Débats du Sénat (Hansard)
1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 163
Le mardi 28 novembre 2023
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente
- DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
- AFFAIRES COURANTES
- PÉRIODE DES QUESTIONS
- L’emploi et le développement social
- La sécurité publique
- La justice
- L’emploi et le développement social
- L’infrastructure et les collectivités
- L’industrie
- Les finances
- Les services publics et l’approvisionnement
- La santé
- La sécurité publique
- Le Bureau du Conseil privé
- Les relations Couronne-Autochtones
- ORDRE DU JOUR
- Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
- Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation
- L’Énoncé économique de l’automne 2023
- La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
- Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances
- La Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski)
- Projet de loi sur le Mois du patrimoine hellénique
- Projet de loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto
- Les travaux du Sénat
- Le Code criminel
- Les travaux du Sénat
- La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
- Les travaux du Sénat
- Le Code criminel
- La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
- Projet de loi sur le cadre national sur la maladie falciforme
LE SÉNAT
Le mardi 28 novembre 2023
La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.
Prière.
[Traduction]
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, en vertu de l’article 4-3(1) du Règlement, le leader de l’opposition a demandé que la période consacrée aux déclarations des sénateurs soit prolongée aujourd’hui afin que nous puissions rendre hommage à l’honorable Hugh D. Segal, qui est décédé le 9 août 2023.
Je rappelle aux sénateurs que, en vertu du Règlement, chaque intervention ne peut dépasser trois minutes et qu’aucun sénateur ne peut parler plus d’une fois.
Cependant, êtes-vous d’accord pour que l’on poursuive les hommages à notre ancien collègue sous la rubrique des déclarations de sénateurs? Conséquemment, nous aurons jusqu’à 33 minutes pour les hommages. Le temps qu’il restera après les hommages pourra servir aux autres déclarations.
Des voix : D’accord.
DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS
Hommages
Le décès de l’honorable Hugh Segal, C.M.
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, c’est le cœur lourd que je prends la parole aujourd’hui alors que nous rendons hommage à un ancien collègue; un pilier de la communauté politique; un gentleman respecté par ceux de la gauche, ceux de la droite et ceux entre les deux; un auteur acclamé; un universitaire; un grand farceur; un ardent Canadien; un mari et un père attentionné; ainsi qu’un ami fidèle. L’honorable Hugh Segal est décédé le 9 août dernier.
Dans les heures qui ont suivi son décès, les éloges ont fusé de partout au pays et d’ailleurs dans le monde, ce qui en dit long sur l’influence qu’a eue le sénateur Segal dans la sphère publique.
En tant qu’envoyé spécial du Canada auprès du Commonwealth, son influence, et par extrapolation celle du Canada, sur le Commonwealth a été importante. Dans le cadre de ses voyages dans une dizaine de pays du Commonwealth, ses discours et ses entrevues ont présenté le Canada comme un modèle de compassion, d’inclusion, de décence et de respect de la primauté du droit.
Le 10 juillet 2010 a été le plus beau jour de la vie professionnelle de Hugh Segal, puisque, en tant que représentant du Canada au sein du groupe de personnalités éminentes du Commonwealth, il a rencontré Sa Majesté la reine Elizabeth II. Il était émerveillé par le fait que lui, ce fils d’un chauffeur de taxi de Montréal et d’une caissière dans une pharmacie ouverte jour et nuit, était au palais de Buckingham en train de serrer la main de la reine. Comme il l’a dit à un ami, en termes trop colorés pour être cités dans cette enceinte : « Comment est-ce que c’est possible, [...]? »
Comme je l’ai dit, Hugh Segal était un ardent patriote. Il écrasait une larme chaque fois qu’il entendait les premières notes du Ô Canada.
Le discours d’adieu que le sénateur Segal a prononcé en 2014 à son départ à la retraite était bref et pertinent. Il n’y a pas de meilleure façon de résumer son opinion du Sénat que de le citer lui-même. Il a dit :
Que le Sénat et les sénateurs préservent la liberté et les possibilités que représente le Canada sur la scène internationale, que le Canada demeure toujours une terre d’accueil des immigrants et des réfugiés qui ont contribué [...] à bâtir un pays si fort.
Que la dualité francophone et anglophone du Canada soit toujours protégée et avancée [...]
[...] que vous soyez en mesure d’équilibrer les pressions, sectaires ou autres, pour favoriser une indépendance accrue par rapport à l’autre endroit, non pas pour être en concurrence avec le gouvernement [...] mais pour travailler en complémentarité, à la recherche de meilleures lois et d’un meilleur pays, de sorte que ceux qui vivent dans la pauvreté, en marge de l’économie et de la société, figurent toujours sur votre liste de priorités.
Nous pouvons tous tirer une leçon de la vie de ce fier conservateur et de ce joyeux combattant, qui a montré que la décence et la politique ne sont pas incompatibles et qui a relevé le défi et prouvé qu’il est possible d’être en désaccord sans être désagréable.
J’offre mes plus sincères condoléances à son épouse, Donna; à sa fille, Jacqueline; à sa belle-fille, Teaghan; à ses frères, Seymour et Brian; aux membres de sa famille élargie et à ses nombreux amis, dont je suis fier de faire partie. Merci beaucoup.
Des voix : Bravo!
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, c’est également avec tristesse que je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un ami très cher et à un ancien collègue, l’honorable Hugh Segal, qui est décédé le 9 août. Il est difficile de résumer la vie et les réalisations de Hugh Segal en quelques minutes ou de décrire son esprit joyeux et accueillant et son éternel optimisme. Il manquera beaucoup à tous ceux qui l’ont connu.
Né à Montréal dans une famille modeste, le sénateur Segal a conservé toute sa vie les valeurs de l’importance et de la dignité du travail, de la responsabilité financière et de l’empathie pour autrui qui lui ont été inculquées. Une chose qu’il ne partageait pas avec sa famille, cependant, était son affiliation au Parti libéral. Bien que son père ait été directeur de campagne d’un député libéral local, Hugh Segal a fièrement rejoint le Parti conservateur à l’âge de 13 ans, en 1963, inspiré par l’engagement du premier ministre John Diefenbaker en faveur des droits de la personne.
Qui aurait pu savoir à l’époque que ce jeune garçon deviendrait un proche conseiller de plusieurs grands leaders conservateurs des 50 dernières années — qu’on pense à Robert Stanfield ou à William Davis, voire à Brian Mulroney et à Stephen Harper. Homme extrêmement intelligent et éloquent, Hugh Segal aimait à la fois le débat politique vigoureux et le travail minutieux d’élaboration de politiques. Depuis son décès, beaucoup l’ont décrit comme un joyeux combattant, à juste titre d’ailleurs : peu importe la position que vous défendiez, vous saviez qu’il respectait vos idées.
En août 2005, Hugh Segal a été nommé au Sénat pour représenter l’Ontario sur recommandation du premier ministre Paul Martin et, surprise, on ne lui a pas demandé de siéger en tant que sénateur indépendant. Il a immédiatement été accueilli au caucus conservateur par le leader de l’opposition de l’époque, le très honorable Stephen Harper. Sa curiosité, son enthousiasme et sa compassion ont teinté tous les aspects de son travail au Sénat, y compris à la présidence du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères.
Quelle que soit l’étude en comité, le projet de loi ou la motion dont le Sénat a été saisi, le sénateur Segal est resté fidèle à ses convictions et a agi en conséquence. À titre d’envoyé spécial du premier ministre Harper auprès du Commonwealth, le sénateur Segal a défendu les valeurs fondamentales qui nous unissent en tant que Canadiens, en particulier les droits civils, politiques et de la personne.
En 2019, le sénateur Segal, qui est de confession juive, a donné une entrevue à un journal anglican au sujet de l’importance d’un concept tout simple, mais profond. Voici ce qu’il a dit :
[...] si on croit en un équilibre entre liberté et responsabilité, et si on croit en la communauté, le ciment essentiel qui fait que tout tient ensemble est l’espoir. Il faut donc voir la réalité en face à propos de ce qui met l’espoir en péril, et nous devons prendre au sérieux les mesures que nous prenons pour soutenir, renforcer et approfondir l’espoir chaque fois que nous le pouvons.
(1410)
Honorables sénateurs, les Canadiens ont encore besoin d’espoir, je dirais même plus que jamais. Hugh Segal n’a jamais laissé flétrir son espoir d’un avenir prometteur pour tous les Canadiens et il a travaillé toute sa vie à cette fin.
Au nom de tous ses amis et de tous les membres du caucus conservateur, je transmets mes plus sincères condoléances à son épouse, Donna, à leur fille, Jacqueline, ainsi qu’à toute leur famille. Que son souvenir soit une source de réconfort et qu’il repose en paix.
Des voix : Bravo!
L’honorable Pamela Wallin : Le sénateur Hugh Segal était un homme de caractère. Il s’est toujours battu pour les causes qui comptaient : l’armée, le Commonwealth, le revenu annuel garanti et les Canadiens dans le besoin, toujours. Comme Hugh l’aurait toutefois défini, il était tout simplement un conservateur qui croyait en l’autonomie et en ce sentiment partagé d’obligation que nous avons les uns envers les autres. Grâce à sa gentillesse, il trouvait toujours le moyen de vous soutenir, même s’il doutait de votre stratégie ou n’était pas d’accord avec vos intentions, et il se servait de son sens de l’humour et de son rire contagieux entre les moments de réelle différence.
Notre amitié de plus de 40 ans a commencé sur le plateau de l’émission Canada AM tous les jeudis matin. Le groupe d’intervenants était partisan, mais on ne prenait jamais rien personnel. C’était une époque où les amitiés comptaient plus que l’allégeance politique, et Hugh essayait toujours de convaincre en proposant une meilleure idée, pas en haussant le ton.
Il a suivi un parcours de vie fascinant. Il a été candidat, publicitaire, progressiste et conservateur. Il était à la fois dans les coulisses et aux tables de réunion. Il a été auteur, expert en politique et universitaire.
Je sais qu’il serait consterné de voir ce qui se passe sur les campus universitaires et dans les rues, et de constater la haine malavisée qui y règne. Hugh était un enseignant et il savait combien il était important de mettre les faits en évidence. Je souhaiterais qu’il soit là pour nous aider à traverser cette période troublée et à rétablir l’équilibre au moment où notre pays en a le plus besoin.
Il croyait en un pays qui devait offrir la liberté de vivre à l’abri de la peur et du besoin, et qui devait se doter des outils nécessaires pour protéger cette liberté.
Il croyait également aux libertés du marché et à la liberté d’expression, à condition de respecter ceux avec qui l’on n’est pas d’accord, car les droits s’accompagnent de responsabilités.
Pendant la soi-disant crise du Sénat, les interventions de Hugh ont été puissantes et, personnellement, je lui suis extrêmement reconnaissante pour ses conseils. Je porte l’épinglette qu’il m’a léguée et qu’il portait lorsqu’il a prononcé son discours d’adieu sur le véritable rôle de la Chambre haute. Il s’agit d’effectuer un second examen objectif, de faire preuve d’un jugement sûr, de tenir compte des Canadiens dans les provinces que nous servons et, surtout, de défendre l’importance cruciale et indiscutable de la primauté du droit, de l’application régulière de la loi et de la présomption d’innocence en tant que pierres angulaires de notre démocratie. Bref, Hugh croyait en la justice.
Un dernier mot sur sa famille : je tiens à remercier Donna d’avoir partagé Hugh avec nous autant qu’elle l’a fait. Elle l’a toujours épaulé d’une main ferme et l’a toujours guidé. Je remercie également leur fille, Jacqueline, qui, lors de son récent mariage avec Teaghan — c’était magnifique —, a prouvé par ses paroles éloquentes qu’elle incarne vraiment l’ADN combiné de la passion et de la raison.
Nous sommes tous plus sages d’avoir eu Hugh dans nos vies. Il nous a poussés à prendre notre citoyenneté plus au sérieux, et son héritage sera de nous avoir poussés à exiger plus de nous-mêmes et à être meilleurs que nous le sommes parfois. Nous essaierons, mon ami. Nous essaierons.
Des voix : Bravo!
L’honorable Gwen Boniface : Honorables sénateurs, le 9 août dernier, nous avons perdu l’un des poids lourds de la politique canadienne. Que ce soit grâce à son humour plein d’autodérision, à sa vivacité d’esprit ou à ses récits immersifs du passé, Hugh Segal trouvait toujours le moyen de vous inclure et de vous faire rire.
Hugh a été un conservateur modéré toute sa vie, et il avait la capacité innée de travailler avec des personnalités et des partis différents, comme le prouve sa nomination au Sénat en tant que conservateur par le premier ministre Paul Martin. Toutefois, son histoire remonte à plusieurs décennies.
Hugh était commentateur à Canada AM, une émission qui a rendu la politique accessible au pays et qui était animée par notre collègue la sénatrice Wallin. Malgré les débats politiques qui opposaient Hugh, le libéral Michael Kirby et le néo-démocrate Gerry Kaplan, une amitié profonde et durable s’est développée entre eux trois.
Le hasard a voulu que Hugh et Michael Kirby soient tous les deux nommés au Sénat et, en 2016, après qu’ils aient pris leur retraite, ils ont coécrit un document intitulé Une maison unifiée : l’indépendance du Sénat, une lecture indispensable pour tous les nouveaux sénateurs. Hugh militait ardemment pour créer un Sénat indépendant.
Toutefois, l’indépendance de Hugh ne s’arrêtait pas au fonctionnement de cette institution. Il avait également une feuille de route personnelle en matière d’indépendance : il prêchait par l’exemple. Il l’a démontré lors des débats au Sénat sur le projet de loi d’initiative parlementaire C-377 des conservateurs, qui visait à divulguer des informations sur les organisations syndicales.
Les syndicats étaient très importants pour la famille Segal pendant l’enfance de Hugh. Son grand-père, Benjamin Segal, a contribué à relancer l’Union internationale du vêtement pour dames. En réponse à la demande d’un propriétaire d’atelier de confection de vêtements qui voulait doubler la production, sous peine de renvoyer tout le monde à la fin de la semaine de travail, Benjamin s’est exclamé un jour : « Soit nous sortons en tant qu’êtres humains aujourd’hui, soit nous déguerpirons comme des rats vendredi soir. » Son implication concernait simplement la dignité et le respect de ceux qui ne parvenaient pas à joindre les deux bouts même s’ils travaillaient fort chaque jour, ce qui est une véritable tradition des Segal.
Hugh était issu d’un milieu modeste et il disait souvent, en plaisantant, qu’il vivait du côté joyeux de la pauvreté. Les syndicats étaient importants pour lui, et il a mis à profit son enfance et sa passion pour rallier de nombreux membres du caucus afin qu’ils acceptent ses amendements au projet de loi C-377 avant sa retraite.
Hugh cultivait de nombreuses amitiés, et j’ai eu la chance de faire partie de cette très longue liste. Pendant de nombreuses années, il a répondu quand je l’appelais pour lui demander des conseils, des renseignements, voire de la commisération.
Comme mon défunt père était un grand admirateur du premier ministre Bill Davis, son admiration pour ce dernier et la réputation de son bureau ont précédé ma première rencontre avec Hugh. Je tenais Hugh en haute estime avant de le rencontrer, et cette estime s’est renforcée au fur et à mesure que nous devenions amis. Sa passion pour un Sénat indépendant et la lutte pour les opprimés, qu’il s’agisse de se rallier à ses collègues au Sénat ou d’instaurer un revenu de base pour tous les Canadiens, n’ont jamais été loin de son esprit, même longtemps après qu’il a quitté cet endroit.
Je me joins à mes collègues du Groupe des sénateurs indépendants et à d’autres pour offrir nos plus sincères condoléances à la famille de Hugh : son épouse, Donna, sa fille aimante, Jacqueline, sa nouvelle belle-fille, Teaghan, ses frères, Seymour et Brian, et son chien, Hamish.
Cher Hugh, vous allez me manquer. Merci.
Des voix : Bravo!
[Français]
L’honorable Diane Bellemare : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à notre ancien collègue que j’admirais beaucoup, l’honorable Hugh Segal, nommé Membre de l’Ordre du Canada en 2003 et Officier de l’Ordre du Canada en 2016. Il a eu une carrière en politique publique tout à fait extraordinaire : sous-ministre à 29 ans, chef de cabinet du premier ministre Mulroney, directeur de l’Institut de recherche en politiques publiques, sénateur, maître du Collège Massey, et j’en passe.
S’identifiant comme conservateur dès le début de l’adolescence, alors que son père était libéral, Hugh Segal a toujours eu une vision progressiste de la politique.
Quand j’ai été nommée au Sénat, je le connaissais de réputation. Bien que je sois d’un an son aînée, nous avons la même date d’anniversaire. Cela a excité ma curiosité et j’ai voulu le connaître davantage. Il a été un mentor silencieux pour moi. J’observais son positionnement politique et tentais de comprendre ses choix stratégiques. Il était très indépendant d’esprit et ne partageait pas toujours la ligne de parti. En 2014, il a démissionné au nom de ses principes.
Le sénateur Segal a applaudi les changements apportés au Sénat depuis 2015. Il a même proposé un modèle pour l’avenir afin de consacrer l’existence pérenne de quatre groupes reconnus afin de préserver l’indépendance institutionnelle du Sénat par rapport au gouvernement en place.
L’honorable Hugh Segal, historien de formation, né à Montréal et francophile, s’est toujours identifié comme un progressiste-conservateur. Il était un Red Tory, dans le sens le plus noble du mot, c’est-à-dire un progressiste avant tout, qui avait à cœur l’intérêt commun, mais un conservateur aussi, car il préférait moins d’État à plus de gouvernement.
On pourrait dire de Hugh Segal qu’il avait une certaine ressemblance physique avec Winston Churchill, le cigare en moins. En tous les cas, il partageait avec lui l’indépendance d’esprit et la passion de ses convictions.
Il était un politicien convaincu et fier de l’être, mais il était aussi un intellectuel. À preuve, il a tenté de se faire élire, mais il n’a jamais réussi. Il a écrit au moins une dizaine de livres et de multiples articles où il défendait des idéaux de paix et les objectifs d’un monde sans pauvreté. Le titre de son ouvrage, publié en 1996, No Surrender: Reflections of a Happy Warrior in the Tory Crusade, témoigne bien du caractère de ce grand personnage.
(1420)
Hugh Segal était un personnage politique accompli, brillant orateur, incisif par moment, mais toujours plein d’humour. Pas étonnant qu’il ait été nommé directeur du prestigieux Collège Massey de Toronto qui forme les leaders de demain. Je souhaite de tout cœur que sa carrière exemplaire inspire nos leaders d’aujourd’hui et de demain.
L’honorable Hugh Segal faisait de la politique avec un grand P. Il avait compris, comme l’a souligné le très honorable Brian Mulroney, que peu importe le parti politique auquel on adhère, la coopération multipartite est nécessaire pour accomplir de grandes choses.
En mon nom personnel et au nom des membres du Groupe progressiste du Sénat, je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances à Donna, son épouse, sa fille Jacqueline, ses frères Seymour et Brian ainsi qu’à l’ensemble des membres de sa famille et à ses amis.
Merci.
[Traduction]
L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un bien honorable membre de la famille du Sénat, le regretté sénateur Hugh Segal. Il était stratège politique, auteur, commentateur, universitaire et, comme nous venons de l’entendre, il était aussi un sénateur remarquable dont le travail a eu une incidence non seulement sur le Sénat en général, mais sur l’ensemble du processus décisionnel au Canada.
Les réalisations du sénateur Segal sont nombreuses. Cependant, aujourd’hui, j’aimerais non seulement parler de ses nombreuses contributions et de ses principes politiques, mais aussi saluer sa façon unique d’aborder la politique, qui lui a permis de contribuer de façon importante à façonner les politiques du pays. En épousant une façon modérée de promouvoir sa vision politique, le sénateur Segal a su apporter des changements positifs de façon efficace pour les Canadiens. Au lieu de recourir, comme bien des gens le font en politique, à des attaques partisanes pour promouvoir ses propres intérêts politiques, il s’est battu pour le bien commun et l’harmonie sociale en unissant des gens de toutes allégeances.
Il a su défendre ses convictions, malgré les opinions divergentes mises de l’avant par des gens de toutes les allégeances politiques. Au lieu de recourir à une politique de division, il a encouragé la coopération multipartite en amenant les gens à unir leurs efforts au lieu de semer la division. Comprendre les points de vue opposés est un aspect essentiel du processus décisionnel, et l’honorable Hugh Segal veillait non seulement à ce qu’on puisse exprimer tous les points de vue, mais aussi à ce qu’on le fasse de manière respectueuse et constructive.
Comme l’ancien premier ministre Brian Mulroney l’a dit, le sénateur Segal était « un homme particulièrement remarquable qui a bien servi le Canada » et « un Canadien des plus exceptionnels ».
N’oublions pas les nombreuses contributions du sénateur Segal, et continuons de prôner son approche axée sur la coopération et le respect afin d’apporter l’aide et les changements positifs dont les Canadiens ont bien besoin. Honorables collègues, la politique et la démocratie canadiennes ont véritablement perdu un homme d’exception.
Des voix : Bravo!
L’honorable Kim Pate : Honorables sénateurs, à la fois humble et humoristique, brillant et pragmatique, généreux et simple, gentil, clair, concis et précis — des qualités rares chez les politiciens —, Hugh Segal était un homme de principes qui ne laissait jamais passer une injustice, qui était le premier à dénoncer les inégalités et qui a passé sa vie à redresser des torts. Il donnait toujours des conseils sages et intelligents, et sa loyauté et son engagement envers la vérité et l’intégrité étaient sans pareils.
Loué par les dirigeants et les personnes ordinaires, il avait toujours le temps d’encadrer et de guider ceux qui avaient des idées ou amorçaient des réflexions qu’il jugeait dignes d’être développées et promues. Il était prompt à soutenir et à défendre les intérêts de ceux qui sont trop souvent privés de voix ou ignorés et réduits au silence par d’autres.
Comme me l’a dit un chauffeur de taxi lorsque je me rendais au service funéraire de Hugh, ce dernier était gentil et attentionné, et tous les chauffeurs de taxi de Kingston le connaissaient et l’aimaient. Il m’a dit :
C’était un homme important qui traînait avec nous à la gare. Il disait qu’il en apprenait plus sur la vie en rencontrant des gens qui servaient les autres, des chauffeurs ou des serveurs, qu’avec tous les chercheurs embauchés à Queen’s Park ou sur la Colline du Parlement.
Le père de Hugh, comme le mien, a aidé à subvenir aux besoins de sa famille en conduisant des taxis. Malgré ses nombreux exploits, honneurs et reconnaissances, Hugh n’a jamais oublié ses racines.
Hugh a écrit de nombreux livres sur la politique publique, mais mon préféré est celui qu’il m’a offert avec une dédicace, me remerciant d’avoir repris le flambeau du revenu de base et de poursuivre ce qu’il appelait « le combat solitaire d’un conservateur pour mettre fin à la pauvreté au Canada ».
À ceux parmi vous qui n’auraient pas encore lu Bootstraps Need Boots, je vous le recommande. C’est un livre très pertinent de nos jours. Le titre que Hugh a choisi fait écho à la déclaration de Martin Luther King Jr. et le livre commence par cette citation :
On peut dire à un homme de se relever par ses propres moyens, mais il est ironiquement cruel de le dire à un homme qui n’a aucun moyen pour le faire.
Il a défendu les plus démunis et les moins privilégiés face à des pratiques et à un système politique grossiers, insensibles, capitalistes et impitoyables, et nous pouvons tous imiter l’incroyable exemple que nous a donné cet homme magnifique.
Donna, Jacqueline, Teaghan, toute sa famille et tous ses amis, merci d’avoir partagé Hugh avec nous.
Des voix : Bravo!
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, chère famille de l’honorable Hugh Segal, je m’associe à tous les hommages déjà rendus et je souhaite ajouter mon grain de sel.
Alors que je traversais une période difficile peu après mon arrivée au Sénat, le sénateur Segal a pris le temps de m’écouter et de m’expliquer pourquoi les sénateurs indépendants sont nécessaires pour renforcer notre démocratie et la rendre plus inclusive. Nous assistons à une détérioration de l’aspect « civil » de la civilité, de la société civile et de la civilisation. En tant que parlementaires, nous avons tout particulièrement le devoir de défendre et de renforcer notre démocratie.
Le sénateur Hugh Segal était un parlementaire visionnaire qui avait le courage d’aller au-delà des lignes de parti pour collaborer efficacement à l’égard de dossiers importants d’envergure générale ayant une incidence profonde sur notre démocratie. Son départ du Sénat des années avant l’âge de la retraite obligatoire a été une perte. Dans le livre que la sénatrice Pate a mentionné, Bootstraps Need Boots: One Tory’s Lonely Fight to End Poverty in Canada, il a écrit :
Je crois fermement que le meilleur moyen de protéger le droit fondamental de ne pas vivre dans le besoin et de vivre libre de toute crainte, un droit essentiel à l’avenir de toute société, de même qu’à la paix et à la sécurité dans le monde, est d’offrir à tous un revenu de base [...]
Sa vision et son leadership se reflètent maintenant dans le projet de loi S‑233, marrainé par la sénatrice Pate, et le projet de loi C‑223, marrainé par la députée Leah Gazan, un effort coordonné au Sénat et à la Chambre des communes en vue de concrétiser son rêve, l’établissement d’un revenu de base garanti suffisant.
Les menaces de frappes nucléaires qui ont fait surface dans la guerre illégale que la Russie mène contre l’Ukraine et dans la crise de Gaza amplifient l’importance d’un autre exemple du leadership visionnaire du sénateur Segal il y a plus de 13 ans. En juin 2010, conformément aux initiatives de leur prédécesseur, l’honorable Douglas Roche, les sénateurs Hugh Segal, Nancy Ruth et Roméo Dallaire ont amené le Sénat, la Chambre des communes lui emboîtant le pas des mois plus tard, à adopter à l’unanimité la motion visant à « [...] reconnaître le risque que pose la prolifération des matières et de la technologie nucléaires pour la paix et la sécurité [...] »
Nous pourrions tous tirer profit du leadership du sénateur Segal pour faire face à la grave menace actuelle pour la civilisation. Je tenais à ajouter cet exemple de son leadership visionnaire pour honorer sa mémoire et exprimer ma gratitude.
Merci, meegwetch.
Des voix : Bravo!
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Donna Segal, la femme du regretté honorable Hugh Segal, et de leur fille, Jacqueline. Elles sont accompagnées de membres de la famille et d’amis.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
Le décès de l’honorable Hugh Segal, C.M.
Minute de silence
Son Honneur la Présidente : Au nom de tous les sénateurs, je souhaite exprimer mes sincères condoléances et offrir mes plus vives sympathies à Donna, à Jacqueline et aux autres membres de la famille, aux amis et aux collègues de l’honorable Hugh Segal en cette période difficile.
Honorables sénateurs, je vous invite à vous lever et à observer avec moi une minute de silence.
(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)
(1430)
L’antisémitisme
L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, un centre communautaire juif a encore une fois été la cible d’une attaque violente dans ma ville, Montréal. Cette fois-ci, c’est un cocktail Molotov qui a été lancé. Cette dernière attaque a ciblé le Conseil de la communauté juive de Montréal peu après minuit, lundi dernier. Heureusement, personne n’était alors présent, et les dégâts sont considérés comme minimes.
C’est la plus récente attaque ciblant la communauté juive à Montréal, après plusieurs séries de coups de feu il y a quelques semaines. La montée de l’antisémitisme dans ma ville ainsi que partout au Canada et dans le monde est effrayante, et les attaques violentes répétées contre la communauté juive sont méprisables et indéfendables.
Nous devons tous condamner ces actes. Autrement, nous devons être conscients qu’en gardant le silence ou, comme certains parlementaires l’ont fait, qu’en délégitimant le droit d’Israël à se défendre et en l’accusant faussement de crimes de guerre, nous envoyons le message qu’il est de bonne guerre de s’en prendre aux juifs au Canada et ailleurs dans le monde.
Les mots comptent, comme un grand nombre d’entre vous l’ont souligné à maintes reprises. Nous envoyons un message qui ressemble à une approbation tacite lorsque les autorités de notre pays permettent que des gens dans la rue appellent à l’intifada et scandent « Mort aux juifs » sans conséquence.
Chers collègues, si l’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme, pourquoi donc les entreprises, les centres communautaires et les écoles de la communauté juive sont-ils attaqués en raison de la guerre entre Israël et le Hamas?
Cela doit cesser. J’espère que vous serez tous d’accord avec moi pour dire que, lorsque nous affirmons que tout le monde mérite de se sentir en sécurité, en particulier à la maison et au travail, y compris les juifs. Tous les Canadiens, y compris les Canadiens juifs, méritent de se sentir en sécurité.
Merci, chers collègues.
Visiteurs à la tribune
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Patti Hill, présidente internationale de Lions Clubs International. Elle est accompagnée de délégués des Lions du Canada. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Hartling.
Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.
Des voix : Bravo!
L’Association internationale des Lions Clubs
L’honorable Nancy J. Hartling : Honorables sénateurs, c’est avec grand plaisir que je prends la parole pour saluer et honorer les Lions du Canada, qui nous rendent visite sur la Colline du Parlement cette semaine. Ce soir, ils organisent une réception dans l’édifice de La Bravoure, à la salle 228, de 17 h à 19 h, et tous sont les bienvenus.
J’ai découvert le club Lions à la préadolescence. C’était il y a quelques années, mais je m’en souviens très bien. J’ai suivi des cours de natation au club Lions, dans une piscine de Salisbury, au Nouveau‑Brunswick. J’adorais passer mes étés avec ma tante, mon oncle, ma gardienne et mes cousins. Mon oncle Bill, médecin de famille, était très engagé dans le club Lions du village, et j’ai toujours été impressionnée par leurs réalisations, en particulier la merveilleuse piscine où j’ai obtenu mes écussons de natation. Ce n’est qu’une de leurs grandes réalisations, qu’ils poursuivent aujourd’hui.
Qu’est-ce que le club Lions? Depuis sa création en 1917, l’Association internationale des clubs Lions a eu une incidence considérable sur de nombreuses questions. Leur devise, « Nous servons », vise cinq causes du « lionisme » : le diabète, la vision, la faim, l’environnement et l’aide en cas de catastrophe, ainsi que le cancer chez les enfants.
Le cœur d’un lion ou d’un leo bat pour servir les autres.
Ils croient en la possibilité de changer le monde en répondant aux besoins des collectivités locales et internationales. Plus de 1,4 million de Lions dans le monde répondent aux besoins locaux et mondiaux avec gentillesse et attention dans le cadre de leur travail bénévole.
Ma ville, Riverview, en est un excellent exemple. Le club Lions, qui constitue un élément vital de Riverview, a été fondé en 1960. Occupant initialement une école à deux salles, il dispose maintenant d’un club très fréquenté. Le nombre de réservations est passé de 350 à 700 par an, et 90 % des utilisateurs sont des organisations à but non lucratif. L’espace a été rénové et c’est un endroit extraordinaire à fréquenter.
Ils organisent des activités de collecte de fonds, notamment de nombreux petits déjeuners de crêpes chaque année, afin de collecter des fonds et de soutenir des causes locales. Ces petits déjeuners sont importants non seulement pour les fonds qu’ils permettent de récolter, mais aussi pour l’engagement de la communauté. Lorsque je suis chez moi, j’aime beaucoup assister à ces événements.
Il s’agit d’une organisation entièrement bénévole, qui effectue plus de 5 000 heures de travail bénévole par an. C’est un service incroyable.
Je remercie Jerry Kirkpatrick du club Lions de Riverview, pour son leadership et les renseignements qu’il m’a transmis au sujet du club. Je remercie tous les membres du club. Vous avez contribué à changer les choses.
Le club Lions est apprécié pour son approche du service et de l’épanouissement personnel et humanitaire, avec des actions visibles et une incidence tangible. Nous vivons dans un monde meilleur grâce à votre engagement, vos contributions et vos nombreuses heures de service bénévole.
Je remercie Mme Patti Hill, la présidente de l’Association internationale des clubs Lions, d’être parmi nous aujourd’hui, en compagnie de la délégation de cette association. Félicitations pour votre travail remarquable.
[Français]
Merci pour la différence que vous faites dans le monde.
[Traduction]
Je vous remercie de votre présence parmi nous aujourd’hui.
Banques alimentaires Canada
L’honorable Tony Loffreda : Honorables sénateurs, le temps des Fêtes est à nos portes. Faisons en sorte que cette période soit heureuse pour tous. Aidons nos banques alimentaires locales.
Les banques alimentaires sont essentielles. La persistance de la pauvreté engendre inévitablement de l’insécurité alimentaire, ce qui montre bien le caractère essentiel de ces organismes de bienfaisance.
Selon un rapport publié hier par Feed Ontario, plus de 800 000 Ontariens ont eu recours aux services d’une banque alimentaire entre avril 2022 et mars 2023.
[Français]
Au Québec, la situation est semblable. Selon l’organisme Les Banques alimentaires du Québec, près de 900 000 personnes, chaque mois cette année, ont eu recours à une banque alimentaire.
Selon les plus récentes données, 71 % des banques alimentaires du Québec ont manqué de denrées pour répondre aux besoins de la population au cours de la dernière année. C’est pourquoi il est important, plus que jamais, d’appuyer les organismes communautaires, partout au pays, qui servent nos concitoyens en leur offrant des denrées, de la nourriture et d’autres produits essentiels.
Je pense, entre autres, à Moisson Montréal qui célébrera ses 40 ans en 2024. Depuis 1984, cet organisme de bienfaisance récupère et distribue gratuitement des dons de nourriture tout au long de l’année aux Montréalais en situation de besoin, en desservant de façon régulière plus de 300 organismes communautaires.
Des Moisson Montréal, il y en a partout dans la province et d’un océan à l’autre.
[Traduction]
D’après Banques alimentaires Canada, plus de 4 750 banques alimentaires et organisations communautaires à l’échelle du pays cherchent à régler le problème de la faim. Les banques alimentaires font partie des rares entreprises qui souhaitent vraiment fermer leurs portes.
Honorables sénateurs, je le répète, faisons en sorte que la période des Fêtes soit heureuse pour tous. J’encourage mes collègues et j’invite tous les Canadiens à faire du bénévolat dans leur banque alimentaire locale pendant le temps des Fêtes. Si vous le pouvez, donnez de la nourriture, des biens essentiels ou des cadeaux de Noël pour que les familles et les personnes dans nos communautés puissent vraiment profiter des Fêtes sans avoir à choisir entre nourrir leurs enfants ou chauffer leur maison.
Ici, au Sénat, j’espère que les sénateurs et le personnel contribueront à la campagne Toys for Tots, une collecte de jouets pour les enfants, sous la direction de notre honorable Présidente.
Unissons nos efforts pour rendre les Fêtes un peu plus joyeuses et radieuses pour les gens dans le besoin.
Merci.
(1440)
AFFAIRES COURANTES
Les étudiants étrangers
La contribution et les défis—Préavis d’interpellation
L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je donne préavis que, après-demain :
J’attirerai l’attention du Sénat sur la contribution des étudiants étrangers au Canada et les nombreux défis, tels que la fraude, les sévices et les abus émotionnels et parfois sexuels, auxquels nombre d’entre eux font face.
[Français]
Projet de loi sur le cadre national sur la maladie falciforme
Dépôt d’une pétition
L’honorable Marie-Françoise Mégie : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer une pétition de résidents de l’Alberta et de l’Ontario qui appuient le projet de loi S-280, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme.
[Traduction]
PÉRIODE DES QUESTIONS
L’emploi et le développement social
Le Programme des travailleurs étrangers temporaires
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader du gouvernement, le 16 novembre, la police de Windsor a déclaré que 1 600 travailleurs étrangers viendraient ici la semaine prochaine pour travailler dans l’usine de batteries de Stellantis, qui est fortement subventionnée avec 15 milliards de dollars provenant des contribuables canadiens.
Depuis lors, le gouvernement Trudeau ne fait que semer la confusion. Un ministre du gouvernement Trudeau a déclaré qu’il s’agissait d’un seul travailleur de remplacement étranger. Le lendemain, un autre ministre a déclaré qu’il s’agissait d’un nombre relativement faible. Jeudi dernier, l’entreprise a déclaré que 900 travailleurs viendraient. Les Syndicats des métiers de la construction du Canada ont qualifié cette décision d’insulte aux travailleurs et aux contribuables.
