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A. Les quotas privés sont-ils des biens?
B. Rationalisation, concentration et corporatisation
C. Conservation, surveillance et application de la loi
D. Équité sociale et distribution de la richesse
E. L'emploi et la survie des villages


LA CONTROVERSE

A. Les quotas privés sont-ils des biens?

Les programmes [de quotas individuels] ne confèrent aucun droit de propriété sur les pêches ou sur le poisson. Ils établissement les conditions d’un permis qui donnent aux pêcheurs accès à une quantité déterminée de poisson. Ils constituent un prolongement du régime des permis à accès limité. Ils ne créent aucun droit privé. ? L’honorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998

Si les droits ne sont pas perpétuels — s'ils prennent fin après un certain délai — leur détenteurs réagiront après ce délai. — Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998

Sans imposer la propriété privée, on essaie de fournir les outils que la propriété privée fournirait si elle était mise en oeuvre. C'est de la quasi-propriété. — Bruce Turris, directeur général, Pacific Blackcod Fishermen's Association, 28 avril 1998

La lacune la plus grave de notre régime, c'est que nous avons des droits de quasi-propriété. Le ministre peut, à sa discrétion, effacer, éteindre, adapter ou modifier ces droits quand bon lui semble. — Brian Giroux, directeur exécutif, Scotia-Fundy Mobile Gear Fishermen's Association, 21 mai 1998

D'abord, il faut savoir que dans le secteur des pêches, la notion de propriété publique ou commune n’existe pas depuis plusieurs années. ... La décision d'accorder à telle ou telle personne un droit de pêche particulier a été prise il y a de nombreuses années. — Ron Bulmer, président, Conseil canadien des pêches, 13 mars 1997

Le ministre des Pêches et des Océans jouit de pouvoirs discrétionnaires pour l'octroi des permis, de sorte qu'il peut révoquer ou modifier les conditions de notre permis. Ce dernier point suscite de l'incertitude quant aux quotas et aux parts annuelles de chaque secteur et risque de déstabiliser les plans d'investissement, les marchés et les plans de production. — Michael O'Connor, Opérations de la flotte et relations gouvernementales, National Sea Products, 28 mai 1998

Contrairement à la situation qu'on observe en Nouvelle-Zélande et en Islande, le problème que posent jusqu'ici les quotas au Canada tient au fait qu'il s'agit de droits très fragiles. Les pêcheurs n'ont aucune garantie. Du point de vue juridique, leurs droits leur assurent une sécurité très limitée. Il s'agit simplement de modifier le droit qu'ont les pêcheurs de les capturer. Nous ne cherchons pas à faire en sorte que la propriété des poissons passe du domaine public au domaine privé. — Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998

… [S]i la propriété sous-entend une foule de droits, alors de toute évidence ces allocations se rapprochent de la notion de propriété. La plus importante caractéristique dans ce contexte serait l'exclusivité. — Philip Saunders, professeur agrégé, École de droit de l'Université Dalhousie, 1er octobre 1998

En ce qui concerne les QIT, je dirais également qu'il nous est difficile de comprendre comment les gouvernements peuvent avoir le droit de céder une ressource publique à des intérêts privés. Comment le gouvernement peut-il céder les ressources halieutiques à quelques-uns seulement, transformant ainsi une ressource publique en richesse privée? — David Coon, directeur de la politique, Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick, 7 mai 1998

Dans le secteur des pêches, la « propriété » est un terme caméléon. La pêche fondée sur le droit de propriété peut être présentée comme un continuum allant des pêches de propriété inconnue (p. ex., dans le cas de l'accès libre et de pêches qui ne sont ni limitées ni réglementées), à des pêches réglementaires de propriété commune (p. ex., lorsque l'accès est limité aux détenteurs de permis) et à la propriété individuelle ou exclusive. En retour, les droits de propriété varient en « intensité ». De tels droits sont considérés par leurs tenants comme la prochaine étape logique d'une progression ou d'une évolution naturelle.

Les porte-parole du MPO ont informé le Comité qu'un permis de pêche, qu'il s'agisse d'un permis à quotas ou d'un permis traditionnel, n'est qu'un « privilège » autorisant le titulaire, à la discrétion du ministre des Pêches et des Océans, à participer à une pêche particulière; il ne crée pas de droit de propriété, que ce soit sur les pêches ou sur les ressources, et les ressources ne sont pas « privatisées ». En fait, nombreux sont les défenseurs des permis à quotas au Canada qui avancent que ces permis ne donnent que des droits de pêche très fragiles, avec un statut légal faible(20). Selon eux, la pêche basée sur le droit de propriété fonctionne bien lorsque les droits deviennent plus « complets », c'est-à-dire lorsqu'ils sont plus exclusifs, de plus longue durée, plus faciles à transférer (accordant ainsi aux titulaires de permis la possibilité de profiter de la valeur de leurs droits) et mieux garantis.

Dans le même ordre d'idée, les tenants des droits de propriété soutiennent que la politique canadienne d'accès limité à la pêche commerciale a déjà « privatisé », du moins dans une certaine mesure, les ressources halieutiques(21). C'est le cas, disent-ils, parce que les permis de pêche traditionnels qui sont émis confèrent un avantage presque perpétuel, puisque le renouvellement annuel est pratiquement automatique. L'accès limité restreint également l'accès aux pêches, ce qui fait considérablement augmenter la valeur des permis de pêche, qui sont achetés et vendus, souvent à des prix exorbitants (p. ex. les permis de pêche au homard); cette pratique ne semble pas être tellement contestée. Il peut être utile de signaler que les permis de pêche dans le secteur de la pêche concurrentielle peuvent aussi être considérés comme une forme de propriété puisque, par le passé, il est parfois arrivé que le gouvernement fédéral décide d'« indemniser » les titulaires de permis (grâce au programme de rachat de permis) lorsqu'il leur rachetait le privilège de pêcher.

Les extraits suivants des témoignages entendus illustrent la nature plutôt confuse et ambiguë de la discussion :

Comme les pêcheurs [de la Nouvelle-Zélande] ont des droits de propriété à l'égard de la pêche, ils peuvent emprunter de l'argent dans une banque, alors qu'ils devaient auparavant l'emprunter des marchands de poisson. Ceux-ci ont accès aux capitaux et peuvent prêter l'argent pour l'achat du permis. Les banques ne veulent pas prêter de l'argent dans notre régime. — Brian Giroux, directeur exécutif, Scotia-Fundy Mobile Gear Fishermen's Association, 21 mai 1998

On ne peut donner les quotas en garantie pour obtenir un prêt bancaire; on ne peut les transférer sans se heurter à des règles rigides. On ne peut les subdiviser. — Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998

La notion de propriété est présente dans ce dossier. Comme je ne suis pas avocat, je ne pourrais pas vous énumérer tous les aspects techniques et juridiques de la propriété, mais ils semblent être présents dans la question à l'étude. Par exemple, un titulaire de quotas peut maintenant donner ceux-ci en garantie pour emprunter. Les quotas peuvent même être divisés en cas de divorce. Une foule d'indices témoignent du fait qu'il y a bel et bien propriété. ? Dr Anthony T. Charles, professeur de gestion, Université Saint Mary's, 30 avril 1998

Du point de vue des gens qui possèdent les QIT, c'est une propriété privée. On les achète, on les vend et on les loue. Je connais au moins une décision de tribunal dans laquelle les quotas ont été reconnus propriété privée dans le règlement d'un divorce. Si cela en a toutes les apparences, c'est effectivement un bien dont quelqu'un est propriétaire. De l'avis des localités côtières, il s'agit bel et bien de propriétés. … Quelqu'un dans notre localité a essayé de s'enquérir au sujet des allocations individuelles dans le cadre du programme de QIT, mais il a essuyé un refus. Cette personne a alors invoqué la Loi sur l'accès à l'information et s'est encore butée à une porte close. On a justifié le refus en alléguant que les renseignements demandés étaient individuels; c'est-à-dire qu'ils traitaient d'une propriété individuelle. ? Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998

Certains témoins ont déclaré que le MPO fait la promotion des quotas individuels, et en particulier des QIT, en affirmant aux pêcheurs qu'ils posséderaient essentiellement une part des ressources halieutiques. Des agents du MPO ont souligné au Comité que les permis à quotas sont de durée limitée. Pourtant, dans un récent communiqué concernant les QIT diffusé par le ministère, par deux fois il est mentionné que les quotas sont « permanents »(22). Que les quotas soient permanents ou non, il est évident que la capacité de vendre ou de louer des quotas individuels laisse entendre, tout au moins, que le titulaire jouit d'un privilège de pêche de longue durée, sinon permanent, et que, en raison des investissements considérables consentis, il sera très difficile et coûteux d'abolir un régime de gestion à quotas individuels. Comme l'expliquait un témoin :

Il est difficile de revenir en arrière. Les QIT ont été attribués gratuitement au départ. Ils valent maintenant des millions de dollars. Si le gouvernement voulait revenir en arrière, il devrait compenser ceux qui ont acheté de bonne foi ces QIT, dont certains ont coûté plusieurs centaines de milliers de dollars. On est plus ou moins coincé avec ce système. — Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998

Les permis à quotas sont généralement considérés par leurs titulaires comme des biens privés. S'ils sont un jour interprétés de cette façon par les tribunaux, des questions d'ordre juridique pourraient se poser : par exemple, s'il s'agit de biens privés, ne devraient-ils pas être régis par les lois provinciales concernant les droits de propriété et les droits de la personne? Serait-il alors constitutionnel pour le gouvernement fédéral de réglementer la pêche (p. ex., d'annuler un quota) une fois que l'accès aux ressources de propriété commune est devenu de propriété individuelle?

Enfin, la BC Aboriginal Fisheries Commission a conseillé aux membres du Comité de ne pas soulever la question des quotas privés avant que ne soient réglées des questions plus fondamentales concernant les droits des Autochtones d’exploiter certains stocks(23).

 

B. Rationalisation, concentration et corporatisation

À notre avis, les QIT ne mènent pas à une concentration en soi des permis aux mains des grandes entreprises. Dans tout échange, il y a un acheteur et un vendeur. Si un permis a une grande valeur, le petit pêcheur ne s’en départira sans doute pas. J’ai entendu, notamment de la part de représentants de syndicats, que les grandes entreprises veulent acheter des permis. Pourtant, elles ont souvent démontré qu’elles ne veulent pas en acheter. Pourquoi en acheter? Elles veulent une approvisionnement constant en poisson. Elles ne veulent pas se donner la peine de demander des permis, d’en devenir titulaires, d’exploiter une flottille ou d’embaucher des pêcheurs pour faire ce travail. C’est une tâche inutile, coûteuse et difficile. Cela entraîne des problèmes de relations de travail et des dépenses d’immobilisation. Les entreprises elles-mêmes ne sont pas intéressées à ce genre de concentration. ? L’honorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998

L'octroi de quotas individuels est très efficace en ce sens qu'il permet aux pêcheurs individuels d'accumuler des quotas en fonction du niveau d'activité qu'ils veulent avoir. C'est dans ce contexte que l'on utilise le terme « rationalisation ». — Leslie Burke, directeur, Politique et analyse économique (région des Maritimes), ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997

Certaines collectivités ont perdu des navires et d'autres en ont acquis, mais cela se produit même avec les régimes de permis ordinaires. — Brian Giroux, directeur exécutif, Scotia-Fundy Mobile Gear Fishermen's Association, 21 mai 1998

Là où ils ont été établis, les systèmes de quota n'ont pas débouché sur une concentration majeure. — Ron Bulmer, président, Conseil canadien des pêches, 13 mars 1997

En Nouvelle-Zélande, les entreprises ont accru considérablement leurs quotas. Ce fut d'abord l'affaire de gros holdings, et dès la première répartition, Fletcher Challenge et d'autres entreprises ont reçu d'énormes quotas. Tout dépend du point de départ. — Bruce Turris, directeur général, Pacific Blackcod Fishermen's Association, 28 avril 1998

Dans certains cas, les QIT ont entraîné une concentration très marquée — ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose, particulièrement à une époque où les pêches sont nettement surcapitalisées. — Dr Daniel E. Lane, professeur, faculté d'administration, Université d'Ottawa, 11 juin 1998

