Délibérations du comité sénatorial permanent
des
Affaires sociales, des sciences et de la technologie
Fascicule 14 - Témoignages pour la séance du 10 juin 1998 (après-midi)
OTTAWA, le mercredi 10 juin 1998
Le comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie, auquel a été renvoyé le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence, se réunit aujourd'hui à 15 h 30 pour examiner ledit projet de loi.
Le sénateur Lowell Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Chers collègues, je tiens tout d'abord à exprimer ma reconnaissance au sénateur Kelly qui a présidé la séance d'hier en mon absence.
Avant que nous entendions le premier témoin de cet après-midi, j'aimerais attirer votre attention sur quelques détails importants. Comme vous le savez, nous avons prévu consacrer à l'étude du projet de loi une bonne quinzaine d'heures d'audition réparties sur quatre séances, commençant par celle d'hier et se terminant par celle du mercredi 17 juin, la semaine prochaine. Plus tôt aujourd'hui, le sénateur Maheu et le sénateur Kelly, deux ministériels membres du comité directeur, m'ont demandé d'arranger pour que le comité entende les témoins d'une organisation supplémentaire. Nous avons donc convenu, au cours d'une téléconférence du comité directeur aujourd'hui, de prévoir une séance supplémentaire afin d'entendre quatre témoins, dont ceux du Business Council of British Columbia qui ont demandé à être entendus séparément des autres, laquelle séance devrait se tenir vendredi quand le Sénat ajournera.
Tout à l'heure, j'ai appris que le Sénat ne siégera pas vendredi. Sénateurs, il est essentiel que nous décidions tout de suite de l'heure à laquelle se réunira le comité vendredi. Les témoins de la Colombie-Britannique ont dû réarranger considérablement leur emploi du temps pour pouvoir venir ici vendredi, alors c'est déjà décidé que ce sera vendredi. On m'a informé qu'ils ne pourront pas être ici avant 14 heures. Par conséquent, nous nous réunirons le vendredi de 14 heures à 16 h 30 dans la salle 705 de l'édifice Victoria, notre lieu de réunion habituel, pour entendre les témoins du Business council of British Columbia et plusieurs autres témoins.
Est-ce d'accord?
Des voix: D'accord
Le président: Je crois comprendre que le Sénat siégera lundi soir. Nous avons donc convenu, au cours de la téléconférence du comité directeur aujourd'hui, que le lundi à 16 heures est le seul moment où nous pouvons tenir une séance à huis clos pour examiner, et peut-être terminer, notre ébauche de rapport provisoire sur les lignes directrices en matière de pension alimentaire pour enfants. Nous avons déjà tenu de nombreuses séances sur cette question depuis Noël et nous voulons certainement présenter notre rapport provisoire avant de quitter pour l'été. Par conséquent, nous nous réunirons à huis clos lundi après-midi à 16 heures dans la salle 707 au sujet des lignes directrices en matière de pension alimentaire pour enfants.
Chers collègues, nous sommes réunis aujourd'hui pour étudier le projet de loi C-19, Loi modifiant le Code canadien du travail (partie I), la Loi sur les déclarations des personnes morales et des syndicats et d'autres lois en conséquence.
Le sénateur Kinsella: Monsieur le président, j'invoque le Règlement. J'ai une demande à faire au recherchiste de notre comité. À la réunion d'hier, nous avons entendu M. McDermott, sous-ministre adjoint au ministère du Travail. Au cours de ce témoignage, nous avons discuté de la question de l'accréditation visée à l'article 46 du projet de loi. M. McDermott dit que le Conseil des relations industrielles dispose de plusieurs voies de recours, qu'il a passées en revue et qui sont sans doute mentionnés dans le projet de loi. Je demande donc que les recherchistes préparent pour tous les membres un rapport d'une page donnant un aperçu ou une liste des voies de recours dont dispose le Conseil au cas où il y aurait, selon lui, une pratique déloyale.
Le président: Est-ce d'accord, chers collègues?
Des voix: D'accord.
Le président: C'est faisable.
Les témoins que nous entendrons aujourd'hui représentent une coalition d'associations du patronat qui s'inquiètent de la protection légale de l'industrie du grain.
Messieurs, vous avez une déclaration liminaire à faire au nom de vous tous, ou quatre?
M. David Church, directeur général, Transport, recyclage et approvisionnement, Association canadienne des pâtes et papiers, Coalition of Employers Associations Concerned with the Statutory Protection of the Grain Industry: Il y aura quatre déclarations liminaires, toutes très brèves.
Le président: Veuillez commencer, je vous prie.
M. Church: Je représente l'Association canadienne des pâtes et papiers. Nous avons collaboré avec d'autres associations du secteur, y compris les trois associations représentées par les témoins qui sont assis à côté de moi, et nous formons un groupe informel d'associations du patronat qui s'opposent toutes au paragraphe 87.7(1) que le projet de loi C-19 se propose d'inclure dans la loi.
L'ACPP est une association nationale qui représente 80 p. 100 des pâtes, papiers et cartons fabriqués au Canada. Nous dépensons annuellement deux milliards de dollars environ pour expédier nos produits à plus de 70 pays du monde. L'an dernier, nous avons expédié environ 29 millions de tonnes, dont 11 millions à nos clients à l'étranger ou via des ports à destination des États-Unis.
Mes collègues et moi sommes venus pour discuter du projet de paragraphe 87.7(1) qui, s'il devient loi, accordera un traitement préférentiel à l'industrie du grain. En cas de grève ou de lock-out dans un port, le mouvement des céréales se poursuivrait alors que les produits de notre secteur seraient immobilisés. Nous estimons que c'est discriminatoire et que cela nuirait considérablement à la compétitivité du Canada en matière de commerce. Si le secteur canadien des pâtes et papiers est dans l'incapacité de servir ses clients dans le monde, sa place sera prise par les nombreuses autres usines aux États-Unis, en Extrême-Orient, en Amérique du Sud et en Europe. Nous perdrons à jamais une partie de notre clientèle.
Nous vous demandons d'envisager d'amender le projet de loi afin qu'il prévoie, non pas un traitement préférentiel de l'industrie du grain, mais un traitement uniforme et équitable de tous les utilisateurs des ports. Dans le mémoire que nous avons déposé devant vous aujourd'hui, nous avons proposé notre solution de remplacement.
Cette proposition reçoit l'appui de notre groupe. En résumé, le ministre est autorisé à nommer un conseiller spécial chargé de suivre les négociations collectives au port. Ce conseiller communique avec les deux parties et aussi avec les utilisateurs du port et rend compte régulièrement au ministre de l'état d'avancement des négociations et de l'impact éventuel d'un arrêt de travail. En se fondant sur le rapport du conseiller, le ministre peut ordonner un délai de réflexion, par exemple, ou exiger que les parties se soumettent à l'arbitrage de l'offre finale pour régler leur différend. Nous demandons à votre comité d'étudier sérieusement notre proposition et de recommander au Sénat qu'elle soit incluse dans votre rapport, ou du moins en partie, si vous le jugez indiqué.
Je vous remercie de votre attention. Je demande maintenant à Bob Renwick de dire quelques mots.
M. Robert J. Renwick, président, Western Canadian Shippers' Coalition, Coalition of Employers Associations Concerned with the Statutory Protection of the Grain Industry: Honorables sénateurs, je suis expert-conseil en matière de transports et de logistique auprès du Council of Forest Industries, à Vancouver. Le Council of Forest Industries est affilié à un groupement appelé Western Canadian Shippers' Coalition et fournit à cette coalition son président et son secrétariat.
Je voudrais simplement souligner quelques points que nous avons mentionnés dans notre mémoire. La coalition regroupe plus de 200 sociétés du secteur primaire dans les quatre provinces de l'Ouest et des Prairies. On a tendance à penser aux mines en parlant du secteur primaire, mais ce secteur comprend aussi l'industrie forestière et l'industrie de la transformation des graines oléagineuses.
Le principal argument que nous voulons faire valoir au sujet du projet de loi va dans le même sens que ce que David vient de dire à propos de la concurrence: le secteur primaire dans l'Ouest est loin d'être la seule industrie utilisatrice des ports. Un grand nombre de sociétés concurrentes et d'autres industries peuvent approvisionner la même clientèle que la nôtre en produits forestiers, en soufre, en charbon, en potasse, en produits chimiques, en engrais et en produits dérivés des graines oléagineuses. Nous nous préoccupons plus que des effets à court terme d'une grève. Le Council of Forest Industries a calculé que la fermeture d'un port pendant dix jours suffit pour déclencher celle des usines de pâtes et papiers et des scieries en Colombie-Britannique et en Alberta et fera perdre à notre secteur de 25 à 30 millions de dollars par jour. Presque tout le reste des sociétés membres de notre coalition connaîtront des situations semblables.
Comme M. Church l'a dit, il y a dans le monde de nombreuses sociétés qui sont capables et désireuses de nous prendre nos clients, et pour de bon si possible.
Nous croyons qu'il incombe au Parlement de gouverner avec sagesse et efficacité pour le bien de tous les Canadiens et non seulement pour celui des groupes défendant des intérêts spéciaux. Nous croyons qu'il est impossible de justifier le projet de paragraphe 87.7(1) quelles que soient les circonstances.
Comme la chambre haute est censée être la chambre de seconde réflexion, nous ne pouvons trouver une seule autre décision récente de la Chambre des communes qui exige plus d'être cassée par le Sénat que celle concernant le paragraphe 87.7(1) visé par le projet de loi C-19.
On ne peut certes pas justifier la fermeture des usines et des mines et la mise des travailleurs au chômage dans le reste du secteur primaire dans l'ouest du Canada rien que pour assurer le revenu des sociétés céréalières. La perte de revenus et d'emplois dans les autres industries, sans parler des conséquences pour la balance commerciale du Canada, devrait suffire à justifier la suppression de cette disposition du projet de loi son remplacement par une méthode plus judicieuse de règlement des conflits de travail dans les ports de la Colombie-Britannique.
M. Church a mentionné une solution de remplacement ou une autre méthode de négociation que nous avons jointe à notre mémoire. Nous vous exhortons à songer sérieusement à recommander au Sénat d'adopter la méthode que nous proposons ou une autre solution à laquelle vous pourriez arriver dans vos délibérations afin de pouvoir supprimer le paragraphe 87.7(1) que propose le projet de loi C-19.
M. Donald O. Downing, président, Association charbonnière canadienne: Monsieur le président, je suis heureux de l'occasion qui m'est donnée de m'exprimer devant le comité du Sénat aujourd'hui. J'ai un document d'appoint que je déposerai auprès du greffier au terme de notre exposé.
Je voudrais parler des modifications que le projet de loi se propose d'apporter à la partie I du Code canadien du travail, en particulier du projet de paragraphe 87.7(1) intitulé «Service aux navires céréaliers». En guise de contexte, je voudrais décrire les caractéristiques fondamentales de l'industrie charbonnière du Canada afin d'indiquer aux sénateurs l'importance que le charbon représente pour le Canada et l'Ouest canadien.
En 1977, notre production totale de charbon s'élevait à 78,7 millions de tonnes et provenait de 28 mines situées dans cinq provinces. C'était un chiffre record pour le Canada. La consommation totale approchait les 56 millions de tonnes, surtout pour la production d'électricité. Certes, nous importons une certaine quantité dans l'Est du Canada, mais notre principale activité, c'est l'exportation de charbon. Nous en avons exporté plus de 36 millions de tonnes en 1997. C'était aussi un chiffre record.
L'exportation, en particulier, exige un système de transport efficace et rentable parce que la concurrence sur le marché mondial du charbon est extrêmement vive. Les pays asiatiques, notamment le Japon, la Corée et Taïwan, sont les principaux acheteurs, mais nous avons actuellement des clients dans plus de 20 pays dans le monde. Nos principaux concurrents sur le marché du charbon sidérurgique et du charbon thermique sont l'Australie, les États-Unis, l'Afrique du Sud, l'Indonésie et la Colombie. Les producteurs dans tous ces pays possèdent par rapport aux producteurs canadiens certains avantages naturels, notamment celui d'une plus courte distance de transport ferroviaire jusqu'aux ports côtiers, qui est typiquement de 1 à 300 km contre de 11 à 1 200 km dans l'ouest du Canada.
En termes d'impact économique, l'extraction du charbon au Canada emploie plus de 8 000 travailleurs, dont 5 000 dans les mines d'exportation de l'Ouest. Ces travailleurs sont parmi les mieux payés au Canada.
Tout aussi important est le fait que l'extraction du charbon produit un fort effet de ricochet ou effet multiplicateur. D'après dernière analyse économique réalisée en 1995, cet effet multiplicateur est légèrement supérieur à trois pour un dans les secteurs d'appui des mines, ce qui se traduit dans l'Ouest du Canada par un total d'emplois directs et indirects de 16 000 emplois dans les secteurs reliés à l'exportation du charbon. Le transport ferroviaire et maritime du charbon représente 28 000 autres emplois directs et indirects. Ainsi, nos exportations de charbon représentent à elles seules 45 000 emplois environ dans l'ouest du Canada. Chaque emploi dans le secteur de l'extraction du charbon donne naissance à six autres emplois dans les secteurs d'appui des mines et des transports.
Ce sont les exportations acheminées par voie maritime qui sont à l'origine de l'interaction avec les ports et les fournisseurs de services maritimes. Nos exportations de charbon sont évaluées à plus de 2,5 milliards de dollars, ce qui n'est absolument pas négligeable.
Si j'ai présenté ces faits au comité sénatorial aujourd'hui, c'est pour montrer à quel point l'industrie du charbon est un secteur important de l'économie. Elle contribue aux investissements, à la croissance, à la création d'emplois et aux recettes commerciales tout en étant un élément capital du secteur du transport au Canada. Le charbon est une ressource importante de notre pays.
D'énormes quantités de charbon sont acheminées grâce au réseau de transport, et il convient de signaler qu'il n'y a guère de marge de manoeuvre dans le transport de cette matière première. Cela s'explique par le fait que les mines, situées principalement dans la région des Rocheuses, ont une capacité d'entreposage limitée et doivent pouvoir compter sur un système de transport ferroviaire qui les débarrassera rapidement de leur charbon.
Toutes les semaines, une moyenne de 700 000 tonnes de charbon est expédiée par le biais des terminaux d'exportation. La capacité d'entreposage aux mines est plus limitée que celle du grain des Prairies. D'autres denrées sont importantes sur le plan des exportations, mais leur volume est moins élevé et elles bénéficient d'une plus grande souplesse pour l'entreposage. Les interruptions dans le système de transport peuvent bouleverser l'industrie minière du charbon.
Les modifications proposées à la partie I du Code canadien du travail semblent indiquer que le grain est plus important que le charbon. On pourrait effectivement être amené à penser que le grain est la denrée la plus importante dans notre pays. Ce n'est absolument pas le cas, et les modifications proposées, en tentant de conférer un statut particulier aux exportations de grain, minimise le rôle capital de l'industrie du charbon et de toutes les autres industries qui produisent des denrées de base.
À notre avis, l'article 87.7 qui est proposé ne devrait pas subsister dans sa forme actuelle parce qu'il établit une distinction entre les denrées et qu'il confère un statut particulier à l'une d'entre elles. Il donne l'impression que le gouvernement accorde la priorité et un statut particulier au grain, ce qu'il nous serait impossible d'expliquer à notre précieuse clientèle qui achète notre charbon dans plus de 20 pays du monde entier.
M. David W. Goffin, vice-président, Commerce et Économie, Association canadienne des fabricants de produits chimiques: Honorables sénateurs, les entreprises membres de notre association expédient des produits chimiques d'une valeur d'environ 1,3 milliard de dollars par le biais des ports de la côte ouest, surtout celui de Vancouver. Nos entreprises membres ont aussi annoncé de nouveaux investissements importants dans le secteur pétrochimique en Alberta, investissements qui entraîneront une nette augmentation de nos expéditions au cours des prochaines années. Pour être rentable, une nouvelle usine dans notre secteur doit planifier de commercialiser environ 40 p. 100 de sa production sur des marchés étrangers. Les perturbations dans le système d'expédition de ces usines coûteraient des millions de dollars à nos membres. Par ailleurs -- et c'est peut-être là le plus important -- les arrêts de travail dans le système de transport sont assurément un facteur qui est pris en considération lorsque d'éventuels investisseurs étudient la possibilité de mettre en oeuvre de nouveaux projets dans le secteur chimique et ils constituent certainement une mauvaise note dans la liste des facteurs d'investissement.
À cet égard, je veux souligner un nouveau projet d'investissement important que la société Phillips Petroleum envisage actuellement pour l'Alberta. Cette société travaille présentement à la planification et à l'élaboration préliminaire d'un vaste complexe pétrochimique en Alberta. Elle n'a pas évalué le coût des investissements, mais il serait de l'ordre d'environ un milliard de dollars. La société Phillips a songé à l'Alberta en raison des grandes quantités d'éthane dont a besoin l'industrie pétrochimique. Le climat politique est propice, et les marchés américains et asiatiques sont accessibles.
Cette semaine, je me suis entretenu avec un représentant de la Phillips Petroleum au sujet de cet investissement et je puis vous dire que la fiabilité des ports est certainement au nombre des facteurs que cette entreprise doit encore étudier avant de décider si elle mettra son projet en oeuvre en Alberta ou ailleurs. Le vice-président principal responsable de l'élaboration du projet a été consterné d'apprendre que le projet de loi que nous devons examiner aujourd'hui s'attaque au problème des conflits de travail dans les ports et de la fiabilité de ces derniers pour les exportateurs de grain, mais pas pour les exportateurs de produits chimiques ou autres qui en auraient bien besoin aussi.
Sur ce s'achèvent mes observations et celles de notre groupe. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Maheu: Deux études indépendantes ont révélé que les employeurs et les syndicats de débardeurs ont perturbé l'acheminement des exportations de grain pour forcer l'adoption d'une loi de retour au travail. Il y a eu des arrêts de travail fréquents qui ont rendu moins fiables les expéditions par l'entremise des ports. Une des dispositions du projet de loi C-19 vise à réduire les perturbations dans les exportations de grain qui sont attribuables aux arrêts de travail, l'efficacité de cette disposition devant être réévaluée en 1999.
