Délibérations du sous-comité des
Communications
Fascicule 2 - Témoignages du 16 mai 2000
OTTAWA, le mardi 16 mai 2000
Le sous-comité des communications du comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 9 h 32 pour étudier les politiques pour le XXIe siècle concernant la technologie des communications, ses conséquences, la concurrence et l'impact pour les consommateurs.
Le sénateur Marie-P. Poulin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous poursuivons notre étude des questions reliées à la technologie des communications. Notre premier témoin de ce matin est Mme Sheridan Scott, de Bell Canada.
Soyez la bienvenue, madame Scott. La parole est à vous.
Mme Sheridan Scott, chef des Affaires réglementaires, Bell Canada: Honorables sénateurs je me réjouis d'être ici ce matin. L'industrie des communications est un secteur que je trouve absolument passionnant et je voudrais vous en parler tel que je le vois, après voir travaillé pendant plusieurs années pour le CRTC, à la SRC et maintenant à Bell Canada, à différents postes. Plusieurs de mes remarques refléteront sans doute un peu mes antécédents.
En réfléchissant à la question de la convergence, de la concurrence et des communications, j'ai pensé aux changements que j'avais constatés depuis plusieurs années. Les choses ont changé considérablement sur une courte période. Il y a six ou sept ans, j'ai assisté à la conférence de la National Association of Broadcasters, à Las Vegas. C'était une grande manifestation où les radiodiffuseurs pouvaient visiter une exposition répartie sur la superficie de six terrains de football. Je travaillais alors à la SRC. L'Association présentait une exposition multimédias et c'était la première fois qu'Apple Computer montrait son matériel. Que font ces compagnies informatiques dans une conférence sur la radiodiffusion? C'était il y a six ans.
Il y a quatre ou cinq ans environ, j'ai fait partie du Conseil consultatif sur l'autoroute de l'information et nous avons eu une discussion quant à savoir si Internet était l'autoroute de l'information. Quand le Conseil s'était réuni pour la première fois, nous n'avions même pas mentionné Internet. Lors de sa deuxième incarnation, nous avons discuté quant à savoir si c'était l'avenir. C'était il y a quatre ans seulement.
Il y a trois ans, Bell Canada a lancé ce qu'on a appelé le Fonds de la radiodiffusion et des nouveaux médias Bell. Ce fonds devait financer des programmes centrés à la fois sur la radiodiffusion et les nouveaux médias. Les gens nous ont dit que cela ne nous mènerait à rien, que nous n'allions pas recevoir une seule demande. Ce n'est pas du tout le cas. Le système est maintenant bien rodé. C'était il y a trois ans à peine.
Je trouve le rythme du changement tout à fait extraordinaire. Lorsque j'examine certaines des activités de ma propre entreprise ou du groupe d'entreprises que nous formons -- et je voudrais vous parler un peu de BCE et de ce qui s'y passe -- ce phénomène me paraît tout à fait remarquable.
Pour en discuter et parler surtout de la convergence, je crois qu'il pourrait être utile de me servir d'un graphique. Voici un graphique que j'ai extrait d'un rapport préparé en 1998 par Digital Media Champions Group. Il s'agit de gens du secteur de la câblodiffusion, des télécommunications, de la radiodiffusion privée et de la radiodiffusion publique, qui ont étudié les médias numériques en Ontario. Ce groupe avait été constitué sous les auspices du gouvernement ontarien. Ce rapport date de deux ans seulement. Il tentait de décrire l'industrie des médias numériques qu'il voyait au confluent de ces trois secteurs.
La chose me paraît particulièrement intéressante du point de vue de BCE. Si je pense à BCE et à Bell Canada en particulier, nous avons commencé dans le cercle du haut que vous pouvez voir, celui des télécommunications, ce qui comprenait le téléphone et les satellites, mais il est parfois utile d'y intégrer également la radiodiffusion, car si vous n'avez pas de contenu, vous n'avez qu'un simple pipeline qui se rend jusqu'aux maisons. En fait, la radiodiffusion numérique est certainement un domaine à suivre de près. Elle enverra des émissions numériques vers les ordinateurs et les téléviseurs, ce qui pourrait avoir d'importantes répercussions.
Si j'examine les télécommunications, le secteur dans lequel, comme je l'ai dit, Bell Canada a joué un grand rôle, ces dernières années, BCE a commencé à investir dans le secteur informatique. Je pense aux sociétés que nous avons comme Emergis et CGI. CGI est une entreprise qui travaille dans le domaine de l'informatique et de la technologie de l'information. Emergis est centrée sur le commerce électronique. Au confluent de l'informatique et des télécommunications, vous avez les fournisseurs d'accès Internet et pour le moment Bell Canada a Sympatico, qui représente la connectivité avec le consommateur, et c'est le résultat de la confluence des télécommunications et de l'informatique.
Puis, si vous regardez où va la convergence, dans le troisième cercle, où se trouve le contenu, vous voyez le croisement avec la radiodiffusion. C'est là que la décision de BCE d'investir dans CTV devient très intéressante. C'est une entrée dans l'industrie du contenu créatif. C'est le côté production de CTV. CTV possède divers intérêts dans des capacités de production. Le télédiffuseur prend une partie de ce contenu, le diffuse sur les ondes et l'envoie dans les foyers. Il y a un croisement avec les télécommunications.
Nos diverses activités et toutes les entreprises dans lesquelles nous avons des intérêts entrent dans ces diverses sphères d'une industrie convergente. Nous ne sommes pas présents dans tous ces secteurs. Nous ne jouerons probablement qu'un petit rôle dans l'industrie du disque et de l'édition.
Prenez la création de médias numériques, au centre. Nous avons des intérêts dans une entreprise appelée Extend Media. Extend Media fait des choses extrêmement intéressantes. Par exemple, pour ce qui est de l'émission de télévision de la SRC intitulée Drop the Beat, un client équipé d'une console Web TV Plus peut cliquer sur un icône apparaissant à l'écran et, aussitôt, le signal de télévision et le contenu du Web apparaîtront sur son téléviseur.
Le client peut également se rendre à une adresse Internet et voir un contenu Internet relié à l'émission de télévision. Drop the Beat met en vedette deux disk-jockeys d'un poste de radio hip hop. Ils ont leur propre site Web où ils parlent de leur musique favorite et de ce qui se passe dans leur vie. Le client peut suivre ce que les DJ font en dehors de l'émission de télévision, sur Internet. C'est un bon exemple de la convergence et de la direction que prend l'industrie.
La participation de BCE est une véritable cure de jouvence, car on peut voir certains des investissements qui ont été réalisés pour amener cette transformation, cette orientation vers les trois cercles.
Nous voyons, par exemple, l'investissement dans Bell Mobilité, qui est maintenant une filiale en propriété exclusive. Il y a des investissements dans Intrigna. Bell Canada veille à avoir une présence dans l'ensemble du pays et même aux États-Unis avec Nexia. Le fait que Bell Mobilité soit une filiale en propriété exclusive permet de regrouper les services et de les offrir à prix forfaitaire.
Une bonne partie de nos activités qui se trouvent dans ces cercles convergents concerne les consommateurs. Que veulent les consommateurs? Ils veulent des ensembles de services. Ils veulent l'accès par composition au cadran, l'accès Internet à haute vitesse, le service téléphonique local, le service interurbain, le service sans fil, le service Internet et les services de programmation. D'après nos études, les consommateurs souhaitent obtenir du même fournisseur à la fois Internet et les services de programmation regroupés.
Une partie de ces investissements nous conduisent aux quatre coins du pays. Les investissements de Téléglobe nous entraînent dans le monde entier et dans l'industrie mondiale. Certains aspects de nos activités exigent que nous soyons établis dans les divers pays du monde.
Le troisième secteur d'investissement est celui des médias. Vous voyez ici l'investissement de 2,3 milliards de dollars dans CTV, plus un montant supplémentaire qui a été investi dans ExpressVu, notre service de radiodiffusion directe à domicile qui fournit des services de programmation aux consommateurs. Ce total de 18,2 milliards de dollars a réaligné nos sources de revenu, ce qui fera de la société une entité assez différente de ce que BCE était jusqu'ici.
Voilà pour les investissements, mais il est tout aussi intéressant et important de réfléchir à ce que cela signifie pour nos clients: Qui sont-ils? D'où viennent-ils? Comment les rejoindre? Pour ce qui est du regroupement et de la fourniture des services, nous avons de nombreux canaux qui nous permettent de rejoindre le marché et les consommateurs.
En 1995, nous fournissions surtout des lignes téléphoniques d'affaires et des lignes résidentielles. Nous étions une entreprise de télécommunications ordinaire. C'est dans ce marché que se trouvait notre clientèle. C'est ainsi que nous les rejoignons. Nous leur fournissons un service téléphonique.
De quoi aura l'air 2002? La situation a changé du tout au tout. Nous fournissons toujours des lignes résidentielles et d'affaires, les connexions de base pour le réseau de télécommunications, mais le sans-fil est l'un de nos principaux secteurs en pleine croissance. Notre taux de pénétration du marché canadien est d'environ 20 p. 100. Ce taux dépasse 60 p. 100 dans des pays comme la Finlande. Quand vous marchez dans la rue, vous voyez beaucoup de jeunes avec un téléphone cellulaire à l'oreille. Ce marché va se développer davantage.
Il y aura également des possibilités d'accès intéressantes à Internet au moyen du téléphone sans fil. On se servira de nouvelles façons de transmettre les données, par exemple pour permettre d'obtenir les cours de la bourse sur un téléphone cellulaire. Il s'agit certainement d'un secteur qui va se développer.
D'autre part, l'analogue va céder la place au numérique. Nous avons également des abonnés à Internet et des abonnés à ExpressVu.
Si je réfléchis au secteur des communications, je crois qu'il s'agit du genre de services que désirent nos clients. Lorsque ces derniers pensent à la concurrence et ce qu'ils recherchent, ils veulent un accès Internet. C'est extrêmement important. Vous pouvez voir le taux de pénétration de ce marché augmenter chaque année. On prévoit un taux de pénétration d'Internet de 50 à 60 p. 100, dont la moitié sera pour l'accès à haute vitesse, d'ici trois ou quatre ans. Il s'agit d'un changement énorme et phénoménal. L'accès à haute vitesse permettra aux gens d'accéder à un contenu vidéo en provenance du monde entier.
Pour revenir à ExpressVu, le système de radiodiffusion directe à partir de satellites, ou SRD, est un secteur en pleine expansion. Aux États-Unis, environ 12 p. 100 des consommateurs reçoivent leur programmation vidéo par ce système plutôt que par câble. Au Canada, c'est par l'entremise d'ExpressVu et de Starchoice. Aux États-Unis, c'est DIRECTTV et Echostar qui fournissent le service. Il y a donc d'énormes changements dans notre secteur.
Il s'agit de répondre aux désirs des consommateurs et j'ai l'impression qu'ils sont à la recherche de ces fournisseurs intégrés verticalement. Ils veulent un guichet unique. Ils veulent faire affaire avec un seul et même fournisseur de services. Il est certain que ceux qui desservent des créneaux continueront d'exister. Il y aura encore des petits fournisseurs d'accès. Cela ne fait aucun doute, mais les gens veulent une seule et même interface. Nos clients nous disent qu'ils veulent une seule et même interface pour leurs appels locaux et interurbains, Internet et le reste. Nous assistons, au Canada, à l'émergence de plusieurs grappes qui peuvent le leur offrir.
C'est simplement pour vous donner une idée générale. Ce n'est pas une science exacte. Certains pourraient critiquer ce qui est inclus ici et juger que ce n'est pas vraiment comparable, mais cela vous donne une idée de ce que j'appellerais la sphère d'influence qui émerge au Canada.
BCE regroupe un certain nombre d'entreprises. Ce sont des sociétés qui s'intègrent dans les trois cercles convergents. Elles viennent du secteur de l'informatique, du secteur des télécommunications et du secteur du contenu. Ces sociétés peuvent créer les groupements de services que désirent les clients. C'est à peu près la même chose que ce qui se passe avec AT&T et Rogers-Constellation.
Prenons la relation entre Rogers et Shaw. Rogers va occuper la moitié du pays et Shaw l'autre moitié. Ensemble, ils vont fournir des services nationaux de programmation.
Une autre société que je suis avec beaucoup d'intérêt est Excite du Canada, un fournisseur d'accès à haute vitesse par câble. Aux États-Unis, AT&T contrôle Excite@Home, qui résulte de la fusion de deux fournisseurs d'accès à haute vitesse, Excite et Home.