Le régime de quotas fonctionne bien pour ceux qui louent leur permis et pour ceux qui demeurent chez eux et conservent ce privilège, mais il ne fonctionne pas bien pour les gens qui produisent en fait la richesse. Je ne pense pas que c'était là l'intention du gouvernement du Canada. — John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998

Je sais que plusieurs villages n'ont actuellement pas de quotas. Ils ont été forcés de les vendre. ... C'est ce qui se passe dans plusieurs villages de ma région. Aucun village n'a encore été complètement vidé jusqu'à maintenant. ... Bien des économistes disent que c'est une évolution normale et que la mobilité de la main-d'oeuvre a toujours été très élevée en Islande. C'est ainsi que nous avons bâti nos villages au tout début. Toutefois, c'était différent les premières années parce que les gens ne construisaient pas des maisons chères et, comme ils étaient pauvres, ils pouvaient déménager plus souvent et plus rapidement. — Olafur Hannibalsson, commentateur politique et député suppléant en Islande, 29 octobre 1998

Le régime des QIT — si les quotas individuels sont parfaitement transférables — favorisera la structure d'entreprise la plus efficace. Si la pêche se prête davantage à de grandes exploitations, alors tel sera le résultat. À cause des économies d'échelle dans la transformation et la commercialisation, il est fort probable que les grandes entreprises et les conglomérats domineront une pêche où les quotas sont librement transférables. — Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998

Les QIT sont une invention d'économistes et, dans ce sens, on pourrait s'attendre à ce qu'ils offrent certains avantages sur le plan de l'efficacité économique … Je dirais que c'est le cas. A court terme du moins, les QIT permettent d'améliorer l'efficacité économique. — Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998

Le meilleur argument justifiant les quotas individuels, leur raison d'être, est certes l'accroissement de la rentabilité de la pêche individuelle. Les dépenses d'équipement pour l'achat du matériel nécessaire à l'accroissement de la capacité de pêche sont devenues essentiellement inutiles, puisque les propriétaires de navires jouissent d'une part garantie des prises et peuvent pêcher pendant toute la saison de la façon la plus économique possible. Sur le plan de la gestion des pêches, les mesures visant à contrôler l'effort de pêche (p. ex., les restrictions s'appliquant à la taille des navires) ne sont plus essentielles, puisque chaque exploitant a un quota précis et garanti qui lui est accordé(24).

Lorsque les quotas individuels deviennent transférables (comme c'est le cas des QIT), ils deviennent également un puissant outil de gestion pour réduire la surcapacité d'une flotte de pêche en réduisant le nombre de pêcheurs et de bateaux de pêche. Les exploitants qui jugent que leur quota est insuffisant pour leur permettre de faire des profits peuvent acheter ou louer des quotas à d'autres titulaires ou vendre leur part et abandonner la pêche au lieu de poursuivre cette activité. Ceux qui jugent que la pêche n'est pas rentable ou qui prennent leur retraite obtiennent un rendement sur leur investissement dans le secteur des pêches (qui ne coûte rien au gouvernement ou aux contribuables) dans le cadre des programmes gouvernementaux de rachat des permis.

La gestion des pêches par QIT entraîne inévitablement la consolidation des flottes (c.-à-d. moins de pêcheurs et moins de bateaux) et la concentration de la richesse(25), ce qui n'est pas nécessairement néfaste, si l'objectif consiste à réduire la surcapacité (soit le nombre de navires de pêche). Toutefois, contrairement à ce qu'aurait souhaité le Comité, le MPO a omis d'aborder une question cruciale et de préciser si l'épuisement récent des stocks de poisson dans le secteur de la pêche commerciale au Canada est véritablement attribuable à la « surcapacité », soit, en termes simples, au fait qu'il y a « trop de pêcheurs et pas assez de poisson » ou s'il est attribuable à un trop grand effort de pêche, deux concepts fort différents. Le Comité n'a jamais accepté l'hypothèse selon laquelle l'épuisement des stocks est le résultat regrettable de l'activité de « trop de pêcheurs ».

La valeur monétaire d'un permis à QIT varie selon les prévisions concernant les prises présentes et futures ainsi que le prix du marché des espèces en question. De nombreux témoins sont venus dire au Comité que, contrairement à la théorie économique classique, les intervenants ayant accès à des ressources financières, comme les grandes entreprises, sont plus susceptibles d'acheter des permis que les pêcheurs plus efficaces. La déclaration suivante résume bien le thème sous-jacent du débat :

Immanquablement, il [le système des QIT] crée un mécanisme qui permet à ceux qui ont les ressources financières voulues d'acheter plus de quotas leur assurant un plus grand accès aux stocks de poissons. Ainsi, les ressources halieutiques deviennent accessibles à un plus petit nombre de pêcheurs. On ne peut pas parler de privatisation des pêches dans ce cas, mais de « corporatisation » des pêches, puisque les ressources deviennent de plus en plus accessibles à ceux qui ont les moyens financiers d'acheter cet accès. — Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998

Le Comité a appris que, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, sous un régime de QIT créé en 1989 pour le poisson de fond, le nombre de navires munis d'engins mobiles (dragueurs) a été réduit de plus de moitié. Les QIT auraient servi à prévenir de nombreuses faillites importantes, parce que les pêcheurs qui ont vendu leurs quotas étaient en mesure d'obtenir un rendement sur leur investissement dans les pêches. Cependant, la plupart des bateaux sont maintenant considérés comme appartenant à trois grandes entreprises ou contrôlés par elles. La politique fédérale concernant la flotte précise que les permis à QIT doivent être détenus par les pêcheurs propriétaires-exploitants et qu'aucun titulaire de permis ne doit avoir droit à plus de 2 p. 100 du total autorisé des captures(26). Aux termes de la politique de séparation des flottes du MPO, il est clair que le règlement fédéral interdit l'émission de permis de pêche aux entreprises de transformation(27).

Un témoin a déclaré au Comité que la concentration ou le contrôle des quotas dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse s'expliquait par le fait que les établissements financiers n'acceptent pas les quotas individuels comme garantie de prêt(28) (bien que d'autres témoins aient fait des déclarations contraires).

Si vous avez un régime qui accorde aux pêcheurs un droit de quasi-propriété plutôt qu'un actif concret qu'ils peuvent mettre en garantie pour emprunter de l'argent et acheter le permis, vous les jetez littéralement entre les mains de personnes qui peuvent leur prêter de l'argent sans la sécurité d'un actif. — Brian Giroux, directeur exécutif, Scotia-Fundy Mobile Gear Fishermen's Association, 21 mai 1998

Il faut signaler que les quotas individuels satisfont aux besoins industriels des entreprises de transformation du poisson, les grandes comme les petites, puisqu'ils permettent de prolonger la campagne de pêche et de répartir plus également les cycles de production. Les quotas privés offrent également à ces entreprises une plus grande sécurité au niveau de l'approvisionnement. En ce qui concerne la politique de séparation des flottes, le Comité a appris que certains contournent cette restriction(29) :

La politique de permis du MPO dans la région de Scotia-Fundy prévoit qu'il y a séparation des flottes, c'est-à-dire que l'entreprise doit être exploitée par son propriétaire. Pour avoir un permis, il faut être chef d'entreprise. Cette politique n'est toutefois pas appliquée. Il est possible pour une usine d'acheter non seulement le quota, mais aussi l'entreprise. L'usine peut alors diriger l'entreprise. L'homme qui tient la barre est, sur papier, le propriétaire-exploitant, mais en fait, c'est un employé de la compagnie. C'est ce qui se passe sur une grande échelle partout où l'on a implanté le régime des QIT. — Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998

À ce propos, je parle non pas des propriétaires-exploitants, mais bien plutôt des navires qui appartiennent à des sociétés, de mèche avec des pêcheurs qui ont signé l'entente en cachette puisque les sociétés ne sont pas autorisées à détenir les permis. Selon un règlement du MPO, elles ne peuvent détenir de tels permis. Par conséquent, elles font appel à des « capitaines de paille » qui pêchent sur des bateaux qu'ils ne possèdent pas. ... On peut y mettre un terme — à condition seulement que le ministère applique sa réglementation. — Sarah Huskilson, présidente, Eastern Shelburne Fishermen's Association, 21 mai 1998

Les opposants aux quotas individuels craignent aussi que l'expansion de ces quotas incite plus de spéculateurs (parfois appelés « pêcheurs de salon ») à faire des bénéfices simplement en louant leurs quotas à d'autres(30). Cette pratique minerait tout le concept des quotas individuels : même si le nombre de navires de pêche est réduit, la location des quotas ne contribue nullement à réduire les capitaux investis dans cette ressource, qui doivent être payés au moyen des prises.

En Islande, l'intégration des petits bateaux jaugeant entre 6 et 10 tonnes métriques brutes dans le régime de gestion par quotas aurait eu les conséquences suivantes :

Le 1er janvier 1991, le gouvernement a intégré 1 043 petits bateaux dans le régime des QIT. À peine 44 mois plus tard, les grandes compagnies ont acheté environ 700 de ces bateaux et en ont transféré les quotas à leurs bateaux hauturiers. De plus, il ont utilisé leurs droits de renouvellement pour agrandir ces mêmes bateaux. Et pour comble, ces mêmes compagnies ont osé transférer ces mêmes quotas en les louant aux petits bateaux encore actifs. — Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998(31).

Enfin, certains craignent que, avec la mondialisation du commerce, le gouvernement fédéral soit incapable d'empêcher que la ressource halieutique du Canada (une fois « privatisée ») soit contrôlée par des intérêts étrangers ou même en deviennent leur propriété. Il est interdit aux compagnies de transformation du poisson qui appartiennent à plus de 49 p. 100 à des intérêts étrangers de détenir des permis de pêche commerciale canadiens(32).

 

C. Conservation, surveillance et application de la loi

Les programmes [de quotas individuels] ont été perçus comme faisant augmenter le taux de rejet des poissons trop petits ou des espèces indésirables. Dans la pratique, [ils] ont toutefois permis de promouvoir plus efficacement la conservation et l’atteinte d’objectifs économiques que les régimes précédents. … Les [quotas individuels] inculquent à leurs propriétaires un sens des responsabilités qui aide à éliminer le problème de l’accroissement de la valeur des prises et du rejet en mer du poisson trop petit ou peu rentable. ? L’honorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998

Notre expérience montre, de façon générale, que les régimes de QI parviennent mieux que les méthodes antérieures à assurer la conservation et la réalisation des objectifs économiques. ? Jacque Robichaud, directeur général, Direction de la gestion des ressources, Ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997

L'avantage unique le plus important de la privatisation et des quotas dans tous genres de pêche tient à la responsabilité qu'intègrent le propriétaire et l'objet possédé. — Dr Daniel E. Lane, professeur, faculté d'administration, Université d'Ottawa, 11 juin 1988

L'expérience de la Nouvelle-Zélande et d'autres pays montre que les titulaires de quotas, dès lors qu'ils bénéficient d'actifs nouveaux et substantiels découlant des droits de pêche, se montrent très sensibles aux actions d'autres pêcheurs ou de braconniers qui empiètent sur leurs droits, ou à tout ce que quiconque peut faire pour porter atteinte à ces actifs ou diminuer la valeur de ces droits, y compris les gouvernements. — Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998

Le régime à QIT encourage les pêcheurs à faire des choix à l'intérieur des stocks. Plus le quota est faible, plus on est sélectif. Un stock de morue, c'est comme un gâteau à plusieurs étages. Choisir de manger un étage d'un gâteau, ce n'est pas censé faire partie des bonnes manières. On enlève le glaçage (ici, c'est le stock reproducteur) et on cherche ici et là les bonnes choses. Cela se tolère peut-être à une fête d'enfants, mais est-ce acceptable pour un stock de poisson? ? Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998

Chaque poisson qui arrive au quai est compté. Personne ne compte les poissons morts dans l'eau. — Henry Surette, directeur, West Nova Fishermen's Coalition, 19 février 1998

