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Débats du Sénat (Hansard)

2e Session, 43e Législature
Volume 152, Numéro 51

Le jeudi 17 juin 2021
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le jeudi 17 juin 2021

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Le Sénat

Hommages aux pages à l’occasion de leur départ

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, cette semaine, comme vous le savez, nous rendons hommage aux pages du Sénat qui nous quitteront cet été.

Karim Winski, qui ne peut malheureusement pas être présent aujourd’hui, est parmi ceux qui nous quitteront. Karim continuera ses études en commerce à l’Université d’Ottawa à l’automne et il espère entamer des études en droit l’automne suivant. Karim est reconnaissant de l’incroyable opportunité qu’il a vécue ces deux dernières années en tant que page. Il remercie l’huissier du bâton noir, les membres de son bureau et les pages pour cette merveilleuse expérience.

Des voix : Bravo!

[Français]

Son Honneur le Président : Jérémy Soucy commencera sa quatrième année d’études à l’Université d’Ottawa cet automne. Il complète son baccalauréat spécialisé en science politique. C’était un privilège pour Jérémy de représenter la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick en étant page au Sénat au cours des deux dernières années. Jérémy aimerait remercier chacun d’entre vous d’avoir rendu cette unique et merveilleuse expérience inoubliable.

Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Son Honneur le Président : Claire Ogaranko est fière d’avoir représenté le Manitoba au sein du programme des pages lors des deux dernières années. Bien qu’elle ait vraiment hâte d’entamer des études en droit à l’Université McGill à l’automne, Claire se souviendra avec plaisir de son passage au Sénat et elle est reconnaissante envers tous ceux qui ont contribué à rendre cette expérience inoubliable.

Merci, Claire.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Il ne faudrait surtout pas oublier notre premier page, Chasse Helbin. Mes excuses, Chasse.

Chasse vient d’obtenir un baccalauréat en littérature anglaise et en gestion à l’Université d’Ottawa. Il espère poursuivre ses études en littérature au deuxième cycle. Chasse est fier d’avoir occupé le poste de premier page cette année et il remercie ses amis et sa famille de l’avoir soutenu. Merci, Chasse.

Des voix : Bravo!

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

La Journée mondiale des réfugiés

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, ce dimanche marquera le 20e anniversaire de la Journée mondiale des réfugiés. Il y a presque 50 ans, je suis devenue une réfugiée, et presque tous les jours, je remercie avec gratitude les Canadiens qui nous ont donné, à moi et à ma famille, un endroit où vivre et qui nous ont ouvert le champ des possibilités. Je sais combien j’ai de la chance de vivre au Canada et d’être Canadienne.

Au cours de la pandémie de COVID, nous avons tous vécu certains des moments les plus difficiles de notre vie. Cependant, il y a moments difficiles et moments difficiles. Je pense tous les jours aux gens qui ont fui pour sauver leurs familles et leur vie. Le monde se fermant lors des confinements, les réfugiés n’avaient plus nulle part où aller.

Muna Luqman, présidente de Food4Humanity, m’a raconté l’histoire de Mariam. Quand le conflit a éclaté, Mariam a dû fuir sa maison de Saada, dans le Nord-Ouest du Yémen, avec 13 enfants. Elle est veuve et a six enfants à elle, mais elle s’occupe de sept de ses neveux et nièces, son frère et sa femme ayant été tués lors du bombardement qui l’a obligée à quitter son domicile.

Voici ce que Mariam a dit :

Nous vivons dans des conditions terribles qui ne nous permettent pas de lutter contre la propagation de la COVID-19. Nous avons très peu d’eau potable et les mesures d’hygiène, comme se laver les mains, ne sont vraiment pas une priorité. Tout autour de moi, des gens meurent à cause de l’eau contaminée.

La nuit, il fait très froid, mais nous n’avons pas de couverture pour tout le monde. Alors, trois personnes se partagent une seule couverture.

Aujourd’hui, pour le 20e anniversaire de la Journée mondiale des réfugiés, je vous demande respectueusement d’avoir une pensée pour la situation dans laquelle ces personnes vivent. En tant que législateurs, nous avons adopté une mesure législative pour que nos frontières soient hermétiques.

Honorables sénateurs, je sais que nous avons pris la décision qui s’imposait pour les Canadiens. Pourtant, cette mesure a fermé les portes aux plus vulnérables. Je demande humblement qu’en tant que législateurs, nous cherchions des moyens d’aider les réfugiés.

Honorables sénateurs, je tremble à l’idée de ce qui aurait pu arriver à ma famille si le Canada nous avait fermé ses portes. Mon père n’aurait certainement pas survécu. Il aurait été assassiné.

(1410)

En cette Journée mondiale des réfugiés, en cette semaine des réfugiés, nous devons réfléchir à ce que le confinement signifie et a signifié pour des gens de partout sur planète qui ne sont pas en sécurité dans le pays où ils sont nés. Nous devons penser aux réfugiés.

Des voix : Bravo!

Le Mois du patrimoine philippin

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, juin 2021 marque la tenue pour la troisième année du Mois du patrimoine philippin, qui donne l’occasion à tous les Canadiens de célébrer la culture et le patrimoine philippins et de reconnaître les contributions des Canadiens d’origine philippine à notre histoire. Cette année marque également le 500e anniversaire du christianisme aux Philippines.

Avec une population de presque 1 million au Canada, dont presque 160 000 dans ma province, la Colombie-Britannique, les Canadiens d’origine philippine composent le troisième groupe d’immigrants asiatiques en importance au Canada. Les Canadiens d’origine philippine ont une histoire riche, une culture dynamique et une éthique de travail rigoureuse, qui profitent à tous les aspects de la vie au Canada.

Cela a été mis en évidence durant la pandémie de COVID-19 qui a touché notre pays. Étant profondément enracinés dans les vertus de l’amour chrétien et du caractère sacré de la vie, les Canadiens d’origine philippine sont très recherchés pour leur engagement à prendre soin des autres et pour leurs contributions aux soins des aînés et des personnes vulnérables, ainsi que de leur famille, dans les hôpitaux, les établissements de soins de longue durée et les résidences. Le rôle essentiel qu’ils jouent dans le secteur de la santé et dans les communautés s’avère incommensurable.

Dans la motion adoptée en 2018 visant à instaurer le Mois du patrimoine philippin, on a opté pour le mois de juin parce qu’il coïncidait avec la Journée de l’indépendance des Philippines, qui a lieu le 12 juin. En 2013, cette journée importante a été marquée par la cérémonie inaugurale de levée du drapeau ainsi qu’une célébration sur la Colline du Parlement, toutes deux organisées par notre bon ami, le regretté sénateur Tobias Enverga Jr. Pour célébrer le 123e anniversaire de l’indépendance des Philippines de cette année, la Philippine Canadian Charitable Foundation a organisé une fête en ligne ainsi qu’une foire commerciale à Toronto. La fondation a été fondée il y a 10 ans par le regretté sénateur Tobias Enverga Jr. avec l’aide de sa femme, Rosemer, et de ses amis Jaime et Thelma Marasigan, Romeo et Rebecca Rafael, Danio Penuliar et Sena Flores. La Philippine Canadian Charitable Foundation a été créée pour répondre aux différents besoins de la communauté et elle organise des activités annuelles dans le but de réunir la communauté philippino-canadienne et de promouvoir l’esprit de charité.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour remercier de leur altruisme et de leur dévouement les nombreux Canadiens d’origine philippine qui font un travail de première ligne dans le système de santé et le système de soins aux aînés et pour reconnaître les contributions et les efforts importants des organismes philippins et des membres de la communauté philippine, d’hier et d’aujourd’hui, pour assurer le bien-être et l’amélioration du Canada. Au Canada et aux Philippines, mabuhay. Salamat po. Merci.

Des voix : Bravo!

Le groupe de travail consultatif sur les œuvres d’art et le patrimoine

L’honorable Patricia Bovey : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin de remercier les conservateurs d’art canadiens qui ont contribué aux projets du Groupe de travail consultatif sur les œuvres d’art et les biens patrimoniaux du Sénat.

« Cultiver les perspectives » réunit des voix canadiennes au Sénat. Un conservateur d’art de chaque province et territoire, représentant la diversité culturelle du Canada, a été invité à écrire un texte sur une œuvre d’art ou une pièce patrimoniale actuellement installée dans l’édifice du Sénat du Canada. En offrant un contexte national aux œuvres, ces essais étendent la connaissance de la collection du Sénat à un public canadien plus large à partir des points de vue des professionnels du domaine de l’art et des musées. Ensemble, l’expression visuelle des artistes et la mise en contexte par des conservateurs soulignent l’importance et les perspectives des créateurs au Canada ainsi que les nombreux liens avec la vie et les modes de vie dans tout le Canada. Je les en remercie tous.

Parmi ces conservateurs d’art se trouvent huit femmes, une personne d’origine inuite et une autre mi’kmaq. Certains sont nouvellement arrivés dans le métier, tandis que d’autres sont chevronnés. Deux d’entre eux ont choisi des objets, le bâton noir et le banc. L’une a choisi des murales photographiques sur métal. Six participants ont sélectionné des œuvres d’artistes autochtones, dont une artiste inuite. Deux ont choisi un portrait et un autre, une sculpture. L’équilibre dans le choix des œuvres sélectionnées par les auteurs, ainsi que la substance et les perspectives des essais méritent des félicitations. Le 14 juin, les essais et les images ont été publiés en ligne, dans les deux langues officielles, en plus d’un essai en langue inuktitute et un essai en langue mi’kmaq. Je remercie les artistes et la succession des artistes de nous avoir accordé leur permission de publier ces œuvres protégées par le droit d’auteur. Cet automne, 13 autres conservateurs d’art de divers horizons et disciplines seront invités à contribuer au projet.

Je remercie également Greg Hill, conservateur principal Audain de l’art indigène au Musée des beaux-arts du Canada. Son analyse des besoins en matière d’œuvres autochtones au Sénat nous a fourni 19 recommandations visionnaires pour améliorer tant la représentation que la présentation. Sa principale recommandation, déjà approuvée par le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, consiste à remplacer le nom anglais de la Salle des peuples autochtones, actuellement « Aboriginal Peoples Committee Room » par « Indigenous Peoples Committee Room », car la désignation « Indigenous Peoples » englobe les Premières Nations, les Inuits et les Métis. Nous aborderons d’autres aspects du rapport de M. Hill au cours des prochains mois.

Le programme Musées au Sénat sera inauguré cet automne. Pour l’année inaugurale, la pièce de comité B30 sera aménagée avec des œuvres inuites de la collection du Nunavut, qui est gérée par le Musée des beaux-arts de Winnipeg. Cette installation vise à jeter des ponts entre le Nord et le Sud. Dans les années à venir, des musées et des galeries d’art de partout au pays participeront, chacun célébrant leur collection publique.

Le projet Hommage aux artistes noirs du Canada présentera sa deuxième installation en septembre.

Je remercie sincèrement toutes les personnes qui ont fait et qui continuent de faire de ces initiatives une réalité. Merci.

[Français]

Les élections municipales

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, cet automne, les municipalités du Québec, de l’Alberta, de Terre-Neuve-et-Labrador, du Yukon et de la plupart des régions des Territoires du Nord-Ouest tiendront des élections.

Je profite de cette période préélectorale pour inviter les citoyens et les citoyennes à « oser le municipal » et à se porter candidats et candidates aux différents postes de maire, mairesse, conseillère et conseiller municipaux.

Je crois qu’il faut lancer un appel spécial aux jeunes et aux femmes qui sont sous-représentés dans ces fonctions. À l’heure actuelle, pour reprendre un exemple que je connais bien, au Québec, les jeunes de 18 à 35 ans ne représentent que 8,3 % des élus municipaux, et les femmes ne représentent que 32 % des élus municipaux.

Pourtant, les gouvernements de proximité ont un rôle fondamental à jouer dans les dossiers de première importance pour la jeunesse et les femmes. Je pense notamment aux décisions qui ont un impact sur l’environnement, l’inclusion sociale, la culture, les sports, les loisirs, les transports, l’accès au logement, et j’en passe.

S’impliquer en politique municipale offre la possibilité d’avoir un impact direct sur le quotidien des gens et sur des enjeux qui nous tiennent à cœur. Je sais bien que je n’ai pas à vous convaincre : on souhaite tous et toutes avoir des conseils municipaux plus diversifiés et mieux équilibrés. La question qui se pose est la suivante : que peut-on faire, à notre niveau, pour atteindre cet objectif?

En réalisant un sondage auprès des jeunes engagés, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) a constaté que ceux-ci ont l’impression de manquer de contacts dans le milieu de la politique municipale, et que le syndrome de l’imposteur subsiste encore. Le diagnostic est probablement semblable pour d’autres groupes sous-représentés. C’est pour cette raison que je participe activement, à titre de mentor, à la campagne Ose le municipal, une initiative de l’UMQ et du Secrétariat à la jeunesse du Québec.

L’idée est d’offrir du mentorat aux jeunes qui hésitent à se lancer afin de leur donner le coup de pouce nécessaire qui les encouragera. Je vous invite à faire de même avec les jeunes, les femmes et les membres des communautés culturelles de votre entourage. Proposez-leur de faire le saut en politique municipale et accompagnez-les. Nos communautés y gagneront, et je suis certain que ceux et celles qui accepteront de participer à la vie démocratique de nos municipalités y trouveront de formidables occasions de développement personnel.

Merci. Meegwetch.

[Traduction]

La journée nationale des avocats de service

L’honorable Patti LaBoucane-Benson : Honorables sénateurs, chaque jour, d’un bout à l’autre du Canada, des centaines d’avocats de service fournissent des services juridiques gratuits aux personnes désavantagées, leur permettant ainsi d’accéder à la justice et d’avoir droit à un traitement équitable. Il s’agit d’un service essentiel, puisque l’accès à la justice et à la représentation par un avocat est tout aussi important que notre droit à des soins de santé.

Les avocats de service sont les urgentologues du système de justice. Ils sont la première personne-ressource pour les gens ayant des démêlés avec la justice. Ils trient leurs clients de la même manière que les urgentologues évaluent leurs patients. Les avocats de service écoutent et travaillent pour comprendre le passé de la personne, ses circonstances et ses objectifs. Ils tiennent compte des lois, des allégations effectuées, et jaugent les facteurs aggravants ou atténuants. Ils créent un plan qui sert l’intérêt du client. En plus de cela, ils aiguillent leurs clients vers l’aide économique et sociale leur permettant de surmonter leurs difficultés sociales, culturelles ou financières.

(1420)

Les avocats de service qui se voient confier des dossiers criminels impliquant des adultes dans les grandes villes sont obligés de se démener. Dans les salles d’audience, ils peuvent représenter des dizaines de personnes en une seule journée et travailler dans les palais de justice jusque tard dans la soirée. Chers collègues, il a été difficile pour eux de s’acquitter de leurs tâches pendant la pandémie.

Dans de nombreux cas, l’enjeu est sérieux. Sans avocat de service qui agit en son nom, qu’est-ce qu’une personne risque de perdre? Elle risque de perdre sa liberté, son chèque de paie, son emploi, son logement, ses enfants, son statut social, son accès aux études, ses amis et ses liens avec des soutiens spirituels et religieux.

De toute évidence, les services de représentation que les avocats de service fournissent quotidiennement ont une incidence sur notre bien-être et celui de notre nation. Ils travaillent pour des Canadiens de tous âges, races, sexes, orientations sexuelles, idéologies politiques, croyances religieuses, capacités physiques et mentales et langues parlées. Ils sont la voix de personnes qui seraient incapables de se défendre seules et ils les conseillent dans les moments où l’espoir semble les abandonner.

Les avocats de service travaillent pour les 13 organismes d’aide juridique du Canada ou sont mandatés par eux. Ces organismes forment l’Association des régimes d’aide juridique et ils veulent rendre hommage aux avocats de service — les héros invisibles, essentiels et méconnus de notre système de justice — et leur accorder la reconnaissance qui se fait attendre.

Ensemble, ils déclarent que le 27 octobre 2021 sera la Journée nationale des avocats de service. Veuillez vous joindre à moi aujourd’hui et en octobre prochain pour remercier nos avocats de service pour leur enthousiasme, leur expertise, leur compassion et leur dévouement pour favoriser l’accès à la justice et l’équité de notre système judiciaire. Merci.

Des voix : Bravo!

Stephen H. Lewis

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un grand Canadien, Stephen H. Lewis, qui est le cofondateur et le coprésident du conseil d’administration de la Fondation Stephen Lewis. Cet organisme nous fournit un exemple brillant et novateur de travail caritatif et d’une véritable vision familiale façonnée avec Michele Landsberg, la conjointe de Stephen et mère de leurs trois remarquables enfants, Ilana, Avi et Jenny.

Stephen Lewis et son aînée, Ilana Landsberg-Lewis, ont adopté une vision anticoloniale unique consistant à travailler en tant que partenaires de soutien avec des militants africains tout en laissant les acteurs de première ligne jouer le rôle principal. Depuis plus d’une décennie, des milliers de Canadiens ont participé à la campagne Grandmothers to Grandmothers, qui a sauvé des vies.

Contrairement à de nombreux autres organismes caritatifs de l’époque, Mme Landsberg-Lewis et M. Lewis étaient étroitement liés à des organismes communautaires en Afrique et ils savaient comment établir des relations respectueuses qui débouchaient sur des programmes novateurs sur le terrain.

Ce travail dirigé localement a été tellement efficace que la fondation a désormais un budget qui dépasse largement les 10 millions de dollars par année. M. Lewis est également codirecteur de l’organisme international de sensibilisation AIDS-Free World, qui alerte le monde sur toute une série de questions liées aux Nations unies, et en particulier sous la bannière Code Blue, à propos des abus et l’exploitation sexuels dans le système des Nations unies.

Stephen a déjà siégé au conseil d’administration de la Clinton Health Access Initiative et il est membre honoraire du conseil de l’Initiative internationale pour un vaccin contre le sida. Il a occupé les fonctions de commissaire de la Commission mondiale sur le VIH et le droit. La collaboration de Stephen Lewis avec les Nations unies s’est échelonnée sur plus de deux décennies. Il a été l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies dans le dossier du VIH-sida en Afrique de juin 2001 jusqu’à la fin de 2006. De 1995 à 1999, il a occupé les fonctions de directeur général de l’UNICEF au siège social mondial, situé à New York. De plus, de 1984 à 1988, l’ancien premier ministre Mulroney l’avait nommé ambassadeur du Canada auprès des Nations unies. J’ai eu la chance d’habiter à New York durant cette période, alors j’ai pu voir Stephen travailler dans le système complexe de l’ONU.

Stephen Lewis a été chef du Nouveau parti démocratique de l’Ontario et il est même devenu chef de l’opposition officielle. Il a souvent ébloui le pays par ses capacités exceptionnelles d’orateur. Il est l’auteur du livre à succès Contre la montre. Il est titulaire de plus de 40 doctorats honorifiques d’universités canadiennes et américaines.

En 2003, Stephen a été nommé compagnon de l’Ordre du Canada, la plus haute distinction du Canada, pour l’ensemble des réalisations d’un citoyen.

Durant le peu de temps qu’il me reste, j’aimerais simplement vous annoncer que Stephen Lewis se bat pour sa vie, car il lutte contre un cancer à l’abdomen. Steve Paikin et d’autres journalistes ont publié de nombreux hommages dans les médias. Comme beaucoup de gens, je suis d’avis que Stephen est le plus grand orateur de notre époque. C’est un homme extraordinaire. Je suis aussi honorée de le compter parmi mes amis et de le considérer comme mon mentor. Je le remercie du fond du cœur pour les nombreuses fois où, même si lui et son épouse ne voient pas d’un bon œil que le Sénat...

Son Honneur le Président : Sénatrice McPhedran, votre temps de parole est écoulé.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

Le Budget des dépenses de 2021-2022

Le Budget supplémentaire des dépenses (A)—Dépôt du sixième rapport du Comité des finances nationales

L’honorable Percy Mockler : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le sixième rapport du Comité sénatorial permanent des finances nationales intitulé Les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2022.

[Français]

La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif—Présentation du dixième rapport du Comité des affaires sociales, des sciences et de la technologie

L’honorable Chantal Petitclerc, présidente du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, présente le rapport suivant :

Le jeudi 17 juin 2021

Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a l’honneur de présenter son

DIXIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (attribution de la citoyenneté à certains Canadiens), a, conformément à l’ordre de renvoi du 1er juin 2021, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement.

Respectueusement soumis,

La présidente,

CHANTAL PETITCLERC

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Martin, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au lundi 21 juin 2021, à 14 heures;

Que, nonobstant tout ordre antérieur, il y ait une suspension du soir ce jour-là, d’une durée d’une heure, qui commencera à 18 heures.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Traduction]

Régie interne, budgets et administration

Autorisation au comité de siéger pendant l’ajournement du Sénat et de tenir des réunions hybrides ou entièrement virtuelles

L’honorable Sabi Marwah : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant l’article 12-18(2) du Règlement, le Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration soit autorisé à se réunir pendant un ajournement du Sénat;

Que, compte tenu des circonstances exceptionnelles de la pandémie actuelle de la COVID-19, le comité soit autorisé jusqu’à la fin de la journée le 20 septembre 2021, à tenir des réunions hybrides ou à se réunir entièrement par vidéoconférence, avec les dispositions des recommandations 3 à 6 du sixième rapport du Comité de sélection, adopté par le Sénat le 30 mars 2021, s’appliquant à toutes réunions hybrides et aux réunions tenues entièrement par vidéoconférence.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)


(1430)

PÉRIODE DES QUESTIONS

L’Agence de la santé publique du Canada

Le Laboratoire national de microbiologie

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Monsieur le leader, mercredi dernier, quand le sénateur Ngo et moi vous avons posé des questions sur le renvoi de deux scientifiques du Laboratoire national de microbiologie, à Winnipeg, vous avez affirmé à deux reprises que vous ne pouviez pas nous répondre, invoquant des préoccupations en matière de protection de la vie privée. Hier, dans votre réponse au sénateur Ngo, votre position avait quelque peu changé. Vous avez alors utilisé le prétexte de la sécurité nationale pour justifier la dissimulation des documents demandés par l’intermédiaire d’un ordre de la Chambre des communes. La semaine dernière, vous avez aussi parlé des demandes excessives faites à l’autre endroit pour la production de documents.

Le Président de la Chambre des communes ne partage manifestement pas votre point de vue : il a jugé hier que le gouvernement Trudeau a porté atteinte au privilège parlementaire.

Le gouvernement Trudeau fera-t-il ce qu’il aurait dû faire dès le départ en fournissant les documents non caviardés, ou est-ce que le gouvernement et vous continuerez de cacher la vérité, monsieur le leader?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je suis heureux d’y répondre. Toutefois, je ne peux pas accepter la prémisse que le gouvernement dissimule des documents. Il a fourni les documents demandés au Comité spécial sur les relations sino-canadiennes de la Chambre des communes, tout en s’assurant de protéger la vie privée et la sécurité nationale.

Puis, le gouvernement est allé plus loin en remettant des documents non caviardés aux membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement qui, comme je l’ai mentionné ici, possèdent une habilitation de sécurité et ont mis en place des protocoles de sécurité adéquats. Le gouvernement fait confiance aux vaillants membres de ce comité qui, comme nous le savons, comprend plusieurs sénateurs et deux députés conservateurs.

Je suis convaincu que le gouvernement respectera la volonté de la Chambre des communes une fois que cette dernière aura voté sur la motion pertinente.

Le sénateur Plett : Monsieur le leader, on parle du gouvernement libéral qui a affirmé ceci :

Pour que le Parlement fonctionne de façon optimale, les députés doivent avoir la liberté de faire ce pour quoi ils ont été élus : représenter les électrices et les électeurs de leur circonscription et tenir le gouvernement responsable de ses actes.

C’est le même gouvernement libéral qui a affirmé qu’il serait ouvert par défaut, que le soleil est le meilleur désinfectant qui soit, et qu’il est toujours possible de faire mieux.

Monsieur le leader, le gouvernement Trudeau a fait de beaux discours au sujet de ces principes, mais il ne les suit que lorsque cela fait son affaire. Ce ne sont que des paroles en l’air, monsieur le leader. Jusqu’où votre gouvernement est-il prêt à aller pour continuer de cacher ces documents? Allez-vous défier un autre ordre de la Chambre?

Le sénateur Gold : Merci. Je suis content que vos commentaires se soient conclus par une question. Je répéterai simplement qu’on m’a assuré que le gouvernement allait respecter la volonté de l’autre endroit une fois que la motion en question aura été mise aux voix.

L’emploi et le développement social

Le financement de l’accès équitable aux bibliothèques

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, alors que nous sommes au cœur du Mois de sensibilisation à la surdi-cécité, ma question au leader du gouvernement concerne les livres accessibles aux personnes ayant une déficience de lecture des imprimés.

Le leader se souvient peut-être que la sénatrice Seidman lui a posé une question plus tôt cette année au sujet de la décision du gouvernement Trudeau d’éliminer progressivement le financement du Centre d’accès équitable aux bibliothèques et du Réseau national de services équitables de bibliothèque, qui travaillent à offrir des livres accessibles. Heureusement, en mars, le gouvernement a changé d’avis et a donné un an de répit à ces deux organismes en rétablissant leur financement. Or, comme l’ont souligné les organismes en mars, il ne s’agissait que d’une solution temporaire d’un an.

Monsieur le leader, quel est le plan à long terme de votre gouvernement en ce qui a trait à la production et à la diffusion de livres accessibles, et est-ce que ce plan implique les deux organismes dont j’ai parlé?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je suis heureux que le Sénat ait appris, grâce à votre question, que ce financement a été rétabli ou prolongé.

Je n’ai pas de renseignements sur les plans à long terme et ce qu’ils pourraient comprendre. Je m’informerai et je reviendrai avec une réponse.

La sénatrice Martin : Les deux organisations ont expliqué que le gouvernement avait, au départ, pris la décision de réduire leur financement sans les consulter et sans les avertir au préalable. Je me réjouis donc que le gouvernement soit revenu sur sa décision.

Cela dit, j’aimerais savoir si, au cours des derniers mois, votre gouvernement a travaillé avec ces organisations à l’élaboration d’une stratégie globale à long terme et, s’il ne l’a pas fait, pourquoi. Pourriez-vous aussi vous renseigner sur le processus de consultation?

Le sénateur Gold : Je le ferai. Merci.

[Français]

La justice

Le projet de loi C-22—La possibilité d’apporter des amendements

L’honorable Marie-Françoise Mégie : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Le projet de loi C-22 comprend des modifications qui mettent l’accent sur le pouvoir discrétionnaire des policiers et des procureurs d’aiguiller les gens vers des ressources de santé plutôt que de les arrêter ou de les accuser de crimes liés aux drogues.

Nous savons que les Autochtones, les Noirs et les personnes racialisées sont surreprésentés dans nos établissements carcéraux. Pour les cas qui ne sont pas déjudiciarisés, l’article 720 du Code criminel permet aux tribunaux de reporter la détermination de la peine afin que les personnes puissent suivre un traitement. Malheureusement, ces options de traitement ne sont accessibles que si les gens ont les moyens de payer pour des services privés. De plus, de nombreux programmes autochtones ne sont pas reconnus par les provinces et sont donc inaccessibles.

Le gouvernement accepterait-il d’inclure dans le projet de loi C-22 des mesures pour rendre ces traitements accessibles à tous?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour cette question et pour votre préavis. Je ne peux pas me prononcer sur les mesures précises évoquées, mais le gouvernement s’est engagé à prendre des mesures progressives en matière de réforme du droit pénal. Selon le gouvernement, la toxicomanie est un problème de santé et non de justice. Le gouvernement appuie des mesures de déjudiciarisation, le moyen par défaut de la police et des procureurs de traiter les problèmes de possession de drogue. Le gouvernement s’est engagé à prendre des mesures progressives en matière de réforme de droit pénal tout en assurant la sécurité de nos communautés.

La sénatrice Mégie : Sénateur Gold, advenant la prorogation ou la dissolution du Parlement, le gouvernement s’engagerait-il à présenter une nouvelle version améliorée du projet de loi C-22?

Le sénateur Gold : Je ne suis pas en mesure de commenter ni de spéculer sur l’agenda parlementaire. Cependant, le gouvernement continue de considérer le projet de loi C-22 comme une priorité législative importante. Il écoutera certainement les points de vue et perspectives des personnes concernées, y compris les sénateurs, au fur et à mesure que cette question avancera.

[Traduction]

L’environnement et le changement climatique

L’exploitation des ressources naturelles

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Je remarque avec intérêt que le ministre de l’Environnement a déclaré, la semaine dernière, qu’il n’y aurait plus de projets d’exploitation du charbon thermique. Il a aussi annoncé, cette semaine, que les mines de charbon qui risquent d’être sources de pollution à cause de la libération de sélénium seraient soumises à une évaluation environnementale du gouvernement fédéral, et ce, même si elles sont d’une taille inférieure au seuil habituel.

(1440)

Étant Albertaine, je salue et approuve la raison derrière ces décisions, mais je sais parfaitement que les ressources naturelles relèvent des provinces. Je suis quelque peu préoccupée d’apprendre que, selon une déclaration de la ministre de l’Énergie de l’Alberta, le gouvernement provincial n’a pas été consulté avant que l’on prenne ces deux décisions.

Je me demande si vous pouvez me dire ce qui a été fait pour consulter les provinces productrices de charbon. Quelles consultations ont été prévues en vue de délaisser le charbon d’une façon qui soit inclusive et respectueuse envers les provinces?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de cette importante question.

Je n’ai pas cette information, mais je vais certainement m’informer au sujet des consultations qui ont pu avoir lieu par rapport à l’annonce que vous avez mentionnée. Selon notre Constitution, les ressources naturelles appartiennent aux provinces, tout comme les vastes pouvoirs dans ce domaine. L’environnement est un champ de compétence partagé, et le gouvernement fédéral y joue un rôle majeur, comme les tribunaux l’ont d’ailleurs reconnu. Par conséquent, il est parfaitement normal et acceptable que le gouvernement fédéral ainsi que le Parlement du Canada, par l’entremise des mesures législatives qu’il adopte, jouent un rôle dans la transition visant à passer d’une économie largement basée sur les combustibles fossiles à une économie plus verte et plus durable.

Je peux assurer à cette Chambre que, en ce qui concerne les politiques environnementale, le gouvernement est déterminé à travailler non seulement avec les provinces et les territoires, mais aussi avec l’industrie, les communautés autochtones et les autres intervenants concernés afin que la transition nécessaire soit effectuée le plus équitablement possible et dans le respect des intérêts et des droits de tous les intervenants concernés.

[Français]

La défense nationale

Les allégations à l’endroit du général Vance

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Les révélations troublantes au sujet des inconduites sexuelles au sein des forces armées continuent de s’accumuler. Plus troublant encore, malgré les rapports, les dénonciations et ce qu’on peut qualifier de tentative de camouflage d’information, le premier ministre Trudeau maintient en poste l’actuel ministre de la Défense nationale.

Dans une ultime tentative de sauver les apparences et de ne pas intervenir, le premier ministre a commandé une nouvelle enquête, en plus de celle qui a déjà été menée par l’ex-juge Marie Deschamps. À moins d’être ignorant en matière de politique, on peut déjà prédire les conclusions de cette redondante et inutile enquête.

En étant ses complices, les membres du gouvernement de Justin Trudeau font également de l’obstruction à toute procédure qui pourrait faire la lumière sur le dossier du général Vance.

Pouvez-vous nous expliquer, monsieur le leader, comment votre premier ministre peut à la fois être sensible au sort des victimes d’inconduites sexuelles au sein des forces armées et tout faire pour retarder la mise en place de solutions et empêcher que la vérité soit connue des Canadiens et des Canadiennes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de vos questions; vous avez soulevé plusieurs enjeux.

Tout d’abord, le ministre de la Défense nationale a toujours suivi toutes les règles et les processus appropriés lorsque les allégations d’inconduites sexuelles ont été portées à son attention. Comme je l’ai répété à maintes reprises dans cette enceinte, le gouvernement s’est engagé à transformer de fond en comble la culture institutionnelle des Forces armées canadiennes.

Pour ce qui est des comités, le gouvernement respecte le travail qui se fait en comité parlementaire, entre autres celui qui étudie le dossier du général Vance. Le ministre de la Défense nationale a comparu trois fois au comité de l’autre endroit, et ce, pendant plus de six heures.

D’ailleurs, il est faux de dire que le gouvernement ne fait rien. Au contraire, il met la main à la pâte afin de régler ce problème qui, malheureusement, est difficile à résoudre. Le gouvernement s’est engagé à faire tout ce qu’il faut pour le régler.

Le sénateur Dagenais : Monsieur le représentant du gouvernement, j’essaie de comprendre votre réponse. Ne trouvez-vous pas honteux ce que nous sommes tous en mesure de constater?

Le sénateur Gold : Je n’ai pas honte, si j’ai bien compris la question. Au contraire, le gouvernement fait beaucoup pour régler un problème qui traîne depuis trop longtemps, mais qui est difficile à régler. C’est toute la culture institutionnelle des Forces armées canadiennes qui doit changer, et nous ferons tout pour la changer.

[Traduction]

Les enquêtes sur les inconduites sexuelles

L’honorable Jane Cordy : Sénateur Gold, ma question s’adresse aussi à vous.

Nous avons appris — et vous l’avez entendu hier — que la personne directement responsable de la supervision du Service national des enquêtes des Forces canadiennes, le lieutenant-général Mike Rouleau, a joué au golf avec le général à la retraite Jonathan Vance. La militaire à la retraite Paula MacDonald, qui tente de porter plainte pour inconduite sexuelle, a dit ce qui suit à CBC News au sujet de la partie de golf :

C’est très troublant [...]

On voit bien que la priorité est d’aider les personnes qui sont accusées d’inconduite sexuelle et non les victimes de tels actes.

Ma question ne vise pas à critiquer les membres exceptionnels des forces armées. Je critique toutefois un système qui semble étouffer la voix des militaires qui ont été victimes de harcèlement sexuel, et je comprends très bien qu’ils aient peur de dénoncer les actes répréhensibles s’ils ont l’impression que leur plainte ne mènera nulle part.

Sénateur Gold, comment pouvons-nous avoir l’assurance que les plaintes de harcèlement au sein des forces armées seront traitées équitablement? Comment les plaignants peuvent-ils avoir confiance dans le système actuel si les personnes visées par une enquête côtoient les personnes en position d’autorité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question.

Pour ce qui est de la partie de golf dont vous avez fait mention, je n’ai pas en main les commentaires exacts qui ont été faits, mais je vous renvoie aux déclarations de la vice-première ministre Freeland et d’autres membres du gouvernement qui estiment que cette rencontre était carrément inacceptable. Le gouvernement abonde dans le même sens et on peut facilement comprendre comment cette nouvelle a été reçue.

Quant à votre question plus générale, je vous assure que le gouvernement prend les allégations de harcèlement sexuel et d’inconduite sexuelle très au sérieux. Comme je viens de l’indiquer dans ma réponse à notre collègue le sénateur Dagenais, le gouvernement est déterminé à faire tout en son pouvoir pour modifier la culture au sein des forces armées afin d’éliminer les problèmes d’intolérance, de harcèlement et d’abus. Le gouvernement s’engage à ce que les membres du personnel militaire et civil puissent signaler, en toute confiance, les cas d’inconduite sexuelle. Pour ce faire, il veillera à ce que les mécanismes d’examen des plaintes d’inconduite soient équitables et perçus comme tels.

La sénatrice Cordy : Sénateur Gold, si j’ai bien compris, à la suite des modifications apportées en 2013, la Loi sur la défense nationale dispose que :

Le vice-chef d’état-major de la défense peut aussi, par écrit, établir des lignes directrices ou donner des instructions à l’égard d’une enquête en particulier.

Sénateur Gold, en ce qui me concerne, cela porte certainement à croire qu’une enquête n’est pas vraiment indépendante si un officier supérieur peut directement en influencer le traitement par le grand prévôt.

Le gouvernement envisagera-t-il de revenir sur ce changement apporté en 2013 par le gouvernement pour qu’aucun officier supérieur ne puisse s’ingérer dans une enquête? Il est peut-être temps que le gouvernement songe à nommer une tierce partie indépendante du secteur militaire pour mener les enquêtes concernant les allégations de harcèlement sexuel.

