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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 137

Le mercredi 21 juin 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le mercredi 21 juin 2023

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

Les victimes de la tragédie

Petawawa—Minute de silence

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, nous avons tous été attristés d’apprendre l’écrasement d’un hélicoptère militaire survenu hier près de Petawawa, qui a fait deux morts et deux blessés parmi les membres de l’équipage.

Nos pensées vont à leurs amis et à leurs familles, ainsi que tous les membres des Forces armées canadiennes, et nous exprimons nos condoléances pour ceux qui ont perdu la vie et nos espoirs de rétablissement complet pour les blessés.

Honorables sénateurs, veuillez vous joindre à moi pour observer une minute de silence à la mémoire de ceux qui n’ont pas survécu à ce tragique incident.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

[Français]

Son Honneur la Présidente : Merci, chers collègues.


[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

L’Aviation royale canadienne—L’écrasement d’un hélicoptère du 450e Escadron tactique d’hélicoptères

L’honorable Rebecca Patterson : Honorables sénateurs :

J’ai rompu les lourdes attaches de la terre

et j’ai dansé dans le ciel sur des ailes joyeuses;

Ainsi débute Vol à haute altitude, le poème des aviateurs et poème officiel de l’Aviation royale canadienne. Nous avons appris aujourd’hui que deux membres de l’armée de l’air ont rompu les lourdes attaches de la vie. L’hélicoptère CH-147F Chinook à bord duquel ils se trouvaient, et qui appartenait au 450e Escadron tactique d’hélicoptères de la garnison de Petawawa, en Ontario, s’est écrasé hier, le 20 juin 2023. Deux des quatre membres de l’équipage ont survécu et ils ont été secourus par les pompiers de la base, avec l’aide des secours civils et le soutien de la 8e Escadre Trenton. Les deux survivants ont été amenés dans un hôpital de Pembroke et ils ont déjà eu leur congé. Ils sont suivis par le personnel médical de l’Aviation royale canadienne et leurs camarades.

Pour avoir moi-même déjà commandé le Groupe des services de santé des Forces armées canadiennes, je sais que les deux survivants et leurs coéquipiers seront bien traités. À titre de sénatrice ontarienne, je tiens à remercier tous ceux et celles, civils ou militaires, qui ont participé aux recherches, au sauvetage et au traitement de l’équipage du Chinook. Par-dessus tout, la vétérane, la mère de soldat et l’épouse d’un membre actif de l’Aviation royale canadienne sait à quel point les Forces armées canadiennes forment une famille unie.

Nous savons que le service ne concerne pas seulement les membres des Forces armées canadiennes, mais aussi leur collectivité. Nous ne servons pas seuls. Je dis à la famille, aux proches, aux amis et aux camarades des disparus que nous pleurons votre perte et nous sommes à vos côtés dans votre deuil.

Honorables sénateurs, les Forces armées canadiennes sont véritablement une famille, peu importe que vous ayez servi dans l’aviation, la marine ou l’armée, et en période de tragédie, les familles se serrent les coudes et s’entraident. Je vous demande donc, à vous, ma nouvelle famille au Sénat, de vous joindre à moi et de garder dans votre cœur et dans votre esprit les personnes touchées par ce tragique accident.

En terminant, j’aimerais citer à nouveau le poème des aviateurs :

Toujours plus haut dans le bleu délirant qui enflamme,

j’ai chevauché les hauteurs du vent avec aisance

là où jamais l’alouette ni l’aigle n’atteignirent.

Et tandis que dans le silence serein j’ai touché

le grand espace sacré, inviolé,

j’ai tendu la main et effleuré le visage de Dieu.

Nous ne les oublierons jamais. Merci.

Des voix : Bravo!

La Journée nationale des peuples autochtones

L’honorable Margo Greenwood, O.C.

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénateurs, à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones, j’aimerais offrir mes sincères félicitations à notre très distinguée collègue la sénatrice Margo Greenwood, qui a été reçue officière de l’Ordre du Canada ce matin même.

J’aimerais prendre quelques instants pour parler de la Journée nationale des peuples autochtones, et plus particulièrement de nos huit collègues autochtones. Nous leur sommes d’ailleurs reconnaissants de leur contribution de même que des connaissances et des points de vue dont ils font bénéficier le Sénat. Les travaux de la sénatrice Greenwood ont permis de trouver des pistes de solutions, coordonnées par les Autochtones eux-mêmes, qui ont amélioré la qualité de vie d’innombrables Autochtones au Canada et à l’étranger. Rappelons que le grade d’officier est le deuxième en importance de l’Ordre du Canada. Il permet de souligner les réalisations d’éminents Canadiens et leur contribution exceptionnelle à certains domaines. Dans le cas de la sénatrice Greenwood, il témoigne de la grande utilité de tout ce qu’elle a fait, entre autres, pour améliorer la santé et le bien-être des Autochtones.

Fière membre de la nation crie, la sénatrice Greenwood est une ardente défenseure des peuples autochtones et de leurs droits. Sa grande expertise dans le domaine de la santé des Autochtones et des déterminants sociaux de la santé fait sa renommée dans notre pays et à l’étranger. L’accomplissement que nous soulignons aujourd’hui n’est toutefois qu’un seul des nombreux prix et distinctions qu’elle a reçus au cours de sa carrière. Son aptitude et son énergie à défendre les causes qui nourrissent sa vision des choses sont une véritable source d’inspiration.

Jeudi dernier, dans son premier discours, la sénatrice Greenwood a déclaré ce qui suit :

Il est de ma responsabilité, en tant que sénatrice, de faire avancer la cause de la réconciliation chaque fois que cela est possible, y compris aujourd’hui et tous les jours.

Ce prix est à la fois un rappel et une occasion de réfléchir au passé et de s’engager à bâtir un avenir meilleur pour tous les Canadiens — un avenir qui est axé sur les principes de la vérité, de la réconciliation et du respect. L’engagement de la sénatrice Greenwood à l’égard de ces principes est non seulement une source d’inspiration, mais aussi un moteur de changement. Comme l’aventure de la sénatrice Greenwood au Sénat ne fait que commencer, célébrons également le fait qu’elle continuera à défendre vigoureusement les intérêts des peuples autochtones et de tous les Canadiens au Sénat. Nous avons hâte de travailler avec elle pour bâtir un avenir plus juste et plus équitable pour tous.

Au nom de tous vos collègues du Groupe des sénateurs indépendants, je vous félicite chaleureusement, sénatrice Greenwood. Nous sommes honorés de vous compter parmi nos collègues et amis. Hiy hiy.

Des voix : Bravo!

(1410)

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune du fils de la sénatrice Greenwood, Reid Church, et de sa petite-fille, Everly Church.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Journée nationale des peuples autochtones

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole pour souligner la Journée nationale des peuples autochtones — une journée pour célébrer l’histoire, la diversité et les réalisations des Premières Nations, des Inuits et des Métis du Canada. Permettez-moi également de saluer la sénatrice Greenwood pour ses incroyables réalisations à ce jour.

Aujourd’hui, nous rendons hommage aux innombrables Autochtones de tous les horizons, dont les contributions et les réalisations ont amélioré la vie de leur propre peuple et de tous les Canadiens.

De nombreuses personnes inspirantes ont ouvert la voie et continuent de le faire. Je ne pourrai pas toutes les citer aujourd’hui. Toutefois, je souhaite saluer tout particulièrement le service et le sacrifice des courageux vétérans autochtones, et tout spécialement ceux ayant participé à la guerre de Corée, auxquels moi et des millions de personnes d’origine coréenne devons la vie.

L’un de ces vétérans est le regretté Tommy Prince, qui a servi non seulement pendant la guerre de Corée, mais aussi pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est le héros de guerre autochtone canadien le plus décoré. Aujourd’hui et toujours, nous devons nous souvenir de nos ancêtres, de nos aînés et de tous ceux qui se sont battus pour la liberté et la démocratie.

Au Canada, il y a tant de membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis — hommes et femmes — qui sont une source d’inspiration. J’encourage tout le monde, surtout aujourd’hui, à prendre le temps de s’informer et de lire au sujet des nombreuses contributions des peuples autochtones.

Depuis le début de notre histoire, les rapports entre les peuples autochtones et le Canada sont complexes. Il est donc important aujourd’hui, à l’occasion de la Journée nationale des peuples autochtones, de souligner la contribution exceptionnelle de ces peuples à notre pays ainsi que leur extraordinaire résilience. Tournons-nous donc vers l’avenir pour témoigner notre plus profonde gratitude et notre plus grand respect à ces Canadiens remarquables. Je vous remercie.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de participants au Programme de perfectionnement professionnel pour les cadres inuits du gouvernement du Nunavut. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Patterson (Nunavut).

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Programme de perfectionnement professionnel pour les cadres inuits

L’honorable Dennis Glen Patterson : Honorables sénateurs, j’ai le grand plaisir de saluer aujourd’hui les grands dirigeants inuits de demain.

Aujourd’hui, j’ai eu l’honneur de rencontrer les participants du Programme de perfectionnement professionnel pour les cadres inuits. Ce programme, qui a été créé par le gouvernement du Nunavut, vise à accroître le nombre de dirigeants inuits. Il contribue au perfectionnement professionnel des Inuits et à leur nomination dans des postes de cadres supérieurs et de hauts dirigeants.

Ce programme a été lancé en septembre 2021 et il compte actuellement 11 participants, qui devraient terminer en décembre 2023.

D’une durée de trois ans, ce programme aide les participants, des fonctionnaires du gouvernement du Nunavut, à obtenir un diplôme d’études supérieures en leadership et gestion de l’Université Athabasca. Il offre une série complète de services de soutien, comme des voyages d’études, la possibilité de consulter des mentors spécialisés et des aînés ainsi que de la formation en langue inuktitute personnalisée.

J’ai eu le grand privilège de leur parler du rôle du Sénat et de mon propre rôle de défenseur des intérêts des Nunavummiuts. Ce matin, nous avons eu de franches discussions sur les grands défis que doit relever notre territoire ainsi que les extraordinaires possibilités qu’il offre.

Pour réaliser ce dont nous rêvons pour le Nunavut, une masse critique de cadres inuits est essentielle. Au sein du gouvernement et dans tous les secteurs d’activité, il ne faut pas que les emplois autochtones se limitent à des emplois de premier échelon ou à des emplois non spécialisés. Il doit aussi y avoir des postes de travailleur manuel spécialisé, de travailleur qualifié et de gestionnaire. Les Autochtones doivent être présents dans des postes de cadre dirigeant. C’est ainsi que l’on obtient un changement à long terme et une modification du statu quo. Voilà pourquoi je suis si heureux de saluer et d’accueillir ce groupe ici aujourd’hui.

Enfin, honorables collègues, je tiens à vous souhaiter à tous une bonne Journée nationale des peuples autochtones en ce jour très spécial — le jour le plus long de l’année, pendant lequel, dans la majeure partie du Nunavut, la lumière du jour resplendit 24 heures d’affilée. Je suis ravi de vous présenter ces futurs dirigeants du Nunavut — dont la plupart, comme vous l’avez sans doute remarqué, sont des femmes — en cette très importante journée nationale de célébration des peuples autochtones.

[Note de la rédaction : Le sénateur Patterson (Nunavut) s’exprime en inuktut.]

Merci. Qujannamik.

La Journée de l’imamat

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, le 11 juillet, les musulmans ismaéliens du Canada et du monde se réuniront pour célébrer la Journée de l’imamat, qui commémore la journée où Son Altesse le prince Karim Aga Khan a succédé à son grand-père et est devenu le 49e chef spirituel héréditaire des musulmans ismaéliens.

Depuis 66 ans, beaucoup de choses ont changé, mais la détermination avec laquelle l’Aga Khan s’emploie à améliorer le sort non seulement des musulmans ismaéliens, mais de toutes les personnes vulnérables de la planète, demeure inébranlable.

Depuis plus de six décennies et demie, l’Aga Khan suit les traces de son grand-père en assurant l’éducation des jeunes filles et en défendant l’égalité entre les hommes et les femmes. C’est grâce aux préceptes et aux réalisations de l’Aga Khan et de son grand-père que ma mère a pu aller à l’école. C’est aussi grâce à eux que mes sœurs et moi avons pu profiter des mêmes possibilités que mon frère. Personnellement, je n’aurais pas l’honneur et le privilège de me trouver ici aujourd’hui si l’Aga Khan n’avait pas cru aussi fort à l’éducation des femmes et s’il ne s’était pas autant investi dans cette cause.

Son Altesse l’Aga Khan s’était aussi organisé avec le premier ministre de l’époque, Pierre Elliott Trudeau, pour que des milliers de réfugiés ougandais puissent demander l’asile au Canada. Il a trouvé le meilleur pays du monde pour ma famille et pour de nombreuses familles ismaéliennes de partout dans le monde et il nous a encouragés à toujours considérer le Canada comme notre terre d’accueil permanente.

À l’un des moments les plus difficiles de nos vies, l’Aga Khan nous a recommandé de ne jamais devenir une minorité démotivée et marginalisée. Il nous a plutôt encouragés à montrer la volonté de rebâtir notre avenir et c’est précisément ce que nous avons fait.

Honorables sénateurs, l’Aga Khan a consacré toute sa vie adulte au service d’autrui. Il a été une source d’espoir à des moments extrêmement éprouvants et conflictuels de l’histoire mondiale, et il continue d’être un agent de changement en faisant la promotion du pluralisme et de la diversité et en incitant le monde à considérer la différence non comme une faiblesse, mais plutôt comme une puissante force positive. Voici ce qu’il a dit :

La diversité n’est pas une raison de dresser de murs, mais plutôt d’ouvrir des fenêtres. Ce n’est pas un fardeau, mais une bénédiction.

Honorables sénateurs, à l’occasion de la Journée de l’imamat, je suis persuadée que vous vous joindrez à moi pour remercier l’Aga Khan de nous avoir incités à faire de l’espace les uns pour les autres, à comprendre et à accepter nos différences et à trouver des moyens de bâtir et de grandir grâce à celles-ci.

À mes frères et sœurs ismaéliens du monde entier, je dis khushali mubarak. Merci.


AFFAIRES COURANTES

Projet de loi sur la protection des chevaux

Projet de loi modificatif—Première lecture

L’honorable Pierre J. Dalphond dépose le projet de loi S-270, Loi modifiant la Loi sur la santé des animaux et le Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (chevaux vivants).

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

(1420)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Dalphond, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après‑demain.)

[Français]

L’Assemblée parlementaire de la Francophonie

La réunion de la Commission des affaires parlementaires de l’APF, tenue du 23 au 25 mai 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant la réunion de la Commission des affaires parlementaires de l’APF, tenue à Bruxelles, en Belgique, du 23 au 25 mai 2022.

Le Groupe de travail sur la réforme des Statuts de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, tenu les 3 et 4 novembre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant le Groupe de travail sur la réforme des Statuts de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, tenu à Paris, en France, les 3 et 4 novembre 2022.

La Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, tenue les 10 et 11 novembre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant la vingt‑septième Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, tenue à Charm el-Cheikh, en Égypte, les 10 et 11 novembre 2022.

Le Sommet de la Francophonie, tenu du 18 au 20 novembre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant le dix‑huitième Sommet de la Francophonie, tenu à Djerba, en Tunisie, du 18 au 20 novembre 2022.

L’Atelier de leadership pour femmes parlementaires francophones, tenu du 12 au 16 décembre 2022—Dépôt du rapport

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, le rapport de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie concernant l’Atelier de leadership pour femmes parlementaires francophones, tenu à Paris, en France, du 12 au 16 décembre 2022.


[Traduction]

PÉRIODE DES QUESTIONS

La sécurité publique

Les coûts des procédures judiciaires

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Sénateur Gold, je vais lire pour le compte-rendu une partie d’un article de la Gazette de Montréal datant du 13 août 2021. Il concerne une affaire portée devant les tribunaux par les familles de Kristen French et Leslie Mahaffy afin d’obtenir des informations auprès de la Commission des libérations conditionnelles du Canada et de Service correctionnel Canada alors qu’elles se préparaient en vue des audiences de libération conditionnelle de Paul Bernardo. On peut y lire ceci :

Victorieux sur le plan juridique, le gouvernement a demandé aux familles de lui rembourser les frais qu’il a encourus pour défendre la vie privée du tueur devant les tribunaux — une somme forfaitaire de 19 142,27 $.

Les avocats du gouvernement ont déclaré que les familles n’agissaient pas dans l’intérêt public, mais dans leur intérêt personnel. Selon le gouvernement, « elles ont l’intention d’utiliser l’information obtenue pour faire des déclarations devant la commission ».

J’ai de la difficulté à même aborder ce sujet, monsieur le leader. Il est tellement honteux et horrible que ces familles aient été torturées ainsi par le gouvernement.

Monsieur le leader, votre gouvernement voulait que ces familles paient ses frais juridiques parce qu’elles en faisaient une affaire personnelle. C’est en effet une affaire personnelle pour elles parce que leurs filles ont été torturées, violées et assassinées.

Le juge a par la suite réduit la somme à payer. Il n’en demeure pas moins qu’il était injuste de chercher à récupérer le moindre dollar, n’est-ce pas, monsieur le leader?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie d’avoir soulevé cette question à nouveau, sénateur Plett. Il est difficile de comprendre la douleur que les familles de Kristen French et Leslie Mahaffy ont dû éprouver. Nous continuons de l’éprouver avec elles alors qu’elles revivent la tragédie qui les a touchées.

Je ne suis pas en mesure de commenter les positions prises par le gouvernement dans le passé à l’égard d’affaires judiciaires. Cependant, en tant que représentant du gouvernement au Sénat, je comprends les préoccupations qu’elles suscitent et je vais certainement me renseigner pour mieux comprendre les circonstances qui y ont mené.

Le Service correctionnel du Canada—Le transfert d’un détenu

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Préoccupations? « Les préoccupations qu’elles suscitent? »

Monsieur le leader, dans une réponse différée du ministère de la Justice déposée l’automne dernier, la Commission des libérations conditionnelles a dit qu’elle était consciente des inquiétudes concernant les coûts. Les coûts n’avaient pas été perçus, et la Commission des libérations conditionnelles étudiait la question. La réponse a été déposée plus d’un an après la fin de la première poursuite judiciaire dans ce dossier. Pourtant, la Commission des libérations conditionnelles n’en était encore qu’à l’étape d’« étudier la question ».

Les coûts n’auraient jamais dû être perçus. Or, vous avez raison de dire que ces familles continuent de souffrir. Pourquoi? Parce que le gouvernement a maintenant décidé — mais sans l’annoncer — qu’il est acceptable, pour une raison ou une autre, de transférer ce meurtrier vers une institution à sécurité moyenne. Le gouvernement a le culot de dire qu’il n’a aucun recours.

Monsieur le leader, contrairement à ce que vous avez déclaré hier, le ministre Mendicino n’a pas expliqué ce qu’il entend par les « mesures correctives » qui ont été prises à l’égard du personnel. La responsabilité ultime incombe au ministre.

Je le répète, contrairement à ce que vous avez déclaré hier, monsieur le leader, il est impossible de savoir à quelle date Katie Telford a été mise au courant du transfert de Paul Bernardo. Lors de son témoignage devant le comité de la Chambre des communes, elle avait pourtant affirmé que rien n’est caché à son patron, le premier ministre Trudeau.

Monsieur le leader, les Canadiens veulent savoir ce qui se passe. Quelles sont les réponses à mes questions, monsieur le leader? Quelles sont les « mesures correctives » mises en place par le ministre Mendicino? À quelle date Katie Telford a-t-elle été mise au courant? Ce sont des questions simples qui méritent des réponses claires.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de vos questions. J’ai répondu de mon mieux hier, mais je pense que les Canadiens doivent aussi savoir que, malgré les déclarations que vous avez faites et vos sous‑entendus, le Service correctionnel du Canada fonctionne indépendamment du gouvernement, tout comme la Commission des libérations conditionnelles du Canada, où j’ai servi honorablement, je l’espère, et certainement avec un grand privilège, après avoir été nommé par le gouvernement précédent. Les décisions de la Commission des libérations conditionnelles sont ses propres décisions. Elles ne sont pas dictées par le ministre et ne devraient pas l’être.

Quant aux décisions du Service correctionnel du Canada quand il s’agit d’évaluer le risque et de décider s’il convient ou non de transférer un détenu d’un établissement à un autre, elles sont prises, encore une fois, en fonction des critères établis dans la loi et appliquées de façon objective, impartiale et, plus important encore, indépendamment du ministre. Les Canadiens doivent le comprendre.

La souffrance que vivent les familles de Kristin French et Leslie Mahaffy les accompagnera, tragiquement, à tout jamais. Il est également important que les Canadiens comprennent que le système démocratique dans lequel nous vivons et dont nous dépendons établit des distinctions entre ce qu’il est convenable ou non, pour le gouvernement et les politiciens, d’ordonner.

[Français]

La défense nationale

La souveraineté dans l’Arctique

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, le Comité permanent de la défense nationale est très préoccupé par la sécurité en Arctique, comme vous le savez. Lors de sa participation à la période des questions du Sénat, la ministre responsable de la Garde côtière canadienne a affirmé qu’elle fournirait une estimation des coûts pour l’acquisition de deux brise-glaces de classe polaire.

Or, dans une réponse déposée en Chambre hier, son ministère refuse de rendre publics ces renseignements. L’une des excuses évoquées est que votre gouvernement n’a pas encore signé de contrat avec Davie ou le chantier naval de Vancouver. Pourtant, le gouvernement Trudeau a dévoilé les coûts estimatifs des bâtiments de combat et de surface, et ce, même si aucun contrat n’a été signé.

Expliquez-moi la logique, monsieur le leader. Pourquoi d’un côté, le gouvernement a-t-il donné des coûts sur la construction de navires de guerre alors qu’il n’a aucune estimation des coûts pour les brise-glaces polaires?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question, sénateur.

Je n’ai pas l’information que vous me demandez. Lorsque le gouvernement a l’information sur les coûts, comme vous l’avez souligné, elle est divulguée publiquement.

Je vais donc m’informer davantage pour obtenir une réponse plus précise à votre question.

Le sénateur Boisvenu : Merci, parce que je vais donner une piste de solution au sénateur Gold.

Sénateur Gold, vous savez qu’on a un besoin urgent, au Canada, aussi bien de navires de guerre que de classe polaire pour briser la glace dans le Nord.

(1430)

On sait que c’est une question d’emplois, mais c’est aussi une question de capacité des Canadiens à payer ces navires, donc c’est très important d’avoir une estimation. Alors, pourquoi le directeur parlementaire du budget a-t-il déjà fourni une estimation du coût de la construction de ces navires qui s’élèverait à 7 milliards de dollars?

Ma question est la suivante : si le directeur parlementaire du budget peut publier l’estimation du coût de ces deux navires, pourquoi la ministre et le gouvernement ne le peuvent-ils pas? Est‑ce que la ministre n’aurait pas avantage à donner un coup de téléphone au directeur parlementaire du budget, peut-être qu’il aurait la réponse à sa question?

Le sénateur Gold : Merci pour la question. Pour ce qui est des négociations avec le gouvernement et les fournisseurs potentiels, je n’ai pas l’information à ce sujet, mais je vous remercie de la suggestion et j’ajouterai cela à mes démarches auprès du gouvernement.

[Traduction]

La sécurité publique

Le Cadre national en matière de détention liée à l’immigration

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Ma question s’adresse aussi au représentant du gouvernement.

Monsieur le leader, mon intervention fait suite à la question de la sénatrice Pate au sujet de la détention de réfugiés. Il y a 50 ans, j’étais une réfugiée ougandaise qui savait qu’elle allait trouver asile dans le meilleur pays du monde, le Canada. Aujourd’hui, il est ahurissant d’apprendre que le gouvernement a conclu des ententes avec les gouvernements provinciaux pour que les prisons provinciales accueillent des centaines de demandeurs d’asile et de migrants. J’ai des frissons rien qu’à imaginer ce qui serait arrivé à mes chers parents et à leurs cinq enfants si nous avions été détenus. Nous aurions été détruits et nous n’aurions jamais pu nous épanouir dans ce beau pays comme nous l’avons fait.

Ces derniers jours, l’Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont annoncé qu’ils mettaient fin aux contrats de détention ayant été conclus avec l’Agence des services frontaliers du Canada. Ces provinces s’ajoutent à la Colombie-Britannique, à l’Alberta, à la Saskatchewan, au Manitoba et à la Nouvelle-Écosse — soit, en tout, huit provinces —, qui ont annulé leurs contrats. De leur côté, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard ne l’ont toujours pas fait.

Selon les dernières données de l’Agence des services frontaliers du Canada, au deuxième trimestre de l’exercice 2022-2023, ces provinces n’avaient aucun détenu. Cela dit, il est tout de même essentiel que le gouvernement fédéral mette en œuvre une stratégie fédérale.

À titre d’information, monsieur le leader, pendant la pandémie de COVID-19, le nombre de détentions a chuté radicalement. Or, les gens se présentaient tout de même à leurs audiences d’immigration.

Monsieur le leader, la semaine dernière, la sénatrice Pate vous a posé presque la même question, et je la répète : pourquoi le gouvernement continue-t-il à détenir des personnes vulnérables et marginalisées qui n’ont commis aucun crime?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Malheureusement, je n’ai pas de nouvelles informations à ajouter aux réponses que j’ai fournies à notre collègue la sénatrice Pate.

Le Canada a une politique d’accueil et de justice à l’égard des réfugiés. Cela inclut l’obligation, lorsque nous les recevons, de les loger et de les accueillir de la manière la plus appropriée et la plus digne possible. À cet égard, je crois savoir que le gouvernement du Canada est en discussion permanente avec les provinces et les territoires qui n’ont pas encore modifié leurs politiques, que vous avez mentionnées, en vue de continuer à améliorer notre manière d’accueillir, de loger et de traiter les demandeurs d’asile dans notre pays.

La sénatrice Jaffer : Merci, monsieur le leader. Vous avez parlé du genre de choses que j’aimerais voir. Lorsque ma famille est arrivée au pays, nous avons aussi été logés et traités avec beaucoup de compassion. Cependant, monsieur le leader, ce n’est pas ce qu’ont vécu certains réfugiés; je dis bien certains réfugiés, et non tous les réfugiés. La semaine dernière, vous avez dit que le gouvernement envisage de mettre en place une directive pour mettre fin à la détention de mineurs et pour améliorer les services de santé offerts aux demandeurs d’asile et aux migrants.

Pourquoi le gouvernement ne s’emploie-t-il pas également à revoir l’ensemble des pratiques de détention des réfugiés, des demandeurs et des migrants dans les prisons du Canada?

Monsieur le leader, je sais ce que vous avez dit. Je ne m’attends pas à une réponse de votre part, compte tenu de ce vous avez déjà dit. Cela dit, je ne veux pas être impolie, mais puis-je vous demander respectueusement de vous entretenir avec le gouvernement, ce que vous faites régulièrement, pour lui demander combien de temps cela va durer, et de nous transmettre la réponse par la suite? Merci, monsieur le leader.

Le sénateur Gold : Je vais le faire, certainement. Merci.

Le nombre disproportionné d’Autochtones incarcérés

L’honorable Kim Pate : Ma question s’adresse au sénateur Gold.

Sénateur, la Journée nationale des peuples autochtones, que l’on souligne aujourd’hui, est l’occasion de réfléchir au colonialisme et de célébrer les réalisations exceptionnelles des peuples autochtones. Je suis consciente qu’au moment où je vous parle, les hommes autochtones représentent un détenu sur trois dans les établissements carcéraux fédéraux du pays. Les femmes autochtones, elles, forment la moitié de la population carcérale féminine fédérale, et 95 % d’entre elles sont en isolement dans une unité d’intervention structurée. De surcroît, étant donné l’essor démographique des jeunes, ces chiffres ne pourront que grimper.

Je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que le gouvernement entend faire pour s’attaquer au problème de l’incarcération massive et la surreprésentation des peuples autochtones à toutes les étapes et pour chacun des éléments néfastes de l’appareil judiciaire, dans l’espoir qu’un jour, le système de justice soit effectivement juste.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Il s’agit d’un véritable problème. Vous êtes d’ailleurs nombreux à m’en avoir parlé, et avec raison. Il y a environ 12 400 détenus dans les établissements carcéraux gérés par le Service correctionnel du Canada, dont 32 % sont Autochtones.

Le gouvernement a pris de nombreuses mesures, dans divers domaines, pour corriger les injustices historiques et leurs répercussions intergénérationnelles sur les familles et les communautés.

Ce matin, j’ai eu le plaisir d’assister au déploiement et au lever du Drapeau des survivants en compagnie de chefs autochtones, de sénateurs et de collègues d’ici et de l’autre endroit. Quelles que soient les mesures prises, le gouvernement a à cœur de nous montrer la voie sur le chemin de la réconciliation et de nous y accompagner dans la mesure de ses moyens.

Personne ne sait précisément ce que l’avenir nous réserve, mais le gouvernement du Canada continuera à miser sur des initiatives visant à réduire la surreprésentation des Autochtones et des personnes noires et racisées au sein de l’appareil judiciaire du Canada.

La sénatrice Pate : Merci. Je reconnais qu’il y a eu beaucoup de discussions et de bonnes intentions autour de cette question. Je sors justement d’une réunion avec des dirigeants autochtones. Voici la question concrète et pertinente qu’ils se posent : de quel pourcentage le gouvernement s’engagera-t-il à réduire la population carcérale autochtone d’ici un an, jour pour jour?

Le sénateur Gold : Merci de cette question. Je comprends la question et je suis sensible au problème, mais il est impossible de le savoir.

Tout d’abord, l’administration de la justice est du ressort des provinces et des territoires. Les poursuites pénales relèvent, dans une large mesure, des provinces et des territoires. La détermination de la peine des personnes reconnues coupables relève de l’appareil judiciaire. De nombreuses affaires judiciaires sont portées devant des tribunaux qui sont constitués à l’échelle provinciale, et non devant des tribunaux supérieurs qui relèvent de la compétence fédérale. Le maintien de l’ordre est, dans une large mesure, une responsabilité locale.

Le gouvernement du Canada joue un rôle structurant. Il fait ce qu’il a à faire. Il est tout simplement impossible de fixer un pourcentage, mais ce que le gouvernement peut faire, ce qu’il devrait faire et ce qu’il fait bel et bien, c’est prendre des mesures concrètes, qu’il s’agisse d’apporter des réformes judiciaires, d’adopter des projets de loi pour réduire les peines obligatoires sans toutefois les éliminer complètement, de proposer des solutions de rechange à l’incarcération, d’apporter une aide aux provinces et aux territoires afin que les réseaux de services sociaux soient plus solides et mieux à même de jouer leur rôle, ou encore de soutenir les services de police autochtones. La liste est longue.

Aucune mesure ne constitue une panacée ou une solution miracle. Dans l’ensemble, espérons qu’elles changeront les choses et engageons-nous à agir en ce sens.

[Français]

La défense nationale

L’équipement militaire

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Le journal La Presse nous apprend que des soldats canadiens basés en Lettonie ont été obligés de payer de leur poche pour obtenir des casques pour atténuer le son, des ceintures pour les munitions et des imperméables afin d’être à la hauteur de leur mission.

Bien que ce ne soit pas la première fois que j’aborde le sujet, je fais mienne l’observation de la journaliste Stéphanie Grammond qui dit que c’est une vraie honte. On ne parle pas ici de se procurer des avions de chasse ni des sous-marins, mais bien de l’équipement de base facile à trouver sur le marché.

(1440)

Nos soldats sont victimes de la lourdeur bureaucratique de Services publics et Approvisionnement Canada, qui passe plus de temps à discuter qu’à faire des choses, ce qui entraîne de nombreux dédoublements de coûts.

Donc, monsieur le leader, est-ce que votre premier ministre pourrait reconnaître la façon honteuse de traiter ces militaires en Lettonie et nous dire quand notre gouvernement entend mettre de l’ordre dans le service d’approvisionnement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie pour la question. Le système d’approvisionnement pose beaucoup de défis et d’enjeux et vous avez raison de le souligner. Cela étant, le gouvernement met la main à la pâte et travaille là-dessus, y compris avec l’appui financier des Forces armées canadiennes.

À cet égard, il faut rappeler que c’est ce gouvernement qui a augmenté l’appui financier à nos forces armées, d’année en année. Le pourcentage de notre produit intérieur brut consacré à la défense continue à augmenter. Il y a beaucoup de travail à faire, y compris régler les problèmes que vous avez soulignés, mais le gouvernement est au courant de cela et il travaille là-dessus.

Le sénateur Dagenais : Le gouvernement que vous représentez dit avoir développé une politique économique fondée sur les pays d’Indochine pour contrer la puissance de la Chine en Asie‑Pacifique. Le même texte, dans le journal La Presse, nous apprend que les retards qui s’accumulent dans l’achat d’équipement et le sous-investissement militaire font en sorte que le Canada n’est pas admis à joindre l’AUKUS, soit l’alliance entre l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, qui a été mise sur pied en 2021 pour contrer la puissance chinoise.

Doit-on déduire que le Canada et son armée ne sont plus assez fiables pour faire partie de certaines alliances stratégiques avec certaines grandes puissances mondiales?

Le sénateur Gold : Non; la réponse est non. C’est vrai qu’il y a des défis, que vous avez soulignés, dans nos forces armées, mais ce n’est pas vrai que nous ne sommes pas prêts à jouer notre rôle. Au contraire, nous avons des partenariats de longue date avec un grand nombre d’alliés, y compris ceux qui sont dans cette région.

Comme je l’ai expliqué auparavant dans le cadre d’une réponse à une question sur le même sujet, il y a des raisons très particulières pour lesquelles le Canada ne faisait pas partie de ce petit groupe; il s’agit des sous-marins nucléaires qui étaient au cœur de cette organisation. Cela étant dit, le Canada continue de jouer son rôle important partout, surtout en défendant nos intérêts dans l’Asie‑Pacifique.

Les services aux Autochtones

Les services dans des langues autochtones

L’honorable Pierre J. Dalphond : Au nom de la sénatrice Audette, cette question s’adresse au représentant du gouvernement.

Comme vous le savez, sénateur Gold, les peuples autochtones habitent partout au Canada et ils ont une diversité de culture, d’expériences et de modes de vie. Certains parlent encore leur langue, d’autres doivent se battre fort pour préserver ce savoir si vulnérable et si important. Certains ont dû apprendre l’anglais comme langue coloniale, d’autres se sont vu imposer le français.

Au Québec, environ la moitié des communautés des Premières Nations utilisent le français comme première langue et comme deuxième langue, leur première langue étant leur langue maternelle autochtone. Le gouvernement fédéral créé des programmes et des organismes autochtones où les réalités linguistiques des communautés autochtones du Québec sont évacuées. Tout se déroule en anglais et ainsi, les communautés n’ont pas le même accès à l’expertise et aux services de ces organismes, malgré le fait qu’il existe une Loi sur les langues officielles et une Loi sur les langues autochtones.

Comment le gouvernement entend-il répondre à la minorité d’une minorité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Aujourd’hui même, nous reconnaissons et célébrons l’histoire, le patrimoine, le dynamisme et la diversité des Premières Nations, des Inuits et des Métis de partout au Canada, y compris la langue et la culture, ce qui a été bien souligné ce matin à la cérémonie dont j’ai fait mention récemment.

À cet égard, la réappropriation et la revitalisation ainsi que le renforcement des langues autochtones sont au premier plan.

Compte tenu de notre passé, des systèmes et des enjeux, les défis pour les peuples autochtones du Québec sont parfois préoccupants entre les nations et le gouvernement du Québec, il faut l’admettre. Le gouvernement du Canada travaille à l’échelle fédérale afin d’évaluer et de renforcer la capacité des instances fédérales d’offrir des services et même des possibilités pour les membres des communautés autochtones de travailler dans leur langue et d’avoir accès à des services appropriés, compte tenu des défis que vous avez mentionnés.

La diversité linguistique, non seulement au Canada, mais aussi dans la province, est encore une fois une préoccupation importante. Le gouvernement du Canada travaille avec ses partenaires provinciaux et territoriaux, et ils vont continuer de travailler ensemble.

Le sénateur Dalphond : Sénateur Gold, est-ce que le gouvernement fédéral est prêt à s’engager, avec tous les sénateurs autochtones, à renforcer la Loi sur les langues autochtones et améliorer l’accès aux services en langue autochtone partout sur ce territoire, et ce, dans les meilleurs délais?

Le sénateur Gold : La réponse est oui, et je vais expliquer un peu comment cela pourrait se faire. La Loi sur les langues autochtones, qui a été adoptée en 2019 sous ce gouvernement, est une législation historique élaborée en collaboration avec des partenaires autochtones. Sa mise en œuvre se fait en partenariat continu avec des peuples autochtones qui connaissent le mieux leurs besoins en matière de revitalisation linguistique.

Le gouvernement du Canada reconnaît l’importance d’écouter et de prendre l’initiative de ses partenaires autochtones en ce qui concerne leurs priorités linguistiques. De plus, je note que l’article 49 de cette législation oblige à effectuer un examen indépendant triennal des dispositions et de l’application de la présente loi, des accords conclus avec les gouvernements et les organismes autochtones et les gouvernements provinciaux et territoriaux pour coordonner les efforts visant à soutenir les langues autochtones au Canada.

Je crois savoir que des travaux sont en cours dans ce domaine et l’examinateur qui est choisi de concert avec le Bureau du commissaire aux langues autochtones est obligé de consulter les gouvernements et les organismes autochtones au sujet des conclusions et des recommandations.

En plus, mon bureau et moi, nous offrons à ceux et celles qui sont intéressés — je l’ai déjà dit à l’une de vos collègues qui n’est pas ici aujourd’hui, alors je ne vais pas la nommer — de travailler avec eux ainsi qu’avec tous les sénateurs et sénatrices pour faire avancer ce dossier très important.

[Traduction]

La sécurité publique

L’ingérence étrangère

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, hier aux États‑Unis, trois hommes ont été reconnus coupables de diverses accusations relatives à l’opération « Fox Hunt », une action concertée de la part de Pékin en vue de menacer et d’intimider des expatriés pour les amener à retourner en Chine continentale afin que le régime autoritaire les prenne en charge pour l’avoir critiqué s’y être opposés. Les trois hommes étaient accusés d’avoir participé à des manœuvres d’intimidation ciblant un ancien fonctionnaire chinois qui vivait tranquillement au New Jersey, mais dont Pékin voulait le retour.

Des opérations semblables sont menées ici même, au Canada. Elles sont souvent facilitées par les postes de police illégaux que Pékin exploite un peu partout sur le territoire canadien. Alors qu’aux États-Unis, on s’affaire à poursuivre les agents étrangers qui terrorisent des personnes innocentes en territoire américain au nom de régimes étrangers malveillants, au Canada, on essaie de déterminer si le ministre responsable du dossier sait ce qui se passe au juste dans son ministère.

Monsieur le leader du gouvernement, le ministre a-t-il finalement été au fond des choses et sait-il si les postes de police illégaux en exploitation au Canada ont finalement été fermés? Pourquoi le ministre Mendicino a-t-il induit le Parlement en erreur il y a plusieurs semaines en disant que tous les postes de police illégaux au Canada avaient été fermés? Qu’est-il arrivé?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de me reposer cette question, que vous m’avez posée à maintes reprises. J’y réponds encore une fois, comme je l’ai fait précédemment.

(1450)

La GRC fait actuellement enquête sur ces allégations. Quand, le cas échéant, la GRC établira qu’il y a eu des infractions ou des activités illégales, elle prendra les mesures qui s’imposent et, s’il y a lieu, des accusations seront portées. J’imagine que les accusations qui ont été portées aux États-Unis — et dont vous avez fait mention — font suite à un processus similaire, ce qui est la façon de procéder appropriée dans un pays démocratique. Par ailleurs, des enquêtes sont en cours, et je n’ai rien de plus à signaler pour le moment.

Le sénateur Housakos : La GRC a confirmé qu’il y en a au Canada. La GRC nous dit aussi que les enquêtes se poursuivent. Là n’est pas la question. Comment se fait-il que le ministre ne sache pas que la GRC, qui relève de lui, fait actuellement enquête? Il dit plutôt à la Chambre que ces postes de police illégaux ont été fermés. Qu’est-ce qui cloche chez le ministre Mendicino? Il ne sait même pas ce qui se passe dans son propre ministère.

Pendant que les Australiens, les Américains et les Britanniques prennent au sérieux la répression transnationale et agissent, au Canada, le ministre et le gouvernement restent là, les bras ballants.

Il y a à peine un an, le ministre Mendicino a dit au Sénat qu’il admettait l’utilité d’un registre des agents étrangers. Il a dit qu’il allait en créer un. Un an plus tard, il en est toujours aux consultations. De notre côté, nous attendons toujours.

J’ai déjà posé la question à maintes reprises et je sais que vous en avez plus qu’assez. Si je l’ai souvent posée, c’est que nous n’obtenons jamais de réponse concrète. Voici donc ma question : le ministre et le gouvernement créeront-ils un registre des agents étrangers avant que le nouveau gouvernement de Pierre Poilievre accède au pouvoir?

Le sénateur Gold : Vous me relancez la balle, mais je vais faire preuve d’une grande retenue dans un contexte différent en l’esquivant.

L’ingérence étrangère est un enjeu important. C’est un enjeu intéressant. Poser des questions, c’est toujours une bonne chose. Cependant, la réponse reste la même. Le gouvernement actuel examine l’affaire avec sérieux et discernement. Avant de mettre en place un registre des agents étrangers, il convient d’étudier avec soin les conséquences qui pourraient involontairement s’ensuivre pour certaines personnes, y compris une atteinte à leur réputation. Le gouvernement agit de façon consciencieuse et responsable. Il fera connaître sa décision une fois qu’il l’aura prise.

Réponses différées à des questions orales

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer les réponses aux questions orales suivantes :

Réponse à la question orale posée au Sénat le 8 juin 2022 par l’honorable sénatrice Martin, concernant les coûts du projet de loi C-13.

Réponse à la question orale posée au Sénat le 18 mai 2023 par l’honorable sénateur Wells, concernant les membres d’équipage d’un transporteur aérien canadien détenus à l’étranger.

Le Cabinet du premier ministre

Les coûts du projet de loi C-13

(Réponse à la question posée le 8 juin 2022 par l’honorable Yonah Martin)

Le 1er mars 2022, la ministre des Langues officielles et ministre responsable de l’Agence de promotion économique du Canada atlantique dépose le projet de loi C-13 (Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois) à la Chambre des communes. Le projet de loi C-13 est toujours à l’étude en comité parlementaire.

