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Sous-comité de mise à jour de "De la vie et de la mort"

 

Délibérations du sous-comité de
mise à jour de «De la vie et de la mort»

Fascicule 5 - Témoignages


OTTAWA, le mardi 29 février 2000

Le sous-comité de mise à jour de «De la vie et de la mort» du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 8 h 30, en vue d'étudier les faits nouveaux survenus depuis le dépôt, en juin 1995, du rapport final.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Chers collègues, aujourd'hui marque le cinquième jour des audiences tenues dans le cadre de notre mandat visant à mettre à jour les recommandations du rapport de 1995 sur l'euthanasie et l'aide au suicide intitulé «De la vie et de la mort». Je vous rappelle, de même qu'aux témoins et à ceux qui suivent nos audiences, que le sous-comité ne reprend pas le débat sur l'aide au suicide et l'euthanasie. Il se concentre uniquement sur les parties du rapport où le comité initial avait fait des recommandations unanimes. Je vous demanderais de ne pas l'oublier.

Nous accueillons aujourd'hui la présidente du Groupe de travail sur la mise à jour du rapport «De la vie et de la mort» du Conseil sur le vieillissement Ottawa-Carleton, Mme Marion Chapman. Elle est accompagnée de M. David Bernhardt, président du Conseil sur le vieillissement. Nous accueillons aussi comme témoin M. Douglas Martin, de l'Université de Toronto. Je vous souhaite tous la bienvenue au nom du comité. Il faut aussi vous dire que nous avons une difficulté particulière aujourd'hui, en ce sens qu'un cocus d'urgence a été convoqué pour 10 heures, de sorte qu'il faudra lever la séance peu de temps avant pour que les sénateurs libéraux aient le temps de s'y rendre.

Nous commencerons par Mme Chapman.

Mme Marian Chapman, présidente, Groupe de travail sur la mise à jour du rapport «De la vie et de la mort», Conseil sur le vieillissement Ottawa-Carleton: Madame la présidente et honorables sénateurs, le Conseil sur le vieillissement considère comme un honneur d'avoir été invité à nouveau à prendre la parole devant votre comité. Nous avons réuni le groupe qui a siégé il y a cinq ans. Quelques-uns des membres avaient la santé trop fragile, et les deux membres francophones n'étaient pas là. Cependant, il reste 12 membres du groupe, plus le président et le vice-président actuels.

Un fait vécu définit bien le cadre de notre discussion sur les directives préalables, et je demanderais à M. Bernhardt de vous en faire le récit.

M. David Bernhardt, président, Conseil sur le vieillissement Ottawa-Carleton: Je suis, comme on vient de le dire, le président du Conseil sur le vieillissement Ottawa-Carleton et, depuis 35 ans, je suis membre du Département de psychologie de l'université Carleton. Je suis ici pour appuyer Mme Chapman, notre ex-présidente, dans son exposé qu'en tant que président du conseil, j'ai approuvé et autorisé.

Depuis 18 ans, ma mère vivait dans un foyer pour personnes âgées de Toronto, avec quelques 200 autres aînés. Contrairement à la plupart des autres résidents de cette maison, elle avait signé une directive préalable dans laquelle elle demandait, entre autres, de ne pas être réanimée. En août 1999, peu avant son 96e anniversaire, elle est tombée raide morte alors qu'elle revenait de la salle à manger, à côté du poste des infirmières où était conservée sa directive préalable. Une ambulance a été appelée, et dans les minutes qui suivirent, le personnel paramédical est arrivé sur les lieux. Pendant l'heure qui a suivi, on a tenté sans succès de la réanimer.

Voilà qui illustre deux des grandes préoccupations dont il est question dans notre exposé, soit que la plupart des personnes âgées n'ont pas signé de directives préalables et que, même lorsqu'elles l'ont fait, elles ne sont pas toujours respectées. Comme l'a dit Mme Chapman, c'est un exemple auquel nous revenions souvent durant nos délibérations.

Mme Chapman: Le Conseil sur le vieillissement Ottawa-Carleton est un organisme bénévole bilingue sans but lucratif qui se voue à l'amélioration de la qualité de vie des personnes âgées à Ottawa-Carleton. Le conseil travaille avec les aînés et en leur nom afin de faire valoir les enjeux et les préoccupations qui les concernent auprès de tous les ordres de gouvernement et auprès du grand public.

En 1995, le comité spécial du Sénat sur l'euthanasie et l'aide au suicide a tenu des audiences sur l'agonie et la mort. Le Conseil sur le vieillissement Ottawa-Carleton y a participé avec plaisir. Notre mémoire à l'époque portait sur des questions comme les soins palliatifs, les directives préalables, les droits individuels face aux lois et les options juridiques. Nous avons soumis des recommandations au comité relativement à ces questions.

Aujourd'hui, les audiences visent tout particulièrement les directives préalables. Il nous a été utile de passer en revue notre position originale à la lumière des recommandations faites dans le rapport et eu égard à la loi ontarienne, soit à la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé.

En 1995, nous avons présenté des principes visant à orienter le débat, et j'espère que nous avons le temps de vous les lire. Je les juge tout aussi importants aujourd'hui qu'ils l'étaient alors et ils ont vraiment un rapport avec les directives préalables. Le conseil part du principe que chaque être humain d'âge adulte et sain d'esprit a le droit de décider des traitements qui lui sont administrés. À partir de ce principe, le conseil a élaboré les dix énoncés suivants.

1. Nous croyons en la valeur et la dignité fondamentales de chaque personne.

2. Nous croyons à la justice, à l'équité et à la compassion dans les relations humaines.

3. Nous appuyons et défendons les principes d'autonomie, d'indépendance et de choix éclairé.

4. Nous reconnaissons la diversité de la population du troisième âge pour ce qui est de la culture, des croyances religieuses et de la langue et nous respections le droit de chacun de prendre des décisions à la lumière de ces réalités, ce qui est particulièrement important à mesure qu'évolue notre profil démographique.

5. Nous croyons qu'il faut renseigner les aînés sur tous les aspects des questions qui influent sur leur bien-être afin qu'ils puissent prendre des décisions éclairées en ce qui concerne la dimension physique, mentale et sociale des soins et des traitements qui leur sont donnés.

6. Nous croyons que chacun a le droit de s'attendre à mourir avec le moins de souffrance possible.

7. Nous croyons que tous les aînés ont le droit de prendre des décisions propices à une agonie et à une mort dans la dignité.

8. Nous reconnaissons que chacun a sa propre conception de la qualité de vie.

9. Nous croyons que toute personne atteinte d'une maladie incurable devrait avoir accès à des services de soins palliatifs, notamment à des soins compétents prodigués avec compassion et maîtrisant le plus possible la douleur.

10. Enfin, nous croyons que, si les personnes ne sont plus aptes à prendre des décisions par elles-mêmes, il faudrait fournir au curateur (c'est-à-dire à la personne à laquelle la cour a confié les soins ou les avoirs d'une personne frappée d'incapacité mentale) ou au conseiller chargé des soins personnels, les renseignements et le soutien requis en vue de prendre les décisions.

