Débats du Sénat (Hansard)
2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 22
Le mercredi 16 décembre 2020
L’honorable Leo Housakos, Président suppléant
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
- La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques
- Le Sénat
- Le Sénat
- Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
- Autorisation au comité de se réunir en même temps que le Sénat et de tenir des réunions hybrides ou entièrement virtuelles
- Autorisation au comité de recevoir les mémoires reçus et les témoignages entendus lors de la première session de la quarante-troisième législature et par l’autorité intersessionnelle
- Énergie, environnement et ressources naturelles
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- ORDRE DU JOUR
LE SÉNAT
Le mercredi 16 décembre 2020
La séance est ouverte à 14 heures, l’honorable Leo Housakos, Président suppléant, étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées
L’honorable Pat Duncan : Honorables sénateurs, je souligne, avec respect et gratitude, que je vis sur le territoire traditionnel de la Première Nation des Kwanlin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än. C’est depuis ce territoire que je m’adresse à vous aujourd’hui.
Chers collègues, le 10 décembre dernier, j’ai eu l’honneur d’assister à une cérémonie de signature au Centre culturel des Kwanlin Dün. C’est à cet endroit que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a lancé ses audiences. Pour ceux qui ne le savent pas, le centre culturel est situé sur les rives du fleuve Yukon et compte un endroit réservé au feu sacré. La cérémonie de signature a débuté par une prière devant le feu sacré et un moment de recueillement pour se souvenir des femmes et des filles qui sont portées disparues et de celles qui nous ont quittés.
Le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a été publié le 3 juin de l’année dernière. Il compte 231 recommandations. En signant l’engagement lors de la cérémonie dont j’ai parlé, le gouvernement du Yukon est devenu le premier parmi ceux des provinces et des territoires à avoir élaboré une stratégie pour donner suite aux recommandations. Comme les sénateurs le savent, je n’appose pas ma signature à la légère. La cérémonie de signature représentait la déclaration de mon engagement envers la stratégie du Yukon. Voici le libellé de l’engagement :
Ensemble, et à titre individuel, nous nous engageons à contribuer à des mesures pour faire avancer la mise en œuvre des recommandations formulées dans le document « Changer la donne pour défendre la dignité et la justice : la Stratégie du Yukon sur les FFADA2S+ » et à des initiatives qui concourront à la concrétisation de la vision définie dans la stratégie [...]
Je m’engage à rendre compte de la mise en œuvre de cette stratégie aux familles, aux survivants, aux autres partenaires, aux contributeurs et aux habitants du Yukon.
La déclaration a été lue à haute voix et signée par moi, le député fédéral, les ministres Bennett et Monsef du gouvernement canadien, le premier ministre et les ministres du Yukon, les représentants de tous les partis à l’Assemblée législative du Yukon, le grand chef du Conseil des Premières Nations du Yukon, les chefs des 14 Premières Nations du Yukon, toutes les municipalités et la GRC, la seule force de police au Yukon.
La cérémonie a été incroyablement émouvante et positive. Chers collègues, je suis reconnaissante d’y avoir été invitée. Je trouve par ailleurs extrêmement encourageant le travail qui a été réalisé pour mettre sur pied cette stratégie, car le mot clé, tout au long du processus, a été « partenariat ».
Le cœur de la stratégie, qui représente une vision autant qu’un plan pratique, inclut « 31 mesures prioritaires correspondant aux quatre axes et suit une approche axée sur le Yukon de sorte que tous les habitants du Yukon se considèrent comme faisant partie de la solution. »
J’aimerais partager avec vous les commentaires de Doris Bill, la chef de la Première Nation Kwalin Dün. Elle déclare notamment :
Tous les défenseurs de notre cause, les membres des familles et les survivants qui se sont battus avec une telle énergie pendant si longtemps devraient voir dans cette journée une étape importante pour le rétablissement de la dignité et de la justice pour les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones.
Elle poursuit en ces termes :
Le gouvernement ne devrait pas prendre la tête de toutes les actions. Nous allons élaborer un plan avec nos partenaires, et il y a beaucoup de travail à faire. Le poids serait lourd pour une seule personne; mais, si nous portons chacun un peu du fardeau, la charge sera plus légère à porter.
Chers collègues, traditionnellement, c’est le moment où nous pensons à des jours plus légers et plus lumineux, comme nous le faisons en lançant cette stratégie et en nous engageant dans cette voie. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de vous la présenter aujourd’hui. Je vous transmettrai le document par courrier plus tard. Je vous remercie. Mahsi’cho. Gùnáłchîsh
Des voix : Bravo.
Le conseil des politiciens coréens à l’étranger
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, en qualité de sénateurs, nous avons le privilège de représenter notre région et notre province ou territoire, mais aussi notre vaste et remarquable nation. Nous sommes également en mesure de diriger des groupes d’amitié et des associations parlementaires bilatéraux ou multilatéraux, de travailler de concert avec des intervenants et des dirigeants de l’industrie, et de défendre des causes et des enjeux qui nous sont chers.
Comme tous les honorables sénateurs, nous faisons partie d’organisations et de groupes.
L’un de ces groupes, le conseil des politiciens coréens à l’étranger, a tenu au cours de la fin de semaine une vidéoconférence que j’ai aidé à organiser. Il s’agit d’un réseau de législateurs d’origine coréenne de partout dans le monde, qui se sont réunis en ligne dans différents fuseaux horaires. Des législateurs d’Angleterre, de France, d’Ouzbékistan et de Russie se sont joints à nous même s’il était bien au-delà de minuit là où ils se trouvaient. Un participant a même téléphoné de son lit d’hôpital. Cette vidéoconférence inaugurale était la toute première du genre, et se tenait sous le thème Unforgettable 2020 : #ONE OKPC.
Cette conférence a revêtu un caractère vraiment historique du fait de la participation de plusieurs pionnières du monde politique. Mentionnons entre autres Cindy Ryu, membre de la Chambre des représentants de l’État de Washington, première Américano-Coréenne à occuper les fonctions de maire aux États-Unis et présidente du conseil des politiciens coréens à l’étranger; Sandy Lee, ministre et députée à la retraite ayant effectué trois mandats dans les Territoires du Nord-Ouest et première politicienne canado-coréenne de notre histoire; Nelly Shin, députée de Port Moody—Coquitlam, en Colombie-Britannique, et première Canado-Coréenne élue à la Chambre des communes dans l’histoire du Canada; Marilyn Strickland, représentante élue du 10e district du Congrès pour l’État de Washington; Young Kim, représentante élue du 39e district du Congrès pour la Californie. Ces dernières sont deux des trois premières Américano-Coréennes élues au Congrès des États-Unis. Michelle Steel, représentante élue du 48e district du Congrès pour la Californie, est la troisième de ces pionnières. Je souligne également la participation de Melissa Lee, députée néo‑zélandaise élue à cinq reprises et seule politicienne d’origine coréenne de l’histoire de ce pays. Enfin, je n’oublie pas Elizabeth Lee, récemment élue chef de l’opposition libérale à l’Assemblée législative du Territoire de la Capitale australienne.
En tant que première sénatrice canadienne d’origine coréenne, ce fut donc pour moi un moment privilégié d’être réunie en ligne avec des dizaines de mes consœurs politiciennes en exercice partout dans le monde. Nous partageons la combativité dont nos ancêtres ont fait preuve tout au long de la longue et dynamique histoire de la Corée. Ils ont combattu, survécu et vaincu de puissants envahisseurs et oppresseurs. Nous faisons partie d’une diaspora grandissante de 7,8 millions de personnes dans le monde, dont plus d’un quart de million vivent au Canada.
(1410)
Dans les petites comme dans les grandes communautés du monde entier, les gens d’origine coréenne partagent l’histoire collective de leurs courageux et nobles ancêtres. Cette année marque le 75e anniversaire de la libération de la Corée et le 70e anniversaire de la guerre de Corée.
Sur ce, j’offre mes meilleurs vœux à mes collègues, aux Canadiens et aux gens du monde entier qui célèbrent Hanoukka jusqu’au 18 décembre, ainsi qu’à tous ceux qui, en cette saison de l’Avent, préparent Noël. Merci.
Des voix : Bravo!
Kwanzaa
L’honorable Wanda Elaine Thomas Bernard : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous souhaiter un joyeux Kwanzaa. Alors que je commençais à me préparer à célébrer l’année et à allumer les bougies sur le kinara, je me suis mise à réfléchir à la façon dont les Canadiens noirs ont incarné les principes du Kwanzaa en 2020.
Le premier jour du Kwanzaa est le 26 décembre. Ce jour-là, on allume la bougie noire, qui représente l’umoja, ou l’unité. L’unité sera essentielle à la relance qui suivra la pandémie de COVID-19. Nous sommes tous dans le même bateau.
Les trois bougies rouges représentent respectivement le kujichagulia, l’ujima et l’ujamaa. Le deuxième jour, on allume une bougie pour le kujichagulia, ou l’autodétermination, qui représente le fait de se définir soi‑même ainsi que de créer et de parler pour soi-même. Cette année, j’ai été inspirée par des militants noirs du Canada, qui ont dénoncé la violence engendrée par le racisme anti‑Noirs.
Le troisième jour, on souligne l’ujima, qui est une célébration du travail collectif. Alors que nous rebâtissons en mieux après la pandémie de COVID-19, nous avons la responsabilité commune de prévoir une relance efficace et durable pour les communautés noires.
Le quatrième jour, on célèbre l’ujamaa, ou l’économie coopérative. Beaucoup de propriétaires d’entreprise noirs ont tiré leur épingle du jeu en 2020. Mon petit-fils m’a demandé ce que signifiait le « vendredi noir », et j’ai été fière de lui expliquer que les propriétaires d’entreprise noirs ont repris cette expression pour promouvoir les entreprises appartenant à des Noirs.
Les trois bougies vertes représentent Nia, Kuumba et Imani. Le cinquième jour, nous allumons une bougie pour Nia, qui représente le principe de la détermination et du renforcement de la communauté. Je salue d’ailleurs le leadership du Caucus des parlementaires noirs et du groupe des sénateurs noirs, qui a été porteur de changement.
Le sixième jour, nous allumons une bougie pour la créativité, Kuumba. La créativité des Canadiens noirs de tous les secteurs nous a aidés à traverser cette année difficile.
La dernière bougie représente Imani, ou la foi. La foi et la spiritualité ont grandement contribué à la survie des Afro‑Canadiens depuis leur arrivée ici. Imani servira aussi de guide à bon nombre d’entre nous pendant le processus de rétablissement.
Honorables collègues, je vous invite à réfléchir à ces principes pendant la pause hivernale et à voir comment ils pourraient guider le processus de rétablissement pendant la nouvelle année. Joyeuse fête de Kwanza à tous.
Des voix : Bravo!
La famille Borland
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je souhaite rendre hommage aux familles qui ont hébergé des élèves des pensionnats autochtones lorsqu’ils ont quitté ces pensionnats. La plupart d’entre eux ont été placés dans une maison privée située dans la ville ou le village où ils devaient poursuivre leurs études secondaires. La plupart des familles ne savaient pas ce que nous avions vécu.
J’ai eu la chance et l’immense privilège d’être placée chez M. et Mme Borland, à Portage la Prairie, au Manitoba. J’ai gardé des liens avec cette famille qui m’a accueillie, et Ian et Billie sont devenus des parents substituts pour moi. Ils ont maintenant 94 ans. J’ai aussi été bien accueillie par leurs enfants, Lorne, David et Doug.
Je tiens à remercier les Borland de m’avoir admise dans leur espace sacré, dans leur demeure, dans leur famille. J’ai vécu deux ans avec eux et ils m’ont toujours traitée comme une des leurs.
Billie m’a montré ce que c’est que d’être acceptée pour vrai, de faire partie d’une famille unie et de vivre dans un milieu mentalement, physiquement, émotivement et psychologiquement sûr. Elle nous a intégrés au quotidien de la famille et elle s’est elle‑même immergée dans notre univers scolaire. Elle a rappelé à ma mémoire et à mon esprit ce que c’est que l’hospitalité et l’inclusion — car j’ai connu ces choses dans ma plus tendre enfance, avant d’être envoyée dans un pensionnat.
Ian et Billie ont enduré la musique que je faisais jouer à tue-tête jusque tard dans la nuit. Je sais que j’étais une intruse dans leur vie, mais ils ne m’ont jamais fait sentir que j’étais un fardeau pour eux. Ils ont été d’une patience d’ange et ils ne m’ont jamais jugée. Par toutes sortes de signes discrets, ils m’ont fait comprendre que je faisais partie de la famille.
Encore aujourd’hui, quand je vais les voir, nous parlons de la relation entre les Autochtones et les non-Autochtones, et ils continuent d’embaucher des Autochtones pour travailler dans la boutique qu’ils possèdent à Portage.
Ian et Billie, vous demeurez deux des plus grandes influences de ma vie; vous m’avez aidée à croire en moi, à prendre ma vie en main et à me faire comprendre que je fais partie du Canada, que je suis aimée et que ma vie compte. Merci de votre amour et de votre dévouement. Ce n’est que plus tard dans ma vie que j’ai compris à quel point vous avez facilité ma transition après-pensionnat et à quel point vous m’avez guidée. Vous aurez été une des pierres sur lesquelles j’ai pu bâtir ma vie. Je vous aime. Merci.
Des voix : Bravo!
Remerciements pour les travailleurs de première ligne
L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage aux travailleurs de première ligne qui se sont surpassés au cours des derniers mois. Je remercie les membres du Groupe des sénateurs canadiens de m’avoir cédé leur place.
La pandémie de coronavirus a fait peser une menace sans précédent sur la santé et le bien-être socioéconomique des Canadiens, notamment les plus vulnérables d’entre nous. Au cours des 10 derniers mois, plus de 460 000 personnes ont contracté le virus au pays. Si plus de 377 000 d’entre elles se sont rétablies, plus de 13 500 personnes sont décédées. Alors que nous pleurons la perte de pères et de mères, de fils et de filles, de frères et de sœurs, de voisins et d’amis, et que nous appuyons les survivants qui doivent composer avec des effets secondaires persistants de ce virus, n’oublions pas non plus de remercier les travailleurs de première ligne qui courent des risques — et en font courir à leur famille — afin de fournir des services essentiels à la population, souvent pour une faible rémunération et peu d’avantages sociaux.
Parmi eux, pensons à ceux qui remplissent les rayons des épiceries, livrent des colis, préparent des aliments, conduisent des véhicules de transport en commun ou prennent soin des malades, des blessés, des aînés et d’autres adultes qui ont besoin d’assistance; à ceux qui prennent part à la recherche et à la mise au point de diagnostics, de traitements et de vaccins et à leur distribution et administration; à ceux qui nous informent, nous gardent en contact et nous divertissent; à ceux qui enseignent aux enfants et aux adultes; et aux nombreux autres travailleurs qui ont assumé cette année les tâches essentielles au bon fonctionnement de la société et de l’économie. Ces hommes et ces femmes sont de véritables héros et méritent non seulement notre respect et notre gratitude, mais aussi une protection et un soutien adéquats.
Ici, à l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons été extrêmement chanceux. Il y a eu seulement 89 cas confirmés jusqu’à présent. Cela est attribuable en grande partie à l’excellent travail et aux sacrifices de personnes comme la Dre Heather Morrison, administratrice en chef de la santé publique; Marion Dowling, infirmière en chef; Mark Spidel, sous-ministre de la Santé et du Mieux-être; Terry Campbell, directeur des services de soutien de l’hôpital Queen Elizabeth; le Dr Greg German, microbiologiste médical; le personnel et les médecins qui travaillent dans les laboratoires, comme Jan Rogerson, Martha Carmichael, Aaron Sibley et Trevor Jain, ainsi que tous les professionnels des soins de santé connexes et le personnel de soutien, et leur famille respective.
Cette liste n’est pas exhaustive. Il y a trop d’exemples de Prince-Édouardiens et de Canadiens qui ont fait beaucoup plus que leur devoir cette année. Chers collègues, joignez-vous à moi pour envoyer amour et gratitude à ces héros ordinaires de la pandémie d’ici et d’ailleurs. Notre dette envers eux est éternelle. Wela’lin. Merci.
(1420)
Les bibliothèques publiques du Canada
L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour saluer Mme Cyndi Stockman, bibliothécaire à la bibliothèque publique d’Elk Lake, dans le canton de James, en Ontario. En août dernier, je travaillais depuis notre camp situé dans une région éloignée du Nord de l’Ontario et j’avais besoin d’une connexion Internet sûre pour m’acquitter de mes fonctions de sénateur. J’ai sollicité l’aide de l’administration municipale, des centres de service du gouvernement et des bureaux de député, mais tous étaient fermés. Ma recherche m’a mené à Elk Lake, situé à 45 minutes de route de Temiskaming Shores, en Ontario.
Elk Lake est un petit village charmant en bordure de la rivière Montréal dont l’économie est alimentée par une industrie forestière durable, des camps de pleine nature et des pourvoiries et dont la communauté dynamique compte 420 résidants. À la suite d’un boom minier, lorsque des gisements d’argent ont été découverts dans le canton environnant de James en 1906, sa population surpassait les 10 000 habitants. Fait intéressant, quelques-unes de ces mines sont de nouveau en activité vu l’importance mondiale du cobalt, lequel se trouve, bien souvent, au même endroit que les gisements d’argent.
À Elk Lake, on m’a recommandé de m’adresser à Cyndi. J’ai eu la chance d’être mis en contact avec la bibliothécaire locale, Cyndi Stockman. Mme Stockman a tout abandonné ce qu’elle faisait, a annulé ses rendez-vous d’affaires, est montée dans sa voiture et est venue ouvrir la bibliothèque d’Elk Lake pendant quelques heures pour me permettre d’effectuer mon travail dans un milieu privé et sécuritaire. Je suis extrêmement reconnaissant de la gentillesse de Mme Stockman. Bien entendu, cela m’a rappelé les nombreux avantages offerts par les bibliothèques publiques partout au pays. S’il doit y avoir des remerciements publics pour son geste bienveillant, Mme Stockman voudrait que je mette l’accent sur ces avantages à l’échelle du pays.
Bref, les bibliothèques publiques nous enrichissent en nous donnant accès à un large éventail de livres, mais elles offrent bien plus que des livres. Les bibliothèques sont des carrefours communautaires qui renforcent les quartiers et sont dévouées à l’épanouissement culturel des collectivités, tout en étant des centres d’apprentissage, de recherche d’emploi, de perfectionnement professionnel et de recherche sur des sujets comme les arts et la santé. Les bibliothèques veillent à ce que tous aient accès à des occasions d’apprentissage, quel que soit leur statut socio‑économique. Elles sont des espaces communautaires où tous sont les bienvenus. Comme vous le savez, honorables sénateurs, elles représentent un refuge pour de nombreuses personnes qui veulent échapper au froid, feuilleter le journal, entrer en contact avec d’autres gens ou tout simplement s’offrir un moment de tranquillité dans leur vie souvent très occupée, bouleversée ou frénétique.
Peu importe où nous habitons au Canada ou comment nous sommes arrivés dans ce pays, notre bibliothèque locale est un endroit pour apprendre et se laisser aller — un endroit où les gens et les familles peuvent s’amuser, se détendre et passer du temps ensemble. Avec d’innombrables ressources à portée de main et des millions de livres, de DVD et de CD à emprunter, les bibliothèques publiques sont plus importantes que jamais. Merci encore à Cyndi Stockman et aux milliers de bibliothécaires et employés de tout le pays d’avoir fait de nos bibliothèques des centres d’apprentissage, de développement communautaire et de répit momentané, et de veiller à leur pérennité. Merci à tous.
Des voix : Bravo!
AFFAIRES COURANTES
Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
Dépôt du rapport visé à l’article 12-26(2) du Règlement
L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-26(2) du Règlement du Sénat, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le premier rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, qui porte sur les dépenses engagées par le comité au cours de la première session de la quarante-deuxième législature.
(Le texte du rapport figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 281.)
La Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques
Projet de loi modificatif—Présentation du deuxième rapport du Comité des affaires étrangères et du commerce international
L’honorable Peter M. Boehm, président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, présente le rapport suivant :
Le mercredi 16 décembre 2020
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international a l’honneur de présenter son
DEUXIÈME RAPPORT
Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de la Convention sur les armes chimiques, a, conformément à l’ordre de renvoi du 2 décembre 2020, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.
Respectueusement soumis,
Le président,
PETER M. BOEHM
L’honorable Leo Housakos (Son Honneur le Président suppléant) : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?
(Sur la motion de la sénatrice Coyle, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)
Le Sénat
Adoption de la motion tendant à prolonger la séance d’aujourd’hui
L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, lorsque le Sénat siège aujourd’hui, la séance continue au-delà de 16 heures, s’il y a lieu, et soit levée à la fin des Affaires du gouvernement ou à 21 heures, selon la première éventualité.
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président suppléant ։ Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
Le Sénat
Préavis de motion tendant à modifier le Règlement du Sénat
L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, je donne préavis que, dans deux jours, je proposerai :
Que le Règlement du Sénat soit modifié :
1.par substitution, à l’article 3-6(2), de ce qui suit :
« Prolongation d’une période d’ajournement
3-6. (2) Lorsque le Président est convaincu, pendant une période d’ajournement, que l’intérêt public n’exige pas que le Sénat se réunisse à la date et à l’heure précédemment fixées par celui-ci pour la reprise des séances, il doit — après consultation de tous les leaders et facilitateurs, ou leur délégué — fixer la date ou l’heure postérieures qu’il estime appropriées. »;
2.par substitution, à l’article 4-2(8)a), de ce qui suit :
« Prolongation de la période des déclarations de sénateurs
4-2. (8)a) Si un whip ou le représentant désigné d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu lui fait la demande, le Président doit, à un moment opportun pendant cette période, demander le consentement du Sénat à la prolongation de celle-ci. Si le consentement est accordé, la période est prolongée d’au plus 30 minutes. »;
3.par substitution, à l’article 4-3(1), de ce qui suit :
« Discours en hommage
4-3. (1) À la demande de tout leader ou facilitateur, cette période est prolongée d’au plus 15 minutes pour permettre des discours en hommage à un sénateur ou à un ancien sénateur. »;
4.par substitution, à article 6-3(1)a), b), c) et d), de ce qui suit :
« Leaders et facilitateurs
a) limité à 45 minutes dans le cas d’un leader ou d’un facilitateur;
Parrain d’un projet de loi
b) limité à 45 minutes aux étapes des deuxième et troisième lectures dans le cas du parrain du projet de loi;
Critique d’un projet de loi
c) limité à 45 minutes aux étapes des deuxième et troisième lectures dans le cas du critique du projet de loi;
Porte-parole d’un projet de loi
d) limité à 45 minutes aux étapes des deuxième et troisième lectures dans le cas du porte-parole du projet de loi de chacun des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus, sauf ceux du parrain et du critique;
Autres orateurs
e) limité à 15 minutes dans le cas de tout autre orateur. »;
5.par substitution, à l’article 6-5(1)b), de ce qui suit :
« b) soit au reste du temps attribué, sans excéder 15 minutes, si le premier sénateur est un leader ou un facilitateur. »;
6.par substitution du passage de l’article 7-1(1) qui précède l’alinéa a) par ce qui suit :
« Accord pour fixer un délai
7-1. (1) Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus se sont mis d’accord pour attribuer un nombre déterminé de jours ou d’heures pour terminer le débat : »;
7.par substitution du passage de l’article 7-2(1) qui précède l’alinéa a) par ce qui suit :
« Aucun accord pour fixer un délai
7-2. (1) Le leader ou le leader adjoint du gouvernement peut, à tout moment pendant une séance, annoncer que les représentants des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus n’ont pu se mettre d’accord pour fixer un délai pour terminer le débat précédemment ajourné : »;
8.par substitution, à l’article 7-3(1)f), de ce qui suit :
« f) le temps de parole de chaque sénateur est limité à 10 minutes, à l’exception des leaders et facilitateurs, qui disposent chacun d’un maximum de 30 minutes; »;
9.par substitution, aux articles 9-5(1), (2) et (3), de ce qui suit :
« (1) Le Président demande aux whips et aux représentants désignés des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus s’ils se sont mis d’accord sur la durée de la sonnerie.
(2) La durée convenue ne doit pas excéder 60 minutes.
(3) Avec le consentement du Sénat, l’accord sur la durée de la sonnerie vaut ordre de faire entendre la sonnerie pendant la durée convenue. »;
10.par substitution, à l’article 9-10(1), de ce qui suit :
« Report d’un vote par appel nominal
9-10. (1) Sous réserve du paragraphe (5) et sauf autre disposition contraire, un whip ou le représentant désigné d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu peut faire reporter le vote par appel nominal sur une motion sujette à débat.
DISPOSITIONS CONTRAIRES
Article 7-3(1)h) : Règles du débat sur la motion de fixation de délai
Article 7-4(5) : Mise aux voix sur une affaire avec débat restreint
Article 12-30(7) : Report du vote sur le rapport
Article 12-32(3)e) : Règles de procédure aux comités pléniers
Article 13-6(8) : Report d’office du vote par appel nominal sur un cas de privilège dans certaines circonstances »;
11.par substitution, à l’article 9-10(4), de ce qui suit :
« Vote reporté au vendredi
9-10. (4) Sauf disposition contraire, si ce vote est reporté au vendredi, un whip ou le représentant désigné d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu peut, pendant une séance, le faire reporter de nouveau au jour de séance suivant à 17 h 30, à condition que si la séance du Sénat n’ouvre qu’après 17 heures ce jour-là, le vote ait lieu immédiatement avant le début de l’Ordre du jour.
DISPOSITIONS CONTRAIRES
Article 12-30(7) : Report du vote sur le rapport
Article 13-6(8) : Report d’office du vote par appel nominal sur un cas de privilège dans certaines circonstances »;
12.par substitution, à l’article 12-3(3), de ce qui suit :
« Membres d’office
12-3. (3) En plus du nombre de membres prévu aux paragraphes (1) et (2), le leader du gouvernement et le leader ou facilitateur de chaque parti reconnu ou groupe parlementaire reconnu sont membres d’office de tous les comités sauf le Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, le Comité permanent de l’audit et de la surveillance et les comités mixtes; à ce titre, le leader du gouvernement est suppléé par le leader adjoint, et le leader ou facilitateur d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu, par son délégué. Les membres d’office des comités ont tous les droits et obligations d’un membre de comité. »;
13.par substitution, à l’article 12-8(2), de ce qui suit :
« Proposition de frais de service
12-8. (2) Dès le dépôt d’une proposition de frais de service par le leader ou le leader adjoint du gouvernement, celle-ci est renvoyée d’office au comité permanent ou spécial désigné par lui après consultation avec les leaders et facilitateurs des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus, ou leur délégué.
RENVOI
Loi sur les frais de service, paragraphe 15(1) »;
14.par substitution, à l’article 12-18(2)b)(ii), de ce qui suit :
« (ii) soit avec le consentement écrit de la majorité des leaders et facilitateurs, ou de leur délégué, en réponse à la demande écrite du président et du vice-président. »;
15.par substitution, à l’article 12-27(1), de ce qui suit :
« Nomination du comité
12-27. (1) Dès que les circonstances le permettent au début de chaque session, le leader du gouvernement présente une motion, appuyée par les autres leaders et les facilitateurs, portant nomination des membres du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs; la procédure de nomination reste la même pour modifier la composition du comité au cours d’une session. Toute motion de nomination est adoptée d’office.
RENVOI
Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, paragraphe 35(4) »;
16.à l’annexe I :
a)par suppression de la définition de « Procédure ordinaire pour déterminer la durée de la sonnerie »;
b)par substitution, à la définition de « Porte-parole d’un projet de loi », de ce qui suit:
« Porte-parole d’un projet de loi
Le sénateur de chaque parti reconnu ou groupe parlementaire reconnu que le leader ou facilitateur de celui-ci désigne comme principal intervenant au sujet d’un projet de loi. (Spokesperson on a bill) »;
c)par adjonction des nouvelles définitions suivantes, selon l’ordre alphabétique :
« Critique d’un projet de loi
Principal sénateur répondant au parrain d’un projet de loi. Le critique et désigné soit par le leader ou le leader adjoint du gouvernement (si le parrain n’est pas membre du gouvernement), soit par le leader ou le leader adjoint de l’opposition (si le parrain est membre du gouvernement). Il arrive souvent, mais pas systématiquement, que le critique soit le deuxième sénateur à prendre la parole sur le projet de loi. (Critic of a bill). »;
« Leaders et facilitateurs
Le leader du gouvernement et les leaders et facilitateurs des partis reconnus et des groupes parlementaires reconnus (voir les définitions de « Leader de l’opposition », de « Leader du gouvernement » et de « Leader ou facilitateur d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu »). (Leaders and facilitators) »;
« Représentant désigné d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu
Le sénateur désigné de temps à autre par le leader ou facilitateur d’un parti reconnu ou d’un groupe parlementaire reconnu qui n’a pas de whip pour une fin ou pour des fins énoncées dans ce Règlement. (Designated representative of a recognized party or a recognized Parliamentary group) »;
17.en mettant à jour tous les renvois dans le Règlement, y compris les listes de dispositions contraires;
Que le Code régissant l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs soit modifié par suppression du paragraphe 35(5) et en changeant la désignation numérique des autres paragraphes et des renvois en conséquence.
(1430)
Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
Autorisation au comité de se réunir en même temps que le Sénat et de tenir des réunions hybrides ou entièrement virtuelles
L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que le Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs soit autorisé :
a) à se réunir pendant que le Sénat est en séance, pour le reste de la présente session et nonobstant l’article 12-18(1) du Règlement;
b)à tenir des réunions hybrides ou entièrement par vidéoconférence, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, et à la lumière des circonstances exceptionnelles de la pandémie actuelle de COVID-19;
Que les dispositions des alinéas 7 à 10 de l’ordre adopté par le Sénat le 17 novembre 2020 concernant les réunions hybrides et les réunions tenues entièrement par vidéoconférence s’appliquent à toute réunion du comité hybride ou tenue entièrement par vidéoconférence.
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président suppléant ։ Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
(1440)
Autorisation au comité de recevoir les mémoires reçus et les témoignages entendus lors de la première session de la quarante-troisième législature et par l’autorité intersessionnelle
L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que les documents reçus du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs ou produits par lui au cours de la première session de la quarante-troisième législature et de l’autorité intersessionnelle soient renvoyés au Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs.
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président suppléant ։ Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
[Français]
Énergie, environnement et ressources naturelles
Motion tendant à autoriser le comité à se réunir en même temps que le Sénat et pendant l’ajournement de celui-ci, et à tenir des réunions hybrides ou entièrement virtuelles—Consentement non accordé
L’honorable Paul J. Massicotte : Honorable senateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :
Que le Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé, pour son étude du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière :
a)à se réunir pendant que le Sénat siège, les 16 et 17 décembre 2020, et nonobstant l’article 12-18(1) du Règlement;
b)à se réunir pendant une période d’ajournement du Sénat, jusqu’au 18 décembre 2020, conformément à l’article 12-18(2) du Règlement;
c)à tenir des réunions entièrement par vidéoconférence, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, et à la lumière des circonstances exceptionnelles de la pandémie actuelle de COVID-19;
Que les dispositions des alinéas 7 à 10 de l’ordre adopté par le Sénat le 17 novembre 2020 concernant les réunions hybrides et les réunions tenues entièrement par vidéoconférence s’appliquent à toute réunion hybride du comité ou tenue entièrement par vidéoconférence.
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : Non.
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement n’est pas accordé.
[Traduction]
PÉRIODE DES QUESTIONS
Les ressources naturelles
La taxe sur le carbone
L’honorable Denise Batters : Monsieur le sénateur Gold, lors de la campagne électorale de l’automne dernier, le gouvernement Trudeau a promis de plafonner la taxe sur le carbone à 50 $ par tonne en 2022. En février, vous avez réitéré cette promesse ici, en déclarant ceci :
[...] j’ai été informé que le gouvernement reste attaché au plan de tarification [...] un maximum de 50 $ par tonne à partir de 2022.
Or, le gouvernement Trudeau a révélé qu’il allait augmenter la taxe sur le carbone de 240 %; elle atteindra la somme astronomique de 170 $ la tonne d’ici 2030. Afin d’éviter de rendre des comptes au Parlement, le premier ministre Trudeau a annoncé la mesure juste après l’ajournement de la Chambre des communes la semaine dernière — une autre promesse libérale majeure rompue juste avant Noël. Comment les Canadiens peuvent-ils faire confiance au gouvernement, alors qu’il ne cesse de les trahir?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, sénatrice. Je pense que la réponse est que les Canadiens peuvent avoir l’assurance que le gouvernement tiendra sa promesse de lutter sérieusement contre les changements climatiques. L’annonce du gouvernement repose sur le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques. Cette décision donnera en quelque sorte plus de substance aux mesures visant à atteindre les cibles de l’Accord de Paris pour 2030, puis l’objectif de créer une économie carboneutre d’ici 2050, un but que nombre de dirigeants et de citoyens souhaitent atteindre.
(1450)
La taxe sur le carbone connaîtra une hausse considérable, augmentant de 15 $ la tonne par année jusqu’à ce qu’elle atteigne 170 $ la tonne d’ici 2030. On prévoit aussi investir 15 milliards de dollars dans la réduction des gaz à effet de serre. Fait important, comme je l’ai mentionné dans cette Chambre, pendant que la taxe sur le carbone augmentera, les Canadiens recevront des remboursements trimestriels qui, selon les estimations, devraient leur permettre de garder plus d’argent dans leurs poches dans bien des cas et dans bon nombre de provinces.
Voilà un exemple concret qui montre comment le Canada pourra faire des progrès tout en demeurant aussi compétitif, voire davantage, dans un monde qui se tourne de plus en plus vers les nouvelles technologies et des solutions plus écologiques.
La sénatrice Batters : Sénateur Gold, les résidants de l’Ouest canadien ont connu une année horrible. Juste après la chute catastrophique des cours du pétrole, exacerbée par les politiques énergétiques sans substance du gouvernement Trudeau, le pays a été frappé par une pandémie et une crise économique. Énormément de résidants de l’Ouest ont perdu leur emploi et peinent à joindre les deux bouts. La montée en flèche de la taxe sur le carbone fera augmenter tous les coûts, y compris le coût de l’essence, de l’épicerie, du chauffage et du transport aérien.
Pour les agriculteurs de ma province, la Saskatchewan, la hausse de la taxe sur le carbone fera augmenter leurs coûts de production, car ils devront payer davantage pour faire sécher leur grain et faire transporter leurs produits agricoles vers les marchés. Pendant ce temps, la hausse des coûts de transport par camion fera augmenter le prix des produits de consommation, et les agriculteurs se feront saigner d’un côté comme de l’autre.
Sénateur Gold, lundi, vous avez dit : « [...] il y aura une augmentation régulière de la taxe sur le carbone jusqu’à ce que nous atteignions nos objectifs. » Quel est votre objectif, au juste, pénaliser l’Ouest?
Le sénateur Gold : Je vous remercie pour votre question, sénatrice. Comme nous le savons tous, de même que le gouvernement, l’année s’est avérée difficile pour tous les Canadiens, en particulier ceux qui œuvrent dans le secteur agricole. Vous avez raison de souligner les défis que les producteurs de grain ont dû relever et qu’ils continueront de relever en raison du coût associé au séchage du grain, et le gouvernement en est parfaitement conscient.
Il ne s’agit pas de pénaliser l’Ouest. Au contraire, il est question de soutenir les industries de l’Ouest et de partout ailleurs pour favoriser la transition d’autant d’entreprises innovantes que possible en Alberta, dans votre province, et partout au pays.
En ce qui concerne l’Ouest, en dépit de l’ampleur de la hausse des taxes sur le carbone — une approche soutenue par des économistes à l’échelle mondiale, certains conservateurs et d’autres plus progressistes —, on estime que d’ici 2030, soit après avoir fait un bout de chemin par rapport aux cibles internationales de 2050, une famille albertaine de quatre personnes obtiendrait des remises d’environ 3 240 $. Cette mesure vise donc à aider les familles à absorber d’éventuelles augmentations du prix de l’essence.
La santé
La prévention du suicide
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, la question que je pose au leader du gouvernement au Sénat porte sur une motion qui, la semaine dernière, a été adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes. Elle a été présentée par Todd Doherty, un député britanno-colombien, et demande au gouvernement d’établir un service d’écoute téléphonique national pour la prévention du suicide qui regroupe sous un numéro unique à trois chiffres, 988, tous les services d’écoute pour la prévention du suicide.
Monsieur le leader, je sais que la ministre de la Santé a dit qu’elle aimait cette idée. Toutefois, comme la sénatrice Frum nous l’a rappelé la semaine dernière, le gouvernement actuel a appuyé, en 2018, une motion visant à désigner immédiatement le Corps des Gardiens de la révolution islamique comme une entité terroriste au Canada, mais il n’y a toujours pas donné suite. Il est évident que nous devrons continuer à faire pression sur le gouvernement pour qu’il établisse ce service d’écoute téléphonique national.
Sénateur Gold, quand est-ce que le gouvernement prévoit établir un plan et un calendrier de mise en œuvre du service 988 national de prévention du suicide?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je ne sais pas quand un plan sera élaboré, mais je me renseignerai et vous ferai certes part du résultat de mes recherches.