Le 18 mars 2022, le directeur parlementaire du budget (DPB) envoie une lettre destinée au ministre du Patrimoine canadien (PCH), demandant des informations au sujet des dépenses directes et indirectes liées à l’administration du projet de loi C-13 ainsi que les dépenses fiscales connexes, entre autres.

Le 6 avril 2022, la sous-ministre de PCH a fourni une réponse au directeur parlementaire du budget concernant ses questions liées aux coûts du projet de loi C-13. Étant donné qu’une copie de la réponse de PCH serait affichée sur le site Web du DPB, le ministère a été avisé de ne pas inclure, dans la lettre de réponse, de l’information confidentielle ou encore sous le sceau des confidences du Cabinet. En raison d’une erreur administrative, l’information confidentielle supplémentaire n’a pas été envoyée en temps opportun. Lorsque cette erreur a été découverte, le ministère a immédiatement corrigé cette erreur et a fourni l’information additionnelle.

Les transports

Les membres d’équipage d’un transporteur aérien canadien détenus à l’étranger

(Réponse à la question posée le 18 mai 2023 par l’honorable David M. Wells)

Transports Canada

Transports Canada prend au sérieux toutes les allégations d’incidents liés à la sécurité et à la sûreté aériennes. La responsabilité de la sûreté aérienne et des enquêtes sur les incidents à l’aéroport international de Punta Cana incombe à la République dominicaine.

Transports Canada a enquêté dans le cadre de ses pouvoirs en examinant les détails de l’incident fournis par Pivot Airlines et les autorités dominicaines. Il a évalué s’il y avait des problèmes de conformité en République dominicaine avec les normes internationales de sûreté aérienne et a effectué une évaluation de la sûreté aérienne sur place à l’aéroport de Punta Cana. Cette évaluation a porté sur la zone où l’incident s’est produit, que Transports Canada n’aurait normalement pas été autorisé à voir puisqu’il s’agit d’un terminal privé.

Les autorités dominicaines semblent avoir pris les mesures nécessaires pour remédier aux éventuelles vulnérabilités. Au cours de l’évaluation sur place de Transports Canada, aucun problème de sécurité majeur n’a été découvert. Transports Canada continue de collaborer avec les autorités pour encourager l’amélioration continue de la sûreté aérienne.

Transports Canada ne prévoit pas réexaminer cette question.

Les travaux du Sénat

L’honorable Marilou McPhedran : J’ai une question. En fait, j’aimerais avoir une précision. Peut-être s’agit-il d’un recours au Règlement. Je me rappelle très clairement qu’hier, quand j’ai dû m’interrompre au milieu de ma question, vous avez dit que vous me donneriez la parole aujourd’hui pour que je puisse terminer. J’aimerais sincèrement savoir pourquoi les choses ne se sont pas passées ainsi.

Je rappelle que je suis non affiliée. Les règles du Sénat me désavantagent. J’ai moins d’occasions de prendre la parole, alors j’étais ravie de voir que vous tentiez d’être juste et que vous me permettriez de terminer ma question aujourd’hui. J’aimerais comprendre ce qui s’est passé.

Son Honneur la Présidente : Je vous remercie, sénatrice McPhedran. C’est vrai, on m’a rappelé aujourd’hui que je vous avais fait cette promesse. Je dois admettre que bon nombre des questions que nous entendons sont précédées d’un long préambule. J’avais une liste d’intervenants, et votre nom était là, juste après celui du sénateur Housakos. D’autres sénateurs ont demandé que leur nom soit ajouté à la liste, et j’ai tenté de respecter l’ordre tel qu’on me l’a transmis. C’est ce qui est arrivé, et je vais réinscrire votre nom sur la liste. Il y a d’ailleurs d’autres sénateurs dont le nom y était et qui n’ont pas pu avoir la parole non plus. Je tâcherai de m’en souvenir.

Oui, c’est vrai que c’est ce que je vous ai dit hier, mais je dois respecter la préséance des groupes parlementaires et des sénateurs non affiliés.

En terminant, je vous saurais gré de ne pas étirer indûment vos préambules et de poser rapidement vos questions afin qu’il y ait plus de sénateurs qui puissent prendre la parole.

La sénatrice McPhedran : Je vous remercie. Je voudrais qu’il soit noté au compte-rendu qu’il ne s’agit pas d’une situation typique. Vous m’avez donné une garantie. Il est raisonnable de penser que je peux m’y fier, et j’aimerais donc beaucoup que vous fassiez usage de votre pouvoir discrétionnaire pour me permettre de poursuivre ma question.

Son Honneur la Présidente : C’était juste une clarification. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un recours au Règlement. J’ai eu un choix à faire et j’ai clarifié ma position. Je demande donc que nous passions à l’ordre du jour.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’article 4-13(3) du Règlement, j’informe le Sénat que, lorsque nous passerons aux affaires du gouvernement, le Sénat abordera les travaux dans l’ordre suivant : l’étude de la motion no 114, suivie de tous les autres articles dans l’ordre où ils figurent au Feuilleton.

Le Sénat

Adoption de la motion concernant la séance d’aujourd’hui

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 20 juin 2023, propose :

Que, nonobstant l’ordre adopté par le Sénat le 21 septembre 2022, la séance du mercredi 21 juin 2023 continue au-delà de 16 heures, si les affaires du gouvernement ne sont pas encore terminées, et soit levée à la fin des affaires du gouvernement ou à minuit, selon la première éventualité.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi no 1 d’exécution du budget de 2023

Troisième lecture—Débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Loffreda, appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la troisième lecture du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.

L’honorable Scott Tannas : Honorables sénateurs, sachez, tout d’abord, que je m’exprime en tant que sénateur de l’Alberta et non en ma qualité de leader du Groupe des sénateurs canadiens. Je prends la parole au sujet du projet de loi C-47, également appelé projet de loi d’exécution du budget. À mon avis, on devrait probablement le renommer « projet de loi d’exécution du budget et portant sur tout un tas d’autres choses », mais nous allons le laisser tel quel.

Il s’agit de ma 11e année au Sénat, et du 11e mois de juin où je vois un projet de loi d’exécution du budget franchir les étapes du processus législatif.

Mes observations d’aujourd’hui portent sur trois sujets. Premièrement, le problème croissant, selon moi, du caractère omnibus des projets de loi d’exécution du budget, de sorte qu’ils traitent d’un large éventail de dossiers qui n’ont aucun lien entre eux.

(1500)

Je voudrais parler de ce qui, à mes yeux, est l’exemple le plus flagrant du problème croissant que pose le projet de loi qu’on nous demande d’adopter aujourd’hui.

Je vais finalement proposer un amendement simple qui nous permettrait d’améliorer cette mesure législative, ce qui est notre rôle, selon moi.

Commençons par le problème qu’il y a avec les projets de loi d’exécution du budget, du moins à mon avis. On peut lire ceci à la page 32 de la plateforme électorale libérale de 2015 :

M. Harper s’est [...] servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d’étudier ses propositions et d’en débattre convenablement. Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique en modifiant le Règlement de la Chambre des communes.

Selon moi, il s’agit bel et bien d’une pratique antidémocratique. C’est aussi vrai maintenant qu’à l’époque. En revanche, on ne peut nier qu’elle accélère les choses.

Il s’agissait tout de même d’une plateforme bourrée de nouvelles idées qui proposait de nouvelles façons de faire. Je pense que le parti était animé des meilleures intentions du monde.

Quelques mois après l’élection d’un nouveau gouvernement et la reprise des travaux parlementaires, les libéraux ont présenté leur première loi d’exécution du budget. Celle-ci faisait 179 pages, c’est-à-dire 7 de plus que l’ultime et terrible projet de loi budgétaire du gouvernement Harper. Pour un gouvernement qui avait promis de restreindre le nombre de projets de loi omnibus, c’était plutôt mal parti. Les six ou sept derniers projets de loi budgétaires faisaient tous plus de 400 pages — l’un d’eux en comptait même 800.

Chers collègues, dans leur forme la plus pure et la plus absolue, les projets de loi d’exécution du budget devraient consister en une liste des mesures législatives qui sont liées aux dépenses et aux revenus figurant dans le budget et rien d’autre. C’est en quoi consiste une bonne partie du projet de loi à l’étude, c’est vrai, mais depuis quelques années, les projets de loi budgétaires contiennent aussi une litanie de mesures législatives qui n’ont rien à voir avec le budget lui-même et qui sont placées là parce que c’est plus pratique, plus efficace et plus rapide.

Il arrive aussi — de plus en plus souvent selon moi — que certaines mesures y soient glissées pour éviter qu’elles soient étudiées de trop près. Voilà qui devrait nous inquiéter tous.

Ma femme et moi avons aimé la série The Crown sur Netflix. Je ne sais pas si certains parmi vous l’ont aussi regardée; je vous recommande de le faire si ce n’est déjà fait. Dans le premier épisode, on voit le roi George en fin de vie dans son bureau avec Elizabeth, alors jeune mère et épouse, appelée à devenir reine sous peu, et le roi, sachant qu’il mourra bientôt, commence à lui enseigner des aspects pratiques de la vie de monarque. Dans cette scène, on voit une boîte rouge dans le bureau du roi. La boîte rouge contient tous les documents que le roi est censé lire au sujet de ce qui se passe au gouvernement. C’est ce qu’il explique à Elizabeth : « Voici une chose qu’il est très important de faire. » Il ouvre la boîte, prend la pile de papiers et la retourne. Il ajoute : « Ce qu’ils ne veulent pas que je lise, ils le mettent au bas de la pile. »

C’est ce qui m’amène à la section 39 de la loi d’exécution du budget. Elle se trouve au bas de la pile, à la page 401 du projet de loi, dont c’est la dernière section.

Cette section porte sur les lois relatives à la protection des renseignements personnels qui s’appliquent aux partis politiques fédéraux. En gros, jusqu’en 2018, les partis politiques fédéraux étaient exemptés des lois sur la protection des renseignements personnels. En 2018, le gouvernement a adopté une loi qui oblige les partis politiques fédéraux à élaborer et à adopter des politiques officielles en matière de protection des renseignements personnels. La loi ne précise pas le contenu de ces politiques et ne prévoit aucune conséquence. La loi prévoyait simplement que les partis politiques fédéraux devaient se doter de ces politiques — c’est la loi qui est en vigueur actuellement.

En 2018, lorsqu’on a instauré cette modeste disposition destinée à obliger les partis politiques à se doter de politiques de protection des renseignements personnels, le ministre l’a présentée comme une première étape vers la protection des renseignements personnels des citoyens.

Cinq ans plus tard, rien n’a changé. D’après les recherches que mon bureau et moi-même avons effectuées, au Canada, les partis politiques fédéraux sont les seules organisations qui échappent aux lois sur la protection des renseignements personnels.

Que contient donc ce projet de loi? C’est intéressant. Il ne contient rien du tout. Le texte du projet de loi indique seulement que ce qui existe actuellement est un régime national, uniforme, exclusif et complet applicable aux partis politiques, et que ces derniers doivent assurer la protection des renseignements personnels des citoyens. C’est tout. Le projet de loi ne prévoit rien d’autre, et ne donne aucun détail.

Tout ce que nous avons à l’heure actuelle, ce sont ces mots qui ne veulent rien dire.

Certains soutiendront — et je pense que le sénateur Loffreda en a fait mention — que la déclaration ouvre la voie à une éventuelle mesure législative, exactement comme la première étape d’il y a cinq ans a ouvert la voie à des changements. En fait, le sénateur Loffreda, lors de son intervention à l’étape de la deuxième lecture, a dit ce qui suit au sujet du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles qui s’est penché sur cette disposition en particulier :

Dans son rapport, le comité nous rappelle ceci : « L’amendement crée un cadre pour un futur régime potentiel. Il n’établit pas réellement un tel régime. »

Le sénateur a ajouté :

Certains diront peut-être que cette section n’est pas assez rigoureuse, qu’elle ne va pas assez loin, que les choses ne vont pas assez vite. Je presse donc le gouvernement d’en faire une priorité sans plus tarder.

J’estime que c’est un point de vue juste et optimiste exprimé par une personne qui se dit optimiste, ce que j’apprécie. Il est important de chercher à voir les meilleures intentions et ce qu’il y a de mieux chez les gens. J’ai moi-même tendance à voir les choses de cette façon.

Si on aborde cette section potentielle de façon plus cynique, on pourrait dire que cette déclaration vise à maintenir le statu quo qui permet aux partis politiques de fonctionner en toute impunité, alors que les commissaires à la protection de la vie privée des provinces sont bombardés de plaintes parce qu’il n’y a personne d’autre à qui les adresser. Ces commissaires envisagent de passer à l’action. En fait, dans une province, ils ont entrepris une contestation judiciaire.

Aussi cynique que cela puisse être, certains estiment qu’il n’y a pas d’intention de changement. C’est ce que certains ont dit au comité, mais peut-être pas officiellement. Étant donné le vide législatif actuel en matière de reddition de comptes, le gouvernement cherche simplement à mettre en place une protection pour empêcher les provinces d’agir au nom de leur population.

(1510)

Mon amendement, dont je vais parler dans quelques instants, prend appui sur le travail et les délibérations des comités et prévoit un calendrier pendant lequel le nouveau régime doit être élaboré et mis en œuvre. Il prévoit une période de deux ans après laquelle, si rien n’est fait, ce semblant de régime disparaîtra.

À en croire les optimistes, deux années suffisent amplement pour mettre sur pied une bonne mesure législative. À en croire plutôt les cyniques, ce semblant de régime, qui protège le statu quo et tient les organismes de réglementation à l’écart, disparaîtra après cette période. Les organismes de réglementation provinciaux pourront alors reprendre le dossier au nom des citoyens qui jugent que les partis politiques ont utilisé leurs renseignements personnels à mauvais escient. C’est tout, et c’est aussi simple que cela.

Ce n’est pas la seule section du projet de loi d’exécution du budget qui pose problème. En fait, il y en a beaucoup. Ce projet de loi modifie une série de dispositions du Code criminel. Il contient aussi d’autres mesures qui nécessiteraient un examen approfondi et qui ont été ajoutées au projet de loi sans qu’on ait toujours expliqué pourquoi. En fait, le ministre Lametti a dit quelque chose d’intéressant en réponse à une question que je lui ai posée. Son commentaire était spontané, mais il a dit qu’il n’aime pas toujours ce qui est mis dans les projets de loi d’exécution du budget. Selon lui, les dispositions qu’ils contiennent devraient parfois faire l’objet de projets de loi à part entière, mais ce n’est pas toujours lui qui décide. Soit.

J’aimerais aborder quelques points avant de lire mon amendement. Je crois que nous sommes aux prises avec un problème de plus en plus sérieux, et ce problème, c’est aussi celui du Sénat. Les chiffres nous montrent qu’il n’y a pas que les taux d’intérêt et les prix qui gonflent au Canada, les projets de loi d’exécution du budget enflent eux aussi à vue d’œil. Nous sommes passés de 172 pages en 2015 à 430 aujourd’hui. Si nous ne faisons rien, nous nous retrouverons de plus en plus souvent dans une situation où le gouvernement se sert de ses projets de loi budgétaires à bon et à mauvais escient.

Peut-être pas aujourd’hui, mais un de ces jours, il faudra faire quelque chose. Si l’entente de confiance et de soutien qui a été conclue tient bon et que le gouvernement actuel termine son mandat, nous aurons droit à deux autres projets de loi d’exécution du budget, un en 2024 et un en juin 2025. Nous devons profiter de ce temps pour réfléchir et trouver des moyens de mieux gérer ces projets de loi au lieu de simplement y réagir. Je ne compte plus le nombre de gens et de rapports affirmant que certaines dispositions n’avaient pas d’affaire dans un projet de loi budgétaire, mais comme les autres fois, nous ne ferons rien encore aujourd’hui. Je vais proposer quelque chose. Je m’attends à perdre de façon spectaculaire, mais cela m’est égal. Nous aurons tous l’occasion de prendre la parole pour entamer la réflexion sur ce qu’il convient de faire dans les cas comme celui-là.

Je pense qu’il s’agit d’une question que nous devons aborder pour assurer l’utilité et la viabilité du Sénat. Nous devons communiquer à la Chambre des communes ce que nous voulons faire de manière appropriée à l’avenir et nous devons le faire avant qu’il y ait un changement de gouvernement. Imaginez que nous tardions à agir et que, tout à coup, nous ayons une illumination lorsque le gouvernement qui ne nous a pas nommés sera au pouvoir et que nous déciderons de faire quelque chose; nous aurions l’air d’une bande d’hypocrites. Réfléchissons donc à la situation jusqu’à l’année prochaine et trouvons une solution à ce problème entre nous et la Chambre des communes.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Scott Tannas : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-47 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à la page 402, par adjonction, après la ligne 6, de ce qui suit :

« 680.1 L’article 385.2 de la même loi est abrogé. »;

b) à la page 402, par adjonction, après la ligne 11, de ce qui suit :

« Entrée en vigueur

682 L’article 680.1 entre en vigueur au deuxième anniversaire de la sanction de la présente loi. ».

Son Honneur la Présidente : L’honorable sénateur Tannas, avec l’appui de l’honorable sénatrice Osler, propose en amendement :

Que le projet de loi C-47 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :

a) à la page 402, par adjonction, après la ligne 6, de ce qui suit :

« 680.1 L’article 385.2 de la même loi est abrogé. »;

b) à la page 402, par adjonction, après la ligne 11, de ce qui suit :

« Entrée en vigueur

682 L’article 680.1 entre en vigueur au deuxième anniversaire de la sanction de la présente loi. ».

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question? Merci, sénateur Tannas, pour vos observations. Au début de votre intervention, vous avez fait allusion à la promesse de modifier le Règlement. Savez-vous que le Règlement de la Chambre des communes a, en fait, été modifié à plusieurs reprises, conformément à la promesse électorale de 2015? Pouvez-vous nous fournir un bref résumé de ces modifications du Règlement?

Le sénateur Tannas : Je vous dirais que j’étais ici avant et que je suis ici maintenant, et que le Règlement peut avoir été modifié. Le travail réalisé est identique.

Le sénateur Gold : J’aimerais tout de même savoir ce que vous en pensez, car, en fait, le Règlement a été modifié afin d’accorder au Président de la Chambre des communes le pouvoir de soumettre à un vote distinct toute partie d’un projet de loi omnibus qui n’était pas annoncée dans les documents budgétaires présentés au Parlement. En fait, le Règlement prévoit que ce pouvoir ne s’applique pas :

[...] si le projet de loi a comme objectif central la mise en œuvre d’un budget et contient des dispositions qui ont été annoncées lors de l’exposé budgétaire ou qui étaient contenues dans les documents déposés lors de l’exposé budgétaire.

Le Président a jugé que la section 39 de la partie 4 satisfaisait à ce critère parce qu’elle figurait à l’annexe. Donc, il a jugé qu’il était approprié qu’elle figure dans le projet de loi.

Le sénateur Tannas : Je suis heureux que vous ayez soulevé ce point. C’est un bon point qui me rappelle un épisode de la série The Crown. La ministre des Finances n’a pas dit un mot à ce sujet dans son discours. Vous avez raison, c’était dans une annexe du budget. C’était à la page 287, à l’annexe 3 du plan budgétaire pour 2023. On peut y lire ce qui suit :

[...] le gouvernement propose de modifier la Loi électorale du Canada afin d’établir une approche [...] uniforme en ce qui a trait à la collecte, à l’utilisation et à la communication de renseignements personnels par les partis politiques fédéraux, et ce, d’une manière qui remplace les lois provinciales qui se chevauchent.

(1520)

C’est ce qui est écrit. Il n’y a pas un mot à ce sujet dans le discours sur le budget, mais nous avons ici un paragraphe de deux phrases à la fin du document.

Oui, les règles ont été suffisamment détournées pour qu’il suffise de glisser quelque chose dans les masses de documents budgétaires pour que cela fasse partie du budget. Si je vous posais la question, je vous dirais : « Pouvez-vous m’indiquer un quelconque poste de dépenses visé par cette section particulière? »

L’honorable Marilou McPhedran : Accepteriez-vous de répondre à une question, s’il vous plaît, sénateur Tannas?

Le sénateur Tannas : Certainement.

La sénatrice McPhedran : Si j’ai bien compris, concrètement, le projet de loi C-47 donne lieu à un vote de confiance. C’est un projet de loi budgétaire. Pourriez-vous m’aider à comprendre la nature de cet amendement? Si nous l’acceptions, quelle incidence aurait-il sur la capacité du gouvernement de fonctionner?

Le sénateur Tannas : Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un vote de confiance. Il est déjà arrivé que des projets de loi d’exécution du budget soient amendés. En fait, c’est même arrivé sous l’actuel gouvernement. Le gouvernement n’est pas tombé.

Il s’agit d’un moyen de pression parmi d’autres. En fait, si on ne pouvait pas amender un projet de loi d’exécution du budget, comment alors un gouvernement pourrait-il s’empêcher d’inclure quelque chose sans que personne ne puisse rien y changer?

Cela nous ramène à ce que ces gens enthousiastes ont dit en 2015 au sujet des manœuvres pour paralyser les travaux du Parlement, à l’encontre de la démocratie. J’estime qu’il est malhonnête sur le plan intellectuel de dire que le fait de changer quelque chose à cette mesure entraînerait carrément la chute du gouvernement simplement parce qu’elle figure dans un gigantesque projet de loi omnibus appelé « loi d’exécution du budget ».

J’ajoute également que nous sommes à la fin de la session, mais qu’elle n’est pas encore terminée. Le gouvernement et les députés siègent encore à la Chambre des communes. Ils continuent leurs travaux encore aujourd’hui. Ils ne les ont pas encore ajournés, comme c’est déjà arrivé alors que nous étions saisis du projet de loi d’exécution du budget. Je me permets également de préciser que comme l’autre endroit a approuvé la tenue de séances hybrides, les députés n’ont pas à revenir du tout pour reprendre leurs travaux. Il leur suffit d’utiliser leur ordinateur portable à la maison pour se pencher sur ce que nous leur envoyons.

Je m’inscris complètement en faux contre l’idée voulant que le fait d’inclure dans le projet de loi d’exécution du budget quelque chose qui n’a rien à voir avec le budget entraînerait un vote de confiance. Merci.

L’honorable Denise Batters : Le sénateur Tannas accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Tannas : Oui.

La sénatrice Batters : Merci. Je comprends très bien votre point de vue à ce sujet. L’un des cas les plus flagrants, c’est probablement lorsque le gouvernement a inclus dans un projet de loi d’exécution du budget, il y a plusieurs années, les dispositions sur une taxe sur le carbone qui prenaient plus de 200 pages, sans qu’on puisse véritablement en débattre, y apporter des amendements où faire quoi que ce soit de la sorte.

Je fais partie du Comité des affaires juridiques. Nous avons discuté des modifications à la Loi électorale du Canada et nous nous sommes rendu compte que ce n’est pas une bonne façon de procéder, c’est le moins qu’on puisse dire. Votre amendement vise‑t-il précisément à retirer tout simplement cette partie du projet de loi? Ce n’est pas clairement indiqué dans l’amendement, alors je voulais vous donner la possibilité de fournir des explications.

Le sénateur Tannas : Oui, c’est exactement ce qu’il ferait. Les éminents juristes au Sénat, qui font de l’excellent travail pour nous, ont rédigé l’amendement de façon à ce que l’article soit conservé, mais qu’il soit abrogé dans deux ans. L’objectif est de donner du temps à tout le monde.

Le libellé peut sembler brouillon, comme s’il faisait les choses à l’envers, mais ce n’est pas le cas. Il impose essentiellement une disposition de caducité de deux ans aux deux phrases dans le projet de loi qui instituent ce merveilleux régime de protection des renseignements personnels qui n’existe pas. Si ces phrases n’ont pas été remplacées entretemps, seront alors supprimées.

L’honorable Leo Housakos : Le sénateur Tannas accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Tannas : Oui.

Le sénateur Housakos : Sénateur Tannas, je vous remercie de votre amendement. Je vous remercie aussi d’avoir mis en évidence un usage des projets de loi omnibus qui s’aggrave d’année en année. Les sénateurs qui prennent leurs responsabilités constitutionnelles au sérieux admettent qu’on les empêche de faire sérieusement leur travail à propos de mesures législatives qui n’ont rien à voir avec le budget. Hier, la sénatrice Simons a parlé des dispositions sur les droits des passagers, qui ne sont pas du tout une question budgétaire, mais qui ont été intégrées au projet de loi d’exécution du budget. Effectivement, c’est très important.

Au bout du compte, je ne crois pas que le gouvernement agisse de manière malhonnête. Je pense seulement que c’est une façon pratique de contourner l’examen parlementaire et ses désagréments. Il en résulte donc une mauvaise mesure législative qui touche certains citoyens.

Si l’amendement que vous proposez a l’honneur d’être rejeté par le gouvernement, allez-vous vous rallier aux sénateurs qui vont voter contre cette loi d’exécution du budget pour faire comprendre qu’ils ne toléreront plus ce genre de choses?

Une voix : Bravo!

Le sénateur Tannas : J’ai l’habitude d’appuyer le budget des gouvernements. Ce sont eux, les élus; ce sont eux qui sont à l’autre endroit. Je vais continuer de faire ce que j’ai toujours fait, quel que soit le gouvernement et que j’approuve ou non les dépenses annoncées.

Pour tout vous dire, je n’en suis pas encore là. J’ai encore un mince espoir que cet amendement sera adopté.

Il y a tellement de bonnes choses dans ce texte. J’aimerais vraiment pouvoir me prononcer après avoir reçu un message nous disant que le gouvernement a au moins envisagé d’accepter un de nos amendements, qu’il a au moins compris que nous avons fait ce que nous avons pu et qu’il est temps de passer à autre chose.

Le sénateur Housakos : Sénateur Tannas, il y a des années que vos collèges et vous répétez la même chose. Que nous recommandez-vous de faire pour que l’exécutif comprenne enfin qu’il ne doit pas demander au Parlement d’approuver tout ce qu’il propose les yeux fermés?

Le sénateur Tannas : Merci, j’y ai réfléchi, car je ne supporte pas qu’on dénonce un problème sans proposer de solution.

Tout d’abord, j’ai l’intention de lancer une enquête afin que nous puissions mettre quelques idées sur la table. Personnellement, je pense qu’à un moment donné, nous devrions envoyer un message disant que le premier ordre du jour d’une loi d’exécution du budget prévoit qu’on l’examine pour rechercher les points qui, selon nous, pourraient nécessiter plus d’étude, plus de temps, ou qui devraient faire l’objet d’un projet de loi distinct, pour que ces points soient retirés de toute loi d’exécution du budget future. C’est quelque chose que nous pourrions faire.

Si nous les prévenons suffisamment à l’avance, ils y réfléchiront peut-être. Si ce n’est pas le cas, nous pourrions alors décider de donner suite à ce que nous avons indiqué vouloir faire.

Il ne s’agit que d’une idée parmi d’autres. Je pense qu’il y a beaucoup d’autres pistes à étudier.

Comme le sénateur Gold l’a toujours dit, il est le représentant du gouvernement au Sénat, et il est le représentant du Sénat au sein du gouvernement. Je pense que si nous prenions le temps de faire des propositions, de discuter de ce que nous pensons et de lancer la discussion, nous pourrions parvenir à un consensus sur la manière de traiter cette question afin d’éviter que la loi d’exécution du budget ne revienne en juin prochain comme un « jour de la marmotte ».

L’honorable Pat Duncan : Sénateur Tannas, accepteriez-vous de répondre à question?

Le sénateur Tannas : Oui.

La sénatrice Duncan : Merci. Je serai brève. Je ne veux pas entrer dans un débat sur les projets de loi omnibus. J’ai vécu les avantages et les désavantages et je comprends le pour et le contre.

Je me souviens qu’à mon premier mois de juin au Sénat, j’étais membre du Comité des finances. Nous avons étudié la Loi fédérale sur le paiement rapide des travaux de construction, qui était enfouie dans le projet de loi d’exécution du budget. Pour des raisons que j’ignore, nous attendons toujours sa promulgation. C’est peut-être en raison des discussions entre le gouvernement fédéral et les provinces, mais comme je ne suis pas dans le secret de ces discussions, je ne sais pas si c’est la raison. Bref, nous avons approuvé une mesure législative, mais nous attendons toujours son entrée en vigueur.

Vous l’avez bien résumé : nous sommes aux prises avec un dilemme. Nous pouvons certainement comprendre que le gouvernement est en situation minoritaire. En même temps, nous pouvons comprendre le problème que vous soulevez. Bien honnêtement, tous ceux qui ont déjà mené une campagne électorale savent que les partis politiques détiennent beaucoup d’information et que cette information doit être protégée. Je crois en outre qu’un certain nombre de partis politiques n’appuient pas nécessairement cette idée.

(1530)

Vous parlez des problèmes et des solutions. Ma question est la suivante : le Sénat dispose-t-il d’autres moyens pour favoriser la discussion publique, parce qu’il faudrait vraiment que la population réclame ce genre de débat? Y a-t-il d’autres solutions?

Le sénateur Tannas : D’abord, je crois qu’il existe d’autres solutions. Nous pourrions organiser des audiences publiques si nous le voulions. Nous pourrions déterminer quel comité doit y prendre part. Nous pourrions organiser des audiences publiques à différents endroits au pays.

Au bout du compte, nous ne pouvons pas jeter le blâme sur les partis politiques. Quelle organisation serait prête à se jeter tête baissée dans un processus qui exigera d’elle plus de responsabilités, beaucoup plus de transparence et de travail, etc.?

En ce qui concerne les partis politiques, il y a beaucoup de questions compliquées. Vous frappez à la porte d’un concitoyen, qui vous dit : « Je vais faire telle chose; je déteste telle autre chose ». Vous voilà tout à coup en possession de renseignements que la personne vous a donnés sans savoir ce que vous pourriez en faire.

Avec la technologie d’aujourd’hui, vous revenez sur le trottoir, vous entrez les commentaires de la personne dans votre téléphone et vous envoyez le tout dans la base de données. Qui sait? Cette information peut être transmise au service de financement du parti, qui envoie alors immédiatement une lettre personnalisée dans laquelle on promet des mesures correspondant précisément aux souhaits de la personne. Qui sait? Ces renseignements pourraient être revendus, car la loi ne prévoit rien à ce sujet. Il pourrait y avoir une fuite de données. Il y en a eu une de notre côté. Il y en a eu une aussi au Parti vert, qui l’a révélée de son propre chef. Ce parti n’était pas obligé de le faire parce qu’aucune loi ne l’y obligeait. On ne sait pas si les autres partis ont fait l’objet de fuites qu’ils n’ont pas révélées. Voilà où nous en sommes.

Je suis donc d’accord avec vous. Il serait peut-être utile qu’un comité sénatorial se penche sur cette question. Je ne sais pas. Je suppose que nous devrons prendre une décision en temps et lieu.

L’honorable Elizabeth Marshall : Le sénateur Tannas accepterait-il de répondre à une autre question?

Le sénateur Tannas : Absolument.

L’honorable Elizabeth Marshall : Sénateur Tannas, l’entrée en vigueur de la disposition de caducité est prévue au deuxième anniversaire. Quels sont les motifs de cette décision? Comme vous le savez, les gouvernements agissent lentement et maintenant de nombreux partis politiques s’investissent dans le dossier. De plus, des élections se tiendront en 2025 et il semble donc que la date limite est fixée juste avant les prochaines élections. Cela faisait-il partie de vos motifs? J’aimerais savoir pourquoi vous avez choisi deux ans et non trois.

Le sénateur Tannas : Eh bien, à l’origine, j’avais songé à 18 mois parce que j’avais entendu qu’on peut rédiger à peu près n’importe quoi puis procéder à des consultations en 18 mois. J’ai toutefois choisi d’inscrire deux ans au lieu de trois parce que je crois qu’ils devraient faire l’effort de boucler la boucle avant les prochaines élections. De l’avis de tous, ces élections vont être très mouvementées. La population participe beaucoup. Dans mon exemple, les gens vont en parler pendant les porte-à-porte. Des choses vont se produire au sujet de l’intelligence artificielle et de tout le travail sur les données. Il y a eu les révélations au sujet de Cambridge Analytica.

En ce qui concerne les prochaines élections, beaucoup de choses pourraient avoir des effets durables sur la vie privée des gens et sur la collecte des données qu’ils fourniront. Par conséquent, je crois qu’il est raisonnable de dire qu’il faut régler ce dossier au cours des deux prochaines années.

L’honorable Donna Dasko : Sénateur Tannas, accepteriez-vous de répondre à une autre question? Ma question rejoint un peu celle de la sénatrice Batters, mais je tiens à spécifiquement éclairer cet aspect.

Lorsque Stéphane Perrault, le directeur général des élections, a comparu devant le comité, il a exprimé sa frustration au sujet des modifications à la Loi électorale du Canada qui figurent dans ce projet de loi. Vous vous concentrez sur l’aspect de la vie privée. Je voulais vous poser une question précise : pourquoi n’avez-vous pas simplement supprimé les modifications liées à la Loi électorale du Canada? Pourquoi n’avez-vous pas proposé un amendement pour retirer cet article du projet de loi étant donné que le problème, en fait, ce sont justement les modifications à cette loi qui ont été insérées dans ce projet de loi? Pourquoi ne pas avoir enlevé cet article du projet de loi parce qu’il n’a pas sa place ici?

Merci.

Le sénateur Tannas : Je n’étais vraiment pas prêt à aller jusqu’à supprimer des mesures qu’un gouvernement avait l’intention de prendre. J’ai jugé qu’il était préférable que nous essayions d’y apporter des améliorations, tout en faisant valoir un point. Je pensais aussi aux Canadiens. Cette question n’est pas dans la mire des Canadiens, mais si elle l’était, ils seraient furieux et ils s’attendraient à ce qu’on fasse quelque chose.

Ainsi, en supprimant la disposition, on en reste au même point. Je pense qu’ici, nous avons au moins souligné la question et nous pouvons continuer de le faire.

C’est la meilleure réponse que je puisse fournir. Merci.

L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, à titre de parrain du projet de loi, je ne vous étonnerai sans doute pas si je vous dis que je suis contre l’amendement proposé par le sénateur Tannas. Je suis ravi de pouvoir parler une nouvelle fois du projet de loi C-47, mais j’aurais préféré que ce soit dans d’autres circonstances.

Merci de vos observations, sénateur Tannas. Vous êtes la preuve que les optimistes vivent plus longtemps et plus heureux. J’ai adoré la série The Crown, en passant. Mon épouse Angelina et moi l’avons beaucoup aimée. Cela dit, dans mon domaine, il n’y avait pas de petite boîte. Le dossier prioritaire était toujours sur le dessus.

Permettez-moi d’expliquer brièvement pourquoi je m’oppose à cet amendement. Pour commencer, comme nous le savons tous, les budgets sont l’expression des priorités politiques du gouvernement, et les projets de loi budgétaires servent à donner suite à une partie de ces priorités. À titre d’information, la mesure qui figure à la section 39 de la partie 4 du projet de loi C-47 est inscrite noir sur blanc dans le budget de 2023. Voici ce qu’on peut lire à la page 287 de l’annexe 3 :

[...] le gouvernement propose de modifier la Loi électorale du Canada afin d’établir une approche fédérale uniforme en ce qui a trait à la collecte, à l’utilisation et à la communication de renseignements personnels par les partis politiques fédéraux, et ce, d’une manière qui remplace les lois provinciales qui se chevauchent.

Nous sommes probablement tous d’accord — et c’était aussi l’avis de nos comités — que les changements à la Loi électorale du Canada devraient faire l’objet d’un projet de loi distinct. J’en ai d’ailleurs parlé hier.

Quoi qu’il en soit, des modifications à la Loi électorale du Canada ont été annoncées dans le budget et j’estime que nous devons respecter la volonté du gouvernement. Il n’est pas inapproprié que ces modifications figurent dans le projet de loi d’exécution du budget. En fait, le Président Rota de l’autre endroit a également jugé que cela respectait la définition figurant dans le Règlement de la Chambre des communes, qui veut que les amendements se rapportent au budget, en l’occurrence celui de 2023. De plus, le Président n’a pas inscrit cette mesure pour un vote distinct lors du marathon des amendements qui a eu lieu la semaine dernière.

Permettez-moi de parler maintenant de la raison stratégique qui sous-tend cette mesure. Les partis politiques fédéraux sont des acteurs clés dans une démocratie saine et, par leur engagement, ils aident les électeurs à faire des choix éclairés. Pour être réellement engagés, les partis politiques fédéraux doivent recueillir une quantité considérable et diversifiée de renseignements personnels. Les Canadiens s’attendent à juste titre à ce que, dans leurs activités de campagne électorale, de financement et de sondage, les partis politiques fédéraux protègent leurs renseignements personnels.

Les changements proposés à la section 39 visent deux objectifs principaux. Premièrement, ils donneront au gouvernement le pouvoir d’établir une approche fédérale uniforme à l’égard de la collecte, de l’utilisation, de la diffusion et de la conservation des renseignements personnels.

(1540)

Deuxièmement, elles feront en sorte que tous les partis politiques fédéraux disposent de mécanismes uniformes et adéquats pour protéger les renseignements personnels des Canadiens, ce qui peut seulement contribuer aux efforts généraux de protection de la démocratie canadienne.

Comme le sénateur Colin Deacon l’a expliqué de manière éloquente à l’étape de la deuxième lecture — merci, sénateur Deacon —, ce changement est motivé par la manière dont a évolué la protection des renseignements personnels au Canada. Il est aussi réclamé par des spécialistes du domaine et les Canadiens eux-mêmes, qui s’attendent à ce qu’on protège de mieux en mieux leurs renseignements personnels. Cette mesure cadre avec la décision rendue au printemps 2022 par le commissaire à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, qui a conclu que les lois de la province en la matière visaient aussi les partis politiques fédéraux. Or, cette décision crée un déséquilibre entre les règles des différentes provinces, ce qui pourrait obliger les partis politiques fédéraux à manipuler différemment leurs données selon la province ou le territoire où ils se trouvent. C’est évidemment une situation intenable qui risquerait d’empêcher les bénévoles, les élus et les partis de communiquer avec les Canadiens.

Je signale au passage que la décision du commissaire britanno-colombien est contestée par les trois principaux partis politiques représentés à l’autre endroit, à savoir le Parti libéral du Canada, le Parti conservateur du Canada et le Nouveau Parti démocratique du Canada. Cette belle unité montre à quel point il s’agit d’une mesure importante.

Honorables sénateurs, vous vous souvenez peut-être qu’en 2018, le Parlement a établi un ensemble de règles uniforme, exclusif et complet concernant la collecte, l’utilisation et la diffusion de renseignements personnels par les partis politiques fédéraux. Les partis sont tenus d’établir et de respecter des politiques de protection de la vie privée qui sont régies par la Loi électorale du Canada. Ils doivent respecter six éléments spécifiques, notamment le type de renseignements qu’ils recueillent, la manière dont ils les recueillent et, ce qui est peut-être le plus important, la manière dont ils les protègent. Les employés des partis politiques doivent également recevoir une formation s’ils ont accès à des renseignements personnels dont le parti a le contrôle. Cette mesure législative confirme que l’intention de la Loi électorale du Canada a toujours été que les électeurs de partout au pays bénéficient du même ensemble de règles de protection de la vie privée lors des élections fédérales; elle confirme aussi que les partis fédéraux ne sont pas soumis à la législation provinciale.

Il convient de souligner que la question dont nous sommes saisis a été débattue à l’autre endroit. L’intention du gouvernement, telle que je l’ai décrite, a été confirmée par la secrétaire parlementaire du ministre associé des Finances le 7 juin. Voici ce qu’elle a déclaré :

Les modifications que ce projet de loi apporte à la Loi électorale du Canada confirment que le Parlement a toujours eu l’intention que la Loi électorale du Canada réglemente uniformément, exclusivement et complètement les partis politiques fédéraux en matière de protection de la vie privée.

Honorables sénateurs, on me dit que le gouvernement ne s’arrête pas là. Comme le prévoit le projet de loi C-47, le gouvernement a signalé qu’il s’engageait à présenter des mesures législatives supplémentaires pour assurer une approche fédérale uniforme en ce qui concerne la collecte, l’utilisation et la protection des renseignements personnels par les partis politiques fédéraux. Ces mesures permettront de renforcer la confiance dans notre démocratie et d’accroître la protection des renseignements personnels des Canadiens.

L’amendement du sénateur Tannas suggère que cela devrait se faire dans les deux ans. Je comprends son point de vue — et je le partage, soit dit en passant —, mais je pense qu’un amendement n’est pas nécessaire. D’ailleurs, dans mon discours à l’étape de la deuxième lecture, j’ai reconnu que certains sénateurs pourraient estimer que cette section n’est pas assez solide et qu’elle ne va pas assez loin et assez vite. J’ai même exhorté le gouvernement à en faire une priorité et à ne plus tarder. Sur la base des déclarations du gouvernement, je suis convaincu que cela se fera bientôt.

Il s’agit également d’une priorité pour le ministre des Affaires intergouvernementales. Conformément à sa lettre de mandat, il lui a été demandé d’examiner les recommandations du directeur général des élections, qui portent notamment sur la protection de la vie privée des électeurs et l’amélioration de leur confiance dans la manière dont les partis politiques gèrent leurs renseignements personnels.

On m’a dit que le gouvernement avait l’intention d’apporter des modifications législatives à ce sujet dans les plus brefs délais. J’ai bon espoir et, si j’ose dire, je suis convaincu que le cadre du futur régime proposé par le projet de loi C-47 verra bientôt le jour.

L’élaboration de lois n’est pas du tout un processus statique. C’est plutôt un processus dynamique. Comme je le dis toujours, la confiance est la base de toute relation. Je pense que c’est le président Reagan qui a dit : « Faisons confiance, mais vérifions. »

Nous pouvons résister et réexaminer cette question à l’avenir. Rien ne nous empêche d’examiner cette question de nouveau, plus tard, si cela n’a pas été fait. Je pense que ce n’est pas nécessaire à ce stade pour de nombreuses raisons. Par souci de concision, vous avez tous entendu ce qu’implique la modification d’un projet de loi d’exécution du budget. Je comprends que l’amendement à l’étude obligerait essentiellement le gouvernement à obtenir des résultats concrets et permanents d’ici deux ans, mais je pense qu’il serait inapproprié de fixer une échéance législative pour une question aussi importante. Le gouvernement doit faire les choses correctement.