Nous devons faire une sorte d'examen rétrospectif. Depuis 1972, il y a eu neuf arrêts de travail des débardeurs dans les ports de la côte ouest.
Ces arrêts de travail ont tous eu des répercussions sur les exportations de grain. Il a fallu régler sept d'entre eux par l'adoption de lois de retour au travail. Depuis 1974, il y a eu trois arrêts de travail des manutentionnaires de grain, arrêts qui ont tous pris fin à la suite de l'adoption d'une loi de retour au travail.
Êtes-vous d'avis que les longs arrêts de travail ne sont pas rares dans certains secteurs comme ceux de l'exploitation forestière et minière? Seriez-vous d'accord pour que les conflits relatifs aux conventions collectives dans ces industries fassent l'objet de règlements obligatoires imposés par une tierce partie, comme on l'a proposé pour les conflits dans les ports? Pensez-vous que l'article 87.7 qui est proposé occasionnera des arrêts de travail plus longs ou est-ce là simplement une appréhension de votre part?
M. Renwick: Je travaille dans l'industrie forestière depuis longtemps, et il y a eu des conflits de travail dans les ports certaines des années que vous avez mentionnées. J'étais responsable de la gestion du transport de deux grandes papetières de Prince George, dans la région centrale intérieure. Nos entreprises étaient nettement à vocation exportatrice, et je puis dire sans hésiter, parce que j'étais directement visé, qu'avant que nous soyons obligés de fermer nos usines de papier et de congédier des employés, il y a eu au Parlement toutes sortes de protestations en faveur de l'adoption d'une loi de retour au travail. Ces protestations venaient de bien d'autres secteurs que celui du grain. Évidemment, l'industrie du grain se fait beaucoup entendre, mais on peut dire la même chose de bien d'autres secteurs.
Il reste que, à l'époque, même si la situation laissait à désirer, nous étions tous traités de la même façon. L'article en question propose d'assurer le transport du grain et, sans vouloir croiser le fer avec l'industrie du grain, nous pensons que nos secteurs sont aussi importants que celui du grain et qu'ils ne devraient pas être traités différemment.
Compte tenu de ce qui s'est produit dans le passé et de ce que nous prévoyons pour l'avenir, nous pensons aussi que la durée des arrêts de travail lors de conflits sera beaucoup plus longue si l'on permet le transport d'une denrée au détriment des autres.
Le sénateur Maheu: Que pensez-vous des règlements exécutoires imposés par une tierce partie?
M. Goffin: Dans la solution que la coalition a élaborée et dont vous avez obtenu copie, nous avons essayé de préserver le plus possible la dynamique de la négociation collective, jusqu'à ce que le ministre ait la certitude de devoir intervenir. Comme vous pourrez le constater, nous recommandons un processus qui aboutit à un règlement exécutoire définitif, qu'il s'agisse de l'arbitrage des propositions finales ou de celui des différends, selon la nature des questions litigieuses.
M. Downing: Le projet de loi permettra, il est vrai, de réduire les interruptions dans le transport du grain, mais, à l'instar de mes collègues, je crois qu'il risque de le faire au détriment des exportations d'autres denrées tout aussi importantes que le grain pour le Canada.
La plupart des mines de l'Ouest du Canada sont syndiquées. Les syndicats et les entreprises participent régulièrement au processus de négociation collective. Il est difficile d'établir une comparaison avec les ports parce que si une grève survient à une mine donnée, cela n'a pas de répercussions sur l'exploitation minière à d'autres sites de production ni sur le transport d'autres produits et services. À cet égard, les gens reconnaissent que la situation dans un port qui constitue un point d'acheminement unique pour les exportations canadiennes revêt un caractère assez exceptionnel. L'industrie a donc proposé la solution de rechange que mon collègue a décrite.
M. Church: Si une grève ou un lock-out se produit dans une entreprise de notre secteur, il y a d'autres fournisseurs qui interviendront pour répondre aux besoins de sa clientèle au Canada ou à l'étranger. C'est le risque auquel s'exposent une entreprise et un syndicat lorsqu'il y a un arrêt de travail.
Notre secteur n'a guère d'autres choix que celui de recourir aux ports. Une grève au port de Vancouver aurait de très graves répercussions sur notre industrie. Nous n'avons pas d'autres solutions de rechange pour expédier nos produits à l'étranger. Il y a bien les ports de Portland, de Seattle ou de Long Beach, en Californie, mais ils ne sont pas dotés des installations nécessaires pour les produits forestiers; qui plus est, la côte Ouest ne dispose pas de l'infrastructure voulue pour pouvoir accueillir le nombre de camions et de wagons nécessaires pour acheminer nos produits le long de la côte, jusqu'aux ports.
Tout dépend des solutions de rechange dont on dispose. Dans notre secteur, les clients ont d'autres choix que celui d'acheter nos produits.
Le sénateur Cohen: Il est évident que de nombreux secteurs autres que l'industrie du grain trouvent injuste le traitement préférentiel accordé à cette dernière et déplorent les règles du jeu inégales qui en résultent. À la lumière de votre exposé, on conclut que les effets seraient désastreux dans les autres industries du secteur primaire. Savez-vous si l'on a mené des études visant à déterminer l'ampleur des répercussions économiques négatives qui s'ensuivraient dans votre secteur ou participez-vous à la réalisation de pareille étude? A-t-on déjà fait une évaluation de cette nature?
M. Church: Non.
Le sénateur Cohen: Personne d'entre vous n'a fait d'étude en ce sens?
M. Renwick: Madame le sénateur, comme M. Downing l'a expliqué, l'industrie du charbon a une capacité d'entreposage très restreinte à ses lieux d'exploitation. Il en est de même de l'industrie forestière. S'il est vrai que certaines scieries du nord de la Colombie-Britannique et du nord de l'Alberta, entre autres, peuvent écouler une partie de leur production aux États-Unis, il reste que la majorité de nos scieries dépendent, dans une large mesure, des marchés d'exportation outre-mer. Quand on n'a plus accès aux entrepôts des ports, les marchandises s'accumulent à bord des navires. La ILWU et la B.C. Maritime Employers Association représentent les employés des terminaux de produits forestiers affiliés à ces syndicats. Lorsque ces entrepôts et ces terminaux en eaux profondes cessent leurs activités, l'industrie forestière de la Colombie-Britannique et de l'Alberta s'en ressent souvent, et les scieries commencent à décliner à très rapidement.
Le sénateur Cohen: Sauf erreur, une étude menée par le juge Estey et commandée par le ministre Collenette est actuellement en cours et nous entendrons parler de ses conclusions dans six ou huit mois. On s'interrogera sur la nécessité d'adopter à toute vapeur un projet de loi qui sera réexaminé et peut-être modifié d'ici six mois à un an. Avez-vous des observations à faire à ce sujet? Voilà ce qui me laisse perplexe quand j'essaie de comprendre le projet de loi proposé et sa signification pour le Canada et notre économie.
M. Church: Nous nous posons aussi la même question. Vous avez raison de dire que le juge Estey, ex-juge de la Cour suprême, se penche sur cette question dans le cadre de son étude sur l'industrie du grain. Conformément à son mandat, il doit examiner la logistique entourant le grain de l'Ouest, depuis le lieu de production jusqu'aux ports. À notre avis, la disposition en question devrait être examinée dans cette optique générale. Elle s'inscrit dans le mandat du juge Estey et, par conséquent, elle devrait être examinée dans ce contexte général, et non pas seulement dans celui du projet de loi C-19.
M. Goffin: Juste avant notre comparution ici, on nous a informés de la première étape du rapport du juge Estey, et cette question est certainement une de celles qu'il examinera dans la deuxième étape de son étude.
Le sénateur Cohen: C'est comme mettre la charrue avant les boeufs.
M. Church: C'est exact.
Le sénateur Grafstein: J'aurais pensé, messieurs, que vous auriez vu d'un bon oeil cette disposition qui constitue une sorte de percée quant à la façon de résoudre le problème. Même si cette disposition ne s'applique pas systématiquement, c'est un compromis novateur pour résoudre un problème qui a miné une industrie susceptible, du point de vue politique, de donner lieu à une intervention -- intervention peut-être injuste de la part des deux parties à la négociation. Je considère cela comme un premier pas modeste en vue de corriger une situation épouvantable.
D'après ce que j'ai compris, le projet de loi comporte une disposition de temporarisation liée à un examen. J'aurais cru que vous auriez accueilli cela favorablement, comme un premier pas dans la bonne direction, au lieu de tout rejeter en bloc.
M. Downing: Sénateur, je ne suis pas un spécialiste en matière syndicale. Généralement, je parle en faveur de la promotion des exportations canadiennes et de la production du charbon canadien. Je trouve toutefois que la solution à ce problème syndical particulier est plutôt simpliste et qu'elle n'est absolument pas novatrice. Le projet de loi se contente d'interdire les grèves dans ce secteur. Il ne faut pas beaucoup d'imagination pour pondre une solution semblable.
Qui plus est, en réglant le problème des interruptions dans les exportations céréalières, la disposition risque de prolonger le blocage des exportations d'autres denrées importantes, surtout à cause de la dynamique des relations de travail dans les ports. Certains seront en grève alors que d'autres ne pourront faire la grève, cette situation n'étant guère propice au règlement rapide d'un conflit de travail dans un port. Les spécialistes qui exploitent les terminaux de charbon à Vancouver m'ont dit que la disposition prolongerait la durée des conflits de travail, et je n'ai aucune raison de ne pas les croire.
Le sénateur Kinsella: Les témoins auraient-ils l'obligeance de consulter le projet de loi à la page 30? C'est là que se trouve le paragraphe 87.7(1) dont vous avez parlé. Si notre comité se rangeait à vos arguments et qu'il voulait faire ce que vous préconisez, que feriez-vous? Quel sort souhaiteriez-vous nous voir réserver au paragraphe 87.7(1) qui est proposé? Comment voudriez-vous que nous le modifiions?
M. Goffin: Nous avons annexé une solution de rechange à notre mémoire. J'aurais aimé que nous la présentions sous forme de disposition législative pouvant s'insérer facilement dans le projet de loi à l'étude. C'est ce que nous avons tenté de faire l'été dernier. Ce n'est certainement pas une tâche facile. Comme l'a dit votre collègue, il est regrettable que l'on n'ait pas pris plus de temps pour trouver une solution exhaustive.
Le sénateur Kinsella: Voudriez-vous que nous intégrions les solutions de rechange que vous proposez et les principes sur lesquels elles s'appuient dans une proposition d'amendement au projet de loi qui poursuivrait l'objectif énoncé dans l'aperçu général que vous nous avez présenté?
M. Goffin: C'est exact.
Le sénateur Kinsella: Pour cela, nous devrions faire un énorme travail de recherche et d'analyse législatives. Si nous avions suffisamment de temps, j'imagine que nous pourrions faire cela. Ce serait une tâche complexe, car il y a des répercussions sur les autres dispositions du projet de loi.
Vous comprenez la difficulté que cela pose. Lorsqu'on nous présente un argument légitime en faveur d'un changement, à titre de législateurs, nous devons nous interroger sur la façon d'intégrer le changement en question dans le projet de loi tel qu'il est rédigé, alors que les parlementaires de l'autre endroit n'ont rien prévu en ce sens dans le libellé du projet de loi.
Pour en revenir aux principes plus généraux, ai-je raison de penser que ce que vous déplorez dans le paragraphe 87.7(1), c'est le fait qu'il vise uniquement le sort réservé au grain dans les ports, alors que vous vous préoccupez du sort qu'on y réserve à vos produits?
Des témoins de ma province, le Nouveau-Brunswick, comparaîtront plus tard aujourd'hui. Je ne sais pas quelle quantité de grain nous expédions par le biais de nos ports, mais je sais que nous expédions énormément de bois, de potasse et de produits pétroliers. Il serait intéressant de savoir si ces secteurs partagent les mêmes préoccupations.
On a parlé de discrimination à l'égard de certains produits. Qu'entendez-vous par ce type de discrimination? Est-ce le genre de discrimination qui est interdit par l'article 15 de notre Constitution?
M. Church: Nous voulons simplement dire que c'est injuste, et non nécessairement discriminatoire sur le plan juridique.
Le sénateur Kinsella: Quels sont les critères que vous utilisez pour décider de ce qui est équitable et inéquitable?
M. Church: Vous avez dit que vous saviez que le grain continuerait d'être transporté, mais que vous ignoriez au juste ce qui allait arriver aux autres produits. Nous savons que nos produits sont retenus au port. Nous devons expliquer cela à nos clients étrangers, qui sauront que le grain continue d'être transporté. Nous sommes l'un des secteurs les plus importants au Canada, l'un des secteurs contribuant le plus à notre balance commerciale. Pourtant, nous devons expliquer à nos clients la raison pour laquelle le grain continue d'être transporté alors que nos produits sont bloqués, que nous ne pouvons approvisionner nos clients. Ils vont se tourner vers d'autres pays, d'autres fournisseurs, si nous, au Canada, ne pouvons offrir un approvisionnement fiable. Ils peuvent se tourner vers l'Europe, l'Indonésie ou l'Extrême-Orient.
C'est ce que nous entendons par «discriminatoire». Il est question, selon nous, d'un traitement de faveur accordé à un secteur aux dépens d'autres secteurs.
Le sénateur Kinsella: Quelle est la nature des obstacles au transport de votre produit du point de production jusqu'aux quais, qu'il soit transporté par camion ou par train, et cetera? Si je comprends bien, il n'y a rien de différent dans cet aspect du transport du produit. Seule la manutention du produit aux quais pose problème.
M. Renwick: Il y a un problème lorsqu'on ne peut obtenir des wagons pour le secteur des produits forestiers, et je crois que M. Downing a signalé que la même chose s'appliquait à l'industrie houillère. Je sais, pour m'être entretenu avec certains de nos partenaires de la Western Canadian Shippers' Coalition, que c'est également vrai pour eux. Du fait de la nature même de nos produits, nos industries doivent utiliser le transport ferroviaire. C'est le seul moyen économique de transporter nos produits. Il ne faut pas beaucoup de temps avant que tous les wagons du parc soient bloqués parce qu'ils ne peuvent pas être déchargés. Il n'y a aucune autre façon de transporter nos produits vers le port, car les terminaux qui déchargent nos produits ne sont pas accessibles.
Le sénateur Kinsella: En ce qui concerne le transport du point de production ou de fabrication de l'exploitation agricole jusqu'aux quais, avez-vous d'autres moyens à votre disposition?
M. Renwick: Non. Dans le secteur primaire, dans l'ouest du Canada, il n'y a aucune autre solution. Il y a très peu de produits qui peuvent être transportés vers le port par un autre moyen que par le train.
Le sénateur Kinsella: Ainsi, à partir de votre position, pourrait-on, de façon logique, en déduire que si cela devait s'appliquer aux quais, cela devrait également s'appliquer aux chemins de fer?
M. Renwick: Ce n'est pas la logique que nous suivons. Nous ne pensons pas que cela devrait s'appliquer aux quais. Nous ne croyons pas que cela devrait s'appliquer à qui que ce soit. Selon nous, on ne devrait pas donner la préférence à un produit plutôt qu'à d'autres.
Le processus que M. Goffin a exposé offre une solution à long terme à la question. Il enlève de la pression au Parlement, si je peux m'exprimer ainsi, et donne au ministre le pouvoir de régler cette question. Il traite également tout le monde de la même façon. La chose la plus importante dans tout ceci, c'est l'iniquité dont M. Church a parlé. Ce sera très difficile pour nous tous qui devons fermer des usines et qui sommes incapables d'approvisionner nos clients.
Je vais parler du secteur forestier pendant un instant, car c'est celui que je connais le mieux. Nous représentons le Council of Forest Industries et la plupart des autres entreprises de l'Ouest que l'organisation de M. Church ne représente pas. Nous savons qu'il y a beaucoup de pays en cause. Par exemple, nous devons livrer concurrence aux trois pays scandinaves, à l'Espagne, au Portugal, aux États-Unis, au Chili, au Brésil, à l'Argentine, à la Nouvelle-Zélande, à l'Australie, à l'Indonésie et au Japon. Il y a toutes sortes d'entreprises dans ces pays qui sont parfaitement en mesure de s'emparer de nos marchés et de les conserver, et qui aimeraient bien le faire.
C'est la crainte. Si nous fermons nos portes, les répercussions ne se feront pas sentir simplement durant la grève qui s'étendra peut-être sur 10, 20 ou 30 jours. C'est extrêmement important et il y a des conséquences à long terme très sérieuses pour la balance commerciale du Canada.
Nous proposons de recommander à vos collègues au Sénat que, jusqu'à ce que le juge Estey ait terminé son étude et formulé ses recommandations, cet article soit rayé du projet de loi proposé à ce stade-ci.
Le sénateur Perrault: Je suis quelque peu inquiet par la mesure proposée. C'est un pas dans la bonne direction et cela rassure probablement les gens dans le secteur de la manutention du grain, mais je viens de la Colombie-Britannique. Les objections soulevées dans la province sont vraiment très importantes. Par exemple, elles viennent du Business Council of British Columbia, de l'Association canadienne des fabricants de produits chimiques, de l'Association canadienne des pâtes et de papiers, de Canfor, de l'Association charbonnière canadienne, du Council of Forest Industries, de la Forest Industrial Relations Ltd. et de l'Association minière du Canada. Ce n'est qu'une liste partielle.
En toute franchise, ces instances ne peuvent être traitées à la légère par quiconque sert au Sénat. Cela m'inquiète.
Quel pourcentage du volume des marchandises acheminées par Vancouver le grain représente-t-il, à l'heure actuelle?
M. Renwick: Peut-être que M. Wilds, de la B.C. Maritime Employers Association, pourrait mieux répondre à cette question. Il semble que le grain représente environ 30 p. 100 des volumes de marchandises passant par Vancouver.
Le sénateur Perrault: Le secteur céréalier n'est-il pas le principal expéditeur?
M. Renwick: Non.
Le sénateur Perrault: Quel pourcentage de la valeur totale en dollars les produits autres que les céréales représentent-ils?
