Aller au contenu
Séances précédentes
Séances précédentes
Séances précédentes

Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 176

Le jeudi 8 février 2024
L’honorable Raymonde Gagné, Présidente


LE SÉNAT

Le jeudi 8 février 2024

La séance est ouverte à 14 heures, la Présidente étant au fauteuil.

Prière.

[Traduction]

DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Hommages

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Honorables sénateurs, aujourd’hui, nous disons au revoir à un homme qui a fait preuve d’un grand courage et d’une grande détermination pour faire du Canada un endroit meilleur.

Chers collègues, je ne dis pas cela à la légère. Le sénateur Boisvenu est un homme qui a subi une perte énorme : je parle du décès de ses deux filles. Pourtant, cet homme a trouvé la force de transformer sa souffrance en motivation et en détermination, qui l’ont poussé toute sa vie à aider d’autres personnes ayant subi une atrocité semblable.

Alors que la plupart d’entre nous deviennent paralysés émotionnellement devant une tragédie humaine de nature criminelle, notre collègue le sénateur Boisvenu, lui, devient en quelque sorte un pilier inébranlable pour ceux qui souffrent. Alors que, nous, nous figeons, lui a instinctivement la capacité et la compassion de tendre la main et de soutenir les familles qui vivent un deuil à cause d’un crime monstrueux. Je ne vois rien de mieux à dire que ceci : ses actions sont vraiment honorables.

Le sénateur Boisvenu a fait preuve d’une grande humanité et d’une grande vulnérabilité au Sénat. Nous nous souviendrons toujours de ses déclarations poignantes, mais, ce qui est remarquable, c’est que ses paroles étaient accompagnées d’actions concrètes. Il a assumé la responsabilité de changer les choses en présentant, en rédigeant et en parrainant des mesures législatives, que nous, les conservateurs, avons été fiers d’appuyer, qui étaient fondées sur le gros bon sens et qui ont été bénéfiques et qui le seront pour les générations à venir.

Le sénateur Boisvenu a été nommé sénateur conservateur et, contrairement à d’autres sénateurs, il a continué à servir le pays en tant que fervent conservateur jusqu’à sa retraite.

Chers collègues, malheureusement, le temps qui m’est imparti aujourd’hui ne suffira pas pour énumérer la liste impressionnante des travaux législatifs accomplis par le sénateur Boisvenu. Je la résume simplement comme suit.

Sous le gouvernement Harper, le sénateur Boisvenu a pris part à la rédaction et au parrainage de plus de 20 projets de loi visant à sévir contre les criminels afin de mieux protéger les Canadiens tout en gardant les criminels derrière les barreaux. La liste comprend la Charte des droits des victimes, soit le projet de loi C-32, qui est une réalisation extraordinaire et qui prend un sens très personnel pour lui. Le sénateur a aussi présenté huit projets de loi d’intérêt public du Sénat très importants, dont le projet de loi S-206, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés), qui a reçu la sanction royale le 18 octobre 2022.

Avant sa nomination au Sénat, le sénateur Boisvenu a fondé l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues, qui est à l’origine du projet de loi 25 sur l’indemnisation des victimes d’actes criminels, au Québec.

Chers collègues, même si le sénateur Boisvenu est sur le point de prendre sa retraite du Sénat, il laissera derrière lui un héritage exceptionnel, un héritage qui sera apprécié et conservé précieusement, et qui porte une signification qui résonne, surtout, auprès des Canadiens qui le considèrent comme un allié, un défenseur, un mentor et une voix puissante.

Sénateur Boisvenu, au nom de l’équipe conservatrice et de tous les Canadiens, merci de tout ce que vous avez fait. Vous nous manquerez au Sénat, et je n’ai aucun doute que vous continuerez à œuvrer pour faire de notre pays un meilleur endroit où vivre.

[Français]

Bonne retraite, mon ami!

Des voix : Bravo!

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénatrices et sénateurs, au nom du bureau du représentant du gouvernement au Sénat, je prends la parole aujourd’hui pour dire au revoir à notre distingué collègue, le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu.

Le sénateur Boisvenu a été nommé par le premier ministre Stephen Harper il y a de cela 14 ans. Depuis son arrivée à la Chambre, il s’est principalement concentré sur la défense des droits des victimes. Les tragédies soulignées par notre collègue, que lui et ses proches ont vécues, ont influencé l’ensemble de son travail depuis plus de 20 ans.

Je connais le sénateur Boisvenu depuis longtemps, avant même ma nomination au Sénat. Nous ne sommes peut-être pas d’accord sur tout, et certains seront peut-être surpris par cet aveu, mais nous nous apprécions mutuellement lorsque la discussion ne porte pas sur la politique.

Peu importe nos différends sur les questions qui nous préoccupent ici, il est impossible de ne pas respecter sa passion et sa détermination lorsqu’il se bat pour les causes qui lui tiennent tant à cœur. L’attention particulière qu’il porte aux droits des victimes, la création de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues et la fondation du Nid, un refuge pour les femmes victimes d’abus, sont le fruit des expériences personnelles et douloureuses du sénateur Boisvenu.

Sa ténacité a été récompensée lorsque, en 2015, la Charte canadienne des droits des victimes est devenue une loi.

Au cours de ses 14 années au Sénat, le sénateur Boisvenu a été membre de plusieurs comités, dont le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, le Comité des transports et des communications, ainsi que le Comité de la sécurité nationale et de la défense. Il a parrainé des projets de loi gouvernementaux et déposé plusieurs projets de loi, comme l’a mentionné notre collègue le sénateur Plett.

Il va sans dire que ses contributions sont nombreuses et variées, et que sa retraite est bien méritée. Je ne doute cependant pas que le sénateur Boisvenu continuera à défendre les causes qui lui sont chères.

Vous allez nous manquer. Bonne retraite!

Des voix : Bravo!

L’honorable Raymonde Saint-Germain : Honorables sénateurs et sénatrices, et surtout, cher Pierre-Hugues, il est dans la vie des chemins que l’on est forcé de suivre et que l’on n’aurait jamais voulu devoir emprunter. Ces chemins, aussi imposés que douloureux, vous les connaissez bien, vous qui avez dû les emprunter à deux reprises, lorsque le destin vous a cruellement privé de l’une puis de l’autre de vos deux filles.

(1410)

Si la sympathie et la compassion ont été alors les premiers sentiments de toutes celles et de tous ceux qui ont compris et partagé votre peine et votre douleur, aujourd’hui, au terme de votre prestation de près de 14 ans au Sénat, c’est un sentiment d’admiration qui nous anime. Admiration pour votre courage, votre détermination, celle d’un père si profondément éploré qui a su se ressaisir et faire en sorte que ces tragédies ne demeurent pas oubliées. Faire en sorte aussi que des enseignements puissent en être tirés afin d’en prévenir leur répétition.

Ce sentiment d’admiration que nous éprouvons envers vous est doublé d’un devoir de reconnaissance de l’impact de votre travail de sénateur. Un sénateur travaillant qui a fait de la défense des droits des victimes et de l’amélioration du système de justice criminel le leitmotiv de son engagement dans cette enceinte. Vous avez connu des succès remarquables, dont celui de l’adoption de la Charte canadienne des droits des victimes, qui aura un impact pérenne.

Sénateur Boisvenu — Pierre-Hugues —, beaucoup de nos concitoyens et concitoyennes partout au pays et au-delà ont eu à partager de près ou de loin les défis humains qui sont les vôtres. Pour eux et pour nous tous, vous êtes un modèle de courage et de résilience.

En 2008, vous avez publié un ouvrage qui aujourd’hui est devenu référence pour les victimes d’actes criminels, leurs proches et pour tous ceux qui s’intéressent à ce domaine : Survivre à l’innommable et reprendre le pouvoir sur sa vie. Non seulement avez-vous su traduire par ce livre l’espoir qui, seul, mène à la survie, mais vous en avez été et continuez d’en être un modèle et une inspiration.

« Continuation », c’est le mot qui me vient à l’esprit quand je pense au prochain chapitre de votre vie après le Sénat. Je vous ai connu, Pierre-Hugues, si sérieux et dévoué, qu’il ne me vient même pas à l’esprit de penser que vous prenez votre retraite. Vous avez consacré l’ensemble de votre carrière au service public. Je ne doute pas que vous continuerez d’être présent dans l’espace public.

Honorable sénateur Boisvenu, au nom du Groupe des sénateurs indépendants, je vous exprime notre estime, notre reconnaissance ainsi que notre souhait pour qu’enfin, vous preniez davantage de temps pour vous. Au revoir et merci!

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Je prends quelques minutes pour saluer à ma façon le départ à la retraite de mon ami, l’honorable Pierre-Hugues Boisvenu.

J’ai connu Pierre-Hugues bien avant qu’il soit nommé au Sénat en 2010, par l’honorable Stephen Harper. Il était déjà une figure médiatique du Québec grâce au combat qu’il menait pour les victimes d’actes criminels — un combat qui n’est d’ailleurs pas terminé.

Je me rappelle entre autres ton arrivée dans les bureaux de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec avec ton livre en main pour financer l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues, que tu avais cofondée avec d’autres parents de victimes d’actes criminels.

Je me rappelle aussi tes visites à Saint-Hyacinthe, en 2011, pour appuyer ma candidature aux élections fédérales.

Je me rappelle également nos retrouvailles quand je suis arrivé au Sénat, en 2012, pour siéger à tes côtés au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles. Le temps passe vite, c’est le moins qu’on puisse dire.

J’ai donc assisté, en quelque sorte, au début de ton long et difficile combat pour les droits des victimes d’actes criminels.

À cette époque, les ressources allouées aux victimes et parents de victimes de crimes étaient à peu près inexistantes. Leurs droits n’étaient pas reconnus et le système judiciaire les écartait systématiquement du processus sous prétexte qu’il ne devait pas y avoir d’émotions. C’était inacceptable pour toi et pour les nombreux parents de victimes qui t’appuyaient.

Tes démarches et tes sorties médiatiques soutenues t’ont permis de faire la connaissance de Stephen Harper, qui n’était pas encore premier ministre, mais qui démontrait une ouverture à tes revendications.

En te nommant au Sénat une fois au pouvoir, M. Harper t’a donné l’occasion de travailler, sur le plan politique, à de nombreux projets de loi qui allaient faire avancer ce qui était ni plus ni moins que la cause de ta vie.

Les sentences trop légères pour les criminels, les libérations conditionnelles incohérentes, les maigres compensations financières pour les familles de victimes, l’absence d’empathie pour les victimes; tous ces dossiers législatifs t’ont tenu occupé depuis ton arrivée en Chambre.

Certes, ta plus grande fierté est certainement d’avoir fait adopter, en 2015, le projet de loi S-265, soit la Charte canadienne des droits des victimes.

Dans un pays comme le Canada, où l’on accorde autant de droits, de privilèges et d’attention aux criminels, cette pièce législative issue du Sénat était d’une nécessité absolue.

Mon cher Pierre-Hugues, je suis convaincu que ton départ du Sénat pour la retraite ne signifie en rien que le combat est terminé. La Charte canadienne des droits des victimes ne règle pas tout et tu le sais. Les meurtres sont en hausse, les féminicides sont en hausse, la violence conjugale est en hausse. Pendant ce temps, nos lois et notre système judiciaire n’effraient plus personne.

Je te le dis : je n’ai pas le goût de te souhaiter une bonne retraite, parce que ce n’est pas la fin. Je sais pertinemment qu’on va te revoir et continuer de t’entendre défendre les droits des victimes.

Je m’en voudrais de faire un petit oubli que j’ai eu à la dernière minute. La sénatrice Michèle Audette voulait te remettre ses remerciements. Au nom du caucus des sénateurs canadiens, bonne retraite, mon ami, mais je suis certain qu’on va se revoir!

[Traduction]

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole pour joindre ma voix à celles qui rendent hommage à notre collègue le sénateur Boisvenu, qui nous quitte. Sénateur Plett, je suppose que je devrais dire le « sénateur conservateur Boisvenu ».

Le Sénat exige beaucoup de notre énergie, car nous nous efforçons de faire tout notre possible au service des Canadiens. Honorables sénateurs, nous pouvons nous estimer chanceux, lorsque nous atteindrons l’âge de la retraite, d’être toujours animés de la même passion que celle qui nous habitait quand nous avons mis le pied sur le parquet du Sénat pour la première fois. Pierre, vous n’avez jamais perdu votre passion pour votre travail.

Souvent, il y a une expérience ou un lien personnel qui inspire le travail que nous faisons en tant que sénateurs. Sénateur Boisvenu, vous avez certainement ressenti profondément l’appel et le feu qui transforment une douleur écrasante en action concrète et, plus important encore, en changement concret.

Je dirais, Pierre, que vous faites preuve d’une plus grande passion pour les droits des victimes et les droits de leurs familles aujourd’hui que lorsque vous avez joint le Sénat il y a 14 ans. Vous pouvez être très fier de vos réalisations. Au cours de cette période, vous avez parrainé 24 projets de loi qui ont reçu la sanction royale et qui ont, sans doute, renforcé les droits des victimes et de leurs familles au Canada. Vous avez défendu la Charte canadienne des droits des victimes — le projet de loi C-32 — jusqu’à son adoption en 2015, garantissant aux victimes l’accès à de l’information sur leur cas, une protection, une participation et une indemnisation financière.

Ce fut un plaisir pour moi de travailler et de voyager avec vous, notamment avec l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN. Vous avez travaillé très fort au sein de cette association, mais vous avez aussi toujours trouvé le moyen de vous amuser. Tous ceux qui ont voyagé avec Pierre savent qu’il déniche les meilleurs restaurants partout dans le monde et qu’il adore se promener dans les villes pour apprendre à mieux connaître chacune d’entre elles. Pierre, vous marchiez des kilomètres tous les soirs après les réunions. J’étais avec vous en Lituanie quand vous avez loué un vélo pour explorer la ville sous la pluie.

Pierre, je sais que votre engagement va bien au-delà de ces murs. Je sais que vous poursuivrez votre travail auprès du Nid à Val-d’Or et de l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues. Votre voix nous manquera dans cette enceinte, mais nous savons que vous ne serez pas loin. Vous continuerez à entretenir le feu sacré. Au nom du Groupe progressiste du Sénat, nous vous souhaitons une très heureuse retraite. Ce fut un véritable plaisir de travailler avec vous.

Merci.

(1420)

[Français]

L’honorable Leo Housakos : Chers collègues, veuillez m’excuser de répéter certains propos, mais je crois sincèrement que le travail infatigable de Pierre-Hugues Boisvenu en faveur des victimes et des familles mérite amplement d’être mentionné de nouveau.

Son dévouement et son engagement sont nés d’une douleur et d’un chagrin inimaginables. Il a su transformer sa perte personnelle en lutte constante pour aider les autres. Il a multiplié les efforts en vue de faire en sorte qu’aucun autre parent ou famille ne subisse l’indignité supplémentaire de la victimisation qu’a vécue sa famille en raison d’un système juridique axé entièrement sur les droits de l’auteur d’une infraction. Il a été le catalyseur de la législation provinciale qui a reconnu les droits des victimes d’actes criminels en 2006, ainsi que le parrain de plusieurs projets de loi au Parlement qui ont renforcé notre système de justice en reconnaissant les droits des victimes. Il a été notamment l’architecte de la Charte canadienne des droits des victimes.

Son combat pour les victimes d’actes criminels va au-delà de la législation. Auteur publié, il a siégé à plusieurs conseils d’administration d’organismes à but non lucratif. Il a aussi cofondé un refuge pour femmes victimes de violence et créé le Fonds Isabelle Boisvenu, qui a attribué des bourses à des étudiants dans le domaine de la victimologie.

Le sénateur Boisvenu n’a jamais manqué de cohérence. J’ai toujours eu et j’aurai toujours le plus grand respect pour lui en tant qu’homme et parlementaire de principe.

[Traduction]

Le sénateur Boisvenu est une voix forte pour la province de Québec et les Canadiens de partout au pays, en particulier les femmes victimes d’actes criminels. Il est un homme de principe. Contrairement à certains conservateurs de convenance, il a toujours été un conservateur de conviction. Voilà Pierre Boisvenu. Il a laissé une marque indélébile au Sénat du Canada.

Mon cher ami, vous serez très difficile à remplacer.

Je connais Pierre-Hugues Boisvenu et je crois que tous les chapitres de son travail ne sont pas encore terminés. J’ai hâte de prendre connaissance du travail qu’il a l’intention de faire et qu’il fera dans les années à venir pour les personnes qu’il défend.

Au nom des Québécois, des Canadiens, des conservateurs et des victimes...

[Français]

— à mon ami Pierre-Hugues, merci infiniment pour votre travail.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Chers collègues, avant que je rejoigne le Sénat, comme beaucoup de Québécois, je savais que Pierre-Hugues Boisvenu était un champion de la défense des victimes d’actes criminels depuis le terrible assassinat de sa fille en 2002 par un dangereux récidiviste, lui qui a fondé, avec trois autres pères de famille endeuillés, l’Association des familles de personnes assassinées ou disparues.

Je savais aussi qu’il pouvait être, à l’occasion, l’objet de critiques. Certains ont dit de lui que ses idées étaient plutôt à droite, ce qui n’est pas un crime. Devenu sénateur, il a appuyé toutes les politiques du gouvernement Harper en matière de loi et ordre. Il est même devenu un porte-parole important de ces politiques au Québec.

Il s’est aussi fait connaître en aimant répondre aux questions des journalistes. Il n’hésite pas non plus à utiliser des phrases-chocs pour que l’on retienne son message. Cela l’a parfois mis dans l’embarras.

Comme il le dit dans son livre publié en 2008, intitulé Survivre à l’innommable et reprendre le pouvoir sur sa vie, ses deux filles, qu’il a si tragiquement perdues, le guident tous les jours et lui disent parfois qu’il est allé trop loin.

Pour ma part, l’homme que j’ai appris à connaître au Sénat, au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles et à l’occasion de voyages parlementaires, est sincère, cordial et… partisan.

Je n’hésite pas à dire que nous avons développé des relations chaleureuses, même lorsque nous ne partageons pas le même point de vue.

Aujourd’hui, je veux saluer sa contribution remarquable à l’adoption de la Charte canadienne des droits des victimes en 2015, de même que son activisme en matière d’initiatives axées sur la protection des femmes victimes de violence.

Si l’heure du départ du Sénat sonne maintenant, je ne crois pas qu’elle marque celle de sa retraite. Dimanche dernier, il a déclaré à un journaliste de Radio-Canada, apparemment avec un petit sourire en coin, que les médias allaient lui manquer. À une question qu’on lui posait sur la prochaine étape de sa vie, il a répondu qu’il souhaitait continuer d’être un activiste en matière de droits des victimes, soit comme bénévole à l’association qu’il a cofondée et qui regroupe aujourd’hui plus de 700 familles, soit comme député conservateur à la Chambre des communes. On aurait tort de croire aujourd’hui que le départ de Pierre-Hugues de la Chambre haute signifie la fin de sa carrière parlementaire. Au contraire, il se pourrait bien que ce passage lui serve de tremplin vers l’autre endroit où, comme aux États-Unis, les hommes de 75 ans et plus ont un avenir prometteur.

Bonne continuation, mon ami!

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un Canadien remarquable, un grand défenseur des droits des victimes, un cher collègue et ami, l’honorable Pierre‑Hugues Boisvenu.

[Traduction]

Cher collègue, je suis à la fois honorée et triste de prendre la parole aujourd’hui pour vous rendre hommage alors que vous vous préparez à prendre votre retraite officielle du Sénat du Canada le 12 février 2024.

Le sénateur Boisvenu est une véritable source d’inspiration pour nous tous. Sa force de caractère et sa détermination sont sans égales. Il a consacré sa vie à défendre les droits des victimes, à protéger les plus vulnérables et à soutenir les victimes de violence.

En qualité de sénateur, notre collègue a travaillé sans relâche pour renforcer les mesures législatives sur les victimes et les droits des victimes dans le système judiciaire du Canada. Il a joué un rôle prépondérant au sein du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, à titre de vice-président, en plus de siéger à de nombreux autres comités.

Il a été le parrain ou le porte-parole pour de nombreux projets de loi d’initiative ministérielle et d’initiative parlementaire. Pendant sa carrière de sénateur, il a réussi à faire adopter non seulement la Charte canadienne des droits des victimes, mais également un nombre record de projets de loi d’intérêt public du Sénat.

Grâce à ses multiples déclarations, questions à la période des questions, interventions et discours passionnés, Pierre-Hugues Boisvenu a donné une voix retentissante aux victimes du Canada et fait en sorte qu’elles soient respectées et non pas oubliées.

Cher collègue, il m’est impossible de saisir pleinement la perte inimaginable que vous avez subie en tant que parent. C’est un véritable honneur d’avoir servi à vos côtés au Sénat, avec le caucus conservateur, et d’avoir soutenu votre travail à la mémoire de vos filles décédées. Votre engagement concret à protéger et à aider tant de femmes et de familles est vraiment remarquable.

Votre legs est incroyable et je sais que vous continuerez de le défendre et de le construire, car votre travail et votre combat ne s’arrêteront pas le jour de votre retraite. Je sais que vous aurez toujours comme passion d’aider les autres et que votre retraite ne sera qu’une transition.

[Français]

Cher collègue, vous nous manquerez beaucoup. Je vous remercie d’avoir été l’un de mes collègues de confiance et un membre apprécié du caucus parlementaire conservateur.

[Traduction]

Nous vous souhaitons tous bonne chance dans ce nouveau chapitre que vous vivrez avec vos proches. N’ayez crainte, votre travail de sénateur et votre legs resteront gravés dans les mémoires.

Bravo et meilleurs vœux.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Claude Carignan : Je veux joindre ma voix à celle de mes collègues pour rendre hommage au sénateur Boisvenu.

Pierre-Hugues a une qualité exceptionnelle pour un parlementaire : sa sensibilité. C’est l’un des hommes les plus sensibles que je connaisse. Pour moi, cette sensibilité est essentielle en politique. Cela permet d’avoir de l’empathie et d’être à l’écoute des besoins, afin d’être en mesure d’agir par la suite. Un politicien qui n’est pas sensible n’a pas cette possibilité de capter les petites choses qui font une différence.

Pierre-Hugues, cette semaine, nous avons tenu un petit événement et tu étais accompagné de personnes membres de groupes de victimes. Elles t’ont toutes rendu hommage. Elles ont utilisé des mots pour qualifier ce que tu représentais pour elles. L’une a dit : « Pierre-Hugues, c’est mon ange. » Une autre a dit : « Pierre-Hugues, c’est mon superhéros. » Je trouvais cet hommage particulièrement touchant parce qu’il évoquait la sensibilité que tu éprouves pour écouter les besoins des gens et la force du combat de puissance que tu as mené depuis que tu es ici, et même avant. Pierre-Hugues, ce sont des mots d’hommage, ce serait mon rêve que quelqu’un dise de moi que je suis son superhéros. Peut-être que mes petits-enfants diront cela, mais venant de personnes pour lesquelles tu t’es battu, je trouve que c’est un hommage et je voulais répéter ces mots ici.

(1430)

Je veux aussi te remercier parce que cette grande sensibilité, tu l’as partagée avec les gens — parfois auprès de gens que tu ne connaissais pas — ou avec nous. Cela m’est arrivé, comme à plusieurs, de perdre des êtres chers, et qui venait au salon funéraire? Qui venait aux funérailles? Pierre-Hughes. Parce que tu sais que c’est douloureux de perdre un être cher, tu sais que ta présence peut apporter chaleur et réconfort et tu n’as jamais manqué de réconforter les gens qui en avaient besoin.

Pierre-Hugues, tu vas nous manquer, et un autre groupe qui va s’ennuyer de toi, j’en suis convaincu, est le Barreau du Québec. Il est arrivé qu’il y ait des débats pendant une campagne électorale. On me demandait, parce que je suis avocat : « Claude, irais-tu au débat, au barreau? » Évidemment, c’était parce que je suis un avocat, et j’ai dit : « Non, non, non, je ne vais pas là, envoyez Pierre-Hugues. » Pierre-Hugues, parce qu’il a le droit et que la loi doit servir la cause; pour la cause, le champion, c’est Pierre‑Hugues, et il va mettre les avocats dans sa petite poche.

