution rapide que nous souhaitons tous. Cependant, c’est un moyen fondamentalement démocratique qui permet une approche équilibrée à l’égard du changement.
Les quotas — ou une attente de quotas — constituent un instrument tranchant qui peut engendrer des conséquences imprévues.
On l’a souvent dit au Sénat et je pense que nous y croyons tous : plusieurs études importantes démontrent une corrélation claire entre un meilleur rendement financier des entreprises et la présence de femmes dans les postes de direction. Ma propre expérience me dit que c’est vrai.
Cependant, il y a d’autres éléments dont il faut tenir compte. Il ne faut pas créer des attentes irréalistes pour les femmes au sein des conseils, ni pour les hommes. Une femme ou un homme, d’ailleurs, ne peut pas changer le prix du pétrole ou du canola ou mettre fin à une correction massive des cours. Par conséquent, l’effet des femmes sur les résultats financiers est aussi assujetti au marché et aux réalités économiques, de même qu’à l’expérience et à la compétence.
Il est intéressant de noter que, au Royaume-Uni et en Australie, où des règles « se conformer ou s’expliquer » sont en vigueur, les choses sont en train de changer. Il n’est pas sûr que ces changements découlent d’une politique gouvernementale ou de l’évolution des facteurs démographiques au sein des milieux de travail, ou encore d’une combinaison des deux. Je suis à peu près certaine qu’il s’agit de la deuxième hypothèse. Toutefois, les choses sont en train de changer.
Le pouvoir de l’évolution démographique stimule la diversité au Parlement, dans les milieux de travail et dans les conseils d’administration du Canada, et ce phénomène se poursuivra avec ou sans la volonté du gouvernement. C’est la raison pour laquelle j’espère que le gouvernement donnera suite à son intention d’être persuasif, plutôt que d’imposer sa volonté. Il s’agit d’un choix en matière de politique publique.
Le modèle « se conformer ou s’expliquer » a été adopté par des organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières, ainsi que par le TSX, le FTSE de Londres et l’Australie. Les entreprises seront tenues de divulguer annuellement à leurs actionnaires leurs politiques en matière de diversité, y compris leurs règles concernant la représentation des femmes au sein des conseils d’administration et de la haute direction.
Si elles ne disposent pas d’une politique en la matière, elles devront expliquer pourquoi. Cela donnera aux actionnaires une excellente occasion d’obliger les dirigeants à rendre des comptes sur la façon dont ils encouragent ou rejettent la diversité dans leurs rangs. Si les choses ne s’améliorent pas, les actionnaires et — chose plus importante encore, probablement — les consommateurs et les citoyens réagiront à cette situation.
Par ailleurs, le gouvernement a déjà fait savoir qu’il était prêt à revoir ce projet de loi et à faire adopter des mesures plus sévères si sa première tentative ne donne pas les résultats escomptés.
Le meilleur exemple de conséquences imprévues, c’est lorsque le gouvernement tente de légiférer le changement, surtout dans des domaines où il manque peut-être d’expertise ou de connaissances. La fixation de délais irréalistes ou l’adoption de règles visant à imposer des candidats dans des postes décisionnels clés, alors qu’ils possèdent ou non les connaissances requises au sein de l’entreprise, ou sans égard à l’expertise, à l’indépendance ou aux intérêts des personnes, donneront sûrement lieu à de mauvaises décisions — ou à des situations encore pires. Cela pourrait même causer un certain ressentiment, et ce seront toutes les femmes qui en subiront alors les conséquences, alors que ce sont précisément elles que le gouvernement cherche à aider.
Toutefois, il y a une chose qui me chicote par-dessus tout : l’imposition de quotas va directement à l’encontre du principe de l’égalité des chances pour tous.
Les femmes peuvent et devraient grimper les échelons parce qu’elles le méritent et parce qu’elles sont compétentes, et c’est vrai aussi pour les hommes. L’accès aux postes de décision s’améliore parce que, comme nous l’avons vu, les profits augmentent quand les femmes sont présentes et les changements démographiques permettent un changement de culture en entreprise. Bref, les hommes prennent de l'âge, alors il y a de plus en plus de place pour les femmes.
Si j’hésite à donner mon appui au principe des quotas, c’est aussi à cause des contraintes qu’ils imposent aux femmes qui pourraient être de bonnes candidates pour un poste pour une foule de raisons autres que le fait qu’elles sont des femmes – parce qu’elles sont intelligentes et qu’elles possèdent l’expérience et les connaissances recherchées – mais de qui on pourrait dire par la suite qu’elles ont été embauchées seulement parce qu'elles étaient de sexe féminin. Les femmes seront-elles embauchées et promues parce qu’elles représentent les femmes, et non les hommes ou les actionnaires, à moins qu’il ne s’agisse de femmes là aussi? Au lieu d’être un plancher, les quotas pourraient-ils devenir un plafond?
Les quotas imposent simplement la présence d’un certain nombre de femmes, ce qui trahit la volonté de promouvoir la place des femmes et de favoriser l’équité et à la diversité.
Une étude sur les entreprises dans les pays nordiques montre, sans surprise, que les femmes améliorent les résultats de l’entreprise lorsqu’elles apportent de l’expérience et des compétences, mais, si elles sont choisies uniquement pour remplir un mandat, sans posséder l’expérience requise, bien entendu, les avantages s’estompent aussitôt.
Nous voyons donc que ce genre d’approche peut n’avoir aucun effet positif et a même souvent des répercussions négatives sur l’avancement des femmes et le rendement de l’entreprise dans des domaines qui sont censés être avantagés par cette mesure.
Ce qui est encore plus troublant, c’est que, lorsqu’un objectif devient un quota que toutes les entreprises doivent respecter, ces dernières réagissent. En 2006, lorsque cela s’est produit dans les pays nordiques, une centaine des 500 entreprises touchées ont apporté de difficiles modifications juridiques à leur structure organisationnelle pour contourner la loi. Les sociétés ouvertes se sont privatisées et sont retournées derrière des portes closes. Bien entendu, cette situation n’est d’aucun secours lorsqu’on croit que la transparence est ce qui entraîne le changement.
Le projet de loi nous permet de responsabiliser les dirigeants. Bien entendu, il faut une sensibilisation continue sur les partis pris inconscients, et d’autres éléments doivent aussi entrer en ligne de compte, comme l’encadrement tenant compte de la spécificité des sexes, le parrainage des femmes par des hommes et la planification de la relève au sein des conseils d’administration.
On dit depuis tellement longtemps aux hommes de ne pas tenir compte du sexe, alors que maintenant, on leur dit que, s’ils n’en tiennent pas compte, c’est à leurs risques et périls. Donc, à mesure que le monde et les milieux de travail s’ajustent et se transforment, encourageons les entreprises à trouver les meilleures personnes pour siéger à leur conseil d’administration et pour les diriger, plutôt que de les forcer à en faire une affaire de chiffres.
Merci.
[Français]
L’honorable Renée Dupuis : La sénatrice Wallin accepterait-elle de répondre à une question?
[Traduction]
La sénatrice Wallin : Volontiers.
(1740)
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci, sénatrice Wallin. Je vous ai entendue parler de quotas. C’est une référence que j’ai d’ailleurs souvent entendue dans cette enceinte, depuis un certain temps, en ce qui concerne le projet de loi C-25. Ma question est la suivante. Comment peut-on réconcilier une peur des quotas, en 2018, avec un concept juridique qui a été établi par la Cour suprême du Canada en 1987 dans la cause Action Travail des femmes c. CN? Permettez-moi de citer la Cour suprême du Canada à ce sujet :
[Traduction]
— L’ordonnance du tribunal qui établit l’objectif d’emploi et fixe le quota d’embauche —
[Français]
En français, la Cour suprême utilise l’expression suivante : « fixant un objectif d’emploi et des contingentements d’embauche ». On vit donc avec un concept juridique qui est très bien délimité depuis 31 ans. C’est pourquoi la solution du projet de loi ne peut être satisfaisante pour moi.
Pouvez-vous m’aider à comprendre comment nous allons pouvoir concilier le discours qui maintient une prétendue peur des quotas avec un concept qui a été très bien délimité dans le domaine de l’emploi, dans le secteur fédéral, par la Cour suprême du Canada?
[Traduction]
La sénatrice Wallin : Merci de vos commentaires. Je reprendrai l’essentiel de ce que je disais. Bon nombre d’entre nous ont travaillé dans ce milieu et avons siégé à des conseils ou participé aux décisions des sociétés privées, et nous avons été témoins de la façon dont les changements se produisent. Je crois que le projet de loi vise à exposer le processus décisionnel des sociétés, et le fait que ce sont les décisions prises, qui passent par les actionnaires et sont communiquées au public, qui sont en fait les moteurs du progrès.
J’ai fourni des exemples. Si on impose des obligations, les gens trouveront des moyens de les contourner. Ils feraient des sociétés des entreprises privées, ou ils prendraient des décisions qui d’après moi iraient à l’encontre du but recherché, ce qui veut dire qu’ils déclareraient peut-être que leur objectif est de zéro et qu’ils préfèrent l’affrontementplutôt que de se pencher sur la composition du pays, réfléchir à ce que nous montrent les données démographiques, et enfin prendre des mesures pour y arriver en mettant ce processus décisionnel au centre de l’actualité pour que les gens puissent le voir. D’après moi, c’est vers cela que nous nous dirigeons.
J’ai l’impression de lutter contre vents et marées. Bien sûr, bien des gens préféreraient que tout cela progresse plus vite. Je sais que les progrès ont été lents, mais pourtant, lorsque les gens se retrouvent devant de véritables changements parce que cela se base sur leur expérience et qu’ils sont prêts à aller de l’avant, et non pas parce qu’ils y sont forcés d’une façon ou d’une autre, c’est alors qu’on obtient un véritable changement. C’est alors que cela fonctionne réellement.
Je sais qu’il y a des concepts juridiques sur papier et qu’il y a le monde concret où les changements doivent survenir. Je crois que, lorsque les gens seront convaincus par des lois et une approche rationnelles — ce qui leur permet de s’ajuster et d’apporter des modifications importantes à leurs politiques d’embauche et aux décisions qu’ils prennent pour les nominations —, nous verrons un réel changement, et c’est ce à quoi j’aspire.
L’honorable Paul J. Massicotte : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?
La sénatrice Wallin : Volontiers.
Le sénateur Massicotte : J’essaie simplement de bien comprendre vos commentaires. Vous soulevez des points importants. Voici les principes que j’ai relevés : vous n’aimez pas qu’on intervienne dans les affaires des sociétés. Vous avez parlé de quotas, et je voudrais préciser qu’il n’en est pas question. Vous avez également affirmé être plutôt satisfaite du modèle « se conformer ou s’expliquer » qui est proposé.
Si on examine l’expérience de mise en œuvre d’un tel modèle à la Bourse de Toronto, on constate qu’environ la moitié des entreprises répondent aux exigences du modèle et élaborent des stratégies pour atteindre une plus grande diversité. La moitié ne le font pas; elles ne se conforment pas et n’expliquent pas pourquoi. Elles affirment ne pas croire au modèle et préférer se fonder sur le mérite, évidemment.
Cependant, si on s’arrête aux entreprises qui répondent aux exigences et choisissent de se fixer des objectifs en fonction du modèle, on constate qu’elles obtiennent de bien meilleurs résultats.
J’essaie de saisir votre objection selon laquelle les amendements proposés créeront un fardeau pour ces entreprises, ce qui, à mon avis, est semblable à ce qu’exige le modèle « se conformer ou s’expliquer » dans le cas des entreprises qui souhaite le suivre. On connaît les retombées positives importantes qu’elles obtiennent lorsqu’elles se fixent des objectifs selon ce modèle. Qu’y a-t-il de mal à motiver l’autre moitié des entreprises, celles qui ne mettent en œuvre aucune politique en matière de diversité? Pourquoi faudrait-il les encourager à obtenir les résultats très positifs qu’une société obtient en mettant en œuvre des politiques sur la diversité?
La sénatrice Wallin : Ce qui me préoccupe n’est pas réellement une question de fardeau. Ce n’est pas que je crois que cela aura pour effet d’accroître la paperasserie, ce qui serait un inconvénient.
D’autres pourront le confirmer, mais je crois que 61 p. 100 des conseils d’administration d’entreprises canadiennes comptent au moins une femme, alors que ce pourcentage était de 49 p. 100 il y a trois ans. Les choses bougent déjà, notamment grâce à ce qui s’est produit dans les provinces sous l’effet des organismes de réglementation et des sociétés inscrites à la Bourse de Toronto. Les choses changent parce que ce dossier attire l’attention et que les politiques et décisions des conseils d’administration sont maintenant visibles au grand jour.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?
La sénatrice Wallin : Je prendrai seulement 30 secondes de plus.
Je crois qu’une approche modérée, ce que me paraît offrir le projet de loi à l’étude, serait acceptable et pourrait porter ses fruits. Le gouvernement a déjà déclaré que, si cette approche ne donne pas de bons résultats et qu’elle donne lieu à toutes sortes de plaintes, il ira plus loin et plus fort, il insistera sur les chiffres et il verra à obtenir des résultats. Je n’apprécie pas qu’un gouvernement s’ingère dans les entreprises et dans des décisions dont il ne devrait pas se mêler.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vos 30 secondes sont écoulées, madame la sénatrice.
L’honorable Serge Joyal : Honorables sénateurs, étant donné l’heure, je préférerais proposer l’ajournement du débat et prendre la parole demain.
(Sur la motion du sénateur Joyal, le débat est ajourné.)
Projet de loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-66, Loi établissant une procédure de radiation de certaines condamnations constituant des injustices historiques et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi C-66, Loi sur la radiation de condamnations constituant des injustices historiques.
Le projet de loi C-66 reconnaît les injustices subies par le passé par les personnes que les lois homophobes du Canada ont expressément visées et criminalisées. Il établit une procédure de radiation des casiers judiciaires pour 9 000 Canadiens qui, en raison de leur orientation sexuelle, ont fait l’objet de surveillance et d’interventions violentes indues de la part de la police, qui ont été humiliés et ont vu leur homosexualité révélée, qui ont été poursuivis au criminel et ont reçu des peines d’emprisonnement, en plus subir les conséquences durables et les préjugés liés au fait d’avoir un casier judiciaire.
Le projet de loi fait suite à des excuses offertes par le premier ministre aux Canadiens qui ont vécu dans la peur que l’on cherche à obtenir des détails de leurs activités homosexuelles, qui, bien que consensuelles, pouvaient être utilisées contre eux pour menacer leur gagne-pain, leur dignité, leur sécurité, leur identité, ce qui a mené beaucoup trop d’entre eux à la mort.
L’une des facettes de ce traitement discriminatoire concerne les casiers judiciaires. Avoir un casier judiciaire constitue un sérieux obstacle lorsqu’on cherche à obtenir un emploi, à faire du bénévolat ou à poursuivre des études. C’est même de plus en plus souvent un obstacle lorsqu’on cherche simplement à louer un appartement.
(1750)
Le système canadien de suspension du casier judiciaire — et encore plus le système de réhabilitation qui existait avant — a été conçu pour aplanir les obstacles liés à la présence d’un casier judiciaire dans le cas des personnes qui ont payé leur dette à la société et qui s’efforcent de se refaire une vie.
Le système de radiation prévu dans le projet de loi C-66 offrira à bien des égards un meilleur accès aux personnes condamnées pour avoir eu des rapports sexuels librement consentis avec une personne de même sexe. Fait à souligner, le système qui est défini dans le projet de loi C-66 est gratuit. À l’inverse, faire une demande de suspension du casier dans le système actuel coûte 631 $, ce qui est hors de prix pour la plupart des personnes concernées et encore plus lorsqu’on considère les autres frais administratifs qui s’ajoutent à ce tarif.
Le projet de loi C-66 prévoit l’élimination du casier judiciaire plutôt qu’une simple suspension.
L’importance de cette distinction a été mise en évidence lors des consultations publiques effectuées en 2017 par le ministère de la Sécurité publique du Canada. Les personnes consultées ont exprimé des craintes dans une proportion de 64 p. 100 à propos du concept de suspension du casier judiciaire. L’une de ces personnes a répondu que la suspension du casier judiciaire « implique une méfiance envers la personne, qui est toujours considérée comme un délinquant indigne de confiance », ce qui est incompatible avec la raison d’être du système, qui doit valoriser la réhabilitation et qui repose sur l’importance de la radiation du casier judiciaire.
Bien que nous nous réjouissions de la gratuité prévue dans le projet de loi, nous déplorons l’obligation qui serait faite aux demandeurs de fournir des preuves et des déclarations relatives à une condamnation qui, dans certains cas, a eu lieu il y a des dizaines d’années.
Lors des consultations effectuées par le ministère de la Sécurité publique du Canada, 74 p. 100 des personnes interrogées ont indiqué qu’elles trouvaient la démarche pour obtenir une radiation du casier judiciaire difficile ou très difficile. Elles ont souligné les difficultés et les coûts associés à l’obtention des vérifications, aux formulaires complexes à remplir et à l’absence d’un mécanisme allégé. Elles ont indiqué dans une proportion de 83 p. 100 qu’une réhabilitation ou une radiation de casier judiciaire devrait être automatiquement accordée sans qu’il soit nécessaire de faire une demande en bonne et due forme ou de payer des frais. Il n’est pas nécessaire d’établir un mécanisme de demande et l’on devrait écarter cette idée pour éviter de répéter les erreurs commises dans le cas du système de suspension du casier judiciaire, en particulier pour ce qui est de l’accessibilité.
Au moment où les législateurs réfléchissent à la judiciarisation injuste des personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queer et bispirituelles, nous devons reconnaître que ces injustices sont solidement enracinées ici même. En 1892, le Sénat a adopté un projet de loi créant le crime de grossière indécence afin d’étendre les supposées lois sur la sodomie qui venaient de l’Angleterre. Le projet de loi a été adopté à un moment de notre histoire, honorables collègues, où au moins 50 d’entre nous qui sont ici aujourd’hui — c’est plus de la moitié — se seraient vu refuser le droit d’exprimer notre opinion politique en votant dans des élections fédérales, et nous ne parlons même pas du privilège de simplement siéger au Sénat, en raison de notre genre, de notre race et, si elle avait été connue, de notre orientation sexuelle.
Ce projet de loi, honorables collègues, était le premier Code criminel du Canada. Je ne soulève pas ce point parce que je crois que le droit pénal canadien n’a pas changé depuis 1892. Je reconnais, bien évidemment, que le Code criminel a été modifié à de nombreuses reprises depuis. Toutefois, compte tenu surtout du verdict rendu au procès Stanley qui a eu lieu en Saskatchewan la fin de semaine dernière, je souhaite souligner la persistance des présomptions discriminatoires et des préjugés qui laissent une marque indélébile sur les poursuites judiciaires et les décisions des tribunaux. J’insiste sur la difficulté d’éradiquer et de dépasser ces idées anciennes qui appartiennent à une autre époque lorsqu’elles ont été normalisées et ancrées dans les esprits et les lois d’une nation.
Les dispositions que vise le projet de loi C-66 sont relativement faciles à retirer du droit. Ce sont les dispositions du droit pénal qui sont aisément identifiées comme discriminatoires, parce que le libellé cible expressément les relations sexuelles consensuelles avec des personnes de même sexe. Ce n’est toutefois qu’un aspect de l’oppression et de la marginalisation que le Code criminel du Canada a imposé systématiquement aux personnes LGBTQ2S.
Par exemple, les dispositions du Code criminel visant les gestes indécents ont déjà été invoquées par la police pour justifier des mesures de surveillance et des arrestations pour des activités consensuelles entre personnes de même sexe. Je remercie le sénateur Cormier d’avoir cerné ces problèmes de façon éloquente et pertinente en se fondant sur ce qu’il a vécu personnellement dans sa jeunesse. Nous savons que ces situations se sont produites partout. Par exemple, à Toronto seulement, il y a eu jusqu’à 369 arrestations entre juillet 1982 et avril 1983.
Les dispositions relatives à l’obscénité sont un autre exemple. Elles ont notamment servi à criminaliser des personnes et des librairies qui vendaient certaines publications, y compris des livres pour enfants comme Belinda’s Bouquet, un des livres préférés de mon fils lorsqu’il était enfant. Il y a 30 ans, c’était le seul livre pour enfants qui parlait de la taille et de la forme du corps. Il a été interdit simplement parce que l’un des enfants dans le livre avait deux mamans.
