Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches
Fascicule 4 - Témoignages
OTTAWA, le mardi 22 février 2000
Le comité sénatorial permanent des pêches se réunit aujourd'hui à 19 heures pour étudier des questions relatives à l'industrie des pêches.
Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président: Avant de demander à M.Bastien de présenter ses collègues et de nous livrer ses commentaires, j'aimerais présenter M. Yves Bastien. Il a été nommé premier commissaire au développement de l'aquiculture du Canada le 17 décembre 1998. Le commissaire est responsable, au nom du gouvernement fédéral, du développement de l'industrie de l'aquiculture au Canada. M. Bastien possède une vaste expérience en aquiculture, en gestion de projet et de ressources fauniques et aquatiques. Il a travaillé au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, à titre d'agent de développement de l'aquiculture, de coordonateur des services de vulgarisation pour les pêches et l'aquiculture et de coordonnateur spécialiste de la «mariculture». Avant sa nomination à ce poste, M. Bastien a été directeur de la Société de développement de l'industrie «maricole» dans la péninsule gaspésienne et aux Îles-de-la-Madeleine. Il a été membre de divers conseils d'administration dont ceux de l'Association aquicole du Canada, de l'Alliance de l'industrie canadienne de l'aquiculture et de la World Aquaculture Society. Il a été président de l'Association aquicole du Canada. Il a participé à diverses missions d'étude sur la salmoniculture en Scandinavie et sur l'élevage des pétoncles au Japon. Les membres du comité vont pouvoir poser des questions et M. Bastien sera en mesure de leur répondre. Cela étant dit, j'aimerais demander à M. Bastien de présenter ses collègues et de nous donner ses commentaires.
M. Yves Bastien, commissaire au développement de l'aquiculture: Monsieur le président, je voudrais tout d'abord exprimer au comité toute mon appréciation pour votre initiative de rencontrer les membres du gouvernement ainsi que les principaux intéressés de l'industrie pour mieux comprendre les défis et les contraintes qui confrontent le développement de l'aquiculture au Canada.
J'ai pris connaissance des paramètres de votre travail. J'applaudis vos objectifs et votre désir de mieux connaître cette industrie passionnante, son évolution et comment nous pouvons l'aider à croître à l'avenir. S'il y a la moindre chose que je puisse faire pour vous aider dans votre démarche, soyez assurés que je la ferai avec plaisir.
J'aimerais vous présenter M. Jack Taylor, directeur général par intérim au Bureau du commissaire au développement de l'aquiculture. Il a été le premier membre de mon équipe, une semaine après mon arrivée à Ottawa, à se joindre à moi pour commencer à remplir mon mandat. Le docteur Myron Roth, vice-président à la production et à la réglementation chez Aqua Health Ltd. nous accompagne ce soir pour nous aider à faire la lumière sur la santé et les maladies des poissons, l'utilisation des médicaments et sur toute autre question que vous pourriez avoir.
Comme vous le savez peut-être, j'ai été nommé commissaire au développement de l'aquiculture en décembre 1998. J'ai entrepris mon mandat de trois ans le 25 janvier 1999. J'occupe donc ce poste depuis un peu plus d'un an.
[Traduction]
Je voudrais vous décrire le contexte actuel de l'aquiculture au Canada. J'ai apporté un tableau chronologique des mesures prises par le gouvernement fédéral pour favoriser le développement de l'aquiculture, tableau que vous devriez déjà avoir en votre possession.
Les chercheurs du MPO ont établi la base scientifique qui, dans les années 70 et 80, a contribué à développer l'industrie aquacole au Canada et dans d'autres pays. En 1983, le MPO et le Conseil des sciences du Canada organisaient la première conférence nationale sur l'aquiculture. En 1984, le premier ministre attribuait au MPO le titre de principale agence responsable du développement de l'aquiculture, alors que l'industrie était évaluée à 7 millions de dollars. En 1986, les premiers ministres s'entendaient sur une déclaration de principes et un énoncé d'objectifs nationaux visant le développement de l'aquiculture. De 1986 à 1989, des protocoles d'entente, ou PE, délimitant les responsabilités entre paliers de gouvernement étaient négociés et signés avec six provinces et un territoire. Suivait la création de comités chargés de la mise en oeuvre de ces PE. En 1988, le Comité permanent des pêches et des océans publiait un rapport intitulé: «L'aquiculture au Canada», qui recommandait que le ministre des Pêches et des Océans assume un rôle proactif dans le développement de l'aquiculture au Canada.
En 1990, le MPO adoptait une stratégie pour le développement de l'aquiculture. En 1992, il nommait un directeur de la politique aquacole pour promouvoir le développement de l'aquiculture à l'intérieur même du MPO et du gouvernement fédéral. Peu après, des comités directeurs ministériels et interministériels étaient mis sur pied, suivis par le premier forum canadien de planification de l'aquiculture, tenu à Montréal. Cette assemblée, qui réunissait des intervenants de l'industrie et du gouvernement, formula 47 recommandations stratégiques devant être mises en oeuvre par l'industrie et le gouvernement.
En 1993, le deuxième forum canadien de planification de l'aquiculture jetait les grandes lignes d'une politique destinée à permettre le développement de l'aquiculture. Ce forum mena à l'élaboration de la stratégie fédérale de développement de l'aquiculture, la SFDA, avec le soutien et la collaboration de l'industrie, des provinces et de 17 ministères fédéraux et agences.
Je tiens à signaler que la valeur du saumon de culture a dépassé, cette année-là, la valeur des saumons sauvages capturés, annonçant le début d'une ère nouvelle dans la production de poisson.
1994 voyait le lancement d'une vaste consultation sur la SFDA impliquant plus de 350 intervenants aquicoles de tout le Canada et du monde. Le MPO commandait également un sondage national qui révélait que le public appuyait toute démarche en faveur du développement de l'aquiculture. Plus tard cette année-là, le Cabinet approuvait la SFDA et reconfirmait le MPO dans son rôle de principale agence responsable. Toutefois, le développement de l'aquiculture ne fut pas considéré comme une activité importante dans le cadre de l'examen des programmes, de sorte que peu de ressources furent attribuées au secteur ou à la SFDA.
En 1995, le ministre Tobin lançait la SFDA, qui était reconnue comme un jalon par l'industrie et les parties intéressées. Au moment où étaient instaurés les comités de mise en oeuvre de l'aquiculture, le MPO abolissait son poste de directeur responsable de la politique aquacole, faute de ressources. De 1995 à la fin de 1996, la mise en oeuvre de la SFDA connaissait de nouveaux ralentissements en raison de l'absence de ressources. Durant cette période, le MPO décidait de se retirer de l'aquiculture en eau douce, entraînant du coup le ralentissement du développement de l'aquiculture dans les régions arctique et centrale, et la fermeture du programme de R-D dans la région laurentienne. Cette situation s'est produite au moment où l'aquiculture représentait plus de 17 p. 100 de la valeur des pêches canadiennes, alors qu'elle recevait moins de 1 p. 100 des ressources du MPO. Encore plus significatif est la mise sur pied, par le premier ministre, du groupe de travail du caucus libéral sur l'aquiculture, qui concluait que nous avions l'obligation, comme gouvernement, de favoriser et de promouvoir activement l'aquiculture.
En 1997, le gouvernement libéral annonçait qu'il s'engageait à appuyer le développement de l'aquiculture, alimentant ainsi les attentes dans le secteur, vu le haut niveau d'attention politique que recevait l'industrie. Cette année là, la valeur du saumon de culture dépassait pour la première fois la valeur des saumons sauvages capturés, favorisant ainsi l'essor continu de l'industrie.
À la suite de la nomination, en 1998, de M. Gilbert Normand comme secrétaire d'État à l'agriculture, aux pêcheries et à l'alimentation, le secteur recevait une attention renouvelée et des promesses d'appui. Cette année-là, l'industrie aquacole était évaluée à 500 millions de dollars; elle représentait 26 p. 100 de la valeur totale de poisson et de fruits de mer produits au Canada.
En 1999, j'étais nommé commissaire au développement de l'aquiculture. La création de ce poste devait, encore une fois, faire monter les attentes dans le secteur. En août 1999, Herb Dhaliwal était nommé ministre des Pêches et des Océans. Il annonçait immédiatement que le développement d'une aquiculture durable constituait, pour lui, une priorité.
Donc, compte tenu de tous les événements que je viens de vous décrire, vous comprendrez si je vous dis que l'industrie aquacole attend avec impatience que le geste suive enfin la parole.
La Stratégie fédérale de développement de l'aquiculture est une démarche valide. Les espérances étaient grandes quand elle fut lancée, en 1995. Malheureusement, la plus grande partie de la stratégie reste à être mise en oeuvre. Ce retard s'explique avant tout par un manque de ressources, humaines et financières. Résultat: nous nous retrouvons aujourd'hui dans les mêmes circonstances qu'en 1995, 1990 ou même 1985.
Les défis auxquels l'industrie fait face ont été cernés. Le rôle du gouvernement a été énoncé. Des solutions ont été proposées. Elles ont reçu l'appui et la collaboration de l'industrie, des provinces et de 17 ministères fédéraux et agences. Le consensus qui s'est dégagé de la Table ronde nationale sur l'aquiculture, tenue en juin dernier, était clair: il faut agir!