La question de l'application est importante parce que le MPO a subi de très sérieuses compressions, comme nous le savons, et que l'on fait maintenant très peu d'efforts de surveillance de l'une ou l'autre des flottes. — Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998

J'ai passé un certain temps dans la pêche, puis j'ai fait autre chose. Quand je suis revenu, j'ai été frappé par le fait que le comportement des compagnies de pêche, dans les réunions sur l'orientation, par exemple, ne semblait pas correspondre avec la prévision théorique selon laquelle une fois que les pêcheurs détenaient un quota, ils seraient tout à fait capables de gérer la ressource. ? Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique et en science économique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998

La privatisation par le système des QIT n'entraînera pas en elle-même une amélioration de la durabilité. Celle-ci dépend de l’établissement des prises totales admissibles, et non pas de la privatisation des pêches. Le QIT ne peut pas remplacer complètement le contrôle des intrants. Il faudra une réglementation. Pour la Nouvelle-Zélande, cela n'a pas été le miracle que l'on espérait. Ce n'est pas le Saint-Graall. ? Hamish Rennie, chargé de cours, département de géographie, Université de Waikato, Nouvelle-Zélande, 4 juin 1998

Idéalement, ... les gens seraient propriétaires du poisson, tout comme sur la terre ferme, ils sont propriétaires de vaches, de chevaux ou de moutons. À l'heure actuelle, nous n'avons pas de capacité technologique pour cela, mais je suis convaincu que la technologie sera développée au prochain siècle pour permettre aux gens d'avoir des droits de propriété sur le poisson individuel. ? Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998

Les quotas individuels suggèrent tout au moins une forme de « propriété » et accordent à leurs détenteurs une part garantie de la pêche. Selon la théorie économique, les pêcheurs exploitent la ressource de façon plus responsable lorsqu'ils en sont « propriétaires »; lorsqu'une ressource renouvelable appartient à tous, rien n'incite à la préserver. Il faut donc présumer que, sous un régime de gestion fondé sur des droits de propriété, les pêcheurs accorderaient plus d'importance au respect de la loi, seraient plus motivés à se surveiller eux-mêmes et plus enclins à dénoncer les autres. Bref, l'hypothèse est la suivante : la propriété privée est toujours protégée plus consciencieusement par son propriétaire.

Dans le secteur des pêches, il y a souvent des prises accidentelles ou accessoires d'espèces autres que les espèces recherchées (c'est-à-dire que des espèces secondaires sont capturées parce que de certains types d'engins de pêche son peu sélectifs). Comme les quotas individuels devraient éliminer la course au poisson, ils comportent, selon leurs tenants, un autre avantage : la possibilité de réduire les prises accessoires. De plus, dans certains cas, les pêcheurs peuvent accepter de remettre leurs prises accessoires à d'autres pêcheurs titulaires de permis (là où la réglementation l'autorise).

L'argument de la conservation, avancé par les défenseurs des quotas privés, a souvent été contesté par leurs opposants devant le Comité.

On ne peut pas isoler les poissons comme un fermier isole ses animaux. Le producteur agricole contrôle tous les éléments qui concourent à la mise en valeur de ses animaux sur le marché. Les QIT ne permettent pas d'identifier les poissons mis en valeur. Le système des QIT sert à accorder aux pêcheurs le droit de pêcher une certaine quantité de poisson; il ne les oblige pas à préserver la ressource. — Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998

Les quotas individuels exacerbent les lacunes fondamentales de tout le système de gestion des quotas, à commencer par le total autorisé des captures. ... Pour établir les TAC, on prend d'habitude une fraction des stocks totaux de poissons, de la biomasse totale, mais le nombre de poissons dans l'océan est sûrement l'un des chiffres les plus incertains sur terre; c'est extraordinairement incertain et l'on ne pourra jamais le connaître précisément. ... L'une des principales causes de l'effondrement de la pêche du poisson de fond, c'est que l'on croyait que l'on connaissait le nombre de poissons dans l'océan et que l'on pouvait fixer le TAC en conséquence. — Dr Anthony T. Charles, professeur d'administration, Université Saint Mary's, 30 avril 1998

Vous pouvez vous demander pourquoi le Canada privatise ses pêches communes. Vous savez que, devant presque chaque critique dont il est l'objet, le gouvernement brandit l'argument de la conservation. Cependant, le dossier des pêches privatisées à cet égard, c'est-à-dire celui des pêches soumises à des quotas individuels transférables ou à un cumul de permis de zone transférables — est pitoyable. ... Nous craignons que le MPO soit aveuglé par les réductions des coûts, au point où il ne tient plus compte du poisson, des gens, de la qualité du produit ou des besoins des localités côtières. — John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998

Le débat, qui se limite principalement à un débat médiatique sur le rôle qu'a joué la science pour expliquer l'effondrement des stocks des poissons de fond est, à mon avis, largement bidon. … La croissance marquée de la capacité canadienne de pêche depuis 1977 a annulé les efforts du MPO dans le domaine scientifique, mais il est tout à fait absurde d'imputer aux scientifiques la responsabilité de la situation. Dans un contexte dominé par de puissants intérêts capitalistes, ils n'avaient aucune chance. — Michael Belliveau, secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes, 14 mai 1998

Comment peut-on prétendre qu'une compagnie qui a des cadres à un endroit, des actionnaires ailleurs, et un conseil de direction et des employés peut avoir les mêmes motivations psychologiques envers sa propriété qu'un individu? Les compagnie peuvent être des personnes morales, mais c'est tout. ? Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit de l’Université Dalhousie, 1er octobre 1998

Le rejet global et le rejet sélectif du poisson sont devenus des problèmes si graves que certains pêcheurs ont écrit des lettres au ministre. Un pêcheur a écrit au ministre Mifflin dès que son bateau a été à quai. Il lui a écrit pour lui dire que son bateau devait se frayer un chemin dans les poissons morts. Il a un grand bateau, et il pouvait voir des poissons morts à des milles à la ronde. Cette situation a été documentée, et pourtant rien n'a été fait. C'était il y a 18 mois, et rien n'a été fait. Le gouvernement a encouragé la mise en place de régimes de quota et de quota individuel de plus en plus nombreux. Le rejet global et le rejet sélectif se poursuivent. — Sarah Huskilson, présidente, Eastern Shelburne Fishermen's Association, 21 mai 1998

Les pêches en mer sont demeurées propriété commune plus longtemps que les autres secteurs ou ressources pour une très bonne raison. Il est possible de tracer des limites autour des fermes, des mines et des forêts afin d'y assigner des droits de propriété privée. Par contre, le poisson n'est pas visible, il migre souvent (parcourant parfois de longues distances) et se mêle à d'autres stocks, d'où la difficulté d'isoler des populations de poisson et de leur assigner des droits de propriété. On peut dire que le plus grand problème de la gestion par quotas individuels, c'est qu'on ne peut pas mettre une clôture autour des poissons dans la nature.

Pendant leurs audiences, les membres du Comité ont appris que la pêche fondée sur les droits de propriété exige une évaluation plus précise des stocks que la pêche gérée de façon traditionnelle. Pour que la gestion par quotas individuels soit efficace, la situation des stocks doit être stable et suffisamment connue pour qu'on puisse assigner des TAC fondés sur la dynamique des populations afin de répartir les ressources entre les divers exploitants. Les stocks de poisson subissent par contre des fluctuations imprévisibles. Au mieux, l'évaluation de la taille des stocks de poisson relève des « sciences occultes », domaine dans lequel le MPO n'a pas particulièrement excellé, notamment en ce qui concerne l'évaluation d'importants stocks commerciaux.

Les quotas individuels comportent un autre inconvénient lié au fait que les évaluations de stocks peuvent facilement se retrouver au centre d'une controverse, puisqu'elles influent sur les limites des prises et la valeur des permis. La conservation des ressources pourrait entraîner la réduction des quotas au milieu de la saison ou même la fermeture de la pêche à quotas à mi-campagne; cela peut facilement compromettre la crédibilité du régime et inciter les pêcheurs à participer à une « course au poisson » dès le début de la saison suivante, de peur que la pêche soit à nouveau interrompue prématurément. Par conséquent, les gouvernements pourraient hésiter plus à réduire les totaux autorisés de captures (à des fins de conservation) quand la pêche est fondée sur les droits de propriété(33). L'angoisse et l'incertitude entourant l'avenir des pêches peuvent inciter les détenteurs de quotas individuels à devenir tout aussi avides de profits à court terme que les pêcheurs s'adonnant à la pêche commerciale. Même si, en théorie, il est possible de modifier à mi-campagne les TAC (à la lumière de nouveaux avis scientifiques), le Comité a été avisé que de telles mesures ont rarement été prises au Canada.

En outre, le gouvernement pourrait hésiter à réduite les TAC parce que la valeur des quotas individuels dépend de la quantité de poisson qu'on peut prendre. En Nouvelle-Zélande, la situation est décrite comme suit(34) :

On constate beaucoup de pression pour maintenir les limites de captures élevées, et cette pression s'est même intensifiée quand les droits de propriété ont été précisés. Il est remarquable que l'industrie ait beaucoup tenu à ce que les quotas soient valables à la banque, qu'ils puissent figurer un bilan, servir de nantissement à un emprunt, etc. Par conséquent, on résiste d'autant plus aux réductions de limites de prises qu'il s'agit d'un bien en garantie pour un emprunt. ? Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique publique et en science économique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998

L'industrie n'est pas homogène. Certains ont acheté des bateaux de pêche cette année ou l'an dernier. D'autres les ont déjà amortis. Ces derniers sont tout à fait prêts à accepter une réduction des TPCA, puisqu'ils ont déjà récupéré leur investissement. Ceux qui s'opposent le plus vigoureusement à ces réductions sont ceux qui doivent rembourser de gros emprunts. Ils ne veulent donc pas de réduction. Ils se sont unis contre le gouvernement. Ils régleront leurs conflits internes, puis et feront front commun contre le gouvernement. ? Hamish Rennie, chargé de cours, Université de Waikato, Nouvelle-Zélande, 4 juin 1998

Un autre phénomène peut nuire grandement aux données concrètes à la base de la gestion des pêches. En prévision des quotas privés, les pêcheurs oeuvrant dans le secteur de la pêche concurrentielle peuvent intensifier leur effort de pêche ou même surdéclarer leurs prises, puisque les allocations initiales sont essentiellement fondées sur les prises antérieures, le rendement antérieur des pêcheurs. Comme l'expliquait un porte-parole :

… [C]haque pêcheur comprend que, un jour ou l'autre, les allocations seront fondées sur le rendement antérieur. Il en résulte que les personnes qui détiennent plus d'un permis, plutôt que d'utiliser un permis après l'autre, les utilisent tous, dans différents bateaux, dans la mesure du possible, créant des données soit disant « historiques ». Ils font cela pour éviter d'être victime de discrimination. — Klaus Sonnenberg, trésorier, Fédération des pêcheurs de l'Est, 28 mai 1998

L'un des effets probablement les plus néfastes des permis à quotas, et l'un des plus souvent cités par écrit, est le fait qu'ils incitent fortement les pêcheurs à rejeter le poisson de faible valeur et de petite taille (défalqué du quota individuel) en faveur du poisson de plus grande valeur, en particulier lorsque les quotas individuels sont trop limités pour être rentables pour le titulaire. Cela est plus susceptible de se produire lorsque les pêcheurs ont emprunté pour pouvoir acheter auprès d'autres pêcheurs des quotas dispendieux dans l'espoir d'obtenir un rendement raisonnable de leur investissement.

Au fil des ans, cette pratique destructrice entraînant un gaspillage éhonté des ressources, connue sous l'appellation « rejet sélectif », forme d'exploitation abusive de l'océan, a été reconnue et tacitement acceptée comme une façon de faire dans l'industrie de la pêche dans la région de l'Atlantique(35). Le Comité a été saisi pour la première fois de cette pratique déraisonnable au milieu des années 80(36) et continue encore aujourd'hui à la déplorer. Même les tenants du régime de permis à quotas concèdent que les quotas privés favorisent le rejet sélectif(37).

