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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du comité sénatorial permanent
des affaires étrangères

Fascicule 30 - Témoignages


OTTAWA, le mercredi 10 mars 1999

Le comité sénatorial permanent des affaires étrangères, à qui a été confiée l'étude du projet de loi S-22, Loi autorisant les États-Unis à effectuer au Canada le précontrôle en matière de douane, d'immigration, de santé publique, d'inspection des aliments et de santé des plantes et des animaux à l'égard des voyageurs et des marchandises à destination des États-Unis, se réunit aujourd'hui à 18 h 05 pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur John B. Stewart (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous devons examiner ce soir le projet de loi S-22, Loi autorisant les États-Unis à effectuer au Canada le précontrôle en matière de douane, d'immigration, de santé publique, d'inspection des aliments et de santé des plantes et des animaux à l'égard des voyageurs et des marchandises à destination des États-Unis.

Chers collègues, nous nous sommes réunis la semaine dernière pour amorcer notre étude de ce projet de loi. Depuis lors, j'ai revu les témoignages que nous avons entendus. Sans vouloir engager le comité dans un sens ou dans l'autre -- en fait, je n'en ai pas la capacité --, j'ai toutefois l'impression que, sur le strict plan de la logistique du voyage, ce projet de loi est avantageux. Par exemple, un voyageur qui se rend aux États-Unis depuis le Canada doit se présenter aux autorités américaines soit à son aéroport de départ, soit à son point d'arrivée aux États-Unis. Dans la plupart des cas, il est plus commode pour ce Canadien de se présenter aux autorités américaines avant son départ du Canada.

Il en va de même des voyageurs qui ne font que transiter par le Canada en direction des États-Unis. Les transporteurs canadiens, tout comme nos autorités aéroportuaires, ne demandent d'ailleurs pas mieux que d'offrir cette commodité aux voyageurs à destination des États-Unis.

Si j'ai bien compris, de la façon dont il est actuellement libellé, ce projet de loi poserait cependant certains problèmes, de la façon dont il est actuellement libellé, principalement en ce qui touche le respect de la souveraineté canadienne et des droits garantis dans notre pays.

J'invite maintenant les témoins à prendre la parole.

Mme Tamra Thompson, directrice, Législation et réforme du droit, Association du Barreau canadien: Honorables sénateurs, l'Association du Barreau canadien est heureuse de pouvoir comparaître devant vous à propos du projet de loi S-22, et ce, même si nous n'avons été prévenus de notre comparution qu'assez tardivement.

L'Association du Barreau canadien est un organisme national qui représente au-delà de 35 000 juristes de l'ensemble du Canada. L'amélioration du droit et de l'administration de la justice est un de nos principaux objectifs, et c'est dans cet esprit que nous vous faisons part de nos commentaires aujourd'hui.

Je dois également vous signaler qu'en raison des contraintes de temps, il ne nous a été possible de vous remettre pour l'instant notre mémoire qu'en anglais. Nous vous en procurerons la version française dans les meilleurs délais.

Je vais d'abord demander à M. Greene, puis à M. Greenberg, de vous exposer l'essentiel de notre mémoire que vous avez devant vous.

M. Michael A. E. Greene, trésorier, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, Association du Barreau canadien: Comme l'a mentionné Mme Thompson, nous n'avons malheureusement pas été en mesure de faire traduire notre mémoire à temps pour cette séance, mais nous vous en ferons parvenir la version française dès que possible.

Nous n'avons pris connaissance de ce projet de loi qu'il y a dix jours, lorsque votre comité nous en a saisis. Personne ne nous en avait parlé jusqu'alors, et, même s'il en était question sur le site Internet du comité des affaires étrangères et qu'il s'y trouvait depuis deux ou trois mois, nous n'en étions pas conscients parce que nous n'avions pas regardé au bon endroit.

À l'examen du projet de loi, les membres de notre Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté n'y ont pas moins décelé de graves lacunes. Nous y avons observé des éléments qui pourraient être lourds de conséquences et que nous tenons à porter à votre attention.

Nous souscrivons à l'idée d'une loi pour régir les zones de précontrôle et nous appuyons le principe des zones de précontrôle. Comme l'ont mentionné les sénateurs, l'autorisation des zones de précontrôle se traduit par de nombreux avantages. Ces zones accommodent les voyageurs et contribuent à accroître le trafic aérien international.

Il importe de faire la distinction entre la notion de transit et celle de précontrôle. Les passagers aériens qui font escale au Canada sont dirigés vers une zone de transit. Tous nos aéroports souhaitent disposer d'une telle zone, qui leur permet d'accueillir davantage de vols et de passagers en provenance de l'étranger.

Il ne fait pas de doute qu'il est passablement intéressant pour les États-Unis d'avoir des zones de précontrôle sur notre territoire, et c'est là un aspect que nous ne devons pas perdre de vue. Les avantages ne sont pas que pour nous. Il est beaucoup plus facile pour les Américains d'appliquer leurs lois à l'extérieur des États-Unis, car ils n'ont alors pas à se préoccuper autant des garanties constitutionnelles. Il leur est beaucoup plus simple de renvoyer les gens chez eux s'ils sont plus près de leur point de départ que s'ils sont déjà aux États-Unis, car, dans ce dernier cas, ils ont accès au système judiciaire américain et il en coûte alors plus cher pour les renvoyer dans leur pays.

Les États-Unis exercent ainsi un précontrôle depuis les années 50. Nous ne faisons pas de même aux États-Unis. Nous le souhaiterions, mais ce n'est pas encore le cas.

Bref, nous sommes favorables à cette idée parce que nous la croyons valable. Cependant, nous avons de sérieuses réserves concernant le projet de loi S-22. Nous croyons qu'il comporte de graves vices de forme. Nos réserves sont à ce point importantes que, selon nous, le projet de loi devrait être retiré et revu pour permettre qu'on y apporte des modifications majeures.

Si l'examen du présent projet de loi devait suivre son cours, il faudrait, à notre avis, en modifier considérablement certaines dispositions. Nos réserves portent sur le fait que le projet de loi constitue un empiétement injustifié et inacceptable sur notre souveraineté et sur les droits individuels des Canadiens et des personnes se trouvant en sol canadien.

Bien que nous soyons favorables à l'adoption d'une loi sur le précontrôle, nous croyons qu'on peut le faire convenablement sans permettre de tels empiétements. À l'heure actuelle, quiconque, en route vers les États-Unis, passe par une zone de précontrôle le fait de son plein gré. Lorsqu'il se présente à la zone de précontrôle, le passager est accueilli par un douanier et un agent d'immigration américains. Il est libre d'accepter de se soumettre à une inspection et à une fouille pour convaincre le contrôleur que lui-même et les marchandises qu'il transporte sont légalement admissibles aux États-Unis. Si, à toute étape du processus, un problème se pose, il peut retirer sa demande. Il est en sol canadien. Il peut simplement dire: «Je désire interrompre mes démarches et rentrer chez moi».

Ce projet de loi modifierait radicalement ce rapport. Le passager n'aurait plus le droit de faire marche arrière. M. Greenberg vous fournira certaines précisions sur la façon dont le processus se déroule.

Bien que l'article 10 stipule qu'une personne a le droit de se retirer, il restreint en réalité ce droit en disposant qu'un simple soupçon d'infraction, aux termes d'un article au demeurant fort vague, peut se traduire pour elle par la perte de son droit de retrait. Il s'agit là d'une modification fondamentale du processus de précontrôle et d'un abandon de son caractère volontaire, ce qui nous inquiète forcément. Nous jugeons cette mesure non nécessaire, et nous croyons qu'elle soulève de nombreuses questions d'ordre constitutionnel et juridique, qui touchent d'ailleurs la protection des droits.

Nous reconnaissons que ce projet de loi s'inscrit dans un processus de négociation et que les Américains souhaitent se voir conférer certains pouvoirs. Ils sont comme le «big brother» à qui il nous faut imposer des limites, sans quoi il persistera à exercer sur nous des pressions. Je considère qu'ils sont déjà allés trop loin à cet égard et que nous ne devrions pas structurer le projet de loi de cette façon, car il ne s'impose pas que nous fassions autant de concessions pour leur permettre d'exercer efficacement les contrôles qu'ils jugent nécessaires.