Le Bureau du commissaire au développement de l'aquiculture s'est donné trois priorités. D'abord, entreprendre un examen des lois et règlements régissant l'industrie; ensuite, améliorer la perception qu'ont les Canadiens du développement de l'aquiculture; enfin, établir des ponts entre les secteurs de la pêche et de l'aquiculture, et favoriser l'intégration de l'industrie de production du poisson et de produits de la mer.
L'examen des lois et règlements progresse bien, et nous prévoyons toujours proposer au ministre des Pêches et des Océans, au printemps de l'an 2000, un cadre légal approprié régissant l'aquiculture au Canada.
Les Canadiens appuient, en général, le développement de l'aquiculture. C'est ce que révèlent les sondages d'opinion menés en 1994 par Angus Reid, et en 1999 par Mark Trend, pour la Colombie-Britannique seulement. Mais il y a beaucoup de fausses idées véhiculées par les médias concernant l'aquiculture, et surtout la salmoniculture. Je trouve cela inquiétant. Il en va de même pour l'industrie. Ce négativisme n'est pas justifié, et ne favorise guère le rapprochement des parties et la recherche de solutions aux problèmes réels ou perçus.
Ma seconde priorité est de fournir de l'information objective sur l'aquiculture aux Canadiens et aux décideurs qui ont la capacité de favoriser, ou de freiner, l'essor de l'industrie. Le lancement récent de notre site Internet constitue un premier pas dans cette direction, et cette initiative a été fort bien accueillie par l'industrie et le gouvernement. Le site Internet a été officiellement lancé à Victoria, en Colombie-Britannique, lors de l'assemblée annuelle de l'Association aquicole du Canada, en octobre. Nous voyons grand avec cet outil de communication, et nous comptons nous en servir pour offrir une porte d'entrée à toutes les ressources électroniques disponibles sur le Web. J'espère que vous prendrez le temps de le visiter et de consulter le matériel que nous y présentons.
L'aquiculture et la pêche ont développé une étrange relation au Canada. Plutôt que d'être perçues comme des activités complémentaires ayant un objectif commun--de fournir poisson et fruits de mer à un marché en expansion--elles se sont polarisées, convaincues que nous ne pouvons maintenir l'une et l'autre. Cela n'a aucun sens. J'ai voyagé dans d'autres pays où l'on ne fait aucune distinction entre la pêche et l'aquiculture. Ces activités sont considérées comme un secteur de production, une seule et même industrie.
Le Japon, par exemple, cherche à intégrer l'aquiculture et la pêche depuis le début des années 60, en privilégiant au départ la reproduction des espèces, l'ensemencement ou la mise à l'eau de juvéniles pour favoriser les pêches côtières. Aujourd'hui, le Japon, grâce à des techniques aquicoles, ou le pacage marin, effectue des recherches sur plus de 80 espèces. Des progrès notables ont été réalisés avec le pétoncle, le carrelet, la dorade, la crevette, l'oursin et l'ormeau.
Favoriser l'établissement de partenariats entre l'aquiculture et le secteur de la pêche constitue ma troisième priorité. Nous prévoyons, dans un premier temps, entreprendre une étude contractuelle du potentiel qu'offrent ces technologies au Canada. Notre rapport devrait être disponible sur notre site Internet en mars. Les résultats de l'étude seront transmis aux parties intéressées, conformément à la stratégie globale de communication que le BCDA est en train d'élaborer.
Par ailleurs, le BCDA collabore de près avec le ministère sur toutes les questions liées à l'aquiculture. L'an dernier, le MPO a lancé plusieurs initiatives importantes afin de combler les retards enregistrés dans la mise en oeuvre de la SFDA, et afin d'assumer pleinement son rôle de principale agence fédérale en matière d'aquiculture.
On peut résumer ces initiatives comme suit: création d'une direction de l'aquiculture; lancement d'un examen en profondeur de la politique aquacole et mise sur pied de comités consultatifs; participation à l'examen du cadre légal régissant l'aquiculture; mise sur pied de deux tables rondes nationales sur l'aquiculture; révision du mandat du Conseil canadien des ministres des Pêches, tel qu'attesté par sa nouvelle appellation: Conseil canadien des ministres des Pêches et de l'Aquiculture; création du groupe de travail sur l'aquiculture sous l'égide du CCMPA; instauration d'un mécanisme de coordination entre le ministère et mon bureau pour assurer une collaboration soutenue entre le sous-ministre associé, le sous-ministre adjoint responsable de politiques et moi-même.
Ces initiatives représentent une avancée majeure pour le ministère au chapitre de la mise en oeuvre de la SFDA et de la recherche de solutions aux problèmes et besoins du secteur de l'aquiculture. Toutefois, ces initiatives n'ont pas encore produit de résultats concrets pour ce qui est de l'établissement d'un nouveau cadre réglementaire, et de l'adoption de politiques nouvelles et d'attitudes positives à l'égard de l'aquiculture. Jusqu'à ce que cela se produise, nous ne pourrons confirmer que le ministère assume pleinement son rôle en tant que principale agence en matière d'aquiculture.
Le défi du ministère consiste à intégrer avec succès ce rôle d'agence principale à son mandat de protection des ressources sauvages et des océans. Selon moi, cette intégration sera achevée quand les 9 000 employés du ministère seront convaincus que l'aquiculture ne produit pas plus d'impacts négatifs sur l'environnement que les pêches et, que l'aquiculture représente la seule alternative valable pour atteindre l'objectif de durabilité dans l'ensemble du secteur des pêches. L'aquiculture représente la solution logique au déclin des ressources sauvages, et contribuera à réduire la pression sur ces dernières.
Le vrai défi est donc de cibler l'aquiculture comme priorité nationale, et d'allouer à ce secteur les ressources nécessaires à son développement pour qu'il devienne rapidement un modèle de développement durable, tout en générant des retombées économiques importantes pour les collectivités côtières et rurales.
Le ministre Herb Dhaliwal prône le développement d'une industrie aquicole rentable et respectueuse de l'environnement. Grâce à l'expérience qu'il a acquise dans le secteur privé, il connaît bien les avantages que présente le développement d'entreprises prospères. Il aime opérer par consensus, ce qui est un atout particulièrement important pour un secteur qui est réglementé par deux et même trois paliers de gouvernement, ce qui entraîne plusieurs situations conflictuelles.
Nous avons absolument besoin de ressources nouvelles pour appuyer le travail de collaboration entrepris par les deux paliers de gouvernement et l'industrie de l'aquiculture en vue de régler les problèmes environnementaux légitimes, et pour mettre en place les mécanismes requis -- respect des normes environnementales, choix des meilleurs emplacements, codes de bonne pratique, ainsi de suite -- pour évaluer et contrôler adéquatement les impacts sur l'environnement. Plus important encore, nous avons besoin de ces ressources pour adopter des mesures d'atténuation et trouver les solutions techniques qui contribueront à réduire les impacts sur l'environnement. Il convient de souligner que, de manière générale, ces impacts sont déjà minimes en comparaison avec ceux produits par plusieurs activités humaines ou industrielles ouvertement tolérées.
L'autre aspect du défi est de communiquer ce message aux médias, à tous les Canadiens et aux fonctionnaires des deux paliers de gouvernement.
Plusieurs pêcheries du monde sont à la veille d'excéder ou ont déjà dépassé leur rendement maximum viable. En plusieurs endroits, des mesures de conservation strictes restreignent la capture de poissons sauvages. L'aquiculture est désormais l'activité de production alimentaire affichant la plus forte croissance dans le monde. La demande pour le poisson, les crustacés et les mollusques dépassent la ressource sauvage disponible, laissant à l'aquiculture la responsabilité de suppléer à la différence. Pour relever ce défi, l'aquiculture s'est développée mondialement au rythme moyen de 12 p. 100 par année au cours de la dernière décennie, alors que certaines régions atteignaient des taux de croissance annuelle de 20 p. 100.
L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture -- la FAO -- prédit que l'aquiculture connaîtra une croissance soutenue pour les dix à quinze prochaines années. Il est prévu que la production aquicole totale atteindra de 35 à 40 millions de tonnes de poissons, crustacés et mollusques en l'an 2010, ou de 35 à 40 p. 100 de la production mondiale, en poids. La FAO prédit également que jusqu'à 40 p. 100 des recettes générées par la vente de poissons sur les marchés internationaux pourraient provenir de l'aquiculture.
Avec ses 244 000 kilomètres de côtes le long des océans Pacifique, Arctique et Atlantique et ses abondantes ressources en eaux douces, le Canada possède un potentiel aquicole énorme. En plus de nos ressources en eaux douces et marines, nous possédons l'infrastructure scientifique et technologique, les entrepreneurs et les marchés en développement pour créer une industrie solide et respectueuse de l'environnement. Nous pourrions, en y engageant suffisamment de ressources, reprendre notre rang d'important producteur mondial de poissons, rang qui décline depuis les années 50.
