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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 43e Législature
Volume 151, Numéro 11

Le mardi 25 février 2020
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 25 février 2020

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

Déclaration de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le mois de février marque le 100e anniversaire des services de sécurité spécialisés de la Colline du Parlement. C’est une occasion de réfléchir sur le Service de protection parlementaire et ses organisations fondatrices, et de remercier ceux qui ont contribué à assurer la sécurité de notre Parlement.

En 1868, le gouvernement fédéral a mis sur pied une petite force de protection composée de 12 hommes. Connu sous le nom de Police fédérale, le nouveau détachement a reçu le mandat de protéger les personnes et les biens à l’intérieur des édifices du Parlement. En 1920, la Police fédérale a été intégrée à la Gendarmerie royale du Canada, ce qui a mené à la formation de la première unité du service de sécurité parlementaire. Trois agents ont été assignés au Sénat et trois autres à la Chambre des Communes, marquant ainsi le début du Service de sécurité du Sénat et du Service de sécurité de la Chambre des communes.

Il y a cinq ans, à la suite des événements tragiques survenus le 22 octobre 2014, les forces de sécurité des deux Chambres ont été fusionnées pour créer l’entité maintenant connue sous le nom de Service de protection parlementaire. Celui-ci a été créé officiellement en juin 2015. En tant que nouvelle entité parlementaire, le Service de protection parlementaire s’inspire des traditions et de l’héritage des institutions qui l’ont précédé et il continue d’entretenir un partenariat important avec la GRC.

La GRC continue d’offrir un leadership au Service et il l’aide à respecter ses priorités et à connaître du succès en mettant à profit son expertise et ses ressources. Peu importe la forme que prend la sécurité parlementaire, la mission demeure fondamentalement la même, à savoir : assurer la sécurité de tous afin que les parlementaires et les employés puissent assumer leurs fonctions législatives dans un milieu sûr et ouvert.

Ce mois-ci, nous reconnaissons les forces de sécurité qui ont joué un rôle vital dans notre histoire parlementaire. Nous soulignons le courage, le dévouement et la diligence des membres de notre personnel de sécurité, tout en reconnaissant les risques auxquels ils s’exposent tous les jours dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit de Canadiens ordinaires, qui, à tout moment, peuvent être appelés à faire des choses extraordinaires. Ce faisant, ils défendent les valeurs du Service de protection parlementaire, qui sont le professionnalisme, le respect, l’objectivité, l’unité et la démocratie.

Chaque jour, les hommes et les femmes de notre service acceptent leur devoir et mettent leur vie en danger pour sécuriser cet endroit, afin d’éliminer les dangers pour les parlementaires, le personnel, les membres des médias, les dignitaires et les visiteurs venus de partout. Nous remercions tous les membres — actuels ou anciens — du Service de sécurité parlementaire de leur capacité d’adaptation et de leur dévouement envers les travaux du Parlement, ainsi que du professionnalisme inébranlable dont ils font preuve tous les jours.

Au nom de tous les sénateurs, nous vous sommes reconnaissants de vos services.

Merci beaucoup.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Victoire au curling

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, la semaine dernière fut palpitante pour les amateurs de curling du Manitoba et de tout le pays. Les meilleures équipes juniors de curling du monde entier se sont rassemblées en Russie pour les Championnats du monde de curling junior.

Se qualifier pour participer aux championnats du monde est un exploit en soi. En effet, nos équipes ont dû d’abord remporter le championnat national. Chers collègues, les deux équipes du Canada, masculine et féminine, provenaient toutes les deux de la province du Manitoba.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Plett : Ils nous ont fait honneur, chers collègues. Samedi matin, l’équipe de Jacques Gauthier, de Winnipeg, a affronté l’équipe de la Suisse en finale. Après avoir remporté six bouts, les Canadiens ont marqué consécutivement deux points aux septième et huitième bouts, forçant ainsi la Suisse à concéder la partie. Les membres de l’équipe de Gauthier sont les champions juniors de curling masculin.

Samedi après-midi, l’équipe féminine de Mackenzie Zacharias d’Altona au Manitoba a affronté l’équipe de la Corée du Sud dans une lutte épique. Après avoir tiré de l’arrière pendant la première moitié de la partie, l’équipe de Zacharias a établi l’égalité à 4 contre 4 au septième bout, pour prendre les devants à 7 contre 5 au neuvième. La Corée du Sud a concédé la victoire, et l’équipe féminine canadienne du Manitoba a remporté le Championnat mondial de curling féminin.

(1410)

La semaine dernière, chers collègues, le Tournoi des cœurs Scotties s’est déroulé à Moose Jaw, en Saskatchewan. À la fin d’une longue et épuisante semaine, les équipes de Kerri Einarson, du Manitoba; de Jennifer Jones, également du Manitoba; et de Rachel Homan, de l’Ontario, étaient à égalité au sommet du classement. C’est finalement l’équipe d’Einarson qui a remporté le tournoi en atteignant le centre de la maison. L’équipe de Jennifer Jones a terminé deuxième et celle de Rachel Homan, troisième. Comme c’est une équipe du Nord de l’Ontario qui a terminé en quatrième position, on peut dire que les finales ont été l’affaire du Manitoba et de l’Ontario.

L’équipe d’Einarson a défait celle de Jennifer Jones en quart de finale, tandis que l’équipe de Rachel Homan a battu celle du Nord de l’Ontario dirigée par Krista McCarville dans l’autre match de quart de finale. L’équipe de Jennifer Jones, six fois championne du Tournoi des cœurs Scotties, s’est ainsi retrouvée en demi-finale contre celle de Rachel Homan, trois fois championne du même tournoi. C’est cette dernière qui a remporté la partie.

Chers collègues, cela a mis la table pour une finale enlevante entre l’équipe manitobaine de Kerri Einarson et l’équipe ontarienne de Rachel Homan. Après 10 manches, le score étant égal 7 à 7, il a fallu jouer une manche supplémentaire. Lorsque Einarson s’est présentée dans le bloc de départ pour lancer sa dernière pierre, elle avait devant elle deux pierres ontariennes : une était dans le cercle de huit pieds, et l’autre dans le cercle de quatre pieds. À la hauteur de la tâche, Einarson a placé la pierre au centre de la maison, remportant ainsi son premier tournoi Scotties. Cela signifie donc que l’équipe du Manitoba sera l’Équipe Canada à l’occasion du Tournoi des cœurs l’an prochain, qu’elle représentera le Canada dans le cadre du Championnat du monde à Prince George, en Colombie-Britannique, en mars prochain, et qu’elle est certaine de participer aux épreuves préolympiques de 2021.

J’invite tous les sénateurs à se joindre à moi pour féliciter l’équipe Gauthier, l’équipe Zacharias et l’équipe Einarson pour leurs résultats bien mérités au curling. Elles font la fierté du Manitoba!

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’un groupe de participants du Programme d’études des hauts fonctionnaires parlementaires.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le décès de Robert H. Lee, O.C., O.B.C

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables collègues, j’aimerais aujourd’hui saluer la mémoire d’un homme d’affaires et philanthrope de Vancouver, M. Robert H. Lee, qui s’est éteint le 19 février dernier. Je n’ai qu’une minute pour lui rendre hommage, mais même si j’avais une heure, je serais encore incapable de faire justice à toutes les réalisations de ce grand homme.

Le père de Bob Lee, qui a immigré de Chine, était un entrepreneur et un véritable pilier du quartier chinois de Vancouver. Il a enseigné à ses enfants qu’on doit toujours voir grand, se comporter de manière intègre, travailler dur et penser à son prochain. Aujourd’hui, la Vancouver Chinatown Foundation fait partie de la contribution de la famille Lee à la ville.

Même une fois son diplôme en commerce de l’Université de la Colombie-Britannique en poche, Bob Lee a soutenu son alma mater toute sa vie durant.

Il a siégé à son conseil d’administration durant 23 ans et il en a été le chancelier de 1993 à 1996. C’est en bonne partie grâce à lui que l’université a pu se doter d’un modèle de développement de son bien-fonds qui, tout en étant prudent, lui a permis répondre à ses besoins sans nuire aux Premières Nations et à l’environnement.

Robert Lee a été admis à l’Ordre du Canada et à l’Ordre de la Colombie-Britannique, en plus d’être intronisé au temple de la renommée des affaires de la province. On le surnommait « Mr. UBC », mais sa générosité allait bien au-delà de l’Université de la Colombie-Britannique et s’étendait en fait à toutes la vallée du bas Fraser. Tout comme l’ensemble du milieu universitaire, je pleure moi aussi le départ de Bob Lee et j’offre mes plus sincères condoléances à sa femme, Lily, ainsi qu’à ses enfants, Carol, Derek, Leslie et Graham.

La confidentialité numérique

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, le piratage informatique n’est pas le plus grand risque d’atteinte à la vie privée auquel les Canadiens doivent faire face; c’est plutôt lorsqu’ils cliquent sur « J’accepte » sans savoir le type et la quantité de données privées qu’ils s’apprêtent ainsi à partager.

Selon le magazine Forbes, 90 % de toutes les données ont été générées au cours des deux dernières années seulement. Quand on pense à l’omniprésence des appareils connectés, comme les téléphones, les montres, les voitures, les sonnettes et même les frigos, on se rend compte que cette affirmation est tout à fait sensée. Les appareils connectés génèrent et transfèrent des données toutes les minutes, tous les jours. Nos recherches sur Google, nos courriels, nos publications et mentions « J’aime » et de partage sur Facebook, ainsi que nos gazouillis produisent tous des données extrêmement personnelles. On a de plus en plus l’impression que nos données personnelles sont siphonnées, puis transmises à des bases de données privées sans qu’on sache vraiment à quelles fins elles sont utilisées.

Les possibilités abondent en cette ère numérique naissante, mais les Canadiens ne pourront en profiter pleinement que si nous renforçons notre infrastructure numérique, notamment nos lois en matière de protection de la vie privée et nos protocoles d’identité numérique. Ce n’est qu’alors que les Canadiens auront la certitude et la confiance que leurs données privées seront utilisées pour améliorer leur vie plutôt que pour nuire à leurs intérêts.

La confiance est essentielle pour que l’on puisse prospérer à l’ère numérique. Les entreprises qui connaissent le plus de succès savent que, pour favoriser leur croissance et leur rentabilité, elles doivent gagner la confiance de leurs clients. Il en est ainsi notamment pour Shopify, une entreprise d’Ottawa qui a atteint un chiffre de ventes de 1 milliard de dollars plus rapidement que toute autre société nord-américaine dans l’histoire.

Par ailleurs, les utilisateurs de Fitbit ont regimbé — et bon nombre d’entre nous ont des montres Fitbit — contre la possibilité que Google mette la main sur des années de données personnelles lorsqu’elle a fait l’acquisition de cette société le mois dernier pour la somme de 2 milliards de dollars. Les législateurs européens et américains se demandent maintenant si cette acquisition devrait aller de l’avant.

Le Canada doit de toute urgence accorder la priorité au renforcement de ses infrastructures numériques invisibles, mais tellement importantes. Grâce à la certitude réglementaire, on pourra bâtir la confiance du public, et les entreprises pourront faire les investissements nécessaires pour créer des solutions numériques à certains des problèmes les plus répandus au sein de la société.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de représentants de la Treaty Education Alliance, y compris le chef Nathan Pasap, de la Première Nation White Bear, en Saskatchewan, le chef George Peter Cote, de la Première Nation Cote, en Saskatchewan, et le chef Ira McArthur, de la Première Nation Nakota de Pheasant Rump. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Francis.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La liberté d’expression

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, ayant passé de nombreuses années dans le milieu du journalisme, la liberté d’expression dans le discours public est une chose qui me tient énormément à cœur et, même si les médias sont passés à autre chose, l’affaire reste trop importante pour ne pas en parler.

La semaine dernière, le premier ministre a convoqué une réunion de chefs politiques pour discuter du blocage du chemin de fer et des manifestations qui paralysent l’économie canadienne. Or, on a décidé d’« exclure » le chef de l’un des partis politiques d’une discussion sur les affaires du pays parce que son point de vue était différent de celui des autres — même si ce point de vue correspondait à ceux des représentants élus de la nation des Wet’suwet’en.

L’ancien président américain Harry Truman avait énoncé cette mise en garde :

Une fois qu’un gouvernement a décidé de réduire la voix de l’opposition au silence, il s’engage sur une voie bien précise, celle des mesures de plus en plus répressives [...] et crée un pays où tout le monde vit dans la peur.

Les grands penseurs, philosophes et politiciens ont été nombreux à se prononcer sur l’importance fondamentale de la liberté de parole. Le linguiste Noam Chomsky donne avec grande concision son opinion sur le sujet :

Si l’on ne croit pas à la liberté d’expression pour les gens qu’on méprise, on n’y croit pas du tout.

JFK, lui, a dit :

Nous ne craignons pas de faire entendre au peuple américain des faits désagréables, des idées nouvelles, des philosophies qui lui sont étrangères et des valeurs contraires, car un pays qui a peur de laisser sa population faire librement la distinction entre le vrai et le faux est un pays qui a peur de sa population.

Je pourrais continuer, mais je pense que c’est clair : il s’agit d’un terrain glissant. Si vous n’aimez pas ce que quelqu’un raconte, changez de canal, annulez votre abonnement, faites une pause de réseaux sociaux ou retirez vos écouteurs. Vous n’avez pas à être d’accord avec moi, mais, de grâce, ne m’enlevez pas mon droit de dire ce que je pense. Vous ne pouvez pas m’empêcher de parler, parce que vous n’appuyez pas ce que je dis.

L’écoute, c’est la capacité d’embrasser un autre point de vue. Nous devrions écouter les autres plus souvent. Pour qu’une démocratie existe, les citoyens doivent pouvoir critiquer les dirigeants alors, luttons contre les mauvaises idées en en proposant de meilleures. Il ne faut pas exclure du débat les divergences et les différences d’opinions; il faut en apprendre quelque chose. Merci.

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Sylvianne Lacasse, qui fournit des services de soins infirmiers dans le Nord du Manitoba. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice McCallum.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée internationale contre l’utilisation des enfants soldats

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, le 10 février, j’ai assisté à un événement organisé dans le cadre de l’initiative de Roméo Dallaire sur les enfants soldats. L’événement s’est déroulé à l’Université Dalhousie, en présence de notre ancien collègue le général Roméo Dallaire, de Shelly Whitman, directrice générale de l’initiative, et de deux anciens enfants soldats, Ishmael Beah et le Canadien Omar Khadr.

(1420)

En 2017, l’Organisation des Nations Unies a révélé que 56 groupes armés non étatiques et 7 forces armées étatiques recrutaient et utilisaient des enfants. Selon les estimations de l’UNICEF, à l’heure actuelle, 300 000 enfants soldats sont exploités activement dans le cadre de divers conflits à l’échelle mondiale. Récemment, au Sénat, la sénatrice Ataullahjan a parlé de réfugiés afghans aussi jeunes que 14 ans qui se font acheter par l’Iran pour participer aux combats que le pays mène en Syrie dans le cadre de son alliance avec le régime Assad.

Alors qu’il était encore un enfant vulnérable, Omar Khadr a été forcé par son père de quitter le Canada, à l’âge de 13 ans, pour prendre les armes en Afghanistan. Lors d’un échange de coups de feu pendant lequel un soldat américain a été tué par une grenade qui aurait été lancée par Omar Khadr, ce dernier a été grièvement blessé, puis il a été détenu à Guantanamo pendant 10 ans.

Le Canada ne s’est pas conformé au droit international, qui dit très clairement que les enfants qui sont recrutés et utilisés comme soldats ne peuvent pas être tenus responsables de leur participation à un conflit armé. Cette affaire a terni la réputation du Canada en tant que protecteur des droits des enfants. Lorsque la Cour suprême a affirmé, dans une décision rendue en 2017, que les droits que la Charte garantit aux citoyens canadiens n’avaient pas été respectés dans le cas de M. Khadr, le Canada lui a présenté des excuses et lui a versé une indemnité.

Ishmael Beah, auteur du livre Le chemin parcouru : Mémoires d’un enfant soldat, n’avait que 13 ans lorsqu’on l’a recruté de force et utilisé comme soldat pendant la guerre civile en Sierra Leone. Il a dit ceci :

Il fut un temps où voir quelqu’un se faire tirer dessus, ou prendre un fusil et tirer sur quelqu’un, était devenu quelque chose d’aussi facile que de boire un verre d’eau.

Contrairement à M. Khadr, M. Beah a été réhabilité au lieu d’être emprisonné. Il a ainsi pu vivre ce qu’il appelle sa deuxième vie.

Tout enfant, qu’il participe à un conflit contre des forces armées en Syrie ou en Sierra Leone, ou encore contre les forces alliées en Afghanistan, est une victime qui doit être protégée et réhabilitée. En 2017, le gouvernement du Canada et l’Initiative pour les enfants soldats de la Fondation Roméo Dallaire ont lancé les Principes de Vancouver sur le maintien de la paix et la prévention du recrutement et de l’utilisation d’enfants soldats, qui sont maintenant adoptés par 95 pays.

Le 12 février, c’est la Journée internationale contre l’utilisation d’enfants soldats. Le général Dallaire nous rappelle ceci : « On ne devrait jamais tenir les enfants responsables des atrocités qui ont été orchestrées par les adultes; la haine est un comportement qui est inculqué, et la jeunesse est notre ressource la plus précieuse. »

Honorables collègues, soyons à l’écoute de ces paroles. Merci, wela’lioq.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Le commissaire aux langues officielles

Dépôt des rapports annuels de 2018-2019

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, les rapports du Commissariat aux langues officielles pour l’exercice terminé le 31 mars 2019, conformément à la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1, art. 94 et la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21, art. 72.