M. Renwick: Si on se fie à l'étude effectuée en 1996 par la firme Price Waterhouse sur le secteur forestier en Colombie-Britannique, le secteur forestier de la Colombie-Britannique représentait à lui seul 4 milliards de dollars de ventes de produits qui transitaient par les ports de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Perrault: En ce qui concerne le grain, vous ne demandez pas que cela soit annulé immédiatement, n'est-ce pas? Vous voulez obtenir la parité avec le grain plutôt que d'empêcher le changement proposé, n'est-ce pas?
M. Renwick: Oui. Nous défendons la proposition de rechange dont M. Goffin a parlé, qui mettrait tout le monde sur le même pied avec le temps et établirait un organisme de négociation qui permettrait de meilleures négociations. Nous avons discuté de cette proposition de rechange avec les chemins de fer canadiens, qui nous garantissent que ce serait un meilleur système que celui qu'ils ont à l'heure actuelle.
Le sénateur Perrault: Le juge Estey va terminer son rapport d'ici la fin de décembre. Si vous ne demandez pas que le paragraphe 87.7(1) proposé soit supprimé, dites-vous aussi, que, à la lumière des préoccupations d'importantes de l'industrie, nous devrions faire en sorte que le juge Estey examine cette disposition dans le cadre de son étude? Cela serait-il utile?
M. Renwick: Nous voudrions que vous recommandiez qu'on n'aille pas de l'avant avec cela tant que le rapport Estey ne sera pas terminé. On devrait soit retirer cette disposition du projet de loi proposé, soit s'entendre pour que cette disposition ne soit pas promulguée tant que l'étude du juge Estey ne sera pas terminée.
M. Church: Je ne crois pas qu'on résoudra le problème en accordant un traitement de faveur à un secteur, c'est-à-dire le secteur céréalier, l'industrie houillère ou le secteur des produits forestiers.
L'infrastructure à Vancouver ne pourra pas composer avec l'embargo de tous les autres produits aux dépens d'un produit. Si vous deviez décider d'accorder un traitement de faveur au secteur des produits forestiers, nous ne serions pas heureux, car nous ne pensons pas que cela fonctionnerait. Ni les cours de triage ni les installations portuaires ou quoi que ce soit, ne peuvent faire face à l'exclusion de tous les produits sauf un et il serait insensé de croire que les chemins de fer seront en mesure de faire passer tous ces wagons. Si la question était: «Est-ce que le secteur céréalier ou le secteur des produits forestiers souhaite un traitement préférentiel?», nous répondrions: «Non, accordez un traitement égal à tout le monde.»
Le sénateur Perrault: C'est intéressant.
M. Downing: On pourrait, sans problème, supprimer le paragraphe 87.7(1) dans le projet de loi proposé. Autrement, les associations d'employeurs proposent une solution de rechange.
Il est anormal de trouver un renvoi au transport d'un produit en particulier dans le Code canadien du travail. Je ne crois pas que le code souffrirait en quoi que ce soit de l'absence de cette disposition.
Le sénateur Perrault: Ce projet de loi a été adopté à la Chambre des communes. Dans certains cas, l'adoption de mesures législatives à la Chambre des communes et au Sénat est quelque peu plus longue que la période de gestation d'un éléphant. Nous avons atteint ce stade dans le processus parlementaire.
Vous attendez-vous à ce que le ministre s'engage à prendre des mesures cet automne? Vous attendez-vous à certaines garanties? Bien sûr la procédure Estey, dont nous avons parlé plus tôt, fait partie de cela. Avez-vous d'autres suggestions que le ministère pourrait clarifier pour vous?
M. Downing: La commission Estey aura les mains liées, selon moi, si le projet de loi proposé est adopté. C'est une chose que la commission Estey examinerait dans le cadre normal de ses travaux. Ironiquement, elle pourrait regarder cela et dire: «Ce sont ces types de dispositions spéciales qui créent des problèmes dans le réseau de transport au Canada plutôt que de les résoudre.»
Normalement, c'est le genre de chose sur laquelle la commission Estey va se pencher, quoi qu'il en soit. C'est un peu comme forcer le gouvernement à se pencher immédiatement sur un problème. Cela ne règle rien quand on sait que cela sera réexaminé dans le cadre de la question du transport du grain, dans quelques mois.
Le sénateur Perrault: Avez-vous discuté longuement de cela avec vos amis dans le secteur céréalier et présenté certaines de vos préoccupations? Dans l'affirmative, ils ont rejeté vos ouvertures.
M. Renwick: On peut dire cela, en effet, qu'ils ont rejeté nos ouvertures.
Le sénateur Perrault: Vous avez le sentiment qu'ils manquent de vision, j'en suis persuadé.
Le sénateur DeWare: Dans votre exposé, vous avez fait certaines propositions. Vous avez notamment proposé que le ministre demande aux parties de soumettre en totalité ou en partie toutes les questions en litige à une méthode exécutoire de règlement des conflits. Lorsque le projet de loi C-66 a été présenté, on a proposé cela à l'étape du rapport, mais cette idée a été rejetée. Le sous-ministre adjoint principal, Michael McDermott, a écrit à la Commission du travail et de l'emploi, à Fredericton, pour dire que les employeurs régis par le gouvernement fédéral et les syndicats représentant les travailleurs ont précisé clairement durant le processus de consultation qu'ils ne veulent pas que leurs conflits dans le cadre de la négociation collective soient assujettis à des mécanismes exécutoires de règlement des conflits ni que le contenu de leur convention collective soit imposé par des tierces parties.
J'ai lu, comme vous l'avez fait probablement, les observations des autres partis à la Chambre des communes lors des débats en deuxième et troisième lectures. Beaucoup ont recommandé l'arbitrage des propositions finales. Ce pourrait être la réponse à ce problème. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez? C'est peut-être une solution de dernier recours.
M. Renwick: Nous voudrions que le processus de négociation se déroule normalement. Nous ne pensons pas qu'on devrait le faire disparaître. Cependant, un arrêt de travail, et dans le cas présent, je parle surtout des ports de la Colombie-Britannique, a de telles répercussions sur l'économie de l'ouest du pays qu'il doit y avoir une solution à ce genre de situation. Que cela passe par l'arbitrage des propositions finales ou non, et c'est peut-être une nécessité, il n'en demeure pas moins que c'est une situation unique. L'économie de l'ouest du Canada peut être prise en otage, si vous le voulez, par l'incapacité des deux parties de négocier une entente.
Le sénateur DeWare: Est-ce que quelqu'un d'autre veut formuler des observations là-dessus?
M. Church: Il y a un précédent pour l'arbitrage des propositions finales. Dans la Loi sur les transports au Canada, il y a une disposition portant justement là-dessus. Elle y figure depuis 1987, lorsqu'il s'agissait de la Loi sur les transports nationaux. Fondamentalement, l'expérience de notre industrie, et je pense que c'est ce qui se passe également dans d'autres industries, c'est que lorsqu'une partie décide d'avoir recours à l'arbitrage des propositions finales, cela force les parties à négocier. En fin de compte, on parvient à un règlement négocié avant d'en arriver, en fait, au processus d'arbitrage. Ces dispositions ont donc l'avantage de forcer la tenue de négociations et de permettre d'en arriver à un règlement négocié.
Le sénateur DeWare: Ce serait certes beaucoup mieux accepté au Canada qu'une loi de retour au travail. N'êtes-vous pas d'accord?
M. Church: Je pense que oui. Nous préférerions de beaucoup un règlement négocié qu'une loi de retour au travail. Cependant, comme M. Renwick et les autres membres l'ont signalé, nous comptons sur le système portuaire pour offrir le service voulu pour acheminer nos produits vers les marchés, et c'est le client qui compte. C'est la question la plus importante. Si nous ne pouvons servir nos clients, d'autres le feront à notre place et combleront ce vide.
Le sénateur DeWare: Et nous, au Canada, sommes les perdants.
M. Church: En effet. Vous perdez certains de ces clients à jamais. Certains vous reviennent, mais d'autres pas.
Le sénateur DeWare: Cela se produit dans le cas de tous les conflits de travail. Il est également intéressant de noter que dans cette lettre du 3 mars 1997, il dit aux intéressés que l'efficacité des dispositions en question, c'est-à-dire le fait d'octroyer un traitement de faveur aux manutentionnaires céréaliers, sera examinée en 1999. On parle donc toujours de cet examen en particulier.
Le sénateur Callbeck: Vous avez le sentiment que toutes les industries, qu'il s'agisse des produits chimiques, des pâtes et papiers, ou des céréales, devaient être traitées de la même façon. Pourtant, vous ne voulez pas que tous les groupes soient visés par le paragraphe 87.7(1) proposé.
M. Renwick: Si on applique cette disposition à tout le monde, et peut-être que certains de nos membres apprécieraient cela, on interdit, en fait, toute grève ou tout lock-out. Cela ne conduit pas à de bonnes négociations collectives.
Le sénateur Callbeck: Je suis d'accord. Je veux simplement m'assurer que je comprends cela. N'allez-vous pas nous soumettre aujourd'hui une proposition avec laquelle vous êtes tous d'accord?
M. Goffin: Oui, nous sommes tous d'accord.
Le sénateur Callbeck: Je n'ai pas vu un document, mais vous parlez de propositions au pluriel. Y a-t-il une proposition?
M. Church: C'est une proposition. Elle était jointe au mémoire de l'ACPP et vous devriez l'avoir en main. C'est une proposition, mais elle offre au ministre tout un éventail d'outils qu'il peut utiliser. Il pourrait ordonner une période de réflexion, s'il le voulait. Il pourrait ordonner la médiation ou l'arbitrage des propositions finales. Il a un certain nombre d'outils à sa disposition. Cependant, il y a une proposition que notre groupe appuie, et nous l'avons soumise au ministre.
M. Renwick: Nous pensons que cela signifie que le ministre pourrait régler cette question sans devoir passer par le processus parlementaire, qu'il pourrait s'en charger lui-même.
Le sénateur Callbeck: Dans vos observations, vous avez précisé qu'à cause de cette disposition proposée, vous avez le sentiment que les arrêts de travail seront plus longs. J'ai lu que 200 employés sur 3 000 travailleraient là. Ainsi, les arrêts de travail seront plus longs, mais cela ne touchera que quelques employés.
M. Renwick: Sénateur, je pense que M. Wilds pourra peut-être mieux parler de cette question lorsqu'il comparaîtra dans un instant. Nous croyons que si 30 p. 100 du travail est effectué par les membres inscrits de l'ILWU qui constituent un nombre plutôt petit des débardeurs dans les ports de la Colombie-Britannique, les intéressés devraient avoir un revenu assez élevé. Avec l'indemnité de grève, ils pourraient soutenir une grève beaucoup plus longtemps que normalement lorsque les règles du jeu sont égales pour nous tous.
Le sénateur Maheu: Je suis quelque peu mal à l'aise. Je me rappelle des pressions indues, pour ne pas dire plus, auxquelles nous avons été soumis dans le cas des débardeurs et des céréales dans l'Ouest, du nombre de grèves qui ont forcé le Parlement à prendre des mesures, comme l'adoption de lois de retour au travail et le recours à l'arbitrage des propositions finales plutôt que de laisser les employés exercer leur droit de grève. J'ai le sentiment que vous préféreriez que personne n'ait le droit de grève dans l'Ouest. C'est une situation idéale, je suppose, mais ne pensez-vous pas que la crainte de perdre des marchés vous encouragerait, ainsi que les employés, à éviter des conflits en négociant de bonne foi? J'ai un peu de mal à comprendre. Dites-vous que si les débardeurs doivent manutentionner le grain, ils devraient également être obligés de manutentionner tous vos produits, ce qui éliminerait du même coup le droit de grève?
M. Downing: Sénateur, il me semble que ce projet de loi enlève le droit de grève, n'est-ce pas? Il dit que les travailleurs doivent continuer de manutentionner le grain. N'enlève-t-on pas le droit de grève aux employés?
Le sénateur Maheu: Seulement parce qu'on l'a utilisé comme le moyen de pression ultime depuis trop longtemps maintenant. Si ce moyen de pression disparaît, on en vient aux choses sérieuses, ne pensez-vous pas?
M. Downing: Je pense que c'est le contraire qui est vrai. Je ne vois pas pourquoi on modifie le Code canadien du travail pour régler un problème de manutention du grain dans le port de Vancouver. On modifie maintenant le Code canadien du travail au moment même où le juge en chef Estey examine le transport du grain. C'est une question en elle-même. Je ne vois vraiment pas pourquoi on a choisi le Code canadien du travail pour résoudre ce problème.
Cela m'inquiète, car je crois que cette façon de régler la question du transport des céréales aura des répercussions négatives sur les exportations de charbon. J'essaie de faire comprendre aux députés et aux sénateurs que les exportations de charbon de l'Ouest du pays sont aussi importantes que les exportations de grain, ni plus ni moins.
Le sénateur Maheu: Pourriez-vous nous parler du droit de grève, s'il vous plaît?
M. Downing: L'industrie est fortement syndicalisée. Dans les mines, dans le transport ferroviaire et dans les ports, partout, selon moi, l'industrie reconnaît le droit de grève. La négociation collective dans les mines est une réalité depuis le début des temps modernes, au Canada, dans l'ère moderne. Les producteurs sont certes tout à fait conscients de cela et participent au processus. Nous reconnaissons qu'un port comme Vancouver, qui dessert les provinces du Manitoba, de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, est placé dans une situation unique, dans des circonstances spéciales, et peut-être qu'une solution novatrice qui va dans le sens des solutions proposées par notre groupe et d'autres permettrait de régler le problème. Cependant, ce n'est pas en ayant recours au Code canadien du travail et en affirmant que le grain doit être transporté dans toutes les circonstances qu'on va, semble-t-il, régler ce conflit de travail.
Le sénateur Grafstein: Pour en revenir au problème, personne ne nie que chacune de vos industries a un impact important et bénéfique sur notre balance commerciale et notre économie. Cela ne fait aucun doute. Il s'agit de savoir comment on s'attaque au problème qui, comme vous l'avez signalé, si je ne m'abuse, est très spécial, alors qu'on est confronté à une situation de monopole dans le cas des entreprises de transport sur la côte ouest.
Je ne crois pas que la situation soit aussi sombre que ce que vous dites, car il s'agit d'un court délai. Il est question d'une année, 1999, comme le sénateur DeWare l'a signalé. Je vois qu'on appréhende un problème réel, mais il est question d'une courte période. Le rapport de la commission Estey s'en vient, mais rien n'empêche de réexaminer tout ceci. Cela vous permet à tous, selon moi, durant l'année qui vient, de revenir devant nous et de dire que cela n'a pas fonctionné, que vos plaintes étaient fondées.
Vous pourriez peut-être faire une brève observation là-dessus, car je vois cela comme un pas très modeste, qui ne porte en rien préjudice à ce que vous avez dit, si ce n'est que la situation actuelle n'est peut-être pas aussi sombre que ce que vous prétendez.
M. Renwick: Durant cette période, même brève, d'importants arrêts de travail pourraient se produire et forcer la fermeture de beaucoup de nos usines et nous causer de graves préjudices financiers.
De plus, nous ne pensons pas qu'il y ait une garantie. Si le ministre n'écoute pas mieux dans le cadre de l'examen après un an que ce qu'il a écouté lorsque nous lui avons parlé pour essayer de faire modifier cette disposition, alors cet examen risque d'être inutile en ce qui nous concerne.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Renwick.
M. Church: Je voudrais mentionner notre expérience avec la Loi sur les transports au Canada, en 1996. Nous avons parlé aux gens en 1997 et on nous a dit que cela ne faisait qu'un an et qu'il fallait laisser le temps faire son oeuvre. Nous craignons que lorsque nous reviendrons ici dans un an, on nous dise encore que c'est trop tôt, qu'il faut prévoir plus de temps.
Nous sommes venus ici aujourd'hui pour faire vous part de nos réserves au sujet de certaines dispositions du projet de loi.
Le président: Merci à vous tous. Malgré le peu de temps mis à votre disposition, j'espère que vous avez l'impression d'avoir pu exprimer vos doléances. J'espère aussi que vous avez trouvé la discussion utile, à l'instar de tous les sénateurs.
M. Bob Wilds, de la B.C. Maritime Employers Association, est le prochain témoin. Il est accompagné de M. John E. King, président du conseil d'administration, de la Port of Saint John Employers Association.
M. Bob Wilds, B.C. Maritime Employers Association: Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion de comparaître devant votre comité pour discuter de ce projet de loi, qui aura de grandes répercussions sur notre secteur d'activité.
Notre association représente environ 75 entreprises de transport maritime, d'arrimage, de manutention aux quais, de consignation de navires, de chargement en vrac et de services spéciaux de chargement de céréales sur la côte ouest du Canada. Une liste de nos membres accompagne notre mémoire.
Nous sommes l'organisation qui négocie les conventions collectives au nom des employeurs, avec nos partenaires syndicaux, soit les représentants de la ILWU pour la région du Canada et les présidents de six grandes sections locales. Nous offrons bien d'autres services, mais notre principale responsabilité consiste à négocier et à administrer les conventions collectives.
Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd'hui pour vous faire part de notre opinion concernant le projet de loi. Rien ne presse, sénateurs. Si vous ne deviez retenir de notre exposé qu'un seul message, nous espérons que ce sera celui-là. Prenez tout le temps qu'il vous faut pour examiner cette mesure législative, car le projet de loi mérite un second examen objectif. À notre avis, certains éléments du projet de loi sont extrêmement controversés et peuvent semer la discorde entre les diverses régions. Nous croyons que l'objet réel de cette mesure législative est souvent caché derrière des idées fantasques, du jargon bureaucratique, des mythes et des observations trompeuses.
Ce projet de loi renferme de nombreuses bonnes dispositions. Toutefois, nous l'appuierons seulement si l'exemption accordée au secteur céréalier au paragraphe 87.7 (1) est abolie. En résumé, notre opposition à l'exemption injuste et discriminatoire prévue pour les services aux navires céréaliers repose sur le fait que cette disposition représente une taxe indirecte prélevée auprès de toutes les entreprises qui exportent ou importent des produits par l'entremise des ports de la côte ouest.
De plus, le transport obligatoire des céréales pendant une grève ou un lock-out légal minera la réputation dont jouit le Canada sur la scène internationale en tant que fournisseur fiable des marchés mondiaux, puisque cela aidera à subventionner et à prolonger les arrêts de travail. L'adoption de ces dispositions aura des répercussions graves, profondes et directes sur notre secteur d'activité, sur tous les utilisateurs des ports et sur l'économie de la Colombie-Britannique en particulier et de tout l'Ouest du Canada en général.
