Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Privilèges, du Règlement et de la procédure
Fascicule 6 - Témoignages
OTTAWA, le mercredi 18 février 1998
Le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure se réunit aujourd'hui, à 19 heures, pour étudier, conformément à l'alinéa 86(1)f) du Règlement du Sénat, des questions liées à son mandat, et plus particulièrement celle qui lui a été renvoyée le 16 décembre 1997 et le 12 février 1998 concernant le sénateur Thompson.
Le sénateur Shirley Maheu (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons ce soir nos audiences sur la question que le Sénat nous a renvoyée le 16 décembre pour que nous déterminions si l'absence du sénateur Thompson de son siège du Sénat le 10 février 1998, au retour du congé des Fêtes, constitue un outrage au Sénat.
Comme vous le savez, nous nous sommes réunis mardi dernier, et le lendemain nous présentions au Sénat un rapport dans lequel nous indiquions ceci:
À première vue, désobéir à un ordre du Sénat semblerait constituer un outrage au Parlement. Mais avant de statuer définitivement sur son cas, votre comité estime que le sénateur Thompson devrait être entendu. Cela est conforme aux traditions du Sénat et s'inspire du souci de donner au sénateur la possibilité de fournir des explications ou toute précision utile et d'expliquer en quoi ses actions ne constituent pas un outrage au Sénat.
Le 11 février 1998, le Sénat a ordonné que le sénateur Thompson se présente devant notre comité ce soir. Le sénateur a accusé réception de l'ordre du Sénat que lui a envoyé le greffier du Sénat. L'accusé de réception, daté du 12 février 1998, se trouve dans le cahier d'information que le greffier du comité vous a distribué plus tôt aujourd'hui.
Le jeudi 12 février, sur une motion du sénateur Carstairs, le Sénat a ordonné que le comité permanent des privilèges, du Règlement et de la procédure soit autorisé à demander l'avis d'un conseiller juridique pour savoir si le Sénat a le pouvoir d'expulser, de suspendre ou de priver autrement le sénateur Thompson du siège qu'il occupe au Sénat, et s'il peut retenir l'indemnité parlementaire et l'allocation de dépenses du sénateur, quel que soit son statut de membre du Sénat.
Il y a quelques heures, le greffier a reçu une communication du sénateur Thompson.
Monsieur le greffier, pourriez-vous nous lire le message que vous avez reçu par fax.
M. Paul Bélisle, greffier du Sénat, greffier du comité: Honorables sénateurs, l'honorable Andrew Thompson m'a effectivement envoyé un message par fax cet après-midi, à 14 h 26, heure du Mexique, et à 16 h 26, heure d'Ottawa. Son message est le suivant:
Je n'ai jamais voulu commettre un outrage au Sénat, qui est une institution que je respecte.
Quand mes médecins jugeront que ma santé me permet de voyager, je n'hésiterai pas à faire acte de présence. Veuillez indiquer aux membres du comité concerné que j'ai bel et bien fourni les papiers médicaux nécessaires.
Andrew E. Thompson
La présidente: Je crois qu'il est donc important que nous décidions si la conduite du sénateur Thompson constitue un outrage au Sénat et, dans l'affirmative, quelle mesure disciplinaire nous devrions recommander au Sénat.
Nous accueillons ce soir M. Neil Finkelstein, avocat du cabinet Blake, Cassels and Graydon de Toronto.
M. Finkelstein est comptable agréé et il est diplômé en droit des Universités McGill et Harvard. Il a occupé le poste de clerc auprès du très honorable Bora Laskin, juge en chef de la Cour suprême du Canada, de 1980 à 1981, et il a été admis au Barreau du Haut-Canada en 1982. Il a conseillé les gouvernements fédéral et provinciaux sur la réforme constitutionnelle et il a enseigné le droit constitutionnel à Osgoode Hall et à la faculté de droit de l'Université de Toronto. Il est l'auteur de Laskin's Canadian Constitutional Law, cinquième édition, et de Constitutional Rights in the Investigative Process.