[Traduction]

Le directeur parlementaire du budget

Évaluation de la situation du marché du travail — 2020—Dépôt du rapport

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport du Bureau du directeur parlementaire du budget intitulé Évaluation de la situation du marché du travail — 2020, conformément à la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1, par. 79.2(2).

Régie interne, budgets et administration

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à renvoyer le rapport d’évaluation du milieu de travail demandé par le comité pendant la deuxième session de la quarant et unième législature à la session en cours

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le rapport d’évaluation du milieu de travail demandé par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration au cours de la deuxième session de la quarante et unième législature, qui s’intitule Report of Evidence Relating to the Workplace in the Office of Senator Don Meredith, en date du 13 juillet 2015, soit renvoyé au comité durant la session en cours aux fins de ses travaux sur les questions s’y rattachant, sous réserve des pratiques normales concernant les documents confidentiels.

Le Sénat

Préavis de motion concernant le début de l’ordre du jour chaque troisième mardi de séance pour le reste de la présente session

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, pour le reste de la présente session, le leader de l’opposition au Sénat soit autorisé à désigner, au moyen d’une courte déclaration au cours de toute période des questions, le ministre de la Couronne qui sera invité à comparaître devant le prochain comité plénier tenu conformément au présent ordre;

Que, chaque troisième mardi de séance du Sénat à compter de l’adoption du présent ordre, le Sénat se forme en comité plénier au début de l’ordre du jour afin de recevoir le ministre désigné concernant ses responsabilités ministérielles;

Que le comité fasse rapport au Sénat au plus tard deux heures après le début de ses travaux;

Que, si le ministre désigné ne peut pas comparaître le mardi prévu :

1.le leader ou le leader adjoint du gouvernement au Sénat en avise le Sénat le plus tôt possible, au moyen d’une courte déclaration à cet effet au cours d’une période des questions;

2.la comparution du ministre désigné soit alors remise au prochain mardi que le Sénat siège, sous réserve des mêmes conditions.

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Préavis de motion concernant la composition du comité

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le nom de l’honorable sénateur Tannas soit ajouté à la liste des membres du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.

La Banque du Canada

Préavis d’interpellation

L’honorable Bev Busson : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :

J’attirerai l’attention du Sénat sur la façon dont la Banque du Canada honore les Canadiens grâce aux billets de banque.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Les ressources naturelles

Les pipelines

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, l’abandon du projet minier Frontier de la société Teck dans le Nord-Est de l’Alberta porte un coup terrible non seulement à cette province, mais à l’ensemble du pays. Des milliers de bons emplois bien rémunérés et des investissements de plusieurs milliards de dollars sont maintenant chose du passé. Dans une lettre publique, le président de Teck, Don Lindsay, a déclaré ce qui suit :

Le projet minier Frontier bénéficie d’un soutien sans précédent auprès des communautés autochtones et a été jugé d’intérêt public par une commission mixte fédérale-provinciale d’évaluation environnementale après des semaines d’audiences publiques et un long processus réglementaire [...]

Malgré tous les efforts de la société Teck, M. Lindsay en arrive à la conclusion suivante :

[...] le projet ne pourra jamais être réalisé de façon constructive [...]

Monsieur le leader, la société Teck avait conclu un accord avec l’ensemble des 14 communautés autochtones présentes dans la région visée par le projet. De plus, le projet a fait l’objet d’un examen approfondi et il a été approuvé par un groupe d’experts. Si ce projet ne peut pas être mis en œuvre dans notre pays, qu’est-ce qui pourra bien l’être?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, monsieur le sénateur. Comme tous les sénateurs le savent, Teck a pris une décision d’affaires, et le gouvernement du Canada la respecte.

Dans la lettre que l’honorable sénateur a citée, M. Lindsay souligne aussi au ministre Wilkinson que :

[...] les investisseurs et les consommateurs cherchent de plus en plus des États offrant un cadre qui concilie exploitation des ressources naturelles et lutte contre les changements climatiques afin de produire les produits les plus propres possible [...]

Le gouvernement est d’avis qu’il est possible et nécessaire de travailler de concert pour continuer à valoriser les ressources naturelles de façon durable tout en contribuant à la transition mondiale vers un avenir à faibles émissions de carbone. C’est la volonté qu’a exprimée le président et chef de la direction de Teck Resources dans sa lettre, et c’est l’objectif des politiques du gouvernement.

La lettre de M. Lindsay se termine ainsi :

Le Canada ne réalisera pas son plein potentiel tant que les gouvernements n’arriveront pas à s’entendre pour intégrer des considérations d’ordre climatiques aux futurs projets de développement responsable du secteur énergétique [...]

On me signale que le gouvernement fédéral est fermement résolu à collaborer avec les premiers ministres des provinces, les communautés autochtones et le secteur des ressources pour faire du Canada un chef de file mondial en matière de développement durable et climato-intelligent du secteur des ressources, tout en favorisant la concrétisation de ses objectifs de transition vers un avenir à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Plett : Je me demande si le leader accepterait de déposer cette lettre plus tard. Cela dit, nulle part dans cette déclaration je n’ai entendu de réponse indiquant quel genre de projet pourra être mis en œuvre dans notre pays.

(1430)

Je reformule ma question. Le premier ministre soutient, tant au pays qu’à l’étranger, qu’il faut progressivement cesser l’exploitation des sables bitumineux. Le gouvernement a fait adopter les projets de loi C-48 et C-69, qui empêcheront la concrétisation de tout grand projet énergétique. Il a donné des deniers publics à un groupe écologiste pour qu’il milite contre l’expansion du réseau Trans Mountain. Il envoie des millions de dollars des contribuables canadiens pour contribuer à l’aménagement de pipelines en Asie tandis que, dans notre propre pays, des milliers d’emplois de la classe moyenne et des milliards de dollars d’investissement du secteur privé se volatilisent. La liste se poursuit.

Sénateur Gold, où cela va-t-il finir? Je vous en prie, ne me lisez pas une lettre. Où cela va-t-il finir? Le gouvernement peut-il dire avec certitude que le projet Coastal GasLink se concrétisera? Peut-il le dire au sujet de l’expansion du réseau Trans Mountain?

Quels seront les prochains projets annulés?

Le sénateur Gold : La position du gouvernement à l’égard du projet d’expansion du réseau Trans Mountain est plutôt claire. Comme nous le savons tous, le gouvernement a fait l’acquisition du réseau de pipelines, malgré ce que cela lui a coûté sur le plan politique. En ce qui a trait au gazoduc en Colombie-Britannique, à ce que je sache, le premier ministre de cette province a demandé à la société de reporter temporairement les travaux d’aménagement pour que d’autres consultations puissent être effectuées auprès des collectivités autochtones.

Sénateur, je sais que les sénateurs sont nombreux à vouloir poser des questions, alors je vais tenter de répondre au reste de votre question brièvement. La lettre que vous avez mentionnée a été rédigée par la société Teck à l’intention du ministre. Je crois qu’elle a fait l’objet d’un communiqué de presse et qu’elle a été rendue publique. En ce qui concerne le reste de votre question, le gouvernement du Canada n’accepte pas votre caractérisation du projet de loi C-69 ni des autres mesures. Je vais m’arrêter là.

Les affaires autochtones et du Nord

Les structures de gouvernance des Premières Nations

L’honorable Larry W. Smith : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Coastal GasLink a signé des ententes sur les retombées avec les 20 conseils de bande élus des collectivités qui se trouvent le long du tracé du pipeline, y compris le conseil de bande des Wet’suwet’en. Crystal Smith, conseillère en chef de la nation Haisla, a dit ceci :

Nous avons dit oui à LNG Canada et à Coastal GasLink parce que les promoteurs et la province de la Colombie-Britannique nous ont approchés en faisant preuve de respect envers nos nations et notre peuple. Ils ont respecté notre expertise en ce qui concerne notre territoire et notre culture.

Les Haisla ne sont pas rapides à appuyer des projets lorsqu’il est question de leur territoire.

Ce sont cinq chefs héréditaires des Wet’suwet’en qui s’opposent à Coastal GasLink. Ils soutiennent que la majorité du territoire traditionnel sur lequel passera le pipeline n’a pas été cédé et relève donc de leur compétence, et non de celle des conseils de bande, qui ont compétence sur les petites réserves.

[Français]

Bien que le gouvernement fédéral reconnaisse les membres des conseils élus en vertu de la Loi sur les Indiens, les opposants au projet Coastal GasLink ont souligné clairement que le système juridique des Premières Nations et des Inuits précédait la colonisation, et que ce même système n’avait jamais été dissous à la suite de la signature des traités, ce qui signifie donc que le rôle des chefs héréditaires devrait être reconnu dans le contexte du Canada d’aujourd’hui.

[Traduction]

Sénateur Gold, face à cet affrontement manifeste entre pouvoirs, comment le gouvernement concilie-t-il les droits des conseils de bande élus avec ceux des chefs héréditaires au sein des structures de gouvernance des Premières Nations en ce qui concerne les projets d’infrastructure au Canada?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci beaucoup de votre question. Je vais essayer d’être bref, bien que votre question soulève peut-être l’un des enjeux les plus fondamentaux auxquelles nous sommes confrontés, en particulier en ce qui concerne le territoire non cédé en Colombie-Britannique. Le fait est que, comme la Cour suprême l’a établi il y a plus de 25 ans, il existe des droits détenus par les chefs héréditaires qui doivent être respectés conformément au principe de l’honneur et de l’obligation de la Couronne. Il est également vrai qu’il existe des conseils de bande élus qui ont été créés aux termes de la Loi sur les Indiens, et il est également vrai que les communautés sont différentes et parfois divisées. C’est ce qui a rendu la situation que nous venons de traverser de peine et de misère si compliquée.

Le gouvernement du Canada s’engage à travailler avec tous les titulaires de droits prévus par la Constitution du Canada, en suivant l’interprétation de la Cour suprême et en collaborant avec toutes les communautés afin de respecter le principe de l’honneur et de l’obligation de la Couronne, conformément à notre responsabilité constitutionnelle.

Le sénateur Smith : J’ai une question simple, juste pour conclure. Rétrospectivement, quelles leçons pouvons-nous tirer de l’incapacité du présent gouvernement à tenir les promesses qu’il a faites en 2015 aux peuples autochtones?

Le sénateur Gold : Il y a deux leçons importantes que nous, Canadiens, devons tirer. Premièrement, au cours des 25 dernières années — et je me limite à cette période parce que nous parlons de la décision prise il y a 25 ans —, les gouvernements successifs n’ont pas entièrement réussi — et je ne juge pas les moyens qu’ils ont pris — à régler les questions complexes de la réconciliation, d’une part, de la souveraineté des Premières Nations et des territoires non cédés avec, d’autre part, la souveraineté du Canada sur son territoire en vertu du droit international. Ce n’est pas simple. C’est une des leçons.

La leçon à retenir dorénavant est que nous devons continuer à travailler de bonne foi avec toutes les communautés et tous les intervenants pour déterminer quelle voie importante, mais difficile, nous, Canadiens, allons emprunter dans nos efforts pour nouer avec les communautés autochtones une relation différente de celle qui a prévalu jusqu’ici.

Les travaux du Sénat

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Ma question d’aujourd’hui porte sur l’interpellation lancée ici par nos collègues, les sénateurs Sinclair et Dalphond. Comme vous le savez, l’interpellation se rapporte aux tactiques dilatoires utilisées pour empêcher la tenue de votes sur des projets de loi émanant de députés et de sénateurs, ainsi qu’à la possibilité de maintenir en vie certains de ces projets de loi après la dissolution du Parlement. Sénateur Gold, je suis ravi que cette interpellation aborde aussi l’épineux problème de ce que j’appellerai la « sonnerie pour la pause-repas ».

Chacun de ces retards nuit au processus démocratique et a un coût fiscal considérable. À titre de représentant du gouvernement au Sénat, êtes-vous en faveur des orientations proposées dans cette interpellation?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Si je puis me permettre, j’aimerais prendre un instant pour dire que, personnellement et en tant que représentant du gouvernement, je vais toujours appuyer les efforts visant à lancer un dialogue constructif et ouvert en vue d’une meilleure gestion et réalisation de nos travaux législatifs. À cet égard, je tiens à exprimer mon admiration et ma gratitude envers le sénateur Dalphond et le sénateur Sinclair, qui ont lancé l’interpellation avec beaucoup de doigté. Chers sénateurs, nous ne devrions pas hésiter à aborder en cette enceinte des discussions franches et ouvertes sur ces questions, car c’est ainsi que nous pourrons arriver à une quelconque entente ou à un consensus sur la manière de progresser en tant qu’institution.

En ce qui a trait aux propositions formulées dans le cadre de l’interpellation, je vais les considérer avec un esprit ouvert. Assurément, j’appuie l’objectif poursuivi par l’interpellation, à savoir un Sénat qui accorde l’attention nécessaire à toutes ses affaires. D’un point de vue plus général, je souscris à l’idée d’améliorer la manière dont le Sénat mène ses délibérations, tant sur les affaires du gouvernement que sur les autres affaires.

Je me réjouis à l’idée de discuter de ces questions et de les explorer de manière rigoureuse au cours de l’interpellation.

Les affaires autochtones et du Nord

Les services de police autochtones—La formation des membres de la GRC—La réconciliation

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Dans le cadre de mes travaux au Sénat, autant que possible, j’essaie d’accorder une place aux jeunes pour qu’ils puissent faire entendre leur voix et exprimer leurs préoccupations. Ainsi, je poserai mes questions aujourd’hui au nom des étudiants du programme de droit canadien des Autochtones offert à l’Université de Brandon. Elles concernent les événements qui se produisent actuellement dans l’Ouest et partout au Canada.

(1440)

Un étudiant a écrit que nous devrions nous tourner vers l’avenir au lieu de réagir en fonction du passé. Il a souligné que, à l’origine, dans les années 1870, la GRC a été créée pour exercer un contrôle sur les Premières Nations. Or, nous sommes maintenant en 2020. Pourquoi le Canada se sert-il encore de la GRC pour contrôler les Premières Nations?

Même si on suppose que, pour le moment, la présence de la GRC dans la vie des Autochtones est inévitable, d’autres étudiants se sont demandé si les personnes responsables de la formation axée sur la sensibilisation à la culture pourraient tenir compte de l’article 35 de la loi constitutionnelle dans le contenu des cours obligatoires qui sont offerts à tous les agents de la GRC. Selon eux, il est important de se pencher sur les points de vue et les croyances que les agents de la GRC entretiennent à l’égard des peuples autochtones du Canada.

Enfin, un étudiant a exprimé ses préoccupations à l’égard d’une question fondamentale en disant qu’il semble toujours revenir à l’idée de la réconciliation et aux devoirs et responsabilités du gouvernement. La réconciliation arrivera-t-elle un jour? Il est difficile d’y croire. Cet étudiant dit que, en tant qu’Autochtone, il se sent découragé par les attitudes négatives qu’il observe au Canada.

Ces jeunes ont soulevé des questions judicieuses et importantes. Je vous remercie, en leur nom, de vos réflexions et de vos réponses à ces questions.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci beaucoup pour les questions et merci aux étudiants de les avoir posées.

On m’a dit, en ce qui concerne les services de police autochtones, que le gouvernement est déterminé à ce que toutes les collectivités, y compris celles des Premières Nations et des Inuits, aient une police à la fois professionnelle et dévouée.

On m’a dit aussi — les sénateurs s’en souviendront peut-être — que le gouvernement s’est engagé dans le budget de 2017, puis en janvier 2018, à investir 291 millions de dollars dans le Programme des services de police des Premières Nations afin d’améliorer la sécurité des agents, l’équipement, les salaires, etc.

Quant à la question sur la GRC, on m’a dit qu’elle avait déjà apporté un certain nombre de changements à ses politiques, procédures et formations au cours des dernières années. Soit dit en passant, on peut ajouter à cela les efforts qu’elle fait pour recruter plus d’Autochtones en son sein. On m’a, en outre, dit que les membres de la GRC reçoivent aussi différentes formes de formations de sensibilisation culturelle.

Concernant la réconciliation, le gouvernement du Canada maintient son engagement envers la réconciliation et reste déterminé à renouveler sa relation avec les peuples autochtones et à la bâtir sur l’affirmation des droits, le respect, la coopération et le partenariat. C’est pourquoi le gouvernement a promis de mettre intégralement en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le gouvernement poursuit son travail de collaboration grâce à des tables de discussion constructives portant sur les droits et la reconnaissance. Les priorités sont établies par des communautés autochtones et mises en œuvre une fois que des politiques élaborées conjointement sont en place.

Enfin, le gouvernement reconnaît que la réconciliation n’est pas seulement une affaire et un impératif autochtones : c’est aussi une affaire et un impératif canadiens. Nous devons tous y prendre part.

[Français]

Les barrages érigés en guise de protestation—La primauté du droit

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold. J’ai saisi au bond une remarque que vous avez faite la semaine dernière en évoquant l’intervention de votre père, le juge Gold, lors de la résolution de la crise d’Oka de 1990. Cependant, le premier ministre a perdu toute crédibilité dans l’actuelle crise avec les Autochtones. Je n’ai jamais vu un tel concert de titres de journaux soulignant son absence de leadership. Il a lui-même a reconnu hier que les représentants autochtones refusaient de lui parler.

Je vous dirais, monsieur le sénateur Gold, que c’est presque honteux, surtout après toutes les belles promesses et les concessions que le gouvernement a faites aux peuples autochtones.