Monsieur le leader, ce gâchis pourrait être résolu aujourd’hui si le gouvernement Trudeau disait la vérité aux Canadiens pour une fois et publiait les contrats. Sénateur Gold, le ferez-vous?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. L’usine dont vous parlez représente une contribution importante non seulement à notre économie, mais aussi à notre positionnement futur.
D’après ce que je comprends, les travailleurs étrangers dont vous parlez — la grande majorité d’entre eux — seront ici à titre de travailleurs temporaires en visite pour aider à construire l’usine et à installer l’équipement lourd nécessaire. Je crois comprendre que ce projet créera des milliers d’emplois bien rémunérés au Canada. C’est un projet qui est bon pour tous les Canadiens et pour notre économie.
Le sénateur Plett : Publier les contrats ne devrait pas poser problème. Voilà un autre exemple qui montre que le premier ministre n’en vaut pas le coût. Nous avons appris vendredi que l’usine de batteries Northvolt, au Québec, emploiera également des centaines de travailleurs étrangers, même si elle a reçu 7 milliards de dollars des contribuables canadiens. Volkswagen a également reçu une subvention massive de 14 milliards de dollars pour construire une usine de batteries en Ontario. Combien de travailleurs étrangers Volkswagen fera-t-elle venir au Canada, monsieur le leader?
Le sénateur Gold : Encore une fois, le recours à des travailleurs étrangers temporaires pour stimuler notre économie est une caractéristique bien établie dans toutes les sphères économiques pour aider le Canada et nos entreprises — dans ce cas particulier — à s’établir et à bien se positionner pour l’avenir. C’est la bonne chose à faire pour le gouvernement et les entreprises qui investissent au Canada.
La sécurité publique
L’ingérence étrangère
L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, le 30 mars 2022, lorsque j’ai posé une question au ministre de la Sécurité publique de l’époque, Marco Mendicino, au sujet d’un registre des agents étrangers, il m’a répondu que l’idée méritait d’être étudiée. Un an plus tard, le même ministre s’est retrouvé dans la même chambre. J’ai reposé la question, et il m’a répondu que son gouvernement mène actuellement des consultations publiques approfondies, que des progrès considérables ont été réalisés et qu’il a très bon espoir qu’un registre serait mis en place moins d’un an plus tard. Sénateur Gold, vous vous êtes fait l’écho de cette position à plusieurs reprises au Sénat.
Il reste quatre mois avant que le gouvernement Trudeau rompe une autre promesse, et je vous garantis qu’aucun projet de loi ne sera présenté d’ici Noël. La Chambre présentera-t-elle un projet de loi visant à créer un registre des agents étrangers d’ici Noël 2023?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question et je vous remercie à nouveau de vos efforts concernant le registre des agents étrangers. Le gouvernement a dit — et je le répète — qu’il travaille activement sur l’élaboration d’un registre des agents étrangers. Il est déterminé à bien faire les choses et il présentera le plan et le projet de loi lorsqu’il sera prêt à le faire.
Le sénateur Housakos : Chers collègues, voyez-vous combien le gouvernement est désorganisé? Sénateur Gold, ces derniers jours, le procureur général a dit que le gouvernement que vous représentez n’allait pas créer de registre des agents étrangers. Qu’est-il donc arrivé à toutes ces consultations et à cet optimisme dont vous faisiez preuve dans votre réponse à ma question? La vérité, c’est que le gouvernement n’a jamais eu l’intention de créer un tel registre.
Cela fait maintenant deux ans qu’on nous sert cette mésinformation ou cette désinformation. S’agit-il d’incompétence crasse de la part du gouvernement, ou tout simplement de malhonnêteté?
Le sénateur Gold : Ni l’une ni l’autre, honorable collègue. Comme je l’ai dit, je crois que vos insinuations sont inappropriées. On m’a dit que le gouvernement travaille toujours sur le registre. Si jamais on m’informe du contraire, j’en ferai rapport en temps et lieu.
[Français]
La justice
La Commission du droit du Canada
L’honorable Renée Dupuis : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, je n’ai pas trouvé de lettre de mandat adressée au nouveau ministre de la Justice qui a été nommé en 2023. Toutefois, la lettre de mandat précédente, adressée au ministre de la Justice de l’époque, en décembre 2021, lui demandait de rétablir la Commission du droit du Canada, de sorte qu’elle puisse fournir des conseils indépendants sur les réformes juridiques nécessaires relativement aux enjeux juridiques complexes auxquels les Canadiens sont confrontés, tels que le racisme systémique au sein du système judiciaire.
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a pressé le gouvernement, dans plusieurs de ses rapports sur des projets de loi, de procéder à une révision en profondeur des principes établis dans le Code criminel en 1920, fondés en fait sur des valeurs du XIXe siècle.
Sénateur Gold, le premier ministre a-t-il donné le mandat à la commission qu’il a mise en place de réviser en profondeur le Code criminel?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. J’ai été informé que le gouvernement du Canada a annoncé la nomination de la professeure Shauna Van Praagh — une amie et collègue de longue date — à titre de présidente de la Commission du droit du Canada.
Le gouvernement a aussi nommé Sarah Elgazzar et Aidan Johnson à titre de commissaires à temps partiel, et ce, conformément à la Loi sur la Commission du droit du Canada. J’aurai l’occasion de m’entretenir avec la professeure Van Praagh dans les semaines à venir et je m’informerai davantage pour ce qui est de votre question.
La sénatrice Dupuis : Si le ministre ne l’a pas déjà fait, quand la Commission du droit du Canada sera-t-elle mandatée de procéder à une telle révision? Je comprends que la commission a un mandat d’initiative, mais si le ministre lui en fait la demande, elle sera obligée de le faire.
J’aimerais savoir quand la commission sera mandatée par le ministre de la Justice de procéder à cette révision.
Le sénateur Gold : Si je comprends bien, la question touche le mandat des nominations en vigueur. Je vais m’informer davantage au sujet de votre question.
[Traduction]
L’emploi et le développement social
La politique nationale en matière d’alimentation dans les écoles
L’honorable Marty Deacon : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
On a célébré la Journée nationale de l’enfant lundi dernier. Il y a quelques semaines, j’ai eu l’occasion de rencontrer des membres de l’Association canadienne des commissions scolaires, qui représente les commissaires d’école et les présidents des commissions scolaires. Leur principale préoccupation était la santé des élèves, qui ne doivent pas aller à l’école le ventre vide. Cela n’a jamais été aussi important, car le recours aux banques alimentaires a augmenté de 41 % par rapport à l’an dernier.
Le Canada reste le seul pays membre du G7 à ne pas avoir de programme national d’alimentation en milieu scolaire. Le gouvernement a organisé des consultations à ce sujet il y a un an. J’ai posé cette question chaque année depuis que les libéraux ont fait campagne à ce sujet, et je vais la poser encore une fois aujourd’hui : quand le gouvernement va-t-il respecter cet engagement?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question. Il est important que tous les pouvoirs publics apportent une contribution et collaborent afin que les enfants soient bien nourris et profitent ainsi de l’éducation qu’on leur donne.
(1450)
Je ne suis pas en mesure de commenter les progrès ou les discussions qui peuvent avoir lieu au sujet d’un programme national. Au risque de me répéter, comme nous le savons, il s’agit d’une question de compétence provinciale. Ce sont les provinces qui fournissent les services d’éducation. Cependant, je vais certainement m’efforcer d’en savoir davantage.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Oui, les écoles relèvent de la compétence des provinces, mais on nous a promis un programme national d’alimentation dans les écoles. Je tiens à répéter que nous avons des partenaires qui sont prêts à mettre raisonnablement et énergiquement la main à la pâte. Ils sont prêts à soutenir le gouvernement et ils se posent la question, eux aussi.
Le sénateur Gold : Encore une fois, le gouvernement discute présentement avec ses homologues provinciaux dans les domaines de la santé et de l’éducation, et je suis persuadé que l’on continue de discuter de ces sujets dans les hautes sphères.
L’infrastructure et les collectivités
Le logement abordable
L’honorable Robert Black : Sénateur Gold, des Canadiens des régions rurales me font souvent part de leur exaspération devant le peu d’attention qu’on porte à leur région. Les résidants des régions rurales doivent surmonter divers problèmes d’infrastructure pour créer, dans leur collectivité, un milieu sûr où il fait bon vivre, travailler et se détendre.
Il y a un manque criant de logements abordables dans les collectivités rurales, mais ce problème ne retient pas autant l’attention que lorsqu’il s’agit des centres urbains. En l’absence de logements abordables, de nombreuses collectivités n’arrivent pas à contrer l’itinérance ni à aider les gens à évoluer dans le continuum du logement. En plus de fournir aux gens un endroit sûr et adéquat où vivre, les logements abordables contribuent à l’inclusion sociale et favorisent l’esprit communautaire. Investir dans les infrastructures rurales, c’est donc investir dans l’avenir.
Voici la question que j’adresse au représentant du gouvernement au Sénat : quelles initiatives ou quels programmes le gouvernement met-il actuellement sur pied afin de favoriser la construction de logements abordables dans les collectivités rurales? Pourriez-vous décrire les grandes lignes de la stratégie à long terme du gouvernement pour un développement domiciliaire viable et inclusif dans les régions rurales?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, monsieur le sénateur. Le gouvernement sait que les collectivités rurales ont des besoins particuliers et dans certains cas des besoins criants en matière de logement. On m’a informé que, par l’entremise de l’initiative Financement de la construction de logements locatifs, qui s’inscrit dans le cadre du Fonds national de co-investissement pour le logement et de l’Initiative pour la création rapide de logements, le gouvernement a déjà affecté plus de 523 millions de dollars au logement abordable dans les collectivités rurales.
Ajoutons que l’énoncé économique de l’automne prévoit plus de 16 milliards de dollars pour le logement, ce qui s’inscrit dans le prolongement des sommes considérables consacrées au logement en région rurale et éloignée.
Le sénateur Black : Merci. Comment le gouvernement compte-t-il adapter son approche en fonction de l’évolution des tendances démographiques et économiques dans les régions rurales?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de la question. Je peux assurer à mes collègues que le gouvernement est bien au fait des problèmes démographiques et de l’évolution des tendances économiques dans les régions rurales, et qu’il continuera à apporter sa contribution pour répondre aux problèmes de logement qui touchent plus particulièrement les collectivités rurales et éloignées.
L’industrie
L’innovation
L’honorable Marty Klyne : Sénateur Gold, selon un article publié récemment sur le site sciencepolicy.ca, le Canada accuse un retard par rapport à d’autres pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, en ce qui concerne les investissements dans la recherche et le développement, ce qui est essentiel pour attirer et retenir les gens les plus brillants, les plus créatifs et les plus novateurs.
En 2021, le Groupe d’action sénatorial pour la prospérité a publié un rapport dans lequel il recommande de consacrer plus d’attention, d’investissements et d’efforts à la transition du Canada vers la quatrième révolution industrielle, plus particulièrement vers l’économie numérique et intangible.
On trouve ensuite trois recommandations dans le même volet : premièrement, faciliter l’accès au capital, notamment en encourageant nos institutions financières et les régimes de retraite canadiens à investir dans notre système d’approvisionnement; deuxièmement, assurer le positionnement stratégique de nos entreprises novatrices dans nos systèmes d’approvisionnement; troisièmement, établir de meilleurs partenariats entre les institutions universitaires et les entreprises pour encourager la commercialisation de l’innovation.
Sénateur Gold, que fait le gouvernement pour que le Canada monte dans le classement de l’OCDE au chapitre de la recherche et du développement?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement reconnaît la contribution importante et, certes, exceptionnelle des chercheurs et des scientifiques à la santé, au bien-être et à la prospérité de tous les Canadiens.
On m’a informé que, depuis 2018, le gouvernement s’est engagé à verser plus de 15 milliards de dollars pour soutenir la recherche et la science partout au Canada. Le gouvernement a ajouté 600 nouvelles bourses d’études supérieures du Canada, et il a augmenté la durée des congés parentaux payés pour les titulaires de bourses, la faisant passer de 6 mois à 12 mois.
Je crois comprendre que le gouvernement a entendu l’appel de la communauté de recherche pour accroître la valeur des bourses d’études et de perfectionnement. Il va continuer de travailler avec les trois organismes subventionnaires fédéraux et la communauté de recherche afin d’explorer des façons de mieux soutenir les prochaines générations de chercheurs et les candidats les plus talentueux de notre pays.
Le sénateur Klyne : En ce qui a trait à l’innovation, le rapport du Groupe d’action sénatorial pour la prospérité énonce certains des facteurs qui font en sorte que le Canada tire de l’arrière. À titre d’exemple, une pénurie nationale de cadres supérieurs ayant de l’expérience dans l’expansion d’entreprises; une pénurie de professionnels spécialisés en sciences, en technologie, en ingénierie ou en mathématiques dans le contexte d’une concurrence mondiale féroce; l’absence d’un accès fiable à prix abordable à Internet haute vitesse dans certaines régions du Canada; et la lenteur des entreprises et des gouvernements à adopter la technologie.
Monsieur le sénateur, comment le gouvernement s’y prendra-t-il pour surmonter ces obstacles à la prospérité?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de cette question importante, même si elle est large. Afin de soutenir les personnes qui possèdent les compétences dont vous parlez et de les inciter à demeurer ici, je crois comprendre que le gouvernement travaille de concert avec ses divers organismes afin d’élaborer de nouvelles possibilités visant à accroître le savoir scientifique ainsi que la participation des Canadiens dans les domaines de spécialisation que vous avez énoncés, y compris chez les groupes sous-représentés.
[Français]
Les finances
Le déficit fédéral
L’honorable Claude Carignan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement.
Monsieur le leader, on peut lire ce qui suit dans Énoncé économique de l’automne de 2023, et je cite :
Depuis les trois dernières années, malgré la volatilité de la conjoncture économique mondiale, le plan économique responsable du gouvernement a conduit à des résultats financiers de fin d’exercice qui ont constamment surpassé les cibles en matière de déficit annuel.
Pourtant, monsieur le leader, on découvre dans l’énoncé économique que les déficits seront presque deux fois plus lourds pour les années futures que ceux qui étaient prévus dans le budget de mars dernier. En fait, ils atteindront 27,1 milliards de dollars en 2026-2027 et 23,8 milliards de dollars en 2027-2028, alors que, il y a huit mois, les prévisions étaient de 15,8 milliards de dollars et de 14 milliards de dollars pour les mêmes années.
Monsieur le leader, la ministre a-t-elle relu son énoncé économique avant de le prononcer?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Dans le cadre de cette phase du programme que le gouvernement a mis en place, il continue de faire en sorte que notre économie se développe au bénéfice de tous. On m’a avisé que cela fonctionne bien; plus de 10 millions de Canadiens travaillent aujourd’hui, par opposition à la période précédant la pandémie. Le taux d’inflation continue de baisser et les gains relatifs à la rémunération pour les travailleurs et travailleuses dépassent le taux d’inflation. Selon les économistes du secteur privé, il est fort possible, sinon probable que nous éviterons la récession prédite il n’y a pas si longtemps.
Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, vous ne répondez pas à ma question.
La ministre a notamment mentionné dans son énoncé économique qu’elle atteint toujours les cibles et même qu’elle les surpasse; d’autre part, l’énoncé économique mentionne que le déficit sera deux fois plus grand que celui qu’elle avait annoncé.
Ma question était simple : la ministre a-t-elle relu son texte avant de le prononcer?
Le sénateur Gold : L’énoncé met en évidence les priorités gouvernementales. Il y a deux grands défis auxquels répond l’énoncé : l’action en vue d’appuyer les Canadiens, ainsi que l’action visant à remédier à la crise du logement.
[Traduction]
Les services publics et l’approvisionnement
Le processus d’acquisition
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, en octobre, le sénateur Plett et moi avons tous deux reçu des réponses écrites à des questions concernant les contrats octroyés à Accenture pour l’administration du programme de prêts aux petites entreprises du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. La réponse indique qu’Exportation et développement Canada a mis en place un processus de divulgation pour les contrats en décembre 2021, après l’octroi des contrats en question à Accenture. Une des réponses indique que le gouvernement Trudeau a conclu de multiples contrats avec Accenture après décembre 2021, mais ces contrats n’ont jamais été rendus publics. Cela inclut quatre contrats octroyés en janvier et février de cette année d’une valeur combinée de 60 millions de dollars. Monsieur le leader, à quoi sert un processus de divulgation si les contrats du genre ne sont pas divulgués aux Canadiens?
(1500)
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. De ce que j’en sais, les contrats qui ont été rendus publics l’ont été parce que leurs modalités et les exigences connexes permettaient qu’ils le soient. Le gouvernement continuera d’agir de façon responsable à cet égard.
La sénatrice Martin : Monsieur le leader, je vous ai demandé précisément à quel moment la ministre Freeland et la ministre Ng ont été informées de la participation d’Accenture au programme du Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes. La réponse que j’ai obtenue était loin de répondre à ma question. Monsieur le leader, si l’accès à l’information, la transparence et la reddition de comptes signifient quelque chose pour votre gouvernement, leur demanderez-vous de répondre à ma question précise : quand les ministres ont-elles été mises au courant?
Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Lorsque les sénateurs posent des questions auxquelles je n’ai pas les réponses, je fais tout mon possible pour les obtenir. Je suis heureux que vous ayez reçu une réponse, mais je suis déçu que ce ne soit pas à votre satisfaction. Je continuerai de faire de mon mieux pour obtenir des réponses du gouvernement aux questions que posent les sénateurs.
[Français]
La santé
Les produits à base de nicotine
L’honorable Chantal Petitclerc : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
Sénateur Gold, Santé Canada vient d’approuver la vente libre de sachets de nicotine aromatisés à usage buccal. Ces nouveaux produits, qui contiennent 4 milligrammes de nicotine, ne sont pas réglementés comme des produits dérivés du tabac. Ils ont été autorisés en vertu du Règlement sur les produits de santé naturels, qui ne prévoit pas d’âge minimum pour la vente.
On nous affirme que les adultes qui veulent cesser de fumer sont la clientèle cible. Toutefois, ce que la Société canadienne du cancer nous a montré, c’est que ces nouveaux produits sont publicisés sur les réseaux sociaux, à la télévision ou sur des panneaux publicitaires près des écoles, et qu’il s’agit de publicités de style « mode de vie ». Certains experts et organismes recommandent de suspendre la vente de ces sachets et d’adopter une réglementation.
En tant que société, nous avons déployé beaucoup d’efforts pour protéger nos jeunes du tabagisme. Le gouvernement ne devrait-il pas, par souci de précaution, suivre les recommandations des organismes à temps?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question. Le gouvernement prend très au sérieux la promotion des produits contenant de la nicotine auprès des jeunes. Santé Canada et le gouvernement fédéral continueront de faire ce qu’il faut pour protéger les Canadiens.
[Traduction]
La sénatrice Petitclerc : Sénateur Gold, en avril, les Pays-Bas ont annoncé qu’ils interdisaient la vente de tous les types de sachets de nicotine. Depuis octobre, la vente de sachets de nicotine n’est plus permise en Belgique. Le Danemark réglemente l’utilisation des sachets de nicotine dans le cadre de sa loi actuelle sur le tabac. Pouvez-vous m’assurer que le Canada fera lui aussi preuve de leadership et n’attendra pas qu’il soit trop tard?
Le sénateur Gold : Merci. Je sais que Santé Canada et le gouvernement du Canada examineront attentivement les expériences d’autres pays et continueront d’en tenir compte dans leurs réflexions sur les mesures à prendre.
La sécurité publique
Le Corps des Gardiens de la révolution islamique
L’honorable Ratna Omidvar : Ma question pour le leader du gouvernement au Sénat porte sur le Corps des Gardiens de la révolution islamique, qui est omniprésent dans de nombreuses régions et qui constitue le principal instrument assurant le maintien au pouvoir d’un régime islamique meurtrier en Iran. Il est impliqué dans des actes de torture, des enlèvements et des exécutions, non seulement en Iran, mais possiblement ailleurs aussi.
Monsieur le leader, quand le gouvernement se penchera-t-il sur les deux motions adoptées à l’unanimité par la Chambre des communes et par le Sénat, et quand y donnera-t-il suite? Et s’il n’a pas l’intention de le faire, pourquoi?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : En ma qualité de représentant du gouvernement au Sénat, je suis heureux d’intervenir à nouveau sur cette question. Comme moi, le gouvernement prend très au sérieux le rôle pernicieux que joue le régime iranien, que ce soit dans son propre pays ou aux quatre coins du monde. Comme je l’ai dit à maintes reprises, madame la sénatrice, le gouvernement a pris des mesures très sérieuses pour imposer des sanctions à de vastes pans de l’appareil administratif du régime, en interdisant à jamais l’accès au Canada à des représentants du Corps des Gardiens de la révolution islamique et en imposant des sanctions aux élites et aux forces de sécurité, ainsi qu’à l’appareil économique et de sécurité. Le gouvernement continuera d’envisager d’autres mesures afin d’exprimer sa répugnance à l’égard des actions du régime.
La sénatrice Omidvar : Sénateur Gold, il ne s’agit pas d’une idée abstraite qui ne concerne que la vie des Iraniens en Iran. Ce fléau est en fait présent ici, au Canada. Inexplicablement, il y a au Canada des visiteurs et des résidants qui sont associés au Corps des Gardiens de la révolution islamique. Les Iraniens au Canada me disent que cette présence tourne le fer dans la plaie. Que faisons-nous pour empêcher l’arrivée d’individus entretenant des liens étroits avec le Corps des Gardiens de la révolution islamique? Comment protégeons-nous les Canadiens d’origine iranienne?
Le sénateur Gold : Le gouvernement fait beaucoup — d’une façon ciblée qui protège les citoyens iraniens d’ici ou de l’étranger qui ne font pas partie du régime — pour relever et surveiller, comme il le fait en général, toutes les activités de ce genre afin d’assurer la protection des Canadiens et des citoyens iraniens au Canada.
Le Bureau du Conseil privé
Les frais de représentation
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, un Canadien sur cinq saute des repas, et 2 millions d’entre eux ont recours aux banques alimentaires. En fait, 800 000 personnes — un record — ont recours aux banques alimentaires en Ontario, y compris une personne sur 10 dans la plus grande ville du pays, Toronto. Les familles canadiennes mangent aussi des aliments moins nutritifs parce qu’elles n’ont tout simplement pas les moyens de se nourrir. Malgré toute cette souffrance, l’an dernier, 39 membres du Cabinet du premier ministre Trudeau ont dépensé 46 000 $ en frais de traiteur pour une retraite de trois jours consacrée à — tenez-vous bien — des discussions sur l’abordabilité.
Pendant la retraite que le Cabinet Trudeau a organisée cette année sur la question de l’abordabilité, le ministère du premier ministre déconnecté de la réalité a dépensé 160 000 $ en frais d’hébergement et de transport. Monsieur le leader, comment pouvez-vous justifier de telles dépenses à un moment où les gens ont recours aux banques alimentaires et ne mangent pas à leur faim?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le gouvernement du Canada met en place des mesures importantes afin d’aider les Canadiens pour qui les temps sont durs. Parmi ces mesures, il y a le soutien qu’il continue de fournir aux Canadiens ayant un revenu modeste, que ce soit en ce qui concerne le logement ou la nourriture. De plus, le gouvernement a présenté, à l’autre endroit, des mesures supplémentaires pour accroître la concurrence, notamment dans le secteur alimentaire. Il va continuer de prendre les mesures appropriées dans les limites de ses champs de compétence pour aider les Canadiens en ces temps difficiles.
Le sénateur Plett : Monsieur le leader, la retraite que le Cabinet Trudeau a organisée cette année sur la question de l’abordabilité a eu lieu à Charlottetown, où le tiers des bénéficiaires des banques alimentaires sont des travailleurs, selon Banques alimentaires Canada. Le montant de 160 000 $ dont je viens de vous parler était ce que le Conseil privé a dépensé à lui seul. Monsieur le leader, pouvez-vous nous dire combien le gouvernement Trudeau a dépensé au total cette année pour cette soi-disant retraite sur l’abordabilité?
Le sénateur Gold : Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. Il n’en demeure pas moins que le gouvernement du Canada est déterminé, et il continuera de l’être, à faire des choses concrètes sur le terrain pour les vrais Canadiens. Le gouvernement va continuer de faire ce qu’il peut, selon ses moyens et ses champs de compétence, pour aider les Canadiens à traverser cette période difficile.
Les relations Couronne-Autochtones
Les amendements aux projets de loi
L’honorable Mary Jane McCallum : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.
(1510)
Sénateur Gold, dernièrement, quelqu’un de votre bureau m’a appris que celui-ci avait reçu une directive du Cabinet lui indiquant que le gouvernement n’accepterait aucun autre amendement au projet de loi C-29 et que, si un amendement était adopté à l’étape de la troisième lecture, le gouvernement le rejetterait.
J’ai envoyé un message au ministre afin d’en savoir plus, mais je n’ai pas encore reçu de réponse. Par conséquent, sénateur Gold, pouvez-vous nous expliquer de quel droit le Cabinet se mêle de mon travail et de celui des autres sénateurs?
L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Sans vouloir vous manquer de respect, sénatrice, la prémisse et l’information sur lesquelles repose votre affirmation sont incorrectes. Que je sache — c’est quand même moi le représentant du gouvernement au Sénat et je siège à l’un des comités du Cabinet —, nous n’avons jamais reçu de directive à cet effet-là et le Cabinet ne nous donne jamais de directives de cette nature.
J’ajouterai que le gouvernement du Canada respecte le travail que fait le Sénat. Il ne souscrit pas nécessairement à tous les amendements que nous proposons, et certainement pas à tous ceux que nous adoptons, mais jusqu’à présent, le gouvernement actuel se démarque de tous ceux qui l’ont précédé pour la déférence qu’il accorde au travail du Sénat et pour la proportion d’amendements approuvés.
Je vais bien sûr me renseigner, sénatrice, mais en tout respect, je crois que l’information que vous détenez est incorrecte.
[Français]
ORDRE DU JOUR
Éthique et conflits d’intérêts des sénateurs
Premier rapport du comité—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Seidman, appuyée par l’honorable sénatrice Poirier, tendant à l’adoption du premier rapport du Comité permanent sur l’éthique et les conflits d’intérêts des sénateurs, intitulé Examen d’un rapport d’enquête du conseiller sénatorial en éthique, présenté au Sénat le 21 novembre 2023.
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, conformément à l’article 12-29(2) du Règlement, nous ne pouvons pas encore prendre une décision au sujet de ce rapport. À moins qu’un sénateur ne veuille proposer l’ajournement, le débat sera ajourné d’office jusqu’à la prochaine séance du Sénat.
Est-ce d’accord, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(Conformément à l’article 12-29(2) du Règlement, la suite du débat sur la motion est ajournée à la prochaine séance.)
Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation
Troisième lecture—Débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Audette, appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation, tel que modifié.
L’honorable Marilou McPhedran : Honorables sénateurs, kwe, tansi. En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, les territoires traditionnels des peuples anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés, et de la patrie de la nation métisse.
Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.
Je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-29, une loi visant à établir un conseil national pour la réconciliation. Je soutiens cette législation. J’ai l’intention de voter en sa faveur, et j’espère le faire aujourd’hui. J’espère que nous assisterons au même niveau de soutien unanime que le projet de loi C-29 a obtenu dans l’autre Chambre.
Je salue ceux qui ont porté ce projet de loi en comité, qui ont participé au débat à ses différentes étapes, et en particulier, je salue la sénatrice Audette pour son leadership et son esprit collaboratif dans la conduite de ce projet de loi au Sénat.
[Traduction]
Le projet de loi C-29 donne suite aux appels à l’action nos 53 à 56 de la Commission de vérité et réconciliation, qui réclamaient, primo, la mise sur pied d’un conseil national indépendant détenant le pouvoir de suivre et d’évaluer les efforts de réconciliation du gouvernement et de lui demander des comptes, secundo, la création de plans d’action nationaux visant à faire progresser la réconciliation et, tertio, la promotion du dialogue public comme moyen de favoriser la réconciliation, et ce, dans toutes les couches et dans tous les secteurs de la société canadienne.
À l’étape de la troisième lecture, le sénateur Klyne a fait valoir que ce projet de loi devait être adopté et entrer en vigueur le plus rapidement possible et que c’était même notre obligation. Il a abordé de manière éloquente l’obligation de rendre compte et les responsabilités du Sénat :
En ce qui concerne la réconciliation, il ne suffit pas de faire les choses convenablement. Les nations autochtones, les pouvoirs provinciaux, territoriaux et municipaux ainsi que les assemblées législatives doivent constamment travailler à renforcer les relations et à obtenir les meilleurs résultats possible. L’honnêteté, le courage et la critique sont essentiels pour faire avancer la société […]
Il ne suffit pas de faire les choses convenablement. C’est dans cette optique que je souhaite attirer votre attention sur une nuance qui, quoique pointue, est loin d’être sans importance, à savoir la distinction entre la manière dont, traditionnellement, les Premières Nations et les Métis ont utilisé et occupé leur territoire et en ont assuré la gouvernance.
Le 15 novembre, la grande cheffe Cathy Merrick, de l’Assemblée des chefs du Manitoba a fait parvenir une lettre au premier ministre, dont les sénateurs ont aussi reçu copie. Je vous en cite quelques extraits pour bien mettre en contexte l’amendement que j’entends proposer aujourd’hui :
Monsieur le Premier Ministre,
Au nom de l’Assemblée des chefs du Manitoba, ou ACM, je vous écris aujourd’hui pour dissiper une idée préconçue on ne peut plus préoccupante qui est très ancrée chez les politiciens canadiens et qui porte sur la distinction entre la manière dont, traditionnellement, les Premières Nations et les Métis ont utilisé et occupé leur territoire et en ont assuré la gouvernance. L’ACM a appris que l’amendement que la sénatrice Mary Jane McCallum avait proposé au projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation, avait été rejeté. Cet amendement visait à modifier le préambule, qui dit que, depuis des temps immémoriaux, les Autochtones se sont épanouis sur leur territoire et en ont assuré la gestion et la gouvernance.
La sénatrice McCallum a voulu corriger une généralisation outrancière associée au mot « Autochtones » et le remplacer par l’expression « Premières Nations et Inuits », qui reflète mieux la réalité des trois groupes distincts généralement désignés par le générique « Autochtones ».
La teneur même du débat et le fait que le Sénat ait fini par rejeter cet amendement montrent que les politiciens canadiens connaissent mal l’histoire distincte des Premières Nations, des Inuits et des Métis. J’aimerais donc profiter de l’occasion pour remédier à la situation. Par respect pour la nature plurijuridique du Canada et les nombreux ordres de gouvernement qui le composent, j’invoquerai à la fois le droit des autochtones et le droit canadien pour étayer mon explication.
Avant l’arrivée des Européens, les Premières Nations étaient présentes depuis des temps immémoriaux sur le territoire qui porte désormais le nom de Canada, et elles disposaient de leurs propres lois et droits, qui leur étaient inspirés par le Créateur. Cette vérité trouve écho dans les histoires sacrées qui relatent la création des Premières Nations du Manitoba et du Canada en général. Ces histoires comptent de nombreuses versions, et chacune d’elles est vraie. Elles sont transmises de génération en génération par les aînés, qui nous enseignent qui nous sommes et qui comprennent le lien spirituel qui nous unit à la terre. Pour un exemple détaillé, je vous invite à lire D’Arcy Linklater et coll., Ka’esi Wahkotumahk Aski, Our Relations With The Land : Treaty Elders’ Teachings, Volume 2, dans lequel l’aîné anishinabe Ken Courchene explique les origines de l’île de la Tortue. Avec cette histoire sacrée, il confirme que les Anishinaabes ont reçu leurs terres et territoires traditionnels en cadeau de la part du Créateur.
L’aîné anishinaabe Donald Catcheway ajoute que le Créateur a d’abord placé les Anishinaabes sur leurs terres et leur en a ensuite confié le soin. Par conséquent, les Anishinaabes sont tenus de prendre soin de la terre, obligation qui est intimement liée à la capacité d’en tirer des enseignements et de jouir de ses fruits.
Plus récemment, les Premières Nations ont exercé leur propre souveraineté parallèlement à la souveraineté présumée de la Couronne par l’entremise de traités négociés et dans le respect de notre nation souveraine. Au contraire, les Métis, dont bon nombre sont nos proches, ont vu le jour seulement après l’arrivée des Européens. Cette distinction ne peut être effacée, car elle éclaire les droits et les obligations de nos peuples.
La Cour suprême du Canada l’a d’ailleurs confirmé dans l’arrêt R. c. Desautel :
[…] les peuples autochtones du Canada au sens du par. 35(1) sont les successeurs contemporains des sociétés autochtones qui ont occupé le territoire canadien au moment du contact avec les Européens […]
Dans ce même arrêt, la Cour confirmait qu’il y a une distinction entre les droits des Premières Nations garantis par l’article 35 et ceux des Métis, car « [l]es communautés métisses [ont] vu le jour après le contact entre d’autres peuples autochtones et européens […] » Elle revenait en outre sur l’opinion qu’elle avait exprimée dans l’arrêt R c. van der Peet :
La manière dont les droits ancestraux des peuples autochtones sont définis n’est pas nécessairement déterminante en ce qui concerne la manière dont sont définis ceux des Métis.
On peut aussi lire ceci dans l’arrêt R c. Powley…
(1520)
Son Honneur la Présidente intérimaire : Je regrette, sénatrice McPhedran, mais il y a un bruit étrange qui se fait entendre de temps à autre. Est-ce que je peux demander aux sénateurs de vérifier que leur téléphone est éteint? Les micros captent quelque chose et tout le monde peut l’entendre, surtout si c’est près d’un micro. Je vous remercie. Vous pouvez poursuivre, sénatrice McPhedran.
La sénatrice McPhedran : Je poursuis la lecture de ma lettre :
Cette approche concorde avec la décision subséquente de la Cour dans l’affaire R c. Desautel, qui reconnaît la distinction entre les droits des Premières Nations garantis par l’article 35 et ceux des Métis de par la manière dont, traditionnellement, ils ont utilisé et occupé leur territoire et en ont assuré la gouvernance. Le droit des Premières Nations et le droit canadien s’entendent là-dessus. Les Premières Nations vivent sur ces terres et en assurent la gouvernance depuis des temps immémoriaux, tandis que les Métis ont vu le jour après l’arrivée des Européens. Ignorer ce fait favorise les généralisations outrancières et insensibles et fait passer la langue inclusive avant la vérité. Cette façon de faire va à l’encontre des efforts de réconciliation déployés par votre gouvernement et l’affirmation de la Commission de vérité et réconciliation du Canada selon laquelle « sans vérité, justice et guérison, il ne peut y avoir de véritable réconciliation ».
Cordiales salutations,
La grande cheffe Kathy Merrick,
Assemblée des chefs du Manitoba
Honorables collègues, j’ai tenu compte de la position de l’Assemblée des chefs du Manitoba et je me suis laissé guider par la grande cheffe Merrick. Les sénateurs et les législateurs que nous sommes sont tout à fait conscients du pouvoir des mots et de la valeur de la clarté et de la précision.
On voit tout de suite que ce projet de loi poursuit des objectifs louables, mais il ne suffit pas de faire les choses convenablement. Nous sommes tous d’accord. Quand il est possible de rendre les choses plus claires, c’est tout le monde qui en sort gagnant et la loi qui en est renforcée. Aucune loi ne sera jamais parfaite, mais quand un remède tout simple s’offre à nous, nous devons agir.
Reconnaître cette distinction et rendre le texte plus précis ne nuira en rien aux objectifs poursuivis par cette mesure législative, à son contenu ou à son effet. L’amendement proposé rend plus précis les passages dénoncés par ceux-là mêmes qui sont concernés, mais qui ne peuvent faire entendre leurs voix en ces murs. Il donne suite aux réserves exprimées par nos collègues sénateurs et par l’assemblée des chefs de ma province, le Manitoba.
