37-1
37e législature,
1re session
(29 janvier 2001 - 16 septembre 2002)
Choisissez une session différente
Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne
Fascicule 2 - Témoignages du 4 juin 2001
OTTAWA, le lundi 4 juin 2001 Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 13 h 10 pour examiner diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne. Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil. [Traduction] La présidente: Honorables sénateurs, bienvenue à notre première réunion du Comité sénatorial permanent des droits de la personne, réunion qui va nous donner l'occasion d'entendre des témoignages portant sur notre premier sujet d'examen. Je suis heureuse que la professeure Anne Bayefsky ait pu se rendre à notre invitation. Plus tard, nous entendrons M. Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie Internationale Canada. Nous avons eu un peu de difficultés à mobiliser nos témoins. Bien que les personnes que nous avons contactées se soient montrées intéressées par le sujet et désireuses de comparaître, il semble que juin ne soit pas un bon mois pour inviter des professeurs et d'autres. En revanche, tous nous ont dit être prêts à venir témoigner à la reprise de nos travaux. Les noms des témoins que nous avons recommandés sont sur la liste et nous assurerons un suivi auprès d'eux. Nous risquons d'ailleurs d'avoir de la difficulté à gérer cette liste si l'on continue à nous envoyer des noms. Je souhaite la bienvenue à Mme Bayefsky que j'invite à faire une déclaration liminaire après quoi nous passerons aux questions. Nous voulons être informés des mécanismes, au gouvernement fédéral et dans les gouvernements provinciaux, qui contribuent à l'avancement des droits de la personne, ici et sur la scène internationale. Nous sommes surtout intéressés par le rôle que les parlementaires peuvent jouer ou ont déjà joué sur ce plan. Nous avons donc hâte d'être informés à ce sujet et d'entendre vos suggestions sur les aspects que nous pourrions étudier ou sur le genre de problèmes que nous pourrions examiner afin de recommander des façons d'atténuer les difficultés rencontrées. Mme Anne Bayefsky, professeure, Département des sciences politiques, Université York: Honorables sénateurs, je suis honorée d'être le premier témoin de ce tout nouveau comité. Je trouve fantastique qu'il y ait maintenant un Comité sur les droits de la personne au Sénat. Le travail qui vous attend promet d'être une tâche exaltant. Vous pourrez jouer un rôle important sur la question du respect, par le Canada, des lois et des pratiques en matière de droits de la personne. Vous pourrez aider le Canada à assumer son rôle de chef de file sur la scène internationale, non seulement en tant que pays respectueux des droits de la personne, mais aussi en tant que modèle à suivre sur le plan de l'intégration des lois internationales et des lois nationales pour le plus grand avantage des Canadiens. Vous pourrez également confirmer qu'en matière de droits de la personne, il existe une norme universelle à appliquer dans le monde entier. L'éventail des possibilités qui s'offrent à vous est énorme. S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour vous aider dans vos travaux, maintenant ou dans l'avenir, je serai heureuse de le faire. J'espère que cette séance ne sera qu'une première et si vous le désirez, n'hésitez pas à me recontacter pour que nous nous rencontrions de nouveau dans l'avenir. J'ai consacré les deux dernières années à examiner le système juridique de l'ONU en collaboration avec Mary Robinson du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. Il y a environ deux mois, je l'ai représentée pour le suivi donné à ce rapport. Les 900 pages du rapport en question se trouvent sur le Web et j'ai cru comprendre qu'on vous l'avait téléchargé en grande partie. L'exposé des faits est court, contrairement à la partie statistique qui est longue mais qui vous permettra d'évaluer la situation du Canada dans le système onusien de défense des droits de l'homme. Je vous parlerai plus en détail de certains passages du rapport. Comme vous le savez, le Canada est un participant actif au système international de défense des droits de la personne. Nous avons ratifié les six grands traités de l'ONU portant sur les droits de l'homme. Nous participons de façon assez intensive au système de pétition international, celui qui permet aux particuliers de porter plainte dans les cas de violation des droits de la personne prévus dans un traité de l'ONU. Nous parrainons les principales résolutions relatives au fonctionnement du système onusien des traités sur les droits de l'homme, à l'assemblée générale et à la Commission des droits de l'homme, et cela de façon annuelle ou bisannuelle. Les Canadiens siègent à de nombreux organismes qui s'occupent de droits de l'homme, à commencer par notre bon ami et ancien collègue, Walter Tarnopolsky. Nous connaissons bien le système international auquel nous apportons notre appui. Cela ne revient pas à dire que nous avons toujours respecté toutes les normes sur lesquelles un observateur objectif aurait pu insister. C'est là que pourrait intervenir le Sénat. Je vais vous faire part de quelques statistiques sur le rôle et la participation du Canada dans le domaine des droits de la personne. Parlons tout d'abord du système international des droits de l'homme, c'est-à-dire du système mondial, du système onusien et pas du système interaméricain auquel nous participons par le biais de l'OEA. L'application des traités est assurée par deux stratégies. La première consiste, pour les membres comme le Canada, à produire des rapports relatifs au respect des obligations juridiques internationales des six principaux traités touchant aux droits de la personne: droits civils et politiques, droits économiques, sociaux et culturels, torture, droits de l'enfant, discrimination contre les femmes et discrimination raciale. Chacun de ces traités relève d'un organisme. Il s'agit d'organes de surveillance qui se réunissent régulièrement en cours d'années, mais qui travaillent à temps partiel. Ils vérifient les rapports émis par les parties signataires, dont le Canada. Ces organes de suivi des traités examinent donc dans quelle mesure le Canada se conforme à ses obligations. Nous sommes tenus, en vertu des traités que nous avons volontairement ratifiés, de rédiger de tels rapports. Le deuxième moyen qui permet de faire respecter les obligations internationales en matière de droits de la personne est le système des plaintes individuelles auquel nous participons en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui autorise le dépôt de plaintes auprès du Comité des droits de l'homme et du Comité contre la torture, le CCT. Nous ne participons pas au système beaucoup plus limité qui découle de la Convention sur la discrimination raciale, c'est-à-dire le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale. Nous n'avons pas encore ratifié le protocole de plaintes individuelles en vertu de la convention qui relève du Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Nous sommes en train d'analyser la question et votre comité pourrait s'intéresser à ce dossier dans l'avenir. Si le Canada mettait son poids dans la balance pour donner aux femmes le droit de se plaindre auprès d'un organisme international, nous contribuerions beaucoup à la réussite de ce comité, dans ses premiers pas. Le Canada est représenté au Comité des droits de l'homme par Maxwell Yalden et au Comité contre la torture par Peter Burns, de l'Université de la Colombie-Britannique. Au fil des ans, nous avons été ainsi représentés par d'imminents Canadiens. Nous ne comptons cependant pas autant de Canadiens que nous le pourrions et c'est sans doute un autre sujet sur lequel vous pourriez vous pencher. Par exemple, nous n'avons pas de représentantes à ces organes de suivi des traités. Le Canada adhère au libellé des résolutions annuelles de l'assemblée générale qui encourage les États membres à nommer des femmes à ces organismes. Cependant, nous ne faisons rien dans ce sens. Ces deux processus de surveillance s'articulent donc, pour le premier, autour des rapports que nous devons rédiger et soumettre en tant que pays membre et, pour le second, par le dépôt des plaintes individuelles qui font l'objet d'un suivi auquel nous sommes tenus de nous conformer dès que les résultats des enquêtes sont connus. Il arrive souvent que des fonctionnaires canadiens soient appelés à comparaître devant ces comités internationaux pour parler des réalisations du Canada en matière de droits de la personne. Nous avons ratifié six traités. La fréquence de dépôt des rapports varie de deux ans à cinq ans. Ainsi, le Comité sur la discrimination raciale exige des rapports tous les deux ans mais, en pratique, le Canada dépose les siens tous les 1,2 an en moyenne. Jusqu'en 2000, le Canada a soumis 23 rapports à ces comités. Le plus souvent, nous n'en soumettons qu'un seul par an, mais il arrive que deux ou trois soient examinés dans une même année. Cela tient au fait que les comités ne coordonnent pas leurs demandes entre eux, si bien qu'un pays peut être appelé à soumettre plusieurs rapports dans une même année. Ainsi, il arrive souvent que des fonctionnaires canadiens aient à présenter aux organes de l'ONU des rapports sur la fiche de route du Canada dans le dossier des droits de la personne. Le grand problème tient au fait que ces rapports font rarement l'objet d'un suivi une fois qu'ils ont été présentés. Il arrive que des groupes de pression interviennent, comme des ONG qui se montrent plus particulièrement intéressés à tel ou tel aspect. Récemment, le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels a beaucoup retenu l'attention. Des groupes sont allés à Genève pour exprimer leur préoccupation à propos des pauvres et des sans abris. Les commentaires négatifs exprimés par le comité au sujet du Canada ont fait l'objet d'une importante couverture de presse à l'époque. C'est également vrai à propos de certains problèmes soulevés auprès du Comité contre la torture, qui a dit craindre que l'on renvoie des personnes dans des pays où elles risquent d'être torturées. Certains comités se préoccupent aussi des questions touchant aux droits de l'enfant et à la séparation des familles. En général, cependant, les travaux des comités ne sont pas vraiment suivis. Au cours des 15 dernières années où j'ai assisté aux débats de ces organes, j'ai constaté que la participation canadienne était très faible. Le plus souvent, les seuls Canadiens qui y participent sont des gens comme moi, qui viennent observer ce que donnent les délibérations. Le ministère du Patrimoine canadien, qui dispose d'un petit groupe d'employés dévoués, prend note des décisions et les publie. On peut toujours téléphoner au ministère ou visiter son site Internet pour obtenir des copies des rapports et de tous les documents concernant les traités. Les renseignements sont là, c'est vrai, mais encore faut-il savoir où appeler et qui contacter. Sinon, on ne peut pas parler de véritable diffusion. Votre comité devrait aussi envisager très sérieusement la possibilité de créer un site Internet qui permettrait de tenir les Canadiennes et les Canadiens au courant de nos obligations internationales et de savoir ce qu'elles signifient. Il y a déjà eu une campagne éclair mais sélective dans les médias. En 1999, pour marquer l'anniversaire de la Convention sur les droits de l'enfant, les écoles ontariennes ont donné des leçons sur ce thème. Malheureusement, cet enseignement a été limité. Par exemple, il n'a pas été question du mécanisme permettant de porter des plaintes individuelles contre le Canada, dont tout le monde peut se prévaloir. Pourtant, rares sont les Canadiennes et les Canadiens qui savent comment y recourir. Il arrive souvent que les gens se tournent vers les professeurs de droit canadiens qui sont associés à certains de ces organes de suivi des traités et aux mécanismes de plainte qu'ils administrent, pour se faire aider à remplir des dossiers de plainte. Nous voulons bien sûr renseigner les gens et, personnellement, je fais de mon mieux pour leur répondre par écrit et leur expliquer comment préparer ce genre de dossier. Cependant, ce n'est pas ainsi qu'il faudrait faire découvrir aux Canadiens les droits internationaux dont ils peuvent se prévaloir et les remèdes qui sont mis à leur disposition. Cette absence de mécanismes d'information et de facilitation est une grave lacune du cadre institutionnel juridique et politique canadien. Je vais vous parler des résultats obtenus par le Canada au chapitre des plaintes individuelles. En ses 25 ans d'existence, le Comité des droits de l'homme a enregistré 986 plaintes. Il s'agit de toutes les plaintes qu'il a reçues et qui portent sur tous les genres de droits civils et politiques. Il peut s'agir du droit de vote, de la liberté d'expression, du droit d'être jugé et du droit de ne pas faire l'objet de discrimination. De ces 968 cas, 98 émanaient du Canada. Quelque 100 États ont ratifié cette disposition et 10 p. 100 des cas viennent du Canada. Nous sommes devant tout le monde, sauf la Jamaïque qui s'est retirée du système. Les cas en Jamaïque concernaient la peine de mort. Ce pays s'est retiré parce qu'il voulait maintenir la peine de mort, ce qui lui était impossible à la façon dont le comité fonctionne. De tous les pays qui ont adhéré au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Canada est celui qui a fait l'objet du plus grand nombre de plaintes. Le gouvernement estime que cette critique est épouvantable, que l'ONU s'est peut-être trompée, que le système est biaisé, que nous ne sommes pas compris, que nous sommes victimes d'un préjugé ou encore que nous sommes particulièrement ciblés parce que nous sommes un pays démocratique. J'ai dénoncé ce genre de réaction en des termes particulièrement bien sentis dans mon rapport au Haut Commissariat. Quatre-vingt-dix-huit cas en 25 ans, c'est dérisoire. Nous sommes un pays mûr et nous pouvons sans aucun doute faire face à cette réalité. Plus de la moitié de ces 98 cas ont été rejetés parce qu'ils étaient irrecevables, qu'ils ne répondaient même pas au critère minimum pour passer à l'étape suivante. Au final, 18 décisions ont été rendues dont la moitié ont donné lieu à des plaintes. C'est donc sur la base de neuf décisions défavorables en 25 ans qu'on a jugé que le Canada ne faisait pas face à ses obligations internationales. Nous pouvons certainement réagir à ce genre de statistiques. Il n'y a aucune raison que nous nous sentions visés. Les statistiques du Comité contre la torture nous indiquent que 18 p. 100, soit un cinquième de tous les cas transmis au comité, concernent le Canada. Cela ne veut pas dire que nous pratiquons la torture chez nous, mais plutôt que nous risquons de soumettre à la torture ceux et celles que nous déportons dans leur pays. Là encore, la quasi-totalité des plaintes ont été rejetées. Le comité a exprimé trois avis définitifs au sujet du Canada dont un seul, en 15 années d'existence de ce comité, est un cas de violation. Vous pourriez chercher à déterminer dans quelle mesure le Canada s'est conformé à ces constatations. Le problème tient au fait qu'il n'existe pas de véritable système permettant d'assurer un suivi. Que se passe-t-il quand le Canada a été reconnu coupable de ne pas se conformer à ses obligations? Qui surveille le dossier? Pour l'instant, seul le Comité permanent fédéral-provincial sur les droits de la personne se charge de ce travail mais, comme vous le savez, il le fait derrière des portes closes. Il n'entend pas de témoins, comme de tels organismes peuvent le faire, il ne recueille pas l'avis de personnes représentant différents horizons, ayant des compétences et des intérêts variés. Avec tout cela, nous en sommes arrivés au stade de crise, et je n'exagère pas. Nous avons atteint le stade de crise dans un cas que je connais très bien, parce que je m'en suis occupée en tant qu'avocate. C'est moi, en effet, qui ait porté la cause Waldman c. Canada devant le Comité des droits de l'homme. Il était question de contester la loi ontarienne qui refusait d'accorder le même financement aux écoles non catholiques et aux écoles catholiques, ce qui, pour nous, constituait une violation des dispositions relatives à l'égalité du Pacte sur les droits civils et politiques. Le comité de l'ONU a effectivement estimé qu'il s'agissait là d'une violation des obligations internationales du Canada en vertu du pacte. Cette affaire est particulièrement importante pour votre comité, parce que la ministre de la Justice, le ministre des Affaires étrangères et le premier ministre ont répondu au comité que cette question relevait des provinces et que la seule obligation du fédéral était d'inciter les gouvernements provinciaux à respecter les obligations de traité contractées par le Canada. Cette décision a porté un coup à notre réputation internationale et remis en doute notre capacité d'assumer un rôle de chef de file dans ce dossier. Je crois, pour ma part, que le Sénat est appelé à