Devant cette réalité et cet échec politique, qu’attend votre premier ministre pour se retirer du dossier et désigner à sa place une personne crédible, respectable et capable d’établir un dialogue avec les Autochtones, afin de dénouer cette crise qui fait perdre des emplois et sabote l’économie de notre pays?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas accepter la prémisse de votre question. Le premier ministre et ses ministres ont été impliqués dès le début de cette crise, qui peine énormément les Canadiens et les Canadiennes. Il faut faire une distinction, cher collègue, entre ce qu’on lit dans les journaux et les grands titres et ce qui se passe en réalité. En réalité, le gouvernement du Canada a poursuivi une approche afin de trouver une solution paisible et non violente qui permettrait d’éviter les pires conséquences d’une approche différente. Donc, je vous remercie pour la question, mais la prémisse de la question, avec respect, n’est pas quelque chose que je peux appuyer.

Le sénateur Dagenais : Je comprends qu’on ne peut pas accorder aux journaux toute la crédibilité, mais j’ai moi-même écouté la conférence de presse du premier ministre en direct sur le réseau RDI, et c’est ce dont je voulais vous parler. Je crois que, avec une conférence de presse comme celle qu’il a donnée vendredi dernier, il semble évident qu’il a perdu toute crédibilité dans ce dossier.

Le sénateur Gold : Merci. Afin de laisser d’autres sénateurs poser des questions, je vais m’abstenir de répéter ma réponse. Je vous remercie de votre question.

[Traduction]

Le Conseil privé

L’appui aux entreprises touchées par les blocages ferroviaires

L’honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat et concerne la crise nationale que traverse le Canada depuis quelques semaines en raison des impacts considérables des barrages érigés en guise de protestation sur notre économie nationale et sur la vie quotidienne des Canadiens. Nous savons que plus de 1 500 travailleurs des chemins de fer ont été mis à pied temporairement.

En ce qui concerne les biens de consommation, la valeur des marchandises qui sont coincées chaque jour depuis le début des manifestations s’élève à environ 435 millions de dollars. Les produits des agriculteurs canadiens sont entreposés dans des silos, car ces derniers ne sont pas en mesure de les expédier. Les étagères commencent à être vides dans les régions éloignées du Canada.

Les travailleurs en ressentent également les effets : les activités du port de Halifax ont été réduites de moitié. Selon un article du Star publié le 18 février dernier, au total, 6 000 travailleurs pourraient également être mis à pied si les barrages se poursuivent. Cette crise coûte des centaines de millions de dollars, voire des milliards de dollars.

Le gouvernement du Canada a-t-il l’intention d’indemniser les travailleurs et les entreprises qui ont été durement touchés sur le plan économique à cause de cette crise? Dans l’affirmative, quel est le plan du gouvernement du Canada à cet effet? Dans la négative, pourquoi n’en a-t-il pas été question, vu l’impact considérable de la situation sur notre économie nationale et sur les moyens de subsistance des Canadiens.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour votre question, et merci encore de souligner et de nous rappeler que la période que nous venons de traverser a coûté très cher sur le plan économique aux entreprises et aux communautés canadiennes.

À ma connaissance, le gouvernement n’a pas de plan pour indemniser ceux qui ont subi des pertes. Je me renseignerai, et si de tels programmes sont créés, je serai heureux d’en informer le Sénat.

La sécurité publique et la protection civile

Les barrages érigés en guise de protestation—La primauté du droit

L’honorable Thanh Hai Ngo : Honorables sénateurs, hier, la Police provinciale de l’Ontario a démantelé les barricades sur le territoire mohawk de Tyendinaga et a arrêté des manifestants. En réponse à cette intervention et par solidarité avec les manifestants de Tyendinaga, une nouvelle barricade a été érigée à Hamilton, en Ontario, et, au Québec, l’accès à une autoroute a été bloqué par les Mohawks de Kanesatake à l’endroit exact où s’était déroulée la crise d’Oka en 1990. La tension monte partout au Canada.

Comment le gouvernement du Canada entend-il alléger la tension et que fera-t-il au sujet des nouveaux barrages qui commencent à être érigés partout au pays?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Je voudrais rappeler quelques points que j’ai déjà soulignés à plusieurs reprises au Sénat.

D’abord, le gouvernement souhaite toujours régler les causes sous-jacentes qui ont mené à la situation actuelle et il souhaite le faire de façon constructive et respectueuse afin d’éviter, autant que possible, la confrontation.

Je vais rappeler aux sénateurs un autre point seulement. Au Canada, le gouvernement ne donne pas d’ordres à la police — qu’on parle de la GRC, de la Police provinciale de l’Ontario ou de la Sûreté du Québec. Les barricades qui ont été érigées reflètent le fait que les causes sous-jacentes sont importantes et qu’elles doivent être réglées, mais le gouvernement n’entend pas changer sa position fondamentale et tout à fait constitutionnelle quant au fait que ce n’est pas à lui à dire aux forces policières comment faire leur travail.

Les institutions démocratiques

L’influence étrangère dans les élections canadiennes

L’honorable Linda Frum : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Comme vous le savez, sénateur Gold, je m’inquiète beaucoup depuis quelque temps des contributions financières de l’étranger visant à influer sur les élections canadiennes.

(1450)

J’ai donc été déçue, mais guère surprise, de lire dans un article publié cette semaine dans le Blacklock’s Reporter que Marc Miller, le ministre des Services aux Autochtones, refuse de révéler le nom de donateurs qu’il a rencontrés à New York en octobre dernier et qui, selon ce qu’il a admis dans un document signé qu’il a déposé auprès du département américain de la Justice, ont contribué à sa campagne électorale l’année dernière. Sénateur Gold, il est possible que ces donateurs soient Canadiens, mais il est tout aussi possible qu’ils ne le soient pas. Il n’y a aucun moyen de le savoir si M. Miller ne se conforme pas à loi et ne divulgue pas les noms de ces donateurs. Son refus de le faire est très inquiétant. Les lois électorales s’appliquent à tout le monde, et pas seulement aux non-libéraux.

Vous engagerez-vous à fournir au Sénat la liste complète des donateurs de M. Miller lors de son activité de financement à New York afin que nous puissions avoir l’assurance qu’aucun crime électoral n’a été commis?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question. Comme nous tous, le gouvernement continue à s’inquiéter de l’ingérence étrangère dans nos élections. Comme vous le savez, le gouvernement a mis sur pied un groupe d’expert non partisan en 2019 pour administrer le Protocole public en cas d’incident électoral majeur durant toute période électorale. Durant cette même année, le groupe d’experts n’a observé aucune activité atteignant le seuil qui justifie une annonce publique ou compromettant l’intégrité du processus électoral canadien.

La sénatrice Frum : Sénateur Gold, la loi électorale canadienne exige que les candidats divulguent le nom de tous les donateurs qui ont fait un don de plus de 200 $ à leur campagne. M. Miller refuse de fournir la liste des donateurs qui ont participé à sa collecte de fonds à New York. Je vous le demande donc à nouveau, vous engagerez-vous à fournir au Sénat la liste des donateurs qui ont participé à l’événement à New York et le montant que M. Miller y a recueilli?

Le sénateur Gold : Je remercie l’honorable sénateur de sa question. Comme je ne suis pas au courant de cet événement ni d’aucun autre événement connexe, je vais certainement me renseigner et je serai heureux de revenir au Sénat avec les réponses.

La santé

Le coronavirus

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Elle concerne la réaction du Canada au coronavirus.

Conformément aux meilleures données probantes disponibles, le Canada a réagi rapidement et de façon appropriée dès l’apparition de l’épidémie. Néanmoins, de nouvelles preuves scientifiques laissent croire qu’une approche différente serait maintenant nécessaire pour lutter contre la maladie. Tout d’abord, l’infection peut en effet être transmise par des personnes en apparence asymptomatiques. Ensuite, l’infection se propage non pas comme une vague, mais comme un cancer qui produit des métastases et qui se développe à partir de points nodaux, comme on a pu le voir dernièrement en Italie, en Corée du Sud et en Iran.

Comment le gouvernement du Canada ajuste-t-il son plan d’attaque pour réagir à ces nouvelles informations? Quand le plan d’attaque mis à jour sera-t-il mis en œuvre? Quand sera-t-il communiqué aux Canadiens?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie l’honorable sénateur de poser cette question. À ma connaissance et selon l’information qui m’a été fournie, le système de santé canadien en général — et cela couvre, bien entendu, tout le pays et les provinces — demeure bien préparé pour faire face aux cas de propagation du virus au Canada. Le gouvernement prend toutes les mesures nécessaires pour surveiller la situation et rectifier le tir, au besoin. Il semblerait qu’il est dans la nature des virus en général, et de ce virus, en particulier, de se transformer et de muter. On m’a donc informé que tous les responsables de la santé publique au Canada surveillent la situation de très près.

Les pratiques exemplaires sont appliquées dans les hôpitaux canadiens pour isoler les patients présentant des symptômes. Même si on m’informe que le Canada suit les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, l’Agence de la santé publique du Canada a accepté de revoir les normes pour déterminer si elles sont suffisamment strictes. Je tenais à rassurer les sénateurs : à ma connaissance, tous les cas au Canada sont isolés, et les patients reçoivent des soins.

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Les travaux du comité

L’honorable Josée Forest-Niesing : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au président du Comité sénatorial permanent de l’éthique et des conflits d’intérêts des sénateurs et elle porte sur le rapport du comité sur la sénatrice Beyak.

Lundi de cette semaine, j’ai discuté avec deux des sept jeunes conseillers municipaux qui représentent les municipalités du Nord-Ouest de l’Ontario ayant publié une déclaration dernièrement afin de dénoncer les remarques largement médiatisées et la conduite de la sénatrice Beyak. Ces deux personnes m’ont confirmé que le racisme est hélas encore une réalité dans leur coin de pays. Voici ce qu’ils m’ont dit : « Les dirigeants doivent se servir de leur influence pour faire valoir les principes inviolables que sont l’inclusion, la dignité humaine, le respect et la vérité. » Ils déplorent en fait que les propos et les actions de la sénatrice soient encore aujourd’hui associés à Dryden et au Nord-Ouest de l’Ontario, et ils s’offusquent qu’une charge publique puisse encore servir à compromettre leurs efforts d’unité.

Pouvez-vous rassurer les Canadiens du Nord-Ouest de l’Ontario et leur garantir que les recommandations du Comité sénatorial permanent de l’éthique et des conflits d’intérêts des sénateurs vont assez loin pour faire comprendre à la sénatrice Beyak qu’elle a des responsabilités en matière de lutte contre le racisme et qu’elle doit s’abstenir de ternir indûment l’image du Sénat et de la région...

Son Honneur le Président : Excusez-moi, sénatrice Forest-Niesing. Nous laissons passablement de latitude pendant la période des questions, mais la question doit porter sur les activités du comité et non constituer des observations au sujet du rapport. Je vais laisser au sénateur Sinclair le soin de décider comment il répondra à votre question en ce qui a trait aux activités du comité.

L’honorable Murray Sinclair : Honorables sénateurs, je peux simplement dire ceci sur la question qui m’a été posée : le rapport est éloquent. Les sénateurs vont devoir en prendre connaissance pour voir qu’on y aborde les différents éléments qui répondent aux préoccupations soulevées par la sénatrice et par les personnes au nom de qui elle a parlé. Le rapport renferme un certain nombre de suggestions qui vont aussi loin que possible dans les circonstances pour répondre aux préoccupations du public. Il nous reviendra ensuite, en tant qu’entité, de déterminer quelle sera la prochaine étape.


ORDRE DU JOUR

Déclaration de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, le 6 février, le sénateur Sinclair a soulevé un rappel au Règlement au sujet d’une motion proposée par le sénateur Boisvenu au sujet de l’application de la convention relative aux affaires en instance. Depuis lors, j’ai reçu une demande de la part du sénateur Boisvenu en vue d’autoriser un examen plus approfondi de la question. Bien que ce ne soit pas commun, ce n’est pas sans précédent, et je vais, un peu exceptionnellement, autoriser cela dans le cas qui nous occupe.

Par conséquent, au début de l’ordre du jour de demain, je vais entendre des arguments nouveaux sur le rappel au Règlement. Permettez-moi d’être clair, cependant, honorables sénateurs, en vous disant que je souhaite seulement entendre de nouvelles informations, et que les sénateurs devront être brefs.

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Premier rapport du comité—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Sinclair, appuyée par l’honorable sénateur Patterson, tendant à l’adoption du premier rapport (intérimaire) du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, intitulé Faits nouveaux et les mesures prises concernant le cinquième rapport du comité au sujet de la sénatrice Beyak, déposé auprès du greffier du Sénat le 31 janvier 2020.

L’honorable Lynn Beyak : Honorables sénateurs, je prends la parole pour réagir au premier rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs. Avant tout, je tiens à m’excuser profondément pour les gestes que j’ai posés.

(1500)

Après une longue et profonde réflexion, j’en suis arrivée à la conclusion que la publication de lettres offensantes et blessantes sur un site Web public du Sénat était un geste malavisé et irréfléchi. Par ailleurs, mon entêtement à ne pas les retirer était également malavisé. Comme je crois en la liberté de parole, mon premier réflexe a été de ne pas retirer ces lettres du site Web. Après une longue et profonde réflexion, je regrette maintenant de ne pas avoir insisté pour qu’elles soient retirées. Elles étaient irrespectueuses, inacceptables et une source de division.

Même si je n’ai jamais eu l’intention de blesser qui que ce soit, je réalise maintenant que mes gestes n’ont pas eu l’effet souhaité, qui était de favoriser un dialogue ouvert et constructif. Malheureusement, mes gestes n’ont pas aidé le dialogue national sur le sujet. Tout au long de ce processus, j’ai également pu mieux saisir l’importance de représenter et de défendre les droits des minorités au Canada, qui est au cœur de notre travail en tant que sénateurs.

Je tiens à présenter mes excuses aux peuples autochtones, au Sénat, à mes collègues sénateurs et à tous les Canadiens que nous représentons pour tous les torts que j’ai pu causer.

J’accepte les recommandations du comité et je suis impatiente de compléter les programmes d’éducation et de sensibilisation qui m’ont été prescrits. On n’est jamais trop vieux pour apprendre et grandir.

Honorables sénateurs, je suis résolue à me conformer volontairement, rigoureusement et de bonne foi aux recommandations du rapport. J’ai hâte de collaborer avec le conseiller sénatorial en éthique pour m’y conformer pleinement. Cette expérience m’a appris bien des choses. Je suis repentante, prête à écouter et à participer rapidement et sérieusement au processus.

Je tiens à vous remercier d’avoir écouté mes excuses, qui sont sincères, et de comprendre que j’ai l’intention de suivre la formation prescrite en gardant l’esprit ouvert et en faisant preuve de bonne foi.

Afin de respecter pleinement le processus, je ne ferai pas d’autres observations avant d’avoir respecté rigoureusement toutes les exigences. J’ai informé le greffier du Sénat de mon intention de prendre la parole aujourd’hui et je lui ai remis ma lettre d’excuses.

Merci, Votre Honneur et chers collègues.

[Français]

L’honorable Josée Verner : Honorables sénateurs, je propose l’ajournement du débat.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il une entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Une heure.

Son Honneur le Président : Une heure. Le vote aura lieu à 16 h 3.

Convoquez les sénateurs.

[Traduction]

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan MacDonald
Batters Marshall
Black (Ontario) Martin
Boisvenu McInnis
Campbell Mockler
Carignan Plett
Dagenais Poirier
Downe Richards
Doyle Seidman
Duffy Smith
Frum Verner
Greene Wallin
Griffin Wells
Housakos White—28

CONTRE
Les honorables sénateurs

Anderson Hartling
Bellemare Jaffer
Bernard Keating
Boniface Klyne
Bovey Kutcher
Boyer LaBoucane-Benson
Busson Lankin
Cordy Loffreda
Cormier Marwah
Cotter Massicotte
Coyle McCallum
Dalphond Mégie
Dasko Mitchell
Dawson Miville-Dechêne
Deacon (Nouvelle-Écosse) Moncion
Deacon (Ontario) Moodie
Dean Omidvar
Duncan Pate
Dupuis Petitclerc
Dyck Ravalia
Forest Ringuette
Forest-Niesing Saint-Germain
Francis Simons
Gagné Sinclair
Gold Wetston
Harder Woo—52

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

Son Honneur le Président : Nous reprenons le débat sur la motion principale.

Des voix : Le vote.

L’ajournement

Rejet de la motion

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Une heure.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 17 h 10.

(1710)

La motion, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Martin
Batters McInnis
Black (Ontario) Mockler
Boisvenu Ngo
Campbell Plett
Dagenais Poirier
Doyle Richards
Frum Seidman
Greene Smith
Griffin Verner
Housakos Wallin
MacDonald Wells—25
Marshall

CONTRE
Les honorables sénateurs

Anderson Keating
Bellemare Klyne
Bernard Kutcher
Boniface LaBoucane-Benson
Bovey Lankin
Boyer Loffreda
Busson Lovelace Nicholas
Cordy Marwah
Cormier Massicotte
Cotter McCallum
Coyle Mégie
Dalphond Mitchell
Dasko Miville-Dechêne
Deacon (Nouvelle-Écosse) Moncion
Deacon (Ontario) Moodie
Dean Omidvar
Duncan Pate
Dupuis Petitclerc
Forest Ravalia
Forest-Niesing Ringuette
Francis Saint-Germain
Gagné Simons
Gold Sinclair
Harder Wetston
Hartling Woo—51
Jaffer

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs

Premier rapport du comité—Motion portant renvoi du rapport au comité—Report du vote

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Sinclair, appuyée par l’honorable sénateur Patterson, tendant à l’adoption du premier rapport (intérimaire) du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, intitulé Faits nouveaux et les mesures prises concernant le cinquième rapport du comité au sujet de la sénatrice Beyak, déposé auprès du greffier du Sénat le 31 janvier 2020.