Rien n’est plus important que de fournir des ressources aux personnes qui envisagent tragiquement de se suicider ou à celles qui craignent que des êtres chers aient des idées suicidaires. Merci d’avoir soulevé cette question.
La sénatrice Martin : Merci à vous. C’est une question très importante, puisque nous parlons de l’aide médicale à mourir. Nous voulons empêcher ce genre de suicide, qui nous préoccupe tous énormément.
Le travail visant à établir un numéro d’urgence 988 exigera une collaboration étroite avec les provinces et les territoires. Savez-vous si le gouvernement du Canada a communiqué avec les provinces et les territoires à cet égard?
Le sénateur Gold : Je l’ignore, mais je puis vous assurer que lorsque le gouvernement entamera ce projet, si c’est effectivement ce qu’il compte faire — je me renseignerai à ce sujet —, il collaborera avec les provinces et les territoires, comme on s’y attendrait et comme il devra le faire.
[Français]
Les finances
Le mandat de la Banque du Canada
L’honorable Diane Bellemare : Puisque je n’aurai aucune question complémentaire à poser, je me permets de contextualiser ma question, qui fait suite à celle que j’ai posée la semaine dernière et qui porte sur la Loi sur la Banque du Canada.
Par le passé, pour toutes sortes de raisons, je n’ai pas souvent posé de questions au leader du gouvernement. Toutefois, aujourd’hui, je veux essayer de voir jusqu’à quel point la période des questions est utile et si le représentant du gouvernement peut répondre à ma question. Même si je suis convaincue qu’il ne pourra pas y répondre tout de suite, j’espère qu’il pourra le faire ultérieurement.
La question vient de Mario Seccareccia, un professeur émérite qui est à l’origine d’une lettre qui a été envoyée à l’ex-ministre des Finances, Bill Morneau, en mai 2018 et qui a été signée par plus de 60 économistes canadiens. Dans cette lettre, on demande au ministre d’entreprendre une révision de la Loi sur la Banque du Canada, qui a été adoptée en 1934 et qui a depuis fait l’objet de quelques amendements.
Dans la lettre, on demandait notamment de préciser le mandat de la Loi sur la Banque du Canada, afin que cette dernière puisse assurer la stabilité des prix et poursuivre l’objectif du plein emploi au pays. Il était aussi question d’inclure dans la Loi sur la Banque du Canada tout le processus lié aux ententes quinquennales qui ont cours depuis 1991. Enfin, on demandait que des éléments de transparence en ce qui a trait à la conduite de la politique monétaire soient inclus dans la loi.
Monsieur le leader, M. Seccareccia s’est adressé à moi pour que je vous demande si l’actuelle ministre des Finances a l’intention de donner suite à cette lettre. Même si une délégation du groupe des 60 économistes a déjà expliqué à la ministre la portée de cette lettre, aucune réponse écrite n’a été envoyée. La ministre des Finances fera-t-elle comme la Nouvelle-Zélande, qui a inclus dans sa loi...
Son Honneur le Président suppléant ։ Je tiens à rappeler aux honorables sénateurs que nous sommes à la période des questions et qu’il ne s’agit pas d’un débat. Sénatrice Bellemare, pourriez-vous poser votre question de façon plus succincte?
La sénatrice Bellemare : Ma question est la suivante : la ministre des Finances donnera-t-elle suite à cette lettre?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénatrice Bellemare. Je ferai un suivi pour ce qui est de votre question et je vous tiendrai au courant. Je vous invite toutefois à me faire parvenir une copie de ladite lettre, pour que je puisse prendre connaissance des détails et poursuivre mes recherches.
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Les réponses aux questions écrites
L’honorable Percy E. Downe : Sénateur Gold, hier, vous avez dit à quel point vous en êtes venu à apprécier la période des questions au Sénat, car elle permet de demander des comptes au gouvernement. Je me demande si vous appréciez autant les questions écrites parce que, malheureusement, elles demeurent très longtemps sans réponse au Sénat.
(1500)
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. En bref, la réponse est oui. Je respecte cette occasion pour les sénateurs de poser des questions au gouvernement et — je me permets de l’ajouter — aux présidents des comités. Après tout, je ne voudrais pas faire preuve d’égoïsme en gardant tout le plaisir pour moi.
Je fais de mon mieux pour demander l’information lorsque je ne l’ai pas et pour faire un suivi auprès du gouvernement afin d’obtenir les réponses le plus rapidement possible. Comme ceux qui connaissent les rouages de l’appareil gouvernemental le savent, l’expression « le plus rapidement possible » ne veut pas nécessairement dire dès que nous le voudrions ou que je le voudrais. Cela dit, je fais de mon mieux, et nous faisons des progrès pour ce qui est d’obtenir des réponses. Nous avons d’ailleurs soumis une série de réponses récemment.
Le sénateur Downe : À la dernière législature, plus de 85 % des questions écrites n’avaient pas reçu de réponse avant la prorogation. Ces questions ont été posées par des sénateurs parce que, dans la plupart des cas, des Canadiens leur ont demandé d’obtenir cette information. Nous voulons évidemment transmettre les réponses à ces Canadiens qui ont demandé de l’information sur diverses situations qui les touchent et sur les mesures prises par le gouvernement. Il est extrêmement important d’obtenir ces réponses.
Votre prédécesseur avait à cœur de respecter l’engagement que le Parti libéral fédéral avait pris lors de la campagne électorale de 2015, soit d’être plus ouvert et transparent. Lorsque le sénateur Harder occupait votre poste, il veillait à ce que les questions reçoivent une réponse dans les 40 jours de séance la plupart du temps, ce qui était grandement apprécié par l’ensemble des sénateurs. Maintenant, nous semblons être replongés dans la situation qui prévalait auparavant au Sénat : des réponses qui se font attendre des mois et des mois. Pourriez-vous demander à votre personnel s’il peut accélérer le processus de transmission des réponses afin que nous en ayons quelques-unes cette semaine avant que nous ajournions?
Le sénateur Gold : Sénateur, je vous remercie de votre question, qui implique que mon prédécesseur, le sénateur Harder, faisait de l’excellent travail et que vous lui en êtes reconnaissant. Je suis tout à fait d’accord. Je fais de mon mieux pour être à la hauteur des normes qu’il a établies; je continuerai certainement de faire tout mon possible.
Je n’essaierai pas de trouver des excuses pour justifier le temps que vous devez attendre avant d’avoir une réponse à vos questions. Les fonctionnaires, qui sont responsables de fournir ces réponses, ont été quelque peu préoccupés et occupés, non seulement en raison de la pandémie, mais aussi parce qu’ils doivent répondre à des demandes de documents de la part de l’autre endroit.
Cela dit, nous ferons de notre mieux pour vous répondre. C’est l’engagement que je prends envers vous.
Les pêches et les océans
La protection des phares patrimoniaux
L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au sénateur Gold, le leader du gouvernement au Sénat. Premièrement, j’aimerais remercier le gouvernement d’avoir débloqué des fonds pour les petits sites patrimoniaux régionaux qui avaient été totalement laissés à l’abandon depuis le début de la pandémie de COVID-19. Quelques milliers de dollars ont fait toute la différence.
Cependant, une catégorie de nos joyaux patrimoniaux a été oubliée : les phares. Comme vous le savez, j’ai hérité du dossier de la sénatrice Greene Raine sur les phares. J’ai fait du kayak pour me rendre à des phares opérationnels et j’ai fait de l’escalade pour accéder à d’autres qui ne le sont plus et pour lesquels des travaux de restauration ont été amorcés. Ces derniers sont de fantastiques vestiges de l’histoire du Canada et des joyaux de notre patrimoine qui continueront de jouer un rôle important, alors que nous naviguons vers l’avenir. Ils servent en effet à la recherche scientifique sur les océans et les baleines. Ils sont utilisés dans des projets concernant les effets du transport sur la vie marine, et ils ont encore d’autres usages, dans l’esprit du projet de loi C-55. Des panneaux solaires ont été installés sur un phare de l’île de Vancouver, ce qui signifie qu’il n’y a pas de factures d’électricité.
Les organismes qui administrent les phares font leurs propres collectes de fonds. Ils reçoivent une certaine aide financière des provinces. Dans le cas du phare de Sheringham Point, sur l’île de Vancouver, le gouvernement fédéral a fourni, par l’entremise du ministère des Pêches et des Océans, des hydrophones et de l’équipement de surveillance, mais aucun appareil photo, ni aucune aide financière pour le travail pourtant effectué pour le gouvernement du Canada. Je sais que la situation est la même pour de nombreux autres phares.
Sénateur Gold, comment les phares patrimoniaux peuvent-ils bénéficier d’une aide financière du gouvernement fédéral, aide qui, selon moi, devrait venir du ministère du Patrimoine canadien, du ministère des Pêches et des Océans ainsi que d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, de manière à ce que ces phares puissent être pleinement utilisés dans les travaux de recherche scientifique dont le pays aura grandement besoin à l’avenir?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Bovey. J’ai constaté toute l’importance des phares lorsque j’ai été vice-président du Comité sénatorial permanent des pêches et des océans. Le travail qu’a accompli la sénatrice Greene Raine dans ce dossier a d’ailleurs été une véritable source d’inspiration pour nous tous.
Le gouvernement m’a informé que Pêches et Océans et la Garde côtière canadienne poursuivront leurs efforts afin de trouver de nouveaux propriétaires responsables pour les phares précieux que vous avez mentionnés et certainement pour ceux visés par la Loi sur la protection des phares patrimoniaux. La Commission des lieux et monuments historiques de Parcs Canada continuera de collaborer avec Pêches et Océans pour faciliter la désignation d’autant de phares patrimoniaux que possible afin d’assurer la protection de leur caractère patrimonial dans l’intérêt des générations futures.
À l’heure actuelle, Parcs Canada administre 11 phares, dont 6 sont des lieux historiques nationaux. Ils servent dans le cadre de divers programmes, notamment en tant que centres d’interprétation et d’accueil des visiteurs et, bien entendu, pour la protection des espèces en péril.
En octobre, le ministre responsable de Parcs Canada a désigné comme phares patrimoniaux aux termes de la loi le phare de Cape George du lac Bras d’Or, à St. Peter’s, en Nouvelle-Écosse, et le phare d’alignement postérieur d’Annandale dans la ville du même nom, sur l’Île-du-Prince-Édouard. En comptant ceux-ci, il y a maintenant au total 102 phares dans huit provinces qui sont protégés en vertu de la Loi sur la protection des phares patrimoniaux. Le gouvernement agit donc. Je vous remercie de votre question.
La sénatrice Bovey : Je pense qu’il serait avantageux pour la surveillance et l’étude de nos océans et de nos lacs de tirer parti de ces ressources que nous possédons déjà pour faire avancer la recherche. L’Université d’Aberdeen s’est servie de phares comme stations de terrain pour notamment faire des recherches relatives aux effets des changements environnementaux naturels et artificiels sur les mammifères marins et les oiseaux de mer. Les phares situés le long de la côte de la Colombie-Britannique mesurent depuis un siècle la température des océans, ce qui nous permet de mieux comprendre le réchauffement des océans.
Sénateur Gold, je me demande si vous pourriez vous renseigner sur le type de financement disponible pour permettre aux phares de devenir des centres de recherche scientifique, en plus de leur rôle patrimonial, comme vous l’avez mentionné. Il y a des lacunes, et nous pourrions les combler très efficacement si vous pouviez fournir une indication de l’aide que l’on peut raisonnablement attendre du gouvernement.
Le sénateur Gold : Madame la sénatrice, je vais certainement me renseigner, mais vous me permettrez de faire remarquer que la recherche scientifique, quel que soit le lieu, nécessite non seulement des fonds du gouvernement fédéral pour l’installation physique, mais aussi l’appui et la planification de la communauté des chercheurs et des universitaires. Ainsi, en plus des renseignements que je demanderai, j’encourage ceux qui souhaitent voir ces sites utilisés à ces fins à nouer des partenariats avec les communautés universitaires et de recherche locale afin qu’un plan puisse être mis en place. Ce plan devra inclure le type de recherche proposé et un site adéquat, ce qui augmentera les chances de succès pour toute demande de subvention.
[Français]
La défense nationale
Les relations sino-canadiennes
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, en tant que vice-président du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, les questions que mes collègues les sénateurs Housakos et Ngo vous ont posées la semaine dernière au sujet de l’ingérence du régime chinois dans les affaires intérieures du Canada ont suscité chez moi de vives inquiétudes. On sait que le général Vance s’opposait à l’opération conjointe des forces armées chinoises et canadiennes prévue en 2019.
On sait aussi que le bureau du premier ministre s’est ingéré dans cette décision. Le premier ministre lui-même s’opposait à ce que le général Vance annule cette opération.
Ma question est la même que celle de mes collègues : pourquoi le premier ministre choisit-il de faire preuve d’autant de complaisance et de naïveté à l’égard d’un gouvernement dont on devrait se méfier, surtout en ce qui a trait aux opérations militaires?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, sénateur.
Le gouvernement n’est pas du tout naïf quant aux enjeux qui dominent nos relations difficiles avec la Chine ces jours-ci. Comme je l’ai expliqué à plusieurs reprises dans cette Chambre, nos rapports sont très compliqués. Peut-être que je le répète trop souvent et qu’il devient ennuyant de toujours me l’entendre dire. Cependant, il ne faut pas oublier les enjeux, humains et autres, qui sont impliqués dans n’importe quelle démarche qui est faite auprès de la Chine.
(1510)
Le Canada continue de travailler, non seulement par lui-même, mais aussi avec ses alliés, pour assurer sa sécurité et pour protéger ses affaires intérieures contre l’ingérence et les risques provenant de n’importe quel pays.
Le sénateur Boisvenu : Si le gouvernement n’est pas naïf, il est sûrement très imprudent. Comme vous le savez, l’armée américaine et les Forces armées canadiennes font partie du NORAD. Lorsque vous invitez des forces étrangères, comme celles de la Chine, à faire des manœuvres en sol canadien, vous courez le risque que ces forces militaires aient accès à de l’information privilégiée sur l’armée américaine. Or, dans de telles circonstances, nous savons que le gouvernement américain est intervenu pour s’opposer à ce genre de pratique.
Comment le gouvernement peut-il mettre en péril des relations aussi indispensables que celles qui existent entre le Canada et les États-Unis, et ce, même pour protéger le sol canadien?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je ne suis pas d’accord avec l’affirmation selon laquelle le Canada met en péril ses relations avec les États-Unis. On n’a qu’à penser aux affaires qui font les manchettes depuis un certain temps pour constater que le Canada et les États-Unis travaillent ensemble dans plusieurs secteurs pour ce qui est de nos relations avec la Chine, et ce, à grands frais pour le Canada en ce qui concerne les deux otages canadiens. Le Canada et les États-Unis jouissent d’une alliance extrêmement profitable et nous continuerons de travailler ensemble pour défendre nos intérêts communs.
[Traduction]
La condition féminine
Le programme national de garderies
L’honorable Kim Pate : Ma question s’adresse au sénateur Gold, le représentant du gouvernement au Sénat. Comme vous le savez, ce mois-ci marque le cinquantième anniversaire du rapport de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada.
En s’engageant à mettre en œuvre un programme national de garderies dans le cadre de la lutte contre la COVID-19 et de la reprise économique, le gouvernement a rappelé que la Commission royale avait souligné que les services de garde d’enfant étaient nécessaires pour que les femmes puissent atteindre l’égalité sur le plan social et économique. La Commission royale a également proposé une forme de revenu minimum garanti comme autre élément clé pour promouvoir l’égalité des femmes et la reconnaissance de leur contribution à la société et à l’économie canadiennes par leur travail rémunéré et non rémunéré.
Compte tenu de l’engagement pris dans le discours du Trône, quelles mesures envisagées à l’époque par la Commission royale le gouvernement compte-t-il proposer à l’heure où il rencontre ses homologues provinciaux et territoriaux pour coordonner la mise en œuvre d’un programme national de garderie, de manière à ce que ce programme fonctionne en parallèle avec des mesures nationales de soutien du revenu qui répondent adéquatement aux besoins des personnes les plus marginalisées?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorable sénatrice, je vous remercie de votre question et de faire valoir inlassablement ces dossiers importants.
Le gouvernement est en communication permanente avec ses homologues provinciaux à l’égard d’enjeux comme les services de garde et le soutien du revenu pour les Canadiens, leur famille et leurs enfants. Il demeure déterminé à collaborer avec ses partenaires provinciaux qui ont compétence exclusive dans de nombreux domaines dont vous avez fait mention. Un engagement et un consensus entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sont nécessaires pour qu’il soit possible d’envisager un plan national concret. La présente crise a montré que la collaboration est au cœur même des relations fédérales-provinciales. Cette collaboration était nécessaire avant la pandémie et elle continuera de l’être après.
Les finances
Les prestations d’invalidité
L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, étant donné l’engagement pris dans le discours du Trône et l’indication donnée par la ministre Hajdu lors de son passage devant notre assemblée au sujet des lignes directrices nationales mises en place dans le cadre de la COVID-19, et compte tenu de la promesse faite aux personnes handicapées, des questions que nous abordons dans le présent débat sur le projet de loi C-7 et de la possibilité que le gouvernement de l’Ontario limite les droits des personnes qui touchent des prestations d’invalidité, quelles dispositions particulières le gouvernement prend-il pour que des mesures de soutien adéquates soient mises en place pour les personnes handicapées vivant dans la pauvreté?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénatrice, je vous remercie de votre question. Le gouvernement travaille avec ses homologues pour trouver des solutions et faire ce qu’il peut pour régler ces questions importantes. Je crains de me répéter encore une fois lorsque je dis que les questions de revenu de base doivent être étudiées plus en profondeur et que les solutions doivent être mises à l’essai de façon plus exhaustive au Canada. Il est regrettable que des projets pilotes ne se soient pas poursuivis dans certains domaines; ils nous auraient donné plus d’informations. Cependant, ce n’est pas quelque chose que le gouvernement fédéral peut ou devrait faire unilatéralement.
Comme nous le savons pour l’avoir lu dans les journaux, même l’expression du souhait d’avoir des normes nationales a suscité une réaction très forte, équivoque et négative dans ma province et ailleurs. Il s’agit possiblement de l’aspect le plus frustrant du fédéralisme canadien, surtout lorsque nous cherchons des solutions nationales à des questions qui ne relèvent pas et n’ont jamais relevé de la compétence fédérale, au-delà de la capacité de fournir des fonds au moyen de divers programmes et mécanismes par l’entremise des provinces.
L’innovation, les sciences et le développement économique
La recherche scientifique
L’honorable Douglas Black : Sénateur Gold, ma question porte sur les sciences. Tout le monde, je crois, s’entend pour dire que ce sont les sciences qui nous feront sortir de la noirceur de la COVID et qu’elles sont plus importantes que jamais auparavant. Je crois que nous nous entendons tous aussi, sénateur Gold, pour dire que l’une des grandes responsabilités du gouvernement consiste à soutenir la recherche scientifique.
C’est dans les pays où l’État soutient énergiquement la recherche, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis, que se font les grandes avancées scientifiques. C’est là que vont les grands scientifiques de la planète et c’est aussi là que le privé investit côte à côte avec l’État dans la recherche scientifique. Nous en avons eu un excellent exemple avec les vaccins contre la COVID et leur fabrication.
Le Canada ne joue malheureusement pas dans la même ligue. Nous n’avons même pas de ministre attitré aux sciences, puisque le gouvernement que vous représentez a fait disparaître cette fonction lors du dernier remaniement ministériel. Pour être bien honnête, les sciences sont sous-financées au Canada, comme le faisait remarquer dernièrement le Conseil sur la stratégie industrielle.
Sénateur Gold, le gouvernement s’engagera-t-il dans le prochain budget à s’inspirer de ses partenaires du G7 et à faire passer le financement des sciences de 1,5 à 2 % du PIB?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorable sénateur, je vous remercie d’avoir posé cette question, mais aussi d’avoir souligné l’importance des sciences et insisté sur le fait que l’État doit les soutenir. J’ai moi-même passé une bonne partie de ma carrière dans le milieu universitaire — on pourrait même dire à certains égards dans le milieu de la recherche —, alors je comprends ce que vous dites quand vous affirmez qu’au Canada, la culture scientifique doit être aussi florissante que solidement ancrée.
Le gouvernement a investi de manière importante dans les universités, les réseaux de recherche, ce genre de chose — bref dans les sciences —, et il va continuer à le faire. Je ne peux pas m’avancer sur ce qui figurera dans le prochain budget, mais nous en saurons plus dès que le huis clos sera levé. Je suis persuadé qu’il saura à la fois plaire à de nombreux Canadiens et s’attirer les éloges des sénateurs.
[Français]
Son Honneur le Président suppléant ։ Honorables sénateurs, malheureusement, le temps alloué à la période des questions est écoulé.
(1520)
[Traduction]
ORDRE DU JOUR
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Petitclerc, appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7, qui vise à élargir le régime de suicide assisté au Canada.
Chers collègues, il est rarissime de pouvoir s’adresser à l’une ou l’autre des deux Chambres du Parlement pour débattre d’une mesure législative qui définit les circonstances dans lesquelles les gens vivent ou meurent. J’espère sincèrement que chacun d’entre nous saisit bien tout le poids des décisions que nous prendrons à l’égard de ce projet de loi, et je souhaite que personne ne cède à la pression de l’échéancier que le gouvernement a lui-même imposé au Sénat.
Comme plusieurs d’entre vous s’en souviendront, j’ai participé activement aux débats sur le projet de loi C-14 en proposant des amendements visant à améliorer les mesures de sauvegarde. J’ai mentionné à ce moment-là que je m’opposais à toute forme de suicide assisté. En revanche, le vote que nous avons tenu sur le projet de loi C-14 ne visait pas à légaliser le suicide assisté. C’est la Cour suprême du Canada qui a imposé cette décision au Parlement. Le vote sur le projet de loi C-14 portait sur des paramètres et sur des mesures de sauvegarde.
Il y a certes eu énormément de désaccords lorsque nous nous efforcions de trouver un juste équilibre, mais j’ai dit à maintes reprises que les échanges dans le cadre de ce débat sont les plus humains et respectueux auxquels j’ai participé dans cette enceinte. Tout le monde semblait comprendre que chacun d’entre nous cherchait à faire preuve de compassion dans ses échanges, même si parfois nous étions en profond désaccord. Malheureusement, les débats dans l’autre endroit ont pris un mauvais tournant lorsque le ministre Lametti a empêché les députés d’exprimer des opinions dissidentes sous prétexte qu’il s’agissait d’obstruction partisane ou de comportements dignes d’une droite religieuse effrénée. Je suis heureux que nous ayons fait preuve de compassion et de respect pour les opinions des autres dans cette enceinte tout au long de notre débat sur ces questions difficiles.
Chers collègues, nous ne sommes pas réunis ici aujourd’hui en raison d’une décision de la Cour suprême du Canada. Nous sommes ici en réponse à une décision de la Cour supérieure du Québec, une décision prise par une seule juge dans une seule province — pas la Cour suprême ni même une cour d’appel. Le gouvernement Trudeau a pris la décision fort inhabituelle et sans précédent de ne pas défendre sa propre loi et de ne pas porter la décision en appel, et de saisir plutôt cette occasion pour élargir le régime d’aide médicale à mourir du Canada bien au-delà des exigences établies dans l’arrêt Truchon.
Toutefois, pour ce qui est des questions de constitutionnalité, je m’en remets aux juristes distingués du Sénat. Nous avons la chance d’avoir les points de vue des sénateurs Carignan, Batters et Gold — le sénateur Gold a prononcé un discours passionné hier —, ainsi que des sénateurs Cotter et Dalphond. Par ailleurs, hier, la sénatrice Pate a pris la parole à titre d’avocate. Chers collègues, je ne fais que donner quelques exemples. Ils sont beaucoup plus nombreux.
Lundi soir, notre débat respectueux a quelque peu dérapé quand mon cher collègue le sénateur Harder, qui n’avait pas réussi à étayer son affirmation selon laquelle des députés conservateurs faisaient de l’obstruction, a laissé entendre que ma question visait à détourner l’attention des enjeux constitutionnels entourant le projet de loi. Je ne sais trop pourquoi le sénateur Harder croit que je tenterais de détourner l’attention du Sénat des lacunes d’un projet de loi du gouvernement libéral. Néanmoins, je peux assurer à tous les sénateurs que ce n’est pas le cas. J’ai beaucoup de préoccupations majeures au sujet de cette mesure législative, dont je vous parlerai, et j’estime que les gens comme le sénateur Harder et moi devraient laisser l’analyse constitutionnelle aux experts.
Avant de participer aux audiences du comité sur le projet de loi C-7, j’étais au courant de la décision scandaleuse du gouvernement de ne pas défendre sa propre loi. Je savais aussi qu’on avait retiré des mesures de sauvegarde existantes, apparemment sans raison, et certainement avant que le Parlement ait eu la chance de procéder à l’examen quinquennal du régime actuel.
Je suis ravi que le sénateur Gold ait suggéré que le Sénat amorce un tel examen puisque la Chambre des communes n’arrive pas à mettre de l’ordre dans ses affaires. Personnellement, j’étais contre l’élargissement de l’accès au suicide assisté sous toutes ses formes, et je n’ai pas changé d’avis. Toutefois, j’étais loin d’imaginer les effroyables lacunes de ce projet de loi avant d’entendre ce que les 81 témoins avaient à dire lors de leur passage tout au long de la semaine. Depuis mon arrivée au Sénat, je pense qu’aucun autre projet de loi n’a fait l’objet d’un désaccord aussi généralisé, autant de la part des experts que des personnes qu’il touche de près.
Chers collègues, chaque jour dévoile un aspect plus sombre de la situation dans laquelle nous nous trouvons et de ce qui nous attend si ce projet de loi est adopté dans son libellé actuel.
Des experts internationaux ont déclaré qu’avec ce projet de loi, le Canada sera le pays où le régime d’aide médicale à mourir est le plus permissif. Le Dr Trudo Lemmens, sommité internationale en droit médical, a déclaré au comité qu’en vertu de ce projet de loi et contrairement à tous les autres pays, le suicide assisté ne sera pas utilisé comme une option de dernier recours. Cette inquiétude a été soulevée à maintes reprises tout au long de l’étude du comité.
Tous les autres pays exigent que toutes les autres options de traitement soient mises à disposition et envisagées pour les personnes susceptibles d’avoir de nombreuses années ou décennies à vivre. Comme l’a dit le Dr Lemmens au comité :
Il s’agit d’un écart par rapport aux obligations professionnelles et juridiques que leurs normes de conduite imposent aux fournisseurs de soins. Les patients ne peuvent pas forcer leur médecin à leur prodiguer consciemment un traitement qui serait contraire à ces normes de conduite professionnelle et non indiqué sur le plan médical. Il n’est pas inhabituel que l’accès à certaines interventions soit conditionnel à l’essai d’autres approches, et c’est le moins que l’on puisse exiger si ce qui est demandé au médecin est une aide à mourir. En imposant comme unique condition d’avoir envisagé toutes les options, le projet de loi n’offre pas la protection que garantit la relation unique entre un patient et le fournisseur de soins de santé, il prive le patient du soutien essentiel du fournisseur de soins et il fait fi de la nature radicale de l’aide médicale à mourir.
Des médecins nous ont signalé que le projet de loi à l’étude avait pour effet de faire simplement du suicide assisté l’une des options offertes dans la gamme des bons soins médicaux. Les médecins pourraient être obligés de présenter le suicide assisté à leurs patients en même temps que toutes les autres options thérapeutiques. Ce n’est pourtant pas une option parmi tant d’autres, mais bien l’option finale et irréversible, chers collègues.
Certains des experts qui connaissent le mieux les régimes de suicide assisté en vigueur dans le monde nous ont prévenus qu’une grande prudence était de mise, particulièrement à la lumière de l’une des dispositions les plus inquiétantes du projet de loi C-7.
Un praticien pourra désormais administrer le suicide assisté à un patient dont la mort naturelle est jugée raisonnablement prévisible et qui a donné un consentement préalable, sans avoir à obtenir un consentement final de la part du patient s’il estime que celui-ci a perdu ses capacités. Comme simulacre de mesure de sauvegarde, le projet de loi prévoit que, dans les cas où le patient manifeste « par des paroles, sons ou gestes, un refus que la substance lui soit administrée ou une résistance à ce qu’elle le soit », le consentement préalable est considéré comme annulé.
Toutefois, le projet de loi indique également :
Il est entendu que des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance pour l’application de l’alinéa (3.2)c).
Il est impossible de qualifier cette disposition autrement que de hautement subjective — à tel point qu’elle est dangereuse, selon moi.
Le comité a entendu parler du cas d’une femme atteinte de démence en Hollande. Elle n’était pas inconsciente, mais elle a été jugée incapable de prendre une décision. On lui a administré des médicaments pour l’assoupir. Au moment de faire l’injection, elle a résisté physiquement. La famille a aidé le médecin à maintenir la patiente en place. On lui a finalement injecté la substance mortelle et elle est morte. Je trouve cela profondément troublant.
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Des témoins ont déclaré que si cette pratique de consentement préalable était autorisée au Canada, toute résistance physique à la mort devrait mettre un terme immédiat au processus.
D’autres pays ont également cherché à régler le déséquilibre du pouvoir qui existe entre les médecins et les patients en s’assurant que toutes les discussions sur l’aide médicale à mourir sont lancées et dirigées exclusivement par les patients. La Dre Ramona Coelho a donné un aperçu du pouvoir et de l’influence profonds qu’un médecin exerce sur un patient, en particulier un patient vulnérable qui n’a pas de soutien, d’éducation ou de ressources. Certains groupes ont parlé de responsabilité sacrée. Le simple fait de se faire offrir l’option du suicide assisté peut suffire à inciter un patient vulnérable à en faire la demande.
Honorables collègues, nous avons entendu l’histoire de Roger Foley, un homme de London, en Ontario, qui est atteint d’un trouble neurologique limitant sa capacité de bouger ses bras et ses jambes. Hospitalisé depuis des années, M. Foley a maintes fois réclamé des soins à domicile. Or, des médecins praticiens lui ont plutôt offert l’aide au suicide à au moins quatre reprises, même s’il n’avait exprimé aucun intérêt à mourir. Il a enregistré l’une de ces conversations, et cela a fait l’objet d’une vaste couverture médiatique. Cet enregistrement a même attiré l’attention du rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées, qui a réagi en écrivant une lettre sévère dans laquelle il exprimait ses vives inquiétudes et formulait des recommandations fermes.
D’autres États ont reconnu ce déséquilibre des pouvoirs et le risque de contrainte qui existe quand les médecins offrent l’aide au suicide à un patient vulnérable n’ayant pas fait une telle demande. Dans l’État de Victoria, en Australie, par exemple, on a inscrit dans la loi l’exigence selon laquelle les patients doivent être ceux qui entament les discussions sur l’aide au suicide.
Quand j’ai soulevé cette question auprès de la ministre de l’Emploi, du Développement de la main-d’œuvre et de l’Inclusion des personnes handicapées, elle semblait aussi mal à l’aise que moi à propos du manque de protection. Elle a dit qu’elle était très préoccupée par le traitement réservé à Roger Foley et a suggéré que son cas n’était pas unique. Elle n’a pas écarté la possibilité d’une telle conversation.
Lorsque je lui ai demandé si elle serait en faveur d’un amendement à cet effet, elle a répondu qu’elle était tout à fait ouverte à cette idée. Cette réponse m’a réjoui, mais quel ne fut pas mon étonnement de voir cet amendement proposé au comité de l’autre endroit et rejeté par les députés libéraux qui, de toute évidence, avaient reçu la directive de s’y opposer.
Chers collègues, il est complètement aberrant que nous ouvrions ce régime davantage et étendions le suicide assisté aux personnes ayant un handicap ou une maladie chronique qui n’approchent même pas la fin de leur vie avant même d’avoir pris des mesures pour prévenir une coercition telle que celle vécue par Roger Foley.
Honorables sénateurs, comme vous le savez, le projet de loi C-7 étend l’accès au suicide assisté aux Canadiens handicapés qui ne sont pas près d’atteindre la fin de leur vie. La réponse de la communauté des personnes handicapées est puissante et effarante. Pourtant, le gouvernement n’en tient aucunement compte. Tous les organismes nationaux de défense des intérêts des personnes handicapées au pays s’opposent au projet de loi, sans exception.
D’ailleurs, 72 d’entre eux ont signé une lettre publique exhortant le gouvernement à en appeler de l’arrêt Truchon. Dans cette lettre, ils présentent plusieurs arguments faisant valoir que l’absence d’un tel appel serait désastreuse pour la communauté des personnes handicapées. Notamment, ils soutiennent que :
Ce jugement enchâssera les stéréotypes et exacerbera la stigmatisation des Canadiens en situation de handicap, aggravant l’adversité vécue et l’oppression subie par ce groupe vulnérable.
Krista Carr, vice-présidente à la direction d’Inclusion Canada, a déclaré : « Notre plus grande crainte a toujours été qu’un handicap devienne une raison valable pour un suicide assisté par l’État. » Elle a ajouté : « Le projet de loi C-7 est notre pire cauchemar. »
La communauté des personnes handicapées ne comprend pas pourquoi le gouvernement se donnerait la peine de distinguer un groupe protégé par la Charte, à savoir les personnes handicapées, pour leur offrir le suicide assisté alors qu’elles ne sont pas en fin de vie. Elles disent qu’il y a d’autres groupes privés de leurs droits qui sont victimes de discrimination et qui connaissent également des souffrances intolérables. Le suicide est plus fréquent chez les personnes victimes de discrimination systémique ou dont la société dénigre la valeur, et la prévention doit donc être notre priorité.
Mme Carr a résumé les graves préoccupations de la communauté des personnes handicapées au Canada en déclarant ceci :
Le fait d’inclure un handicap comme un état justifiant un suicide assisté équivaut à déclarer que la vie de certaines personnes ne vaut pas la peine d’être vécue, un principe terrible sur le plan historique ayant des conséquences qui devraient tous nous terrifier, et qui terrifient clairement l’ensemble des personnes handicapées, [ainsi que] leur famille.
Nous savons que les idées suicidaires sont fortes. Pourtant, comme l’ont dit les experts en prévention du suicide, souvent, ces idées ne durent pas.
Voici ce qu’a déclaré au comité la Dre Leonie Herx, de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs :
Le désir de mourir et les demandes d’aide médicale à mourir sont souvent des manifestations de la douleur, de la colère, de la perte et du désespoir que ressentent les patients qui reçoivent un diagnostic dévastateur ou dont l’état se détériore.
Cela débouche souvent sur une consultation sur l’aide médicale à mourir, avant même que les soins palliatifs ne soient évoqués.
Selon des résultats de travaux dans le domaine de la psychiatrie et des soins palliatifs publiés par Harvey Chochinov, le désir de mourir chez les personnes atteintes d’une maladie en phase terminale peut varier et se dissipe souvent en deux semaines. Honorables collègues, il serait irresponsable de ne pas tenir compte de cette réalité.
Par exemple, David Shannon, un avocat de l’Ontario qui vit avec un handicap, a rédigé une chronique sur ce projet de loi récemment. Il a raconté que, pendant sa première année d’université, à l’âge de 18 ans, il a subi, lors d’une mêlée de rugby, une lésion médullaire qui l’a rendu quadriplégique. Il a mis des années à s’en remettre. Il a précisé que, bien qu’il n’a jamais été suicidaire, il a connu bien des gens dans une situation semblable qui l’étaient. Il est convaincu que, si ce projet de loi avait été adopté à l’époque de son accident, un médecin lui aurait offert la possibilité de mourir, et sa vie aurait été effacée. Il a dit ceci :
Ce soir-là, un bon médecin se serait couché avec la satisfaction d’avoir fait ce qui est juste. Je tiens à dire qu’il aurait eu tort de croire cela.
Honorables collègues, si les personnes qui seraient les plus touchées par ce projet de loi nous disent que c’est leur « pire cauchemar », alors il y a un problème, et nous devons les écouter.
Je tiens à remercier les personnes handicapées d’avoir défendu leurs droits, et je veux qu’elles sachent qu’elles ont été entendues.
Comme vous le savez, chers collègues, ce projet de loi crée un système à deux vitesses doté d’ensembles de mesures de sauvegarde distincts selon que la mort est raisonnablement prévisible ou non. Ces mesures sont plus rigoureuses lorsqu’un patient n’est pas en fin de vie. Or, le projet de loi à l’étude élimine de manière préventive les mesures de sauvegarde prévues dans la loi actuelle. Bien entendu, cette décision est prise avant que nous ayons procédé à l’examen parlementaire prévu dans le projet de loi C-14 cinq ans après sa sanction et, par le fait même, avant que nous disposions de données suffisantes pour justifier l’élimination de toute mesure de sauvegarde existante.
Par exemple, le gouvernement a supprimé la période de réflexion de 10 jours du régime actuel. C’est tout à fait injustifiable. L’adoption d’une période de réflexion partout dans le monde, qu’elle soit de 10 ou de 14 jours, découle des travaux reconnus mondialement de M. Harvey Chochinov — qu’on a mentionné plus tôt —, qui a constaté que le désir de mourir chez les patients en phase terminale fluctue et disparaît souvent en moins de deux semaines.