jouer un rôle constructif unique dans le domaine des relations fédérales-provinciales et pour intégrer les provinces dans le système. Il ne faut bien sûr pas oublier que le Canada a ratifié tous ces traités avec l'approbation et le consentement explicite de toutes les provinces. Que signifie une telle ratification si les provinces peuvent déclarer qu'elles ne sont pas tenues de se plier à ces obligations internationales et si le gouvernement fédéral peut affirmer qu'il n'est pas obligé de faire plus que de les inciter à s'y conformer? Cela s'applique non seulement à notre législation sur les droits de la personne, mais aussi à la ratification, par le Canada, de tout autre traité. Que pouvons-nous faire à cet égard? Quel rôle ce comité pourrait-il jouer pour améliorer la conformité? Que peut-on faire de plus à l'échelon fédéral et quelles sont nos responsabilités? C'est là une question importante. Dans mon rapport au Haut Commissariat, j'ai insisté sur plusieurs recommandations. Mon rapport contient une petite section uniquement consacrée aux recommandations. Il précise ce que les parties signataires peuvent faire mais, à la page 176, à la recommandation 162, je traite plus particulièrement d'une stratégie de mise en oeuvre à l'échelon national pour ce qui est de nos obligations internationales au titre des droits de la personne. J'y énonce un ensemble de propositions stipulant, étape par étape, ce qu'il conviendrait de faire: examen de la loi actuelle pour voir dans quelle mesure elle est conforme au droit international; modification des pratiques incohérentes; comparaison des projets de loi dont vous êtes saisis avec les lois internationales; instauration d'une tribune nationale où les gens pourraient s'exprimer au sujet de la conformité, et création, par le Sénat, d'une structure institutionnelle visant à faciliter le dialogue entre la société civile et le gouvernement, toujours à propos de la façon dont le Canada s'acquitte de ses obligations internationales. Cette dernière recommandation est très spécifique. Il y en a plusieurs auxquelles vous pourriez donner suite, mais j'étais sûre que vous alliez me poser des questions à propos de cette recommandation. Je m'arrête ici. La présidente: Vous avez effectivement mis le doigt sur certains des aspects qui nous intéressent. Comme vous l'avez dit, nous souhaiterons peut-être vous revoir une autre fois. Merci de vous mettre à notre disposition. Le sénateur Wilson: Je suis de l'Ontario. À l'époque de la cause Waldman, le premier ministre de la province a déclaré que l'ONU ayant décrété dans son rapport annuel que le Canada est le meilleur pays du monde, il supposait que cela s'entendait aussi de notre système d'enseignement. On s'en est arrêté là et il n'y a pas eu d'autres discussions. Quelles stratégies recommandez-vous pour mettre un terme à cette dichotomie provinciale-fédérale? Comme nous le savons, quand le gouvernement fédéral va déposer ses rapports à Genève, il blâme les provinces et les provinces, elles, blâment le fédéral. Mme Bayefsky: C'est dans le rapport de l'ONU sur le développement humain qu'il est dit que le Canada est le meilleur pays du monde. J'ai siégé au comité consultatif pour le rapport de 2000 sur les droits de la personne. Je ne sais pas si vous avez lu ce rapport, mais le classement qu'il établit concerne les inscriptions dans les écoles au Canada, le système d'éducation et certains filets de sécurité sociale, soit des aspects très importants. Toutefois, il ne prétend pas traiter en général des résultats obtenus par le Canada sur le plan des droits de la personne. Chaque fois que l'on entend l'ONU dire que nous sommes le meilleur pays du monde, nous devrions veiller à replacer cette remarque en contexte et à comprendre que cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas lieu d'apporter des améliorations. Le gouvernement de l'Ontario a entrepris une initiative en vue de répondre en partie aux critiques formulées par le comité de l'ONU et de débloquer un financement public aux écoles confessionnelles autres que les écoles catholiques. Cette décision s'est heurtée à une résistance acerbe par des gens de qui l'on ne l'attendait pas, c'est-à-dire par des personnes qui sont censées comprendre les droits de l'homme mais qui ne semblent pas bien comprendre les obligations internationales du Canada sur ce chapitre. Vous avez parlé du statut de ces obligations ici au Canada. Je sais que le sénateur Beaudoin est un expert du sujet sous l'angle du droit international. D'un côté, nous avons des obligations internationales et, sauf si ces obligations sont prises en compte dans le droit canadien, nos tribunaux ne peuvent pas les faire respecter. Cela ne veut pas dire non plus que nous n'avons pas d'obligations nationales. Dans une décision critique relative à une cause très importante sur le sujet, l'affaire Davidson c. Slaight Communications Inc., la Cour suprême du Canada a décrété que les tribunaux canadiens, sauf s'ils étaient aux prises avec un conflit direct, devaient partir du principe que les droits et les politiques du Canada sont conformes au droit international et doivent les interpréter comme tels. Il convient, tout d'abord, à l'occasion d'échanges avec les procureurs généraux et les juristes, d'attirer l'attention des provinces sur le fait que le droit international ne va pas à l'encontre de l'évolution des lois et des politiques au Canada. Deuxièmement, il faut veiller à rappeler aux provinces qu'elles sont parties prenantes aux ratifications du Canada. Nous n'avons contracté aucune obligation sans avoir l'appui des provinces. L'autre question qui intéresse votre comité est la façon dont nous ratifions les traités. Nous n'avons tenu aucune audience sur le sujet. C'est l'exécutif qui décide. Par rapport à ce qui se fait aux États-Unis, le Sénat canadien n'est pas tenu d'approuver la ratification des traités. Certes, l'approbation a un prix chez nos voisins, parce que les traités sont intégrés au droit américain après avoir fait l'objet d'un processus de ratification démocratique. Nous, nous avons fait l'inverse. C'est notre exécutif qui ratifie et, ce faisant, les traités ne peuvent pas prendre effet sans qu'on adopte une loi de mise en oeuvre. Votre comité pourrait ouvrir le système, le rendre plus transparent et permettre un dialogue avant la ratification des traités. Par exemple, en l'absence d'orientations très claires relativement à la ratification du protocole facultatif de la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, nous pourrions tenir des audiences qui nous permettraient d'établir si le Canada doit ou non ratifier ce protocole. Cela dit, il ne faut pas oublier que les provinces font partie intégrante du processus de ratification. Nous leur avons demandé leur permission et toutes nous l'ont accordée. Cela s'assortit de certaines obligations. Troisièmement, il faut voir dans la charte sur l'union sociale la possibilité d'instaurer un dialogue ainsi qu'une relation constructive entre les provinces et le gouvernement fédéral relativement à nos obligations internationales et à la question des droits de la personne. Après tout, la charte en question stipule en exergue que les Canadiens sont tous égaux. Qu'est-ce que cela signifie? Personnellement, j'y vois une possibilité. Il s'agit d'une phrase d'introduction qui nous invite à placer nos relations fédérales-provinciales sous l'angle de nos obligations en matière de droits internationaux et de droits de la personne. Si les provinces refusaient de prendre au sérieux nos obligations internationales - comme l'Ontario l'a fait et continue de le faire - et arguaient que la charte sur l'union sociale empêche fédéral de s'occuper de la question de la conformité, nous pourrions les inciter à se joindre au dialogue et leur rappeler que la charte, dans ses remarques liminaires, donne au gouvernement fédéral la possibilité de recourir à son pouvoir de dépenser pour contraindre les Canadiens à se conformer à nos obligations collectives. En fin de compte, il faut accorder la priorité à la réputation du Canada sur la scène internationale dans le domaine des droits de la personne. Je ne sais pas ce que vous pensez de la possibilité de recourir aux pouvoirs associés au maintien de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement pour y parvenir. Je ne pense pas que ce soit nécessaire, mais il ne serait pas abusif de faire preuve de créativité dans l'utilisation des pouvoirs de dépenser pour trouver une solution, face à l'intransigeance dont certaines provinces pourraient faire preuve dans l'avenir. Le sénateur Wilson: Je tiens à dire, très brièvement, que les membres du comité sont tout à fait au courant de cette phrase en leitmotiv voulant que le Canada soit le meilleur pays du monde; nous savons aussi qu'elle est fonction des facteurs retenus dans le rapport. Il est possible que la décision de financer les écoles privées, prise récemment par le gouvernement de l'Ontario, vise à satisfaire nos obligations envers l'ONU, mais certains croient que d'autres raisons se cachent derrière cela. Nous n'allons pas en parler maintenant, mais je tenais à faire cette précision. Vous jugez utile d'ouvrir le dialogue avec les provinces avant la ratification de tout traité, mais irez-vous jusqu'à dire qu'il pourrait être utile que ce comité collabore avec les députés provinciaux d'une province où un blocage pourrait se produire? Mme Bayefsky: C'est toujours une bonne idée de se parler dans ce genre de situation. C'est d'autant plus vrai que les objections nous viennent des ministères provinciaux de la Justice ou des procureurs généraux qui estiment qu'il existe une importante barrière légale au respect des obligations découlant des traités - comme les obligations aux termes des droits de la personne -, ce qui me porte à penser qu'il serait très utile que ce comité contribue à faire savoir, à l'échelon fédéral, ce que sont ces obligations. Ce serait particulièrement utile dans un cadre transparent qui permettrait d'instaurer un dialogue non seulement avec les députés provinciaux, mais aussi avec les ONG et le milieu universitaire, qui entretiennent peut-être des points de vue différents de celui des responsables gouvernementaux. Le sénateur Watt: Je vais essayer de me concentrer sur la question des peuples autochtones, surtout sur ceux de l'Arctique. J'ai remarqué que vous vous êtes occupée de plusieurs dossiers concernant les peuples autochtones. Vous avez travaillé auprès du comité des femmes et des femmes autochtones sur les questions constitutionnelles. Je crois savoir également que vous avez été une des intervenantes du renvoi devant la Cour suprême de la question concernant la séparation du Québec. Mme Bayefsky: Oui. Le sénateur Watt: Il est possible que la question que je vais vous poser exige un examen plus poussé de votre part. Vous aurez peut-être besoin de plus de temps pour en faire le tour. N'hésitez donc pas à nous dire si vous avez besoin de plus de temps pour répondre. Les peuples autochtones sont ici pour rester, mais nous avons de la difficulté à voir les choses du même oeil et à collaborer avec les Autochtones dans l'intérêt du pays. Cela tient au fait que les peuples autochtones du Canada, depuis leur premier contact avec l'Homme blanc, ne voient pas les choses de la même façon que lui. Nos bagages culturels sont différents. La Constitution leur donne le droit de vivre et le droit à la vie. On dirait que les peuples autochtones ne disposent pas de la machinerie ou de l'appareil nécessaire. Je veux parler d'une machinerie reconnue par le gouvernement du Canada ou par les gouvernements du Québec ou de l'Ontario... en fait, par n'importe quelle province. Des gens peuvent penser que cela relève de la discrimination. Je ne suis pas certain que tel soit le cas. Je dirais plutôt que les Autochtones ne sont pas économiquement outillés pour faire concurrence à l'Homme blanc et pour se faire entendre dans les dossiers qui les intéressent. Je suis sûr que, dans le cadre de votre activité, vous avez entendu des préoccupations du genre, même aux Nations Unies. Il existe une ONG internationale qui représente les trois régions de l'Alaska, du Groenland et du Canada et même une quatrième maintenant, la Russie. Les Autochtones russes sont les nouveaux venus à cette fédération du cercle Arctique. Où les peuples autochtones se situent-ils par rapport aux six traités que vous avez mentionnés et que nous avons ratifiés? Vous avez aussi parlé de plaintes individuelles. Comment les choses se passent-elles à cet égard ou plus exactement comment les Autochtones de cette communauté internationale peuvent-ils faire connaître leurs préoccupations? Y a-t-il quelque chose qui marche de travers? Ce comité devrait-il se demander comment nous pourrions nous y prendre pour corriger les éventuels défauts à l'échelon national et à l'échelon international? Il arrive que les deux aspects, national et international, jouent l'un contre l'autre, mais ils peuvent aussi se renforcer mutuellement. Pourriez-vous nous brosser un tableau général de la situation sur ce plan? Mme Bayefsky: Je vais aborder votre question sous l'angle de l'interface entre le national et l'international. On pourrait faire plusieurs choses à cet égard. D'abord, par le biais des rapports que le Canada adresse à ces comités. Dans une certaine mesure, plusieurs de ces rapports concernent le traitement accordé aux Canadiens autochtones. Il en est question dans plusieurs textes. C'est, par exemple, le cas de l'article 27 du Pacte sur les droits civils et politique, qui concerne les minorités et le traitement qui leur est accordé ainsi que le patrimoine. Il en est aussi question dans les clauses de non-discrimination de la Convention pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. La question du traitement des enfants autochtones relève de la Convention sur le droit des enfants. Les rapports sont produits par le gouvernement. Personne à l'extérieur ne les examine, pas plus qu'un comité parlementaire, avant qu'ils soient soumis aux organes de l'ONU. Ces rapports sont un énoncé de la façon dont le Canada se conforme à ses obligations. Plusieurs solutions sont possibles. L'une consisterait à constituer un comité à l'étape de la rédaction des rapports du Canada pour parler des questions autochtones. Un tel dialogue permettrait d'inciter le gouvernement à inclure dans son rapport une analyse de la façon dont nous nous conformons à nos obligations internationales et un énoncé des faits qui soit précis et axé sur de futures initiatives constructives. Ce dialogue pourrait intervenir à l'étape de la rédaction du rapport. Cela se fait déjà en Angleterre où le gouvernement participe à un processus ouvert de consultation sur la façon dont il se conforme à ses obligations avant de produire ses propres rapports. Certains pourraient penser que le gouvernement ne veut pas tout dire parce qu'il ne veut pas trop s'exposer à la critique ni se condamner dans un rapport adressé à un organe international. Je pense, cependant, qu'un peu plus d'honnêteté dans une telle auto-analyse pourrait être utile. Par la suite, nous devrions examiner les résultats de l'évaluation réalisée par le comité de l'ONU. Les comités onusiens ont déjà adressé des critiques au Canada relativement à la question des peuples autochtones. Un comité parlementaire pourrait tenir compte de ces remarques de fond, des critiques formulées à l'échelon international et de la réponse du Canada. Pour l'instant, il n'existe pas d'organisme international chargé d'assurer un tel suivi. Seul le Comité permanent fédéral-provincial des droits de la personne assume cette fonction, et il le fait en secret. Pour ce qui est des rapports produits par l'État, nous pourrions les contrôler et vérifier dans quelle mesure les commentaires des comités de l'ONU sont pris en compte. Dans le passé, ces commentaires ont porté de façon très précise sur les peuples autochtones. Passons maintenant au suivi des décisions relatives aux plaintes et aux mécanismes de dépôt des plaintes. Les peuples autochtones ont déjà déposé des plaintes auprès du Comité des droits de l'homme. Ce fut par exemple le cas de la cause Ominyak. Le comité est encore aux prises avec les procédures de suivi. Le Canada a répondu à un constat de violation par le comité et a laissé entendre que certaines choses pourraient être améliorées dans ce cas. Le comité n'a jamais publié la réponse. Il est très difficile d'obtenir une réponse du gouvernement du Canada. Vous pourriez faire oeuvre utile en favorisant la transparence. Vous avez là la possibilité de répondre à une décision rendue à propos du Canada et des peuples autochtones. Vous pourriez vous en occuper. Personne d'autre ne le fait. Le sénateur Watt: Je comprends ce dont vous parlez. Comment réagissez-vous au fait qu'on ne veut pas reconnaître les peuples autochtones en tant que peuples? Les ONG se heurtent à ce genre de problème depuis plusieurs années maintenant et je ne pense pas qu'il soit réglé. Que faire? On en est à l'ONU maintenant. Les représentants