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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 127

Le mardi 30 mai 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mardi 30 mai 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’honorable A. Raynell Andreychuk

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, le 18 mai dernier, nous avons célébré les 20 ans de l’Association parlementaire Canada-Afrique.

J’aimerais rendre hommage à la cofondatrice de cette association que j’ai le privilège de coprésider aujourd’hui, notre ancienne collègue l’honorable Raynell Andreychuk.

Visionnaire passionnée de l’Afrique, l’honorable sénatrice Andreychuk est une diplomate chevronnée qui a passé une bonne partie de sa vie professionnelle en Afrique, où elle a été en mission comme haute-commissaire du Canada au Kenya et en Ouganda, puis ambassadrice du Canada en Somalie.

Elle a été nommée au Sénat en 1993, devenant ainsi la première femme de la Saskatchewan à servir à la Chambre haute du Parlement canadien.

Une fois en fonction au Sénat, elle a constaté qu’il n’y avait rien ni personne qui parlait de l’Afrique, sauf lorsqu’il s’agissait de l’aide au développement ou du rôle de certains pays africains dans la Francophonie. Elle a aussi constaté que notre pays n’avait pas de politique étrangère concernant l’Afrique, alors que nous avions des politiques étrangères pour la plupart des régions du monde.

Ce sont tous ces constats qui l’ont amenée à penser qu’il fallait établir des relations parlementaires directes avec les 54 pays distincts qui forment le continent africain. À son avis, notre pays devait élaborer une politique étrangère à l’égard de ce continent, qu’elle a eu la chance de visiter et de connaître en profondeur.

C’est ainsi qu’avec l’appui du regretté député Mauril Bélanger, elle a cofondé l’Association parlementaire Canada-Afrique en 2003, qu’ils ont coprésidée jusqu’en 2016.

En deux décennies, l’association a organisé des missions bilatérales dans 34 pays africains, ce qui a permis de tisser des relations directes avec des parlementaires africains et de faire rayonner, entre autres, nos valeurs démocratiques dans les pays visités.

Honorables sénateurs, je suis honorée et très fière de poursuivre sur cette voie tracée par l’honorable sénatrice Andreychuk pour arriver un jour, je l’espère, à un véritable partenariat et un rapprochement entre le Canada et l’Afrique.

Merci.

La Journée mondiale contre la faim

L’honorable Sharon Burey : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui à la suite de la Journée mondiale contre la faim, qui a eu lieu le 28 mai 2023.

[Traduction]

J’attire également votre attention sur une triste réalité : au Canada, de nombreux enfants, jeunes et adultes souffrent de la faim jour après jour. Nous savons aussi que les personnes qui habitent dans une localité nordique ou éloignée, les Autochtones, de même que les personnes marginalisées, racialisées et handicapées sont souvent victimes d’insécurité alimentaire.

Une personne souffre d’insécurité alimentaire quand ses finances ne lui permettent pas de jouir d’un accès adéquat ou constant à de la nourriture. Selon l’Enquête canadienne sur le revenu de 2021, un nombre alarmant de Canadiens sont aux prises avec ce problème. Près de 20 % des ménages ont connu au moins un épisode d’insécurité alimentaire en 2021, ce qui représente environ 7 millions de personnes, dont près de 2 millions d’enfants. Il s’agit d’une hausse considérable par rapport à 2020, et les plus touchés par ce phénomène sont les familles avec enfants.

En quoi est-ce important? Selon l’Association canadienne de santé publique, l’insécurité alimentaire est un déterminant social de la santé, c’est-à-dire l’un des nombreux facteurs sociaux et économiques influant sur la santé d’une personne. En tant que pédiatre, j’étais très bien placée pour constater les effets de l’insécurité alimentaire sur la santé physique et mentale de mes patients de même que sur leurs résultats scolaires et leurs capacités d’apprentissage.

Selon le groupe de recherche PROOF, de l’Université de Toronto, les adultes qui souffrent d’insécurité alimentaire sont plus susceptibles d’avoir une mauvaise santé buccale et de mourir jeunes et ils sont plus vulnérables aux maladies infectieuses, aux maladies cardiaques et aux problèmes de santé chronique comme la dépression, le diabète et l’anxiété. En un mot, l’insécurité alimentaire coûte très cher au réseau de la santé.

Dans son rapport de 2021, le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de l’autre endroit fait plusieurs recommandations importantes et demande notamment que le gouvernement « reconnaisse que la souveraineté alimentaire est une condition préalable à la sécurité alimentaire » pour les Autochtones et les habitants du Nord.

Selon le groupe de recherche PROOF :

Une abondance de preuves montre qu’il est possible de réduire l’insécurité alimentaire au moyen d’interventions des pouvoirs publics visant à améliorer les revenus des ménages à faible revenu.

L’insécurité alimentaire et la pauvreté sont inextricablement liées.

Il est également prouvé que les programmes alimentaires dans les écoles améliorent la fréquentation scolaire, l’apprentissage et le rendement scolaire et auront vraisemblablement une incidence positive sur la santé physique et mentale, non seulement pour les enfants mais aussi pour les familles.

En conclusion, je vous exhorte, chers collègues, à penser au potentiel gaspillé et perdu de nos enfants, à la souffrance des Canadiens qui vivent l’insécurité alimentaire et au coût qu’engendrent pour la société une augmentation des dépenses, notamment pour les soins de santé, et la perte de productivité. N’ayons pas peur de nous fier aux données et aux preuves scientifiques, de respecter d’autres modes de connaissance, notamment ceux de nos frères et sœurs autochtones, de nous relever les manches et de nous mettre au travail. Nos enfants comptent sur nous.

Merci. Meegwetch.

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de la petite-fille de l’honorable sénatrice Omidvar, Nylah Omidvar-Khullar.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Les cadets de l’Aviation royale du Canada

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je souhaite partager avec vous et avec tous les Canadiens l’un des secrets les mieux gardés du pays : les cadets de l’air. J’ai vécu assez longtemps au Canada pour en apprécier les innombrables splendeurs; pourtant, je n’ai appris l’existence des cadets de l’air que lorsque ma petite-fille Nylah s’est jointe à eux lorsqu’elle a commencé ses études secondaires.

Administré par le ministère de la Défense nationale, le programme national des cadets de l’Aviation royale du Canada est ouvert aux jeunes Canadiens âgés de 14 à 23 ans. J’ai assisté depuis avec Nylah à des cérémonies et des activités qui ont lieu à Toronto et qui sont probablement identiques à celles qui se déroulent ailleurs au pays. Les jeunes membres apprennent des techniques de survie, l’art oratoire et les responsabilités liées à la citoyenneté, et ils sont même initiés au pilotage. Ils visitent des lieux d’importance nationale comme le Canadian Warplane Heritage Museum à Hamilton ou la Base des Forces canadiennes Trenton. Ils participent à des cérémonies nationales. En tant que cadette de l’air de première classe, Nylah a représenté l’escadron aux cérémonies du jour du Souvenir à Toronto.

(1410)

Ils organisent régulièrement des activités de groupe afin de recueillir de l’argent pour des organismes de bienfaisance, souvent auprès de leurs grands-parents. Ils peuvent ainsi se faire de nouveaux amis et nouer des liens avec des personnes de toutes les races, classes sociales et castes économiques.

Par-dessus tout, alors que les réseaux sociaux et les distractions de toutes sortes accaparent l’esprit des jeunes d’aujourd’hui, les cadets de l’aviation offrent à ces derniers un cadre structuré et doté de règles claires afin de les aider à comprendre notre histoire et nos institutions. Pour eux, le service communautaire, la responsabilité sociale et les devoirs civiques sont des mots d’ordre. Ce sont les leaders de demain. Nous avons d’ailleurs, en la personne de la sénatrice Patterson, de l’Ontario, un exemple de ce que les cadets peuvent faire, puisqu’elle était cadette de la marine dans sa jeunesse. Nylah m’a d’ailleurs confié que les cadets de l’aviation et ceux de la marine entretiennent une saine rivalité. Si cela leur permet d’affûter leur sens du leadership, alors moi, je dis tant mieux.

Les cadets de l’aviation offrent aussi un bel avenir à ceux qui en font partie. Nylah n’a que 14 ans, mais pour le moment — et même s’il est vrai qu’elle a le temps de changer d’idée —, elle a la ferme intention de fréquenter le Collège militaire royal du Canada, à Kingston, en Ontario. Si elle poursuit dans cette voie, son chemin au service de notre grand pays est tout tracé.

Veuillez vous joindre à moi pour féliciter les cadets de l’aviation de permettre aux jeunes de faire le pont entre le passé, le présent et le futur en misant sur le service communautaire et le leadership.

Visiteur à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Harry Flaherty, président de la Qikiqtaaluk Corporation, au Nunavut. Il est l’invité de l’honorable sénateur Patterson (Nunavut).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le décès de Michel Côté

L’honorable Claude Carignan : Chers collègues, c’est avec tristesse que je prends la parole afin de rendre hommage à l’un des plus grands comédiens québécois, M. Michel Côté, décédé hier à l’âge de 72 ans.

On dit parfois de certaines personnes qu’elles étaient des géants. Ce qualificatif convient parfaitement à Michel Côté qui a multiplié des rôles grandioses, touchants, loufoques et inspirants au fil de près de 50 années de carrière.

Au théâtre, à la télévision et au cinéma, ce pilier des arts de la scène a incarné, au fil des ans, toutes les variations de l’homme québécois, avec authenticité, rigueur et intégrité. Michel Côté disait aimer ses personnages comme une mère aime ses enfants. Il en prenait soin avec amour et bienveillance et c’est certainement une des raisons qui ont contribué à ce si grand attachement que toute la population québécoise lui porte.

Sa filmographie impressionnante, tant par son volume que par les succès enregistrés au box-office, révèle tout son talent. On l’a souvent surnommé le comédien caméléon. Comme il l’a fait dans le célèbre film Cruising Bar, dans lequel il incarnait les quatre personnages principaux, Michel Côté avait l’aisance d’endosser des personnages au caractère des plus diversifiés en l’espace d’un moment.

Dans la célèbre pièce de théâtre Broue, dans laquelle il personnifiait cinq clients différents de la célèbre taverne Chez Willy, Michel Côté a ainsi changé d’habits devant plus de 3 millions de Québécois pendant plus de 38 ans. Il racontait avec un large sourire, qu’une journée, alors qu’il tournait le film Cruising Bar et jouait Broue en soirée, il avait, dans cette même journée, joué sept personnages. Le qualificatif de caméléon prend tout son sens à l’aune de cette anecdote.

À l’unisson depuis l’annonce de sa mort, ses anciens collègues de jeu louangent ses grandes qualités de comédien, mais aussi — et unanimement — ses grandes qualités d’être humain. Sur un plateau de tournage, Michel Côté s’assurait de mémoriser le prénom de chacune des personnes de l’équipe, du metteur en scène au preneur de son, et tentait de les saluer individuellement chaque jour.

Depuis six ans, ce grand artiste québécois avait fait le choix de ralentir un peu la cadence afin de passer davantage de temps avec sa douce Véronique, ses deux fils et ses petits-enfants. Malheureusement, la maladie l’attendait dans un mauvais détour et malgré son acharnement et sa fougue à la combattre, Michel Côté en est décédé ce lundi 29 mai.

À Véronique Le Flaguais, sa complice depuis des lunes, à ses fils Charles et Maxime, à ses petits-enfants et à sa famille élargie incluant ses très nombreux amis, je désire exprimer toute ma compassion et offrir mes sincères condoléances. Je veux aussi exprimer mes réelles sympathies aux très nombreuses Québécoises et aux très nombreux Québécois qui se trouvent aujourd’hui en deuil d’un homme qu’ils avaient adopté et qu’ils chérissaient d’une tendre affection.

Salut, Michel.

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Tetiana Popil et d’Arsen Senyshyn. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Kutcher.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

[Français]

Le Nunavut

L’honorable René Cormier : Chers collègues, connaître le Grand Nord, les peuples qui y habitent et les langues qu’on y parle, voilà le rêve que je caressais depuis toujours.

Avoir la certitude qu’on ne peut comprendre notre pays sans aller à la rencontre des premiers peuples ayant habité ces territoires depuis des millénaires, c’est avec ce rêve en tête que j’ai entrepris un voyage de trois jours au Nunavut, au pays des Inuits. Un périple fascinant et transformateur réalisé grâce à la complicité et la collaboration de notre collègue le sénateur Dennis Patterson, que je remercie très sincèrement de son aide précieuse.

[Traduction]

Le Nunavut, le plus grand territoire du Canada, est dirigé par un gouvernement de consensus, c’est-à-dire que les députés de son assemblée législative ne sont rattachés à aucun parti politique. C’est un mode de gouvernance fort inspirant pour un sénateur indépendant. Je tiens à remercier le Président Tony Akoak et Pamela Hakongak Gross, ministre de la Culture et du Patrimoine, pour leur chaleureux accueil dans cette enceinte où règne le respect.

[Français]

Sur ce territoire presque entièrement recouvert par la toundra arctique, j’ai été guidé dans mon excursion par la commissaire aux langues, Karliin Aariak, qui travaille avec ardeur et détermination pour assurer le respect de la Loi sur les langues officielles du Nunavut et la Loi sur la protection de la langue inuit. Une tâche gigantesque que les gouvernements du Nunavut et du Canada doivent impérativement appuyer et soutenir.

Car au pays des qimmiq, cette race de chiens qui est l’une des plus anciennes au monde, les langues et les cultures voyagent et cohabitent, enrichissant ce territoire majestueux de sonorités étonnantes. L’inuktut et toutes ses composantes, le français et l’anglais résonnent dans ce territoire comme autant de signes de la diversité de notre pays et de notre capacité à vivre ensemble.

[Traduction]

Au pays du qulliq, la lampe traditionnelle inuite, j’ai rencontré l’inspirante Leena Evic, propriétaire du centre Pirurvik, une entreprise de formation linguistique qui propose l’apprentissage de l’inuktut dans le cadre d’un processus à la fois spirituel et réparateur. C’est un exemple éloquent du lien indissociable entre la langue, la culture et l’identité.

Dans la petite communauté d’Apex, Ann Meekitjuk Hanson m’a parlé avec optimisme et bienveillance de l’avenir de la langue inuktitute.

Au pays des inukshuks, j’ai aussi rencontré de jeunes artistes qui utilisent le chant guttural pour exprimer leur amour de la terre.

[Français]

Enfin, j’ai aussi rencontré la francophonie au Nunavut. Elle est de toutes les origines, de l’Acadie, du Québec, du Cameroun et d’ailleurs, et elle embrasse ce territoire avec ardeur et passion, en ayant en son centre la belle école des Trois-Soleils.

Chers collègues, vous l’aurez compris, je suis tombé en amour avec le Nunavut et ses habitants qui puisent dans ce territoire l’énergie créatrice, la force et la spiritualité pour soigner, guérir, réparer et construire l’avenir.

[Traduction]

Aujourd’hui, je rêve de voler à nouveau sur les ailes du grand oiseau d’acier pour retrouver ces personnes et en apprendre davantage, car ce voyage n’était qu’un début, le début d’une aventure qui me transformera à jamais.

Qujannamiik, Nunavut.

[Français]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’un groupe d’étudiants du Centre régional d’éducation des adultes Kitci Amik. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Audette.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

(1420)

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Benedict Rogers et de Sam Goodman. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Housakos.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Hong Kong Watch Canada

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, depuis quelques années, j’ai l’honneur et le plaisir de travailler avec un groupe extraordinaire de personnes déterminées à défendre les libertés et les droits fondamentaux d’autrui. Elles ne le font pas par intérêt personnel, mais parce qu’elles estiment que c’est leur devoir d’agir ainsi. Pour tout vous dire, il leur arrive toutefois de payer le prix de leur dévouement, car leurs proches et elles sont parfois victimes de menaces et d’actes d’intimidation.

Bien qu’originaire du Royaume-Uni, l’organisme Hong Kong Watch a réussi à faire des petits un peu partout sur la planète, y compris ici, au Canada. Cet organisme mise sur le militantisme et la mobilisation communautaire pour jeter des ponts entre le gouvernement et les parlementaires canadiens d’une part, et les Hongkongais fraîchement arrivés au Canada de l’autre. Il publie également des recherches originales et informe régulièrement le gouvernement et les parlementaires de la manière dont évoluent les droits de la personne.

L’an dernier, Hong Kong Watch a lancé un programme appelé Youth Initiative, il a réussi à convaincre les autorités canadiennes d’offrir un permis de travail ouvert aux Hongkongais, il a attiré l’attention sur les entreprises chinoises qui bafouent les droits de la personne et demandé aux régimes de retraite du Canada de cesser d’y investir leur argent et il a talonné les autorités afin que le Canada demande des comptes aux responsables hongkongais et chinois derrière ces violations des droits de la personne.

Hong Kong Watch continue en outre de presser le gouvernement d’assouplir les critères d’admissibilité au volet B du programme permettant aux Hongkongais d’obtenir la résidence permanente canadienne et de ne plus exiger de certificat de bonne conduite des Hongkongais qui souhaitent s’installer ici, car cette exigence continue de leur poser des problèmes.

En ce qui concerne la sécurité des Hongkongais qui vivent ici au Canada, Hong Kong Watch continue de faire état de menaces et d’intimidation dont cette communauté grandissante est la cible de la part du Parti communiste chinois, et presse le gouvernement d’adopter un registre des agents étrangers et de mettre en service une ligne directe pour le signalement de tels cas.

On estime que 50 000 Hongkongais sont arrivés au Canada au cours des deux dernières années, incluant les Canadiens originaires de Hong Kong qui reviennent chez eux au Canada. On s’attend à ce que de nombreux autres arrivent dans les mois et les années à venir. Dans ce contexte, Hong Kong Watch élargit sa mission qui consiste à défendre les libertés fondamentales et les droits de la personne en se portant à la défense des Canadiens originaires de Hong Kong qui sont la cible d’intimidation et de menaces du Parti communiste chinois ici même en sol canadien.

Cela dit, j’ai l’honneur d’annoncer le lancement de Hong Kong Watch Canada. Le lancement officiel aura lieu ce soir à l’occasion d’une réception parlementaire à laquelle vous êtes tous conviés. Je vous invite vraiment à passer saluer les gens qui y seront. C’est l’occasion de rencontrer des membres de l’équipe de Hong Kong Watch, notamment nos amis venant de l’autre côté de l’océan, Ben Rogers et Sam Goodman, qui sont ici aujourd’hui, ainsi que les membres de la nouvelle section canadienne : Max Wu; Katherine Leung; Aileen Calverley; et Anastasia Lin, qui a déjà porté le titre de Miss Monde Canada.

Chers collègues, je vous invite encore une fois à vous joindre à nous ce soir. D’ici là, je conclus mon intervention en citant l’une des invités de ce soir, Mme Calverley, qui a dit ceci :

La lutte contre l’autoritarisme ne se limite pas à défendre des droits à distance. L’autoritarisme a atteint le territoire canadien et a une incidence sur la vie de Canadiens. Je suis extrêmement reconnaissante aux parlementaires de toutes allégeances qui appuient nos efforts. Je suis ravie et emballée de lancer officiellement la section canadienne de Hong Kong Watch, dont l’importante mission arrive à point nommé au Canada.

Merci, chers collègues.


AFFAIRES COURANTES

Le Budget des dépenses de 2023-2024

Dépôt du Budget supplémentaire des dépenses (A)

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le Budget supplémentaire des dépenses (A) de 2023-2024.

Préavis de motion tendant à autoriser le Comité des finances nationales à étudier le Budget supplémentaire des dépenses (A)

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, les dépenses prévues dans le Budget supplémentaire des dépenses (A) pour l’exercice se terminant le 31 mars 2024;

Que, aux fins de cette étude, le comité soit autorisé à se réunir même si le Sénat siège à ce moment-là ou est ajourné, l’application des articles 12-18(1) et 12-18(2) du Règlement étant suspendue à cet égard;

Que le comité soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer son rapport auprès du greffier du Sénat, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Banques, commerce et économie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les questions concernant les banques et le commerce en général auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport relatif à son étude sur l’investissement des entreprises au Canada, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Peuples autochtones

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport relatif à l’étude sur les obligations découlant des traités et les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Brian Francis : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport provisoire relatif à son étude sur les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques et les obligations envers les Premières Nations, les Inuits et les Métis, au plus tard le 13 juin 2023, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que le rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Sécurité nationale, défense et anciens combattants

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les questions concernant la sécurité et la défense dans l’Arctique auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Tony Dean : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport portant sur son étude sur les questions relatives à la sécurité et à la défense dans l’Arctique, y compris l’infrastructure militaire et les capacités en matière de sécurité du Canada, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que le rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Le Cabinet du premier ministre

Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement libéral et porte sur le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement.

Monsieur le leader, le premier ministre et son partenaire de ski, le prétendu rapporteur, ont déclaré aux Canadiens que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement constituerait le lieu idéal pour faire en secret ce qu’une enquête publique sur l’ingérence de Pékin permettrait de faire devant toute la population. Deux sièges réservés aux sénateurs sont vacants depuis des mois au sein de ce comité. Les deux dernières fois que ce comité a été constitué, le premier ministre a refusé d’y nommer un sénateur provenant de l’opposition officielle, et voilà qu’il traîne à nouveau les pieds.

Monsieur le leader, pourquoi le premier ministre tarde-t-il à pourvoir ces sièges au Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, et pourquoi refuse-t-il encore et encore de faire ce qui s’impose et de nommer un sénateur provenant de l’opposition officielle?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci de votre question.

C’est la prérogative du premier ministre de choisir les membres du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, et c’est ce qu’il a fait après avoir reçu les commentaires de l’ensemble des partis et des caucus reconnus.

(1430)

La composition actuelle du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement inclut des représentants de tous les partis de l’autre endroit. Il y a effectivement deux postes vacants. Quand le premier ministre aura arrêté son choix et qu’il sera prêt à en faire l’annonce, il le fera.

Le sénateur Plett : Vous avez raison, c’est sa prérogative. La question que j’ai posée est la suivante : pourquoi refuse-t-il de le faire? Si le premier ministre croyait réellement au message qu’il veut vendre aux Canadiens — c’est-à-dire que le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement est la meilleure entité pour enquêter sur l’ingérence de Pékin, dont il est au courant depuis le début —, il s’empresserait de pourvoir les postes vacants au sein du comité. Il veillerait à ce qu’au moins un des nouveaux membres du comité soit un sénateur de l’opposition officielle, qui forme le deuxième groupe en importance dans cette enceinte. Par ailleurs, il prendrait les mesures qui s’imposent pour donner suite aux rapports et aux recommandations du comité. Le premier ministre choisit plutôt de nommer des sénateurs issus de chaque groupe, mais aucun provenant de l’opposition officielle. C’est du moins ce qu’il a fait les deux dernières fois.

Le premier ministre ne fait rien de ce que j’ai mentionné parce que, monsieur le leader, sa priorité a toujours été de camoufler la vérité à propos de l’ingérence et de l’intimidation perpétrées par le régime de Pékin.

Monsieur le leader, le premier ministre refuse de nommer des sénateurs conservateurs au comité. De quoi a-t-il peur?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, sénateur Plett. Il ne faudrait pas penser que nous savons quelles décisions le premier ministre prendra au sujet des deux postes à pourvoir; je n’ai pas cette prétention. Je profite toutefois de l’occasion, avec le plus grand respect, pour remettre en question certaines des affirmations et des suppositions que vous exprimez au sujet des motivations du premier ministre ainsi que du rapport présenté la semaine dernière par l’honorable David Johnston.

Ce rapport contient une analyse et des renseignements très importants pour les Canadiens au sujet des défis auxquels le Canada est confronté, des nombreuses mesures que le gouvernement a prises au fil des ans pour relever le défi que pose l’ingérence étrangère, et des lacunes concernant la façon dont le renseignement de sécurité est traité et acheminé d’un niveau à l’autre de la hiérarchie jusqu’au premier ministre. Le rapport traite aussi de la prochaine étape, qui sera axée sur des audiences publiques. Il mentionne spécifiquement le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement et l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.

L’honorable David Johnston souligne à juste titre que les deux institutions, grâce à l’habilitation de sécurité dont elles bénéficient, ont accès à des informations classées très secrètes, et notamment à des documents du Cabinet auxquels elles n’ont jamais eu accès auparavant. Il invite également tous les chefs de l’opposition désireux d’obtenir cette habilitation à accéder à toutes les informations que le rapporteur spécial a examinées avant de conclure qu’il n’y a aucune preuve que le premier ministre était au courant des allégations publiées dans les rapports.

Je suppose que le leader de l’opposition a lu le rapport, mais je recommande à tous ceux qui ne l’ont pas encore lu de le faire. Il s’agit d’un ouvrage extrêmement utile pour aider les Canadiens à comprendre comment on traite le renseignement au Canada et la manière dont on peut améliorer les choses à cet égard.

Les finances

Les frais d’intérêt de la dette fédérale

L’honorable Leo Housakos : Ma question s’adresse au leader du gouvernement. Maintenant que vous avez confirmé, en répondant comme vous l’avez fait au leader de l’opposition au Sénat, que le gouvernement se moque pas mal de l’ingérence étrangère, passons à un autre sujet, c’est-à-dire le bilan du gouvernement dans le dossier des banques alimentaires de même que les turbulences que les terribles politiques économiques de ce même gouvernement font vivre aux pauvres et aux gens de la classe moyenne.

J’aimerais revenir sur une question que j’ai posée avant la relâche, et j’espère que vous pourrez y répondre, maintenant que vous avez eu une semaine pour y réfléchir et, qui sait, peut-être même être allé chercher la réponse auprès de vos collègues libéraux, du Cabinet du premier ministre ou de la ministre des Finances elle-même. Il s’agit d’une question toute simple : pouvez‑vous dire au Sénat et aux Canadiens combien le gouvernement Trudeau paiera d’intérêts sur la dette nationale pour l’exercice courant?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie. Encore une fois, je trouve inconcevable que l’on puisse attribuer au gouvernement les problèmes que vivent actuellement les banques alimentaires. Le coût de la vie est un problème sérieux, et il mérite d’être pris au sérieux par des gens sérieux.

Le fait est que le gouvernement a investi de manière adéquate et prudente dans les mécanismes d’aide aux Canadiens. Le rendement économique du pays demeure enviable, et le gouvernement estime que ce qu’il en coûte pour gérer la dette n’a rien d’inquiétant, puisque l’économie nationale demeure vigoureuse, et que ce coût est amplement justifié quand on sait tout ce que le gouvernement a fait pour les Canadiens et toutes les mesures qu’il a prises pour eux.

Le sénateur Housakos : Monsieur le leader du gouvernement, il est vraiment remarquable que, trois semaines après avoir été interrogé sur ce sujet, vous ne puissiez pas répondre de manière transparente et honnête. La question n’est pas compliquée.

Je crois comprendre pourquoi le gouvernement refuse de répondre à la question. Je serais également gêné si je faisais partie d’un gouvernement qui paie 44 milliards de dollars d’intérêts pour l’exercice financier en cours sur une dette qui a doublé depuis son arrivée au pouvoir. J’aurais honte d’avancer ce chiffre. Vous avez eu amplement l’occasion de répondre à la question.

Je peux comprendre cette honte, car, pour l’exercice en cours, le gouvernement est sur le point de dépenser autant d’argent pour les intérêts de la dette nationale que pour les paiements de transfert en matière de santé, ce qui explique qu’un Canadien sur cinq — et j’oserais dire un sur quatre dans certaines provinces — n’a même pas de médecin de famille.

J’ai une autre question à vous poser, et elle est encore plus simple. Si on examine la situation financière actuelle, on constate que le gouvernement dépense presque autant en paiements d’intérêts sur la dette qu’en paiements de transfert en matière de santé.

En 2015, j’étais au Sénat lorsque le gouvernement de l’époque dépensait 27 milliards de dollars en paiements d’intérêts sur la dette que les gouvernements précédents avaient accumulée. Cela représentait deux tiers de moins que ce qu’ils payaient en transferts aux provinces dans le domaine de la santé.

Si vous n’étiez pas un représentant du gouvernement libéral dans cette enceinte et que vous étiez un citoyen canadien moyen, lequel de ces deux tableaux financiers préféreriez-vous?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je pense que les Canadiens ont répondu à ces questions lors de plusieurs élections.

La réalité, honorables collègues, c’est que les investissements que le gouvernement a faits, avec l’appui de tous les partis dans cette enceinte et à l’autre endroit, pour composer avec la pandémie et assurer la relance ont permis au Canada de sortir de cette crise mondiale avec une économie forte et de se trouver en bonne posture pour l’avenir. Les investissements que ce gouvernement a faits pour aider les Canadiens à composer avec ces difficultés économiques que nous connaissons, qu’il s’agisse du prix des aliments ou des logements, ont également permis d’éviter aux Canadiens les pires conséquences de cette situation, ou à tout le moins de les atténuer.

Le gouvernement n’a pas à avoir honte de cela, et moi non plus, en tant que représentant du gouvernement.

C’est une façon appropriée d’exercer une bonne gouvernance afin d’aider les Canadiens à traverser une période difficile et de prendre les mesures nécessaires pour que l’économie puisse tenir bon et prendre son essor dans les jours, les mois et les années à venir.

L’environnement et le changement climatique

Les émissions de méthane

L’honorable Mary Coyle : Sénateur Gold, en 2021, les libéraux fédéraux se sont engagés à établir un centre d’excellence mondial sur la détection et l’élimination du méthane. Comme vous le savez fort bien, le méthane provient des vapeurs et des fuites pendant la production pétrolière et gazière ainsi que de diverses pratiques agricoles et de sites d’enfouissement. Le méthane représente environ 13 % des émissions de gaz à effet de serre du Canada, ce qui est considérable.

Le Canada compte déjà de nombreux experts en mesure du méthane, notamment M. David Risk du Flux Lab de l’Université St. Francis Xavier, qui a remporté un prix Clean50 pour le travail réalisé par son équipe dans la mesure des émissions de méthane à plus de 7 000 sites dans les régions où on exploite le pétrole et le gaz au Canada. Le commissaire à l’environnement et au développement durable a récemment rapporté que les méthodes utilisées par Environnement et Changement climatique Canada sous-estiment peut-être dans une proportion de 25 à 90 % les émissions de méthane provenant de l’industrie pétrolière et gazière. En dépit de la nécessité évidente de pousser les recherches et de raffermir son engagement, le gouvernement n’a pas inclus le centre dans le budget fédéral de 2023.

(1440)

Sénateur Gold, le gouvernement fédéral est-il toujours déterminé à établir un centre d’excellence sur la détection et l’élimination du méthane? Pouvons-nous nous attendre à voir ce projet figurer dans l'Énoncé économique de l’automne de 2023?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Une réduction draconienne des émissions de méthane constitue l’un des moyens les moins chers et les plus rapides de réduire l’ensemble des émissions et lutter contre le changement climatique, comme vous le soulignez à juste titre. Voilà pourquoi le gouvernement du Canada collabore avec divers intervenants et partenaires pour mettre en œuvre une réglementation dans le secteur pétrolier et gazier.

On m’a informé que le gouvernement est en voie de réduire les émissions de méthane provenant du secteur pétrolier et gazier de 75 % d’ici 2030, ce qui constitue vraisemblablement la cible la plus ambitieuse au monde.

Pour ce qui est des détails précis de votre question, sénatrice Coyle, je les porterai à l’attention du ministre.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup. Je suis impatiente d’entendre la réponse. Sera-t-elle dans l’énoncé économique de l’automne ou pas?

En octobre 2021, le gouvernement du Canada s’est engagé à réduire les émissions de méthane du secteur pétrolier et gazier, comme vous l’avez dit vous-même, d’au moins 75 % d’ici 2030. Les nouveaux objectifs fédéraux de réduction des émissions de méthane devraient être annoncés plus tard cette année. Or, les accords d’équivalence signés par l’Alberta, la Colombie-Britannique et la Saskatchewan permettent à ces trois provinces de s’en tenir à leurs règlements actuels, qui ont été établis alors que l’objectif fédéral de réduction des émissions de méthane était de 45 % d’ici 2025.

Sénateur Gold, pourriez-vous nous dire ce que le gouvernement fédéral entend faire, s’il a l’intention de faire quoi que ce soit, pour aider les provinces à atteindre ces objectifs et pour les convaincre d’être plus ambitieuses et de resserrer leur réglementation afin de l’harmoniser avec la cible fédérale de 2030?

Le sénateur Gold : Je vous remercie. La réglementation environnementale et l’environnement en général sont de compétence partagée. Le gouvernement discute avec tous les territoires et les provinces qui le veulent et qui ont aussi pour objectif de réduire leurs émissions, de lutter contre les changements climatiques et d’assurer une transition harmonieuse vers une économie plus verte et plus durable. Ces objectifs sont d’autant plus importants dans le secteur pétrolier et gazier, qui se révèle d’ailleurs à bien des égards un innovateur hors pair.

Pour répondre à votre question, et comme vous le savez sans doute déjà, le Canada se fie aux données scientifiques et à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques pour établir ses cibles de réduction des émissions.

Pour ce qui est des aspects techniques de votre question, je les porterai à l’attention du ministre.

[Français]

Les affaires étrangères

Les relations entre le Canada et l’Arabie saoudite

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Gold, il y a deux ans, le Sénat a adopté une motion demandant au gouvernement d’accorder la citoyenneté canadienne à Raïf Badawi, le prisonnier politique saoudien. Or, il n’y a eu aucune suite après l’adoption de la motion.

Au cours des cinq dernières années, les rapports diplomatiques entre le Canada et l’Arabie saoudite ont été suspendus en raison d’un gazouillis de la ministre Chrystia Freeland qui visait M. Badawi. Toutefois, on annonce un retour aux relations diplomatiques normales.

Sénateur Gold, maintenant que les rapports diplomatiques sont rétablis, est-ce que le gouvernement canadien prévoit d’accorder la citoyenneté canadienne à Raïf Badawi, ou est-ce que le prix de ce retour à la normale est notre silence en ce qui a trait aux violations des droits de la personne par le régime saoudien?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sénatrice Miville-Dechêne, je vous remercie de la question. Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, le gouvernement du Canada demeure extrêmement préoccupé par le cas de Raïf Badawi et continue à suivre son cas de près et il continuera à défendre sa cause.

À cet égard, le gouvernement a soulevé et continue de soulever le cas de M. Badawi aux plus hauts niveaux auprès de l’Arabie saoudite, et il a demandé à plusieurs reprises que la clémence lui soit accordée. Nous souhaitons sincèrement que M. Badawi soit réuni avec sa famille. Pour ce qui est de votre question, nous la porterons à l’attention du ministre.

La sénatrice Miville-Dechêne : Je vous remercie de ces précisions. Maintenant que les rapports diplomatiques sont rétablis, le Canada aura bientôt un ambassadeur à Riyad. Il semble, à tout le moins, que ce soit une occasion de plaider la cause de M. Badawi directement et en personne auprès des Saoudiens.

Raïf Badawi a été emprisonné pour ses opinions politiques. À quand un passeport provisoire ou un sauf-conduit afin qu’il puisse enfin rejoindre sa femme et ses enfants qui sont privés de lui, au Québec, depuis plus de 10 ans?

Le sénateur Gold : Encore une fois, le gouvernement souhaite que M. Badawi soit réuni avec sa famille. Grâce au rétablissement des rapports diplomatiques, je suis convaincu que sa cause sera davantage plaidée. On l’espère, effectivement.

[Traduction]

Agriculture et forêts

Les travaux du comité

L’honorable Sharon Burey : Je prends la parole aujourd’hui pour poser une question au président du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts.

Sénateur Black, en votre qualité de président du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, je tiens à vous féliciter, vous et votre comité, ainsi que le Sénat, d’avoir entrepris cette étude cruciale sur la santé des sols. Après tout, la santé des sols, c’est aussi la santé des gens.

La sécurité alimentaire occupe une part importante du mandat de cette étude. Compte tenu de l’expérience récente durant la pandémie du point de vue des pénuries alimentaires, des problèmes de la chaîne d’approvisionnement et de l’augmentation soutenue et spectaculaire du coût des denrées alimentaires, voici ma question, sénateur Black : le comité envisage-t-il de réaliser une étude sur la sécurité alimentaire après avoir achevé son étude sur la santé des sols?

L’honorable Robert Black : Je vous remercie, honorable collègue, de votre question et de votre travail assidu au Comité de l’agriculture et des forêts. Je vous remercie également de votre déclaration importante plus tôt aujourd’hui.

Honorables sénateurs, comme il a été souligné, la sécurité alimentaire fait partie de l’ordre de renvoi au Comité sénatorial de l’agriculture à propos de l’étude sur l’état de la santé des sols. Les Canadiens et le monde entier sont bien conscients du dur labeur des agriculteurs, des producteurs et des transformateurs pour nous permettre de nous nourrir trois fois par jour. Les liens entre la santé des sols et la sécurité alimentaire continuent d’être soulevés par les membres du comité et par les témoins qui se sont présentés à nos réunions. Cela dit, j’espère aussi que le Sénat approuvera une étude additionnelle sur la sécurité alimentaire à un moment donné.