En conclusion, notre Programme de partenariat en aquiculture est un nouveau programme auquel 600 000 dollars sont affectés chaque année, pour trois ans, à même mon budget. Il vise à aider l'industrie de l'aquiculture dans les diverses régions du Canada à créer des partenariats et à travailler ensemble sur des projets de portée nationale ou régionale.
M. Roth a préparé un petit exposé sur l'utilisation des médicaments dans l'industrie canadienne de la salmoniculture. La lecture des procès-verbaux des séances précédentes de votre comité m'a fait prendre conscience de votre vif intérêt pour ce sujet.
J'espère avoir été en mesure de vous faire comprendre les obstacles qui ont limité le développement de l'aquiculture au Canada, mais, plus important encore, j'espère vous avoir convaincus du potentiel de l'aquiculture.
Le président: Vous avez fait la chronologie des activités liées à l'aquiculture au Canada et vous avez fait mention du comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes qui siégeait en 1988. Je présidais ce comité qui avait recommandé, entre autres, la création d'un poste de sous-ministre adjoint, de fonctionnaire supérieur; vous occupez un tel poste actuellement. Cela a pris quelques années, mais cela s'est réalisé.
En 1989, l'année qui a suivi cette proposition à la Chambre des communes, ce comité a fait la même recommandation. Il a fallu plusieurs années avant que cette recommandation ne soit adoptée, mais je suis heureux de voir que c'est chose faite.
M. Myron Roth, vice-président, Production et affaires réglementaires, Aqua Health Ltd.: Je tiens à remercier le commissaire au développement de l'aquiculture, qui m'a invité à témoigner devant votre comité ce soir.
L'aquiculture a beaucoup d'importance pour moi et c'est mon métier depuis la fin de mes études de premier cycle en 1987. Ayant travaillé directement pour une entreprise de salmoniculture pendant plus de quatre et pour des salmoniculteurs sur les deux côtes du Canada et en Europe, j'ai pu poursuivre et perfectionner une carrière dont je suis fier. En tant que biologiste, j'estime que l'aquiculture représente une utilisation durable de nos ressources aquatiques qui entraîne un risque minimum pour l'environnement. En tant que citoyen préoccupé comme vous, je m'attends à ce que les produits alimentaires aquacoles soient de la plus haute qualité et sans risque pour la consommation humaine.
Mon domaine de compétence, c'est la pathologie des poissons, la gestion des maladies des poissons et, en particulier, l'utilisation des produits chimiothérapeutiques, ou médicaments, des produits antiparasitaires et des vaccins. Je limiterai donc mes commentaires à ce contexte en soulignant les principaux secteurs préoccupants concernant les maladies et l'utilisation de produits thérapeutiques en aquiculture, domaine qui a donné lieu a beaucoup de discussions.
Pour qu'une maladie survienne, il faut que trois facteurs soient présents; l'agent pathogène, l'hôte et l'environnement approprié. Même si le stress joue un rôle prépondérant dans les dispositions physiologiques de l'environnement interne de l'hôte, d'autres facteurs externes interviennent également, comme la température de l'eau, l'emplacement du site et la répartition du poisson sauvage qui peut se trouver à proximité des piscicultures. De nombreux organismes pathogènes peuvent se trouver dans les populations sauvages de poissons et on connaît des cas bien documentés de mortalité importante chez des poissons qui devraient autrement être sains et relativement exempts de stress. Par exemple, des foyers de virus de la nécrose hématopoïétique infectieuse dans les stocks de saumons de l'Alaska, ou des foyers de pou de poisson dans des stocks de saumons sauvages de l'Atlantique au Nouveau-Brunswick. Dans les deux cas, des pertes causées par la maladie ont été notées dans des régions où il n'y a pas de pisciculture commerciale, comme dans le cas de la NHI en Alaska ou bien avant l'implantation de piscicultures commerciales pendant les années 40 au Nouveau-Brunswick pour le pou de poisson. Par conséquent, la maladie peut, et c'est le cas, surgir chez le saumon comme un processus naturel et on trouve régulièrement des agents infectieux chez des poissons sauvages. Que des maladies surviennent chez des saumons d'élevage est donc un prolongement de ce processus naturel. Cependant, dans les piscicultures, le stress joue un rôle plus important et, une fois que la maladie est présente, sa propagation peut être facilitée par le stress -- et engendrer davantage de stress -- , la densité d'ensemencement et divers autres facteurs complexes.
Lorsque la maladie surgit, il faut intervenir pour améliorer le bien-être des sujets affectés, prévenir la perte de poissons et empêcher la propagation de la maladie. Le nombre de médicaments et de produits antiparasitaires et anesthésiques approuvés pour utilisation dans l'élevage du poisson au Canada est limité; on en dénombre seulement huit pour le poisson comestible comme le saumon et la truite. Parmi eux, seulement quatre antimicrobiens sont homologués pour utilisation. De ces quatre, trois sont des médicaments délivrés uniquement sur ordonnance, tandis que le quatrième, l'oxytétracycline, figure dans la Notice sur les substances médicatrices et les pisciculteurs peuvent donc se le procurer sans ordonnance. Toutefois, en règle générale, la majorité de l'oxytétracycline utilisée par les salmoniculteurs est prescrite par des vétérinaires et se limite aux jeunes poissons. En conséquence, presque tous les antimicrobiens administrés sont donnés sous la supervision directe de vétérinaires brevetés.
Une maladie comme l'anémie infectieuse du saumon -- AIS -- provoquée par un virus, constitue un cas légèrement différent, car de tels organismes ne sont pas affectés par les antimicrobiens. Les maladies virales ne sont pas courantes dans l'aquiculture canadienne, mais cela arrive, la plus notoire étant la NHI sur la côte ouest, virus d'origine naturelle du saumon du Pacifique, et l'AIS sur la côte est. À l'heure actuelle, l'AIS est en voie d'être contrôlée par des méthodes d'élevage améliorées, notamment le strict respect de protocole de désinfection et de mesures d'hygiène, le dépeuplement sélectif des cages infectées, les politiques d'ensemencement et de jachère, la surveillance et l'utilisation d'un nouveau vaccin.
Les vaccins ont joué un rôle crucial dans la gestion des maladies. Au Canada, le nombre de vaccins homologués pour les saumons -- totalisant actuellement 25 produits -- dépassent largement le nombre de composés médicinaux dont l'utilisation est approuvée en aquiculture. Les vaccinations, de concert avec d'autres stratégies non chimiques de contrôle de la gestion de la santé des poissons, sont devenues des pratiques normalisées en raison des coûts plus faibles de vaccinations des poissons et des gains plus élevés découlant des stratégies de gestion préventive de la santé des poissons.
Environ 90 p. 100 des antibiotiques utilisés en aquiculture sont administrés comme aliments médicamentés. Dans certains cas, comme avec les géniteurs de grande valeur, les antibiotiques peuvent être administrés par injection. La Direction de l'inspection du poisson du ministère des Pêches et des Océans, qui relève maintenant de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, a estimé antérieurement que 1,6 p. 100 de tous les aliments utilisés dans la salmoniculture au Nouveau-Brunswick sont médicamentés. Ce chiffre, conforme aux données rapportées pour la salmoniculture en Colombie-Britannique, qui n'ont pas dépassé 3 p. 100 durant les cinq dernières années, représente peut-être le plus faible taux d'inclusion dans les aliments médicamentés pour la production animale au Canada.
En outre, les progrès réalisés dans la gestion de la santé des poissons, en particulier la technologie des vaccins, ont contribué à réduire considérablement l'utilisation globale des antibiotiques. Par exemple, en Colombie-Britannique, qui représente plus de 65 p. 100 des salmonicultures au Canada, on a constaté une baisse de 23 p. 100 de l'utilisation des antibiotiques achetés par les usines d'aliments pour animaux de 1994 à 1995. De même, en Norvège, où les méthodes d'utilisation des aliments médicamentés reflètent celles de la Colombie-Britannique et du Nouveau-Brunswick, la quantité d'antibiotiques utilisés a diminué de 99 p. 100 entre 1987 et 1988, principalement grâce aux progrès réalisés dans les techniques d'élevage et la technologie des vaccins. Durant la même période, la production est passée de 47 000 à 407 000 tonnes métriques -- une hausse de 860 p. 100.
Il est important de noter que les médicaments ne sont administrés qu'à des fins thérapeutiques--ils ne servent pas de stimulateurs de croissance. Pour mettre l'utilisation totale en perspective, les dépenses en produits pharmaceutiques pour l'aquiculture, à l'exclusion des vaccins, par rapport aux ventes des autres produits pharmaceutiques pour consommation animale ou humaine sont insignifiantes, puisqu'elles représentent moins de 0,1 p. 100 des dépenses totales estimées de médicaments au Canada. De l'ensemble du marché des antimicrobiens destinés à protéger la santé des animaux, les dépenses pour l'aquiculture représentent moins de 2 p. 100. Ce chiffre est comparable aux données mondiales qui estiment qu'environ 5 p. 100 du marché total des antimicrobiens vétérinaires représentent les dépenses pharmaceutiques en aquiculture.
