PERSPECTIVE MONDIALE
A. La Nouvelle-Zélande
B. L'Islande
C. Les États-Unis
OBJET DES PERMIS À QUOTAS
A. Principes classiques
B. La pêche à la morue
charbonnière
LA PRIVATISATION ET LES PERMIS À QUOTAS DANS LES PÊCHES CANADIENNES
QU'ESTCE QU'UN PERMIS À QUOTA INDIVIDUEL?
...[C]e nest ni mon intention ni celle du gouvernement de privatiser les pêches au Canada. À notre avis, nous avons notre façon à nous déquilibrer la taille des prises et la capacité de la ressource. Les quotas individuels constituent un des outils de gestion importants que nous utilisons pour arriver à cette fin. ? Lhonorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998
Dans de nombreux domaines, ces tentatives d'imposer l'inefficience par voie législative en vue de conserver les stocks se sont avérées futiles. Des mesures telles que la limitation de la longueur des navires, des agrès, des saisons et zones de pêche n'ont pas réussi à limiter la pression exercée sur le poisson. Les pêcheurs ont toujours une longueur d'avance dans la course à l'amélioration de leur efficacité. Jacque Robichaud, directeur général, Direction générale de la gestion des ressources, ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997
On décrit parfois les QIT en disant qu'il s'agit simplement d'une allocation. On en parle tantôt comme d'une quasi-propriété et tantôt comme d'une véritable propriété. Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998
Les quotas individuels ont entraîné une autre modification fondamentale de la nature des droits de pêche. Ils ont ajouté une dimension de propriété aux droits des titulaires, en raison de la définition quantitative des parts des captures totales qui reviennent à chacun. Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998
[L]es quotas et les régimes de quotas prennent des formes très variées. Dr. Daniel E. Lane, professeur, faculté d'administration, Université d'Ottawa, 11 juin 1998
La plupart des économistes sont de fervents partisans du système des QIT. Ce système est effectivement très attrayant parce que, selon une théorie économique naïve et simpliste, il semble idéal sur le plan économique. Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998
...[I]l est plus facile pour les gestionnaires d'administrer ce type de régime. Les participants ont tendance à se faire plus rares à cause de la concentration et de l'accumulation des QIT. Plus important sans doute, vous n'essayez pas autant de déterminer quand et comment les pêcheurs font leur travail, ce qui permet de faire moins de microgestion. Philip Saunders, professeur agrégé, École de droit de l'Université Dalhousie, 1er octobre 1998
Lorsqu'il est pêché au moyen d'un quota commun dans le cadre d'une pêche concurrentielle classique, le poisson devient « propriété privée » uniquement après avoir été pris et sorti de l'eau. Selon la théorie de la « tragédie des ressources d'usage commun », une pêche ouverte et non réglementée entraîne une course débridée pour s'approprier de stocks de poissons limités, chacun s'efforçant de maximiser son gain économique immédiat. Cette course aboutit à une capacité excessive par suite d'investissements dans des bateaux sans cesse plus gros et plus coûteux, de meilleurs engins et du matériel toujours plus complexe. Toutefois, étant donné que les pêcheurs réagissent tous de la même façon, aucun n'est vraiment avantagé et il en résulte une surexploitation, un épuisement des stocks et de faibles revenus (ce qu'on a appelé « le problème des pêcheurs »)(1).
La stabilité est donc maintenue ou rétablie grâce à l'imposition par le gouvernement de mesures de réglementation (délivrance de permis, restrictions concernant les engins et les bateaux, taille minimum des poissons, établissement de saisons de pêche, limitation des sorties, et d'autres « moyens de contrôle des facteurs de production »). Au Canada, la décision de restreindre l'accès aux ressources halieutiques « de propriété commune » a été prise il y a près de 30 ans avec la création en 1969 de permis à accès limité pour la pêche commerciale du saumon du Pacifique. Les pêcheurs actifs ont pu continuer à pratiquer cette pêche et aucun autre permis n'a été délivré. En l'espace de 15 ans, la pêche qui était « libre » au Canada a été réglementée à un point tel qu'il fallait dorénavant un permis pour pêcher toutes les principales espèces sur une base commerciale.
Au Canada et à l'étranger, les gestionnaires des pêches ont également appliqué de plus en plus des régimes de gestion « des pêches fondées sur des droits de propriété » prenant la forme de permis à quotas individuels. Ces permis permettent d'attribuer des parts prédéterminées du Total autorisé des captures (TAC) aux pêcheurs ou entreprises de pêche. Un « quota individuel » (QI) est une quantité précise de poissons allouée annuellement à une personne ou à un bateau de pêche. Un « quota individuel transférable » (QIT) est un quota qui peut être transféré (c'est-à-dire échangé, vendu ou dans certains cas loué) à d'autres exploitants d'une pêche. Les QIT deviennent des « quotas individuels de bateau » (QIB) lorsqu'ils sont attribués à un bateau.
Pour la flotte canadienne de pêche hauturière du poisson de fond de la côte atlantique, un programme de quotas individuels a été mis en place au début des années 80(2); ici, les allocations de poisson, c'est-à-dire les « allocations aux entreprises » (AE), sont accordées à des entreprises ou compagnies individuelles et ne peuvent être transférées que sur une base temporaire(3). Depuis, divers types de permis à quotas sont apparus pour d'autres types de pêche (la pêche du hareng à la senne, les pêches hauturières du homard, les pêches du pétoncle, de la palourde, de la crevette du nord et du crabe des neiges, et dans certains secteurs de la pêche côtière et semi-hauturière du poisson de fond de l'Atlantique). Ils ont également été introduits pour la pêche dans les eaux du Pacifique (p. ex., pour l'oreille mer, le hareng, la panopéa, la morue charbonnière, le flétan et d'autres espèces de poisson de fond) et pour la pêche en eau douce (p. ex., dans le lac Winnipeg).