Vous avez fait allusion à la série The Crown, sénateur Tannas — dans notre métier, nous devons faire les choses correctement. Lorsque quelqu’un me disait qu’un client avait besoin de quelque chose, je ne cessais de répondre ceci : « Le client va rester avec nous pendant longtemps. Nous allons vivre avec cela pendant longtemps. Faisons les choses correctement. » Cela ne changera rien si cela prend un jour, deux jours ou même un an de plus. Nous devons faire les choses correctement. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il soit approprié d’imposer un délai.

Alors que les honorables sénateurs étudient l’amendement du sénateur Tannas, je veux également souligner que la présentation d’un amendement au projet de loi d’exécution du budget à la dernière semaine de séances — je devrais peut-être parler des « dernières semaines » au pluriel — pourrait retarder son adoption. Je ne suis pas en train de dire que les sénateurs n’ont pas le pouvoir législatif d’amender les projets de loi budgétaires, mais je crains qu’un amendement retarde la mise en œuvre d’autres mesures qui sont prévues dans le projet de loi. Par exemple, je pense aux paiements anticipés automatiques pour l’Allocation canadienne pour les travailleurs, des paiements visant à venir en aide aux Canadiens à faible revenu qui ont du mal à faire face au coût de la vie. Nous parlons très souvent de l’inflation et du coût de la vie au Sénat. Je vous invite à tenir compte de cet aspect dans votre examen.

Encore une fois, je remercie les sénateurs de leur attention. Je vous exhorte tous humblement à voter contre l’amendement du sénateur Tannas. Merci. Meegwetch.

[Français]

L’honorable Clément Gignac : Accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Loffreda : Oui.

Le sénateur Gignac : Comme vous savez, sénateur Loffreda, j’ai mentionné au Sénat cette semaine que je vais appuyer le projet de loi d’exécution du budget. Cependant — et notre collègue le sénateur Deacon en a déjà parlé —, le fait d’inclure des éléments qui n’ont rien à voir avec la politique économique ou financière du gouvernement dans le budget suscite chez moi un certain inconfort. J’ai hâte d’écouter tous les arguments.

Ma question est la suivante : si jamais cet amendement était accepté, que la majorité des sénateurs votait en faveur de l’amendement et votait en faveur du projet de loi, est-ce que le tout serait renvoyé à la Chambre des communes? La Chambre des communes a toute la liberté de refuser l’amendement et de nous retourner le tout. Cela nous amènerait à vendredi plutôt qu’à demain, ce qui n’est pas très long; ce serait pareil comme les autres occasions où ils s’étaient déjà entendus.

Il faut tout de même signaler que le Sénat est indépendant. Dans le projet de loi d’exécution du budget, il faudrait mettre des éléments qui sont liés à la politique économique et financière, et pas n’importe quoi. On parle d’Élections Canada, dans ce cas-ci; on parle des règles du jeu dans un pays démocratique.

Ma question est la suivante : si on vote pour cet amendement, s’agit-il d’un vote de non-confiance? Je ne crois pas, puisqu’il n’y a aucun élément monétaire en jeu. On peut voter en faveur de l’amendement et voter pour le projet de loi d’exécution du budget en même temps. Il n’y aura pas de vote de confiance à l’endroit de ce gouvernement. Je voudrais juste comprendre. Vous êtes le parrain du projet de loi, et j’ai besoin d’avoir des précisions sur la façon dont on devrait se comporter. Merci.

Le sénateur Loffreda : Merci de votre question, sénateur Gignac.

[Traduction]

Sauf votre respect, et cela n’a aucune incidence ici, mais comme on le sait, les projets de loi d’exécution du budget font l’objet d’un vote de confiance à la Chambre des communes. J’ai proposé un amendement la semaine dernière, et je savais qu’il allait être rejeté, mais je l’ai proposé par principe, pour les gens de ma circonscription et les minorités que je défends. Ce n’est pas le fait de présenter un amendement — nous avons le droit d’en présenter —, mais je dirais dans ce cas-ci que c’est inutile.

Comme je l’ai dit, j’admire beaucoup ce que fait le sénateur Tannas et beaucoup d’autres sénateurs. C’est un honneur et un privilège d’être au Sénat. Je dois me pincer chaque jour parce que je n’en reviens pas d’être ici. Cet argument est mince, puisque c’est ce que le gouvernement a l’intention de faire de toute façon.

(1550)

Ajouter un délai de deux ans ne devrait pas poser de problème ni avoir de conséquences fâcheuses. Ce genre de balise n’est pas statique, elle est dynamique. Les lois sont dynamiques. Nous avons un droit de regard. Nous avons le droit de réévaluer la situation. Nous avons aussi le droit de revenir sur notre décision si rien n’est fait. Je ne veux pas me tromper dans mes citations, mais l’ex-président Reagan a déjà dit que s’il faut faire confiance, il faut aussi procéder à des vérifications. C’est ce que nous ferons. Si rien ne change, nous agirons en conséquence.

Pour le moment, cela dit, cet amendement est inutile. La confiance est la base de toute relation. Je crois que le gouvernement va faire ce qu’il a dit. Je suis impatient de voir la tournure que prendront les événements. Merci de votre question.

Le sénateur Gold : Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends brièvement la parole sur l’amendement du sénateur Tannas.

Chers collègues, je vous recommande fortement de ne pas appuyer cet amendement. Tout d’abord, il est inutile, pour toutes les raisons que le sénateur Loffreda a bien exposées.

Permettez-moi de renchérir sur les propos du sénateur Loffreda à titre de représentant du gouvernement au Sénat. Je peux indiquer officiellement ici, au nom du gouvernement, que celui-ci présentera, dès que possible, un projet de loi visant à garantir la mise en place d’un régime fédéral uniforme en ce qui concerne la collecte et l’utilisation de renseignements personnels par les partis politiques fédéraux. Cette mesure permettra de répondre à la plupart des préoccupations que les sénateurs et d’autres personnes ont soulevées au sujet de la protection des renseignements personnels et de la nécessité de mettre en place un régime robuste et efficace sur le plan national. Lorsque cette mesure législative sera présentée, le Sénat, tout comme nos collègues de l’autre endroit, aura la possibilité de l’étudier et d’en débattre de la manière la plus détaillée qu’il le souhaite.

Cette mesure législative, que le gouvernement a l’intention de présenter, s’appuiera sur les dispositions du projet de loi C-47. Compte tenu de l’engagement du gouvernement et du fait que la préservation de la démocratie canadienne est un élément de l’entente de soutien et de confiance que le gouvernement a conclue avec le NPD, je suis persuadé que les modifications législatives en question seront présentées rapidement. Par conséquent, une disposition de caducité de deux ans ne serait pas nécessaire.

Sans répéter ses propos, je voudrais également faire écho aux propos du sénateur Loffreda, qui a rappelé les nombreuses mesures importantes qui pourraient être en jeu si le projet de loi C-47 n’est pas adopté rapidement.

Ensuite, pour être franc, je pense aussi que c’est préoccupant dans le contexte de la relation globale du Sénat avec l’autre endroit. Le projet de loi C-47 engage la confiance dans un contexte de gouvernement minoritaire. En le mettant aux voix à l’autre endroit, le gouvernement a mis cette confiance à l’épreuve et a mis sa survie en danger. Le projet de loi a été adopté. Dans de telles circonstances, le Sénat a habituellement — et je dirais sagement — fait preuve d’une grande retenue.

Ce n’est pas tout. En ce qui concerne les règles régissant les élections, nous devons être circonspects, prudents et même faire preuve d’une certaine déférence à l’égard des choix faits par les députés de l’autre endroit. Ce sont eux qui doivent respecter les règles et ce sont eux qui devront rendre compte de leur respect des règles.

Les dispositions de la section 39 de la partie 4 du projet de loi, qui jette les bases d’un régime de collecte de renseignements personnels et de données, ont été appuyées par les élus de l’autre endroit, qui représentent les principaux partis politiques qu’elles toucheraient. Lors du débat sur le projet de loi C-76, Loi sur la modernisation des élections, notre ancien collègue le sénateur Dawson a dit ce qui suit :

Eh bien, il est toujours normal d’envisager des amendements dans cet endroit. Lorsqu’il s’agit d’une loi sur les élections, toutefois, je pense qu’on a une petite gêne.

Honorables collègues, avons-nous le pouvoir de renvoyer le projet de loi C-47 à l’autre endroit, même s’il s’agit d’un projet de loi budgétaire et d’une question de confiance? Oui. Avons-nous le pouvoir de modifier les lois relatives au processus électoral qui a été approuvé par les députés élus? Oui. Cependant, ce n’est pas parce qu’on a le pouvoir de le faire qu’il est conseillé d’exercer ce pouvoir.

La relation entre les deux Chambres du Parlement est cruciale pour le bon fonctionnement de notre démocratie. En tant qu’assemblée nommée, lorsque nous traitons d’une question de confiance, d’une question couverte par un projet de loi d’exécution du budget, je pense que nous devons procéder avec circonspection, et lorsque nous traitons de questions liées au processus électoral, nous devons également procéder avec circonspection.

Chers collègues, pendant la présente session, j’ai le sentiment que l’autre endroit a fait preuve d’un grand respect et d’une grande ouverture d’esprit à l’égard de notre bon travail. Comme certains d’entre vous le savent peut-être — en tout cas ceux qui y portent attention —, nous, les membres du bureau du représentant du gouvernement, plaidons en coulisses pour que le gouvernement accepte les amendements du Sénat, pour qu’il attribue du temps à la Chambre pour transmettre les messages du Sénat que nous envoyons. Le gouvernement doit, à son tour, défendre ces messages pour que les autres partis de la Chambre les acceptent.

Chers collègues, cette tâche est loin d’être facile. Toutefois, malgré sa situation minoritaire à l’autre endroit, le gouvernement est parvenu à obtenir du soutien au sujet des amendements du Sénat auprès d’autres partis, dont le Nouveau Parti démocratique et le Bloc québécois qui, vous le savez tous, remet en question, pour ne pas dire rejette la légitimité du Sénat.

Le Parlement est parvenu à fonctionner efficacement malgré ces points de vue différents. Nous avons renvoyé des amendements portant sur une grande variété d’initiatives, et l’autre endroit a été en mesure d’y répondre avant la relâche estivale, souvent en acceptant bon nombre d’entre eux. Nous avons été en mesure de travailler avec l’autre endroit de manière constructive, collaborative et positive. Il semble que la session prendra fin cette semaine sur une note positive, de nombreux projets de loi devant recevoir la sanction royale, grâce aux contributions des deux Chambres. J’oserais dire que nous avons favorisé une forme très positive de collaboration bicamérale.

On ne sait pas encore exactement à quel moment la Chambre ajournera ses travaux, même si cela pourrait être beaucoup plus tôt que prévu. Ce fut une bonne session, une session de collaboration, et les sénateurs devraient en être fiers. Nous devrions songer à la réaction respectueuse que l’autre endroit, le gouvernement et les autres partis ont eue à l’égard de nos amendements.

La voie que propose le sénateur Tannas est de renvoyer une mesure faisant l’objet d’un vote de confiance à l’autre endroit, où un gouvernement minoritaire est au pouvoir et ce, à la toute fin de la session parlementaire — une proposition qui nous placerait dans une situation de confrontation avec l’autre endroit. Ce n’est pas une bonne façon de conclure une séance si fructueuse, axée sur la collaboration et les progrès. Par conséquent, je choisis de faire preuve de retenue. Je voterai contre l’amendement et je vous recommande vivement d’en faire autant. Merci.

L’honorable Colin Deacon : Honorables sénateurs, à la lumière de mon discours à l’étape de la deuxième lecture — où je n’ai proposé aucune solution —, personne ne sera surpris d’apprendre que je suis favorable à l’amendement proposé par le sénateur Tannas.

Chers collègues, je reconnais qu’il est rare pour le Sénat d’amender la loi d’exécution du budget, et c’est normal. Certaines personnes ont allégué que de le faire pourrait gravement nuire à la réputation du Sénat. Dans les circonstances, et compte tenu du sujet en question, je suis totalement en désaccord avec cette allégation.

En 2017, quand les sénateurs envisageaient d’isoler une partie de la loi d’exécution du budget afin de l’examiner plus en profondeur dans le cadre de leurs débats, le premier ministre avait déclaré qu’il était important de comprendre qu’il revient à la Chambre des communes de décider des questions budgétaires.

(1600)

Je suis tout à fait d’accord. Je pense que la plupart des sénateurs, si ce n’est tous, sont d’accord en ce qui concerne les « questions budgétaires ». La modification de la Loi électorale du Canada proposée à la section 39, à la dernière page du projet de loi d’exécution du budget, n’est pas une question budgétaire. En règle générale, un projet de loi d’exécution du budget vise à apporter aux Canadiens un soutien financier en période difficile, à leur donner accès à de nouveaux droits et de nouvelles possibilités, comme des services de garde d’enfants abordables, ou à investir dans l’avenir. Les projets de loi d’exécution du budget ne visent pas à saper le droit à la vie privée des électeurs canadiens — une question sur laquelle les trois principaux partis politiques du pays refusent d’agir depuis plus d’une décennie.

Parlons donc de cette question. Pour répondre à la question posée par la sénatrice Duncan au sénateur Tannas, selon un sondage réalisé par Élections Canada en 2021 auprès des électeurs, 96 % des Canadiens sont d’accord pour dire que des lois devraient réglementer la façon dont les partis politiques recueillent et utilisent les renseignements personnels des Canadiens.

Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Ces partis politiques fixent leurs propres règles. Cela reste le cas parce que les dirigeants des partis libéral, conservateur et néo-démocrate ont démontré qu’ils ne peuvent pas, à mon avis, surmonter leurs conflits d’intérêts dans ce domaine. Il est paradoxal que les 96 % d’électeurs qui souhaitent que la protection juridique de la confidentialité soit étendue aux partis politiques ne puissent plus se tourner que vers le Sénat non élu pour obtenir de l’aide. Je suis d’avis que nous offrons une lueur d’espoir, simplement parce que 80 % d’entre nous ne sont pas soumis à un leadership partisan et peuvent examiner cette question de manière indépendante. Il est temps pour nous de faire contrepoids à la Chambre des communes élue, où moins de 1 % des élus sont indépendants et ne sont pas partisans.

Chers collègues, lorsqu’il m’a nommé au Sénat, le premier ministre ne m’a demandé qu’une chose : questionner « le gouvernement », quel que soit le gouvernement en place.

J’essaie de le faire de la manière la plus collégiale et la plus responsable possible. Jusqu’à présent, je n’ai jamais voté contre un projet de loi d’exécution du budget, et je doute que je le fasse cette fois-ci, mais je suis en faveur de cet amendement.

Je me suis entretenu avec la plupart d’entre vous au sujet de la demande du premier ministre et, si j’ai bien compris, il a fait une demande similaire à bon nombre des personnes qu’il a nommées, si ce n’est à toutes. Nous sommes indépendants. Nous ne sommes pas soumis à une ligne de parti. C’est un luxe à Ottawa, mais c’est également une énorme responsabilité. Peu de gens ont eu une telle marge de manœuvre et une telle responsabilité dans l’histoire du Canada. Le moment est maintenant venu de nous acquitter de cette responsabilité. Voilà pourquoi j’appuie l’amendement qu’a proposé le sénateur Tannas, qui donne aux partis politiques deux ans pour mettre en œuvre une nouvelle mesure législative qui crée effectivement :

[...] un régime national, uniforme, exclusif et complet applicable aux partis enregistrés et aux partis admissibles relativement à la collecte, à l’utilisation, à la communication, à la conservation et au retrait de renseignements personnels par ceux-ci.

Sénateur Shugart, j’estime qu’il s’agit d’une réponse claire et ferme qui à mon avis dénote de la modération.

Les seuls qui refusent que les Canadiens bénéficient de ces mesures de protection de la vie privée sont les personnes et les organisations qui dirigent les partis conservateur, néo-démocrate et libéral. Néanmoins, ces gens et entités sont en conflit dans le présent débat et leurs décisions montrent clairement qu’ils cherchent à servir leurs propres intérêts politiques et non à répondre aux souhaits des électeurs canadiens ou à défendre leurs intérêts.

Les néo-démocrates, les libéraux et les conservateurs travaillent de concert depuis plus d’une décennie, faisant apparemment tout en leur pouvoir pour ne pas offrir aux Canadiens des protections de la vie privée en ce qui a trait aux renseignements détenus par les partis politiques, malgré la volonté de 96 % des électeurs. Depuis plus d’une décennie, les trois principaux partis politiques du Canada ont ignoré les deux mandataires du Parlement qui sont responsables de ces questions. Le commissaire à la protection de la vie privée et le directeur général des élections ont réclamé à maintes reprises la mise en place de mesures de protection législatives ou même volontaires, mais en vain. Les partis politiques ont fait fi des recommandations solides et concluantes du rapport du Comité de l’éthique de la Chambre des communes, intitulé Démocratie menacée : risques et solutions à l’ère de la désinformation et du monopole des données. Cela montre que les dirigeants des partis politiques sont même prêts à faire fi de l’avis des députés de leurs propres partis. De plus, ils se sont unis pour contrecarrer les efforts du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique en le poursuivant devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique pour l’empêcher d’essayer de protéger les renseignements privés des électeurs britanno-colombiens en l’absence perpétuelle de protections fédérales.

Comme je l’ai dit lors de mon discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-47, en ces temps où la partisanerie est à son comble, il est remarquable et très troublant que les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates soient tous d’accord sur cette question. Il est tristement paradoxal qu’au lieu d’unir leurs efforts pour combattre la menace de l’ingérence étrangère — l’enjeu politique le plus important de 2023 —, ils soient tous prêts à priver les électeurs canadiens des mesures de protection de la vie privée que presque tous les électeurs canadiens disent vouloir.

Pourquoi les mesures de protection de la vie privée sont-elles importantes? On dit qu’une vaste base de données est une véritable mine d’or. Il est vrai que ces bases de données ont énormément de valeur. Cependant, mon ami Scott Farrell, l’architecte de la plupart des travaux menés par l’Australie pour concevoir et appliquer ses dispositions sur les droits concernant les données sur les consommateurs, a décrit les choses autrement. Selon lui, ces données sont plutôt comme de l’uranium, car elles sont aussi puissantes que dangereuses, et elles ont une longue période radioactive, c’est-à-dire que les données peuvent nuire pendant très longtemps si elles ne sont pas gérées très soigneusement.

En ayant accès à beaucoup de renseignements personnels, les partis politiques peuvent microcibler leur message politique. Comme le sénateur Tannas l’a indiqué, grâce à ces renseignements personnels, les partis peuvent cibler avec de plus en plus de précision un petit groupe de l’électorat pour l’inciter à faire des dons et à aller voter.

Par conséquent, les partis politiques et leurs messages se concentrent de plus en plus sur les dossiers qui divisent les Canadiens et non sur ceux qui nous unissent. Comme je l’ai mentionné, les organisateurs des partis politiques admettent maintenant ouvertement qu’ils choisissent leurs électeurs; ce ne sont plus les électeurs qui choisissent leur parti politique. Dans mon esprit, cela s’apparente au remaniement arbitraire des circonscriptions, mais dans l’univers numérique.

À l’heure actuelle, les partis politiques du Canada ne sont pas tenus d’obtenir le consentement des électeurs, peu importe les données qu’ils recueillent. Ils ne sont pas tenus de révéler en toute transparence quelles sont les données qu’ils possèdent ou l’utilisation qu’ils en font. Ils ne sont pas obligés de définir des garde-fous, ce qui signifie qu’il n’y a aucune limite, et ils ne sont pas tenus de rendre des comptes à un organe de gouvernance à cet effet. Il n’existe aucune autorité à qui les électeurs peuvent se plaindre ou qui peut faire enquête en cas d’abus. Il n’y a aucune mesure de protection. Tous les éléments de preuve, y compris la section 39 du projet de loi d’exécution du budget, laissent croire que les partis politiques sont bien heureux de maintenir la situation telle quelle.

Comme je l’ai dit à l’étape de la deuxième lecture, ces bases de données représentent une puissante cible pour les adversaires étrangers qui souhaitent s’ingérer dans notre démocratie. Si un parti politique fait l’objet d’une cyberattaque, rien de l’oblige à signaler l’incident à qui que ce soit. Une décennie d’éléments de preuve laisse croire que le statu quo sera maintenu, à moins que le Sénat relève le défi en adoptant l’amendement du sénateur Tannas.

Un des premiers discours que j’ai entendus au Sénat après ma nomination, c’était un discours de l’honorable André Pratte, un ex-collègue dont nous sommes nombreux à nous ennuyer. Il avait expliqué les quatre critères sur lesquels le Sénat peut s’appuyer s’il veut s’entêter à amender un projet de loi d’initiative ministérielle. Dans ce cas-là, il était question du message reçu de la Chambre au sujet du projet de loi C-45, Loi sur le cannabis. Le sénateur Pratte soutenait que le Sénat ne pouvait insister sur l’inclusion d’amendements que dans de très rares cas : premièrement, lorsque le sujet revêt une importance spéciale par rapport à notre rôle constitutionnel, deuxièmement, lorsque nous sommes prêts à mener le combat à son terme, troisièmement, lorsque l’opinion publique est de notre côté et, quatrièmement, lorsqu’il est réaliste de croire que nous pouvons convaincre le gouvernement de changer d’avis ou le forcer à le faire. C’est sur ces quatre éléments qu’a reposé ma réflexion au sujet de l’amendement du sénateur Tannas et, si nous devions l’adopter, de notre réponse potentielle advenant que le gouvernement rejette cet amendement raisonnable.

J’ai l’intime conviction qu’il était tout à fait inapproprié d’inclure la section 39 dans le projet de loi d’exécution du budget. Malgré tout, l’amendement du sénateur Tannas donne aux chefs du Parti conservateur, du Parti libéral et du NPD ce qu’ils veulent, et il nous donne l’assurance que le droit à la vie privée des Canadiens sera protégé.

Cet amendement nous permet également de répondre à chacun des critères du sénateur Pratte. Il fait contrepoids à une Chambre des communes où les votes sont dictés par le parti et où les dirigeants des partis sont en conflit, ce qui prive les électeurs canadiens de leur droit fondamental à la protection de la vie privée. Je dirais qu’il remplit le rôle constitutionnel distinct du Sénat non élu tout en respectant l’autorité ultime de la Chambre des communes en matière de budget. Il nous permet d’atteindre l’objectif visé par la lutte déterminée que mènent les mandataires du Parlement responsables de ces questions, le Comité de l’éthique de la Chambre, qui a constaté que le statu quo pose des risques pour notre démocratie et qui a fait des mises en garde à cet effet, et, enfin, un commissaire provincial à la protection de la vie privée, qui s’est efforcé de protéger la vie privée des électeurs de la Colombie‑Britannique quand les partis politiques fédéraux refusaient de le faire de leur plein gré.

Ces efforts collectifs ont été repoussés pendant plus d’une décennie par les dirigeants de partis politiques, qui se trouvent incontestablement en conflit d’intérêts. L’amendement correspond également à la conviction du public, et il s’agit bien d’une conviction et non d’une simple opinion, puisque 96 % des Canadiens veulent que les partis politiques instituent des garanties législatives en matière de protection des renseignements personnels. Les 10 dernières années ont clairement montré que si les Canadiens veulent obtenir ces protections, ce n’est pas une Chambre des communes où les votes sont dictés par les partis qui fera le nécessaire. Seuls les sénateurs peuvent le faire, car ils sont indépendants. C’est à nous d’agir, chers collègues.

(1610)

Enfin, l’amendement du sénateur Tannas offre une perspective réaliste de convaincre le gouvernement de changer d’avis. Il donne aux néo-démocrates, aux conservateurs et aux libéraux ce qu’ils veulent, à condition qu’ils concrétisent l’autre chose que promet la section 39. Si un régime national complet de protection de la vie privée est mis en œuvre dans les 24 mois, la modification de la Loi électorale du Canada sur l’exclusivité du régime fédéral de protection de la vie privée sera conservée.

Je suis certain que le paradoxe n’échappe à aucun d’entre nous, le fait qu’un Sénat non élu défende avec opiniâtreté les fondements de la Chambre des communes démocratiquement élue. Je sais que le fait de voter en faveur de l’amendement peut jeter un pavé dans la mare, mais nous avons le devoir de protéger les droits des Canadiens. Seul le Sénat peut enfin apporter une certitude aux 96 % des Canadiens qui veulent que la loi protège les renseignements personnels que détiennent les partis politiques.

À mes yeux, la question est claire. Si vous êtes d’accord avec 96 % des Canadiens pour dire que la loi devrait régir la collecte et l’utilisation des renseignements personnels des Canadiens par les partis politiques, alors c’est le moment d’appuyer résolument l’amendement du sénateur Tannas. Si nous choisissons de rester fermes, ce que j’espère ardemment, je crois que le Sénat aura fait quelque chose dont nous pourrons être extrêmement fiers et dont les Canadiens nous seront un jour reconnaissants. Merci, chers collègues.

L’honorable Ian Shugart : Honorables sénateurs, je veux simplement soulever quelques points au Sénat, alors je serai plutôt bref. Je dirai d’abord que je suis complètement d’accord avec mon ami, notre collègue, le sénateur Tannas. J’appuie sans réserve les points qu’il a fait valoir à propos des projets de loi omnibus. Malheureusement, je pense aussi qu’il a raison en ce qui concerne le sort qui sera réservé à l’amendement.

Hier, j’ai dit qu’après être passé par le pouvoir exécutif, j’ai un peu de difficulté à m’adapter au pouvoir législatif. Aujourd’hui, je trouve que c’est beaucoup plus facile. Les gouvernements dirigés par les deux partis ont eu recours à la pratique en question. Par conséquent, il y a un fort risque qu’elle devienne acceptable et qu’elle se normalise. Or, je suis d’avis qu’un comportement répréhensible ne constitue pas une convention, et c’est bel et bien un comportement répréhensible.

À propos de l’amendement, même s’il est original et même si je suis d’accord avec vous, sénateur Deacon, sur les points que vous avez soulevés dans vos observations, ou du moins sur la plupart d’entre eux, je pense que je ne connais pas assez bien ce domaine. Toutefois, en principe, je suis d’accord pour dire que nous devons nous pencher sur la question de la protection des renseignements personnels et des régimes qui encadrent les partis politiques.

En ce qui concerne les rôles des deux chambres, je pense qu’il serait excessif d’adopter cet amendement maintenant, à ce stade du processus et compte tenu l’ensemble de la situation. Pour cette raison, je voterai respectueusement contre l’amendement.

Permettez-moi de me pencher sur ce que nous devrions faire en guise d’alternative, car je pense que nous ne devons pas nous arrêter là. Je pense que nous devons aborder la question des projets de loi omnibus. J’estime que les décisions de la présidence de l’autre endroit ne vont pas assez loin pour résoudre ce qui est en jeu ici. Je pense que la décision en question équivaut à dire que la mesure ne peut pas être contestée parce qu’elle figure dans le document budgétaire. Le problème est le suivant : cette mesure aurait-elle dû figurer dans le document budgétaire? Dans ce cas précis, ma réponse est non.

Je pense que les budgets sont liés à la situation fiscale et, plus largement, à la position économique du gouvernement. Oui, les budgets représentent la position de principe du gouvernement, mais, dans la mesure où ils servent à véhiculer d’autres priorités législatives, le gouvernement devrait faire preuve de beaucoup plus de prudence et de principes qu’il ne l’a fait. Encore une fois, il s’agit d’une pratique de longue date des deux gouvernements. Ce n’est pas du tout un commentaire partisan.

Je dirais qu’il n’e s’agit pas seulement d’une mauvaise gouvernance qui limite, de cette façon, la capacité des parlementaires à être de véritables législateurs. Cela frise la question de privilège. C’est sur cette base que je pense que nous avons le droit et la responsabilité de nous saisir de cette question et de la faire avancer. Je me hasarderais à dire que c’est également une question de privilège pour nos collègues de l’autre endroit.

Je suggère que nous abordions cette question. Je ne sais pas exactement de quelle manière. Je crois qu’il pourrait être utile de mener quelques recherches statistiques sur ce qui s’est passé récemment. Je pense que nous devrions discuter avec nos collègues de la Chambre des communes. Je pense aussi que nous devrions bien faire comprendre au gouvernement que nous prenons cette question très au sérieux, qu’il ne s’agit pas simplement d’un cri de cœur annuel — une crise d’anxiété — face à une mauvaise pratique, et que nous voulons nous y attaquer et changer définitivement la donne. À mon avis, il faut le faire le plus tôt possible. Merci, honorables sénateurs.

L’honorable Rosemary Moodie : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question? Je voudrais vous demander si vous pouvez nous aider à mieux comprendre ce que vous entendez par « excessif ». Devons-nous voter en faveur de cet amendement? Je vous prie de nous aider à comprendre : excessif par rapport à quoi?

Le sénateur Shugart : Merci, madame la sénatrice. Je voudrais simplement faire référence aux commentaires sur le fait qu’il s’agit d’une mesure de confiance, qu’elle est tardive dans le processus, et que, techniquement, le Sénat a la prérogative ou le droit d’amender le projet de loi, mais que cette prérogative doit être exercée de manière appropriée. À mon avis, les questions en jeu ne justifient pas l’utilisation de cette prérogative à ce stade du processus. C’est ce que je voulais dire par « excessif ».

L’honorable Clément Gignac : Mon collègue acceptera-t-il de répondre à une autre question? Je vous remercie, sénateur Shugart. Nous avons de la chance de vous avoir parmi nous pour que vous puissiez nous faire part de vos conseils. J’ai fait référence à vous dans mon intervention d’hier.

Si je lis entre les lignes — et j’ai fait de la politique au Québec pendant quelques années —, si cet amendement avait été présenté il y a un ou deux mois, disons en avril ou en mai — et non à minuit moins cinq, comme cela a été le cas cette semaine —, auriez-vous été plus à l’aise de voter en faveur de celui-ci? J’ai essayé de lire entre les lignes, mais bien que cet amendement n’ait pas été présenté au meilleur moment, nous devons envoyer un message.

Votre position serait-elle différente si cet amendement avait été présenté un mois ou deux avant l’ajournement d’été?

Le sénateur Shugart : Contrairement à vous, sénateur, je n’ai jamais fait de politique, même si j’ai côtoyé des politiciens. J’ai appris qu’en politique, il n’est vraiment pas sage de répondre à une question hypothétique. Je crois qu’après avoir exploré les possibilités d’amender cette pratique, si l’exercice s’avère vain, en ce qui me concerne, sans savoir en quoi elles pourraient consister, je serais ouvert à l’idée que le Sénat prenne des mesures plus draconiennes afin d’attirer l’attention de l’organe exécutif. Je ne sais pas trop en quoi pourraient consister ces mesures ni quand elles seraient prises, mais je crois que nous devrions faire nos devoirs. Nous devrions faire de notre mieux, de bonne foi, afin de régler cette situation. Après, nous verrons.

(1620)

L’honorable Denise Batters : Sénateur Shugart, je vous remercie de vos observations. Il n’y a pas très longtemps, dans votre réponse à une question qui vous a été adressée dans cette enceinte, vous avez dit, si ma mémoire est bonne, qu’il s’agit d’une mesure faisant l’objet d’un vote de confiance. Toutefois, le Sénat n’est évidemment pas la Chambre qui accorde ou retire sa confiance. Si l’amendement que le sénateur Tannas propose était adopté, le gouvernement ne serait pas renversé. Le projet de loi serait renvoyé à la Chambre des communes — qui siège toujours. Pouvez-vous nous confirmer que le Sénat a le pouvoir de proposer des amendements même s’il s’agit d’un projet de loi d’exécution du budget?

Le sénateur Shugart : Oui, techniquement, stricto sensu, le Sénat a tout à fait le droit d’apporter cet amendement, comme le sait le sénateur Tannas. Il a fait ses devoirs. Je reste personnellement d’avis qu’adopter cet amendement maintenant équivaudrait à un usage excessif de ce droit.

L’honorable Ratna Omidvar : Sénateur Shugart, je vous remercie de vos commentaires d’hier et d’aujourd’hui sur la retenue et la sagesse sénatoriales. Il s’agit d’une question importante. Je peux déjà prédire — bien que nous ne voulions pas faire d’hypothèses — qu’à cette même période l’année prochaine nous aurons la même discussion, plus ou moins.

Le sénateur Tannas a déclaré qu’en dehors de cet amendement, il lancerait une interpellation. Pensez-vous que notre excellent Comité sénatorial permanent des finances nationales devrait entreprendre une étude sur les projets de loi omnibus et sur tout ce qu’il y a de bon et de mauvais à leur égard, afin de nous permettre d’être dans une meilleure position d’ici le mois de juin de l’année prochaine?

Le sénateur Shugart : Sénatrice Omidvar, je crois que le Comité sénatorial des finances nationales serait tout indiqué. Étant donné l’enjeu, il est fort possible que d’autres comités sénatoriaux aient un intérêt pour ce dossier. Nous pourrions organiser cela et peut-être même des initiatives plus larges pour progresser à cet égard.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je remercie le sénateur Tannas de nous donner l’occasion aujourd’hui de discuter de la pratique qui consiste à insérer dans le projet de loi d’exécution du budget toutes sortes de mesures qui n’ont pas rapport avec le budget, notamment des modifications à diverses lois qui n’ont rien à voir avec les finances et, bien entendu, des éléments encore moins liés au budget, comme une taxe. Peut-être que la tarification du carbone était une question budgétaire, mais selon les conservateurs, il s’agit d’une taxe.

Cette pratique qui a été appuyée par le Sénat aux législatures précédentes doit cesser. Je suis heureux de voir que beaucoup d’entre nous qui étions là à l’époque ont aujourd’hui changé leur fusil d’épaule. Je leur suis reconnaissant d’avoir changé d’opinion concernant ce genre de projet de loi d’exécution du budget.

Comme il a été dit dans le Globe and Mail la semaine dernière, et avec raison, j’estime que cette pratique que le gouvernement actuel perpétue alors qu’il avait promis d’y mettre fin constitue un abus du processus parlementaire qui nous empêche de débattre pleinement de dossiers importants non liés aux aspects budgétaires du programme législatif du gouvernement.

La question est donc la suivante : que faut-il faire pour que les gouvernements conservateurs et libéraux cessent de se livrer à de telles pratiques? Ce que le sénateur Tannas propose, c’est d’ajouter une disposition de caducité à un amendement à la Loi électorale du Canada. Chers collègues, la modification en question a été proposée par le gouvernement sans aucune consultation préalable avec le directeur général des élections ou le commissaire à la protection de la vie privée, comme cela a été dit au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. En fait, l’amendement n’est rien d’autre qu’une tentative de faire dérailler les procédures judiciaires en cours en Colombie-Britannique introduites par le commissaire provincial à la protection de la vie privée contre tous les partis politiques fédéraux actifs dans la province de la Colombie‑Britannique, ce qui exclut le Bloc québécois. Tous ces partis se sont unis pour contester l’autorité du commissaire à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique.

À mon avis, l’approche logique consisterait à proposer la suppression de cet amendement. Pourtant, il semble que le sénateur Tannas propose de le conserver, mais seulement pour une période de deux ans. Ce n’est pas une bonne mesure et elle n’a pas été adoptée à l’issue de consultations préalables, mais il croit qu’elle devrait néanmoins rester en vigueur pendant deux ans. Je ne comprends pas vraiment cette approche.

Cela dit, je pense que notre réponse au projet de loi d’exécution du budget devrait être élaborée en faisant pleine preuve de modération, comme l’a fait valoir le sénateur Shugart hier, dans son discours très intéressant. C’était un excellent premier discours, monsieur le sénateur, et celui d’aujourd’hui était également très bon. Au lieu d’envoyer immédiatement un message à l’autre endroit à la dernière minute, je préférerais adopter une solide motion ou un amendement à notre Règlement qui seront tous les deux publiés bien avant qu’ils n’entrent en vigueur et bien avant le prochain budget.

Au lieu d’un avertissement préalable, ce qu’on propose aujourd’hui est un amendement qui sèmerait vraisemblablement le chaos à la dernière minute avant l’ajournement estival. À mon avis, ce n’est pas une façon sage de réclamer des changements. Par conséquent, je voterai contre l’amendement proposé. Merci.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord dire que j’ai trouvé cet échange sur l’amendement du sénateur Tannas fort édifiant, et je pense que c’est tout à l’honneur de cette Chambre, qui s’efforce d’étudier attentivement des questions importantes. Je dois dire que je souscris en grande partie à ce qui a été dit, et cela en dit long sur la qualité de l’amendement du sénateur Tannas, de son discours et des discours des sénateurs qui se sont dits favorables à l’amendement, mais je m’y oppose quand même et voterai contre l’amendement. La raison pour laquelle je m’y oppose, honorables collègues, c’est que, malgré les bonnes intentions derrière cet amendement, celui-ci ne s’appuie sur aucun principe. Ce n’est pas une insulte. J’entends par là que cet amendement manque de cohérence.

Honorables collègues, nous tentons ici de répondre à deux problèmes distincts. Premièrement, il y a le problème des projets de loi omnibus, qui est récurrent et qui semble éternel. Comme le sénateur Dalphond l’a mentionné, et comme la sénatrice Dasko l’a laissé entendre, la meilleure façon de composer avec un projet de loi qui a une portée trop vaste et qui contient des mesures qui ne devraient pas nécessairement s’y trouver, c’est de retirer ces mesures du projet de loi.

(1630)

L’autre problème que nous voulons résoudre est la question de la protection de la vie privée dans la Loi électorale du Canada. Il s’agit d’un problème distinct de la question des projets de loi omnibus.

La façon d’aborder ce problème, c’est de faire ce que le Sénat fait toujours, soit étudier le projet de loi soigneusement, le renvoyer au comité, en débattre à l’étape de la deuxième lecture et à l’étape de la troisième lecture, parler à la population et aux intervenants et discuter entre nous, et non pas expédier l’affaire en 30 ou 45 minutes à l’étape de la troisième lecture au Sénat, à la toute fin de la session parlementaire.

Ces deux objectifs sont irréconciliables, et tenter de trouver une solution pour préserver cette disposition dans un projet de loi omnibus en nous contentant de la changer légèrement revient à saper à la fois notre objection de principe à ces projets de loi omnibus et notre engagement envers l’étude détaillée et minutieuse des enjeux importants.

À mon avis, chers collègues, si nous devions adopter cet amendement, nous risquerions qu’on dise de nous que nous sommes — je ne dirais pas hypocrites — inégaux dans notre façon de nous opposer aux projets de loi omnibus, mais cela irait également à l’encontre de ce que nous disons faire le mieux, soit étudier soigneusement et posément les enjeux et arriver à des conclusions après des consultations et une étude adéquates. C’est pourquoi, chers collègues, je voterai contre cet amendement. Merci.

La sénatrice Moodie : Le sénateur Woo accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Woo : Oui, bien sûr.

La sénatrice Moodie : Sénateur Woo, j’ai une question à vous poser sur une autre approche. Au lieu de répondre immédiatement à la loi d’exécution du budget, devrions-nous envisager de tout reporter, de poursuivre les discussions jusqu’à l’automne et d’adopter le projet de loi à ce moment-là, afin de mener les discussions que nous estimons nécessaires sur certaines de ces questions?

Le sénateur Woo : Si vous parlez de retarder le vote sur la loi d’exécution du budget, je pense que la réponse est un non sans équivoque pour toutes les raisons que vous avez entendues de la part de mes collègues, y compris le sénateur Shugart. Cependant, si vous parlez de retarder le processus en vue de trouver une autre approche pour traiter la question de fond concernant la protection des renseignements personnels dans la Loi électorale du Canada, j’approuve cette option. Je ne sais pas quelle serait cette approche. Quelqu’un a parlé d’une motion, d’une étude ou d’un projet de loi. Il pourrait y avoir différentes options. J’appuierais cette approche.

Le sénateur C. Deacon : Le sénateur Woo accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Woo : Oui.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup. Je souhaite avoir des précisions.

Vous avez fait d’excellentes observations. J’aimerais que nous fassions les choses différemment, mais la réalité est que 96 % des Canadiens aimeraient que la loi protège les renseignements personnels que détiennent les partis politiques. Si nous adoptons ce projet de loi sans amendement, il n’y aura rien; qu’une intention. Je m’intéresse au système bancaire ouvert, au gouvernement numérique et à l’identité numérique depuis quatre ans, ainsi qu’à l’intention de faire des progrès. C’est comme l’affiche qu’on voit dans les pubs britanniques : « Bière gratuite demain. » Si vous y retournez le lendemain, c’est encore écrit : « Bière gratuite demain. » Je l’ai appris à mes dépens.

Mon souci est qu’il existe 10 ans de données qui prouvent qu’il n’y a pas d’intention. Avez-vous pris cela en considération?

Le sénateur Woo : Oui. Votre question porte sur la substance des considérations liées à la protection de la vie privée dans la Loi électorale du Canada. Au Sénat, la façon appropriée d’aborder cette question — comme nous avons la réputation de le faire — consiste à l’examiner séparément et dans son ensemble plutôt que d’ajouter à la dernière minute un amendement à un projet de loi omnibus.

Sénateur Deacon, je vous répondrais que peu importe ce que nous pourrions gagner auprès des 96 % de Canadiens qui souhaitent des changements, nous le perdrions auprès d’un pourcentage tout aussi élevé de la population qui trouve que notre approche à l’égard de cette question n’est pas fondée sur des principes.

[Français]

L’honorable Lucie Moncion : Sénateur Woo, accepteriez-vous de répondre à une question? Elle touche le commentaire que vous avez fait, quand vous avez dit que l’on parlait d’apporter la modification à la dernière minute et que vous avez évoqué les conséquences d’adopter cette modification à la dernière minute. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a déposé tout récemment son rapport au Sénat. Depuis le dépôt du rapport, il n’y a eu aucun commentaire ou mention sur cette section précise. Je crois que les gens ont eu le temps de porter cet élément à notre attention. Je voudrais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

Le sénateur Woo : Vous soulevez un autre point important. Pourquoi cette question n’a-t-elle pas été abordée plus tôt? Cela donne une mauvaise image de nous dans la mesure où nous avons eu l’occasion de le faire plus tôt, mais que nous ne l’avons fait qu’à la dernière minute. Ma principale objection ne porte pas tant sur le fait que cet amendement a été proposé à la dernière minute, mais sur la nature contradictoire, si je puis m’exprimer ainsi, de sa présentation : d’une part, accepter le fait qu’il s’agit d’un projet de loi omnibus — et, en un sens, en élargir davantage la portée en proposant cet amendement — et, d’autre part, ne pas nous acquitter de notre devoir, qui consiste à étudier minutieusement cette question avant de lancer un amendement à l’étape de la troisième lecture afin qu’on l’étudie quelques minutes avant un vote.