AT&T a investi dans Excite@Home, le service d'accès à haute vitesse qu'utilisera notre industrie de la câblodiffusion. Je crois qu'elle en possède 22,5 p. 100. Le reste est contrôlé par Rogers qui possède environ 51 p. 100 des actions et Shaw, qui en a à peu près 22,5 p. 100. Excite@Home, qui est basée aux États-Unis, peut maintenant rejoindre des consommateurs canadiens par l'entremise de cette société canadienne qui appartient à Shaw et Rogers.
Qui sait ce qu'il adviendra de Rogers et Vidéotron, mais ces sociétés seraient dans la même sphère d'influence. Il y aura probablement des partenariats entre les câblodistributeurs.
Le Groupe GT, Télécom et 360 Networks représente le réseau de fibre optique. Pour ce qui est de 360 Networks, c'est la société au capital de 20 milliards de dollars qui possède un réseau de fibre optique d'un océan à l'autre. Shaw et Rogers y ont investi, ce qui leur donne un réseau de transport national pour leurs télécommunications.
Le sénateur Spivak: Est-ce que 360 Networks a également des investisseurs américains, comme Microsoft?
La présidente: Pourrions-nous garder nos questions pour la fin?
Le sénateur Finestone: Il est très difficile d'apprendre et de comprendre en même temps. Vous ne pouvez pas comprendre la phrase suivante si vous n'avez pas compris la dernière. Permettez-nous de poser quelques questions.
La présidente: Si vous préférez procéder de cette façon.
Mme Scott: Je parle vite, mais je surveille également l'heure. Je vais vous indiquer comment les actions sont réparties, mais vous avez parfaitement raison, je crois que AT&T a des intérêts, de même que plusieurs autres grandes sociétés, mais je vais vous donner la liste des investisseurs.
Corus est la société qui appartient à Shaw et qui détient les licences pour les services de programmation. AT&T a investi dans Corus par l'entremise de Liberty Media, qui est une filiale à 100 p. 100 de AT&T. Corus appartient à 20 p. 100 à AT&T d'un bout à l'autre de la chaîne. C'est là que vous avez les services de programmation.
Au sein de AT&T/Rogers, vous avez à peu près le même éventail d'activités que dans le groupe BCE. AT&T ne peut pas prendre le contrôle de plusieurs de ces sociétés compte tenu de nos restrictions visant la propriété étrangère, mais elle y pense probablement étant donné sa participation dans plusieurs de ses entreprises et elle se prépare à soutenir une très forte concurrence.
Le dernier groupe, qui commence seulement à émerger, est celui de Telus, QuébecTél où il y a eu un investissement récent, Telus Mobility et Information Systems Management. Ces entreprises nous ont dit qu'elles obtiendraient leur contenu dans le cadre d'un partenariat, mais vous pouvez déjà voir qu'il y a un alignement.
Enfin, il s'agit de se demander ce qu'il adviendra des autres sociétés. J'ai l'impression que certaines d'entre elles entreront dans ces grappes ou sphères d'influence ou qu'elles deviendront des exploitants de créneaux. Il faudrait surveiller ce que feront Time Warner, AOL et la Banque royale. Pour le moment, la situation semble très intéressante au Canada. Nous nous préparons à avoir une très forte présence de façon à pouvoir concurrencer le monde entier. Internet va amener le monde à nous et nous devrions être prêts à le rencontrer.
C'est tout ce que j'avais à dire en guise d'introduction et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le sénateur Spivak: C'était un exposé très intéressant. En ce qui concerne l'accès à haute vitesse, comment BCE se positionne-t-elle par rapport au câble?
Pourriez-vous nous expliquer les avantages et les inconvénients du câble par opposition à l'accès par téléphone? Je voudrais également élargir ma question. À quoi cela va-t-il ressembler? Est-il possible d'associer toutes les fonctions informatiques avec les fonctions interactives et la télévision? Allons-nous nous retrouver avec l'un ou l'autre? Quel système survivra? En fait, il y a là plusieurs questions.
Mme Scott: L'accès à haute vitesse par câble se fait sur une largeur de bande partagée. La largeur de bande est énorme. La capacité est considérable, mais elle est partagée. Si une seule personne utilisait l'accès, ce serait trop rapide pour obtenir un service en temps réel, car la capacité serait beaucoup trop grande. Mais si un noeud donné dessert un certain nombre de gens, vous avez alors une largeur de bande partagée.
Comme les câblodiffuseurs reçoivent des plaintes de gens qui ont payé cher pour obtenir leur accès à haute vitesse, ils établissent de plus en plus de noeuds qui desservent chacun moins de maisons. Cela coûte cher. C'est le facteur limitatif en ce qui concerne le câble, mais vous obtenez le service immédiatement si vous avez le câble et s'il y a une grande largeur de bande, et c'est là que réside l'avenir des télécommunications.
Le sénateur Spivak: C'est une question de concurrence, n'est-ce pas? BCE n'est-elle pas menacée?
Mme Scott: Oui, elle l'est, mais pour ce qui est de la façon dont nous recevons le service dans nos bureaux, chaque personne est connectée au bureau central et nous avons donc une largeur de bande réservée. Elle n'est pas partagée.
C'est un domaine extrêmement concurrentiel et très important pour nous, car nous sommes convaincus qu'Internet et l'accès à haute vitesse transformeront la façon dont nous faisons des affaires, à bien des égards.
En février dernier, à notre conférence de la haute direction, on nous a dit que c'était extrêmement important. On a demandé à chaque personne présente de mettre l'accent sur l'accès à haute vitesse et on nous a dit qu'on dépenserait 1,5 milliard de dollars supplémentaires pour nous y aider.
Le sénateur Spivak: Cela veut-il dire que l'ADSL sera aussi rapide?
Mme Scott: La technologie ADSL donne actuellement un débit de transmission numérique d'un meg, c'est-à-dire 1 000 kilohertz. Nous expérimentons actuellement à Toronto la DDSL qui envoie 27 megs sur votre ligne téléphonique. C'est suffisant pour alimenter séparément trois téléviseurs, vous fournir un accès Internet à haute vitesse, de même que votre ligne téléphonique locale, tout cela sur le même fil de cuivre.
Le sénateur Spivak: La vitesse est-elle comparable?
Mme Scott: C'est la vitesse en temps réel que vous obtiendriez de votre modem câble, en effet. Vous auriez en fait une largeur de bande gérée. Vous décideriez donc de la façon d'utiliser votre largeur de bande.
Le sénateur Spivak: Quand ce système sera-t-il disponible?
Mme Scott: Il est déjà à l'essai à Toronto. Nous avons demandé l'autorisation des autorités pour fournir ce service aux immeubles d'appartements de la région de Toronto.
Le sénateur Spivak: Cela va plaire aux actionnaires de BCE.
Mme Scott: Je peux vous dire qu'en ce qui concerne la concurrence et notre orientation, cette année, nous allons fournir l'accès à haute vitesse à un peu plus de 70 p. 100 des logements de notre territoire. L'année prochaine, 80 p. 100 des foyers auront accès aux lignes à haute vitesse, et l'année d'après, ce sera 85 p. 100.
Le sénateur Spivak: C'est bien. Je comprends maintenant les désavantages de...
Mme Scott: Les avantages du DSL.
Le sénateur Spivak: Les avantages oui, mais les deux, car vous avez souligné les inconvénients du câble.
Comme tout évolue à la vitesse de la lumière, pratiquement...
Mme Scott: À la vitesse de la pensée.
Le sénateur Spivak: La vitesse de la pensée, c'est mieux. J'aime cela. Vous parlez de ce que désirent les consommateurs. Personnellement, je crois que ce n'est pas tant ce que souhaitent les consommateurs qui compte, mais plutôt ce que la publicité leur a dit qu'ils voulaient. Ce n'est pas la même chose.
Où allons-nous aboutir? Si les choses progressent si rapidement, pourquoi ai-je besoin d'un ordinateur, de la webtélé et d'un téléviseur? Quand la véritable convergence se fera-t-elle et à quoi ressemblera-t-elle?
Mme Scott: C'est une excellente question dont personne ne connaît la réponse. Un de mes collègues avait l'habitude de dire: «Si vous n'avez pas de mal à vous y retrouver, c'est que vous ignorez ce qui se passe». Les gens font toutes sortes de conjectures, mais personne ne répondra à votre question en disant: «Voici à quoi cela va ressembler». Je ne le crois pas.
Nous en sommes au début d'énormes changements structurels. Il faudra sans doute attendre encore 10 ans avant de pouvoir prendre du recul et dire: «Je vois où nous en sommes maintenant». Les choses évoluent très vite.
Prenons la télévision et l'ordinateur personnel. Ceux qui s'intéressent à la question constatent que de plus en plus de consommateurs ont un ordinateur et un téléviseur dans la même pièce. Ils les utilisent en même temps, ce qui est assez intéressant.
Au début, Internet et la télévision étaient bien séparés. Aujourd'hui, les gens ont un clavier infrarouge qui leur permet de naviguer sur Internet sur l'écran de leur téléviseur.
L'avenir de cette technologie dépendra de ce que les consommateurs en penseront. Vont-ils se servir de leur télévision pour le courrier électronique? Ce n'est pas si mal qu'on pourrait le croire. Je l'ai fait. Il faut en faire l'expérience. Cela ne présente pas autant d'inconvénients qu'on pourrait le penser. Tout dépendra du rôle du numérique, des boîtiers décodeurs, de leur aspect, de leur capacité et de ce qu'ils permettront de faire.
M. Keeble est un expert dans ce domaine.
Le sénateur Spivak: Je suis trop méthodique pour aimer faire deux choses en même temps. Mais peu importe.
Cette technologie est actuellement en pleine évolution.
Elle est régie par l'argent et les méga sociétés qui choisissent une direction ou une autre. Par exemple, j'ai l'impression que nous aurions eu la télévision à haute définition sans la question d'argent.
Envisageons-nous une norme universelle pour le sans-fil ou le reste, qui va déterminer l'avenir de cette technologie?
Mme Scott: La question des normes est extrêmement importante. Les États-Unis n'ont jamais été pour des normes obligatoires, malgré HGTV. Ils n'ont pas établi de normes. En Europe, il y a des normes pour la télévision numérique et nous constatons que l'Europe est en avance sur les États-Unis sur le plan de la programmation interactive, grâce à ces normes.
Je ne vous ai pas fait part de nos recommandations, mais l'une d'elles consiste à mettre l'accent sur les normes. Une autre, qui m'intéresse beaucoup, est la familiarisation avec les médias. C'est ainsi que nous allons obtenir notre information. Il est extrêmement important que nos enfants sachent aussi bien analyser des images qu'ils peuvent analyser du texte.
Le sénateur Spivak: La pensée analytique est tout aussi importante que le multitâche qu'apprennent mes petits-enfants.
Mme Scott: Ils sont de la génération de Sesame Street et ils ont appris à faire du traitement parallèle. J'observe mes enfants de très près. Ils font constamment du traitement parallèle et du multitâche. C'est très intéressant. C'est une façon différente de consommer.
Le sénateur Spivak: La consommation et l'apprentissage sont deux choses différentes.
Mme Scott: Oui. La question est de savoir s'ils finiront par apprendre autant en consommant de cette façon, mais on ne le sait pas encore.
Le sénateur Spivak: Sans vous poser de questions, je voudrais vous dire ce qui m'intéresse. J'adore vous entendre parler de l'approvisionnement libre et du commerce électronique. Un article de Lands' End dans The New Yorker disait que le commerce électronique repose sur la façon dont vous êtes organisé pour expédier vos marchandises.
Comme je sais que d'autres personnes ont des questions à poser, je vais leur céder la parole.
La présidente: Madame Scott, vous dites que vous n'avez pas parlé de vos recommandations dans votre exposé. Voudriez-vous les énoncer ici?
Mme Scott: Oui, je devrais peut-être le faire.
Premièrement, la politique de notre gouvernement doit mettre l'accent sur la formation, l'éducation, l'environnement commercial, l'encouragement à investir en prenant des risques, et un haut niveau de vie. Je crois que si notre pays veut avoir une industrie forte, il nous faut des sociétés intégrées verticalement et nous devons investir nos ressources dans des villes où il y a une masse critique, de même que plusieurs dimensions clés. C'est essentiel pour le commerce électronique en particulier, mais aussi pour toutes les nouvelles industries qui émergent.
