Aller au contenu
RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 3 - Témoignages du 24 septembre 2001


OTTAWA, le lundi 24 septembre 2001

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne s'est réuni aujourd'hui à 16 h 09 pour étudier diverses questions ayant trait aux droits de la personne et examiner, entre autres choses, les mécanismes du gouvernement pour que le Canada respecte ses obligations nationales et internationales en matière de droits de la personne.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, la séance est ouverte.

Nous accueillons aujourd'hui en premier lieu l'honorable Warren Allmand, président de l'organisme Droits et Démocratie. M. Allmand est une mine de renseignements, puisqu'il a déjà été député et a occupé plusieurs autres fonctions. On vous a distribué son curriculum vitae.

Monsieur Allmand, vous savez que notre comité examine les mécanismes du gouvernement ainsi que le rôle que peut jouer le Parlement, sans pour autant se pencher sur des cas spécifiques ou individuels. Nous nous demandons plutôt, comme comité, comment nous pouvons intervenir dans le domaine des droits de la personne et faire avancer ce dossier au gouvernement, au Parlement, dans les institutions internationales de même que dans les institutions canadiennes. Vous voyez que la coupe est pleine, mais nous espérons que vous pourrez nous éclairer sur ce que nous pouvons faire.

Bienvenue au comité.

L'honorable Warren Allmand, c.p., président de Droits et Démocratie (Centre international des droits de la personne et du développement démocratique): Mesdames et messieurs, je tiens d'abord à féliciter le Sénat d'avoir créé ce comité, car le Sénat peut jouer un rôle important dans ce secteur, puisque les droits de la personne impliquent souvent les droits des minorités. Il arrive parfois que les groupes élus du Parlement ne soient pas aussi libres que vous pour traiter des problèmes des minorités. En effet, le Sénat a une plus grande marge de manoeuvre, et peut se prononcer plus ouvertement et librement sur bien des questions, sans avoir à se soucier de plaire à l'électorat. Je félicite donc à nouveau le Sénat de s'être saisi de cette question et j'espère que vos travaux seront couronnés de succès.

Quelques mots, tout d'abord, au sujet de notre centre, après quoi j'aborderai plusieurs dossiers avant de répondre à vos questions.

Le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique a un peu plus de 11 ans. Nous avons changé notre nom il y a environ 18 mois et sommes devenus «Droits et Démocratie». L'appellation plus longue demeure notre nom officiel, mais des communicateurs nous ont informés qu'elle était trop longue pour qui que ce soit s'en souvienne. Nous avons donc fait comme Développement et Paix, dont le nom officiel est l'Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix. C'est ainsi que nous sommes devenus «Droits et Démocratie».

C'est le Comité des affaires étrangères de la Chambre des communes qui recommandait au Parlement la création de notre organisme, il y a maintenant plus de 11 ans. Il ne s'agissait pas d'une initiative du gouvernement de l'époque, mais plutôt de M. Clark, qui a fait en sorte que le projet de loi soit adopté.

Nous avons pour mandat de défendre et de promouvoir la démocratie et les droits de la personne partout dans le monde, et nous nous y employons de bien des façons. Étant donné ce vaste mandat, notre conseil d'administration - dont une des anciennes présidentes était le sénateur Lois Wilson - a décidé que nous ne pouvions pas nous lancer tous azimuts dans la défense et la promotion de la démocratie et de tous les droits de la personne et que nous devions donc cibler nos efforts. Actuellement, nous nous occupons donc des droits des femmes, des droits des peuples autochtones, de la mondialisation et des droits humains de même que du développement des démocraties.

Voilà pour nos quatre grands programmes. Nous avons également deux autres volets d'activités spéciales. En premier lieu, depuis moins de deux ans, nous pouvons agir dans des situations d'urgence, c'est-à-dire que nous avons un budget d'intervention spécial lorsque nous constatons une violation flagrante des droits de la personne où que ce soit dans le monde. Nous pouvons agir de diverses façons.

En deuxième lieu, nous jouons un rôle dans la défense internationale des droits de la personne. En effet, nous oeuvrons au sein de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies pour promouvoir tout un éventail de droits humains. Par le biais de cette activité, nous soutenons résolument la Cour pénale internationale et oeuvrons au sein de sa campagne de ratification.

Nous concentrons nos efforts sur la défense des droits et sur le renforcement des capacités. Nos ressources humaines et financières sont limitées et nous ne pouvons pas tout faire. Mais nous subventionnons des organisations, et particulièrement celles qui sont en Amérique latine, en Afrique et en Asie, de sorte qu'elles puissent un jour être autonomes et s'occuper elles-mêmes de la défense des droits.

Lorsque nous sommes dans d'autres pays pour défendre les droits dans le cadre des programmes que je viens de mentionner, ou lorsque nous nous associons à des ONG ou à la société civile dans ces pays, nous le faisons uniquement dans un esprit de partenariat et de coopération. Nous n'allons au Congo, en Birmanie, en Colombie ou à Haïti que si une ONG, une organisation ecclésiastique, un syndicat ou une association professionnelle vous invite à les aider à régler d'importants dossiers. Nous fonctionnons toujours avec des partenaires.

Il reste cependant une zone grise: étant donné que nous sommes le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, on nous demande de temps en temps si nous intervenons lorsqu'il y a des situations horribles au Canada.

Nous avons adopté une politique sur l'engagement du centre dans les questions de droit de la personne au Canada, et cette politique porte plus ou moins que nous pourrions intervenir si le Canada avait ratifié un traité mais ne respectait pas ses obligations en vertu dudit traité. Nous sommes d'avis qu'il nous incombe de rappeler au gouvernement ses obligations en vertu des traités qu'il a ratifiés et de le pointer du doigt s'il ne les respecte pas. Si nous avons opté pour cette façon de faire, c'est que, même si notre mandat est avant tout international, nous ne pourrions critiquer ni condamner un pays d'Amérique latine, d'Asie ou d'Afrique sous prétexte qu'ils ne respectent pas ses obligations en matière de droits de la personne si nous ne faisions de même pour le Canada. D'ailleurs, nous sommes déjà intervenus de temps en temps.

Nous pourrions également intervenir si le Canada ne ratifiait pas un traité international des droits de la personne. Nous participerions à la campagne visant à exercer des pressions pour que le Canada le ratifie, car nous sommes d'avis qu'en l'absence du Canada, c'est tout le réseau international des droits de la personne qui s'affaiblit. Ce réseau se renforce plus le nombre de pays qui ratifient les traités augmente.

J'ai parlé des droits de la personne et de la démocratie. Le développement des démocraties est l'un de nos quatre programmes et il est très vaste. J'ai apporté au comité un exemplaire de notre rapport annuel de l'année dernière. Nous avons terminé en juillet le rapport de cette année, mais nous ne pouvons le diffuser tant qu'il n'aura pas été déposé au Parlement, qui vient tout juste de reprendre ses travaux.

J'ai également apporté un autre document se rapportant à la mondialisation et intitulé «Protection des droits humains et mondialisation de l'économie. Un défi pour l'OMC».

J'ai aussi un autre document qui est celui que nous avons apporté avec nous à Durban, en Afrique du Sud. Il s'agit d'une exhortation au gouvernement à rejeter le racisme à l'égard des peuples autochtones, puisque c'était l'objectif central de la conférence de Durban. Enfin, j'ai ici une petite plaquette que nous avons produite en vue du Sommet de Québec et qui traite des droits de la personne et de la mondialisation.

Je voudrais aborder maintenant la Loi canadienne sur les droits de la personne. Même s'il s'agit d'un document canadien, nous suivons de très près les travaux du groupe qui examine la Loi canadienne sur les droits de la personne. Nous avons d'ailleurs écrit à la ministre, Mme McLellan, pour lui expliquer que de grandes parties du rapport du groupe d'examen étaient excellentes mais que plusieurs éléments y manquaient, particulièrement les droits économiques, sociaux et culturels.

Vous savez sans doute que le Canada a ratifié la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels, mais que notre Charte est muette sur ces droits. De plus, aucune des 10 lois provinciales sur les droits de la personne ne traite des droits économiques, sociaux et culturels, même si le Canada a ratifié la Convention internationale en 1976. Je faisais partie du Conseil des ministres, à l'époque, et nous avions ratifié les deux grandes conventions en même temps.

Nous avons donc écrit à Mme McLellan à ce sujet, et le gouvernement était censé déposer des mesures législatives en vue d'amender la Loi sur les droits de la personne. Or, je crois que ce projet de loi est mort au Feuilleton lorsque le Parlement a été dissous en vue de l'élection, et rien n'a été fait depuis. Le comité sénatorial pourrait peut-être agir là-dessus.

J'aborde maintenant la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Lorsque le Canada n'a pas ratifié une convention de premier plan sur les droits de la personne, nous jugeons qu'il est de notre devoir, en tant qu'organisme canadien de défense des droits de la personne, de presser le Canada de le ratifier. Voilà donc trois ou quatre ans que nous faisons campagne en ce sens. Il se trouve que les deux seuls grands pays à ne pas avoir ratifié la Convention américaine, ce sont les États-Unis et le Canada.

Nos partenaires d'Amérique latine souhaitent ardemment que le Canada soit un participant de plein titre à la table. Or, la situation était assez délicate à l'époque où Trinidad et le Pérou menaçaient de se retirer du réseau interaméricain. J'étais au Guatemala à l'époque, à l'assemblée annuelle de l'Organisation des États américains, et je faisais campagne pour que le Pérou ne se retire pas. C'est à ce moment-là qu'un Péruvien est venu me demander pourquoi j'insistais tant vu que mon propre pays n'avait pas adhéré à la convention, en insinuant que le Canada devrait y adhérer d'abord plutôt que de se permettre de faire la leçon à celui qui voulait se retirer. Voilà un sujet sur lequel vous pourriez vous pencher.