Le rejet sélectif ? une pratique rarement rapportée volontairement ? a également pour résultat de diminuer la qualité des données sur les prises servant à l'évaluation des populations, c'est-à-dire les données sur lesquelles les décisions de gestion se fondent. Les chercheurs du domaine des pêches sous-estiment les prises réelles, surestiment le niveau des stocks et recommandent un TAC trop élevé pour assurer le renouvellement de la ressource. Il reste encore à déterminer dans quelle mesure cette pratique illégale à contribué à l'effondrement désastreux de certaines pêches canadiennes, mais il semble bien que la propriété commune n'est pas à incriminer. Un des principaux opposants aux quotas privés a déclaré ceci :

Au début des années 90, il y a eu effondrement des stocks de poisson de fond au Canada. C'était la première fois qu'une chose pareille arrivait. C'est survenu environ dix ans après l'adoption et l'augmentation graduelle des QIT sur la côte est. Le problème des rejets sélectifs s'est fait sentir au même moment. Est-ce une pure coïncidence si nous avons connu cette crise précisément au moment où on pouvait s'attendre à ressentir l'effet de plusieurs années d'application des QIT, surtout avec le problème des rejets sélectifs? En Islande, le système des QIT est en vigueur depuis plus d'une décennie et la morue, le plus important stock de poisson du pays, est à son niveau le plus bas. Cela survient encore une fois dix ans après l'implantation du système. … Il est assez frappant que ce soit dans les pays qui utilisent les QIT qu'on observe de graves problèmes dans le domaine des pêches. — Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, le 21 mai 1998.

Le rejet sélectif se fait dans la pêche à accès limité concurrentielle, mais l'« avantage personnel » des rejets est jugé moindre parce que les pêcheurs sont incités à débarquer le plus rapidement possible autant de poissons qu'ils peuvent en prendre. Pour ce qui est du rejet en mer des prises fortuites, le Comité a appris que, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse (comté de Yarmouth), les pêcheurs à palangre obtiennent un « quota en argent » (basé sur la valeur des prises par opposition au quota quantitatif) et débarquent donc tout ce qu'ils prennent.

Certains types de pêche se prêtent probablement mal à la gestion par quotas individuels. C'est le cas des pêches où l'estimation des stocks varie au cours de la saison de pêche et où les prises varient beaucoup d'une année à l'autre. À long terme, les permis à quotas individuels ne ralentiront pas le rythme de la pêche et ne prolongeront pas la saison de pêche si les espèces sont des espèces migratoires et ne restent dans une région donnée que pendant une période limitée. Par exemple, pendant les audiences du Comité, un très large consensus s'est dégagé autour de l'idée que le système des quotas individuels transférables serait inapplicable aux pêches hautement incertaines, comme celle du saumon du Pacifique(38). Cependant, les partisans les plus convaincus des droits de propriété préconisent des quotas exclusifs perpétuels et transférables, même pour le saumon du Pacifique(39).

D'autres complications surgissent dans la pêche de plusieurs espèces(40) lorsque les pêcheurs détenant plusieurs permis changent d'espèce selon les fluctuations des populations et les conditions du marché et de l'environnement. Les quotas individuels sont fixés pour chaque espèce et il est peu probable que, dans le total des prises d'un pêcheur (toutes espèces confondues), on retrouve chaque espèce dans des proportions correspondant exactement aux différents quotas attribués pour chacune(41).

Les quotas individuels « personnalisent » les avantages des rejets et du camouflage d'une partie des prises, ce qui complique la surveillance et l'action policière et en augmente le coût. Les quotas individuels ont donc conduit à une réforme majeure de la manière de surveiller la pêche. Au Canada, le MPO a opté pour une surveillance à quai gérée, conçue et financée par l'industrie, qui vérifie et consigne les débarquements de chaque pêcheur. Les surveillants à quai sont certifiés par le Ministère, mais sont embauchés à contrat par le secteur de flottille responsable; le recouvrement des frais de surveillance se négocie entre la flottille et la partie contractante. Cependant, il se pourrait bien que ce système convienne mal à la surveillance des quotas individuels, surtout là où beaucoup de pêcheurs sont dispersés dans de nombreux petits villages, et où les quais et les clients sont nombreux(42).

Les données de première main obtenues par le Comité font croire qu'à bien des égards, les QI favoriseraient des comportements préjudiciables à la conservation ou à une « gestion prudente » des pêches (« pêcher en péchant par excès de prudence »)(43). Voici le conseil d'un témoin :

Avant d'évaluer l'expérience des QIT à l'étranger et au Canada, je dirais : attendons un peu. Souvent, on décrète que des mesures sont des réussites et des panacées avant le dépôt des résultats à long terme. Je lisais un article écrit en 1988 sur le succès remarquable, au plan écologique, des allocations aux entreprises sur la côte Est du Canada. Il a fallu des années pour ruiner vraiment la pêche. Les premiers en provenance d'un secteur, en Nouvelle-Zélande, suggèrent que l'effet à long terme, après un cycle vital complet, pourrait être différent. ... Les lois bien écrites, sur les TAC ou les quotas, ne peuvent contraindre le poisson à se comporter de façon prévisible et conforme à un plan d'affaires. C'est là le coeur du problème. Cela m'inquiète lorsque j'entends qu'un des grands avantages du QIT, c'est qu'il permet à l'industrie de planifier ses investissements à long terme. ... Ils peuvent prétendre planifier leur investissement mais, à moins de convaincre le poisson de collaborer, cette planification est essentiellement illusoire. ? Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit de l’Université Dalhousie, 1er octobre 1998

Le Comité a été surpris d'apprendre que le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (CCRH), agence indépendante créée pour tenir des audiences publiques sur l'évaluation des ressources et les mesures de conservation, et pour fournir au ministre fédéral des Pêches et des Océans des avis écrits sur les niveaux de prises recommandés et sur les mesures de conservation, n'a pas de position sur la pêche basée sur les droits de propriété(44). La question des quotas individuels est jugée extérieure au mandat du CCRH, même si elle a de toute évidence de graves répercussions sur la conservation.

L'avis des porte-parole de Nouvelle-Zélande et d'Islande est très partagée sur la viabilité des pêches :

Une analyse raisonnable des mesures et des résultats atteints en matière de viabilité par le régime de gestion de Nouvelle-Zélande donne à penser que les pêches sont gérées de façon viable, en général, et que les stocks qui étaient décimés montrent des signes clairs de rétablissement. La très grande majorité des pêches donnent actuellement le rendement biologique maximal, ou mieux. — Alastair Mcfarlane, directeur général, Commerce et Information, New Zealand Seafood Industry Council Ltd., 3 novembre 1998

... [M]algré les nombreuses allégations voulant que le système à quota de la Nouvelle-Zélande soit un succès, quand on regarde l'information sur les stocks, on découvre qu'on a aucune idée de ce qu'ils sont, de leur rendement, de la façon ce que ce rendement se compare au rendement viable maximal, de la biomasse à l'origine, etc. Ce qui est frappant en Nouvelle-Zélande, c'est le nombre d'affirmations qu'on fait à partir de si peu de données. Nous savons que les TAC commerciaux sont risqués dans 50 à 60 p. 100 des cas, parce qu'on ne connaît pas le rendement, ou parce que les limites de prises sont établies à plus du double du rendement viable. On dépasse beaucoup. Il y a de l'information sur quelques stocks de poisson seulement. Et nous savons que certains d'entre eux ont de vrais problèmes, d'autre pas. — Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique et en économie publique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998

Nous pensons que les résultats de notre système de gestion des pêches sont très favorables, tant pour la biologie que pour l'économie. Les prises se conforment assez bien aux limites prédéterminées. Il a été bien plus facile, à partir des quotas individuels, de prévenir la surpêche. La morue, qui était en situation très difficile, donne de très bons signes de reprise. D'autres stocks sont en assez bonne posture. — Ari Edwald, conseiller spécial du ministre des Pêches de l'Islande, 22 octobre 1998

Depuis 1947, on a débarqué moins de morue [que les 218 000 tonnes de cette année] seulement trois fois, et les trois fois, c'est depuis les QIT. Comme vous le voyez, depuis 1968, les prises de flétan noir n'ont jamais été si faibles. Si ça continue, je pense que le flétan va aboutir sur la liste des espèces menacées. — Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998

D. Équité sociale et distribution de la richesse

Nous sommes certes conscients de l’utilité de percevoir un loyer économique sur les pêches, et nous avons expérimenté plusieurs programmes pour ce faire. Je dirais, et ce n’est qu’une approximation, que nous avons perçu auprès du secteur de la pêche quelque 50 millions de dollars en droits et frais divers, essentiellement pour l'utilisation de la ressorce qui, elle, est gratuite. ? L’honorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998

La valeur accrue de ces droits témoigne du rendement économique amélioré de la pêche. À cet égard, on devrait y voir un signe salutaire qui atteste le bon fonctionnement du système. — Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998.

Aujourd'hui, après leur résistance initiale, si vous demandiez aux pêcheurs quel régime de gestion ils préfèrent, la très grande majorité vous dirait qu'ils préfèrent le système [de QI] actuel. — Jean Saint-Cyr, Directeur exécutif, Fédération régionale acadienne des pêcheurs professionnels Inc., 7 mai 1998

Fondamentalement, tous ceux qui sont gagnants, que ce soit en Norvège, en Islande ou en Nouvelle-Écosse, sont fortement en faveur du régime. Quant aux gens qui n'ont pas de QIT, disons qu'ils ne sont pas très nombreux à appuyer le régime. — Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998

On peut imaginer la force du lobby que représentent les particuliers et les groupes en mesure de profiter de la privatisation des ressources marines du pays. — Michael Belliveau, secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes, 14 mai 1998

La critique principale de ceux qui ne sont pas dans le système concerne l'aliénation de ce qu'ils considèrent comme une ressource publique dans des mains privées. Il s'agit d'une opinion philosophique et politique — Dr John H. Annala, gestionnaire, Politique scientifique, ministère des Pêches de la Nouvelle-Zélande, 27 octobre 1998

Si quelqu'un doit avoir des droits, alors tout le monde doit en avoir. Autrement, ceux qui n'ont pas de droits clairs sont mis de côté. — Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique et économie publique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998

La loi islandaise sur les QIT stipule que les ressources marines exploitables des pêcheries de l'Islande sont la propriété publique de la nation islandaise. C'est une farce. Un système de QIT ne peut être qu'un système de privatisation. Le nom le dit : « individuel » ne veut pas dire propriété commune. ... Comment un individu peut-il transférer, louer ou vendre quelque chose qui ne lui appartient pas en propre? — Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998

Pourquoi ces droits devraient-ils être concédés gratuitement? Je ne pense pas qu'il y ait une réponse économique à cette question. Je pense que la réponse devrait être fondée sur des considérations légales cependant. ... Il y a certainement des aspects moraux à cette question... — Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université de l'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998

Une analyse purement économique des quotas individuels ne tient pas compte de leurs effets sur la distribution des revenus de pêche. En fait, du point de vue de l'amélioration de l'équité sociale, ils semblent ne présenter aucun avantage(45).

Les membres du Comité ont appris que l'attribution équitable des quotas individuels pouvait être difficile et litigieuse(46). Au Canada comme ailleurs, la répartition initiale des quotas à l'intérieur d'une flottille se fonde en grande partie sur les prises antérieures de chaque pêcheur, afin de récompenser ceux qui sont demeurés actifs et ont montré un véritable attachement à la pêche. Cependant, les dossiers des prises passées peuvent être injustes, erronés et imprécis pour diverses raisons. Ainsi, les pêcheurs peuvent avoir pêché davantage ou gonflé leurs chiffres en prévision des quotas individuels. Ils peuvent même avoir pêché quand ce n'était pas dans leur intérêt. Un témoin a signalé cette tendance malheureuse dans la pêche du homard de l'Atlantique.

Nous constatons, pour le homard par exemple, que les gens pêchent de plus en plus fort car, si cette pêche reçoit des QI, on veut être sûr que les antécédents permettront de devenir millionnaire grâce à la politique actuelle que le ministre Tobin a critiquée. — Klaus Sonnenberg, trésorier, Fédération des pêcheurs de l'Est, 28 mai 1998.