Nous devons voir quelles sont les villes du pays qui ont des établissements d'enseignement de calibre mondial qui pourront former les jeunes et où se fera la recherche qui permettra aux entreprises d'améliorer leur façon de faire. Les entreprises pourront s'alimenter dans les universités afin de comprendre quelle est la direction dans laquelle nous pensons aller.
Ce n'est pas tout ce que nous devrions faire dans les universités. Je crois dans les arts libéraux. Nous devons faire preuve de curiosité, car c'est ce qui nous conduit à innover, mais il faut qu'il y ait des liens solides entre le milieu des affaires et l'université. Il faut que nous ayons des entreprises grandes et fortes qui pourront entraîner d'autres entreprises dans leur sillage. Nous avons besoin d'un secteur de la haute technologie fort et solide, de même que de capital de risque. Nous devrions identifier ces centres du pays et y investir pour qu'ils soient solides et de calibre mondial.
À Toronto, nous avons le Collège Sheridan, l'Université de Toronto et la grande entreprise. Toronto n'a pas de secteur de la haute technologie comme Ottawa. Peut-être devrions-nous développer les universités à Ottawa pour avoir un terrain de formation de calibre mondial en haute technologie.
J'ai ici une acétate qui illustre une analyse réalisée par la table ronde sur le commerce électronique, précisément en fonction de ces dimensions. Elle fait l'inventaire de nos entreprises de technologie, de notre capital de risque, de nos marchés boursiers et de nos universités spécialisées dans la recherche. La table ronde a conclu que Vancouver et Ottawa n'avaient pas d'universités de calibre mondial. Qu'elle ait tort ou raison, c'est une façon très intéressante de réfléchir à ce que nous devrions faire. Si nous commençons à investir au-delà de ces villes, allons-nous utiliser notre argent de la façon la plus rentable et allons-nous nous solidifier?
Cela montre la nécessité d'avoir de grandes entreprises intégrées verticalement qui peuvent attirer l'investissement et offrir de la stabilité. Pensez à ces grappes représentant les nouvelles sphères d'influence. La capitalisation de l'ensemble du groupe intéresse les investisseurs, car ils n'investissent pas dans une seule entreprise, mais voient plutôt leur argent réparti dans un certain nombre de sociétés.
Le sénateur Finestone: Merci pour votre exposé fascinant.
Hier, nous avons parlé du rôle du CRTC et j'aimerais en discuter avec vous. Vous avez mentionné l'intégration, les relations étroites et les nouveaux rôles des télécommunications, de la radiodiffusion et je suppose, par conséquent, du droit d'auteur.
Mme Scott: Oui.
Le sénateur Finestone: Quel est le modèle en ce qui concerne les droits d'auteur? Hier, un de nos sénateurs a parlé de la perte de revenus dans le domaine de la musique et de l'édition qui était attribuable au téléchargement de ces produits. Comment protéger les droits d'auteur de nos artistes? Comment régler le problème des télécommunications et de la radiodiffusion, qui se recoupent à tant d'égards? Étant donné vos antécédents au CRTC, à la SRC et maintenant à Bell Canada, comment voyez-vous tous ces éléments fonctionner? Le CRTC peut-il être efficace avec son mandat actuel?
Mme Scott: Il y a deux ans environ, j'ai écrit un article sur le rôle de l'organisme de réglementation. J'examinais les débuts de ces nouvelles tendances, sans prévoir que BCE achèterait CTV. Dans cet article, je parlais des regroupements que je pouvais voir dans le cadre juridique, des définitions que vous trouvez dans la Loi sur le droit d'auteur et je faisais des observations quant aux problèmes à régler dans le contexte du droit d'auteur en parlant de ce que les télécommunications signifiaient pour le grand public dans ce contexte. J'examinais la définition de la «radiodiffusion» donnée dans la Loi sur la radiodiffusion et j'abordais la question de l'accès dans le contexte de la Loi sur les télécommunications. Ce sont là des questions toutes reliées les unes aux autres.
À peu près un an plus tard, la SOCAN a demandé que les fournisseurs d'accès versent un certain pourcentage de leurs revenus parce que les gens téléchargeaient de la musique par Internet.
La Commission du droit d'auteur a décidé que les fournisseurs d'accès ne devraient pas assumer cette responsabilité, et que c'est à ceux qui offrent ce contenu de payer les droits d'auteur. La cause est maintenant devant les tribunaux et tout le monde va suivre ce dossier avec beaucoup d'intérêt.
J'ai l'impression qu'il serait utile d'avoir un seul organisme responsable de l'administration de trois lois: les lois sur la télécommunication, la radiodiffusion et le droit d'auteur. Ce ne doit pas être nécessairement le CRTC. En fait, des changements pourraient être apportés au CRTC. Personnellement, je crois qu'une commission de 13 personnes est sans doute trop lourde. Il faut des politiques nationales très fortes et cohérentes dans ce domaine. Encore une fois, dans l'article où j'ai parlé de la réglementation de la radiodiffusion, je voyais le CRTC diriger son action vers le droit d'auteur. Nous ne pourrons pas réglementer les services pendant longtemps encore. Prenez le CRTC. Il a reçu 452 demandes de services spécialisés. Que faites-vous en pareille situation? Tamponner les demandes les unes après les autres? Ce n'est pas possible. Je crois qu'on va perdre la possibilité d'accorder des licences. Peut-être pourrons-nous continuer de réglementer les services diffusés sur le spectre, mais pour ce qui est des services spécialisés, je n'en suis pas certaine.
Et par-dessus le marché, vous avez Internet qui va fournir des services vidéo au cours des années à venir.
Il serait utile qu'un seul et même groupe de gens examinent les différentes lois. On pourrait recibler la législation ou la changer, mais il faudrait un seul et même organisme qui tiennent compte des divers intérêts. Il y a l'intérêt économique et l'intérêt social qui peuvent parfois se bousculer. Il serait utile, selon moi, d'avoir un organisme qui concilierait les divers intérêts.
Le sénateur Finestone: Je suis convaincue que le contrôle du spectre, qui est en dehors du mandat du CRTC, pose un très sérieux problème.
Le vice-président: Honorables sénateurs, nous manquons de temps. Veuillez poser vos questions rapidement.
Le sénateur Banks: Je vais poser mes questions et je vous demanderais de répondre au maximum d'entre elles et de nous fournir plus tard une réponse par écrit pour les autres.
La présidente, qui a dû s'absenter, mais qui reviendra, m'a prié de vous demander si le câble en fibre optique allait devenir le pipeline de choix. Nous avons entendu dire hier que ce serait le cas, pour diverses raisons, et j'aimerais beaucoup entendre votre réponse à ce sujet et savoir ce que vous en pensez. Vous avez dit tout à l'heure que vos clients veulent un guichet unique. En quoi consistera-t-il?
La question qui découle de la première est celle-ci: pensez-vous qu'un jour BCE d'une part et AT&T/Rogers ou Telus, d'autre part, vont chercher à s'évincer mutuellement du marché? Allons-nous nous retrouver avec un de ces groupes qui fournira un guichet unique ou les deux qui se partageront la fourniture de ce guichet unique à divers clients dans différentes régions du monde?
Ma deuxième question: devrions-nous suivre, ou du moins examiner de très près le modèle irlandais?
Ma troisième question: vous venez de parler de développer ce que vous avez appelé des centres de formation et d'éducation de calibre mondial. Récemment, on a annoncé le Programme des centres d'excellence au Canada. Je ne sais pas si vous l'avez remarqué. Certaines villes ont été désignées. Voulez-vous dire qu'il y en a trop?
Mme Scott: Parlez-vous du programme Des collectivités branchées?
Le sénateur Banks: Oui. Je n'ai pas utilisé la bonne expression.
Le sénateur Finestone a déjà posé une question quant au rôle du CRTC et vous y avez répondu en partie. Pour ce qui est de la réglementation, cette question m'intrigue. Si je peux trouver ce renseignement ailleurs, je le ferai, mais vous avez piqué ma curiosité en ce qui concerne la propriété canadienne, les exigences à cet égard, les restrictions touchant la propriété étrangère qui s'appliquent à ces divers domaines. Avec la convergence, je suppose qu'il y aura sans doute une réglementation différente à l'égard de la propriété étrangère d'un secteur à l'autre. Par exemple, je suppose que la réglementation ne sera pas la même pour la radiodiffusion que pour les télécommunications.
Mme Scott: En fait, elle est très semblable. Il y a deux petites différences.
Le sénateur Banks: Vous avez parlé, il y a quelques instants, de développer ces capacités dans nos villes. Je veux m'assurer que le Canada rural ne sera pas laissé pour compte. Vous avez dit qu'il fallait veiller à ce que l'infrastructure physique existe dans les villes. Qu'en est-il des gens qui ne vivent pas dans les villes et qui ont besoin, et qui ont d'ailleurs droit au même accès pour des raisons identiques, pour soutenir la concurrence, particulièrement en ce qui concerne Internet? Comme vous le savez parfaitement, vous pourriez vous trouver à Tombouctou et être quand même un fournisseur d'accès.
Le vice-président: Malheureusement, nous n'avons pas le temps d'examiner ces questions en détail. Vous pourriez sans doute mettre toute une journée à y répondre. Je me demande si vous ne pourriez pas nous répondre très rapidement maintenant et nous fournir ensuite une réponse détaillée par écrit. Seriez-vous d'accord, sénateur Banks?
Le sénateur Banks: Je serais satisfait si toutes les réponses m'étaient données par écrit.
Le vice-président: Pourriez-vous également déposer vos questions? Pourriez-vous aussi nous donner votre article sur la réglementation?
Mme Scott: Certainement. Je voudrais ajouter une chose à propos de ce que j'ai dit au sujet de ces grappes. Vous avez peut-être mal compris. Ces grappes ne portent pas sur l'investissement dans l'infrastructure, mais plutôt sur les idées. Il s'agit de l'économie de l'information et non pas des installations. Voilà de quoi je parlais. Les régions rurales bénéficieront de l'activité urbaine. Il faut ensuite se demander si ces installations existent dans l'ensemble du pays. Le CRTC -- et je vous enverrai une note à ce sujet -- a dit que le service local comprenait l'accès à Internet; c'est donc prévu dans la politique du CRTC.
Le vice-président: Merci. Nous allons maintenant accueillir M. Keeble. La parole est à vous.
M. David Keeble, consultant indépendant: Je vais aborder la question sous l'angle opposé, et peut-être que cela complétera les propos de Mme Scott. Je vais parler du développement technologique et de ses répercussions pour le consommateur.
Si vous avez lu les journaux, vous aurez vu de nombreuses annonces portant sur de nouveaux types d'appareils électroniques destinés aux consommateurs depuis deux ans. Ce phénomène s'intensifie. Nous en voyons de plus en plus d'une semaine à l'autre. Nous parlons de choses qui vont du petit lecteur MP3 que vous pouvez transporter avec vous, aux technologies émergentes qui vous permettront d'envoyer un vidéo sur un téléphone cellulaire en passant par un appareil comme le Playstation 2 de Sony, qui est non seulement une machine à jeux, mais aussi un lecteur de DVD qui peut être relié à Internet, sans oublier le petit gestionnaire personnel qui permet des nouvelles sur le spectre cellulaire. Il y a un grand nombre d'appareils de ce genre et bien des gens se disent que nous assistons non pas à une convergence, mais plutôt à une divergence étant donné qu'il y a toutes sortes de nouvelles plates-formes, et qu'elles vont changer la façon dont les consommateurs utilisent les médias.
Vous n'utilisez pas les nouvelles de la même façon lorsque vous les recevez sur votre Palm Pilot par la voie des ondes et si vous lisez le journal. Nous ne les utilisons pas non plus de la même façon si nous travaillons avec un ordinateur. La façon dont les gens utilisent les médias va changer la façon dont l'industrie des médias devra s'organiser. Mme Scott en a parlé lorsqu'elle a mentionné Constellation. Je vais aborder la question sous un autre angle, du point de vue du consommateur plutôt que de l'industrie. Cela change également la demande de politiques publiques et c'est là-dessus que je voudrais terminer mon exposé. Le genre de choses dont nous devons tenir compte pour ce qui est de la politique nationale devient très différent parce que les structures sont différentes et tout cela peut être attribué à la façon dont les consommateurs utilisent les médias. Voilà ce que je voudrais vous présenter en très peu de temps.