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Lorsqu’on a interrogé la ministre Hajdu concernant l’élimination de cette mesure de sauvegarde, elle a déclaré que souvent, lorsqu’une demande officielle est soumise, cela fait suite à de longues conversations difficiles avec la famille et les médecins, et lorsque la personne en est arrivée à prendre cette décision, il serait inutile et cruel de l’obliger à attendre 10 jours de plus.
Or, la ministre passe complètement à côté de la question. Nous savons tous que les mesures de sauvegarde ne sont pas adoptées pour les cas ordinaires ou évidents dont elle parle, mais pour les cas tout à fait à l’opposé : pour empêcher la mort inutile ou injustifiée dans les situations où il existe une zone grise, où le médecin évaluateur n’est peut-être pas au courant des idées suicidaires et dépressives du patient ni ne sait si elles sont passagères. Il serait complètement irresponsable d’éliminer toute période de réflexion.
Le Dr Harvey Schipper, professeur de droit et de médecine et expert sur l’aide médicale à mourir, a témoigné du danger de nous engager précipitamment, sans données probantes ni compréhension de l’expérience vécue, dans une voie qui aura d’immenses répercussions pour la société. Je l’ai interrogé sur l’élimination des mesures de sauvegarde. Voici ce qu’il m’a répondu :
À mon avis, nous n’avons pas les preuves nécessaires pour supprimer la moindre mesure de sauvegarde.
Il a mentionné qu’en ce moment, nous disposons seulement de données négligeables. Il a poursuivi ainsi :
Il est tout à fait insensé de supprimer la période de réflexion. C’est contraire à ce que nous dit la biologie.
Il a également discuté de la nécessité de préserver le deuxième témoin indépendant et a rappelé au comité que nous parlons de mettre activement fin à la vie de quelqu’un.
Même l’ancienne procureure générale Jody Wilson-Raybould s’est dite très préoccupée par la décision apparente du gouvernement de faire abstraction des instructions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Carter, en ce qui concerne tant des mesures de sauvegarde rigoureuses que de la nécessité d’un consentement clair. Le gouvernement a clairement abandonné les directives de la Cour suprême en éliminant de manière préventive la mesure de sauvegarde la plus importante et en permettant la renonciation au consentement final.
Chers collègues, il convient de noter que la suppression de ces mesures de sauvegarde n’a absolument rien à voir avec la décision Truchon. Plus alarmant encore, le gouvernement propose de supprimer ces mesures même s’il ne dispose pas de suffisamment de données pour le justifier.
En raison de l’élimination des mesures de sauvegarde et de l’énorme élargissement de la portée du régime canadien de suicide assisté qui sont proposés dans le projet de loi, de nombreux médecins et praticiens sont terrifiés par l’absence de protection visant à leur permettre de refuser de participer en toute légalité. Le projet de loi C-14 comprenait une disposition inapplicable qui laissait entendre qu’aucun praticien ne devrait avoir à administrer l’aide médicale à mourir contre son gré. Cependant, après que la disposition a été interprétée par les collèges provinciaux, nous avons constaté qu’elle n’offrait que peu de protection aux médecins, voire aucune.
Ce thème est revenu souvent durant les audiences. Bien que certains ont tenté de faire fi de la question en la qualifiant de préoccupation de nature purement religieuse, ce n’est clairement pas le cas. Pour beaucoup de médecins, le fait de participer à la mort d’une personne pose des problèmes d’ordre éthique, surtout s’ils sont d’avis que des options de traitement sont accessibles. Maintenant que le problème s’applique aussi aux Canadiens handicapés qui ne sont pas en fin de vie, encore plus de médecins craignent de se compromettre sur le plan éthique et moral.
Dans le débat sur la liberté de conscience, le plus grand malentendu est l’idée selon laquelle les médecins seraient forcés d’assurer un aiguillage efficace. Ce malentendu découle d’une conception erronée de l’aiguillage efficace. Comme l’Association médicale canadienne l’a si bien dit au cours de notre discussion sur le projet de loi C-14 :
[...] un renvoi revient essentiellement à approuver une procédure, ce qui risque d’être problématique sur le plan moral pour de nombreux médecins.
La Dre Ramona Coelho a souligné que le concept de renvoi était mal compris par certains membres du comité. Elle a expliqué que lorsqu’un médecin fait un renvoi, il affirme que quelque chose est bon pour son patient et qu’il aiguille simplement celui-ci vers un spécialiste pour que celui-ci termine le traitement.
Comme je l’ai déjà dit, étant donné que cette mesure législative place le suicide assisté sur un pied d’égalité avec les autres options de traitement, les médecins demandent plus que jamais à être protégés. Pour ceux qui craignent un manque d’accès à l’information, sachez que l’Alberta, la Colombie-Britannique et le Manitoba ont déjà mis en place des mécanismes rigoureux d’auto-aiguillage qui permettent aux médecins d’orienter les patients qui souhaitent se renseigner sur l’aide médicale à mourir vers les ressources appropriées. Il ne devrait donc y avoir aucune obligation d’aiguiller les patients.
Tous les médecins à qui nous avons parlé n’ont aucune objection à fournir un numéro de téléphone ou une adresse de site Web pour permettre à un patient d’avoir accès à l’information dont il a besoin. Voilà tout ce que ces praticiens nous demandent, chers collègues.
Plusieurs nous ont dit avoir l’intention de quitter le pays ou de cesser de pratiquer la médecine si cette mesure législative est adoptée dans sa forme actuelle. Par conséquent, les médecins ne devraient pas être forcés de participer au processus. Étant donné la divergence d’opinions au sein du corps médical quant au caractère éthique du suicide assisté, cela semble être une demande très raisonnable dans une société pluraliste et dans un esprit de compromis.
L’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario a pris les devants la semaine dernière en distribuant un sondage aux médecins en prévision de la nouvelle mesure législative. Ce sondage pose aux médecins des questions suggestives comme : « Faudrait-il informer les patients de toutes leurs options de soins de fin de vie? » ou encore « Un médecin devrait-il entraver l’accès de ses patients à l’aide médicale à mourir? »
De nombreux médecins en Ontario se demandent si les résultats du sondage seront utilisés plus tard pour montrer que les médecins approuvent de façon générale le fait d’offrir le suicide assisté aux patients, qu’ils en aient fait la demande ou non. Des médecins craignent que le sondage soit un signe qu’on redouble d’efforts pour les obliger à aiguiller efficacement les patients. Chers collègues, il est donc encore plus urgent de répondre à leur simple demande visant à inclure des mesures de protection explicites de la liberté de conscience.
Je le répète, certains ont tenté de dire qu’il s’agissait d’une question de liberté de religion, mais ils font fausse route et tiennent seulement compte d’une partie des praticiens concernés. Ce point a été soulevé par des organismes représentant diverses confessions, mais des bioéthiciens, des médecins de famille, des psychiatres et des médecins de soins palliatifs ont également indiqué qu’ils éprouveraient une immense détresse si on les obligeait à aiguiller des patients, car cela irait à l’encontre de leur jugement professionnel.
L’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada a parlé de la nécessité de mettre en place des mesures de protection explicites de la liberté de conscience pour les infirmiers et les infirmiers praticiens autochtones. Ils veulent être sûrs qu’ils n’auront pas à offrir ce service si une telle chose va à l’encontre de leur jugement ou de leur système de valeurs. Comment pouvons-nous justifier le fait d’étendre si radicalement ce régime sans offrir une protection fondamentale aux médecins et aux infirmiers?
Un grand nombre de témoins autochtones ont exprimé leurs préoccupations à l’égard du concept de la sécurité culturelle. Par exemple, Marilee Nowgesic, directrice générale de l’Association des infirmières et infirmiers autochtones du Canada, a expliqué au comité que la Direction générale de la santé des Premières Nations et des Inuits compte 672 membres d’un bout à l’autre du pays Canada. La majorité de ces infirmières et infirmiers travaillent au sein de leur propre communauté, qui sont souvent de petite taille. Elle a dit :
Nous savons que cela cause des problèmes additionnels parce que l’infirmière devient alors marquée, et c’est pourquoi je dis qu’il faut vraiment protéger la liberté de conscience des travailleurs de la santé. Vont-elles être punies parce qu’elles n’ont pas fait leur devoir d’infirmière? Vont-elles subir des sanctions de la part de la collectivité pour avoir enlevé une vie?
Voilà pourquoi nous essayons de dire au gouvernement de mettre ce dossier en suspens le temps de mener des consultations plus approfondies.
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Cela dit, chers collègues, j’espère que les voix autochtones au Sénat participeront à ce débat et feront part de leur point de vue sur comment nous pouvons trouver un juste équilibre. Cette préoccupation est partagée par de nombreux praticiens autochtones. Plus que jamais, nous devons veiller à ce que le concept de la sécurité culturelle soit pris en considération.
Honteusement, le gouvernement n’a pas effectué de consultation véritable auprès des Autochtones. Peut-être que s’il l’avait fait, il aurait mieux compris les graves préoccupations des communautés autochtones avant de rédiger le projet de loi. En fait, chers collègues, le gouvernement n’a nullement consulté les Inuits et les Métis. À l’égard du dossier le plus essentiel qu’il nous sera jamais donné d’étudier et de mettre aux voix, le gouvernement a choisi d’abandonner son devoir de consulter.
Lorsque j’ai demandé aux quatre représentants de groupes autochtones qui ont témoigné devant le comité si, selon eux, nous devrions mettre ce projet de loi en veilleuse, l’une d’eux a timidement répondu « peut-être », mais les trois autres ont répondu « oui » sans hésitation.
Au cours de l’étude préalable, la préoccupation la plus répandue et la plus commune chez les témoins était probablement la suivante : nous n’offrons pas à la plupart des Canadiens qui sont admissibles à l’aide au suicide un choix équitable et honnête entre la vie et la mort, que l’on pense aux soins palliatifs ou aux mesures de soutien pour les personnes handicapées ou atteintes d’une maladie chronique. En fait, en élargissant l’accès au suicide assisté avant d’améliorer ces systèmes, nous faisons en sorte qu’il soit plus facile de mourir que de vivre.
La représentante de la Société canadienne des médecins de soins palliatifs a affirmé que « le manque d’accès aux soins palliatifs au Canada est une tragédie nationale ». Elle a cité une étude publiée en novembre 2020 qui a conclu que la participation des soins palliatifs auprès des patients qui demandent l’aide au suicide était totalement inadéquate. Dans cette étude, les deux tiers des patients n’avaient pas accès à un médecin en soins palliatifs dans la collectivité, et 40 % n’avaient reçu aucun soin palliatif avant de demander la mort. S’ils n’ont pas accès rapidement à des soins palliatifs de haute qualité, les patients qui souffrent sont peut-être portés à croire que l’aide au suicide est la seule solution qui s’offre à eux.
Chers collègues, comment pourrions-nous justifier un élargissement aussi profond et aussi rapide de l’accès au suicide assisté avant d’offrir aux patients une autre option? Certains sénateurs ont soutenu, pendant le débat, que ces deux activités pouvaient se produire en parallèle. C’est une possibilité, bien sûr, mais nous savons que les choses ne se passent pas ainsi. Les sénateurs en question sont aussi ceux qui demandent que le projet de loi soit adopté d’ici vendredi. L’accès aux soins n’aura pas encore été amélioré quand le projet de loi recevra la sanction royale. Il est scandaleux et franchement injustifiable d’offrir aux patients une aide à mourir avant de leur offrir la possibilité d’une vie acceptable.
Si les soins palliatifs étaient considérés comme un service essentiel et bénéficiaient d’un financement adéquat partout au pays, les Canadiens auraient réellement le choix entre la vie et la mort. Ce qui se passe, au contraire, c’est que nous nous engageons sur une voie qui fera du régime d’aide médicale à mourir du Canada le plus radical sur la planète, et que nous sommes censés trouver rassurant que le gouvernement affirme considérer l’amélioration de l’accès aux soins comme une « priorité absolue ». Chers collègues, je ne saurais trop répéter à quel point il est contraire à la morale et à l’éthique de faciliter l’accès au suicide assisté avant de garantir que tous les Canadiens auront accès à des soins palliatifs s’ils en ont besoin.
Le comité a entendu parler de Canadiens qui ont demandé le suicide assisté parce qu’ils souffraient de solitude, de dépression ou d’un manque de contacts sociaux et qu’ils n’avaient pas le soutien nécessaire pour vivre. La COVID-19 a intensifié ces problèmes, comme on le sait.
Mme Catherine Frazee a livré un témoignage que je considère comme le plus déchirant et le plus bouleversant de tous ceux que le comité a entendus. Elle a également mis le comité en garde contre cette proposition d’élargissement, surtout compte tenu des immenses lacunes du système de soutien actuel. Elle a cité deux cas préoccupants, parmi tant d’autres, où des patients ont été pénalisés alors que la loi actuelle s’applique et, comme elle l’a dit, seront pénalisés par la nouvelle loi radicalement élargie.
De nombreux sénateurs n’ont pas eu l’occasion d’entendre le témoignage de Mme Frazee. Je présente à l’avance mes excuses à ceux qui l’ont déjà entendu, car je vais répéter, pour les autres, une partie de ce qu’elle a dit. Mme Frazee a parlé du cas de deux hommes.
Archie Rolland était atteint de sclérose latérale amyotrophique. Il recevait de bons soins dans l’établissement où il était placé. Sa maladie était très avancée et nécessitait des soins spécialisés. Cependant, pour des raisons d’économie, il a été transféré, contre son gré et sans son accord, dans un autre établissement où le personnel n’était pas formé pour lui prodiguer les soins particuliers dont il avait besoin. Ce changement a eu des répercussions profondes pour lui : il s’est retrouvé sans aucun moyen de communication, sans pouvoir utiliser d’ordinateur pour correspondre et communiquer avec les gens et pour obtenir de l’aide lorsqu’il ne pouvait pas respirer. Sa vie est devenue un enfer.
Lorsque sa mère était là pour l’aider, il a documenté toutes les souffrances qu’il a endurées en raison des soins inadéquats qu’il a reçus. Il a demandé l’accès à un personnel qualifié, comme il y avait eu droit auparavant. S’il n’avait pas attiré l’attention d’un journaliste de la Gazette de Montréal, qui a mis son histoire en lumière, nous n’aurions rien su de sa vie ou de sa mort.
À la fin de sa vie, Archie Rolland a déclaré :« Ce n’est pas la SLA qui me tue, c’est mon combat pour de meilleurs soins, pour des soins décents ». Il a donc choisi l’aide médicale à mourir. Comme l’a dit la Dre Frazee :
[...] Dans le système de surveillance actuel, il apparaît simplement comme quelqu’un qui a choisi l’aide médicale à mourir, et qui était en effet proche de la fin de sa vie. Mais ce n’est pas ce qu’il voulait. Ce n’est pas ce qu’il a choisi.
Le deuxième cas que la Dre Frazee a porté à notre attention est celui de Sean Tagert, qui était aussi atteint de sclérose latérale amyotrophique. Il avait brillamment aménagé sa demeure, où il habitait avec sa famille et son fils de 12 ans, dont il avait la garde partagée et à qui il était entièrement dévoué. M. Tagert réclamait deux heures supplémentaires de soins à domicile par jour — deux heures, honorables sénateurs — et il s’est battu bec et ongles pour les obtenir, mais en vain. On lui a dit qu’il devrait se rendre dans une institution et qu’il ne pourrait pas apporter les nombreux dispositifs technologiques qu’il avait développés pour donner un sens et une valeur à sa vie, et qu’il devrait déménager à quatre heures de l’endroit où vit son fils. Il vivrait donc ses derniers jours sans voir son fils ou passer de temps avec lui.
La Dre Frazee a conclu en ces termes :
Il a donc lui aussi choisi l’aide médicale à mourir, et c’est parce qu’il a porté son cas à l’attention du public que nous le savons. Autrement, nous n’en aurions aucune idée. Il serait juste une autre personne qui répondait à tous les critères et qu’on a aidée à mourir. Mais il a qualifié la décision de son autorité sanitaire locale — le refus des soins dont il avait besoin — de « condamnation à mort ». Il n’est pas mort de la SLA. Il est mort de notre négligence.
Lorsque j’ai demandé à la Dre Frazee quelles leçons nous pouvions tirer de ces cas dans le cadre du projet de loi C-7, elle ma répondu ceci :
La leçon que nous en avons tirée, c’est que même en vertu de la loi actuelle, qui est trop restrictive aux yeux de certains et qui prévoit des mesures de protection très étendues, il y a des gens qui souffrent pour des raisons qui ne sont pas liées à leur handicap ou à leur maladie. Ils souffrent de la négligence sociale. Nous n’y prêtons même pas attention. Si nous élargissons la portée du régime — je pense que le comité doit le comprendre maintenant, avec tous les témoignages qu’il a entendus —, le problème ne fera qu’empirer.
J’espère sincèrement qu’elle avait raison, chers collègues. J’espère que nous avons maintenant compris.
(1600)
Pourtant, le ministre Lametti a choisi de rejeter cavalièrement ces craintes et d’imputer la vaste opposition que rencontre ce projet de loi à la droite religieuse, laquelle, à l’entendre, serait incontrôlable. Même en faisant abstraction du caractère offensant des propos du ministre, qui décrit les croyants comme un groupe marginal qui doit être contrôlé, celui-ci sait pertinemment que son projet de loi a été condamné par la plupart des spécialistes, des médecins, des spécialistes étrangers, des personnes handicapées, des Autochtones et des constitutionnalistes entendus par le comité ainsi que par la procureure générale qui était en poste quand l’arrêt Carter a été rendu et qui y a donné suite. Il a même été critiqué par des membres de son propre caucus. Le ministre préfère détourner l’attention d’un texte profondément bancal en déformant grossièrement la réalité et en perpétuant les préjugés entretenus par son parti, selon lesquels l’opinion des croyants ne vaut rien.
Le mépris et le manque de respect manifestés à l’égard des Canadiens religieux sont désormais les marques de commerce du gouvernement libéral.
Mes opinions, que ce soit sur ce projet de loi ou sur les autres questions sur lesquelles je suis appelé à me prononcer, sont profondément ancrées dans ma foi, dans mon éducation et dans mon vécu, et je suis convaincu qu’il en va de même pour chacun de nous, chers collègues. Nous avons tous des principes et des valeurs inébranlables qui sont le fruit de nos expériences de vie. Or, pour certains, la vie, c’est aussi la foi.
La différence, de taille, est que j’estime que le ministre Lametti a tout à fait droit à son opinion, à son point de vue et à ses croyances. Je crois qu’il devrait être entendu. Or, il ne me rend pas la pareille. Je crois fermement qu’il existe une vaste gamme d’opinions valides sur ce sujet et sur d’autres enjeux, alors que le gouvernement a montré qu’il juge qu’il y a une bonne opinion et une mauvaise.
Certes, mes croyances définissent grandement mes valeurs, surtout en ce qui concerne mon point de vue sur le suicide assisté. Je ne m’en excuse pas.
Cependant, je répète que nous ne débattons pas de la légalisation du suicide assisté. Le ministre Lametti sait pertinemment qu’aucun des enjeux importants dans ce projet de loi ne repose sur un motif religieux. Il en profite néanmoins pour insulter les croyants au passage. Pourtant, tout ce que les groupes religieux demandent, ce sont des mesures adéquates de protection de la liberté de conscience pour les médecins et les praticiens. Le gouvernement a fait fi des préoccupations des Canadiens tout au long du processus et il procède maintenant à la promotion des intérêts personnels du ministre.
Nous devrions nous rappeler que le ministre Lametti a voté contre le projet de loi C-14, présenté par son propre parti en réponse à l’arrêt Carter, parce qu’il ne croyait pas que la mesure était assez permissive. En revanche, le Sénat a fait un travail exceptionnel en présentant des points de vue clés et en examinant attentivement le projet de loi. Après avoir blâmé la droite religieuse pour ces contraintes de temps, le ministre Lametti dit maintenant aux sénateurs d’ignorer essentiellement ce qu’ils ont entendu, de s’atteler sérieusement à la tâche et d’adopter le projet de loi d’ici vendredi.
Examinons la chronologie, chers collègues. Je l’ai déjà fait à deux reprises hier lors de mes questions, mais je vais le faire de nouveau.
En septembre 2019, la Cour supérieure du Québec a déclaré inconstitutionnelle la disposition exigeant que la mort soit raisonnablement prévisible. Bien sûr, le ministre Lametti n’a pas interjeté appel de cette décision parce que, de toute évidence, elle lui offrait la possibilité de mettre en place le régime permissif qu’il avait toujours voulu.
Le cour a donné au gouvernement Trudeau jusqu’en mars 2020 pour réviser la loi. C’est six mois entiers. Le ministre Lametti et la ministre Hadju ont déposé le projet de loi C-7 la dernière semaine de février, et le temps commençait déjà à manquer. Ils ont demandé à la cour une prolongation de quatre mois, soit jusqu’en juillet 2020. Dans la lettre, on indique que la prolongation « donnerait au Parlement le temps d’examiner et d’adopter les modifications proposées. »
La prolongation a été accordée.
Puis, à l’approche de juillet, le gouvernement a demandé une autre prolongation, cette fois pour six mois, en invoquant la pandémie comme argument. La cour a accédé à la demande — nouvelle date butoir : le 18 décembre 2020. Le gouvernement a ensuite prorogé le Parlement pour couvrir le scandale qui l’éclaboussait, faisant ainsi mourir au Feuilleton son propre projet de loi. Après le retour du Parlement, il a fallu une semaine et demie au gouvernement pour présenter un projet de loi identique. C’était le 5 octobre 2020, il y a plus de deux mois.
La Chambre a renvoyé ce projet de loi au Sénat à la fin de la semaine dernière, et nous a publiquement demandé de faire adopter à toute vitesse, en quelques jours, cette mesure législative qui porte sur une question de vie ou de mort. Il est vraiment épouvantable qu’un ministre fasse pression sur le Sénat pour qu’il approuve automatiquement un projet de loi qui comporte des lacunes fondamentales et qui, à mon avis, ne devrait jamais être adopté. Cela fait suite à la précédente demande de prolongation des libéraux, dans laquelle ils demandaient à la Cour d’accorder au Parlement le temps d’examiner et d’adopter les modifications proposées.
Le Sénat a déjà effectué une étude préalable de ce projet de loi afin de pallier à la piètre gestion du temps du gouvernement, et c’est ainsi que ce dernier réagit maintenant.
Vendredi dernier, le ministre Lametti a demandé la prolongation du délai, mais cette fois-ci, le délai demandé est considérablement plus court, ce qui indique, encore une fois, son manque de respect envers cette Chambre. Il a demandé à ce que le délai soit prolongé seulement jusqu’à la fin de février, ce qui, en réalité, ne laisserait au Sénat que trois semaines de séance pour débattre du projet de loi, l’étudier en comité, examiner des amendements, se prononcer sur ces amendements et renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes. Je suppose que le ministre estime qu’il ne faudra pas beaucoup de temps pour balayer tout le travail du Sénat du revers de la main et rejeter ses amendements, comme la Chambre le fait constamment.
Même avec la prolongation demandée, le ministre dit avoir bon espoir que le Sénat adoptera ce projet de loi à toute allure en quelques jours. Dans sa lettre visant à demander la prolongation du délai, le ministre dit ceci :
Bien qu’il y ait un représentant du gouvernement au Sénat, il n’y a pas de caucus affilié au parti qui forme le gouvernement, de telle sorte qu’il est difficile de prédire dans combien de temps le projet de loi sera adopté au Sénat.
Il dit essentiellement que les sénateurs indépendants de cette Chambre, qui étudieront ce projet de loi crucial de façon indépendante, posent problème lorsqu’il s’agit de respecter l’échéance déraisonnable imposée par le gouvernement. Non, monsieur le ministre, les sénateurs indépendants, qui ne font que leur travail en étudiant ce projet de loi, ne sont pas à blâmer pour le non-respect de l’échéance. Il ne faut pas non plus rejeter la faute sur les députés conservateurs qui ont osé poursuivre le débat à l’étape de la troisième lecture. Le gouvernement n’a que lui-même à blâmer pour avoir raté une autre échéance.
Ensuite, le gouvernement Trudeau, par l’intermédiaire du sénateur Gold, notre leader au Sénat, présente un plan d’action. Je sais qu’il a dû avoir du mal à le faire et je suis reconnaissant aux sénateurs de la collaboration dont ils ont fait preuve même aujourd’hui. Cependant, je vais lire la citation suivante, car je pense qu’elle vient du ministre Lametti :
C’est le délai qui nous a été imparti. Lundi, nous procéderions à la deuxième lecture. Mardi, nous terminerions l’étape de la deuxième lecture. Nous tiendrions le vote à cette étape et nous renverrions le projet de loi au comité mardi. Mercredi, l’étude en comité aurait lieu. Jeudi, le comité ferait rapport. Nous aurions le débat à l’étape du rapport à la troisième lecture. Vendredi, le débat à l’étape de la troisième lecture et le vote auraient lieu, suivis de la sanction royale ou du rapport à la Chambre avec des propositions d’amendement.
Je ne sais pas où, dans ce laps de temps, il y aurait eu du temps pour des amendements, voire un second examen objectif.
Surtout, ce calendrier est une insulte pour les Canadiens qui ont témoigné, qui nous ont écrit et qui ont téléphoné à nos bureaux afin de défendre les Canadiens vulnérables. Le Sénat n’a jamais passé — et j’espère sincèrement qu’il ne passera jamais — une seule semaine à débattre des circonstances dans lesquelles les Canadiens vivent et meurent, certainement pas après les témoignages déchirants que nous avons entendus de la part des personnes les plus touchées.
(1610)
Je suis très content que nous ayons pu, en collaboration avec le leader du gouvernement au Sénat, faire des progrès dans des délais raisonnables.
Ce projet de loi ne franchira pas l’étape de la troisième lecture vendredi. Alors que nous subissons des pressions indues de la part du gouvernement, il est important de rappeler les avis de constitutionnalistes que nous avons obtenus la dernière journée de l’étude préalable. Aucun d’entre eux ne pensait que l’étude du projet de loi devait se faire selon l’échéancier arbitraire imposé par la Cour supérieure du Québec. Ils nous ont clairement expliqué ce qu’il adviendrait si la loi était invalidée au Québec, mais qu’elle demeurait en vigueur partout ailleurs au Canada. Tout pourrait bien fonctionner, et il en résulterait probablement un renvoi à la Cour suprême du Canada qui serait très approprié étant donné que ce projet de loi va à l’encontre de l’arrêt Carter de plusieurs façons.
Par conséquent, avec tout le respect que je vous dois, monsieur le ministre Lametti, peu importe la réponse à votre demande de prolongation de délai, le Sénat n’a pas l’intention de précipiter l’adoption de ce projet de loi.
Je tiens à remercier les sénatrices Jaffer et Batters, les sénateurs Campbell et Dalphond ainsi que l’ensemble du comité pour leur excellent travail au cours duquel ils ont entendu une vaste gamme de témoins — je n’ai jamais vu un comité effectuer une étude aussi exhaustive, et encore moins dans le cas d’une étude préalable — et ils ont veillé à ce que ce projet de loi fasse l’objet de l’étude préalable rigoureuse qu’il méritait.
Je tiens également à remercier tous les témoins courageux pour leurs témoignages percutants. Vous avez tous enrichi notre réflexion, et nous comprenons maintenant beaucoup mieux ce sur quoi nous sommes appelés à voter.
Chers collègues, en général, à l’étape de la deuxième lecture, je recommande que nous adoptions le projet de loi afin qu’il puisse être étudié plus en profondeur par un comité. Toutefois, j’ai déjà examiné en détail le projet de loi actuel. J’ai du mal à me résoudre de voter pour son adoption, quelle que soit l’étape. De nombreux Canadiens ont encore le sentiment d’avoir été exclus de la discussion actuelle et méritent d’être entendus, mais le projet de loi est tellement dangereux que je suis enclin à saisir la première occasion pour en bloquer l’adoption.
Chers collègues, j’ai hâte d’écouter la suite du débat. Bien sûr, mes collègues du caucus et moi réfléchirons au choix que nous ferons lors du vote à l’étape de la deuxième lecture. Je vous remercie beaucoup de votre attention.
Des voix : Bravo!
L’honorable Jim Munson : Le sénateur souhaite-t-il répondre à une question?
Le sénateur Plett : Certainement, monsieur le sénateur Munson.
Le sénateur Munson : Merci, sénateur, de votre discours enflammé. Je partage certaines de vos préoccupations.
Comme c’était le cas en 2016, certains d’entre nous ont de la difficulté à aborder cette question délicate. Je suis devant un dilemme, car j’estime vraiment important de mourir dans la dignité et j’appuie ce qui s’est fait jusqu’ici pour aider les gens à mourir dans la dignité. Cependant, je crois aussi au droit des personnes handicapées de vivre dans la dignité. Voilà ce qui me place dans un dilemme. J’ai écouté de nombreux discours éloquents prononcés aujourd’hui, et nous en entendrons beaucoup d’autres. Voici la question que je vous pose. Vous avez indiqué ce que le gouvernement devrait faire, à votre avis, notamment en ce qui a trait aux soins palliatifs et à de nouveaux programmes, mais nous sommes à la Chambre haute et nous en sommes à l’étape où nous proposerons des amendements, qui seront acheminés à l’autre endroit. Le projet de loi sera probablement amendé; c’est certainement ce qu’on entrevoit. Ensuite, le projet de loi sera renvoyé à l’autre endroit. La dernière fois, l’amendement a été rejeté. En tant que membres de la Chambre haute, nous avons accepté la décision de l’autre endroit.
Jusqu’où le Sénat devrait-il aller dans l’exercice de ses fonctions? Il s’acquitte de sa tâche en ce moment, en écoutant tous ceux qui ont pris la parole : les témoins et quelque 80 groupes et organismes. À votre avis, qui a le dernier mot? Est-ce cette Chambre ou la Chambre élue?
Le sénateur Plett : Tout d’abord, sénateur Munson, je suis d’accord qu’il faut trouver une solution afin que les gens puissent vivre dans la dignité. Cela devrait être notre principale préoccupation. Je tenais à le répéter bien que ce ne soit pas le sujet de votre question. Des soins palliatifs devraient être disponibles. Mon père a bénéficié d’excellents soins palliatifs.
Jusqu’où devrions-nous aller? Nous devrions apporter des amendements pour corriger les failles que nous constatons. Nous avons entendu 81 témoins, sénateur Munson, et je crois qu’aucun d’entre eux n’a dit qu’il s’agissait d’un bon projet de loi, pas même la ministre des personnes handicapées. Je ne sais pas si les ministres Lametti et Hajdu faisaient partie de ces 81 témoins mais, si c’est le cas, ils étaient évidemment favorables au projet de loi. Aucun des autres témoins ne l’appuyait, toutefois, et il s’agissait de gens de tous les horizons.
Bref, nous apporterons des amendements, et je crois que la Chambre a déjà une bonne idée de ceux qui me semblent nécessaires. Je crois que nous avons aussi un devoir envers les Canadiens. Ils nous disent qu’il s’agit d’un projet de loi bancal. J’ai toujours été convaincu, sénateur Munson, que lorsque nous constatons des failles dans un projet de loi, il est de notre devoir de tenter de les corriger.
Son Honneur le Président suppléant ։ Sénateur Plett, je vous prie de continuer.
Le sénateur Plett : J’ai perdu le fil de ma pensée.
Nous devrions amender le projet de loi; nous devrions tenter de l’améliorer. C’est ce que j’ai toujours pensé. Nous ne devrions pas nous contenter d’avoir comme objectif de voter contre un projet de loi. J’aimerais le faire. Vous dites que nous nous sommes entendus la dernière fois. Dans mon cas, c’est faux. Je crois que chaque fois que la mesure a été mise aux voix, j’ai voté contre. Évidemment, si j’ai pu le faire, c’est que je faisais partie de l’opposition à l’époque, comme c’est le cas aujourd’hui d’ailleurs.
Sénateur Munson, je ne crois pas qu’il soit possible de corriger suffisamment le projet de loi pour que je décide de l’appuyer à l’étape de la troisième lecture. Je ne crois pas que ce soit possible, mais je réserve mon jugement. J’appuierai certains amendements. Je crois cependant que nous avons un devoir envers les Canadiens. Il ne s’agit pas d’un projet de loi de finances; la survie du gouvernement ne dépend pas de son adoption. Nous devons nous acquitter de ce devoir si le projet de loi est aussi problématique que ce que nous ont dit les témoins. Le comité tiendra d’autres réunions et recevra d’autres témoins, puis il produira son rapport. Par contre, j’ai entendu des membres du comité affirmer qu’il ne fallait pas adopter ce projet de loi, qu’il fallait immédiatement l’abandonner. Je ne suis pas certain que ce soit la solution que je préconise, mais je pense qu’il faut des amendements.
C’est une question que je me pose chaque jour, sénateur. Je ne suis pas un élu. Je suis un sénateur nommé. Jusqu’où pouvons-nous aller? Lorsque c’est une question de vie ou de mort, sénateur Munson, je crois que nous devrions aller jusqu’au bout.
Le sénateur Munson : Merci pour ces commentaires. Votre réflexion allait vraiment bon train juste avant cette brève interruption, quelle qu’en soit la cause, le chouchou de quelqu’un quelque part. Mais vous étiez là. Vous avez répondu à la question et vous y avez bien répondu.
Vous avez parlé de la vie et de la mort : c’est exactement ce dont ce projet de loi parle. Il y avait une date butoir et elle sera reportée. Le comité ne se penchera pas sur cette question et nous ne voterons pas avant la mi-février. Nous le savons. Néanmoins, la vie, la mort, c’est une réalité de tous les jours. Donc, dans le cas de ce projet de loi, son étude et la façon dont elle se déroule — certains diraient dont elle traîne en longueur —, nous faisons simplement notre devoir. Est-ce bien une bonne chose pour nous, toutefois, qu’après que les amendements sont allés à l’autre endroit puis nous sont revenus, cette partie de ping-pong commence? Cela fait 17 ans que je siège au Sénat et c’est la première fois que je vois cela. Est-ce que nous faisons notre devoir quand nous nous renvoyons le projet de loi d’une Chambre à l’autre?
Le sénateur Plett : Nous l’avons renvoyé une fois, la dernière fois, si ma mémoire est bonne. Puis, il est revenu, et nous avons cédé à ce stade. On l’a donc déjà renvoyé. Je suis certain que c’est arrivé un certain nombre de fois avant que vous et moi ne siégions ici. Quoi qu’il en soit, sénateur Munson, je ne voterai jamais pour un projet de loi qui enlèverait les mesures de sauvegarde que le gouvernement a retirées et à cause duquel des personnes, à l’instar de Roger Foley et de John Taggart, préféreraient s’enlever la vie, alors qu’on devrait leur permettre de vivre dignement. Je regrette, mais jamais je ne céderai sur ce point et jamais je n’approuverai cela. Peu importe le nombre de fois que le Sénat doit retourner le projet de loi à la Chambre des communes. Ce projet de loi élimine des mesures de sauvegarde qui, selon moi, sont essentielles. Je le répète, je respecte l’opinion de mes collègues. Les sénatrices Pate et Miville-Dechêne nous ont parlé des mesures de sauvegarde hier. D’autres l’ont fait également. Sans ces mesures de sauvegarde, je n’appuierai pas le projet de loi.
(1620)
L’honorable Denise Batters : Sénateur Plett, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Plett : Absolument.
La sénatrice Batters : Sénateur Plett, vous avez eu l’occasion de participer à bon nombre des réunions tenues par le Comité sénatorial des affaires juridiques il y a trois semaines afin d’étudier la teneur du projet de loi. D’ailleurs, vous y avez participé très activement. Je me souviens que, à un moment très émouvant, vous avez demandé à un groupe de témoins de la communauté autochtone si le gouvernement devrait mettre le projet de loi C-7 en veilleuse. Vous l’avez mentionné dans votre discours. Si mon souvenir est bon, trois des quatre témoins ont répondu que oui, nous devrions faire une pause, tandis que, si je ne m’abuse, l’autre témoin a répondu « peut-être ».
Cette opinion découle en grande partie du manque flagrant de consultations menées auprès de la communauté autochtone par le gouvernement. Je me demandais si vous pourriez nous en dire davantage à ce sujet, surtout étant donné que l’enjeu est une question de vie ou de mort.
Le sénateur Plett : Je vous remercie, sénatrice Batters. Je dois prendre garde à ne pas faire comme hier soir. Je n’aime pas m’adresser directement à une personne qui se trouve derrière moi sans la regarder.
Sénatrice Batters, vous avez absolument raison. Nous souhaitons discuter de ce projet de loi et non pas du bilan général du gouvernement, mais celui-ci n’a certes pas consulté suffisamment les communautés autochtones, et pas uniquement dans ce dossier. Non seulement les communautés inuites et métisses n’ont pas été consultées convenablement, mais elles n’ont pas été consultées du tout. Vous avez absolument raison : en substance, ces quatre témoins autochtones étaient outrés et troublés par l’absence de consultation. Je dois d’ailleurs vous dire que le quatrième témoin — je ne veux toutefois pas lui faire dire ce qu’il n’a pas dit, car il semblait incertain — était aussi catégorique que les trois autres quant à l’absence de consultation. À mon avis, il est honteux qu’un grand groupe comme celui que forment tous les Inuits et tous les Métis au Canada n’ait pas du tout été consulté.