Lorsque les membres du comité ont fait leurs commentaires au sujet de notre mémoire, j'ai reçu de nombreux appels d'interlocuteurs affirmant combien cet appui est important, tant durant le processus qu'après la prise de décision. Nous croyons toujours que toute discussion au sujet des directives préalables doit reposer sur ces principes.

En ce qui concerne les recommandations faites dans le rapport intitulé «De la vie et de la mort», notre mémoire de 1995 au comité spécial du Sénat abordait la question des directives préalables, l'importance de reconnaître la volonté de la personne pour ce qui est du niveau de soins à prodiguer, ainsi que l'importance de la communication intégrale des directives préalables à la personne, à sa famille, au médecin traitant et à l'établissement de santé.

Nous avions recommandé que le respect des directives préalables soit prévu dans les lois provinciales partout au Canada, de manière à faciliter le respect de la volonté exprimée concernant le niveau des soins ou la retenue ou l'arrêt des traitements au dernier moment de la vie. Nous avons donc été ravis de prendre connaissance des recommandations faites dans votre rapport -- et je cite --:

Le comité recommande:

que les provinces et territoires qui n'ont pas de loi prévoyant le respect des directives préalables adoptent une telle loi.

que les provinces et territoires établissent un protocole reconnaissant les directives préalables exécutées dans les autres provinces ou territoires.

Quelle est la position du Conseil sur le vieillissement actuellement? Le Conseil sur le vieillissement appuie toujours ses recommandations de 1995 concernant la validité assurée des directives préalables dans chaque province et territoire et, par conséquent, de la reconnaissance des directives préalables dans les autres provinces et territoires. En 1996, l'Ontario a adopté la Loi de 1996 sur le consentement aux soins de santé. La province reconnaissait ainsi le recours à des directives préalables et établissait des conditions pour leur mise en oeuvre. Le Conseil sur le vieillissement appuie les principes énoncés dans la loi et y voit une étape importante en vue de faciliter le respect de la volonté exprimée en ce qui concerne les derniers moments de la vie. Plus particulièrement, la loi énonce les principes suivants, parmi tant d'autres:

Chacun a le droit de choisir son traitement, y compris la retenue ou l'arrêt du traitement, ainsi que les niveaux de traitement, l'admission à un centre de soins de santé et les services d'aide personnelle.

Le droit de choisir repose sur le consentement éclairé et les conditions permettant de déterminer si le consentement approprié a été obtenu. En d'autres mots, le consentement doit viser le traitement proposé, être éclairé, être volontaire et ne pas résulter d'une fausse représentation.

Par capacité mentale, on entend l'aptitude à comprendre l'information et à juger des conséquences du traitement. On reconnaît la capacité dans certains domaines; on ne la reconnaît pas dans d'autres.

On prévoit, dans les cas d'incapacité, le recours à des directives préalables (des instructions ou des directives par procuration) ou à des personnes chargées de décider au nom du mourant.

Un protocole de «jugement des meilleurs intérêts» est mis en place pour les personnes appelées à décider au nom du mourant, de manière à refléter les valeurs et les croyances de ce dernier et à tenir compte de facteurs tels que l'objectif du traitement (vise-t-il à améliorer l'état de santé du patient, à le maintenir ou à ralentir sa dégradation; le traitement permettra-t-il de soulager la souffrance, même s'il entraîne un raccourcissement de la vie).

Enfin, la loi prévoit un processus permettant de reconnaître la perte de la capacité mentale, le retour de la compétence et le droit de modifier les instructions.

À la suite de ces recommandations, le Conseil sur le vieillissement s'est penché sur certaines questions. Cependant, il s'inquiète de dispositions permettant aux professionnels de la santé de prendre en charge le traitement d'une personne dans des «situations d'urgence» et d'aller à l'encontre des instructions explicites du patient. Il faudrait élaborer un mécanisme garantissant que la volonté explicite de la personne est respectée dans de pareilles circonstances.

Nous avons joint à notre mémoire un exemple des directives préalables mises à la disposition des patients de soins palliatifs aux Services de santé des Soeurs de la Charité d'Ottawa. Ces directives donnent une idée de la gamme de choix dont dispose une personne au dernier moment de sa vie. Je ne vous en ferai pas la lecture, mais vous pouvez les consulter, si vous le souhaitez.

La transférabilité des directives préalables -- la reconnaissance dans d'autres provinces ou territoires de directives préalables correctement établies -- demeure un sujet de préoccupation pour le Conseil sur le vieillissement. La transférabilité des directives préalables d'un lieu à l'autre -- le domicile, l'hôpital, les établissements -- est essentielle au maintien d'un niveau de soins uniforme. Il s'agit d'une question importante à laquelle il faudra porter une attention particulière, et nous vous demandons d'insister, dans votre rapport, sur cette question.

Cependant, il existe une autre question tout aussi importante, soit la sensibilisation du public aux choix concernant les derniers moments de la vie, des choix qui vont au-delà du testament et des arrangements funéraires. On peut par ce moyen renforcer la valeur des directives préalables. Pour la personne, cela signifie que sa volonté sera respectée. Du point de vue de la famille et des fournisseurs de soins, le stress de prendre des décisions dans une période d'incertitude peut être évité. Pour communiquer l'information sur les directives préalables, on pourrait placer des encarts dans les envois postaux, par exemple lors de l'envoi des chèques de la Sécurité de la vieillesse ou des documents de Revenu Canada.

Le Conseil sur le vieillissement aimerait soulever une dernière question, soit l'accès à l'information contenue dans les directives préalables des personnes qui doivent veiller à leur exécution. La personne ou celle qui sera appelée à décider en son nom a la responsabilité d'informer les professionnels de la santé et les établissements de l'existence de pareilles directives. Cela peut s'avérer d'une importance cruciale en cas d'urgence. Le Conseil sur le vieillissement recommande la création d'une carte facilement identifiable de format portefeuille ou d'un bracelet porté en tout temps qui signalerait les souhaits de la personne ou l'endroit où se trouve cette information.

En cette ère technologique, il devrait y avoir moyen de le faire. Une bonne communication entre la personne, la personne appelée à choisir en son nom, la famille, le médecin, les fournisseurs de soins de santé et l'avocat est essentielle à l'élaboration et à la mise en oeuvre des directives préalables.

En résumé, à la suite du réexamen de ses délibérations de 1995 sur les directives préalables, le Conseil sur le vieillissement:

réaffirme sa recommandation originale;

Le Conseil du vieillissement appuie les recommandations visant les directives préalables, formulées dans le rapport du comité du Sénat intitulé «De la vie et de la mort»;

il appuie la transférabilité des directives préalables, d'abord entre les provinces et territoires et, ensuite, d'un lieu à l'autre (le domicile, les hôpitaux, les établissements);

il recommande une clarification au sujet du recours aux directives préalables dans les situations d'urgence, de manière que la volonté de la personne mourante soit respectée;

il recommande l'élaboration d'une campagne de sensibilisation du public afin d'encourager l'utilisation des directives préalables; et

Il recommande la conception d'un moyen d'accéder facilement à l'information relative aux directives préalables.