En tant que membres du comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie chargé d'étudier le projet de loi C-19, vous avez la possibilité d'abroger le paragraphe 87.7 (1) et d'améliorer la mesure législative, ce qui contribuera à améliorer et à mieux équilibrer le code du travail pour tous les intéressés.
L'exemption accordée au paragraphe 87.7 (1) au secteur céréalier se fonde, à notre avis, sur certains mythes. Notre objectif premier est de veiller à ce que les travailleurs continuent de travailler, à ce que les employeurs continuent d'embaucher et à ce que toutes les marchandises continuent d'être acheminées à destination. Voilà sur quoi reposent, dans l'Ouest du Canada, notre économie axée sur les exportations, nos emplois et notre croissance économique. Voilà sur quoi reposent également nos moyens de subsistance, notre prospérité future et notre réputation internationale. Cela s'applique pareillement aux trois parties concernées, aux syndicats, aux employeurs et au gouvernement.
Le paragraphe 87.7 (1), sous sa forme actuelle, fait obstacle aux objectifs visés. L'exemption prévue est contraire à l'objectif global du code du travail lui-même, puisqu'elle menace la stabilité des relations de travail dans les ports de la côte ouest.
Par ailleurs, les exemptions minent la négociation collective, puisqu'elles s'attaquent à ses principes fondamentaux, qui sont le droit à la grève ou au lock-out. Cela aura par la suite des effets dévastateurs non seulement sur les employeurs et les employés des ports, mais également sur tous les clients des ports de l'ouest du Canada, allant des fabriques de potasse aux marchands de bois, à l'industrie pétrochimique et aux producteurs de charbon -- tous les secteurs d'activité axés sur les exportations qui sont le moteur de notre économie.
Nous soutenons que l'exemption accordée au secteur céréalier -- son origine, ses prétendus objectifs et sa justification -- s'écroule sous le poids des contradictions qu'elle renferme. Les agents du ministère du Travail prétendent, comme ils l'ont fait hier devant votre comité, que cette exemption découle des rapports du Groupe de travail Sims et de la commission d'enquête sur notre industrie. Toutefois, ces affirmations déforment la teneur même des études, puisque nulle part dans ces rapports il est recommandé officiellement au gouvernement d'accorder cette exemption. Pas plus qu'on y suggère ou propose directement ou indirectement que le gouvernement accorde cette exemption.
Après avoir examiné minutieusement tous les facteurs touchant aux relations de travail aux ports de la côte ouest, le groupe de travail Sims tout comme la Commission d'enquête sur l'industrie n'a pas cru bon d'aller jusqu'à recommander officiellement d'accorder une exemption au secteur céréalier. Par exemple, le groupe de travail Sims a conclu que le droit à la grève ou au lock-out ne devrait être retiré à aucun groupe de travailleurs ou d'employeurs visés par le code, sauf si la santé et la sécurité de la population sont menacées. Pourtant, l'exemption accordée au secteur céréalier bafoue clairement les droits des travailleurs et des employeurs. Elle vise de façon spécifique à retirer aux travailleurs qui s'occupent de la manutention du grain le droit de faire la grève et à retirer aux employeurs le droit au lock-out.
Donc, contrairement à ce que les agents du ministère du Travail peuvent laisser entendre, non seulement le paragraphe 87.7 (1) ne découle pas du rapport du groupe de travail Sims, mais, si le gouvernement l'adoptait, il irait à l'encontre d'une conclusion importante du groupe de travail, qui estimait que le droit à la grève et au lock-out ne devrait pas être retiré, à moins que la santé et la sécurité de la population soient menacées.
Cela nous amène à la plus absurde des contradictions au sujet de cette exemption accordée au secteur céréalier. À de nombreuses occasions à la Chambre des communes, devant des comités ou dans des lettres, les représentants des syndicats ont affirmé que l'exemption est conçue pour préserver le droit à la grève ou le droit au lock-out des deux parties dans le secteur des activités portuaires et de la manutention du grain.
En appuyant l'exemption prévue au paragraphe 87.7(1), ils laissent entendre que le fait de retirer à quelques-uns le droit à la grève et au lock-out pour assurer la manutention du grain aux ports parviendra à préserver le droit à la grève et au lock-out des autres intervenants qui oeuvrant dans les ports et dans le secteur de la manutention du grain. Cette affirmation est plus que ridicule, elle est absurde. Cela nous rappelle les raisons évoquées par les soldats qui ont détruit le village afin de le sauver. À notre avis, c'est un raisonnement à la Orwell poussé à l'extrême.
Les agents du ministère du Travail prétendent que le gouvernement du Canada doit intervenir auprès de certains intervenants dans le processus de la négociation collective et miner les principes fondamentaux de ce processus afin de le préserver. Ils sont d'avis que nous devons retirer le droit à la grève et au lock-out afin de protéger le droit à la grève et au lock-out. L'absurdité de ce raisonnement est fort évident. Nous soutenons qu'il ne serait ni acceptable ni opportun pour le gouvernement d'adopter le paragraphe 87.7 (1) à ce stade-ci.
Cette disposition menace la stabilité des relations de travail dans les ports de la côte ouest et, si elle est adoptée, contribuera grandement à prolonger les arrêts de travail, en permettant aux employés de profiter de la manutention obligatoire du grain pendant les conflits de travail. En fait, la manutention obligatoire du grain pendant un conflit de travail légal serait une forme de subvention accordée aux employés. Un conflit de travail est un conflit de travail, peu importe le secteur d'activité qu'il touche. Par le passé, nous avons connu des arrêts de travail où il était impossible pour les parties en cause de toucher un revenu. Cette disposition ne fera qu'empirer la situation, à notre avis.
Passons maintenant à une autre contradiction dans le raisonnement utilisé pour justifier l'exemption accordée au secteur céréalier. La disposition proposée inscrit dans le code du travail une forme de discrimination à l'égard d'un secteur d'activité, en accordant injustement un traitement préférentiel ou un statut spécial aux céréales par rapport à toutes les autres marchandises ou produits de l'ouest du Canada. Ce statut spécial est accordé au grain sans motif et sans justification.
Les agents du ministère du Travail ont allégué qu'il est dans l'intérêt général du Canada d'assurer la manutention du grain. Nous leur avons demandé de justifier leur allégation et ils nous ont répondu que ce statut spécial est accordé dans la Constitution, à l'article 5 de la Loi sur les grains du Canada et à l'article 76 de la Loi sur la Commission canadienne du blé.
Après avoir examiné les dispositions des lois susmentionnées, nous avons conclu qu'il s'agissait là au mieux d'une interprétation faible de la loi et, au pire, d'une interprétation trompeuse. Nous croyons que les deux articles cités ne précisent pas que la manutention du grain est dans l'intérêt général du Canada.
Les minoteries, les entrepôts et leurs installations sont désignés comme des ouvrages à l'avantage général du Canada. Toutefois, ces lois n'accordent pas, de façon explicite, un traitement spécial aux produits que constituent les céréales du Canada. Par conséquent, même si les installations de transformation du grain ont pu être désignées comme des ouvrages à l'avantage général du Canada, en raison de leur importance relative à l'industrie céréalière, cela ne signifie pas, par extension, que le grain en tant que produit jouit d'un statut spécial par rapport aux autres produits canadiens, comme les produits des industries forestière, minière ou pétrochimique. Il n'existe aucun raisonnement ni aucune loi qui précise que l'un entraîne l'autre.
Afin d'élucider la question, nous vous suggérons de demander aux agents du ministère du Travail s'ils ont reçu un avis du ministère de la Justice appuyant leur interprétation de la loi et s'ils sont disposés à remettre cet avis à votre comité.
La contradiction ne fait que s'aggraver. Ainsi, le ministre du Travail affirme souvent que l'exemption accordée au secteur céréalier empêcher le grain de devenir la carte maîtresse dans le jeu des deux parties à la table des négociations. Si cette disposition du projet de loi est adoptée, nous croyons que c'est tout le contraire qui pourrait se produire. Le grain deviendra la carte maîtresse, puisque les employés profiteront d'une forme de subvention pendant les conflits de travail légaux. Cela prolongera inutilement les arrêts de travail. Par ailleurs, si ce n'est pas les lobbyistes représentant l'industrie céréalière qui feront des pressions auprès du gouvernement pour qu'il adopte une loi mettant fin à la grève, ce seront très certainement les lobbyistes des autres secteurs d'activité, ce qui signifiera que les autres industries deviendront la carte maîtresse de l'autre partie à la table des négociations. Si ce n'est pas l'industrie céréalière, ce sera les producteurs de potasse, les entreprises forestières, les exploitants de mines de charbon, l'industrie pétrochimique ou tous ces secteurs d'activité ensemble.
Si cette disposition du projet de loi est adoptée, elle aura, à notre avis, de graves répercussions néfastes sur notre processus de négociation collective. Si nos clients, les importateurs et exportateurs canadiens, jugent que des grèves de longue durée sont inacceptables, nous devrons acquiescer à des demandes irréalistes ou apporter des changements inutiles à nos conventions collectives. Aucune de ces options nous sourit.
Nous ne cherchons pas à diminuer l'importance de l'industrie céréalière canadienne. Environ 4 milliards de dollars de céréales ont été acheminées par le port de Vancouver en 1996 seulement. Ce n'est pas une somme à dédaigner, mais elle ne représente, par comparaison, que 13 p. 100 de la valeur totale des marchandises manutentionnées en 1996 au port de Vancouver. Les autres importations et exportations canadiennes representaient les 26 milliards de dollars ou 87 p. 100 de la valeur des marchandises manutentionnées en 1996 au port de Vancouver. Nous voulons que toutes les marchandises soient traitées de la même façon, peut importe les considérations politiques.
De plus, on entend souvent dire que l'objectif de l'exemption accordée au secteur céréalier consiste à réduire le nombre d'arrêts de travail touchant au grain. Nous signalons toutefois que le code du travail vise à réduire le nombre d'arrêts de travail touchant à tous les produits et à tous les secteurs d'activité et non seulement à l'industrie céréalière.
L'exemption prévue actuellement protège le grain au détriment de tous les autres produits et secteurs d'activité. Elle aura des répercussions particulièrement dévastatrices sur les économies de l'ouest du Canada qui sont axées sur les exportations. Cela fait ressortir la nature discriminatoire de l'exemption prévue pour le secteur céréalier.
L'inclusion du paragraphe 87.7 (1) est prématurée. Le gouvernement met la charrue devant les boeufs. Il présume peut-être les recommandations de sa propre commission chargée d'examiner justement les problèmes que l'exemption est censée régler.
Comme vous le savez, le ministre des Transports, David Collenette, a récemment demandé au juste Estey d'effectuer un examen approfondi de tous les aspects du système de manutention et de transport du grain. Cette commission a déterminé que les relations de travail à l'intérieur du secteur du transport du grain sont l'un des aspects qu'elle devra analyser. De plus, le fait que le gouvernement ait senti le besoin de faire faire cet examen prouve que le transport du grain pose de nombreux problèmes complexes.
Sous sa forme actuelle, le paragraphe 87.7 (1) ne visera qu'un petit aspect du système du transport du grain et, même à cela, seulement le transport en vrac de certaines céréales. Il convient de signaler que, dans l'espoir que l'examen de la Commission Estey soit fait avant l'entrée en vigueur de l'exemption accordée au secteur céréalier, cinq ministres ont écrit au ministre du Travail pour lui demander de retirer cette disposition du projet de loi, au moins jusqu'à ce que le gouvernement ait pu prendre connaissance des conclusions de la commission Estey.
Nous croyons également que l'article 87.7 exerce de la discrimination à l'intérieur même du secteur céréalier, puisqu'il ne s'applique qu'aux céréales manutentionnées aux cinq silos de Vancouver et à celui de Prince Rupert. Que dire des produits agricoles acheminés vers d'autres terminaux, comme les terminaux pour transport en vrac de Neptune, les quais de Vancouver, les navires porte-conteneurs et tous les terminaux conteneurs, qui acceptent les produits agricoles en conteneurs? Aucun de ces produits n'est visé par l'exemption.
Avec l'article 87.7, le gouvernement fédéral tente une expérience incontrôlée. À notre avis, c'est ce qu'admettent eux-mêmes les agents du ministère du Travail lorsqu'ils affirment qu'ils ont l'intention d'examiner les répercussions de cette disposition en 1999. Ils ne connaissent pas les conséquences qu'elle pourrait avoir, parce que l'expérience tentée avec le paragraphe 87.7 (1) ne se fonde sur aucune analyse, recherche ou évaluation des incidences économiques. Le gouvernement n'attend même pas les conclusions de la commission Estey avant d'apporter ce changement radical à sa politique concernant les relations de travail. Pourquoi mettre la charrue devant les boeufs? Le gouvernement veut légiférer avant d'examiner la question, au lieu d'étudier la question puis de légiférer au besoin.
Si vous demandez au ministère du Travail de vous fournir ses études, ses analyses ou ses évaluations des incidences économiques, vous ne recevrez rien, puisqu'aucune étude du genre n'a été menée. N'accordez aucune importance aux longues consultations dont il vous parle, puisque ces consultations ne riment à rien si les opinions exprimées par les intervenants ne sont pas retenues et si l'objectif initial est maintenu, malgré les avis recueillis auprès des intervenants. C'est ce qui se produit dans le cas qui nous intéresse aujourd'hui.
Le président: Monsieur Wilds, avez-vous l'intention de laisser la parole à M. King pendant quelques minutes?
M. Wilds: J'ai presque fini.
À bien des égards, l'article 87.7 confirme le gouffre énorme qui sépare le gouvernement et l'Ouest du Canada. Il minera la réputation qu'a acquise le Canada grâce à sa fiabilité quand vient le temps d'acheminer les produits vers les marchés mondiaux. Cela touche particulièrement les producteurs de l'Ouest. Leurs produits ne seront pas écoulés pendant une grève de longue durée subventionnée indirectement par le transport obligatoire du grain.
En fait, l'article 87.7 peut être considéré comme une taxe indirecte sur les grains que prélèverait Ottawa auprès de tous les secteurs d'activité qui exportent ou importent leurs produits par les ports de l'Ouest du Canada. Cela illustre un manque total de compréhension des rouages de l'économie de l'ouest du pays et de l'économie de la Colombie-Britannique en particulier. Étant donné la situation économique précaire de l'ouest du pays, à la suite de la chute des prix mondiaux du pétrole et de la crise en Asie, une telle menace à la stabilité de notre économie ne pouvait venir à pire moment. Ailleurs au pays, une telle menace ne serait pas tolérée.
J'ai une dernière question. Si le transport du grain est si crucial, pourquoi le gouvernement ne propose-t-il pas d'en faire un service essentiel et d'obliger ainsi tous ceux associés au transport du grain de poursuivre leurs activités en cas d'arrêts de travail légaux? Cela inclurait tous les syndicats du blé des Prairies, les travailleurs des silos des terminaux ferroviaires, les inspecteurs et les débardeurs. Il s'agit d'une question raisonnable à laquelle nous n'avons pas encore obtenu de réponse.
Étant donné les nombreuses contradictions et incohérences que renferme la mesure législative et le raisonnement douteux sur lequel elle se fonde, nous exhortons votre comité à prendre tout le temps nécessaire pour examiner ce projet de loi controversé. Nous vous encourageons à tenir de vastes audiences pour recueillir tous les faits. Nous sommes convaincus que, lorsque vous connaîtrez tous les faits, vous conclurez que l'exemption prévue pour le secteur céréalier est peu judicieuse et qu'il s'agit d'une mauvaise mesure gouvernementale et d'une mauvaise politique en matière de relations de travail et qu'il vaut mieux, par conséquent, la supprimer.
Je vous en prie, procédez à un second examen objectif de ce projet de loi au lieu de l'entériner automatiquement. Je vous en prie, modifiez le projet de loi en supprimant l'article 87.7.
M. John E. King, président du conseil d'administration, Port of Saint John Employers Association: Honorables sénateurs, la Port of Saint John Employers Association est heureuse d'avoir l'occasion d'exprimer son opinion sur le projet de loi C-19. Je suis président du conseil d'administration de cette association. Dans la vraie vie, je suis directeur général d'une des entreprises d'arrimage contractantes en activité dans le port.
En novembre 1996, le Conseil canadien des relations du travail nous a certifié en tant que représentant des employeurs pour les entreprises d'arrimage contractantes dans le port. Nous avons remplacé la Maritime Employers Association, qui a représenté les employeurs dans notre port pendant bien des années.
En tant que représentants des employeurs, nous sommes chargés de la négociation et de l'administration des contrats de travail en collaboration avec trois sections locales de l'Association internationale des débardeurs qui représentent les travailleurs dans notre port. Avec les syndicats, nous gérons le régime de pensions et d'aide sociale des débardeurs.
Nous nous occupons également de placer les travailleurs.
Notre association regroupe dix entreprises d'arrimage, d'opérations de navires et de placement. Elle a cinq employés à temps plein et est régie par un conseil d'administration formé de cinq membres faisant partie des sociétés membres. Il y a environ 350 débardeurs actifs dans le port, dont à peu près 220 membres des trois sections locales de l'Association internationale des débardeurs.
Le port de Saint John est le deuxième port du Canada en importance. Un peu plus de 21 millions de tonnes de marchandises y ont transité en 1997. Au niveau du volume de marchandises manutentionnées, il s'agit du plus grand port dans l'Est du Canada. Cela étant dit, il convient de signaler que les opérations se divisent en fait en trois catégories: le pétrole; les marchandises en vrac, comprenant la potasse, le sucre et le sel; et les marchandises diverses, essentiellement des produits forestiers.
Le pétrole représente 86 p. 100 du volume des marchandises que nous traitons. Il s'agit de pétrole brut à l'arrivée, qui passe par une installation flottante à l'extérieur du port, et de pétrole d'exportation qui est acheminé vers un terminal privé installé à Courtenay Bay.