(1450)

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, car c’est une question importante. Pour commencer, en ce qui concerne la surveillance externe — je reviendrai à votre question dans un instant —, vous vous souviendrez, chers sénateurs, que le budget de 2021 prévoit 236,2 millions de dollars pour éliminer l’inconduite sexuelle et la violence fondée sur le genre dans les Forces armées canadiennes. Ces fonds visent à financer différentes mesures, mais ils comprennent aussi la mise en place d’un nouveau mécanisme de surveillance externe qui rendra plus indépendants les processus de signalement et de règlement des cas d’inconduite sexuelle dans l’armée. Dans cette optique, le gouvernement espère que le projet de loi C-30 sera adopté rapidement pour que mesures soient mises en œuvre.

Concernant les modalités de traitement des plaintes et des allégations dans l’armée, les sénateurs sauront que la question de savoir si ces problèmes doivent encore être réglés via la chaîne de commandement ou, comme cela a été recommandé par le passé, via un processus externe indépendant de la chaîne de commandement est une question qui a été sérieusement étudiée par le gouvernement et qui fait partie du mandat de la juge Arbour, comme je l’ai déjà dit dans cette enceinte.

Les transports
Les pêches et les océans

Le financement du Conseil du milieu marin du Nunavut

L’honorable Dennis Glen Patterson : Ma question s’adresse au sénateur Gold, le leader du gouvernement au Sénat, et porte sur la protection et la gestion du milieu marin, qui est important sur le plan culturel pour les Nunavummiuts, en particulier les Inuits, dont l’économie est fondée sur la mer depuis des millénaires. Le Conseil du milieu marin du Nunavut a été créé lorsqu’une disposition attendue de longue date de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut conclu en 1993 a finalement été mise en œuvre il y a trois ans. Le conseil œuvre par voie de coordination et de coopération avec d’autres institutions de gouvernance, soit la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions, la Commission d’aménagement du Nunavut, le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut et l’Office des eaux du Nunavut, au sujet de dossiers maritimes.

Sénateur Gold, en ce moment, la rémunération du seul membre du personnel et le financement de toutes les activités principales du Conseil du milieu marin du Nunavut provient de programmes à durée déterminée de Transports Canada, tandis que le financement destiné à des projets précis provient de Pêches et Océans Canada et de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. Tous les financements arrivent à échéance à la fin de mars 2022.

Quand votre gouvernement va-t-il annoncer la nouvelle enveloppe budgétaire devant débuter le 1er avril 2022 pour le Conseil du milieu marin du Nunavut?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question, sénateur, ainsi que de votre préavis à son sujet.

On m’a informé de ce qui suit. Tout d’abord, le ministère des Relations Couronne-Autochtones et des Affaires du Nord est parfaitement conscient des préoccupations relatives à la rémunération et travaille à des solutions avec ses partenaires à ce sujet. Par ailleurs, le gouvernement comprend qu’il s’agit d’un dossier pressant, en particulier pour certains de ces organismes du Nunavut. À ce qu’on m’a dit, le travail à ce sujet progresse selon une approche qui sera équitable et uniforme pour toutes les parties prenantes. On m’a également dit que c’est Transports Canada qui assure le financement de base du Conseil du milieu marin du Nunavut; je devrai donc m’informer auprès de ce ministère à ce sujet.

Le sénateur Patterson : Dans le même ordre d’idées, sénateur Gold, la Commission du Nunavut chargée de l’examen des répercussions, ou CNER, comme vous le savez, a le mandat important d’examiner, d’évaluer et de surveiller les répercussions socioéconomiques et environnementales de tous les projets au Nunavut. Les négociations entourant le financement de base de la CNER ainsi que certaines questions concernant l’actualisation du montant de la rémunération versée à ses membres pour leur excellent travail auraient déjà dû commencer. Habituellement, les budgets sont négociés deux ans à l’avance, mais l’accord de financement de la CNER est maintenant expiré. La CNER peut reporter des fonds jusqu’à la fin de l’exercice 2023, mais elle craint de perdre de l’argent pour certaines priorités et la planification stratégique.

Sénateur Gold, vérifierez-vous aussi quand le gouvernement entend conclure un accord de financement de base avec la CNER et régler la question de la rémunération de ses membres?

Le sénateur Gold : Je vais certainement le faire, monsieur le sénateur. Toutefois, laissez-moi vous transmettre l’information que j’ai à ce sujet. On m’a informé que, au titre de l’alinéa 3c) de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, les parties n’ont aucune obligation d’entamer des négociations en ce qui a trait au renouvellement du contrat de mise en œuvre avant le 1er avril 2022. On m’a également informé que le gouvernement est d’avis que les parties comptent entamer officiellement les négociations à ce moment-là. Néanmoins, je m’informerai pour voir si des discussions préliminaires sont en cours en prévision du début officiel des négociations, puis je vous reviendrai.

Les affaires étrangères

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Leo Housakos : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat. Il y a un an aujourd’hui, le gouvernement Trudeau a perdu son pari d’obtenir, pour le Canada, un siège au Conseil de sécurité des Nations unies, et ce, en obtenant moins d’appui que le gouvernement conservateur précédent, en 2010. On aurait pu espérer que l’année écoulée aurait amené le gouvernement Trudeau à adopter une politique étrangère fondée sur des principes. Au lieu de cela, le gouvernement a décidé de s’absenter lors d’un vote à la Chambre sur une motion visant à reconnaître le génocide perpétré par le gouvernement chinois contre les musulmans ouïghours. Le Canada n’a toujours pas pris de décision en ce qui concerne Huawei et notre réseau 5G, et la réponse du gouvernement Trudeau à la répression menée par la Chine à Hong Kong est toujours inadéquate. Cela continue comme ça encore et encore, monsieur le leader du gouvernement. Les Canadiens verront-ils un jour une politique étrangère basée sur le respect des droits de la personne, de la primauté du droit et de la démocratie, en ce qui concerne le gouvernement Trudeau? Oui ou non?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La politique étrangère du gouvernement du Canada est axée sur les intérêts supérieurs du Canada et ses valeurs. Cela veut donc dire notamment les droits de la personne, la sécurité de ceux qui sont détenus illégalement et arbitrairement en Chine et dans de nombreux autres pays, et les intérêts de plusieurs dizaines de milliers, voire plus, de Canadiens qui dépendent directement ou indirectement des échanges et du commerce avec certains pays, même si ces pays ne sont pas des pays démocratiques. Je comprends l’aspect politique et partisan des discussions à ce sujet, mais la politique étrangère du Canada a toujours suivi la même ligne sous ce gouvernement. Elle s’inspire en fait des gouvernements précédents et fait passer les intérêts canadiens en premier, avec les droits de la personne en son centre.

Le sénateur Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, n’oublions pas les actions de votre gouvernement avant la tenue du vote et le fait que le gouvernement Trudeau a laissé tomber les principes du Canada à plus d’un égard dans l’espoir d’obtenir un siège au Conseil de sécurité. Le premier ministre a réservé un accueil chaleureux et fait des courbettes au ministre des Affaires étrangères de l’Iran, l’apologiste en chef de ce régime, et ce, un mois après l’écrasement du vol PS752. Le corps des Gardiens de la révolution islamique du régime iranien, ou CGRI, n’est toujours pas inscrit sur la liste des entités terroristes. Monsieur le leader du gouvernement, le Parlement du Canada a demandé au gouvernement d’inscrire le CGRI sur la liste depuis un bon moment. En outre, le gouvernement Trudeau a voté contre Israël, notre ami et allié, à l’Assemblée générale des Nations unies et s’est engagé à accorder de nouveaux fonds à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, malgré des signes évidents d’antisémitisme.

Monsieur le leader, il y a un an, le gouvernement Trudeau a trahi les principes du Canada et il a quand même perdu. Ma question est simple : cela en valait-il la peine?

Le sénateur Gold : Ma réponse est simple également, honorable collègue. J’estime, avec le plus grand respect, qu’il est tout simplement trompeur et inutile, tant sur le plan des intérêts du Canada que de celui de notre politique étrangère, de traiter ces enjeux importants de manière aussi partisane et partiale dans le monde complexe où nous vivons.

Le Conseil du Trésor

Les biens immobiliers fédéraux

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Elle porte sur le logement abordable, qui constitue une préoccupation majeure au Canada.

Sénateur Gold, à la page 222 du budget de 2021, on trouve un passage intéressant qui a récemment attiré mon attention. Le gouvernement affirme qu’il soutiendra la conversion en logements abordables des bureaux qui se sont vidés dans les centres-villes, en réaffectant 300 millions de dollars. À la lumière de cette annonce, et puisque les milieux de travail sont en pleine transformation, le gouvernement envisage-t-il de convertir une partie de ses propriétés immobilières en logements abordables, ou alors de ne pas renouveler certains baux pour permettre à ces espaces d’être convertis? Je reconnais qu’il s’agit d’une opération gigantesque, mais je crois que le gouvernement aurait ainsi l’occasion de réduire ses dépenses de fonctionnement, tout en s’attaquant du même coup à la question du logement abordable.

Je dirai en terminant que le gouvernement administre un des portefeuilles immobiliers les plus vastes et les plus diversifiés au Canada. La valeur totale de ces biens immobiliers s’élève à 7,5 milliards de dollars, et environ 88 % de ces propriétés abritent des bureaux. Le ministre Duclos a dit à notre comité, l’automne dernier, que le gouvernement avait déjà entrepris de réévaluer son portefeuille immobilier avant la pandémie.

(1500)

Êtes-vous au courant de cette réévaluation du portefeuille immobilier? Le gouvernement y porte-t-il attention? Merci.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie d’avoir abordé cette question. Je vais décidément me renseigner. Je verrai ce que je peux apprendre, et je reviendrai avec une réponse dès que possible.

Le sénateur Loffreda : Je souhaite continuer dans la même veine, sénateur Gold, car ce sujet m’apparaît extrêmement important. Le télétravail gagne en popularité. J’aimerais que vous vous engagiez à faire rapport au Sénat, dans un délai raisonnable, à propos de l’avancement de cette réévaluation. Savez-vous si une telle réévaluation est bel et bien en cours? Avez-vous entendu dire qu’elle avait lieu maintenant?

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Ma première réponse n’était pas claire, j’en suis désolé. Non, je ne sais rien à propos de la réévaluation en question. Je devrai donc me renseigner pour savoir s’il y a effectivement une réévaluation en cours. Dès que j’aurai une réponse, je la communiquerai au Sénat.

Le sénateur Loffreda : Merci.


ORDRE DU JOUR

Recours au Règlement

Décision de la présidence

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, vous vous souviendrez que, au début du mois de mai, le sénateur Plett avait soulevé un rappel au Règlement au sujet d’un préavis écrit concernant une question de privilège que le sénateur Dalphond avait prévu soulever. Le préavis écrit avait été envoyé au greffier du Sénat le 26 avril 2021, puis distribué à tous les sénateurs, comme le prévoit le Règlement, le 27 avril 2021. Le préavis a par la suite été retiré par le sénateur Dalphond, de sorte que la question de privilège n’a en fait jamais été étudiée par le Sénat.

Le sénateur Plett a invoqué le Règlement le 6 mai 2021. Le leader de l’opposition avait été troublé par le contenu du préavis écrit et par le fait qu’il semblait mettre en doute ses intentions. Il a aussi affirmé que le préavis induisait le Sénat en erreur et faisait référence à des renseignements confidentiels issus de négociations entre des sénateurs. Le sénateur Dalphond a, à son tour, pris la parole au sujet de la question le 25 mai 2021, soutenant qu’il n’y avait eu aucun manquement au Règlement ou aux pratiques ou procédures habituelles.

Honorables sénateurs, le fait que le préavis a été retiré signifie que, outre ce qui en a été dit lors des débats, son contenu ne figure nulle part dans nos documents parlementaires — c’est-à-dire qu’il ne se trouve ni dans les Journaux du Sénat, notre compte rendu officiel, ni dans les Débats du Sénat, la transcription révisée de nos délibérations. Un préavis a été donné, mais a ensuite été retiré avant toute action parlementaire. En tant que Président, j’ignore jusqu’à quel point il serait convenable que je tranche sur un document aussi éphémère, dont cette Chambre n’a jamais même été saisie, et que les collègues n’ont jamais eu l’occasion de débattre et d’examiner. Je vous rappelle, en particulier, que les préavis ne peuvent normalement faire l’objet de rappels au Règlement tant que leur adoption n’a pas été proposée ou que le Sénat en soit formellement saisi autrement.

Cela dit, honorables sénateurs, les préoccupations du sénateur Plett sont compréhensibles. Il a été visé par de sérieuses accusations. On peut comprendre qu’il a senti que son intégrité avait été attaquée, et qu’il ne pouvait répondre aux accusations autrement qu’en invoquant le Règlement. Je saisis l’occasion pour rappeler encore une fois aux collègues l’importance d’agir avec retenue et prudence. Nous traitons de sujets qui peuvent susciter de fortes émotions, et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour éviter que ces passions aient des effets néfastes sur le travail que nous accomplissons au nom de tous les Canadiens. J’invite tous les honorables sénateurs à garder à l’esprit le fait que leurs collègues veulent ce qu’il y a de mieux pour leurs concitoyens. Nous devrions nous garder de nous juger trop sévèrement les uns les autres, même lorsque nous sommes en profond désaccord, et nous ne devons jamais prêter des intentions à nos collègues. De tels gestes ne sont pas appropriés dans nos débats sénatoriaux. Éviter de tels comportements nous aidera à collaborer les uns avec les autres.

Puisque le Sénat n’a jamais été saisi du préavis, il ne serait pas approprié d’examiner cette question davantage. Cela dit, j’espère que les collègues réfléchiront à mes observations, et qu’ils agiront en conséquence.

Des voix : Bravo!

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Gagné, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Julie Payette, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Dan Christmas : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du discours du Trône de 2020 et plus particulièrement au sujet des mesures qu’il contient concernant les pensionnats indiens.

Je pense que le discours visait à réconforter les Canadiens en affirmant qu’« [a]u Canada, nous prenons soin les uns des autres ». Il a également souligné que le pays a « [...] encore du travail à faire, notamment sur le chemin de la réconciliation et dans la lutte contre le racisme systémique ».

De plus, le discours visait à encourager la population en promettant ce qui suit :

Le gouvernement continuera d’avancer sur la voie commune de la réconciliation et gardera le cap sur la mise en œuvre des engagements pris en 2019.

Enfin, le discours reconnaissait que « [p]our trop de Canadiens, le racisme systémique est une réalité bien présente ».

Honorables sénateurs, il y a quelques jours, le Canada a été confronté à son passé en apprenant qu’une fosse commune contenant les restes de 215 enfants des Premières Nations avait été découverte sur le site de l’ancien pensionnat indien à Kamloops.

La politique publique du Canada à l’époque des pensionnats indiens a lamentablement trahi ces innocents perdus. Personne ne s’est occupé d’eux. Le chemin de la réconciliation qui menait à Kamloops a été recouvert par les larmes et l’angoisse des familles des victimes et des Premières Nations de Kamloops.

Manny Jules, commissaire en chef bien connu de la Commission de la fiscalité des Premières Nations, est l’ancien chef de la communauté. Ses bureaux se trouvent dans l’édifice patrimonial qui abritait autrefois le pensionnat, que lui-même et ses frères et sœurs ont fréquenté.

Il connaît les sentiments de douleur et de perte qui sont le tribut des pensionnats. La route s’avère longue et douloureuse pour guérir cette agonie intime.

Dennis Saddleman est un autre survivant du pensionnat autochtone de Kamloops. Il a subi des traumatismes dévastateurs après avoir été forcé d’y séjourner pendant 11 ans. Des années plus tard, il a composé un poème cathartique sur les horreurs de son parcours et sur les effets de la réconciliation. Ce poème s’intitule Monster. L’auteur en a fait lui-même la lecture durant les témoignages publics de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Comme on l’a déjà dit, il ne saurait y avoir de contribution plus succincte et puissante aux témoignages de cette commission que le poème en question. Je vais le lire pour qu’il soit consigné, afin qu’il nous rappelle à tous le pouvoir singulier des mots.

Mais avant de commencer, chers collègues, je vous préviens : le message que porte ce poème est brutal, froid et poignant. Cependant, il est aussi rédempteur. Je ne cherche pas à offenser qui que ce soit en le lisant pour la postérité. Je le fais plutôt au nom de la mémoire des innocents, de même que pour les voix, les pensées et les rêves qui ont été éteints d’une quelconque manière par la tragédie absolue des pensionnats.

Je souhaite dédier ce discours au chef Louis, qui a vécu de 1827 à 1915 et a été le dernier chef héréditaire de la Première Nation de Kamloops, ainsi qu’à la communauté de Tk’emlúps te Secwépemc.

(1510)

PENSIONNAT AUTOCHTONE, JE TE DÉTESTE

JE TE DÉTESTE

TU ES UN MONSTRE TITANESQUE

À L’APPÉTIT GARGANTUESQUE

AU SQUELETTE D’ACIER

À LA CHAIR BÉTONNÉE

UN MONSTRE FABRIQUÉ

POUR DÉVORER

LES ENFANTS AUTOCHTONES INNOCENTS QUI TE SONT LIVRÉS

TON CŒUR DE PIERRE EST GLACÉ

COMME LE BÉTON DE TES PLANCHERS

TU N’AS PAS D’AMOUR À DONNER

AUCUN ENDROIT POUR ME RÉCONFORTER

SUR TON AFFREUX VISAGE DE BRIQUE, ROUGE ET RUGUEUX

JE VOIS LE REFLET MONSTRUEUX DE TES YEUX

CES FENÊTRES AU VERRE CRASSEUX

D’UN ŒIL MAUVAIS

TU ME SURVEILLES SANS ARRÊT

LES ENFANTS TERRIFIÉS

TREMBLENT DE HONTE À TES PIEDS

JE TE DÉTESTE, PENSIONNAT AUTOCHTONE, TU ES EXÉCRABLE

TU ES UN MONSTRE ABOMINABLE

TU T’INSINUES DANS LES RECOINS SOMBRES DE MON PASSÉ

VA-T’EN, CESSE DE M’IMPORTUNER

TU ME SUIS PARTOUT, OÙ QUE JE SOIS

DANS MES RÊVES ET MES SOUVENIRS, TU ES TOUJOURS LÀ

VA-T’EN, MONSTRE, VA-T’EN, JE TE LE REDIS

JE TE DÉTESTE ENCORE, ET TOUJOURS TU ME SUIS

JE TE HAIS, PENSIONNAT AUTOCHTONE, TU ES DÉGOÛTANT

TU ES UN MONSTRE ET TA PORTE À DEUX BATTANTS

UNE GUEULE PLEINE DE BAVE QUI M’A ATTRAPÉ

M’A ENLEVÉ

POUR DÉCHIQUETER ENTRE TES DENTS JAUNIES

TOUT CE QUI FAIT L’INDIEN QUE JE SUIS

SOUS TA DENT, MA LANGUE A ÉTÉ BROYÉE

MES RITUELS ET MES TRADITIONS, PULVÉRISÉS

QUAND MA CHAIR ROUGE TU AS DÉVORÉ

À L’AMERTUME TU AS GOÛTÉ

AVEC DÉGOÛT TU M’AS AVALÉ

ET CE QUI T’A FAIT GRIMACER

C’EST LE GOÛT PUISSANT DE MA FIERTÉ

JE TE HAIS PENSIONNAT AUTOCHTONE, TU ES HIDEUX

TU ES MONSTRUEUX

TA GORGE M’A AVALÉ

JUSQU’À TON ESTOMAC ELLE M’A PORTÉ

TA PUISSANTE GORGE M’A ÉCRASÉ

MON BONHEUR ET MES RÊVES ONT ÉTÉ BRISÉS

MA VOIX AUTOCHTONE, ÉTOUFFÉE

DANS TA GORGE, MON ESPRIT SACRÉ S’EST COINCÉ

TU AS TOUSSÉ, TU T’ES ÉTOUFFÉ

CAR TU NE PEUX PAS SUPPORTER

MES DANSES ET MES CHANTS SPIRITUELS

JE TE DÉTESTE, PENSIONNAT AUTOCHTONE, JE JETTE SUR TOI TOUT MON FIEL

TU ES UN MONSTRE ET TU ME TERRIFIES

TU AVAIS MAL À L’ESTOMAC QUAND JE MOUILLAIS MON LIT

AVEC COLÈRE TON VENTRE GRONDAIT

CHAQUE FOIS QU’À L’ÉGLISE JE M’ENDORMAIS

Chaque fois que j’enfreignais les règles, ton estomac grognait

Quand ton ventre était plein, tu rotais

Avec satisfaction, tu te frottais la bedaine et tu n’avais cure

D’avoir ainsi englouti ma culture

Tu te foutais de ton air de souillon

De t’être goinfré comme un cochon

Tant que tu pouvais te repaître de l’Indien en moi

Pensionnat autochtone, comme je te hais, toi

Tu es un monstre et ton sang est vicié

Par la torture, la cruauté

Le désespoir et la solitude, et le froid

De ton cœur m’a rempli d’effroi

Je te déteste, pensionnat autochtone, je te déteste

Tu es un monstre

Dans tes entrailles pourries, tes intestins m’ont entraîné

Ton anus m’a écrasé

Ma confiance a été broyée

Tout comme ma dignité

Ton anus m’a expulsé

Et tu m’as rejeté

J’ai été rejeté, et je n’ai jamais acquis

De compétence pour être parent, pour me débrouiller dans la vie

Rejeté sans que j’aie pu développer

Mon caractère ou un talent particulier

Sans espoir ni chance de succès

Je te déteste, pensionnat autochtone, comme je te hais

Tu es un monstre

Dans la toilette tu m’as jeté

De ma nature tu m’as purgé

Tu as effacé ma personnalité

Je te déteste, pensionnat autochtone, je te déteste

Tu es un monstre, je te déteste déteste déteste

Trente-trois ans plus tard, dans ma Chevy

Jusqu’à Kamloops j’ai conduit

J’ai vu le monstre au loin devant

Mon Dieu, il est toujours vivant!

J’ai hésité, je voulais continuer à rouler

Mais quelque chose m’a dit d’arrêter

Alors devant le pensionnat je me suis garé

Face au monstre du passé

Le monstre m’a aperçu et m’a regardé

Le monstre m’a regardé et je l’ai regardé aussi

Longtemps nous sommes restés ainsi

Finalement, je lui ai dit, la gorge serrée :

« Monstre, tu es pardonné »

Le monstre a éclaté en sanglots

Il a pleuré, pleuré à flots

Ses épaules immenses n’arrêtaient pas de trembler

Il m’a fait signe d’approcher

Il m’a demandé de m’asseoir sur ses genoux-escaliers

Puis il s’est mis à parler

Il a dit : « Tu sais, je n’ai jamais aimé le gouvernement, mon père

Ni l’Église catholique, ma mère

Je suis heureux que les peuples autochtones m’aient adopté

Ils m’ont accueilli comme l’un des leurs et m’ont réparé

Ils ont remis en état ma porte-bouche à deux battants

Ils ont purifié mes yeux-fenêtres avec des branches de cèdre et de sapin odorants

Ils m’ont purifié avec de la sauge et du foin d’odeur

Mon bon esprit a repris de la vigueur

Les Autochtones m’ont laissé vivre sur leurs terres, ils m’ont permis de rester

Pourtant, tu sais, ils auraient pu me brûler

Comme ça, les gens peuvent venir ici pour découvrir leur culture ou se la réapproprier »

Le monstre a dit : « Je suis heureux que les Autochtones m’aient accordé une autre chance

Je suis heureux, Dennis, que tu m’aies donné une autre chance »

Le monstre s’est mis à sourire

Je me suis levé, j’ai dit au monstre que je devais partir

Que mon peuple m’attendait, que devant moi, il y avait la vie

J’allais ouvrir la portière de ma Chevy

Quand le monstre a dit : « Eh, tu as oublié quelque chose, attends »

Je me suis retourné et j’ai vu l’esprit d’un enfant descendre l’escalier de béton en courant

Il a couru jusqu’à moi et nous nous sommes fusionnés

J’ai regardé le monstre, tout étonné

Ce n’était plus un monstre, mais une vieille école, que j’avais devant les yeux

Et au fond de moi, je me suis dit que c’était en ce lieu

Que j’avais appris le sens du mot survie

J’avais devant moi un vieux pensionnat

Devenu l’aîné de mes souvenirs

Quatre étages chargés d’histoires

Des histoires d’espoir

De rêves

De renouveau

Et d’avenir

Pour conclure, honorables collègues, je vous rappelle que ce poème représente les voix de plusieurs générations, de plus de 150 000 âmes qui ont souffert d’abus et de négligence de la part des pensionnats approuvés par l’État et dirigés par l’Église dans lesquels 4 100 à 6 000 jeunes Autochtones ont perdu la vie.

Espoir, rêves, renouveau et avenir.

Quatre mots et quatre aspirations qui doivent être gravés dans la conscience individuelle et collective de tous les Canadiens si on veut que le Canada devienne véritablement un pays où, comme le dit le discours du Trône, « nous prenons soin les uns des autres ».

Wela’lioq.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Gagné, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la Journée internationale de la langue maternelle

Troisième lecture

L’honorable Mobina S. B. Jaffer propose que le projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle, soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je suis très fière de prendre la parole à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle.

J’en profite pour remercier la sénatrice Petitclerc et les membres du Comité des affaires sociales qui ont travaillé très fort et qui ont même siégé un vendredi pour étudier le projet de loi. Je vous suis vraiment reconnaissante de tout le travail que vous avez fait pour rendre cela possible.

[Français]

Cette journée est une façon de célébrer, d’honorer et de reconnaître les Canadiens qui, d’un bout à l’autre du pays, parlent fièrement leur langue maternelle.

[Traduction]

Honorables sénateurs, le projet de loi ne fera que désigner le 21 février comme la journée de la langue maternelle.

[Français]

La Journée internationale de la langue maternelle est une journée consacrée à la célébration, mais aussi à la reconnaissance de la valeur et de l’importance de pouvoir communiquer librement, ouvertement et fièrement dans la langue maternelle de son choix.

(1520)

[Traduction]

La semaine dernière, j’ai eu l’immense plaisir, en tant que marraine du projet de loi S-211, de témoigner en compagnie de M. Monjur Chowdhury, directeur général et fondateur de l’organisme Pro-active Education for All Children’s Enrichment; et de Jocelyn Formsma, directrice générale de l’Association nationale des centres d’amitié.

Lorsque j’ai témoigné devant le comité, j’ai cité certains mémoires présentés au comité. J’ai entre autres mentionné le témoignage percutant d’Anushua Nag, adjointe législative du sénateur Dalphond, qui a raconté qu’en tant qu’enfant d’immigrants du Bangladesh, le français, l’anglais et le sylheti constituent des fondements de son identité et qu’elle en est fière et les célèbre.

J’ai également fait mention des sentiments d’un élève de 9e année, Ayaan Jeraj, qui parle français, anglais, espagnol et gujarati. Ayaan a souligné que ce projet de loi est important parce qu’il permettra à des jeunes de poursuivre la lutte pour la reconnaissance et la célébration de toutes les langues maternelles au Canada.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-211 vise essentiellement à reconnaître comment les langues maternelles et le multilinguisme renforcent la société diverse et multiculturelle du Canada. Dans la poursuite de cet objectif, il est important de rappeler que lors du recensement de 2011, plus de 60 langues autochtones étaient recensées, mais seulement 14,5 % des membres des Premières Nations avaient encore comme langue maternelle une langue autochtone. En 2016, le nombre de langues autochtones recensées se chiffrait à plus de 70, dont plus de 33 étaient parlées par au moins 500 personnes, tandis que d’autres étaient parlées que par 6 personnes.

[Français]

Il est vraiment déchirant de voir disparaître un si grand nombre de langues autochtones. Chaque fois qu’une langue disparaît, c’est une partie de notre identité qui disparaît.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je vous parle depuis de nombreuses années d’un projet de loi sur les langues maternelles. Aujourd’hui, cette mesure arrive à l’étape de la troisième lecture. Je me permets de vous demander humblement de l’appuyer à la fin de cette troisième étape. Je vous remercie beaucoup, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

L’honorable Victor Oh : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi S-211, Loi instituant la Journée internationale de la langue maternelle.

Ce projet de loi a été présenté par notre collègue, la sénatrice Jaffer. Voici ce qu’elle a déclaré à l’étape de la deuxième lecture :

Ce projet de loi vise essentiellement à rendre hommage aux gens de toutes les régions du Canada qui parlent avec fierté leurs langues maternelles; on en compte plus de 200, dont l’espagnol, le gujarati, le pendjabi, le tagalog et bien d’autres encore.

Sénateurs, je crois qu’il s’agit là d’un noble objectif, car il reconnaît que le Canada est un pays multiethnique et multiculturel où vivent des gens aux origines diverses. Comme nous le savons tous, le multiculturalisme est le fil dont est fait le tissu de notre nation. Il faut continuer de célébrer la diversité au Canada.

Bien entendu, la Journée internationale de la langue maternelle ne sera pas un jour férié. Comme bien d’autres, elle sera plutôt une journée reconnue par le Parlement et le gouvernement fédéral en raison de son importance pour le Canada.

Cela surprendra peut-être bon nombre d’entre vous d’apprendre qu’en 2017, il y avait 69 journées ou célébrations reconnues à l’échelle nationale au Canada. Ces journées ont été créées par une loi fédérale, un décret ou une résolution du Parlement. Je crois que, très souvent, nous oublions l’importance qu’ont bon nombre de ces journées. Par exemple, en juin seulement, il y a plus d’une dizaine de journées ou de célébrations officielles à l’échelle nationale.

Malheureusement, beaucoup trop de ces journées nationales, désignées pour commémorer un volet important de notre société, ont été négligées ou complètement oubliées par la majorité de la population. Cependant, chers collègues, nous devons garder à l’esprit que ces journées de commémoration désignées sont très importantes pour un grand nombre de communautés au Canada. Elles servent à garder en mémoire et à honorer des aspects de notre histoire et des segments de notre nation.

Le projet de loi S-211 vise à reconnaître la valeur de la diversité linguistique du Canada. C’est un objectif louable. À propos de l’importance du langage, quand ma collègue, la sénatrice Ataullahjan, s’est exprimée à l’étape de la deuxième lecture, elle a cité le professeur Wade Davis, qui a dit :

Une langue, il va sans dire, n’est pas qu’un simple ensemble de règles grammaticales ou un vocabulaire. C’est un éclair de l’esprit humain, le véhicule par lequel l’âme d’une culture s’arrime au monde matériel. Chaque langue est une forêt ancienne de l’esprit, un bassin versant de la pensée, un écosystème de possibilités sociales, spirituelles et psychologiques. Chaque langue est une fenêtre sur un univers, un monument à la culture qui l’a vue naître et dont elle exprime tout l’esprit.

Ces observations très élégantes démontrent à quel point la diversité est une richesse pour le Canada. Cette richesse prend racine dans les langues et l’héritage culturel remarquable que celles-ci véhiculent.

La sénatrice Ataullahjan a dit : « Je connais très bien la corrélation entre ma langue maternelle et mon identité. » C’est aussi mon cas. Au sein de la famille Oh, notre langue maternelle, le mandarin, est importante et fait partie intégrante de notre identité.

Lorsque j’étais enfant, à Singapour, mes parents parlaient mandarin à leurs enfants. Mes fils sont nés dans un milieu multiculturel et anglophone du Canada. En tant que père, j’ai ressenti qu’il était crucial de créer un lien avec la culture et l’histoire de leur famille au moyen de la langue. Encore aujourd’hui, nous parlons mandarin à la maison. Même si je suis trilingue, parler ma langue maternelle est une source de vitalité culturelle.

Même si mes petits-enfants maîtrisent moins bien le mandarin, j’ai choisi de leur enseigner des mots et des expressions dans ma langue maternelle. Les entendre répéter ces mots me fait chaud au cœur et, sans aucun doute, renforce les liens qui nous unissent. C’est là, chers sénateurs, le pouvoir des langues maternelles. C’est un outil de transmission de la vie culturelle entre le passé et l’avenir.

À mon avis, la portée du projet de loi va bien au-delà de la question de la langue. Pour les immigrants, il reconnaît un fait important : même si l’adaptation à la vie au Canada nécessite souvent l’apprentissage de nouvelles langues, pouvoir conserver et protéger sa propre culture unique est une partie essentielle de ce que signifie être canadien. Pour d’autres, comme les peuples autochtones, qui ont lutté sans relâche pour préserver leur langue dans des circonstances souvent très difficiles, cette journée honorera également leurs efforts soutenus.

(1530)

Pour cette raison, je suis convaincu de la valeur de ce projet de loi. Étant donné que des dialectes et des langues s’éteignent tous les jours dans le monde, c’est une façon bien modeste d’honorer et de reconnaître symboliquement la diversité des langues maternelles au Canada. Je demande à tous les sénateurs de célébrer l’influence des langues maternelles et de soutenir cette mesure législative.

Merci, xie xie.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Ratna Omidvar propose que le projet de loi S-222, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (utilisation des ressources), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je suis ravie d’intervenir à l’étape de la troisième lecture du projet de loi S-222, Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance.

Gardant à l’esprit que nombre de mes collègues souhaitent s’exprimer à propos des autres articles inscrits au Feuilleton, je ferai passer la concision avant l’éloquence en exposant brièvement trois réflexions.

Premièrement, j’aimerais exprimer ma sincère reconnaissance au Comité sénatorial des finances nationales, soit à son président, le sénateur Mockler, et aux membres du comité directeur, le sénateur Klyne et le sénateur Forest, pour avoir organisé le travail et pour avoir examiné ce projet de loi aussi rapidement. Je souhaite aussi exprimer ma gratitude à la sénatrice Coyle et au sénateur Mercer pour avoir soutenu ce projet de loi à la deuxième lecture, et je salue particulièrement le leadership du sénateur Mercer, qui a donné vie à l’étude du secteur caritatif du Sénat sur laquelle s’appuie ce projet de loi, ainsi que l’esprit critique du sénateur Plett, qui a soutenu ce projet de loi. Une critique amicale est un cadeau précieux.

Deuxièmement, je veux expliquer très brièvement pourquoi cette mesure législative est nécessaire. Elle éliminera un obstacle important et une foule de formalités administratives qui entravent l’efficacité des organismes de bienfaisance nationaux et internationaux, leur occasionnent des frais juridiques et créent des déséquilibres de pouvoir. Elle permettra enfin aux groupes autochtones et aux groupes de justice raciale de jouer un rôle significatif dans le secteur de la bienfaisance, soit de se pencher sur l’expression cachée de racisme systémique dans la loi. Le projet de loi permettra également de retirer les derniers vestiges du colonialisme de nos organismes de bienfaisance voués au développement international, sans affaiblir la reddition de comptes liée aux dons de bienfaisance en franchise d’impôt.

Puisque le projet de loi décrit le processus visant à assurer l’utilisation responsable des ressources, les organismes de bienfaisance feront d’emblée preuve de diligence raisonnable, élaboreront des accords sur les activités et les échéanciers, ainsi que les budgets et la production de rapports entre l’organisme de bienfaisance et l’organisme sans vocation de bienfaisance. Ce dernier devra pleinement rendre des comptes à l’organisme de bienfaisance sur l’argent reçu et devra faire rapport sur l’utilisation des fonds conformément aux échéanciers convenus, ainsi que sur les progrès accomplis en matière de résultats et d’incidence. Cependant, l’organisme sans vocation de bienfaisance ne sera pas contrôlé par l’organisme de bienfaisance, comme c’est actuellement le cas dans la loi en vigueur. La gestion du projet reviendra à l’organisme sans vocation de bienfaisance.

Par conséquent, le projet de loi S-222 remplit deux objectifs importants. Premièrement, il assure la reddition de comptes et, deuxièmement, il permet d’établir des partenariats valorisants. Ces éléments ne sont pas incompatibles. La reddition de comptes et l’autonomisation, tout comme la reddition de comptes et l’établissement de partenariats, ne sont pas des concepts mutuellement exclusifs.

En terminant, chers collègues, je vous prie humblement de m’aider à renvoyer le projet de loi à la Chambre des communes. Merci.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je serai tout aussi bref. Je suis heureux de prendre la parole au sujet du projet de loi S-222 à l’étape de la troisième lecture. Comme je l’ai dit dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, bien que j’en sois le porte-parole de l’opposition, je suis très favorable à cette mesure législative et suis ravi de constater qu’elle franchit rapidement les étapes.