Je ne peux pas vous parler de tous ces appareils en 10 minutes et je vais donc choisir deux technologies -- ce qui représente un échantillon très limité -- pour vous en parler plus en détail. Je vais tenter de le faire sans employer un langage trop technique. N'hésitez pas à m'interrompre si je vous perds en cours de route.
Commençons par un appareil, l'enregistreur vidéo personnel. Il porte plusieurs noms. On l'appelle aussi magnétoscope numérique. Vous avez pu voir des annonces de diverses marques. TIVO en est une. Replay en est une autre. Echostar, le réseau satellite américain, est en train d'intégrer cette technologie dans certains de ses récepteurs satellites. Il s'agit simplement d'un très grand disque dur qui se trouve à l'intérieur d'un boîtier et qui est contrôlé au moyen d'un logiciel. Le logiciel vous permet d'enregistrer des vidéos sur le disque dur, tout comme vous le feriez sur un ruban, mais maintenant vous l'enregistrez sur un disque dur dans un appareil spécial.
Cette technologie a de nombreuses répercussions. C'est une idée très simple et très facile à appliquer. Si vous possédez un de ces appareils, je vais vous donner une idée de ce que vous pouvez faire avec.
Disons que vous regardiez un match. Au milieu de la partie, vous recevez un appel téléphonique, vous appuyez sur la touche «pause« de votre télécommande. Vous obtenez alors un bel arrêt sur image de la partie que vous regardiez. L'enregistrement se poursuit en arrière-plan. Une fois votre appel téléphonique terminé, vous remettez l'appareil en marche et la partie reprend là où vous l'aviez arrêtée. Vous n'avez pas perdu une seule image. Vous revenez là où les choses s'étaient arrêtées. L'enregistrement continue toujours en arrière-plan. En fait, vous pouvez regarder le reste du jeu trois minutes en retard par rapport au temps réel sauf que, bien sûr, dès qu'il y a une annonce publicitaire, vous passez en avance rapide. Certains de ces appareils sont réglés de façon à permettre de couper les annonces publicitaires ou de les regarder en avance rapide selon l'agressivité dont le fournisseur de logiciel fait preuve vis-à-vis de la télévision.
C'est la première chose qui inquiète les télédiffuseurs, car ces appareils sont déjà sur le marché. Ils sont offerts à des prix abordables aux États-Unis. On peut s'attendre à ce qu'ils deviennent aussi répandus que le magnétoscope.
Le logiciel de cet appareil contient un guide de programmation électronique. En cliquant sur votre télécommande, vous pouvez voir la cote et la source de l'émission que vous regardez. L'arrière-plan contient encore plus de renseignements que ce que vous pouvez voir. Je peux régler la machine pour enregistrer ce que je veux à l'avance en sélectionnant jusqu'à 7 heures de programmation grâce au guide.
C'est simple à utiliser. Plus simple que le magnétoscope, car je n'ai pas à changer de cassette, les titres sont toujours emmagasinés dans la mémoire, contrairement à ma collection d'environ 70 cassettes non étiquetées que je possède actuellement. Si vous manquez d'espace, vous pouvez décider d'enregistrer par-dessus un autre titre.
Comme le guide de programmation fournit davantage de renseignements, vous pouvez utiliser un système intelligent pour enregistrer des émissions. C'est la machine TiVo. Ce modèle a une touche «thumbs up» et «thumbs down». Si j'aime l'émission que je regarde, j'appuie sur la première touche une fois, deux fois ou trois fois, selon mon degré d'appréciation. Si elle ne me plaît pas, j'appuie sur la deuxième touche. Ce renseignement est emmagasiné. Lorsque la machine reste inutilisée, elle se dit: «Celui qui me possède aime l'action et l'aventure ainsi que cet acteur. Je vais donc enregistrer les émissions qui correspondent à ses préférences. Si le propriétaire n'aime pas les émissions, il les effacera, mais s'il les aime, il les regardera».
Cela crée tout un guide de programmation personnalisé pour le propriétaire. Les premières choses offertes sur le menu d'ouverture de TiVo sont les émissions que la machine a enregistrées pour le propriétaire ou que ce dernier a choisi d'enregistrer.
Les utilisateurs de ces appareils disent qu'ils ne regardent plus très souvent la télévision en direct à moins qu'il ne s'agisse d'un événement sportif en direct. Ils ouvrent leur appareil lorsqu'ils veulent regarder la télévision et voient ce qu'on leur offre. Si cela ne leur plaît pas, ils effacent l'émission. S'ils l'aiment, ils la regardent. Ils peuvent également la transférer sur leur magnétoscope pour en avoir une copie permanente.
Pensez un peu aux répercussions de cette petite boîte. Si nous ne regardons plus la télévision en direct, la valeur des heures de grande écoute diminue alors qu'à l'heure actuelle toute l'économie de la télévision gravite autour de la valeur énorme des heures de grande écoute. La valeur des meilleures places sur le câble, c'est-à-dire les numéros 2 à 13, diminue également étant donné que cette boîte peut enregistrer des émissions à 3 heures du matin sur la chaîne 78 ou la chaîne 535. Peu importe. Une émission vaut autant qu'une autre.
Les annonces publicitaires ont moins de valeur qu'avant, étant donné que je peux les couper très facilement. Tout le modèle économique de la télévision se trouve totalement modifié par ce seul appareil et ce n'est qu'un des nombreux dispositifs qui existent sur le marché.
Le vice-présent: Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose?
M. Keeble: Nous arriverons à la réponse dans un instant. Il faut bien comprendre que le logiciel qui permet à cette boîte d'accomplir ces merveilles et qui contient tous ces renseignements devient un intermédiaire très important entre le consommateur et le fournisseur de média.
Dans le cas de TiVo, la compagnie donne la préférence à ses partenaires et à ses investisseurs. NBC en fait partie. Vous pouvez facilement imaginer que si, d'après mes préférences et la façon dont le logiciel fonctionne, la machine a le choix entre deux ou trois émissions, elle va sans doute enregistrer celle de NBC. Telle est mon impression. Ceux qui mettent au point les logiciels et les données deviennent les intermédiaires.
N'oubliez pas qu'il s'agit seulement de deux technologies parmi de nombreuses autres.
Je voudrais parler également de la télévision interactive. Comment réagissez-vous si vous êtes un fournisseur d'émissions? D'abord, vous allez rendre vos émissions plus intéressantes parce que les gens ne les regarderont que s'ils le veulent. Vous devez apporter un avantage différent à l'annonceur.
La réaction a été ce qu'on appelle la télévision interactive ou améliorée qui se développe de diverses façons. Prenez Jeopardy offerte en mode interactif au moyen d'une console Web TV Plus. Vous pourriez également l'obtenir avec divers autres boîtiers de décodage numérique, s'ils ont un logiciel interactif.
Au coin de l'écran se trouve la question posée à l'émission Jeopardy entourée de divers choix qui permettent aux spectateurs de participer au jeu. Le spectateur peut choisir une réponse; son résultat est enregistré et, à la fin du jeu, le résultat est envoyé à Columbia TriStar, les producteurs de Jeopardy, qui peuvent vous octroyer des prix.
Il s'agit d'une technologie interactive intéressante, car retient mon attention. Elle n'enregistre mes résultats que si je continue de regarder l'émission. Si je passe à une autre chaîne, elle efface mon résultat et je dois recommencer lorsque je reviens. Cette technologie m'incite donc à continuer de regarder l'émission et ses annonces publicitaires si je veux continuer à jouer. C'est une solution.
La télévision interactive ne se limite pas à la participation à des jeux. Un fournisseur vous permet d'accéder à des renseignements météorologiques en provenance de la ville de votre choix.
Pour prendre un autre exemple, une annonce publicitaire Ford me permet de me servir de ma télécommande pour demander à un concessionnaire Ford de me contacter. La valeur de la publicité est augmentée parce que Ford obtient des acheteurs intéressés. Vous ne vous contentez plus d'avoir des gens qui regardent l'écran. Vous rejoignez des gens qui peuvent répondre à l'annonce publicitaire et manifester un intérêt pour le produit. C'est plus intéressant pour l'annonceur.
Le dernier exemple est celui du commerce électronique direct où l'on vous offre un vidéo pour 19,95 $. Si le téléspectateur clique «oui», sa réponse est acheminée par le système. La capacité de répondre aux commandes est un élément essentiel. Il faut que quelqu'un ait un entrepôt plein de vidéos prêts à être envoyés. L'entreprise connaît déjà l'adresse du téléspectateur. En fait, elle sait beaucoup de choses sur lui, car elle surveille ses réactions, y compris les émissions qu'il préfère et tous les autres renseignements fournis par le commerce électronique ou plutôt le téléachat. Quelqu'un obtient ces renseignements.
Cela soulève plusieurs autres questions, mais il s'agit d'un modèle de téléachat que bien des gens jugent préférable au modèle du commerce électronique. Le commerce électronique sur le Web s'est révélé décevant pour un certain nombre de fournisseurs, car les internautes ont tendance à faire des choses que les fournisseurs n'aiment pas, telles que des comparaisons. Le téléachat semble un modèle préférable, car il y a un certain degré d'achats impulsifs.
L'acheteur est nécessairement limité par le nombre de chaînes, mais j'aimerais apporter quelques nuances. Ce que Mme Scott nous a dit quant au fait que le monde vient à nous est parfaitement vrai. Si vous prenez ces deux technologies et si vous les regroupez avec une connexion Internet rapide, rien ne vous empêche de télécharger des émissions venant de n'importe où sur Internet dans votre magnétoscope numérique, et leur qualité sera tout aussi bonne que celle qui arrive sur votre téléviseur.
Notre capacité de contrôler l'univers qui nous entoure est donc compromise, mais les outils comme le téléachat et la télévision interactive permettront aux gens de réagir à la situation.
Vous pourriez demander ce que cela signifie en ce qui concerne les structures de l'industrie. Je vais vous montrer une petite acétate indiquant comment les choses étaient au début de la télévision ou tout était intégré. En bleu, à gauche, une personne, le groupe de la station, crée des émissions, les produit, les assemble en grilles horaires et les transmet aux téléspectateurs canadiens. C'est un très vieux modèle, très simple.
Puis ils commencent à acheter des émissions à d'autres producteurs. Le modèle n'est donc plus totalement intégré. Nous avons maintenant divers fournisseurs et plusieurs groupes de stations qui rejoignent les consommateurs.
La situation a changé avec l'arrivée du câble, car il fournissait une nouvelle voie au consommateur et il nous a permis de créer plus de chaînes, et d'amener plus de chaînes américaines jusqu'aux téléspectateurs canadiens, mais le câble jouait le rôle de portier. Le câble déterminait, de façon très systématique, quels sont les fournisseurs de programmes qui rejoindraient les consommateurs. Ou vous étiez sur le câble ou vous n'y étiez pas et vous y étiez bien placé ou non.
Lorsque la télévision à la carte est arrivée, elle a offert une façon concurrentielle de rejoindre de nouveau les consommateurs. Nous avons maintenant trois façons de les rejoindre. Cela n'a pas changé vraiment le modèle du portier.
Ce que nous pensions, et qui pourrait se confirmer, est qu'avec Internet, qui pourra servir à diffuser des vidéos et des émissions de divertissement, ce modèle va changer parce que maintenant les producteurs et les radiodiffuseurs peuvent contourner le câble par l'entremise des fournisseurs d'accès.
Il y a aussi le modèle du vidéo à la carte, qui vous permet d'accéder, à partir de votre ordinateur ou de votre téléviseur, à n'importe quelle chaîne de télévision dans le monde, si la technologie est suffisamment rapide pour amener ce vidéo jusqu'à vous. Bien entendu, cela permet également aux producteurs de contourner les radiodiffuseurs. C'est presque l'opposé de toute forme de contrôle de l'accès. N'importe quel consommateur peut accéder aux ressources mondiales.
Pour ce qui est des boîtiers décodeurs et du magnétoscope numérique qui fait ses débuts sur le marché, le contrôle est rétabli de façon différente. Dans ce cas, le guide de programmation électronique et le logiciel qui actionne le système servent d'intermédiaires entre les choix que je fais en tant que consommateur et le monde des médias, non pas en limitant nécessairement mon accès, mais en influençant ce que j'ai tendance à choisir. C'est une sorte de porte promotionnelle, si vous voulez. La porte est en partie ouverte, mais elle peut contrôler ce que je fais dans une certaine mesure.