Les condamnations injustes liées à de telles dispositions ne sont pas fondées sur un libellé discriminatoire dans la loi. Il faut plutôt tenir compte de la façon dont on se servait autrefois de ces dispositions pour cibler les gens de la communauté LGBTQ2S en se basant sur la peur et sur les préjugés. Comme l’a démontré Michelle Douglas, militante pour les droits de la personne, les politiques d’État fondées sur le principe de la supériorité morale de l’hétérosexualité désignaient par le fait même certaines personnes comme des menaces à la sécurité nationale. Même si le simple fait de supprimer leur casier judiciaire ne sera jamais suffisant, les personnes qui ont été criminalisées pour des activités consensuelles entre personnes de même sexe selon les dispositions relatives aux gestes indécents, à l’obscénité et au vagabondage méritent certainement de bénéficier d’une telle mesure. J’encourage le comité chargé de l’étude du projet de loi C-66 à envisager l’inclusion de telles dispositions.
Le projet de loi C-66 propose d’étendre la liste des condamnations admissibles pour la suppression du casier judiciaire en incluant, à l’annexe du projet de loi, d’autres dispositions du Code criminel qui entraînent des condamnations injustes. Cependant, le processus soulève plusieurs craintes, puisque la prise de décret par le gouverneur en conseil est la seule procédure prévue. Par ailleurs, l’annexe s’en tient aux dispositions qui vont à l’encontre de la Charte et qui visent des gestes qui ne sont plus criminels, un critère qui ne tient pas compte de nombreux facteurs de condamnation injuste et d’autres gestes décriminalisés.
Il ne faudrait pas oublier les femmes, les hommes et les jeunes dont on a fait des victimes et qui ont été marginalisés et réduits à la pauvreté parce qu’ils ont été reconnus coupables d’avoir enfreint les dispositions aujourd’hui caduques sur la prostitution. C’est sans parler du projet de loi C-45, dont nous sommes actuellement saisis. Très bientôt, les condamnations pour consommation de marijuana seront de l’histoire ancienne, et nous devons en tenir compte. Combien de vies auraient pu être sauvées si les personnes concernées ne s’étaient pas retrouvées dans les filets de la justice? Leur casier judiciaire doit être effacé lui aussi.
Nous sommes appelés à déterminer ce qui constitue une condamnation injuste et nous devons pour cela nous remettre en question, nous, nos expériences et nos préjugés. Quand je repense à la première mouture du Code criminel du Canada et à son étude par le Sénat, je ne peux m’empêcher de songer à tous ceux qui ont été mal représentés, que ce soit ici ou à l’autre endroit, comme les peuples autochtones, les groupes raciaux et ethnoculturels, les femmes, les démunis et les personnes non hétérosexuelles qui affichent leur orientation sexuelle. Plus de 125 ans plus tard, ces groupes sont toujours victimes des trop nombreuses iniquités du droit pénal. Le résultat de cela est qu'ils sont trop souvent l’objet de condamnations injustes ou alors ils sont traités de manière injuste et discriminatoire.
Je ne peux m’empêcher de penser à Colten Boushie et à la manière lamentable dont l’appareil judiciaire canadien n’a pas réussi à lui rendre justice, de même qu’à ses proches et à de nombreuses autres personnes. La plupart des gens qui ont commenté l’affaire Stanley cette semaine ont souligné que le jury qui a jugé M. Stanley ne comptait aucun Autochtone. La sélection des jurés est effectivement problématique, mais, par rapport au racisme systémique que les peuples autochtones ont subi et continuent de subir au Canada, au sein de l’appareil judiciaire et dans leur vie, la réforme du processus de sélection des jurés n’est rien d’autre qu’une goutte d’eau dans l’océan.
Nous devons nous améliorer, pour Colten Boushie, mais aussi pour toutes les victimes et pour tous les Canadiens qui se sont injustement retrouvés avec un casier judiciaire à cause de déclarations de culpabilité discriminatoires et de principes empreints de racisme, de misogynie, d’appauvrissement social et j’en passe — autant d’attitudes qui nous poussent à détourner les yeux et qui, par le fait même, font que ces décisions s’inscrivent dans la jurisprudence.
La surreprésentation des femmes autochtones dans les prisons du Canada ne cesse de croître. Les Autochtones comptent maintenant pour 36 à 39 p. 100 des femmes incarcérées dans les prisons fédérales. Quatre-vingt-onze pour cent d’entre elles ont été victimes de violence physique ou sexuelle. Beaucoup d’entre elles ont également des problèmes invalidants de santé mentale. Les raisons pour lesquelles les femmes autochtones disparaissent ou sont assassinées sont les mêmes que celles qui font qu’elles sont emprisonnées à un rythme alarmant. Tout indique que les femmes et les hommes autochtones sont victimisés et criminalisés parce que nos lois et nos politiques sont un échec sur le plan systémique et qu’elles ne leur offrent pas l’appui, la sécurité et l’égalité nécessaires.
En 1892, le Parlement a adopté une loi qui a donné lieu à des condamnations injustes envers les personnes LGBTQ2S. Je suis honorée et reconnaissante d’être ici, au Parlement, en 2018, à un moment où nous reconnaissons certains torts historiques et où nous tentons de les réparer avec le projet de loi C-66. Pendant les 125 — près de 126 — années qui se sont écoulées depuis, le Canada a beaucoup appris au sujet des valeurs de la diversité, de l’égalité et de la justice. J’ai l’espoir sincère que le projet de loi C-66 n’est que le début d’une série continue d’efforts en vue de mettre fin...
(1800)
Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénatrice, pardonnez-moi. Je ne veux pas vous interrompre, mais il est maintenant 18 heures et, conformément à l’article 3-3 du Règlement, je suis tenue de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, heure où nous poursuivrons la séance, à moins que vous ne souhaitiez, honorables sénateurs, ne pas tenir compte de l’heure.
Le sénateur Mockler : Ne tenons pas compte de l’heure.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Je vous prie de continuer, sénatrice.
La sénatrice Pate : Merci.
Je dirai en terminant que le Canada a beaucoup appris au sujet des valeurs de la diversité, de l’égalité et de la justice. J’ai l’espoir sincère que le projet de loi C-66 n’est que le début d’une série continue d’efforts en vue de mettre fin à toutes les formes de discrimination, surtout lorsqu’elles entraînent une judiciarisation injuste et d’autres formes d’injustice.
L’honorable René Cormier : La sénatrice Pate accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Pate : Oui, bien sûr.
Le sénateur Cormier : Je vous remercie de ce discours stimulant et intéressant.
À la lumière des questions que vous venez de souligner, il semble que vous ayez davantage de préoccupations en ce qui concerne l’état et la nature du régime de pardon au Canada qu'en ce qui concerne ce qui est mentionné dans le projet de loi C-66. Ainsi, suggéreriez-vous un examen élargi du processus de pardon actuellement en place au Canada? Pourriez-vous expliquer votre point de vue à ce sujet?
La sénatrice Pate : Oui.
C’est très perspicace de votre part. En effet, de nombreux problèmes entourent le processus de pardon, l’un d’eux, et non le moindre, étant les frais de demande, qui deviennent exorbitants et que bien des gens n’ont pas les moyens de payer. De plus, beaucoup de gens sont alors dans l’impossibilité de poursuivre leur réinsertion dans la communauté. Il y a de nombreuses raisons pour lesquelles j’estime que nous devons réexaminer le processus de pardon dans son ensemble. Je crois que les mesures proposées dans le projet de loi C-66 offrent une excellente occasion d’aller encore plus loin et d’améliorer le processus. Je vous remercie de votre question.
(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom de la sénatrice Griffin, le débat est ajourné.)
La Loi instituant des jours de fête légale
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat) propose que le projet de loi C-311, Loi modifiant la Loi instituant des jours de fête légale (jour du Souvenir), soit lu pour la troisième fois.
— Honorables sénateurs, j’ai quelques commentaires à faire au sujet du projet de loi C-311, dont je suis le parrain. Je le parraine au nom d’un député de la Chambre des communes, Colin Fraser.
Comme nous l’avons entendu lors des débats au sujet de ce projet de loi, il est question de modifier la Loi instituant des jours de fête légale afin de changer le libellé concernant le jour du Souvenir pour qu’il soit maintenant considéré comme une « fête légale » aux termes de la loi.
Les sénateurs se souviendront que, à l’étape de la deuxième lecture, il a été souligné que, si la fête du Canada et la fête de Victoria sont considérées dans la Loi instituant des jours de fête légale comme des fêtes légales, ce n’est pas le cas du jour du Souvenir.
La loi, qui est plutôt courte, comprend donc trois journées différentes — la fête du Canada, la fête de Victoria et le jour du Souvenir —, mais l’une de ces journées, le jour du Souvenir, n’a qu’un statut de « jour férié », alors que les deux autres ont le statut de « fête légale ». Je remercie le parrain de ce projet de loi d’avoir porté la situation à notre attention. C’est le genre de détail qui peut passer inaperçu dans les lois, mais qui, une fois qu’on en prend connaissance, exige d’être corrigé.
C’est le député de Nova-Ouest, Colin Fraser, qui a présenté le projet de loi. À la lecture de la loi, il est impossible de déterminer si la différence de statut entre le jour du Souvenir et les autres fêtes — la fête du Canada et la fête de Victoria — relève d’un oubli ou d’une réelle intention d’accorder un statut moindre au jour du Souvenir. S’il est possible qu’une personne interprète la loi de façon à accorder au jour du Souvenir un statut moindre en raison du libellé différent, qui ne lui accorde pas le statut de fête légale, alors je crois que nous conviendrons tous qu’il est temps d’honorer les anciens combattants canadiens et de donner au jour du Souvenir le même statut que les deux autres fêtes mentionnées dans la Loi instituant des jours de fête légale.
M. Fraser, qui a présenté ce projet de loi à l’autre endroit, n’a pas ménagé les efforts depuis le début pour écouter les objections de tous les intéressés et en tenir compte. Il a récemment comparu devant le Comité sénatorial des affaires sociales, des sciences et de la technologie, où il a su bien expliquer aux sénateurs son intention et son but ultime. Il a décrit comme suit le but du projet de loi :
Il permet aussi de confirmer la très grande importance que le Parlement accorde à la journée du 11 novembre au Canada, une journée de commémoration solennelle et de recueillement pour ceux qui se sont sacrifiés pour notre pays. Il met en lumière cette journée importante, et nous, les parlementaires, devons faire ce genre de chose chaque fois que nous en avons l’occasion.
Nous devrions nous pencher sur tout changement qu’il nous est possible d’apporter afin de rectifier les mauvaises interprétations de la loi.
Bien qu’ils ne soient pas venus témoigner lors des audiences du comité, les Anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes au Canada lui ont soumis un mémoire dans lequel ils indiquent brièvement s’être opposés au départ à tout changement dans la définition du jour du Souvenir. Toutefois, lors de leur assemblée de 2016, les membres de cet organisme ont adopté à l’unanimité une résolution appuyant ce projet de loi, pourvu que la commémoration reste toujours le 11 novembre. Ils ne voulaient pas que ce soit chaque fois un lundi et tenaient à conserver la date du 11 novembre parce que c’est le jour de l’Armistice, qui a mis fin à la Première Guerre mondiale.
Deanna Fimrite, qui est secrétaire-trésorière du Dominion des Anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes, a justifié ainsi la position de son organisme :
Pour les membres, il y a une distinction importante à faire. Nous souhaitons que le plus grand nombre possible de Canadiens aient l’occasion de participer à la commémoration, de se recueillir et d’honorer leurs compatriotes qui ont sacrifié leur vie et ceux qui sont prêts à le faire pour que nous vivions en paix et dans une démocratie. Toutefois, nous ne voulons pas diminuer l’importance de ce que nous appelons le jour du Souvenir.
(1810)
La Légion royale canadienne a exprimé des inquiétudes lors de son témoignage devant le comité sénatorial. Cet organisme était représenté par son secrétaire-trésorier national. La légion s’inquiète principalement du fait que le projet de loi transformera le jour du Souvenir en jour férié , et s’y oppose. Elle craint que le fait d’en faire un jour férié n'en réduise l’impact et que les Canadiens traiteront ce jour-là comme n’importe quel autre jour de congé ou qu’ils y verront l’occasion de prendre un autre long week-end s’il tombe un lundi.
Tout d’abord, en tout respect, ce projet de loi ne fera pas du jour du Souvenir un jour férié. Les jours fériés sont de compétence exclusivement provinciale. C’est à chaque province de décider si le jour du Souvenir doit être un jour férié. Rien ne changera, peu importe si le projet de loi est adopté ou rejeté. Le gouvernement fédéral n’a tout simplement pas le pouvoir de créer des jours fériés dans l’ensemble du pays.
Le fait est que le jour du Souvenir est déjà un jour férié dans une grande partie du Canada. Il est traité comme un jour férié dans toutes les provinces, à l’exception de l’Ontario et du Québec. Ce projet de loi n’aura aucune incidence là-dessus.
Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, le jour du Souvenir est un jour férié dans ma province, le Nouveau-Brunswick. Cela n’empêche personne de le commémorer de façon solennelle. En fait, cela donne l’occasion aux Néo-Brunswickois et aux Canadiens d’un bout à l’autre du pays de participer aux cérémonies qui ont lieu dans leur collectivité.
Pour ma part, je dépose une couronne de fleurs le 11 novembre au monument commémoratif de Hampton, au Nouveau-Brunswick. Je sais que d’autres sénateurs participent à des cérémonies dans leur ville natale, dans leur collectivité, ou dans leur région.
Le sénateur Plett, dans le cadre de ses observations à l’étape de la deuxième lecture, a fourni ce que je considère comme une description juste de ce que pourrait être une cérémonie dans n’importe quelle ville du pays. Voici ce qu’il a dit :
Le jour du Souvenir au Canada ne ressemble à nul autre et l’émotion ressentie lorsqu’on est debout devant un cénotaphe entouré de sa collectivité est sans pareil. Nous sommes à la fois attristés par le souvenir de ceux qui ont consenti le sacrifice ultime et remplis de fierté par la solidarité manifeste des diverses foules qui se rassemblent pour observer un moment de silence et rendre hommage à ceux qui ont combattu vaillamment pour défendre nos libertés.
Chers collègues, l’inquiétude de la Légion royale canadienne n’est pas fondée. Je pense que ses membres le savent. Toutefois, ils viennent aux réunions, et, lorsque nous leur demandons leur appui, ils écrivent qu’ils ne veulent pas que ce soit un jour férié ni que sa date change pour en faire une longue fin de semaine. Ils sont contre l’idée de déplacer la date chaque année pour créer de longues fins de semaine. Les Anciens combattants de l’armée, de la marine et des forces aériennes au Canada, l’autre groupe de vétérans, défendent la même position : ils veulent une date fixe. Le 11 novembre doit demeurer le 11 novembre.
Le projet de loi ne change pas la date. Il dit simplement que si, pour une quelconque raison par le passé, le jour du Souvenir n’avait pas le même statut que la fête de Victoria ou la fête du Canada, nous avons maintenant la chance de rectifier la situation en apportant ce changement.
Chers collègues, le 11 novembre est un jour solennel de commémoration pour les Canadiens. Le temps est certainement venu de lui accorder le même respect que celui que nous donnons à d’autres fêtes conformément à cette mesure législative peu connue intitulée Loi instituant des jours de fête légale.
J’exhorte tous les sénateurs à appuyer l’adoption du projet de loi C-311.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Le sénateur Plett a la parole.
L'honorable Donald Neil Plett : Je vais parler très brièvement. J’ai parlé de ce sujet à l’étape de la deuxième lecture. À ce moment-là, j’ai dit que, en principe, j’appuyais le projet de loi. Je ne suis pas convaincu qu’il fasse grand-chose, à part le fait que, certainement, il nous permet d’honorer les anciens combattants qui ont besoin de reconnaissance.
Je n’élaborerai pas, puisque le sénateur Day a fait un excellent travail pour énumérer les raisons. J’encourage simplement tous les sénateurs à voter pour ce projet de loi. Je propose que nous passions au vote.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Des voix : Le vote!
Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénateur Day, avec l’appui du sénateur Joyal, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois maintenant.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)
La Loi sur l’Agence du revenu du Canada
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Downe, appuyée par l’honorable sénateur Eggleton, C.P., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-243, Loi modifiant la Loi sur l’Agence du revenu du Canada (rapports concernant l’impôt sur le revenu impayé).
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Cet article en est à sa 14e journée à l’ordre du jour. J’aimerais proposer l’ajournement du débat pour le reste de mon temps de parole.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
Modernisation du Sénat
Premier rapport du comité spécial—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’étude du premier rapport (intérimaire) du Comité sénatorial spécial sur la modernisation du Sénat, intitulé La modernisation du Sénat : Aller de l’avant, déposé auprès du greffier du Sénat le 4 octobre 2016.
L’honorable Ratna Omidvar : J’aimerais que l’on reprenne le compte des jours à zéro pour cet article.
Son Honneur la Présidente intérimaire : Proposez-vous l’ajournement du débat pour utiliser plus tard le reste de votre temps de parole?
La sénatrice Omidvar : Oui, merci.
Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice Omidvar, avec l’appui de l’honorable sénateur Day, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné.)
(1820)
L’étude sur les modifications proposées par le ministre des Finances à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes
Vingt-quatrième rapport du Comité des finances nationales et demande de réponse du gouvernement—Ajournement du débat
Le Sénat passe à l’étude du vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, intitulé Un régime fiscal équitable, simple et concurrentiel : La voie à suivre pour le Canada, déposé auprès de la greffière du Sénat le 13 décembre 2017.
L’honorable Percy Mockler propose :
Que le vingt-quatrième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales, intitulé Un régime fiscal équitable, simple et concurrentiel : La voie à suivre pour le Canada, déposé auprès de la greffière du Sénat le 13 décembre 2017, soit adopté et que, conformément à l’article 12-24(1) du Règlement, le Sénat demande une réponse complète et détaillée du gouvernement, le ministre des Finances étant désigné ministre chargé de répondre à ce rapport.
— En septembre 2017, le Comité des finances nationales a entrepris une étude sur une question qui concerne de nombreux Canadiens d’un océan à l’autre, c’est-à-dire la fiscalité.
[Français]
En juillet 2017, le ministre des Finances a annoncé la tenue de consultations sur des modifications proposées à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant les sociétés privées. Pour un enjeu aussi important qui touche les finances personnelles de centaines de milliers de Canadiens, le processus lié à ces modifications s’est déroulé à toute vapeur. La vive réaction de nos communautés, surtout celle des petites entreprises canadiennes, a convaincu le Comité sénatorial permanent des finances nationales de rencontrer les Canadiens et Canadiennes dans le cadre d’une étude approfondie des modifications proposées. Dès leur retour à Ottawa à l’automne, les membres du comité ont travaillé fort et avec beaucoup d’énergie pour organiser des réunions à Ottawa, ainsi que dans les provinces de l’Atlantique et de l’Ouest canadien.
[Traduction]
D’ailleurs, dans une lettre datée du 18 septembre 2017 et adressée à l’honorable sénateur Doug Black, le ministre des Finances a dit ceci : « Je serais favorable à une étude du Sénat sur le sujet. »
Le 26 septembre 2017, avec l’appui et les encouragements du ministre Morneau, le Sénat a autorisé le Comité des finances nationales à entreprendre une étude sur les modifications proposées par le gouvernement à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées et les stratégies de planification fiscale connexes.
Honorables sénateurs, notre comité, qui a organisé 30 réunions dans l’ensemble du pays, entendu 138 témoins et reçu 32 mémoires, a obtenu l’avis de fonctionnaires, d’universitaires, de fiscalistes, de groupes de réflexion, d’organismes représentant des dizaines de milliers de Canadiens, de petites entreprises, de travailleurs, de représentants syndicaux, d’agriculteurs et de médecins.
Le comité est très reconnaissant aux nombreux Canadiens de l’ensemble du pays qui ont pris le temps et fait l’effort de comparaître devant lui ou de lui soumettre un mémoire. L’information qu’il a reçue lui a permis de mieux comprendre les situations fiscales complexes associées à chacune des propositions ainsi que l’éventuelle incidence de ces propositions sur l’équité du régime fiscal, l’économie, les petites entreprises, les agriculteurs et les médecins.