La pêche commerciale canadienne peut maintenant être décrite comme une pêche mixte, fondée à la fois sur la propriété commune et sur les quotas individuels. Des programmes fondés sur des QI/QIT/QIB/AE seraient appliqués dans plus de 30 secteurs au Canada et représentent plus que la moitié de la valeur des débarquement de la côte Est et Ouest(4). Le Comité a appris que ces quotas sont habituellement mis en place au Canada par étapes successives : des quotas non transférables sont tout d'abord introduits et ils deviennent ensuite transférables avec le temps. Ces quotas non transférables ont donc été décrits comme le point de départ de la « pente glissante » menant à la transférabilité. Lorsque la pêche est gérée au moyen de quotas privés, les organisations de pêcheurs représentant des détenteurs de permis concluent des ententes distinctes et spécifiques avec le gouvernement fédéral reflétant les caractéristiques des pêches ainsi gérées.
Les permis à quotas permettent de contrôler la « production » des pêcheurs. Essentiellement, ils fournissent aux pêcheurs ou entreprises ce qui a été décrit ici au Canada comme un « droit de propriété ou de quasi-propriété » leur permettant de récolter annuellement une certaine quantité de poissons, c'est-à-dire une partie d'un stock. Ce système « privatise » donc jusqu'à un certain point la pêche concurrentielle de la « propriété commune » et constitue donc un changement d'orientation fondamental par rapport à la méthode de gestion traditionnelle de la pêche où la ressource était considérée comme un bien commun. Habituellement, la création de droits de propriété dans une pêche est considérée comme un moyen de la déréglementer; elle entraîne une dévolution de la responsabilité de gestion des autorités centrales aux détenteurs des droits de pêche.
De nombreux types de stratégies peuvent être envisagés pour instaurer des droits de propriété dans le secteur des pêches. Dans certaines régions du monde, on accorde des droits d'accès à des collectivités de pêcheurs qui, à leur tour, attribuent aux pêcheurs des droits exclusifs de pêche dans certains endroits; on trouve ainsi des « quotas de développement communautaire » en Alaska. Au Canada, on a récemment annoncé(5) un plan de gestion à long terme de la pêche du poisson de fond du Pacifique. En vertu de ce programme, 80 p. 100 du Total autorisé des captures est attribué à des chalutiers sous forme de quotas individuels de bateau (QIB), tandis que les décisions relatives à l'allocation du 20 p. 100 restant de la TAC sont prises par une Agence de développement du poisson de fond gérée par l'industrie et la collectivité de manière à favoriser le développement régional.
Au Canada, les partisans de l'extension des quotas privés soutiennent que ceux-ci constituent non seulement un outil idéal pour gérer et conserver les stocks de poisson(6), mais également le moyen le plus efficace de réduire la capacité de récolte (c.-à-d., le nombre de pêcheurs) au coût le plus bas possible pour le gouvernement et les contribuables. Vus sous cet angle, les quotas individuels s'harmonisent tout à fait avec la politique générale du gouvernement fédéral en matière de restrictions financières.
La politique des pêches, partout dans le monde, fait l'objet d'une transformation fondamentale. Ces changements sont motivés par les percées technologiques qui, de toute évidence, ont dépassé notre cadre stratégique et nos institutions traditionnelles de gestion. Dans le domaine de la politique, nous vivons une crise, et qui dit crise dit tournant. En ce sens notre politique des pêches en est à un tournant. Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998
Les quotas individuels, c'est-à-dire des droits de pêche non transférables, sont déjà très répandus, notamment en Europe, en Russie, dans le sud de l'Afrique, en Amérique et au Japon, [et] ils ont tendance à devenir des quotas individuels transférables avec le temps. ... Cette évolution s'est produite notamment en Islande, en Hollande, au Groenland et en Libye. Les quotas individuels transférables sont aujourd'hui probablement plus répandus dans le monde que la plupart des gens ne le pensent. Un peu plus de 5 p. 100 des prises en mer dans le monde sont aujourd'hui réalisées dans des régimes de QIT. Actuellement, au moins six grands pays de pêche [l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Groenland, l'Islande, la Hollande et la Namibie] ont adopté des régimes de QIT comme principal instrument de gestion de leurs pêches. Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998
L'efficacité de ce système [gestion fondée sur des droits ] dépend de la pêcherie et du pays. Dans l'ensemble, je dirais que les résultats sont positifs. Dr Quentin R. Grafton, faculté d'économie, Université d'Ottawa, 20 mars 1997
Partout dans le monde, la pêche se trouve à un carrefour. La diminution des prises, l'épuisement des stocks et la surcapitalisation des flottes de pêche ont contribué à convaincre à peu près tous les intervenants que des changements radicaux doivent être apportés dans la gestion des pêches. Dans de nombreux pays, des quotas individuels sont en place, en train d'être adoptés ou de plus en plus reconnus comme des outils de gestion utiles. La tendance mondiale est au démantèlement des pêches en propriété commune au profit de permis à quotas. La Nouvelle-Zélande et l'Islande sont considérés comme des modèles à suivre en matière de gestion des pêches fondée sur des droits de propriété.
La Nouvelle-Zélande est en train d'examiner la possibilité d'ouvrir son système de quotas individuels à des acheteurs étrangers... Elle est nettement plus avancée sur la question des droits de propriété que l'Islande ou n'importe quel autre pays. Marshall Moffat, directeur, Analyses économiques, Direction générale des politiques et des analyses économiques, ministère des Pêches et des Océans, 19 mars 1998
Je ne vois aucune raison pour laquelle un autre pays devrait suivre notre exemple, mais le fait est qu'en Nouvelle-Zélande, les QIT sont accordés à perpétuité; c'est-à-dire qu'ils confèrent un droit de propriété permanent. Ils correspondent en fait à un titre de propriété ou à une action. Ils constituent des droits de propriété importants dans le contexte néo-zélandais. Hamish Rennie, chargé de cours, département de géographie, Université de Waikato, Nouvelle-Zélande, 4 juin 1998
À l'autre bout du spectre, on a le régime de la Nouvelle-Zélande. Il s'agit d'un régime fondé sur des droits de propriété, lesquels sont enchâssés dans le régime de gestion. Des transactions sont traitées en partie comme dans le domaine immobilier. Ils peuvent aller à la banque et obtenir une cession pour un permis et, fondamentalement, l'acheter. Brian Giroux, directeur exécutif, Scotia-Fundy Mobile Gear Fishermen's Association, 21 mai 1998
À cause du manque de données économiques recueillies par notre industrie, nous ne disposons d'aucune analyse économique solide. On a l'impression que tous ces avantages profitent à l'industrie. Dr John Annala, gestionnaire, Politique scientifique, ministère des Pêches de la Nouvelle-Zélande, 27 octobre 1998
Dans une population mixte de petits et grands pêcheurs, les petits sont en général défavorisés. ... Avant même d'adopter le régime de gestion par quotas, nous avons exclu de l'industrie, par simple décision administrative, quiconque tirait de la pêche moins de 10 000 dollars ou 80 p. 100 de son revenu. ... Nous avons fait cela pour économiser le coût de les gérer. Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique et économie publique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998
Possédant la 7e zone de pêche côtière dans le monde, la Nouvelle-Zélande produit quelque 0,5 p. 100 du total mondial des captures de poisson. En 1995, le pays se classait au 30e rang pour ses prises commerciales en poids et employait plus de 10 000 personnes dans le secteur de la pêche. La contribution de l'industrie au produit national brut est de moins de 2 p. 100; environ 90 p. 100 du revenu total provient des exportations. La plupart des économistes citent la Nouvelle-Zélande comme modèle que le Canada devrait suivre pour gérer ses pêches futures, et les Canadiens qui ont participé à la conception du régime des QIT de la Nouvelle-Zélande ont tendance à en faire l'éloge.