La vaste majorité des emplois dans le port sont liés à la manutention du reste des marchandises, qui font 3 millions de tonnes. De ce volume, seule la manutention d'à peine un peu plus de 1,3 million de tonnes de marchandises, essentiellement transportées en conteneurs ou en vrac, correspond à une activité à forte concentration de main-d'oeuvre.
Tout cela pour dire que c'est la manutention des marchandises diverses qui nous permet de payer nos factures. Notre port s'occupe de la manutention d'un peu plus de 1 tonne de marchandises diverses, et nous travaillons très fort pour chaque livre manutentionnée.
Qu'est-ce que cela a à voir avec les relations de travail régies par le projet de loi C-19? Beaucoup de chose, en fait. Jusqu'à récemment, les relations de travail à notre port étaient similaires à celles aux autres ports de l'Est du Canada et, avec tout le respect que je voue à mon collègue, à celles du port de Vancouver. Elles se déroulaient toujours sous le signe de l'hostilité, de l'antagonisme et de la confrontation typiques des années 60 et 70.
J'aimerais pouvoir vous dire que nous nous éloignons de ce genre de relations de travail grâce à la perspicacité et au leadership des gestionnaires, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Nous sommes à bâtir des relations plus positives avec nos employés et leurs syndicats, parce que nous avons reconnu que notre entreprise ne peut prospérer si nous luttons constamment contre nos employés. Nous sommes trop petits et notre entreprise est trop fragile en cette ère de mondialisation et de vive concurrence.
Comme l'a dit l'un des fondateurs de la république au sud de notre pays, il faut unir nos forces pour ne pas périr.
La concurrence ne vient pas seulement des autres ports -- elle vient des autres modes de transport et de l'évolution des marchés de nos clients, les expéditeurs. Par exemple, il y a un peu plus de dix ans, plus des deux tiers de la production de l'usine de papier journal de Saint John transitaient par notre port. Aujourd'hui, c'est moins du tiers de sa production que nous recevons. L'autre tiers est acheminé par camion vers des destinations américaines.
En quoi les relations de travail sont-elles différentes de nos jours? Permettez-moi de vous donner quelques exemples. À la fin de 1995, avant que notre association ne soit créée, mais après que nos membres se soient séparés de l'AEM, nous avons négocié une nouvelle entente de trois ans avec notre plus grande section locale de l'AID avant même l'expiration de sa vieille convention collective. "Rien d'anormal, me direz-vous, cela se produit tous les jours". Pas dans mon secteur d'activité. À ma connaissance, cela ne s'était jamais vu au Canada dans un port titulaire d'une accréditation régionale. Depuis, nous avons mis sur pied un programme d'aide aux employés et des programmes de formation pour permettre à nos employés d'obtenir leur diplôme de 12e année. Nous avons rencontré régulièrement les dirigeants des syndicats et amélioré dans l'ensemble les relations de travail. Cela veut-il dire que nous sommes arrivés à une ère nouvelle? Non, mais cela signifie que nous empruntons une voie nouvelle.
C'est donc dans cet esprit que nous faisons part de notre opinion sur le projet de loi. Permettez-moi, avant tout, de dire que nous appuyons la majorité des dispositions de cette mesure législative. Nous croyons que, dans l'ensemble, elles favoriseront l'évolution des relations de travail au niveau fédéral. Nous sommes particulièrement contents de voir que l'accent a été mis sur le règlement des différends par les parties en cause sans intervention externe. Trop souvent par le passé, les deux parties ont négocié en vue non pas de conclure une entente, mais plutôt d'obtenir un bon rapport de la part du conciliateur.
D'autres aspects du projet de loi nous plaisent moins, notamment les dispositions relatives aux travailleurs de remplacement et à la diffusion aux syndicats de renseignements concernant les travailleurs à distance. Nous aimerions qu'elles soient modifiées, mais, en toute franchise, nous pouvons nous en accommoder. D'autres témoins vous en auront parlé ou vous en parleront. Toutefois, il y a une disposition que nous avons du mal à accepter tant au niveau pratique qu'au niveau philosophique. Il s'agit de celle qui porte sur la manutention du grain.
Le port de Saint John ne traite plus un grand volume de grain, bien que le tout nouveau terminal pour transport en vrac qui devrait être construit l'an prochain puisse fort bien parvenir à relancer cette activité. Cependant, nous croyons fermement que le traitement spécial accordé à une marchandise crée un précédent dangereux et susceptible de semer la discorde.
Comme vous le savez, le travail des débardeurs est la seule activité pour laquelle, au Canada, les employeurs doivent se regrouper en association dans les ports désignés par la Commission des relations de travail au Canada. Cette obligation a été imposée, en partie, pour veiller à ce que les employeurs qui font appel aux travailleurs d'une même catégorie agissent de concert. Vous comprendrez les problèmes qui se posent lorsque des concurrents sont tenus de s'associer et d'agir dans leur intérêt mutuel.
Néanmoins, les ports titulaires d'une accréditation régionale ont réussi à le faire, avec plus ou moins de succès. Ils y sont parvenus parce qu'ils ont compris qu'ils étaient tous dans le même bateau et qu'ils allaient, dans une certaine mesure, survivre ou périr ensemble. Au fond, nous avons tous besoin de main-d'oeuvre pour charger et décharger les navires, et les conditions des contrats s'appliquent à tous. Par conséquent, même si elles ne sont pas parfaites, les dispositions de la loi actuelle visant les débardeurs ont contribué à assainir les relations de travail dans la plupart de nos grands ports. Toute disposition prévoyant la manutention obligatoire de certaines marchandises, mais pas d'autres, pendant un conflit de travail divisera inévitablement l'association des employeurs et fera s'écrouler sa structure. Le principe fondamental de la communauté des intérêts des employeurs ne tiendra pas et le fonctionnement des associations en souffrira inévitablement.
Nous exhortons le gouvernement à veiller à ce que le transport du grain soit assuré dans l'intérêt national d'une façon qui assurera à tous un traitement égal aux termes de la loi. À notre avis, la loi actuellement en vigueur prévoit déjà des solutions suffisantes, y compris la nomination d'un médiateur et la sanction ultime, l'adoption d'une loi de retour au travail.
Honorables sénateurs, s'il existe un problème spécial à Vancouver, nous vous prions instamment de le régler à Vancouver, mais de ne pas imposer une solution qui conviendrait mal aux autres ports.
Le président: J'avise mes collègues qu'ils ont cinq minutes pour poser des questions. Nous rencontrons un groupe de quatre organisations entre 17 h et 18 h 30. Nous poursuivrons ensuite nos travaux jusqu'à 21 h, selon le programme qui m'a été remis.
Le sénateur Kenny: Je voudrais faire une observation, monsieur le président. Les témoins semblent avoir été mal conseillés. De toute évidence, on ne leur a pas dit ou ils n'ont pas compris qu'ils n'avaient pas à nous lire de longs exposés. Ils sont en mesure de nous faire parvenir de la documentation à l'avance et ils participent à ces audiences pour pouvoir dialoguer avec les sénateurs. C'est impossible lorsque les témoins s'assoient et nous lisent leur présentation. Cette précision n'a pas été donnée au groupe que nous rencontrons aujourd'hui, mais pourrait-elle l'être aux groupes que nous entendrons par la suite? Les prochains témoins pourront ne prendre que cinq minutes pour nous livrer leur exposé, afin que nous puissions discuter avec eux et analyser les points qui intéressent le comité.
Le président: Merci, sénateur.
Le sénateur Kinsella: Monsieur Wilds, dans votre exposé très intéressant, vous avez mentionné entre autres que quatre ministres ont écrit au ministre du Travail. Qui sont ces ministres et à quelle date environ ont-ils écrit au ministre?
M. Wilds: Quatre ministres de la Colombie-Britannique ont demandé que l'adoption de la disposition soit retardée jusqu'à ce que la commission Estey ait terminé ses travaux.
Le sénateur Kinsella: Avez-vous une copie de cette correspondance?
M. Wilds: J'ai vu les lettres en question.
Le sénateur Kinsella: Seriez-vous disposé à déposer des copies de ces communications?
M. Wilds: Je préférerais ne pas le faire.
Le sénateur Kinsella: Très bien.
Essentiellement, dans ces lettres, que demandaient les quatre ministres provinciaux au ministre fédéral au juste?
M. Wilds: De retarder l'adoption de l'article 87.7 jusqu'à ce que la commission Estey ait terminé ses travaux.
Le sénateur Kinsella: À votre connaissance, les ministres ont-ils reçu une réponse?
M. Wilds: Je n'ai pas la réponse à cette question.
Le sénateur Kinsella: Quand cela s'est-il produit?
M. Wilds: Il y a un certain nombre de semaines.
Le sénateur Kinsella: Je demanderai au ministère du Travail s'il est disposé à partager ces renseignements avec nous.
Le président: Le ministre est le dernier témoin que nous entendrons.
Le sénateur Kinsella: Merci.
Le sénateur Maheu: Monsieur King, il n'y a pas tellement eu d'arrêts de travail au port de Saint John ou à tout autre port du Canada atlantique ces dernières années, aucun du moins qui n'a nécessité l'intervention du Parlement, contrairement, et c'est malheureux, à certains conflits sur la côte ouest où nous avons dû intervenir. Quel est le secret de votre succès?
M. King: Comme nous sommes un assez petit groupe, il nous est très facile de comprendre que nous sommes ensemble dans cette galère. Toutefois, si quelqu'un veut attribuer nos succès à la grande vision des dirigeants, nous l'accepterons, naturellement.
Le sénateur Maheu: Je voudrais faire une observation à M. Wilds. Malgré tout ce que vous avez dit, il y a eu neuf arrêts de travail chez les débardeurs de la côte Ouest qui ont eu une incidence sur le secteur céréalier et trois autres arrêts de travail chez les manutentionnaires céréaliers depuis 1974. Il a fallu adopter une loi pour mettre fin à tous ces arrêts de travail. J'ai l'impression que des pressions indues ont été exercées chaque fois qu'une grève touchait au secteur céréalier et que, chaque fois, le gouvernement a dû intervenir et adopter une loi de retour au travail. Qu'est-il advenu au droit de grève ou au droit de négocier de bonne foi?
M. Wilds: J'imagine que mes homologues qui viendront témoigner après nous vous diront que jamais l'une des deux parties a accusé l'autre partie de ne pas négocier de bonne foi. Il y a eu de graves conflits de travail par le passé. Je dois dire, en mon nom et en celui de M. King, que nos négociations avec les débardeurs de l'association internationale n'ont été entachées que d'un seul conflit de travail au cours des dix dernières années. Nous avons négocié à quatre reprises. Nous avons conclu des ententes collectives à trois de ces occasions. Ce n'est pas, à mon avis, un bilan déraisonnable. Je ne suis pas ici pour parler de ce qui s'est produit bien avant mon temps. De grands progrès ont été effectués. Il y a eu plus de conflits de travail dans d'autres secteurs que dans le nôtre au cours des dix dernières années qui ont touché au transport du grain et pourtant nous sommes pointés du doigt.
Le président: Nous devons conclure sur cette note. Je fais remarquer au comité que nous avons accepté d'entendre ces deux témoins pendant une demi-heure, parce qu'ils soutenaient qu'ils avaient sur cette question une opinion qui ne correspondait pas entièrement à celle que nous a exposée la coalition, qui a comparu une heure avant eux.
Honorables sénateurs, pendant la prochaine heure et demie environ, nous entendrons un groupe de trois organisations, dont les porte-parole feront présenteront chacun un exposé de dix minutes.
M. John Pearson, président, Prairie Pools Inc.: Honorables sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous parler de Prairie Pools Incorporated. Nous sommes une association qui réunit les plus grandes coopératives d'agriculteurs de l'Ouest du Canada: l'Alberta Wheat Board, le Saskatchewan Wheat Board et le Manitoba Pool Elevators. Ensemble, ces syndicats regroupent plus de 100 000 agriculteurs et membres et font travailler plus de 5 000 Canadiens. Nos opérations de manutention du grain ont été désignées des activités à l'avantage du Canada, ce qui fait que, en tant qu'employeurs, nous sommes régis par le gouvernement fédéral. Nous nous occupons de près de 60 p. 100 des céréales, des graines oléagineuses et des cultures spéciales transportées au réseau de silos dans les prairies. Individuellement, ensemble et en partenariats avec d'autres entreprises, nous possédons et gérons les terminaux céréaliers des ports de Vancouver et de Prince Rupert sur la côte ouest et du port de Thunder Bay, dans l'est du pays. En tant que coopératives, les syndicats ont rapporté, depuis leur création, plus de 2 milliards de dollars aux agriculteurs qui en sont membres.
Prairie Pools juge que le projet de loi C-19 est un compromis acceptable, un premier pas vers la création d'un climat de travail plus efficace et moderne au Canada. Il traduit réellement un compromis conclu à la suite de longues consultations menées par une commission d'enquête sur les relations de travail sur la côte ouest en 1995 et par un groupe de travail chargé d'examiner la partie I du Code canadien du travail, dirigé par Andrew Sims, et à l'issue de deux études parlementaires.
Nous ne sommes pas satisfaits de toutes les dispositions du projet de loi. Nous avons encore des réserves au sujet d'un certain nombre de dispositions, notamment celles concernant les travailleurs de remplacement, l'accréditation des syndicats et l'accès aux travailleurs à distance. Toutefois, nous croyons que, dans son ensemble, le projet de loi est un pas dans la bonne direction et nous vous invitons à appuyer ce compromis qui a été difficile à atteindre.
À l'instar des témoins qui nous ont précédés, nous voulons aborder une disposition en particulier du projet de loi C-19, soit l'article 87.7. Nous prendrons quelques minutes pour remettre les choses en perspective. Premièrement, les témoins précédents vous ont dit que l'article 87.7 accordait un statut spécial au secteur céréalier. Nous vous faisons remarquer que le secteur céréalier se trouve dans une situation assez spéciale à l'heure actuelle.
Sur la côte Ouest, la plupart des activités de manutention du grain, allant du déchargement des wagons à la pesée, au contrôle de la qualité et à l'entreposage, sont effectuées par les employés des terminaux céréaliers. Ces travailleurs sont représentés par le Grain Workers Union, qui négocie ses conventions collectives avec la B.C. Terminal Elevator Operators Association. En tant qu'opérateurs de silos terminus, les syndicats du blé font partie de cette unité de négociation et participent aux négociations avec nos employés.
Le chargement et le départ des navires céréaliers relèvent des membres du syndicat international des débardeurs. Ces travailleurs ne sont pas des employés des terminaux céréaliers. Leur syndicat négocie avec la B.C. Maritime Employers Association. Le secteur céréalier n'est nullement partie à ces négociations et, par conséquent, n'exerce aucune incidence sur les grèves ou les lock-out qui peuvent être déclenchés. Pourtant, lorsque les débardeurs déclenchent une grève ou subissent un lock-out, le transport du grain est interrompu.
Au cours des dix dernières années, le transport du grain a été interrompu à quatre reprises sur la côte ouest à cause de conflits avec le syndicat des débardeurs et ses membres et une seule fois à cause d'un conflit avec les manutentionnaires céréaliers. Le gouvernement fédéral a légiféré pour mettre un terme à trois de ces quatre conflits, parce que les répercussions sur le secteur céréalier devenaient trop sévères. La Commission d'enquête sur le secteur a reconnu que cette situation était unique. Elle a écrit dans son rapport de 1995 que la négociation collective ne fonctionnait pas dans un tel cas et que les deux parties comptaient sur leur capacité d'interrompre le transport du grain pour en venir à une entente légiférée.
Pendant que se poursuivait cette partie de poker, où le transport du grain était la carte maîtresse, tout le système du transport du grain s'en trouvait perturbé. Les agriculteurs n'étaient sont plus capables de livrer leurs produits et nos clients outre-mer devenaient de plus en plus exacerbés par notre incapacité à satisfaire à leurs besoins. La Commission a recommandé que les débardeurs ne soient plus associés à la manutention du grain. Nous avons appuyé sa recommandation, mais dans l'espoir de préserver la paix et les emplois des débardeurs, nous avons accepté un autre compromis, soit l'article 87.7.
C'est le groupe de travail Sims qui a proposé ce compromis dans son rapport. Nous croyons que l'article 87.7 n'accorde pas un statut spécial au secteur céréalier -- en fait, c'est tout le contraire. Il met le secteur céréalier sur un pied d'égalité avec tous les autres secteurs de production. Il nous permettra de nous concentrer sur nos propres relations de travail, sans être menacés par l'échec des autres négociations collectives.
Deuxièmement, il nous semble que tout le débat entourant l'article 87.7 repose sur l'hypothèse qu'il y aura des grèves et des lock-out. Ne perdons pas de vue que l'objectif de ce projet de loi consiste à améliorer le processus de négociation collective et à réduire le nombre de grèves et de lock-out. Nous n'amorçons certainement pas nos négociations collectives en pensant qu'il nous sera impossible d'en venir à une entente négociée. À l'instar de la Commission d'enquête, nous croyons que, si les deux parties à la table des négociations ne peuvent plus tenir le secteur céréalier en otage dans l'espoir d'obtenir un règlement légiféré, il sera possible d'améliorer le processus de négociation collective, en autant, bien sûr, que les parties veulent réellement en venir à une entente.
Nous vous remercions de nous écouter et nous vous encourageons à appuyer le projet de loi C-19 et l'article 87.7, sans amendement.
M. Tom Dufresne, président, International Longshoremen's & Warehousemen's Union: Honorables sénateurs, nous sommes heureux de pouvoir prendre la parole, au nom des membres de notre syndicat, au sujet du projet de loi C-19. Nous croyons que ce comité sénatorial a un rôle important à jouer, celui de s'assurer que le projet de loi sera adopté sans autre amendement.
Afin de garder suffisamment de temps pour la discussion, nous proposons de faire une brève déclaration liminaire conjointe. Mes collègues et moi sommes impatients de répondre à vos questions individuellement, puisque les membres du syndicat que nous représentons remplissent diverses fonctions dans l'industrie du transport du grain. Nous avons apporté de la documentation écrite pour vous éclairer sur chaque syndicat que nous représentons.