Nous avons également entendu d’émouvantes histoires personnelles racontées par certaines des personnes qui seront touchées ou qui le sont déjà.
Je suis d’avis que nous avons tous l’obligation, en notre qualité de parlementaires, de rétablir la confiance que le ministre des Finances et son gouvernement ont ébranlée lorsqu’ils ont modifié le régime d’imposition des sociétés privées aux termes de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Nous venons d’apprendre aujourd’hui même, honorables sénateurs, que le budget fédéral sera présenté le 27 février prochain — c’est du moins ce que j’espère, ce que nous espérons tous, et les Canadiens attendent encore des précisions —, et j’espère que ce prochain budget, pour l’exercice 2018-2019, répondra à bon nombre des préoccupations des Canadiens. En effet, ce document aura des répercussions sur l’économie du Canada, où qu’on y vive.
Honorables sénateurs, le rapport résume les diverses perspectives et préoccupations que nous avons recueillies et il expose la marche que, selon nous, le gouvernement devrait suivre afin d’assurer l’équité du système fiscal et de veiller à ce qu’il favorise la croissance économique dans toutes les régions du Canada.
[Français]
Honorables sénateurs, bon nombre de témoins ont dit craindre que les modifications proposées ne nuisent à la compétitivité du Canada et entraînent des pertes en matière d’investissement et d’emploi. À tout le moins, les propositions ont suscité beaucoup d’incertitude au sein de la communauté des affaires, et des décisions en matière d’investissement ont été suspendues au Canada depuis juillet 2017.
[Traduction]
Honorables sénateurs, les témoins ont décrit en termes précis l’ampleur du préjudice que leur causeraient certains des changements proposés. C’est incontestable. Les restrictions proposées relativement aux investissements passifs, par exemple, auraient pour effet de dissuader les entrepreneurs de réaliser des économies en vue d’effectuer des dépenses en immobilisations ou encore en cas d’éventuels ralentissements économiques, ou même en prévision de la retraite ou d’un congé parental. Pour toutes ces raisons, la plupart des témoins ont dit au comité qu’il serait préférable d’éliminer complètement les changements proposés.
La majorité des membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales sont portés à leur donner raison, honorables sénateurs. Nous ne sommes pas convaincus que le gouvernement a bien démontré la valeur de ses propositions. Nous recommandons donc que le ministre des Finances retire les modifications qu’il propose d’apporter à la Loi de l’impôt sur le revenu concernant l’imposition des sociétés privées.
Nous croyons également qu’un examen indépendant et exhaustif du régime fiscal est essentiel — sénatrice Cools, vous qui êtes la doyenne du Parlement, vous avez tout à fait raison — pour garantir que ce régime n’est pas trop complexe, qu’il permet de maintenir la compétitivité économique du pays et qu’il est équitable envers tous les Canadiens, peu importe leur lieu de résidence.
Le monde évolue, cela ne fait aucun doute. Ainsi, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont tous entrepris d’importantes réformes fiscales. Le Canada doit se doter d’une stratégie pour garantir que son régime fiscal encourage l’innovation, l’entrepreneuriat et la croissance économique, au lieu de les freiner ou de les bloquer.
Honorables sénateurs, nous savons que le gouvernement a donné suite aux modifications qu’il proposait bien que nous lui ayons recommandé de ne pas le faire. Nous sommes d’avis que le gouvernement devrait reporter la mise en œuvre des changements proposés au moins jusqu’au 1er janvier 2019. Pourquoi? Il devrait retarder cette mise en œuvre afin d’avoir le temps de mener des consultations sérieuses au sujet de son ébauche de projet de loi, et d’analyser en profondeur l’effet qu’il aurait sur l’économie, les genres et le système de soins de santé.
Il faut aussi garder à l’esprit que le plan fiscal du président Trump a déjà des répercussions, puisque des investissements qui devraient être faits au Canada vont maintenant aux États-Unis.
Au cours des dernières décennies, plusieurs gouvernements ont apporté des changements graduels au régime fiscal. Celui-ci est devenu lourd, complexe, pénible et franchement décourageant pour les Canadiens.
(1830)
Le dernier examen détaillé du régime fiscal remonte aux années 1960. Le comité estime qu’il est grand temps que le gouvernement se penche sur le régime actuel et sur les défis qu’il présente.
[Français]
Honorables sénateurs, l’impôt est l’un des éléments les plus sacrés de la confiance de nos concitoyens canadiens envers leur gouvernement, car il consiste en l’utilisation de fonds privés à des fins publiques. Le régime fiscal doit être perçu comme juste et équitable, et l’utilisation des fonds publics doit être appropriée, responsable et économique. D’ailleurs, le titre du rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales le dit fort bien : Un régime fiscal équitable, simple et concurrentiel : La voie à suivre pour le Canada.
Voilà pourquoi la réforme du régime fiscal est une entreprise délicate pour tous les gouvernements. Néanmoins, nous devons regarder les faits tels qu’ils sont et nous assurer que les Canadiens investissent dans leur pays et dans leurs régions. Une telle réforme, si elle n’est pas menée avec la prudence qui s’impose et en tenant compte de ses possibles ramifications, risque de saper la confiance des concitoyens canadiens et de perturber le sens de l’équité qu’ils ont tant à cœur.
[Traduction]
Honorables sénateurs, le titre de notre rapport dit tout : Un régime fiscal équitable, simple et concurrentiel : La voie à suivre pour le Canada. C’est ce à quoi s’attendent les Canadiens.
Honorables sénateurs, notre tournée nationale a fait clairement ressortir que le gouvernement du Canada risque de perdre la confiance des propriétaires d’entreprises, des agriculteurs et des médecins en proposant de modifier la fiscalité de l’entreprise privée. Une fois que la confiance est perdue, il est difficile de la retrouver. Le gouvernement devrait être très prudent dans son approche de la réforme fiscale s’il veut conserver, voire rétablir, la confiance du public.
Par ailleurs, j’aimerais, à titre de président du Comité des finances nationales, exprimer ma gratitude à tous les membres du comité qui ont participé à ces longues rencontres tenues à Ottawa, mais aussi dans tout le pays : à Vancouver, Calgary, Saskatoon, Winnipeg, St. John’s, Halifax et Saint John. Ce fut pour moi un plaisir de travailler avec eux et le personnel. J’admire la diligence dont ils ont fait preuve pour bien cerner toutes les ramifications des changements proposés.
Je tiens en particulier à saluer le travail de la sénatrice Anne Cools, dont les vastes connaissances constitutionnelles ont été précieuses.
Je remercie également le personnel — greffiers, analystes, interprètes, traducteurs, sténographes, techniciens, adjoints, employés des sénateurs et membres de l’équipe de communications — ainsi que tous les autres, dont le travail consciencieux a rendu possible cette étude et la tournée nationale. J’apprécie le professionnalisme dont ils ont fait preuve pendant toutes ces heures où ils ont travaillé de concert afin de mener à bien cette étude dans un délai très serré.
[Français]
Honorables sénateurs, en terminant, je suis fier du travail que notre comité a accompli. J’espère sincèrement que le gouvernement examinera soigneusement nos recommandations et qu’il décidera de retirer les modifications qu’il propose d’apporter pour entreprendre un examen en profondeur du régime fiscal canadien. Sur ce, j’ai le plaisir et l’honneur d’écouter attentivement ce que proposera le gouvernement actuel dans son budget de 2018-2019 le 27 février prochain. Merci.
Des voix : Bravo!
(Sur la motion du sénateur Pratte, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La surreprésentation croissante des femmes autochtones dans les prisons canadiennes
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Pate, attirant l’attention du Sénat sur la situation actuelle des personnes qui comptent parmi les plus marginalisées, victimisées, criminalisées et internées au Canada, et plus particulièrement sur la surreprésentation croissante des femmes autochtones dans les prisons canadiennes.
L’honorable Lillian Eva Dyck : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de l’interpellation de la sénatrice Pate, attirant l’attention du Sénat sur la situation actuelle des personnes qui comptent parmi les plus marginalisées, victimisées, criminalisées et internées au Canada, et plus particulièrement sur la surreprésentation croissante des femmes autochtones dans les prisons canadiennes.
Je tiens à souligner les discours réfléchis qui ont été prononcés jusqu’à maintenant et à vous remercier de ceux-ci. J’aimerais aussi dire ce que je pense de cette question importante.
Jusqu’ici, beaucoup d’interventions ont principalement porté sur la surreprésentation des femmes autochtones dans les prisons canadiennes et sur leur traitement dans le système correctionnel, mais aujourd’hui, je souhaite surtout parler de la survictimisation des femmes autochtones au Canada, de façon générale. Je parlerai en particulier de la surreprésentation des femmes autochtones en tant que victimes de violence.
À chaque tournant de sa vie, une femme autochtone est, dans un nombre de cas disproportionnés comparativement aux femmes non autochtones, une victime. Comme l’a déclaré le juge Wally Oppal dans son rapport d’enquête intitulé Forsaken : The Report of the Missing Women Commission of Inquiry :
Les femmes autochtones, en tant que groupe, sont hautement vulnérables à la violence simplement parce qu’elles vivent dans une société qui pose un risque pour leur sécurité. En Colombie-Britannique et partout dans le monde, les femmes vulnérables et marginalisées risquent davantage d’être victimes de violence, notamment d’agressions sexuelles, de meurtre et de prédation en série. Le phénomène des femmes disparues ou assassinées est un exemple frappant de ce risque, et il est considéré comme faisant partie d’une tendance générale de la marginalisation et de l’inégalité.
Chers collègues, il n’y a aucun doute que les femmes et les filles autochtones sont un des groupes auxquels on s’en prend le plus au Canada. Depuis 1980, on compte plus de 1 200 femmes autochtones portées disparues ou assassinées. Ainsi, les femmes et les filles autochtones sont trois fois plus susceptibles d’être portées disparues et quatre fois plus susceptibles d’être victimes d’un homicide que leurs homologues non autochtones.
Au Canada, les femmes autochtones sont proportionnellement trois fois plus nombreuses que les autres femmes à être agressées sexuellement et sept fois plus nombreuses à être la cible de tueurs en série.
Selon un rapport publié par Statistique Canada en 2016, quand il s’agit d’actes de violence, le simple fait d’être Autochtone est un facteur de risque chez les femmes, mais non chez les hommes. C’est épouvantable.
Il est également épouvantable de constater que les actes de violence commis contre les femmes autochtones sont plus fréquents, violents et graves que ceux dont les femmes non autochtones sont victimes.
J’aimerais prendre quelques instants pour parler des auteurs de ces actes de violence perpétrés contre les femmes autochtones. Nombreux sont ceux qui ont tiré une conclusion hâtive et pensent que ce sont surtout les hommes autochtones qui commettent ces actes. Cette conclusion n’est pas justifiée, mais bien des gens y croient, même si les données probantes sont quasi inexistantes.
(1840)
Malheureusement, cette fausse affirmation s’est incrustée et a été rapportée dans de nombreux articles. En mars 2015, par exemple, Bernard Valcourt, alors ministre des Affaires autochtones, a affirmé que 70 p. 100 des homicides de femmes autochtones étaient commis par des hommes autochtones. Les données sur lesquelles s’appuyait cette affirmation n’ont jamais été publiées. Selon moi, elles n’existent tout simplement pas, parce que la GRC a affirmé ne pas recueillir systématiquement de données sur l’origine raciale des auteurs des homicides.
Dans les articles de journaux publiés à la suite de l’affirmation du ministre Valcourt, la GRC a d’abord affirmé qu’elle ne recueillait pas de données sur l’origine raciale des auteurs des homicides. Puis, elle a affirmé que les données seraient publiées dans un communiqué. Le commissaire Paulson a ensuite déclaré qu’il corroborerait l’affirmation du ministre, sans toutefois publier les données. Il est donc évident que la version de la GRC a changé avec le temps et il est important de noter que les données qui auraient pu soutenir l’affirmation en question n’ont jamais été rendues publiques par la GRC; peu importe les données qu’elle a en main actuellement, celles-ci ne sont pas fiables.
Chers collègues, il est évident que la GRC est consciente que les données qu’elle détient sur l’origine raciale des criminels sont subjectives, qu’elles laissent place à l’interprétation et qu’elles ne sont ni rigoureuses ni complètes. La situation pourrait difficilement être pire. Au mieux, on peut affirmer que les données sur l’origine raciale que la GRC détient peuvent nous donner une idée de la situation, mais elles ne sont certainement pas fiables.
Malgré cela, la GRC a soutenu l’affirmation du ministre Valcourt, qui prétendait que les hommes autochtones sont responsables de 70 p. 100 des homicides de femmes et de filles autochtones.
Le 19 juin 2015, la GRC a mis à jour son rapport. Ce dernier a alors plutôt mentionné que « le tueur était connu » — le tueur était connu de la victime dans 100 p. 100 des cas résolus d’homicide de femmes autochtones ayant eu lieu sur le territoire de la GRC. Je vais citer le rapport une fois de plus :
Devant le rôle de premier plan que joue la violence conjugale ou familiale dans les homicides de femmes, la GRC a décidé de concentrer ses mesures de prévention et d’intervention sur cette problématique.
Beaucoup de gens ont présumé que les connaissances et les conjoints des femmes autochtones étaient eux aussi Autochtones. On a ensuite sauté à la conclusion que les femmes autochtones étaient assassinées par des hommes autochtones de leur communauté. Autrement dit, c’est comme si on présumait qu’une personne est Autochtone simplement parce que je la connais — moi qui suis une femme autochtone – alors que, bien entendu, ce n’est pas nécessairement le cas.
Malheureusement, les médias ont répandu cette observation voulant que presque toutes les femmes, peu importe […] leurs meurtriers, et c’est ce qui a été affirmé dans divers reportages. Par exemple, le 20 juin 2015, le StarPhoenix, le principal quotidien de ma ville, a publié un article dont le titre en grosses lettres indiquait que les femmes autochtones connaissaient leur meurtrier. L’article se poursuivait ainsi :
La GRC a déclaré vendredi que les victimes féminines, peu importe leur origine ethnique, continuent d’être ciblées le plus souvent par des hommes qui vivent avec elles ou dans leur collectivité.
« Il existe un lien indéniable entre les homicides et la violence familiale », a déclaré Janice Armstrong, sous-commissaire à la GRC.
Cette déclaration de la GRC ne tient pas compte ou minimise l’importance d’autres données du rapport, qui contredisent manifestement cette déclaration. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi. Ce serait beaucoup plus facile de simplement vous montrer mon document Powerpoint. Quand moderniserons-nous le Sénat pour que vous puissiez voir les graphiques et les tableaux? Soyez patients, je vais tenter de les passer en revue avec vous.
Le rapport publié par la GRC en 2014 indique clairement que les femmes autochtones risquent tout autant d’être assassinées par une connaissance que par leur conjoint. En effet, 30 p. 100 des femmes autochtones assassinées l’ont été par une connaissance, et 29 p. 100, par leur conjoint.
Il est donc clair que le nombre élevé de femmes autochtones assassinées ne s’explique pas seulement par la violence familiale. Bon nombre de ces victimes ont été tuées par une connaissance, et cette personne n’est pas nécessairement autochtone. Dans plus de 90 p. 100 des cas, les connaissances sont des hommes, mais on ne connaît pas leur race.
Chers collègues, d’autres distinctions importantes entre les deux groupes — les femmes autochtones et les femmes non autochtones — n’ont jamais vraiment été signalées sérieusement dans les médias. Je pense que c’est parce que les gens recherchent ce qui est important à leurs yeux et ce qui est sensationnel. Par exemple, les femmes autochtones étaient plus susceptibles d’être assassinées par une connaissance que les femmes non autochtones : 30 p. 100 des femmes autochtones assassinées l’ont été par une connaissance, contre seulement 19 p. 100 dans le cas des femmes non autochtones. Les femmes non autochtones étaient plus susceptibles d’être assassinées par leur conjoint que les femmes autochtones : 41 p. 100 des femmes non autochtones assassinées l’ont été par leur conjoint. Il s’agit d’une différence évidente entre les deux groupes, mais on n’y a pas tellement prêté attention.
Cependant, je suis heureuse de signaler qu’une étude a été menée en ce sens par le Toronto Star. Cette étude a révélé que 44 p. 100 des auteurs d’actes de violence contre des femmes autochtones étaient des connaissances, des tueurs en série ou des étrangers. Comme j’essaie de vous faire comprendre, ce n’est pas simplement une question de violence familiale; les connaissances sont responsables de la plupart des meurtres des femmes autochtones.
De nombreux reportages ont signalé que plus de 97 p. 100 des femmes assassinées connaissaient leur meurtrier. On n’a cessé d’utiliser ce pourcentage pour dire que le phénomène était causé par les hommes vivant dans les réserves et la violence familiale sévissant dans les communautés autochtones. Pourtant, il n’existe aucune donnée sur la race des meurtriers pour justifier cette conclusion et il existe peu de données indiquant où habitaient les meurtriers au juste. Cette idée fausse est encore répandue dans la population aujourd’hui.
Dans le Globe and Mail du 19 juin 2015, une manchette se lisait comme suit : « Selon la GRC, la violence chez les Autochtones prend naissance à la maison. » Or, le journal n’a pas du tout tenu compte d’un facteur extrêmement important, c’est-à-dire les connaissances, puisque les gens souhaitent croire au stéréotype voulant que les foyers autochtones soient des nids de violence familiale.
Il est important de remettre en question l’affirmation selon laquelle les actes de violence familiale commis par des hommes autochtones dans les réserves sont le facteur principal qui explique l’assassinat de femmes autochtones. Si nous nous concentrons uniquement sur la violence conjugale, nous n’en faisons pas suffisamment pour lutter contre la violence faite aux femmes autochtones. Si nous axons les efforts de prévention seulement sur les hommes autochtones, nous ne prenons pas assez de mesures pour protéger les femmes autochtones des hommes non autochtones ou de leurs connaissances. Se concentrer seulement sur la violence familiale ne cible qu’un aspect de la problématique.
Encore et toujours, l’affirmation selon laquelle la violence familiale est le principal facteur doit être remise en question, parce que c’est tout simplement faux.
C’est important parce que les preuves sont contestables ou inexistantes. Il n’y a pas de données fiables sur la race des assaillants. Malheureusement, le plan d’action pour prévenir la violence contre les femmes autochtones ne cible pas les connaissances, qui sont pourtant plus susceptibles de les assassiner que leur conjoint respectif.
Pratiquement tous les plans pour lutter contre la violence faite aux femmes autochtones sont axés sur la violence familiale. Cette affirmation, comme je l’ai dit plus tôt, renforce les stéréotypes négatifs sur les Autochtones. On croit que nous avons un taux plus élevé de violence familiale alors que les données indiquent clairement que ce sont les femmes non autochtones qui sont le plus susceptibles d’être assassinées par leur conjoint. Il est incroyablement paradoxal que ce préjugé soit si ancré dans la pensée des grands journaux qu’ils sont complètement passés à côté. On n’a jamais vu de grand titre comme : « Plus de femmes non autochtones sont assassinées par leur conjoint que de femmes autochtones ». Une manchette comme celle-là aurait dû paraître, mais il n’y en a jamais eu et il n’y en aura jamais parce qu’il est trop tard.
(1850)
Il semblerait que l’incidence plus élevée de violence domestique dont les femmes non autochtones sont victimes n’est pas considérée comme digne d’attention par les journalistes, parce que ceux-ci s’intéressent davantage, je suppose, aux communautés autochtones, et peut-être qu’ils ne veulent pas dire à quel point la situation est grave dans les collectivités non autochtones. Nous avons tous ce genre de filtre subjectif par lequel nous choisissons de nous concentrer sur ce qui nous importe le plus.
Quelques articles ont dénoncé l’affirmation non vérifiée voulant que ce soit principalement les hommes autochtones qui sont responsables de la violence faite aux femmes autochtones, mais malheureusement, les articles qui sont contraires au discours, aux partis pris et aux préjugés dominants reçoivent moins d’attention des médias et du public et finissent par sombrer dans l’oubli. Cela a été carrément oublié.
Comme je suis une scientifique, j’ai bien sûr examiné toutes les données. J’ai préparé plusieurs graphiques et tableaux, entre autres. J’ai publié un communiqué de presse qui a été très peu repris par les médias. Dedans, je disais essentiellement que la ministre devait nous montrer les données.