Une zone économique exclusive (ZEE) est établie en Nouvelle-Zélande en 1978. Cette année-là, le gouvernement décrète un moratoire sur la délivrance de nouveaux permis pour la pêche à la langouste et au pétoncle. En 1982, il impose un moratoire sur la délivrance de nouveaux permis pour la prise de poissons et instaure un système d'allocations aux entreprises (AE) pour la chalutage hauturier (pour sept espèces présentant une importance commerciale). Les entreprises se voient attribuer leurs premiers quotas en fonction des capitaux qu'elles investissent dans la pêche au chalut. En 1983, cherchant à juguler se qui apparaît comme un problème de surpêche dans les secteurs côtiers, l'État exclut du programme les pêcheurs qui tirent moins de 80 p. 100 de leur revenu annuel, ou moins de 10 000 $NZ par année, de la pêche(7). Selon un témoin qui a comparu devant le Comité, cette mesure a touché quelque 1 500 à 1 800 pêcheurs à revenus saisonniers, mais a réduit les prises réelles de moins de 5 p. 100. Contrairement à ce qui se passe au Canada, le secteur de la pêche commerciale en Nouvelle-Zélande est presque entièrement composé d'entreprises de pêche hauturière (en haute mer) intégrées verticalement.
L'adoption de la Fisheries Amendment Act en 1986 par le Parlement néo-zélandais permet d'attribuer des quotas individuels transférables dans ce pays. Auparavant, la pêche est peu contrôlée; le régime est essentiellement à accès libre. Nous avons appris que de vastes consultations avaient été tenues auprès de tous les pêcheurs commerciaux avant l'adoption de la loi, notamment dans le cadre d'un comité consultatif industrie-gouvernement chargé de conseiller le Ministre. Les QIT sont attribués, sans frais, aux premiers bénéficiaires d'après l'historique de leurs captures, autorisant leurs détenteurs à prendre certaines quantités annuelles de poisson (exprimées en tonnes fixes) dans des zones désignées. Les allocations aux entreprises, introduites quatre ans plus tôt, sont aussi converties en QIT.
En 1990, les QIT sont redéfinis comme un pourcentage du total admissible de captures. Plus de 90 p. 100 de la valeur totale des débarquements (mettant en cause quelque 30 espèces) est maintenant gérée par le système de gestion des quotas (SGQ), auquel le gouvernement a l'intention d'assujettir toutes les espèces exploitables commercialement. La taille des stocks de poisson est évaluée annuellement dans chacune des dix grandes zones de pêche appelées aires de gestion des quotas (AGQ), et le ministre des Pêches fixe un total admissible de captures (TAC) annuel dans chacune des AGQ. Dans les zones de pêche maori ou de pêche sportive, on réserve une quantité de prises pour ces pêcheries avant de fixer le total admissible de captures commerciales (TACC), qui est ensuite réparti entre les détenteurs de QIT. Des discussions seraient en cours sur la possibilité de créer des droits de pêche échangeables dans l'important secteur de la pêche sportive de la Nouvelle-Zélande.
À noter que la Nouvelle-Zélande a introduit des quotas privés transférables dans toutes les grandes pêches commerciales en même temps. Ce quota peut être vendu à quiconque, sans égard à son occupation, à qui il est réputé appartenir à perpétuité. Même s'il est considéré comme une propriété, un porte-parole de l'industrie nous a dit que, légalement, c'est un droit d'exploitation. Cela a entraîné des bouleversements au sein du ministère des Pêches, l'organisme gouvernemental responsable de la gestion des pêches, qui aurait un rôle moins important à remplir : donner des conseils en matière de politiques, établir des normes et faciliter le règlement des différends(8). Les pêcheurs commerciaux ont formé des associations de détenteurs de quotas pour représenter les intérêts des différents secteurs de pêche, et une nouvelle loi permettant « une approche de cogestion plus directe » avec l'industrie est attendue avant la fin de 1998.
La Nouvelle-Zélande n'a pas de méthode formelle d'évaluation des avantages et des coûts économiques ou sociaux de son système de gestion des QIT. Défenseurs et critiques nous ont dit que les avis sur le SGQ sont surtout fondés sur des perceptions plutôt que sur les résultats d'évaluations scientifiques.