Comme vous le savez, le projet de loi C-19 est le produit de plusieurs années de délibérations, consultations et compromis. Les syndicats qui sont représentés ici aujourd'hui croient que le consensus qui est à l'origine du projet de loi renforce le Code canadien du travail. Nous exhortons les membres du comité à résister à la tentation d'y apporter des changements. Cela minerait l'appui exprimé par les agriculteurs, les gestionnaires de l'industrie du grain, les employeurs portuaires et les syndicats. Tout retard dans la mise en oeuvre du projet de loi enverrait un message décourageant au monde des relations industrielles et à la population dans son ensemble.
Nos membres portent un intérêt particulier au para- graphe 87.7(1) du projet de loi, qui concerne les services aux navires céréaliers, et qui prévoit que le transport du grain serait maintenu en cas de grève ou de lock-out. Cette disposition préserve le droit des manutentionnaires de grain et de leurs employés de participer librement à la négociation collective, sans avoir à subir la menace d'une loi de retour au travail.
Le caractère unique de l'industrie du grain justifie ce projet de loi. Ces dernières années, les ports de la côte Ouest ont exporté 20 millions de tonnes de grain, d'une valeur de 5 milliards de dollars. Le maintien du transport du grain a un effet direct sur les rentrées de plus de 120 000 producteurs de grain des Prairies. Toutes les régions du pays tirent avantage de l'industrie du grain, mais celle-ci est cruciale au bien-être des Canadiens de l'Ouest, en particulier ceux qui habitent dans les communautés rurales.
Nous reconnaissons que d'autres marchandises, comme le bois d'oeuvre, la pâte, la potasse, le soufre et le charbon sont importantes pour l'économie canadienne et peuvent être vulnérables à des conflits de travail. Toutefois, parce qu'elles peuvent être accumulées, ces marchandises ne sont pas aussi vulnérables à des interruptions de travail que ne l'est le grain.
Comme je le disais plus tôt, de nombreuses petites entreprises liées aux activités d'exportation de l'industrie du grain n'ont tout simplement pas les moyens d'absorber les contrecoups d'une interruption de travail. C'est pourquoi les lois de retour au travail ont reçu beaucoup d'appui politique dans le passé.
En définitive, les syndicats qui sont représentés ici aujourd'hui ont participé activement à l'élaboration du projet de loi C-19. Très tôt, nous avons pris part aux travaux du groupe de travail Sims, et nous nous sommes efforcés de reconnaître les changements qui permettront, de façon générale, de rendre le Code canadien du travail plus efficace. Nous croyons que le consensus concernant le projet de loi constitue un progrès mesuré. Nous invitons respectueusement le comité sénatorial à recommander l'adoption rapide du projet de loi, sans amendement.
Mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions et de vous donner notre point de vue sur certaines questions que nous vous avons entendus poser à ceux qui nous ont précédés.
Le président: Considérez que ces questions s'adressent aussi à vous.
M. Garry Smolik, porte-parole, Six Independent B.C. and Alberta Grain Producers: Honorables sénateurs, nous parlerons principalement de l'article 87.7, que nous appuyons, comme vous le savez tous. Je représente un groupe d'agriculteurs de l'Alberta et de la Colombie-Britannique qui ont pris une part active aux efforts en vue de modifier le Code canadien du travail.
Nous n'intervenons pas directement dans la négociation collective mais sommes plutôt, bien souvent, la tierce partie lésée. Nous voyons ces consultations du point de vue de simples producteurs, dont la participation est nécessaire à l'obtention de solutions justes et équitables. J'ai quitté à regret ma ferme, en cette saison de croissance cruciale, mais ces changements sont nécessaires si nous voulons assurer l'avenir de l'industrie agricole.
Nous avons déjà exprimé nos préoccupations à diverses tribunes et je suis venu ici aujourd'hui pour m'assurer que le message des producteurs sera entendu et compris. Jusqu'à maintenant, nous avons l'impression d'avoir été bien entendus et compris. Nous sommes très satisfaits des réponses que nous avons reçues aux autres débats auxquels nous avons participé.
L'interruption du transport du grain entraîne des coûts immédiats très lourds pour les producteurs, mais c'est surtout la réputation de fiabilité des producteurs et des fournisseurs qui en souffre. Cette atteinte à notre réputation aura des conséquences économiques incalculables, à la fois pour notre industrie et pour l'économie canadienne, si nous ne trouvons pas une solution immédiate au problème.
Les producteurs supportent la totalité des coûts de transport, depuis la ferme jusqu'au port de mer, et de là jusqu'aux marchés. Nous faisons face à des changements rapides et à une vive concurrence et les récents accords commerciaux signés en Amérique du Nord et un peu partout dans le monde nous obligent à être plus concurrentiels. Nous nous adaptons, mais notre capacité d'adaptation dépend, en partie, de la coopération de l'industrie de manutention et de transport du grain.
Les conflits de travail qui se sont produits au fil des années ont nui à notre capacité de livrer à temps nos produits aux clients, et ces derniers ne nous considèrent plus comme des fournisseurs fiables. M. Pearson a parlé des problèmes survenus au cours de la dernière décennie. Si je ne m'abuse, le transport du grain a été interrompu à Vancouver à cinq reprises, une fois à cause d'un conflit entre les travailleurs des terminaux portuaires et les opérateurs de terminaux et quatre fois à cause de conflits opposant le International Longshoremen's and Warehousemen's Union et la Maritime Employers Association de la Colombie-Britannique. Le gouvernement a mis fin à trois de ces quatre derniers conflits par une loi de retour au travail.
Ces grèves n'ont pas duré longtemps, mais elles ont provoqué un engorgement du système et ont nui aux ententes de transport maritime pendant de nombreux mois. Les producteurs sont ceux qui, en fin de compte, paient le prix fort pour les règlements arbitrés, et ils n'ont aucune possibilité d'influer sur la décision ou de la négocier.
Je crois que l'article 87.7 empêcherait les débardeurs et leurs employeurs d'utiliser le grain pour obtenir une intervention gouvernementale et obligerait toutes les parties à tenir une négociation raisonnable et conciliatoire.
Lorsqu'il était président du comité permanent des transports de la Chambre des communes, M. Stan Keys a fait des observations intéressantes au sujet des relations industrielles dans la section des ports de la stratégie maritime nationale du comité. Il déclarait:
L'organisation de la main-d'oeuvre et de l'administration des principaux ports est lourde et rigide et il semble y avoir incapacité de résoudre les problèmes. Le processus de négociation collective ne semble pas fonctionner, car les problèmes ne sont jamais résolus, à cause du recours aux lois de retour au travail.
Il ajoutait:
Nous en sommes au point où l'économie canadienne ne peut plus soutenir des interruptions de travail dans les ports, ne serait-ce qu'une journée ou deux, car cela est devenu trop coûteux. Il faut trouver une autre solution que les lois de retour au travail pour régler les différends dans les ports.
Il terminait ainsi:
Le statu quo est inacceptable et non viable.
Nous partageons tout à fait ce point de vue. La situation actuelle n'est pas la solution de l'avenir.
Les opposants à l'article 87.7 semblent être préoccupés par ce qu'ils considèrent comme le traitement unique du grain. En fait, le grain est unique, non seulement parce qu'il contribue à l'alimentation mondiale mais aussi en raison du caractère politique de la production, de la commercialisation et du transport de cette denrée. Nous croyons que ce caractère politique a fait obstacle aux règlements contractuels acceptables, sans grève, lock-out et lois de retour au travail. En fait, le grain a nui à la paix industrielle sur la côte ouest durant les négociations collectives pour cette raison même. Il n'y a, à ma connaissance, aucune autre denrée qui ait été utilisée ou qui puisse être utilisée de cette façon. L'inclusion de l'article 87.7 servira seulement à soumettre l'industrie du grain à des règles du jeu plus équitables. Autrement dit, il éliminerait le statut unique du grain et toutes les denrées seraient traitées de façon plus égale.
La Commission d'enquête sur les relations de travail écrivait ce qui suit en 1995:
La négociation collective dans cette industrie a été réduite à un rituel qui ressemble davantage à une partie de poker dont l'atout serait la capacité d'interrompre les exportations de grain. L'interruption des exportations assure une intervention rapide du Parlement. La négociation collective n'existe plus comme telle.
Comme vous pouvez le supposer, les agriculteurs sont mécontents et nos clients ne sont pas satisfaits de nos services. Ils cherchent à s'approvisionner ailleurs parce que nous ne sommes plus fiables. Le Japon, par exemple, a émis de sérieuses réserves au sujet de la garantie d'approvisionnement. En dépit de nos efforts pour les rassurer, les Japonais cherchent à s'approvisionner ailleurs en canola, notamment en Australie, en Argentine et aux États-Unis. En fait, ils encouragent la production de canola dans ces pays.
Ce marché, que nous avons mis des années à développer, est maintenant menacé, non pas par la sécheresse, la maladie ou la demande, mais par notre incapacité à fournir nos clients de façon fiable.
En définitive, la continuité du transport du grain est indispensable aux producteurs. Nous supportons tous les coûts, mais nous n'avons pas suffisamment d'influence pour assurer le mouvement continu du grain. Des solutions s'imposent et nous croyons que l'article 87.7 répondra à bon nombre des préoccupations exprimées ici aujourd'hui.
Ce projet de loi doit avoir beaucoup de valeur pour que les agriculteurs, l'industrie et les syndicats lui accordent leur appui. Les solutions commencent par un compromis. Ce projet de loi, qui modifie le Code canadien du travail, offre un compromis qui devrait aboutir à la paix industrielle que recherchent toutes les parties.
M. Pearson a parlé du compromis. La commission a proposé l'élimination du débardage. Cela constitue effectivement un compromis, mais je crois qu'il s'agit néanmoins d'un excellent départ. Nous avons besoin de mesures semblables pour assurer la fiabilité et la sécurité dont les agriculteurs et leurs familles ont besoin pour pouvoir fonctionner efficacement aujourd'hui et dans l'avenir.
Le président: Merci, messieurs, pour ces brèves déclarations.
Le sénateur LeBreton: Merci de votre exposé.
Monsieur Dufresne, vous parlez de la nécessité de maintenir le mouvement du grain tout en poursuivant la négociation collective. Où serait, dans ce cas, l'incitatif à parvenir à un règlement? Est-ce que tout cela n'affecterait pas le mouvement des autres marchandises et ne risquerait pas d'engorger tout le système?
Quelqu'un disait que les autres marchandises peuvent être accumulées parce qu'elles ne sont pas périssables comme le grain. C'est vrai, mais que pensez-vous du droit des producteurs de ces autres marchandises d'accéder au marché?
M. Dufresne: Durant une négociation collective, le transport de toutes les marchandises peut se poursuivre. Je signale que trois des quatre dernières interruptions de travail survenues depuis 15 ans étaient dues à des lock-out et non pas à des grèves.
On a fait valoir que certaines personnes pourraient continuer de travailler, subventionnant ainsi le reste des travailleurs. Sur la côte ouest, le grain représente environ 30 p. 100 de la quantité totale de marchandises qui passent par les ports, mais moins de 10 p. 100 du nombre d'heures de travail.
M. Sigurdson a analysé le rapport entre les heures de travail des contremaîtres, en dollars et par jour, et chaque travailleur impliqué dans une grève ou un lock-out. Nous avons entendu beaucoup de déclarations semblables au comité permanent de la Chambre des communes, lorsque nous examinions le projet de loi C-66, puis le projet de loi C-19. Ce genre d'observation a été faite à quatre ministres du Travail, nommément les ministres Axworthy, Robillard, Gagliano et MacAulay. Certaines personnes qui ont comparu ici aujourd'hui sont d'avis que tous ces ministres se sont leurrés. Je n'en dirai pas plus à ce sujet.
Les travailleurs ne rapportent pas suffisamment d'argent pour subventionner une grève ou un lock-out et le syndicat n'a pas l'intention de s'engager dans un long conflit de travail. L'expérience a démontré que nous avons toujours tenté de promouvoir les ports de la côte ouest du Canada en y attirant les marchandises en provenance des États-Unis. Plus il y a de marchandises dans nos ports, plus cela apporte de travail à nos membres, ce qui est bon pour nous.
M. Sigurdson pourrait peut-être parler de l'argent que rapportent les travailleurs qui continuent de travailler.
M. Doug Sigurdson, président, ILWU Ship and Dock Foremen, section 514, Vancouver: J'avais entendu dire que les employeurs invoquaient cet argument; j'ai donc décidé d'examiner la chose. J'ai effectué une recherche au sujet de trois entreprises qui assurent le transport du grain. J'ai parlé à certains de leurs cadres et me suis fondé sur des chiffres qui me sont communiqués chaque mois. Je suis arrivé à la conclusion que si nous divisons le salaire des employés qui continuent de travailler par l'ensemble des membres, cela représente 5 $ par jour par travailleur, avant impôt.
En ce qui concerne le charbon, il est vrai que 35 millions de tonnes de cette ressource passent par la province de la Colombie-Britannique, mais sur cette quantité, 22 millions de tonnes sont traitées au port Roberts Bank, qui n'est pas visé par la convention collective cadre. En cas de grève au port de Vancouver, le port Roberts Bank continue de fonctionner et le transport du charbon se poursuit.
Entre quatre et cinq millions de tonnes de charbon passent par Prince Rupert, dont le personnel n'est pas syndiqué, si bien que le transport ne serait pas interrompu.
Le seul charbon qui serait touché est celui qui est acheminé par les terminaux Neptune, mais il pourrait facilement être détourné vers l'un ou l'autre des deux ports. Le charbon ne serait donc pas vraiment affecté par le projet de loi.
Le sénateur LeBreton: Qu'en est-il des pâtes et papiers?
M. Sigurdson: Oui, les pâtes et papiers seraient affectés.
Le président: Le port Roberts Bank relève-t-il du gouvernement fédéral?
M. Sigurdson: Oui.
Les pâtes et papiers pourraient être transportés par chemin de fer, soit en passant par les grandes installations de Kitimat ou par Thunder Bay, Montréal, Saint John ou Halifax.
Le sénateur Callbeck: J'ai posé cette question aux témoins précédents. Ils ont déclaré que des interruptions de travail seraient plus longues et feraient monter le coût du transport. Vous avez répondu à ma question.
Le sénateur Perrault: Quelqu'un a parlé de la concurrence américaine. Quel est l'impact réel de la concurrence de ports américains comme ceux de Tacoma, Seattle, Portland et d'autres ports de la côte ouest? Cette concurrence menace-t-elle réellement les emplois au Canada?
M. Dufresne: Le rendement des travailleurs sur la côte ouest canadienne est comparable à celui des travailleurs aux États-Unis, notamment en ce qui concerne le tonnage transporté par travailleur et par heure de travail effectuée, ou en fonction de la feuille de paye. Toutefois, notre rémunération est moins élevée si l'on tient compte du pouvoir d'achat du dollar américain.
Le sénateur Perrault: Les concurrents américains risquent-ils de l'emporter sur certaines de nos entreprises?
M. Dufresne: Il y a toujours concurrence, mais les débardeurs américains gagnent 4 $ U.S. de l'heure de plus que les débardeurs canadiens de la côte Ouest. Il faut tenir compte de ces éléments. Compte tenu de notre dollar à 60c., il y a un certain coût à supporter.
Le sénateur Perrault: Est-ce qu'une partie du grain des Prairies passe par Portland? J'ai entendu dire que oui.
M. Ron Burton, secrétaire-trésorier et représentant commercial, Grain Workers Union, section 333, Vancouver, Colombie-Britannique: Certaines quantités d'orge ont été expédiées vers ce port l'an dernier. Un des dangers réels de l'interruption du transport du grain est de passer par les ports.
Cargill et ADM, deux importants membres de l'industrie du grain, possèdent des ports et des terminaux à Tacoma. Ils sont essentiellement vides. En cas d'interruption du transport du grain, il serait très facile d'y envoyer des convois ferroviaires.
Le sénateur Perrault: Il en résulterait des pertes d'emplois et d'autres conséquences pénibles.
M. Pearson: L'industrie des terminaux a fait faire des recherches au sujet de la possibilité d'acheminer le grain vers les ports américains. Il est peu probable que cela se produise cependant, car l'utilisation des ports canadiens comporte des avantages du point de vue des coûts.
Comme je le disais, on a effectué un envoi à titre d'essai jusqu'à Portland. L'expérience a été financée et organisée principalement par la Commission canadienne du blé et la Commission canadienne des grains. Cela s'est passé durant une interruption de travail. On estimait que nous devions avoir des solutions de rechange dans les cas où des conflits de travail nous empêcheraient de tenir nos engagements envers nos clients. C'est toujours dans cette optique que nous examinons les solutions de rechange. C'est pourquoi nous estimons que l'article 87.7 sera bénéfique pour la réputation générale du Canada.
Le sénateur Perrault: Y a-t-il, aux États-Unis, une mesure législative semblable au projet de loi dont nous sommes saisis?
M. Pearson: Pas à ma connaissance.
Le sénateur Perrault: Les Américains ont-ils jugé nécessaire d'accorder un traitement préférentiel à un port quelconque?
M. Hugh Wagner, secrétaire général, Grain Services Union (ILWU-région canadienne) Regina, Saskatchewan: Une des différences est que les agriculteurs de l'Ouest canadien se trouvent à 800 milles, ou 1 200 kilomètres du littoral. La seule solution consiste à expédier de grandes quantités de grain vers l'Ouest ou vers l'Est. La majeure partie des envois se font vers l'Ouest. L'industrie américaine du grain dispose d'autres solutions, notamment le Mississippi.
Le sénateur Perrault: Cette voie est également subventionnée.
M. Wagner: Oui, à grands frais. L'industrie américaine peut accumuler toute une récolte et l'emmagasiner, alors que notre système repose sur un transport et une rotation rapides des stocks. Notre système subit sept rotations par année, comparativement aux États-Unis où, du moins compte tenu des quantités ou de la capacité d'emmagasinage, les pressions sur le secteur du transport sont beaucoup moindres.
Le sénateur Perrault: J'ai l'impression qu'il existe un appui général aux producteurs de grain en ce qui concerne les problèmes auxquels ils font face. Il est important, pour la réputation du Canada, que nous puissions vendre la plus grande quantité possible de grain à l'étranger.
L'Ouest canadien produit également d'autres marchandises importantes. Pourquoi, dans ce cas, ne pas appliquer au charbon et à d'autres marchandises des dispositions similaires à celles qui visent le blé?