L'autre aspect que j'aimerais aborder, c'est l'idée que ce projet de loi se fonde sur le principe de la réciprocité. Rappelons-nous qu'actuellement, il n'y a pas de réciprocité. Bien que la loi américaine stipule que les États-Unis peuvent consentir des avantages réciproques à tout pays qui leur concède ces pouvoirs, la réalité, c'est qu'il n'existe pas actuellement de telle réciprocité. C'est une entente proprement à sens unique. Ils exercent un précontrôle depuis notre territoire, mais nous n'en exerçons pas depuis le leur.

M. Howard D. Greenberg, ex-président, Section nationale du droit de l'immigration et de la citoyenneté, Association du Barreau canadien: Quand le texte du projet de loi a initialement été porté à l'attention des membres de l'Association du Barreau canadien, il s'est écoulé environ une semaine avant qu'il suscite des réactions, car il a l'air très inoffensif. À la lecture de ce bref projet de loi, on est porté à croire qu'il ne contient pas grand-chose de nouveau, qu'il ne fait que décrire ce qui se passe déjà dans nos aéroports, et on a tendance à ne pas y regarder de plus près.

Dans notre pratique, M. Greene et moi représentons des sociétés multinationales au Canada. En parcourant le projet de loi, je me suis pris à m'inquiéter des dispositions qu'il contient, et ce, à divers égards. Je me suis dit que je vous expliquerais un peu de quoi il en retourne, de façon à ce que quand vous repartirez avec ce document, à savoir le mémoire que nous avons rédigé, vous serez en mesure de l'aborder dans une certaine perspective.

Le président: Le document en question n'ayant pas été traduit en français ni par vous ni par nous pour le comité, je préférerais que vous évitiez de vous y référer puisque le comité n'en a pas été adéquatement saisi.

M. Greenberg: Une fois que notre mémoire aura dûment été remis au comité, vous aurez à l'esprit qu'il tente de considérer ce projet de loi sous différents aspects, le premier étant celui des politiques, dont M. Greene vient de vous entretenir. Sur ce plan, dans un contexte planétaire, nous ne saurions entraver le déplacement libre et facile des voyageurs d'affaires et des gens qui exercent leurs activités dans divers pays. Nous devons plutôt faciliter ces déplacements, ce que fait d'ailleurs le projet de loi, du moins en apparence.

Nous ferions bien de commencer par l'article 6 du projet de loi, qui traite le projet de loi comme s'il relevait du droit administratif. On le présente comme ne visant qu'à mettre de l'ordre dans un ensemble de pratiques qui ont cours depuis une vingtaine d'années. En réalité, ce projet de loi va beaucoup plus loin que ne le ferait une mesure législative d'ordre purement administratif.

Essentiellement, le projet de loi habilite les contrôleurs américains à appliquer en sol canadien, dans des zones désignées de précontrôle dans les aéroports canadiens, les lois américaines en matière d'immigration, d'agriculture et de douane, définies dans cette loi comme le droit de précontrôle. Dès lors qu'on établit qu'il y a eu fausse déclaration, l'infraction est réputée avoir été commise à l'encontre non pas de la loi américaine, mais de la loi canadienne. La loi canadienne sert donc à faciliter l'application de la loi américaine en territoire canadien dans une zone de précontrôle canadienne occupée par des contrôleurs américains.

Je m'adresse à vous non pas en ma qualité d'avocat, mais de voyageur.

Pour l'examen de l'article 10 du projet de loi, supposons que nous nous trouvions vous et moi à l'aéroport d'où nous sommes censés nous envoler vers Miami. Je viens tout juste de me présenter à un contrôleur dans une zone de précontrôle. Le contrôleur cherche à établir mon admissibilité. Il scrute mes déclarations. À ce stade, j'ai le droit de poursuivre ma participation à ce processus ou d'y mettre fin, sauf si le contrôleur m'informe qu'il a des motifs raisonnables de me soupçonner d'avoir commis une infraction aux termes de l'article 33.

Selon nous, du moment qu'on me communique une telle information, je suis réputé en détention. Si je tente alors d'échapper au contrôleur, les articles 33 et 34 entrent en jeu, ce qui a pour double conséquence de me rendre coupable d'entrave au travail d'un contrôleur et de me voir inculpé pour une infraction hybride punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou par mise en accusation.

De quoi le contrôleur me soupçonne-t-il? À la vue de l'article 33, nous nous sommes pris à nous inquiéter des conséquences de ce projet de loi. Cet article dispose que «Quiconque donne des renseignements faux ou trompeurs... dans une déclaration écrite ou orale faite au contrôleur, ou y participe ou y consent...» est coupable d'une infraction.

Voyons ce qui pourrait se produire. Disons que je suis conseiller juridique pour le compte de la société IBM, qui désire envoyer un employé en mission commerciale aux États-Unis. Normalement, j'informerais IBM qu'à mon avis l'employé aura besoin d'un visa B-1. Je collaborerais à la rédaction de la lettre de demande de visa et j'y mentionnerais que l'employé va séjourner aux États-Unis pour affaires. C'est, disons, le vice-président qui enverrait la lettre à l'employé, lequel la présenterait à l'aéroport. Le contrôleur peut fort bien se mettre à croire que l'employé se rend aux États-Unis non pas pour affaires, mais pour y travailler. Il suffit qu'il vienne à l'esprit du contrôleur de tels soupçons pour que l'employé soit détenu. Si le contrôleur persiste à soupçonner ainsi l'employé, celui-ci est remis à un agent canadien. Qu'a fait cet employé? Il a tout au plus présenté une lettre préparée par un conseiller juridique de la société qu'il représente.

Qui est responsable? Si l'on s'en tient strictement au libellé de l'article 33, le vice-président de la société en question l'est en partie pour avoir demandé qu'on rédige la lettre. Il en va de même pour moi, qui ai joué mon rôle de conseiller et rédigé la lettre. Quant au pauvre employé, qui n'a fait que ce qu'on lui a demandé de faire, il est réputé avoir lui aussi une part de responsabilité pour avoir présenté la lettre. Par conséquent, chacun d'eux est responsable.

Importe-t-il que l'employé ait été conscient de la situation? Non; le mot «sciemment» ne figure nulle part. Il ne s'agit pas d'une loi administrative. Cette loi tient du droit criminel, sans toutefois qu'il y soit tenu compte de la notion de mens rea -- l'intention coupable. Cet employé n'a rien voulu faire de mal.

Dans ce cas-ci, la teneur de la déclaration n'importe pas. Si j'ai déclaré au contrôleur que je me rendais en Floride, et que je passe d'abord par la Californie, j'ai fait une fausse déclaration. Ce détour n'a probablement aucune importance, mais l'article en question ne tient pas compte de cet aspect. L'infraction a été commise.

Le fait de prévoir à l'article 33 de ce projet de loi, qui est censé être d'ordre administratif, une sanction pénale pour le simple fait de chercher à entrer aux États-Unis est fondamentalement injustifiable, et ce, d'ailleurs, pour une raison autre que celle dont a fait état M. Greene. Il s'agit là d'un élément essentiel de la loi. Nous croyons que le ministère s'est inspiré des dispositions de la Loi sur les douanes, qui visent une personne qui entre au Canada, pour les appliquer, dans ce projet de loi, à une personne qui quitte le Canada.

Si, dans deux arrêts, la Cour suprême du Canada s'est prononcée pour le maintien de décisions de tribunaux qui avaient autorisé ce genre de libellé qui reconnaît aux contrôleurs le pouvoir de soupçonner une personne, c'est que ces contrôleurs sont les gardiens du système canadien. Ils nous protègent. Et si la Cour suprême leur donne tant de latitude, c'est qu'en dernière analyse, ce n'est que sur eux que nous pouvons compter pour empêcher certaines personnes d'entrer dans notre pays.

Toutefois, comment peut-on justifier une politique qui a pour objet d'accorder cette même latitude à un contrôleur américain qu'on autorise à traiter avec un citoyen canadien à son départ de notre pays? À cet égard, pourquoi les Américains ne s'en tiendraient-ils pas à traiter avec cette personne à sa descente d'avion? Ils ont déjà en place tout un système leur permettant de recueillir les renseignements voulus pour pouvoir appréhender tout suspect qui leur arrive par avion. Par conséquent, il est proprement injustifiable qu'on songe ainsi à inclure dans cette loi canadienne une telle norme douanière pour aider les Américains à appliquer leurs propres lois chez nous, et l'adoption d'un régime où le plus innocent des commentaires peut être jugé illégal rend la chose encore plus problématique.