La répartition des quotas selon les antécédents peut aussi récompenser des comportements répréhensibles comme le rejet sélectif et le rejet global. En fait, l'ironie du système, dans certaines régions de l'Atlantique, c'est que les données historiques ont été accumulées à une époque de surpêche. Ce système a donc avantagé ceux qui ont le plus abusé de la ressource et pénalisé ceux qui ont réagi en se tournant vers d'autres espèces ou même en s'adonnant à d'autres activités.

C'est bien simple : plus on trichait pendant cette période, plus on mettait de doublures dans les filets, plus on triait et plus on rejetait du poisson, autrement dit plus on détruisait les stocks, plus on est aujourd'hui récompensé à perpétuité par un beau quota bien dodu. Il n'y a aucune justice là-dedans, en tout cas pas du point de vue de la conservation. … Ce ne sont pas les meilleurs pêcheurs qui achètent les autres; ce sont ceux qui ont le plus facilement accès à l'argent nécessaire pour acheter les quotas des autres. Comment trouvent-ils les capitaux voulus? Eh bien, Dieu seul le sait, mais il est possible qu'ils aient amassé de l'argent en prenant beaucoup de poissons quand les stocks étaient en déclin. — Dr Anthony T. Charles, professeur de gestion, Université St. Mary's, 30 avril 1998.

Dans la pêche basée sur les droits de propriété, l'attribution initiale des quotas confère une richesse personnelle considérable aux titulaires (la première génération). Cette situation est souvent qualifiée de pactole pour ceux qui obtiennent les quotas, qui sont gratuits au départ. Comme on peut s'y attendre, ceux qui les obtiennent deviennent alors très favorables aux droits de propriété. Ainsi, les quotas individuels constitueront de formidables barrières financières pour les prochaines générations de petits pêcheurs. Autre problème au moment de l'attribution des quotas : les équipages peuvent revendiquer un droit historique à la pêche et réclamer des indemnités. En outre, on reproche souvent aux quotas individuels d'être injustement exclusifs pour d'autres raisons; la pêche semi-hauturière au crabe des neiges dans le sud du golfe du Saint-Laurent illustre très bien cette critique.

Depuis 1990 environ, 130 pêcheurs du Nouveau-Brunswick, du Québec et de la Nouvelle-Écosse ont pêché le crabe des neiges dans le sud du golfe du Saint-Laurent (zone de pêche du crabe 12) sous un régime de QI (non transférables)(47). En vertu d'un accord de cogestion avec l'association représentant les détenteurs de quotas, le gouvernement fédéral recouvre une partie des coûts de gestion de la ressource (p. ex. pour la recherche et la surveillance). En retour, il « assure à ses partenaires une part suffisante de la ressource pour générer des revenus permettant d'assumer les responsabilités financières associées à une gestion et une conservation plus efficaces de la ressource »(48). Certains ont affirmé au Comité que le système des quotas de pêche du crabe fonctionnait très bien, mais d'autres avaient un point de vue tout à fait opposé :

Elle a permis, dans un sens, à un petit noyau de personnes de devenir des millionnaires, et cela a créé des conflits forts dramatiques et chargés d'émotion. Encore une fois, c'est parce que l'accès à la ressource était très limité. — David Coon, directeur de la politique, Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick, 7 mai 1998.

Je vais essayer d'être plus précis en examinant l'un des modèles de privatisation que prise le MPO, soit ce qu'on a appelé le partenariat conclu avec la flotte de pêche du crabe des neiges du Nouveau-Brunswick. Il s'agit de 81 titulaires de permis semi-hauturiers, qui, depuis 15 ans, s'en sont donné à coeur joie. Selon un comptable respecté, on peut estimer quelque 500 millions de dollars la valeur de ces 81 titulaires de permis, ce qui veut dire que le titulaire de permis de pêche au crabe des neiges moyen de la zone 12 vaut environ 60 fois plus que le Canadien moyen. Voilà le groupe que les planificateurs du MPO ont activement courtisé comme partenaire modèle. On peut résumer ce partenariat ainsi : le MPO fait appel aux pleins pouvoirs de l'État fédéral pour accorder à ce groupe des droits de propriété sur la plupart, sinon la totalité du crabe des neiges du sud du Golfe. En contrepartie, le groupe de titulaires de permis assume une partie des coûts annuels de la gestion de la ressource et de la recherche scientifique. Tout semble parfait jusqu'à ce qu'on se rappelle qu'il existe une autre flotte dans le sud du golfe du Saint-Laurent. Cette flotte côtière se compose d'environ 4 000 propriétaires-exploitants qui s'adonnent à une pêche plurispécifique bien structurée et bien réglementée, en comptant d'abord sur le homard, productif et bien dispersé, puis à un éventail de permis permettant de pêcher pendant toute la saison. La flotte côtière bénéficie d'un accès permanent à 10 p. 100 du crabe des neiges. ? Michael Belliveau, secrétaire exécutif, Union des pêcheurs des Maritimes, 14 mai 1998

Pour ce qui est de la répartition des revenus, le gouvernement fédéral devra un jour s'attaquer à plusieurs questions litigieuses de fond et décider notamment s'il faut limiter la richesse considérable que créent souvent les permis à quotas pour la répartir entre un plus grand nombre de pêcheurs(49), ou s'il faut remettre l'argent au gouvernement fédéral sous forme de « rente sur la ressource » en échange du privilège de l'exclusivité(50). Comme l'a expliqué un témoin :

Il s'agit d'une ressource publique qui appartient aux contribuables canadiens. Le gouvernement canadien a bien des moyens de redistribuer les bénéfices aux Canadiens. Ces bénéfices ne devraient pas nécessairement être réservés aux populations qui profitent déjà de leurs liens avec la pêche, et des poissons débarqués. Le gouvernement canadien devrait adopter des politiques sur des questions comme les bénéfices tirées de la ressource, et l'attribution de ces bénéfices. — Bruce Turris, directeur général, Pacific Blackcod Fishermen's Association, 28 avril 1998(51).

En Islande, la situation nous a été décrite comme suit :

À Reykjavik et en d'autres lieux, on accepte largement ce modèle biologique et économique. Cependant, on maintient que le secteur de la pêche devrait payer plus cher pour ce qu'on percevait, au moins par le passé, comme une ressource commune. Les gens à l'extérieur de Reykjavik s'opposeraient farouchement, en général, à tout hausse de l'imposition sur la ressource, qu'ils verraient comme une pression économique sur la compagnie pour laquelle ils travaillent, et contraire à leurs intérêts. Voilà où en est rendu le débat sur les pêches. Les critiques à l'extérieur de Reykjavik aimeraient une nouvelle entente donnant des droits de pêche aux gens qui n'y participent pas à l'heure actuelle, parce qu'ils aimeraient bien s'y lancer tout comme le voisin. À Reykjavik, les critiques du régime veulent surtout accroître la taxation. — Ari Edwald, conseiller spécial du ministre des Pêches de l'Islande, 22 octobre 1998.

En Nouvelle-Zélande, les baux sur la ressource ont été remplacés par un régime de recouvrement de coût en 1994 et, depuis, les coûts évitables de la gestion, de la recherche et de l'application de la loi aux pêches commerciales font maintenant l'objet d'une taxe visant le secteur de la pêche. L'industrie doit paye les coûts évitables qui n'existeraient pas si elle-même n'existait pas. On nous a dit que les titulaires de quotas considèrent que leur droit prime dans les disputes avec d'autres intervenants, et que le régime de recouvrement de coût les a confirmés dans cette opinion. L'évaluation des stocks et l'établissement du TAC incluraient d'autres intervenants (pêcheurs récréatifs, écologistes, Maoris) et font l'objet d'une démarche ouverte et transparente, mais l'influence du « club de détenteurs de quotas » serait disproportionnée par rapport aux autres intervenants parce qu'ils paient une grand part des coûts de la gestion des pêches. Sur le montant payé, on nous a dit que les hypothèses de départ au sujet du rendement financier que les compagnies obtiendraient étaient irréalistes, et que seulement 80 p. 100 des coûts de la gestion sont recouvrés, que l'industrie semble incapable d'absorber tous les coûts ou refuse de le faire et qu'elle hésite beaucoup à dépenser sur la recherche halieutique et la protection de l'environnement. Un autre effet du recouvrement des coûts serait la formation de groupes de pêche commerciale(52) selon la situation géographique de l'espèce pêchée.

 

E. L'emploi et la survie des villages

La gestion communautaire peut être un outil efficace. Elle n’a pas toujours la faveur des pêcheurs. ... Vous devez reconnaître que ce n’est pas en exerçant des pressions politiques dans la répartition des quotas à une petite échelle ou à une échelle locale qu’on peut obtenir le succès escompté. Il est parfois plus difficile de résister aux pressions politiques à l’échelle locale qu’au niveau provincial ou fédéral. ? L’honorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998

Je ne pense pas que ce soit le rôle du gouvernement, en définitive, de recourir à des moyens artificiels pour soutenir les localités. — Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, 5 mai 1998.

....[N]otre société est fondée sur le progrès et la croissance économiques. ... Je vous affirme qu'aujourd'hui les gens ne veulent pas revenir avant la révolution industriel et dire « nous n'allons pas clôturer de terrains parce que cela nuira aux agriculteurs ». — Dr Ragnar Arnason, professeur d'économie des pêches, Université d'Islande à Reykjavik, 22 octobre 1998

Maintenant qu'il y a une tendance ... à la consolidation et à l'accroissement des rendements, les différends sur la politique des pêches se sont élargis. On peut voir une distinction claire entre les régions très peuplées, comme celle de Reykjavik, et les zones rurales où une bonne partie de la population travaille directement à la pêche. — Ari Edwald, conseiller spécial du ministre des Pêches de l'Islande, 22 octobre 1998

Depuis 1991, le débat porte de plus en plus sur les injustices du système. Les gens voient de leurs propres yeux ce qui arrive quand l'un des leurs, qui vit dans le village depuis 30 ou 40 ans, un piliés de la communauté, cède tout à coup quelque chose auquel il estime avoir contribué. ... Ces villages ont été à la merci des propriétaires de quotas individuels, ce qui s'est révélé un fardeau financier très lourd pour de nombreux villages qui se sont trouvé obligés d'intervenir lorsqu'un propriétaire local vendait son bateau. Autre résultat des quotas, il y a eu une accumulation de chalutiers-usine capables de transformer le poisson en mer. — Olafar Hannibalsson, commentateur politique et député suppléant en Islande, 29 octobre 1998

Cette inquiétude [sur les effets de la transférabilité] n'existe pas en Nouvelle-Zélande à cause de la nature de l'économie et du fait qu'il n'y a guère de localités qui dépendent exclusivement ou même avant tout de la pêche. Notre économie est très diversifiée. Ce problème n'est pas apparu. — Dr John H. Annala, gestionnaire, Politique scientifique, ministère des Pêches de la Nouvelle-Zélande, 27 octobre 1998

Nous avons une ressource publique qui a été privatisée en l'absence de tout débat public et qui s'est retrouvée entre les mains non pas des pêcheurs, mais bien des compagnies qui exploitent des usines. Quelle est l'étape suivante? Dans les localités côtières, nous ignorons la réponse à cette question. Nous n'avons aucun contrôle là-dessus. ? Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998

Sa [le MPO] principale fonction — et probablement la seule — c'est de voir combien cela va coûter. C'est une démarche à courte vue, parce qu'il ne pense pas plus loin et ne se demande pas: « Combien cela va coûter si les pêches ne prospèrent pas dans ces localités côtières?» — John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998

Si la vision pour les pêches en est une de privatisation et de contrôle accru des ressources par un moins grand nombre de personnes, alors l’approche des QIT est une réussite. Si le but est de procurer à quelques individus et sociétés des droits exclusifs à l’exploitation d’une ressource commune, alors les QIT sont un succès. Si l’objectif est de maximiser les profits et de minimiser les avantages qu’ils peuvent procurer à la population et aussi de marginaliser les localités côtières, alors les QIT sont un succès. — Cliff Atleo, membre du Nuu-chah-nulth Tribal Council, 17 novembre 1998

Il faudrait que les villages dont la pêche a toujours été le gagne-pain aient accès à la ressource locale vue comme un bien public collectif. Cela ne veut pas dire qu'il faut leur céder des droits de propriété privée sur la ressource, par exemple des QIT, mais plutôt des droits collectifs, des droits publics. ... Les QIT ont l'effet inverse et en sont l'antithèse. — David Coon, directeur de la politique, Conseil de conservation du Nouveau-Brunswick, 7 mai 1998

...[L]a motivation et l'horizon temporel pour un membre d'une collectivité ou pour celle-ci peuvent être un peu plus longs qu'un trimestre financier, parce que ces gens ont l'intention de rester. ... J'admettrai cependant qu'on se prend facilement à rêver sur cette question : il y a des factions et des intérêts au sein des plus petites populations qui peuvent donner lieu au même genre de problèmes. ... Je pense cependant qu'une approche communautaire est, à terme plus conforme à la façon de fonctionner de ce coin de pays. — Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit de l’Université Dalhousie, 1er octobre 1998.