M. Douglas K. Martin, agrégé de recherche, Centre de bioéthique, Université de Toronto: Madame la présidente et honorables sénateurs, c'est pour moi un grand privilège de prendre la parole devant vous aujourd'hui au sujet de la planification des soins et de son rôle dans la politique canadienne en matière de soins prodigués en fin de vie. Mon exposé se divise en deux parties. Je commencerai par passer en revue avec vous la signification et la raison d'être de la planification des soins. Ensuite, je ferai des recommandations.

De plus en plus, on reconnaît que la qualité des soins en fin de vie comme un enjeu des soins de santé mérite plus d'attention. Quatre personnes sur dix meurent dans d'horribles souffrances. Les patients atteints de maladies incurables et de démence avancée ne reçoivent pas de soins palliatifs. Nous avons l'obligation morale d'améliorer la qualité des soins offerts aux 220 000 Canadiens qui meurent chaque année.

La planification des soins est une partie importante des initiatives prises en vue d'améliorer les soins en fin de vie. La planification des soins peut inclure et inclut souvent de signer des directives préalables. Les préoccupations reliées aux formulaires de directives préalables sont bien documentées. On aime bien l'idée de ces formulaires, mais on ne s'en sert pas. On a réussi, au moyen d'interventions, à en accroître l'utilisation, mais cette augmentation n'est que modeste. Quand il faut prendre des décisions, les formulaires de directives préalables sont difficiles à interpréter. Il faut surtout s'interroger sur les raisons. Peut-être est-ce parce que notre conception traditionnelle de la planification des soins ne repose pas sur les besoins et les expériences des patients.

Dans le passé, la planification des soins était censée aider à décider du traitement en cas d'incapacité, être fondée sur le principe éthique de l'autonomie, être axée sur la signature d'un formulaire de directives préalables et se faire dans le contexte des rapports entre le médecin et le patient. Dans une série d'études de recherche effectuées à l'Université de Toronto, nous avons demandé à des patients qui participaient à des études sur la planification des soins ce qu'ils entendaient par là. Ils voient la planification des soins comme un moyen qui les aide à se préparer à la mort. Elle subit l'influence des rapports sociaux, elle est un processus de communication et elle engage les personnes visées et leurs proches.

Dans l'optique des patients, la planification des soins aide les gens à se préparer à l'agonie et à la mort. Notre société cherche des moyens de composer avec la mort. Jadis un rituel central de la vie sociale et religieuse, la mort a été privatisée, désacralisée et cachée derrière les murs d'établissement.

La planification des soins peut aider les gens à faire face à leur mort et à se préparer à mourir, ce qui dans l'optique du patient signifie trois choses: avoir le sens de la maîtrise des événements, alléger le fardeau des proches et intensifier leurs rapports avec eux.

La planification des soins aide à avoir le sens que l'on maîtrise les événements en aidant à faire le point sur les grandes questions qui entourent la mort. L'autonomie est centrale à la planification des soins, mais elle ne signifie pas essentiellement de gérer au jour le jour chaque décision relativement à un traitement. Mettre l'accent sur le consentement éclairé pour chaque décision de traitement revient probablement à éviter de faire face à la mort et à l'agonie. Bien que le consentement éclairé au traitement soit légalement obligatoire et par conséquent incontournable, il n'est pas suffisant. Les patients souhaitent avoir leur mot à dire au sujet des soins en fin de vie plutôt que de chaque décision de traitement.

La planification des soins aide à atténuer le fardeau des proches. Les patients craignent que leur agonie n'impose à leurs proches trois fardeaux, soit celui d'être témoins de leur mort, d'être obligés de leur prodiguer les soins physiques et de prendre la décision à leur place au sujet de traitements visant à prolonger leur vie.

La planification des soins aide aussi à épargner les proches en facilitant la définition des contextes pour les soins et en limitant les traitements visant à prolonger la vie. Elle aide à préparer les proches qui seront peut-être appelés à prendre les décisions à leur place en situation de crise.

La planification des soins aide à se rapprocher de sa famille. Affronter la mort entouré de ses proches est peut-être une répercussion heureuse pour ces personnes. On vit sur un fond de rapports sociaux et on craint souvent de mourir seul. L'agonie offre d'importantes occasions d'intensifier ses rapports avec les autres et de les rendre plus intimes, de se réconcilier et d'accepter la fin.

En résumé, la planification des soins est un processus de communication qui aide les gens à préparer leurs proches à leur mort. Toutefois, quand il est question de planification des soins, la première chose qui nous vient à l'esprit est souvent le formulaire de directives préalables. Quel est donc le rôle de ce formulaire?

Dans l'optique des patients, le formulaire de directives préalables n'est pas la caractéristique centrale ou déterminante de la planification des soins. La planification des soins est un processus de communication, alors qu'il vaut mieux voir le formulaire de directives préalables comme un moyen d'aider à la planification des soins.

Beaucoup s'estiment satisfaits de leur planification des soins sans avoir rempli de formulaire de directives préalables. Ils utilisent la planification des soins comme moyen de se préparer à mourir et estiment souvent que les discussions à ce sujet atteignent cet objectif.

Le formulaire de directives préalables peut faciliter la planification des soins en servant d'outil et d'information, de carte routière si l'on veut, qui peut orienter les discussions au sujet de la mort et des soins en fin de vie. Le formulaire de directives préalables n'est pas simplement un document juridique sur lequel est consigné le nom de la personne qui fera les choix à sa place ou les préférences en matière de traitements. Il sert aussi, lorsque la personne qui doit faire les choix est aux prises avec une décision difficile concernant des traitements de survie, à porter conseil et à fournir du soutien, ce qui pourrait atténuer tout sentiment de culpabilité engendré par les décisions prises.

Toutefois, la planification des soins n'est qu'une composante du plus grand tout que sont les soins en fin de vie. Votre rapport de 1995 intitulé «De la vie et de la mort» a marqué un jalon important dans l'élaboration de soins de qualité en fin de vie au Canada parce qu'il traitait de la planification des soins et de trois autres sujets auxquels les Canadiens qui se meurent accordent une nette importance, soit les soins palliatifs, la maîtrise de la douleur et l'administration de sédatifs, de même que la retenue ou le retrait de traitements visant à prolonger la vie.

Dans le contexte de la recherche effectuée à l'Université de Toronto, les mourants nous ont souvent répété comment ils définissent les soins de qualité en fin de vie. Pour eux, cela signifie une maîtrise suffisante de la douleur et des symptômes, le recours pertinent à des traitements visant à prolonger la vie et le soutien des patients et des familles. Dans l'optique des patients, le rapport «De la vie et de la mort» frappait en plein dans le mille.