J’espère que le sénateur C. Deacon en prendra note, lui qui espérait l’autre jour me voir manifester le même enthousiasme pour l’adoption de mesures qui ne sont pas nécessairement présentées par les conservateurs. Je peux lui assurer que c’est le cas aujourd’hui.

J’aimerais remercier la sénatrice Omidvar de son travail à l’égard de ce projet de loi, ainsi que les membres du Comité sénatorial permanent des finances nationales. J’aimerais souligner le bon travail entrepris par le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance. L’étude qu’il a réalisée à la législature précédente a contribué à sensibiliser le public aux difficultés auxquelles se heurte le secteur de la bienfaisance et a mis en relief les nombreux changements qui s’imposent. Le projet de loi S-222 vise à effectuer l’un de ces changements.

Chers collègues, dans un système parlementaire qui dépend de l’opposition parlementaire pour fonctionner adéquatement, il est toujours gratifiant de trouver des causes qui suscitent un large consensus et la coopération. Lorsque cela se produit au Sénat, comme c’est le cas pour ce projet de loi, cela nous permet d’espérer que la même chose se produira à l’autre endroit.

Or, comme nous le savons, ce n’est pas toujours le cas. Si le Sénat décide d’adopter le projet de loi S-222 et de le renvoyer à l’autre endroit, il sera minuit moins une avant la relâche de l’été. Même si le chef de l’opposition, Erin O’Toole, s’est dit favorable à la modification des règles en matière de direction et de contrôle, rien ne nous indique si le gouvernement est favorable à ce projet de loi.

Je souligne que, au comité, les fonctionnaires de l’Agence du revenu du Canada n’ont manifesté aucune inquiétude au sujet des modifications proposées, outre le fait qu’il faudra de 12 à 18 mois pour les mettre en œuvre. Cependant, le projet de loi prévoit deux ans pour son entrée en vigueur, ce qui donnera tout le temps requis pour la tenue de consultations et l’élaboration de nouvelles lignes directrices à l’intention des organismes de charité.

Néanmoins, l’incertitude quant à l’appui du gouvernement, le peu de temps qu’il reste avant la relâche de l’été et la possibilité d’élections ou d’une prorogation à l’automne font que l’avenir de ce projet de loi est incertain. Par conséquent, j’invite les sénateurs à appuyer ce projet de loi et à le renvoyer à l’autre endroit le plus tôt possible afin qu’il y soit étudié.

Comme l’a souligné Bruce MacDonald, président et chef de la direction d’Imagine Canada, au comité, ce projet de loi créera « un système plus efficace et plus efficient ». Il réduira le fardeau administratif des organismes de bienfaisance, le nombre de contrats et d’accords requis et les frais juridiques que les organismes doivent assumer. Le projet de loi alignera le système canadien sur celui d’autres pays comme l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Chers collègues, comme je l’ai mentionné, les changements prévus dans ce projet de loi sont nécessaires et attendus depuis longtemps. J’espère que vous continuerez d’appuyer ce projet de loi et que vous voterez pour son adoption maintenant.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

(1540)

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’honorable Diane F. Griffin propose que le projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je suis heureuse de prendre la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale). Nous avons étudié le projet de loi au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, où nous avons entendu M. Larry Maguire, le parrain du projet de loi, un fiscaliste de Deloitte Canada, et d’autres témoins comme la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, la Fédération canadienne de l’agriculture, le Conseil canadien des pêcheurs professionnels ainsi que le ministère des Finances du Canada.

Au bout du compte, le projet de loi a été adopté par le comité sans amendement.

Comme le sénateur Forest et moi-même avons prononcé nos discours à l’étape de la deuxième lecture il y a moins d’un mois, aujourd’hui, je serai brève. Le projet de loi faciliterait le transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche de génération en génération, et il comporte des mesures de protection pour éviter que les gens ne contournent les règles. Les parties prenantes nous ont dit que le projet de loi aiderait particulièrement les collectivités rurales et les entreprises qui les font vivre.

Le problème dont traite le projet de loi C-208 existe depuis des décennies et, au fil des ans, des parlementaires de toutes allégeances ont présenté des projets de loi pour le corriger. Comme l’a dit Brian Janzen, directeur principal de la fiscalité chez Deloitte, au comité :

Cela fait 25 ans que ce sujet est étudié sous tous les angles [...]

Il s’agit d’un projet de loi très simple qui propose des garanties fondamentales et claires. Il ne laisse pas de place pour les échappatoires [...]

[...] nous n’avons absolument pas besoin de réaliser plus d’études sur ce sujet [...]

Le projet de loi ne peut que faire l’unanimité. Je ne vois pas comment on pourrait s’opposer à aider les petites entreprises à transférer leur activité à leurs enfants. Il s’agit de mettre tout le monde sur un pied d’égalité.

J’ai été surprise lorsque Corinne Pohlmann, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, a fait la remarque suivante :

Remédier à cette iniquité en adoptant ce projet de loi rapidement serait une bonne nouvelle qui tomberait bien dans une année où tant de propriétaires de petite entreprise ont connu leur lot de difficultés.

Honorables sénateurs, je vous demande votre aide. Le projet de loi a reçu l’appui de tous les partis à la Chambre des communes. Votons maintenant et montrons aux agriculteurs, pêcheurs et propriétaires de petites entreprises que nous leur sommes reconnaissants et que nous voulons que leurs entreprises prospèrent dans les collectivités pendant de nombreuses années à venir.

Je vous remercie.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Loffreda, avez-vous une question?

L’honorable Tony Loffreda : Oui. La sénatrice Griffin accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Griffin : Certainement.

Le sénateur Loffreda : J’appuie le projet de loi, mais j’ai une question à poser. Lors de vos travaux pour préparer ce projet de loi et de vos discussions avec son parrain, avez-vous envisagé d’élargir l’admissibilité à toutes les entreprises familiales, et non seulement les petites, ou à la vente partielle d’une entreprise familiale?

Je pose la question, parce que ce ne sont pas toutes les entreprises familiales qui correspondent à la définition d’une petite entreprise qui se trouve dans le projet de loi. De plus, je crois qu’il pourrait valoir la peine d’envisager d’inclure la vente partielle d’une entreprise familiale. La vente partielle faciliterait assurément une transition appropriée et la formation de l’acheteur, au besoin, ce qui, dans bien des cas, s’avère primordial pour assurer la viabilité et le dynamisme des entreprises familiales au Canada. Il serait rassurant de savoir que les petites entreprises pourraient rester admissibles aux mêmes avantages quand elles prennent de l’expansion.

Comme je l’ai dit, j’appuie le projet de loi. Je vous remercie de votre travail à cet égard, et je vous demanderais de nous faire part de vos réflexions à ce sujet.

La sénatrice Griffin : Merci de vos questions. La première porte sur le fait que le projet de loi vise directement les petites et moyennes entreprises. Il s’agit d’une décision politique prise à la Chambre des communes pour que les partis appuient le projet de loi. Beaucoup de députés appuyaient l’idée d’aider les petites entreprises à composer avec cette structure fiscale injuste. Toutefois, la représentante de la fédération de l’entreprise indépendante ainsi que le fiscaliste de la firme Deloitte nous ont signalé que le projet de loi devrait être considéré comme un bon début et que, un jour, le gouvernement pourrait vouloir l’étendre aux grandes entreprises. Voilà pourquoi les sommes qui peuvent être envisagées sont plafonnées à ce stade-ci.

Cela ne veut pas dire qu’on ne pourra pas apporter de changements à court ou à long terme lorsqu’on constatera le succès de la mesure. De plus, le gouvernement a bien sûr l’option d’aller plus loin à ce chapitre.

En ce qui concerne la vente partielle d’une entreprise, oui, c’est possible, mais les acheteurs, soit les enfants ou les petits-enfants, doivent avoir le contrôle de l’entreprise, c’est-à-dire qu’ils doivent détenir au moins 51 % des actions pour que la vente partielle soit valide. Cette mesure vise premièrement à assurer que l’entreprise soit contrôlée par la prochaine génération et, deuxièmement, à ce que les parents, soit les vendeurs, ne puissent pas posséder d’actions de l’entreprise acheteuse. Autrement dit, les parents ne peuvent pas participer financièrement à la transaction à titre d’acheteurs et de vendeurs.

Grâce à ces mesures de sauvegarde, j’estime que le projet de loi est effectivement un bon début et j’espère qu’il permettra d’aider beaucoup de petites entreprises au Canada, qu’il s’agisse d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale.

Le sénateur Loffreda : Merci de votre réponse, sénatrice Griffin. Comme je l’ai dit, j’appuie le projet de loi.

Au sujet des ventes partielles, il faut tenir compte du fait que, dans une entreprise en transition — j’en ai vu beaucoup au fil des ans —, il arrive qu’on ne veuille pas transférer 51 % des actions aux enfants. On préfère parfois leur transférer une petite portion, afin de les former ou voir s’ils possèdent les compétences en gestion nécessaires pour la faire progresser. C’est important étant donné nos circonstances — si on parle de succession, et je ne veux pas simplement énumérer des statistiques sur le nombre d’entreprises familiales qui changeront de mains, mais il y en a beaucoup. Peut-être devrions-nous entreprendre une étude sur la question. Aucun projet de loi n’est parfait. J’appuie le projet de loi, mais je crois que, dans l'avenir, il devrait viser toutes les entreprises familiales ainsi que les entreprises qui sont partiellement détenues ou vendues, afin de permettre une transition adéquate et de la formation.

Je me réjouis du fait que vous en parliez comme d’un bon départ et je presse tous les sénateurs à l’appuyer parce qu’il s’agit en effet d’un bon départ. Les entreprises familiales méritent d’être traitées équitablement, comme dans toutes les transactions d’affaires et les transitions.

La sénatrice Griffin : Je vous remercie de vos observations. Je crois que c’est une excellente suggestion quant aux futurs travaux qui pourraient être entrepris.

Le sénateur Loffreda : Merci beaucoup.

[Français]

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre part au débat à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale).

J’ai participé aux travaux du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et je suis heureux de dire que nous avons entendu les fonctionnaires du ministère des Finances, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante ainsi que des représentants d’entreprises du domaine des pêcheries et de l’agriculture.

Les effets pervers de la politique fiscale actuelle, qui pénalise les transferts entre personnes d’une même famille, sont bien connus. Cette politique favorise le démantèlement des entreprises, elle force les entrepreneurs à choisir entre l’avenir de leurs enfants et leur propre fonds de pension et elle contribue à l’accaparement des terres et de nos entreprises par des étrangers.

(1550)

[Traduction]

Je vais m’attarder sur les conséquences du démantèlement d’une entreprise, principalement dans le secteur agricole, car il s’agit d’une question qui me préoccupe particulièrement.

[Français]

Le Canada, comme l’Europe et les États-Unis, n’échappe pas à la tendance lourde du vieillissement de sa population agricole, ce qui laisse présager un manque de relève et une consolidation faible de nos entreprises.

Il suffit de se promener dans nos rangs et nos villages pour constater une réduction importante du nombre de fermes, une hausse de la taille de celles-ci et, on s’en doute, une augmentation importante de la valeur et de l’endettement des entreprises, ce qui complexifie les transferts d’entreprise.

Les dernières décennies n’ont pas été faciles pour nos producteurs agricoles. Les phénomènes que j’ai évoqués favorisent le démantèlement des fermes plutôt que la poursuite des activités des entreprises familiales.

Lorsqu’une ferme est démantelée, ou pire, lorsqu’une terre est laissée à l’abandon ou réaffectée à des activités non agricoles, on assiste inévitablement à une dévitalisation de nos communautés rurales. Moins d’enfants dans nos rangs, cela finit souvent par la fermeture de l’école, puis du bureau de poste, puis de l’épicerie, puis de la caisse populaire.

Je ne veux pas tomber dans le misérabilisme. Toutefois, je crois qu’un appel à la vigilance est nécessaire alors que l’on perd une ferme par semaine au Québec en ce moment. Nos fermes et nos PME familiales sont importantes pour la vitalité de nos communautés.

Travaillons à assurer leur pérennité en éliminant les tracasseries administratives et, surtout, les iniquités fiscales, plutôt que de favoriser leur démantèlement.

Je crois que le consensus est assez large pour reconnaître que la politique fiscale actuelle est problématique.

Il est aberrant que les entreprises vendues au sein d’une famille soient considérées comme des entreprises « avec liens de dépendance » et traitées comme un dividende, tandis que les entreprises vendues à une entité extérieure à la famille sont considérées comme des entreprises « sans lien de dépendance » et traitées comme un gain en capital.

J’aimerais vous donner une image de l’impact de notre fiscalité. Il est absurde qu’un entrepreneur qui est à la tête d’une petite entreprise évaluée à 2,7 millions de dollars — il ne s’agit pas ici d’une multinationale — soit pénalisé à hauteur de 272 000 $ pour avoir choisi de transférer sa ferme à ses enfants plutôt qu’à un étranger.

Au comité, les témoins se sont dits satisfaits de la solution proposée par le biais du projet de loi C-208. Dorénavant, en considérant la vente d’une entreprise familiale à un enfant — pas un cousin, pas un neveu — comme un gain en capital, on rétablit l’équité fiscale vis-à-vis d’un transfert d’entreprise vers un étranger.

Il restait à déterminer si, dans la mécanique, on ouvrait la porte à l’évasion fiscale.

Les fonctionnaires du ministère des Finances ont évoqué leurs appréhensions devant le comité. Ils ont dit craindre qu’il ne soit difficile de différencier les transferts familiaux légitimes des transferts conçus spécifiquement pour éviter de l’impôt.

Cela dit, l’intention du législateur est clairement exprimée dans ce projet de loi, qui ne vise que les transferts d’entreprise vers les enfants — je répète, les enfants. Ceux qui voudraient tenter de profiter des assouplissements qu’amène le projet de loi C-208 à des fins de planification fiscale abusive risquent de se retrouver devant les tribunaux, en vertu de la disposition générale anti-évitement qui se trouve aux articles 245 et 246 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Le législateur dispose donc des outils législatifs nécessaires pour être en mesure d’intervenir si on abuse de ces modifications.

Rappelons aussi que, en exigeant que l’acheteur conserve ses actions pendant un minimum de cinq ans, le projet de loi offre certaines garanties selon lesquelles il s’agit d’un transfert familial véritable, et non d’une manipulation pour éviter de payer de l’impôt.

Chers collègues, je m’arrêterai ici, puisque je souhaite que nous passions rapidement au vote.

[Traduction]

Soyons clairs : il n’est pas question d’accorder un traitement préférentiel aux petites et moyennes entreprises familiales, mais simplement de leur donner accès aux mêmes possibilités dont peuvent se prévaloir les personnes qui ne font pas partie de la famille.

[Français]

C’est un geste simple que nous pouvons poser pour soutenir des entreprises à taille humaine, nos entreprises familiales, et pour appuyer bien des communautés situées hors des grands centres. C’est un geste important qui permettra de contrer la dévitalisation économique et sociale de nos régions.

Comme vous le savez, le projet de loi C-208 a été adopté par une majorité de parlementaires élus de tous les partis. À mon avis, ce serait un manque de respect envers nos régions et un manque de déférence envers la Chambre des élus que de laisser mourir ce projet de loi au Feuilleton, sans au moins tenir un vote sur la question. « Jouer l’horloge » afin d’éviter de se prononcer en tenant un vote formel entacherait assurément les efforts que nous avons faits depuis quelques années pour rendre au Sénat sa pertinence et sa crédibilité.

Merci, meegwetch.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale).

Comme il a été clairement indiqué dans cette enceinte et à l’autre endroit, le gouvernement considère qu’il s’agit d’un important objectif de politique publique. C’est pourquoi le premier ministre a chargé les ministres des Finances et de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire d’unir leurs efforts et ainsi établir des mesures fiscales qui faciliteront le transfert des exploitations agricoles entre les générations. C’est avec la volonté de réaliser cet objectif que le gouvernement étudie soigneusement le projet de loi C-208.

Cependant, le régime fiscal canadien est complexe et il est nécessaire d’utiliser une approche mûrement réfléchie pour réaliser ces objectifs afin d’atténuer les risques d’évitement fiscal, tout en veillant à mettre en place des mesures de sauvegarde efficaces. Or, c’est précisément là où le projet de loi C-208 échoue. En tout respect, le gouvernement n’appuie donc pas ce projet de loi.

En résumé, le projet de loi C-208 vise à modifier deux des règles anti-évitement les plus cruciales et complexes prévues dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Ces règles de dépouillement des gains en capital et des surplus portent sur le traitement des dividendes intersociétés et de la vente d’actions dans les cas où l’exonération cumulative des gains en capital peut être utilisée sans en faire un usage abusif. Par conséquent, il faut faire preuve d’une grande prudence au moment d’apporter des modifications à ces articles de la loi.

Cet aspect du projet de loi C-208 pose problème. En effet, dans sa formulation actuelle, le projet de loi n’exige pas que le parent cesse de contrôler l’entreprise ni que l’enfant y participe. De plus, il permettrait au parent de vendre des actions à la société de portefeuille d’un enfant puis d’acheter cette société de portefeuille, ce qui veut dire que l’enfant ne détiendrait aucun intérêt dans l’entreprise.

Chers collègues, ce projet de loi ouvre donc la voie à de graves risques d’évitement fiscal, qui auront une incidence négative sur le cadre financier que le gouvernement a déjà soigneusement tracé dans le budget de 2021. En bref, le projet de loi C-208 procurerait des avantages considérables à certains contribuables, qui pourraient distribuer les surplus d’une entreprise en franchise d’impôt sans faire le nécessaire pour procéder à un réel transfert intergénérationnel.

Quand il a comparu devant le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts à propos du projet de loi C-208, Trevor McGowan, directeur général, Direction de la politique de l’impôt au ministère des Finances, a souligné ce problème :

Ce projet de loi suscite des inquiétudes fondamentales car, bien qu’il soit censé s’appliquer aux transferts d’actions intergénérationnels, il ne contient aucune mesure de sauvegarde visant à garantir qu’il ne servira qu’à de véritables transferts intergénérationnels. Résultat : alors que le défaut des règles actuelles pourrait être que la règle anti-évitement ne prévoit aucune exception pour les véritables transferts intergénérationnels, le projet de loi C-208 aura essentiellement pour effet de créer une échappatoire, puisque aucune mesure de sauvegarde ne fera en sorte qu’il serve seulement à de véritables transferts intergénérationnels.

Par conséquent, des gens riches pourraient se servir de l’échappatoire créée par le projet de loi pour éviter de payer de l’impôt sans procéder à un véritable transfert intergénérationnel de l’entreprise. Lorsqu’on élabore une mesure législative pour faciliter les transferts intergénérationnels, le grand défi consiste à trouver une façon de séparer les véritables transferts intergénérationnels des stratagèmes d’évitement fiscal. Le projet de loi ne le fait pas; plutôt, ses dispositions s’appliquent sans faire de distinction entre ces deux cas de figure.

(1600)

Par conséquent, chers collègues, il importe d’étudier en détail le fonctionnement de ces règles anti-évitement, les raisons de leur importance et la manière dont le projet de loi C-208 ne protège pas leur intégrité.

Les règles anti-évitement de l’article 84.1 de la loi actuelle empêchent les abus du régime fiscal dans les cas où une personne convertit un revenu de dividendes en gains en capital libres d’impôt ou imposés à un taux inférieur, en vendant les actions d’une société à une autre société avec laquelle elle a un lien de dépendance.

Un exemple simple peut aider à illustrer le type de planification que les règles anti-évitement visent à empêcher. Une personne qui vit en Ontario est visée par la tranche d’imposition supérieure en 2020. Elle détient une société d’exploitation avec 100 000 $ de bénéfices non répartis. S’il tire son revenu sous la forme d’un dividende, le propriétaire paierait environ 48 000 $ d’impôt. Par conséquent, il crée une société de portefeuille et lui vend les actions de la société d’exploitation. S’il est imposé selon les taux des gains en capital, le propriétaire paierait environ 27 000 $ d’impôt, économisant 21 000 $, près de la moitié de la somme qu’il aurait dû payer autrement. Si l’exemption cumulative des gains en capital est disponible, les bénéfices non répartis seront soutirés sans payer d’impôt.

Les règles relatives au dépouillement des surplus mettent fin à ce type d’abus en, dans certaines circonstances, considérant que le particulier a reçu des dividendes imposables de la société de portefeuille liée, au lieu de gains en capital. Cela empêche la personne d’extraire des bénéfices non répartis de la société sans payer d’impôt, en utilisant l’exonération cumulative des gains en capital. Cette règle a pour but d’empêcher les contribuables d’utiliser des sociétés liées pour sortir des gains de leur société au moyen d’une vente.

Je pense que tous les honorables sénateurs conviendront que nous ne devrions pas encourager l’utilisation de telles ventes pour déjouer le système, plus particulièrement ceux d’entre nous ayant travaillé dans le secteur financier. Nous devrions plutôt chercher à mettre en place des mesures soigneusement conçues pour favoriser le transfert intergénérationnel d’entreprises familiales. À cet égard, il est important de noter que, en ce moment, rien dans le projet de loi n’empêche un parent de vendre des actions de l’entreprise familiale directement à son enfant ou à son petit-enfant, en franchise d’impôt, en demandant l’exonération cumulative des gains en capital, qui met actuellement à l’abri de l’impôt jusqu’à 1 million de dollars de gains en capital réalisés lors de la disposition de biens agricoles ou de pêche admissibles.

Les problèmes que le projet de loi C-208 vise à régler surviennent seulement au sein des structures organisationnelles à plusieurs niveaux, où une société en détient une autre.

En résumé, bien que ce projet de loi crée des possibilités de planification pouvant être utilisées dans le cadre du transfert intergénérationnel d’une entreprise, il ne contient pas les garanties nécessaires pour qu’elles ne soient utilisées que dans ce but. Rien n’oblige le parent à cesser d’exploiter l’entreprise ou à réduire sa participation à l’exploitation de l’entreprise. L’enfant n’est pas tenu de jouer un rôle quelconque dans la gestion de l’entreprise. En fait, juste après avoir retiré le surplus de l’entreprise, l’enfant pourrait vendre sa société de portefeuille au parent pour un montant nominal, ce qui l’exclurait complètement.

Malheureusement, comme je crois avoir essayé de l’expliquer, le projet de loi C-208 ouvrirait la porte à de nouvelles possibilités d’évitement fiscal qui profiteraient injustement aux personnes riches. En fin de compte, il offrirait jusqu’à 900 000 $ en franchise d’impôt à de nombreux contribuables fortunés, ou jusqu’à 1,8 million de dollars aux couples qui ne transfèrent aucun pan de leur entreprise à leurs enfants.

Le projet de loi C-208 propose également des modifications à l’article 55 de la loi qui posent problème. Cet article empêche les sociétés de réduire indûment leurs impôts en se versant entre elles des dividendes non imposables excessifs qui, en l’absence de ces restrictions, seraient imposés comme des gains en capital. Cette forme de planification d’évitement fiscal est connue sous le nom de dépouillement des gains en capital.

Le projet de loi C-208 pose des problèmes dans la mesure où il touche deux exemptions à ces règles anti-évitement. Ces exemptions permettent aux entreprises qui se restructurent, en raison de leur situation particulière, de reporter l’impôt sur les gains en capital. La première exemption s’applique à la restructuration de sociétés apparentées, et la seconde s’applique à toutes les restructurations d’entreprises.

Le projet de loi C-208 élargirait la portée de cette première exemption afin qu’elle s’applique aux frères et sœurs, ce qui romprait avec le principe fiscal de longue date voulant que les frères et sœurs soient considérés comme des personnes ayant des intérêts économiques distincts et indépendants pour les fins visées.

Si on modifiait cette exemption, on se trouverait à accroître les possibilités d’abus et d’érosion de l’assiette fiscale. Ce faisant, on pourrait créer un problème plus grave que celui que l’on tente de régler, notamment parce que les époux ainsi que les parents et leurs enfants sont déjà admissibles à cette exemption, car on présume déjà qu’ils ont des intérêts économiques communs.

Bien que les frères et sœurs ne puissent pas restructurer leur participation à une entreprise sur la base d’un report de l’impôt au titre de l’exemption visée, ils peuvent le faire au titre de la deuxième exemption prévue à l’article 55, qui s’applique à toutes les formes de restructuration d’entreprise.

Il y a moins de possibilités d’évitement fiscal au moyen de ce qu’on appelle l’exemption pour réorganisation papillon, mais si le projet de loi C-208 était adopté, les frères et sœurs pourraient procéder à des restructurations d’entreprise permettant de faire en sorte que des gains en capital d’une entreprise qui sont normalement imposable se transforment en dividendes intersociétés libres d’impôt. Cela créerait de nouvelles possibilités d’évitement fiscal au Canada.

Honorables sénateurs, dans sa forme actuelle, le projet de loi C-208 créerait des échappatoires dans le système fiscal qui offriraient de nouvelles possibilités d’évitement fiscal aux plus riches, aux dépens des personnes que l’on cherche à aider de façon légitime avec ces mesures. En tout respect, je ne peux pas appuyer le projet de loi C-208, et ce pour toutes les raisons que j’ai mentionnées.

Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le sénateur Forest : Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Gold : Absolument.

Le sénateur Forest : Comme vous l’avez mentionné lors de votre discours, en décembre 2019, le premier ministre, dans la lettre de mandat du ministre des Finances, lui a demandé de régler cette iniquité.

Quand vous nous parlez maintenant du transfert, vous nous parlez beaucoup des stratégies de sociétés à paliers multiples, de sociétés d’exploitation et de sociétés de portefeuille. Pouvez-vous convenir avec moi, tant donné que le projet de loi C-208 limite la valeur de capitalisation de l’entreprise à 15 millions de dollars, qu’il ne s’agit pas là de multinationales ou de sociétés qui sont en mesure de s’offrir des services juridiques ou des services de fiscalité? On parle ici de PME familiales. Puisqu’on peut limiter ce transfert d’entreprise aux enfants, pour les petites et moyennes entreprises qui ont une valeur maximale de 15 millions de dollars, et puisque l’enfant doit détenir cette valeur de capitalisation pour un minimum de cinq ans, ne s’agit-il pas là, selon vous, de garanties suffisantes pour favoriser l’instauration d’un environnement plus propice au transfert de nos petites entreprises plutôt qu’à leur démantèlement?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de cette question, cher collègue.

Comme je l’ai dit au début de mon discours, le problème que ce projet de loi vise à régler est important. Il s’agit d’un problème dont le gouvernement reconnaît l’existence. Comme j’ai essayé de l’expliquer dans mon discours, le projet de loi ne comprend pas suffisamment de mesures de sauvegarde pour faire en sorte que les abus potentiels puissent être évités.

Le sénateur Forest : C’est un projet de loi important, car le premier ministre a confié la responsabilité de régler cette iniquité au ministre des Finances dans sa lettre de mandat en décembre 2019 — il y a 19 mois.

Peut-on convenir que, d’une part, le Québec a proposé des solutions intéressantes et novatrices afin de remédier à ce déséquilibre fiscal, et que, d’autre part, la Loi de l’impôt sur le revenu, en vertu des articles 245 et 246, qui traitent de l’évitement fiscal, donne tous les outils nécessaires au législateur, si l’on constate des abus ou des brèches dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi C-208, pour apporter les modifications et les correctifs nécessaires pour colmater ces brèches? Pouvez-vous convenir de cela avec moi?

Le sénateur Gold : Merci de cette question.

Selon l’information que j’ai et selon les témoignages des fonctionnaires du ministère des Finances, il y a tout de même encore un problème avec le projet de loi actuel. C’est pour cette raison que, à titre de représentant du gouvernement au Sénat, je voulais faire valoir le point de vue du gouvernement dans cette enceinte afin de partager ses préoccupations à l’égard de ce projet de loi.

Le sénateur Forest : Il s’agit, en fait, du point de vue des fonctionnaires du ministère des Finances, mais la majorité des élus de l’autre endroit, issus de tous les partis, ont voté en faveur de l’adoption du projet de loi C-208.

Merci beaucoup.

(1610)

[Traduction]

L’honorable Colin Deacon : Sénateur Gold, vous avez dit que cette mesure aura un coût considérable. Nous avons posé la question aux fonctionnaires du ministère des Finances qui ont comparu devant le Comité de l’agriculture et des forêts. Ils n’étaient pas en mesure de nous fournir une estimation de ce coût considérable. Nous savons que les règles actuelles ont un effet punitif dans le cas du transfert familial d’une petite entreprise, d’une exploitation agricole familiale ou d’une entreprise de pêche. Or, nous n’avons aucune information disponible concernant le coût de leur modification. Pourriez-vous préciser vos propos à ce sujet, s’il vous plaît?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci. Encore une fois, je répète que le gouvernement comprend entièrement l’intention du projet de loi et accepte qu’il existe des iniquités dans le régime fiscal que ce projet de loi vise à corriger. Là n’est pas le problème. Ce qui rend difficile d’estimer le coût est que le coût et l’incidence sur le cadre fiscal dépendront de l’étendue dans laquelle les gens exploitent les échappatoires que j’ai tenté de décrire ou de l’absence de mesures de sauvegarde pour s’adonner à des activités, telles que le dépouillement de dividendes, auxquelles ils ne pourraient pas s’adonner en l’absence de ce projet de loi.

Ainsi, l’estimation de l’incidence potentielle nous oblige à formuler des hypothèses quant à savoir dans quelle mesure les conseillers fiscaux et les propriétaires d’entreprise qui possèdent une structure multiorganisationnelle ou qui décident d’en établir une tireront avantage de ce qu’autorise ce projet de loi. Je crois donc que les fonctionnaires étaient incapables de fournir des chiffres parce qu’on ignore combien de propriétaires profiteront à mauvais escient des mesures envisagées dans ce projet de loi, par opposition au nombre qui s’en prévaudra à bon escient.

Le sénateur C. Deacon : Sénateur Gold, saviez-vous que, au Comité des finances de la Chambre des communes, les fonctionnaires du ministère des Finances ont affirmé que ce pouvoir réglementaire pourrait être ajouté et utilisé par le gouvernement à une date ultérieure si cela s’avérait être un problème grave? C’est également ce qu’a affirmé le président de longue date du Comité des finances de l’autre endroit, Wayne Easter. Je me demande simplement si vous étiez au courant.

Le sénateur Gold : Oui, merci de votre question. Je savais, évidemment, comme tous les législateurs, qu’il est toujours possible de légiférer pour corriger les problèmes qui découlent de l’application d’une loi. Je crois que ce problème a été réglé au comité.

Honorables sénateurs, nous en sommes à la première journée de la troisième lecture de ce projet de loi, un projet de loi d’initiative parlementaire. Je veux que les honorables sénateurs comprennent l’importance pour nous, membres de la Chambre de deuxième examen objectif, de connaître la position du gouvernement au sujet du projet de loi, position que j’ai exposée dans mon discours.

Vous avez tout à fait raison, sénateur Deacon, de dire qu’il sera possible de corriger ultérieurement les problèmes dont j’ai parlé. Je crois cependant qu’il est simplement prudent et responsable que le Sénat soit informé de l’existence de ces problèmes dans le cadre de ses délibérations.

Le sénateur C. Deacon : Merci, sénateur Gold.

Le sénateur Loffreda : Est-ce que le sénateur Gold accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Gold : Bien sûr.

Le sénateur Loffreda : Je suis sensible à votre discours et au fait que les échappatoires fiscales ne sont pas souhaitables. Nous luttons farouchement pour éviter l’évasion fiscale. C’est important pour nous tous. Savez-vous toutefois que le milieu comptable appuie largement ce projet de loi? Le projet de loi jouit d’un appui énorme. Il comporte une restriction — une période de cinq ans —, les ventes partielles sont interdites et, comme le sénateur Forest l’a dit, il s’applique strictement aux petites entreprises. J’ai toujours dit que toute relation est fondée sur la confiance. Pourquoi ne pouvions-nous pas faire confiance aux petites et moyennes entreprises pour progresser et s’adapter en conséquence?

Le sénateur Gold : Pour répondre à votre question, sénateur, je suis bel et bien conscient du soutien du milieu de la fiscalité. Comme je l’ai dit, j’ai simplement profité de cette occasion pour faire part des préoccupations du gouvernement et expliquer pourquoi je ne peux pas appuyer le projet de loi.

L’honorable Donna Dasko : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Gold : Oui, bien sûr.

La sénatrice Dasko : Merci. Sénateur Gold, nous avons appris qu’à l’autre endroit, les trois partis — ou les quatre, mais au moins trois — n’ont pas appuyé le point de vue du gouvernement. Je me demande si vous pouvez nous expliquer la situation. Vous avez un argument convaincant. Je dirais que l’argument sur les échappatoires persuaderait certainement au moins deux des trois principaux partis à l’autre endroit. Je me demande si vous pouvez nous expliquer pourquoi le gouvernement n’a pas obtenu le soutien d’au moins un des autres partis pour donner du poids à votre argument. Merci.

Le sénateur Gold : Merci. Je ne connais vraiment pas la réponse à cette question. Il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire. À cet égard, il a reçu l’appui de députés du caucus libéral ainsi que d’autres députés. Il ne fait aucun doute qu’il s’attaque à un vrai problème concernant les sociétés agricoles ou de pêche, qui touche des circonscriptions ou des collectivités. Je comprends totalement qu’on ait appuyé le projet de loi.

Bien sûr, je respecte le travail de l’autre endroit. Je respecte aussi notre rôle de sénateurs, qui est de donner notre point de vue sur les mesures législatives, comme nous l’avons fait et comme nous le faisons actuellement. Voilà pourquoi j’estime qu’il convenait que je fasse part de mes préoccupations.

Je suis toujours heureux de répondre aux questions, mais je sais que d’autres intervenants veulent prendre la parole, alors c’est ainsi que je conclurai ma réponse, et j’espère que nous pouvons poursuivre le débat.

L’honorable Brent Cotter : Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une autre question à ce sujet?

Le sénateur Gold : Oui, merci.

Le sénateur Cotter : Sénateur Gold, je n’avais pas l’intention de prendre part au débat, mais, bien franchement, je suis estomaqué par la position du gouvernement du Canada dans ce dossier. Je vais vous poser une question qui n’est pas vraiment précise. Je suis d’accord avec vous : certaines personnes se livrent à un évitement fiscal inapproprié. Toutefois, presque tous les autres acteurs du gouvernement du Canada ont indiqué que le secteur agricole et agroalimentaire est l’un des piliers essentiels de la prospérité au Canada. Je parle au nom des agriculteurs, un peu moins des pêcheurs, mais on s’entend en général pour dire que la mesure peut renforcer la communauté agricole.

J’aurais cru que, par votre entremise, le gouvernement du Canada aurait évité de se placer en opposition et qu’il aurait proposé des suggestions pour lutter contre l’évitement fiscal afin que le projet de loi soit adopté au Sénat plutôt qu’il fasse l’objet d’une opposition. Je suppose que je ne comprends tout simplement pas pourquoi le gouvernement du Canada ne fait aucune suggestion, sous forme d’un ou deux amendements par exemple, pour que le projet de loi fonctionne comme il le souhaite. Merci.

Le sénateur Gold : Merci. C’est une question légitime. D’après ce que j’ai compris, notamment à la lumière des témoignages que les fonctionnaires ont livré au comité, le gouvernement travaille sur le dossier mais il est complexe. Vous avez vraisemblablement obtenu un meilleur résultat que moi en fiscalité à la Faculté de droit, car j’ai tout juste eu la note de passage. En fait, la fiscalité est un domaine très complexe.

(1620)

Ils n’étaient pas prêts, même si cela fait partie de leur mandat et qu’ils y travaillent. Par conséquent, il serait présomptueux de ma part de proposer des amendements au nom du gouvernement, sans en avoir reçu instruction et alors que les fonctionnaires ne sont pas prêts.

Il s’agit peut-être de choisir le moment opportun, mais nous y sommes. Je souhaitais faire part de la position du gouvernement comme il m’incombe de le faire. Quoi qu’il en soit, je vous remercie de la question qui est bien sûr fort légitime.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je suis ravi de participer au débat sur le projet de loi C-208.

J’aimerais remercier la sénatrice Griffin du leadership dont elle a fait preuve à l’égard de ce projet de loi, ainsi que les sénateurs qui ont participé au débat.