J’ai également écrit un article d’opinion qui n’a pas non plus été repris par les médias. Le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes a aussi publié un communiqué de presse. Un de leurs titres était « La tragédie des femmes autochtones disparues ou assassinées n’est pas juste une question de violence familiale ». Personne ne l’a vraiment repris non plus.
Son Honneur le Président : Sénatrice Dyck, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
La sénatrice Dyck : Oui, s’il vous plait.
Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Dyck : CBC a publié un autre reportage avec un titre choc : « Le lien entre la violence familiale et les meurtres et disparitions de femmes autochtones remis en question ». Cela dit, les nombreux autres reportages lui ont fait ombrage, alors que c’est là qu’était la vérité.
Malgré ces quelques reportages, le public continue largement de blâmer les hommes autochtones pour la violence dont sont victimes les femmes et les jeunes filles autochtones.
Jusqu’ici, un seul rapport s’est intéressé à l’identité raciale des meurtriers, et c’est le rapport Ce que leurs histoires nous disent : Résultats de recherche de l’initiative Sœurs par l’esprit, publié en 2010 par l’Association des femmes autochtones du Canada. C’est le seul à avoir prouvé que les femmes autochtones se font tuer autant par des hommes autochtones que non autochtones. Selon les données qui s’y trouvent, au moins 23 p. 100 des meurtriers n’étaient pas autochtones, 36 p. 100 l’étaient, et 40 p. 100 étaient de race inconnue. Si ce dernier pourcentage est aussi élevé, c’est parce que la race des prévenus n’est pas systématiquement déterminée ou consignée pendant les enquêtes.
Avant toute chose, je suis enseignante, alors je répète pour que le message passe bien : malgré l’analyse bancale de la GRC et le rapport de l’Association des femmes autochtones, qui montre que, dans au moins 23 p. 100 des cas, les meurtriers des femmes autochtones n’étaient pas autochtones, les préjugés demeurent tenaces, dans la tête du public autant que dans les politiques publiques. Cela dit, je garde espoir, car il y a maintenant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et que j’ai bon espoir qu’elle saura remettre les pendules à l’heure.
J’ai envoyé ma présentation PowerPoint aux commissaires, mais l’avocate principale de la commission n’est, hélas, plus là. Je leur ai fait parvenir une copie de mon analyse approfondie, et quand ils sont venus à Saskatoon pour les audiences, je leur en ai remis une autre, en anglais et en français, en leur disant : « Je vous en redonne une copie. Regardez-là, s’il vous plait. » J’espère maintenant que les commissaires et leurs analystes prendront connaissance des données qui s’y trouvent, et qu’ils verront alors les choses de la même façon que moi.
Ceci revêt une grande importance car cela revient à la question de la protection des femmes autochtones. Voilà pourquoi j’ai consacré autant de temps à ce dossier. J’espère qu’il est clair dans votre esprit que ce ne sont pas seulement des hommes autochtones qui tuent les femmes autochtones. Des hommes non autochtones les tuent aussi, et les femmes autochtones dans cette enceinte connaissent leurs noms. Nous connaissons le nom des cas hautement médiatisés. Nous savons qu’ils sont là. Nous devons simplement commencer à consigner ces renseignements.
Je suis persuadée que cette analyse approfondie des données de la GRC montre combien les préjugés et les préjudices de la société envers les Autochtones obscurcissent le jugement des gens et contribuent à victimiser davantage les femmes autochtones en ciblant injustement les hommes autochtones comme étant les auteurs de ces crimes. Si nos efforts de prévention n’incluent pas les hommes non autochtones, nous ne protégeons pas les femmes autochtones aussi complètement qu’il le faut.
Selon le rapport de l’Association des femmes autochtones du Canada :
Les expériences de violence et de victimisation que vivent les femmes autochtones n’arrivent pas hors contexte. La violence est perpétuée par l’apathie et l’indifférence envers les femmes autochtones et découle des répercussions continues du colonialisme au Canada. [...] Le racisme systémique et le patriarcat ont marginalisé les femmes autochtones et ont entraîné l’intersection de problèmes qui sont à l’origine de formes multiples de violence. Le résultat du système de colonisation est un climat où les femmes autochtones sont particulièrement vulnérables à la violence, à la victimisation et à l’indifférence de l’État et de la société à l’égard de la violence qu’elles subissent.
Cependant, à l’heure actuelle, je crois que cette indifférence a diminué considérablement dans certains secteurs de notre société simplement parce que nous avons maintenant l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Ceci en est la preuve. Je sais que j’ai moi-même, ainsi que d’autres dans cette Chambre, fait pression pendant de nombreuses années pour que l’on amorce cette enquête et elle est maintenant en voie de réalisation.
Mon temps de parole est écoulé. Je vous remercie de votre attention.
(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom du sénateur Sinclair, le débat est ajourné.)
Les universités régionales
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Tardif, attirant l’attention du Sénat sur les universités régionales et leur importance pour le Canada.
L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance pour le reste du temps de parole dont je dispose.
(Sur la motion de la sénatrice Cordy, le débat est ajourné.)
La proposition intitulée « Second examen objectif »
Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Wallin, attirant l’attention du Sénat sur la proposition du sénateur Harder, intitulée « Second examen objectif », qui passe en revue le rendement du Sénat depuis la nomination des sénateurs indépendants et qui recommande la création d’un nouveau comité des travaux du Sénat.
L’honorable Marc Gold : La publication de la proposition du sénateur Harder, intitulée « Second examen objectif », a été bien accueillie par beaucoup de gens, moi compris, qui jugent que le document contribue de façon constructive au débat sur la modernisation du Sénat. Ce n’est toutefois pas tout le monde qui partage cet avis.
Certaines personnes craignent que la proposition de créer un comité des travaux ne transforme le Sénat en un Politburo qui détruirait l’opposition. C’est vrai, quelqu’un a tenu ces propos.
D’autres critiques ont pris un ton moins apocalyptique. Néanmoins, ils pensent que la proposition fait partie d’un stratagème du gouvernement visant à marginaliser, voire à éliminer l’opposition.
[Français]
Honorables sénateurs, la question du rôle de l’opposition domine le débat au Sénat, et ce, depuis mon arrivée ici il y a plus d’un an. La question est débattue au sein des comités, dans les couloirs, dans cette enceinte et dans les médias. Certains discours sur le sujet me paraissent excessivement partisans, mais, cela dit, une importante question de principe est également en jeu.
De nombreux sénateurs ont fait valoir l’idée que le rôle particulier que joue l’opposition fait partie de notre histoire et de notre tradition et qu’il est inhérent au système de démocratie parlementaire de type britannique. Par conséquent, on dit que toute tentative de diminuer le rôle de l’opposition constitue une attaque contre la nature même du Sénat.
Il s’agit d’un argument important qui doit être pris au sérieux. Prendre cet argument au sérieux signifie toutefois qu’il doit être soumis à une analyse critique. Or, lorsqu’on procède à une telle analyse, il s’avère que les arguments qui appuient le rôle spécial de l’opposition sont beaucoup moins convaincants qu’ils ne le paraissent à première vue.
(1900)
[Traduction]
Passons donc aux arguments. Le premier argument concerne l’histoire et la tradition. Voilà ce dont il s’agit.
J’aime les chansons à répondre; le musicien en moi aime cela.
Certains affirment que les Pères de la Confédération voulaient que le Sénat soit une institution partisane définie par des énoncés contradictoires. L’argument commence souvent en invoquant la résolution no 12 de la Conférence de Québec de 1864. Il s’appuie ensuite sur le fait que le premier groupe de sénateurs nommés en 1867 reflétait la représentation des partis à la Chambre des communes, et se termine avec le fait que, depuis la toute première session de la toute première législature, il y a un leader tant du gouvernement que de l’opposition au Sénat.
Cependant, cet argument n’est pas demeuré sans réponse. En effet, certains affirment que le Règlement du Sénat n’a pas explicitement reconnu les rôles des leaders du gouvernement et de l’opposition avant 1968, et que les privilèges tant au gouvernement qu’à l’opposition n’ont été exposés dans le Règlement qu’en 1991. Loin d’être profondément ancré dans l’histoire, le rôle spécial de l’opposition est un développement relativement récent — c’est du moins ce que certains disent.
[Français]
Honorables sénateurs, ces deux arguments sont, dans l’ensemble, légitimes. Cependant, comme la plupart des arguments qui s’appuient sur l’histoire, ils sont sélectifs et incomplets. Il est vrai que le Règlement n’a officiellement reconnu le gouvernement et l’opposition qu’environ un siècle après la Confédération, mais les changements au Règlement reflétaient une pratique qui avait déjà fait son apparition au Sénat depuis un certain temps. Toutefois, ce n’est que la moitié de l’histoire, car, peu après la Confédération, des sénateurs ont commencé à remettre en question l’idée que le Sénat soit organisé selon les lignes du gouvernement et de l’opposition, et cette remise en question se poursuit encore de nos jours.
[Traduction]
Par exemple, en 1906, le sénateur William Perley, un conservateur de la Saskatchewan, a déclaré que « lorsque nous divisons cette Chambre en un gouvernement et une opposition, nous avons une position qui n’est pas digne du Sénat ». Le même point a été soulevé huit ans plus tard par le sénateur conservateur John Waterhouse Daniel, du Nouveau-Brunswick.
Fait intéressant, l’un des plus ardents critiques de l’idée d’une opposition au Sénat a été le sénateur libéral Raoul Dandurand qui, tout au long de sa longue carrière dans cette Chambre, a été tour à tour Président, leader du gouvernement et leader de l’opposition.
Plus près de nous, je pense aux propos de l’ancien sénateur et deux fois chef du Parti conservateur du Canada, Arthur Meighen, qui écrivait ceci en 1937 :
Le Sénat est inutile s’il ne devient qu’une copie de la Chambre des communes, s’il est divisé en lignes de parti et s’adonne à des débats partisans session après session, ce qui est caractéristique de la Chambre basse […] Les membres de la deuxième Chambre doivent sortir des sentiers battus, élever leur esprit bien au-delà des lignes de parti inflexibles, faute de quoi ils ne pourront pas servir le pays.
Encore plus proche de nous, pensons aux remarques suivantes du sénateur Grattan O’Leary, à l’occasion du discours d’ouverture d’une nouvelle séance du Parlement :
Je suis convaincu que l’esprit souhaité par les Pères fondateurs ne régnera pas au Sénat tant qu’il y aura un parti ministériel et une opposition.
Dans la même veine, le sénateur albertain Ernest Manning a souligné, dans un discours sur la réforme du Sénat qu’il a prononcé en 1973 que : « Le Sénat doit être une instance entièrement non partisane. Il faut abandonner le concept d’un Sénat comprenant un parti ministériel et une opposition officielle. »
[Français]
Je pourrais continuer, mais je ne veux pas insister outre mesure. Selon moi, une lecture impartiale de notre histoire montre que le rôle du gouvernement et de l’opposition au Sénat a toujours été contesté. Que la pratique ait survécu et ait été incorporée au Règlement témoigne du contrôle que le Parti libéral et le Parti conservateur ont exercé sur la nomination des sénateurs et l’organisation du Sénat, mais il s’agit d’une question de pouvoir et de politique pratique plutôt que de principe. Le fait est que l’argument historique qui s’appuie sur la tradition n’est pas aussi solide que le soutiennent ses partisans.
Le deuxième argument s’appuie également sur l’histoire et la tradition, mais se fonde sur la nature même du système de Westminster, sur lequel le Parlement du Canada est modelé. Cet argument est le suivant. Toutes les assemblées législatives de type britannique ont des partis d’opposition reconnus. C’est dans leur ADN. Toute tentative de retirer l’opposition du Sénat compromettrait ses racines de Westminster et en ferait un corps législatif radicalement différent de celui qu’il était censé être.
[Traduction]
Honorables sénateurs, l’argument est simple, puissant et très séduisant, mais je vous le dis franchement, il est totalement faux.
Honorables sénateurs, comme de grands universitaires l’ont démontré, il est simplement inexact d’affirmer que le régime de Westminster se caractérise par une série de caractéristiques figées. En fait, s’il y a quelque chose qui caractérise les divers parlements de type britannique, c’est leur grande diversité, surtout par rapport au rôle et aux fonctions de deuxième Chambre. Je dirais même qu’il s’il y a un élément essentiel qui caractérise le régime de Westminster, c’est la notion de gouvernement responsable qui suppose que le pouvoir exécutif rende des comptes au pouvoir législatif. Quant à l’opposition, elle joue un rôle essentiel au sein d’un gouvernement responsable, mais elle joue ce rôle à la Chambre des communes et non pas au Sénat. Se réclamer du régime de Westminster n’ajoute rien à l’argument relatif au rôle de l’opposition au Sénat. À mon humble avis, il devrait être banni de notre vocabulaire lorsque nous parlons de cet enjeu important.
Si les arguments fournis par l’histoire, la tradition et le système de Westminster sont considérablement plus faibles que le prétendent leurs partisans, que nous reste-t-il?
[Français]
Certains ont fait valoir que l’opposition était nécessaire pour obliger le gouvernement à rendre des comptes, mais, pour les raisons que j’ai données dans mon discours au sujet de la partisanerie, dans le cadre du débat sur le rapport du Comité sur la modernisation, je ne crois pas que cet argument résiste à un examen critique. Cela soulève toutefois un argument connexe qui est à peu près le suivant : en tant qu’institution de second examen objectif, le Sénat doit procéder à un examen critique soutenu des projets de loi émanant du gouvernement. Dans cette optique, l’opposition joue un rôle essentiel pour veiller à ce que différents points de vue soient confrontés. Après tout, le Sénat est un lieu de débat, et les débats impliquent par définition des opinions conflictuelles. Comme un sénateur l’a fait remarquer, le rôle de l’opposition est de s’opposer. En l’absence d’une opposition, les débats n’auraient aucune structure claire. De plus, il se pourrait que tous les membres d’un comité partagent le même point de vue et qu’ils négligent, par conséquent, de considérer sérieusement certaines opinions dissidentes ou différentes.
En ce qui me concerne, je crois qu’il s’agit là du meilleur argument en faveur du rôle de l’opposition. Cependant, à quel point cet argument est-il solide?
[Traduction]
Cela dépend beaucoup des autres options. Si c’est la seule façon de structurer un débat critique, l’argument est assez fort, mais, si on peut démontrer qu’il existe une autre façon d’organiser le travail du Sénat, qui garantisse un examen soutenu et critique des mesures législatives gouvernementales, cet argument perd beaucoup de sa force. Comme je l’ai déjà dit à d’autres occasions, il y a une autre façon de faire. Je vais donc prendre quelques minutes pour la décrire.
La solution consiste à imaginer un ensemble de règles qui fourniraient une feuille de route structurée pour l’adoption d’un projet de loi au Sénat et qui garantiraient que tous les points de vue pertinents sont pris en compte dans nos débats, délibérations et décisions. Ces règles seraient administrées par un comité de sénateurs provenant de tous les caucus et groupes, un comité un peu comme celui suggéré par le sénateur Harder dans son document ou par Thomas Hall dans son témoignage devant le Comité sur la modernisation ou, si vous permettez que nous reculions un peu dans le temps, par le sénateur Raoul Dandurand qui, dans ses mémoires rédigés il y a de nombreuses décennies, préconisait la création d’un comité de gestion du Sénat pour encadrer ses travaux législatifs.
Par exemple, nous pourrions élaborer des règles pour structurer la façon dont les débats du Sénat sont organisés dès la présentation d’un projet de loi et aux différentes étapes de son étude. De telles règles pourraient prévoir la nomination d’un ou plusieurs critiques d’un projet de loi, pour s’assurer que divers points de vue sont représentés. D’autres règles pourraient donner au comité du Sénat le pouvoir, dont j’ai parlé, d’organiser le débat sur un projet de loi particulier d’une manière plus structurée, comme nous l’avons fait pour le projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir.
(1910)
En ce qui concerne l’étape de l’étude en comité, des règles pourraient être adoptées pour faire en sorte que les projets de loi fassent l’objet d’un examen critique. Ainsi, une règle pourrait prévoir qu’un comité doit tenir compte des intérêts de toutes les parties intéressées pertinentes et doit dresser des listes de témoins qui assurent un juste équilibre entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre. Une autre pourrait exiger qu’un projet de loi fasse l’objet de l’étude d’impact voulue afin que les obligations constitutionnelles du Sénat en ce qui concerne les régions, les minorités et la Constitution même soient intégrées à nos pratiques. Des règles pourraient en outre être élaborées pour veiller à ce que, une fois qu’un comité présente son rapport au Sénat, le projet de loi passe à l’étape de la troisième lecture dans un délai raisonnable.
Il ne s’agit là que des grandes lignes d’une autre approche possible. Les détails resteraient à élaborer. Néanmoins, elle illustre une des façons dont le travail du Sénat pourrait être organisé pour assurer l’examen critique et le débat sans que l’opposition n’ait un rôle spécial à jouer.
Que doit-on en conclure? Certains d’entre vous voient peut-être dans mes propos un argument en faveur de l’élimination de l’opposition au Sénat. Je tiens à être clair : ce n’est pas le cas, pas plus que je serais nécessairement en faveur d’une telle chose si nous devions prendre une décision sur la question. Le fait est que j’ai peine à trancher sur cette question et que je reste sans opinion claire.
Par contre, je pense que nous devons examiner d’un œil critique les pouvoirs et les privilèges spéciaux que nos règles et pratiques actuelles accordent à l’opposition au Sénat. Dans un Sénat où tous les sénateurs sont censés être égaux, ces pouvoirs et privilèges spéciaux semblent pour le moins anormaux. Ils devraient faire l’objet, au moins, d’un examen critique fondé sur des principes.
Honorables sénateurs, j’ai tenté de montrer que ni notre histoire, ni nos traditions constitutionnelles, ni le système de Westminster n’exigent que nous conservions un rôle spécial pour l’opposition au Sénat. Chose plus importante encore, il existe d’autres façons d’organiser les travaux du Sénat pour veiller à ce qu’il remplisse son rôle constitutionnel en tant qu’organe législatif, indépendant de la Chambre des communes, mais complémentaire à celle-ci.
Par conséquent, pour nous convaincre de conserver un rôle privilégié pour l’opposition au Sénat, honorables sénateurs, il faudra entendre des arguments beaucoup plus solides que ceux qui ont été avancés jusqu’ici.
(Sur la motion de la sénatrice Cools, le débat est ajourné.)
Le Sénat
Les politiques et mécanismes pour répondre aux plaintes contre les sénateurs et sénatrices en matière de harcèlement—Interpellation—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice McPhedran, attirant l’attention du Sénat sur l’importante occasion qui nous est offerte de revoir nos principes et procédures pour que le Sénat ait les politiques et mécanismes les plus solides et les plus efficaces possible pour répondre aux plaintes contre les sénateurs et sénatrices en matière de harcèlement sexuel ou d’autres formes de harcèlement.
L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, comme nous sommes réunis ici ce soir, je vais m’acquitter de mon devoir à l’égard de cette motion. Je serai brève.
Je tiens à remercier la sénatrice McPhedran d’avoir lancé cette interpellation. Compte tenu des articles publiés dans les journaux et de certains événements survenus à l’échelle internationale, je pense que nous pouvons tous convenir qu’il s’agit d’un enjeu important dans beaucoup de milieux de travail et d’institutions.
La question du harcèlement et de la discrimination au travail, des politiques, de la formation et des mesures mises en place pour réduire le nombre d’incidents du genre, pour appuyer les victimes et pour assurer la mise en place d’une procédure judiciaire juste pour les personnes présumées avoir enfreint de telles politiques est déjà présente dans la plupart des milieux de travail et des institutions, et ce, depuis 15 ou 20 ans.
Alors, qu’y a-t-il de neuf sous le soleil et où en est le monde? Chose certaine, nous serons tous d’accord pour dire que les victimes sentent dorénavant qu’elles peuvent prendre la parole. Les mouvements #MoiAussi et C’est fini ont créé une onde de choc dans les milieux concernés. L’interpellation d’aujourd’hui nous permet donc de réfléchir à ce que le Sénat peut, ou devrait, faire.
Commençons par ce qu’il fait déjà. Le Sénat s’est doté d’une politique il y a déjà un certain nombre d’années. Est-elle suffisante? Voilà, selon moi, la question que nous devons nous poser. Or, il est impossible d’y répondre sans réaliser une analyse plus poussée. Je reconnais que le Comité de la régie interne a entrepris des démarches en ce sens.