Donc bravo, Pierre-Hugues, merci beaucoup, et je suis content que tu aies l’intention de continuer dans l’autre Chambre!

Des voix : Bravo!

L’honorable Lucie Moncion : Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui pour saluer mon collègue le sénateur Boisvenu. Je souhaite honorer ce confrère au parcours exceptionnel, avec qui j’ai eu la chance de tisser des liens privilégiés.

Au cours des dernières années, un objectif commun nous a unis, soulignant l’importance de forger des relations avec des sénateurs de divers horizons. Notre collaboration, notamment pour la cause des jurés, a été fructueuse. Merci infiniment. Vous m’avez apporté un soutien précieux pour la reconnaissance de ce service civique, ainsi que votre sensibilité et votre compassion envers les jurés et les anciens jurés qui ont fait avancer cette cause.

Vous avez consacré votre carrière sénatoriale à amplifier la voix des victimes d’actes criminels, notamment celle des femmes victimes de violence conjugale, de féminicides, et celle des personnes assassinées ou disparues. Votre dévouement, votre passion et votre compassion ont favorisé le progrès sociétal.

La dénonciation que vous faites des violences faites aux femmes, sujet qui est trop souvent ignoré, caché ou même banalisé, nous permet de nous rendre compte de la trop grande fréquence de ces événements, mais aussi de reconnaître les bassesses et actes de lâchetés dont sont capables certains individus de notre société.

Le soutien que vous apportez aux familles qui sont aux prises avec des tragédies liées à la perte de leurs enfants dans des conditions abominables nous permet de reconnaître l’absence de soutien offert aux proches des victimes. Vous comprenez leur désarroi, leur peine et leurs souffrances. Ils trouvent en vous une voix et une oreille attentive.

J’ai énormément d’admiration et de respect pour vous, et je suis même émue; c’est pour cela que j’ai de la difficulté aujourd’hui. Sénateur Boisvenu, j’ai de l’admiration pour ce que vous avez fait, pour ce que vous avez vécu, pour la façon dont vous avez survécu à « l’innommable » et avez transformé vos tragédies personnelles en mission de vie.

Votre œuvre littéraire intitulée Survivre à l’innommable et reprendre le pouvoir sur sa vie est emblématique de votre résilience. Permettez-moi de citer l’un des passages du livre qui m’a énormément touchée, et qui apparaît à la première page :

Lorsque nous perdons un parent, nous faisons le deuil de nos souvenirs. Lorsque nous perdons un enfant, nous faisons le deuil de nos rêves.

C’est tellement parlant. Je suis très émue, je vais vous faire une confidence : j’ai commencé à lire votre livre hier. Je ne savais pas que vous aviez écrit un livre, mais j’aurais dû le lire il y a plusieurs années. Je désire aussi reconnaître le fait que le livre comprend une préface de Martin Gray, et en raison du fait que vous avez rencontré M. Gray, je trouve cela aussi incroyable de vous lire. Je sais que je dépasse mon temps, madame la Présidente, j’espère que — cela ne sera pas long, chers collègues.

Avant mon arrivée au Sénat, je ne vous connaissais qu’à travers vos tragédies. Je vous connais maintenant comme un père dévoué, un homme résilient et bienveillant, et un politicien remarquable. L’impact des dossiers importants que vous pilotez laisse une empreinte significative et inspirante dans le paysage juridique canadien.

Votre départ du Sénat n’annonce pas la fin de votre œuvre, puisque vous continuerez de travailler afin de mener à bien les réformes en faveur d’un système de justice pénale plus équitable et plus attentif aux besoins des victimes et de leurs familles.

Sénateur Boisvenu, je tiens à vous souhaiter tout le succès possible dans vos démarches futures et vous remercier chaleureusement pour votre mission, votre passion et votre dévouement au service du bien commun de notre pays. Je suis honorée d’avoir eu le privilège d’apprendre à vous connaître et de travailler avec vous.

En tout respect et sincèrement, au plaisir, sénateur Boisvenu!

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Je tiens moi aussi à souligner la contribution politique de notre collègue le sénateur Pierre-Hugues Boisvenu.

Au-delà de ses multiples projets de loi, notre collègue est un homme sensible, complexe, allant parfois aux extrêmes avec une certaine colère, mais aussi capable de pleurer, de me faire pleurer, de nous faire pleurer.

Pierre-Hugues Boisvenu m’a accueillie à bras ouvert au Sénat, car nous avions une cause commune : dénoncer la violence faite aux femmes, ce que j’avais fait très publiquement à la tête du Conseil du statut de la femme du Québec.

J’ai beaucoup dit que nous n’atteindrions pas l’égalité entre les femmes et les hommes si ces derniers ne participaient pas à déconstruire les stéréotypes, à parler aux garçons. La parole publique des hommes est essentielle pour que cette violence cesse. En ce sens, le sénateur Boisvenu est encore une exception. Il a fait du droit des femmes victimes de violence sa mission de vie, son combat depuis 14 ans au Sénat; en fait, depuis l’assassinat de sa fille Julie, le 23 juin 2002.

Le sénateur nous a souvent parlé de sa fille Julie. J’ai écouté le portrait qu’en a fait la journaliste Isabelle Richer qui a suivi tout le procès de son assassin. Julie Boisvenu n’avait que 27 ans, elle était belle, sociable, elle avait beaucoup d’amis, elle était à la fois indépendante et un peu folichonne, comme le raconte la journaliste; une jeune femme libre qui a payé de sa vie le fait de traverser un stationnement en pleine nuit à Sherbrooke pour prendre son automobile et rentrer chez elle.

Cela n’aurait jamais dû arriver. Les femmes doivent pouvoir marcher la nuit et le jour en toute sécurité.

On ne se remet pas du deuil d’un enfant, c’est le pire cauchemar de tous les parents. J’ai souvent perçu de la tristesse dans le regard de mon collègue.

Le sénateur a parfaitement raison de dire qu’il faut se préoccuper davantage des victimes. Il l’a fait avec brio. Il les a nommées, il a raconté leurs histoires, il les a invitées au Sénat, il les a serrées dans ses bras et il les a consultées et écoutées avant de présenter ses nombreuses initiatives, notamment la fameuse Charte canadienne des droits des victimes.

Pierre-Hughes Boisvenu a consacré ses années au Sénat à chercher la justice et à tenter de protéger d’autres victimes. Sa détermination est restée entière, même quand il rencontrait des obstacles et de l’opposition. Il n’a jamais abandonné. J’ai pu apprécier son engagement et sa persévérance, même quand je n’étais pas d’accord avec lui. Des châtiments plus longs et plus sévères pour les agresseurs ne sont pas une solution magique, remplir les prisons non plus, mais les dérapages du système, les crimes commis par les récidivistes libérés nous font souvent douter.

(1440)

Je ressens, comme le sénateur Boisvenu, une très grande colère contre les agresseurs, mais j’ai aussi plein de doutes, beaucoup de doutes sur la voie à suivre. Le sénateur Boisvenu n’a jamais vacillé. Je sais que vous irez peut-être ailleurs. Je ne répéterai pas ce que tout le monde a dit, mais qui sait? Un député?

Quoi que vous choisissiez, je vous souhaite bon vent, cher Pierre‑Hugues.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune d’Isabelle Chittaro, la conjointe du sénateur Boisvenu, de Christian Boisvenu, son fils, de Jakob et Roxanne, ses petits-enfants, ainsi que leur mère, Julie Butterfield. Ils sont accompagnés de Daphnée Duprée, sa belle-fille, de Juliana Da Silva, son adjointe administrative, de Jordan Amorim, son ancien adjoint parlementaire, et de James Carpenter, un ami de l’Alberta.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu

Remerciements

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Honorables sénateurs, je tiens à remercier tous les collègues qui m’ont adressé des mots sentis et très vrais. Je n’étais pas en bicyclette, j’étais en trottinette. C’était ma première expérience en trottinette électrique, et je crois avoir bien réussi.

Vous comprendrez, sans l’ombre d’un doute, que c’est avec beaucoup d’émotion que je m’adresse à vous pour la dernière fois cet après-midi dans cette Chambre. Au cours des 14 dernières années, j’étais plutôt à votre place, au moment du départ de nos collègues, en me disant que mon tour arriverait bien un jour. Je crois l’avoir dit plus tôt à mes collègues : « Vous avez trois jours pour changer la Constitution canadienne si vous voulez me garder avec vous. »

En guise d’introduction, j’aimerais d’abord remercier une personne qui m’a beaucoup aidé à faire progresser ma mission au Sénat pendant ces 14 années. Cette personne, qui a grandement contribué à mes réalisations et qui avait autant à cœur la défense des droits des victimes d’actes criminels, c’est le très honorable Stephen Harper.

Je veux remercier ce premier ministre inspirant, sans qui la vingtaine de projets de loi que j’ai parrainés lors de mon passage au Sénat, et notamment la Charte canadienne des droits des victimes, n’auraient pas été adoptés.

Je tiens à le remercier de m’avoir fait confiance et de m’avoir permis d’être la voix des victimes dans son gouvernement et au Sénat du Canada. Je me souviendrai toujours du matin du 4 janvier 2010, quand le téléphone a sonné à la maison et que le premier ministre m’a demandé si je voulais être le porte-parole des victimes d’actes criminels au Sénat du Canada et dans son gouvernement.

Le souvenir de notre première rencontre, qui avait eu lieu cinq ans auparavant à Sherbrooke en 2005, était encore très frais dans ma mémoire. M. Harper était en visite dans cette ville alors que j’étais président bénévole de l’Association des familles de personnes assassinées et disparues, une association que, comme plusieurs l’ont rappelé, j’ai fondée en 2004 avec trois autres pères de famille dont les filles ont été assassinées; quatre pères, quatre filles.

Lors de cet entretien privé avec M. Harper, j’avais adressé 12 demandes au nom des familles de victimes, et son appel téléphonique de 2010 pour m’offrir un poste de sénateur est venu me confirmer son réel engagement envers les victimes d’actes criminels.

Je tiens à rappeler au passage que, en 2005, de tous les chefs politiques fédéraux que j’avais contactés pour les sensibiliser aux besoins importants des victimes, seul M. Harper avait répondu « présent ». Il a pris le temps nécessaire pour me rencontrer et en apprendre davantage sur le chemin à emprunter pour travailler sur l’avancement des droits des victimes d’actes criminels au Canada.

Ceci n’est pas un détail à négliger. Son engagement envers les victimes d’actes criminels a été exceptionnellement profond et vrai et de tous les instants. Pour bien imager l’ampleur du travail à l’époque, c’était comme gravir l’Everest. Cela ne se fait pas en un jour. Je savais que ce serait difficile à réaliser et qu’il faudrait prendre le temps, avoir le courage politique et montrer un réel engagement pour réussir. Ce courage politique de la part de M. Harper envers les victimes, alors que tout était à faire pour elles, a été remarquable.

Je me souviendrai aussi toujours du jour de ma nomination, le 18 janvier 2010, une semaine après le terrible séisme qui a frappé Haïti, lequel a fait 280 000 morts et 300 000 blessés. Haïti a été le premier pays que j’ai visité en tant que sénateur en 2011 lors d’une mission de 12 jours avec le groupe parlementaire ParlAmericas. Haïti est un pays que je garde encore dans mon cœur à cause des souffrances innommables de son peuple, lesquelles sont encore péniblement présentes 14 ans après ce séisme.

Honorables sénateurs, sachez que j’ai toujours dit que je suis devenu sénateur « par accident », alors que j’aurais souhaité que la vie m’amène ailleurs que dans cette Chambre. Comme vous, comme parent, j’aurais souhaité que la vie m’offre la possibilité de vieillir auprès de mes filles Julie et Isabelle, de découvrir et partager avec elles leurs réalisations de carrière, de les voir s’épanouir comme femmes et mères de famille, et peut-être profiter des petits-enfants qu’elles m’auraient donnés.

La vie en a décidé autrement, et j’ai donc consacré les 22 dernières années de ma vie à faire progresser les droits des victimes et de leurs familles grâce à la présence et à l’accompagnement continu de mes filles. C’est également grâce au courage des milliers de victimes qui m’ont contacté au fil des ans et à qui j’ai donné une voix, elles qui en ont eu tant besoin et qui en ont encore bien besoin.

Chers collègues, comme plusieurs d’entre vous n’étaient pas ici lors de ma nomination, laissez-moi vous dire quelques mots sur le bilan que j’ai dressé.

Je vous parlais plus tôt des 12 demandes que j’avais adressées à M. Harper en 2005 au nom des familles de victimes. Sachez qu’en septembre 2015, lorsque M. Harper a perdu le pouvoir, toutes, je dis bien, toutes les demandes des victimes et des familles avaient été respectées et réalisées par le gouvernement.

En l’espace de cinq ans, soit de 2010 à 2015, j’ai collaboré au dépôt de plus de 42 projets de loi dont plus des trois quarts ont été adoptés. Évidemment, la grande majorité l’a été sous un gouvernement conservateur à la demande des groupes de victimes et des familles, ce qui lui a valu le titre de « gouvernement des victimes ».

J’aimerais vous en citer quelques-uns :

Le projet de loi accordant un soutien financier aux familles dont un enfant est assassiné — la première mesure depuis 100 ans adoptée par un gouvernement tout court; le projet de loi modifiant le Code du travail fédéral pour permettre un congé parental pour les parents dont un enfant est assassiné; le projet de loi doublant la suramende fédérale pour dédommager les victimes; le projet de loi réformant le service correctionnel et le système des libérations conditionnelles; le projet de loi sur l’exploitation sexuelle des mineures; enfin, le projet de loi qui a assuré l’adoption de la Charte canadienne des droits des victimes d’actes criminels.

En 2015, nous nous sommes retrouvés avec un gouvernement libéral majoritaire et j’ai dû travailler d’arrache-pied pour faire avancer les demandes des victimes. Malgré la compassion que m’ont montrée la plupart d’entre vous lors des études de projets de loi, de mes multiples déclarations fracassantes et de mes discours au Sénat, les résultats n’ont pas été le reflet de cette compassion. Cela m’a, vous le comprendrez, beaucoup chagriné à certaines occasions. Cependant, sachez que j’ai apprécié, lors de moments de fortes émotions, le fait que plusieurs d’entre vous m’ont personnellement adressé des mots honnêtes, sincères et bienveillants, vous élevant ainsi au-dessus de la joute politique. Comme je le dis souvent, certains collègues ont refusé de faire de la politique sur le dos des victimes, et c’est tout à leur honneur.

(1450)

Dès demain, alors que je ne serai plus parmi vous, j’espère de tout cœur que vous vous souviendrez des victimes pour faire entendre leurs voix au moment de l’étude de projets de loi ou à toute autre occasion où elles devront être reconnues, entendues et surtout comprises. Ce n’est pas le sénateur Boisvenu qui vous le demande, mais bien Pierre-Hugues, le père de Julie et Isabelle.

Ce qui m’interpelle dans mon engagement contre la violence faite aux femmes, c’est la nature de l’appui que j’ai reçu au sein de cette Chambre. J’ai constaté avec surprise que le soutien le plus affirmé venait de certains collègues masculins, alors que celui de certaines sénatrices a été bien souvent timide. Il demeure et demeurera chez moi un questionnement sans réponse relativement aux raisons de cette réserve. Comme je le répète inlassablement, la violence faite aux femmes est avant tout une affaire d’hommes. Toutefois, sans l’appui inconditionnel de toutes les femmes, peu importe leur allégeance politique, sans cette solidarité féminine si souvent négligée, comment réussirons-nous à assurer collectivement la protection des femmes au Canada? Ce fait m’a amené à m’interroger réellement sur l’indépendance au Sénat — et j’y reviendrai.

Entre 2015 et aujourd’hui, alors que nous siégeons dans l’opposition, j’aurai tout de même déposé au Sénat une douzaine de projets de lois, dont quelques-uns ont été adoptés. En soi, cet accomplissement est presque un tour de force. Pensons notamment au projet S-206, Loi modifiant le Code criminel (divulgation de renseignements par des jurés) ou au projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale), lequel sera sans doute adopté la semaine prochaine à la Chambre des communes.

Maintenant que je dois quitter cet endroit, je suis tout de même inquiet, tant pour l’avancement des droits des victimes d’actes criminels au Canada que pour la sécurité des femmes victimes de violence conjugale. Il faut dire la vérité et l’assumer. Les victimes d’actes criminels n’ont pas obtenu, de la part du gouvernement actuel, que leurs droits fondamentaux prévus dans la Charte canadienne des droits des victimes soient respectés. Non seulement ces droits n’ont pas été respectés, mais ils ont été ignorés à certains égards. Je regrette de devoir le mentionner dans mon discours, mais il en est tristement ainsi, et ce fait doit être rapidement corrigé.

Chers collègues, je laisse entre vos mains un certain nombre de projets de loi que je vous demande d’étudier. Je serai très heureux de revenir vous hanter à titre de témoin en comité. Il s’agit du projet de loi S-238, Loi Véronique Barbe ou Loi modifiant le Code criminel et la Charte canadienne des droits des victimes (renseignements concernant la victime); du projet de loi S-255, Loi modifiant le Code criminel (meurtre d’un partenaire intime, de son propre enfant ou de l’enfant d’un partenaire intime); du projet de loi S-265, Loi sur l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels; du projet de loi S-266, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (Loi de Noah); enfin, du projet de loi S-281, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (examen des dossiers de libération conditionnelle).

Je ne sais pas si un jour le nombre de projets de loi déposés ou adoptés par un sénateur sera inscrit dans un livre de records. Je peux toutefois vous assurer que lorsqu’on affirme que les sénateurs chôment au Sénat du Canada, je peux affirmer en toute humilité et avec une très grande fierté que j’ai prouvé le contraire.

Lors de ma nomination en 2010, je ne savais pas à quoi m’attendre pour ce qui est de la capacité de réalisations au Sénat. Tout ce qui m’importait, c’était de bien faire les choses et de répondre à des besoins criants pour les victimes et leurs familles, afin de m’assurer que celles qui étaient frappées par des drames meurtriers et qui devaient faire face au système de justice n’auraient pas à vivre la même expérience douloureuse que celle que ma famille a vécue.

Malheureusement pour de nombreuses personnes, il faut avoir vécu des drames pour les comprendre. Sincèrement, chers collègues, je vous souhaite de ne jamais vivre un drame qui changera à jamais votre vie et celle de votre famille. Tout ce que je souhaite et vous demande n’est pas personnel; je vous demande de ne pas oublier les victimes et de vous souvenir de leurs nombreuses histoires que j’ai partagées avec vous, ainsi que du courage et de la résilience dont font preuve les victimes et leurs familles. Je vous demande de vous rappeler que vous avez la responsabilité, en tant que sénateurs et sénatrices, d’être la voix des plus vulnérables au pays.

Certes, il y a les communautés culturelles, les minorités visibles et les peuples autochtones. Les victimes d’actes criminels font également partie de la catégorie des personnes vulnérables, et ce, peu importe leurs allégeances politiques. Comme celles-ci ne forment pas une communauté en soi et qu’elles proviennent de tous les milieux, de toutes les classes sociales, de toutes les nationalités et de toutes les communautés culturelles, vous devez les reconnaître à part entière, et non pas une victime à la fois. Imaginez ce que serait la défense des droits des personnes vulnérables au pays si nous les prenions un cas à la fois, alors qu’il est déjà difficile de le faire pour un groupe. Votre solidarité envers les victimes est essentielle.

Vous êtes donc en mesure de comprendre l’ampleur de la tâche et de la mission que j’ai portée à bout de bras, chaque jour dans cette Chambre, et que je continuerai de porter toute ma vie.

Outre le travail de légiste, que j’ai accompli avec une très grande passion au cours de mon mandat, avec un grand souci d’apprendre, avec de la détermination et surtout de l’amour, je n’ai cessé d’accueillir à mon bureau, par courriels, par téléphone, en personne ou par les réseaux sociaux, non pas des centaines, mais des milliers d’histoires de victimes et de familles de victimes laissées trop souvent à elles-mêmes et abandonnées par le système de justice. Je n’ai cessé d’aller à la rencontre de ces victimes et des familles, que ce soit dans leurs cuisines, dans les salons funéraires, dans les églises ou lors de rencontres publiques. Il y a bien longtemps que j’ai arrêté de les compter.

À mon arrivée au Sénat en 2010, l’espoir que les femmes, les victimes d’actes criminels et les familles de victimes ont éprouvé sous un gouvernement conservateur qui était à leur écoute était palpable. Tristement, depuis 2015, ces mêmes personnes ont recommencé à me parler de leur perte de confiance envers le système de justice et envers un gouvernement fédéral qui les a abandonnées. Elles doivent toutefois continuer de prendre la parole et ne pas retourner dans leur prison du silence. Elles doivent manifester leur méfiance et leur mécontentement vis-à-vis du non‑respect de leurs droits au gouvernement, aux élus et aux nommés, comme nous au Sénat. Elles doivent continuer de se battre pour faire respecter leurs droits, qui sont enchâssés dans la Charte canadienne des droits des victimes. Ces droits sont trop souvent bafoués par les institutions fédérales, et je rêve du jour où cette charte sera respectée et défendue autant que la Charte canadienne des droits et libertés.

Vous comprendrez mon profond malaise lorsque je vois le premier ministre actuel se présenter chaque année à l’École polytechnique de Montréal, quand il s’adresse aux proches des victimes, la main sur le cœur, la larme à l’œil et les trémolos dans la voix, en disant à quel point les femmes victimes de violence l’attristent et le marquent au plus profond de son cœur. Ce malaise que je ressens, quand je vois les députés libéraux de l’autre endroit réduire volontairement la portée des projets de loi sur la violence conjugale, la violence faite aux femmes ou les droits des victimes, c’est mon cœur de père qui rage et qui pleure, alors que de vrais drames sont utilisés pour faire un spectacle politique.

Cela s’est également produit lors de mon récent témoignage devant le Comité de la condition féminine, avec deux victimes de tentative de meurtre dans un contexte de violence conjugale. Ces victimes ont courageusement raconté leurs drames au moment de l’étude du projet de loi S-205. Les députés libéraux et du NPD les ont serrées dans leurs bras en leur affirmant qu’ils et elles étaient de tout cœur avec elles et que ce projet de loi aurait dû être adopté il y a 20 ans. Eh bien, je constate aujourd’hui que, après avoir charcuté mon projet de loi — et j’emploierai un mot dur —, elles ont été trahies, tout comme toutes les victimes de violence conjugale qui demandent d’être protégées et de rester vivantes. Je suis profondément triste pour elles et pour les futures victimes de violence conjugale.

Chers collègues, mon dernier discours ne serait pas complet si je ne m’exprimais pas sur la réforme libérale du Sénat. Vous m’excuserez de ma franchise. Je partage certains points de vue exprimés par mon collègue le sénateur Patterson, qui a pris sa retraite récemment. Il a soulevé des préoccupations sur l’évolution actuelle du Sénat, qui est perçu comme étant en proie à certaines difficultés organisationnelles et à un manque de cohérence dans sa vision politique. En outre, il a évoqué la démarche entreprise par M. Trudeau avant son élection de 2015. Cette démarche consistant à réorganiser la représentation libérale au Sénat a été présentée comme un effort en vue de renforcer l’indépendance de cette institution vis-à-vis des influences politiques. Toutefois, cette initiative soulève des questions quant à son efficacité réelle et à l’indépendance des nominations et des décisions sénatoriales par rapport au pouvoir politique du Parti libéral. Ces points méritent une réflexion approfondie pour évaluer l’impact de ces changements sur l’intégrité et l’autonomie du Sénat, surtout lorsque nous constatons, et que la population constate, que la vaste majorité des sénatrices et sénateurs nommés par le gouvernement au pouvoir ont eu des liens politiques étroits avec cedit pouvoir.

Il en a été ainsi pour la nomination des juges, des nominations qui devaient se faire sans lien avec toute allégeance politique — voilà le fameux libéralisme qui a été décrié par les médias notamment. La réalité est tout autre et personne ici, en toute honnêteté, ne peut prétendre le contraire.

(1500)

Pour les collègues qui font partie des nouveaux groupes de sénateurs, l’indépendance n’existe pas dans cette enceinte. Si elle existe, elle n’est que théorique, parce qu’en pratique, aucun projet de loi du gouvernement n’a été défait depuis 2015.