Je devrais revenir en arrière un instant. Lorsque Mme Scott a parlé de Constellation, on se représente des gens de l'industrie qui essaient d'intégrer au maximum toute la chaîne d'approvisionnement. Cela peut vous permettre d'en tirer davantage ou de devenir le portier. Si vous êtes le portier, vous pouvez vous retailler un place dans la production et avoir un système totalement intégré, de la production de la programmation jusqu'au consommateur. C'est ce que ces grandes constellations intégrées permettent d'obtenir.
Cela soulève certainement certaines questions de politique dont j'énoncerai quelques-unes aujourd'hui. Vous avez certainement déjà entendu parler de l'importance de la vie privée, tant pour les consommateurs que pour les données. Examinons aussi le revers de la médaille. Pour que le commerce électronique et le téléachat fonctionnent au Canada, il est nécessaire de posséder certains de ces renseignements sur les gens. Ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Avant de venir aujourd'hui, je me disais que j'aimerais que les télévendeurs qui me téléphonent chaque soir m'écoutent lorsque je leur dis que je ne réponds jamais à ce genre de sollicitations. Ils ne m'écoutent pas. Ils continuent d'appeler. S'il existait une base de données indiquant que telle personne n'achète jamais rien au téléphone, les entreprises de télémarketing ne perdraient peut-être pas leur temps à lui téléphoner.
Le sénateur Banks: Non.
M. Keeble: Je suis peut-être trop optimiste.
Certains aspects du marketing autorisé visent une autre partie de l'information. Si j'autorise quelqu'un à obtenir certains renseignements et si je sais qu'on m'enverra seulement des choses que je suis désireux d'acheter, c'est un avantage. Cela vaut mieux que de recevoir une tonne de courrier publicitaire. La circulation de cette information peut être une bonne chose pour le consommateur. Ce n'est pas entièrement négatif. Ne l'oublions pas lorsque nous examinons la question.
Deuxièmement, pour que le commerce canadien et le commerce électronique fonctionnement, il faut trouver un moyen de résoudre le problème de la protection de la vie privée tout en permettant aux gens d'avoir accès aux données qui permettent le bon fonctionnement du modèle, car sans renseignements sur les consommateurs, le modèle ne marchera pas.
Mme Scott a soulevé la question des normes techniques, et je suis d'accord avec elle. La politique publique présente des lacunes sur ce plan-là. Nous avons eu tendance à suivre le modèle américain qui laisse le marché décider. Toutefois, le marché peut mettre beaucoup de temps à se décider, ce qui peut susciter la confusion, aux dépens du consommateur et de l'industrie.
Les Européens ont au moins deux ans d'avance sur le plan de la télévision interactive parce qu'ils ont établi des normes applicables dès le départ. Il est vrai qu'il faut un certain temps pour établir des normes, mais dans certains cas, on peut le faire plus rapidement que le marché. Les normes limitent l'innovation dans une certaine mesure, mais elles permettent également l'innovation du côté de la créativité.
Lorsque vous avez des normes, les gens qui peuvent créer une programmation le font. Par contre, s'ils savent qu'ils devront faire face à quatre ou cinq technologies différentes, ils auront tendance à ne pas le faire.
Les normes sont également importantes pour le choix des consommateurs. Si vous voulez que les sociétés comme Sony, Samsung, Panasonic et les autres offrent des boîtiers décodeurs, il faut des normes qui leur permettront de construire des dispositifs qui fonctionneront sur ces systèmes.
Il y a aussi le degré de concurrence possible entre les fournisseurs de guides de programmation électronique. Avec des normes, je peux choisir le guide de programmation que je vais utiliser. Sans normes, je suis limité à la technologie de l'appareil que j'ai acheté et à son logiciel.
Enfin, les opérations d'initiés au sein de ces entreprises intégrées poseront certainement des problèmes. Je suis d'accord avec Mme Scott pour dire que ces grandes entreprises intégrées seront là, que nous le voulions ou non. Nous voulons toutefois aussi un marché ouvert, qui permettra aux petites entreprises de survivre et de prospérer. Cela dépend en partie de la normalisation, qui leur permettra de travailler dans un marché ouvert. Cela dépend aussi de la mise en place de règles régissant les opérations d'initiés afin qu'elles puissent obtenir leur juste part du marché, avoir accès au consommateur ou pouvoir lui vendre ce qu'elles ont à vendre.
En ce qui concerne la politique culturelle, nous ne pouvons pas oublier que nous n'avons encore qu'un petit marché anglophone et un marché francophone encore plus réduit. N'oublions pas que le produit mènera également l'entreprise, car c'est le produit médiatique qui contribue à déterminer l'ensemble du modèle du commerce électronique pour les entreprises canadiennes. Si nous voulons que ce produit soit attrayant pour les consommateurs, nous devrons trouver des moyens d'inciter les gens à le produire, étant donné que vous ne pouvez pas récupérer le coût d'une émission canadienne sur le marché de la même façon que vous pouvez récupérer le coût de la programmation américaine.
Les honorables sénateurs ont sans doute entendu dire que l'émission Friends allait recevoir au total 240 millions de dollars au cours des deux prochaines années. Ce montant représente la totalité du Fonds canadien de télévision pour deux ans.
La présidente: Nous avons un problème d'horaire. Nous devons quitter la salle à 11 h 30 parce qu'une autre réunion doit avoir lieu ici. Il nous reste des témoins à entendre. Pourrions-nous déposer les questions que nous désirons poser à ces témoins et leur demander d'y répondre par écrit?
Cela vous convient-il à tous?
Le sénateur Finestone: Cela nous convient, madame la présidente, car nous n'avons pas d'autre choix. Je suggère que nous évitions cela à l'avenir. C'est très injuste envers ceux qui ont pris le temps et la peine de venir ici et qui nous ont soumis des questions très intéressantes.
Il est presque impossible d'assimiler toute l'information qu'ils nous ont donnée et de pouvoir poser les questions intelligentes qui font la réputation des sénateurs. Je ne veux plus jamais me retrouver dans cette situation. Dans ce cas, je vais donner mon accord, mais que cela ne se reproduise pas, s'il vous plaît.
M. Keeble: Si cela vous convient, nous pourrions revenir à une date ultérieure.
La présidente: Comme vous résidez tous les deux à Ottawa, nous apprécierions.
C'est très frustrant pour tout le monde en raison de la complexité de ces questions. C'est difficile à assimiler aussi rapidement que vous parlez. Nous apprécions vraiment.
Invitons M. Keeble et Mme Scott à revenir et nous allons nous assurer, avec le greffier, que nous aurons un peu plus de temps à consacrer à nos témoins.
Je voudrais inviter Mme Lawson et M. Rosenberg à se joindre à nous.
M. Richard Rosenberg, B.C. Freedom of Information and Privacy Association: Madame la présidente j'ai inclus une brève description des activités de la B.C. Freedom of Information and Privacy Association dans la première page de notre mémoire. Notre association a été constituée en société sans but lucratif en janvier 1991 pour promouvoir les principes de la liberté d'information et de la protection de la vie privée en Colombie-Britannique. Depuis, la société est devenue le champion national de ces principes. En fait, FIPA est le seul organisme canadien sans but lucratif qui s'intéresse exclusivement à la liberté de l'information et à la protection de la vie privée.
Il y a 15 mois environ, j'ai comparu devant le comité permanent de l'industrie de la Chambre des communes pour présenter les opinions d'Electronic Frontier Canada, dont je suis le vice-président, au sujet du projet de loi C-54. Il a depuis reçu la sanction royale en tant que projet de loi C-6 et il entrera en vigueur le 1er janvier 2001.
Ma contribution d'aujourd'hui portera sur la protection de la vie privée et la sécurité des renseignements personnels, le troisième champ d'étude de la phase I du mandat du comité. J'ai énuméré ces questions dans mon mémoire.
Je voudrais répondre à certaines d'entre elles. Celles qui nous préoccupent particulièrement sont les suivantes, qui se rapportent à plusieurs des sujets que le comité doit aborder.
Il y a d'abord les attaques de plus en plus nombreuses contre la vie privée à laquelle le secteur privé se livre au moyen d'Internet, et les différents modèles de protection des renseignements personnels en vigueur aux États-Unis, au Canada et dans la Communauté européenne. Je parlerai davantage du premier aspect que du reste.
En deuxième lieu, il est nécessaire de mettre en place des procédures reconnaissant le principe fondamental du consentement éclairé en exigeant notamment que les conditions par défaut soient explicites. Il arrive toutes sortes de choses aux gens qui vont dans Internet et ailleurs, sans qu'ils en aient connaissance. Tout est en arrière-plan. Il est essentiel que les gens prennent des décisions éclairées. Comme je l'ai fait remarquer lors de mon dernier témoignage, cette information est certainement très précieuse pour les entreprises et les agences de marketing. Je me fais un plaisir de leur fournir des renseignements lorsque j'ai le choix de le faire ou non. Si je ne veux pas le faire, je ne devrais pas le faire malgré moi. S'ils me paient pour ces renseignements, très bien, mais si j'ignore ce qu'on leur fournit, je ne peux pas faire un choix éclairé.
En troisième lieu, je soulignerai le rôle crucial que l'éducation jouera pour informer le public canadien de ses responsabilités en ce qui concerne la protection prévue dans les dispositions du projet de loi C-6, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques.
En quatrième lieu figurent les problèmes particuliers que soulève la protection des dossiers médicaux personnels électroniques ou en ligne. Nous remarquons que la Loi ne s'y appliquera pas pendant au moins un an. J'ai travaillé, avec un collègue de Vancouver, à un document sur la protection des renseignements médicaux. Si cela intéresse le comité, je pourrais vous le faire parvenir d'ici deux ou trois semaines.
En dernier lieu, je vous donnerai un exemple de la protection de la vie privée aux États-Unis où la Children's Online Privacy Protection Act de 1998, qui prévoit certaines procédures, est entrée en vigueur il y a un mois environ.
Le 11 mai, un regroupement d'entreprises Internet bien connues ont publié le communiqué suivant:
Les PDG d'Amazon.com Inc., eBay, America Online Inc. et Lycos Inc. ont envoyé une lettre à plus de 400 de leurs collègues au début de la semaine pour exhorter les entreprises de commerce électronique à prendre plus au sérieux la protection de la vie privée des consommateurs.
Voici ce qu'ils ont dit:
Pour que les consommateurs fassent confiance à Internet, il est fondamental, selon nous, de leur faire comprendre quand et comment leurs renseignements personnels sont utilisés lorsqu'ils font du commerce électronique et se livrent à d'autres activités sur Internet.
C'est une curieuse déclaration étant donné que, depuis plusieurs années, la Federal Trade Commission surveille la politique en vigueur dans les sites Web au sujet de la protection des renseignements personnels. Lors d'une enquête portant sur 1 400 sites Web menée il y a deux ans environ, la Commission a remarqué que seulement 14 p. 100 des sites avaient une politique, qu'elle soit efficace ou non. Une enquête récente qui sera publiée prochainement révèle que ce chiffre a grimpé à 20 p. 100. Après deux ans d'exhortations cette politique n'existe toujours pas.
Aux États-Unis, la FDC va finalement recommander au Congrès d'agir pour protéger les renseignements personnels. Il est important que le Canada l'ait déjà fait. Le modèle à suivre est, bien entendu, celui de la Communauté européenne qui a émis une directive à ce sujet bien que, malheureusement, plusieurs pays ne l'aient pas encore signée.
Pour ce qui est du consentement éclairé, il est évident que l'absence de renseignements suffisants peut fausser une décision. Compte tenu de la complexité technologique cachée d'Internet, un bon nombre de ses usagers, surtout ceux qui s'y sont branchés récemment, ne se rendent pas compte des renseignements qu'ils révèlent rien qu'en furetant d'un site Web à l'autre. La principale de ces technologies cachées est le «cookie» ou «témoin» dont beaucoup de gens comprennent très peu le fonctionnement.
Lorsque l'usager moyen commence à utiliser Netscape Navigator ou Internet Explorer, le fonctionnement des témoins est tout à fait transparent. À chaque visite de site, des renseignements sur l'usager et ses activités sont sauvegardés en coulisse et enregistrés sur son disque dur. L'avantage que cela présente pour l'internaute est que, lorsqu'il reviendra visiter le même site Web, ces renseignements aideront le site à mieux le servir. De plus, les témoins lui éviteront d'avoir à répéter des renseignements comme des adresses physiques et électroniques. En principe, cette commodité est censée compenser les atteintes à sa vie privée, mais comme il s'agit d'une transparence inhérente, l'internaute moyen ne sera pas conscient de ces processus et ne saura donc pas qu'il peut refuser de recevoir des témoins en donnant, à l'avance, des instructions à cet effet à son navigateur.