D’aucuns prétendent que le préambule n’a aucune importance, que sa portée est limitée et qu’il peut être considéré comme la simple expression des objectifs d’une loi. Or dans les faits, le préambule a son utilité et il peut servir à interpréter le corps même de la loi en cas d’ambiguïté.
Motion d’amendement
L’honorable Marilou McPhedran : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-29, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau au préambule, à la page 1, par substitution, aux lignes 2 et 3, de ce qui suit :
« que, depuis des temps immémoriaux, les Premières Nations et les Inuits — et, après les premiers contacts, les membres de la Nation métisse — se sont épanouis sur leur territoire et en ont as- ».
Merci, meegwetch.
Des voix : Bravo!
L’honorable Mary Jane McCallum : Honorables sénateurs, je souhaite donner mon appui à l’amendement proposé par la sénatrice McPhedran au projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation.
Chers collègues, l’expression « temps immémoriaux » se retrouve dans bon nombre de recherches, d’articles, de livres et de documents et elle est employée par les chefs, les aînés, les gardiens du savoir et les universitaires des Premières Nations. Dans la mentalité autochtone, il s’agit d’une façon d’honorer le lien qui nous unit au Créateur. Dans nos prières, nous disons d’ailleurs ceci en langue crie : kâkike, kâkike, ce qui veut dire « pour toujours et à jamais ». Cette formule nous rappelle que nous avons une responsabilité sacrée envers les sept générations qui nous ont précédés et que nos ancêtres ont eux aussi été précédés de sept générations. Elle nous rappelle en outre nos responsabilités à l’égard des générations à venir, y compris à l’égard des sept générations de mon petit-fils.
J’aimerais maintenant décortiquer l’expression « temps immémoriaux » selon la perspective crie. Dans l’ouvrage Untuwe Pi Kin He Who We Are: Treaty Elders’ Teachings Volume I, sur la nation Nisichawayasi Nehetho et la Kihche’otthasowewin, c’est-à-dire la Loi suprême du Créateur, l’aîné D’Arcy Linklater explique la Loi suprême du Créateur du point de vue des Nisichawayasi Nehetho. La Loi suprême est composée de 12 lois, dont la quatrième dit Aski Kanache Pumenikewin, ce qui signifie qu’une personne doit se conduire conformément à l’obligation sacrée de protéger N’tuskenan, c’est-à-dire la terre, la vie, le domicile et l’abri spirituel qui nous sont confiés par Kihche’manitou, pour nos enfants, michimahch’ohc. Il s’agit d’une autre forme de temps immémoriaux.
Honorables sénateurs, hier, j’ai pu discuter avec l’aînée Claudette Commanda au lancement du caucus des chiropraticiens autochtones. Dans ses prières, elle a rappelé que ses ancêtres de la Première Nation de Kitigan Zibi sont là depuis des temps immémoriaux et que leur territoire demeure non cédé encore à ce jour. Je parle du territoire où nous nous trouvons. Les connaissances qu’ont les Premières Nations de l’expression « temps immémoriaux » et de la notion des sept générations se limitent à l’île de la Tortue et au maintien du territoire intact.
J’attire votre attention sur le rapport Comment en sommes-nous arrivés là? Un regard franc et concis sur l’histoire de la relation entre les peuples autochtones et le Canada, publié en avril 2019 par le Comité sénatorial des peuples autochtones. Dans ce rapport se trouve la section « De nations souveraines à pupilles de l’État : L’histoire de la relation des Premières Nations avec la Couronne », qui contient elle-même une sous-section intitulée « Depuis la nuit des temps : La vie des Premières Nations avant l’arrivée des colons », dans laquelle on peut lire ceci :
Pendant des milliers d’années avant l’arrivée des Européens, les Premières Nations ont vécu sur leurs territoires traditionnels en comptant sur la terre et l’eau autour d’elles pour leur subsistance. Leur relation à la terre était une part centrale de leur identité, comme en témoigne la diversité de leurs cultures, de leurs lois, de leurs langues, de leurs modes de vie et de leurs formes de gouvernance d’un bout à l’autre de ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada
Et encore ceci :
Quand les nouveaux arrivants ont accosté dans l’Est du Canada, ils ont amené avec eux des idées sur la terre et les indigènes incarnées par le concept de terra nullius et la doctrine de la découverte […] Comme l’a expliqué l’aîné Fred Kelly, les Premières Nations faisaient partie […] de la terra nullius, « le territoire non occupé, que peut occuper celui qui le découvre, puisqu’il n’y a rien d’autre que des animaux »; cela permettait essentiellement aux découvreurs de faire fi de la présence des peuples autochtones vivant sur ce territoire. Dans le même ordre d’idées, selon la doctrine de la découverte, « la nation qui découvrait ces terres devenait immédiatement souveraine sur elles et obtenait tous les titres et les droits afférents ».
Au contraire, les Premières Nations dépendaient de la terre pour leur subsistance : elles pratiquaient la chasse, la pêche ou l’élevage pour nourrir leurs familles et leurs communautés. Pour les Cris, la terre « n’a rien à voir avec la propriété et l’argent ». Ils entretiennent plutôt une vision holistique de la terre, conformément au concept d’uski, qui « englobe tout ce qui est vivant, comme les animaux, les plantes, les arbres, les poissons, les rivières, les lacs et […] les rochers [et] inclut aussi le ciel ». Les Cris voient la terre comme une partie intégrante de leur culture, de leur langue et de leur identité, et comprennent que les êtres humains « ne constituent qu’une petite partie de notre environnement et [qu’ils] dépendent totalement de l’uski pour leur survie ».
(1530)
Sur le site Web du gouvernement du Canada, on peut lire, dans le Plan d’action de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, au chapitre 1, « Priorités partagées » :
En guise de note préliminaire à ce chapitre, le Canada reconnaît que la Loi sur la Déclaration des Nations Unies stipule que « les mesures visant la mise en œuvre de la Déclaration au Canada doivent tenir compte de la diversité des peuples autochtones et, en particulier, de la diversité des identités, cultures, langues, coutumes, pratiques, droits et traditions juridiques des Premières Nations, des Inuits et des Métis, de leurs institutions et systèmes de gouvernance, de leurs liens avec la terre et des savoirs autochtones ».
Le Canada reconnaît que, même si certaines priorités peuvent être communes aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, l’adoption d’une approche fondée sur les distinctions exige que les relations et l’engagement du Canada avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis comprennent des approches ou des actions différentes et aboutissent à des résultats différents.
Honorables sénateurs, sur le plan juridique, la notion de « temps immémoriaux » est issue de la common law anglaise, où elle désigne un concept juridique signifiant une période très ancienne pour laquelle il n’existe ni souvenir ni document prouvant une coutume, un droit ou une revendication.
Au Royaume‑Uni, une loi de l’an 1275 a déclaré que tout ce qui précède le règne du roi Richard Ier ou l’année 1189 constitue les temps immémoriaux.
Vous allez constater que les deux parties définissent l’expression différemment.
Chers collègues, une grande partie de l’information qu’il me reste à vous transmettre est tirée d’un livre publié par l’Université Thompson Rivers qui s’intitule Histories of Indigenous Peoples and Canada. Les auteurs écrivent :
Les Canadiens, y compris de nombreux Autochtones, en sont venus à comprendre que les histoires des Autochtones sont accessoires, limitées, sans importance, voire une impasse. Ce genre de raisonnement a permis aux autorités et aux citoyens canadiens de considérer les communautés autochtones comme étant « sans histoire », en ce sens qu’elles ne font pas partie de l’histoire. Or, aucun peuple ne faisant pas partie de l’histoire ne peut s’en tirer très bien [...] Nous — chacun de nous — sommes les Canadiens qui sont invités à participer au processus de vérité et de réconciliation. Certaines vérités sont inconnaissables, mais ce que nous pouvons savoir, les vérités que nous pouvons extraire du passé, sera essentiel pour le long et pénible parcours vers la réconciliation.
Une forme courante d’histoires au sein des diverses cultures est celle qui légitime le droit que revendique une société d’occuper son territoire [...] Pendant des millénaires, l’histoire autochtone s’est transmise de nombreuses façons...
— notamment oralement.
Privilégiant l’écrit, les historiens européens et eurocanadiens n’ont, pour la grande majorité, pas tenu compte de la tradition orale et l’ont parfois discréditée. En Nouvelle‑France, en Amérique du Nord britannique et au Canada, la stratégie colonialiste était plus subtile : elle niait tout simplement l’existence du passé historique [des Premières Nations]. Étant donné que les traces matérielles des Premières Nations dépendaient d’un interprète, ces compétences se sont raréfiées à mesure que les maladies exotiques, les guerres et la relocalisation ont rompu le lien entre le passé et ses héritiers, d’où l’importance de l’histoire transmise oralement.
Le livre poursuit en disant :
Une fouille archéologique universitaire systématique s’étant échelonnée des années 1880 aux années 1950 à Marpole Midden, un village et lieu de sépulture traditionnel d’une grande importance, porte à conclure que l’endroit était occupé il y a au moins 1 500 ans et aurait été abandonné au milieu des années 1700 [...] En 1948, le journal Ottawa Citizen avait jugé que, qui qu’elles eussent été, les personnes dont les restes gisent à Marpole Midden « [...] n’étaient certainement pas des Indiens ». Cette tendance à nier qu’une histoire précède la colonisation est perpétuée par la pratique de certains universitaires et commentateurs — toujours présents dans certains milieux aujourd’hui — qui consiste à qualifier de « préhistorique » la période antérieure à l’arrivée des Européens. Cette présumée absence [...] a permis aux nouveaux arrivants d’écrire leur propre histoire par-dessus les histoires autochtones [...] Au cours de la période de premiers contacts, les Européens transcrivaient parfois les voix autochtones, mais celles-ci sont toujours filtrées par l’optique des Européens sur ce qui est important et ce qu’ils ont compris des propos tenus par l’intervenant. Par exemple, il était plus probable qu’ils parlent de fourrures de castor dans leur journal que [...] des débats moraux des Cris et de la compréhension du passé selon les Ktunaxas.
Honorables sénateurs, en tant que champions éduqués et civilisés des personnes marginalisées, nous devons veiller à ne plus combiner les histoires des Premières Nations, des Métis et des Inuits en un mastodonte, et à ne plus adopter de projets de loi qui, une fois de plus, ne tiennent pas compte des histoires des Premières Nations.
Nous devons faire ce qui s’impose et continuer d’intégrer avec exactitude les Premières Nations dans l’histoire canadienne. Ce qui demeure problématique, c’est la constante utilisation du terme « Autochtone »; cela demeure une forme d’assimilation.
Chers collègues, lorsque Bruce Trigger a élargi les façons d’étudier l’histoire pour créer une approche aujourd’hui appelée l’ethnohistoire, il a réussi à transformer notre compréhension de l’histoire des Wendats avant, pendant et après le contact avec les Européens.
Au départ, les universitaires occidentaux étaient renversés que le savoir autochtone inclue des éléments qui remontent à des siècles. Par exemple :
De récentes preuves archéologiques confirment l’histoire du peuple des Heiltsuks, également connu sous le nom de Bella Bella, qui ont toujours insisté pour dire que leurs ancêtres directs ont vécu dans leur région pendant des millénaires, les preuves découvertes remontant à environ 14 000 ans.
On pourrait qualifier cette découverte de « justificatrice », mais elle a surtout servi de leçon. La société eurocanadienne, dans l’ensemble, met du temps à comprendre la force et la profondeur des connaissances historiques des Autochtones [...] Les sociétés autochtones parlent de gardiens du savoir, pas nécessairement de diffuseurs du savoir. Même s’ils n’ont aucune obligation de divulguer leurs connaissances historiques, les peuples autochtones ont tout de même le droit d’exiger que les études historiques reflètent la vérité [...]
— et en l’occurrence, que les projets de loi reflètent la vérité.
Honorables sénateurs, la modification du libellé proposée dans l’amendement vise à refléter la vérité et non à nier le statut et l’autorité des Métis. L’idée n’a jamais été de les exclure.
Mon intention, et l’intention de l’amendement que nous étudions, est de refléter l’histoire avec exactitude. Un tel amendement n’indique pas que les Métis sont moins importants. Le fait historique est qu’ils sont arrivés plus tard dans la société canadienne, puisque leurs origines biologiques sont partagées entre une femme des Premières Nations et un homme européen.
Honorables sénateurs, si nous refusons de refléter fidèlement l’histoire, alors nous facilitons une illusion préjudiciable de l’histoire du Canada qui finira par avoir des effets néfastes sur les droits, l’histoire et la culture des Premières Nations.
Nous devons être déterminés à accomplir notre travail de second examen objectif avec diligence, et notamment à faire en sorte que les projets de loi que nous adoptons sont fondamentalement exacts.
Dans le livre intitulé We All Go Back to the Land: The Who, Why, and How of Land Acknowledgements, l’auteure, Suzanne Keeptwo, déclare :
Bien que la reconnaissance du territoire soit perçue comme un phénomène relativement nouveau, elle incite les Canadiens ordinaires à s’imaginer un monde habité, un monde antérieur à l’établissement des Européens et qui ne ressemble à aucun autre [...]
(1540)
Son Honneur la Présidente : Je regrette, sénatrice McCallum, mais votre temps de parole est écoulé.
La sénatrice McCallum : Il m’en reste pour trois minutes.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, sénateurs?
Des voix : D’accord.
La sénatrice McCallum : Merci.
[…] à s’imaginer un monde habité, un monde antérieur à l’établissement des Européens et qui ne ressemble à aucun autre, et qui ne sera jamais plus le même. Les descendants de ce monde sont encore là et ils tentent encore d’être compris et de conserver le lien qui les unit à une terre qui a considérablement changé. Et oui, ce lien est typiquement perçu comme politique. Il constitue une réalité depuis maintenant des centaines d’années.
Chers collègues, je vous prie d’appuyer l’amendement réfléchi de la sénatrice McPhedran. Je vous remercie.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
L’Énoncé économique de l’automne 2023
Interpellation—Ajournement du débat
L’honorable Pierrette Ringuette conformément au préavis donné par la sénatrice LaBoucane-Benson le 22 novembre 2023 :
Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur l’Énoncé économique de l’automne 2023, déposé à la Chambre des communes le 21 novembre 2023 par la vice-première ministre et ministre des Finances, l’honorable Chrystia Freeland, c.p., députée, et au Sénat le 22 novembre 2023.
— Honorables sénateurs, je parlerai aujourd’hui de l’énoncé économique de l’automne, qui a été présenté la semaine dernière. Cet énoncé offre un peu de répit à de nombreux Canadiens et s’attaque à plusieurs dossiers économiques de l’heure, à commencer par les frais excessifs qu’exigent les entreprises de téléphonie cellulaire et les banques, un problème que je dénonce justement depuis des années.
En ce qui concerne le prix des logements, j’ai aussi souvent dénoncé auprès du Comité des banques la rigidité des règles hypothécaires imposées aux institutions financières par le Bureau du surintendant des institutions financières. Le gouvernement fédéral demande aujourd’hui aux institutions financières d’allonger les périodes d’amortissement offertes afin d’alléger la pression qu’exercent les taux d’intérêt élevés sur les propriétaires, du moins le temps que nous réussissions à réduire le taux d’inflation, même si la hausse du taux d’inflation est surtout due aux pétrolières, dont les profits ont doublé ces dernières années.
L’énoncé économique de l’automne aborde aussi la suspension temporaire, annoncée dernièrement, qui a été accordée au mazout domestique, ce qui me permet de tirer certaines choses au clair.
Chers collègues, depuis des années passent sous mes yeux des projets de loi budgétaires consacrant des milliards de dollars aux transports en commun dans les régions urbaines. Depuis 2015, le gouvernement a annoncé 13 milliards de dollars pour moderniser les réseaux urbains de transports en commun. Dans le plus récent budget, il en a annoncé 14,9 milliards de plus, ce qui nous mène à 27,9 milliards de dollars uniquement pour le transport en zone urbaine.
En voyant ces annonces et ces projets de loi budgétaires, je me demandais : « Ces mesures sont-elles justes pour les régions rurales du Canada? » Elles ne l’étaient pas, parce qu’il n’y a pas de transports en commun dans la plupart des régions rurales.
Pendant que je me demandais pourquoi le gouvernement affectait ces milliards de dollars aux transports en commun des villes, je n’ai rien dit. Et si je n’ai rien dit, c’est parce que, au bout du compte, les projets de réduction des émissions de carbone sont avantageux pour l’ensemble des Canadiens.
La semaine dernière, quand le gouvernement fédéral a annoncé qu’il accordait une suspension temporaire au mazout domestique utilisé dans les régions rurales, je me suis sentie plus encline à tolérer les milliards de dollars consacrés au transport urbain. Or, à ma grande surprise, que ce soit ici au Sénat ou ailleurs, de nombreux sénateurs provenant autant des régions rurales qu’urbaines du pays ont qualifié cette politique d’injuste. Quand on tient compte du portrait d’ensemble et des faits au lieu de se laisser porter par l’idéologie, les critiques visant les Canadiens de l’Atlantique ne tiennent pas la route. Mon cœur se mettait à battre la chamade chaque fois que j’entendais quelqu’un dénoncer cette mesure inédite permettant aux Canadiens des régions rurales de réduire leurs émissions de carbone.
Eh bien aujourd’hui, honorables collègues, j’ai fini de me taire. Aujourd’hui, je me porte à la défense des Canadiens des régions rurales. Aujourd’hui, j’entends défendre la région de l’Atlantique contre les opinions partiales qui font fi de tout l’argent que le gouvernement fédéral a consacré au transport urbain dans le but de réduire les émissions des grandes villes.
Je n’ai jamais entendu personne ici critiquer les investissements dans le transport urbain. Eh bien les critiques contre les Canadiens des régions rurales — de toutes les régions rurales, pas seulement du Canada atlantique —, à qui le gouvernement fédéral vient enfin d’offrir une pause leur permettant de mieux réduire leurs émissions, sont injustes. Les Canadiens des régions rurales qui ont un revenu moins élevé veulent quand même participer pleinement aux initiatives canadiennes et mondiales de réduction des émissions.
Voici les faits associés à la suspension de trois ans qui a été annoncée, faits que vous pourrez vérifier dans le document produit par le directeur parlementaire du budget le 17 novembre.
L’annonce en question comporte trois éléments. Premièrement, elle soustrait temporairement le mazout domestique à la tarification du carbone, et ce, pour l’ensemble des Canadiens. Deuxièmement, elle double pendant trois ans le remboursement sur le prix du carbone qui est accordé aux habitants des régions rurales du Canada. Troisièmement, elle bonifie de 5 000 $ le Programme pour la conversion abordable du mazout à la thermopompe, en partenariat avec les provinces qui le souhaitent, ce qui permettra aux propriétaires à faible revenu d’obtenir gratuitement une thermopompe moyenne et aux propriétaires en général de réduire leurs émissions et de profiter d’une baisse de leur facture de chauffage pouvant atteindre 2 500 $ par année. J’espère que ce troisième élément est clair pour tous.
Maintenant, passons à ce que cela signifie que de soustraire temporairement le mazout domestique de la tarification du carbone, et ce, pour la totalité des Canadiens, ce qui représente 1,1 million de maisons. Sur ces 1,1 million de maisons, 267 000 sont en Ontario, 287 000 dans l’Atlantique et le reste, soit 546 000, sont réparties dans les zones rurales de l’Ouest et du Nord du pays. Maintenez-vous qu’il s’agit d’un programme destiné uniquement au Canada atlantique?
(1550)
La suspension de trois ans, qui va des derniers mois de 2023 à la fin de l’exercice 2026-2027, devrait coûter 1,075 milliard de dollars. Je rappelle en outre que 26 % des ménages qui profiteront la suspension temporaire de la tarification du carbone sur le mazout temporaire utilisé dans les régions rurales proviennent du Canada atlantique, 24 % de l’Ontario et 50 % de l’Ouest. Ce sont les faits.
Maintenant que vous avez tous les faits sur le premier élément de cette annonce, passons au deuxième élément, à savoir le doublement du remboursement par province qui est offert aux Canadiens des régions rurales, et qui s’étendra sur sept ans, soit de 2024-2025 à 2030-2031.
Terre-Neuve recevra 161 millions de dollars de plus; la Nouvelle-Écosse, 189 millions; le Nouveau-Brunswick, 117 millions; l’Ontario, 1,005 milliard; le Manitoba, 243 millions; la Saskatchewan, 449 millions; et l’Alberta, 881 millions, pour un grand total de 2,97 milliards de dollars.
J’aimerais attirer votre attention sur un point, et je m’adresse plus particulièrement aux sénateurs Downe, Francis et MacAdam parce que, comme l’a rappelé le directeur parlementaire du budget, l’Île-du-Prince-Édouard ne recevra rien de plus parce qu’aux yeux de Statistique Canada, l’île tout entière est considérée comme une région cosmopolitaine; la province n’est pas considérée comme une région rurale. Il faudra s’y atteler et se mettre au travail pour l’Île-du-Prince-Édouard, chers collègues.
Le doublement du remboursement pour les régions rurales du Canada se répartira ainsi : 15,5 % pour le Canada atlantique, 33,8 % pour l’Ontario et 52,9 % pour le Manitoba, la Saskatchewan et l’Alberta, qui obtiennent la plus grosse part. Je répète, chers collègues : la part du Canada atlantique n’est que de 15,5 %.
Honorables sénateurs, maintenant que vous avez tous les faits sur l’annonce destinée aux Canadiens des régions rurales, ne voyez-vous pas que certains, y compris dans les médias, ont critiqué très injustement le Canada atlantique, ce qui est tout simplement inacceptable à mes yeux? Vous comprenez maintenant pourquoi je tiens à présenter les faits tels qu’ils sont au lieu de tomber dans les mythes politiques.
En tout et pour tout, les deux premières parties de l’annonce représentent un investissement de 4,04 milliards de dollars sur sept ans pour les régions rurales. Comparons cette somme aux 27,9 milliards pour les transports en commun des villes dont je parlais au début. C’est sans parler du fait que les usagers des transports en commun peuvent déduire le montant de leurs laissez-passer de leur revenu fiscal, alors que les habitants des régions rurales ont besoin d’une voiture, qu’ils doivent remplir d’essence, assurer et entretenir, pour aller au travail et qu’ils ne peuvent déduire aucune de ces dépenses de leur revenu. Vous comprenez maintenant pourquoi je ne peux plus demeurer silencieuse quand d’aucuns crient à l’injustice. Au moins tenez-vous-en aux faits.
Le Sénat exige que, personnellement et collectivement, nous poussions l’analyse un cran plus loin. J’ai toujours prôné la justice pour l’ensemble des Canadiens, mais désormais, quand j’entendrai des gens critiquer les Canadiens de l’Atlantique et des régions rurales sans avoir d’abord fait leurs recherches, je vais mettre mon pied à terre. Peut-être serai-je la seule à le faire, mais j’entends rétablir les faits et démolir les arguments sans fondement. Je vous remercie.
L’honorable Percy E. Downe : Merci de vos commentaires, sénatrice Ringuette, car ils sont toujours intéressants.
Vous m’avez pris par surprise quand je vous ai entendu dire que le gouvernement fédéral considère l’Île-du-Prince-Édouard comme une région « cosmopolitaine » — je crois que c’est l’adjectif que vous avez utilisé — et non rurale. Pourriez-vous nous en dire un peu plus? Qu’est-ce que cela signifie pour ma province en ce qui concerne l’initiative annoncée la semaine dernière?
Comme vous le savez, il n’y a pas de gaz naturel à l’Île-du-Prince-Édouard. Le pétrole et le propane y sont importés, et les frais de transport supplémentaires sont exorbitants. Je connais bien des gens dont la facture de mazout peut atteindre 800 $, voire 1 000 $ pour quatre semaines. Le gouvernement provincial a créé un programme qui permet aux ménages dont le revenu est inférieur à 75 000 $ d’obtenir gratuitement une thermopompe. Le gouvernement fédéral vient d’annoncer un autre programme, mais la province a déjà une bonne longueur d’avance pour l’utilisation des thermopompes, des panneaux solaires et autres équipements du genre.
Pouvez-vous nous en dire plus long sur l’Île-du-Prince-Édouard? Je vous remercie.
La sénatrice Ringuette : Dans le document que j’ai étudié, le directeur parlementaire du budget n’a assigné aucun montant à l’île pour le doublement du remboursement destiné aux régions rurales parce que, techniquement, aux yeux de Statistique Canada, la totalité de la province est une région métropolitaine. Voilà pourquoi j’ai tenu à alerter mes collègues de l’Île-du-Prince-Édouard, au cas où ils souhaiteraient pousser l’enquête plus loin. Si la situation doit être corrigée, corrigeons-la, parce qu’autrement, ce serait terriblement injuste.
L’endroit où je vis compte 15 000 habitants et il n’est pas considéré comme une région métropolitaine, mais rurale.
Son Honneur la Présidente : Votre temps de parole est écoulé, sénatrice. Demandez-vous plus de temps?
La sénatrice Ringuette : Cinq minutes de plus, je vous prie, sénateurs.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?
Des voix : D’accord.
L’honorable Jim Quinn : Merci de vos commentaires, sénatrice Ringuette. Je crois qu’il est temps que les Canadiens comprennent qu’il y a des gens qui se chauffent au mazout partout au pays. Je suis conscient de ce qu’il en coûte. Je vous remercie également d’avoir fondé votre analyse sur les faits.
Ma question va dans le même sens que celle du sénateur Downe, car je me vois maintenant dans l’obligation de remettre en question toute l’information qui nous est fournie, parce que si l’Île-du-Prince-Édouard est considérée comme une région métropolitaine, et comme une seule et même entité, je me dois de douter du jugement de ceux qui en sont arrivés à cette conclusion. Je me suis souvent rendu à l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai traversé l’île à vélo grâce à ses nombreuses pistes cyclables. La grande majorité du temps, soit on est entouré de fermes, soit on longe la mer. Summerside elle-même peut difficilement être qualifiée de zone métropolitaine.
Voilà qui me fait douter de la légitimité des observations du directeur parlementaire du budget ou de je ne sais qui d’autre, mais qui me fait aussi douter de la fiabilité du reste de l’analyse.
La sénatrice Ringuette : L’analyse du directeur parlementaire du budget est très rigoureuse. C’est purement pour des raisons d’ordre statistique qu’il a exclu l’Île-du-Prince-Édouard.
C’est la deuxième fois en six mois que je signale que Statistique Canada publie des données erronées au sujet des habitants de l’Île-du-Prince-Édouard. Nous devons unir nos forces, et les sénateurs de la province pourront compter sur moi pour tirer au clair toutes ces situations qui finissent par désavantager les habitants de l’île. C’est inexact. À mon avis, l’Île-du-Prince-Édouard n’est qu’un ensemble de collectivités rurales.
(1600)
[Français]
L’honorable Lucie Moncion : Sénatrice Ringuette, vous avez parlé d’un montant de 15 000 $; il y avait une mesure incitative de 10 000 $ du gouvernement fédéral qui a été augmentée de 5 000 $. Pour l’instant, le Nouveau-Brunswick est la seule province à avoir un programme de gratuité pour les thermopompes.
Vous avez également mentionné dans votre discours que d’autres provinces participeront probablement au projet — c’est à souhaiter, surtout en ce qui concerne l’Ontario, où il y a environ 200 000 familles qui utilisent encore le mazout. Il y avait des mesures incitatives pour les voitures électriques dans plusieurs provinces et ces sommes ont été retirées, notamment en Ontario, où il y avait un incitatif de 7 000 $. Êtes-vous au courant d’une information selon laquelle les provinces de l’Atlantique, par exemple l’Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve-et-Labrador et la Nouvelle-Écosse, auraient un programme comme celui du Nouveau-Brunswick pour bénéficier de cette fenêtre de trois ans pour apporter ce changement?
La sénatrice Ringuette : Non, je n’ai pas cette information. En fait, l’information la plus à jour est celle que je vous ai transmise. Pour le moment, le Nouveau-Brunswick est la seule province qui a conclu une entente avec le gouvernement fédéral pour aider les propriétaires résidentiels à installer des thermopompes.
Nous devons reconnaître que, dans l’ensemble du pays, on parle de 1,1 million de maisons dans les régions rurales qui devraient se prévaloir de ces thermopompes, parce que la fenêtre est de trois ans. Donc, on a mis tous les efforts nécessaires. Je suis agréablement surprise que le Nouveau-Brunswick ait déjà conclu une entente, et j’espère que toutes les autres provinces s’engageront dans une entente de la sorte. Il est facile de critiquer, de dire que le coût de la vie est difficile et de jeter le blâme sur le gouvernement fédéral, mais il est temps que les provinces se mettent à la tâche, elles aussi, si elles sont vraiment conscientes des difficultés. Merci.
(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice McCallum, appuyée par l’honorable sénatrice Mégie, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Femmes et de l’Égalité des genres.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je constate que cet article en est à son 15e jour et, avec le consentement du Sénat, j’aimerais proposer l’ajournement du débat.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(Le débat est ajourné.)
Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénatrice Hartling, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-232, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.
L’honorable David M. Arnot : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-232, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.
Chers collègues, je vous pose la question suivante : quel est l’un des plus grands échecs moraux du XXIe siècle? Ma réponse aujourd’hui est la crise des opioïdes. Je crois pouvoir prédire sans crainte de me tromper que, dans 50 ans, les Canadiens regarderont en arrière et se demanderont comment les législateurs et les décideurs ont pu être aussi aveugles. Comment ont-ils pu obstinément emprunter une voie qui, de toute évidence, menait à un cul-de-sac? Je félicite notre collègue, la sénatrice Boniface, d’avoir présenté ce projet de loi, car elle a fait valoir de façon succincte et convaincante qu’une crise nationale mérite une réponse nationale.
Fondamentalement, les répercussions de cette crise nationale sur le Canada sont claires. La guerre contre la drogue est perdue, et ce sont nos concitoyens canadiens qui en paient le prix.
Du 1erjanvier au 2 novembre de cette année, dans ma province, la Saskatchewan, le bureau du coroner a recensé 395 décès causés par une intoxication suspectée ou confirmée aux drogues. Plus de 90 % de ces décès étaient liés au fentanyl ou à des analogues du fentanyl. Comme c’est le cas dans la plupart des provinces, les coroners ne font enquête que dans des circonstances précises et à des endroits précis. De plus, ces données ne montrent pas le nombre de personnes qui ont heureusement été réanimées grâce à la naloxone ou qui ont dû faire appel à une ambulance pour se rendre à un service d’urgences ou à l’hôpital.
On rapporte qu’un seul cas de surdose peut coûter des centaines de milliers de dollars, voir encore plus : un long séjour dans une unité de soins intensifs à la suite d’une surdose peut coûter des millions de dollars. En outre, ces coûts n’indiquent pas quelles sont les conséquences sur les plans personnel, familial et communautaire des troubles liés à la consommation de substances et des décès attribuables à la toxicité des drogues. Ces répercussions se propagent et persistent.
D’ailleurs, c’est ce que les données tendent à démontrer. Par exemple, l’Enquête canadienne sur l’alcool et les drogues de 2019 — publiée à la fin de 2021 — a révélé que, en 2019, 4 % des Canadiens ont déclaré avoir consommé au moins une drogue illégale. D’autres recherches ont révélé qu’environ 3 % des Canadiens ont utilisé l’une des cinq drogues illégales, y compris la cocaïne, ou le crack; l’ecstasy; les amphétamines ou méthamphétamines; et les hallucinogènes. De plus, près de 18 % des Canadiens ont déclaré avoir utilisé une drogue illégale à un moment donné au cours de leur vie, les hallucinogènes étant la substance la plus utilisée. En 2019, 14 % des Canadiens ont déclaré avoir été lésés au cours de la dernière année, en raison de la consommation d’alcool de quelqu’un d’autre, et 2 % des Canadiens ont déclaré avoir été lésés en raison de la consommation de drogues de quelqu’un d’autre.
Bien que la consommation de drogues illégales ne fait absolument aucune distinction quant aux personnes qu’elle affecte, certains groupes dans notre pays sont touchés de manière disproportionnée à cause de la criminalisation de la consommation de drogues illégales. Plus tôt cette année, je me suis entretenu avec deux jeunes médecins — le Dr Shayan Shirazi et le Dr Ryan Krochak — qui étudient tous les deux à l’Université de la Saskatchewan. Ils m’ont expliqué que les peuples autochtones qui vivent avec les traumatismes qui découlent de la colonisation sont plus vulnérables aux troubles liés à la consommation de substances.
La simple possession de drogues a conduit à une surveillance policière excessive et à des taux d’incarcération excessifs des peuples autochtones. Plus de 30 % de la population carcérale fédérale canadienne composée d’Autochtones, alors que ceux-ci ne représentent qu’environ 5 % de la population canadienne. En 2003, la Fondation autochtone de guérison signalait que :
[...] le système des pensionnats a contribué au principal facteur de risque en cause, l’abus de substances, mais également à des facteurs dont le lien avec l’abus d’alcool a été démontré, comme les abus physiques, émotionnels et sexuels subis par les enfants et les adultes, les problèmes de santé mentale et les familles dysfonctionnelles. L’impact des pensionnats peut également être lié aux facteurs liés à des troubles de la grossesse chez les femmes qui abusent de l’alcool, comme un mauvais état de santé général, un faible niveau d’éducation et une pauvreté chronique.
Je remercie les sénatrices Boniface et Pate de s’être penchées sur ces conséquences à long terme et sur l’incarcération disproportionnée des peuples autochtones, en particulier des femmes.
Cette année, j’ai communiqué avec deux femmes de ma province, la Saskatchewan. Ces femmes, toutes deux mères, partagent un lien forgé dans la tragédie. Elles ont toutes les deux perdu leur fils à cause de drogues contaminées. Marie Agioritis a perdu son fils, Kelly Best, en 2015 parce qu’il avait pris un comprimé contrefait d’OxyContin contenant du fentanyl. Kelly a été décrit comme quelqu’un dont la vie était remplie « de plaisir, d’amour, de rires, de projets, de rêves, d’amis et de famille ». Il voulait devenir électricien. Kelly n’avait que 19 ans à son décès. Mme Agioritis m’a dit qu’en temps de guerre, les gardiens de la paix ont pour premier objectif de s’occuper des traumatismes. Elle m’a aussi dit qu’il y a trop de belles paroles et pas assez d’action. L’une des expressions douloureuses qu’elle entend trop souvent quand il est question de problèmes de toxicomanie, c’est la vieille rengaine qui dit qu’« à jouer avec le feu, on finit par se brûler ».
(1610)
On me dit que les jeunes d’aujourd’hui n’y croient pas et qu’ils ont un point de vue différent. Je crois que les jeunes sont porteurs d’espoir, mais ils sont aussi un public cible idéal pour une stratégie nationale de sensibilisation fondée sur des données probantes, et non sur une opinion publique mal informée ou biaisée par l’idéologie selon laquelle « à jouer avec le feu, on finit par se brûler ».
Comme Mme Agioritis, Jenny Churchill milite sans relâche en faveur de la sensibilisation du public, de meilleurs moyens de soutien et d’une conception médicale des troubles liés à la consommation de substances. Le fils de Mme Churchill, Jordan, est mort en 2018 d’une surdose de fentanyl.
Selon elle, une stratégie nationale devra, pour réussir, répondre avant tout aux besoins de trois groupes de Canadiens : les personnes qui ont des troubles liés à la consommation de substances, celles qui consomment des substances à des fins récréatives et les jeunes.
Marie et Jenny sont toutes deux membres du groupe Moms Stop the Harm, un réseau pancanadien de mères et de familles qui plaident en faveur d’un traitement fondé sur des données probantes et d’un changement de politique. Elles veulent des politiques et une stratégie nationale qui permettraient trois choses : premièrement, sauver des vies; deuxièmement, réduire les coûts des soins de santé; et troisièmement, réduire les comportements criminels dans les rues.
Un projet de recherche mené en partenariat avec Moms Stop the Harm a révélé que plus de 19 355 Canadiens sont morts d’une surdose d’opiacés de janvier 2016 à septembre 2020. Un élément particulier de cette recherche, c’est que les participants sont des personnes ayant perdu un être cher à la suite d’une overdose d’opiacés, principalement des mères, dont près de la moitié ont été stigmatisées ou jugées par leur entourage après le décès de leur proche.