En 1998, en Colombie-Britannique, où toutes les ordonnances vétérinaires et les commandes des usines d'aliments pour animaux sont retracées, on évalue à 383 grammes les antibiotiques administrés par tonne métrique de saumon produit. De ce chiffre, l'oxytétracycline était le médicament le plus couramment administré, équivalent à 90 p. 100 du total des antimicrobiens utilisés. En outre, 80 p. 100 des ordonnances étaient émises pour de petits poissons et des géniteurs. Dans de rares cas, les vétérinaires peuvent prescrire des produits thérapeutiques dont l'utilisation n'est pas spécifiée pour les poissons. C'est ce qu'on appelle une utilisation non indiquée sur l'étiquette et elle représente moins de 0,5 p. 100 du total des antibiotiques prescrits.
Plusieurs raisons expliquent les quantités relativement faibles d'antimicrobiens utilisés en aquiculture, notamment les méthodes actuelles dont l'utilisation est prudente, le fait que les traitements soient limités à des fins thérapeutiques et que les antimicrobiens ne sont pas utilisés comme stimulateurs de croissance.
Les vaccins sont très efficaces pour la gestion de la santé des poissons. Toutes les piscicultures développement de meilleures pratiques de gestion, notamment la jachère, la séparation par classe d'âges, la gestion intégrée des antiparasitaires et les protocoles de biosécurité. Nous avons des méthodes améliorées de nutrition et d'alimentation du saumon et l'élevage sélectif a également fait beaucoup de progrès.
Les résidus de médicaments chez les saumons et les truites élevés au Canada ne présentent pas un risque pour la santé. Plusieurs facteurs contribuent à cette situation, notamment le nombre limité de produits thérapeutiques disponibles, l'utilisation largement limitée aux jeunes poissons, le degré élevé d'implication des vétérinaires, le fait que presque tous les antibiotiques utilisés soient mélangés par les usines d'aliments pour animaux en présence de vastes programmes de contrôle de la qualité.
Comment savons-nous que les saumons sont sans danger en matière de résidus de médicaments? De 1991 à 1996, la Direction de l'inspection du poisson du MPO a échantillonné au hasard respectivement 1 542 et 1 277 lots de saumons d'élevage au Nouveau-Brunswick et en Colombie-Britannique. Des niveaux de résidus dépassant la limite maximale des résidus -- LMR -- de Santé Canada n'ont été décelés que dans 3,5 p. 100 des échantillons du Nouveau-Brunswick et dans moins de 1 p. 100 des échantillons prélevés en Colombie-Britannique, sur l'ensemble de la période de cinq ans. Dans presque tous les cas où des échantillons de suivi ont été obtenus, les résidus étaient inférieurs à la LMR et aucune mesure supplémentaire n'a été nécessaire. Les échantillons positifs, c'est-à-dire là où les résidus étaient supérieurs à la LMR, étaient surtout importants au début des années 90. Depuis cette époque, malgré les efforts accrus d'échantillonnage pour suivre les augmentations de la production, les cas de résidus supérieurs à la LMR ont été quasiment inexistants en raison de la sensibilisation accrue et des politiques d'utilisation prudente qui sont mises en pratique par les salmoniculteurs.
Une initiative qui mérite d'être mentionnée est le programme «Le saumon en santé». C'est un programme d'assurance de la qualité qui traite exclusivement de l'utilisation des produits thérapeutiques dans les salmonicultures, se fonde sur les principes de l'ARMPC et prévoit une vérification par une tierce partie.
Les produits thérapeutiques administrés dans les aliments voient une fraction du composé médicamenté filtrer dans l'environnement immédiat par les matières fécales et, à un degré moindre, par les aliments non consommés. Toutefois la stabilité, la demi-vie et la bioaccumulation des résidus de médicaments dans l'écosystème aquatique et les sédiments marins ont fait l'objet d'études approfondies et les données révèlent que le risque environnemental est minime à cause de la faible toxicité pour les sujets non visés et de la biodégradabilité des composés utilisés. Pour s'en assurer, les salmonicultures sont assujetties à divers types d'évaluations environnementales au Canada. Le Nouveau-Brunswick, par exemple, a élaboré et utilise une méthode d'évaluation fondée sur la performance vérifiée par une tierce partie. La Colombie-Britannique a récemment mis au point une méthode semblable qui en est au stade initial de la mise en oeuvre. Comme exigence supplémentaire, les salmoniculteurs de la Colombie-Britannique sont également tenus de faire un rapport au ministère de l'Environnement, des Terres et des Parcs sur tous les produits chimiques utilisés dans leur pisciculture. Si les antibiotiques s'accumulaient sous les parcs en filet en provoquant des répercussions négatives, cette situation serait détectée durant les vérifications de routine et les mesures appropriées seraient prises.
Même si je n'ai fait qu'effleurer la surface d'un sujet de toute évidence très complexe, j'espère avoir pu fournir aux membres du comité des renseignements qui seront utiles au moment d'aborder les questions de la santé des poissons et de l'utilisation des produits thérapeutiques en aquiculture, ainsi que du développement futur de l'aquiculture au Canada.
Le sénateur Cook: J'ai certainement beaucoup à apprendre dans le domaine de cette nouvelle industrie. J'imagine que pour l'instant, l'industrie est réglementée par consensus. Je comprends que le gouvernement provincial a compétence dans certains domaines, et que le ministère de la Santé a certaines responsabilités. Plusieurs intervenants clés de cette industrie en assurent le fonctionnement. D'après moi, c'est une approche consensuelle, n'est-ce pas?
M. Bastien: J'aimerais savoir ce que vous voulez dire par «approche consensuelle». La compétence en matière d'aquiculture est une compétence partagée entre deux paliers de gouvernement, chacun ayant effectivement compétence dans ce domaine. Par exemple, à l'exception d'une seule province, la délivrance de permis et la location des entreprises aquacoles relèvent de la province, tandis que le gouvernement fédéral a un certain nombre de pouvoirs ou une certaine compétence en matière d'aquiculture. Je veux parler de la protection environnementale en vertu de la Loi fédérale sur les pêches. Il s'agit donc d'une compétence partagée. Quelques protocoles d'entente sont signés entre la province et le gouvernement fédéral afin de séparer les pouvoirs et de s'entendre sur la compétence de chacun des gouvernements.
L'examen juridique auquel je procède actuellement va aboutir à des propositions claires sur un régime de protection de l'environnement qui entraînera une collaboration et une coopération entre les deux paliers du gouvernement. Ce sera présenté sous forme de propositions sur la façon d'améliorer le contexte juridique entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Dans le domaine de la salmoniculture, par exemple, la province a mis sur pied des régimes de réglementation pour contrôler et évaluer les impacts et pour s'assurer qu'ils ne dépassent pas les limites jugées acceptables.
Le sénateur Cook: Devrions-nous avoir une loi sur l'aquiculture?
M. Bastien: C'est une bonne question. Je vais faire quelques recommandations au ministre au printemps prochain sur cette question particulière. Pour l'instant, je ne peux pas vous donner ma conclusion. J'en suis toujours à l'étape où je dois analyser tous les aspects de la question avant de recommander une loi sur l'aquiculture. Plusieurs provinces ont des lois sur l'aquiculture dans leur domaine de compétence. Jusqu'à présent, au palier fédéral, l'aquiculture est régie par ce que j'appellerais des règlements connexes.
Nous devons analyser les conseils des avocats et déterminer les pouvoirs des gouvernements fédéral et provinciaux avant de décider si nous avons besoin d'une loi fédérale sur l'aquiculture ou si les pouvoirs prévus par la Loi sur la protection des eaux navigables ou la Loi sur la santé s'appliquent de façon appropriée à l'aquiculture. Plusieurs autres lois fédérales s'appliquent à l'aquiculture; ainsi, la Loi sur les pêches s'applique à l'aquiculture sous certains aspects particuliers. Pour l'instant, je ne peux pas vous recommander d'envisager une loi sur l'aquiculture au niveau fédéral. Cela va faire partie de ma recommandation au ministre ce printemps.
Le sénateur Cook: J'aimerais que la responsabilité d'une industrie aussi complexe que l'aquiculture soit précisée.
La question suivante porte sur la santé des poissons. Est-ce que tous les aliments sont médicamentés ou se sert-on de tels aliments uniquement lorsque les poissons ne sont pas en bonne santé?
M. Roth: Ce ne sont pas tous les aliments qui sont médicamentés. Si le poisson tombe malade, un vétérinaire pose un diagnostic et ordonne un traitement. Cette ordonnance est envoyée à une usine d'aliments pour animaux qui va incorporer le médicament dans une petite quantité d'aliment en fonction de l'ordonnance du vétérinaire. Puis l'aliment est donné au poisson. Chaque lot d'aliment est médicamenté, selon les besoins, en fonction de l'ordonnance d'un vétérinaire.
Le sénateur Cook: Pourriez-vous expliquer les vaccins?
M. Roth: On utilise maintenant des vaccins conventionnels dans le domaine de l'aquiculture. On trouve des isolats de divers agents pathogènes et on apprend à en faire la culture commerciale. On les inactive pour qu'ils ne soient plus nocifs ou pathogènes pour le poisson. Ces vaccins injectés dans le poisson vont éliciter une réaction immunitaire, ce qui protégera le poisson d'une infection. Ces vaccins sont réglementés par l'Agence canadienne d'inspection des aliments dont les exigences en matière d'homologation et de contrôle de la qualité des vaccins sont complètes et détaillées.