Le rapport était aussi extrêmement précieux parce qu'il renforçait la distinction névralgique à faire entre, d'une part, ces importantes questions reliées aux soins de qualité en fin de vie et, d'autre part, l'euthanasie et l'aide au suicide qui n'ont pas vraiment rapport avec des soins de qualité en fin de vie et qui peuvent même les faire oublier.

Passons maintenant à ce que le Sénat du Canada peut faire pour aider à améliorer les soins en fin de vie des 220 000 Canadiens qui meurent chaque année.

Tout d'abord, quand vous mettrez à jour le rapport «De la vie et de la mort», il faudrait inclure un chapitre qui établisse des liens entre les questions relatives à la maîtrise de la douleur et des symptômes, au recours pertinent à des traitements de prolongement de la vie et au soutien des patients et des familles de manière à établir un cadre conceptuel cohérent des soins de qualité en fin de vie au Canada. Un pareil cadre conceptuel unifié et unique pourrait alors servir à l'élaboration d'indicateurs des soins de qualité en fin de vie et, par la suite, de stratégies visant à les atteindre.

Ensuite, quand vous mettrez à jour le rapport «De la vie et de la mort», faites en sorte que l'importance et le rôle du formulaire de directives préalables soit situés en contexte. Bien qu'il soit reconnu dans la loi, le formulaire de directives préalables n'est pas uniquement un document juridique dans lequel le patient consigne ses préférences. Il est surtout un outil qui peut faciliter les discussions entre les gens et leurs proches et qui peut aider et soutenir la personne appelée à prendre les décisions lorsqu'elle doit faire des choix difficiles au sujet de traitements visant à prolonger la vie.

Dans votre mise à jour, faites ressortir que les patients ne considèrent pas le formulaire de directives préalables comme nécessaire ou suffisant. Par conséquent, le formulaire ne devrait pas être obligatoire, et la planification des soins ne devrait pas être évaluée uniquement en fonction du rythme auquel on remplit le formulaire. Dans l'optique des patients, la planification des soins est un processus de communication entre les gens et leurs proches qui les aident à faire face à la mort et à s'y préparer.

Avant de mettre fin à mon exposé, je tiens à vous remercier à nouveau de m'avoir invité à vous parler de cette importante question. Ce serait pour moi un honneur de travailler avec vous à améliorer la qualité des soins en fin de vie qui finiront par être prodigués à tous, vous, moi et les autres Canadiens.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Martin. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Beaudoin: Merci pour vos excellents exposés.

Nous sommes d'accord, bien entendu, qu'il faudrait des directives préalables, et nous savons que ce n'est pas chose courante dans toutes les provinces du Canada. J'ai cependant été un peu surpris d'entendre le professeur Bernhardt dire que, bien que sa mère, si j'ai bien compris, ait laissé des directives préalables, on a tenté pendant une heure de la ranimer.

M. Bernhardt: Une heure, oui.

Le sénateur Beaudoin: C'est sûr qu'il faudrait éviter ce genre de situation mais, à votre avis, comment y arriver? Elle avait laissé des directives préalables, et ça n'a pas servi à grand chose. Faudrait-il les enregistrer? Dans ma province, au Québec, si vous avez un testament, il est enregistré et on peut toujours le trouver; mais est-ce que c'est la même chose dans les autres provinces, pour les testaments? Faudrait-il faire enregistrer les directives préalables? Comment envisagez-vous de régler ce problème?

M. Bernhardt: C'est un sujet dont notre comité a beaucoup débattu. Comme le disait Mme Chapman, nous avons cherché un moyen d'indiquer que le patient a laissé des directives préalables.

Dans le cas de ma mère, elle vivait dans un foyer pour personnes âgées, et elle est décédée à quelques pas du poste des infirmières où étaient classées ces directives. Mais il y a deux facteurs en jeu ici. Premièrement, les personnes en fonction ce soir-là ne connaissaient pas l'existence des directives, et deuxièmement, une fois l'ambulance appelée, les ambulanciers sont tenus de faire tout en leur pouvoir pour sauver la vie du patient.

Il y a donc une certaine contradiction dans ces deux mesures législatives.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Le Sénat est une chambre législative importante et nous y sommes pour améliorer la législation. Nous devrions légiférer ce que vous appelez les «directives préalables» monsieur Martin. La mort est inévitable et mieux vaut prévoir.

Le refus de traitement et les mécanismes qui pourraient être écartés au dernier moment sont en grande partie un problème de législation provinciale et, évidemment, de législation fédérale. Comment entrevoyez-vous cette législation au niveau fédéral?

[Traduction]

M. Martin: C'est une bonne question. Elle met en lumière un élément clé; c'est que des directives préalables ne résoudront pas le problème et n'élimineront pas les situations du genre de celles dont on a parlé.

Le sénateur Beaudoin: Elles peuvent être utiles, mais elles ne résoudraient pas le problème entièrement.

M. Martin: Dans le genre de situations dont nous parlons, le problème est qu'on a mis l'accent sur la formule, et que la formule a été inutile. Si elle se trouve dans un tiroir quelque part, ou pire, dans un compartiment d'un coffre-fort quelconque, elle ne sert à rien ni à personne. Le message clé qu'on essaie de faire passer, ici, c'est que les directives préalables ne représentent rien pour les professionnels de la santé; elles n'ont un sens que pour ceux qui doivent prendre des décisions pour d'autres personnes. Dans le cas que décrit le professeur Bernhardt, la personne qui doit prendre ce genre de décision est, de fait, l'infirmière ou la personne qui a appelé l'ambulance. Dans le processus de communication qui prépare les gens à prendre des décisions au nom d'autrui, quiconque peut être appelé à assumer ce rôle doit y être préparé et doit connaître la volonté de la personne qu'il ou elle représente, au cas où surviendrait le genre de situation d'urgence dont nous parlons. Si ces gens ne sont pas intégrés au processus de communication, ce n'est pas un formulaire qui les aidera.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Un document juridique est un document qui s'adresse à tout le monde. Si vous faites un testament, on doit le respecter. Si dans votre testament il est mentionné: «Voici mes directives si je perds ma lucidité et si je deviens très malade» on doit respecter vos dernières volontés. Je crois que le mandat d'inaptitude s'adresse à tout le monde. La preuve, c'est qu'on demande que ce soit de juridiction provinciale.

[Traduction]

C'est la même chose en ce qui concerne les directives de retenue ou d'arrêt du traitement. Elles s'adressent à tout le monde et c'est pourquoi, d'après moi, nous devrions enchâsser cette notion dans une loi de manière à ce que tout le monde soit obligé par la loi de la respecter. Vous pouvez bien dire: «Eh bien, cela ne s'adresse pas aux professionnels», mais tout le monde est tenu de respecter la loi.

M. Martin: Je comprends votre point de vue, et je pense que votre objectif est honorable. Cependant, il y aurait deux problèmes à vouloir rendre obligatoire des directives préalables. Le premier est qu'on ne peut pas toujours les trouver. Dans ce cas-ci, le document était quelque part dans un tiroir. Il pourrait bien se trouve à la maison, ou encore dans un sac à main.

Le sénateur Beaudoin: Et alors il est inutile.