La sénatrice Batters : Sénateur Plett, l’un des nombreux témoins importants ayant participé à l’étude préliminaire du Comité des affaires juridiques est la Dre Ramona Coelho, médecin de premier recours pour les patients handicapés. Elle a fait remarquer que les patients vulnérables peuvent interpréter un médecin évoquant l’option du suicide assisté non pas tant comme un choix pour eux, mais comme une instruction. Elle a témoigné en disant ce qui suit :
[...] ils prendraient ça pour une directive, contrairement au patient autonome bien nanti qui peut y voir une prise de décision partagée. La suggestion s’ajoutant à leur fragilité, leur insécurité, peut les pousser à confirmer que, oui, ma vie ne vaut pas la peine d’être vécue. C’est très dangereux.
Sénateur Plett, je sais que vous avez interrogé un certain nombre de témoins sur cet enjeu particulier, y compris la ministre Qualtrough, selon laquelle une demande de suicide assisté devrait être initiée par le patient, et non par les médecins concernés, même pour présenter cela comme étant une option. Pourriez-vous nous dire pourquoi vous pensez qu’il s’agit d’un enjeu d’une telle importance?
Le sénateur Plett : Merci. L’une de mes plus grandes préoccupations porte effectivement sur la coercition. On a proposé l’aide médicale à mourir à quatre reprises à Roger Foley. Il ne l’a jamais demandée, mais on la lui a proposée quatre fois. Je crois que nous pouvons tous nous mettre à la place de Roger Foley. Peut-être pas, mais imaginez que vous êtes handicapé, que vous ne pouvez pas vous débrouiller seul, que vous dépendez des autres et qu’un médecin que vous respectez vous dit que vous êtes peut-être un fardeau pour la société et que celle-ci se porterait mieux sans vous.
Ce cas de figure concernant les personnes handicapées peut aussi s’appliquer aux aînés. J’ai déjà parlé de ma mère, qui a 92 ans. Elle occupe actuellement une chambre dans un établissement. Quelqu’un pourrait l’encourager à recourir à l’aide médicale à mourir en lui disant : « Vous savez, Mme Plett, vous prenez beaucoup d’espace ici, et il serait beaucoup mieux utilisé par quelqu’un d’autre. » À mon avis, les personnes handicapées ressentent exactement la même chose. Elles ont besoin d’être encouragées et de se faire montrer à quel point elles ont de la valeur grâce à leur sagesse et à leurs connaissances. Elles ont besoin d’encouragements.
Ce sont les patients qui devraient toujours être à l’origine des demandes de suicide assisté. Personne d’autre ne devrait proposer d’y avoir recours. Personne, qu’il s’agisse d’un membre de la famille ou d’un médecin. C’est quelque chose que le patient doit vouloir sincèrement. Merci de votre question.
L’honorable Ratna Omidvar : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Plett : Oui, certainement.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le sénateur. Je souhaite revenir plus particulièrement sur vos observations concernant les personnes handicapées. J’ai entendu ce que vous avez dit, et j’ai lu et entendu le témoignage de Catherine Frazee et d’autres personnes handicapées; j’ai beaucoup de sympathie pour les personnes qui sont dans cette position. Je crois, comme l’a dit le sénateur Munson, que nous devrions leur donner toutes les chances de vivre dans la dignité. C’est un point important.
Cependant, j’aimerais que vous nous disiez ce que vous pensez du point de vue de Nicole Gladu, qui a un handicap et qui est l’une des deux personnes au Québec dont l’affaire s’est rendue devant la Cour supérieure du Québec. Les décisions dans ces deux affaires nous ont amenés au point où nous en sommes aujourd’hui. Mme Gladu a déclaré que chaque cas est différent et doit être évalué en fonction des circonstances qui lui sont propres, et que le fait d’exclure toutes les personnes qui ne sont pas en fin de vie naturelle est une violation des droits que leur confère la Charte. Que lui diriez-vous?
Le sénateur Plett : Sénatrice Omidvar, d’emblée, je me dirais heureux de ne pas avoir à lui répondre. Je le dis très sincèrement. J’ignore ce qu’endurent ces personnes, sénatrice Omidvar. Je suis foncièrement contre le fait qu’une personne puisse se suicider ou qu’on aide une personne à se suicider. C’est dans mon sang, pour ainsi dire. C’est une conviction. J’ai été élevé ainsi. Je veux vous faire comprendre ce qui motive mon point de vue.
Or, si je fais abstraction de cela, je dirais qu’il ne devrait peut-être pas y avoir de règle universelle. Je parle des lacunes et des faiblesses inhérentes au projet de loi qui font que des personnes souhaitant vivre pourraient subir des pressions pour mettre fin à leurs jours. Voilà de quoi je parle. Je ne parle pas de personnes en pleine possession de leurs facultés. Nous n’en sommes pas encore là. Je ne suis pas en faveur du suicide assisté pour les personnes dont la seule raison de la demande est un trouble ou une maladie mentale. Si la personne est en pleine possession de ses facultés, c’est autre chose.
Encore une fois, j’ai eu une conversation avec mon bon ami Steven Fletcher, que beaucoup connaissent. Il a traversé d’horribles épreuves et il m’a dit que, pendant de nombreuses années, il souhaitait mourir. Lorsque l’on discute avec une personne comme lui, on arrive à une décision différente que si l’on discutait avec Roger Foley.
Voilà pourquoi, sénatrice, je crois que nous devons prendre une décision globale sur ce qui ne peut pas être fait, parce que si l’on considère individuellement les cas, chaque cas sera unique. Je suis désolé. Cela ne répond probablement pas à votre question, sénatrice, mais c’est probablement le mieux que je puisse faire à ce sujet.
La sénatrice Omidvar : Sénateur Plett, selon mon expérience, aussi limitée soit-elle, les personnes handicapées qui ont toute leur tête réussissent souvent très bien à défendre leurs intérêts, étant donné qu’elles doivent négocier au quotidien d’une manière que vous et moi ne pouvons pas nous imaginer, puisque nous ne sommes pas handicapés. Je crois que si ces personnes font leurs propres choix en fonction de leur vie et de leur réalité, je vous dirais : qui sommes-nous pour les empêcher de bénéficier de ces modifications à la loi?
(1630)
Le sénateur Plett : Permettez-moi de répondre par une autre question. Un jour, si je n’en peux plus de vivre, devrais-je pouvoir prendre une arme à feu pour m’enlever la vie? Plusieurs me diraient peut-être « oui, tu devrais pouvoir le faire, Don », mais j’espère qu’ils seraient plus nombreux à me dire « non ».
Vous demandez simplement : qui sommes-nous pour empêcher une personne de demander le suicide assisté ou qui sommes-nous pour empêcher une personne de se suicider? Il faut d’abord et avant tout miser sur notre système d’aide, parce qu’il s’agit de mettre fin à la vie. Tâchons de trouver des moyens d’inciter les personnes à vivre, au lieu de les inciter à mourir.
L’honorable Mary Coyle : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Plett : Oui.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie infiniment, sénateur Plett, de votre discours et de votre importante contribution au débat du Sénat sur le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Comme les autres intervenants qui se sont exprimés avec éloquence jusqu’à présent, vous nous avez aidés à soumettre ce projet de loi important sur le plan sociétal à un second examen objectif. Vous avez soulevé dans vos observations des questions d’une importance fondamentale. Comme vous, je suis convaincue que nous avons tous de vives préoccupations sur le plan intellectuel, éthique, moral et spirituel en étudiant ce projet de loi qui nous oblige à trouver le juste équilibre entre les avantages que cette modification importante au Code criminel peut apporter à la population canadienne et l’importance d’éviter ses effets préjudiciables pour les Canadiens, en particulier ceux qui sont les plus vulnérables.
Sénateur Plett, vous avez tenu un discours éloquent et éclairé sur les possibles effets préjudiciables du projet de loi C-7. Sachez que je partage nombre de vos préoccupations. J’estime notamment qu’il est impératif d’entendre l’avis des personnes handicapées, de leurs familles et des organismes qui les représentent. Ces organismes nous ont demandé de veiller à ce que notre société se penche avant tout sur les façons d’améliorer les possibilités qui sont offertes aux personnes qu’ils représentent afin qu’elles puissent vivre dans la dignité. Ces intervenants ont aussi demandé à être consultés plus en profondeur au sujet du projet de loi C-7, notamment en ce qui a trait aux mesures de sauvegarde.
Je souhaite vous poser une question semblable à celle de la sénatrice Omidvar : comment, à votre avis, devrions-nous répondre aux Canadiens vulnérables qui nous demandent de les écouter et de respecter leur souhait d’obtenir un soulagement final à leurs souffrances intolérables, c’est-à-dire l’accès à l’aide médicale à mourir, pour qu’ils puissent mourir dans la dignité? Que devrions-nous dire à ces personnes qui, comme la regrettée Audrey Parker, sont mourantes, mais qui n’ont pas actuellement le droit de donner leur consentement préalable et qui choisissent donc, malheureusement, de mourir plus tôt qu’elles n’auraient choisi de le faire autrement, de peur de perdre la capacité de donner leur consentement?
Que devrions-nous dire aux personnes handicapées partout au Canada qui nous disent que leurs souffrances et leur état sont à ce point graves qu’elles veulent avoir le même accès à l’aide médicale à mourir que celui accordé à M. Truchon par la Cour supérieure du Québec?
Comment pouvons-nous concilier ces questions, ces demandes concernant le respect des droits avec nos préoccupations concernant les dommages possibles dont vous avez parlé? C’est vraiment de cela qu’il est question dans ce débat. Je tiens sincèrement à le savoir, sénateur Plett, et croyez-moi, je n’ai pas la réponse, mais j’aimerais savoir quelles pourraient être vos réponses à ces questions. Merci.
Le sénateur Plett : Sénatrice Coyle, pour répondre simplement à votre question, comme je l’ai déjà dit, je n’ai pas non plus de réponse à tout cela.
En gros, je préférerais m’asseoir au chevet d’une personne pour lui donner d’innombrables raisons de vivre et la soutenir en lui fournissant des soins palliatifs appropriés. Mais on dit essentiellement — c’est-à-dire le gouvernement — qu’au lieu d’investir davantage dans les soins palliatifs, il faudrait plutôt trouver un moyen de permettre aux gens de hâter leur mort.
Madame la sénatrice, quand nous considérons des situations comme celle de Sean Tagert ou comme celles… Je vais parler d’un cas survenu à Landmark, dans ma collectivité, et qui me touche de très près. En effet, une jeune femme de ma famille est décédée, et les dernières semaines de sa vie, elle ne pouvait bouger que les paupières. C’était tout ce qu’elle pouvait faire. Mais jusqu’à la toute fin, quand elle pouvait encore communiquer, sa famille était à son chevet. Ils l’ont soutenue. Elle a reçu tous les soins dont elle avait besoin, et elle voulait vivre. Elle voulait que ses enfants soient à ses côtés jusqu’à ce qu’elle s’éteigne naturellement.
De toute évidence, la situation se décline de diverses façons. Comment puis-je répondre à une question qui ne m’a pas touché personnellement? Je peux vous donner l’exemple de quelqu’un qui voulait vivre. Néanmoins, j’estime que tant qu’on n’a pas tenté par tous les moyens d’améliorer la vie d’une personne, il ne faut pas essayer de trouver des moyens de hâter sa mort.
L’honorable Salma Ataullahjan : Sénateur Plett, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Plett : Certainement, madame la sénatrice.
La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Plett, on m’a demandé hier combien de groupes racialisés et combien de groupes confessionnels avaient été consultés, mais je n’ai pas obtenu de réponse. J’aurais peut-être dû poser la question au leader du gouvernement au Sénat. Je me demande si vous le savez, si vous avez une réponse à me donner.
Le sénateur Plett : Malheureusement, sénatrice Ataullahjan, je ne sais pas si des groupes racialisés ou confessionnels ont été consultés. On nous a dit à maintes reprises que le gouvernement avait mené de vastes consultations. Pourtant, les témoins au comité ont affirmé que les consultations étaient insuffisantes ou qu’il n’y en avait eu aucune. Ce que je sais, comme je l’ai dit plus tôt, c’est qu’aucun groupe inuit ou métis n’a été consulté. Les communautés autochtones ont été très peu consultées.
En ce qui concerne les groupes confessionnels, nous avons entendu les points de vue d’un certain nombre d’organisations, y compris le Conseil canadien des imams, l’Église Unie et la Conférence des évêques catholiques du Canada, pour n’en nommer que quelques-unes. Tous les groupes confessionnels s’opposaient aux changements prévus dans le projet de loi, mais ils n’ont pas été consultés.
Enfin, à ce que je sache, aucun groupe racialisé n’a été consulté. Chose certaine, sénatrice Ataullahjan, le gouvernement — je ne sais pas si j’ai besoin d’en ajouter — aurait eu amplement le temps de le faire. Il a eu 16 mois. Oui, des élections ont eu lieu, mais les libéraux ont ensuite prorogé le Parlement. Puis, il a fallu attendre deux mois avant qu’ils agissent. Ce projet de loi porte le numéro C-7. Pourquoi n’est-il pas le projet de loi C-2? Pourquoi ne l’ont-ils pas présenté plus tôt? C’est le projet de loi C-7. Ils ont présenté toutes sortes d’autres mesures législatives dont nous n’avons pas encore été saisis. Puis, au bout du compte, ils doivent précipiter l’adoption de ce projet de loi.
Sénatrice, vous, moi et tous nos collègues ici avons approuvé, durant la pandémie, des projets de loi d’initiative ministérielle prévoyant des centaines de milliards de dollars de dépenses. Ces projets de loi laissaient à désirer, mais le gouvernement les renvoyait en toute hâte au Sénat et nous donnait un jour pour les approuver. Il nous faisait savoir que si nous ne les approuvions pas, il dirait à tous les Canadiens que nous ne voulions pas les aider.
(1640)
C’est de cette façon que le gouvernement a traité le projet de loi à l’étude. Le sénateur Munson a demandé ce que nous devrions faire. Je pense que nous pouvons montrer aux Canadiens ce que le Sénat doit faire quand le gouvernement présente une mesure législative sans mener les consultations appropriées et qu’il désire que nous l’adoptions à toute vapeur. Je crois que nous devrions demeurer inébranlables. Nous devrions peut-être trouver un moyen de consulter les groupes mentionnés, mais le travail qui a été fait est insuffisant.
La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie de votre réponse, sénateur Plett. Je vous ai posé cette question parce que, en tant que musulmane, je me sens responsable des 1,5 ou 1,6 million de musulmans canadiens, et que ces derniers me poseront des questions. Il semble que je n’ai pas de réponse à leur donner. Si le gouvernement a consulté un seul imam pour 1,5 ou 1,6 million de personnes, ce n’est pas suffisant.
Je vais maintenant vous poser une question que j’ai posée hier au sénateur Gold. Plus tôt cette année, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a averti que, si toutes les personnes qui sont malades ou qui présentent une incapacité, mais qui ne sont pas en phase terminale, avaient accès à l’aide médicale à mourir, la société pourrait en conclure que la mort vaut mieux que la vie avec un handicap.
Sénateur Plett, y a-t-il un moyen de nous assurer qu’une personne qui demande l’aide médicale à mourir n’a pas fait ce choix en raison de préjugés sociaux, de l’isolement ou d’un manque d’accès à une aide personnelle ou à des services adaptés à son handicap?
Le sénateur Plett : Tout d’abord, lorsque vous dites que vous ne savez pas quoi répondre aux personnes que vous représentez, je pense que vous pouvez dire à la communauté musulmane et aux imams qu’ils n’ont pas été singularisés. On n’essaie pas de s’en prendre à eux. Le gouvernement n’a consulté personne, donc vous ne l’avez pas été non plus.
La réponse à votre deuxième question, sénatrice Ataullahjan, porte sur ce que je dis depuis le début. Il faut que nous trouvions un moyen de convaincre les personnes malades, handicapées et qui ne peuvent pas contribuer à la société autant qu’elles le voudraient, qu’elles apportent effectivement une contribution. Elles sont importantes même si elles ne peuvent plus bouger les bras ou les jambes.
Tant que nous cherchons des moyens de les laisser mourir — plutôt que vivre — dans la dignité, c’est exactement ce que nous ferons, car n’est-ce pas la solution de facilité? Adopter ce projet de loi, sénatrice, est la solution de facilité. Si nous voulons prendre la décision qui s’impose, même si elle est difficile, nous devons modifier le projet de loi ou le rejeter.
L’honorable Patricia Bovey : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Plett?
Le sénateur Plett : Certainement.
La sénatrice Bovey : J’apprécie ce que vous avez dit. D’ailleurs, je tiens à féliciter tous ceux qui ont pris la parole au sujet du projet de loi. J’ai trouvé le niveau des débats excellent et j’apprécie l’honnêteté des intervenants et les préoccupations qu’ils soulèvent.
Si je peux me permettre, j’ai eu à traiter des questions liées à l’ensemble du processus des soins palliatifs et, à chacune des étapes de ce processus, je dois dire que des décisions difficiles doivent être prises.
Sénateur Plett, je suis d’accord avec vous pour ce qui est de vivre dans la dignité, mais je crois aussi à la mort dans la dignité. Je crois que, lorsqu’il s’agit de questions difficiles du genre, si on prend une vue d’ensemble et qu’on tient compte des différentes opinions, on soulève des enjeux contradictoires.
Je voudrais, si vous le permettez, vous parler d’une lettre que j’ai reçue d’une amie. Nous avons ensuite eu une conversation. Son mari est décédé paisiblement après avoir reçu l’aide médicale à mourir à son domicile, sa femme à ses côtés, le 26 octobre. C’était un très brillant avocat. Il s’est battu contre le cancer des os pendant 10 ans et, pendant toute cette période, il a réussi à maintenir une bonne qualité de vie. Cependant, plus tôt cet automne, il a reçu un diagnostic de cancer du pancréas et c’est à ce moment qu’il a décidé de mettre fin à ses jours. Il voulait absolument mourir dans la dignité, de la même manière qu’il avait vécu dans la dignité.
Le problème auquel ils ont été confrontés — et dont nous avons longuement débattu hier soir — était la période d’attente de 10 jours qui est actuellement prévue par la loi. Dans son cas, c’était vraiment difficile parce que sa situation médicale était telle que sa qualité de vie diminuait et ses douleurs augmentaient. Finalement, il a arrêté de prendre de la morphine afin de pouvoir être en pleine possession de ses facultés le 10e jour pour confirmer la décision qu’il avait prise.
Je sais que certains disent qu’un délai de 10 jours est un trop long. D’autres disent que ce n’est pas assez long. Je sais que je m’éloigne un peu du sujet dont vous parlez, sénateur Plett, mais j’aimerais beaucoup entendre ce que vous pensez de la situation d’un citoyen canadien éloquent et accompli qui a pris une décision après avoir réfléchi mûrement et attentivement à la question.
Son épouse m’a dit ceci :
Celui qui aura été mon époux pendant 40 ans est décédé, mais le fait que j’aie pu partager cette expérience avec lui dans notre maison et savoir avec certitude qu’il a atteint son objectif de mourir dans la dignité a énormément contribué à ma propre guérison.
Je connais bien ces situations de guérison. J’aimerais donc avoir votre avis sur la période d’attente de 10 jours qui est actuellement prévue par la loi et la modification proposée dans le projet de loi.
Le sénateur Plett : Je vous remercie, sénatrice Bovey. Je vous assure, madame la sénatrice, que je crois fermement qu’il faut faire en sorte que les gens meurent dans la dignité. En fait, je m’insurge plutôt contre l’idée de hâter la mort.
Je n’étais pas au chevet de ma belle-mère lors de son décès. Nous sommes arrivés trois minutes après. Toutefois, j’étais auprès de mon beau-père lorsqu’il a rendu son dernier soupir. J’étais aussi au chevet de mon père lorsqu’il est décédé. Tous les deux sont morts dignement et sans avoir demandé d’aide. Ils ont reçu de la morphine jusqu’à la toute fin, mais ils sont morts dans la dignité. Je ne crois pas qu’il faille hâter la mort pour qu’elle soit digne.
En ce qui concerne le monsieur dont vous parlez, il était heureusement lucide à la toute fin, mais c’est loin d’être le cas de tout le monde. À défaut d’une période de réflexion, une personne aux prises avec des douleurs extrêmes prend une décision... J’ai parlé plus tôt de cette dame aux Pays-Bas qui a manifesté de la résistance physique au moment où on lui a injecté la substance pour mettre fin à ses jours. Il doit y avoir une période de réflexion, car les gens peuvent changer d’avis.
Je ne connais pas le cas de la personne dont vous parlez, sénatrice Bovey, et je ne veux donc en aucun cas juger de la décision qu’elle a prise. J’ignore également si cette personne aurait pris une décision différente si la période de réflexion n’avait pas été mise en place. Toutefois, je pense que la période de réflexion de 10 ou 14 jours représente une mesure de sauvegarde qui doit absolument rester en place. Je souhaiterais même que cette période soit plus longue. Les gens peuvent passer de mauvaises journées et de mauvaises semaines, mais leur état peut s’améliorer un peu pendant quelques semaines.
Je suis préoccupé par l’élimination de plusieurs mesures de protection, car ces dernières ont été mises en place pour une raison spécifique. C’est pourquoi j’ai interrogé hier la sénatrice Batters sur le scénario de la pente glissante. Je pense que chaque décision que nous prenons nous entraîne un peu plus loin sur cette fameuse pente glissante.
À mon avis, sénatrice Bovey, nous devrions conserver ces mesures de sauvegarde, voire élargir leur portée.
(1650)
La sénatrice Bovey : Sénateur Plett, je ne suis pas certaine si je vais poser une question ou seulement faire un commentaire. La veuve m’a également dit ceci :
Mon époux accordait beaucoup d’importance à la qualité de vie, et non à sa durée. Lui seul pouvait définir cette qualité.
Son époux et elle savaient que s’il prenait la morphine dont il avait besoin contre la douleur au cours des derniers jours, il n’aurait pas été lucide le 10e jour, alors qu’il devait prendre sa décision. Il n’a donc pas pris de morphine.
Elle a ajouté — et j’aimerais savoir ce que vous en pensez :
Je peux affirmer sans équivoque que le processus comprend tellement de mécanismes de contrôle que ces derniers obstacles toujours en vigueur — et qui sont visés par les modifications — sont inutiles et cruels.
Comment trouvons-nous le juste milieu, sénateur Plett, entre donner aux gens le temps dont ils ont besoin — et vous avez bien raison, les gens ont leurs bons et mauvais jours — et nous attaquer à ce qui est inutile et cruel? Selon vous, comment devrions-nous définir cet équilibre alors que nous étudions le projet de loi?
Le sénateur Plett : Je peux uniquement répondre en disant que, à mon avis, il n’est pas cruel de tenter de garder une personne en vie. Je crois que c’est utile et que c’est ce que nous devrions faire.
L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7, une étape du processus parlementaire qui est définie comme suit dans la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, publiée en 2009 :
L’étape de la deuxième lecture se caractérise par la tenue d’un débat général sur le principe du projet de loi. Le Règlement ne mentionne pas expressément cette pratique, mais celle-ci est profondément ancrée dans la tradition procédurale de la Chambre. Le débat doit donc porter sur le principe du projet de loi et non sur ses dispositions particulières.
Autrement dit, notre vote à l’étape de la deuxième lecture vise à appuyer ou non le principe du projet de loi, qui est d’étendre l’accès à l’aide médicale à mourir.
Le projet de loi découle d’un jugement de la Cour supérieure du Québec rendu le 11 septembre 2019, qui a rejeté les arguments du procureur général du Canada et du procureur général du Québec sur la validité de l’un des critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir qui se trouve dans le Code criminel, soit le critère de la « mort naturelle raisonnablement prévisible », ainsi que du critère de « fin de vie » de la Loi concernant les soins de fin de vie du Québec.
Ceux qui étaient au Sénat en juin 2016 quand le projet de loi C-14 a été adopté se rappelleront que la majorité des sénateurs estimaient que ce critère allait à l’encontre de l’article 7 de la Charte des droits et libertés. En ce qui concerne l’article 7 de la Charte, la Cour suprême du Canada s’est exprimée en ces termes dans une décision unanime rendue en 2015, dans l’affaire Carter c. Canada , disant :
[...] nous ne sommes pas d’avis que la formulation existentielle du droit à la vie exige une prohibition absolue de l’aide à mourir, ou que les personnes ne peuvent « renoncer » à leur droit à la vie. Il en résulterait une « obligation de vivre » plutôt qu’un « droit à la vie », et la légalité de tout consentement au retrait d’un traitement vital ou d’un traitement de maintien de la vie, ou du refus d’un tel traitement, serait remise en question. Le caractère sacré de la vie est une des valeurs les plus fondamentales de notre société. L’article 7 émane d’un profond respect pour la valeur de la vie humaine, mais il englobe aussi la vie, la liberté et la sécurité de la personne durant le passage à la mort. C’est pourquoi le caractère sacré de la vie « n’exige pas que toute vie humaine soit préservée à tout prix ». Et pour cette raison, le droit en est venu à reconnaître que, dans certaines circonstances, il faut respecter le choix d’une personne quant à la fin de sa vie.
Cependant, le gouvernement et la Chambre des communes ont refusé l’amendement du Sénat, et le Sénat a finalement décidé de ne pas insister. Comme prévu, le critère a été rapidement remis en question. Dix jours seulement après l’adoption du projet de loi C-14, Julia Lamb, une femme dans la vingtaine atteinte d’amyotrophie spinale, et l’association des libertés civiles de la Colombie-Britannique ont lancé une contestation constitutionnelle devant la Cour suprême de Colombie-Britannique.
Le 13 juin 2017, la Cour supérieure du Québec a été saisie d’une autre contestation par Jean Truchon et Nicole Gladu.
[Français]
M. Truchon était alors âgé de 49 ans. Depuis sa naissance, il était atteint d’une paralysie cérébrale spastique avec triparaisie. Cette condition l’a laissé complètement paralysé, à l’exception de son bras gauche, qui était fonctionnel et qui lui a permis, jusqu’en 2012, d’effectuer certaines tâches quotidiennes et de se déplacer en fauteuil roulant. M. Truchon a reçu l’aide médicale à mourir en avril dernier.
Mme Gladu, aujourd’hui âgée de 74 ans, est née avant l’époque de l’inoculation généralisée au vaccin contre la poliomyélite. Elle a contracté une forme paralysante aiguë de la maladie à l’âge de 4 ans et y a survécu. Elle en est ressortie avec des séquelles importantes, notamment une paralysie résiduelle du côté gauche et une scoliose sévère causée par la déformation progressive de sa colonne vertébrale.
Leur dossier a été mis en état, puis entendu au début de 2019. Le procès a duré 31 jours et s’est étalé sur deux mois. Vingt-quatre témoins ont été entendus, dont 17 experts. La cour a aussi entendu huit intervenants, y compris des représentants du Conseil des Canadiens avec déficiences, de l’Association canadienne pour l’intégration communautaire, de l’Alliance des chrétiens en droit, du Collectif des médecins contre l’euthanasie et de Dying With Dignity Canada. Plusieurs de ces groupes sont d’ailleurs venus témoigner de nouveau devant le Comité des affaires juridiques il y a deux semaines.
Le 11 septembre 2019, après six mois de réflexion, la juge Baudouin a rendu sa décision, soit un peu plus de deux ans après le début des procédures judiciaires, ce qui est normal pour un dossier de cette nature. Au sujet de l’exigence de la mort imminente, la juge Baudouin a écrit ce qui suit :
La restriction imposée par l’État selon laquelle la mort doit être raisonnablement prévisible avant de pouvoir demander l’aide médicale à mourir a une portée excessive puisqu’elle empêche certaines personnes, comme M. Truchon et Mme Gladu, capables et bien renseignées, qui satisfont à toutes les autres conditions protectrices de la loi et qui expriment un désir rationnel de mettre fin à leur souffrance à cause de leur condition grave et irréversible, de demander cette aide.
La juge Baudouin poursuivait ainsi :
En ce sens, la restriction excède largement l’objectif visé à un point tel qu’elle ne possède aucun lien véritable avec l’objectif de protéger des personnes vulnérables qui pourraient être incitées à mettre fin à leur vie dans un moment de détresse. Elle leur impose plutôt de devoir faire le choix cruel dont parle la Cour suprême...
— dans l’arrêt Carter —
... en ce qu’elle les force soit à souffrir de manière intolérable pour un temps indéfini qui peut durer des mois, voire des années, ou à mettre fin à leur vie par leur propre moyen, tout cela pour satisfaire à un principe de précaution général.
(1700)
Il est intéressant de noter que le principe de précaution général a aussi été rejeté récemment par la Cour suprême du Canada dans le jugement Procureur général de l’Ontario c. G, auquel les sénateurs Gold et Carignan ont fait référence dans leurs excellents discours.
Je reviendrai sur cet arrêt dans le cadre de l’étude du comité et à l’étape de la troisième lecture, mais, pour l’instant, je m’en tiendrai au principe du projet de loi C-7, soit l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir.
[Traduction]
Nous nous rappelons tous qu’au moment où la décision Truchon a été rendue, nous étions en pleine élection générale. En fait, le Parlement a été dissous la journée même où le jugement a été rendu public, le 11 septembre 2019. Le 3 octobre, le gouvernement du Québec annonçait qu’il n’allait pas interjeter appel de la décision. Une semaine plus tard, le 10 octobre, durant le débat électoral en français, le premier ministre Trudeau a fait une annonce similaire.
Autrement dit, les deux ordres de gouvernement ont décidé de ne pas se prévaloir de leur droit de porter la cause en appel devant la Cour d’appel du Québec. Il est fort probable qu’un arrêt de cette cour dans cette affaire aurait été recevable par la Cour suprême du Canada. Certains témoins et certains sénateurs considèrent qu’il n’était pas judicieux de ne pas porter la cause en appel. Bien que je respecte leur opinion, je ne suis pas d’accord.
Bien sûr, interjeter appel aurait donné quelques années de plus aux deux ordres de gouvernement avant d’avoir à rendre une décision, le temps que la Cour suprême du Canada mène à bien son processus d’appel. Les deux gouvernements ont plutôt décidé de braver la tempête, sachant qu’en définitive, c’est aux législateurs, et non aux tribunaux, qu’il revient de définir les paramètres de l’accessibilité à l’aide médicale à mourir et les mesures de sauvegardes connexes.
Bien entendu, les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde adoptés par le Parlement ou par une province doivent être conformes à la Charte des droits et libertés. À ce sujet, les rôles institutionnels des tribunaux et des parlements sont différents, comme l’a récemment déclaré la Cour suprême dans l’affaire Ontario c. G :
[...]la législature est souveraine en ce sens qu’elle jouit du pouvoir exclusif d’adopter, de modifier et d’abroger des lois comme elle l’entend, tandis que les tribunaux demeurent les gardiens de la Constitution et des droits qu’elle confère aux particuliers.
Chers collègues, on entend souvent dire que les politiciens se cachent derrière la toge des juges pour éviter de prendre des décisions difficiles. Cette fois-ci, cependant, les deux gouvernements ont décidé d’agir. Ils l’ont fait en tenant compte des enseignements tirés non seulement de la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon, mais aussi de celle de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Carter et des décisions prises par le Sénat en 2016.
Pourquoi? La réponse à cette question a été donnée à de nombreuses reprises. C’est parce que les deux gouvernements croient aux principes d’autonomie et d’égalité des individus, notamment le droit de ne pas être forcé de recourir à d’autres solutions inhumaines comme refuser de se nourrir et de s’hydrater, ou utiliser un moyen violent pour mettre fin à leurs souffrances persistantes et intolérables.
Tous les Canadiens ont été informés de la décision du gouvernement Trudeau. Les Canadiens ont eu l’occasion d’interroger tous les candidats sur la décision de ne pas faire appel dans l’affaire Truchon, et donc sur la décision même d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir.
La semaine dernière, ceux qui ont été élus lors des dernières élections générales ont parlé haut et fort. Le projet de loi C-7 a été adopté par 213 voix pour et 106 contre. Dans cette majorité, de 2 contre 1, il y a des membres de tous les partis de la Chambre des communes, dont 13 députés conservateurs, tous les députés du Bloc et du NPD présents alors et tous les députés verts et presque tous les députés libéraux; c’est important de le dire. Ce résultat est vraiment significatif compte tenu de la nature du projet de loi, de sa complexité et de l’ensemble plus vaste de questions difficiles qu’il soulève sur les plans juridique, social, personnel et éthique.
Chers collègues, c’est dans ce contexte que nous devons maintenant voter à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-7.
Je sais que certains d’entre vous, comme de nombreux témoins que nous avons entendus au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, s’opposent à l’aide médicale à mourir sous quelque forme que ce soit. Je respecte votre opinion, mais le projet de loi C-7 ne doit pas être perçu comme une autre occasion de s’opposer au principe de l’aide médicale à mourir.
Comme l’a déclaré la Cour suprême, le gouvernement a le devoir constitutionnel de fournir l’aide médicale à mourir aux Canadiens qui veulent mettre un terme à leurs souffrances persistantes et intolérables causées par une maladie grave ou irrémédiable, et qui souhaitent le faire paisiblement, en lieu sûr, entourés de leurs proches. C’est une question de respect pour la dignité et l’autonomie de tous les citoyens dans une démocratie. C’est pour ces raisons que je voterai en faveur du projet de loi C-7 à l’étape de la deuxième lecture, projet de loi qui vise à mettre fin à la négation d’un droit constitutionnel garanti en vertu de l’article 7 de la Charte.
Cela ne veut pas dire que je suis d’accord avec toutes les parties du projet de loi. Comme vous le savez, j’ai exprimé de sérieuses préoccupations quant à l’exclusion proposée des personnes dont la maladie mentale est la seule condition sous-jacente. D’autres pourraient souhaiter davantage de mesures de sauvegarde par rapport à des situations particulières. Je me réjouis donc à la perspective de débattre des différentes mesures proposées dans le projet de loi C-7 avec mes collègues du comité et à l’étape de la troisième lecture. Merci, meegwetch.
[Français]
L’honorable Diane Bellemare : Le sénateur Dalphond accepterait-il de répondre à une question?
Son Honneur le Président suppléant ։ Sénateur Dalphond, acceptez-vous de répondre à une question de la part de la sénatrice Bellemare?
Le sénateur Dalphond : Oui, si on m’accorde du temps supplémentaire pour répondre à la sénatrice.
Son Honneur le Président suppléant ։ Vous disposez de 37 secondes.
Le sénateur Dalphond : Puis-je avoir cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
La sénatrice Bellemare : Sénateur Dalphond, étant donné que vous avez été juge à la Cour supérieure et à la Cour d’appel du Québec, j’en appelle de votre expérience pour nous éclairer un peu plus sur la situation qui prévaudrait si le projet de loi C-7 n’était pas adopté. Qu’arriverait-il au Québec? Y aurait-il un vide juridique? Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet?
Le sénateur Dalphond : Je vous remercie, sénatrice Bellemare. C’est une question intéressante et fort importante. Comme vous le savez, le gouvernement a déposé une demande de prolongation. Celle-ci sera entendue demain par la Cour supérieure du Québec.
La situation juridique au Québec est la suivante : à la suite du jugement rendu par la Cour supérieure en septembre 2019, la partie de la loi qui exige que la mort de la personne soit imminente est invalide, inconstitutionnelle et non applicable. Cependant, à la demande des procureurs généraux, le jugement a été suspendu et la Cour supérieure a accordé un délai de six mois, ce qui signifie que la déclaration d’inconstitutionnalité ne s’appliquera pas pendant six mois. Ce délai est relativement court, parce que la norme est plutôt de 12 mois. Cela dit, la Cour supérieure a renouvelé la prolongation du délai à deux occasions. Une autre demande lui a été présentée en ce sens, ce qui donnera un délai d’environ 15 à 17 mois au total. Ce n’est pas très différent de la situation du jugement Carter, où la Cour suprême avait accordé 12 mois, ainsi qu’une prolongation du délai, à l’époque où le gouvernement était majoritaire.
Maintenant, qu’en est-il de la situation au Québec? Au Québec, la loi est inconstitutionnelle et la déclaration d’invalidité constitutionnelle ne s’applique pas. Si la Cour supérieure décide de prolonger encore le délai demandé, jeudi ou vendredi, cette déclaration d’inconstitutionnalité sera toujours sans effet au Québec jusqu’à la fin février. Entretemps, la loi continuera de s’appliquer au Québec.
Si, par ailleurs, la Cour supérieure décide de ne pas renouveler la prolongation du délai, le jugement prendra effet et la disposition exigeant que la mort soit imminente ne sera plus applicable au Québec. Cela signifie que le Québec ne se retrouvera pas devant un vide juridique, car la loi s’appliquera sans l’exigence selon laquelle la mort doit être imminente. Ainsi, lorsque des médecins recevront une demande d’aide médicale à mourir dans ces circonstances, ils devront décider d’en prendre le risque et de s’exposer à des poursuites criminelles de la part de la Couronne ou d’un citoyen.