Il demeure que l'adoption de ce projet de loi serait souhaitable, pourvu toutefois qu'on en retranche les dispositions pénales pour les remplacer par un régime de soumission volontaire du genre de celui qu'on applique actuellement dans les aéroports pour la détection des armes. Quiconque refuse de s'exposer au détecteur d'armes peut toujours quitter les lieux. Lorsqu'il entend le «bip», il peut faire demi-tour. Toute personne qui accepte de se soumettre au processus le fait librement, et non sous la menace de se voir inculpée d'un acte criminel, surtout quand c'est un contrôleur américain qui lui fournit l'explication.

Le sénateur Grafstein: J'aurais une seule question de fond à poser. Il va nous falloir examiner attentivement cette documentation et obtenir le point de vue du ministère avant d'en arriver à une conclusion. Je crois que les témoins ont clairement fait valoir leurs arguments. Étant actuellement membre de l'Association du Barreau canadien, je vous signale qu'il se peut que je sois en conflit d'intérêts.

L'objet de ce projet de loi découle-t-il d'un traité, ou d'une convention? Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un traité ou d'une convention entre le Canada et les États-Unis. Si je comprends bien, sans avoir lu le traité, cet accord nous oblige à l'appliquer par voie de ratification interne en modifiant une loi canadienne existante ou en en adoptant une nouvelle.

Avez-vous lu le traité et avez-vous cherché à vous assurer, en gardant à l'esprit toutes les garanties que vous avez mentionnées, que vos amendements respectent aussi étroitement qu'il se doit l'essence du traité?

Le gouvernement est habilité à conclure un accord. Ce pouvoir n'appartient pas au Parlement, mais au gouvernement. Si je comprends bien, notre obligation à nous, si le gouvernement opte pour la conclusion d'un tel accord, est de nous assurer que le projet de loi qui pourrait en découler respecte le plus possible l'esprit du traité, à moins qu'il ne soulève une question de fond. C'est alors une toute autre histoire, et le problème devient beaucoup plus complexe, comme vous pouvez le constater.

Ma question est la suivante: avez-vous lu le traité et êtes-vous en mesure de nous assurer que vous vous êtes employés à en scruter le mieux possible les divers éléments, en veillant à ce que les modifications proposées soient conformes au droit canadien?

M. Greene: À ce qu'il me semble, il ne s'agit pas d'un traité du genre de l'ALENA. Ce n'est pas du même niveau. On a conclu un accord de coopération visant l'adoption de lois et la mise en place d'installations qui permettraient, par exemple, de faciliter les déplacements transfrontaliers des personnes et des marchandises et d'accroître la sécurité et l'efficacité aux frontières.

Je dois avouer que je n'ai lu qu'un résumé de l'accord, que j'ai obtenu auprès du ministère des Affaires étrangères, mais j'ai l'impression que cet accord ne va pas dans les détails du cadre d'exécution ou des modalités de fonctionnement. Ce sur quoi il porte, c'est sur les obligations générales relatives aux efforts de collaboration visant à rendre plus efficaces les services et les mécanismes de contrôle aux frontières.

Je ne saurais vous dire en quoi consistent les attributions du Parlement à cet égard; cependant, il est important que nous nous penchions sur l'accord en question. Nous appuyons cet accord et nous souscrivons à ses principes, à savoir la collaboration, le renforcement de la sécurité et la facilitation des déplacements transfrontaliers. Tout cela n'est que souhaitable. Nous y souscrivons et nous vous incitons à faire de même. Cependant, nous devons également de tenir compte des droits des Canadiens, de la Charte des droits, ainsi que du droit canadien et des garanties juridiques canadiennes.

Nous constatons que ce projet de loi autorise des empiétements sur notre souveraineté qui touchent les droits de la personne, et je vous signale respectueusement que, selon moi, nous devrions envisager des façons d'atteindre le même objectif le plus efficacement possible sans toutefois permettre qu'on empiète indûment sur notre souveraineté. À l'examen du présent projet de loi, on y constate des empiétements inacceptables; nous soutenons qu'il y aurait d'autres moyens efficaces d'atteindre l'objectif qu'il poursuit sans créer une situation où des pouvoirs étendus -- pouvoirs de détention, de fouille, de saisie, d'imposition d'amendes, de confiscation et de recours à la force -- sont conférés à des contrôleurs étrangers chargés d'appliquer des lois étrangères en sol canadien. Cette loi créera des infractions pénales canadiennes.

Le sénateur Grafstein: Je comprends tout cela. Vous avez très bien fait valoir votre point de vue.

J'aimerais maintenant aborder la question des fouilles par palpation. Je suis enclin à souscrire à la remarque que vous formulez dans votre mémoire, à savoir que l'article 23 devrait obliger le contrôleur à informer un voyageur de son droit d'être conduit devant un agent supérieur qui établira s'il est nécessaire d'effectuer une fouille. Cependant, je ne suis pas certain de souscrire à votre position selon laquelle il conviendrait mieux que les fouilles à nu soient effectuées après l'arrivée du voyageur aux États-Unis. J'hésiterais à appuyer une telle politique. Ce dont il s'agit ici, en réalité, c'est de l'établissement d'une frontière artificielle en sol canadien. Je me demande s'il serait juste de notre part, ou conforme au principe de réciprocité, de préconiser qu'on autorise une personne à entrer aux États-Unis pour ensuite l'y soumettre à une fouille à nu. Pourquoi n'en irait-il pas des fouilles à nu comme des fouilles par palpation, à savoir qu'on s'y soumet volontairement, qu'on est informé de ses droits et qu'on décide soi-même si l'on accepte de s'y prêter. Le sujet qui s'y refuse n'a alors qu'à rebrousser chemin.

Il y a quelque chose d'inconséquent dans votre argumentation. Imaginez l'inverse. Nous établissons nous-mêmes une frontière artificielle en pays étranger et, en réalité, nous disons: «Vous n'allez être fouillé à nu qu'au Canada», et nous voilà avec le problème de renvoyer cette personne. Il ne me semble pas que ce serait très sage, c'est le moins qu'on puisse dire.

M. Greene: Nous sommes du même avis à cet égard. La distinction que nous faisons, c'est entre une fouille volontaire et une fouille obligatoire. Nous sommes satisfaits du régime actuel, où lorsqu'un voyageur se voit demander de se soumettre à une fouille à nu, il est libre d'y consentir ou non.

M. Greenberg: C'est juste.

M. Greene: Cela ne pose pas problème. Ce à quoi nous nous opposons, c'est à l'établissement d'un régime de fouilles à nu obligatoires; il serait fort problématique d'autoriser un pays étranger à imposer chez nous des fouilles à nu.

Le sénateur Grafstein: J'ai peut-être mal interprété votre mémoire, alors.

M. Greene: Nous n'avons rien contre un régime de fouilles volontaires. C'est d'ailleurs ce que nous recommandons. Il s'impose qu'on adopte une loi. Pour une bonne part, les pratiques qui ont cours actuellement sont nébuleuses, et il n'est pas tout à fait clair qu'elles soient légales. Nous ne disposons d'aucune loi à cet égard; tout au plus avons-nous conclu un accord en 1974. Selon nous, on devrait adopter ce projet de loi, mais seulement après l'avoir modifié de façon à ce qu'il prévoie que les fouilles seront volontaires. De cette façon, si un Canadien refusait de se soumettre à une telle fouille parce qu'il la trouve humiliante et qu'elle le dissuade de se rendre en Floride, il serait libre de rentrer chez lui.

Le sénateur Di Nino: Pour revenir sur le point que vous venez tout juste de faire valoir, je crois qu'à propos des fouilles à nu, vous avez dit que si un Canadien ne veut pas se soumettre à une fouille à nu il peut alors rentrer chez lui. Cela vaudrait non seulement pour les Canadiens, mais également pour les étrangers qui transitent par notre pays. Tout voyageur qu'on voudrait soumettre à un tel processus pourrait, en réalité, dire qu'il s'y refuse et revenir sur ses pas. Est-ce bien ce que vous dites, ou y a-t-il une différence de traitement?

M. Greene: On pourrait effectivement traiter différemment ces deux catégories. Disons d'abord que la Charte des droits ne fait pas référence aux citoyens canadiens; elle vise les personnes qui se trouvent au Canada. Par conséquent, les droits qui protègent les gens contre les fouilles ou les saisies déraisonnables s'appliquent. Si vous vous reportez à l'article 1 de la Charte, où il est question des limites, ou à l'interprétation de ce qui constitue une fouille ou une saisie déraisonnable au sens de la Charte, il pourrait se présenter différentes circonstances qui rendraient possible l'établissement de normes distinctes.