M. Martin: Les directives sont inutiles si on ne les trouve pas, et on ne trouve pas toujours un bout de papier. Ensuite, les directives ne sont pas toujours claires. Elles sont trop souvent vagues, imprécises, difficiles à interpréter. Certains peuvent indiquer dans leurs directives préalables «pas de mesures extrêmes». Qu'est-ce que cela veut dire? Il y a des gens qui doivent interpréter ces termes en pleine crise, et cela devient impossible. À cause du problème de visibilité et, aussi, du problème de clarté, même si les directives préalables peuvent être un outil utile, ce n'est pas une solution. Le seul moyen de résoudre le problème est d'avoir sur place des tiers habilités à prendre des décisions, qui soient prêts à réagir en cas d'urgence, comme nous l'avons proposé. Si ce ne peut pas être un membre de la famille ou un proche, et ils ne peuvent pas être là 24 heures sur 24, ceux qui se trouvent sur place devraient être préparés et être intégrés au cercle de communication.

Mme Chapman: Vous avez soulevé le problème que nous soulevons: il faudrait que les gens portent quelque chose sur eux en permanence, que ce soit un bracelet ou une carte qui comporte l'information, ou un mécanisme dont on pourrait extraire cette information.

Dans la Loi sur le consentement au traitement promulguée en 1996 en Ontario, les directives préalables peuvent avoir de nombreuses formes. Elles peuvent être indiquées sur un formulaire, comme le disait M. Martin, mais aussi sous forme verbale. Elles peuvent être modifiées n'importe quand, ce qui fait que les dernières directives que vous avez données à votre fille l'emportent sur celles qu'avait reçu votre fils six mois plus tôt. C'est donc un problème si les directives préalables ne sont pas indiquées sur une formule, comme un testament, qui peut être légalisé. Par contre, si vous avez habilité un tiers à prendre des décisions pour vous, à ce que je comprends, cette personne doit être désignée dans un document juridique.

[Français]

Le sénateur Pépin: Je comprends l'approche juridique du sénateur Beaudoin, mais lorsqu'il est question de sentiments, je préfère me tenir loin du point de vue juridique car il est très difficile de légaliser ces choses. On peut toutefois agir au niveau de la prévention.

Dans les maisons pour personnes âgées, des tableaux indiquent par des couleurs si un patient est atteint de diabète, d'une maladie cardiaque ou autres. On devrait entraîner le personnel infirmier à demander aux personnes âgées d'indiquer leurs volontés dès leur arrivée.

Au départ, on devrait sensibiliser le personnel qui travaille auprès des personnes du troisième âge. L'idée du port du bracelet est aussi très bonne parce que le personnel infirmier de l'urgence, en voyant le bracelet, est immédiatement informé des directives du patient, même si ces directives n'ont jamais été exprimées.

Dans le processus d'éducation et d'entraînement, il pourrait y avoir une publicité dans laquelle on incite les gens à porter un tel bracelet ou une carte. Que ce soit en milieu hospitalier ou dans une maison pour personnes âgées, le personnel infirmier devrait toujours savoir quelles sont les dernières volontés d'une personne, et où se trouve les documents les confirmant. Vos recommandations vont-elles dans le même sens?

[Traduction]

Mme Chapman: Il est important que ces directives soient connues à l'avance. Un membre du ministère de la Santé de l'Ontario me disait hier, à propos des soins de longue durée, qu'il n'est stipulé nulle part qu'il faut fournir des directives préalables lorsqu'on est admis dans un centre de soins. C'est donc facultatif -- il peut y en avoir ou pas. Il est très difficile d'obliger par la loi à fournir des directives préalables. La solution serait peut-être de concevoir un programme d'information publique pour insister sur le fait que c'est dans l'intérêt de tout le monde.

Le sénateur Pépin: Dans votre déclaration, vous dites:

Par capacité mentale, on entend l'aptitude à comprendre l'information et à juger des conséquences du traitement. On reconnaît la capacité dans certains domaines; on ne la reconnaît pas dans d'autres.

Quels sont ces autres domaines?

Mme Chapman: C'est extrait directement de la Loi sur le consentement aux soins de santé.

Le sénateur Pépin: Pourriez-vous me donner un exemple de domaine où la capacité n'est pas reconnue?

Mme Chapman: Si quelqu'un est très gravement malade, cette personne peut être compétente dans le sens où elle est en possession de ses moyens sans pour autant, à ce moment-là, être vraiment en mesure de prendre des décisions. Par conséquent, quelqu'un d'autre doit prendre des décisions pour cette personne. C'est ainsi que je comprends la situation.

Le sénateur Corbin: D'après vous, est-ce qu'il y a une politique au Canada qui s'applique aux soins à la fin de la vie? Je me rapporte à votre première déclaration.

M. Martin: La politique en vigueur au Canada, relativement aux soins aux personnes en fin de vie, évolue de la même manière que dans beaucoup d'autres pays. C'est-à-dire à très petit pas.

Le sénateur Corbin: Un champ d'application à la fois?

M. Martin: Un dossier à la fois. Les soins palliatifs, les décisions relatives au traitement de survie, le contrôle de la douleur et des symptômes, l'euthanasie et le suicide assisté, les directives préalables, ce sont tous des dossiers. Ils évoluent tous à leur propre rythme et à leur propre mesure, en fonction des manchettes des journaux et de l'intérêt que leur portent les assemblées législatives. C'est pareil aux États-Unis et en Europe.

Le problème, c'est que chaque élément relatif aux soins en fin de vie évolue dans un sens différent, à un rythme différent. Il n'y a pas de structure cohérente pour les réunir.

Le sénateur Corbin: C'est une démarche fragmentée.

M. Martin: Oui. Vous avez probablement remarqué que mes observations sont semblables à celles qu'a fait le docteur Singer hier. Le Canada a besoin d'une stratégie nationale pour améliorer les soins en fin de vie -- une approche globale, une structure homogène qui intègre tous ces éléments en un objectif reconnaissable, soit améliorer les soins en fin de vie pour les 220 000 personnes qui meurent chaque année au pays. Pour l'instant, il n'y a rien de tel.

Le sénateur Corbin: Je passe maintenant à une autre partie de votre déclaration. Vous dites à la page 2 de votre exposé que les formules de directives préalables sont difficiles à interpréter. À quoi peut-on attribuer ce problème d'interprétation? Aux professionnels de la santé? À la formulation? D'où vient la plus grande difficulté?

M. Martin: C'est une excellente question, qui pourrait avoir plusieurs réponses. Permettez-moi de vous donner mon avis là-dessus.

Un établissement, comme un hôpital ou un centre de soins, concrétise certaines valeurs institutionnelles. L'individu a certaines valeurs qui lui sont propres. La formule de directives préalables est sensée traduire les valeurs de l'individu dans la langue des valeurs institutionnelles. Ce n'est pas le cas.

