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POFO - Comité permanent

Pêches et océans

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches

Fascicule 10 - Témoignages du 20 septembre 2000


OTTAWA, le mercredi 20 septembre 2000

Le comité sénatorial permanent des pêches auquel est renvoyé le projet de loi S-21, Loi visant à protéger les phares patrimoniaux, se réunit aujourd'hui, à 17 h 45, pour examiner ledit projet de loi.

Le sénateur Gerald J. Comeau (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Honorables sénateurs, nous poursuivons l'étude du projet de loi S-21. Notre premier témoin est à Halifax et se joint à nous par vidéoconférence.

M. Dan Conlin, conservateur, Histoire maritime, Musée maritime de l'Atlantique: Honorables sénateurs, je vais commencer par vous parler de ce que j'ai fait jusqu'ici au sujet des phares, vous faire l'historique des phares canadiens et vous indiquer certains des problèmes posés par les politiques patrimoniales actuelles visant les phares, avant de passer aux points forts et aux points faibles de ce projet de loi. Je vais proposer certains changements possibles au projet de loi.

Je suis historien au Musée maritime de l'Atlantique en Nouvelle-Écosse. Mon travail consiste essentiellement à faire de la recherche et à écrire des articles au sujet de pièces muséographiques, mais je réponds également aux demandes de renseignements faites par des organismes patrimoniaux locaux. Au cours des cinq dernières années, la préservation des phares a suscité beaucoup d'intérêt. J'appelle ce phénomène «le mouvement des phares»; il m'a tenu très occupé, puisque j'ai reçu beaucoup de demandes de renseignements et de conseils historiques. J'ai aidé plusieurs douzaines d'organismes locaux à découvrir leurs phares et je les ai renseignés au sujet des politiques de protection qui existent.

Les phares sont un symbole patrimonial important dans tout le Canada, mais encore plus en Nouvelle-Écosse. C'est dans cette province que se trouve le phare le plus ancien au Canada et on y retrouve aussi le plus grand nombre de phares, près de 150 au total. Pour notre province, les phares représentent une ressource touristique potentielle importante ainsi qu'un symbole important de notre identité.

J'ai participé à quatre séances régionales entre la Garde côtière canadienne et les groupes patrimoniaux locaux sur la reconversion des phares. J'ai siégé au sein du Comité consultatif régional de la reconversion des phares. Ce comité a été créé par la Garde côtière il y a quatre ans et a été démantelé l'année dernière.

Personnellement, je suis membre de la Nova Scotia Lighthouse Preservation Society et conseiller également après d'un nouvel organisme appelé le Atlantic Lighthouse Council. J'ai donné beaucoup de conseils et plusieurs suggestions au Comité de l'étude de la Loi sur la protection des phares qui demande instamment l'adoption d'une loi.

Je vais reprendre la définition de «phare» qu'utilise la Nova Scotia Lighthouse Preservation Society: un phare est une tour fermée dotée d'un fanal encloisonné. Cette définition englobe les phares en bois et également les phares plus récents en ciment et en fibre de verre qui respectent la forme traditionnelle du phare, soit une tour en pointe. Je vais également utiliser l'expression «station de phare», à l'occasion. Elle désigne la tour, le terrain qui l'entoure et les bâtiments connexes, comme la maison du gardien de phare et les bâtiments de corne de brume. Ces structures sont elles-mêmes d'importants édifices patrimoniaux rattachés aux phares et représentent la clé de la reconversion des phares par les localités.

Je passe maintenant à l'histoire du Canada dans ce domaine. Notre réseau de phares représente une réalisation unique et remarquable de notre pays. Au moment de la Confédération, le Canada a hérité d'un petit réseau de phares des diverses colonies de l'Amérique du Nord britannique, mais il s'est vite aperçu qu'il était un petit pays tout neuf doté des lignes de côte les plus longues du monde. Après la Confédération, nous avons adopté une approche typiquement canadienne pour la construction d'un réseau de phares. Alors que des pays plus anciens qui avaient également un tel réseau, comme ceux de l'Europe et de l'Amérique, se concentraient sur des tours en pierre et en fer dotées de gardiens quasi-militaires, nous avons construit un réseau extrêmement bien réussi de phares en bois, construits localement et exploités par des gardiens -- habituellement des familles -- issus des localités adjacentes.

Cette approche économique qui a permis de réaliser un réseau de phares bien ancré dans la société locale, en un très court laps de temps, a créé l'un des réseaux de phares les plus importants du monde. C'est une réalisation dont nous devrions tirer fierté et que nous devrions nous efforcer de préserver. La survie de certains de ces phares traditionnels est tout aussi remarquable, et ce grâce à des générations de gardiens et de leurs familles dévoués à la cause du phare. Notre héritage canadien représenté par des centaines de tours en bois blanches et rouges, octogonales ou carrées, auxquelles se sont ajoutées dans les dernières années des tours octogonales en ciment, est un véritable succès. Nos phares ont ainsi un caractère canadien unique et distinct.

Ces phares canadiens ne se retrouvent pas uniquement sur les côtes de l'Atlantique et du Pacifique. On les retrouve dans toutes les provinces, à l'exception de la Saskatchewan et de l'Alberta. Après la Nouvelle-Écosse, c'est l'Ontario qui a le plus grand nombre de phares dans le pays.

À l'apogée de la période du réseau canadien des phares, dans les années 20, on en comptait plus de 800. L'automatisation et une frénésie de démolition dans les années 70 et 80 ont ramené ce chiffre à près de 580 phares traditionnels aujourd'hui.

À l'heure actuelle, les changements apportés aux aides à la navigation, comme les systèmes de positionnement mondial, diminuent la nécessité des phares, bien que les phares ne soient pas désuets et qu'un grand nombre soit toujours requis pour éviter les dangers au cours des dix prochaines années environ. Néanmoins, il est évident que de plus en plus de phares vont être en surplus et que même dans le cas des phares opérationnels dont nous avons toujours besoin, beaucoup d'édifices anciens et des terrains connexes ne sont plus utiles pour la navigation, à proprement parler.

L'aliénation imminente d'un grand nombre de phares crée un besoin urgent de l'amélioration des normes patrimoniales, puisque l'aliénation entraîne l'abandon, la démolition et le développement commercial qui diminuent et détruisent les caractéristiques patrimoniales des phares. Cependant, un surplus de stations de phare va également créer des possibilités importantes pour beaucoup de collectivités côtières qui souhaitent préserver les structures et développer des activités économiques durables.

Je connais des collectivités qui ont consacré énormément de ressources humaines et financières à la conservation de leurs phares. Cap Fourchu et Yarmouth ont investi des centaines de milliers de dollars pour remplacer le toit de leur phare, installer de nouveaux égouts et laisser le phare ouvert au public. L'île de la Grande-Entrée à Liverpool, en Nouvelle-Écosse, a dépensé 70 000 $ pour littéralement repousser la mer afin qu'un phare local ne soit pas précipité dans l'océan par suite de l'érosion. Un tout petit village appelé Port Greville a déplacé son phare sur 600 kilomètres pour le ramener au village après qu'il leur a été enlevé dans les années 70. Ces groupes locaux rassemblent d'énormes ressources, sans avoir la certitude, dans la plupart des cas, de pouvoir véritablement conserver leur phare, bien que selon eux, il soit important d'essayer.

C'est grâce à ces groupes locaux que nous gardons l'espoir de préserver les phares et nous devrions tout faire pour les aider. Mes collègues du United States Parks Service en sont arrivés à la même conclusion. Selon eux, ce sont les groupes locaux qui parviennent le plus à préserver les phares, bien mieux que les divers paliers du gouvernement et le secteur privé. Il est malheureux que l'actuelle politique fédérale joue véritablement contre les groupes locaux, puisqu'elle déclare que leurs phares, dans la plupart des cas, ne sont pas des édifices du patrimoine. Ces groupes locaux doivent également payer énormément d'argent à Ottawa pour avoir le privilège de sauvegarder des stations de phare dont profitent tous les Canadiens.