Quand des voyageurs en provenance d'un tiers pays font escale au Canada et y empruntent une zone de transit, ils ne sont pas soumis à un contrôle de la douane ou de l'immigration canadienne. C'est, dans une large mesure, en s'inspirant de cette vision qu'a été conçu ce projet de loi. Dans ce genre de situation, il serait possible d'établir un ensemble de règles distinctes. Nous disons bien «serait». Ce projet de loi ne le prévoit pas. Il dit que les mêmes règles s'appliquent aux personnes en transit et à celles en provenance du Canada.

Nous pourrions dire qu'étant donné que ces personnes ne sont pas vraiment formellement admises au Canada par la douane et l'immigration, nous allons traiter les utilisateurs de cette petite zone de l'aéroport différemment de ceux de la zone de précontrôle.

Le sénateur Di Nino: Ce n'est pas ce que prévoit le projet de loi S-22?

M. Greene: Non.

Le sénateur Di Nino: En réalité, nous serons tous traités sur un pied d'égalité.

M. Greene: On y met tout le monde dans le même sac.

Le sénateur Di Nino: Vous avez tous trois fait état de certaines réserves sérieuses que vous inspire le projet de loi. Nous avons traité des articles 10, 33 et 34, mais il n'a pas été question des autres parties du projet de loi.

J'aurais deux petites questions. Premièrement, croyez-vous que cette mesure législative contrevient à la Charte? Deuxièmement, à propos de quels autres éléments du projet de loi avez-vous des réserves à formuler?

M. Greenberg: Je vais tenter de vous faire part de mon opinion de profane à cet égard.

Aux termes de ce projet de loi, les règles qui régissent le comportement du contrôleur contreviennent, selon nous, à la Charte, étant donné la façon dont il lui est permis d'exercer ses attributions.

Comme je l'ai déjà mentionné en ce qui touche l'entrée au pays, le pouvoir de détenir quelqu'un du moment qu'on a des motifs raisonnables de le soupçonner a été reconnu par la Cour suprême du Canada dans des arrêts touchant la douane canadienne, mais nous croyons que ce même tribunal n'hésiterait pas à y voir une violation de la Charte si l'on réservait un tel traitement à des voyageurs à leur sortie de notre pays.

Le simple fait de détenir quelqu'un, soit en l'empêchant de quitter la zone de précontrôle, soit en l'informant qu'il est en quelque sorte détenu entraîne automatiquement toute une série d'obligations à l'égard du sujet, dont celle de reconnaître son droit de consulter un avocat. Ce droit devrait pouvoir s'exercer sur-le-champ. Nul voyageur ne devrait être placé dans la situation de se voir forcé de continuer de défendre sa cause auprès d'un contrôleur alors que son avocat est en route vers l'aéroport pour se rendre à la zone de précontrôle -- en réalité, ce projet de loi empêche l'avocat d'intervenir en faveur de son client, puisque la zone de précontrôle est réservée aux voyageurs.

Ce projet de loi touche donc une profusion de droits et d'obligations qui n'apparaîtraient pas tout à fait clairement aux diverses parties en cause au moment du déroulement du processus. Voilà qui nous semble déjà quelque peu problématique, et le pire, c'est qu'on est alors en présence d'un contrôleur américain qui, en apparence, ne fait qu'appliquer la loi, mais qui, en réalité, empiète sur les droits constitutionnels du sujet.

Le sénateur Di Nino: À titre d'exemple, ai-je raison alors de présumer que, si l'article 33 du projet de loi était modifié de manière à prévoir que l'infraction doit avoir été commise «sciemment», être de nature «pertinente», et cetera, et si on proposait un autre amendement qui nous permettrait de continuer de reconnaître au sujet la liberté de faire marche arrière au cours du processus, le projet de loi s'en trouverait alors grandement amélioré? Pourrait-on par là désamorcer vos principales inquiétudes?

M. Greenberg: Oui. On peut envisager la question de deux ou trois façons. Premièrement, nous recommandons que ce projet de loi soit modifié en en retirant toutes les dispositions pénales ou quasi pénales. Il ne devrait pas être illégal, aux termes du droit canadien, de ne pas répondre véridiquement à une question concernant le droit américain. Si, pour quelque raison que ce soit d'ordre international, on ne peut adopter cette position, à tout le moins faudrait-il faire en sorte que la loi soit plus précise à propos des personnes qu'elle vise et clarifier les circonstances où elle pourrait s'appliquer. Autrement dit, ce ne devrait être que la personne même qui est en face de vous qui puisse être considérée coupable ou responsable, et encore faudrait-il qu'elle ait fait sa déclaration trompeuse en connaissance de cause, que sa déclaration soit pertinente à la loi en question touchant le précontrôle et que la sanction qu'on impose ne porte pas atteinte aux garanties constitutionnelles en vigueur. C'est là une autre possibilité d'amélioration du projet de loi, et nous croyons pouvoir nous charger de formuler des recommandations en ce sens.

Il demeure que nous avons du mal à comprendre pourquoi quelqu'un invoquerait les dispositions pénales que contient ce projet de loi. Nous n'arrivons pas à imaginer pourquoi un agent d'immigration détiendrait quelqu'un et le remettrait à un agent canadien en lui demandant de le mettre en accusation parce qu'il a menti à propos de l'endroit où il allait et de ce qu'il allait y faire -- et en quoi l'agent canadien aurait intérêt à porter de telles accusations. Pourquoi voudrait-il le faire?

Le sénateur Grafstein: Il pourrait y avoir de nombreux motifs qui l'inciteraient à le faire.

Le sénateur Di Nino: Je crois que c'est de la pertinence que vous vouliez parler.

M. Greenberg: C'est juste.

Le sénateur Di Nino: Vous avez parlé de réciprocité. La réciprocité n'existe manifestement pas à l'heure actuelle, puisque le Canada a opté, du moins jusqu'à maintenant, pour ne pas s'en prévaloir. S'il voulait le faire, je crois comprendre que des dispositions sont prévues à cet égard. Est-ce exact?

M. Greenberg: Vous avez là une question intéressante. La réciprocité n'est pas aussi simple qu'elle ne le semble. Voulons-nous parler d'un cadre juridique américain identique au nôtre? Voulons-nous parler d'application de la loi? Voulons-nous parler de droits qui seraient reconnus aux citoyens canadiens à l'aéroport La Guardia de New York au même titre qu'aux citoyens américains à Toronto? Dans quelle mesure la Constitution américaine procure-t-elle des droits qui sont différents de ceux dont jouissent les Canadiens? Dans quelle mesure les Américains permettraient-ils que la Constitution américaine s'applique dans une zone de précontrôle exploitée exclusivement par des douaniers ou des agents d'immigration canadiens? Ce sont là autant de questions que le projet de loi n'aborde pas. Ce sont là autant d'aspects cruciaux à prendre en considération pour établir jusqu'à quel point ces mesures législatives sont réciproques.

M. Greene: Je tiens à vous signaler que nous avons rencontré aujourd'hui des représentants du ministère des Affaires étrangères et des avocats de divers ministères qui ont participé à la rédaction de ce projet de loi. Cette rencontre a été fructueuse. Parmi les personnes qui y ont participé, il y en a qui sont ici présentes. Elles partagent certaines de nos réserves, mais pas d'autres. Vous aurez probablement l'occasion d'en entendre parler davantage plus tard. Notre rencontre a donné lieu à des discussions constructives.

On nous a fait remarquer que la loi américaine sur la douane et l'immigration contient des dispositions qui permettent cette reconnaissance réciproque. Le problème, c'est que le cadre juridique voulu n'est pas en place et qu'il faudrait adopter des lois en conséquence. Étant donné que la Constitution américaine diffère de la nôtre et compte tenu de la composition du Congrès américain, nous ne sommes pas très confiants que de telles lois puissent être adoptées.

Vous avez demandé quelles réserves suscitait chez nous le projet de loi en ce qui touche la Charte. Nous entretenons un certain nombre de réserves concernant la Charte. L'une a trait au fait que nous conférons aux contrôleurs américains, dans des aéroports ou des centres de précontrôle canadiens, le pouvoir de saisir et de confisquer les marchandises de voyageurs. Par exemple, ils pourraient dire que la possession de cigares cubains constitue une violation de leur loi et décider de saisir une boîte de cigares cubains de 450 $. Aux termes de ce projet de loi, nous leur conférons le pouvoir de garder ces cigares et de faire ce qu'on fait avec des cigares aux États-Unis.