Le sénateur Tannas : Le sénateur Woo et moi, nous nous entendons sur un point. Si nous procédons de cette façon, c’est parce que l’amendement demande — implore — que l’on nous soumette un projet de loi, de façon à ce que nous puissions l’étudier en bonne et due forme. L’amendement conserve ce qui est là tout en réclamant un projet de loi. Cela vous a-t-il échappé, ou est-ce plutôt moi qui ne saisis pas la nuance?

Le sénateur Woo : Il n’en demeure pas moins que c’est un amendement que vous avez abondamment défendu, sénateur Tannas, en faisant valoir l’argument qu’un projet de loi omnibus est inacceptable. Je considère que vous ne pouvez pas avoir le beurre et l’argent du beurre — quoique oui, vous le pouvez, bien sûr, puisque si cet amendement est adopté, vous obtiendrez ce que vous voulez.

Si, comme vous le dites, cet élément n’a pas sa place dans le projet de loi — étant donné qu’il figure à l’annexe 3, qu’il est caché à la page 400 ou peu importe son emplacement et qu’il n’a rien à voir avec le budget —, alors il faudrait par principe le supprimer. L’idée de bidouiller le projet de loi et de le retoucher contredit votre argument voulant que les projets de loi omnibus ne doivent pas être tolérés.

Je comprends que votre intention est de retoucher les dispositions déjà prévues au projet de loi. Toutefois, c’est exactement ce que j’essaie de faire valoir : toute retouche devrait être le fruit d’un long examen minutieux au lieu d’être improvisée à la dernière minute.

La sénatrice Dasko : Sénateur Woo, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Woo : Oui, bien sûr.

La sénatrice Dasko : Merci. Vous avez eu raison de dire qu’il y a deux questions distinctes ici. Une des questions concerne le fait que les projets de loi omnibus sont intolérables, comme vous venez de le dire. J’imagine que bon nombre de nos collègues seraient d’accord avec vous sur ce point.

Seriez-vous disposé à présenter un amendement pour supprimer du projet de loi C-47 toute mention de la Loi électorale du Canada, compte tenu du fait que nous n’avons pas nécessairement besoin d’étudier davantage cette question en particulier, à savoir si les projets de loi omnibus sont une bonne ou une mauvaise chose? Beaucoup d’entre nous seraient d’accord pour dire que nous n’avons pas besoin d’étudier ce sujet. Nous conviendrions probablement que ce n’est pas une bonne chose. Seriez-vous prêt à proposer un amendement en ce sens? Merci.

(1640)

Le sénateur Woo : Je vous remercie, sénatrice Dasko. Non, je ne serais pas prêt à le faire, car si apporter un amendement à l’article actuel concernant la Loi électorale du Canada constitue déjà un excès d’enthousiasme, le supprimer complètement le serait encore plus.

L’honorable Denise Batters : Sénateur Woo, j’ai peut-être manqué quelques éléments, puisque j’écoutais l’interprète, mais je crois que l’échange que vous avez eu avec la sénatrice Dasko portait sur l’idée de retirer du projet de loi ce qui concerne la Loi électorale du Canada — ou sur le fait que cette disposition n’a pas sa place dans une loi d’exécution du budget —, et je crois que certains propos indiquaient que cette question n’avait pas été discutée dans cette enceinte avant aujourd’hui.

Ce n’est pas exact, en fait; je voulais simplement vous le signaler, sénateur Woo, au cas où vous ne le sauriez pas. Le sénateur Loffreda a mentionné cette idée en passant dans son discours à l’étape de la deuxième lecture. Il a expliqué que le Comité des affaires juridiques avait présenté un rapport de son président, le sénateur Cotter, qui mentionnait cette question et les modifications au Code criminel incluses dans la loi d’exécution du budget. Nous avons signalé que ce n’était pas approprié.

Puis, après que le sénateur Loffreda a fait cette remarque, j’ai porté cet enjeu à son attention et je lui ai dit spécifiquement que les dispositions concernant le Code criminel et la Loi électorale du Canada ne devraient pas se trouver dans le projet de loi.

Reconnaissez-vous que cela vous a peut-être échappé, puisque cette question a bien été soulevée dans le cadre d’un débat au Sénat?

Le sénateur Woo : Je vous remercie d’avoir porté cela à mon attention.

Ce qui importe, c’est que nous n’avons pas étudié la Loi électorale du Canada, ses répercussions sur la protection des renseignements personnels et la manière de concevoir un régime adéquat de protection des renseignements personnels à l’intention des partis politiques. Je pense que cette affirmation est exacte.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Je serai bref, mais j’aimerais faire quelques observations. Parmi les personnes ici présentes, le sénateur Woo sera le plus étonné d’entendre que je suis entièrement d’accord avec lui sur tout ce qu’il a dit aujourd’hui. Je suis également d’accord avec le sénateur Shugart sur tout ce qu’il a dit. Je suis conciliant aujourd’hui. Je suis de bonne humeur.

Chers collègues, nous avons passé je ne sais combien d’heures à débattre d’un amendement qui, de l’aveu même de son parrain, n’a absolument aucune chance d’être adopté. Pourtant, nous voilà en train d’en débattre. Le leader du gouvernement refuse ce qui lui tombe tout cuit dans le bec, alors il fait l’inventaire de toutes les raisons pour lesquelles nous devrions voter en faveur l’amendement même si le parrain lui a dit que ce ne sera jamais adopté. Oui, c’est ce que le leader du gouvernement a fait. Il a dit que nous ne devrions pas procéder ainsi parce que c’est à la dernière minute et que la Chambre ne sera peut-être pas en mesure de s’en occuper. Il se peut que la Chambre s’ajourne, alors elle ne pourra pas s’occuper de la question.

En réalité, chers collègues, la Chambre se fiche de ce que nous faisons ici, comme en témoigne le moment où elle nous envoie les projets de loi. Nous n’avons pas encore reçu le projet de loi de crédits. Nous souhaitons que le Sénat s’ajourne demain, mais nous n’avons pas encore le projet de loi de crédits. Nous n’avons pas non plus reçu le projet de loi C-18. Nous devrons tenir un vote sur le message au sujet du projet de loi C-18. Nous ne l’avons pas reçu; pourtant, nous souhaitons que le Sénat s’ajourne demain.

Le sénateur Gold défend en quelque sorte ce que fait le gouvernement. Le gouvernement n’est pas capable de marcher et de mâcher de la gomme en même temps, mais nous sommes censés être ses béni-oui-oui.

Ensuite, les sénateurs Gold et Loffreda ont tous deux déclaré, en toute franchise, qu’il fallait faire confiance au gouvernement. Or, je n’ai rien vu au cours des deux dernières semaines qui me donne envie de faire confiance au gouvernement. Des ministres et le premier ministre lui-même nous disent des choses qui ne sont pas vraies et, pourtant, nous sommes censés leur faire confiance.

Nous avons le droit de proposer des amendements aux projets de loi ici, peu importe l’heure, le jour, le mois ou la séance. Le leader du gouvernement affirme qu’il ne faut pas agir maintenant parce que ceux de l’autre endroit n’auront pas le temps de s’en occuper, mais eux ne se soucient pas vraiment de savoir si nous avons le temps de nous occuper des crédits, que nous n’avons pas. Alors, allons-nous nous en occuper vendredi? Allons-nous revenir ici après la Saint-Jean-Baptiste pour nous en occuper? Nous ne le savons pas, puisque nous ne les avons pas encore, mais nous sommes censés ne pas faire les choses à la dernière minute.

J’ai eu une conversation plus tôt avec le sénateur Tannas. Comme je veux parler de ce que j’ai dit, je ne pense pas que c’était confidentiel. J’ai dit au sénateur Tannas que je n’allais pas voter pour cet amendement. Je fais maintenant face à un dilemme. Je pourrais changer d’avis. Chose certaine, si mes collègues appuient la position que je prendrai, peu importe ce qu’elle sera, le sénateur Deacon dira que nous avons été soumis à la discipline de parti.

Comme le sénateur Tannas l’a dit au début de son discours, il l’a prononcé à titre personnel, et non pas en tant que leader du Groupe des sénateurs canadiens. C’est aussi ce que je fais aujourd’hui. Je peux toutefois vous dire une chose, chers collègues : si un vote par appel nominal est tenu sur cette question, si la sonnerie se fait entendre, mes collègues et moi nous réunirons pour discuter des avantages et des inconvénients de ce projet de loi. À notre retour, nous pourrions bien voter de la même façon ou pas. Nous allons faire valoir nos arguments.

Je trouve en fait offensant que des gens disent que nous sommes soumis à la discipline du parti parce que nous avons des vues similaires. Les personnes aux vues similaires ont tendance à faire des choses semblables. C’est pourquoi nous sommes tous des conservateurs : sur le plan philosophique, à tout le moins, nous sommes d’accord. Nous ne votons toutefois pas toujours de la même façon. Si le sénateur Deacon ne se trouvait pas dans le fin fond du Sénat, il aurait peut-être remarqué qu’il arrive parfois que nous votions différemment.

Quand des motions demandant le consentement unanime sont présentées, on nous dit constamment de voter en leur faveur parce que c’est ce qui a été décidé à l’unanimité à l’autre endroit. Nous devrions donc voter en leur faveur ici. Je défends les deux côtés, au cas où quelqu’un se poserait la question.

Chers collègues, nous avons obtenu le consentement unanime sur cette question. Je suis d’accord avec le sénateur Gold sur un point : quatre partis à la Chambre ont voté sur cette question et ont décidé que cette mesure devait figurer dans le projet de loi. Je n’approuve pas les projets de loi omnibus. Je conviens que les deux partis à la Chambre ont déjà présenté de tels projets. Je faisais partie du gouvernement lorsque nous avons reçu des projets de loi omnibus, et cela rendait les choses très difficiles. En effet, il y avait parfois des parties d’un projet de loi que je ne voulais pas soutenir, mais que je devais soutenir parce qu’il s’agissait d’un projet de loi omnibus.

Je ne suis pas en faveur du rejet de projets de loi d’exécution du budget. Je ne crois pas que l’amendement proposé aurait cet effet. Je suis d’accord sur ce point. Cependant, il a été décidé à l’unanimité par les quatre partis élus de la Chambre des communes que la mesure en question devait figurer dans ce projet de loi.

Le sénateur Shugart avait tout à fait raison lorsqu’il a dit que nous devions trouver un moyen de remédier à cette situation. Un de ces moyens serait que le leader du gouvernement au Sénat dise au leader du gouvernement à la Chambre que nous avons fixé une date butoir pour l’examen de son projet de loi. S’ils ne le soumettent pas avant cette date, le projet de loi ne sera pas adopté, et cela vaut également pour le budget.

Ils nous traitent avec mépris. On m’a dit que, sur Twitter, avant même que le projet de loi C-21 ne soit présenté dans cette enceinte, le secrétaire parlementaire de l’autre endroit a tweeté que le sénateur Plett devrait cesser de retarder le projet de loi C-21. Il n’avait pas encore été présenté ici. Voilà comment ils nous traitent.

Puis, le lendemain du discours de mon bon ami, le 1er juin, le ministre a de nouveau tweeté que le sénateur Plett devrait cesser de retarder l’adoption du projet de loi C-21. Demain, nous aurons au moins deux discours sur le projet de loi C-21 avant que je ne prenne la parole, selon ce qui est indiqué sur la liste, et pourtant on dit que je le retarde. Voilà comment ils nous traitent.

Le sénateur Gold nous dit alors : « Faites-nous confiance. » Je suis désolé, mais je ne leur fais pas confiance.

Maintenant, je verrai bien ce que mes collègues me diront de faire. Il se peut qu’ils puissent me convaincre de voter en faveur de ce projet de loi ou contre celui-ci, mais je ne sais pas encore comment je voterai. Je vais les laisser me dire quoi faire. Nous allons en discuter comme il se doit.

Cependant, chers collègues, ne rejetons pas cet amendement parce que nous en sommes saisis tardivement ou qu’il se fait tard. Rejetons-le s’il mérite de l’être, et c’est d’ailleurs en ce sens que je penche. Il ne faut pas le rejeter simplement parce que nous en sommes saisis à la dernière minute. Ils peuvent continuer à siéger. S’ils veulent nous envoyer une mesure législative aussi tardivement, peut-être qu’il leur faudra rester ici quelques jours de plus. Ce n’est pas notre problème. Nous faisons notre travail, et ils font le leur.

(1650)

Chers collègues, je m’en tiendrai à cela. Je voterai selon ma conscience en temps voulu, mais d’autres souhaitent s’exprimer. Je sais que la sénatrice Dupuis a indiqué qu’elle souhaitait intervenir. Cependant, ce n’est pas parce que le leader nous dit de faire quelque chose pour que nous puissions sortir d’ici, ce que je souhaite également, car il est 16 h 50, que nous devons le faire. Si nous voulons sortir d’ici cette semaine, faisons nos interventions, et passons à autre chose. Je vous remercie.

L’honorable Jane Cordy : Saviez-vous que l’ancienne sénatrice Carstairs, lorsqu’elle dirigeait le caucus libéral au Sénat, il y a plusieurs années, a demandé à l’autre endroit que tous les projets de loi que le gouvernement voulait faire adopter au Sénat soient adoptés à la Chambre avant une date précise? C’était peut-être le 1er juin. Je ne me souviens plus très bien, mais peut-être que la sénatrice Ringuette s’en souvient. En fait, cette année-là, le Sénat s’est ajourné pour l’été avant la Chambre. Nous avons adopté toutes les mesures législatives qui nous avaient été confiées avant, disons, le 1er juin, puis nous sommes partis pour l’été.

Les députés n’étaient pas très contents, mais cela ne s’est pas produit l’année suivante, car nous avons reçu tous les projets de loi avant la date indiquée par la sénatrice Carstairs.

Pensez-vous que c’est une bonne idée?

Le sénateur Plett : Merci beaucoup pour cette question, sénatrice Cordy.

Permettez-moi de dire que, lors de ma première année au Sénat, nous avons siégé jusqu’à la troisième semaine de juillet parce que nous n’avions personne pour agir ainsi. On m’a rappelé à plusieurs reprises ce que la sénatrice Carstairs a fait. Le premier ministre était évidemment Jean Chrétien et c’est exactement ce qu’elle a fait. Je l’en félicite. J’ai rappelé plusieurs fois à notre leader au Sénat que nous devrions peut-être faire la même chose. Je crois que je l’ai également rappelé à mon cousin, le sénateur Harder, lorsqu’il était le leader. Alors, oui, j’appuierais certainement ce plan d’action.

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, il est difficile de suivre le sénateur Plett dans ses bons jours.

Je n’ai pas préparé de discours, mais j’ai pris note de vos différentes observations, et je me sens obligée de donner mon avis.

Sénateur Tannas, je suis tout à fait d’accord avec vous en ce qui concerne les projets de loi omnibus. Vous et moi faisions partie de différents caucus partisans, et les chefs de nos partis acceptaient déjà des projets de loi omnibus à l’époque. C’était il y a environ 17 ans, et on n’a pas cessé de présenter des projets de loi omnibus depuis ce temps.

Nous avons soulevé la question au Comité du Règlement, qui fonctionnait et fonctionne toujours par consensus. Comme il n’y avait pas consensus, nous n’avons pas réglé la question de savoir comment disposer des projets de loi omnibus au Sénat.

Nous n’allons pas dire à l’autre endroit comment disposer de leurs projets de loi, mais nous sommes les maîtres de notre Chambre. Chaque année, en décembre et en juin, nous parlons des projets de loi omnibus. Les rapports de nos différents comités contiennent des observations sur les projets de loi omnibus. Ensuite, nous retournons chez nous, et à notre retour, nous oublions tout cela jusqu’au prochain projet de loi omnibus.

Ainsi, chers collègues, pouvons-nous convenir — du moins les membres du Groupe des sénateurs indépendants et le sénateur Plett, si je me fie à sa déclaration — de traiter de la question des projets de loi omnibus en priorité à notre retour en septembre, et de communiquer à l’autre endroit notre position à cet égard bien à l’avance, et non à la onzième heure?

Ce sera le premier dossier dont nous discuterons.

En passant, n’est-il pas agréable de voir que lorsque nous traitons d’un dossier, nous ne nous arrêtons pas après 15 minutes et n’attendons pas deux semaines avant de poursuivre la discussion? N’est-il pas agréable de nous pencher sur un dossier, de pouvoir tous nous exprimer à son sujet et de trancher la question?

Voilà un autre aspect du Sénat indépendant que nous devons déterminer : comment gérer nos discussions et faire progresser l’étude des projets de loi et des motions. Cessons de ne faire que de petits progrès ici et là dans les dossiers. Cela suffit.

D’accord. Je digresse. Les propos du sénateur Plett m’ont motivée.

L’autre problème au cœur de votre amendement concerne la Loi électorale du Canada. Malheureusement, personne n’a soulevé cette question très importante dans le débat jusqu’à présent. Il s’agit pourtant du principal instrument qui crée la démocratie au Canada.

Pour créer cette démocratie au Canada, les partis politiques ont besoin de financement. Les noms des personnes qui financent les partis politiques — c’est dans la Loi électorale du Canada — seront rendus publics, parce que notre démocratie l’exige. Si les dons sont publics et transparents, ils sont aussi soumis à un plafond; les dons des individus aux partis politiques sont assujettis à une limite annuelle.

Comment pouvons-nous garantir qu’Élections Canada veillera à ce que cette limite soit respectée? Comment pouvons-nous garantir que nos partis politiques sont transparents en ce qui concerne les dons? Nous le pouvons grâce à la Loi électorale du Canada et de la transparence qu’elle prévoit.

Pourquoi pensez-vous que l’autre endroit n’a pas été en mesure de traiter du respect de la vie privée par rapport à la transparence démocratique jusqu’à présent?

Je comprends que des pressions seront exercées sur les députés pour qu’ils abordent cette question, mais je crois honnêtement que les Canadiens qui font des dons à un parti politique comprennent que le système rendra publics leur nom et le montant de leurs dons. Ce système existe depuis 30 ans.

Ce n’est donc pas ça, le problème.

Comment les partis politiques de l’autre endroit qui font face à des élections et qui doivent apporter des modifications à la Loi électorale du Canada pourront-ils faire la distinction entre les renseignements personnels de leurs donateurs, la transparence du financement des partis politiques et la survie de notre démocratie?

Chers collègues, je dirais assurément que l’autre endroit ne peut pas régler cette question, en raison des quatre partis politiques qui y siègent — et certainement pas dans le délai que vous souhaiteriez, sénateur Tannas. C’est une mission impossible. Je pense qu’ils essaient tous de comprendre cela à cause du processus en Colombie-Britannique.

Sénateur Tannas, je crois que vous avez de bonnes intentions. Cependant, ce n’est pas le lieu pour réaliser votre intention de régler la question de la protection des renseignements personnels et, sénateur Deacon, concernant la vie privée. Ce n’est pas ici que cela sera réglé.

(1700)

Le troisième message que je veux faire passer — et je profite de l’occasion pour en parler —, c’est que, lorsque nous enverrons un message à la Chambre des communes au sujet du projet de loi budgétaire, il vaudrait mieux que ce ne soit pas sur une question relative à la Loi électorale du Canada. Il vaudrait mieux que ce soit sur une question qui concerne le portefeuille de tous les Canadiens. Le sénateur Shugart a utilisé le mot « excessif » — je suis d’accord avec lui.

Par conséquent, sénateur Tannas et chers collègues, je ne voterai pas en faveur de cette motion, pour les raisons que j’ai évoquées.

Merci.

L’honorable Andrew Cardozo : La sénatrice Ringuette accepterait-elle de répondre à une question?

Nous avons eu une bonne discussion sur la question des projets de loi omnibus. Vous avez dit que ce devrait être le premier point, ou que nous devrions l’aborder assez rapidement. Je mentionne quelques idées qui ont été avancées : le sénateur Tannas a proposé de lancer une interpellation. Le sénateur Shugart a suggéré que le Comité des finances nationales examine la question. On a suggéré de présenter une motion. La sénatrice Cordy a parlé de fixer une échéance pour l’acceptation des projets de loi.

Pensez-vous qu’il s’agit là du type de mesures que nous pouvons prendre pour parvenir à une conclusion et pour bien faire comprendre à la Chambre comment nous voulons procéder à l’avenir pour les projets de loi omnibus?

La sénatrice Ringuette : Je vous remercie de la question. Je pense que tous les éléments que vous avez énumérés devraient faire partie de la discussion et de l’analyse. Si nous formons une Chambre indépendante, nous devrions être en mesure de nous entendre sur le genre de travail que nous voulons faire.

J’imagine que l’autre question qu’il faut se poser est la suivante : le gouvernement présente-t-il des projets de loi omnibus parce que la Chambre des communes est de moins en moins efficace? Si tel est le cas, nous devrons peut-être pousser la Chambre des communes à aussi s’attaquer à son manque d’efficacité, et ce, dans l’intérêt de la démocratie.

Il m’arrive peut-être d’exposer un peu trop mon opinion pour mon propre bien. Merci.

L’honorable Colin Deacon : La sénatrice Ringuette accepterait‑elle de répondre à une autre question?

Sénatrice Ringuette, juste pour que ce soit bien clair, est-ce que vous comprenez que les renseignements privés recueillis par les partis politiques sont loin de se limiter aux dons et aux listes des électeurs? Ils incluent des données personnelles sur la famille, l’origine ethnique, la langue parlée, l’emploi et les médias sociaux fréquentés, entre autres.

Par ailleurs, le commissaire à la protection de la vie privée et le directeur général des élections ont formulé des recommandations très précises au gouvernement et aux partis politiques sur la forme que devrait prendre cette mesure législative. Ce travail a été effectué, et ce, depuis de nombreuses années.

Étiez-vous au courant de ces deux choses?

La sénatrice Ringuette : Oui, sénateur Deacon, je suis consciente de ces questions, car j’ai déjà été élue et j’ai travaillé dans un caucus partisan. Le commissaire à la protection de la vie privée est un spécialiste du domaine, mais le peuple canadien veut que nos partis politiques et notre processus démocratique soient transparents. Comment l’autre endroit, avec ses quatre partis politiques, sera-t-il en mesure d’établir un juste équilibre entre ces deux éléments? Je leur souhaite bonne chance.

[Français]

Son Honneur la Présidente : Sénatrice Dupuis, vouliez-vous poser une question?

L’honorable Renée Dupuis : Oui. J’avais une question à poser.

Son Honneur la Présidente : La sénatrice Ringuette accepterait‑elle de répondre à une question?

La sénatrice Ringuette : Oui.

La sénatrice Dupuis : Je veux poser une question à la sénatrice Ringuette, plutôt que de prolonger la durée du débat sur cette question.

Sénatrice Ringuette, pensez-vous qu’au Sénat, on a fait tout ce qu’on pouvait pour traiter de la question de l’inclusion de projets de loi séparés des questions budgétaires dans un projet de loi omnibus?

Pour ce qui est de cette question très précise, dont on discute ici à la dernière minute — plutôt qu’au comité où l’on a traité de cette question, soit le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles... Le Comité des affaires juridiques a eu bien des occasions d’examiner des modifications à la Loi électorale du Canada.

Pensez-vous que c’est sérieux de dire, à ce moment-ci, qu’un amendement est nécessaire, alors qu’on n’a pas poussé plus loin le travail que l’on pouvait faire au Sénat? Pensez-vous que c’est sérieux de dire, à ce moment-ci, que l’on va modifier un projet de loi d’exécution du budget, parce qu’on n’aime pas les projets de loi omnibus?

Son Honneur la Présidente : Sénateur Ringuette, il vous reste 55 secondes.

La sénatrice Ringuette : Non. Merci.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Non.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

Des voix : Maintenant.

Une voix : Quarante-cinq minutes.

Son Honneur la Présidente : Nous reviendrons à 17 h 52. Convoquez les sénateurs.

(1750)

La motion d’amendement de l’honorable sénateur Tannas, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan McPhedran
Batters Moodie
Boisvenu Oh
Dagenais Osler
Dasko Pate
Deacon (Nouvelle-Écosse) Patterson (Nunavut)
Greene Quinn
Housakos Richards
MacDonald Tannas
Manning Verner
Marshall Wallin—23
McCallum

CONTRE
Les honorables sénateurs

Arnot Jaffer
Boehm Klyne
Boniface Kutcher
Boyer LaBoucane-Benson
Burey Loffreda
Busson MacAdam
Cardozo Martin
Carignan Marwah
Clement Massicotte
Cordy Mégie
Cormier Mockler
Cotter Moncion
Coyle Omidvar
Dalphond Petitclerc
Deacon (Ontario) Petten
Dean Plett
Duncan Ravalia
Dupuis Ringuette
Forest Saint-Germain
Gagné Seidman
Gignac Shugart
Gold Smith
Greenwood Sorensen
Harder Wells
Hartling Yussuff—50

ABSTENTIONS
Les honorables sénatrices

Audette Miville-Dechêne
Bernard Patterson (Ontario)
Gerba Simons—6

(1800)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Votre Honneur, il y a eu des discussions et des conversations entre les leaders de tous les caucus et les groupes. Compte tenu du programme pressant que nous avons aujourd’hui et demain, nous sommes parvenus à une entente.

Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement, tout ordre antérieur ou toute pratique habituelle, la suspension du soir prévue à l’article 3-3(1) du Règlement soit d’une durée de seulement une heure les 21 et 22 juin 2023, à partir de 18 heures.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Pour que ce soit clair, le sénateur Plett demande que si nous tenons compte de l’heure, ce soit pour une heure aujourd’hui et demain. Vous plaît-il d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La séance du Sénat est suspendue.)

(Le Sénat reprend sa séance.)

(1900)

[Français]

Troisième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Loffreda, appuyée par l’honorable sénateur Gold, c.p., tendant à la troisième lecture du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.

L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, bonjour, tansi.

En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, le territoire traditionnel des Anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas, des Dénés et de la patrie de la nation métisse. Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.

[Traduction]

Chers collègues, je prends la parole au sujet du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023. Je tiens à souligner certains points qui ont été abordés par les sénateurs précédents. Je remercie le sénateur Loffreda d’avoir parrainé ce projet de loi et je le remercie tout particulièrement de son discours très posé dans lequel il a reconnu ouvertement et équitablement bon nombre des préoccupations et des frustrations exprimées par les sénateurs au sujet des contraintes imposées à l’étude du projet de loi, notamment des contraintes de temps et des préoccupations découlant du caractère omnibus du projet de loi. Je le remercie également d’avoir signalé un grand nombre des observations formulées par de nombreux comités; elles permettront toutes d’améliorer la mise en œuvre du projet de loi si le gouvernement décide d’en tenir compte.

En outre, je souhaite expliquer aujourd’hui ce qu’on ne m’a pas permis d’expliquer lors de notre vote à l’étape de la deuxième lecture, c’est-à-dire la raison de mon abstention. En bref, je suis très préoccupée, à court comme à long terme, par la nature du projet de loi. Je trouve l’utilisation des projets de loi omnibus profondément troublante, car il s’agit d’un indicateur de l’érosion des principes de transparence et de responsabilité démocratiques. L’abstention était une petite façon de faire connaître mes préoccupations.

Comme notre débat précédent l’a clairement montré plus tôt dans la journée, je ne suis pas la seule à être préoccupée par cette question. Il y a tant de façons de faire connaître notre opposition à cette pratique en général, mais en vérité, peu d’entre elles sont efficaces.

Pour moi, c’est la variante la plus abusive de tous les projets de loi omnibus — un projet de loi omni-budgétaire. Cependant, ce type de projets de loi présente un défi particulier, car il s’agit de projets de loi à incidence financière, qui font automatiquement l’objet d’un vote de confiance. Le projet de loi comprend beaucoup de mesures que j’appuie. Cependant, il comprend aussi d’autres parties qui me préoccupent et contre lesquelles j’aurais aimé pouvoir me prononcer et voter, si seulement les dispositions avaient été présentées dans des projets de loi distincts.

Nous avons de nombreuses réserves à l’égard des projets de loi omnibus. Parmi les principales critiques que nous avons, à mon avis, en commun, pensons premièrement, à la complexité délibérée qui nuit à la transparence. Les projets de loi omnibus sont délibérément de plus en plus volumineux et complexes, ce qui complique la tâche aux législateurs et aux Canadiens qui veulent bien comprendre et analyser toutes les dispositions qu’ils contiennent. Ce manque de transparence affaiblit certainement le processus démocratique, car il limite le débat constructif, réduit la surveillance et restreint la participation de la population au processus. Comme l’a dit la sénatrice Marshall dans ses observations, l’imposition d’échéances artificielles a empêché l’étude en profondeur des nombreuses dispositions du projet de loi par le comité.

Deuxièmement, le fait de contourner le processus législatif régulier donne lieu à un débat et à un examen inadéquats. Parce qu’ils franchissent rapidement les étapes du processus législatif, ces projets de loi ne permettent pas des débats et des études en profondeur. En regroupant des dispositions diverses et trop souvent sans lien les unes avec les autres, on cherche à accélérer l’adoption de mesures controversées ou moins populaires en tirant parti de l’inclusion de mesures essentielles. Cette façon de contourner le processus législatif régulier mine les principes des mécanismes de contrôle. Le professeur Ned Franks considère que des mesures législatives de ce type « [...] contrecarrent et contournent les principes normaux qui régissent l’examen parlementaire des mesures législatives ».

Troisièmement, la reddition de comptes y perd. Lorsque diverses dispositions sans lien les unes avec les autres sont regroupées dans un seul projet de loi, ce qui est malheureusement devenu la norme pour les projets de loi d’exécution du budget, il devient difficile pour les législateurs de rendre des comptes. Kevin Wiener, avocat torontois spécialisé en droits de la personne et en droit des réfugiés, a résumé ainsi cette façon d’échapper délibérément à la responsabilité démocratique : « On pourrait croire que le gouvernement tient pour acquis que les grands pouvoirs ne viennent pas avec de grandes responsabilités. »

Adam Dodek, professeur de droit, s’est penché sur l’historique tumultueux des projets de loi omnibus au Canada, citant une décision de la présidence, en l’occurrence le Président Lucien Lamoureux, en 1971. Questionné sur la validité des projets de loi omnibus, il a été contraint de répondre que « [...] le gouvernement s’est conformé à la pratique acceptée jusqu’ici, à tort ou à raison [...] »

Il a ensuite donné cet avertissement sans équivoque :

[...] nous avons peut-être atteint un point extrême, où les bills omnibus embrassent trop de sujets.

[O]ù faut-il nous arrêter? Où est le point de non retour? [N]ous pourrions en arriver à n’être saisi que d’un seul bill au début d’une session, visant [à] améliorer les conditions de vie au Canada et qui comprendrait tous les projets de loi de la session. [...] Mais une telle procédure serait elle acceptable? Il doit exister un point où nous outrepassons ce qui est acceptable du strict point de vue parlementaire.

Comme les gouvernements successifs ont de plus en plus tendance à employer des tactiques omnibus, nous ne verrons peut‑être plus jamais d’incident de sonnerie comme celui de 1982, lorsque la sonnerie d’appel a retenti pendant 15 jours en raison de l’opposition à un projet de loi omnibus du gouvernement. Cette crise a abouti à la division du projet de loi et à la nomination d’un comité chargé d’envisager une réforme des procédures de la Chambre. Fait paradoxal, la question des projets de loi omnibus, pourtant à l’origine de l’étude, n’a pas été abordée dans les recommandations du rapport. Il semble maintenant que personne n’ait vraiment envie de mettre fin aux projets de loi omnibus, surtout dans un contexte où on peut voir clairement les partis se contenter de dénoncer ces procédures antidémocratiques lorsqu’ils ne sont pas au pouvoir, mais les adopter lorsqu’ils sont élus.

Des parlementaires de l’autre endroit dénoncent périodiquement la tactique de contrainte que représente l’emploi d’un projet de loi omnibus. Permettez-moi de citer l’un d’entre eux :

Monsieur le Président, je suis prêt à soutenir que le contenu du projet est tellement hétéroclite que, pour se prononcer par un seul vote, les députés devraient transiger avec leurs principes.

[...] dans l’intérêt de la démocratie, il importe de se demander : comment les députés peuvent-ils représenter leurs électeurs pour ces diverses modifications quand ils doivent voter en bloc?

Nous sommes en faveur de certaines mesures, mais nous nous opposons à d’autres. Comment pouvons-nous exprimer notre point de vue et celui de nos électeurs quand il y a une telle diversité de questions?

Voilà ce qu’a dit Stephen Harper en 1994. Il s’est opposé au projet de loi omnibus sur le budget du gouvernement, qui comptait 24 pages comparativement aux centaines de pages que nous avons vues depuis. À l’évidence, il a changé d’avis après avoir formé le gouvernement en 2006. C’est aussi le cas de l’actuel premier ministre qui, lors de la campagne électorale de 2016, alors qu’il était dans l’opposition, a promis qu’alors que :

M. Harper s’est [...] servi des projets de loi omnibus pour empêcher les parlementaires d’étudier ses propositions et d’en débattre convenablement. Nous mettrons un terme à cette pratique antidémocratique en modifiant le Règlement de la Chambre des communes.

(1910)

Les gouvernements de toutes allégeances partisanes entrent en fonction en promettant de mettre un frein à cette pratique, mais ils finissent par y succomber. Comme le décrit le Frontier Centre for Public Policy, basé à Winnipeg, « rien ne contribue plus au cynisme des électeurs que les politiciens qui ont recours à des astuces pour faire prévaloir l’esprit partisan sur le bien commun ».

Cela pourrait être risible si ce n’était pas aussi lamentable. L’équilibre crucial entre l’efficacité législative et la responsabilité démocratique est en train d’être rompu, et nous, honorables collègues, pourrions bien être considérés comme des complices.

Je concentrerai mes dernières remarques sur quelques éléments précis du projet de loi C-47 qui me préoccupent et qui soulignent pourquoi, à mon avis, le fait que le projet de loi budgétaire soit un projet de loi omnibus a affaibli notre rôle en tant que législateurs.

Au sujet de la section 17, qui propose des modifications substantielles à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, le sénateur Loffreda a mentionné les observations formulées par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, ou SOCI, qui a signalé que, premièrement, les plafonds imposés au nombre de demandes de réfugiés peuvent entraîner l’exclusion de ceux qui ont le plus besoin de la protection des réfugiés et que, deuxièmement, le recours accru à la prise de décision assistée par l’intelligence artificielle dans le processus de demande d’asile sont très préoccupants.

Une fois de plus, les observations du comité, ainsi que de nombreuses autres, témoignent des dangers des projets de loi omnibus. Chacune des modifications proposées aux lois actuelles sur l’immigration et la citoyenneté est substantielle, avec des ramifications tentaculaires. Elles méritent un examen, une étude et un débat plus approfondis, bien plus qu’il n’a été possible de le faire. J’ai du mal à comprendre en quoi elles sont intrinsèquement liées au processus de mise en œuvre du budget. Ces modifications auraient dû faire l’objet d’une mesure législative distincte et n’auraient pas dû être intégrées dans le projet de loi d’exécution du budget.

Aux dires du gouvernement, les plafonds imposés au nombre de demandes de réfugiés sont nécessaires pour réduire l’arriéré de traitement des demandes, et le parrainage par un groupe de cinq personnes ainsi que le parrainage communautaire sont à l’origine de tous les arriérés à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. C’est ce qu’ont affirmé les responsables de l’immigration qui ont comparu très brièvement devant le comité.

Pendant la pandémie de COVID-19, l’arriéré de demandes d’IRCC a augmenté pour atteindre plus de 2,7 millions de demandes. Cependant, après la pandémie, IRCC a étendu le processus de numérisation des demandes et embauché plus de 1 000 employés supplémentaires. Selon les chiffres d’IRCC, le 26 avril, on comptait 110 661 demandes d’asile à traiter, ce qui comprend 38 681 demandes de parrainage par le gouvernement et 71 980 demandes de parrainage privé. Cependant, selon ce que le ministre Fraser a déclaré pas plus tard qu’en mai 2023, malgré la pandémie de COVID-19 et la récente grève de la fonction publique, IRCC devrait très bientôt pouvoir rétablir les normes de service de l’avant-pandémie pour la plupart des catégories de demandes.

Il est difficile de comprendre comment on peut imposer cette limite au programme de parrainage privé, alors que le ministre a récemment annoncé qu’on allait accroître les services pour d’autres types de demandes d’asile.

Je précise que le parrainage privé, qui comprend le parrainage par les signataires d’une entente de parrainage, le parrainage par un groupe de cinq personnes et le parrainage par des répondants communautaires, contribue au financement servant à l’établissement des réfugiés à hauteur de 135 millions de dollars par année. Le parrainage privé compte pour une grande partie des réfugiés réinstallés au Canada. Le parrainage privé aide le Canada à accueillir chaque année plus de réfugiés que le gouvernement du Canada peut en accueillir à lui seul.

Hier soir, à l’aéroport Pearson, deux jeunes Afghanes sont descendues d’un avion en provenance du Pakistan. Elles ont retrouvé des membres de leur famille, y compris une sœur aînée qui est avocate et qui est arrivée au Canada en tant que réfugiée parrainée par le gouvernement — j’ai facilité son évacuation quelques jours après la chute de Kaboul en 2021. Elles ont aussi retrouvé leur autre sœur aînée qui est médecin; elle est arrivée au Canada il y a à peine quelques jours, en grande partie grâce au soutien de l’Organisation des femmes afghanes, à ses parrains privés et aux interventions d’un autre médecin, notre collègue, le sénateur Ravalia. Cette médecin afghane était une éminente défenseure des droits de la personne dans sa pratique et une porte‑parole de premier plan pour les droits sexuels et génésiques en Afghanistan. Nous avons des documents qui prouvent qu’elle se trouve sur une « liste des personnes à abattre » dressée par les talibans et que sa sécurité au Pakistan était en péril. Les parrainages privés sauvent des vies et ils fournissent du soutien additionnel à l’arrivée pour reconstruire la vie des réfugiés alors qu’ils deviennent des Canadiens productifs et engagés.

Au comité, nous avons appris que le nombre de réfugiés pris en charge par le gouvernement diminuera également annuellement d’ici à 2025. En somme, nous nous retrouvons dans une situation où il y a une hausse modeste des parrainages privés.

En conclusion, je tiens à souligner qu’il y a des préoccupations légitimes au sujet de l’inclusion de tels changements radicaux aux pratiques d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. Cela dit, j’estime qu’il s’agit d’un projet de loi assujetti à un vote de confiance et je voterai en faveur parce que le gouvernement doit pouvoir continuer à fonctionner. Merci. Meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le Code criminel
La Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels
La Loi sur le transfèrement international des délinquants

Projet de loi modificatif—Adoption du quinzième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

Le Sénat passe à l’étude du quinzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants, avec des amendements et des observations), présenté au Sénat le 20 juin 2023.

L’honorable Brent Cotter propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, il s’agit d’un rapport sur le projet de loi S-12, qui propose de modifier le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants. Il s’agit d’un projet de loi important qui vise à répondre à certaines dispositions du Code criminel qui ont été déclarées invalides par la Cour suprême du Canada et à certaines autres questions d’importance publique, en particulier pour les victimes de crimes sexuels.

Votre comité a sérieusement étudié le projet de loi, a reçu quatre mémoires durant cinq réunions et 12 heures de délibérations, et a entendu 15 témoins, y compris l’honorable David Lametti, ministre de la Justice et procureur général, des membres des forces de l’ordre, les responsables du registre des délinquants sexuels, des représentants d’organisations de femmes et de victimes, ainsi que des victimes de violence sexuelle. Ces témoignages étaient impressionnants, percutants et, dans certains cas, émouvants.

En guise de préambule à ce rapport, je souligne que ce projet de loi a été présenté au Sénat, ce qui est quelque peu inhabituel pour ce type de projet de loi. Sa marraine est la sénatrice Busson, et le porte-parole qui en est responsable est le sénateur Boisvenu.

L’un des avantages d’avoir étudié ce projet de loi en premier — ce qui a pour ainsi dit fait de nous la Chambre de premier examen objectif —, c’est le plus grand degré de liberté et d’ouverture dont nous avons disposé pour élaborer les amendements, y compris les amendements du gouvernement, avec la bienveillance de la sénatrice Busson. De nombreux amendements ont même été présentés par la marraine, avec le soutien du gouvernement. Tout se passait comme si le ministre Lametti se trouvait à l’extérieur de la salle du comité, en train d’écouter les témoins et de déterminer comment il pourrait contribuer à l’amélioration d’un bon projet de loi. Je ne pense pas qu’il ait réellement été présent, mais c’est ainsi que j’imaginais la scène.

Les sénateurs ont écouté les témoins avec attention et ils ont rédigé des amendements en fonction des réserves et des idées exprimées lors des auditions du comité et dans les mémoires présentés.

Je voudrais maintenant parler un peu du projet de loi et des amendements qui ont été adoptés par le comité. Ma première partie reprend un peu les observations faites lors de la deuxième lecture. J’essaierai de rester bref, mais il s’agit d’un projet de loi important, non seulement par ses effets, mais aussi par ses déclarations sur la place du respect et de l’intervention des victimes dans le processus de justice pénale.

(1920)

Un des éléments centraux du projet de loi S-12 est la réponse à la décision de 2022 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ndhlovu, où la cour a jugé que deux dispositions du Code criminel du Canada — relatives à l’enregistrement des délinquants sexuels au Registre national des délinquants sexuels — étaient inconstitutionnelles. Depuis 2011, le Code criminel exige l’enregistrement dans ce registre de quiconque a commis un crime sexuel et prévoit que cet enregistrement devienne permanent si le délinquant commet une deuxième infraction à caractère sexuel.

La Cour suprême a invalidé la disposition relative à l’enregistrement à vie obligatoire des récidivistes et indiqué que l’application de sa décision était immédiate et rétroactive. La disposition relative à l’enregistrement obligatoire de tous les délinquants sexuels a été déclarée invalide, mais l’application de la décision avait été fixée à un an plus tard, afin de donner le temps au Parlement d’y répondre au moyen d’un projet de loi. La disposition sera invalidée en octobre 2023 à moins que le Parlement ne trouve une solution adéquate.