Je vais brièvement expliquer les problèmes que pose la politique actuelle en matière de phares au Canada. Les phares font face à deux dangers: une absence de normes patrimoniales et l'actuel processus fédéral d'aliénation. Pour les édifices fédéraux, seules les règles fédérales en matière de patrimoine s'appliquent et les édifices fédéraux n'ont absolument pas accès à une protection patrimoniale de la part d'un gouvernement provincial ou municipal.

Le ministère de Patrimoine canadien gère deux programmes relatifs aux édifices patrimoniaux qui sont essentiels pour les phares. Les lieux historiques nationaux sont désignés par la Commission des lieux et monuments historiques du Canada et, mis à part un petit nombre de lieux historiques nationaux dont s'occupe Parcs Canada, la désignation de lieu historique est essentiellement de nature cérémoniale. Elle n'offre aucune protection contre la démolition, le développement ou la vente. Sur les 580 phares du Canada, 13 ont la désignation de lieu historique national.

Les édifices fédéraux du patrimoine sont protégés par une politique gérée par le Bureau d'examen des édifices fédéraux à valeur patrimoniale, connu sous l'acronyme BEEFP. Les édifices de plus de 40 ans ont droit au statut BEEFP, mais seulement s'ils sont désignés par le ministère qui en a la garde, dans le cas qui nous intéresse, Pêches et Océans. Ils ne peuvent pas être désignés par d'autres Canadiens ni par des groupes locaux.

Le BEEFP utilise une méthode de points pour déterminer la valeur patrimoniale des phares. Deux niveaux de protection existent. Le niveau «classifié» interdit la démolition et fixe des normes patrimoniales très strictes. Le niveau «reconnu» exige des examens avant la démolition, la modification ou l'aliénation et fixe des normes beaucoup moins sévères, même s'il assure une certaine mesure de protection.

Les édifices qui ne répondent pas aux critères de l'un ou l'autre de ces niveaux, d'après la méthode des points, sont désignés «non patrimoniaux». Les administrateurs des ministères comme Pêches et Océans et des organismes comme la Garde côtière considèrent que ces phares n'ont aucune valeur patrimoniale et pensent pouvoir ainsi en faire ce qu'ils veulent.

D'après les chiffres de 1998 du Bureau d'examen des édifices fédéraux du patrimoine, 19 phares au Canada sont désignés «classifiés», 101 sont désignés «reconnus» et 157 sont désignés non patrimoniaux. Près de 3 p. 100 jouissent d'une protection patrimoniale authentique et ne peuvent pas être démolis. Près de 17 p. 100 ont la désignation affaiblie «reconnus» et la plus grande majorité sont rejetés. Au total, près de 20 p. 100 des phares au Canada sont protégés, ce qui est extrêmement peu par rapport aux États-Unis où plus de 70 p. 100 des phares ont une désignation équivalente dans le National Register of Historic Places à celle de nos édifices classifiés. Je suis toujours frappé par un tel écart.

Tout en étant frustré par le système BEEFP et par le fait qu'il n'assure pas la protection des phares, j'éprouve une certaine sympathie pour les fonctionnaires qui doivent le gérer. Ils ne disposent pas des ressources nécessaires pour assurer la protection patrimoniale. Ils m'ont dit qu'ils étaient gênés de procéder à autant de désignations non patrimoniales. Selon eux, d'autres catégories s'imposent pour empêcher la radiation de tant de phares et de structures historiques.

Le système BEEFP présente plusieurs lacunes, si bien qu'il ne peut assurer la protection que d'un nombre symbolique de phares. Tout d'abord, le système d'évaluation BEEFP est si fermé et privé et dépend tellement des ministères de garde que je ne peux que le qualifier de cachottier. Il n'exige aucune consultation locale. Il ne peut pas être déclenché par les localités. Aucune localité que j'ai rencontrée n'a jamais été avertie que son phare était évalué ou examiné à des fins patrimoniales. J'ai reçu plus d'une douzaine d'appels de groupes locaux qui disent vouloir proposer leur phare comme édifice fédéral du patrimoine. Je fais la recherche et je leur donne la bonne nouvelle qu'Ottawa a examiné leur phare il y a quatre ans et que toute valeur patrimoniale a été refusée. Cela ne cesse de m'arriver.

Deuxièmement, le système BEEFP affiche un préjugé à l'égard des structures régionales en bois. Le point de repère du BEEFP, je l'ai appris de la bouche des historiens qui y travaillent, c'est l'enceinte parlementaire. Les édifices du Parlement marquent 100 points. Ce sont des édifices en pierre très ornés qui arrivent en première place. Par comparaison, les édifices traditionnels en bois remportent très peu de points. C'est une façon terrible, eurocentrique, de juger les édifices du patrimoine; elle ne tient pas compte de l'exploit que les phares en bois et notre utilisation novatrice des phares en ciment représentent au Canada.

La troisième grosse lacune de la désignation donnée par le BEEFP, c'est qu'elle disparaît lorsque l'édifice n'appartient plus au gouvernement. La plupart des phares, sinon la totalité, vont être éventuellement abandonnés par le gouvernement fédéral selon les politiques actuelles d'aliénation. Cela crée une impasse. Les phares ne peuvent pas être protégés par des règles provinciales ou municipales en matière de patrimoine, car ils appartiennent au fédéral, mais dès que le gouvernement fédéral les vend, la protection fédérale patrimoniale disparaît.

En ce qui concerne les processus d'aliénation, il existe actuellement trois modèles. Les phares britanniques sont gérés par Trinity House. La Grande-Bretagne conserve la propriété de tous les phares, même de ceux qui sont mis hors service, car ils représentent tout simplement un trop bel héritage. Des ententes de bail et de fiducie ont été conclues avec des groupes locaux et d'anciens gardiens afin qu'ils puissent s'occuper des phares et des tours.

Le modèle américain est une formule mixte. Presque tous les anciens phares jouissent d'une protection patrimoniale. Certains phares sont loués, d'autres sont vendus pour diminuer l'inventaire fédéral, mais ils sont d'abord offerts gratuitement à d'autres paliers de gouvernement ou à des groupes locaux, qui sont sur un pied d'égalité dans la mesure où ils peuvent présenter de bons plans de conservation.

Enfin, nous avons l'actuel modèle canadien d'aliénation des phares: vendre les phares en surplus à la valeur marchande à d'autres paliers de gouvernement ou à des particuliers. Cela impose un énorme fardeau aux groupes locaux qui doivent réunir d'énormes quantités d'argent pour soutenir la concurrence sur un marché immobilier côtier avant même de pouvoir commencer à investir pour rénover un phare et en assurer le développement. Ce processus d'aliénation en fonction de valeur marchande réelle, mis en vigueur par le Conseil du Trésor, permet en fait de transférer de l'argent des petites localités côtières à Ottawa. C'est sans doute l'obstacle le plus important en ce qui concerne la protection des phares publics. Je reçois des appels presque chaque semaine d'Américains qui sont impatients d'acheter des phares canadiens qu'ils veulent transformer en résidences privées.

Venons-en au projet de loi S-21 auquel je fais bon accueil. C'est l'une des rares mesures positives qui se rapporte aux phares, qui nous soit parvenue d'Ottawa ces quelques dernières années. J'aimerais en souligner les points forts. Le projet de loi s'applique autant aux phares publics qu'aux phares privés, qu'ils appartiennent au gouvernement fédéral ou non. Contrairement aux actuelles normes patrimoniales BEEFP qui disparaissent dès que le phare est vendu ou cédé, la protection patrimoniale subsiste. Le projet de loi s'élève fortement contre la démolition ou les modifications qui défigurent les phares et les assortit d'un lourd processus d'approbation, contrairement à la désignation de lieux historiques BEEFP qui n'offre aucune protection contre la démolition. Le projet de loi propose d'utiliser le processus de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada pour désigner les phares patrimoniaux. Cela donnerait au public plus d'occasions de participer que le système fermé et secret du BEEFP. Un autre avantage du projet de loi, c'est le mandat plus important qui est proposé pour le ministère de Patrimoine canadien, lequel s'occuperait des phares, ce qui supprimerait une part du fardeau qui pèse actuellement sur la Garde côtière canadienne. Ce projet de loi désigne les phares comme étant des structures caractéristiques spéciales, ce qui équivaut à la désignation accordée aux gares patrimoniales de chemin de fer.