L'Islande a une contrainte communautaire pour ce qui est des transferts. Elle est un peu comme le Canada une grande superficie avec un petit nombre de centres urbains à la périphérie. Leslie Burke, directeur, Direction des analyses politiques et économiques (région maritime), ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997
Dans un pays comme l'Islande, qui dépend de la pêche, nous devons absolument adopter le régime de gestion des pêches le plus efficace. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons vite adopté l'idée des QIT. Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998
... [I]l ne faut pas oublier que l'Islande est une petite île dont les habitants sont tous voisins et dont l'économie se résume à peu près au poisson. On pourrait la comparer à Terre-Neuve. Dr Chris Newton, directeur de la recherche, Pacific Salmon Alliance, 27 mai 1998
Dans les pays industrialisés, (les quotas individuels) deviennent plus populaires. ... [En] Islande, l'adoption de ce système a soulevé beaucoup de protestations. Un large secteur de la pêche des petits exploitants a été exclu... Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998
Ce système a été imaginé par divers spécialistes, dont des économistes, des biologistes, des avocats, des politicologues, etc. Pendant une décennie et demie, ces spécialistes ont joué avec la ressource essentielle de mon pays. ... En Islande, les politiciens préfèrent demander l'avis de super-conseillers et, dans ce sens, ils les créent pour minimiser leur incapacité de prendre des décisions et de respecter leur obligations. Les conseillers aiment être traités en super-conseillers, et le pouvoir qu'ils exercent soudainement donne lieu à un autre phénomène. Ils ne parlent plus au nom de la logique, mais au nom du pouvoir lui-même. Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998
[I]l existe trois types de mensonges dans le monde : les mensonges, les maudits mensonges et les statistiques! Quand on vous interroge au sujet de la supériorité du régime islandais de gestion des pêches, vous serez définitivement confronté aux trois types de mensonges. Olafur Hannibalsson, commentateur politique et député suppléant en Islande, 29 octobre 1998
...[L]e débat est plus public maintenant que ce n'était le cas en 1984... On ne cesse de se demander : a-t-on été trop généreux, est-il injuste d'avoir accordé des droits aux propriétaires de bateaux, ces derniers paient-ils assez cher? C'est là un des grands enjeux politiques aujourd'hui; et ce sera le cas lors des prochaines élections parlementaires en 1999. Ari Edwald, conseiller spécial du ministre des Pêches de l'Islande, 22 octobre 1998
L'économie de l'Islande est très dépendante de la pêche. La contribution directe du secteur de la pêche au produit intérieur brut (PIB) est d'environ 17 p. 100, mais sa contribution totale (directe et indirecte) atteindrait plutôt 45 p. 100(9). Les produits de la mer comptent pour environ 75 à 80 p. 100 des recettes de l'exportation des biens et pour 55 p. 100 des gains sur les échanges avec l'étranger. Étant donné l'importance de la pêche dans l'économie nationale, la politique halieutique est un élément majeur du débat public et du discours politique.
Dans bien des régions du pays, la pêche est à peu près la seule activité économique. Depuis 1950 environ, les gouvernements successifs ont fait la promotion du développement régional. La plupart des politiques régionales ont pour objectif de maintenir toute l'île habitée. La gouvernement a fourni des crédits et des subventions aux régions marginales, dont du capital aux compagnies de pêche, ce qui aurait entraîné une grave surcapitalisation du secteur de la pêche. De 1945 à 1983, la valeur du capital dans les pêches aurait augmenté de plus de 1 200 p. 100, alors que la valeur réelle des prises n'aurait progressé que de 300 p. 100 pendant la même période.
L'Islande a la plus longue histoire dans le monde pour ce qui est de la gestion de quotas individuels. Des quotas privés ont été instaurés à diverses époques, sous différentes formes, dans les pêches, surtout à cause de la chute radicale des stocks. Ce fut le cas de la pêche au hareng, dans laquelle des quotas individuels de bateau ont été introduits en 1975 et sont devenus transférables en 1979. Pour le poisson de fond, des quotas individuels de bateau ont été instaurés en 1984 comme mesure temporaire pour éviter un effondrement imminent des stocks. De 1984 à 1990, des quotas ont été attribués aux bateaux jaugeant plus de 10 tonnes métriques brutes. Afin de gagner l'appui des autres pêcheurs aux nouveaux quotas, on leur a offert le choix entre des quotas à l'effort (allocation de jours de pêche par bateau) et des quotas individuels de capture. Plus tard en 1990, le Parlement islandais a adopté la Loi sur la gestion des pêches, une mesure détaillée abolissant les quotas à l'effort pour les petits bateaux de 6 à 10 tonnes à cause de leur prolifération.
Le régime de gestion des pêches de l'Islande serait maintenant fondé sur des « quotas individuels partagés transférables et uniformes » : les QIT sont permanents, divisibles, transférables et dits uniformes dans la plupart des pêches (le gros des prises provient de la moitié environ de quelque 15 espèces). Quelque 1 300 petits bateaux de moins de 10 tonnes (soit de 35 pieds environ de longueur) capturent chaque année 25 p. 100 des prises de morue, l'espèce marchande la plus importante. De cette flottille, quelque 300 bateaux sont gérés par QIT, environ 400 par QI et les 600 autres par un système de « jours en mer » limités.
Selon un témoin, les QI pour le poisson de fond n'ont été introduits qu'après la tenue de vastes consultations auprès des associations nationales de pêcheurs et de propriétaires de bateaux, d'entreprises de transformation et de travailleurs d'usine de transformation, et on a convenu en général (mais non à l'unanimité) d'aller de l'avant avec le régime. Ce témoin contredit le porte-parole du secteur des petits bateaux qui a dit :
En 1984, nous n'avons pas été consultés. ... Le nombre de petits bateaux était de 890. Ces 890 bateaux pouvaient capturer moins de 9 000 tonnes de poisson de fond selon le règlement pris par le ministre des Pêches. L'an dernier, le secteur des petits bateaux qui comptait 1 300 bateaux a capturé 70 000 tonnes de poisson de fond. Le total admissible de captures était moins élevé l'an dernier qu'en 1984, alors que notre quota était de 9 000 tonnes. C'est ce que nous a directement valu la fondation de notre propre organisation de petits bateaux. Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998
Selon un autre porte-parole, de vastes consultations ont été tenues avant l'adoption de la loi en 1990 avec tous les intervenants de tous les secteurs de l'industrie et du pays. À noter que le régime des QIT de l'Islande existe depuis une décennie, et pourtant on ne cesse de débattre ardemment de ses mérites.