Le sénateur Grafstein: Je sais ce qu'ils en font. Ils les détruisent sur-le-champ.

M. Greene: Vous pouvez imaginer ce qui pourrait se produire si nous mettions en application un arrangement réciproque de précontrôle canadien dans un aéroport américain. Par exemple, dans les postes canadiens de douane, nous pouvons saisir les armes à feu. Si une personne déclare être en possession d'une arme à feu, tout est simple, car elle pourra récupérer son arme à sa sortie de notre pays. À défaut d'une telle déclaration, l'arme est saisie et confisquée. Vous pouvez imaginer quelle pourrait être la réaction la première fois qu'un contrôleur canadien à un centre de précontrôle à Dallas essaierait de saisir une arme à feu. Sauf tout le respect que je dois à notre ministre des Affaires étrangères, je ne crois pas qu'il sortirait vainqueur d'une bataille contre Charlton Heston sur ce terrain.

Autrement dit, la réciprocité n'existe qu'en principe. Elle n'existe pas en pratique. Je ne crois pas que nous puissions dire, en toute confiance, que la réciprocité existera vraiment un jour.

Le président: Toujours à propos de la réciprocité, je conviens que des considérations émotives sous-tendent l'intérêt qu'elle peut avoir pour nous, comme l'égalité des États souverains; mais penchons-nous plutôt sur les aspects pratiques de la question. Compte tenu de la situation sur le globe et de la densité du trafic des voyageurs en direction des principaux aéroports internationaux américains, n'est-ce pas qu'il serait avantageux pour les Canadiens, avec ou sans réciprocité, que le Canada adopte ce projet de loi, que ce soit dans sa forme actuelle ou dans une forme améliorée?

M. Greenberg: Tout à fait, monsieur le président. J'imagine mal qu'une puissance mondiale de premier rang comme la nôtre en matière de commerce international ne soit pas en mesure d'exercer un précontrôle dans ses aéroports et de traiter les passagers avec célérité. Je ne puis l'imaginer. En définitive, ce projet de loi est nécessaire d'une façon ou d'une autre. Cela ne fait aucun doute. Nous en avons également drôlement besoin en ce qui touche l'entrée au Canada depuis les États-Unis. Cela est tout aussi manifeste.

Par conséquent, le problème qui se pose alors en est un de contenu. Une fois que nous avons convenu par traité de faire ceci ou cela et que nous entendons vraiment le faire, il reste à mettre en place les mécanismes voulus. Quelles obligations avons-nous contractées? S'agit-il d'obligations réalistes et transparentes? Sont-elles appropriées?

Le président: Je me demande simplement si nous devrions nous entêter au sujet de la question de la réciprocité, alors qu'il est indéniable que de permettre aux Américains d'exercer un précontrôle au Canada est avantageux pour les transporteurs et les aéroports canadiens et peut-être même pour les voyageurs canadiens ou en provenance du Canada, notamment pour les résidents canadiens qui se rendent aux États-Unis.

J'essaie d'établir quelle importance revêt pour nous la réciprocité, mis à part les considérations touchant le prestige et la réputation de notre pays.

M. Greenberg: Nous nous sommes dit que la loi devrait entrer en vigueur au moment où nous connaîtrions la teneur de la loi américaine. C'est là le point de vue officiel. Sur la base du gros bon sens, on peut considérer qu'il y va de l'intérêt immédiat des Canadiens d'adopter ce projet de loi en ce qui touche les déplacements vers les États-Unis. Conséquemment, je ne vois pas pourquoi cet aspect devrait entraver l'adoption de cette mesure législative. Toutefois, pour avoir eu l'occasion d'examiner le contenu de certains avant-projets de loi américains, je dois vous prévenir qu'on note des différences. J'ose quand même espérer que le résultat final sera le même.

Le président: Voulez-vous dire que nous devrions peut-être proposer un amendement qui stipulerait que si la loi américaine parallèle n'est pas adéquate en ce qui touche les privilèges consentis aux contrôleurs canadiens, les privilèges que nous conférons aux contrôleurs américains devraient alors leur être retirés?

M. Greene: Sauf erreur, l'article 5 nous confère déjà ce pouvoir. Il y a déjà quelque chose dans le mécanisme prévu qui permet au gouverneur en conseil de limiter ces privilèges s'il n'existe pas de loi de réciprocité. Cependant, bien que nous ne soutenions pas qu'on ne devrait rien faire en ce qui touche le précontrôle tant que les Américains ne proposeront pas quelque chose d'au moins aussi valable que ce que nous proposons nous-mêmes, nous estimons que nous n'avons pas à abandonner tous nos droits en faisant notre offre. Il n'est pas nécessaire que nous allions si loin. Nous pouvons arriver au même point en permettant beaucoup moins d'empiétements.

Par ailleurs, souvenons-nous que l'article 4 du projet de loi mentionne que l'objet de ce projet de loi se fonde sur le principe de la réciprocité. Peut-être que dans l'état actuel des choses, cette réciprocité tient de la fiction, mais nous n'allons pas nous opposer à la réciprocité du seul fait que les Américains ne se conforment pas à ses exigences. Tout au plus disons-nous que nous devrions nous garder de nous illusionner à cet égard. Ils ne nous accordent pas la réciprocité.

Le sénateur Bolduc: Nous avons l'article 39, et nous allons mettre cette loi en vigueur quand nous jugerons qu'il est indiqué de le faire.

Le président: Je crois que le témoin a déjà fait valoir ce point.

M. Greenberg: En cherchant à établir un seuil à compter duquel nous devrions aller de l'avant, je serais porté à croire que si, à l'examen de la loi américaine, nous étions suffisamment satisfaits de la réciprocité qu'on y a prévue en regard de ce que nous-mêmes offrons aux Américains, nous serions alors bien avisés d'aller de l'avant même si cela devait nous amener à faire plus qu'eux. Le gouvernement canadien n'aurait pas tort d'agir de la sorte. Du moment que la loi entrera en vigueur, nous en retirerons des avantages directs.

Le sénateur Bolduc: Monsieur le président, l'article 39 nous procure des possibilités de négociation. Si nous n'acceptons pas ce que les Américains proposent, nous ne sommes pas tenus de mettre la loi en vigueur.

Le sénateur Corbin: Le gouvernement, pas nous.

Le président: C'est là une distinction importante.

Le sénateur Bolduc: Je voulais parler du gouvernement.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, à propos d'efficacité, tous les sénateurs ont déjà eu l'occasion d'être soumis à un précontrôle à Toronto. Je me souviens d'un voyage que j'ai effectué il n'y a pas si longtemps. Je revenais de l'Amérique du Sud en passant par Los Angeles. Il m'a fallu y subir un contrôle avant mon retour au pays. Je n'ai pas fait l'objet d'un précontrôle. Je puis vous assurer, pour revenir sur le point qu'a soulevé le président, que les Canadiens souhaitent fortement être traités efficacement, de préférence sur leur propre territoire, même au prix de l'abandon d'une partie de leur souveraineté plutôt que de se retrouver dans une ambiance quasi carcérale, à des endroits comme Newark ou Los Angeles. Ce peut être affreux.

Du point de vue de l'intérêt des Canadiens en ce qui touche la facilitation de leurs déplacements transfrontaliers, je préfère de beaucoup être précontrôlé sous un régime canadien sans que nos partenaires américains aient à nous rendre la pareille sur leur territoire. C'est dans l'intérêt des Canadiens.

Mon observation vaut non seulement pour le précontrôle des gens dans les aéroports, mais également pour celui des marchandises. C'est beaucoup mieux ici. Bien sincèrement, les préposés sont généralement beaucoup plus raisonnables et rationnels en sol canadien qu'ils ne le sont en sol américain. Voilà pourquoi je vous félicite de votre modèle symétrique. Je crois que les Canadiens se montrent davantage intéressés à se rendre aux États-Unis que ne le sont les Américains à se rendre au Canada.

Le sénateur Di Nino: Je n'en sais rien.

Le président: Ne nous engageons pas dans une telle discussion.

Le sénateur Grafstein: Monsieur le président, cela nous amène à nous interroger sur notre politique, à nous demander si nous nous dirigeons vers un modèle symétrique ou vers un modèle asymétrique qui serait à l'avantage des Canadiens.