Les avantages pour le site Web consistent à pouvoir retracer de façon précise et automatique le comportement des visiteurs et des clients. Tous ces renseignements représentent un précieux outil de commercialisation pour adapter les sites Web de façon à augmenter les ventes. Chaque renseignement obtenu associé à des milliers d'autres contribue à créer une base de données extrêmement utile qui peut être vendue à d'autres sites et agences de marketing. Il n'est pas étonnant que les entreprises hésitent à abandonner ou à compromettre leur accès à des sources de plus en plus importantes et utiles de renseignements personnels.
Par conséquent, la plupart des activités sur Internet vont à l'encontre d'un principe fondamental. Un internaute bien informé peut modifier les «préférences» de façon à accepter ou à refuser les témoins. Le simple message à retenir ici est que l'option par défaut ne devrait pas être l'acceptation de tous les témoins, mais des renseignements sur les choix offerts à l'usager. Par conséquent, cette option n'et peut-être pas suffisante en ce sens que les sites exigent de plus en plus que les témoins soient activés pour se laisser pénétrer, ce qui ne laisse pas le choix.
Il y a d'autres problèmes. Les témoins que déposent un site Web peuvent être lus par les autres sites Web qui sont visités. J'en donne des exemples dans mon mémoire. Ce sont des exemples de ce que peuvent faire d'autres entreprises.
Passons maintenant au rôle que doit jouer l'éducation dans la mise en oeuvre du projet de loi C-6, la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. La plupart des mesures prévues pour la protection des renseignements personnels qui sont appliquées par des moyens législatifs sont déclenchées à la suite de plaintes. Autrement dit, à moins qu'une personne ne porte plainte pour avoir été lésée par une utilisation abusive de renseignements personnels, les procédés qui enfreignent la Loi continueront. Par conséquent, la Loi permet au Commissaire à la vie privée d'enquêter de sa propre chef sur une plainte que reçoit son bureau. De plus, l'article 23 porte que le Commissaire peut communiquer ou autoriser les personnes agissant en son nom à communiquer des renseignements dans le cadre de procédures, d'audiences ou d'appels selon les définitions données. L'article 24 lui confère la responsabilité d'informer le grand public. Ces responsabilités, l'importance de l'information du public et la nécessité de bien faire connaître les activités du bureau exigent des fonds suffisants. On ne saurait trop insister sur l'importance que revêtent ces activités pour permettre aux Canadiens de bénéficier pleinement de la Loi. Il ne faudrait pas oublier qu'en démocratie seul un public bien informé peut assumer ses responsabilités.
Pour ce qui est des dossiers médicaux électroniques ou personnels, j'ai cité des parties du rapport que j'ai déjà mentionné et je n'en dirai pas plus à ce sujet étant donné que vous pourrez le lire.
La présidente: Et c'est au compte rendu. Merci.
M. Rosenberg: Il me reste encore deux autres parties et j'en aurai terminé. Je voudrais parler de la protection des enfants sur Internet. Je ne sais pas encore dans quelle mesure notre législation réussira à protéger les enfants. En 1998, les États-Unis ont adopté la Children's Online Privacy Protection Act à la suite de plaintes selon lesquelles de nombreux sites Web conçus pour les enfants n'avaient pas de politique pour la protection des renseignements personnels et qu'en plus, ils soutiraient aux enfants des renseignements personnels sur leur famille sous prétexte de leur fournir des jeux et des renseignements intéressants. On posait aux enfants des questions comme: Quelle automobile votre famille possède-t-elle? Combien d'automobiles avez-vous? Quel genre de téléviseur avez-vous? Quel genre de céréales mangez-vous le matin? Tous ces renseignements étaient réunis dans le cadre de l'interaction de l'enfant avec le site Web.
Cette loi exige que tous les sites Web qui demandent des renseignements personnels à des enfants de moins de 13 ans affichent clairement la façon dont ils utilisent ces données et obtiennent le consentement des parents avant de recueillir quelque renseignement que ce soit. Le 21 avril, il y a près d'un mois, les lignes directrices établies par la Federal Trade Commission des États-Unis pour les sites Web s'adressant aux enfants de moins de 13 ans sont entrées en vigueur.
Je dois signaler que ce genre de loi, qui est nécessaire et important, montre que les États-Unis abordent la protection des renseignements personnels dans une optique sectorielle. Au lieu d'adopter une loi d'application générale comme le projet de loi C-6, le Congrès américain vise l'autoréglementation du marché en adoptant occasionnellement des lois spécifiques comme la COPPA. J'insiste sur certaines mesures américaines du fait que, malgré l'existence du projet de loi C-6, de nombreux Canadiens visiteront des sites Web américains et ne seront pas protégés. Par conséquence, un grand nombre des activités dont j'ai parlé, qui seront peut-être couvertes au Canada par le projet de loi C-6, ne le seront pas en réalité et il faut donc que les gens soient informés de ce qu'il advient des renseignements qu'ils fournissent lorsqu'ils visitent des sites Web américains.
Voilà donc quelques exemples des problèmes reliés à la protection des renseignements personnels et de ce que doivent faire les parents. Certains sites qui s'adressent aux enfants ont d'ailleurs décidé de ne pas poursuivre leurs activités estimant que les coûts financiers seraient trop grands et qu'il serait difficile de vérifier le consentement des parents. La COPPA exige que tout site qui recueille des adresses de courriel, des noms ou des dates de naissance obtienne des parents leur permission signée ou leur numéro de carte de crédit sous peine de se voir infliger une amende par la Federal Trade Commission. Il reste à voir si le projet de loi C-6 réussira ou non à protéger la vie privée des enfants et dans quelle mesure les parents joueront le rôle d'intermédiaire.
Enfin, à propos de ces questions particulières concernant la protection des renseignements personnels, je voudrais parler de la distinction à faire entre la vie privée et la sécurité avec les menaces qui y sont associées. Il est important de faire la distinction entre les deux. Laissons de côté la protection des renseignements personnels et parlons de la sécurité. La vie privée et la sécurité sont des concepts orthogonaux. Autrement dit, la sécurité est le moyen d'arriver à une fin: la protection de certains renseignements à l'aide d'un ensemble de matériel et de logiciels. Remarquez bien, toutefois, qu'il faut décider au préalable que la sécurité est nécessaire pour protéger ces renseignements. Une fois cette décision prise, il est important de mettre en place des mesures de sécurité adéquates. Autrement, les conséquences risquent d'être catastrophiques. Il s'agit donc d'obtenir une protection adéquate des renseignements personnels en partant du principe que la sécurité sera assurée au niveau tant de l'entreposage que du transfert des données.
Je vais sauter mes observations concernant le chiffrement. C'est une méthode importante pour protéger sa vie privée lorsqu'on transmet du courrier électronique et d'autres données.
Je passe directement à mes conclusions. L'adoption du projet de loi C-6 doit être vue comme une étape importante sur la voie de la protection de la vie privée de tous les Canadiens. Il faut en remercier beaucoup de gens et d'institutions dont Industrie Canada, Justice Canada, les parlementaires de la Chambre des communes et du Sénat, des groupes comme FIPA, l'Association médicale canadienne et le Centre pour la défense de l'intérêt public. Il reste néanmoins du travail à faire. À court terme, il faut légiférer pour protéger les renseignements médicaux personnels, toutes les provinces, sauf le Québec, doivent élaborer leur propre loi pour protéger les renseignements personnels dans le secteur privé ou appliquer la loi fédérale. Le Commissaire à la vie privée doit entreprendre un grand programme d'éducation pour informer tous les Canadiens de leurs droits.
Étant donné que les progrès continus de la technologie présentent, pour la vie privée, des risques qu'on ne peut que vaguement prévoir, nous aurions avantage à ce que la vie privée soit clairement définie comme un droit fondamental, peu importe l'environnement dans lequel il est porté atteinte à ce droit. Il est important de reconnaître la récente contribution du sénateur Finestone. Elle a cherché à préparer un document définissant une Charte des droits à la vie privée, ce qui est une entreprise tout à fait louable. Tous les Canadiens devraient contribuer au débat afin que la vie privée soit clairement reconnue comme un droit fondamental. Son omission de la Charte des droits était une grave erreur qui ne pourra être rectifiée que si nous sommes tous suffisamment convaincus de l'importance fondamentale de la vie privée dans une société démocratique.
Le sénateur Finestone: C'est très aimable de votre part. Dois-je y voir un appui total ou auriez-vous des modifications à suggérer avant que je ne dépose mon projet?
M. Rosenberg: Je vous enverrai quelques observations à ce sujet.
La présidente: C'était un excellent exposé. Nous vous félicitons pour le travail que vous accomplissez avec votre association. C'est très important dans ce nouvel environnement et nous comprenons encore mieux votre travail grâce à l'étude que nous effectuons.
Le témoin suivant est la représentante du Centre pour la défense de l'intérêt public. Madame Lawson, soyez la bienvenue. La parole est à vous.
Mme Philippa Lawson, conseillère, Centre pour la défense de l'intérêt public: Honorables sénateurs, je tiens à m'excuser de ne pas vous avoir fait parvenir mon mémoire à l'avance. Je le remettrai au greffier cet après-midi. Il se basera sur mes remarques d'aujourd'hui. Je n'ai certainement pas suffisamment de temps pour faire entièrement le tour du sujet verbalement.
Je vais d'abord parler du problème et de certaines solutions. Je mentionnerai ensuite brièvement certains défis que pose la mise en oeuvre du projet de loi C-6. En dernier lieu, je formulerai quelques recommandations.
Je ne vais pas prendre le temps de vous parler en détail du Centre pour la défense de l'intérêt public. Vous trouverez ces précisions dans mon mémoire. Cela fait maintenant 24 ans que nous défendons les intérêts des consommateurs et la protection de la vie privée est l'un des domaines sur lesquels nous nous sommes penchés récemment. Je vous parlerai du point de vue d'un organisme défendant les droits des consommateurs qui s'intéresse avant tout aux préoccupations des gens vis-à-vis de la protection de leur vie privée en tant que consommateurs sur le marché. Cela ne veut pas dire qu'on ne s'inquiète pas énormément de la façon dont les gouvernements et les intérêts privés recueillent des données et les utilisent pour faire de la recherche ou d'autres activités non commerciales. Je n'aborderai pas ces questions aujourd'hui, mais je vous exhorte à les examiner également.
Lorsque nous allons magasiner, surtout si nous payons en espèces, personne ne va vérifier quels sont tous les magasins dans lesquels nous allons, tous les articles sur lesquels nous jetons un coup d'oeil et tous les articles que nous achetons. C'est toutefois ce qui se passe lorsque nous naviguons sur Internet. Des entreprises privées se servent des technologies informatiques pour recueillir des données personnelles détaillées à notre sujet et elles les utilisent pour diriger vers nous leur publicité. Elles vendent et achètent ces données entre elles, ce qui a donné naissance à une énorme industrie qui collecte et transige des renseignements personnels. Cette industrie se développe de façon phénoménale. De nombreux sites Web obtiennent leurs revenus en vendant à des tiers des données sur les usagers ou en vendant à des annonceurs des données démographiques particulières.
L'établissement du profil du consommateur est loin de se faire uniquement sur le Web. Cette pratique a cours depuis longtemps en dehors d'Internet. Néanmoins, la technologie Internet permet de surveiller le comportement des consommateurs à un niveau impossible à atteindre autrement.
Je comptais vous parler des témoins, mais M. Rosenberg l'a déjà fait. Les témoins représentent le principal moyen d'exercer cette surveillance sur le Web.
Permettez-moi de mentionner quelques exemples que nous avons constatés récemment.
Vous avez peut-être entendu parler de Double Click. Double Click est un annonceur Internet. Il affiche des banderoles publicitaires sur les sites Web que vous visitez. Il se sert de témoins pour surveiller les habitudes des usagers d'Internet. Vous n'avez même pas à cliquer sur la banderole publicitaire pour que vos données soient recueillies et surveillées par Double Click. Il vous suffit de vous rendre dans le site Web où se trouve la publicité. Chaque fois que vous le faites, votre visite est signalée à Double Click. Cette entreprise a maintenant une base de données de plus de 100 millions d'internautes.