Honorables sénateurs, je propose que, pendant la séance publique de ce soir, nous nous intéressions d'abord et avant tout à la question de savoir si l'attitude du sénateur Thompson constitue un outrage et, dans l'affirmative, si nous devrions recommander au Sénat de prendre des mesures disciplinaires.
Sans vouloir limiter le débat, je propose que nous mettions fin à la discussion vers 8 h 30 pour pouvoir ensuite étudier, à huis clos, le rapport que nous pourrions présenter au Sénat. Je vous rappelle que nous avons seulement jusqu'à mardi prochain, 24 février, pour déposer notre rapport. Je demanderais aux sénateurs d'attendre que notre témoin ait terminé son exposé avant de lui poser des questions. J'inviterai d'abord les membres du comité à l'interroger, puis les autres sénateurs présents. Je cède maintenant la parole à M. Finkelstein.
M. Neil Finkelstein, avocat, Blake, Cassels and Graydon: Merci, madame la présidente.
Honorables sénateurs, on m'a demandé de répondre à la question de savoir si le Sénat a le pouvoir d'expulser ou de suspendre un sénateur, de lui imposer une amende ou de le traiter autrement s'il ne se présente pas au Sénat ou ne se conforme pas aux ordres du Sénat. Je m'interrogerai aussi sur la question de savoir si le non-respect d'un ordre constitue un outrage dans ce contexte.
Le Sénat a-t-il le pouvoir d'expulser ou de suspendre un sénateur, de lui imposer une amende ou de le traiter autrement? Pour commencer par le plus facile, disons que le Sénat n'a pas le pouvoir d'imposer d'amende. La Chambre des communes du Royaume-Uni n'a pas ce pouvoir ou ce privilège et, conséquemment, selon moi, le Sénat du Canada ne l'a pas davantage.
Je m'empresse d'ajouter toutefois que cela n'empêche pas le Sénat de retirer à un sénateur son indemnité parlementaire. Pour moi, ce n'est pas la même chose. Ce n'est pas une question de punition; c'est simplement une façon pour le Sénat de contrôler son fonctionnement interne. Le sénateur qui ne s'acquitte pas de ses obligations ne touche pas sa rémunération.
C'est de toute façon une question de privilège conformément à la lex parliamenti, et cette mesure est expressément prévue à l'article 59 de la Loi sur le Parlement du Canada. En effet, cet article stipule que le Sénat peut, par règlement, renforcer les exigences de la loi, et j'ajouterais qu'il peut les renforcer au point de réduire à zéro l'indemnité parlementaire.
Si le Sénat voulait se conformer de façon très claire et très scrupuleuse à ses procédures, il appliquerait la mesure prévue à l'article 59 de la Loi sur le Parlement du Canada.
Quant au pouvoir du Sénat de suspendre un sénateur, la question est elle aussi claire, à mon avis. En effet, il est évident que le Sénat a le pouvoir de suspendre un de ses membres et l'exercice de ce pouvoir n'est pas susceptible d'appel. Encore une fois, c'est une question de pouvoir et de privilège, et cette question est prévue à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, conformément à l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. Trois raisons m'amènent à cette conclusion.
Premièrement, il est clair que la Chambre des communes britannique a le pouvoir de suspendre un de ses membres.
Deuxièmement, l'article 18 de la Loi constitutionnelle stipule que le Parlement du Canada peut conférer au Sénat, comme il le fait à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, des pouvoirs comparables, mais pas supérieurs, aux pouvoirs, immunités et privilèges que possédait la Chambre des communes britannique au moment de la Confédération. La Chambre des communes britannique avait à l'époque le pouvoir de suspendre un de ses membres, et ce pouvoir a donc été transmis au Sénat du Canada.