L’honorable Robert Black propose :

Que, conformément aux articles 5-7b) et 12-30(3) du Règlement, le premier rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs soit renvoyé au comité pour qu’il l’étudie à nouveau.

— Honorables sénateurs, je propose que, conformément aux articles 5-7b) et 12-30(3) du Règlement, le premier rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs soit renvoyé au comité pour une étude plus approfondie.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Veuillez reprendre vos sièges. Par souci de clarté, à mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Une voix : Il y a un accord pour reporter le vote à demain, à 16 h 15.

Son Honneur le Président : Le vote est reporté à demain, à 16 h 15. Après tout, ce sera un mercredi.

(1720)

Le Sénat

Motion tendant à autoriser les ministres de la Couronne qui ne sont pas membres du Sénat à participer à la période des questions—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Gagné, appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p.,

Que, nonobstant la pratique habituelle, le Sénat invite tout ministre de la Couronne qui n’est pas membre du Sénat à entrer dans la salle du Sénat pendant toute période des questions future et à participer aux travaux en répondant aux questions portant sur ses responsabilités ministérielles, dans le respect du Règlement et des pratiques du Sénat.

Motion d’amendement

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, j’aimerais prendre la parole à ce sujet et formuler une autre proposition.

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée :

1.par substitution des mots « le Sénat invite tout ministre de la Couronne qui n’est pas membre du Sénat à entrer dans la salle du Sénat pendant toute période des questions » par ce qui suit :

« pour le reste de la présente session, le Sénat autorise le leader de l’opposition au Sénat à faire une courte déclaration au cours de toute période des questions pour désigner un ou des ministres de la Couronne qui ne sont pas membres du Sénat à participer à la période des questions;

Que ces ministres soient ainsi réputés avoir été invités à entrer dans la salle du Sénat pendant la période des questions d’une séance »;

2.par substitution du mot « ses » par le mot « leurs »;

3.par adjonction, immédiatement avant le point final, de ce qui suit :

« ;

Que le leader ou le leader adjoint du gouvernement au Sénat avise le Sénat de la date à laquelle un ministre identifié par le leader de l’opposition sera présent en faisant une courte déclaration au cours de la période des questions, et ce au plus tard le quatrième jour durant lequel le Sénat siège avant cette date ».

Son Honneur le Président : Le sénateur Housakos a la parole.

Le sénateur Housakos : Honorables sénateurs, au cours des dernières années, nous avons constaté que le gouvernement impose plus que jamais sa volonté au Sénat sous le couvert d’une indépendance accrue, d’une plus grande transparence et de la réduction de la politisation. Par ailleurs, l’organe exécutif du gouvernement neutralise plus que jamais le rôle du Sénat, sous prétexte, bien sûr, d’un mouvement de réforme et d’indépendance, ce qui fait que les sénateurs ont plus de difficulté à demander des comptes au gouvernement.

Nous avons vu des cas où les leaders du gouvernement — tant ceux du présent que du passé, qui siégeaient autrefois au Cabinet et qui participaient activement aux travaux à titre de ministres — prenaient part à d’importantes réunions de comités du Cabinet. Non seulement ils étaient des représentants du gouvernement au Sénat, mais ils pouvaient également nous fournir rapidement des réponses à toutes sortes de questions. Par exemple, à l’époque du gouvernement Harper, le leader du gouvernement au Sénat était président du Comité du Cabinet chargé des priorités et de la planification — donc il n’était pas uniquement un ministre. Il parlait avec assurance au Sénat et représentait véritablement le gouvernement.

Malheureusement, j’interviens une fois de plus sur cette motion et sur la pratique du gouvernement à laquelle nous avons recours ces dernières années, qui consiste à inviter les ministres au Sénat afin de leur demander des comptes et leur poser des questions. C’est certainement une bonne chose; personne ne s’y oppose. C’est pourquoi l’amendement que je propose vise seulement à apporter une petite modification.

Il est tout à fait inhabituel dans un système de Westminster que l’ordre du jour de la période des questions soit orienté et décidé par le gouvernement. Le gouvernement choisit quels ministres inviter et quand les inviter. Je pense que c’est tout à fait inapproprié. Je pense également qu’il est inapproprié d’avoir une situation où les caucus se consultent, car le plus grand représente le gouvernement libéral puisque les membres ont été nommés par le gouvernement libéral. Dans l’esprit d’indépendance et de respect des responsabilités d’un organe parlementaire de Westminster, j’estime qu’il serait tout à fait approprié que le chef de l’opposition choisisse le ministre que l’opposition souhaiterait inviter au Sénat pendant la période des questions.

Rien dans notre amendement ne change l’essence de ce qui se fait déjà. Évidemment, le seul point qui est très critique et qui, à mon avis, respecterait le privilège de l’opposition dans le contexte parlementaire est que, au bout du compte, il n’existe aucune chambre dans le système de Westminster, ce qui inclut certainement la Chambre des communes, où le gouvernement détermine quel ministre répond à quelles questions. C’est l’opposition qui détermine quelles questions sont posées à quels ministres. Si nous décidons de poursuivre cette pratique à la période des questions, il conviendrait de laisser le chef du parti de l’opposition officielle choisir le ministre et lui fournir, bien sûr, un préavis qui donnerait amplement l’occasion à tous les ministres d’organiser leur calendrier et leur temps afin de pouvoir se présenter devant le comité pour répondre à des questions. Merci, chers collègues.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Finances nationales

Adoption de la motion concernant la composition du comité

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 20 février 2020, propose :

Que, nonobstant les articles 12-2(2) et 12-3(1) du Règlement et les pratiques habituelles, les honorables sénateurs Bellemare, Boehm, Deacon (Ontario), Duncan, Forest, Forest-Niesing, Klyne, Marshall, Martin, Mockler, Smith, Tannas et Dawson soient nommés membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales jusqu’au 1er avril 2020, jusqu’à l’adoption par le Sénat d’un rapport du Comité de sélection recommandant les sénateurs qui seront membres dudit comité ou jusqu’à ce que les nouveaux membres soient nommés autrement par le Sénat, selon la première éventualité.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier le Budget supplémentaire des dépenses (B)

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : , conformément au préavis donné le 20 février 2020, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (B) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2020;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir même si le Sénat siège à ce moment-là ou est ajourné, et que l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement soit suspendue à cet égard.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Boisvenu, appuyée par l’honorable sénatrice Marshall, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés).

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-207, Loi modifiant le Code criminel en ce qui a trait à la divulgation de renseignements par des jurés.

À mon avis, ce projet de loi traite d’une question importante qui, précédemment, n’a pas reçu suffisamment d’attention : la santé mentale des jurés. En effet, le fait de s’acquitter de son devoir civique peut avoir des conséquences négatives imprévues sur la santé mentale d’un juré. Le projet de loi s’attaque à ce problème en permettant aux jurés qui en ont besoin de discuter plus librement de leur expérience avec un fournisseur de soins de santé, et ce, en toute confidentialité. Je me réjouis que l’on fasse un pas dans cette direction et j’appuie le projet de loi.

Cela dit, je ne crois pas que le projet de loi aille assez loin pour protéger les jurés. Je vais vous expliquer pourquoi je pense cela et vous demande de tenir compte de mes observations dans le reste du débat ainsi que dans l’étude du projet de loi au Sénat et au comité.

Je dois admettre que, avant qu’on me présente le projet de loi S-207, je n’avais pas tellement porté attention aux conséquences négatives pouvant être subies par les jurés lorsqu’ils sont appelés, dans certains procès, à considérer des éléments de preuve fort troublants qui sortent de leur expérience habituelle, ces conséquences négatives étant le développement d’une maladie mentale, c’est-à-dire le trouble de stress post-traumatique.

La probabilité que se développe le trouble de stress post-traumatique pourrait cependant être réduite et la gravité de ses symptômes pourrait être atténuée si on mettait en place différentes mesures d’intervention économiques assez faciles à mettre en œuvre pendant que la personne remplit son devoir de juré aux niveaux fédéral, provincial et territorial. Or, les structures et les processus actuels de gestion des jurys mettent inutilement les jurés en danger alors qu’ils travaillent au service de la justice. C’est injuste en soi.

Dans le passé, la société et les législateurs n’ont pas réfléchi à cette question, parce qu’on en savait très peu à son sujet. Cependant, les avancées scientifiques en matière de compréhension des causes, de prévention, d’atténuation et de traitement du trouble de stress post-traumatique sont telles que nous, en tant que législateurs, ne pouvons plus dire que nous ne sommes pas au courant.

Nous sommes maintenant bien informés et c’est pourquoi nous avons le devoir d’agir.

La science nous a appris que ce trouble est une maladie mentale provoquée par l’incapacité du système d’alarme du corps humain, le système nerveux, de se désactiver après que la personne ait vécu un événement traumatisant.

Autrement dit, quelque chose arrive et certaines personnes ont beaucoup de difficulté à endiguer la réponse émotive, cognitive et comportementale face à un événement traumatique ou elles sont carrément incapables d’y arriver.

La situation peut être exacerbée par le type de traumatisme vécu, par la génétique de la personne, par la durée de l’événement, par l’incapacité d’éviter l’événement ou d’être en contrôle face à son déroulement et par l’absence d’interventions qui pourraient limiter l’intensité de l’événement ou l’empêcher de survenir. Le risque de développer le trouble de stress post-traumatique est lié à des facteurs génétiques et environnementaux, notamment l’exposition antérieure à des traumatismes et les problèmes actuels ou antérieurs de santé mentale ou de toxicomanie.

(1730)

Les scientifiques ont également découvert que ce ne sont pas toutes les personnes exposées à des événements traumatisants qui souffriront de stress post-traumatique, mais que la totalité d’entre elles développeront une réaction de stress aigu. Cette réaction peut provoquer des expériences physiques, cognitives et émotionnelles intenses et désagréables, mais ces expériences s’estompent avec le temps. Des facteurs bien connus aident les personnes à surmonter ces expériences plus rapidement et rendent ces dernières moins intenses. Ces facteurs sont les suivants : une préparation émotionnelle et cognitive à l’événement, la compréhension de ce qu’est une réaction de stress aigu, un appui constant de la part de personnes de confiance, souvent des amis et des membres de la famille, et un sentiment de protection et de sécurité. Ces facteurs renforcent la résilience psychologique et favorisent la guérison. Ce sont aussi quelques-uns des facteurs qui réduisent le risque de stress post-traumatique et, le cas échéant, diminuent son intensité.

D’après la commission canadienne des jurys, un organisme créé par des jurés qui ont souffert de stress post-traumatique à la suite d’une exposition à des éléments de preuve traumatisants durant des procès fortement médiatisés, les systèmes actuels de gestion des jurys ne sont pas structurés d’une manière qui tient compte des problèmes de santé mentale et s’y attaque efficacement. Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes est parvenu à la même conclusion dans un rapport de 2018, intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada. Parmi ses 11 recommandations, 5 visaient à améliorer la santé mentale des jurés exposés à des expériences traumatisantes lors d’un procès.

Honorables sénateurs, je vous présente un survol des connaissances scientifiques sur le trouble de stress post-traumatique, sur les torts que peuvent subir les jurés et sur le manque de soutien existant en cas de procès traumatisants, afin de vous faire comprendre pourquoi le Sénat doit appuyer le projet de loi S-207 et comment nous pouvons aller plus loin.

Le projet S-207 vise à permettre aux jurés qui souffrent d’un trouble de santé mentale ou d’un problème lié au traumatisme causé par le procès de discuter sous le sceau de la confidence des détails pertinents d’un procès avec un fournisseur de soins de santé dûment qualifié et tenus d’agir selon un code d’éthique. C’est une bonne chose, qui est nécessaire. Pourtant, le projet de loi ne tient pas compte de la plupart des processus en place dans les systèmes de gestion des jurys fédéraux, provinciaux et territoriaux qui augmentent les risques de répercussions négatives sur le plan de la santé mentale. Or, beaucoup de mesures économiques et efficaces pourraient être prises pour remédier à cet état des choses.

Par exemple, les critères de sélection des jurés retenus par les provinces et les territoires devraient considérer l’exposition antérieure à des traumatismes, les troubles mentaux et la toxicomanie ou l’alcoolisme comme des facteurs de risque susceptibles d’exclure les personnes concernées des jurys appelés à voir ou entendre des choses traumatisantes. Les jurés qui prennent part à ce type de procès pourraient avoir accès à un professionnel de la santé mentale qui agirait sous les ordres du tribunal et pourraient le consulter même une fois le procès terminé — pendant six à dix semaines, par exemple. Il s’agit d’un point important, car c’est pendant cette période que les symptômes d’une réaction aiguë à un facteur de stress peuvent se transformer en trouble de stress post-traumatique. Dans un tel cas, les jurés pourraient être dirigés sans tarder vers un spécialiste, sans avoir à s’inscrire sur une liste d’attente et à attendre comme doivent le faire la majorité des gens qui ont des problèmes de santé mentale de nos jours.

Ce serait aussi une bonne idée de fournir de l’information aux jurés sur la réaction aiguë à un facteur de stress et sur les symptômes avant-coureurs du trouble de stress post-traumatique et de les encourager à discuter de leur situation avec le professionnel mandaté par la cour. En étant mieux renseignés, les jurés pourront mieux s’acquitter de leur devoir et ils pourront mieux reconnaître s’ils ont besoin d’aide, le cas échéant. On pourrait même les inciter à transmettre cette information à leurs proches, car ce sont souvent eux qui constatent les premiers signes de détresse, alors que la personne touchée a au contraire tendance à les minimiser.

Ces suggestions ne sont pas de simples suppositions fondées sur l’espoir. Elles reposent au contraire sur les travaux des chercheurs et des spécialistes, qui ont constaté qu’elles peuvent avoir un effet bien réel. En plus d’être utiles, ces mesures ne nécessiteraient pas de grands investissements.

On demande à des citoyens d’aider la société à appliquer la justice. Cela s’accompagne d’un devoir de veiller à ce qu’ils ne risquent pas inutilement leur santé mentale en le faisant.

Je demande qu’on se penche sur ces points supplémentaires au moment de l’étude au comité de cette importante mesure législative. Le comité pourra peut-être proposer des mesures pour sensibiliser les ministres de la Justice fédéral, provinciaux et territoriaux à ces préoccupations et même formuler des solutions possibles. En tant que sénateurs, nous pouvons demander à ceux qui ont le pouvoir de modifier le processus actuel de gestion des jurés de le faire. En prenant cette mesure, nous réussirons peut-être à réduire le risque de problème de santé mentale et ainsi protéger la santé mentale des citoyens qui, en agissant comme jurés, fournissent un service essentiel à l’administration de la justice.

Honorables sénateurs, nous pouvons y contribuer. Merci.

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : J’ai une question pour le sénateur.

Le sénateur Kutcher : D’accord.

La sénatrice LaBoucane-Benson : Monsieur le sénateur, nous savons que, par le passé, les Autochtones ont été exclus d’office de la fonction de juré à cause de la colonisation et des préjugés colonialistes. Ne craignez-vous pas que l’application de ce critère risque d’empêcher encore plus les minorités comme les Autochtones, chez qui la proportion de traumatismes est statistiquement plus élevée que dans le reste de la population, d’exercer le devoir de juré?

Le sénateur Kutcher : Merci de votre excellente question. Je suggérais d’envisager une telle chose et non de l’imposer, de sorte que les gens qui ont connu ce genre de problème ou d’expérience sachent qu’ils peuvent demander d’être exemptés du devoir de juré ou mieux se préparer à ce qui les attend.

L’honorable Marty Deacon : J’ai une question. Merci de continuer à mettre ce sujet très important de l’avant. Je dois dire que, dans l’exercice de mes fonctions de sénatrice, j’ai déjà été choisie comme jurée pour un procès pour meurtre. Je partage les réserves exprimées dans le cadre du débat d’aujourd’hui. J’essaie de déterminer combien il en coûterait environ pour mettre tout ce qu’il faut en place avant la sélection des jurés, au cours du procès et après le procès. A-t-on une idée du coût de ce que cela coûterait?

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie beaucoup de cette question. Lorsqu’on est médecin, comme moi, on réfléchit toujours à ce qui coûtera le plus cher entre le fait d’agir ou de ne pas agir. Je dirais que le coût d’une mesure mineure, telle que d’offrir des services de consultation spécialisés en santé mentale aux jurés pendant cette période difficile, serait bien inférieur à ce qu’il en coûterait à une personne, à sa famille et à la société si cette personne développait un trouble à la suite d’un procès, dont les répercussions peuvent être intenses.

L’honorable Paula Simons : J’ai une autre question. Si je comprends bien l’objet du projet de loi, il s’agit de permettre aux jurés de faire appel à des services de consultation suivant la fin d’un procès. J’aurais des réserves, et je me demande si vous en auriez aussi, à l’idée qu’un juré consulte un conseiller au beau milieu d’un procès, ce qui pourrait influer sur sa perception de la preuve. La notion de confidentialité est primordiale, surtout pendant un procès. Je crains que le simple fait de verbaliser certaines choses n’influence l’interprétation que ce juré ferait des faits présentés au cours du procès.

Le sénateur Kutcher : Je vous remercie. C’est une excellente question, mais une question embêtante.