canadiens ne veulent pas nous aider, nous, les groupes autochtones, pour que nous soyons reconnus en tant que peuple. Que faire sur ce plan? Mme Bayefsky: Vous voulez savoir comment influencer la représentation canadienne auprès des instances internationales. Eh bien, nous pourrions commencer par engager le dialogue avant que nos représentants n'interviennent pour leur donner des indications sur le genre d'intervention qui vous intéresse. Par exemple, quand le Canada dépêche une délégation de six à dix personnes à des conférences internationales et auprès d'organes de suivi des traités, les gens choisis représentent différentes institutions, le plus souvent les Affaires étrangères, la Justice, le Patrimoine canadien et ainsi de suite. Si vous pouviez rencontrer ces gens là et leur indiquer le point de vue du Sénat ainsi que le genre de représentation que vous attendez d'eux, vous feriez un grand pas pour les amener à prendre en compte nos obligations internationales. Il est temps d'arrêter de s'en remettre à l'ONU pour faire ce travail pour nous. Il est temps de dire que nous avons pris des engagements internationaux et que nous allons nous doter des institutions nécessaires pour faire oeuvre utile à notre niveau. Nous ne l'avons pas encore fait. Jusqu'ici, nous nous en sommes remis aux tribunaux pour cela. La Cour suprême a fait de son mieux pour assumer un rôle de leadership. Néanmoins, les choses ont rarement filtré et nous n'avons pas encore invoqué la responsabilité du Parlement. La présidente: La question que je vais vous poser concerne l'utilisation de l'expression «peuples autochtones» en anglais. À un moment donné, selon la position du Canada, nous ne devions plus utiliser cette expression dans les tribunes internationales et surtout pas à l'OIT. On dirait que cela a été résolu. Peut-être pourrions-nous en parler avec notre témoin. Mme Bayefsky: En anglais, la tendance est à l'acceptation du pluriel et l'on parle plus volontiers de «peoples» que de «people». Le sénateur Beaudoin: Parlons un peu de droit comparatif. Nos pouvoirs de conclure des traités et le système de mise en oeuvre des traités sont fort complexes au Canada, comme dans d'autres pays d'ailleurs. Nous sommes liés par la décision du Conseil Privé de 1937. Nous sommes un État fédéral. Il s'agit là d'une «difficulté» supplémentaire, bien que je n'aime pas ce terme, parce que je suis favorable au fédéralisme. Quels mécanismes, adoptés par d'autres pays pour garantir la conformité à leurs obligations internationales sur le plan des droits de la personne, pourrions juger utile d'appliquer ici? Il ne suffit pas de dire que nous devons faire ceci ou cela et que nous faisons ce que nous pouvons. Peut-être pourrions-nous apprendre des autres. Peut-être qu'il y a d'autres pays dans la même situation que le Canada qui disposent déjà de mécanismes donnant des résultats. Qu'en pensez-vous? Mme Bayefsky: Vous venez de soulever une question importante. Il faudrait que votre comité établisse une distinction entre la perspective canadienne et la perspective anglaise. Depuis plusieurs années, le Royaume-Uni refuse d'incorporer la Convention européenne sur les droits de l'homme. Les Britanniques estiment qu'il faut accorder la primauté à la souveraineté parlementaire, souveraineté qu'on ne peut remettre en question sans menacer tout ce que les Anglais ont de plus sacro-saint. Au fil des ans, la Cour européenne des droits de l'homme a acquis une solide réputation si bien qu'une quarantaine de pays membres du Conseil de l'Europe se sont montrés moins réticents à adopter les normes européennes. Il existe essentiellement deux régimes dans les pays européens: le moniste et le dualiste. Contrairement au Canada, plusieurs États européens ont un système où le droit international fait partie intégrante du droit du pays au point de pouvoir être directement invoqué devant les tribunaux locaux. Ces pays n'ont pas eu les mêmes problèmes que le Royaume-Uni ou le Canada. La Cour européenne des droits de l'homme a jugé que plusieurs causes importantes la Chambre des Lords ne tenaient pas compte du droit international et que la Grande-Bretagne n'a pas entièrement assumé ses obligations en matière de droits de la personne en vertu de la Convention européenne sur les droits de l'homme. Il n'empêche que les Britanniques acceptent progressivement la dominance et l'influence de la cour européenne. L'année dernière, la Convention européenne a été incorporée dans le droit britannique. Je vous recommande d'examiner la loi sur les droits de l'homme pour voir les solutions retenues afin de permettre aux tribunaux britanniques d'appliquer le système européen de conventions beaucoup plus facilement que les tribunaux canadiens peuvent appliquer les traités relatifs aux droits de la personne. Le sénateur Beaudoin: Il est beaucoup plus facile à un pays comme le Royaume-Uni d'intégrer ses obligations internationales dans ses lois, parce qu'il s'agit d'un pays unitaire où il y a un certain transfert des pouvoirs. Nous, nous sommes une fédération. Je pense qu'il serait difficile d'enchâsser un traité international dans notre système et d'en faire une obligation constitutionnelle. Il nous faut respecter la division des pouvoirs entre Ottawa et les provinces. C'est un obstacle. Notre système est dualiste. En Europe, la plupart des pays ont un système moniste, unitaire, qui est beaucoup plus facile à gérer que le nôtre. Nous avons copié le Royaume-Uni, mais il existe une importante différence entre le Royaume-Uni et le Canada en ce sens que nous sommes une fédération. Y a-t-il un exemple de pays fédéral où la théorie dualiste s'applique? Nous sommes peut-être le seul pays du monde à le faire, je ne sais pas. Mme Bayefsky: Il est évident qu'il y a d'autres pays dualistes. Le sénateur Beaudoin: Sont-ils aussi des fédérations? Mme Bayefsky: Comme le Canada - oui, je le pense. En fait, vous vouliez savoir dans quelle mesure des pays fédéralistes peuvent mettre en oeuvre ou incorporer des obligations internationales. La question est de savoir s'ils le peuvent et s'ils l'ont fait? Il y a des exemples. Vous pourriez examiner tout cela plus en détail. Les modèles ne manquent pas. Par exemple, pour n'en citer que quelques-uns, il y a des traités internationaux qui ont un statut de loi constitutionnelle. Ils sont parfois incorporés dans la loi de première instance, mais ils peuvent être neutralisés par des lois supérieures, si bien qu'il existe une hiérarchie des lois. Parfois, ils ne se substituent pas aux lois antérieures, mais uniquement aux lois futures qui pourraient ne pas être cohérentes. Le sénateur Beaudoin: L'Allemagne, par exemple, est une fédération. Mme Bayefsky: En Allemagne, la constitution confère un statut constitutionnel aux obligations internationales. Le sénateur Beaudoin: Le statut constitutionnel est-il accordé par le simple fait que ses obligations sont reconnues? Mme Bayefsky: Ce n'est pas tout à fait la même chose que pour les autres lois allemandes concernant les droits de la personne. Il s'agit d'une formule hybride entre l'incorporation directe et un statut inférieur à celui des lois constitutionnelles nationales concernant les droits de la personne. Le sénateur Beaudoin: Les États-Unis ont résolu ce problème dans une certaine mesure parce que le Sénat doit se prononcer. Si le Sénat se déclare en faveur d'une telle incorporation, la loi est automatiquement ratifiée. Mme Bayefsky: Le Sénat doit effectivement donner son accord à la ratification. Le sénateur Beaudoin: Ce que nous ne pouvons pas faire au Canada. Le Sénat peut signaler son accord, mais la Chambre des communes prend également part à la ratification. Mme Bayefsky: Non, la Chambre des communes n'a pas à être sollicitée pour la ratification. Le sénateur Beaudoin: Pour mettre le traité en oeuvre... Mme Bayefsky: Pour le mettre en oeuvre ou pour le ratifier? Le sénateur Beaudoin: Pour mettre le traité en oeuvre, il faut adopter une loi. Mme Bayefsky: C'est vrai. Je pensais que vous parliez de ratification. Le sénateur Beaudoin: S'il n'y avait que la ratification, ce serait bien. Cependant, pour que le traité soit effectif dans notre fédération, nous devons adopter une loi de mise en oeuvre. Mais là encore, il faut respecter la division des pouvoirs entre Ottawa et les provinces. Mme Bayefsky: Pour répondre à votre question, je ne pense pas que ce soit là un obstacle insurmontable à l'incorporation et je vais vous dire pourquoi. J'ai l'impression que rien ne nous empêchera de soumettre l'incorporation des futurs traités à l'acceptation par les provinces, à leur niveau. Nous pourrions très bien faire cela dans le cas des futurs traités, bien qu'il n'existe pas beaucoup de traités relatifs aux droits de la personne qui soient en cours d'élaboration. Mais il y en a et il y en a aussi qui doivent encore être ratifiés, comme la Convention sur les travailleurs migrants et la Convention américaine. Le sénateur Beaudoin: Il nous faut trouver notre propre solution. Mme Bayefsky: Nous pourrons toujours assumer un rôle de leadership à l'échelon fédéral. Même si toutes les provinces ne mettent pas en oeuvre à leur niveau un traité ayant été ratifié, rien n'empêche le gouvernement fédéral, en vertu de la Constitution, d'aller plus loin en l'incorporant unilatéralement. La raison pour laquelle nous ne l'avons pas encore fait, comme vous le constaterez à la lecture des rapports de l'État canadien, c'est que nous estimons que la Charte canadienne des droits et libertés répond déjà à ce besoin pour tout le monde. Nous n'avons eu de cesse, quand nous rédigions la Charte, de répéter que nous prenions très au sérieux nos obligations de traité en matière de droits de la personne. Pourtant, force est de constater que la charte que nous avons adoptée ne reflète pas précisément les obligations en question. Nous savons maintenant que nous pourrions faire davantage pour mettre les traités en oeuvre, surtout compte tenu de la jurisprudence et de l'interprétation des traités au cours des 20 dernières années. Pour répondre à votre question sur ce qui doit être fait, je dirais que nous devons analyser ce qu'il y a lieu de mettre en oeuvre, ce qu'il faut encore mettre en oeuvre, le genre de loi qu'il faudra modifier ou adopter et le type de responsabilité qui incombe au Parlement. Vous devriez communiquer avec Frene Ginwala, qui joue un rôle important dans le système parlementaire sud-africain et qui siège au Comité des droits de l'homme du parlement sud-africain, comité qui est précisément chargé de cette question. Il y a aussi un organisme international de parlementaires. Toutes les questions concernant le fonctionnement de la législature en matière de mise en oeuvre des obligations internationales d'un pays au chapitre des droits de la personne passent devant cet organisme. Frene Ginwala pourra peut-être répondre à ces questions. Le sénateur Finestone: J'ai deux questions à vous poser. D'abord, sur la question des réfugiés et de l'immigration. A-t-on déjà soulevé le problème auprès des organes onusiens de défense des droits de l'homme? J'ai l'impression que les droits politiques et civils sont davantage respectés en théorie qu'en pratique. J'aimerais avoir votre point de vue à ce sujet. Deuxièmement, je crois comprendre que vous avez déclaré que le Canada participe activement au système international et qu'il fait rapport de ses activités partout où c'est nécessaire. Il dépose généralement ses rapports une fois par an. Pouvez-vous m'expliquer la procédure suivie à cet égard, au Canada? Qui, parmi ceux qui rédigent les rapports, est tenu ou a le droit d'examiner le contenu de ces rapports avant qu'ils ne soient adressés à l'organisme destinataire? Qu'advient-il des dossiers une fois qu'ils ont été remis à l'organe international? Qui les prend en compte et les examine? Est-ce que le gouvernement - sans parler des médias - s'y intéresse? Mme Bayefsky: Pour ce qui est de la question des réfugiés, il est exact que certains organes de suivi des traités se concentrent plus particulièrement sur cette question. Récemment, le Comité des droits de l'enfant et, dans une certaine mesure, le Comité contre la torture se sont occupés de la question des réfugiés. Le Comité des droits de l'homme place la question des réfugiés en contexte, c'est-à-dire celui des procès et des procédures de recours équitables. Le sénateur Finestone: Je veux surtout parler du Canada. Y a-t-il eu des rapports canadiens? Mme Bayefsky: Oui, ces comités ont émis des commentaires concernant la question des réfugiés au Canada. Le sénateur Finestone: Est-ce que cela a donné lieu à des changements de procédures au Canada? On m'a, par exemple, signalé le problème des Tsiganes. On pense qu'il y a vraiment des problèmes de ce côté là. Je suis curieuse de savoir ce qui se passe. Ce sont des apatrides, pour ainsi dire, qui sont répartis sur tout le continent européen et de l'Afrique du Nord. Est-ce qu'on fait quelque chose pour eux? Mme Bayefsky: En août dernier, le Comité contre la discrimination raciale a rendu une décision jurisprudentielle sur les Tsiganes, qui vous intéressera sûrement. Les comités de l'ONU traitent de toutes ces questions et, bien sûr, de ce qui se passe au Canada. La question est de savoir ce qu'il advient des rapports, où ils aboutissent et qui les examine. Tout à l'heure, j'ai parlé de l'aspect rédaction des rapports. J'ai dit qu'ils étaient rédigés par des fonctionnaires. Ce n'est pas un processus transparent faisant l'objet d'un dialogue ouvert. Il y a bien eu quelques échanges avant la rédaction du rapport sur les droits de l'enfant. Sinon, on peut dire qu'il n'y a pas de consultation ce qui est très malheureux. Il n'y a aucune raison qui s'oppose à l'établissement d'un processus plus constructif et plus inclusif qui nous permettrait de déterminer ce que nos rapports devraient contenir et ce qu'il faudrait faire ensuite. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, pour l'instant, personne ne voit ces rapports avant leur dépôt. Ils sont déposés auprès des comités concernés, mais il y a lieu de se demander ce qu'il arrive après. Les comités font des recommandations sur la foi des rapports. Qu'advient-il de ces recommandations? Si une ONG a été particulièrement active dans un dossier au point d'attirer l'attention de certains médias, les recommandations seront reprises par la presse. Mais, dans la plupart des cas, elles passent inaperçues. Il n'y a pas de processus, ici au Canada, prévoyant la prise en compte du rapport et l'étude des commentaires dont ils font l'objet. Rien ne prévoie leur examen de façon transparente ni l'adoption de démarches constructives pour répondre aux critiques formulées. Rien ne se fait à ce sujet entre deux rapports. La présidente: Sénateur Finestone, nous avons déjà parlé de la question des médias. Le sénateur Finestone: Oui, j'étais là, mais je ne suis pas intéressée par cet aspect. Je suis surtout intéressée par le processus que suit le gouvernement, lui qui est responsable auprès du peuple. L'exécutif n'est certainement pas l'organe responsable. C'est le Parlement qui est l'organe responsable; l'exécutif, lui, est censé répondre à des mesures législatives. Si aucun de ces rapports ne passe devant le Parlement, devant un comité du Parlement, aucune mesure ne peut être prise sur le plan législatif. Si les médias faisaient bien leur travail, ils se seraient aperçus de l'erreur énorme qui s'est produite; les médias ont oublié que c'est le Parlement qui a un rôle à jouer, et non l'exécutif. Mme Bayefsky: Il est certain que le législatif n'est pas appelé à jouer le rôle qui lui revient. Il faut absolument qu'il le fasse et j'espère que vous assumerez ce rôle. Tout ce que je peux vous dire, c'est que ces rapports sont très épais, ils font plusieurs centaines de pages et ils sont très ennuyeux. Le sénateur Finestone: La plupart des choses que nous faisons ici sont ennuyeuses. Mme Bayefsky: Oui, mais c'est ennuyeux au point qu'on a de la difficulté à retenir l'attention des médias. Vos recherchistes - et j'espère que vous avez un personnel suffisant pour cela - pourraient parcourir les rapports pour extraire le genre d'engagement pris par le gouvernement sur le plan législatif. La procédure appliquée par les organes internationaux de suivi des traités est fastidieuse à bien des égards et les médias ne suivent pas vraiment ce qui se passe au niveau des comités, pas plus à New York qu'à Genève. Lors du dernier examen du dossier du Canada sur la question de la discrimination contre les femmes, à New York, j'ai constaté qu'il n'y avait que deux personnes dans la salle. Pourtant, New York n'est qu'à une heure d'avion d'ici et les ONG canadiennes n'y sont même pas allées. Si le Parlement est effectivement investi de l'obligation de prendre ce genre de chose au sérieux et de susciter un intérêt général, on peut aussi affirmer que les ONG se doivent de prendre tout cela plus au sérieux. Le sénateur Finestone: Existe-t-il un modèle de référence dans le monde, un modèle de gouvernement qui réagit correctement aux