L'automne dernier, Double Click a acheté une agence de commercialisation en dehors d'Internet. Je dois signaler que les témoins ne contiennent pas de renseignements personnels. L'usager est connu par l'identification de son ordinateur. Double Click a acheté une agence d'étude de marché en dehors du Web, Abacus Direct, dans l'intention de relier les renseignements non personnels provenant du Web aux renseignements personnels détenus par Abacus. Cela a déclenché, du côté des consommateurs, un grand concert de protestations, dont vous avez peut-être entendu parler et qui a conduit Double Click à renoncer à son projet, du moins temporairement.
Deux autres sites Web bien connus, Real Networks et Alexa, une filiale d'Amazon.com, ont également été accusés de relier des renseignements permettant d'identifier les gens avec les données obtenues des usagers du Web. Ces entreprises ont nié ces accusations et ont pris des mesures pour bloquer l'appariement des données, mais c'est seulement à cause des protestations véhémentes des consommateurs et des inquiétudes du public.
Un autre exemple intéressant de ce qui se passe actuellement dans le marché est celui d'une société baptisée Freeatlast.com, un nouveau fournisseur d'accès. Elle a récemment annoncé son intention d'offrir un accès Internet gratuit aux gens qui acceptent d'installer un logiciel qui, comme Double Click, suivra chacun de leurs mouvements sur le Web. Les annonces publicitaires pourront alors cibler ces personnes et tenir compte de leurs préférences.
Cette entreprise assure à ses détracteurs qu'elle ne va pas relier sa liste de noms aux données obtenues par Internet. De toute évidence, elle serait en mesure de le faire.
Ce modèle qui consiste à offrir des services gratuits en échange de renseignements personnels devient de plus en plus fréquent. Il y a lieu de se demander si les consommateurs savent vraiment à quoi ils s'exposent.
Une autre pratique intéressante s'apparente à celle où les agences de commercialisation ne s'aventurent pas dans certains secteurs géographiques parce qu'ils ne sont pas suffisamment rentables ou pour une raison quelconque. En ce qui concerne le Web, les entreprises se servent de vos caractéristiques d'usager d'Internet pour déterminer les choix de produits et de services qu'elles vous offriront et même les prix auxquels elles vous les proposeront. Les stéréotypes géographiques cèdent la place à une segmentation du marché qui se fonde sur toutes sortes de facteurs dont le groupe ethnique, la religion, la race, le sexe et l'âge.
Le risque est que les choix qui nous sont offerts en tant que consommateurs se fonderont sur nos préférences telles qu'elles auront été déterminées par un programmeur et cela, d'après les données nous concernant. Les consommateurs que les agents de commercialisation jugeront les moins intéressants recevront moins d'offres et moins de possibilités.
Je vais laisser de côté la question de la sécurité des données informatiques, car vous êtes sans doute déjà bien au courant. Il ne se passe pas une semaine sans qu'on entende parler de graves atteintes à la sécurité. La semaine dernière, c'était le service Hot Mail de Microsoft qu'il a fallu fermer pendant plusieurs heures en attendant que l'on règle le problème.
Une autre chose intéressera particulièrement ceux d'entre nous qui reçoivent du courriel non sollicité. Il y a de plus en plus d'agences d'enquête qui se spécialisent dans la collecte de données sur certaines personnes et qui les vendent à quiconque est prêt à payer pour les obtenir. L'entête d'un message que je reçois souvent est: «Trouvez n'importe quel renseignement sur n'importe quel usager du Net». On nous dit qu'on peut obtenir le rapport de crédit, les antécédents personnels, l'âge, la description physique, le numéro de téléphone et un état des biens d'une personne. Ces entreprises semblent pouvoir obtenir toutes sortes de renseignements sur quelqu'un. Ces renseignements sont certainement très utiles pour les créanciers qui essaient de retrouver des débiteurs récalcitrants, mais des harceleurs peuvent également s'en servir pour retrouver leur victime, comme cela s'est passé dans le cas d'une femme du New Hampshire qui a été tuée l'automne dernier.
Ce genre de choses pose également le problème du vol d'identité. Nous assistons, ce qui n'a rien d'étonnant, à une nouvelle vague de vols d'identité étant donné que les sites Internet permettent d'accéder facilement à des renseignements financiers détaillés et autres renseignements personnels.
Comment résoudre le problème? Bien des gens disent qu'aucune vie priée n'est possible sur le Web; qu'il faut simplement s'y habituer et essayer de trouver des moyens technologiques d'y remédier.
Il existe en fait, trois tactiques différentes, qui sont toutes complémentaires et nécessaires, mais dont aucune n'est suffisante.
Il y a la solution technologique. Je n'en parlerai pas en détail étant donné que M. Rosenberg l'a déjà fait. Le plus simple est de configurer votre fureteur de façon à ce qu'il vous signale lorsque vous recevez un témoin. Les usagers ont plusieurs logiciels et outils à leur disposition, dont le meilleur est Freedom de Zero-Knowledge Systems. Freedom. Zero-Knowledge Systems est une entreprise montréalaise très prometteuse. Elle offre un système de chiffrement qui vous permet de rester entièrement anonyme pendant que vous naviguer sur le Net et que vous envoyer du courriel. Sa limitation est que, lorsque vous voulez faire une transaction, vous devez révéler votre identité. Ce logiciel ne présente donc aucun intérêt pour les consommateurs qui veulent faire des transactions.
La deuxième solution est celle des codes de pratique volontaires, l'autoréglementation de l'industrie. Cette semaine, plusieurs des principaux fournisseurs d'accès des États-Unis ont lancé un grand défi à leurs collègues en disant: «Unissons-nous. Faisons la loi dans la collecte des données et montrons au gouvernement que nous pouvons nous réglementer nous-mêmes». Malheureusement, comme M. Rosenberg l'a souligné, les résultats montrent que cette autoréglementation n'est pas suffisante.
Pour ce qui est de la politique à l'égard de la protection des renseignements personnels, un récent sondage auprès des internautes a révélé que 38 p. 100 seulement d'entre eux trouvaient la plupart de ces politiques faciles à comprendre. Qu'elles soient compréhensibles ou non, la plupart d'entre elles sont incomplètes et inadéquates. Elles ne sont certainement pas à la hauteur de notre nouvelle loi. D'autre part, les études démontrent que de nombreux sites ne se conforment même pas à leur propre politique à cet égard.
La troisième solution réside dans la législation. Il faut certainement légiférer pour compléter l'autoréglementation et guider la technologie et le marché vers des pratiques souhaitables et acceptables en ce qui concerne l'utilisation de l'information.
C'est une réalité que l'on reconnaît maintenant aux États-Unis. M. Rosenberg a fait allusion aux initiatives de la FTC. Pas plus tard que la semaine dernière, la Commission a publié une règle exigeant que les institutions financières au sens large du terme avertissent leurs clients de la collecte de renseignements personnels et leur laissent le choix quant à l'utilisation qui peut être faite de ces données. Le président Clinton a annoncé son intention de légiférer pour protéger les renseignements personnels afin de donner aux consommateurs un plus grand contrôle sur leur vie privée.
Avec l'adoption récente du projet de loi C-6, le Canada est certainement en avance par rapport à son principal partenaire commercial. Nous devrions en profiter. Le gouvernement mérite d'être félicité de cette initiative.
Je formulerai mes recommandations après avoir dit quelques mots au sujet de la mise en oeuvre du projet de loi C-6 et parlé brièvement du contexte international.
La présidente: Pourriez-vous le faire par écrit, madame Lawson? Nous aimerions avoir un peu de temps pour poser quelques questions.
Mme Lawson: Oui. Mes 10 minutes sont-elles terminées?
La présidente: Oui, vous en êtes à 12 minutes.
Mme Lawson: Je vais seulement passer à mes recommandations.
Ces recommandations portent principalement sur la mise en oeuvre du projet de loi C-6 et ce que le Canada peut faire dans le contexte international.
Nous recommandons tout d'abord que le Commissaire à la vie privée obtienne des ressources financières suffisantes pour faire connaître la nouvelle Loi sur la protection des renseignements personnels, éduquer le public, obtenir que la Loi soit respectée et poursuivre ceux qui l'enfreignent. La Loi ne sera pas efficace si le gouvernement n'y consacre pas l'argent nécessaire.
Deuxièmement, nous recommandons de surveiller de près l'efficacité de la nouvelle Loi pendant les cinq prochaines années, et de la soumettre à un réexamen du Parlement dans cinq ans.
Troisièmement, nous recommandons d'établir un fonds, peut-être en tant que nouvelle composante du programme de contestation judiciaire existant, pour aider les plaignants à exercer leurs droits et faire appliquer la loi en intentant des actions en justice si nécessaire. Le projet de loi C-6 est un modèle basé sur les plaintes. Au lieu que ce soit le gouvernement qui intente des poursuites et fasse appliquer la loi de toute façon, il incombe au consommateur de porter plainte devant les tribunaux. Les gens n'en auront pas les moyens.
Enfin, nous recommandons que le Canada joue un rôle de chef de file dans l'élaborations de normes internationales pour la protection des renseignements personnels par l'entremise de l'ISO, l'Organisation internationale de normalisation. Nous avons un modèle qu'il vaut la peine d'appliquer à l'échelle internationale. J'espère que le Canada se saisira de cette possibilité.
La présidente: Nous comptons bien lire votre mémoire.
Le sénateur Finestone: Je tiens d'abord à vous remercier tous les deux pour vos excellents exposés. Je vous remercie également de votre patience étant donné le programme très chargé que nous avons aujourd'hui.
En ce qui concerne la protection internationale des données dont vous venez de parler, vous ne voyez pas de problème de ce côté-là. Voulez-vous dire que notre projet de loi C-6 devrait être un modèle international?
Mme Lawson: Oui. Je veux parler, en fait, du code international CSA sur lequel se fonde le projet de loi C-6. Nous avons une norme internationale pour la protection des renseignements personnels qui a été reprise mot pour mot dans la nouvelle loi.
Le sénateur Finestone: Si j'ai bien compris, lorsque vous parliez de protéger le consommateur, que ce soit à l'égard des témoins ou des autres mécanismes de collecte de renseignements, Grand frère sait quels sont les sites que j'ai fréquentés et ce «Grand frère» se trouve être les grandes entreprises commerciales du pays. Vous ne voyez pas d'inconvénient à proposer ce modèle au reste du monde? Je ne comprends pas.
Mme Lawson: Non, je ne pense pas que nous en soyons déjà là. Je ne pense pas que nous nous conformions déjà à notre propre loi.
Le sénateur Finestone: Ne serait-il pas souhaitable d'attendre cinq ans, pour voir où sont les grosses lacunes et les erreurs et quels sont les problèmes pour lesquels les gens devront aller devant les tribunaux parce que le milieu des affaires n'aura pas voulu respecter leurs droits individuels et leurs droits humains?
Mme Lawson: Cela soulève deux questions différentes. D'une part, il s'agit de s'entendre sur des normes de protection minimums et de l'autre, de faire appliquer la loi.
Au niveau international, nous devons nous entendre sur ces normes minimums. L'Europe a pour attitude de dire: «Nous n'échangerons pas de données avec les pays qui ne satisfont pas à nos propres normes». L'organisation de normalisation européenne est en train d'établir ses propres normes. Le problème est que la norme internationale sera fondée sur la norme européenne.
Pour le moment, nous n'avons pas de mauvaises normes. Je suis d'accord pour dire que le défi à relever est énorme sur le plan de l'application de la loi, même chez nous. Nous devons convaincre les autres pays, comme les États-Unis, qu'il s'agisse d'une norme minimum qui ne devrait jamais être considérée comme une barrière commerciale, par exemple.
Le sénateur Finestone: C'est une autre question. J'ai l'impression que le gouvernement s'imagine avoir réglé tous les problèmes de la société concernant la protection de la vie privée avec le projet de loi C-6. C'est ce qu'on m'a dit. On a l'impression que nous n'avons plus à nous inquiéter -- et M. Rosenberg peut également répondre à cela -- que notre vie privée est maintenant protégée. M. Rosenberg a été plus affirmatif pour dire que notre vie privée n'est pas protégée à bien des égards, mais je voudrais comprendre votre point de vue.
Mme Lawson: Je crois que l'efficacité du projet de loi C-6 soulève des questions bien réelles. Voilà pourquoi nous devons surveiller son application. Nous devons établir, par exemple, si le projet de loi C-6 réglemente adéquatement l'utilisation des témoins étant donné qu'ils ne recueillent pas de renseignements permettant d'identifier les gens.