(1710)
Dans les autres provinces, si l’effet n’était pas suspendu, ce jugement ferait en sorte que, dès demain matin au Nouveau-Brunswick, en Alberta, ou en Colombie-Britannique, toute personne pourrait demander l’aide médicale à mourir et faire une requête pour obtenir une exemption constitutionnelle à laquelle le procureur général du Canada ne pourrait pas s’opposer, parce qu’il ne pourrait pas affirmer que l’exigence contenue dans le Code criminel s’applique en Ontario ou au Nouveau-Brunswick et qu’elle est constitutionnelle. Le procureur général a reconnu qu’elle était inconstitutionnelle en ne faisant pas appel de la décision. Nous allons nous trouver dans la même situation que celle que nous avons connue dans l’affaire Carter, où, pendant un an, étant donné qu’il n’y avait pas de nouvelle loi, les parties se sont adressées aux cours supérieures pour demander des exemptions constitutionnelles. En Alberta, il y en a eu 25, et il y en a eu des centaines qui ont été demandées à travers le Canada, car il n’y avait plus de loi qui s’appliquait. C’est ce genre de situation d’anarchie totale qu’il faut éviter en demandant une nouvelle prolongation. J’espère que la Cour supérieure va nous l’accorder, et j’espère également qu’elle est soucieuse de maintenir la règle de droit et d’éviter l’anarchie au pays jusqu’à ce que le Sénat ait étudié le projet de loi C-7 et que le gouvernement en ait disposé. J’espère que cela répond à votre question, sénatrice.
La sénatrice Bellemare : J’ai une question complémentaire. Je comprends bien que la situation serait chaotique, mais le cas de l’avortement n’est-il pas semblable au cas de l’aide médicale à mourir? Il n’y a pas de pratique uniforme à travers le Canada. La question n’est pas réglée non plus en matière de droit criminel.
Son Honneur le Président suppléant ։ Sénateur, si vous voulez répondre à cette question, vous pouvez demander cinq minutes de plus. Il ne vous reste que 25 secondes.
Le sénateur Dalphond : Si la Chambre y consent, je demanderais cinq minutes de plus pour répondre à la question de la sénatrice Bellemare.
Des voix : D’accord.
Le sénateur Dalphond : Encore une fois, c’est une question très intéressante qui m’oblige à faire une distinction. Vous vous souviendrez que, en matière d’avortement, la loi a été déclarée inconstitutionnelle dans la décision Morgentaler. Par la suite, le gouvernement de l’époque a proposé un projet de loi qui a été adopté à la Chambre des communes, mais qui, à l’étape de la troisième lecture au Sénat, a reçu exactement le même nombre de votes pour et contre. Cela a fait en sorte que le projet de loi n’a pas été adopté. Le résultat de tout cela, c’est que, depuis ce moment-là, il n’y a pas de loi relative à l’avortement au Canada.
Ce n’est pas la même chose que ce qui se produit dans la situation actuelle, où le Code criminel s’applique toujours et où il y a un encadrement en place. Il n’y a pas d’encadrement en place en matière d’avortement.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Dalphond : Avec plaisir.
La sénatrice Omidvar : Merci, monsieur le sénateur, et merci de vos observations. J’aimerais parler un peu de l’exclusion des troubles de santé mentale dans cette modification législative de l’aide médicale à mourir. Beaucoup estiment que cette exclusion est inconstitutionnelle. Ils ont peut-être bien raison. Toutefois, à court terme, le projet de loi C-7 traite de son intention en ce qui a trait à la maladie mentale dans le préambule. Le préambule dit :
Attendu [...] que des consultations additionnelles et d’autres délibérations sont nécessaires pour décider s’il est indiqué de fournir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale lorsque celle-ci est la seule condition médicale invoquée et, le cas échéant, pour décider de la manière de le faire [...].
Je sais que les tribunaux ne tiennent pas compte des préambules. Toutefois, le préambule explique l’intention de la loi et cela, comme nous l’avons déjà entendu au Sénat, les tribunaux en tiennent compte dans leurs décisions. Ainsi, à court terme du moins, d’ici à ce que le gouvernement examine l’application du projet de loi C-14 et présente éventuellement un nouveau projet de loi, croyez-vous que l’exclusion pourrait, temporairement, résister à une contestation judiciaire?
Le sénateur Dalphond : Sénatrice Omidvar, je vous remercie de votre question. Bien sûr, je ne parlerai pas en tant que juge, car je ne suis plus juge. La question porte toutefois sur le sens de cette partie du préambule qui, je pense, illustre le principe de précaution. Il y a la question de l’opposition entre le principe de précaution et le droit garanti par la Constitution d’avoir accès à quelque chose. Si je me fie au jugement de la Cour supérieure du Québec et au récent arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Ontario c. G, je soupçonne que s’il faut trouver un juste milieu entre le principe de précaution et le droit à l’autonomie garanti par la Constitution, celui-ci penchera plus en faveur du droit constitutionnel que de la précaution.
La sénatrice Omidvar : Merci.
[Français]
L’honorable Claude Carignan : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Dalphond : Bien sûr, sénateur Carignan.
Le sénateur Carignan : Sénateur, je vous ai écouté parler et je ne suis pas sûr de vous avoir bien compris. Vous avez parlé d’anarchie. Je suis un peu estomaqué d’entendre cette expression. J’imagine que la langue vous a fourché parce que, dans tous les jugements de la juge Baudouin, dans tous les jugements au sujet de la prolongation des différentes ordonnances de suspension, on a dit que, de toute façon, même si cette prolongation n’était pas accordée, il n’y aurait pas de vide juridique. C’est seulement la notion de mort naturelle raisonnablement prévisible qui serait supprimée, et tout le cadre juridique qui a été adopté est conforme à l’arrêt Carter, avec des critères très spécifiques. On est loin de l’anarchie.
Le sénateur Dalphond : Le sénateur Carignan a raison de me corriger. Le mot « anarchie » n’est pas le bon mot. Je voulais dire que, comme la Cour suprême l’a dit, la suspension de l’application de la déclaration d’inconstitutionnalité vise à préserver la règle de droit et à faire en sorte qu’elle soit applicable de manière uniforme et qu’elle soit aussi respectée entretemps.
[Traduction]
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole afin de participer au débat au sujet du projet de loi C-7, qui a pour objet de modifier la législation relative à l’aide médicale à mourir. Mon intervention repose sur des discussions que j’ai eues avec des groupes qui campent des deux côtés du débat, certains qui appuient le projet de loi à l’étude et d’autres qui ont fait part de préoccupations quant au processus qui a mené à la présentation du projet de loi. Si, au départ, j’avais l’intention d’appuyer l’adoption du projet de loi, les informations que m’ont communiquées les intervenants autochtones et les fournisseurs de services, en particulier dans le milieu des personnes handicapées, me préoccupent beaucoup. Mon rôle en tant que sénatrice d’origine crie est de porter la parole de ces groupes.
Chers collègues, les enjeux liés aux consultations ne sont pas nouveaux et ils constituent un problème constant qu’aucun gouvernement ne semble prêt ou apte à prendre en compte et à régler. Tant que des consultations ne seront pas menées de façon exhaustive et responsable, nous risquerons toujours de violer non seulement les droits des populations autochtones du Canada, mais aussi ceux des populations non autochtones. Il y a aussi la possibilité de heurter émotivement et psychologiquement la communauté des personnes handicapées, qui craint que le projet de loi mène à des pertes de vie. Comment en sommes-nous encore arrivés là?
Honorables sénateurs, dans le cadre des conversations que j’ai eues au sujet de ce projet de loi crucial, j’ai parlé avec la Dre Sara Goulet, une professionnelle de la santé qui se rend en avion dans les communautés nordiques des Premières Nations pour leur fournir des soins de santé. La Dre Goulet est aussi responsable de clinique aux services de santé Ongomiizwin et doyenne associée aux admissions à la faculté de médecine Max Rady de l’Université du Manitoba. La Dre Goulet a participé, le 3 février 2020, à une table ronde sur l’aide médicale à mourir organisée par le ministre de la Justice, David Lametti, et le secrétaire parlementaire Arif Virani. Cette discussion visait à recueillir des perspectives autochtones sur ce qui allait devenir le projet de loi C-7.
(1720)
Une dizaine de personnes ont pris part à la réunion du 3 février. Sauf erreur de ma part, il s’agit de la seule fois de tout le processus législatif où le projet de loi C-7 a été discuté avec des Autochtones ou des organismes les représentant. Je dois avouer que cela me fait franchement tiquer, chers collègues. Une seule table ronde avec une poignée de participants, ce n’est pas ce qu’on peut appeler des consultations adéquates et encore moins exhaustives.
Voici ce que la Dre Goulet m’a alors dit :
La réunion elle-même portait sur la tenue de consultations adéquates, et c’est tout ce dont les participants ont parlé [...] or, le groupe n’a pas eu l’occasion de faire connaître son avis ni de présenter la perspective de tous les peuples autochtones du Canada.
Les participants ont expressément fait savoir aux représentants du gouvernement qui étaient présents qu’ils n’avaient pas eu l’impression de pouvoir véritablement donner leur avis ni transmettre l’information qui était attendue d’eux. Ils ont insisté sur le fait qu’ils ne pouvaient pas parler au nom des autres groupes, organismes et communautés autochtones. Il aurait dû s’agir d’un signal clair pour le gouvernement, qui aurait dû comprendre que cette table ronde ne pourrait jamais au grand jamais équivaloir à des consultations responsables.
Chers collègues, la Dre Goulet a aussi mentionné qu’elle était le seul médecin à prendre part à la réunion. Elle a indiqué que les participants voulaient mener une vaste consultation sur le sujet, dans diverses communautés autochtones, afin de commencer à saisir l’impact de la loi actuelle sur eux et leurs citoyens. De toute évidence, on n’a pas fait d’accommodements en ce sens. Dre Goulet a voulu me faire comprendre ceci :
Beaucoup de peuples autochtones ne savent pas que l’aide médicale à mourir peut être fournie. Ceux qui vivent dans des communautés isolées n’ont même pas eu l’occasion d’entendre parler de la loi.
Honorables sénateurs, on m’a fait savoir que les participants à cette réunion se disaient très préoccupés par le fait que les Autochtones du Canada ont un accès limité à des soins de santé efficaces et adaptés à leur culture. Cette expérience est aggravée par un accès insuffisant à des aliments, de l’eau potable, des logements sûrs et une éducation qui favorise les pratiques culturelles et la résilience. Les participants présents se demandaient comment des professionnels de la santé pouvaient être convaincus que toutes les autres options de traitement ou de services avaient été offertes au patient avant que celui-ci ne choisisse de mettre fin à ses jours.
Je cite Dre Goulet encore une fois :
Bref, nous n’en savons pas assez et nous n’avons pas mené suffisamment de consultations pour prendre de bonnes décisions concernant la politique de l’aide médicale à mourir et son impact sur les peuples autochtones du Canada.
Voilà toute une déclaration, chers collègues, et j’espère que tous la prendront au sérieux.
Par ailleurs, la Dre Goulet a généreusement indiqué son intention de participer à ce qu’elle a décrit comme « un véritable processus de consultation sur ce sujet », qui pourrait idéalement inclure d’autres professionnels de la santé et intervenants autochtones qui souhaitent discuter d’une question essentielle qui peut changer des vies.
Honorables sénateurs, j’ai aussi eu la chance de discuter avec M. Neil Belanger, directeur général de la British Columbia Aboriginal Network on Disability Society, ou BCANDS. Comme la Dre Goulet, M. Belanger faisait partie des participants à la table ronde de février dernier que j’ai mentionnée plus tôt. Il a dit ceci :
Il n’y a eu aucune consultation concrète auprès des peuples autochtones au sujet de ce projet de loi. À ma connaissance, il n’y a eu qu’une rencontre, à laquelle j’ai participé, mais peu de groupes autochtones y ont assisté, et personne à part la [BCANDS] n’a tenu compte des personnes handicapées.
Honorables collègues, étant donné que les militants pour les droits des personnes handicapées ont constamment exprimé leurs inquiétudes à l’égard de ce projet de loi, il est alarmant d’entendre M. Belanger dire que les problèmes qui sont soulevés maintenant — et qu’il avait déjà portés à l’attention des responsables du gouvernement en février — n’ont pas été pris en considération de manière adéquate.
Pendant nos délibérations, je trouve que c’est M. Belanger qui a le mieux décrit la situation en disant ceci :
Cela devrait être un motif suffisant pour abandonner les modifications proposées. Si nous voulons respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, l’autodétermination et la réconciliation, mais que cette mesure est imposée sans tenir compte des voix [des personnes handicapées autochtones], le Canada envoie un message clair à propos de son engagement envers ces processus.
[...] Nous ne pouvons pas, de bonne foi et en toute conscience, faire des recommandations qui excluraient les Autochtones handicapés de ce processus, ce qui les exposerait à encore plus de risques dans un système de santé où il a déjà été démontré que leur sécurité est précaire. Ce projet de loi doit être renvoyé à la Cour suprême, et les personnes handicapées, qu’elles soient autochtones ou non autochtones, doivent être incluses dans le processus.
Honorables sénateurs, pourquoi imposer aux personnes handicapées et aux Autochtones la responsabilité supplémentaire d’appuyer un projet de loi qui les expose personnellement à un risque accru? On leur dit essentiellement : « Nous vous demandons d’appuyer ce projet de loi, malgré le fait qu’il accentuera inévitablement vos souffrances. » Pourquoi les placer dans une situation où ils ont l’impression que la Cour suprême du Canada est leur seul mécanisme de sécurité — une option qu’ils peuvent difficilement se permettre?
Dans le cadre du débat, on a dit qu’il est inacceptable qu’une seule personne continue à vivre en souffrant inutilement. Je fais valoir qu’il est également inacceptable qu’une seule personne soit contrainte à recevoir l’aide médicale à mourir par un professionnel de la santé à la conduite immorale et indifférente.
Honorables collègues, les Autochtones au Canada ont déjà accès à une forme d’aide médicale à mourir, à cause du racisme systémique qui existe dans notre système de santé. Nous n’avons qu’à penser aux présumés professionnels qui étaient censés fournir des soins à Brian Sinclair et à Joyce Echaquan. Le racisme systémique est un problème fondamental, qui est grandement ignoré dans le projet de loi. Ce manque de considération pourrait avoir des conséquences mortelles. Est-ce vraiment un risque que nous souhaitons prendre?
Honorables collègues, je trouve stupéfiant que, dans cette Chambre de second examen objectif, on s’attende à ce que nous précipitions l’étude d’un projet de loi qui pourrait causer des torts incommensurables aux personnes handicapées et aux Autochtones du Canada. Ce projet de loi, en particulier à cause du deuxième volet des modifications qu’il propose et de l’administration de l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, est simplement trop précaire pour ces groupes marginalisés et vulnérables. Il s’agit d’une mesure législative sérieuse qui doit être étudiée sérieusement, et non approuvée sans discussion. C’est pour ces nombreuses raisons que j’hésite à appuyer ce projet de loi crucial qui, selon divers groupes, comporte des lacunes graves et fondamentales. Merci.
La sénatrice Ataullahjan : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Bien qu’il devait être au départ un mécanisme exceptionnel pour éviter les souffrances durant les dernières phases du processus de la mort, le projet de loi C-7, dans sa forme actuelle, nécessite encore des amendements majeurs, puisqu’il est discriminatoire envers les personnes handicapées, qu’il exclut les Canadiens souffrant de troubles mentaux et qu’il est devenu un processus lourd pour les patients qui n’en sont pas à la fin de leur vie.
Divers amendements ont été proposés au gouvernement, mais ils ont malheureusement tous été rejetés. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a mené une étude préalable sur ce projet de loi et il a présenté un rapport à ce sujet. Plus de 80 témoins ont exprimé leur point de vue aux membres du comité sur une période de cinq jours.
Les principales lacunes de ce projet de loi sont décrites dans le rapport du comité, daté du 10 décembre 2020. J’aimerais souligner certaines de ces préoccupations à l’égard de la Charte canadienne des droits et libertés, qui ont été exposées dans le rapport.
L’une des principales préoccupations à l’égard de la Charte concerne l’élimination du critère de la mort raisonnablement prévisible. Un patient dont la seule affection est un handicap ne pouvant pas être soulagé par notre système de santé pourrait devenir admissible à l’aide médicale à mourir. D’après d’importants organismes nationaux de défense des personnes handicapées, cette mesure législative serait discriminatoire envers les personnes handicapées.
Selon une enquête réalisée par le gouvernement en 2017, il y avait 6,2 millions de Canadiens handicapés, ce qui représente 22 % de la population canadienne. Près d’un quart de la population a au moins une incapacité.
(1730)
L’élimination de l’exigence voulant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible supprime une mesure de sauvegarde essentielle qui protège les personnes les plus vulnérables contre la possibilité qu’elles soient forcées de demander l’aide médicale à mourir.
En février dernier, une rapporteuse spéciale des Nations unies sur les droits des personnes handicapées a dit ceci :
Si toutes les personnes qui sont malades ou qui présentent une incapacité, mais qui ne sont pas en phase terminale, pouvaient obtenir l’aide médicale à mourir, la société pourrait en conclure que la mort vaut mieux que la vie avec un handicap...
Les gens devraient avoir le droit de mourir dans la dignité, mais ils ne devraient pas avoir le droit de mourir à cause de la stigmatisation sociale ou de la pénurie de soins et de services médicaux.
L’autre grande préoccupation liée à la Charte soulevée par le comité juridique est la mise en place d’une nouvelle procédure plus contraignante pour les patients qui ne sont pas en fin de vie. Des témoins ont insisté sur le fait qu’il est discriminatoire de supprimer des mesures de sauvegarde. L’opposition a également proposé quelques amendements au cours des dernières semaines pour corriger les principales lacunes du projet de loi C-7, mais ils ont tous été rejetés par le gouvernement.
Le premier des nombreux amendements que propose l’opposition concerne les droits et libertés des plus vulnérables d’entre nous. Veiller à l’instauration de mesures de protection est une tâche qui ne doit pas être prise à la légère. Il est malheureux que le procureur général souhaite supprimer la période d’attente de 10 jours relative à l’aide médicale à mourir. L’élimination de la période d’attente prescrite empêchera qu’une personne revienne sur sa décision quant à son maintien en vie ou à sa mort. Précipiter des décisions existentielles ne constitue pas une approche raisonnable pour les plus vulnérables.
Selon le premier rapport annuel concernant l’aide médicale à mourir produit en 2019, 3,6 % des patients qui ont fait une demande ont choisi de la retirer par la suite. Ce sont 263 personnes sur 7 336 qui ont changé d’idée. Prévoir une période donnant l’occasion aux personnes qui demandent l’aide médicale à mourir de changer d’idée est essentiel pour prévenir la mise en œuvre de décisions irréversibles.
L’opposition recommande également d’interdire aux professionnels de la santé d’aborder eux-mêmes le sujet de l’aide médicale à mourir avec leurs patients. Les médecins et les infirmières praticiennes devraient respecter des conditions structurelles strictes afin que les personnes vulnérables soient protégées contre la mort. Des 6,2 millions de Canadiens handicapés, 1,6 million n’ont pas les moyens d’obtenir l’aide, les appareils ou les médicaments sur ordonnance dont ils ont besoin. Les problèmes d’accès aux services médicaux requis ne devraient pas constituer une voie acceptable vers l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Seul le patient devrait pouvoir soulever la question de l’aide médicale à mourir et, à partir de ce moment, un professionnel de la santé pourra lui parler de cette possibilité comme dernier recours. C’est une autre mesure de protection que le gouvernement a rejetée.
Des mesures de sauvegarde additionnelles, fondées sur les opinions exprimées par tous les groupes de défense des droits des personnes handicapées qui s’opposent au projet de loi dans sa version actuelle, ont aussi été présentées au gouvernement. Le projet de loi C-7 rend la situation de ces personnes encore plus précaire en supprimant l’exigence selon laquelle deux témoins doivent signer les demandes d’aide médicale à mourir. En assouplissant les critères d’admissibilité de sorte qu’un seul témoin soit nécessaire, on encourage et accélère dans les faits la mort des patients au lieu de prolonger leur vie. Le rejet de ces recommandations se traduit en un élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir par le biais de l’abolition de mesures de sauvegarde cruciales.
J’ai eu le privilège de participer à la séance du 27 novembre du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Catherine Frazee, qui est professeure émérite à la School of Disability Studies de l’Université Ryerson, faisait partie des témoins ce jour-là. Étant elle-même handicapée, elle connaît bien la discrimination et l’inégalité que vivent les personnes ayant un handicap. Le comité a parfaitement compris son opposition au projet de loi C-7, surtout lorsqu’elle a dit ceci :
Chaque fois que nous sortons dans l’espace public, notre présence dérange, nos corps sont traités sans respect et nos façons d’être font peur et attirent la pitié. Cette inégalité, nous la sentons au plus profond de notre être, bien qu’elle soit restée invisible aux yeux des rédacteurs de ce projet de loi.
La professeure Frazee a livré un témoignage à la fois éloquent et très émouvant. Je suis certain que je n’étais pas la seule personne à avoir les larmes aux yeux ce jour-là. La professeure Frazee a expliqué avec beaucoup d’éloquence que la souffrance des personnes handicapées n’est pas causée par une maladie débilitante, mais plutôt par la négligence de la société à leur endroit. Sa déclaration et les 80 autres témoignages d’experts dans leurs domaines respectifs présentés sur une période de cinq jours m’ont laissée avec plus de questions que de réponses.
En effet, ce projet de loi vise à offrir aux Canadiens vivant avec une maladie chronique ou un handicap un choix et une dignité dans la mort qu’ils n’ont pas dans leur vie. La nature capacitiste de notre société peut donner aux personnes handicapées l’impression de constituer un fardeau pour leur famille, leurs amis et l’ensemble de la société.
Spring Hawes, une femme qui vit avec une lésion de la moelle épinière depuis 15 ans, a dit ceci :
En tant que personnes handicapées, nous sommes conditionnées de telle manière que nous nous voyons comme un fardeau. On nous inculque l’idée que nous devrions être désolés d’exister et reconnaissants de la tolérance de ceux qui nous entourent. On nous laisse souvent entendre que notre vie vaut moins que celle d’une personne sans handicap. Notre vie et notre survie dépendent de notre amabilité.
Ce point de vue rejoint les préoccupations du Dr Ho concernant le projet de loi C-7. Au cours de ses 20 années de pratique de la médecine, il dit avoir vu de nombreux patients atteints de maladies chroniques qui auraient renoncé à vivre, car ils se considéraient comme un fardeau pour leur famille ou la société. S’ils avaient eu accès à l’aide médicale à mourir à l’époque, ils auraient peut-être choisi d’y recourir prématurément.
Le Dr Ho craint que les personnes qui souffrent de dépression en raison de leur situation ou d’un traumatisme puissent prendre une décision irréversible hâtive ou prématurée.
De plus, Krista Carr, vice-présidente exécutive d’Inclusion Canada, a exprimé l’opinion suivante :
Par le passé, les personnes handicapées ont historiquement été dévalorisées et marginalisées au Canada […]
Le fait d’inclure un handicap comme un état justifiant un suicide assisté équivaut à déclarer que la vie de certaines personnes ne vaut pas la peine d’être vécue […]
Nous avons tous entendu parler de Roger Foley, un homme de 45 ans qui est atteint d’une maladie neurodégénérative ayant entraîné son hospitalisation. Il est incapable de se déplacer et de prendre soin de lui-même et il croit au droit à la « vie assistée ».
M. Foley dit qu’il a été contraint par des mauvais traitements, de la négligence, un manque de soins et des menaces à demander l’aide médicale à mourir. Il a déclaré ceci :
Par exemple, quand j’ai réclamé de l’aide pour pouvoir vivre chez moi et y recevoir des soins à domicile autogérés, l’éthicien et les infirmières de l’hôpital ont essayé de me pousser vers l’aide à mourir en menaçant de me facturer 1 800 $ par jour ou de me forcer à quitter l’hôpital sans avoir accès aux soins dont j’ai besoin pour vivre. J’ai senti des pressions de la part du personnel pour me convaincre d’opter pour l’aide à mourir plutôt que de voir mes souffrances allégées grâce à des soins dignes et empreints de compassion.
Le personnel de l’hôpital a manqué à son devoir de me fournir ce qu’il faut pour vivre [...] Une spécialiste chargée d’examiner mon dossier a conclu à un manquement au devoir de me fournir ce qu’il faut pour vivre et à un cas de grossière négligence.
Le comité a également entendu Jeffrey Kirby, professeur de bioéthique à l’Université Dalhousie. Le Dr Kirby a longuement parlé de l’importance des déterminants sociaux de la santé, qui influent beaucoup sur la manière dont les gens sont traités. Il a présenté une réalité alarmante dans sa déclaration :
[...] les services de soins palliatifs intégrés laissent à désirer dans la plupart des régions du Canada, en particulier dans les régions rurales. Bien entendu, le financement des services de santé mentale est dérisoire par rapport au fardeau de la maladie mentale au Canada. Le financement est vraiment pitoyable, de l’ordre de 3 ou 4 % à 10 % selon la province ou l’administration considérée.
D’après les témoignages que nous avons entendus lors des audiences du comité, les 86 mémoires et les innombrables courriels et appels téléphoniques que mon bureau a reçus au sujet du projet de loi C-7, un examen et un débat exhaustifs sont justifiés. Le suicide étant l’une des principales urgences de santé publique du XXIe siècle, nous devons veiller à ce que le projet de loi n’entraîne pas une vague de suicides.
Puis-je vous rappeler que le gouvernement a eu 16 mois pour adopter le projet de loi. Néanmoins, il nous presse maintenant de parvenir à un consensus alors qu’il s’agit d’un projet de loi complexe ayant des conséquences majeures sur la vie de Canadiens qui ont déjà du mal à accéder aux services de santé nécessaires. Les maladies chroniques et les handicaps ne devraient pas être une condamnation à mort au Canada.
Par conséquent, pour des raisons éthiques, je ne peux pas appuyer le projet de loi en principe. J’espère qu’il sera renvoyé au comité et ensuite à l’autre endroit. Je vous remercie.
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je tiens tout d’abord à remercier tous les sénateurs qui se sont déjà exprimés sur le projet de loi C-7. Chacun d’entre vous a contribué avec compassion à ce débat très difficile. J’apprécie et je salue votre courage de nous faire connaître vos opinions et expériences sur l’aide médicale à mourir. J’ai beaucoup appris en vous écoutant, et je vous remercie sincèrement de vos discours éclairants.
Honorables sénateurs, je prends également la parole devant vous aujourd’hui pour parler d’une question de vie ou de mort. Je prends la parole aujourd’hui pour parler de l’aide médicale à mourir à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi. Comme nous le savons tous, honorables sénateurs, nous en sommes à l’étape de la deuxième lecture, où nous discutons du projet de loi avant qu’il ne soit étudié plus en détail en comité. Nous aurons encore du temps pour en débattre à l’étape de la troisième lecture.
(1740)
L’aide médicale à mourir est littéralement une question de vie ou de mort. Elle vise à éviter des souffrances intolérables et à permettre de mourir dans la dignité et sans douleur. L’étude du projet de loi C-7 porte sur la mise en œuvre du régime d’aide médicale à mourir, les mesures de sauvegarde qui y sont prévues et, plus important encore, les personnes qui sont directement touchées par cette mesure.
L’aide médicale à mourir touche les personnes les plus vulnérables, les plus malades, mais il ne s’agit pas d’une option de traitement, et elle ne devrait pas être considérée comme telle. Elle est censée être une solution de dernier recours pour les personnes qui souffrent de problèmes de santé incurables qui s’accompagnent souvent de grandes souffrances. Elle est destinée aux personnes comme Julia Lamb, de la Colombie-Britannique, pour qui l’attente à laquelle il faut se soumettre avant d’obtenir l’aide médicale à mourir est longue et menaçante lorsqu’on est aux prises avec des souffrances intolérables.
L’aide médicale à mourir offre à ces personnes la possibilité de mourir dans la dignité et de mettre fin à des douleurs intolérables et impossibles à soulager. Cependant, c’est à la personne concernée qu’il revient d’en faire la demande.
J’estime que l’aide médicale à mourir doit exclusivement faire suite à la demande du patient ou de la personne concernée et ne doit pas être la solution choisie par un professionnel de la santé ou la famille. Elle ne vise pas à pousser au suicide. Elle vise plutôt à soulager la souffrance d’une personne et à lui offrir un choix en ce qui concerne sa propre vie. Seule la personne qui souffre peut décider d’envisager cette solution.
Un choix qui vient d’abord du patient permettrait aussi d’éviter de faire sentir aux patients que leur vie n’a pas de valeur ou qu’ils n’ont aucun espoir d’améliorer leur état de santé.
Comme l’ont souligné la Dre Herx et plusieurs autres personnes, si le médecin traitant amorce la conversation sur l’aide médicale à mourir, cela peut avoir des effets dévastateurs pour le patient.
Honorables sénateurs, en 2016, les Canadiens ont choisi d’incorporer l’aide médicale à mourir dans notre système juridique. Ils ont choisi d’exercer un certain pouvoir sur leur vie, et c’est notre devoir, tout en rendant l’aide médicale à mourir accessible pour respecter leur choix, d’empêcher que des personnes puissent mettre fin à la vie d’autrui sans raison valable.
En pensant aux moyens de protéger les personnes handicapées, nous sommes amenés à penser à d’autres groupes de personnes marginalisées, comme les personnes racialisées, les Autochtones et les immigrants, et à songer aux graves préoccupations concernant leur accès aux services de base de santé physique et mentale, sans parler de l’accès à l’aide médicale à mourir, dans les régions rurales ou urbaines. Dans tous les contextes, l’aide médicale à mourir devrait être considérée comme une solution de dernier recours.
Avant d’examiner la demande d’un patient à l’aide médicale à mourir, on devrait lui offrir tous les services adéquats de santé physique ou mentale qui sont disponibles pour sa condition. C’est notre responsabilité en tant que parlementaires de veiller à ce que le gouvernement respecte l’engagement pris sous serment de prendre soin de tous les Canadiens, de toutes les identités.
L’aide médicale à mourir n’a jamais été conçue pour les personnes handicapées. Elle l’a été pour les personnes en proie à des souffrances intolérables et irrémédiables. Ce n’est que dans une telle situation que les personnes malades devraient pouvoir recourir à l’aide médicale à mourir. Je comprends les inquiétudes exprimées par les personnes handicapées, mais il y a de nombreuses mesures de sauvegardes et elles feront l’objet d’un examen en comité.
Les mesures de sauvegarde sont une autre composante de l’aide médicale à mourir qui revêt une importance fondamentale. Le débat entourant l’aide médicale à mourir fait la distinction entre les personnes dont la mort est raisonnablement prévisible et celles qui se retrouvent devant une vie de souffrances sans aucune fin en vue. C’est notamment le cas de Julia Lamb, une concitoyenne de la Colombie-Britannique qui, dans sa déclaration écrite, a exprimé ce qui suit au sujet de la période d’attente de 90 jours imposée aux personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible :
[...] si je choisis d’avoir recours à l’aide médicale à mourir — je ne peux décider quels seront les derniers jours de ma vie, et je risque d’endurer des souffrances interminables parce que mes souffrances ne sont pas jugées comme étant égales à celles d’une personne dont la mort est plus facile à prédire. Un projet de loi qui est censé permettre de faire un choix et de mettre fin à la sensation d’être désespérément enfermée dans une souffrance intolérable pourrait plutôt me rendre prisonnière d’une atroce période d’attente de 90 jours.
Les mesures de sauvegarde relatives à l’aide médicale à mourir exigent aussi le consentement final des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, et, à cet effet, Mme Lamb avait ceci à dire :
Comme ma santé est grandement compromise, je pourrais perdre ma capacité de consentement pour différentes raisons. Si je n’ai pas la possibilité de renoncer au consentement final, je pourrais donc perdre le droit d’obtenir une aide à mourir. Cette possibilité me fend le cœur puisque j’ai lutté pendant des années pour faire respecter mes droits.
Honorables sénateurs, nous avons entendu beaucoup d’observations à propos du projet de loi C-7 depuis quelques jours, mais je crois qu’il faut aussi entendre ce que disent les Canadiens qui ont une expérience personnelle de l’aide médicale à mourir. La sénatrice Bovey a déjà dit quelques mots au sujet de Mme Ruth Wittenberg, qui a écrit ceci :
Je vous écris aujourd’hui pour vous supplier d’appuyer le projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir, que le Sénat étudie maintenant.
Mon mari, Paul Jarman, a pu obtenir l’aide médicale à mourir plus tôt cette année. Il a lutté contre un cancer des os pendant 10 ans, mais il avait pu maintenir une qualité de vie qui nous convenait à tous les deux. À l’automne, il a reçu un diagnostic de cancer du pancréas et il a décidé de mettre un terme à sa vie pendant qu’il avait encore sa dignité et un contrôle sur sa vie. Il est mort en paix, à la maison, alors que j’étais à ses côtés.
La sénatrice Bovey a aussi mentionné d’autres propos de Mme Wittenberg, que je ne répéterai pas aujourd’hui.
Je souhaite vous parler aussi de la lettre que m’a écrite Mme Penny Mills. Elle souligne que depuis l’affaire Sue Rodriguez, la Cour suprême a rendu des décisions favorables dans deux autres causes, celles de Gloria Taylor et de Kay Carter. Elle ajoute ensuite ceci :
Sue Rodriguez s’est demandé : « Si mon propre corps ne m’appartient pas, à qui appartient-il? » La plupart des mesures de sauvegarde associées à l’aide médicale à mourir protègent très peu les personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique.
La sclérose latérale amyotrophique fait graduellement perdre l’usage des muscles. Personnellement, je suis atteinte d’une forme rare de la maladie, et mes muscles à moi deviennent comme de la guenille, alors que les autres patients ont plutôt tendance à paralyser.
Quand les muscles de la gorge finissent par lâcher, nous avons tendance à nous étouffer avec notre salive et nous avons de plus en plus de mal à parler et à avaler. Les muscles de nos jambes cessent graduellement de fonctionner, puis, dans un ordre impossible à prédire, ceux des pieds, des pouces, des doigts et des mains. Nous avons besoin d’une cane pour nous déplacer, puis d’un déambulateur, d’un fauteuil roulant et finalement d’un fauteuil électrique. Ceux qui vivent assez longtemps finissent par ne plus pouvoir rien faire sauf cligner des yeux.
Je tiens à préciser que la maladie progresse différemment chez chacun. Voilà pourquoi on ne peut pas juste nous placer dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée et considérer que notre cas est réglé. Ce serait dangereux, surtout avec ce que nous a appris la COVID-19.
(1750)
Mme Mills poursuit ainsi :
D’aucuns voudraient que nous attendions 10 jours. Pour les gens comme moi et comme Sue, Gloria et Kay, ce sont 10 jours de plus à être incapables de bouger, de parler et de manger.
Je sais depuis six ans que je veux l’aide d’un médecin pour mourir. Ce n’est pas ce qu’on pourrait qualifier de coup de tête, mesdames et messieurs les sénateurs. Je ne sais pas quand je partirai, mais je SAIS que je partirai. Comme l’a dit Sue Rodriguez : « Si ce n’est pas mon corps, à qui appartient-il? »
Je m’inquiète toutefois pour ceux qui sont incapables de parler ou d’écrire et à qui on refuse le droit de mourir avec l’aide d’un médecin ou de donner des directives anticipées. C’est tellement cruel. Combien de personnes aimeraient mieux mourir qu’être parquées quelque part? Quelle est la différence avec une personne qui souhaite ne pas être réanimée?
Et encore ceci :
Les personnes atteintes de sclérose latérale amyotrophique sont en danger dans les centres d’hébergement et de soins et dans les hôpitaux parce que cette maladie est très peu connue des travailleurs de la santé.
Lorsque j’ai été hospitalisée pour une fracture de la hanche, des médecins sont venus me voir. J’étais toute une nouveauté pour eux. La sclérose latérale amyotrophique est tellement rare. J’imagine que c’est la raison pour laquelle les amendements du Sénat ne s’appliquent pas à nous. Une infirmière m’a presque fracturé le genou en tentant de redresser ma jambe, qui était tordue par un spasme. Une autre m’a presque tuée en tentant de me faire boire de l’eau alors que j’étouffais.
Honorables sénateurs, elle poursuit ainsi plus longuement et affirme : « Il s’agit de mon corps, laissez-moi exercer mes choix et mourir au moment opportun. »
Honorables sénateurs, un des derniers points que je souhaite aborder est le consentement final. La Dre Stefanie Green, présidente de l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’aide médicale à mourir, qui administre l’aide médicale à mourir depuis plus de quatre ans au Canada, a attiré notre attention sur ce qui suit :
En 2019, une enquête auprès des prestataires de l’aide médicale à mourir a montré que 85 % des prestataires ont vécu personnellement une situation où, au moment de donner l’aide médicale à mourir, le patient ne pouvait plus donner son consentement final, en raison d’une détérioration subite de ses facultés.
La Dre Green a poursuivi ainsi :
Je peux vous dire, d’expérience, à quel point cela est horrible. Les proches du patient vont supplier le médecin de procéder. C’est très douloureux pour tout le monde et je ne vois pas vraiment qui nous protégeons si nous ne pouvons pas donner l’aide médicale à mourir comme prévu dans ces circonstances. Cependant, je peux voir très clairement qui nous faisons souffrir.
Honorables sénateurs, les médecins prennent très au sérieux leur devoir de prodiguer des soins. Durant tout le processus de l’étude préalable, pas un seul médecin ne nous a dit qu’ils croyaient que n’importe qui devrait administrer l’aide médicale à mourir...
L’honorable Lucie Moncion (Son Honneur la Présidente suppléante) : Sénatrice Jaffer...