Le projet de loi S-12 modifie le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants notamment dans le but de régler les problèmes relatifs à la constitutionnalité, mais aussi d’ajouter certaines dispositions.

En ce qui concerne l’inscription des délinquants sexuels au registre national, elle demeure obligatoire pour les pédophiles à risque élevé et les délinquants sexuels récidivistes. Je tiens à préciser que ce registre n’est pas tout à fait semblable au système du Centre d’information de la police canadienne, que vous connaissez peut-être mieux. Il s’agit d’un registre que la police peut consulter pour enquêter sur des crimes similaires et, je pense, dans certains cas, afin de prévenir des crimes. C’est un registre relativement important qui renferme de nombreux renseignements sur les délinquants sexuels et qui doit être tenu à jour. Ainsi, les délinquants sexuels sont sans l’obligation de fournir des renseignements supplémentaires, notamment sur leurs déplacements, afin que le registre reste à jour.

J’ai indiqué que les pédophiles et les délinquants sexuels récidivistes doivent obligatoirement être inscrits au registre. Tous les autres délinquants sexuels seront soumis au principe d’inscription par défaut au registre. Certains délinquants peuvent contester ce principe s’ils satisfont à certains critères et s’ils démontrent qu’ils ne représentent pas un danger pour le public. Dans de tels cas, un juge a le pouvoir discrétionnaire de décider d’ordonner ou non l’inscription du délinquant en question au registre. Les dispositions du projet de loi relatives aux règles d’inscription et à l’assouplissement de celles-ci ont été adoptées sans amendement par le comité.

Le projet de loi S-12 modifierait également le Code criminel en ce qui concerne les victimes, de sorte que la cour puisse tenir compte de leurs désirs lorsqu’elle impose, modifie ou lève une interdiction de publication protégeant leur identité. Le projet de loi S-12 donnerait aux victimes la possibilité d’indiquer si elles souhaitent recevoir des renseignements de manière continue concernant le délinquant après la détermination de la peine.

Je crois que vous comprendrez que les interdictions de publication ont été mises en place, de manière plutôt sévère, dans le but de protéger la victime et sa vie privée en empêchant que les renseignements à son sujet soient divulgués à grande échelle. Cependant, ce projet de loi tente d’adopter une approche plus modérée qui s’adapte à l’intérêt des victimes. Je vais concentrer le reste de mes observations sur cet aspect du projet de loi ainsi que sur les amendements que le comité a apportés à ses diverses dispositions. Je vous épargnerai les détails concernant l’appui pour les amendements. Je me contenterai de dire qu’ils ont joui d’un appui généralisé ou qu’ils ont été présentés à la demande pressante de témoins et d’auteurs de mémoires. Bref, des modifications ont été apportées aux interdictions de publication, notamment par le comité.

Les articles 2 et 3 du projet de loi portent sur cette question. Le premier soulève la question de la portée des interdictions de publication. À l’heure actuelle, le Code criminel interdit la publication de renseignements qui risquent de permettre d’identifier une victime ou un témoin d’infraction sexuelle et il précise qu’il est interdit de publier ou de diffuser ces renseignements de quelque façon que ce soit.

Dans sa version initiale, le projet de loi S-12 élargissait cette interdiction de publication en précisant qu’il était également interdit « de rendre autrement accessible » tout renseignement protégé. Le comité a supprimé cet ajout. L’article pertinent du Code criminel demeure donc essentiellement inchangé. Les membres du comité craignaient que l’expression « de rendre autrement accessible » soit trop large et qu’elle puisse même englober rétroactivement des publications antérieures à l’interdiction, telles que des renseignements contenus dans des archives de presse.

Le deuxième volet de l’interdiction de publication dans ces amendements se concentre sur la contribution et les renseignements des victimes. Je pense que ces aspects sont essentiels dans la mesure où ils visent à mieux respecter les souhaits des victimes. Le Code criminel exige actuellement que le juge ou le juge de paix, à la première occasion raisonnable, informe la victime ou le témoin mineur de son droit de demander une interdiction de publication. Les articles 2 et 3 du projet de loi modifient le Code criminel pour exiger que le juge ou le juge de paix — qui ordonne une interdiction de publication — informe la victime ou le témoin, dans les plus brefs délais, qu’ils sont assujettis à une interdiction de publication et qu’ils peuvent en demander la modification ou la révocation.

Toujours selon le projet de loi d’origine, avant de rendre une ordonnance interdisant la publication, le juge ou le juge de paix devait — les mots sont importants — s’enquérir auprès du poursuivant si des mesures avaient été prises pour consulter la victime avant que la demande d’interdiction soit faite. Le comité n’a pas trouvé qu’il s’agissait d’une déclaration suffisamment ferme de la représentation de la victime par rapport à sa position concernant l’imposition de l’interdiction. C’est important pour les victimes et les témoins, car en cas d’ordonnance interdisant la publication, cela limitera grandement leur capacité, s’ils le souhaitent, de parler de l’affaire ou de leur expérience.

Par conséquent, le comité a amendé le projet de loi afin que le juge ou le juge de paix agisse ainsi : si la victime ou les témoins sont présents, il faut leur demander directement s’ils souhaitent une ordonnance interdisant la publication, et non uniquement les consulter; et en l’absence de la victime ou des témoins, il faut demander au poursuivant s’il a établi que la victime ou les témoins souhaitent une ordonnance interdisant la publication.

Toujours selon les dispositions amendées, le poursuivant doit informer la victime ou les témoins de ce qui suit : en cas d’ordonnance interdisant la publication, il doit leur faire part des effets de l’ordonnance, des situations dans lesquelles ils peuvent communiquer des renseignements sans contrevenir à l’ordonnance. Le poursuivant doit aussi informer les témoins ou la victime de leur droit de demander la révocation ou la modification de l’ordonnance. Le poursuivant doit ensuite aviser le juge ou le juge de paix qu’il a fait son devoir.

J’espère que vous estimerez que cela renforce la faculté d’agir et le sentiment de contrôle sur une question d’une grande importance pour les victimes et les témoins dans ces circonstances et que cela accorde beaucoup moins de considération au processus décisionnel des procureurs et des juges.

Une autre dimension importante est la vulnérabilité potentielle des personnes qui pourraient enfreindre l’interdiction de publication et il s’agirait d’un fardeau criminel qui serait axé, le plus souvent, sur la victime ou le témoin. Le revers de la médaille, c’est que les personnes qui enfreignent l’interdiction de publication pourraient en être tenues criminellement responsables et, dans certains cas, c’est comme passer deux fois à la moulinette de la justice criminelle.

Le projet de loi prévoyait une certaine protection pour les victimes et les témoins à cet égard. Le comité a élargi cette protection en amendant le projet de loi de sorte que la victime ou le témoin ne soit pas tenu criminellement responsable du non-respect de sa propre interdiction de publication, à condition qu’il ne révèle pas, intentionnellement ou par imprudence grave, l’identité d’une autre personne protégée par l’interdiction de publication. Dans le même ordre d’idées, une interdiction de publication ne s’applique pas lorsqu’une victime, un témoin ou une personne associée au système judiciaire divulgue des informations, mais n’a pas l’intention de les rendre publiques.

Il existe aussi dans ces dispositions une dimension qui touche la façon de modifier ou de révoquer plus tard une interdiction de publication. Le projet de loi initial disait que la victime ou le témoin pouvait demander au tribunal de le faire, et que le tribunal devait tenir une audience. Le comité a amendé cette disposition pour faciliter le processus pour la victime ou le témoin qui désire modifier ou révoquer une interdiction de publication. Le projet de loi amendé prévoit cette obligation pour le procureur. Le projet de loi amendé par le comité exige qu’un procureur, quand les victimes ou les témoins le demandent, présente une demande de modifier ou de révoquer le décret en leur nom, dès que possible, même si les victimes ou les témoins peuvent faire cette demande eux-mêmes, s’ils le souhaitent.

(1930)

De plus, un tribunal doit modifier ou révoquer l’interdiction de publication, comme demandé, encore une fois par les victimes ou les témoins, à moins que cela n’entrave la protection de la vie privée d’une autre personne qui est également protégée par l’interdiction de publication, et, dans ce cas, le tribunal doit tenir une audience pour déterminer si l’interdiction de publication doit être modifiée ou levée.

Il est important, dans ce contexte, de souligner que l’accusé n’est pas considéré comme une des personnes protégées par l’interdiction. Le projet de loi modifié précise que l’accusé ne peut pas formuler de demande relative à la levée ou à la révocation de l’interdiction de publication. C’est assez évident, puisque l’objectif de l’interdiction de publication est de protéger la vie privée des victimes et des témoins, et non de l’accusé. La seule partie concernant l’accusé, c’est qu’il a le droit d’être informé si l’interdiction a été levée, annulée ou modifiée.

Enfin, en ce qui a trait à un autre article — l’article 5, qui, encore, porte sur les interdictions de publication et sur la responsabilité criminelle —, pour revenir à la question de la responsabilité criminelle de la violation d’une interdiction de publication, le comité a aussi amendé l’article 5 du projet de loi pour préciser qu’une victime ou un témoin ne doit pas être poursuivi pour avoir violé sa propre interdiction de publication et, ce faisant, avoir révélé des renseignements qui pouvaient permettre d’identifier une autre personne protégée par l’interdiction, et un avertissement ne serait pas suffisant dans ces circonstances.

Il est juste de dire à ce point-ci que le comité a renforcé le respect témoigné aux victimes et aux témoins par le droit criminel dans ces circonstances, qui sont souvent très traumatisantes et bouleversantes pour les victimes et les témoins.

Enfin, au sujet des interdictions de publication, une nouvelle disposition...

Son Honneur la Présidente : Sénateur Cotter, demandez-vous plus de temps?

Le sénateur Cotter : Encore deux minutes, si vous le permettez.

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il consentement?

Des voix : D’accord.

Le sénateur Cotter : Je m’excuse de ne pas avoir parlé un peu plus vite.

L’article 32.1 est un nouvel article présenté au comité, qui reflète les recommandations antérieures du comité dont j’ai déjà parlé, mais qui étend le cadre de protection des victimes en ce qui concerne les ordonnances de non-publication et la protection contre la responsabilité criminelle, et qui impose le cadre pour les ordonnances de non-publication aux commissions d’examen qui traitent des cas de personnes déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux.

Il y a deux amendements plus ou moins techniques dont je ne parlerai pas. Je conclurai en soulignant, tout d’abord, le travail acharné et collégial du comité sur ce projet de loi, y compris une étude article par article qui a duré trois heures et demie lundi soir, puis le fait que le personnel a été en mesure de présenter le projet de loi hier. Cela nous a permis de bien travailler, et le personnel a dépassé les attentes en nous guidant tout au long des délibérations article par article et en mettant le rapport à votre disposition. Je voudrais également remercier la sénatrice Busson, qui a parrainé le projet de loi et qui nous a guidés dans l’examen de nombreux amendements, le sénateur Boisvenu, qui a été le porte-parole, et en particulier les sénateurs, ainsi que notre greffier, Mark Palmer, qui ont fait en sorte qu’un processus parfois désorganisé se déroule de manière transparente, logique et efficace. Merci.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée, et le rapport est adopté.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi modifié pour la troisième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Busson, la troisième lecture du projet de loi modifié est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

Projet de loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu)

Deuxième lecture

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Yussuff, appuyée par l’honorable sénateur Boehm, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu).

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-21, Loi modifiant certaines lois et d’autres textes en conséquence (armes à feu). Il s’agit d’une mesure nécessaire et urgente pour protéger la vie et la sécurité des Canadiens, et plus particulièrement des femmes et d’autres groupes marginalisés qui sont touchés de manière disproportionnée par la violence armée.

J’aimerais remercier le sénateur Yussuff d’avoir parrainé ce projet de loi, ainsi que la sénatrice Coyle, la responsable législative pour le Groupe des sénateurs indépendants, du travail qu’elle a fait sur la mesure législative.

[Français]

Je veux commencer par une histoire. C’est une histoire que plusieurs d’entre vous connaissent très bien; une histoire que nous devons raconter encore et encore lorsque nous faisons face à des questions comme celles qui sont soulevées par le projet de loi C-21.

Le 6 décembre 1989, des étudiantes et étudiants en génie de l’École Polytechnique de Montréal étudiaient. Vers 17 heures, un homme de 25 ans, qui sera plus tard identifié comme étant Marc Lépine, est entré dans l’immeuble. Il était habillé d’un uniforme militaire et portait secrètement sur lui un Ruger Mini-14, un fusil semi-automatique léger qu’il avait acheté dans un magasin d’articles de sport local trois semaines plus tôt.

[Traduction]

Après avoir passé une heure dans le hall d’entrée, Lépine s’est rendu au deuxième étage de l’édifice, où il s’est introduit dans une salle de classe où se trouvaient environ 60 étudiants, hommes et femmes.

Forçant les hommes à partir, il a déclaré qu’il haïssait les féministes, et à 17 h 10, il a ouvert le feu. Rapidement, il a quitté la classe et a tiré sur de nombreuses femmes en se rendant au rez‑de‑chaussée et au troisième étage, où il s’est introduit dans une autre classe.

Après avoir tué 14 femmes et en avoir blessé 10 autres, ainsi que quatre hommes, Lépine a tiré son dernier coup de feu à 17 h 29, mettant fin à ses jours.

Ce jour-là, Lépine a laissé dans le deuil les familles et les amis des personnes qu’il avait tuées. Dans la confusion qui a suivi, Lépine a été déclaré fou par la presse et les professionnels, qui ont choisi de ne pas se concentrer sur le sexe des victimes.

Cet événement horrible est resté gravé dans l’esprit des Canadiens, suscitant un débat national sur le contrôle des armes à feu et la violence à l’égard des femmes. Toutefois, il a également révélé l’ampleur du travail à accomplir pour empêcher que de telles tragédies se reproduisent.

C’est pourquoi je pense que nous devons étudier le projet de loi C-21. Il renferme plusieurs mesures visant à réduire le risque de violence et de décès liés aux armes à feu au Canada. Honorables sénateurs, malgré cet incident tragique, la violence contre les femmes demeure un problème persistant au Canada.

En 2018, la police a reçu environ 600 signalements concernant des incidents de violence entre partenaires intimes impliquant des armes à feu, alors que ce nombre était de 401 en 2013. En 2020, Sécurité publique Canada a déclaré que parmi les victimes de violence entre partenaires intimes, près de 8 sur 10 étaient des femmes. De plus, un rapport publié par Statistique Canada en 2022 révèle que les femmes et les filles sont touchées de manière disproportionnée par la violence liée aux armes à feu, tout comme les minorités visibles, les personnes LGBTQ2, les enfants et les jeunes, les familles à faible revenu, les personnes vivant dans la pauvreté et les habitants des collectivités nordiques et éloignées.

Le projet de loi C-21 est un projet de loi sur la sécurité qui vise à protéger les Canadiens contre la violence liée aux armes à feu. Aucune solution n’est parfaite, mais nous pouvons prendre des mesures pour réduire les risques de blessures ou de décès par arme à feu.

Comme vous le savez, la violence liée aux armes à feu a augmenté au Canada au cours de la dernière décennie. Ainsi, selon Statistique Canada, le pourcentage d’homicides commis à l’aide d’une arme à feu est passé de 26 % en 2013 à 37 % en 2020.

(1940)

Selon les résultats d’une étude effectuée par Statistique Canada en 2021, au Canada, environ tous les six jours, une femme est tuée par son conjoint. La Fondation canadienne des femmes a aussi établi que l’accès à une arme à feu est le meilleur indicateur pour déterminer le risque de mortalité liée à la violence conjugale.

Le projet de loi C-21 vise à combattre la violence entre partenaires intimes et la violence fondée sur le sexe en mettant en place des dispositions permettant d’intervenir rapidement et de signaler certaines situations. En ce qui concerne les interventions, toute personne pourrait demander à un juge d’une cour provinciale une ordonnance d’interdiction d’urgence de possession d’armes afin que l’on confisque, dans un délai de 24 heures, les armes à feu d’une personne pouvant présenter un danger pour elle-même ou pour autrui. On a renforcé cette disposition en permettant à une personne de demander une ordonnance de restriction si l’intimé a accès à l’arme à feu d’une autre personne.

Dans ce genre de situation, le juge peut rendre immédiatement une ordonnance pour que les armes à feu de cette personne soient également confisquées. L’interdiction temporaire durerait 30 jours. Cependant, il est possible de la prolonger jusqu’à cinq ans si le juge considère qu’il y a des motifs raisonnables de croire que le propriétaire d’arme à feu pose encore un risque pour sa sécurité ou celle d’autrui.

De plus, le projet de loi vise à assurer la sécurité de la personne qui demande une intervention en permettant à un juge d’interdire l’accès aux audiences pour le public et les médias, d’ordonner la mise sous scellés des documents judiciaires pour une période allant jusqu’à 30 jours ou d’ordonner la suppression des renseignements identificatoires pour la période que le juge estime nécessaire, ou même de façon permanente.

La disposition sur les mesures de signalement préventif constitue une procédure administrative qui s’effectue par l’intermédiaire du contrôleur des armes à feu. Elle permet à tout citoyen, y compris aux professionnels de la santé, d’informer le contrôleur des armes à feu d’une situation ou d’un comportement susceptible d’avoir une incidence sur le droit d’une personne à détenir un permis d’armes à feu. Si le contrôleur des armes à feu estime qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne ne remplit plus les conditions requises pour obtenir un permis d’armes à feu, il peut suspendre l’autorisation d’utiliser, d’acquérir et d’importer des armes à feu pour une durée maximale de 30 jours pendant la durée de l’enquête.

Si, à l’issue de l’enquête, le contrôleur des armes à feu détermine que la personne ne peut plus être titulaire d’un permis, il prononce une révocation et le propriétaire doit remettre toutes ses armes à feu au contrôleur, aux préposés aux armes à feu ou à un agent de la paix, dans les 24 heures après avoir été avisé.

Ces dispositions, bien qu’imparfaites, sont bien accueillies par une majorité d’organisations de femmes qui prévoient des effets positifs sur la réduction de la violence fondée sur le sexe, de la violence entre partenaires intimes et de la violence familiale au Canada.

Honorables sénateurs, il s’agit de bonnes dispositions, mais je constate qu’il y a encore un problème. Le gouvernement dispose d’excellentes lois, de nombreuses lois relatives à la violence faite aux femmes, mais il n’y a pas de ressources pour intenter des poursuites, et certains actes de violence proscrits par la loi n’ont fait l’objet d’aucune poursuite. J’invite donc le comité qui étudiera ce projet de loi à demander quelles ressources seront fournies, car en fin de compte, les dispositions de signalement d’urgence et les dispositions de signalement préventif ne signifieront rien si le gouvernement n’est pas disposé à fournir des ressources.

[Français]

Honorables sénateurs, je crois que tous les sénateurs conviendront que la violence armée constitue un problème réel et urgent. Cependant, là où l’opinion de certains peut différer, c’est dans notre façon de résoudre ce problème.

[Traduction]

Le projet de loi C-21 prévoit de resserrer les vérifications des antécédents et de bonifier le fonds de 250 millions de dollars visant à régler les causes sous-jacentes et les déterminants sociaux de la criminalité armée comme la pauvreté, le racisme, la maladie mentale et l’appartenance aux gangs. Cela contribuera à prévenir les crimes avant qu’ils ne surviennent et donnera des solutions de rechange et des occasions positives aux jeunes vulnérables. Je demande au comité de vérifier si cet argent servira réellement à ce qui est prévu et comment il sera utilisé.

Malgré tout, il y a eu beaucoup de mésinformation et de désinformation au sujet de ce projet de loi, ce qui a semé la crainte chez les propriétaires d’armes à feu. Cependant, je m’en voudrais de ne pas parler des critiques légitimes formulées au sujet des failles de ce projet de loi. J’espère que ces problèmes seront étudiés de manière exhaustive par le comité.

D’abord, il y a une idée fausse très répandue voulant que l’objectif principal du projet de loi C-21 soit de cibler les propriétaires d’armes à feu respectueux de la loi, comme les chasseurs, et qu’il ne cible pas l’activité criminelle et les membres des gangs qui utilisent plutôt des armes à feu illégales. D’ailleurs, le Service de police de la Ville de Montréal a indiqué que 95 % des armes de poing utilisées pour commettre des crimes violents proviennent du marché noir et qu’il y a une corrélation forte entre le commerce de la drogue et la violence armée. C’est un point qui devra être étudié au comité.

Cela nous amène à un deuxième point : le Parlement devrait s’attaquer au problème du trafic d’armes entre les États-Unis et le Canada. Les armes illégales arrivent souvent au Canada par bateau, par train ou par drone. C’est pourquoi nous devrions dégager davantage de ressources pour permettre aux agents des services frontaliers de patrouiller entre nos postes frontaliers officiels.

[Français]

Troisièmement, certains expliquent que le projet de loi C-21 aura des répercussions négatives sur les milieux du tir sportif et de l’airsoft, qui n’ont rien à voir avec cette augmentation de la criminalité.

Enfin, certains soutiennent que notre gouvernement devrait investir davantage de fonds et de ressources dans la santé mentale, car certains de nos jeunes se radicalisent ou se joignent à des gangs, et ce, pour plusieurs raisons.

[Traduction]

Honorables sénateurs, je pense que toutes ces préoccupations devraient être étudiées par le comité et j’invite ceux qui étudient ce projet de loi à prendre ces questions au sérieux.

Je terminerai ce discours en évoquant un autre incident très triste qui me tient particulièrement à cœur et qui est lié à ma foi. J’ai eu l’occasion de me rendre à la mosquée de Québec à plusieurs reprises, depuis le deuxième jour après cet incident. La dernière fois que j’ai visité cette mosquée, c’était avec le Comité des droits de la personne, et j’ai eu le privilège de rencontrer l’imam Boufeldja Benabdallah de la mosquée de Québec l’été dernier, lorsque nous avons participé à l’étude sur l’islamophobie du Comité sénatorial permanent des droits de la personne.

Il avait un sourire bienveillant et un esprit ouvert. Il nous a accueillis dans la mosquée où un cauchemar avait frappé la congrégation et il a célébré un office en notre présence. Ce jour-là, l’imam nous a conduits dans la salle de prière principale. Lentement, on nous a montré l’endroit où ses coreligionnaires — ses frères dans la foi — ont été abattus en 2017 par Alexandre Bissonnette.

On nous a dit que six hommes avaient essayé de s’entasser dans une petite ouverture du mur pour se protéger des balles. On nous a dit que quelqu’un était mort dans le coin et un autre sur le sol. Ces victimes avaient des familles, des femmes et des enfants, et un homme n’avait pas vu sa mère depuis six ans, alors qu’elle venait d’arriver du Gabon.

Lorsque je me suis rendue pour la première fois sur place et que j’ai vu cette femme qui n’avait pu voir son fils que deux jours avant qu’il ne soit abattu, c’est quelque chose que je n’oublierai jamais. Je pouvais sentir toute la tension qui régnait — la peur, la colère, la douleur et le désespoir mêlés à un sentiment de dignité et même d’espoir.

Lors de notre visite à la mosquée, un homme s’est levé pour poser une question. J’y pense encore souvent. Depuis, j’essaie d’y répondre. Cet homme nous a demandé, à nous sénateurs, en quoi notre visite serait différente des précédentes, en quoi le fait de nous serrer la main ferait changer les choses par rapport aux mains qu’il a serrées le mois dernier.

(1950)

Puis-je avoir cinq minutes de plus? Il me reste une page.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?

Des voix : D’accord.

La sénatrice Jaffer : Merci.

Il nous a demandé si notre présence se résumerait à de belles photos et à de beaux discours ou si elle mènerait à de quelconques mesures concrètes de la part du gouvernement.

Je ne sais pas s’il est à l’écoute ou s’il suit ces travaux. Je sais que le projet de loi C-21 n’est pas une réponse parfaite, mais il fait partie de la réponse que j’aurais voulu lui donner à ce moment-là.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-21 ne réglera pas tous les problèmes de violence liée aux armes à feu au Canada. Il ne pansera pas les blessures, pas plus qu’il ne ramènera à la vie les proches qui ont été tués par des armes à feu. Cependant, c’est un pas dans la bonne direction. C’est un outil qui nous aidera à réduire le risque de violence et de morts associées aux armes à feu au Canada.

Après la fusillade à l’École Polytechnique, j’ai visité l’institut en tant que présidente de YMCA Canada. Je n’oublierai jamais comment Mme Edward, dont la fille avait été tuée, essayait d’apporter des changements pour contrer la violence liée aux armes à feu. Je ne sais pas si elle est en vie aujourd’hui, mais si vous avez vu sa douleur — et la douleur de toutes les mères qui ont perdu leur fille à l’université —, vous comprendrez pourquoi nous devons agir en tant que sénateurs. Ce projet de loi n’est pas parfait, mais c’est un début. Merci, honorables sénateurs.

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, en cette Journée nationale des peuples autochtones, je prends la parole sur le territoire des Algonquins anishinabes à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-21, qui vise à renforcer les dispositions législatives nationales actuelles en matière contrôle des armes à feu afin de bâtir un Canada plus sûr.

De nombreux collègues se souviendront du projet de loi C-71, le plus récent projet de loi relatif aux armes à feu, qui a reçu la sanction royale en 2019. Le projet de loi C-71 a augmenté les vérifications des antécédents, il a obligé les entreprises à tenir des dossiers aux points de vente concernant les armes à feu sans restriction et il a rétabli une exigence liée à l’autorisation de transport en ce qui concerne les armes à feu prohibées et à autorisation restreinte.

Aujourd’hui, j’aimerais aborder rapidement les principaux éléments de ce nouveau projet de loi relatif aux armes à feu, le projet de loi C-21, et notamment préciser ce qui n’y figure pas. Ensuite, je vais souligner quelques aspects clés que j’inviterais le comité à examiner dans son étude du projet de loi de même que quelques parties intéressées que je l’inviterais à consulter.

Honorables sénateurs, examinons les principaux éléments du projet de loi.

Premièrement, le projet de loi instaurerait un gel national des armes de poing afin de limiter le nombre d’armes de poing légales qui circulent au Canada. Ce n’est pas une interdiction; c’est un gel. On ne confisquera aucune arme de poing détenue légalement.

Deuxièmement, le projet de loi propose une nouvelle définition prospective, et non rétroactive, des caractéristiques d’une arme d’assaut.

Troisièmement, comme vous avez entendu la sénatrice Jaffer le mentionner, le projet de loi instaurerait un régime d’intervention d’urgence et de signalement préventif, le but étant de réduire et de prévenir la violence familiale, l’automutilation et le suicide au moyen d’une arme à feu.

Quatrièmement, le projet de loi prévoit un certain nombre de mesures qui visent à renforcer les contrôles aux frontières, notamment afin de lutter contre la contrebande et le trafic d’armes à feu, y compris en exigeant un permis d’armes à feu pour l’importation de munitions.

Cinquièmement, il prévoit des mesures à l’encontre des armes à feu fabriquées illégalement, également connues sous le nom d’armes fantômes. Des armes à feu sont couramment produites avec la technologie d’impression 3D, ce qui rend leur traçabilité très difficile. Cette mesure législative ajoute une nouvelle définition de « pièce d’arme à feu » et elle exige la possession d’un permis pour importer, acheter ou céder une pièce d’arme à feu prescrite.

Enfin, sixièmement, ce projet de loi établit de nouvelles infractions liées aux armes à feu et il prévoit des sanctions plus lourdes.

Précisons encore une fois que le gouvernement ne propose pas, dans ce projet de loi, d’interdire ou de confisquer les armes de chasse existantes. La nouvelle définition prospective d’« arme d’assaut » ne concerne que les armes d’épaule qui seront conçues et fabriquées après que le projet de loi C-21 aura reçu la sanction royale.

Étant donné que le sénateur Yussuff, le parrain du projet de loi, a abordé en détail ces éléments clés du projet de loi dans son intervention qui a donné le coup d’envoi de ce débat, je ne répéterai pas ce qu’il a déjà expliqué en détail.

Le document d’information technique de Sécurité publique Canada sur le projet de loi C-21 s’intitule Bâtir un Canada sécuritaire et résilient. Nous savons que le projet de loi a plus d’un objectif. Il vise à réduire et à prévenir la violence liée aux armes à feu que nous observons dans les villes et qui est souvent le fait de gangs; il vise à prévenir d’autres tragédies de masse, comme celle qui a eu lieu dans ma province en 2020 ainsi que les meurtres commis à l’École polytechnique et à la mosquée de Québec dont il a été question ce soir; et il vise à lutter contre la violence familiale, l’automutilation et le suicide.

Notre travail consistera à déterminer si le projet de loi est effectivement adapté à l’objectif. Les mesures que le projet de loi renferme contribueront-elles, et de manière efficace, à la concrétisation des résultats escomptés? Cette mesure vise à permettre au Canada de réaliser des progrès dans ces domaines essentiels, mais — pardonnez l’analogie — il ne s’agit pas d’une solution miracle. Comme pour la plupart des mesures législatives, celle-ci est censée n’être qu’une partie d’un tout beaucoup plus vaste.

Je passe maintenant à quelques grands sujets sur lesquels je recommande au comité de se pencher.

Chers collègues, nous avons entendu les sénateurs Manning et Boisvenu évoquer le fléau du féminicide et de la violence entre partenaires intimes. Plusieurs d’entre nous se sont exprimés sur l’interpellation de la sénatrice Boniface au sujet de la violence entre partenaires intimes, dont il a aussi été question ce soir.

Dans ce contexte, il est important de déterminer si le projet de loi C-21 reflète les recommandations de la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse et de l’enquête menée dans le comté de Renfrew et, le cas échéant, de quelle façon. Les mesures de signalement et d’intervention proposées répondent en partie à la recommandation C.22 de la Commission des pertes massives de la Nouvelle-Écosse et aux recommandations 56 à 62 et 70 à 72 de l’enquête menée dans le comté de Renfrew.

Il sera également nécessaire, chers collègues, de déterminer quelles restrictions sur les armes à feu sont imposées par voie réglementaire plutôt que législative. Nous savons qu’environ 1 500 armes à feu ont été interdites par voie réglementaire en mai 2020, en réponse à la tuerie en Nouvelle-Écosse et à l’affaire de violence entre partenaires intimes qui a déclenché cet horrible carnage.

Au sein du comité de la Chambre, le gouvernement a proposé des amendements au projet de loi C-21 en vue d’interdire les armes à feu en question — et d’autres — par voie législative, mais, comme nous le savons tous, il a ensuite retiré ces propositions. Par conséquent, ces amendements ne font plus partie du projet de loi.

Il m’apparaît aussi essentiel que le comité détermine où se situe le Canada par rapport à d’autres pays en ce qui concerne le contrôle des armes à feu et la violence armée. Dans le récent article du magazine Time intitulé « Canada Risks Following the Path of the U.S. on Gun Violence », les auteurs soulignent en effet que le Canada est le cinquième pays en importance au chapitre de la possession d’armes à feu et que, pour ce qui est du taux d’homicide par arme à feu, il arrive maintenant au troisième rang parmi les pays peuplés à revenu élevé, après les États-Unis et le Chili. À l’échelle internationale, le Canada se classe au neuvième rang pour son taux de suicide par arme à feu normalisé selon l’âge chez les hommes, qui correspond à plus du double de la moyenne mondiale.

Les mesures de contrôle des armes à feu du Canada sont plus sévères que celles des États-Unis, mais moins sévères comparativement à celles de certains autres pays occidentaux. Des pays comme l’Australie, le Royaume-Uni et le Japon ont mis en place des mesures de contrôle des armes à feu plus exhaustives que celles du Canada, et ces pays ont réussi à réduire les taux de décès liés aux armes à feu et les tueries de masse, comparativement au Canada. Le Royaume-Uni a interdit les armes de poing après la tuerie à l’école de Dunblane, en Écosse, en 1996. Il n’y a pas eu d’autres tueries dans des écoles, et il y a eu seulement une tuerie de masse depuis l’adoption de cette interdiction.

Des études laissent entendre qu’aux États-Unis, des lois qui permettent d’intervenir rapidement lorsqu’une personne présente un comportement alarmant ont prévenu des actes potentiels de violence. Des études menées en Indiana et au Connecticut ont permis de constater une réduction du nombre de suicides commis au moyen d’une arme à feu après la mise en œuvre de ces lois.

(2000)

Aux États-Unis, les États possédant des lois permettant d’intervenir plus rapidement, des ressources adéquates et une bonne sensibilisation communautaire ont obtenu de meilleurs résultats. Toutes ces importantes données provenant de l’étranger et bien d’autres encore seront essentielles à l’examen du comité.

Il sera également essentiel que le comité écoute les points de vue des différents groupes d’intervenants clés, notamment les groupes de victimes de fusillades de masse, comme PolySeSouvient, Danforth Families for Safe Communities et le Centre culturel islamique de Québec. Ces groupes se consacrent à prévenir de futures tragédies.

Le comité devrait aussi entendre des organisations de femmes, comme #Women4GunControl, une coalition de 33 organisations féministes et de femmes, dont l’Association nationale Femmes et Droit. Ces groupes militent naturellement à ce sujet, compte tenu du fait que l’accès aux armes à feu compte parmi les cinq principaux facteurs de risque lorsque vient le moment de déterminer si une femme risque de mourir dans une situation de violence familiale.

Il pourrait être utile pour le comité d’entendre Lisa Banfield, l’épouse du tueur en série de la Nouvelle-Écosse, décrire comment elle a été soumise à un contrôle coercitif et comment elle a presque été assassinée elle aussi la nuit de cette terrible tuerie.

Il sera important d’établir des liens avec les groupes de femmes des milieux urbains et ruraux, car les risques liés aux armes à feu et les répercussions des mesures de signalement et d’intervention d’urgence ont différentes significations selon les situations. Ces groupes de femmes disent clairement que la violence armée contre les femmes doit être traitée comme un problème distinct de la violence armée et des gangs. Ces groupes de femmes veulent que nous examinions ces deux aspects.

Les groupes autochtones, comme l’Assemblée des Premières Nations, la Fédération des nations autochtones souveraines, l’Inuit Tapiriit Kanatami, le Ralliement national des Métis, l’Association des femmes autochtones du Canada, Pauktuutit, Les Femmes Michif Otipemisiwak — Women of the Métis Nation et d’autres groupes devraient être consultés et informés.

Nous savons que le projet de loi C-21 comprend une disposition qui indique spécifiquement qu’aucune des dispositions du projet de loi ne porte atteinte aux droits des peuples autochtones reconnus et confirmés au titre de l’article 35 de la Constitution. Il sera très important de trouver un juste équilibre entre les intérêts légitimes des chasseurs et les droits de tous les Canadiens, peu importe s’ils sont Autochtones ou non, de vivre dans des endroits sûrs, dans toutes les collectivités du Canada.

Il va de soi que les groupes policiers, notamment l’Association canadienne des chefs de police, la Fédération de la police nationale et l’Association des directeurs de police du Québec, devraient tous être appelés à témoigner. Ils auront des commentaires sur toutes les mesures contenues dans ce projet de loi ainsi que sur les moyens nécessaires pour les mettre en œuvre. Évidemment, le point de vue des fonctionnaires de la cour qui appliqueront les lois sur le signalement préventif sera aussi important.

Comme ce projet de loi est principalement axé sur la prévention de la contrebande et du trafic d’armes, l’Agence des services frontaliers du Canada aura des commentaires importants au sujet des mesures proposées et de sa capacité à les mettre en œuvre.

Il sera important d’entendre les défenseurs des armes à feu et les chasseurs, notamment la Coalition canadienne pour les droits aux armes à feu et l’Association canadienne pour les armes à feu.

Je vis dans une région rurale de la Nouvelle-Écosse et je sais à quel point la chasse est importante pour de nombreuses familles de ma région. La sénatrice Wallin, le sénateur Richards et la sénatrice LaBoucane-Benson nous ont parlé de l’importance de respecter les chasseurs. Je pense que ce respect suppose notamment de donner aux chasseurs des informations honnêtes sur ce qui est réellement inclus dans ce projet de loi afin qu’une discussion honnête puisse avoir lieu.

Par ailleurs, il est très important de consulter les tireurs sportifs, y compris la Fédération de tir du Canada et l’International Practical Shooting Confederation.

Le gel des armes de poing prévu dans le projet de loi C-21 ne retire pas les armes de poing aux propriétaires actuels, mais rend illégale l’acquisition d’une arme, avec des exemptions pour les participants à des compétitions olympiques et paralympiques et pour certaines personnes, comme les policiers. Les règles exactes pour déterminer qu’une personne s’entraîne pour des épreuves olympiques de tir sportif seront déterminées par règlement.

Enfin, et c’est très important, comme l’a indiqué le sénateur Kutcher dans son discours, il sera essentiel que le comité entende des spécialistes en matière de santé, de santé mentale et de prévention du suicide. Le groupe canadien Médecins pour un meilleur contrôle des armes à feu a fait valoir que le projet de loi devrait s’appuyer sur des données scientifiques en matière de santé publique.

Chers collègues, comme je suis la responsable législative du Groupe des sénateurs indépendants pour le projet de loi C-21, j’ai demandé à mon personnel de mener des recherches approfondies sur les points de vue et les positions des intervenants clés et des groupes d’experts. J’ai fait part de cette recherche à mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants, et nous la communiquerions volontiers à toute personne intéressée dans cette enceinte. Vous n’avez qu’à nous faire signe.

Malheureusement, chers collègues, nous savons que le projet de loi fait l’objet d’une campagne de désinformation bien organisée.

Chers collègues, avant mon arrivée au Sénat, j’ai travaillé à l’Université St. Francis Xavier, en Nouvelle-Écosse, dont la devise est Quaecumque Sunt Vera — « Tout ce qui est vrai ». Comme vous le savez tous, il nous incombe, en tant que sénateurs, de chercher, de trouver et de communiquer la vérité.

Le sénateur Yussuff a déclaré dans son discours de présentation du projet de loi C-21 à l’étape de la deuxième lecture :

[...] je tiens à reconnaître [...] qu’il n’est jamais facile de discuter des armes à feu. Ce sujet est généralement fort émotif et source d’opinions bien tranchées, mais aussi de division et de polarisation, car il s’agit de vie et de mort [...] ainsi que des droits et des privilèges des Canadiens.

Chers collègues, nous ne sommes peut-être pas tous d’accord sur les meilleurs moyens d’assurer la sécurité du Canada et des Canadiens, mais je sais que nous sommes tous convaincus qu’il est de notre responsabilité de protéger les Canadiens contre la violence armée. Chers collègues, c’est l’objectif du projet de loi C-21.

Honorables sénateurs, bien que le débat à l’étape de la deuxième lecture de ce projet de loi soit essentiel — et j’ai hâte d’entendre le sénateur Plett dans quelques instants — je crois que nous sommes sur le point de renvoyer le projet de loi C-21 au comité. J’ai confiance que nos collègues du comité travailleront avec diligence à la recherche et à l’examen des éléments de preuve nécessaires pour éclairer davantage nos délibérations à savoir si ce projet de loi correspond à ses objectifs et, sinon, comment il pourrait y parvenir.

Chers collègues, remplissons notre devoir envers les Canadiens et renvoyons ce projet de loi au comité.

Merci, wela’lioq.

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Dans le bon vieux temps, nous avions aussi plus de place pour nous asseoir. Cela n’a rien à voir avec la composition du Sénat, mais plutôt avec l’édifice.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-21. Avant de passer à l’essentiel de mes observations — et j’ai beaucoup de choses à dire —, j’aimerais faire quelques observations sur les pressions injustifiées que le gouvernement a voulu exercer sur les sénateurs pour que nous adoptions tout simplement ce projet de loi sans entendre de témoins, comme il l’a fait pour tant d’autres projets de loi.

Je trouve tout à fait inadmissible que le ministre et le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement à la Chambre des communes aient, dans les dernières semaines, exercé des pressions sur le Sénat pour qu’il adopte tout simplement ce projet de loi sans discussion. Avant même que le sénateur Yussuff ou un seul autre sénateur ne prenne la parole au Sénat, le secrétaire parlementaire a publié un gazouillis disant que je devrais cesser de retarder l’étude du projet de loi.

Pour rétablir les faits, je crois qu’il est utile d’indiquer comment l’étude du projet de loi C-21 s’est déroulée.

Tout d’abord, la première lecture du projet de loi a eu lieu le 30 mai 2022. La deuxième lecture a eu lieu le 23 juin 2022, et le projet de loi a ensuite été renvoyé au comité de la Chambre. On s’est alors heurté à une foule de problèmes graves.

Comme je l’expliquerai dans mes observations, le projet de loi est le fruit d’une très mauvaise réflexion, et les problèmes qu’il comportait ont été empirés par les amendements que le gouvernement lui-même a essayé d’y apporter à la fin de l’automne 2022. Comme nous le verrons, ces amendements ont été proposés sans aucune véritable consultation préalable, et certainement sans véritable consultation auprès des peuples autochtones, pour lesquels ils auraient eu de sérieuses conséquences.

Le gouvernement a dû retirer ces amendements du projet de loi, mais je ne crois pas qu’il ait vraiment abandonné les objectifs qui les sous-tendent. J’en discuterai plus tard dans mon intervention, mais je pense qu’il est assez évident que le gouvernement tentera maintenant d’apporter d’autres changements par l’entremise de règlements et de décrets futurs, comme ils l’ont fait lorsqu’ils ont interdit, de manière arbitraire, certaines armes à feu en 2020 et qu’ils ont interdit l’année dernière, de manière tout aussi arbitraire, l’achat et la vente d’armes de poing légales appartenant à des collectionneurs et à des tireurs sportifs titulaires d’un permis, par l’entremise d’un décret.

(2010)

Pour étouffer tout autre débat, le gouvernement a ensuite imposé l’attribution de temps à la Chambre, puis forcé l’adoption du projet de loi à l’étape de la troisième lecture le 18 mai 2023. Ce n’est qu’à ce moment-là que le parcours du projet de loi C-21 au Sénat a commencé. Bien que le projet de loi ait été présenté au Sénat le 18 mai, le débat n’a commencé que le 31 mai, lorsque notre collègue, le sénateur Yussuff, parrain du projet de loi, a prononcé son discours sur une période de deux jours. Or, avant même que le sénateur Yussuff ait prononcé un seul mot, le secrétaire parlementaire du leader du gouvernement m’accusait de nouveau de retarder le projet de loi.