J’en profite pour saluer nos collègues du Comité de l’agriculture de l’autre endroit, qui ont conclu une étude succincte et efficace sur la sécurité alimentaire le mois dernier. Je vous encourage à la consulter. Elle indique les principales mesures que le gouvernement peut prendre dans ce dossier, dont les suivantes : pallier les pénuries de main-d’œuvre, augmenter le soutien aux systèmes alimentaires locaux et régionaux, et protéger et surveiller les grandes prairies herbeuses et les terres humides du Canada.

Je vous remercie de la question, madame la sénatrice, et j’espère continuer de parler de la sécurité alimentaire au comité et ici, au Sénat. Merci beaucoup.

Le Cabinet du premier ministre

Le rôle du représentant du gouvernement

L’honorable Marty Klyne : Ma question s’adresse au sénateur Gold. Lors de notre débat du 25 avril, vous avez exprimé votre inquiétude sur le fait que, huit ans après le début de la réforme visant à rendre le Sénat plus indépendant, seules des mises à jour mineures ont été apportées à notre Règlement. Par exemple, le Sénat ne peut pas tenir de vote sur des projets de loi d’initiative parlementaire si ne serait-ce qu’un petit groupe de sénateurs cherche à empêcher la mise aux voix. En 2019, ce type d’obstruction a sonné le glas de 15 projets de loi d’initiative parlementaire de la Chambre des communes. En 2020, les sénateurs Sinclair et Dalphond ont proposé une réforme visant à assurer l’équité et la transparence de notre processus relativement aux initiatives indépendantes. Leur modèle est basé sur le Règlement de la Chambre des communes et sur la proposition de 2014 du caucus conservateur du Sénat et du sénateur Joyal.

Alors que de nombreux projets de loi d’initiative parlementaire traînent au Feuilleton, est-il temps de changer les règles?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de soulever cette question. Premièrement, je signale que les propos que j’ai tenus et auxquels vous faites référence ne s’appliquaient pas au Règlement en général, mais bien à la reconnaissance juste et équitable des groupes parlementaires dans les diverses procédures prévues dans le Règlement du Sénat, car à ce chapitre, j’estime effectivement qu’il est urgent d’intervenir, et je crois que ce sentiment est partagé par beaucoup d’entre nous.

Cela dit, le traitement adéquat des projets de loi d’initiative parlementaire est une partie importante du travail du Sénat que les parlementaires de l’autre endroit et les Canadiens apprécient grandement. Par exemple, le sénateur Harder a écrit un article au sujet du veto indirect ou silencieux du Sénat à l’égard des projets de loi d’initiative parlementaire qui nous parviennent de l’autre endroit, et il a décrit comment l’exercice de ce veto a entaché la réputation du Sénat par le passé.

Mon bureau, le bureau du représentant du gouvernement au Sénat, appuie depuis longtemps le principe selon lequel le Sénat devrait débattre et étudier pleinement les initiatives législatives et parlementaires et selon lequel les projets de loi devraient pouvoir franchir les étapes législatives de manière appropriée à la suite d’un débat et d’une étude adéquats. Bien que le bureau du représentant du gouvernement au Sénat aimerait que les projets de loi d’initiative parlementaire soient débattus rapidement, à l’heure actuelle, la gestion des affaires n’émanant pas du gouvernement est un aspect sur lequel les groupes et les sénateurs doivent s’entendre collectivement. J’ai cru comprendre que des discussions sont en cours entre les leaders adjoints et les coordonnateurs en vue de faire progresser plusieurs projets de loi qui n’émanent pas du gouvernement.

(1450)

Si je peux me permettre de faire une observation, qui ne représente que mon opinion, je le souligne, je pense qu’il y a deux problèmes concernant la façon dont nous traitons les affaires qui n’émanent pas du gouvernement. Le premier problème est celui dont vous avez parlé concernant le fait qu’un projet de loi n’émanant pas du gouvernement peut rester au neutre jusqu’à ce qu’une entente soit négociée ou qu’un effort concerté plus musclé soit mené du côté de la procédure. Le second problème que nous sommes nombreux à avoir constaté, je le sais, est que, bien souvent, les projets de loi n’émanant pas du gouvernement sont traités à la hâte, parfois sans examen exhaustif, parce qu’il faut respecter les ententes conclues. Souvent, les projets de loi d’intérêt privé sont adoptés par le Sénat sans être amendés et ce n’est pas parce qu’ils sont parfaits. Les mesures législatives présentées par le gouvernement obtiennent beaucoup plus d’attention et sont étudiées plus en profondeur.

En ce qui concerne la modification du Règlement au sujet d’autres affaires — je m’excuse, honorables sénateurs, de la longueur de ma réponse, mais je crois que c’est important —, au bureau du représentant du gouvernement, nous sommes toujours ouverts à discuter des politiques avec nos collègues. Je me souviens de la proposition que vous m’aviez soumise il y a plusieurs années. C’était une proposition créative et bien présentée qui était fondée sur une autre proposition qu’avait présentée l’ancien sénateur White. Je me souviens également que d’autres sénateurs ont lancé différentes idées intéressantes, notamment celle d’instaurer un système de loterie semblable à celui de l’autre endroit.

Pour que le Sénat puisse modifier les règles sur le traitement des affaires n’émanant pas du gouvernement, il faut commencer par connaître les options politiques qui font consensus. Ne serait-ce que pour avoir une meilleure idée de la chose, je verrais très bien le Comité du Règlement du Sénat se saisir de l’affaire, examiner la proposition dont vous avez parlé, évaluer les pratiques et les méthodes de l’autre endroit et recenser tout ce qui pourrait nous permettre de moderniser nos façons de faire.

Le sénateur Klyne : Sénateur Gold, vous avez peut-être déjà répondu à cette question, mais j’aimerais que vous nous en disiez plus, car cela pourrait être l’occasion de souligner quelque chose.

Dans l’un de ses derniers discours au Sénat, l’honorable Murray Sinclair a dit ceci : « [L]e Sénat devrait procéder à l’adoption de règles équitables et transparentes, qu’il y ait ou non unanimité. »

Il a poursuivi ainsi :

[L’approche procédurale aurait] aussi comme avantage que les changements internes pourraient être réalisés dans un délai raisonnable.

Qu’en pensez-vous?

Le sénateur Gold : Je vous remercie. Je suis d’accord. Pour commencer, consensus et unanimité ne sont pas synonymes, et l’unanimité ne devrait jamais être le seuil à atteindre pour changer quoi que ce soit au Sénat, car ce serait la paralysie assurée. Cela étant, comme je viens de le dire, pour ce qui est des affaires n’émanant pas du gouvernement, à la lumière des différentes propositions qui ont été faites dans le passé, je crois que nous devons nous doter d’un processus qui permettrait de dégager un consensus politique, ou du moins d’avoir un portrait juste de la situation. J’invite encore une fois le Comité du Règlement à se saisir de l’affaire.

Vous avez parlé du sénateur Murray Sinclair. Cet homme valait la peine d’être écouté. Sa vision du Sénat, qu’il voyait comme le conseil des aînés du Canada, pourrait très certainement nourrir les efforts que nous continuons de faire pour moderniser notre institution et faire en sorte qu’elle corresponde davantage à la réalité d’aujourd’hui, d’une part, et qu’elle réponde mieux aux besoins actuels, de l’autre.

[Français]

Le patrimoine canadien

La Commission sur l’état d’urgence

L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Le 18 mai dernier, j’ai déposé une plainte au commissaire aux langues officielles pour des manquements commis par la Commission sur l’état d’urgence en ce qui a trait à la traduction, sur son site Web, de la documentation anglophone déposée, notamment, par le Bureau du premier ministre et par le Conseil privé, dont un document extrêmement important, et non le moindre, soit la note de service invoquant la Loi sur les mesures d’urgence qui a servi de base au Conseil des ministres pour prendre la décision.

Cette note de service est rédigée uniquement en anglais. Elle est caviardée, en partie, mais la partie non caviardée est uniquement en anglais. Ce n’est pas très pratique pour les francophones.

La ministre Petitpas Taylor a déclaré que cela était inacceptable. Si c’est le cas, le gouvernement s’engage-t-il à produire la traduction française de la documentation anglaise qui est sur le site Web de la Commission sur l’état d’urgence et qui a été déposée à titre de preuve?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Je partage complètement l’opinion de la ministre Petitpas Taylor. Pour ce qui est de la question que vous avez posée, je vais poser la question directement au ministre.

Le sénateur Carignan : Également, j’aimerais vous poser une question au sujet des témoignages. Les témoignages anglais ont été traduits en français, mais les témoignages en français n’ont jamais été traduits en anglais. Cela réduit évidemment la portée du témoignage des personnes qui ont choisi de parler en français. La portée de leur message ou de leur témoignage n’est pas divulguée ou publiée de la même façon que les témoignages anglais.

Étant donné qu’on a prévu plus de 324 000 $ pour la traduction, le gouvernement s’engage-t-il à traduire en anglais les témoignages français, d’autant plus que le Bureau du Conseil privé est responsable des archives de la Commission sur l’état d’urgence?

Le sénateur Gold : Encore une fois, je partage votre préoccupation, cher collègue. Je vais ajouter cela aux questions que je vais poser au ministre.

[Traduction]

Les affaires étrangères

L’ingérence étrangère

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, ma question suivante concerne l’opération de camouflage menée par le prétendu rapporteur spécial indépendant du premier ministre sur l’ingérence étrangère. Les dés étaient pipés depuis le début, et tout le monde a vu venir le coup. Le gouvernement Trudeau fera tout ce qui est en son pouvoir pour ne jamais autoriser une enquête publique sur l’ingérence de Pékin dans nos élections.

Dans le rapport et les observations qu’il a adressés aux médias, le rapporteur spécial a jeté le blâme sur les médias et l’opposition. Il a déclaré que les dénonciateurs du Service canadien du renseignement de sécurité étaient mal intentionnés. Il ne s’est penché que sur certaines fuites, et le nom de la Fondation Pierre‑Elliott-Trudeau n’apparaît nulle part dans son rapport. Tout cela découle directement de la stratégie du premier ministre Trudeau, qui aurait pu rédiger lui-même ce rapport. Il n’était pas nécessaire de prendre la peine de désigner un rapporteur spécial.

Monsieur le leader, comment se fait-il que le prétendu rapporteur spécial et cette opération de camouflage aient plus de poids que la majorité des députés qui ont voté en faveur de la tenue d’une enquête publique?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement du Canada fait confiance au rapporteur spécial, l’honorable David Johnston, et à la qualité de son rapport, que j’invite à nouveau les députés et les Canadiens à lire.

Bien que cela devienne lassant, je vais devoir continuer à dire que les imputations et les remises en question de l’intégrité de l’ancien gouverneur général et du premier ministre, ainsi que l’utilisation de mots et d’expressions comme « opération de camouflage », « les dés étaient pipés » et tout le reste sont indignes du Sénat. L’ingérence étrangère est une question sérieuse. Le gouvernement l’a prise très au sérieux et, en effet, ceux d’entre vous qui ont pris le temps de lire le rapport ont remarqué qu’à la partie VI(2), il y a une longue liste d’initiatives lancées par le gouvernement pour s’attaquer à l’ingérence étrangère dans les élections, et ce n’est qu’un début, selon une annonce du rapporteur spécial.

Les questions sérieuses qui touchent à notre sécurité et à notre bien-être doivent être examinées sérieusement par des gens sérieux. Les insinuations et les imputations de manque d’intégrité sont tout simplement bien loin de satisfaire à ce critère.

Le sénateur Plett : Nous savons tous, monsieur le leader, que la présence de l’opposition dans cette assemblée constitue certes un inconvénient pour le gouvernement — mais c’est votre problème. Vous êtes fatigué de répondre à des questions, et nous sommes fatigués de poser des questions pour lesquelles vous n’avez pas de réponse ou auxquelles vous refusez de répondre. Pourquoi n’appelez-vous pas le premier ministre pour avoir des réponses si vous ne les connaissez pas? Le rapporteur spécial, dont le poste a été créé par le premier ministre, a demandé à un juge s’il était en situation de conflit d’intérêts étant donné les liens qu’il entretient depuis longtemps avec la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau et la famille Trudeau. Est-on étonné d’apprendre que le juge en question est un ami proche du rapporteur spécial et qu’il a lui aussi des liens très étroits avec la Fondation Pierre-Elliott-Trudeau? Le prétendu rapporteur spécial a également retenu les services d’une avocate pour l’aider à s’acquitter de son mandat. Est-on étonné d’apprendre que l’avocate en question a fait don de plus de 7 500 $ au Parti libéral fédéral depuis 2006?

Une voix : Non.

Le sénateur Plett : C’est ridicule. Ne serait-il pas formidable que le gouvernement Trudeau fasse autant d’efforts pour protéger les Canadiens que pour essayer de camoufler le fait que — et j’utilise de nouveau l’expression — « les dés étaient pipés »...

Son Honneur la Présidente : Avez-vous une question, sénateur Plett?

Le sénateur Plett : Oui, j’ai une question. Le premier ministre n’a jamais voulu d’une enquête publique. Il a déployé des efforts considérables pour éviter une telle enquête parce que l’ingérence de Pékin a servi ses intérêts.

(1500)

Monsieur le leader, voici la question : le premier ministre a conçu toute cette farce pour se soustraire à ses responsabilités. Selon les sondages, une majorité de Canadiens veulent une enquête publique, mais votre gouvernement libéral a essentiellement déclaré qu’ils perdaient leur temps. N’est-ce pas? Je sais que vous ne voulez pas répondre à cette question, mais ayez le courage de faire ce qu’il faut.

Le sénateur Gold : Je vais y répondre. Vous avez tort, tout à fait tort. Une fois de plus, j’aimerais que l’opposition dans cette enceinte ne soit pas...

Le sénateur Plett : Vous souhaitez qu’il n’y ait pas d’opposition.

Le sénateur Gold : Non, je serais heureux si l’opposition était aussi indépendante que vous le prétendez. J’aimerais qu’il y ait une opposition qui ne fasse pas passer la partisanerie avant la protection de la sécurité nationale du Canada. J’aimerais que nous ayons une opposition ou un chef de l’opposition à l’autre endroit qui ait le courage de lire les informations au lieu de se protéger lui-même...

Des voix : Oh! Oh!

Le sénateur Gold : ... il s’est protégé de manière à pouvoir, sans aucun fondement, raconter n’importe quelle histoire sans s’embarrasser des preuves, dont il a pourtant été invité à prendre connaissance.

Son Honneur la Présidente : La période des questions est terminée.

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je souhaite tout d’abord dire quelque chose. Je tiens à rappeler aux honorables sénateurs quelques points au sujet de la période des questions. Ils sont tirés de l’article 4-8(1) du Règlement du Sénat, que je lis une fois de plus :

Pendant la période des questions, tout sénateur peut, sans préavis, poser une question orale :

a) au leader du gouvernement concernant les affaires publiques;

Je voulais simplement le rappeler aux sénateurs. Par ailleurs, si vous posez une question au président d’un comité, ce doit être « [...] concernant les activités de ce comité ».

Je vous demande donc de garder à l’esprit que c’est ce que prévoient les alinéas a) et c) de l’article 4-8(1) du Règlement. Merci.

Sénateur Plett, souhaitez-vous invoquer le Règlement?

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Non, Votre Honneur. Vous avez répondu à mon rappel au Règlement, qui portait sur une question posée au président d’un comité au sujet des travaux que le comité pourrait entreprendre plutôt que sur les travaux en cours. Vous y avez répondu. Merci, Votre Honneur.

L’honorable Brent Cotter : Votre Honneur, au sujet du rappel au Règlement, il est évident que la question a deux volets, y compris celui permis par le Règlement, et la présidence a répondu à la question à cet égard.

Son Honneur la Présidente : Selon moi, le sénateur Plett n’a pas fait de rappel au Règlement, mais plutôt un commentaire.

Réponses différées à des questions orales

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer les réponses aux questions orales suivantes :

Réponse à la question orale posée au Sénat le 21 mars 2023 par l’honorable sénatrice Wallin, concernant Postes Canada.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 28 mars 2023 par l’honorable sénatrice Martin, concernant le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes.

Les services publics et l’approvisionnement

Postes Canada

(Réponse à la question posée le 21 mars 2023 par l’honorable Pamela Wallin)

Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC) :

Le gouvernement a établi le Protocole du service postal canadien en 2009 afin de décrire ses attentes au sujet des normes de Postes Canada en matière de prestation de services postaux aux Canadiens, et s’est engagé à le passer en revue tous les cinq ans pour déterminer s’il est nécessaire de l’adapter en fonction des besoins changeants. En 2018, le gouvernement a affirmé que Postes Canada s’attendait à continuer à répondre aux attentes existantes énoncées dans le Protocole.

En 2022, le gouvernement a entrepris une recherche sur l’opinion publique auprès des Canadiens afin d’obtenir leur point de vue sur le courrier et de connaître leurs attentes à l’égard de Postes Canada, en particulier dans le sillage de la pandémie de COVID 19, laquelle a accéléré considérablement la transition de Postes Canada d’entreprise de poste lettres à entreprise axée principalement sur l’expédition de colis.

Cette recherche visait à sonder l’opinion des Canadiens afin de permettre au gouvernement de respecter son engagement à passer en revue le Protocole du service postal canadien tous les cinq ans et de vérifier si le gouvernement respecte son mandat de : veiller à ce que Postes Canada fournisse à un prix raisonnable les services de grande qualité auxquels s’attendent les Canadiens et rejoigne plus efficacement les Canadiens vivant dans les régions rurales et éloignées.

Aucune des questions posées ne devrait constituer une indication de l’orientation, des politiques ou d’un examen attentif futurs.

Les finances

Le Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes

(Réponse à la question posée le 28 mars 2023 par l’honorable Yonah Martin)

Exportation et développement Canada (EDC)

Accenture a reçu 208 087 624,97 $ en contrats visant l’administration du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes (CUEC), dont 71 millions de dollars qui seront reçus par Accenture en vertu des contrats actuellement en vigueur et venant à échéance en janvier et février 2024. Exportation et développement Canada (EDC), une société d’État financière indépendante du gouvernement du Canada et régie par un conseil d’administration, a pris la décision de passer et de négocier avec Accenture les contrats relatifs à l’administration du CUEC. Elle a fourni des services de renforcement du personnel et des services technologiques, et non des conseils de consultant.

Accenture, qui a rejoint l’équipe du CUEC au début du programme, a joué un rôle clé dans l’élaboration d’un programme couronné de succès qui a appuyé près de 900 000 petites entreprises sous forme d’un soutien financier total de plus de 49 milliards de dollars. La nature complexe des exigences du programme a nécessité l’affectation de ressources internes et externes afin d’assurer le développement et le lancement rapides du programme. Accenture offre plusieurs services de base dont l’entretien de plateformes numériques d’arrière-plan, le bon fonctionnement du centre d’appels pour les clients et l’élaboration des ressources et outils à l’intention des demandeurs. Compte tenu du rôle d’Accenture dans le cadre du CUEC afin d’offrir des services technologiques de manière continue et à titre de fournisseur de logiciel-service, EDC s’attend à ce qu’un contrat d’entretien et de soutien soit négocié pour appuyer les activités de perception qui sont toujours en cours.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté le 7 décembre 2021, je souhaite aviser le Sénat que la période des questions avec l’honorable Marco E. L. Mendicino, c.p., député, ministre de la Sécurité publique, aura lieu le mercredi 31 mai 2023, à 14 h 15.

[Français]

Le Code criminel
La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels
La Loi sur le transfèrement international des délinquants

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Busson, appuyée par l’honorable sénatrice Coyle, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants.

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole du projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants, déposé par l’honorable Marc Gold, leader du gouvernement libéral au Sénat.

Honorables sénatrices et sénateurs, ce projet de loi est une réponse au jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ndhlovu. La cour a invalidé les dispositions qui exigeaient l’inscription automatique de toute personne déclarée coupable ou non criminellement responsable d’une infraction sexuelle désignée, ainsi que la disposition prévoyant l’inscription obligatoire à perpétuité au Registre national des délinquants sexuels dans le cas de certains délinquants.

Le projet de loi propose trois modifications au Code criminel. Tout d’abord, il modifie les critères qui régissent l’inscription automatique des délinquants sexuels pour donner suite à cette décision de la Cour suprême du Canada. Selon le gouvernement, cette modification garantit que le Registre national des délinquants sexuels reste opérationnel tout en respectant la Charte canadienne des droits et libertés.

Deuxièmement, le projet de loi change les règles de droit relatives aux ordonnances de non-publication. Les juges auront l’obligation de s’informer auprès du poursuivant si les victimes souhaitent qu’une ordonnance de non-publication soit rendue. Les juges auront également l’obligation de s’informer auprès du poursuivant si les victimes souhaitent que des renseignements relatifs à leur dossier leur soient communiqués après la détermination de la sentence.

En dernier lieu, le projet de loi impose certaines exigences supplémentaires aux délinquants sexuels inscrits au registre national. Par exemple, les délinquants sexuels ayant l’intention de se rendre à l’étranger devront donner préavis de leur intention 14 jours avant leur départ.

Honorables sénatrices et sénateurs, bien que je salue l’initiative du gouvernement du Canada dans sa volonté de répondre à la décision de la Cour suprême du Canada et son intention d’améliorer les droits des victimes, j’émets des réserves sur la portée du projet de loi S-12.

Je conteste le fait que le gouvernement du Canada cherche à renforcer le Registre national des délinquants sexuels, comme il le prétend. Il s’agit plutôt, selon moi, d’assurer une conformité à la décision de la Cour suprême du Canada, sans réel objectif de surveiller plus adéquatement les nombreux prédateurs sexuels dangereux en liberté et qui trop souvent récidivent trop souvent, comme le montrent les statistiques sur la criminalité au Canada.

L’un des points qui me semblent d’ailleurs poser un problème concerne les nouvelles règles d’inscription automatique au registre. Le gouvernement Trudeau autoriserait l’inscription automatique au registre sans possibilité de recours seulement aux récidivistes et aux délinquants ayant commis des crimes sur des mineurs. Cette approche me semble limitée et semble nier totalement la réalité de la violence sexuelle envers les femmes.

Selon la Division de la recherche et de la statistique, les femmes sont agressées sexuellement plus souvent; il survient 37 incidents pour 1 000 femmes, si l’on compare au chiffre de 5 incidents pour 1 000 hommes; c’est donc sept fois plus. Dans les territoires du Canada, les femmes étaient environ trois fois plus nombreuses que les hommes à avoir été agressées sexuellement au moins une fois depuis l’âge de 15 ans. On parle donc d’environ 18 000 femmes comparativement à environ 6 000 hommes. Il faut aussi rappeler que la tranche d’âge des 18 à 24 ans est celle où les femmes sont les plus susceptibles d’être agressées sexuellement.

Je rappelle également que la majorité des agressions sexuelles ne sont pas signalées à la police et que beaucoup de femmes souffrent en silence. Au cours des dernières années, les agressions sexuelles sont des crimes qui ont connu une importante augmentation au Canada. Il est donc, selon moi, réducteur de limiter l’inscription automatique au registre sans possibilité de recours seulement aux mineurs et aux récidivistes. C’est une vision tronquée de la criminalité qui ne prend pas en compte la violence sexuelle envers les femmes, qui ne cesse d’augmenter d’année en année, comme je viens de l’affirmer.

Chers collègues, j’aimerais continuer mon argumentaire en parlant des mesures proposées dans le projet de loi S-12 en ce qui concerne les règles de droit relatives aux ordonnances de non‑publication.

Tout d’abord, les victimes ne devraient pas être tenues responsables légalement si elles racontent leur propre histoire. Cette question doit être abordée dans le projet de loi S-12 afin de garantir que les victimes puissent s’exprimer librement et sans crainte de représailles. En mars 2021, une victime de Kitchener-Waterloo a été accusée, poursuivie et reconnue coupable d’avoir enfreint ses conditions d’interdiction de publication pour avoir envoyé, par courrier électronique, une transcription des délibérations du tribunal à ses proches. La condamnation a ensuite été annulée en appel en raison d’un détail technique, mais cette histoire montre très bien que les victimes d’actes criminels ne sont pas considérées dans notre système de justice, et qu’elles peuvent être victimisées de nouveau par ceux qui sont censés les défendre et les protéger.

Deuxièmement, le consentement de la victime doit être requis avant qu’un interdit de publication ne soit ordonné à son nom. Beaucoup de procureurs de la Couronne imposent des ordonnances de non-publication au début d’une affaire judiciaire, lors de la première comparution du délinquant, et la victime n’est pas présente la plupart du temps.

(1510)

Les victimes ne sont donc pas informées ni consultées, ce qui ne respecte pas leurs droits à l’information et à la participation, qui sont inscrits dans la Charte canadienne des droits des victimes. Elles sont tout simplement écartées de la décision judiciaire et tenues au silence, alors qu’elles sont les premières concernées et, par conséquent, les premières qui devraient être informées.

Pour remédier à ce problème, le projet de loi S-12 propose seulement de consulter la victime, alors qu’il devrait plutôt préciser que le consentement est nécessaire. Les victimes devraient avoir le choix de s’exprimer publiquement sur leurs histoires si elles considèrent qu’il est dans leur intérêt de le faire. Personne ne devrait avoir le droit de le leur interdire ou d’imposer des limites à cette liberté sous prétexte de vouloir les protéger. Dans le cas où le consentement ne peut être obtenu pour diverses raisons, le projet de loi devrait prévoir que la victime doit être informée des conséquences de l’interdiction de publication et de la façon dont cette interdiction peut être levée si la victime le souhaite.

De plus, chers collègues, le projet de loi aurait dû prévoir une simplification du processus de levée de l’interdiction de publication, qui est actuellement long et fastidieux. La victime ne devrait pas être obligée de retourner devant un juge pour demander la levée de l’interdiction. Une procédure simplifiée aurait donc dû être prévue dans le projet de loi S-12.

En mai 2021, une victime d’Ottawa, Morrell Andrews, a demandé au procureur de la Couronne associé à son dossier une audience pour lever l’interdiction de publication, mais le procureur a déclaré qu’elle n’était pas sûre de la procédure ou de la politique en vigueur ni si le ministère public consentirait à la levée de l’interdiction. Après avoir fait cette demande directement au juge pendant l’audience de détermination de la peine, Mme Andrews s’est fait dire que le juge n’était plus compétent.

Lorsqu’un troisième procureur de la Couronne a finalement demandé la levée de l’interdiction de publication devant le tribunal, l’avocat de la défense du criminel présumé s’est opposé à la demande et a été autorisé à présenter des arguments sur les raisons pour lesquelles l’interdiction ne devait pas être levée. Cette avocate n’a jamais donné son consentement pour une interdiction de publication.

Est-il normal que ce soit l’agresseur qui contrôle la décision de la victime? C’est inacceptable et le projet de loi S-12 perpétuera cette injustice dénoncée au Québec par la juge Guibeault dans une histoire semblable.

En 2021, une victime de Victoria, Kelly Favreau, s’est présentée elle-même devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour demander la levée de son interdiction de publication. Elle a découvert l’existence de cette interdiction quatre ans après la conclusion des procédures judiciaires. Elle a affirmé que ce processus avait de nouveau empiété sur sa liberté et qu’elle se sentait encore une fois victimisée par le système de justice. L’auteur présumé de son affaire a été autorisé à présenter des arguments pour expliquer pourquoi l’interdiction ne devait pas être levée. La victime n’avait jamais consenti à une interdiction de publication.

Ces interdictions de publications sont censées être un outil pour protéger les victimes; elles ne devraient jamais se retourner contre elles. Lorsqu’une victime demande la levée d’une interdiction de publication, une procédure devrait automatiquement être mise en place par le système de justice, afin d’étudier la demande et de décharger la victime de toute responsabilité.

Dans une perspective plus large, je déplore le manque d’engagement du gouvernement Trudeau sur le plan de l’amélioration des droits des victimes.

Avec le projet de loi S-12, le gouvernement ne semble retenir qu’une infime partie du rapport intitulé Améliorer le soutien aux victimes d’actes criminels, du Comité permanent de la justice et des droits de la personne de l’autre endroit. Il n’a nullement tenu compte du rapport d’étape publié en 2020 par l’ancienne ombudsman fédérale des victimes d’actes criminels.

Le projet de loi S-12 ne devrait pas l’être l’occasion, pour le gouvernement Trudeau, de clamer qu’il améliore les droits des victimes partout au Canada. Il n’a rien fait depuis huit ans, et le projet S-12 n’en fera pas davantage. Premièrement, le Registre national des délinquants sexuels et l’amélioration des droits des victimes sont deux sujets distincts qui devraient être traités dans des projets de loi tout aussi distincts.

Le ministre de la Justice devrait déposer un projet de loi qui reprend en profondeur les deux rapports que j’ai cités. Il devrait aussi s’inspirer de mon projet de loi S-205, afin de mieux faire ses devoirs envers les victimes d’actes criminels.

Je suis préoccupé par la réponse du ministre de la Justice au rapport intitulé Améliorer le soutien aux victimes d’actes criminels.

J’aimerais, chers collègues, vous citer un passage de sa conclusion, qui dit ce qui suit :

Compte tenu de la nature des recommandations du Comité et des divers organismes qui ont le pouvoir de les mettre en œuvre, nous avons l’intention de continuer à soutenir le dialogue, la discussion et l’établissement de partenariats à tous les paliers de gouvernement sur les conclusions du rapport.

C’est une réponse vide de la part du ministre, qui ne s’engage pas à déposer un projet de loi qui pourrait mettre en vigueur les recommandations de ces deux rapports qui, je le rappelle, ne sont aucunement controversées et qui permettraient d’améliorer les droits des victimes d’actes criminels.

Dans une autre perspective, le projet de loi S-12 aurait dû être l’occasion de renforcer le Registre national des délinquants sexuels, de proposer des mesures législatives plus contraignantes envers ces derniers, de donner plus d’outils aux policiers afin de mieux les identifier et de prévoir des interdictions pour les empêcher de se trouver à proximité des écoles ou des parcs, ou encore des lieux où pourraient se trouver des personnes vulnérables, comme des enfants.

Je conteste l’idée que la récidive chez ces personnes n’est pas élevée et qu’elle demeure stable. De nombreuses femmes et de nombreux enfants partout au pays subissent des agressions sexuelles quotidiennement, qu’ils ne dénoncent pas. Les agressions sexuelles sont une composante criminogène intrinsèque à la violence conjugale. Si, depuis quatre ans, 60 % plus de femmes ont été assassinées au Canada, la récidive a augmenté dans la même proportion. C’est comme 1+1=2.

Je l’ai rappelé au début de mon discours. C’est une réalité dont j’entends également parler grâce aux nombreux témoignages qui me parviennent chaque semaine. L’histoire de ces femmes et de ces hommes qui me racontent leur vécu, leurs drames, leur tristesse et leur désarroi à l’égard d’un système de justice qui les abandonne trop souvent et dans lequel ils n’ont aucune confiance. C’est pour cela qu’ils ne dénoncent pas, chers collègues.

Je rappelle, honorables sénateurs, que le Sénat a fait récemment adopter le projet de loi C-5, qui permet dorénavant à des agresseurs sexuels de purger leur peine à la maison plutôt qu’en prison.

Plusieurs cas ont d’ailleurs été rapportés au Québec à la suite de l’adoption du projet de loi, et le ministre de la Justice du Québec a demandé au gouvernement fédéral de poser des actions afin de s’assurer, pour le bien des femmes victimes d’agressions sexuelles ou de violence conjugale, que les agresseurs ne puissent pas retourner chez eux.

Ce genre de mesure n’aurait jamais dû être acceptée au Sénat sans amendement, car elle accentue le manque de confiance des victimes envers le système de justice. Nous avons une part de responsabilité dans le phénomène de la non-dénonciation. Comment pourrez-vous maintenant dire à une femme de dénoncer son prédateur sexuel, alors que ce dernier a désormais la possibilité de retourner purger sa peine chez lui, dans le confort de sa maison?

J’aimerais également rappeler à cette Chambre que le taux d’agressions sexuelles de niveau 1 a augmenté de 18 % par rapport à 2020, et que le taux d’agressions sexuelles de niveaux 1, 2 et 3 est le plus haut jamais enregistré depuis 1996.

J’aimerais partager avec vous l’histoire d’une famille que j’ai rencontrée à Camrose, en Alberta, le 11 avril dernier. C’est l’histoire d’un jeune homme de 29 ans, Cody McConnell, qui a perdu sa conjointe de 24 ans, Erica Busch, et son fils unique, Noah Lee McConnell, âgé de seulement 16 mois. Il s’agit de deux meurtres sordides perpétrés par un délinquant sexuel récidiviste en liberté illégale.

Cody McConnell et sa fiancée étaient de jeunes parents heureux et comblés par l’arrivée de leur nouvel enfant. Ils se construisaient une nouvelle vie ensemble autour de Noah, dans la joie et le bonheur que peut procurer l’arrivée d’un nouvel enfant. Ils venaient d’ailleurs de déménager dans un nouvel appartement afin de se rapprocher du travail de Cody. Malheureusement, personne ne les a informés qu’ils venaient de déménager à proximité d’un dangereux prédateur sexuel.

Cet homme était un multirécidiviste comptant 24 condamnations criminelles, dont une condamnation en 2013 à Edson pour agression sexuelle grave. Il avait été incarcéré dans un pénitencier fédéral avant d’être libéré en 2017. Lors de sa libération, le Service de police d’Edmonton avait publié un communiqué de presse pour prévenir la population sur la dangerosité de ce prédateur sexuel et sur son risque de récidive sur une femme ou un enfant.

(1520)

Même s’il était inscrit au Registre national des délinquants sexuels, le délinquant a disparu du radar des policiers en 2020. Personne ne savait où il se trouvait ni s’il respectait les conditions auxquelles il était soumis. Il était pourtant loin d’Edmonton et habitait près d’un parc pour enfants et d’une école. Bref, plus personne dans le système de justice public ne se préoccupait de ce dangereux prédateur sexuel.

Dix jours après le déménagement de la famille, soit le 16 septembre 2021, alors qu’il rentrait du travail et qu’il était sans nouvelles de sa conjointe, Cody a retrouvé son appartement vide, sans aucune trace de sa femme et de son enfant.

Quelques heures plus tard, après avoir mené une enquête, la police a retrouvé sans vie Erica et leur fils unique, Noah, qui, je le rappelle, était âgé de 16 mois. Tous deux ont été assassinés par ce délinquant sexuel multirécidiviste qui avait été laissé sans surveillance.

Ce drame n’aurait jamais dû se produire. C’est la faillite de tout un système et ce n’est malheureusement pas un cas unique au Canada. Je pourrais vous donner des dizaines d’exemples d’autres cas.

Est-ce que le projet de loi S-12 prévoit des mesures si un prédateur sexuel ne prévient pas les autorités lorsqu’il déménage? La réponse est non.

Est-ce que le projet de loi S-12 prévoit des mesures pour condamner un prédateur sexuel qui ne fournit pas sa nouvelle adresse et qui déménage dans un lieu situé près d’une école ou d’un parc? La réponse est non.

Est-ce que le projet de loi S-12 aurait pu éviter ce drame? La réponse est non.

Bien que le projet de loi prévoit un mandat d’arrestation si un juge est convaincu qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a contrevenu à l’un des articles 4 à 5.1 de la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels, il n’y a aucune mesure permettant de surveiller un délinquant sexuel durant une longue période pour s’assurer qu’il respecte les conditions de son ordonnance ou permettant de savoir si un délinquant sexuel a déménagé sans en prévenir les autorités.

Honorables sénatrices et sénateurs, un jour, le Canada devra reconnaître un principe fondamental qui m’habite depuis l’assassinat de ma fille Julie par un récidiviste qui était en liberté illégale. Je vais le partager avec vous.

Lorsqu’un citoyen a commis des crimes graves à répétition, qu’il est remis en liberté et qu’on le considère comme à haut risque de récidive, il ne peut plus jouir des mêmes libertés qu’un honnête citoyen respectueux de son prochain et de nos lois.

Un jour, un gouvernement qui est vraiment soucieux de la sécurité des Canadiennes et des Canadiens, un gouvernement qui aura vraiment à cœur d’agir, reconnaîtra ce principe fondamental de justice sociale et de droit à la protection. Malheureusement, ce n’est ni ce projet de loi ni ce gouvernement qui agiront en ce sens.

En conclusion, honorables sénateurs, il n’y a aucune vision dans ce projet de loi. Le gouvernement ne fait que répondre à un jugement de la Cour suprême, car il est contraint d’agir et de respecter la date du 28 octobre 2023 qui a été fixée.

Le drame qu’a vécu cette famille dont je vous ai parlé plus tôt est inacceptable et n’aurait jamais dû se produire. Ce n’est pas le seul cas et il serait nécessaire, pour la sécurité publique, que le gouvernement Trudeau fasse ses devoirs et propose un projet de loi contenant des mesures beaucoup plus coercitives envers les prédateurs sexuels dangereux et les récidivistes.

Il est primordial que le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles prenne le temps d’étudier sérieusement ce projet de loi, afin que les correctifs nécessaires y soient apportés pour redonner aux victimes d’actes criminels, aux familles et à la population en général un minimum de confiance dans nos systèmes de justice et de sécurité publique.

Je vous remercie.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.)

[Traduction]

Projet de loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cormier, appuyée par l’honorable sénatrice Miville-Dechêne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends aujourd’hui la parole à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Les deux communautés de langue officielle en situation minoritaire, à savoir les francophones hors Québec et les anglophones du Québec, réclament depuis des années qu’on modernise la Loi sur les langues officielles. C’est ce que fait le projet de loi C-13, en plus d’essayer de donner suite aux besoins et aux priorités de ces minorités.