Je passe maintenant à la nouvelle Charte démocratique inter-américaine, qui est une création du Sommet de Québec. Étant donné que nous nous intéressons au développement des démocraties, nous avons scruté la première ébauche de la charte proposée au Sommet de Québec, et depuis lors, nous collaborons avec le gouvernement du Canada et d'autres gouvernements partenaires des Amériques à raffiner la charte. Elle a d'ailleurs été considérablement enrichie depuis. Il y a à peine une semaine, le 11 septembre dernier, les gouvernements adoptaient à Lima, au Pérou, cette Charte démocratique des Amériques, avec l'appui du Canada. Le Canada avait d'ailleurs proposé un protocole d'entente ou émis une réserve à l'égard de l'article 1 qui traite du droit à la démocratie. Le Canada affirmait que ce droit appartenait aux individus et non pas aux États. À mon avis, la délégation canadienne a fait du bon travail, et j'en félicite le gouvernement canadien. À titre d'ONG, nous avons obtenu toute la collaboration du gouvernement sur cette question.

Si j'aborde la prochaine question en quatrième lieu, cela ne veut pas dire qu'elle est de moindre importance. En effet, nous avons écrit la semaine dernière au premier ministre au sujet des événements horribles qui se sont passés aux États-Unis, et je suis tout disposé à faire tenir au comité copie de la lettre. En gros, nous y disions que des actes de ce genre méritent notre plus vive réprobation. Peu importe les difficultés que vous puissiez avoir, rien ne justifie une attaque terroriste de cette ampleur contre tant d'innocents. De plus, nous recommandions de débusquer les auteurs de ces attentats terribles et de les traduire en justice, sans chercher à exercer de représailles contre d'autres innocents. Ceux qui ont été tués aux États-Unis étaient des innocents, et il ne faudrait pas généraliser et tuer encore d'autres innocents, de même qu'il ne faudrait certainement pas condamner quelque race, religion ou groupe ethnique que ce soit. Nous avons indiqué en troisième lieu au premier ministre que le gouvernement devait respecter notre Charte, les conventions internationales de même que la Charte des Nations Unies, et que le Canada ne devrait pas enfreindre le droit international sous prétexte de défendre la démocratie. Il faut respecter la démocratie en faisant ce que doit. Enfin, nous avons écrit que pour assurer la sécurité, outre le resserrement de mesures contre le terrorisme, dans les aéroports ou à bord des aéronefs ou pour débusquer et anéantir les cellules de terroristes, il faut aussi se demander quelles sont les causes fondamentales de ces agissements et essayer de les comprendre. Pour véritablement résoudre un problème, la solution doit traiter la cause.

J'aimerais maintenant signaler qu'en vertu des diverses conventions ratifiées par le Canada, celui-ci doit faire l'objet d'une évaluation périodique. Le Canada ayant ratifié la Convention internationale sur les droits économiques, sociaux et culturels, et l'évaluation étant sur une base quinquennale, nous ferons sous peu l'objet d'une évaluation qui déterminera dans quelle mesure nous avons rempli ou pas nos obligations en vertu de cette convention. Lors de la dernière évaluation, de nombreux groupes représentant les sans-abri du Canada et ceux qui avaient écopé des compressions dans les soins de santé et dans l'éducation se sont plaints directement au comité. Le Canada a fait l'objet de beaucoup de discussions et de critiques. Le Canada est à préparer son rapport qu'il déposera au comité et a demandé aux ONG de l'aide - et je l'en félicite -, mais celles-ci et d'autres encore donneront leur opinion, vaille que vaille, mais pas nécessairement au gouvernement canadien. Votre comité voudra peut-être se pencher sur le rapport.

Je voulais également parler de la conférence mondiale contre le racisme qui s'est tenue à Durban. J'y étais à la fois pour la conférence des ONG et pour la conférence des États. À mon retour, à la lumière des appels téléphoniques reçus des médias, j'ai cru comprendre que l'on avait l'impression ici que le seul sujet de discussion là-bas, ou le sujet principal, avait été l'attaque contre Israël par des Palestiniens. Il y a eu effectivement des discussions là-dessus, mais je vous assure qu'il y avait également beaucoup d'autres activités. Moi-même, j'ai passé la plupart de mon temps dans les commissions qui étudiaient les droits des Autochtones. Vous savez qu'il y a 400 millions d'Autochtones dans le monde. Nous avons décidé de nous concentrer sur ces droits, car nous étions d'avis que le racisme contre les Autochtones était sans doute le problème de racisme le plus grave au Canada et dans les Amériques. J'ai également passé quelque temps à la Commission sur le droit et le système judiciaire où nous avons discuté du racisme dans le système judiciaire. Malheureusement, on n'a pas publié grand-chose là-dessus.

Dans plusieurs des entrevues que j'ai données, j'ai signalé que le projet de déclaration et de plan d'action dont on discutait à Durban comportait 443 paragraphes, dont seulement sept traitaient d'Israël; de ces sept paragraphes, quatre étaient jugés offensants. Le Canada et les Européens étant restés à la conférence, nous avons pu ensemble faire disparaître la dernière journée ces articles jugés offensants. Toutefois, très peu de journaux ont choisi d'imprimer les nouveaux textes qui remplaçaient les clauses offensantes. J'ai tenté moi-même d'obtenir la version définitive. J'ai en main l'ébauche de la déclaration qui remonte à l'avant-dernier jour, et presque rien n'a été changé, mais d'après ce que je peux voir, on a réussi à éliminer la plus grande partie du libellé considéré comme offensant dans les quelques articles qui ont été modifiés.

Je voulais également vous parler du projet de Déclaration sur les droits des peuples autochtones, qui est mentionné dans le petit document que j'ai distribué. Depuis six ans maintenant, le Canada et d'autres pays aussi se rendent à Genève chaque année pour travailler sur le projet de déclaration. C'est parce que les peuples autochtones sont parmi les rares groupes du monde à ne pas avoir d'instrument international qui établisse leurs droits. Les enfants en ont, tout comme les femmes, les travailleurs migrants, les réfugiés et d'autres encore, mais pas les peuples autochtones. En six ans, les gouvernements du monde ont adopté deux articles. Nous avons pris part à ces réunions, et les discours que nous entendons ajoutent à notre exaspération. Je fais de mon mieux pour encourager le gouvernement canadien ainsi que d'autres gouvernements à appuyer de façon plus musclée le projet de déclaration.

J'aimerais également attirer votre attention sur les modifications déposées la semaine dernière par M. Pettigrew à la Loi sur la Société pour l'expansion des exportations. Ces modifications sont importantes, parce qu'en vertu de la loi en vigueur, on prête à des entreprises sans qu'il nous soit possible de savoir dans quelle mesure elles investissent dans des pays qui violent les droits de la personne et nuisent à l'environnement. Les modifications déposées par M. Pettigrew font beaucoup pour répondre aux plaintes formulées par les groupes de défense des droits de la personne et de l'environnement, mais j'exhorte les sénateurs à s'y intéresser de près et à regarder les rapports qui ont été publiés au début. On y trouve des cas de compagnies étrangères qui, à l'étranger et avec l'aide du gouvernement canadien, menaient des activités que nous n'aurions pas approuvées si nous avions été au courant. La Société pour l'expansion des exportations n'est pas soumise à la Loi canadienne sur l'accès à l'information, et nous faisons campagne pour qu'elle y soit assujettie.

En dernier lieu, j'aimerais aborder la campagne visant la Cour pénale internationale. Vous savez que l'an dernier, le Canada adoptait le projet de loi C-19, qui prévoyait la ratification de cet important traité qui permettra de traduire en justice les criminels de guerre, les criminels contre l'humanité et les auteurs de génocide. Nombre de Canadiens l'ignorent peut-être, mais il est important de comprendre que le projet de loi C-19 donne au Canada compétence pour poursuivre partout dans le monde des criminels de guerre et ceux qui ont commis des crimes contre l'humanité et de les traduire en justice au Canada même si leur crime a été commis à l'étranger.

Si cela va à l'encontre d'une convention internationale que le Canada a ratifiée, conformément à cette loi, nous pouvons les juger ici.

J'ai rapidement passé en revue un certain nombre de questions, et il y en a peut-être d'autres que nous devrions aborder. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.

La présidente: Étant donné la quantité de travail que fait votre organisation chaque année, vous avez admirablement réussi à résumer tout cela dans le peu de temps qui vous était alloué.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Dois-je comprendre que vous n'avez pas ce droit de prendre une initiative en matière de droits et libertés? Faut-il qu'un partenaire vous épaule ou vous la suggère? Le droit d'initiative est excessivement important. Ai-je bien compris votre exposé là-dessus?

[Traduction]

M. Allmand: Aux termes de la loi, nous pouvons prendre des initiatives en vertu du mandat qui nous est donné. La loi stipule que nous devrions tenter de coopérer avec les gouvernements et la société civile partout dans le monde. Cependant, nous avons adopté une position de principe prudente. Nous sommes essentiellement une organisation blanche, chrétienne, d'un pays du Nord. Par conséquent, lorsque nous intervenons dans les affaires des autres pays et que nous leur disons qu'ils font quelque chose de mal, nous voulons nous assurer que nous répondons au sentiment des habitants de ce pays. Nous nous fondons toujours sur les renseignements qui nous sont fournis par les gens qui travaillent dans le pays en question. Parfois il s'agit d'ONG ou de missionnaires canadiens qui y travaillent depuis des années. D'autres peuvent nous fournir de l'information, mais nous tentons d'abord de la vérifier.

Il ne serait pas utile de prêcher à d'autres pays qu'ils font quelque chose de mal dans le domaine des droits de la personne à moins que nos renseignements soient bien fondés. Même s'il ne s'agit que d'une toute petite minorité, il est toujours possible qu'il y ait violation d'un traité international sur les droits de la personne.

La loi stipule que nous devons tenter de coopérer avec les gouvernements et les groupes dans le monde lorsque nous faisons notre travail, mais rien ne nous interdit de le faire.

Le sénateur Beaudoin: Ma deuxième question concerne les droits économiques et sociaux. Je suis un peu scandalisé, si j'ai bien compris le problème. Nous avons une Charte des droits que nous respectons tant à l'interne qu'à l'externe. Cependant, il s'agit là surtout de droits individuels. Nous avons conclu de nombreux traités concernant les droits économiques et sociaux. Dois-je comprendre que nous n'avons jamais mis en oeuvre ces droits économiques et sociaux dans nos lois fédérales et provinciales?