Troisièmement, rien dans la Loi constitutionnelle de 1867, ou dans tout autre document constitutionnel que je connaisse, n'impose de limites à ce pouvoir. Ainsi, selon moi, le pouvoir de suspendre un de ses membres pour outrage fait toujours partie des pouvoirs que possède le Sénat pour contrôler son fonctionnement et se protéger contre tout discrédit.
Pour répéter une évidence, le Sénat a assurément le pouvoir dans ce cas de recourir à l'article 59 pour réduire ou éliminer l'indemnité parlementaire pendant la suspension.
La troisième question qu'on m'a demandé d'examiner est celle de savoir si le Sénat a le pouvoir d'expulser un de ses membres. Je crois comprendre que M. Maingot vous a dit que, selon lui, le Sénat a ce pouvoir. Je m'empresse maintenant, si vous me le permettez, de vous répondre le contraire.
Je vais vous donner tout de suite ma conclusion: selon moi, il s'agit d'une zone extrêmement grise et il y a des arguments valables d'un côté comme de l'autre. Pour moi, en dernière analyse, compte tenu du libellé de la Loi constitutionnelle de 1867, le Sénat n'a pas le pouvoir d'expulsion. Voici les deux arguments qui, à mon avis, militent en ce sens.
D'abord, le Sénat peut-il déterminer que l'attitude du sénateur Thompson constitue un outrage? Je tiens à préciser que je ne veux pas conseiller au Sénat ce qu'il devrait faire dans un sens ou dans l'autre. Dans ce cas, il n'existe pas de définition précise et claire de l'outrage mais, selon l'opinion générale, telle qu'elle est énoncée dans le livre de M. Maingot ainsi que dans Erskine May et dans Beauchesne, le Sénat peut juger que quelqu'un, et particulièrement un de ses membres, commet un outrage s'il porte atteinte à son autorité.
Dans le cas qui nous occupe, le sénateur Thompson ne s'est pas conformé, si je comprends bien, à deux ordres du Sénat. On peut soutenir que le fax envoyé ce soir fournit une explication à la deuxième requête mais, à première vue, il y a non-respect d'un ordre du Sénat.
Selon moi, quand un sénateur ne tient pas compte d'un ordre du Sénat, il porte atteinte à l'institution. Le Sénat doit pouvoir prendre des ordres et s'attendre à ce qu'ils soient respectés. Si ce n'est pas le cas, le Sénat pourrait, à mon avis, juger que ses pratiques et ses usages ont été discrédités et que cela constitue un outrage.
Je vous ai dit que cette situation pouvait clairement entraîner une suspension, mais on s'interroge actuellement sur la question de l'expulsion. Je ne définirai pas l'expulsion comme une mesure punitive, mais simplement comme l'expression du pouvoir du Sénat de protéger son institution et ses usages. Il reste à savoir si le Sénat a ce pouvoir.
L'article 18 de la Loi constitutionnelle, dont M. Maingot vous a parlé la semaine dernière, stipule que le Parlement du Canada peut accorder au Sénat, des pouvoirs, privilèges et immunités, à la condition que ces pouvoirs, privilèges et immunités n'excèdent pas ceux que possédait la Chambre des communes du Royaume-Uni au moment de la Confédération.
Il est clair que la Chambre des communes a le pouvoir d'expulser un député. Il est aussi clair que l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada définit tous les pouvoirs accordés au Parlement. Le Parlement a conféré au Sénat tous les pouvoirs autorisés par l'article 18.
Si la Loi constitutionnelle s'arrêtait là, le Sénat aurait assurément le pouvoir d'expulsion, mais la loi ne s'arrête pas là. En effet, l'article 29 de la Loi constitutionnelle stipule qu'un sénateur, sauf les dispositions de la présente loi -- et c'est une précision très importante -- occupe sa place au Sénat jusqu'à l'âge de 75 ans, comme le précise le paragraphe 2.