Cela dit, les changements proposés sont loin d’être négligeables et ne devraient pas être sanctionnés par le Sénat sans une étude approfondie. Ce projet de loi récrit un demi-siècle de politiques linguistiques fondées sur le principe fondamental selon lequel les deux langues du pays ont le même statut juridique et jouissent des mêmes droits. Or, l’objectif avoué de la nouvelle politique est l’égalité réelle.

Comme le résume le Barreau de l’Ontario :

Au Canada, les décisions de la cour à tous les paliers indiquent clairement que la Charte des droits et libertés et les lois sur les droits de la personne visent à réaliser une égalité « réelle » plutôt que « formelle ».

[Pour qu’il y ait] égalité réelle [...] il faut « reconnaître et répondre aux différences que les membres d’un groupe en particulier peuvent vivre » pour être traités également.

Les dangers qui pèsent sur la culture et la langue françaises au Canada sont aussi réels que considérables. Quoi qu’il en soit, ce projet de loi va plus loin que l’égalité réelle et met en péril les communautés anglophones minoritaires de ma province.

Selon les données du Recensement de 2021, l’anglais est la première langue officielle parlée par plus d’un million de Québécois. Environ 600 000 d’entre eux vivent dans la région économique de Montréal, mais on trouve d’autres petites communautés anglophones dans l’ensemble de la province. Par exemple, on trouve plus de 7 500 Québécois ayant l’anglais comme première langue officielle dans la région de Gaspésie—Îles-de-la-Madeleine, plus de 4 800 dans la région de la Côte-Nord, plus de 24 000 dans la région du Nord-du-Québec, plus de 3 300 en Mauricie, et plus de 5 400 en Abitibi-Témiscamingue. On trouve aussi des Québécois anglophones au Bas-Saint-Laurent, dans la région de la Capitale-Nationale, dans Chaudière-Appalaches, en Estrie, au Centre-du-Québec, en Montérégie, dans la région de Laval, dans Lanaudière, dans les Laurentides, en Outaouais et au Saguenay—Lac-Saint-Jean.

Les difficultés des communautés anglophones du Québec sont mal connues. Heureusement, des comités parlementaires ont étudié ces questions à deux reprises dans les dernières années. En 2011, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a publié un rapport intitulé L’épanouissement des communautés anglophones du Québec : du mythe à la réalité, et en 2018, le Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes a publié un rapport intitulé Pour un engagement réel envers la vitalité des communautés de langue officielle en situation minoritaire.

Des représentants de communautés rurales ont dit au Comité sénatorial des langues officielles qu’il est difficile d’avoir accès aux services gouvernementaux en anglais, que bien des jeunes quittent la région et ne reviennent pas, et que pour ceux qui restent, les perspectives économiques sont faibles. On nous a dit que la seule école primaire anglophone du Bas-Saint-Laurent n’a ni gymnase, ni salle de musique, ni bibliothèque, et que, dans certaines régions, les élèves qui fréquentent des écoles anglophones peuvent passer jusqu’à trois heures par jour dans l’autobus scolaire.

Pourtant, voici ce que Graham Fraser, commissaire aux langues officielles du Canada de 2006 à 2016, a déclaré au comité de la Chambre dans le cadre de son étude :

Il y a [...] un défi de reconnaissance de la réalité des communautés anglophones au Québec. Il s’y est ancré une certaine mémoire historique selon laquelle les communautés anglophones du Québec sont formées de riches propriétaires et de grandes sociétés qui vivent à Westmount et ne parlent pas français. En réalité, les chiffres démontrent que, en dehors de la ville de Montréal, les anglophones des communautés de partout sur le territoire du Québec sont moins prospères et moins éduqués que les francophones et qu’ils ont un taux de pauvreté et un taux de chômage plus élevés. Ils ont exactement les mêmes problèmes d’accès aux services de l’État en anglais que certaines minorités francophones à l’extérieur du pays.

(1530)

En 2021, dans ce contexte, le gouvernement du Québec a présenté le projet de loi 96, Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français. Adoptée en 2022, cette mesure législative modifie la Charte de la langue française du Québec. Surtout, elle prévoit le recours de manière préventive à la disposition de dérogation pour éviter toute contestation aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés. Bref, cette loi permet au gouvernement du Québec de faire abstraction de droits et libertés garantis par la Constitution, sans crainte de contestation judiciaire.

C’est dans le contexte de la modification de la Charte de la langue française du Québec que les anglophones du Québec ont été déçus et inquiets de trouver une mention de la charte québécoise dans le projet de loi modifiant la Loi sur les langues officielles du Canada. Dans le projet de loi C-13, il est fait mention de la charte québécoise à trois reprises. La mention la plus notable est celle qui figure dans les objectifs du projet de loi. Or, ces mentions ne contribuent en rien à renforcer ou à promouvoir les droits et libertés des Canadiens de langue française.

Le projet de loi fait état des dispositions constitutionnelles qui s’appliquent au Québec, au Manitoba et au Nouveau-Brunswick, mais la Charte de la langue française du Québec est la seule mesure législative provinciale dont le nom est mentionné dans le projet de loi fédéral. Cette désignation pose problème parce que la charte québécoise pourrait être modifiée dans l’avenir par n’importe quel gouvernement du Québec d’une façon qui serait susceptible de nuire davantage à la communauté anglophone. Or, sa mention demeurerait dans la Loi sur les langues officielles du Canada. Par surcroît, cette modification crée également une asymétrie entre les droits des communautés de langue officielle en situation minoritaire au Québec et à l’extérieur de cette province.

Voici ce que l’honorable Michel Bastarache, ancien juge à la Cour suprême du Canada, a déclaré au Comité des langues officielles pendant l’étude préalable du projet de loi C-13 :

Je suis personnellement opposé à la référence à une loi provinciale dans la loi fédérale. Je crois que le régime linguistique fédéral est très différent de celui du provincial. Le rôle du commissaire aux langues officielles ne ressemble en rien au rôle de l’Office de la langue française [...]

La Loi sur la langue officielle du Québec, pour ce qui est des langues autres que le français, est plutôt une loi sur la non‑discrimination. Ce n’est pas une loi sur la promotion de l’anglais, alors que la loi fédérale est une loi sur la promotion des langues minoritaires.

Quand l’objet même des lois n’est pas le même ou n’est pas vraiment conciliable, je ne vois pas l’utilité de faire cela. Si le gouvernement est d’accord avec certaines dispositions de la loi québécoise, il n’a qu’à les adopter lui-même.

Qui plus est, dans la mesure où le projet de loi C-13 intègre la Charte de la langue française du Québec à la Loi sur les langues officielles, on nous dit qu’il intégrerait et sanctionnerait de facto l’usage préventif de la disposition de dérogation. C’est principalement pour cette raison, honorables sénateurs, que ce projet de loi doit être étudié par le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous devons connaître toutes les ramifications possibles de cette nouvelle approche.

On a prévenu le gouvernement de ne pas s’engager dans cette voie. Lorsque Patrimoine canadien a publié un document de réforme intitulé Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada en 2021, le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, a réagi comme suit:

Je partage [...] les préoccupations de la communauté d’expression anglaise du Québec, qui craint que l’ajout de composantes asymétriques dans la Loi ne mine le statut égal de l’anglais et du français. C’est pourquoi je recommande fortement au gouvernement de mettre l’accent sur l’égalité réelle plutôt que sur l’asymétrie législative afin de protéger les communautés de langue officielle en situation minoritaire partout au Canada et de favoriser le développement et l’épanouissement des deux langues officielles du Canada. Cela permettra au Commissariat d’intervenir au besoin pour conserver le précieux équilibre entre nos deux langues officielles.

Malgré la mise en garde du commissaire, la référence à la Charte de la langue française du Québec a été incluse dans le projet de loi C-13. Il nous incombe maintenant au Sénat, chers collègues, d’étudier la suggestion du juge Bastarache de supprimer la référence à la Charte de la langue française du Québec et d’insérer à la place les dispositions qui, selon les fonctionnaires, devraient être ajoutées à la Loi sur les langues officielles du Canada.

Le projet de loi C-13 édicte également la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Cette nouvelle loi établit le droit de communiquer en français et d’obtenir des services en français de la part des entreprises privées de compétence fédérale, ainsi que le droit d’effectuer son travail et d’être supervisé en français dans ces entreprises. Cette loi s’appliquera d’abord aux entreprises privées de compétence fédérale au Québec avant d’être étendue à celles des régions à forte présence francophone.

Les entreprises privées de compétence fédérale comprennent les banques, les traversiers et les autobus qui traversent des frontières internationales ou provinciales, ainsi que les entreprises de télécommunications, par exemple les compagnies de téléphone et d’Internet. Ainsi, les francophones, d’abord au Québec, puis dans les régions à forte présence francophone, auront le droit d’obtenir des services auprès de ces entreprises et d’y travailler en français.

Je note que la définition ou la quantification d’une « forte présence francophone » reste à définir dans le règlement.

En outre, la nouvelle loi stipule que les entreprises privées de compétence fédérale au Québec peuvent choisir d’être soumises à la Charte de la langue française du Québec. Ce changement particulier souligne l’asymétrie introduite par le projet de loi C-13.

Honorables sénateurs, pour conclure, je vous invite tous à prendre en considération le fait que la Constitution confère au Sénat deux tâches distinctes. La première consiste à exercer une fonction de contrepoids ou de contrôle à l’égard du Cabinet et de la Chambre des communes. Nos fondateurs ont reconnu l’importance de protéger le droit à la dissidence politique contre les attaques éventuelles d’une majorité incarnée par la Chambre des communes.

La deuxième tâche est de représenter les régions du Canada à l’échelon fédéral. Dans un segment de leur ouvrage intitulé Protéger la démocratie canadienne : Le Sénat en vérité..., l’ancien politicien québécois et professeur Gil Rémillard et son coauteur Andrew Turner expliquent ce qui suit :

Les Pères de la Confédération ont voulu aussi donner comme fonction importante au Sénat de s’assurer que les minorités, à l’origine la population anglophone du Québec et les minorités francophones des autres provinces, soient représentées au Parlement canadien.

C’est à cette condition — où le Sénat défend les intérêts des minorités, même quand la majorité dans l’autre endroit ne le fait pas — que le marché a été conclu avec les Canadiens. Protéger les minorités, y compris la minorité anglophone du Québec, est notre raison d’être.

Honorables collègues, ce projet de loi peut être amélioré. Des changements mineurs peuvent y être apportés pour assurer l’égalité réelle des langues officielles tout en protégeant les droits de la minorité anglophone du Québec. Par conséquent, je vous demande d’accomplir votre mandat et de renvoyer ce projet de loi à deux comités pour étude, soit le Comité sénatorial permanent des langues officielles et le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Merci.

L’honorable René Cormier : La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Seidman : Certainement.

Le sénateur Cormier : Merci, sénatrice Seidman. Tout d’abord, je veux vous féliciter et vous remercier de votre dévouement et de votre engagement dans le dossier des langues officielles. Vous avez fait partie du Comité des langues officielles pendant des années, et vous y avez accompli beaucoup de travail. Vous êtes déterminée à défendre la communauté anglophone du Québec.

Étant donné que le mandat du Comité des langues officielles est vaste et permet à celui-ci d’examiner toute question liée aux langues officielles en général — y compris les droits linguistiques garantis par la Loi constitutionnelle de 1867 et la Charte canadienne des droits et libertés —, que le comité est chargé d’étudier l’application de la Loi sur les langues officielles et de ses règlements, et qu’il a accordé une attention particulière aux questions juridiques et constitutionnelles dans son étude préalable du projet de loi, ne pensez-vous pas que ce comité est le mieux placé pour mener à lui seul l’étude du projet de loi?

La sénatrice Seidman : Merci. Je vais simplement dire très brièvement que je comprends pourquoi vous posez cette question, mais je vous fais remarquer que, lorsque nous sommes saisis d’un projet de loi d’exécution du budget, par exemple, nous le renvoyons à plusieurs comités, parce que les comités ont chacun leur spécialité. Ces comités comptent des experts capables d’analyser des parties d’un projet de loi en fonction de leurs spécialités. Le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles possède la spécialité et l’expertise nécessaires pour comprendre les questions constitutionnelles qui pourraient être menacées par ce projet de loi. De ce point de vue, sa compréhension serait donc mieux adaptée que celle du Comité des langues officielles, à mon humble avis.

(1540)

Son Honneur la Présidente : Votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes supplémentaires, sénatrice Seidman?

La sénatrice Seidman : Je suppose que si mes collègues le souhaitent, je demanderai cinq minutes de plus.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Est-ce que le consentement est accordé?

Des voix : Oui.

[Traduction]

Le sénateur Cormier : Ma question est courte. Érik Labelle Eastaugh, François Larocque, Michel Bastarache, Benoît Pelletier, Robert Leckey, Michel Doucet, David Robitaille et Mark Power sont tous des experts qui ont témoigné devant le Comité des langues officielles lors de son étude préalable et ils ont fourni des éléments de preuve sur les questions juridiques et constitutionnelles entourant le projet de loi.

Madame la sénatrice, compte tenu de l’expertise du Comité des langues officielles, dont vous connaissez les membres, et de sa capacité à inviter des experts à examiner le projet de loi amendé, ne pensez-vous pas que ce comité, fort de toute cette expertise et dont certains sénateurs sont membres depuis de nombreuses années, est bien équipé, mieux équipé, voire le mieux à même d’examiner exclusivement ce projet de loi?

Je reconnais l’expertise du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et de mes collègues qui en font partie, mais nous travaillons sur ce projet de loi — cette loi — depuis 2017. Nous sommes bien outillés pour l’étudier. Qu’en pensez-vous?

La sénatrice Seidman : Je vous remercie. Avec tout le respect que je dois aux membres du comité et à vous-même, qui en êtes le président, vous êtes absolument dévoués et engagés sur cette question — et je respecte cela, croyez-moi, je respecte l’expertise de tous les membres du comité et de tous les experts qui ont témoigné devant le comité —, je pourrais poser la question suivante : n’éprouvons-nous pas la même chose à l’égard de tous les membres du Comité des finances nationales? Or, ce comité n’est pas le seul à étudier un projet de loi d’exécution du budget. Le projet de loi est soumis à différents comités qui disposent de l’expertise nécessaire pour l’examiner sous différents angles. Voilà ce que je peux vous répondre.

L’honorable Percy E. Downe : J’ai une autre question. Depuis le temps que nous sommes au Sénat, vous et moi, c’est la première fois que le parrain et la porte-parole de l’opposition pour un même projet de loi sont président et vice-présidente d’un comité. Avez-vous déjà vu quelque chose de semblable? Selon vous, serait-ce une raison de plus pour renvoyer le projet de loi au Comité des affaires juridiques? Je ne remets pas en cause les qualifications des membres du comité, qui sont très compétents. C’est juste que c’est la première fois que je vois ce genre de chose.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie, sénateur. Je suis ici depuis 2009, et je ne me souviens pas d’un cas semblable. Je ne veux surtout pas discréditer les membres du Comité des langues officielles, ni son président et sa vice-présidente. Ce sont des gens honorables pour qui j’ai le plus grand respect et qui sont parfaitement capables de traiter de ces questions.

Je crois néanmoins que ce projet de loi devrait être étudié par les deux comités, celui des langues officielles et celui des affaires juridiques et constitutionnelles, ce dernier étant le mieux placé pour saisir les problèmes d’ordre constitutionnels que pourrait receler le texte. Je vous remercie.

Le sénateur Downe : Je tiens à dire publiquement que je suis inquiet. Parfois, le problème, c’est l’apparence de conflit d’intérêts et je crois que c’est le cas ici.

Son Honneur la Présidente : Est-ce une question?

Le sénateur Downe : Non.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Sénatrice Seidman, accepteriez-vous une autre question?

La sénatrice Seidman : Certainement.

La sénatrice Dupuis : Merci pour votre discours.

Voici ma question : est-ce que dans ce cas-ci, la différence majeure entre un projet de loi qui porte sur un budget qui est distribué à différents comités afin qu’ils étudient leur partie de la question — chaque partie qui leur est distribuée — n’est-ce pas une situation très différente de celle-ci, où vous demanderiez au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, où je siège, de refaire une étude déjà faite il y a plusieurs années par le Comité sénatorial permanent des langues officielles?

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Je vous remercie de la question. Le Comité des langues officielles a effectivement mené une étude préalable du projet de loi C-13. Toutefois, le projet de loi qui a été renvoyé au Sénat est assez différent : il y a eu de nombreux amendements, et des mentions de la Charte de la langue française ont été ajoutées. À mon avis, dans un contexte où le risque est très élevé pour la communauté anglophone du Québec, il ne peut pas faire de tort d’adopter une approche très spécialisée s’appuyant sur de nombreux experts pour étudier un possible enjeu constitutionnel lié à la mention, pour la première fois dans une loi fédérale, de la Charte de la langue française du Québec uniquement.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Seidman, votre temps de parole est écoulé. Il y a deux autres sénateurs qui voulaient poser une question. Demandez-vous plus de temps?

La sénatrice Seidman : Non, je ne peux pas. Merci.

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Ayant vécu toute ma vie à Montréal, et ayant le français comme troisième langue, je me sens obligé de faire quelques remarques sur ce projet de loi.

[Français]

De prime abord, je veux qu’il n’y ait aucun doute dans l’esprit des gens. Je suis très fier d’être Québécois, fier de parler français, fier de vivre dans une province où le français est la langue commune du peuple et la langue officielle, mais je suis surtout fier et honoré de représenter le Québec au Sénat. Je me trouve extrêmement chanceux d’être né et d’avoir grandi, d’avoir été éduqué, d’avoir fait carrière et d’avoir fondé une famille au Québec. J’en suis très reconnaissant.

Je veux que mon message soit clair : je crois qu’il est essentiel de protéger et de promouvoir le français autant au Québec qu’à l’échelle nationale. La réalité veut que les francophones soient minoritaires au Canada et tous les efforts sont nécessaires pour assurer la vitalité du français.

Mes commentaires d’aujourd’hui n’ont rien à voir avec le besoin d’accroître la protection des droits linguistiques des francophones. Au contraire, j’y souscris et j’appuie les objectifs du projet de loi C-13 et les avancées qu’il offrira aux francophones dès son adoption.

Je prends la parole, très humblement, plutôt pour défendre une autre minorité linguistique du pays, celle que nous avons souvent l’habitude d’oublier, soit la minorité anglophone au Québec.

[Traduction]

Nous avons tous vu ce qui s’est produit à l’autre endroit il y a quelques semaines : la Chambre entière a appuyé le projet de loi C-13, à l’exception d’Anthony Housefather, député de Mont‑Royal, la circonscription voisine de celle où j’habite. C’est ce député qui, en toute conscience, s’y est opposé.

Le projet de loi C-13 est un projet de loi très important qui modifiera les droits linguistiques au Canada. Une modernisation de la Loi sur les langues officielles s’impose depuis longtemps, et je félicite le Comité sénatorial des langues officielles de l’étude complète qu’il a effectuée à ce sujet il y a quelques années. Je sais que l’étude a été très bien reçue d’un bout à l’autre du pays.

Mes observations d’aujourd’hui porteront exclusivement sur l’inclusion de la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi C-13. À l’instar de nombreux membres de ma communauté, je suis préoccupé par le fait que le projet de loi comprend trois mentions de la charte. Je suis également un peu déçu que le projet de loi soit pratiquement muet au sujet des droits des anglophones au Québec, ce qui nous amène à nous demander si le gouvernement a abandonné l’idée d’un pays entièrement bilingue.

Je crois que la plupart d’entre nous connaissent assez bien les modifications apportées à la Charte de la langue française lorsque l’Assemblée nationale du Québec a adopté le projet de loi 96 en juin dernier. Les minorités anglophones au Québec se sont senties ciblées, voire, en quelque sorte, personnellement attaquées lorsque le gouvernement provincial a présenté et adopté ce projet de loi en invoquant à titre préventif la disposition de dérogation, c’est‑à-dire l’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il y a 40 ans, feu Morris Manning, sommité juridique canadienne, s’inquiétait également de l’inclusion de la disposition de dérogation dans la Charte. Il a déclaré :

Si notre liberté de conscience et de religion peut être supprimée par une loi qui s’applique malgré la Charte, et si on peut porter atteinte à nos droits à la vie et à la liberté d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale, quelle liberté avons-nous?

(1550)

M. Manning mettait le doigt sur un élément important.

À mon avis, l’intention qui sous-tend le recours préventif à la disposition de dérogation est d’éviter toute contestation au motif que la loi 96 est discriminatoire ou contraire à la Charte des droits et libertés. Comme l’a expliqué M. Housefather, cela revient à priver les Québécois de leur droit de saisir les tribunaux en cas de violation de leurs droits garantis par la Charte et de demander à un tribunal d’ordonner réparation. À mon humble avis, un gouvernement qui recourt à cette disposition à titre préventif sait que sa décision risque d’être contestée devant les tribunaux.

Je sais que l’article 33 fait partie de la Charte canadienne et que les gouvernements ont le droit d’avoir recours à la disposition de dérogation, mais je crois sincèrement qu’ils ne devraient le faire qu’en dernier recours. Certains de nos collègues à l’autre endroit sont d’accord avec moi. Le procureur général du Canada n’est pas favorable non plus au recours préventif à la disposition de dérogation. L’automne dernier, lorsque le gouvernement de l’Ontario s’est servi de cette disposition dans le cadre d’un conflit de travail, le procureur général a affirmé clairement que l’article 33 de la Charte était l’outil ultime à la disposition des législatures, pas le premier outil à employer. Il a expliqué que le recours préventif à cet article était extrêmement problématique et qu’il évacuait complètement la possibilité d’examen judiciaire.

Son collègue le ministre du Travail considérait également que la disposition avait été employée de manière cavalière contre les travailleurs et que cela constituait un affront à la démocratie, puisque la disposition ne devait être employée que dans les circonstances les plus extraordinaires. Pourtant, quand le gouvernement du Québec a eu recours à l’article 33 pour la loi 96, il ne s’est pas attiré autant de critiques. Pourquoi?

Comme l’a écrit John Ivison dans le National Post :

La disposition de dérogation a sa raison d’être, mais elle ne devrait pas être employée par les ministres de la Justice des provinces pour cacher les défauts de leurs projets de loi.

Comme l’a souligné Russell Copeman, directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec et ancien député de l’Assemblée nationale, lorsqu’il est venu témoigner au Comité sénatorial des langues officielles l’automne dernier :

[...] on ne réussira pas à promouvoir et à protéger une langue — ce que je suis convaincu qu’il faut faire au Québec — en restreignant les droits de la minorité linguistique et son accès aux services.

Il explique ensuite que c’est précisément ce que fait le projet de loi 96. Voici ce qu’il a dit :

[...] c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes nombreux à penser que le projet de loi C-13 ne devrait pas contenir une référence explicite à la Charte de la langue française.

Je pense qu’il est inacceptable, ou à tout le moins rare et déroutant, qu’une loi fédérale inclue la mention d’une loi provinciale qui utilise la disposition de dérogation. Je ne suis pas un avocat, je ne peux donc pas me prononcer sur la constitutionnalité de cette inclusion. Cependant, je suis un législateur, comme nous tous ici au Sénat, et je crains que le gouvernement libéral crée un précédent troublant et nous engage sur une pente glissante.

Je dirais même que l’inclusion de la charte québécoise dans la loi fédérale représente, à certains égards, une approbation du projet de loi 96 et certains experts partagent cet avis.

[Français]

Devant le comité de la Chambre des communes, Me Janice Naymark a soulevé un point très intéressant au sujet de la référence à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi C-13. Elle a suggéré que cette référence brouillait la limite entre les sphères de compétence fédérale et provinciale. Elle a aussi avancé que, en intégrant des références à la Charte de la langue française du Québec dans la Loi sur les langues officielles, le gouvernement fédéral appuyait indirectement le projet de loi no 96 du Québec et, ce faisant, le rendait légitime de manière implicite. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que j’ai été bombardé de courriels et d’appels de la part de connaissances, d’anciens collègues et de résidants de Montréal, qui ont exprimé de sérieuses réserves au sujet du projet de loi C-13 depuis sa présentation il y a plus d’un an. Je suis le dossier de près.

[Traduction]

En fait, j’ai même eu l’occasion d’assister aux réunions du Comité sénatorial des langues officielles l’automne dernier, alors qu’il effectuait l’étude préalable du projet de loi C-13. Lorsque j’ai demandé à Robert Leckey, doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, de me faire part de son point de vue sur l’inclusion de la Charte de la langue française dans le projet de loi, voici ce qu’il m’a répondu :

Ce qui est curieux au sujet du projet de loi C-13, c’est qu’il fasse mention de la Charte de la langue française. [...] Cela donne un poids plus grand à la Charte de la langue française puisque c’est comme si elle faisait partie de la Constitution. Et à cela vous semblez donner votre approbation implicite et celle du Parlement.

[Français]

Le professeur Leckey n’est pas le seul qui a cette opinion. Le 3 octobre dernier, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a reçu l’éminent juriste Michel Bastarache, ancien juge de la Cour suprême du Canada. Voici ce qu’il a dit quand je lui ai suggéré que l’inclusion d’une référence à la Charte de la langue française du Québec dans la Loi sur les langues officielles pourrait être interprétée comme un appui indirect du gouvernement fédéral. Il a dit : « Je suis personnellement opposé à une référence à une loi provinciale dans une loi fédérale. » Puis, il a ajouté ce qui suit :

Quand l’objet même des lois n’est pas le même ou n’est pas vraiment conciliable, je ne vois pas l’utilité de faire cela. Si le gouvernement est d’accord avec certaines dispositions de la loi québécoise, il n’a qu’à les adopter lui-même.

Pour sa part, Benoît Pelletier, professeur de droit à l’Université d’Ottawa, ancien député provincial et ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, à la Francophonie canadienne et à la Réforme des institutions démocratiques dans le gouvernement Charest, a dit qu’il était, et je cite :

[...] favorable à ce qu’il y ait une ouverture par rapport à l’application de la Charte de la langue française, y compris dans une loi fédérale.

Bien que son opinion diffère de celle du juge Bastarache à cet égard, M. Pelletier partage l’opinion de M. Leckey, selon laquelle la mention de la charte dans la loi fédérale donne une légitimité à la loi provinciale. Si c’est bel et bien le cas, je persiste et signe en affirmant que les références à la loi provinciale devraient probablement être supprimées du projet de loi C-13.

[Traduction]

Pas plus tard qu’hier, j’ai reçu une lettre de la Commission scolaire English-Montreal qui rappelle que l’incorporation par renvoi de la Charte de la langue française du Québec dans une loi fédérale présente une sérieuse faille. Cette commission scolaire craint que la loi fédérale soit assujettie à une loi provinciale et que les autres provinces aient alors le loisir de légiférer sur leurs propres restrictions à l’endroit des minorités de langues officielles.

Honorables collègues, combien de fois nous rappelle-t-on notre rôle de protecteurs et de défenseurs des minorités? Les sénateurs sont là pour donner une voix aux sans-voix. Voilà pourquoi je me suis senti obligé de partager avec vous les préoccupations légitimes et profondes de la minorité anglophone du Québec. Nous ne sommes pas soumis à des contraintes et à des pressions électorales, ce qui nous permet d’examiner les lois du gouvernement avec la plus grande ouverture d’esprit et la plus grande impartialité.

Je suis persuadé que le Comité sur les langues officielles prendra le temps nécessaire pour examiner le projet de loi C-13, et j’espère qu’il se penchera sérieusement sur le point que j’ai soulevé aujourd’hui. Comme la sénatrice Seidman l’a préconisé dans son discours, il faudrait songer à renvoyer ce projet de loi au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Je ne dis pas cela pour retarder l’adoption du projet de loi, dont j’appuie l’objectif principal, mais je me sentirais beaucoup plus à l’aise si cette question juridique et constitutionnelle faisait l’objet d’un examen approprié et approfondi.

C’est aussi ce que préconise le Quebec Community Groups Network, un organisme à but non lucratif regroupant des groupes anglophones du Québec. Dans un communiqué de presse publié le 15 mai dernier, il a répété ses inquiétudes à l’égard de l’incorporation par renvoi de la Charte de la langue française du Québec dans la loi, affirmant ceci :

C’est dans cette loi provinciale que l’on trouve des restrictions limitant les droits des Québécois d’expression anglaise, et le projet de loi C-13 leur apporte son appui.

Marc Garneau, qui était mon député jusqu’à tout récemment, a indiqué que le fait d’intégrer une loi provinciale dans une loi fédérale ne « [...] semble pas logique et ne favorise pas la clarté. » Nous avons la responsabilité de chercher cette clarté.

Nous devrions tous songer à ce que Dean Lockley a déclaré au comité le 24 octobre 2022 en parlant de l’inclusion de la disposition de dérogation dans la Charte québécoise de la langue française. Il nous a rappelé ceci :

[...] la Charte de la langue française, dans sa forme actuelle [...] permet de déroger à tous les droits de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Charte québécoise des droits et libertés auxquels il est possible de déroger. C’est ce que la Charte de la langue française signifie désormais.

Il a poussé tous les membres du comité à réfléchir: si nous ne souhaitons pas cautionner une telle chose, qu’elle nous met mal à l’aise, peut-être devrions-nous repenser à ces renvois.

Peut-être incombe-t-il aux sénateurs d’accomplir ce que la Chambre n’a pas réussi à faire, puisque les amendements visant à éliminer les renvois ont été rejetés par les partis d’opposition. J’implore sincèrement les sénateurs d’examiner ces enjeux constitutionnels cruciaux de manière judicieuse, objective et, comme l’a dit le Quebec Community Groups Network, impartiale.

Jusqu’ici, je n’ai entendu aucun argument convaincant qui expliquerait pourquoi l’inclusion de ces renvois dans le projet de loi est nécessaire. Au contraire, dans le but d’éviter tout malentendu, de garantir la clarté et la logique de la mesure, et de réduire les risques de confusion et de complications pour les juges, il pourrait être plus logique d’éliminer complètement les renvois, bien que certaines personnes soutiennent que leur inclusion est tout à fait inoffensive d’un point de vue judiciaire. Leur élimination ne nuirait en rien aux principaux objectifs du projet de loi.

(1600)

Je reste fermement convaincu que ces références ne font rien pour promouvoir les droits et les libertés des Canadiens francophones, que ce soit au Québec ou ailleurs. Elles ne font que nuire à la plus grande minorité linguistique du pays.

[Français]

Chers collègues, je conclus en réitérant mon appui aux communautés linguistiques en situation minoritaire partout au pays. Surtout, je vais dire ceci aux Québécois francophones et francophiles : sachez que je crois sincèrement à la nécessité de protéger le français et que je souhaite que le projet de loi C-13 reçoive éventuellement la sanction royale. Cependant, je veux qu’il soit adéquatement étudié en comité et que les préoccupations que j’ai abordées aujourd’hui soient explorées de fond en comble. Merci.

Le sénateur Cormier : Le sénateur Loffreda accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda : Oui, bien sûr.

Le sénateur Cormier : Sénateur Loffreda, merci de prendre la parole au sujet des préoccupations exprimées au sein de la communauté anglophone du Québec, notamment sur l’inclusion dans le projet de loi C-13 de références à la Charte de la langue française. Ma question est assez simple. Est-ce que je comprends bien que, à la lumière de votre allocution, vous suggérez au président du Comité des langues officielles d’inviter des juristes qui viendront donner des précisions sur les préoccupations relatives à l’inclusion de la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13?

Du même coup, est-ce que je comprends bien que vous suggérez que le président du comité, qui est également parrain du projet de loi, cède son siège — ce qu’il a l’intention de faire —, pour s’assurer de dissiper toute apparence de conflit d’intérêts?

Son Honneur la Présidente : Sénateur Loffreda, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous cinq minutes de plus?

Le sénateur Loffreda : Oui.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de la question. La réponse est oui, car nous sommes ici pour analyser le projet de loi. Comme je le disais souvent dans mon ancienne vie, on devra vivre avec tout cela pendant très longtemps. Donc, ce n’est pas une question de jours, de semaines ou de mois, et c’est la raison pour laquelle il faut bien le faire. Soit on le fait correctement, soit on ne le fait pas du tout. Je crois donc que c’est une option qu’il faut examiner.

Je partage également l’opinion de la sénatrice Seidman, à savoir qu’en plus de l’expertise du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, comme nous le faisons à notre Comité des finances nationales ou à notre Comité des banques, nous étudions plusieurs projets de loi, et un comité a l’ultime responsabilité de recueillir l’opinion d’autres personnes qui ont cette expertise que votre comité n’a peut-être pas.

[Traduction]

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je prends brièvement la parole au sujet du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. Je tiens à remercier tous ceux qui ont pris la parole avant moi et qui ont contribué au débat sur cet important projet de loi.

Ce projet de loi représente un jalon important dans le long cheminement du Canada vers une véritable égalité entre les locuteurs du français et de l’anglais, aussi bien dans le droit et dans les faits que dans l’expérience quotidienne des Canadiens d’un océan à l’autre. Notre débat sur le projet de loi C-13 se situe en partie dans le contexte d’une ère numérique où l’anglais est devenu la langue de la mondialisation, du commerce et de la culture populaire. C’est un défi auquel sont confrontées de nombreuses communautés linguistiques dans le monde, mais il est ressenti de façon aiguë par les francophones du Canada, notamment par ceux qui vivent dans des provinces majoritairement anglaises dans notre pays majoritairement anglais sur un continent majoritairement anglais.

Ce débat est aussi rendu nécessaire par les hostilités et la discrimination qui existent de longue date au Canada à l’égard des francophones. Cela remonte aussi loin qu’au XVIIIe siècle, lorsque la politique britannique avait ouvertement pour but de les assimiler ou de les expulser. Cette discrimination a persisté après la création de la Confédération et jusqu’à la fin du XXe siècle, alors que la majorité d’entre nous avait déjà un certain âge. À titre d’exemple, on peut penser au déni des droits en matière d’éducation des minorités linguistiques au Manitoba. Même si ces droits étaient protégés par la Constitution, il a fallu près d’un siècle avant qu’ils soient officiellement rétablis grâce à une décision de la Cour suprême du Canada rendue en 1985. On peut aussi parler de l’abolition honteuse de l’enseignement en français au Nouveau-Brunswick et en Ontario au tournant du siècle précédent. Il y a tant d’autres exemples.

Chers collègues, les communautés francophones se battent depuis des années pour fonder des institutions et faire respecter leurs droits fondamentaux, comme le droit à l’éducation dans leur propre langue. Ce faisant, elles ont dû surmonter de terribles préjugés et une cruelle indifférence.

Permettez-moi de vous donner un exemple : l’histoire d’une personne peut mettre en lumière ce que tant de gens ont vécu. En 1966, Micheline Saint-Cyr a quitté Hull — qui est maintenant Gatineau — pour déménager à Toronto avec son mari et leurs cinq enfants. Leurs voisins les ont-ils accueillis à bras ouverts? Non, pas du tout. En passant, cette histoire a été rapportée dans le Toronto Star. À leur arrivée, les voisins leur ont lancé des œufs, ont allumé des feux dans leur garage et ont peint des insultes sur leur maison, écrivant par exemple que des frogs vivaient là. Devant un tel accueil, Micheline n’a pas baissé les bras ni plié bagage avec sa famille; elle s’est mise au travail. Elle a collaboré avec d’autres parents francophones pour établir des institutions communautaires, y compris un centre culturel francophone et la première école publique francophone de Toronto, l’École secondaire Étienne-Brûlé, où allaient ses enfants malgré les fréquentes alertes à la bombe.

Le courage et la détermination de Micheline Saint-Cyr ont porté des fruits pour sa communauté et sa famille. Aujourd’hui, à Etobicoke, il y a une école qui porte son nom et, dans cet édifice, il y a un bureau qui porte le nom de son petit-fils — mon chef de cabinet —, Éric-Antoine Menard.

Honorables collègues, les efforts de Micheline Saint-Cyr et de bien d’autres personnes ont été bénéfiques pour le Canada. Le bilinguisme canadien est une richesse nationale d’une valeur inestimable, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale, car il nous aide notamment à établir des liens et à exercer notre influence au sein de certaines institutions et de certaines régions du monde qui nous seraient autrement tout à fait inaccessibles. L’ancienne gouverneure générale Michaëlle Jean a dit que la langue française est « un pont, un véhicule stratégique, un puissant levier qui offre des possibilités incroyables ».

Cependant, nous ne pouvons pas nous permettre de tenir la vitalité du bilinguisme canadien pour acquise. C’est pourquoi, plus de 30 ans après la dernière réforme majeure apportée à la Loi sur les langues officielles, le projet de loi C-13 vise à répondre aux tendances sociales et démographiques qui touchent le pays, et à mieux affirmer les aspirations du Canada à l’égard des langues officielles.