rapports de l'ONU, et que nous pourrions reprendre? Mme Bayefsky: Nombre d'ouvrages ont été écrits sur la relation entre les ONG et les gouvernements. Le sénateur Finestone: Ce ne sont pas les ONG qui m'intéressent. Des 180 pays membres de l'ONU, j'aimerais savoir s'il y a des gouvernements signataires de pactes internationaux, qui prennent des décisions responsables et combien ont adopté un processus pour réagir aux rapports de l'ONU. Y a-t-il un pays qui puisse être un modèle pour le Canada? Mme Bayefsky: Il n'y a pas de réponse simple à votre question. Je dirais que cela dépend du sujet. Il n'y a pas un pays qui réponde parfaitement aux six thèmes des droits de la personne. Certains font un meilleur travail que d'autres pour ce qui est des enfants, par exemple, alors que d'autres se débrouillent mieux dans d'autres dossiers. De façon générale je peux affirmer que plusieurs pays, notamment les pays nordiques de même que le Royaume-Uni, ont établi un excellent dialogue sur le thème des droits de l'enfant. Le sénateur Finestone: Le Canada également. Ce n'est pas ce qui m'inquiète. Mme Bayefsky: Je parle des obligations internationales ainsi que des procédures appliquées par les organes de suivi de traité, de même que des actions devant découler de ce processus à l'échelon national. Le sénateur Kinsella: Pour aller dans le sens de la question du sénateur Finestone, je crois pouvoir dire que l'essentiel tourne autour de la coopération fédérale-provinciale-territoriale. C'est précisément ce qui est dit dans le jugement final du comité judiciaire du Conseil Privé, à propos de la Convention de travail. Celui-ci établit un principe constitutionnel au Canada. Voici ce qu'il dit: Si, dans l'exercice de ses nouvelles fonctions dérivées de son nouveau statut international, le Canada contracte des obligations, l'application de ces dernières doivent, sur le plan de la législation et relativement aux catégories de sujets de compétence provinciale, faire appel à l'ensemble des pouvoirs disponibles - autrement dit se faire par le biais d'une collaboration entre le Dominion et les provinces. Ainsi, la collaboration fédérale-provinciale-territoriale est une obligation constitutionnelle. Lors de la toute première conférence fédérale-provinciale des ministres responsables des droits de la personne au Canada, qui a eu lieu les 11 et 12 décembre 1975, les ministres ont examiné un rapport sommaire sur les modalités et les mécanismes de mise en oeuvre des pactes de l'ONU. Le rapport a été rédigé par le professeur Tom Symons. On peut y lire que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se sont entendus sur les procédures à appliquer pour accéder à une convention. Ils se sont aussi entendus sur les procédures de dénonciation, sur la modification d'une obligation internationale relative à la composition des délégations canadiennes et, plus important encore, sur les procédures à suivre à la suite d'une critique d'un organisme international formulée à l'endroit d'une loi ou d'une institution provinciale. Tout à l'heure, vous avez parlé d'un cas du genre à propos du protocole facultatif en Ontario. Dans ce protocole, le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial ont convenu d'agir en «concertation»; autrement dit, chaque gouvernement va exercer l'ensemble des pouvoirs qui lui échoit. La concertation doit être réelle. Je veux revenir sur ce que le sénateur Finestone a dit à l'instant. Pour parachever notre structure, nous devons mettre sur pied un comité permanent ou un comité de ministres relevant du Parlement. Voyez-vous un obstacle constitutionnel ou un problème quelconque à cet égard, tel que le comité permanent ne serait pas tenu de tenir notre comité parlementaire au courant du travail qu'il accomplit? Voyez-vous une raison pour laquelle ceux qui y siègent ne devraient pas nous informer, que ce soit au sujet du travail effectué par le Canada pour accéder à de nouveaux instruments, d'une modification à un instrument que nous aurions déjà ratifié ou encore d'une dérogation envisagée à l'application d'un instrument quelconque? Si les rapports périodiques soumis en vertu du Pacte sur les droits civils et politiques doivent effectivement servir à remplir un objectif quelconque, les choses sont-elles très différentes dans le cas des rapports déposés en vertu du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels? Dans ce dernier cas, il est question de solliciter le mécanisme de vérification sociale. Les droits sociaux et culturels sont des droits permanents. Le droit à la santé est un processus permanent qui nécessite une collaboration fédérale-provinciale sur le plan des pouvoirs de dépenser. Je recherche la même chose que le sénateur Finestone. Comment boucler la boucle et ajouter un élément de contrôle, qui relève de la responsabilité du Parlement, à ce qui se fait sur le plan administratif? Mme Bayefsky: Je suis entièrement d'accord avec vous. Jusqu'à présent, il y a un trou béant dans la relation entre les obligations juridiques internationales sur le plan des droits de l'homme et les responsabilités qu'assume le Parlement canadien. J'espère que vous saurez relever ce défi, parce que le comité permanent se réunit derrière des portes closes depuis 25 ans. La mesure dans laquelle les lois canadiennes nous permettent de nous acquitter de nos obligations internationales fait l'objet d'un examen et d'une analyse avant et après les réunions des comités internationaux. Cette information n'est pas communiquée au Parlement, alors qu'elle devrait l'être. Je ne vois pas d'autre problème constitutionnel sur le plan des relations provinciales-fédérales qui puisse empêcher votre comité d'être informé de ces résultats. Ce problème tient principalement au fait qu'il faudrait une collaboration, conformément au texte que vous avez lu, et qu'il faudrait aussi faire la promotion des droits de la personne dans les dispositions liminaires de l'accord sur l'union sociale. N'oublions pas qu'il appartient au gouvernement fédéral de veiller à ce que le Canada s'acquitte de ses obligations internationales. Il incombe au gouvernement de veiller à l'intégrité des actions du Canada à l'échelon international. Le Canada met sa réputation internationale en jeu dès qu'il ne respecte pas ses obligations. Cela devrait préoccuper le Parlement. Toute la question du respect des obligations internationales par le Canada, par le truchement des lois, des pratiques et des politiques nationales et provinciales, doit forcément préoccuper le Parlement. Il ne sera pas toujours en mesure d'adopter toutes les lois qui permettront de faire respecter ces obligations au Canada, mais il est tenu de s'informer de ce qui se passe et de formuler les recommandations qu'il juge nécessaires. Je vous encourage à agir ainsi. Le sénateur Kinsella: La professeure Bayefsky a attiré notre attention sur la loi relative aux droits de l'homme, adoptée par le Parlement de Westminster il y a trois ans. Est-il vrai qu'à cette occasion le Parlement britannique a incorporé la Convention européenne sur les droits de l'homme? Si tel est le cas, un avocat pourra désormais déclarer devant un tribunal anglais que telle ou telle loi du Royaume va à l'encontre des droits de son client. Le tribunal devra entendre l'argument et l'analyser au regard de la Convention européenne avant d'émettre un jugement, mais ce jugement ne pourra déclarer la loi ultra vires. Celle-ci devra être renvoyée au Parlement et il appartiendra ensuite à la Chambre des communes et à la Chambre des Lords d'adopter la loi. Si l'on essayait d'appliquer ce modèle au Canada, pensez-vous que les pactes internationaux auraient un effet sur les lois nationales, puisque le Canada tout comme le Royaume-Uni a adopté le système de Westminster? Mme Bayefsky: Il y a quelque chose d'ironique dans tout cela. Je me rappelle avoir été consultée quand le parlement britannique pour examiner cette loi. Ils avaient décidé d'inviter une Canadienne parce que beaucoup au Royaume-Uni pensaient adopter le modèle de l'article 33 de notre Charte, c'est-à-dire la disposition de dérogation. Ils voulaient éviter que le parlement ne perde définitivement sa souveraineté, ce qui les a amenés à s'intéresser à ce qu'a fait le Canada par le biais de sa Charte. Moi, j'ai pensé que ce n'était pas une bonne idée pour la Grande-Bretagne. Je ne pense pas non plus que ce serait une bonne idée que de faire la même chose à notre tour. Bien sûr, il s'est avéré que, jusqu'ici, l'article 33 n'a pas eu les répercussions qu'il aurait pu avoir. Quoi qu'il en soit, la Grande-Bretagne a pris les lois internationales en matière de droits de la personne beaucoup plus au sérieux que nous. Nous devrions nous joindre au concert des nations, notamment au Conseil de l'Europe, et faire la même chose que les autres. Le sénateur Kinsella: Le professeur Cohen a rédigé un article, il y a plusieurs années, dans lequel il parle de l'effet positif des instruments internationaux de protection des droits de la personne sur la philosophie du droit canadienne et sur notre droit législatif. Pouvez-vous nous en toucher un mot? Mme Bayefsky: C'était en 1982, peu après l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Nous avons voulu pousser la Charte en tant que mécanisme d'application de nos obligations internationales en matière de droits de la personne. Depuis, le juge en chef Dickson, puis le juge en chef Lamer ont déclaré que la Cour suprême et les autres tribunaux canadiens sont tenus, autant que faire se peut, de fonder l'interprétation du droit canadien sur nos obligations découlant des traités internationaux en matière de droits de la personne. En fait, le droit canadien doit protéger les droits de la personne aussi efficacement si ce n'est plus que le droit international. Il est sûr qu'à certains égards le droit canadien va beaucoup plus loin, mais quand tel n'est pas le cas, nous ne devons pas hésiter à recourir aux normes internationales relatives aux droits de la personne pour améliorer la situation au Canada. Cela s'applique aux rapports que produit l'État, au système de plaintes individuelles ainsi qu'aux systèmes que les organes de suivi des traités appellent les «commentaires généraux», comme ceux concernant les Tsiganes. Ces systèmes, qui ont donné forme à une philosophie du droit, visent, par exemple, à élargir la définition du droit des personnes handicapées et des peuples autochtones pour les réintégrer dans le droit canadien. Cette étape manque actuellement. Nous préparons des rapports, nous envoyons des gens à Genève et à New York, puis plus rien. Le rôle du Parlement, qui est particulièrement important, consiste à assurer un suivi des examens effectués à l'échelle internationale. Cependant ce n'est pas ce qui se fait pour l'instant. [Français] Le sénateur Ferretti Barth: Madame Bayefsky, dans votre exposé, vous avez mentionné votre priorité. Il faut aussi que le gouvernement canadien établisse ses priorités. Nous faisons face à plusieurs problèmes nationaux et internationaux et l'on dépense beaucoup d'énergie et de ressources à essayer de résoudre ces problèmes importants. Pourriez-vous nous mentionner les priori tés que vous avez envisagées et celles sur lesquelles le gouvernement canadien devrait se pencher? Est-ce que le gouvernement du Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière des droits de la personne? Et s'il les respecte, à qui doit-il faire rapport? Quels sont les organisations ou les organismes à qui le gouvernement du Canada doit rendre compte? On parle beaucoup des ONG. Combien compte-t-on d'organisations? Je suis bouleversée d'entendre qu'il y a tant d'organisations qui s'appellent des ONG. Plusieurs rencontres ont lieu à Genève ou à travers le monde. Quels sont les résultats de ces rencontres? Avons-nous réalisé quelque chose de concret suite à ces rencontres ou serais-ce que beaucoup de gens ne font que parler et qu'on ne voit pas de résultats? Que faut-il faire pour remédier à cette situation? Cela m'intéresse beaucoup de travailler, mais travailler pour apporter des bénéfices et des résultats concrets. [Traduction] Mme Bayefsky: Vous venez de poser d'excellentes questions. Tout d'abord, pour ce qui est de passer aux actes, je vous rappelle que le gouvernement canadien parraine les résolutions annuelles de la Commission des droits de l'homme et de l'Assemblée générale de l'ONU relativement au traité sur les droits de la personne et à leur application. Personnellement, je commencerais par me procurer un exemplaire des réactions du Canada sur ce qui devrait être fait relativement aux obligations internationales en matière de droits de l'homme. Puis, je me demanderais comment appliquer ces recommandations. Vous verrez, dans ces remarques, l'engagement d'appliquer effectivement au Canada les constations des organes de suivi des traités. Vous pourrez commencer par les engagements pris effectivement par le gouvernement, puis insister pour que le Canada passe effectivement aux actes. Pour cela, il faudra examiner les rapports produits par l'État afin de voir si celui-ci joint le geste à la parole. Est-ce suffisant? Le Sénat s'est-il acquitté de ses obligations? Les obligations de compétence provinciale sont-elles respectées? Je vous exhorte à envisager ce travail étape par étape. J'ai d'ailleurs fait la même recommandation au Haut Commissariat. Pour traduire les obligations internationales en obligations nationales, il faudrait commencer par effectuer un examen de toute la situation pour s'assurer que les lois actuelles sont conformes. J'examinerais également le travail réalisé par le Comité permanent fédéral-provincial ainsi que les évaluations qu'il a produites. J'essaierais ensuite d'engager un dialogue à l'étape de la rédaction des rapports par l'État. Il serait question d'examiner les rapports produits ainsi que les réactions du comité de l'ONU concerné pour voir quel genre de mesures de suivi raisonnables il conviendrait d'adopter. Je chercherais aussi à savoir quels sont les cas de plaintes individuelles pour lesquelles la responsabilité du Canada aura été établie, et la façon dont le gouvernement canadien aura réagi à ces décisions. Je chercherais à déterminer si cette réaction est appropriée et dans quelle mesure les problèmes soulevés pourraient ainsi être réglés. Dans tout cela, il faut être conscient de l'absence d'un dialogue constructif entre le Parlement et les parties prenantes. Nous n'avons pas ouvert le dialogue au point que nos obligations internationales font actuellement pas partie intégrante de la politique canadienne. À l'heure actuelle, tout se déroule derrière des portes fermées, c'est un exercice qui ne concerne que l'exécutif. Honorables sénateurs, vous avez maintenant la possibilité de nous engager sur un nouveau chemin. La présidente: Voilà une remarque excellente sur laquelle conclure. Au début, vous avez dit que vous étiez notre premier témoin. J'espère que nous aurons de nouveau l'occasion de vous accueillir et que cet exercice n'a pas été trop pénible pour vous. Nous essayons de déterminer le genre de rôle que nous pourrions jouer et nous examinons toutes les options. Vous nous avez aidés dans cet exercice et je vous en remercie. Chers collègues, nous allons maintenant accueillir M. Alex Neve, secrétaire général d'Amnistie Internationale Canada. Je vous en prie, monsieur Neve. M. Alex Neve, secrétaire général, Amnistie Internationale - Canada: Mesdames et messieurs les sénateurs, je me réjouis d'être ici aujourd'hui. Au fil des ans, d'autres représentants d'Amnistie Internationale et moi-même avons eu le plaisir de rencontrer plusieurs d'entre vous, individuellement, à propos de certaines questions de droits de la personne. Je suis très heureux de constater que vous avez constitué ce comité pour vous concentrer sur ce que nous considérons tous comme étant des questions urgentes et importantes. Comme je suis arrivé à la fin de l'exposé de Mme Bayefsky, je vous demanderais de m'excuser s'il m'arrive de traiter des mêmes choses qu'elle, même si je le fais suivant un point de vue un peu différent du sien, puisque je n'ai pas d'expérience au gouvernement. Je vais brièvement vous rappeler qui nous sommes. Je suis certain que vous connaissez presque tous Amnistie Internationale, mais je tiens à préciser que nous sommes un organisme international de défense des droits de l'homme. La semaine dernière, nous avons marqué notre 40e anniversaire, ce qui veut dire qu'il y a 40 ans que nous faisons campagne pour le respect des droits de l'homme dans le monde et que nous effectuons des recherches à ce sujet. Ce n'est pas forcément un anniversaire que nous avons célébré. C'est donc à juste titre que j'ai employé le mot «marqué», car cet anniversaire nous amène à réfléchir gravement sur l'état du monde, sur nos réalisations ainsi que sur l'engagement et le dévouement soutenus et croissants des hommes, des femmes et des jeunes qui, de par le monde, se battent pour faire respecter les droits de la personne. À cet égard, j'ai pris avec moi notre dernier rapport annuel que nous venons de déposer