Il ne s’agit pas d’un hasard; je suis ici depuis assez longtemps pour avoir été en mesure de constater l’avant et l’après des nominations dites indépendantes. Assez longtemps, chers collègues, pour vous dire en toute honnêteté que les études et les débats liés aux projets de loi entre les deux groupes historiques de sénateurs ouvertement et honnêtement transparents relativement à leur allégeance politique m’ont profondément marqué au cours de ces années.

À cette époque, les travaux étaient parfois difficiles, certes, mais ils n’étaient pas contaminés par une supposée indépendance mal voilée. La prémisse de nos travaux était claire. Avant 2015, nous étions tous conscients de notre appartenance à l’un ou l’autre des deux groupes principaux dans cette enceinte, et nous nous consacrions à notre mission législative sans nous laisser distraire par des débats sur une prétendue indépendance. Cette dernière, bien que louable en théorie, semble parfois compliquer inutilement les dynamiques de travail et la sérénité de notre environnement. Cette approche, moins transparente, peut s’avérer contre-productive pour une institution qui fait déjà face à de nombreux défis.

Depuis 2015, l’insistance sur l’indépendance des nouveaux sénateurs n’a, à mon avis, pas toujours servi les intérêts de la Chambre ni ceux de la population. Parfois, cela peut même alimenter un certain cynisme envers notre institution. Pour ma part, j’estime qu’il est essentiel de rester fidèle à ses convictions, et que cela devrait être le fondement de toute véritable indépendance. Être indépendant, selon moi, c’est agir avec intégrité et honnêteté dans ses fonctions législatives, même si cela implique parfois de prendre des positions qui ne sont pas en parfaite adéquation avec les lignes directrices du gouvernement.

Toutefois, pour mes collègues qui n’ont pas connu cette époque, vous n’avez pas le choix malgré tout d’effectuer votre travail avec le plus de professionnalisme possible, et vous ne pouvez pas comparer et constater qu’il était beaucoup plus agréable de siéger sans devoir faire semblant. Il est donc faux de prétendre que le fonctionnement de l’ancien Sénat n’était pas le meilleur pour l’avenir de l’institution.

Pour moi, cette triste réalité a pris tout son sens lorsque deux projets de loi ont fait l’objet de peu d’écoute de votre part. Le projet de loi de mon collègue le sénateur Carignan, le projet de loi S-231, lequel, une fois amendé au Comité des affaires juridiques et constitutionnelles, perdait toute sa substance, bien que ce projet de loi ait été demandé par tous les corps policiers du Canada. Grâce à ce projet de loi, ceux-ci auraient pu faire plus efficacement leur travail pour élucider des meurtres non résolus, mais surtout répondre aux demandes des familles qui attendent des réponses depuis des années, voire des décennies.

Puis, le projet de loi C-21, qui a été étudié au Comité de la sécurité nationale, de la défense nationale et des anciens combattants, lequel a refusé tous les amendements proposés par l’opposition, alors que certains de ces amendements correspondaient à des demandes des communautés autochtones, des sportifs professionnels et d’honnêtes citoyens.

Honnêtement, à la fin de la journée, à qui sert un tel constat? Quelle fierté peut-on ressentir à mettre autant d’efforts et d’énergie pour en arriver à de tels résultats qui sont encore plus partisans, si au départ, chaque sénateur indépendant avait comme devoir premier d’améliorer des projets de loi et d’être la voix des plus vulnérables avant de tout faire pour donner préséance aux attentes du gouvernement, en jouant la carte de l’indépendance?

Il est facile de constater que certains de mes collègues ont plus de difficulté à jouer le jeu que d’autres. Je me permets de vous dire, chers collègues, que le fait d’avoir la liberté d’effectuer son travail de manière honnête et assumée vous portera vers des réalisations qui vous rendront fiers toute votre vie parce qu’elles vous appartiendront réellement. J’en sais quelque chose et je vous le souhaite sincèrement.

Heureusement, l’espoir pour les victimes sera possiblement au rendez-vous, et c’est ce qu’elles souhaitent le plus. Il ne s’agit pas de faire de la politique sur leurs dos, mais d’avoir un gouvernement qui saura les écouter et les mettre au centre du système de justice canadien. Elle se souhaitent un gouvernement qui améliorera fondamentalement la Charte canadienne des droits des victimes, un gouvernement qui réformera la Commission des libérations conditionnelles et le Service correctionnel afin de faire de la sécurité publique sa priorité, et un gouvernement qui fera de la sécurité des femmes canadiennes non pas le sujet d’un discours creux, mais d’un droit fondamental qu’il respectera.

Les victimes méritent mieux que d’être utilisées à mauvais escient lorsqu’un spectacle est nécessaire pour gagner des votes ou améliorer l’image du premier ministre actuel.

Ce moment venu, il y aura un énorme choc dans cette enceinte, parce qu’à mon avis, le Sénat met maintenant l’accent presque exclusivement sur les droits des minorités au détriment du reste des autres citoyens. Un gouvernement conservateur qui sera peut-être élu, sans ignorer les droits des minorités, sera préoccupé par le Canada tout entier, car aujourd’hui, la majorité des Canadiennes et des Canadiens ne se retrouvent plus dans la version libérale du Sénat, et cela n’est ni normal ni acceptable.

Qu’elles soient composées d’élus ou de nommés, ce sont tous les contribuables qui doivent avoir le droit de se reconnaître dans les deux Chambres. Ce déséquilibre malsain cause un tort important au reste de la population. Je peux entrevoir une divergence importante dans la vision canadienne d’un futur gouvernement conservateur majoritaire et d’un Sénat d’obédience indépendante.

Je comprends les différences entre nos travaux et ceux de l’autre Chambre, et je comprends également l’importance de notre collaboration commune, le privilège que les sénateurs et les sénatrices ont de pouvoir s’investir dans une mission et de ne pas craindre une élection pourrait nous faire perdre notre siège et ainsi mettre un terme abrupt à cet engagement. C’est pourquoi il m’incombe de souhaiter le retour d’un Sénat organisé, qui s’affaire davantage aux travaux pour lesquels il est saisi qu’aux batailles de gains politiques entre groupes de sénateurs soi-disant indépendants.

En 14 ans au Sénat, j’ai côtoyé nombre de sénateurs et de sénatrices des deux côtés de la Chambre; plusieurs nous ont quittés. Au-delà du fait que parmi eux, certains siégeaient en face de moi et que leur allégeance libérale était clairement établie, j’ai beaucoup appris des discussions franches avec des collègues comme les sénateurs Joyal, Cowan, Dawson, Rivest, Mercer, Baker, Bank et Dallaire, tout comme avec les sénatrices Fraser, Tardif et Charette‑Poulin, et je les ai appréciées.

J’ai également appris de mes collègues conservateurs, depuis mes tous débuts, car ils ont été d’un soutien continu dans mes travaux et ma mission, d’anciens sénateurs comme MM. Nolin, Runciman, Comeau, Doyle, Finley, Enverga, Rivard, Maltais et d’anciennes sénatrices comme Mmes LeBreton, Frum et Eaton, ainsi que mes collègues actuels qui sont ici présents et présentes aujourd’hui.

Je dois avouer aussi que j’ai eu de bons échanges avec certains et certaines d’entre vous, issus des trop nombreux groupes de sénateurs indépendants.

Enfin, outre la défense des droits des victimes, le Sénat m’a permis de vivre une des expériences des plus enrichissantes sur le plan international grâce à ma participation à l’Association parlementaire canadienne de l’OTAN.

Au cours des huit dernières années, j’ai pu assister aux grands changements qui se sont opérés au sein de l’OTAN afin de répondre adéquatement aux enjeux en matière de sécurité, en Europe et ailleurs dans le monde. Ces enjeux, on le constate aujourd’hui, sont devenus une réalité à travers des conflits qui ont coûté la vie à des centaines de milliers de femmes, d’hommes et d’enfants. Le fait d’avoir pu côtoyer les parlementaires des pays membres de l’OTAN m’a permis d’apprécier la paix relative que nous vivons au Canada, mais me laisse aussi inquiet quant à l’état critique de notre propre sécurité si un conflit devait engager le Canada. Les travaux relatifs à cette responsabilité parlementaire me manqueront beaucoup et m’ont insufflé une sensibilité qui m’a marqué profondément; j’en suis très reconnaissant.

Je ne peux que souhaiter la paix pour l’Ukraine et Israël. L’existence en paix des pays démocratiques est un principe fondamental que le Sénat doit continuer à défendre, et la dénonciation des organisations terroristes qui s’y opposent doit être de tous les instants et surtout, se faire sans hésitation.

Honorables sénatrices et sénateurs, je terminerai mon allocution en remerciant d’autres personnes importantes pour moi qui ont facilité mon passage et mon travail au Sénat pendant les 14 dernières années.

Je remercie d’abord ma conjointe, Isabelle, qui m’accompagne quotidiennement dans ma quête de justice pour les victimes, surtout pour les femmes victimes de violence conjugale. Elle est ma conseillère, ma collaboratrice, ma critique aussi, particulièrement dans mes déclarations publiques. Elle m’a constamment rappelé combien il est important et essentiel que mes prises de parole soient bien comprises et justement vulgarisées lorsqu’il s’agit de termes politiques ou juridiques. Quand on ne comprend pas, on juge, on se désintéresse et on critique injustement. Une mission, c’est pour la vie. Merci, Isabelle, de la partager tous les jours avec moi.

À mon fils Christian, mes petits-enfants Jakob et Roxane, à leur maman Julie, mon travail au Sénat ne m’a pas permis d’être aussi présent auprès de vous au cours des dernières années que je l’aurais souhaité.

Jak et Rox, je sais que vous êtes très fiers de vos tantes Julie et Isabelle. Elles sont au centre de la mission qu’elles m’ont demandé de porter et ce sont des anges gardiens qui veillent sur vous, sur nous. Grand-père vous aime beaucoup.

(1510)

À Juliana et à mon ancien adjoint administratif, Jordan, qui m’ont épaulé en faisant de leurs communications avec les victimes des relations humaines, chaleureuses, empathiques et si réconfortantes, merci beaucoup.

À mon premier directeur de bureau, François Delisle, merci pour ton soutien et tes sages conseils qui ont guidé mon apprentissage, mes premiers pas et mes premières réalisations en politique active au Sénat.

À mon directeur actuel, Jordan — que je viens de nommer —, je te remercie de ton dévouement et de ta compétence au cours des cinq dernières années. Je te souhaite une très bonne continuation au bureau du sénateur Plett. Je suis certain que tu réaliseras un jour ton rêve de devenir député conservateur.

Aux membres du caucus conservateur, à Ottawa et à Québec, et à mes collègues conservateurs au Sénat, ce fut un réel plaisir de vous côtoyer pendant toutes ces années. Vous avez été une grande famille pour moi — ma deuxième famille. Je peux dire que vous avez toujours appuyé sans réserve les enjeux difficiles que j’ai défendus, ainsi que mes prises de position; vous l’avez fait avec cœur et vous les avez même faites vôtres. Merci à chacun d’entre vous de votre soutien.

[Traduction]

À mon leader, le sénateur Plett, je vous suis profondément reconnaissant d’avoir rempli votre rôle à titre de chef de l’opposition officielle à la Chambre haute de manière efficace, éclairée et dynamique. Même si le nombre de sénateurs conservateurs continue de baisser pour le moment — je dis bien pour le moment —, vous réussissez à maintenir un bon équilibre avec les autres groupes au Sénat afin que nous puissions jouer pleinement notre rôle essentiel en tant que membres de l’opposition au gouvernement libéral de Justin Trudeau. Monsieur le sénateur, vous avez toujours respecté mon travail pour les victimes, attaché de l’importance à celui-ci et appuyé ma mission. Derrière votre force, je sais que vous êtes un être empreint de compassion et de sensibilité que je considère comme un ami. Merci, monsieur le leader.

[Français]

Merci à tout le personnel du Sénat, à la Présidente et à ses prédécesseurs, aux pages, à l’huissier du bâton noir, aux interprètes, au personnel de la cafétéria, et que ceux et celles que j’oublie veuillent bien m’en excuser. Vous rendez le travail des sénatrices et sénateurs plus agréable, malgré nos longues journées de travail à l’occasion.

Je souligne aussi l’excellent soutien des services administratifs, lesquels ont toujours été disponibles et dévoués.

Merci au personnel de la sécurité, nos anges gardiens, qui sont toujours souriants, avenants et soucieux de notre bien-être. J’ai toujours été heureux de jaser avec vous en arrivant ou en quittant la Colline du Parlement, tard le soir; plusieurs d’entre vous sont devenus des amis. Vous allez me manquer. Merci de tout cœur.

Merci à nos chauffeurs privés, qui, du matin au soir, conduisent leur navette pour assurer notre transport et notre assiduité. J’ai eu plusieurs jasettes avec chacun d’entre vous afin de mieux vous connaître, parler de voyages, de pêche, de football et même de politique. Ainsi, vous avez rendu mes déplacements très chaleureux. J’ai apprécié vos services au plus haut point. Vous aussi allez me manquer, et soyez assurés que je reviendrai sûrement souvent pour vous refaire un brin de jasette et prendre le « Boisvenu express ». Merci beaucoup.

Aux médias du Québec et du Canada, je tiens à vous dire à quel point vous avez été importants afin que ma voix se rende, durant toutes ces années, vers les familles et vers les victimes et leurs proches. Que ce soit par des chroniques régulières ou grâce à de nombreuses entrevues ou aux réseaux sociaux, vous m’avez toujours offert votre micro et votre caméra pour informer la population et pour dénoncer le traitement que subissent les victimes, qui sont trop souvent victimisées de nouveau dans notre système de justice. Je souhaite que notre collaboration à ce chapitre se poursuive même après mon départ du Sénat, peu importe où j’atterrirai.

Enfin, je tiens à remercier mon leader, l’honorable Pierre Poilievre. Je suis profondément reconnaissant qu’il ait manifesté, dès son arrivée dans ses fonctions de leader du Parti conservateur, une très grande sensibilité et une empathie naturelle envers les victimes d’actes criminels et leurs familles. Lors des rencontres qu’il a eues avec ces familles ou ces victimes, il ne leur a fait qu’une promesse : les écouter pour mieux les comprendre et défendre leurs intérêts. C’est tout ce que les victimes d’actes criminels demandent : être écoutées pour être comprises.

Ces familles portent beaucoup d’espoir en vous, monsieur Poilièvre, comme la majorité des Canadiennes et des Canadiens d’ailleurs. Vous représentez l’espoir pour elles et pour le Canada tout entier, et sachez que je serai à vos côtés pour la suite des choses et pour votre prochaine élection.

Chers collègues, comme vous le constatez, je quitte cette auguste Chambre avec un mélange d’optimisme et de pessimisme. J’aurais voulu et aimé y rester encore quelques années, car l’enjeu des droits des victimes et de leurs familles, qui est au cœur de la mission de vie que mes filles m’ont donnée en héritage, sera remis au programme politique du futur gouvernement.

À cause de leur courage, les victimes et les familles de victimes d’actes criminels méritent d’être de nouveau remises au centre du système de justice canadien.

À vous toutes et tous, j’adresse mes plus sincères remerciements pour la sensibilité que vous avez souvent manifestée envers mon engagement. Je vous souhaite surtout la santé et une bonne continuation dans cet endroit.

J’ignore où la vie m’amènera maintenant. J’aurai l’occasion de passer davantage de temps avec mon fils Christian, avec mes petits-enfants Jakob et Roxane, avec mes proches et amis, mais je sais que mon engagement lié à la cause des droits des victimes d’actes criminels est et sera à jamais une partie fondamentale de ma vie.

Je continue de faire confiance à mes filles Julie et Isabelle pour cela, car elles ont toujours été présentes à mes côtés pour tracer la voie à suivre. Elles ont sans doute déjà une idée en tête, qu’elles me feront découvrir assez rapidement, j’en suis convaincu.

Les filles, nous n’avons pas chômé et il en reste encore beaucoup à faire. Nous avons cheminé et continuerons de faire équipe ensemble pour longtemps, je nous le souhaite.

Mes filles, merci pour tout. Je vous aime.

Chers collègues, pour une dernière fois dans cette assemblée, merci du fond du cœur. Mon legs au Sénat, soit d’être la voix des victimes, s’est réalisé, et mon legs auprès de vous reste à venir. Ne les oubliez pas.

N’oubliez jamais non plus à quel point vous êtes, toutes et tous, privilégiés et redevables au peuple canadien de siéger dans cette Chambre. Cet endroit me manquera profondément.

Personnellement, je ne vous oublierai jamais. Chers collègues, merci.

[Traduction]

Des voix : Bravo!

Visiteurs à la tribune

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Pauline Ryan, récente lauréate du prix Amethyst. Elle est l’invitée de l’honorable sénateur Dean.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Mme Zeba Ahmad, présidente‑directrice générale de la Saskatoon Public Schools Foundation, et de M. Wayne Brownlee, coprésident de la campagne Early Learning Equal Start de la fondation. Ils sont les invités de l’honorable sénateur Arnot.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!


AFFAIRES COURANTES

La justice

L’Énoncé concernant la Charte en ce qui a trait au projet de loi C-62—Dépôt de document

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, j’ai l’honneur de déposer, dans les deux langues officielles, un énoncé concernant la Charte préparé par le ministre de la Justice ayant trait au projet de loi C-62, Loi no 2 modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), conformément à la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. 1985, ch. J-2, par. 4.2(1).

Projet de loi sur la reconnaissance de la Nation haïda

Première lecture

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) dépose le projet de loi S-16, Loi concernant la reconnaissance de la Nation haïda et du Conseil de la Nation haïda.

(Le projet de loi est lu pour la première fois.)

Son Honneur la Présidente : Honorables sénateurs, quand lirons-nous le projet de loi pour la deuxième fois?

(Sur la motion du sénateur Gold, la deuxième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la séance d’après-demain.)


(1520)

PÉRIODE DES QUESTIONS

Le Bureau du Conseil privé

Réponses aux questions

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, le 25 mai 2021, j’ai présenté une question qui a été publiée au Feuilleton du Sénat afin de savoir combien d’argent CBC/Radio-Canada a consacré à sa poursuite malheureuse contre le Parti conservateur pendant la campagne électorale fédérale de 2019.

Voilà près de trois ans que je vous demande une réponse à cette question, et je l’ai fait à plusieurs reprises, monsieur le leader. Je ne l’ai jamais obtenue. Elle est toujours inscrite au Feuilleton. Mon bureau a récemment soumis une demande d’accès à l’information à CBC/Radio-Canada afin d’obtenir tout document produit par la société en lien avec ma question au Feuilleton.

J’ai reçu une réponse hier, monsieur le leader. Un document indique que CBC/Radio-Canada a fourni une réponse le 21 juin 2021 et que les frais juridiques de la société se sont élevés à 359 971,34 $. Monsieur le leader, pourquoi a-t-on caché cette réponse aux contribuables et à moi pendant près de trois ans?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question, mais je n’ai pas de réponse à vous donner. Comme je l’ai dit à maintes reprises, je regrette que les questions des sénateurs que je transmets dûment aux ministères concernés ne reçoivent pas de réponse aussi rapidement que nous le souhaiterions tous, ce sur quoi nous comptons évidemment. C’est pourquoi je répète encore une fois que j’encourage vivement le Sénat, par l’intermédiaire de ses comités, à envisager l’adoption d’une règle analogue à celle qui existe à la Chambre et qui impose l’obligation de répondre dans des délais opportuns.

Chers collègues, je fais de mon mieux, mais une fois que je transmets l’information et que j’en assure le suivi — ce que je fais avec diligence à mon bureau — l’évolution de la situation ne dépend plus de moi. Néanmoins, le Sénat peut se donner le moyen, s’il décide de se prévaloir de cette possibilité, de faciliter mon travail ou celui de mon successeur.

Le sénateur Plett : Vous êtes le représentant du gouvernement. À ce titre, vous devriez être en mesure de vous adresser au gouvernement pour obtenir des réponses. La situation illustre le mépris total du premier ministre Trudeau et de ses ministres à l’égard des droits des parlementaires, notamment des sénateurs, ainsi qu’à l’égard de la transparence et de la reddition de comptes. Il ne devrait pas être nécessaire de déposer une demande d’accès à l’information, demandant comment ma question écrite a été traitée, pour obtenir une réponse. La réponse aurait dû être présentée dans cette enceinte, mais elle ne l’a pas été.

Monsieur le leader, qui a pris la décision d’empêcher que la réponse à ma question soit présentée au Sénat depuis bientôt trois ans?

Le sénateur Gold : Je n’ai pas la réponse à votre question.

Les affaires mondiales

Les relations sino-canadiennes

L’honorable Leo Housakos : Sénateur Gold, j’ai rencontré hier l’équipe qui défend M. Jimmy Lai, un citoyen britannique qui croupit en prison à Hong Kong et y passera probablement le reste de sa vie à cause de fausses accusations liées à la loi sur la sécurité nationale. L’équipe qui assure la défense de M. Lai salue les efforts déployés par le Parlement canadien pour attirer l’attention sur sa situation. Cela dit, les déclarations et les motions ne suffisent pas. Le gouvernement doit aussi être prêt à donner priorité au cas de M. Lai et à attirer l’attention sur la loi draconienne sur la sécurité et sur ce qu’elle signifie pour les étrangers qui font des affaires à Hong Kong.

Ma question comporte deux volets. Peut-on nous garantir que lors de chacune de ses interactions avec Pékin, le gouvernement parle tout d’abord du cas de M. Lai? Pourriez-vous aussi nous parler des mesures que prend le gouvernement pour informer les Canadiens des risques auxquels s’exposent les gens qui font des affaires à Hong Kong à l’heure actuelle?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je ne suis pas au fait de mesures que le gouvernement aurait prises pour mettre en garde les Canadiens contre les activités commerciales à Hong Kong. Mais en ce qui concerne la situation de M. Lai, le gouvernement croit fermement au droit des journalistes et des médias du monde entier de travailler sans subir d’intimidation. Le gouvernement a soulevé cette question lors de ses échanges avec les ministres concernés. Le gouvernement continuera d’aborder toutes les questions relatives à notre sécurité nationale, aux droits des autres et à leurs interactions avec le gouvernement.

Le sénateur Housakos : Voilà de belles paroles, monsieur le leader. Je vais vous dire ce que votre gouvernement a fait jusqu’à présent : rien du tout. L’équipe de M. Lai a indiqué qu’Affaires mondiales Canada — contrairement à notre plus proche allié, les États-Unis, qui a publié des avis aux entreprises clairs et sans équivoque — n’a émis aucune mise en garde. Dans ses conseils, Affaires mondiales Canada ne parle que des aspects positifs des activités commerciales à Hong Kong, sans nullement mentionner la loi sur la sécurité nationale ou les dangers qui guettent les Canadiens.

Sénateur Gold, votre gouvernement s’engagera-t-il à modifier la directive d’Affaires mondiales Canada?

Le sénateur Gold : Je ne manquerai pas d’attirer l’attention de la ministre compétente sur ce point. Je le répète, toutes les affaires, tous les procès, toutes les questions liées à la loi sur la sécurité nationale et à la loi anti-sédition, y compris la situation de M. Lai, sont pris au sérieux et font l’objet d’un suivi attentif de la part du gouvernement.

Les finances

Le secteur bancaire

L’honorable Iris G. Petten : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat. Sénateur Gold, en décembre 2023, la vente de la Banque HSBC à la Banque Royale du Canada a été approuvée par la ministre des Finances Chrystia Freeland. Toutefois, certains craignent que cela n’entraîne une diminution de la concurrence dans le secteur bancaire, où il y a déjà une forte concentration. Robert McLister, stratège hypothécaire, a déclaré que la HSBC avait une approche différente de celle des grandes banques et que ces dernières affichaient régulièrement des taux d’intérêt fixes et variables supérieurs de 20 à 80 points de base. Selon lui, pour les Canadiens qui préfèrent obtenir des prêts auprès des grandes banques, « le principal avantage de HSBC était qu’elle offrait aux emprunteurs des arguments dans leurs négociations ».