Comment interpréter «sauf les dispositions de la présente loi»? Le libellé de l'article 29 signifie qu'un sénateur ne peut être expulsé parce qu'il occupe sa place jusqu'à l'âge de 75 ans. Par contre, l'article 31 précise que le siège d'un sénateur deviendra vacant si l'un des cinq cas qu'il définit se produit. À ma connaissance, aucune de ces cinq situations ne s'est produite.
L'article 31 n'est pas considéré comme étant exhaustif et l'on pourrait prétendre qu'il existe d'autres cas où le siège d'un sénateur peut devenir vacant, comme l'expulsion. On peut dire que l'article 31 prévoit une exception à la règle des 75 ans énoncée à l'article 29, tout comme l'article 18. Si on accepte cet argument, il peut y avoir expulsion.
J'ai des clients qui détestent les avocats qui leur présentent les deux côtés de la médaille, mais je m'excuse, c'est ce que je vais faire. On peut dire que les rédacteurs de la Loi constitutionnelle de 1867 ont voulu que l'article 31, qui a été rédigé avec beaucoup de minutie, l'article sur le décès et l'article 30 sur la démission prévoient tous les cas où le siège d'un sénateur peut devenir vacant.
Par ailleurs, on peut défendre le contraire avec des arguments très convaincants. J'ai essayé de vous exposer les grandes lignes de ce côté de la médaille.
En définitive, je pense que le Sénat n'a pas le pouvoir d'expulser un de ses membres si on interprète l'article 18 dans le contexte de l'article 31.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons eu une discussion à ce sujet au Sénat. Présumons que le droit d'expulsion existe, puisque vous avez évoqué les deux possibilités. En cas d'expulsion, le siège du sénateur devient-il vacant ou l'est-il par le fait même?
M. Finkelstein: Sénateur, selon le sens commun, si une personne est expulsée, son siège devient vacant. La Loi constitutionnelle ne répond pas à cette question parce qu'elle ne traite pas de l'expulsion. L'article 33 de la Loi constitutionnelle, sur lequel on n'a peut-être pas encore attiré votre attention, stipule que s'il s'élève quelque question au sujet des qualifications d'un sénateur ou d'une vacance au Sénat -- et j'ajouterais sur la question de savoir s'il y a vacance -- cette question sera entendue et décidée par le Sénat. C'est donc à l'ensemble du Sénat qu'il appartient de décider si cette mesure constitue une vacance -- ce qui est le cas à mon avis. Et cette décision ne serait pas susceptible d'appel.
La Loi constitutionnelle de 1867 confère expressément au Sénat le pouvoir de décider ce genre de chose. Un tribunal ne pourrait pas réviser sa décision, pas plus qu'il ne pourrait réviser les décisions liées à ses règles et usages internes, comme la Cour suprême du Canada l'a précisé il y a trois ou quatre ans dans l'affaire sur Radio-Canada.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas nécessairement là où je veux en venir, mais vous semblez dire que le Sénat, dans un cas pareil, si tel est son désir, a droit à une certaine latitude qui n'est pas sujette à révision.
M. Finkelstein: Oui, le Sénat est tenu d'appliquer la loi au meilleur de sa connaissance, comme un tribunal. Cependant, certaines questions légales doivent être tranchées par les tribunaux. Étant le tribunal de dernière instance, la Cour suprême du Canada est souveraine. De la même façon, le Sénat serait le seul à pouvoir décider, dans ce cas, si l'expulsion entraîne une vacance.
Le sénateur Nolin: Vous nous avez parlé de l'indemnité parlementaire. Qu'en est-il de l'indemnité de dépenses, qui fait aussi partie de la rémunération du sénateur Thompson? Est-elle visée par une autre loi?
M. Finkelstein: Selon moi, monsieur, même indépendamment de l'article 59, le Sénat a le pouvoir de retirer l'indemnité parlementaire. Je ne dis pas que c'est incontestable, mais c'est mon opinion.