Le ministre en a rajouté en envoyant une lettre aux leaders des différents groupes du Sénat le 8 juin, exigeant que nous adoptions le projet de loi. Le ministre a même eu l’audace d’écrire au président du Comité sénatorial de la sécurité nationale et de la défense pour lui transmettre son exigence. Chers collègues, le Sénat détermine lui-même quel comité va étudier un projet de loi du gouvernement. Le ministre a tenté de s’immiscer dans ce processus avant même que nous ayons pris une décision.

Non content d’exiger que le projet de loi soit adopté sans un débat de fond, le ministre a aussi présumé quel comité allait examiner le projet de loi. En effet, il a aussi présenté des exigences concernant la manière dont le comité devrait examiner le projet de loi. Cela constitue un degré d’ingérence sans précédent dans les affaires du Sénat et illustre le peu de respect dont le gouvernement fait preuve à l’égard du Sénat.

Depuis le 8 juin, un certain nombre de sénateurs qui ne font pas partie de l’opposition officielle se sont exprimés sur ce projet de loi, et je pense que ces sénateurs avaient tout à fait le droit de préparer leurs observations afin de pouvoir s’exprimer sur ce projet de loi. Une règle non écrite veut que le porte-parole soit généralement le dernier à prendre la parole. J’ai fait la même chose que mes collègues et j’ai passé pas mal de temps à préparer mes observations. J’ai également bénéficié d’une séance d’information en tant que porte-parole. Mes observations s’appuient également sur les recherches que mon équipe a dû effectuer sur ce projet de loi. Ce travail de recherche révèle que ce projet de loi comporte de graves lacunes, et je pense qu’il est absolument du devoir du Sénat d’entendre un large échantillon de Canadiens qui sont très préoccupés par ce projet de loi et dont les points de vue sur le sujet vont d’un bout à l’autre du spectre des idées.

À cet égard, chers collègues, je tiens à informer le gouvernement que, jusqu’à présent, l’opposition officielle n’a pas retardé l’adoption de ce projet de loi. Cependant, après avoir personnellement examiné les implications très néfastes de ce projet de loi, je tiens à dire que depuis que la dernière intervention d’un sénateur sur ce projet de loi, il y a exactement deux minutes, j’ai officiellement commencé à retarder l’étude du projet de loi C-21. Par conséquent, il n’y aura pas de question, et il faudra le faire savoir au ministre afin que lui et son secrétaire parlementaire le notent la date à leur calendrier pour s’y référer à l’avenir.

Chers collègues, le projet de loi à l’étude modifie la Loi sur les armes à feu et d’autres lois afin d’imposer de nouvelles exigences et restrictions aux propriétaires d’armes à feu légales au Canada. Il y a à l’heure actuelle au-delà de 2 millions de permis d’armes à feu au Canada et, dans presque tous les cas, les propriétaires d’armes à feu sont des membres hautement responsables de la société canadienne. Cela a toujours été le cas dans l’histoire du Canada.

Je pense qu’il faut expliquer qui sont les propriétaires d’armes à feu au Canada. Il s’agit, bien sûr, des peuples autochtones qui, depuis des siècles, utilisent les armes à feu pour assurer leur subsistance. Ce sont les chasseurs canadiens qui utilisent également des armes à feu de manière responsable depuis des siècles. Il s’agit de Canadiens des zones rurales et urbaines. Ce sont des tireurs sportifs et des collectionneurs qui utilisent des armes à feu dans des clubs à travers le pays. Ce sont des tireurs qui utilisent des pistolets dans diverses disciplines, y compris la compétition olympique.

Il s’agit de personnes comme Linda Thom, d’Ottawa, qui a remporté la médaille d’or aux Jeux olympiques de 1984 dans l’épreuve du pistolet à 25 mètres. Ce sont des gens comme Lynda Kiejko, qui a remporté deux médailles d’or aux Jeux panaméricains de 2015, également au pistolet à 25 mètres. Ils sont des milliers de Canadiens à participer à des matchs de l’International Practical Shooting Confederation dans tout le pays. Ce sont ces personnes qui seront soumises aux nouvelles restrictions proposées dans le projet de loi C-21, un projet de loi qui, selon le gouvernement, « [fait] partie d’une stratégie détaillée pour contrer la violence liée aux armes à feu et resserrer le contrôle des armes au Canada ».

Le projet de loi C-21 ne fait rien de tel. Il ne le fait pas parce qu’il n’y a en fait aucune stratégie de la part du gouvernement pour lutter contre la violence armée au Canada. Par ailleurs, non seulement ce projet de loi ne s’attaque pas à la violence armée, mais il affaiblit considérablement le contrôle des armes à feu au Canada et il pourrait même l’anéantir.

Dans mes observations d’aujourd’hui, j’examinerai la justification stratégique de ce projet de loi. Ce faisant, je devrai parler de ses nombreuses lacunes.

Deuxièmement, je discuterai de certaines des implications de ce projet de loi et, en particulier, de la manière dont je pense qu’il contribuera en fait à une augmentation de la criminalité violente dans les rues.

Troisièmement, j’aborderai ce que j’estime être les conséquences néfastes de tout cela pour le contrôle des armes à feu au Canada.

Je voudrais commencer par examiner la justification stratégique qu’invoque le gouvernement pour demander au Parlement d’adopter ce projet de loi. Au fond, je pense que ce projet de loi nous montre que les ministres qui en sont responsables ne connaissent pas grand‑chose aux armes à feu. Je pense que cette ignorance explique en grande partie les graves lacunes de ce projet de loi. Elle explique également qu’au cours de l’année qui vient de s’écouler, ce projet de loi a connu un parcours tumultueux, en dents de scie.

Cette situation est devenue particulièrement évidente à la fin de l’année passée. Une série d’amendements au projet de loi ont été proposés à la hâte, ce qui nous a clairement indiqué que les ministres eux-mêmes ne comprenaient pas les principaux enjeux. Le gouvernement prétend maintenant avoir abandonné ces amendements, mais je pense que les mauvaises idées qui les sous‑tendent demeurent au cœur du projet de loi. Il est plutôt évident que le gouvernement tentera maintenant de faire par voie de règlement ce qu’il n’a pas réussi à faire comme il le voulait au moyen de mesures législatives.

Les amendements en question, qui ont été proposés par le député libéral Paul Chiang, visaient à étendre considérablement la portée du projet de loi pour tenter d’interdire une vaste gamme de fusils de chasse. Les amendements ouvraient la porte à l’interdiction complète de toutes les armes à feu semi-automatiques à percussion centrale qui étaient conçues pour recevoir un chargeur de cartouches détachable d’une capacité supérieure à cinq cartouches. La disposition aurait immédiatement visé jusqu’à 1 million d’armes à feu légales au Canada, dont la plupart étaient des armes à feu sans restriction et dont presque toutes étaient détenues par des chasseurs. Je ne crois pas que les ministres ont pensé un instant aux répercussions que de telles mesures pourraient avoir sur les chasseurs autochtones, dont un grand nombre dépendent de leur arme pour faire de la chasse de subsistance. Je ne pense pas que les ministres avaient bien compris qu’en parlant d’armes à feu semi‑automatiques, ils visaient des armes utilisées par des centaines de milliers de chasseurs canadiens.

Pour la gouverne des collègues qui ne connaissent peut-être pas bien les armes d’épaule, les carabines et les fusils de chasse, toutes ces armes sont fabriquées selon plusieurs modèles appelés mécanismes de chargement. Certaines armes à feu ont un mécanisme à pompe, où les cartouches sont introduites dans la culasse grâce à un mouvement de pompage. Certaines ont un mécanisme à levier où le même processus est accompli par un mouvement de levier. Certaines encore sont des armes à feu à verrou, où le processus est accompli — vous l’aurez deviné — grâce à un mouvement de verrou. Certaines sont des armes à feu semi-automatiques, où le processus s’accomplit automatiquement lorsqu’une cartouche précédente est déchargée.

(2020)

Tous ces mécanismes peuvent être rapides, plus particulièrement quand l’arme est entre les mains d’un tireur expérimenté. Même si la croyance populaire veut que les armes semi-automatiques soient les plus rapides, ce n’est pas forcément le cas. Cela dépend en grande partie de la personne qui utilise l’arme à feu et de la façon dont celle-ci est entretenue.

Au Canada, les chargeurs des armes d’épaule semi-automatiques ne peuvent pas contenir plus de 5 cartouches. C’est le cas depuis des décennies, chers collègues. Il n’existe pas de limites semblables pour les armes munies d’un mécanisme à levier, à pompe ou à verrou. Les chargeurs de ces armes peuvent généralement contenir 10 cartouches.

Mes collègues doivent comprendre, et c’est ce qu’auraient dû faire les ministres, que les armes d’épaule semi-automatiques sont des armes de chasse très couramment utilisées. Ils auraient également dû comprendre que les chargeurs des armes semi‑automatiques sont déjà soumis à des limites plus importantes que celles imposées aux autres armes d’épaule.

Je pense que si on l’a oublié ou mal compris, c’est parce que le gouvernement n’a pas du tout mené de consultations adéquates sur ce projet de loi. Il n’a certes pas consulté les autorités autochtones au sujet de ces amendements. Nous avons souvent entendu des ministres du gouvernement actuel dire que, lorsqu’il s’agit de lois touchant les peuples autochtones, ces derniers sont toujours consultés. Or, c’est plus souvent faux que vrai.

Même si le gouvernement répète que l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones l’oblige à consulter les Autochtones sur les enjeux qui les touchent, cela n’a assurément pas été fait de façon systématique dans le cadre du projet de loi C-21.

Lors de la séance d’information de mon porte-parole sur le projet de loi, lorsqu’on a demandé aux fonctionnaires d’indiquer qui ils avaient consulté et comment ils ont consulté les Autochtones, ils se sont tournés vers le représentant du cabinet du ministre Mendicino pour obtenir des réponses. Les fonctionnaires du ministère ont déclaré qu’ils avaient mené des consultations sur le précédent projet de loi C-21, mort au Feuilleton, mais qu’ils n’avaient pas engagé de telles consultations avec les Autochtones avant de présenter ce projet de loi, dont les dispositions diffèrent de celles du projet de loi précédent.

Dans la foulée de la séance d’information de mon porte-parole, des fonctionnaires ont envoyé à mon bureau une liste des réunions qu’ils ont organisées avec des groupes autochtones après le dépôt du projet de loi, c’est-à-dire entre janvier et mai derniers. Or, ces réunions ont eu lieu des mois après le dépôt du projet de loi C-21, et seulement après que le public s’est opposé aux modifications du gouvernement, chers collègues.

Comme cela a été le cas à de si nombreuses occasions, consulter les Autochtones était le dernier des soucis du gouvernement. C’est un véritable affront au principe selon lequel, lorsqu’il est question des Autochtones, « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ».

En ce qui concerne le projet de loi C-21, les fonctionnaires n’ont pas non plus consulté d’experts indépendants en matière d’armes à feu.

Tout cela rend le projet de loi C-21 remarquablement similaire à un autre projet de loi libéral sur les armes à feu, le projet de loi C-68, qui, dans les années 1990, a instauré un registre universel des armes à feu. À l’instar de ce projet de loi antérieur, le projet de loi C-21 ne fera pratiquement rien pour améliorer la sécurité publique. Oui, il empêchera les honnêtes citoyens d’acheter ou de vendre des armes de poing légales, mais il permet toujours à ceux qui en possèdent légalement de les conserver et de les utiliser. En quoi cela améliore-t-il la sécurité publique exactement?

Le projet de loi instaurera également un régime de signalement d’urgence qui permettra aux Canadiens de poursuivre d’autres Canadiens en justice s’ils craignent que ces autres Canadiens possèdent une arme à feu et estiment qu’ils posent un risque pour autrui. Chers collègues, les Canadiens peuvent déjà appeler la police pour signaler ce genre de préoccupation, alors en quoi cela améliore-t-il la sécurité publique?

Voilà qui rend le projet de loi C-21 drôlement similaire au projet de loi C-68 des années 1990. Le projet de loi C-68 a fini part être rejeté et, en grande partie, abrogé, puisqu’on n’arrivait pas à expliquer en quoi la création, à coût énorme, d’un registre universel des armes à feu améliorerait la sécurité publique.

Chers collègues, n’oublions pas que le gouvernement Chrétien avait affirmé, à l’origine, que la création d’un registre universel des armes à feu coûterait, net, 2 millions de dollars. Or, ces coûts ont subséquemment explosé pour atteindre les 2 milliards de dollars. Lorsque le gouvernement Harper a fini par abroger le registre des armes d’épaule, les avantages de ce coûteux registre pour la sécurité publique étaient devenus impossibles à expliquer.

Comme pour le projet de loi C-68, les dispositions du projet de loi C-21 sont déjà difficiles à expliquer et à justifier, et le projet de loi n’a pas encore été adopté. En fin de compte, les Canadiens ont perdu confiance dans ce que l’on prétendait être les avantages du projet de loi C-68. La même chose se produit déjà avec le projet de loi C-21, et une fois de plus, nous avons une loi libérale qui risque de saper les fondements mêmes du contrôle des armes à feu au Canada.

Qu’est-ce que le gouvernement prétend réaliser avec ce projet de loi?

Lors de son intervention sur le projet de loi en juin 2022, le ministre Mendicino a dit que « [c’est] ainsi que nous pourrons éradiquer la violence liée aux armes à feu et protéger tous les Canadiens ».

À contrecœur, je prends le ministre au mot en lui disant que c’est effectivement son objectif et celui de son gouvernement. En ce sens, il s’agit d’une réaction émotionnelle au fléau des crimes commis avec des armes à feu. Je suis sûr que tous les sénateurs présents dans cette enceinte seraient d’accord pour dire que les crimes commis avec des armes à feu sont un fléau pour notre société, mais le ministre affirme que l’objectif de son gouvernement est d’« éradiquer » la violence liée aux armes à feu. Le mot « éradiquer » est défini comme l’action de se débarrasser d’une chose de manière aussi complète que si on l’arrachait par les racines. C’est un objectif très louable en théorie, mais la triste réalité est qu’aucun projet de loi gouvernemental ne peut espérer atteindre un objectif aussi vaste lorsqu’il s’agit d’une activité criminelle; c’est tout simplement impossible.

Nous ne savons pas si le ministre croyait vraiment ce qu’il disait, mais si c’est vraiment son objectif, alors il ne sait tout simplement pas ce qu’il fait. Nous avons d’ailleurs soulevé cette question à quelques reprises ici, au Sénat, au cours des dernières semaines.

Si nous considérons les autres projets de loi que le gouvernement a adoptés en matière de justice pénale — comme les projets de loi C-5 et C-75 —, ces projets de loi ont en fait miné la capacité des forces de l’ordre de lutter contre les crimes commis avec des armes à feu.

Dans le projet de loi C-5, le gouvernement a abrogé un certain nombre de peines obligatoires pour les crimes commis avec une arme à feu, notamment : l’utilisation d’une arme à feu ou d’une fausse arme à feu lors de la perpétration d’une infraction; la possession d’une arme à feu ou d’une arme sachant que sa possession n’est pas autorisée; la possession d’une arme à feu prohibée ou à autorisation restreinte avec des munitions; la possession d’une arme obtenue lors de la perpétration d’une infraction; le déchargement d’une arme à feu avec une intention particulière; le vol qualifié avec une arme à feu; et l’extorsion avec une arme à feu.

Les peines obligatoires pour toutes ces infractions ont été abrogées. Bon nombre de ces dispositions avaient été mises en place non pas par le gouvernement précédent, mais par des gouvernements libéraux antérieurs.

En 1995, Allan Rock, ministre de la Justice, a déclaré ce qui suit à propos de la nécessité d’instaurer des peines minimales obligatoires pour les crimes commis avec une arme à feu :

La bonne façon d’aborder le contrôle des armes à feu au Canada est de régler efficacement la question de l’utilisation criminelle de ces armes tout en respectant l’utilisation légitime, qui est les intérêts des propriétaires qui se conforment à la loi.

[...] il faut des contrôles plus serrés aux frontières et des peines plus sévères pour la contrebande et le trafic d’armes.

[...] la peine d’emprisonnement minimum obligatoire inscrite au Code criminel dans le cas de 10 crimes graves commis au moyen d’une arme à feu, notamment le vol à main armée; le projet d’imposer une peine d’emprisonnement pour la possession d’une arme à feu volée ou obtenue par la contrebande [...]

Le ministre poursuit :

Nous devons améliorer l’efficacité de la surveillance aux frontières. Nos contrôles ne sont qu’une parodie si nous ne parvenons pas à réprimer l’entrée illégale d’armes au Canada.

(2030)

Voilà ce que disait le ministre libéral de la Justice en 1995.

De toute évidence, la création du registre des armes d’épaules était une idée plutôt absurde d’Allan Rock, mais il avait tout de même raison de dire qu’il fallait empêcher le trafic d’armes et l’utilisation criminelle des armes à feu.

N’est-il pas étrange que l’actuel gouvernement libéral déclare, d’un côté, avoir pour objectif d’éliminer complètement la violence armée, mais qu’il décide, de l’autre côté, d’éliminer les peines obligatoires associées aux crimes qu’il dit vouloir éliminer?

Comme Allan Rock l’a fait valoir, dans les faits, les peines obligatoires peuvent contribuer à une réduction des crimes commis avec des armes à feu. Elles s’avèrent particulièrement utiles pour retirer de la circulation des récidivistes violents et les empêcher de commettre d’autres crimes violents. Les peines obligatoires offrent une certaine assurance que les membres de gangs et les autres criminels violents resteront emprisonnés et ne pourront pas s’en prendre aux résidants des communautés vulnérables qui sont très souvent touchées par la criminalité armée.

Pourtant, le maintien de mesures visant à mettre un terme à ce type de criminalité n’a pas été une priorité pour le gouvernement actuel dans l’élaboration de ses politiques. Au lieu de cela, ce gouvernement a décidé qu’une série de délits liés aux armes à feu ne devraient plus faire l’objet de peines obligatoires. En quoi cela est-il compatible avec la promesse du gouvernement d’éradiquer la violence armée?

Bien entendu, le gouvernement ne n’est pas arrêté au projet de loi C-5 pour proposer des mesures contradictoires. Avec le projet de loi C-75, le gouvernement a également introduit un nouveau « principe de retenue » législatif que la police et les tribunaux doivent respecter lorsqu’il s’agit d’accorder la mise en liberté sous caution. Le gouvernement a fait valoir que ces mesures précises « [...] favorisent la mise en liberté à la première occasion plutôt que la détention [...] ».

Les effets de cette politique ont été tout simplement dévastateurs, et je voudrais maintenant discuter de certains de ces effets.

En Colombie-Britannique, une étude récente a porté sur 425 audiences de mise en liberté sous caution impliquant un suspect à la fois accusé d’un crime violent et dont le dossier comportait une infraction aux conditions de mise en liberté sous caution. Dans ces 425 audiences, la Couronne n’a demandé une ordonnance de détention que pour 222 personnes, soit 52 % des cas. Cela signifie que, dans près de 50 % des cas, les criminels violents dont le dossier comportait une infraction aux conditions de mise en liberté sous caution se sont retrouvés en liberté.

Si on prend l’exemple de l’Ontario, cette province a connu une augmentation de 57 % du nombre de cas de violence grave et d’utilisation d’armes portés devant les tribunaux entre 2018 et 2021. Qui formait le gouvernement?

L’agent Greg Pierzchala, de la police provinciale de l’Ontario, a été abattu l’année dernière. Il a été assassiné par un criminel récidiviste, Randall McKenzie, et un autre homme. M. McKenzie était en liberté sous caution pour agression et possession d’armes. Il faisait également l’objet d’un mandat d’arrestation.

À l’époque où le projet de loi C-75 a été adopté, l’éradication de la violence armée était censée être l’objectif du gouvernement. Mais pour une raison ou une autre, cet objectif n’a pas eu d’incidence sur les dispositions du projet de loi C-75. Lorsque le projet de loi C-75 a été adopté, le gouvernement savait déjà que les crimes commis par des récidivistes montaient en flèche. Le projet de loi C-75 a jeté de l’huile sur le feu.

Le service de police de Toronto signale qu’au cours des deux dernières années, 17 % des personnes accusées d’homicides par balle à Toronto étaient déjà en liberté sous caution au moment de la prétendue fusillade mortelle. Réfléchissez-y, chers collègues : parmi les auteurs de fusillades mortelles à Toronto, 17 % étaient en liberté sous caution. Une fois de plus, comment l’objectif supposé du gouvernement d’éradiquer la violence armée s’accorde-t-il avec ce résultat?

Chers collègues, nous ne pouvons arriver qu’à deux conclusions possibles lorsque nous examinons de tels faits. Soit l’éradication de la violence armée n’est vraiment qu’un slogan pour ce gouvernement, soit ce gouvernement est complètement et totalement incompétent. Pour être honnête, chers collègues, il s’agit probablement d’un mélange des deux.

Le gouvernement et le ministre accordent beaucoup trop peu d’attention aux détails des politiques. À l’instar du premier ministre qui les dirige, ils croient que les slogans suffisent et que les slogans eux-mêmes déterminent et définissent les politiques. Nous avons observé cette approche à maintes reprises et elle conduit à des résultats désastreux. L’approche stratégique du gouvernement dans le projet de loi C-21 n’est que la dernière preuve en date de cette incompétence.

Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-21, il y a un an, le ministre a parlé de l’expérience vécue par les nombreux Canadiens touchés par la criminalité armée. Aucune parole ne pourra jamais réconforter ceux dont les proches ont été assassinés dans des actes de violence insensés, mais s’il veut réellement éradiquer la violence armée comme il le prétend, le problème est qu’il n’a absolument aucune idée de la manière d’atteindre cet objectif. C’est parce que le gouvernement actuel rejette la responsabilité des actes des criminels sur la société. C’est un gouvernement qui considère les détenteurs d’armes à feu légales comme étant le principal problème en matière de crimes commis avec des armes à feu. C’est également un gouvernement qui croit que des peines d’emprisonnement plus courtes, même pour les récidivistes violents, entraîneront une baisse de la criminalité.

Chers collègues, il s’agit d’une approche incompétente qui a contribué grandement à l’augmentation des crimes violents au cours des huit dernières années. Selon Statistique Canada, en 2021, 788 personnes ont été assassinées au Canada. Comparons ce chiffre à celui de 2013, où il n’y a eu que 509 meurtres. Certes, 509 meurtres, c’est encore beaucoup trop, mais le nombre de meurtres a augmenté de plus de 50 % à peine huit ans plus tard. De plus, en 2021, un quart de ces meurtres étaient liés à des gangs.

Les fusillades qui sont commises avec des armes à feu illégales représentent les trois quarts de tous les homicides liés aux gangs. À Winnipeg, il y a eu un record de 53 homicides en 2022. Des armes à feu ont été utilisées dans plus de 30 % des homicides à Winnipeg, mais des couteaux ont été utilisés dans environ 28 % des homicides.

Le sénateur MacDonald : Interdisez les couteaux aussi.

Le sénateur Plett : J’en ai parlé au ministre lorsqu’il était ici pour répondre à nos questions. Je lui ai demandé en quoi la suppression de huit peines minimales obligatoires liées à des crimes commis avec des armes à feu dans le projet de loi C-5 allait contribuer à lutter contre la hausse des crimes violents. Le ministre a fait ce que son gouvernement fait toujours : il s’est caché derrière des décisions des tribunaux et a prétendu implicitement qu’il n’avait pas le choix.

Chers collègues, voilà une réponse pathétique de la part d’un ministre et une bien maigre consolation pour les victimes de l’augmentation des crimes violents.

Voici essentiellement ce que dit le ministre :

Nous sommes désolés, mais notre gouvernement est totalement démuni. Nous n’avons pas d’autre choix que de nous en prendre aux propriétaires légitimes d’armes à feu car les tribunaux ne nous permettent pas de nous en prendre aux criminels violents.

Premièrement, la réponse du ministre est erronée. Les tribunaux n’ont pas invalidé toutes les peines minimales obligatoires. En fait, la Cour suprême a confirmé le principe voulant que le Parlement puisse imposer des peines obligatoires et, dans certains cas précis, a souvent donné au gouvernement la possibilité de répondre à ses décisions.

La Cour suprême a donné une telle possibilité au gouvernement dans l’affaire R. c. Nur. Dans cette décision rendue en 2015, elle avait invalidé un aspect d’une peine minimale liée à la possession d’armes à feu.

(2040)

La cour a invalidé la disposition, mais elle a quand même permis au gouvernement de modifier la loi existante. C’est exactement ce que le gouvernement Harper a fait en réponse à cette décision lorsqu’il a présenté le projet de loi C-69. Malheureusement, ce projet de loi est mort au Feuilleton avant les élections de 2015 et le gouvernement actuel a choisi de ne pas le présenter.

Si le gouvernement actuel a trop peur de prendre des mesures qui à la fois respectent les décisions de la Cour suprême et protègent les Canadiens contre les crimes commis avec des armes à feu, il devrait le dire, mais qu’il cesse de se réfugier derrière les tribunaux et de prétendre qu’il n’a pas d’autre choix que de ne rien faire. C’est une abdication de responsabilité. Il fait en sorte que de nombreuses collectivités canadiennes continueront d’être aux prises avec des crimes commis avec des armes à feu.

Deuxièmement, même si la cour offre peu d’options au gouvernement dans un cas particulier, il y a toujours le principe de suprématie parlementaire au pays.

Lorsque les crimes violents se multiplient dans les rues canadiennes, le gouvernement et le Parlement disposent d’autres outils constitutionnels et législatifs pour protéger les Canadiens. Si le gouvernement actuel n’a pas le courage d’utiliser ces outils, il mérite d’être remplacé; c’est aussi simple que cela.

Le Parlement et le gouvernement du Canada ont l’obligation de protéger les Canadiens. Lorsque le Parlement est en profond désaccord avec la Cour suprême en ce qui concerne un de ses arrêts, il devrait être prêt à agir. Il devrait y avoir au Parlement des élus prêts à intervenir. J’espère, honorables collègues, que c’est ce que nous verrons après les prochaines élections, et j’ai bon espoir que cela puisse arriver.

Nous sommes actuellement en présence d’un gouvernement qui fait exactement le contraire de ce qu’on devrait faire pour protéger les Canadiens. Nous avons amplement d’indices qui montrent que diverses mesures prises par le gouvernement, y compris des mesures législatives en matière de justice criminelle qui ont été mal conçues ainsi que les politiques libérales sur la distribution de la drogue, ont contribué de façon importante à l’augmentation considérable du nombre de crimes violents au Canada.

La triste réalité, c’est que, depuis 2015, le nombre de crimes violents au Canada a augmenté de 32 %, tandis que le nombre de meurtres liés aux gangs, dont un grand nombre sont commis avec une arme à feu, a doublé. Le projet de loi C-21 ne fera rien du tout pour contrer cette tendance.

Le gouvernement a beau dire que ce projet de loi s’inscrit dans de plus vastes efforts, je ne vois rien qui m’indique que de plus vastes efforts seront déployés. La vérité, c’est que le projet de loi C-21, comme le projet de loi C-68 avant lui, détournerait et gaspillerait des efforts et des ressources pour qu’on cible les propriétaires légitimes d’armes à feu alors que la police devrait plutôt cibler les vrais criminels.

Le directeur parlementaire du budget a estimé que la décision prise par le gouvernement en 2020 d’interdire certaines catégories d’armes à feu auparavant légales et de verser les compensations nécessaires coûtera jusqu’à 750 millions de dollars. D’autres estiment que les coûts pourraient être encore plus élevés.

Cet argent, chers collègues, devrait être utilisé pour soutenir les agents de première ligne. Au lieu de cela, ces fonds sont complètement et totalement gaspillés. Une fois de plus, on peut se demander qui le gouvernement a consulté pour élaborer ce projet de loi.

Dans ses observations sur le projet de loi, il y a un an, le ministre a affirmé :

Le projet de loi C-21 est le fruit des conseils que nous avons reçus de nombreuses circonscriptions, notamment de la part des survivants et de bien d’autres personnes.

Si le projet de loi C-21 est le fruit des conseils que le gouvernement a reçus de tant de circonscriptions, il reste néanmoins un degré remarquable d’opposition publique à ce projet de loi.

Si l’on considère ce que disent les premiers partisans du projet de loi, il ne semble pas que le gouvernement ait écouté les conseils qu’ils ont donnés. Leurs attentes ont été exagérément élevées par le gouvernement lorsque le ministre a prétendu de manière irréaliste qu’il pouvait d’une manière ou d’une autre éradiquer la violence par arme à feu. Ces groupes se sentent maintenant trahis.

Le groupe PolySeSouvient appuie le projet de loi C-21, mais il a déclaré que le premier ministre Justin Trudeau ne serait plus le bienvenu aux futures cérémonies commémoratives de la tragédie de l’École polytechnique.

Nathalie Provost, une survivante de la terrible fusillade à l’École Polytechnique, aurait déclaré ce qui suit à propos de la participation du premier ministre aux futures commémorations : « Nous ne l’inviterons pas et, s’il veut venir, nous n’accepterons pas qu’il soit là. »

Je comprends pourquoi ce groupe est en colère. Le gouvernement a promis un projet de loi qui ferait l’impossible. Puis, lorsque les attentes ont été anéanties, les gens se sont fâchés. On ne peut pas promettre des résultats inatteignables et reculer, sans s’attendre à une grande déception.

Qu’en est-il du manque de consultations de la part du gouvernement auprès des peuples autochtones? La cheffe Jessica Lazare du Conseil des Mohawks de Kahnawake a dit aux députés que l’absence de consultations approfondies avec les peuples autochtones est évidente étant donné « l’incohérence » du projet de loi.

Elle a ensuite ajouté :

Nous vous demandons de vous attaquer aux véritables problèmes à l’origine de la violence liée aux armes à feu et de ne pas empêcher les populations autochtones de préserver leur mode de vie durable qui se perpétue depuis des générations.

Nous revenons ainsi encore une fois à l’essence du problème avec le projet de loi C-21. Le gouvernement prétend que le projet de loi vise à contrer la violence liée aux armes à feu. La véritable cible, ce sont les propriétaires d’armes à feu respectueux des lois, y compris les chasseurs autochtones.

La vice-cheffe Heather Bear de la Fédération des nations autochtones souveraines a dit que le projet de loi C-21 et les modifications proposées empiètent sur les droits des Autochtones de chasser sur les terres de réserve et les territoires traditionnels. Il s’agit entre autres des dispositions du projet de loi qui ciblent les propriétaires légitimes d’armes de poing.

Le projet de loi C-21 vise à geler la vente, l’achat ou le transfert d’armes de poing légales. Cette disposition concerne plus d’un million d’armes à feu légales utilisées par des tireurs de compétition et des collectionneurs respectueux des lois depuis plus d’un siècle.

Naturellement, cette mesure n’aura aucun effet sur les gangs criminels qui s’intéressent surtout aux armes à feu illégales, qu’ils peuvent facilement se procurer de l’autre côté de la frontière. Au contraire, ce soi-disant gel des armes de poing vise ceux qui détiennent des permis d’arme à feu à autorisation restreinte pour diverses raisons légales.

Comme l’a déclaré le vice-cheffe Bear : « On utilise des armes de poing dans le Grand Nord [...] » Pourquoi? Elles sont parfois utilisées pour des raisons de sécurité, car un animal tel qu’un ours peut s’attaquer à un chasseur très rapidement, ce qui, à courte distance, rend l’utilisation d’une arme de poing plus pratique que celle d’un fusil. Le fait de disposer d’un moyen de défense comme une arme de poing peut vous sauver la vie. Or, non seulement le gouvernement n’a pas tenu compte de cet aspect lorsqu’il a rédigé le projet de loi C-21, mais il n’a pas non plus consulté ceux que ce projet de loi touchera le plus.

Il n’est donc pas surprenant qu’en décembre, les dirigeants des Premières Nations réunis à l’Assemblée extraordinaire des Chefs de l’Assemblée des Premières Nations, se soient prononcés contre le projet de loi C-21.

C’est Russell Wesley, chef de la Première Nation de Cat Lake, qui a présenté cette résolution à l’Assemblée extraordinaire des Chefs de l’Assemblée des Premières Nations, en déclarant que ce projet de loi démontrait une fois de plus que les droits des Premières Nations étaient constamment remis en question.

En ce qui concerne la consultation des Autochtones, le ministère de la Justice a déclaré ce qui suit :

Le gouvernement du Canada a l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones lorsqu’il envisage de mettre en œuvre des mesures qui pourraient avoir des répercussions négatives sur leurs droits établis ou potentiels — ancestraux ou issus de traités. Cela a été systématiquement confirmé par les tribunaux. Le gouvernement du Canada s’est toujours efforcé de faire respecter cette obligation et a montré qu’il était résolu à prendre des mesures supplémentaires à cette fin.

(2050)

Qu’est-il advenu de cet engagement? Je pense qu’il est tout à fait impératif que notre comité sénatorial prenne le temps d’entendre tous les témoins autochtones qui souhaitent être entendus lorsqu’il examinera le projet de loi.

Si le gouvernement n’entend pas consulter les Autochtones comme il l’a promis, il incombe au Sénat de le faire à sa place. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que le projet de loi soit examiné en profondeur par le comité sénatorial et pour que les Canadiens puissent être entendus et le soient.

À cet égard, je veux revenir sur la question du gel des armes de poing proposé dans le projet de loi. Le ministre a dit ceci au sujet de la disposition :

[Elle] introduirait pour la première fois un gel national sur les armes de poing. En termes très clairs, cela signifie qu’éventuellement, personne ne pourrait acheter, vendre, transférer ou importer une arme de poing au Canada.

Selon le ministre, c’est l’objectif de la disposition. Cependant, qu’est-ce que cette disposition accomplira vraiment en matière de sécurité publique? Nous savons qu’elle ne fera rien en ce qui concerne les armes de poing illégales, qui sont l’arme de prédilection des gangs criminels. Le chef de police adjoint du Service de police de Toronto, Myron Demkiw, a récemment déclaré à la Chambre des communes qu’environ 86 % des armes à feu saisies étaient des armes entrées en contrebande au Canada. Selon un récent reportage de la CBC, 90 % des crimes commis avec des armes à feu en Ontario l’ont été avec des armes à feu de contrebande.

Le chef adjoint Demkiw a été très clair au sujet de l’origine des armes de poing présentes dans les rues de Toronto, disant ceci :

Ces armes ne viennent pas de chez nous, mais d’ailleurs dans le monde. À Toronto, le problème vient des armes de poing importées des États-Unis.

Quand on l’a interrogé sur le gel proposé des armes de poing et l’autre programme de rachat des armes à feu du gouvernement, il a répondu :

Les investissements dont vous parlez ne permettront certainement pas de régler le problème des armes de poing illicites utilisées à des fins criminelles à Toronto.

Nous devons poser la question de nouveau : qui le gouvernement a-t-il écouté ou consulté? Il n’y a aucun avantage pour la sécurité publique à légiférer pour que les détenteurs de un million d’armes de poing légales puissent les conserver, sans avoir le droit de les vendre ou d’acheter de telles armes légalement. De même, l’imposition de restrictions aux tireurs au pistolet de compétition ne rend pas nos rues plus sûres.

Le gouvernement soutient que, dans de nombreuses régions du Canada, il faut lutter contre le vol d’armes à feu légales, mais le gel des achats et des ventes d’armes à feu légales, qui sont déjà strictement contrôlées, ne résout pas ce problème. Le principal problème pour une ville comme Toronto est la contrebande organisée d’armes à feu. À cet égard, le projet de loi C-21 ne fait rien du tout.

En parlant du projet de loi, le ministre a affirmé que :

Le projet de loi C-21 s’attaquera de façon très directe et intentionnelle au crime organisé. Pour accomplir cela, tout d’abord, il augmentera les peines maximales de 10 à 15 ans pour les passeurs et les trafiquants d’armes à feu illégales à la frontière. Quel est l’objet de cette déclaration d’intention? C’est d’envoyer un message très clair et très puissant à tous ceux qui participent au trafic d’armes à feu illégales, pour leur dire qu’ils risquent des peines plus sévères.

Il n’est guère surprenant que le ministre se soit trompé sur le nouveau maximum proposé. Le nouveau maximum proposé dans le projet de loi est de 14 ans, et non de 15 ans comme l’a dit le ministre. Il ne connaît pas son propre projet de loi. Il est avocat et a été procureur, mais il n’a pas compris que la peine maximale normale prévue par le Code criminel est de 14 ans, et non de 15 ans.

Quoi qu’il en soit, à quoi sert cette augmentation de la peine maximale possible?

Tout d’abord, en ce qui concerne la peine maximale actuelle de 10 ans pour la contrebande d’armes à feu, il faut être honnête : cette peine est rarement imposée par les tribunaux canadiens. J’ai demandé aux chercheurs de la Bibliothèque du Parlement combien de fois la peine maximale de 10 ans avait été imposée au cours des 20 dernières années. Les chercheurs de la bibliothèque n’ont pas trouvé un seul exemple.

Une voix : Wow.

Le sénateur Plett : À la séance d’information qui m’a été donnée du fait que je suis porte-parole pour ce projet de loi, les fonctionnaires ont admis que très peu des peines pour contrebande d’armes à feu imposées correspondent à la peine maximale prévue par la loi ou s’en rapprochent. Cela arrive, mais c’est si rare qu’il est très difficile d’en trouver des exemples, même pour eux.

Malgré ce constat, le ministre prétend que porter à 14 ans la peine maximale enverra un message fort aux instances judiciaires. Cela semble peu probable, puisque la plupart des peines d’emprisonnement imposées sont de cinq ans ou moins.

Je reconnais que certaines infractions liées aux armes à feu peuvent parfois se traduire par des peines plus sévères. À l’étape de la deuxième lecture, le sénateur Yussuff a affirmé que « les personnes condamnées [pour contrebande] purgent en moyenne huit ans de leur peine ». Je crois que le sénateur Yussuff tentait probablement de faire valoir que la peine moyenne est de huit ans, et non que les personnes condamnées purgent réellement huit ans de leur peine d’emprisonnement. En fait, purger huit années d’une peine d’emprisonnement maximale de 10 ans est presque impossible, car tous les détenus sont libérés d’office après avoir purgé environ les deux tiers de leur peine. Ainsi, même un détenu qui se voit imposer la peine maximale de 10 ans sera libéré avant même d’avoir passé 7 ans derrière les barreaux.

Je ne crois pas non plus qu’il y ait des preuves que la peine moyenne pour la contrebande d’armes soit de huit ans. Je ne peux que répéter ce qu’affirme la Bibliothèque du Parlement. Elle n’a pu trouver aucun exemple de peine maximale imposée pour la contrebande d’armes à feu, et les fonctionnaires ont reconnu qu’il y a très peu de peines à l’extrémité supérieure de l’échelle des peines. On pourrait espérer que cette tendance change, mais, en fait, la tendance est plutôt aux peines inférieures et moyennes.

Le cas de William Rainville qui, en 2021, a tenté d’introduire en contrebande 248 pistolets de type Polymer80 Glock au Canada, illustre bien ce phénomène. Ces pistolets ont été passés en contrebande sans numéro de série. Les armes avaient une valeur marchande estimée à 1,6 million de dollars et elles étaient destinées à un usage criminel. Le contrebandier a été condamné, chers collègues, à une peine de cinq ans d’emprisonnement.

Certains rappelleront peut-être qu’il s’agit d’une peine sévère, mais elle n’est qu’au milieu de l’échelle, et le fait est que William Rainville a pu obtenir la semi-liberté après 12 mois de cette peine de 5 ans.

Chers collègues, pensez-y : 12 mois à purger pour avoir fait entrer illégalement 250 armes à feu sans numéro de série au pays. Il s’agissait clairement d’armes destinées au milieu criminel qui auraient probablement tué des gens, mais le délinquant est ressorti après 12 mois.

Pourquoi seulement 12 mois? Nous devons ici évoquer un autre projet de loi adopté sous le gouvernement actuel, le projet de loi C-83. Ce projet de loi a introduit dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition un principe voulant que tous les contrevenants doivent être incarcérés au niveau de sécurité le moins restrictif possible, dans la mesure où c’est conforme à la politique publique. Cela signifie que tant que les contrevenants se tiennent tranquilles en prison, ils sont souvent transférés à des établissements dont le niveau de sécurité est de plus en plus bas, ce qui leur permet d’accéder plus rapidement à la libération conditionnelle anticipée ou totale. Autrement dit, quelle que soit la gravité de l’infraction, si un contrevenant sait manipuler le système, il peut souvent être libéré très rapidement.

Le gouvernement a été averti que cela se produirait lorsqu’il a fait adopter le projet de loi C-83. Ces avertissements, dont ceux de notre collègue le sénateur Boisvenu, ont été ignorés.

Une autre personne, Tony N’Zoigba, savait certainement comment manipuler le système. Il a été arrêté en février 2020 après avoir traversé le fleuve Saint-Laurent à bord d’un hors-bord où se trouvait un sac de sport contenant neuf armes. Ces armes étaient manifestement destinées à un usage criminel, puisque leur cheminement avait été retracé dans le cadre d’une opération d’infiltration canado-américaine. L’intention de cet homme était de vendre ces armes à des gangs criminels ici même, à Ottawa.

Il a fait l’objet de 92 chefs d’accusation. Quelle a été sa peine? Il a été condamné à 18 mois de prison.

(2100)

Quelques mois plus tard, il était en semi-liberté. Et que faisait-il? Apparemment, il tentait de conclure une autre entente en vue de faire entrer encore plus d’armes au Canada, de sorte que sa semi‑liberté a dû être suspendue.

Chers collègues, les criminels qui font de la contrebande transfrontalière d’armes à feu sont très bien organisés. Ils tirent parti des lois canadiennes laxistes, de la faiblesse des juges libéraux et du peu de mesures de contrôle en place à la frontière. Je crains que ni les mesures limitées prises par le gouvernement ni l’augmentation mineure qu’on propose d’apporter à la peine maximale — alors que les juges n’imposent jamais, ou presque, la peine maximale actuelle — n’atténuent le grave problème auquel le Canada est confronté.

Le ministre a fait valoir que le projet de loi accordait de nouveaux pouvoirs d’enquête, puisqu’il élargit la liste des infractions liées aux armes à feu. Selon lui, cela permettra à la police de faire davantage d’écoutes téléphoniques. Le gouvernement affirme également avoir investi plus d’un milliard de dollars pour lutter contre la criminalité liée aux armes à feu. Les statistiques sur l’argent dépensé ne sont toutefois pas synonymes de résultats. Le gouvernement actuel est toujours prêt à injecter de l’argent pour résoudre les problèmes, mais il n’est jamais prêt à poser des questions détaillées sur l’efficacité réelle de ses politiques.