Un comité spécial a d’abord été créé pour débroussailler le dossier et dresser un premier portrait de ce que le Sénat pourrait faire. Au fur et à mesure que les choses ont évolué et que nous avons pris conscience du soin que nous devions accorder à cette politique, le Comité de la régie interne a pris ce que je considère comme la décision la plus sensée dans les circonstances : il a mis sur pied un sous-comité. Je crois que c’est très sage de sa part, et je félicite les sénateurs derrière cette décision. Je me réjouis de savoir que ce groupe existe. Je crois comprendre qu’il sollicitera l’aide d’une tierce partie.
Alors, si le Sénat a déjà une politique, pourquoi se livrer à un tel exercice? Premièrement, je n’apprendrai rien à personne si je dis que les politiques qui sont en place dans de nombreux lieux de travail depuis 15 ou 20 ans n’ont pas toujours réussi à empêcher les débordements que nous connaisons, à bien soutenir les victimes, à enseigner aux gens à modifier leurs comportements ou à guider les personnes à qui les plaintes sont adressées.
Ce genre de comportement est très répandu. J’ai communiqué avec le président du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration et l’une des personnes ayant participé au comité spécial en vue de présenter cette politique et je leur ai dit qu’il n’était pas seulement question du monde extérieur. Quand je pense à mon expérience en milieu de travail au fil des ans, il n’y a que deux endroits qui me viennent à l’esprit où j’ai travaillé et où le harcèlement sexuel et l’intimidation n’étaient pas omniprésents. Il n’y en a que deux. On dira que je suis incapable de garder un emploi, mais j’ai travaillé à bien des endroits au fil des ans.
Pour de nombreuses personnes, il faut tolérer ce genre d’expérience, tout simplement. On la subit et on la surmonte. Je dirais qu’on apprend à développer une capacité d’adaptation assez exceptionnelle.
Par contre, dans le cadre de notre étude de cette politique, je crois que nous devons comprendre que le processus ne devrait pas être descendant. J’espère que le comité se réunira bientôt, car j’ai quelque chose à lui demander. Je sais qu’il prévoyait se réunir immédiatement. L’une des choses que je propose, c’est que, d’entrée de jeu, il est crucial de tendre la main au personnel du Sénat. Alors que nous entamons des démarches afin de faire paraître une demande de propositions pour qu’un expert externe vienne appuyer nos travaux visant à évaluer cette politique, il faut consulter le personnel pour qu’il ait son mot à dire dans ces démarches.
Nous devons créer ce comité alors qu’il est constitué conformément au Règlement du Sénat et aux règles des comités. Il s’agit d’un sous-comité, ce qui signifie que les seuls sénateurs qui y seront nommés seront des membres du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. Nous savons tous que d’autres conseillers pourraient participer aux discussions et au débat. Je le répète, selon moi, à ce niveau, il est crucial que le personnel participe aux discussions.
La politique doit décrire clairement comment les choses se déroulent, les définitions, le processus de traitement des plaintes et le processus d’enquête qui suit, et quelles sont les procédures établies quant à la façon de traiter les victimes alléguées et les agresseurs allégués. La politique doit être sensible à la situation de deux parties. Bien que nous souhaitions une totale transparence, il faut avoir le sentiment que la vie privée des gens est protégée pendant le processus initial. Nous devons voir si nos politiques satisfont à toutes ces exigences.
Par ailleurs, les définitions doivent être très claires, tout comme les comportements. Je crois que, grâce à nos lectures, nous comprenons tous la nature des allégations de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle, mais nous savons qu’il y a aussi des gestes d’intimidation. Certaines personnes — ce n’est pas tout le monde — tendent à adopter ce genre de comportement dans des situations où il existe un grand déséquilibre des pouvoirs.
Nous créons donc un nouveau sous-comité, et nous comptons trouver un expert externe pour nous conseiller.
Vous vous demandez peut-être s’il se passe autre chose sur la Colline. Eh bien, l’autre endroit étudie un projet de loi qui aboutira tôt ou tard au Sénat; il créerait des obligations quant au comportement de différentes personnes relativement à la politique sur le harcèlement sexuel. Par ailleurs, un comité a été mis sur pied; il étudie quelles devraient être la politique et les règles de la Chambre des communes dans ce domaine. Ce comité souhaite aussi obtenir les conseils d’un expert externe.
Ceux qui sont ici depuis plus longtemps que moi pourront peut-être me répondre : je me demande si les deux Chambres doivent vraiment faire ce travail séparément, particulièrement si nous embauchons des conseillers externes. **Il y a un coût à cela. Il faudrait peut-être que la Chambre des communes et le Sénat travaillent en collaboration dans ce dossier. Je suppose que les politiques et les incidents ne seraient pas extrêmement différents. Je demanderais donc au comité de se pencher là-dessus.
(1920)
À la Chambre des communes, on offre également des séances de formation en ligne. Je crois comprendre que ces séances sont obligatoires, et il y a aussi de la formation en personne offerte à tous les députés. Je crois que notre comité devrait se pencher là-dessus. D’ailleurs, si des modules de formation sont en préparation, nous pourrions communiquer cette information ou travailler en collaboration avec la Chambre pendant la préparation de ces outils, et nous pourrions ainsi faire part des besoins importants ou particuliers du Sénat dont il faudrait tenir compte dans le cadre de ce programme.
Dans une certaine mesure, je trouve très intéressant de voir que, après avoir travaillé pendant de nombreuses années à promouvoir l’égalité, je suis soudainement obligée de me pencher sur la question des agressions et du harcèlement sexuels au Sénat.
Une voix : Oh, oh!
La sénatrice Lankin : Je suis désolée, mais cela me dérange beaucoup.
L’honorable Anne C. Cools : Je suis désolée de vous déranger, mais le harcèlement sexuel n’est pas quelque chose…
La sénatrice Lankin : Si vous me le permettez, j’aimerais poursuivre mon intervention.
Tout ce que je tiens à dire à ce sujet, c’est que ce processus pourrait très bien nous amener à revoir certaines politiques. Il faut offrir une formation qui permet aux gens d’acquérir des compétences et des connaissances pour savoir comment porter plainte, documenter une situation et conserver des renseignements. Il faut aussi établir les procédures à suivre lorsqu’une personne est accusée de harcèlement, d’intimidation ou de harcèlement sexuel.
J’allais dire que je trouve intéressant d’avoir eu l’occasion au Sénat de parler de harcèlement sexuel, de discrimination contre les femmes autochtones dans le système carcéral, du libellé de l’Ô Canada et du nombre de femmes au sein des conseils d’administration. Pour quelqu’un comme moi, c’est un peu comme si j’atteignais le nirvana avec toutes ces causes qui sont étudiées par le Sénat. Par contre, je ne crois pas qu’il s’agisse d’une coïncidence. Tout cela arrive en raison d’un changement dans notre conscience collective et d’une meilleure compréhension de l’importance des questions liées à l’égalité et des différents points de vue à leur sujet. Et tout se ramène à l’essentiel, aux valeurs et aux principes de base du Sénat, soit le respect des gens, l’égalité entre les individus et la mise en place de recours pour les situations où des comportements de discrimination ciblent des groupes vulnérables; cela fait partie de la mission du Sénat et nous sommes assurément sensibles à ces questions. Il est donc justifié que nous jouions un rôle de premier plan dans la mise à jour de nos politiques et dans l’obtention de la participation de tout le personnel de façon efficiente et fiscalement responsable — peut-être même en partageant nos ressources avec la Chambre des communes — pour que tous reçoivent la formation et le soutien requis pour accomplir notre devoir d’éliminer ce genre de comportement dans notre milieu de travail.
Merci beaucoup.
Son Honneur le Président : Sénatrice Cools?
La sénatrice Cools : La sénatrice pourrait-elle définir ce qu’est le harcèlement sexuel? Et pourrait-elle nous dire sur quoi elle se fonde pour affirmer qu’il existe ici une culture ou des problèmes en matière de harcèlement sexuel? La plupart des sénateurs sont trop vieux de toute façon et ils ont depuis longtemps passé l’âge de tels comportements, alors on peut décompter la plupart d’entre eux. J’aimerais cependant que vous nous donniez des preuves qui prouvent qu’il y a un problème de harcèlement sexuel au Sénat qui doit être réglé. J’aimerais savoir quelles preuves vous avez.
La sénatrice Lankin : Bien que vous ne m’ayez pas demandé si je voulais y répondre, je serais ravie de répondre à votre question, madame la sénatrice.
Je vous ai mentionné que la question faisait partie intégrante du paysage dans tous mes milieux de travail, sauf deux. Au début, j’ai beaucoup réfléchi à la question de savoir si le Sénat est l’un de ces milieux de travail. C’est peut-être en raison de mon expérience ou de mon rôle de défenseure dans ces dossiers, mais je dois vous dire que de nombreuses employées sont venues me voir pour me parler de leurs expériences et me demander des conseils sur la meilleure façon de procéder. Dans ce cas-ci, j’ai pour preuve des témoignages directs de femmes qui estiment avoir été des victimes.
(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, au nom de la sénatrice Galvez, le débat est ajourné.)
Question de privilège
Report de la décision de la présidence
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, plus tôt aujourd’hui, la sénatrice McPhedran a donné un préavis écrit et verbal annonçant qu’elle allait soulever une question de privilège conformément à l’article 13-3 du Règlement. En vertu de l’article 13-5(1), je donne maintenant la parole à la sénatrice McPhedran.
L’honorable Marilou McPhedran : Merci, Votre Honneur.
Honorables collègues, comme cela a été mentionné, plus tôt aujourd’hui, j’ai donné préavis que je soulèverais une question de privilège concernant une communication aux médias qui résume partiellement une lettre portant la mention « confidentiel » qui m’a été envoyée le samedi 10 février 2018 par la greffière du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration.
Comme je l’ai indiqué dans mon préavis verbal, on retrouve parmi les privilèges parlementaires garantis à tous les parlementaires la protection, c’est-à-dire la protection contre l’obstruction, l’entrave et l’ingérence dans l’exercice des fonctions parlementaires. Nous sommes tous des adultes. Nous disposons d’une grande latitude pour déterminer ce qu’un parlementaire peut faire dans l’exercice de ses fonctions parlementaires.
Aux termes de l’article 13-2(1) du Règlement, la priorité n’est donnée à une question de privilège que si elle répond à certains critères, que je vais maintenant aborder. La question doit être soulevée à la première occasion. Étant donné que le manquement à l’obligation de confidentialité qui a été commis, selon moi, par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, et dont j’estime être la victime, s’est produit hier, ce critère est respecté.
Avant d’aborder les autres critères applicables à la situation, permettez-moi de résumer brièvement les événements qui m’amènent à soulever cette question de privilège parlementaire.
Le samedi 10 février 2018, mon bureau a reçu un courriel accompagné d’une lettre datée du 9 février m’étant adressée et sur laquelle il était clairement inscrit « confidentiel ». La lettre avait été envoyée au nom de ce que nous appelons souvent le sous-comité directeur du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration pour demander de plus amples renseignements au sujet de la demande de contrat de services que j’avais présentée à la Direction de l’approvisionnement du Sénat le 31 janvier 2018.
Dans cette lettre confidentielle, le comité indiquait correctement que j’avais offert publiquement à des survivantes de harcèlement au Sénat une consultation gratuite avec une juriste dans un environnement sécuritaire et confidentiel. On y indiquait aussi que l’avocate mentionnée dans certains médias était la même juriste que je mentionnais dans le contrat visant à m’aider dans mes recherches, mes analyses et mes suggestions en vue d’apporter des changements systémiques à la façon dont le Sénat répond au harcèlement et dont il le prévient.
Cette juriste travaille avec moi afin de fournir aux survivantes un endroit sécuritaire et confidentiel pour qu’elles puissent discuter de leur expérience de harcèlement. Nous accomplissons actuellement ce travail bénévolement. Bien entendu, je ne recevrai aucun paiement, et la juriste s’est engagée à offrir bénévolement des consultations juridiques aux survivantes qui le demandent. Cependant, dans la lettre, le comité m’a aussi avisée qu’une telle dépense au profit d’un tiers ne serait pas autorisée au titre de la politique du Sénat, et il a demandé des renseignements supplémentaires pour appuyer ma demande.
Le comité ne mentionne pas d’où lui vient son interprétation de ce qui constitue un « travail parlementaire acceptable ».
(1930)
Étant donné que la lettre du comité portait la marque « confidentiel », que le comité m’avait demandé des informations supplémentaires ainsi que d’« établir l’admissibilité de la dépense », il m’a semblé tout à fait raisonnable de répondre rapidement et entièrement à la demande de relancer le contrat et de faire en sorte que les survivants ne se fassent pas dire qu’une consultation avec un expert juridique n’était plus possible.
Dimanche et lundi, j’ai mis la dernière main à une entente selon laquelle les consultations juridiques avec les survivants seraient offertes bénévolement ou, au besoin, seraient couvertes par moi. Étant donné que l’étude rapide du projet de loi C-65 a eu lieu avant que j’aie rédigé la demande de contrat initiale, j’ai élargi la portée de la recherche et de l’analyse légale qui devaient m’être fournies.
Au milieu de la journée d’hier, lundi, j’avais révisé le contrat afin de me plier aux exigences exprimées par trois membres du comité directeur du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration — c’est-à-dire le président, le sénateur Campbell, ici présent, la vice-présidente, la sénatrice Batters, ici présente, ainsi que le sénateur Munson, présent également – qui avaient demandé un contrat révisé dans la lettre confidentielle qu’ils m’avaient adressée. Puisque j’avais, conformément à leur volonté, répondu rapidement le tout premier jour ouvrable, je m’attendais à ce que le processus ne soit pas retardé davantage. En général, la Direction des services d’approvisionnement est en mesure de traiter mes demandes de contrat dans un délai de cinq jours, parfois moins. Lundi dernier, 12 jours s’étaient écoulés depuis le dépôt de ma demande.
J’ai traité la demande du comité en toute priorité, non pas parce que j’étais d’accord avec leur interprétation du terme « fonction parlementaire », mais parce qu’il me semblait essentiel de remettre les choses en branle, afin de ne pas miner la confiance des victimes de harcèlement au Sénat, qui hésitaient peut-être encore à croire que je leur offrais véritablement un espace sécuritaire et digne de confiance.
Le muselage prend de nombreuses formes. Il est essentiel à la perpétration du harcèlement et de l’intimidation. Offrir un endroit sûr et confidentiel où les survivants peuvent parler de leurs expériences, et leur offrir des ressources — et non seulement en offrir aux criminels présumés — sont parmi les seuls contrepoids efficaces dans les institutions hiérarchiques qui attribuent le privilège à ceux qui possèdent le rang plus élevé.
Je considère cela comme faisant partie des fonctions parlementaires d’un sénateur. C’est un honneur pour moi en tant que sénatrice de promouvoir la sensibilisation et de créer des occasions où les survivants du harcèlement peuvent s’exprimer, sans les forcer à s’identifier. Voilà une des raisons pour lesquelles le fait de répondre rapidement et entièrement à la lettre confidentielle du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, afin de pouvoir reprendre cette fonction, a été une priorité absolue dans mon bureau.
Imaginez mon étonnement quand, au beau milieu de l’après-midi, hier, le lundi 12 février 2018, le premier jour ouvrable où il était possible de répondre au comité directeur, j’ai reçu un courriel de la CBC, me demandant de commenter un courriel provenant du comité, plus tôt, la même journée, qui faisait référence, en la résumant, à la lettre confidentielle qui m’avait été envoyée par le comité.
Vous connaissez peut-être la première manchette qui en a résulté ce matin : « Le Sénat torpille le plan d’une sénatrice visant à se servir du budget de son bureau pour payer les frais juridiques d’une victime de harcèlement »
Puisque cette violation de la confidentialité s’est produite le lundi 12 février, je soulève la question de privilège au Sénat à la première occasion, respectant ainsi le premier critère de priorité.
La deuxième priorité exige que la question porte sur un sujet qui touche directement les privilèges du Sénat, d’un de ses comités ou d’un sénateur.
Je crois qu’il s’agit d’une violation de mon privilège parlementaire en ce qu’il m’empêche de travailler le plus efficacement possible avec et pour les survivants du harcèlement au Sénat, car la lettre a bien précisé que je devais répondre au comité avant que ma demande soit étudiée.
Le courriel que le Comité de la régie interne a fait parvenir aux médias parlait de l’information requise et des procédures à suivre qui étaient établies dans la lettre confidentielle. Il a été envoyé aux médias sans que j’en sois informée et dans un délai qui ne me permettait pas de répondre ou d’accepter avant l’envoi.
La rencontre qui a eu lieu entre les membres du comité directeur s’est déroulée à huis clos. Tout compte rendu de leurs discussions est gardé secret, et l’agent de liaison auprès des médias du Comité de la régie interne relève du président et de la vice-présidente.
Le fait de m’envoyer une lettre confidentielle le samedi, puis de demander à un employé du Comité de la régie interne de communiquer avec les médias le premier jour ouvrable suivant sa livraison représente des actes incompatibles et, à mon humble avis, contraires à l’éthique entre sénateurs. Ils nuisent à la réputation du Sénat et du Comité de la régie interne, ainsi qu’à mon privilège et à mes fonctions parlementaires.
Troisièmement, la question doit viser à corriger une atteinte grave et sérieuse. Les actes posés par le greffier et l’agent de liaison auprès des médias, sous la direction du comité directeur du Comité de la régie interne, sont arbitraires et ne correspondent pas aux instructions qui m’ont été données dans la lettre confidentielle. C’est une violation de la confidentialité qui brime grandement mon privilège parlementaire et ma capacité de fonctionner à un degré optimal. C’est un accroc à la protection contre l’obstruction et l’ingérence à titre de parlementaire.
Comme il est indiqué dans les Notes de procédure du Sénat, numéro 12, en date de septembre 2012, et comme il est évoqué dans le Règlement du Sénat à l’article 13-1 :
Le privilège parlementaire s’entend des droits […] conférés au Parlement et aux parlementaires pour leur permettre de s’acquitter adéquatement de leurs fonctions parlementaires sans ingérence ou obstruction injustifiée.
Le Règlement du Sénat n’approuve sûrement pas qu’un sous-comité sénatorial demande de révéler de l’information définie comme confidentielle à sa destinataire par le même petit groupe de sénateurs à qui a été présentée l’information directement associée à une demande en cours, formulée par mon bureau, afin de retenir les services d’un entrepreneur pour appuyer mon travail, mes fonctions parlementaires et ceux que je tente de servir.
Ces actions montrent que c’était délibéré. Elles démontrent l’intention de faire obstacle au travail de mon bureau et également à ceux qui sont associés à ses activités. Je dirais que c’est une forme d’intimidation, subtile peut-être, mais bien efficace, du moins, face à des survivants de harcèlement dans l’environnement du Sénat. Ils ont donné des renseignements erronés à un nombre incalculable de survivants qui ne savent plus maintenant s’ils peuvent se tourner vers moi.
En fait, la lettre du 9 février, envoyée par le greffier du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration, qui était de toute évidence confidentielle, demandait des renseignements supplémentaires concernant ma demande de marché de services pour embaucher un avocat, en partie parce que le comité voulait savoir si des renseignements erronés avaient été transmis aux médias. C’est ce que dit la lettre.
Pour quelle raison le groupe directeur du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration a-t-il demandé à son personnel de faire part aux médias de certains renseignements qui devaient normalement être vérifiés et expliqués avant que j’aie le droit d’aller de l’avant avec l’entente?
J’ai une attestation écrite confirmant qu’il n’y a eu aucune demande des médias, notamment de CBC, à qui le courriel a été envoyé. Le journaliste à qui la déclaration du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration a été envoyée n’a pas fait de demande hier, ni le jour d’avant, ni le jour avant cela. Même s’il y avait eu une demande, rien n’obligeait le président ou l’un des vice-présidents du comité à tendre la main aux médias moins d’un jour ouvrable après qu’ils m’aient envoyé les exigences par lettre confidentielle.
Il ne s’agit pas d’une erreur. Cela a été fait de façon délibérée et des instructions ont été données pour publier la déclaration aux médias portant sur certains aspects de la lettre confidentielle qui m’avait été adressée.