...[L]es États-Unis ont imposé un moratoire sur les QIT en réaction aux pressions exercées par certains groupes de pêcheurs et d'environnementalistes qui nourrissent des inquiétudes à propos du régime. Toutefois, ils n'ont pas renoncé à l'idée. Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998
...[A]ux États-Unis, de sérieuses réserves ont été exprimées au sujet des quotas individuels. En fait, ils ont imposé un moratoire de plusieurs années pour examiner certaines répercussions de ces quotas. Kathy Scarfo, présidente, West Coast Trollers Association, 27 mai 1997
Beaucoup d'Américains considèrent comme une notion communiste l'idée d'avoir un quasi-droit de propriété sur le poisson. Leslie Burke, directeur, Direction des analyses politiques et économiques (région maritime), ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997
Il n'y a que quelques programmes de QIT qui sont en vigueur aux États-Unis. La plupart des pêches ne fonctionnent pas selon ce système. Les QIT causent tellement de problèmes que les groupes de pêcheurs refusent de s'engager dans cette voie. Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998
La pêche a connu une évolution intéressante aux États-Unis. Les premiers QIT ont été instaurés pour le mactre d'Amérique et le quahog nordique dans les eaux du milieu de la côte de l'Atlantique et de la Nouvelle-Angleterre en 1990, pour le cernier dans le sud-est de la côte est en 1992, et, plus récemment, en mars 1995, pour la pêche au flétan et à la morue charbonnière au large de l'Alaska. En octobre 1996, le président des États-Unis a signé une loi ré-autorisant la Magnuson Fishery Conservation and Management Act (couramment appelée Magnuson Act) qui prévoyait entre autres un délai de quatre ans pour l'approbation des nouveaux programmes de QIT que le National Marine Fisheries Service privilégiait pour les eaux fédérales (au-delà de trois milles). Ce moratoire (jusqu'en l'an 2000) a été imposé dans l'attente des conclusions d'une étude de deux ans entreprise par la National Academy of Sciences, et de nouvelles mesures du Congrès établissant des lignes directrices pour les futurs régimes de QIT.
Bien qu'il ne s'agisse pas d'une interdiction en bonne et due forme, ce moratoire constitue un important renversement d'opinion : deux ans avant son imposition, les deux chambres du Congrès américains étaient semble-t-il sur le point d'autoriser l'application immédiate des QIT dans les eaux fédérales. Voici les remarques qui ont été faites durant les audiences du Comité sur la situation aux États-Unis :
LA SITUATION AU CANADA : UNE INDUSTRIE DIVISÉE
Je ne suis pas sûr que de vifs débats politiques mènent à un consensus. ... Il vaut parfois mieux tenir un discours modéré que de vifs débats politiques. Selon moi, bon nombre de pêcheurs sont inquiets et méfiants, et ils se rebiffent contre lidée des QIT. Il faudra attendre quils puissent eux-mêmes constater que les QIT fonctionnent bien ailleurs. ? Lhonorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998
Il n'y a probablement pas eu de débat public, mais il y a certainement eu un grand nombre d'ateliers. Leslie Burke, directeur, Direction des analyses politiques et économiques (région maritime), ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997
...[U]n quota individuel transférable, ou QIT, est un système facultatif qui ne s'applique pas nécessairement à toutes les pêches. Jacque Robichaud, directeur général, Direction générale de la gestion des ressources, ministère des Pêches et des Océans, 11 décembre 1997
Il semble que le MPO soit résolument engagé à mettre en place des QI et des QIT. Le MPO a beaucoup d'employés, mais il ne compte aucun sociologue parmi ses effectifs. C'est ainsi qu'il ne comprend pas comment une collectivité, une communauté peut conserver une ressource. Dr Anthony T. Charles, professeur de gestion, Université Saint Mary's, 30 avril 1998
Les QIT résultent d'une politique publique spécifique et directe. Ils ne sont pas le produit des forces du marché, de l'évolution démographique ou du changement technologique. Ils résultent directement d'une intervention du gouvernement fédéral dans les pêches ... Ce n'est pas une politique qui a été introduite à la demande populaire. Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998
À notre avis, les planificateurs du Conseil du Trésor, non contents de chercher à se retirer du secteur de la pêche, espèrent réaliser un profit au passage. Michael Belliveau, secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes, 14 mai 1998
Sur les deux côtes, les localités et les gens qui dépendent de la pêche en ont ras le bol de ce qu'ils considèrent comme des théories d'octroi de permis et de gestion politiquement orientées, qu'ils ont rejetées à maintes reprises. John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998
Les collectivités qui dépendent des pêches éprouvent des difficultés, mais il est une industrie qui se développe et cest le mouvement des fonctionnaires du MPO pour occuper des postes plus lucratifs dans le secteur privé des pêches et ensuite faire des pressions sur leur ancien employeur en vue dobtenir un traitement de faveur. Roy Alexander, conseiller auprès de NTC Fishermen, Nuu-chah-nulth Tribal Council, 17 novembre 1998
Le régime que le MPO impose non seulement à nos collectivités, mais aussi à nos pêcheurs et à leurs familles, ne repose sur aucune mesure législative. Sarah Huskilson, présidente, Eastern Shelburne Fishermen's Association, 21 mai 1998
Comme on peut le constater, il n'existe pas de consensus concernant l'élargissement des quotas individuels au Canada.
Durant les audiences du Comité, des fonctionnaires du MPO ont indiqué que le ministère était prêt à prendre les mesures voulues lorsqu'un secteur de la flotte ou un groupe de pêcheurs choisissait volontairement d'adopter un régime de quotas individuels(10).
Le Conseil canadien des pêches (CCP), qui représente des transformateurs et des exportateurs de poissons de l'Atlantique et du secteur de la pêche en eau douce, est un ardent promoteur d'une « privatisation » plus poussée de la pêche et de l'implantation d'un régime de « droits de capture sûrs et négociables ». Le Conseil canadien des pêcheurs professionnels (CCPP), un groupe de coordination représentant les principales organisations de pêcheurs du Canada, épouse les concepts de la propriété commune et de la pêche concurrentielle (une pêche qui « répartit les retombées économiques entre ceux qui prennent le poisson et leurs collectivités, et évite la concentration de la richesse qu'entraînerait la privatisation de la ressource »). Le CCPP estime que la pêche constitue « fondamentalement une ressource publique » et que « l'utilisation des QIT et des AE devrait être soigneusement limitée ».