Les intentions qui sous-tendent cette mesure sont louables. Nous convenons tous de l’importance de l’équité fiscale, des fermes familiales et de la prospérité des secteurs de l’agriculture et des pêches. Cependant, le Sénat a étudié ce projet de loi extrêmement rapidement, et est maintenant sur le point de voter à l’étape de la troisième lecture. Je crains que nous ayons procédé trop rapidement sans faire un examen suffisamment minutieux pour prendre une décision éclairée.

Je note, par exemple, que le projet de loi a été renvoyé au comité après seulement deux interventions à l’étape de la deuxième lecture. En toute déférence, je précise que ces interventions ont examiné les détails du projet de loi, mais n’ont fait que peu de cas des principes qui le sous-tendent et des conséquences globales qu’il pourrait avoir.

Au comité, le projet de loi a bénéficié d’un solide appui de la part des agriculteurs, des pêcheurs et des comptables qui, bien entendu, bénéficieront tous des changements proposés. Par contre, les représentants du ministère des Finances ont émis de sérieuses réserves au sujet de ce projet de loi, mais le rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts n’en fait aucune mention, pas même dans les observations. Ces réserves ont été balayées du revers de la main dans ce qui semble être un empressement à passer à l’étude article par article. Rien dans le rapport ne reflète les points de vue divergents entendus au comité, ce qui donne l’impression que le projet de loi a reçu une note parfaite.

Avant que vous ne votiez au sujet de ce projet de loi, chers collègues, je vous demanderais à tout le moins de lire le procès-verbal des séances du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts et de vous attarder à l’ensemble des témoignages, y compris les réserves exprimées par les représentants de Finances Canada.

En gros, ils craignent — je vais un peu répéter ce que le sénateur Gold a dit — que les modifications proposées n’ouvrent la porte à de nouvelles possibilités d’évitement fiscal qui iraient bien au-delà des activités de pêche et d’agriculture. Par exemple, tel qu’il est rédigé, le projet de loi ne contient aucune mesure de protection destinée à empêcher un membre d’une famille de constituer une société qui recevrait des actions de l’entreprise agricole d’un parent ou d’un grand-parent, pour ensuite remettre l’entreprise au parent ou au grand-parent afin qu’il l’exploite. Les économies d’impôts pourraient être considérables, mais il doit être clair qu’un tel geste n’a pas pour but le transfert intergénérationnel d’une entreprise agricole ou de pêche, mais bien l’évitement fiscal pur et simple.

Certains pourraient croire qu’une légère perte fiscale serait un prix acceptable à payer pour préserver les entreprises agricoles ou de pêche familiales, mais songez à ceci : ce projet de loi ne vise pas seulement les entreprises agricoles ou de pêche, mais bien toutes les entreprises admissibles. Selon le directeur parlementaire du budget, il y avait 1 674 310 entreprises admissibles en 2014, dont 50 000 étaient des entreprises agricoles et 4 000 des entreprises de pêche. Calculez cela comme vous voudrez, chers collègues, mais cela signifie que les entreprises agricoles et de pêche représentent à peine 3 % des entreprises admissibles, et ce chiffre est probablement trop élevé, car le nombre d’entreprises agricoles et de pêche a probablement chuté au cours des sept dernières années.

Ce projet de loi ouvrira la voie à des occasions d’évitement fiscal non seulement pour les 3 % d’entreprises agricoles et de pêche sur lesquelles nous semblons concentrer notre attention, mais aussi pour les 97 % d’autres entreprises qui sont admissibles.

Comme ce projet de loi a été examiné par le Comité de l’agriculture et des forêts, très peu d’attention a été accordée aux utilisateurs — ou aux abuseurs — potentiels de l’exemption proposée parmi les entreprises des secteurs non primaires. Le projet de loi aurait-il dû être étudié par le Comité des banques ou le Comité des finances?

Il est trop tard maintenant, mais je suis convaincu que notre examen collectif de ce projet de loi comporte de sérieuses lacunes.

Même si ce projet de loi était uniquement axé sur les activités liées à l’agriculture et à la pêche, enlever une mesure contre l’évitement fiscal ouvre la voie à une planification fiscale plus rigoureuse qui dépasse largement ces secteurs. Le dépouillement des surplus ou des actifs concerne toutes les entreprises, peu importe le secteur. C’est pourquoi une telle exemption dans un secteur augmentera les risques de litiges dans les autres secteurs. L’Agence du revenu du Canada aura encore plus de difficultés à défendre ses mesures visant à réduire l’évitement fiscal dans tous les secteurs du régime fiscal.

Je comprends que le projet de loi est présenté comme une façon d’améliorer l’équité fiscale. Il est fondé sur l’idée que la vente des actifs d’une société devrait être traitée de la même manière, qu’ils soient vendus à des membres de la famille ou à des tiers. Il y a une certaine logique dans ce point de vue. Notons toutefois, chers collègues, que lorsqu’on vend quelque chose à des membres de la famille, ce n’est pas, par définition, une opération sans lien de dépendance. À moins d’être prêts à dire que les opérations entre personnes apparentées sont des opérations sans lien de dépendance, nous ne pouvons tout simplement pas traiter ces deux catégories d’opérations de la même façon, car cela porterait atteinte à un principe essentiel de la politique fiscale et risquerait d’avoir des conséquences imprévues considérables.

Certains d’entre vous se souviendront peut-être que nous avons eu une discussion semblable en 2017. Nous débattions alors d’une disposition de la loi d’exécution du budget qui visait à limiter la possibilité, pour les sociétés privées sous contrôle canadien, de distribuer quelques actions parmi les membres de leur famille. Ceux qui soutenaient cette distribution d’actions utilisaient des arguments semblables à ceux qu’on entend actuellement pour le projet de loi à l’étude : c’était une façon pour les propriétaires de sociétés privées — souvent des médecins et des avocats — de conserver les surplus au sein de la famille sous la forme d’épargnes pour la retraite. Les arguments sont très semblables. Nous avons rejeté ces arguments en 2017, à juste titre je crois, et c’était justement, croyez-le ou non, pour des raisons d’équité fiscale.

Nous devrions rejeter le projet de loi à l’étude pour les mêmes raisons.

Il se pourrait que l’on puisse concevoir un amendement ou un ensemble d’amendements pour éviter certaines conséquences imprévues de ce projet de loi. Nous avons entendu un certain nombre d’idées au comité à cet égard. Cependant, encore une fois, on n’a pas tenté d’explorer ces options davantage, que ce soit au comité ou dans le cadre des observations accompagnant le rapport.

Ajoutons que l’équité fiscale est essentiellement fonction de la différence de traitement fiscal entre les gains en capital et les dividendes, qui se situe actuellement à environ 20 points de pourcentage. La situation varie selon la province où on se trouve. Cet écart découle des politiques en place, et on peut le réduire en changeant le taux d’imposition applicable aux gains en capital ou aux dividendes, ce qui pourrait avoir comme effet positif de réduire l’inégalité des revenus et de la répartition de la richesse dans ce pays.

Cependant, cette option n’a pas été explorée dans ce comité, et on peut le comprendre, car c’est le Comité de l’agriculture et des forêts qui s’est penché sur la question. Cela dit, cela vient renforcer l’argument que j’ai avancé plus tôt, soit que nous aurions dû demander au Comité des banques, au Comité des finances, ou à ces deux comités, de se pencher également sur ce projet de loi.

Enfin, ce projet de loi a été présenté comme la solution à la disparition des fermes familiales. Je suis très sceptique par rapport à cette proposition. La baisse du nombre de fermes familiales dans ce pays a beaucoup plus à voir avec les modèles d’affaires qu’avec les règles fiscales. D’ailleurs, si une entreprise agricole accuse des pertes, son transfert au sein d’une famille pourrait avoir pour seul effet de transférer la responsabilité de ces pertes à la génération suivante.

Honorables collègues, le Canada a perdu le tiers de ses agriculteurs et les deux tiers de ses jeunes agriculteurs en une seule génération, mais ce n’est pas à cause des politiques fiscales, comme le confirment des études sur la nature et la structure changeantes de l’agriculture au Canada. En Ontario, par exemple, pour chaque dollar investi dans des terres agricoles dans les années 1970, l’agriculteur pouvait espérer obtenir 4,7 ¢ en rendement net. Ce chiffre est tombé à environ 1 ¢ au cours de la dernière décennie.

(1630)

C’est la même chose au Manitoba. Dans les années 1970, un dollar investi dans des terres agricoles rapportait, en moyenne, 8,7 ¢ en revenu agricole net. Au cours des 25 dernières années, la baisse des revenus nets combinée à la hausse du prix des terres fait qu’aujourd’hui, les agriculteurs manitobains ne génèrent que 2 ou 3 ¢ pour chaque dollar investi dans leurs terres.

Je vais expliquer cela d’une autre manière : le nombre de fermes au Canada a considérablement diminué, passant d’environ 300 000 il y a une génération à environ 200 000 aujourd’hui. Le revenu agricole net réalisé au cours de la dernière décennie était en moyenne de 3,5 milliards de dollars par an. Supposons qu’il faille 75 000 $ de revenu net pour faire vivre une famille. Cela signifie qu’un revenu global annuel de 3,5 milliards de dollars pour l’ensemble du secteur ne peut faire vivre que 47 000 familles agricoles, et il y en a 200 000. Le fait est que la plupart des familles agricoles canadiennes travaillent dans un secteur qui ne peut tout simplement pas les soutenir financièrement.

Le problème des faibles revenus nets des exploitations familiales est complexe et il est lié à la structure du secteur agroalimentaire moderne. On ne pourra pas le modifier du jour au lendemain. Toutes les politiques qui facilitent le transfert des actifs agricoles au sein de la famille, mais qui ne s’attaquent pas à certains de ces problèmes structurels ne contribueront guère à enrayer la baisse du nombre d’exploitations familiales.

On pourrait même affirmer que transférer une société agricole hors de la famille pourrait être bénéfique pour cette exploitation si le nouveau propriétaire avait un modèle d’affaires plus efficace pour faire fonctionner son entreprise. Je ne parle pas nécessairement d’une grande société anonyme. Il pourrait s’agir d’une autre famille souhaitant faire partie de l’entreprise avec de nouvelles idées sur la façon de la faire fonctionner. Les transferts intergénérationnels ne sont pas le seul moyen de conserver les exploitations agricoles familiales.

J’ai entendu des membres du comité se dire d’avis que, même si le projet de loi est imparfait, nous devrions l’adopter, car cela incitera le gouvernement à trouver les solutions réglementaires nécessaires ou même à élaborer un nouveau projet de loi qui réglera le problème. Honorables sénateurs, cela revient à dire que nous devrions adopter un projet de loi boiteux afin d’obtenir une bonne loi. On ne nous demande pas d’adopter une bonne loi qui n’est pas parfaite, comme c’est souvent le cas, mais de commencer par adopter une loi boiteuse. Je ne pense pas que ce soit une bonne façon de voir notre rôle d’assemblée qui réfléchit et délibère attentivement. En fait, je pense que c’est une approche irresponsable du travail de législateur.

Je comprends également que beaucoup parmi vous répondent aux demandes des gens qu’ils représentent et qui sont favorables au projet de loi. Ce n’est pas une surprise, étant donné qu’il y a peut-être 2 millions d’entreprises admissibles au pays qui pourraient en bénéficier. Soit dit en passant, 97 % d’entre elles ne sont pas dans le secteur de l’agriculture ou de la pêche. Nous avons tous entendu parler d’une entreprise qui est touchée. Que les députés, dans l’autre endroit, subissent des pressions destinées à les faire voter pour un projet de loi populiste est compréhensible, mais j’ose croire que nous sommes moins vulnérables à de telles pressions.

Bien entendu, nous devons être sensibles aux besoins des gens et des régions que nous représentons, mais, de par sa nature, le Sénat nous permet d’avoir une vue d’ensemble à long terme et de résister aux mesures de l’autre endroit qui ne répondent pas au critère de l’intérêt national.

Honorables sénateurs, au cours des dernières années, il y a eu de nombreux discours prononcés dans cette enceinte où l’on s’inscrivait en faux contre l’évitement fiscal ou ce que certains appellent la planification fiscale abusive. Le projet de loi va dans le sens inverse. Je ne doute pas un instant qu’il encouragera l’évitement fiscal ou la planification fiscale abusive. Si vous pensez que c’est acceptable parce qu’il s’agit de petites entreprises plutôt que de mégasociétés, je vous répondrai que la fiscalité devrait fonctionner selon les mêmes principes, peu importe la taille.

De surcroît, la notion voulant que le projet de loi vise principalement de petites entreprises familiales est erronée. Les exemptions proposées dans le projet de loi permettent des transferts intergénérationnels pouvant atteindre la barre des 15 millions de dollars en biens corporels et imposables. Selon Statistique Canada, en 2011, moins de 0,5 % des sociétés privées comptant moins de 500 employés avaient des biens valant plus de 7 millions de dollars, donc que la valeur des biens de plus de 99,5 % des sociétés privées est inférieure à cette somme.

Je vais résumer. Le projet de loi repose sur deux éléments : l’équité fiscale et la protection des fermes familiales et des entreprises de pêche. Il s’agit de deux objectifs valables, et je félicite mes collègues de les défendre. Cependant, le projet de loi comporte des lacunes pour trois raisons : il ne peut pas véritablement s’attaquer à la question de l’équité fiscale sans empêcher adéquatement l’extraction de la plus-value lors des transactions avec des apparentés; les fermes familiales et les entreprises de pêche ne constituent qu’une très faible proportion des entreprises qui seraient touchées par cette exemption; le projet de loi ne constitue aucunement une solution aux problèmes structuraux affectant les fermes familiales et, d’une certaine manière, il risque d’accélérer le recul de ce secteur.

J’aimerais que nous ayons plus de temps pour étudier ce projet de loi. Quoi qu’il en soit, si cela n’est pas possible, j’espère que vous vous joindrez à moi pour le rejeter. Je ne vous propose pas de rejeter l’équité fiscale ou les fermes familiales, mais d’affirmer de notre rôle de législateurs qui adoptent une perspective large et qui résistent à des mesures certes populaires, mais contraires à l’intérêt public.

Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Sénateur Housakos, avez-vous une question?

L’honorable Leo Housakos : Le sénateur Woo accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Woo : Oui, bien sûr.

Le sénateur Housakos : J’ai écouté le débat très attentivement. J’essaie de comprendre la position du gouvernement dans ce dossier et, bien franchement, j’essaie de comprendre la vôtre aussi. Voici essentiellement ce que je crois comprendre : punissons des millions de citoyens respectueux des lois pour quelque chose que les personnes qui ne respectent pas les lois pourraient faire. Au bout du compte, ceux d’entre nous qui ont évolué dans le milieu des affaires et qui ont travaillé dans le domaine de la comptabilité savent que les échappatoires avec Revenu Canada sont nombreuses pour quelqu’un qui ne veut pas respecter les lois ni payer de l’impôt.

Il m’est difficile de comprendre que le Parlement et le gouvernement ne se montrent pas sensibles à un problème qui touche des millions de Canadiens. Ma question porte sur le sujet principal de votre discours. Vous avez parlé d’équité fiscale, sénateur Woo. En ce moment, si un Canadien veut vendre sa petite entreprise à un membre de sa famille, ce membre de la famille devra payer beaucoup plus d’impôt que le ferait un étranger. À votre avis, peut-on parler d’équité fiscale?

Le sénateur Woo : Merci de la question, sénateur Housakos. La question sous-jacente est de savoir si une vente au sein de la famille est considérée comme une opération entre personnes apparentées. Selon un principe bien établi du droit fiscal, les transactions au sein de la famille sont considérées comme de telles opérations. C’est pour cette raison que les transactions, qu’il s’agisse d’une vente, d’un transfert de biens ou du versement de dividendes, ne sont pas traitées de la même façon si elles concernent un membre de la famille ou une tierce partie externe. À moins que nous soyons disposés à contourner ou à nier ce principe de droit fiscal, nous aurons du mal à concilier la différence que vous avez soulignée.

(1640)

Le gouvernement a dit qu’il voulait régler le problème, mais il est très troublant. Il faudra déployer bien des efforts pour tenir compte du fait que les opérations entre personnes apparentées doivent être traitées de façon particulière, tout en tentant de satisfaire les intérêts des propriétaires de petites entreprises, plus particulièrement d’entreprises agricoles ou de pêche familiales, qui souhaitent sincèrement garder leur entreprise au sein de la famille.

Le sénateur Housakos : Sénateur Woo, ne croyez-vous pas qu’il serait plus raisonnable de corriger maintenant l’iniquité dans le système et d’encourager le gouvernement à continuer de tenter d’éliminer les échappatoires fiscales, comme on cherche à le faire depuis des décennies sans trop de succès?

Le sénateur Woo : Merci de la question. Si vous avez prêté attention au discours du sénateur Gold ou écouté les témoignages au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, vous saurez qu’il existe déjà des mécanismes permettant aux agriculteurs et aux pêcheurs de transférer leur entreprise de manière progressive, en utilisant la réserve de 10 % qu’ils peuvent accumuler au fil du temps, sans que cela alourdisse leur fardeau fiscal.

Cela signifie essentiellement qu’ils vendraient directement l’entreprise à leurs enfants, plutôt que par l’intermédiaire d’une structure organisationnelle, et qu’ils procéderaient progressivement — comme y a fait allusion, je crois, le sénateur Loffreda — afin que les enfants et petits-enfants puissent disposer d’un peu plus de temps pour apprendre les ficelles du métier et acquérir les compétences nécessaires pour diriger l’entreprise.

Il existe donc déjà des mécanismes, et nous devrions y prêter attention au lieu d’adopter un projet de loi imparfait qui, premièrement, touchera bien plus que les entreprises agricoles ou de pêche familiales, et, deuxièmement, créera inévitablement des possibilités d’évasion fiscale.

[Français]

Le sénateur Forest : Est-ce que le sénateur Woo accepterait de répondre à une question?

Le sénateur Woo : Oui, bien sûr.

Le sénateur Forest : Vous avez très bien défini l’environnement structurel problématique qui prévaut au sein des secteurs primaires, particulièrement dans l’agriculture et les pêches. La situation est d’autant plus problématique — et c’est un élément qui n’a pas été mentionné, mais qui fait partie de la réalité — que ce sont deux secteurs qui travaillent avec des quotas de production.

La valeur des entreprises et cette iniquité fiscale encouragent fortement les gens de ces secteurs à démanteler leurs entreprises. Cela signifie qu’ils vendent leurs quotas, leurs troupeaux et leurs équipements plutôt que de les transférer. Actuellement, il y a trois éléments du projet de loi qui me semblent importants. Vous les avez d’ailleurs soulignés : en premier lieu, la capitalisation maximum de 15 millions de dollars; deuxièmement, l’obligation de vendre aux enfants, et non pas à la famille éloignée; enfin, que l’acquéreur garde l’entreprise en service pendant au moins cinq ans.

Je pense que l’on devrait réfléchir aux problèmes structurels du secteur agricole et des pêches, particulièrement pour les PME. Cependant, ces trois éléments ne nous donnent-ils pas une certaine assurance — à tout le moins minimale — pour que nous tentions d’atteindre cet objectif, soit de niveler l’iniquité fiscale qui existe actuellement entre une transaction qui s’effectue entre les membres d’une même famille et une transaction qui se fait entre des personnes qui n’ont pas de lien familial?

Le sénateur Woo : Je vous remercie de votre question, sénateur Forest.

[Traduction]

En ce qui concerne la question de l’équité fiscale, comme je l’ai dit, ce projet de loi tente de créer un équilibre entre les ventes à des membres de la famille — qu’il s’agisse d’enfants ou de petits-enfants — et les ventes à des tiers. Il y a un déséquilibre, comme je l’ai dit — et c’est la raison pour laquelle nous en sommes rendus là —, parce que les ventes à des membres de la famille sont des transactions entre personnes apparentées. C’est ce qui constitue le point de départ. Bien entendu, nous pourrions ne pas nous en préoccuper en disant : « Laissons faire. Admettons que les transactions entre les membres d’une famille ne constituent pas des transactions entre personnes apparentées. » Cela s’avérerait dévastateur pour l’ensemble du code fiscal. Ce serait extrêmement problématique et cela donnerait lieu à des litiges, non seulement dans ce secteur, mais dans une pléiade d’autres secteurs que je ne connais pas tous, mais pour lesquels la question des transactions entre personnes apparentées se pose assurément.

L’équité fiscale peut être abordée sous divers angles, sénateur Forest. Je crois que ce projet de loi l’aborde à partir de la perspective très étroite d’une transaction, en comparant une vente à des membres de la famille à une vente à des tiers sans vraiment tenir compte du problème sous-jacent voulant que toute vente à un membre de la famille soict traitée d’une manière spéciale, puisqu’il s’agit d’une transation entre personnes apparentées.

Je comprends vos observations sur les problèmes structuraux dans les secteurs de l’agriculture et des pêches. J’espère que le Comité de l’agriculture et des forêts mènera une étude exhaustive sur le sujet et qu’il s’y attaquera de façon très rationnelle. Il faut aller au-delà des solutions pour aider les gens à se rendre au fil d’arrivée, si je peux m’exprimer ainsi, au risque de perpétuer des activités inefficaces. Il s’agit plutôt d’examiner l’ensemble du système afin de le rendre viable pour les agriculteurs, les fournisseurs d’équipement agricole et les consommateurs. Ce type de projet de loi, qui tente de réparer une petite pièce d’une machine très complexe, pourrait en fait rendre le tout encore plus inefficace. Ainsi, même si le projet de loi peut plaire en raison de son objectif d’équité fiscale, je ne crois pas que l’argument selon lequel il est bénéfique pour le secteur agricole en tant que tel tienne la route. Le secteur agricole est aux prises avec des problèmes beaucoup plus graves qui ne seront pas résolus par ces modifications au code fiscal.

Déclaration d’intérêts personnels

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je voudrais faire une déclaration d’intérêts personnels. Je, Mobina Jaffer, déclare que je pense avoir des intérêts personnels qui pourraient être touchés par la question dont est saisi actuellement le Sénat. D’une manière générale, mes intérêts personnels viennent du fait que ma famille détient une ferme familiale.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Honorables sénateurs, l’honorable sénatrice Jaffer vient de faire une déclaration d’intérêts personnels concernant le projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale) et, conformément à l’article 15-7(1) du Règlement, cette déclaration sera consignée aux Journaux du Sénat.

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Ajournement du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Griffin, appuyée par l’honorable sénateur Black (Alberta), tendant à la troisième lecture du projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale).

L’honorable Tony Loffreda : Le sénateur Woo accepterait-il de répondre à une question?

L’honorable Yuen Pau Woo : Bien sûr.

Le sénateur Loffreda : Sénateur Woo, merci pour ce discours très convaincant, comme d’habitude. Il était très informatif et réfléchi. J’ai trois petites questions auxquelles vous pourrez répondre par oui ou par non. Saviez-vous que, dans le cas des transactions qui ne sont pas faites avec un tiers qui n’a aucun lien de dépendance, les autorités fiscales peuvent décider de la juste valeur marchande de la transaction? Cela arrive régulièrement. Je suis désolé, je veux simplement poser des questions. Je ne veux pas faire des observations et entrer dans le débat, mais je veux donner un préambule adéquat à ma question.

(1650)

Beaucoup de transactions se font entre personnes qui ont un lien de dépendance, et si le prix payé ne correspond pas à la juste valeur du marché, le fisc intervient. Comme c’est la norme dans l’univers de la fiscalité, les personnes impliquées sont considérées comme coupables jusqu’à preuve du contraire. Voilà un premier point.

Deuxièmement, comme je l’ai demandé au sénateur Gold, savez-vous que les cabinets d’experts-comptables sont en grande partie favorables à ce projet de loi? En fait, certains cabinets d’experts-comptables, ici, au Québec, ont intercédé auprès du gouvernement provincial, qui, je vous le signale sans trop entrer dans les détails, s’est doté d’un cadre assez semblable. Savez-vous que le gouvernement du Québec a établi un cadre similaire et a abordé la question avec le gouvernement fédéral? Je pourrais vous lire ce que j’ai trouvé pendant mes recherches, mais êtes-vous au courant de cela? Ils nous encouragent à favoriser les ventes aux familles.

Personne ne dit qu’il faut adopter un projet de loi boiteux, mais c’est un projet de loi nécessaire dont l’application pourrait faire l’objet d’un suivi. Les autorités fiscales cherchent constamment à éliminer les échappatoires. Voilà trois questions rapides pour vous. Merci pour votre discours convaincant. C’était très instructif.

Le sénateur Woo : Merci, sénateur Loffreda. Ma réponse à toutes vos questions est « oui ».

Tout d’abord, pour ce qui est des opérations entre personnes apparentées, je crois que le problème, c’est que si on autorise les enfants et les petits-enfants à obtenir une exemption pour gains en capital plutôt que des dividendes, cela augmentera, comme je l’ai dit plus tôt, les risques de litiges, ce qui pourrait rendre plus difficile pour l’Agence du revenu du Canada de défendre ses mesures visant à réduire l’évitement fiscal. Vous avez donc raison de dire qu’il y aura beaucoup de litiges, et cette mesure ouvrira la voie à d’autres.

Le fait que le milieu comptable appuie le projet de loi n’est pas vraiment important. Il a ses raisons de l’appuyer, et j’ai déjà indiqué que le projet de loi est une mesure populaire, voire populiste. C’est là mon opinion, et elle vaut ce qu’elle vaut.

Oui, je sais que le Québec a mis en place un cadre similaire. Cela a été mentionné par plusieurs témoins au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. En fait, l’approche du Québec a été saluée par certains. Je crois que les fonctionnaires du ministère des Finances ont fait part de leur volonté ou de leur désir de s’inspirer de cette approche pour toute modification à la loi fédérale. Cependant, le comité n’en a aucunement fait mention dans son rapport. Je n’ai vu aucune remarque à ce sujet. Toutefois, je n’ai pas étudié le rapport, et je n’aurais pas les connaissances nécessaires pour bien le comprendre.

En un sens, sénateur Loffreda, vos propos confirment ce que j’avance. Il semble y avoir de meilleures façons d’atteindre l’objectif visé. Il faudrait sans doute étudier la question, ce qui signifie que, dans sa forme actuelle, le projet de loi comporte des lacunes, comme je l’ai déjà dit.

Le sénateur Loffreda : Sénateur Woo, êtes-vous au courant qu’en fait, la loi du Québec à cet égard est encore plus stricte que ce que le projet de loi propose? La communauté comptable discute avec le gouvernement du Québec depuis le début, les mesures sont accessibles à toutes les entreprises, pas seulement aux petites entreprises, et les ventes partielles sont autorisées. Le Québec a discuté de ce dossier en détail. Je pose simplement la question. Je ne souhaite pas ouvrir un débat. Êtes-vous au courant de cela? A‑t‑on discuté adéquatement de cela au sein du gouvernement et du comité?

Le sénateur Woo : Je n’étais pas au courant de la nature plus détaillée de la loi du Québec, mais, encore là, vous renforcez mon argument. Il semble exister une approche distincte, qui pourrait être meilleure ou ne pas l’être. Je ne sais pas si l’approche du Québec est préférable. Nous avons entendu dans les témoignages, par exemple, que le Québec a trouvé un moyen d’empêcher qu’un enfant ou un petit-enfant soit propriétaire de l’entreprise, mais laisse l’un de ses parents ou de ses grands-parents l’exploiter. Je ne sais pas comment la province s’y est prise. Lors des travaux du comité, nous n’avons pas entendu plus de détails à ce sujet.

Par conséquent, à mon avis, c’est la preuve que nous n’avons pas entièrement fait notre travail et ne sommes pas prêts à mettre aux voix le projet de loi. Du moins, si nous procédons au vote, nous devrions sérieusement nous demander si ce projet de loi est celui qu’il faut. Merci.

L’honorable Colin Deacon : Sénateur Woo, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Woo : Pourquoi pas.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup. Votre discours était très convaincant. Vous offrez toujours d’excellents points de vue, ce que j’apprécie beaucoup ces temps-ci.

Ce qui me préoccupe, c’est que le Comité des finances de la Chambre des communes a effectué une étude approfondie de ce projet de loi et n’a recommandé aucun amendement. Aucun député n’a proposé un seul amendement, ni au comité ni à la Chambre. Pourtant, des options s’offrent à nous.

Pouvez-vous nous expliquer pourquoi les fonctionnaires du ministère des Finances n’ont rien recommandé et pourquoi on n’a choisi aucune des options? C’est ce que je n’arrive pas à comprendre. Les gens semblent prêts à laisser la situation actuelle telle quelle et ne montrent aucun empressement à y remédier.

Le sénateur Woo : Merci, sénateur Deacon. Je ne peux répondre à cette question. Si le sénateur Gold n’a pas pu y répondre, je ne le peux certainement pas. J’ignore ce qui se passe à la Chambre des communes.

Je dirais toute une chose, même si vous le savez déjà puisque vous faites partie du comité. Si je ne m’abuse, lorsque le comité a demandé aux fonctionnaires du ministère des Finances s’ils avaient des solutions, ils ont répondu en suggérant des amendements. Pourtant, le rapport du comité n’en parle pas du tout.

Je répète que, selon moi, toutes ces questions confirment mon argument principal : nous savons que le projet de loi comporte des problèmes. On nous a offert des pistes de solution, mais apparemment, il faudrait les ignorer et foncer tête baissée pour adopter ce projet de loi.

Pour revenir un peu sur les raisons pour lesquelles la Chambre l’a adopté avec l’appui de tous les partis et avec peu d’opposition, je pense avoir expliqué dans mon discours qu’il s’agit d’un projet de loi très populaire. C’est un projet de loi qui vous fera gagner des points dans n’importe quelle circonscription. Si vous êtes un parlementaire élu, malheur à vous si vous votez contre. Voilà pourquoi nous avons un rôle spécial à jouer ici aujourd’hui, car bien que nous devions être sensibles aux besoins des régions et des circonscriptions, nous devons avoir une vision plus large, considérer l’intérêt public à plus long terme, et toutes les questions que j’ai reçues aujourd’hui suggèrent que nous devrions soit corriger le projet de loi, soit le rejeter.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie.

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, j’ai pris la parole à plusieurs reprises pour souligner le rôle important que jouent les agriculteurs, les producteurs et les transformateurs pour que les Canadiens aient accès à des aliments salubres, nutritifs et abordables. Bon nombre des exploitations sont des petites entreprises familiales et, à l’instar des petites entreprises locales d’autres secteurs, elles ont continuellement relevé le défi de servir les Canadiens, en particulier au cours des 15 difficiles derniers mois. Je n’ai aucun doute que ce sont ces mêmes petites entreprises qui nous aideront à nous sortir de la pandémie.

Aujourd’hui, à l’étape de la troisième lecture, je vais parler du projet de loi C-208, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (transfert d’une petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale). Comme vous pouvez vous y attendre, je vais parler en faveur de la mesure législative.

J’aimerais féliciter le député de Brandon-Souris, Larry Maguire, d’avoir présenté le projet de loi à l’autre endroit, et ma collègue du Groupe des sénateurs canadiens, la sénatrice Griffin, de l’avoir parrainé à la Chambre rouge.

(1700)

C’est un honneur de travailler aux côtés de ma collègue la sénatrice Griffin au sein du Comité de l’agriculture et de l’équipe de direction du Groupe des sénateurs canadiens. Nous formons en effet un groupe formidable de sénateurs non partisans.

Les problèmes que le projet de loi C-208 vise à régler préoccupent les Canadiens de partout au pays depuis un certain temps déjà. Qu’ils exploitent une petite ferme familiale dans le comté de Red Deer, en Alberta, ou qu’ils soient propriétaire d’une épicerie indépendante à Fergus, en Ontario, ou d’une société de pêche à Lower Bedeque, à l’Île-du-Prince-Édouard, les propriétaires de petites entreprises sont bien au fait des problèmes qui surviennent actuellement lorsqu’ils vendent leur entreprise à des membres de leur famille.

D’ailleurs, pas plus tard que la semaine dernière, ma belle-sœur Rita s’est informée de l’avancement de ce projet de loi.

Chers collègues, il est clair que les Canadiens portent une très grande attention à nos travaux au Sénat. J’espère que, forts de ces connaissances, nous pourrons travailler ensemble et faire tout notre possible pour continuer à servir et à appuyer le Canada.

Cela dit, revenons à la question dont nous sommes saisis, soit le projet de loi C-208. Si elle est adoptée, la mesure législative permettrait aux propriétaires de petite entreprise ou d’une société agricole ou de pêche familiale de profiter du même taux d’imposition lorsqu’ils vendent leur entreprise à un membre de leur famille que lorsqu’ils la vendent à un tiers. Comme beaucoup d’entre vous le savent, au titre des règlements actuels, lorsqu’une personne vend sa petite entreprise à un membre de sa famille, la différence entre le prix de vente et le prix d’achat initial compte comme un dividende. Par contre, si l’entreprise est vendue à un étranger, on considère que la vente donne lieu à un gain en capital. Or, un gain en capital est imposé à un taux beaucoup plus bas et il permet aussi au vendeur de se prévaloir de l’exonération cumulative des gains en capital.

Honorables sénateurs, je sais que nous venons d’horizons divers. Nous sommes d’anciens fonctionnaires, journalistes, médecins, avocats, athlètes et propriétaires d’entreprise, entre autres choses. Toutefois, peu importe nos origines, je crois que nous pouvons tous convenir qu’il est absolument inacceptable qu’il soit financièrement plus avantageux pour des parents de vendre leur petite entreprise à un parfait inconnu qu’à leurs propres enfants, s’ils le désirent.

Je suis né à Fergus, en Ontario, et j’y vis encore. Cette petite communauté du comté de Wellington est en pleine expansion. L’un des grands avantages qu’il y a à grandir dans une petite communauté, c’est que l’on connaît à merveille la région et les entreprises qui contribuent à la vie locale. Comme nous l’avons tous appris pendant la pandémie, les petites entreprises sont vraiment la colonne vertébrale de nos communautés.

Je pense en ce moment à deux entreprises de Fergus, Fraberts Fresh Food, une épicerie familiale qui met l’accent sur les aliments fins produits dans la région, et Ron Wilkin Jewellers, une bijouterie où j’ai passé bien des heures, après l’école et pendant l’été; c’était l’un de mes premiers emplois d’été à l’extérieur de la ferme. Certains d’entre vous pensent probablement à des petites entreprises de leur collectivité. Les entreprises comme Fraberts, Ron Wilkin Jewellers et beaucoup d’autres font de nos communautés des endroits où il fait bon vivre.

Malheureusement, en raison des règles actuelles, il est difficile de gérer une entreprise familiale de manière viable. Beaucoup de petites entreprises traversent une période difficile actuellement, comme on le sait. La pandémie est l’un des événements les plus perturbateurs de notre époque. Ses répercussions se sont fait sentir dans tous les secteurs et toutes les communautés. Dans bien des cas, ce sont surtout les petites entreprises, les entrepreneurs locaux et les organisations locales qui ont vu leur situation financière se détériorer. Cela dit, grâce au projet de loi C-208, les entreprises pourraient être transmises à la prochaine génération et continuer d’appartenir à des gens de la région.

Les fermes et les petites entreprises de partout au pays ont déjà exprimé leur appui envers le projet de loi, lequel jouit aussi d’un vaste appui de la part d’organismes comme la Fédération de l’agriculture de l’Ontario, la Fédération canadienne de l’agriculture, les Producteurs de grains du Canada, la Canadian Canola Growers Association et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Des administrateurs fiscaux de chez Deloitte appuient aussi le projet de loi. Il en ressort clairement que le projet de loi soutient les entreprises qui en ont le plus besoin.

Honorables sénateurs, vous savez que mes efforts sont axés sur l’agriculture. Je vais donc profiter de l’occasion pour parler très brièvement et directement des répercussions du projet de loi C-208 sur le secteur agricole du Canada.

Chaque année, de plus en plus d’agriculteurs arrivent à l’âge de la retraite. En fait, la Fédération canadienne de l’agriculture, ou FCA, estime que 500 milliards de dollars en actifs agricoles — 500 milliards de dollars — changeront de mains d’ici 10 ans.

Tous les sénateurs ont reçu aujourd’hui par courriel une lettre de la Fédération canadienne de l’agriculture au sujet du projet de loi C-208, où elle signale que plus de 95 % des exploitations agricoles du Canada sont détenues et exploitées par des familles. J’aimerais citer à ce sujet Mary Robinson, présidente de la Fédération canadienne de l’agriculture, qui dit ceci :

Nous devons faire en sorte que les familles agricoles n’aient pas à payer des impôts additionnels, qui pourraient se chiffrer à des centaines de milliers de dollars, simplement pour garder l’entreprise dans la famille!