De plus, je crois que ce genre d’atteinte à la confidentialité a déjà été débattu et devrait être géré comme au moment de la publication du rapport du vérificateur général en 2015.
(1940)
Votre Honneur, votre décision du 26 janvier 2016 en faveur de l’ancienne sénatrice Hervieux-Payette a créé un précédent :
Les fuites sont, comme nous le savons tous, survenues pendant la première semaine de juin 2015. Elles violaient le cadre confidentiel dans lequel la vérification était effectuée. Je tiens aussi à signaler que les fuites ont placé de nombreux sénateurs dans une situation très délicate, devant répondre à des questions sur les détails d’un document qui n’avait pas encore été déposé au Sénat et qui n’avait pas été rendu public. Ce n’était pas correct.
Je soutiens, Votre Honneur, que ces gestes posés par le comité directeur du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration et ses représentants portent également atteinte à un cadre de confidentialité, qu’ils ont eux-mêmes établi, et en vertu duquel j’aurais dû jouir d’un délai raisonnable pour répondre et, ainsi, exercer ma fonction parlementaire. Ces actions ont créé une situation délicate puisque je suis maintenant forcée de réagir au niveau supérieur d’anxiété et de méfiance auquel on peut raisonnablement s’attendre chez ceux qui ont survécu à du harcèlement au Sénat.
Ces choix et ces gestes délibérés m’empêchent de m’acquitter de devoirs parlementaires précis puisque la demande de contrat de service a subi un retard supplémentaire. J’ai reçu de nombreuses demandes d’entrevue et de renseignement, ainsi que des questions de personnes ayant vécu du harcèlement dans l’environnement du Sénat, pour qui toute cette situation est une expérience qui les traumatise et les victimise de nouveau. Cela diminue encore davantage le niveau de confiance envers le Sénat.
Au cours des deux dernières années, deux grandes atteintes au privilège ont été débattues à la Chambre des communes, soit en avril 2016 et en avril 2017. Les deux questions de privilège étaient directement liées à la fuite de renseignements confidentiels dans les médias, ce qui a porté atteinte au privilège parlementaire et a fait obstruction aux fonctions des députés en cause.
Votre Honneur, je vous prie d’envisager la possibilité que ces gestes soient débattus à titre d’atteinte au privilège parlementaire et d’ouvrir le débat aux questions plus larges qui sont en jeu.
Enfin, afin d’être considérée comme prioritaire, une question de privilège doit chercher à obtenir une réparation que le Sénat est habilité à accorder et qui ne peut vraisemblablement être obtenue par aucune autre procédure parlementaire. Je cherche effectivement à obtenir une véritable réparation pour les choix et les actes du comité directeur du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration dont il est question ce soir. Le Sénat est une entité autoréglementée. C’est à nous qu’il incombe de nous entendre sur nos responsabilités et normes de conduite, sur ce que veut dire la bonne gouvernance pour nous, en tant qu’institution jouissant de privilèges considérables et ayant des responsabilités qui le sont tout autant.
Je demande que les trois sénateurs qui sont responsables de ce qui s’est passé soient vivement encouragés à rafraîchir leurs compétences en matière de bonne gouvernance transparente, exercée de façon cohérente dans le souci premier de la responsabilité. Je demande qu’ils soient chargés, au sein du comité, de mettre au point un protocole — qu’ils rendront public et qu’ils prendront l’engagement de respecter — sur la communication d’information aux médias, en vue de respecter et de maintenir la confidentialité de leurs communications avec les autres sénateurs, surtout lorsqu’ils les désignent eux-mêmes confidentielles.
En dernier lieu, et en conclusion, je demande que l’on recommande au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration de répondre publiquement aux questions suivantes :
Premièrement, depuis 2006, quelle est la somme dont le comité a autorisé le versement en contrepartie d’aide juridique, à toute partie ou représentant d’une partie, en raison d’une plainte de harcèlement, y compris d’intimidation ou de harcèlement sexuel, à l’égard d’un sénateur ou d’un fonctionnaire du Sénat?
Deuxièmement, depuis 2006, une partie du montant exact soumis en réponse honnête à ma question précédente a-t-elle été allouée en contrepartie d’un soutien ou d’un règlement quelconque à une personne qui aurait déposé une plainte de harcèlement, soit directement à la partie plaignante ou de manière à ce que celle-ci reçoive une somme qui aurait été autorisée par le comité à titre de frais professionnels ou juridiques? Dans l’affirmative, combien?
Votre Honneur, en terminant, j’aimerais souligner que mes questions ne compromettent en aucune façon l’identité des parties. J’ai bon espoir que vous allez étudier cette question de privilège de manière équitable et y accorder toute l’attention voulue. Je soutiens qu’il y a eu atteinte grave et portant à conséquence de mon privilège parlementaire d’exercer librement mes fonctions parlementaires, sans obstruction ni tentatives d’intimidation, et j’espère qu’une décision en ma faveur nous offrira l’occasion de débattre de problèmes systémiques plus larges liés à la saine gouvernance et à la reddition de comptes au Sénat du Canada.
Merci, meegwetch.
L’honorable Larry W. Campbell : Je prends la parole au sujet de la question de privilège soulevée par la sénatrice McPhedran. Je vais répondre à ses affirmations dans l’ordre dans lequel elle les a présentées. Tous les courriels transmis à CBC relativement à l’utilisation du budget du Sénat par la sénatrice McPhedran pour payer des frais juridiques ont été envoyés en réponse à des questions posées par CBC.
À aucun moment le comité n’a engagé de correspondance par courriel avec CBC de sa propre initiative.
La chronologie des demandes d’information de J. P. Tasker, de CBC, concernant l’utilisation du budget du bureau pour payer les frais juridiques de tiers est la suivante. Le vendredi 2 février, il nous a demandé farie des commentaires
Il a dit ceci :
Je me demandais si le président ou les coprésidents du comité de la régie interne auraient des commentaires au sujet du fait que la sénatrice McPhedran prévoit offrir gratuitement des services de consultation juridique aux membres du personnel actuels et antérieurs qui disent avoir été victimes de harcèlement. Elle a dit qu’elle allait utiliser son budget de bureau pour payer une partie des coûts. Le Règlement du Sénat permet-il une telle chose?
Le lundi 5 février, nous avons transmis la réponse suivante à M. Tasker, de même que des renseignements généraux sur la politique en matière de harcèlement :
Les sénateurs vont se pencher sur l’initiative de la sénatrice McPhedran en début de semaine. Il est possible que je sois en mesure de formuler d’autres commentaires par la suite.
Le lundi 12 février 2018, le journaliste Michel Boyer, de la chaîne CTV, nous a soumis une question.
Il s'agissait de la question suivante :
Je ne sais pas vraiment à qui adresser cette question. La sénatrice McPhedran est-elle autorisée à utiliser le budget de son bureau pour payer les frais juridiques d’employés qui envisagent de porter plainte pour harcèlement? Si elle ne l’est pas, qui l’a autorisée?
On a décidé de répondre à Michel Boyer et de fournir la même réponse à M. Tasker, qui avait posé la question précédemment et à qui nous avions répondu que nous y donnerions suite.
La réponse suivante a été envoyée aux deux journalistes :
Selon les médias, la sénatrice McPhedran utilisera son budget de bureau pour couvrir les coûts de consultation juridique pour les personnes choisissant de lui faire part de cas de harcèlement sexuel au Sénat.
Les politiques du Sénat prévoient que les sénateurs peuvent retenir les services d’entrepreneurs pour les soutenir dans leurs fonctions parlementaires, ce qui n’inclut pas les frais juridiques d’un tiers.
Nous reconnaissons aussi que les cabinets d’avocats offrent souvent une première consultation gratuitement.
Nous avons demandé à la sénatrice McPhedran de préciser comment les fonds du Sénat seront utilisés aux fins de son projet.
La sénatrice McPhedran affirme que la déclaration du 12 février résume une partie du contenu de la lettre confidentielle qui lui a été envoyée. Non seulement la déclaration ne fait pas allusion à cette lettre, mais il n’est que logique qu’en fournissant une explication de la politique dans une lettre à un sénateur et en fournissant cette même explication à un journaliste, son libellé serait similaire, voire identique.
La déclaration aux médias, qui a été approuvée par les membres du comité directeur, ne comportait que des renseignements généraux de haut niveau sur une question médiatisée. La mention « confidentiel » était de nature administrative pour assurer le traitement confidentiel du document dans son bureau. Elle ne laissait pas entendre que la lettre contenait des délibérations tenues à huis clos.
Le Sénat a fait des pas de géant au cours des dernières années afin de faire preuve d’autant de transparence que possible, surtout en ce qui a trait au Règlement et aux décisions relatives aux dépenses. La sénatrice McPhedran a fait la manchette à répétition par le passé lorsqu’elle a affirmé qu’elle allait se servir de son budget de sénatrice pour couvrir ses frais juridiques : le 31 janvier dans le Winnipeg Free Press; le 1er février sur Ipolitics; le 1er février dans un article de La Presse Canadienne, en anglais et en français; le 6 février à l’émission As It Happens de CBC; le 6 février à l’émission Power and Politics de CBC News Network; le 6 février à l’émission Powerplay de CTV; le 6 février aux journaux télévisés de CBC et de CTV; le 7 février au journal télévisé de CBC à Windsor.
Et je pourrais continuer à en nommer d’autres.
(1950)
Notre conseillère en relations avec les médias et gestion des enjeux, Alison Korn, a envoyé le courriel avec l’approbation du comité directeur. Ce n’était pas une erreur. Cela a été fait, comme je l’ai déjà dit, pour répondre aux demandes de renseignements des médias.
La réponse de Mme Korn à la question du journaliste de CBC était de nature générale et faisait suite à l’intérêt suscité par la campagne médiatique de la sénatrice McPhedran. La déclaration ne faisait nullement mention de quoi que ce soit qu’aurait reçu la sénatrice McPhedran du comité directeur du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration. Le comité directeur a toujours agi dans les limites de son pouvoir en vertu du Règlement administratif du Sénat, veillant à ce que les ressources du Sénat soient utilisées conformément aux règles et aux politiques du Sénat.
La sénatrice McPhedran n’a jamais subi d’obstruction ou d’ingérence dans l’exercice de ses fonctions parlementaires. Par conséquent, Votre Honneur, je vous invite à conclure qu’il n’y a pas de prime abord matière à question de privilège.
[Français]
L’honorable Ghislain Maltais : Monsieur le Président, j’ai écouté attentivement le discours de la sénatrice McPhedran et j’ai lu avec tout autant d’attention les lettres qu’elle nous a remises. Je vous soumets donc les commentaires suivants.
La question de privilège dans le domaine parlementaire ne date pas d’hier; elle est inscrite dans la Constitution canadienne. Cela a été confirmé de nouveau en 1982 par la Charte et, à moult reprises, par la Cour suprême du Canada, par exemple dans l’arrêt Donahoe, ainsi que dans l’arrêt Vaid, en 2005.
Pour qu’une question de privilège soit soulevée, elle doit avoir pris racine à l’intérieur même du Parlement. Un privilège parlementaire donne droit à la liberté de parole au Parlement et au sein des comités; à la protection contre l’arrestation dans les actions civiles; à l’exemption du service de juré et de l’obligation de témoigner devant un tribunal; et, en général, à la protection contre l’obstruction et l’intimidation.
Si l’on se fie aux droits constitutionnels, il faut que l’infraction soit commise à l’intérieur du Parlement. Lorsqu’on fait une déclaration dans un Parlement, on est couvert par l’immunité parlementaire. Si on fait la même déclaration à l’extérieur des portes du Parlement, une poursuite judiciaire est possible.
Je ne doute pas que le problème que vit la sénatrice McPhedran est une erreur, mais il ne s’agit pas d’une question de privilège parlementaire. Le problème concerne un comité du Sénat qui ne siège pas au sein du Parlement, mais bien dans une salle de réunion. Cela est régi par une règle administrative, et non par un réel privilège parlementaire, tel qu’il est défini par la Confédération canadienne.
Monsieur le Président, ce qui s’est produit est malheureux, mais vous devez tenir compte du fait que le privilège parlementaire doit avoir lieu à l’intérieur du Parlement. Cela n’empêche d’aucune façon la sénatrice, au sein du Parlement, d’exercer ses droits parlementaires. En dehors du Parlement, c’est à elle de décider. Le problème qu’elle soulève ne s’est pas produit à l’intérieur de cette Chambre.
Mes arguments sont modestes, mais ils sont fondamentaux. J’ai passé une bonne partie de ma vie dans les Parlements, et les questions de privilège, partout au Canada, s’adressent à des parlementaires dont les privilèges ont été brimés à l’intérieur même du Parlement. Je vous remercie.
[Traduction]
Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant que je demande à la sénatrice McPhedran de clore le débat, je veux savoir si d’autres sénateurs souhaitent participer au débat.
L’honorable Anne C. Cools : Honorables sénateurs, la question de privilège en est une très préoccupante à bien des égards et beaucoup plus compliquée et complexe que ce qu’on en a dit dans le cas qui nous occupe.
Premièrement, la sénatrice McPhedran n’avait aucun privilège pour exiger ou attendre du comité directeur d’un comité sénatorial qu’il prenne une décision en sa faveur. Un tel privilège n’existe pas.
Je fais une mise en garde aux sénateurs à ce sujet. C’est une affaire très grave. Des accusations très sérieuses sont portées ici contre des collègues et je pense que nous devrions y couper court sur-le-champ.
Des voix : Bravo!
La sénatrice Cools : Sur-le-champ. Je le dis en tant que femme et sénatrice qui siège depuis 35 ans dans cette auguste institution.
Des voix : Bravo!
La sénatrice Cools : J’en suis fière.
Honorables sénateurs, à mon arrivée ici, je vous garantis que beaucoup de sénateurs parmi les plus expérimentés et les plus accomplis m’ont prise sous leur aile et m’ont formée à très bonne école. Je pense notamment à Allan Joseph MacEachen et à d’autres grands noms qui ont servi le Sénat.
Le privilège est une notion éminemment complexe; la preuve est donc très difficile à faire. Je tiens à soulever quelques points sur ce qui ne relève pas de la notion de privilège.
Vers la fin de son intervention, la sénatrice McPhedran a demandé au Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration de répondre officiellement à deux questions :
1. Depuis 2006, quel est le montant (en dollars) à avoir été autorisé par le Comité de la régie interne pour le paiement d’aide juridique (peu importe le type) en ce qui concerne les plaintes de harcèlement (y compris d’intimidation et de harcèlement sexuel) à l’endroit de sénateurs ou de hauts fonctionnaires du Sénat?
Or, les privilèges conférés à la sénatrice McPhedran ne l’autorisent pas à obtenir cette information, mais pas du tout.
Voici la seconde question :
2. Depuis 2006, une portion du montant identifié par une réponse honnête et précise à ma première question a-t-elle été versée en vue d’une quelconque forme de règlement à quelqu’un ayant présenté une allégation de harcèlement — que la somme ait été payée directement au plaignant ou que le plaignant ait été payé à partir des frais juridiques (ou autres frais professionnels) autorisés par le Comité de la régie interne? Dans l’affirmative, quelle somme a été versée?
Les privilèges conférés à la sénatrice McPhedran ne l’autorisent aucunement à poser une telle question à qui que ce soit ici.
Chers collègues, voyons ce que sont les privilèges et ce qu’ils ne sont pas. Les privilèges ne sont pas une excuse ni un moyen pour qui que ce soit de calomnier autrui, et encore moins d’autres sénateurs.
La première chose qu’on apprend lorsqu’on accède à la fonction de sénateur, c’est qu’il est très mal vu de tenir des propos diffamatoires ou autrement outrageux à l’endroit d’un autre sénateur; il s’agit d’un comportement jugé non parlementaire. S’adresser aux sénateurs de la manière dont on l’a fait ce soir est non parlementaire.
Je vous le dis : c’est non parlementaire. Je viens d’une famille qui compte des générations de parlementaires.
Je souhaite revenir sur certains de ces points et rappeler un fait bien connu, mais rarement mentionné.
Honorables sénateurs, je crois que la sénatrice McPhedran a décrit le comité directeur du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration comme un groupe. Elle a parlé de « ce groupe », si je ne m’abuse. Si je me trompe, je m’en excuse et j’apporterai les corrections nécessaires.
Je souhaite expliquer à mes collègues sénateurs que, il y a des années, le gouvernement, les Chambres, ont ajouté à la Loi sur le Parlement du Canada le paragraphe 19.6(1). Il a été conçu à l’époque pour que le Comité de la régie interne puisse avoir certains pouvoirs entre le moment où il y a prorogation et le début d’une nouvelle session parlementaire. Il fallait trouver une façon de procéder et il a été décidé d’ajouter ce paragraphe à la loi.
Je veux porter à votre attention ce qui suit, puisque la sénatrice McPhedran est fort mécontente — et même en colère — en raison des décisions du Comité de la régie interne. Le paragraphe 19.6(1) de la Loi du Parlement du Canada, intitulé « Compétence exclusive », se lit comme suit :
Le comité a compétence exclusive pour statuer, compte tenu de la nature de leurs fonctions, sur la régularité de l’utilisation — passée, présente ou prévue — par les sénateurs de fonds, de biens, de services ou de locaux mis à leur disposition dans le cadre de leurs fonctions parlementaires, et notamment sur la régularité de pareille utilisation au regard de l’esprit et de l’objet des règlements pris aux termes du paragraphe 19.5(1).
(2000)
Ces règlements n’ont jamais été adoptés.
Chers collègues, la sénatrice McPhedran a refusé d’accepter le fait que le Comité de la régie interne détient ce pouvoir. Non seulement ce pouvoir lui est accordé en vertu du privilège parlementaire, mais il lui est aussi accordé en vertu d’une loi, à savoir la Loi sur le Parlement du Canada.
La lecture est un outil merveilleux et très instructif, surtout la lecture des pensées et des intentions qui sous-tendent les lois. Aucune loi adoptée au cours de l’histoire ne permet à un sénateur de prendre la parole dans cette enceinte pour dénigrer tous les sénateurs masculins. Il y a quelque chose qui cloche avec ce concept. Je ne l’aime pas et je n’en conviendrai jamais. Je n’adopterai jamais ce genre de comportement. Je pourrais continuer éternellement à dire « jamais » et à parler de l’immoralité de ce phénomène.
Le pouvoir exclusif est extrêmement puissant. Chers collègues, sénateurs, Votre Honneur, je tiens à vous dire que vous avez une tâche difficile entre les mains, mais je tiens à vous appuyer. Je vous assure que le problème dont nous sommes saisis n’est pas une question de privilège. Aucun privilège de la sénatrice McPhedran ni aucun privilège collectif détenu conjointement par les sénateurs n’a été violé.
Par contre, quelque chose s’est produit. Le problème dont nous sommes saisis n’est pas une question de privilège. Le problème, c’est que la sénatrice McPhedran n’accepte pas le pouvoir du sénateur Campbell, de la sénatrice Batters et du sénateur Munson, qui composent le comité directeur de la régie interne.
Je ne peux pas vous aider avec le fait qu’une sénatrice ne peut accepter l’autorité. Je ne peux pas vous dire comment traiter de cette situation, mais je peux vous dire cependant que le fait qu’elle n’accepte pas cette autorité et son refus d’entendre ce que les personnes qui représentent cette autorité ont à dire ne fait pas partie de nos privilèges. Il n’existe pas de privilège comme celui-là au Sénat.
Honorables sénateurs, j’aimerais encore faire quelques commentaires, très brièvement. Il semble que, tout à coup, les sénateurs se préoccupent beaucoup plus des questions de harcèlement sexuel. À ma connaissance, le harcèlement sexuel n’a jamais constitué un problème grave au Sénat. En fait, je n’ai jamais entendu parler d’incidents de cette nature. Cela ne veut rien dire, mais, Votre Honneur, je me demande pourquoi, soudainement, à ce stade-ci de l’avancement des femmes — et les femmes tirent très bien leur épingle du jeu depuis quelques années — et compte tenu du nombre très élevé de femmes au Sénat et dans les sphères publique et politique, pourquoi donc cette pernicieuse question de harcèlement sexuel et d’agression sexuelle refait soudainement surface. Pourquoi donc? Si elles étaient la cible de remarques déplacées, toutes les femmes siégeant au Sénat seraient certainement en mesure d’envoyer paître la personne les ayant exprimées — je n’en doute pas un instant. Pourtant, les femmes sont encore présentées et traitées de manière infantile. Au Sénat, les femmes doivent être protégées contre quels harceleurs sexuels au juste? À qui pensez-vous? À ces hommes? La plupart d’entre eux sont trop vieux de toute façon.