La plupart des vaccins utilisés au Canada sont ce que nous appelons des produits «grand public». Ils sont testés de manière approfondie et sont homologués par l'Agence canadienne d'inspection des aliments pour les diverses maladies indiquées sur l'étiquette. Dans certains cas, l'utilisation de vaccins doit se faire sous la supervision d'un vétérinaire.
J'ai parlé du volet réglementaire sur lequel je travaille.
Toutefois, le processus physique est le suivant: chaque saumoneau reçoit un vaccin. Il y a quelque 30 millions de saumoneaux d'élevage au Canada et chacun reçoit une injection pour prévenir la maladie. Certains vaccins sont donnés par immersion, d'autres administrés oralement, c'est-à-dire qu'ils sont dans les aliments.
Le sénateur Cook: Compte tenu de toutes ces méthodes compliquées, pensez-vous que le financement pour la recherche est suffisant?
M. Bastien: Non. Nous avons abordé cette question au cours de l'année dernière. Le MPO a fait des recommandations claires sur la nécessité d'augmenter le financement pour la recherche. Nous attendons des réponses à ce sujet.
J'ai dit un peu partout que si nous voulons être sûrs de développer l'aquiculture que nous voulons au Canada, c'est-à-dire une aquiculture écologiquement viable, nous devons investir des ressources dans ce secteur. C'est clair. C'est la première chose que j'ai dit dans l'allocution que j'ai prononcée en octobre dernier lors de l'assemblée générale de l'Association aquicole du Canada, en Colombie-Britannique. Nous devons nous concentrer sur la R-D afin d'assurer le bon développement de cette industrie.
Le sénateur Cook: On avait pensé que la pénicilline serait le médicament miracle du siècle, qu'elle répondrait à tous nos besoins; or, nous nous apercevons aujourd'hui que certaines souches de bactéries sont résistantes à la pénicilline. Il s'agit d'une industrie qui dépend de certains éléments essentiels; la R-D est nécessaire si nous voulons soutenir cette industrie et en assurer le développement dans l'avenir.
M. Bastien: Je suis d'accord avec vous. Toute production d'élevage dépend des antibiotiques. Je crois que l'aquiculture dépend moins des antibiotiques que l'industrie des animaux d'élevage. D'après l'information dont je dispose, la performance du secteur dans le domaine de l'utilisation des antibiotiques est bonne, mais nous pouvons l'améliorer.
Le sénateur Furey: Vous avez dit très clairement dans votre exposé qu'il est important de noter que les médicaments ne sont administrés qu'à des fins thérapeutiques. Qu'en est-il de la question relative à la modification génétique qui suscite beaucoup de problèmes dans l'industrie de l'agriculture? Allons-nous adopter ce procédé?
M. Roth: Pouvez-vous préciser ce que vous voulez dire par «modification génétique»? Dans les produits ou le poisson?
Le sénateur Furey: Le poisson.
M. Roth: Les laboratoires de recherche du Canada ont déjà produit des poissons transgéniques.
Le sénateur Furey: Cela va-t-il susciter des critiques semblables à celles que l'on connaît actuellement dans l'industrie de l'agriculture au sujet des aliments génétiquement modifiés?
M. Roth: J'arrive d'Europe, où il est beaucoup question d'animaux transgéniques. Cela provoquerait certainement un débat. À l'heure actuelle, malgré tout le travail effectué dans le domaine des poissons transgéniques au Canada, il n'y a pas de poisson transgénique qui soit produit commercialement. Ce n'est pas près d'arriver, et c'est une question qui va être débattue pendant longtemps. Je peux en voir les avantages et également comprendre les inquiétudes que cela suscite.
En tant que biologiste, je connais les problèmes qui se posent en matière d'animaux transgéniques et d'aquiculture, ainsi que ceux relatifs au confinement. Ce sont des questions dont nous devons nous préoccuper. Pour l'instant, ce processus n'est pas adopté par l'industrie.
M. Bastien: C'est faire preuve de naïveté que de croire que la recherche sur les poissons transgéniques ne va pas se faire. La recherche va se faire, mais je tiens à souligner que l'aquiculture au Canada s'est maintenant imposé un moratoire volontaire sur l'utilisation de poissons génétiquement modifiés, pour la simple et unique raison qu'en ce moment, le grand public s'y oppose clairement. Cette opposition est claire en Europe et se manifeste aussi au Canada et en Amérique du Nord. Il n'y a pas de plans à court ou à moyen terme d'utilisation du poisson transgénique, mais dire que la recherche ne se fera pas est naïf. Il y a une grande différence entre la recherche effectuée au Canada et une utilisation à des fins commerciales. Il se peut que ces genres de moratoires, qui sont volontaires pour l'instant, deviennent plus réglementés par les provinces ou le gouvernement fédéral.
Nous ne sommes pas près de mettre des poissons transgéniques en milieu naturel. À mon avis, cela ne se produira pas tant qu'il n'y aura pas de preuve scientifique claire indiquant que cela ne présente aucun danger. Nous n'en sommes pas encore là. Les poissons transgéniques ne menacent ni les consommateurs ni les espèces sauvages.
Le sénateur Perrault: Les informations que vous nous donnez ce soir présentent un grand intérêt. A-t-on déjà fait le clonage d'espèces existantes de poisson? Est-ce que le terme «transgénique» vise le clonage également? Chez les ovins, il y a une brebis qui s'appelle Daisy et qui a une soeur jumelle. Une telle expérience a-t-elle été faite avec les poissons?
M. Bastien: Je ne le crois pas, mais je n'en suis pas parfaitement sûr. Non il n'y a pas de clonage chez les poissons comme chez les ovins.
Le sénateur Perrault: Il y a quelque temps, une des organisations de la côte ouest a indiqué qu'elle voulait importer du saumon de l'Atlantique à des fins expérimentales. D'après ses représentants, il s'agit d'une espèce idéale pour l'élevage en cages. D'après eux, la sécurité serait absolue, les poissons ne pouvant jamais s'échapper. Or, c'est ce qui s'est produit. Ces poissons posent-ils des problèmes aux stocks indigènes de la côte ouest? J'ai assisté à une conférence sur la pêche en fin de semaine; certains pêcheurs s'inquiètent beaucoup au sujet du danger éventuel de cette fuite. Comment se sont-ils échappés et présentent-ils un danger?
M. Bastien: Il est difficile de dire qu'ils ne peuvent s'échapper, car en cas de tempête ou d'ouragan, on ne sait jamais quelles activités humaines ou industrielles vont être touchées. Vous vous souvenez sans doute de la pollution créée par l'inondation dans la région du Saguenay. Les saumons de l'Atlantique qui se sont échappés en Colombie-Britannique se sont reproduits dans des rivières à saumon de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Perrault: Arrivent-ils à l'âge adulte plus rapidement?
M. Bastien: Non, c'est le contraire. Le cycle biologique du saumon de l'Atlantique est beaucoup plus long que celui du saumon du Pacifique. Il est normal de s'inquiéter à ce sujet.
Le sénateur Perrault: Pourquoi faisons-nous des expériences avec le saumon de l'Atlantique si son cycle de vie est plus long que celui de l'espèce indigène de la côte ouest?
M. Bastien: Pour beaucoup de raisons, y compris sa résistance à la maladie. Le saumon de l'Atlantique est plus domestiqué que l'espèce de la côte ouest. C'est une espèce plus facile à développer. Vous avez raison de vous inquiéter et il faut se pencher sur ce problème.
Je reviens tout juste d'une rencontre internationale regroupant plusieurs pays qui pratiquent la pêche dans la zone du saumon de l'Atlantique Nord. L'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord dont les membres proviennent de divers pays côtiers de l'Atlantique Nord -- la Norvège, l'Écosse, le Canada et les États-Unis -- a convenu de mettre au point un code de confinement. Cela permettrait certainement de limiter les fuites.
Pendant plusieurs années, le gouvernement a essayé d'introduire le saumon de l'Atlantique sur la côte ouest, sans jamais réussir.
Bien que l'on soit préoccupé par le fait que le saumon de l'Atlantique s'introduit dans les rivières de la Colombie-Britannique, il ne faut pas oublier non plus que ces rivières sont surveillées de près. Il existe des moyens qui permettent d'éliminer les espèces que l'on retrouve dans ces rivières si elles posent un problème.
Le sénateur Perrault: Si elles présentent un danger?
M. Bastien: Oui.
Le sénateur Perrault: Vous avez laissé entendre qu'il s'agit, à certains égards, d'un problème de relations publiques, d'un problème de commercialisation. Il y a des alarmistes qui prétendent que seul le saumon sauvage est bon. L'autre soir, je me trouvais dans un restaurant qui servait du saumon sauvage authentique, comme si toute autre sorte de saumon n'était pas assez bonne pour la clientèle. Quelles mesures pratiques votre agence prend-t-elle pour neutraliser cette désinformation, s'il s'agit bien d'une désinformation?