Autre caractéristique positive de ce projet de loi, c'est l'inclusion des tours de phare et des autres structures sur le terrain, comme les maisons de gardien et les édifices de corne de brume. Il s'agit souvent d'importants édifices du patrimoine qui, dans pratiquement tous les cas, peuvent avoir une autre utilité pour la localité. Ils peuvent servir de logements pour la nuit, de locaux pour des services de restauration, de centres d'interprétation et de musées. Souvent, ces services ne peuvent pas être offerts dans la tour elle-même.

Voici les points du projet de loi qui pourraient être améliorés. Tout d'abord, le processus de désignation indiqué dans le projet de loi S-21 utilise la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, qui, autant que je sache, affiche un arriéré important en matière de décisions relatives aux lieux historiques. Cette commission pourrait avoir de gros problèmes vu le nombre important de cas que représentent les phares. Il serait fort malheureux que ce projet de loi devienne loi et remplace le système inadéquat BEEFP par un système tout autant inadéquat et engorgé par un tel arriéré.

Je propose deux solutions possibles. Tout d'abord, ajouter un article permettant des désignations groupées. Cette formule est utilisée aux États-Unis et c'est une des raisons pour lesquelles on y retrouve autant de phares protégés. Cela permet, par exemple, de désigner d'un seul coup 20 phares datant d'avant la guerre civile dans le Maine qui partagent les mêmes caractéristiques patrimoniales. Cela permet des désignations patrimoniales plus rapides et plus faciles. Je recommande fortement d'envisager des désignations groupées. Nous pourrions avoir des catégories comme les phares datant d'avant la Confédération ou datant d'avant la Première Guerre mondiale. L'autre option consiste à donner des ressources spéciales à la Commission des lieux et monuments historiques du Canada. En effet, si on lui demande d'assumer cette nouvelle responsabilité, elle aura besoin de ressources supplémentaires pour éviter d'augmenter l'arriéré.

On pourrait également ajouter au projet de loi la formule du bail pour des groupes locaux. Je sais que beaucoup de groupes locaux demandent tout d'abord un bail lorsqu'ils entrent en contact avec la Garde côtière. Grâce à la formule du bail, le bien reste du domaine public et continue d'appartenir au gouvernement fédéral. Les groupes locaux peuvent alors utiliser leurs ressources pour rénover la station de phare, au lieu de tout dépenser pour l'acheter. Le bail permet également, au cas où un groupe local ne réussirait pas à mener à bien son initiative, que le phare reste du domaine public et ne soit pas vendu au secteur privé. Un système de bail abordable qui ne correspondrait simplement qu'aux coûts administratifs, et qui serait appuyé par des normes patrimoniales, pourrait permettre de créer un genre d'entente fiduciaire si bien que les phares seraient placés sous la responsabilité des localités tout en continuant d'appartenir aux Canadiens.

Si l'on veut préserver de nombreux phares, il faut exempter les stations de phare patrimoniales des exigences relatives à la valeur marchande réelle tant dans les baux que dans les cessions ou les ventes. Se servir des phares pour générer des recettes en les vendant à la valeur marchande réelle les rend peut attrayants pour d'autres paliers de gouvernement et représente un terrible fardeau pour les groupes locaux qui doivent payer d'énormes montants d'argent à Ottawa avant de pouvoir même commencer à restaurer le phare en question.

La vente des phares selon leur juste valeur marchande donne à penser que les phares publics peuvent uniquement être exploités à des fins publiques. Il ne faudrait pas les remettre tout simplement entre les mains du marché immobilier privé. L'exigence selon laquelle les édifices fédéraux, et cela englobe les phares, doivent être vendus selon leur juste valeur marchande a été fixée par le Conseil du Trésor et nécessiterait, comme le précisent les règles, l'adoption d'une exemption législative.

Enfin, le projet de loi devrait prévoir, dans le cas des phares, l'établissement de normes qui ne se limitent pas au système de classement et de reconnaissance inadéquat du BEEPC. Il faut élargir la portée des normes appliquées par le Bureau. On pourrait tenir compte de l'importance que revêtent les phares sur les plans local ou régional. On pourrait aussi prévoir, dans les règlements qui accompagnent la loi, différentes catégories de phares, soit ceux qui ont une valeur patrimoniale nationale, régionale, provinciale ou locale. Les États-Unis utilisent déjà cette approche. Il n'est pas nécessaire de définir le système dans le projet de loi, mais de tout simplement indiquer dans celui-ci que des normes seront prévues dans les règlements.

Voilà qui résume mon point de vue sur le projet de loi. Le personnel de la Garde côtière et du ministère des Travaux publics me demande souvent s'il est possible de sauver les 580 phares qui restent. Je leurs réponds que nous allons sans doute en perdre quelques-uns, mais que nous devrions essayer d'en sauver le plus possible. Nous devrions donner à chacune des collectivités la possibilité de conserver leur phare local. N'oublions pas que nous avons déjà perdu des centaines de phares dans les années 70 et 80 parce qu'ils ont été démolis.

Or, il existe encore, sur les terres publiques, un réseau national de bâtiments historiques qui nous fournissent un accès précieux aux régions côtières. Cela permet d'assurer la croissance soutenue des collectivités et de protéger leur identité culturelle. Si la politique fédérale actuelle continue d'être appliquée sans protection législative quelconque, c'est notre génération qui sera responsable du démantèlement et de la destruction de ce legs. J'espère que votre étude du projet de loi nous permettra d'éviter un tel scénario.

Le révérend David Curry, coprésident, Comité d'étude de la Loi sur la protection des phares, Nova Scotia Lighthouse Preservation Society: Je vous remercie de me donner l'occasion d'exposer mon point de vue sur la nécessité d'adopter une loi pour protéger nos phares. J'ai eu le privilège de participer à un projet de développement communautaire qui visait à remettre en état le phare de Port Bickerton, situé sur la côte est de la Nouvelle-Écosse. Le site sera transformé en centre d'interprétation sur les phares de la Nouvelle-Écosse. Aujourd'hui, j'aimerais vous parler de façon plus générale de la nécessité d'adopter une loi pour protéger nos phares.

Quand Virginia Woolf a écrit To the Lighthouse, en 1927, elle tenait pour acquis qu'il y avait des phares et, en plus, personne à l'époque ne se posait de questions à leur sujet. Ils étaient tout simplement là, plus vrais que nature, que ce soit dans les coins reculés des Îles Hébrides ou le long des majestueuses côtes canadiennes. Ils servaient d'aides à la navigation, mais remplissaient aussi un autre rôle beaucoup plus complexe, mais très symbolique: celui d'icone. Ces deux aspects sont étroitement liés.

Presque trois quarts de siècle se sont écoulés depuis, et il semble qu'on ne puisse plus prétendre que les phares existeront toujours, ou encore présumer qu'ils continueront d'assumer leur rôle d'aide à la navigation. Or, leur importance symbolique continue d'avoir une emprise sur nos âmes, ces âmes qui, collectivement, servent de base à la culture et façonnent un pays.

Il existe depuis longtemps un lien inéluctable entre les phares en tant qu'aides à la navigation, et les phares en tant que symboles culturels. Tout cela peut vous sembler bien loin des préoccupations pressantes et pratiques auxquelles font face nos pêcheurs canadiens. Or, la canadienne Evelyn Richardson, poète lauréate des phares, nous rappelle que les phares ne sont pas uniquement de simples sentinelles seules et isolées qui bravent les vents et marées dans l'obscurité de la nuit; les phares constituent une communauté. Voici ce qu'elle dit au sujet des phares qui illuminent Outer Island ou Bon Portage au large de la côte sud de la Nouvelle-Écosse:

J'adore observer les faisceaux que projettent les phares avoisinants à l'heure du crépuscule et qui ressemblent à de jolies étoiles. Je ne connais qu'un seul des gardiens, mais les phares eux-mêmes sont de vieux amis. Là-bas, à une douzaine de milles vers l'ouest, se dessine le faisceau plutôt irrégulier de Seal Island; au sud-ouest, il n'y a que la mer et le ciel, mais à huit milles de là, vers le sud-est, on voit le faisceau blanc de Cape Sable; un peu plus loin, presque plein est, se dessine le faisceau rouge de West Head; plus près de nous, à deux milles seulement d'ici, on voit la petite lumière scintillante d'Emerald Isle. Au nord, bien protégé par les promontoires et les îles, se projette le petit faisceau rouge de Wood's Harbour [...] ce sont les sourires chaleureux d'amis qui bravent les vents et marées.