M. Allmand: C'est exact. En fait, dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, les articles 22 à 27 portent sur des questions comme le droit à la santé et à l'éducation de base et le droit à une protection lorsqu'on est sans emploi, etc. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dont j'ai parlé est en train de préparer le rapport sur le Canada et il a défini ce que ces droits signifiaient. De façon générale, il définit ces droits dans le pays «selon ses moyens». Cela ne veut pas dire qu'à Haïti une personne a les mêmes droits au logement que quelqu'un de Toronto, mais c'est plutôt selon les moyens du pays.

Nous avons une Loi canadienne sur les droits de la personne et chaque province a elle aussi sa propre loi sur les droits de la personne. Aucune de ces lois sauf celle du Québec ne fait allusion aux droits économiques. Dans la loi québécoise, il en est question à quelques articles, mais les lois ordinaires ont préséance sur ces articles, contrairement à tous les autres articles, qui ont préséance sur toutes les autres mesures législatives.

Il y a un article dans la Constitution canadienne qui est semblable et qui traite d'une certaine façon des droits économiques et sociaux - cependant il ne s'applique pas aux individus - et c'est l'article de la Constitution de 1982 sur la péréquation.

D'une façon, nous avons accepté le principe qu'au Canada nous partageons la richesse avec les provinces, riches et pauvres. Si on regarde le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, on constate que nous pourrions avoir des articles semblables à ceux d'autres pays. En fait, en Afrique du Sud, la constitution et la charte qui en fait partie parlent de droits civils et politiques qui sont également pleinement visés dans notre constitution, mais elles visent également les droits sociaux, culturels et économiques.

Le sénateur Beaudoin: Cela est surprenant.

M. Allmand: C'est surprenant que nous ayons ratifié. Je devrais vous dire que certains groupes au Canada, et nous sommes un de ces groupes, sont intervenus récemment dans l'affaire Gosselin au Québec. Il s'agit d'une jeune femme de moins de 30 ans, mère seule de deux enfants. Il y a quelques années, le gouvernement du Québec a adopté une loi stipulant que les personnes de moins de 30 ans recevraient des prestations d'aide sociale moins élevées que les personnes de plus de 30 ans.

Cette jeune femme avait près de 30 ans, mais ses prestations ont été réduites. Elle a perdu sa cause devant la Cour supérieure du Québec, mais devant la Cour d'appel, un tribunal composé de trois juges a rendu une décision majoritaire contre elle, soit deux contre un. Le juge dissident était le juge Michel Robert et pour cette raison, la Cour suprême a accepté d'entendre la cause.

Notre organisme, les provinces et bon nombre de groupes de défense des droits de la personne sont intervenus. Nous faisons valoir que puisque le Canada a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels, cela doit signifier quelque chose en droit, et par conséquent nous faisons valoir ce que cela devrait vouloir dire. Il y a eu un cas il y a quelques années qui a ouvert la porte en vue de définir ce que cela doit signifier au sein du pays qui ratifie un traité. Nous espérons ouvrir cette porte encore un peu plus grande dans ce cas-ci. Nous ne sommes pas seuls et nous ne sommes pas le seul intervenant.

Le sénateur Beaudoin: Je reviendrai à cette question plus tard.

Le sénateur Cochrane: Monsieur Allmand, pourquoi le Canada n'a-t-il pas ratifié la convention américaine? Y a-t-il des points spécifiques sur lesquels nous ne sommes pas d'accord?

M. Allmand: Le problème, c'est l'article 4 qui porte sur le droit à la vie. Il comporte quatre paragraphes. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit le droit à la vie, tout comme la déclaration universelle. Il y a trois paragraphes à l'article 4 qui portent sur la peine de mort. Nous n'avons pas de problèmes avec cela au Canada. Le quatrième paragraphe stipule que le droit à la vie, de façon générale, commence au moment de la conception.

Par conséquent, un certain nombre de groupes de femmes au Canada se sont opposés à la ratification. Nous travaillons avec des groupes de femmes ici et en Amérique latine afin qu'elles puissent se rencontrer. Les femmes d'Amérique latine veulent que le Canada signe. Nous avons une opinion du professeur Rebecca Cook, de l'Université de Toronto, éminente professeure de droit, féministe et avocate des droits de la personne. Elle estime que le Canada devrait ratifier la convention, et qu'il pourrait facilement régler le problème des groupes de femmes canadiennes avec un protocole d'entente qui renvoie au jugement de la Cour suprême. Le reste ne devrait pas poser de problèmes.

Le gouvernement a dit qu'il y avait neuf problèmes. Nous les avons analysés de près, et les autres problèmes ne sont pas des problèmes graves. Par conséquent, nous avons travaillé très fort avec les gouvernements provinciaux pour nous mettre d'accord car le Canada consulte les gouvernements provinciaux lorsqu'il ratifie les traités sur les droits de la personne.

Certaines provinces ont été difficiles et c'est devenu encore plus difficile depuis l'an dernier, en raison de l'affaire Waldman en Ontario.

Le gouvernement ontarien, comme d'autres gouvernements, craint que si nous ratifions d'autres traités sur les droits de la personne, il risque d'être pris avec la décision d'une commission. Vous êtes peut-être au courant de l'affaire Waldman. Certains juifs à Toronto ont dit que si le gouvernement finance les écoles catholiques et protestantes, il doit également financer les écoles juives. Le gouvernement de l'Ontario a refusé de le faire.

Un certain nombre de provinces au Canada financent des écoles juives. Ce n'est pas un si gros problème. Je ne sais pas combien il en existe au Canada. Je sais que nous avons un certain nombre d'écoles juives à Montréal. Elles reçoivent une aide du gouvernement du Québec.

On s'éloigne de l'esprit des années 70 et 80 lorsque nous avons ratifié bon nombre de traités sur les droits de la personne. Nous approuvions ce que nous pensions être des principes durables.

Nous faisons des progrès en ce qui a trait aux groupes de femmes au Canada qui rencontrent des groupes de femmes d'Amérique latine pour parler des événements au Mexique et au Guatemala. Elles estiment qu'elles ont besoin d'avoir les Canadiens et les Canadiennes de leur côté.

L'opinion de Rebecca Cook a eu beaucoup d'influence, mais nous avons maintenant des problèmes avec certaines des provinces. J'ai écrit à Anne McLellan et j'ai rencontré le sous-ministre de la Justice.

Nous ne sommes pas seuls dans cette affaire. Amnistie Internationale et bon nombre d'autres groupes internationaux de défense des droits de la personne veulent que le Canada joue pleinement son rôle.

D'autres mesures législatives sur les droits de la personne protègent le Canada. C'est par solidarité avec nos frères et nos soeurs des Amériques et pour des raisons de politique étrangère que nous voulons que le Canada ratifie la convention américaine. Avec le Canada qui fait partie de l'OEA et du réseau interaméricain, ils réussissent à résister aux atteintes aux droits de la personne auxquelles se livrent d'autres pays pour tenter de diluer ces conventions.

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques nous protège au Canada. Nous avons une Charte. Nous devons tenter de faire en sorte que les Canadiens aient un point de vue plus mondial sur ces questions. C'est ça le problème, sénateur.

Le sénateur Cochrane: Vous avez mentionné que vous aviez passé quelques semaines en Afrique du Sud. Étiez-vous présent lorsque le chef Coon Come a pris la parole lors d'une réunion? Si vous y étiez, pouvez-vous nous faire part de vos commentaires?

M. Allmand: J'étais présent à toutes les réunions où se trouvait Matthew Coon Come. Il n'y a rien de mal dans ce qu'il a dit là-bas. Je crois comprendre qu'il a dit quelque chose avant de quitter le Canada.

Il a fait preuve d'un grand leadership là-bas. Ses observations étaient bien équilibrées. J'ai des copies de ce qu'il a dit. Je ne vois rien dans ce qu'il a dit en Afrique du Sud qui puisse agacer les gens. On m'a dit qu'il avait fait une sorte de déclaration avant de partir. Je ne sais pas si c'est ce qui a causé le problème. Je pense avoir été plus critique que Matthew Coon Come l'a été à l'égard de certaines choses.

Au fait, il a siégé à des comités avec le lauréat du prix Nobel du Guatemala. Il a siégé à des comités avec des dirigeants autochtones de l'Australie, de la Scandinavie, de la Norvège, de la Suède, de la Russie et d'Amérique. J'ai des copies de ses allocutions. Il a dit qu'il y avait du racisme au Canada. Nous ne pouvons pas le nier.

L'été dernier, j'ai vu qu'on a foncé dans des bateaux de pêche autochtones dans le détroit de Northumberland. J'ai vu des gens se faire battre sur les quais. Je sais que dans le nord de la Saskatchewan, il y a eu un cas où la police a laissé des Autochtones dans le froid. Il y a un certain nombre d'Autochtones dans les prisons. Leurs taux de natalité et de mortalité infantile sont élevés.

L'ancien gouvernement de la Colombie-Britannique a réglé avec le peuple nisga'a et le gouvernement actuel menace de tenir un referendum sur ce règlement. Nous savons ce qui arrive aux droits des minorités lors d'un référendum. La majorité l'emporte.

Nous croyons que le chef Coon Come faisait allusion à de graves problèmes au Canada. Je ne vois pas ce qu'il aurait dit d'alarmant là-bas.

La présidente: Depuis que vous êtes parti, les choses n'ont pas changé au Parlement. Je vais vous demander de donner des réponses plus courtes en espérant également que les questions seront elles aussi plus courtes.

M. Allmand: Ce sont de bonnes questions.

La présidente: Et de bonnes réponses.

Le sénateur Wilson: Une chose qui n'a jamais été réglée sur le plan de la politique canadienne, c'est le compromis entre le commerce et les droits de la personne. J'ai écouté avec intérêt ce que vous vous avez dit au sujet de la Société pour l'expansion des exportations.

Je ne savais pas qu'une modification avait été proposée. La SEE n'est pas visée par la Loi sur l'accès à l'information, et c'est la même chose pour un certain nombre de projets de loi, notamment celui qui sera présenté sur la gestion des déchets nucléaires. C'est assez courant.