M. Dufresne: Le charbon a toujours l'avantage de pouvoir être expédié depuis le port Roberts Bank, en Colombie-Britannique, à 15 milles du centre-ville de Vancouver, ou depuis Prince Rupert. Si les travailleurs de la Colombie-Britannique empêchaient les débardeurs de travailler, comme cela s'est produit dans le passé, l'association du charbon pourrait continuer d'assurer le transport de cette marchandise en utilisant d'autres installations.
Le sénateur Perrault: Et le bois d'oeuvre?
M. Dufresne: COFI possède une usine à Kitimat, qui est exploitée par PPWC, et une autre, exploitée par CAW.
Le sénateur Perrault: Parlez-vous de Prince Rupert?
M. Dufresne: Ces installations sont exploitées par ILWU, qui possède également d'autres installations. Il se produit ici une certaine distorsion, ce qui explique que les représentants n'aient pas voulu répondre aux questions. Je ne voudrais pas pour autant les considérer comme des menteurs.
Le sénateur Perrault: C'est la raison pour laquelle nous tenons des séances, c'est-à-dire tout mettre sur la table. C'est une bonne chose.
Le juge Estey déposera son rapport à la fin de décembre. Vous opposeriez-vous à ce que nous nous abstenions de proclamer certains articles du projet de loi tant que nous ne saurons pas avec précision ce que propose le juge Estey? Serait-ce productif ou contre-productif?
M. Wagner: Ce serait un faux-fuyant. Le juge Estey ne s'opposera pas à l'article 87.7, car cette disposition facilite le transport du grain. Il pourrait cependant avoir des réserves au sujet d'autres aspects du code ou des relations industrielles. Ce sera à lui de le dire.
Le sénateur Perrault: C'est une personne très avisée.
M. Wagner: Je puis difficilement concevoir qu'il ait des réserves au sujet d'un article qui vise à éliminer l'un des goulots d'étranglement dans le transport du grain. Je crois plutôt qu'il considérera cet article comme un progrès modeste.
Le sénateur Perrault: Le juge Estey a grandi en Saskatchewan, il doit donc s'y connaître en grain. Est-ce que cela causerait un préjudice inacceptable si nous retenions l'article pendant six mois?
M. Pearson: Je crois que ce serait nuisible. Il m'apparaît très important que le juge Estey aille de l'avant. L'ensemble de l'industrie du transport et de la manutention du grain, qui est un secteur d'activité complexe, est aux prises avec plusieurs problèmes qui doivent être réglés et cette question est l'un de ces problèmes.
Si nous pouvions régler cette affaire en donnant suite au projet de loi, cela faciliterait les choses au juge Estey. Une tâche énorme l'attend. Il a de nombreuses questions à examiner. S'il doit aussi tenir compte de cela, les choses seront encore plus complexes.
Le sénateur Perrault: Il y a beaucoup de problèmes dans cette industrie. Les prix laissent beaucoup à désirer.
M. Burton: Tout le monde compte sur le rapport Estey. Ce n'est pas la première enquête sur le système de transport du grain au Canada; il y en a eu beaucoup d'autres. Toutes sont arrivées à la même conclusion, à savoir que les intérêts capitalistes concurrents ont un effet nuisible.
J'ai réclamé la nationalisation de l'industrie du grain. Nous saurions au moins qui pointer du doigt et pourquoi l'industrie est inefficace. Je ne crois pas que nous devions attendre les recommandations du juge Estey, car elles ne seront pas forcément différentes de celles qui ont été faites dans le passé. Le juge Estey est une personne brillante, mais cela ne veut pas dire que ceux qui ont enquêté avant lui ne l'étaient pas.
Le sénateur Kinsella: J'ai une question concernant l'interdiction relative aux travailleurs de remplacement. À la page 32 du projet de loi, il est dit que l'article 94 de la loi est modifié par adjonction du paragraphe (2.1) qui débute comme suit:
Il est interdit à tout employeur ou quiconque agit pour son compte d'utiliser, dans le but établi de miner la capacité de représentation d'un syndicat plutôt que pour atteindre des objectifs légitimes de négociation[...]
Pourriez-vous m'expliquer cela?
M. Wagner: Pour le meilleur ou pour le pire, on m'a assigné cette question. Je dois dire que du côté syndical, on aurait aimé une interdiction totale relative aux travailleurs de remplacement; toutefois, nous appuyons ce compromis et nous pensons que c'est un petit progrès.
L'article, tel que modifié, concerne l'abandon ou une rupture totale du processus de négociation collective ainsi que le recours aux travailleurs de remplacement. Dans plusieurs conflits de travail, les services de travailleurs de remplacements ont été utilisés non tant pour hâter un règlement ou pour maintenir la production, la rentabilité ou la viabilité d'une exploitation commerciale que pour détruire l'autre partie aux négociations collectives. Le conflit de travail avec les mineurs dans le Nord est l'un de ces exemples où les négociations ayant conduit à une impasse, on était déterminé à ne plus négocier.
Le projet de loi donne à un comité d'experts appelé le Conseil canadien des relations industrielles l'occasion d'examiner les faits et les circonstances entourant chaque situation, d'en tirer les conclusions qui s'imposent ou de prendre une décision. Contrairement à d'autres, je ne vois en cela rien de sinistre car, pour la plupart, les employeurs aux prises avec un conflit de travail n'engagent pas de travailleurs de remplacement.
Le sénateur Kinsella: Selon vous, dans quelles circonstances un employeur pourrait-il engager un travailleur de remplacement sans que ce soit une pratique de travail déloyale?
M. Wagner: Actuellement, le projet de loi n'interdit pas le recours aux travailleurs de remplacement.
Le sénateur DeWare: Presque.
M. Wagner: Je ne suis pas d'accord. Si j'avais écrit le projet de loi, ça aurait été beaucoup plus clair. Il aurait tout simplement été interdit d'avoir recours aux travailleurs de remplacement. Par contre, si, dans une usine, un employé est chargé du fonctionnement d'une chaudière, ou autre engin du genre, qu'il est très difficile d'arrêter ou de redémarrer, c'est une autre affaire.
Le sénateur Kinsella: Qui en déciderait?
M. Wagner: Je ne veux pas donner le point de vue de l'employeur sur tous les arguments.
Le sénateur Kinsella: Non. Mais j'aimerais qu'on m'explique clairement, en termes simples, comment ça va fonctionner et ce que ça veut dire. Dans l'exemple que vous avez donné, est-ce que l'employeur pourrait engager un opérateur de machines fixes pour remplacer les opérateurs de machines fixes qui auraient retiré leurs services?
M. Wagner: Oui, ce serait une question de santé et de sécurité.
Le sénateur DeWare: Ou de services essentiels.
M. Wagner: Oui, pour les personnes visées.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Monsieur Dufresne, l'arrêt de travail dans l'industrie du blé comporte énormément de problèmes parce que c'est un produit périssable. Les retombées économiques sur le gouvernement et sur l'industrie sont énormes. En ce qui concerne l'ouverture du marché avec la côte du Pacifique, est-ce que votre préoccupation pour le paragraphe 87.7, qui vous est favorable si j'ai bien compris, est due au marché asiatique qui vient d'ouvrir dernièrement ou votre préoccupation est-elle pour la matière périssable qu'est le blé? Au cours des dernières années, quelle était l'enveloppe commerciale avec le marché asiatique pour le blé?
[Traduction]
M. Pearson: En dépit de ce qui se passe actuellement en Asie et des turbulences qui secouent les marchés financiers, nos exportations vers les pays du Pacifique demeurent très fortes. Nos clients, dans cette région, nous ont fait part des graves inquiétudes que leur causaient les conflits de travail au Canada et nous ont demandé de faire quelque chose pour les prévenir.
Je pense que vous devriez savoir que certains d'entre eux s'approvisionnent maintenant dans d'autres pays à cause de notre inaptitude à livrer nos produits à temps. Ils ont même installé des usines de production dans d'autres pays pour assurer l'approvisionnement continu des marchés outre-mer, particulièrement le Japon et la Chine. Le Japon est un gros client qui paye comptant, ce qui est capital pour nous.
La nature périssable de nos produits demeure un problème pour nous. Le grain est périssable. Il ne l'est pas autant que les tomates ou autre produit du même genre, néanmoins, on ne peut l'emmagasiner éternellement. Il finit par s'abîmer, ce qui bien sûr est un souci. Pour nous, il vaut mieux que le transport ne soit pas interrompu. Une fois que le grain arrive au silo et entre dans le système d'acheminement, il est souhaitable qu'il passe par toutes les étapes aussi rapidement que possible. L'un des témoins a parlé de la capacité du Canada à stocker et à transporter le grain. En fait notre capacité de stockage n'est pas très grande. Notre force vient de ce que nous pouvons expédier le grain rapidement et à temps là où le client le veut. Nos concurrents américains peuvent stocker jusqu'à un an et demi de production dans leurs cellules à grain, ce qui n'est pas notre cas, mais ils ont été en partie financés par des programmes gouvernementaux. Par contre, notre financement vient principalement du secteur privé.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: Vous n'avez pas répondu à ma question. Au cours des dernières années est que le marché du blé de la côte du Pacifique a augmenté ou non? Est-ce que vous avez eu une grande demande d'exportations ou est-ce que le marché est resté le même au cours des dernières années? Je me réfère à il y a cinq ou six ans. Lorsqu'on parle du marché de la côte du Pacifique, il est question de la Chine, de la Corée du Sud, de la Corée du Nord, et cetera. Vous êtes d'accord avec le paragraphe 87.7 du projet de loi C-19. Est-ce que votre préoccupation est dû à l'augmentation de la demande de blé ou non?
[Traduction]
M. Dufresne: Nous nous soucions de tous les produits qui sont expédiés par les ports de la côte ouest canadienne. Notre syndicat fait un gros travail, en coopération avec divers employeurs et groupes qui exportent du porc, du poulet ou autre. Nous avons participé à des missions commerciales avec le gouvernement et Équipe Canada pour améliorer et rehausser la réputation des ports de la côte ouest. Nous n'avons jamais dit que ces denrées pouvaient rester là et pourrir. Le charbon est dans la terre depuis des millions d'année, la potasse aussi. En cas d'arrêt de travail, ces produits peuvent rester dehors quelques jours de plus, ça ne ruinera personne. Par contre, le grain ne peut attendre, il doit être récolté. Le gel est toujours une menace, à partir du jour où il est commence à pousser jusqu'au jour où il est récolté, avant que l'hiver n'arrive. Nous pensons que les agriculteurs ont déjà assez de soucis sans avoir à se préoccuper de savoir si les débardeurs sont en lock-out sur la côte ouest du Canada. Nous pensons que ça égalisera les forces pendant les négociations.
Comme je le disais, trois des quatre derniers arrêts de travail ont été causés par un lock-out, fait qui n'est pas passé inaperçu aux yeux de M. Sims et de sa commission ni de la Cour suprême du Canada quand nous avons contesté le projet de loi C-10, qui nous a forcés à reprendre le travail en 1988. Le juge a dit que la décision de l'employeur de nous mettre en lock-out était purement politique et avait pour but de forcer le gouvernement à intervenir dans le conflit en adoptant un projet de loi imposant le retour au travail.
Notre intention est de rendre les règles plus équitables. Nous croyons que ça marchera. Les ministres du Travail successifs auxquels nous avons eu affaire au fil des ans nous ont prévenu que s'il y avait le moindre abus, cette disposition pourrait bien disparaître. Pour notre part, nous disons: «Mettez-la dans le projet de loi. Adoptez le Code. Nous ferons de notre mieux pour que ça marche.»
Il y a plusieurs dispositions du Code que nous n'aimons pas; en particulier celles qui portent sur les travailleurs de remplacement, l'avis de grève de 72 heures qui a été accordé à l'employeur et les multiples votes de grève qu'il nous faudra maintenant tenir. La révision de l'ensemble du Code a été l'affaire de quatre ministres du Travail successifs et de deux comités permanents de la Chambre des communes. Quand M. Gagliano était ministre du Travail il a tenu des consultations à l'échelle du pays et nous y avons participé.
Quelqu'un a fait allusion à la gestation d'un éléphant. Ce serait plus exact de parler de la gestation d'un rocher. Ce projet de loi est en gestation depuis fort longtemps. De nombreuses personnes y ont travaillé. C'est le mieux qu'on ait pu faire. Les agriculteurs, les travailleurs et beaucoup d'employeurs sont prêts à l'accepter. Les employeurs de régie fédérale, qui vont comparaître aujourd'hui après nous, se sont prononcés en faveur de l'ensemble du Code devant le comité permanent de la Chambres des communes.
On ne peut pas tout avoir, mais chacun a eu quelque chose dans ce projet de loi. Certains, dont ceux qui ont obtenu le préavis de grève de 72 heures, qui n'existe pas dans le Code actuel, et les multiples votes de grève disent: «Nous sommes contents d'avoir obtenu tout ça, mais nous en aimerions encore un peu.» Cette entente est issue d'un consensus. Cela fait partie d'un ensemble. Allons de l'avant et voyons comment ça va marcher.
M. Smolik: Monsieur le président, j'aimerais moi aussi répondre à cette question. Vous vouliez savoir si la demande avait augmenté ou diminué. Avant la crise asiatique, de nombreux asiatiques se sont beaucoup enrichis. Cet enrichissement s'est accompagné d'un changement d'alimentation, qui est devenue plus occidentale. La demande est à la hausse et le potentiel est vaste.
En supposant que la crise asiatique se résorbe dans un avenir pas trop lointain, je soupçonne que la demande dans ces pays pourrait être extrêmement forte, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, les habitudes alimentaires changent, entraînant une augmentation de la consommation de volaille et de viande rouge dont la production exige de grosses quantités de grain. Il faut trois livres de grain pour produire une livre de viande. Par conséquent, la demande est à la hausse. Le fait que la viande occupe une place plus importante dans l'alimentation signifie que ces pays ont besoin de plus de grain et de produits céréaliers.
Je pense qu'on pourrait assister à une très grosse augmentation de la demande. Je crois par ailleurs que cette modification de la loi signalera très clairement à nos clients que nous avons l'intention d'être des fournisseurs fiables. Le message que nous leur envoyons est que nous livrerons à temps ce qu'il leur faut et quand il le leur faut. Ils n'auront pas à construire de gros entrepôts, ce qui est l'une de leurs craintes. Ils veulent un système de livraison juste à temps. L'une des délégations japonaises a dit ne pas vouloir s'occuper de l'entreposage.
[Français]
Le sénateur Ferretti Barth: C'est exactement la réponse que je voulais entendre.
[Traduction]
M. Burton: C'est ce que j'allais dire à propose de l'expansion du marché asiatique.
Le sénateur DeWare: C'est une discussion très intéressante car nous parlons du transport de nos produits. Vous venez de parler de l'importance de nos missions commerciales outre-mer et de la vente de denrées canadiennes autres que le grain. Nous parlons d'ouvrir des marchés. Soit disant, si le port est immobilisé et que le grain ne circule pas, ça n'a pas d'importance si les autres marchandises ne circulent pas. Mais ce n'est pas vrai, car maintenant que nous entretenons des échanges commerciaux à l'échelle internationale c'est très important pour le Canada. Vous m'avez donné l'impression qu'à partir du moment où le grain circulait, peu importait le reste. Mais ce n'est pas vrai car, après tout, si on a passé un contrat de livraison et qu'on ne livre pas à cause d'une grève, quelqu'un d'autre, dans un autre pays, va hériter du contrat. Nous ne voulons pas voir ça au Canada.
M. Dufresne: Nous non plus, Madame le sénateur. Ce n'est pas l'impression que j'essayais de donner. Dans le cas de la potasse et du charbon, si l'employeur sait que les négociations vont mal, il peut accélérer la livraison du produit qui est alors stocké en Asie, en Europe, ou ailleurs. Par contre, dans le cas du grain, il ne peut pas aller trouver les agriculteurs des Prairies et leur demander de se dépêcher et de faire pousser plus de grain. Le grain a son propre calendrier, pour ainsi dire.
Le sénateur DeWare: Quelqu'un d'autre pourrait empêcher le grain de circuler, en immobilisant les moyens de transport vers le port, par exemple.
M. Dufresne: Nous venons de dire que ce ne sera pas nous.
M. Wagner: Il y a toujours d'autres solutions. Si l'une des compagnies ferroviaires est immobilisée, il y en a une autre. Si l'une des sociétés céréalières des Prairies est fermée, il y en a une autre. Par exemple, la potasse vient de la Saskatchewan. Je suis de la Saskatchewan. La potasse peut être expédiée autrement.
L'un des atouts des produits céréaliers canadiens, c'est que nous avons un net avantage sur les États-Unis et même sur l'Australie en ce qui concerne la qualité. Notre système de classement, de tri, de repérage, si vous voulez, en fonction du client, n'a pas son pareil. C'est ce qui explique que, contrairement à ce que certains pensent et à l'inverse de la potasse qui peut facilement transiter par n'importe quel port, les ports américains ne sont pas une solution de rechange pour les produits céréaliers.
Le grain qu'expédient les Américains n'est pas aussi propre que le nôtre. Tout le grain que nous expédions arrive propre dans la cale. Aux États-Unis, ils expédient le grain avec tout ce qui se trouvait dans les cellules. C'est un avantage très net dont le Canada jouit depuis de nombreuses années. Les solutions de rechange qui sont possibles pour les autres marchandises n'existent tout simplement pas pour le grain.
M. Burton: Il me semble que nous sommes en train de nous éloigner de notre sujet. Le projet de loi C-19, qui porte sur le travail, a pour objet de promouvoir des négociations collectives sans entraves. C'est l'une de ses raisons d'être. Comme l'a justement fait remarquer le sénateur, 33 syndicats différents participent au transport du grain, du lieu de production jusqu'au marché.
Comme l'a dit M. Wagner, dans les Prairies, il y a des solutions de rechange. Ici, il n'y en a pas. S'il y a une interruption de travail due à un autre syndicat, cela revient à priver les travailleurs du grain du droit de grève. Soyons réalistes, on ne va pas permettre que le grain soit immobilisé deux fois en une année. S'il y a une autre interruption de travail, le projet de loi est en place et prêt avant même que nous n'ayons entamer les négociations. Nous n'avons pas la moindre chance de négocier collectivement. L'une des raisons pour lesquelles nous appuyons ce projet de loi, c'est qu'il encourage la libre négociation collective.