M. Bastien: La communication est un défi important que doit relever ce secteur. Je prévois une stratégie globale de communication. Le ministère fera de même. L'industrie de l'aquiculture a fait l'objet d'une campagne négative. Plus nous allons dans cette direction, plus il sera difficile de revenir à de l'information objective. Nous voyons de plus en plus d'autocollants sur les plaques de voiture où on peut lire: «Poisson sauvage, poisson non drogué», entre autres choses.
Le sénateur Perrault: Cela ne sert pas à grand chose.
M. Bastien: C'est nuisible au secteur.
Le sénateur Perrault: Y a-t-il une différence de goût entre les deux variétés, le saumon sauvage et le saumon d'élevage?
M. Bastien: Beaucoup de tests ont été faits. Comme la teneur en huile est plus élevée dans le saumon d'élevage, il est plus facile à fumer. En général, le poisson qui contient plus d'huile a meilleur goût et est plus facile à cuire. Les chefs préfèrent habituellement le saumon d'élevage. Pour ce qui est du goût, beaucoup de tests ont été faits et, selon la souche et selon l'alimentation du saumon d'élevage, il peut y avoir quelques différences, mais en règle générale, il n'y en a pas.
Le sénateur Mahovlich: J'ai mangé de la truite d'élevage et je ne peux pas faire la différence entre la truite sauvage et la truite d'élevage. Elles sont toutes deux excellentes.
Toutefois, je crois qu'une loi fédérale s'impose dans ce domaine. Il faudrait des lois internationales étant donné que toutes les eaux communiquent. Le poisson peut remonter nos rivières tout comme les moules zébrées sont arrivées dans le lac Ontario. C'est une préoccupation internationale. Coopérez-vous avec les Américains dans le domaine de l'aquiculture?
M. Bastien: Oui.
M. Roth: J'arrive d'une rencontre à Paris où les responsables de la réglementation du monde entier se sont réunis pour débattre des questions d'évaluation de risque dans le domaine de la santé du poisson et de l'aquiculture. Plusieurs questions ont été débattues. Les experts ont pu discuter des faits scientifiques et examiner les diverses agences et leurs activités dans le monde entier. Il y a beaucoup de rencontres où les questions d'harmonisation sont soulevées et où les experts tentent de comprendre ce que font d'autres pays. Les responsables de la réglementation assistent à la plupart de ces rencontres.
Le sénateur Mahovlich: En Amérique du Nord, nos rivières et nos frontières sont si longues que nous devons coopérer avec les Américains pour épargner certains de nos stocks de poisson.
M. Jack Taylor, directeur exécutif intérimaire, Bureau du commissaire au développement de l'aquiculture: Je comprends votre préoccupation. Nous sommes dans un monde interdépendant. À l'échelle internationale, l'aquiculture est une industrie relativement jeune, alors que dans certaines régions, en Chine par exemple, elle est pratiquée depuis des centaines d'années de façon généralisée à des fins de consommation. Toutefois, en tant qu'activité industrielle, l'aquiculture est relativement jeune. Il y a relativement peu de possibilités de collaboration, mais les choses s'améliorent au fil du temps. Chaque année, de plus en plus de rencontres sont organisées afin que les pays puissent ensemble débattre de problèmes communs.
Vers la fin du mois, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture va tenir une réunion à Bangkok pour discuter de la mise sur pied d'un sous-comité de l'aquiculture au niveau technique. Nous appuyons bien sûr cette initiative, car nous croyons que beaucoup de ces problèmes se posent de la même façon au Canada, aux États-Unis et dans le monde entier -- les problèmes que posent les conflits multi-usagers ou les normes environnementales, par exemple. Il est donc important d'avoir des mécanismes comme celui-ci, sans compter que le travail des gouvernements et des agences permet d'attirer l'attention du monde entier là dessus.
M. Bastien: Je rentre d'une rencontre à Londres réunissant les pays membres de l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord. Tous les pays étaient représentés et tous ont accepté le mandat d'un groupe de travail chargé d'élaborer des lignes directrices sur le confinement du poisson d'élevage. Chaque pays doit présenter un plan pour répondre à ces exigences qui peuvent être considérées comme des normes fixées par une tribune internationale regroupant des organisations pour la conservation du saumon, organisations s'intéressant clairement à la conservation des stocks sauvages, et en même temps pour créer un consensus au sein de l'industrie de l'aquiculture en matière de normes. Chaque pays doit ensuite préparer un plan visant à respecter ces normes. C'est ce qui est en train de se passer. Je pourrais vous donner les paramètres de ce travail en cours.
Le président: Tout au début du développement de l'aquiculture, le Canada a investi beaucoup d'argent dans la recherche. Au bout du compte, la plupart de cette recherche a été adoptée par d'autres pays, alors qu'elle avait été faite par nos universités et les installations du MPO. En d'autres termes, nous avons payé la note et les autres pays se sont chargés du développement. Cette tendance se poursuit-elle? Sommes-nous toujours en train de faire la recherche fondamentale qui est ensuite utilisée par la Norvège et d'autres pays à des fins commerciales?
M. Bastien: J'aurais tendance à croire que c'est le contraire maintenant. L'industrie canadienne travaille davantage à partir de la technologie étrangère. Il peut y avoir quelques exceptions à la règle, de la recherche spécialisée étant faite ici pour être utilisée ailleurs. Cela s'explique par la libre circulation de l'information. Si la recherche n'est pas faite par une société privée, si elle est faite par une université, les résultats en sont communiqués dans le monde entier.
En général, la recherche faite au Canada dernièrement a diminué par rapport à ce qu'elle était auparavant. Le gouvernement fédéral vient d'annoncer une initiative importante dans la recherche sur l'aquiculture par le biais d'une initiative de création de réseau dirigée et présentée par l'Université Memorial de Terre-Neuve. Le gouvernement fédéral vient d'approuver cette proposition relative à la recherche en aquiculture, qui s'élève à 3,5 millions de dollars pour sept années. Il s'agit d'un réseau qui vient juste d'être créé entre les diverses universités canadiennes. La recherche va donc s'intensifier et notre secteur en a certainement besoin.
Une grande partie de la recherche que nous utilisons au Canada provient de l'étranger.
M. Roth: Il y a toutefois au Canada d'excellents scientifiques spécialisés dans la technologie de l'aquiculture.
Il suffit cependant de se rendre à une conférence en Norvège pour s'apercevoir de l'abondance dans le domaine technologique. L'industrie est très importante et elle est appuyée par le gouvernement. Toutes sortes de technologies sont mises au point dans ce pays et sont en fait utilisées au Canada. Je veux parler des technologies d'alimentation et même des technologies au niveau des usines de traitement. À l'heure actuelle, la Norvège a les deux meilleurs programmes de reproduction au monde.
Tout effort visant à davantage financer la recherche au Canada dans le domaine de l'aquiculture serait extrêmement bienvenu.
Le président: Au départ, le Canada finançait la recherche, mais ne l'appliquait pas. Nous ne récoltions pas les bénéfices de la recherche, contrairement à d'autres pays qui eux, finançaient moins la recherche. Leurs industries ont probablement pris de l'expansion grâce à un cadre de réglementation plus ouvert. Le Canada rattrape-t-il maintenant le temps perdu?
M. Bastien: Au niveau de la recherche?
Le président: Oui, pour ce qui est de l'application de la R-D de l'industrie.
M. Bastien: L'industrie canadienne pourrait être beaucoup plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cela ne s'explique pas essentiellement par la politique générale et le cadre de réglementation que nous avons au Canada. En effet, la Norvège bénéficie d'un environnement porteur, alors que jusqu'à présent, cela n'a pas été le cas du Canada. C'est la raison pour laquelle nous prenons toutes ces mesures, comme l'examen de la réglementation et l'examen de la politique au sein du MPO, qui devraient déboucher sur une nouvelle ère en matière de développement de l'aquiculture.
Le président: Cela est lié aux objectifs décrits dans votre document.
Si je comprends bien, des souches européennes de saumon de l'Atlantique ont été amenées dans nos entreprises aquicoles. Pourquoi amener un saumon norvégien de l'Atlantique au Canada? A-t-il meilleure apparence?
M. Bastien: J'aimerais savoir d'où provient cette information. Un protocole signé sous les auspices de l'Organisation pour la conservation du saumon de l'Atlantique Nord interdit l'utilisation de souches européennes de saumon sur la côte est. Il n'y a pas de souches européennes de saumon au Canada. Toutefois, de telles souches sont utilisées par l'industrie de l'aquiculture aux États-Unis. Le fait que ce protocole ne soit pas observé de la même façon fait l'objet de discussion entre le gouvernement du Canada et les États-Unis. Il n'y a pas en ce moment de souches de saumon norvégien dans l'aquiculture commerciale au Canada.
Le président: Cela doit être une rumeur.
M. Bastien: D'après M. Roth, je fais erreur.
M. Roth: À ma connaissance, il n'y a pas de souche norvégienne sur la côte est. Par contre, sur la côte ouest, du saumon norvégien a été introduit au tout début. Les stocks de saumons vivent dans des rivières différentes. Les biologistes ont examiné les caractéristiques du saumon pour essayer de développer des stocks. Les stocks de la côte est sont développés pour la côte est et sont adaptés pour l'eau plus froide, en fonction de leur cycle biologique. Toutefois, ils ne donnent rien sur la côte ouest, laquelle ressemble davantage aux côtes de Norvège. Il y a des souches écossaises; des souches norvégiennes; des souches de la côte est; des souches de Gaspé. Il existe diverses souches de saumon introduites en petit nombre il y a longtemps.