Ces «sourires chaleureux» constituent une communauté de phares qui appartient à cette communauté plus grande que nous avons le privilège d'appeler le Canada. Pour les Canadiens, les phares sont un symbole de notre identité. Nous avons besoin de ces symboles dans cette terre vaste et incertaine, façonnée par trois océans, où la lutte pour la vie se veut constante et incessante. Ces symboles nous lient à notre passé, à notre histoire, à la complexité des cultures qui nous caractérisent. Dans un sens, la communauté que nous appelons le Canada a été façonnée par les phares qui ont jalonné nos côtes et illuminé notre passé. Ils font partie du paysage marin de l'imaginaire politique et spirituel qui nous caractérise, d'un océan à l'autre.

Les symboles sont des images qui nous aident à comprendre qui nous sommes, à comprendre notre identité et notre mission. Les phares, eux, sont les symboles de notre spiritualité. Ils sont la sagesse de la lumière partagée.

Or, voilà que s'érigent devant nous les forces du déterminisme économique et de l'exubérance technologique qui, d'emblée, nous réduisent en esclaves et nous captivent, mais souvent au détriment de nous-mêmes et de nos communautés, car elles nous empêchent de mieux apprendre à nous connaître, et au détriment aussi de notre imaginaire à la fois historique, culturel et spirituel.

Or, le sourire chaleureux des phares est aujourd'hui menacé. Quand nous jetons un coup d'oeil aux phares qui illuminent nos côtes, nous nous demandons pendant combien de temps encore vont-ils être là. Les phares traversent une crise, que ce soit sur le plan local, national ou international. L'étendue de cette crise peut varier, mais si elle existe, c'est pour une raison fort simple: on est en train de dissocier le rôle d'aide à la navigation que jouent les phares de leur importance symbolique, culturelle et patrimoniale.

Les administrateurs actuels des phares ne sont pas les seuls à oublier l'importance symbolique et culturelle de ceux-ci. La Garde côtière canadienne, du moins dans les Maritimes, a démontré qu'elle tient aux phares. Or, elle ne cesse de répéter qu'elle n'a aucun mandat dans le domaine de la culture et du patrimoine, qu'elle est uniquement chargée de s'occuper de navigation et de sécurité. Dans un sens, c'est vrai, car à une certaine époque, on pouvait démontrer l'existence d'un lien entre les deux. Aujourd'hui, cela n'est plus possible.

Le fait qu'on dissocie l'aide à la navigation de la culture donne à penser qu'on ne peut trouver de solutions viables au problème par les voies réglementaires, en vertu des lois actuelles. Grâce à l'initiative et à la sagesse de la Garde côtière canadienne, dans les Maritimes, ces voies ont été explorées à fond, tandis que des solutions créatives et empreintes d'imagination ont été proposées par ceux qui sont conscients de l'importance que revêtent les phares. Le Programme de conversion des phares, auquel j'ai participé de concert avec M. Conlin et autres, a reçu l'appui de la haute direction de la Garde côtière, à Ottawa. Je tiens à vous rappeler gentiment qu'Ottawa, bien entendu, n'a pas de phares.

Il y a deux grandes questions qui posent problème et auxquelles ne répondent ni la politique ni la loi actuelles: l'aliénation des phares jugés excédentaires et la protection des phares traditionnels qui sont toujours opérationnels.

Pour ce qui est de l'aliénation des biens, le problème est à la fois d'ordre pratique et théorique. Sur le plan théorique, on considère les phares comme des biens usagés qui peuvent faire l'objet d'une grande braderie organisée par le MPO. On ne tient pas compte du fait que les phares constituent un bien particulier qui devrait continuer de relever du domaine public. Cela s'inscrit dans la question plus vaste qu'a soulevée l'an dernier Silver Donald Cameron, dans le Globe and Mail, alors qu'il s'est demandé à qui appartenaient les phares. Sur le plan pratique, les politiques actuelles du Conseil du Trésor concernant l'aliénation des biens immobiliers n'accordent aucune place aux groupes communautaires ou aux groupes d'intérêts.

La priorité est d'abord accordée aux autres ministères fédéraux, aux gouvernements provinciaux, aux gouvernements municipaux et ensuite au marché libre, où le bien sera vendu selon sa juste valeur marchande. Comme l'a signalé M. Conlin, il s'agit là d'un problème grave. Les groupes communautaires qui ont besoin de capitaux ne peuvent livrer concurrence aux intérêts privés qui cherchent à mettre la main sur des propriétés côtières vierges, de premier ordre. Le processus d'aliénation a pour effet de retirer les phares du domaine public. De plus en plus de groupes communautaires s'intéressent de près aux phares et ils n'ont pas la possibilité de les garder. Il n'existe pas de dispositions qui prévoient la location des phares ou leur administration par une fiducie, des solutions qui sont beaucoup mieux adaptées aux besoins et aux compétences des premiers intéressés, soit les communautés.

Pour ce qui est de la conservation des phares traditionnels qui sont encore opérationnels, il est encore plus important d'en assurer la protection patrimoniale. Les réductions budgétaires imposées à la Garde côtière et les changements technologiques apportés à son système d'exécution des programmes signifient que les structures traditionnelles qui font partie intégrante du paysage côtier de nos océans, rivières et lacs vont continuer d'être négligées. Toutefois, l'économie et la technologie ne sont pas les seuls facteurs en cause. Il faut prendre conscience de l'importance culturelle que revêtent ces sites et les communautés qu'ils desservent, et aussi des possibilités de reconversion qui existent et qui permettent de respecter le rôle d'aide à la navigation des phares.

Un phare n'est pas seulement un phare; c'est un symbole culturel. Laisser ces structures à l'abandon au point où elles doivent être démolies équivaut à un geste de négligence volontaire posé au nom de la réduction des biens immobiliers et de l'exécution plus efficace des programmes. On ne tient pas compte de l'importance qu'ont ces phares pour les communautés. On ne tient pas compte de leur valeur patrimoniale quand on définit leur mandat en termes stricts et étroits. Il doit sûrement y avoir une meilleure façon de faire les choses.

La Garde côtière est consciente de ces préoccupations et a collaboré avec les communautés en vue de trouver des solutions concrètes au problème. Je l'en félicite. Toutefois, elle s'est heurtée aux restrictions réglementaires imposées par la politique actuelle, et c'est pourquoi il faut absolument adopter une loi. On l'a dit dès le début des consultations publiques qu'a entreprises la Garde côtière en 1996, et un nombre sans cesse croissant de particuliers et de groupes se sont dits d'accord avec cette idée lors de chacune des conférences qui ont eu lieu depuis. Le public est de plus en plus conscient de la nécessité de protéger les phares. C'est une question qui va continuer de susciter de l'attention.

La Loi actuelle sur le patrimoine se veut restrictive sur deux plans. D'abord, comment peut-on parler de protection du patrimoine quand le BEEFP a le droit d'inscrire les phares sur la liste des biens qui peuvent être aliénés? Ensuite, les critères de désignation du Bureau sont trop restrictifs en ce sens qu'ils se limitent aux biens particuliers qui présentent un intérêt architectural ou historique. Ils ne permettent pas de considérer les phares collectivement. Ceux-ci doivent être considérés séparément. Or, il faut reconnaître dans la loi la valeur culturelle et symbolique des phares.