Le sénateur DeWare: Il y a certainement d'autres aspects de ce projet de loi que d'autres n'aiment pas et certains que vous n'aimez pas, comme par exemple les dispositions concernant les travailleurs de remplacement.
M. Smolik: Je suis d'accord avec M. Burton. Parfois, il existe des solutions de rechange.
L'autre facteur important que certains d'entre nous n'ont pas remarqué est que les autres syndicats apparentés au système bénéficient d'un incitatif économique. Tant le syndicat que le patronat ont avantage à négocier rapidement et efficacement alors que dans notre cas, la BCMEA n'encourt aucun coût relatif aux négociations, c'est nous, les agriculteurs, qui les absorbons. Dans le cas présent, cet incitatif économique n'existe pas au même degré que pour les autres syndicats associés au système. Je pense que la situation est unique.
Le sénateur DeWare: Vous avez dit que l'article 87.7 avait été recommandé. Je ne suis pas en désaccord avec vous. Toutefois, je me demande pourquoi on ne pourrait pas avoir quelque chose du genre de l'arbitrage des propositions finales pour les autres denrées.
Vous avez dit que l'article 87.7 avait été recommandé par la Commission d'enquête industrielle et le groupe de travail Sims et qu'il avait leur appui. Toutefois, M. Wilds a dit que selon les renseignements qu'il détenait, il n'avait pas été recommandé. Quelle est l'origine de cette modification?
Si je porte la question à votre attention c'est que ce n'est pas tout à fait ce que le Groupe de travail Sims avait recommandé. Il s'inquiétait de certaines des recommandations issues de l'enquête. Sa recommandation était que le ministère du Travail engage des consultations avec le mouvement syndical, le patronat et les autres parties concernées pour débattre l'ensemble des recommandations faites par la Commission d'enquête industrielle à propos des ports de la côte ouest. Mais il n'a pas recommandé l'ajout de cet article.
M. Wagner: Il y a eu énormément de consultations.
Le sénateur DeWare: Je le sais. J'ai lu le rapport Sims très attentivement.
M. Wagner: Sims a soulevé la question du risque d'entraver la liberté d'association. Je ne pense pas que personne n'ait été très attiré par la solution consistant à obliger les gens à abandonner le syndicat de leur choix et à adhérer à un autre syndicat. Toutefois, il y a eu consultation et les employeurs de régie fédérale ont été consultés, tout comme d'ailleurs l'industrie céréalière. La BCMEA a eu amplement l'occasion de se joindre au processus. Ce n'est qu'après que le train se soit mis en marche qu'elle s'est soudain rendu compte qu'elle n'aimait pas ce qu'elle voyait. L'association, qui était un joueur au même titre que les autres, n'a soulevé des objections que très tard dans le processus consultatif.
M. Dufresne: En ce qui concerne l'arbitrage des offres finales dont vous avez parlé, le syndicat est violemment opposé à ce qu'on lui impose cette solution. Comme l'a dit Sims dans son rapport c'est comparable à la roulette russe. Ça revient à mettre un pistolet à la tempe des syndiqués. Loin de moi l'idée de penser que ce soit le cas des membres du comité ou des gens ici présents, mais certaines personnes aimeraient se débarrasser de la négociation collective. Nous sommes contre toute tentative en ce sens.
Par l'intermédiaire de deux gouvernements successifs, le Canada a signé l'Accord de libre-échange et l'Accord de libre-échange nord-américain qui reconnaissent les normes du travail. Ces accords tiennent compte du droit des travailleurs de se syndiquer et de poursuivre librement des négociations collectives.
À notre avis, l'article 87.7 ajoute à cette reconnaissance. Même si nous concédons un certain droit de grève ou de lock-out touchant l'expédition du grain, nous croyons que cela en vaut la peine pour qu'il y ait des règles du jeu équitables. Nous demandons au Sénat de respecter les voeux du comité de la Chambre des communes et de divers ministres du Travail. Acceptons l'idée que cela fait partie d'un tout.
Le sénateur DeWare: En ma qualité d'ancienne ministre du Travail, je ne suis pas en désaccord. D'ailleurs, je suis favorable aux négociations collectives. Il m'est arrivé de reprocher à des employeurs la façon dont ils négociaient.
Qu'en est-il du processus d'accréditation quand il n'y a pas de vote majoritaire? J'ai parlé à des gens de la Colombie-Britannique où la loi renferme déjà des dispositions à cet égard. C'est une question qui me préoccupe.
M. Dufresne: Nous sommes plutôt d'accord avec la position du CCT sur cette question. J'ignore si ses représentants ont déjà comparu ou s'ils doivent le faire.
Il y a un consensus voulant que, lorsqu'un employeur nie les droits de l'employé à un vote libre et démocratique -- je suppose que ce consensus est fondé sur la décision Wal-Mart rendue en Ontario, mais je n'en suis pas certain -- ou lorsqu'un employeur intervient dans une élection, il est possible d'annuler le vote. Une des caractéristiques de la société libre et démocratique du Canada est le droit de voter sans qu'il y ait d'interférence.
Le sénateur DeWare: Qu'arrive-t-il dans le cas contraire?
M. Wagner: Des dispositions sont en place prévoyant la révocation d'accréditation syndicale quand il existe des preuves de coercition, d'intimidation ou de fraude. Une demande d'accréditation peut être rejetée.
Cette disposition confère au conseil le pouvoir de redresser la situation quand un employeur a enfreint les règles. Je suis membre du Saskatchewan Labour Relations Board, dont les règles sont identiques à celles qu'on propose pour le code fédéral. S'il est établi que l'employeur recourt à la coercition ou à l'intimidation et restreint le droit démocratique des travailleurs, une des conséquences est la révocation de l'accréditation. Je le dis à titre d'intervenant dans les relations de travail.
Une telle situation met le syndicat dans une bien mauvaise position, puisque ses représentants doivent s'engager dans le processus de négociation avec un groupe déjà craintif, de sorte qu'au départ, il y a un risque d'aboutir à une grève ou un lock-out. Ce n'est donc pas un trophée pour le syndicat, mais bien une obligation et une responsabilité. La possibilité de révoquer l'accréditation est toujours présente; elle est présente dans le code.
Le sénateur DeWare: Il faut du temps pour en arriver là.
M. Wagner: Il faut un an.
Le président: En guise de commentaire, monsieur Dufresne, je dirai que je suis heureux de vous entendre invoquer les dispositions sur les normes du travail inscrites dans l'ALE et l'ALENA.
M. Dufresne: Je suis opposé à l'ALENA, mais j'y prends ce qui peut servir.
Le président: La semaine dernière, des écologistes ont invoqué ces dispositions de l'ALENA.
Le sénateur Maheu: La Commission d'enquête sur les relations du travail a recommandé de restructurer les unités de négociation dans les ports de la côte ouest, de retirer le chargement des navires céréaliers à l'industrie du débardage et la mise en place d'un système permanent d'arbitrage exécutoire pour les conflits de travail dans les ports. Quelle serait l'incidence de ces recommandations sur les relations de travail dans les ports de la côte ouest?
M. Dufresne: Ce serait dévastateur.
Le sénateur Maheu: Pourriez-vous fournir des explications, en vous reportant aux recommandations de la Commission d'enquête sur les relations du travail?
M. Dufresne: Le rapport de la Commission d'enquête sur les relations du travail n'est pas le document favori du syndicat. Cela aurait pour effet de restreindre la liberté des travailleurs d'adhérer au syndicat de leur choix, en l'occurrence l'International Longshoremen's and Warehousemen's Union, ou ILWU. Les employeurs n'auraient plus de travail à nous offrir, les compagnies d'arrimage chargent le grain sur les côtes est et ouest du Canada depuis un siècle. Cela toucherait les contrats commerciaux. Il en résulterait une situation grave et extrêmement préoccupante pour nous.
M. Sigurdson: Je pourrais fournir d'autres explications. Dans une telle situation, les membres passent souvent d'une unité de négociation à une autre, parfois même contre leur choix. Cependant, la Commission d'enquête sur les relations de travail a recommandé le déplacement du travail, et non des travailleurs. Cela signifie que le travail même serait confié aux membres de la section locale 333. Les membres de l'ILWU perdraient ce travail.
Nous y étions totalement opposés, peu importe les circonstances. Ce serait l'enfer sur la côte, si cela se produisait. C'était une recommandation totalement farfelue.
M. Burton: Nous aurions aimé recevoir ces autres membres. Cependant, compte tenu du respect des compétences et de ce que les compagnies d'arrimage font depuis si longtemps, il aurait été difficile, sinon impossible qu'un de nos membres accepte du travail que ces compagnies ont pratiquement toujours exécuté.
Le sénateur Maheu: Certains ont aussi laissé entendre que, si les services fournis aux navires céréaliers devaient absolument être maintenus, vous utiliseriez l'argent gagné pour compléter l'indemnité de grève, de sorte les arrêts de travail dans les ports seraient plus fréquents et plus longs. Quelle est votre réaction à ce commentaire?
M. Dufresne: L'argent devant servir en cas d'un arrêt de travail des travailleurs du grain correspond à environ 5 $ par jour. Cela représente moins de 10 p. 100 du travail sur la côte ouest, pour ce qui est des activités d'arrimage, et donc moins de 10 p. 100 de la feuille de paie actuelle. Toutefois, cela représente 30 p. 100 du tonnage, puisqu'il faut moins d'heures pour charger une tonne de grain que pour charger une tonne de bois d'oeuvre en pieds-planches.
Il y a aussi l'exemple de la potasse, où il aurait pu y avoir la même somme de travail. Les membres du Grain Workers Union s'occupent de la potasse dans les élévateurs avant que les débardeurs se chargent de la manutention.
D'après le chiffres de mon collègue, les fonds recueillis correspondent à environ 5 $ par jour. De nos jours, on ne peut faire la grève, si l'on a qu'une indemnité de 5 $. Le ILWU n'a pas de fonds de grève. Nous n'en avons pas depuis 1958.
Le sénateur Maheu: Que pensez-vous de la loi exigeant le retour au travail?
M. Dufresne: Au fond, voici ce qui s'est passé. Le sénateur Perrault a demandé plus tôt s'il y avait un traitement préférentiel aux États-Unis. Or, le gouvernement américain refuse d'intervenir dans les conflits de travail. Le dernier conflit de travail impliquant ILWU sur la côte ouest des États-Unis a duré 181 jours. Il y a d'abord eu une grève d'environ un mois. Un délai de réflexion a été imposé et la grève a repris et a duré pendant plus de 180 jours. Les syndiqués devaient payer leurs hypothèques, leurs prêts automobiles et les frais de scolarité pour leurs enfants. Ils ne pouvaient assurer la ligne de piquetage bien longtemps. Le manque d'argent rend les gens raisonnables.
Je sais bien que ce qui est raisonnable pour moi ne l'est peut-être pas pour un autre, selon l'endroit où nous vivons, mais ce sont les têtes froides qui l'emportent. Les gens s'assoient pour discuter, cela fait partie du processus de négociation collective. Il faut être réaliste. On vise le maximum au début, mais quand arrive le moment critique et qu'on se rend compte que la grève risque de durer six mois, il y a des tensions dans chaque famille parce qu'il manque un chèque de paye. L'employeur doit aussi penser qu'il a des comptes à rendre aux actionnaires. Il se peut qu'ils ne puissent absorber une perte.
Le gouvernement n'intervient pas et se tient à l'écart.
M. Sigurdson: Nous avons amené un représentant de la Commission d'enquête sur les relations de travail à San Francisco pour y rencontrer notre président international et le négociateur en chef du syndicat des débardeurs. Il y a aussi rencontré les dirigeants. Il a demandé et reçu tous les renseignements sur ce qui se passe aux États-Unis. Ce sont finalement les renseignements qu'il a reçus de la partie syndicale. J'ignore ce que les employeurs lui ont dit.
Personne là-bas ne voudrait revivre cette terrible expérience, avec le gouvernement qui se gardait d'intervenir et laissait les deux parties se taper dessus. Il n'y a pas eu la moindre grève depuis ce temps.
Le sénateur Kinsella: Monsieur Dufresne, combien y a-t-il de membres de l'International Longshoremen's and Warhousemen's Union?
M. Dufresne: Environ 3 000 débardeurs.
Le sénateur Kinsella: Sur ces 3 000 débardeurs, combien y a-t-il de femmes?
M. Dufresne: Je n'ai pas les chiffres avec moi en ce moment.
Le sénateur Kinsella: En gros, quel serait, selon vous, le pourcentage des femmes?
M. Dufresne: Parmi les débardeurs?
Le sénateur Kinsella: Oui.
M. Dufresne: Un très faible pourcentage.
Le sénateur Kinsella: Votre syndicat applique-t-il un programme d'action positive?
M. Dufresne: Nous n'avons pas un programme d'action positive comme tel.
Le sénateur Kinsella: N'auriez-vous pas intérêt à accroître la participation des femmes sur le marché du travail?
M. Dufresne: Oui.
Le sénateur Kinsella: Que faites-vous à cet égard? Collaborez-vous avec la Commission des droits de la personne afin d'augmenter le pourcentage des femmes?
M. Dufresne: De concert avec l'employeur, certaines sections locales se penchent sur des propositions formulées par la Commission canadienne des droits de la personne ou le ministère du Développement des ressources humaines.
Le sénateur Kinsella: Est-ce qu'on reconnaît la possibilité qu'il y ait toujours eu de la discrimination fondée sur le sexe dans l'ensemble de votre organisation?
M. Dufresne: Je ne crois pas que ce soit le cas.
Le président: Il y a peut-être place pour une amélioration.
Le sénateur Maheu: Beaucoup de place.
Le sénateur Kinsella: Pouvons-nous dire que votre syndicat souscrit aux conventions de l'OIT, en particulier la convention 100 pour l'égalité de chances et de traitement des hommes et des femmes en matière d'emploi?
M. Dufresne: C'est exact. Notre constitution le prescrit d'ailleurs. Nous luttons contre la discrimination.
Le sénateur Kinsella: Avez-vous songé à modifier votre nom, pour tenir compte des femmes?
M. Dufresne: En fait, à un congrès tenu récemment, soit en mars dernier, le nom du syndicat a été modifié et est devenu l'International Longshore and Warehouse Union in Canada.
Le sénateur Kinsella: C'est tout en votre faveur.
M. Dufresne: Le nom international a été modifié en 1997 au congrès tenu à Hawaï et il est devenu l'International Longshore and Warehouse Union.
Le sénateur Kinsella: Je suis ravi d'entendre cela et j'espère que le leadership éclairé dont vous faites preuve dans votre syndicat sera imité par mes collègues au Parlement. Bien sûr, je fais allusion aux 88 phrases sexistes et plus que renferme ce projet de loi et que les législateurs vont faire disparaître.
M. Dufresne: Nous venons de participer au congrès à la fin mars. Étant donné qu'il y aura de nouvelles conventions collectives, la constitution sera modifiée, ainsi que le nom et les cartes d'affaires.
M. Wagner: À cet égard, sénateur, vous comprenez que l'évolution et la mise au point de tout ceci touchent les finances de l'industrie.
L'industrie céréalière ne peut se targuer d'avoir promu dans le passé l'égalité des hommes et des femmes au travail. Cependant, de concert avec des organisations telles que Saskatchewan Wheat Pool et Manitoba Pool Elevators, notre syndicat a pris des mesures pour appliquer les programmes officiels d'équité en matière d'emploi en embauchant des membres des groupes désignés -- des femmes, des personnes de couleur, des handicapés et des autochtones. Il nous reste beaucoup à faire dans l'industrie céréalière. Par exemple, seulement 16 p. 100 de nos travailleurs sont des femmes. J'oserais dire que, dans le secteur des silos-élévateurs même, le pourcentage est encore plus faible.
Comme dans n'importe quelle autre initiative, nous avons été confrontés à des difficultés. Nous avons déjà préconisé les services validés, de sorte qu'une femme embauchée en vue d'occuper un emploi non traditionnel pour les femmes obtenait la moitié des années de service des membres de l'unité de négociation. La mesure était très populaire auprès des dirigeants syndicaux, mais elle l'était moins auprès des syndiqués. D'anciens dirigeants syndicaux sont redevenus de simples travailleurs par suite de cette initiative. Les choses fonctionnent parfois par à-coups, mais nous faisons de notre mieux.
Le sénateur LeBreton: Ayant grandi sur une ferme, j'ai été heureuse de les entendre dire que les femmes pouvaient travailler à la manutention du grain. J'ai traité la même quantité de grain et j'ai transporté le même nombre de bidons de lait que mes frères. Merci de l'avoir au moins reconnu. L'égalité de chance et de traitement régnait chez nous.
M. Wagner: La plupart de camions de céréales qui arrivent au silo-élévateur sont conduits par des femmes.
M. Burton: En ce qui concerne la section locale 333 du Grain Workers Union, nous préconisons l'application d'un programme d'action positive avec l'employeur. Les femmes représentent seulement 15 p. 100 de l'effectif, mais nous travaillons activement pour que ce pourcentage augmente. Nous insistons sans cesse auprès de l'employeur pour que le travail soit effectué par tous ceux qui le veulent, peu importe la taille ou la force.
Au syndicat, nous appliquons un programme d'action positive de manière à ce que les femmes soient représentées au niveau des délégués. Nous cherchons aussi à ce qu'elles soient représentées au niveau des dirigeants.
Nous envoyons cinq femmes suivre un stage d'été pour les femmes syndicalistes, de sorte que nous luttons activement sur ce front.
Le président: Je tiens à remercier nos témoins pour leurs excellentes présentations.
M. Burton: Avant de partir, je signale que j'ai trouvé intéressant de constater que les représentants de la partie patronale, qui étaient assis au bout de la table des témoins, semblent préoccupés par les dispositions sur les travailleurs de remplacement et l'accès à des travailleurs à distance, comme nous le sommes d'ailleurs, mais nos points de vue sont diamétralement opposés. Cela en dit long sur l'idée de rédiger un projet de loi qui représente un compromis.
Le président: Sénateurs, nous allons prendre une pause et reprendre nos audiences à 19 heures.
La séance est suspendue.