Le président: Je crois que nous nous sommes déjà penchés sur cet aspect.

M. Greene: Si vous me permettez de répondre à cette question, je ne voudrais pas que vous interprétiez mal nos propos. Nous reconnaissons la nécessité d'adopter une loi sur le précontrôle. Nous en avons besoin maintenant. Nous ne sommes pas contre les centres de précontrôle. Nous ne disons pas: «Attendez que nous ayons la réciprocité». Nous estimons toutefois que certaines dispositions du projet de loi constituent des empiétements majeurs. Nous croyons que le précontrôle peut s'effectuer efficacement sans de telles dispositions. Avant de conférer ainsi des pouvoirs à des contrôleurs étrangers en sol canadien, vous devriez attendre. Ne prévoyez même pas ces pouvoirs dans le projet de loi. Je n'aime pas l'article 39, car il serait difficile d'appliquer le projet de loi pièce à pièce. Il constitue le cadre fondamental.

Nous disons aux Américains qu'ils peuvent effectuer le précontrôle comme ils le font depuis 1950, c'est-à-dire sous un régime de volontariat. Rien ne justifie qu'ils ne puissent pas continuer de le faire. Il leur serait utile, de même qu'à nous, que ce régime s'inscrive dans un certain cadre législatif. Il se peut fort bien que ce qu'ils font actuellement soit parfois illégal. Je crois que nous n'aurions rien à perdre à leur éviter de s'exposer ainsi à se retrouver dans l'illégalité, ce qui ne signifie toutefois pas qu'ils aient besoin d'autant de pouvoirs.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: Au Canada, nous avons la Loi sur les langues officielles. Lors de la dernière rencontre, le sénateur Pat Carney était un peu préoccupée par la question de la langue, à savoir si les droits qu'il y a dans la Loi sur les langues officielles pouvaient être brimés par le service de précontrôle? Vous mentionnez très brièvement dans votre rapport le cas d'un francophone qui ne comprendrait pas ce que l'agent lui disait et que cette situation pourrait causer des problèmes. Les représentants du ministère ont répondu au sénateur Carney qu'il y a certaines lignes aériennes rattachées à la Loi sur les langues officielles.

Ma deuxième question est très brève. Depuis 1997, à Vancouver, il y a un service de précontrôle. Êtes-vous au courant qu'il y a déjà eu devant les tribunaux des plaintes concernant la limitation des droits des voyageurs à cause de ce précontrôle?

[Traduction]

M. Greenberg: J'aimerais répondre à la première question. Vous avez formulé une remarque fascinante, qui a probablement plus de portée que peut-être vous ne l'imaginez. Par exemple, j'aimerais avoir l'assurance que le contrôleur en question était en mesure de communiquer dans les deux langues officielles, ne serait-ce que parce que, s'il se trouve qu'il n'était pas en mesure de comprendre clairement les renseignements qu'on lui fournissait, le motif pour lequel il a soupçonné le voyageur d'avoir fait une déclaration fausse ou trompeuse pourrait fort bien avoir découlé d'une difficulté de communication plutôt que d'éléments factuels. Le projet de loi ne prévoit nulle part qu'on devra s'assurer que des services bilingues sont offerts aux voyageurs. C'est là un élément très important.

La deuxième question que vous soulevez a trait aux autres préposés qui pourraient avoir à communiquer avec les voyageurs, comme le personnel de la société aérienne. Si les représentants du transporteur ne sont pas tenus de pouvoir communiquer dans les deux langues officielles, il se pourrait que, dans la zone de précontrôle, les passagers ne soient pas en mesure de communiquer avec les eux afin de clarifier certaines situations.

Je ne me suis pas penché sur le pouvoir de réglementation pour vérifier dans quelle mesure on pourrait résoudre par cette voie ce type problème, mais il ne semble pas qu'on puisse prendre des règlements concernant la compétence linguistique des contrôleurs. Le remède à apporter à cette lacune pourrait faire l'objet d'une revendication dans le cadre du processus de négociation, pour s'assurer que cette compétence soit requise au départ.

[Français]

Le sénateur Losier-Cool: En vertu de la Loi sur les langues officielles, le voyageur peut demander ce service au Canada, mais non lorsqu'il voyage à l'extérieur du pays. Il a le choix de rester chez lui. Il ne peut pas exiger, lorsqu'il arrive aux États-Unis ou dans un autre pays, que la Loi sur les langues officielles du Canada s'applique?

[Traduction]

M. Greenberg: C'est une question intéressante. Premièrement, la zone de précontrôle se trouve non pas en territoire étranger, mais au Canada. Deuxièmement, une autre question plus intéressante encore se pose: dans quelle mesure un traité international a-t-il préséance sur les lois nationales? Il s'agit probablement là d'un point sur lequel on ne s'est pas penché. Il n'en mérite pas moins considération.

Le sénateur Losier-Cool: Que pensez-vous de la situation à Vancouver?

M. Greene: On a déjà des réserves à propos de l'article 33 et de la grande portée de son libellé, ainsi qu'à propos du risque que des personnes portent la responsabilité d'une infraction au code criminel canadien. M. Greenberg a abordé cette question. Il pourrait facilement survenir des situations où des personnes se verraient accusées d'avoir cherché à tromper, alors que le problème en serait vraiment un de compréhension. C'est alors que la différence entre «volontaire» et «obligatoire» entre en jeu. C'est que ces personnes peuvent être détenues. Elles peuvent être soumises à une fouille obligatoire. On pourrait recourir à la force contre elles et elles pourraient être exposées à répondre d'actes potentiellement criminels sans avoir la possibilité de faire marche arrière. Il serait intéressant de voir comment les Américains pourraient prévenir ce genre de problème. On imagine mal qu'on puisse trouver aux États-Unis suffisamment d'agents du service de l'immigration et de la naturalisation et de douaniers qui puissent même traiter de la question de la langue. Je serais surpris que certains d'entre eux parlent français.

En ce qui touche la question de Vancouver, à notre connaissance, il ne s'y est pas posé de problème. Aucun n'a encore été porté à l'attention du Barreau.

Nous avons observé que les représentants du gouvernement et des ministères avec lesquels nous traitons se montrent très positifs à propos du service de transit à Vancouver. Il va sans dire que les autorités de cet aéroport en sont également ravies. Le nombre de leurs vols s'en trouvera augmenté. Elles accueilleront plus de gens en provenance d'autres pays. C'est une bonne chose.

Vous devez garder à l'esprit que quiconque se voit refuser l'entrée aux États-Unis dans une zone de transit a deux options. Il peut demander l'entrée au Canada ou encore rentrer chez lui. S'il n'est pas admissible aux États-Unis, il y a fort à parier qu'il ne le sera pas au Canada non plus. En toute probabilité, il ne s'attardera pas dans les parages.

Le président: Supposons que je sois un Canadien francophone qui, pour une raison ou pour une autre, veut se rendre dans la région de New York. Si je me présente devant un contrôleur américain à Toronto, serai-je moins bien traité que si je me présente devant un contrôleur à Newark, évitant ainsi le précontrôle au Canada?

M. Greene: Si vous vous rendez dans un pays étranger, vous allez devoir y communiquer dans la langue du pays en question. Il ne serait pas réaliste de vous attendre à ce qu'on y traite avec vous dans votre propre langue. En un sens, aux termes du projet de loi S-22, il serait toutefois encore moins avantageux pour vous d'être soumis au contrôle ici, car non seulement vous exposeriez-vous à ce qu'on vous impose des peines américaines, mais vous pourriez avoir à porter une responsabilité pour une infraction criminelle en vertu de la loi canadienne pour avoir offert de la résistance, délibérément entravé le travail d'un préposé, ou participé ou consenti à une déclaration trompeuse.

Le président: Je m'attendais à ce genre de réponse.

Le sénateur Andreychuk: Quand les représentants du gouvernement ont comparu devant nous, ils ont indiqué qu'il existait des préposés bilingues aux États-Unis et qu'on n'y connaîtrait pas de problème sur ce chapitre. Je me souviens de m'être fait dire par des représentants du gouvernement que, si une personne se voyait refuser l'entrée aux États-Unis, un problème se poserait immédiatement, la loi canadienne s'appliquerait et la personne serait remise aux agents de l'immigration canadienne. De votre côté, vous semblez dire qu'une personne placée dans cette situation aurait la possibilité de retourner dans le pays d'où elle vient.