Je pourrais vous montrer un document de directives préalables d'une cinquantaine de pages, qui renferme des détails pour le moins minutieux. Vous seriez incapables de l'interpréter. C'est d'autant plus difficile lorsque l'information se trouve sur un bracelet, qui a très peu de place pour expliquer vos valeurs et les motifs de vos volontés.

La simple réalité c'est qu'un outil comme un bout de papier ou quelque autre support ne suffit peut-être pas. J'ai vu quelqu'un qui avait fait tatouer sur sa poitrine l'illustration des palettes de réanimation, barrées d'un grand trait. C'est une directive préalable. Qu'est-ce que cela signifie? C'est pareil, que vous portiez un bracelet, que vous ayez une formule ou que vous puissiez dire quelque chose comme «pas de mesures extrêmes» ou «pas de mesures de maintien de la vie».

Qu'est-ce que cela signifie, et dans quelles circonstances ces directives s'appliquent-elles? L'élément clé, c'est la communication. Il faut discuter de nos valeurs avec les personnes concernées. Il faut parler de ce qui est important, dire pourquoi c'est important. Un simple outil ne peut pas dire tout ça.

Le sénateur Corbin: Je vous remercie de ces éclaircissements.

J'ai une dernière question à soulever à ce tour de table. Elle vous concerne tous les trois, si je puis dire. Le conseil s'objecte, ou s'inquiète...

[Français]

Le Conseil sur le vieillissement s'intéresse à des dispositions permettant aux professionnels de la santé de prendre en charge le traitement d'une personne dans des situations d'urgence.

[Traduction]

M. Martin a aussi parlé des personnes qui prennent les décisions au nom d'autrui en situation de crise. Dans de telles situations, les professionnels de la santé peuvent aller à l'encontre de la volonté expresse du patient, ce qu'ils font d'ailleurs. Le Conseil suggère la conception d'un mécanisme qui assurerait le respect de la volonté explicite du patient dans de telles situations d'urgence ou de crise.

Je me demande pourquoi cela a été intégré à la loi de l'Ontario pour commencer. Est-ce que ce ne serait pas, en premier lieu, pour protéger les professionnels de la santé -- pour limiter leur responsabilité, ou est-ce qu'il y a d'autres raisons?

Mme Chapman: Certains articles de la Loi sur le consentement aux soins de santé stipulent que les professionnels de la santé ne peuvent être réputés responsables s'ils prennent les choses en main. Cependant, vous avez raison de penser que ce pourrait être perçu comme une question de responsabilité.

D'après nous, il y a un problème flagrant. Cela concerne les ambulanciers. Si quelqu'un est transféré d'un établissement à un autre, peut-être après avoir subi un traitement à un endroit, ou encore quelqu'un qui est transféré d'un centre de soins palliatifs à un établissement de soins actifs, si cette personne a une crise cardiaque pendant le trajet, elle doit être réanimée, même si elle a émis une ordonnance de ne pas réanimer. C'est ce genre de choses que nous trouvons très difficile.

Dans les situations d'urgence où les choses semblent claires comme de l'eau de roche, le tiers à qui la victime a délégué ses pouvoirs n'a aucune autorité. Cependant, nous reconnaissons aussi la complexité des situations d'urgence. Les lois de l'Ontario ne permettent pas aux professionnels de la santé d'évaluer et de déterminer si, en fait, le traitement est nécessaire. Nous sommes tenus de garder constamment le détenteur de la procuration au courant de la situation, afin qu'il puisse intervenir, le moment venu d'approuver ou de refuser certains traitements.

Dans nos discussions avec notre groupe. Nous avons compris la complexité des situations d'urgence. Rien n'est simple là-dedans. Nous, qui devons composer avec les professionnels de la santé, nous avons besoin d'être informés, et nous avons besoin de soutien pour pouvoir prendre ce genre de décisions.

M. Martin: J'aimerais prendre quelques secondes seulement pour essayer de situer le contexte de cette question très importante. Dans tout le Canada, dans chaque province, avant qu'un patient subisse un traitement, cette personne doit y donner son consentement éclairé. Cette règle s'applique partout au pays. Si le patient est incapable de donner son consentement, le traitement ne peut commencer avant qu'un tiers ait pris la décision pour lui. Il s'agit ici d'une exception à cette loi générale qui s'applique à tout le pays, à chaque traitement. Elle porte sur les situations d'urgence, lorsqu'il est impossible d'obtenir le consentement du patient. Un professionnel de la santé est alors chargé de faire ce qui est du plus grand intérêt du patient, d'après les normes et la pratique en vigueur.

Ce problème particulier, bien qu'il soit de taille, ne survient que dans moins de 1 p. 100 des situations. Tâchons de ne pas oublier cela. La Loi sur les ambulances ne concorde pas avec les lois sur le consentement aux soins de santé, et cela pose un gros problème. L'enjeu, ici, c'est le consentement. Il doit obligatoirement y avoir consentement, sauf dans certaines situations d'urgence, lorsqu'il est impossible de l'obtenir.

La présidente: Monsieur Martin, je suis d'accord avec 99 p. 100 de vos propos, mais il en reste 1 p. 100 avec lesquels je suis moins d'accord. Des neuf personnes qui sont autour de cette table, nous sommes deux à avoir connu la situation où nos mères, qui avaient fait inscrire dans leur dossier médical une ordonnance de ne pas réanimer, ont reçu un traitement en dépit de la volonté qu'elles avaient clairement exprimée de ne pas le subir. D'après moi, c'est un abus de pouvoir de la part des professionnels de la santé, qu'ils soient ambulanciers ou médecins. Dans le cas de ma mère, c'est un médecin qui a agi en dépit de l'ordonnance de ne pas réanimer qu'il y avait dans son dossier. Malheureusement, le problème des ambulanciers est plus complexe parce qu'ils doivent se conformer à leurs règles, qui les obligent à tenter de réanimer le patient.

Là où je ne suis pas d'accord avec vous, c'est lorsque vous dites que les formules de directives préalables ne sont ni nécessaires, ni suffisantes. Je serais tout à fait d'accord qu'elles ne suffisent pas, à cause de toute votre théorie, qui est très encourageante, que ça ne peut se faire de façon ponctuelle et qu'il faut prévoir un plan d'intervention qui englobe tout le monde. Vous êtes sûrement d'accord avec moi que les directives préalables sont souvent un bon élément d'un plan d'intervention.

M. Martin: Je ne pense pas que nos points de vue soient tellement différents. L'exemple que le professeur Bernhardt a cité dans son témoignage démontre que les directives préalables n'ont pas été efficaces. Ces directives existaient. Sa mère avait rempli la formule, sur laquelle elle disait de ne pas la réanimer. Cette formule se trouvait dans un tiroir quelque part. L'infirmière a appelé l'ambulance, et les ambulanciers ont tenté de réanimer la patiente, sans succès. Les directives préalables ne sont pas toujours fournies, et lorsqu'elles le sont, elles ne sont pas toujours claires. Il faut des gens pour interpréter les consignes générales que renferment les directives. Dans ce cas particulier, si des proches ne sont pas sur place, d'autres personnes qui le sont doivent être intégrées à ce que vous appelez le plan d'intervention. Apparemment, l'infirmière ne l'avait pas été.