à l'occasion de notre 40e anniversaire. Il constitue notre examen de la situation mondiale dans le domaine des droits de la personne pour l'année 2000. Amnistie compte maintenant plus d'un million de membres dans le monde entier, dans presque tous les coins de la planète, sur tous les continents. Au Canada, nous comptons quelque 75 000 membres qui s'occupent activement des questions relatives aux droits de l'homme. Il importe de souligner qu'Amnistie internationale est véritablement devenue un mouvement mondial. Nous avons toujours estimé que les systèmes juridiques internationaux et régionaux peuvent et doivent jouer un rôle déterminant dans la protection des droits de l'homme. Ce faisant, nous nous sommes intéressés de près aux initiatives destinées à instaurer des normes en matière de droits de la personne et avons surveillé les mécanismes mis en place ces 40 dernières années aux Nations Unies, mais aussi dans les régions, comme l'Organisation des États américains, le Conseil de l'Europe et l'Organisation de l'unité africaine. Il nous est souvent arrivé, ce qui est compréhensible, de douter de la capacité de ces organismes internationaux de prendre de véritables mesures pour enrayer les violations très répandues des droits fondamentaux. Cependant, nous continuons de croire que c'est en internationalisant véritablement notre conception des droits de l'homme et les systèmes destinés à les protéger que nous parviendrons à faire progresser la lutte que nous menons dans le monde en faveur de ces droits. Amnistie a joué un rôle central dans le développement d'un grand nombre d'instruments de protection des droits de l'homme au fil des ans, comme la Convention des Nations Unies contre la torture, dans le milieu des années 80 et, plus récemment, le statut de Rome conféré au Tribunal pénal international. Nous sommes en train d'inciter l'ONU à adopter un traité portant sur un grave problème, qui est récurrent, celui des disparitions. Par ailleurs, nous insistons auprès des États pour qu'ils fassent plus afin de renforcer les institutions actuellement chargées de contrôler l'application des nombreux traités internationaux et régionaux produits au cours des 50 dernières années. La plupart de ces institutions n'ont pas les ressources voulues et les efforts qu'elles déploient pour s'acquitter de leur mission et régler les problèmes de droits de l'homme au fur et à mesure qu'ils se posent, sont souvent sapés par l'action politique. Nous avons fait porté l'essentiel de notre travail sur les aspects de la protection des droits de la personne qui sont directement associés à notre mandat, c'est-à-dire la défense des prisonniers d'opinion, la lutte contre la torture et les disparitions, la lutte contre la peine de mort et la lutte contre les exécutions politiques. Nous avons aussi maintenu une perspective plus large relativement à l'amélioration des normes actuelles et à la formulation de nouvelles normes visant, plus généralement, à promouvoir toute la gamme des droits de la personne qui découlent de la Déclaration universelle des droits de l'homme. D'après ce que j'ai cru comprendre, vous êtes en train d'examiner le rôle du Canada dans le système international, surtout dans la façon dont votre engagement - ou peut-être votre absence d'engagement - vis-à-vis du système international de protection des droits de la personne peut jouer à l'échelon national. Dans mon témoignage, je compte aborder quatre grands domaines liés à ce thème. Je commencerai par formuler des commentaires généraux relativement au rôle du Canada sur la scène internationale. Deuxièmement, je parlerai de la fiche de route du Canada en matière de signature des instruments internationaux et régionaux. Troisièmement je vous donnerai des exemples de la façon dont ces obligations sont ou ne non pas mises en oeuvre à l'échelle nationale. Quatrièmement, je vous donnerai de récents exemples de critiques internationales, du moins de suggestions d'amélioration formulées par les organes internationaux au Canada, dans certains domaines. Commençons par le rôle international du Canada. Je vais parler à la première personne du pluriel pour englober tous les Canadiens, les médias et les politiciens. Nous nous vantons souvent que le Canada est considéré comme un excellent pays sur la scène internationale en matière de droits de la personne. Comprenez-moi bien, je reconnais que c'est vrai en grande partie. Au cours des 53 années qui se sont écoulées depuis l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme, il est certain que le Canada a grandement contribué au travail des organes internationaux en matière de droits de l'homme, et qu'il a souvent assumé un rôle de chef de file sur ce plan. L'un des exemples les plus récents, et sans doute aussi le plus important, a été le leadership assumé par le Canada dans la mise sur pied du tribunal pénal international. Je souligne cela d'entrée de jeu, non pas pour conclure hâtivement que le Canada a fait un travail superbe, mais pour deux autres raisons très importantes. J'ai souvent peur que nous tombions très vite dans les clichés et que nous en arrivions trop vite à conclure que nous jouissons d'une excellente réputation et d'une excellence fiche de route dans le domaine des droits de la personne, ce qui pourrait nous amener à fermer les yeux sur les véritables problèmes auxquels il faut s'intéresser au Canada et qui nous empêcheraient aussi de reconnaître qu'il faut comprendre et évaluer toutes ces questions d'un point de vue international. Au cours des deux dernières semaines, Amnistie Internationale a elle-même essuyé certaines réactions à l'occasion de la publication, la semaine dernière, de son rapport annuel pour l'an 2000, dans lequel il est question du Canada pour la première fois en quatre ans. Nous allons notamment souligner les problèmes entourant la justice autochtone et l'utilisation excessive de la force policière contre des manifestants pacifiques lors du Sommet des Amériques, de même que certaines préoccupations dans le domaine de la protection des réfugiés. La réaction à ce rapport a été intéressante. La plupart des gens ont bien réagi, constatant le désir du Canada de replacer sa situation dans un contexte international et d'adopter une perspective internationale. Cependant, bien des gens se sont mis sur la défensive et ont rejeté le rapport en ne dépassant pas le stade du cri du coeur: «Allons donc, nous faisons partie des bons gars. Réservez donc vos critiques pour les pays ayant de véritables problèmes!». Je n'irai pas jusqu'à dire que tous les problèmes rencontrés au Canada sont équivalents ceux constatés au Soudan, en Colombie ou ailleurs. Nous n'avons jamais établi de classement ni fait de comparaison dans nos études sur les droits de la personne. J'irai jusqu'à dire que c'est justement parce que nous faisons partie des «bons gars» que nous nous devons d'être encore plus vigilants et de réagir à chaque violation. La deuxième raison pour laquelle je vous parle de cela, comme je le disais au début, c'est que la bonne note accordée au Canada est tout de même justifiée. Nous jouissons d'une réputation bien méritée sur la scène internationale parce que nous nous intéressons à la protection des droits de l'homme. Ce faisant, nous sommes un acteur important dans la promotion de ces questions sur la scène internationale, parce que nous pouvons faire avancer les choses, amener les autres États à adhérer au processus et faire débloquer les choses quand c'est nécessaire. Cependant, si nous ne nous montrons pas parfaitement scrupuleux dans ce que nous faisons, nous allons réduire d'autant notre capacité de jouer un rôle de premier plan. Si le Canada ne met pas de l'ordre dans ses affaires, la campagne mondiale en faveur des droits de l'homme va perdre un de ses grands champions. Passons à présent à ce qu'a fait le Canada jusqu'ici en matière de signature des traités internationaux et régionaux de promotion des droits de la personne. Le système international de protection des droits de l'homme est complexe et il est composé de plusieurs strates. Il relève d'organes des Nations Unies et d'autres organes régionaux. Certaines normes et certains mécanismes sont clairement énoncés dans les traités. D'autres découlent de tout un éventail de déclarations, de résolutions et de recommandations formulées par des experts des questions de droits de la personne travaillant sous les auspices d'organes comme la Commission des Nations Unies sur les droits de l'homme, les bureaux du Haut Commissariat aux droits de l'homme, le Secrétaire général de l'ONU et les structures équivalentes qu'on retrouve à l'échelon régional. Pour l'instant, je vais me limiter à la protection des droits de la personne assurée par les traités, peut-être parce qu'il me sera plus facile d'apporter une réponse quantifiable à la question comment le Canada se débrouille-t-il et que devrait-il faire de plus? Nous avons bien sûr signé les principaux traités de l'Organisation des Nations Unies. Je pense d'ailleurs que Mme Bayefsky vous en a parlé tout à l'heure. Il est question du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de la Convention relative au statut de réfugié, de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, de la Convention pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, de la Convention relative aux droits de l'enfant et, plus récemment, du Statut de Rome accordé au Tribunal pénal international, lequel n'est pas encore entré en vigueur. À l'occasion de ces ratifications, nous avons été sujets à l'évaluation périodique de six organes experts des Nations Unies. Nous avons aussi accepté que deux de ces organes - le Comité des droits de l'homme et le Comité contre la torture - soient habilités à recevoir des plaintes de particuliers estimant que leurs droits ont été enfreints en vertu, soit du Pacte relatif aux droits civils et politiques, soit de la Convention sur la torture. Ces deux organes ont émis des avis portant sur des sujets préoccupants dans le domaine des droits de la personne au Canada. Cependant, le Canada n'a toujours pas reconnu deux autres organes investis également du pouvoir de recevoir des plaintes individuelles. Le premier s'occupe de la Convention relative à l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le Canada a ratifié la convention en 1970 mais, à l'époque, il n'a fait aucune déclaration en vertu de l'article 14 stipulant que les plaintes individuelles pourraient être portées contre le Canada en cas d'infraction supposée à cette convention. Pour l'instant, 29 autres pays l'ont signée et ont reconnu les pouvoirs du comité d'entendre des plaintes individuelles. Le 31 mars dernier, après la ratification de la convention et à l'approche de la conférence mondiale contre le racisme qui se déroulera cet été, Amnistie Internationale a incité le Canada à reconnaître les pouvoirs du comité d'accueillir des plaintes individuelles. Cela permettrait d'apporter d'importants remèdes internationaux, notamment dans le cas des peuples autochtones du Canada. Par ailleurs, le Canada n'a toujours pas reconnu le même pouvoir d'entendre des plaintes individuelles au comité chargé de l'application du protocole facultatif relatif à l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Ce protocole facultatif et le pouvoir d'entendre des plaintes individuelles ne sont entrés en vigueur qu'en décembre de l'année dernière. Le comité est donc loin des 31 années d'histoire du Comité sur la discrimination raciale. Plusieurs États ont réagi très rapidement et l'ont signé. Déjà, 18 pays l'ont ratifié et ont accepté les pouvoirs associés à la formulation de plaintes individuelles. Le protocole facultatif donnerait la possibilité aux femmes qui estiment avoir été brimées dans leurs droits en vertu de la Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes. Dans les deux cas, le fait de permettre le dépôt de plaintes donnerait lieu à une meilleure protection des droits individuels de la personne au Canada. Ce faisant, nous montrerions aux autres pays notre intention de jouer un rôle de chef de file et nous pourrions les inciter à emboîter le pas et à reconnaître, eux aussi, le pouvoir des comités d'entendre des plaintes individuelles. Je vais également vous parler de trois traités onusiens de défense des droits de l'homme que le Canada n'a pas encore signés. Nous avons ratifié plusieurs traités importants, mais il y en a trois sur lesquels je tiens à attirer votre attention et que le Canada n'a pas intégrés. Vient d'abord le deuxième protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ce document est destiné à abolir la peine capitale dans le monde. Il a été adopté en 1989 et est entré en vigueur il y a 10 ans. Quarante-quatre États l'ont ratifié, mais pas le Canada. Les gens pensent en général que le Canada a surtout hésité à le signer à cause de sa loi d'extradition. Nous sommes en faveur de l'abolition de la peine de mort, mais jusqu'à récemment notre droit permettait d'extrader des individus vers des pays où ils risquaient d'être soumis à la peine de mort. Plus tôt cette année, la Cour suprême a clarifié le droit à cet égard et a dit que tel ne pouvait plus être le cas. Selon nous, il est donc temps que le Canada fasse le dernier pas et signe ce document. À bien des égards, le Canada est un important leader dans le monde sur la question de la peine de mort. Le fait que nous n'ayons pas encore signé ce document est une grave omission qui ne s'explique pas depuis la décision rendue par la Cour suprême. Le deuxième traité que le Canada n'a pas encore signé est la Convention internationale relative à la protection du droit des travailleurs migrants et des membres de leurs familles. La Convention sur les travailleurs migrants a été adoptée en 1990 mais, jusqu'ici, seuls 16 États membres y ont adhéré. Elle doit être signée par 20 États membres avant de pouvoir entrer en vigueur. Ce faisant, les travailleurs migrants du monde entier ne peuvent encore pas bénéficier des protections associées à cette convention. Il s'agit là d'une importante raison pour laquelle le Canada devrait la signer. Nous contribuerions ainsi de façon marquée au renforcement de la protection de ces travailleurs dans le monde entier. Bien sûr, il ne faut pas oublier que cette convention concerne aussi un grand nombre de travailleurs migrants au Canada, légaux et illégaux. Ces gens là, qui se heurtent à tout un éventail de problèmes sur le plan des droits de la personne, bénéficieraient d'un renforcement du système international destiné à protéger leurs droits. Le troisième traité de l'ONU que le Canada n'a pas encore signé est la Convention relative au statut des apatrides. Cette convention a été adoptée en 1954 et elle est entrée en vigueur en 1960. Quarante-neuf autres États l'ont ratifiée. Les apatrides constituent le groupe le plus négligé et le plus vulnérable au monde, car aucun État n'est là pour les protéger ni pour défendre leurs droits. Bien que le nombre d'apatrides soit évidemment plus important dans d'autres parties du monde, il y en a tout de même qui résident au Canada ou qui y transitent. Il est temps que le Canada prenne les mesures voulues et fasse sa part pour assurer leur protection. Voilà pour ce qui est de l'ONU. Je voulais aussi attirer votre attention sur une autre tribune très importante, je veux parler de l'Organisation des États américains. Le Canada a fait l'objet d'une importante attention lors du Sommet des Amériques à Québec, et l'année dernière aussi quand nous avons accueilli l'assemblée générale de l'Organisation des États américains à Windsor. Nous faisons partie de l'OEA depuis 11 ans maintenant, mais nous n'avons n'a pas encore ratifié de traité de l'OEA sur les droits de la personne. Cela ne veut pas dire que le Canada échappe à l'examen de l'OEA sur le plan des droits de la personne. Un important organe de cette organisation, la Commission interaméricaine des droits de l'homme, a compétence pour s'occuper des droits de l'homme dans les pays membres et entendre les plaintes individuelles. Ainsi, aux côtés du Comité des droits de l'homme et du Comité contre la torture de l'ONU, il est le troisième organe international investi des pouvoirs voulus pour accueillir des plaintes individuelles contre le Canada. Le Canada pourrait faire encore plus pour accroître et renforcer sa participation au système de protection des droits de la personne de l'OEA. Six documents sur les droits de l'homme attendent encore la signature et la ratification du Canada. Il y a d'abord la Convention américaine relative aux droits de l'homme qui a été adoptée en 1969 et est entrée en vigueur en 1978. Vingt-deux autres des 34 membres actifs de l'OEA ont signé cette convention. Les pays qui ne l'ont pas fait sont ceux de langue anglaise: le Canada, les États-Unis et tous les pays anglophones des Antilles, à l'exception d'un seul. Ce faisant, on a créé un regrettable fossé entre les pays d'Amérique latine, d'un côté, et les pays d'Amérique du Nord et des Antilles, de l'autre. Que signifierait la ratification de ce texte