Je peux vous dire quelque chose. En tant que femme, j’ai passé presque toute ma carrière dans des postes de direction très publics.
Je trouve que la situation des hommes accusés est injuste, car ils n’ont pas la chance de se défendre. Il y a cette haine résiduelle des hommes qui semble partir et revenir et qui semble se perpétuer. J’ai déjà été témoin de ce phénomène à maintes reprises.
Chers collègues, en ce qui me concerne, il n’existe pas de problème de harcèlement sexuel au Sénat. Nous devrions donc plutôt nous attaquer aux problèmes extrêmement graves, aux iniquités et aux choses qui doivent être corrigées dans la société et nous tourner vers les bonnes choses qui doivent être faites, au lieu de faire attention à ces enjeux et, bien franchement, de tenter de prouver l’impossible.
Je vous assure que les hommes qui ont travaillé ici sont des gens fort dignes et très honnêtes. Je n’aime pas ce que vous avez fait. Je suis navrée que vous ayez fait cela, mais vous l’avez fait, et cela se reflétera pour toujours dans le compte rendu. Vous pensez peut-être que c’est une bonne chose, mais vous finirez par le regretter. Vous regretterez de l’avoir fait. J’en suis absolument convaincue.
Votre Honneur, il n’y a pas matière à invoquer la question de privilège. D’une certaine manière, l’expression « de prime abord » est très curieuse. Je crois que la plupart des sénateurs en ignorent le sens de toute façon. Elle désigne un simple soupçon qu’on peut avoir au premier regard. Or, y a-t-il le moindre soupçon de préjudices liés au harcèlement sexuel?
S’il y a des gens ici à qui on a porté préjudice, honorables sénateurs, ce ne sont pas ceux qui ont soulevé la question de privilège. Ce sont tous ces hommes qui, dans la plupart des cas — je dirais même dans tous les cas —, sont très loyaux envers leur famille. Si vous connaissez un tant soit peu les hommes, vous savez que leur famille a toujours été au cœur de leurs préoccupations quotidiennes.
N’oubliez pas — et je vous le rappelle, sénatrice — que, pendant bien des années, je me suis penchée sur la question du divorce et des hommes divorcés à qui on a refusé le droit de voir leurs enfants et d’en avoir la garde.
Quoi qu’il en soit, je crois seulement qu’il est malheureux que ces questions aient été soulevées au Sénat. Je trouve que c’est bien dommage.
Je vous remercie infiniment.
Chers collègues, ce soir, je suis un peu trop bouleversée pour donner le meilleur discours possible, mais je peux vous dire que je suis absolument convaincue que le sénateur Campbell, la sénatrice Batters et le sénateur Munson sont très mécontents et fort déçus. Or, tout cela est inutile, puisque nous ne sommes saisis d’aucun cas d’agression sexuelle de toute façon.
Je vais terminer ici, mais je ne vois aucune matière à question de privilège dans ce cas-ci.
L’honorable Murray Sinclair : Si vous me le permettez, Votre Honneur, je ne suis pas certain de savoir comment répondre aux propos de l’intervenante précédente, car, si je comprends bien la question de privilège soulevée par la sénatrice McPhedran, il me semble que la question a été embrouillée.
Si j’ai bien compris ce qu’a dit la sénatrice McPhedran, la question porte sur une communication qui lui a été envoyée par les membres du comité directeur d’un comité sénatorial et qui aurait selon elle été diffusée aux médias. Elle prétend que la diffusion de cette communication aux médias a porté atteinte à son privilège. Si je me souviens bien, la sénatrice McPhedran n’a soulevé aucun des points mentionnés par l’intervenante précédente. Je pense qu’il est injuste d’essayer d’évaluer la question de privilège de la sénatrice McPhedran dans cette optique.
Je vous encourage donc, Votre Honneur, à essayer de vous pencher sur la question de privilège conformément à la façon dont l’a soulevée la sénatrice McPhedran.
Je peux dire au nom de tous les sénateurs que j’ose espérer que nous serions tous traités avec respect si une question de confidentialité était soulevée par un comité sénatorial ou le sous-comité et que nous étions tenus de préserver la confidentialité. Il semble y avoir eu un manque de respect envers une sénatrice, ou une incapacité ou un manque de volonté de respecter la confidentialité d’une communication. Si c’est le cas, j’ose espérer qu’on peut faire quelque chose à ce sujet, car nous comptons sur le respect de la confidentialité, tout comme nous sommes tenus de la respecter.
(2010)
S’agit-il ou non d’une question de privilège? Je vous laisse en décider, Votre Honneur. Quant à moi, je ne suis pas certain qu’on trouve un cas semblable dans la jurisprudence, d’après ce que j’ai pu voir. Je suis quand même préoccupé de savoir que de l’information confidentielle dont les médias ne devaient pas prendre connaissance leur a été communiquée.
Je me rappelle que, au moment où de l’information figurant dans le rapport du vérificateur général a été publiée, une enquête avait été ordonnée. Nous traitons ce problème avec beaucoup de sérieux ici et nous devrions considérer que c’est une affaire sérieuse.
Par conséquent, j’encourage Son Honneur à étudier très sérieusement cette affaire dans le contexte dans lequel la sénatrice McPhedran l’a soulevée et en tenant compte de ses motifs pour la soulever. Elle n’a pas allégué que qui que ce soit a mal agi, même si on a laissé entendre qu’il y a pu y avoir harcèlement ou agression sexuelle. Elle a simplement dit qu’elle souhaitait donner aux gens la possibilité de communiquer avec elle pour obtenir des conseils. Le comité a rejeté la demande d’utiliser les ressources du Sénat. Cela fait peut-être partie de ses prérogatives, mais c’est la question de la communication aux médias que la sénatrice a soulevée.
Même si le comité a raison, la transmission de cette communication aux médias pourrait quand même être répréhensible.
Votre Honneur, je vous laisse le soin de trancher. Merci beaucoup.
L’honorable Marc Gold : C’est avec réticence que j’interviens, non pas pour prendre position sur cette question, mais seulement pour essayer de clarifier la question. D’après ce que je comprends, on allègue que des documents confidentiels ont été publiés ou communiqués. Cependant, j’ai aussi entendu le sénateur Campbell, au nom du comité directeur, rejeter assez catégoriquement ces allégations.
Je veux m’assurer que, fondamentalement, outre les précédents et ce qui donne lieu à une question de privilège, il s’agit de ce que je pourrais appeler un désaccord factuel ou certainement un désaccord au sujet de l’interprétation ou de la caractérisation des événements qui nous ont mené ici.
Merci de l’occasion de clarifier, au moins pour moi-même, qu’il existe une différence d’opinions concernant ce qui s’est véritablement passé. Je vous remercie.
[Français]
L’honorable Renée Dupuis : J’aimerais vous inviter, monsieur le Président, dans la décision que vous allez rendre, à être le plus précis possible quant à la demande qui vous est faite aujourd’hui. Ce n’est pas à moi de qualifier s’il s’agit d’une question de privilège, et vous aurez compris que je n’ai pas l’intention de le faire. Une demande est qualifiée de question de privilège par la sénatrice McPhedran et une réponse a été donnée de la part du Sous-comité du programme et de la procédure du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration à savoir que l’allégation n’est pas exacte. C’est ce qui m’apparaît être l’objet de la question de privilège.
Deux choses me préoccupent. L’une d’elles est la question de l’utilisation des fonds dans le cadre de fonctions parlementaires. Je vous inviterais à nous éclairer sur ce point, dans la décision que vous prendrez, parce que je sais que plusieurs questions ont été posées sur la façon dont la sénatrice McPhedran a annoncé son intention. Certaines perceptions ont pu être données que des sénateurs, ou l’ensemble des sénateurs regardaient passer les problèmes de harcèlement sexuel sans réagir d’aucune manière. Il n’y a pas si longtemps, les sénateurs ont dû se pencher justement sur une question de cet ordre à propos d’un sénateur.
Une autre chose me préoccupe tout autant. Il me semble que la question soulevée par la sénatrice McPhedran est très précise. On a entendu des arguments ici, ce soir, qui sont des jugements portés sur la valeur intrinsèque de sénateurs — et de sénatrices, j’imagine, mais d’après ce que je comprends, il s’agit surtout de sénateurs —, alors que, dans les questions de harcèlement sexuel, ce sont des faits sur des gestes qui sont posés et non de la valeur essentielle d’une personne dont il est question. Aucune personne humaine n’a une valeur essentielle qui la met à l’abri d’un geste de harcèlement.
Je vous remercie, monsieur le Président, de nous aider dans ce dossier et de rendre une décision la plus précise possible.
[Traduction]
Son Honneur le Président : À des fins de clarté, y a-t-il d’autres sénateurs qui souhaitent se joindre au débat avant que je demande à la sénatrice McPhedran de le clore?
L’honorable Jane Cordy : Votre Honneur, j’ai eu le privilège d’être la vice-présidente du Comité de la régie interne et un membre du comité directeur. J’aimerais remercier les membres actuels du comité directeur, qui font un travail exceptionnel. Lorsque vous êtes assis dans une pièce et que vous essayez de prendre des décisions concernant des demandes de sénateurs, il faut vraiment tenir compte de tous les éléments, il ne suffit pas de tirer à pile ou face. Il faut consulter le personnel juridique, les gens des finances et ensuite parvenir à une conclusion. Lorsque je faisais partie du comité directeur, habituellement, les autres membres et moi étions en mesure de nous entendre de façon collaborative, et ce, grâce aux sénateurs Wells, Housakos et Campbell, qui siégeaient au comité directeur avec moi.
La question de privilège porte strictement sur la communication de renseignements aux médias. Ce n’est pas la décision qui est remise en cause, mais seulement la communication aux médias. J’ai entendu la demande de la sénatrice McPhedran bien avant cette semaine. J’en ai entendu parler quand elle s’est exprimée à CBC et à CTV. J’ai lu des entrevues dans les journaux où il en était question. J’ai donc du mal à comprendre pourquoi il y aurait soudainement atteinte au privilège parce que ces renseignements circulent dans les médias, alors que j’ai lu des articles à ce sujet il y a au moins une semaine, sinon plus. Merci.
La sénatrice McPhedran : Je reviendrai tout d’abord sur les dernières observations et la dernière question. Il est exact qu’on en a discuté dans les médias et que j’ai parlé sur mon compte Facebook, le 30 janvier, de ce que je comptais faire. J’étais persuadée — et cette interprétation m’apparaît toujours valable — que c’était une façon appropriée d’utiliser le budget de mon bureau. Quoi qu’il en soit, la communication dont je parle ce soir est celle qui provenait du comité directeur du Comité de la régie interne. C’est sur celle-là que se fonde ma réponse à la dernière observation de la sénatrice Cordy.
Comme le comité directeur du Comité de la régie interne a décidé de me transmettre sa décision — essentiellement une opinion à mon sujet — ainsi qu’une liste de choses à faire, cela me mettait dans l’obligation de répondre à sa lettre pour pouvoir régler la liste des choses à faire et obtenir les ressources nécessaires à la recherche et à l’analyse juridique sur le harcèlement sexuel, ce qui comprend notamment le projet de loi C-65. La lettre du sous-comité portait la mention « confidentiel ».
(2020)
Je suis fascinée par le raisonnement du sénateur Campbell, qui a dit — je ne peux que paraphraser, mais je crois qu’il sera très intéressant de lire les mots exacts — qu’on peut m’envoyer une communication écrite portant la mention « confidentiel », et que cela signifie quelque chose, mais que cela va seulement dans un sens. Il n’y a aucune obligation pour ceux qui ont décidé qu’ils allaient y apposer cette mention. Je demande donc conseil à ce sujet et, oui, j’ai l’impression qu’il y a eu violation.
En ce qui concerne un commentaire précédent selon lequel le privilège serait réservé à ce qui se passe dans cette enceinte, ce sont vous et vos conseillers qui êtes les experts dans ce domaine. J’ai consulté plusieurs sources pour tenter d’obtenir une réponse. J’ai lu les documents. Je crois comprendre que les comités font partie du travail du Sénat et que ce qui se passe dans les comités, ce qui est fait par les comités et les communications provenant des comités cadrent dans ce qu’on appelle le privilège. Cependant, Votre Honneur, bien sûr, j’attends votre décision et vos précisions à ce sujet.
Pour en revenir au point où je crois avoir entendu le sénateur Campbell dire, alors qu’il citait une communication que je n’ai pas lue, une communication antérieure — je crois qu’elle date du 5 février; il serait utile d’en obtenir une copie, et je suis certaine que vous allez en demander une — dans laquelle la réponse aux médias était que « je pourrais peut-être en fournir une ».
En examinant mes commentaires antérieurs, je constate que j’ai posé la question suivante : qu’est-ce qui a poussé le sous-comité du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, qui venait de m’envoyer une lettre qui portait la mention « confidentiel », d’émettre une autre communication, dans laquelle il était question de certaines parties de la lettre — ne la citant pas, mais faisant certainement mention de sa teneur, des points fondamentaux, des questions, du processus entrepris, et cetera? Qu’est-ce qui l’a poussé à faire cela hier, lundi? Comment cela cadre-t-il non seulement avec ma fonction de sénatrice, mais aussi avec la conclusion que nous, comme sénateurs, devons en tirer, quand un corps aussi puissant dans notre structure d’autonomie gouvernementale considère que l’exigence de confidentialité s’impose seulement au destinataire?
Je serai heureuse d’entendre vos observations pour m’aider à comprendre en quoi cette position est légitime pour le comité.
Je crois que ma dernière remarque ne doit pas inviter d’autres commentaires sur cette hypothèse qui a été avancée, selon laquelle l’objectif principal du travail que je fais et que j’ai présenté au Sénat après des dizaines d’années d’expérience fait partie de ce que je considère comme les fonctions parlementaires. C’est ce dont je parle ici, ce dont j’ai parlé dans les médias et, en fait, ce à quoi j’ai consacré plus de 40 ans de ma vie, c’est-à-dire la dénonciation de l’exploitation sexuelle, de formes de harcèlement — qui consiste essentiellement à révéler les abus de pouvoir par ceux qui sont en position privilégiée, qui sont souvent d’ordre sexuel, mais pas systématiquement. Il ne s’agit pas de cibler les hommes en tant que tels. Ce que je tente de faire dans le cadre du projet dont je discute avec les médias depuis quelque temps, c’est de recueillir de l’information — je suis une avocate en droits de la personne, mais aussi une enseignante et une chercheure — de toutes les sources possibles afin de formuler des recommandations qui seront utiles pour appuyer les travaux en cours du nouveau sous-comité, présidé par la sénatrice McCoy, sur cette question. Je suis probablement l’une des personnes les mieux qualifiées, parmi les sénateurs, pour établir des liens avec les survivants parce que je travaille avec eux depuis 40 ans. En toute honnêteté, je jouis d’une excellente crédibilité au sein de cette communauté.
L’information est recueillie auprès des survivants. Ils ont l’occasion de raconter leur expérience dans leurs propres mots, selon leurs conditions, dans un cadre sécuritaire et confidentiel. Ils décident s’ils veulent dévoiler cette information au grand jour. Jusqu’à maintenant, les survivants avec qui j’ai discuté sont très ouverts à participer à un examen constructif, avec des recommandations précises tirées de leur expérience. Ils détiennent des connaissances. Ils ont une expertise qu’on ne peut acquérir sans être passé au travers de l’épreuve. Ce savoir est utile pour nous. Nous ne devrions pas nous en priver sans même connaître les circonstances.
Hier soir, j’ai passé presque deux heures au téléphone avec quelqu’un qui a déjà travaillé pour un sénateur. J’ai aussi passé presque deux heures aujourd’hui avec une autre personne qui a déjà travaillé pour un sénateur. J’ai reçu des courriels et j’ai tout vérifié. Il s’agit bel et bien de personnes qui ont travaillé au Sénat pendant de longues périodes. Je ne vais pas donner de détails qui permettraient de les identifier, mais je peux vous dire qu’il s’agit d’un problème grave. Pour pouvoir travailler ensemble et aller de l’avant, je pense que nous devons savoir si cela signifie quelque chose lorsque l’une des entités les plus puissantes du Sénat envoie à une sénatrice une lettre portant le sceau « confidentiel ». Si c’est le cas, qu’est-ce que cela signifie au juste? Si cela ne fonctionne que dans un sens, cherchons à comprendre comment il se fait que le mot « confidentiel » soit interprété de cette façon au Sénat.
En terminant, j’aimerais simplement dire qu’une occasion nous est offerte ici. On ne peut pas penser que, parmi toutes les institutions hiérarchiques, cette institution hiérarchique est l’exception qui confirme la règle. On ne peut pas penser que cette institution, compte tenu du fait que certains de ses membres jouissent de privilèges particuliers, ne crée pas un milieu où l’exploitation est possible. Si nous ne sommes pas disposés à créer les conditions dans lesquelles les survivants pourront exprimer ce qu’ils ont vécu, nous ne disposerons pas de toutes les connaissances nécessaires pour réagir avec intégrité, pour utiliser nos ressources afin de corriger cette injustice et pour faire du Sénat une institution meilleure et plus solide, au profit de tout le pays.
Son Honneur le Président : Je tiens à remercier tous les sénateurs qui ont exprimé leur opinion sur cette question de privilège. Je vais prendre la question en délibéré.
Peuples autochtones
Autorisation au comité d'étudier les conséquences de la légalisation éventuelle du cannabis sur les collectivités des Premières Nations, des Inuits et des Métis
L’honorable Lillian Eva Dyck, conformément au préavis donné le 1er février 2018, propose :
Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à étudier, en vue d’en faire rapport, les conséquences de la légalisation éventuelle du cannabis sur les collectivités des Premières Nations, des Inuits et des Métis, ce qui comprend, sans toutefois s’y limiter :
a)Le caractère suffisant des consultations avec les collectivités et les organisations autochtones;
b)le pouvoir de vendre du cannabis ou d’interdire sa vente dans les collectivités autochtones;
c)la justice, la sécurité publique, les services policiers et la capacité d’application de la loi;
d)les effets potentiels de la consommation de cannabis sur les peuples autochtones, en mettant l’accent plus particulièrement sur la jeunesse et les services d’aide à l’enfance et à la famille;
e)l’accès à des services et à des moyens de soutien en santé mentale et en toxicomanie, et leur disponibilité;
f)les débouchés économiques liés à la production de cannabis.
Que le Comité présente son rapport final au Sénat au plus tard le 30 avril 2018 et qu’il conserve tous les pouvoirs nécessaires pour diffuser ses conclusions dans les 180 jours suivant le dépôt de ce rapport.
— Chers collègues, l’intention de la motion est de permettre au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones d’examiner les conséquences de la légalisation éventuelle du cannabis sur les collectivités des Premières Nations, des Inuits et des Métis et d’en faire rapport.
De toute évidence, il s’agit d’un sujet important à étudier afin de faire rapport des conclusions au Sénat. Le concept de cette étude spéciale vient du sénateur Christmas, qui a pris l’initiative d’en élaborer les grands paramètres. L’étude proposée a fait l’objet de discussions auprès du comité directeur, et les membres du comité permanent ont été informés de ces discussions ou y ont participé. Nos analystes étofferont la proposition et suggéreront des témoins, et un budget sera préparé pour un voyage d’un jour du comité.
Comme le dit la motion, nous prévoyons présenter le rapport au Sénat au plus tard à la fin avril 2018. Notre but est d’éclairer le débat dans cette enceinte sur la légalisation du cannabis.
(2030)
L’honorable Daniel Christmas : Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir au sujet de la motion de la sénatrice Dyck visant à adopter un ordre de renvoi au sujet d’une étude qui serait effectuée par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.
Je voudrais brièvement vous offrir une certaine perspective concernant cette étude que nous proposons de réaliser et qui porterait sur le cannabis et ses effets sur les peuples autochtones.
La relation entre le cannabis et la population autochtone oscille entre les perspectives intéressantes qui en découlent et la menace qu’elle fait planer.
Cependant, les effets bénéfiques ou néfastes restent à démontrer, et c’est exactement la raison pour laquelle votre comité souhaite l’adoption de cette motion. Nous souhaitons entreprendre la recherche de réponses dans ce vaste dossier.