L’élaboration du projet de loi C-13 est le fruit d’un effort collectif. Au cours des dernières années, des chercheurs, des membres de communautés linguistiques en situation minoritaire et divers intervenants ont travaillé en collaboration et inspiré le contenu de cette mesure législative, qui vise à protéger les populations de langue officielle en situation minoritaire. Notre assemblée a joué un rôle déterminant dans ce processus. En effet, de 2017 à 2019, le Comité sénatorial permanent des langues officielles a effectué une étude exhaustive pour déterminer si la loi devait être modernisée. Puis, dans le cadre d’une étude de suivi, il a examiné un document de 2021 intitulé Français et anglais : Vers une égalité réelle des langues officielles au Canada, qui décrivait des réformes possibles et avait été déposé par la ministre Joly, à l’époque ministre du Développement économique et des Langues officielles. Le projet de loi C-32 a ensuite été déposé, mais il est mort au Feuilleton. Par la suite, il a été considérablement remanié et amélioré avant d’être présenté sous sa forme actuelle l’année dernière.

Dans le cadre de son étude préalable du projet de loi C-13, le Comité des langues officielles a tenu huit réunions, entendu 41 témoins et reçu 41 mémoires avant de déposer son rapport dans cette enceinte à la fin de l’automne dernier.

Chers collègues, le projet de loi C-13 renferme des mesures essentielles pour remédier au déclin du français au Canada. Il clarifie et renforce la partie de la Loi sur les langues officielles conçue pour la promotion des langues officielles, et il améliore le soutien offert aux communautés de langue officielle en situation minoritaire — l’ensemble d’entre elles. Il oblige aussi les institutions fédérales à mieux respecter leurs obligations aux termes de la loi.

[Français]

La Loi sur les langues officielles établit que l’un de ses objets est, et je cite :

a) d’assurer le respect du français et de l’anglais à titre de langues officielles du Canada, leur égalité de statut et l’égalité de droits et privilèges quant à leur usage dans les institutions fédérales, notamment en ce qui touche les débats et travaux du Parlement, les actes législatifs et autres, l’administration de la justice, les communications avec le public et la prestation des services, ainsi que la mise en œuvre des objectifs de ces institutions;

(1610)

Cet alinéa montre bien que la notion de l’égalité réelle est la norme en droit linguistique. Selon la jurisprudence, cette égalité découle du paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, lequel statue que le français et l’anglais sont les langues officielles de notre pays et qu’elles bénéficient d’un statut, de droits et de privilèges égaux.

[Traduction]

Les langues française et anglaise bénéficient d’une égalité de statut au Canada. Cependant, pour que cette égalité devienne une réalité, le gouvernement doit prendre des mesures concrètes, des mesures qui tiennent compte de la vulnérabilité de la langue française et des minorités francophones au Canada et en Amérique du Nord.

La jurisprudence, qui comprend les décisions de la Cour suprême du Canada, a maintes fois reconnu cette vulnérabilité et, à plusieurs reprises, a indiqué que le gouvernement devrait redoubler d’efforts et prendre davantage de mesures. Le projet de loi C-13 répond à ce besoin et contient des mesures proactives pour protéger les communautés linguistiques en situation minoritaire et faire avancer l’objectif de l’égalité de statut du français et de l’anglais.

Comme l’a déclaré Érik Eastaugh, professeur de droit à l’Université de Moncton, lors de son témoignage devant le Comité sénatorial permanent des langues officielles :

Cela ne veut pas dire que la valeur directrice ne demeure pas l’égalité, mais c’est tout simplement une reconnaissance du fait que l’égalité, concrètement parlant, de façon pratique sur le terrain, exige une asymétrie dans les mesures que prend l’État, et cela, c’est reconnu dans tous les domaines.

Parlons de la réalité sur le terrain. Je voudrais maintenant vous parler en tant qu’anglophone québécois qui a grandi et vit toujours au Québec, et en tant que sénateur québécois qui représente une composante unique de la mosaïque canadienne que sont les communautés anglophones du Québec.

Comme je l’ai dit au début de mon intervention, il ne fait aucun doute que l’anglais est la langue prédominante au Canada et, si je puis dire, la lingua franca dans une grande partie du monde.

En même temps, les communautés anglophones du Québec s’inquiètent, à raison, et doivent faire face à des problèmes qui leur sont propres, à des défis et à des problèmes qui ne sont pas moins importants parce que le reste du pays est majoritairement anglophone.

Il y a 50 ans, plus de 13 % des Québécois avaient l’anglais comme langue maternelle; aujourd’hui, ce nombre est à 7,5 %. Il faut le dire, la langue maternelle est une mesure imparfaite. Cependant, ces chiffres montrent un déclin important du poids démographique de nos communautés. La situation est encore plus prononcée à l’extérieur de la région de Montréal, où les institutions des communautés anglophones sont moins robustes, les services en anglais, plus difficiles à obtenir et, par endroits, les aînés sont tout ce qui reste de communautés anglophones autrefois florissantes, mais aujourd’hui sur leur déclin.

Il y a également des indicateurs économiques qui devraient nous amener à réfléchir. La sénatrice Seidman en a parlé. L’année dernière, la Table ronde provinciale sur l’emploi révélait que le taux de chômage chez les Québécois anglophones était supérieur de 2 % — 8,9 % comparativement à 6,9 % — à celui des francophones et que leur revenu médian était inférieur de 2 800 $. Encore une fois, ces écarts sont les plus marqués dans les régions rurales, chez les jeunes adultes et chez les communautés anglophones racialisées.

Chers collègues, je ne mentionne pas cela pour être alarmiste. Le ciel n’est pas en train de tomber sur la tête des anglophones du Québec. Par rapport aux autres communautés linguistiques en situation minoritaire, la nôtre se porte, dans l’ensemble, plutôt bien. La situation sera toujours délicate, car les anglophones et les francophones au Québec font tous deux partie simultanément d’une minorité et d’une majorité. Les deux communautés ont l’habitude de se sentir vulnérables et, bien franchement, de voir leur sentiment de vulnérabilité remis en question, voire parfois déprécié. Il n’empêche que, la plupart du temps, nous nous entendons plutôt bien au Québec. Nous enrichissons quotidiennement nos vies les uns les autres.

Bref, il faut poser un regard lucide sur les difficultés réelles et uniques des communautés anglophones du Québec. Toutefois, chers collègues, je m’attends à ce que, en appliquant la Loi sur les langues officielles telle que modifiée par le projet de loi C-13, grâce aux nouveaux fonds prévus dans le plan d’action pour les langues officielles, et, espérons-le, avec l’appui du gouvernement provincial, ces difficultés peuvent être et seront surmontées.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-13 préserve les droits des communautés anglophones du Québec; de plus, il contient des améliorations notables, notamment celles apportées à la partie VII de la Loi sur les langues officielles pour y énoncer des engagements précis visant à protéger à la fois les communautés anglophones et francophones en situation minoritaire, de même que leurs droits et leurs institutions.

Cela comprend des clauses interprétatives qui soulignent l’importance de tenir compte de la minorité anglophone du Québec au paragraphe 3(1), de protéger le continuum de l’éducation, de renforcer et de préciser les obligations du gouvernement prévues par la loi envers les communautés anglophones et autres, de protéger le Programme de contestation judiciaire — qui constitue un moyen de défense des droits des minorités linguistiques, qui pourrait et peut profiter à la communauté anglophone —, de soutenir les institutions des communautés de langue officielle en situation minoritaire, y compris, bien entendu, celles du Québec, et d’octroyer de nouveaux pouvoirs au commissaire aux langues officielles.

De plus, le projet de loi C-13 n’a aucune incidence sur les droits particuliers de la communauté anglophone au Québec; en fait, il s’agit d’une asymétrie constitutionnelle découlant de l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui prévoit la protection des droits linguistiques des anglophones du Québec dans l’administration de la justice, devant le pouvoir judiciaire, et à l’Assemblée nationale, et qui prévoit notamment le bilinguisme législatif dans notre province. Ces droits, dont ne jouissent pas la plupart des minorités francophones hors du Québec, demeurent pleinement en vigueur.

Nous avons entendu à l’extérieur du Sénat, aujourd’hui notamment, les préoccupations soulevées au sujet des renvois à la Charte de la langue française du Québec qui figurent dans le projet de loi. Cependant, chers collègues — et je le dis avec respect en ma qualité de constitutionnaliste autant que n’importe quoi d’autre —, nous devons bien comprendre ce que ces renvois signifient, ce qu’ils font et ce qu’ils ne font pas. Ces renvois sont des déclarations de fait. Ce sont des renvois factuels, si vous me permettez cette expression. Ils n’incorporent en aucun cas la charte québécoise dans le projet de loi C-13.

Sur le plan juridique, ce sont des renvois de fait et des constatations de fait. Il ne s’agit pas, pour utiliser une expression juridique, d’une incorporation par renvoi. Non, les renvois n’incorporent aucune partie de la charte québécoise dans le projet de loi C-13. Ce n’est aucunement le cas, un point c’est tout.

Le projet de loi C-13 reconnaît la réalité qui fait partie du contexte dont s’imprègnent les droits linguistiques au Canada et le contexte dans lequel le projet de loi C-13 tente de moderniser et de promouvoir l’égalité des deux langues officielles. Il reconnaît que la Charte de la langue française est un élément important dans une province dont la population est majoritairement francophone. Cela ne subordonne pas les institutions fédérales, et encore moins cette loi, à la charte québécoise.

Comme Warren Newman, un haut fonctionnaire du ministère de la Justice, l’a dit au comité à l’autre endroit :

Je ne vois pas en quoi les services fédéraux offerts par les institutions fédérales seraient compromis par la simple mention du fait que la Charte de la langue française et d’autres régimes linguistiques sont des éléments que le gouvernement reconnaît comme faisant partie du contexte global.

La référence à la Charte de la langue française dans le projet de loi C-13 ne limite pas les communications ou les services en anglais pour les communautés anglophones du Québec, car ceux-ci sont régis par le paragraphe 16(1) et l’article 20 de la Charte canadienne des droits et libertés et, comme je l’ai déjà mentionné, par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, ainsi que par la partie IV de la Loi sur les langues officielles.

Le projet de loi C-13 ne limite pas non plus l’accès à l’enseignement en anglais, garanti par l’article 23 de la Charte. En fait, les références ne cautionnent pas la charte québécoise, et encore moins le recours ultérieur à la disposition de dérogation.

(1620)

Je fais respectueusement remarquer que les références à la charte québécoise ne soulèvent aucune question constitutionnelle. Il s’agit de références factuelles qui s’inscrivent dans le contexte dans lequel ce projet de loi est censé exister.

[Français]

Comme l’a attesté le commissaire aux langues officielles du Canada, M. Raymond Théberge, le projet de loi C-13 reflète les particularités de nos diverses régions, que ce soit la Charte de la langue française au Québec, l’article 23 de la Loi sur le Manitoba ou même l’amendement constitutionnel apporté par la seule province officiellement bilingue, le Nouveau-Brunswick.

Bien sûr, on ne peut parler de nos particularités linguistiques sans reconnaître les réalités et les vulnérabilités des langues autochtones.

[Traduction]

Comme on l’a indiqué dans le cadre du présent débat, selon notre Constitution, le français et l’anglais sont les deux langues officielles du Canada. Toutefois, elles ne sont en aucun cas les deux seules langues qu’on y parle. Soyons francs, ce sont des langues qui ont été importées par des puissances coloniales. On parlait ici des langues autochtones longtemps avant que quiconque, en Angleterre ou en France, n’apprenne l’existence de ce continent. En outre, pendant bien trop longtemps, des gouvernements canadiens successifs n’ont pas seulement omis de protéger les langues autochtones, mais ils ont activement cherché à les éliminer, et ce, pendant une bonne partie de notre histoire.

Enfin, en 2019, le Parlement a adopté la Loi sur les langues autochtones, qui reconnaît les droits des langues autochtones et qui appuie les efforts visant à les revitaliser et à promouvoir leur utilisation. Par la même occasion, le Parlement a créé le Bureau du commissaire aux langues autochtones, qui a pour mandat de contribuer à la promotion et à la protection des langues autochtones et d’examiner les plaintes déposées en vertu de cette loi.

Dans le but de soutenir ces efforts, le gouvernement a prévu 840 millions de dollars jusqu’en 2025-2026 et 117,7 millions de dollars en financement continu. Grâce à ces investissements, le nombre d’initiatives en matière de langues autochtones financées par le gouvernement fédéral est passé de 301 en 2019-2020 à plus de 1 000 aujourd’hui.

Ce sont des premiers pas positifs et d’autres efforts sont en cours. Le projet de loi C-13 dont nous sommes saisis est une mesure législative fondée sur les distinctions visant à protéger et promouvoir le français et l’anglais. Le projet de loi C-13 est très clair à cet égard :

La présente loi n’a pas pour effet de porter atteinte aux droits — [...] découlant de la loi ou de la coutume — des langues autres que le français et l’anglais, notamment des langues autochtones.

On y précise aussi ceci :

La présente loi ne fait pas obstacle au maintien et à la valorisation des langues autres que le français ou l’anglais, ni à la réappropriation, à la revitalisation et au renforcement des langues autochtones.

Chers collègues, il est tout à fait légitime pour les sénateurs de poser des questions concernant les répercussions potentielles du projet de loi C-13 sur les droits liés aux langues autochtones et les efforts déployés pour protéger ces dernières. Je m’attends à ce que la ministre et ses hauts fonctionnaires soient disposés à fournir des réponses à ce sujet devant le comité, en plus de fournir de plus amples détails sur les consultations menées par le gouvernement auprès, entre autres, de l’Assemblée des Premières Nations, de l’Inuit Tapiriit Kanatami, du Ralliement national des Métis et du commissaire aux langues autochtones.

Notre but ultime est de favoriser la vigueur des communautés de langues autochtones ainsi que celle des communautés francophones et anglophones, en situation minoritaire ou non, d’un bout à l’autre du Canada. La loi que nous avons adoptée en 2019 nous a permis de réaliser des progrès relativement aux langues autochtones, et le projet de loi C-13 en fera de même pour les langues officielles.

Chers collègues, ce projet de loi est le fruit d’une promesse électorale que le gouvernement a faite en 2021. Il a reçu un appui quasi unanime dans l’autre endroit, car 301 députés dans le contexte d’un gouvernement minoritaire ont voté pour celui-ci à l’étape de la troisième lecture. De plus, ce projet de loi atténue les inquiétudes du Québec pour ce qui est de protéger sa spécificité linguistique. Il fournit une solution pour aider les communautés francophones à l’extérieur du Québec à relever les défis qui leur sont propres. Il respecte les droits historiques et constitutionnels des communautés anglophones du Québec. Il respecte les droits des peuples autochtones, notamment en n’entravant pas les efforts déployés pour protéger les langues autochtones en vertu de la Loi sur les langues autochtones.

Ce projet de loi contribuera à préserver et à promouvoir la vitalité et le développement des deux principales communautés linguistiques au Canada, les francophones et les anglophones.

[Français]

Il nous faut appuyer les communautés de langue officielle en situation minoritaire, lesquelles incluent les anglophones du Québec. On constate toutefois une fragilité importante du français au pays, et c’est pour cette raison que le projet de loi C-13 préconise l’égalité réelle de l’anglais et du français en vue de protéger ces communautés. Tout cela vient accomplir un important devoir du gouvernement fédéral, qui est de promouvoir et protéger notre dualité linguistique, nos histoires, notre héritage, notre culture et notre patrimoine.

[Traduction]

Lorsque les deux communautés de langue officielle du Canada sont fortes et dynamiques dans les situations de minorité et de majorité, nous en profitons tous. C’est pourquoi j’invite les sénateurs à soutenir le projet de loi, qui est important et qui permettra de promouvoir et de protéger les communautés francophones et anglophones dans l’ensemble du pays.

Merci de votre attention, chers collègues.

L’honorable Jim Quinn : Je vous remercie de votre discours qui m’a permis de comprendre pourquoi la loi 96 est mentionnée dans le projet de loi. L’explication m’a été très utile en ce qui concerne le caractère distinct du français dans la province de Québec.

Mais, en tant que ​​Néo-Brunswickois, je crains que dans d’autres régions du pays, on ne comprenne pas la loi 96 et son importance pour faire ressortir la portée de la langue française au Québec.

Pourquoi ne pas insister sur l’importance du français et de l’anglais dans tout le Canada, en particulier dans une province comme le Nouveau-Brunswick, où le gouvernement provincial reconnaît officiellement le français et l’anglais comme les langues du Nouveau-Brunswick? Je redoute simplement qu’il y ait de la confusion dans certaines régions du Canada où la présence du français n’est pas très marquée ou dans d’autres régions du pays où l’anglais est peut-être plus dominant que le français.

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, que j’espère avoir bien comprise, sénateur Quinn. Le projet de loi C-13 mentionne explicitement le statut bilingue du Nouveau-Brunswick. Comme j’ai tenté de l’expliquer dans mon discours, le projet de loi — dans toute sa structure et son ADN même — vise à promouvoir l’égalité réelle du français et de l’anglais partout au Canada, peu importe où vivent les gens.

La réalité, au Canada, c’est que, dans les domaines de compétence provinciale, il existe d’immenses disparités dans les services offerts aux personnes de langue officielle minoritaire, que ce soit en matière d’éducation ou de services gouvernementaux ou encore à l’intérieur même des assemblées législatives. C’est pourquoi il était important, pour les rédacteurs du projet de loi et les parlementaires qui l’ont appuyé à l’autre endroit, que la loi reflète le véritable contexte juridique dans lequel s’inscrit l’expérience que vivent les communautés de langue officielle minoritaire. Les gens qui habitent au Nouveau-Brunswick bénéficient, à tout le moins, d’une égalité devant la loi à tous les égards. Dans d’autres provinces, par contre, les gens qui parlent la langue officielle minoritaire n’ont pratiquement pas de garanties juridiques et décidément aucune garantie constitutionnelle. Beaucoup de gens qui vivent à l’extérieur du Québec trouveraient fantastique d’avoir les institutions que la communauté anglophone de cette province a réussi à bâtir au fil des siècles et qui, malgré les défis, servent encore les intérêts de cette communauté.

En tant que législateurs, nous avons le devoir d’analyser et d’examiner adéquatement les mesures législatives, de toute évidence, car nous devons être certains de bien comprendre ce que nous sommes en train de faire. Dans cette optique, j’ai hâte que le comité étudie le projet de loi C-13.

La loi est très claire dans ses objectifs de promotion de l’égalité du français et de l’anglais. Elle est très claire dans les mesures qu’elle prévoit pour améliorer ce que le gouvernement fédéral peut faire pour soutenir le français et l’anglais dans notre grand pays. Il est également clair qu’elle ne déroge pas aux droits, qu’il s’agisse des locuteurs de langues autochtones, des locuteurs de langues minoritaires ou des droits acquis de la communauté anglophone au Québec.

L’honorable Ratna Omidvar : Je souhaite poser une question au sénateur Gold, s’il le veut bien.

(1630)

Le sénateur Gold : Bien sûr.

La sénatrice Omidvar : Merci, sénateur Gold.

Je ne suis pas membre du Comité des langues officielles. Je n’ai pas une connaissance aussi approfondie du projet de loi que mes collègues qui se sont exprimés.

Je comprends ce que vous avez dit : la référence à la Charte de la langue française du Québec dans le projet de loi n’est pas un accommodement politique ou un accommodement de fond; c’est une référence aux faits et au contexte. Jusqu’à présent, je pense que je vous ai interprété correctement. Je ne suis pas juriste — j’essaie de m’expliquer dans un langage simple.

Ma question est la suivante : cela crée-t-il un précédent pour que de futurs projets de loi fédéraux fassent référence à une loi provinciale qui ne s’applique qu’à une seule province alors que ces projets de loi s’appliquent aussi à toutes les autres provinces?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Je serais étonné qu’on ne trouve aucun exemple de cela dans d’autres lois fédérales, mais je n’irai pas jusqu’à affirmer que c’est le cas, car je n’ai pas fait de recherche à ce sujet.

L’important, sénatrice Omidvar, c’est que, comme vous l’avez indiqué, à juste titre, il s’agit simplement d’énoncer des faits pour bien mettre les choses en contexte. Cela n’aurait aucune force ni aucun effet en droit. Par conséquent, cela n’aura pas pour effet d’établir dans la loi un précédent d’une portée considérable. Il s’agit d’indiquer les circonstances particulières qui ont mené à l’élaboration de ce projet de loi et de rendre compte de la nécessité de moderniser la loi.

Par ailleurs, honorables collègues, ce projet de loi est le résultat d’un processus législatif qui a été mené à l’autre endroit non seulement par le gouvernement, mais par tous les partis politiques, qui, pendant nombre d’années, ont contribué à la conception et la rédaction de ce projet de loi.

Je vais trahir mon âge en disant cela, mais comme dirait Alfred E. Neuman, personnage du magazine MAD : « Quoi! Moi, m’inquiéter? »

En tout respect, je suis d’avis qu’il n’y a rien d’inquiétant en ce qui a trait au droit et aux aspects juridiques et législatifs.

Je comprends la situation, puisque je suis issu de la communauté anglophone du Québec. Il y a des membres de ma famille qui remettent en question ma position sur ce projet de loi, qui militent aussi pour la défense de l’intérêt public, et qui défendent une position différente de celle du gouvernement, et je le comprends très bien.

Je comprends les réactions que déclenchent les références, mais, en fait, la loi est claire, et en tant que législateurs, nous devons l’être aussi. La loi préserve et protège les droits des anglophones au Québec dans toute la mesure où le Parlement fédéral a compétence pour le faire. Les références fournissent simplement le contexte approprié pour les régimes linguistiques dans lesquels les minorités doivent évoluer, que ce soit dans les provinces qui ne reconnaissent pas officiellement le bilinguisme constitutionnel, comme le Nouveau-Brunswick, ou dans les provinces comme le Québec, où une langue officielle est inscrite dans la loi par l’intermédiaire de la Charte de la langue française du Québec.

La sénatrice Seidman : Sénateur Gold, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Gold : Oui, sénatrice Seidman.

La sénatrice Seidman : Merci. Je vous entends nous donner avec conviction l’assurance que la référence à la Charte de la langue française ne pose aucun problème. J’aimerais pouvoir rassurer avec autant de conviction l’immense communauté anglophone du Québec, ainsi que les autres. Le moyen d’y parvenir consiste à obtenir le témoignage de juristes au sein d’un comité composé de personnes suffisamment qualifiées pour poser les bonnes questions aux constitutionnalistes. Ne pensez-vous pas qu’il s’agit là d’une manière appropriée de répondre à l’incertitude de la communauté?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Je ne pense pas qu’il serait nécessaire ou approprié — dans ce cas-ci — de renvoyer le projet de loi à un autre comité en plus du Comité des langues officielles.

De toute évidence, des membres du comité qui ont étudié ces questions ont l’expertise voulue. De plus, tout sénateur peut participer aux réunions. Par conséquent, les sénateurs qui ont un bagage juridique et qui s’intéressent à cette étude peuvent être présents à titre de simples sénateurs ou de remplaçants d’un membre de leur groupe. Autre fait tout aussi important, le comité aura la capacité d’inviter des experts à témoigner.

Je n’ai pas tendance à exagérer. Lorsque je dis avec certitude qu’il s’agit de mentions renvoyant aux faits et qu’elles ne font aucunement partie des dispositions, je m’appuie sur l’expérience que j’ai accumulée tout au long de ma vie en ce qui concerne le droit et les textes juridiques. Je suis convaincu que les témoignages devant le comité iront dans le même sens.

L’honorable Pamela Wallin : J’ai une question à poser au sénateur Gold.

J’aimerais que vous m’expliquiez quelque chose. Je passe en revue le compte rendu des discussions du comité de l’autre endroit. Le projet de loi C-13 établit des cibles pour accueillir plus d’immigrants francophones dans des régions francophones du reste du Canada. Pouvez-vous me dire comment cela fonctionnerait?

Le sénateur Gold : Merci de votre question importante. L’immigration est un vecteur majeur de la croissance et du développement de notre pays. Malheureusement, les données du dernier recensement montrent qu’il y a une diminution très inquiétante de l’usage du français à l’extérieur du Québec. Afin de promouvoir et de soutenir les communautés francophones, en particulier à l’extérieur du Québec, il est impératif que ces dernières bénéficient de la revitalisation que l’immigration francophone leur apporterait.

Il s’agit là d’une politique de longue date du gouvernement, qui est tout à fait indépendante du projet de loi C-13. Le gouvernement s’est fixé comme priorité d’augmenter l’immigration francophone afin de stopper le déclin du français au Canada.

En 2022, le gouvernement a atteint sa cible de 4,4 % d’immigrants francophones hors Québec et, cette même année, le Canada a accueilli plus de 16 300 immigrants francophones à l’extérieur de cette province, ce qui est un record. De plus, dans le cadre du Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028, le gouvernement prévoit investir de grosses sommes dans de nouvelles mesures afin de favoriser l’immigration francophone au Canada.

Si ce projet de loi reçoit la sanction royale, et j’espère que ce sera le cas bientôt, on mettra en place ces plans, on présentera des mesures et on élaborera des indicateurs pour guider l’action du gouvernement. En effet, si ma mémoire est bonne, le comité sénatorial a étudié, encouragé et réclamé les divers volets de cette action.

En passant, je devrais préciser que les mesures visant à accroître l’immigration francophone à l’échelle du Canada ont également été améliorées et renforcées par plusieurs amendements apportés par l’autre endroit.

C’était une longue réponse, et je ne suis pas certain d’avoir répondu précisément à votre question. Certaines mesures devront attendre l’entrée en vigueur de la loi et la mise en œuvre des plans d’action, mais ce sont des mesures que le gouvernement s’est engagé à prendre.

La sénatrice Wallin : De là la préoccupation. Si l’on ne comprend pas comment cette mesure serait appliquée, cela laisse beaucoup de questions sans réponse. Si vous fixez un objectif d’immigration francophone sans égard au pays ou aux besoins ailleurs au pays, comment déterminerez-vous l’objectif en matière d’immigration francophone en Saskatchewan? Sur quoi fonderez‑vous votre décision? Comment allez-vous évaluer cela? Comment allez-vous appliquer cela?

(1640)

Le sénateur Gold : Merci de votre question. Toutes les provinces et tous les territoires accueillent des immigrants et ont besoin d’eux et d’une politique saine en matière d’immigration pour pouvoir se développer, grandir et prospérer. À cet égard, j’ai bon espoir que le gouvernement du Canada travaillera avec les gouvernements provinciaux et territoriaux intéressés afin de mieux comprendre leurs besoins. Il tiendra également compte des besoins des communautés francophones de votre province et d’ailleurs qui seront aussi appelées à jouer un rôle important dans la détermination de leurs besoins et de ce qu’elles peuvent faire pour contribuer à l’intégration des immigrants.

Il n’est pas question de forcer les provinces à atteindre ce taux. L’idée est d’encourager le gouvernement à se servir de sa compétence en matière d’immigration pour s’assurer que sa politique reflète les besoins du pays, pas seulement les besoins économiques d’une région ou d’une province donnée, mais également les besoins démographiques des communautés minoritaires et des communautés francophones hors Québec.

[Français]

L’honorable Michèle Audette : Le sénateur Gold accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Gold : Absolument.

La sénatrice Audette : Merci beaucoup, sénateur Gold.

Avec beaucoup d’émotion, je crois que vous comprendrez que l’innu-aimun, c’est aussi une langue officielle dans mon cœur. Mon autre moitié québécoise me rappelle l’importance de protéger aussi le français partout au Canada.

C’est mon côté innu qui va vous poser une question, sénateur Gold.

Au Québec, il y a des nations; il y a des chefs et il y a aussi le Conseil en éducation des Premières Nations, qui regroupe 22 communautés des Premières Nations. En ce moment, ils sont en train de contester et de déposer une demande de contrôle judiciaire pour défendre leur position autour de la Loi sur la langue officielle et commune au Québec, le français. Cela a des conséquences directes sur l’enseignement dans nos écoles et dans nos communautés. Ce qui me fait peur — et j’aimerais entendre vos commentaires là-dessus —, c’est que, comme je ne suis pas juriste, si je vois dans un projet de loi qui deviendra une loi une mention spécifique d’une charte et d’une loi dans une province, est-ce que ce gouvernement pourrait dire : « Maintenant, le gouvernement fédéral vous reconnaît à part entière. Donc, excusez-moi, mais vous faites partie de la Loi sur les langues officielles, et l’une de ces langues est le français. » Je parle pour les premiers peuples du Québec.

Le sénateur Gold : Merci de la question.

Je comprends très bien les préoccupations non seulement de votre communauté, mais aussi des communautés autochtones au Québec et ailleurs.

La réponse courte est non. Un gouvernement peut dire n’importe quoi, mais en ce qui concerne des faits juridiques, ce n’est absolument pas le cas.

La référence n’a aucune signification quant au processus en cours au Québec et, plus largement, à l’application de la Charte de la langue française au Québec. C’est uniquement une question de compétence provinciale, et le projet de loi C-13 respecte cela. Je peux ajouter — et cette question sera sans doute abordée en comité — qu’il y a beaucoup de mesures qui permettraient dans ce cas-ci d’encourager et de soutenir les communautés autochtones dans leurs démarches, pour qu’elles aient la possibilité et la capacité de travailler dans leur langue, d’être supervisées dans leur langue et d’être protégées au moyen des changements apportés dans le projet de loi C-13, dans le contexte de leur emploi existant au sein du service public, par exemple.

Merci de la question. Selon moi, la réponse est simple et claire.

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Audette, voulez-vous poser une question complémentaire?

La sénatrice Audette : Oui.

Vous savez, avant de siéger au Sénat, j’ai quand même observé tout le monde dans cette Chambre avec beaucoup de passion. Il y a la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Plusieurs d’entre nous se demandent si ce projet de loi réussit le test de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Sinon, comment fera-t-on pour s’assurer qu’un commissaire aux langues autochtones pourra aussi collaborer avec le commissaire aux langues officielles afin que, dans certaines provinces, le commissaire aux langues autochtones ait lui aussi un certain pouvoir? Je sais qu’on parle du projet de loi C-13, mais j’aurais aimé y voir des parallèles ou des relations importantes. J’imagine qu’on pourra en discuter dans le cadre de cette étude. En tant que juriste, vous l’avez mentionné, et vous avez peut-être des conseils à nous donner.

Le sénateur Gold : Merci de la question. Je comprends très bien, dans un pays diversifié comme le nôtre, à quel point il est important que toutes les institutions qui partagent des objectifs semblables se parlent et qu’il y ait une collaboration qui s’établisse au fur et à mesure que cela est nécessaire et souhaitable.

Cela dit, permettez-moi de dire qu’il faut insister sur le fait que, pour ce qui est du projet de loi C-13, la raison d’être de ce projet de loi, ce sont les deux langues officielles et leur statut juridique au Canada.

Comme je l’ai déjà dit, il y a eu des consultations, mais je ne veux pas prétendre que cela s’est fait dans le cadre de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. C’est un projet de loi qui traite d’autres sujets, nonobstant le fait qu’il reconnaît, de façon respectueuse, des droits acquis et constitutionnels autochtones.

L’autre volet que j’ai abordé dans mon projet de loi sur les langues autochtones, les commissaires et toutes les ressources qui seront mises en place... Il s’agit d’un autre projet de loi primordial et important qui en est à ses débuts, c’est-à-dire que les fruits ne sont pas encore mûrs. Il y a des projets, et il y a quand même des succès. Il y a aussi beaucoup de choses à faire. Nous souhaitons que tout cela continue et même que les choses s’accélèrent, mais il faut faire la distinction entre les deux camps. Un amalgame ne servira ni le projet de loi C-13 ni le projet de loi sur les langues autochtones.

[Traduction]

L’honorable Denise Batters : Dans son mémoire sur le projet de loi C-13 présenté au Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes, le Barreau du Québec a déclaré ce qui suit :

Certains auteurs affirment que des modifications à la Loi sur la Cour suprême ou la Loi sur les langues officielles pourraient affecter la notion de « composition de la Cour » comme la Cour suprême l’a interprétée dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, dans la foulée de la nomination du juge Nadon. Ainsi, l’ajout de l’exigence du bilinguisme dans l’une ou l’autre de ces lois nécessiterait, selon eux, de passer par le processus de modification constitutionnelle (sept provinces canadiennes comptant au moins 50 % de la population).

Sans prendre position sur cette question constitutionnelle, nous tenons toutefois à souligner qu’elle mérite une attention particulière afin de s’assurer que toutes les modifications visant à rendre obligatoire le bilinguisme des juges à la Cour suprême ne soient pas contre-productives et portent fruit.

Je tiens également à faire remarquer qu’Emmett Hall, le dernier juge de la Cour suprême qui était originaire de ma province, la Saskatchewan, a été nommé dans les années 1960, avant ma naissance. Il est resté en fonction jusqu’en 1973. Compte tenu du faible taux de bilinguisme en Saskatchewan, nous voulons nous assurer que la Cour suprême du Canada est composée des meilleurs juristes. C’est quelque chose dont nous devons tenir compte.

À la lumière de ces importantes considérations, pourquoi ce projet de loi ne serait-il pas étudié par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles?

Le sénateur Gold : Merci d’avoir soulevé la question de la Cour suprême, car je pense que je pourrai ainsi également corriger ce que je pense être un léger malentendu sur les dispositions de ce projet de loi concernant la Cour.

Pour répondre directement à votre question, non, je ne pense pas que les problèmes que vous avez soulevés justifient le renvoi au Comité des affaires juridiques, et je vais vous expliquer pourquoi.

(1650)

En ce qui concerne la magistrature, les dispositions de ce projet de loi suppriment une exemption qui existait pour la Cour suprême du Canada dans la loi originale et qui, à l’époque, était considérée comme « temporaire ». Cette exemption exonérait la Cour, en tant qu’institution, de l’exigence applicable aux autres cours supérieures de donner effet aux droits protégés par la Constitution qu’ont les plaideurs de pouvoir se faire entendre dans la langue de leur choix, sans l’aide d’un interprète. Cette disposition n’est peut-être pas comprise — et je m’excuse, sénatrice Batters, si je vous prête des propos ou si j’en prête à d’autres personnes; ce n’est pas mon intention. Toutefois, elle ne signifie pas que tous les juges nommés à la Cour suprême ou à toute autre cour supérieure doivent être bilingues ou parler couramment les deux langues. Ce n’est pas ce que le projet de loi exige. Il s’agit d’une obligation applicable à la Cour en tant qu’institution de faire en sorte que lorsqu’elle entend des affaires, elle s’assure que les parties au litige puissent s’adresser à elle et être comprises sans l’aide d’un interprète.

Je vais donner un exemple. Il se trouve, heureusement, que la Cour suprême du Canada, dans sa composition actuelle, compte neuf juges, dont trois du Québec et trois de l’Ontario, comme le veulent la pratique, la coutume et la loi, qui sont tous effectivement bilingues, bien qu’il ne s’agisse pas d’une exigence et qu’il ne saurait en être ainsi. Il s’agirait d’exiger que le groupe de juges qui entend une affaire soit capable de comprendre les témoignages, qu’ils soient en anglais ou en français, sans l’aide d’un interprète. Par exemple, le quorum pour entendre une affaire à la Cour suprême du Canada, comme vous le savez, est de cinq juges. Or, rien dans le projet de loi C-13 n’exige que tous les futurs juges, qu’il s’agisse de la Cour suprême ou d’une cour supérieure, soient parfaitement bilingues, puisque ces dispositions existent depuis longtemps. Il est concevable qu’un juge soit nommé à la Cour suprême s’il ne parle que le français et une langue autochtone, par exemple. Cependant, je ne pense pas qu’il y ait eu un seul juge unilingue francophone à la Cour suprême depuis la Confédération, bien qu’il y ait eu des juges unilingues anglophones, mais cela n’est pas exclu par ce projet de loi tant que la Cour, en tant qu’institution, lorsqu’elle structure ses groupes — ce qui relève généralement de la compétence du juge en chef —, a la capacité de satisfaire à l’obligation institutionnelle qui est maintenant imposée à la Cour suprême et dont elle avait été temporairement exemptée aux termes de la Loi sur les langues officielles d’il y a 30 ans.

La sénatrice Batters : Par conséquent, sénateur Gold, pourriez-vous demander au ministre de la Justice, M. Lametti, de nous confirmer que le projet de loi C-13 n’exige pas que les juges de la Cour suprême soient bilingues?

Le sénateur Gold : Je suis certain que cette question sera posée au comité et qu’on pourra y répondre, mais c’est clairement écrit dans la loi. Encore une fois, comme je l’ai indiqué, les dispositions qui suppriment l’exemption sont en place pour les juges nommés par le gouvernement fédéral depuis des dizaines d’années, et il n’est certainement pas vrai que tous les juges nommés par le gouvernement fédéral étaient bilingues. Ce n’était pas le cas dans le passé et ce ne le sera pas non plus à l’avenir, que ce soit pour la Cour supérieure de justice de l’Ontario ou la Cour suprême du Canada.

[Français]

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Honorables sénatrices et sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer, à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois.

Mon appui ne signifie pas que je crois que ce projet de loi est une solution complète à la protection de la langue française au Canada. Cependant, il contient suffisamment d’éléments positifs pour qu’il ne soit pas rejeté du revers de la main. Selon moi, le projet de loi C-13 est un pas en avant qui mérite d’être franchi aujourd’hui, surtout quand on prend en considération le fait qu’il a fallu huit ans pour en arriver à ce texte de modernisation.

Cela dit, je ne suis quand même pas dupe. Le projet de loi C-13 ne corrigera pas en quelques mois ou en quelques années le déclin démographique du français au pays. Ce n’est sûrement pas en claquant des doigts que les communautés francophones d’un bout à l’autre du Canada vont recevoir dans leur langue tous les services que la nouvelle loi leur promet.