Comme nous traversons une période où les Canadiens s’inquiètent de leur capacité d’acheter une maison et où les taux hypothécaires sont élevés, la ministre des Finances a-t-elle vraiment choisi le bon moment pour approuver cette vente?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénatrice, de votre question. La décision de la ministre des Finances d’approuver l’acquisition repose sur les conseils et l’analyse approfondie des ministères et organismes fédéraux concernés, dont le Bureau de la concurrence et le Bureau du surintendant des institutions financières. Je sais que l’approbation accordée par la ministre des Finances est assortie de conditions strictes à la RBC, notamment de continuer à offrir des services dans au moins 33 succursales de la HSBC et de maintenir les guichets automatiques dans ces succursales pendant quatre ans, de protéger le personnel canadien actuel de la HSBC, de créer de nouveaux emplois, dont 440 en Colombie-Britannique et 200 au Manitoba, et d’offrir un financement de 7 milliards de dollars pour la construction de logements abordables à l’échelle du pays en vue de la construction d’environ 25 000 résidences.

La sénatrice Petten : Sénateur Gold, même le Comité des finances de la Chambre des communes a demandé au gouvernement de rejeter cette transaction. Le rapport du comité dit ceci :

[...] l’affaiblissement de la concurrence dans le secteur financier pourrait susciter une hausse des frais de banque des Canadiens, alors que ces frais sont déjà élevés en raison du manque de concurrence dans le secteur [...]

Que compte faire le gouvernement pour que la concurrence reste forte dans le secteur bancaire?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question. Je crois comprendre que le gouvernement a lancé de nouvelles consultations sur le renforcement de la concurrence dans le secteur financier afin de continuer à protéger les consommateurs canadiens et de maintenir la concurrence et la stabilité du secteur.

On m’a également informé que, dans le cadre de ce processus, on cherchera à obtenir des avis sur les possibilités d’amélioration du processus actuel d’acquisition ou de fusion afin de favoriser une plus grande concurrence et d’envisager des mesures supplémentaires pour contrer la concentration du marché ainsi que les obstacles à l’entrée sur le marché ou à l’expansion.

Les affaires mondiales

Le budget accordé à l’aide au développement

L’honorable Ratna Omidvar : Ma question s’adresse au sénateur Gold. Sénateur Gold, des représentants d’organisations internationales et d’organisations non gouvernementales sont venus sur la Colline. Nous les avons rencontrés. Je sais que vous les avez rencontrés vous aussi.

(1530)

Ils m’ont parlé du succès retentissant de la politique étrangère féministe du Canada, notamment en ce qui concerne les investissements du Canada dans des organisations communautaires dirigées par des femmes.

Les femmes qui sont touchées par la guerre et la violence fondée sur le sexe participent maintenant activement à l’amélioration des lois et structures de leur pays, et, par conséquent, elles sont plus en sécurité. C’est la preuve que notre politique étrangère féministe fonctionne. Pourtant, l’an dernier, le gouvernement a réduit de 15 % l’aide au développement international, ce qui est énorme.

Compte tenu du travail efficace effectué par les artisanes de la paix pour jeter les bases d’une paix durable, pouvez-vous nous dire si le gouvernement reviendra sur cette décision et accordera la priorité aux organisations de femmes?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, madame la sénatrice. Comme beaucoup d’autres personnes, j’ai en effet rencontré les représentants de ces organisations. Je ne peux pas faire de commentaires sur d’éventuelles attributions budgétaires. Néanmoins, je peux dire que le gouvernement a fait des progrès en ce qui concerne les objectifs et les priorités définis dans la politique d’aide internationale féministe et qu’il poursuivra cet important travail.

Il convient de mentionner, même si ce n’est pas une consolation pour les organisations, que cette diminution fait suite à une augmentation pendant la pandémie. Il est donc important de reconnaître que le financement global est resté plus stable. Force est de reconnaître qu’il faut toujours plus de ressources pour accomplir le travail important. Quoi qu’il en soit, le gouvernement s’est engagé à améliorer la manière dont son aide internationale est fournie en utilisant une approche féministe inclusive, axée sur les droits de la personne.

La sénatrice Omidvar : Merci, sénateur Gold. Ces renseignements sont pertinents, mais les parties prenantes me disent que certains facteurs leur compliquent la tâche, notamment le changement climatique et le fait que les femmes sont de plus en plus vulnérables en raison des attentes, des normes et des structures culturelles des sociétés dans lesquelles elles vivent.

Je vous saurais gré de faire savoir au gouvernement qu’il serait judicieux de renforcer ses engagements financiers en matière de climat en faveur des pays du Sud afin de respecter les objectifs féministes énoncés dans la politique étrangère canadienne.

Le sénateur Gold : Certainement. Je vous remercie de cette importante observation.

Pour préciser ma réponse précédente, je répète que le gouvernement a en fait doublé le financement international au titre du climat, qui est passé de 2,65 milliards de dollars, pour la période de 2015 à 2021, avant la pandémie, à 5,3 milliards de dollars, pour la période de 2021 à 2026. Je crois comprendre que le gouvernement continuera à soutenir le leadership et le pouvoir décisionnel des femmes ainsi que la lutte contre le changement climatique, et qu’il veillera à ce qu’au moins 80 % des projets climatiques respectent l’égalité des sexes, conformément à la politique d’aide internationale féministe du Canada.

[Français]

La sécurité publique

Le Sommet national pour lutter contre le vol de véhicules

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Je veux, à mon tour, parler du phénomène des vols d’automobiles, mais avec ma vision d’ex‑policier.

D’abord, les policiers ont une assez bonne connaissance des réseaux de voleurs d’automobiles. Les policiers connaissent les façons de faire avec les mineurs qui commettent les vols d’automobiles. Les policiers savent comment les véhicules sont écoulés ici ou encore exportés, principalement par le port de Montréal.

Tenir aujourd’hui un sommet national sur un tel sujet devient donc une sorte de mascarade pour cacher l’incompétence et les retards à agir concrètement. Qu’est-ce que cela donne aux policiers d’arrêter des voleurs d’automobiles au Canada? Parce que si les vols d’automobiles sont si importants, au point de tenir un sommet national, pouvez-vous m’expliquer pourquoi nos lois canadiennes permettent qu’un juge puisse attendre à la troisième condamnation pour imposer une peine minimum de six mois d’emprisonnement? Pourquoi n’y a-t-il jamais eu de condamnation à la peine maximale de 10 ans pour vol de voiture qui est entrée en vigueur en 2010?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question et de souligner l’importance du rassemblement d’aujourd’hui. Le gouvernement, en consultation avec tous les acteurs du domaine, est en train de considérer des moyens additionnels. Des peines importantes sont prévues dans le Code criminel. La mise en application de cette disposition, comme vous le savez, relève souvent, sinon habituellement, des instances provinciales.

Cela étant dit, comme cela a été annoncé, le ministère de la Justice est en train de considérer la possibilité d’apporter des amendements au Code criminel, pour faire en sorte qu’on puisse faire des changements afin de lui donner plus de force lorsqu’il s’agit de condamnations pour les vols d’automobiles.

L'Agence des services frontaliers du Canada

L’honorable Jean-Guy Dagenais : Avec respect, monsieur le leader, le défaut des libéraux, quand ils sont au pouvoir, c’est de croire qu’en faisant des chèques, on peut tout régler. Malgré les 28 millions de dollars sur trois ans annoncés par le ministre de la Sécurité publique, un représentant syndical de l’Agence des services frontaliers du Canada estime qu’il n’y a pas suffisamment d’effectifs pour inspecter plus de 1 % des conteneurs au port de Montréal.

Est-ce que les Canadiens ont raison de trouver que le gouvernement actuel est incapable d’accoucher d’une stratégie efficace de répression et de dissuasion face à un problème qui coûte 1 milliard de dollars par année aux compagnies d’assurances, donc aux propriétaires de véhicules qui se font refiler la facture?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : La réponse, cher collègue, est non. Au contraire, la raison pour laquelle le gouvernement fait en sorte que tout le monde est engagé, soit aux niveaux provincial, fédéral et municipal, c’est pour trouver des solutions et pour en faire plus pour essayer de combattre ce problème, et il va continuer à le faire.

[Traduction]

La santé

Un régime national d’assurance-médicaments

L’honorable Andrew Cardozo : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, je me demande si vous pouvez informer le Sénat de l’état des négociations entre le gouvernement et le Nouveau Parti démocratique au sujet d’un programme d’assurance-médicaments. La question fait à nouveau la une des journaux pour des raisons politiques. Je suis peu préoccupé par l’aspect politique de la question, mais j’aimerais savoir si ce projet va se concrétiser.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je crois comprendre que les discussions se poursuivent entre les partis à l’autre endroit, et qu’une annonce sera faite dès qu’il y aura du nouveau. D’ici là, je crains de ne pas être en mesure de faire le point sur l’état d’avancement de ces discussions.

Le sénateur Cardozo : Même si je comprends que les négociations se déroulent dans un certain secret, une fois qu’un accord sera conclu, je pense qu’il sera très important de faire participer les Canadiens aux discussions — et certainement les parties prenantes, soit le milieu médical, les infirmières, les médecins, les préposés aux bénéficiaires et d’autres encore. Comme pour toute politique publique, si l’on procède sans consulter ni faire participer la population, il arrive que les choses ne se passent pas très bien. Je vous encourage à inciter le gouvernement à solliciter la participation des Canadiens sur ce sujet dès que possible.

Le sénateur Gold : Je vous remercie. À cet égard, les sénateurs devraient savoir, comme je pense l’avoir déjà mentionné, que le gouvernement poursuit son travail avec ses partenaires provinciaux et territoriaux dans le cadre de diverses initiatives telles que les achats en vrac et l’Alliance pharmaceutique pancanadienne. Il a déjà économisé 3,4 milliards de dollars sur les médicaments sur ordonnance. Le gouvernement fait progresser la Stratégie nationale visant les médicaments pour le traitement des maladies rares, qui vise à améliorer l’accès à ces médicaments.

Les travaux se poursuivent indépendamment ou parallèlement aux discussions sur le régime national d’assurance-médicaments.

Les anciens combattants

Le Monument commémoratif national de la mission du Canada en Afghanistan

L’honorable Salma Ataullahjan : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

En 2014, l’ancien premier ministre Harper a promis de faire ériger un monument afin de rendre hommage à l’engagement et au sacrifice des Canadiens qui ont contribué à la reconstruction de l’Afghanistan. À la suite d’un concours, un jury a choisi le concept de l’équipe Daoust.

Par la suite, le gouvernement fédéral a rejeté le concept choisi par le jury. Il a pris cette décision en se fondant sur la réaction d’anciens combattants et du grand public à un sondage anonyme en ligne. Cependant, après avoir examiné les résultats de ce sondage, le jury a quand même maintenu que le concept de l’équipe Daoust était la meilleure option.

Cela crée un dangereux précédent, car les résultats de sondages sont loin d’être les instruments les plus fiables. Par exemple, 35 % des répondants étaient de l’Ontario, tandis que seulement 2 % étaient de la Saskatchewan.

Sénateur Gold, quelle est la justification du gouvernement pour avoir enfreint ses propres règles en matière d’approvisionnement?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de la question.

Le monument national rendra un hommage solennel à plus de 40 000 Canadiens — des militaires, des policiers et des civils — qui ont servi notre pays en Afghanistan. Par ailleurs, comme je l’ai déjà dit dans cette enceinte, Anciens Combattants Canada a entendu l’avis de plus de 10 000 Canadiens.

(1540)

Le projet de l’équipe Stimson reflète le mieux — et c’est important — l’avis des anciens combattants, de leur famille et des autres personnes qui ont servi dans le cadre de la mission. Le gouvernement a toujours soutenu et reconnu le travail des membres du jury qui ont évalué les projets des finalistes, mais le projet qui a été choisi est celui qui, de l’avis des anciens combattants de la mission et de leur famille, représentait le mieux la bravoure, les sacrifices et, tragiquement, la perte de ceux qui ont servi là-bas.

La sénatrice Ataullahjan : Sénateur Gold, les femmes et les filles afghanes ont été privées de leurs droits fondamentaux. Elles vivent dans l’ombre et sont essentiellement confinées chez elles. Hier, j’ai passé la soirée avec de nombreux réfugiés afghans, ainsi qu’avec huit anciennes parlementaires. Le mur du souvenir proposé par l’équipe Daoust, avec sa résille de pierres, fait référence à une vision du monde à travers le motif d’une burka. Or, le jury a déclaré que ce projet reflétait le mieux les sacrifices consentis par les Canadiens en Afghanistan, notamment en ce qui concerne l’éducation des femmes et des filles dans ce pays.

Sénateur Gold, les femmes et les filles ont déjà été effacées de la société afghane. Pourquoi sont-elles maintenant effacées des commémorations canadiennes?

Le sénateur Gold : Le traitement que réservent les talibans aux femmes et aux filles en Afghanistan est répréhensible et il est condamné par toutes les personnes sensées de même que par le gouvernement canadien, d’ailleurs. Il n’en reste pas moins que la décision d’opter pour le projet choisi était celle qui était soutenue et préférée par les anciens combattants et leur famille.

[Français]

Le patrimoine canadien

La traduction de documents

L’honorable Claude Carignan : Monsieur le leader, comme vous le savez, les travaux du Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise sont actuellement suspendus en raison de l’absence de traduction d’une grande quantité de documents qui ont été déposés devant la Commission Rouleau.

Or, cette semaine, soit le 6 février 2024, le ministre Boissonnault a déclaré, au sujet de l’absence de traduction de milliers de documents produits à la Commission Rouleau, que le gouvernement avait appris sa leçon et qu’il allait « faire mieux ».

Par « faire mieux », est-ce que le gouvernement s’engage donc à ce que tous les documents produits à la Commission Hogue soient disponibles dans les deux langues officielles?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question, monsieur le sénateur.

L’accessibilité de tous les documents dans les deux langues officielles est importante. Cela étant dit, je n’ai pas les chiffres à portée de la main, donc je fouille un peu dans les dossiers. Pour les documents auxquels vous avez fait référence, il y en a à peu près 200 000 qui ont été soumis, et c’était vraiment impossible de les faire tous traduire.

On va continuer de travailler fort pour faire mieux, comme vous l’avez mentionné. Le rapport comme tel était long et traduit correctement dans les deux langues officielles, mais il faut reconnaître le défi pratique qui existe quand on n’est pas en mesure de contrôler le volume des documents déposés devant un comité ou dans le cadre d’une enquête.

Le sénateur Carignan : Monsieur le leader, j’entends le mot « important ». J’irais plus loin : ce n’est pas « important », c’est constitutionnel, c’est une obligation constitutionnelle. Donc, vous êtes en train de nous dire que le gouvernement est incapable de faire respecter nos droits constitutionnels, le droit constitutionnel de tous les francophones de ce pays, notamment?

Le sénateur Gold : Ce n’est pas ce que j’ai dit; j’ai répondu dans un esprit de franchise au défi que nous reconnaissons. Cela n’est pas fait et le gouvernement s’engage à faire mieux.

Vous me connaissez, cher collègue, l’importance des deux langues officielles pour notre identité nationale me tient à cœur, mais les faits sont les faits et je ne veux pas me cacher derrière cela.

Ce n’est pas parce que nous ne respectons pas la Constitution; c’est parce que le travail n’est pas terminé et que le gouvernement s’engage faire mieux.

[Traduction]

Les affaires mondiales

Le conflit dans la bande de Gaza

L’honorable Yuen Pau Woo : Bon après-midi, sénateur Gold. Il y a un malaise grandissant au sujet de la crédibilité des allégations concernant la complicité de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine, ou UNRWA, dans l’horrible attaque terroriste perpétrée contre Israël le 7 octobre. Des rapports provenant de médias britanniques et français respectés qui ont eu accès au dossier d’Israël ont conclu que les allégations ne résistent pas à l’analyse.

Que fait le gouvernement du Canada pour obtenir le plus rapidement possible les preuves détenues par Israël afin que nous puissions tirer nos propres conclusions au sujet de ces allégations?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Le gouvernement du Canada communique régulièrement avec ses homologues de l’État d’Israël, avec qui nous entretenons des liens de longue date. Comme nous l’avons déjà expliqué, le gouvernement a décidé de suspendre le financement de l’UNWRA par prudence, compte tenu des données qui ont été fournies et divulguées.

Par ailleurs, le gouvernement est déterminé à ne pas réduire son aide aux Gazaouis. Il souhaite simplement s’assurer que cette aide ne tombe pas entre les mains du groupe terroriste Hamas.

Des discussions se poursuivent entre le Canada et Israël. Comme les sénateurs le comprendront, la teneur de ces discussions reste habituellement entre les gouvernements, qui ne la partagent pas nécessairement totalement avec le public.

Le sénateur Woo : Sénateur Gold, au vu du malaise grandissant concernant la crédibilité de ces allégations, on serait porté à croire qu’il aurait été prudent de poursuivre le financement tant que des preuves incontestables des accusations très sérieuses portées contre l’UNRWA ne seraient fournies. Selon la réponse que vous avez fournie hier à notre collègue, le gouvernement continue à verser des fonds aux Palestiniens par d’autres moyens, mais je vous rappelle que des représentants d’Affaires mondiales Canada ont témoigné devant le Comité des affaires étrangères que l’UNRWA est la meilleure organisation et la plus efficace pour apporter de l’aide à la Palestine.

Je vous demanderais, par pitié, de bien vouloir transmettre mes inquiétudes et demander que le financement de l’UNRWA soit rétabli tant que nous n’aurons pas de meilleures preuves.

Le sénateur Gold : Je ne manquerai pas de communiquer vos inquiétudes. Je fais confiance au gouvernement du Canada pour évaluer les allégations faites au sujet des personnes qui travaillent à l’UNRWA, voire au sujet de l’UNRWA en tant qu’organisation dans le cadre de son travail au fil des ans. Je suis également certain que le gouvernement veillera à continuer à apporter de l’aide humanitaire à Gaza et à soutenir les Palestiniens qui la méritent et en ont besoin.

[Français]

La justice

La législation en matière de vérification de l’âge

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénateur Gold, j’ai publié aujourd’hui deux questions de sondage qui ont montré notamment que 77 % des Canadiens sont d’accord avec le fait de faire de la vérification d’âge pour empêcher les enfants d’être exposés à la pornographie qui est de plus en plus violente et hardcore. En fait, 77 % des Canadiens sont d’accord avec mon projet de loi.

Dans ces circonstances, comment expliquer que le gouvernement ait, semble-t-il, changé d’idée ou fait volte-face, bref, pourquoi a‑t‑il décidé en décembre qu’il n’appuierait pas ce projet de loi et n’a‑t‑il pas promis par ailleurs d’agir sur cet enjeu qui, ma foi, est un problème de santé publique suffisamment criant pour que plusieurs pays agissent?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question et pour le travail que vous faites et continuez de faire pour faire avancer cet enjeu important.

Comme le savent les sénateurs, le gouvernement est en train de développer un projet de loi pour combattre les online harm, comme on dit en anglais, et il considère sérieusement tous les aspects de cet enjeu pour faire en sorte que le projet de loi soit développé et qu’il crée un juste équilibre entre tous les intérêts, y compris et surtout la protection des jeunes, mais aussi la protection du droit en ce qui concerne la vie privée.

Donc, nous attendons ce projet de loi et la discussion que nous allons tenir ici au Sénat dès que possible.

La sénatrice Miville-Dechêne : Cela m’étonne quand même, sénateur Gold, parce qu’il y a neuf mois, en plein débat sur le projet de loi C-11, le gouvernement disait qu’il avait compris et qu’il allait s’occuper du problème de la pornographie.

(1550)

Or, en décembre, lorsqu’il a jugé que mon projet de loi était — de son point de vue — nul, le gouvernement n’a fait aucune promesse selon laquelle il allait s’occuper de ce problème qui touche des millions d’enfants qui voient des images troublantes.

Le sénateur Gold : Merci pour votre question et pour vos commentaires. Encore une fois, cette question est actuellement à l’étude, et dès qu’un projet de loi sera finalisé, les Canadiens en seront informés.

[Traduction]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les étudiants étrangers

L’honorable Percy E. Downe : Sénateur Gold, nous sommes tous des immigrants ou des descendants d’immigrants qui se sont joints aux Autochtones du Canada. Depuis des années, les étudiants étrangers sont une excellente source de nouveaux immigrants pour le pays. Toutefois, on craint de plus en plus que l’absence de contrôles de sécurité sur les étudiants étrangers ne mette les Canadiens en danger.

L’Agence des services frontaliers du Canada rapporte que des gangs criminels se servent du visa d’étudiant pour faire entrer des centaines de membres au pays. Ces personnes n’ont jamais eu l’intention de faire des études au Canada. À l’Île-du-Prince-Édouard, des étudiants étrangers ont agressé sexuellement des résidents.

Compte tenu des modifications récentes qu’a annoncées le ministre de l’Immigration concernant les étudiants étrangers, pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas indiqué que tous les étudiants étrangers feraient l’objet d’un contrôle de sécurité?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Comme vous le savez, les mesures annoncées par le ministre visent principalement à régler un problème d’abus auquel ces étudiants sont exposés ainsi que le problème de ceux qui s’inscrivent à des établissements qui ne sont rien d’autre que des façades pour l’octroi de visas.

Vous soulevez une question différente, qui est évidemment tout aussi importante, concernant les personnes qui, quelle que soit la manière dont elles sont arrivées au pays, commettent un crime sur notre territoire.

Je ne manquerai pas de faire part de vos préoccupations au ministre concerné, et je vous remercie de les avoir exprimées.

Le sénateur Downe : Sénateur Gold, les Prince-Édouardiens s’interrogent également au sujet des vérifications de sécurité pour les immigrants provenant de la bande de Gaza. Ils ont accueilli des vagues d’immigrants au fil des décennies. D’ailleurs, l’Île-du-Prince-Édouard a été la première province à élire un premier ministre d’origine non européenne en la personne de Joseph Atallah Ghiz. Cela dit, les Prince-Édouardiens craignent l’arrivée de terroristes dans notre pays compte tenu des crimes horribles et barbares que le Hamas a commis contre les citoyens d’Israël.

Compte tenu de l’absence de vérifications de sécurité pour les étudiants étrangers, quelles vérifications seront menées pour les personnes venant de la bande de Gaza?

Le sénateur Gold : Je vous remercie encore une fois de soulever une question à de multiples facettes, parmi lesquelles certaines formalités administratives qui compliquent le processus pour les immigrants de la bande de Gaza et les difficultés pour franchir la frontière à Rafah ou ailleurs.

Encore une fois, je ne connais pas les détails. Je sais qu’il y a des couches de procédures complexes, dont certaines empêchent une arrivée rapide. Je vais certainement ajouter ce point à ma discussion avec le ministre.

Son Honneur la Présidente : La période des questions est terminée.


ORDRE DU JOUR

Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial

Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Klyne, appuyée par l’honorable sénateur Harder, c.p., tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

L’honorable Pierre J. Dalphond : Honorables sénateurs, le Mahatma Gandhi a dit : « On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités. »

C’est dans cet esprit que je prends la parole pour appuyer sans équivoque le projet de loi S-15, qui vise à établir des mesures de protection juridiques pour les éléphants et les grands singes en captivité au Canada.

La science nous indique que ces créatures étonnantes ont une conscience de soi, qu’elles sont très sociables et qu’elles ressentent des émotions. Autrement dit, ce sont des êtres sensibles. Les éléphants et les grands singes ont ce genre de caractéristiques et besoins en commun avec les baleines et les dauphins, pour lesquels le Parlement a adopté, en 2019, des mesures législatives destinées à les protéger des effets néfastes de la captivité.

Le moment est venu d’étendre cette protection aux éléphants et aux grands singes en captivité. En Ontario, il n’est même pas nécessaire d’obtenir un permis pour posséder un éléphant ou un grand singe, ce qui comprend les chimpanzés, les bonobos, les gorilles et les orangs-outans. Cette situation n’est plus acceptable, tant pour le bien-être des animaux que pour la sécurité publique.

Je remercie et je félicite les ministres Guilbeault et Virani d’avoir présenté cette mesure législative au Sénat. Ce projet de loi fait suite à l’engagement électoral pris par le Parti libéral en 2021, qui consiste à légiférer sur la protection des animaux sauvages vivant en captivité.

J’aimerais aussi remercier mon collègue, le sénateur Klyne, d’avoir parrainé ce projet de loi et d’avoir amené le Sénat à promouvoir le traitement plus respectueux des animaux sauvages vivant en captivité.