La présence et l’usage du cannabis dans notre société ainsi que son usage actuel par les Autochtones sont des réalités dont nous sommes bien conscients.
À l’heure où le Parlement prévoit décriminaliser le cannabis, il se publie sur la question une myriade d’articles, et une multitude de voix se font entendre sur la place publique, dans de nombreux contextes et pour illustrer de nombreux points de vue.
Toutefois, pendant que nous nous faisons rebattre les oreilles sur la place publique et au Parlement avec les points de vue des uns et des autres, il existe peu d’études assez vastes et approfondies pour nous fournir de bonnes données concernant les répercussions véritables du cannabis sur les Autochtones, leur famille et leur collectivité, sur les plans humain et social. On pourrait dire que nous sommes noyés dans une mer d’information, mais que nous avons soif de savoir.
Chers collègues, nous devons changer cela. Par cette étude, nous souhaitons trouver des réponses globales aux questions suivantes : dans quelle mesure la consommation de cannabis par les Autochtones est une porte d’entrée vers la consommation d’autres drogues plus dangereuses? La consommation de cannabis a-t-elle des incidences sur la criminalité impliquant des Autochtones? Quels mécanismes sous-tendent ces incidences? Quels problèmes le cannabis et le crime lié au cannabis posent-ils pour les services de police dans les réserves? Quelles répercussions sur la santé mentale et physique des Autochtones la consommation de cannabis peut-elle avoir parmi les Autochtones dans les réserves et hors de celles-ci? Quels résultats peut-on attendre des programmes destinés à aider les Autochtones à diminuer leur consommation de cannabis ? Quels programmes d’aide, de traitement des dépendances ou de services de santé mentale, en particulier de prévention du suicide, sont disponibles ou en cours d’élaboration pour la population la plus à risque du Canada, c’est-à-dire les Autochtones? Quelles sont la nature et la taille des entreprises autochtones produisant du cannabis à usage médical? Quelles sont les perspectives de développement économique pour les Premières Nations, dans le domaine de la production ou de la vente de cannabis?
Nous avons surtout le devoir, envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis, de veiller à ce que nous ayons, autant que possible, tenu des consultations en bonne et due forme avec les communautés, les gens de la base et les organisations représentatives au sujet de l’une des questions socio-économiques les plus importantes de la génération actuelle.
Honorables collègues, je vous invite à adopter la motion et à nous donner les moyens d’éclairer le débat.
Ensemble, nous devons reconnaître que nous avons l’énorme responsabilité de veiller à ce que le Canada fasse ce qui s’impose en ce qui concerne le cannabis et les peuples autochtones, notamment en tenant compte des considérations en matière de politiques fondées sur les faits qui seront élaborées dans cette étude. Wela’lioq. Merci.
[Français]
L’honorable Renée Dupuis : Est-ce que le sénateur Christmas accepterait de répondre à une question?
[Traduction]
Le sénateur Christmas : Oui, bien sûr.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Pouvez-vous m’expliquer comment, selon cette motion, dans cette étude, le comité traiterait la question du projet de loi C-45? Autrement dit, il y a une relation entre les sujets que vous nous avez indiqués aujourd’hui et la proposition de motion visant à ce que le projet de loi C-45 soit examiné par le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. J’aimerais savoir quel est, dans votre esprit, le lien entre l’étude qui est proposée ici, dans la motion, et l’éventuel travail que le comité ferait dans le cadre de l’étude du projet de loi C-45.
[Traduction]
Le sénateur Christmas : Merci, sénatrice. Comme vous le savez, le projet de loi C-45, comme l’a mentionné plus tôt le représentant du gouvernement au Sénat, sera divisé en trois parties. Nous proposons que le Comité des peuples autochtones étudie les parties du projet de loi qui portent sur les peuples autochtones. Ce sera en quelque sorte une étude générale sur toutes les parties du projet de loi, mais nous nous concentrerons sur l’impact qu’aura le projet de loi sur les peuples autochtones.
L’honorable Kim Pate : Sénateur Christmas, accepteriez-vous de répondre à une autre question?
Le sénateur Christmas : Oui, bien sûr.
La sénatrice Pate : En ce qui concerne l’étude, en plus des parties que vous avez mentionnées, je me demande si vous seriez également prêts à y inclure la question des taux élevés d’incarcération chez les peuples autochtones. Je pense que vous y avez fait allusion dans vos observations, mais je voulais juste vérifier s’il serait possible que nous fassions le lien entre la consommation de cannabis et les taux d’incarcération.
Je crois qu’il est extrêmement important que nous approfondissions notre compréhension des questions de cet ordre, ainsi que des répercussions, particulièrement celles touchant les peuples autochtones.
Le sénateur Christmas : Merci, sénatrice Pate, de votre question. Comme vous pourrez le constater dans l’ordre de renvoi, il est précisément question d’étudier ce genre de questions, et l’un des points de l’ordre de renvoi précise qu’il faudra étudier le sujet sous l’angle de la justice, de la sécurité publique, des services policiers et de la capacité d’application de la loi. Ces questions seront donc toutes étudiées.
Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
L’honorable Joan Fraser
Interpellation—Ajournement du débat
L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat), ayant donné préavis le 31 janvier 2018 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable sénatrice Fraser.
— Honorables sénateurs, comme vous le savez, nous avons eu l’occasion de souligner brièvement le départ de la sénatrice Joan Fraser il y a quelques semaines, et nombreux sont ceux qui auraient voulu pouvoir participer aux hommages. Afin de donner l’occasion à tous de le faire, je précise que vous pouvez demander l’ajournement et prendre la parole lorsque vous serez prêt. Je voulais simplement lancer l’interpellation afin qu’elle ne figure plus au Feuilleton des préavis.
Joan racontait souvent la réaction qu’elle avait eue lorsque le premier ministre l’avait appelée pour lui annoncer qu’elle serait nommée sénatrice. Elle disait s’être exclamée : « Pourquoi moi? »
Plus tard, alors qu’elle racontait l’anecdote à de jeunes femmes qui la rencontraient dans le cadre du programme Femmes au Parlement de l’Université McGill, elle leur a parlé des doutes qui l’avaient d’abord assaillie et de la façon dont elle s’y était prise pour les surmonter. Elle avait également encouragé ces jeunes femmes à plutôt se poser la question : « Pourquoi pas moi? »
Pendant son séjour au Sénat, elle a souvent revêtu le manteau de mentor en encourageant les femmes à s’impliquer davantage. Elle a longtemps siégé au comité exécutif de l’Union interparlementaire et elle a été présidente du Comité de coordination des femmes parlementaires de l’Union interparlementaire. Elle a beaucoup contribué à faire avancer l’Union interparlementaire en matière d’égalité des sexes.
C’est le 8 décembre 1998 qu’elle a prononcé son premier discours au Sénat. Elle avait été assermentée moins de deux mois auparavant, mais elle a fait sa première intervention en tant que marraine d’un projet de loi, soit le projet de loi C-40, qui visait à moderniser la loi canadienne sur l’extradition.
Elle a réussi à passer à travers le processus, et, comme elle l’a dit elle-même : « En fin de compte, tout a fonctionné, mais c’était tout un baptême du feu. »
La semaine dernière, lors de son discours d’adieu, Joan Fraser a déclaré ceci :
[Français]
Servir au Sénat est un immense privilège. On ne comprend pas avant d’arriver ici à quel point le privilège est immense. Pendant 19 ans et demi, j’ai eu la chance d’avoir un parcours extraordinaire au Sénat. Je me pinçais parfois en me demandant comment il se faisait que, moi, j’aie pu avoir toutes ces occasions de grandir et d’apprendre, surtout d’apprendre et, dans la limite de mes capacités, d’essayer de servir.
(2040)
[Traduction]
Ces mots, nous devrions toujours les avoir à l’esprit quand nous faisons notre travail.
Même si les sages conseils de Joan Fraser nous manqueront dans les années à venir, nous lui souhaitons une excellente retraite, en santé, avec son mari, Michel, et leurs deux filles, Elisabeth et Isabelle.
L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, j’aimerais moi aussi rendre hommage à la sénatrice Joan Fraser et, ce faisant, faire écho aux propos de mes collègues.
Joan Fraser laissera un grand vide dans notre assemblée, principalement parce qu’elle comprenait vraiment ce qu’on voulait dire par « Chambre de second examen objectif ». Elle connaissait les règles – administratives et procédurales – sur le bout de ses doigts et elle les suivait à la lettre. Pour tout dire, elle connaissait si bien les règles que j’ai longtemps cru qu’elle les avait écrites elle-même.
Comme un boxeur chevronné, elle ne reculait jamais devant une bataille et elle était toujours prête à aller jusqu’au bout. C’est ce que j’aimais de Joan Fraser : son esprit combatif, sa sagesse, son indépendance et son intelligence.
Chers collègues, l’histoire se souviendra de Joan Fraser d’abord et avant tout parce qu’elle a tout donné à notre institution : son cœur, ses tripes, son amour, sa passion, mais surtout, son ardent désir de faire en sorte que le Sénat joue son rôle de Chambre de second examen objectif. Ce sera son héritage, la trace qu’elle laissera derrière elle.
Merci, sénatrice Fraser. Que de bons souvenirs.
L’honorable Marc Gold : Honorables sénateurs, c’est un plaisir pour moi de joindre ma voix au concert d’éloges amplement mérités qui ont été adressés à la sénatrice Fraser. Même si elle n’est plus ici, nous pouvons encore sentir sa présence parmi nous, et je suis convaincu qu’il en sera ainsi pendant de longues années. La sénatrice Fraser était une parlementaire hors pair, et elle nous manquera terriblement à tous. Nous allons nous ennuyer de son intelligence, de son esprit d’analyse affuté, de la capacité qu’elle avait d’aller au cœur du sujet, de la discipline et du dévouement dont elle a fait montre dans son travail de sénatrice. Nous allons aussi nous ennuyer de son éloquence. Que ce soit dans la langue de Shakespeare ou de Molière, la maîtrise et l’amour de la langue qui animaient la sénatrice Fraser nous laissaient tous pantois. C’était toujours un plaisir de l’écouter.
Par-dessus tout, nous nous ennuierons de ces qualités qui font de la sénatrice Fraser une personne et une collègue aussi remarquable : son sens de l’équité, sa décence, son sens de l’humour et, surtout, son intégrité.
[Français]
Honorables sénateurs, nous rendons hommage aujourd’hui à notre vénérée collègue, la sénatrice Joan Fraser. Pour plusieurs d’entre nous qui sont réunis aujourd’hui en cette Chambre, c’est également à titre personnel et au nom de l’amitié que nous soulignons son exceptionnelle carrière. La sénatrice Fraser est mon amie. Nous nous sommes connus il y a plus de 25 ans par l’entremise de nos enfants, et nos deux familles ont partagé des moments heureux au fil des années.
De plus, la sénatrice Fraser a joué un rôle déterminant dans mon cheminement au Sénat. En effet, si le Sénat pouvait attirer une personnalité aussi remarquable, je voulais également en faire partie.
[Traduction]
Depuis lors, qu’elle en soit consciente ou non, la sénatrice Fraser a été un modèle pour moi de par les principes qu’elle a toujours respectés dans son rôle au Sénat, de par sa défense de la communauté anglophone du Québec, de par la façon dont elle a chéri et respecté les grandes traditions de notre institution, de par sa tendance à ne prendre part aux débats que lorsqu’elle sentait qu’elle avait quelque chose d’important à dire — et c’était toujours le cas —, de par sa façon de gérer les situations difficiles avec calme mais aussi avec une volonté de fer, et de par la manière avec laquelle elle a toujours traité les gens avec équité et respect.
Nous nous ennuierons d’elle. Elle a servi le Sénat et notre pays avec grande distinction. Parce que je ressens sa présence ici encore aujourd’hui, j’aimerais conclure en m’adressant directement à elle comme si elle était encore parmi nous : Joan, j’espère que la prochaine étape de votre vie sera remplie de joie et de bonheur pour vous et pour Michel, Elisabeth et Isabelle. Au revoir, mon amie.
(Sur la motion de la sénatrice Cools, le débat est ajourné.)
L’honorable Claudette Tardif
Interpellation—Ajournement du débat
L’honorable Joseph A. Day (leader des libéraux au Sénat), ayant donné préavis le 1er février 2018 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur la carrière de l’honorable sénatrice Tardif.
— Cette interpellation était inscrite au Feuilleton des préavis et j’espère la faire inscrire au Feuilleton en disant quelques mots afin que d’autres sénateurs puissent également y prendre part et formuler des observations qu’ils n’ont pas eu la chance de faire avant.
Durant son discours d’adieu, la sénatrice Tardif a déclaré ce qui suit :
[Français]
Tout au long de mon parcours personnel et professionnel, deux fils conducteurs, soit l’éducation et la langue et la culture françaises, ont inspiré mes choix, mes engagements, mes causes et mes actions.
[Traduction]
Cela est tout à fait vrai, comme le reconnaîtront tous les honorables sénateurs qui ont siégé à ses côtés.
Vous l’aurez deviné, le premier discours important de Claudette au Sénat portait sur l’éducation. Elle participait alors au débat sur une interpellation de l’ancienne sénatrice Callbeck concernant la situation de l’éducation postsecondaire au Canada. Elle a traité de l’importance et des problèmes entourant l’éducation postsecondaire, en mettant l’accent sur les difficultés propres aux universités de langue française à l’extérieur du Québec.
À l’ajournement du débat, sa collègue, la sénatrice Losier-Cool, a dit ce qui suit :
[Français]
C’est votre premier discours au Sénat, mais on voit l’expertise que vous avez dans le domaine. Vous savez de quoi vous parlez. Félicitations! Faites-nous d’autres discours comme cela, et nous vous écouterons avec attention.
[Traduction]
Et c’est bel et bien ce qui s’est produit, honorables sénateurs. Dès que Claudette Tardif prenait la parole en cette enceinte, les gens l’écoutaient. Toujours renseignée et sensée, elle s’acquittait de ses responsabilités de sénatrice avec dévouement.
Comme je l’ai dit la semaine dernière, nous sommes tristes de la voir partir, mais heureux de savoir qu’elle passera plus de temps avec son mari, Denis, leurs enfants, Claudine, Nathalie et Pierre, ainsi que leurs sept petits-enfants — quoiqu’elle soit actuellement en voyage en Nouvelle-Zélande, d’après ce que je comprends. Nous lui offrons nos meilleurs vœux.
L’honorable Jim Munson : Honorables sénateurs, je sais qu’il est tard, mais je n’aurai pas l’occasion de parler de Claudette demain, car je pars pour l’Alberta afin d’y célébrer la vie du grand sénateur Tommy Banks, avec qui j’ai travaillé et siégé pendant de nombreuses années. Il était un mentor, et je dois tout simplement me rendre en Alberta. Le temps y est bon parfois à l’automne. C’est ce qu’on dit.
Je sais qu’il est tard et que la soirée a été intéressante. C’est le moins que l’on puisse dire. Je pense que ceux qui, comme nous, font partie de la majorité ont de la difficulté à s’imaginer ce que vivent ceux qui doivent lutter tous les jours, je dis bien tous les jours, pour faire respecter leurs droits.
J’ai du mal à croire que Claudette soit partie. Championne, titulaire d’un doctorat, sénatrice, mère, ardente défenseure des droits linguistiques des minorités, ses points de vue et opinions sur les droits des minorités étaient sincères.
L’autre jour, je repensais au moment où une sénatrice Tardif très émue a annoncé au caucus qu’elle allait quitter le Sénat plus tôt qu’elle l’aurait pu. La pièce est devenue toute silencieuse. C’était l’incrédulité. Claudette était toujours là, toujours prête à tendre la main, toujours soucieuse de votre bien-être.
À l’époque où Claudette, Jim Cowan et moi — les trois « amigos » — formions l’équipe des leaders, sa capacité d’écouter et de régler des problèmes, sa grande intelligence émotionnelle, son esprit d’équipe et son merveilleux sens de l’humour sont autant de qualités qui ont rendu l’expérience enrichissante. Elle a contribué à enrichir mon parcours et la qualité de mon travail. J’avais véritablement le sentiment que nous avions accompli des choses ensemble.
Il est difficile de dire adieu à une femme qui a si bien servi les gens qu’elle représentait, son pays et le Sénat. J’ai l’impression qu’hier seulement, nous étions à l’ambassade de France, où notre chère collègue se voyait attribuer les insignes d’Officier de l’Ordre national de la Légion d’Honneur. Imaginez, la Légion d’honneur!
(2050)
Un peu plus tôt, j’ai utilisé l’expression « ardente défenseure des droits linguistiques des minorités ». Il serait peut-être plus juste de parler d’« inébranlable défenseure des droits linguistiques des minorités dans l’ensemble du pays ».
Au Canada, la langue ne connaît pas les frontières, et l’Albertaine qu’est Claudette Tardif l’a su dès son plus jeune âge. Elle ne me l’a jamais dit, mais ce doit néanmoins être quelque chose qui lui avait été inculqué dans sa famille. Cela n’a pas dû être facile pour une fille de grandir dans une famille rurale très nombreuse en Alberta.
Claudette est, dans tous les sens du terme, quelqu’un d’empathique, et c’est à mon avis son empathie respectueuse qui la motive. Elle a représenté les francophones non seulement de l’Alberta, mais du pays tout entier, notamment la communauté acadienne de ma province d’origine, le Nouveau-Brunswick. Je sais que mon épouse appréciait le travail de Claudette et ce qu’elle a accompli.
Je tiens à dire à Claudette un grand merci pour tout ce qu’elle a fait et tout ce qu’elle continuera de faire. Dans tous les coins du pays, des francophones voient en Claudette Tardif leur championne. Elle sait instinctivement qu’on ne peut pas tenir les droits pour acquis. Il faut rester vigilant et faire preuve d’ingéniosité pour les défendre. Ce n’était pas dans son caractère de manifester de l’indignation, mais plutôt de la détermination dans sa vigilance.
Claudette Tardif est unique. C’est une voix singulière qui s’est servie de l’éducation et de la détermination pour défendre les droits linguistiques. Et elle ne s’en est pas tenue là : elle a également défendu les droits des femmes et des filles, ceux des Premières Nations et ceux des victimes de violence.
Elle aura maintenant, comme l’a dit le sénateur Day, du temps pour son époux, Denis, ses enfants et ses petits-enfants. Après tout, comme je l’ai dit à propos de la sénatrice Fraser, au bout du compte, honorables sénateurs, c’est vraiment la famille qui compte le plus. Pouvez-vous imaginer quelle éducatrice elle sera chez elle, auprès de ses petits-enfants, qui grandiront forts de savoir que leur grand-mère a été à l’avant-garde de la lutte pour quelque chose qui relève de la justice la plus élémentaire, soit : les droits linguistiques, les droits de la personne et le droit de pouvoir s’exprimer dans sa langue dans tout le pays?
[Français]
L’honorable Paul E. McIntyre : Honorables sénateurs, je tiens à joindre ma voix à celle des sénateurs Day et Munson afin de rendre hommage à notre collègue, la sénatrice Tardif, et de souligner sa contribution au Sénat.
Je fais écho aux remarques des sénateurs qui ont souligné son engagement envers les droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada et son travail efficace en tant que présidente du Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Avec raison, elle est reconnue comme l’une des principales championnes de la francophonie, s’étant impliquée à d’innombrables reprises dans la collectivité afin de défendre fermement, entre autres, les droits linguistiques des communautés de langue officielle en situation minoritaire. D’ailleurs, cela lui a valu d’être reconnue pour son leadership et son dévouement à la cause, et elle a même remporté de grands honneurs, qui ont déjà été soulignés par mes collègues.
Je garde d’elle de très bons souvenirs, surtout la façon dont elle a présidé le Comité sénatorial permanent des langues officielles avec beaucoup de dévouement et d’ardeur dans l’exécution de ses fonctions. Claudette Tardif laisse un héritage remarquable derrière elle. Je suis honoré d’avoir eu le privilège de la côtoyer et de siéger à ses côtés au Comité sénatorial permanent des langues officielles.
Sénatrice Tardif, je vous dis un gros merci pour ce beau travail. Décidément, vous laisserez un grand vide à combler dans cette Chambre.
(Sur la motion de la sénatrice Gagné, au nom du sénateur Cormier, le débat est ajourné.)
(À 20 h 55, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)