Le projet de loi C-13, tel que nous l’avons reçu au Sénat, doit être considéré comme un levier intéressant, pourvu que le gouvernement en place donne aux politiciens et aux institutions du pays les moyens financiers nécessaires pour réaliser les nombreux engagements qui entreront en vigueur.

Je me permets de rappeler ici que le directeur parlementaire du budget a déjà émis des doutes sur l’atteinte des objectifs énoncés dans le projet de loi C-13, quand il a constaté les sommes plutôt modestes engagées à cet effet dans le dernier budget fédéral. Faire vivre et respecter une Loi sur les langues officielles dans un pays aussi grand que le Canada est un défi coûteux.

Malheureusement, il faut constater que l’application des dispositions du projet de loi C-13 deviendra un enjeu économique important au cours des prochaines années, et ce sera notre devoir de rappeler au gouvernement ses engagements et ses obligations. Comme citoyens et comme politiciens, il faudra nous assurer que le gouvernement actuel et ceux qui suivront posent des actions concrètes pour mettre fin au déclin démographique des francophones.

La Loi sur les langues officielles au Canada ne doit pas être un simple bout de papier qu’on brandit uniquement pendant une campagne électorale, ou encore dans le cadre de débats réglementaires et judiciaires pour réclamer que les droits de chacun soient respectés. Le projet de loi C-13 doit être une façon de vivre au Canada et doit devenir, avec le temps, une fierté législative pour un pays qui est devenu aussi multiculturel que le nôtre.

Même s’il faudra être patients à certains égards, je me réjouis déjà aujourd’hui du fait que le projet de loi C-13 accordera un nouveau droit de travailler et d’être servi en français au Québec et dans les régions à forte présence francophone du pays. En effet, travailler et vivre dans sa langue dans un pays bilingue ne devrait pas être un combat, mais bien une façon d’être.

À cela, j’ajoute aussi ma grande satisfaction face aux nouveaux pouvoirs qui seront accordés au commissaire aux langues officielles, dont celui de contraindre et de sanctionner les institutions fédérales qui ne respecteront pas la Loi sur les langues officielles du Canada. C’est là un changement important qui est réclamé depuis longtemps, disons-le. Enfin, voilà de nouvelles dispositions qui vont grandement faciliter l’application de la Loi sur les langues officielles.

D’autre part, tout en étant satisfait de la nouvelle obligation imposée au gouvernement de nommer des juges bilingues à la Cour suprême du pays, je suis déçu de constater que cette obligation de bilinguisme ne s’appliquera pas pour les postes de gouverneur général du Canada et de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick. Ce sont, à mon avis, deux fonctions pour lesquelles l’obligation de pouvoir communiquer avec les citoyens dans les deux langues officielles du pays me semble incontournable. Cependant, il semblerait que la Constitution de 1982 empêchait d’ajouter une telle inscription dans la nouvelle version de la Loi sur les langues officielles du Canada. Je trouve cela bien dommage.

Il faudra donc continuer à se fier au gouvernement en place pour que le critère des deux langues officielles s’applique à ces nominations. Malheureusement, les dernières nominations nous ont prouvé qu’un premier ministre a la capacité politique de dire certaines choses et de faire le contraire.

Revenons maintenant sur l’aspect politique de l’adoption du projet de loi C-13. Je me réjouis de constater que tous les députés de l’autre endroit — à l’exception d’un seul, dont je reparlerai plus tard — ont voté en faveur du projet de loi C-13. Ce sont donc 300 élus canadiens de partout au pays qui ont adopté ce projet de loi qui modernise la Loi sur les langues officielles. J’insiste pour dire qu’ils ont été 300 députés de partout au Canada à voter en faveur du projet de loi; c’est très important de le rappeler.

Je trouve important de noter ici que ce sont tous les partis politiques représentés à l’autre endroit qui ont voté en faveur du projet de loi C-13, après avoir obtenu du gouvernement des amendements importants. Le résultat des compromis et des ajouts de dernière minute a sûrement été considérable, quand on constate la satisfaction exprimée par le gouvernement du Québec et son souhait que le projet de loi C-13 soit adopté par le Sénat avant l’ajournement de l’été, qui approche à grands pas.

Historiquement, les dossiers linguistiques entre Ottawa et Québec ont soulevé beaucoup de controverses. Cependant, une série de 11 amendements négociés de bonne foi et qui ont été inclus dans le projet de loi nous montre la naissance d’une nouvelle dynamique politique à laquelle nous n’étions pas habitués.

(1700)

Évidemment, personne ne pouvait contester le fait que le gouvernement fédéral devait intervenir pour freiner le déclin d’une des deux langues officielles du pays, le français; ce déclin qui a été constaté ne se vivait pas uniquement au Québec.

Dans ce contexte, toute loi ou initiative visant à protéger et promouvoir l’usage du français au pays doit être saluée et appuyée, qu’elle soit fédérale ou provinciale.

C’était devenu une urgence nationale et culturelle de poser des gestes qui pourraient perpétuer le caractère bilingue historique de notre pays.

Avec un peu de recul, deux points m’apparaissent importants dans cet appui du Québec au projet de loi C-13.

D’abord, il y a une reconnaissance tacite des pouvoirs du Québec de légiférer pour protéger et promouvoir la langue française sur son territoire, tout en conservant les droits de la communauté anglophone de la province.

De plus, le projet de loi C-13 inclut maintenant dans son texte certains éléments de la Charte de la langue française du Québec, visant les entreprises à charte fédérale qui embauchent des employés non seulement au Québec, mais aussi dans toutes les régions du pays comptant une forte présence francophone. Les compagnies aériennes, les sociétés ferroviaires et les banques seront particulièrement touchées par ces nouvelles dispositions.

Le projet de loi C-13 n’est donc pas à sens unique. Il encadre et garantit des droits et des services aux communautés en situation minoritaire au Québec et partout au pays, que ces communautés soient francophones ou anglophones.

Je trouve dommage de devoir le rappeler encore une fois. Les francophones ont fondé le Canada au même titre que les anglophones et leur langue doit être respectée et protégée. Je parle non seulement des Québécois, mais aussi de la communauté acadienne et de toutes les communautés francophones qui existent en Ontario, au Manitoba et partout ailleurs dans notre grand pays.

Malheureusement — je le répète —, il restera toujours au pays des marginaux politiques qui voient dans la protection de la langue française une menace à leur droit de vivre en anglais. On en a vu un bel exemple à l’autre endroit.

Ce que je trouve étonnant, c’est qu’un certain nombre d’entre eux vivent au Québec, comme le seul député qui a voté contre le projet de loi C-13 à l’autre endroit et qui souhaitait qu’on élimine les références à la Charte de la langue française, parce qu’il a la conviction que l’État québécois est là pour brimer les droits des anglophones.

Je me permets de dire que ce député et ceux qui le soutiennent, à visage découvert ou non, ont une attitude particulièrement insultante envers les francophones du Québec. Pourquoi? Parce qu’ils ne semblent pas réaliser qu’en tant que Québécois anglophones, ils ont accès à deux universités anglophones à Montréal, soit l’Université McGill et l’Université Concordia. Ils ont aussi accès à une université anglophone à Sherbrooke, l’Université Bishop’s. Ils ont aussi accès à des collèges anglophones et à des écoles anglophones et ils ont même une commission scolaire jouissant d’une protection constitutionnelle.

Quand ces mêmes Québécois anglophones sortent, magasinent ou s’adressent à l’État, ils peuvent le faire dans leur langue. S’ils doivent s’adresser aux tribunaux, ils peuvent le faire en anglais sans restrictions, sans interprète et sans délai. Est-ce que les francophones ont autant de droits et de services publics lorsqu’ils forment une minorité dans les autres provinces? Je pense que vous connaissez la réponse.

Pour clore ce chapitre, je crois donc nécessaire de leur rappeler la percutante révélation du président d’Air Canada, Michael Rousseau, qui a confessé qu’il vivait à Montréal depuis 14 ans sans jamais avoir eu besoin de parler français.

Le fait de vouloir organiser une fronde politique contre le projet de loi C-13 parce que ce député croit que sa langue d’expression est menacée au Québec me semble être de l’inconscience politique. Je croyais pourtant que cette période était révolue.

La communauté anglophone du Québec a toujours été mieux traitée que les communautés francophones et acadiennes dans les autres provinces du pays.

Je me permets d’ajouter que cela a toujours été le cas et que cela continuera de l’être, même avec l’adoption de la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Rappelons-nous en terminant qu’une langue ne peut pas vivre si elle n’est pas enseignée correctement et parlée couramment. Vouloir vivre et parler en français au Canada ne doit pas être un combat; c’est un droit, un droit constitutionnel qu’il est devenu nécessaire de renforcer.

Je vous demande donc, le moment venu, de voter en faveur du projet de loi C-13 et, par la suite, de demeurer vigilants, tout comme moi, afin de nous assurer que son contenu soit déployé comme le stipule le projet de loi.

Je vous remercie de votre attention.

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénatrices et sénateurs, dans tout pays, la langue — et les langues au Canada — est l’essence de notre expression, de notre identité et de notre solidité culturelles.

C’est donc en reconnaissant d’emblée l’importance pour notre pays de ses deux langues officielles, l’anglais et le français, que je prends la parole aujourd’hui afin de m’exprimer sur le projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada. J’ai bon espoir que ce débat se poursuivra de façon constructive et sereine, sur la base d’une bonne compréhension de la portée du projet de loi, de l’évolution de la situation démolinguistique du Canada et de la nécessité d’agir.

Je ne revisiterai pas aujourd’hui l’évolution historique de nos droits linguistiques, car le sénateur Cormier, parrain du projet de loi, dans son intervention à l’étape de la deuxième lecture, a habilement brossé le portrait de cette évolution. Il a exposé les bienfaits de la loi sur le pays, et particulièrement sur ses communautés linguistiques en situation minoritaire, en plus de démontrer la nécessité de la réforme proposée aujourd’hui au moyen du projet de loi C-13.

Soyons clairs sur la portée de ce projet de loi : le projet de loi C-13 vise à promouvoir et protéger le français, assujettir les entreprises privées de compétence fédérale au bilinguisme, appuyer les communautés linguistiques minoritaires et leurs institutions, tant anglophones que francophones, et ce, en reconnaissant la réalité des dynamiques linguistiques du Canada d’aujourd’hui.

Pourquoi cette réforme est-elle nécessaire? Cette réalité ne peut être ignorée : la langue française est en déclin sur l’ensemble du territoire canadien. C’est la conclusion sans équivoque du recensement de 2021. À l’échelle du pays, le français comme première langue officielle parlée est passé de 22,3 % lors du recensement de 2016 à 21,4 % à celui de 2021. Cette tendance est la même au Québec, la seule province majoritairement francophone, où le français comme première langue est passé de 83,7 % en 2016 à 82,2 % en 2021. En comparaison, l’utilisation de l’anglais ne cesse d’augmenter, passant de 74,8 % à 75,5 % de la population totale du Canada entre 2016 et aujourd’hui.

Le phénomène n’est pas nouveau, mais confirme une accélération de la diminution du nombre de francophones au Canada. Cette diminution se fait particulièrement sentir dans la nation québécoise et dans les communautés francophones hors Québec. Reconnaissons les faits : les Québécois, mais également les Acadiens et les autres francophones du Nouveau-Brunswick, les Franco-Manitobains, les Franco-Ontariens, les Fransaskois, et j’en passe, bref, l’ensemble des communautés francophones de notre pays sont négativement affectées par cette dynamique linguistique et démographique.

Quelles solutions le projet de loi C-13 nous propose-t-il? Le projet de loi C-13 prend acte de la réalité et préconise l’égalité réelle des deux langues officielles. Pour ce faire, il propose une approche adaptée que l’on qualifie d’asymétrique à plusieurs niveaux pour promouvoir et protéger nos deux langues officielles, l’anglais comme le français, en plus d’accorder une attention particulière aux communautés de langue officielle en situation minoritaire.

(1710)

Il est très important de mettre la situation au clair : l’asymétrie dans le traitement des deux langues officielles n’entraîne pas une injustice; au contraire, c’est un traitement symétrique qui créerait cette injustice. Étant donné la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui et à la lumière des données obtenues sur le déclin de la langue française, il serait injuste et même inconséquent d’agir autrement.

Ce principe de vulnérabilité linguistique est d’ailleurs profondément ancré dans la jurisprudence de notre plus haut tribunal. La Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit dans les arrêts Ford et Nguyen, et je cite :

[...] l’objectif général de protection de la langue française représentait un objectif légitime, au sens de l’arrêt Oakes, eu égard à la situation linguistique et culturelle particulière de la province de Québec :

[L]es documents établissent amplement l’importance de l’objet législatif de la Charte de la langue française et le fait qu’elle est destinée à répondre à un besoin réel et urgent. [...] La vulnérabilité de la langue française au Québec et au Canada [...]

Pour justifier sa décision dans l’affaire Nguyen, la Cour suprême s’est basée notamment sur un rapport de l’Office québécois de la langue française portant sur l’évolution linguistique. Je cite un extrait de ce rapport :

Tant à l’échelle canadienne que nord-américaine, le français et l’anglais n’ont pas le même poids et ne sont pas soumis aux mêmes contraintes d’avenir. La pérennité de l’anglais au Canada et en Amérique du Nord est quasi certaine. Celle du français au Québec, et particulièrement dans la région de Montréal, dépend encore, dans une large mesure, de sa rencontre avec l’anglais et demeure tributaire de divers facteurs tels que la fécondité, le vieillissement de la population, les migrations inter et intraprovinciales et les substitutions linguistiques.

La décision du gouvernement fédéral de proposer, avec le projet de loi C-13, une approche asymétrique dans la promotion et la conservation de nos langues officielles se base donc sur une solide fondation factuelle et juridique.

[Traduction]

Il faut aussi dire qu’une approche asymétrique en faveur du français n’implique pas que les anglophones sont privés de leurs droits, en particulier les minorités anglophones du Québec, dont la situation me tient particulièrement à cœur. Les Québécois anglophones conserveront tous les droits qui leur sont conférés par les chartes canadienne et québécoise. Je ne pourrais pas tolérer que mes concitoyens anglophones du Québec voient leurs droits être menacés ou violés, mais cela n’arrivera tout simplement pas.

En fait, le projet de loi C-13 est avantageux pour la minorité anglophone du Québec, puisqu’il comprend des engagements envers les minorités linguistiques, comme celui de renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité, en contexte formel, non formel ou informel, dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires.

De plus, rappelons que le Québec, qui est la province la plus bilingue du Canada — car 44,5 % des Québécois sont bilingues, c’est-à-dire qu’ils parlent français et anglais — confère dans ses propres lois des droits et des protections fondamentales aux communautés anglophones. Notre collègue le sénateur Dagenais en a parlé avec éloquence. Ces droits et privilèges portent sur l’éducation, les services administratifs, les services de santé et d’autres aspects. La communauté peut aussi compter sur des institutions fortes et dynamiques comme des municipalités, des hôpitaux et des universités bilingues.

Je pense qu’il est important de se rappeler que le projet de loi C-13 n’a aucun effet sur ces droits prévus dans la charte québécoise et par le gouvernement du Québec. De plus, un débat sur la Loi sur les langues officielles n’est pas le bon véhicule pour discuter de sujets relevant de la politique québécoise ou du concept du vivre ensemble de la province.

Pourquoi le projet de loi C-13 est-il à ce point historique? Il est vraiment historique parce qu’il est fondé sur une véritable collaboration entre un grand nombre de parties prenantes, y compris le gouvernement fédéral, le gouvernement du Québec et les représentants des minorités linguistiques de partout au pays. Tous ces acteurs ont reconnu la nécessité de réformer la Loi sur les langues officielles. Ce projet de loi est attendu avec impatience partout au pays. D’ailleurs, il a été adopté presque à l’unanimité à l’autre endroit, une grande réussite en soi.

En tant que sénatrice du Québec, je suis heureuse d’avoir été témoin d’une excellente collaboration entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec. La conclusion d’ententes entre ces deux parties est parfois difficile — c’est le moins que l’on puisse dire —, en particulier en ce qui concerne les questions linguistiques. Cela dit, je suis ravie d’avoir vu les deux gouvernements travailler vers l’atteinte d’un objectif commun : la promotion et la protection du français partout au Canada. Je suis heureuse que le gouvernement du Québec joue un rôle proactif dans la réalisation de cet idéal.

Cet accord se reflète dans les amendements proposés en comité aux articles 54, 57 à 59 et 71 du projet de loi relatif aux entreprises privées de compétence fédérale, qui sont au cœur de ce projet de loi.

Le projet de loi C-13 établira une nouvelle norme pour les entreprises privées de compétence fédérale au Québec et dans les régions francophones, en veillant à ce que ces entreprises respectent le droit des Québécois de travailler dans la langue officielle du Québec et celui des minorités francophones de recevoir des services dans leur langue maternelle, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. Aujourd’hui, le rapport déposé par le Commissaire fédéral aux langues officielles est très probant à l’égard de cette situation et de cette iniquité pour les francophones.

Il va sans dire que ces mesures n’empiètent pas sur les droits des anglophones. En substance, le projet de loi C-13 reconnaît que le secteur privé de compétence fédérale a un rôle à jouer dans la promotion et la protection du français.

Le projet de loi C-13 est loin de se limiter au Québec. Il vise, à juste titre, les communautés francophones à l’extérieur du Québec. Il veillera à ce que les consommateurs puissent communiquer en français avec les entreprises privées de compétence fédérale et à ce que les employés francophones de l’ensemble du Canada bénéficient de droits concernant la langue de travail.

Le projet de loi, comme je l’ai dit, comprend notamment un engagement à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire, c’est-à-dire les communautés francophones à l’extérieur du Québec et les communautés anglophones au Québec.

Qu’en est-il des langues autochtones? Je reconnais évidemment la nécessité de protéger et de promouvoir les langues autochtones et les droits des peuples autochtones qui les parlent. Cela dit, je ne crois pas que la réforme de la Loi sur les langues officielles qui est proposée dans le projet de loi C-13 soit la bonne façon de s’attaquer au problème. La promotion du français ne nuit pas à l’application de la Loi sur les langues autochtones ni aux droits des communautés autochtones de parler ces langues. Les deux peuvent se faire simultanément. Elles ne s’excluent pas mutuellement.

En 2019, le Sénat a adopté la Loi sur les langues autochtones. À mon avis, c’est l’instrument juridique efficace et approprié qu’il faut considérer en ce qui concerne les langues autochtones. Si une réforme est nécessaire et des améliorations sont demandées, il faudra revoir cette loi pour mieux protéger et promouvoir les langues autochtones. À ce titre, vous trouverez en moi une alliée au Sénat.

Pourquoi lutter pour un pays bilingue vaut-il la peine? J’ai commencé mon discours en disant que le bilinguisme est un élément fondamental de la culture et de l’identité canadiennes. Je crois que c’est sans équivoque. Ce n’est pas seulement important au Canada; c’est une de nos principales caractéristiques sur la scène internationale. Nos langues nous ouvrent des portes partout où nous allons. Grâce à la langue anglaise et à nos liens historiques avec la Grande-Bretagne, nous sommes membres du Commonwealth, où nous échangeons et faisons valoir nos intérêts avec 55 autres pays. Grâce à nos liens avec la France, nous sommes également membres de la Francophonie, qui compte 54 membres, 7 membres associés et 27 observateurs.

Ces liens sont essentiels pour le Canada. Chacune de nos deux langues officielles nous permet d’échanger, de commercer, d’établir des liens, de partager notre culture et de nouer de solides liens diplomatiques. Elles nous aident aussi à attirer des immigrants, des travailleurs et des étudiants. Elles permettent vraiment de nous distinguer partout dans le monde.

[Français]

En conclusion, vous comprendrez que je soutiens complètement le principe du projet de loi C-13, Loi visant l’égalité réelle entre les langues officielles du Canada, et que j’en appelle à ce qu’il soit le plus rapidement possible renvoyé au Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier les membres de ce comité de leur travail intensif et de qualité dans le cadre de l’étude préalable du projet de loi et du rapport qui y est associé.

(1720)

J’en profite également pour répondre à une question qui a été posée en ce qui concerne la présidence d’un comité par un sénateur qui parraine un projet de loi. J’en profite pour confirmer que le président du Comité sénatorial permanent des langues officielles, avec le sens de l’éthique que nous lui connaissons tous, a demandé à ne plus assumer la présidence et il a obtenu que ce soit une autre sénatrice qui le fasse. La question du sénateur visait également à déterminer si nous avions eu connaissance d’un porte-parole d’un projet de loi qui avait également présidé un comité. Je vais donner une réponse en rapportant un événement tout récent; effectivement, le président du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, porte-parole du projet de loi C-11, a présidé les travaux du comité au moment de l’examen de ce projet de loi.

Je suis certaine que les membres du Comité des langues officielles sauront, quand ils analyseront ce projet de loi, faire le même travail de qualité dans tous ses aspects importants lorsqu’il leur sera confié. Chers collègues, en conclusion, l’évolution démographique de notre pays nous amène à constater une régression sans équivoque du français. Le projet de loi C-13, qui est le fruit d’une délicate collaboration, est nécessaire afin d’assurer l’épanouissement équitable de nos deux langues officielles. Il vise à atteindre l’égalité et l’équité dans la dynamique linguistique de nos langues officielles. L’égalité dont il est question ici pour les Canadiens et les Canadiennes, peu importe leur province de résidence, vise à ce qu’ils puissent être servis par le gouvernement fédéral dans la langue officielle de leur choix.

Les francophones ont besoin de ce projet de loi, mais ultimement, c’est tout le Canada qui en sortira gagnant.

Merci. Meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur le renforcement de la protection de l’environnement pour un Canada en santé

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Amendements

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), apportant des modifications connexes à la Loi sur les aliments et drogues et abrogeant la Loi sur la quasi-élimination du sulfonate de perfluorooctane, accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi avec les amendements ci-après, qu’elle prie le Sénat d’accepter :

1.Article 2, pages 1 et 2 :

a)à la page 1, ajouter, après la ligne 16, ce qui suit :

« (2.1) Le sixième paragraphe du préambule de la version française de la même loi est remplacé par ce qui suit :

qu’il s’engage à adopter le principe de précaution, si bien qu’en cas de risques de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement; »;

b) à la page 2, ajouter, après la ligne 36, ce qui suit :

« qu’il s’engage en faveur de l’ouverture, de la transparence et de la responsabilité en matière de protection de l’environnement et de la santé humaine; »;

c)à la page 2, ajouter, après la ligne 41, ce qui suit :

« qu’il est déterminé à adopter une approche fondée sur le risque pour l’évaluation et la gestion des substances chimiques; ».

2.Article 3, page 3 :

a)remplacer la ligne 3, dans la version anglaise, par ce qui suit :

« not be used as a reason for postponing cost-effective »;

b)ajouter, après la ligne 11, ce qui suit :

« a.3) relativement à l’alinéa a.2), respecter des principes tels que le principe de non-régression, le principe de l’équité intergénérationnelle et les principes de justice environnementale, l’un de ceux-ci étant la prévention des effets nocifs qui touchent de façon disproportionnée les populations vulnérables; ».

3.Article 4, page 3 :

a)ajouter, après la ligne 27, ce qui suit :

« environnement sain Environnement qui est propre, sain et durable. (healthy environment) »;

b)ajouter, après la ligne 32, ce qui suit :

« principe de précaution Principe 15 de la Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement de 1992, selon lequel, en cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. (precautionary principle) ».

4.Article 5, page 4 :

a)ajouter, après la ligne 2, ce qui suit :

« (1.1) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), le cadre de mise en œuvre énonce les éléments suivants :

a) le processus prévu au paragraphe 76.1(1) eu égard à la protection du droit à un environnement sain. »;

b)remplacer la ligne 7 par ce qui suit :

« principe de l’équité intergénérationnelle, selon lequel il importe de répondre aux besoins de la génération actuelle sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs, et les prin- »;

c)remplacer les lignes 14 et 15 par ce qui suit :

« c) les facteurs pertinents à prendre en considération pour interpréter et appliquer ce droit et pour en déterminer les limites raisonnables, notamment les facteurs ».

5.Article 5.1, pages 4 et 5 :

a)remplacer le passage commençant à la ligne 25,page 4, et se terminant à la ligne 3,page 5, par ce qui suit :

« 5.1 (1) Le passage du paragraphe 13(1) de la même loi précédant l’alinéa a) est remplacé par ce qui suit :

13 (1) Sont conservés au Registre les avis et autres documents que les ministres, ou l’un ou l’autre, publient ou mettent à la disposition du public en vertu de la présente loi et, sous réserve de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels : »;

b)à la page 5, remplacer la ligne 8 par ce qui suit :

« forme électronique, consultable ».

6.Article 10, pages 6 et 7 :

a)remplacer le passage commençant à la ligne 27,page 6, et se terminant à la ligne 23,page 7, par ce qui suit :

« (1.1) L’avis peut exiger que le plan donne priorité à l’identification, au développement ou à l’utilisation de solutions de rechange à la substance — ou groupe de substances — ou au produit qui sont plus sécuritaires ou plus durables. »;

b)à la page 7, remplacer les lignes 28 à 35 par ce qui suit :

« (3) Le paragraphe 56(4) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

(4) Le ministre publie, dans le Registre et de toute autre façon qu’il estime indiquée, le nouveau délai d’élaboration ou d’exécution et le nom des bénéficiaires.

(4) L’article 56 de la même loi est modifié par adjonction, après le paragraphe (5), de ce qui suit :

(6) L’avis peut exiger que le destinataire présente au ministre, par écrit et dans les délais qui y sont précisés, des rapports sur la mise en œuvre du plan. ».

7.Article 10.1, pages 7 et 8 : supprimer l’article 10.1.

8.Article 11.1, page 8 : supprimer l’article 11.1.

9.Article 14, page 9 :

a)remplacer les lignes 12 à 18 par ce qui suit :

« peut inscrire sur la liste intérieure toute substance :

a) inscrite sur la version de la liste révisée des substances commercialisées établie par le ministre de la Santé au terme du processus de désignation de substances ayant pris fin le 3 novembre 2019 et à laquelle on réfère à titre de liste permanente dans la Gazette du Canada, Partie I, volume 152, numéro 44;

b) à laquelle ne renvoie pas l’annexe I de l’avis intitulé « Retrait de substances sans activité commerciale de la Liste révisée des substances commercialisées » et publié dans la Gazette du Canada, Partie I, volume 156, numéro 8;

c) n’étant pas assujettie à une condition précisée au titre de l’alinéa 84(1)a).

Si cette substance figure sur la liste extérieure, il la radie de celle-ci. »;

b)remplacer les lignes 19 à 24 par ce qui suit :

« (2) Il peut, par arrêté, déléguer à toute personne — ou catégorie de personnes — les pouvoirs que le paragraphe (1) lui confère. ».

10.Article 15, page 10 :

a)remplacer la ligne 22 par ce qui suit :

« particularité, y compris les conditions, les procédures d’essai et les pratiques de laboratoire auxquelles il faut se conformer »;

b) remplacer les lignes 27 à 29 par ce qui suit :

« présentant le plus haut niveau de risque. ».

11.Article 16.1, page 12 : remplacer les lignes 3 à 25 par ce qui suit :

« 68.1 (1) Les ministres doivent, dans la mesure du possible, recourir à des méthodes et stratégies de rechange scientifiquement justifiées afin de remplacer, réduire ou raffiner l’utilisation des animaux vertébrés pour produire des données et mener des enquêtes en vertu de l’alinéa 68a).

(2) Aux fins du paragraphe (1), les méthodes et stratégies visant à raffiner l’utilisation d’animaux vertébrés incluent la réduction au minimum de la douleur et de la détresse causées aux animaux vertébrés utilisés pour la production de données et la conduite d’enquêtes en vertu de l’alinéa 68a). ».

12.Article 19, pages 15 et 16 :

a)à la page 15, remplacer la ligne 25 par ce qui suit :

« borent et publient un plan comprenant des échéanciers : »;

b)à la page 15, remplacer la ligne 29 par ce qui suit :

« b) qui précise les initiatives et les activités, qui »;

c)remplacer le passage commençant à la ligne 38, page 15, et se terminant à la ligne 2, page 16, par ce qui suit :

« promouvoir l’élaboration et l’adoption, en temps opportun, de méthodes et stratégies de rechange scientifiquement justifiées pour l’essai et l’évaluation des substances afin de remplacer, réduire ou raffiner l’utilisation des animaux vertébrés. »;

d)à la page 16, supprimer les lignes 3 et 4;

e)à la page 16, remplacer la ligne 19 par ce qui suit :

« 68a), notamment la manière dont les renseignements concernant des substances ou des produits sont communiqués au public, y compris, dans le cas des produits, par leur étiquetage. »;

f)à la page 16, ajouter, après la ligne 31, ce qui suit :

« (7.1) Les ministres examinent le plan dans les huit ans suivant sa publication et tous les huit ans par la suite. »;

g)renuméroter les paragraphes de l’article 73 ainsi que les renvois qui en découlent.

13.Article 20, pages 17 et 18 :

a)à la page 17, remplacer la ligne 22 par ce qui suit :

« (3) Le ministre radie de la liste une substance et les ren- »;

b)à la page 17, remplacer les lignes 23 à 25 par ce qui suit :

« seignements la concernant si, selon le cas :

a) un décret d’inscription de la substance sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1 est pris en vertu du paragraphe 90(1);

b) les ministres ne la soupçonnent plus d’être potentiellement toxique. »;

c)à la page 18, remplacer les lignes 1 à 4 par ce qui suit :

« (2) Les ministres étudient la demande et décident d’ajouter la substance au plan élaboré au titre de l’article 73 ou de refuser la demande.

(2.1) Dans les quatre-vingt-dix jours suivant la présentation de la demande, le ministre informe le demandeur de la décision prise ainsi que des motifs à l’appui de la décision et de la suite que les ministres entendent y donner. ».

14.Article 21, page 20 : ajouter, après la ligne 34, ce qui suit :

« (8) Dans le cas où plus de deux ans se sont écoulés depuis la publication de la déclaration visée à l’alinéa (1)a) sans que les ministres n’aient publié la déclaration prévue à l’alinéa (6)b), le ministre publie dans le Registre une déclaration faite conjointement par les ministres qui précise les raisons d’un tel délai ainsi que l’échéancier envisagé pour la publication de la déclaration visée à l’alinéa (6)b). ».

15.Article 22, page 21 :

a)remplacer la ligne 22 par ce qui suit :

« quents, le ministre publie la déclaration modifiée, motifs à l’appui, dans le »;

b)ajouter, après la ligne 23, ce qui suit :

« (3) Le ministre incorpore au rapport annuel visé à l’article 342 un rapport sur les progrès réalisés en vue de l’élaboration de tout projet de texte subséquent.

(4) L’incorporation visée au paragraphe (3) comprend la mise à jour des échéanciers envisagés et les raisons de tout changement aux échéanciers. ».

16.Article 29, page 25 : remplacer la ligne 2 par ce qui suit :

« crite sur la liste des substances toxiques de l’annexe 1, y compris les mesures menant à l’utilisation de solutions de rechange qui sont plus sécuritaires ou plus durables pour l’environnement et la santé humaine, les ».

17.Article 39, page 31 :

a)remplacer les lignes 2 à 13 par ce qui suit :

« peut inscrire sur la liste intérieure tout organisme vivant :

a) inscrit sur la version de la liste révisée des substances commercialisées établie par le ministre de la Santé au terme du processus de désignation de substances ayant pris fin le 3 novembre 2019 et à laquelle on réfère à titre de liste permanente dans la Gazette du Canada, Partie I, volume 152, numéro 44;

b) n’étant pas assujetti à une condition précisée au titre de l’alinéa 109(1)a).

(2) Il peut, par arrêté, déléguer à toute personne — ou catégorie de personnes — le pouvoir que le paragraphe (1) lui confère. »;

b)remplacer les lignes 16 à 19 par ce qui suit :

« graphes 105(1), 105.1(1) ou 112(1) qu’il estime ne pas être fabriqué ou importé au Canada. ».

18.Nouvel article 39.01, page 31 : ajouter, après la ligne 29, ce qui suit :

« 39.01 Le paragraphe 106(9) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

(9) Le ministre publie dans la Gazette du Canada, dans les meilleurs délais possible, le nom des bénéficiaires de l’exemption et le type de renseignements en cause. ».

19.Article 39.1, pages 31 et 32 : remplacer le passage commençant à la ligne 30, page 31, et se terminant à la ligne 14,page 32, par ce qui suit :

« 39.1 La même loi est modifiée par adjonction, après l’article 108, de ce qui suit :

108.1 (1) Si les renseignements que les ministres évaluent au titre des paragraphes 108(1) ou (2) concernent un animal vertébré, ou un organisme vivant — ou groupe d’organismes vivants — visé par règlement, les ministres consultent toute personne intéressée avant l’expiration du délai d’évaluation de ces renseignements.

(2) Avant de mener la consultation, le ministre publie de toute façon qu’il estime indiquée un avis de consultation. ».

20.Article 44.1, page 35 : remplacer les lignes 22 à 26 par ce qui suit :

« g.1) désigner un organisme vivant ou un groupe d’organismes vivants pour l’application du paragraphe 108.1(1); ».

21.Article 50, page 39 : remplacer les lignes 15 à 17 par ce qui suit :

« (2) La demande de confidentialité est motivée eu égard aux critères établis aux alinéas 20(1)a) à d) de la Loi sur l’accès à l’information et présentée par écrit. Elle contient aussi les renseignements supplémentaires prévus par règlement.

(3) Le ministre examine un échantillon représentatif et statistiquement valide de demandes accordées en vertu du paragraphe (1) et vérifie, pour chaque demande, si la personne qui l’a présentée avait démontré qu’elle concernait l’un ou l’autre des éléments suivants :

a) les secrets industriels de toute personne;

b) les renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par toute personne;

c) les renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à toute personne ou de nuire à sa compétitivité;

d) les renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d’entraver des négociations menées par toute personne en vue de contrats ou à d’autres fins.

(4) Si le ministre conclut que la personne qui a présenté la demande n’avait pas démontré que celle-ci, en tout ou en partie, concernait les renseignements visés à l’un ou l’autre des alinéas (3)a) à d), la demande, relativement à toute partie qui ne concerne pas de tels renseignements, est réputée ne pas avoir été présentée.

(5) Dans le rapport annuel visé à l’article 342, le ministre indique le nombre de demandes présentées en vertu du paragraphe (1), le nombre de demandes examinées ainsi que le nombre de demandes qui ont été réputées ne pas avoir été présentées, en tout ou en partie, et inclut un résumé des renseignements communiqués au titre des articles 315 à 317.2.

(6) Le ministre peut, par arrêté, déléguer à toute personne — ou catégorie de personnes — les attributions que le présent article lui confère. ».

22.Article 53, pages 40 et 41 :

a)à la page 40, remplacer la ligne 1 par ce qui suit :

« 317.1 (1) Le ministre peut communiquer la dénomina- »;

b)à la page 40, remplacer la ligne 14 par ce qui suit :

« (2) Le ministre peut communiquer la dénomination bio- »;

c) à la page 40, remplacer la ligne 27 par ce qui suit :

« (3) Le ministre communique la dénomination chi- »;

d) à la page 41, ajouter, après la ligne 29, ce qui suit :

« 317.3 Le ministre incorpore au rapport annuel visé à l’article 342 un rapport concernant les dénominations chimiques ou biologiques de substances et les dénominations biologiques d’organismes vivants qu’il a communiquées en vertu des articles 317.1 ou 317.2. ».

23.Article 55, pages 41 et 42 :

a)à la page 41, remplacer la ligne 32 par ce qui suit :

« 55 Les paragraphes 332(1) et (2) de la même »;

b)à la page 42, supprimer les lignes 16 à 35.

24.Article 57, pages 43 et 44 : remplacer le passage commençant à la ligne 15,page 43, et se terminant à la ligne 3,page 44, par ce qui suit :

« 342.1 Le ministre incorpore au rapport annuel visé à l’article 342 les renseignements relatifs aux points suivants :

a) les consultations effectuées avec les peuples et les gouvernements autochtones, y compris le résumé des principales questions soulevées sur des questions régies par la présente loi;

b) l’exécution de la présente loi en ce qui concerne les peuples et les gouvernements autochtones, y compris les mesures prises pour favoriser la réconciliation selon l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones;

c) les principales conclusions et recommandations de tout rapport fait en vertu d’une loi fédérale en ce qui concerne l’exécution de la présente loi relativement aux peuples et aux gouvernements autochtones. ».

25.Article 67.1, page 51 : supprimer l’article 67.1.

26.Annexe 1, page 53 : supprimer « article 68.1 » aux renvois qui suivent l’intertitre « ANNEXE 1 ».

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous les amendements?

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, l’étude des amendements est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1740)

[Traduction]

Projet de loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi

Deuxième lecture—Débat

L’honorable Marty Klyne propose que le projet de loi C-45, Loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de prendre la parole sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe. Je le fais en tant que parrain du projet de loi C-45. Cette mesure législative vise à modifier la Loi sur la gestion financière des premières nations de 2006, dans le but de soutenir la réconciliation économique et d’améliorer la prospérité des Premières Nations.