L'emploi dans une pêche fondée sur les droits de propriété est réputé plus stable, plus permanent et moins saisonnier que dans la pêche concurrentielle où la ressource est de propriété commune.

Cependant, il faut insister sur le fait qu'au Canada, la pêche commerciale constitue le fondement économique et social d'une foule de localités qui sont surtout de petits villages isolés. Quant à la petite pêche, ce n'est pas seulement une activité économique, c'est également le fondement de la société. Les quotas individuels, particulièrement les quotas transférables, entraînent invariablement une réduction de la taille de la flotte et du nombre de pêcheurs, une diminution du nombre d'usines de transformation du poisson et du nombre d'employés et une réduction de la demande de services à terre connexes.

Le Comité partage les inquiétudes réelles de ceux qui craignent que les quotas transférables aboutissent à une concentration des permis entre les mains de quelques rares individus ou entreprises privilégiés et, en plus, sonnent le glas d'économies locales et de petits villages où les quotas de pêche et la transformation des prises bénéficient à toute une région côtière. Lorsque l'on tient compte des retombées économiques indirectes de la pêche, un scénario prévoyant le transfert des quotas et des activités de transformation dans d'autres lieux ne saurait être que catastrophique pour les populations côtières et finirait coûter très cher aux contribuables. À cet égard, nous commençons peut-être seulement à entrevoir et à comprendre les conséquences de l'introduction des QIT sur la côte Est.

En pratique, nous avons vu des compagnies titulaires de ces allocations d'entreprise fermer des usines de conditionnement du poisson dans le Canada atlantique, et ces allocations ont alors été déplacées ailleurs. À mon avis, c'est un échec de l'opération : rappelez-vous Canso. ? Dr Anthony T. Charles, professeur de gestion, Université Saint Mary's, 30 avril 1998

À cet égard, les quotas individuels non transférables ne créent aucune difficulté. Par ailleurs, les transferts de quotas individuels pourraient être limités à l'intérieur de régions géographiques étroitement définies comme formant une « collectivité » afin de réduire les effets négatifs mentionnés.

La « gestion communautaire » et les « quotas communautaires » ont aussi été mis de l'avant lors des audiences du Comité comme un meilleur moyen de gérer les stocks de poisson et de protéger l'emploi local(53). Dans certaines parties de la Nouvelle-Écosse, les membres du Comité ont appris que quelques flottes de petits bateaux de pêche du poisson de fond avaient mis au point un système de quotas communautaires. En vertu de ce système, une quantité donnée de poisson est attribuée sur une base communautaire, la côte étant divisée en sections aux fins de la gestion locale. D'abord mise à l'essai dans la collectivité de Sambro (près de Halifax), cette formule communautaire s'est étendue à d'autres régions. Par exemple, du côté néo-écossais de la baie de Fundy, les pêcheurs à engins fixes ont signé un contrat avec un conseil de gestion appelé le Fundy Fixed Gear Council. Les pêcheurs fixent eux-mêmes leurs propres quotas hebdomadaires en respectant le quota global attribué par le MPO. La méthode de gestion locale préconisée, dite des « jours de pêche », dissuaderait, semble-t-il, le rejet de poissons en mer.

Le Comité a également entendu parler d'une proposition mise de l'avant par une organisation incorporée, établie pour représenter les pêcheurs côtiers de la région néo-écossaise du golfe du Saint-Laurent (de la frontière du Nouveau-Brunswick jusqu'au cap Nord). Composé de représentants de huit organisations de pêcheurs côtiers, le Gulf Nova Scotia Fleet Planning Board (FPB) représente environ 75 p. 100 des 685 des pêcheurs côtiers authentiques(54), ainsi que 16 entreprises de pêche dites « professionnelles » dont neuf chalutiers de pêche du poisson de fond détenteurs de QIT. Par l'intermédiaire du FPB, les pêcheurs côtiers espéraient acheter ces QIT, leurs propriétaires ayant volontairement signé des ententes de vente. Le FPB comptait ensuite répartir ces quotas entre les pêcheurs, qui lui paieraient un droit (sur chaque livre de poisson) afin de rembourser le prêt(55).

En Colombie-Britannique, les membres du Comité ont appris qu'il y avait un fort mouvement en faveur d'une répartition régionale du poisson comme moyen de stabiliser les économies côtières locales. Au sujet de la possibilité d’instituer pareils quotas, des représentants de 14 Premières nations vivant sur la côte ouest de l’île de Vancouver ont fait valoir que le MPO utilise déjà cette méthode pour répartir le poisson comestible entre un grand nombre de collectivités autochtones; ils nous ont aussi informés qu’ils proposaient la création d’un conseil régional de gestion aquatique pour gérer les pêches dans la région en attendant la négociation d’un traité avec le gouvernement.

Les quotas communautaires et la gestion communautaire sont de nouvelles formules prometteuses et opportunes pour certains types de pêche(56), mais ils ne sont pas aussi bien définis que les quotas individuels comme modèles de gestion des pêches. Certains problèmes fondamentaux associés à ces méthodes incluent la définition de l'expression « pêche communautaire » et la délimitation des différentes « collectivités », y compris leurs prolongements équitables en mer(57).

En Nouvelle-Zélande, le Comité a appris qu'il n'y a pas de restriction sur les transferts de quotas, ni de système officiel pour évaluer l'impact socio-économique des QIT, et que la seule évaluation vigoureuse du rendement du régime se trouve dans l'effectif viable des stocks de poisson. Un autre porte-parole de ce pays a affirmé que les pêches ne figurent pas en aussi bonne place dans la conscience des Néo-Zélandais que dans celle des Canadiens, que la planification communautaire a été abandonnée en faveur du régime à quotas et que les conséquences communautaires ou sociales de ce régime n'ont jamais été prises en compte dans les équations sur les avantages ou les coûts des QIT. En Nouvelle-Zélande, les chercheurs viennent tout juste commencer à étudier l'impact social des QIT sur les populations rurales.

En Islande, les quotas individuels sont transférables entre bateaux de la même région. Les transferts interrégionaux sont soumis à certaines restrictions afin de stabiliser l'emploi local, mais on les considère peu importants et ils sont rarement bloqués. Les membres du Comité ont été surpris d'apprendre qu'on tient compte des huit circonscriptions électorales du pays, représentées par des députés, lors d'un transfert proposé. Pour ce qui est des quotas distribués au début de la campagne de pêche, on nous a dit que des restrictions sont apparues récemment : les bateaux de pêche ne peuvent transférer ou vendre que la moitié de leurs quotas, et toutes les transactions sont soumises au marché. Lorsqu'un bateau de pêche est transféré d'une localité à une autre, avec son quota, les pêcheurs et les pouvoirs locaux ont le premier droit d'achat sur ce bateau.

On nous a dit ce qui suit, sur le déplacement des quotas entre localités en Islande :

L'Islande présente une contrainte communautaire aux dispositions de transfert. ... On s'inquiète beaucoup du fait que les localités éloignées perdraient leur quota en faveur de Reykjavik, la capital et d'autres lieux. Plutôt que d'accorder des quotas strictement communautaires, on utilise un droit de premier refus. Si un quota doit quitter une région donnée, il faut d'abord l'offrir aux gens de cette région. Il est intéressant de constater... que les quotas quittent en fait Reykjavik. Il s'agit là d'une idiosyncrasie de l'Islande. Les quotas s'en vont plus tôt qu'ils n'arrivent. — Leslie Burke, directeur, Direction des analyses politiques et économiques (région des Maritimes), ministère des Pêches et des Océans, 20 février 1997.

Ni le régime à quota ni notre gestion n'offrent de protection pour les localités. Cela ne leur fait pas de tort non plus. Nous avons vu un mouvement de quota entre circonscriptions, depuis la création du régime. Il n'y a pas de tendance directe ou claire d'une circonscription à une autre, ou à destination d'une circonscription particulière. Ces transferts se font entre circonscriptions et au sein des mêmes circonscriptions surtout. Les changements au niveau des débarquements, d'une année à l'autre, ne sont pas plus considérables depuis l'introduction du régime qu'avant. — Ari Edwald, conseiller spécial du ministre des Pêches de l'Islande, 22 octobre 1998.

 

« DROIT PUBLIC DE PÊCHER » UN QUOTA PRIVÉ?

63. ... [L]es sujets de notre royaume auront et conserveront tous les droits, libertés et concessions ci-devant mentionnés, dûment et pacifiquement, librement et paisiblement, pleinement et entièrement, pour leur jouissance et celle de leurs héritiers, de notre part et de celle de nos héritiers, en toute question et en tout lieu, à jamais, comme il a été dit. En outre, serment a été fait, de nôtre part et de celle des barons, de respecter, de bonne foi et sans mauvaise intention, toutes les dispositions susmentionnées, devant les témoins ci-haut mentionnés et de nombreux autres. Remis de notre mais, dans la plaine dite de Runnymede sise entre Windsor et Stanes, le quinzième jour de juin, en la dix-septième année de notre règne. — La grande Charte des libertés anglaises, décrétée par le Roi Jean, à Runnymede, le 15 juin 1215 [traduction]

J'essaie d'éviter de parler de la Grande Charte parce que j'ennuie royalement mes étudiants quand je le fais mais je n'ai pas le choix ici. ... Depuis son adoption, ni le gouvernement ni la Couronne n'accordent ce droit dans les pêches, mais les assemblées législatives pourraient le faire en adoptant une loi claire et explicite en ce sens. On exagère peut-être en disant qu'un permis de pêche est simplement un privilège. — Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit de l'Université Dalhousie, 1er octobre 1998

Le Roi Jean Senterre d'Angleterre, lorsque, en 1215, il a signé la Grande Charte, a également renoncé au droit de la Couronne d'accorder des droits de pêche privée, enchâssant du même coup l'idée de pêche publique. —— Dr Peter H. Pearse, professeur, Université de la Colombie-Britannique, le 5 mai 1998

Le projet de loi C-62 nous préoccupe sincèrement. Le ministre du jour peut être une personne très gentille, il peut être un dictateur bienveillant. Nous pouvons avoir une très bonne situation ou alors une autre dans laquelle quelqu’un décide d’abuser de ces pouvoirs. — Roy Alexander, conseiller auprès de NTC Fishermen, Nuu-chah-nulth Tribal Council, 17 novembre 1998

Il convient de se demander sérieusement s’il s’agit là d’un moyen légitime de modifier les droits dans une démocratie parlementaire fondée sur la règle de droit. … Après plus de huit siècles d’existence, le droit public de pêcher mérite bien que chaque député ait le courage d’en débattre et de voter sur la question selon sa conscience et non selon la ligne du parti. ? Christopher Harvey, c.r., « The Abolition of the Public Right of Fishery Proposed by Bill C-62 ». Vancouver, 25 novembre 1996

Le prétendu « droit public à la pêche » est une question qu'on a soulevé durant les audiences du Comité sur la privatisation et sur les permis à quotas individuels dans les pêches commerciales canadiennes.

Le paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches(58) (adopté pour la première fois en 1868) définit les pouvoirs législatifs du ministre des Pêches et Océans comme suit :

7(1) En l'absence d'exclusivité du droit de pêche conféré par la Loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries — ou en permettre l'octroi —, indépendamment du lieu de l'exploitation ou de l'activité de pêche.