Pouvez-vous me dire pourquoi elle n'est pas visée par la Loi sur l'accès à l'information? Je sais que cette loi s'applique aux entités non gouvernementales.

M. Allmand: La raison était que si elle était visée par l'accès à l'information, cela minerait la position de la société sur le plan concurrentiel. Les États-Unis ont un organisme semblable à la Société pour l'expansion des exportations. Cet organisme est visé par la loi de ce pays sur l'accès à l'information et il réussit très bien en affaires à l'échelle internationale.

Sénateur, j'ai lu le communiqué de presse de M. Pettigrew dans lequel il disait qu'il allait déposer le projet de loi. Je n'ai pas eu la chance de le lire, mais j'exhorte le comité à l'examiner de près. Il est possible qu'ils aient corrigé cette lacune et que la SEE soit dorénavant visée par nos lois sur l'accès à l'information.

M. Pettigrew a souligné dans ce communiqué qu'il avait répondu à bon nombre des recommandations des Canadiens en ce qui a trait à cette mesure législative.

Le sénateur Wilson: Si je voulais étudier l'usage aux États-Unis qu'est-ce que je devrais demander? Pourrais-je l'obtenir de Droits et Démocratie?

M. Allmand: Faites-moi parvenir un courriel et je vous enverrai cela en dedans de 24 heures.

Le sénateur Wilson: Quelle est votre liaison avec les parlementaires? Est-ce que les députés et les sénateurs utilisent les résultats de vos recherches? Comment partagez-vous les résultats de vos recherches?

M. Allmand: C'est la première fois que je comparais devant un comité sénatorial, mais j'ai déjà comparu à maintes reprises devant des comités de la Chambre. J'ai comparu dans le cadre de l'étude de la Société pour l'expansion des exportations. J'ai comparu devant le comité de la Chambre à de nombreuses reprises. J'organise des rencontres privées avec les porte-parole de l'opposition des affaires étrangères de tous les partis, et je rencontre non seulement le ministre, mais aussi les secrétaires parlementaires lorsqu'il est important de le faire.

J'ai rencontré M. Graham, qui est le président du comité de la Chambre. Nous avons parlé ensemble des sujets qui font l'objet d'une étude de la part de ce comité. Tous les députés reçoivent notre rapport annuel et nos principaux documents. Ils se retrouvent peut-être sur une tablette sans qu'on y jette un coup d'oeil, mais tous les députés les reçoivent.

Le sénateur Wilson: Quels sont les contacts informels?

M. Allmand: Nous les invitons à participer à plusieurs de nos tables rondes et à des discussions. Certains visitent notre centre. Ce sont surtout les députés du Bloc québécois qui utilisent et visitent notre centre. J'ai dit aux autres partis qu'ils seraient également les bienvenus.

C'est peut-être parce que nous sommes situés à Montréal, nous avons d'excellents rapports avec bon nombre de députés ministériels de Montréal, mais ils n'ont pas visité notre centre ni demandé d'information. C'est peut-être parce que le Bloc est un parti d'opposition. Ils peuvent téléphoner et nous demander des documents et de l'information.

Le sénateur Wilson: Les parlementaires ne savent peut-être pas que les recherches faites par votre centre pourraient leur être utiles.

M. Allmand: J'ai tenté de leur dire.

Le sénateur Wilson: Je ne vous blâme pas. Je fais tout simplement une observation.

M. Allmand: Un an après le leur avoir dit, ils disent toujours: «Ah oui?»

Le sénateur Finestone: Vous avez une mémoire prodigieuse et un appétit incroyable pour le travail. Cela se reflète dans le travail que vous faites à Droits et Démocratie.

Je voudrais faire appel à votre grande mémoire. Vous étiez au gouvernement en 1980, 1981 et 1982. Vous rappelez-vous à l'époque du débat sur la Constitution, la question du droit de propriété et du droit à la vie privée? Pouvez-vous me dire ce qui est arrivé à ces deux questions?

M. Allmand: En ce qui concerne les droits de propriété, certaines provinces se sont opposées en disant que cela pourrait nuire à leur capacité de contrôler l'environnement. Les gouvernements jouaient un rôle plus important à l'époque qu'aujourd'hui. Ils étaient d'avis qu'en inscrivant les droits de propriété dans la Constitution, cela risquait de nuire à leur capacité de protéger les gens en ce qui a trait au zonage, à l'environnement, etc.

Plus tard, lorsque M. Trudeau était toujours premier ministre, ils ont changé cela. Bon nombre de pays ont respecté les questions d'environnement et de zonage et ont toujours des dispositions visant à protéger la propriété qui est assujettie à ces choses. Je me rappelle qu'un certain nombre d'années plus tard on a proposé une formulation avec laquelle on était plus ou moins d'accord. C'était peut-être dans l'accord de Charlottetown. Cependant, on s'était entendu au Canada pour que nous puissions inclure quelque chose qui ne constituerait pas un obstacle pour le gouvernement, mais la raison pour laquelle nous ne l'avons pas fait en 1980-1981 est celle que je viens de vous donner.

Le sénateur Finestone: Vous rappelez-vous de la question des droits à la vie privée?

M. Allmand: Non. Peut-être qu'ils copiaient le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la déclaration universelle ou qu'ils s'appuyaient sur ces derniers. Ces documents ne mentionnent pas le droit à la vie privée.

Le sénateur Finestone: La déclaration universelle mentionne certainement le droit à la vie privée.

M. Allmand: Je me rappelle que vous et moi faisions partie d'un comité qui a commencé à étudier cette question juste avant que je quitte le Parlement.

Le sénateur Finestone: C'est exact.

M. Allmand: Quoi qu'il en soit, je ne me rappelle pas les arguments invoqués à l'époque, mais je sais que plus tard nous avons tenté d'aborder la question. Je sais qu'aujourd'hui, le droit à la vie privée est une question très importante. Je l'ai soulevée justement tout récemment dans un autre contexte; je ne me souviens plus lequel au juste. La question a pris de l'importance depuis ce temps en raison des développements technologiques qui permettent aux gens de fouiner. Il y a de nombreuses façons de le faire, notamment les cartes à puce.

Le sénateur Finestone: Il y a l'infrarouge.

M. Allmand: Il y a tout ce qu'on peut imaginer. Jamais auparavant il n'a été possible de fouiller autant dans la vie privée des gens, et cela est devenu un grave problème.

Le sénateur Finestone: Voyez-vous des contraintes? Je veux parler de ce que vous avez dit au sujet du comité qui est censé surveiller l'application des droits et de la démocratie. Il est censé y avoir un comité permanent de hauts fonctionnaires sur les droits de la personne au sein du gouvernement du Canada. Le ministère fédéral de la Justice a un comité qui est censé approuver toutes les mesures législatives afin de s'assurer qu'elles respectent les droits garantis dans la Constitution et dans la Charte canadienne.

Comment peut-on s'assurer que ces droits sont respectés? Je tente de faire en sorte que le gouvernement examine de façon positive la charte des droits à la vie privée que je propose et qui découle de l'étude à laquelle vous avez participé et que j'ai présidée à l'époque. J'ai l'impression de me buter à un mur de pierre. Du moins c'était le cas avant les événements du 11 septembre. Maintenant le climat est vraiment crucial. Vous qui avez déjà été solliciteur général, je suis certaine que vous reconnaissez le fait que la GRC et la police ne tiennent vraiment pas à ce qu'il y ait des restrictions empêchant de fouiller dans la vie privée des gens.

M. Allmand: En ce qui concerne notre campagne pour la ratification de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, je crois comprendre que cela devait se faire puisque bon nombre d'ONG disent qu'elle devrait être ratifiée. Le comité permanent des représentants fédéraux et provinciaux a dit qu'ils allaient le faire. J'ai constaté que le président de ce comité n'était pas du ministère de la Justice, mais de Patrimoine Canada. J'ai immédiatement demandé pourquoi cela relevait de Patrimoine Canada.

Je n'ai jamais reçu de réponse satisfaisante. Certains d'entre nous ont demandé d'être observateurs à cette réunion, ce qu'on nous a refusé. Ils ont dit que c'était une rencontre entièrement privée. Ils ont discuté de la question qui m'intéressait, des avantages et des désavantages de la ratification de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Après la réunion, un des fonctionnaires fédéraux que je connais bien m'a dit en privé ce qui s'était passé, mais à ma connaissance il n'existe aucun rapport officiel. Il y en aura peut-être un qui sera publié.

Quant à la raison pour laquelle cela relève de Patrimoine Canada, on m'a dit que lors des 25e et 50e anniversaires de la déclaration universelle, c'est Patrimoine Canada qui a fait beaucoup de publicité en disant que c'était une excellente chose.

Avec tout le respect que je dois à Patrimoine Canada, je pense que ce ministère ne devrait pas présider ce comité. Ce devrait être le ministère de la Justice ou un autre ministère qui se préoccupe davantage des droits de la personne et de la justice.

Le sénateur Finestone: Ce comité a en fait été mis sur pied en vue de coordonner les initiatives fédérales et provinciales relativement aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne. J'ai présumé qu'il était présidé par le ministère de la Justice, mais les ministres compétents de la Justice aux niveaux fédéral, provincial et territorial ne se sont pas rencontrés depuis plusieurs années. Ce comité se réunit à huis clos.

M. Allmand: Mais ce sont des fonctionnaires, et pas des ministres.

Le sénateur Finestone: Oui, et ils n'ont pas de comptes à rendre. Puisque nous nous demandons ce que peut faire notre comité, pourriez-vous nous recommander des mesures à prendre et qui feraient en sorte que le comité retrouve sa place pour que les lois gouvernementales soient vérifiées en tenant compte des droits de la personne?

M. Allmand: Bien sûr.

Le sénateur Joyal: Je suis comme le sénateur Prud'homme. Je viens de vérifier la liste, et je ne suis pas un membre de plein droit du comité.