L'adoption d'une loi visant à protéger les phares patrimoniaux du Canada n'enlève rien au rôle que jouent les phares en tant qu'aides à la navigation. En effet, il faut prendre conscience de la valeur culturelle et patrimoniale des phares, comme l'ont déjà fait, d'ailleurs, un si grand nombre de pêcheurs et de marins, qui se méfient des systèmes de navigation électronique. Ils ont trop de respect pour la mer et considèrent avec scepticisme les illusions que nous entretenons au sujet de la question de contrôle. Cela fait partie de leur sagesse. Un signal sur l'écran ne remplace pas le réconfort qu'apporte le phare dans la sombre obscurité de la nuit.

Il faut adopter une loi pour éviter qu'on dissocie le rôle d'aide à la navigation de celui d'outil culturel. À défaut de cela, nous allons donner notre aval à ce qui deviendra inévitablement un programme de vandalisme financé par l'État -- l'iconoclasme des phares par leur cession au plus offrant ou par leur démolition parce qu'ils ont été victime de négligence systématique.

Nous avons réclamé dans le passé le dépôt d'une loi sur la protection des phares, et nous tenons à remercier le sénateur Forrestall et le sénateur Carney d'avoir déposé ce projet de loi. Nous estimons qu'il nous permettra de conjurer le «mauvais sort» qui s'abat sur les phares. Il constitue peut-être un moyen plus efficace d'assurer la protection patrimoniale des phares du Canada. Comme ce sont les communautés qui ont été à l'origine de ce mouvement en faveur d'une loi, ce sont elles qui devront prendre l'initiative d'assurer la désignation patrimoniale des phares. Nous souhaitons proposer au projet de loi S-21 des changements qui pourraient s'avérer utiles aux communautés qui désirent protéger leurs phares. Ces propositions s'ajoutent à celles de M. Conlin.

Nous proposons, si vous nous le permettez, que l'article 5 du projet de loi soit modifié comme suit: l'actuel article 5 deviendrait l'article 5.1, et un nouvel article 5.2 serait ajouté. Il se lirait comme suit: «Les phares qui présentent les mêmes caractéristiques peuvent être désignés collectivement.» On ajouterait un nouvel article, soit le 5.3, qui disposerait ce qui suit: «Le ministre peut, aux fins de la présente loi, conclure un accord de location ou de fiducie avec un groupe communautaire ou un groupe d'intérêt.» L'article 5.4 disposerait que «tout phare désigné par la présente loi sera assujetti aux normes établies à partir des lignes directrices fédérales régissant les édifices du patrimoine.» Enfin, l'article 5.5 préciserait que «sont définies dans la présente annexe les désignations patrimoniales pouvant être accordées aux phares». Ces dispositions reprennent l'essentiel des propositions mises de l'avant par M. Conlin.

Il y a deux ans, la Nouvelle-Écosse est devenue le point de mire du monde entier par suite de la tragédie qui a frappé le vol Swissair 111, qui s'est abîmé au large de Peggy's Cove. Ce n'est pas au pied d'un montant métallique que les personnes endeuillées ont déposé leurs gerbes de fleurs à la mémoire de leurs bien-aimés, mais au pied d'un phare très simple, mais traditionnel -- un symbole d'un geste à la fois humain et divin, soit le partage du chagrin et de la douleur, mais aussi de l'espoir et de la prière. Les phares, dans leur grande humanité, constituent un véritable regain d'espoir.

Or, ce phare, qui est peut-être le plus connu et le plus photographié au Canada, n'est pas seul. Il fait partie de l'ensemble des phares qui jalonnent les côtes. Les phares doivent être un instrument de partage; ils doivent servir à communiquer, à signaler une présence. Quand il n'y a pas de lumière, il n'y a qu'obscurité et absence. Voilà ce dont il faut se rappeler. Les phares doivent être considérés comme un tout, non pas isolément, puisque ce sont eux qui façonnent le pays. Les phares, comme l'a dit Evelyn Richardon, se sont les sourires chaleureux d'amis qui nous aident à lutter contre vents et marées.

Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ce projet de loi sur la protection des phares, un projet de loi qui nous aidera à protéger ces «vieux amis» qui font partie intégrante de notre patrimoine.

Le président: De nombreux phares ont été mentionnés, ce soir, mais M. Conlin en a mentionné un en particulier, et il s'agit du phare Forchu, à Yarmouth. Ce phare fait partie intégrante de l'histoire de Yarmouth. C'est un de mes phares préférés, et chaque fois que je me rends à Yarmouth, je passe devant pour l'examiner de près. Merci d'avoir mentionné ces endroits.

Vous tenez beaucoup, tous les deux, à ces phares et vous l'avez démontré ce soir. Je suis certain que vous avez éveillé l'intérêt de nos membres et qu'ils voudront approfondir les points que vous avez soulevés. Je vous remercie également d'avoir proposé des amendements en vue d'améliorer le projet de loi. Ces propositions nous seront utiles.

Le sénateur Robertson: Votre exposé était excellent. Il est important, pour ceux d'entre nous qui vivent dans les régions côtières, de reprendre conscience de la valeur de notre patrimoine et de renouveler notre engagement à son égard. J'ai lu le texte de M. Conlin et j'espère avoir une copie de votre exposé, révérend Curry, afin que je puisse mieux assimiler ce que vous avez dit.

J'aimerais discuter d'un point qu'ont abordé, hier soir, les représentants de Patrimoine Canada et du MPO -- à savoir les coûts. Je ne sais pas dans quelle mesure vous vous êtes penchés sur cette question, mais vous savez sans doute que l'unique restriction qui s'applique au Sénat, c'est celle de ne pas proposer des projets de loi qui entraînent des coûts.

Avez-vous déjà demandé aux fonctionnaires du MPO quel genre de recettes ils tirent, en moyenne, de la vente des phares? Avez-vous été surpris par les chiffres?

On nous parle constamment de coûts. Nous pouvons comprendre cela. Avez-vous discuté de coûts avec des représentants du gouvernement fédéral?

M. Conlin: Parlez-vous des coûts en termes de revenus perdus ou des coûts d'entretien?

Le sénateur Robertson: Je ne parle pas du coût de l'entretien, mais de la véritable valeur marchande des édifices qui, j'en conviens avec vous, en raison de son coût interdit la participation d'un grand nombre de collectivités. Quel serait en moyenne le revenu que l'on pourrait tirer de la vente de ces édifices? Avez-vous déjà abordé le sujet, monsieur le président?

Le président: Je ne suis pas sûr de comprendre la question.

Le sénateur Robertson: Je suis au ministère de Pêches et des Océans. Il y a 20 phares que je souhaite aliéner cette année et par conséquent, je les mets en vente au prix du marché, quel qu'il soit. Si le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial n'est pas intéressé à faire une telle dépense ou si la communauté ou la municipalité ne peut réunir les fonds, à ce moment-là, l'édifice sera probablement cédé à des intérêts commerciaux. Fait-on beaucoup d'argent à la suite de telles ventes? Y a-t-il énormément d'argent en cause?

M. Curry: Certaines de ces propriétés sont situées dans des endroits recherchés. Le Conseil du Trésor pourrait en tirer des revenus considérables. Lorsque nous avons discuté avec les fonctionnaires fédéraux du problème de la juste valeur marchande, ils ont reconnu que c'était un obstacle sérieux pour les groupes communautaires. Dans bien des cas, il s'agit de propriétés côtières extrêmement recherchées, particulièrement par des intérêts étrangers. Ces derniers manifestent un vif désir de se procurer des propriétés de choix sur la côte. Les sommes en question sont donc considérable.

Le sénateur Robertson: Je me souviens d'avoir négocier pour une église désaffectée, par exemple. Il arrive parfois que l'on doive aliéner une église dont on ne peut plus assurer l'entretien. Les autorités religieuses donnent volontiers l'église à un groupe communautaire pour 1 $ moyennant le respect de certaines conditions et, pourvu que son entretien soit assuré. Certains veulent se porter acquéreurs d'une église parce qu'elle représente presque un immeuble patrimonial ou qu'en tout cas elle devrait être classifiée en tant que tel.