En 1991, une Commission d'enquête sur la délivrance des permis dans le secteur des pêches du Pacifique (la Commission Cruickshank), qui avait été mise sur pied par un certain nombre d'organismes appartenant à l'industrie en Colombie-Britannique, soulignait « qu'aucune autre question n'est débattue au sein de l'industrie avec une telle intensité, que ce soit sur le plan émotif ou philosophique ». Dans son rapport final publié en novembre 1993, le Groupe d'étude fédéral sur les revenus et l'adaptation des pêches de l'Atlantique (connu comme le Groupe d'étude Cashin) a conclu qu'il n'existe « aucun consensus au sein de la société » en faveur des QIT. Lors de la Table ronde sur l'avenir des pêches de l'Atlantique organisée par le MPO en mars 1995 à Montréal, le consensus qui a été dégagé était que ces permis devraient servir d'outils de gestion, mais que leur extension à d'autres pêches devrait être assujettie à certaines conditions(11).
En 1996, la controverse sur les quotas individuels s'est intensifiée après que le directeur des analyses politiques et économiques de la région des Maritimes du MPO et un collègue économiste du MPO eurent écrit un article provocateur pour le Dalhousie Law Journal intitulé « Behind the Cod Curtain »(12), qui a été repris plus tard dans une publication de l'Atlantic Institute for Market Studies(13). Dans cet article, ces personnes non seulement préconisaient le recours aux QIT pour résoudre le « problème de la propriété commune de la ressource » de l'industrie de la pêche, mais ils décrivaient également la pêche de l'Atlantique comme une économie fondée sur le poisson qui est faussée, trop subventionnée et sans espoir; ils comparaient en outre l'effondrement des stocks de poissons de fond à celui de l'Union soviétique.
Les intentions et le programme du MPO ont été fréquemment remis en question durant les audiences du Comité. De petits propriétaires-exploitants indépendants qui pratiquent une pêche concurrentielle considèrent que les quotas privés, et en particulier les QIT, et les ententes de cogestion entre le MPO et certains groupes de pêcheurs s'inscrivent dans un plan précis et permanent du ministère pour accroître l'influence des grandes entreprises, le contrôle qu'elles exercent sur la pêche et leur accès à la ressource. Certains ont accusé le MPO de favoriser l'établissement de quotas privés en divisant les groupes de pêcheurs et les secteurs de pêche.
D'autres croient pour leur part que le MPO accorde aux détenteurs de permis à quotas individuels un accès préférentiel à la ressource et force donc graduellement les personnes qui ne détiennent pas de tels permis à quitter l'industrie. En Nouvelle-Écosse, par exemple, même si environ 20 p. 100 des bateaux de pêche sont gérés au moyen de QIT, les diverses flottes assujetties à des quotas (principalement dans les secteurs semi-hauturier et hauturier) récolteraient entre 50 et 60 p. 100 de la ressource(14). On s'inquiète de plus que le MPO ait renoncé à s'occuper de la gestion des pêches et abandonné les infrastructures des pêches traditionnelles où la ressource est de propriété commune, pour plutôt chercher à négocier des accords de partenariat avec des groupements économiques particuliers ou des flottes spécialisées. Un porte-parole du secteur de la pêche du Pacifique a exprimé ce point de vue ainsi :
En fait, il y a deux visions : ou bien, à l'aube de l'an 2000, la côte ouest peut espérer voir le renouvellement et la revitalisation de l'industrie traditionnelle de la pêche, qui soutient les pêcheurs, les travailleurs à terre et les localités pour leur garantir un avenir, ou nous adoptons la vision d'entreprise, que semble favoriser Ottawa, et selon laquelle il y aura moins de pêcheurs, les bateaux pourront pêcher plus de poissons, la transformation se fera dans des usines centralisées dans les grands centres, et où la pêche est gérée par le marché, le gouvernement se contentant d'un rôle réduit, soit celui d'un entremetteur qui établit les partenariats avec des intérêts privés. John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998.
Les pêches fondées sur des droits de propriété semblent constituer l'option de gestion préférée du gouvernement fédéral; pourtant il n'existe aucune politique nationale (ou lignes directrices) sur l'élaboration ou la mise en oeuvre de tels régimes(15), et il n'y a jamais eu de débat public ou parlementaire sur la question.
Dans les eaux à marée (marines), de nombreux intervenants considèrent les quotas individuels comme une tentative de réévaluation fondamentale du « droit public de pêche », un soi-disant concept de la common law. Dans la common law régissant les pêches (depuis la Grande Charte de 1215), il existe un « droit public de pêche » dans les eaux navigables, mais il n'existe aucun droit de propriété dans les pêches. Au Canada, le droit public de pêche et l'évolution de l'interprétation de la Constitution ont établi le principe selon lequel, dans les eaux à marée, un droit exclusif de pêche ne peut être créé que par le Parlement fédéral. En d'autres mots, le « droit public de pêche » existant en common law pour les eaux à marée ne peut être abrogé que par l'adoption de la loi voulue par le Parlement.
Depuis quelques années, des accords de cogestion ont été négociés entre les fonctionnaires du MPO et certains groupes commerciaux. De nouveaux pouvoirs sont maintenant proposés dans la Loi sur les pêches pour permettre au ministre des Pêches et des Océans de conclure avec certains groupes de pêcheurs des « accords de partenariat » pluriannuels à long terme, qui lient les parties, pour officialiser la participation de ces groupes aux décisions concernant la gestion de leurs pêches particulières et protéger davantage les titulaires de permis. Il suffit de dire que les intervenants de l'industrie ne savent vraiment pas en quoi consiste cette notion de « partenariat » et en quoi elle diffère de la cogestion. Ils se demandent également si les modifications à la Loi sur les pêches proposées au cours de la dernière législature(16) sont réellement nécessaires pour conclure des accords à ce sujet et si les ententes actuelles entre certaines organisations de pêcheurs et le gouvernement fédéral sont même légales. Il faut signaler qu'en août 1998, des pêcheurs côtiers membres de la Canadian Fishermen's Defence Society ont contesté devant la Cour fédérale du Canada le droit du gouvernement fédéral de privatiser la pêche. En juin, un rapport du Conseil canadien des pêcheurs professionnels sur la cogestion des pêches côtières de l'Atlantique révélait que :
De l'avis de nombreux pêcheurs, la cogestion s'inscrit dans la campagne soutenue que mène le MPO en vue de la privatisation des ressources halieutiques et du système de gestion, principalement par l'adoption d'un régime fondé sur les quotas individuels transférables (QIT). La plupart des pêcheurs côtiers craignent qu'un régime de gestion globale fondée sur la propriété prive les capitaines-propriétaires indépendants de leur emprise sur les ressources et que les communautés perdent ainsi leur base économique(17).