La présidente: C'était certainement une lacune du système de communication.

M. Martin: Absolument.

La présidente: Le centre de soins, le foyer pour personnes âgées, l'hôpital, ou quoi que ce soit, doit avoir une politique de communication appropriée. C'est-à-dire que lorsque des infirmières prennent leur quart à 19 heures, elles doivent prendre la peine d'examiner le plan d'intervention qui se rapporte à chacun de leurs patients. Ce devrait certainement faire partie de leur trousse d'information. Est-ce que cela ne devrait pas aussi s'appliquer aux gens qui vivent dans les foyers pour personnes âgées, ou même aussi, en fait, aux gens qui vivent chez eux?

Sans directives préalables, que vous dites inutiles, je pense que les discussions nécessaires n'auront pas lieu.

M. Martin: J'ai parlé à beaucoup de patients, dans le cadre de mes recherches, qui ont ce genre de discussions même s'ils ne remplissent pas de formules. Ces formules peuvent être très utiles. Elles peuvent stimuler la discussion. Elles peuvent fournir un cadre et une orientation à la discussion. D'ailleurs, le fait de remplir la formule est un exercice intellectuel utile qui amène à réfléchir à diverses questions et qui oriente la discussion sur elles. La formule est donc très utile. Cependant, lorsque les tiers habilités à prendre des décisions pour autrui sont préparés, les formules ne sont plus nécessaires. Cette préparation peut se faire par la communication. De plus, lorsque les formules sont remplies, elles ne sont pas toujours utiles. Elles sont insuffisantes.

M. Bernhardt: Trente pour cent des personnes âgées ne sont pas entourées de proches attentifs à eux. Dans ces situations particulières, une forme quelconque de directives préalables donnerait certainement une certaine cohérence au cadre d'intervention. Dans une situation où la famille est absente et que la personne âgée est entourée d'un groupe changeant de personnes, il faudrait certainement quelque chose pour assurer une certaine cohérence qui, autrement, serait inexistante, de l'intervention.

La présidente: Nous avons entendu aujourd'hui un rapport isolé, mais j'en connais certes d'autres où règne une certaine confusion entre la procuration relative aux soins de la personne et la directive préalable. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet? Mon beau-père de 87 ans était atteint d'un cancer métastatique. Nous n'avions pas sa procuration mais sa directive préalable ou son testament biologique. Il avait exprimé ses volontés à ce sujet. Je vous avoue franchement que nous n'avions pas besoin de cette procuration. D'après mon expérience, les gens croyaient que les deux choses s'équivalaient.

M. Bernhardt: En Ontario, assurément depuis l'entrée en vigueur de cette nouvelle loi il y a à peu près cinq ans, la plupart des gens ne comprennent pas davantage la situation. Je crois que très peu de personnes comprennent cette division en ce qui concerne la procuration et ce que cela implique.

Mme Chapman: En vertu de la loi, si une personne n'a pas été expressément nommée comme fondé de pouvoir, il existe une liste classée par ordre hiérarchique des personnes appelées à décider au nom du patient qui ne peut exprimer sa volonté. Je peux donner une procuration à ma fille, mais si je veux que cela devienne un véritable document juridique, je dois consulter un avocat pour respecter la loi.

M. Martin: Cela nous ramène précisément à la question du sénateur Corbin: Avons-nous au Canada adopté un plan d'action sur les soins au terme de la vie? Notre approche est fragmentée. Ces choses portent des noms différents dans l'éventail des lois. Y a-t-il quelque chose de plus déroutant? Nous avons des directives préalables, des testaments de vie ou biologiques, des procurations relatives aux soins de la personne et ainsi de suite. Les directives préalables comportent deux volets -- le volet «qui» et le volet «quoi» -- et la meilleure façon de plonger la population dans la perplexité c'est d'utiliser des noms différents dans les diverses lois. Cela met en évidence le problème soulevé par le sénateur Corbin, à savoir que nous avons une approche fragmentée lorsqu'il s'agit de questions se rapportant aux soins prodigués au dernier stade de la vie dans ce pays.

[Français]

Le sénateur Pépin: Dans quelles circonstances décide-t-on de réanimer ou non une personne malgré des directives préalables de non-réanimation?

[Traduction]

M. Martin: Les volontés des gens pour ce qui est de ce qu'ils veulent et ne veulent pas varient en fonction de leur état de santé, c'est-à-dire en fonction de ce qui ne va pas et de ce qu'ils éprouvent. Lorsqu'ils sont atteints d'une maladie terminale, ils sont moins susceptibles de vouloir qu'on intervienne. Par conséquent, une ordonnance de non-réanimation doit être liée à l'état de santé de la personne. Cela nous amène à un deuxième niveau de complexité. Il faut alors lier tout cela aux volontés générales de la personne en ce qui concerne la qualité de sa vie en général. Cela crée un troisième niveau de complexité.

Je pourrais continuer, mais je pense que vous pouvez comprendre qu'il devient très vite difficile d'interpréter la volonté d'une personne qui vous dit de ne pas intervenir si elle est en train de mourir. Si vous cessez de respirer, êtes-vous en train de mourir? Si vous cessez de respirer et que l'on peut vous donner des médicaments ou utiliser des appareils pour vous aider à reprendre votre souffle, êtes-vous en train de mourir? On ne sait vraiment pas à quoi s'en tenir.

Le sénateur Corbin: Je vais vous révéler quelque chose de personnel. Je n'ai pas de directive préalable et il en va de même pour ma femme ou pour mes enfants, mais nous abordons cette question très souvent et sans difficulté. Ça va à ce que je sache. Je veux dire par là que mon travail de sénateur m'oblige à voyager et qu'il m'arrive de me trouver loin de ma famille. Il se pourrait que je sois confié aux soins de professionnels inconnus dans un hôpital étranger, qui ne sauraient pas quelles sont mes préférences culturelles ou religieuses en ce qui a trait à mes derniers moments. Si je me retrouve dans le coma, ils doivent moralement faire ce qu'il y a de mieux pour moi selon les normes professionnelles acceptées.

Je suis prêt à accepter cela. D'autre part, si je devais me retrouver à l'hôpital entouré de ma famille, je sais que mes proches voudront faire pour le mieux. Au bout du compte, cela importe peu. Je ne serai plus de ce monde dans une heure ou dans deux jours. Mes proches se retrouvent aux prises avec de nombreux problèmes.

Ce dont nous discutons entre nous, c'est vraiment de la question de faciliter la transition, de mettre tout le monde à l'aise et, bien sûr, d'éviter de faire naître un sentiment de culpabilité. J'estime que le danger est très grand que les survivants se réveillent le lendemain matin en se sentant coupables de n'avoir pu faire davantage ou que les professionnels n'aient pu faire davantage. Je ne veux pas que l'on utilise trop de jargon juridique lorsqu'il est question du passage de vie à trépas. Les avocats déjà bien nantis y verraient des occasions de s'enrichir et, peu importe ce que la loi ontarienne dit en matière de responsabilité, par exemple, un avocat plein d'initiatives peut plaider n'importe quoi devant un tribunal et désorganiser complètement l'appareil judiciaire. Dans le meilleur des mondes, j'aime votre approche indulgente, monsieur Martin. Si j'utilise l'adjectif «indulgente» c'est parce que c'est raisonnable.