Il faut aussi être honnête : l’argent est réparti sur de nombreuses années, dans tout le pays et entre de multiples projets. Une bonne partie de l’argent ne servira pas à soutenir les agents sur le terrain. Il est certain que les 750 millions de dollars ou plus qui sont gaspillés pour indemniser les propriétaires légitimes d’armes à feu à la suite de l’interdiction décrétée par le gouvernement en 2020 ne font absolument rien pour soutenir les services de police sur le terrain.

Le fait est que les crimes commis avec une arme à feu sont à la hausse et qu’une grande partie de ces crimes sont commis avec des armes de contrebande. Or, le ministre ne fait pas grand-chose pour remédier à ce problème. Il prétend que les agents des services frontaliers saisissent un nombre record d’armes à feu aux postes frontaliers. Cependant, quel est l’effet réel de ces saisies sur la criminalité dans les rues?

Mon bureau a fait inscrire une question au Feuilleton concernant les saisies d’armes à feu aux postes frontaliers. Nous avons demandé dans quelle mesure l’interception par l’Agence des services frontaliers du Canada d’armes illégales destinées à des gangs de rue était un succès. En réponse à cette question, le ministère de la Sécurité publique a répondu qu’en 2019, l’Agence avait saisi 713 armes à feu de toutes sources à la frontière. Cela semble impressionnant, mais en réalité, l’Agence avait également déclaré que seulement 72 de ces armes à feu étaient considérées à première vue comme des armes à feu destinées à une utilisation illicite au Canada.

En 2020, les chiffres étaient moins impressionnants. L’Agence des services frontaliers du Canada a saisi 470 armes à feu à la frontière en 2020, mais seulement 8 d’entre elles — environ 2 % de toutes les saisies d’armes à feu — ont été désignées comme des armes susceptibles d’être utilisées pour commettre un crime.

Saisir les armes de voyageurs américains qui ne se doutent de rien, qui ne connaissent pas les lois canadiennes et qui ne resteront au Canada que quelques jours ou quelques semaines n’a aucune incidence sur la criminalité dans les zones urbaines du Canada. Nous devons plutôt mettre un terme à la contrebande d’armes par des groupes organisés qui acheminent ces armes vers les gangs qui sévissent dans nos rues.

Même si le ministre parle d’investissements et d’argent dépensé, la triste réalité est la suivante, chers collègues : si nous ne disposons pas d’un nombre suffisant d’agents pour enquêter sur les réseaux de contrebande d’armes, nous ne lutterons pas sérieusement contre les crimes violents commis dans nos rues. Si nous ne disposons pas d’une police déterminée, bien financée et axée sur le renseignement, qui cible la contrebande d’armes, nous ne lutterons pas sérieusement contre les crimes violents commis dans nos rues. Si nous ne disposons pas d’un nombre suffisant d’agents de police ou d’agents frontaliers pour surveiller les frontières entre les points d’entrée, nous ne lutterons pas sérieusement contre les crimes violents commis dans nos rues. Si nous ne disposons pas d’un nombre suffisant d’agents et de procureurs de la Couronne pour exécuter les mandats d’écoute électronique et soutenir les grandes enquêtes, nous ne lutterons pas sérieusement contre les crimes violents commis dans nos rues. Enfin, si nous ne prévoyons pas de peines sévères pour la contrebande d’armes et les crimes commis avec des armes à feu, des peines qui élimineront définitivement les criminels violents de nos rues, alors nous ne lutterons tout simplement pas contre les crimes commis avec des armes à feu dans nos rues.

En toute honnêteté, le projet de loi C-21 et tous les beaux discours le concernant ne permettent rien de tout cela. Ce projet de loi vise presque exclusivement les propriétaires légitimes d’armes à feu. Il considère que c’est eux, le problème. Cette approche est particulièrement évidente dans une autre disposition du projet de loi qui porte sur le pouvoir d’intervention rapide.

Voici ce qu’a déclaré le ministre Mendicino :

Il s’agit de la violence fondée sur le sexe qui survient dans les milieux de travail, dans les collectivités, dans les résidences et en ligne. Il y a un lien entre la violence fondée sur le sexe et les armes à feu. De 2013 à 2019, le nombre d’incidents de violence fondée sur le sexe impliquant une arme à feu a augmenté de plus de 30 % et la tendance se maintient.

Le ministre semble dire que la simple existence des armes légales est un problème, mais il y a des millions d’armes à feu légales au Canada. À moins que le ministre prévoie les retirer à tous les chasseurs et tireurs sportifs, je ne vois pas comment il compte régler ce problème. Il ne va certainement pas le faire grâce aux dispositions du projet de loi C-21.

Je crois que tous les Canadiens conviennent que l’augmentation des actes de violence, parfois des séries d’attaques, que l’on constate dans notre société est profondément troublante. Ces attaques sont parfois motivées par un extrémisme idéologique ou religieux. Elles peuvent être simplement motivées par l’effondrement de la santé mentale d’un individu. Peu importe la raison, il semble y en avoir de plus en plus. Il peut s’agir d’attaques au couteau au hasard ou d’autres types d’attaques. Il peut s’agir d’attaques à la voiture-bélier ou d’attaques avec une arme à feu.

Les mesures de contrôle des armes à feu légales sont conçues pour remédier à ce problème. C’est pour cette raison que, au Canada, nous reconnaissons depuis longtemps le besoin d’instaurer des mesures de contrôle raisonnable pour encadrer les armes à feu. Il y a un vaste consensus politique en matière de délivrance de permis d’armes à feu, de la formation en matière de sécurité obligatoire et de l’entreposage sécuritaire des armes à feu. Il y a aussi un large consensus au sujet de la vérification par la police des antécédents. Les détenteurs de permis d’armes à feu au Canada doivent renouveler leur permis tous les cinq ans. Les propriétaires d’armes à feu sont continuellement soumis à des examens. Si des problèmes surviennent, les permis peuvent être suspendus et les armes à feu saisies. Il s’agit de dispositions réglementaires exhaustives, mais nous devons reconnaître qu’il ne pourra jamais y avoir de solution à toute épreuve.

Dans le projet de loi C-21, le gouvernement propose d’ajouter une nouvelle série de dispositions, des mesures de signalement préventif. Ces mesures permettront à quiconque de s’adresser aux tribunaux et de demander à un juge de saisir l’arme à feu ou de suspendre le permis d’une personne qui possède une arme à feu si cette personne représente une menace pour autrui ou elle-même. À quel point ces mesures améliorent-elles réellement la sécurité publique?

La section de la justice pénale de l’Association du Barreau canadien souligne que les policiers ont déjà le pouvoir de demander un mandat pour saisir des armes à feu dans des circonstances particulières. La loi permet à la police de saisir des armes à feu sans mandat lorsque l’obtention d’un mandat n’est pas possible ou quand une personne ne présente pas son permis ou autre autorisation.

La saisie d’une arme à feu entraîne la révocation automatique des permis et des autorisations. La personne a alors la possibilité de se faire entendre devant un tribunal. Autrement dit, une personne peut déjà déposer une plainte ou signaler une préoccupation à la police, qui aura ensuite le pouvoir d’agir.

Comme on peut le lire sur le site Web de l’Association du Barreau canadien, la Section du droit pénal de l’association croit que :

[...] la loi actuelle contient des pouvoirs suffisants pour atteindre l’objectif de saisir des armes soupçonnées d’avoir été utilisées dans un crime ou de les retirer des mains de personnes considérées comme un danger pour elles-mêmes ou pour autrui.

Il est difficile de comprendre ce qui serait accompli par l’ajout de dispositions prévoyant des pouvoirs d’intervention sont déjà en place. Une personne qui a une préoccupation sérieuse sera-t-elle plus susceptible d’appeler la police ou de prendre le temps de se présenter devant un tribunal? La réponse me semble plutôt évidente.

Il sera très important que le comité sénatorial saisi de ce projet de loi convoque des juristes et d’autres témoins pour les interroger à ce sujet. Ces problèmes sont complexes, et il faudra comprendre comment le cadre législatif actuel fonctionne et comment les nouvelles dispositions proposées pourront améliorer la sécurité publique.

(2110)

Le projet de loi ne semble pas offrir de solutions concrètes à ces problèmes. À quoi sert-il vraiment? Je crois qu’il vise non pas à éradiquer la violence armée, comme le gouvernement le prétend, mais plutôt à préparer le terrain pour les prochaines mesures qui cibleront encore plus rigoureusement les propriétaires légitimes d’arme à feu. À cette fin, le gouvernement propose d’inclure dans ce projet de loi une définition plus large de ce qui constitue une arme à feu prohibée. Cette définition comprendrait maintenant toute arme à feu qui tire des munitions à percussion centrale de manière semi-automatique et qui a été conçue à l’origine avec un chargeur détachable d’une capacité de six cartouches ou plus. En principe, cela pourrait inclure plus de 1 million d’armes à feu, c’est-à-dire les armes à feu que j’ai déjà mentionnées et qui ne font pas l’objet de restrictions en ce moment.

Le gouvernement affirme que cette définition s’appliquerait de façon prospective, ce qui veut dire qu’elle ne s’appliquerait qu’aux armes à feu conçues et fabriquées à partir de la date d’entrée en vigueur de la définition. Elle n’aurait pas d’incidence sur la classification des armes à feu qui se trouvent actuellement sur le marché canadien. Dans ce cas, quel est l’avantage de cette modification pour la sécurité publique? On interdirait de nouvelles armes à feu qui sont très similaires aux anciennes et qui tirent les mêmes munitions, mais pas les armes à feu qui existent déjà, qui sont au nombre de plus d’un million.

Lorsque je dis qu’il s’agit de plus d’un million, c’est parce que personne ne connaît le chiffre exact. Ce que nous savons, c’est qu’interdire les nouvelles armes à feu qui sont exactement les mêmes que les anciennes et laisser les anciennes en circulation n’a absolument aucun sens. Le gouvernement affirme que l’objectif est de « combler une lacune réglementaire lorsque les armes à feu qui entrent sur le marché canadien peuvent être mal classées ». Il est toutefois possible d’en faire beaucoup plus, et l’intention suprême du gouvernement est démontrée dans les amendements qui ont, pour l’instant, été retirés. Cela signifie qu’il ne faut pas croire que les armes à feu détenues par les Canadiens depuis des décennies sont à l’abri d’une interdiction arbitraire. Dans les interdictions d’armes à feu que le gouvernement a introduites par décret en 2020, le gouvernement a montré qu’il est plus que disposé à introduire des interdictions d’armes à feu totalement arbitraires chaque fois que les considérations politiques suggèrent que ce serait une bonne idée.

Les Canadiens ne sont pas plus en sécurité lorsque les gouvernements prennent arbitrairement la décision politique d’interdire quelques catégories d’armes à feu simplement en raison de leur apparence, tout en laissant en circulation légale d’autres catégories d’armes à feu semblables, qui utilisent souvent exactement les mêmes munitions. Cela n’a évidemment aucun sens, mais c’est exactement ce que le gouvernement a fait en 2020.

Auparavant, le gouvernement prétendait que ses décisions relatives à l’interdiction des armes à feu seraient toujours fondées sur des faits et sur l’avis de professionnels; toutefois, cette promesse en a pris pour son rhume et la reclassification des armes à feu se fera désormais derrière des portes closes et sera assujettie à toutes sortes de pressions de la part des politiciens.

Quelles sont les implications de tout cela pour le contrôle des armes à feu au Canada? Comme cela s’est produit avec le projet de loi C-68 il y a exactement 30 ans, l’appui au contrôle des armes à feu subira probablement un coup dur. Par définition, le contrôle des armes à feu légales est axé sur les citoyens respectueux des lois. Dans l’ensemble, les propriétaires d’armes à feu au Canada ont toujours coopéré avec le contrôle des armes à feu au Canada et leur coopération est nécessaire pour maintenir un contrôle viable et efficace des armes à feu. Après tout, ce sont leurs armes à feu qui sont réglementées. Cependant, les lois doivent être perçues comme légitimes et nécessaires si l’on veut conserver la coopération de personnes les plus touchées par ces lois. Le projet de loi C-21 mine cette confiance du public. Le projet de loi est déjà perçu comme une offensive gratuite et motivée par des intérêts politiques contre les propriétaires d’armes à feu. C’est leur propriété personnelle qui est visée.

À la suite des mesures prises par le gouvernement, un million d’armes de poing détenues par des propriétaires d’armes à feu respectueux des lois ne peuvent plus être achetées ou vendues légalement. Cette décision arbitraire n’est accompagnée d’aucune compensation financière, ce qui la rend particulièrement injuste.

Les disciplines de tir sportif et les clubs d’armes de poing de tout le pays sont touchés. En ce qui a trait aux différentes disciplines de tir sportif, le gouvernement a décidé que seuls les tireurs olympiques seraient exemptés de la disposition sur l’achat et la vente des armes de poing. À quoi cela rime-t-il? Comment peut-on soutenir les compétiteurs canadiens de niveau olympique sans permettre à d’autres tireurs de pratiquer le tir sportif? Comme je l’ai déjà dit, c’est comme dire qu’on pourra seulement jouer au hockey dans la LNH, mais qu’on ne permettra à aucun hockeyeur amateur de joueur. Tous les propriétaires légitimes d’armes à feu savent que le véritable objectif est de mettre un terme à tous les sports de tir au Canada.

On nous a aussi dit qu’une autre conséquence sera que les agents de police partout au Canada, qui, très souvent, peuvent seulement s’entraîner au club d’armes à feu local, n’auront tout à coup nulle part où pratiquer le tir, à mesure que les clubs commenceront à fermer au cours des prochaines années. Quelqu’un au sein du gouvernement a-t-il pensé à cette répercussion sur la sécurité publique? Comment nos agents de police sont-ils censés pratiquer le tir si les clubs ferment?

Il n’est pas surprenant que, compte tenu de toutes les implications, les gens réagissent très négativement à ce projet de loi. C’est la raison pour laquelle ce projet de loi est déjà contesté par un large éventail de Canadiens. Chers collègues, la plupart des provinces et des territoires s’y opposent également. En fait, certaines provinces sont en train d’adopter des lois visant à contrecarrer les objectifs mêmes du projet de loi C-21.

Certains sénateurs se consoleront sans doute en se disant que ce sont uniquement les gouvernements provinciaux conservateurs qui le font. Or, voici ce qu’a dit Irfan Sabir, porte-parole du NPD de l’Alberta en matière de justice, à propos de ce projet de loi :

Le programme fédéral sur les armes à feu fait l’objet de critiques légitimes, et il était absolument nécessaire de retirer et de revoir les amendements qui auraient ciblé de nombreuses armes à feu, y compris celles utilisées par les Albertains et les peuples autochtones pour la chasse.

Honorables sénateurs, c’est l’opinion des néo-démocrates de l’Alberta.

La seule correction que j’apporterais, c’est que, malheureusement, le gouvernement fédéral n’a pas abandonné ses amendements au projet de loi C-21. Il les a plutôt mis sur la glace temporairement avec la ferme intention de les présenter à nouveau sous la forme de règlements. Ces règlements seront recommandés par un comité ministériel composé exclusivement de personnes nommées par le ministre de la Sécurité publique, un homme dont la crédibilité a complètement été détruite à cause du mauvais projet de loi qu’il a présenté. Nous ne devrions pas nous étonner que ce ministre soit responsable d’autres fiascos, comme le transfèrement du tueur Paul Bernardo vers un établissement à sécurité moyenne, une affaire qui a montré son incompétence.

Honorables sénateurs, la réalité est que le gouvernement et le ministre ont mal géré l’ensemble du dossier de la justice pénale depuis le début. Leur approche pour lutter contre la violence liée aux armes à feu et aux gangs dans notre pays est malavisée. Le gouvernement devrait tout simplement repartir à neuf.

Que devrait-il faire? D’abord, il devrait admettre ses erreurs dans les projets de loi C-5, C-75 et C-83. Au sujet des conditions de libération sous caution et du projet de loi C-75, il l’a maintenant fait du bout des lèvres, mais les nouvelles mesures qu’il a proposées sont peu susceptibles de contribuer grandement à réduire la criminalité dans nos rues. En fait, tous les mauvais projets de loi que le gouvernement a adoptés doivent être complètement revus si nous voulons mettre un frein à la montée des crimes violents au Canada.

Deuxièmement, la résolution du problème de la contrebande d’armes à feu devrait devenir la priorité absolue. Nous ne pourrons jamais empêcher totalement l’entrée au Canada, à partir des États‑Unis, d’armes destinées à des fins criminelles, mais nous pouvons au moins veiller à ce qu’il soit très coûteux pour les gangs criminels de faire de la contrebande transfrontalière. Nous devons nous assurer que cela leur coûte cher sur le plan financier, et que les personnes prises en train de faire entrer en contrebande des armes dans notre pays sont retirées de nos rues, soit pour une très longue période, soit de manière permanente s’il s’agit de récidivistes. C’est le Parlement, et non les tribunaux, qui a le pouvoir de légiférer au Canada, et nous avons besoin d’un gouvernement qui est prêt à respecter ce principe important.

Troisièmement, le gouvernement doit travailler en étroite collaboration avec les communautés vulnérables. Nous avons besoin d’un gouvernement qui investit dans ces communautés et dans les jeunes, en prenant des mesures qui fonctionnent réellement.

(2120)

Surtout, ces communautés, comme toutes les autres communautés canadiennes, méritent un environnement où la loi et l’ordre peuvent être tenus pour acquis et où les enfants et les jeunes peuvent grandir sans avoir peur. On a beau créer tous les programmes qu’on veut, mais si les rues autour des lieux de prestation de ces programmes ne sont pas sûres, l’incidence de ces programmes sera fort limitée.

Quatrièmement, nous avons besoin d’un gouvernement fédéral prêt à collaborer avec les provinces et non à poursuivre des objectifs qui vont à l’encontre de ceux des provinces. Autrement dit, nous avons besoin d’un gouvernement fédéral qui s’intéresse davantage à produire des résultats concrets qu’à prendre des mesures, comme le projet de loi C-21, fondées sur des slogans et ciblant les Canadiens respectueux des lois. Je comprends que les provinces ont des opinions différentes à ce sujet. Le gouvernement fédéral doit être prêt à travailler avec chacune d’elles, et non à imposer des solutions à distance.

Enfin, chers collègues — et je suis certain que vous serez heureux de l’entendre —, nous devons maintenir, au Canada, un régime de délivrance de permis d’armes à feu qui soit à la fois efficace et raisonnable. Contrairement aux États-Unis, le Canada a une longue tradition de contrôle des armes à feu à la fois responsable et raisonnable.

Pour que le contrôle des armes à feu soit efficace, il doit être perçu comme légitime. Le contrôle des armes à feu doit recevoir l’appui des propriétaires légitimes d’armes à feu. Avec ce projet de loi, le gouvernement risque de perdre cet appui. Il a fallu des années pour regagner un peu d’appui en faveur d’un régime de contrôle des armes à feu après le fiasco du registre des armes d’épaule créé par un autre gouvernement libéral il y a 30 ans. Aujourd’hui, le gouvernement a perdu cet appui. C’est pourquoi ce projet de loi est extrêmement absurde et manque de vision à long terme.

Chers collègues, toutes ces questions doivent être examinées en profondeur par le comité sénatorial qui étudiera le projet de loi. J’espère que nous ne fermerons pas la porte aux nombreux Canadiens qui souhaitent être entendus à propos de ce mauvais projet de loi. J’espère que nous ne procéderons pas comme le gouvernement l’a fait à la Chambre, puisqu’il a eu recours à l’attribution de temps et a forcé l’adoption rapide du projet de loi pendant l’étude au comité et à l’étape de la troisième lecture. Ce serait une gifle pour de nombreux Canadiens qui méritent d’être entendus. Ce serait également une trahison et une abdication complète du rôle constitutionnel du Sénat.

Je m’oppose fermement à ce projet de loi mais, si nous le renvoyons au comité, nous devons donner au comité le temps de faire son travail efficacement. Je pense que nous sommes tous d’accord avec ce principe. Cela dit, il serait préférable que le comité n’ait pas à perdre son temps à étudier ce mauvais projet de loi.

Le projet de loi C-21 ne rendra pas le Canada plus sûr. Il ne réduira aucunement la criminalité dans les rues. Les propriétaires d’armes à feu légales s’y opposent. Les peuples autochtones s’y opposent. Les provinces et les territoires s’y opposent. Il risque de détruire le contrôle des armes à feu au Canada.

Chers collègues, je vous demande instamment de rejeter ce projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Merci beaucoup.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : Le sénateur Plett accepterait-il de répondre à une question?

[Traduction]

Le sénateur Plett : Je me suis accroché au podium pendant les 30 dernières minutes. Je décline respectueusement les questions.

Son Honneur la Présidente : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les oui l’emportent.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice Seidman : Oui. La sonnerie retentira pendant 15 minutes.

Son Honneur la Présidente : Par conséquent, la sonnerie retentira pendant 15 minutes, et le vote aura lieu à 21 h 39. Convoquez les sénateurs.

(2140)

La motion, mise aux voix, est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois :

POUR
Les honorables sénateurs

Audette Hartling
Bernard Jaffer
Boehm Klyne
Boniface Kutcher
Burey LaBoucane-Benson
Busson Loffreda
Cardozo MacAdam
Clement Marwah
Cordy Mégie
Cormier Miville-Dechêne
Cotter Moncion
Coyle Omidvar
Dagenais Osler
Dalphond Pate
Dasko Patterson (Ontario)
Deacon (Nouvelle-Écosse) Petitclerc
Deacon (Ontario) Petten
Dean Quinn
Duncan Ravalia
Dupuis Ringuette
Forest Saint-Germain
Gerba Simons
Gignac Smith
Gold Sorensen
Greenwood Woo
Harder Yussuff—52

CONTRE
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Martin
Batters Mockler
Black Oh
Boisvenu Patterson (Nunavut)
Carignan Plett
Housakos Richards
MacDonald Seidman
Manning Wallin
Marshall Wells—18

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucun

Renvoi au comité

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Yussuff, le projet de loi est renvoyé au Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale, de la défense et des anciens combattants.)

L’ajournement

Adoption de la motion

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’à demain, jeudi 22 juin 2023, à midi.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption de certains amendements du Sénat et rejet de certains amendements du Sénat

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur d’informer le Sénat que j’ai reçu le message suivant de la Chambre des communes :

Le mercredi 21 juin 2023

EXTRAIT,—

Qu’un message soit envoyé au Sénat pour informer Leurs Honneurs que, en ce qui concerne le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, la Chambre :

accepte les amendements 1b)(i) et 1c)(i) apportés par le Sénat;

rejette respectueusement les amendements 1g), 1i), 1j) et 1k) parce qu’ils minent les mécanismes du projet de loi relativement au contrôle des coûts et de la durée des procédures en proposant l’ajout d’un deuxième niveau d’appel intermédiaire dans le nouveau processus disciplinaire de la magistrature, ce qui répéterait le travail du premier et, par conséquent, réintroduirait dans le nouveau processus des coûts et des délais de procédures qui sont comparables à ceux qui ont amené le public à perdre confiance dans le processus actuel;

rejette respectueusement l’amendement 2 parce qu’il mine les mécanismes du projet de loi relativement au contrôle des coûts et de la durée des procédures en maintenant la plupart des coûts et des procédures superflus que le projet de loi visait à éliminer du processus pour obtenir le contrôle par un tribunal d’un rapport du Conseil canadien de la magistrature déposé dans le cadre du processus actuel;

rejette respectueusement les amendements 1a), 1b)(ii), 1f) et 1h) parce qu’ils auraient pour effet, dans l’ensemble, de redéfinir le rôle des non-juristes, qui sont expressément définis dans le nouveau processus disciplinaire comme des personnes ne provenant pas du milieu juridique, en obligeant ceux-ci à exercer des fonctions décisionnelles exigeant une formation juridique ou idéalement exercées par ceux qui en ont une;

rejette respectueusement les amendements 1c)(ii) et 1c)(iii), 1d) et 1e) parce que, pris dans leur ensemble, ils redéfiniraient l’équilibre établit par le projet de loi entre les questions de confidentialité et de transparence qui se présentent aux étapes d’enquête du processus, et ce d’une façon qui risquerait d’entraîner la divulgation de renseignements de nature personnelle ou confidentielle, et qui exigeraient un niveau important de nouvelles ressources financières qui ne seraient autrement pas nécessaires au bon fonctionnement du nouveau processus disciplinaire de la magistrature;

rejette respectueusement les amendements 1b)(iii) et 1l) parce que, pris dans leur ensemble, ils remodèleraient considérablement les principaux mécanismes prévus par le projet de loi pour assurer que le Conseil canadien de la magistrature rende publique de l’informations à propos du processus, et ce d’une façon qui risquerait d’entraîner la divulgation de renseignements de nature personnelle ou confidentielle.

ATTESTÉ

Le greffier intérimaire de la Chambre des communes

Eric Janse

(2150)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous le message?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose :

Que le message soit étudié maintenant.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Motion de renonciation aux amendements du Sénat—Débat

Le Sénat passe à l’étude du message de la Chambre des communes.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose :

Que, en ce qui concerne le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, le Sénat n’insiste pas sur ses amendements auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

 — Honorables sénateurs, c’est avec plaisir que je prends la parole à l’étape du message de l’autre endroit en réponse aux amendements proposés par le Sénat au projet de loi C-9, un projet de loi qui envisage une réforme majeure du processus d’examen de plaintes d’inconduite portées contre les juges de nomination fédérale.

Tout d’abord, je tiens à remercier le parrain du projet de loi, le sénateur Dalphond, ainsi que la sénatrice Batters, qui a joué le rôle de porte-parole. Je remercie également tous les sénateurs qui ont participé à l’étude et aux débats relatifs à cette importante initiative. Bien que nous ne soyons pas tous sur la même longueur d’onde quant à certains détails du projet de loi, il est clair que nous partageons les objectifs du gouvernement et de la magistrature fédérale.

Mon allocution sera relativement brève. Je tenterai de vous expliquer le message de l’autre endroit et de vous communiquer brièvement la position du gouvernement vis-à-vis des amendements apportés par le Sénat. Le sénateur Dalphond étant un expert en la matière, je lui laisserai le soin, à titre de parrain du projet de loi, de vous présenter une analyse plus étoffée de certains éléments clés du message.

Le projet de loi C-9 a été méticuleusement élaboré à la suite de vastes consultations tenues auprès d’intervenants de la magistrature et du milieu juridique ainsi que de membres du public. Il jouit de l’appui des institutions fondamentales de la magistrature, notamment du Conseil canadien de la magistrature, qui est au cœur du processus disciplinaire que le projet de loi vise à réformer.

Le projet de loi C-9, dans sa mouture actuelle, laquelle comprend désormais quelques-uns des amendements proposés par le Sénat, représente fidèlement ces consultations.

Dans le message qui nous est adressé, l’autre endroit accepte deux des amendements adoptés par le Sénat.

En premier lieu, les députés ont appuyé notre amendement tenant à supprimer les mots « dans la mesure du possible » du texte proposé par l’article 84 de la Loi sur les juges, à l’article 12 du projet de loi.

La disposition concernée exige que le Conseil canadien de la magistrature fasse de son mieux pour refléter la diversité de la population canadienne en dressant la liste de juges puînés et la liste de non-juristes parmi lesquels seront choisis les décideurs pour les différentes étapes du nouveau processus proposé. Cette modification, proposée au comité par la sénatrice Clement, contribuera à renforcer le message qui ressort de nos textes législatifs, à savoir que, comme parlementaires et comme Canadiens, nous attachons de l’importance à la grande diversité de notre pays et nous tenons à ce qu’elle se reflète dans nos institutions, ce qui inclut les organes décisionnels du nouveau processus disciplinaire de la magistrature.

L’autre endroit a aussi accueilli favorablement un autre amendement du Sénat proposé au comité sénatorial par la sénatrice Clement, visant à ajouter les allégations d’« inconduite sexuelle » aux types de plaintes qui ne peuvent pas être rejetées par un agent de contrôle et qui doivent être examinées par un membre du conseil.

Les deux autres types de plaintes visées concernent les allégations de harcèlement sexuel et les allégations de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L’esprit de cette modification concorde avec les objectifs généraux du projet de loi et n’aurait pas pour effet de nuire au fonctionnement du nouveau processus disciplinaire de la magistrature.

[Traduction]

Ce sont deux contributions tangibles et positives du Sénat qui, de l’avis du gouvernement, sont conformes à l’objectif du projet de loi C-9, et le gouvernement était heureux de les appuyer.

Les autres amendements proposés par le Sénat n’ont pas été appuyés par le gouvernement et ont été respectueusement rejetés par l’autre endroit. Le gouvernement est sincèrement sensible à l’esprit constructif dans lequel ces amendements ont été proposés; toutefois, il en est arrivé à la conclusion que, ensemble, les amendements restants risquent de miner les buts et les objectifs fondamentaux du projet de loi C-9, et ce, de trois façons.

Premièrement, les autres amendements perturberaient l’équilibre délicat entre les impératifs de confidentialité et de transparence du projet de loi C-9 aux étapes initiales d’enquête du nouveau processus de déontologie judiciaire. Le projet de loi C-9 comprend d’importantes garanties de transparence qui reflètent le droit du public à des procédures ouvertes, ainsi que d’importantes garanties de confidentialité qui protègent le droit à la vie privée des plaignants, des juges et des tiers potentiels qui pourraient être impliqués dans des plaintes. Les amendements proposés par le Sénat auraient rompu cet équilibre délicat en exigeant la divulgation de toutes les décisions prises aux premières étapes du processus, même lorsque les délibérations ne sont pas encore terminées. Plus important encore, ces amendements du Sénat ne prévoient aucune mesure de protection pour veiller à ce que le conseil protège l’identité des plaignants qui craignent des représailles de la part de la personne en cause.

La même série d’amendements exige la collecte et la divulgation publique de renseignements dans le but d’obliger le ministre de la Justice à se demander s’il doit recommander au Conseil canadien de la magistrature de créer de nouveaux séminaires de formation des juges fondés sur ces informations. Chers collègues, étant donné que le ministre peut parler au conseil à tout moment des possibilités de formation des juges, de tels amendements sont superflus. De plus, en tant qu’amendements dont l’objectif principal est l’établissement de nouvelles possibilités de formation des juges, le gouvernement est également d’avis qu’ils dépassent la portée du projet de loi.

La deuxième lacune des amendements au projet de loi concerne la participation de non-juristes, c’est-à-dire des personnes qui n’ont aucune formation juridique, à la prise de décisions juridiques. Chers collègues, l’importante contribution et la valeur ajoutée des non‑juristes à des processus comme celui-ci sont incontestables. Cela dit, il est essentiel d’établir un juste équilibre entre les avantages de la participation de non-juristes et ses limites inhérentes. La participation de non-juristes est la façon la plus appropriée et la plus utile de renforcer la confiance du public aux étapes de la recherche des faits du processus de traitement des plaintes, c’est-à-dire à l’étape où les faits sont établis, les conclusions d’inconduite ont été tirées et les sanctions appropriées ont été imposées. C’est précisément là que le projet de loi C-9, tel qu’il nous a été renvoyé par l’autre endroit, propose de faire participer des non-juristes.

(2200)

Les amendements du Sénat ont mis en péril cet équilibre soigneusement calibré en affectant des non-juristes à des fonctions décisionnelles pour lesquelles une formation juridique est soit essentielle, soit un atout important. Le plus troublant, c’est que cet amendement prévoyait d’affecter des non-juristes aux comités d’appel — des comités qui sont conçus pour fonctionner comme des cours d’appel, leur travail étant essentiellement axé sur la correction des erreurs de droit. Pour être clair, les non-juristes participant au nouveau processus de déontologie judiciaire seront des personnes hautement qualifiées; même si elles n’ont pas d’expérience en tant qu’avocat ou juge, leur qualification la plus essentielle sera, et devra rester, qu’elles apportent leur expérience et leur perspective pour aider à établir les faits, et le point de vue extérieur qu’elles peuvent apporter aux étapes clés du processus pour établir les faits.

Enfin, et plus sérieusement, les amendements du Sénat menaçaient de réintroduire dans le nouveau processus de déontologie judiciaire la plupart des coûts et des retards que le projet de loi C-9 vise précisément à réduire. L’objectif le plus important de ce projet de loi est de réduire les coûts et les retards inacceptables du processus actuel. La principale raison de ces coûts et de ces retards est tout simplement que le processus actuel est dépassé.

Même si le processus de traitement des plaintes du conseil doit être dirigé par des juges, et il comprend effectivement une majorité de juges en exercice à chaque étape de la prise de décision, ses organismes décisionnels ne sont techniquement pas des tribunaux. Ce sont des décideurs administratifs et ils doivent le rester afin de pouvoir fonctionner avec le degré de souplesse procédurale que nécessite habituellement un processus de traitement de plaintes. Cependant, au Canada, l’examen par le tribunal des décideurs administratifs est un impératif constitutionnel, ainsi, qu’ils soient dirigés ou non par des juges, ceux qui sont assujettis au processus d’examen de la conduite judiciaire ont le droit de faire examiner ses décisions par un tribunal.

Bref, c’est cette exigence constitutionnelle de surveillance judiciaire qui permet à un juge qui n’est pas d’accord avec une recommandation de révocation des fonctions d’un juge au ministre de la Justice, formulée par le Conseil canadien de la magistrature, de demander un examen judiciaire de la recommandation. Par l’application de la Loi sur les Cours fédérales, le contrôle judiciaire doit être porté devant la Cour fédérale. La décision de la Cour fédérale peut faire l’objet d’un appel de plein droit devant la Cour d’appel fédérale. De là, on peut faire une demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada.

Par ailleurs, pour des raisons liées à l’indépendance de la magistrature, lors de l’examen de la conduite d’un juge, celui-ci a droit à un avocat payé avec des fonds publics. Compte tenu de ce droit à un avocat et du long processus d’examen judiciaire qui suit un processus d’enquête publique tout aussi long, on se retrouve non seulement avec des délais déraisonnables pour la résolution des dossiers d’inconduite judiciaire, mais aussi avec des coûts déraisonnables. Dans certains cas, ces coûts ont grimpé rapidement pour atteindre des millions de dollars. Un processus qui entraîne de tels coûts et de tels délais peut sembler inefficace. C’est principalement à cause de ces problèmes qu’on assiste à une érosion de la confiance du public à l’égard du processus d’examen de la conduite des juges, et il faut corriger cela.

La solution en deux volets proposée par le projet de loi C-9 est à la fois simple et bien conçue.

Premièrement, une fois que le comité qui tient des audiences publiques et qui est saisi de la preuve — ce qu’on appelle le comité d’audience dans le projet de loi — rend sa décision sur le cas d’inconduite, le juge visé par l’examen a le droit d’interjeter appel non pas devant un tribunal, car les procédures d’un tribunal sont moins souples, étant donné qu’elles doivent s’appliquer à tous les appels instruits par le tribunal, mais plutôt devant un comité administratif qui est quand même composé de juges, mais dont les procédures peuvent être adaptées le mieux possible aux circonstances en vue d’accélérer le processus d’appel le plus possible. On propose de donner à ce comité d’appel tous les pouvoirs d’une cour d’appel provinciale et de prendre les mesures nécessaires pour que ce comité puisse agir essentiellement comme un tribunal d’appel intermédiaire.

Deuxièmement, pour satisfaire à l’exigence d’une surveillance judiciaire, les décisions de ce comité d’appel pourraient faire l’objet d’une révision directement par la Cour suprême du Canada avec l’autorisation du tribunal, comme les décisions des véritables tribunaux d’appel intermédiaires.

Pris ensemble, ce groupe de mesures résout adroitement le problème des coûts et des délais déraisonnables d’une manière qui répond pleinement à l’exigence de surveillance judiciaire des processus administratifs. Un juge accusé de mauvaise conduite bénéficie effectivement d’un procès tenu par un comité d’audience, puis d’un droit d’appel automatique devant un comité d’appel qui fonctionne, à tous égards, comme un tribunal d’appel intermédiaire, et, enfin, de la possibilité d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada avec l’autorisation du tribunal.

Chers collègues, si cette série d’étapes vous semble familière, c’est parce qu’elle reflète ce que chaque Canadien obtient dans tous les domaines du droit : un procès, un appel de plein droit et le droit de demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême. La seule différence, c’est que l’audience et l’appel prévus par le projet de loi C-9 demeurent techniquement de nature administrative afin que leurs procédures puissent être optimisées pour être aussi efficaces que possible tout en respectant les exigences d’équité procédurale applicables aux procédures administratives et garanties par les principes fondamentaux de notre régime constitutionnel.

Malheureusement, le gouvernement est d’avis qu’un des amendements proposés ajouterait un deuxième niveau d’appel intermédiaire, ce qui répéterait le travail du premier en permettant, de plein droit, d’interjeter appel des décisions des comités d’appel auprès de la Cour d’appel fédérale. Contrairement à tout autre Canadien dans tout autre domaine du droit, un juge faisant l’objet de procédures disciplinaires aurait donc droit à deux appels au niveau intermédiaire — un à un comité d’appel, puis un à la Cour d’appel fédérale — avant de demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême.

Puisque les comités d’appel prévus par le projet de loi C-9 sont censés fonctionner comme une cour d’appel, un deuxième droit d’appel devant la Cour d’appel fédérale serait complètement redondant. De plus, compte tenu des délais d’appel à la Cour d’appel fédérale, cela ajouterait, dans le meilleur des cas, entre un an et un an et demi à la résolution des cas d’inconduite judiciaire, y compris ceux où la révocation est en cause. Enfin, comme le projet de loi C-9 prévoit la nomination d’un quasi-procureur — également payé à même les fonds publics — pour plaider la cause contre le juge, le contribuable devra assumer les frais juridiques de tous les avocats impliqués dans les appels devant la Cour d’appel fédérale.

Autrement dit, ces amendements seraient contre-productifs puisqu’ils engendreraient à nouveau la plupart des coûts et des retards que le projet de loi C-9 vise justement à éliminer pour rétablir la confiance du public dans le processus disciplinaire de la magistrature. Pour toutes ces raisons, le gouvernement et l’autre endroit n’ont pas accepté ces changements.

[Français]

Honorables sénateurs, le projet de loi C-9 est un bon projet de loi. C’est également un projet de loi essentiel afin de corriger des lacunes importantes au sein de l’actuel processus disciplinaire de la magistrature, lacunes qui ont miné considérablement la confiance du public.

Comme l’a indiqué le juge en chef Richard Wagner, de la Cour suprême du Canada, le 13 juin dernier, lors de sa mise à jour sur les travaux de la cour, le Conseil canadien de la magistrature ne peut modifier son processus de sa propre volonté; seul le législateur peut le faire.

[Traduction]

Le projet de loi C-9 est la troisième version de ce projet de loi et est attendu depuis longtemps.

Comme l’a dit le juge en chef Wagner :

[Français]

Le projet de loi C-9 propose un processus transparent et efficace pour traiter des allégations relatives à l’inconduite des juges de nomination fédérale, un processus équitable à la fois pour les juges et pour les plaignants.

[Traduction]

Honorables sénateurs, les instances judiciaires réclament le projet de loi C-9 et en ont besoin depuis longtemps. J’exhorte les sénateurs à satisfaire à leur demande en appuyant le message de l’autre endroit de sorte que le projet de loi puisse recevoir la sanction royale avant que le Sénat fasse relâche pour l’été. Merci beaucoup.

L’honorable Denise Batters : Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du message de la Chambre des communes relatif au projet de loi C-9, qui vise à moderniser considérablement, pour la première fois en plus de 50 ans, le processus disciplinaire pour les juges nommés par le gouvernement fédéral. Dans ce nouveau processus, les plaintes contre un juge nommé par le gouvernement fédéral seraient uniquement examinées par des comités d’audience établis par le Conseil canadien de la magistrature plutôt que de faire l’objet d’une série d’appels auprès de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale. En fin de compte, un juge faisant l’objet d’une telle procédure pourrait, en dernier recours, demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada.

(2210)

Récemment, Richard Wagner, juge en chef de la Cour suprême du Canada, a déclaré qu’il souhaitait que le projet de loi C-9 soit adopté rapidement, étant donné que le projet de loi a été présenté au Parlement à plusieurs reprises. Cependant, c’est le gouvernement Trudeau qui a retardé cette réforme du système disciplinaire de la magistrature. Le premier projet de loi, le projet de loi S-5, est mort au Feuilleton lorsque le gouvernement libéral a déclenché des élections inutiles. Le gouvernement libéral a ensuite présenté de nouveau le projet de loi au Sénat sous le numéro S-3, ce qui s’est avéré une erreur puisqu’il impliquait des dépenses. Celui-ci a donc été retiré pour être présenté de nouveau sous le numéro C-9.

Quoi qu’il en soit, le Comité sénatorial des affaires juridiques a consacré plus de deux fois plus de temps à l’étude du projet de loi C-9 que le Comité de la justice de la Chambre des communes. Les membres du Comité sénatorial des affaires juridiques ont adopté six amendements raisonnés et bien formulés, fondés sur les témoignages d’experts entendus par le comité. Le Sénat a ensuite transmis à la Chambre des communes le projet de loi comportant les amendements apportés par le comité. Faisant fi du bon sens du Sénat et des nombreuses preuves fournies par le comité pour appuyer ses amendements, le ministre Lametti n’a accepté que deux amendements mineurs du Sénat, et a rejeté tous les autres.

Il y a comme un air de déjà vu, honorables sénateurs. Une fois de plus, le Sénat a investi des efforts considérables dans l’étude de questions importantes, et, une fois de plus, le gouvernement Trudeau a dit au Sénat de se calmer et de rentrer dans le rang. Veulent-ils un second examen objectif, oui ou non? Le gouvernement Trudeau traite le Sénat comme un vulgaire cachet d’approbation. En fait, l’attitude dédaigneuse du gouvernement Trudeau à l’égard du Sénat s’est manifestée tout au long de la progression de ce projet de loi au Parlement.

En tant que porte-parole pour le projet de loi C-9, j’ai été surprise d’apprendre par un article de presse que le ministre de la Justice avait l’intention de rejeter certains des amendements du Sénat à ce projet de loi. Les commentaires de cet article de presse n’émanaient même pas du ministre lui-même, mais de son attaché de presse. Bien entendu, cela s’est passé bien avant que le ministre Lametti ne dépose sa réponse aux amendements du Sénat à la Chambre des communes. Son attaché de presse n’a donné aucune indication précise sur les amendements qui seraient rejetés ni sur les raisons de ce rejet.