Prenons le cas de gens en provenance de Thaïlande. Disons qu'ils voyagent sur un vol allant de la Thaïlande à Vancouver et qu'ils se rendent à Seattle. Supposons qu'on leur refuse l'entrée aux États-Unis dans la zone de transit. Si j'ai bien compris, on les remettrait immédiatement aux agents de la zone canadienne où ils seraient assujettis aux lois canadiennes. Quelqu'un pourrait alors réclamer le statut de réfugié ou encore demander le statut d'immigrant.

Vous semblez dire que ces personnes auraient une autre option. J'avais compris qu'il n'y en avait pas d'autre. Qui les hébergerait en attendant qu'elles puissent trouver un vol de retour? Cette hypothèse ne semble pas avoir été prévue. En réalité, nous hériterions de situations problématiques dont les Américains préfèrent ne pas s'occuper. Est-ce ainsi que vous le voyez?

Quiconque demande le statut d'immigrant ou de réfugié au Canada dans de telles circonstances jouit-il de droits, de privilèges, ou de protections plus étendus que celui qui présente sa demande directement?

M. Greene: Je crois avoir mentionné qu'il y avait une option de retour au pays d'origine. En principe, cette option existe, mais probablement pas en pratique. Je tiens cela d'un agent d'immigration américain à qui j'ai promis de ne pas dévoiler son nom. En principe, donc, c'est de cette façon que les choses fonctionnent. En pratique, il n'y aura, en toute probabilité, pas de vol dans l'heure qui suit pour ramener le voyageur qui vient de descendre d'avion en provenance de Bangkok.

Dans l'hypothèse que vous nous soumettez, j'imagine que tous ces gens seraient pris en charge par les autorités canadiennes. J'ignore s'ils revendiqueraient le statut de réfugié.

Si ces voyageurs en transit dont nous parlons devaient demander le statut de réfugié, ils seraient alors dans la même position que qui que ce soit d'autre qui s'amène au Canada et se présente à un poste de douane en disant: «J'aimerais être reconnu comme un réfugié aux termes de la Convention».

Le sénateur Di Nino: Par le passé, certaines personnes ont abusé de l'amabilité du Canada en demandant le statut d'immigrant ou de réfugié dans notre pays. Se pourrait-il que cette loi ouvre la voie à un nouveau type d'abus? Ne risque-t-on pas de voir des avions complets de gens en provenance d'Italie, mon pays de naissance, s'amener en se déclarant en transit vers les États-Unis, puis, plus tard, après s'être rendu compte qu'ils n'étaient pas admissibles aux États-Unis, revendiquer tout à coup le statut de réfugié? Je ne sais si je pose bien ma question.

M. Greene: En principe, ce que vous décrivez pourrait se produire. Mes amis de l'immigration pourront au besoin me corriger à leur retour. De par sa nature même, la formule des services de transit nous amène à prendre ce risque, car les voyageurs en transit n'ont pas besoin d'un visa canadien. Il se peut qu'il leur faille se procurer un visa de transit, mais je n'en suis pas certain. Si un tel visa est exigé, nous pouvons alors exercer un certain contrôle dans les consulats canadiens. S'ils ne sont pas tenus de détenir un tel visa, nous sommes alors vulnérables et tributaires du régime américain d'attribution des visas. Le bon côté de l'affaire, c'est que les Américains sont très stricts. Nous avons donc là une certaine protection.

Le sénateur Andreychuk: Lors d'une précédente séance, on nous a dit que nous n'avions pas à craindre ce projet de loi, étant donné que les lois canadiennes sont plus strictes que les lois américaines en matière de protection. Le préambule précise que la Charte canadienne des droits et libertés, la Déclaration canadienne des droits et la Loi canadienne sur les droits de la personne s'appliquent. D'aucuns présument que quiconque se soumet à une procédure de précontrôle en transit au Canada se trouve en quelque sorte en meilleure position que s'il était assujetti aux lois américaines constitutionnelles et autres. Qu'en pensez-vous?

M. Greenberg: J'ai moi-même également entendu cet argument récemment. J'ai énormément de mal à y souscrire. Je ne crois pas que nous aidions les Américains en contrôlant leurs lois de précontrôle, en remplaçant ces lois par les nôtres et en nous disant que les nôtres sont meilleures que les leurs. La logique de ceux qui affirment qu'il vaut mieux être assujetti à nos lois avant de l'être aux leurs m'échappe. Je ne m'y retrouve pas. En dernière analyse, les lois canadiennes demeurent à l'arrière-plan. Du moment que vous faites une fausse déclaration à un contrôleur américain, elles entrent en jeu. Elles s'ajoutent toutefois à tout un arsenal d'autres moyens dont le gouvernement américain dispose pour sévir. C'est probablement là un élément qui n'a pas encore été porté à l'attention de votre comité.

Si vous me le permettez, je vais maintenant prendre un moment pour vous dire ce qui peut arriver d'autre à quiconque fait une déclaration fausse ou trompeuse.

Aux termes de l'Immigration Reform Act, une loi qui a été signée par le président Clinton en septembre 1996 et qui est entrée en vigueur le 1er avril 1997, une personne peut être frappée d'une interdiction de séjour aux États-Unis pour une période allant de trois à dix ans en vertu de ce qu'on appelle la «procédure accélérée de renvoi». Il suffit que vous ayez mal informé un agent du service américain de l'immigration et de la naturalisation et que la faute ait été consignée dans l'ordinateur -- et ce, sans procédure judiciaire -- pour que vous soyez fichu. Tous les ordinateurs au monde pourront dès lors afficher votre faute, de sorte que vous serez bloqué aux frontières si jamais vous essayez quand même d'entrer aux États-Unis. Il n'y a aucune possibilité d'appel d'une telle décision. Vous vous souviendrez d'ailleurs à quel point cette question a été médiatisée à l'époque. On en est même venu à réserver ce pouvoir de décision aux supérieurs tellement les préposés étaient trop aisément portés à interdire de séjour des Canadiens.

Les Américains disposent de moyens fort raffinés de frapper d'exclusion quiconque fait une fausse déclaration. Rien n'empêche un agent de consigner pour toujours dans l'ordinateur le fait que telle ou telle personne, qui s'est présentée comme étant M. Greene, lui a menti, s'il a de bonnes raisons de croire qu'il a donné une fausse identité. Il le fera effectivement d'ailleurs, probablement dès le départ de la personne en question. Son recours contre elle aura été de l'empêcher à tout jamais de remettre les pieds aux États-Unis.

L'autre recours, qui consiste à inculper le sujet d'infraction criminelle, ne semble pas approprié. Il n'ajouterait pas grand-chose au processus visant à préserver la souveraineté des États-Unis, laquelle est déjà sous bonne garde dès lors que l'information sur le compte de la personne en question a été consignée dans l'ordinateur.

Le sénateur Andreychuk: À l'heure actuelle, nous sommes tous ravis du régime de précontrôle. Nous le voyons tous comme une bonne chose. Cela a toujours tenu au fait que nous pouvions nous y soustraire, tout comme d'ailleurs les tiers qui transitent par le Canada. Pour les voyageurs qui nous viennent de la Grande-Bretagne, par exemple, l'inconvénient que nous avons noté, c'est qu'ils doivent se présenter deux fois à la douane et à l'immigration. Nous avons donc tous dit aimer ce régime de précontrôle.

Une fois que cette loi sera en vigueur, pourrons-nous toutefois encore affirmer un an plus tard que les gens d'affaires et les autres trouvent le régime en question toujours aussi valable, c'est-à-dire compte tenu de toutes les questions qui ont été soulevées à propos du projet de loi? Il n'est pas exact de dire que les gens d'affaires se réjouissent de ce qui se prépare à cet égard. Ce que les gens d'affaires et moi-même aimons actuellement, c'est le précontrôle tel qu'il existe déjà. Comment pouvons-nous nous assurer que nous maintiendrons le même genre de régime?

J'ai voulu par là réfuter les propos du sénateur Graftstein. Je suis sûre qu'il lit nos comptes rendus et qu'il prendra connaissance de ceux que je viens de tenir.

Le sénateur De Bané: J'ai rarement vu un mémoire où l'on signale autant de lacunes concernant un projet de loi pourtant relativement court. Vous formulez sur 18 pages de nombreuses critiques. À la page 3, vous affirmez à deux reprises que certaines dispositions du projet de loi vont à l'encontre de notre Constitution, la loi suprême du pays.