Comme des intervenants précédents l’ont mentionné, le projet de loi S-15 permettra de poursuivre certains objectifs de la loi de Jane Goodall, qui a été rédigée par l’honorable Murray Sinclair en 2020. En parrainant le projet de loi S-15, le sénateur Klyne défend la vision et la volonté du sénateur Sinclair, qui était résolu à protéger d’autres créatures, que la sagesse autochtone nous enseigne à respecter comme toutes nos relations.

Aujourd’hui, je parlerai de quatre sujets : primo, les raisons de protéger les éléphants et les grands singes en captivité; secundo, les différences importantes entre les projets de loi S-15 et S-241, la Loi de Jane Goodall; tertio, la constitutionnalité du projet de loi S-15 et quarto, l’avenir de ce projet de loi.

En ce qui concerne le premier point, comme nous l’a dit le sénateur Klyne, la situation des éléphants est particulièrement préoccupante. Les éléphants en captivité en Amérique du Nord souffrent de graves problèmes de comportement et de santé; on compte deux décès pour chaque naissance. De plus, on sait que l’African Lion Safari, qui est situé près de Hamilton, en Ontario, propose des promenades à dos d’éléphants et qu’il utilise des éléphants dans des spectacles à des fins de divertissement. J’ai été choqué d’apprendre que, en 2021, cet organisme a tenté de vendre des éléphants à un zoo au Texas, même si cette transaction aurait séparé deux paires mère-fille, qui restent normalement ensemble toute leur vie.

Honorables sénateurs, ce n’est pas ainsi que l’on fait preuve de respect envers les animaux sensibles. Je partage l’avis de Mme Jane Goodall, de l’honorable Murray Sinclair, du sénateur Klyne et des spécialistes des éléphants indépendants selon lequel le moment est venu d’éliminer progressivement la captivité des éléphants au Canada.

Dans le cas des grands singes, les sénateurs ont appris que le manque d’accès à l’extérieur était auparavant un problème pour les orangs-outans de Toronto avant l’ouverture d’un nouvel habitat l’année dernière. J’applaudis l’adhésion des zoos de Toronto, Calgary et Granby au principe de la protection juridique des grands singes. Le leadership de ces zoos envoie un message fort au monde sur la nécessité pour l’humanité de protéger ses plus proches parents du monde animal à la fois des conditions de captivité inadaptées et du risque d’extinction. La perte d’une partie de la biodiversité de la planète est, ultimement, une menace pour notre propre survie.

C’est pour ces raisons que le projet de loi S-15 interdira l’ajout d’éléphants ou de grands singes — que ce soit par reproduction ou importation — en captivité à moins qu’un permis ait été délivré en fonction de certaines circonstances, notamment lorsqu’il s’agit du bien-être des animaux ou d’un programme de recherche scientifique ou de conservation. Les permis délivrés pourront également être assortis de conditions. Le projet de loi S-15 prévoit que les permis seront octroyés, dans ces seules circonstances précises, au bon jugement du ministre de l’Environnement ou, dans le cas de la reproduction, du gouvernement provincial concerné.

En outre, le projet de loi S-15 interdira que des individus de ces espèces soient donnés en spectacle, ce qui signifie la fin des spectacles d’éléphants qui ont lieu au African Lion Safari.

(1600)

En plus de prévenir la cruauté envers les animaux, le projet de loi S-15 protégera également la sécurité publique. Les éléphants et les grands singes captifs sont très forts et potentiellement dangereux, certains ayant commis des attaques en Amérique du Nord. Par exemple, au Canada, un éléphant a causé de graves blessures à un entraîneur de l’African Lion Safari en 2019, et il y a eu une attaque mortelle au même endroit en 1989. Cet aspect de la sécurité publique est important sur le plan juridique, et j’y reviendrai avec mon troisième point.

Le projet de loi S-15 permettra la réalisation des mesures que j’ai décrites au moyen de modifications au Code criminel et à la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, qui est administrée par Environnement et Changement climatique Canada. À mon avis, il s’agit d’une façon simple d’apporter les changements justifiés proposés dans le projet de loi, un modèle s’appuyant étroitement sur les dispositions régissant les baleines et les dauphins en captivité comprises dans le Code criminel et la Loi sur les pêches. La logique est la même que celle que nous avons utilisée pour les baleines et les dauphins.

Je passe maintenant à mon deuxième point, soit les différences considérables qui existent entre le projet de loi S-15 et le projet de loi S-241, Loi de Jane Goodall. Comme le sénateur Klyne nous l’a expliqué, il y a des liens entre ces deux mesures, mais elles sont bien distinctes. Même les dispositions semblables sont rédigées de manière différente et s’appuient sur des politiques considérablement différentes. Pensons, par exemple, au fait que le projet de loi S-15 n’interdit pas la possession et le transport de matériel reproductif ni les tours d’éléphant, qu’il ne prévoit pas que les provinces puissent octroyer des permis pour autoriser des spectacles à des fins de divertissement, ni de mécanismes visant à faire respecter les conditions des permis.

Ajoutons que le projet de loi S-241 a une portée beaucoup plus vaste que le projet de loi S-15, puisqu’il couvre plus de 800 espèces sauvages, dont les grands félins, les ours, les loups, les lions de mer, certains singes et les reptiles dangereux. Il prévoit également un mécanisme permettant d’ajouter une espèce sauvage à la liste des espèces couvertes ou de l’en retirer. De plus, le projet de loi S-241 contient des dispositions concernant la détermination de la peine; elles prévoient que, dans les cas d’infraction concernant des animaux en captivité, les animaux seront relogés avec dépens, d’une manière similaire à la saisie et à la disposition de biens.

Autre élément important, le projet de loi S-241 contient un cadre complexe concernant les « organismes animaliers ». Ce cadre permet aux zoos respectant les normes les plus rigoureuses ainsi que d’autres critères d’importer, et de faire se reproduire, les nombreuses espèces sauvages qui figurent dans le projet de loi S-241 mais pas le projet de loi S-15.

On peut même constater la différence entre les deux mesures d’une façon très concrète : le projet de loi S-15 contient 9 pages et le projet de loi S-241, 29. Il suffirait donc de les peser pour savoir qu’ils sont décidément très différents.

Il est important de tenir compte de certaines de ces différences au cours des débats et du travail en comité, dans le but d’adopter ce qui sera, je l’espère, le meilleur projet de loi possible.

Je passe maintenant à mon troisième point sur le projet de loi S-15, qui concerne la constitutionnalité du projet de loi. Honorables sénateurs, à mon avis, ce projet de loi consiste à appliquer de façon directe les pouvoirs fédéraux en matière pénale qui portent sur la prévention de la cruauté envers les animaux et la protection de la sécurité publique et, dans une moindre mesure, les pouvoirs fédéraux en matière de commerce qui touchent le commerce international.

Sur ce point, je renvoie les sénateurs à une lettre au sujet des projets de loi S-241 et S-15 que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles a reçue de six professeurs de différentes régions du pays, à l’initiative de la professeure Angela Fernandez et de Krystal-Anne Roussel, chargée de recherche en droit animalier à la Faculté de droit de l’Université de Toronto. La lettre dit ceci :

La Cour suprême a souligné à plusieurs reprises que le pouvoir de légiférer en matière de droit criminel est le plus étendu et le plus flexible des pouvoirs législatifs du Parlement. En l’espèce, aucune définition extensive du droit criminel n’est nécessaire pour soutenir la validité de cette loi. L’objectif principal de la loi, soit interdire et sanctionner les comportements dangereux et contraires à l’éthique, s’inscrit parfaitement dans le champ d’application traditionnel du droit criminel fédéral.

Honorables sénateurs, je suis sûr que le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles est prêt à considérer toutes les observations à ce sujet. Je crois que le comité est une tribune adéquate, même si ce n’est pas le seul à pouvoir étudier un projet de loi visant à prévenir la cruauté envers les animaux par application du droit pénal du Canada.

[Français]

Chers collègues, j’en viens maintenant à mon dernier point : le chemin parcouru pour adopter ce projet de loi. Comme le sénateur Klyne l’a évoqué dans son discours sur le projet de loi S-15, le processus de législation gouvernementale sur la captivité des animaux sauvages au Parlement a été lent et difficile, surtout lorsqu’il s’agissait de projets de loi d’initiative parlementaire de sénateurs ou de députés.

Le Sénat examine des projets de loi sur la captivité des éléphants et des grands singes depuis la fin de 2020. Le projet de loi S-241 a été le projet de loi le plus débattu au Sénat à l’étape de la deuxième lecture au cours de la présente législature avec 17 interventions et plus de cinq heures de débat sur une période de 14 mois. Avant cela, l’adoption du projet de loi sur la captivité des baleines a fait l’objet du plus long processus d’adoption d’un projet de loi dans l’histoire du Parlement, soit trois ans et demi.

Cependant, malgré ce qui semble être un large soutien en faveur d’une protection accrue de la faune sauvage en captivité, les sénateurs n’ont pas encore eu l’occasion d’entendre les témoignages de scientifiques, de zoos accrédités ou d’organisations non gouvernementales de protection des animaux au sujet de la législation. Je parle du projet de loi S-241. Si des arguments peuvent être présentés contre ce projet de loi, qu’ils soient étudiés en comité. Comme pour tous les projets de loi, les faits doivent prévaloir et être pris en considération dans notre processus d’amendement et dans le vote final.

Chers collègues, je vous invite à conclure la deuxième lecture du projet de loi S-15 dès que possible et à le renvoyer au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles pour qu’il l’étudie en profondeur à titre de mesure de droit criminel, afin que cela ne dure pas encore plusieurs mois.

L’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1867 exige un vote à la majorité au Sénat. Je crois qu’une majorité de cette Chambre a entendu les appels de la Dre Jane Goodall, de l’honorable Murray Sinclair, du sénateur Klyne et de bien d’autres et qu’elle est prête à renvoyer ce projet de loi au comité. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

[Traduction]

Recours au Règlement—Report de la décision de la présidence

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : J’invoque le Règlement au sujet de la situation dans laquelle nous nous trouvons relativement au projet de loi sur lequel le sénateur Dalphond vient de s’exprimer, le projet de loi S-241, aussi connu sous le nom de loi de Jane Goodall, et relativement au projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial.

Comme vous vous en souviendrez peut-être, Votre Honneur, lors d’un discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-15, le parrain du projet de loi, le sénateur Klyne, a déclaré que ce dernier faisait essentiellement partie du projet de loi S-241. Bien que cela ne soit une surprise pour personne, nous apprécions le fait qu’il l’ait reconnu. Il a ajouté que le projet de loi S-241 reprenait les politiques du projet de loi S-15 et il a déclaré :

Je crois comprendre que le gouvernement est ouvert à [l’idée d’apporter] des modifications...

 — au projet de loi S-15 —

... qui découlent de témoignages entendus au sujet de ce projet de loi et du projet de loi S-241.

Plus tard, au cours de son intervention, le sénateur Klyne a déclaré : « [...] le gouvernement est ouvert à [...] d’éventuels amendements basés sur les témoignages entendus pendant l’étude du projet de loi S-241. »

Votre Honneur, cela met cette chambre dans une situation inhabituelle, puisque le même sénateur a présenté deux projets de loi, dont le second est un élément du premier, sans toutefois retirer le projet de loi initial. Selon son raisonnement, les témoignages recueillis par le comité à l’égard du projet de loi S-241 pourront ainsi servir à préparer les amendements au projet de loi S-15.

(1610)

Selon l’article 10-9, un sénateur ne peut pas déposer un projet de loi ayant le même objet qu’un autre projet de loi d’initiative sénatoriale adopté ou rejeté au cours de la même session. Or, les projets de loi S-15 et S-241 ont le même objet, comme l’a fait remarquer le parrain du projet de loi quand il a déclaré dans son discours à l’étape de la deuxième lecture que le projet de loi S-15 est essentiellement un élément du projet de loi S-241.

Parallèlement, l’article 5-12 porte sur le libellé des motions identiques, et il se lit comme suit :

Sauf disposition contraire, en cas d’adoption ou de rejet d’une motion, une seconde motion ayant le même objet est irrecevable au cours de la même session, à moins que la décision antérieure n’ait été annulée par une motion présentée après un préavis de cinq jours.

Le projet de loi S-241 a été adopté à l’étape de la deuxième lecture, alors que le projet de loi S-15 est toujours à cette étape. Je comprends qu’on ne peut affirmer avec certitude que les articles 10-9 et 5-12 renvoient à la décision rendue à l’étape de la troisième lecture quand on lit le terme « décision du Sénat ». Cependant, je mentionne ces articles parce que je crois fermement que les principes sous-jacents de ces deux articles indiquent que la situation dont nous sommes saisis ne devrait pas être permise.

Les articles 5-12 et 10-9 sont conçus pour empêcher la redondance dans les travaux du Sénat, assurer l’intégrité du processus législatif et veiller au bon déroulement des délibérations.

L’article 5-12 se concentre sur les motions au sein du Sénat et empêche le Sénat de réexaminer les mêmes questions à plusieurs reprises au cours d’une même session, garantissant ainsi que le temps et les ressources du Sénat sont utilisés efficacement et que ses travaux progressent de manière constructive.

L’article 10-9 empêche qu’un nouveau projet de loi ayant le même objet qu’un projet qui a été adopté ou rejeté soit à nouveau présenté au Sénat pour la même raison. Cela constituerait une utilisation inefficace du temps et des ressources du Sénat.

Même si vous décidiez que la duplication des projets de loi S-15 et S-241, dont nous sommes saisis aujourd’hui, ne tombe pas sous le coup de l’application de l’article 5-12 ou de l’article 10-9, je pense que les deux projets de loi devraient être assujettis aux mêmes principes pour prévenir la redondance, maintenir l’intégrité du processus législatif et garantir le bon déroulement de nos délibérations.

Permettez-moi de m’expliquer brièvement. Tout d’abord, la stratégie consistant à se concentrer sur le projet de loi S-241 dans le seul but d’éclairer les amendements au projet de loi S-15 soulève d’importantes préoccupations quant à l’efficacité et à la redondance de la procédure. Dans tout système parlementaire, le cœur du processus législatif est de délibérer et de faire avancer les lois qui répondent aux besoins et aux intérêts immédiats de la société.

Lorsqu’un projet de loi comme le projet de loi S-241 demeure au Feuilleton sans qu’on ait l’intention de le faire avancer, non seulement celui-ci détourne l’attention des sénateurs de questions plus urgentes, mais il accapare également des ressources précieuses. Cette inefficacité est d’autant plus flagrante que le temps dont dispose le Sénat et les ressources sur lesquelles comptent ses comités sont limités, et que chaque projet de loi prend un temps considérable, que ce soit pour l’analyser, en débattre ou entendre des témoignages. Par conséquent, insister sur le recours aux audiences du comité chargé d’étudier le projet de loi S-241 afin de modifier indirectement le projet de loi S-15 aura des répercussions sur la progression de l’étude d’autres projets de loi.

Alors que tous les autres projets de loi doivent être étudiés par le Parlement afin de déterminer s’ils doivent être adoptés, cela n’est pas le cas du projet de loi S-241. En effet, le parrain de ce projet de loi a admis ouvertement que celui-ci avait été remplacé par le projet de loi S-15. Votre Honneur, c’est comme garder une vieille voiture dont on ne souhaite conserver que les pièces. Le parrain souhaite que le comité tienne des audiences afin de déterminer si un quelconque élément du projet de loi S-241 pourrait être réutilisé dans le projet de loi S-15. Ce n’est pas une pratique parlementaire acceptable.

Les audiences des comités sont essentielles pour examiner les détails des mesures législatives, faire appel à des experts et entendre les témoignages des parties prenantes afin de s’assurer que les lois proposées servent bel et bien l’intérêt public. Étant donné que les projets de loi S-241 et S-15 portent sur des sujets similaires, la tenue d’audiences distinctes pour chacun d’entre eux entraînera incontestablement une duplication des efforts. Des témoins seront appelés à témoigner deux fois sur les mêmes questions, le travail des comités sera fait en double, les membres devant examiner deux fois des éléments probants similaires, et le personnel passera plus de temps à préparer les audiences et à évoluer en terrain connu.

Avec tout le respect que je vous dois, il s’agit là d’une façon absurde pour notre assemblée de mener ses activités. Cette façon de procéder met à rude épreuve non seulement les ressources du Sénat, mais aussi celles des personnes et des organisations concernées, et risque, par surcroît, de nous détourner de l’examen approfondi d’autres questions législatives qui requièrent notre attention.

Le personnel de mon bureau a déjà dû répondre à un certain nombre de demandes de renseignements de la part de parties prenantes qui ne comprennent pas ce qui se passe. Ces parties ne savent pas si elles doivent se prononcer sur le projet de loi S-15, sur le projet de loi S-241, ou sur les deux. Elles ne comprennent pas pourquoi elles vont devoir défendre leur cause deux fois et ce qui se passera si elles ne témoignent que pour un projet de loi et pas pour l’autre. Votre Honneur, elles ne comprennent pas et je ne comprends pas non plus. Cette situation est tout simplement insensée.

Par ailleurs, la stratégie consistant à ne pas mettre de côté le projet de loi S-241, même s’il a été remplacé par le projet de loi S-15, nuit considérablement à l’intégrité des délibérations législatives. La clarté et la transparence sont des piliers fondamentaux de la gouvernance démocratique : elles garantissent que le programme législatif est compréhensible et accessible à la fois aux membres de l’organe législatif et au public qu’ils servent.

Lorsque le parrain d’un projet de loi reconnaît publiquement qu’un autre projet de loi a remplacé le sien, mais que celui-ci est toujours étudié par le comité, cela crée une ambiguïté sur le processus législatif. Cette ambiguïté entraîne de la confusion au sujet des priorités législatives et de l’état d’avancement de différentes propositions, ce qui risque de miner la confiance dans la capacité de l’organe législatif à gérer son programme de manière efficace et transparente. Maintenir activement l’attention sur le projet de loi S-241 pour qu’il bénéficie indirectement au projet de loi S-15 complique le processus législatif en brouillant les limites entre les objectifs de projets de loi distincts.

Cela embrouille les fondements mêmes des mesures législatives : il est plus difficile de suivre l’évolution de mesures législatives précises et de comprendre leur incidence possible. Cela conduit à un processus législatif alambiqué, où le lien direct entre l’intention du législateur et la mesure législative devient embrouillé.

Enfin, Votre Honneur, la décision d’utiliser les audiences du comité sur le projet de loi S-241 comme plateforme pour influer sur les amendements au projet de loi S-15 pourrait créer un précédent problématique pour les processus législatifs futurs. Cette approche alimente le mythe selon lequel une mesure législative pourrait être utilisée principalement pour influencer d’autres mesures législatives plutôt que pour répondre directement aux objectifs qui y sont fixés. D’ailleurs, c’est là le seul but du projet de loi S-241. Il n’existe aucun précédent parlementaire à cet égard, et je trouve cela troublant, Votre Honneur.

Si, dans l’immédiat, cette stratégie peut sembler avantageuse sur le plan tactique pour le sénateur Klyne, elle pourrait avoir des conséquences à long terme sur les normes opérationnelles du Sénat. Les futurs sénateurs pourraient croire que c’est une tactique confirmée, ce qui entraînerait une augmentation du nombre de projets de loi présentés non pas uniquement pour leur valeur en tant que telle, mais comme instruments stratégiques pour promouvoir d’autres objectifs législatifs. Cela fera exploser le nombre de projets de loi renvoyés aux comités, ce qui engorgera encore plus le calendrier législatif et compliquera l’établissement de priorités pour l’étude des projets de loi réellement urgents. L’effet cumulatif serait un environnement législatif dans lequel la clarté de l’intention du législateur et la possibilité pour ce dernier d’intervenir directement seraient diminués, car les projets de loi pourraient de plus en plus servir des objectifs doubles et aller au-delà de leurs objectifs explicites.

(1620)

Votre Honneur, ce n’est pas un secret, je suis le porte-parole pour le projet de loi S-15 et le projet de loi S-241. Cependant, j’espère que vous comprendrez que mon rappel au règlement n’est pas motivé par mon opposition à ces projets de loi — même si j’admets volontiers que je suis opposé à ces projets de loi. Il est motivé par mon opposition aux mauvaises pratiques parlementaires et aux précédents dangereux, qui sont de plus en plus fréquents.

Pour être clair, Votre Honneur, je ne remets pas non plus en question le droit du parrain de présenter le projet de loi S-15. En fait, après que le directeur parlementaire du budget a confirmé que le projet de loi S-241 allait exiger du ministère de l’Environnement et du Changement climatique du Canada qu’il entreprenne des activités en dehors de son mandat actuel, ce qui imposerait des coûts supplémentaires au trésor public, il est devenu évident — notamment pour le sénateur Klyne, j’en suis sûr — que le projet de loi S-241 nécessiterait, en fait, une recommandation royale. Le parrain devait faire quelque chose. Il a donc choisi de convaincre le gouvernement de présenter un projet de loi d’initiative ministérielle — et c’est tant mieux. Je n’ai rien à redire à cette décision.

Cependant, le fait de permettre la progression du projet de loi S-241 — une mesure législative inutile, dont le seul objectif est de tenter d’influencer un autre projet de loi devant le Sénat — crée un précédent nuisible et dangereux. Cela ne devrait pas être permis, Votre Honneur. Cela nuit au bon déroulement des travaux du Sénat. Cela ouvre la voie à la redondance dans nos délibérations et mine l’intégrité du processus législatif. Les conséquences sont aggravées par le fait que le projet de loi S-241 a été renvoyé à trois comités différents.

Bien que, à ma connaissance, le Sénat ne s’est jamais retrouvé devant une situation semblable auparavant, la Chambre des communes a dû trancher cette question à quelques occasions. Je vous renvoie à la décision rendue par le Président le 11 mai 2022, qui se lit comme suit :

Ainsi, la présidence doit trancher la question que voici : le projet de loi C-250 devrait-il pouvoir aller de l’avant dans le processus législatif? La présidence est d’avis qu’il ne devrait pas. La Chambre ne devrait pas se retrouver dans une situation où elle est appelée à se prononcer deux fois sur la même question dans une même session, à moins que l’intention de la Chambre soit de révoquer la décision.

Les projets de loi émanant du gouvernement et les projets de loi émanant des députés appartiennent à des catégories d’affaires différentes, régies par des règles et des précédents distincts. L’article 94(1) du Règlement autorise le Président à prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer le déroulement ordonné des affaires émanant des députés.

En vertu de ce pouvoir qui m’est conféré, j’ordonne que le projet de loi C-250 reste en suspens et ne soit pas mis à l’étude pour une deuxième heure de débat. Ainsi, il demeura possible de rétablir le projet de loi C-250 à la prochaine session, conformément à l’article 86.1 du Règlement, advenant que le projet de loi C-19 ne soit pas adopté au cours de la présente session.

Dans une décision subséquente rendue le 20 septembre 2022 après l’adoption du projet de loi C-19, le Président avait ordonné que le projet de loi similaire C-250 soit révoqué. Je crois que le chapitre deux du Règlement du Sénat vous accorde, Votre Honneur, un pouvoir et une autorité semblables afin de prendre les dispositions nécessaires au bon déroulement des travaux du Sénat.

Par conséquent, Votre Honneur, afin de régler cette situation sans précédent et de veiller à ce que le Sénat puisse mener ses travaux de façon simple, productive et efficace, je vous demande d’ordonner que le comité annule l’étude du projet de loi S-241 et que celui-ci soit retiré, ou que le projet de loi S-15 soit retiré. Par ailleurs, si vous jugez que vous n’avez pas le pouvoir et l’autorité d’ordonner le retrait d’un projet de loi, je vous demande de suspendre tous les travaux du comité portant sur le projet de loi S-241 jusqu’à ce que le Sénat prenne une décision finale au sujet du projet de loi S-15 à l’étape de la troisième lecture et que si le projet de loi S-15 est adopté, le projet de loi S-241 soit retiré et rayé du Feuilleton.

Je vous remercie, Votre Honneur.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci, sénateur Plett, d’avoir fait ce rappel au Règlement. À mon humble avis, Votre Honneur, les deux projets de loi sont différents et ils n’entrent donc pas dans le cadre des articles du Règlement ou des principes dont mon honorable collègue a parlé. Comme cela a été mentionné à plusieurs reprises, le projet de loi S-15 suit une approche législative très différente de celle du projet de loi S-241.