La sénatrice Simons : C’est ma spécialité.

Le sénateur Kutcher : C’est très réussi, madame la sénatrice. Je pense que tout dépend de la qualité et des compétences du conseiller. Les personnes dans cette assemblée qui ont eu l’occasion d’exercer cette fonction ou qui la comprennent et qui ont pu faire appel à une personne compétente dans ce domaine savent que les échanges et le soutien, lorsque les choses sont bien faites, ne devraient pas avoir d’incidence sur eux, à mon avis.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

[Français]

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Pate, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-208, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux).

L’honorable Josée Forest-Niesing : Honorables sénateurs, je souhaite vous parler aujourd’hui en faveur du projet de loi S-208, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux).

D’abord, je tiens à féliciter la sénatrice Pate d’avoir repris le flambeau en déposant ce projet de loi d’intérêt public et de tout son travail en vue d’assurer que nous prenions une décision éclairée en ce qui concerne l’indépendance des tribunaux.

[Traduction]

Le système judiciaire canadien, qui repose sur une base constitutionnelle solide, la primauté du droit, la liberté en vertu de la loi, les principes démocratiques et le respect des droits, fait l’envie de bien des pays. Malgré ces éléments positifs, notre système n’est pas sans difficultés.

[Français]

Malgré certaines améliorations, le système est toujours accablé par des délais prolongés. Nous devons trouver des moyens de mieux répondre aux besoins des victimes de crimes. Nous savons trop bien que les Autochtones sont lourdement surreprésentés dans nos prisons, particulièrement les femmes. Les postes de police, qui sont en première ligne, tout comme les prisons, servent souvent de substituts inappropriés au traitement et à la réhabilitation des personnes qui sont aux prises avec des problèmes de santé mentale ou de dépendance.

[Traduction]

Avec les peines minimales obligatoires, les juges ont moins de pouvoir discrétionnaire que jamais pour veiller à ce que les peines imposées soient proportionnelles aux crimes. Les juges sont les piliers du système judiciaire canadien, et l’indépendance de la magistrature est l’un de ses principaux éléments.

[Français]

Je partage l’avis de plusieurs sur le fait que les peines minimales obligatoires causent énormément de tort au système judiciaire et n’atteignent pas les objectifs pour lesquels elles ont été mises en place. Nous devons donc, par le biais de ce projet de loi, redonner aux juges la discrétion qu’ils doivent exercer afin d’assurer que les objectifs visés par les sentences qu’ils imposent sont atteints, tout en tenant compte des circonstances au cas par cas.

[Traduction]

Vous savez sans aucun doute que mon époux et moi avons deux enfants, puisque je parle sans cesse d’eux. Nous sommes très fiers des adultes gentils, généreux et engagés qu’ils sont devenus. J’ai souvent dit qu’être parent est le meilleur et le pire travail sur la planète, mais, pour le meilleur ou pour le pire, cela demeure ma plus grande contribution au monde. Aucun de mes enfants n’est arrivé avec un manuel d’instruction; vous pouvez croire que je l’ai cherché, ce manuel. Ce que j’ai découvert en les élevant, en leur montrant les choses, en les guidant et en les disciplinant, c’est que je devais adapter mon approche à la personnalité de chacun.

[Français]

Tous les parents se souviendront que, dès qu’un bébé se met à marcher à quatre pattes, il touche à tout. Voilà que le parent est engagé dans ses premières démarches de discipline. Chez nous, la peine minimale obligatoire correspondait à l’obligation de rester assis dans un coin sans pouvoir se relever avant de recevoir le signal. Je me souviens d’avoir constaté chez mon fils qu’il tenait avant tout à préserver sa liberté. Pour lui, l’obligation de rester bien sagement assis dans le coin sans pouvoir se relever avant de recevoir le signal suffisait pour qu’il ne récidive plus. Pour ma fille, c’était tout à fait autre chose.

Une plante verte, et plus particulièrement la terre noire dans laquelle elle poussait, avait piqué la curiosité de ma fille. Je lui ai enlevé la terre noire des mains et, sans rien dire de plus, je l’ai placée en punition dans le coin. Dès que j’ai donné mon signal, elle s’est mise à quatre pattes en me regardant droit dans les yeux et a rampé avec détermination vers la plante pour se plonger encore une fois les mains dans la terre. Ce n’est pas avant d’avoir répété le même cycle de time out à quelques reprises que j’ai dû m’arrêter pour repenser à mon approche. De toute évidence, ma méthode standardisée ne donnait aucun résultat avec elle.

J’ai ramené ma fille vers la plante et je lui ai expliqué que, en plus d’être nuisible à sa santé, elle allait tacher sa belle robe et elle pouvait tuer la plante. Elle m’a écoutée, a visiblement réfléchi à ce que je venais de lui dire et, s’étant réconciliée avec mon raisonnement, il n’a plus été question pour elle de se remettre les mains dans la terre noire.

[Traduction]

De toute évidence, la même punition a produit des résultats différents pour chaque enfant. Dans un cas, elle s’est avérée juste et efficace, mais pas dans l’autre. Pourquoi, alors, le système de justice pénale devrait-il imposer la même peine à tout le monde?

[Français]

Le système judiciaire canadien est bâti notamment sur la notion de réhabilitation et, ultimement, de réinsertion dans la communauté en général; il n’est pas conçu à des fins purement punitives.

L’article 718 du Code criminel canadien, et je cite, prévoit ce qui suit :

Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de protéger la société et de contribuer, parallèlement à d’autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a) dénoncer le comportement illégal et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants [...]

Tous ces éléments et principes émanent du concept fondamental selon lequel toute sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’offense et au degré de responsabilité de l’accusé. Le Code criminel prévoit notamment la considération de facteurs aggravants ou atténuants, l’infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables et le fait de porter une attention particulière à la situation des prévenus autochtones.

Les peines minimales obligatoires ont été présentées dans un contexte politique qui mettait l’accent sur trois principaux motifs : l’équité, la transparence et la prévention de la criminalité. Aucun de ces objectifs fort louables ne résiste à un examen minutieux. Les peines minimales obligatoires ne tiennent compte que du type d’infraction commise. Les facteurs tels que le contexte, la situation particulière du contrevenant, le motif du crime, l’âge, le sexe et la race du contrevenant ne sont pas pris en considération.

Imposer des peines minimales obligatoires équivaut à traiter les symptômes d’une maladie sans chercher à traiter l’origine de celle-ci. Les bénéfices théoriques associés aux peines minimales obligatoires, qui sont d’accroître la sécurité des Canadiens en diminuant la criminalité, ne sont pas vérifiés empiriquement par des études dans le monde réel. Il existe une très importante documentation qui indique que les peines minimales obligatoires ne jouent aucun rôle dans la diminution de la criminalité, et les textes qui défendent le contraire n’apportent aucune preuve empirique mesurable.

Michael Tonry, chercheur américain émérite dans le domaine, soutient que, si on les évalue à la lumière de leurs objectifs déclarés, les peines minimales obligatoires représentent un échec. Elles entraînent trop souvent des peines que toutes les parties en cause jugent beaucoup trop sévères.

(1750)

[Traduction]

Le professeur Tonry dit ceci :

Les praticiens, les analystes des politiques et les chercheurs chevronnés s’entendent depuis longtemps pour dire que les peines obligatoires, sous toutes leurs formes [...] sont une mauvaise idée.

Il ajoute :

Les peines obligatoires entraînent souvent une injustice à l’égard des délinquants. Elles réduisent la légitimité des tribunaux et du processus de poursuite en favorisant des mesures de contournement intentionnelles et souterraines. Elles réduisent [...] l’égalité devant la loi lorsqu’elles font en sorte que des délinquants coupables d’infractions semblables sont traités de manière radicalement différente.

Dans les 40 dernières années, les résultats de recherche ont permis de démontrer que les peines minimales obligatoires sont complètement inefficaces comme moyen de dissuasion.

[Français]

En 1992, alors qu’elle était ministre de la Justice sous le gouvernement Mulroney, l’honorable Kim Campbell disait ce qui suit au sujet de l’application de la peine :

La modération et l’équilibre sont essentiels :

Cette modération s’impose, comme nous l’avons déjà expliqué, parce que les sanctions de droit pénal ont un caractère fondamentalement punitif et coercitif; comme la société attribue une importance très grande aux idéaux de liberté et d’humanité, on préférera, lorsque cela est possible et approprié, employer d’autres méthodes non coercitives, dont le formalisme est moins prononcé et qui traduisent une conception positive. La modération s’impose pour une autre raison : quand le droit pénal est appliqué machinalement à une foule de problèmes sociaux d’importance très variable pour le public, c’est son autorité, sa crédibilité et sa légitimité qui risquent d’en souffrir.

[Traduction]

Le rapport d’étude Throwing Away the Keys : The human and social cost of mandatory minimum sentences, publié en 2013 par Darcie Bennett et Scott Bernstein, confirme que :

Les jeunes, les mères séparées de leurs enfants, les délinquants autochtones et les personnes handicapées (y compris les personnes souffrant de problèmes de santé mentale et de toxicomanie) subissent de façon disproportionnée les conséquences négatives des peines d’emprisonnement.

[Français]

Les conséquences disproportionnées des peines minimales obligatoires sur les groupes vulnérables créent également des inconvénients à long terme. Les effets néfastes de l’emprisonnement transcendent les générations et imposent un coût social élevé aux collectivités et à la société dans son ensemble. Simplement dit, elles perpétuent la criminalisation systémique.

[Traduction]

Au Canada, le processus de nomination des juges, mis en œuvre en 1988, est assez complexe et prend en compte plusieurs facteurs. Il comporte au moins 14 compétences professionnelles obligatoires, auxquelles s’ajoute une longue liste de 19 qualités personnelles. Sans les énumérer toutes, je tiens à souligner les suivantes, très pertinentes : des aptitudes analytiques supérieures, la capacité d’écoute, la capacité d’exercer un bon jugement, l’entregent auprès des pairs et du public, une sensibilité à l’égard des questions liées au genre et à la race, la capacité d’évaluer des enjeux sociaux, une conscience de l’évolution des valeurs sociales, l’ouverture aux idées nouvelles, le sens de l’éthique, la patience, la courtoisie, le bon sens, l’impartialité, l’empathie, la tolérance et le sens des responsabilités.

Nous avons la chance d’avoir, parmi nos collègues au Sénat, plusieurs juges qui possèdent ces qualités et bien d’autres.

[Français]

Le processus de nomination des juges fait en sorte qu’ils sont les plus aptes à imposer une peine juste et proportionnée selon le cas spécifique qui leur est présenté. Les juges devraient pouvoir exercer leur pouvoir discrétionnaire sans restriction afin d’imposer des peines justes et équitables, qui prennent en compte les circonstances personnelles des accusés, le contexte de l’infraction, ainsi que les motifs de l’infraction commise. Le projet de loi S-208 apporte une solution qui n’entraîne aucune conséquence négative, en permettant à un juge compétent de déroger à l’obligation d’imposer une peine minimale pour imposer une peine qui est proportionnelle et adaptée à tous les faits auxquels elle se rapporte.

Rappelons-nous que, contrairement aux procureurs, les juges doivent rendre des comptes. Le juge est tenu d’expliquer ses motifs et son raisonnement afin de justifier l’imposition de la peine appropriée, sans quoi la décision peut être infirmée en appel. Les garanties sont en place.

L’égalité ne veut pas dire la même chose pour tout le monde, car les choses ne sont pas égales pour tout le monde dès le départ. Si je n’avais pas tenu compte des personnalités différentes de mes enfants et si j’avais maintenu exactement le même système punitif pour les discipliner, mon milieu familial aurait été rempli d’injustices, de frustrations et de conflits, sans atteindre les résultats souhaités. En veillant à ce que notre système de justice pénale soit en mesure d’adapter une peine qui tient compte des facteurs atténuants, d’une situation particulière ainsi que du contexte où l’infraction est perpétrée, le système judiciaire devient un système où il y a moins d’injustices et où l’on obtient de meilleurs résultats.

Je vous remercie de votre attention. Meegwetch.

[Traduction]

Son Honneur le Président : Je dois vous prévenir, sénatrice Moodie, qu’il est presque 18 heures, heure à laquelle je demanderai aux sénateurs s’ils souhaitent ou non tenir compte de l’heure. Cependant, si vous le souhaitez, je vous invite à prendre la parole.

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en sachant bien que mon discours pourrait être très court. J’ai néanmoins l’intention de parler du projet de loi S-208, Loi modifiant le Code criminel (indépendance des tribunaux). Il modifie le Code criminel afin de donner aux juges un plus grand pouvoir discrétionnaire pour leur permettre de ne pas imposer des peines minimales lorsqu’ils considèrent qu’une telle décision est juste et raisonnable.

À mon avis, le projet de loi répond au besoin de rétablir le pouvoir discrétionnaire des juges dans le système canadien après des années de réforme régressive. L’objectif est aussi de réduire le coût humain et social associé aux peines minimales obligatoires. Nous disposons de décennies de recherches, et les conclusions sont claires. Les peines minimales obligatoires n’ont aucun effet dissuasif, elles ne font pas baisser le taux de récidive et elles ne rendent pas la société plus sûre.

Nous savons aussi que la Cour suprême du Canada et toute une série d’organismes judiciaires, de commissions, de comités parlementaires et d’organisations ont conclu qu’elles n’ont aucun effet dissuasif.

Au Parlement, nous en avons aussi entendu parler. Des heures de témoignages en comité parlementaire appuient ces conclusions, sans oublier la documentation antérieure de la Bibliothèque du Parlement. Ces documents de 2007 abordaient les problèmes potentiels d’ordre constitutionnel, l’inefficacité et les répercussions négatives de ces peines. De plus, la sénatrice Lankin a parlé plus tôt d’un rapport qu’a publié le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en 2017 : Justice différée, justice refusée.

En 2016, le ministère de la Justice a commandé une méta-analyse des données probantes sur les répercussions des peines minimales. L’examen du gouvernement a permis de conclure que les peines sévères comme les peines minimales obligatoires n’ont pas d’effet dissuasif sur la criminalité. De plus, il a été noté que les médecins chevronnés et les chercheurs en sciences sociales s’accordent à dire que les peines obligatoires sont une mauvaise idée pour de nombreuses raisons pratiques et politiques.

L’élimination de la capacité d’un juge à imposer une peine équitable en fonction de la situation de l’accusé constitue une préoccupation majeure. Un système judiciaire qui doit imposer des peines minimales obligatoires et qui est aveugle au point de vue humain et aux implications sociales de sa décision représente une autre préoccupation. Le projet de loi S-208 s’attaque à ce problème et contribue à remettre l’accent nettement sur l’individu, sa situation et son point de vue.

(1800)

Son Honneur le Président : Pardonnez-moi, sénatrice Moodie.

Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligé de quitter le fauteuil, à moins que nous consentions à ne pas tenir compte de l’heure.

Est-ce d’accord, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Une voix : Non.

Son Honneur le Président : Je pense avoir entendu un « non ». Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

La sénatrice Martin : Non.

Son Honneur le Président : J’ai entendu un « non ». La séance est suspendue jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, compte tenu de tout ce que nous avons appris dans le cadre de nos recherches sur les peines minimales obligatoires, il n’est pas étonnant qu’un grand nombre de personnes reconnaissent la nécessité d’une réforme et de l’élimination des limites imposées sur le pouvoir discrétionnaire des juges. Des ministres et des parlementaires, passés et actuels, l’ont reconnu, tout comme le gouvernement actuel, qui continue d’appuyer la réforme nécessaire.

Nous avons appris que le recours excessif à l’emprisonnement coûte très cher, et sur le plan financier et sur le plan social. Honorables sénateurs, j’aimerais parler un peu du coût des peines minimales obligatoires sur le plan social et humain.

Pour citer la chercheuse Jessica Hardy, il y a « de nombreuses difficultés qui ont un effet sur la famille comme telle et chacun de ses membres », mais « l’une des pires difficultés auxquelles une famille peut avoir à faire face » est le retrait d’un de ses membres, que ce soit de façon temporaire ou permanente.

Nous savons que le fait d’avoir des parents qui sont incarcérés a une incidence profonde et complexe sur les enfants à charge. Nous n’avons pas de chiffres exacts, car le Canada n’a pas fait de collecte rigoureuse de ces données, mais, selon une étude réalisée par le Service correctionnel du Canada en 2007, l’incarcération des parents touche au moins 4,6 % des enfants canadiens, soit environ 350 000.

Les enfants dont les parents sont incarcérés vivent du stress psychologique, connaissent des difficultés économiques, sont exposés à des activités criminelles, affichent un comportement antisocial et éprouvent des difficultés à l’école, pour ne nommer que quelques-uns de leurs problèmes. L’incarcération d’un parent présente une menace pour le bien-être affectif, physique, éducatif et financier de l’enfant.

Au nombre des risques reconnus qui peuvent peser sur les enfants, en particulier ceux dont la mère est incarcérée, mentionnons un comportement criminel pendant l’enfance; des cycles de comportement criminel intergénérationnel; et des problèmes de santé mentale, tels que le risque de dépression, d’anxiété, de stress post-traumatique et d’agression pendant l’enfance. Il existe un ensemble de preuves bien établies démontrant que les enfants exposés à de multiples expériences négatives au cours de leur développement présentent un risque accru de dépression grave qui se poursuit à l’âge adulte.