La sénatrice Jaffer : Pourrais-je disposer d’encore cinq minutes?
Son Honneur la Présidente suppléante : Le consentement est-il accordé?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente suppléante : Vous avez la parole, sénatrice Jaffer.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie, chers sénateurs.
Les médecins prennent très au sérieux leur devoir de soigner leurs patients. Durant le processus de l’étude préalable, aucun médecin n’a dit qu’il croyait qu’on puisse administrer l’aide médicale à mourir sans en avoir examiné avec soin et de façon consciencieuse les conséquences.
La Dre Green ajoute qu’elle ne connaît aucun médecin prodiguant des soins de santé avec compassion qui a été poursuivi pour avoir administré l’aide médicale à mourir. C’est un choix que fait le médecin.
Honorables sénateurs, tous ceux qui me connaissent savent que je suis une musulmane pratiquante et que j’affiche clairement ma foi. Vous m’entendez souvent parler de ma foi musulmane et en 2016, j’en suis venue à la conclusion que j’étais à la fois une musulmane pratiquante et une parlementaire. En tant que musulmane pratiquante, je fais ce qui est bien selon mes croyances. En tant que parlementaire, par contre, je dois prendre des décisions en fonction de ce que les Canadiens veulent sans laisser ma foi peser dans la balance, car j’ai l’honneur d’être sénatrice. En tant que sénatrice, je dois être à l’écoute des Canadiens afin de bien les servir. Je vous remercie beaucoup, chers collègues.
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénatrice Jaffer, accepteriez-vous de répondre à une question?
La sénatrice Jaffer : Oui, certainement.
La sénatrice Bovey : Merci, sénatrice. Je gardais secrète l’identité de la personne qui a écrit la lettre que, à l’évidence, vous avez aussi reçue. Effectivement, j’ai discuté avec ma bonne amie Ruth Wittenberg hier soir. Comme vous le savez tous, j’ai vécu à Victoria pendant de nombreuses années. Ma connaissance de cette question remonte aux années 1980, lorsque le Dr Scott Wallace était député provincial en Colombie-Britannique, et il était mon médecin. C’était un ami proche de Sue Rodriguez, alors il s’agissait de discussions uniquement philosophiques à l’époque.
Après avoir déménagé à Winnipeg, j’ai rencontré un collectionneur d’œuvres d’art qui s’est par la suite rendu en Suisse, je crois que c’était en 2014 ou en 2015, pour obtenir l’aide médicale à mourir, parce que ce n’était pas encore possible au Canada.
Sénatrice Jaffer, ma question concerne plusieurs des enjeux dont vous avez parlé, comme le délai requis, la communauté des personnes handicapées et d’autres enjeux qui me posent problème dans le projet de loi. Je serai honnête, j’ai du mal à accepter certains éléments du projet de loi. Cependant, avec les connaissances juridiques que vous avez et l’expérience que vous avez vécue lors du débat au Sénat en 2016, diriez-vous que les enjeux dont nous discutons présentement sont nouveaux? Je me souviens des années 1980 et 1990 et du début des années 2000, alors que je n’étais pas une parlementaire, mais une simple Canadienne qui observait la situation. Les enjeux sont-ils les mêmes aujourd’hui qu’à l’époque?
La sénatrice Jaffer : Une partie des questions n’a pas changé. Vous pouvez entendre dans ma voix qu’il s’agit de questions déchirantes. Elles me gardent réveillée la nuit. Est-ce que je prends les bonnes décisions? Tout comme chacun de vous, j’ai du mal à peser le pour et le contre. Il faut mettre de côté nos propres sentiments et écouter la douleur des personnes qui nous parlent.
Selon moi, l’une des mesures de sauvegarde essentielle que nous avions mises en place était la période de réflexion de 10 jours. Or, maintenant, la population nous dit que ces 10 jours sont insupportables une fois qu’ils ont pris leur décision. Beaucoup de gens appellent mon bureau pour dire : « Il ne vous appartient pas de décider à quel moment je vais mourir. C’est ma décision. Mon choix. N’essayez pas de décider pour moi. » La même chose vaut pour le délai de 90 jours.
Honorables sénateurs, au cas où j’aie omis de le mentionner, j’ai lu les lettres de Penny Mills et de Ruth Wittenberg avec leur autorisation. Cela dit, cette décision est probablement la plus importante que vous et moi serons jamais appelés à prendre. Tout ce que nous pouvons faire...
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénatrice Jaffer, votre temps de parole est, une fois de plus, écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
La sénatrice Jaffer : Non, j’aimerais seulement dire quelques mots.
Tout ce que nous pouvons faire, c’est écouter la population. Merci.
Son Honneur la Présidente suppléante : Quelqu’un d’autre voudrait poser une question. Voudriez-vous demander cinq minutes de plus?
La sénatrice Jaffer : Puis-je avoir cinq minutes de plus, s’il vous plaît?
(1800)
Son Honneur la Présidente suppléante : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
Son Honneur la Présidente suppléante : Honorables sénateurs, compte tenu de l’heure, nous pourrions devoir reporter cela à 19 heures.
Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et à l’ordre adopté le 27 octobre 2020, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».
Des voix : Suspendre.
Son Honneur la Présidente suppléante : Très bien. Nous reviendrons à 19 heures, et le sénateur Wetston pourra alors poser sa question à la sénatrice Jaffer.
(La séance du Sénat est suspendue.)
(Le Sénat reprend sa séance.)
(1900)
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Petitclerc, appuyée par l’honorable sénatrice Gagné, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
L’honorable Howard Wetston : Merci, sénatrice Jaffer. De toute évidence, ce projet de loi est éprouvant sur le plan émotif pour beaucoup d’entre nous, si ce n’est pour nous tous, et j’apprécie beaucoup vos commentaires sincères. J’aimerais vous poser une question très simple — et qui n’est pas rhétorique — si vous le permettez. Pensez-vous que le projet de loi C-7 aura pour effet global de faire pression sur les gens, ou de les encourager — voire les inviter — à opter pour l’aide médicale à mourir? Ou bien leur donne-t-il le choix, qu’ils n’ont peut-être pas à l’heure actuelle, de mourir dans la dignité au moment opportun?
L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Sénateur Wetston, je me questionne à ce sujet chaque jour. Si je vous disais, en vous regardant dans les yeux, que je ne pense pas que certaines personnes subiront de la pression, je mentirais. Je pense que certaines personnes sentiront de la pression. C’est pour cela que nous intervenons pour veiller à ce qu’il y ait des mesures de sauvegardes suffisantes pour que personne ne subisse de pression. Ce faisant, nous donnons aussi à ceux qui attendent depuis si longtemps, la possibilité de mourir dans la dignité. Nous permettons aux gens de mourir dans la dignité, tout en garantissant des ressources adéquates, comme les soins palliatifs et médicaux, pour que personne ne se sente forcé de recourir à cette aide. C’est aussi notre devoir. Sénateur Wetston, ce sont des questions que je me pose chaque jour.
Le sénateur Wetston : Merci.
L’honorable Jane Cordy : Sénatrice Jaffer, acceptez-vous de répondre à une question?
La sénatrice Jaffer : Oui.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup. Je crois que plusieurs d’entre nous ont été touchés par votre discours. Pour ma part, je m’y suis certainement reconnue. Je suis catholique pratiquante, et ma religion est très importante pour moi. Je comprends tout à fait ce que vous dites. C’est difficile. C’est un véritable défi. Vous avez mentionné que la religion est une partie importante de votre identité. Cependant, en tant que politiciens, nous représentons les Canadiens, et 82 % de ceux-ci croient qu’ils devraient pouvoir présenter une demande anticipée. En outre, 85 % sont d’avis que la demande d’aide médicale à mourir devrait être respectée si elle a été évaluée et approuvée, et ce, même si la personne perd sa capacité à y consentir avant la date prévue. À mes yeux, ces chiffres sont stupéfiants et choquants, mais il s’agit du point de vue des gens que nous représentons.
Vous avez demandé ce qu’est la différence entre l’ordonnance de non-réanimation et l’aide médicale à mourir. Je me pose aussi la question. Quelle différence cela fait-il lorsqu’une personne refuse de s’alimenter et de s’hydrater? Nous avons tous entendu parler de cas comme celui-là. Essentiellement, ils se suicident. Alors, quelle est la différence entre cette situation et l’aide médicale à mourir?
La sénatrice Jaffer : Sénatrice Cordy, nous étions voisines de banquette en 2016 et nous avons toutes les deux été aux prises avec cette question. Vous vous souvenez des difficultés que nous avons eues. Nous les avons encore aujourd’hui. C’est la question que nous posent les gens et que vous posez maintenant. D’ailleurs, ce ne sont pas mes mots à moi. Ce sont ceux de Penny Mills : « Quelle différence y a-t-il? » Ils incarnent la difficulté que nous avons à accepter les deux cas de figure : la demande de ne pas être réanimé et la demande d’aide médicale à mourir. C’est la question que posent les personnes qui veulent avoir le choix : quelle différence y a-t-il? Les parlementaires doivent maintenant prendre le taureau par les cornes et se poser des questions à leur tour : « Qu’allons-nous faire? Allons-nous accorder l’accès à l’aide médicale à mourir... »
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénatrice Jaffer, je suis désolée de vous interrompre, mais votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus? Des sénateurs veulent vous poser d’autres questions.
La sénatrice Jaffer : Puis-je demander cinq minutes de plus, s’il vous plaît?
Une voix : Dernier appel.
Son Honneur la Présidente suppléante : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs? Oui.
La sénatrice Jaffer : Merci, honorables sénateurs. Voilà la difficulté, sénatrice Cordy. Vous et moi avons déjà dû faire face à cette question. À mon avis, si, en tant que parlementaires, nous comptons offrir la mort dans la dignité, nous devons aussi répondre aux questions que vous avez posées.
La sénatrice Cordy : L’un des points qu’il faut garder à l’esprit — un point que j’ai moi-même tendance à oublier et que vos propos et ceux du sénateur Harder m’ont rappelé —, c’est que nous n’avons pas pour tâche de réévaluer toute cette décision, puisque l’aide médicale à mourir est désormais légale. Je crois que la question que je vous ai posée aujourd’hui portait d’ailleurs, en fait, sur le projet de loi C-14. Cette distinction semble créer de la confusion chez beaucoup de gens. L’aide médicale à mourir est légale au Canada en 2020, et nous étudions actuellement la possibilité de modifier les dispositions législatives en place, n’est‑ce pas?
La sénatrice Jaffer : Il s’agit d’une progression, selon moi. Alors que nous continuons d’en apprendre davantage, les Canadiens nous disent : « Certes, vous avez instauré l’aide médicale à mourir, mais vous avez aussi mis en place tous ces autres éléments qui nous causent beaucoup de douleur et de souffrance. » Nous réexaminons donc ces problèmes. Voilà ce que nous faisons. Vous vous souviendrez aussi, sénatrice Cordy, des difficultés que nous avons eues et du fait que nous souhaitions que l’admissibilité ne passe pas nécessairement par une mort prévisible. C’est le critère en vigueur actuellement, et il nous avait donné du fil à retordre en 2016. Je crois donc qu’il y a une progression.
La sénatrice Cordy : Merci beaucoup.
L’honorable Diane Bellemare : Sénatrice Jaffer, accepteriez-vous de répondre à une autre question?
La sénatrice Jaffer : Oui, bien sûr.
La sénatrice Bellemare : J’aimerais aborder un autre sujet. Je crois comprendre que nous sommes saisis d’un projet de loi qui est fort complexe, mais dont la portée est restreinte par rapport au projet de loi C-14 que nous avions adopté. Par ailleurs, nous savons maintenant que certaines dispositions du projet de loi C-14 sont inconstitutionnelles et que le projet de loi C-7 vise à les rendre constitutionnelles. À mon avis, ce n’est pas la dernière fois que nous serons aux prises avec cet enjeu parce qu’il est complexe et qu’il a trait à la vie et la mort. J’estime que nous devons procéder de manière progressive. Cependant, après une étude du projet de loi, il nous faudra peut-être prendre en considération de nombreux facteurs. Ma question est donc la suivante : pensez-vous que les services pourront être les mêmes à l’échelle du pays?
La sénatrice Jaffer : Madame la sénatrice, cette question est très difficile parce que nous vivons dans un grand pays. Ce que l’étude préalable a clairement mis en évidence, c’est la situation terrible dans les collectivités autochtones et les régions rurales. C’est pourquoi j’ai trouvé convaincant le discours d’une grande profondeur que la sénatrice Mégie a prononcé sur les soins palliatifs. À mon avis, en tenant compte de cette information, nous devons dire au gouvernement : « Il va falloir surveiller la situation parce que cela ne se fera pas tout seul. » Avec ce régime, il faut qu’il y ait des soins palliatifs adéquats. Il faut faire en sorte que le même type de services soit offert partout au Canada.
Je pense que ce sujet a été soulevé à maintes reprises pendant l’étude préalable et avant. Je crois que si nous adoptons ce projet de loi, il va nécessairement falloir dire au gouvernement : « Ce n’est qu’un volet de la question. Vous avez la responsabilité de répondre aux autres demandes que les gens ont exprimées. »
La sénatrice Bellemare : Merci.
L’honorable Julie Miville-Dechêne : Merci, sénatrice Jaffer, de votre discours... et nous savons tous que certaines personnes seront incitées à opter pour l’aide médicale à mourir. Nous devons tenter d’empêcher une telle chose, mais... puisque tout cela est du ressort des provinces. Comme les soins palliatifs et les services sociaux ne sont pas... nous n’avons pas le pouvoir d’agir à ce sujet. C’est le problème que je vois : un manque de services combiné à un élargissement de l’aide médicale à mourir. Je voudrais avoir votre opinion à ce sujet. Je sais qu’il n’y a pas de réponse facile.
(1910)
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénatrice Jaffer, le temps de parole qui vous est alloué est de nouveau expiré. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente suppléante : La permission n’est pas accordée. Je suis désolée, sénatrice Jaffer.
[Français]
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).
Tout d’abord, permettez-moi d’adresser à mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles mon appréciation de l’excellent travail qu’ils ont fait durant la semaine consacrée à l’étude préalable du projet de loi C-7. Les échanges ont été ouverts, l’écoute, très active, et les conclusions, collectivement acceptées.
J’aimerais, dans un premier temps, apporter mon soutien aux personnes concernées par ce projet de loi qui souffrent de déficiences physiques ou mentales graves et incurables et qui vivent au quotidien des moments particulièrement éprouvants que peu d’entre nous peuvent réellement imaginer.
J’ai une pensée particulière pour les familles dont les proches sont exclus de l’aide médicale à mourir en raison du projet de loi C-14, ou qui l’ont été, et qui ont dû adopter une approche dramatique pour mettre fin à la vie de leur proche afin qu’il ou elle cesse de vivre dans la souffrance, alors que ces personnes méritaient d’avoir droit à une fin de vie digne et humaine.
Par contre, j’ai trouvé regrettable que, lors de l’étude préalable du projet de loi par le comité, aucun des témoins invités à témoigner ne fût un patient concerné par l’aide médicale à mourir et qu’aucune famille n’ait pu participer aux réunions pour nous présenter ses perspectives et contribuer à ce débat qui, après tout, les concerne d’abord. Cela a été ma plus grande déception et représente une faiblesse de notre étude préalable. Pourtant, c’était l’occasion pour tous les membres du comité de mieux comprendre la souffrance que vivent chaque jour ces êtres humains et leurs proches.
C’est le même principe pour les victimes d’actes criminels. Bien souvent, lorsque des personnes souffrent d’un mal qui leur a été infligé injustement par des circonstances de la vie, nous, les législateurs, préférons nous attarder sur les témoignages des experts, des scientifiques, des juristes ou des religieux sans nous interroger sur ce que ressentent les personnes directement concernées et sur ce qu’elles peuvent nous apporter.
Selon moi, ce sont plutôt les victimes du projet de loi C-14 qu’il aurait fallu écouter, et il faudrait, lors de l’étude du projet de loi C-7 au cours des prochains mois, qu’elles soient au cœur de notre réflexion au lieu des spécialistes. Ces personnes sont pour moi les vraies spécialistes de ce qu’impose une loi sur leur qualité de vie et, surtout, sur la façon dont elles choisissent de finir leur vie. Très peu d’intervenants parmi ceux que nous avons consultés sont réellement en mesure de comprendre leurs souffrances, et je suis persuadé que si nous avions convoqué des témoins concernés par l’aide médicale à mourir, nous ne serions pas aussi divisés et déchirés par le débat actuel.
L’aide médicale à mourir est un sujet très émotif pour plusieurs d’entre nous. Il provoque de nombreux sentiments et peut même nous amener à nous questionner sur notre propre perception de la vie et de la mort. Au fond, c’est l’occasion pour nous de réfléchir à nos valeurs humaines face à des situations aussi cruelles qu’inacceptables que des êtres humains sont injustement condamnés à vivre.
Chers collègues, l’un des premiers points que je souhaite aborder dans cette Chambre est l’attitude qu’adopte le gouvernement fédéral dans sa gestion de l’aide médicale à mourir, et ce, depuis 2016. De plus, j’ai le sentiment que le gouvernement fédéral n’a cherché qu’à expédier le projet de loi C-7 aux deux Chambres sans vouloir nous laisser, à nous, les législateurs, le temps nécessaire pour faire correctement notre travail d’analyse sur le contenu de ce projet de loi dans une période raisonnable.
Après tout, celui qui n’a pas fait ses devoirs, c’est bien le gouvernement lui-même. Nous ne serions pas dans cette situation si l’équipe de Justin Trudeau avait écouté le Sénat lorsque ce dernier a déposé ses recommandations importantes sur le projet de loi C-14 en 2016.
Depuis que le gouvernement a été saisi du délai fixé par la Cour supérieure du Québec relativement à la révision de la loi, il avait la responsabilité d’établir la période nécessaire et adéquate pour l’étude de son nouveau projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Il avait du temps, mais il a décidé de ne pas le prendre, alors que nous savons tous et toutes que l’aide médicale à mourir est un sujet sensible et que l’étude du projet de loi C-14 avait été longue et difficile. Cette fois-ci, nous savons tous que le gouvernement a préféré créer et imposer une urgence artificielle, car ses représentants eux-mêmes sont en retard dans leurs propres devoirs.
Je vous rappelle également que le projet de loi C-7 précédent, dans sa première mouture, avait été présenté en février 2020 et qu’il est mort au Feuilleton lors de la prorogation du Parlement le 18 août dernier, au moment où le premier ministre était aux prises avec le scandale de l’organisme UNIS. Il a choisi de gaspiller six précieuses semaines de travail en pleine pandémie, au lieu d’assumer ses responsabilités et de répondre aux questions du Comité permanent des finances de la Chambre des communes. Il a aussi prorogé le Parlement afin d’éviter de devoir faire la lumière sur le meurtre de Mme Marylène Levesque, victime d’un meurtrier récidiviste violent qui en était à son deuxième assassinat. Alors, soyons clairs, le seul responsable de la souffrance des personnes qui souhaitent se prévaloir de l’aide médicale à mourir, c’est le gouvernement.
La problématique à laquelle nous devons encore faire face aujourd’hui a trait au projet de loi C-14, qui présentait déjà, lors de son adoption, de nombreuses lacunes. Le 6 février 2015, dans l’arrêt Carter, la Cour suprême du Canada a invalidé certaines dispositions du Code criminel qui prohibaient l’accès à l’aide médicale à mourir à certaines personnes. La Cour suprême du Canada les avait jugées inconstitutionnelles, car elles ne respectaient pas l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le principe de liberté qui permet à un citoyen d’être libre de ses choix fondamentaux personnels sans l’intervention de l’État. Il y avait aussi le principe de sécurité qui garantit la maîtrise de l’intégrité de sa personne sans aucune intervention de l’État. La Cour suprême n’avait pas orienté le débat sur les personnes mourantes dont la mort est prévisible ni sur les personnes atteintes de maladies dégénératives.
À la suite de cette décision de la Cour suprême, un comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir, formé de députés et de sénateurs, avait formulé, le 25 février 2016, certaines recommandations assez claires dans son rapport intitulé L’aide médicale à mourir : une approche centrée sur le patient, dont je cite les recommandations suivantes :
RECOMMANDATION 2
Que l’aide médicale à mourir soit accessible aux personnes atteintes de maladies terminales et non terminales graves et irrémédiables leur causant des souffrances persistantes qui leur sont intolérables au regard de leur condition.
RECOMMANDATION 3
Que l’on ne juge pas inadmissibles à l’aide médicale à mourir les personnes atteintes d’une maladie psychiatrique en raison de la nature de leur maladie.
Ces recommandations ont été formulées il y a cinq ans, et le gouvernement de Justin Trudeau ne les respecte toujours pas. Je crains que l’argument du ministre de la Justice, qui critique l’opposition en prétextant vouloir réduire la souffrance des gens, se retourne contre lui.
En 2016, nous savions déjà que, dans le projet de loi C-14, le critère d’admissibilité à l’aide médicale à mourir, soit « la mort naturellement prévisible », serait jugé inconstitutionnel par nos tribunaux. Le gouvernement est allé à l’encontre des recommandations qui avaient été formulées par le comité en choisissant de maintenir des personnes lourdement handicapées dans une extrême souffrance, ce qui est évidemment toujours contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.
Pourtant, nous, les sénateurs, avions fait nos devoirs. Notre ancien collègue le sénateur Joyal avait fait la proposition d’amender le projet de loi C-14 en supprimant le critère de la mort naturellement prévisible. Cet amendement avait été rejeté à l’autre endroit. Je me souviens encore de la ministre de la Justice à l’époque, l’honorable Jody Wilson-Raybould, qui disait être convaincue de la constitutionnalité du projet de loi C-14, comme l’affirme son successeur aujourd’hui en ce qui concerne le projet de loi C-7. C’est la même affirmation; nous aurons sans doute le même résultat.
Toutefois, trois ans plus tard, deux personnes souffrant de handicaps sévères, Mme Nicole Gladu et M. Jean Truchon, ont dû se battre devant les tribunaux pour faire renvoyer le gouvernement à ses devoirs, alors que l’équipe de Justin Trudeau savait déjà que cette mesure était inconstitutionnelle. Cependant, les sénateurs avaient fait leur devoir en prévenant le gouvernement de ce risque en matière de constitutionnalité, ce que le gouvernement a volontairement décidé d’ignorer.
(1920)
Comme je l’ai déjà dit en sortant de la Chambre en juin 2016, nous revoilà cinq ans plus tard dans la même situation que lorsque le même gouvernement a décidé de ne pas en appeler de la décision d’une cour supérieure, mais plutôt d’imposer un autre projet de loi en y incluant une nouvelle disposition inconstitutionnelle portant un caractère discriminatoire, soit l’exclusion des personnes souffrant de maladies mentales graves. C’est l’éléphant dans la pièce que nous n’avons pas eu peur de pointer du doigt lors des réunions tenues par le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles pour faire l’étude préalable du projet de loi C-7.
Honorables sénateurs, je prévois que le projet de loi C-7 connaîtra le même triste destin que le projet de loi C-14.
Ce qui est encore plus surprenant, ce sont les arguments avancés pour justifier l’exclusion de la maladie mentale dans le projet de loi. Il semble que le gouvernement n’aurait pas eu le temps nécessaire pour prendre une décision sur cet important aspect du projet de loi. Effectivement, nous savons qu’il y a une absence de consensus au sein de la communauté scientifique; dans ce cas, pourquoi le gouvernement ne se donne-t-il pas plus de temps pour étudier la question au cours des prochains mois? L’étude du projet de loi C-14 débutera dans quelques semaines, ce qui nous laisse quelques mois pour nous prononcer sur la question et pour laisser au gouvernement le temps de présenter un projet de loi sur l’aide médicale à mourir rédigé adéquatement, qui sera constitutionnel et qui n’exclura aucun individu qui souhaiterait se prévaloir de ce droit.
Je remets en question la présentation de ce projet de loi, car nous allons travailler en même temps sur la révision du projet de loi C-14 et sur sa nouvelle version, le projet de loi C-7, pour en arriver aux mêmes conclusions. Cet exercice me paraît inefficace et inutile, car nous savons déjà, par expérience, que le projet de loi C-7 sera contesté devant les tribunaux, à l’instar du projet de loi C-14, et que le gouvernement devra revenir avec une nouvelle réplique. Il est regrettable de constater que, depuis l’arrêt Carter de 2015, donc depuis maintenant cinq ans, nous n’avons pas réussi à répondre fidèlement à la directive de la Cour suprême sur l’aide médicale à mourir. Pourquoi, alors, le Sénat devrait-il adopter le principe d’un projet de loi qui aboutira au même résultat que le projet de loi qui l’a précédé, qui entraînera de longs travaux parlementaires et qui nous fera perdre un temps précieux?
On peut déjà imaginer que des personnes qui souffrent de troubles mentaux devront se battre devant les tribunaux pour contester cette exclusion de la loi sur l’aide médicale à mourir. Cela pourrait forcer certaines d’entre elles à se tourner vers le suicide afin de cesser de souffrir, puisqu’elles ne pourront pas se prévaloir de la loi et mourir dans la dignité.
C’était d’ailleurs l’un des arguments de la Cour suprême du Canada qui estimait, dans l’arrêt Carter, que l’interdiction par l’État à l’aide médicale à mourir pouvait pousser des patients à se suicider, ce qui portait atteinte au droit à la vie en vertu de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; malheureusement, nous savons déjà que plusieurs personnes ont, depuis, choisi de se suicider.
Je veux maintenant revenir sur un point important soulevé par le professeur et juriste Stéphane Beaulac dans son témoignage lors de l’étude préliminaire du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.
M. Beaulac a exposé un argument institutionnel, à savoir celui du dialogue respectueux entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Selon M. Beaulac, la décision de la juge Baudouin, de la Cour supérieure du Québec, dans l’affaire Truchon n’aurait pas dû provoquer le gouvernement fédéral à offrir une réponse aussi hâtive que celle qu’il a donnée avec son projet de loi C-7. Je retiens cet argument, car je pense que le gouvernement avait le choix de faire appel de cette décision. En laissant cette contestation se rendre jusqu’à la Cour suprême du Canada, il aurait pu laisser la plus haute cour du Canada statuer sur ce problème, pour ensuite revenir avec une analyse plus approfondie.
M. Beaulac a également souligné qu’il y a toujours eu des vides juridiques en droit canadien et que ces vides ne représentent pas un enjeu de taille. Bien au contraire, ils permettent d’entreprendre une réflexion juridique plus pertinente entre les provinces.
Je partage tout à fait son point de vue. Le gouvernement, en exerçant de la pression pour que ce projet de loi soit adopté, a soulevé des craintes au sein de tous les corps professionnels concernés, de près ou de loin, par l’aide médicale à mourir. Au cours de notre semaine d’étude préliminaire sur le sujet, en écoutant attentivement les témoignages, j’ai eu le sentiment que la plupart des intervenants étaient opposés à cette nouvelle loi ou éprouvaient des craintes à son sujet. Après avoir entendu de nombreux témoignages, nous n’en sommes pas arrivés à un consensus et nous sommes encore plus divisés que jamais devant la question.
Mis à part l’argument constitutionnel, le projet de loi présente d’autres lacunes que mes collègues ont déjà eu l’occasion d’aborder lors de la semaine de l’étude préliminaire et lors des différents discours.
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénateur Boisvenu, votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus?
Le sénateur Boisvenu : Trois minutes, s’il vous plaît.
Son Honneur la Présidente suppléante : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : Oui.
Le sénateur Boisvenu : Je vous remercie.
À titre d’exemple, plusieurs craintes ont été soulevées sur la nouvelle catégorie de mesures de sauvegarde touchant les personnes dont la mort naturelle n’est pas prévisible. Le délai de 90 jours fixé par le gouvernement ne fait pas consensus; c’est la même chose pour les personnes qui ne pourront pas renouveler leur consentement final en raison d’une perte de conscience. Ce sont des questions sur lesquelles le gouvernement n’a pas donné de réponses concrètes.
Deux autres sujets ressortent de l’étude préliminaire du comité. Il s’agit, dans un premier temps, du manque de définition claire sur la manière dont un patient et un médecin doivent discuter de l’option de l’aide médicale à mourir. En second lieu, il existe un problème d’accès aux soins palliatifs dans certaines régions du Canada. Sur ces questions, il n’y a pas eu non plus d’explications détaillées de la part des différents ministres du gouvernement, qui n’avaient même pas l’air d’être d’accord entre eux. Quand la ministre de la Santé affirme que son gouvernement a transféré d’énormes sommes d’argent aux provinces pour ce type de services, si ce n’était de la pandémie et de la valse des milliards de dollars, nous en serions aujourd’hui au même point qu’en 2016.
Le dernier point de mon discours concerne les personnes handicapées. Plusieurs craintes ont été soulevées quant à l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour ces personnes. Ce qui est frappant, c’est que la plupart des témoignages ont appuyé un constat, et c’est que les consultations auprès des organismes qui défendent les droits des personnes handicapées ont été insuffisantes.
En résumé, j’estime que le projet de loi C-7 est mal ficelé, imparfait et inconstitutionnel. Il soulève d’importantes préoccupations et il contient une mesure discriminatoire. Comme pour le projet de loi C-14, il est évident que, lorsque le projet de loi C-7 sera adopté, il sera contesté devant les tribunaux. Encore une fois, tristement, plusieurs personnes risquent de souffrir de ce nouveau projet de loi.
Chers collègues, s’il est adopté dans sa forme actuelle, il est sûr que le gouvernement devra refaire ses devoirs au cours des prochaines années. Pendant ce temps, nous savons déjà que trop de personnes continueront de souffrir et souffriront davantage, compte tenu des conséquences du projet de loi C-7, notamment les personnes souffrant de maladies mentales dégénératives. N’oublions pas que, à l’heure actuelle, des personnes dont la mort est naturellement prévisible et qui sont atteintes de maladie mentale ont accès à l’aide médicale à mourir.
Honorables sénateurs, depuis 2016, j’ai côtoyé des familles dont des membres se sont laissé mourir de faim parce que le projet de loi C-14 a ignoré leurs appels.
Honorables sénateurs, j’ai parlé avec une mère qui s’est résignée à accompagner son fils de 34 ans jusqu’en Suisse, en payant plus de 40 000 $, pour qu’il puisse exercer son choix de mettre fin à ses souffrances dans la dignité, parce que le projet de loi C-14 a ignoré les personnes qui souffrent.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-7 laissera à elles-mêmes des victimes de la rectitude politique et de l’entêtement partisan. Écouter autant de témoignages émouvants et douloureux comme ceux que nous avons entendus depuis quatre ans, c’est mon dernier choix. Mon premier choix, c’est que ces personnes qui souffrent meurent dignement, entourées de leur famille, parce que ce droit est reconnu par la Cour suprême du Canada.
En terminant, je tiens à remercier ceux et celles qui ont partagé leurs histoires souvent difficiles; leurs voix étaient dignes d’une écoute attentive et d’un énorme respect.
Merci beaucoup.
Des voix : Bravo!
L’honorable Renée Dupuis : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-7, qui nous touche directement en tant que personnes vivantes qui savent très bien que notre mort est inévitable.
Le projet de loi C-7 propose des amendements au Code criminel en ce qui a trait à l’aide médicale à mourir. Ce projet de loi a été adopté par la Chambre des communes le 10 décembre dernier. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a terminé son étude préalable du projet de loi pendant les débats tenus à la Chambre des communes et a déposé son rapport au Sénat le 10 décembre dernier, après avoir entendu 81 témoins pendant une semaine de séances. Le préambule présente le projet de loi C-7 comme une réponse au jugement Truchon, qui a été rendu en octobre 2019, soit il y a plus d’un an.
(1930)
Rappelons que ce jugement invalide aussi bien des éléments de la Loi québécoise concernant les soins de fin de vie que des éléments du Code criminel. Le jugement Truchon n’est pas sorti du néant. Il s’inscrit dans une réflexion sociale profonde sur l’aide médicale à mourir menée au Québec de façon formelle et officielle depuis au moins 2009. Une commission parlementaire bipartisane a siégé dans différentes villes du Québec pour discuter de cette question sensible de 2009 à 2012.
Dans son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, le 27 novembre dernier, le président de cette commission et ancien ministre Geoffrey Kelley a insisté sur les nombreuses démarches d’« éducation populaire » menées à cette occasion par la commission, qui ont été déterminantes, selon lui, dans l’élaboration d’un consensus social sur le respect des personnes qui décident de recourir à l’aide médicale à mourir.
En 2009, le Barreau du Québec a créé un groupe de travail à la demande du Collège des médecins du Québec, dont j’ai été membre. Des travaux conjoints qui ont duré plusieurs mois ont mené au dépôt d’un mémoire du Barreau du Québec devant cette commission parlementaire, dans lequel on peut lire ce qui suit :
L’introduction dans notre droit de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et de la Charte canadienne des droits a eu un impact significatif sur le droit de la personne à disposer de son corps.
Le barreau rappelait également ce qui suit:
Dans la cause de Morgentaler, la Cour suprême du Canada a défini le droit à la sécurité de la personne, en plus de développer le droit à la liberté et à la dignité de la personne, avec pour conséquence d’élargir considérablement le droit à l’autodétermination de la personne et le droit de disposer de son corps et de sa vie, selon ses propres valeurs, particulièrement à l’égard des décisions qui ont un grand impact personnel pour elle.
Le Barreau du Québec ajoutait ce qui suit :
Le caractère sacré de la vie, qui a toujours été la base de l’interdiction de l’euthanasie ou de l’aide au suicide, est un concept dont la portée a évolué en relation avec l’expansion du droit à l’autodétermination des personnes.
Ainsi, dans l’état actuel du droit, l’intérêt de l’État à préserver la vie devient moins prépondérant et cède le pas au droit à l’autodétermination en fin de vie, lorsque la personne majeure est en droit d’exprimer ses volontés.
Je rappelle que ce texte date de 2010.
La loi québécoise qui a suivi en 2014 voyait clairement l’aide médicale à mourir comme l’une des étapes dans les soins apportés aux patients dans le domaine de la santé, un domaine de compétence provinciale. Un régime complet d’application se trouvait dans le texte de la loi : réglementation, directives, guides de pratique et création d’une Commission de surveillance sur les soins en fin de vie. Des données statistiques et des recherches ont permis de développer une meilleure connaissance de ces questions. À titre de référence, je cite un seul rapport publié récemment, en novembre 2020, par l’Association des médecins psychiatres du Québec sur l’aide médicale à mourir pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale. La loi québécoise s’applique donc en parallèle avec les articles du Code criminel qui portent également sur l’aide médicale à mourir, que nous sommes appelés à modifier avec le projet de loi C-7.
Dans le rapport que la Commission sur les soins de fin de vie a déposé en avril 2019, on peut lire ce qui suit :
Certaines de ces conditions d’admissibilité et mesures de sauvegarde sont perçues par plusieurs comme étant trop restrictives et brimant l’autodétermination des personnes en fin de vie. C’est pourquoi la pression publique tend vers un élargissement de la Loi.
Dans son mémoire sur le projet de loi C-7 déposé à la Chambre des communes en février dernier, le Barreau du Québec a déclaré, sans surprise, que :
[…] l’inclusion du délai de 90 jours comme condition d’admissibilité à l’aide médicale à mourir est hautement problématique puisqu’elle crée des régimes d’admissibilité à l’AMM à plusieurs niveaux d’une part, selon que la mort du demandeur soit raisonnablement prévisible ou non et, d’autre part, selon que l’inaptitude découle de l’évolution normale de la maladie.
De plus, dans ce mémoire, le barreau réitérait un argument qu’il avait fait valoir dans les débats sur le projet de loi C-14 en 2016, soit que l’autre critère prévu à l’article 241.2(2)b), en vertu duquel « la situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités », devait être aboli, car il va à l’encontre de la décision Carter, qui a été rendue par la Cour suprême en 2015.
Il est important de rappeler que les deux parties demanderesses, M. Jean Truchon et Mme Nicole Gladu, étaient des personnes qui souffraient de handicaps très importants et qui estimaient que leur condition médicale respective leur causait des souffrances intolérables. Ces deux personnes ont obtenu un jugement qui invalidait le critère qui requiert que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible dans le Code criminel et qui invalidait, par la même occasion, le critère qui impose qu’une personne soit en fin de vie, que contient la loi québécoise, parce que ces deux articles portent atteinte à leur droit fondamental à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et à leur droit à l’égalité, deux droits qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés. Par ailleurs, ces violations ne peuvent se justifier en vertu de l’article 1 de la Charte.
Il est important de noter que le jugement Truchon se fonde directement sur les conclusions du jugement que la Cour suprême du Canada a rendu en 2015 dans la cause Carter. Le jugement Truchon a invalidé les articles visés dans les deux lois, tout en accordant au gouvernement fédéral et au gouvernement québécois une période de suspension pour modifier leur loi respective, s’ils le jugeaient opportun. Par ailleurs, le jugement précise qu’il accordera une exemption constitutionnelle à des personnes qui demanderaient l’AMM pendant cette période de suspension du jugement. Ce jugement n’a pas été porté en appel, ni par le gouvernement fédéral ni par le gouvernement provincial.
Rappelons que le critère retenu par la Cour suprême pour invalider les articles du Code criminel était le suivant :
[…] dans la mesure où [elles] prohibent l’aide d’un médecin pour mourir à l’égard d’une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition.