La décriminalisation n’est pas une panacée pour ce type de douleur ni pour l’approvisionnement en médicaments, lesquels sont de plus en plus frelatés et contaminés par le fentanyl et ses analogues.
La décriminalisation permet à un individu — une personne, un citoyen canadien — qui consomme des drogues illégales ou qui est susceptible d’en être dépendant d’être considéré d’abord comme un individu, une personne et un citoyen canadien.
L’État canadien a tout intérêt à veiller à la santé et au bien-être de tous ses citoyens. Le gouvernement fédéral a un devoir et une obligation morale envers chacun de ses citoyens. Ceci est évident lorsque les organismes gouvernementaux travaillent dur pour rapatrier les Canadiens coincés à l’étranger à cause d’une pandémie mondiale, d’un conflit ou d’une guerre.
De l’avis de la plupart, la guerre contre la drogue est soit un échec lamentable, soit une bataille perdue d’avance. Nous perdons cette bataille parce que la guerre contre la drogue est le plus souvent menée contre des gens dont la vie est en jeu. Selon les conclusions d’une étude récente de Scher et coll., « [...] les lois sur les drogues du Canada peuvent façonner la manière de percevoir les gens qui consomment des drogues [...] », avec pour résultat que « [...] les gens qui consomment des drogues subissent des préjugés structurels, sociaux et intériorisés ».
Comme l’a indiqué le Dr Harry Rakowski, cardiologue principal du centre de cardiologie Peter Munk et professeur de la Faculté de médecine de l’Université de Toronto : « Nous perdons toujours la guerre contre la drogue parce que nous nous battons contre le mauvais ennemi. » Selon lui, le Canada doit s’attaquer aux antécédents problématiques, aux préjudices, aux traumatismes et aux causes profondes. Je conviens que c’est une étape nécessaire. Cependant, sans conversation ni stratégie nationale, nous ne pourrons ni lutter contre les causes profondes ni répondre aux préoccupations des gens qui prônent le maintien de la criminalisation, y compris en ce qui concerne la hausse de la consommation de drogues, les effets sur la sécurité publique, sur les jeunes et sur les relations internationales, ainsi que les infrastructures de traitement limitées.
C’est un truisme de dire que le système de justice est foncièrement réactif et qu’il n’est que rarement proactif. Je crois que le projet de loi S-232 permettra de créer une stratégie nationale pour la décriminalisation des substances illégales et donnera l’occasion d’agir de façon proactive pour freiner les préjudices causés par les politiques inefficaces en ce qui a trait aux drogues.
Le Dr Shirazi et le Dr Krochak m’ont fourni un dossier bien documenté dans lequel ils déclarent :
La crise de la toxicité des drogues au Canada est un problème complexe auquel il n’existe pas de solution unique ou immédiate. Cependant, il est bien établi que les troubles liés à la toxicomanie relèvent de la médecine et non de la criminalité. Le Canada ne se sortira pas de la crise de la toxicité des drogues en procédant à des arrestations. En fin de compte, la décriminalisation est une politique qui permettra d’économiser l’argent des contribuables, de lutter contre la crise de la toxicité des drogues et, surtout, de sauver des vies.
Les experts ont toutefois clairement indiqué que la décriminalisation n’est pas une panacée, mais qu’elle peut être une étape nécessaire. Ce projet de loi constitue une étape importante et nécessaire dans la recherche de solutions. Il reconnaît que les troubles liés à la toxicomanie relèvent de la santé publique et non de la justice pénale.
Le Canada a l’obligation morale d’aider ses citoyens et notre société par la voie de la législation et du droit, y compris en ce qui concerne les infractions à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Il y a cinq ans, l’Association canadienne des chefs de police a publié une déclaration appuyant :
[...] des stratégies de décriminalisation comme l’augmentation des possibilités de déjudiciarisation, les sanctions alternatives et les partenariats dans le domaine de la santé, tout en explorant l’évolution des techniques de réduction des méfaits comme l’approvisionnement sûr et les centres de consommation de drogue supervisés.
Le débat national proposé par le projet de loi S-232 doit tenir compte des recherches et des données qui montrent que la décriminalisation est un moyen de réduire les méfaits et, par conséquent, de favoriser des résultats positifs en matière de santé.
La Dre Rebecca Seliga, qui fait partie du Département de médecine d’urgence de l’Université d’Ottawa, l’a résumé dans ces mots :
Même si certains peuvent faire valoir que la décriminalisation n’est qu’un mot à la mode, nous savons déjà que sa contrepartie, la criminalisation, ne fonctionne pas.
Chers collègues, il est temps de lancer cette conversation avec sérieux; il est temps d’établir une approche nationale pour contrer une crise nationale. J’appuie le projet de loi S-232 et j’espère qu’il sera renvoyé au comité dès que possible.
[Français]
L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Je prends la parole aujourd’hui en tant que porte-parole du projet de loi S-232, intitulé Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence, proposé par l’honorable Gwen Boniface.
Chers collègues, le projet de loi S-232 traite d’un enjeu de santé publique alarmant et préoccupant dans notre pays. La consommation de drogue ne cesse de tuer chaque jour de nombreux Canadiens et d’affecter la santé de milliers d’autres. Parmi les substances psychoactives les plus meurtrières, on trouve les fameux analgésiques opioïdes, comme l’héroïne et le fentanyl.
Selon l’Enquête canadienne sur l’alcool et les drogues (ECAD), 4,4 millions de Canadiens âgés de 15 ans et plus ont déclaré avoir fait usage d’analgésiques opioïdes au cours de l’année 2019, ce qui représente une hausse de 12 % par rapport à 2017. Parmi ces 4,4 millions de personnes, 269 000 ont déclaré en faire un usage problématique. D’après le gouvernement du Canada, il y a eu 3 556 décès attribuables aux opioïdes de janvier à juin 2022, soit une moyenne de 20 décès par jour. Soixante-seize pour cent de ces décès ont été provoqués par une surdose de fentanyl.
Bien que la crise des opioïdes sévisse au Canada, il ne faut pas négliger l’impact des autres catégories de drogues illégales qui touchent de nombreux Canadiens. Selon l’ECAD, en 2019, 1,1 million de Canadiens ont déclaré avoir consommé une des six catégories de drogues suivantes : cocaïne et crack, amphétamines et méthamphétamines, ecstasy, hallucinogènes, héroïne et salvia. Au Québec, entre janvier et avril 2022, ces dernières drogues ont tué sept fois plus de consommateurs que le fentanyl.
(1620)
La consommation de drogue ne fait pas que des morts. Elle a aussi des répercussions considérables sur la vie et la santé de ceux qui la consomment. En plus de détériorer la santé mentale et physique, la consommation de drogue peut insidieusement compromettre la vie sociale, professionnelle, amoureuse et économique des consommateurs. Certains d’entre eux perdent totalement le contrôle de leur vie et se retrouvent tristement dans une situation d’itinérance. En 2019, plus d’un million de Canadiens ont déclaré que les drogues avaient eu un impact négatif sur leur propre vie.
L’usage de ces drogues a également un impact sur le taux de criminalité lié à la violence familiale, au même titre que le vol et les agressions sexuelles. Honorables sénateurs et sénatrices, la consommation de drogue constitue un réel problème de santé publique au Canada, qui mérite que nous nous y attardions davantage pour trouver des solutions constructives dans le but d’aider les consommateurs qui sont aux prises avec ces drogues dures et de lutter efficacement contre les trafiquants, qui exploitent la détresse humaine à des fins lucratives et doivent être tenus responsables de toutes ces pertes de vies.
Au Canada, il faudra peut-être considérer la vente de drogues mortelles comme un meurtre prémédité. Le projet de loi S-232 est une réponse législative au problème de toxicomanie que je viens de décrire; d’après sa porte-parole, il a deux objectifs.
Le premier objectif est d’obliger le gouvernement fédéral à consulter les provinces et les territoires afin de présenter au Parlement une stratégie nationale de décriminalisation de toutes les drogues. Le deuxième est de modifier la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, afin d’abroger les dispositions qui prévoient que la possession de certaines substances constitue une infraction; autrement dit, on parle de la décriminalisation d’un point de vue purement juridique.
Selon moi, il manque un troisième objectif au projet de loi S-232 : obliger le gouvernement à se doter au préalable d’une véritable stratégie en matière de santé publique prévoyant la désintoxication avant la décriminalisation.
Bien que je salue le travail pertinent de la sénatrice Boniface ainsi que les objectifs louables de son projet de loi, je considère que l’approche de la décriminalisation pure et simple des drogues est prématurée et qu’elle ne s’attaque que partiellement au problème.
Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture, la sénatrice a indiqué que la partie du projet de loi qui vise la décriminalisation totale de la possession simple par l’abrogation des articles de loi sur les drogues se ferait par un décret fixé par le gouverneur en conseil, et selon ses souhaits, après l’achèvement de la stratégie qui serait mise en place, advenant l’adoption de ce projet de loi.
En matière de santé publique, il est rare qu’on veuille décriminaliser quoi que ce soit en se disant qu’on verra après. Voilà la stratégie de ce gouvernement. La décriminalisation, pour le gouvernement Trudeau, ce n’est pas une stratégie de santé publique; c’est un dogme.
L’approche que préconise la sénatrice est certes prudente. Cependant, j’aimerais faire une importante mise en garde sur ce point : rien dans le projet de loi ne prévoit que l’élaboration de cette stratégie, qui se veut complète et qui tient compte des enjeux et perspectives, doit être mise en place et analysée prioritairement avant d’envisager la possibilité de décriminaliser toutes les drogues.
Selon moi, il est prématuré et même dangereux d’envisager l’adoption d’un projet de loi qui propose d’abroger des articles de loi criminalisant la possession simple de drogue à ce stade du processus, alors qu’aucune stratégie complète n’a été mise en œuvre, ce qui pourrait éventuellement prendre des années avant de se faire.
Il s’agit d’un point important, chers collègues, car le projet de loi que nous étudions ne fixe aucunement de cadre législatif pour la décriminalisation des drogues. De ce fait, toute possession simple de toute drogue illicite dans un but de consommation personnelle ne sera plus considérée comme criminelle, et ce, peu importe la nature de la substance et la quantité possédée.
Il est important de rappeler que le but du projet de loi est de prévenir les décès causés par une surdose de drogue, attribuables en grande partie à un approvisionnement de mauvaise qualité qui est extrêmement dangereux.
Les gens consomment des drogues illicites sans en connaître la composition ni la provenance. Toutes sortes de substances nocives et mortelles, particulièrement des opioïdes de type fentanyl ou analogues au fentanyl, peuvent s’y retrouver, souvent à l’insu du consommateur. C’est notamment le cas du crack.
Pour montrer la dangerosité du projet de loi S-232 et le faux sentiment de sécurité qu’il risque de susciter chez les consommateurs et au sein de la population en général, j’aimerais vous faire part d’un triste événement survenu récemment à Laval, vendredi dernier.
Il s’agit du meurtre de Mme Mireille Martin, âgée de 61 ans. J’aimerais profiter de l’occasion pour offrir mes plus sincères condoléances à sa famille, ainsi qu’à ses proches. Mireille Martin vivait paisiblement dans un édifice à appartements à proximité de son neveu, Jérôme Frigault, un jeune homme dans la trentaine et sans histoire. Selon son meilleur ami, Jérôme consommait régulièrement des comprimés de méthamphétamine, communément appelés « speed ». Jeudi dernier en fin de soirée, les policiers de Laval se sont rendus à l’adresse de la dame après avoir reçu une plainte pour tapage excessif dans son appartement. Ils sont repartis sans poser d’actions. Deux heures plus tard, Mireille est sortie de son appartement, ensanglantée, et est morte sur le trottoir. Son neveu, en état de psychose, venait de la poignarder à mort.
Voilà une victime de plus, un féminicide de plus. À ce jour, au Québec, 2023 aura été une année record pour ce genre de décès à la suite d’un acte criminel. Est-ce que ce meurtre était évitable? Possiblement, compte tenu du fait que les policiers qui se sont présentés sur les lieux du drame, deux heures avant la tragédie, auraient constaté des signes d’agitation psychotique chez le meurtrier. Pourquoi ne pas l’avoir conduit à l’extérieur du logement ou à l’hôpital, le temps qu’il se calme? Sans doute, du moins je le souhaite, que l’enquête fera la lumière sur cet horrible drame.
Il s’agit là d’un exemple probant de la raison pour laquelle je crains la décriminalisation de toutes les drogues, surtout les plus mortelles. Ce projet de loi est porteur d’un faux sentiment de sécurité pour les consommateurs et pour les politiciens. De plus, il ouvre toute grande la porte aux trafiquants.
Il est d’autant plus inquiétant de constater que plus les drogues sont mortelles, plus les quantités consommées sont moindres; la plupart du temps, il est difficile de prouver que la quantité de drogue saisie avait pour but d’en faire le trafic.
J’aimerais vous donner un autre exemple qui montre que la décriminalisation des drogues dangereuses est un message de banalisation chez les jeunes. Dans le quotidien La Presse d’aujourd’hui, on apprenait que l’utilisation de vapoteuses illégales remplies de cannabis a explosé en quatre ans chez les adolescents québécois qui consomment cette substance. Cette année, ils ont été trois fois plus nombreux qu’en 2019 à employer cette méthode de consommation qui, selon les médecins, augmenterait les risques de dépendance et de troubles de santé mentale.
Cette année, parmi les quelque 24 000 adolescents qui ont répondu à un sondage, 12 % ont dit utiliser du cannabis, contre 15 % en 2019. Par ailleurs, 66 % ont dit vapoter du cannabis alors qu’en 2019, le pourcentage était de 20 %. Les adolescents se procurent des vapoteuses de cannabis sur le marché noir, car leur vente est interdite au Québec, même pour les adultes.
Certains dispositifs sont rechargeables, alors que d’autres, qu’on appelle wax pen, sont jetables. Certaines écoles rapportent que les étudiants s’évanouissent après en avoir utilisé. Dans les faits, les liquides pour vapoteuses que consomment les jeunes peuvent contenir jusqu’à 90 % de THC, alors que les produits vendus à la Société québécoise du cannabis en contiennent un maximum de 30 %.
Cette décriminalisation souhaitée, sans discernement quant aux dangers mortels, aboutira sans doute au même résultat que la légalisation du cannabis, alors que le marché illégal contrôle 50 % des ventes encore aujourd’hui. Ce sont donc 50 % des consommateurs qui achètent du cannabis sans faire de contrôle de qualité, sans contrôler sa provenance.
(1630)
Cette décriminalisation tant souhaitée aura peu d’effets sur le nombre de morts et sur le trafic des drogues mortelles, parce que, depuis huit ans, le gouvernement fédéral n’a adopté aucune stratégie pour guider les consommateurs vers les services de santé publique qui s’occupent de la désintoxication, comme l’a fait le Portugal en adoptant une stratégie en matière de désintoxication avant la décriminalisation. La stratégie adoptée au Portugal est un succès. Il est tout à fait irresponsable de faire l’inverse en croyant que nous arriverons aux mêmes résultats.
Le projet de loi S-232 est plutôt une vision simpliste et, surtout, dangereuse du marché illégal des drogues au Canada. Nous avons la responsabilité de faire mieux. Nous avons surtout l’obligation de ne pas empirer la situation en mettant davantage de vies en danger.
Le projet de loi S-232 ne traite nullement de la question des mineurs. Je vous rappelle que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et le Code criminel s’appliquent à toute personne de 12 ans et plus, et que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents ne prévoit pas de disposition spécifique criminalisant la possession de stupéfiants. Sans précisions importantes, le projet de loi S-232 aura pour conséquence de permettre aux adolescents de détenir tout type de substance psychoactive dans des quantités non définies, et ce, sans donner de pouvoirs aux policiers ou aux autorités judiciaires pour empêcher ou dissuader les adolescents d’en consommer. Il ne faudrait donc pas négliger cet aspect important afin d’éviter tout effet contre-productif à l’objectif souhaité par la sénatrice Boniface.
Honorables sénateurs et sénatrices, je vais citer un autre passage du projet de loi S-232, mais, auparavant, j’aimerais souligner que je suis opposé au principe même de ce projet de loi.
Selon moi, la décriminalisation de toutes les drogues est contraire à l’équilibre entre la problématique de la toxicomanie et les objectifs de justice criminelle.
Parlons maintenant de la façon dont le système de justice a déjà déjudiciarisé la possession de drogue depuis 10 ans.
Actuellement, notre système de justice tend à s’adapter de plus en plus à la question de la toxicomanie. Vous vous souviendrez que le projet de loi C-5, que nous avons adopté le 17 novembre 2022, prévoit des mesures de déjudiciarisation pour possession simple de drogue dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
Trois des nouveaux alinéas qui sont entrés en vigueur avec l’adoption du projet de loi C-5 disent ceci :
c) l’infliction de sanctions pénales pour la possession de drogues à des fins de consommation personnelle peut accroître la stigmatisation liée à la consommation de drogues et est incompatible avec les données probantes établies en matière de santé publique;
d) les interventions doivent cibler les causes profondes de la consommation problématique de substances, notamment en favorisant des mesures comme l’éducation, le traitement, le suivi, la réadaptation et la réintégration sociale;
e) l’utilisation de ressources judiciaires est plus indiquée dans le cas des infractions qui présentent un risque pour la sécurité publique.
Je rappelle également qu’il existe déjà, dans le Code criminel et dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, des dispositions octroyant un pouvoir discrétionnaire au système de justice pour reporter la peine dans le cas d’une personne reconnue coupable d’une infraction, afin qu’elle puisse participer à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie. En cas de réussite de ce programme, la peine infligée peut être réduite. De plus, si une peine minimale d’emprisonnement est prévue pour l’infraction commise, le tribunal ne sera pas tenu de l’imposer.
J’aimerais d’ailleurs citer le paragraphe 4 de l’article 10 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, qui dit ceci :
(4) Le tribunal qui détermine la peine à infliger à une personne condamnée pour une infraction prévue par la présente partie peut reporter la détermination de la peine :
a) afin de permettre à la personne de participer à un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie approuvé par le procureur général;
b) afin de permettre à la personne de participer à un programme conformément au paragraphe 720(2) du Code criminel.
Enfin, le Guide du Service des poursuites pénales du Canada comporte déjà certaines directives visant à traiter du problème des surdoses d’opioïdes. Voici l’une de ces directives :
La ligne directrice vise à éviter l’incarcération de courte durée pour violation des conditions de mise en liberté sous caution par des accusés présentant un trouble lié à l’utilisation de substance. Cette ligne directrice a été créée afin de répondre à l’épidémie de surdoses d’opioïdes en mettant l’accent sur le risque de surdoses liées aux opioïdes chez les personnes souffrant d’une dépendance.
Les exemples que je viens de citer montrent le pragmatisme dont fait preuve actuellement le système de justice canadien. L’équilibre qu’il tente subtilement de trouver au fil des années entre le problème de la toxicomanie et les objectifs de la justice criminelle montre une volonté de s’adapter aux situations de dépendance que vivent les consommateurs de drogue. Selon moi, il n’est pas pertinent d’enlever au système de justice le rôle important qu’il joue et de traiter le problème de la toxicomanie comme un problème de santé publique. Dans les faits, ce projet de loi a presque une décennie de retard sur l’appareil judiciaire canadien.
Par ailleurs, honorables sénateurs, il existe déjà des exemptions possibles à la loi actuelle. En effet, ces exemptions permettent au ministre de la Santé de cibler les cas et les conditions dans lesquels la possession de stupéfiants pour usage personnel peut être acceptable dans notre société. Ces exemptions permettent de garder un certain contrôle, avec une possibilité de prévoir des balises pour la possession de drogue, tout en reconnaissant les besoins et en autorisant des outils et des moyens pour réduire les méfaits de la toxicomanie chez certaines personnes, par exemple, en mettant en place des centres d’injection supervisée.
Ces centres d’injection existent presque partout dans les grandes villes canadiennes. Des personnes peuvent s’y présenter pour consommer des stupéfiants. Ces centres leur fournissent un lieu salubre, avec du matériel de consommation stérile, où des professionnels de la santé sont présents et peuvent réagir en cas de situations urgentes.
L’exemption prévue à l’article 56 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances permet au personnel de ces centres de posséder de petites quantités de drogues contrôlées dans le cadre de leurs activités professionnelles. Des analyses pour tester la composition d’une drogue peuvent également être faites avant qu’un usager du centre la consomme, ce qui permet ainsi d’éviter des décès accidentels en raison de présence de substances indésirables. Il est également possible d’avoir des ordonnances médicales pour la consommation de substances contrôlées sous supervision médicale, en vertu de cette exemption à la loi.
C’est d’ailleurs la démarche qu’a entreprise la Colombie-Britannique, qui a demandé et obtenu une exemption afin de pouvoir expérimenter une décriminalisation des drogues à l’échelle de la province, qui sera valide jusqu’au 31 janvier 2026.
La Colombie-Britannique est actuellement durement touchée par des surdoses mortelles d’opioïdes. Grâce à cette exemption, en Colombie-Britannique, tout adulte pourrait détenir 2,5 grammes de drogues illégales de quatre types, soit les opioïdes, la cocaïne, la méthamphétamine et la MDMA. De plus, cette exemption ne s’appliquera pas dans certains lieux, comme les écoles primaires et secondaires, les garderies, les aéroports et à bord des navires et des hélicoptères de la Garde côtière canadienne.
Honorables sénateurs et sénatrices, étant donné que les exemptions existent déjà dans la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et que le système de justice s’adapte d’année en année au problème de la toxicomanie, je ne considère pas qu’il serait pertinent et responsable d’évacuer cette problématique du système judiciaire.
Je suis d’accord avec la sénatrice Boniface pour dire qu’il faut mettre en place une stratégie nationale visant à offrir de meilleurs services sociaux, un accompagnement et un soutien accru aux consommateurs, et que des traitements médicaux devraient leur être proposés.
La décriminalisation ne pourra jamais être la solution ultime au problème de la toxicomanie, pour les raisons que j’ai invoquées précédemment.
Selon mon analyse, le projet de loi S-232 dans sa forme actuelle est une réponse trop simple à une situation problématique très complexe.
Il exclut principalement, ce qui est plus important encore, l’adoption d’une réelle stratégie en matière de santé publique liée à la lutte contre la toxicomanie. Ce projet de loi risque d’engendrer d’autres problèmes encore plus grands si une stratégie complète n’est pas mise au point avant de penser à décriminaliser des drogues.
Cette décriminalisation devrait se faire seulement si elle est réellement une solution souhaitable, après avoir mené des études et des analyses complètes, ce qui n’est pas encore le cas.
Espérons que nous aurons l’occasion de traiter de ces enjeux prochainement en comité. Merci beaucoup.
(1640)
[Traduction]
L’honorable Gwen Boniface : Le sénateur Boisvenu accepterait-il de répondre à une question?
[Français]
Son Honneur la Présidente : Sénateur Boisvenu, accepteriez-vous de répondre à une question?
Le sénateur Boisvenu : Absolument.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : D’abord, je vous remercie sincèrement de votre discours. Je salue également la fougue dont vous faites preuve pour faire avancer des dossiers concernant le système de justice pénale.
Je tiens à parler du rapport de l’Association canadienne des chefs de police, notamment parce que je pense que nos points de vue sont plus semblables qu’opposés. Dans ce rapport, sur lequel s’appuie le projet de loi, on peut lire ce qui suit :
Dans le contexte canadien, il sera essentiel que les centres de traitement soient établis et opérationnels avant la décriminalisation et qu’ils aient la capacité d’accueillir les personnes redirigées par la police.
Par conséquent, l’objectif du projet de loi — ce sera peut-être l’aspect important de l’étude du comité — est de garantir qu’une stratégie, les leçons qui en ont été tirées et les systèmes sont en place pour mieux soutenir les personnes qui vivent des problèmes de toxicomanie.
Si j’ai bien compris votre discours — je veux être sûre d’être claire —, vous êtes conscient de l’importance de mettre en place ces systèmes avant de passer à la décriminalisation, ce qui est l’objet du projet de loi.
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Oui, effectivement.
Depuis la légalisation de la marijuana en 2016, j’ai examiné ce qui se faisait dans plusieurs pays sur le plan de la décriminalisation, au-delà de la marijuana. Certains États américains ont aussi décriminalisé ou déjudiciarisé certaines drogues, et aucun ne l’a fait sans que la déjudiciarisation repose sur une stratégie nationale de santé publique ayant trait à la désintoxication.
Dans le fond, ce que l’on offre aux consommateurs dans ces États, c’est d’abord une approche en matière de santé, puis une approche judiciaire. Cependant, ici, on fait le contraire : on dit qu’on va déjudiciariser, et on verra après pour ce qui est d’adopter une politique de santé publique.
Mon problème, c’est que je crois qu’il y a un risque. Je ne crois pas que ce gouvernement, si ce projet de loi est adopté cet automne ou au printemps prochain, adoptera cette stratégie dans les deux ou trois prochaines années. Je ne peux pas voir comment il le pourrait. Quand je constate que le gouvernement n’a pas bougé sur les autres grands dossiers, comme la violence conjugale et la violence sexuelle... Il s’agit pourtant de grands enjeux nationaux. Donc, personnellement, je fais un plus un égale deux.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Puis-je poser une question complémentaire?
[Français]
Son Honneur la Présidente : Accepteriez-vous de répondre à une question complémentaire, sénateur Boisvenu?
Le sénateur Boisvenu : Oui.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Êtes-vous d’accord avec moi, sénateur Boisvenu, pour dire que c’est exactement la question sur laquelle un comité devrait se pencher? Je pense que nous partageons le même point de vue sur l’élaboration d’une telle stratégie, et si le comité examinait la question sous cet angle, je crois que ce serait avantageux. Êtes-vous d’accord?
[Français]
Le sénateur Boisvenu : Absolument. Vous savez, les services de santé qui concernent la désintoxication relèvent des provinces. Ce gouvernement est celui qui a le plus coupé des fonds sur le plan des transferts en matière de santé. La politique d’immigration du Canada fait en sorte que tous les systèmes de santé des provinces sont débordés. Je me dis qu’on va confier aux provinces une responsabilité sans savoir ce qu’elle est et quel financement il y aura. C’est pour cela que je dis qu’on est en train de mettre la charrue devant les bœufs. Peut-on faire le contraire?
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Traduction]
La Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski)
Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Housakos, appuyée par l’honorable sénatrice Martin, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-247, Loi modifiant la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi de Sergueï Magnitski).
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Avec le consentement du Sénat, je propose l’ajournement du débat au nom du sénateur Housakos.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(Le débat est ajourné.)
Projet de loi sur le Mois du patrimoine hellénique
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Loffreda, appuyée par l’honorable sénatrice Moncion, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-259, Loi désignant le mois de mars comme Mois du patrimoine hellénique.
L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, le débat sur ce point a été ajourné au nom de la sénatrice Martin. Je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole lui soit réservé.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Cardozo : Chers collègues, j’ai l’honneur de parler aujourd’hui du projet de loi S-259, qui vise à instaurer le mois du patrimoine hellénique au Canada. Je remercie le sénateur Loffreda d’avoir présenté ce projet de loi au Sénat.
J’aime beaucoup les journées et les mois du patrimoine au Canada parce qu’ils mettent l’accent sur la présence d’une communauté au Canada. C’est une occasion annuelle de souligner l’histoire, et surtout la contribution, de certaines communautés. Personnellement, je préfère célébrer les groupes culturels présents au Canada plutôt que la journée nationale, le drapeau et l’histoire d’un autre pays.
[Français]
C’est pourquoi j’attire l’attention sur cet article du préambule du projet de loi, qui se lit comme suit :
que la célébration du Mois du patrimoine hellénique continuerait d’encourager les Canadiens d’origine grecque à promouvoir leur culture et leurs traditions et à les faire découvrir à leurs concitoyens,
En tant que pays multiculturel mature, il y a beaucoup de choses à identifier et à célébrer dans les différentes communautés ethnoculturelles.
[Traduction]
Les Canadiens d’origine grecque sont bien établis au Canada et ils contribuent à de nombreux secteurs. Pour le démontrer, je vais nommer 10 personnes dans des secteurs très différents, et, chers collègues, voyons de combien de ces bâtisseurs du Canada vous avez entendu parler. Veuillez noter votre propre score, et, si vous obtenez au moins 9 sur 10, vous gagnerez le titre de Canadien d’origine grecque honoraire pour la journée.
Dans le domaine des sports, je tiens à mentionner le joueur de la Ligue nationale de hockey Nick Kypreos, qui a joué pour les Maple Leafs de Toronto et les Rangers de New York.
Dans le domaine de l’innovation, il y a Mike Lazaridis, fondateur et co-président et directeur général de Research in Motion.
Dans le domaine des médias, Vassy Kapelos est une correspondante politique principale à CTV qui garde un œil vigilant sur nous tous, législateurs, à Ottawa, tandis que George Stroumboulopoulos est certainement le journaliste le plus branché et le plus provocateur au Canada. Nik Nanos est le fondateur de la vénérable entreprise Nanos Research et est fréquemment invité dans les médias pour discuter de sa recherche sur l’opinion publique.
Dans le domaine de la politique, Gus Mitges, avec qui j’ai eu la chance de travailler assez étroitement, était un député progressiste-conservateur de l’Ontario. C’était peut-être le premier Canadien d’origine grecque élu au Parlement, et il a présidé le Comité du multiculturalisme de la Chambre des communes. Eleni Bakopanos, une députée libérale de Montréal, a siégé neuf ans au Parlement et occupe toujours un rôle de cheffe de file au sein d’À voix égales, qui encourage la participation des femmes en politique. Niki Ashton, du Manitoba, est députée depuis 15 ans et a brigué le poste de cheffe nationale du Nouveau Parti démocratique en 2017.
En droit, la juge Andromache Karakatsanis fait partie de la magistrature à la Cour suprême du Canada.
Mais le Canadien d’origine grecque sans doute le plus aimé est sans contredit... vous devinez?
Une voix : Leo Housakos.
Le sénateur Cardozo : Non. C’est Nia Vardalos, l’actrice principale du film Mariage à la grecque, un film dans lequel les membres de la plupart des communautés ethniques se reconnaissent.
En outre, il y a eu au moins quatre sénateurs d’origine grecque.
Je voudrais prendre un instant pour lire un extrait d’un message que m’a envoyé mon amie l’honorable Eleni Bakopanos au moment où je préparais mon discours au sujet du projet de loi à l’étude. Elle m’a écrit ceci :
Je suis fière que des Canadiens d’origine grecque aient contribué à toutes les sphères de la société canadienne, autant dans le secteur public que dans le secteur privé. Je rendrais hommage à la première génération d’immigrants, comme mes parents âgés de 93 ans, qui ont tout quitté, leur maison, leur famille, leurs amis et leur travail, pour offrir un meilleur avenir à leurs enfants.
Il y a peu de pays dans le monde où une femme née à l’étranger, en Grèce dans mon cas, peut être élue députée. Ce fut pour moi un énorme privilège et un honneur d’être élue pour servir mes compatriotes canadiens. Je remercie chaque jour mes parents d’avoir choisi le Canada!
(1650)
Ce que dit Mme Bakopanos est vrai pour la plupart des Canadiens d’origine grecque.
Cela dit, je veux profiter de cette occasion où nous parlons des Canadiens d’origine grecque pour réfléchir à l’évolution du monde, à l’effet des affaires internationales sur le Canada multiculturel et à ce qui fait qu’un mois du patrimoine est une idée importante.
Je saisis l’occasion alors qu’il est question de cette communauté parce que le Canada entretient d’excellentes relations avec la Grèce et qu’il n’y a pas vraiment d’enjeux controversés de nos jours au sujet de la Grèce. C’est le moment parfait pour parler de ces questions sans avoir à marcher sur des œufs.
Chers collègues, au fur et à mesure que le multiculturalisme canadien évolue, je tiens à nous inciter à réfléchir à des questions contemporaines. Notre diversité et nos relations avec les autres pays et régions du monde viennent avec des avantages et des défis. Parmi les avantages, il y a le fait d’établir des liens positifs entre le Canada et le reste du monde, dans un monde de plus en plus interconnecté. Nous pouvons plus facilement découvrir d’autres économies, cultures, arts, littératures et cuisines. Nous pouvons plus facilement construire des liens économiques dans des domaines comme la science, les technologies et le commerce.
Nous pouvons également acquérir une meilleure compréhension des pays partout sur la planète. Nous avons certainement beaucoup appris de toutes les communautés qui sont venues ici. Dans le cas de la Grèce, j’ajouterais que nous en avons eu énormément à apprendre sur la philosophie et la démocratie.
Au fur et à mesure que les diasporas du Canada grandissent et gagnent de plus en plus en maturité sur le plan politique, elles demandent naturellement d’avoir davantage d’influence sur la position du Canada dans les affaires internationales. Honorables sénateurs, c’est là que cela devient plus intéressant, plus avantageux et plus difficile. La diversité ayant augmenté au cours du dernier siècle, nous avons non seulement des partisans de divers pays et points de vue à l’étranger; nous avons aussi des partisans de différents camps opposés les uns aux autres lors de controverses dans des régions particulières. Chacun d’entre eux demande au gouvernement canadien d’en faire plus pour son camp et moins pour l’autre. C’est tout à fait normal.
Bien que ces enjeux existent depuis des décennies, nous les avons vus se manifester plus récemment dans des affaires liées à l’Ukraine et à l’Europe de l’Est, à la Chine, à l’Inde, à l’Iran et au Moyen-Orient, pour ne nommer que ceux-là. Dans un pays démocratique, nous sommes tous d’accord pour dire que les Canadiens de toutes origines doivent pouvoir parler de leurs points de vue dans la sphère publique et pouvoir organiser des manifestations légales pour faire valoir leur point de vue, même si ces manifestations peuvent parfois être très grandes et gênantes pour les citoyens — avec un peu de chance, c’est pour de courtes périodes.
Il arrive que nous soyons tous sur la même longueur d’onde et que nous ayons un consensus national sur certaines questions, comme l’invasion de l’Ukraine ou la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, mais ces cas sont rares. Ce que nous ne pouvons pas accepter, c’est la violence sous toutes ses formes, qu’elle soit dirigée contre le gouvernement ou les politiciens canadiens, contre des Canadiens qui peuvent être perçus comme ayant des opinions différentes ou contre des gens de différentes religions ou ethnies. Les personnes ayant des points de vue opposés devraient pouvoir manifester pacifiquement, même si elles se retrouvent dans des lieux similaires au même moment.
Il est important que les Canadiens de toutes origines se sentent libres de vivre leur vie librement et ne soient jamais confrontés à la violence ou à des menaces de violence à l’intérieur ou à proximité de leur domicile, dans les transports en commun, dans les écoles, dans les collèges et dans les universités.
Nous avons un grave problème au Canada lorsque des Canadiens craignent pour leur sécurité quand ils portent une kippa, un shtreimel, un talit, un hidjab, un sari, un turban ou des tresses.
Pour ne pas l’oublier, je tiens à ajouter que ce ne sont pas seulement les membres des diasporas d’Europe, d’Asie et d’ailleurs qui exercent une influence négative au Canada. Cette influence vient aussi des États-Unis. En effet, le convoi qui a occupé Ottawa au début de l’année dernière était fortement influencé par des forces politiques radicales du sud de la frontière, plus particulièrement les personnes qui ont perpétré l’attentat du 6 janvier 2021 contre le Capitole à Washington, D.C.
Ces forces échappent rapidement à tout contrôle aux États-Unis, et nous devons indiquer très clairement que nous ne tolérerons jamais l’occupation de notre chère capitale ou le franchissement de nos frontières par de tels éléments radicaux. Ni les guerres culturelles ni leurs artisans n’ont leur place au Canada, et cela vaut surtout pour ceux qui cherchent à attiser la rage politique, la colère ou la violence. Avec les progrès des médias sociaux et de l’intelligence artificielle, le concept de Freud d’un narcissisme des petites différences est malheureusement en train de devenir une obsession des différences intolérables.