Je ne sais pas si j'ai bien interprété les observations du sénateur Beaudoin, mais c'est un juriste. À son avis, la loi ne doit rien laisser au hasard et doit tenir compte de toutes les situations qui pourraient se présenter. Quant à moi, ce n'est pas cela la vie. La vie est un tout homogène et j'accepte ce que la vie et la mort ont à m'offrir.

Je suis peut-être allé trop loin en vous disant ce que je ressens mais, pour l'amour de Dieu, épargnez-nous le jargon juridique.

Le sénateur Beaudoin: Je dois me défendre.

Je crois que le «droit de la santé», si je peux utiliser cette expression, n'en est qu'à ses premiers balbutiements. Les gens ont peur de parler de la mort, de la maladie, et cetera. Je suis le premier à l'admettre. Je ne dis pas que tout devrait être légalisé. C'est aller beaucoup trop loin. J'ai préparé un testament biologique, parce que j'estime que c'est nécessaire.

Cependant, je crois qu'il deviendra en plus en plus important de disposer d'une loi générale. Vous pouvez prendre des dispositions spéciales au moyen d'un testament biologique et même si vous pouvez rédiger une directive préalable, la question de l'interprétation reste un élément important. Même les personnes les plus intelligentes ont parfois du mal à bien s'exprimer. Ce sont des choses qui arrivent. Nous pouvons essayer de prendre des mesures sans toutefois régler le problème pour de bond.

Je crois donc que nous devrions avoir une loi générale tout en laissant aux gens le loisir de préparer leur propre directive. Je crois en cela. Je crois aussi qu'il est très utile de pouvoir recourir à la procuration. Je n'en ai pas, mais je devrais probablement prendre des dispositions en ce sens.

Il devrait être possible de préparer des directives mais, faute d'une directive et étant donné la nature humaine, le Parlement a la responsabilité de voter une loi générale, au cas où la personne n'aurait rien prévu. Si la personne ne fait rien, nous serons aux prises avec un problème. Il s'agit d'un compromis.

Il devrait y avoir une loi générale pour les praticiens, je veux dire par là les médecins et les infirmières, mais certaines décisions reviennent à la personne. La Charte des droits et libertés est une loi très importante. Des guerres peuvent se déclarer, mais nous avons les chartes pour protéger les droits et les libertés.

Nous savons qu'il nous faut des principes généraux pour nous guider et, à l'intérieur de ce cadre, tout individu serait libre de faire ce qu'il veut.

La promulgation des lois marque le début de la civilisation et nous aurons toujours des lois. Le droit de la santé en est à ses premiers balbutiements. Je ne dis pas qu'il faut tout mettre par écrit parce que ce serait ridicule. Cependant, nous devrions consigner par écrit les principes généraux qui s'appliquent à tout le monde.

La présidente: Il y a un très léger désaccord entre les deux sénateurs. Le sénateur Beaudoin dit que tout le monde devrait avoir le droit de rédiger une directive préalable si bon leur semble et le sénateur Corbin dit que personne ne devrait être tenu de le faire. Nous nous entendons là-dessus.

Mme Chapman: J'aimerais insister sur le fait que les personnes qui siègent au tour de la table au Conseil sur le vieillissement -- des personnes de tous les milieux -- ont été très fermes à propos de la nécessité d'une directive préalable. Ils voulaient participer à la prise de décision au moment et au-delà de cette concertation avec la profession médicale.

Vous planifiez et réfléchissez avec la famille. C'est important et en fait c'est merveilleux. Cependant, cela doit se poursuivre lorsque vous avez affaire aux professionnels de la santé.

Il est tout à fait primordial de réfléchir à l'avance, mais il faut ensuite passer au niveau suivant pour que toutes ces questions se rapportant au trépas soient réglées selon les volontés de la personne qui doit passer à travers tout le processus.

M. Martin: Si la loi générale établissant les principes généraux s'attachent à la planification des soins en tant que processus de communication, toutes ces autres choses en découleront tout à fait naturellement et selon la règle de bon sens. Si vous vous attachez à la forme, vous passerez à côté des aspects sociaux de la communication.

Le sénateur Beaudoin: Nous sommes sensibles à la communication.

La présidente: J'ai une question à poser au professeur Bernhardt. Le sénateur Corbin a fait ressortir un point de vue très intéressant et que je considère tout à fait juste. Nous passons de vie à trépas et ce sont ceux qui nous pleurent se sentent coupables et se demandent si tout ce qui aurait dû être fait a bel et bien été fait.

Je me sens moi-même très coupable en ce qui a trait aux circonstances qui ont entouré la maladie de ma mère. Elle avait déjà fait un arrêt cardiaque et savait qu'elle risquait d'en faire d'autres. Il était très clair qu'elle ne voulait pas qu'on la réanime. Elle ne voulait pas qu'on utilise des électrodes. Je me suis senti coupable parce qu'on les avait utilisées. J'ai toujours pensé que je l'avais laissé tomber parce que, en tant que son fondé de pouvoir, les professionnels avaient posé un geste sans me demander la permission et avec lequel je n'étais pas d'accord.

Professeur Bernhardt, vous vous êtes retrouvé exactement dans la même situation. Comment avez-vous réagi quand vous avez appris qu'on avait essayé pendant une heure de réanimer votre mère?

M. Bernhardt: Je n'ai pas vécu tout à fait la même situation que vous et je n'ai pas ressenti le même genre de culpabilité. J'étais à Ottawa et elle était à Toronto. Ils n'ont pas réussi à la réanimer de sorte que je ne me suis pas retrouvé dans la même situation que vous. J'ai commencé à me culpabiliser lorsque je me suis rendu à Toronto pour prendre des dispositions pour les funérailles et que j'ai parlé aux amis de ma mère qui vivaient avec elle à la résidence et qui avaient assisté à cela pendant une heure. D'après eux, l'expérience avait été horrible.

Je n'avais aucune raison de me culpabiliser et ça n'a pas été le cas dans cette situation. Je me sentais davantage coupable de m'être trouvé à Ottawa alors qu'elle a vécu à Toronto les dix dernières années de sa vie. J'ai eu beaucoup de mal à m'occuper d'elle à distance. C'est de cela dont je me sentais coupable.

La présidente: Merci beaucoup. La discussion que nous avons eue avec vous nous a été extrêmement utile. Vous pouvez être sûr que nous ferons grand cas de vos points de vue dans nos recommandations.

Sénateurs, notre prochaine réunion aura lieu mardi, le 14 mars prochain. Nous n'aurons pas de réunion la semaine prochaine étant donné que le Sénat ne siège pas.

La séance est levée.


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