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l'autorisation du gouverneur général en conseil.

Comme on l'a déjà mentionné, de nouveaux pouvoirs sont proposés dans la Loi sur les pêches pour permettre au ministre des Pêches et des Océans de conclure avec certains groupes de pêcheurs des accords de partenariat pluriannuels à long terme qui lient les parties. Selon le MPO, ces accords vont notamment officialiser le rôle des intervenants dans les décisions de gestion touchant certaines pêches, et garantir une plus grande sécurité à l'endroit des permis de pêche.

Cependant, on ne sait pas très bien ce que signifie long terme dans ce contexte, et s'il est nécessaire d'apporter à la Loi sur les pêches les changements proposés dans le projet de loi C-62 de la dernière Législature(59) pour conclure des accords de partenariat, ou si les ententes actuelles de cogestion entre certaines organisations de pêche et le gouvernement fédéral sont même « légales ». Les détracteurs de C-62 ont soutenu que, même s'il n'est pas défini explicitement, l'objectif des articles 17 à 22 sur les Accords de gestion des pêches était d'abroger ou de supprimer le droit public de pêcher qui date de plusieurs siècles dans la common law.

Au Canada, la Loi constitutionnelle de 1867 a intégré les pratiques constitutionnelles britanniques au droit canadien. Les membres du Comité ont appris que la common law prévoit, en matière de pêche (depuis de la Grande Charte) un droit public d'accès aux pêches dans les eaux de marée. On nous a dit également que dans les eaux de marée, des droits de pêche exclusifs ne peuvent être créés ou reconnus que par sanction expresse du Parlement (en vertu d'une loi). Autrement dit, il existe un droit public à pêcher qui ne peut être abrogé que par l'adoption d'une loi compétente par le Parlement. À ce sujet, un juriste qui a comparu devant nous a formulé les observations suivantes :

Un QIT est plus qu'un permis. Il accorde un droit tangible.

... [J]e crois qu'il y a actuellement un procès à ce sujet, où il est soutenu qu'en procédant par voie administrative, l'État agirait clairement sans autorisation explicite de la loi, ce qui serait nier le droit public de pêcher, un droit qui est admis depuis la Grande Charte. Je suppose que ce sera au juge d'en décider.

Le problème que soulève le projet de loi — et c'est en partie un débat politique — est le degré de latitude à donner au ministre pour accorder ces droits ou les retirer. ... Il faudrait vraiment soumettre cette question aux tribunaux.

... [L]e fait de considérer les ententes de partenariat comme des dispositions administratives, de considérer la pêche comme une propriété privée et de restreindre le droit public de pêcher, peut constituer une abrogation inacceptable de ce droit. À mon avis, c'est là que se situe le problème. — Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit de l'Université Dalhousie, 1er octobre 1998.

L'accès public à la pêche est une question qui figurait également dans le débat entourant certaines pêches autochtones exploitées en vertu de la stratégie des pêches autochtones du gouvernement fédéral en Colombie-Britannique(60). En ce qui concerne les pêches autochtones, on pourrait observer en toute justice que le sujet va au-delà des questions de pêche, telles que définies normalement, et concerne beaucoup les revendications territoriales, les traités, l'autonomie et le gouvernement responsable, ainsi que les réclamations d'une plus grande part des ressources comme réparation des torts historiques allégués et pour la promotion de l'autosuffisante économique. Il est intéressant de noter que le juge en chef de la Cour suprême du Canada a dit ceci dans un arrêt sur une cause de droit autochtone en août 1996 :

En outre, il convient de signaler que les droits ancestraux affirmés et reconnus par le paragraphe 35(1) existent dans un contexte juridique où, depuis l'époque de la Grande Charte, on reconnaît en common law un droit de pêcher dans les eaux à marée qui ne peut être aboli que par l’édition de textes législatifs constitutionnels : les sujets de Sa Majesté ont le droit non seulement de naviguer mais également de pêcher en haute mer et dans les eaux de marée... Il est établi sans conteste en droit depuis la Grande Charte qu'aucune nouvelle pêcherie exclusive ne peut être créée par concession royale dans les eaux à marée, et qu'aucun droit public de pêcher dans ces eaux, existant alors, ne peut être retiré sans texte législatif constitutionnel(61).

 

CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Ma vision de l’avenir et de ce que nous cherchons à réaliser, c’est une pêche qui est viable, durable et bien gérée; une pêche qui permet aux propriétaires-exploitants indépendants et à leurs employés de bien gagner leur vie et qui assure aux villages côtiers une certaine prospérité économique; une pêche qui est composée de secteurs côtier, semi-hauturier et hauturier en bonne santé; une pêche ouverte à tous les secteurs, commercial, autochtone et récréatif; et une pêche dans laquelle le gouvernement et l’industrie collaborent à l’atteinte de ces objectifs. ? L’honorable David Anderson, C.P., député, ministre des Pêches et des Océans, 26 novembre 1998

La question de savoir qui est vraiment propriétaire des poissons qui nagent dans l'océan ne laisse planer aucun doute. Le fait est que c'est moi qui en suis propriétaire, et vous l'êtes également, ainsi que tous les Canadiens. En fait, l'une des principales raisons pour laquelle moi-même, en tant que Canadien, et tous les autres Canadiens avons à coeur de préserver nos ressources océaniques, c'est que c'est moi, en tant que Canadien, qui les possède et en tire profit. ... Il faut bien comprendre que le poisson demeure propriété publique. Il ne doit y avoir aucun doute là-dessus, et il en est de même pour le pétrole, le gaz, ou encore le bois sur les terres domaniales. Dans tous ces exemples, nous ne donnons pas notre pétrole ou nos arbres, et cetera. ? Dr Anthony T. Charles, professeur de gestion, Université St. Mary’s, 30 avril 1998

Nous avons peut-être repéré le problème comme étant un manque de droits de propriété. ... Cependant, cette conclusion est fausse si l'hypothèse de départ est fausse. C'est un peu comme si l'on se promenait avec un marteau et que tout commençait à ressembler à un clou. ? Philip M. Saunders, professeur agrégé, École de droit de l'Université Dalhousie, 1er octobre 1998

Ce n'est pas en imposant le modèle du droit de propriété qu'on trouvera la solution toute faite. Il faut un ensemble de politiques, et tous les intervenants, les savants et les gens au pouvoir doivent surveiller le système de très près. ? Catherine Wallace, chargée de cours principale en politique et économie publique, School of Business and Public Management, Université Victoria de Wellington, 27 octobre 1998

La plupart des économistes sont des pousse-crayons qui ne connaissent pas toutes les complexités de l'industrie de la pêche. C'est pourquoi ils acceptent sans discuter les QIT dans bien des cas. En théorie, c'est un merveilleux système, mais seulement en théorie. ? Dr Parzival Copes, professeur émérite d'économie, Université Simon Fraser, 21 mai 1998

[On note] l'émergence de modèles de gestion communautaire qui sont actuellement en place en Nouvelle-Écosse. Il y a d'autres cas de gestion communautaire qui apparaissent ailleurs dans le Canada atlantique. Il importe de savoir que c'est la principale tendance mondiale dans la gestion des pêches. ? Arthur Bull, coprésident, Nova Scotia Coastal Communities Network, 30 avril 1998

Toute tentative de privatisation des pêches par l'introduction d'un système fondé sur les quotas doit être gérée en fonction d'une vision de la société que l'on souhaite pour l'avenir. En Nouvelle-Zélande, nous n'avons pas vraiment pris le temps de réfléchir à ce que nous voulions exactement, mais dans les années 80, la tendance poussait très nettement dans le sens d'un système axé sur le marché. … Nous avions d'excellentes raisons pour agir ainsi en Nouvelle-Zélande. Je ne suis pas sûr que ces arguments soient aussi valables au Canada. ? Hamish Rennie, chargé de cours, département de géographie, Université de Waikato, Nouvelle-Zélande, 4 juin 1998

Les fonctionnaires islandais sont parvenus à acquérir une renommée mondiale [pour le système de gestion islandais], et ici au pays, de nombreux rapports d'institutions et de médias étrangers louangent ce système et considèrent que tous le monde devrait l'adopter... Ces rapports sont fondés sur des données qui sont produites, choisies, envoyées et la plupart du temps interprétées par les créateurs mêmes de ce système. ? Arthur Bogason, président, Association nationale des propriétaires de petits bateaux, 29 octobre 1998

Le système politique n'a pas été en mesure de résoudre ces questions parce que tous les partis sont divisés à ce sujet en Islande. Aucun parti n'a pu se constituer un programme exclusivement à partir de ces questions de manière que l'électorat islandais puisse adopter ou rejeter ce système. ? Olafur Hannibalsson, observateur politique et député suppléant en Islande, 29 octobre 1998

Il y a deux voies sur la question des modifications de la Loi sur les pêches. L'une consiste à adopter le projet de loi du gouvernement, qui permettra à celui-ci d'accorder un droit exclusif de pêche à un groupe déterminé; ce serait alors abandonner une liberté fondamentale arrachée à la Couronne par la signature forcée de la Grande Charte en 1215. L'autre façon consisterait, évidemment, à faire en sorte que la pêche demeure une ressource publique... ? John Radosevic, président, United Fishermen and Allied Workers Union, 5 mai 1998

Les tenants des droits de propriété tendent à rattacher tous les problèmes des pêches au fait que le poisson est vu comme une ressource publique. Cependant, les témoignages que nous avons entendus semblent montrer que les quotas individuels ne sont certainement pas la panacée que le gouvernement, les gestionnaires des pêches, certains chroniqueurs et éditorialistes et la plupart des économistes avaient espérée. Même si leurs plus fervents défenseurs prétendent qu'ils peuvent être conçus de manière à résister à toute critique, les quotas privés ont de très graves défauts et créent de nouveaux problèmes. Beaucoup ont affirmé au Comité que l'approche basée sur les droits de propriété avait été désastreuse pour la conservation des stocks et pour les collectivités tributaires de ces stocks.

Les pêches canadiennes diffèrent beaucoup des pêches islandaises et néo-zélandaises. Plus nous entendons de témoignages à ce sujet, plus cela nous semble évident. Nous remettons toutefois en question l'affirmation faite par de nombreux intervenants, notamment des fonctionnaires du MPO, selon laquelle les exemples dont ces personnes disposent montrent qu'il est possible d'établir des droits de propriété dans le secteur de la pêche tout en maintenant des pêches locales et de petite et moyenne envergures qui soient vigoureuses et pratiquées par des propriétaires/exploitants individuels. Les témoignages francs des experts de ces pays — qui critiquaient souvent de manière cinglante les répercussions des QIT — nous laissent entendre qu'il pourrait en être autrement.

Le MPO et d'autres intervenants aussi ont déclaré à maintes reprises qu'il y avait au Canada « trop de pêcheurs et pas assez de poissons ». Les QIT sont indéniablement un moyen des plus efficaces pour rationaliser ou réduire la taille de la flotte de pêche (le nombre de pêcheurs), mais certains membres du Comité s'interrogent sur la nécessité de rationaliser le secteur des petits bateaux, qui exploite moins intensivement la ressource que les flottes de navires à la fine pointe de la technologie. En effet, la surcapacité des flottes découle beaucoup plus de l'équipement de haute technologie, de la capacité de capture et de l'effort de pêche global que du nombre de pêcheurs. En fait, la réduction du nombre de pêcheurs pourrait bien avoir peu d'effets sur la diminution de la capacité de pêche. En passant, beaucoup de témoins ont dit au Comité que l'histoire montrait que le secteur des petits bateaux et des exploitants de petites usines était capable de s'adapter et de demeurer concurrentiel même lorsque la situation changeait. Dans une industrie marquée par un cycle de forte croissance et de déclin comme la pêche, les artisans des politiques et décideurs devraient accorder une grande valeur à une telle capacité d'adaptation.