Je comprends la position des autorités religieuses et la position de Pêches et Océans ou de l'entité qui touche le revenu de la vente. Cependant, s'il n'y a pas tellement d'argent en cause, en appliquant des règles adéquates, les propriétés pourraient être cédées pour 1 $, et ce serait réglé. À ce moment-là, il y aurait davantage de communautés intéressées au processus.

M. Curry: Selon mon interprétation des politiques actuelles du Conseil du Trésor, les groupes communautaires n'ont pas d'accès privilégié. Ils peuvent livrer concurrence aux autres acheteurs éventuels uniquement en fonction de la juste valeur marchande.

Le sénateur Robertson: Je pense que c'est mauvais. Vous pourriez peut-être réunir davantage d'informations à ce sujet. Peut-être pourrions-nous faire revenir les fonctionnaires de Pêches et Océans car j'aimerais en savoir plus long.

Je suis originaire du Nouveau-Brunswick. Révérend Curry, vous avez parlé d'un comité issu de la Lighthouse Protection Act qui réunit un groupe de particuliers d'un peu partout au Canada. Pourriez-vous me dire qui sont les personnes membres de ce comité au Nouveau-Brunswick pour que je puisse entrer en contact avec elles? Si vous n'avez pas tous les noms, peut-être que la greffière pourrait me les communiquer.

M. Curry: Je n'ai pas la liste en main. Il s'agit d'une coalition assez peu structurée qui réunit des personnes qui adhèrent à cette cause particulière. Il y a un ou deux noms qui me viennent à l'esprit pour ce qui est du Nouveau-Brunswick, et je ferai en sorte de vous les communiquer.

M. Conlin: Une nouvelle société de préservation des phares vient d'être formée au Nouveau-Brunswick. J'ai rencontré quelques uns de leurs membres à une conférence. Je pense que le révérend Kelly appuyait la Loi sur la protection des phares. C'est un bon signe.

La Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard, Terre-Neuve et le Nouveau-Brunswick ont des sociétés de préservation des phares. Il existe un mouvement d'opinion croissant parmi les citoyens en faveur de la conservation des phares. Je ne m'étendrai pas sur le dynamisme d'un mouvement analogue en Colombie-Britannique, car vous êtes tous déjà au courant. Ces personnes ont réussi à stopper l'automatisation.

Le président: À propos de l'autre question, hier soir Mme Beal nous a dit qu'elle nous fournirait davantage de renseignements comportant sans doute certains de ces chiffres. J'ai l'intention de lui écrire une lettre pour lui demander de nous donner plus d'information sur ce détail et d'inclure le coût de renonciation que devrait absorber le Conseil du Trésor.

Le sénateur Perrault: On a mentionné fréquemment le coût de ces structures historiques magnifiques. J'aimerais que vous commentiez une idée qui a été avancée. Ces phares pourraient être utilisés à des fins commerciales, notamment pour accueillir des visiteurs pour un week-end d'aventure. Cette idée de transformer les phares en auberges est intéressante. Cela encouragerait les touristes à y loger. Je crois savoir que dans certains cas, la restauration d'un phare a engendré des recettes intéressantes. Pouvez-vous me dire combien de phares sont des candidats possibles à cette conversion tout en conservant intacte leur valeur historique? De toute évidence, il y a des gens qui sont prêts à payer pour loger dans un phare pendant un week-end. Pouvez-vous m'expliquer comment cela fonctionne? Combien de phares offrent un tel séjour aux touristes?

M. Conlin: Les phares-auberges font fureur aux États-Unis. La Garde côtière américaine a délivré généreusement des permis, et ainsi de suite. Pour sa part, la Garde côtière canadienne s'est montrée beaucoup plus prudente.

Le sénateur Perrault: Pourquoi?

M. Conlin: Par exemple, à l'heure actuelle, dans l'est du Canada, le West Point Lighthouse Inn, à l'Île-du-Prince-Édouard, est un phare opérationnel qui accueille des visiteurs. L'auberge est extrêmement populaire et a été un moteur de développement économique dans la région. Il faut réserver un an à l'avance. Je connais seulement un autre phare des Maritimes qui accueille des clients. Le problème, c'est que cette dévolution et l'absence de normes a fait courir un risque considérable aux logis des gardiens, qui sont très bien adaptés pour accueillir des clients. Nous en avons perdu beaucoup et nous risquons d'en perdre encore davantage en l'absence de normes patrimoniales.

Le sénateur Perrault: Un programme visant à restaurer les normes dans certains endroits de choix pourrait engendrer des revenus fort intéressants. Les milieux du cinéma ont-ils exprimé un intérêt quelconque pour tourner des films dans cette région du Canada? Ce secteur représente une source de rentrées substantielles.

M. Curry: Le Conseil des phares de l'Atlantique, qui est très sensible à la commercialisation des phares, explore toutes ces avenues. La culture et le patrimoine sont, si j'ose dire, une bonne affaire. J'ai participé à une restauration à Port Bickerton. Cette restauration a été l'instrument de la croissance économique et de l'augmentation du tourisme dans cette région. Elle a donné lieu à des rentrées d'argent considérables pour cette communauté assez reculée.

M. Conlin: J'ai rencontré les représentants d'une société cinématographique à la recherche de phares en Nouvelle-Écosse et à une autre occasion, j'ai rencontré des gens d'une agence de publicité en quête du phare idéal. Ils étaient convaincus de la valeur symbolique d'un phare. On voit constamment des phares dans les publicités télévisées.

Le sénateur Perrault: Je pense que c'est une excellente idée. Bénéficiez-vous d'une bonne collaboration de la part du ministère du Tourisme de votre province?

M. Conlin: Oui.

Le sénateur Perrault: Les autorités provinciales sont-elles sensibles à cette occasion d'affaires et investissent-elles de l'argent? Je pense que cela peut être une mine d'or pour le tourisme.

M. Conlin: Je travaille pour le ministère du Tourisme et de la Culture de la Nouvelle-Écosse et je ne peux que louer l'excellent travail du ministère dans le dossier des phares. Ce dernier a aidé énormément de communautés à se lancer dans la promotion de leur phare. Tous les intervenants dans ce dossier sont extrêmement sensibles au développement économique entourant les phares.

Le sénateur Perrault: L'appui de la communauté est important. Il s'agit d'une occasion d'affaires qui mérite des investissements.

Le président: Merci beaucoup. J'aurais dû signaler que le sénateur Perrault, qui est le vice-président du comité, est originaire de la Colombie-Britannique. Il oeuvre au comité depuis un certain nombre d'années et connaît bien quelques phares.

Le sénateur Robichaud: Le sénateur Perrault a mentionné l'attrait commercial des phares dans certains cas. D'autre part, on souhaite en préserver le caractère patrimonial. Comment concilier les deux aspects? Y aurait-il des groupes en concurrence les uns avec les autres? Certains souhaiteraient les exploiter à des fins commerciales alors que d'autres voudraient sans doute les conserver intégralement comme site patrimonial. Ces deux aspects peuvent-ils être développés en harmonie?

M. Curry: C'est une lutte constante, mais ces deux aspects peuvent aller de pair. Il s'agit simplement d'établir des normes claires et d'élaborer des politiques relativement aux utilisations nouvelles. Le Conseil consultatif régional sur les nouvelles utilisations des phares, parrainé par la Garde côtière canadienne, a déjà entrepris une bonne partie de ce travail. Il a exploré à fond la question de savoir comment trouver un juste équilibre entre le tourisme et le commerce d'une part, et le patrimoine et la culture d'autre part.

Nous pensons qu'il est possible de créer un partenariat sain, utile et efficace pourvu que des lignes directrices claires soient énoncées afin que l'on sache ce qui est autorisé ou non. Il faudrait également envisager un processus d'évaluation pour déterminer quelle est la meilleure proposition concernant l'utilisation d'un phare, en particulier dans les régions où divers groupes d'intérêts se font concurrence.

M. Conlin: Les études de marché révèlent que dans le domaine du tourisme, l'une des valeurs les plus recherchées par les voyageurs est l'authenticité. Ils souhaitent voir des choses authentiques. Ils peuvent sentir le toc.