Pour conclure, je tiens à inviter les Canadiens, ceux issus des diverses communautés de la diaspora, les parlementaires et le grand public, à repenser certaines des choses que nous faisons. Il est peut-être temps de cesser de célébrer les journées nationales d’autres pays et d’organiser des levées de drapeaux et d’autres activités liées à ces pays. Le temps est peut-être venu de nous concentrer davantage sur les célébrations et les commémorations canadiennes, ainsi que sur les journées et les mois du patrimoine canadien.
Pour en revenir au Mois du patrimoine hellénique au Canada, je m’en réjouis. J’exhorte les Canadiens à réfléchir longuement et sérieusement à la façon dont nous pouvons concentrer nos énergies sur la célébration de l’histoire et de la présence des diverses communautés au Canada, tout en luttant contre les influences étrangères perturbatrices ou violentes.
[Français]
Je félicite tous les Canadiens qui travaillent depuis des années sur le Mois du patrimoine hellénique. Nous sommes sur le point d’en faire une réalité. Merci infiniment pour ce cadeau au Canada. Merci.
Des voix : Bravo!
(Le débat est ajourné.)
[Traduction]
Projet de loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto
Deuxième lecture—Suite du débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Quinn, appuyée par l’honorable sénatrice Verner, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-273, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.
L’honorable Michael L. MacDonald : Honorables sénateurs, je suis heureux de participer aujourd’hui au débat sur le projet de loi S-273, Loi sur le réseau de digues de l’isthme de Chignecto, présenté par notre collègue des Maritimes, le sénateur Quinn. Je prends la parole à titre de porte-parole à l’égard de ce projet de loi.
Pour ceux qui connaissent peut-être moins bien la terminologie topographique, un isthme est une langue de terre séparant deux grandes étendues d’eau et réunissant deux masses terrestres. Comme l’a fait remarquer, à juste titre, le sénateur Cotter dans son discours, « isthme » est certainement l’un des mots les plus difficiles à prononcer, du moins en anglais. Pas étonnant que les gens des Maritimes ont toujours désigné la région en général par l’euphémisme « marais de Tantramar ». C’est beaucoup plus facile à prononcer.
Il existe quatre isthmes distincts et importants au Canada : l’isthme d’Avalon, qui relie la presqu’île Avalon à la principale portion de l’île de Terre-Neuve; l’isthme de Sechelt, sur la Sunshine Coast de la Colombie-Britannique; l’isthme de Niagara, qui sépare les lacs Érié et Ontario; ainsi que l’isthme de Chignecto, dont il est ici question, qui sépare le détroit de Northumberland, dans le golfe du Saint-Laurent, de la baie de Fundy, au sud-ouest, et qui relie les provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.
Cependant, cette bande de terre d’une largeur de 13 miles reliant la Nouvelle-Écosse au continent de l’Amérique du Nord existe dans des circonstances uniques. Comme il s’agit du seul lien terrestre entre la Nouvelle-Écosse et la partie continentale du Canada, cet isthme joue un rôle essentiel pour l’industrie et l’économie, des marchandises commerciales d’une valeur de plus de 35 milliards de dollars empruntant le corridor chaque année, de même que 15 000 véhicules au quotidien et des millions de personnes par année.
(1700)
La totalité des liens routiers et ferroviaires, des télécommunications par fibre optique et des pipelines passe par ce corridor. Il faut aussi noter que cet accès routier est presque aussi important pour Terre-Neuve qu’il l’est pour la Nouvelle-Écosse. Ce qui pose un problème immédiat sur le plan structurel, toutefois, c’est qu’il passe sur des terres qui sont à peine au-dessus du niveau de la mer et que ces terres, quoique très fertiles, sont aussi très plates. Cette vulnérabilité pose un risque particulier qu’il faut atténuer, surtout compte tenu du fait que la baie de Fundy soumet la région aux marées les plus hautes et les plus fortes au monde.
On a maintes fois évoqué les changements climatiques, mais je rappelle aux honorables sénateurs que le niveau de l’océan Atlantique augmentait bien avant que l’expression « changements climatiques » soit à la mode. Cela fait plus de 300 ans qu’on érige des digues par nécessité, afin de protéger ces terres et ces côtes uniques.
Le sénateur Quinn a présenté au Sénat un résumé utile de l’historique des systèmes de digues construits par les Acadiens à partir de la fin du XVIIe siècle. Ils ont construit une série de digues en terre afin de protéger les terres agricoles contre les vigoureuses marées de la baie de Fundy. Bon nombre de ces digues existent toujours, même si elles ne font généralement plus que quelques pieds de hauteur.
Lorsque les planteurs de la Nouvelle-Angleterre sont arrivés pour cultiver les terres laissées vacantes à partir de 1759, ils ont restauré et agrandi les digues agricoles existantes au cours des décennies qui ont suivi, construisant de plus grosses digues qui ont abouti à la construction de la digue Wellington de 1817 à 1825. Cette digue protège plus de 3 000 acres de terres agricoles de première qualité. Elle a une hauteur de plus de 50 pieds, et sa base mesure 120 pieds.
En 1948, à la suite des pressions constantes exercées par les habitants des Maritimes, qui reconnaissaient que les digues nécessitaient d’importantes améliorations, le Parlement a adopté la Loi sur l’utilisation des terrains marécageux des provinces Maritimes, qui obligeait le gouvernement fédéral à assumer la totalité des coûts de construction et de reconstruction des digues et des barrages dans la région. Aujourd’hui, 75 ans plus tard, ce sont les mêmes digues qui doivent être remplacées, améliorées ou renforcées pour un coût estimé à 650 millions de dollars. Je pense que tous mes collègues des Maritimes seraient d’accord pour dire que des phénomènes météorologiques violents se produisent à une fréquence alarmante dans notre région — certainement plus fréquemment que ce dont je peux me souvenir. Peut-être vous rappellerez-vous que cet été, la Nouvelle-Écosse a connu des précipitations records pendant 24 heures en juillet, alors que certaines régions ont reçu près de 10 pouces de pluie — ou 250 millimètres. Ces pluies étaient d’une ampleur sans précédent.
Depuis quelques années, les Canadiens de l’Atlantique sont aussi confrontés à des risques croissants d’ouragans. Avec la hausse de la température de surface des océans le long de la côte Est, les scientifiques constatent que la côte Atlantique devient un terrain propice aux tempêtes tropicales et aux ouragans qui se dirigent vers le Nord. Leur intensité augmente, leur fréquence aussi. Ils sont accompagnés de vents forts, de pluie et de vagues dangereuses et leur passage est synonyme de destruction pour les Canadiens de l’Atlantique.
Chers collègues, lorsqu’on pense à la fois à la fréquence et à la gravité de ces phénomènes météorologiques ainsi qu’à l’élévation du niveau de la mer, on comprend pourquoi les gouvernements du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse ainsi que les résidants se demandent avec une inquiétude croissante si le système de digues de Chignecto est adéquat.
Qu’arriverait-il si cette infrastructure vétuste faisait défaut? Qu’arriverait-il si cette étroite bande de terre — qui est essentielle au commerce, offre un corridor utilitaire et joue un rôle névralgique pour la Nouvelle-Écosse et Terre-Neuve — était compromise et devenait impraticable? On peut imaginer à quel point ce serait catastrophique pour l’économie et les industries du pays et pour les résidants et les entreprises de la Nouvelle-Écosse et du Canada atlantique.
Puisque le gouvernement fédéral est responsable du commerce interprovincial, les gouvernements du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse estiment qu’Ottawa devrait prendre en charge 100 % de la facture. Or, le gouvernement fédéral ne propose d’en couvrir que 50 %, par l’intermédiaire du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes. Ce n’est pas seulement inéquitable, c’est injuste et inique. Avec le projet de loi, le sénateur Quinn propose de déclarer que le réseau de digues de Chignecto est à l’avantage général du Canada, un principe stratégique qui a son fondement dans la Constitution et qui permet au gouvernement fédéral de faire relever de sa compétence les ouvrages qu’il juge être d’intérêt national.
Le sénateur Quinn rappelle à juste titre que les Pères de la Confédération ont donné au Parlement le pouvoir déclaratoire de déterminer que des ouvrages sont d’intérêt national afin de les faire relever de la compétence fédérale. En outre, ce que propose le sénateur Quinn n’est pas sans précédent.
Pendant des années, la frontière américano-canadienne entre Windsor et Detroit a en effet servi d’unique corridor commercial terrestre entre les deux pays. Le pont Ambassador, de propriété privée et américaine, constituait ainsi le seul accès pour le trafic routier, sauf qu’il était souvent congestionné, ce qui nuisait à l’activité commerciale et à la circulation des personnes.
En 2012, le gouvernement Harper a décidé de résoudre le problème en faisant construire le pont international Gordie-Howe, qui sera ouvert en 2025. Il n’a pas été nécessaire d’adopter de déclaration pour construire le pont, car tous les passages frontaliers internationaux relèvent du gouvernement fédéral, et on réclamait un nouveau pont depuis longtemps. On paiera la structure de 4 milliards de dollars en imposant des péages, une approche d’utilisateur-payeur dont j’ai toujours appuyé le principe lorsqu’il convient d’opter pour ce modèle.
Par la suite, en 2014, le gouvernement Harper a mis en place la Loi visant le nouveau pont pour le Saint-Laurent, qui dit que le pont Champlain de Montréal et les ouvrages connexes sont déclarés être à l’avantage général du Canada. La structure du pont original, qui était fort achalandé, avait été jugée en mauvais état, mais le gouvernement du Québec et la Ville de Montréal avaient dit qu’ils n’avaient pas les moyens de payer le nouveau pont. Cependant, contrairement au pont international Gordie-Howe, l’affaire relevait incontestablement de la province. Les municipalités sont des créatures des provinces et, au Canada, les ponts municipaux ne relèvent tout simplement pas du gouvernement fédéral. Cependant, comme les besoins étaient pressants, le gouvernement Harper a décidé de contribuer à la construction du nouveau pont Champlain.
Cependant, le gouvernement fédéral a aussi déclaré que cet engagement était assorti de conditions : il était entendu que le pont aurait un péage et que le contribuable fédéral serait remboursé pour les coûts initiaux du nouveau pont Champlain. J’appuie sans réserve cette approche financièrement responsable, qui permettait de résoudre le problème dans l’immédiat tout en respectant la répartition des pouvoirs prévue dans la Constitution.
Après l’élection du gouvernement Trudeau, les libéraux ont laissé tomber cette décision raisonnable et financièrement responsable d’imposer un péage sur le nouveau pont. Plutôt, le nouveau gouvernement Trudeau a fait don à Montréal une nouvelle infrastructure coûteuse et névralgique qui relève incontestablement de la municipalité et de la province. Le nouveau pont sera payé exclusivement par le contribuable fédéral, une facture salée de 4,2 milliards de dollars.
Chers collègues, je pense que le pont Champlain est d’une importance vitale pour notre économie et qu’il était judicieux pour le gouvernement fédéral de prendre l’initiative de remplacer la structure originale en décrépitude. Cependant, je pense aussi que le gouvernement Trudeau aurait dû prendre la décision équitable, honorable et financièrement responsable de conserver le péage sur le pont. Or, puisque les libéraux ont établi ce précédent, l’ensemble des régions, des provinces et des Canadiens devraient jouir d’un traitement équivalent dans les dossiers de cette nature.
À titre de référence, comparons la question de la gestion du nouveau pont Champlain à celle du pont de la Confédération, qui relie l’Île-du-Prince-Édouard au continent. Je me souviens très bien de ce projet. Quand la décision a été prise de construire le pont de la Confédération, le regretté Stewart McInnes était ministre des Travaux publics, et j’étais son chef de cabinet. Depuis 1873, le gouvernement a l’obligation prescrite de fournir des infrastructures de transport à l’Île-du-Prince-Édouard, ce qui, traditionnellement, signifiait un service de traversier.
Pourquoi est-il équitable aujourd’hui pour les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard et les gens qui visitent cette province de continuer à payer un péage tandis que d’autres ponts payés par le gouvernement fédéral en sont exemptés, surtout lorsqu’il s’agit, comme pour le pont de la Confédération, d’infrastructures qui relèvent de la responsabilité du gouvernement fédéral? Il est tout à fait raisonnable de se poser la question.
Aujourd’hui, les Canadiens se rendent enfin compte que la responsabilité financière et le gouvernement Trudeau se repoussent mutuellement, comme les mêmes pôles d’un aimant. Or, la plus récente manœuvre des libéraux, c’est-à-dire l’exonération fiscale sélective à l’égard du chauffage domestique, montre qu’ils sont apparemment incapables de traiter les Canadiens de façon juste et équitable.
Je m’en voudrais de ne pas faire remarquer que la capitale de la Nouvelle-Écosse compte deux ponts, qui enjambent le port d’Halifax. Ils sont financés par le gouvernement provincial et les administrations municipales. Leur entretien est payé à même les péages que doivent verser les utilisateurs. Ils ne bénéficient d’aucune enveloppe du fédéral, et il n’est pas question qu’on élimine les péages. Je n’en veux pas aux municipalités, à la province ou à quiconque, du moment que cela facilite un peu les choses pour toutes les parties concernées, mais il est temps de revenir à un gouvernement qui ne traite pas les Canadiens différemment selon la région du pays. Les Canadiens méritent mieux.
Comme le nouveau pont Champlain, qui a coûté 4,2 milliards de dollars, est un corridor économique essentiel par où passent environ 20 milliards de dollars de marchandises entre l’île de Montréal et la rive sud du Saint-Laurent, je considère que l’investissement du fédéral en vaut la peine, mais il constitue un précédent. Par souci d’équité entre les régions, la même logique devrait s’appliquer aux infrastructures essentielles d’intérêt national qui se situent dans les Maritimes. L’isthme de Chignecto est un point de passage obligé par où transitent annuellement pour 35 milliards de dollars de marchandises, et le coût de la solution proposée équivaut à peine au septième de celui du nouveau pont Champlain. Le gouvernement fédéral devrait faire ce qui s’impose, c’est-à-dire cesser de tergiverser et faire son travail.
Les gens des Maritimes ont l’habitude d’être oubliés ou traités comme des citoyens de seconde zone par les gouvernements successifs à Ottawa. En fait, les Pères de la Confédération l’avaient prévu. Lorsque John A. Macdonald et les Pères de la Confédération se sont réunis pendant deux semaines à Charlottetown, six jours entiers ont été consacrés uniquement à la création du Sénat et à sa composition. Ils ont constitué un Sénat formé sur la base de la représentation régionale. Bien que nous soyons nommés en fonction de notre province, notre représentation est régionale, et nous devons nous rappeler que l’un de nos devoirs est d’assurer l’équité régionale.
(1710)
Je ne doute pas que la protection de ce corridor vital soit dans l’intérêt national, et je félicite le sénateur Quinn d’avoir pris l’initiative de ce projet de loi et d’avoir contribué à son avancement. Renvoyons-le en comité afin que nous puissions poser les questions importantes. Posons des questions sur la vulnérabilité du réseau de digues par rapport aux phénomènes météorologiques et sur les conséquences de la disparition de cette liaison terrestre.
Demandons comment cela affecterait le commerce interprovincial et les industries qui dépendent du chemin de fer et de l’autoroute, ou comment le commerce international serait affecté si le port d’Halifax ne pouvait pas gérer ses importations et exportations comme à l’habitude. Demandons comment Terre-Neuve réagirait si elle était coupée de sa principale ligne d’approvisionnement.
Dans son discours, le sénateur Cormier se disait préoccupé par le recours au pouvoir déclaratoire du gouvernement fédéral et il a cité notre ancien et estimé collègue André Pratte comme source pour appuyer ses incertitudes. Je ne me souviens pas d’avoir entendu de telles réserves lorsqu’il a été annoncé que le contribuable fédéral paierait le nouveau pont Champlain. Le sénateur a peut-être changé d’avis depuis ce temps. Cependant, à mon avis, ces réserves sont de nature ésotérique, et le véritable enjeu est maintenant qu’un traitement équitable doit être offert à toutes les régions du pays, ce qui devrait être une priorité pour tous les sénateurs.
Chers collègues, renvoyons le projet de loi au comité dès que possible pour qu’il l’étudie en profondeur. Le Canada a un isthme à protéger et à préserver. Merci.
L’honorable Jim Quinn : Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Le sénateur MacDonald : Oui.
Le sénateur Quinn : Sénateur MacDonald, je vous remercie de ce discours dans lequel vous avez exposé clairement de multiples raisons pour lesquelles le Sénat doit étudier ce projet de loi.
Je souhaite avoir quelques éclaircissements à propos de certains des points que vous avez mentionnés. Ma première question porte sur le pont Champlain; vous avez souligné, à juste titre, qu’il s’agissait d’un projet entrepris par le gouvernement fédéral, mais j’aimerais savoir si celui-ci a eu recours au pouvoir déclaratoire prévu par la Constitution.
Je poserai tout de suite une deuxième question, si vous le permettez, puisque je n’aurai peut-être pas d’autre occasion de le faire. Est-ce que le recours au pouvoir déclaratoire pour le projet concernant l’isthme signifie que le gouvernement devra assumer plus que 50 % des coûts, pourcentage qu’il s’est déjà engagé à verser dans le cadre du programme? Il pourrait n’accorder aucune somme ou assumer la pleine responsabilité du projet. Le recours au pouvoir déclaratoire n’est-il qu’une décision de politique, alors que nous voulons simplement renvoyer le projet de loi au comité, comme vous l’avez dit?
Le sénateur MacDonald : Sénateur Quinn, je répondrai d’abord à votre deuxième question. Il n’est pas nécessaire d’associer le pouvoir déclaratoire à une partie précise du coût éventuel. Qui financera le projet? Nous ne forçons personne à dépenser de l’argent ni à déclarer combien d’argent il faudra dépenser.
Pour ce qui est du pouvoir déclaratoire, à ma connaissance, le gouvernement s’est servi du pouvoir déclaratoire pour la construction du pont Champlain. J’ai peut-être mal compris, mais je ne crois pas que ce soit le cas. Je crois que c’est exact.
Le sénateur Quinn : Non. Je vous remercie de cette précision.
(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)
[Français]
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 17 h 15 et je dois interrompre les délibérations. Conformément à l’article 9-6 du Règlement, les cloches retentiront afin de convoquer les sénateurs pour le vote reporté à 17 h 30 sur la motion d’amendement de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Seidman.
Convoquez les sénateurs.
(1730)
[Traduction]
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Rejet de la motion d’amendement
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), tel que modifié.
Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénateur Carignan, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice Seidman :
Que le projet de loi C-48, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau à l’article 1 (dans sa version modifiée par décision du Sénat le 26 octobre 2023), à la page 3, par substitution, à la ligne 13, de ce qui suit :
« contre une personne à l’aide d’une arme — ou purgeait une peine d’emprisonnement à l’égard d’une telle infraction — et chacune ».
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion suivante : L’honorable sénateur Carignan, c.p., propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Seidman :
Que le projet de loi C-48, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à nouveau à l’article 1 (dans sa version modifiée...
Puis-je me dispenser de lire la motion, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
La motion d’amendement de l’honorable sénateur Carignan, mise aux voix, est rejetée :
POUR
Les honorables sénateurs
Ataullahjan | Patterson (Nunavut) |
Batters | Patterson (Ontario) |
Boisvenu | Plett |
Carignan | Quinn |
Dagenais | Richards |
Housakos | Seidman |
MacDonald | Smith |
Marshall | Tannas |
Martin | Verner |
Mockler | Wallin |
Oh | Wells—22 |
CONTRE
Les honorables sénateurs
Anderson | Jaffer |
Arnot | Kingston |
Bellemare | Klyne |
Black | LaBoucane-Benson |
Boehm | Loffreda |
Boniface | MacAdam |
Burey | Massicotte |
Busson | McCallum |
Cardozo | McNair |
Clement | McPhedran |
Cordy | Mégie |
Cotter | Miville-Dechêne |
Coyle | Moncion |
Dalphond | Moodie |
Deacon (Ontario) | Omidvar |
Dean | Pate |
Downe | Petitclerc |
Duncan | Petten |
Dupuis | Prosper |
Forest | Ravalia |
Francis | Ringuette |
Galvez | Ross |
Gerba | Saint-Germain |
Gignac | Simons |
Gold | White |
Greenwood | Woo |
Harder | Yussuff—55 |
Hartling |
ABSTENTIONS
Les honorables sénateurs
Aucoin | Osler—3 |
Bernard |
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant temps de procéder au vote reporté sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénatrice Dupuis.
La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Rejet de la motion d’amendement
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.
Et sur la motion d’amendement de l’honorable sénatrice Moncion, appuyée par l’honorable sénatrice Dupuis :
Que le projet de loi C-234 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 2 :
a) à la page 2, par substitution, aux lignes 24 à 36, de ce qui suit :
« saire de l’entrée en vigueur de la présente loi. »;
b) à la page 3, par suppression des lignes 1 à 10.
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le vote porte sur la motion suivante : L’honorable sénatrice Moncion propose, avec l’appui de l’honorable sénatrice Dupuis :
Que le projet de loi C-234 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 2 :
a)...
Puis-je me dispenser de lire la motion, honorables sénateurs?
Des voix : D’accord.
(1740)
La motion d’amendement de l’honorable sénatrice Moncion, mise aux voix, est rejetée :
POUR
Les honorables sénateurs
Aucoin | LaBoucane-Benson |
Audette | Loffreda |
Boehm | Massicotte |
Boniface | McNair |
Cardozo | McPhedran |
Clement | Mégie |
Cordy | Miville-Dechêne |
Coyle | Moncion |
Dalphond | Moodie |
Dean | Omidvar |
Dupuis | Pate |
Forest | Petitclerc |
Galvez | Petten |
Gold | Ringuette |
Greenwood | Saint-Germain |
Harder | White |
Hartling | Woo |
Kingston | Yussuff—36 |
CONTRE
Les honorables sénateurs
Anderson | Marshall |
Arnot | Martin |
Ataullahjan | McCallum |
Batters | Mockler |
Bellemare | Oh |
Black | Osler |
Boisvenu | Patterson (Nunavut) |
Burey | Patterson (Ontario) |
Busson | Plett |
Carignan | Prosper |
Cotter | Quinn |
Dagenais | Ravalia |
Deacon (Ontario) | Richards |
Downe | Ross |
Duncan | Seidman |
Francis | Simons |
Gignac | Smith |
Housakos | Tannas |
Klyne | Verner |
MacAdam | Wallin |
MacDonald | Wells—42 |
ABSTENTIONS
Les honorables sénatrices
Bernard | Gerba—2 |
[Français]
Les travaux du Sénat
Son Honneur la Présidente : Le Sénat reprend maintenant l’étude de la motion tendant à la troisième lecture du projet de loi C-48. Par la suite, nous procéderons à l’étude du projet de loi C-234, pour reprendre les travaux interrompus à 17 h 15, une fois ces affaires terminées.
[Traduction]
Le Code criminel
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), tel que modifié.
L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je propose l’ajournement du débat.
Son Honneur la Présidente : L’honorable sénatrice Martin, avec l’appui de l’honorable sénatrice Seidman, propose que le débat soit ajourné à la prochaine séance du Sénat.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Une voix : Non.
Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.
Des voix : Oui.
Son Honneur la Présidente : Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.
Des voix : Non.
Son Honneur la Présidente : Je crois que les non l’emportent.
Et deux honorables sénateurs s’étant levés :
Son Honneur la Présidente : Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?
Une voix : Quinze minutes.
Son Honneur la Présidente : Quinze minutes? Le vote aura lieu à 18 h 3. Convoquez les sénateurs.
(1800)
La motion, mise aux voix, est rejetée :
POUR
Les honorables sénateurs
Ataullahjan | Mockler |
Batters | Oh |
Black | Osler |
Boisvenu | Plett |
Burey | Quinn |
Carignan | Richards |
Dagenais | Seidman |
Housakos | Smith |
MacDonald | Wells—19 |
Marshall |
CONTRE
Les honorables sénateurs
Anderson | Kingston |
Arnot | Klyne |
Aucoin | LaBoucane-Benson |
Bellemare | Loffreda |
Bernard | MacAdam |
Boehm | Massicotte |
Boniface | McCallum |
Busson | McNair |
Cardozo | Mégie |
Clement | Miville-Dechêne |
Cordy | Moncion |
Cotter | Moodie |
Coyle | Pate |
Dalphond | Patterson (Nunavut) |
Deacon (Ontario) | Patterson (Ontario) |
Dean | Petitclerc |
Duncan | Petten |
Dupuis | Prosper |
Forest | Ravalia |
Francis | Ringuette |
Galvez | Ross |
Gerba | Saint-Germain |
Gignac | Simons |
Gold | Tannas |
Greenwood | Verner |
Harder | White |
Hartling | Yussuff—54 |
ABSTENTION
L’honorable sénateur
Downe—1 |
(1810)
Des voix : Le vote!
[Français]
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures et, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que les honorables sénateurs consentent à ne pas tenir compte de l’heure. Êtes-vous d’accord pour ne pas tenir compte de l’heure?
Des voix : Oui.
Des voix : Non.
[Traduction]
Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, le consentement n’a pas été accordé. Par conséquent, la séance est suspendue et je quitterai le fauteuil jusqu’à 20 heures.
(La séance du Sénat est suspendue.)
(Le Sénat reprend sa séance.)
(2000)
Projet de loi modificatif—Troisième lecture
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Gold, c.p., appuyée par l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), tel que modifié.
Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
Une voix : Avec dissidence.
(La motion est adoptée et le projet de loi modifié, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)
La Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre
Projet de loi modificatif—Troisième lecture—Débat
L’ordre du jour appelle :
Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Wells, appuyée par l’honorable sénatrice Batters, tendant à la troisième lecture du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre.
L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, j’interviens à titre de porte-parole du projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-234, dans le cadre du débat en troisième lecture. Pour ceux qui sont nouveaux, cela signifie que je peux parler pendant 45 minutes, alors soyez indulgents.
Comme vous le savez, ce projet de loi propose de modifier la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre afin d’accorder aux agriculteurs une exemption de huit ans, et non de trois ans, en ce qui concerne l’utilisation du gaz naturel et du propane pour le séchage du grain et le chauffage ou la climatisation des bâtiments agricoles utilisés pour élever des animaux de ferme ou cultiver des végétaux.
Le Parti conservateur, son chef et certains premiers ministres provinciaux conservateurs ont présenté ce projet de loi comme un premier pas pour supprimer la taxe sur le carbone. Aujourd’hui, à la Chambre des communes, en cette journée d’opposition, les conservateurs ont proposé une motion exhortant le Sénat à adopter ce projet de loi. Si cette motion est adoptée, je crois comprendre que le sénateur Plett s’y opposera, comme il l’a fait pour des motions similaires adoptées précédemment, comme la motion concernant le projet de loi sur la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, parrainée par le député Saganash, ou lorsque la députée Ambrose a parrainé le projet de loi sur la formation des juges, et que le sénateur Plett a fait un discours sur le fait qu’il était inacceptable que la Chambre essaie de nous dire ce que nous devions faire. Le vote aura lieu demain après-midi, après la période des questions, et nous saurons le lendemain ce qu’en pense le sénateur Plett.
Il est clair que les conservateurs sont d’avis que la tarification du carbone ne doit pas faire partie du cadre canadien de la lutte contre les changements climatiques. C’est une décision stratégique que je respecte, mais je ne la partage pas.
L’augmentation de la tarification du carbone incite fortement les Canadiens à réduire les émissions en utilisant de l’équipement plus efficace ou en passant à des sources d’énergie plus vertes.
D’après un article récent publié dans The Economist le 1er octobre 2023, on peut lire ce qui suit :
Si l’on veut limiter le réchauffement climatique, le monde doit abandonner les combustibles fossiles le plus rapidement possible — c’est un point sur lequel presque tout le monde s’entend.
Je dirais presque tout le monde. Ce qui est compliqué, c’est de déterminer comment y parvenir. L’article se poursuit :
Les économistes sont depuis longtemps favorables à la tarification du carbone, un mécanisme que l’Europe a instauré en 2005. Ce mécanisme permet au marché d’identifier l’unité de gaz à effet de serre la moins chère à supprimer [...] pour lutter contre les changements climatiques au moindre coût [...]
C’est aussi un fait que le Canada n’est pas en voie de respecter les engagements qu’il a pris dans le cadre de l’Accord de Paris. De plus, la semaine dernière, des scientifiques ont publié des données qui montrent que le monde a brièvement franchi la ligne rouge des 2 degrés de réchauffement le 17 novembre.
En 2021, soit il y a deux ans, le sénateur Harder a tenu les propos suivants dans son dernier discours sur le projet de loi C-12, Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, et je pense que ces mots sont encore pleins de sens :
Les défis que posent les changements climatiques font en sorte que nous sommes à un moment décisif de l’histoire de l’humanité. Nous ne devons pas être le maillon faible de la chaîne. Si nous ne coopérons pas pour atteindre les objectifs communs qui sont nécessaires afin de sauver l’environnement, nous manquerons à notre devoir envers nous-mêmes, nos enfants, nos petits-enfants et toutes les générations futures. Nous manquerons à notre devoir envers les magnifiques créatures avec lesquelles nous partageons la planète. Nous sommes à la fois leur seul espoir et leur seule menace. Nous devons choisir de faire mieux.
Le Sénat devrait contribuer à l’atteinte de cet objectif au cours des années décisives à venir. Pour l’avenir de nos petits-enfants, nous devrions — nous devons — faire preuve d’audace.
Je vais maintenant passer au projet de loi C-234. Malheureusement, chers collègues, le projet de loi C-234 fait l’objet d’une série de faussetés et d’arguments préfabriqués, comme le fait que les agriculteurs sont les intendants des terres et qu’ils n’ont donc pas à subir des politiques visant à assurer une économie plus verte, car ils vont tendre d’eux-mêmes vers cette économie plus verte. Contrairement à ce que disent les économistes, ils vont d’eux-mêmes trouver des moyens différents de faire les choses qui pourraient être plus coûteux.
Aujourd’hui, je vais m’attaquer à huit faux arguments que répètent des groupes de pression bien financés.
Le premier, c’est que le projet de loi C-234 vise à corriger une omission involontaire dans la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre de 2018 faisant en sorte que le gaz naturel et le propane utilisés dans des exploitations agricoles ne sont pas exemptés, alors que l’essence et les combustibles le sont.
Le deuxième, c’est que la tarification du carbone fait grimper l’inflation et qu’elle rend inabordables les aliments produits par les agriculteurs.
Le troisième, c’est qu’en raison de la tarification du carbone, le coût total du gaz naturel et du propane est devenu un fardeau insupportable pour les agriculteurs.
Le quatrième, c’est que la technologie existante ne permet pas de sécher le grain d’une manière beaucoup plus efficace.
Le cinquième, c’est que la technologie actuelle n’offre pas de solutions de rechange ni de possibilités de gains d’efficacité pour chauffer ou refroidir des étables, contrairement aux possibilités qui existent pour le chauffage d’autres types de bâtiments.
Le sixième, c’est que si le Sénat amende le projet de loi, celui-ci ne sera jamais adopté.
Le septième, c’est que ce projet de loi n’affaiblira pas le cadre canadien de tarification du carbone ni notre plan de lutte contre les changements climatiques.
Le huitième, c’est que si on élimine la tarification du carbone, les agriculteurs seront motivés à utiliser les économies ainsi réalisées pour réduire leurs émissions.
En me fondant sur les témoignages présentés au comité, je conclurai en proposant un amendement qui vise à éliminer, dans le projet de loi, les exemptions pour le chauffage et le refroidissement des étables. D’ailleurs, le parrain du projet de loi à la Chambre des communes, le député Lobb, confirme lui-même que les agriculteurs ont facilement accès à des solutions de rechange et à des façons d’accroître l’efficacité du chauffage et du refroidissement dans les bâtiments agricoles.
Selon la première fausseté, le projet de loi C-234 viserait à corriger l’omission involontaire du gaz naturel et du propane au moment de l’adoption de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre en 2018, puisque cette loi prévoit une exemption pour l’essence et le combustible utilisés dans les exploitations agricoles, ce qui représente environ 97 % des émissions de carbone produites par les agriculteurs canadiens. Cette affirmation a aussi été répétée dans l’enceinte du Sénat.
(2010)
Au comité de l’agriculture, des fonctionnaires du ministère des Finances et du ministère de l’Environnement ont expliqué que le régime fédéral de tarification du carbone était fondé sur le régime de la Colombie-Britannique, qui était déjà en place à l’époque. Pour en assurer l’efficacité, le gouvernement avait proposé d’élargir le plus possible la portée du régime tout en prévoyant des allégements ciblés.
Ces allégements comprenaient par exemple une exonération de la tarification du carbone pour l’essence et le diésel qui servent à la machinerie agricole admissible, comme les énormes tracteurs et moissonneuses-batteuses que nous voyons fréquemment sur les routes ou au milieu des champs dans les régions rurales. On prévoyait une exemption pour cela parce qu’il n’y avait pas de véritable solution de remplacement pour alimenter ce type de machinerie, du moins, pas en 2018, et je ne connais aucune moissonneuse-batteuse qui fonctionne à l’électricité pour le moment. Les voitures électriques sont en train de devenir la norme, mais, jusqu’à présent, il n’y a toujours pas de moissonneuse-batteuse ou de tracteur électrique.
La situation est différente dans le cas du gaz naturel et du propane, qui servent surtout à chauffer les bâtiments. Ils ont été exclus également du régime de la Colombie-Britannique, comme on propose de le faire dans la politique gouvernementale qui nous occupe.
Par conséquent, ce n’est pas une omission. On ne parle pas de la même chose. On parle soit de machinerie, soit de chauffage et de climatisation des bâtiments. Ce n’est pas le même type de combustible qui est utilisé dans les deux cas. Je ne connais aucune ferme qui utilise de l’essence pour chauffer les granges.
De plus, comme nous le savons tous maintenant, le gouvernement a le pouvoir d’exempter un carburant par règlement. Ce pouvoir a été utilisé récemment afin d’exempter le mazout utilisé pour chauffer les maisons. Malgré le projet de loi C-234 et son prédécesseur, le gouvernement a refusé d’utiliser ce pouvoir pour accorder des exemptions applicables au gaz naturel et au propane, même si cette exemption s’était limitée aux agriculteurs, confirmant ainsi qu’il ne s’agissait pas d’une omission, mais d’un choix stratégique.
La deuxième fausseté, c’est l’affirmation selon laquelle la tarification du carbone alimente l’inflation et rend les aliments inabordables. Le taux d’inflation du Canada est actuellement de 3,8 %, alors qu’il est de 3,7 % aux États-Unis, de 4,3 % dans l’Union européenne, de 4,9 % en France en particulier et de 6,7 % au Royaume-Uni. Il semble donc que nous nous en tirions mieux que de nombreux autres pays développés. Peut-être que notre pays n’est pas si mal en point, après tout.
Le 8 septembre, Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, a indiqué qu’environ 0,15 % du taux d’inflation canadien peut être attribué à la tarification du carbone. Autrement dit, l’augmentation du prix du carbone cette année représente 0,30 $ de plus sur une facture d’épicerie de 200 $.
Si l’on remonte à la présentation de la loi sur la tarification du carbone en 2019, la taxe sur le carbone ajoute actuellement 1,20 $ à une facture d’épicerie de 200 $. C’est pourquoi Trevor Tombe, professeur d’économie à l’Université de Calgary, affirme que cette taxe est responsable de moins de 1 % de l’augmentation du panier d’épicerie. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais un économiste. Le gouverneur de la Banque du Canada dit la même chose, bien que cela risque de lui coûter son poste s’il y a un changement de gouvernement.
Répéter ad nauseam que la tarification du carbone est à blâmer pour la triste incapacité de nombreux Canadiens à se nourrir correctement ne transforme pas une fausseté en vérité. Toutefois, cela peut expliquer pourquoi le parti qui veut se débarrasser de la taxe sur le carbone aimerait également se débarrasser du gouverneur de la Banque du Canada.
Des politiciens responsables devraient se concentrer sur les causes réelles de l’augmentation rapide des coûts de l’alimentation et de la vie au Canada, et non sur la taxe sur le carbone.
La troisième fausseté, c’est l’affirmation selon laquelle la tarification du carbone a rendu inabordable pour les agriculteurs l’utilisation du gaz naturel et du propane pour prendre soin de leurs animaux, et surtout de la volaille.