L'argument du MPO voulant que les permis à quotas favorisent l'« efficience » — ce que les économistes définissent comme étant un moyen de tirer le maximum des ressources au moyen d'un investissement en main-d'oeuvre et en capital le plus faible possible — est trop simpliste et trop restrictif dans le cas des pêches. Quant à la protection de l'intérêt public, il serait peut-être plus raisonnable de viser comme objectif de tirer le maximum de chaque poisson capturé. Pour ce qui est de l'efficience, on pourrait avancer avec certitude que la pêche traditionnelle (concurrentielle) est plus compatible avec le système de la « libre entreprise » que les quotas individuels parce que la pêche concurrentielle récompense ceux qui travaillent le plus fort.

Des témoins ont rappelé au Comité que le concept de la propriété commune jumelée à un accès limité, quoiqu'il ne soit pas parfait, peut être raffiné pour atteindre les objectifs de l'État, notamment réduire la capacité de pêche excessive (si cela devait être un objectif). Par exemple, les programmes de rachat de permis peuvent être mis en oeuvre sans recourir à des droits de pêche fondés sur la propriété. Il convient de souligner que la propriété commune de la ressource est souvent assimilée à tort à un « libre accès » à la ressource. Au Canada, la pêche fondée sur la propriété commune est une pêche à accès limité. La propriété commune de la ressource ne pose pas non plus de problèmes; la pêche du homard sur la côte est est ainsi basée sur ce concept, avec un contrôle de l'effort de pêche et sans quotas, et c'est la mieux gérée de toutes nos pêches.

Idéalement, le système de gestion des pêches devrait posséder toute la souplesse voulue pour s'adapter à chaque cas particulier parce que la pêche englobe un système biologique, économique et social complexe où interviennent de nombreux facteurs. Chaque espèce de poisson est caractérisée par ses comportements, sa population, sa distribution, et sa valeur marchande. La durée des saisons de pêche varie selon l'espèce, bien sûr, mais aussi selon la région et selon l'année. Les pêcheurs détiennent différents types de permis, ils ont des bateaux de pêche de dimensions différentes, ils utilisent des engins de pêche différents, ils appartiennent à différentes organisations et ils consacrent des sommes et un temps différents à leur activité. La complexité de l'industrie varie beaucoup d'une région à l'autre et le contexte social diffère énormément entre les régions. Les méthodes de transformation du poisson sont aussi variées que les régions de pêche. La pêche défie toutes les généralisations simplistes. C'est pourquoi il est préférable de ne pas s'en remettre à un seul système qui s'applique à tous et partout.

Les permis à quotas individuels devraient donc être considérés comme l'un des outils de gestion à utiliser parmi d'autres, et non comme le seul de ces outils. D'après les témoignages entendus, ces permis devraient être limités aux secteurs où il y a relativement peu d'intervenants, où les stocks sont relativement stables et où les collectivités sont relativement peu dépendantes de ces stocks. Ce type de permis serait probablement plus indiqué dans le cas des pêches de nature plus industrielle, comme la pêche de la morue charbonnière du Pacifique.

Il y a aussi une autre question importante à examiner : faut-il limiter les revenus générés par les permis à quotas en répartissant d'une manière ou d'une autre la richesse entre les pêcheurs ou en la retournant au gouvernement fédéral sous forme de « rente» sur la ressource en échange du privilège exclusif d'exploiter une ressource « privée », mais « appartenant néanmoins à l'ensemble de la population »? Dans certaines situations, les quotas privés, qu'ils soient transférables ou non, ont permis à des pêcheurs de devenir millionnaires en exploitant une ressource qui est dans bien des cas au bord de l'épuisement.

On a également porté à notre attention que la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer préconise que les mesures de conservation et de gestion des ressources halieutiques tiennent compte des besoins économiques des collectivités côtières. En reconnaissant le lien entre les petites collectivités de pêche et la garde des ressources halieutiques adjacentes, le Code de conduite des Nations Unies pour une pêche responsable (article 6.18) invite les États à protéger les droits des collectivités indigènes et des petites localités de pêcheurs. En tant que signataire de cette convention et d'autres ententes des Nations Unies, le gouvernement fédéral a le devoir de protéger les intérêts de ses flottes de petits bateaux de pêche. Dans les pêches à petite échelle où les propriétaires-exploitants individuels prédominent, une approche communautaire où les règles et les règlements de gestion des pêches sont fixés localement convient probablement mieux que des quotas individuels. Les approches axées sur les droits de propriété oublient qu'il se peut que les collectivités disposent déjà de processus sociaux bien établis (traditionnels) pour permettre l'accès à une pêche.

Dans des rapports antérieurs, le Comité sénatorial permanent des pêches déplorait le fait que nous attendions depuis trop d'années une vision claire, cohérente et explicite de la pêche assortie d'objectifs, de priorités et de stratégies spécifiques pour d'une part donner au gouvernement et à l'industrie de solides bases sur lesquelles asseoir leurs décisions à long terme et d'autre part garantir que ces deux acteurs vont dans la même direction. Pour atteindre des objectifs communs dans le domaine de la pêche, il faudra que tous les intervenants s'entendent sur le sens des mots « surcapacité », « efficience », « propriété », « cogestion » et « partenariat ». Qu'ils constituent des « droits d'allocation », des « droits d'utilisation », des « droits de quasi-propriété » ou bel et bien des « droits de propriété », il est certain que les quotas individuels représentent une rupture radicale par rapport aux traditions dans le domaine des pêches.

Les QIT concentrent, au fils des ans, l'accès aux pêches entre les mains d'un groupe toujours plus restreint, mais riche; en fait, on peut pratiquement affirmer que cette « rationalisation » (c.-à-d., la réduction du nombre de pêcheurs et de bateaux) constitue leur raison d'être. Beaucoup craignent que cela aboutisse un jour à une « corporatisation » de la pêche, qui deviendra alors une industrie gérée comme une usine et où les employés seront ceux qui en tiraient traditionnellement leur subsistance, c'est-à-dire les pêcheurs indépendants. Dans certains secteurs, les opinions sont très fortement colorées par l'éternel débat sur les avantages économiques, sociaux et environnementaux relatifs de la pêche à petite échelle pratiquée à l'aide de bateaux individuels et exigeant beaucoup de main-d'oeuvre, et la pêche industrielle pratiquée par des entreprises et exigeant beaucoup de capitaux. On craint aussi qu'avec la mondialisation du commerce, le gouvernement fédéral soit incapable d'empêcher que les ressources halieutiques canadiennes ne tombent entre les mains ou sous le contrôle d'intérêts étrangers. Les collectivités et familles qui tirent depuis longtemps leur subsistance de la pêche méritent qu'on examine plus attentivement ces craintes.

Au cours de la dernière décennie, le Comité a entendu de nombreux intervenants du secteur des petits bateaux dire que, à leur avis, le gouvernement et les artisans des politiques favorisaient secrètement la pêche fondée sur des droits de propriété. Ces intervenants ont l'impression que les droits de propriété leur sont imposés. Leur nervosité et leurs craintes semblent justifiées. Les quotas individuels transférables sont sans l'ombre d'un doute un outil idéal pour réduire le nombre de pêcheurs sans que cela ne coûte un sou à court terme au gouvernement. En outre, à plus long terme, les quotas privés transférables simplifieraient probablement la tâche au MPO pour la gestion des pêches, puisqu'il y aurait diminution du nombre d'entreprises de pêche, de lieux de débarquement et d'usines de transformation.

Au Canada, la privatisation des droits de pêche a été entreprise au début des années 80, principalement à l'initiative des fonctionnaires. Ce processus graduel s'est étendu sur plusieurs années et a été mis en oeuvre par plusieurs ministres des Pêches. Les fonctionnaires du MPO ont également négocié des ententes de cogestion avec certains groupes de pêcheurs. On propose maintenant d'inclure dans la Loi sur les pêches de nouveaux pouvoirs afin de permettre au ministre des Pêches et des Océans de conclure des « accords de partenariat » à long terme qui lieraient les parties. À ce sujet, des membres du Comité ont été informés que les modifications à la Loi sur les pêches proposées au cours de la dernière législature (projet de loi C-62) contenaient des dispositions sur les ententes de gestion des pêches qui étaient destinées à abroger le droit public de pêcher, un droit fondamental qui existe en common law depuis la signature de la Grande Charte. En vertu de la Loi constitutionnelle de 1867, qui a intégré au droit canadien la common law et les pratiques constitutionnelles britanniques, la sanction expresse du Parlement est absolument nécessaire pour déplacer ce soi-disant « droit public de pêcher » dans les eaux de marée et pour reconnaître ou créer une pêche exclusive. Nous sommes d'avis que les Canadiens devraient être consultés avant qu'une mesure législative semblable au projet de loi C-62 ne soit présentée de nouveau au cours de la présente législature.

Enfin, le débat sur les quotas individuels s'est jusqu'à maintenant limité aux cercles universitaires, aux bureaux gouvernementaux, aux porte-parole des pêcheurs et à certains chroniqueurs et éditorialistes. La population canadienne devrait être mieux informée sur cette question. Les contribuables en particulier devraient se méfier des clichés éculés et des prétentions exagérées des plus ardents partisans de la privatisation de la pêche. Au bout du compte, ce sont en effet eux qui auront à payer la note si les petites collectivités de pêcheurs sont abandonnées.


RECOMMANDATIONS

1. Le Comité recommande que le gouvernement du Canada fasse par écrit une déclaration publique claire et sans équivoque dans laquelle il décrira la nature des quotas individuels et le rôle qu’ils sont appelés à jouer dans la pêche de l’avenir.

2. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans fasse par écrit une déclaration publique claire et sans équivoque sur ce que l’on entend par « partenariats pluriannuels liant le gouvernement et l’industrie » (ou « accords de partenariat ») et qu’il précise si ces accords visent à annuler le « droit public de pêcher » qui existe en common law. Le Ministère devrait indiquer les dispositions de l’actuelle Loi sur les pêches qui empêchent le ministre de conclure de tels accords avec les divers groupes de l’industrie.

3. Le Comité recommande que la question de la privatisation des pêches canadiennes et des permis à quotas individuels fassent l’objet d’un débat au Parlement canadien.

4. Le Comité recommande qu’aucun nouveau permis à quotas individuels transférable ou non ne soit délivré au Canada jusqu’à ce que des déclarations publiques écrites sur les quotas individuels et sur les accords de partenariat (recommandations 1 et 2) aient été faites par le ministère des Pêches et des Océans, et qu’un débat parlementaire (recommandation 3) ait eu lieu.

5. Le Comité exhorte le ministère des Pêches et des Océans à étudier de manière plus approfondie les répercussions sociales et économiques à long terme que les permis à quotas individuels, en particulier ceux qui sont transférables, ont sur les collectivités côtières autochtones ou autres du Canada, et qu’il n’élargisse pas le régime des quotas individuels avant qu’on aie évalué à fond les besoins de ces collectivités côtières autochtones ou autres.

6. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans fasse par écrit une déclaration publique claire et sans équivoque, précisant s’il considère les pêches commerciales du Canada sur une base avant tout industrielle ou plutôt comme le fondement économique d’un mode de vie canadien traditionnel.

7. Le Comité recommande que le Sénat renvoie le Budget des dépenses du ministère des Pêches et des Océans au Comité sénatorial permanent des pêches pour examen.

8. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans commence immédiatement à appliquer la politique sur la séparation de la flottille de l’Atlantique. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans commence immédiatement à appliquer la politique sur la séparation de la flottille de l’Atlantique — c’est-à-dire la réglementation visant à empêcher l’intégration verticale des transformateurs, ce qui leur permettrait de récolter le poisson — et les politiques destinées à restreindre la propriété des quotas individuels en fonction de certaines limites maximales. le Ministère devrait continuer à appliquer les règlements restreignant la propriété des permis de pêche détenus par des intérêts étrangers.

9.Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans répartisse plus équitablement la ressource afin que les petits pêcheurs puissent jouer un rôle plus important au sein de l’industrie de la pêche.

10. Le Comité recommande que le ministère des Pêches et des Océans cesse de citer en exemple le système de gestion des quotas individuels de la Nouvelle-Zélande et de l’Islande tant qu’il n’aura pas tenu pleinement compte des critiques qui viennent de ces pays à l’égard de ce système.


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