Le projet de loi C-45 comprend des mesures importantes pour améliorer les cadres fiscaux à participation facultative de la loi pour les 348 Premières Nations participantes dont le nom est inscrit à l’annexe ainsi que tout nouveau participant. Plus important encore, ce projet de loi crée l’Institut des infrastructures des premières nations.

Je commencerai par situer le projet de loi dans le contexte général de la réconciliation économique. Puis, dans la deuxième partie de mon discours, j’expliquerai comment le projet de loi C-45 améliore les compétences en matière de fiscalité, de gestion financière, de données économiques, d’emprunt de développement et d’entretien des infrastructures. Tous ces éléments ouvrent la voie à un meilleur accès à du financement ordinaire pour des immobilisations ou autres ainsi que pour des investissements, ce qui aidera les Premières Nations à faire appliquer leurs droits sociaux et économiques et leur droit à l’équité. Parallèlement, ce changement pourrait contribuer à la revitalisation des langues, des cultures et des cérémonies des Premières Nations.

De manière plus générale, les améliorations législatives que ce projet de loi apporte sont une solution de remplacement à la Loi sur les Indiens et elles sont conformes à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. En fait, comme le souligne le préambule, le projet de loi contribuera à la mise en œuvre de nombreux articles de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Essentiellement, la Loi sur la gestion financières des premières nations fournit aux Premières Nations participantes un cadre législatif et institutionnel qui leur permet d’exercer leur compétence en matière de gestion financière, de fiscalité et d’accès aux marchés financiers.

(1750)

Comme l’indique le préambule, en améliorant ce cadre, le projet de loi C-45 donne suite à l’appel à l’action no 44 de la Commission de vérité et réconciliation en ce qui concerne l’autonomie et la réconciliation économique. Ajoutons que le préambule reconnaît l’existence de modèles de fiscalité et de partage autochtones traditionnels; il mentionne notamment le mot taksis, que l’on retrouve dans la langue commerciale chinook.

À titre de parrain du projet de loi, il m’apparaît crucial de souligner le travail des institutions dirigées par des membres des Premières Nations qui ont mené l’élaboration conjointe du projet de loi C-45 pendant six années de dur labeur et de consultations, ce qui comprenait des discussions avec les 348 Premières Nations participantes.

En ce premier jour des débats au Sénat, je tiens à féliciter Ernie Daniels, président-directeur général de l’Administration financière des premières nations; Harold Calla, président exécutif du Conseil de gestion financière des Premières Nations; Manny Jules, commissaire en chef de la Commission de la fiscalité des premières nations; ainsi que Allan Claxton et Jason Calla du Conseil de développement de l’Institut des infrastructures des premières nations. Trois de ces organismes existent déjà et le projet de loi prévoit des mesures de modernisation considérables les concernant.

La mesure à l’étude viendra aussi établir un quatrième organisme axé sur les infrastructures. Ce projet de loi est le fruit du travail de tous ces gens et des Premières Nations participantes.

Je remercie également le ministre Miller et son équipe d’avoir fait avancer le projet de loi C-45 au nom du gouvernement, ainsi que l’autre endroit pour son soutien unanime. J’espère que les sénateurs se joindront à moi pour honorer ces efforts communs et le consensus entourant cette mesure législative en adoptant le projet de loi C-45 avant l’été.

Ce projet de loi est source d’optimisme alors que notre pays travaille à la réconciliation économique. En 2021, avec le projet de loi C-15, le Parlement a confirmé la protection juridique des droits des peuples autochtones par l’intermédiaire de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Ce changement historique constitue une réponse essentielle à une injustice de longue date. Il a rétabli les droits juridiques des nations autochtones à l’autonomie gouvernementale, leurs droits sociaux et économiques, et l’équité concernant leurs terres, leurs eaux et leurs ressources, y compris pour le développement responsable.

Encore une fois, tout cela vise à rendre les communautés prospères et à favoriser l’épanouissement des langues, des cultures et des cérémonies.

La publication du plan d’action de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones est prévue en juin. Les sénateurs devraient s’attendre à ce qu’un volet économique soit ajouté aux observations formulées par le Comité des peuples autochtones il y a deux ans. Par exemple, j’espère que le plan d’action s’inspirera de la stratégie économique nationale autochtone dévoilée l’année dernière par une coalition de 25 organisations autochtones et de leurs 107 appels à la prospérité économique.

Pour compléter les avancées de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, le projet de loi C-45 propose des voies financières pour permettre à de nombreuses Premières Nations de parvenir à une plus grande autodétermination, une plus grande prospérité et un plus grand bien-être. Par exemple, ce projet de loi peut aider les communautés à élargir leur assiette fiscale, à générer des revenus pour les services, à réglementer les services, à créer ou à acheter des entreprises, et à investir dans les infrastructures afin d’améliorer la qualité de vie et de soutenir les débouchés commerciaux. Tous ces changements en faveur d’une plus grande prospérité peuvent aller de pair avec les connaissances, les valeurs et la culture traditionnelles. En outre, les changements apportés par ce projet de loi peuvent être un complément à la réalisation de l’autonomie par le truchement de l’article 35 de la Constitution et de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Il convient de noter que le projet de loi C-45 répond directement aux questions soulevées par le sénateur Tannas le 16 mai dans le cadre de notre enquête sénatoriale sur les réussites des entreprises et des entrepreneurs autochtones. Le sénateur Tannas a fait remarquer que les entreprises des Premières Nations n’ont souvent pas accès aux capitaux nécessaires pour financer les actifs situés dans les réserves. Le projet de loi C-45 améliore une avenue de financement en continuant à développer et à soutenir l’Administration financière des premières nations, un prêteur pour les nations admissibles.

Avant d’entrer dans les détails du projet de loi dans la deuxième partie de mon discours, je vais vous donner deux exemples concrets de la manière dont la Loi sur la gestion financière des premières nations peut changer la donne.

Le premier exemple que j’ai à donner vient de Jaime Battiste, député de Sydney—Victoria, secrétaire parlementaire du ministre des Relations Couronne-Autochtones et premier Mi’kmaq à être élu député. Lors des délibérations à l’autre endroit, M. Battiste a parlé de l’expérience vécue par la Première Nation de Membertou, au Cap-Breton. Il y a environ 10 ans, elle a reçu la toute première certification des systèmes financiers du Conseil de gestion financière des premières nations, ce qui a permis à la communauté d’accéder à des capitaux à long terme et abordables, de refinancer des projets de développement des entreprises et de réinvestir dans ceux-ci. Les résultats comprennent une école primaire de 8,2 millions de dollars, un projet immobilier de 90 logements et un échangeur routier de 9,5 millions de dollars qui donne accès à de futurs projets commerciaux sur des terres appartenant à la Première Nation de Membertou.

La Première Nation de Membertou a ensuite bâti l’un des plus grands amphithéâtres sportifs du Cap-Breton, ainsi qu’une salle de quilles moderne.

Cela dit, la plus grande réalisation économique de la Première Nation est peut-être l’acquisition de Clearwater Seafoods en 2021. Cette acquisition de 1 milliard de dollars s’est faite conjointement avec six autres Premières Nations, qui font toutes partie de l’Administration financière des premières nations sous le régime de cette loi. La Membertou Development Corporation compte aujourd’hui 12 entreprises.

Mon deuxième exemple de réussite découlant de la Loi sur la gestion financière des premières nations est celui de la nation des Siksika, à l’est de Calgary. En 2016, la nation des Siksika a ouvert la nouvelle école Chief Crowfoot, qui était attendue depuis longtemps. La première école avait été endommagée par des inondations, était surpeuplée et avait des problèmes de chauffage. Grâce à sa détermination à obtenir une certification du Conseil de gestion financière des premières nations, la nation des Siksika a pu recevoir le financement nécessaire pour la construction de la nouvelle école par l’entremise de l’Administration financière des premières nations. Aujourd’hui, l’école Chief Crowfoot offre aux élèves divers services, notamment des services d’orthophonie, un thérapeute dentaire, un service de liaison auprès des familles, un agent de soutien aux parents et aux élèves, ainsi que des visites hebdomadaires d’un aîné pour leur transmettre des enseignements traditionnels et culturels. On enseigne aussi la langue et la culture des Siksika aux élèves de tous les niveaux afin de promouvoir la fierté et le respect envers le patrimoine siksika.

Il s’agit là d’un exemple de réussite sociale, mais aussi économique, étant donné l’avenir plus prometteur auquel ces élèves pourront accéder. Obtenir une excellente éducation communautaire tôt dans leur vie insuffle un sentiment d’identité, de fierté et d’espoir à ces élèves de la nation des Siksika. Les Premières Nations du Canada ont besoin de plus d’histoires de ce genre à l’échelle du pays.

En outre, les Premières Nations visées par cette loi ont réalisé des milliards de dollars d’investissements, et la valeur estimée de leurs terres de réserve dépasse maintenant les 15 milliards de dollars. Des milliers de lois ont été adoptées en vertu de cette loi et 150 administrateurs des Premières Nations ont obtenu leur diplôme du centre Tulo d’économie autochtone à Kamloops, en Colombie-Britannique.

Les prêts aux Premières Nations provenant de l’Administration financière des premières nations ont donné lieu à la création de plus de 20 000 emplois et à des retombées économiques de 4 milliards de dollars dans neuf provinces ainsi que dans les Territoires du Nord-Ouest. À propos, je rappelle aux sénateurs que, en 2021, le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité, créé par le sénateur Harder, a recommandé comme objectif de rendement de faire passer à 100 milliards de dollars la contribution des entreprises autochtones à l’économie canadienne comparativement aux 32 milliards estimés à l’heure actuelle. Contribuons à l’atteinte de cet objectif grâce au projet de loi C-45.

Au comité de la Chambre, Manny Jules, de la Commission de la fiscalité des premières nations, a cité son père, le chef Clarence Jules. En 1965, son conseil à l’intention des Premières Nations était : « Nous devons être en mesure d’avancer au rythme du monde des affaires. » Je peux personnellement attester de ce besoin de saisir avec agilité les occasions économiques étant donné mon expérience dans le monde des affaires à titre de banquier d’affaires, de prêteur commercial et de prêteur pour le développement économique des collectivités autochtones.

Toutefois, chers collègues, il n’y a pas que les Premières Nations qui peuvent bénéficier de la Loi sur la gestion financière des premières nations et des modifications proposées dans le projet de loi C-45. En effet, ces mesures législatives peuvent mener à des occasions et à des retombées partagées pour le pays tout entier. Par exemple, la loi peut appuyer la copropriété, par les Premières Nations, d’entreprises exploitant les minéraux critiques nécessaires à la transition verte, de même que d’autres immobilisations carboneutres situées sur les territoires des Premières Nations. Le projet de loi C-45 permettra à un plus grand nombre de Premières Nations de jouir de taux d’intérêt plus avantageux lorsqu’elles contractent un prêt auprès de l’Administration financière des premières nations.

La voie de la réconciliation économique offre désormais aux Canadiens, autochtones et non autochtones, des possibilités qui ne se présentent qu’une fois par génération en matière d’emploi, de partenariats, d’investissement et de progrès environnementaux. Par exemple, l’année dernière, la Banque Royale du Canada a indiqué qu’au moins 56 % des projets d’exploitation des minéraux critiques, 35 % des meilleurs sites de production d’énergie solaire, et 44 % des meilleurs sites d’exploitation de l’énergie éolienne se trouvaient dans les territoires autochtones. Les chefs d’entreprise et les investisseurs devraient donc se bousculer pour consulter les nations autochtones au sujet de ces possibilités.

Chers collègues, examinons maintenant en détail le projet de loi C-45. Pour commencer, je citerai Harold Calla, du Conseil de gestion financière des premières nations, qui a témoigné devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, et qui a bien résumé la loi et le projet de loi.

Les travaux du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, de ne pas tenir compte de l’heure?

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue, et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(2000)

Projet de loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénatrice Audette, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-45, Loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi.

L’honorable Marty Klyne : Chers collègues, penchons-nous sur les détails du projet de loi C-45. Je vais commencer en citant Harold Calla du Conseil de gestion financière des Premières Nations, qui a témoigné devant le Comité permanent des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes. Il a bien résumé la loi et le projet de loi :

Ces modifications s’appuient sur le projet de loi dirigé par des Autochtones le plus réussi du Canada. Une grande partie de ce succès réside dans le fait que la Loi offre aux Premières Nations la possibilité de choisir individuellement, par une résolution de leur conseil de bande, d’être ajoutées à l’annexe de la Loi. Elles n’ont aucune incitation financière à le faire. Il leur suffit de désirer une bonne gestion financière conforme aux normes internationales qui leur permettra d’emprunter à l’Administration financière des premières nations et de percevoir des recettes locales pour financer les services qu’offrent les gouvernements des Premières Nations.

M. Calla dit ensuite :

Si ces modifications sont adoptées, les nations pourront choisir les conseils et le soutien d’experts pour la construction et l’entretien de leurs infrastructures. Le caractère facultatif de ce projet de loi assure son efficacité. Près de 350 Premières Nations ont choisi individuellement d’être ajoutées à l’annexe de la Loi, soit plus de 60 % des Premières Nations inscrites dans la Loi sur les Indiens.

Plus précisément, le projet de loi C-45 propose cinq choses :

La première proposition consiste à élargir et à renforcer les mandats de la Commission de la fiscalité des premières nations et du Conseil de gestion financière des premières nations, en leur permettant, par exemple, d’assumer des fonctions de recherche économique et de collecte de données afin de faciliter une planification et une prise de décision fondées sur des données probantes, en renforçant leur capacité à offrir des conseils à l’appui de l’autodétermination et en leur accordant le pouvoir de tenir leurs réunions annuelles virtuellement.

La deuxième proposition est de transformer le poste de président du Conseil de gestion financière des premières nations en un poste à temps plein, assorti d’une rémunération, et d’assurer une représentation autochtone forte et diversifiée au sein du conseil.

La troisième est la fusion de deux fonds de réserve existants — l’un pour protéger les emprunts avec les revenus locaux tels que les impôts fonciers, et l’autre pour les emprunts avec d’autres revenus tels que les produits pétroliers et gaziers — en un seul fonds relatif aux revenus autonomes, afin de simplifier et de réduire le coût des emprunts collectifs par les Premières Nations. Les changements précisent également que seuls les membres emprunteurs ayant des prêts non remboursés peuvent être appelés à reconstituer le fonds de sauvegarde dans les cas où il doit être utilisé, au cas où plusieurs Premières Nations manqueraient à leurs obligations en matière de prêts.

La quatrième proposition est de renforcer le pouvoir des Premières Nations d’élaborer et d’appliquer des lois, y compris expressément au moyen d’ordonnances judiciaires, concernant la collecte de revenus et la prestation de services dans les réserves. Ces changements permettront aux nations de créer des lois sur les revenus locaux allant au-delà de l’imposition des biens immobiliers ou de réglementer, par exemple, les services d’aqueduc, d’égouts, de drainage, de gestion des déchets, de gestion de la faune, de loisirs, de transport, de télécommunication et d’énergie.

La dernière proposition est de créer une quatrième institution en vertu de la loi. Il s’agit de l’Institut des infrastructures des premières nations, un centre d’excellence pour aider les Premières Nations participantes et d’autres groupes autochtones intéressés à obtenir les outils et les ressources nécessaires pour mettre en place et entretenir des infrastructures solides et durables.

La dernière proposition vise à combler l’écart de 30 milliards de dollars entre les infrastructures des communautés autochtones et non autochtones. Comme l’a déclaré au comité Allan Claxton, président du Conseil de développement de ce futur institut :

Les difficultés auxquelles les Premières Nations se heurtent en développant leurs infrastructures sont bien connues. Il faut trop de temps pour le faire, les matériaux coûtent trop cher, et les infrastructures ne durent pas, parce qu’elles ne sont pas construites conformément aux normes. Cela contribue fortement à la mauvaise santé ainsi qu’aux mauvais résultats sociaux et économiques des résidents.

Nous proposons de créer l’Institut des infrastructures des premières nations pour régler ces problèmes.

Cet institut a été conçu en fonction des réussites de la Loi. Toutes les Premières Nations auront le choix de s’y inscrire ou non.

Sénateurs, cet institut sera aussi accessible pour les nations qui bénéficient d’ententes en matière d’autonomie gouvernementale ou qui sont signataires de traités modernes. En outre, l’institut des infrastructures pourra appuyer les projets des communautés métisses et inuites qui le souhaitent, puisque l’admissibilité à la prestation des services de ce type ne sera pas limitée aux nations inscrites à l’annexe de la loi.

Devant le Comité des affaires autochtones et du Nord de la Chambre des communes, le ministre Miller a noté que le Conseil de développement de l’Institut des infrastructures des premières nations a déjà lancé avec succès un projet pilote avec les Chippewas de Kettle et de Stony Point, dans le Sud de l’Ontario. Cette Première Nation élabore une étude de faisabilité, un plan d’affaires et des options d’approvisionnement pour des infrastructures liées à l’eau et aux eaux usées. On espère qu’il ne s’agit que du début d’une initiative visant à offrir des infrastructures adéquates aux Premières Nations, et par le fait même une qualité de vie et des débouchés économiques que de nombreux Canadiens tiennent pour acquis. Voilà en quoi consiste la réconciliation économique.

En conclusion, je rappelle au Sénat que ce consensus et ce projet de loi à participation facultative sont le produit de consultations exhaustives et d’un leadership déterminé de la part des Premières Nations. L’autre endroit a adopté le projet de loi C-45 rapidement et à l’unanimité. Le Sénat devrait en faire autant.

Sur une note personnelle, je crois que le Canada, qui est composé d’une mosaïque de nations, avance bien sur le chemin de la réconciliation économique. Au fur et à mesure qu’on élimine les obstacles et qu’on reconnaît des droits, les nations, les organisations, les chefs d’entreprise, les entrepreneurs et les jeunes autochtones créent leur propre voie vers la réussite.

Le Sénat a un rôle à jouer dans ce dossier. Le rapport que le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité a publié en 2021 est une initiative stratégique visant la création inclusive et durable de richesse partout au Canada. Ce rapport vise à établir les conditions grâce auxquelles la marée montante soulève tous les bateaux, ce qui fait que personne n’est laissé pour compte, y compris d’autres communautés racisées ou marginalisées.

De plus, des sénateurs de partout au pays célèbrent les réussites des entreprises et des entrepreneurs autochtones dans le cadre d’une série de discours qui se poursuivra dans cette enceinte. J’invite mes collègues à participer à notre interpellation afin d’encourager et de saluer les entreprises autochtones de leur région.

Je vous invite donc, honorables collègues, à poursuivre sur cette lancée en unissant nos efforts pour assurer l’adoption rapide du projet de loi C-45. Ensemble, veillons à ce que ce projet de loi devienne loi avant l’été, ce qui enverrait un message fort et permettrait d’apporter des changements concrets pour promouvoir la réconciliation économique. Merci, hiy kitatamîhin.

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-45, Loi modifiant la Loi sur la gestion financière des premières nations, modifiant d’autres lois en conséquence et apportant une clarification relativement à une autre loi.

S’il est rare qu’un projet de loi adopté à l’unanimité à l’autre endroit soit renvoyé à notre Chambre, c’est pourtant le cas du projet de loi C-45. Les députés ont mis de côté leur esprit partisan pour reconnaître le bon travail des organismes dont ce projet de loi vise à élargir le mandat et les efforts importants que le Canada doit encore faire pour se réconcilier avec son passé colonial.

Ce projet de loi vise à élargir le rôle des trois institutions créées en vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations, à savoir, le Conseil de gestion financière des premières nations, la Commission de la fiscalité des premières nations, et l’Administration financière des premières nations. Le projet de loi vise également à créer une quatrième institution, l’Institut des infrastructures des premières nations.

Les institutions créées en vertu de la Loi sur la gestion financière des premières nations sont des organisations dirigées par des Autochtones qui visent à fournir les ressources, les outils administratifs et les conseils grâce auxquels la gestion financière et les systèmes de rapport des Premières Nations inspirent confiance, afin de soutenir le développement économique et communautaire. Les initiatives de ces organismes favorisent la réconciliation économique et font de la propriété autochtone, de l’édification du pays et de l’accomplissement personnel une source de fierté pour les Autochtones.

Nous reconnaissons tous le droit inhérent des Autochtones de conserver et de développer leurs systèmes ou institutions politiques, économiques et sociaux, de disposer en toute sécurité de leurs propres moyens de subsistance et de développement, et de se livrer librement à toutes leurs activités économiques, traditionnelles et autres.

(2010)

La réconciliation économique constitue un pilier important de la réconciliation globale. Elle représente les efforts du Canada pour se défaire de la Loi sur les Indiens, à la fois archaïque et paternaliste, et de ses conséquences qui ont mené à l’exclusion pure et simple des Premières Nations de l’économie nationale. Les peuples autochtones veulent pouvoir régler eux-mêmes leurs problèmes, avec leurs propres ressources, et ils veulent retrouver le sentiment d’autosuffisance et d’honneur dont les a privés la Loi sur les Indiens, qui est paternaliste, archaïque et irrémédiablement bancale.

C’est l’avenir des peuples autochtones qui doit être au cœur des efforts de réconciliation, et je suis heureuse qu’il y ait des organismes dirigés par des Autochtones, comme les institutions créées par la Loi sur la gestion financière des premières nations, pour montrer la voie. La Loi sur la gestion financière des premières nations est l’exemple le plus fructueux de mise en œuvre de la compétence des Premières Nations au moyen d’une loi facultative, puisqu’en 15 ans, elle compte la participation volontaire de près de 300 Premières Nations partout au Canada.

La Loi sur la gestion financière des premières nations repose sur quatre principes et objectifs fondamentaux qui continuent d’orienter les politiques, les normes et les propositions de modifications institutionnelles, budgétaires et législatives.

D’abord, par l’entremise de la compétence institutionnelle des Premières Nations, la loi fournit un cadre et un processus pour établir, mettre en œuvre et protéger les compétences facultatives des Premières Nations. Un espace juridictionnel est créé pour que les Premières Nations l’occupent avec leurs propres lois encadrées et protégées par les institutions des Premières Nations. Ces institutions fournissent des connaissances, des gains d’efficience, des capacités et des services de défense des droits que les Premières Nations auraient des difficultés à obtenir par elles-mêmes. La Loi sur la gestion financière des premières nations favorise ainsi une autodétermination concrète et efficace des Premières Nations intéressées.

Deuxièmement, la Loi sur la gestion financière des premières nations favorise la croissance économique des Premières Nations grâce à un climat propice à l’investissement. Ce climat se caractérise par des coûts d’exploitation moins élevés; des normes qui favorisent l’augmentation des échanges commerciaux et un degré suffisant de certitude; l’accès à des capitaux à long terme; une infrastructure durable de qualité commerciale; l’accès à des renseignements visant à renforcer les capacités d’investissement, de gestion financière et d’administration; et des services locaux de qualité à un prix équitable.

Troisièmement, la Loi sur la gestion financière des premières nations établit une relation financière axée sur les recettes, comme pour les autres gouvernements du Canada. Les principales caractéristiques de cette relation incluent un lien entre des pouvoirs clairement définis en matière de recettes et des compétences pour les dépenses, des incitatifs au développement économique, des systèmes de transparence, de statistiques et de responsabilité soutenus par les institutions des Premières Nations, et des transferts visant à garantir des normes nationales de qualité des services et des infrastructures.

Quatrièmement, et finalement, la conformité à cette loi est facultative pour les Premières Nations. Cette approche crée une incitation institutionnelle à l’innovation et à l’amélioration, tout en respectant l’autodétermination de chacune des Premières Nations.

Quant au projet de loi, il fait plusieurs choses importantes. D’abord et avant tout, il crée une quatrième institution dans le cadre de la Loi sur la gestion financière des premières nations : l’Institut des infrastructures des premières nations, ou IIPN.

Les Premières Nations accusent un déficit infrastructurel d’au moins 349,2 milliards de dollars, ce qui est ahurissant. L’inaction ne fera qu’aggraver le problème, et il est évident que les programmes imposés par le gouvernement n’ont pas réussi à répondre à l’immensité des besoins. Lors de la réunion du comité de la Chambre, M. Allan Claxton, président du Conseil de développement de l’institut, a affirmé ce qui suit:

Les difficultés auxquelles les Premières Nations se heurtent en développant leurs infrastructures sont bien connues. Il faut trop de temps pour le faire, les matériaux coûtent trop cher, et les infrastructures ne durent pas, parce qu’elles ne sont pas construites conformément aux normes. Cela contribue fortement à la mauvaise santé ainsi qu’aux mauvais résultats sociaux et économiques des résidents.

Il a également dit : « Nos communautés ont besoin d’infrastructures publiques de grande qualité pour demeurer durables et maintenir la bonne santé de leurs résidents. »

La mission de l’Institut des infrastructures des premières nations serait de fournir les compétences et les processus nécessaires pour que les groupes autochtones puissent, de manière efficace et efficiente, planifier l’infrastructure sur leur territoire, l’obtenir, en être propriétaires et la gérer. Grâce à l’équipe de l’Institut des infrastructures des premières nations, des services facultatifs de soutien de la capacité seraient offerts à tous les gouvernements et entités autochtones, y compris des pratiques exemplaires pour optimiser les retombées économiques non seulement pour les Premières Nations, mais également pour l’économie régionale.

Le projet de loi C-45 élargit également le mandat de la Commission de la fiscalité des premières nations pour soutenir les Premières Nations qui choisissent d’accroître leurs pouvoirs fiscaux au-delà des impôts fonciers. En outre, il permettrait à la commission d’offrir ses services aux Premières Nations jouissant de l’autonomie gouvernementale, aux municipalités, ainsi qu’à d’autres administrations publiques.

La loi continuerait à étendre et à moderniser les services du Conseil de gestion financière pour répondre aux besoins des Premières Nations et d’autres groupes et entités autochtones. Il s’agirait d’une option facultative permettant aux conseils tribaux, aux nations signataires de traités modernes et aux groupes autonomes de renforcer leurs capacités administratives, financières et de gouvernance grâce au soutien en gestion des risques offert par le Conseil de gestion financière, comme 342 Premières nations — 348 d’ici la fin de la semaine — ont choisi de le faire. Cette législation est une étape clé qui permettra au Conseil de gestion financière de soutenir les projets novateurs d’entités collaboratives telles que le Conseil tribal de Meadow Lake, qui regroupe neuf Premières Nations.

M. Harold Calla, président exécutif du Conseil de gestion financière, l’a résumé en ces termes lors de son témoignage :

Ces modifications s’appuient sur le projet de loi dirigé par des Autochtones le plus réussi du Canada. Une grande partie de ce succès réside dans le fait que la Loi offre aux Premières Nations la possibilité de choisir individuellement, par une résolution de leur conseil de bande, d’être ajoutées à l’annexe de la Loi. Elles n’ont aucune incitation financière à le faire. Il leur suffit de désirer une bonne gestion financière conforme aux normes internationales qui leur permettra d’emprunter à l’Autorité financière des Premières Nations et de percevoir des recettes locales pour financer les services qu’offrent les gouvernements des Premières Nations.

Si ces modifications sont adoptées, les nations pourront choisir les conseils et le soutien d’experts pour la construction et l’entretien de leurs infrastructures. Le caractère facultatif de ce projet de loi assure son efficacité. Près de 350 Premières Nations ont choisi individuellement d’être ajoutées à l’annexe de la Loi, soit plus de 60 % des Premières Nations inscrites dans la Loi sur les Indiens.

Le projet de loi établira également une fonction statistique au sein de la Commission de la fiscalité des premières nations et du Conseil de gestion financière des Premières Nations. L’écart socioéconomique entre les Canadiens autochtones et non autochtones constitue un obstacle à la réconciliation économique. Le manque de données et de statistiques facilement accessibles ne fait qu’aggraver le problème. Les décideurs, comme les chefs et les conseils des gouvernements des Premières Nations, n’ont pas accès à l’information dont ils ont besoin pour comprendre les causes, les solutions et la complexité de l’écart socioéconomique, ni pour le combler. En fournissant des données économiques et financières, tous les ordres de gouvernement seront mieux informés.

Le projet de loi C-45 confère également des pouvoirs additionnels aux Premières Nations pour assurer la conformité avec leurs lois en matière de recettes et de services, par exemple en leur permettant d’avoir recours aux tribunaux compétents pour obtenir des ordonnances afin d’exiger d’une personne ou d’une entité qu’elle respecte leurs lois en matière de recettes et de services, et de percevoir les sommes qui leur sont dues sous le régime de ces lois. Le projet de loi permettrait aux Premières Nations de se servir de ces dispositions pour faire appliquer toutes leurs lois en matière de recettes, pas seulement celles qui concernent les taxes et les frais. Les Premières Nations auraient le pouvoir de faire respecter leurs lois en matière de prestation de services, notamment au moyen d’ordonnances d’arrêt des travaux et de commencement des travaux, et d’arrêt des services.

Enfin, des changements sont proposés afin de permettre aux Premières Nations visées par la Loi sur la gestion financière des premières nations d’être signataires de l’Accord-cadre relatif à la gestion des terres de premières nations.

Les conservateurs appuient depuis longtemps l’autosuffisance économique et la réconciliation économique comme solutions de rechange essentielles à la Loi sur les Indiens. Le programme électoral des conservateurs de 2021 appuyait la création d’un institut des infrastructures des Premières Nations qui s’apparentait à ce qui est proposé dans le projet de loi C-45, ainsi que l’élargissement des mandats et des pouvoirs des institutions mentionnées dans la Loi sur la gestion financière des premières nations afin de soutenir le travail qu’elles accomplissent en matière de responsabilité et de transparence pour les Premières Nations.

(2020)

Dans leur programme électoral de 2019, les conservateurs ont indiqué qu’il est important que les communautés autochtones aient accès à des capitaux aux fins de développement économique afin de réduire l’écart socioéconomique entre les communautés autochtones et les autres communautés canadiennes.

Comme je l’ai dit plus tôt, le projet de loi C-45 a été adopté à la Chambre des communes avec l’appui de tous les partis. Les amendements proposés au comité visaient à apporter des clarifications et ont été acceptés par les députés qui appuient le projet de loi. Je sais que le Sénat fera preuve de diligence raisonnable en examinant le projet de loi C-45 et j’espère que nous parviendrons à une conclusion similaire.

Il est temps d’agir et de redonner un sentiment d’autonomie et un sens de l’honneur à un peuple qui en a été privé par des dispositions paternalistes, archaïques et irrémédiablement boiteuses de la Loi sur les Indiens. Il est temps de redonner aux Autochtones un plus grand contrôle sur leurs terres, leur argent et leurs décisions.

Manny Jules, président de la Commission de la fiscalité des premières nations, a conclu son témoignage par le commentaire suivant :

Votre appui à ces modifications démontre que mes ancêtres avaient raison lorsqu’ils ont écrit au premier ministre, sir Wilfrid Laurier, en 1910, qu’en travaillant ensemble, nous deviendrions tous « grands et bons ».

Merci.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Klyne, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones.)

Le discours du Trône

Motion d’adoption de l’Adresse en réponse—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que l’Adresse, dont le texte suit, soit présentée à Son Excellence la gouverneure générale du Canada :

À Son Excellence la très honorable Mary May Simon, chancelière et compagnon principal de l’Ordre du Canada, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de l’Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

QU’IL PLAISE À VOTRE EXCELLENCE :

Nous, sujets très dévoués et fidèles de Sa Majesté, le Sénat du Canada, assemblé en Parlement, prions respectueusement Votre Excellence d’agréer nos humbles remerciements pour le gracieux discours qu’elle a adressé aux deux Chambres du Parlement.

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour répondre au discours du Trône.

Lorsque la très honorable Mary Simon a prononcé son discours dans cette enceinte, elle s’est exprimée en inuktitut. Elle a commencé son discours en nous exhortant à agir pour favoriser la réconciliation. Elle nous a poussés à aller au-delà des lieux communs et des phrases-chocs pour parvenir à un véritable changement. Je cite son Excellence :

Mais malgré la douleur intense, il y a de l’espoir.

Chaque jour est porteur d’espoir. La réconciliation n’est pas un geste ponctuel assorti d’une échéance. La réconciliation est le cheminement de toute une vie vers la guérison, le respect et la compréhension. Nous devons embrasser la diversité du Canada et témoigner chaque jour de notre respect et de notre compréhension envers tous les peuples.

J’ai déjà constaté l’engagement de la population canadienne envers la réconciliation. Les peuples autochtones se réapproprient leur histoire, leurs récits, leur culture et leur langue de manière concrète. Les non-Autochtones comprennent désormais et acceptent le véritable impact du passé et la souffrance subie par des générations d’Autochtones. Ensemble, ils avancent sur la voie de la réconciliation.

Chers collègues, je crois que la langue est un aspect vital de la culture et de l’identité; il nous incombe donc de faire tout notre possible pour protéger, promouvoir et revitaliser les langues autochtones.

Lorsque j’étais ministre de l’Éducation des Territoires du Nord‑Ouest, le gouvernement du Canada, représenté par le ministre des Affaires indiennes et du Nord de l’époque, feu l’honorable John Munro, a fait un voyage spécial à Yellowknife en 1982 pour rencontrer notre cabinet et nous informer que le Canada s’emploierait à légiférer sur le bilinguisme officiel dans les Territoires du Nord-Ouest.

Je me souviens d’avoir dit au ministre Munro que même si les avantages liés au bilinguisme officiel seraient appréciés dans ma circonscription, qui compte une importante population francophone, si le gouvernement du Canada ne soutenait pas et ne reconnaissait pas de manière équivalente les langues autochtones, qui avaient elles aussi besoin d’être soutenues et reconnues dans les Territoires du Nord-Ouest, une action unilatérale de la part du gouvernement fédéral équivaudrait à une déclaration de guerre. « Nous avons plus de chars d’assaut que vous! » m’avait répondu à la blague le ministre, mais il avait accepté d’étudier ma demande de soutien fédéral parallèle pour les langues autochtones et avait contribué à autoriser une rencontre avec le secrétaire d’État afin de discuter d’un soutien fédéral continu pour les langues autochtones.

À cette époque, j’étais ministre dans le Cabinet de l’honorable Richard Nerysoo, qui était premier ministre des Territoires du Nord-Ouest. Nous nous sommes rendus à Ottawa pour négocier avec notre ancien et estimé collègue le sénateur Serge Joyal, qui était alors secrétaire d’État. Nous avons conclu une entente prévoyant la somme importante de 16 millions de dollars afin de soutenir les langues autochtones. C’est ce qu’on a appelé les accords territoriaux sur les langues qui, depuis, assurent le soutien fédéral pour la promotion du français au sein de notre petit pourcentage — environ 4 % — de francophones au Nunavut ainsi qu’un soutien à peu près égal pour la promotion des langues inuktutes, qui constituent la langue maternelle de la grande majorité de la population du territoire, qui est inuite à 85 %.

En ce qui concerne notre part de l’entente, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a adopté la Loi sur les langues officielles, qui reconnaît comme langues officielles autochtones du territoire neuf langues autochtones en plus du français et de l’anglais. Cela a été maintenu quand le territoire a été subséquemment divisé pour créer le Nunavut. Le nouveau territoire du Canada a adopté sa propre loi sur les langues officielles en 2008, qui reconnaît l’inuktut, l’inuinnaqtun, l’anglais et le français comme langues officielles du Nunavut.

L’un des éléments clés de cette loi est l’inclusion de la langue à l’article 3, qui dit ceci :

[...] Les langues officielles du Nunavut ont [...] un statut, des droits et des privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions territoriales.

La même année, le gouvernement du Nunavut a adopté une loi parallèle pour la langue inuite, la Codification officielle de la Loi sur la protection de la langue inuite. Le ministre des Langues de l’époque, l’honorable James Arreak, avait publié un document intitulé Uqausivut, une marche à suivre pour protéger et revitaliser les langues sur le territoire. Ce document explique comment la Loi sur les langues officielles et la Codification officielle de la Loi sur la protection de la langue inuite agissent ensemble pour établir le cadre législatif permettant aux langues inuites de rayonner.

En effet, le document énonce clairement l’intention de ces lois, et je cite :

Tout en respectant l’égalité des langues officielles, la Loi sur la protection de la langue inuit a été conçue expressément pour assurer le respect des unilingues inuit, surtout les aînés, in verser le transfert linguistique chez les jeunes et renforcer l’usage de l’inuktut parmi tous les Nunavummiut. La Loi adoptée à l’unanimité par les députés de l’Assemblée législative du Nunavut en septembre 2008 fait maintenant partie des lois du Nunavut.

Faisant partie des langues fondatrices de ce pays, l’inuktut constitue un joyau irremplaçable du patrimoine national, de la richesse et de la diversité du Canada. Ayant reconnu ce fait et la nécessité de protéger et de soutenir cet élément de son patrimoine, le Canada a signé en 2005 la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, et plus récemment, en novembre 2010, il a approuvé la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

La loi exige — je le souligne — que les organisations « offrent en langue inuite [...] les services à la clientèle ou aux usagers disponibles pour le public en général ». Précisons que le terme « organisation » est défini comme suit : « organisme du secteur public, municipalité ou organisme du secteur privé », le terme « organisme du secteur public » étant lui-même défini comme « ministère du gouvernement du Nunavut ou organisme public, ou ministère, organisme ou institution du gouvernement fédéral ».