[Français]
De quoi parle-t-on exactement? D’après les chiffres fournis par Statistique Canada et le directeur parlementaire du budget, la part des dépenses en combustibles pour le chauffage pour les fermiers représentent moins de 1 % des dépenses d’exploitation des fermes au Canada. Pour être très précis, cela représentait 0,9 % des dépenses en 2019, 0,8 % en 2020, en incluant la taxe sur le carbone, et c’est la même chose en 2021.
Il y a une disparité selon les types de fermes, c’est vrai. Il s’agit de 4 % à 5 % en moyenne pour les productions sous serre et de 0,4 % pour les pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard ou les oléagineux et les céréales. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que pour les productions sous serre, le gouvernement a prévu l’exemption de 80 % des volumes de gaz naturel et de propane de la tarification du carbone pour réduire leurs coûts, qui sont de 4 à 5 %, la partie taxée étant d’environ 1 % ou moins.
Bref, les producteurs qui utilisent des serres ne sont taxés que sur 20 % de leur consommation en matière de taxe sur le carbone pour tenir compte de leur situation particulière. Bien sûr, il ne faut pas oublier que ces producteurs bénéficient de crédits de taxe remboursables en vertu du projet de loi C-8 qui a été adopté il y a deux ans.
Il est aussi important de se rappeler que le prix du carbone n’est pas lié au prix de marché des combustibles. Le prix sur la pollution est lié uniquement au niveau de dioxine produit. Ainsi, que le prix du gaz soit de 10 cents ou de 90 cents par mètre cube, le prix de la pollution associé à son usage au cours d’un exercice fiscal sera le même par tonne.
On a beaucoup entendu parler des producteurs de volailles, qui seraient les plus grands consommateurs de gaz naturel pour le chauffage des poulaillers. En passant, la plus grande partie des producteurs de volailles se trouve en Ontario. De plus, ils sont tous, aussi bien ceux du Québec que ceux de l’Ontario, des producteurs qui opèrent dans un système de gestion de l’offre qui leur permet ou leur garantit un revenu, indépendamment de leurs coûts et de leurs dépenses. Cela n’a pas été dit non plus par tous les lobbyistes que vous avez vus. Certains lobbyistes sont venus dire que tous les fermiers du Canada étaient derrière le projet de loi C-234, alors que j’ai rencontré des représentants de l’Union nationale des fermiers qui sont venus me dire qu’ils étaient contre le projet de loi C-234; pourtant, on ne dit pas cela. Ils sont même comptabilisés dans les nombres utilisés par l’Agriculture Carbone Alliance pour vous dire : « Voici le nombre de fermiers qui sont derrière le projet de loi. » C’est un autre mensonge, au passage.
J’ai rencontré et posé des questions à des représentants d’une vingtaine d’associations, et je partage avec vous le cas de ce producteur de dinde situé en Ontario qui a bien voulu m’envoyer ses chiffres en ce qui concerne sa production, le volume de gaz naturel consommé par kilogramme de viande et le prix de la pollution payé depuis 2020.
Si le prix de la pollution est passé de 15 000 à 27 000 $ entre 2020 et 2023 pour ce producteur, cette année, il a cependant payé 37 000 $ de moins que l’année précédente pour son gaz naturel.
En effet, le prix du gaz est passé de 32 cents le mètre cube en octobre 2022 à 15 cents en octobre 2023. Avez-vous vu le prix du poulet baisser dans votre épicerie?
[Traduction]
Bref, ce grand producteur et bien d’autres ont vu le coût du gaz naturel diminuer considérablement en 2023, et ils ont fini par économiser de 10 000 $ à 20 000 $, sans compter tout crédit d’impôt remboursable qui viendra améliorer encore plus leur sort.
Pour les producteurs de volaille, le coût de l’énergie ne peut justifier une augmentation du prix du poulet que nous consommons.
Si le prix du poulet et d’autres produits soumis à la gestion de l’offre, comme le lait et les œufs, a augmenté cette année, ce n’est pas à cause du coût du gaz naturel, avec ou sans tarification du carbone.
(2020)
Sur la vingtaine d’organisations que j’ai rencontrées, avec ou sans leurs lobbyistes — bien que beaucoup d’entre elles soient très puissantes, aient accès à plein de ressources et disposent des fonds nécessaires pour faire des recherches —, aucune n’a été en mesure de me fournir des chiffres sur les remboursements reçus par leurs membres en 2022, donc l’année dernière. Elles ne le savaient pas. On m’a dit : « Eh bien, les chiffres dont nous disposons ne sont pas suffisants pour égaler le prix du carbone. »
Cependant, quand j’ai posé des questions sur le prix de l’essence, là on pouvait me répondre. Quand je leur ai demandé de confirmer qu’ils peuvent déduire la taxe sur le carbone de leurs dépenses, ils m’ont répondu par l’affirmative. Toutefois, quand je leur ai demandé combien cela coûte après le remboursement et après la déduction fiscale, aucun n’a été capable de me fournir une réponse. Pourtant, ce sont tous des lobbyistes qui gagnent des centaines de milliers de dollars et qui vous envoient tous des dépliants avec des images et de jolies couleurs. Essayez de trouver les chiffres dans les dépliants. Vous n’en trouverez pas.
La seule chose que les organisations disent, c’est que cela va coûter 1 milliard de dollars aux agriculteurs — en précisant en petits caractères au bas de la page que ce montant sera atteint en 2030, pas cette année. Cette année, les agriculteurs payeront 73 millions de dollars et non 1 milliard de dollars. Ils préfèrent camoufler ce détail.
Le mécanisme de remboursement actuel permet de remettre le produit de la taxe sur le carbone perçue dans la province aux agriculteurs de cette province. Comme vous le savez peut-être maintenant, cela signifie que 100 millions de dollars ont été retournés aux agriculteurs en 2021-2022 et 120 millions de dollars en 2022-2023. C’est même plus que ce qui a été perçu parce que, à l’époque, les taxes ont été perçues avant que le remboursement n’entre en jeu et qu’il y avait donc de l’argent accumulé; cette année est une bonne année.
Si ces remises doivent être ciblées plus précisément, comme l’a suggéré le Comité de l’agriculture dans ses observations soigneusement rédigées — que certains ont jugé sage de supprimer —, cela pourrait être fait d’une meilleure manière et nous pourrions retourner davantage à ceux qui utilisent plus d’énergie qu’à certains qui ont effectué la conversion et qui ne consomment plus d’énergie.
La quatrième fausse prémisse du projet de loi C-234 est que la technologie actuelle ne permettrait pas de réaliser d’importants gains d’efficacité en matière de séchage du grain. Nous savons que cette prémisse est fausse grâce à l’étude du Comité de l’agriculture. Même le député Ben Lobb, parrain du projet de loi à la Chambre des communes, a déclaré devant notre comité : « Oui, il existe des séchoirs plus efficaces. »
Le professeur Chandra Singh du Collège de Lethbridge a indiqué qu’il était possible de réduire de 30 % en moyenne les coûts associés au séchage des grains grâce à de l’équipement plus efficace. Ian Boxall — dont nos collègues d’en face parlent constamment —, président du conseil d’administration de l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan, a indiqué qu’il avait acheté un nouveau séchoir à grains l’année dernière pour remplacer le modèle de 1974 qu’il possédait, ce qui lui a permis de réaliser des économies substantielles en coûts énergétiques. Lorsque je l’ai questionné sur la réduction de 30 %, il m’a répondu que c’était un peu moins.
Le site Web d’une entreprise appelée Flaman Agriculture, qui compte 11 établissements en Alberta, en Saskatchewan et au Manitoba, annonce le séchoir à grains NECO :
Le séchoir à grains à débit continu AGI NECO est l’un des séchoirs les plus efficaces sur le marché. Il maximise le poids spécifique des grains séchés et il réduit votre facture énergétique [...] Les séchoirs à grains NECO [...] ont une efficacité énergétique inégalée, ce qui permet d’économiser jusqu’à 20 à 30 % sur les coûts de carburant.
Enfin, même le site Web du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario indique que les nouveaux séchoirs permettent de réduire de 30 % le volume de gaz naturel nécessaire et de réaliser des économies encore plus importantes en récupérant la chaleur de l’air d’échappement du séchoir, ce qui réduit les coûts de jusqu’à 40 %.
Honorables sénateurs, la prémisse selon laquelle les agriculteurs ne peuvent pas réaliser de gains d’efficacité pour le séchage des grains, et donc que le signal de prix visant à encourager la réduction des émissions est inutile et punitif, est manifestement fausse. Je le répète, c’est tout simplement faux.
Il est vrai qu’un séchoir peut coûter cher — 150 000 $ selon la sénatrice Batters —, sans compter les frais d’installation. J’en conviens. Mais la sénatrice Batters n’a pas dit qu’il s’agit d’un coût amorti. On peut amortir le coût de cet équipement sur 10 ans, par exemple. Cela permet d’en déduire le prix du revenu net. Et je ne parle pas des programmes qui existent dans diverses provinces afin de financer les agriculteurs et de les aider à acheter cet équipement, en plus des programmes fédéraux qui sont si populaires qu’ils manquent d’argent. Notre comité a aussi noté que le gouvernement devrait augmenter substantiellement ces programmes, car les agriculteurs veulent cet équipement. Ils veulent participer au changement, mais ils ont besoin de l’aide de ces programmes.
De plus, si le projet de loi C-234 est adopté, nous avons appris au comité qu’il aura un effet pervers sur le marché du séchage du grain en Ontario et dans d’autres provinces. La taxe sur le carbone continuera de s’appliquer aux séchoirs à grains commerciaux. En Ontario, plus de 60 % des producteurs de grains font affaire avec des séchoirs à grains commerciaux. Ce projet de loi ne leur sera donc d’aucune utilité, contrairement aux 30 % à 40 % d’agriculteurs qui possèdent leurs propres séchoirs à grains.
Le sénateur Wells a dit que ce n’est pas un problème. Tout le monde devrait acheter des séchoirs pour la ferme. Ce sera la solution, car tout le monde bénéficiera ainsi de la remise. Des témoins ont dit au comité que les séchoirs commerciaux sont plus efficaces que les petits séchoirs individuels sur la ferme. Ce qu’on propose comme politique de lutte contre les changements climatiques, c’est d’avoir davantage de séchoirs moins efficaces sur les fermes que de fermes qui ont recours aux séchoirs commerciaux, tout en déstabilisant une activité très importante en Ontario et dans certaines provinces de l’Ouest.
Parlons maintenant du chauffage des bâtiments agricoles. Honorables sénateurs, par rapport au séchage des grains, des alternatives et des gains d’efficacité existent déjà. En fait, les alternatives pour améliorer l’efficacité du chauffage et de la climatisation des étables incluent une meilleure isolation, des planchers chauffants, des thermopompes géothermiques, des thermopompes à air, des ventilateurs à haut rendement énergétique, le chauffage à la biomasse, des murs solaires, l’éclairage à DEL, un éclairage plus naturel, de la peinture d’une couleur claire qui réfléchit la chaleur, et ainsi de suite. Nous connaissons bien certaines de ces options pour les maisons et d’autres bâtiments au Canada.
Le parrain du projet de loi C-234 à la Chambre des communes, le député Lobb, était présent aujourd’hui pour assister à notre vote et il avait confirmé ce point en témoignant devant le comité. Il a déclaré :
Si vous prenez le chauffage des étables, il évolue au même rythme que les innovations qui permettent de chauffer une maison, un bâtiment commercial ou industriel, étant donné que c’est logique sur le plan financier.
Tom Green, de la Fondation David Suzuki, a déclaré :
Un nombre sans cesse croissant d’exploitations agricoles réduisent leur consommation de combustibles fossiles et qui améliorent leur efficacité énergétique. Par exemple, il y a une ferme avicole à Linden, en Alberta, qui a installé sur son toit un système de 175 kilowatts.
Elle vend parfois de l’électricité au distributeur d’électricité.
M. Green poursuit :
Un autre exemple : on a construit un poulailler avec une enveloppe thermique à haute efficacité qui a permis de réduire la consommation énergétique de 83 % par tonne d’œufs.
C’est la raison pour laquelle j’ai proposé un amendement au comité visant à exclure le chauffage et la climatisation des étables des exemptions prévues par le projet de loi C-234, plutôt que de légiférer sur la base d’une prémisse erronée. Cet amendement a été rejeté par le Comité de l’agriculture et de l’agroalimentaire de la Chambre des communes par 6 voix contre 5. Cependant, le Comité sénatorial de l’agriculture l’a adopté par sept voix contre six, avec une abstention, qui était alors l’envoyé du bureau du représentant du gouvernement.
(2030)
Je propose à nouveau cet amendement aujourd’hui.
Cet amendement permettrait de maintenir l’incitatif financier pour réduire les émissions produites par l’élevage du bétail dans des étables, en investissant dans une solution de rechange ou une méthode efficace pour chauffer ou climatiser les étables, une option disponible en ce moment. D’un point de vue plus général, cet amendement permettrait également de décourager d’autres secteurs à chercher à exonérer leurs activités économiques qui impliquent le chauffage des bâtiments, comme les usines de transformation de la viande, les entrepôts de fruits, les centres de distribution alimentaire, et ainsi de suite, fort probablement au moyen d’autres projets de loi d’initiative parlementaire. Quand il a été avancé au comité qu’ils demandaient aussi un amendement visant à couvrir les opérations de séchage commercial, certains sénateurs ont dit : « Non, non. Il faut attendre. Il faut adopter le projet de loi sans amendement. Il y aura un autre projet de loi plus tard pour couvrir cet aspect. » Nous savons que, si cette exemption est accordée, des gens viendront frapper à la porte la semaine suivante.
Les exemptions devraient être limitées à des cas vraiment exceptionnels, et non être utilisées comme un moyen d’abroger la taxe, une étape à la fois.
Je vais maintenant parler du faux argument numéro six sur ce qui se passerait si les sénateurs osaient amender le projet de loi C-234. Le 1er novembre, dans le National Post, les propos du sénateur Wells ont été rapportés :
Parce que le gouvernement contrôle le rythme et l’ordre des projets de loi, il mourrait d’une mort lente et solitaire —
— j’aime le style poétique —
— surtout après les mesures prises à la fin de la semaine dernière pour accorder des exemptions sur le mazout domestique.
C’est malheureusement inexact. Si le Sénat amende le projet de loi C-234, un message sera envoyé à l’autre endroit pour informer les députés de cet amendement. Le message sera automatiquement inscrit dans l’ordre de priorité de la Chambre des communes pour les affaires émanant des députés. Il s’agit d’un système beaucoup plus équitable, opportun et transparent que celui que nous avons au Sénat lorsque nous traitons des projets de loi privés — surtout lorsqu’ils ne plaisent pas à certaines personnes — avec des débats et des votes régulièrement programmés sur la liste d’un maximum de 30 articles — projets de loi privés, motions ou messages du Sénat. Si le projet de loi devait être renvoyé à l’autre endroit ce soir, il deviendrait le point 25 de la liste des affaires qui doivent être débattues au moment prévu.
En outre, les députés peuvent toujours échanger un article de la liste avec un article plus bas dans la liste afin d’accélérer le débat. Selon l’ordre de priorité actuel, huit articles conservateurs se trouvent entre le numéro 1 et le numéro 25, y compris plusieurs projets de loi d’intérêt public du Sénat par les conservateurs, sans qu’il y ait de limite au nombre d’échanges possibles. Peut-être que l’un des projets de loi privés du Sénat pourrait attendre pour que le projet de loi à l’étude, d’une importance capitale, puisse avancer.
Par conséquent, si ce projet de loi est renvoyé à l’autre endroit, il ira de l’avant, le gouvernement n’aura rien à dire à ce sujet parce que ce n’est pas un projet de loi d’initiative ministérielle. En même temps, on a dit : « Ne faites pas cela. » Pourquoi? On a dit qu’il y avait un soutien multipartite à l’autre endroit pour le projet de loi, et que s’il y était renvoyé, on réagirait rapidement et réaffirmerait le soutien à ce projet de loi, à moins qu’on craigne que ce soutien ne s’évapore.
Le sénateur a peut-être menti. On nous a dit :
« Appuyez ce projet de loi parce qu’il émane de la Chambre des communes. C’est la volonté des élus. Ils ont fait leur travail, alors il suffit de l’approuver. »
Bien entendu, lorsqu’un tel débat a lieu à l’autre endroit, des amendements peuvent être apportés. On pourrait accepter l’amendement du Sénat ou on pourrait le refuser, et nous nous en remettrons à leur jugement, comme nous le faisons lorsque nous recevons le message, parce que c’est ainsi que les choses se passent entre la Chambre non élue et la Chambre élue.
À titre d’exemple, en 2017, le Sénat a amendé un projet de loi d’initiative parlementaire, le projet de loi C-224, la Loi sur les bons samaritains secourant les victimes de surdose. Ce projet de loi avait été précédemment adopté à l’unanimité par l’autre endroit. Ce projet de loi était aussi particulièrement urgent parce qu’il proposait des mesures visant à sauver des vies en cas de surdose. Il a d’ailleurs permis de sauver des vies depuis son adoption.
Le Sénat a amendé le projet de loi pour élargir l’immunité dont bénéficient les gens qui appellent le 911, dans le but de sauver davantage de vies. L’autre endroit a accueilli favorablement l’amendement du Sénat et l’a adopté en moins d’un mois. Alors que des vies étaient en jeu, le Sénat n’a pas jugé que le fait d’apporter un amendement présentait un risque indu. Si nous pouvons le faire quand des vies sont en jeu, nous pouvons aussi le faire quand il est question d’exemptions pour le gaz naturel et le propane servant à chauffer une étable.
Par ailleurs, je suis intrigué qu’on nous ait demandé d’agir à toute vitesse parce que c’était la volonté d’une immense majorité de députés. Je sais que la Chambre est saisie d’une motion qui a été débattue aujourd’hui et qui sera mise aux voix demain. Nous découvrirons peut-être, ou peut-être pas, que l’appui multipartite qui existait est en train de s’évaporer. Nous nous occuperons du projet de loi s’ils l’appuient toujours et nous le ferons rapidement. Ne vous inquiétez pas, personne ne fait sécher de grain en ce moment : la saison est finie.
Chers collègues, selon la septième fausse allégation, ce projet de loi n’affaiblirait pas le cadre canadien de tarification du carbone ni notre plan de lutte contre les changements climatiques. À la première réunion du Comité de l’agriculture, le sénateur Wells, parrain du projet de loi, a dit ceci :
Sachez que le projet de loi C-234 n’a pas comme objectif de remettre en question la validité de la taxe sur le carbone. Le changement climatique est une réalité indéniable, et les mesures d’atténuation sont des outils cruciaux pour notre lutte. Il nous incombe cependant de nous assurer que les mesures sont appliquées de façon juste. Les amendements proposés à la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre dans le projet de loi C-234 ne sont pas des changements ambitieux, et ils ne remettent pas en question le concept même de la taxe. Ce sont des amendements ciblés et précis [...]
Je précise au passage que le concept de la taxe est de tarifer le carbone.
Honorables collègues, je trouve cette déclaration surprenante. Comme on le dit sur le site Web du Parti conservateur, ce projet de loi est une première tentative visant à abolir la taxe, et il n’aura aucune incidence sur le prix des aliments. Voilà l’intention.
Par conséquent, il ne faut pas dorer la pilule en disant :
Non, non, nous sommes favorables à la lutte contre les changements climatiques. Oui, nous allons faire quelque chose, mais pas cela. Nous allons seulement exclure ce groupe.
Or, comme je l’ai dit, dès la semaine suivante, le prochain groupe viendra frapper à la porte.
D’ailleurs, même si on adoptait ce projet de loi, ce que je ne recommande pas — je propose plutôt de le renvoyer à la Chambre des communes —, je serais curieux de voir si, dans le mois suivant, cela aurait un effet sur vos factures d’épicerie.
La dernière fausseté est de prétendre qu’il faut laisser plus d’argent dans les poches des agriculteurs pour les encourager à investir dans l’économie verte. Selon cet argument, une hausse du prix du carbone n’est pas un incitatif financier, alors que son absence le sera. En toute honnêteté, je n’arrive pas à comprendre ce raisonnement, à moins que tous les économistes du monde, ou du moins la majorité d’entre eux, se trompent.
Enfin, j’arrive à l’argument de l’équité qui préoccupe un bon nombre d’entre nous, comme il se doit. Comme nous le savons tous, depuis le rapport du Comité de l’agriculture et des forêts, trois événements importants ont eu lieu. D’abord, le 26 octobre, le premier ministre a annoncé une exemption d’une durée de trois ans à la tarification du carbone pour le mazout domestique. Comme la sénatrice Simons, cette annonce m’a laissé plutôt perplexe. Après quelques recherches, je comprends maintenant que, selon les prix actuels, générer la même quantité de chaleur peut coûter quatre fois plus cher avec du mazout qu’avec du gaz naturel; le prix du mazout a augmenté considérablement au cours des dernières années alors que le prix du gaz a baissé. De plus, cette source d’énergie coûteuse est majoritairement utilisée par des ménages à faible revenu, non seulement dans les provinces de l’Atlantique, mais aussi surtout en Ontario et au Québec, comme l’indiquent les chiffres.
Comme la sénatrice Ringuette l’a indiqué aujourd’hui, cette exemption ne se limite pas à une seule région; le but n’est pas de cibler un groupe de personnes qui utilisent un produit dont le prix a augmenté en flèche au fil des ans. C’est un produit inefficace. L’énergie produite n’est pas suffisante comparativement au gaz, et le temps est venu de le remplacer par l’achat de thermopompes et d’autres sources d’énergie. Le gouvernement prend des mesures en ce sens. Était-il nécessaire d’accorder une exemption de trois ans en plus? À mon avis, cela ressemble à un faux pas, mais ce n’est pas une excuse pour jeter le bébé avec l’eau du bain.
(2040)
Ensuite, depuis la publication du rapport, le gouvernement a répété à maintes reprises qu’il n’y aurait pas d’autres exemptions de la taxe sur le carbone. Il a également réaffirmé son engagement ferme envers la politique de tarification du carbone et sa détermination à faire tout ce qu’il faut pour respecter l’engagement pris par le Canada dans le cadre de l’Accord de Paris. Je sais que beaucoup ici pensent comme moi qu’il s’agit de mesures nécessaires pour combattre les changements climatiques.
Enfin, le 6 novembre, la Chambre des communes a rejeté une motion des conservateurs demandant une exemption pour tous les combustibles de chauffage domestique. Pourquoi devrions-nous maintenant adopter un projet de loi qui prévoit une exemption pour le chauffage de toutes sortes d’étables et d’autres bâtiments agricoles, y compris pour les agriculteurs assujettis à des programmes de gestion de l’offre qui leur garantissent un bon revenu, alors que nous avons refusé d’accorder une exemption semblable pour tous les combustibles de chauffage domestique? Je pense qu’il s’agit là d’une bonne question. Les vaches ont peut-être plus de valeur que les êtres humains.
Par ailleurs, pouvons-nous adopter un projet de loi qui propose des exemptions pour le chauffage de toutes sortes de bâtiments agricoles pendant une durée minimale de huit ans, alors que l’exemption pour le mazout domestique est seulement d’une durée de trois ans? Dites-moi : où est la logique?
Qu’on l’envisage isolément ou en tenant compte des événements récents, le projet de loi C-234 demeure une mauvaise mesure législative reposant sur de nombreuses fausses prémisses. À mon avis, le Parlement ne devrait pas légiférer en s’appuyant sur une ou plusieurs fausses prémisses. Adopter le projet de loi dans sa forme actuelle équivaudrait à avoir peur de remplir notre rôle constitutionnel.
Face à des campagnes de pression et même à des menaces, le projet de loi d’initiative parlementaire n’est pas un cas où nous devrions abdiquer notre responsabilité, surtout à l’égard d’un projet de loi d’initiative parlementaire. Honorables sénateurs, comme toujours, nous devons faire ce qui s’impose. Dans le cas présent, cela signifie renvoyer le projet de loi à l’autre endroit pour permettre à des députés élus des trois partis de l’opposition qui ont rendu son adoption possible, malgré l’avis contraire du gouvernement, d’agir ensemble et de nous dire exactement la façon dont ils voient les choses et dont ils veulent gérer les choses afin qu’elles soient cohérentes. Pourquoi les producteurs de grain devraient-ils bénéficier d’une exemption de huit ans, et certaines personnes d’une exemption de trois ans pour chauffer leur maison?
Avant de proposer l’amendement, je terminerai en citant à nouveau les propos que le député Lobb a tenus lorsqu’il a parlé du chauffage des granges. Il a dit :
Si vous prenez le chauffage des granges, il évolue au même rythme que les innovations qui permettent de chauffer une maison, un bâtiment commercial ou industriel, étant donné que c’est logique sur le plan financier.
Il n’y a aucune raison de prévoir une exemption pour le chauffage des fermes et autres bâtiments agricoles.
Par conséquent, avec cet amendement, laissez-nous légiférer en fonction des faits. Tirons un trait sur la suppression de la taxe. Nous améliorerons le projet de loi C-234 et inviterons tous les députés, y compris les libéraux et les ministres, à mettre en place une approche existante au lieu de trouver des failles dans une partie importante de notre plan de lutte contre les changements climatiques.
Motion d’amendement
L’honorable Pierre J. Dalphond : Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que le projet de loi C-234 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié :
a) à l’article 1 :
(i) à la page 1, par substitution, aux lignes 4 à 17, de ce qui suit :
« 1 (1) L’alinéa c) de la définition de machinerie agricole admissible, à l’article 3 de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, est »,
(ii) à la page 2, par suppression des lignes 1 à 8;
b) à l’article 2, à la page 2, par substitution, à la ligne 22, de ce qui suit :
« 2 (1) Les paragraphes 1(2.1) et (5) ».
Ce sera plus facile à lire sur un bout de papier et cela aura probablement l’air aussi technique que ce que je viens de dire, mais c’est la traduction en termes législatifs de ce que j’ai dit.
Il s’agit de créer une exclusion dans le projet de loi visant à supprimer le chauffage et la climatisation des étables et des vieux bâtiments agricoles parce que cela n’a aucun sens et que le chauffage des êtres humains n’est pas exempté, sauf dans le cas très limité du mazout. Par conséquent, ce n’est pas logique. Si nous sommes prêts à légiférer en nous fondant sur de fausses prémisses et de manière illogique parce que nous craignons les pressions exercées par les agriculteurs et les menaces provenant des gens, à mon avis, nous renoncerons à notre responsabilité, et le Sénat ne sera pas le nouveau Sénat. Il reviendra à la vieille époque, où personne ne se souciait de lui.
[Français]
Son Honneur la Présidente : Sénateur Dalphond, le temps alloué au débat est écoulé. Êtes-vous prêt à répondre à des questions?
[Traduction]
Le sénateur Dalphond : Je m’étais dit qu’après 45 minutes, tout le monde en aurait assez de moi. Si vous souhaitez néanmoins que je parle encore cinq minutes, je suis prêt à le demander.
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?
Une voix : Non.
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, tout d’abord, permettez-moi de dire que je ne suis pas certain de ce que font les producteurs de grain au centre-ville de Montréal, mais dans l’Ouest canadien, ils sont encore en train de sécher leur grain. Je ne sais pas où le sénateur Dalphond a compris que la saison de séchage est terminée. La saison de séchage est loin d’être terminée dans ma province — le Manitoba —, en Saskatchewan, en Alberta et, j’en suis sûr, en Ontario.
Le sénateur Dalphond a aussi dit qu’il s’agit d’une première tentative pour éliminer la taxe. Si c’était le cas, je me demande pourquoi le Parti vert, le NPD et le Bloc ont appuyé ce projet de loi à l’autre endroit. Je ne pense pas que le sénateur Dalphond accuserait le Parti vert de vouloir éliminer la taxe. Cela transcende donc les lignes de parti.
Je serai très bref. Le sénateur Dalphond a aussi dit que les agriculteurs sont tellement efficaces qu’ils utilisent maintenant des séchoirs à grains de NECO, et il a raison. Ce que le sénateur Dalphond n’a pas dit, c’est que les séchoirs à grains de NECO fonctionnent au propane. Je ne sais pas pourquoi, lorsqu’un agriculteur devient plus efficace et qu’il consomme 30 % moins d’énergie, nous ne dirions pas que c’est une bonne chose, qu’il aura besoin d’une exemption moins importante parce qu’il utilise moins d’énergie. Nous devrions l’encourager au lieu d’essayer de le pénaliser.
Ses arguments me laissent donc un peu perplexe. Il faut surtout nous demander, chers collègues, combien de fois il faudra mettre la même proposition aux voix avant que le sénateur Dalphond se dise : « Peut-être qu’ils le veulent vraiment? » Nous avons déjà voté sur cet amendement. Je suis certain que si j’invoquais le Règlement à ce sujet, le sénateur Dalphond pourrait trouver une différence d’une virgule entre son amendement et le premier. Je ne ferai donc pas de rappel au Règlement, Votre Honneur, bien que je sois convaincu qu’il serait possible d’en justifier un en faisant valoir que le Sénat a déjà traité un amendement identique.
(2050)
Le sénateur Dalphond a proposé cet amendement au comité, puis nous avons voté sur le rapport du comité qui contenait cet amendement. Or, cette Chambre a décidé de rejeter cet amendement en rejetant le rapport du comité. Je ne vois pas comment nous pourrions être plus clairs que cela.
Comme cela ne suffisait pas, le sénateur Dalphond a contribué, j’en suis sûr, au choix de l’amendement suivant sur lequel nous avons voté dans la soirée. Une fois de plus, cet amendement a été rejeté par cette Chambre. Nous avons démocratiquement rejeté cet amendement. Le sénateur Dalphond propose maintenant un autre amendement qui est exactement le même, et j’ai entendu dire qu’un troisième amendement attendait dans les coulisses.
Chers collègues, combien en faudra-t-il? Les agriculteurs d’un bout à l’autre du pays nous implorent. Même si les séchoirs à grains sont plus efficaces, sénateur Dalphond, il y a des gens qui chauffent, et la saison vient de commencer, elle ne se termine pas. Même si vous avez déjà dit à tort qu’on ne séchait plus les grains, la saison de chauffage est déjà commencée. C’est à ce moment-là que les agriculteurs ont grandement besoin que nous défendions leur cause.
Il ne s’agit pas d’agriculteurs d’une seule région du Canada. Il ne s’agit pas seulement des agriculteurs des provinces de l’Atlantique ou de l’Ouest canadien. Les agriculteurs du Québec, même s’ils ont le système de plafonnement et d’échange au Québec, nous supplient de traiter tout le monde équitablement, de rejeter les amendements et d’adopter le projet de loi C-234. C’est dans la province du sénateur Dalphond que cela se passe, mais on dirait que le sénateur Dalphond s’y connaît mieux que tous les agriculteurs de sa province. Il s’agit de producteurs laitiers, de producteurs de porcs, de producteurs de céréales et de producteurs de légumes. Ils veulent tous que nous adoptions le projet de loi C-234 sans amendement.
Chers collègues, il s’agit à nouveau d’un amendement qui, je le répète, est à deux doigts de justifier un recours au Règlement, mais je ne le ferai pas. Je compte sur les sénateurs pour faire ce qu’ils ont fait déjà aujourd’hui et montrer à nouveau au sénateur Dalphond que la majorité des sénateurs veulent que le texte soit adopté, et qu’il soit adopté sans amendement. Nous avons voté deux fois sur ce point, chers collègues.
Je sais que le gouvernement est anxieux et qu’il travaille d’arrache-pied, même s’il ne se mêle jamais des projets de loi d’initiative parlementaire, à moins qu’il ne s’agisse d’un projet qui ne lui plaise pas. Chers collègues, rejetons cette proposition. Passons à autre chose. Donnons aux agriculteurs canadiens ce dont ils ont besoin. Donnons-leur l’assurance qu’ils pourront sécher leur grain et chauffer leurs étables. Ils auront des séchoirs à grains plus efficaces, sénateur Dalphond. S’ils sont disponibles, croyez-moi, ils les achèteront. C’est un avantage pour eux comme pour le reste du pays. Ils n’essaient pas de fonctionner de manière inefficace, ils essaient de fonctionner de la manière la plus efficace possible.
Chers collègues, je vous encourage à rejeter cet amendement et à soutenir les agriculteurs de toutes les régions du pays. Soutenez les agriculteurs — votez contre cet amendement. Il s’agit d’une manœuvre dilatoire. C’est absolument tout ce que c’est, une manœuvre dilatoire comme nous n’en avons jamais vu auparavant. Chers collègues, votez contre cet amendement. Sur ce, je souhaiterais que la motion soit mise aux voix.
Son Honneur la Présidente : Sénateur Plett, la sénatrice Ringuette voudrait poser une question. Acceptez-vous de répondre à la question?
Le sénateur Plett : Non.
L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’amendement au projet de loi C-234, qui a été proposé par le sénateur Dalphond. En fait, comme vous pouvez le voir, la pile de mes recherches est de plus en plus haute.
À mon avis, cet amendement représente un compromis pour faire progresser le projet de loi et s’entendre sur un délai permettant aux producteurs de grains d’acquérir des technologies plus propres — des séchoirs à grains — qui sont maintenant offertes sur le marché. En fait, depuis de nombreuses années, le ministère de l’Agriculture investit des centaines de millions de dollars pour aider les producteurs de grains à acheter de tels séchoirs écoénergétiques.
Je dirai également que le projet de loi ne soulève pas une question d’équité pour les agriculteurs. Comme je vous l’ai déjà démontré par l’entremise du rapport du directeur parlementaire du budget, avec l’exemption actuelle de 97 % pour le diésel et l’essence, le coût moyen net pour les agriculteurs par année et par ferme est de 806 $, et cette moyenne s’applique aux sept prochaines années. C’est le résultat du calcul selon les prix actuels du propane et du gaz naturel, en comptant le remboursement de 90 %. Lisez le rapport du directeur parlementaire du budget. Arrêtez de croire sur parole tous les défenseurs du projet de loi qui prétendent qu’il faut parler de 1 milliard de dollars. Ce n’est pas le cas. Lisez le rapport du directeur parlementaire du budget.
L’actuel mécanisme de tarification du carbone est le plus généreux de tous, plus généreux que la tarification du carbone pour les particuliers — les consommateurs — et plus généreux que le régime privé pour tous les autres secteurs économiques de notre pays.
Ce projet de loi n’a rien à voir avec l’équité pour les agriculteurs. Après les événements dont nous avons été témoins pendant notre semaine de relâche, je réaffirme qu’il s’agit d’un cheval de Troie pour ceux qui souhaitent éliminer la taxe. Tout en faisant des recherches pendant notre semaine de relâche, j’ai passé beaucoup de temps au téléphone avec les producteurs de pommes de terre de notre région à leur expliquer de manière objective l’exemption actuelle de 97 % pour le diésel et l’essence et le remboursement de 90 % pour les agriculteurs. La plupart d’entre eux ne connaissaient pas l’existence de ce remboursement parce que le Nouveau-Brunswick ne faisait partie du programme fédéral que depuis le 1er juillet.
Je leur ai aussi parlé en toute objectivité du projet de loi C-234, qui éliminerait la tarification du carbone sur le propane et le gaz naturel. De plus, il finirait par éliminer à très court terme tout remboursement, chers collègues, vu que ce remboursement est fondé sur 90 % du produit des redevances. Soyons réalistes. Il éliminera les remboursements que les agriculteurs reçoivent. C’est l’autre moitié de l’histoire que vous n’avez pas entendue.
L’analyse de leur feuille de calcul des coûts a clairement montré que le système actuel est financièrement plus avantageux pour eux. En même temps, ils parlent des changements climatiques et disent à quel point ceux-ci affectent sans arrêt leurs activités. Ils savent que la réduction des émissions sera rentable à long terme. Les gens dans ma région sont terre à terre; ils veulent faire partie de la solution, et non du problème. Ils ne veulent pas être la plus grande aberration en matière de tarification du carbone par rapport à n’importe quel autre secteur. Ce sont de fiers agriculteurs. Ils ne veulent pas non plus être le bouc émissaire politique de la rhétorique partisane que nous entendons actuellement.