Je pense la même chose de l'indemnité de dépenses. Vous avez raison, l'article 59 ne fait référence qu'à l'indemnité parlementaire et pas à l'indemnité de dépenses. Cependant, en vertu de l'article 18 de la Loi constitutionnelle et de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, qui traitent des pouvoirs et privilèges, le Sénat a le pouvoir de retirer cette indemnité.
Le sénateur Grafstein: C'est évidemment un sujet délicat pour tous les sénateurs. Je veux être clair et je vais vous poser mes questions franchement. Voulez-vous nous dire que l'absence du sénateur constitue clairement un outrage?
M. Finkelstein: Le fait de ne pas se conformer à un ordre du Sénat constitue clairement un outrage.
Le sénateur Grafstein: Allez-vous jusqu'à dire que son absence porte atteinte à l'autorité du Sénat? Une conclusion en ce sens pourrait-elle aussi justifier l'outrage?
M. Finkelstein: On définit l'outrage comme une atteinte à l'autorité du Sénat.
Le sénateur Grafstein: Enfin, si un sénateur abuse de façon systématique de ses privilèges, cela peut-il constituer un outrage? Si on arrivait à la conclusion qu'il y a abus systématique, cela constituerait-il un outrage?
M. Finkelstein: Sénateur, c'est au Sénat d'en décider. Si vous me demandez si le Sénat pourrait en arriver à cette conclusion, je vous répondrais que oui.
Le sénateur Grafstein: Si le Sénat en arrivait à cette conclusion, pourrait-on considérer qu'il y a outrage? C'est la question que je pose.
M. Finkelstein: Ce serait au Sénat d'en décider. Le Sénat devrait décider si cette attitude porte atteinte à l'administration du Sénat. S'il répond par l'affirmative, je dirais que le Sénat aurait alors trouvé réponse à sa question et qu'il y a outrage.
Le sénateur Grafstein: Justement, avons-nous le pouvoir de conclure qu'il y a abus systématique des privilèges du Sénat et, par conséquent, qu'il y a outrage?
M. Finkelstein: Le Sénat a le droit de juger de ce qui constitue un outrage. C'est au Sénat qu'il appartient d'en décider, et pas aux tribunaux.
Le sénateur Lewis: Il y a quelques instants, en réponse à une question du sénateur Beaudoin, vous avez parlé de l'expulsion. Je crois que vous avez signalé que le Sénat a le pouvoir de suspension. Je présume que la suspension est une sorte de dissociation temporaire.
M. Finkelstein: «Temporaire» pour l'observateur, mais c'est juste.
Le sénateur Lewis: Si le Sénat suspendait un sénateur, quel effet cela aurait-il sur sa rémunération et sur les autres droits et privilèges que lui confère la Loi sur le Parlement du Canada?
M. Finkelstein: Si le Sénat suspendait le sénateur Thompson sans plus, sa rémunération ne serait pas touchée.
Le sénateur Lewis: Il continuerait de la recevoir?
M. Finkelstein: Oui. Il faut alors se demander si le Sénat a le pouvoir de réduire ou d'éliminer sa rémunération? Je vous ai donné mon avis là-dessus. Cependant, le Sénat devrait agir en conséquence. Si le Sénat n'agissait pas, le sénateur continuerait d'être payé, même s'il est suspendu.
Le sénateur Lewis: Le Sénat devrait prendre une mesure précise à ce sujet.
M. Finkelstein: Oui.
Le sénateur Carstairs: L'article 59 précise clairement que le Sénat peut prendre des règlements, au moyen de règles ou d'ordres. Cependant, il ne fait référence qu'à l'indemnité parlementaire. Il ne parle pas l'indemnité de dépenses non imposable.
L'article qui parle des dépenses, d'après ce que je crois comprendre, n'accorde ni au Sénat ni à la Chambre des communes le pouvoir de prendre des règlements à ce sujet. Selon vous, faudrait-il modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour supprimer cette disposition?