Ce faisant, la Cour suprême fait reposer la décision de faire une demande d’aide médicale à mourir sur le seul jugement de la personne souffrante, en dehors de tout contrôle extérieur. Le projet de loi C-7 annule l’effet du jugement Truchon parce qu’il maintient le critère invalidé par le jugement Truchon, à savoir le maintien du critère de la mort naturelle raisonnablement prévisible, tout en créant une distinction, sans fondement médical ni juridique, fondée sur l’évolution de la maladie. De plus, cette distinction se double d’obstacles supplémentaires dans le cas d’une personne dont la mort naturelle n’est pas prévisible. Or, ce n’est pas le fait que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible ou non qui doit décider de l’accès à l’AMM. Ce n’est pas non plus la nature de la maladie qui doit décider de l’accès à l’AMM. La question déterminante, dans l’accès à l’aide médicale à mourir, doit être celle de la capacité à consentir au moment où la demande est formulée, et les mesures de sauvegarde doivent être concentrées sur cet aspect de la question. Devant l’augmentation de l’espérance de vie dans notre société et la panoplie de médicaments et de traitements qui prolongent la vie des personnes malades, la question du consentement libre et éclairé rend tout à fait nécessaire la possibilité de donner des directives anticipées sur la fin de notre vie.
Des demandes de prolongation du délai de suspension accordé par le jugement Truchon ont été déposées par le gouvernement fédéral à trois reprises. La plus récente a été déposée il y a quelques jours et réclame une prolongation du délai jusqu’au 26 février prochain parce que le gouvernement a estimé que les débats sur ce projet de loi ne pourraient pas être terminés avant la date butoir du 18 décembre 2020. En effet, le Sénat vient à peine de commencer son étude après que la Chambre des communes a adopté le projet de loi. Par ailleurs, le Sénat a annoncé qu’il proposerait des amendements, et ces derniers devront être adoptés par la Chambre des communes, le cas échéant.
Il faut dire que le gouvernement fédéral n’était pas tenu de déposer cette dernière demande de prolongation de délai. Il aurait pu décider, à partir d’octobre 2019, de laisser le jugement de la Cour supérieure du Québec s’appliquer dans les limites du Québec, tout en laissant les autres actions judiciaires déposées dans les autres provinces suivre leur cours.
(1940)
Interrogé à ce sujet lors de sa comparution devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, dans le cadre de l’étude préalable du projet de loi C-7, le ministre fédéral de la Justice a invoqué la volonté du gouvernement de s’assurer que le Code criminel soit appliqué de façon uniforme au Canada. Toutefois, des témoins qui ont comparu devant le comité ont noté qu’une telle asymétrie dans l’application du Code criminel existe bel et bien, et que cela ne met nullement en cause l’intégrité de l’application du Code criminel. Autrement dit, si la récente demande de prolongation du délai est refusée, le jugement de la Cour supérieure du Québec continuera à s’appliquer au Québec seulement.
Il n’y a aucune raison scientifique qui justifie la création d’obstacles additionnels pour les personnes dont la mort n’est pas prévisible. Alors que plusieurs témoins du milieu médical nous ont affirmé que ce concept est flou et ambigu, et qu’il ne peut être régulé pour cette raison, d’autres témoins ont insisté sur l’impossibilité de prévoir l’évolution des maladies physiques et psychiatriques. Or, depuis plusieurs années, les patients peuvent refuser des traitements. Nous avons appris à évaluer la capacité de refuser des traitements. La nuance à faire avec l’aide médicale à mourir, c’est que le patient refuse de laisser au milieu médical l’autorité de décider du dernier acte médical qui lui sera administré.
Aujourd’hui, nous sommes les témoins de proches qui ont eu recours à l’aide médicale à mourir ou à qui on a refusé l’aide médicale à mourir. Ce sont des parents, des oncles, des tantes, des frères, des sœurs ou des amis. Nous ne pouvons faire comme si nous ignorions que c’est de notre vie et de notre mort dont il est question ici. Nous voulons être en mesure de déterminer les conditions selon lesquelles la vie garde son sens à nos yeux.
En terminant, chers collègues, j’insiste sur le fait que la révision parlementaire adoptée par le Parlement fédéral en 2016, qui aurait dû commencer en juin dernier, doit être amorcée sans plus tarder. Cette révision a créé des attentes légitimes au sein de la population. Le gouvernement a des comptes à rendre au Parlement quant au non-respect de cet article de la loi adoptée en 2016. Je vous remercie.
Son Honneur la Présidente suppléante : Est-ce que la sénatrice Dupuis accepterait de répondre à une question?
La sénatrice Dupuis : S’il y a consentement, oui.
La sénatrice Bellemare : Sénatrice Dupuis, je vous félicite de ce discours dans lequel il y avait beaucoup de points très intéressants. J’aimerais aborder avec vous la façon dont vous concevez la problématique de l’aide médicale à mourir par rapport à l’individu.
Lorsque je vous écoute, je ne suis pas certaine que vous envisagez l’aide médicale à mourir comme un problème de santé. Est-ce que, selon vous, la question de l’aide médicale à mourir est simplement une question individuelle pour un individu qui a le droit de décider de sa fin de vie, ou est-ce un droit encadré dans le contexte de l’évolution de son état de santé ?
La sénatrice Dupuis : Je vous remercie de votre question, sénatrice Bellemare. Je vous répondrai en disant que j’ai tenu à faire référence au consensus social qui s’est dégagé au Québec.
Son Honneur la Présidente suppléante : Sénatrice Dupuis, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?
La sénatrice Dupuis : Oui, si le Sénat y consent.
Son Honneur la Présidente suppléante : Êtes-vous d’accord, honorables sénateurs?
Des voix : Oui.
La sénatrice Dupuis : J’ai tenu à évoquer ce qu’un des témoins a défini comme démarche d’éducation populaire et réflexion sociale collective sur cette question de l’aide médicale à mourir dans le sens suivant. Il y a eu toute une évolution, à la fois grâce aux progrès scientifiques qui prolongent la vie des malades et en raison du déplacement de l’autorité en matière de santé. Cette autorité est passée des mains des médecins à celles des personnes. C’est une évolution sociale qu’on note depuis une trentaine d’années.
Ce qui était clair pour tout le monde, c’est que si vous étiez malade, vous vous en remettiez à l’autorité médicale. Puis, avec l’apparition des chartes, il s’est produit un renversement de cet équilibre, et on considère maintenant qu’il est évident que, dans la panoplie des soins de santé offerts, la question de l’aide médicale à mourir se pose dans le contexte de la vie humaine à partir du moment où on devient malade et âgé, lorsqu’on perd ses capacités cognitives ou lorsqu’on a un accident.
Donc, la question se pose dans le cadre des soins de santé, et c’est ce que la loi québécoise a voulu indiquer. La question de l’aide médicale à mourir s’inscrit dans un continuum de soins, et l’autorité de décider à quel moment la vie perd son sens est remise dans les mains de la personne qui souffre. C’est la Cour suprême qui l’a dit à partir de l’introduction des droits qui ont été reconnus.
Bien entendu, il y a les individus, car, après tout, on parle aussi de vies individuelles.
La sénatrice Bellemare : Si je comprends bien, vous faites une distinction à partir du moment où on reconnaît que l’aide médicale à mourir s’inscrit dans le contexte d’une souffrance intolérable et d’une maladie. On ne parle pas d’aide au suicide, ce qui est tout à fait différent, et c’est ce que je voulais vous amener à préciser dans votre réponse à ma question. L’aide médicale à mourir s’inscrit dans le contexte de la souffrance liée à une maladie qu’on est incapable d’apaiser, et non dans le choix individuel de vouloir mettre fin à sa vie.
La sénatrice Dupuis : J’ajouterais que ce qui était acquis, lorsque le médecin avait l’autorité d’administrer une sédation terminale, c’est ce transfert qui s’est produit et qui a remis cette autorité dans les mains du patient qui estime que sa vie n’a plus de sens, que ses souffrances sont devenues intolérables et qu’il ne laissera pas aux médecins l’autorité de décider à sa place le moment où la situation devient intolérable.
[Traduction]
L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, je parlerai aussi du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir). Je tiens à saluer tous ceux qui ont participé à ce débat. Il s’agit d’une question très grave, et je suis reconnaissant des opinions réfléchies et éclairantes que j’ai entendues de tous les côtés. Je tiens également à remercier ceux qui m’ont écrit personnellement à propos du projet de loi C-7, surtout les Canadiens qui vivent avec un handicap important. Leurs conseils à ce sujet sont à la fois précieux et opportuns.
Je me concentrerai aujourd’hui sur deux enjeux qui découlent du projet de loi et qui sont distincts sur certains aspects, mais aussi interreliés dans une certaine mesure. Le premier enjeu a déjà été abordé, mais il est trop important pour qu’on le mette de côté. Le second n’a pas du tout été examiné convenablement, à mon avis.
Le premier enjeu est l’incidence de ce projet de loi sur les communautés vulnérables du Canada, particulièrement les personnes handicapées. Comme l’a dit Krista Carr, vice-présidente à la direction du Conseil des Canadiens avec Déficiences :
[...] le projet de loi C-7 permett[rait] aux personnes handicapées de mettre fin à leur vie, alors qu’elles souffrent, mais ne sont pas mourantes [...] On nous dit que les Canadiens veulent cela, pourtant, toutes les organisations nationales de personnes handicapées s’y opposent.
C’est très troublant d’entendre cela. Cela devrait être perçu comme le signal d’alarme qu’il est certainement. Ce que l’on propose, c’est d’accorder aux personnes handicapées le droit d’obtenir l’aide médicale à mourir, alors qu’on ne leur offre actuellement aucun droit à un soutien adéquat au Canada.
(1950)
Des témoins de la communauté des personnes handicapées qui ont comparu devant des comités du Sénat et de la Chambre nous ont dit que le fait même d’inclure le handicap comme condition justifiant le suicide assisté revient à déclarer que la vie d’une personne handicapée ne vaut pas la peine d’être vécue. Je crains qu’en tant que société, nous aggravions la situation lorsque nous ne fournissons pas aux communautés vulnérables un soutien adéquat sur le plan social et sur le plan des soins de santé.
Comme des témoins l’ont dit aux députés, nous risquons de pousser ces personnes à choisir de mettre fin à leur vie plutôt que de continuer à vivre. À cet égard, Mme Carr a également déclaré au Comité sénatorial des affaires juridiques que 75 % des personnes handicapées sont sans emploi, qu’elles sont trois fois plus susceptibles de vivre dans la pauvreté, quatre fois plus susceptibles de subir de la violence, et que beaucoup vivent dans des établissements de soins de longue durée ou d’autres institutions où les réseaux de soutien communautaire et personnel peuvent être faibles, voire quasi inexistants. Nous n’avons tout simplement pas suffisamment réfléchi aux implications de cette situation, et nous ne disposons pas de données claires sur les conséquences qu’a l’aide médicale à mourir sur les communautés vulnérables dans d’autres pays.
Le gouvernement libéral parle souvent des Nations unies, mais je me demande si le premier ministre et son cabinet ont déjà consulté la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. S’ils l’avaient fait, ils sauraient que l’article 19 dit :
Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société […]
Puis, à l’article 25, la convention énonce ce qui suit en faisant référence à la santé :
Les États Parties reconnaissent que les personnes handicapées ont le droit de jouir du meilleur état de santé possible sans discrimination fondée sur le handicap.
Je sais que tous les gouvernements, ainsi que nos autorités sanitaires, nos hôpitaux et nos professionnels de la santé, donnent le meilleur d’eux-mêmes dans tous ces secteurs. Je sais aussi que les familles des personnes handicapées font tout leur possible pour aider leurs êtres chers vivant avec un handicap. Cependant, sommes-nous dans une position où nous pouvons dire, collectivement, en tant que société, que nous nous acquittons de nos responsabilités à l’égard de la communauté des personnes handicapées à un point tel que nous pouvons, en notre âme et conscience, offrir l’aide médicale à mourir de façon à ce les communautés de personnes vulnérables n’en paieront pas le prix de manière disproportionnée? En mon âme et conscience, je ne peux pas affirmer que je crois que ce sera le cas.
Cela m’amène à la seconde question que je souhaite aborder. Comme société, nous fonçons droit devant pour élargir radicalement l’accès à l’aide médicale à mourir au Canada. Or, nous en savons très peu sur la manière dont elle est mise en œuvre. Selon Santé Canada, entre décembre 2015 et la fin octobre 2018, le bilan officiel des personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir était de 6 749 personnes. Amy Hasbrouck, membre du conseil d’administration et directrice de l’organisation Toujours Vivant, a dit à notre comité sénatorial que ce nombre s’élève actuellement à près de 20 000 personnes.
Après avoir examiné le coût des soins de santé, le directeur parlementaire du budget estime que le nombre de personnes ayant reçu l’aide médicale à mourir s’élèvera à 6 500 personnes en 2021 seulement et que le projet de loi dont nous sommes saisis fera augmenter ce chiffre de 1 164 personnes de plus par année. Cela signifie que, au minimum, près de 8 000 personnes recevront chaque année l’aide médicale à mourir. Ayant étudié la situation dans d’autres pays, je crains qu’il s’agisse d’estimations conservatrices. Par exemple, aux Pays-Bas, un rapport publié par le journal The Guardian laisse entendre qu’en 2017, plus du quart de toutes les morts de ce pays étaient provoquées médicalement. Cette statistique comprend les personnes qui se sont enlevé la vie, qui sont mortes par l’euthanasie et qui ont reçu la sédation palliative. Cela montre certainement que nous nous engageons sur une pente glissante.
Alors que nous élargissons graduellement la portée de l’aide médicale à mourir au Canada, il ne faudrait pas croire que nous ne nous engageons pas dans la même voie. Le ministre de la Justice l’a pratiquement admis devant les comités de la Chambre des communes et du Sénat. Pourtant, je crois qu’on n’a jamais traité un projet de loi aux conséquences aussi importantes que le projet de loi C-7 avec autant de désinvolture et sans un examen approprié. Nous savons très peu de choses sur la façon dont l’aide médicale à mourir est mise en œuvre actuellement, les gens qui la reçoivent et l’effet qu’elle aura probablement sur les communautés vulnérables.
Ainsi, il y a très peu de renseignements, dans la sphère publique, sur les protocoles qui encadrent la mise en œuvre de l’aide médicale à mourir au Canada. Il faut faire des recherches pour les trouver. À titre d’exemple, nous n’avons pas trouvé, en ligne, les propositions des Territoires du Nord-Ouest concernant l’aide médicale à mourir. Le document porte même la mention « réservé à un usage interne, aucune distribution publique ». Pourquoi procéder de la sorte alors que, chaque année, des milliers de personnes reçoivent maintenant l’aide médicale à mourir au Canada? C’est peut-être parce que certains aspects de cette pratique sont désagréables et troublants?
On peut lire le constat suivant dans un article écrit par plusieurs médecins et publié dans la revue médicale BMJ Open :
Le projet de loi C-14 a mis en place des critères d’admissibilité auxquels les patients doivent satisfaire pour recevoir l’aide médicale à mourir, mais n’a fourni aucune orientation sur les aspects cliniques de l’administration de l’aide à mourir. Des questions cliniques cruciales restent sans réponse, telles que les produits pharmaceutiques, les doses et les voies d’administration à utiliser pour provoquer la mort; les rôles, le champ d’activité et les exigences en matière de formation des professionnels de la santé […]
[…] il est impossible de déterminer quels médicaments ou combinaisons de médicaments sont les plus efficaces et entraînent le moins de complications et le moins de détresse pour les patients, les prestataires et les familles.
Il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas encore et beaucoup de questions dont les médecins discutent encore. Cependant, on peut voir que plusieurs provinces canadiennes semblent utiliser des protocoles d’administration de médicaments multiples. Selon un article rédigé par plusieurs praticiens du Collège des médecins de famille, dans les provinces canadiennes :
Le protocole IV le plus courant consiste en 10 mg de midazolam, puis 1000 mg de propofol, suivis par 200 mg de rocuronium. Il est important de s’assurer que le patient est dans un coma complet avant de donner le relaxant musculaire […] Il faut de 5 à 10 minutes avant que l’administration par voie IV fasse effet […]
En ce qui concerne l’utilisation du midazolam en particulier, le Medical Assistance in Dying Protocols and Procedures Handbook Comox Valley fait remarquer que le médicament « fonctionne comme un sédatif et n’a pratiquement aucun effet secondaire ». Toutefois, selon le même protocole, « il peut provoquer de l’agitation. Si c’est le cas, administrez immédiatement du propofol. »
C’est un euphémisme de dire que le midazolam peut causer de l’agitation, étant donné que ce médicament a été au cœur d’un certain nombre d’affaires juridiques aux États-Unis concernant l’application de la peine de mort. En 2014, un délinquant a été exécuté en Ohio au moyen d’un protocole utilisant trois médicaments, dont le midazolam. Dans ce cas-ci, il a fallu 24 minutes à la personne pour mourir, dont 10 à 13 minutes où il aurait suffoqué. Le protocole de la Colombie-Britannique reconnaît que :
L’arrêt cardiaque devrait survenir dans les 5 minutes, mais il pourrait falloir jusqu’à 20 minutes [...]
De toute évidence, cette durée est jugée problématique d’un point de vue juridique aux États-Unis lorsqu’il est question des droits des criminels violents condamnés à mort, mais on en a à peine discuté au Canada, même si le médicament a déjà été administré à des milliers de personnes.
À cause des allégations de problèmes liés au midazolam, plusieurs États, notamment l’Ohio et la Floride, ont cessé de l’utiliser dans leur protocole d’exécution. En 2015, la Cour suprême des États-Unis a rendu une décision dans l’affaire Glossip c. Gross. L’affaire concernait Richard Glossip, un détenu en Oklahoma, qui a contesté l’usage du midazolam dans le protocole de son exécution parce que l’État aurait bâclé une exécution en ayant recours à ce médicament l’année précédente. Or, dans une décision serrée, soit cinq juges contre quatre, la cour s’est prononcée contre le défendeur, mais les juges Sotomayor, Breyer, Kagan, et Ruth Bader Ginsberg ont exprimé avec force leur dissidence, en soulignant particulièrement de graves problèmes potentiels liés à l’usage du midazolam. Les juges dissidents ont convenu que :
[...] l’usage du midazolam comme sédatif dans un cocktail de trois médicaments destiné à une injection létale est insuffisant sur le plan constitutionnel [...]
(2000)
Je n’ai trouvé aucune discussion semblable au Canada concernant l’utilisation de ce médicament, ni d’ailleurs aucun examen sérieux par des organismes extérieurs des protocoles canadiens actuels de l’aide médicale à mourir. Il semble que nous sachions beaucoup de choses sur les exécutions bâclées aux États-Unis, mais nous ne savons presque rien des suicides assistés qui ont pu être bâclés au Canada, même si le nombre total de décès dans le cadre de l’aide médicale à mourir dont nous parlons au Canada est exponentiellement plus élevé qu’aux États-Unis. Cela n’est peut-être pas surprenant compte tenu des préoccupations en matière de protection de la vie privée. Bien respectueusement, chers collègues, je suis d’avis que cela devrait nous inquiéter d’un point de vue stratégique.
Pour terminer, je tiens à préciser que je ne suis pas médecin. Je ne suis certainement pas spécialiste du midazolam ou des protocoles médicaux, mais cela ne m’empêche pas de trouver extrêmement inquiétante l’absence de discussions ouvertes sur ces questions au Canada. Il y a un manque de transparence entourant la manière dont l’aide médicale à mourir est mise en œuvre et ceux qui sont le plus susceptibles d’en subir les conséquences. Malgré cela, le gouvernement propose maintenant d’étendre encore plus la portée du programme. Il nous avait promis un examen quinquennal lors de l’adoption du projet de loi C-14 au cours de la dernière législature, et maintenant la Cour supérieure du Québec a rendu une décision et fixé une échéance au gouvernement fédéral.
Le gouvernement fédéral aurait pu s’adresser à la Cour suprême, mais il a préféré créer ce que je considère comme un régime profondément bancal. Je suis tout simplement incapable de passer outre les défauts inhérents à l’approche que propose le projet de loi C-7, les répercussions sociales qu’elle risque d’avoir et la marginalisation qui risque de frapper certaines personnes.
Déjà à l’époque du projet de loi C-14, je disais que je ne fais pas assez confiance à l’État pour lui confier la vie des gens, et je le pense encore aujourd’hui. Si mes conclusions concernant le projet de loi C-7 ne tiennent pas la route, je préfère que ce soit par trop grand respect pour la vie et pour le droit de chacun à la vie.
Les questions de vie et de mort doivent faire l’objet d’un examen soigneux et attentif et nous devrions refuser d’élargir les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir tant que ce ne sera pas fait. Cet examen est essentiel et il devrait avoir lieu en 2021, comme l’avait promis le gouvernement, et ce n’est qu’une fois que l’expérience des cinq dernières années aura fait l’objet d’un examen complet et exhaustif que l’on pourra aller de l’avant. Le gouvernement aurait pu — et aurait dû — tenir la promesse qu’il a faite.
Je demande au gouvernement de réévaluer son approche. Je ne peux pas, en toute conscience, voter pour ce projet de loi, du moins pas dans sa forme actuelle, et je presse les honorables sénateurs de se ranger eux aussi du côté des Canadiens les plus vulnérables. Je vous remercie.
Des voix : Bravo!
L’honorable Leo Housakos (Son Honneur le Président suppléant) : Le sénateur MacDonald accepterait-il de répondre à une question de la sénatrice Lankin?
Le sénateur MacDonald : Bien entendu.
Son Honneur le Président suppléant ։ Souhaitez-vous demander cinq minutes de plus pour entendre la question et y répondre, sénateur MacDonald?
Le sénateur MacDonald : Si le Sénat y consent, certainement.
Son Honneur le Président suppléant ։ Honorables sénateurs, accordez-vous cinq minutes de plus?
Des voix : D’accord.
L’honorable Frances Lankin : Merci, sénateur McDonald. Vous soulevez une question et un problème dont nous avons peu entendu parler et que nous n’avons pas étudiés. J’ai tendance à convenir que l’examen aurait déjà dû avoir lieu. Au cours de l’étude du projet de loi C-14, j’ai aussi fait valoir qu’il fallait que les examens au sujet des directives anticipées, des mineurs matures et la maladie mentale pour seule condition médicale aillent de l’avant, non seulement avec une revue des travaux universitaires, mais aussi avec des groupes d’experts, qui auraient formulé des recommandations en plus de fournir des informations. Par ailleurs, je suis consciente que les choses évoluent.
Vous soulevez la question des protocoles entourant les substances utilisées. J’ai suivi ce qui s’est passé avec l’administration du midazolam pour les peines de mort aux États-Unis. Ce dont vous parlez m’horrifie. J’aimerais comprendre davantage l’état de la situation et j’espère de tout cœur qu’elle sera étudiée sérieusement dans le cadre de l’examen du projet de loi C-14 sur l’aide médicale à mourir, parce qu’elle dépasse la portée de celui-ci.
J’ai écouté votre discours et j’ai cru entendre que vous n’arriviez pas à trouver de protocoles, je crois que c’était peut-être pour les Territoires du Nord-Ouest, et vous avez lu des extraits de ceux de la Colombie-Britannique. Je n’ai pas entendu si vous aviez des références pour d’autres provinces ou que ces références non plus n’étaient pas publiques. Je me demandais si vous pouviez nous le répéter et nous dire si vous avez eu l’occasion de parler à des chercheurs en santé. Je comprends que vous ne l’avez peut-être pas fait, mais on a peut-être déjà commencé à examiner ces protocoles et ceux-ci ont peut-être été précisés avec le temps ou bien il s’agit d’une grave lacune, pas seulement du point de vue de l’examen parlementaire, mais aussi d’un point de vue médical.
J’aimerais connaître vos observations à ce sujet. Je vous remercie encore une fois de soulever ces questions importantes.
Le sénateur MacDonald : Merci, sénatrice. Comme bien des gens, je ne songeais même pas à parler de cette question au départ, mais je dois avouer que la correspondance que j’ai reçue, en particulier de la part de personnes handicapées, m’a ouvert les yeux et m’a amené à y réfléchir à deux fois. Ces gens sont très vulnérables. J’ai commencé à me pencher de plus près sur la question, puis je me suis dit qu’il fallait que j’en parle.
En fait, ce n’est qu’après avoir décidé d’en parler que je me suis rendu compte à quel point nous avons peu de données pour évaluer les protocoles en place dans ce pays. Je n’ai presque pas trouvé de données publiquement accessibles à court terme.
Nous avons toujours eu beaucoup de respect et de confiance à l’égard de la profession médicale dans ce pays. Cela fait partie de notre culture. Nous croyons que les médecins peuvent s’occuper de tout parce qu’ils savent ce qu’ils font. Cependant, il n’y a pas vraiment de protocole établi, du moins, pas à ma connaissance.
Encore une fois, si les États-Unis ont autant de difficulté à établir un protocole à l’égard d’un assez petit groupe de personnes à qui on administre ce médicament — nous savons que le Canada utilise ce médicament à bien plus grande échelle dans le cadre de l’aide médicale à mourir —, je me demande à quel point nous manquons d’information et dans quelle mesure il y a des choses qu’on ne nous dit pas. C’est le genre de questions qui mérite d’être explorées.
Encore une fois, je pense qu’il vaut mieux pécher par excès de prudence dans ce dossier, et c’est pour cela que j’ai inclus cet aspect dans mon discours. Je pense que nous n’en avons pas suffisamment parlé. C’est le principal aspect dont on devrait, à mon sens, discuter plus ouvertement et de manière plus approfondie. Voilà ce que j’en pense.
L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, permettez-moi de commencer par une ou deux observations préliminaires. Je suis encore nouveau au Sénat. En fait, je suis toujours le plus novice des sénateurs, et il y a eu des moments où je me suis demandé pourquoi j’étais venu siéger au Sénat. Je dirai que ces derniers temps, à la suite des débats et de l’examen de cette question, j’ai maintenant le sentiment de savoir pourquoi je suis ici et pourquoi je suis honoré d’être ici, avec vous. Nous avons une discussion riche et sincère, qui a des résonances profondes chez un grand nombre d’entre nous, dont moi-même.
J’ai le sentiment que nous nous débattons avec la souffrance et la vulnérabilité des gens et que nous essayons de trouver la meilleure façon de nous y prendre. Les grandes questions, en partie juridiques, sont les suivantes : quelles sont les limites que nous devrions imposer, en tant que société, à l’autonomie de personnes qui souhaitent mourir et est-il vrai que l’autonomie n’est pas véritablement donnée à tous dans notre société? Nous en avons déjà discuté. J’en parlerai un peu dans mes remarques formelles.
Il y a trois sujets que je voudrais aborder, en partie de nature juridique et en partie, je l’espère, de nature humaine. Le premier est ce que je pense être la décision malheureuse du gouvernement du Canada de ne pas avoir demandé de renvoi à la Cour suprême du Canada en ce qui concerne de nombreuses questions juridiques compliquées associées à l’aide médicale à mourir, dont nous débattons et qui sont soulevées dans le projet de loi C-7.
Le deuxième sujet est ma préoccupation quant à la constitutionnalité de ne pas autoriser le recours à l’aide médicale à mourir lorsque la seule condition médicale invoquée est une maladie mentale.
Le troisième sujet, ce sont les implications, sociales, surtout, associées au fait de rendre l’aide médicale à mourir accessible aux personnes qui souffrent gravement, mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.
Dans ses observations, il y a quelques jours, le sénateur Gold a signalé que le projet de loi C-7 engendrera une série de contestations judiciaires et que sa constitutionnalité sera remise en question pendant des années à venir. Certaines communautés d’intérêts contesteront leur inadmissibilité au régime alors que d’autres soutiendront que le projet de loi accroît leur vulnérabilité. Certaines contestations viendront de personnes qui souhaitent se prévaloir de l’aide médicale à mourir, mais dont la seule condition invoquée est une maladie mentale. Certains diront que les mesures de sauvegarde sont trop restrictives. D’autres diront qu’elles ne sont pas suffisamment strictes.
(2010)
Les tribunaux seront inondés de contestations judiciaires.
Au-delà de la portée du projet de loi C-7, d’autres questions seront soulevées. D’ailleurs, nous avons récemment discuté de certaines, notamment celle des directives anticipées. D’autres questions dépassent mon entendement. Le sénateur Gold a laissé entendre que le projet de loi C-7 a l’avantage de clarifier les choses pour les gens et de leur permettre d’accéder rapidement à un service dont ils ont grandement besoin. Il a partiellement raison. Toutefois, la seule option qui s’offrira aux personnes inadmissibles à la mort dans la dignité sera de contester la constitutionnalité du projet de loi. Pour ce faire, elles devront se battre en cour pendant des années, si l’affaire est portée jusqu’à la Cour suprême du Canada, et paieront un prix énorme, tant sur le plan financier qu’émotionnel.
J’ai passé au moins une partie de ma carrière à baigner dans les renvois constitutionnels, les dossiers qui sont préparés pour les tribunaux et les plaidoiries. Grâce à cette expérience, je peux vous dire que toutes ces questions auraient pu être présentées de façon rapide et efficace à la Cour suprême du Canada en vue d’obtenir des lignes directrices définitives en temps opportun et de minimiser le fardeau des particuliers qui ont assurément le droit de savoir à quoi s’en tenir par rapport à des enjeux d’une telle importance.
En fait, le choix de ne pas adresser un renvoi fera en sorte que plus de gens se retrouveront dans des circonstances tragiques et plus de gens attendront que leurs droits soient reconnus. À mon avis, ce choix était regrettable. Toutefois, je dirai ceci : même si le projet de loi est adopté, comme je m’y attends — peut-être avec des amendements —, le renvoi est toujours une option possible.
Mon deuxième point porte sur l’exclusion prévoyant que l’aide médicale à mourir n’est pas permise lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Le sénateur Gold, alors qu’il parlait au nom du gouvernement du Canada, a fait valoir que même si le sujet fait l’objet de débats, le gouvernement est d’avis que cette disposition — celle qui exclut la maladie mentale — est constitutionnelle. Je m’inscris en faux contre ce point de vue.
Je ne tenterai pas de reprendre l’analyse juridique incisive du sénateur Carignan sur les décisions judiciaires prononcées sur cette question. J’aborderai plutôt cette dernière d’un point de vue légèrement différent. Il existe bel et bien un jugement important qui conclut que, selon l’arrêt Carter, une personne peut être admissible à l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée. Le sénateur Gold n’a pas fait référence à cette affaire, la considérant probablement comme une exemption constitutionnelle, comme si on ne devrait pas tenir compte de ce type d’affaires.
C’est inexact. Je parle de l’affaire Canada (Procureur général) c. E.F.. La décision dans cette affaire repose tout spécialement sur les critères déterminés dans l’arrêt Carter. E.F. était une femme qui était seulement atteinte d’un trouble psychiatrique, mais qui vivait dans des souffrances et des douleurs atroces n’ayant aucune explication physiologique. Personne ne mettait en doute ses souffrances. Elle souffrait depuis des années, mais sa mort n’était pas raisonnablement prévisible. C’était après que la Cour suprême eut rendu sa décision dans l’arrêt Carter, et donc après l’établissement d’un cadre de gouvernance, mais avant le projet de loi C-14. C’était durant une période où les principes de l’arrêt Carter étaient applicables.
Voici ce qui s’est produit. Confirmant la décision de la juge de première instance, trois des juges les plus expérimentés de la Cour d’appel de l’Alberta — et si cela vous intéresse, ces juges ont été nommés par différents gouvernements fédéraux — ont décidé à l’unanimité d’appliquer explicitement l’arrêt Carter à la situation d’E.F. et exaucé son souhait d’obtenir l’aide médicale à mourir et de mourir dans la dignité.
Tous les arguments du gouvernement du Canada ont été rejetés par la Cour d’appel, et le gouvernement n’a pas porté cette décision en appel.
Que s’est-il passé ensuite? On a présenté le projet de loi C-14 afin de réserver l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible, vous le savez. La mesure a été présentée avant mon arrivée. Elle n’excluait pas précisément les personnes comme E.F. de l’aide médicale à mourir, mais elle les y rendait inadmissibles, car, j’en conviens, les maladies mentales peuvent entraîner de terribles souffrances, mais il faut reconnaître qu’il arrive rarement que la maladie mentale soit la seule condition sous-jacente d’une personne qui veut s’enlever la vie.
Ensuite, en raison de la décision Truchon, l’exigence que l’aide médicale à mourir soit uniquement offerte aux personnes dont la mort est raisonnablement prévisible a été rejetée, car elle a été jugée anticonstitutionnelle. Cela a fait en sorte que des personnes comme E.F., qui souffrent d’une maladie mentale grave, mais dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible, soient de nouveau admissibles à l’aide médicale à mourir.
Maintenant, avec le projet de loi C-7, le gouvernement prend la décision de rendre inadmissibles les personnes dont la seule condition sous-jacente est la maladie mentale, un droit qui a été établi par la Cour d’appel de l’Alberta et qui a été reconfirmé implicitement dans l’arrêt Truchon, comme l’a mentionné le sénateur Carignan.
Soyons clairs : le projet de loi supprime un droit établi par les tribunaux. En effet, le gouvernement du Canada a mis en œuvre une des demandes du jugement de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon et, du même souffle, par ce projet de loi, il va à l’encontre de la décision unanime d’une cour d’appel de l’Alberta qui reconnaissait ce droit constitutionnel.
À ce sujet, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la question de la constitutionnalité des dispositions et aux responsabilités des sénateurs. J’en suis arrivé à la conclusion que, si un sénateur est d’avis qu’une disposition quelconque revêtant une certaine importance est inconstitutionnelle, ce sénateur a le devoir constitutionnel de ne pas l’appuyer. J’ai besoin de plus d’informations et de conseils à ce sujet, mais j’aurais tendance à penser que l’exclusion de la maladie mentale prévue dans le projet de loi C-7 est inconstitutionnelle, ce qui me porte à appuyer un amendement intelligent qui ferait en sorte d’inclure les gens atteints de maladie mentale en leur donnant accès au régime d’aide médicale à mourir.
Mon troisième point porte sur la question de la mort qui n’est pas raisonnablement prévisible, que j’envisage plus du point de vue humain que du point de vue légal. Cela me fait penser à la chanson « Bridge Over Troubled Water », de Simon et Garfunkel. Certains parmi nous sont assez vieux pour connaître la musique de Paul Simon. Vous vous rappelez sûrement du passage qui parle des mauvais moments qu’on peut vivre : « When you’re down and out/When you’re on the street », et cetera, je ne me souviens pas de toutes les paroles, mais vous comprenez où je veux en venir. Simon et Garfunkel parlent de bâtir un pont pour franchir des eaux agitées.
Ce que nous devons faire ici n’est pas de construire le pont dont nous discutons, mais un autre pont : celui qui mènera à la mort dans la dignité; celui qui offrira la chance aux gens de vivre en meilleure santé et de manière plus épanouie, même lorsqu’ils sont vulnérables et handicapés et qu’ils souffrent.
Je tiens à remercier Paul Simon pour cela, mais aussi la sénatrice Seidman, qui m’a signalé les travaux du comité parlementaire sur l’aide médicale à mourir. Ceux-ci m’ont inspiré à prendre la parole ce soir. Je suis nerveux, parce que je sais qu’il y a toutes sortes de traditions et que si je ne m’y conforme pas, le sénateur Housakos ou le sénateur Plett m’aideront et me ramèneront gentiment à l’ordre. Je me suis dit que je prendrai tout de même la parole et courrai le risque.
Tout bien considéré, les dispositions sur la mort non raisonnablement prévisible d’une personne sont probablement constitutionnelles, mais ce dont je veux vraiment parler, c’est d’autonomie — l’autonomie de faire ce choix et l’autonomie de pouvoir faire de bons choix honorables.
Cette question me touche de très près, et je veux commencer ici. Lorsque j’avais 7 ans, ma famille a quitté Kamsack, en Saskatchewan, pour s’installer à Moose Jaw, aussi en Saskatchewan. La sénatrice Batters connaît bien Moose Jaw et elle était ravie d’apprendre que j’y ai grandi. Mon père a abandonné sa clinique dentaire florissante à Kamsack et son titre de maire de la ville. Il s’appelait Wilfrid, ce qui vous donne un indice sur son orientation politique, pour ceux qui se souviennent de Wilfrid Laurier ou qui ont grandi avec lui.
Il a accepté un poste salarié... J’aurai besoin de plus de temps, honorables sénateurs.
Des voix : D’accord.
Le sénateur Cotter : Il a accepté un poste salarié au sein du gouvernement de la Saskatchewan en tant que dentiste à Moose Jaw à l’école qui s’appelait alors l’école de formation provinciale de la Saskatchewan. Il était le seul responsable de près de 1 000 personnes à l’école de formation, un établissement pour les personnes souffrant de handicaps mentaux, dont certains étaient graves et lourds.
Mon père aimait ses patients. À peu près à cette époque de l’année, il était le père Noël pour les résidants. Il avait le physique pour le rôle. Chaque matin de Noël pendant 10 ans, je me levais et j’allais à l’église pour être enfant de chœur à la messe de Noël, puis je revenais à la maison pour ouvrir les cadeaux de Noël avec mon frère et ma sœur, et fêter le matin de Noël.