Soit dit en passant, ce sont les mêmes familles d’agriculteurs qui, pendant la sécheresse qui a frappé l’Ouest il y a quelques décennies, ont envoyé gratuitement des trains remplis de pommes de terre aux Canadiens de l’Ouest, même s’ils étaient pauvres. Ils croyaient que, comme pour la plupart des enjeux, nous sommes tous dans le même bateau.
Je ne leur ai pas encore parlé du discours contradictoire des lobbyistes qu’ils paient pour faire pression sur ce projet de loi. Il s’agit de l’argent qu’ils ont durement gagné, et il y a en même temps un discours contradictoire. Même le sénateur Plett l’a confirmé. Des organisations agricoles et des organisations d’éleveurs de bovins sont allées dans son bureau pour lui dire : « Vous devez appuyer ce projet de loi, mais s’il vous plaît, n’aidez pas les agriculteurs canadiens qui sont soumis à la gestion de l’offre. » Il y en a dans ma région, et ils vont savoir de quoi je parle.
(2100)
Au cours de ces conversations, ils m’ont informée que la crise climatique les oblige à augmenter la quantité d’engrais dont ils ont besoin et que leur prix a considérablement augmenté en raison de l’embargo qui frappe la Russie. Ces coûts n’ont jamais été abordés lors des réunions du Comité de l’agriculture.
Je dois admettre que ce fut toute une révélation pour moi. Par conséquent, j’ai fait quelques recherches et, même si je n’ai pas pu trouver l’augmentation du prix des engrais en raison de notre embargo frappant la Russie, il est probablement beaucoup plus élevé que ce dont nous parlons aujourd’hui. Toutefois, j’ai trouvé une étude qui a été publiée en octobre dernier au sujet des émissions produites par les agriculteurs de la Saskatchewan au cours des 20 dernières années. Voici la constatation de cette étude : les émissions de gaz à effet de serre produites en Saskatchewan par le secteur de l’agriculture et le secteur de la production des intrants agricoles augmentent constamment. Les émissions ont doublé. Le tonnage — et c’est ce qui détermine le coût réel — des engrais azotés utilisé chaque année a quadruplé en Saskatchewan. Je peux donc supposer que le coût a quadruplé parallèlement, mais pas à cause de la tarification du carbone.
Je reviens à l’augmentation du coût des engrais causée par l’embargo qui frappe la Russie. C’est une mesure que nous avions tous saluée, au Sénat comme à l’autre endroit. Nous nous sommes réjouis de l’embargo frappant la Russie en raison de la guerre qu’elle a déclenchée contre l’Ukraine. En fait, quand nous nous sommes rendus à l’autre endroit pour entendre le président Zelensky, une sénatrice vêtue de son costume ukrainien et assise à côté de moi applaudissait encore plus fort que moi, ce qui m’a fait chaud au cœur.
On dirait que cet appui s’est passablement étiolé. Je me demande comment certaines personnes ont pu tourner le dos à l’Ukraine la semaine dernière. En effet, 109 députés conservateurs ont voté contre l’accord commercial Canada—Ukraine à cause de leur phobie de la tarification du carbone. C’est une phobie, rien de moins. Honorables sénateurs, l’Ukraine a imposé la tarification du carbone en 2011, plus de 10 ans avant nous. C’était incidemment l’année même où Stephen Harper avait retiré le Canada du Protocole de Kyoto, qu’il qualifiait de complot socialiste. Nous étions le seul pays du monde à refuser de respecter le Protocole de Kyoto.
Au lieu de tirer des leçons de nos erreurs passées sur ce sujet, certains sénateurs qui étaient déjà ici à l’époque et qui sont encore ici emploient pratiquement les mêmes arguments, mais sous un enrobage légèrement différent.
La proposition devant nous est une corde de plus à l’arc du laissez-faire. C’est exactement l’objet du projet de loi non amendé : ne rien faire, bien que le secteur agricole se classe au cinquième rang parmi les principaux émetteurs de gaz à effet de serre au Canada.
Ce projet de loi aura de graves conséquences imprévues, puisque l’élimination de 100 % de la tarification du carbone aura des répercussions désastreuses sur les accords commerciaux. Les conséquences de ce projet de loi sont donc pires qu’elles ne paraissent. Le Canada est un pays commerçant. Nous ne vivons pas dans l’isolement. Le monde entier livre une guerre aux émissions, y compris les pays avec qui nous avons des accords commerciaux ou nous souhaitons en avoir. Que cela nous plaise ou non, les accords commerciaux actuels et futurs du Canada contiendront tous des dispositions concernant la réduction des émissions produites par certains secteurs.
On ne pourra pas faire abstraction des réductions d’émissions dans les négociations commerciales. Le Canada est le cinquième exportateur de produits alimentaires en importance : 50 % de notre bœuf, 70 % de notre soya, 70 % de notre porc, 75 % de notre blé, 90 % de notre canola et j’en passe. Dans un monde concurrentiel, comment pensez-vous que les agriculteurs s’en sortiront, selon les futurs accords commerciaux, avec leurs produits sans tarification des émissions? Croyez-vous sincèrement que nos partenaires commerciaux, qui ont tous mis en place une tarification du carbone, fermeront les yeux sur l’exemption de 100 % que vous proposez pour les agriculteurs?
Il y aura des représailles, et elles seront aussi sévères que coûteuses, en particulier pour les agriculteurs du Québec et de la Colombie-Britannique, qui seront frappés sur deux plans plutôt qu’un — la tarification du carbone et les échanges commerciaux — étant donné que les accords commerciaux du Canada ne pourront pas traiter différemment l’activité agricole au Québec et en Colombie-Britannique. Les accords ne prévoient rien de tel.
Si vous ne le croyez pas, honnêtement, vous rêvez en couleurs. Nos partenaires commerciaux n’accepteront jamais que l’ensemble de notre secteur économique agricole soit exclu de la réglementation et de la tarification des émissions de carbone. J’imagine déjà les représailles.
Comme je l’ai dit un peu plus tôt, à l’heure actuelle, le coût annuel net de la tarification du carbone pour les agriculteurs s’élèvera en moyenne à 806 $ par exploitation agricole au cours des sept prochaines années. Conclure les accords commerciaux à venir sans prévoir de tarification du carbone pour les agriculteurs pourrait coûter des millions, voire des milliards, de dollars à ces agriculteurs. Encore une fois, pour implanter au Canada un train de mesures pour réduire les émissions, il faut du courage politique et de la vision. Jusqu’à présent, personne n’a eu un tel courage.
Le monde entier s’engage sur cette voie. En tant que Chambre de second examen objectif, nous devons étudier ce projet de loi en tenant compte de cette réalité. Là encore, ce n’est pas une question d’équité envers les agriculteurs. Sur le plan stratégique, je trouve que c’est une évidence aveuglante. Certains disent qu’en n’agissant pas plus tôt, nous avons déjà condamné la planète. Or, comme vous pouvez le constater, je suis combative. Je suis prête à me battre pour ce qui est juste et je n’abandonnerai pas. Individuellement et collectivement, nous devons travailler plus dur et plus rapidement pour lutter contre les changements climatiques et réduire les émissions.
J’ai appuyé ce rapport du Comité de l’agriculture, qui contenait l’amendement, et dans un esprit de conciliation...
[Français]
Son Honneur la Présidente : Sénatrice Ringuette, votre temps de parole est écoulé.
La sénatrice Ringuette : Puis-je avoir quelques minutes de plus?
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Une voix : Non.
[Traduction]
L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, je tiens d’abord à remercier la sénatrice Ringuette, le sénateur Plett et le sénateur Dalphond de leurs interventions. Elles nous ont rappelé à quel point le débat à l’étape de la troisième lecture est important, puisque nous avons entendu ce soir de nouveaux renseignements qui devraient nous aider tous à prendre une décision au sujet non seulement de cet amendement, mais de l’ensemble du projet de loi.
(2110)
À la fin de son intervention, le sénateur Dalphond nous a exhortés à légiférer en nous fondant sur les faits. Même si nous devrons tous déterminer ce que nous croyons être les faits, vous conviendrez peut-être que les sénateurs Dalphond et Ringuette, plus particulièrement, nous ont dit des choses qui ne cadrent pas avec l’avalanche d’information dont nous ont bombardés les groupes de pression.
Encore une fois, c’est à chacun d’entre nous de décider quels faits nous choisirons de croire, mais je suis profondément reconnaissant à mes collègues de nous avoir donné des points de vue différents.
Je suis également très reconnaissant de pouvoir participer au débat sur cet amendement, car je n’étais pas présent au Sénat lorsque le rapport a été débattu et mis aux voix. Je fais comme on le sait partie du Comité de l’agriculture, qui a élaboré le rapport. Au comité, j’ai voté en faveur de l’amendement visant à supprimer les granges des exemptions prévues par le projet de loi C-234.
Je suis déçu de ne pas avoir eu la possibilité d’intervenir sur cet amendement avant que l’ensemble du Sénat se prononce sur le rapport. Je profite donc de l’occasion qui s’offre à moi ce soir.
À ceux qui se demandent pourquoi nous revenons sur un amendement qui a été rejeté du même souffle que le rapport du comité, j’espère que mon intervention vous donnera un point de vue nouveau et qu’elle changera l’opinion de certains.
L’amendement du sénateur Dalphond nous incite à réfléchir à la différence entre les étables et les séchoirs à grains pour ce qui est de l’effet qu’un signal de prix peut avoir sur la réduction des émissions liées à l’utilisation d’énergie. Il part du principe qu’il existe davantage de solutions à faibles émissions pour le chauffage des bâtiments que pour les séchoirs à grains. Cette supposition est correcte. Le sénateur Dalphond l’a déjà développée, et c’est un argument de poids pour retirer les étables de l’exemption prévue par le projet de loi C-234.
Le chauffage et la climatisation des bâtiments, y compris les étables, peuvent être améliorés et les émissions réduites grâce à de meilleures technologies d’isolation, de construction et de ventilation, qui sont toutes faciles à se procurer aujourd’hui.
On peut également réduire les émissions en faisant la transition, en tout ou en partie, vers des sources d’énergie renouvelables lorsque celles-ci sont disponibles, de même qu’en installant des thermopompes — oui, des thermopompes. Je sais que cet appareil simple et plutôt moche qui utilise une technologie qui remonte à des décennies est récemment devenu un symbole de la guerre des cultures brandi par les sceptiques de la science climatique, les junkies qui ont besoin de leur dose quotidienne de combustible fossile et les simples réactionnaires. Ces gens ont démonisé les thermopompes comme une sorte de statut imposé de force qui les brime dans leur droit de polluer ou qui ne répond même pas à leurs besoins en matière de chauffage et de climatisation, voire les deux.
Cela me rappelle l’apparition des premières voitures hybrides, il y a 20 ans. Certaines personnes avaient l’impression que ceux qui conduisaient des voitures hybrides essayaient de faire passer un message ou d’avoir l’air cool et n’étaient pas vraiment sincères. Les perceptions ont changé depuis, bien entendu. On dirait que les thermopompes font un peu le même effet aujourd’hui.
En fait, il y a des guerres culturelles semblables qui font rage en Europe au sujet des thermopompes. En Allemagne, par exemple, le gouvernement a essayé d’imposer les thermopompes comme source d’énergie de prédilection pour les nouvelles constructions, mais le parti Alternative für Deutschland, le parti d’extrême droite — je n’utiliserai pas l’autre qualificatif —, est monté aux barricades et a dit que favoriser les thermopompes était une sorte d’interventionnisme socialiste.
Des débats similaires ont lieu aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Pologne, généralement sous la direction des partis de droite de ces pays.
Permettez-moi de citer un extrait de la MIT Technology Review sur l’efficacité des thermopompes dans les climats froids :
L’affirmation selon laquelle les thermopompes ne fonctionnent pas bien lorsqu’il fait très froid est souvent répétée par les entreprises qui produisent des combustibles fossiles et qui ont un produit concurrent à vendre.
Il y a là un fond de vérité. Les thermopompes peuvent être moins efficaces dans le froid extrême. Lorsque la différence de température entre l’intérieur et l’extérieur augmente, une thermopompe doit redoubler d’efforts pour extraire de la chaleur de l’air extérieur. Il y a pourtant des thermopompes en marche partout aux États-Unis, de l’Alaska au Maine. En Norvège — qui est un pays froid, soit dit en passant —, 60 % des bâtiments sont chauffés à l’aide de thermopompes.
Chers collègues, même si les thermopompes ne sont pas aussi efficaces dans des températures extrêmement froides, la solution économique et respectueuse du climat consiste à disposer d’une source d’énergie secondaire en complément à la source de chaleur.
Permettez-moi de citer une étude réalisée en 2022 par MM. Ferguson et Sager, qui a révélé que les thermopompes à air pour climat froid produisent moins d’émissions de gaz à effet de serre, ou GES, que les appareils de chauffage au mazout dans toutes les régions du Canada, et pas seulement dans mon coin de pays. Ces mêmes thermopompes produisent moins d’émissions de GES que les appareils de chauffage au gaz en Colombie-Britannique, au Manitoba, en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Les coûts de fonctionnement des thermopompes à air pour climat froid sont inférieurs à ceux des générateurs électriques d’air chaud ou des appareils de chauffage au mazout pour le chauffage des locaux dans toutes les régions du Canada.
Dans les régions où le prix du gaz naturel est bas, les coûts de fonctionnement des thermopompes à air pour climat froid sont plus comparables aux coûts de fonctionnement d’un appareil de chauffage au gaz classique. En d’autres termes, les arguments en faveur des thermopompes, même en cas de températures extrêmement froides, sont très solides.
Le sénateur Dalphond a raison de nous rappeler que les étables sont différents des séchoirs à grains dans la mesure où il existe des technologies de remplacement pour le chauffage et le refroidissement des structures qui produisent moins d’émissions.
Si nous croyons en l’importance du régime prévu dans la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre et au rôle essentiel que la tarification du carbone joue dans l’incitation au changement, cela devrait nous suffire pour appuyer cet amendement. Par contre, chers collègues, on aurait tort d’extrapoler à partir de cet argument que les séchoirs à grains s’en tirent à bon compte. Ce qui est important, dans la logique plus vaste de la politique sur la tarification des gaz à effet de serre, ce n’est pas que, contrairement aux séchoirs à grains, les étables bénéficient d’une solution énergétique de rechange et que par conséquent il faudrait épargner les séchoirs à grains. Cette affirmation fallacieuse est fondée sur l’idée que la tarification du carbone ne fonctionne que lorsqu’il existe des technologies de rechange.
C’est en effet un argument clé des partisans du projet de loi C-234, qui affirment que l’absence de solutions de rechange au gaz naturel dans le cas des séchoirs à grains fait en sorte qu’il est inutile d’imposer une redevance sur les combustibles pour cette source d’énergie.
En effet, une bonne partie du débat sur le projet de loi C-234 a porté sur le moment où une toute nouvelle technologie permettra aux agriculteurs de cesser d’utiliser du gaz naturel. L’absence de réponse claire a constitué un argument devant permettre d’exempter le séchage du grain pendant au moins les huit prochaines années. Ce point de vue représente une compréhension erronée du fonctionnement de la tarification du carbone, mais il a été répété à maintes reprises, dont tout récemment dans les lettres provenant de Pulse Canada et dans le courriel qu’un de nos collègues nous a envoyé à tous ce matin.
(2120)
L’effet d’un signal de prix consiste à inciter les agriculteurs à réduire leur utilisation de combustibles à forte intensité de carbone par tous les moyens possibles, y compris en investissant dans l’efficacité énergétique basée sur les technologies actuelles. L’objectif de la tarification du carbone est d’inciter les agriculteurs à se rapprocher de ce que l’on appelle la frontière technologique, quelles que soient la ou les technologies commerciales qui prévalent. Le mécanisme de prix — le prix du carbone — ne repose pas uniquement sur des percées technologiques totalement inédites, même si les signaux de prix encourageront l’innovation susceptible d’entraîner de telles percées.
Certains d’entre vous diront que tous les producteurs de céréales sont déjà à la frontière technologique, mais ce n’est pas un argument crédible. Le sénateur Dalphond a déjà donné quelques raisons pour lesquelles il n’est pas crédible, mais permettez-moi de citer l’un des témoins vedettes de l’étude du projet de loi par le Comité de l’agriculture et des forêts, qui a admis qu’il n’avait que récemment échangé son séchoir à grains vieux de 50 ans contre un nouveau, ce qui lui a permis de réaliser des économies substantielles en termes d’énergie et de coûts. De même, le sénateur Plett vient de nous dire que le séchoir à grains NECO permettra de réaliser d’importantes économies de coûts et d’énergie. C’est exactement l’objectif de l’incitation par les prix. On peut raisonnablement s’attendre à ce que d’autres agriculteurs qui pratiquent le séchage du grain tiennent compte du prix du carbone lorsqu’ils envisageront de remplacer leur séchoir à grains vieux de 50 ans, 40 ans ou 30 ans, et peut-être d’opter pour le modèle NECO.
Si vous doutez encore qu’il existe d’autres mesures d’efficacité énergétique dont les agriculteurs peuvent se prévaloir — autre qu’une source d’énergie totalement nouvelle —, considérez que le Programme de technologies propres en agriculture du gouvernement fédéral ne suffit pas à répondre à la demande des agriculteurs. La plupart des partisans du projet de loi demandent également une augmentation du financement de ce programme. Nous l’avons entendu à la période des questions avec le ministre Guilbeault la semaine dernière. À mes yeux, c’est l’aveu le plus clair que l’on puisse faire de l’existence de mesures d’efficacité énergétique pour les agriculteurs qui sont disponibles aujourd’hui.
Certains d’entre vous penseront que les agriculteurs agissent déjà dans leur propre intérêt en matière d’efficacité énergétique et qu’un signal de prix n’est donc pas nécessaire. Je suis économiste. J’ai l’impression que les agriculteurs ne sont pas très différents des autres et que les incitatifs sont importants. Supposons, pour les besoins de l’argumentation, que chaque agriculteur possédant une étable et faisant sécher ses grains maximise déjà ses économies d’énergie en utilisant le gaz naturel et le propane. Supposons également qu’une toute nouvelle technologie utilisant une autre source d’énergie apparaisse dans huit ans, ce que la plupart des défenseurs de cette cause estiment. À ce moment-là, les agriculteurs utilisant du gaz naturel auront le choix entre passer à une nouvelle technologie à un coût considérable ou payer 170 $ la tonne d’émissions, par rapport à 65 $ la tonne cette année. Je prédis qu’ils ne choisiront ni l’un ni l’autre parce que le coût d’ajustement sera trop soudain et trop important, et nous aurons fait en sorte que cela se produise. Nous aurons permis que cela se produise. Au lieu de cela, ils feront pression sur le Parlement pour qu’il prolonge l’exemption, ce qui sera facile à faire dans le cadre de la version actuelle de ce projet de loi puisque nous avons rejeté l’amendement proposé par la sénatrice Moncion. Ce qui aurait pu être un ajustement progressif à une nouvelle technologie au rythme d’augmentations annuelles de 15 $ la tonne du prix des émissions est devenu un fardeau gigantesque qui entrera en vigueur le 1er janvier 2031. Vous pouvez voir comment le projet de loi C-234 sape la logique de la tarification de la pollution et intensifie la pression politique en faveur de l’abandon du régime.
Chers collègues, je reviendrai sur cette idée dans mon discours sur la motion principale, à l’étape de la troisième lecture. Je veux m’en tenir strictement à l’amendement. Je me contenterai de dire pour l’instant que cet amendement a beaucoup de mérite. À la fin de son intervention, le sénateur Dalphond a demandé que nous mettions un terme à l’érosion du système de taxation du carbone au Canada. Je ne veux pas dramatiser, mais c’est ce que nous faisons ici aujourd’hui. Si nous votons en faveur de l’amendement, nous mettrons un terme à l’érosion du système de taxation du carbone. J’appuie l’amendement, et j’espère que vous ferez de même.
Merci.
Des voix : Bravo!
[Français]
L’honorable Lucie Moncion : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui sur l’amendement du sénateur Dalphond, proposé à l’étape de la troisième lecture du projet de loi C-234, Loi modifiant la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre. Par le biais de ce discours, je veux exprimer mon appui à cet amendement et étayer les raisons pour lesquelles je suis en faveur de limiter l’étendue du projet de loi.
L’amendement présenté par le sénateur Dalphond a pour objet de maintenir les exemptions pour l’équipement de séchage du grain, mais de retirer les exemptions pour le chauffage et le refroidissement des bâtiments d’élevage. Je remercie le sénateur Dalphond pour cet amendement qui vient répondre à une situation problématique identifiée dans le cadre de l’étude du projet de loi au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts.
Votre ouverture d’esprit est importante à ce stade du débat pour que l’amendement du sénateur Dalphond soit examiné de manière objective. D’emblée, je me dois de vous faire part de ma déception quant à la conduite de nos travaux en ce qui a trait au projet de loi C-234. La désinformation et la dissémination d’une rhétorique antitaxe ont pollué le débat public portant sur la tarification du carbone et ont influencé inévitablement nos délibérations. Cela a créé chez les parlementaires une vision difficilement objective des enjeux que présente la création de nouvelles exemptions pour les agriculteurs. Nous avons aussi subi de fortes pressions afin de précipiter les travaux, ce qui nous a empêchés de faire un examen rigoureux et complet du projet de loi.
Le régime de la tarification s’insère dans le Cadre pancanadien sur la croissance propre et les changements climatiques, un plan élaboré par les provinces et les territoires à la suite de consultations avec les peuples autochtones. La complexité et la complétude de ce cadre font en sorte qu’il ne devrait pas être décousu petit à petit au moyen de projets de loi d’intérêt privé.
Le gouvernement actuel s’est engagé à mettre en place une stratégie élaborée pour lutter contre les gaz à effet de serre et les changements climatiques. Il a mis en place des programmes et des incitatifs financiers qui viennent appuyer les efforts en cette matière. La tarification du carbone est une mesure parmi beaucoup d’autres. Il n’est pas de notre ressort de changer les priorités du gouvernement élu, peu importe qu’il soit libéral ou conservateur.
L’industrie de l’agriculture au Canada, rappelons-le, revêt une importance cruciale pour l’économie de notre pays et pour l’employabilité des Canadiennes et des Canadiens. Cela peut notamment expliquer pourquoi le gouvernement canadien investit des milliards de dollars dans ce secteur, ce qui assure, par le fait même, sa pérennité et sa compétitivité sur les marchés.
La semaine dernière, lors de son intervention sur mon amendement, le sénateur Deacon a présenté un excellent discours et il a indiqué les raisons pour lesquelles il ne voterait pas en faveur de l’amendement et les raisons pour lesquelles il voterait en faveur du projet de loi. Je comprends ses frustrations et celles d’autres sénateurs, tout comme le sentiment d’impuissance qui accompagne souvent les démarches que nous entreprenons auprès des ministres et des fonctionnaires. Nous avons souvent l’impression de tenir un dialogue de sourds, alors que les changements se font lentement et difficilement au Canada.
Malgré ce constat, le Canada n’est pas au beau fixe en ce qui a trait aux changements climatiques. La stratégie canadienne de 2023-2028 en ce qui a trait au secteur de l’agriculture, laquelle s’accompagne d’une enveloppe de 3,5 milliards de dollars sur cinq ans, comprend cinq priorités : la première vise à renforcer la capacité, la croissance et la concurrence du secteur; la seconde vise à contrer les changements climatiques et à protéger l’environnement; la troisième vise à faire avancer la science, la recherche et l’innovation; la quatrième vise le développement des marchés et de la concurrence; la cinquième vise l’amélioration de la confiance du public et la résilience.
Le gouvernement canadien investit aussi massivement dans les projets de recherche visant à améliorer les cultures au Canada et à accroître l’efficacité énergétique des outils et des équipements utilisés dans le fonctionnement des fermes, ainsi que dans les technologies destinées à réduire les émissions de gaz à effet de serre. L’industrie de l’agriculture bénéficie d’un soutien important et continu de la part du gouvernement canadien, ce qui en fait un secteur fortement appuyé et subventionné.
(2130)
La modernisation du fonctionnement des fermes a beaucoup évolué au cours des 30 dernières années. Prenons simplement le secteur laitier, qui est passé à un niveau d’automatisation sans précédent, tant en ce qui a trait à l’alimentation des animaux qu’à l’informatisation des opérations. Cette transformation a mené à une plus grande efficacité de nos producteurs laitiers et à une consolidation des opérations dans un marché hautement compétitif. Si vous n’êtes jamais allé vous promener dans une ferme laitière, je vous invite à le faire. C’est phénoménal de voir à quel point l’automatisation des opérations et l’informatisation des pratiques dans ce domaine sont absolument incroyables.
Prenons le marché de l’agriculture de grandes surfaces qui s’est amélioré au cours des années, alors que le rendement des terres est plus du double de ce qu’il était — et que dire des autres secteurs, comme l’élevage d’animaux, la production de volailles et la production des œufs, et les progrès technologiques?
Je ne reviendrai pas sur la taxe sur le carbone. Le sénateur a présenté tout à l’heure des arguments et des informations qui n’étaient pas tout à fait exacts et qui ont été présentés ici, dans cette Chambre, et ailleurs en comité. Il a fait un excellent travail de ce côté-là et je n’ai pas besoin de revenir sur les différents éléments de son discours. Vous voyez, je passe rapidement sur plusieurs feuilles parce que je ne veux pas répéter les mêmes choses.
Jusqu’à présent, les changements climatiques ont été peu abordés dans le cadre de nos débats. Je tiens à remercier la sénatrice Ringuette de son discours sur mon amendement, qui a mis en lumière des données alarmantes relativement aux coûts humains et financiers des changements climatiques.
Ces coûts ont un impact considérable sur nos producteurs agricoles. Vous vous souviendrez peut-être que, en 2021, les récoltes avaient été frappées par un « dôme de chaleur » et que 40 % de la production de céréales de l’Ouest canadien avaient été anéantis. Le gouvernement canadien est intervenu afin de soutenir le secteur en offrant une contribution de 1,1 milliard de dollars.
En 2022, ce sont les intempéries qui ont causé pour plus de 3,1 milliards de dollars de dommages, avec le derecho observé en Ontario et au Québec en mai, l’ouragan Fiona dans les Maritimes à l’automne, les tempêtes estivales, les inondations et les incendies de forêt dans l’Ouest canadien. On se souviendra que ces coûts sont assumés par les Canadiens, soit par l’augmentation continuelle et importante des primes d’assurance ou encore au moyen des impôts que nous payons.
Dans ce discours, je vous ai présenté plusieurs raisons qui renforcent l’importance de réduire la portée du projet de loi. Il est important que la version du projet de loi qui sera adoptée par le Sénat reflète les travaux menés en comité, sans quoi on pourra affirmer que l’on fait de l’agnotologie. L’agnotologie est un phénomène qui se caractérise par une omission délibérée de prendre en compte des informations qui nous permettraient de prendre une décision judicieuse et éclairée sur les questions qui sont présentées ici.
Cependant, il y a des gens qu’on n’a pas entendus dans cette Chambre, et ce sont les agriculteurs. On a notamment parlé des coûts. J’ai lu dans un journal que j’étais une « sénatrice urbaine ». Cette sénatrice urbaine s’est promenée dans des granges avec des bottes de caoutchouc. J’ai visité des fermes et je me suis promenée dans des champs de foin. J’ai été prêteur pendant 38 ans de ma vie, et l’un des secteurs dont j’ai dû étudier les bilans financiers, c’était le secteur agricole.
Les agriculteurs sont des gens d’affaires extrêmement intelligents. Ils ont beaucoup de connaissances. Ce sont des gens d’affaires qui cherchent des façons d’améliorer leur production, qui cherchent à gagner des revenus. Ce sont souvent des agriculteurs riches en actifs : ils ont des terres, des animaux, des quotas de lait, du tonnage de grain.
Pour en revenir à ce que le sénateur Plett a dit au sujet du séchage du grain, je suis allée dans le nord en fin de semaine. Je suis notamment allée chez moi, mais je suis également montée vers le nord. Ce qu’on voit dans le nord, c’est que la neige est arrivée et que le séchage du grain et les récoltes sont terminés, mais il y a d’autres endroits où le séchage est en cours. Si vous prenez la route 17 et que vous allez vers Cobden, on voit les séchoirs à grain qui fonctionnent à pleine puissance ces temps-ci. Le séchage du grain n’est pas terminé, mais il est en voie d’être terminé, selon l’endroit où l’on se trouve au Canada.
En résumé, le gouvernement canadien travaille de près avec le secteur agricole du pays. Ce qui me déçoit beaucoup dans le projet de loi C-234, c’est la quantité de mésinformation qui nous a été servie. Je n’interviens pas souvent sur différents projets de loi, parce que je n’ai pas toujours l’expertise requise. Je ne dis pas que j’ai une expertise en matière agricole, mais vous savez, on bourre les dindes à l’Action de grâce; eh bien, nous nous sommes fait bourrer considérablement ici au cours des dernières semaines. Je n’aime pas qu’on fasse cela avec des sénateurs canadiens. Je n’aime pas qu’on fasse cela avec des parlementaires.
À la fin de mon discours, tout ce que je peux vous dire, c’est que nous sommes des êtres très intelligents. Nous avons été nommés ici pour de très bonnes raisons. Nous avons un travail diligent à faire pour prendre des décisions aussi importantes que celles-ci.
J’ai beaucoup aimé le commentaire du sénateur Boisvenu cet après-midi, quand il a dit qu’on proposait des solutions simples à des problèmes complexes. C’est ce que nous avons ici : des solutions extrêmement simples à des situations extrêmement complexes. Je vous invite donc à faire preuve de prudence dans les décisions que vous allez prendre en tant que sénateurs. Peu importe les choix que vous allez faire, ce sont des choix avec lesquels vous devrez vivre et qui seront écologiques pour vous. Dans mon cas, le projet de loi C-234 est un projet de loi avec lequel je ne suis pas à l’aise et il n’est pas conforme à l’idée que je me fais de l’écologie. Je vais voter en faveur de l’amendement du sénateur Dalphond, mais je vais voter contre ce projet de loi. Il va à l’encontre de mes principes et de mes valeurs. Je vous remercie.
[Traduction]
L’honorable Robert Black : La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
La sénatrice Moncion : Oui, allez-y.
Le sénateur Black : Sénatrice, par souci de clarté, êtes-vous vraiment certaine qu’on n’utilise pas les séchoirs à grain lorsque la neige tombe au sol? En êtes-vous tout à fait sûre?
La sénatrice Moncion : Ce que je dirai, c’est que, selon ce qui est récolté — parce que j’ai les chiffres —, certains sécheront pendant 21 jours, selon la quantité d’humidité et tout le reste — j’ai cette information. Cependant, non, monsieur le sénateur. Le séchage est une activité saisonnière et, selon l’endroit où vous vous trouvez au Canada, une fois que votre grain a été séché, selon ce que je sais — et corrigez-moi si je me trompe —, il est placé dans des conteneurs dans l’attente d’être expédié s’il est destiné au marché. Le séchage doit se faire rapidement, car il ne faut pas que les grains ou peu importe ce qu’on fait sécher — il y a quatre catégories — pourrissent. Le séchage se fait donc, et je crois comprendre qu’il se fait sur une plus longue période. Il est saisonnier en raison de la façon dont nous cultivons au Canada.
L’autre chose que je sais, c’est que les agriculteurs ne plantent pas la même chose partout dans leurs champs. Ils commenceront ainsi à récolter certains produits avec une période de séchage plus longue et travailleront tout au long de la saison de séchage. Il en va de même pour l’ensemencement au printemps. Ils dressent aussi une liste, de sorte qu’ils ne récoltent pas tout en même temps. Comme je l’ai dit, ils sont très intelligents et s’appuient sur la technologie.
Le sénateur Black : Je me dois de poser une question. Il faut aborder cela. Je vous demanderais d’envisager de parler aux organisations auxquelles, selon ce que vous avez dit récemment, vous refusez de parler pour leur poser la même question. Le séchage du grain se déroule d’août ou septembre jusqu’en décembre ou janvier, et même en février. Je vous demande de leur poser la question. Merci.
La sénatrice Moncion : Je suis d’accord avec vous, mais la saison du séchage ne dure pas toute l’année, et ce ne sont pas tous les agriculteurs qui sont concernés.
(2140)
Dans le Nord, par exemple, je sais que la saison du séchage est terminée parce que les récoltes sont terminées.
Une voix : Non, ce n’est pas vrai.
La sénatrice Moncion : Dans le Nord, où j’habite les fins de semaine, la saison est terminée.
L’honorable Brent Cotter : Je vous remercie, Votre Honneur. Je n’avais pas l’intention de prendre la parole à ce stade du débat et j’ai l’intention de ne le faire qu’une seule fois, à moins que je ne manque de temps.
Je tiens à ce que ma position soit claire et je pense que beaucoup d’entre vous le savent déjà. Je ne soutiendrai pas cet amendement et je soutiendrai le projet de loi sans amendement.
Je n’ai pas l’intention de réagir aux observations qui ont été faites précédemment, sauf pour dire que, ayant un peu d’expérience en ce qui concerne cette question, je soutiens personnellement le programme sur les changements climatiques du Canada mis en œuvre de manière équitable et je soutiens pleinement la tarification du carbone, un outil essentiel pour atteindre les objectifs climatiques.
Je chauffe ma maison uniquement à l’aide de thermopompes. Je conduis une voiture électrique et le toit de ma maison est recouvert de panneaux solaires, ce qui n’est pas donné. En dépit des arguments que le sénateur Woo a pu avancer, il ne s’agit pas d’une option très rentable.
Une voix : Bravo!
Le sénateur Cotter : Je voudrais parler un peu de l’agriculture et des agriculteurs des Prairies, de ce que ce projet de loi concerne, de ce qu’il ne concerne pas et de quelques points qui militent en faveur du projet de loi.
Je connais un peu l’agriculture — mais pas beaucoup — et j’en ai appris beaucoup en tant que membre permanent du Comité de l’agriculture et des forêts pendant quelques années, pas seulement au cours des audiences sur le projet de loi et de l’examen article par article. Cette partie de mes remarques est tirée de mon expérience personnelle, de certains témoignages que nous avons entendus et de documents gouvernementaux.
Les agriculteurs des Prairies — en particulier ceux de Saskatchewan — ont à cœur l’environnement. Je vais parler de trois points à ce sujet : l’engagement, l’innovation et les réalisations.
Premièrement, je parlerai de l’engagement et d’une histoire personnelle. Mon beau-père — aujourd’hui décédé — était agriculteur. Chaque automne, dans l’Ouest de la Saskatchewan, les chasseurs affluent avec enthousiasme pour chasser la faune sauvage, en particulier les canards et les oies. Il s’agit d’une voie de migration importante. À la fin de la saison de chasse, peut-être vers la mi-novembre, lorsque le temps devenait froid, mon beau-père sortait, non pas pour chasser les oies, mais pour les sauver.
Pendant la saison de la chasse, les chasseurs blessent des oies. Les oies ne pouvaient pas s’envoler et restaient dans les petits lacs, les étangs et les mares-réservoirs. Lorsque l’hiver approchait et que la glace s’installait sur ces lacs et ces étangs, les oies prises dans la glace mouraient de froid — une mort atroce.
Mon beau-père partait dans un petit bateau avec des poches de jute pour sauver ces outardes peu coopératives. Il avait même bâti une enceinte où il pouvait les garder, les soigner, puis les remettre en liberté, si possible. À un moment, il avait deux douzaines d’outardes dans cette enceinte. Elles n’étaient pas particulièrement amicales, mais elles étaient en vie et se portaient bien. C’est un engagement à l’égard de l’environnement qu’il n’avait pas besoin de prendre, et des milliers d’agriculteurs le font dans l’Ouest — et c’est probablement le cas partout au pays.
Passons à l’innovation. Dans ma province, un partenariat remarquable existe entre le gouvernement fédéral, le gouvernement provincial, les agriculteurs, les producteurs agricoles, les innovateurs, les dirigeants d’entreprises et les universités pour faire progresser l’agriculture de façons durables. Le sénateur Klyne a parlé d’une de ces façons, et je ne ferai que mentionner cet exemple d’un partenariat fantastique pour obtenir de meilleurs résultats pour les agriculteurs, adopter des traitements du sol moins fastidieux et remettre le carbone dans le sol.