M. Finkelstein: Madame, votre question ressemble beaucoup à celle que le sénateur Nolin m'a posée. L'article 59 est très clair quant à savoir si l'indemnité parlementaire peut-être réduite ou éliminée. La question de l'indemnité de dépenses est moins claire parce qu'elle n'est pas traitée ailleurs comme dans l'article 59. Si on voulait être parfaitement clair, il faudrait modifier la Loi sur le Parlement du Canada pour adopter une disposition semblable à l'article 59.
La question de l'indemnité de dépenses n'est pas aussi claire que celle de l'indemnité parlementaire mais, tout compte fait, je pense que l'article 4 définit les pouvoirs et les privilèges de la Chambre du Royaume-Uni, et ces pouvoirs comprennent celui de réduire ou d'éliminer la rémunération.
On pourrait avancer que le privilège de la Chambre du Royaume-Uni ne permet pas de déroger à une disposition de la loi, mais on tourne en rond ainsi. La question de l'indemnité de dépenses n'est pas aussi claire que celle de l'indemnité parlementaire, mais, en somme, il est possible, par deux moyens différents, de viser les deux.
Le sénateur Ghitter: Madame la présidente, j'aimerais obtenir des éclaircissements sur la différence entre suspendre et expulser.
Est-il vrai que si nous suspendons le sénateur, son siège n'est pas vacant et le sénateur peut revenir et, selon certaines circonstances, réintégrer son siège?
M. Finkelstein: Oui, dès que le Sénat lève la suspension, c'est exact.
Le sénateur Ghitter: Quels sont les recours dont dispose le sénateur Thompson si nous le suspendions?
M. Finkelstein: La loi sur le Parlement prévoit que chaque Chambre régit son fonctionnement interne, sans l'intervention des tribunaux.
J'ai eu la chance de défendre le Président de l'Assemblée législative de l'Ontario dans l'affaire contre Radio-Canada entendue par la Cour suprême. La cour a été très claire dans cette cause qui traitait de la télédiffusion des travaux de l'assemblée législative. À l'argument de Radio-Canada qui soutenait avoir le droit de téléviser les travaux de l'assemblée législative, conformément à l'alinéa 2b) de la Charte des droits, la Cour suprême du Canada a statué qu'elle ne discuterait pas de cette disposition de la Charte, qu'il appartenait à l'assemblée législative de trancher.
Quand le Sénat suspend un sénateur -- ce qui serait le cas ici -- il agit de plein droit et sa décision n'est pas susceptible d'appel.
Essentiellement, si on me demandait si le sénateur Thompson pourrait demander au tribunal une injonction mandatoire pour obliger le Sénat à lui redonner son siège, je vous répondrais bien franchement qu'il ne le pourrait pas.
Le sénateur Ghitter: Disons que je suis d'accord avec votre conclusion -- ce qui, bien honnêtement n'est pas le cas, mais c'est normal entre avocats -- quels recours le sénateur Thompson peut-il utiliser si nous l'expulsons?
M. Finkelstein: Sans vouloir être trop légaliste, je dirais que les tribunaux se réservent le droit de décider s'il s'agit d'une question de privilège, et c'est clair que c'était le cas dans l'affaire concernant Radio-Canada, l'affaire Donahoe. S'il s'agit d'une question de privilège, le tribunal ne révisera pas la décision.
Pour répondre à votre question, le tribunal se demandera si le Sénat a exercé de plein droit un de ses privilèges, dans quel cas il ne révisera pas la décision, ou s'il a outrepassé ses pouvoirs.
Je n'ai pas répondu à cette question, mais je me suis plutôt interrogé sur la question de fond, à savoir si le Sénat avait le pouvoir d'expulsion, et je ne pense pas qu'il l'ait.
Où cela se justifie-t-il? Je pense qu'il n'appartient pas au tribunal d'en décider mais au Sénat. La réponse est à l'article 33 de la loi qui stipule qu'une question au sujet d'une vacance doit être décidée par le Sénat. Par conséquent, si le Sénat détermine qu'un siège est vacant à la suite de l'expulsion d'un sénateur, le Sénat peut faire erreur, tout comme la Cour suprême peut parfois se tromper. Cependant personne n'a le pouvoir de faire quoi que ce soit à ce sujet. Le Sénat est seul juge en la matière, selon moi.