par le Canada? Chez nous, nous pourrions renforcer la capacité de la Commission interaméricaine des droits de l'homme de contrôler nos réalisations au chapitre des droits de la personne et d'entendre des plaintes individuelles. Nous ferions, par ailleurs, en sorte que le Tribunal interaméricain des droits de l'homme puisse entendre des causes concernant le Canada. Nous rassurerions ainsi les Canadiens et les Canadiennes qui sont affectés par l'action ou plutôt par l'inaction du Canada. Plus important encore, la ratification par le Canada nous donnerait la possibilité de devenir un chef de file dans l'hémisphère occidental à une époque où les mécanismes de défense des droits de l'homme de l'OEA sont encore faibles et ne bénéficient pas d'un appui marqué. L'OEA serait plus en mesure d'insister pour faire adopter un programme de réforme positive et pour encourager, par exemple, les États des Antilles à se joindre aux signataires. Nous aiderions l'Organisation à prendre des mesures pour éviter que les Amériques ne foncent à toute vapeur sur le front de l'intégration du commerce en provoquant une désintégration des droits de la personne. On constate actuellement, dans les Amériques, une disjonction très nette entre deux tendances, phénomène qui mérite notre attention et à propos duquel le Canada pourrait jouer un rôle unificateur. Qu'est-ce que nous empêche de signer cette convention? La plupart d'entre vous connaissent déjà la réponse à cette question, une réponse controversée, je le reconnais. Il s'agit de l'article 4. On peut affirmer que la disposition la plus importante d'un traité sur les droits de la personne est le droit à la vie. L'article 4 de la convention américaine stipule que le droit à la vie commence «en général», dès le moment de la conception. Cela ne va pas sans soulever des problèmes relativement au droit à l'avortement actuellement garanti dans la Charte canadienne. Des groupes de femmes et d'autres ont craint que la ratification de cette convention par le Canada ne remette ce genre de droit en question. Les groupes de femmes dans d'autres parties des Amériques ont indiqué que la ratification, par le Canada, les aiderait beaucoup dans leur combat pour obtenir des droits identiques, ailleurs dans l'hémisphère. Amnistie Internationale n'a pas de position relativement au droit à l'avortement dans le cadre de ses programmes de défense des droits de l'homme. Cependant, nous avons souligné au gouvernement que certaines des indications, notamment en provenance de la Commission interaméricaine des droits de l'homme elle-même, nous poussent à croire que l'expression «en général» ne veut pas dire qu'un État ne pourra pas maintenir la liberté de choix, s'il le désire. Nous avons également avalisé plusieurs propositions visant à émettre des réserves ou à établir un protocole d'entente latéral pour maintenir la loi canadienne sur le sujet. Nous avons retenu et appuyé la proposition du professeur Rebecca Cook, de l'Université de Toronto, qui porte sur un cadre très valable de droit à l'égalité et de santé génésique qui accompagnerait la ratification par le Canada. Les gouvernements fédéral et provinciaux disposent de toute cette information, et plus encore, depuis fort longtemps. Les options sont claires. Il existe encore un besoin pressant de ratifier cette convention à une époque où d'inquiétantes violations des droits de la personne continuent à être signalées dans notre hémisphère. Je pense que l'attention que le Canada pourrait susciter en ratifiant cette convention aurait un certain poids, parce que ce texte n'a pas bénéficié de l'attention générale du public. Cela nous ramène à ce qui a été dit lors de l'exposé précédent, à savoir que le seul organisme chargé de se pencher sur la ratification de tels traités par le Canada, c'est-à-dire le Comité permanent, travaille derrière des portes closes. Nous avons, comme d'autres, explicitement demandé à comparaître devant ce comité - non pas pour polémiquer, mais pour lui faire part de cet aspect - et l'on nous a dit que ce n'était pas possible, qu'aucun accès public n'était prévu. Deux autres instruments très importants de l'OEA découlent de la Convention américaine sur les droits de l'homme. Le premier est celui qui concerne la peine de mort, que le Canada n'a pas ratifié non plus. L'autre est un document connu sous le titre de Protocole de San Salvador, qui porte sur les droits économiques, sociaux et culturels. À certains égards, il est l'équivalent du traité de l'ONU concernant les mêmes droits, mais il comporte un élément supplémentaire intéressant. Il s'agit du droit de mettre sur pied un syndicat et d'en faire partie ainsi que du droit à l'éducation qui, dans le protocole, font l'objet d'un processus de plaintes individuelles dans les cas de non-respect. Ce genre de recours n'existe actuellement pas à l'échelon international. On s'efforce de faire la même chose au niveau de l'ONU, mais la possibilité de loger des plaintes individuelles en cas d'infraction aux droits dans les domaines que j'ai mentionnés existe déjà à l'OEA. Les trois autres traités de l'OEA concernant les droits de l'homme portent sur des domaines bien précis. Le premier est celui de la violence faite aux femmes. Quatre pays membres de l'OEA seulement sur 34 l'ont ratifié: le Canada, les États-Unis, la Jamaïque et le Suriname. Il y a également le traité de l'OEA qui porte sur la torture et qui, à bien des égards, ressemble à celui de l'ONU. Un troisième concerne les disparitions. Malgré les efforts déployés au niveau de l'ONU pour se doter d'un traité sur les disparitions, il n'en existe actuellement pas dans le système onusien. Le traité de l'OEA revêt donc une dimension internationale importante. Je suis désolé de m'étendre autant sur ce sujet. Quoi qu'il en soit, je vous soumets 11 suggestions relativement à la ratification des traités internationaux et régionaux. Je propose également que le Canada s'intéresse à deux mécanismes de plaintes individuelles: la Convention pour l'élimination de la discrimination raciale, à quoi il faut rajouter, à l'échelon de l'ONU ou de l'OEA, neuf traités ou protocoles que le Canada n'a pas encore acceptés. Après avoir lancé cet appel pour que le Canada signe tous ces documents et après vous avoir incités à vous joindre à cet appel, je veux attirer votre attention sur un troisième aspect: qu'a fait le Canada relativement aux traités qu'il a déjà ratifiés? Voilà une question provocante. Certaines obligations internationales du Canada ont déjà été spécifiquement incluses dans notre droit. Comme il en a déjà été question en profondeur dans le témoignage précédent, il s'agit là de la seule façon pour les tribunaux canadiens de faire directement appliquer ces obligations. Sinon, elles ne sont que des aides à l'interprétation du droit international dans l'application de la Charte et des autres lois nationales. Le Canada prend très au sérieux la question de la ratification. Loin de moi l'idée de laisser entendre le contraire. Le Canada se livre à un travail d'analyse et de réforme juridique très complet quand il se livre à de tels exercices. La loi récemment adoptée par le Canada à l'occasion de la ratification du Statut de Rome accordé au Tribunal pénal international en est un excellent exemple. Le problème touche à la ratification et aux discussions associées aux remises en question des problèmes soulevés devant le Comité permanent. C'est là qu'il faudrait débattre des réformes juridiques nécessaires, mais ce comité n'est pas public. Comme je l'ai souligné dans l'exemple qui nous intéresse, les ONG et les autres commentateurs et observateurs intéressés ne peuvent avoir accès à ce comité. Celui-ci n'a pas le poids politique nécessaire pour composer avec certains des problèmes controversés qui se posent à l'occasion. Par exemple, la Convention américaine sur les droits de l'homme devra faire l'objet d'une décision politique à un moment donné, car il faudra établir si le Canada est disposé à y adhérer et comment il le fera. Tout cela intervient alors qu'il y a plus de 10 ans que les responsables politiques canadiens aux échelons fédéral, provinciaux et territoriaux ne se sont pas réunis - même pas au niveau des ministres - pour parler des questions de droits de la personne. Il est temps de le faire, et ce genre d'activité devrait même devenir une habitude au Canada. Nous ne savons pas vraiment ce qui se dit au Comité permanent, mais une chose est sûre, c'est que la prise en compte par le Canada des obligations juridiques découlant des traités, est très inégale. Récemment, c'est-à-dire il y a quelques semaines à peine, la Cour suprême du Canada a été invitée à examiner l'état du droit canadien relativement à une importante obligation qui nous incombe en matière de droits de la personne, c'est-à-dire l'article 3 de la Convention contre la torture. Cette disposition précise que nous ne devons absolument pas déporter, expulser ou extrader une personne risquant d'être torturée dans le pays où elle va se retrouver. Le Canada a ratifié la convention en 1987 et n'a encore adopter de disposition juridique liée à cette convention. Nos normes en matière de protection des réfugiés recoupent les dispositions internationales dans une certaine mesure et apportent donc un recours nécessaire, mais il y a tout un domaine où il n'y a pas de recoupement, plus précisément dans les cas difficiles où les personnes ont été accusées de crimes, de violation des droits de la personne ou d'actes terroristes. Cette question a donc été portée à l'attention de la Cour suprême du Canada. Comme nous n'avons pas adopté de texte explicite, dans le droit canadien, quant à nos obligations internationales, nous avons été confrontés à des litiges complexes en vertu de la Charte, litiges qui ont pris du temps à différentes instances juridiques. Les avocats cherchent à apporter des remèdes novateurs et souvent radicaux pour faire respecter les obligations internationales qui incombent très nettement au Canada, mais pour lesquelles il n'existe pas d'organisme d'application au sein du système judiciaire ou administratif canadien. Si le Parlement était appelé à effectuer un examen plus serré de ces cas-là, par le truchement d'organismes dédiés - avant la ratification, tout de suite après la ratification et, de façon permanente, à l'occasion de la réforme des lois du Canada - nous parviendrions à ne jamais perdre de vue les conséquences de ces obligations pour le droit canadien. Quand on change une loi, est-on certain que le texte modifié est respectueux de nos obligations en matière de droits de la personne? Jusqu'ici, nous n'avons pas été très cohérents sur ce plan et, dans bien des cas, nous n'y apportons même aucune attention. La dernière question dont je veux vous entretenir concerne les critiques internationales adressées au Canada sur le plan de ses réalisations en matière de droits de la personne. Le Canada n'a pas échappé aux critiques à cet égard, même si nous avons la réputation d'être un «bon gars». Dans les 36 derniers mois, des organismes comme le Comité contre la torture - en novembre de l'an dernier - la Commission interaméricaine des droits de l'homme - au début de l'an 2000 dans une étude qui a porté sur le statut de réfugié au Canada - et le Comité des droits de l'homme des Nations Unies - en 1999 - ont tous fait état de préoccupations relativement à la fiche de route du Canada dans le domaine des droits de la personne. On ne sait pas exactement de quel mécanisme le gouvernement dispose, ni s'il s'en sert, pour répondre aux recommandations des organes internationaux. Par exemple, je n'ai jamais vu de plan d'action public décrivant ce que le gouvernement entend faire pour donner suite aux préoccupations exprimées. Dans le cadre de la réforme juridique permanente qui découle de telles recommandations, il arrive que certains aspects soient pris en compte, mais pas tous. Très souvent, les choses se font par accident. Prenons l'exemple récent de la recommandation du Comité des Nations Unies contre la torture, en novembre dernier, recommandation qui invitait le Canada à mettre sur pied un organisme indépendant pour faire enquête au sujet des plaintes de torture et de mauvais traitements. Le comité a indiqué qu'un tel organisme pourrait principalement se charger des plaintes émanant des Autochtones, mais qu'il s'occuperait aussi de la question de la torture de façon générale. Huit mois après cette recommandation, je n'ai pas entendu parler de réaction publique par le gouvernement. Je n'ai rien vu indiquant qu'un processus quelconque a été enclenché par lequel le Canada envisagerait de se conformer à la recommandation. Ce faisant, nous avons décidé d'organiser une campagne publique pour que les Canadiennes et les Canadiens soient au courant de cette recommandation importante formulée par un organe international relativement à nos réalisations sur le plan des droits de la personne, et pour mobiliser le plus grand nombre de personnes possible afin d'inciter le gouvernement à se conformer à cette recommandation. Cela rejoint tout à fait nos préoccupations relativement aux plaintes individuelles. En 1999, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a recommandé que le Canada tienne une enquête publique au sujet de la mort de Dudley George, qui a été abattu par la police provinciale de l'Ontario dans le parc provincial d'Ipperwash. Depuis, nous avons écrit au gouvernement fédéral pour lui demander ce qu'il entendait faire afin de se conformer à la recommandation de l'organe des Nations Unies. Dans sa réponse, il nous dit estimer qu'il s'agit là d'une responsabilité provinciale, parce que ce sont des policiers provinciaux qui ont appuyé sur la gâchette. Bien sûr, le gouvernement provincial insiste sur le fait que les organes internationaux de défense des droits de la personne ne doivent traiter qu'avec le gouvernement fédéral. Il a été question, dans le témoignage précédent, de ce genre de tension qui revêt une importance cruciale. On ne peut pas traiter la question de la protection des droits de la personne en se repassant ainsi la patate chaude entre gouvernements provinciaux et gouvernement fédéral. Il faut adopter une stratégie coordonnée, ce qui veut dire qu'il faut déployer un véritable effort sur le plan politique, par tous les ordres de gouvernement, pour se conformer à toutes les recommandations adressées au Canada, peu importe le palier de gouvernement qui devra se charger de la mise en oeuvre. Voilà mes premières remarques sur la question de l'engagement du Canada vis-à-vis du système international des droits de la personne. Je serai heureux de continuer à collaborer avec vous dans votre travail d'exploration de la question. Je suis disposé à répondre à vos questions ou à échanger avec vous, si vous le désirez. Le sénateur Watt: J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous venez de nous dire et je ne peux m'empêcher de soulever certaines questions qui, selon moi, devraient faire partie du mandat du comité. Les résidents d'un État sont représentés par leur gouvernement. Cependant, tel n'est pas le cas des Autochtones. Nous avons déjà eu un État, mais on nous l'a pris. Voilà bien des années que nous essayons de régler ce problème, mais nous n'avons toujours pas abouti. Nous nous retrouvons dans la position où nous devons nous demander où sont nos protections. Où est la machinerie qui va protéger nos droits, peu importe que ces droits soient différents de ceux des autres? Tout cela tient au fait que l'appareil gouvernemental préférerait que ce problème disparaisse de lui-même, problème dont il ne veut d'ailleurs pas reconnaître l'existence. C'est ce que disent généralement les Autochtones au Canada. Nous pouvons toujours essayer de chercher la lumière au bout du tunnel, pour nous inciter à continuer, mais c'est très difficile quand on ne dispose pas des instruments nécessaires pour assurer notre protection. Je ne parle pas ici de ce qui se passe à l'échelon international, mais plutôt à l'échelon régional et national, je parle des interactions entre la nation et les régions. On ne peut pas laisser ainsi le système continuer à passer à côté de ces questions cruciales. Il est essentiel de se doter d'un article 35. Cet article n'est pas au point. Il pourrait aussi nous servir à aller devant la Cour suprême pour réclamer une décision afin de pouvoir nous aligner sur l'État. Comme nous n'avons pas d'État ou de gouvernement pour nous représenter, nous devons nous en remettre à l'État canadien. Nous nous en remettons à un gouvernement qui, pour nous, est un gouvernement étranger. De son côté, le gouvernement du Canada nous considère, nous aussi, comme des étrangers. Autrement dit, le gouvernement ne reconnaît pas pleinement les différences qui existent entre nous. Comment régler ce problème? Il faut de nouveau se tourner vers la Cour suprême. Les politiciens doivent faire un pas de plus et reconnaître que nous avons des droits. Le message que nous adressons à la communauté des nations, c'est que le Canada ne s'occupe pas de ses peuples autochtones. Il