La loi précise aussi que les organisations doivent respecter les obligations en matière de langue et d’affichage prévues par la loi.

Malheureusement, chers collègues, ce n’est pas la réalité au Nunavut en ce moment. Les Inuits sont incapables d’avoir accès aux services du gouvernement fédéral dans la langue de leur choix. Dans le cadre de l’étude du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, par le Comité des peuples autochtones, l’ancienne commissaire des langues officielles du Nunavut, Helen Klengenberg, a préparé un avis juridique, qui indique clairement que le Canada doit se conformer à la Loi sur la protection de la langue inuite en tant qu’organisation menant des activités sur le territoire. Par conséquent, le comité, avec l’appui du Sénat, s’est plié à cet avis en s’efforçant de garantir l’offre de services fédéraux essentiels dans une langue autochtone là où le nombre de locuteurs le justifie, ce qui constitue un critère raisonnable. Toutefois, cet amendement a été supprimé par la Chambre sous l’ancien gouvernement libéral majoritaire.

(2030)

Je suis très préoccupé par le fait que le gouvernement du Canada ne respecte pas la Loi sur la protection de la langue inuite du Nunavut, qui a été adoptée par l’assemblée législative dûment élue du Nunavut. Je dois souvent traiter des plaintes d’Inuits unilingues qui ont du mal à accéder aux services et aux programmes du gouvernement fédéral.

Il n’y a pas d’accommodement pour les aînés inuits qui se heurtent à des barrières linguistiques lorsqu’ils tentent d’accéder aux programmes gouvernementaux qui sont maintenant fournis au titre de la Loi de l’impôt sur le revenu. Je pense que cela explique en partie pourquoi des études ont montré que 30 % des résidants du Nunavut, soit le pourcentage le plus élevé au Canada, ne produisent pas de déclarations de revenus. Nous savons tous que les personnes qui parlent anglais ou français ont déjà du mal à obtenir et à comprendre ces déclarations.

Lors de la dernière campagne électorale fédérale de 2019, j’ai pris connaissance d’un exemple très inquiétant de la façon dont les Inuits sont victimes de préjugés en raison du fait que le Canada ne remplit pas ses obligations clairement énoncées dans la Loi sur la protection de la langue inuite du Nunavut. Dans un bureau de scrutin d’Iqaluit, toutes les affiches étaient en anglais et en français uniquement et il n’y avait aucune affiche en inuktut. Une aînée qui s’était rendue au bureau de scrutin pour voter s’est plainte au personnel de ce manque de respect flagrant pour la troisième langue officielle, l’inuktut, au bureau de scrutin. On lui a donné un crayon et on lui a demandé de traduire volontairement les affiches électorales et d’écrire à la main en inuktut les informations qui figuraient sur l’affiche.

Lorsque la Loi sur les langues autochtones a été présentée et étudiée au Sénat, les Inuits qui ont participé à l’étude du comité ont salué le fait que le projet de loi tienne compte de l’état de nombreuses langues autochtones des Premières nations au Canada, qui sont menacées d’extinction en raison du faible nombre de locuteurs, mais ils ont tout de même indiqué qu’il était essentiel que la loi fédérale sur les langues autochtones réponde aux besoins des langues autochtones qui ont actuellement des bases plus solides et qui sont plus couramment utilisées, en soulignant que le nouveau projet de loi doit reconnaître et soutenir ces langues, comme l’inuktut. Les efforts de l’Inuit Tapiriit Kanatami visant à faire reconnaître les besoins spécifiques des Inuits, dont la langue se porte plutôt bien comparativement à de nombreuses langues des Premières Nations au Canada inscrites dans l’annexe que l’Inuit Tapiriit Kanatam proposait d’ajouter au projet de loi, n’ont pas été soutenus et n’ont pas été inclus dans le projet de loi. Comme l’a expliqué Aluki Kotierk, présidente de l’organisme Nunavut Tunngavik Incorporated :

Les Inuits du Nunavut, en étroite collaboration avec d’autres membres de l’Inuit Nunangat, se sont efforcés de travailler de manière constructive avec le gouvernement du Canada à l’élaboration du projet de loi C-91. Bien que nous ayons tenté de participer au processus de bonne foi, ce projet de loi n’a en aucun cas été élaboré conjointement avec les Inuits.

Mme Kotierk a ajouté :

Ce projet de loi, qui doit contribuer à inverser la tendance à la disparition des langues autochtones, n’aborde pas les questions d’accès aux services publics dans les langues autochtones et ne reflète pas les besoins qui ont été clairement exprimés par les Inuits.

J’ai eu le plaisir d’accueillir notre collègue, le sénateur Cormier, à Iqaluit la semaine dernière. J’ai appris que les montants de financement précédemment établis et versés annuellement entre le Canada et les Territoires du Nord-Ouest, et maintenant entre le Canada et le Nunavut, ont été maintenus pendant toutes ces années, jusqu’à récemment. Le dernier accord bilatéral pour le Nunavut portait sur la période de 2016 à 2020, soit un accord de quatre ans au lieu de cinq ans comme c’était le cas auparavant. Plus récemment, l’accord renouvelé a été ramené à deux ans.

Le gouvernement du Nunavut craint que le gouvernement fédéral ne fasse pression, comme il l’a fait au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, pour que le financement des langues officielles du Nunavut provienne du maigre fonds national établi en vertu de la Loi sur les langues autochtones, qui est principalement destiné à soutenir les langues autochtones en difficulté et menacées. Cela serait contraire à l’accord bilatéral de longue date conclu entre le Canada et les Territoires du Nord-Ouest et, par l’intermédiaire des Territoires du Nord-Ouest, et maintenant le Nunavut, à l’égard du respect du français et de l’anglais comme langues officielles dans les territoires, en plus de compromettre sérieusement le soutien à la langue autochtone de la majorité de la population au Nunavut.

Chers collègues, nous avons commencé à débattre du projet de loi C-13 cette semaine. C’est une bonne journée pour discuter de langues et des modifications attendues depuis longtemps à la Loi sur les langues officielles, ce qui, bien entendu, concerne surtout les deux langues officielles du Canada. Toutefois, le sénateur Gold et d’autres sénateurs ont noté que le projet de loi comporte aussi une disposition affirmant que le projet de loi ne portera pas atteinte aux droits des locuteurs de langues autochtones. C’est bien, mais nous devons aussi veiller à protéger et améliorer nos langues autochtones.

Par l’entremise de ma réponse au discours du Trône, comme je connais bien l’histoire des langues officielles et des langues autochtones dans les Territoires du Nord-Ouest et maintenant au Nunavut, je suis heureux de pouvoir déclarer officiellement que j’ai la ferme conviction que le Canada doit respecter l’entente solennelle conclue il y a plus de 40 ans, selon laquelle les gouvernements territoriaux avaient accepté le bilinguisme officiel pour la minorité de leurs citoyens francophones contre l’engagement de la part du Canada de fournir un soutien équivalent à l’égard de la reconnaissance et de l’amélioration des langues autochtones, y compris, dans mon territoire, de l’inuktut.

Honorables sénateurs, il ne suffit pas de dire que nous soutenons les langues autochtones en théorie. Nous devons nous assurer que le gouvernement prenne les mesures nécessaires afin d’accorder les ressources appropriées aux initiatives nécessaires à ce soutien. En ce qui me concerne, je vais continuer d’exhorter le gouvernement du Canada à faire comme tous ceux qui font des affaires au Nunavut, c’est-à-dire honorer et respecter les obligations liées à la Loi sur la protection de la langue inuite.

Je suis ravi que le sénateur Cormier m’ait accompagné dans ma circonscription la semaine dernière pour en apprendre davantage sur l’importance de l’inuktut et des deux langues officielles du Canada au Nunavut. Je vais compter sur son appui pour faire avancer cette cause.

Merci, honorables sénateurs. Qujannamiik. Taima.

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, le débat est ajourné.)

La Loi sur l’assurance-emploi
Le Règlement sur l’assurance-emploi

Projet de loi modificatif—Dixième rapport du Comité de l’agriculture et des forêts—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du dixième rapport du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts (projet de loi S-236, Loi modifiant la Loi sur l’assurance-emploi et le Règlement sur l’assurance-emploi (Île-du-Prince-Édouard), avec une recommandation), présenté au Sénat le 17 mai 2023.

L’honorable Robert Black propose que le rapport soit adopté.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Français]

Projet de loi de Jane Goodall

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-241, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (grands singes, éléphants et certains autres animaux).

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Chers collègues, je suis bien consciente de l’heure, alors je serai brève pour garder votre attention.

Je tiens à m’exprimer aujourd’hui sur le principe du projet de loi S-241, la Loi de Jane Goodall. Ce projet de loi, comme vous le savez, vise à empêcher de garder en captivité plus de 800 espèces d’animaux sauvages, comme les éléphants et les grands félins, sur le territoire canadien.

(2040)

Je veux attirer votre attention sur quelques points d’intérêt qui, à mon avis, méritent de faire l’objet d’un examen attentif lors de l’étude en comité.

[Traduction]

Chers collègues, je suis consciente que le projet de loi S-241 est essentiellement une bonne mesure législative. En fait, la plupart des zoos, des établissements zoologiques et des organismes de protection des animaux approuvent généralement ses objectifs. Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Klyne nous a expliqué avec éloquence que par ce projet de loi, lui et la coalition qui l’appuie cherchent à proposer « un vaste ensemble de mesures qui tiennent compte avant tout des animaux ». Cette description me plaît, et je salue le désir du sénateur Klyne de travailler en étroite collaboration avec les établissements zoologiques dans l’intérêt des animaux.

Je saisis également l’occasion de remercier personnellement le sénateur Klyne de ses réponses convaincantes aux nombreuses questions que je lui ai posées à la suite de rencontres que j’ai eues avec des parties prenantes. Je vous remercie d’avoir pris le temps, monsieur le sénateur, de me rassurer, ce qui fera aussi en sorte que mon discours sera plus court.

Je suis rassurée de voir que la mise en œuvre prévue du projet de loi est pondérée et équilibrée, en plus de ne pas imposer de mesures draconiennes. Par exemple, le projet de loi vise à mettre fin progressivement au maintien des éléphants en captivité, ce qui donnera le temps aux zoos de s’adapter, sans les obliger à expulser les 20 éléphants actuellement en captivité au Canada de ce qui est parfois le seul habitat qu’ils ont connu. Je sais que le Zoo de Granby, au Québec, a déjà amorcé cette transition, et je le félicite de l’initiative qu’il a prise.

Cependant, après avoir écouté les arguments avancés par les sénateurs et avoir été contacté par les parties prenantes, je ne peux m’empêcher de remarquer que certaines questions doivent être abordées et clarifiées en ce qui concerne ce projet de loi. J’ai notamment écouté les intervenants du Québec et pris connaissance de leurs préoccupations. Le Québec compte plusieurs grands zoos et établissements zoologiques. Comme je l’ai déjà mentionné, la plupart d’entre eux appuient le projet de loi S-241. Je pense notamment au Zoo de Granby, au Biodôme de Montréal, au Parc Oméga et au Zoo sauvage de Saint-Félicien.

Toutefois, une institution, le Parc Safari, a exprimé certaines critiques et, je dois le dire, des préoccupations tout à fait justifiées. Le Parc Safari est une institution unique en ce sens qu’il dispose d’une très grande superficie de terrain pour les animaux. En termes de capacité d’accueil, peu de choses sont comparables, que ce soit au Québec ou ailleurs au Canada. Le Parc définit sa mission comme un moyen de conservation des espèces menacées, en offrant des espaces et des habitats aussi proches que possible des habitats naturels de ces animaux. C’est aussi un espace de développement des connaissances sur ces espèces et leur reproduction. Au fil des ans, le Parc Safari a utilisé ses connaissances et son expérience pour aider les espèces menacées à se reproduire, et il a renvoyé certains animaux dans la nature, au Canada et à l’étranger, là où la nature les avait destinés. On ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un zoo itinérant. Au contraire, il s’agit plutôt d’un établissement respectable qui se consacre à la conservation des animaux.

Il est important que les établissements zoologiques tels que le Parc Safari bénéficient d’un statut spécial qui tient compte de leurs contributions à la science et au bien-être des animaux et qui les distingue d’un zoo ordinaire.

Je sais que le projet de loi S-241 propose quelques solutions à ce problème. À l’article 10.1(1), il propose, pour les organismes animaliers, un cadre législatif tenant compte de la raison d’être de ces organismes. Les organismes choisis seraient désignés par le ministre et seraient tenus de faire la promotion du bien-être des animaux non domestiques, de favoriser la conservation, d’œuvrer à la réadaptation d’animaux blessés ou en détresse, d’offrir un sanctuaire à des animaux qui en ont besoin, de mener de la recherche scientifique non dommageable et d’œuvrer à renseigner le public. Ils devraient également satisfaire aux nombreuses conditions d’admissibilité énumérées au paragraphe 10.1(2) du projet de loi.

J’encourage vivement le comité à étudier attentivement cet article du projet de loi, afin que les organismes qui le méritent puissent obtenir le statut d’organisme animalier, ce qui aura, en fin de compte, des conséquences bénéfiques pour les animaux qui y vivent en captivité.

Par ailleurs, il a été porté à mon attention que, d’une province à l’autre, les normes encadrant les zoos et les animaux en captivité sont très différentes. Lors de mes entretiens avec les intervenants, j’ai appris que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, l’entité responsable de la réglementation des zoos, a récemment imposé des exigences strictes et rigoureuses pour le maintien en captivité des animaux. De nombreux zoos au Québec ont dépensé des sommes considérables, ou ils sont en voie de le faire, pour satisfaire à ces nouvelles normes gouvernementales. Il m’apparaît injuste que ces zoos et établissements zoologiques qui ont dépensé des sommes colossales pour se conformer à la réglementation provinciale relative aux animaux en captivité aient gaspillé leur argent parce que le gouvernement fédéral a décidé de rendre illégal le maintien en captivité de certains animaux. J’aimerais que le comité examine la situation. Je crois que le gouvernement fédéral devrait collaborer avec les provinces pour corriger le tir et atténuer les inquiétudes des zoos et des autres établissements zoologiques qui craignent d’avoir dépensé tout cet argent en vain.

Honorables collègues, j’appuie le principe qui sous-tend ce projet de loi. Je crois que la place des animaux sauvages est dans la nature. Je crois aussi qu’ils ont droit au respect et à une bonne qualité de vie. Le projet de loi S-241, qui est inscrit au Feuilleton depuis le 24 mars 2022, sera énormément bénéfique pour la protection des animaux et pour la réputation du Canada à l’échelle mondiale. Cela dit, nous devons travailler en collaboration avec les zoos et les établissements zoologiques dans l’intérêt des animaux. Ces établissements ont encore un rôle à jouer pour renseigner la population sur les espèces animales en voie de disparition et sur les problèmes auxquels elles doivent faire face à l’échelle mondiale. Honorables collègues, je m’attends à ce que le comité étudie ces problèmes en détail, et il me tarde de consulter son rapport au Sénat.

Merci. Meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Brazeau, appuyée par l’honorable sénateur Housakos, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-254, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcoolisées).

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, je serai également bref, compte tenu de l’heure, mais je tiens à dire quelques mots sur le projet de loi présenté par le sénateur Brazeau : le projet de loi S-254, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues, concernant les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées. Je tiens à remercier le sénateur Brazeau d’avoir soumis ce projet de loi à notre examen et de faire preuve de leadership dans cet important dossier.

Comme le titre l’indique, le projet de loi S-254 vise à modifier la Loi sur les aliments et drogues en exigeant qu’une étiquette de mise en garde soit apposée sur les boissons alcoolisées. Cette étiquette doit avoir quatre composants. Premièrement, elle doit indiquer le volume de boisson qui, de l’avis du ministère, constitue un verre standard. Deuxièmement, elle doit indiquer le nombre de verres standards que contient l’emballage. Troisièmement, elle doit préciser le nombre de verres qui, de l’avis du ministère de la Santé, ne doit pas être dépassé pour éviter d’importants risques pour la santé. Enfin, l’étiquette doit comprendre un message du ministère qui explique le lien de causalité entre la consommation d’alcool et le développement de cancers mortels.

(2050)

Chers collègues, je doute qu’il y ait quelqu’un dans cette enceinte qui n’ait pas vu de ses propres yeux les ravages de l’abus d’alcool. D’autres sénateurs en ont parlé. Il s’agit d’un terrible fléau pour notre société, qui n’est que trop répandu et qui fait payer un lourd tribut aux personnes don il ravage l’existence.

Nous avons entendu plusieurs sénateurs qui nous ont fait part de leur expérience personnelle, et je suis certain que nous pourrions tous y ajouter la nôtre.

Toutefois, je tiens à souligner que l’objectif de ce projet de loi n’est pas de lancer une campagne contre la consommation d’alcool ou de revenir sur la question de la prohibition. Comme l’a dit le sénateur Brazeau dans son discours, il ne monte pas sur ses grands chevaux pour prêcher l’abstinence, mais il se préoccupe plutôt de réduire la prévalence des cancers au Canada.

Le préambule décrit la portée du projet de loi clairement en trois énoncés. Le premier mentionne que « le Parlement reconnaît qu’il existe un lien de causalité entre la consommation d’alcool et le développement de cancers mortels ».

Le préambule indique ensuite ceci :

[...] en raison des risques importants pour la santé publique posés par la consommation d’alcool, le public doit pouvoir bénéficier de renseignements sur la santé exacts et à jour pour prendre des décisions éclairées en matière de consommation d’alcool [...]

Enfin, le préambule ajoute que « l’apposition d’une étiquette de mise en garde sur les boissons alcoolisées est un moyen efficace de fournir ces renseignements sur la santé aux consommateurs ».

Le premier élément est indéniable. Il existe un lien de causalité direct entre la consommation d’alcool et le développement de cancers et, même si la population n’est peut-être pas bien sensibilisée à ce sujet, il ne s’agit pas d’une découverte récente. Le Centre international de recherche sur le cancer classe l’alcool parmi les substances cancérogènes du groupe 1 depuis 35 ans. Des centaines d’études ont confirmé le caractère cancérogène de l’alcool depuis.

Le deuxième élément aussi est indéniable. La population devrait avoir accès à des renseignements à jour et exacts sur les risques pour la santé que pose la consommation d’alcool. Pour une raison ou pour une autre, ce n’est présentement pas le cas. D’ailleurs, selon Cancer action Ontario, seul le tiers des Canadiens savent qu’ils pourraient réduire le risque de développer un cancer s’ils diminuaient leur consommation d’alcool. D’autres études parlent du quart des Canadiens.

Cependant, il ne s’agit là que de l’un des nombreux risques que la consommation d’alcool représente pour la santé. En effet, celle-ci peut également entraîner de nombreux autres problèmes comme les lésions hépatiques, cérébrales, cardiaques et gastriques, l’hypertension artérielle, la perte de résistance aux infections, la perte d’appétit, les troubles du sommeil, l’anxiété, la dépression, la dépression suicidaire, les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale et bien d’autres problèmes.

Les Canadiens devraient être conscients de ces risques et savoir comment les réduire au minimum. Toutefois, chers collègues, la question de savoir si une étiquette avertissant les consommateurs est un moyen efficace de les informer des risques que la consommation d’alcool représente pour la santé n’a pas été tranchée. Aux dernières nouvelles, il était déjà obligatoire dans au moins 47 pays d’apposer des avertissements sur les produits alcoolisés. C’est le cas aux États-Unis, en Australie, au Portugal, en France, au Japon, en Israël, au Brésil et, bien sûr, dans nombreux autres pays.

Les États-Unis ont des étiquettes de mise en garde sur les produits alcoolisés depuis qu’ils ont adopté l’Alcohol Beverage Labelling Act, en 1988. Toutefois, il n’est pas clair si le Canada doit lui emboîter le pas, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il y a une absence importante de consensus à savoir ce qui constitue un niveau de consommation d’alcool à faible risque. Pas plus tard qu’il y a quelques mois, il était question au Canada de 10 verres par semaine pour les femmes et de 15 verres par semaine pour les hommes. Puis, en août dernier, le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances a recommandé de remplacer cela par deux verres par semaine, quel que soit le genre de la personne. La recommandation actuelle aux États-Unis et au Royaume-Uni est toujours de 2 verres par jour, alors qu’en Australie, elle est de 10 verres par semaine.

Tout le monde prétend fonder ses conseils sur les études scientifiques, et pourtant, il ne semble y avoir aucun consensus à savoir ce que disent les études scientifiques. Une analyse en particulier dit :

Presque toutes les études bien conçues et contrôlées montrent que lorsque les anciens buveurs excessifs ne sont pas inclus dans le groupe de référence (et que le groupe est uniquement composé de personnes s’étant abstenues toute leur vie de consommer de l’alcool) [...] on observe chez les personnes qui consomment de l’alcool en quantité faible à modérée un effet cardioprotecteur.

L’analyse a également conclu qu’une consommation légère à modérée contribue considérablement à réduire la mortalité, toutes causes confondues.

Chers collègues, quant à moi, mon médecin m’a dit qu’un verre de vin par jour réduira ma pression artérielle, mais que deux verres par jour auront l’effet contraire. J’ai pensé à une solution idéale. Je suis allé acheter un plus grand verre, mais mon médecin m’a dit que ce n’était pas la solution à mon problème.

Je sais que cet enjeu est loin de faire l’unanimité, mais c’est exactement là où je veux en venir. Ce serait une erreur d’aller de l’avant sans d’abord parvenir à un consensus sur ces données scientifiques et obtenir l’appui de la population.

Il est clair que si vous ne voulez courir aucun risque, vous devriez vous abstenir de boire. J’aimerais cependant savoir ceci : quel est le niveau approprié de consommation d’alcool si une personne est prête à assumer de faibles risques? La réponse n’est pas claire.

La deuxième raison pour laquelle je me demande si l’apposition d’étiquettes de mise en garde est un moyen efficace d’informer les clients des risques de la consommation d’alcool parce que les résultats des recherches menées jusqu’à ce jour sur cette pratique sont mitigés. Nous ne nous aventurons pas en terrain inconnu, chers collègues. Comme je l’ai souligné plus tôt, il y a au moins 47 pays dans le monde qui ont déjà imposé l’apposition d’étiquettes de mise en garde sur les produits alcoolisés, et il serait sage de tenir compte de leurs expériences et d’apprendre de leurs efforts.

Une étude récente intitulée Alcohol Health Warning Labels : A Rapid Review with Action Recommendations est parue en septembre dernier dans la publication scientifique International Journal of Environmental Research and Public Health. Les chercheurs ont examiné les recherches déjà menées au sujet des étiquettes de mise en garde apposées sur des contenants de boissons alcoolisées. Ils ont trouvé 2 975 références uniques. À partir de ce solide ensemble de recherches, ils ont examiné 382 articles scientifiques et ont concentré leur analyse finale sur 122 d’entre eux.

Leur étude a montré que le simple fait d’apposer des mises en garde sur des contenants de boissons alcoolisées n’est pas nécessairement efficace. Il faut tenir compte de toute une gamme de variables. La conception des étiquettes fait partie des variables : quel est l’emplacement de l’étiquette sur le contenant? Combien d’espace occupe-t-elle? Quelle est la taille des caractères? Quelle couleur est utilisée? L’étiquette comporte-t-elle un logo ou une image? D’après les recherches, tous ces facteurs influencent l’efficacité de l’étiquette.

Les résultats des recherches sont parfois surprenants. Ainsi, les chercheurs ont constaté que l’utilisation d’images choquantes, comme celles qu’on a pu voir sur les paquets de cigarettes, n’est pas nécessairement efficace.

[...] on devrait utiliser les images négatives avec prudence, puisqu’elles ne semblent pas réussir, en général, à influencer le comportement des personnes qui voient ces étiquettes.

Ce résultat s’explique en partie par un manque de crédibilité et d’acceptabilité : les étiquettes jugées peu crédibles et peu acceptables étaient moins efficaces.

Ajoutons qu’en plus de la conception de l’étiquette, son contenu a de l’importance. Quel message le texte et les images communiquent-ils? Le projet de loi S-254 exigerait la présence de quatre éléments d’information dans le message, mais beaucoup d’autres seraient possibles. Qu’en est-il du risque que représente la consommation d’alcool pour les femmes enceintes? Que fait-on des facultés affaiblies, des risques d’hypertension, des maladies du foie ou du cœur? Qu’en est-il des mises en garde sur le fait que l’alcool peut créer une dépendance? Lorsqu’il s’agit d’étiqueter les boissons alcoolisées, on pourrait tout aussi bien se concentrer sur l’un ou l’autre de ces problèmes et dire qu’ils sont tous importants. Dans ce cas, que doit-on faire? Malgré toutes les données, il y a encore beaucoup d’incertitude. Pour dire les choses bien simplement, les résultats de recherche ne sont pas concluants.

(2100)

L’étiquetage des boissons alcoolisées n’a pas toujours l’effet escompté. Par exemple, les messages négatifs ont plus d’influence sur les buveurs excessifs. Chez les jeunes buveurs, on a constaté que les mises en garde sévères ont un effet boomerang, puisqu’elles les poussent plutôt à voir le produit de façon plus positive. D’ailleurs, selon les résultats de l’étude de 2009, les jeunes adultes se servent de l’information standard sur les boissons pour accroître — et non réduire — le plus possible leur consommation d’alcool. L’étiquette les aide à déterminer avec quel produit ils en auront le plus pour leur argent, si bien qu’ils finissent par accroître leur consommation au lieu de la diminuer. L’étiquette leur sert surtout à trouver quelles sont les boissons leur permettant de consommer le plus d’alcool au plus faible coût afin de s’enivrer le plus vite possible avec une moindre quantité de liquide et ainsi moins dépenser. Ces informations sont corroborées par les résultats d’une autre étude canadienne menée en 2014, lors de laquelle 46 % des répondants ont affirmé qu’ils se servent de l’information standard fournie sur l’étiquette pour déterminer quelles boissons alcoolisées coûtent le moins cher.

Honorables sénateurs, de toute évidence, l’étiquetage ne donne pas toujours les résultats escomptés. Plutôt que de nous indiquer une voie à suivre concluante, les recherches actuelles semblent indiquer qu’il y a beaucoup de choses que nous ne savons pas sur les étiquettes de mise en garde au sujet de la consommation d’alcool.

Cependant, chers collègues, ce projet de loi aborde un sujet très important. Je pense qu’aucune décision ne devrait être prise avant qu’il ne soit examiné en comité. Je crois vraiment, chers collègues, qu’il s’agit d’un projet de loi parfait pour une étude approfondie en comité, afin d’entendre les recommandations des témoins.

Sur ce, honorables sénateurs, j’aimerais que ce projet de loi soit renvoyé en comité dans les plus brefs délais, afin que celui-ci procède à une étude approfondie et nous fasse rapport. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Moncion, le débat est ajourné.)

Le Code criminel

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Batters, appuyée par l’honorable sénateur Wells, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence (matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels).

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je suis très heureux de prendre part au débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-291, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence. Je tiens à remercier la sénatrice Batters d’avoir accepté de parrainer le projet de loi et de consacrer autant d’efforts à cet enjeu.

La protection des enfants contre les agressions et l’exploitation sexuelles sous toutes leurs formes est l’une des priorités du gouvernement et je suis heureux d’accorder mon appui et celui du gouvernement du Canada au projet de loi C-291, qui nous donnera des outils supplémentaires pour mettre fin à ces agressions.

La protection des enfants contre les agressions et l’exploitation sexuelles est également une priorité de la communauté internationale. Le gouvernement du Canada travaille en étroite collaboration avec ses partenaires internationaux pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants en ligne. Je suis également content que le Canada soit partie à plusieurs instruments internationaux qui visent à protéger les enfants contre l’exploitation sexuelle. Je pense notamment à la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies, à la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, ainsi qu’au Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants et la Convention sur la cybercriminalité du Conseil de l’Europe.

[Français]

Bien que ce soit incroyablement décourageant, il ne faut pas s’étonner que la pandémie ait contribué à une augmentation des infractions d’ordre sexuel contre les enfants, notamment grâce à la facilitation de la perpétration de ces actes par des moyens technologiques. Au cours de l’exercice de 2021-2022, le Centre national contre l’exploitation des enfants de la GRC a reçu 81 799 plaintes, signalements, rapports et demandes d’assistance relativement à l’exploitation sexuelle d’enfants sur Internet, ce qui représentait une hausse de 56 % par rapport à l’exercice précédent et de 854 % par rapport à celui de 2013-2014.

[Traduction]

Comme la sénatrice Batters l’a souligné dans son discours, selon les données de Statistique Canada sur les crimes déclarés par la police en 2020, y compris pour la première année de la pandémie, le nombre de cas de production ou de distribution de matériel de pornographie juvénile a augmenté de 26 % en 2021 par rapport à 2019. La possession de matériel de pornographie juvénile ou l’accès à ce matériel a augmenté de 44 % en 2021 par rapport à 2019, ce qui représente une hausse de 146 % par rapport à 2017. Chers collègues, ces chiffres sont profondément troublants.

Nous devons prendre des mesures pour lutter contre l’exploitation sexuelle des enfants. De toute évidence, il nous faut des lois pénales exhaustives et rigoureuses contre ce genre d’exploitation, il faut que les lois soient appliquées de façon rigoureuse et efficace, et il nous faut continuer à promouvoir et à appuyer des mesures qui visent à aider les victimes.

Les lois canadiennes actuelles contre la pornographie juvénile sont parmi les plus sévères au monde. Malgré cela, en tant que législateurs, nous devrions toujours évaluer et réévaluer si ces lois peuvent encore être renforcées. C’est pourquoi je suis heureux que nous soyons actuellement saisis du projet de loi C-291, car j’estime qu’il tente d’apporter un changement modeste, mais important qui nous aidera à nommer et à prévenir de manière plus précise et plus efficace l’exploitation sexuelle des enfants au moyen de matériel de pornographie juvénile.

Au fil des ans, tant au Canada qu’à l’étranger, l’expression « pornographie juvénile » a été délaissée. D’aucuns estiment que ce terme est trop proche de la pornographie ordinaire, qui est, bien entendu, légale lorsqu’elle est réalisée par des adultes consentants et ne constitue pas du matériel obscène. Par conséquent, la tendance est à l’utilisation de termes qui décrivent mieux les dommages causés par la pornographie lorsque des enfants sont impliqués d’une manière ou d’une autre.

Le Guide de terminologie pour la protection des enfants contre l’exploitation et l’abus sexuels, également appelé « Directives du Luxembourg », suggère « matériel d’exploitation sexuelle d’enfants » comme terme plus général qui comprend :

... du matériel qui sexualise l’enfant et l’exploite sans montrer explicitement un abus sexuel d’enfant.

[Français]

Un autre exemple tiré du contexte international est l’article 34 de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations unies, qui exige que les États parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle. Cette mesure est exposée en détail dans le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, qui concerne la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants. Le protocole exige des États parties qu’ils criminalisent la production, la distribution, la transmission, l’importation, l’exportation, l’exploitation, l’offre, la vente ou la possession de matériel pornographique mettant en scène des enfants aux fins énoncées dans le protocole.

[Traduction]

Suivant cet exemple, le Groupe des cinq, dont le Canada est membre, a établi les Principes volontaires pour contrer l’exploitation et l’abus sexuels des enfants en ligne.

Si l’on examine la législation d’autres pays, la question de la terminologie n’est pas réglée. Ni le Royaume-Uni ni l’Australie, qui sont tous deux des États parties au Protocole facultatif, n’utilisent le terme « pornographie juvénile ». Le Royaume-Uni utilise l’expression « photographies indécentes » et l’Australie l’expression « matériel d’abus sexuel d’enfant ».

(2110)

Bref, de nombreux termes sont utilisés dans les forums internationaux et par nos partenaires étrangers pour désigner le même type de matériel — du matériel impliquant l’exploitation sexuelle et l’agression sexuelle d’enfants. L’abandon du terme « pornographie juvénile » ne mettrait pas le Canada en porte-à-faux par rapport aux autres pays. Toutefois, si l’on considère la large définition et les protections offertes par le Code criminel du Canada, il est important que tout nouveau terme décrive avec exactitude ce qui est déjà établi dans la jurisprudence et dans le libellé de la disposition elle-même.

La définition du Code criminel inclut le matériel pornographique sous forme écrite ou sonore, par exemple, où l’on préconise les activités sexuelles avec des enfants, ou dont la caractéristique dominante est la description, à des fins sexuelles, d’activités sexuelles avec un enfant. Cette dernière catégorie de matériel normalise la sexualisation des enfants et, en partie, contribue à alimenter la demande de matériel comportant l’agression sexuelle d’enfants et, par conséquent, à mettre davantage d’enfants en danger.

Le projet de loi C-291 propose de remplacer l’expression « pornographie juvénile » par « matériel d’abus et d’exploitation pédosexuels ». Bien qu’il s’agisse d’un simple changement de terminologie sans modification substantielle de la définition, ce changement présente une certaine complexité. Par exemple, les lignes directrices de Luxembourg, dans leur avant-propos, reconnaissent que la modification de termes existants tels que « pornographie juvénile » — en particulier des termes juridiques établis ayant fait l’objet d’un examen judiciaire de longue date — pourrait être une source de confusion ou entraver la prévention et l’élimination de l’exploitation sexuelle des enfants si des acteurs mal intentionnés exploitaient des aspects techniques de la loi. Il est d’une importance vitale que tout nouveau terme reflète toute la portée de la loi canadienne ainsi que la jurisprudence des 30 dernières années sur ce terme.

[Français]

Je suis conscient que le fait de changer la terminologie aura également des répercussions sur les règlements fédéraux et les lois provinciales et territoriales au Canada. Les termes « pornographie juvénile » et le renvoi à l’article 163.1 du Code criminel figurent dans au moins 50 textes législatifs provinciaux et territoriaux. Si le projet de loi est adopté, les provinces et les territoires pourraient avoir besoin d’un certain temps pour modifier leur législation conformément à la nouvelle terminologie.

[Traduction]

Je voudrais conclure en exprimant mes remerciements aux députés de l’autre endroit pour nous avoir donné l’occasion d’examiner la définition du terme « pornographie juvénile » dans le Code criminel ainsi que la façon dont cette disposition est incorporée dans la législation fédérale, mais aussi dans les lois provinciales et territoriales.

Encore une fois, sénatrice Batters, je vous remercie d’avoir accepté de parrainer ce projet de loi, et j’espère que nous pourrons le renvoyer au comité le plus tôt possible. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Le Sénat

Motion tendant à former un comité sénatorial spécial sur le capital humain et le marché du travail—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Bellemare, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p.,

Qu’un comité sénatorial spécial sur le capital humain et le marché du travail soit formé jusqu’à la fin de la présente session, qui peut être saisi de toute question concernant le capital humain, le marché du travail et l’emploi en général;

Que le comité soit composé de neuf membres nommés par le Comité de sélection et que quatre membres constituent le quorum;

Que le comité soit autorisé à faire enquête et rapport sur les questions dont il est saisi par le Sénat, à exiger la comparution de témoins et la production de documents, à entendre des témoins et à ordonner la publication de documents et de témoignages.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Les défis et possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Simons, attirant l’attention du Sénat sur les défis et possibilités auxquels font face les municipalités canadiennes, et sur l’importance de comprendre et de redéfinir les relations entre les municipalités du Canada et le gouvernement fédéral.

L’honorable Marty Deacon : Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole dans le cadre de l’interpellation attirant l’attention du Sénat sur les défis et les possibilités auxquels doivent faire face les municipalités canadiennes, et sur l’importance de comprendre et de redéfinir les relations entre les municipalités du Canada et le gouvernement fédéral.

Je remercie ma collègue la sénatrice Simons d’avoir lancé cette interpellation. En l’écoutant, ainsi que d’autres sénateurs, je suis devenue plus inquiète par rapport au problème en question, c’est‑à‑dire le besoin de veiller à ce que les municipalités aient les ressources financières et politiques nécessaires afin d’assurer au Canada un avenir plus prospère et favorable aux relations et à l’innovation.

Il y a près de six ans, lorsque j’ai été assermentée en tant que sénatrice, j’ai choisi de représenter la région de Waterloo. La décision allait de soi. J’ai décidé de représenter sept villes et municipalités qui sont interreliées, et j’ai établi que l’approche régionale était la meilleure stratégie. Cela m’a aussi poussée à assumer rapidement la responsabilité de bien comprendre les divers besoins de ces municipalités. Mes connaissances sur ces questions ont certainement été mises à l’épreuve à plusieurs reprises.

Comme nous tous, je me suis donné comme priorité de mieux connaître les collectivités de ma région, leurs divers besoins, les défis qu’elles ont en commun, mais surtout, le rôle que chaque municipalité doit assumer et la façon dont ces municipalités sont interreliées. J’ai beaucoup appris lors de mes rencontres avec sept maires et avec des organisations — petites et grandes — bien connues. Mes visites de 32 entreprises et organisations pendant la pandémie de COVID-19 ont été des plus éclairantes.

La région de Waterloo englobe trois villes et quatre cantons : les villes de Cambridge, de Kitchener et de Waterloo, ainsi que les cantons de North Dumfries, de Wellesley, de Wilmot et de Woolwich. Cette collectivité de taille moyenne est située au cœur de la ceinture de verdure sud-ouest de l’Ontario. Ce que j’adore, c’est que nous avons les commodités d’un grand centre urbain tout en maintenant le charme et le caractère d’une collectivité rurale plus petite.