La présidente: Pour la gouverne du sénateur Prud'homme et des autres, sachez que nous voulons ouvrir notre comité pour que le plus grand nombre possible de sénateurs puissent y participer. Dans la mesure où le temps ne nous fait pas défaut et dans la mesure où nous ne sommes pas obligés de limiter les questions parce que les sénateurs membres du comité devront rédiger un rapport, nous essaierons de donner à tous la possibilité d'intervenir. Mais je vous encourage à être plus brefs dans vos questions et vos réponses. Cela mis à part, aucune autre restriction ne s'applique et je ne fais pas de différence entre vous. Nos séances ne sont jamais à huis clos. Nous voulons travailler différemment, dans un esprit de droits de la personne, et nous voulons donc traiter tous les sénateurs sur un pied d'égalité.

Sénateur Joyal, c'est à vous de décider si vous voulez intervenir maintenant ou plus tard.

Le sénateur Joyal: J'en profite donc.

Monsieur Allmand, je suis ravi de vous accueillir ici. Pour revenir à la question du sénateur Finestone, sachez qu'il y a plusieurs années, il existait au Secrétariat d'État une division s'occupant de la promotion des droits de la personne.

Cette division avait pour mandat d'étudier les nouveaux droits et de favoriser le consensus entre les provinces et les divers groupes canadiens en vue de reconnaître l'émergence de nouveaux droits humains. Cela remonte à l'époque qui a précédé la fusion de divers ministères et cette division s'est donc retrouvée ensuite avec Patrimoine canadien plutôt que d'être envoyée au ministère de la Justice.

J'aimerais maintenant revenir aux commentaires du sénateur Beaudoin au sujet des droits économiques, sociaux et politiques. Je suis membre permanent du Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles. Lorsque le sénateur Cohen a déposé un projet de loi visant à modifier la Loi canadienne sur les droits de la personne, nous avons voté en vue d'interdire la discrimination fondée sur la condition sociale. Ce projet de loi avait fait l'objet de longs débats et d'une étude approfondie, et il a été adopté à l'unanimité au Sénat. Or, lorsqu'il a été renvoyé à la Chambre des communes, il a été bloqué là-bas, parce que l'on prétendait que la ministre de la Justice préparait des modifications à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cela ne résout évidemment pas le problème, mais voilà ce qui a été fait de la part du Sénat.

L'organisation des travaux de ce comité-ci me préoccupe, car ce comité-ci constitue un précédent. En effet, il n'y a jamais eu auparavant de comité permanent sénatorial sur les droits de la personne. Donc, au cours de l'étape préliminaire que nous traversons, il est important d'organiser nos travaux sur une base structurée.

Monsieur Allmand, lorsque vous étiez député, vous avez sans doute assisté à certaines réunions du Comité des comptes publics auxquelles assistait toujours le vérificateur général en vue d'entendre les divers témoignages des représentants de l'administration publique et en vue de faire des commentaires, pour qu'il soit possible pour le Parlement de faire le suivi des décisions, à la fin des réunions.

Je crois même que vous avez participé au Comité des langues officielles. Vous vous rappellerez que le commissaire aux langues officielles était toujours présent, soit en personne soit par le truchement d'un représentant. C'est parce que le commissaire jouait un rôle important dans l'organisation des travaux de ce comité et s'assurait que le progrès se faisait de façon structurée.

Parmi les neuf thèmes que vous avez mentionnés, certains pourraient être d'un intérêt particulier à notre comité, particulièrement celui qu'a relevé le sénateur Finestone, à savoir l'examen quinquennal des conventions des droits de la personne. Il me semble que vous-même, ou un représentant de votre centre, pourriez être d'une grande utilité à notre comité, tout dépendant de la façon dont il décidera de structurer ses travaux.

[Français]

Je ne sais ce qu'il adviendra de ce comité au cours des prochains mois. Il serait important que vous participiez aux délibérations de ce comité afin qu'il puisse devenir votre bras parlementaire.

[Traduction]

Il faut non seulement que vous veniez au Parlement lorsque vous y êtes convoqué, mais vous devriez y rester en permanence, de façon à contribuer à ce débat et à nous faire part du fruit de votre expérience et de vos études, en signalant les questions qui nous auraient échappé mais qui font néanmoins partie des problèmes à régler. Êtes-vous prêt à le faire? En avez-vous la possibilité ou serait-ce un fardeau supplémentaire que vous ne pouvez assumer actuellement?

M. Allmand: Cela fait partie de notre mandat. Mais si vous décidez de procéder ainsi, je vous signale qu'au plan intérieur, au Canada, nous avons la Commission canadienne des droits de la personne, dont s'occupe Mme Falardeau-Ramsay. Notre mandat est principalement international. J'ai remarqué que le mandat de ce comité concerne les droits de la personne aussi bien au plan intérieur qu'au plan international. Il existe du reste un rapport entre les deux.

J'ai siégé une quinzaine d'années au Comité des langues officielles, principalement pendant nos années d'opposition. Les différents commissaires ont comparu, comme vous l'avez dit. J'ai bien connu ce comité. Mon expérience a été plus limitée au Comité des comptes publics, mais je sais que ce que vous avez dit est exact. Il se peut que je ne sois pas toujours disponible. Tout dépend des questions abordées. Nous avons des experts des différents sujets dont j'ai parlé. Nous avons des experts des droits de la femme, des droits des Autochtones, du développement démocratique, etc.

Je suis heureux d'avoir entendu parler du projet de la loi du sénateur Cohen. Les comités spéciaux de révision ont recommandé l'ajout aux modifications de la Loi canadienne sur les droits de la personne d'une disposition interdisant la discrimination pour des motifs de condition sociale. Depuis les élections, il n'y a pas eu de nouveau projet de loi dans ce domaine. Nous sommes plusieurs à avoir écrit à la ministre McLellan pour lui demander de présenter un tel projet de loi.

Le sénateur Joyal: Vous dites que l'un des principaux problèmes en matière de terrorisme est d'atteindre un certain équilibre. Dans votre lettre au premier ministre, vous évoquez l'équilibre entre les objectifs légitimes d'un État qui lutte contre le terrorisme et les outils et les moyens employés par le gouvernement pour atteindre ces objectifs. Il est parfois difficile de préserver cet équilibre. Quel rôle jouez-vous actuellement dans ce domaine?

M. Allmand: Le droit à la vie est un droit fondamental, qui a été violé lors des attaques de New York et de Washington. Il y a aussi le droit à la liberté d'expression et le droit à la dissidence. Et je pourrais continuer.

Le mandat que nous a confié le Parlement consiste à défendre et à promouvoir les droits de la personne définis par les pactes internationaux. Si le Canada prenait des mesures contraires à un traité qu'il a signé, nous pourrions le dénoncer. Voilà notre mandat. Nous ne sommes pas des experts en matière de défense.

J'ai déjà été solliciteur général. Je connais bien l'équilibre dont vous parlez. Je sais qu'il faut prendre des mesures pour combattre la criminalité. Mais il faut le faire conformément au droit et à la Charte. En Europe et aux États-Unis, on a adopté des déclarations des droits. Si l'on veut défendre la démocratie et le mode de vie occidental, il faut respecter tout ce qui fait partie de la démocratie, notamment la suprématie du droit. S'il faut modifier les lois, on les modifie, mais on ne les enfreint pas. Certains prétendent - et ce ne sont pas nécessairement des gouvernements - qu'il faut faire ceci ou cela sans se soucier des normes internationales sur les droits de la personne, ou même à nos propres normes intérieures. Ce serait une grave erreur, car nous aurions l'air hypocrite. Nous disons que nous défendons la démocratie, puis nous faisons fi de nos propres lois et normes. J'espère qu'on ne va pas tuer des innocents. Sinon, on va faire d'autres victimes innocentes comme celles qui ont été tuées le 11 septembre. La police et l'armée disposent de moyens technologiques, de matériel et de renseignements. Elles devraient pouvoir remplir leur mission sans porter atteinte aux droits de la personne ni aux principes de notre démocratie.

Le sénateur Finestone: Monsieur Allmand, auriez-vous l'amabilité de déposer cette lettre?

M. Allmand: Certainement. Je vais la remettre au greffier.

Le sénateur Finestone: Pourriez-vous également déposer le document concernant la participation du centre aux questions canadiennes de droits de la personne?

M. Allmand: Oui, je n'y manquerai pas.

Le sénateur Poy: J'aimerais que, en tant que président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, vous me disiez comment les pays considèrent les droits économiques, sociaux et culturels par rapport aux migrations humaines. Je pense en particulier aux migrants sans papiers, car au Canada, on peut généralement revendiquer le statut de réfugié politique, mais non pas celui de réfugié économique. Qu'en pensez-vous? Je crois qu'il y a beaucoup de migration due à des motifs économiques.

M. Allmand: C'est exact. Pendant plusieurs années, j'ai été le porte-parole de l'opposition en matière d'immigration du temps où M. Mulroney était premier ministre. Nous avons vu de nombreux cas de personnes invoquant de faux motifs pour se faire admettre et qui étaient en réalité des réfugiés économiques. Comme vous le savez sans doute, il existe une convention internationale sur les réfugiés, dont la définition du «réfugié» exclut les considérations économiques.

Il existe aussi des conventions sur les travailleurs migrants ainsi que sur le trafic de femmes et d'enfants, qui commence à poser un sérieux problème, particulièrement dans le cas des femmes vendues pour la prostitution, l'esclavage sexuel, etc. Cependant, le sujet dont vous parlez est encore à l'étude.

J'ai signalé les domaines dans lesquels nous intervenons. Nous avons décidé de ne pas nous spécialiser sur la question des réfugiés, car il existe déjà au Canada de nombreux groupes qui s'en occupent, comme la Table de concertation de Montréal; nous ne voulons donc pas nous spécialiser dans ce domaine, mais je l'ai quand même étudié dans ses grandes lignes. C'est un problème dont il faut s'occuper, mais je n'ai pas de réponse à vous soumettre pour l'instant.

Le sénateur Poy: Je ne sais pas si des avocats de revendicateurs ont déjà invoqué des motifs économiques en disant que leurs clients étaient des réfugiés économiques.