nous faut trouver une solution pour ramener le Canada là où il était avant. Depuis que nous avons négocié l'article 35, nous sommes obligés de mener une bataille acharnée. Nous n'avançons plus, nous reculons et la population en général nous considère de plus en plus comme un élément coûteux pour la société. Ce ne devrait pas se passer ainsi. Comment régler ce problème? M. Neve: Je partage la plupart de vos préoccupations. Je m'intéresse davantage à la scène internationale qu'à la scène nationale, parce que je n'ai pas beaucoup d'expérience relativement aux décisions de la Cour suprême sur ce plan, mais je sais par contre ce qui se passe à l'échelon international. Tout à l'heure, la professeure Bayefsky a mis en relief les principaux thèmes qui se dégagent des divers organes internationaux chargés d'examiner dans quelle mesure nous nous conformons à nos actuelles obligations en matière de droits de la personne. J'ai indiqué qu'Amnistie Internationale n'établit pas de classement et ne fait pas non plus de comparaison sur le plan des droits de la personne, mais que plusieurs tribunaux et organismes internationaux ont estimé que le traitement des peuples autochtones constituait le dossier le plus pressant au chapitre des droits de la personne au Canada. Plusieurs organismes existants peuvent formuler des recommandations sur la manière d'améliorer la situation. Les mécanismes en question, les organes et les traités internationaux ne concernent pas particulièrement le sort des peuples autochtones. Il s'agit de traités génériques sur les droits de la personne, qui concernent les droits civils et politiques et même des aspects très particuliers comme la torture ou l'égalité des femmes. Pour des raisons bien précises et parfois différentes, la réalité et le contexte historique des peuples autochtones ne sont pas reflétés dans ces documents. Voilà pourquoi, depuis de nombreuses années, les peuples autochtones sont très actifs au niveau de l'ONU et de l'organisation des États américains. Voilà pourquoi ils insistent pour qu'on établisse des instruments susceptibles de répondre à la réalité autochtone. Le système onusien a finalement été saisi d'une ébauche de déclaration sur les droits des peuples autochtones. Celle-ci devrait, à bien des égards, répondre de façon globale et très claire aux besoins différents, uniques et importants des peuples autochtones, pas seulement au Canada mais dans le reste du monde. Cette déclaration soulignerait les liens importants qui existent entre les peuples autochtones et la terre et traduiraient le fait que, dans bien des cas, ces peuples sont une minorité récente, apparue après la naissance des États-nations, mais qu'ils étaient les premiers habitants des terres qu'ils occupent toujours. Les droits des peuples autochtones devraient donc faire l'objet de dispositions distinctes et ne pas être confondus avec ceux des autres minorités. Peut-être que votre comité pourrait se pencher sur cette question. Je n'ai personnellement pas suivi de près la déclaration sur les peuples autochtones, mais bien des gens au Canada l'ont fait. Celle-ci progresse très lentement. J'ai entendu dire des choses différentes à propos de la position du Canada. On me dit, d'un côté, que le Canada assume un rôle de chef de file et qu'il fait avancer les choses. D'un autre, on me dit le contraire. Ce document, même s'il ne s'agit pas d'un traité, deviendra un étalon très important et des comités comme le vôtre pourront l'examiner et peut-être mieux comprendre les besoins de nos peuples autochtones. Des comités comme le vôtre et peut-être d'autres comités parlementaires pourront instaurer une certaine transparence et examiner dans quelle mesure le Canada se conforme aux normes internationales en matière de droits de la personne et ils pourront aussi se pencher sur le droit, la politique et les pratiques en vigueur au Canada, en regard de toutes les questions concernant les Autochtones. Le sénateur Kinsella: Je vais poursuivre dans la foulée des questions du sénateur Watt pour parler du Comité permanent auquel vous avez fait allusion. Madame la présidente, ce week-end j'ai trouvé dans mes notes à la maison, un document que j'avais écrit sur l'établissement du Comité permanent. Je vais vous laisser ces notes pour que vous les fassiez traduire. Elles nous ramènent aux environs de 1983. Quand ce document aura été traduit dans les deux langues officielles, nous pourrons le faire distribuer aux membres du comité. Le sénateur Watt a donc attiré notre attention sur l'article 35. Au Parlement, l'année dernière, nous avons adopté l'accord final des Nishgas qui confère une forme d'autonomie gouvernementale importante à cette nation, qui n'a rien à voir avec une délégation de pouvoir. Les choses ont donc changé au Canada et peut-être que nous devrions nommer des Autochtones au Comité permanent pour représenter les Premières nations afin de continuer à travailler sur les rapports destinés aux organes internationaux, de répondre aux questions soulevées par le Comité des droits de l'homme et de se pencher sur la rédaction de nouveaux instruments. J'ai siégé au groupe de travail qui s'est occupé de la Convention sur les droits des peuples autochtones, en 1988 ou 1989. Les choses n'ont pas beaucoup avancé sur ce plan. J'ai noté certaines choses pendant que vous parliez. À plusieurs reprises, il a été question du travail du Comité permanent. Vous avez attiré notre attention sur le fait que ce comité se demande si le Canada doit ou non ratifier la Convention interaméricaine. Il y a déjà 11 ans que nous sommes membres de l'OEA. Savez-vous si ce comité permanent qui est très secret s'est penché sur les raisons qui incitent le Canada à ne pas le transformer en organisme public? À Montréal, il y a deux ans, l'ex-président de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, Claudio Grossman et moi-même avons siégé au même panel. Je lui ai demandé si, selon lui, le Canada doit ratifier cette convention en émettant à l'occasion toutes les réserves nécessaires pour se conformer à cet accord. Il m'a dit oui. Il a ajouté que si nous ne signons pas la convention, nous ne pourrons pas prétendre faire partie de l'appareil de défense des droits de la personne de l'OEA. L'exclusion du Canada représentait, à ses yeux, la perte la plus importante pour le système régional. Qu'en pensez-vous? M. Neve: Je suis tout à fait d'accord avec cette dernière remarque. Amnistie Internationale fait beaucoup campagne sur cette question depuis un an maintenant. Nous avons commencé par la réunion de Windsor, l'année dernière, et avons continué à l'occasion du Sommet de Québec et nous maintenons notre effort. Nous avons fait valoir que la ratification par le Canada de la Convention américaine et des autres traités de l'OEA concernant les droits de la personne serait intéressante sur le plan de la promotion des droits de la personne chez nous. Ce n'est pas ce qui m e préoccupe au premier chef. Le Canada a déjà signé plusieurs traités de l'ONU. Le Canada dispose d'une Charte des droits et libertés. Nous ne sommes pas désespérés à ce point-là. Il y a cependant des avantages à tirer d'une telle ratification. J'ai, par exemple, parlé de deux plaintes individuelles en matière de droits économiques et sociaux qui auraient pu être portées à l'attention du comité si le Canada avait ratifié le protocole de la convention. Il ne s'agit généralement pas de très graves problèmes dans le cas du Canada. Ce sont des questions de droits de la personne à l'échelon régional, à une époque où les violations des droits de la personne dans les Amériques continuent à poser problème. Nous n'en sommes plus au milieu des années 80 où les disparitions étaient chose courante au Salvador et au Guatemala, ni aux jours sombres du régime Pinochet au Chili, mais nous sommes tout de même préoccupés par ce qui se passe en Colombie et en Haïti, ainsi que par les nombreux problèmes graves constatés sur le plan des droits de la personne dans notre hémisphère. Nous devons nous doter d'un système régional fort de défense des droits de l'homme. Il existe déjà un système régional, depuis plusieurs dizaines d'années mais qui, récemment, a davantage fait l'objet d'attaques que d'appuis politiques. Il lui faut un champion, c'est-à-dire un leader déterminé qui pourra remplir un rôle efficace. J'en reviens à ce que le professeur Grossman vous a déclaré, autrement dit que ce n'est qu'en signant tous les traités et en s'engageant nous-mêmes vis-à-vis du système et vis-à-vis des autres États, que nous incitons à assumer leurs obligations, que nous pourrons assumer ce genre de leadership. Le sénateur Kinsella: Dans le passage du rapport d'Amnistie qui concerne le Canada, cette année, vous attirez notre attention sur le traitement des réfugiés. Est-ce qu'Amnistie entretient des craintes sur le sort des personnes à qui l'on refuse le statut de réfugié? Il arrive parfois que nous refusions le statut de réfugié à des personnes, parce que nous craignons qu'elles aient pris part à des crimes de guerre. Devrait-on agir différemment? Le Canada devrait-il traduire ces gens-là devant un tribunal chargé d'examiner les crimes de guerre? M. Neve: Tout à fait. Nous ne prétendons absolument pas que les criminels de guerre ou les personnes qui se sont rendues coupables de crime contre l'humanité devraient recevoir un statut de réfugié. À l'occasion, nous interviendrons en leur faveur si nous estimons qu'elles risquent d'être déportées vers un pays où elles risquent d'être torturées ou exécutées. Du point de vue de la défense des droits de la personne, nous ne ferions absolument pas avancer la cause de la justice. Ce qui nous inquiète jusqu'ici, c'est que le Canada a eu pour politique de déporter les gens plutôt que de les poursuivre ou de les extrader. Deux choses inévitables peuvent se produire dans un tel cas: les soi-disant criminels de guerre risquent la torture ou la mort, ou ils s'en sortent comme si de rien n'était. C'est le cas, même si on ne fait que les raccompagner à la frontière américaine. Quand ils arrivent aux États-Unis, et même quand ils atterrissent dans leur pays d'origine, ils peuvent très bien demeurer impunis. Dans aucun de ces cas de figure, qu'ils soient torturés ou qu'ils soient impunis, la justice n'est bien servie. Il est essentiel que nous commencions à assumer nos obligations juridiques vis-à-vis de plusieurs instruments internationaux - plus particulièrement en ce qui concerne les nouveaux traités appliqués par le Tribunal pénal international - pour que les gens contre qui pèsent de sérieuses allégations soient effectivement traduits en justice. Comme vous le disiez, cela peut se faire à trois niveaux. Dans le meilleur des cas, la personne est traduite en justice dans son pays d'origine. Si un procès juste est envisageable, si la torture ou d'autres violations graves au chapitre des droits de la personne ne sont pas envisageables, c'est la meilleure chose qui puisse se produire. Sinon, la personne doit être traduite devant un tribunal international ou canadien ou dans un autre pays prêt à rendre la justice. La présidente: Le problème, c'est que la personne doit faire l'objet d'un mandat d'arrestation émis par le tribunal pour le Rwanda ou la Bosnie, puisque le Tribunal pénal international n'est pas encore en oeuvre. Ces gens-là peuvent être des suspects, mais pas au sens juridique. C'est là que se situe le problème. Même si les preuves sont solides, il n'existe pas d'appareil juridique dans le pays d'origine ni au Canada permettant de les traduire en justice. M. Neve: Le droit canadien permet que l'on poursuive ce genre de personne. La présidente: Il s'agit du projet de loi C-19. M. Neve: Même avant le projet de loi C-19, le Code criminel permettait de poursuivre des criminels de guerre. Dans le passé, on a essayé d'appliquer ces dispositions aux criminels de guerre de la Seconde guerre mondiale. La présidente: C'est exactement ce que je voulais dire. Il nous faudra faire des choix et nous avons la possibilité de poursuivre ces gens-là ici. Il nous arrive de dire que c'est le problème des autres, mais il n'y a pas vraiment de mécanisme d'un autre côté. Voilà pourquoi ils peuvent s'en tirer. M. Neve: Oui, mais c'est précisément à ce moment-là que nous devons assumer les obligations qui nous incombent, en qualité de membres de la communauté internationale, pour veiller à ce que justice soit faite dans le cas des gens ayant commis des crimes contre l'humanité. Nous sommes tous concernés, même si aucun Canadien n'a été confronté à l'événement en cause. Je suis sûr qu'après la ratification du Statut de Rome et la mise en oeuvre du projet de loi C-19 - qui doit nous permettre d'échapper à certains obstacles juridiques découlant de la décision de la Cour suprême dans la cause Finta il y a plusieurs années, cause qui concernait des poursuites de cette nature - nous allons assister à poursuites, du moins à des poursuites de criminels de guerre contemporains, comme on les appelle souvent. Je ne sais pas si le terme est flatteur, mais il est certain qu'on commence à poursuivre ces criminels de guerre contemporains. La présidente: Je tiens à indiquer, pour le procès-verbal, que nous parlons sans cesse de ce comité secret. J'espère qu'il est bien entendu qu'il ne s'agit pas là d'une critique adressée aux membres de notre comité, parce que le Comité permanent est une créature des gouvernements. Celui-ci relève des provinces et du gouvernement fédéral, qui en sont les maîtres politiques. M. Neve: Je suis tout à fait d'accord. Au fil des ans, j'en suis venu à connaître personnellement certaines des personnes qui ont siégé ou qui siègent encore à ce comité. Elles y sont allées en toute bonne foi et il leur arrive, parfois, de parler ouvertement de certaines de ces questions. Ce n'est vraisemblablement pas une bonne façon de parvenir à la transparence ou de favoriser la reddition de comptes. Le sénateur Finestone: Est-ce que ce sont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux qui nomment ces gens-là? S'agit-il de bureaucrates ou de hauts fonctionnaires qui siègent à ce Comité permanent? Savez-vous comment il est composé? La présidente: Nous accueillerons plus tard un témoin qui pourra certainement répondre à votre question, mais il est possible que celui-ci ait la réponse. M. Neve: Je ne connais pas le détail de la chose, mais il s'agit de bureaucrates. Le sénateur Finestone: Existe-t-il une structure statutaire? M. Neve: Pas que je sache. Le sénateur Wilson: Vous avez parlé de l'article 4 de la Convention américaine sur les droits de l'homme. Il s'agit de l'article portant sur le droit à la vie. D'après ce que je crois savoir, l'opinion est très partagée quant à savoir si nous devons émettre une réserve ou agir autrement. D'où ma question: comment cela est-il décidé? Quel est le rapport entre une telle décision et le Comité permanent ou le fait que les responsables politiques ne se soient pas réunis depuis plus de 10 ans? Quel est le mécanisme de ratification? Comment tout cela est-il décidé? M. Neve: J'ai cru comprendre que la ratification de la convention au Canada a été étudiée en profondeur par le Comité permanent. Cela remonte à plusieurs années et n'a rien à voir avec l'attention renouvelée dont le Canada et l'OEA font l'objet. Toute cette discussion remonte à l'époque où le Canada a intégré l'OEA. En toute logique, le Canada aurait dû ensuite signer le principal traité de l'OEA sur les droits de l'homme. À en juger d'après les déclarations politiques de l'époque, c'est ce qui était prévu. À l'occasion de ses travaux, le comité en est venu à estimer qu'il fallait émettre une réserve relativement à l'article 4, ce qu'il a indiqué dans son rapport à ses maîtres politiques. Personnellement, j'ai l'impression que le moment est venu pour l'échelon politique de prendre la relève. J'en suis arrivé à cette conclusion après de nombreuses réunions à l'échelon provincial et à l'échelon fédéral avec des gens qui ont siégé à ce comité et qui ont pris part à ces discussions. Malheureusement, rien ne permet une telle reprise par le palier politique. Autrement dit, il faut faire tout ce travail. On en est arrivé à un certain raisonnement, des recommandations ont été formulées et des préoccupations ont été exprimées. Plusieurs sources ont fait des recommandations quant à la façon de formuler la réserve. Nous en sommes maintenant au stade où quelqu'un doit simplement passer aux actes. Le sénateur Wilson: C'est la continuité. M. Neve: Il faut décider, au niveau politique, si le Canada est prêt ou non à ratifier ce texte. Nous estimons que les réunions de Windsor et de Québec, qui se sont déroulées a près d'un an d'écart, ont encadré le meilleur créneau que l'on pouvait imaginer pour agir sur le plan politique. Nous regrettons donc que Québec soit maintenant passé. Nous regrettons aussi que le gouvernement n'ait pas pris de mesure, qu'il n'ait rien signé, qu'il n'ait rien fait pour ratifier le texte en question et qu'il n'ait même pas émis son intention de le faire. Finalement, Windsor