Si l'on dépouille un phare de ses caractéristiques patrimoniales originales, par exemple si l'on arrache les fenêtres et la lanterne, les gens vont le remarquer. Il y a de bonnes raisons financières qui dictent l'adhésion à des normes patrimoniales strictes afin de protéger le caractère unique des phares et de faire en sorte qu'ils demeurent des sites susceptibles de générer des recettes de façon durable. Je suis historien et je me soucie de la valeur historique de ces entités. Cependant, il est évident, dans le contexte du tourisme, que ces structures historiques ont aussi une valeur commerciale et financière.

Le sénateur Robichaud: Sur les 580 phares qui existent à l'heure actuelle, combien pourraient être qualifiés de sites patrimoniaux? Combien de groupes seraient intéressés à en assumer la responsabilité et à en faire la promotion en tant que sites historiques? Prenons l'exemple de la Nouvelle-Écosse.

M. Conlin: Selon la définition que l'on donne du terme «phare», la Nouvelle-Écosse compte environ 150 phares. Pour savoir combien d'entre eux sont des phares patrimoniaux, il faut s'entendre sur ce que signifie «phare patrimonial». Voilà pourquoi je propose différentes définitions d'un phare patrimonial. Par exemple, Sambro, aux environs d'Halifax, est le plus vieux phare du Canada. Seal Island est le plus vieux phare en bois du Canada. Ces deux phares revêtent une importance nationale. D'autres sont uniques dans une région ou jouent un rôle spécial dans le commerce régional. Ils ont un statut moindre, mais non négligeable.

Je dirais que la majorité des 150 phares en question ont une valeur locale indéniable. Ce sont des curiosités pour toutes et chacune des communautés avoisinantes. Ils méritent d'être reconnus et préservés à ce titre. J'ai vu certains phares modestes en Nouvelle-Écosse, de simples tours de verres gracieuses et effilées. On les retrouve peintes sur des cantines ou sur des rochers plats avec la mention «bienvenue». Ces structures sont devenues des symboles locaux pour ces communautés, sinon pour le reste du pays. Pour cette raison, ils méritent d'être préservés. Il m'est impossible d'affirmer cela avec certitude, mais je dirais que des 150 phares de la Nouvelle-Écosse, plus d'une centaine méritent une certaine protection patrimoniale.

Quant à savoir combien de groupes communautaires seraient intéressés, c'est difficile à dire. Les politiques actuelles jouent contre les groupes communautaires, de sorte que ce sont uniquement des gens extrêmement dynamiques, compétents et fort nantis qui peuvent se procurer des phares. Même malgré cette discrimination à l'encontre des groupes communautaires, la Nouvelle-Écosse compte environ deux douzaines de groupes actifs. Il y en a autant qui ont exprimé un intérêt, mais qui hésitent parce que les perspectives sont décourageantes. De nombreuses communautés s'intéressent aux phares. Parfois, ces communautés ne les considèrent pas comme des curiosités susceptibles de rapporter gros. Parfois, ce ne sont que de petits phares de trois étages qu'elle souhaitent garder en bon état - peinture fraîche, bardeaux intacts - parce que ce sont des points d'intérêt locaux. Ces collectivités sont disposées à investir quelques milliers de dollars dans un tel projet. Une approche éclairée ouvrirait certainement la porte à une participation, à divers degrés, à la restauration de centaines de phares un peu partout au Canada.

M. Curry: Il importe de garder à l'esprit que les phares ne sont pas des entités isolées. Ils sont reliés les uns aux autres. En Nouvelle-Écosse, la route des phares est un attrait touristique important. Il convient de réfléchir à l'incidence qu'aurait une diminution marquée du nombre de phares de long de la route dite des phares. Un ou deux endroits seulement ont reçu un traitement particulier mais pourtant, d'une certaine façon, ils font partie d'un tout; ils sont connectés les uns aux autres.

Divers niveaux de participation sont possibles. Pour certains phares, il s'agit simplement d'appliquer une couche de peinture et de permettre aux gens de pique-niquer dans les environs. Il n'est peut-être pas nécessaire de consentir des investissements de capitaux considérables, mais on doit trouver des moyens de permettre aux petits groupes communautaires de conserver ces structures en tant qu'éléments du patrimoine local contribuant à l'ambiance générale de toute la côte.

Le président: Le sénateur Mahovlich est de l'Ontario, la province qui vient au deuxième rang pour le nombre de phares.

Le sénateur Mahovlich: C'est ce qu'on m'a dit. Y a-t-il des phares importants en Ontario?

Le sénateur Forrestall: Chacun d'eux l'est.

Le sénateur Mahovlich: Chacun d'eux est important? Il y a à Roslyn Lake, près de mon chalet, un petit phare qui ajoute à la beauté du paysage. On mentionne rarement le caractère esthétique de ces phares et le fait qu'ils ajoutent à la beauté de notre pays. Personne n'en parle.

Le gouvernement dépense des millions de dollars pour exposer dans nos musées des oeuvres d'art parfois discutables. Lorsque vous mentionnez les phares, les comptables aiguisent leur crayon et commencent à sabrer dans le tas. Il faudrait souligner plus souvent la beauté des phares car les citoyens de l'Ontario apprécient énormément ces structures qui embellissent énormément leurs lacs. Je souhaiterais que vous mentionniez plus souvent la beauté qu'ajoutent ces phares à notre pays.

Le sénateur Perrault: Bravo!

Le président: Comment peut-on ne pas être d'accord?

M. Conlin: Pour votre information, l'Ontario compte 104 phares traditionnels. Les Grands Lacs sont une grande voie navigable intérieure qui exige de très nombreux phares. De ce nombre, beaucoup sont des structures de pierre impressionnantes, les Grands Lacs étant riches en calcaire. Je vais mentionner un cas triste en Ontario. Il s'agit du phare de Point Abino sur le lac Érié. Construit en 1917, c'est une magnifique structure en béton de style grec. Le phare est très beau sur la plan esthétique et il est reconnu comme site historique national et comme édifice du patrimoine par le BEEFP. Cependant, son aliénation ne saurait tarder car il a subi un déclassement. Aux termes des règles actuelles, il est destiné à être vendu. Les gens qui veulent l'acheter sont des vacanciers nantis, propriétaires du terrain avoisinant. En l'occurrence, nous aurons un site historique national que les Canadiens ne seront pas autorisés à visiter. Nous ne pouvons y apposer une plaque et il sera vendu à des gens qui ne sont pas Canadiens, dans le strict respect des règles actuelles.

Le sénateur Perrault: C'est répréhensible.

M. Curry: C'est l'un des pires scénarios.

Le sénateur Mahovlich: C'est scandaleux. Je ne suis pas au courant de la situation. Je ne navigue pas sur le lac Ontario et je n'avais jamais entendu parler de ce phare. Il semble extrêmement intéressant puisqu'il a une architecture unique, différente de celle des autres phares.

Le président: Vous êtes tous deux en contact avec les groupes de la Nouvelle-Écosse. Savez-vous s'il existe en Ontario un groupe équivalent qui s'intéresse aux phares sur les voies navigables intérieures?

M. Curry: Il n'y a pas de groupe provincial ou de groupe qui prétende représenter l'ensemble de la province, mais il existe un certain nombre de petits groupes. Ainsi, à Point Abino, un groupe de citoyens s'est mobilisé pour essayer de faire en sorte que le phare reste entre les mains de Canadiens. Il existe également une association internationale, soit l'Association canado-américaine des phares des Grands Lacs. C'est l'organisation qui se rapproche le plus d'une entité de coordination dans la partie centrale du continent.

Le président: Merci. Nous allons également garder un oeil sur cette région.

Le sénateur Forrestall: Nous apprécions votre comparution dans les circonstances. Vous savez sans doute que Pêches et Océans, par l'entremise de Mme Beal et d'autres, a exprimé un appui général au projet de loi mais également des préoccupations au sujet de l'article 6 et en particulier du paragraphe (2) de ma mesure. Avez-vous des commentaires? Au moment de la rédaction du projet de loi, nous ne voulions pas lier les mains du ministère pour ce qui est de maintenir l'aspect communication des phares. S'il y a lieu d'intervenir, le ministère ne devrait pas être assujetti à des contraintes ou aux prises avec des problèmes à ce sujet.