Pour mon bénéfice et celui des autres membres du comité, pourriez-vous me dire combien d'avocats de l'Association du Barreau canadien ont collaboré à la rédaction de ce mémoire ou l'ont lu avant que vous le présentiez à notre comité?

Mme Thompson: D'abord, le projet de loi a été distribué au sein de l'exécutif de notre Section nationale du droit de la citoyenneté et de l'immigration. Cette section compte environ 20 membres. Chacun d'eux a eu la possibilité de le distribuer à son tour aux membres de sa section locale. Je ne suis pas en mesure de vous en fournir actuellement le nombre exact.

Le sénateur De Bané: Toutefois, un grand nombre de personnes ont eu au moins l'occasion de lire ce mémoire.

Mme Thompson: Oui, et il ne s'agit là que du premier stade de notre processus. Dans un deuxième temps, chaque mémoire doit faire l'objet d'un examen par notre Comité permanent de la législation et de la réforme du droit. Il y a là six avocats qui ont diverses compétences dans différents domaines du droit et qui se penchent sur le projet de loi pour en vérifier la conformité aux normes de l'ABC.

Je tiens à vous faire remarquer que le groupe qui se charge normalement d'adoucir le ton de nos mémoires a en réalité tenu cette fois à renforcer nos arguments.

Au stade final du processus d'approbation, le mémoire est soumis aux principaux dirigeants de l'Association du Barreau canadien, à savoir le président, le vice-président, l'ex-président et le trésorier. Chacun d'eux ayant pris connaissance du présent mémoire, il a donc franchi toutes les étapes du processus d'approbation de l'Association -- et je n'ai pas mentionné les deux avocats qui sont membres du personnel et qui ont également participé à ce processus.

Le sénateur De Bané: C'est donc dire qu'un nombre imposant de juristes réputés l'ont examiné. Sincèrement, j'ai rarement vu un mémoire qui souligne autant de problèmes et qui soulève autant de questions.

À deux reprises, vous dites que certaines dispositions du projet de loi vont à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés, la loi suprême de notre pays, mais dans d'autres documents de recherche qui nous ont été remis, on soutient que ce projet de loi est conforme à la Constitution canadienne.

Le précontrôle se pratique au Canada depuis 1950. Plus de huit millions de personnes s'y soumettent sur une base volontaire chaque année. Nous cherchons maintenant à nous assurer que cette pratique est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés, mais vous dites dans votre mémoire que ce projet de loi ne l'est pas.

J'ai ici deux documents. Le vôtre dit que le projet de loi pose problème; l'autre document, qui a été préparé par notre attaché de recherche, affirme que le droit américain ne peut s'appliquer que dans les zones désignées de précontrôle et qu'il sera assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés et aux lois canadiennes pertinentes.

À la page 3 de votre mémoire, vous mentionnez par deux fois que le projet de loi risque d'aller à l'encontre de la Charte canadienne des droits et libertés. Plus loin, vous affirmez qu'il prive les gens de la pleine jouissance des droits et libertés qui leur sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Comme vous pouvez le constater, nous sommes en présence de points de vue contradictoires. D'après ce que vous dites, de nombreux juristes ont examiné ce projet de loi.

J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Greene: Le projet de loi mentionne que la Charte des droits et libertés s'applique, et il va de soi qu'elle s'applique puisque nous sommes en territoire canadien. Il s'agit du Canada, et la Charte des droits et libertés s'applique partout au Canada. Du seul fait que le projet de loi dit qu'elle s'applique, il ne faut pas conclure que, de la façon dont on l'a libellé, le projet de loi lui-même se conforme à la Charte des droits.

Le sénateur De Bané: C'est donc dire que la Cour suprême du Canada pourrait invalider ce projet de loi.

M. Greene: Nous pouvons permettre que le projet de loi soit adopté et attendre que la Cour suprême l'invalide. Il se pourrait toutefois que nous ayons tort. Nous ne siégions pas à la Cour suprême et nous n'avons pas à présumer de ses décisions.

Ce que nous vous disons, c'est que nous avons soumis notre mémoire à des juristes des quatre coins du pays. Je puis vous assurer que, d'après notre interprétation, en ce qui touche les ébauches -- et plusieurs ébauches de ce mémoire ont été distribuées --, il n'a pas été contesté. Personne ne nous a dit que nous faisions grossièrement erreur. Il se pose donc ici des problèmes.

Le sénateur De Bané: Oui, et je vais vous l'illustrer par un exemple. Quelqu'un a fait parvenir une lettre à l'un de mes collègues, qui l'a portée à mon attention. L'auteur estime avoir fait l'objet d'une fouille abusive de la part de contrôleurs américains. Il a cherché par la suite à communiquer avec eux par téléphone. On lui a répondu qu'il ne pourrait pas les rejoindre par téléphone parce qu'ils travaillent à l'intérieur de la zone de contrôle de sécurité, et que, s'il tenait vraiment à leur parler, il n'avait qu'à se rendre à l'aéroport et attendre que l'un d'eux sorte de la zone pour aller se chercher un café. On n'avait rien de mieux à lui offrir. On ne pouvait même pas lui fournir un numéro de téléphone pour lui permettre de communiquer avec eux.

Quand j'ai appris ce qu'on a fait vivre à cette personne -- l'obliger ainsi à se rendre à l'aéroport pour attendre que quelqu'un sorte de la zone pour lui faire part de son grief, parce les Canadiens n'ont accès à aucun numéro de téléphone pour rejoindre les contrôleurs --, je n'étais pas content.

Monsieur le président, le précontrôle se pratique depuis 1950. Plus de huit millions de Canadiens s'y soumettent chaque année. Je le fais moi-même. Si nous entendons régir cette pratique au moyen d'un texte législatif, nous devons le faire judicieusement. L'Association du Barreau canadien est, à mon sens, un regroupement de juristes des plus responsables et des plus compétents. Il m'a rarement été donné de voir un mémoire contenant de si nombreuses réserves. Nous ne devrions pas nous sentir pressés d'adopter ce projet de loi. Le précontrôle se pratique depuis 45 ans dans notre pays.

Le président: J'aimerais poursuivre sur la question qu'a soulevée le sénateur De Bané. D'abord, vous semblez dire, fort clairement d'ailleurs, que, si ce projet de loi est adopté dans sa forme actuelle, il est plus que probable qu'il s'ensuivra des poursuites en vertu de la Charte et que ces poursuites déboucheront sur un rejet de certaines parties de la loi par les tribunaux. Vous semblez ensuite indiquer qu'une certaine forme d'autorisation parlementaire du précontrôle serait souhaitable. C'est donc dire que le présent projet de loi pourrait être modifié de façon à le rendre invulnérable à des contestations en vertu de la Charte.

Avez-vous établi quelles modifications précises du libellé permettraient d'améliorer le projet de loi de façon à dissiper toute incertitude concernant sa légalité?

M. Greenberg: Le mémoire que nous avons soumis non seulement identifie des éléments du projet de loi qui posent problème, mais il propose également des solutions. Il ne fournit pas de reformulation des articles concernés, mais il analyse les faiblesses du libellé actuel et prescrit des façons d'y remédier. Notre mémoire a donc été préparé dans l'intention de favoriser l'adoption de ce projet de loi -- car nous souscrivons à son esprit --, mais non dans sa forme actuelle.

Le président: Vous souscrivez au principe du projet de loi?

M. Greenberg: Tout à fait.

Le président: Mais vous n'avez pas le sentiment qu'il a été rédigé convenablement, en tenant compte de la Charte et d'autres considérations touchant la souveraineté canadienne.

M. Greenberg: Permettez-moi de reprendre une observation que j'ai formulée au début de mon exposé, à savoir que si j'avais à souligner une seule faiblesse fondamentale de ce projet de loi, je vous signalerais qu'il reprend de façon inappropriée certains éléments de la Loi sur les douanes. En réponse à votre question, sénateur De Bané, je vous dirais donc que je crois qu'un voyageur qui se serait retiré après s'être fait dire par un contrôleur qu'il le soupçonnait en vertu de l'article 10 constaterait probablement qu'il pourrait justifier son retrait, nonobstant le soupçon, car le soupçon est inspiré d'une norme de la Loi sur les douanes qui, selon moi, ne serait pas retenue par un tribunal canadien. J'estime donc que cet article est dès lors susceptible d'être invalidé.

Le président: Je vous remercie beaucoup d'avoir accepté de venir nous aider dans notre étude du projet de loi S-22. Vos observations ont été claires et vous avez bien répondu à nos questions.

La séance est levée.


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