et Québec n'ont donné lieu à aucune dynamique. Le sénateur Wilson: La ratification du Tribunal pénal international doit-elle passer par le Comité permanent? M. Neve: Je ne pense pas. Le sénateur Wilson: Est-ce que toutes les ratifications passent par le Comité permanent? M. Neve: Oui, si le traité en question touche à un sujet de compétence provinciale. Le comité ne s'est pas penché sur la question du TPI, parce qu'il s'agit d'une stricte question de poursuite et que le droit criminel relève du fédéral. La Convention américaine sur les droits de l'homme, tout comme la Déclaration universelle des droits de l'homme, est un traité très vaste où il est question d'arrestation, du droit de se faire représenter par un avocat et de questions de droit pénal, de même que du droit à l'éducation et aux soins de santé. Le sénateur Wilson: Il y a forcément des répercussions à l'échelle provinciale. M. Neve: Effectivement, notamment la question du droit à l'accès aux services d'avortement, qui est controversée. Le sénateur Wilson: Ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu beaucoup de controverse publique à ce sujet, mais je me demande si cela s'est retrouvé devant le comité. Le sénateur Finestone: J'apprécie que vous souleviez cette question, sénateur Wilson. Lors des réunions au Costa Rica, j'ai représenté les Canadiens pour la ratification de cette convention. Je puis vous garantir qu'il n'était absolument pas question, pour moi, de ratifier cette convention à cause de la façon dont elle est rédigée. Nous avons proposé un libellé différent, une approche différente. Nous avons même demandé des mises entre crochets, mais nos vis-à-vis ne nous ont rien cédé. Moi, je ne veux pas que nous ratifions cette convention, ce qui m'amène à vous poser la question suivante: combien de ces conventions - dont vous avez parlé, monsieur Neve - contiennent des textes entre crochets? Avez-vous une liste de ce qui apparaît entre crochets? Quand vous voyez tout cela, entre crochets, vous ne vous demandez pas si nous devons effectivement signer? Ces conventions renferment certaines choses qui ne correspondent pas du tout à la politie du Canada. En général, la politie du Canada est bien accueillie d'un océan à l'autre. La plupart des familles politiques canadiennes croient dans les mêmes valeurs. Or, certaines des valeurs apparaissant dans les documents dont nous parlons, ne nous correspondent pas. Pourquoi devrait-on les signer si nous ne pouvons pas nous y conformer et que nous ne pouvons pas laisser certains textes entre crochets? Est-ce qu'Amnistie Internationale s'est posée cette question? Je dois vous dire que je ne suis pas votre plus grande admiratrice. Certaines des choses que vous faites ne portent que sur ce qu'il y a de plus négatif. Il m'arrive de penser que votre action est même répréhensible. M. Neve: Je suis désolé de vous l'entendre dire. Le sénateur Finestone: Je suis peut-être un peu dure dans mes propos, mais c'est exactement que je ressens. Il y a des fois où j'aimerais aller vous bousculer. M. Neve: Passez-nous un coup de fil. Plutôt que de nous faire bousculer, nous préférons ouvrir le dialogue. Pour ce qui est des textes entre crochets, à l'étape de l'ébauche, il est certain qu'une grande partie du texte demeure entre crochets pendant un certain temps. Mais quand on s'approche de l'adoption officielle et que les États sont prêts à signer, les crochets disparaissent. On peut, parfois - sauf si vous entendez quelque chose de différent par «mise entre crochets» - diverger de points de vue sur la raison d'être des crochets, pendant que le traité sous forme d'ébauche passe par les différentes étapes de la discussion. Mais au moment où il est adopté, cela veut dire qu'on a adopté une position commune sur ce qui était contenu dans les crochets. Le sénateur Finestone: Avec la Jamaïque, le Suriname et les États-Unis qui ont signé certains documents interaméricains, vous mettez le Canada entre crochets. M. Neve: Vous voulez parler de la Convention relative à la violence faite aux femmes. Le sénateur Finestone: Croyez-vous qu'il faille critiquer le Canada parce qu'il n'a pas signé ce document? C'est votre position. Avez-vous songé à celle du Canada? Ce n'est pas uniquement celle du parti au pouvoir, c'est celle du peuple canadien. J'étais ministre quand on a parlé de tout cela. Je sais que le mouvement des femmes, à l'époque, n'était pas prêt à signer cette convention. Et pourtant, vous critiquez le Canada parce qu'il ne l'a pas signé. C'est ça que je veux dire. Vous devez tenir compte de l'évolution de la société et devez vous demander si la convention nous correspond. M. Neve: Plusieurs groupes de femmes au Canada et ailleurs dans les Amériques m'ont indiqué qu'elles seraient heureuses que le Canada ratifie la convention. Ils n'ont pas tous le même point de vue. La société civile n'est bien sûr pas un bloc monolithique sur ces questions là. Quoi qu'il en soit, plusieurs groupes de femmes aimeraient que le Canada ratifie la Convention sur la violence faite aux femmes. Le sénateur Finestone: Je comprends tout à fait les principes qu'elles défendent et leur philosophie, mais j'espère qu'elles ne veulent pas qu'on signe cette convention. M. Neve: Dès qu'on soulève cette question, on peut se retrouver à la limite très fine qui sépare une critique adressée Canada et la formulation d'une recommandation. C'est une recommandation que nous faisons à propos de ce traité. Amnistie Internationale n'a d'ailleurs pas organisé de campagne très longue à propos de ce traité. Cependant, nous en sommes au stade où, après avoir demandé cinq fois au Canada de le ratifier et nous être heurtés cinq fois à une fin de non recevoir, nous sommes prêts à rendre la chose publique et à dénoncer la position du gouvernement. De plus, pour que le Canada intègre pleinement le système des droits de l'homme de l'OEA, nous devons nous joindre à ceux qui se sont engagés à respecter les mêmes obligations que nous voulons imposer au Brésil, au Mexique et à Trinidad. Nous devons intégrer le mouvement; nous devons signer le traité. C'est en le faisant que nous pourrons devenir de véritables défenseurs de la cause. Le sénateur Finestone: À propos des neuf traités ou protocoles que nous n'avons pas signés, estimez-vous que nous avons commis une erreur quelque part? Pourquoi ne les avons-nous pas signés? Avez-vous évalué les raisons pour lesquelles nous ne l'avons pas fait? M. Neve: Nous nous sommes livrés à certaines évaluations plus poussées que d'autres. Nous avons parlé de la Convention américaine sur les droits de l'homme à l'occasion de la contestation de l'article 4. Il y a d'autres dispositions de cette convention qui pourraient faire l'objet de réserves. J'ai également pris connaissance de la réponse relativement détaillée du gouvernement dans laquelle il explique pourquoi le Canada n'a pas voulu ratifier la Convention des travailleurs migrants. J'ai été étonné de découvrir que le Canada juge que ces lois assurent une protection supérieure à celle des traités. Le sénateur Finestone: C'est donc une bonne raison de ne pas le signer. M. Neve: C'est ce qui est mis en exergue dans la réponse du gouvernement. Encore une fois, à propos du traité concernant les travailleurs migrants, nous avons souligné que la principale raison pour laquelle le Canada n'a pas opté pour la ratification tient au fait qu'il s'agit d'un dossier international; qu'il n'est pas vraiment question de protéger les travailleurs migrants au Canada. Peu importe, à nos yeux, que la loi canadienne offre plus ou moins de protection que le traité. En revanche, ce qui nous inquiète à l'échelle internationale, c'est que les travailleurs migrants sont parmi les plus vulnérables. Songez à ce qui se passe dans un pays comme l'Arabie Saoudite où les travailleurs migrants n'ont aucun droit et où ils sont quotidiennement soumis à des abus et à la discrimination. Il nous faut pouvoir compter sur un système international fort. Cette convention n'a pas encore été mise en oeuvre. Il faut que quatre autres pays la signent et, si le Canada le faisait, il nous permettrait de réaliser un quart du chemin et ainsi de franchir la bosse qui nous arrête. Nous n'avons jamais eu vent d'analyses effectuées par le gouvernement à propos des autres traités du système de l'OEA, hormis la Convention américaine sur les droits de l'homme. Nous nous sommes particulièrement intéressés à cette convention, parce qu'elle nous a pris à rebrousse-poil. Elle est en fait la mère de toutes les conventions. On s'était dit qu'une fois ce traité signé, les gens s'intéresseraient davantage aux autres. Le sénateur Finestone: Madame la présidente, je pose cette question parce qu'elle pourrait orienter le travail de nos attachés de recherche. Ils pourraient examiner les neuf conventions en question au cours de l'été et nous préparer des documents d'information. Ainsi, nous pourrions comprendre pourquoi nous ne les avons pas signés, nous saurions s'il y a une raison ou s'il n'y en a pas et nous comprendrions pourquoi nous ne pouvons pas progresser sur ce plan. Nous pourrions peut-être aussi soulever le même problème à Norman Moyer. Nous pourrions lui poser cette question la semaine prochaine. Il pourra peut-être nous donner des réponses utiles et nous expliquer pourquoi le Canada n'a pas signé. La présidente: Excellente suggestion. Je vais l'ajouter à la liste des sujets sur lesquels il faudra travailler au cours de l'été. Le sénateur Finestone: Malheureusement, je ne serai pas ici la semaine prochaine et je serai très heureuse que vous posiez la question de ma part. La présidente: Il faut aussi envisager ce qui se passe quand on se prononce contre un traité. En cas d'impasse, il arrive qu'il ne soit pas possible de rouvrir un traité ou de le modifier. Cela m'est arrivé une fois dans le domaine des pêches, quand j'ai suggéré que l'on rouvre le traité et qu'on le renégocie. Les gens ont éclaté de rire. Je tiens à ce que les choses soient bien claires. Nous devons faire preuve de créativité. Nous ne faisions pas partie de l'OEA quand tout cela est arrivé. Nous avons beaucoup parlé, à l'échelon politique, avant notre intégration à l'OEA et il a surtout été question de cette clause du traité. Il est évident que nous avons maintenant l'occasion d'aborder la chose avec un regard nouveau, de faire preuve de créativité dans la façon dont nous mobiliserons l'appui et l'adhésion des gens, sans forcément nous lancer dans les vieux débats qu'on a déjà poussés assez loin. Le sénateur Finestone: Je remercie le témoin. Je suis heureuse que nous n'ayons pas à parler uniquement de ce traité de l'OEA. Je serai très heureuse d'examiner la question des travailleurs migrants, parce que nous devons nous en occuper, ici au Canada. La présidente: Merci, monsieur Neve, de vous être rendu à notre invitation. J'ai toujours pensé qu'Amnistie Internationale est un organisme à qui l'on peut parler franchement et avec qui l'on peut échanger des avis. M. Neve: Tout aussi répréhensibles que nous puissions être. Le sénateur Finestone: Pouvez-vous retirer ce mot? La présidente: Ce qu'il y a de bien, c'est que certains d'entre nous ont travaillé avec Amnistie Internationale et que nous ne doutons pas que votre travail est raisonnable. D'autres ont pu avoir des expériences différentes. Ce comité va mettre tous les avis sur la table et tenir un dialogue aussi franc que possible. C'est ce que vous nous avez permis de faire, monsieur Neve, et nous vous en remercions. N'hésitez pas à nous faire part de toute autre suggestion à propos de l'orientation que nous pourrions donner à nos travaux et de la façon dont nous pourrions faire avancer la cause des droits de l'homme. Cela étant, il est vrai que nous disposons de bons systèmes, mais comment pourrions-nous les améliorer et comment les rendre plus responsables? Ces systèmes là étaient peut-être à l'avant-garde, il y a 25 ans, comme le Comité permanent, mais le temps est peut-être venu, pour le Parlement, d'émettre des conseils et de faire en sorte que les choses deviennent plus transparentes et que les systèmes soient plus responsables. Toute suggestion que vous pourrez nous faire à cet égard nous sera utile. Encore une fois, merci, monsieur Neve. Pour ce qui est des autres aspects à traiter, nous devons parler de budget. On me dit que celui-ci a été distribué. On nous demande de communiquer notre budget maintenant, sous notre renvoi. Il s'agit d'un petit poste budgétaire. Voyez la somme. Nous ne prévoyons pas de dépenses exceptionnelles. Si besoin était, nous pourrions adopter un poste budgétaire supplémentaire. Nous voulons être perçus comme un comité raisonnable qui ne se lance pas dans des dépenses importantes ou déraisonnables. Nous connaissons les problèmes auxquels se heurte le Bureau de régie interne à cause de nombreux comités. Nous devons nous montrer prudents. Le budget a été préparé par notre personnel. S'il n'y a pas de question à ce sujet, quelqu'un peut-il en proposer l'adoption? Le sénateur Finestone: Madame la présidente, dans nos échanges tout à l'heure, Mme Bayefsky a soulevé une remarque qui m'inquiète. Elle a dit qu'un seul chercheur ne pourrait pas traiter la masse impressionnante d'informations que nous avons reçues. Ce budget va-t-il nous permettre de retenir les services d'autres recherchistes possédant les compétences susceptibles de répondre à nos besoins? La présidente: Il s'agit de notre étude préliminaire. Le responsable des services de la bibliothèque estime que son personnel pourra très bien nous servir, surtout pendant la période d'été, quand ces gens-là ont le temps de compiler et de recueillir tous les documents nécessaires pour nos fiches d'information. Le personnel de recherche de la bibliothèque tourne. Un poste est ouvert pour l'instant et il a été défini à la mesure de nos besoins. Plutôt que d'engager un personnel professionnel, nous devrions limiter nos exigences, pour avoir l'aval des responsables des deux côtés de cette table. Si nous n'y parvenons pas, eh bien nous réclamerons des services spécialisés. Cette étude ne sera qu'un aperçu. Quand nous en arriverons à des aspects particuliers, nous aurons peut-être besoin de spécialistes qui ne se trouvent pas à la bibliothèque. Nous pourrons alors retenir des gens à contrat. Nous ne tiendrons pas de réunion à huis clos et nous allons enregistrer le plus grand nombre de séances possible parce que la population est certainement intéressée à la question des droits de la personne. Nous espérons que, ce faisant, nous remplirons un rôle éducatif. Je ne pense pas que nous ayons besoin d'une stratégie de communication pour cela. Le sénateur Finestone: Faites retirer le mot «répréhensibles» ou alors je vais exiger une stratégie. La présidente: Je pense que vous vous en êtes très bien tirée et avec une grande habileté politique. Vous avez dit «sur certaines questions». Je suis certaine que vous avez une question à l'esprit mais que vous ne songiez pas à toute l'organisation. Nous en avons pris bonne note. Nous devons soumettre un budget pour cette étude. J'ai bien réfléchi au genre de compétence dont nous avons besoin. Il faut espérer que nous la trouverons chez les témoins que nous allons faire venir dans une première étape. Par la suite, nous pourrons nous tourner vers des experts-conseils et engager du personnel à contrat, ce qui fera l'objet d'un autre budget. Jusque là, je serai heureuse de bénéficier de l'appui du personnel de la bibliothèque du Parlement. Le sénateur Watt: Y aura-t-il un autre budget pour les étapes ultérieures? La présidente: Quand nous avons commencé, vous vous rappellerez que nous avions décidé d'entendre les témoins pour nous permettre de cerner le genre d'étude à mener, parce que nous favorisions des approches différentes, les uns et les autres. Nous avons soumis des listes de témoins susceptibles de nous aider à structurer un peu mieux notre étude. Notre mandat stipule que le Comité permanent soit «autorisé à examiner diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne», ce qui devait nous amener à établir nos sujets d'étude. Plus tard, nous aurons peut-être besoin de nous tourner vers d'autres experts, mais nous aurons alors une assez bonne idée du terrain à couvrir. Le sénateur Wilson: Je propose l'adoption du budget. La présidente: C'est d'accord? Le sénateur Watt: Eh bien, si c'est le cas, je suis d'accord avec ce qui est proposé. Toutefois, je dois vous dire qu'il m'est arrivé de me heurter à des tas d'obstacles en cours de route. J'ai constaté que nous n'avions pas le personnel spécialisé pour s'occuper des questions que je soulève à l'occasion. Nous aurons besoin d'un personnel plus spécialisé plus tard, mais pour l'instant je suis d'accord avec la proposition. La présidente: J'ai l'impression qu'aujourd'hui même nous avons déjà dégagé deux ou trois sujets très intéressants. Si cela continue avec nos prochains témoins, nous aurons très vite une bonne idée de la charge de travail qui nous attend. Le budget est-il adopté? Des voix: Oui. La présidente: Adopté. La séance est levée.