M. Allmand: Cela ne donnerait rien, car la législation canadienne et la convention internationale ne reconnaissent pas les réfugiés économiques. Au Canada, une fois qu'un réfugié passe la frontière, il a droit à certains soins. On ne le laisse pas mourir de faim. Si on appliquait les conventions internationales qui confèrent à chaque être humain le droit de s'alimenter, de se soigner et de se loger, il y aurait d'importants programmes de développement grâce auxquels les gens n'auraient plus besoin de s'expatrier pour des motifs économiques. Je suis allé en parler devant des comités de la Chambre des communes, car depuis M. Pearson jusqu'en 1984, le Canada avait presque atteint un budget de développement représentant 0,07 p. 100 de son PIB. À partir du milieu des années 80, nous avons commencé à perdre du terrain et notre programme d'aide au développement en pourcentage du PIB a constamment diminué. Ce pourcentage est très faible actuellement. L'année dernière, des mesures ont été présentées dans le budget pour renverser la tendance et financer davantage le développement international.

J'ai visité des camps de réfugiés dans diverses régions du monde, notamment au Salvador, dans les territoires palestiniens, dans la bande de Gaza, en Birmanie et au Pakistan, où l'on compte deux millions de réfugiés afghans. La plupart de ces réfugiés voudraient rentrer chez eux, vivre en paix et avoir de quoi manger. Ils ne veulent pas être déracinés ni s'établir dans une autre partie du monde. Ils veulent vivre chez eux et avoir de quoi se nourrir et nourrir leur famille; ils veulent avoir un emploi. Voilà sur quoi nous devrions mettre l'accent. Je ne sais pas comment résoudre le problème des réfugiés économiques.

[Français]

Le sénateur Prud'homme: Vous avez dit que dans le communiqué final de la réunion de Durban, seulement 7 paragraphes sur 400...

M. Allmand: Sur 443, mais il s'agit du premier document, ce n'est pas la déclaration finale.

Le sénateur Prud'homme: D'accord, il est déplorable qu'au Canada, nous n'ayons entendu parler de la question palestinienne que dans sept paragraphes. Le gouvernement du Canada ne s'est objecté qu'à quatre d'entre eux.

[Traduction]

Je considère que la conférence a été détournée par des groupes du Canada qui ont tout mis en oeuvre pour faire partir la délégation canadienne. Je tiens à remercier publiquement les ONG et le gouvernement, qui a fait preuve de bon sens jusqu'à la dernière minute. Je sais que le débat a été vif au sein de la conférence et en privé, au sein de la délégation canadienne, car j'ai vérifié mon information. Je suis fier du rôle joué par les ONG sur d'autres questions, je suis heureux que la raison ait prévalu et que le Canada n'ait pas fait cause commune avec les États-Unis et Israël en quittant la conférence.

En deuxième lieu, tout le monde parle de terrorisme ces jours-ci. Je suis membre depuis 30 ans de l'Association parlementaire internationale, qui existe actuellement au Canada sous une direction différente. Personne n'a jamais trouvé une définition satisfaisante du mot «terrorisme». C'est bien dommage, car certains s'en servent aujourd'hui pour se cacher. Des gouvernements se cachent derrière ce mot pour s'en prendre à des groupes de citoyens qui les contestent.

Vous avez dit qu'il fallait essayer de comprendre les atteintes actuelles aux droits de la personne. Je suis d'accord avec l'un de mes collègues qui a dit que les terroristes de demain sont les enfants des camps de réfugiés actuels. C'est bien mon avis.

Je sais que l'institution à laquelle vous appartenez a une forte personnalité. Vous êtes nommé pour longtemps, ce qui vous donne de l'indépendance. Pensez-vous qu'aux termes de votre mandat, il vous incombe de chercher la racine des difficultés auxquelles nous sommes confrontés aujourd'hui? Vous avez utilisé cette formulation dans votre exposé et j'y reviendrai par la suite.

Votre institut peut-il aider des parlementaires qui n'hésiteraient pas à approfondir les choses pour retrouver un peu de bon sens en posant les vraies questions? On dirait que le Parlement et la presse, qui malheureusement est de plus en plus étroitement contrôlée, sont incités à ne pas trouver le moindre rapport entre les événements. Ce qui s'est passé à New York vient d'une autre planète. Pour moi, c'est l'aboutissement ultime de problèmes antérieurs que nous n'avons pas réglés.

Je tiens à vous remercier d'avoir été parmi ceux qui sont intervenus pour ramener la délégation canadienne à la raison et pour qu'elle reste en Afrique jusqu'à la fin de la conférence. Votre action honore l'institut que vous dirigez.

M. Allmand: Sénateur, je ne pense pas qu'on puisse dire que cette conférence internationale de plus de 10 000 personnes ait été détournée par un groupe canadien.

Le sénateur Prud'homme: Merci de ce rectificatif. Je voulais dire que c'est l'impression qu'on a eue d'ici, parce qu'on ne nous a pas parlé d'autre chose.

M. Allmand: Vous savez sans doute, puisque vous êtes en politique, que si 50 événements se produisent au cours d'une conférence et qu'un seul d'entre eux prête à controverse, les journalistes passeront sous silence les 49 autres pour consacrer tout leur temps à celui-là. Il est vrai qu'on a vu des gens dont les pancartes comportaient des incitations à la haine. S'il y a des problèmes de droits de la personne dans les territoires palestiniens, il faut les régler, sans pour autant faire de l'incitation à la haine. Il faut essayer de résoudre les problèmes.

Comme moi, vous avez visité des camps de réfugié et il est vrai que de graves problèmes s'y posent, mais quelle que soit la situation, il faut y apporter une solution positive ne comportant aucune perte de vie. Voilà ce que je dis aux uns et aux autres.

Les journalistes n'en ont pas parlé, mais à côté des quelques extrémistes qui brandissaient des pancartes d'incitation à la haine, il était réjouissant de voir à Durbam des jeunes gens du groupe «La paix maintenant» qui chantaient et dansaient avec des drapeaux palestiniens et israéliens. Un de mes bons amis de la Chambre des communes a été choqué de voir un groupe de rabbins hassidiques de Brooklyn qui défilaient avec des Palestiniens en scandant «À bas Israël». Les gens ne comprenaient pas. Évidemment, les journalistes ont suivi les rabbins hassidiques, avec leurs chapeaux noirs, leurs bouclettes et leurs costumes noirs, en disant: «Qu'est-ce que c'est? Des rabbins qui sont contre Israël?» Évidemment, il faut expliquer les considérations théologiques qui les amènent à agir ainsi.

De très sérieux problèmes se posent, et il faut en analyser les causes. On ne peut justifier le terrorisme, mais si l'on veut assurer la sécurité à l'échelle planétaire, on peut évidemment construire des murs et faire intervenir les armés et les corps policiers, mais il serait bon de s'en prendre à l'origine des problèmes.

Il en va de même de toutes les formes de criminalité. Lorsque j'étais solliciteur général, j'ai dit qu'on pouvait toujours construire de nouvelles prisons et augmenter les effectifs de police, mais qu'à défaut de s'en prendre aux causes de la criminalité, que ce soit par de meilleurs services d'intervention auprès des familles en crise ou de meilleurs services de traitement de la toxicomanie et de l'alcoolisme, les problèmes resteraient entiers. Il en va de même à l'échelle internationale.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Vous dites que le libre-échange au prix de nos droits, c'est trop cher. La grande majorité de gens qui protestaient au Sommet des Amériques, à Québec, ainsi qu'au Sommet de Gênes, en Italie, étaient des jeunes. Ces jeunes gens craignent que les dirigeants gouvernementaux limitent leurs droits. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ils réagissent de cette façon?

[Traduction]

M. Allmand: Avant la réunion des gouvernements, il y a eu un forum des ONG de cinq jours réunissant de 2 000 à 3 000 personnes de tous les pays des Amériques. Le tout s'est déroulé paisiblement, dans le calme. On a formé dix commissions qui ont traité de l'effet des droits de la personne sur l'environnement, les normes du travail, la santé, etc. Nous avons entendu des experts, parfois d'un certain âge comme moi, qui nous ont présenté des rapports sur toutes ces questions.

Je dois préciser que ceux d'entre nous qui étaient là en tant que protestataires n'étaient pas opposés au commerce ni à la mondialisation. Nous nous opposons à l'adoption de traités commerciaux qui ne tiendraient pas compte des autres traités déjà signés et qui imposeraient des échanges commerciaux sans faire référence aux traités internationaux sur les droits de la personne et sur l'environnement. M. Pettigrew et moi-même avons dit qu'il fallait être cohérent. Un pays ne peut pas signer un jour des traités sur les droits de la personne et signer le lendemain des traités sur la ZLEA et sur l'OMC en disant qu'il n'y a aucun rapport entre les uns et les autres. Les traités ratifiés doivent être considérés globalement. Par conséquent, on ne peut tirer un trait sur les droits de la personne et sur le droit international à cause d'un traité sur l'OMC ou d'un traité commercial des Amériques. Voilà notre argument. Et nous affirmons que ce qui s'applique au Canada devrait s'appliquer au niveau international. Au Canada, on favorise le commerce et les affaires depuis des années, mais sous réserve de notre Charte des droits et libertés. La législation bancaire et commerciale est assujettie à notre charte, ce qui n'empêche pas le milieu canadien des affaires de prospérer.

Les ententes commerciales qui ne comportent pas de normes minimales posent un problème, car les sociétés peuvent quitter le Canada et s'établir dans les maquiladoras du Mexique, où les syndicats sont interdits et les normes environnementales, inconnues. Le Canada est donc incité à atténuer ses normes pour que les sociétés ne partent pas. Dans une zone de libre-échange, il faut des normes, non pas les normes canadiennes parce qu'elles sont trop élevées pour certains de nos partenaires, mais des normes reconnues au niveau international. La Convention américaine relative aux droits de l'homme a été ratifiée par 27 des 34 pays des Amériques. Ce sont les normes de cette convention qu'il faudrait appliquer.

L'exemple que j'ai évoqué concernait le droit à la négociation collective et la liberté syndicale. Même si au Salvador ou au Honduras, on peut négocier et convenir d'un barème salarial bien inférieur à celui du Canada, on le fait du moins librement et les syndicats canadiens ne peuvent pas s'en plaindre. Par contre, ils peuvent se plaindre si la liberté syndicale n'est pas reconnue et si une société canadienne fabrique pour deux dollars des chemises qu'elle revend 45 $ au Canada tout en enfreignant les conventions ratifiées par le pays où elle s'est établie.