Le comportement antisocial représente un autre problème, y compris l’activité criminelle et la malhonnêteté persistante. En fait, c’est l’effet secondaire le plus souvent observé lorsqu’un parent est incarcéré. Certains pensent également que l’exposition à l’incarcération d’un parent peut réduire la résilience d’un enfant et sa capacité à faire face à des expériences négatives plus tard dans sa vie. On constate une augmentation de la consommation de drogues. Certains chercheurs soulignent qu’il existe un lien avec un faible niveau d’éducation, y compris un risque accru de suspension et d’expulsion de l’école.

Puis, évidemment, il y a le problème des ressources financières limitées. L’enfant est souvent exposé à une situation précaire sur le plan du logement, dont un risque accru d’itinérance et d’insécurité alimentaire.

Qui plus est, nous savons que le fardeau qu’impose l’incarcération d’un parent n’est pas le même dans tous les segments de la société. Les effets négatifs de l’incarcération d’un parent sur les enfants se ressentent presque exclusivement dans les familles les plus défavorisées. Les communautés de couleur et racialisées sont plus à risque, à l’instar des communautés autochtones. Ces communautés sont surreprésentées dans nos prisons, comme nous l’avons entendu, en raison des répercussions des peines minimales; pour elles, le risque ne cesse de croître, et les chances de s’en sortir diminuent.

Compte tenu de l’intersectionnalité des effets de l’incarcération d’un parent sur les familles autrement défavorisées, par exemple, celles qui vivent dans la pauvreté, qui appartiennent à une minorité raciale ou ethnique ou qui vivent avec un problème de maladie mentale, le risque d’effets négatifs sur les membres de la famille est d’autant plus grand.

Le coût humain et social de l’imposition de peines minimales obligatoires est bien trop élevé chez les enfants, et nous ne devrions pas tolérer une telle chose dans notre société. Des études montrent que la capacité des enfants à surmonter les difficultés et à réussir dans la vie dépend de facteurs comme la solidité du lien parent-enfant et la qualité du réseau de soutien social dont disposent l’enfant et sa famille.

Nous ne pourrons pas ignorer encore longtemps les conséquences sociales des peines minimales obligatoires, et la pression en ce sens se fait de plus en plus forte. Si on redonne leur pouvoir discrétionnaire aux juges, ceux-ci pourront tenir compte de l’effet d’une peine d’emprisonnement sur les enfants à charge du prévenu, surtout dans les cas où cette peine est disproportionnée par rapport à l’objectif qu’elle est censée atteindre. Les juges pourront en outre réduire la peine imposée à un prévenu lorsqu’ils le jugent nécessaire, ou retarder le moment où elle sera purgée, notamment lorsque des torts considérables pourraient être occasionnés à autrui, comme à un enfant à charge.

Le bien-être et l’intérêt supérieur des enfants à charge doivent être au cœur de la réflexion des juges lorsqu’ils soupèsent les différents facteurs de détermination de la peine. S’il n’en tenait qu’à moi, les juges devraient également prendre en considération les droits de l’enfant tels qu’ils sont définis dans la Convention relative aux droits de l’enfant, qui a été adoptée en 1989 par l’ONU. Je pense par exemple au droit d’être protégé contre la discrimination ou les sanctions motivées par les activités des parents, qui se trouve à l’article 2; au droit de voir ses opinions prises en considération, à l’article 12; ainsi qu’au droit à une protection et à une aide spéciales de l’État en cas de privation temporaire du milieu familial, à l’article 20.

Selon moi, honorables sénateurs, ce projet de loi permet de combler une lacune qui punit injustement les enfants pour les agissements de leurs parents.

En terminant, je remercie la sénatrice Pate d’avoir à nouveau saisi le Sénat de ce projet de loi et de s’investir autant dans cette noble cause. Je vous invite également, honorables sénateurs, à réfléchir sérieusement à l’effet disproportionné qu’ont les peines minimales obligatoires sur les enfants et les jeunes avant de décider si vous voterez pour ou contre le projet de loi S-208.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, au nom de la sénatrice Jaffer, le débat est ajourné.)

(2010)

La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénateur Francis, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.

L’honorable Yvonne Boyer : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres, qui est marrainé par la sénatrice McCallum.

Je vais expliquer pourquoi il est sensé d’appuyer ce projet de loi quand on comprend le rapport étroit qui existe entre la culture et le genre pour les femmes autochtones.

Ce projet de loi est nécessaire pour le Canada afin d’élaborer une politique rigoureuse et efficace et, surtout, si les Canadiens veulent vraiment opérer une réconciliation. En effet, il s’agit d’un projet de loi nécessaire qui protégera les femmes autochtones contre les torts qu’elles subissent depuis toujours à cause du colonialisme.

Le projet de loi S-209 fera de l’analyse de la culture et du genre, qui sont indissociables pour les femmes autochtones, une exigence légale pour garantir que les prochains gouvernements ne négligeront pas cet élément important lorsqu’ils étudieront, débattront et adopteront des mesures législatives.

L’analyse comparative entre les sexes est un outil qui permet aux décideurs d’harmoniser les mesures du gouvernement avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le gouvernement du Canada s’est engagé à appuyer la mise en œuvre complète de l’analyse comparative entre les sexes dans l’ensemble des ministères et des organismes fédéraux.

Actuellement, l’analyse comparative entre les sexes est effectuée à la discrétion et selon le bon vouloir du gouvernement, ce qui donne aux prochains gouvernements la possibilité de l’écarter du revers de la main s’ils le désirent. Bien sûr, les ministères qui travaillent sur des projets de loi sont susceptibles de penser aux répercussions de ceux-ci sur différentes populations et ils penseront sûrement à tous les risques. Néanmoins, les pratiques en matière d’analyse comparative entre les sexes visant à examiner des projets de loi au sein du gouvernement semblent être laissées à la discrétion du gouvernement en place.

Nous avons vu comment les analyses comparatives entre les sexes peuvent orienter la manière dont le gouvernement cerne et définit les problèmes dans ses initiatives stratégiques. Dans son rapport de 2015 intitulé La mise en œuvre de l’analyse comparative entre les sexes, le Bureau du vérificateur général a évalué les progrès réalisés par le ministère de la Condition féminine et il a cerné un certain nombre de domaines où des améliorations étaient nécessaires. Cependant, le bureau a passé sous silence la question de la pertinence culturelle, ce qui représente une lacune considérable pour les femmes autochtones.

Le ministère de la Condition féminine a précisé que l’analyse comparative entre les sexes devrait aussi prendre en considération les multiples facteurs d’identité qui ont une incidence sur les groupes de femmes et d’hommes, y compris l’âge, la scolarité, la langue, le lieu de résidence, la culture et le revenu. Les facteurs à considérer peuvent aussi comprendre la race, l’ethnicité, la religion, et les handicaps de nature physique ou mentale. C’est ce qu’on appelle l’ACS+.

Faire en sorte que le projet de loi S-209 prenne davantage en considération les facteurs culturellement pertinents lorsqu’il s’agit de s’adapter aux réalités particulières des femmes autochtones serait un pas important vers l’implantation d’une analyse comparative entre les sexes qui soit adaptée à la culture.

Depuis 2007, l’Association des femmes autochtones du Canada est un chef de file dans la promotion et la mise en œuvre d’analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture. Cette approche lui permet de tenir compte de facteurs culturellement pertinents dans le cadre de son analyse.

Par exemple, dans le secteur de la santé — où j’ai travaillé la majeure partie de ma carrière —, la recherche en santé dans le cadre d’essais cliniques a toujours été menée sur des hommes. Au mieux, on a créé des failles, et au pire, on n’a pas réussi à répondre aux besoins en matière de santé des femmes. Ces dernières étaient ainsi exposées à de grands risques, car les résultats des essais cliniques réalisés auprès des hommes étaient considérés comme la référence absolue et appliqués à toutes les femmes, ce qui rendait les résultats erronés et parfois dangereux.

Prenons la santé cardiaque. Les considérations uniques relatives aux comorbidités cardiaques des femmes sont exacerbées pour les femmes autochtones en raison d’autres facteurs de santé qui leur sont propres et qui découlent des conséquences du colonialisme. Par exemple, le stress et la dépression liés à la perte d’identité résultant de la Loi sur les Indiens, et les effets de la violence perpétrée contre des générations de survivants des pensionnats. Cependant, l’emploi des outils prévus par le projet de loi S-209 permettrait de supprimer ou de réduire considérablement les failles afin d’avoir une idée plus réaliste du mode de vie et de l’état de santé des femmes autochtones.

L’Association des femmes autochtones du Canada a indiqué à quoi ressemblaient les rôles des femmes autochtones dans la société traditionnelle, et ceux-ci contrastent énormément avec les concepts traditionnels européens de la société canadienne. Cette réalité des femmes autochtones au Canada explique pourquoi leur l’histoire a été si différente et difficile. En fait, à l’époque où les Européens sont arrivés au Canada, les femmes étaient considérées, selon la common law, comme un bien personnel, c’est-à-dire qu’elles dépendaient d’abord de leur père, puis de leur mari.

Le statut inférieur qui était accordé historiquement aux femmes dans la société européenne tranchait nettement avec celui accordé aux femmes autochtones, qui commandaient le plus grand respect au sein de leur communauté en tant que procréatrices de la vie et gardiennes des traditions, des pratiques et des coutumes de leur nation. Les femmes étaient vénérées pour leur capacité non seulement d’engendrer une nouvelle vie mais aussi, par extension, de tisser de nouvelles relations avec le créateur. Les femmes prenaient les décisions essentielles au sujet de la famille, des droits de propriété et de l’éducation. Elles exerçaient un pouvoir politique considérable au sein de leur peuple.

De nos jours, des hypothèses patriarcales et masculines continuent d’influer sur nos lois et nos politiques. Par exemple, comme je l’ai mentionné, une vision centrée sur les hommes a eu des effets négatifs à long terme sur la santé des femmes autochtones. Certaines lois et politiques du mouvement colonialiste s’attaquaient au pouvoir qu’avaient les femmes autochtones en tant que piliers de la famille. Le féminisme et les traditions juridiques occidentales ont contribué à compenser les injustices, mais ces concepts ne reflètent pas pleinement les perspectives des Autochtones. Par exemple, dans la société autochtone, l’équilibre ne peut pas être mis sur le même pied que l’égalité. L’équilibre est plutôt assimilable au respect des lois et des relations que les femmes autochtones entretiennent avec le droit autochtone et l’ordre écologique de l’univers.

Comment un projet de loi comme le projet de loi S-209 peut-il contribuer à la création d’une société plus équilibrée et plus juste pour toutes les femmes? Avec des outils législatifs perfectionnés, nous pourrions, par exemple, lorsque l’on examine un projet de loi de nature environnementale qui entraîne généralement l’établissement de camps de travailleurs masculins du secteur de l’extraction des ressources dans des régions rurales éloignées, appliquer une analyse comparative entre les sexes adaptée aux réalités culturelles qui tient compte des besoins propres aux femmes autochtones. La sénatrice McCallum a abordé le sujet de manière éloquente dans son discours.

Une analyse comparative entre les sexes adaptée aux réalités culturelles permet d’évaluer les risques à l’étape de la rédaction et des amendements d’un tel projet de loi et met en lumière la nécessité de prendre en considération la violence qui pourrait menacer les femmes autochtones dans les régions éloignées.

J’ai parlé au Sénat de la stérilisation forcée des femmes autochtones. Cette question me préoccupe encore beaucoup. À l’heure actuelle, mon bureau s’emploie à indiquer sur la carte du Canada où se trouvent les populations de femmes autochtones qui ont été stérilisées de force. Nous superposerons sur cette carte un calque indiquant l’emplacement des hôpitaux pour Autochtones et des sanatoriums pour tuberculeux afin de voir s’il existe une corrélation entre les phénomènes. D’autres cartes et calques permettront de superposer les emplacements des pensionnats autochtones, des pénitenciers, des corridors de trafic, des centres de soins de santé mentale et des camps d’extraction de ressources, afin de mieux comprendre les liens qu’il pourrait y avoir avec les cas de stérilisation forcée. On pourrait concevoir des cartes et des calques semblables pour les quelque 5 000 femmes et filles autochtones assassinées ou portées disparues.

Voilà quelques exemples de la manière dont une analyse comparative entre les sexes adaptée à la culture nous permettra de franchir l’étape la plus importante de la mise en place de stratégies politiques correctives et atténuantes pour les femmes autochtones.

Une fois ces cartes achevées, nous souhaitons entreprendre des projets semblables avec d’autres secteurs cernés pendant la brève étude entreprise à ce sujet par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Par exemple, l’étude a permis de souligner qu’on avait contraint des Néo-Écossaises d’origine africaine, des personnes intersexuées, des personnes handicapées et d’autres personnes vulnérables de la société canadienne, à subir une hystérectomie de force.

Le projet de loi S-209 nous amènera à réfléchir au rôle important que jouent la culture et le genre dans l’élaboration des politiques et le traitement réservé à certains Canadiens — qui est souvent inéquitable.

Dans une société multiculturelle comme le Canada, une analyse adaptée à la culture peut tenir compte d’un certain nombre de facteurs qui se recoupent. Dans le cadre de notre engagement à l’égard de la réconciliation, nous avons fait un premier pas pour reconnaître d’autres réalités et préjugés culturels qui sont intégrés dans les pratiques actuelles du processus législatif et de l’élaboration des politiques.

Le projet de loi S-209 constitue une mesure positive et importante pour la protection des réalités particulières des femmes autochtones. Le gouvernement s’est engagé à la réconciliation, et cela exige une approche fondée sur les distinctions qui garantira que les droits, les intérêts et les circonstances uniques des Premières Nations, des Métis et des Inuit sont reconnus, confirmés et mis en œuvre. C’est exactement ce que fait le projet de loi C-209.

Le renvoi du projet de loi C-209 au comité et son adoption éventuelle représentent une étape importante pour le Canada et, en fait, pour l’avenir de tous les Canadiens

Merci, meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, au nom de la sénatrice McPhedran, le débat est ajourné.)

(2020)

Projet de loi sur l’esclavage moderne

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, appuyée par l’honorable sénateur Klyne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-211, Loi édictant la Loi sur l’esclavage moderne et modifiant le Tarif des douanes.

L’honorable Frances Lankin : Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-211. Comme vous le savez, le projet de loi a été présenté par notre collègue la sénatrice Miville-Dechêne. Il obligera certaines entités à signaler les mesures qu’elles ont prises pour empêcher que l’esclavage moderne et le travail des enfants ne fassent partie de leurs chaînes d’approvisionnement. Il bloquera également les importations de biens issus du travail forcé ou fabriqués par des enfants. Je tiens à féliciter la sénatrice du leadership dont elle a fait preuve lorsqu’elle nous a présenté ce projet de loi.

Comme vous le savez maintenant, je m’intéresse beaucoup aux droits des travailleurs, et l’esclavage moderne à l’échelle nationale et internationale représente la pire forme d’exploitation des travailleurs et, comme nous l’avons entendu, des enfants.

Ce projet de loi obligerait les entreprises à examiner leurs chaînes d’approvisionnement et à faire rapport sur les mesures qu’elles ont prises pour régler le problème de l’esclavage moderne. Je tiens à souligner que certaines sociétés ont déjà commencé à œuvrer en ce sens. Des banques canadiennes — que je félicite encore une fois — comme la Banque Royale et la BMO ont publié des documents expliquant qu’elles étaient contre l’esclavage moderne, et certaines sociétés qui exercent leurs activités au pays — notamment Adidas, H&M, Under Armour, Ernst & Young et la Walt Disney Company — sont membres du club Mekong. Il s’agit d’un organisme de renommée mondiale qui collabore avec le secteur privé pour mettre un terme à l’esclavage moderne. Si vous ne connaissez pas cet organisme — c’était mon cas —, je vous encourage à faire une recherche sur Internet parce que le travail qu’il fait est fascinant, et c’est intéressant de voir quelles sont ses entreprises partenaires et quelles mesures il prend à l’heure actuelle.

Je tiens à souligner un élément important dont je me suis rendu compte dans le cadre de mon étude du projet de loi : ce dernier n’est pas hostile au milieu des affaires. Il ne vise pas à créer des tracasseries administratives inutiles. Nous savons que de nombreuses entreprises sont aux prises avec ce genre de problème. Il ne s’agit pas non plus d’une question de relations publiques, comme l’affirment certains.

Une entreprise responsable est une bonne entreprise. La transparence est au cœur de la bonne gouvernance. Comme j’ai moi-même œuvré dans le monde de la gouvernance d’entreprise et siégé au conseil de l’Institut des administrateurs de sociétés, je sais que ces enjeux représentent des risques que les comités et les conseils prennent au sérieux et étudient du point de vue de la gouvernance.

À l’ère des médias sociaux, les sociétés voient leur réputation être mise à mal lorsqu’elles ne font rien pour lutter contre l’esclavage moderne. Je vous renvoie à l’exemple de Tesco, au Royaume-Uni. En raison de la croissance du militantisme des investisseurs et des actionnaires et investisseurs qui veulent investir dans des entreprises qui respectent les droits fondamentaux de la personne, cet enjeu devient de plus en plus important. Encore une fois, je peux donner l’exemple des boissons Monster. Les actionnaires et les militants investisseurs ont mis de la pression sur l’entreprise pour qu’elle fasse enquête sur les risques en matière d’esclavage dans sa chaîne d’approvisionnement.

Le Canada a déjà pris des engagements. Nous devons nous joindre à nos alliés dans la prise de mesures concrètes visant plus de transparence dans les chaînes d’approvisionnement afin d’éradiquer l’esclavage moderne. La Loi sur l’esclavage moderne de 2015 au Royaume-Uni et la Loi sur l’esclavage moderne de 2018 en Australie sont deux exemples de mesures législatives similaires. D’autres pays ont commencé à agir dans ce dossier et le projet de loi à l’étude demande que nous suivions leur exemple.