Certaines entreprises s'en servent comme stocks reproducteurs. Il ne s'agit pas d'un apport constant de saumon. Certains stocks reproducteurs sont amenés pour être ensuite élevés en captivité.
M. Bastien: Il n'y a pas de souche européenne sur la côte est. J'avais raison. Elles se trouvent sur la côte ouest. J'ai fait mention du Canada à un moment donné et c'est là que je me suis trompé.
Le sénateur Perrault: La Norvège est-elle au premier rang dans le monde?
M. Roth: Pour la salmoniculture, certainement. Elle arrive au premier rang pour ce qui est du tonnage et de la technologie. Toutefois, au Chili, le coût de production est inférieur à celui de la Norvège.
Le sénateur Mahovlich: Est-ce par nécessité?
M. Roth: Non, le coût moins élevé de la salmoniculture au Chili s'explique par toutes sortes de raisons complexes. Les Chiliens sont excellents dans ce domaine.
Le sénateur Perrault: D'où proviennent leurs espèces?
M. Roth: De Norvège.
M. Bastien: Le coût de production est moins élevé au Chili et ce, pour deux raisons. Tout d'abord, le coût de la main-d'oeuvre est moins élevé et ensuite, le coût de la farine de poisson est beaucoup moins élevé. La farine de poisson est un complément important des aliments pour poissons et le Chili est un gros producteur de farine de poisson; par ailleurs, le coût des aliments pour poisson est bien inférieur au Chili qu'au Canada. Ce sont les deux éléments qui expliquent le coût plus bas de production.
Le président: Autant que je sache, il faut trois livres de poisson pour produire une livre d'aliments pour poisson pour le saumon. Pourquoi utiliser trois livres de poisson pour produire une livre d'aliments pour le saumon?
M. Roth: Le poisson du Pacifique Sud qui sert à l'industrie de la farine de poisson est divisé en chair et en huile. Il n'est pas juste de dire qu'il faut trois livres de poisson, car il ne s'agit pas de moudre tout le poisson pour le transformer en aliments pour saumon. Ce poisson passe par un processus industriel pour la transformation en farine. S'il était possible de pêcher ces poissons pour la vente, c'est ce qu'on ferait, mais ce n'est pas le cas. Le saumon a un taux efficient de conversion de la farine de poisson en masse corporelle. À l'heure actuelle, les taux de conversion du saumon de l'Atlantique sont de 1,1 pour 1,0 -- farine de poisson/saumon.
Le président: D'après ce que je comprends, la farine est faite à partir de poisson non commercial, du poisson n'ayant aucune valeur commerciale.
M. Roth: C'est du poisson de rebut que l'on ne mangerait pas, normalement.
Le président: Vous avez abordé la question du pacage en mer. Quel est l'avenir du pacage en mer par opposition à l'élevage en cages? Le Japon a adopté ce procédé, tout comme l'Alaska. Faudrait-il s'y intéresser davantage, puisque cela nécessite moins de médicaments, moins de techniques d'élevage. Nous avons de grandes étendues océaniques. Faudrait-il envisager le pacage en mer?
M. Bastien: Oui, le potentiel est important. Je vous félicite d'avoir décidé de vous rendre sur les Îles-de-la-Madeleine au cours de vos audiences. Les pêcheurs de pétoncles ont décidé à cet endroit-là de faire du pacage en mer, c'est-à-dire d'attraper des larves de pétoncles sauvages et de les élever pendant un certain temps grâce à des techniques d'aquiculture. Ils ont ensemencé le fond de l'océan avec des pétoncles de 40 millimètres, les ont laissé croître puis les ont récoltés. Il y a 11 ans, ces pêcheurs ont décidé de prendre leur avenir entre leurs mains au lieu d'attendre les chèques d'assurance sociale.
Ce projet est bon exemple de ce qui se fait au Japon, la technologie utilisée étant une technologie japonaise.
Il y a d'autres initiatives sur la côte est du Canada, surtout dans le domaine du pétoncle. Le potentiel est énorme, pour les crustacés et coquillages notamment. Le poisson pose des problèmes délicats, vu qu'il se déplace. Le pacage en mer sous-entend des droits de propriété si bien que le fait qu'il y ait du mouvement peut créer de la difficulté. L'ensemencement de coquillages et crustacés est plus facile à faire dans une concession où l'accès est limité. Le poisson qui se déplace peut causer un problème juridique.
Nous allons proposer un cadre légal pour le pacage en mer des crustacés et coquillages. C'est quelque chose que le Canada devrait envisager compte tenu du potentiel énorme qu'offre cette activité.
Il y a des pays comme la Nouvelle-Zélande qui le font déjà. Le gouvernement a mis sur pied un mécanisme qui lui permet d'imposer une taxe sur les débarquements de certaines espèces. Par exemple, les débarquements de pétoncles capturés par les pêcheurs commerciaux sont assujettis à une taxe. Celle-ci sert à financer le réensemencement du fond marin par le biais de techniques aquacoles. Il y peut-être une entreprise privée qui prend part au processus, mais il s'agit là, dans l'ensemble, d'un processus public qui permet, par le biais de taxes et de fonds, de fournir plus de ressources à la collectivité et d'augmenter la productivité des stocks sauvages. C'est un excellent programme qui nous aidera à établir des ponts entre l'industrie aquacole et le secteur de la pêche.
Les Madelinots ne sont pas contre l'aquiculture, puisqu'ils la pratiquent eux-mêmes. Ils en sont fiers. Ils ne veulent pas qu'on mette fin à cette activité. La production est bonne et durable.
Le sénateur Furey: Monsieur Bastien, je ne vous envie pas. Une tâche énorme vous attend, puisque vous devez rationaliser et simplifier les règlements qui régissent l'industrie à tous les niveaux. Y a-t-il des tensions entre ceux qui prônent la conservation de la ressource et des habitats de poisson et ceux qui cherchent à promouvoir l'industrie, que ce soit au sein du MPO ou des groupes d'intérêts?
M. Bastien: Il y en a, oui. Elles existent depuis quelque temps déjà. Nous avons tout un défi à relever. Je ne dis pas que nous arriverons à le faire, mais nous en retirerons des avantages importants si nous réussissons. Vous avez raison de dire qu'une tâche énorme m'attend. Les choses bougent, il y a une certaine volonté d'aller de l'avant.
Je pense qu'il est nécessaire de faire comprendre à la population les avantages que présente l'intégration de ces activités. Il y a un problème de communication, et nous devons élaborer une stratégie en ce sens. C'est là un élément important de mon mandat de trois ans, et c'est un objectif que j'entends atteindre. Une année est déjà passée. Je veux mettre en place une importante stratégie de communication qui cible le secteur de la pêche.
J'ai présenté un exposé sur l'intégration au Conseil canadien des pêches, en septembre dernier. De nombreuses composantes du secteur de la pêche souhaitent établir des ponts entre les deux activités parce qu'ils sont conscient des avantages que cela présente. Comme les stocks sauvages diminuent et que les pêcheurs perdent leur gagne-pain, la période de transition n'est pas facile. Ce ne sont pas tous les pêcheurs qui veulent pratiquer l'aquiculture. Ils veulent pêcher. Leurs familles pêchent depuis des générations. J'ai vécu pendant 25 ans dans la région de Gaspé, et je sais que l'exode de la population et la perte de fierté sont des problèmes bien réels. Les gens sont fatigués. C'est un problème majeur. Il ne sera pas facile, dans certains cas, de proposer à ces personnes de pratiquer l'aquiculture, mais nous savons que cette activité est très populaire dans les Îles-de-la-Madeleine. Nous voulons mettre l'accent là-dessus.
Il est plus simple de commencer avec les crustacés et coquillages. Dans le cas du poisson, des initiatives ont été entreprises en vue d'introduire une certaine valeur ajoutée au poisson qui est capturé à l'état sauvage. Les petites morues capturées à l'état sauvage peuvent être élevées dans des enclos. Cette méthode présente également un certain potentiel.
Le bureau examine actuellement le potentiel qu'offrent ces activités au Canada. Cela fait partie de notre stratégie. Il y a des tensions. J'ai prononcé un discours devant l'AAC en Colombie-Britannique. Les pêcheurs là-bas ont eu l'impression que je proposais qu'on élimine la pêche de captures sauvages. Je proposais plutôt le contraire, soit qu'on établisse des ponts entre les secteurs. Il y a des tensions, et le secteur de la pêche traverse une période difficile. L'aquiculture, pour bon nombre de pêcheurs, n'est pas une solution. Ce ne sont pas tous les pêcheurs qui peuvent immédiatement se transformer en aquiculteurs.
Le sénateur Perry: Étant donné que la morue est plutôt rare dans l'Atlantique, pourrait-on en assurer l'élevage comme on le fait avec le saumon?