À ceux qui essayaient d'empêcher les gouvernements de se réunir, nous avons dit que la Déclaration universelle mentionne le droit de se réunir paisiblement, qui s'applique aux gouvernements aussi bien qu'aux ONG. Si on essaie d'empêcher les gouvernements de se réunir, on verra un jour des skinheads ou des réactionnaires essayer de faire obstacle à nos réunions. Que se serait-il passé si un groupe de néo-nazis avait essayé d'empêcher les 2 000 ou 3 000 délégués des ONG de se réunir la semaine précédente? Nous aurions protesté en affirmant que nous avions le droit de nous réunir. Les gouvernements en ont le droit également. On peut protester, mais pas empêcher la tenue d'une réunion.

La présidente: Nous avons bien d'autres questions à vous soumettre. Peut-être aurons-nous l'occasion de le faire une autre fois. J'ai moi-même une question. Depuis la constitution du centre, comme vous êtes obligés de faire rapport au Parlement, pourriez-vous nous indiquer par écrit si vous avez participé officiellement à un dialogue à la Chambre des communes, au Sénat ou en comité au cours des 11 ans d'existence du centre? Par ailleurs, aimeriez-vous avoir automatiquement accès chaque année au Sénat ou à ce comité après le dépôt de votre rapport? Je vous laisse y réfléchir; vous répondrez quand vous serez prêt.

M. Allmand: Ce sera facile. Je vous répondrai d'ici une semaine.

La présidente: Merci d'être venu ici ce soir et d'être resté après l'heure que nous vous avions indiquée.

Nous accueillons également M. Stephen Toope, dont le nom nous a été indiqué peu de temps après la formation du comité. On nous a dit que vous pourriez nous aider à définir la portée de nos études futures. Nous en sommes à l'étape préliminaire; il s'agit de déterminer comment nous devons procéder pour examiner les mécanismes du gouvernement et trouver les méthodes d'intervention qui permettront aux parlementaires et au gouvernement d'honorer les obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne. Nous avons pu consulter vos documents qui ont déjà été distribués à tous les membres du comité ainsi que l'excellente étude que vous nous avez adressée pour la présente séance. Je vous cède la parole pour votre exposé, puis nous vous poserons des questions.

[Français]

M. Stephen J. Toope, professeur, Faculté de droit, Université McGill: J'aimerais vous remercier de votre invitation. Il me fait grand plaisir d'être ici aujourd'hui.

[Traduction]

Je pense que vous m'avez invité principalement parce que j'ai beaucoup travaillé, récemment, sur l'interaction entre les législations internationales et nationales en matière de droits de la personne. Compte tenu des événements survenus le 11 septembre et par la suite, on peut avoir l'impression qu'il s'agit là de questions mineures, et qu'on fait de la musique pendant que Rome brûle. Or, c'est tout le contraire. Les commentaires de M. Allmand sont révélateurs à cet égard. Nous vivons une époque où il est impératif de réfléchir soigneusement aux engagements du Canada en matière de droits de la personne et à leurs conséquences tant pour la législation intérieure que pour l'action internationale du gouvernement canadien.

En 1958, le juge Ivan Rand de la Cour suprême a dit que chaque État connaissait alors des transformations rapides et voyait sa destinée s'associer à celle des autres dans un genre de société des nations de facto.

Depuis lors, le bien-fondé de cette affirmation n'a fait que se renforcer, en particulier dans le domaine des droits de la personne au niveau international, qui cimente progressivement la société civile dans le monde entier, même lorsqu'il crée des tensions et des points de contact entre gouvernements. Le Canada est reconnu comme un pays promoteur et protecteur des droits de la personne, mais nous pourrions encore faire mieux, notamment parce que les relations entre les législations internationales et canadiennes en matière de droits de la personne nous semblent encore confuses. C'est donc à ces relations que je vais consacrer mon exposé.

J'évoquerai tout d'abord l'arrêt Baker c. ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, rendu par la Cour suprême en 1999. S'exprimant au nom de la majorité, la juge L'Heureux-Dubé affirmait: «Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l'approche contextuelle de l'interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire.»

Elle reprenait ainsi les propos énoncés par le juge en chef Dickson qui prétendait qu'en ce qui concerne la Charte des droits et libertés, le droit international fournissait ce qu'il appelait «une source pertinente et convaincante» aux fins de l'interprétation de la Charte.

Dans l'arrêt Baker, cette affirmation s'est précisée et la Cour suprême du Canada a déclaré que le droit international des droits de la personne était pertinent non seulement pour interpréter la législation, mais aussi pour infléchir les pouvoirs discrétionnaires de l'administration. Plus récemment, dans l'arrêt Spraytech, la Cour est allée encore plus loin en déclarant que même aux fins de la réglementation municipale - en l'occurrence, la réglementation concernant les pesticides -, le droit international pouvait être invoqué pour analyser les pouvoirs délégués aux autorités municipales dans le cadre du droit constitutionnel canadien. C'est là une évolution remarquable, qui mérite notre attention.

Tout le monde invoque le droit international au Canada: ceux qui revendiquent le statut de réfugié, tous ceux qui invoquent un droit reconnu internationalement, tous les avocats qui invoquent les sources internationales du droit et tous les écologistes qui parlent de développement durable ou de principe de précaution. Dans tous ces domaines, on voit l'effet du droit international au Canada. Pour un instant, j'aimerais porter mon attention sur deux protagonistes essentiels, à savoir l'ordre législatif, en particulier le Parlement canadien, et les tribunaux.

D'abord, il est utile de répéter quelques idées de base. Il est bien établi en droit que les traités internationaux n'ont pas force obligatoire directe au Canada. La dualité de notre cadre constitutionnel exige la mise en oeuvre des traités par voie législative dans le respect des champs de compétence énoncés aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle de 1867. Toutefois, comme la plupart des principes du droit dits «élémentaires», ce principe masque les choses autant qu'il les révèle, du moins c'est ce que j'espère établir ici. Outre les traités, si l'on essaie de concevoir la relation entre le droit coutumier, l'usage international et le droit national canadien, il n'y a aucune clarté. Il n'est même pas possible de tirer une conclusion de droit constant. L'état des choses est non pas bien établi en droit, mais plutôt confus et incohérent. Examinons un instant le statut des traités ratifiés par le Canada selon notre droit national. Bien sûr, tout le monde reconnaît que le pouvoir de conclure des traités appartient au gouverneur général, conformément à l'autorité que lui confère la prérogative royale. Mais, comme la Cour suprême l'a établi il y a de nombreuses années, en l'absence d'une disposition constitutionnelle déclarant qu'un traité a force de loi au pays, il faut procéder à une mise en oeuvre législative de l'obligation internationale en question. Le Renvoi sur les conventions de travail étant encore bien vivant, nous savons que la mise en oeuvre doit se faire à l'intérieur des sphères de compétence définies par la loi constitutionnelle. À la différence de l'Australie, il n'existe pas ici de pouvoir fédéral de mise en oeuvre des traités. Dès lors, la question qui se pose est la suivante: qu'est-ce qui constitue la mise en oeuvre? Que doit-il se produire pour qu'un traité ratifié devienne loi au Canada? C'est ici que l'histoire devient plus complexe et que les tribunaux ont un rôle à jouer.

Au sens strict, la mise en oeuvre peut se faire par le moyen d'une loi expresse aux termes de laquelle le Parlement ou l'assemblée législative provinciale adopte le traité et le met en oeuvre en l'intégrant à la législation canadienne. Même si l'on reconnaît ce principe, la pratique varie néanmoins. La mise en oeuvre peut être effectuée en reproduisant le traité en tout ou en partie à l'intérieur d'une loi, soit dans son dispositif ou en annexe. L'autre méthode passe par un préambule qui peut affirmer que la loi en question est adoptée pour remplir des obligations contractées en vertu d'un traité.

La pratique qui a communément cours au Canada est moins directe et plus problématique: il s'agit de la mise en oeuvre présumée, ou mise en oeuvre par le moyen de l'adoption ou de la modification d'une loi. La question de savoir si ce type de mise en oeuvre présumée constitue une mise en oeuvre réelle est difficile, et soulève des problèmes d'interprétation dans les tribunaux.

Que se produit-il lorsque l'on modère quelque peu la portée de l'argument et que l'on affirme que les dispositions d'un traité reflètent une loi déjà adoptée au Canada? Dans le cas des obligations en matière de droits de la personne, c'est souvent ce que l'on affirme.

Souvent, le Parlement a laissé l'ambiguïté planer sur le statut des obligations canadiennes en matière de droits de la personne. Je vous demande si cela est fait à dessein ou par simple négligence. Votre comité pourrait très bien se pencher là-dessus.

En règle générale, les tribunaux ont essayé de trancher ces incertitudes sur l'intégration des traités en invoquant des présomptions interprétatives de nature juridique. La première présomption est celle-ci: si la loi est interprétée comme étant la mise en oeuvre d'un traité, le tribunal devrait avoir recours au traité pour interpréter la loi. On parle alors d'une référence biunivoque. La loi renvoie au traité, puis on utilise le traité pour interpréter la loi. En pratique, cela signifie que l'interprétation dépend de la lecture que fait le tribunal des articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, texte reconnu pour sa difficulté.

Lorsque le statut de la mise en oeuvre est moins clair, dans les cas où aucune déclaration n'a été faite, d'autres présomptions sont plus importantes. Dans de tels cas, les tribunaux canadiens ont dû se fonder sur des présomptions souples voulant que, en interprétant les lois canadiennes, le tribunal présume que les législateurs avaient l'intention de se conformer aux obligations internationales du Canada. En d'autres mots, le tribunal devrait s'efforcer d'interpréter une disposition de façon à assurer la cohérence avec le droit international.

Cette dernière présomption a été fréquemment invoquée dans les contestations fondées sur la Charte des droits et libertés, ce qui est logique, parce que la Charte ne stipule pas expressément le fait qu'elle constitue une mise en oeuvre d'engagements en vertu de traités internationaux. Les vagues présomptions sont les seuls outils dont disposent nos tribunaux. Cela pose un défi de taille pour toute personne soutenant, par exemple, que la Charte constitue une forme d'intégration des obligations du Canada en vertu des pactes internationaux relatifs aux droits économiques, sociales et culturels. C'est un problème qui s'est avéré particulièrement difficile.