Chers collègues, depuis le début de la quarante-quatrième législature, plus de 80 projets de loi parrainés par des sénateurs ont été déposés dans cette Chambre. Ces projets de loi contiennent un grand nombre de bonnes idées. Il serait contraire à nos pratiques d’empêcher qu’un projet de loi d’initiative ministérielle qui vise à faire avancer une idée proposée par l’un de nos collègues soit correctement débattu, étudié et éventuellement mis aux voix dans cette enceinte.

Comme nous le savons, de nombreux sénateurs ont présenté des projets de loi ici dans le but d’inciter le gouvernement à présenter ses propres mesures législatives sur des questions importantes de politique publique dont traitent des projets de loi d’intérêt public du Sénat. Par exemple, le projet de loi C-48, Loi modifiant le Code criminel (réforme sur la mise en liberté sous caution), qui a reçu la sanction royale le 5 décembre 2023, comprenait des dispositions du projet de loi S-205, Loi modifiant le Code criminel et une autre loi en conséquence (mise en liberté provisoire et engagement en cas de violence familiale), parrainé par le sénateur Boisvenu. Ce projet de loi a été adopté par le Sénat et est maintenant devant le Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes.

Au cours de la 42e législature, le projet de loi S-238, parrainé par le sénateur MacDonald, sur l’importation et l’exportation de nageoires de requin, s’est rendu à l’étape du rapport à l’autre endroit. Le gouvernement a jugé qu’il méritait d’être appuyé et l’a intégré au projet de loi C-68, qui porte sur des modifications à la Loi sur les pêches. Cet amendement reprenait essentiellement le libellé exact du projet de loi S-238 du sénateur MacDonald.

Pour en venir maintenant à la question de procédure précise, qui fait partie de ce qui est généralement considéré comme la règle de la question résolue, en tout respect, je suis d’avis que le projet de loi S-15 suit une approche très différente pour créer un cadre de protection des animaux en captivité. D’ailleurs, le gouvernement travaille avec diligence sur cette question depuis un certain temps déjà. La lettre de mandat du ministre de l’Environnement et du Changement climatique comprenait l’engagement précis de présenter un projet de loi pour protéger les animaux en captivité.

Comme nous le savons, dans un article publié dans le Hill Times le 4 octobre 2023, notre collègue le sénateur Plett a exprimé ses réserves sur le projet de loi S-241 et a prié le gouvernement de présenter son propre projet de loi après « [...] des consultations approfondies avec les zoos, les autorités provinciales responsables du bien-être animal et les divers intervenants ». Je suis heureux qu’il ait dit qu’il ne s’offusque pas du fait que c’est ce que le gouvernement a fait.

Le gouvernement du Canada a suivi de près les délibérations du Sénat sur le projet de loi S-241. Il a entendu une partie des préoccupations au sujet de cette mesure législative, notamment de la part des intervenants. Par conséquent, le gouvernement a adopté une approche différente avec le projet de loi S-15. Plus précisément, le projet de loi S-15 répond aux préoccupations de certains sénateurs à propos de la constitutionnalité du projet de loi S-241 par rapport au gouvernement fédéral qui légiférerait dans un champ de compétence des provinces. Le projet de loi S-15 crée un régime de permis qui est délégué aux représentants provinciaux et municipaux conformément au partage des pouvoirs prévu dans la Constitution.

Ensuite, le projet de loi S-15 a une visée plus étroite en incluant un plus petit nombre d’espèces dans le régime pour répondre à des préoccupations soulevées par différents intervenants.

(1630)

À mon avis, cet aspect à lui seul démontre bien les différences fondamentales qui existent entre le projet de loi S-15 et le projet de loi S-241 en ce qui concerne l’approche législative adoptée.

Sur le plan de la procédure, les principes dont le sénateur Plett a parlé s’appliquent à deux questions essentiellement similaires dont le Sénat est saisi en même temps.

Le 18 juin 1985, une décision de la présidence a expliqué que le libellé des motions doit être identique pour que la règle de la question résolue s’applique. En parlant de l’article 5-12 du Règlement, le Président a tranché ainsi : « Pour que s’applique l’article 47, il nous faut être en présence de textes identiques selon notre jurisprudence parlementaire. »

Une autre décision de la présidence du 19 novembre 1998 précise ce point. Il a été décidé que la règle de la question résolue s’appliquerait parce qu’il « serait difficile d’arguer que la motion [...] n’est pas identique ».

Les précédents montrent clairement qu’une question essentiellement similaire a été définie comme tentant d’atteindre le même objectif de la même façon.

Je soutiens que les projets de loi S-241 et S-15 ne sont pas si semblables que cela et que le projet de loi S-15 ne devrait pas être assujetti à la règle interdisant d’anticiper, pas plus que le projet de loi S-241 ne devrait être considéré comme semblable — malgré les arguments du sénateur Plett. Il s’agit par ailleurs d’une pratique qui, comme le savent les sénateurs expérimentés, est rarement invoquée au Sénat ou même à l’autre endroit. À l’évidence, on devrait permettre au projet de loi S-15 d’aller de l’avant. Une conclusion contraire mettrait un frein à la capacité de légiférer dans cette enceinte sur toute question abordée dans l’un des 80 projets de loi parrainés par des sénateurs qui sont en cours d’étude dans cette enceinte ou à l’autre endroit.

Comme vous me le rappelez régulièrement lors de la période des questions, chers collègues, le gouvernement n’a pas le monopole des bonnes réponses ou des bonnes idées. Il va donc de soi que le gouvernement devrait être en mesure de présenter un projet de loi pour traiter des questions parrainées par les sénateurs, à condition qu’il adopte une approche différente pour traiter le sujet d’un projet de loi d’intérêt public du Sénat. Toute autre approche irait à l’encontre de notre pratique de longue date qui consiste à permettre un débat approfondi dans cette Chambre. Par conséquent, Votre Honneur, je soutiens que le projet de loi S-15 devrait être inscrit au Feuilleton du Sénat et que le projet de loi S-241 devrait y être maintenu. Merci beaucoup.

L’honorable Marty Klyne : Honorables sénateurs, je prends la parole pour répondre à ce rappel au Règlement, qui vise à empêcher le débat, l’étude du comité et toutes décisions à l’égard du projet de loi S-15. Le rappel au Règlement est très pointu, car il invoque ce qu’on appelle la « règle de la question déjà résolue », qui empêche la poursuite des travaux sur le projet de loi S-15, en raison des travaux réalisés précédemment à l’égard du projet de loi S-241, la Loi de Jane Goodall. Comme les sénateurs le savent, le projet de loi S-15 ressemble au projet de loi S-241, mais ce sont des projets de loi très différents. Compte tenu de la décision absurde du porte-parole de renvoyer le projet de loi à trois comités, en juin dernier — je n’ai rien à voir là-dedans —, et du long débat à l’étape de la deuxième lecture — ce qui a aussi coûté cher, sénateur Wells —, cela soulève des questions par rapport à l’emploi du temps et des ressources, en particulier quand on débat longuement de tout.

Il ne faut pas accueillir le rappel au Règlement pour deux raisons. Premièrement, les projets de loi S-15 et S-241 comportent suffisamment de différences substantielles sur le plan juridique pour qu’on ne puisse y appliquer la règle de la question déjà résolue. Deuxièmement, même si la présidence conclut que l’argument est valable, la procédure du Sénat veut qu’une question soit présumée recevable, qu’on autorise le débat, qu’on étudie la question et qu’on rende des décisions à ce sujet, conformément à la procédure et aux usages propres à notre assemblée délibérante.

Honorables sénateurs, en quoi consiste la règle de la question déjà résolue? Il en est question aux pages 96 et 97 de La procédure du Sénat en pratique, et la règle est énoncée dans deux articles du Règlement du Sénat. Comme le sénateur Plett l’a mentionné, il s’agit des articles 5 et 10-9. L’article 5-12 du Règlement dit ceci :

Sauf disposition contraire, en cas d’adoption ou de rejet d’une motion, une seconde motion ayant le même objet est irrecevable au cours de la même session, à moins que la décision antérieure n’ait été annulée par une motion présentée après un préavis de cinq jours.

L’article 10-9 indique :

Aucun sénateur ne peut déposer un projet de loi ayant le même objet qu’un autre projet de loi d’initiative sénatoriale adopté ou rejeté au cours de la même session.

La procédure du Sénat en pratique indique ce qui suit au sujet de ces articles du Règlement :

Le sens de ces dispositions a fait l’objet de plusieurs décisions des Présidents. Bien que la jurisprudence du Sénat ne soit pas concluante, la règle a parfois été interprétée dans un sens étroit. Le 19 novembre 1998, par exemple, une décision explique : « Pour que s’applique [l’article 5-12], il nous faut être en présence de textes identiques ». Une autre décision note que même le passage du temps peut parfois justifier la conclusion qu’une motion n’est pas « identique, pour le fond ».

L’application de la règle de la question déjà résolue témoigne d’une certaine souplesse, une tendance qui s’observe également à l’échelle internationale. Au sein du Parlement britannique moderne, « c’est au Président qu’il revient de décider, en fin de compte, si la deuxième motion est identique à la première pour le fond ». Même au début du XIXe siècle, bien qu’il préconisât une stricte adhérence à la règle de la question résolue, John Hatsell avait reconnu « que la règle ne doive pas être appliquée de manière si stricte que les délibérations de la Chambre en soient paralysées. Il faut en respecter le fond plutôt que la lettre, et c’est en faisant appel au bon sens que la Chambre doit décider, pour toute question, dans quelle mesure la règle s’applique ».

Le Sénat australien donne également une interprétation étroite de la règle :

Elle est rarement appliquée car il est rare qu’une motion corresponde en tous points à une autre déjà présentée. Une motion présentée dans un contexte différent, par exemple dans le cadre d’un « ensemble » différent de propositions, n’est pas la même qu’une autre présentée antérieurement même si son libellé est identique. Et même si le libellé correspond à celui d’une autre motion déjà décidée, le temps écoulé depuis la première a presque invariablement pour conséquence que l’effet n’est plus le même, la situation étant différente, de sorte qu’il s’agit d’une nouvelle motion. Il est également possible d’avoir des motifs différents pour présenter à nouveau la même motion.

Sénateurs, il ressort de La procédure du Sénat en pratique — notre principale référence — que la règle sur les « questions déjà résolues » a généralement une application très restreinte au Sénat du Canada, exigeant qu’une deuxième question soit extrêmement similaire, voire identique à une question précédente, pour que la règle s’applique. C’est logique, car notre assemblée part du principe que le débat a sa place. J’y reviens dans le deuxième argument que j’invoque pour expliquer que le rappel au Règlement n’est pas fondé.

Avant d’étudier plus en profondeur les articles 5-12 et 10-9, puisqu’il est nécessaire de procéder à une analyse au cas par cas, penchons-nous sur les distinctions importantes entre le projet de loi S-15 et le projet de loi S-241.

Honorables sénateurs, les projets de loi sont apparentés, mais distincts. En outre, même les dispositions semblables sur les éléphants et les grands singes sont rédigées de manière très différente et présentent des divergences stratégiques considérables, qui ont des effets concrets différents. Je donne ici quelques exemples.

Le projet de loi S-15 n’interdit pas la possession, l’importation et l’exportation de matériel reproductif d’éléphants et de grands singes, ce qui a des effets concrets sur l’utilisation possible de ce matériel pour l’insémination artificielle d’éléphants d’Asie.

Le projet de loi S-15 n’interdit pas les promenades à dos d’éléphant, qui sont interdites par le projet de loi S-241, ce qui a des effets concrets sur la poursuite de cette pratique au parc African Lion Safari, à Hamilton, en Ontario.

Le projet de loi S-15 ne prévoit pas la possibilité d’octroyer des licences provinciales pour les spectacles, contrairement au projet de loi S-241.

Le projet de loi S-15 érige en infraction la violation d’une condition d’un permis, ce que ne fait pas le projet de loi S-241.

Contrairement au projet de loi S-241, le projet de loi S-15 ne prévoit pas d’exception pour venir en aide, sans avoir de permis, aux espèces visées qui sont en détresse.

Le projet de loi S-15 n’inclut pas de disposition sur l’octroi de licences dans le cas des grands singes. Par contre, le projet de loi S-241 permettrait de délivrerait des licences aux fins de recherche et de conservation à trois zoos accrédités.

Même s’il y a un certain chevauchement des dispositions qui concernent les éléphants et les grands singes, le libellé est très différent, ce qui s’ajoute aux différences juridiques importantes et aux effets pratiques que j’ai soulevés. Entre autres, dans le projet de loi S-241, ces dispositions incluraient beaucoup d’autres espèces sauvages par l’entremise d’un régime complexe de désignation et de retrait des espèces sauvages protégées, ce qui ne figure pas dans le projet de loi S-15.

(1640)

Sénateurs, il y a des différences juridiques importantes entre les projets de loi S-15 et S-241 en ce qui concerne les éléphants et les grands singes, qui sont essentiellement le seul objet du projet de loi S-15.

Dans l’ensemble, il existe d’autres différences, encore plus importantes. Par exemple, le projet de loi S-241 a une portée beaucoup plus vaste que le projet de loi S-15. En effet, il couvre plus de 800 espèces sauvages qui ne sont pas visées par le projet de loi S-15, y compris les grands félins, les ours, les loups, les lions de mer, certains singes et des reptiles dangereux. Il prévoit aussi un mécanisme discrétionnaire permettant d’ajouter des animaux sauvages ou des espèces sauvages à l’annexe de la loi ou d’en retirer de l’annexe en fonction de facteurs spécifiques.

Le projet de loi S-241 contient des dispositions concernant la détermination de la peine, qui ne se trouvent pas dans le projet de loi S-15. Ces dispositions prévoient que, en cas d’infraction concernant des animaux en captivité, les animaux seront relogés avec dépens, d’une manière semblable à la saisie et à la disposition de biens.

De plus, le projet de loi S-241 contient un cadre complexe pour les organismes animaliers, qui ne figure pas dans le projet de loi S-15. Le cadre en question permet aux zoos respectant les normes les plus rigoureuses et d’autres critères d’importer, et de faire se reproduire, les nombreuses espèces sauvages visées par le projet de loi S-241, ce qui est au cœur du débat sur cette mesure législative. Par ailleurs, le projet de loi S-241 ne comporte pas d’amendement coordonné avec le projet de loi S-6, contrairement au projet de loi S-15.

Plus concrètement, comme l’a dit le sénateur Dalphond, le projet de loi S-15 fait 9 pages alors que le projet de loi S-241 en compte 29. Il suffit donc de les peser pour comprendre qu’ils sont très différents.

Tout cela pour dire, honorables sénateurs, que des points de vue juridiques et du contenu, les projets de loi S-15 et S-241 sont très différents. J’invite la Présidente à en arriver à une telle conclusion et à rejeter ce recours au Règlement, d’autant plus que nous parlons d’une règle rarement invoquée dont l’application est limitée, au point d’exiger des textes identiques, de même que notre présomption qu’une question est recevable. J’y reviendrai.

Tout d’abord, je tiens à citer d’autres autorités afin d’étayer la conclusion que la règle de la question déjà résolue est inapplicable dans ce cas-ci. Dans sa décision du 23 novembre 2005, le Président a déclaré :

[qu’il] faut se rappeler que la pratique a changé au fil des ans afin de tenir compte de la réalité des sessions prolongées qui s’étendent sur plusieurs années. Ainsi, il faut désormais qu’il existe un plus fort degré de similitude entre deux questions avant qu’un projet de loi ou une autre mesure soit déclaré irrecevable parce qu’on considère que la question a déjà été résolue.

[...] [Dans une décision rendue en 1989, le Président Fraser] a précisé que deux affaires ou plus sont substantiellement identiques « si elles ont le même but et si elles visent à atteindre ce but par les mêmes moyens. »

Dans ce cas, le Président avait conclu que deux projets de loi étaient suffisamment différents en raison de la vitesse différente d’application d’une taxe d’accise sur les horloges.

Il est certain, honorables sénateurs, que les différences que j’ai décrites précédemment sont bien plus grandes que dans ce cas-ci, où la règle de la question déjà résolue ne s’applique pas. En ce qui concerne l’article 10-9 du Règlement, le Document d’accompagnement du Règlement du Sénat prévoit ce qui suit :

Dans le cas des projets de loi, il n’est pas toujours facile de déterminer si la règle de la question déjà résolue s’applique, surtout lorsqu’il s’agit de dispositions identiques.

Comme je l’ai indiqué précédemment, étant donné qu’il ne s’agit pas de dispositions identiques, il ne devrait pas être difficile de trancher.

Dans l’ouvrage d’Erskine May, on peut lire ce qui suit :

Des objections à un projet de loi associé, mais pas identique, à un autre projet de loi soumis à l’étude des lords ont été rejetées.

À la lumière de l’analyse précédente, force est de constater que c’est manifestement le cas des projets de loi S-15 et S-241, qui sont apparentés, mais qui sont loin d’être identiques.

Dans une décision rendue le 23 mars 2004, le Président fait remarquer qu’il existe des divergences dans la jurisprudence concernant le degré de similitude nécessaire entre deux projets de loi pour que la règle de la question déjà résolue s’applique. Cette décision se lit comme suit :

Comment pouvons-nous démêler ces dispositions et ces déclarations contradictoires? Je ne suis pas convaincu que nous le pouvons. C’est peut-être la quadrature du cercle. Le rôle du Président est de s’assurer que nous appliquons les meilleures pratiques tout en protégeant les intérêts du Sénat. C’est ce que le Président s’efforce de faire lorsqu’il rend une décision. Si le Sénat n’est pas d’accord avec la décision, il peut en tout temps la contester, et il décidera alors lui-même s’il accepte ou renverse cette décision. Quoi qu’il en soit, il serait prudent de suivre le conseil de Hatsell, également cité dans le Document d’accompagnement à la page 190, qui explique que c’est le Sénat, selon son bon jugement, qui doit décider si, pour chaque question, la règle de la question résolue s’applique.

La décision se poursuit comme suit :

En définitive, les limites de la règle de la question résolue ne peuvent être établies que lorsque le Sénat est aux prises avec un problème concret.

Honorables sénateurs, cet extrait reconnaît que c’est vraiment à nous, en tant que Chambre haute, qu’il appartient de déterminer si nous ferons obstacle à des débats, des témoignages et des décisions reposant sur des interprétations précises de règles pointues.

Une décision de la présidence rendue le 29 octobre 2003 confirme qu’il ne suffit pas qu’une partie d’un projet de loi soit identique pour que la règle de la question résolue s’applique :

On me demande essentiellement de juger irrecevable la totalité ou une partie du projet de loi C-41, parce qu’il contient une disposition, soit l’article 30, qui est identique à un amendement qui fut proposé en troisième lecture du projet de loi C-25, puis rejeté [...]

Il ne fait aucun doute que l’amendement au projet de loi C-25 qui a été rejeté est identique à l’article 30. Cependant, ce fait ne satisfait pas à lui seul à la règle de la question résolue. Il ne m’autorise pas à juger irrecevable une partie ou la totalité du projet de loi C-41 [...]

Cette règle ne peut être utilisée de cette façon parce qu’elle serait alors trop restrictive et empêcherait le Sénat de s’acquitter de ses travaux comme il se doit [...]

Chers sénateurs, le thème qui se dégage de ces extraits, c’est qu’il est primordial que le Sénat puisse débattre d’un projet de loi, l’étudier et prendre des décisions. Cela m’amène à mon dernier point. Même si la Présidente détermine que la situation actuelle est discutable, malgré les différences substantielles que j’ai mises en évidence entre les deux projets de loi, le Sénat devra tout de même suivre le principe selon lequel une question est présumée recevable à moins qu’elle ne le soit clairement pas.

Voici ce qu’on peut lire à ce sujet dans La Procédure du Sénat en pratique  :

Le Sénat fait souvent preuve de souplesse dans l’application des différentes règles et pratiques qui régissent les débats. Comme l’a déclaré le Président Molgat dans sa décision du 2 avril 1998 :

Je suis d’avis qu’il faut présumer, jusqu’à preuve du contraire, que les choses sont conformes ou régulières. Cette supposition m’indique que la meilleure règle à suivre pour le Président est d’interpréter le règlement de manière à permettre le débat au Sénat, sauf s’il est manifeste que la question à débattre est inadmissible.

Cet ouvrage qui fait autorité cite ensuite la décision rendue par le Président le 24 février 2009 :

[...] certains Présidents du Sénat ont préféré supposer que la question était recevable, à moins d’indication contraire ou jusqu’à preuve du contraire. Ce parti pris en faveur du débat, sauf lorsque la question est clairement irrecevable, est essentiel au maintien du rôle du Sénat en tant que chambre de discussion et de réflexion.

Honorables sénateurs, je suis tout à fait d’accord pour dire que la capacité du Sénat à débattre des projets de loi, à les étudier et à se prononcer dessus est fondamentale pour notre procédure, nos pratiques, notre rôle constitutionnel et notre collégialité. C’est notre idéal. En examinant le recours au Règlement, la Présidente et cette Chambre ont l’occasion de maintenir cet idéal et de préserver nos coutumes.

Ce rappel au Règlement doit être rejeté en raison des différences juridiques importantes entre le projet de loi S-15 et le projet de loi S-241, que j’ai décrites en détail. De plus, ce recours au Règlement doit être rejeté, car même si la Présidente conclut que cette affaire est défendable, il y a présomption en faveur du débat au Sénat du Canada.

En résumé, ce recours au Règlement n’est pas valable, et conclure le contraire ne respecterait pas les pratiques, les procédures et les idéaux de notre auguste Chambre de second examen objectif. Merci. Hiy kitatamihin.

[Français]

L’honorable Pierre J. Dalphond : Dans vos délibérations sur cette importante question portant sur ce qui constitue un projet de loi identique à un autre projet de loi, je vous invite à lire le discours du porte-parole du projet de loi S-241 qui a été prononcé en juin 2023. Vous pourrez alors voir de quelle manière il décrit le projet de loi S-241, comment il parle de l’accréditation des zoos partout au pays et à quel point ces accréditations se feront conformément à des normes américaines.

(1650)

Rien de tout cela ne se trouve dans le projet de loi que nous étudions. Les trois quarts de ce qui est dit dans ce discours ne seraient pas pertinents. Si le projet de loi est identique, et si vous laissez le projet de loi S-15 aller de l’avant, je suis certain que le sénateur Plett ne prononcera pas le même discours, ce qui prouve que ce n’est pas le même projet de loi.

Je vous laisse la lire. Il est tard, et je ne vous citerai pas de longs extraits sur l’accréditation des zoos, mais rien de cela ne s’applique ici. Merci.

[Traduction]

Son Honneur la Présidente intérimaire : Ce recours au Règlement sera pris en délibéré, après quoi une décision sera rendue. Merci.

Projet de loi d’exécution de l’énoncé économique de l’automne 2023

Autorisation au Comité des finances nationales d’étudier la teneur du projet de loi

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 7 février 2024, propose :

Que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales soit autorisé à étudier la teneur du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, déposé à la Chambre des communes le 30 novembre 2023, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat.

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, avec l’appui de l’honorable sénateur Gold propose que, conformément à l’article 10-11(1) du Règlement, le Comité sénatorial permanent des finances nationales...

Puis-je me dispenser de lire la motion?

Une voix : Non.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Soit autorisé à étudier la teneur du projet de loi C-59, Loi portant exécution de certaines dispositions de l’énoncé économique de l’automne déposé au Parlement le 21 novembre 2023 et de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023, déposé à la Chambre des communes le 30 novembre 2023, avant que ce projet de loi ne soit présenté au Sénat.

Débat?

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : D’accord.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée avec dissidence.)

L’ajournement

Motion--Débat

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat), conformément au préavis donné le 7 février 2024, propose :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 13 février 2024, à 14 heures.

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice LaBoucane-Benson propose, appuyée par l’honorable sénateur Gold, que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 13 février 2024, à 14 heures.

Débat? Le sénateur Gold a la parole.

Adoption de la motion d'amendement

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que la motion ne soit pas maintenant adoptée, mais qu’elle soit modifiée par substitution, aux mots « mardi 13 février 2024, à 14 heures », des mots :

« lundi 12 février 2024, à 18 heures;

Que l’application de l’article 3-3(1) du Règlement soit suspendue ce jour-là ».