En septembre, le ministre des Pêches a annoncé qu'un comité indépendant de trois membres avait été créé pour donner un avis sur un cadre législatif devant régir les dispositions de partenariat proposées dans la nouvelle Loi sur les pêches. Selon le mandat du Comité, la « notion de cogestion » jouit d'un appui général, mais « certains s'inquiètent de la façon dont les accords de partenariat seront mis en oeuvre »(18).
Au fil des ans, les divers intervenants du secteur de la pêche se sont souvent plaints que le MPO tend à prendre les grandes décisions d'une manière unilatérale pour ensuite proposer des consultations. À ce sujet, un sociologue qui a témoigné devant le Comité et qui a élaboré des indicateurs empiriques sur les caractéristiques organisationnelles du MPO a décrit le ministère comme un organisme « coercitif » ayant adopté une mentalité de rivalité qui l'a coupé des pêcheurs et a encouragé ces derniers à tenter de battre le système.
Par nature, il utilise la force pour résoudre les problèmes. Quelle que soit la façon dont on définit la force, qu'elle agisse par l'imposition de lois ou l'imposition de règlements aux pêcheurs, c'est ainsi qu'elle fonctionne. Elle est exactement contraire au genre d'organisation qui pourrait faire le travail, c'est-à-dire qui pourrait en quelque sorte persuader les gens d'accepter les règles. ... Ce n'est pas tant la propriété du fond commun que celle des moyens de réglementer le fond commun. Si les gens établissent les règles, ces règles deviennent les leurs; de façon générale, la plupart des gens obéissent aux normes qu'ils fixent. Dr Thomas Poetschke, 11 juin 1998
Les témoignages entendus par le Comité indiquent qu'il y a manifestement eu des ratés sur le plan de l'information, de la clarté des renseignements et de la transparence lors de l'élaboration et de la mise en oeuvre de la politique sur les permis à quotas au Canada. Le climat de méfiance et l'animosité qui caractérisent actuellement le secteur de la pêche sont donc compréhensibles.
Le problème de la propriété commune est présent partout dans la société... En général, les économistes s'entendent pour dire que la récente croissance économique dans le monde et l'affluence relative du monde occidental reposent sur le principe de la propriété privée. ... Les limites imposées sur la transférabilité de la propriété risquent de réduire le bien-être général de la société. Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998
Ainsi, chaque titulaire de quota déploie des efforts continus pour tirer le meilleur rendement possible de sa part des captures, en augmentant la valeur de ses débarquements, en réduisant ses coûts et, de préférence, en coopérant avec d'autres pour accroître l'assiette totale. Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998
Ils (les pêcheurs) concentrent leur créativité, leur ingéniosité, à la part qui leur a été attribuée. Cela a donné lieu à une amélioration de la qualité du produit, à un meilleur approvisionnement, à des pratiques de pêche plus sûres, à des prix débarqués plus élevés, à des activités plus efficientes sur le plan économique, à une meilleure gestion du TAC et à des communications et une coopération améliorées entre les participants de l'industrie et les gestionnaires du MPO. Bruce Turris, directeur général, Pacific Blackcod Fishermen's Association, 28 avril 1998
Plus la méthode des quotas individuels sera répandue à travers les pêches de l'Atlantique, plus le ministère des Pêches et des Océans signera des ententes de partenariat avec les différentes flottes et plus nous atteindrons cette stabilité de l'industrie. Chose certaine, nous allons pouvoir mieux planifier les activités et arrêter de gérer les pêches d'une crise à l'autre. Jean Saint-Cyr, directeur exécutif, Fédération régionale acadienne des pêcheurs professionnels Inc., 7 mai 1998
Les tenants des droits de pêche fondés sur le droit de propriété avancent que les pêcheurs adoptent un comportement plus responsable lorsque la ressource leur appartient en propre et que, lorsqu'une ressource renouvelable appartient à tous, il n'y a aucune incitation à la protéger. La plupart des pêcheurs détenant des permis à quotas individuels considèrent ce régime comme une façon de rationaliser le secteur tout en leur permettant d'adopter une méthode de travail plus stable, plus professionnelle et davantage axée sur le marché. Dans le cadre d'un tel régime, l'incitation correspondrait à la maximisation du revenu net en fonction d'un volume précis de prises, le quota annuel attribué à chaque pêcheur. En résumé, les avantages économiques de la gestion par quotas les plus souvent mentionnés sont les suivants :
- la sécurité de l'accès aux ressources;
- l'élimination de la « course au poisson »;
- une sécurité accrue en matière de récoltes, étant donné la plus grande souplesse pour choisir le rythme et le moment de la pêche;
- des saisons de travail plus longues et une coordination plus efficace de l'offre avec la demande du marché;
- la possibilité de mieux planifier à long terme les immobilisations (p. ex. les bateaux, les engins de pêche) et le développement des marchés; et
- la possibilité pour le gouvernement de moins réglementer.
Selon ces personnes, lorsqu'ils sont transférables, les permis à quotas individuels deviennent une mécanisme efficace pour réduire l'effort de pêche et la surcapitalisation, car ils réduisent le nombre de pêcheurs commerciaux, puisque, au fil du temps, certains pêcheurs décideront ou seront forcés de vendre leurs permis à quotas. En fait, les statistiques montrent que les QIT peuvent être des outils très efficaces à cet égard et peuvent grandement contribuer à accroître la rentabilité globale de la pêche individuelle.
Les Canadiens qui s'opposent à un régime basé sur les droits de propriété citent souvent en exemple la pêche à la morue charbonnière (rascasse noire) du Pacifique pour montrer comment la mise en place de droits de propriété peut transformer une pêche.