Imaginez ceci. Je peux sortir de chez moi et en quelques minutes de marche ou de vélo, je peux me rendre à plusieurs campus universitaires, à des sentiers qui me mèneront jusqu’à Guelph à l’ouest ou jusqu’à Brantford ou Hamilton au sud et creux dans les collectivités agricoles au nord. Tout cela réuni dans un superbe réseau de sentiers panoramiques qui crée une communauté de collectivités connectées par des services de transport en commun de grande qualité ainsi que par des pistes cyclables et des sentiers de randonnée, le tout traversé par la captivante rivière Grand.

En quelques kilomètres, je peux visiter des carrefours d’innovation technologique se targuant d’avoir les talents les meilleurs et les plus brillants venant de partout dans le monde ou encore des groupes de réflexion tels que le l’Institut Perimeter pour la physique théorique et le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale. Si je pédale un peu plus loin, je peux remonter dans le temps et passer rapidement d’œuvres architecturales primées à un paysage rural paisible où chevaux et bogheis circulent sur les routes de terre dans le monde des mennonites. Je peux même acheter des fleurs fraîchement coupées, des saucisses artisanales, du sirop d’érable, du beurre de pomme, du fromage ainsi que des meubles et des courtepointes mennonites en bordure de route ou dans les grands marchés.

La rivière Grand serpente dans la majeure partie de la région, sur une superficie totale de 365 hectares. Vous pouvez la parcourir en canoë ou en empruntant le chemin de fer de Cambridge à Paris. On trouve dans cette région des théâtres, des musées et le plus long marché fermier du Canada.

Kitchener, dans la zone centrale, est la plus grande ville de la région; l’industrie, la collaboration et l’esprit d’entreprise sont au cœur de cette ville. De nombreux festivals, y compris des amuseurs publics, animent les rues pendant l’été.

Le musée local, le musée de Kitchener et le Centre in the Square accueillent des talents, des artisans et des artistes du monde entier. À quelques minutes de là, le centre de ski Chicopee ski Hill permet de faire du ski en hiver, de la descente en chambre à air et de la randonnée en été.

J’aimerais également mentionner nos quatre plus petites communes. Natasha Salonen est maire du canton de Wilmot. Elle est très fière de sa collectivité :

Ce sont les habitants de Wilmot qui me rendent le plus fière de notre canton. Il ne s’agit pas seulement d’une petite ville aux racines rurales, mais d’une communauté qui se soutient mutuellement et qui fait de Wilmot un endroit merveilleux pour vivre, travailler, se divertir et élever une famille.

Elle poursuit en décrivant l’emplacement, le long de la rivière Nith, à côté des grandes villes. La région procure les espaces verts et l’industrie agricole qui permettent aux habitants de l’Ontario de se nourrir. Ils sont fiers de leurs événements culturels qui attirent le public de loin, notamment la vente annuelle de bienfaisance des mennonites, le Moparfest et la foire d’automne de New Hamburg.

Nous nous sommes longuement entretenus sur les relations entre les administrations municipales et les gouvernements provinciaux et fédéral. Comme l’a déclaré la mairesse Salonen :

Les relations entre les municipalités et le gouvernement fédéral sont fondamentales pour que le Canada reste un pays où il fait bon vivre. Je dirais que tous les paliers de gouvernement ont pour objectif d’améliorer la qualité de vie et le bien-être de l’ensemble des Canadiens. Des relations étroites sont mutuellement bénéfiques, car elles nous permettent de nous entraider. On dit que les municipalités représentent le palier de gouvernement le plus proche de la population et que, dans l’exercice de nos mandats, les liens étroits que nous entretenons avec le gouvernement fédéral nous permettent d’apporter un éclairage unique sur les politiques et les programmes fédéraux qui pourraient être améliorés, qui fonctionnent bien, ou qui doivent peut-être être créés.

(2120)

Toujours au bord de la rivière Nith, Sue Foxton est la mairesse du canton de North Dumfries, que beaucoup appellent la collectivité d’Ayr. Les maisons y sont uniques. C’est une région paisible. Les lucioles y voltigent encore pendant les mois d’été. Ayr est l’une des rares collectivités au Canada qui accueille encore chaque année une grande foire scolaire, dont 2024 marquera la 200e année.

Bien que le hockey y occupe une grande place, la mairesse Foxton est surtout fière du cœur de ses résidants. Quelles que soient les difficultés ou les réussites, c’est une collectivité qui respecte l’espace de chacun.

Récemment, Ayr avait désespérément besoin d’un nouvel aréna. L’objectif était d’amasser 1 million de dollars. La collectivité s’est mobilisée, elle a pris conscience de l’importance de ce projet pour ses enfants et elle a plutôt recueilli 2,5 millions de dollars.

Comme le dit la mairesse : « en planifiant, en se préparant et en réagissant, comme nous le faisons, nos enfants apprennent qu’ils peuvent faire quelque chose. »

En ce qui concerne le rôle des municipalités, la mairesse Foxton est très claire :

Des liens solides, ciblés et réciproques avec le gouvernement fédéral sont essentiels à l’évolution des municipalités canadiennes. Il ne s’agit pas seulement d’une question monétaire, loin de là. Nous devons voir et connaître nos dirigeants, nos représentants, savoir qui ils sont. Nous n’avons pas de sénateur depuis plus de 70 ans. Qu’est-ce que cela signifie pour nous ? Qu’est-ce que cela peut signifier? Comment cela renforce-t-il nos collectivités et les liens importants entre nos villes, nos provinces et territoires et nos décideurs fédéraux, entre autres? Nos élus doivent se rappeler pourquoi ils ont été élus, d’où ils viennent et l’incidence de chaque décision fédérale et provinciale.

Lors de toutes mes conversations avec les dirigeants communautaires, je les ai écoutés parler de confiance, d’empathie, de communication, de consultations, de même que de l’importance suprême de se sentir lié à quelqu’un et à quelque chose de bien plus grand qu’eux et d’en être responsable.

Certains de ces propos ne sont pas nouveaux, mais les enjeux — les conséquences des mauvaises décisions, de l’information, de la désinformation et de la fatigue — n’ont jamais été aussi élevés. Être à la tête de municipalités exige de grands sacrifices, et il ne faut jamais l’oublier.

Au cours du dernier mois, j’ai eu des conversations très difficiles. Tous les maires et dirigeants municipaux avec lesquels je me suis entretenue ont pu me donner des exemples très choquants de conséquences de décisions fédérales qui ont rendu leur travail difficile ou carrément impossible. J’ai beaucoup insisté pour être sûre de bien comprendre ce que j’entendais. Dans l’ensemble, ils ont constaté avoir de meilleures relations avec les premiers ministres provinciaux et territoriaux. En général, ils croient que cette relation s’est vraiment améliorée parce qu’il s’agissait d’un élément essentiel pendant la pandémie ainsi que pour la reprise. Toutefois, la question qui se pose est de savoir si l’on s’efforcera de communiquer, de réunir les premiers ministres provinciaux et territoriaux et de faire en sorte que les maires et la Fédération canadienne des municipalités continuent d’être présents à la table de négociation ou si l’on ralentira les choses et reviendra au statu quo avec le temps.

En ce qui concerne tous les sénateurs, cette interpellation nous rappelle des questions que nous nous posons peut-être sans cesse : comment rendons-nous des comptes, tant individuellement que collectivement, aux municipalités et sur les municipalités? Comment veillons-nous à représenter les besoins des collectivités et des municipalités canadiennes? Est-ce que nous effectuons des consultations et sollicitons de la rétroaction qui mènent à un bon processus d’examen et de suivi des projets de loi? Honnêtement, je crois que nous ne remplissons pas la promesse faite aux Canadiens, mais nous pouvons vraiment remédier à ce problème ensemble.

D’après les discussions que j’ai eues avec ma municipalité, le logement, l’itinérance, le traitement des personnes âgées, les soins de fin de vie et les soins de longue durée, l’accueil des nouveaux Canadiens, les récentes annonces concernant les garderies et les services tels que les banques alimentaires ont tous donné lieu à des histoires incroyables de personnes qui essaient de faire de leur mieux malgré des ressources limitées ainsi que des annonces et des projets de loi imprévus.

Il y a quelques semaines, j’ai visité la Maison Sophia Reception House, une maison d’accueil de ma région qui gère l’accueil de centaines de réfugiés afghans, de nouveaux Canadiens et d’autres personnes. Le simple fait que l’établissement, l’hôtel où ils séjournent et la direction ne soient pas en mesure d’obtenir un engagement de la part d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada pendant plus de quatre mois met leur succès en péril.

Un système de soins de santé déjà en difficulté est poussé au bord du gouffre, car nous savons que les nouveaux Canadiens les plus vulnérables arrivent avec de nombreux besoins en matière de santé physique et émotionnelle. La promesse d’accueillir des centaines de milliers de nouveaux Canadiens sans prévoir un soutien fédéral homogène, avec des communications bien rodées, condamne parfois les familles et les collectivités à l’échec.

Il s’agit là de quelques petits exemples qui mettent en évidence ce qui fonctionne bien dans les collectivités, mais aussi qui montrent comment les choses peuvent déraper très rapidement. À l’heure actuelle, les défis liés au logement en sont un excellent exemple.

La fin de semaine dernière, plus de 1 500 élus municipaux se sont réunis à Toronto dans le cadre du congrès annuel de la Fédération canadienne des municipalités. Cet événement m’a rappelé les défis communs que nos municipalités canadiennes doivent relever en raison de la croissance rapide de notre pays. L’un des principaux éléments que les municipalités ont en commun est d’établir une nouvelle feuille de route pour améliorer le fonctionnement du pays. C’est une priorité. Le cadre fiscal doit faire l’objet d’une refonte, car il n’est plus adéquat.

Les élus municipaux veulent agir comme chefs de file pour fournir les outils qui permettront d’accroître l’offre de logements adéquats, de lutter contre l’itinérance, de renouveler les infrastructures de base et de combattre les changements climatiques. Par ailleurs, les participants ont profité de l’occasion pour dire haut et fort aux autorités gouvernementales fédérales et provinciales qu’elles doivent continuer de collaborer avec les administrations municipales de tout le pays afin de concevoir un nouveau cadre fiscal. Les outils fiscaux actuels sont tout simplement dépassés et ils n’aident pas les municipalités à relever les défis modernes de notre société.

En tant que parlementaires, nous ne ménageons pas nos efforts pour accorder à nos collectivités respectives toute l’importance qu’elles méritent. Nous essayons de faire connaître les liens essentiels, la nature de nos travaux et la raison pour laquelle nous faisons ce travail. Cependant, cette interpellation porte sur les municipalités. Celles-ci doivent pouvoir compter sur des moyens fiscaux et politiques adéquats pour prospérer tout en étant efficaces et efficientes. Peu importe la taille d’une municipalité — ou de nos collectivités respectives —, la solution est la même : que toutes les instances gouvernementales unissent leurs efforts de manière respectueuse.

Les municipalités sont véritablement les intervenants de première ligne sur le plan politique. C’est à cette échelle qu’on gère des dossiers dans ce pays. Ce sont les moteurs économiques qui innovent au sein de notre confédération. Ne l’oublions jamais. Tâchons de démontrer que nous comprenons que nous avons tous ont un rôle important à jouer par rapport aux réussites et aux défis que nous observons au quotidien dans l’ensemble du pays.

Merci, meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

La violence entre partenaires intimes

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Boniface, attirant l’attention du Sénat sur la violence entre partenaires intimes, en particulier en milieu rural dans tout le Canada, en réponse à l’enquête du coroner menée dans le comté de Renfrew, en Ontario.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir au sujet de l’interpellation no 10 présentée par la sénatrice Gwen Boniface, qui porte sur la violence entre partenaires intimes.

Permettez-moi, tout d’abord, de vous parler de l’expérience de trois femmes qui ont subi de la violence de la part d’un partenaire intime en Nouvelle-Écosse. Deux d’entre elles sont toujours vivantes; la troisième est décédée tragiquement dans le comté voisin du mien.

Voici ce qu’a écrit la première femme au sujet de son expérience :

Avant d’aller à ma première entrevue d’embauche à CBC/Radio-Canada en 1981, j’ai passé un temps fou à choisir la tenue appropriée : une veste sans col dont la coupe ressemblait à celle d’un tailleur blanc de Chanel, sous laquelle j’ai enfilé une blouse marine que je pouvais boutonner jusqu’au cou. Je ne cherchais pas seulement à avoir l’air à la mode : je devais cacher mes ecchymoses. J’avais des ecchymoses mauves autour du cou, en plus des empreintes laissées par mon mari quand il avait tenté de m’étrangler quelques jours plus tôt.

À un certain moment, pendant de courtes vacances, il m’avait agressée puis était reparti sans moi. J’ai pris un train de nuit pour rentrer à la maison, convaincue de pouvoir sauver notre mariage si je promettais d’être une meilleure épouse. Il avait toutefois son propre message à me transmettre quand je suis arrivée à la maison : il m’a dit que si je ne partais pas, il allait me tuer. « Ce n’est qu’une question de temps », m’a-t-il dit.

Voici maintenant ce qu’a vécu la deuxième femme :

Si nous avions une dispute, il mettait le pistolet sur ma tempe pour me faire peur et il disait qu’il pouvait faire exploser ma tête.

J’avais donc peur. Je ne vais rien dire.

Après des années de mauvais traitements :

Il est arrivé au chalet, il a arraché les couvertures et il l’a jetée par terre en la tirant par les cheveux. Il l’a frappée à coups de pied et à coups de poing. « Habille-toi », a-t-il ordonné. Il a versé de l’essence un peu partout dans le chalet. En la tenant par le poignet, il l’a tirée jusqu’à l’entrepôt voisin. Le chalet en bois rond a explosé. Il lui a arraché ses espadrilles et l’a tirée par les cheveux. Elle s’est débarrassée de son manteau en s’agitant et a filé dans l’obscurité, en trébuchant et en tombant. Il l’a rattrapée et l’a menottée. Il a déchargé son arme sur le sol à côté d’elle et il l’a jetée sur la banquette arrière de la fausse voiture de la GRC.

Pour ce qui est de la troisième femme, nous n’avons malheureusement pas son témoignage, car elle a été réduite au silence avant de pouvoir se faire entendre. Nous savons qu’en mai 2016, son mari a été envoyé à l’Hôpital Sainte-Anne, près de Montréal, pour tenter de stabiliser ses symptômes de stress post-traumatique, notamment sa difficulté à gérer ses émotions. À ce moment-là, son mari a révélé aux médecins qu’il faisait des cauchemars dans lesquels sa femme le trompait et que, dans ces rêves, il la tuait en guise de représailles. Son mari était un ancien combattant de la guerre en Afghanistan qui a fini par la tuer, ainsi que leur fille, sa mère et lui-même.

(2130)

Nous savons qu’elle avait pris contact avec la Naomi Society d’Antigonish, qui offre un soutien aux personnes victimes de violence de la part d’un partenaire intime. Elle voulait savoir comment obtenir un engagement à ne pas troubler l’ordre public. Elle avait manifestement conscience d’être en danger.

Certains d’entre vous ont peut-être deviné qui sont ces trois femmes. La première femme, qui cachait soigneusement les ecchymoses sur son cou de jeune mariée de 24 ans, n’est nulle autre qu’Anna Maria Tremonti, la journaliste de CBC de renommée nationale et internationale. Elle décrivait ses efforts pour cacher les preuves de sa souffrance et de sa honte lors de son entrevue d’embauche à l’émission des nouvelles matinales de CBC Halifax, qui a lancé sa brillante carrière chez le diffuseur national. Ce n’est que récemment qu’elle a rendu publique son histoire personnelle de violence de la part d’un partenaire intime, notamment dans une série de baladodiffusions intitulée « Welcome to Paradise ».

La deuxième femme est Lisa Banfield, la conjointe de fait de longue date de l’auteur de la tuerie en Nouvelle-Écosse. Elle a enduré des années de violence de la part de son partenaire et, comme nous le savons, elle a été la première victime de son effusion de violence, qui s’est soldée par le meurtre brutal et insensé de 22 Néo-Écossais, soit la pire tuerie de l’histoire du Canada.

Lisa Banfield a survécu au carnage en fuyant dans les bois cette nuit-là à Portapique, dans la campagne néo-écossaise. Elle a ensuite été victime de notre système de justice.

La troisième femme s’appelle Shanna Desmond, originaire d’Upper Big Tracadie, dans le comté de Guysborough, en Nouvelle‑Écosse. Cette Néo-Écossaise d’origine africaine était infirmière, mère et épouse de Lionel Desmond, un ancien combattant de la guerre en Afghanistan. Comme dans le cas des histoires tragiques de Carol Culleton, Anastasia Kuzyk et Nathalie Warmerdam dans le comté de Renfrew, que la sénatrice Boniface a racontées dans son discours, la violence entre partenaires intimes dont a été victime Shanna Desmond s’est avérée fatale.

Dans son discours, la sénatrice Boniface a raconté le cas des meurtres des trois femmes du comté de Renfrew, toutes d’anciennes partenaires intimes du même homme, et elle les a replacés dans le contexte de l’épidémie de violence entre partenaires intimes au Canada. Elle a exprimé des préoccupations particulières concernant la violence entre partenaires intimes dans les régions rurales, où l’accès aux services de soutien est souvent insuffisant et où il est difficile de chercher de l’aide de manière anonyme dans une petite ville.

Elle a parlé de l’enquête du coroner sur la mort des trois femmes du comté de Renfrew et des 86 recommandations de changement, y compris celles qui portaient sur la création d’un fonds d’urgence pour les survivants, en offrant des fonds annuels et durables aux fournisseurs de services et en tenant compte des différences entre les réalités des régions rurales et des régions urbaines, les maisons de seconde étape pour les survivants, la sensibilisation et la formation du personnel du système de justice sur les questions liées à la violence entre partenaires intimes, dont les facteurs propres aux régions rurales, et l’importance d’étendre le service cellulaire et Internet haute vitesse pour améliorer la sécurité des femmes dans les régions rurales et éloignées.

La sénatrice Boyer nous a renseignés sur la violence entre partenaires intimes touchant les femmes autochtones, en plus de souligner des mesures autochtones importantes qui ont été prises pour contrer cette violence. La sénatrice Seidman a abordé le sujet sous l’angle de la santé publique pour montrer les grandes lacunes et la partialité des données ainsi que la sous-représentation des femmes dans la recherche.

La sénatrice Hartling a parlé de son expérience professionnelle auprès de femmes victimes de violence entre partenaires intimes au Nouveau-Brunswick. Elle a parlé de la question du contrôle coercitif, qui est cruciale, mais souvent négligée. Mon intention est de souligner certaines des leçons qui ont été tirées des cas des trois femmes en Nouvelle-Écosse. Je me concentrerai sur les conclusions et les recommandations de la Commission des pertes massives qui concernent la violence entre partenaires intimes.

Chers collègues, je vous rappelle que la violence entre partenaires intimes englobe toute une série de comportements, dont la violence émotionnelle, financière, psychologique, physique ou sexuelle perpétrée par un partenaire intime. L’écrasante majorité des auteurs de violence entre partenaires intimes sont des hommes, et l’écrasante majorité des victimes sont des femmes.

Le récit fait par Anna Maria Tremonti de la violence exercée par son mari de l’époque parlait d’agressions physiques répétées et de manipulation psychologique. Elle en est ressortie non seulement meurtrie, mais aussi accablée par la honte et la culpabilité. L’une des principales raisons pour lesquelles elle a gardé ce douloureux secret pendant des décennies était sa crainte d’être accusée de partialité parce qu’elle était une femme désireuse de faire carrière dans le journalisme. Elle affirme aujourd’hui ceci :

Je crois que mon expérience personnelle a fait de moi une journaliste plus empathique et plus nuancée, mais il subsiste dans les salles de nouvelles la présomption d’un préjugé néfaste lorsqu’il est question de violence fondée sur le sexe.

Elle ajoute également ceci :

Quand il est question de journalisme objectif, des cohortes entières de journalistes ont enfin fait le constat que l’objectivité est une construction subjective de l’homme blanc.

La question de la violence entre partenaires intimes dans l’affaire du décès de Shanna Desmond est examinée dans le cadre de l’enquête sur la mort des membres de la famille Desmond. Le mandat de l’enquête est d’essayer de prévenir de futurs décès en cherchant à savoir si les systèmes avec lesquels la famille a interagi, notamment les services de santé et de prévention de la violence familiale, devraient être modifiés. Le rapport final de cette enquête est attendu d’ici peu.

Les questions qui guident l’enquête sont les suivantes : l’épouse de Lionel Desmond, Shanna, sa fille Aaliyah et sa mère Brenda ont‑elles eu accès à des services appropriés d’intervention en cas de violence familiale? Est-ce que les nombreux professionnels de la santé et policiers qui ont interagi avec la famille disposaient de la formation et de l’information nécessaires pour repérer le risque de violence entre partenaires intimes? Est-ce qu’un homme présentant des symptômes profonds et complexes de stress post-traumatique, qui venait de terminer un programme psychiatrique interne, aurait dû être en mesure d’acheter une arme à feu en toute légalité?

Nous n’avons pas encore reçu le rapport d’enquête, mais nous savons que certains témoins ont indiqué que le racisme et les lacunes systémiques ont joué un rôle dans la suite d’événements tragiques qui ont abouti aux meurtres de Shanna, de sa fille de 10 ans et de sa belle-mère, ainsi qu’au suicide de son mari.

Enfin, honorables collègues, nous en venons à la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse. Certains d’entre vous se souviennent peut-être que, à l’époque, le sénateur Colin Deacon, le sénateur Kutcher et moi avons envoyé une lettre au ministre fédéral Bill Blair et à Mark Furey, procureur général et ministre de la Justice de la Nouvelle-Écosse, au début de juin 2020. Nous réclamions que le gouvernement du Canada et le gouvernement de la Nouvelle-Écosse tiennent une enquête publique commune sur la tuerie de la Nouvelle-Écosse et les événements connexes, comme l’ont demandé les familles des victimes.

La Commission des pertes massives, une commission d’enquête publique mixte, a été créée cette année-là. Son rapport final, intitulé Redresser la barre ensemble, comprend 300 pages réparties en sept volumes et renferme 130 recommandations. Il a été publié il y a deux mois. Comme on pouvait s’y attendre, un grand nombre de recommandations de la commission portent sur la Gendarmerie royale du Canada. En ce qui concerne le sujet de cette commission d’enquête, le rapport préconise ce qui suit :

[...] mettre davantage l’accent sur le traitement et la prévention des causes profondes de la violence dans nos communautés, notamment la violence fondée sur le sexe, la violence entre partenaires intimes et la violence familiale [...]

Le rapport indique également ceci :

[...] il existe de plus en plus de preuves indiquant que de nombreux hommes auteurs de pertes massives ont déjà commis de la violence fondée sur le sexe, entre partenaires intimes ou envers un membre de la famille.

Par ailleurs de nombreuses violences de masse commencent par l’agression d’une femme en particulier. Le rapport précise que « la misogynie et les conceptions traditionnelles malsaines de la masculinité sont des causes profondes des incidents impliquant des pertes massives. » Le rapport reconnaît également que « [...] la distinction entre violence publique et violence privée est illusoire et problématique. »

La commission indique également que la première étape de la prévention de la violence de masse « consiste bien à reconnaître le risque d’escalade inhérent à toutes les formes de violence ». Le rapport souligne également l’importance « d’adopter une approche de la violence axée sur la prévention et la santé publique, qui doit prévoir le traitement des auteurs de ces actes ».

Plus loin, la commission parvient à la conclusion suivante :

[...] les politiques imposant de procéder à une arrestation et à une inculpation ont échoué de manière significative et ont eu des répercussions involontaires qui contribuent à notre incapacité collective et systémique à protéger les femmes et à aider les femmes survivantes à se protéger elles-mêmes.

(2140)

Dans son article sur le rapport de la commission, l’avocate féministe Pamela Cross a déclaré ceci :

Il est gratifiant de constater à combien de reprises le rapport cite l’enquête sur les décès de Carol Culleton, Anastasia Kuzyk et Nathalie Warmerdam et ses recommandations. Peut-être que certaines d’entre elles obtiendront l’attention qu’elles méritent dans le cadre de ce rapport jouissant d’une plus grande visibilité.

Je n’ai pas assez de temps aujourd’hui pour énumérer toutes les recommandations de la commission liées à la prévention de la violence entre partenaires intimes, mais je peux vous assurer qu’elles méritent qu’on les examine et qu’on y donne suite. Un financement annuel soutenu à l’intention des groupes communautaires et des experts dans le domaine de la promotion et du soutien de l’égalité entre les sexes est jugé essentiel, tout comme le renforcement de la réglementation visant les armes à feu.

Les recommandations de la commission concernant la reddition de comptes et la mise en œuvre des recommandations sont d’une importance capitale. À cet égard, dans son rapport, la commission propose la création, par voie législative, d’un poste de commissaire à la violence contre les femmes doté d’un financement adéquat et stable, ainsi que de pouvoirs effectifs. Ce commissaire indépendant et impartial rendrait des comptes au Parlement dans un rapport annuel.

Honorables collègues, tandis que je termine mon intervention d’aujourd’hui, je tiens à ce que nous prenions tous note des recommandations pouvant sauver des vies provenant des nombreuses enquêtes et commissions portant sur cette épidémie de violence entre partenaires intimes ou fondée sur le sexe. Je songe notamment à l’enquête May-Iles, à l’enquête menée dans le comté de Renfrew, à la Commission des pertes massives de la Nouvelle‑Écosse et à l’Enquête sur les femmes et les filles autochtones assassinées ou portées disparues.

Chers collègues, n’oublions pas les trois femmes dont j’ai parlé aujourd’hui — Anna Maria Tremonti, Shanna Desmond et Lisa Banfield —, les nombreuses autres femmes au Canada qui sont touchées par l’épidémie de violence, ni la prochaine génération de filles au Canada.

Honorables collègues, continuons à travailler ensemble pour que les jeunes filles d’aujourd’hui deviennent des femmes qui peuvent compter sur le fait qu’elles auront le droit de vivre en sécurité dans leur collectivité et, plus important encore, dans leur propre maison.

Merci, wela’lioq.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

[Français]

L’apport commercial et économique des entreprises autochtones à l’économie du Canada

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Klyne, attirant l’attention du Sénat sur l’apport commercial et économique continu des entreprises autochtones à l’économie du Canada.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs et sénatrices, c’est un plaisir pour moi d’intervenir au sujet de l’interpellation du sénateur Klyne, qui vise à reconnaître la contribution des entreprises autochtones à l’économie canadienne et plus particulièrement à celle du Québec. Malgré l’heure tardive, j’espère que le plaisir sera partagé.

J’aborderai trois points : premièrement, le contexte de la réconciliation économique; deuxièmement, les Sociétés de développement économique autochtones; troisièmement, les exemples d’entreprises établies au Québec qui sont des modèles à suivre.

D’abord, je dirai quelques mots sur le contexte global. Dans les limites définies par les gouvernements coloniaux de ce qui constitue notre pays, où des peuples autochtones étaient bien établis bien avant l’arrivée de Jacques Cartier, il existait des rapports économiques entre les peuples autochtones. Cependant, les régimes coloniaux, avec leurs concepts et leurs lois, ont imposé à ces peuples des visions différentes et les ont ainsi privés d’une pleine participation économique.

Qui plus est, les colonisateurs ont mis en place un système d’appropriation des terres et des richesses qui s’est construit à vils prix et dans des conditions non respectueuses des droits des peuples autochtones. En 1867, la mise en place de notre système de gouvernance s’est accompagnée de politiques et de lois racistes reposant sur le principe de la suprématie de l’homme blanc et de ses croyances religieuses, culturelles et économiques, qui ont mené notamment au système des pensionnats, à l’interdiction de l’utilisation des langues et des pratiques autochtones et à d’autres formes d’assimilation.

Le temps est venu de parler de réconciliation, notamment de réconciliation économique, comme l’a suggéré l’appel à l’action no 92 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

[Traduction]

Ces dernières années, le Canada a reçu des orientations stratégiques et a progressé dans l’atteinte des objectifs. En 2021, le sénateur Klyne et d’autres ont abordé la question de la réconciliation économique dans le cadre du débat sur le projet de loi C-15 concernant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones. Le sénateur Klyne a parlé de l’importance de faire participer les entreprises autochtones dans le plan d’action de la déclaration. Nous attendons avec impatience le plan du gouvernement qui, nous l’espérons, respectera cet engagement.

Nous avons aussi entendu le sénateur Klyne parler aujourd’hui de l’importance du projet de loi C-45.

Sénateurs, les entrepreneurs autochtones et les propriétaires d’entreprises autochtones sont essentiels à l’autodétermination et à l’accroissement de la participation des Autochtones à l’économie canadienne. Cette participation doit être une priorité pour le Canada. Dans son rapport de 2019, intitulé Guide de la réconciliation des entreprises au Canada, le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone indique que l’économie autochtone nationale connaît une croissance exponentielle, contribuant pour plus de 30 milliards de dollars au PIB du Canada en 2019. Comme le souligne le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité dans son rapport de 2021, les chefs d’entreprise autochtones se sont fixé un objectif de rendement de 100 milliards de dollars.

[Français]

Cela m’amène à mon deuxième point, soit les Sociétés de développement économique autochtones, ou SDEA. Ces sociétés sont détenues et exploitées par des communautés autochtones. Elles investissent l’argent de la communauté dans des projets appartenant à la communauté, comme des sociétés de portefeuille ou des sociétés mères à vocation sociale. Le Conseil canadien pour l’entreprise autochtone estime qu’il y avait près de 500 SDEA au Canada en 2020, dont 79 % avaient généré des profits l’année précédente; de plus, 70 % avaient des partenaires commerciaux embauchant des travailleurs issus de communautés autochtones et plus de 85 % offraient des services de soutien aux membres des communautés.

[Traduction]

Maintenant que j’ai fourni ces statistiques, je vais passer à mon troisième sujet en soulignant des exemples d’entreprises autochtones qui ont eu du succès au Québec. Pour la communauté mi’kmaq de Listuguj, les pêches de la rivière Restigouche et de la baie des Chaleurs sont une industrie de plusieurs millions de dollars. Cette industrie a d’ailleurs fait l’objet d’une série documentaire de la chaîne APTN. En 2021, le gouvernement de la communauté de Listuguj a signé l’Entente de réconciliation et de reconnaissance des droits sur les pêches, qui reconnaît les droits de pêche issus de traités de cette communauté. Nous espérons qu’une entente similaire finira par être conclue en Nouvelle-Écosse. L’entente reconnaît également que la Première Nation de Listuguj a un rôle inhérent et sacré à jouer dans l’intendance des terres, des eaux et des êtres vivants qui se trouvent sur son territoire traditionnel.

Selon un article de CBC, avec cette entente, les rangers mi’kmaqs de Listuguj peuvent, en vertu des lois autochtones, attendre les bateaux de pêche au quai tous les jours afin de compter les prises pendant la saison de la pêche au homard. Ils recueillent 10 % des prises pour les distribuer dans cette communauté mi’kmaq d’environ 4 000 habitants. Des membres de la communauté cuisent ces homards, qui sont ensuite livrés à des aînés ou ramassés par des membres de leurs familles. Les 90 % restants sont vendus sur le marché.

Voilà un exemple de réussite au sein d’une communauté qui peut gérer une industrie prospère en vertu de ses droits inhérents et constitutionnels.

La deuxième entreprise autochtone du Québec dont j’aimerais parler est Avataa Explorations & Logistics Inc. AEL est un cabinet de conseil inuit familial situé au Nunavik, spécialisé dans l’évaluation et l’assainissement de sites et dans la vente de permis de pêche et de chasse. Les fondateurs inuits de l’entreprise familiale sont des passionnés de plein air qui ont vécu toute leur vie dans le Nord et y élèvent leurs enfants.

(2150)

Cette entreprise a une politique de responsabilité sociale très forte, qui comprend l’organisation d’activités communautaires, sociales, éducatives et culturelles pour les jeunes. En plus de sa contribution à la vie de la communauté, l’entreprise AEL a un important poids économique. Elle s’est associée à Sanexen Environmental Services Inc. pour créer Avataani Environmental, qui fournit des services de logistique, de campement et de restauration pour travailleurs dans des lieux reculés, ainsi que des services environnementaux aux industries d’exploration et d’exploitation minière. Ce partenariat concilie le savoir traditionnel local et l’expertise technique et fournit des solutions globales à un large éventail de problèmes environnementaux.

La troisième organisation que j’aimerais mentionner est le CREED, le programme de développement de l’entrepreneuriat immobilier cri du gouvernement cri d’Eeyou Istchee. Au nord du village de Nemaska, près de la baie James, mais bien au sud-ouest de l’entreprise AEL, au Nunavik, le Grand Conseil des Cris accorde un financement important aux entrepreneurs cris locaux.

Le programme CREED accorde jusqu’à 100 000 $ aux bénéficiaires de la Convention de la Baie James et du Nord québécois dont les entreprises sont basées et exploitées dans l’Eeyou Istchee, à condition qu’elles mènent leurs activités dans les domaines de la construction de maisons privées, de la rénovation, des matériaux pour la maison, des services financiers, de l’aménagement paysager et de la conception, ainsi que de l’immobilier commercial.

Comme l’a dit le grand chef Abel Bosum lors de l’étude préalable du comité sénatorial sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, en 2021 :

C’est précisément parce que nos droits ont été reconnus et que nous sommes reconnus comme des acteurs valables en matière d’économie et de la vie politique dans notre région que nous avons contribué à la coexistence pacifique et à l’harmonie sociale.

Avant de conclure, je raconte rapidement l’histoire de quatre entreprises autochtones plus petites et dignes de mention qui sont établies au Québec : un restaurant, une librairie, une marque de produits de beauté et une designer de renommée internationale.

La prochaine fois que vous passerez près de Québec, faites une réservation à Sagamité, un restaurant appartenant à des Autochtones. L’emplacement d’origine se trouve à Wendake — un endroit que notre collègue, la sénatrice Audette, connaît très bien —, une réserve urbaine située à 25 minutes au nord-ouest du centre-ville de Québec, tandis que le deuxième emplacement est situé dans un bâtiment de pierres dans le Vieux-Québec. Les deux restaurants servent de la nourriture pour initier les invités à la culture huronne-wendat, le menu mettant en vedette le régime traditionnel de la Première Nation, constitué de gibier tel que le chevreuil, le caribou et l’orignal, ainsi que de poisson, de plantes indigènes, d’herbes et de petits fruits.

Avant qu’un incendie détruise l’emplacement d’origine, à Wendake, en 2018, l’entreprise avait vu ses profits augmenter de 20 % à 35 % par année. Le propriétaire, Steeve Wadohandik, a transformé l’incendie en une occasion d’agrandissement. Il a doublé le nombre d’employés et recruté des membres de la collectivité de Wendake. Sa partenaire et lui sont maintenant également propriétaires de deux hôtels-boutiques situés à proximité du restaurant Sagamité, dans le Vieux-Québec.

Une autre entreprise, plus petite, celle-là, s’appelle Sequoia. C’est une marque de produits de beauté autochtone fondée par Michaelee Lazore en 2002. L’entreprise est détenue et gérée entièrement par des femmes autochtones. Ses produits sont parfumés au foin d’odeur, au cèdre, au trèfle rouge, à la mûre et à la sauge. La conception, la production et l’emballage se font localement. La production est durable et les ingrédients proviennent de sources éthiques. L’entreprise a maintenant une boutique à Kahnawake et vend également ses produits en ligne dans toute l’Amérique du Nord.

[Français]

La troisième entreprise est la librairie Hannenorak, qui est également située à Wendake. C’est la seule librairie située dans une communauté autochtone au Québec.

La librairie comprend une section spéciale pour les livres autochtones, dont certains ont reçu le Prix du Gouverneur général.

[Traduction]

En terminant, vous avez peut-être entendu parler de la designer mohawk Tammy Beauvais. C’est une artisane et créatrice de quatrième génération. Son atelier est situé à Kahnawake. Sophie Grégoire Trudeau possède l’une de ses capes. En 2016, elle a donné en cadeau une cape brodée par Mme Beauvais à Michelle Obama. La designer y avait brodé trois perles de verre provenant de son arrière-grand-mère. Sur le site Web de la designer, on peut voir ses créations personnalisées comme des robes à plume, des sacs, des cravates, des couvertures et des bijoux. Le site Web présente aussi les créations d’autres designers autochtones.

[Français]

En conclusion, les exemples dont je viens de parler ne représentent qu’une infime partie des contributions des entreprises autochtones, mais elles représentent aussi l’espoir qu’elles serviront d’exemples pour d’autres entrepreneurs autochtones.

Je vous remercie, sénateur Klyne, d’avoir lancé cette interpellation. Nous devons valoriser les réussites économiques des peuples autochtones et travailler ensemble pour faire de la réconciliation économique une réalité. Lorsque les entreprises autochtones prospèrent, tous les Canadiens prospèrent.

J’appuie également le projet de loi C-45, qui a été déposé aujourd’hui et qui vise à doter les communautés autochtones d’instruments encore plus modernes et efficaces afin de créer de la richesse autochtone. Merci. Meegwetch.

(Sur la motion du sénateur Patterson (Nunavut), le débat est ajourné.)

(À 21 h 58, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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