Le sénateur Finestone: Que pensez-vous du fait que nous nous tournons toujours vers la programmation américaine, par exemple NBC, ABC, CBS, les radiodiffuseurs privés, et cetera. Comment faire?
Mme Lawson: Je ne peux pas répondre à cela pour le moment. Cela soulève plusieurs questions. Une critique légitime qui peut être portée à l'endroit du projet de loi C-6 est que son code ne nous garantit pas que le consommateur va consentir à une utilisation secondaire de ses renseignements personnels de façon vraiment volontaire et en étant suffisamment informé. Nous devons veiller à ce que les exceptions prévues telles que la divulgation pour le recouvrement des créances ne se révèlent pas être d'énormes échappatoires.
Je suis d'accord pour dire que notre loi n'est pas parfaite. C'est un premier pas et un premier essai. Nous craignons peut-être de faire adopter ces normes au niveau international, mais cela vaut mieux que de ne rien faire. Cela vaut beaucoup mieux que ce que nous voyons aux États-Unis.
M. Rosenberg: Lorsque j'ai témoigné devant le comité permanent, j'ai souligné -- même si je ne m'attendais pas à ce qu'on en tienne compte -- que le code CAS a été conçu au départ pour que l'industrie l'adopte volontairement. Plusieurs organismes se sont réunis pour établir ce code. Il s'agissait d'un vaste éventail d'organismes, par exemple des gouvernements, des banques et des groupes de consommateurs. Comme le code devait être adopté sur une base volontaire, il formulait un tas de recommandations quant à ce que les gens et les entreprises devaient faire. Il n'a pas été modifié sur ce plan-là.
J'ai fait valoir que, lorsque le code dit «devrait» la plupart du temps, il faudrait dire «doit». Je suis curieux de voir ce qui se passera lorsque la loi sera mise en oeuvre en janvier et si les entreprises l'appliqueront, autrement dit, si tous les «devrait» deviendront des «doit». Si ce n'est pas le cas, la protection sera beaucoup plus limitée. Le Commissaire à la vie privée a pour rôle de veiller à ce que le code soit respecté. Une partie de son mandat consiste à examiner, de son propre chef, comment les entreprises présenteront leur code et comment elles respecteront ce code. Si la plupart des entreprises estiment qu'elles doivent faire tout ce qu'elles «devraient» faire, autrement dit, qu'elles ne peuvent pas choisir de faire certaines choses, mais pas d'autres, la protection sera efficace. Néanmoins, dans le cas contraire, elles n'enfreindront pas la loi en faisant le minimum, c'est-à-dire en faisant des choses qui donneront l'impression qu'elles s'acquittent de leurs responsabilités.
Depuis des années que je m'intéresse à la protection de la vie privée, j'ai vu que l'industrie voulait donner l'impression qu'elle se soucie du problème sans vraiment s'en préoccuper.
Le sénateur Finestone: Hier, Richard Simpson et Doug Hull ont comparu devant le comité. Ils avaient l'impression que, si les entreprises voulaient faire des affaires, elles devraient gagner la confiance du public et s'assurer que les gens qui achètent leurs produits éprouvent ce sentiment de confiance. Par conséquent, nous n'avons pas à nous inquiéter. Tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes. Tout se fera volontairement. Si vous êtes un homme d'affaires, vous chercherez volontairement des moyens de convaincre vos clients notamment en gagnant leur confiance. Les grandes entreprises le feront peut-être et, si c'est vrai, c'est une chose que nous pourrons vraiment apprécier, mais je ne pense pas qu'on puisse faire confiance au monde entier. Je ne suis peut-être pas très confiante en ce qui concerne la protection de la vie privée. J'ai l'impression que ce n'est pas la bonne façon d'assurer le droit à la sécurité de sa personne et la sécurité des renseignements personnels et de faire respecter l'obligation d'obtenir un consentement éclairé.
Nous avons entendu cet argument au sujet du projet de loi C-6. Les renseignements que vous possédez sur moi sont comme l'argent que j'ai confié à ma banque ou à ma compagnie d'assurance. Vous ne pouvez pas utiliser mon argent sans que je donne mon plein consentement en toute connaissance de cause, car ce serait trahir ma confiance. Pourquoi serait-ce différent pour mes renseignements personnels? J'ai l'impression que nous avons là un véritable problème.
À moins que vous ne vouliez revenir sur cette question, j'ai une autre préoccupation que je voudrais soulever avec vous.
Mme Lawson: Je ne pense pas que l'approche des droits humains soit incompatible avec la protection des données, le modèle pratique. Je crois qu'en fait les deux doivent progresser ensemble.
Nous sommes également tout à fait pour votre initiative, sénateur. Il est indispensable de considérer la protection de la vie privée et des renseignements personnels comme un droit humain. C'est essentiel à notre individualité, notre autonomie et notre dignité. Nous n'avons pas abordé ce sujet aujourd'hui, mais nous aurions pu y consacrer tout le temps qui nous était alloué.
M. Rosenberg: Mme Lawson a mentionné Double Click. Lorsqu'on a découvert ses activités, Double Click a répondu qu'elle regrettait beaucoup, comme si elle ne s'était pas rendu compte que ce qu'elle faisait risquait d'être mal interprété. Cela a été très bien interprété. Tout le monde a compris exactement ce qu'elle faisait. Intel a fait en sorte que le numéro d'identification de votre ordinateur fasse partie de votre identification, sous prétexte que c'était un moyen de récupérer les ordinateurs volés. La compagnie n'a pas semblé comprendre que c'était également un moyen de révéler l'identité de l'usager.
Cela se produit constamment. Je partage certaines de vos inquiétudes à ce sujet. Depuis des années que je m'intéresse à la question, la plupart des entreprises -- et je tiens à le répéter -- se soucient seulement de l'apparence. Elles veulent donner l'impression qu'elles se soucient de la vie privée des gens et qu'elles en tiennent compte. C'est ce qu'elles disent toujours parce que c'est bon pour leurs affaires.
La question n'est toujours pas réglée. Pourquoi voit-on tellement d'exemples de violations de la vie privée si le milieu des affaires est conscient du problème?
Le sénateur Finestone: Je vous remercie de cette observation.
Je voudrais parler du vol d'identité, mais tout d'abord, je suis d'accord avec ce que vous avez dit au sujet des enfants. Les recherches nous révèlent que des enfants de cinq ans se servent d'Internet et que les sites auxquels ils ont accès ont de quoi nous préoccuper vivement. En fait, les parents ont l'obligation de surveiller ce que regardent leurs enfants.
Tout le problème de la pornographie, de l'homophobie, de la négrophobie, de l'islamophobie, de l'antisémitisme, et cetera, se retrouve sous les yeux de nos enfants. Les parents ne peuvent pas les surveiller 24 heures sur 24. Ils ne savent pas où leurs enfants se rendent sur le Web.
Je me réjouis d'apprendre qu'il existe des logiciels permettant de limiter l'accès des enfants à Internet. Je vais lire attentivement vos observations au sujet des enfants.
M. Rosenberg: Dans ce domaine, je suis pour la liberté d'expression. Je suis conscient du problème, mais je m'inquiète des méthodes utilisées pour y remédier. Lors des deux derniers symposiums B'nai Brith, j'ai parlé des messages haineux diffusés sur Internet et des divers moyens d'y remédier. J'ai été invité à prendre la parole en tant que défenseur de la liberté d'expression inconscient de la gravité de la menace. On m'a quand même donné la parole.
C'est un problème très complexe. Il existe des logiciels de filtrage pour les contenus douteux, mais de sérieux problèmes se posent au sujet de la qualité de ces produits et des intentions des fabricants.
L'utilisation de ces logiciels dans les lieux publics comme les bibliothèques ou les centres communautaires pose également un problème. Une fois qu'on décide de se servir de ce genre de logiciel, on fait des choix implicites quant à ce qui sera bloqué. Dans bien des cas, les usagers ne savent pas quels seront les sites fermés, car les listes changent quotidiennement. D'après la description d'un logiciel, vous ne pouvez pas savoir ce qui sera bloqué.
Je tiens à ce que les gens soient parfaitement au courant. Peu m'importe s'ils décident d'utiliser ce genre de logiciel, mais je poserais deux questions. D'abord, savez-vous ce que fait ce logiciel? Deuxièmement, s'il doit être utilisé dans un lieu public, n'allez-vous pas créer des citoyens de deuxième classe, des gens qui ne peuvent pas accéder à des choses que ne sont peut-être pas jugées acceptables, mais qui ne sont pas illégales en vertu du Code criminel?
Le sénateur Finestone: Le Canada a des lois. Dans une société sans frontière, comment ces lois s'appliquent-elles? Nous avons recensé 2 200 messages racistes et haineux, plus des instructions pour faire des bombes, des messages de skinheads et tout le reste. Nous avons des lois contre la propagande haineuse. Nous avons des lois contre le racisme. Nous avons de nombreuses lois constructives qui reflètent les valeurs canadiennes et qui établissent certaines valeurs communes.
Vous vous dites pour la liberté d'expression. Je ne suis pas pour la liberté d'expression totale. Je suis pour un certain contrôle de l'information. Pour ce qui est du reste, vous pouvez vous battre à votre façon.
M. Rosenberg: Je reconnais l'importance du Code criminel. Je n'inciterais jamais ou je ne permettrais pas aux gens d'enfreindre le Code criminel. C'est notre loi comme vous avez raison de le dire. En tant que société, le Canada a choisi d'intégrer ses valeurs dans ses lois. Ces lois existent.
Le sénateur Finestone: Pouvons-nous respecter les lois dans une société sans frontière?
M. Rosenberg: C'est très difficile. L'application des lois est une toute autre question. Lorsque j'en parle, les gens disent que je n'ai pas de principes, que je suis trop pragmatique. J'ai des principes, mais le pragmatisme c'est la réalité. Il est très difficile à l'échelle internationale d'obliger les sites établis à l'étranger à respecter les règles. Il est extrêmement difficile de limiter l'accès à ces sites.
Le sénateur Finestone: Pourriez-vous nous parler du vol d'identité et de ses répercussions en ce qui concerne les décisions américaines à ce sujet. Dans le cas de prodigy.com, à New York, les décisions ont été très différentes de celles qui ont été prises par les tribunaux britanniques au sujet des fournisseurs d'accès et du vol d'identité. Aux États-Unis, on a estimé que l'entreprise n'était pas responsable des énormes factures qui en ont résulté et c'est la victime qui a dû payer. Au Royaume-Uni, c'est l'entreprise qui a été tenue responsable.
Que pensez-vous du vol des noms de domaine? Comment pouvons-nous y remédier? Existe-t-il un droit de recouvrement pour les noms et les créances?
M. Rosenberg: J'aurais deux choses à dire. Dans mon exposé, je cite une chronique récente de William Saffire dans le New York Times. Deuxièmement, cette situation n'est pas très différente de celle qui existe dans le monde réel, si vous considérez Internet comme le monde virtuel.
Il y a quelques années, j'ai reçu vers 8 heures du matin un appel de l'émetteur de ma carte de crédit, la Banque de Montréal, me demandant si j'étais allé récemment en Californie. Lorsque j'ai répondu non, on m'a dit que quelqu'un avait dépensé des milliers de dollars en Californie sur ma carte de crédit. La Banque de Montréal était responsable de ces dettes.
Les cartes de crédit sont extrêmement vulnérables au vol. Lorsque vous donnez votre carte de crédit à quelqu'un qui part pour en prendre l'empreinte, vous ne savez jamais si cette personne ne fait pas autre chose avec. Vous ne savez pas si les fraudeurs n'ont pas des complices au sein des sociétés émettrices étant donné qu'il ne sert à rien de voler une carte de crédit dont la limite est faible.
Ces risques existent. Personne ne vous demande de pièces d'identité supplémentaires lorsque vous utilisez une carte de crédit. Il est également risqué d'utiliser votre carte de crédit au téléphone. Le commerce électronique a été ralenti par l'hésitation des gens à fournir leur numéro de carte de crédit sur Internet. Bien des gens ne pensent pas que l'Internet soit très sûr et ils ont raison. On est en train de mettre au point de meilleures méthodes de chiffrement et c'est la seule solution.
Pour ce qui est des responsabilités, rien ne nous empêche d'appliquer partout le modèle en vigueur pour l'utilisation des cartes de crédit.
La présidente: Si nous avons des questions supplémentaires, pouvons-nous vous les transmettre, peut-être par courriel? Nous vous remercions pour ces exposés qui nous seront très utiles.
La séance est levée.