Malheureusement, très peu de jeunes Canadiens envisagent de faire carrière dans le secteur agricole en général, surtout étant donné le fardeau administratif dont ils hériteraient s’ils voulaient prendre la relève de l’entreprise familiale. Cela signifie que nous pourrions être obligés de faire face à une pénurie de producteurs agricoles dans les prochaines années. Il ne faut pas oublier que ce secteur est le seul qui ait connu une croissance depuis le début de la pandémie, et les experts s’attendent à ce que la demande continue de croître. Je pense que nous avons le devoir d’aider les jeunes dans le secteur de l’agriculture, car celui-ci recèle des possibilités aussi grandes que la superficie des champs d’un bout à l’autre du pays.

Honorables sénateurs, j’estime que les exploitants agricoles, les pêcheurs ou les propriétaires de petites entreprises locales ne devraient pas être pénalisés quand ils choisissent de conserver leur entreprise au sein de leur famille. Nous savons qu’il est primordial d’investir dans nos communautés dès aujourd’hui afin de pouvoir améliorer et renforcer notre pays pour l’avenir.

J’ai bon espoir que vous comprendrez à quel point le projet de loi C-208 contribuerait à atteindre cet objectif et que vous aiderez vos communautés en appuyant ce projet de loi, tout comme je le ferai.

En terminant, j’aimerais vous faire part de quelques questions qu’un producteur agricole local, plus précisément au sud d’Ottawa, m’a adressées. Il m’a demandé pourquoi les lois canadiennes ne traitent pas toutes les entreprises et tous les citoyens de la même manière afin d’éviter de créer des désavantages pour les entreprises familiales, y compris les exploitations agricoles. Il m’a raconté que son institution financière lui a dit qu’il serait plus avantageux pour lui, sur le plan fiscal, de vendre sa ferme familiale à un voisin ou à un groupe d’investisseurs plutôt qu’à un membre de la famille. En ce moment, j’aimerais faire écho à ses paroles : est-ce vraiment ce que nous souhaitons pour l’avenir de nos exploitations agricoles familiales?

Honorables collègues, les Canadiens nous regardent et observent les travaux dans la Chambre rouge. Nous devons agir maintenant pour aider les petites entreprises, les fermes familiales et les entreprises de pêche d’un bout à l’autre du pays. Veuillez vous joindre à moi pour appuyer l’adoption de cet important projet de loi. Merci. Meegwetch.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion du sénateur Munson, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’honorable David M. Wells propose que le projet de loi C-218, Loi modifiant le Code criminel (paris sportifs), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-218, Loi sur le pari sportif sécuritaire et réglementé, à titre de parrain de cette mesure au Sénat. Ce projet de loi vise à réglementer les paris sur une seule épreuve sportive, à renforcer la protection des consommateurs afin d’assurer la sécurité et le bien-être des parieurs, à ramener les revenus légaux et imposables au pays afin d’investir les recettes connexes dans les collectivités canadiennes et à retirer au crime organisé et aux entités étrangères la mainmise sur ces activités.

Je voudrais remercier mes collègues d’avoir amené le projet de loi au point où il en est, notamment ceux qui ont pris la parole à l’étape de la deuxième lecture. Je remercie aussi le président du Comité des banques et du commerce, le sénateur Wetston, ainsi que les autres sénateurs membres du comité de leur analyse attentionnée de ce projet de loi lors des réunions que nous avons tenues il y a deux semaines.

Je veux également remercier tout spécialement le député de Saskatoon—Grasswood, Kevin Waugh, d’avoir présenté ce projet de loi à l’autre endroit et de travailler à améliorer la réglementation, le soutien des consommateurs et l’habilitation des collectivités en matière de paris sur une seule épreuve sportive.

Je tiens également à remercier le sénateur Cotter, le porte-parole officiel pour le projet de loi C-218. Ses vastes connaissances conccernant cette question et ses sages conseils dans tout le processus ont été d’une valeur inestimable.

Il est également important de reconnaître l’apport de tous les Canadiens qui m’ont envoyé des messages pour me dire qu’ils considèrent que cette mesure est positive pour le Canada — des gens qui espèrent qu’elle amènera davantage de fonds pour soutenir les priorités publiques essentielles.

Chers collègues, dans mon discours aujourd’hui, je parlerai de quatre éléments clés : les témoignages entendus au comité, la législation concernant les matchs truqués dans le Code criminel, la participation des communautés autochtones dans l’industrie des paris et la position du Canada en ce qui a trait à la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives, aussi appelée Convention de Macolin.

Pour faire un bref historique, les paris sportifs sont légaux au Canada depuis des décennies — depuis 1985. Toutefois, il y a une ligne dans le Code criminel, soit l’alinéa 207(4)b), qui rend illégal les paris sur une seule épreuve sportive. Les Canadiens peuvent parier légalement sur deux matchs regroupés, mais ils ne peuvent pas parier sur ces matchs séparément.

(1710)

Les sociétés de loterie provinciales offrent des paris progressifs, qui sont des paris regroupés pris sur deux matchs ou plus, et les Canadiens obtiennent un gain seulement s’ils arrivent à deviner correctement l’issue de tous les matchs. Cette situation est paradoxale parce que le Code criminel oblige ainsi les gens à parier davantage, étant donné que les parieurs sont obligés de parier simultanément sur de nombreux matchs au lieu d’un match unique.

Cette obligation désavantage fortement les Canadiens qui souhaitent parier légalement. Dans une industrie où l’on se préoccupe du jeu pathologique et de la dépendance au jeu, il semble contreproductif d’obliger les parieurs canadiens à parier plus qu’ils le souhaitent, ce qui a pour effet de les diriger vers les sites Web étrangers non réglementés qui offrent des paris sur une seule épreuve sportive.

Chers collègues, vous savez que les Canadiens dépensent 14 milliards de dollars pour faire des paris sur une seule épreuve sportive. Ces paris sont pris chaque jour sur des sites de paris en ligne à l’étranger. Ces activités des marchés noir et gris se déroulent en dehors du cadre juridique canadien et, par conséquent, elles ne sont assujetties à aucun règlement, et aucun impôt n’est prélevé sur les recettes. Qui plus est, des milliards de dollars tombent entre de mauvaises mains chaque année.

De nos jours, pour parier sur un match de hockey, il suffit de télécharger une application sur un téléphone intelligent. L’organisation qui exploite cette application, dont il existe un grand nombre, traiterait alors la transaction financière par l’intermédiaire de comptes à l’étranger, ce qui lui permet de contourner les cadres juridiques et les structures réglementaires du Canada.

Pire encore, beaucoup de consommateurs qui font des paris sur une seule épreuve sportive par l’intermédiaire de ces organisations et de leurs applications respectives ne savent même pas que cette activité est illégale au Canada.

Chaque année, les Canadiens font des milliards de dollars de paris sur des sites qui échappent à la réglementation et aux normes de protection des consommateurs. Ces mêmes Canadiens sont souvent exposés sans le savoir aux risques qui en découlent. D’ailleurs, lorsqu’il est question de paris non réglementés, aucune réglementation canadienne ne régit le délai dans lequel le paiement doit être versé, si jamais il l’est.

Comme je l’ai déjà dit, la réglementation, les licences et les autres questions relatives aux jeux et aux paris relèvent des provinces et des territoires du Canada. Les gouvernements provinciaux et territoriaux ont élaboré et perfectionné des pratiques de jeu responsable et des cadres réglementaires pour assurer l’intégrité de l’industrie et la sécurité des participants.

Voilà des années que ces gouvernements souhaitent apporter ce changement et ils sont prêts à y répondre rapidement et de manière responsable. Leurs cadres réglementaires sont actuellement en place et ils s’appliqueraient aux paris placés sur une seule épreuve sportive si le projet de loi est adopté et l’activité peut être réglementée.

Bien que nous ne puissions pas dicter les pratiques réglementaires des gouvernements provinciaux du Canada, nous pouvons tout de même apporter cette modification à une ligne du Code criminel, leur donnant ainsi le pouvoir d’introduire en toute sécurité les paris sur une seule épreuve sportive au Canada.

Les règles qui seraient promulguées et renforcées en ce qui concerne cette activité sont concrètes et on en a un besoin urgent. La vérification de l’âge et de l’identité, la protection de l’intégrité des parties et la prévention des épreuves arrangées, ainsi que l’interdiction pour les joueurs, les entraîneurs et les officiels de faire des paris sont des exemples de mesures qui pourraient protéger les Canadiens.

Les nombreuses mesures de protection sont nécessaires pour réduire les risques associés au problème de jeu compulsif dans les collectivités, mais elles ne peuvent être mises en œuvre que si le projet de loi est adopté.

Étant donné la nature clandestine de ces activités, il n’y a pour le moment aucune règle de protection provinciale concernant les paris sur une seule épreuve sportive. Il est donc plus probable que des mineurs participent aux paris et plus difficile de découvrir les épreuves arrangées.

Honorables sénateurs, des centaines de millions de dollars — voire des milliards — permettraient de financer, entre autres priorités, la recherche sur la dépendance, des programmes sportifs pour les jeunes, les soins de santé et l’éducation si l’on pouvait mettre la main sur les revenus que procurent les paris sur une seule épreuve sportive. Quel contraste par rapport à la situation actuelle!

L’adoption de ce projet de loi procurerait à la société canadienne des avantages qui vont au-delà de l’impôt et des revenus associés aux activités de jeu légales. Selon les estimations, une fois que les paris sur une seule épreuve sportive auront été retirés du Code criminel, près de 2 700 emplois seront créés au Canada en deux ans. Il s’agirait de bons emplois rémunérés au salaire moyen de l’industrie, qui dépasse les 65 000 $ par année.

Bien que ces chiffres soient éloquents, chers collègues, je ne vous demanderais pas d’appuyer ce projet de loi seulement pour des raisons économiques. En fait, il s’agit d’une mesure logique et juste, centrée sur les communautés canadiennes. Voilà pourquoi elle bénéficie d’un vaste appui de la part des gouvernements provinciaux, des groupes communautaires, des ligues sportives, des syndicats, des sociétés de loterie et même, chers collègues, de Canadiens.

Beaucoup de communautés autochtones du pays sont grandement favorables à cette modification du Code criminel, puisqu’elle leur permettrait de collaborer avec les gouvernements provinciaux en vue d’offrir ces paris et de recueillir les revenus requis. Dans une lettre adressée au Sénat, la Saskatchewan Indian Gaming Authority dit ceci :

[...] nous voulons simplement pouvoir soutenir la concurrence et offrir un produit que nos clients réclament. Nous voyons actuellement dans notre province un marché semi-clandestin qui n’est pas réglementé et qui ne rapporte rien aux intervenants de notre secteur.

Ce sont ses paroles et non les miennes, chers collègues.

La Saskatchewan Indian Gaming Authority est une organisation à but non lucratif qui réinvestit la totalité du bénéfice net qu’elle tire de ses établissements de jeux dans les communautés des Premières Nations de la Saskatchewan. Son objectif principal est de renforcer les communautés autochtones au moyen de l’emploi, de la croissance économique, des relations communautaires saines et de l’autonomie financière.

Honorables collègues, la Saskatchewan Indian Gaming Authority représente 74 Premières Nations de la Saskatchewan.

Pas plus tard que ce matin, j’ai reçu un appel du chef Sheldon Kent de la Première Nation de Black River, au Manitoba. Il siège aussi à l’Assemblée des chefs du Manitoba ainsi qu’au comité des jeux de cette dernière. Il appuie fortement et sans réserve cette mesure législative.

Le président-directeur général de la Saskatchewan Indian Gaming Authority, Zane Hansen, a témoigné lors de la première réunion du comité et il a expliqué qu’il ne produirait pas de nouveaux jeux. Voici ce qu’il a dit :

On le fait déjà, mais c’est dans les mains d’exploitants qui ne sont pas autorisés à le réglementer dans notre province. En passant à un environnement réglementé, nous pouvons l’offrir correctement, de manière sécuritaire et avec un haut niveau d’intégrité.

Lors de la même réunion, Paul Burns, président et chef de la direction de la Canadian Gaming Association, a parlé de l’importance d’instaurer des mesures de sauvegarde et des programmes de lutte contre la dépendance. Il a dit :

Ce que nous avons vu, c’est que les Canadiens aiment parier sur les sports, mais nous avons également vu que nous avons certains des meilleurs programmes de jeu responsable au monde. Une recherche récente publiée par l’Alberta Gaming Research Institute montre également que les taux de jeu problématique dans ce pays, entre 2002 et 2018, ont diminué de 45 %. Nos programmes d’éducation fonctionnent [...]

M. Burns a ajouté que les groupes du crime organisé qui planifient les paris sportifs ne demandent pas mieux que de faire crédit aux parieurs. En revanche, selon lui :

Il y a moins d’une poignée de casinos dans ce pays qui vous accordent un crédit, et c’est comme demander un prêt hypothécaire [...] Il y a beaucoup de différences qui viendront avec un marché réglementé et contrôlé.

Selon Randy Ambrosie, commissaire de la Ligue canadienne de football, la Ligue appuie le projet de loi parce qu’il assurerait l’intégrité du sport au Canada en créant des normes réglementaires rigoureuses et en offrant des retombées économiques aux ligues sportives et aux collectivités. Il a dit que l’adoption de ce projet de loi aurait des effets positifs « sur l’ensemble des industries du sport et du divertissement, alors que nous tenterons de nous relever ».

Au comité, nous avons entendu des représentants de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario et de la British Columbia Lottery Corporation parler des changements positifs que l’adoption du projet de loi apporterait au cadre réglementaire du Canada et des retombées financières dont les collectivités pourraient bénéficier.

Stewart Groumoutis, de la British Columbia Lottery Corporation, a donné cette explication :

On estime à plus de 1 milliard de dollars les paris sportifs annuels en Colombie-Britannique, mais nous savons que les joueurs de la province, pour faire des paris sportifs sur une seule épreuve sportive, se rendent dans les casinos de l’État de Washington, au sud de la frontière, ou sur des sites web non réglementés à l’étranger. Aucune de ces pratiques ne rapporte de revenu à la Colombie-Britannique, ni ne soutient l’emploi dans la province.

Shelley White, cheffe de la direction du Conseil du jeu responsable s’est elle aussi dite favorable au projet de loi. Comme elle l’a expliqué : « Le CJR est un organisme de bienfaisance canadien sans but lucratif qui a pour objectif de prévenir le jeu compulsif et d’en réduire les répercussions. » Elle a ajouté ceci : « Le Canada est considéré comme un chef de file en matière de jeu responsable, et nous sommes fiers d’en faire partie. »

Dans son témoignage, elle a exprimé les préoccupations du conseil en ce qui concerne l’aspect non réglementé de cette industrie au Canada :

Si les paris sportifs demeurent non réglementés, comme ils le sont actuellement, les personnes vulnérables sont à risque. C’est en pensant à ces gens que nous nous adressons à vous aujourd’hui. Le CJR croit qu’il est dans l’intérêt des Canadiens et de la société canadienne que le projet de loi C-218 soit adopté.

Cela permettrait aux autorités provinciales d’établir un cadre réglementaire pour les paris sur une seule épreuve sportive, mettant la protection des consommateurs au cœur de la réglementation.

Chers collègues, la cheffe Gina Deer et le chef Ross Montour du Conseil des Mohawks de Kahnawà:ke ont aussi témoigné devant le comité. J’ai parlé avec la chef Deer à de nombreuses reprises. J’ai eu des appels Zoom avec un certain nombre de chefs. Ils ont certainement fait en sorte que le comité et moi soyons bien informés à ce sujet.

(1720)

La chef Deer a déclaré ceci :

Je tiens d’abord à préciser que notre communauté approuve la teneur du projet de loi C-218. En effet, les Canadiens devraient avoir le droit de parier sur des épreuves sportives ou athlétiques particulières.

Elle a ajouté que le projet de loi était « une mesure positive pour l’industrie du jeu au Canada », mais qu’il ne tenait pas compte des intérêts des Autochtones. Le chef Montour a ajouté que les Autochtones voulaient obtenir une « exemption » au titre du Code criminel. Nous avons entendu et compris leurs préoccupations. Toutefois, nous avons jugé que la question dépassait la portée du projet de loi C-218 et que les loteries n’étaient pas de compétence fédérale. Elles relèvent des gouvernements provinciaux depuis 1985.

Je crois comprendre que l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général du Canada, mène actuellement des consultations auprès de communautés et d’intervenants autochtones concernant, et je cite sa lettre, le rôle que jouent les « nations et les communautés autochtones dans l’industrie du jeu ».

J’encourage les provinces et les territoires à collaborer avec les communautés autochtones et les autres groupes concernés pour parvenir à une entente dans le domaine des jeux de hasard et pour faire en sorte qu’ils soient pleinement capables de profiter des retombées économiques du projet de loi. Le comité a joint une observation à cet effet.

Voici ce que dit cette observation :

Le comité est d’avis que, le cas échéant [...] les provinces et territoires devraient travailler en collaboration avec les Premières Nations et les groupes [concernés] pour conclure des ententes relatives au jeu.

Un dernier point que j’aimerais aborder est celui qui a été discuté en détail lors des audiences du comité, à savoir les épreuves truquées.

Le sénateur White nous a parlé dans cette enceinte, à l’étape de la deuxième lecture, des risques liés aux épreuves truquées. Je tiens à le remercier de l’attention qu’il porte à la question.

Le sénateur White a déclaré dans son discours à l’étape de la deuxième lecture qu’« au Canada, les épreuves truquées ne sont pas illégales ». Bien que je convienne que les épreuves truquées sont une priorité, tout comme les témoins experts et les collaborateurs du comité, je ne suis pas d’accord pour dire qu’elles sont effectivement légales au Canada. Je ne suis pas non plus d’accord sur la voie à suivre.

J’ai demandé à la Bibliothèque du Parlement de préparer un résumé de recherche sur le cadre juridique concernant les épreuves truquées au Canada. Le document est, bien entendu, impartial et fondé sur des faits. Il explique que, bien qu’il n’y ait pas de disposition dans le Code criminel qui mentionne explicitement les épreuves truquées, une série de dispositions englobe le trucage des épreuves. Voici pourquoi ces dispositions constituent une meilleure protection juridique.

Les dispositions du Code criminel les plus pertinentes sont les articles 209, 380 et 465.

L’article 209 s’applique directement aux épreuves arrangées, car il criminalise la tricherie au jeu, ce qui signifie :

[…] Quiconque, avec l’intention de frauder quelqu’un, triche en pratiquant un jeu, ou en tenant des enjeux ou en pariant est coupable […]

[…] d’un acte criminel.

En vertu de l’article 380, la fraude est un acte criminel. Cette disposition législative n’a pas seulement été utilisée pour intenter des poursuites contre les responsables des épreuves arrangées, mais elle a aussi été confirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Riesberry. Comme le document de la Bibliothèque du Parlement le signale, la Cour suprême a été du même avis que la Cour d’appel, à savoir que les faits dans cette affaire satisfont aux critères définissant la fraude parce que M. Riesberry :

[…] voulait procurer un avantage indu à ses chevaux à l’occasion d’une course. Il s’agit d’une conclusion de fait suivant laquelle M. Riesberry savait que sa conduite malhonnête exposait les parieurs à un risque de privation, ce qui, après tout, correspond à la définition de la tricherie.

L’une des caractéristiques clés des épreuves arrangées est la corruption, ce qui correspond à la définition de la fraude à l’article 380 du Code criminel.

L’article 465 porte sur le complot et, lorsqu’il est combiné à une autre disposition comme les deux autres dont j’ai parlé précédemment, cela permettrait de :

[…] permettrait de traduire en justice quiconque collabore avec d’autres personnes pour organiser des épreuves arrangées, même si ce ne sont pas eux qui procèdent au trucage de l’épreuve.

Le document d’information énonce aussi ce qui suit :

Notons aussi que tout ce qui est requis pour qu’on puisse considérer qu’une infraction est commise, c’est un accord visant à commettre une infraction criminelle et une intention de passer à l’acte selon cet accord. Il n’est pas nécessaire de passer à l’acte en tant que tel. Cela permettrait, par exemple, de poursuivre à la fois une personne qui paie un arbitre pour changer l’issue d’un match et l’arbitre lui-même, même si l’une ou l’autre de ces parties ne passe pas à l’acte.

Un avis juridique émanant du cabinet d’avocats McCarthy Tétrault arrive à des conclusions semblables et ajoute que l’article 462 du Code criminel, qui porte sur le blanchiment d’argent, pourrait également servir à incriminer les personnes qui organisent une épreuve arrangée.

À l’évidence, les épreuves arrangées sont illégales au Canada, en vertu de multiples dispositions du Code criminel qui concourent pour que l’illégalité soit effective. La Cour suprême l’a également confirmé. Il est inexact de soutenir, comme argument, que les épreuves arrangées sont légales pour la simple raison que le Code criminel ne les mentionne pas en toutes lettres.

Ajoutons, chers collègues, que lorsqu’une disposition du Code criminel interdit une activité spécifique, la possibilité qu’une personne soit reconnue coupable de ce crime peut diminuer, puisque la spécificité de la disposition ouvre la voie à des échappatoires. Par comparaison, lorsqu’il existe de multiples dispositions qui ont une vaste portée, elles couvrent plus d’aspects du crime. À titre d’exemple, si une disposition juridique criminalise le vol qualifié, il n’est pas nécessaire d’adopter des dispositions distinctes qui interdisent le vol qualifié dans une banque, ou une épicerie, ou une station-service ou une pharmacie. En fait, il serait contre-productif d’établir toutes ces dispositions, puisque le champ d’action précis de chacune pourrait être contesté.

Donald Bourgeois, expert du droit relatif aux jeux de hasard, a été admis au Barreau de l’Ontario en 1984. Quand il a comparu devant le comité, il a parlé du problème que j’ai mentionné et d’autres enjeux juridiques. Voici ce qu’il a dit quand je lui ai posé une question à ce sujet :

Lorsque la législation pénale devient très spécifique, il y a un risque que la Couronne soit incapable de faire la preuve de chacun des éléments. Donc, le risque lié à une disposition très détaillée est qu’il sera impossible de réunir la preuve, et de prouver tous les éléments particuliers au-delà de tout doute raisonnable. Plus on est spécifique, plus la Couronne doit prouver des éléments spécifiques pour obtenir une condamnation.

La vice-présidente du Comité, la sénatrice Wallin, a aussi directement demandé à M. Bourgeois s’il est nécessaire d’inclure dans le Code criminel un article qui rend expressément illégal le trucage des épreuves. Il a répondu non et a ajouté ceci :

Je pense que c’est couvert de deux façons. Premièrement, il existe une disposition du Code criminel à l’article 209, qui traite de la fraude, en combinaison avec l’article 380. La Cour suprême du Canada a dit très clairement qu’il est suffisant qu’une activité malhonnête ait lieu, non seulement pendant un match, mais avant un match.

Il a poursuivi ainsi :

Le deuxième aspect est que la structure réglementaire, combinée à un lien avec l’application de la loi, ainsi qu’avec d’autres intervenants du secteur, fait en sorte de prévenir les problèmes découlant de la manipulation des matchs.

M. Bourgeois a discuté de l’arrêt Riesberry de la Cour suprême du Canada et a indiqué ceci :

[...] la Cour suprême du Canada nous a indiqué très clairement ce qui constitue les éléments de l’infraction. Encore une fois, comme je l’ai dit, la seule raison pour laquelle nous connaissons l’existence de M. Riesberry, c’est qu’il y avait une structure réglementée qui a transmis l’information nécessaire pour obtenir une condamnation.

M. Ambrosie, de la Ligue canadienne de football, s’est aussi exprimé sur ce sujet et nous offre cette explication :

les organismes sportifs, les opérateurs de paris sportifs, les organismes de règlementation du jeu et les services de police se communiquent des renseignements et des données, et ce, afin de veiller à ce que la compétition soit juste et honnête sur le terrain, parce que l’intégrité de notre sport a une importance capitale pour nous [ce qui fait que] nous nous efforçons de la préserver.

David Phillips, directeur général des opérations de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario, a ajouté ceci :

La lutte internationale contre le trucage de matchs exige un effort hautement coordonné entre les organismes de réglementation, les organismes d’application de la loi, les ligues sportives, les exploitants et les observateurs indépendants.

Le projet de loi donnerait au Canada le marché réglementé qui est une condition préalable pour remarquer les matchs arrangés lorsqu’ils se produisent.

Chers collègues, il existe un traité international axé sur la lutte contre les matchs arrangés, soit la Convention sur la manipulation de compétitions sportives, aussi connue sous le nom de Convention de Macolin, qui était prête à être signée le 18 septembre 2014. L’un de ses principaux fondements est l’établissement d’un marché réglementé pour découvrir les matchs arrangés dès le départ au lieu de les laisser passer inaperçus en raison de l’absence de réglementation.

Paul Melia, président-directeur général du Centre canadien pour l’éthique dans le sport, qui se spécialise dans la protection de l’intégrité du sport au Canada, est en faveur de permettre au pays d’examiner :

[…] la valeur de l’adhésion à la Convention Macolin comme moyen de mieux s’assurer que nous protégeons la santé et la sécurité de nos athlètes et l’intégrité du sport.

Cependant, dans son témoignage devant le comité, il a clairement indiqué qu’il faut d’abord adopter le projet de loi C-218 en vue d’établir un marché réglementé avant de signer éventuellement la convention.

Il a dit :

Je pense que l’adoption du projet de loi C-218 et du cadre réglementaire qui l’appuierait est une première étape nécessaire.

Chers collègues, le comité a ajouté une autre observation au projet de loi à cet effet qui se lit comme suit :

Le comité encourage fortement le gouvernement fédéral à signer la Convention sur la manipulation de compétitions sportives du Conseil de l’Europe afin de se soumettre aux pratiques internationales en ce qui concerne les matchs arrangés ainsi qu’à travailler en collaboration avec les provinces et les territoires, qui sont responsables de tout ce qui concerne le jeu, à cet égard.

Le Sénat ne peut évidemment pas obliger le gouvernement fédéral à signer un traité international. C’est pourquoi le comité a rédigé l’observation de cette manière.

(1730)

Il est à noter que, bien que plus de 30 pays aient signé la convention, très peu l’ont ratifiée. Elle n’a pas été ratifiée par l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France ou tout pays en dehors de l’Europe. Bien qu’il soit important que le Canada suive les pratiques exemplaires à l’échelle internationale, il faut d’abord mettre en place des mesures législatives et réglementaires pour décourager les activités criminelles et mieux assurer l’intégrité des établissements et des activités.

Encore une fois, honorables collègues, ce projet de loi est largement appuyé par des intervenants très crédibles qui sont des spécialistes des questions à l’étude.

Le projet de loi renforcera les mesures de protection et de sauvegarde destinées aux consommateurs qui permettront d’offrir de l’aide en cas de problèmes de jeu compulsif et de dépendance. Il permettra de détourner des sources de revenus qui profitent aux groupes du crime organisé et qui vont dans des comptes à l’étranger pour les rediriger vers des établissements légaux qui seront assujettis à un cadre fiscal et réglementaire. Il permettra de générer chaque année des centaines de millions de dollars en recettes fiscales et en revenus qui pourront être réinvestis dans des programmes essentiels et dans les collectivités. Il permettra de créer de bons emplois partout au pays. Honorables collègues, il est temps que les paris sur une seule épreuve sportive sortent de l’ombre. Merci.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Sénateur Wells, plusieurs sénateurs souhaitent poser une question. Accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Wells : J’en serais ravi, Votre Honneur.

L’honorable Mary Jane McCallum : Sénateur Wells, le statut juridique de Kahnawake repose sur l’affirmation d’un droit autochtone, ce qui relève clairement du paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Selon le document de consultation de la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario, l’Ontario évaluera le statut juridique seulement en vertu du Code criminel, qui ne prévoit actuellement aucune disposition sur les Premières Nations. Cette interprétation étroite par la province présente un risque. De telles conclusions s’appliqueront-elles à d’autres Premières Nations si la province où elles se trouvent adopte le même point de vue?

Voilà pourquoi Kahnawake avait demandé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles une audience équitable pour que la question soit étudiée de façon appropriée. Or, la question a été renvoyée au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez? Merci.

Le sénateur Wells : Je vous remercie de la question, madame la sénatrice. Elle est importante.

D’abord, il s’agit d’une question de compétence. Comme je l’ai dit dans mon discours — et je pense l’avoir fait aussi à l’étape de la deuxième lecture —, le Canada a délégué aux provinces les pouvoirs par rapport au jeu et aux règlements qui l’encadrent. Je crois comprendre que le Conseil des Mohawks de Kahnawake a tenté à maintes reprises d’entamer des discussions au sujet des permis et du jeu avec l’autorité compétente, qui est la province.

Comme je l’ai mentionné dans mon discours, j’ai parlé au chef Sheldon Kent de l’Assemblée des chefs du Manitoba et j’ai abordé cette question précisément. J’ai noté sa réponse parce que j’ai cru que c’était important. Il a dit :

Toute consultation devrait porter sur l’ensemble des questions d’inclusion des Premières Nations, et non sur une ligne dans un projet de loi.

Je sais que — et je suis certain que vous êtes au courant — le procureur général et ministre de la Justice, David Lametti, a écrit aux Premières Nations de partout au pays à propos d’une vaste discussion sur leur inclusion et plus précisément sur l’article 35.

La dernière partie de votre question portait sur le renvoi du projet de loi au Comité des banques et du commerce, qui est compétent pour l’étudier, plutôt qu’au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous avons eu un débat ici sur la question, et c’est le Sénat qui a pris cette décision.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, avant que la sénatrice McCallum pose sa question complémentaire, un certain nombre de sénateurs veulent poser des questions et nous disposons d’un temps limité. Je demanderai donc à chaque sénateur s’il a une question et une question complémentaire. Si un sénateur désire poser d’autres questions, j’inscrirai son nom sur la liste pour le deuxième tour.

La sénatrice McCallum : Si on avait mieux consulté les Premières Nations et davantage collaboré avec elles, est-ce que le projet de loi aurait était plus efficace? Aurions-nous dû étendre son application aux Premières Nations de la Saskatchewan et du Manitoba, les mettant dans la même catégorie que les Premières Nations de Kahnawake et d’autres provinces, afin que le point de vue d’une nation ne soit pas exclu au détriment des autres?

Nous savons tous que les Premières Nations ont leurs propres structures de gouvernement, un droit mentionné dans la déclaration des Nations unies. Pourquoi adoptons-nous ce projet de loi alors que des consultations sont encore en cours sur la participation des communautés autochtones à l’industrie du jeu?

Le sénateur Wells : Merci, sénatrice McCallum. Le son n’était pas bon, mais je pense avoir compris votre question, à savoir pourquoi cela ne se fait pas plus largement?

Tout d’abord, en matière de compétences, le jeu relève des provinces. En fait, dans le cas de ma province, Terre-Neuve-et-Labrador, la province a conclu un partenariat avec les trois autres provinces de l’Atlantique et l’autorité en a été confiée à la Société des loteries de l’Atlantique.

En ce qui concerne des consultations avec des groupes particuliers — ou même des groupes du Manitoba, de la Saskatchewan et du Québec, comme vous l’avez mentionné — je reviendrai au commentaire que m’a fait le chef Kent de la Première Nation de Black River au Manitoba. Il y a des discussions sur l’article 35 partout au Canada. Je n’oserais pas choisir au hasard une province ou une autre ou plusieurs pour avoir des conversations particulières sur un point lié précisément à l’article 35, qui, nous le reconnaissons, constitue une part importante de la consultation et de l’inclusion :

Je pense que la discussion plus générale sur l’article 35 relève du ministre Lametti. Je sais que des lettres ont été échangées et que ces consultations ont peut-être commencé ou sont en cours. Une approche a certainement été adoptée à ce sujet. Il n’en demeure pas moins que ce sont les provinces et les territoires qui ont compétence en matière de jeux.

C’est tout ce que je peux dire sans m’aventurer sur un sujet qui ne relève pas du gouvernement fédéral, donc du Sénat.

L’honorable Robert Black : Sénateur Wells, à titre de parrain du projet de loi C-218, je prends la parole aujourd’hui pour attirer l’attention sur les préoccupations de l’industrie des courses hippiques.

Cette industrie s’étend bien au-delà des emplois des jockeys et des entraîneurs de chevaux. Elle a des retombées sur les industries du tourisme, de l’agriculture, de la fabrication et du jeu. En fait, l’industrie des courses hippiques est responsable de l’équivalent de 50 000 emplois à temps plein au Canada rural et urbain, et contribue à l’économie nationale à hauteur de 5,6 milliards de dollars par année.

Toutefois, comme pour bien des industries, la pandémie de COVID-19 a asséné un coup dur à celle des courses hippiques. Bien que cette dernière subissait déjà des pressions accrues en raison de la menace des conséquences imprévues potentielles de la légalisation des paris sportifs, elle appuie le principe du projet de loi C-218. Toutefois, elle espère que les parlementaires comprennent ses répercussions négatives potentielles sur les courses de chevaux.

Sénateur Wells, pouvez-vous confirmer que, le projet de loi n’autorisera pas les paris à cote fixe sur les courses hippiques et que l’industrie des courses hippiques sera protégée? Merci.

Le sénateur Wells : Merci, sénateur Black. Je peux le confirmer. En fait, vous savez peut-être qu’un projet de loi d’initiative ministérielle à l’autre endroit, le projet de loi C-13, a été proposé, puis rejeté parce que le projet de loi C-218 était déjà inscrit au Feuilleton. Quoi qu’il en soit, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a réglé cette question. Il a précisément amendé le projet de loi pour protéger l’industrie des courses hippiques.

L’honorable Vernon White : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Wells : Bien sûr, sénateur White.

Le sénateur White : Merci. Vous avez parlé de l’incapacité de régler les questions liées aux Premières Nations, puisque la gestion est menée par les provinces. Or, l’article 207 du Code criminel ne prévoit-il pas justement que ce sont les provinces qui doivent gérer les loteries? Ce que le Conseil mohawk proposait était de pouvoir gérer lui-même des loteries, de la même manière que les provinces et les territoires le font.

Le sénateur Wells : Merci, sénateur White. Pour être sûr de bien comprendre, voulez-vous savoir si les Mohawks de Kahnawake devraient avoir un rôle à jouer dans la gestion?

(1740)

Le sénateur White : Vous avez laissé entendre qu’il s’agissait d’une question d’ordre provincial, mais, en réalité, la mise sur pied de loteries relève du fédéral, en vertu de l’article 207 du Code criminel. C’est pourquoi nous sommes ici aujourd’hui.

Le sénateur Wells : Vous avez tout à fait raison. Il s’agit d’une compétence fédérale qui est déléguée aux provinces depuis 1985. Évidemment, le Code criminel du Canada est un code fédéral. Il est donc permis par le Code criminel fédéral d’inclure une telle chose, mais la gestion et la réglementation du jeu ont été déléguées aux autorités provinciales et territoriales.

Le sénateur White : J’en suis conscient. J’ai écouté les délibérations du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Il est faux de dire que ce n’est pas du ressort du gouvernement fédéral, parce que c’est la loi fédérale qui permet aux provinces de le faire. En fait, l’article 207 pourrait être modifié pour permettre à un gouvernement d’une province, soit seul ou conjointement avec celui d’une autre province, ou à une nation ou un groupe autochtone qui a conclu un accord avec le gouvernement du Canada, mais, en fait, le Comité des banques n’a pas envisagé ces possibilités.

Le sénateur Wells : Bien des options auraient certainement pu être envisagées si le gouvernement l’avait voulu, mais il ne l’a pas fait. Nous devons donc nous en tenir à ce dont nous sommes saisis.

Son Honneur le Président : Sénateur White, je vous redonnerai la parole si nous avons du temps. Je vais passer à un autre intervenant. J’ai dit que je permettrais une question et une question complémentaire, et que je reviendrais par la suite. Sénatrice McPhedran, allez-y, je vous prie.

L’honorable Marilou McPhedran : Ma question s’adresse au sénateur Wells. Convenez-vous que les Premières Nations qui ne font pas partie d’une société autochtone panprovinciale ou qui ne sont pas visées par un accord conclu avec une province ne disposent pas du droit constitutionnel de gérer leurs propres établissements de jeux dans le cadre de leur autonomie gouvernementale?