J’ai parlé du fait que notre pays a déjà pris des engagements internationaux. Quatre-vingt-dix gouvernements, dont le Canada, ont appuyé l’appel à l’action de 2017 pour éliminer l’esclavage moderne. Nous avons également adopté le Programme 2030 des Nations unies, qui vise à mettre fin à toutes les formes d’esclavage moderne et de traite des personnes d’ici 2030.

À mon avis, le projet de loi est une mesure utile parce qu’il s’intègre au message du Canada à la communauté internationale et à ses alliés qu’il fera partie de cette initiative visant à éradiquer l’esclavage moderne et qu’il ne traînera pas de l’arrière. À titre de partisane du Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes, je comprends que cette question va au-delà des allégeances politiques. Le député libéral John McKay a présenté un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-423, Loi sur l’esclavage moderne, à la dernière législature. Il a été appuyé par le député conservateur Arnold Viersen, qui copréside le Groupe parlementaire multipartite de lutte contre l’esclavage moderne et la traite des personnes.

Comme j’étais à l’écoute, je sais qu’au fil des ans les chefs du Parti conservateur ont pris des engagements fermes et parfois même fait des promesses électorales sur l’éradication de l’esclavage moderne et la répression de la traite des personnes. En 2012, le Parti conservateur du Canada a créé le Plan d’action national de lutte contre la traite de personnes, qui proposait « de nouvelles initiatives agressives en vue de contrer la traite de personnes sous toutes ses formes ».

Le NPD et le Parti vert ont condamné publiquement à maintes reprises la traite des personnes et l’esclavage moderne en plus de réclamer la prise de mesures.

Voici mon dernier message : peu importe à quel point nous affichons nos allégeances politiques, nous faisons tous front commun dans ce dossier. Unissons nos forces et adoptons ce projet de loi.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Les émissions de carbone

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Coyle, attirant l’attention du Sénat sur l’importance de trouver les bons parcours et actions à suivre pour que le Canada et les Canadiens respectent notre cible de zéro émission nette de carbone afin de ralentir, d’arrêter et de renverser les changements climatiques d’origine humaine pour favoriser une planète, une société, une économie et une démocratie saines.

L’honorable Grant Mitchell : Honorables sénateurs, c’est la première fois que je prends la parole depuis ce siège, alors je vais tenter de m’orienter. Je cherche un collègue qui veut bien m’écouter pour que je puisse regarder cette personne pendant que je prononce mon discours.

Quoi qu’il en soit, j’aimerais d’abord remercier la sénatrice Coyle de son interpellation et du discours qu’elle a prononcé dans le cadre de cette interpellation. Ce débat est nécessaire et tombe à point, et la sénatrice l’a amorcé avec brio.

Selon moi, la sénatrice a accompli bien des choses. Je vais en nommer trois. Premièrement, elle a formulé un puissant appel à l’action en matière de lutte contre les changements climatiques. Deuxièmement, elle a encouragé chacun de nous à songer à ce que peut faire le Sénat pour faciliter cette action. Troisièmement, son argumentation quant à l’urgence d’agir soulève, peut-être à son insu, la question à savoir pourquoi une telle réticence à agir persiste encore aujourd’hui.

Vu l’accablant consensus scientifique à l’égard du problème des changements climatiques et de ses conséquences, il est étonnant que les discours d’aujourd’hui au sujet de la lutte contre les changements climatiques doivent encore faire valoir l’urgence de la situation. C’est comme si nous devions encore aujourd’hui présenter des arguments pour prouver que la Terre est ronde.

Je pense qu’il est juste de dire qu’une grande partie de cette réticence — en fait, son centre de gravité — est attribuable à la croyance que la lutte définitive contre les changements climatiques représente, en quelque sorte, une menace pour notre économie. Je prétends le contraire. Pour remporter la Seconde Guerre mondiale, nous avons dû restructurer fondamentalement notre économie, et cela ne l’a certainement pas ruinée. Au contraire, cela a créé une économie industrialisée et puissante qui a permis au Canada de bénéficier d’une prospérité et d’une qualité de vie sans précédent depuis plus de 80 ans. En réalité, la lutte contre les changements climatiques catalysera l’apparition d’une nouvelle économie du XXIe siècle puissante, novatrice et fondée sur l’esprit d’entreprise. Qui plus est, ceux qui s’accrochent à tout prix au statu quo économique, quels que soient les conséquences climatiques et les périls qui pourraient en découler, nient carrément les données scientifiques qui prouvent de manière de plus en plus incontestable que les effets des changements climatiques constituent bel et bien une menace existentielle pour l’économie et pour de nombreuses autres choses.

(2030)

Voici un exemple, qui touche les infrastructures économiques essentielles. L’aéroport de Vancouver est déjà sous le niveau de la mer, tandis que le port, lui, est directement au niveau de la mer — c’est la définition même d’un port —, du moins pour l’instant. Je dis « du moins pour l’instant » parce que les scientifiques n’arrêtent pas de nous rappeler que le niveau des mers augmente rapidement et même de plus en plus rapidement.

Pendant le XXe siècle, le niveau de l’eau sur la côte Ouest a grimpé de plus de 15 centimètres, et il monte aujourd’hui 2,5 fois plus vite. Les scientifiques prévoient qu’il devrait augmenter d’encore 20 centimètres d’ici 30 ans et d’un autre mètre pendant la seconde moitié du siècle.

Autrement dit, d’ici à ce que mes enfants et mes petits-enfants aient fini leur vie — et cela vaut aussi pour vos enfants et vos petits-enfants à vous —, deux infrastructures essentielles de l’Ouest canadien seront vraisemblablement submergées. Même si, dans le cas de l’aéroport, on pourra retarder l’inévitable en haussant le niveau des digues, c’est tout simplement impossible de faire la même chose dans un port océanique.

Le port de Vancouver traite 160 millions de tonnes de marchandises par année. Je suis Albertain. Pensons à ce que cela représente pour l’économie albertaine. Ces marchandises comprennent des exportations de produits agricoles, forestiers, pétrochimiques et autres de l’Alberta. Elles comprennent aussi des importations de produits et d’équipement essentiels aux entreprises et à l’économie de la province. Le port de Vancouver est essentiel à l’économie de l’Alberta, point; c’est un fait.

De façon plus générale, les ports canadiens — qui ne sont pas tous aussi vulnérables les uns que les autres, mais qui vont tous finir par subir les effets de l’élévation du niveau de la mer — traitent globalement pour 400 milliards de dollars en marchandises chaque année. Cela représente 20 % du PIB total du pays. C’est donc dire que 20 % de l’économie du pays transite par nos ports, qui pourraient être inondés par la hausse du niveau de la mer. Je pense que vous voyez à quoi je veux en venir.

Les arguments en faveur du statu quo économique, qui ont énormément contribué à empêcher l’adoption de mesures de lutte contre les changements climatiques, soulèvent une question cruciale : comment allons-nous faire pour que les ports restent ouverts, de manière à permettre une quelconque activité économique, si nous n’empêchons pas les changements climatiques de faire monter le niveau de la mer?

Mark Carney, l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, a émis une mise en garde sur l’augmentation des risques causés par les changements climatiques pour le système financier. Il en a nommé trois : les pertes dans le secteur des assurances; la responsabilité des changements climatiques ou les poursuites intentées contre ceux qui sont à l’origine de ces changements; et les actifs délaissés.

Je vais me concentrer pendant un instant sur le risque dans le domaine de l’assurance. Le monde des affaires repose sur la connaissance fondée sur l’expérience de ce que l’on pourrait appeler le risque « normal » ou « prévisible ». Comme nous le savons tous, la gestion du risque est essentielle au succès de l’économie de marché. La capacité des assureurs à prévoir les types de risques qu’ils peuvent couvrir est un élément essentiel de la gestion de ces risques. Toutefois, l’augmentation rapide des pertes des compagnies d’assurance attribuables à des catastrophes météorologiques sans précédent — et il existe de nombreuses preuves documentées à ce sujet — remet en question la capacité de ce secteur à fournir à long terme des polices d’assurance à des taux abordables. Incapables de s’offrir une assurance, les entreprises et les particuliers seront de plus en plus incapables de supporter la prise de risques fondamentalement nécessaires pour faire prospérer l’économie.

Là encore, cela soulève une question économique cruciale : comment garantir que les risques financiers croissants découlant des changements climatiques et que la réaction des marchés à ces risques n’ébranleront pas les fondements des économies de marché? C’est une question à laquelle il faut réfléchir.

Il est certain que les grandes entreprises d’investissement sont de plus en plus préoccupées par la situation. BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, qui compte près de 7 billions de dollars d’investissements, a récemment annoncé qu’il chercherait à abandonner les investissements pour lesquels le « risque de durabilité » est trop élevé. Le fonds souverain norvégien, d’une valeur de 1,3 billion de dollars, dont 700 milliards de dollars en actions, réévalue ses investissements dans les titres pétroliers et gaziers. Il s’agit d’une tendance croissante dans le monde de l’investissement.

Pour un pays et des provinces qui dépendent autant de l’industrie des combustibles fossiles et où celle-ci est un fondement de l’économie, une reconnaissance sérieuse, et peut-être soudaine, de ces risques par les marchés nationaux et internationaux constitue un risque important. Dites ce que vous voulez sur Greta Thunberg; elle représente le visage d’une nouvelle force économique, sociale et culturelle extrêmement puissante — une force du marché que nous ignorons à nos risques et périls. Il faut déterminer où l’évolution des forces du marché et des risques nous mènera dans le contexte de l’intensification des impacts des changements climatiques. Il faut être prêt à tirer parti des premières, les forces du marché, et à gérer les deuxièmes, les risques du marché.

Nous ne pouvons pas permettre à notre détermination de lutter contre les changements climatiques d’être érodée par l’argument dépassé et éculé qu’une telle lutte tuera d’une manière ou d’une autre notre économie. Je l’ai déjà dit, mais je le répète : c’est tout le contraire. Cet argument est vieux, éculé et fondamentalement erroné. La décision de ne pas s’attaquer une fois pour toutes aux changements climatiques représente un danger beaucoup plus grand, clair et présent pour nos futures perspectives économiques et bien plus encore.

Face à tout cela, nous nous trouvons dans une impasse difficile et déconcertante. D’une part, de nombreuses personnes dans ma province et ailleurs — je parle des gens vivant dans des provinces comme la mienne, qui ont profité de l’économie fondée sur la consommation de combustibles fossiles — craignent que le fait de se détourner de cette économie ou d’en freiner l’élan ne les empêche de nourrir leurs enfants ou de payer leur hypothèque. Nombreux sont ceux qui n’y arrivent même pas maintenant, et beaucoup d’autres craignent que cela leur arrive bientôt. Nous ne pouvons pas ignorer ce fait. C’est une crainte réelle et légitime; elle est viscérale et elle tenaille de bons Canadiens honnêtes qui sont nos voisins.

D’autre part, quelqu’un de l’Ontario m’a fait la remarque suivante : Pourquoi les habitants de l’Alberta ne peuvent-ils pas voir à quel point les habitants de l’Ontario — et d’ailleurs — ont peur des conséquences des changements climatiques? Voilà une autre crainte qui ne peut être ignorée. Elle est également éprouvée par de bons et d’honnêtes Canadiens qui craignent tout autant pour l’avenir de leurs enfants et leur bien-être. Ce sont aussi nos voisins.

Pour lutter efficacement contre les changements climatiques, un consensus national doit remplacer cette impasse persistante. De grandes nations ont fait face à des enjeux, à des défis et à des dangers comme celui-ci au cours de leur histoire. Les grandes nations trouvent un moyen de rassembler leur population pour résoudre ces problèmes. Le Canada est une grande nation. Nous avons fait ce genre de choses à maintes reprises. Il est temps de le faire de nouveau. Nous devons faire face à l’impasse et la dénouer. Nous devons rassembler les Canadiens, des gens formidables et forts, pour trouver des solutions au problème et appuyer leur mise en œuvre.

Le concept de « démocratie délibérative » pourrait nous aider à cet égard. La démocratie délibérative consiste à réunir des groupes représentatifs de citoyens dans des tribunes publiques, afin de discuter de certaines questions et de formuler des recommandations concrètes pour les régler. Des techniques d’échantillonnage perfectionnées sont utilisées pour sélectionner les citoyens participants et créer des groupes reflétant la société en général et les intérêts divergents au sujet d’une question donnée.

L’expérience confirme qu’en dépit de points de vue diamétralement opposés, les participants, que certains appelleraient « des citoyens ordinaires », arrivent souvent à s’entendre sur des solutions à des questions des plus déchirantes et difficiles. À maintes reprises, on a démontré que ces groupes, qui ont été sélectionnés objectivement et qui appliquent les principes de la démocratie délibérative sans éprouver la pression de se faire réélire, sont crédibles aux yeux de la population en général et peuvent favoriser l’adhésion populaire aux solutions à des problèmes stratégiques compliqués.

Dans un article intitulé « La politique sans les politiciens », publié récemment dans le New Yorker, Nathan Heller résume un élément essentiel de ce processus.

(2040)

Ma première expérience de ce qu’on appelle maintenant la démocratie délibérative a eu lieu près de chez moi. C’était en Alberta, au milieu des années 1990, quand le premier ministre Ralph Klein a lancé un processus de consultation publique que je qualifierais de remarquable — ce n’est pas rien venant de moi, puisque j’ai fini par devenir le chef de l’opposition alors qu’il dirigeait le gouvernement — pour trouver des solutions aux problèmes de la province.

Des conventions distinctes, que nous appelions des tables rondes, ont été organisées sur divers sujets. Nous nous sommes penchés sur cinq dossiers : l’économie, la santé, l’éducation, l’agriculture et l’industrie énergétique. Chaque convention comptait une centaine de participants : des experts, quelques élus, y compris des membres de l’opposition — ce qui explique pourquoi j’y étais invité— et une cinquantaine de membres du grand public qui avaient manifesté leur intérêt. Grâce à des discussions dirigées, les participants à chaque convention ou table ronde ont rédigé des documents contenant des recommandations précises. Ces documents ont été présentés aux décideurs, notamment au premier ministre Klein, lors d’une séance plénière ouverte au public, à Edmonton, à la fin du processus. Par la suite, le gouvernement a mis en œuvre des plans d’action, avec un certain succès.

En décembre 2019, la France a créé un processus visant à conseiller le Parlement sur la façon de diminuer les émissions de carbone de 40 % d’ici 2030. Un groupe de 150 citoyens qui représentaient la diversité démographique, professionnelle et géographique de la France s’est réuni pour discuter et pour formuler des recommandations devant être présentées directement et sans modification aux législateurs. Le processus s’est échelonné sur plusieurs semaines. Les réunions ont eu lieu en décembre de l’an dernier ainsi qu’en janvier et en février de cette année. Elles se sont déroulées la fin de semaine afin que les citoyens ordinaires puissent se libérer de leur travail pour y participer. Les six ou sept réunions ont été menées rondement.

Dans un article publié récemment dans le Guardian, un des participants a déclaré ce qui suit :

L’expérience humaine qui consiste à réunir des personnes aussi différentes les unes des autres m’enthousiasme au plus haut point [...] Je trouve remarquable et très touchant le fait de réunir 150 personnes dont les plaintes, les incohérences et l’indiscipline sont différentes afin de produire un travail qui est le fruit d’une intelligence collective.

Au milieu de la dernière décennie, pendant une période de cinq ans, l’Irlande a mis en œuvre un processus de démocratie délibérative très efficace afin de dégager un consensus public au sujet d’un éventail d’enjeux, dont certains de nature constitutionnelle, avec lesquels le pays était aux prises depuis un certain temps. Les trois processus de consultation publique ont donné lieu à deux référendums nationaux, qui ont entériné le droit au mariage entre personnes de même sexe et la liberté de choix pour les femmes. Ce processus est d’autant plus remarquable que ces questions avaient fondamentalement divisé la société irlandaise pendant de nombreuses décennies.

Son Honneur le Président : Sénateur Mitchell, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus? Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Mitchell : Je vous remercie, j’ai presque terminé.

De nombreux pays — le Danemark, l’Espagne, la Pologne, les États-Unis, dans une certaine mesure, et l’Australie — ont utilisé le processus de démocratie délibérative. Il est intéressant de souligner que le Canada est considéré comme le premier pays à avoir utilisé les techniques modernes de démocratie délibérative afin de définir des processus d’assemblée des citoyens de la manière technique dont j’ai parlé. Il l’a fait pour l’assemblée de 2004, en Colombie-Britannique, pour examiner un projet de réforme électorale. Il y a eu un certain nombre d’autres exemples au Canada.

Je crois que le Sénat peut exercer le leadership nécessaire pour organiser un processus moderne de démocratie délibérative afin d’examiner l’immense défi que représente la lutte contre les changements climatiques pour les Canadiens. Nous n’avons pas vraiment le choix. Nous devons absolument, fondamentalement le faire. Nous avons la capacité de le faire, et cela relève tout à fait de notre mandat. Les enjeux auxquels nous sommes confrontés exigent ce type de leadership. Je vous remercie.

[Français]

Son Honneur le Président : Sénateur Mockler, voulez-vous poser une question?

L’honorable Percy Mockler : Est-ce que l’honorable sénateur de l’Alberta pourrait répondre à une question?

Le sénateur Mitchell : Oui.

Le sénateur Mockler : J’écoutais attentivement les commentaires du sénateur de l’Alberta.