Le sénateur Ghitter: Vous avez dit, ce qui est tout à votre honneur, qu'il y avait des arguments valables d'un côté comme de l'autre. Beauchesne vous contredirait pour affirmer que le Sénat peut agir à sa guise sur les questions de cette nature et notamment de l'expulsion. Les précédents remontent à Louis Riel, à la Nouvelle-Écosse et à des situations de ce genre.
M. Finkelstein: Ces décisions ont été prises par la Chambre des communes.
Le sénateur Ghitter: Oui, mais nous avons les pouvoirs de la Chambre des communes.
M. Finkelstein: Nous avons déjà discuté de cela.
Le sénateur Ghitter: En présumant que nous expulsons le sénateur Thompson et que votre argument est juste, le sénateur Thompson ne peut quand même rien faire. Il n'a aucun recours.
M. Finkelstein: Il en a. Il peut présenter sa cause devant votre auguste Chambre et voir ce qu'il obtiendra.
Le sénateur Ghitter: Mais il ne peut porter l'affaire devant les tribunaux.
M. Finkelstein: Non.
Le sénateur Ghitter: Il peut chercher à se défendre devant le Sénat, mais il ne peut s'en remettre au système judiciaire.
M. Finkelstein: Il peut essayer, mais je doute qu'il réussisse. Le tribunal ne révisera pas la décision prise par le Sénat.
Le sénateur Nolin: Si nous suivons votre conseil et adoptons un règlement visant à suspendre le salaire du sénateur, son indemnité de dépenses et son indemnité parlementaire, pouvons-nous en fixer l'entrée en vigueur au jour où l'outrage a été commis, c'est-à-dire mardi dernier?
M. Finkelstein: C'est une question intéressante.
Je pense que oui. Je réponds oui parce que je viens de vous dire que la décision ne serait pas susceptible d'appel devant un tribunal. C'est plus une question de formalité qu'autre chose. Je pense que le Sénat peut régir son propre fonctionnement à ce sujet et, par conséquent, établir que cette mesure entre en vigueur à la date où l'outrage a été commis.
Cependant, il existe un principe d'interprétation des lois selon lequel une institution n'a pas le droit d'adopter de règlements qui sont rétroactifs. Si ce principe s'applique, le Sénat ne pourrait pas adopter un règlement rétroactivement, et c'est pourquoi le Sénat aurait intérêt à agir vite.
Le sénateur Nolin: Pourrait-on interpréter qu'il s'agit d'une amende si nous limitons la pension que le sénateur peut toucher?
M. Finkelstein: Je n'ai pas étudié la question mais, comme je suis ici, je vais essayer de vous répondre.
Dans la mesure où la pension du sénateur lui appartient, ce serait lui imposer une amende que de la lui retirer.
Le sénateur Nolin: Elle est intouchable.
Le sénateur Grafstein: J'aimerais faire éclaircir la réponse à la question du sénateur Ghitter. Vous nous avez dit qu'il valait mieux suspendre le sénateur que l'expulser, parce que l'expulsion présente plus de difficultés sur le plan de la loi. Est-ce bien ce que vous avez dit?
M. Finkelstein: Qu'il valait mieux?
Le sénateur Grafstein: Que c'était la solution la plus claire pour le Sénat.
M. Finkelstein: La solution la plus claire, oui. Cependant, indépendamment de ce que la loi prescrit, dans un cas comme dans l'autre, c'est finalement le Sénat qui décide, conformément à l'article 33 de la loi.
La présidente: Je vous remercie d'être venu témoigner ici ce soir.
Si vous le permettez, sénateurs, nous poursuivrons nos travaux à huis clos. Êtes-vous d'accord?
Des voix: Oui.
La séance se poursuit à huis clos.