Le sénateur Wells : Je vous remercie, sénatrice McPhedran. Il va bien au-delà de mes compétences d’évaluer les droits dont disposent les Premières Nations à l’égard d’établissements relevant d’une compétence provinciale déléguée par le gouvernement fédéral.

Je ne peux pas me prononcer là-dessus. Cela sort du cadre du projet de loi et, s’il s’agit d’une compétence provinciale, des éléments à examiner par le Sénat.

Le sénateur White : Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Wells : Bien sûr.

Le sénateur White : Vous avez indiqué plus tôt que le gouvernement aurait pu choisir de le faire, mais qu’il ne s’agit pas d’un projet de loi d’initiative ministérielle. Puisqu’il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire, le gouvernement n’a pas pris part à sa conception. Pourquoi le comité ne l’a-t-il pas pris en considération, étant donné que le gouvernement n’y a pas contribué?

Le sénateur Wells : Je vous remercie de votre question. Même s’il s’agit d’un projet de loi d’initiative parlementaire, et non d’initiative ministérielle, s’il est adopté sans amendement au Sénat, il devient une loi du Canada et il est assujetti aux lois du Canada, peu importe qu’il soit d’initiative parlementaire ou ministérielle. Le fait que ce soit un projet de loi d’initiative parlementaire relève d’un concours de circonstances.

L’existence de l’article 207 ne change en rien le passage de ce projet de loi qui porte sur la modification du Code criminel. Je crois donc que l’effet sera très indirect.

Le sénateur White : Je vous remercie de votre réponse, sénateur. Cependant, le sommaire du projet de loi dit qu’il vise à « légaliser la mise sur pied et l’exploitation dans une province, par le gouvernement de cette province ou par une personne ou une entité titulaire d’une licence délivrée par le lieutenant-gouverneur en conseil de la province, d’une loterie ». On a donc dû songer que les provinces ne seraient pas les seules à s’occuper de la gestion de ces loteries, même si c’est actuellement le cas.

Ayant vu et lu ce qui a été dit au Comité des banques, je me demande pourquoi on n’a pas invité un fonctionnaire du ministère de la Justice pour lui demander si c’est un bon moment pour envisager de donner des pouvoirs de réglementation des jeux de hasard aux Premières Nations qui avaient réclamé une telle mesure et l’avaient obtenue dans le projet de loi initial. Après avoir regardé les délibérations du Comité des banques, je ne sais pas si le projet de loi a été suffisamment débattu, ce qui me ramène à la question qui a été plus tôt et qui consiste à se demander si le projet de loi a été renvoyé au comité approprié parce que le Comité des banques ne l’a pas étudié et n’a fait comparaître aucun témoin.

Le sénateur Wells : Je vous remercie, sénateur White. Encore une fois, je ne ferai pas de commentaires sur les raisons pour lesquelles le Comité des banques a été choisi. Des sénateurs qualifiés y siégeaient et ont fait appel à des témoins experts lorsque cela était nécessaire. La liste des témoins a été élaborée en fonction des recommandations du comité directeur à partir de suggestions de membres d’autres comités et d’autres sénateurs.

Le fait qu’une ligne du Code criminel soit modifiée en vertu du projet de loi C-218 n’a pas d’effet sur le cadre réglementaire. Je sais, vous avez posé une question sur les cadres réglementaires dans les provinces et le rôle des Premières Nations dans ces cadres réglementaires, mais le projet de loi C-218 modifie une seule ligne du Code criminel. Ce n’est pas une discussion à propos des compétences, pour expliquer pourquoi certaines provinces sont incluses et d’autres sont exclues. Cela n’a pas d’intérêt dans la discussion parce que le projet de loi modifie une ligne du Code criminel pour autoriser les paris sportifs sur une seule épreuve. Ce n’est pas une analyse portant sur les compétences visant à déterminer pourquoi certaines provinces sont incluses et d’autres non. Je pense que votre question donne l’impression que le projet de loi est plus vaste qu’il ne l’est, et ce n’est pas le cas.

Son Honneur le Président : Sénateur White, une sénatrice veut poser une question.

La sénatrice McPhedran : Sénateur Wells, vous nous avez fait part des observations du comité. Comment suggérez-vous que les provinces interviennent dans ce dossier? Pouvez-vous nous donner des suggestions précises à la lumière de vos vastes consultations auprès des Premières Nations?

Le sénateur Wells : Merci, sénatrice McPhedran. Voici ce qui se passera, selon la British Columbia Lottery Corporation : la levée de l’interdiction des paris sportifs sur une épreuve sportive simple ne changera rien au reste. Au lieu d’avoir à parier sur deux manifestations sportives ou plus, ce qu’on appelle un pari par reports, comme j’en ai parlé, on pourra parier sur une seule manifestation. On pourra parier sur le prochain match des Canadiens contre Las Vegas sans avoir à parier en même temps sur un autre match en espérant que ses prédictions soient bonnes. Le projet de loi ne changera rien au fonctionnement ou à la structure réglementaire mis à part le fait qu’on pourra dorénavant parier sur une épreuve simple. Que cela inclue ou non des consultations concernant les Premières Nations, la structure réglementaire ou autre chose du genre, rien ne changera. L’application ou le processus employé pour parier sera simplement modifié pour autoriser les gens à parier sur une épreuve simple.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Sénateur Wells, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Wells : Bien sûr, sénateur Dalphond.

Le sénateur Dalphond : Merci de ce discours intéressant. J’ai également écouté les témoignages au Comité des banques et il y avait un avocat au sein du dernier groupe de la dernière journée des audiences qui a parlé de l’affaire Riesberry entendue en 2015 par la Cour suprême du Canada. La cour avait conclu que droguer un cheval avant qu’il prenne part à une course constituait une fraude, parce que la personne qui drogue le cheval emploie des moyens frauduleux. La Cour suprême avait fait référence à la conclusion suivante :

Lors du procès, le juge a conclu que M. Riesberry, en tant qu’entraîneur accrédité, était lié par les règles interdisant la possession de seringues et l’administration des drogues en question en vue d’améliorer la performance : Commission des courses de l’Ontario, Règlement établissant les règles sur les courses de chevaux Standardbred, 2008 [...]

Il existe un système réglementaire gouvernemental qui établit que le geste posé par M. Riesberry allait à l’encontre des règles et qu’il s’agissait donc d’un moyen frauduleux. Il était par conséquent possible d’accuser M. Riesberry de fraude.

Si on prend les joueurs de football ou de soccer, je ne crois pas que la réglementation des provinces s’applique à eux. Dites-vous qu’il faudra que les provinces adoptent des règlements pour que des accusations de fraude soient possibles?

Le sénateur Wells : Merci de votre question, sénateur Dalphond. Non, ce n’est pas ce que je dis. Les dispositions de l’article 209 et des deux autres articles dont j’ai parlé continueraient de s’appliquer dans le cas de ces sports. Cela ne changerait pas. Les lois fédérales en matière de fraude, de tricherie — j’oublie le dernier point, mais cela inclut également les pots-de-vin et tout ce qui est interdit dans les lois fédérales —, continueraient de s’appliquer. Cela ne changerait absolument pas.

(1750)

Le sénateur Dalphond : Si je comprends bien ce que vous dites, tricher au jeu demeurerait une infraction possible, mais il n’y aurait pas d’infraction pour fraude en lien avec une réglementation provinciale qui rendrait un comportement illégal?

Le sénateur Wells : Si un geste est posé au Canada, il est assujetti aux lois canadiennes. Bien que la réglementation d’un sport ou d’un pari soit provinciale, si une personne commet une fraude qui constitue un acte criminel selon les lois fédérales, ce geste est assujetti aux lois du Canada. La fraude et la corruption sont des infractions fédérales, comme vous le savez.

La sénatrice McCallum : Accepteriez-vous de répondre à une autre question, sénateur Wells?

Le sénateur Wells : Volontiers.

La sénatrice McCallum : Des preuves établissent l’ingérence de la province dans les activités de la Kahnawake Gaming Commission. Pouvez-vous confirmer qu’elle ne le fera plus, ce qui permettra vraiment à Kahnawake d’avoir des chances égales? Pouvez-vous aussi confirmer qu’il n’y aura pas d’ingérence de la part des autres provinces? Si l’ingérence continue à Kahnawake, quelles options s’offriront aux Premières Nations?

Le sénateur Wells : Merci, sénatrice McCallum.

Toute ingérence des autorités provinciales à l’égard d’un groupe, peu importe lequel, impliqué dans les entreprises de jeux, approuvés ou non par la province, ne relève pas de ce projet de loi. Je ne suis pas certain s’il existe des lois à cet effet, mais parce que ces enjeux ne relèvent pas de ce projet de loi, honorables collègues, il serait bon de ne pas compliquer le débat inutilement. Ce projet de loi porte sur les paris sur une seule épreuve sportive. Toutes les structures entourant les plateformes réglementaires et l’exploitation des jeux à l’échelon provincial arrivent seulement au troisième rang par rapport à ce projet de loi. Elles ne sont pas au cœur de ce projet de loi.

Son Honneur le Président : Sénateur Wells, votre temps est écoulé.

Sénateur Cotter, avant que nous ne preniez la parole, je dois m’excuser à l’avance, car je vais vous interrompre dans cinq minutes.

L’honorable Brent Cotter : Votre honneur, cela me fait penser à ce qui était inscrit sur la pierre tombale d’une personne récemment décédée : « Je m’y attendais ». Je m’attends à ce que vous m’interrompiez dans cinq minutes.

J’ai quelques observations à formuler et, en tout respect, je vais essayer de les présenter de façon organisée. Il est possible que je fasse référence à certaines des questions qui ont été posées au sénateur Wells. Il a très bien expliqué la raison d’être du projet de loi et je ne veux pas répéter ce qu’il a dit.

Je pense qu’il est nécessaire de revenir sur certains des points qui ont été abordés dans la présentation et au début du débat. Je suis toujours un peu mal à l’aise de me mesurer au sénateur Dalphond concernant des notions juridiques, mais je tiens à aborder brièvement le concept du crime qu’est la fraude.

J’ai obtenu l’avis d’un éminent juriste au sujet du point qu’a soulevé le sénateur White durant la discussion sur l’efficacité des dispositions existantes du Code criminel. J’aimerais axer mon intervention sur la fraude.

Pour qu’il y ait fraude, la Couronne doit prouver qu’il y a eu « [...] supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif [...] ». Les tribunaux, y compris la Cour suprême du Canada, donnent une interprétation large de l’expression « autre moyen dolosif ». Le fait que M. Riesberry ait violé le règlement de l’association de courses de chevaux lorsqu’il a posé son geste facilite les choses, mais presque tout ce qui est illégal est considéré par les tribunaux comme appartenant à la catégorie « autre moyen dolosif ». Résultat : la fraude s’applique à un vaste éventail de choses. J’y reviendrai dans d’autres observations que je ferai plus tard.

Les questions posées par le sénateur White au sujet du projet de loi et de la possibilité de modifier celui-ci pour inclure les références proposées par lui et la nation de Kahnawake sont légitimes. Toutefois, je crois que l’on modifierait alors la portée du projet de loi, laquelle dépasserait ce qu’il proposait de modifier dans le Code criminel, au point d’offrir de restructurer le régime du jeu au pays. On irait ainsi au-delà du pari sur une épreuve sportive unique pour s’attaquer au jeu dans son ensemble — y compris le jeu qui est offert professionnellement à Kahnawake et dans d’autres territoires du pays.

En ce qui concerne la question de la sénatrice McPhedran sur l’existence d’un droit inhérent concernant les jeux de hasard, dont la Première Nation de Kahnawake se sert pour justifier son travail, les tribunaux canadiens ne se sont jamais prononcés sur la question. J’en parlerai dans mes principales observations. Dans de nombreux cas, la question fait l’objet d’un débat légitime et quelques tribunaux de première instance ont entendu des témoignages sur le sujet, mais elle n’a pas été tranchée de façon définitive. Elle a permis à Kahnawake de poursuivre ses activités de jeu, y compris ses activités de jeu en ligne, au Canada — et sans interruption, si j’ai bien compris. Cependant d’autres compétences, y compris la mienne en Saskatchewan, ont établi un cadre différent dont je parlerai lorsque j’aurai terminé mes observations.

Je vais discuter de ce que je voulais aborder au début de mon intervention, puis passer à un autre sujet.

Je voulais fournir une série d’explications et de justifications, mais je pense que le sénateur Wells a très bien couvert ce point. Il est assez évident que je ne suis pas vraiment un détracteur du projet de loi; au contraire, j’en suis un partisan. Tous les arguments qu’il a présentés sont vrais et même les témoins du Comité des banques qui étaient sceptiques ou qui avaient des réserves ont appuyé l’adoption du projet de loi assorti d’un cadre réglementaire satisfaisant.

J’ai trois points à soulever. Pour prendre une analogie, je vais vous raconter une histoire personnelle. Je cherche à vous persuader que le projet de loi vaut toujours la peine d’être appuyé, même si vous avez quelques réserves à son égard. J’ai l’impression que je plaide comme un avocat pour que vous approuviez une sage décision.

En réalité, la mesure législative ne vise pas à créer un marché de paris sur une seule épreuve sportive : elle ne fait que les légaliser et les réglementer. On prend déjà ce genre de paris sur les marchés gris et noir, qui nous inquiètent. PricewaterhouseCoopers a soulevé ce point dans l’un des rapports exhaustifs qu’il a produit. L’organisme a également écrit ceci :

[...] la surveillance réglementaire au sein du marché canadien des paris sportifs peut accroître la protection des joueurs et l’intégrité des sports ainsi qu’empêcher le blanchiment d’argent et d’autres activités illégales qui peuvent avoir lieu dans les « marchés gris et noir ».

Comme le sénateur Wells l’a indiqué, toutes les grandes instances pour qui l’intégrité est essentielle à ce chapitre, soit l’intégrité du sport et du jeu, ont exprimé leur appui pour le projet de loi à condition que les règlements soient rigoureux. Je parle du Conseil du jeu responsable du Canada, dont nous avons entendu parler, du Centre canadien pour l’éthique dans le sport et de toutes les ligues professionnelles, qui voient leur industrie se faire détruire par l’absence d’intégrité.

Par ailleurs, n’oublions pas que c’est par courtoisie envers les provinces que la responsabilité des jeux leur a été transférée aux termes des modifications de 1985. Ce transfert d’une initiative productrice de ressources a été positif pour les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces. La modification proposée, de façon un peu plus modeste, aura le même effet.

Sachant que je pourrais être interrompu à tout moment, je tiens à dire que si vous craignez un tant soit peu que les provinces ne soient pas en mesure de faire ce qu’il faut, je vous demanderais d’avoir un peu plus confiance en elles. Dans l’architecture de notre fédération, les provinces ont plus de responsabilités que dans n’importe quelle autre nation fédérative du monde occidental, et elles font un excellent travail d’administration de la santé, de l’éducation, du monde du travail — 94 % des Canadiens travaillent sous juridiction provinciale —, de la justice, des principaux aspects de l’économie et — je vous rappelle que cela est indispensable — ce qui nous unit en tant que pays, peut-être plus que toute autre chose, et qui constitue un élément d’identité pour les Canadiens, de l’assurance-maladie. C’est le produit de l’esprit et du cœur d’un premier ministre des Prairies et d’une équipe de brillants conseillers provinciaux.

(1800)

Ayez un peu confiance dans les provinces pour que tout se passe bien. Elles ont réussi jusqu’à présent.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et à l’ordre adopté le 27 octobre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive.

Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».

L’honorable Peter Harder : Suspendre.

Son Honneur le Président : J’entends « suspendre ». La séance est suspendue jusqu’à 19 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénateur Plett, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-218, Loi modifiant le Code criminel (paris sportifs).

L’honorable Brent Cotter : Mon grand-père était un homme pieux et droit qui allait à l’église chaque semaine. C’était un fervent catholique qui cherchait toujours des âmes à convertir. Un jour, un ami lui a dit : « Bill, pourrais-je aller à ton église pour apprendre comment vous faites les choses là-bas? » Mon grand-père, toujours à l’affût, comme je l’ai dit, l’a emmené avec lui pour assister à la messe du dimanche. En voyant le début de la cérémonie, l’ami s’est tourné vers mon grand-père pour lui demander la signification de ce rituel, et mon grand-père le lui a expliqué. Un peu plus tard, l’ami a encore demandé des explications, et mon grand-père lui a répondu avec patience. Au milieu de la cérémonie, le prêtre est allé au lutrin qui se trouvait à une extrémité de la salle, il a enlevé soigneusement sa montre, comme je le fais maintenant, pour ensuite la poser sur le lutrin. L’ami s’est tourné de nouveau vers mon grand-père et lui a demandé : « Qu’est-ce que cela veut dire? » Mon grand-père a secoué la tête et lui a dit avec tristesse : « Rien du tout. » Quand mes deux heures seront écoulées, Votre Honneur, j’espère que vous me donnerez le signal.

J’ai examiné certains éléments du projet de loi sur les paris sur une seule épreuve sportive, et j’aimerais parler d’un troisième aspect, puis établir une analogie, pour ensuite raconter une histoire personnelle.

Le troisième élément — et je dois mentionner que c’est le sénateur White qui m’a parlé de cette question, et que j’ai trouvé qu’elle méritait d’être prise en considération sérieusement — ne porte pas tellement sur les lois contre le trucage des matchs, mais sur ce qui pourrait constituer le talon d’Achille de la question des paris sportifs. Je pense ici non pas à ses effets sur les ligues sportives majeures, mais à la vulnérabilité des niveaux inférieurs des sports, où les joueurs, les entraîneurs et les arbitres sont beaucoup moins bien payés, ce qui pourrait les rendre plus enclins à la tentation d’accepter de l’argent pour truquer un match ou pour refuser quelques points dans un certain sport. Un régime légal de paris sportifs n’augmente pas ce risque. Le risque existe s’il est déjà présent.

Les États-Unis nous donnent un autre exemple d’un cadre réglementaire efficace. Un certain nombre d’étudiants-chercheurs travaillent avec moi cet été. Il s’agit surtout d’étudiants en droit. Ils font de l’excellent travail. Deux d’entre eux, Meghan Johnson et Rhett Kehoe, ont examiné la situation des États-Unis, où les paris sportifs sont légaux depuis 2018.

Voici ce qu’ils ont appris. À ce jour, 23 États ont légalisé et réglementé les paris sportifs. Une confortable majorité d’entre eux ont exclu certains sports où les risques sont élevés — c’est-à-dire qu’ils ont rendus illégaux les paris sur ceux-ci. Pensons aux paris sur les sports collégiaux ou le baseball mineur. Cela n’empêchera pas les gens sans scrupule d’agir peu scrupuleusement en dehors du régime légal. Les lois rendent rarement les mauvaises personnes bonnes. Cependant, le régime légal peut être structuré de façon à ne pas encourager les mauvais comportements. Si nous précisons clairement que ces types de comportements sont illégaux, cela pourrait faciliter les poursuites criminelles et améliorer leurs chances de réussite.

Je pense que la mise en place d’un régime réglementaire au Canada pourrait vraiment être utile.

Je veux maintenant présenter une analogie. Je vais vous parler d’un ami de longue date, avec qui j’ai grandi à Moose Jaw. Il se nomme Dave. Nous sommes amis depuis 50 ans. Nous sommes allés à l’université en même temps. Nous n’avions pas beaucoup d’argent, alors nous avons obtenu des prêts étudiants. Nous trouvions des emplois d’été et des emplois à temps partiel pendant l’année. Il a travaillé fort, et il a bien réussi.

Il y a de nombreuses années, il s’est hissé jusqu’au poste de PDG d’une société sidérurgique. Il n’occupe plus ce poste, mais il est maintenant président du conseil d’administration de l’une des plus grandes sociétés sidérurgiques en Amérique du Nord. Lors de sa nomination, pour lui montrer ma loyauté, j’ai acheté quelques actions dans la société.

Ce que j’ai tout de suite appris, c’est que le prix des actions de la société est étonnamment fluctuant. Le jour de l’annonce de sa nomination à la présidence du conseil d’administration, le cours de l’action a chuté de 10 %. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi les actions d’une si grande entreprise, qui était, comme je l’ai dit, l’une des plus grandes entreprises sidérurgiques d’Amérique du Nord, étaient si instables. Dave m’a expliqué que sa société était une société commerciale plutôt qu’une société d’investissement. Ce sont quelque 20 à 30 millions d’actions qui sont négociées chaque jour, d’où l’instabilité. Les gens échangent constamment leurs actions, et ils n’investissent pas tant dans l’entreprise sidérurgique que dans ces échanges d’actions. Cela m’a fait penser aux spéculateurs sur séance qui œuvrent dans le marché boursier.

Les spéculateurs sur séance, ce sont les milliers de Canadiens — mes connaissances en la matière sont limitées, vous devrez donc me pardonner si vous avez l’impression d’entendre un écolier en quatrième année; c’est à peu près tout ce que je sais — qui achètent et vendent des actions sur le marché boursier au cours d’une seule journée ou en quelques heures au cours d’une journée. Ils le font en se basant sur leur conviction que l’action va augmenter ou baisser ce jour-là ou dans l’heure qui suit.

Ils parient sur la fluctuation du prix de l’action, par exemple, en achetant lorsqu’elle est à 10 $ à l’ouverture des marchés et en vendant lorsqu’elle arrive à 11 $ une heure plus tard. Ils parient sur la montée ou la chute de l’action. S’ils pensent que l’action va descendre, ils sont vendeurs à 10 $ en début de journée et ils rachètent une heure plus tard lorsque l’action chute à 9 $. Ils font de la vente à découvert et ils doivent racheter les actions à prix plus élevé pour couvrir le coût de la vente. Ils parient contre le titre.

Tout cela se fait surtout en ligne. Le spéculateur sur séance est lié à une entité commerciale, souvent une banque, auprès de laquelle il achète et vend des actions. Cette entité, disons la plateforme de la Banque Scotia, passe les commandes d’achat et de vente pour le spéculateur dans le marché boursier, effectue les transactions pour lui et exige des frais ou une commission minimes en retour. Ces transactions sont légèrement imposables.

J’ai fait part de cette analogie au sénateur Marwah et il ne voulait pas j’utilise la prochaine expression, mais pour tenter d’illustrer mon propos, je vais quand même l’utiliser. Les gens effectuent alors essentiellement des millions de « paris » par jour. La Banque Scotia n’emploie pas ce mot, mais sa plateforme en ligne est son « preneur aux livres », un preneur aux livres très honorable qui a des principes, mais un preneur aux livres quand même. Le cadre des paris est soigneusement réglementé par l’organe de la banque responsable des transactions, les bourses et les organismes gouvernementaux.

La spéculation sur séance n’ajoute pas de valeur à l’économie comme le fait l’investissement dans une entreprise, mais nous l’acceptons sans problème. Les gens effectuent leurs paris. Parfois, ils gagnent; parfois, ils perdent. L’exaltation de la victoire s’accompagne de temps à autre de l’agonie de la défaite.

Je poursuis un instant cette analogie.

Parfois, il y a manipulation des cours et des gens se font exploiter. Par exemple, un spéculateur apprend — alors que personne d’autre n’est au courant — que le PDG d’une entreprise a eu une crise cardiaque hier soir. Un tel événement fait habituellement baisser le cours d’une action. Le spéculateur vend ses actions avant que la nouvelle se répande pour éviter les pertes. Hélas, une personne qui n’était pas au courant a donc acheté les actions à un prix trop élevé.

Ou pire, une fraude importante est en cours. Une société aurifère canadienne annonce qu’elle a trouvé un grand gisement d’or dans le cadre de travaux de prospection minière en Indonésie. Des gens achètent frénétiquement des actions de la société. Le prix des actions monte en flèche. La découverte d’un gisement d’or est un véritable canular. Les fraudeurs ont saupoudré la mine de particules d’or pour faire croire qu’un grand gisement d’or avait été découvert. Lorsque la vérité éclate, le prix des actions chute à zéro. C’est une histoire vraie; les gens qui ont parié sur la société se sont fait avoir. De nombreuses personnes, surtout dans l’Ouest canadien, ont perdu des milliards de dollars.

La même chose est arrivée à mon grand-père, qui était plombier, joueur de hockey et croyant, à sa retraite. Contrairement, peut-être, à certains autres plombiers, il n’avait pas des milliards de dollars à parier, mais il a parié sur une société fictive et a perdu sa chemise ou, du moins, une partie de sa chemise.

Quelqu’un avait truqué le système d’achat et de vente d’actions de certaines sociétés et quelqu’un a perdu — injustement — de l’argent. Quelqu’un a pipé les dés, pour ainsi dire. Une option qui permettrait de protéger les gens contre de telles situations consisterait à rendre le commerce des actions illégal. Nous ne le faisons pas. Ce serait ridicule.

Ce que nous faisons, c’est renforcer la réglementation pour rendre ce commerce équitable. Nous optons pour la transparence. Nous établissons des règles concernant la divulgation rapide d’informations importantes. On informe le public que le PDG d’une entreprise a eu une crise cardiaque hier soir, alors il vaut peut-être mieux ne pas acheter d’actions de cette dernière aujourd’hui. Pour replacer cela dans un contexte de manifestation sportive, le quart-arrière des Roughriders de la Saskatchewan est tombé dans la douche hier soir, il s’est brisé le bras et il ne pourra pas participer au Banjo Bowl en fin de semaine, alors il est peut-être mieux de ne pas parier sur cette équipe.

(1910)

Certains diront qu’on ne devrait pas parier sur cette équipe de toute façon.

Nous avons établi des exigences de divulgation pour les initiés afin d’empêcher certaines formes d’activités boursières sur la base d’informations privilégiées. Nous avons mis en place des mécanismes de surveillance pour permettre aux organismes publics de surveiller les marchés boursiers pour repérer les tendances inhabituelles dans les opérations et pour enquêter sur celles-ci afin de détecter les actes répréhensibles, d’enquêter sur ceux-ci et, au besoin, d’intenter des poursuites.

Tout cela a été fait dans le cadre juridique actuel du Canada, où le Code criminel fonctionne efficacement dans les cas d’inconduite criminelle et où les autorités de réglementation, qui relèvent presque toutes des provinces, font un excellent travail pour réglementer les marchés financiers. C’est ce que faisait de façon exemplaire notre collègue le sénateur Wetston dans son ancienne carrière.

Nous légalisons et nous réglementons. J’espère que vous voyez l’analogie avec les paris sportifs.

Ce serait une erreur, selon moi, d’abandonner le marché des paris sportifs ou d’en faire abstraction, surtout parce qu’il prospérera alors dans la clandestinité et de façon problématique. Il est vraiment préférable de décriminaliser ce marché et de le réglementer d’une manière qui nous permet de mieux encadrer les vulnérabilités qu’il crée déjà.

J’appuie le projet de loi parce que la voie proposée est la bonne, selon moi. Cela dit, j’ai aussi une autre motivation, qui se rattache aux possibilités de réussite des Autochtones. C’est ce qui m’amène à une histoire personnelle dont je n’ai encore jamais parlé en public.

Comme je l’ai déjà dit, j’ai été sous-procureur général de la Saskatchewan pendant cinq ans au milieu des années 1990. À l’époque, les gouvernements et d’autres intervenants commençaient à réfléchir aux jeux et aux casinos puisque, comme l’a mentionné le sénateur Wells, leur réglementation avait été confiée aux provinces lorsque le Code criminel a été modifié en 1985. Grâce à ces modifications, les provinces étaient autorisées à « mettre sur pied et exploiter » des jeux.

Alors que la Saskatchewan réfléchissait, sans se presser et à contrecœur, aux jeux et aux casinos, une Première Nation du Sud-Est de la province a pris les devants et a ouvert son propre casino. Ce geste était, disons, « incompatible » avec ce que disait le Code criminel. Le casino a été ouvert pendant un certain temps, puis la GRC est arrivée, l’a fermé et a placé sous l’autorité de la justice tout le matériel de jeu et l’argent qui se trouvaient dans le casino. Il y a eu une poursuite pénale. La Première Nation et ses dirigeants n’étaient pas contents. On pourrait parler longuement du côté juridique de l’affaire, qui comprend notamment un exemple de grande sagesse de la part de la Cour d’appel de la Saskatchewan, mais j’aimerais parler d’un volet personnel de cette histoire qui a un lien avec le projet de loi à l’étude, je crois.

Deux jours après que la GRC soit intervenue — je ne crois pas me tromper en disant qu’il s’agissait d’une descente, même si elle avait été exécutée avec le plus grand soin possible —, j’ai reçu un appel du commissaire adjoint de la GRC. Le titulaire de ces fonctions est le plus haut gradé au sein de la GRC dans chacune des provinces, en l’occurrence c’était Larry Proke, que certains d’entre vous connaissent. Il a eu une carrière exceptionnelle en tant que dirigeant dans les forces policières. Il m’avait informé que la GRC avait reçu des menaces crédibles qui mettaient en danger la vie de trois personnes dans la foulée de la fermeture du casino. J’étais l’une d’entre elles. M. Proke voulait poster une équipe devant mon domicile la nuit jusqu’à ce que la menace ait fait l’objet d’une enquête approfondie et soit écartée.

Quand l’agent de la GRC le plus haut gradé de la province vous appelle pour une telle menace, vous collaborez. Ma maison était surveillée la nuit, et j’allais reconduire mes enfants à l’école chaque matin jusqu’à ce que nous soyons hors de danger.

Je n’ai pas envie de m’étendre sur les émotions que j’ai ressenties durant cette épreuve, sauf pour dire que c’était un mélange de confusion, de colère et de peur. Cependant, pour moi personnellement, la suite est plus importante et elle est directement liée au sujet de notre débat d’aujourd’hui.

Petit à petit, j’ai commencé à me demander ce qui avait pu motiver des gens — des gens bien, honnêtes — à proférer ce genre de menaces. En fait, je pensais savoir qui était derrière les menaces. Petit à petit, j’ai commencé à comprendre. Je ne suis pas l’homme le plus perspicace du monde — ma famille le confirmerait — mais j’ai fini par comprendre, et, ce soir, je veux vous aider à comprendre vous aussi.

Imaginez que vous occupez un poste de dirigeant dans une communauté autochtone. Celle-ci se trouve sur un petit timbre-poste. L’histoire de votre communauté, c’est celle d’un peuple qui a été plus ou moins contraint de s’installer sur cette terre il y a un siècle. La terre n’est pas très fertile. Il n’y a pas d’économie à proprement parler. Il y a peu d’emplois. Vous estimez qu’Ottawa ne fournit pas assez d’argent pour les services de base, la santé, les services sociaux et l’éducation dont la communauté a désespérément besoin. Les jeunes partent et s’installent dans les villes, où ils sont marginalisés, se sentent marginalisés, sont méprisés, ont de mauvaises fréquentations et s’enlisent dans un cercle vicieux. Trop de vies finissent par mal tourner.

Vous êtes porté à maudire les ténèbres, mais cela ne changera pas grand-chose. Vous voulez faire une différence. Vous avez alors une idée. Vous avez vu comment les casinos autochtones près de Phoenix, Tuscaloosa ou Albuquerque ont apporté la prospérité aux bandes autochtones des États-Unis. La même chose pourrait peut-être arriver à votre nation à plus petite échelle.

Vos collègues et vous décidez de réunir toutes les ressources de la bande que vous pouvez trouver. Pour ce genre de projet, vous ne pouvez pas simplement demander un prêt hypothécaire à la Banque de Nouvelle-Écosse. Vous achetez des machines à sous et des tables de jeu d’occasion, et vous demandez à des spécialistes du domaine des jeux de hasard de vous aider à vous organiser. Vous engagez et vous formez des jeunes de votre communauté, et vous ouvrez un casino. À votre étonnement, des gens viennent. Ils jouent. Dans la plupart des cas, ils perdent un peu d’argent, mais c’est comme cela que les casinos fonctionnent. L’argent commence à s’accumuler, et vous pouvez ainsi payer les salaires de vos jeunes employés et réinvestir de l’argent dans votre communauté.

Au lieu de maudire les ténèbres, vous avez allumé une chandelle. Cependant, juste au moment où l’espoir et la prospérité arrivent dans la communauté, le gouvernement se pointe et vous oblige à tout arrêter. Qui ne serait pas fâché dans une telle situation?

Il a fallu que j’aille au-delà de mes propres expériences et de mes fonctions de juriste haut placé au gouvernement pour voir ce genre de situation. Je n’ai pas tout vu d’un seul coup.

Heureusement, l’histoire s’est bien terminée. À la suite d’une sage décision de la Cour d’appel de la Saskatchewan dans l’affaire criminelle, nous avons renoncé aux poursuites pénales et nous nous sommes assis à la table de négociation. Je ne suis pas tellement en faveur du jeu, mais mes réflexions m’avaient amené à comprendre à la fois le besoin et l’intérêt pour les Premières Nations de prendre part à l’économie du jeu. Je suis devenu un tenant du jeu.

Nous avons conclu un accord-cadre que j’ai défendu. Sur la question délicate des compétences — je pense ici aux préoccupations légitimes de la sénatrice McCallum —, nous avons convenu de ne pas être du même avis. J’ai proposé que, dans l’accord-cadre, la Fédération des nations autochtones souveraines rédigerait un « considérant » affirmant que le jeu est un droit inhérent. J’ai rédigé un « considérant » affirmant que l’autorité de la province de mettre sur pied et d’exploiter une loterie était conforme au Code criminel. Nous nous sommes ensuite employés à créer un cadre professionnel faisant consensus pour le jeu dans la province.

Pour ce qui est des revenus, il a été entendu que les Premières Nations en obtiendraient la moitié et la province, l’autre moitié. Par souci d’équité, les profits feraient l’objet d’une péréquation. En vertu de la loi provinciale, la Saskatchewan Indian Gaming Authority, un organisme à but non lucratif dont le sénateur Wells a parlé, a été fondée. Il était prévu qu’elle dirigerait les casinos conformément au cadre dont on avait mutuellement convenu.

Les profits de la Saskatchewan Indian Gaming Authority seraient partagés entre les 74 Premières Nations de la province. Qu’il s’agisse de la nation Dakota de Whitecap, où se trouvait le casino de Saskatoon — un établissement très rentable, où ma sœur perd régulièrement de l’argent —, de la nation des Cris de Cumberland House ou de la nation de Cote, située loin du marché des casinos, cet arrangement a permis de créer des milliers de bons emplois pour les Autochtones de la Saskatchewan, en plus de débouchés pour les entreprises autochtones et des dizaines de millions de dollars qui affluent vers ces 74 Premières Nations, qui peuvent alors embaucher du personnel supplémentaire, comme des enseignants, des infirmières, des travailleurs sociaux et des aide-enseignants, selon les besoins de chaque nation.

Cela n’a pas résolu les nombreux problèmes auxquels les communautés des Premières Nations sont confrontées, mais c’était un pas sur la voie de la réconciliation, avant même que ce mot ne devienne en vogue.

Revenons maintenant au temps présent. Le projet de loi que nous étudions permettra aux Premières Nations, grâce à leurs réseaux de jeux, de participer de modeste façon à un marché légal et réglementé de paris sportifs. En Saskatchewan, il générera une cinquantaine de bons emplois. Il générera de 10 à 20 millions de dollars supplémentaires par an qui iront dans les poches des Premières Nations de la Saskatchewan de la manière que j’ai expliqué. Il a l’appui de la Saskatchewan Indian Gaming Authority, l’autorité en matière de jeux, et de 74 Premières Nations de la Saskatchewan. Il ne résoudra pas les problèmes auxquels sont confrontées les Premières Nations, mais il aidera un peu.

(1920)

On peut voir un lien avec les discussions que nous avons eues ces derniers jours sur le projet de loi C-15 en ce qui concerne la réconciliation avec les peuples autochtones. La réconciliation ne sera pas toujours facile, et elle ne se fera pas du jour au lendemain. Elle arrivera sous la forme d’un millier d’accommodements, dont beaucoup seront modestes. Celui-ci en est peut-être un. Mais ces mille accommodements pris ensemble, dont celui-ci fait partie, tisseront l’étoffe de la réconciliation avec les peuples autochtones.

Même si j’avais des réserves sur le bien-fondé de ce projet de loi, ce qui n’est pas le cas, il me serait difficile — et j’espère qu’il en serait de même pour vous — de m’y opposer et d’empêcher les fils de la réconciliation de se nouer. J’espère que vous appuierez ce projet de loi.