Chaque matin de Noël, mon père disparaissait pendant deux ou trois heures. Pendant longtemps, j’ignorais où il allait. En fait, il retournait à l’école de formation, comme on l’appelait alors, pour être le père Noël et servir le petit déjeuner aux milliers de résidants. Au début, j’étais blessé qu’il abandonne sa famille pendant ces heures précieuses du matin de Noël, mais j’ai fini par comprendre et par admirer profondément son engagement envers les moins nantis et ceux qui n’avaient pas été aussi choyés que nous par la vie. Cette compréhension et cette attention sont des valeurs qui accompagnent une personne toute sa vie.
(2020)
Maintenant, deux décennies plus tard, j’ai une fille, Kelly, que j’aime beaucoup. Elle est atteinte d’une déficience intellectuelle. C’est une jeune femme merveilleuse. J’espère que vous aurez l’occasion de la rencontrer lorsque les gens pourront se déplacer plus librement. Elle vit dans une communauté avec assistance sur l’île de Vancouver et y reçoit du bon soutien et elle est aussi soutenue par sa mère et moi. Nous avons la chance d’être à l’aise financièrement et de pouvoir nous consacrer à son bonheur. Nous sommes convaincus qu’elle pourra avoir une vie riche et épanouie et sera capable de prendre ses propres décisions concernant sa vie. Cependant, ces associations et le cadeau qu’elle m’a fait, pour ainsi dire, m’ont appris qu’il y a beaucoup de gens pour qui cette autonomie est limitée. Certains diront même qu’elle est absente.
Je suis maintenant arrivé au point où j’ai entendu beaucoup de sénateurs parler du projet de loi C-7. À mon avis, le projet de loi C-7 vise à offrir une liberté de choix aux citoyens en tenant compte d’un ensemble de circonstances liées à leurs souffrances. J’appuie cette liberté, notamment le fait de l’offrir aux personnes handicapées et aux personnes en situation de vulnérabilité. Nous avons entendu de nombreuses histoires déchirantes.
Là où le projet de loi me déçoit, ou, du moins, où le gouvernement n’arrive pas à respecter son engagement, c’est qu’il n’établit pas de nouveau pont. Je vais me montrer peu charitable envers quelques sénateurs, mais je ne les nommerai pas. Je pourrais avoir des ennuis si je le faisais. Le sénateur Plett se porterait à leur défense si je les nommais.
Le projet de loi n’atteint pas son objectif dans la mesure où il n’établit pas de nouveau pont pour s’assurer que l’on peut exercer cette liberté dans des circonstances considérablement plus équilibrées et équitables et potentiellement moins coercitives. En conséquence, j’appuie la liberté de choix, mais j’ai désespérément hâte de voir des circonstances où il est possible d’exercer cette liberté plus librement. C’est là où l’inspiration de la sénatrice Seidman m’a beaucoup aidé.
Cela m’amène à la raison pour laquelle j’ai décidé de me prononcer sur ce sujet aujourd’hui. J’ai entendu plusieurs sénateurs s’exprimer sur ces enjeux, à savoir que les questions d’aide à la vie, de médiation auprès des personnes handicapées et vulnérables, relèvent de la compétence des provinces. J’ai entendu de telles remarques de la part de sénateurs qui m’ont donné le goût de poser ma candidature au Sénat. J’admire leur point de vue, mais ce genre d’enjeux me préoccupent beaucoup. L’idée est la suivante : Ottawa propose des solutions, et les provinces les mettent en application. C’est une réponse fédérale classique aux problèmes du Canada.
Ottawa en a l’autorité. Néanmoins, certaines provinces n’aiment pas le principe selon lequel Ottawa possède le pouvoir de dépenser de l’argent dans des domaines de compétence provinciale.
Au cours des dernières semaines, nous avons entendu des témoignages, notamment de titulaires de chaires de recherche en éducation et de professeurs d’université. Leurs postes et leurs salaires sont payés directement par Ottawa dans des domaines de compétence provinciale. À mes yeux, il est inacceptable de se contenter d’invoquer la « compétence provinciale ».
Ottawa peut, en faisant preuve de sagesse, en partenariat avec les provinces et d’une manière qui respecte leurs compétences, investir véritablement dans ce domaine pour construire ce deuxième pont métaphorique. Se cacher derrière la division des pouvoirs plutôt que de prendre les devants et d’investir pour que les plus vulnérables d’entre nous puissent vivre une vie plus épanouie et faire des choix en toute autonomie, dont le choix peut-être le plus important que certains feront jamais — celui de mourir —, n’est pas banal, et il est inquiétant que nous utilisions comme excuse la division des pouvoirs pour écarter cette possibilité.
Ottawa dispose de nombreux mécanismes pour y parvenir dans le cadre d’un dialogue avec les provinces et les territoires. En effet, d’après mon expérience — et j’ai passé 12 ans à essayer de résoudre cette équation lorsque j’étais sous-ministre provincial —, Ottawa trouve toujours une solution si l’enjeu est suffisamment important. Quoi de plus important que d’aider les plus vulnérables à vivre une vie aussi épanouie que possible et de les aider à bénéficier des meilleures conditions possibles s’ils décident de faire le choix déchirant de mourir? Je respecte ce choix, mais je pense qu’il faut en aborder l’idée en considérant la vie dans son ensemble — quoi que nous puissions faire.
J’irais plus loin en affirmant que dans cette enceinte, les sénateurs parlent — nombre d’entre eux avec éloquence — au nom d’une province ou d’un territoire, mais pour cet enjeu, je pense que nous devrions parler à notre province ou à notre territoire. Quand les ressources sont disponibles, comme elles le deviennent quand le gouvernement du Canada répond aux besoins des citoyens les plus vulnérables — autant en général que relativement à cet enjeu précis — nous devons insister auprès de notre province ou de notre territoire pour que les sommes destinées à ces usages très importants, pour des groupes ciblés, soient utilisées expressément pour satisfaire les besoins des personnes vulnérables ciblées.
J’arrive à mon dernier point. La valeur d’une société ne se mesure pas au nombre de millionnaires qu’elle produit, mais au traitement qu’elle réserve aux plus vulnérables de ses membres. Généralement, notre société remplit son devoir moral. Toutefois, dans le cas particulier des décisions que prennent nos concitoyens les plus vulnérables concernant leur vie et parfois leur mort dans la dignité, nous devons faire mieux. Merci.
Des voix : Bravo!
Son Honneur le Président suppléant ։ Sénateur Cotter, accepteriez-vous de répondre à des questions des sénatrices Batters et McCallum?
Le sénateur Cotter : Tant qu’il ne s’agit pas de lui rendre le podium.
Son Honneur le Président suppléant ։ Vous devez demander cinq minutes de plus.
Le sénateur Cotter : Puis-je avoir cinq minutes de plus?
Son Honneur le Président suppléant ։ Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
L’honorable Denise Batters : Merci beaucoup, sénateur Cotter. Je tiens à poser une brève question sur l’affaire E. F. dont vous avez parlé, en Alberta.
Lorsque nous nous sommes penchés sur le projet de loi C-14, en 2016, il y a eu l’affaire E. F., qui portait sur une demande de suicide assisté, avant l’adoption du projet de loi C-14. J’ai posé une question sur cette cause au comité des affaires juridiques parce qu’il s’agissait d’une situation extrêmement singulière. La patiente souffrait uniquement d’une maladie mentale qui n’était pas mortelle. Il s’agissait d’un trouble psychologique extrêmement rare.
Sénateur Cotter, saviez-vous que, dans ce cas particulier, trois médecins avaient approuvé le suicide assisté, mais que seulement l’un d’entre eux, le médecin généraliste, avait rencontré la patiente? Le psychiatre qui a donné son accord a seulement examiné le dossier. Le médecin qui était disposé à fournir le service de suicide assisté n’avait pas lui non plus rencontré la patiente et il avait procédé à la consultation au moyen de l’application FaceTime. C’était avant la pandémie de COVID-19, lorsqu’il était beaucoup moins usuel de se servir ainsi de FaceTime. Étiez-vous au courant de ces faits?
Le sénateur Cotter : Sénatrice, permettez-moi d’offrir mon point de vue, même si je suis loin d’être un expert du domaine médical.
La question repose principalement sur le cadre, sur les mesures de sauvegarde et sur les limites qui devraient être imposées en matière d’aide médicale à mourir. J’avance respectueusement qu’il s’agit de questions difficiles qui demeurent en suspens. Par exemple, je ne peux pas dire combien de médecins une personne devrait consulter. Je m’en remets à tous ceux qui font ce choix. S’il est établi que E. F. était admissible à l’aide médicale à mourir — et je conviens que les circonstances étaient inhabituelles —, le fait est que les personnes qui répondent à ces critères, c’est-à-dire la maladie mentale comme seule condition sous-jacente, les souffrances atroces et la mort qui n’est pas raisonnablement prévisible, ont été autorisées à obtenir l’aide médicale à mourir par la Cour d’appel de l’Alberta.
J’accepte volontiers vos observations sur la définition des balises, mais si celles-ci sont respectées, il me semble que la loi accorde ce droit. Je vous remercie.
L’honorable Mary Jane McCallum : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur Cotter : Je serais honoré d’entendre votre question.
La sénatrice McCallum : Je vous remercie, sénateur Cotter.
Je veux vous remercier pour votre discours très éloquent et vous dire que nous sommes très chanceux de vous avoir avec nous dans la Chambre rouge.
(2030)
Sénateur Cotter, on nous répète sans cesse depuis le début du débat que nous devons nous en tenir strictement au principe du projet de loi. J’ai un peu de mal avec cette approche, car ceux qui la préconisent semblent oublier une chose : alors que le principe d’un projet de loi peut être associé à du texte sur un bout de papier, celui que nous étudions présentement, le projet de loi C-7, aura de graves et terribles conséquences pour nos concitoyens. Les peuples autochtones du Canada y sont particulièrement vulnérables.
Comme d’autres l’ont dit avant moi, le débat actuel porte sur le projet de loi C-7 et non sur le C-14, et je le comprends. Cela dit, si ce n’était du projet de loi C-14, le C-7 n’existerait même pas. Je vois mal comment on peut considérer que le projet de loi C-14 n’a rien à voir avec la mesure à l’étude, avec sa portée et avec son principe sous-jacent, puisque le premier a donné naissance au second. Il y a donc un lien indéniable entre les deux.
J’aimerais avoir l’opinion juridique du spécialiste que vous êtes. Les sénateurs ne devraient-ils pas accorder autant d’importance à l’aspect humain de ce projet de loi qu’à son principe? Si oui, comment croyez-vous que nous devrions concilier ces deux éléments? Je trouve que c’est se mettre inutilement des ornières et faire preuve d’une froideur indue, voire inhumaine, que de s’en tenir au simple principe du projet de loi. C’est sans parler du fait que cette façon de faire s’est déjà révélée inadéquate et inefficace pour traiter de questions aussi importantes que les déterminants sociaux de la santé.
Je serais ravie de savoir ce que vous en pensez. Merci.
Le sénateur Cotter : Je vous remercie, madame la sénatrice. Je ne suis pas tout à fait certain d’avoir saisi la question, mais voici la réponse que je vous propose.
Selon l’un des arguments présentés au cours des derniers jours, le projet de loi à l’étude vise seulement à modifier le Code criminel. Nous devrions simplement nous concentrer sur ce point et faire abstraction de tout le reste. Je conviens que ce serait une démarche juridique légitime. Cela dit, le gouvernement du Canada a le pouvoir de faire, d’un seul geste, davantage que de modifier une loi : il pourrait du même coup s’engager à affecter des fonds.
Je soutiens que nous devrions prévoir un financement significatif comme le souhaitait le comité mixte spécial formé, à ma connaissance, de parlementaires provenant du Sénat et de l’autre endroit, parmi lesquels des députés du parti au pouvoir. Ce comité mixte a demandé au gouvernement de consacrer des sommes significatives aux soins palliatifs et aux conditions de vie, des enjeux qu’il faudrait traiter en même temps que le projet de loi à l’étude au lieu de les laisser de côté et d’espérer, les doigts croisés, qu’il se passera quelque chose dans ce dossier. Merci.
L’honorable Donna Dasko : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Le sénateur Cotter : Je le ferai avec plaisir si le temps le permet.
Son Honneur le Président suppléant ։ Vous pourriez peut-être demander cinq minutes de plus aux Sénateurs.
Le sénateur Cotter : Pourrais-je avoir cinq minutes de plus afin de répondre à une fascinante question de la sénatrice Dasko?
Des voix : D’accord.
Son Honneur le Président suppléant ։ Les sénateurs sont pleins de bonté ce soir.
La sénatrice Dasko : L’ambiance est très bonne au Sénat ce soir. Merci.
Sénateur, vous avez commencé votre discours en parlant des limites que nous imposons à l’autonomie d’autrui. Vous avez ensuite affirmé que les deux mesures législatives — le projet de loi C-14 et le projet de loi C-7 — retiraient des droits en matière d’aide médicale à mourir aux Canadiens que les tribunaux leur avaient accordés.
À votre avis, quelles sont les limites à ce sujet? Qu’est-ce que les tribunaux ont accordé aux Canadiens? Selon vous, quelles limites devraient être imposées en matière d’aide médicale à mourir?
J’ai bien écouté et il y a un certain lien avec les excellentes remarques de la sénatrice Dupuis au sujet de la valeur que nous accordons à l’autonomie et de la place de plus en plus grande qu’occupe cette dernière au sein des valeurs de la société, notamment en raison du soutien que lui ont accordé les tribunaux.
Certains pourraient dire qu’il ne devrait y avoir aucune limite. Si nous sommes autonomes, alors nous devrions pouvoir obtenir l’aide médicale à mourir quand nous le voulons, peu importe notre état, afin d’avoir la pleine maîtrise de notre vie. On devrait pouvoir dire : « J’en ai besoin maintenant. Peut-être que je ne devrais même pas avoir de condition médicale pour qu’on me donne accès à l’aide médicale à mourir. » On peut présumer que l’argumentaire reposant sur l’autonomie pourrait nous amener dans cette direction également.
J’ai hâte d’entendre votre réponse à ce sujet. Merci.
Le sénateur Cotter : Je vais faire de mon mieux. Je crois que la sénatrice Dupuis a raison de dire que, de plus en plus, notre société accorde une grande valeur aux droits individuels et à l’autonomie individuelle. C’est l’un des principaux facteurs qui a transformé l’opinion sur l’aide médicale à mourir.
C’est difficile pour nous. Ces droits sont décrits dans la Charte des droits et libertés, qui elle s’inscrit dans la Constitution et la grande majorité des Canadiens les appuient.
Si je peux me permettre une parenthèse, un jour, j’ai assisté à une conférence à Saskatoon avec Allan Blakeney, l’un des premiers ministres ayant participé à l’architecture du rapatriement de la Constitution et de la Charte des droits. Lui et moi discutions du degré auquel les instances judiciaires circonscrivent le pouvoir du Parlement et des assemblées législatives pour ce qui est de faire des choix concernant la société. On a fait remarquer que cela frustrait le premier ministre de l’époque, M. Harper, et qu’il avait formulé quelques observations en ce sens. J’ai demandé à l’ancien premier ministre Blakeney ce qu’il pensait de cela. Je crois qu’il est juste de dire que, tout comme le premier ministre Harper, M. Blakeney souhaitait que les instances judiciaires ne contraignent pas les gouvernements, car il voulait pouvoir concrétiser ses projets, quoique les siens étaient plus proactifs socialement. À propos des observations du premier ministre Harper, M. Blakeney a dit : « Je suis tout à fait d’accord avec lui. »
J’ai été un peu surpris jusqu’à ce que j’y aie bien réfléchi, et je crois que je comprends un peu mieux. C’est dans cette voie que nous nous sommes engagés, cependant. L’article 7 de la Charte était considéré par ses créateurs et ses rédacteurs comme une simple case à cocher dans l’ensemble de la procédure et il est devenu un droit fondamental. L’article 7 est, selon moi, celui qui est le plus concerné par cette question et le plus difficile à gérer pour le gouvernement. Je ne veux pas entrer dans les détails, mais il serait difficile de trouver les mots qui justifieraient le fait de violer un principe fondamental de justice — ce qui est ce que dit l’article 7 —, en dépit des efforts de quelques universitaires récemment.
Ce que je veux dire, c’est que l’autonomie a pris de l’importance. D’une certaine manière, cela rend ces questions beaucoup plus difficiles à régler. En ce qui concerne la deuxième partie du projet de loi, à savoir l’absence de probabilité raisonnable de décès, il y a presque deux autonomies concurrentes, si je peux m’exprimer ainsi : celle qui consiste à se protéger des difficultés de la vie et celle qui consiste à faire le choix de manière autonome de mourir à cause de la souffrance, même si cette mort ne doit survenir que plus tard.
Quelles sont les limites? Nous avons tenté de créer des balises dans le projet de loi C-14 et dans le projet de loi à l’étude. Je ne sais pas si elles sont appropriées. À mon avis, c’est plutôt une question de faire des choix politiques qui résisteraient à une contestation de leur constitutionnalité. Le gouvernement tente de sélectionner la bonne procédure à suivre, si je peux m’exprimer ainsi, pour accorder l’accès à l’aide médicale à mourir. Je suis moins anxieux à ce sujet. Lors des entretiens privés que j’ai eus avec le sénateur Gold, j’en suis venu à la conclusion qu’il fallait peut-être adopter des lignes directrices différentes, mais qui ne seraient pas problématiques du point de vue constitutionnel.
Toutefois, il s’agit là des questions plus mineures. La question majeure de l’autonomie — à savoir quand nous pouvons dire à quelqu’un qu’il ne peut pas décider de mettre fin à ses jours par lui‑même ou avec l’aide de quelqu’un — est difficile à trancher.
Dans les années 1970, nous avons décriminalisé le suicide. Je ne pense pas que nous disions que le suicide est une bonne chose, mais plutôt que les gens peuvent prendre cette décision si c’est ce qu’ils souhaitent sans que nous les tenions criminellement responsables. Avant cela, on pouvait tenter, mais en vain, de s’enlever la vie, puis se faire accuser de tentative de suicide, ce qui était particulièrement tragique. Il s’agissait d’une terrible ingérence dans le choix que l’on pouvait faire.
De manière générale, je pense que nous avançons dans cette direction. Il y a tellement de facteurs qui entrent en jeu ici. Dans quelle mesure la moralité peut-elle être prise en compte dans cette question? C’est difficile à dire. Dans la mesure où elle se veut une voix, les gouvernements qui se disent laïques se doivent de l’écouter, et je pense que c’est bien ce qui s’est fait au cours de nos discussions.
Est-ce que la moralité a un rôle à jouer dans ces questions? Je ne suis vraiment pas convaincu, mais je sais que d’autres personnes croient qu’elle devrait être prise en compte. On se base sur des critères moraux et parfois religieux pour déterminer si une décision est acceptable sur le plan social.
(2040)
Je sais que ce n’est pas vraiment une réponse, sénatrice Dasko. Il est probable que nous vivons tous de petits ou de grands conflits intérieurs lorsque nous devons nous pencher sur cette question. Nous avons tendance à croire au caractère très personnel du choix, mais dans quelles circonstances ce choix nous rend-il, en tant que société, particulièrement inconfortables?
La mesure législative dont nous sommes saisis ne me rend pas inconfortable. Je pense que c’est le bon choix, le choix honorable et constitutionnel, mais je sais que d’autres personnes ne sont pas d’accord. Merci.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je vous remercie, sénateur Cotter, de votre discours si éloquent qu’il sera difficile pour moi de l’être davantage après cela.
Je suis la dernière intervenante de la soirée, et je pense que j’aurai suffisamment de temps pour terminer mon intervention, alors je vais commencer.
C’est un débat très important. Comme d’autres l’ont fait, je tiens à féliciter les intervenants de leurs efforts, de leur dévouement et de leur engagement, y compris la sénatrice qui parraine le projet de loi, notre porte-parole, nos leaders et tous les autres intervenants dans cette Chambre, dont le sénateur Cotter, qui vient d’apporter sa contribution.
Comme c’est un dossier extrêmement important, je tiens à apporter ma contribution à ce débat sur une question complexe, délicate et difficile qui préoccupe vivement chacun d’entre nous. En tant que parlementaires, nous savons que la dernière version de ce projet de loi, le projet de loi C-7, va véritablement déterminer quelles personnes ont le droit de mettre fin à leurs jours, quand elles peuvent le faire, qui peut les aider à cette fin et comment on s’y prendra. Je sais que nous avons déjà adopté le projet de loi C-14. J’aimerais que nous puissions retourner en arrière à certains égards, mais je vais plutôt rappeler ce qui s’est passé en 2016, simplement pour indiquer où nous en étions à ce moment-là et ce qui s’est passé depuis ce temps.
Le projet de loi précédent sur l’aide médicale à mourir, le projet de loi C-14, a été l’une des mesures législatives les plus difficiles à traiter, pour moi personnellement et pour le Sénat, parce qu’il mettait en place, pour la première fois de l’histoire du pays, une loi sur l’aide médicale à mourir, ce que beaucoup d’autres pays n’ont pas encore exploré. À toutes les étapes du processus, nous avons eu des débats rigoureux et beaucoup plus longs que maintenant, et cette Chambre a été extrêmement divisée du début à la fin.
D’après ce dont je me souviens, nous avions l’impression qu’il nous fallait prendre une décision monumentale pour le pays dans un laps de temps insuffisant. Nous avons demandé des opinions, des travaux de recherche, l’avis de spécialistes, de patients, de familles, de dirigeants autochtones, d’infirmiers et de soignants. Au bout du compte, nous avons tenu un vote final sur le projet de loi C-14, car la Cour suprême avait imposé un délai pour l’adoption d’une loi fédérale permettant l’aide médicale à mourir au Canada.
D’entrée de jeu, je me suis fermement opposée au projet de loi et, jusqu’à la fin, j’ai eu l’intention de voter contre. Mais, à ce moment-là, la Cour d’appel de l’Alberta a rendu une décision — que la sénatrice Batters a mentionnée — qui élargissait l’accès à l’aide médicale à mourir de manière alarmante. On m’a alors signalé qu’il était préférable d’adopter une loi fédérale comprenant les mesures de sauvegarde et la disposition relative à la mort raisonnablement prévisible que nous avions réussi à inclure au moyen d’amendements que de ne pas avoir de régime fédéral.
Je me souviens d’avoir été informée que l’administration de l’aide médicale à mourir relève des provinces et qu’elles seraient en mesure de resserrer le cadre du régime fédéral en ajoutant des mesures de sauvegarde supplémentaires, au besoin. Toutefois, dans ma province, la Colombie-Britannique, c’est le contraire qui s’est produit après l’élection d’un gouvernement différent. Au lieu de renforcer et de resserrer le régime d’aide médicale à mourir, l’arrivée au pouvoir d’un autre parti a donné lieu à plusieurs développements inquiétants.
D’ailleurs, en juillet dernier, la demande d’aide médicale à mourir d’Alan Nichols, un résidant de Chilliwack, en Colombie-Britannique, qui luttait contre la dépression et qui ne donnait aucun signe d’une mort imminente prévisible, a été approuvée par des professionnels de la santé, malgré les plaidoyers de sa famille, qui estimait qu’il ne répondait pas aux critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir établis dans le projet de loi C-14, du gouvernement. Sachant que j’avais voté pour le projet de loi C-14 dans l’espoir de régler des questions en suspens comme les soins palliatifs et le renforcement des mesures de sauvegarde, je participe au débat sur le projet de loi C-7 avec inquiétude.
Honorables sénateurs, ce dont je veux parler aujourd’hui, c’est la préoccupation que j’ai, à l’instar de nombreux concitoyens de partout au Canada qui ont communiqué avec mon bureau et, j’en suis sûre, avec le vôtre. Si le projet de loi C-7 est adopté sans amendement, il aura des conséquences imprévues sur les personnes vulnérables du Canada alors qu’elles traversent une période où elles ont grandement besoin de soins. Lors de l’étude préalable du projet de loi C-7 par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, j’ai eu l’occasion de participer à l’étude plusieurs jours, à titre de membre d’office. Le comité a siégé cinq jours d’affilée et a entendu un large éventail de témoins, qui ont raconté leurs histoires personnelles, apporté leur expertise et formulé des recommandations pour améliorer le projet de loi C-7.
Les témoins nous ont fourni beaucoup d’information, et l’écrasante majorité d’entre eux se sont dits opposés au projet de loi, ce qui m’a permis de comprendre très clairement que le projet de loi comporte des lacunes et des problèmes importants qu’il faut corriger. Nous ne pouvons pas précipiter son adoption. Chers collègues, nous savons que la mort est irréversible, comme beaucoup nous l’ont rappelé. Quand on met fin à la vie, c’est la fin, un point c’est tout.
Par rapport au projet de loi C-14, le projet de loi C-7 élargit l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes qui vivent avec un handicap, mais dont la mort n’est pas imminente. Cependant, il exclut les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Ce choix entraîne un débat d’importance, à savoir si cette mesure législative implique que certaines vies ne valent pas la peine d’être vécues. On se demande aussi si elle camoufle un problème de société profond en offrant une solution de fin de vie pour pallier la négligence, au lieu de combler les lacunes du système de santé partout au Canada.
Comme l’a si bien dit le professeur adjoint Jonas-Sébastien Beaudry dans le magazine Options politiques, il ne s’agit pas de la capacité des gens à juger par eux-mêmes du moment où leur vie ne vaut plus la peine d’être vécue, ce qui ne serait qu’une question juridique ou éthique. La question est plutôt politique et sociale pour la raison suivante :
Le projet de loi C-7 ouvre un espace normatif où divers acteurs sociaux, y compris des experts médicaux et l’État lui-même, peuvent discuter de ce que sont des « vies qui ne valent pas la peine d’être vécues ».
Une autre chose qui me préoccupe à propos du cadre actuel de surveillance et de reddition de comptes, c’est qu’il n’est pas bien conçu et qu’il s’appuie sur la déclaration volontaire des fournisseurs de l’aide médicale à mourir. Les familles n’ont donc aucun moyen de percer le secret professionnel du médecin si elles soupçonnent des écarts de conduite. Nos collègues à la Chambre des communes ont souligné la nécessité de pouvoir compter sur un solide système fédéral normalisé de surveillance et de collecte de données sur l’aide médicale à mourir. Ils ont aussi indiqué qu’il nous faut des données nationales fiables pour comprendre qui a recours à l’aide médicale à mourir et pour quelles raisons.
La Dre Leonie Herx a ajouté qu’il n’existe aucun système de surveillance distinct de celui à Santé Canada, dans lequel les cas d’administration de l’aide médicale à mourir et les problèmes de conformité peuvent être examinés au niveau provincial et les provinces lui fournissent des rapports plus complets. À l’heure actuelle, seules les provinces du Québec et de l’Ontario se sont dotées d’un tel système.
J’ai été très impressionnée par le témoignage de certains Québécois qui nous ont parlé de la surveillance et de l’administration du régime dans cette province. J’aimerais que parallèlement à ce que nous faisons, nous entamions des consultations et l’échange des meilleures pratiques pour que nous puissions avoir, comme au Québec, un plus grand consensus et plus de partage d’information afin d’être en mesure d’instaurer des pratiques exemplaires à l’échelle du Canada et d’avoir davantage l’assurance de protéger les personnes les plus vulnérables.
Non seulement il nous manque des données claires et précises, mais des témoins ont aussi dit trouver préoccupant l’absence de norme reconnue pour la prestation de l’aide médicale à mourir et l’insuffisance de la formation des médecins et des fournisseurs de l’aide médicale à mourir. La Dre Mona Gupta, en réponse à une question, a déclaré ceci :
La communauté clinique réclame depuis longtemps plus de formation sur l’aide médicale à mourir, les soins de fin de vie et un éventail de domaines...
Bien que j’ai entendu dire que la période de réflexion de 10 jours entre le jour où le patient a signé la demande écrite et le jour où l’aide médicale à mourir est fournie n’a pas rempli son objectif initial et n’a fait que prolonger la douleur des patients qui devaient être admissible à cette pratique, je pense que cette mesure de sauvegarde est essentielle pour assurer la certitude quant à la décision de recevoir l’aide médicale à mourir.
Selon le rapport de Santé Canada sur l’aide médicale à mourir présenté en 2019, 263 personnes ont retiré leur demande parce qu’elles avaient changé d’avis. Parmi ces personnes, une sur cinq l’a fait juste avant que l’aide médicale à mourir ne soit administrée. La loi en vigueur permet de réduire la durée de la période de réflexion si le décès ou la perte de la capacité à fournir un consentement éclairé est imminent. C’est ce qui fait que le retrait de la période de 10 jours est dangereux dans le cas des patients qui signent la demande le matin et reçoivent l’aide médicale à mourir le soir même, sans avoir l’occasion d’y réfléchir.
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D’ailleurs, ce qui me trouble le plus est le libellé de la disposition sur la précision concernant le consentement préalable à l’aide médicale à mourir, qui se lit comme suit :
[...] des paroles, des sons ou des gestes involontaires en réponse à un contact ne constituent pas une manifestation de refus ou de résistance [...]
[...] et peut alors recevoir l’aide médicale à mourir.
Présentement, dès qu’un patient manifeste une résistance, le professionnel de la santé ne peut plus lui administrer l’aide médicale à mourir. Comment peut-on nous demander, en tant que législateurs, d’accepter une telle disposition concernant ce qui constitue une manifestation claire de résistance involontaire?
À titre d’exemple, ma mère se trouve dans un établissement de soins de longue durée et elle souffre de démence avancée; elle ne me reconnaît plus ni aucun autre membre de la famille. Elle dormait profondément au moment de l’appel FaceTime que nous avions prévu. Le professionnel de la santé sur place a amené la caméra dans la chambre pour me montrer que ma mère dormait. Nous parlions tout doucement lorsque ma mère a fait un mouvement et s’est retournée, comme si elle avait reconnu le son de ma voix.
Quand je pense à ma propre mère et à la possibilité que l’on ignore un mouvement involontaire ou un son, et que l’on poursuive la procédure, je ne voudrais pas être le membre de la famille qui se retrouve dans une telle situation. Ainsi, cette disposition me rend très nerveuse en raison de ma situation actuelle avec ma propre mère.
M. Trudo Lemmens, professeur et titulaire de la chaire Scholl en droit et politique de la santé à la faculté de droit de l’Université de Toronto, a effectué beaucoup de recherches sur les pratiques et le droit en matière d’aide médicale à mourir au Canada et dans le reste du monde. Dans son témoignage au Comité des affaires juridiques, il a dit que cette disposition :
[...] enfreint la Convention relative aux droits des personnes handicapées, suivant laquelle la perte de la capacité n’entraîne pas une perte des droits, y compris celui d’exprimer, le moment venu et d’une manière quelconque, une résistance à l’égard d’un geste ou un changement d’idée.
Le Dr Harvey Max Chochinov, professeur distingué de l’Université du Manitoba, a présenté au comité des données montrant que le désir de mourir fluctue. Une étude réalisée en Belgique par une psychiatre s’est penchée sur le cas de 100 patients qui avaient demandé l’euthanasie pour des troubles mentaux qui étaient les seuls problèmes médicaux invoqués. Parmi ces 100 patients, 38 ont fini par retirer leur demande, et de ce nombre, 11 avaient déjà vu leur demande acceptée. En Oregon, entre 20 et 40 % des personnes qui se donnent la peine de demander des doses létales de médicaments en réalité ne les prennent jamais. Selon le Dr Chochinov, l’idée selon laquelle une personne prend sa décision aujourd’hui et n’en démord plus n’est pas corroborée par les faits.
Lorsque la ministre Patty Hajdu est venue témoigner devant le comité sénatorial, j’ai eu l’occasion de lui poser des questions sur les mécanismes d’arrêt en place une fois que le processus de l’aide médicale à mourir est enclenché. Elle n’a pas répondu en donnant des explications précises ou en garantissant qu’il existe des mécanismes d’arrêt, mais ce que j’ai entendu des témoins et des professionnels de la santé, c’est que jusqu’au jour du consentement final, il n’y a pas de vérification obligatoire pour savoir si le patient a changé d’idée.
Selon un article écrit par les Drs Leonie Herx, Margaret Cottle et John Scott dans le World Medical Journal, il n’existe pas de contrôle ou de mécanisme direct permettant d’arrêter la prestation de l’aide médicale à mourir en temps réel, même si le patient semble indiquer que ce soit son souhait. Ils indiquent que « les exigences en matière de contrôle ne comprennent que des informations démographiques de base et elles sont examinées rétrospectivement ». Cela signifie qu’il n’y a pas de mécanisme qui arrête le processus de l’aide médicale à mourir, permettant à un professionnel de la santé de vérifier si un patient a reçu des soins adéquats avant de poursuivre le processus de l’aide médicale à mourir. Ce n’est qu’en examinant les rapports une fois les personnes décédées que l’on constate qu’un certain pourcentage de patients n’a pas eu accès à des soins palliatifs, par exemple. Sans une collecte adéquate d’informations, comment l’aide médicale à mourir peut-elle être assurée avec précision et dans le respect de tous les règlements?
Dans un article publié dans le Canadian Journal of Bioethics, le professeur Jaro Kotalik indique que l’aide médicale à mourir était déjà offerte depuis deux ans et quatre mois quand le Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir élaboré par le ministère fédéral est entré en vigueur. Selon l’une des données les plus inquiétantes qu’il présente, à la fin de décembre 2019, plus de 13 000 Canadiens avaient reçu une aide médicale à mourir. Pour près de 10 000 d’entre eux, nous ne disposons d’aucune donnée publique confirmant que les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde prévus par la loi ont été respectés. Les provinces, les territoires et les établissements de santé doivent travailler de concert et échanger des renseignements, ce qui permettra de recueillir et de bien analyser plus de données sur les personnes qui reçoivent l’aide médicale à mourir et sur les vulnérabilités connues associées au statut socio-économique des demandeurs, s’il y en a.
Par ailleurs, qu’en est-il des soins palliatifs? Il en a été beaucoup question au Sénat. De nombreux sénateurs ont fait valoir qu’il faut plus de soins palliatifs, et des soins plus accessibles, partout au pays. Quand j’ai pris part au vote difficile sur le projet de loi C-14, le gouvernement affirmait qu’il se pencherait sur les soins palliatifs. En raison de la COVID, cet examen n’a pas encore eu lieu, mais on nous demande tout de même de mettre aux voix un projet de loi qui élargit les critères d’admissibilité à l’aide médicale à mourir.
Comme l’ont déclaré beaucoup de témoins et d’honorables sénateurs, les soins palliatifs doivent faire partie de la gamme de soins. Ils doivent être offerts et rendus disponibles au patient avant que soient entamées des conversations sur l’aide médicale à mourir. Ils ne doivent pas être présentés comme une possibilité équivalente à l’aide médicale à mourir. D’ailleurs, je crois que l’aide médicale à mourir doit seulement être offerte à la fin de la vie, lorsque tous les autres services et soutiens appropriés ont été offerts et rendus disponibles.
Enfin, le projet de loi C-7 dans sa forme actuelle ne protège pas adéquatement la liberté de conscience des médecins qui préfèrent aiguiller un patient qui demande l’aide médicale à mourir lorsqu’il est contraire à leurs convictions de l’administrer eux-mêmes. Nous avons entendu que le projet de loi C-14 établit le droit à la liberté de conscience. Cependant, le régime de l’aide médicale à mourir est encore relativement jeune, et la Cour suprême du Canada n’a pas eu à se prononcer sur l’obligation des médecins à aiguiller un patient qui demande l’aide médicale à mourir.
La Dre Leonie Herx a déclaré qu’au Canada, on s’attend beaucoup plus des médecins qu’ils participent à l’aide médicale à mourir que dans tout autre pays où l’aide médicale à mourir est permise. Des médecins m’ont dit qu’ils souhaitent que le projet de loi C-7 soit renforcé et qu’il clarifie la disposition sur la liberté de conscience comprise dans le projet de loi C-14. Le Dr Ewan Goligher, professeur agrégé en médecine à l’Université de Toronto, a déclaré que même le fait d’aiguiller un patient le rend moralement coupable.
En 2018, la Dre Diane Kelso a souligné que le ministère de la Santé de l’Ontario avait mis sur pied un service de coordination des soins grâce auquel les patients et les proches aidants pouvaient demander directement d’être mis en contact avec un médecin ou avec un infirmier praticien pouvant fournir l’aide médicale à mourir. En revanche, le collège provincial exigeait toujours un renvoi direct. C’est la même chose en Nouvelle-Écosse, où les médecins et les infirmiers praticiens doivent aiguiller les patients qui demandent l’aide médicale à mourir.
Devant le comité, certains témoins ont indiqué qu’il faudrait préciser clairement dans le Code criminel si le médecin qui renvoie le patient participe aussi à l’aide médicale à mourir. Il s’agit d’un aspect très complexe de notre débat, que je ne comprends pas tout à fait. Par contre, j’ai été impressionnée à l’écoute de certains professionnels de la santé qui ont témoigné devant le comité.
Honorables sénateurs, je vais faire de mon mieux pour conclure. Il me reste encore quelques pages. Je vous remercie, chers collègues. Alors, si vous le permettez, Votre Honneur, je voudrais ajourner le débat pour le reste du temps de parole dont je dispose.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
(À 21 heures, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)