Merci, Votre Honneur.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Y a-t-il débat sur l’amendement?

Une voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Des voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion d’amendement?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion d’amendement de l’honorable sénateur Gold est adoptée avec dissidence.)

Adoption de la motion modifiée

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice LaBoucane-Benson, appuyée par l’honorable sénateur Gold :

Que, lorsque le Sénat s’ajournera après l’adoption de cette motion, il demeure ajourné jusqu’au mardi 13 février,à 14 heures.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer sur la motion telle que modifiée?

Des voix : D’accord.

Une voix : Le vote!

Son Honneur la Présidente intérimaire : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion modifiée est adoptée.)

La Loi sur les mesures économiques spéciales

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Omidvar, appuyée par l’honorable sénatrice Petitclerc, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-278, Loi modifiant la Loi sur les mesures économiques spéciales (disposition des biens d’un État étranger).

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Je propose l’ajournement du débat à mon nom pour le temps de parole qu’il me reste.

Son Honneur la Présidente intérimaire : L’honorable sénatrice Martin propose, appuyée par l’honorable sénatrice Seidman, que la suite du débat soit ajournée à la prochaine séance. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

La Loi de l’impôt sur le revenu

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Omidvar, appuyée par l’honorable sénatrice Dasko, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-279, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (données sur les organismes de bienfaisance enregistrés).

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-279, Loi modifiant la Loi de l’impôt sur le revenu (données sur les organismes de bienfaisance enregistrés).

Le projet de loi repose sur la huitième recommandation formulée dans le rapport du Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, intitulé Catalyseur du changement : une feuille de route pour un secteur de la bienfaisance plus robuste.

Comme vous vous en souviendrez, le Comité spécial a été créé par notre ancien collègue le sénateur Terry Mercer. J’ai eu le privilège d’en être la vice-présidente, avec la sénatrice Yonah Martin.

Le projet de loi est assez simple. Il est pragmatique. Il est tout à fait réalisable dans le contexte de nos discussions actuelles sur la lutte contre le racisme, la diversité et l’inclusion. Il se concentre sur un seul secteur, certes très important, qui joue un rôle crucial pour aider les Canadiens dans des circonstances ordinaires et extraordinaires. Je parle du secteur de la bienfaisance, qui offre ses services dans tous les coins du pays et qui touche tous les aspects de notre vie, y compris la religion, la santé, la culture, la lutte contre la pauvreté et l’environnement, pour n’en nommer que quelques-uns.

(1700)

Ce secteur emploie près de 2,5 millions de personnes et contribue à notre PIB à hauteur de 8,2 %, presque comme le secteur agricole. Cependant, il est aux prises avec une insuffisance de données probantes, car celles-ci sont rarement collectées.

Comme l’a souligné avec beaucoup d’humour un des témoins qui a comparu devant le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance, nous savons exactement combien d’œufs sont pondus quotidiennement par des poules canadiennes dans les fermes canadiennes. Je vois que le sénateur Black m’écoute, et il peut débattre de cette question. Or, on ne sait jamais qui sont ceux qui travaillent dans un secteur de taille similaire ni qui sont ceux qui l’administrent. Cette lacune pose un défi de taille, car il est impératif de disposer de données probantes pour élaborer des politiques et prendre des décisions éclairées.

Le projet de loi dont nous sommes saisis est une étape modeste, mais essentielle, pour combler cette lacune sur le plan des données. Le projet de loi est axé sur les dirigeants du secteur. Au Canada, chaque organisme de bienfaisance est supervisé par des administrateurs nommés ou élus. Ceux-ci définissent la mission de l’organisme, définissent ses priorités et approuvent les politiques d’embauche et d’approvisionnement. Ils décident où et comment les fonds caritatifs seront dépensés et ils déterminent l’étendue et la nature des services fournis. Ils assument la responsabilité de l’orientation stratégique et la responsabilité fiduciaire. En fin de compte, il leur incombe de veiller à ce que l’organisme de bienfaisance qu’ils dirigent respecte la loi. Je pense que nous savons tous que la loi encadre rigoureusement les organismes de bienfaisance. L’expérience et l’expertise de ces personnes contribuent à renforcer la confiance entre les parties prenantes et, en définitive, à améliorer la capacité de leur organisation à remplir sa mission et à avoir des retombées positives sur la société.

Bref, c’est à eux qu’incombe cette responsabilité.

Si l’on considère que chacun des quelque 85 000 organismes de bienfaisance enregistrés au Canada a un conseil d’administration d’environ 12 administrateurs — ce qui est peu, car de nombreux organismes en ont beaucoup plus —, le milieu de la gouvernance compte environ 1 million de personnes qui ont le pouvoir de prendre des décisions qui changeront la vie des Canadiens.

Qui sont ces personnes? Ce sont probablement des gens comme nous, parce que je suis convaincue que chacun d’entre vous a déjà fait partie du conseil d’administration d’un organisme de bienfaisance. Je sais donc que ces administrateurs sont des bénévoles dévoués et bien intentionnés qui consacrent un nombre incalculable d’heures aux activités des conseils d’administration de ces organismes.

Cela dit, qui sont ces gens exactement? La vérité, c’est que nous n’avons pas de réponse précise à cette question.

En juin 2019, lorsque le Comité sénatorial spécial sur le secteur de la bienfaisance a publié son rapport, nous avons reconnu et déterminé qu’il s’agit d’un vaste secteur qui a beaucoup d’influence, qui touche tous les aspects de nos vies et qui exerce une forte influence sur l’économie et le marché de l’emploi. Je pense que nous savons tous à quel point nous comptons sur le secteur de la bienfaisance, en temps normal comme dans les circonstances exceptionnelles. Je songe plus particulièrement à ce que nous avons vécu récemment pendant la pandémie. Nous avons dû nous appuyer sur ce secteur non seulement pour répondre à nos besoins en matière de santé, y compris en santé mentale, mais aussi pour assurer notre sécurité alimentaire et notre sécurité personnelle.

Cependant, étant donné que les organismes de bienfaisance ne font pas de collecte systématique de données sur la gouvernance à l’échelle sectorielle, et que le gouvernement ne recueille pas non plus de telles données, nous sommes plutôt mal renseignés sur l’état de la gouvernance au sein de ce secteur. Comme un témoin l’a mentionné, nous avons besoin de données sur la diversité et la représentation afin de pouvoir mesurer nos progrès en ce qui a trait à l’inclusion.

C’est pourquoi le rapport du comité demande que l’on recueille chaque année des données basées sur les définitions existantes de l’équité en matière d’emploi. Vous vous souviendrez peut-être que nous avons eu un débat semblable lors de l’examen du projet de loi C-25, un projet de loi d’initiative ministérielle qui a modifié la Loi canadienne sur les sociétés par actions. Par conséquent, toutes les sociétés ayant fait appel au public et constituées en vertu d’une loi fédérale sont désormais tenues de fournir aux actionnaires des renseignements sur le profil démographique de leurs administrateurs conformément aux lignes directrices sur l’équité en matière d’emploi. Ces dispositions législatives sont en vigueur depuis trois ans.

Malgré certaines lacunes, le secteur privé dispose désormais d’une obligation de déclaration et d’un régime qui l’obligent à rendre compte chaque année de la diversité démographique de ses conseils d’administration. Par conséquent, nous disposons d’un éclairage annuel sur l’augmentation ou le déclin de la diversité dans les conseils d’administration des entreprises, ce qui nous permet de disposer d’un ensemble de données probantes fondamentales.

Je pense que la majorité d’entre nous reconnaît le rôle central, la fonction et l’importance des organismes de bienfaisance. Néanmoins, la rareté des données disponibles concernant ce secteur m’amène à une conclusion : le secteur peut se rallier à la diversité en théorie, mais il doit encore la mettre pleinement en œuvre dans la pratique. Bref, comme je l’ai dit, son esprit est ardent, mais sa chair est faible. Ses aspirations à cet égard sont louables et sa volonté est apparente, mais il semble avoir du mal à traduire ses intentions en actions concrètes, comme le souligne le journal de référence de la philanthropie au Canada, The Philanthropist Journal, qui affirme :

On a souvent critiqué les conseils d’administration du secteur philanthropique en raison du phénomène appelé « l’effet couche de neige », c’est-à-dire le fait d’avoir des travailleurs racialisés en première ligne alors que des cadres principalement blancs occupent les postes décisionnels au sommet de l’organisation.

En juin 2020, j’ai publié une lettre ouverte exhortant le secteur philanthropique à recueillir des données sur la diversité au sein de ses conseils d’administration. Je disais : « Cher secteur, guéris-toi toi-même. » Heureusement, grâce au pouvoir des médias sociaux, le statisticien en chef du Canada, Anil Arora, a communiqué avec moi, et Statistique Canada s’est mobilisé. Ils ont accepté de mener, au moyen d’une approche participative, une enquête à participation volontaire sur le secteur. Statistique Canada a conçu le sondage avec de nombreux chefs de file du secteur. Il a été lancé en décembre 2020 et est demeuré accessible jusqu’en janvier 2021. En tout, 8 835 personnes ont répondu au sondage, et 6 170 se sont identifiées comme administrateurs.

Il s’agit de la première tentative ciblée de Statistique Canada pour évaluer la diversité au sein des conseils d’administration du secteur philanthropique et sans but lucratif.

Le sondage demandait aux membres des conseils d’administration de fournir des renseignements sociodémographiques englobant des caractéristiques comme la race, le genre, l’orientation sexuelle, l’âge, le statut d’immigrant et les handicaps. Les résultats de l’enquête ont révélé que, même si les femmes étaient assez bien représentées au sein de ces conseils d’administration, les personnes issues de minorités raciales, les communautés autochtones, les immigrants et les personnes handicapées ne l’étaient pas. Parmi les répondants, 14 % se sont identifiés comme immigrants, 11 % comme faisant partie d’une minorité visible, et seulement 3 % comme membres d’une Première Nation, Métis ou Inuits.

Je félicite Statistique Canada d’avoir pris l’initiative de mener l’enquête et de nous en fournir un aperçu. Toutefois, il ne s’agit que d’une enquête ponctuelle. Elle n’a pas de signification statistique, comme la sénatrice Dasko le soulignerait certainement, en raison de sa nature participative. En outre, il est probable que les organisations et les personnes qui ont fourni leurs informations étaient déjà sensibilisées à la question.

La solution est assez simple. La ministre responsable de l’Agence du revenu du Canada devrait intégrer une question à ce sujet dans les formulaires annuels T3010 que les organisations caritatives sont tenues de remplir chaque année pour conserver leur statut. Or, la loi ne permet pas de le faire. C’est pourquoi mon projet de loi prévoit d’autoriser la collecte de cette information dans le cadre de la Loi de l’impôt sur le revenu.

(1710)

Tous les organismes de bienfaisance devraient remplir ce formulaire chaque année, ce qui permettrait de collecter des données annualisées qui pourraient être agrégées et, si nécessaire, désagrégées pour fournir une vue d’ensemble de la diversité au sein des conseils d’administration des organismes de bienfaisance.

Les données seraient basées sur les définitions de l’équité en matière d’emploi afin de garantir des mesures précises, légalement conformes et comparables. Cela permettrait la planification stratégique, les analyses intersectionnelles, la reddition de comptes et la mise en place d’initiatives efficaces pour favoriser des lieux de travail diversifiés et inclusifs. Si on élargit les définitions de l’équité en matière d’emploi, la collecte de données devra également intégrer les nouvelles catégories. Récemment, le gouvernement a annoncé qu’il envisageait d’élargir ces définitions pour mieux distinguer l’identité de genre et la race au-delà de la définition standard de « minorité visible ». Je pense que ce changement serait le bienvenu.

Puisque je parle d’équité en matière d’emploi, permettez-moi de réfléchir un peu à l’expérience canadienne dans ce domaine. Les entreprises sous réglementation fédérale doivent recueillir chaque année des données sur leur main-d’œuvre. L’équité en matière d’emploi n’est pas une question de cibles ou de quotas; elle vise simplement à recueillir des données. La simple collecte de ces données a cependant conduit, au cours des 30 dernières années, à une transformation de la main-d’œuvre canadienne grâce à une meilleure prise de conscience résultant des données collectées.

Comme nous l’avons fait pour l’équité en matière d’emploi, je pense que le temps est venu pour l’équité en matière de gouvernance. Nous en avons déjà mis en place les principes fondamentaux pour les entreprises sous réglementation fédérale. Il est temps d’en faire de même pour les organismes de bienfaisance sous réglementation fédérale.

Grâce à ces données concrètes, le gouvernement fédéral et le secteur de la bienfaisance pourront évaluer si des progrès ont été réalisés et, le cas échéant, dans quelle mesure. Il sera alors possible de faire des comparaisons entre les régions et les secteurs.

Par exemple, ces données pourraient nous renseigner sur le secteur des organismes culturels de bienfaisance, et les sous-secteurs de ce dernier pourraient nous permettre de déterminer si les organismes culturels de bienfaisance de la Nouvelle-Écosse ou de l’Île-du-Prince-Édouard progressent à peu près au même rythme vers l’équité en matière de gouvernance. Cela permettrait de repérer des chefs de file et des retardataires, mais sous forme de données agrégées.

Je tiens à préciser qu’aucun organisme de bienfaisance ni aucun administrateur ne fera l’objet d’un rapport individuel. Les données donneront plutôt un aperçu de l’ensemble du secteur. Il ne sera pas possible de déterminer si l’équité en matière de gouvernance est une force ou un point à améliorer dans tel ou tel organisme.

Si nous tenons sincèrement à faire en sorte que la décennie à venir soit synonyme de réconciliation, d’inclusion, d’optimisme et de profond respect pour la diversité du Canada, il est impératif de tenir compte du point de vue des Autochtones, des communautés marginalisées et des groupes racisés. Cela doit être le cas non seulement dans les institutions universitaires, dans les tribunaux et au Sénat, mais également aux tables décisionnelles des nombreux organismes de bienfaisance, dont les intentions sont louables et qui jouent un rôle nécessaire.

Ce projet de loi propose une approche simple mais complète pour ouvrir des perspectives en matière de gouvernance au sein du secteur, et il jouit de l’appui du secteur. J’espère pouvoir compter sur votre soutien pour faire avancer ce projet de loi simple, pratique et pragmatique. Merci.

L’honorable Donna Dasko : Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar : Bien sûr.

La sénatrice Dasko : Sénatrice Omidvar, il s’agit d’une initiative merveilleuse. Je suis absolument ravie d’entendre que vous l’avez proposée.

Quel genre de détails pensez-vous que les données pourront fournir? L’Agence du revenu du Canada recueillera des données sur les quatre groupes désignés. Nous aurons donc ces détails. L’analyse permettra-t-elle de fournir des renseignements au public sur les divers secteurs, qu’il s’agisse de la culture, de la santé ou d’autres? Qu’en est-il de l’analyse de l’intersectionnalité? Les données peuvent-elles être examinées de manière un peu plus approfondie afin que nous puissions mieux comprendre l’intersectionnalité grâce à cet ensemble de données? Merci.

La sénatrice Omidvar : Merci, sénatrice Dasko. Vous êtes l’experte sur ces questions; ce n’est pas mon cas, alors je crois que vous seriez mieux à même de répondre à cette question que moi. Mon intention — j’ai notamment consulté Statistique Canada à ce sujet — repose sur le fait que, si les données étaient fondées sur les définitions normalisées de l’équité en matière d’emploi, il serait possible de les agréger et de les désagréger. Statistique Canada ou d’autres intervenants pourraient présenter une telle demande.

Par exemple, quelqu’un du secteur culturel pourrait vouloir les données concernant les organisations culturelles dans l’ensemble du Canada et le nombre de femmes dans leur conseil d’administration.

Il serait possible de désagréger davantage les données en fonction de la race et de l’identité de genre. Tout cela serait possible, mais il faudrait probablement qu’un intervenant en fasse la demande. Je comprends que c’est de cette façon que cela fonctionnerait. Autant l’Agence du revenu du Canada que Statistique Canada auraient les données. Des demandes devraient être présentées pour que les données soient explorées plus en détail afin d’obtenir le genre d’information dont vous parlez, mais ce serait possible.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur la protection financière pour les producteurs de fruits et légumes frais

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur MacDonald, appuyée par l’honorable sénateur Boisvenu, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en faveur de la viabilité à long terme de l’industrie canadienne des fruits et légumes frais et en faveur d’un sujet qui touche directement le cœur de la nation — les agriculteurs et les producteurs.

Je suis fier de prendre la parole au sujet du projet de loi C-280, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (fiducie réputée — fruits et légumes périssables).

Cette mesure législative cruciale est l’une des clés du soutien au secteur agricole canadien, qui travaille sans relâche pour nourrir non seulement notre pays, mais aussi le monde entier.

En tant que défenseur de l’agriculture, je suis heureux que nous soyons saisis d’un tel projet de loi, qui s’attaque aux disparités qui ont longtemps laissé des acteurs importants du secteur agricole canadien dans une situation financière désavantageuse.

Tout d’abord, je veux préciser qu’il s’agit d’un projet de loi d’ordre financier. Il y est question de protection contre la faillite. Je tiens à dire que je ne suis pas un expert de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité. Toutefois, je veux parler de la nécessité d’une telle protection pour l’industrie agricole et le secteur concerné.

La protection des fruits et légumes périssables est au cœur du projet de loi — il s’agit de produits frais qui peuvent se gâter rapidement.

Le projet de loi propose la création d’une fiducie réputée qui assure aux agriculteurs et aux producteurs la priorité sur le produit des denrées périssables qu’ils fournissent aux acheteurs ou aux créanciers de la chaîne d’approvisionnement quand les acheteurs deviennent insolvables ou font faillite. Cette mesure essentielle propose de protéger les intérêts des agriculteurs en période d’instabilité financière.

Comme nous le savons tous, les chaînes d’approvisionnement forment un réseau complexe qui relie les agriculteurs et les producteurs aux consommateurs. Dans un pays aussi vaste que le nôtre, ces chaînes d’approvisionnement jouent un rôle essentiel dans le soutien de notre économie et dans la circulation continue des marchandises, qui passent des exploitations agricoles aux marchés pour éventuellement aboutir sur notre table.

Pierre angulaire de ce réseau, l’agriculture ne se contente pas de répondre aux besoins nationaux : elle remplit également nos obligations internationales sur le marché mondial de l’alimentation.

On ne saurait trop insister sur l’importance d’un secteur agricole robuste pour la sécurité alimentaire de notre pays. Dans un monde de plus en plus interconnecté, les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement peuvent avoir de lourdes conséquences.

(1720)

L’effondrement d’un seul maillon de cette chaîne, en raison des problèmes financiers d’un acheteur ou d’un créancier, peut avoir de graves répercussions. Cette situation peut entraîner des difficultés financières pour les agriculteurs, déstabiliser le marché, faire porter aux agriculteurs le fardeau de la faillite d’autres parties sans aucune protection, et compromettre la sécurité alimentaire, non seulement pour notre population, mais également pour ceux qui comptent sur nos exportations agricoles partout dans le monde.

Le projet de loi C-280 est une bouée de sauvetage pour les agriculteurs qui subissent des contraintes financières, lesquelles sont amplifiées par la nature imprévisible de leur profession. Les agriculteurs dévoués doivent composer avec des conditions météorologiques imprévisibles, l’augmentation des coûts de production et une rude concurrence internationale. En plus de ces défis, la pandémie de COVID-19 a entraîné des obstacles supplémentaires, comme la réduction de la demande, des perturbations de la chaîne d’approvisionnement et des pénuries de main-d’œuvre.

Soutenir ce projet de loi est une façon de reconnaître leur résilience et d’affirmer notre engagement à alléger leur fardeau durant les périodes difficiles.

Comme mon collègue qui parraine le projet de loi à l’autre endroit l’a dit, la récession qui s’installe, les pressions inflationnistes, l’augmentation des prix, les modifications fiscales et les effets persistants de la pandémie de COVID-19 n’ont fait qu’accroître la vulnérabilité du secteur des fruits et légumes.

Cette vulnérabilité est soulignée par l’absence de protections financières essentielles pour les producteurs canadiens de fruits et légumes lorsqu’un acheteur insolvable leur fait subir des pertes.

Même si les dispositions actuelles de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité peuvent convenir au secteur agricole en général et à d’autres secteurs, elles ne comprennent aucun mécanisme efficace quand l’acheteur de fruits et légumes frais devient insolvable.

Étant donné que cette mesure de protection est réclamée depuis des années, j’ai été ravi que ce projet de loi bénéficie d’un appui bipartite à l’autre endroit. Dans un contexte politique souvent marqué par la division, cela montre à quel point le bien-être des agriculteurs et la sécurité de l’approvisionnement alimentaire sont des questions qui transcendent les considérations politiques.

Cet appui vient souligner la responsabilité collective que nous avons, en tant que législateurs, de résoudre des problèmes fondamentaux qui ont une incidence sur le gagne-pain de ceux qui nous permettent de prendre trois repas par jour.

Il est important de souligner que l’adoption du projet de loi C-280 n’entraînera aucun coût pour la population canadienne. Soutenir les agriculteurs grâce à ce projet de loi est un investissement dans la durabilité et la résilience du secteur agricole.

Veiller à ce que les denrées périssables soient protégées par une fiducie réputée n’entrave en rien les créanciers ou les acheteurs dans leurs activités. Il s’agit plutôt d’éviter de gaspiller le fruit — si je peux me permettre le jeu de mots — de l’excellent travail de nos vaillants agriculteurs.

J’ajouterais, honorables collègues, que le parrain du projet de loi à l’autre endroit a également précisé ceci :

La protection financière que créerait le projet de loi C-280 permettrait d’amenuiser les pertes dans ce secteur et d’accroître l’activité économique de 200 à 235 millions de dollars par année. Elle représenterait en outre une valeur économique ajoutée de 104 à 122 millions de dollars par année, elle permettrait de créer plus de 1 200 emplois à temps plein et elle ferait augmenter le salaire des travailleurs canadiens de 59 à 69 millions de dollars par année.

Ce que je retiens de cette analyse économique, chers collègues, c’est que les Canadiens n’ont rien à perdre et ont beaucoup à gagner avec ce projet de loi.

En fait, le parrain du projet de loi a souligné que cette mesure législative aurait pour effet de faire économiser aux familles et aux consommateurs canadiens entre 5 et 15 % sur leurs achats annuels de fruits et de légumes frais, ce qui pourrait correspondre à des économies de 300 à 900 millions de dollars pour les familles canadiennes.

C’est une bonne nouvelle en cette période où le coût des aliments est en hausse pour tous les Canadiens.

L’agriculture n’est pas seulement une industrie; il s’agit d’un mode de vie profondément enraciné dans notre pays. L’héritage de nos familles agricoles traverse les époques, les connaissances et le savoir-faire se transmettant de génération en génération.

En appuyant ce projet de loi, nous protégerons et enrichirons ce patrimoine tout en veillant à ce que les générations futures soient inspirées à reprendre le flambeau de l’excellence agricole au lieu d’hériter des risques de pertes qui découlent des problèmes d’insolvabilité des autres.

En terminant, j’aimerais que nous saisissions cette occasion pour montrer notre appui indéfectible aux agriculteurs et aux producteurs du Canada. Adopter sans tarder le projet de loi C-280 permettrait de montrer au monde entier que nous sommes unis dans notre engagement envers ceux qui nourrissent notre pays et qui contribuent à la sécurité alimentaire mondiale.

La protection des fruits et légumes périssables à l’aide d’une fiducie réputée est non seulement une mesure pratique pour sécuriser nos chaînes d’approvisionnement et assurer la sécurité alimentaire, mais elle témoigne aussi de notre reconnaissance pour la contribution inestimable des agriculteurs canadiens et de notre soutien à leur égard.

En appuyant le projet de loi C-280, nous enverrions un message retentissant que, ici, dans cette Chambre de second examen objectif, et qu’au Canada, nous reconnaissons une fois de plus l’importance cruciale de soutenir nos agriculteurs, nos producteurs et nos transformateurs. Ils ne méritent rien de moins pour leur travail remarquable, leur dévouement et leurs sacrifices. En agissant ainsi, nous renforcerions les bases de notre secteur agricole et nous sèmerions les graines de la prospérité future du Canada.