Permettez-moi de terminer en disant ceci : si ce projet de loi devient loi, j’ai bien l’intention, lors du prochain Banjo Bowl, de m’essayer pour la première fois aux paris sportifs et de placer un pari de 20 $ sur mes bien-aimés Roughriders de la Saskatchewan, même si le quart-arrière se casse le bras la veille du match, même si certains d’entre vous pensent qu’un tel pari est peu judicieux. Peut-être le sénateur Plett pariera-t-il sur les Blue Bombers et nous comparerons nos notes après le match.

Merci, hiy hiy.

L’honorable Mary Jane McCallum : Accepteriez-vous de répondre à une question, sénateur Cotter?

Le sénateur Cotter : Oui, bien sûr.

La sénatrice McCallum : Sénateur Cotter, vous avez dit de faire confiance aux provinces. En tant que représentante des Premières Nations qui travaille avec les peuples autochtones de partout au pays, je peux vous dire qu’il y a un problème : les relations entre les provinces et les Autochtones ne sont pas bonnes. Je pense notamment au projet de loi C-92. Nous avons eu des conversations avec des gens de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba qui ne peuvent pas lancer les négociations parce que la province ne veut pas participer. C’est un point qu’il faut régler parce que nous avons adopté le projet de loi.

Que se passe-t-il si la province ne veut pas négocier? Ces milliers de fils d’entente ne se sont pas concrétisés, et nous les attendons toujours. Il est impossible de légaliser ou de réglementer des domaines s’ils relèvent des provinces. Comment croyez-vous que nous devrions procéder, si nous continuons d’adopter des lois qui placent les peuples autochtones dans un vide entre les différentes compétences? C’est une question que nous n’avons pas réglée au Sénat, et nous continuons d’adopter des lois qui poussent les gens dans ce vide. Pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez?

Le sénateur Cotter : Il est plus facile pour moi de parler de la Saskatchewan. À mon avis, le modèle que j’ai décrit est un partenariat constructif parmi les Premières Nations et entre les Premières Nations et la province. Je dois dire que ce modèle a été adapté et adopté par d’autres régions du pays.

Si l’on pense aux Premières Nations qui n’auraient pas de partenariat avec la province, le projet de loi n’aura aucun effet pour elles. Il ne compromet pas leur capacité de continuer leurs activités. Ce sont là des choix qu’elles pourront continuer à faire. Je comprends votre raisonnement et je ne suis pas insensible à l’argument sur les compétences. Je pense que nous avons peaufiné l’approche en Saskatchewan. Il me semble que le Code criminel n’est pas le bon endroit pour bâtir notre cadre des compétences qui va bien au-delà, comme il le devrait, de la question du jeu et, en particulier, des paris sur une seule épreuve sportive.

L’honorable Vernon White : L’honorable sénateur accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Cotter : Oui, certainement.

Le sénateur White : J’aimerais d’abord remercier les étudiants que vous avez chargés de faire de la recherche, car j’estime pertinent d’examiner les 19 États américains qui fonctionnent comme le Canada en ce sens qu’ils ont une seule loi qui gère les partis sportifs.

J’ai notamment trouvé intéressantes leurs observations sur l’interdiction de parier, par exemple, sur les sports universitaires. La question suivante a été soulevée en 2013 et demeure toujours pertinente : qui inclura-t-on dans ce régime de paris sportifs? Aucun amendement n’a été proposé ni observation formulée concernant l’interdiction, par exemple, de parier sur un match de hockey de calibre Junior C. Pourquoi n’a-t-on pas examiné la possibilité d’exiger le consentement de l’entité sportive avant de l’inscrire dans le régime ou d’exclure un certain groupe d’âge?

Le sénateur Cotter : Merci, sénateur White. Je pense que vos questions sont bonnes, mais elles devraient s’adresser aux autorités de réglementation provinciales parce que les États américains, comme le Kansas ou l’Oklahoma, fonctionnent plutôt comme des provinces. J’ai cru comprendre que les provinces ont élaboré un cadre de réglementation des paris sportifs et qu’il est prêt à être mis en œuvre. Rien ne sera fonctionnel tant qu’il ne sera pas mis en place. Chaque province fera ses propres choix.

J’ai fait allusion à Tommy Douglas dans mon intervention, sans citer son nom, notamment parce que j’estime qu’il est inapproprié de croire que les autorités de réglementation provinciales ne feront pas un bon travail dans ce dossier. Outre le fait que les provinces sont capables de bien faire ce travail — et elles font bien ce type de travail de réglementation dans de nombreux domaines de notre vie —, elles ont grand intérêt à maintenir l’intégrité du régime de paris et à assurer son succès parce que son échec éroderait toute l’entreprise. Je n’aime pas vraiment dire qu’elles ont des intérêts personnels en jeu. Disons donc qu’elles tiennent énormément à assurer l’intégrité du régime, et je crois qu’elles feront le type de choix que vous et moi espérons pour protéger les sports les plus vulnérables.

Le sénateur White : Si je peux me permettre, sénateur Cotter, je le comprends, mais que ce soit l’Oklahoma, le New Jersey ou l’État de New York, ils ont tous eus à produire des lois, comme nous le faisons présentement. Ce n’est pas le gouvernement fédéral qui l’a fait à leur place. C’est exactement la même situation au Canada. Ils ont pris des décisions au moyen du processus législatif, pas toujours du processus administratif, pour exclure la troisième division de football de la NCAA, par exemple. Ne devrions-nous pas inclure cet amendement ici, plutôt que de renvoyer la balle aux provinces, qui prendront peut-être la mauvaise décision? Je ne dis pas que ce sera nécessairement le cas, mais je ne dis pas qu’elles prendront assurément la bonne décision non plus.

Le sénateur Cotter : Je crois que c’est à elles de décider. Il y a eu ce que j’appellerais une entente massive conclue en 1985 pour la refonte de l’industrie des paris, des jeux et des loteries. Toutes les compétences sont transférées aux provinces en matière de mise sur pied et d’exploitation des jeux. On incite ensuite les provinces à mettre en place un régime réglementaire et on s’attend à ce qu’elles le fassent. Qu’elles choisissent la voie législative ou réglementaire pour le faire a peu d’importance, à mon avis. Vous pouvez préférer l’encadrement législatif de la Saskatchewan ou celui de la Colombie-Britannique, mais le résultat est le même.

En tout respect, je n’ai entendu personne dire que l’encadrement réglementaire qui existe présentement dans ces autres provinces ne fonctionne pas parce qu’il a été établi au moyen d’un processus réglementaire.

L’honorable Lucie Moncion : Sénateur Cotter, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Cotter : Oui, certainement.

La sénatrice Moncion : Merci, sénateur. J’ai beaucoup aimé votre discours. Lorsque vous en donnez un, il est toujours bien documenté et bien présenté.

Ma question demeure la même. Peu importe la réglementation qui est mise en place, le problème du jeu compulsif m’inquiète énormément. Vous n’en avez pas parlé dans votre discours. J’aimerais connaître votre opinion sur le sujet.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Le risque que quelqu’un devienne un joueur compulsif est présent dans toutes les catégories de jeux et de paris. Franchement, c’est la seule réserve que j’ai à ce sujet. Je n’ai aucune réserve sur la possibilité qu’une personne décide de risquer son argent et de le perdre, mais plutôt qu'elle se laisse trop emporter.

Cela se produit actuellement. J’ai oublié les chiffres exacts, mais le fait est qu’on pense que les Canadiens parient 13,5 milliards de dollars par année sur une seule épreuve sportive. Une partie de ces paris sont placés par des gens qui sont malheureusement devenus des joueurs compulsifs. Ils se sont trop laissés prendre au jeu. Ils ont une série de vulnérabilités et c’est ce qui m’inquiète.

(1930)

L’un des problèmes, c’est que nous ignorons qui ils sont, car tous les paris se déroulent dans un monde obscur ou semi-obscur. Le projet de loi pourrait augmenter la quantité de paris qui se font — modérément, je pense —, mais il sortira de l’ombre une grande partie de ce monde et il permettra aux régimes du jeu responsable qui existent actuellement de s’engager auprès des personnes à risque. Je crois savoir que la stratégie consiste à essayer de prévenir le phénomène ou du moins, à le reconnaître et à le traiter, si je puis dire. Les organisations de jeu responsable comme celle à laquelle le sénateur Wells a fait référence ont effectué non seulement d’excellentes recherches, mais aussi des recherches de haut niveau pour savoir comment procéder, y compris quelles agences de jeu responsables consulter et avec lesquelles s’associer.

Vous savez, le marché illégal n’est pas particulièrement responsable. Ceux qui y font des affaires n’ont pas vraiment intérêt à s’occuper des joueurs vulnérables et dépendants potentiels. Ils n’ont pas leur propre programme de jeu responsable. En ce moment, dans le cadre juridique du jeu, les établissements de jeux et les organismes de réglementation investissent 125 millions de dollars par an dans le jeu responsable. Les statistiques suggèrent que le niveau de dépendance au jeu est en baisse. Ce n’est pas encore une réponse complète, mais il y aura plus d’investissements à la suite de la mise au jour du monde du jeu et des profits générés qui pourront être utilisés par les autorités qui régissent le jeu. D’après ce que j’ai compris des témoignages que nous avons entendus, ces autorités sont déterminées à le faire.

Il ne s’agit donc pas d’une réponse parfaite, mais, à mon avis, la lutte contre la dépendance au jeu sera plus efficace grâce à un cadre juridique et réglementaire.

La sénatrice Moncion : Vous avez parlé de sortir cette activité de l’ombre, et je pense que c’est un point de vue que je n’avais pas entendu de la part des témoins. Merci de ces observations, sénateur.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Le sénateur Cotter accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Cotter : Oui.

La sénatrice Dupuis : Sénateur Cotter, j’aimerais revenir à ce que vous avez exposé de l’entente qui a été conclue avec la Fédération des nations autochtones souveraines (FSIN). J’aimerais savoir si cette entente est postérieure ou antérieure à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Pamajewon, qui a été rendue en 1996.

Vous vous rappellerez que, dans cette cause, la question du droit ancestral de tenir des maisons de jeu pour une Première Nation avait été entendue par la Cour suprême. Je sais que le procureur général de la Saskatchewan — vous avez parlé du moment où vous travailliez au bureau du procureur général, au milieu des années 1990 — était l’un des intervenants, avec d’autres procureurs généraux provinciaux. Cette entente a-t-elle suivi ou précédé la décision de la Cour suprême?

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Comme c’est souvent le cas en Saskatchewan, nous sommes souvent des pionniers et des visionnaires dans ce genre de dossiers. Cette entente a été conclue avant le litige mentionné par la sénatrice Dupuis, et je pense avoir dit qu’il s’agissait d’une solution pratique qui permettait d’éviter qu’un différend en matière de compétence nous prive d’une occasion à saisir pour la province, mais aussi pour les Premières Nations.

[Français]

La sénatrice Dupuis : Si je comprends bien, à cette époque-là, la démarche de la Saskatchewan était d’autoriser, en vertu du droit ancestral ou des droits issus de traités, les Premières Nations à gérer les maisons de jeu, ce qui laissait la question entièrement en suspens. Rien n’empêche qu’un tribunal en vienne un jour à la conclusion que ce droit existe, si la preuve en est faite, et qu’il écarterait le projet de loi que nous étudions en ce moment.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je pense que c’est exact. Le projet de loi ne contient aucune précision à cet égard. En ce qui concerne plus précisément la Saskatchewan, des accusations ont été portées lors de la descente dans le casino dont j’ai parlé. Tout le monde a été condamné. Des Premières Nations étaient impliquées, y compris des Américains qui contribuaient à la gestion du casino. Un certain nombre de ces condamnations ont été maintenues par la Cour d’appel, mais les Premières Nations et la communauté ont soutenu que le jeu faisait partie de leurs droits issus de traités. La Cour d’appel a jugé que la preuve était insuffisante, et elle a ordonné la tenue d’un nouveau procès. À ce moment-là, après des encouragements de ma part, le gouvernement et les procureurs ont décidé de ne pas porter des accusations, et ils ont plutôt choisi de négocier le cadre dont j’ai parlé.

C’est donc dire que la question des droits issus de traités n’a pas été tranchée par les tribunaux. Elle a en quelque sorte été mise de côté afin que nous puissions mettre en œuvre une entente qui puisse répondre aux attentes de tout le monde.

L’honorable Paula Simons : Sénateur Cotter, accepteriez-vous de répondre à une autre question?

Le sénateur Cotter : Oui, certainement.

La sénatrice Simons : Hier et dans votre discours à l’étape de la deuxième lecture, vous nous avez donné des exemples simplistes de gens ordinaires qui prennent de petits paris sur des matchs sportifs. Si c’est ce dont nous parlons, je n’aurais aucune inquiétude à propos du projet de loi. Ce qui m’inquiète beaucoup, c’est que je crois que le projet de loi prépare le terrain à une grande quantité de paris sportifs en plein milieu des matchs, où une entreprise comme Rogers, par exemple, propose de lancer une plateforme. Imaginez que l’on puisse parier non seulement sur l’issue d’un match, mais aussi sur l’issue de chaque jeu, et que l’on peut parier en temps réel extrêmement rapidement sur des plateformes numériques. Ainsi, il pourrait y avoir des milliers de microparis à chaque match. À mon avis, le risque de dépendance est beaucoup plus grand et il s’apparente davantage à celui lié aux terminaux de loterie vidéo qu’aux paris sportifs conventionnels.

En répondant à la sénatrice Moncion, vous vous êtes montré très optimiste par rapport à la dépendance. Je me demande donc si vous avez réfléchi au fait qu’on ne parle pas de personnes qui prennent des paris amicaux sur les Roughriders ou les Elks, mais plutôt du genre de paris instantanés que l’on prend très rapidement sur des plateformes numériques, où l’argent circule à une vitesse folle et où les gens parient et regardent les résultats sur leur téléphone. Ce serait instantané. Les gens auraient une poussée d’adrénaline instantanée, ce qui fait partie du cycle de la dépendance.

Je me demande si vous avez tenu compte de la façon dont les nouvelles technologies en ligne transforment en arme ce type de paris.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie. J’avais une bonne compréhension de certaines de ces questions de paris dans les années 1990. J’ai siégé au conseil d’administration des sociétés d’encadrement des jeux. Une des choses qui j’y ai apprise, et que le sénateur Black m’a rappelée avec sa question sur les courses de chevaux, c’est qu’il faut du temps pour connaître le résultat d’une course de chevaux. C’est l’un des grands défis de ce type d’événements. Il faut attendre que la course soit terminée. On passe la soirée à la piste de course, mais combien y a-t-il de courses dans une soirée? Il n’y en a pas beaucoup. Dans le cas des jeux, le caractère instantané des résultats suscite l’enthousiasme des participants, mais leur patience s’étiole lorsqu’ils doivent attendre.

Je reconnais donc la légitimité de la prémisse de votre question, madame la sénatrice, mais on pourrait maintenant en dire autant de presque tout, de nos jours. Vous avez donné l’exemple des appareils de loterie vidéo, qui me semblent incroyablement redoutables pour créer la dépendance. Bien franchement, ce sera peut-être aussi le cas. Je vais vous parler de deux personnes que je connais, qui pratiquent la spéculation sur séance.

Son Honneur le Président : Sénateur Cotter, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : La permission n’est pas accordée. Nous reprenons le débat avec le sénateur White.

Le sénateur White : Honorables sénateurs, je prends la parole à propos du projet de loi C-218, qui modifiera les paris sportifs au Canada, afin de permettre aux parieurs de faire des paris sur des événements individuels, ou même sur des parties d’un événement, plutôt que sur des événements multiples, comme la loi du Canada le permet à l’heure actuelle. Il y a plusieurs choses dont je voudrais parler dans ce projet de loi, mais je vais m’arrêter à un point et c’est celui sur les paris sportifs et les inévitables matchs truqués lorsque nous passerons aux paris sur un seul événement.

(1940)

Comme l’indique le projet de loi et comme l’ont dit le parrain, le porte-parole et les autres députés, le fait d’autoriser les paris sur un seul événement nécessitera une modification du Code criminel. En introduisant les paris sur un seul événement au Canada, nous ouvrons la porte aux matchs truqués. C’est comme cela dans tous les autres pays, alors pourquoi en serait-il autrement chez nous? Ce projet de loi entraînera une multiplication des paris sportifs, non seulement sur les matchs dans des sports de premier plan comme le hockey, le football et d’autres au niveau de la LNH et de la NBA notamment, mais aussi dans toutes les ligues et tous les matchs pour lesquels la province donnera son feu vert.

Dans d’autres pays — européens, asiatiques ainsi qu’en Australie — il y a des paris sur des événements uniques dans des ligues de soccer junior, des tournois de badminton, des matchs amicaux de cricket et des événements sportifs électroniques. Il n’y a pas que les événements. On pourrait parier sur le fait qu’un joueur particulier va marquer dans le prochain match, obtenir un penalty ou prendre part à une échauffourée. Tout est possible. Si la province le veut, et que le parieur est prêt à le faire, on peut parier là-dessus. Et si une ligue disait : « Non merci, pas nous. » Eh bien, tant pis, parce que les athlètes, en tant que membres de la ligue, n’ont pas leur mot à dire. Ce n’est pas d’eux qu’on parle, mais de paris. Il se passera ce qui s’est passé au Royaume-Uni et en Australie : les paris toucheront les sports moins réputés.

Le projet de loi ouvrirait les paris sur un événement unique aux fins que la province définira et, comme je l’ai dit, nous savons déjà jusqu’où sont allés les problèmes de dépendance. Les sports amateurs s’ouvriront certainement à ces paris. On ne parle pas de sports. On parle de paris et d’argent.

Qu’en est-il des épreuves arrangées? Dans des pays où les paris sur une seule épreuve sont autorisés par la loi — par exemple en Europe, en Australie et en Asie —, il y a eu de nombreux cas graves d’épreuves arrangées au cricket et au soccer, pour ne nommer que ces sports.

Declan Hill, un journaliste et auteur canadien, a écrit une thèse de doctorat et un livre, intitulé The Fix , sur les problèmes des épreuves arrangées et les risques éventuels pour le Canada. Je dois préciser que M. Hill est l’une des plus grandes sommités mondiales sur les épreuves arrangées. Il est invité à faire des présentations lors de conférences et dans les universités partout dans le monde pour éduquer la population sur cette activité problématique. En décembre, il a publié un article dans le Globe and Mail pour dire que si le Canada autorisait la tenue de paris sur une seule épreuve, il devra rendre illégales les épreuves arrangées. Elles ne le sont pas à l’heure actuelle.

Declan Hill n’a pas comparu devant le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, même si son nom avait été proposé. Il n’a pas été invité à comparaître devant la Chambre pour la même raison. Il aurait pu transmettre sa sagesse au comité pour l’aider à prendre des décisions éclairées. Il affirme catégoriquement que les épreuves arrangées sont la plus grande menace qui pèse sur l’intégrité du sport au Canada. Comme il le souligne, dans la réalité, le problème, ce ne sont pas les parties importantes où l’on s’attend à ce que l’équipe 1 subisse la défaite contre l’équipe 2, qui est meilleure, mais où l’équipe 1 remporterait la partie. Selon lui, l’issue des parties arrangées demeure la même, mais c’est l’écart des points qui diffère. Par exemple, l’équipe la plus faible perdra par deux buts au lieu de quatre. Le public qui s’attendait à une défaite n’est pas déçu. Les preneurs de paris qui prévoyaient une défaite ne sont pas surpris. Cependant, la défaite s’inscrit en dehors de l’écart de points prévu et le fait que la partie a été truquée entraîne des gains ou des pertes de millions de dollars. M. Hill souligne également que cela risque davantage de se produire dans les ligues mineures, où il y a moins de publicité et moins de surveillance, que dans les ligues majeures.

Paul Melia, président et chef de la direction du Centre canadien pour l’éthique dans le sport, affirme que la légalisation de la prise de paris clandestins :

[…] comporte aussi des risques associés à la sécurité de nos athlètes et à l’intégrité du sport au Canada, du fait de la menace que représente la manipulation des matchs.

Il poursuit en disant :

La manipulation des matchs est liée au crime organisé. Elle profite des athlètes vulnérables, des officiels, des entraîneurs et d’autres membres du personnel de soutien pour déterminer l’issue d’une épreuve sportive [...]

M. Melia a dit que, selon une analyse confidentielle réalisée, les sports jugés à haut risque comprennent :

[...] le badminton, les sports de combat, le cricket, les sports électroniques, la Ligue canadienne de football, certaines ligues de la Ligue canadienne de hockey, la Ligue de hockey de l’Ontario, la Ligue de hockey de l’Ouest, le soccer et le tennis.

Il a ajouté : « Une fois le projet de loi adopté, le risque pour ces sports pourrait augmenter encore. » Selon M. Melia, la manipulation ne vise pas nécessairement le résultat final d’un match arrangé, mais plutôt des anomalies à savoir si, par exemple, au tennis, tel joueur commettra une double faute dans le deuxième jeu de la deuxième manche.

En 2019, lors d’un symposium sur le jeu et la manipulation des matchs sportifs tenu à Toronto, Richard McLaren, auteur d’un rapport publié en 2016 sur le dopage parrainé par l’État en Russie, et David Howman, ancien directeur général de l’Agence mondiale antidopage, ont brossé un tableau alarmant des matchs truqués. M. McLaren, professeur de droit canadien et PDG de McLaren Global Sport Solutions, a dit que le dopage et les matchs truqués sont deux des principaux problèmes portant atteinte à l’intégrité dans le domaine des sports. Pourtant, la manipulation des résultats constitue un plus gros problème. Il a dit :

Ce qui différencie le sport du divertissement est l’imprévisibilité. Arranger les résultats en retire la plus importante caractéristique : l’imprévisibilité. [...] Si le sport perd son caractère imprévisible en raison des résultats arrangés, la passion qu’il suscite s’en trouve diminuée, ce qui pose un problème beaucoup plus important.

Il a affirmé que le problème des épreuves arrangées s’était étendu à un certain nombre de sports au cours des dernières années.

Revenons au Canada. En 2012, CBC a fait un reportage sur les matchs truqués dans la Ligue canadienne de soccer. Le reportage arrivait à la conclusion que jusqu’à 42 % des matchs étaient truqués ou que leur résultat avait été manipulé. Certes, cette conclusion a entaché la réputation de la ligue et des mesures ont été prises par les autorités sportives, mais pas par les tribunaux, les procureurs ou les forces de l’ordre. Pourquoi? Ils soutenaient qu’il était difficile d’agir contre les matchs truqués au Canada, parce que le Code criminel ne contient pas de disposition à ce sujet.

Une des préoccupations qui m’habitent au sujet de ce projet de loi est qu’il semble être plus important de l’adopter que de s’assurer qu’il soit bien conçu. Cela était évident au Comité des banques lorsque la sénatrice Wallin a posé une question à Paul Burns, président et chef de la direction de la Canadian Gaming Association, au sujet des matchs truqués. Dans sa réponse, il a donné des arguments à ceux qui s’opposent à l’amendement que je vais proposer lorsqu’il a dit : « Nous croyons fermement qu’il existe déjà des dispositions dans le Code criminel [...] » Il a ajouté que le Code criminel comprend des dispositions sur la « tricherie », l’article 209, qui prévoient ceci :

Quiconque, avec l’intention de frauder quelqu’un, triche en pratiquant un jeu, ou en tenant des enjeux ou en pariant est coupable […] d’un acte criminel […]

Quand j’ai discuté avec nos avocats, ils m’ont dit clairement que cette disposition fait référence au fait de tricher à un jeu de hasard — comme les cartes ou le bingo — et non de tricher à un sport. Voici toutefois l’élément crucial et fascinant qui me fait dire que les gens qui ne demandent pas d’amendement cherchent simplement à accélérer l’adoption du projet de loi et non à s’assurer qu’il s’agit d’une mesure bien ficelée.

Rick Westhead, correspondant principal à TSN, a mené une enquête sur le scandale de la Ligue canadienne de soccer que j’ai mentionné plus tôt, alors que 42 % des matchs avaient été manipulés. Il a demandé à M. Paul Burns, de la Canadian Gaming Association, ce qu’il pensait du fait qu’aucune accusation n’avait été portée au criminel pour le scandale de la Ligue canadienne de soccer. M. Burns, celui-là même qui a dit au Comité des banques et du commerce qu’il existait des mesures législatives à propos des matchs truqués, avait des idées très différentes pendant son entrevue. Quand on lui a posé une question à propos d’accusations dans le contexte de la Ligue canadienne de soccer, il a dit ceci :

C’est difficile au Canada parce que nous n’avons pas de loi qui porte spécifiquement sur les matchs truqués, comme c’est le cas au Royaume-Uni et en Australie.

Le parrain du projet de loi à l’autre endroit a dit que ce même Paul Burns les avait beaucoup aidés à préparer le projet de loi. Je n’avancerais pas que les gestes de M. Burns vont à l’encontre de ce que la Canadian Gaming Association attend de lui. Cela dit, il n’agit sûrement pas pour le bien du sport, de l’éthique sportive ou des Canadiens, dont nous-mêmes.

Il travaille pour « [...] une association nationale qui représente des exploitants et des fournisseurs importants de l’industrie canadienne du jeu, des paris sportifs, des sports électroniques et des loteries ».

Lorsque les promoteurs du projet de loi affirment que le Code criminel du Canada couvre la question, ce n’est tout simplement pas vrai. Si vous ne me croyez pas ou si vous ne croyez pas le plus grand expert des épreuves arrangées, Declan Hill, ou les enquêteurs de l’affaire touchant la Ligue canadienne de soccer — on parle de dizaines d’accusations criminelles possibles —, vous croirez peut-être le témoin vedette du Comité des banques et du comité de la Chambre, Paul Burns, président et chef de la direction de la Canadian Gaming Association. Il a dit qu’il n’y avait aucune loi contre cette pratique comme celle qu’il y a au Royaume-Uni.

En effet, au Royaume-Uni, le gouvernement était d’avis que sa loi était insuffisante pour combattre les épreuves arrangées. Il a donc adopté la Gambling Act qui inclut une nouvelle infraction sur la tricherie. Le texte de loi a été rédigé de façon à cibler les différentes infractions liées aux épreuves arrangées et à fournir un effet dissuasif suffisant. Tous les États australiens ont adopté une loi semblable lorsqu’ils ont approuvé les paris sur une seule épreuve sportive. À mon avis, nous devons faire de même aujourd’hui. En fait, après avoir entendu le parrain parler de la difficulté de trouver les éléments d’une infraction, je dirais même qu’une disposition sur les épreuves arrangées apporterait plus de clarté sur les éléments requis, au lieu de parler de fraude.

Je rappelle que certains font valoir que l’article 209 du Code criminel interdit déjà de « tricher au jeu », ce qui serait suffisant. Des discussions avec l’ancien avocat qui a géré cette mesure législative à la Chambre et au Sénat en 2013 et avec des avocats au Sénat indiquent clairement que cette disposition ne vise pas les sports, mais plutôt le jeu et les paris. À propos des délais, une question qui est soulevée régulièrement, le Sénat tente de bien faire les choses. Pour que ce projet de loi soit satisfaisant, il doit aussi rendre illégales les épreuves arrangées.

En ce qui concerne le moment choisi, je dois dire que des membres du comité ont reçu mon amendement avant leur première rencontre et qu’ils n’ont convoqué aucun témoin sur les épreuves arrangées, y compris Declan Hill, qui vit à Ottawa. Ils auraient pu régler cette question eux-mêmes, au comité, mais ils ont choisi de ne rien faire. Je vous demande d’appuyer un amendement qui corrigera cette erreur. Je vous demande d’appuyer cet amendement. Renvoyons le projet de loi amendé à l’autre endroit.

(1950)

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Vernon White : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-218 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à la page 1 par adjonction, après la ligne 11, de ce qui suit :

« 2.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 207.1, de ce qui suit :

208 (1) Commet une infraction quiconque :

a) soit triche au jeu;

b) soit fait quelque chose en vue de permettre à autrui de tricher au jeu ou de l’aider à commettre un tel acte.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), n’est pas pertinent le fait que la personne qui triche :

a) améliore ou non ses chances de gagner quoi que ce soit;

b) gagne ou non quoi que ce soit.

(3) Pour l’application du paragraphe (1), constitue de la tricherie tout acte ou tentative de supercherie ou d’obstruction concernant :

a) le déroulement d’un jeu;

b) un événement ou un processus réel ou virtuel, notamment un jeu ou une course, auquel le jeu se rapporte.

(4) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable :

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. ».

Son Honneur le Président : Sénateur White, il vous reste trois minutes et demie. Il y a quelques sénateurs qui souhaitent vous poser des questions. Acceptez-vous de répondre à une question?

Le sénateur White : Absolument, Votre Honneur.

L’honorable Denise Batters : Sénateur White, j’ai passé en revue les délibérations du Comité sénatorial des banques qui portaient sur le projet de loi, qui modifie le Code criminel. J’ai noté qu’un seul témoin ayant des notions de droit a été reçu dans le cadre de l’étude de ce projet de loi. Pendant son témoignage, il a été question de l’arrêt Riesberry de la Cour suprême au sujet d’accusations portées aux termes de l’article 209 et d’accusations de fraude concernant une course de chevaux truquée. C’était un cas d’épreuve truquée, mais pouvez-vous expliquer pourquoi les infractions prévues au Code criminel ne sont peut-être pas la solution dans d’autres cas d’épreuves truquées?

Le sénateur White : Merci de la question. C’est intéressant. Dans les cas impliquant un entraîneur, une seringue et un cheval, il est facile de prouver qu’il s’agit d’une fraude grâce à la clarté des éléments de preuve. Comme j’ai travaillé dans la police pendant 32 ans, dont 8 où ma seule responsabilité était les cas de fraude, je dois dire que je n’ai jamais déposé d’accusations de fraude parce qu’elles sont trop difficiles à prouver. En fait, comme mon éminent collègue le sénateur Dalphond l’a mentionné, dans un match de soccer, il est presque impossible de prouver qu’un gardien de but savait que, s’il laissait un écart de points se creuser, une personne ou le public perdrait de l’argent. En fait, s’il avait été approprié de déposer des accusations de fraude dans l’affaire de la Ligue canadienne de soccer quand la police et la GRC ont mené leur enquête, je crois qu’on en aurait au moins déposé une, mais il n’y en a eu aucune. En réalité, il n’y en a jamais eu au Canada, à l’exception du cas de l’entraîneur, de la seringue et du cheval.

La sénatrice Batters : Sénateur White, quels éléments de l’infraction relative au trucage de matchs, pour laquelle certains ont exprimé des préoccupations, sont plus difficiles à prouver? S’agit-il des infractions qui portent expressément sur les matchs ou celles qui portent sur les personnes qui tentent de les truquer?

Le sénateur White : Merci beaucoup de la question. Je pense que le fait de préciser les éléments d’une infraction liée au trucage d’épreuve éliminerait toute ambiguïté quant à la possibilité de porter d’autres accusations. Quand j’ai regardé — on m’a pris le texte de loi, donc je ne l’ai plus. Les éléments sont très clairs concernant le fait que toute personne qui participe au changement ou à la manipulation d’une épreuve peut être reconnue coupable d’une infraction criminelle. C’est beaucoup plus difficile lorsqu’on utilise uniquement la fraude et, en fait, je dirais que c’est impossible aux termes de l’article 209 lorsque la tricherie au jeu concerne un jeu de hasard et non une épreuve sportive. Je pense donc que les précisions que nous apporterait le trucage d’épreuve élimineraient toute ambiguïté et feraient de cette infraction un délit manifeste. De plus, si nous devons assister à une augmentation des paris sur une seule épreuve pour tous les sports et tous les âges, je pense que nous devons également nous assurer de disposer des outils nécessaires pour que les forces de l’ordre puissent faire leur travail.

Son Honneur le Président : D’autres sénateurs souhaitent poser des questions, mais votre temps de parole est écoulé, sénateur White.

L’honorable David M. Wells : Je vous remercie de soulever ce point, sénateur White.

Là encore, je pense qu’il est important de souligner que la Cour suprême du Canada a maintenu que les épreuves arrangées sont spécifiquement couvertes par les dispositions sur la fraude. Je trouve intéressant que le sénateur White ait parlé du Paul Melia, que j’ai cité dans mon discours et qui appuie cette mesure législative dans sa version actuelle. Cependant, j’aimerais apporter quelques précisions.

Honorables collègues, comme je l’ai indiqué dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, le comité a entendu le témoignage d’experts qui ont insisté sur le fait qu’il n’est pas nécessaire d’ajouter une disposition sur les épreuves arrangées dans le Code criminel, et que cela pourrait même s’avérer nuisible.

Le sénateur White a parlé des dangers entourant les épreuves arrangées. J’estime aussi qu’il s’agit d’un élément important. Lors des réunions du comité, nous avons entendu Donald Bourgeois, un expert dans le droit sur le jeu dont j’ai aussi parlé précédemment. Il a parlé de l’affaire Riesberry qui n’aurait pas été présentée devant les tribunaux si la réglementation actuelle avait été différente. Alors, honorables collègues, voilà l’élément crucial. Ce que nous faisons, c’est-à-dire inclure les paris sur une seule épreuve sportive dans le cadre législatif existant, nous permettra de mettre un terme aux épreuves arrangées ou aux tentatives du genre.

L’ajout de règlements et de mesures de protection permettrait de débusquer plus de cas et de porter des accusations en conséquence, ce qui protégerait l’intégrité du sport. En fait, les règlements auraient un effet très dissuasif contrairement à la situation actuelle, où il est possible que des épreuves arrangées aient lieu. Nous ne le savons pas parce que rien dans le régime réglementaire du Canada ou des provinces n’encadre cette pratique en ce qui concerne les paris sur une seule épreuve sportive.

Comme je l’ai dit dans mon discours plus tôt, les épreuves arrangées sont tout simplement illégales au Canada selon les articles 209, 380 et 465 du code. Tous ces articles généraux le disent. Ainsi, avoir une disposition très pointue — comme l’a dit la sénatrice Batters, qui a parlé de l’expert juridique au comité — pourrait en fait être un obstacle parce qu’il faudrait prouver des éléments précis. Je donnerai l’exemple suivant : s’il est illégal de voler dans une épicerie et qu’une personne vole à un étal de fruits, comme le vol est illégal, ce cas de figure serait couvert sous la même rubrique.

C’est tout, chers collègues. Je n’appuie pas l’amendement. Je pense que les affirmations du sénateur White ne sont pas fondées et je vous exhorte à rejeter l’amendement.

Son Honneur le Président : Sénateur White, avez-vous une question?

Le sénateur White : Si le sénateur le veut bien, oui.

Le sénateur Wells : Bien sûr.

Le sénateur White : Êtes-vous en train de dire que nous pouvons accuser de fraude une personne qui vole une fruiterie? Il s’agirait alors d’un vol. Vous semblez dire que nous ne devrions pas utiliser une infraction propre aux épreuves arrangées, mais plutôt tenter de les inclure dans la définition d’une autre infraction criminelle avec d’autres éléments. Je ne suis pas sûr que votre analogie m’a aidé.

Le sénateur Wells : Merci, sénateur White. Il faut utiliser les différents articles du code, comme cela a été fait dans l’affaireRiesberry. Il faut avoir recours à l’article sur la fraude, sur la triche au jeu. Ce sont des choses qu’il serait plus facile à prouver, en faisant appel à toute une série de dispositions qui existent déjà.

Le sénateur White : Votre Honneur, j’aurais une autre question à poser.

Dans l’affaire Riesberry — si je peux me permettre, sénateur — , l’individu a-t-il été reconnu coupable d’avoir triché au jeu, en vertu de l’article 209?

Le sénateur Wells : Je ne sais pas de quoi il a été reconnu coupable, mais je sais qu’il a été...

Le sénateur White : Il n’a pas été reconnu coupable en vertu de l’article 209.

Le sénateur Wells : Certes, mais je sais que sa condamnation a été confirmée par la Cour suprême qui a eu recours, pour ce faire, à toute une série de dispositions du Code criminel.

L’honorable Brent Cotter : L’affaire de la tricherie a été renvoyée aux tribunaux, mais il a été reconnu coupable de fraude.

J’aimerais faire une brève intervention. Par respect pour ses antécédents dans le domaine de la justice pénale, j’ai estimé qu’il était de mon devoir, comme je pense qu’il l’est de nous tous, de prendre les préoccupations du sénateur White au sérieux.