[Traduction]

Je dois admettre qu’il y a tout un changement dans certains des discours que l’honorable sénateur de l’Alberta a prononcés au Sénat. Toutefois, je dois lui poser une question. Sachant ce que l’Alberta traverse à l’heure actuelle, comme sénateur de cette province, quelles sont vos solutions?

Le sénateur Mitchell : Je suis très content qu’on me pose la question. Merci. Je suis fier de venir de l’Alberta et je m’inquiète au sujet de la situation économique de l’Alberta et de ses répercussions sur les Albertains, mes concitoyens. Cependant, les choses ne sont pas aussi simples que le laissent croire les discours actuels et les arguments souvent virulents qu’on entend.

C’est une chose de soutenir l’industrie de l’énergie et je pense qu’il y a une grande place pour notre secteur énergétique et j’en parlerai plus tard, mais il est également vrai qu’il n’y a pas que le secteur énergétique dans notre économie. L’économie de l’Alberta, c’est aussi l’agriculture, l’exploitation forestière, la haute technologie, les activités de conseil et les industries intellectuelles. Chose intéressante, selon une récente étude réalisée par un économiste de l’Université de Calgary, l’Alberta est probablement l’une des deux économies provinciales les plus diversifiées.

Notre économie ne repose pas que sur le pétrole. Il faut faire très attention quand des gens prennent la parole — je ne nommerai personne — pour dire qu’en raison du processus réglementaire, il est très difficile, voire impossible, d’investir en Alberta. Pour quelle raison quiconque ferait cela? Quel génie du marketing voudrait dire au monde entier qu’il est difficile d’investir en Alberta? Nous devons arrêter d’agir ainsi parce que cela n’aide pas le secteur pétrolier ni aucun autre secteur.

Tous les secteurs pétroliers sont actuellement confrontés à de très fortes oppositions. Greta Thunberg — et vous pouvez dire ce que vous voulez à son sujet — est le reflet d’un changement fondamental dans les forces du marché. Si nous ne posons pas les bonnes questions sur ce qui touche notre économie, à défaut de commencer à poser cette question, nous ne pourrons pas trouver les réponses.

Ce que je veux dire, c’est que l’industrie de l’énergie a un rôle à jouer, particulièrement le secteur des sables bitumineux, car c’est un secteur très prévisible et fiable, contrairement à celui de la fracturation hydraulique, et il peut ainsi servir de point de référence. Cependant, si le monde commence à délaisser ce secteur — et je crois que c’est le cas —, alors nous avons un grave problème parce que nous devons nous préparer aux nouvelles conditions du marché. La transition a déjà commencé. Je vais prendre un exemple extrême pour illustrer mon propos : Harley-Davidson fabrique maintenant des motos électriques. Les grands fabricants d’automobiles du monde entier se tournent vers les voitures électriques. C’est un changement fondamental qui pourrait avoir une incidence sur le secteur des combustibles fossiles.

Il est également vrai que si l’on ne freine pas les changements climatiques, il y aura des conséquences économiques qui nous empêcheront de soutenir non seulement l’industrie énergétique, mais aussi toutes les autres caractéristiques de l’économie de l’Alberta. Là où je voulais en venir dans mon intervention, c’est que nous avons besoin du port à Vancouver pour soutenir les industries agricole, forestière, pétrochimique et énergétique de l’Alberta, de même que d’autres volets de son économie. Si le port est déjà enseveli sous l’eau en 2060, quelles seront les conséquences pour notre économie? Je demande au gouvernement de l’Alberta de m’expliquer comment nous arriverons à acheminer nos produits agricoles jusqu’aux marchés s’il faut les faire passer par un port inondé.

C’est exactement ce qui nous attend. Je n’invente rien; c’est la science qui le dit. Je ne parierai pas contre la science, en mettant en gage l’avenir de mon petit-fils. Je ne le ferai pas. Je crois que c’est un problème. Je crois que nous devons nous y attaquer. Nous ne pouvons pas le mettre de côté en nous disant qu’il se résoudra tout seul, car il ne disparaîtra pas de lui-même. Il nous attend au tournant.

Son Honneur le Président : Je suis désolé, sénateur Mockler, mais le temps de parole du sénateur Mitchell est écoulé.

(Sur la motion de la sénatrice Duncan, le débat est ajourné.)

Le revenu de base garanti

Interpellation—Ajournement du débat

L’honorable Kim Pate, ayant donné préavis le 19 février 2020 :

Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur le besoin d’examiner et d’évaluer les mesures concrètes dont dispose le Sénat pour soutenir la mise en œuvre d’initiatives axées sur le revenu de base garanti et pour promouvoir l’égalité réelle pour tous les Canadiens.

— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour attirer l’attention du Sénat sur le besoin d’examiner et d’évaluer les mesures concrètes dont dispose le Sénat pour soutenir la mise en œuvre d’initiatives axées sur le revenu de subsistance garanti et pour promouvoir l’égalité réelle pour tous les Canadiens.

(2050)

La Constitution du Canada contient une Charte des droits et libertés qui garantit des droits juridiques substantiels et l’égalité pour tous. Malgré cette réalité juridique, bien trop de Canadiens ne bénéficient pas de cette égalité des chances.

[Français]

La pauvreté est l’un des principaux obstacles à l’égalité. La pauvreté affecte la façon dont les Canadiens vivent, les choix qu’ils font et les possibilités qui leur sont offertes.

[Traduction]

De plus, il existe une corrélation entre la pauvreté et le sexisme, le racisme, le colonialisme et d’autres formes de discrimination systémique, et la pauvreté amplifie ces problèmes. Or, au Canada, la moitié des enfants autochtones grandissent dans la pauvreté.

Dans sa décision relative à la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, le Tribunal canadien des droits de la personne a jugé que, depuis 2006, au moins 44 000 enfants autochtones ont été confiés inutilement aux soins de l’État, en grande partie à cause de leur manque d’accès à des services ou à des ressources. Le projet de loi C-92 interdit la prise en charge d’enfants autochtones par les services d’aide à l’enfance pour des raisons de pauvreté. Cependant, étant donné que le projet de loi ne prévoit aucune mesure concrète pour remédier aux inégalités systémiques, les Premières Nations ont affirmé, à juste titre, que ce geste est essentiellement superficiel et vide de sens.

[Français]

Des millions de Canadiens vivent dans la pauvreté.

[Traduction]

La majorité des Canadiens vivent d’un chèque de paie à l’autre. Beaucoup de ceux qui vivent sous le seuil de la pauvreté occupent un emploi, mais n’ont pas un salaire suffisant pour joindre les deux bouts. Dans 97 % des quartiers du Canada, une personne qui travaille à plein temps et qui gagne le salaire minimum n’a pas les moyens de louer un appartement à une ou à deux chambres. Pour les jeunes Canadiens, cela fait partie de la réalité de la génération dite « squeeze », c’est-à-dire celle qui est pressée comme un citron. Les jeunes adultes sont aux prises avec des revenus stagnants, des droits de scolarité élevés, des frais de logement et de garderie écrasants et un endettement qui s’alourdit, sans oublier la dette publique associée à la dégradation de l’environnement.

[Français]

Depuis près de 50 ans, les sénateurs étudient le problème de la pauvreté et recommandent la solution du revenu viable garanti.

[Traduction]

Un revenu de base garanti est un transfert inconditionnel de revenu suffisant pour satisfaire aux besoins fondamentaux. Il pourrait remplacer les prestations d’aide sociale, parfois appelées « bien-être social », et s’ajouter à d’autres formes d’aides sociales, dont l’assurance-maladie, l’assurance-médicaments, la pension et l’aide financière aux études. Un revenu de base garanti n’éliminerait pas la nécessité de réglementer soigneusement les secteurs tels que le travail et le logement pour assurer le respect des droits de la personne. Plutôt, il s’agirait d’une composante d’un filet vital de sécurité sociale.

En comparaison, les programmes d’aide sociale actuels perpétuent et même pérennisent la pauvreté. Les gens reçoivent des ressources inadéquates qui, au lieu de leur donner le coup de main dont ils ont besoin pour se sortir de la pauvreté, les maintiennent au bord de la crise. Ces programmes sont également assujettis à des règles complexes, moralisatrices et, trop souvent, arbitraires. Si une personne arrive à épargner quelques sous, si elle reçoit un prêt d’un membre de sa famille ou si elle décide de suivre une formation dans l’espoir de décrocher un poste plus stable plutôt que de chercher en vain un emploi ou de travailler pour un salaire de crève-la-faim, elle perd toute forme d’aide de l’État.

En revanche, le revenu de base garanti favorise la stabilité, il est offert inconditionnellement aux gens qui en ont besoin et il procure une marge de manœuvre en vue de se sortir de la pauvreté. Pour reprendre la description de l’ancien sénateur Segal, cela revient à laisser aux gens la chance de se hisser à la force du poignet.

En 1971, après avoir entendu pendant trois ans des Canadiens vivant dans la pauvreté, le Comité spécial du Sénat sur la pauvreté, présidé par le sénateur David Croll, a conclu dans son rapport :

La pauvreté est le grand problème de notre société [...] Les pauvres n’ont pas choisi de vivre dans la misère. La pauvreté est une affliction pour eux et une honte pour notre nation entière [...] Aucune nation ne peut arriver à la véritable grandeur s’il lui manque le courage et la résolution nécessaires pour extirper le cancer de l’indigence.

Le revenu garanti préconisé dans le rapport Croll constituait la première étape déterminante en vue de lutter contre la pauvreté. Le comité proposait une ligne d’action immédiate parce que, selon lui, « on ne pouvait demander aux pauvres d’attendre, des années durant, l’aide dont ils [avaient] un si pressant besoin ».

Pendant près de 50 ans, cette demande pressante est restée sans réponse. L’ancien sénateur conservateur Hugh Segal et l’ancien sénateur libéral Art Eggleton, estimant qu’il était inexcusable de continuer à ne rien faire dans ce dossier, ont déployé des efforts pour s’attaquer aux coûts humains, sociaux et financiers de la pauvreté détaillés dans le rapport Croll. Ils se sont faits les champions du revenu de subsistance garanti dans cette enceinte et ailleurs.

En 2009, ces deux sénateurs, en collaboration avec les sénateurs Cordy, Dyck, Martin et Munson, ont publié un rapport du Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial des affaires sociales intitulé Pauvreté, logement et itinérance. Le comité, qui mettait l’accent sur la pauvreté dans les villes canadiennes, a demandé ceci :

Pour les millions de Canadiens qui luttent quotidiennement contre la privation, cela signifie des choix difficiles : se nourrir convenablement ou payer le loyer; poursuivre des études ou y renoncer pour trouver un gagne-pain afin de subvenir aux besoins de la famille. En luttant ainsi pour joindre les deux bouts, ces familles canadiennes ne peuvent pas même entrevoir le jour où elles s’en sortiront.

Le problème rejaillit sur tous les membres de la société et témoigne de notre incapacité à changer le cours des choses ou de notre manque de volonté à cet égard.

Le comité a demandé au gouvernement fédéral d’étudier les coûts et les avantages d’un revenu de base garanti au Canada d’ici la fin de 2010. En 2017, le Sénat a adopté la motion du sénateur Eggleton tendant à encourager le gouvernement à soutenir les initiatives provinciales, territoriales et autochtones visant à évaluer le coût et l’incidence des programmes de revenu de base garanti.

L’an prochain marquera le cinquantième anniversaire du rapport Croll. D’ici là, j’espère que nous pourrons travailler ensemble pour faire fond sur au moins 50 ans d’études, de recommandations et de projets pilotes et prendre des mesures pour les millions de Canadiens qui attendent toujours l’égalité.

Honorables sénateurs, le moment est bien choisi. Le gouvernement s’est engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones d’ici la fin de 2020. L’article 21 reconnaît que « [l]es peuples autochtones ont droit, sans discrimination d’aucune sorte, à l’amélioration de leur situation économique et sociale [...] » et exige que les États prennent « [...] des mesures efficaces et, selon qu’il conviendra, des mesures spéciales pour assurer une amélioration continue de la situation économique et sociale des peuples autochtones ».

Lorsque les comités de l’Arctique et des peuples autochtones ont rencontré des représentants des communautés partout au pays, de nombreux aînés se sont montrés très intéressés par les nombreuses occasions et possibilités de soutien et de développement économique que pourraient offrir les mesures axées sur le revenu de subsistance garanti.

Le Canada s’est également engagé à travailler à la réalisation des objectifs de développement durable des Nations unies, dont le premier est l’éradication de la pauvreté. Les revenus de subsistance garantis pourraient permettre de respecter cet objectif, de même que ceux liés aux communautés et aux économies durables sur le plan environnemental, inclusives et équitables. Les gouvernements provinciaux, de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Colombie-Britannique notamment, ont manifesté de l’intérêt pour l’idée des revenus de subsistance garantis. Le mois dernier, le Réseau canadien pour le revenu garanti a publié un rapport dans lequel il décrit différentes façons de financer immédiatement un revenu de subsistance garanti.

J’espère que, dans les semaines à venir, cette interpellation nous permettra d’explorer ensemble des façons de combler les lacunes des programmes d’aide sociale et de répondre aux impacts dévastateurs de la pauvreté en vue de la réussite des projets pilotes provinciaux et des deux programmes actuels de revenu de subsistance garanti : l’Allocation canadienne pour enfants et le Supplément de revenu garanti pour les aînés.

Aujourd’hui, cependant, je souhaite souligner l’importance du revenu de subsistance garanti en relation avec le système de justice pénale. Présentement, environ 80 % des détenus font partie des 11 % de Canadiens qui vivent sous le seuil de la pauvreté. Dans les dernières décennies, comme les normes nationales relatives à l’aide sociale, aux soins de santé et à l’éducation se sont effritées, les femmes — en particulier les femmes autochtones et les femmes racialisées — sont devenues le groupe de la population incarcérée canadienne connaissant la plus forte croissance.

Imaginez ce que c’est que de tenter de vivre à Toronto avec 733 $ par mois : 343 $ pour vos besoins de base et 390 $ pour votre logement. Le programme d’aide sociale ontarien s’imagine que les gens peuvent réussir cet exploit impossible.

Si la personne accepte un cadeau de sa famille, ne serait-ce que pour payer son épicerie, elle risque de voir ses prestations déjà insuffisantes être amputées. Si la personne ne déclare pas ce genre de cadeau, elle peut être accusée au criminel. Nous avons créé un système au sein duquel les gens doivent choisir : soit ils meurent de faim, soit ils enfreignent la loi; soit ils se retrouvent à la rue, soit ils enfreignent la loi; soit ils habillent leurs enfants, soit ils enfreignent la loi. Nous avons créé un système qui incite les pauvres à devenir des criminels.

Parmi les femmes détenues, 80 % ont commis un crime lié à la pauvreté. Les femmes autochtones se font le plus souvent condamner pour des vols de moins de 5 000 $ et des vols de plus de 5 000 $, pour fraude ou pour le trafic de drogues ou de biens volés.

(2100)

Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées explique comment la pauvreté contribue à la fois à la victimisation et à la criminalisation des femmes autochtones. Elle expose les femmes à un risque accru de violence et les empêche d’y échapper. Au Canada, deux femmes sur cinq qui quittent un partenaire violent deviennent immédiatement itinérantes.

Les données révèlent que 87 % des femmes et 91 % des femmes autochtones dans les prisons fédérales ont subi des abus physiques ou sexuels. Comme l’a souligné l’enquête nationale, trop souvent, les femmes marginalisées qui cherchent à obtenir une protection contre les abus ne la reçoivent pas. Pire encore, si elles prennent elles-mêmes des mesures pour se protéger ou pour protéger leurs enfants, elles finissent trop souvent par être criminalisées et emprisonnées.

Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes a récemment fait remarquer le rôle que joue la pauvreté dans la criminalisation des personnes et l’importance de se pencher sur la pauvreté dans le cadre du processus de réadaptation. Le revenu de subsistance garanti permettrait d’atteindre cet objectif, en plus de fournir aux victimes qui en ont le plus besoin des solutions qui sont trop souvent inabordables pour elles, notamment un congé du travail ou de l’argent pour des services de consultation. Les sénateurs Boisvenu et Moncion nous ont rappelé que les victimes et les jurés ont besoin de ce type de soutien.

[Français]

Le revenu viable garanti ferait bien plus que réparer des dommages. Il pourrait aussi les prévenir.

[Traduction]

Honorables sénateurs, nos régions comptent des millions de résidants qui vivent dans la pauvreté. Tous les Canadiens subissent les répercussions négatives de la pauvreté et de l’iniquité. Dans un pays démocratique aussi riche que le nôtre, où l’on respecte les droits de la personne, c’est une honte que nous n’ayons pas pu éliminer la pauvreté, qui nous coûte en outre entre 72 milliards et 84 milliards de dollars par année.

[Français]

Nous payons cette somme chaque année en frais de soins de santé, en frais liés au système juridique et en pertes de recettes fiscales directement attribuables à la pauvreté.

[Traduction]

Honorables sénateurs, imaginez un instant comment des programmes de revenu garanti pourraient dépenser cet argent pour prévenir la souffrance humaine avant qu’elle ne se produise. Donnons aux gens un coup de pouce pour qu’ils sortent de la pauvreté et créons des collectivités plus équitables, plus dynamiques, plus saines et plus sûres. Je compte sur votre expertise et votre ingéniosité pour régler ce qui demeure depuis trop longtemps le pire problème social de notre époque. Nous pouvons faire fond sur 50 ans de travail à cet égard. Le temps est venu de passer à l’action. Meegwetch. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Miville-Dechêne, le débat est ajourné.)

(À 21 h 3, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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