Je vous remercie de votre attention, chers collègues. Je vous exhorte à vous joindre à moi pour appuyer le projet de loi C-280 pour le plus grand bien de nos agriculteurs, de notre sécurité alimentaire et du Canada!

Merci. Meegwetch.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

La Loi concernant le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Gerba, appuyée par l’honorable sénateur Klyne, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

L’honorable Robert Black : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-282, Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement (gestion de l’offre).

Comme vous le savez, quand je prends la parole dans cette enceinte, je parle souvent de l’agriculture et des communautés rurales. Il est essentiel pour le Canada que nous soulignions les problèmes, les préoccupations et les réussites de ce secteur très important et que nous parlions des répercussions des mesures législatives sur l’agriculture et les milieux ruraux aux quatre coins du pays.

Comme je le fais pour tout projet de loi et pour toute question que j’aborde ici ou dans les salles de réunion des comités, je m’efforce de dialoguer avec toutes les parties prenantes de l’industrie, avec les dirigeants locaux partout au pays ainsi qu’avec mes voisins de quartier, afin de recueillir leurs idées et leurs points de vue et de mieux savoir en quoi tous ces gens peuvent être touchés ou concernés.

Je dis toujours que je ne peux pas parler au nom de l’agriculture et des régions rurales si je ne parle pas avec les personnes qui pourraient être directement touchées par les politiques du gouvernement ou les lois fédérales.

Pour préparer mon discours, comme toujours, j’ai cherché à m’entretenir avec des agriculteurs et des producteurs de l’ensemble du secteur — ceux qui sont soumis à la gestion de l’offre comme ceux qui ne le sont pas.

Ce dont je me suis rendu compte, c’est que ce n’est pas seulement le secteur qui est ambivalent par rapport à ce projet de loi : je le suis moi-même.

J’ai entendu haut et fort de la part de tous, chers collègues, que même si ce projet de loi semble porter sur l’agriculture et le secteur agricole soumis à la gestion de l’offre, il porte en fait sur le commerce international et les futures négociations commerciales. C’est même écrit directement dans le titre du projet de loi : « Loi modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement ».

Ce projet de loi ordonnera non seulement aux négociateurs commerciaux du Canada de continuer à protéger notre secteur soumis à la gestion de l’offre, mais aussi d’inscrire dans la loi la protection de cet élément particulier du secteur agricole.

Chers collègues, la protection des produits soumis à la gestion de l’offre a toujours été un enjeu dans l’industrie, et ce, depuis des années. Le groupe GO5, qui englobe les œufs, le poulet, la dinde, les œufs d’incubation et les produits laitiers, est considéré comme séparé du reste du secteur agricole, qui ne bénéficie guère d’un système de gestion de l’offre.

La gestion de l’offre est un moyen pour les agriculteurs et les décideurs de contrôler, au moyen d’un système de gestion, l’offre ou la quantité d’une denrée. Pour commercialiser leurs produits, les producteurs soumis à la gestion de l’offre doivent détenir un permis, communément appelé « quota », sans lequel ils ne pourraient pas vendre leurs produits à une usine de transformation.

Il est donc compréhensible, chers collègues, que la gestion de l’offre puisse causer des tensions entre le GO5 et les autres producteurs agricoles. Cette situation dresse vraiment les agriculteurs les uns contre les autres, et c’est devenu un sujet de discorde.

C’est la raison même pour laquelle j’ai voulu parler à des gens issus de tous les secteurs de l’industrie agricole et alimentaire, en particulier ceux qui commercialisent leurs produits dans le cadre d’un système de gestion de l’offre et ceux qui ne font pas partie du GO5, afin d’entendre leurs idées et leurs opinions sur le projet de loi.

Permettez-moi toutefois de revenir à mes commentaires précédents. Le projet de loi ne porte pas sur l’agriculture. Il porte sur la politique commerciale internationale et ce qu’elle signifiera pour les futures négociations commerciales au-delà des discussions sur les produits soumis à la gestion de l’offre.

Les producteurs du GO5 appuient évidemment le projet de loi, car il inscrit dans la loi la protection de leurs produits. Par contre, beaucoup de gens de l’industrie qui ne relèvent pas de nos systèmes de gestion de l’offre n’appuient pas le projet de loi. Ils s’y opposent non seulement parce qu’un grand nombre d’entre eux estiment qu’il n’est pas approprié de protéger une seule partie de l’industrie, mais aussi parce que le fait d’inscrire dans la loi la protection de certains produits en prévision de futures négociations commerciales lie les mains des négociateurs, et d’autres industries risquent de crier à l’injustice et de vouloir les mêmes protections.

En réalité, j’ai entendu dire que des industries comme l’industrie sidérurgique, l’industrie automobile et même l’industrie du bois d’œuvre pourraient demander les mêmes protections.

Chers collègues, je ne vais pas me lancer dans un débat sur les avantages et inconvénients de la gestion de l’offre. Je ne militerai pas pour un côté ou l’autre. Je ne veux pas choisir un côté ou l’autre. C’est ce que fait le projet de loi, en fait : il dresse l’agriculture contre l’agriculture. L’ensemble de l’industrie s’entend sur ce point, peu importe la position de chacun. On ne peut pas, et on ne doit pas, créer une division aussi controversée à l’intérieur du secteur agricole.

(1730)

Les agriculteurs, les producteurs et les transformateurs sont tous du même côté : ils sont de notre côté, du côté des Canadiens, et ils triment dur pour nous procurer des aliments à mettre sur la table et pour en fournir aussi à des gens du monde entier. Je parlerai brièvement des conséquences que ce projet de loi pourrait avoir sur le commerce international et les industries qui ne font pas partie du groupe GO5; on peut penser à l’acier, au bois d’œuvre ou à tout autre produit que nous produisons au Canada, comme je l’ai mentionné plus tôt.

Chers collègues, j’ai entendu les points de vue de gens des deux côtés du débat. Il s’agit manifestement de protectionnisme. Certains y sont favorables, parce qu’ils en bénéficient. D’autres, qui n’en bénéficient pas, craignent l’effet de spirale que la mesure proposée pourrait déclencher.

Honorables sénateurs, le monde continue de croître et d’être confronté à des défis économiques sans précédent. Devant les fluctuations et la volatilité des marchés mondiaux, nous devons rester souples, ce qui signifie de rester ouverts à la négociation. Ce sera particulièrement vrai dans les prochaines décennies, puisque la gestion des ressources, les chaînes d’approvisionnement et la sécurité alimentaire deviendront plus cruciales que jamais.

Le Canada a l’obligation — pas seulement envers lui-même, mais aussi envers le reste de la planète — de continuer à fournir des produits de qualité provenant de tous les secteurs, pas seulement du secteur agricole. Cela provient de la volonté économique de négocier le meilleur accord pour le Canada et le reste de la planète au moment des négociations. Voilà ce que signifie le libre-échange.

J’aimerais citer un extrait du document Perspectives commerciales de février-mars 2023 de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire :

[...] cette législation [aur]ait de graves conséquences pour les intérêts canadiens, incite[rait] nos partenaires commerciaux à protéger leurs propres secteurs sensibles et mine[rait] la crédibilité du Canada à titre de pays qui défend la nécessité d’un commerce libre et ouvert sur la scène mondiale.

L’article se poursuit ainsi :

Les membres ont en outre souligné que les accords les plus importants et les plus avantageux pour le Canada, comme l’Accord Canada/États-Unis/Mexique (ACEUM) et l’accord du Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP) ont été conclus grâce aux compromis consentis et à la souplesse manifestée dans le cadre des négociations d’accords commerciaux complexes et ambitieux.

Chers collègues, Greg Northey, président de l’Alliance canadienne du commerce agroalimentaire, a déclaré ceci devant le comité de l’autre endroit :

Si nous excluons certains éléments — et ce sans égard au secteur ou à la mesure de protection adoptée —, nous ne pourrons jamais conclure des ententes commerciales viables avec l’un de ces pays.

Il est clair que ce projet de loi porte sur le protectionnisme. Nous devons déterminer si cela représente l’avenir du commerce canadien.

Voulons-nous que le Canada soit perçu comme un pays protectionniste?

D’autres pays observent le Canada et ce que nous faisons. Ce n’est qu’une question de temps avant que d’autres pays ne commencent à retirer leurs produits de la table de négociation. Il faut espérer qu’il ne s’agira pas de produits dont le Canada dépend, au risque d’avoir d’autres problèmes à régler par la suite.

Nos négociateurs commerciaux doivent se montrer ouverts aux discussions et aux préoccupations de tous les acteurs de l’économie internationale. Nous devons tous nous efforcer de ne pas agir de mauvaise foi envers nos partenaires commerciaux fiables qui ne cessent de faire appel aux importantes ressources dont dispose le Canada.

Compte tenu de la volatilité des marchés internationaux et des défis nouveaux et complexes auxquels sont confrontées les économies politiques internationales, la capacité du Canada à approvisionner le monde est de plus en plus sollicitée. Je pense non seulement à l’agriculture, mais aussi à l’acier, aux minéraux critiques destinés à l’innovation verte, au bois d’œuvre, aux produits pharmaceutiques et à bien d’autres produits qui risquent d’être menacés si nous commençons à lier les mains de nos négociateurs dévoués.

Un autre problème que j’ai constaté dans le domaine du commerce, c’est le recours accru aux barrières non tarifaires. Le gouvernement se préoccupe tellement de faire la distinction entre les secteurs qui sont soumis au libre-échange et ceux qui sont soumis à la gestion de l’offre que les accords commerciaux actuels ne tiennent pas compte des aspects essentiels de la gestion des chaînes d’approvisionnement.

Le Conseil canadien du canola a déclaré ce qui suit :

Une fois qu’un accord de libre-échange entre en vigueur, il faut une stratégie et des ressources dédiées pour assurer la mise en œuvre et le respect des accords et concessions négociés, en particulier dans les domaines des mesures sanitaires et phytosanitaires et des obstacles techniques au commerce.

Malgré une action mondiale continue pour réduire les droits de douane et les barrières tarifaires, les pays semblent prendre des mesures protectionnistes par l’intermédiaire de barrières non tarifaires. Pourquoi pensons-nous que c’est le cas, chers sénateurs? Est-ce parce qu’ils voient des pays comme le Canada empêcher constamment les négociations ouvertes? Est-ce parce que nous ne gérons pas correctement les accords de libre-échange déjà conclus?

Il est important que nous — en tant que Chambre de second examen objectif — continuions à examiner minutieusement les projets de loi et à nous pencher sur les éventuels déséquilibres qu’ils peuvent présenter, au détriment de l’esprit partisan et de l’ambition politique. Cela revient peut-être à mettre la charrue avant les bœufs, chers collègues.

Pendant des années, tous les partis qui se sont succédé au gouvernement, à l’autre endroit, ont manifesté leur soutien aux secteurs soumis à la gestion de l’offre. Toutefois, en adoptant une approche bornée à l’égard du commerce mondial, par l’élaboration d’un projet de loi porteur de discorde, on ne fait que montrer un manque de volonté et les limites de notre coopération internationale.

La gestion de l’offre est un aspect de l’agriculture canadienne que l’on défend depuis longtemps. Pendant des années, ce programme a été profitable en période de volatilité économique mondiale. Toutefois, le fait d’afficher une réticence à entamer des négociations de bonne foi peut également dissuader nos partenaires commerciaux de s’engager loyalement dans les négociations sur le libre-échange qui soutiennent l’économie diversifiée et productive du Canada.

Dans un communiqué de presse d’Agriculture et Agroalimentaire Canada publié le 29 septembre 2023, le ministre Lawrence MacAulay a déclaré :

Le gouvernement du Canada continuera de préserver, de protéger et de défendre le système de gestion de l’offre du Canada et s’engage à ne faire aucune concession supplémentaire en matière d’accès aux marchés en ce qui concerne les produits sous gestion de l’offre dans les futurs accords commerciaux.

Chers collègues, y a-t-il lieu de s’inquiéter de cette déclaration du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire?

En terminant, je tiens à vous laisser avec quelques questions à méditer. Comment pouvons-nous assurer la sécurité alimentaire mondiale sans commerce international libre et ouvert? Si nous comptons isoler les chaînes d’approvisionnement canadiennes, que se produira-t-il si, à cause d’une perturbation locale, les producteurs canadiens de volaille ou de produits laitiers ne sont pas en mesure de répondre à la demande au Canada? Dans un contexte où le Canada est le cinquième producteur alimentaire en importance dans le monde et où il a la responsabilité de contribuer à nourrir la planète, est-ce que fermer l’accès aux marchés équivaut à bloquer l’accès aux produits alimentaires? Ce projet de loi n’est-il pas en contradiction directe avec les engagements qu’a pris le Canada lorsqu’il a signé récemment les déclarations sur la sécurité alimentaire du G7, du G20, de l’Organisation mondiale du commerce et de l’APEC? Ne devrions-nous pas nous inquiéter des projets de loi qui, comme celui dont nous sommes saisis, pourraient nous priver d’investissements étrangers, ainsi que des répercussions que cela aurait sur l’ensemble du pays? Si nous adoptons ce projet de loi, quelles pourraient être les conséquences à moyen et à long terme pour le GO5?

J’espère qu’on pourra, à l’étape de l’étude en comité, répondre à ces questions et à bien d’autres, à ma satisfaction et à la vôtre. Comme vous le savez, j’appuie généralement les projets de loi qui ont des retombées positives dans le domaine agricole. Dans ce cas‑ci, bien que j’aie des réserves, comme en témoignent les questions que je viens de poser, je vais appuyer le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture afin de le renvoyer au comité. L’industrie espère par ailleurs qu’il sera confié au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, puisqu’il s’agit du projet de loi « modifiant la Loi sur le ministère des Affaires étrangères, du Commerce et du Développement » en ce qui concerne la gestion de l’offre. C’est donc une mesure qui traite de commerce et non d’agriculture.

Étant donné que projet de loi C-282 a été renvoyé au comité du commerce international de l’autre endroit, j’espère, tout comme l’industrie, que cette Chambre-ci le renverra au comité approprié, dont les membres auront une expertise semblable au moment d’examiner les changements proposés aux fins des futures négociations commerciales.

Je remercie mes honorables collègues du temps de parole qui m’a été accordé. J’espère que nous arriverons à poursuivre le débat la tête froide, en considérant attentivement l’ensemble des facettes et des répercussions de ce projet de loi aussi audacieux que controversé.

Merci. Meegwetch.

L’honorable Pierrette Ringuette : Le sénateur Black accepterait-il de répondre à une ou deux questions?

Le sénateur Black : Bien sûr.

La sénatrice Ringuette : Merci, sénateur Black.

Je dirais que je suis quelque peu perplexe, car, pendant la même période de 20 minutes, vous avez fait un discours qui appuie les agriculteurs et un autre qui ne leur est pas très favorable. Cependant, la principale question que j’aurais à vous poser est la suivante. Vous avez dit que vous n’appuierez probablement pas ce projet de loi à l’étape de la troisième lecture. Il y a quelques mois, vous avez demandé au Sénat d’appuyer un autre projet de loi d’initiative parlementaire, le C-234, parce qu’il avait été adopté à l’autre endroit. Or, il semble maintenant que les choses ont changé.

(1740)

Pourriez-vous préciser votre position en ce qui concerne les projets de loi que nous recevons de l’autre endroit et nous dire si, selon vous, le Sénat a raison d’apporter des amendements lorsqu’il le juge nécessaire?

En ce qui me concerne, j’ai besoin de bien comprendre votre position par rapport aux projets de loi d’initiative parlementaire qui proviennent de l’autre endroit et qui ont été appuyés par la grande majorité des députés.

Le sénateur Black : Merci, chère collègue. Je tiens à être bien clair. Je n’ai pas dit que je n’appuierais pas ce projet de loi. J’ai dit que je l’appuierais à l’étape de la deuxième lecture afin qu’il soit renvoyé au comité et qu’il fasse l’objet d’un examen plus approfondi. Il nous appartiendra à tous, à l’étape de la troisième lecture, de décider de l’appuyer ou non. Je n’ai pas dit que je ne l’appuierais pas à l’étape de la troisième lecture.

En ce qui concerne les projets de loi provenant de l’autre endroit qui ont été appuyés par la majorité, ou uniquement par l’autre endroit, je pense que le Sénat est une Chambre de second examen objectif. Vous avez parlé du projet de loi C-234. On en a longuement débattu au comité et il est revenu ici, où nous en avons débattu encore davantage. J’espère que nous débattrons de ce projet de loi ici à l’étape de la deuxième lecture, puis qu’il sera renvoyé au Comité des affaires étrangères et du commerce international pour un examen approfondi. C’est au sein de ce comité qu’on retrouve les experts en matière de projets de loi sur le commerce.

Je me réjouis à l’idée de ce débat. J’espère pouvoir assister à une partie de ce débat pour entendre le point de vue du secteur de l’agriculture, quoiqu’il ne concerne pas seulement l’agriculture. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le décès de l’honorable Ed Broadbent, c.p., C.C.

Interpellation—Ajournement du débat

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) conformément au préavis donné par la sénatrice LaBoucane-Benson le 6 février 2024 :

Qu’elle attirera l’attention du Sénat sur la vie et la carrière de feu l’honorable Ed Broadbent, c.p.

 — Honorables sénateurs, à titre de représentant du gouvernement au Sénat, je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à un défenseur de la justice sociale, un partisan infatigable de la démocratie et une source d’inspiration pour la génération qui l’a suivi. Je parle bien sûr de l’honorable Ed Broadbent, qui est décédé le 11 janvier dernier.

Lorsque la nouvelle de sa mort a été rendue publique, les éloges ont fusé de toutes parts, tant de la part de ses anciens collègues que de ses opposants. En effet, Ed était respecté, admiré et sincèrement apprécié par tous ceux qui le connaissaient, y compris par ses adversaires politiques. C’était un véritable homme politique, dans le meilleur sens du terme. Il faisait la promotion des politiques en lesquelles il croyait. Il les défendait et se battait pour elles. Cependant, même si vous ne les appuyiez pas, il n’en faisait jamais une affaire personnelle. C’était un homme doux, mais tenace, qui était dévoué à notre pays et aux causes qui lui ont tenu à cœur tout au long de sa vie.

L’ancien premier ministre Brian Mulroney, l’un des principaux adversaires politiques d’Ed Broadbent dans les années 1980, l’a qualifié de « géant de la scène politique canadienne ». Il a déclaré :

Je le considère comme un grand parlementaire et un contributeur majeur au progrès du Canada au cours de la décennie ou de la décennie et demie que nous avons vécue ensemble […] Et c’était un homme extrêmement agréable et charmant à connaître.

L’Institut Broadbent, fondé par Ed en 2011, est guidé par les principes Broadbent de la social-démocratie canadienne :

[...] nous croyons que toutes les personnes ont une valeur égale et des droits égaux, et que nous tirons tous parti du fait de vivre dans une société de plus en plus égalitaire.

Nous sommes résolus à faire du Canada une société aussi diversifiée, juste et inclusive que possible. Ces valeurs nous tiennent à cœur aujourd’hui et elles sont importantes pour notre avenir.

Ces principes résument tout ce pour quoi Ed s’est battu au cours de sa longue carrière au service du public. L’institut qui porte son nom continuera à promouvoir ces principes et à les inculquer aux leaders de demain.

[Français]

En tant que politiciens et législateurs, nous avons des leçons à tirer de son exemple. Ed Broadbent a défendu le Canada et les Canadiens, souvent ceux qui sont en marge de la société. Nous, au Sénat, représentons plus que nos régions. Nous prêtons nous aussi notre voix à ceux qui sont souvent sans voix.

[Traduction]

Je terminerai par une citation du premier ministre Wab Kinew, qui a pris la parole lors de la cérémonie commémorative à laquelle j’ai eu l’honneur d’assister :

M. Broadbent laisse à la postérité un legs positif et empreint de joie. Il est un exemple dont nous gagnerions à nous inspirer aujourd’hui : on peut atteindre son but sans user de moyens discutables, on peut ne pas céder à ses pulsions les plus obscures et on peut placer sa confiance dans les autres Canadiens [...] Ed était une force implacable pour le bien.

Au nom du Sénat et du gouvernement du Canada, je présente mes condoléances à sa conjointe, Frances Abele; à ses enfants, Paul et Christine; à ses quatre petits-enfants, Nicole, Gareth, Caitlin et Brett; à ses deux arrière-petits-enfants, Alice et Freya; ainsi qu’à ses nombreux proches parents et amis.

Qu’il repose en paix.

Des voix : Bravo!

L’honorable Andrew Cardozo : Honorables sénateurs, c’est un honneur de prendre la parole pour rendre hommage à un grand Canadien, l’honorable Ed Broadbent. J’ajouterai mes observations à celles du sénateur Gold aujourd’hui et à celles de la sénatrice Frances Lankin il y a quelques jours.

M. Broadbent a servi le Canada avec distinction en tant que député d’Oshawa, puis d’Ottawa-Centre. Bien sûr, il a été le chef très respecté du Nouveau Parti démocratique du Canada pendant plus de 14 ans.

(1750)

Ce qui était le plus important chez Ed Broadbent et ce qui fait de lui un véritable homme d’État, c’est qu’il était un leader qui défendait avec conviction des principes clairs, mais — et c’est là l’essentiel — il le faisait toujours dans le respect de ses interlocuteurs. Alors que certains abordent la politique comme un jeu où il est facile d’attiser la colère, voire la haine, Ed Broadbent s’attachait à être respectueux, à être en désaccord sans être désagréable — un art qui, malheureusement, est en train de se perdre en politique.

Je voudrais surtout parler du legs incroyable qu’il a laissé avec l’Institut Broadbent.

Chers collègues, vous savez peut-être que j’ai été président d’un groupe de réflexion, le Centre Pearson, pendant une décennie avant d’arriver au Sénat. Bien que les membres de ces groupes — le Centre Pearson et l’Institut Broadbent — aient été à certains égards concurrents, nos homologues de l’Institut Broadbent, dans la plus pure tradition néo-démocrate, ont collaboré avec nous et nous sommes devenus des compagnons dans l’univers des groupes de réflexion, toujours à la recherche de bonnes politiques publiques susceptibles d’améliorer la vie des Canadiens et de rendre le monde meilleur.

Je voudrais citer une partie des principes de l’Institut Broadbent qui, si je peux le formuler ainsi, révèlent l’avenir du legs politique d’Ed Broadbent. J’avais un plus long discours, mais le sénateur Gold a déjà dit la moitié de ce que je prévoyais dire. À l’évidence, nous avons la même sensibilité pour ce qui est de relever le caractère exceptionnel de M. Broadbent et de son institut.

Voici ce qu’affirme l’institut :

Toutes les personnes ont une valeur égale et des droits égaux, et nous tirons tous parti du fait de vivre dans une société de plus en plus égalitaire. Pour atteindre cet objectif dans un pays avec une économie de marché, il faut un processus continu de démarchandisation, qui vise à retirer du marché d’importants avantages sociaux et économiques, puis à les transformer en droits universels [...]

 — cela peut sembler un peu effrayant, mais c’est de cela qu’il est question —

[...] comme les services de santé, l’éducation, l’aide sociale et le logement.

En effet, la façon de s’attaquer à ces questions fait actuellement l’objet de débats et, parfois, de remises en question.

On ajoute : « Par conséquent, tous les ordres de gouvernement ont un rôle essentiel à jouer dans la prestation de services publics. »

Comme j’ai déjà travaillé dans le domaine des groupes de réflexion, je suis fermement convaincu que les groupes de réflexion indépendants contribuent à l’amélioration des politiques publiques au Canada. Ce qu’Ed Broadbent a fait, c’est créer un organisme dynamique qui se concentre sur des politiques novatrices tout en formant des militants pour faire évoluer l’idée d’une société juste et équitable.

Chers collègues, comme l’a dit récemment le premier ministre Justin Trudeau, le Canada se porte mieux grâce à la vie et à la contribution d’Ed Broadbent. Je suis tout à fait d’accord.

Nous partageons la peine de la famille et des amis d’Ed Broadbent, mais nous célébrons avec une profonde gratitude la vie d’un grand Canadien qui nous a tant apporté.

Merci.

(Sur la motion de la sénatrice LaBoucane-Benson, le débat est ajourné.)

(À 17 h 53, le Sénat s’ajourne jusqu’au lundi 12 février 2024, à 18 heures.)

Haut de page