Honorables sénateurs, ce n’est pas ainsi que les messages sont censés se transmettre entre les Chambres. Toutefois, c’est la façon dont le ministre Lametti a traité le Sénat dans le cadre de ce projet de loi.

Pendant les audiences du Comité sénatorial des affaires juridiques sur le projet de loi C-9, le sénateur Dalphond a semblé vouloir dire que le gouvernement présenterait des amendements, mais il s’est rétracté à la séance suivante. Un membre du Groupe des sénateurs indépendants faisant partie du comité a proposé une motion demandant au ministre Lametti de comparaître une deuxième fois devant le comité afin d’expliquer certains problèmes qui étaient devenus évidents au sujet du projet de loi après des semaines d’examen, motion que le Comité des affaires juridiques a adoptée. Mais le ministre Lametti a refusé. C’est presque du jamais vu, et cela fait 10 ans que je fais partie du Comité sénatorial des affaires juridiques.

Nous avons donc procédé à l’étude article par article et adopté certains amendements majeurs, entièrement soutenus par des témoins importants et des témoignages au comité. Comme les dispositions sur les mesures disciplinaires à l’égard de la magistrature de la Loi sur les juges n’avaient pas été modifiées en 50 ans, nous voulions nous assurer de bien faire les choses. Nous avons donc procédé à notre second examen objectif. C’est ce qui caractérise le Sénat du Canada. C’est ainsi que fonctionne le Parlement.

Pendant le débat sur le message du Sénat, le ministre Lametti a dit être « déçu de voir les résultats de son second examen objectif ». Il est malheureux que le ministre n’ait pas lui-même procédé à un « second examen objectif » avant de déclarer ceci plus tard le même soir à la Chambre des communes :

[...] j’ai une relation saine avec le Sénat. Je plaisante parfois en disant que j’y suis plus souvent que certains de ses propres membres, mais je ne dirai pas cela à l’autre endroit.

Honorables sénateurs, le mépris du gouvernement Trudeau envers le Sénat n’a rien de drôle.

Même la façon dont le ministre de la Justice, M. Lametti, a parlé des amendements du Sénat était méprisante. En général, le ministre reconnaît que les amendements du Sénat qui sont acceptés sont bons et importants. Toutefois, ses observations sur ces amendements à la Chambre des communes la semaine dernière étaient plutôt tièdes. Le ministre Lametti était loin de déborder d’enthousiasme même si ces deux amendements ont amélioré son projet de loi.

J’ai cru que le ministre plaisantait encore une fois lorsqu’il a affirmé ce qui suit pendant son discours :

Le projet de loi C-9, dans sa version adoptée à l’unanimité à la Chambre, est une mesure législative équilibrée, méticuleusement rédigée et mûrement réfléchie. Il s’appuie sur de vastes consultations menées auprès du milieu juridique, de la magistrature et de membres du grand public.

A-t-il dit « méticuleusement rédigée »? D’abord, les deux amendements que le ministre Lametti a acceptés corrigent en fait des erreurs de rédaction qui auraient dû être corrigées par des amendements du gouvernement, qui a refusé de le faire. Ces deux amendements du Sénat auraient pu être évités si seulement le gouvernement Trudeau avait bien fait son travail.

Revenons aux « vastes consultations » que le gouvernement aurait menées sur ce projet de loi : la consultation publique sur ce sujet qui a été menée en 2016 — il y a sept ans — s’est résumée à un sondage en ligne avec seulement 74 réponses et à l’examen de quelques lettres envoyées au ministre de la Justice. On est loin de pouvoir parler de vastes consultations. La plupart des gouvernements provinciaux que le gouvernement Trudeau avait consultés à ce sujet en 2016 ont depuis été remplacés par des gouvernements d’une allégeance différente.

Nous avons appris au cours de notre étude qu’un certain nombre de groupes n’avaient pas été consultés directement par le gouvernement au sujet de ce processus, notamment l’Association canadienne des juristes musulmans, The Advocates’ Society, la Roundtable of Diversity Associations et l’Association canadienne pour l’éthique juridique. Il y en a assurément d’autres.

Le Comité sénatorial des affaires juridiques a reçu de nombreux experts lors de son étude du projet de loi C-9. Ils nous ont communiqué des renseignements fort utiles et ils ont même proposé des amendements pour améliorer le projet de loi. J’ai moi-même proposé deux amendements importants qui ont été adoptés d’abord par le Comité des affaires juridiques, puis par le Sénat. L’un proposait d’inclure des non-juristes à toutes les étapes du processus disciplinaire et l’autre proposait de ramener la Cour fédérale d’appel dans le processus avant l’étape où un juge a la possibilité de demander l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Cour suprême du Canada, une autorisation rarement accordée — cela n’arrive que dans 7 ou 8 % des cas. Ces deux amendements ont été rejetés par le gouvernement Trudeau.

Le ministre Lametti a affirmé qu’il avait écarté certains des amendements proposés par le Sénat parce qu’ils :

[...] briseraient [le projet de loi] de plusieurs façons arbitraires qui vont à l’encontre de l’objectif central du projet de loi, soit rétablir la confiance du public dans le processus disciplinaire de la magistrature. Par conséquent, ces amendements iraient tout simplement à l’encontre de l’objectif du projet de loi. Le projet de loi C-9 est essentiel pour assurer le maintien de la confiance dans l’indépendance de la magistrature et, par extension, dans le système de justice canadien.

Toutefois, le ministre se trompe complètement sur ce point. Les deux amendements que j’ai fait adopter renforceront plutôt la confiance du public dans la magistrature et le système judiciaire dans son ensemble. Prenons, par exemple, mon amendement visant à accroître la participation des non-juristes à chaque étape du nouveau processus disciplinaire de la magistrature. Le ministre Lametti a lui-même admis au Comité sénatorial des affaires juridiques que la rétroaction recueillie pendant les consultations publiques avait révélé que les gens étaient très en faveur d’une plus grande participation des non-juristes. Le fait que le public soit représenté à chaque étape du processus donne une perception différente du processus de traitement des plaintes pour inconduite judiciaire ainsi que de ses répercussions sur le public. Cela renforcerait la surveillance publique tout en accroissant la confiance dans le système judiciaire.

Contrairement à ce que certains croient, les juristes ne savent pas tout et, chers collègues, c’est en tant que juriste que je le dis. Cependant, le rejet de mon amendement sur les non-juristes par le ministre Lametti et le gouvernement Trudeau tient de l’élitisme et d’un gouvernement déconnecté de la réalité. Dans sa réponse au message du Sénat, le ministre Lametti a défini les non-juristes comme « des personnes qui n’ont justement pas la formation requise pour répondre à des questions de droi[t] ».

Il a dit :

[...] le Sénat a proposé l’ajout de non-juristes là où ils ne doivent pas apporter leurs perspectives. Cela nuirait à l’efficacité et au caractère éminemment juste du nouveau processus prévu dans le projet de loi [...]

Le message est clair : le gouvernement Trudeau et le ministre de la Justice pensent que seules les opinions des juristes comptent. Or, les non-juristes apportent un point de vue nouveau et pertinent. Il y a suffisamment de juristes dans chacun des groupes d’experts de ce processus pour être en mesure de passer au crible les points de droit les plus fins. L’ajout d’un non-juriste dans chacun de ces groupes ne perturbera pas cet équilibre, comme le dit le ministre. La présence de non-juristes à chaque étape du processus ne fera que renforcer la confiance du public dans le système. Le public doit avoir confiance, puisque les juges jugent le public.

De nombreuses organisations professionnelles font participer des profanes à leurs processus disciplinaires. Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a dit devant notre comité qu’il y en a à tous les niveaux de ses comités disciplinaires. La Law Society of Saskatchewan en fait siéger à ses comités disciplinaires pour les avocats. Au comité, la sénatrice Clement a donné un exemple de son travail passé au Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail, qui inclut la participation de profanes.

Plusieurs personnes ont témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques de la nécessité de cette mesure, notamment le professeur Richard Devlin, de l’Association canadienne pour l’éthique juridique, qui a publié deux livres sur les procédures disciplinaires de la magistrature. Il a déclaré « qu’il n’y a pas suffisamment de non-juristes dans le processus, ce qui compromet les principes d’impartialité, d’indépendance et de représentation ».

Le fait de faire participer des non-juristes à chaque étape du processus disciplinaire de la magistrature renforcera la confiance du public dans le système juridique, et non pas l’inverse. Mon amendement a été adopté haut la main au Comité des affaires juridiques, par 8 voix contre 4, avec une abstention et le soutien d’une majorité évidente des groupes du Sénat.

Mon deuxième amendement, qui visait à inclure la Cour d’appel fédérale à la fin du processus disciplinaire de la magistrature, mais avant de pouvoir demander l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada, offrirait une autre voie fort utile pour étudier des points de droit. Pour cette raison, ces deux amendements cadrent très bien l’un avec l’autre, et mon amendement visant à inclure la Cour d’appel fédérale augmenterait encore plus la confiance du public dans le processus d’examen de l’inconduite des juges. C’est une erreur de la part du ministre Lametti d’assimiler les comités disciplinaires à un véritable tribunal. L’inclusion d’un tribunal dans le système disciplinaire peut conférer une valeur de précédent aux décisions, ce que les audiences ne font pas.

(2220)

Ce serait une façon de renforcer la surveillance du processus et de faire en sorte que le système inspire confiance au public, tout en répondant au besoin d’équité des juges qui encourent à des conséquences désastreuses et qui interjettent appel.

Cet amendement a été suggéré par la Société des plaideurs, qui représente plus de 6 000 avocats, juges et plaideurs. Il a reçu l’appui de la plus grande association d’avocats au Canada — l’Association du Barreau canadien, forte de 37 000 membres —, dont le président a témoigné devant le Comité sénatorial des affaires juridiques, ce qui est rare. L’Association canadienne des juges des cours supérieures, qui regroupe plus de 1 200 magistrats, a également manifesté son soutien. Ces associations et organisations reconnaissent que l’inclusion de la Cour d’appel fédérale renforcerait la confiance envers le processus, tant pour le public que pour les juges. Le ministre ne peut pas rejeter sommairement ce genre de dignité juridique.

La Cour d’appel fédérale assurerait également un contrôle judiciaire externe précieux. Comme Sheree Conlon, de la Société des plaideurs, l’a dit au Comité sénatorial des affaires juridiques :

La Société des plaideurs est préoccupée par le fait que le projet de loi C-9 crée un régime législatif dans lequel le Conseil canadien de la magistrature est l’enquêteur, le décideur et l’autorité d’appel en ce qui concerne les allégations d’inconduite judiciaire.

L’inclusion de la Cour d’appel fédérale rétablirait une surveillance judiciaire externe du processus et elle préserverait l’indépendance judiciaire.

Le ministre Lametti a tenté de faire valoir que l’inclusion de la Cour d’appel fédérale minerait l’efficacité du régime disciplinaire de la magistrature que le projet de loi C-9 vise à rationaliser. Or, même si la Cour d’appel fédérale est insérée à la fin du processus, la première instance qui est actuellement en place, à la Cour fédérale, serait quand même éliminée. Cela réduirait considérablement les coûts et les retards. Le gouvernement a déjà réglé la question des juges qui continuent d’accumuler des droits ouvrant droit à pension tout en faisant traîner le processus. Cette échappatoire a été éliminée dans un projet de loi antérieur.

Par conséquent, tous les arguments du gouvernement pour rejeter les amendements ne tiennent pas la route. Mes amendements augmenteraient la confiance du public dans le système de justice et le processus encadrant l’inconduite judiciaire, assureraient une surveillance externe tout en assurant l’équité pour les juges, et permettraient une rationalisation considérable du processus actuel en éliminant tout un niveau du processus judiciaire.

Honorables sénateurs, le Sénat a procédé et doit continuer de procéder à un second examen objectif du projet de loi C-9. Combien de fois encore le gouvernement Trudeau rejettera-t-il les amendements du Sénat? Nous effectuons des études approfondies et des études préalables en comité, et nous convoquons des témoins experts qui ont pris le temps de préparer des témoignages importants sur des projets de loi d’initiative ministérielle. Nous préparons des amendements réfléchis, appuyés par une majorité de sénateurs de tous les groupes. Et tout ce travail acharné est inutile lorsque le gouvernement rejette les amendements importants que nous avons adoptés.

Assez, c’est assez.

Bien que je sois fièrement conservatrice, comme vous le savez, je n’ai pas proposé ces amendements pour des raisons partisanes. En tant que sénateurs, notre travail consiste à améliorer les projets de loi. Comme le processus disciplinaire des juges n’a pas été mis à jour depuis plus de 50 ans, nous, sénateurs, avons l’obligation de faire en sorte qu’il soit le meilleur possible. Voilà pourquoi j’ai proposé mes amendements : pour faire participer des non-juristes à toutes les étapes du processus disciplinaire des juges, et pour inclure la Cour d’appel fédérale dans le système. Ces amendements, soutenus par des témoins experts et de nombreux témoignages, amélioreront la confiance du public dans les systèmes judiciaire et juridique du Canada.

J’espère que vous vous joindrez à moi pour insister sur mes amendements cruciaux. C’est l’occasion pour le Sénat de faire preuve de fermeté et d’améliorer ce projet de loi pour les Canadiens.

Rejet de la motion d’amendement

L’honorable Denise Batters : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion soit modifiée :

1.par substitution, aux mots « le Sénat n’insiste pas sur ses amendements », par ce qui suit :

« le Sénat :

1.insiste sur ses amendements 1a), 1b)(ii), 1f), 1g), 1(h), 1i), 1j), 1k), et 2, auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

2.n’insiste pas sur ses autres amendements »;

2.par substitution, au dernier paragraphe, de ce qui suit :

« Que, conformément à l’article 16-3 du Règlement, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit chargé de rédiger les motifs de l’insistance du Sénat sur ses amendements;

Que, après que le Sénat a agréé les motifs de son insistance, un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer. ».

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Je sais qu’il est tard et que nous avons presque terminé. Je sais aussi que ces manœuvres de dernière minute sont parfois prévisibles. Je ne suis pas totalement surpris.

Je n’avais pas préparé de texte. Je serai donc plutôt bref.

[Traduction]

Le raisonnement qui sous-tend la proposition est erroné. On dit qu’il faut des non-juristes partout, et on donne des exemples à l’appui. On parle du Conseil de la magistrature de l’Ontario et de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail. Penchons-nous sur ces deux exemples.

Le Conseil de la magistrature de l’Ontario a le pouvoir d’administrer le processus de plainte concernant les juges nommés par le gouvernement provincial de l’Ontario. Il peut recevoir une plainte, examiner le dossier et établir si une sanction s’impose ou s’il faut tenir des audiences publiques. Si on tient des audiences publiques, on peut proposer de démettre le juge de ses fonctions.

Comme le sénateur Gold l’a indiqué, une fois ce processus terminé, le juge peut demander une révision judiciaire à la Cour supérieure de l’Ontario, car, une fois que le tribunal administratif a terminé son processus, le juge peut s’adresser à la Cour supérieure. Le dossier sera envoyé à la Cour divisionnaire de l’Ontario, composée de trois juges. La Cour procédera à la révision judiciaire et établira si la décision doit être annulée ou confirmée; elle n’est pas vraiment confirmée, mais elle devrait l’être. Si on juge que la décision est déraisonnable ou qu’elle s’appuie sur un motif non fondé en droit, et qu’on devrait donc l’annuler et renvoyer l’affaire au comité, alors ce dernier devra rendre une nouvelle décision.

La sénatrice Batters nous propose d’ajouter des non-juristes à la Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario parce que des juges seuls ne suffisent pas et qu’il faut que des non‑juristes participent à la prise de décisions pour que la population ait confiance dans le système. C’est une avocate, et elle a dit que les avocats pouvaient faire des erreurs de temps en temps. C’est une proposition très intéressante, et cela confirme peut-être ce qu’elle a dit au sujet des erreurs.

Prenons le cas des commissions de sécurité au travail en Ontario ou au Québec. Il est vrai qu’elles sont composées d’un avocat assisté d’un représentant de l’employeur et du représentant de l’employé ou du syndicat — en Ontario, au Québec et dans la plupart des provinces. Cet organe est composé de non-juristes et d’experts ayant une formation juridique. Ses décisions peuvent être infirmées, confirmées ou annulées par un tribunal. La révision judiciaire s’effectue soit devant la Cour supérieure du Québec, soit, en Ontario, devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui renvoie l’affaire devant la Cour divisionnaire de l’Ontario, où trois juges entendent l’affaire et décident si la commission a mal analysé les faits ou mal interprété la loi.

La sénatrice Batters propose que la Cour divisionnaire de l’Ontario comprenne un non-juriste parce que nous avons besoin de non-juristes partout et que cela suscite la confiance dans le système. Très franchement, je crois qu’elle confond le rôle d’établissement des faits et d’évaluation des comportements, des conduites et des contextes, qui diffèrent du contrôle judiciaire.

Ce que nous essayons de faire avec ce projet de loi — au sujet du processus de plainte à l’encontre des juges —, c’est de dire que, oui, si vous êtes un juge, il peut y avoir une plainte contre vous, mais que cette plainte sera soumise au Conseil canadien de la magistrature. Tout d’abord, un agent de contrôle l’examinera. Plus de 50 % des plaintes seront rejetées à ce stade, parce que soit elles concernent un juge provincial, soit elles n’ont rien à voir avec le juge et elles concernent un policier ou un avocat, soit elles visent plutôt un motif d’appel et non quelque chose de nature disciplinaire.

Si la plainte est traitée et transmise au comité d’examen, celui-ci, en privé, à huis clos — afin de protéger la confidentialité et les renseignements personnels du juge, et conformément aux principes internationaux auxquels j’ai fait référence dans mon discours précédent à la troisième lecture — examinera le dossier et décidera si celui-ci doit aller de l’avant ou s’il doit être rejeté. Si le dossier va plus loin, il pourrait être envoyé à un comité d’audience publique. Ce comité d’audience public entendra les éléments de preuve, tranchera la question. Voilà le processus proposé. Un non‑juriste fera partie du comité d’examen chargé de déterminer si l’affaire est suffisamment grave pour justifier la révocation du juge. Si le comité — qui comprend un non-juriste — conclut que l’affaire doit faire l’objet d’une audience publique, celle-ci sera confiée à un comité d’audience public composé notamment d’un non-juriste, qui déterminera si la révocation du juge est justifiée ou si la plainte doit être rejetée.

(2230)

En cas de rejet de la plainte, le processus prend fin et le juge est, en principe, content. Si la plainte est considérée fondée et qu’on détermine que le juge doit être révoqué, le processus proposé confère au juge le droit d’en appeler de la décision devant un tribunal d’appel composé de cinq juges: trois juges en chef et deux juges puînés. Le Conseil canadien de la magistrature choisit donc trois des juges en chef qui le composent ainsi que deux des juges puînés inscrits sur la liste fournie par l’Association canadienne des juges des cours supérieures.

Ainsi, un comité composé de cinq magistrats décidera si le comité d’audience a commis une grave erreur dans les faits ou une erreur de droit. C’est exactement ce que fera la Cour divisionnaire en Ontario, ce que fera la Cour d’appel en Ontario, ce que fera la Cour d’appel du Québec, et ce que fera la Cour d’appel fédérale. Cependant, ce comité composé de cinq juges remplacera la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, soit trois ans de procédure. Tout cela sera remplacé par ce comité composé de cinq juges. Cela revient donc à remplacer une procédure effectuée par un juge et une procédure effectuée par trois juges par une procédure effectuée par cinq juges.

Or, la sénatrice Batters n’est pas d’accord. Elle s’oppose à l’idée d’un examen effectué par cinq juges, et préconise plutôt l’intervention de trois juges : deux juges en chef, un juge puîné, un profane, et un avocat. Procédons ainsi avant de renvoyer l’affaire à la Cour d’appel fédérale, où trois juges seront chargés de la réexaminer.

C’est un gaspillage de l’argent des contribuables. Cela prend du temps, et c’est contraire au principe visé, qui est de simplifier le processus. Après l’étape de l’audience, on passe à la cour d’appel spécialisé constituée de cinq juges, puis, si la permission est accordée, le juge peut s’adresser à la Cour suprême du Canada. C’est contraire au principe même de ce que nous essayons de faire ici depuis quatre ans.

J’admire la ténacité de la sénatrice et sa capacité à soulever ces amendements, de temps en temps, mais je pense que le moment est venu de les rejeter et de passer à l’étape finale de ce message. Merci.

La sénatrice Batters : Le sénateur Dalphond accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Dalphond : Votre honneur, je crois que tout a été dit. Je ne répondrai pas à des questions.

Son Honneur la Présidente : Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : Oui.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Des voix : Oui.

Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Des voix : Non.

Son Honneur la Présidente : À mon avis, les non l’emportent. Je vois deux honorables sénateurs se lever.

Et deux honorables sénateurs s’étant levés :

Son Honneur la Présidente : Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

La sénatrice LaBoucane-Benson : Oui. Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente : La sonnerie retentira pendant 15 minutes et le vote aura lieu à 22 h 49. Convoquez les sénateurs.

(2250)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, l’honorable sénatrice Batters, avec l’appui de l’honorable sénateur Boisvenu, propose :

Que la motion soit modifiée :

1.par substitution, aux mots « le Sénat n’insiste pas sur ses amendements », par ce qui suit :

« le Sénat :

1.insiste sur ses amendements 1a), 1b)(ii), 1f), 1g), 1(h), 1i), 1j), 1k), et 2, auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

2.n’insiste pas sur ses autres amendements »;

2.par substitution, au dernier paragraphe, de ce qui suit :

« Que, conformément à l’article 16-3 du Règlement, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles soit chargé de rédiger les motifs de l’insistance du Sénat sur ses amendements;

Que, après que le Sénat a agréé les motifs de son insistance, un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer. ».

La motion d’amendement de l’honorable sénatrice Batters, mise aux voix, est rejetée :

POUR
Les honorables sénateurs

Ataullahjan Martin
Batters Oh
Black Patterson (Ontario)
Boisvenu Plett
Carignan Quinn
Dagenais Richards
Housakos Seidman
MacDonald Wallin
Manning Wells—19
Marshall

CONTRE
Les honorables sénateurs

Bernard Hartling
Boehm Klyne
Boniface Kutcher
Busson LaBoucane-Benson
Cardozo Loffreda
Clement MacAdam
Cordy Marwah
Cormier Mégie
Cotter Miville-Dechêne
Coyle Moncion
Dalphond Omidvar
Dasko Osler
Deacon (Nouvelle-Écosse) Petitclerc
Deacon (Ontario) Ravalia
Dean Ringuette
Duncan Saint-Germain
Dupuis Simons
Forest Smith
Gerba Sorensen
Gignac Tannas
Gold Woo
Greenwood Yussuff—45
Harder

ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs

Pate Petten—3
Patterson (Nunavut)

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption de la motion de renonciation aux amendements du Sénat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson,

Que, en ce qui concerne le projet de loi C-9, Loi modifiant la Loi sur les juges, le Sénat n’insiste pas sur ses amendements auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, je prends la parole pour prononcer un dernier et bref discours sur le projet de loi C-9.

Dans mes discours précédents, j’ai expliqué que l’objectif du projet de loi est de moderniser le processus de plaintes et de mesures disciplinaires pour les juges nommés par le gouvernement fédéral afin de maintenir la confiance du public dans le système judiciaire. Le projet de loi vise à simplifier la procédure disciplinaire, à garantir la participation de non-juristes aux étapes cruciales de détermination des faits, à apporter plus de transparence et à réduire les coûts pour les contribuables tout en maintenant la plus grande équité pour le juge faisant l’objet d’une plainte.

Aujourd’hui, nous devons traiter le message reçu de l’autre endroit après l’examen par les députés des amendements proposés, avec dissidence, par le Sénat.

Dans mon discours en troisième lecture, j’ai invité le gouvernement et l’autre endroit à accepter deux de ces amendements et à considérer les autres avec un regard plutôt critique pour les raisons que j’ai exposées.

Comme le gouvernement, dans l’autre endroit, est arrivé à la même conclusion, je pourrais simplement dire que je souscris entièrement au message. Toutefois, comme je l’ai expliqué en avril, en réponse à une question du sénateur Cardozo pendant le débat sur le message de l’autre endroit concernant le projet de loi C-11, le fait d’être d’accord ou non concernant le message n’est pas déterminant quant à la façon dont nous devrions voter en tenant compte du rôle constitutionnel complémentaire du Sénat à l’égard du processus législatif et de l’autre endroit.

J’ai plutôt proposé cinq critères que les sénateurs pourraient juger utile d’appliquer pour déterminer quand le Sénat doit insister sur un amendement qui a été rejeté par la Chambre élue. Ces critères reposent sur le principe de déférence envers la Chambre élue du Parlement.

Les critères visent à garantir que nous faisons preuve de modération dans nos relations avec l’autre endroit, pour reprendre un thème abordé par le sénateur Shugart hier dans son impressionnant premier discours.

Je passe maintenant aux cinq critères. Premièrement, le rejet d’un amendement, s’il est accepté, entraînera-t-il l’adoption d’une loi qui constituera une violation manifeste ou très probable de la Constitution ou de la Charte des droits et libertés? Dans mon discours à l’étape de la troisième lecture, j’ai expliqué pourquoi les amendements rejetés ne respectaient pas l’indépendance judiciaire du Conseil canadien de la magistrature dans son administration de la procédure de plainte requise par notre Constitution.

(2300)

Deuxièmement, l’objet du projet de loi a-t-il été un enjeu de la campagne électorale pour le gouvernement, ou s’agit-il plutôt d’une question extrêmement controversée pour laquelle le gouvernement n’a pas reçu de mandat lors des dernières élections? Comme je l’ai dit dans mon intervention précédente, le contenu du projet de loi a été proposé trois fois au cours des quatre dernières années et fait l’objet d’un vaste consensus. Comme l’a dit porte-parole conservateur pour le projet de loi à la Chambre des communes, jeudi dernier, cette mesure législative prête relativement peu à la controverse.

Troisièmement, la preuve faite devant les deux Chambres démontre-t-elle que les assises pour rejeter un amendement sont clairement mal fondées et que le message reçu est manifestement déraisonnable sur ce point? En ce qui concerne le projet de loi C-9, le message repose sur des principes constitutionnels valables et reflète un large consensus parmi les parties intéressées.

Quatrièmement, le rejet de l’amendement démontre-t-il que la majorité des députés veut porter atteinte aux droits d’une ou de plusieurs minorités? Démontre-t-il un mépris des droits linguistiques ou favorise-t-il une région au détriment d’une autre? Ce n’est manifestement pas le cas ici.

Cinquièmement, la réponse de l’autre endroit écarte-t-elle un amendement visant à prévenir des torts irréparables à l’intérêt national? Manifestement, une fois de plus, ce n’est pas le cas ici.

Étant donné que la réponse aux cinq questions est négative, je n’ai aucune hésitation à appuyer la motion d’adoption du message présentée par le sénateur Gold.

J’en viens maintenant à mon dernier point, c’est-à-dire les commentaires et les engagements formulés par le juge en chef du Canada au début du mois lors d’un point de presse et ceux formulés par la représentante du Conseil canadien de la magistrature devant le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles.

Le 13 juin, le très honorable Richard Wagner, qui préside le Conseil canadien de la magistrature, a commenté le projet de loi :

Depuis que je suis devenu juge en chef en 2018, j’ai compris qu’il y avait des choses à corriger au sein du comité de déontologie judiciaire. Le processus disciplinaire de la magistrature était [...] opaque. Il était trop long, trop coûteux et [...] ce n’était pas possible [...] pour le public, de lui faire confiance [...] J’étais heureux de voir que le gouvernement avait décidé de légiférer sur cet enjeu, afin d’être plus transparent et moins coûteux.

[Français]

En somme, afin de préserver la confiance du public, le processus administré par le conseil doit faire preuve de plus de transparence et les juges doivent rester responsables de leur conduite, comme le reconnaît d’ailleurs le conseil sur son site Web et dans ses rapports annuels.

Dans le respect de l’indépendance judiciaire dont bénéficie le conseil, je l’invite à donner suite sans délai aux engagements pris devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles par ses représentants en matière de transparence quant aux divers aspects du traitement des plaintes, y compris des données désagrégées, premièrement, sur le nombre de documents dits de plaintes reçues par le Conseil canadien de la magistrature; deuxièmement, sur les caractéristiques des personnes qui ont logé ces plaintes, comme le sexe, l’appartenance à un groupe identifiable, l’absence de représentation par avocats lors de l’événement donnant lieu à la plainte, la nature des procédures ou de la médiation et ainsi de suite — à cette fin, le formulaire de plainte disponible devrait contenir une section réservée pour l’autodéclaration de leurs caractéristiques par les personnes qui le souhaitent; troisièmement, sur le nombre de demandes de reconsidération et les caractéristiques de ces personnes, si elles sont connues.

Quatrièmement, le conseil devra fournir des données sur le nombre de plaintes qui ont fait l’objet d’un rejet préliminaire par un agent de contrôle, en précisant le nombre pour chacun des motifs indiqués à l’article 90 de la Loi sur les juges, tel qu’elle a été amendée par le projet de loi C-9, et les caractéristiques des plaignants, de même que le nombre de désistements; cinquièmement, sur le nombre de plaintes qui ont été confiées à un examinateur, leur nature et le résultat de cet examen et, dans le cas d’un rejet, les motifs à l’appui; sixièmement, sur le nombre de plaintes qui ont été confiées à un comité d’examen, leur nature, le résultat de cet examen, dont les mesures imposées advenant le cas, et les motifs justifiant ce résultat.

Septièmement, des données sur le nombre de plaintes qui ont fait ensuite l’objet de procédures devant un comité d’audience restreint, la nature de celles-ci et la décision du comité restreint et les motifs à l’appui; huitièmement, le nombre de plaintes qui ont été confiées à un comité d’audience plénier, la nature de celles-ci et la décision du comité et les motifs à l’appui; neuvièmement, le nombre de dossiers qui font l’objet de procédures devant un comité d’appel, la nature de ceux-ci et la décision du comité d’appel et les motifs à l’appui.

J’invite aussi le Conseil canadien de la magistrature à rendre public un résumé de chaque plainte qui a fait l’objet d’une revue par le comité d’examen. À cet égard, le CCM peut s’inspirer de la pratique du Conseil de la magistrature de l’Ontario et de sa propre pratique avant 2015.

En conclusion, je vous invite à accepter le message de l’autre endroit et, ainsi, à assurer la mise en place d’un nouveau processus de traitement des plaintes concernant le comportement des juges de nomination fédérale qui sera plus efficace, plus transparent et moins coûteux.

Merci. Meegwetch. Tshinashkumitin.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence.)

[Traduction]

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés
Le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Amendements

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, accompagné d’un message informant le Sénat qu’elle a adopté ce projet de loi avec les amendements ci-après, qu’elle prie le Sénat d’accepter :

MODIFICATIONS apportées par la Chambre des communes au projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

1.Article 5, page 2 : remplacer les lignes 28 et 29 par ce qui suit :

«5 (1) L’alinéa 35(1)c) de la même loi est abrogé.

(1.1) Les alinéas 35(1)d) et e) de la même loi sont abrogés. ».

2.Article 6, page 3 : remplacer la ligne 4 par ce qui suit :

« l’égard d’une personne, d’une entité ou d’un État étranger, au sens de l’article 2 de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ».

3.Nouvel article 23, page 7 : ajouter, après la ligne 40, ce qui suit :

« Examen de la loi

23 (1)

Dans les meilleurs délais après le troisième anniversaire de la sanction de la présente loi, les dispositions édictées ou modifiées par la présente loi sont soumises à l’examen d’un comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, constitué ou désigné pour les examiner.

(2) Le comité procède à l’examen de ces dispositions et remet à la chambre ou aux chambres l’ayant constitué ou désigné un rapport comportant les modifications, s’il en est, qu’il recommande d’y apporter. ».

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand étudierons-nous les amendements?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose :

Que les amendements soient étudiés maintenant.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi modificatif—Message des Communes—Adoption des amendements des Communes

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) propose :

Que, en ce qui concerne le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, le Sénat accepte les amendements apportés par la Chambre des communes;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

(2310)

L’honorable Peter Harder : Chers collègues, je compte prononcer le discours le plus court de la journée.

Des voix : Bravo!

Le sénateur Harder : Si c’est ce qu’il faut pour obtenir des applaudissements, je suis content.

Le message dont nous sommes saisis concerne un projet de loi que nous avons étudié au Sénat il y a un peu plus d’un an. Les sénateurs se souviendront bien sûr des propos éloquents que le sénateur MacDonald et moi avons tenus. À l’époque, nous avions dit qu’il était urgent que le Parlement adopte le projet de loi pour combler les lacunes qui avaient été créées dans le régime de sanctions en ce qui concerne l’admissibilité. La Chambre des communes a pris cette urgence à cœur et, un an plus tard, elle l’a réglée.

Elle a apporté deux amendements, dont la Présidente a parlé, mais le premier vise essentiellement à faire en sorte que le projet de loi que nous avons adopté en décembre dernier concernant le trafic d’organes humains ne crée pas de nouvelles échappatoires. Cela a été pris en compte dans le premier, et l’autre consiste à prévoir un examen triennal.

J’espère que nous aurons le consentement unanime, comme nous l’avons eu il y a un an pour le projet de loi et comme ce fut le cas à la Chambre des communes, même si cela a pris un peu plus de temps. Après cette brève explication, j’espère que vous accepterez ce message et que nous pourrons l’adopter, car il s’agit d’une question urgente.

L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, je prends la parole ce soir au sujet du projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Le projet de loi S-8 modifie la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dans le but de mieux harmoniser les sanctions imposées par le gouvernement avec les pouvoirs liés à l’application de la loi en matière d’immigration ainsi qu’à l’accès au Canada en ce qui concerne les ressortissants étrangers provenant possiblement de régimes sanctionnés.

Le projet de loi harmonise la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avec la Loi sur les mesures économiques spéciales pour veiller à ce que tous les ressortissants étrangers assujettis à des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales soient également interdits de territoire au Canada. Cela signifie que les ressortissants étrangers assujettis à des sanctions pour quelque raison que ce soit en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales seront également interdits de territoire au Canada.

Je vais parler d’un aspect de ce projet de loi ce soir, tout en me demandant pourquoi le projet de loi a mis plus d’un an à franchir les étapes du processus parlementaire bien qu’il ait obtenu un appui unanime.

Le projet de loi a été présenté au Sénat il y a plus d’un an. Il a été appuyé par le Parti conservateur au Sénat et à la Chambre des communes. Aucun parti à la Chambre des communes ne s’y est opposé. Il semble n’y avoir eu aucune opposition de la part des sénateurs. Bref, chers collègues, ce projet de loi n’a eu aucune opposition, toutes entités confondues.

Quand il est intervenu au sujet de ce projet de loi l’an dernier, le sénateur Harder a dit ceci : « Des mesures législatives s’imposent de toute urgence pour harmoniser les sanctions d’interdiction de territoire de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avec les dispositions de la Loi sur les mesures économiques spéciales. » Il a souligné qu’il fallait que cette mesure législative entre en vigueur le plus rapidement possible.

Pour être juste envers le sénateur Harder, je dois reconnaître que le Sénat a traité ce projet de loi en moins de 30 jours. Nous avons eu des débats au Sénat à toutes les étapes et le Comité des affaires étrangères a pu entendre des témoins.

Depuis un an, toutefois, le projet de loi S-8 dort à la Chambre. Son parrain, le ministre de la Sécurité publique, en a parlé à l’autre endroit l’an dernier. Il a dit ce qui suit :

Il est urgent d’apporter des modifications législatives pour harmoniser la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés avec le régime d’interdiction de territoire de la Loi sur les mesures économiques spéciales. [...]

Maintenant plus que jamais, nous devons agir pour aligner le régime de sanctions de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sur celui de la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Les sénateurs ont convenu d’adopter la motion et ont désigné ce projet de loi comme étant « très urgent », pour reprendre les propos de la sénatrice Omidvar. J’exhorte les députés à étudier le projet de loi S-8 avec le même sentiment d’urgence.

Ce projet de loi et ces modifications législatives indiqueraient de façon claire et sans équivoque que le gouvernement du Canada peut appliquer un ensemble complet de sanctions qui ont des effets concrets et directs, non seulement d’un point de vue économique, mais aussi en ce qui a trait à l’immigration et à l’accès au Canada. Nous pourrions ainsi mieux défendre les droits de la personne tant au Canada qu’à l’étranger.

Chers collègues, ces paroles ont été prononcées six mois après l’adoption du projet de loi S-8 par le Sénat. Six mois plus tard, ce projet de loi est toujours entre nos mains.

Nous avons donc entendu des mots comme « urgent » et même « très urgent » dans les premiers discours sur ce projet de loi. Mais qu’est-ce que cela signifie?

Honnêtement, je ne suis pas certain que ces mots aient beaucoup de sens lorsqu’il est question d’un projet de loi du gouvernement qu’il qualifie de prioritaire, qui bénéficie d’un soutien unanime, mais qui met plus d’un an à franchir toutes les étapes du processus législatif. À la lumière de ce que nous savons du ministre en question, je ne suis vraiment pas certain que les mots qu’il prononce aient la moindre signification.

Le ministre a soutenu que le projet de loi S-8 était nécessaire pour indiquer :

[...] de façon claire et sans équivoque que le gouvernement du Canada peut appliquer un ensemble complet de sanctions qui ont des effets concrets et directs [...] Nous pourrions ainsi mieux défendre les droits de la personne tant au Canada qu’à l’étranger.

Après avoir prononcé ces mots, il a laissé le projet de loi traîner au Feuilleton. Je tiens à rappeler que le projet de loi était appuyé à l’unanimité.

Lorsque le sénateur Harder a dit, il y a un an, que le projet de loi était urgent, je suis sûr qu’il le croyait vraiment et qu’il était sincère. Cependant, nous avons dû attendre un an avant d’être de nouveau saisis de ce projet de loi.

Ce projet de loi semble certainement contenir des mesures importantes afin que soient interdits de territoire non seulement les ressortissants russes qui font l’objet de sanctions et qui pourraient être impliqués dans l’invasion de l’Ukraine, mais aussi des ressortissants sanctionnés d’autres pays comme le Myanmar, le Soudan du Sud, la Syrie, le Venezuela, le Zimbabwe, la Corée du Nord et l’Iran.

Le gouvernement dit qu’il est urgent d’adopter le projet de loi S-8 pour combler une lacune dans la loi et pour s’assurer que les personnes visées par les sanctions seront clairement interdites de territoire au Canada.

Cependant, comme des témoins l’ont dit au Comité sénatorial des affaires étrangères, il y a plus d’un an, moins de 1 % des quelque 2 000 personnes faisant l’objet de sanctions ont présenté une demande pour entrer au Canada, et dans tous les cas, ils l’ont fait à l’étranger. Aucune de ces personnes ne semble avoir mis les pieds au Canada, même avec les mesures législatives actuellement en vigueur.

Alors où cela nous mène-t-il? J’ai le regret de dire que, comme il le fait souvent, le gouvernement privilégie la forme plutôt que le fond.

Comme je l’ai dit il y a un an lorsque j’ai parlé de ce projet de loi pour la dernière fois au Sénat, j’appuierai le projet de loi. Le caucus conservateur l’appuie. Tous les sénateurs de cette enceinte, je crois, l’appuieront. Tous les partis de la Chambre des communes l’ont appuyé.

Cependant, ce projet de loi n’aurait pas dû languir pendant un an, et son retard inutile est un autre exemple de la gestion législative amateure du gouvernement.

Passons maintenant au vote, faisons ce qui aurait dû être fait il y a un an et adoptons enfin ce projet de loi.

Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

[Français]

La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Projet de loi modificatif—Première lecture

Son Honneur la Présidente annonce qu’elle a reçu de la Chambre des communes le projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre), accompagné d’un message.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion de la sénatrice Gerba, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)

[Traduction]

Les travaux du Sénat

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je propose, appuyé par les honorables sénateurs Saint-Germain, Tannas et Cordy :

Que, nonobstant l’ordre adopté hier, la séance d’aujourd’hui continue jusqu’à la fin de Projets de loi d’intérêt public des Communes – Troisième lecture, selon la première éventualité.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

(2320)

Le Sénat

Lois et règlements—Les propositions visant à corriger des anomalies et à abroger certaines dispositions—Adoption de la motion portant renvoi d’un document au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 20 juin 2023, propose :

Que le document intitulé Propositions visant à corriger des anomalies, contradictions, archaïsmes ou erreurs relevés dans les Lois et Règlements du Canada et à y apporter d’autres modifications mineures et non controversables ainsi qu’à abroger certaines dispositions ayant cessé d’avoir effet, déposé au Sénat le 20 juin 2023, soit renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

Projet de loi relative au cadre national sur les cancers liés à la lutte contre les incendies

Troisième lecture

L’honorable Hassan Yussuff propose que le projet de loi C-224, Loi concernant l’élaboration d’un cadre national sur la prévention et le traitement de cancers liés à la lutte contre les incendies, soit lu pour la troisième fois.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Des voix : Bravo!

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Projet de loi modificatif—Troisième lecture

L’honorable Victor Oh propose que le projet de loi C-242, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (visas de résident temporaire pour les parents et les grands-parents), soit lu pour la troisième fois.

Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)

Des voix : Bravo!

Les travaux du Sénat

L’honorable Brent Cotter : Honorables sénateurs, un certain nombre d’entre vous savent peut-être qu’un témoin a éprouvé un grave problème de santé au cours d’une réunion de l’un de nos comités plus tôt aujourd’hui. Je tenais à informer les sénateurs de deux choses.

Premièrement, le témoin est en voie de rétablissement et il semble qu’il s’en remettra complètement, ce que nous sommes tous encouragés d’apprendre.

Deuxièmement, le personnel du Sénat a géré la situation de manière professionnelle et honorable et est venu en aide au témoin de toute urgence. Je tiens à saluer et à remercier tout particulièrement la sénatrice Osler et le sénateur Ravalia, qui sont venus en aide au témoin dès qu’on a communiqué avec eux. Je vous en remercie.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Je vous remercie de nous en informer, monsieur le sénateur.

(À 23 h 24, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 12 heures demain.)

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