B. La pêche à la morue charbonnière
Ils font maintenant beaucoup dargent. Un permis de pêche à la morue charbonnière sur la côte de la Colombie-Britannique vaut 2 millions de dollars. Cela na rien à voir avec le gouvernement. Ce sont des particuliers qui disent quun tel permis vaut cher, mais il ne vaudrait pas cher si lentrée était libre. ? Lhonorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998
Dans certaines pêches régies par des droits transférables comme la pêche à la morue charbonnière en Colombie-Britannique..., les pêcheurs assument intégralement le coût de la gestion des pêches ... et participent activement aux prises de décisions sur les pêches, qui figurent parmi les mieux gérées au Canada et qui sont parmi les plus rentables pour les pêcheurs. Dr Quentin R. Grafton, faculté d'économie, Université d'Ottawa, 20 mars 1997
Les QIB ont complètement changé la situation de la pêche à la rascasse noire. On a pu corriger un cas classique comportant tous les problèmes associés à une ressource « en copropriété ». Aujourd'hui, je crois que beaucoup de gens au ministère concéderaient que cette pêche est l'une des mieux gérées sur la côte ouest du Canada, si ce n'est dans le monde. Bruce Turris, directeur général, Pacific Blackcod Fishermen's Association, 28 avril 1998
M. Turris est maintenant le porte-parole de la Black Cod Association, mais il était auparavant fonctionnaire au ministère des Pêches, et c'est lui qui a introduit le régime de quotas des navires. Il travaille maintenant pour les gens en faveur de qui il a appliqué le plan. ... Les pertes d'emplois pour cette pêche ont été bien supérieures à 60 p. 100. Les pêcheurs ont perdu la plupart des conditions de travail qu'ils avaient acquises de haute lutte. Franchement, c'est une bien mauvaise façon pour le Canada d'administrer ses pêches. John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998
Les paragraphes qui suivent reposent en grande partie sur le témoignage d'un porte-parole de la Pacific Blackcod Fishermen's Association.
Afin de réduire les pressions que subissait la pêche à la morue charbonnière (une espèce de poisson de fond connue aussi sous le nom de rascasse noire) qui devenait plus populaire, le Ministère a créé, d'après ce que le Comité a entendu, 48 permis de pêche à accès limité en 1981. Dans les années qui ont suivi et malgré l'accès réduit à cette ressource, la capacité de la flotte aurait apparemment augmenté plus de 30 fois. Les propriétaires de bateau pêchaient plus que leurs prédécesseurs afin de justifier leurs investissements dans des bateaux, de l'équipement et des permis. En 1989, la flotte a capturé 4 719 tonnes de morue charbonnière en 14 jours, soit plus qu'il ne s'en était pêché en 245 jours en 1981. Durant cette période, la valeur des débarquements est passée de 5,5 millions à 19 millions de dollars.
La sécurité aurait également été compromise puisque des navires transportant beaucoup trop d'équipements et de membres d'équipage pêchaient 24 heures par jour dans des conditions météorologiques dangereuses, car sinon il leur en coûtait trop cher. Des engins de pêche ont été perdus parce que les navires utilisaient un trop grand nombre de pièges et d'hameçons ou pêchaient lorsque les eaux étaient démontées. Les engins perdus continuaient de prendre du poisson, ce qui réduit les prises disponibles à une date ultérieure. La qualité des prises a aussi diminué, parce que les pêcheurs consacrent moins de temps à nettoyer le poisson, à le préparer pour la congélation et à l'entreposer. Lorsque la saison de la pêche a pris fin, les prises ont été débarquées en quelques jours seulement, ce qui fait que le poisson a été laissé sur les quais pendant plusieurs jours avant d'être envoyé au marché ou placé dans un entrepôt frigorifié. Les prises ont également dépassé les limites permises : les prises avaient dépassé le TAC de 26,4 p. 100 en 1988 et de 17,6 p. 100 en 1989. Les débarquements n'étaient pas surveillés par le ministère des Pêches et des Océans et aucun agent des pêches n'a été spécifiquement affecté à la surveillance des prises. La surveillance aérienne et maritime était minime et, dans l'ensemble, le taux de conformité est demeuré inconnu.
Daprès ce que nous avons appris, la Blackcod Fishermen's Association a proposé au ministère des Pêches et des Océans, en 1989, le recours à des quotas individuels de bateau (QIB) pour la campagne de pêche de 1990. La majorité (plus de 90 p. 100) des titulaires de permis ont approuvé la création de ce genre de quota, de même que des pratiques policières et de recouvrement des frais plus strictes(19). Sous le régime de gestion par QIB, le TAC n'aurait été dépassé qu'une seule fois, pendant la première année (la moitié de 1 p. 100 en 1990). Les années suivantes, les pêcheurs s'adonnant à la pêche à la palangre et à la pêche au chalut ont adopté les nasses, une méthode de capture plus souple, plus sélective, dont les prises accessoires sont très peu nombreuses. Moins d'engins auraient été perdus et la productivité se serait accrue grâce à la meilleure qualité des prises débarquées tout au long de l'année. L'emploi chez les membres d'équipage a chuté d'environ 40 p. 100 (le nombre de travailleurs passant de 332 à 198), mais ceux qui sont demeurés actifs auraient apparemment touché des revenus plus stables.
Nous avons appris que le nombre de journées de pêche a plus que quintuplé, passant de 14 jours par navire en 1989 à 74 jours par navire en 1997. Les navires utilisent désormais moins de nasses sous le régime de gestion par QIB. Toutes les prises débarquées sont contrôlées aux quais par des observateurs indépendants engagés par la PBFA et certifiés par le MPO. Même si le recours aux QIB a fait considérablement augmenter les coûts de la gestion des pêches, ces coûts sont tous assumés par les titulaires de permis. De plus, le MPO a délégué, par contrat, de nombreuses responsabilités de gestion à la PBFA (p. ex.: l'élaboration des plans de gestion annuels et à long terme, les échantillons biologiques et l'évaluation des stocks).
Même si le MPO émet chaque année 48 permis de pêche à accès limité (détenus par 38 entités juridiques), la flotte active, comptant 24 navires en 1997, a doublé de taille depuis 1989. Les débarquements de morue charbonnière en 1996 totalisaient environ 2 800 tonnes (en baisse par rapport aux 3 900 tonnes pêchées en 1995) et valaient quelque 22,1 millions de dollars (en baisse par rapport à la valeur de 29,2 millions de dollars enregistrée en 1995). La valeur de gros en 1996 atteignait environ 25 millions de dollars (en baisse par rapport à 34,5 millions de dollars en 1995).