Les crustacés et coquillages ne se déplacent pas tellement, de sorte que vous pouvez contrôler la zone d'ensemencement. Qu'en est-il des homards? Est-ce qu'ils se déplacent, ou peut-on les contrôler comme on contrôle les pétoncles ou les moules?
M. Bastien: Nous pourrions assurer l'élevage de la morue. La question qu'il faut se poser est la suivante: est-ce que cette activité est rentable? Il faut chercher à établir un équilibre entre le coût de production et le prix obtenu sur le marché. La morue est peut-être rare, mais son prix sur le marché n'a pas augmenté comme prévu. Nous avons effectué beaucoup de recherches sur la morue et le cycle de vie de cette espèce pour voir s'il était possible d'en assurer l'élevage dans des parcs en filet. Cette forme d'élevage n'est pas rentable. Certains aspects de celle-ci, comme l'élevage de juvéniles, semblent l'être. Terre-Neuve envisage sérieusement de se lancer dans ce type d'activité, sauf qu'il y a un problème de taille en ce sens que le stock d'élevage n'est pas fiable parce qu'il est composé de stocks sauvages qui ne cessent de fluctuer. Il est donc difficile de développer une industrie à partir de cela.
Si vous fondez votre évaluation sur la production, alors ce sont les coûts de production qui vont poser problème. La production de jeunes juvéniles coûte très cher. Il y a des espèces qui sont plus faciles à produire, et on peut obtenir un bon prix pour celles-ci sur le marché. Il y a une espèce en particulier qui fait l'objet d'un examen sérieux. Il s'agit du hareng, et des projets commerciaux sont prévus sur les deux côtes. Toutefois, tout dépend des coûts de production.
Pour ce qui est des homards, ils se déplacent. Comme ils migrent, leur mise en valeur serait mieux assurée dans le domaine public que privé. On pourrait très bien mettre sur pied un programme comme celui qu'ont établi les pêcheurs de pétoncles dans les Îles-de-la-Madeleine, par exemple. Les pêcheurs de homard pourraient mettre sur pied des projets pour mettre en valeur leurs stocks.
Le problème, c'est qu'il faut mettre au point des techniques qui assureront la survie de l'espèce. Les homards ont beaucoup de difficulté à survivre quand vous les remettez à l'eau, peu importe leur taille. Au début du siècle, la mise en valeur des homards sur la côte est au Canada représentait une activité majeure. Des milliards de homards étaient ensemencés, sauf que c'était une perte totale parce que les larves se déposaient dans le fond. C'est le MPO qui était responsable de ce programme. Nous devons poursuivre nos recherches sur les techniques de mise à l'eau, le moment où le poisson doit être mis l'eau, la taille qu'il doit avoir, pour faire en sorte que cette activité soit rentable.
Le sénateur Perry: Est-ce que les phoques consomment beaucoup de homards? Quand vous tuez un phoque et que vous l'ouvrez, vous trouvez toutes sortes d'espèces de poisson dans son organisme, y compris des homards.
Le sénateur Furey: Cela dépend de la région d'où vous venez.
M. Bastien: Je vais laisser à mes collègues du MPO le soin de répondre à cette question.
Le sénateur Perry: Si vous ouvrez un phoque, vous allez trouver des homards dans son organisme, de même que des harengs, des maquereaux, ainsi de suite. Le phoque se nourrit de n'importe quoi.
Pourquoi les phoques ne devraient-ils pas faire l'objet d'un abattage sélectif? Pourquoi ne devrions-nous pas abattre tant de phoques tous les ans?
Le président: Nous entrons peut-être dans un domaine que M. Bastien préfère éviter. Vous pourriez poser ces deux dernières questions au ministre, quand il recomparaîtra devant nous. Je ne veux pas mettre M. Bastien dans l'embarras.
Le sénateur Mahovlich: Vous avez parlé du prix. Le thon coûte très cher, surtout au Japon. Qu'en est-il de l'élevage du thon? Est-ce que ce serait faisable, ou possible?
M. Bastien: Absolument.
M. Taylor: L'Australie et la Nouvelle-Zélande pratiquent l'élevage du thon. Cette activité est très rentable. Le Canada n'a pas encore mis au point de techniques d'élevage, bien que l'aquiculture ait connu un essor majeur. La salmoniculture génère la majeure partie des revenus de l'industrie, soit environ 80 p. 100 de la valeur totale.
Il s'agit d'expériences faites avec de nouvelles espèces. Elles exigent de longues recherches et de gros investissements. Tant les gouvernements que l'entreprise privée investissent à cet égard.
En ce qui a trait aux nouvelles espèces, une entreprise islandaise a investi l'an dernier, en Nouvelle-Écosse, 15 millions de dollars dans des installations d'élevage de flétan. On veut y produire des flétans de deux livres qui conviennent parfaitement au marché de consommation de la Nouvelle-Angleterre. L'occasion était bonne et les conditions parfaites. Il s'agit là d'un investissement majeur dans la partie méridionale de la Nouvelle-Écosse. Qui sait, nous aurons peut-être un jour des fermes d'élevage de thon, mais nous avons tellement d'autres espèces à élever et à développer que cela risque de prendre un certain temps.
Le sénateur Perrault: Il y a quelques années, j'ai visité un marché de poisson à Tokyo. J'ai été estomaqué de voir la quantité de poissons et autres créatures que nous capturons dans l'océan quotidiennement. L'offre mondiale de protéines de poissons diminue alors que la population est en forte hausse. Vous avez un rôle très important à jouer pour essayer d'accroître la productivité au Canada et votre contribution à l'économie mondiale. Il s'agit là d'un secteur critique.
La surpêche constitue-telle vraiment une menace? Il y a quelques années les flétans se comptaient par milliards au large des côtes péruviennes alors qu'aujourd'hui l'espèce y a complètement disparu. Va-ton unir nos efforts à l'échelle mondiale pour conserver nos approvisionnements de protéines de poissons, une de nos sources alimentaires? C'est un défi qu'il nous faut relever.
Il nous reste encore à persuader le homard de l'Atlantique de venir en Colombie-Britannique. Nous avons essayé de toutes les manières. Nous nous y sommes pris à trois fois. Peine perdue.
M. Bastien: Nous avons essayé.
L'aquiculture aidera tous les pays à relever le défi que pose l'épuisement des ressources mondiales. Sans l'aquiculture, la pression exercée sur le stock naturel serait encore plus forte, beaucoup plus forte. En effet la forte demande à l'échelle mondiale inciterait les pays à pêcher davantage. L'aquiculture représente maintenant 25 p. 100 de la valeur de nos débarquements. C'est un changement majeur. Elle continuera à prendre de plus en plus d'importance. L'aquiculture pratiquée selon les règles de l'art, est la voie de l'avenir. Elle nous aidera à régler les problèmes que posent les stocks naturels.
Nous ne devrions pas oublier qu'il est difficile d'évaluer quelles seront les répercussions du réchauffement global et du changement climatique sur nos stocks naturels.
Le sénateur Perrault: Nous ne connaissons pas la raison du déclin. Il existe toutes sortes de théories.
M. Bastien: L'aquiculture aidera à solutionner ces problèmes. J'espère que vous m'appuierez à cet égard.
Le sénateur Perrault: Vous avez une tâche importante.
Le président: Au nom du comité, j'aimerais remercier les témoins des documents qu'ils nous ont présentés ce soir. Vos exposés étaient informatifs. L'industrie de l'aquiculture est entre bonnes mains. Nous regardons vers l'avenir.
Sénateurs, la semaine dernière, le sénateur Watt avait demandé qu'une lettre du Conseil des autochtones du Nouveau-Brunswick soit déposée comme pièce. Les membres sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Ce sera fait. Je crois que notre greffier en a distribué des exemplaires tout à l'heure.
Je propose également que l'exposé de M. Bastien soit déposé comme pièce. Êtes-vous d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Devrions-nous inclure l'exposé de M. Roth également?
Des voix: D'accord.
Le comité a exprimé le désir de soumettre un budget supplémentaire pour que nous puissions amener quatre sénateurs de plus -- si le sous-comité du budget est d'accord, il va sans dire -- lorsque nous nous rendrons sur la côte ouest de la Colombie-Britannique à la fin mars. Il en coûterait 24 000 $. Les membres du comité sont-ils d'accord pour que nous soumettions ce budget supplémentaire?
Le sénateur Mahovlich: Je le propose.
Le président: Les membres du comité sont-ils d'accord?
Des voix: D'accord.
Le sénateur Mahovlich: Nous devrions peut-être songer à nous rendre en Norvège étant donné qu'à ce qu'on dit les techniques d'aquiculture y seraient les meilleures au monde.
Le président: Il s'agit peut-être d'une question qui relève du comité directeur. Le sénateur Perrault, le sénateur Robichaud et moi-même allons faire une recommandation au comité principal à cet égard.
Le sénateur Mahovlich: Il serait préférable d'y aller en juillet ou en août.
Le président: C'est une industrie importante en Norvège. L'Écosse, qui ne se trouve pas très loin, obtient aussi de bons résultats. Laissons au comité de direction le soin de décider. Nous verrons ce que nous pourrons proposer.
Veuillez prendre note que nous avons demandé au ministre de revenir le 14 mars, à 18 heures.
La séance est levée.