Le MPO a laissé entendre que le processus établi par le projet de loi pourrait entraîner de longs délais, et que s'il était confronté à une situation d'urgence, ce long délai pourrait devenir un obstacle majeur. Quel est votre avis là-dessus? C'est une question qui nous intéresse. Nous ne voulions aucunement, le sénateur Carney et moi, compromettre la marge de manoeuvre du ministère. Pouvez-vous nous dire si le paragraphe 6(2) poserait des difficultés au ministère?

M. Conlin: Vous avez bien fait d'inclure le paragraphe (2) dans le projet de loi, qui stipule que l'interdiction ne vise pas la modification d'un phare découlant d'une situation d'urgence. Par conséquent, si des modifications devaient absolument être apportées à un phare pour des raisons de navigation, ces modifications, semble-t-il, seraient exemptées du projet de loi. Voilà qui devrait répondre aux préoccupations de la Garde côtière dans ce domaine.

La situation est beaucoup plus facile quand il n'y a pas de restrictions. Je travaille dans un édifice à valeur patrimoniale, c'est-à-dire un musée. Nous voulions installer une grande enseigne publicitaire, sauf que nous ne pouvions pas le faire parce qu'il s'agissait d'un édifice du patrimoine. C'était ennuyeux mais, au bout du compte, ils avaient raison. C'est le genre de restrictions avec lesquelles vous devez composer quand vous avez un édifice du patrimoine.

M. Curry: Le paragraphe 6(2) accorde au ministère concerné la marge de manoeuvre dont il a besoin.

M. Conlin: On aimerait que le projet de loi accorde au ministère la possibilité de louer des phares pour qu'il puisse établir des liens avec les communautés qui veulent s'occuper des phares au nom du ministère.

Le sénateur Forrestall: Je pensais que nous avions bien fait notre travail, mais vous soulevez là un point fort intéressant. Nous voulions donner au ministère la latitude dont il a besoin pour exercer ses fonctions, et en même temps le décharger d'une grande partie des coûts. Dans certains cas, il y a 50 ans, 80 ou 100 ans de cela, quand la valeur marchande des terrains n'était pas ce qu'elle est aujourd'hui, le ministère disait, «Achetons quelques acres, ou peut-être 10. Pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas acheter ce terrain de 20 acres.» Cela ne représentait pas de grosses dépenses en 1920, sauf qu'aujourd'hui, ces terrains sont devenus très précieux. Leur valeur marchande n'est plus la même.

En ce qui concerne la vente des biens à la communauté une fois le processus de consultation terminé, nous voulions que le ministère puisse encore exercer un certain contrôle. Par exemple -- et l'exemple est peut-être mal choisi, mais il est pertinent -- le phare de l'île Kent, à Pleasant Point, se trouve sur la propriété de M. Ivan Kent. Il loue la partie supérieure du phare au ministère qui, lui, s'occupe de la facture d'électricité et des dépenses d'entretien. M. Kent, lui, s'occupe des autres tâches, et il le fait avec plaisir parce que cela lui permet de conserver le phare. Celui-ci a accueilli, ces dernières années, 3 400 visiteurs. Je suis certain qu'il y a d'autres phares dans la région de l'Atlantique qui accueillent autant de visiteurs. Le phare sur l'île Kent se trouve très loin des sentiers battus et il est impossible de le trouver, à moins d'avoir une excellente brochure d'information. Telle était notre intention. Est-ce qu'on aurait dû faire plus? Est-ce qu'on aurait dû donner au ministère une plus grande marge de manoeuvre?

M. Curry: Je ne le crois pas.

M. Conlin: Je n'en suis pas certain. L'exemption prévue à l'article 6 est fort intéressante. Elle est claire et précise, et comble les lacunes des autres processus qui ne peuvent empêcher la démolition et l'aliénation des édifices du patrimoine. Je pensais que le paragraphe (2) englobait tous les aspects de la question. La Garde côtière a peut-être d'autres exemptions précises à proposer, qui ne compromettraient pas la protection du patrimoine.

Le sénateur Forrestall: Y a-t-il quelque chose dans le projet de loi qui pourrait retarder ou prolonger indûment tout processus que le ministère pourrait décider d'entreprendre dans le but de bien remplir son rôle à l'égard des phares, qui servent à la fois de balise et d'outils de communication?

M. Curry: Je ne vois rien de ce côté-là qui pourrait poser problème.

M. Conlin: La seule chose que vous pourriez changer, c'est le passage «la modification d'un phare patrimonial découlant d'une situation d'urgence». On pourrait peut-être inclure «ou de tout besoin pressant en matière de navigation», ce qui donnerait plus de latitude à la Garde côtière un peu plus de latitude. La vie des personnes ne serait pas nécessairement en danger, mais elle pourrait l'être. Peut-être serait-il nécessaire d'établir un centre de navigation. Cela donnerait plus de marge de manoeuvre au ministère. Autrement, je ne vois pas de grands problèmes.

M. Curry: Il serait bon de savoir dans quelles situations ce paragraphe leur imposerait des restrictions. J'ai l'impression qu'il leur donne la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour remplir leur mandat.

Le sénateur Forrestall: Monsieur le président, vous avez dit que certains amendements seraient présentés. Comment nous seront-ils transmis?

Le président: Nous avons la transcription, mais si les témoins qui ont proposé les amendements voulaient bien nous les faxer, cela nous serait utile.

M. Curry: Je vous les fournirai avec plaisir.

Le sénateur Forrestall: J'espère que nos efforts, de même que les efforts remarquables déployés par tous les participants intéressés, aboutiront à quelque chose.

M. Curry: Je le crois, oui.

Le sénateur Perrault: Est-ce que les phares font l'objet d'inspections périodiques pour s'assurer qu'ils ne présentent aucun danger?

M. Curry: La Garde côtière canadienne est tenue de procéder à plusieurs inspections et vérifications. Cette question a soulevé beaucoup d'intérêt quand ils ont commencé à discuter de la possibilité d'accroître le nombre de sites qui seraient aliénés. On s'est beaucoup intéressé au volet environnement. La Garde côtière canadienne a mis en place un processus assez rigoureux.

Le sénateur Perrault: Quels sont les critères qui permettent de déterminer qu'un phare est «vétuste»? Est-ce l'érosion des fondations? Quels sont les problèmes physiques qui permettent de déterminer que des phares sont vétustes?

M. Curry: La structure ne constitue pas vraiment un facteur, parce qu'elle peut être solide et en bon état. C'est plutôt le fait que les phares deviennent excédentaires, qu'ils ne sont plus jugés utiles aux fins de l'exécution des programmes, aux fins de l'aide à la navigation.

Le sénateur Perrault: On a laissé entendre qu'il y avait, dans la région des Grands Lacs, des structures faites de roche calcaire.

Le sénateur Mahovlich: Oui, elles se trouvent dans la région de Kingston.

Le sénateur Perrault: Le calcaire est une pierre tendre qui s'érode rapidement.

Le sénateur Mahovlich: Kingston est construite sur du calcaire.

Le sénateur Perrault: Ces phares présentent un potentiel économique énorme, non seulement dans les Maritimes, mais également sur la côte Ouest.

Le président: Messieurs Curry et Conlin, je vous remercie des observations et des propositions que vous avez formulées, ce soir. Vous vous intéressez de près à ce dossier très important, et nous vous en sommes reconnaissants.

J'encourage les membres du comité à visiter le musée de M. Conlin, qui s'est vu décerner des prix et qui est reconnu de par le monde.

Y a-t-il d'autres commentaires?

M. Curry: Merci de nous avoir donné l'occasion d'exposer nos vues sur cette question fort importante.

M. Conlin: Ce projet de loi a été déposé à un moment critique -- le processus de vente et d'aliénation des phares ne fait que commencer. C'est notre génération qui décidera, d'une façon ou une autre, du sort qui sera réservé à ces structures.

La séance est levée.


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