J’ai un peu d’expérience avec l’aspect juridique de la justice pénale, notamment en ce qui concerne la fraude. J’ai dû prêter une assez grande attention pour comprendre les éléments du délit de fraude en particulier. J’étais persuadé que les dispositions existantes sur la fraude couvriraient suffisamment les questions d’épreuves arrangées, mais les préoccupations du sénateur White m’ont porté à réfléchir. À cette fin, j’ai utilisé une partie du budget de mon bureau pour retenir les services d’un éminent spécialiste du droit pénal, Steve Coughlan, qui m’a été recommandé par d’éminents avocats dans le domaine du droit pénal, pour qu’il me donne son avis.

Selon l’expert — dont j’ai communiqué l’opinion, sans équivoque, au sénateur White —, le Code criminel, y compris les dispositions sur la fraude dans l’article intitulé « Tricher au jeu », suffit amplement pour gérer l’éventail des stratégies de trucage d’épreuves qui pourraient être mises en œuvre. Le tout est appuyé par l’arrêt de 2005 de la Cour suprême dont les sénateurs ont parlé. En conclusion, le professeur Coughlan estime que :

[…] les dispositions actuelles du Code criminel permettent de traiter les tentatives abusives de manipulation du résultat d’un événement sportif.

M. Bourgeois, qui a témoigné devant le Comité des banques, a donné une opinion semblable. Un avis juridique commandé par un partisan du projet de loi et préparé par un très éminent avocat de la Nouvelle-Écosse, Joel Pink, c.r., qui est souvent appelé le doyen des criminalistes de la Nouvelle-Écosse, contient des conclusions similaires.

(2000)

Je me suis aussi intéressé aux travaux du professeur Hill, et j’ai pris connaissance d’une étude qu’il a menée sur les procureurs dans ces dossiers, dans l’Union européenne. Il a conclu que le plus gros défi pour intenter des poursuites n’était pas le cadre législatif des pays, mais bien l’accumulation de preuves. Quand on y réfléchit bien, la raison est évidente. Les gens qui se font escroquer commettent eux aussi des crimes, et ils ne sont pas très enclins à se manifester. La réglementation et la légalisation permettraient de détecter les crimes commis et de les catégoriser.

Par souci de courtoisie, je pense, le sénateur White m’a fait part il y a une semaine de l’amendement qu’il propose. Je lui en suis très reconnaissant, car j’ai pu demander au professeur Coughlan de le commenter. Premièrement, il a conclu que l’amendement proposé n’ajoute rien à la définition de tricherie comprise dans la common law, car le Code criminel couvre déjà le concept de fraude. Deuxièmement, le sénateur Wells a fait allusion, dans une certaine mesure, a un important point technique : le détail peut chasser le général.

L’amendement du sénateur White s’applique au jeu, car ce terme n’est pas défini dans le Code criminel. Le terme « jeu » a déjà été interprété par les tribunaux. Cela signifie que les dispositions sur le jeu que le sénateur White propose correspondent à cette notion. Dans le Code criminel, la notion de jeu s’applique au jeu de hasard ou de jeu combinant l’adresse et le hasard.

Pour que l’amendement qui interdit spécifiquement la tricherie et la supercherie concernant un jeu puisse fonctionner, il doit s’appliquer seulement aux types de jeux qui supposent, pour reprendre l’expression de la Cour suprême du Canada, un « recours systématique au hasard », comme c’est le cas de nombreux jeux pour lesquels on lance les dés ou distribue des cartes, par exemple. Dans cette affaire de course de chevaux truquée, la Cour a dû conclure que la course de chevaux est un jeu dans lequel se mêlent le hasard et l’adresse : l’adresse est celle du cheval et le hasard sert à déterminer à quel emplacement le cheval commencera la course, ce qui fait fait que cette activité est considérée comme un jeu.

Les types de sports dont nous discutons ne sont pas des jeux. La Cour suprême elle-même a déclaré que les activités de ce genre ne sont pas des jeux. Ils ne sont pas fondés sur des « impondérables qui peuvent occasionnellement faire échec à l’adresse ». Voici ce qui rend ce problème épineux : comme la plupart des sports sont définis comme des jeux d’adresse et non des jeux dans lesquels se mêlent le hasard et l’adresse, les dispositions sur le jeu proposées dans l’amendement ratent leur cible en ce qui concerne les sports.

Ce petit exemple — qui n’était pas intentionnel de la part du sénateur White et des gens qui l’ont aidé à rédiger le texte — montre qu’on peut rater la cible quand on cherche à être trop spécifique. Je dois dire, très respectueusement, que ce n’est pas le processus à suivre pour bâtir le droit pénal.

Il faut reconnaître le mérite de ceux qui ont examiné tout cela. Le statu quo est adéquat. Par conséquent, j’encourage vivement les sénateurs à rejeter l’amendement.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, j’aimerais intervenir, très respectueusement, au sujet de l’amendement. Je ne m’exprime pas en tant qu’avocate ou spécialiste du droit pénal, mais en tant que personne qui a été témoin de cas flagrants de trucage de matchs et qui a travaillé sans relâche pour résoudre un éventail de problèmes connexes.

Je ne pourrai jamais remercier assez le sénateur White d’avoir présenté au Sénat toute la question du trucage de matchs et de compétitions. Malheureusement, il s’agit d’un gros problème au pays et à l’étranger. Avoir l’occasion de travailler avec des athlètes qui aspirent à se surpasser, c’est vraiment quelque chose, de même que tous les aspects des conséquences de cela. Donc, bien que je reconnaisse l’attention, l’intérêt et le souci du sénateur White envers le trucage des matchs, l’intention et l’expertise de ses observations aujourd’hui, je ne peux pas appuyer l’amendement.

Mon travail m’a amenée à m’impliquer internationalement afin de tenter de comprendre le problème du trucage des matchs et son ampleur dans les sports professionnels et amateurs — mais surtout dans les sports amateurs, et comme l’a indiqué le sénateur White, dans le sport de deuxième niveau. Nous ne pouvions pas attendre la signature d’un traité international. Il fallait y travailler diligemment. Lorsque l’on s’assoit à la table et étudie les lois, le Code criminel et les règles dans d’autres pays, on constate que le Canada est rigoureux et que la question est couverte par diverses dispositions du Code criminel.

J’ai trouvé stupéfiant de voir les lacunes et les échappatoires que d’autres grands pays avancés n’avaient pas. Je me suis sentie rassurée. Personnellement, en tant que femme, ce fut un projet plutôt risqué à assumer à l’international, mais je tiens beaucoup à bien légiférer à l’égard de tout ce qui touche la manipulation et à tenter de faire mieux. Toutefois, je n’appuierai pas cet amendement ce soir.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion et qui sont sur place veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur le Président : Que les sénateurs qui sont contre la motion et qui sont sur place veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur le Président : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur le Président : Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui, Votre Honneur, 15 minutes.

Son Honneur le Président : Le vote aura lieu à 20 h 21. Convoquez les sénateurs.

(2020)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur White, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Anderson Harder
Batters Kutcher
Boniface McCallum
Bovey McPhedran
Busson Mercer
Cordy Miville-Dechêne
Dagenais Munson
Dawson Pate
Downe Simons
Forest Tannas
Francis Verner
Griffin White—24

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Marshall
Bellemare Martin
Black (Alberta) Marwah
Black (Ontario) Massicotte
Boehm Mégie
Boisvenu Mockler
Carignan Ngo
Cormier Oh
Cotter Patterson
Deacon (Nouvelle-Écosse) Plett
Deacon (Ontario) Ravalia
Dean Richards
Duncan Ringuette
Frum Saint-Germain
Housakos Seidman
Jaffer Smith
Loffreda Wells
MacDonald Wetston
Manning Woo—38

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Bernard Forest-Niesing
Brazeau Gagné
Coyle Gold
Dasko LaBoucane-Benson
Dupuis Moncion—10

(2030)

Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénateur Plett, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-218, Loi modifiant le Code criminel (paris sportifs).

L’honorable Peter Harder : Honorables sénateurs, dans cinq courtes années, les adeptes de soccer de partout dans le monde viendront au Canada et projetteront les espoirs de leur pays sur un événement sportif que seuls les Jeux olympiques dépassent en popularité. La Coupe du monde de soccer de la FIFA, dont le Canada sera l’hôte conjointement avec les États-Unis et le Mexique en 2026, sera un événement phare pour notre pays comme il l’a été pour d’autres pays hôtes. Il a aussi généré des retombées économiques à hauteur de milliards de dollars pour les pays hôtes précédents. Comme nous le savons tous, l’argent peut aussi attirer des acteurs sans scrupules qui exploitent les événements en trichant et, dans le cas des sports, en truquant les matches. Ce serait vraiment dommage si une telle chose venait entacher la Coupe du monde ici, au Canada. Cependant, selon des experts, c’est une possibilité que nous devons nous efforcer d’éviter.

Cela est pertinent au projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui, lequel permettrait aux Canadiens de parier sur des épreuves sportives uniques. D’entrée de jeu, je veux dire que j’appuie l’intention du projet de loi. Je crois que, dans un certain sens, il est inévitable, car l’argent joué par les Canadiens va et ira ailleurs, là où on est plus avancé que nous en matière de paris sur les épreuves sportives.

C’est aussi une mesure qui, une fois mise en œuvre, aiderait probablement de nombreux organismes sportifs partout au pays, qui en ont bien besoin. J’ai cependant des préoccupations, la principale étant la possibilité de trucage des matchs. Dans un livre blanc produit en octobre 2019 par un symposium national sur le sujet, les auteurs préviennent que les changements rapides de technologie et la popularité croissante des plateformes de jeux en ligne posent un risque accru de trucage des matchs au Canada. En outre, les tentatives de corruption d’athlètes augmentent. Ce livre blanc dit : « Cette menace peut potentiellement porter gravement atteinte à l’intégrité des sports les plus populaires au Canada ». Le hockey, la Ligue canadienne de football, ainsi que de nombreux autres sports ont été identifiés comme comportant des risques.

Ce livre blanc poursuit ainsi :

[...] comme le Canada organise la Coupe du monde de la FIFA 2019 avec les États-Unis et le Mexique, il incombe au gouvernement de s’attaquer à ce problème afin d’éviter des dommages à la réputation [...]

L’ampleur de ces dommages pourrait égaler celle de la saga Ben Johnson. De plus :

Alors que le Canada est maintenant considéré comme un chef de file de la lutte contre le dopage [...] il est essentiel d’adopter une position proactive sur la question de la manipulation de matchs.

Vous vous souviendrez peut-être que Ben Johnson est ce sprinter canadien qui s’est fait prendre pour avoir utilisé des substances interdites durant les Jeux olympiques de Séoul en 1988. Il nous a fallu du temps pour nous remettre de ce choc porté à notre réputation de franc-jeu. Comme je l’ai dit, je crois à l’intention de ce projet de loi, mais j’émettrais deux mises en garde.

Premièrement, le projet de loi devrait exiger que des ententes soient conclues entre les sociétés provinciales des jeux de hasard et les diverses organisations sportives pour autoriser l’organisation de paris sur les matchs des organisations.

Deuxièmement, nous devrons tôt ou tard régler le problème du trucage des matchs dont j’ai parlé plus tôt. Les matchs truqués des ligues majeures font souvent les manchettes, mais dans bien des cas, la pratique est plus grave et plus risquée lorsqu’elle touche les ligues mineures et les gens qui sont moins bien payés.

Par exemple, nous avons tous lu des reportages sur des athlètes de niveau collégial, plus particulièrement aux États-Unis, qui sont démunis, qui ne sont pas rémunérés pour leur participation à des compétitions sportives et qui finissent par accepter un pot-de-vin pour fournir des renseignements sur la stratégie de l’équipe ou pour saboter un match. Cette pratique ne touche pas que nos voisins. Cela se passe aussi chez nous.

Par exemple, en 2015, un reportage publié dans un journal britannique a révélé que l’ensemble des 12 équipes d’une ligue de soccer canadienne avaient été impliquées dans une forme de trucage de matchs à au moins trois occasions. Selon un autre reportage de CBC publié en 2012, un joueur de la même ligue a accepté un pot-de-vin pour truquer un match en 2009.

(2040)

Ce type de conduite provoque un sentiment de trahison chez les partisans. Si on légalise les paris sur une seule épreuve sportive sans corriger le problème de la manipulation des matchs, cela pourrait aussi dissuader les personnes de déposer des paris. À quoi cela sert-il si on ne peut pas avoir la certitude que les dés ne sont pas pipés?

Contrairement aux États-Unis, le Canada autorise uniquement les paris progressifs, qui exigent que les gens parient correctement sur au moins deux épreuves pour gagner quelque chose. Comme leur nom le dit, dans les paris sur une épreuve, le joueur doit seulement parier sur une épreuve, ce qui signifie que les gens qui truquent les matchs n’ont qu’à manipuler les résultats d’une épreuve ou d’une partie d’une épreuve.

Les experts de l’intégrité du sport proposent de nombreuses solutions pour éviter de tels abus, y compris la mise sur pied d’une commission fédérale, une sensibilisation accrue des athlètes, des entraîneurs, des officiels et des organisations sportives, et la création d’une unité indépendante de l’intégrité du sport au Canada.

Une autre recommandation faite au symposium, dont on a parlé plus tôt, est que le Canada devienne un signataire de la Convention sur la manipulation de compétitions sportives du Conseil de l’Europe. Je crois que c’est une recommandation à laquelle nous devrions donner suite.

L’objectif du traité multilatéral est simple. Il vise à prévenir, à repérer et à punir la manipulation de matchs. C’est un outil et un guide essentiel qui fournit une structure qui permet aux signataires de mieux harmoniser leurs efforts et coordonner leurs actions dans la lutte contre la manipulation de matchs. Ces actions comprennent la coordination des activités et des projets internationaux, la prestation d’aide et de conseils aux autorités publiques et la tenue de débats thématiques sur les gouvernements, les responsables des jeux et des loteries, les organismes chargés de l’application de la loi et les organisations sportives, entre autres. Le traité a été signé ou ratifié par 37 pays, mais pas par le Canada.

Compte tenu du besoin de protéger l’intégrité du Canada, en tant que nation sportive, et les citoyens qui prendront part à cette nouvelle activité, je suis tout à fait d’accord avec l’observation formulée par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, à savoir qu’il faut encourager le gouvernement à signer la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives. Je remercie les sénateurs Klyne et Cotter d’avoir veillé à ce que de telles observations figurent clairement dans le rapport du comité dont le Sénat est saisi. Je prends la parole ce soir pour souligner cette observation dans l’espoir que le gouvernement y donnera suite une fois que le projet de loi aura reçu la sanction royale.

Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-218, Loi sur le pari sportif sécuritaire et réglementé. C’est un sujet qui me préoccupe depuis qu’un projet de loi similaire a été présenté en 2011. Il y a un mouvement dans cette direction depuis, et même si je sais qu’il y a des défis à relever, je vais vous dire aujourd’hui pourquoi j’appuie le projet de loi.

J’ai suivi de près le projet de loi en comité, j’ai pris note des observations et j’ai entendu un certain nombre d’athlètes, d’organisations sportives et de parties prenantes sur lesquels le projet de loi aurait des répercussions.

Nous avons entendu beaucoup de données aujourd’hui; il s’agit d’une industrie de 14 milliards de dollars au Canada qui n’est ni réglementée ni supervisée par des organisateurs de paris à l’étranger et des gangs criminels. Il n’y a aucune mesure de protection pour le consommateur, aucun soutien pour ceux qui ont une dépendance au jeu et, bien sûr, aucun avantage pour l’économie canadienne.

Un ancien ami et collègue, Paul Melia, a comparu devant le Comité de la justice de l’autre endroit dans le cadre de l’étude du projet de loi. Il est président et directeur général du Centre canadien pour l’éthique dans le sport. Voici ce qu’il avait à dire au sujet du projet de loi :

À mon avis, le projet de loi offre une occasion d’offrir plus de services et de soutien à ceux qui risquent de devenir dépendants au jeu que dans le système actuel, où nous avons un marché non réglementé et où cette situation se présente. Nous ne sommes pas vraiment conscients de l’ampleur de la situation, des personnes qui peuvent être dépendantes et qui peuvent subir des préjudices, alors je pense qu’il y a là une occasion de fournir les services pertinents.

Chers collègues, nous devons aussi reconnaître les changements qu’imposent à l’industrie les téléphones intelligents et l’accès à Internet, qui ne cesse de croître. En 2011, lorsqu’un projet de loi semblable a été présenté, je n’aurais pas pu m’imaginer l’appuyer et, pourtant, 10 ans plus tard, quiconque a accès à un téléphone intelligent et à un réseau cellulaire peut parier sur des événements sportifs de n’importe où, et c’est exactement ce qui se passe.

Tandis que j’étudiais le projet de loi, j’ai pensé au travail que nous avons accompli sur le projet de loi au sujet du cannabis. Le fait est que les gens participent à ce marché, qu’on le veuille ou non. Rien n’allait les arrêter, peu importe le niveau de criminalisation. Nous l’avons donc amené sur la place publique. Des entreprises ont été créées, des innovations ont été mises sur le marché. Fait encore plus important, nous pouvons parler honnêtement de ses méfaits et nous y attaquer ouvertement.

Je ne prends pas à la légère les questions de santé mentale et de toxicomanie. C’est un enjeu de taille que nous devons examiner pour y réagir. Honorables sénateurs, quand il s’agit de ces questions, je crois que c’est le sénateur Plett qui nous disait aujourd’hui que le soleil est le meilleur désinfectant, et qu’en y exposant l’industrie du jeu, on peut ainsi lutter contre les effets néfastes qui y sont associés.

Durant le débat sur ce projet de loi, on m’a aussi rappelé la compétence légale et les structures parallèles qui gouvernent les Canadiens. J’ai écouté des points de vue autochtones, avec leurs préoccupations et leurs souhaits. Grâce à ces discussions, je comprends maintenant beaucoup mieux le rôle important que les provinces et les territoires joueront une fois que cette mesure législative sera adoptée. J’espère que les provinces et les territoires travailleront avec les Premières Nations pour faire en sorte de la mettre en application de façon sûre et équitable.

Le trucage des matchs, parfois appelé la manipulation des compétitions, suscite des préoccupations quant à l’intégrité du sport. Durant les 20 dernières années, j’ai observé directement l’action et l’intention de la manipulation des matchs, ainsi que les paris dans le sport amateur. Or, il arrive que des jeunes soient ciblés, peut-être à leur insu, pour participer à certains aspects de ce phénomène dans le monde entier.

Je n’oublierai jamais la honte, le choc et l’embarras causés par le truquage d’un match dans mon sport lors des Jeux olympiques de 2012. Alors que le monde regardait les jeux en direct à la télévision et en ligne, quatre équipes féminines de jeu en double, soit huit athlètes, ont été disqualifiées des Jeux olympiques de Londres après avoir perdu délibérément un match pour obtenir un avantage dans la future ronde des médailles. Ce fut un très mauvais moment, quoique rare, mais pas si rare, des Jeux olympiques.

Les pays ont différentes lois, ce qui peut donner des conséquences terribles. En passant, les paris existent depuis les très anciens Jeux olympiques en Grèce. Au fil des ans, j’ai élaboré un programme de sensibilisation, qui souligne les règlements portant sur les restrictions entourant les paris et la manipulation des matchs. Informer les athlètes pour qu’ils comprennent la corruption et les infractions de corruption demeure essentiel. Dans le cadre de ce travail, nous avons défini quatre domaines de corruption : premièrement, les meilleurs efforts; deuxièmement, les paris, un terme générique pour la sollicitation, la facilitation et l’offre; troisièmement, l’information privilégiée; et quatrièmement, le signalement.

Le Comité international olympique dispose maintenant de l’Unité du mouvement olympique, qui se consacre à la prévention de la manipulation des compétitions. Peu avant la pandémie, j’ai organisé un championnat mondial à Markham, en Ontario. Des athlètes de 60 pays ont dû participer à un programme sur l’intégrité avant de mettre le pied sur le terrain de jeu. Ils devaient comprendre les problèmes liés au dopage et à la manipulation des matchs avant de commencer la compétition.

Je vous en parle aujourd’hui parce que les paris sur une seule épreuve sportive, ainsi que la manipulation des matchs et des compétitions, ont des ramifications multiples auxquelles il faut d’abord s’attaquer à l’aide des lois et de la réglementation appropriées. Je veux aussi montrer que ce n’est pas juste le milieu sportif professionnel qui désire l’adoption de ce projet de loi, mais également le milieu sportif amateur. C’est dans l’intérêt de tous nos athlètes, même ceux qui sont parfois oubliés.

Chers collègues, j’examine le projet de loi du point de vue des athlètes, des spectateurs, des éducateurs et des bâtisseurs. J’ai pu observer personnellement des paris démesurés et des trucages de matchs à grande échelle qui ont nui aux Canadiens, lors de compétitions à l’autre bout du monde.

Les ligues sportives canadiennes ont été décimées par la pandémie, comme tous les pans de notre société. Les athlètes reprendront du service, mais ils auront besoin de spectateurs et d’attention s’ils osent espérer s’approcher du niveau où ils étaient avant la pandémie. Je crois que le projet de loi les aidera.

En ce qui concerne les parieurs, en retirant une ligne du Code criminel, nous pouvons donner aux provinces et aux territoires le coup de pouce dont ils ont tant besoin pour aller de l’avant et aider bon nombre de personnes auxquelles l’industrie du jeu illicite, qui est extrêmement active, cause beaucoup de torts. Nous accusons un retard par rapport aux autres pays, et il est temps de le rattraper et, même, de prendre une longue d’avance.

Merci. Meegwetch.

(2050)

Son Honneur le Président : La sénatrice McCallum a la parole.

Sénatrice, avant que vous commenciez votre intervention, je dois m’excuser à l’avance parce que je devrai vous interrompre à 21 heures.

L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi C-218 pour faire part de préoccupations légitimes soulevées par les Mohawks de Kahnawake. Je présenterai notamment un amendement en leur nom, que j’expliquerai dans un instant.

Au cours des 25 dernières années, Kahnawake a bâti une industrie du jeu fructueuse sur son territoire. Les recettes engendrées ont servi à soutenir les services essentiels dans la communauté, dont des organisations ayant pour mandat de soutenir la langue et la culture de Kahnawake.

Les profits issus de Mohawk Online, un service de paris en ligne entièrement détenu par le Conseil mohawk de Kahnawà:ke, ont servi à soutenir Kahnawake pendant la pandémie de COVID-19. Jusqu’à maintenant, Mohawk Online a versé 4 millions de dollars au fonds d’aide économique de Kahnawake.

Les paris ont créé des opportunités à Kahnawake — pas seulement pour les gens de la communauté, mais aussi pour ceux des collectivités environnantes.

L’industrie du jeu à Kahnawake est encadrée par un régime réglementaire robuste qui a été établi par la Kahnawake Gaming Commission et qui est imité partout dans le monde.

Lors d’une réunion tenue en juillet 2020 avec le regretté grand chef Joe Norton, le ministre Lametti a félicité Kahnawake d’avoir créé une « architecture de jeu légitime qui fait de Kahnawà:ke un chef de file mondial [et qui] vaut la peine d’être soutenu[e] ».

Kahnawake a pu faire cela grâce aux compétences qui lui sont accordées, à ses ressources et à son ingéniosité. C’est un exemple parfait de ce que la gouverneure générale avait appelé le « génie autochtone ».

L’industrie du jeu de Kahnawake est un brillant exemple d’une collectivité autochtone qui déploie ses propres efforts pour assurer sa viabilité économique. C’est une chose que le gouvernement du Canada doit encourager et soutenir.

Honorables sénateurs, les Mohawks participent au jeu et aux paris sportifs depuis des temps immémoriaux. Les jeux de hasard et les paris sur des épreuves sportives, telles que la crosse, font partie intégrante de la culture mohawk. Le jeu figure dans les histoires mohawks de la Création et a toujours constitué un élément essentiel de la culture mohawk ainsi que des relations entre les Mohawks et les autres nations.

Depuis 25 ans, les Mohawks de Kahnawake revendiquent le « droit autochtone » — un droit ancestral inhérent conciliable avec le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 — de mener, de faciliter et de réglementer le jeu et des activités liées au jeu au sein du territoire mohawk de Kahnawake et à partir de celui-ci.

Kahnawake a compilé des preuves historiques et des avis juridiques qui appuient pleinement la revendication de ce droit ancestral. En 25 ans, sa position n’a jamais été contestée par un organisme gouvernemental ou par les autorités.

Les modifications au Code criminel actuellement proposées dans le projet de loi C-218 ne reflètent pas le droit des Mohawks de Kahnawake et menace la pérennité de la résilience économique de leur collectivité.

Le projet de loi C-218 modifierait le paragraphe 207(4) afin de supprimer l’interdiction des paris sur une épreuve sportive simple pour les provinces, mais sans reconnaître les gouvernements autochtones qui exploitent le jeu légitime, réglementé et bien établi visant les épreuves sportives, en particulier les gouvernements autochtones qui le font sur le fondement d’un droit ancestral.

Kahnawake ne s’oppose pas à ce que le code soit modifié pour permettre cette nouvelle activité de jeu, mais s’insurge contre l’incapacité du Parlement de modifier le code de façon à tenir compte du droit ancestral détenu par les communautés autochtones.

Kahnawake a tenté de travailler avec la Chambre et le Sénat sur le projet de loi C-218. Les chefs du Conseil des Mohawks de Kahnawake ont donné une présentation au comité permanent de la Chambre et au comité permanent du Sénat et ont proposé un libellé précis pour des amendements supplémentaires. Le comité permanent de la Chambre a ignoré les amendements qu’ils ont proposés, bien que le comité ait accepté d’ajouter un amendement proposé par l’industrie des courses de chevaux. Il est facile de comprendre comment Kahnawake a pu conclure que le comité permanent de la Chambre juge que les chevaux sont plus importants que les peuples autochtones.

Les chefs Gina Deer et Ross Montour ont également présenté au comité sénatorial permanent les amendements proposés par Kahnawake. Leur demande d’amendements au projet de loi C-218 a de nouveau été ignorée.

L’amendement proposé, que je présente maintenant en leur nom, remédiera à l’injustice que le gouvernement du Canada a créée en 1985 lorsqu’il a vendu aux provinces le pouvoir de « mettre sur pied et exploiter » des jeux de hasard sans consulter les peuples autochtones ou tenir compte de leurs intérêts. L’amendement proposé permettrait à Kahnawake et aux autres communautés autochtones de négocier leurs propres ententes directement avec le Canada.

Les ententes actuelles entre les Premières Nations et plusieurs provinces ont été conclues en vertu des dispositions des alinéas 207(1)a) et b) du Code criminel. Ces dispositions demeureraient en place. Les amendements proposés donnent simplement aux communautés autochtones — qui, historiquement, ont été ignorées par l’industrie et exclues de celle-ci à l’échelon provincial — un autre moyen pour négocier une entente relative au jeu ou aux paris.

Les amendements proposés par Kahnawake sont un exemple parfait de réconciliation et d’accommodement. C’est pour le moins paradoxal que ce soit une Première Nation et non le gouvernement du Canada qui ait ébauché ce geste de réconciliation et d’accommodement.

Honorables sénateurs, les tenants du projet de loi C-218 dans sa forme actuelle disent souvent qu’il ne fait qu’« uniformiser les règles du jeu » en donnant aux loteries provinciales accès au marché des paris sur une seule épreuve sportive. Ils laissent entendre que Kahnawake s’oppose au projet de loi parce qu’il veut préserver son « monopole » sur ce marché.

Ces allusions sont fausses. Le projet de loi C-218 changera certainement les règles du jeu, mais il ne les uniformisera pas. Pourquoi?

Les provinces et leurs organismes restreignent toute interprétation juridique des activités de Kahnawake au Code criminel. Ils utilisent le fait que les droits de Kahnawake n’ont jamais été reconnus officiellement pour remettre en cause la légitimité de ses entreprises.

À Kahnawake, on peut citer plusieurs situations survenues dans les 25 dernières années où des sociétés provinciales des jeux de hasard ont délibérément nui à la capacité de la communauté de Kahnawake d’établir des relations commerciales. Si les pouvoirs de la communauté ne sont pas officiellement reconnus dans une loi fédérale, les provinces continueront d’empêcher la communauté de Kahnawake d’accéder à des marchés et à des consommateurs, ce qui va nuire à l’industrie de Kahnawake et la marginaliser.

En résumé, s’il n’y a pas de mesure d’accommodement dans le projet de loi C-218, les règles du jeu ne seront pas équitables. Les sociétés provinciales des jeux de hasard auront le champ libre et pourront exclure la communauté de Kahnawake.

Honorables collègues, certains ont dit que la communauté de Kahnawake n’a qu’à continuer de faire ce qu’elle fait depuis 25 ans. C’est une proposition cynique et malhonnête, car la communauté de Kahnawake a dû composer avec les menaces de ceux qui soutiennent qu’elle n’a pas compétence en matière de jeux de hasard et que ses activités dans ce domaine sont « illégales ».

En quoi est-il logique de dire que la communauté de Kahnawake devrait simplement poursuivre ses activités pendant qu’elle doit faire face à des préjugés aussi cruels et sans fondement? Cette communauté a soumis à la Chambre et au Sénat une proposition qui combattrait les préjugés et permettrait de répondre aux besoins de la communauté dans le cadre d’une entente ou d’un arrangement avec le Canada. N’est-ce pas ce que nous voudrions voir?

Dans les 25 dernières années, la communauté de Kahnawake a bâti une industrie du jeu qui a contribué à sa prospérité socio-économique, et ce, même si elle a dû composer avec la menace qui découle du flou juridique. Imaginez ce qui arriverait si on pouvait éliminer la menace qui pèse sur cette communauté et sur bien d’autres communautés autochtones du pays.

Honorables sénateurs, certains d’entre vous ont dit que le Canada n’a aucun rôle à jouer à l’égard des jeux de hasard, que cela relève des provinces, et que ce n’est donc pas du ressort du gouvernement fédéral. C’est faux.

La Cour suprême du Canada a établi que les jeux de hasard sont couverts par la théorie du double aspect. Par conséquent, ils peuvent être couverts à la fois par des lois fédérales et des lois provinciales. Le Parlement du Canada peut adopter des mesures législatives à l’égard des aspects des jeux de hasard qui relèvent du droit pénal, tandis que les assemblées législatives provinciales peuvent réglementer les aspects qui ont trait aux droits de propriété et aux droits civils.

(2100)

En fait, jusqu’au moment où il a vendu aux provinces le pouvoir de « mettre sur pied et encadrer » des jeux...

Son Honneur le Président : Pardonnez-moi, sénatrice McCallum, je dois vous interrompre.

L’honorable Yuen Pau Woo : J’aimerais demander au Sénat de donner à la sénatrice McCallum la permission de finir son discours.

Son Honneur le Président : Le sénateur Woo demande que le Sénat permette à la sénatrice McCallum de finir son discours. Que tous ceux qui s’opposent à cette suggestion veuillent bien dire non. Permission accordée.

La sénatrice McCallum : Le Canada se montre cynique et hypocrite lorsqu’il dit que, comme nous avons vendu aux provinces le pouvoir relatif aux jeux en 1985, nous ne pouvons rien faire maintenant.

En tant que sénateurs, nous devons reconnaître les erreurs passées et faire notre possible pour les corriger. Comment pouvons-nous envisager d’approuver un projet de loi qui détruira l’économie de l’une des principales Premières Nations du pays alors qu’une solution très simple nous est offerte? Nous avons la possibilité d’inclure dans la loi les communautés autochtones comme celle de Kahnawà:ke. Rejeter l’amendement proposé, ce serait choisir de les écarter et de les forcer à rester dans un flou juridique.

Motion d’amendement—Débat

L’honorable Mary Jane McCallum : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-218 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 2, à la page 1, par substitution, à la ligne 5, de ce qui suit :

« 2 (1) Le paragraphe 207(1) du Code criminel est modifié par adjonction, après l’alinéa a), de ce qui suit : »

a.1) un conseil, un gouvernement ou une autre entité autochtone autorisés, pour le compte d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones titulaires de droits reconnus et confirmés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, à mettre sur pied et à exploiter une loterie dans le cadre d’une convention ou d’une entente conclue avec le gouvernement du Canada;

(2) L’alinéa 207(4)b) de la même loi est remplacé ».

Je vous remercie, honorables sénateurs.

Des voix : Bravo!

Son Honneur le Président : Normalement, nous proposerions de débattre de l’amendement maintenant. Le bureau indique qu’il reste du temps à la sénatrice McCallum et la sénatrice McPhedran a une question.

Sénatrice McCallum, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Carignan : Je crois que le temps est écoulé, Votre Honneur.

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, la sénatrice McCallum a obtenu le consentement pour pouvoir terminer son discours. Cela peut être interprété comme étant son temps de parole. Il lui reste trois minutes, alors je vais permettre qu’une question lui soit posée.

Je comprends l’objection, mais si on tient compte de la durée réelle du discours et du temps de parole accordé, je crois qu’on peut permettre qu’une question soit posée.

L’honorable Marilou McPhedran : Sénatrice McCallum, dans votre discours, vous avez parlé du fait que la province s’ingère dans les affaires de la Kahnawà:ke Gaming Commission. Pouvez-vous donner des exemples?

La sénatrice McCallum : Oui. Merci de votre question.

Avec Mohawks of Kahnawà:ke Online et Evolution Gaming, en 2015, le fournisseur de logiciels de casino en ligne Evolution Gaming a lancé ses produits sur Mohawk Online, un site de jeux en ligne à vocation socio-économique au Canada. Evolution a décrit ce lancement comme un accord révolutionnaire. Les jeux d’Evolution se sont avérés populaires auprès des clients canadiens et sont rapidement devenus une source importante de revenus pour Kahnawà:ke.

En 2017, Evolution a conclu une entente pour fournir ses produits à la British Columbia Lottery Corporation, ou BCLC. Evolution a ensuite informé Mohawk Online que BCLC lui avait demandé de retirer ses produits du site Web de Mohawk Online en se fondant sur une règle générale selon laquelle, en vertu du Code criminel canadien, seuls les gouvernements provinciaux peuvent exploiter des jeux d’argent en ligne.

Les avis et arguments juridiques précédemment acceptés par Mohawk Online ont été rejetés et les jeux d’Evolution ont été retirés, entraînant des pertes financières importantes pour Kahnawà:ke.

Mohawk Online a découvert par la suite que la BCLC permettait à Evolution de continuer à fournir des jeux à des opérateurs étrangers ciblant le Canada, à l’exclusion de Mohawk Online. Mohawk Online était dans la mire de la BCLC. La loterie avait exercé une pression commerciale sur Evolution pour qu’il rejette les arguments juridiques de Kahnawà:ke et se concentre uniquement sur l’absence de toute mention des Premières Nations dans le Code criminel.

Après que l’ordre d’exclusion de la BCLC ait fait perdre à Mohawk Online les jeux, les clients et les revenus, Evolution est devenu libre de continuer à fournir des jeux à la fois à la BCLC et à des exploitants étrangers qui ciblaient le Canada, indépendamment de leur statut en vertu du Code criminel.

En 2016, Mohawk Online a approché le fournisseur de jeux de casino NetEnt afin de proposer d’offrir ses jeux sur son site Web. NetEnt a répondu à Mohawk Online que les provinces verraient d’un mauvais œil que NetEnt ait un lien quelconque avec des entreprises ayant un rapport avec Kahnawà:ke. NetEnt fournit des produits à la fois aux loteries provinciales et à des exploitants étrangers visant le Canada. Même si l’absence de toute mention des Premières Nations dans le Code criminel est utilisée pour forcer les partenaires commerciaux des loteries à ne pas fournir de jeux à Mohawk Online, ni les loteries ni leurs partenaires commerciaux ne sont intéressés par le respect ou l’application du Code criminel. Celui-ci est simplement utilisé comme un mécanisme anti-concurrence.

Depuis une vingtaine d’années, au moins quatre agences de test de jeux ont mis fin à leur relation avec Kahnawà:ke Gaming ou ont refusé de lui fournir des services, invoquant les pressions exercées par les autorités provinciales.

Son Honneur le Président : Sénatrice McCallum, votre temps de parole est écoulé.

(À 21 h 7, conformément aux ordres adoptés par le Sénat le 27 octobre 2020, le 17 décembre 2020 et plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 21 juin 2021, à 14 heures.)

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