Au Comité de l’agriculture, nous avons entendu des dizaines d’histoires sur ces techniques, qui sont de bonnes pratiques, en plus d’être bénéfiques pour l’environnement. Elles sont inspirantes. Comme je le dis à mes collègues du Comité de l’agriculture de temps à autre à propos de mon travail dans ce cadre — ils sont las de l’entendre —, je suis venu pour douter et je suis resté pour prier.
Voici deux renseignements. Premièrement, dans les 30 dernières années environ, la productivité du secteur agricole des Prairies a augmenté de 33 %, et ce, sans hausse des émissions de gaz à effet de serre liées à l’agriculture; je répète: sans hausse des émissions. Cette information vient du gouvernement du Canada, et aucune autre région du pays n’a obtenu de tels résultats ni des résultats similaires.
Deuxièmement, en ce qui concerne les émissions de dioxyde de carbone liées à la production agricole, et plus particulièrement celles de la Saskatchewan, les chiffres sont si spectaculaires que j’ai dû faire des vérifications pour m’assurer que je n’inventais rien ou que ce n’était pas une invention du premier ministre Scott Moe. L’information vient de Raymond Desjardins, qui est probablement l’agroscientifique le plus remarquable du Canada, et qui a travaillé toute sa vie au gouvernement du Canada. Aujourd’hui à la retraite, ce membre de l’Ordre du Canada a été colauréat du prix Nobel de la paix pour ses travaux au sein du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Cela me suffit, et j’espère que cela vous suffit également.
Pour revenir aux résultats de la Saskatchewan, le gouvernement du Canada a recueilli cette information pour déterminer la quantité d’émissions de gaz à effet de serre qui découle des diverses cultures fourragères produites au pays. On a mesuré la quantité d’émissions de gaz à effet de serre par hectare de terre pour chaque type de culture et pour chaque province.
De 47 % à 49 % des terres arables du Canada se trouvent en Saskatchewan, un pourcentage fichûment important. Pour toute la gamme de produits cultivés en Saskatchewan — on y cultive la plupart des produits, à plus ou moins grande échelle — les émissions par hectare sont beaucoup plus basses que dans les autres provinces. La différence est à ce point marquée qu’elle semble incroyable.
Si on prend les oléagineux, par exemple, les émissions par hectare en Saskatchewan correspondent à la moitié des émissions de la province qui arrive au deuxième rang et elles sont cinq fois meilleures que la moyenne nationale. Pour les légumineuses, ses émissions sont cinq fois meilleures que celles de la province suivante. Pour les céréales, elle fait cinq fois mieux que la province suivante et dix fois mieux que la moyenne nationale. Pour ce qui est du blé de printemps — et il y en a beaucoup —, ses émissions sont quatre fois moins élevées que celles de la province suivante et dix fois meilleures que la moyenne nationale. Même les pommes de terre n’y échappent pas, bonté divine. La Saskatchewan fait des miracles sur le plan des émissions de gaz à effet de serre qui ne se voient probablement nulle part ailleurs dans le monde.
Ces résultats me donnent à penser, Votre Honneur, que le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique et, très franchement, M. Poilievre, qui a désespérément besoin d’une stratégie sur le climat — pardonnez-moi, Votre Honneur —, devraient tous aller en Saskatchewan pour chercher à percer le secret de ces miracles.
Venons-en au projet de loi, ce sur quoi il porte et ce sur quoi il ne porte pas. Les manœuvres politiques et procédurales et les grands airs qu’on se donne parfois au Comité de l’agriculture et ici au Sénat détournent l’attention du véritable objet du projet de loi et de ce que nous devrions faire. Je vous invite à ne pas vous laisser distraire par tout cela pendant que nous débattons de la sagesse du projet de loi. Ce n’est pas une épreuve qui décidera du sort de la taxe sur le carbone au grand complet, et ce n’est pas non plus un prélude à l’ouverture des vannes.
Nous l’avons appris récemment en raison de faits nouveaux que le sénateur Dalphond a mentionnés, ce qui est tout à son honneur.
Si nous nous laissons emporter par ces vastes approches politiques controversées, nous nous privons de la capacité de prendre nos responsabilités au sérieux lorsque vient le temps de procéder à l’analyse de politique publique du projet de loi. Mettre ces distractions de côté nous permet d’examiner le projet de loi en fonction de ses propres caractéristiques, de l’objectif qu’il vise et des coûts qu’il engendrera.
Qu’en est-il des incidences financières? Le séchage du grain et le chauffage des bâtiments représentent des dépenses petites, mais pas insignifiantes, pour les agriculteurs. On nous a dit qu’il était question d’environ 1 milliard de dollars perçus en huit ans, mais, comme des sénateurs l’ont souligné, la majeure partie de cet argent est remise sous forme de remboursements. Je crois que la sénatrice Ringuette a parlé de 90 %.
Le problème, et il est difficile de l’isoler, c’est que le remboursement n’est pas distribué aux producteurs de façon cohérente, ce qui signifie que certains agriculteurs reçoivent moins que ce qu’ils paient — dans certains cas, beaucoup moins. Pour ces agriculteurs, qui sont généralement les petits producteurs d’après ce que nous avons entendu au comité, c’est un coût considérable. Ce système est donc un peu plus difficile pour eux.
Une autre distraction importante est l’idée que la taxe sur le carbone applicable aux combustibles fera grimper les prix dans les épiceries. C’est en grande partie une fausseté. Peu importe ce que vous entendez, le coût doit être absorbé par les agriculteurs, qui, à quelques exceptions près, sont des preneurs de prix sur le marché. Ils ne sont pas en mesure de transférer les coûts au maillon suivant en haussant le prix de leurs produits.
Essayez de vendre votre blé à Cargill en demandant un peu plus le boisseau de blé parce que vos dépenses de séchage ont été un peu plus élevées... Ainsi, pour nombre d’agriculteurs, le coût est assimilé dès le début de la chaîne.
Qu’en est-il du coût pour l’environnement? L’agriculture représente 73 mégatonnes des émissions de gaz à effet de serre à l’échelle nationale. Le combustible de chauffage, selon les statistiques du gouvernement du Canada, représente 1,7 % de cette quantité, ou 1,2 mégatonne de gaz à effet de serre.
Une partie de ce mazout est consommé dans les provinces où il y a un filet de sécurité, et une partie sert sans doute à autre chose qu’au séchage du grain et au chauffage des bâtiments de ferme. Disons qu’on parle d’environ une mégatonne d’émissions par année. Comme d’autres sénateurs l’ont dit, la taxe sur le carbone n’élimine pas les émissions; elle vise à susciter des changements de comportements qui, eux, réduiront les émissions. À combien s’élèvera cet incitatif? C’est difficile à dire.
(2150)
Le seul exemple empirique que j’ai pu trouver vient de la Commission de l’écofiscalité du Canada, un organisme qui milite pour la tarification du carbone. Elle estime que 10 ans après l’imposition de la taxe sur le carbone pour l’essence en Colombie-Britannique, la consommation d’essence a diminué de 7 %.
Susciter une diminution de la consommation d’énergie carbonique dans le séchage du grain est un peu plus compliqué, et dans le chauffage des bâtiments de ferme aussi, mais partons du principe que le taux serait semblable, ou même le double. Après 10 ans d’un incitatif fondé sur la tarification du carbone, on pourrait s’attendre, de manière optimiste, à une baisse des émissions de CO2 de 10 ou 20 %, soit environ 0,2 mégatonne.
Mettons les choses en perspective. L’objectif du Canada est de faire baisser les émissions de gaz à effet de serre de 250 mégatonnes d’ici 2050. Ce volet représente donc, au mieux, un millième de l’objectif. Il faut mettre les choses en perspective.
Voici une autre façon de voir les choses. Le gouvernement du Canada, mon gouvernement, plante 2 milliards d’arbres au cours de la présente décennie. C’est un bon incitatif, je trouve. C’était censé contribuer à l’atteinte de notre objectif à hauteur de 11 ou 12 mégatonnes de CO2.
Comment nous débrouillions-nous? Nous faisons tellement piètre figure qu’à la fin du printemps dernier, le commissaire à l’environnement a indiqué qu’il nous manquerait de 7 à 8 mégatonnes pour atteindre l’objectif. C’est ce qu’il a dit au comité. Cette différence représente au moins 3 % de notre objectif national total, dans tous les secteurs, pour 2050. C’est de 30 à 50 fois plus que le problème dont nous débattons aujourd’hui. Je pense que si nous étions vraiment sérieux, nous parlerions des grands enjeux de notre société. Je reconnais que ce projet de loi nuit très légèrement à l’atteinte de l’objectif en matière de changement climatique et avantage un peu les agriculteurs.
Cependant, le secteur agricole et certaines industries au Canada sont plus vulnérables que d’autres, et je crois que c’est le cas de celle-ci. L’exemption accordée aux combustibles agricoles est un parfait exemple de mesure tenant compte de cette vulnérabilité. L’objectif de cette exemption est d’éviter que les producteurs agricoles n’aient à supporter un fardeau excessif, et cela ne représente qu’une contribution additionnelle mineure aux émissions de gaz à effet de serre.
Le gouvernement lui-même a reconnu que l’agriculture et l’agroalimentaire feront partie des quelques rares piliers de l’économie canadienne à l’avenir. Un rapport rédigé sous la direction du sénateur Harder est arrivé à la même conclusion. Que l’on considère l’agriculture comme un métier, comme un moyen de nourrir les Canadiens, comme un moyen de nourrir le monde ou comme un moyen de vendre un produit pour stimuler le commerce international, son importance pour l’avenir de notre pays ne peut être sous-estimée. Cela rend les règles du jeu équitables par rapport à nos concurrents dans le domaine de l’agriculture — bien que dans une faible mesure, je l’admets —, y compris les États-Unis.
En terminant, je vais parler de ce que j’appelle l’édification de la nation. J’ai bien peur que le projet de loi C-234, à certains égards, a pris des proportions symboliques qui vont bien au-delà de ses effets concrets. J’espère en avoir fait la démonstration.
Cet argumentaire semble reposer en partie sur le clivage entre les régions urbaines et rurales du Canada. Ce débat n’a pas fait grand-chose pour aider à cet égard. On peut aussi dire que le projet de loi attise les tensions politiques concernant la mesure dans laquelle le gouvernement fédéral tient compte des intérêts de l’Ouest, surtout des Prairies — ce qui est un peu paradoxal, puisque près des deux tiers des avantages iront à l’Ontario. Il existe des tensions dans notre pays, il faut le reconnaître, et nous devrions nous efforcer de les atténuer de manière constructive. Cet argument ne justifie pas à lui seul un appui au projet de loi C-234 dans sa forme actuelle, mais c’est un facteur à considérer.
Il y a un ou deux ans, j’ai cité un arrêt important de la Cour suprême du Canada, possiblement le plus important qu’elle n’ait jamais rendu. Au sujet de la nature même du Canada, la cour a indiqué ceci dans sa décision unanime :
Une nation est construite lorsque les collectivités qui la composent prennent des engagements à son égard, quand elles renoncent à des choix et des possibilités, au nom d’une nation [...] quand les collectivités qui la composent font des compromis, quand elles se donnent des garanties mutuelles, quand elles échangent et, peut être plus à propos, quand elles reçoivent des autres les avantages de la solidarité nationale. Les fils de milliers de concessions mutuelles tissent la toile de la nation [...]
La concession présentée dans le projet de loi C-234 est l’un de ces fils. Merci.
Le sénateur Woo : C’est le genre de chose que je devrais demander à mon collègue en me tournant vers lui, mais il est impoli de chuchoter en classe. Puis-je poser une question?
Le sénateur Cotter : Bien sûr.
Le sénateur Woo : Je vous remercie. Nous pouvons être en désaccord sur les aspects pratiques du projet de loi C-234, mais en ce qui concerne l’argument sur la partie visible de l’iceberg ou de la pente savonneuse, j’ai récemment reçu une lettre du premier ministre de votre province, et vous avez peut-être tous reçu la même, dans laquelle il disait, plus ou moins, « Vous feriez mieux d’adopter ce projet de loi. » Toutefois, il ajoutait : « Une fois que ce sera fait, je veux éliminer la taxe sur tout pour tout le monde. »
Que devons-nous penser de ce genre de déclaration politique et de pression sur cette Chambre?
Le sénateur Cotter : Puis-je avoir quelques instants pour répondre à la question?
Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé?
Des voix : D’accord.
Le sénateur Cotter : Je suis un peu surpris que le sénateur Plett ait donné son accord parce que je veux notamment faire valoir que le premier ministre de ma province n’est pas le seul qui est plutôt mécontent de la taxe sur le carbone. On entend dire que ce premier ministre et d’autres mènent une campagne pour supprimer la taxe.
J’ai reçu la même lettre. J’ai répondu au premier ministre Moe. Je ne l’ai pas fait publiquement, mais je lui ai expliqué ma position sur cette question, c’est-à-dire que chacun des éléments doit essentiellement être jugé séparément. Bien honnêtement, je ne pense pas que le gouvernement du Canada a trouvé la solution parfaite, comme si elle sortait tout droit de la tête de Zeus. Des modifications doivent être apportées, et l’une d’entre elles l’a été il y a deux semaines. Chacun de ces éléments se doit d’être évalué selon sa valeur intrinsèque.
La valeur de chacun des éléments ne fera probablement pas consensus au Sénat. Cependant, on ne peut en conclure que cela implique un appui massif de la position que le premier ministre de ma province ou d’autres dirigeants du gouvernement fédéral avancent, c’est-à-dire qu’il s’agirait d’une victoire pour les opposants de la taxe sur le carbone. Je n’y crois pas et je rejette cette idée.
L’honorable Jim Quinn : Honorables sénateurs, je tiens à remercier mes collègues, les sénateurs Dalphond, Plett, Ringuette, Woo, Moncion et Cotter. Vous m’avez déjà entendu parler de la valeur des débats. Au cours de ma courte expérience au Sénat, ces débats m’ont certainement permis de changer d’avis au moment d’un vote.
Ce soir, plus tôt dans la journée et cette semaine, nous avons entendu divers « faits ». Je mets ce terme entre guillemets parce que certains affirment que ce sont des faits et d’autres que ce ne sont pas des faits. On a entendu dire que le séchage des grains était effectué, ou qu’il ne l’était pas. On a entendu certaines statistiques du directeur parlementaire du budget. On a entendu dire que l’Île-du-Prince-Édouard était une municipalité. Les producteurs de grains ont accès aux technologies, mais nous avons appris que ces technologies n’étaient pas encore assez économiques.
On a également entendu parler par le passé — et j’y ai ajouté ma voix — de la question de la sécurité alimentaire et du coût des biens de consommation. Ce soir, un amendement nous a été présenté. J’ai lu l’amendement pendant le débat pour essayer de trouver la relation entre le débat et cet amendement.
Je pense qu’il faut prendre le temps de réfléchir. Je propose donc l’ajournement du débat.
(Sur la motion du sénateur Quinn, le débat est ajourné.)
[Français]
Projet de loi sur le cadre national sur la maladie falciforme
Deuxième lecture—Ajournement du débat
L’honorable Marie-Françoise Mégie propose que le projet de loi S-280, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous parler du projet de loi S-280, Loi concernant un cadre national sur la maladie falciforme.
(2200)
Il en a déjà été question au Parlement. En 2011, à l’autre endroit, la députée Kirsty Duncan a déposé le projet de loi C-221, visant à mettre en place une stratégie nationale globale sur la drépanocytose et les thalassémies.
Malheureusement, ce projet de loi en est resté à l’étape de la première lecture. Poursuivant l’engagement de la députée Duncan, notre collègue la sénatrice Cordy a déposé dans cette Chambre le projet de loi S-211, qui faisait du 19 juin la Journée nationale de la sensibilisation à la drépanocytose. Ce projet de loi a reçu la sanction royale en décembre 2017.
Merci, sénatrice Cordy.
[Traduction]
Cette maladie porte plusieurs noms.
[Français]
Elle est connue dans les milieux francophones sous le nom de drépanocytose, dont l’étymologie grecque, drepanon, signifie « faucille » ou « croissant ». Dans les milieux anglo-saxons, le nom utilisé est « maladie ou anémie falciforme », dont la traduction anglaise est sickle cell disease, ou sickle cell anemia. Cette diversité terminologique est couramment utilisée. Pour les besoins de mon discours, j’utiliserai l’expression « maladie falciforme ».
[Traduction]
En quoi consiste cette maladie exactement?
[Français]
Pour bien la comprendre, permettez-moi de faire une brève incursion dans le monde de la médecine. Ne vous inquiétez pas; je ferai en sorte que mes propos ne vous assomment pas trop à cette heure tardive.
Cette maladie existe depuis la nuit des temps. Elle a été décrite pour la première fois dans la littérature médicale en 1910 par le médecin américain James Herrick, et sa transmission héréditaire a été établie en 1949 par James Neel.
[Traduction]
C’est une maladie génétique rare, chronique et multisystémique qui affecte la qualité de vie et réduit l’espérance de vie. C’est une condamnation à mort.
[Français]
C’est une maladie héréditaire : elle ne s’attrape pas comme un rhume. Elle est transmise par les parents, quand l’enfant hérite des gènes des deux parents. Environ 5 % de la population mondiale est porteuse du gène, aussi appelé « trait ». Ce pourcentage atteint 25 % et plus dans certaines régions du globe.
Pour ce qui est de sa prévalence, elle touche environ 6 000 Canadiens. Le Dr Yves Giguère, directeur du Programme québécois de dépistage néonatal sanguin, nous parle de la maladie falciforme comme d’une maladie rare, avec un cas sur 2 000 naissances au Québec.
La maladie falciforme est prévalente chez les personnes originaires de l’Afrique, des Caraïbes, du Moyen-Orient, de l’Amérique centrale et du Sud, de certaines régions de l’Inde et du bassin méditerranéen. Selon une étude publiée en 2023 par Jacob Pendergrast et ses collègues du Toronto General Hospital Research Institute : « La prévalence estimée des patients atteints de la drépanocytose en Ontario entre 2007 et 2016-2017 était d’une personne sur 4 200 », et le nombre des patients affectés ayant besoin de soins hospitaliers est substantiel.
Il s’agit d’une maladie chronique et multisystémique : elle est présente à la naissance, elle dure toute la vie et elle atteint tous les systèmes de l’organisme.
La maladie falciforme est une maladie génétique de l’hémoglobine; il s’agit de la protéine qui est présente dans les globules rouges. Son rôle est de transporter l’oxygène. Quand elle est anormale, elle cause une déformation des globules rouges. Normalement circulaires et souples, les globules rouges prennent une forme de croissant ou de faucille, comme l’indique le nom « falciforme ». Cette déformation les rend rigides et entraîne une obstruction des petits vaisseaux sanguins, appelée vaso-occlusion. La durée de vie des globules rouges passe de 120 à 20 jours, causant ainsi une anémie grave. Comme tous les organes reçoivent du sang, ils sont tous potentiellement atteints; ils manquent d’oxygène, ce qui est à l’origine des différents symptômes et des complications que je vais vous énumérer.
Les symptômes majeurs les plus courants sont des crises vaso-occlusives responsables de douleurs thoraciques, osseuses et articulaires d’une intensité moyenne à intolérable, exigeant souvent de nombreuses hospitalisations; il peut se produire aussi des infections pouvant aller de la septicémie au décès, si elles ne sont pas traitées dans l’immédiat. Je vais me restreindre à cela.
Parmi les complications les plus courantes, on compte les accidents vasculaires cérébraux. On signale qu’un accident vasculaire cérébral survient chez un patient sur 10 parmi ceux qui sont âgés de moins de 20 ans. Ils souffrent aussi de ce qu’on appelle l’hypertension pulmonaire, ce qui crée un besoin quotidien d’oxygène pour le reste de leur vie. Il y a aussi l’insuffisance rénale pouvant mener jusqu’à la dialyse et j’en passe.
Sur le plan de la réduction de l’espérance de vie, au fil des ans, le traitement de la maladie falciforme a évolué et l’espérance de vie a augmenté. Dans les années 1970, cette espérance de vie était estimée de 5 à 10 ans. De nos jours, beaucoup de patients qui reçoivent des traitements appropriés peuvent atteindre la soixantaine, ce qui est toutefois nettement moindre que la population générale.
Il s’agit uniquement d’une estimation, car nous ne disposons pas de données probantes à ce sujet.
À ce propos, Ismaël, un jeune homme de 35 ans, qui s’attend à une espérance de vie d’environ 50 ans, nous a dit : « J’ai déjà parcouru presque la moitié de ma vie… si rien ne change! »
[Traduction]
Pourquoi parler de la maladie falciforme aujourd’hui? C’est une maladie à propos de laquelle on ne sait presque rien, qui est sous-diagnostiquée, qui reçoit peu de financement pour la recherche et qui cause des décès prématurés.
[Français]
Selon l’Association d’anémie falciforme du Canada, cette maladie est la plus répandue des maladies génétiques. Néanmoins, elle demeure encore inconnue de nos jours, méconnue du public et même des professionnels de la santé. Seules les équipes soignantes des centres désignés dans les grandes villes du Canada comptent des professionnels qui connaissent la maladie et peuvent prodiguer des soins adéquats aux patients malades. Cette méconnaissance a de multiples conséquences, dont l’appellation; certaines familles qui ont connu le terme « drépanocytose », issues d’un milieu anglo-saxon, ont mis du temps à se faire comprendre dans le milieu hospitalier.
Même quand les familles utilisent les bons termes, les prestataires de soins ne leur accordent pas l’attention requise, mettant tout sur le compte de l’anxiété parentale. L’ignorance des manifestations de la maladie conduit également à un accès limité aux soins appropriés.
Les parents reçoivent la consigne, dès que leurs enfants font de la fièvre, de les amener aussitôt à l’hôpital, car ils risquent de développer une septicémie pouvant causer la mort. Cependant, ce n’est pas évident de le faire comprendre aux professionnels qui les reçoivent à la salle d’urgence. Les douleurs thoraciques, osseuses et articulaires atroces, quand elles ne peuvent être soulagées par des analgésiques réguliers, nécessitent l’usage de narcotiques. Ces adolescents sont étiquetés comme des « drogués » dans la salle d’urgence, et le traitement de la douleur est alors retardé, avec des risques de graves complications. Des soins inadéquats et la stigmatisation : voilà le lot de plusieurs de nos jeunes patients qui souffrent.
Parallèlement aux symptômes physiques, le bien-être mental est considérablement compromis. Hospitalisations répétées, difficulté à garder un emploi stable; l’estime de soi en est très affectée. Les parents assistent, impuissants, à des crises de colère de leur enfant, à de la tristesse qui peut aller jusqu’à la dépression.
Le défi émotionnel se traduit comme suit : « Pourquoi ne suis-je pas normal et pourquoi suis-je souvent au lit? »; « Pourquoi mes jambes et mes bras me font-ils si mal? »; « Pendant 24 heures, il m’arrive de passer 18 heures à pleurer par intermittence. »; « Chaque matin quand je me lève, je ressens cette épée de Damoclès au-dessus de la tête; qu’est-ce qui va m’arriver aujourd’hui ou demain? » Ce sont les propos de Mamadou.
Ismaël partage ces mots avec nous : « Il m’est difficile de planifier à long terme, car ma durée de vie a une date d’expiration presque certaine. »
(2210)
D’un autre côté, un parent parlant de son vécu a témoigné des effets dévastateurs de la maladie sur la vie quotidienne et le bien-être familial. Je la cite :
L’hôpital devient pour nous une seconde résidence, entravant ainsi nos capacités à planifier notre horaire de travail, nos vacances, bref, à jouir d’une certaine qualité de vie.
Certaines familles doivent faire un choix de carrière différent pour habiter près des centres où la maladie est connue par des professionnels de la santé.
Parlons maintenant du manque de financement en matière de recherche.
La santé mentale des malades et de leurs familles fait l’objet d’études au Centre interdisciplinaire pour la santé des Noirs.e.s à Ottawa. Les demandes de subventions pour la recherche qui ont été faites par les hémato-oncologues et autres spécialistes du domaine s’intéressant à cette maladie ne recueillent que des refus de la part des organismes subventionnaires. Bien que la maladie falciforme soit la première maladie génétique identifiée, les progrès thérapeutiques ont tardé. C’est en grande partie en raison d’un manque de fonds en recherche.
Plusieurs spécialistes comparent la maladie falciforme et les enjeux qui l’entourent à d’autres conditions génétiques, notamment la fibrose kystique. En effet, ces deux maladies présentent certaines caractéristiques communes. Ce sont toutes deux des maladies rares, chroniques, multisystémiques, qui entraînent une réduction de l’espérance de vie. Pourtant, il existe d’importantes disparités quant aux fonds alloués à la recherche, au registre et aux avancées dans le domaine thérapeutique.
Sur le site de Fibrose kystique Canada, on constate que plusieurs subventions sont accordées aux scientifiques pour la recherche. Certaines peuvent atteindre jusqu’à 100 000 $ par an. Toutefois, sur le site de l’Association d’anémie falciforme du Canada, on retrouve deux maigres subventions disponibles : deux subventions individuelles de 20 000 $ par an pendant deux ans, et deux autres d’un maximum de 5 000 $ chacune également pour deux ans.
Quand verra-t-on la création d’une chaire de recherche sur la maladie falciforme au Canada?
Cette méconnaissance de la maladie a aussi causé un retard dans l’élaboration du diagnostic. La clé de ce diagnostic est le dépistage néonatal universel, qui est obtenu par une simple piqûre au talon du nouveau-né. Ce test figure parmi les tests de dépistage de plusieurs autres maladies métaboliques et génétiques faisant déjà partie du programme de dépistage.
Pourtant, il a fallu que Mme Lillie Johnson, infirmière et fondatrice de la Sickle Cell Association of Ontario, se batte pour que le dépistage néonatal universel soit instauré dans sa province en 2006. En novembre 2009, la Colombie-Britannique a emboîté le pas, suivie de la Nouvelle-Écosse en 2014. En novembre 2013, ce dépistage a été partiellement implanté au Québec, et en 2016, il a été étendu à l’ensemble de la province. Cela s’est produit grâce à la persévérance du président de l’Association d’anémie falciforme du Québec, M. Wilson Sanon.
Par la suite, plusieurs autres provinces ont suivi le courant. Pourtant, cette maladie répond bien aux critères d’admissibilité à ce test diagnostique. Le test permet de détecter la maladie de 24 à 48 heures après la naissance. Il est spécifique et sensible pour la condition médicale recherchée. La détection précoce permet aux soignants de mettre en place des interventions et un plan de traitement efficace en collaboration avec la famille. Cette prise en charge, si elle commence dans les premiers mois de la vie, contribue à diminuer la fréquence des hospitalisations, à prévenir les complications et à améliorer ainsi la qualité de vie de ces enfants et de leur famille.
Après l’instauration de ce test, le Dr Yves Pastore, hématologue, et son équipe ont constaté que la cohorte de bébés ayant reçu le diagnostic de maladie falciforme avait presque doublé au Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine de Montréal entre 2013 et juin 2023, passant d’environ 250 à 475 cas. Malgré le fait que la maladie falciforme a été identifiée il y a plus de 100 ans, nous accusons un grand retard en matière de traitements. Il est maintenant connu que de bonnes habitudes de vie et certaines mesures de prévention, comme le fait de ne pas s’exposer aux températures extrêmes et de mieux s’hydrater, aident à prévenir les complications.
Pour ce qui est des médicaments, depuis plus de 15 ans, l’hydroxyurée, un médicament utilisé à l’origine dans le traitement du cancer, est administrée pour traiter la maladie falciforme. Il a montré des avantages en réduisant à la fois le nombre et la gravité des épisodes de douleur aiguë. Malheureusement, ce médicament ne convient pas à tous les malades.
Il y a d’autres options de traitement, comme les transfusions sanguines, l’aphérèse, une technique complexe, et la greffe de moelle osseuse, offerte au Québec depuis 1980, qui est le seul traitement curatif jusqu’ici. Selon la Dre Yvette Bonny, pionnière nationale de cette intervention, ce traitement ne peut pas être offert à tous, compte tenu de ses complications. Toutes ces interventions, combinées à un suivi assuré par une équipe multidisciplinaire, contribuent à améliorer la qualité de vie des patients.
Trois nouveaux médicaments sont approuvés actuellement par la Food and Drug Administration (FDA), et je vous fais grâce de leurs noms complexes. Les recherches associées à ces médicaments ont montré que deux d’entre eux réduisent le nombre de crises vaso-occlusives, et diminuent donc les douleurs. Le troisième améliore le taux d’hémoglobine, ce qui corrige l’anémie. Ces médicaments se sont révélés efficaces s’ils sont utilisés seuls ou en combinaison avec l’hydroxyurée. Voilà pourquoi il est nécessaire d’explorer de nouvelles voies d’innovation pour développer des médicaments adaptés à un éventail plus large de patients atteints. C’est d’autant plus pertinent, étant donné que « nous enterrons nos enfants à un très jeune âge. C’est injuste et injustifié en 2023 dans un pays comme le nôtre », nous a dit une mère éplorée.
[Traduction]
Voici pourquoi ce cadre devrait vous intéresser : il améliorera la sensibilisation des professionnels de la santé; il créera un cadre national de recherche; il instaurera un registre national; il assurera un accès universel au dépistage néonatal; il favorisera la sensibilisation du public; et il fournira un soutien financier nécessaire.
[Français]
En 1971, le président Richard Nixon a promis des crédits pour la recherche et la prise en charge des malades. L’année suivante, en 1972, il a signé une nouvelle loi, la National Sickle Cell Disease Control Act. Dans les années qui ont suivi, on a observé une corrélation directe entre les crédits alloués par les National Institutes of Health et l’amélioration de la qualité et de la durée de vie des personnes atteintes de la maladie falciforme.
Le Canada doit agir lui aussi.
Avec ce cadre national, le projet de loi S-280 offrira un plan en six points.
En premier lieu, il aidera à mobiliser les instances de réglementation médicale, les infirmières et d’autres professions du secteur de la santé, pour inciter leurs membres à en apprendre davantage sur la maladie falciforme. Il aidera aussi à les solliciter afin d’instaurer des initiatives concrètes répondant aux besoins de formation des prestataires de soins pour renforcer leurs compétences. De plus, l’élaboration de lignes directrices claires contribuera à harmoniser les pratiques, ce qui assurera une approche holistique, cohérente et efficace. Pour reprendre les propos d’une personne que nous avons interviewée, ce cadre préviendrait, et je cite, « la méconnaissance de la maladie par certains médecins, qui se contentent souvent de traiter les symptômes plutôt que de s’attaquer aux causes sous-jacentes ».
Deuxièmement, le cadre permettra de soutenir la création d’un réseau national de recherche consacré à faire progresser la compréhension de la maladie falciforme; il s’agit d’une mesure fondamentale recommandée dans le cadre. À titre d’exemple, l’Association d’anémie falciforme du Canada collabore activement avec l’Association canadienne de l’hémoglobinopathie pour promouvoir la recherche et faciliter la collecte de données. Ce partenariat exemplaire montre l’importance d’une collaboration étroite entre organismes, chercheurs et subventionnaires.
Avec la COVID-19, nous avons vu un bel exemple de collaboration internationale qui a abouti à la création de vaccins indispensables aujourd’hui. Il s’agissait d’une situation d’urgence, direz-vous. Cependant, cette collaboration peut se réaliser de nouveau. Une récente publication concerne la thérapie génique. Il s’agit d’un ciseau moléculaire du nom de CRISPR-Cas9. Il sera, on l’espère, un traitement curatif. Il rétablit partiellement la formation de sang normal et réduit les complications liées à la maladie, sans cependant les éradiquer. Il est homologué en Grande-Bretagne et est en voie de l’être par la FDA. Sur ce terrain en plein défrichement, le Canada pourrait se tailler une place enviable, tout en contribuant au bien-être de sa population.
Troisièmement, l’implantation de ce cadre favorisera la mise en place d’un registre national visant à réduire les disparités existantes dans la connaissance, le diagnostic et la prise en charge de la maladie falciforme.
(2220)
D’ailleurs, la Dre Smita Pakhalé, qui travaille à la Chaire de recherche clinique sur l’équité et l’engagement des patients dans les populations vulnérables, abonde dans le même sens. De plus, le Dr Giguère nous a indiqué que l’un des nombreux avantages d’un registre est de pouvoir rejoindre les personnes atteintes de la maladie plus facilement s’il y a une percée médicale curative.
Point no 4 : instaurer ce cadre national garantira un accès équitable au dépistage néonatal universel et au diagnostic de la maladie falciforme partout au Canada. Ceci assurerait à tous les nouveau-nés des soins adaptés dès la naissance et durant toute leur vie.
Point no 5 : ce cadre servira de levier pour soutenir des campagnes nationales visant à accroître la sensibilisation et la compréhension de la maladie falciforme auprès du grand public, et pour mieux soutenir le bien-être des familles et des aidants des personnes atteintes. Ces initiatives d’éducation populationnelle par les organismes communautaires permettront de réduire la stigmatisation des malades et d’instaurer un environnement de soutien inclusif pour les individus affectés et leurs proches.
Point no 6 : ce cadre, tout en explorant la faisabilité d’un crédit d’impôt pour les familles des personnes atteintes de la maladie falciforme, étudiera également la possibilité d’inclure ces individus dans les programmes destinés aux personnes handicapées.
Cette considération est particulièrement pertinente, puisque de nombreux jeunes adultes touchés par cette maladie éprouvent des difficultés à garder un emploi en raison d’hospitalisations répétées et de la fatigue chronique invalidante liée à la maladie.
En intégrant tous ces aspects, nous cherchons à élaborer un cadre global tenant compte non seulement des besoins médicaux, mais également des défis socioéconomiques auxquels font face les individus et leurs familles.
Honorables sénatrices et sénateurs, l’instauration d’un cadre national pour la maladie falciforme est une réponse à une résolution de l’UNESCO adoptée en 2007 et à une résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en 2008. Ces résolutions, adoptées à l’unanimité, ont reconnu l’anémie falciforme comme un problème de santé publique.
Si l’on tient compte de tout ce que je viens de dire, il devient impératif de soutenir l’adoption de ce projet de loi visant à combler les lacunes existantes sur les plans de la sensibilisation, de la recherche et du registre national. Face à ces enjeux, l’acheminement rapide du projet de loi S-280 en comité s’impose. Je vous encourage à visionner sur YouTube un clip pilote de 15 minutes d’un futur documentaire intitulé Souffrir en silence — Anémie falciforme, de Mamoudou Camara, qui raconte l’histoire d’un jeune homme souffrant de cette maladie. Mon bureau pourra vous faire parvenir le lien, si vous le désirez. Tout comme dans le cas de la fibrose kystique, le Canada peut aussi exercer un leadership mondial sur tous les aspects liés à la maladie falciforme.
Je tiens à remercier plusieurs personnes. Je remercie les spécialistes, les Drs Auray, Bonny, Pakhalé, Cénat, Giguère, Pastore et Soulières, pour leurs commentaires judicieux; les présidents des associations canadienne et québécoise de l’anémie falciforme, Mme Tinga et M. Sanon, aussi en leur qualité de parents, pour leur enthousiasme et leur persévérance contagieuse pour appuyer mon initiative quand j’ai décidé de déposer le projet de loi S-280; Mme Mouscardy, Mamoudou et Ismaël, qui m’ont ouvert les portes de leur intimité pour m’aider à comprendre leur vécu de parent et de jeune vivant avec cette maladie.
C’est votre tour, chers collègues, d’apporter votre appui au projet de loi S-280 et de le renvoyer en comité le plus vite possible. Je vous remercie.
Des voix : Bravo!
[Traduction]
L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Merci, sénatrice Mégie, pour ce discours. Je suis sûr que de nombreux sénateurs voudraient prendre part au débat sur ce projet de loi, mais comme il est presque 22 h 30, je vais mettre la volonté du Sénat à l’épreuve en proposant l’ajournement du Sénat.
Par conséquent, je propose :
Que la séance soit maintenant levée.
Son Honneur la Présidente : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée.)
(À 22 h 25, conformément à l’ordre adopté par le Sénat plus tôt aujourd’hui, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)