Dans le cas de la Charte, la Cour suprême s'est prononcée d'une manière plus positive. Comme je l'ai déjà dit, le juge en chef Dixon a statué que la Charte devrait être interprétée dans l'esprit du droit international en matière de droits de la personne, de telle sorte que ce droit devrait toujours constituer un contexte interprétatif pertinent et convaincant. Cette décision a eu un effet particulièrement marqué sur l'interprétation de l'article 1 de la Charte canadienne, où il est question des restrictions possibles des droits énumérés dans la Charte.

Toutefois, quand le juge en chef Dixon a fait ses remarques pour la première fois en 1987, dans le cadre d'une trilogie d'affaires relatives au droit du travail, il avait essayé d'établir une distinction importante entre le droit international en matière de droits de la personne, qui devrait constituer un contexte interprétatif pour la Charte, et les obligations précises du Canada en matière de droits de la personne en vertu des traités dont il est signataire, qui serviraient de référence pour les droits fondés sur la Charte. Il ne s'agirait pas d'un contexte vague, mais d'un critère applicable aux droits. Le juge a laissé entendre qu'il devrait y avoir présomption à l'effet que la Charte garantit une protection «au moins aussi grande» que celle offerte par les traités auxquels le Canada est partie.

Il est triste de constater que, à mon avis, la Cour a fait fi de cette distinction non seulement dans les contestations fondées sur la Charte, mais aussi dans tous les cas où la Cour suprême invoque le droit international, et je crois que cela est devenu un problème important. La Cour invoque le droit international de façon générale et de façon cumulative, sans toutefois analyser minutieusement les obligations du Canada en vertu du droit international.

Lorsque nous omettons de remplir nos obligations, nous répandons l'irrespect du droit à l'échelle internationale, une situation à laquelle nous devrions peut-être tous réfléchir sérieusement ces jours-ci.

Les présomptions interprétatives que la Cour suprême et les autres tribunaux ont articulées se sont avérées inadéquates pour régler les incertitudes engendrées par les différents usages des assemblées législatives et des gouvernements en matière de mise en oeuvre des traités.

J'arrive à l'essentiel de mon propos.

Je ne tiens pas rigueur aux tribunaux de leurs échecs. Comment peuvent-ils statuer de façon convaincante en présence de pratiques profondément incohérentes et, j'oserais dire, d'une certaine hypocrisie non dissimulée. Il n'y a pas de meilleure illustration du problème que l'exemple des traités ratifiés par le Canada mais non mis en oeuvre, c'est-à-dire les traités qui n'ont jamais été expressément intégrés au droit canadien.

Cette approche du gouvernement est particulièrement fréquente dans le cas des traités relatifs aux droits de la personne. À défaut d'une mise en oeuvre, les obligations internationales solennelles du gouvernement du Canada doivent-elles être ignorées par les tribunaux du pays? On peut bien sûr être tenté de répondre par l'affirmative, en prenant pour justification la structure de notre système constitutionnel. Mais voici un autre point de vue, plus direct. Le Canada ratifie un traité international en affirmant que les lois nationales sont déjà conformes aux obligations du traité. Ensuite, lorsque les instances internationales de surveillance du traité interrogent le Canada, le gouvernement répond qu'il a déjà mis en oeuvre les obligations découlant du traité. Dans un tel cas, les tribunaux devraient-ils tout simplement céder devant les arguments du gouvernement selon lesquels les obligations découlant du traité international sont inopérantes parce que le traité en question n'a pas été expressément intégré aux lois nationales? Qu'en est-il de l'affirmation à l'effet que les lois nationales étaient déjà conformes? Qu'arrive-t-il à la réputation du Canada, qui doit faire preuve de bonne foi lorsqu'il fait rapport sur la mise en oeuvre d'un traité relatif aux droits de la personne aux instances compétentes? Doit-on obliger le gouvernement à faire ce qu'il a dit qu'il ferait?

Dans l'affaire Baker, dont j'ai parlé au début de cet exposé, je crois que le jugement a été influencé par ce genre de questions. Comme l'a précisé la juge L'Heureux-Dubé, le jugement de la Cour suprême était complexe. Pour les fins de cette discussion, je vous rappelle la décision clé de ce jugement: même si le Canada n'a jamais expressément intégré dans les lois nationales ses obligations aux termes de la Convention relative aux droits de l'enfant, les agents d'immigration n'en demeurent pas moins obligés de tenir compte des valeurs exprimées dans la convention lorsqu'ils procèdent à leurs appréciations.

La Cour suprême du Canada n'est pas le seul tribunal ayant laissé entendre que des valeurs exprimées dans des obligations non mises en oeuvre peuvent façonner l'interprétation judicieuse des lois nationales. Aux termes d'une action instituée par le ministre de l'Immigration et des Affaires ethniques d'Australie, la Australian High Court a, dans un arrêt controversé, invoqué la doctrine des «attentes légitimes». L'idée est séduisante. Cela donne lieu à un droit d'avis procédural, et la possibilité de présenter des arguments de contestation si les autorités (une personne autorisée) décident d'agir à l'encontre des termes d'un traité ratifié mais non mis en oeuvre. Le juge en chef Mason et le juge Deane ont statué que le fait qu'un traité n'ait pas été intégré aux lois nationales ne signifie pas que ce traité n'a aucun effet sur les lois nationales australiennes, que ce soit les lois codifiées ou même la common law. Leur raisonnement pourrait être assimilé au principe de la réserve comme élément de bonne foi.

Permettez-moi de citer très rapidement.

La ratification d'une convention internationale ne doit pas être écartée comme un geste banal et sans effet. Au contraire, c'est une affirmation positive par l'exécutif à la communauté internationale et aux citoyens que l'exécutif et ses agences agiront en conformité avec la convention.

L'arrêt Teoh a provoqué une crise d'apoplexie au sein du gouvernement australien. Différents projets de loi ont été déposés pour casser le jugement. Pour des raisons techniques, cela s'est avéré superflu, mais je vous fais grâce des détails.

Personnellement, je crois que les jugements Baker et Teoh constituent une saine critique de l'hypocrisie gouvernementale, ou de l'incurie entourant la ratification des traités et les conséquences de ces traités pour les lois nationales. Je me réjouis que les traités non ratifiés soient vus comme une autorité convaincante dans l'interprétation des lois nationales et dans l'exercice de la discrétion administrative. Ainsi que le juge Brennan l'a affirmé dans une décision relative à une affaire de droits de propriété des aborigènes en Australie, cette approche pourrait généralement constituer un «cadre juridique de base» pour la reconnaissance des droits.

Le jugement Baker aurait pu aller plus loin. Il me semble que la Cour suprême a raté le coche. L'affaire Baker aurait pu permettre à la Cour suprême du Canada de maintenir que «l'intérêt supérieur de l'enfant» est en fait un principe du droit coutumier international qui pourrait être appliqué directement dans le droit national canadien sans qu'il soit nécessaire de l'intégrer formellement.

Toutefois cela aurait obligé la Cour à s'attaquer à une question exceptionnellement délicate, à laquelle j'espère que vous réfléchirez un peu: Quel est le lien entre le droit coutumier et le droit canadien?

Nous n'avons pas la réponse à cette question. La Cour suprême a prononcé un jugement très embrouillé sur cette question dans une très vieille affaire intitulée l'affaire des Foreign Legations et, depuis, il y a eu des tentatives de clarification, mais elles furent toutes vaines. Malheureusement, dans une des tentatives plus récentes, c'est-à-dire le Renvoi relatif à la sécession du Québec, la Cour suprême a laissé entendre qu'elle n'aurait pas compétence pour statuer sur des questions de «droit international pur». C'était tout simplement un faux-fuyant.

On n'a rien à redire à cela si le droit coutumier s'intègre au droit national canadien pour les fins de compétence de la Cour. En d'autres mots, le droit coutumier n'est pas du «droit international pur», mais constitue plutôt une partie du droit canadien. En revanche, si cela signifie que la Cour suprême n'est pas compétente pour tout ce qui a trait au droit coutumier international, ce serait à mon sens un pas en arrière, et j'espère que la Cour reviendra sur sa décision quand elle statuera dans l'affaire Suresh. Vous avez probablement suivi cette affaire, il s'agit d'une action en justice contre la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Tant aux États-Unis qu'au Royaume-Uni, le droit coutumier international fait clairement partie du droit national. En effet, telle était la conclusion de la Division d'appel de la Cour fédérale dans l'affaire Suresh, et je cite:

Les principes du droit coutumier international peuvent être reconnus comme faisant partie du droit national et appliqués comme tels dans les tribunaux du pays, [...] à condition que ces principes ne s'opposent pas au droit national.

Je conclus avec une remarque sur cette question: dans l'affaire Suresh, en affirmant clairement que le droit coutumier est intégré automatiquement au droit national, la Division d'appel de la Cour fédérale maintient néanmoins le rôle démocratique des assemblées législatives nationales et des tribunaux. Soyons clairs sur ce point. Je ne dis pas que le droit international devrait tout simplement s'appliquer au Canada nonobstant le droit national et les politiques des gouvernements fédéral et provinciaux canadiens élus en bonne et due forme. Je dis que nous devrions présumer que le droit coutumier s'applique, sauf s'il a été modifié, explicitement ou peut-être même implicitement. En ce qui concerne la loi des traités, l'exigence de la mise en oeuvre devrait être maintenue. Toutefois, nous devrions exercer des pressions sur le gouvernement du Canada pour que celui-ci prenne davantage au sérieux la ratification des traités internationaux relatifs aux droits de la personne. Peut-être pourrons-nous y arriver par l'entremise du travail des comités parlementaires comme le vôtre, ou peut-être même en établissant un pouvoir de supervision de la mise en oeuvre des obligations découlant des traités. Les tribunaux devraient continuer à invoquer les traités ratifiés comme autorité persuasive. Si le Canada n'est pas disposé à remplir les obligations internationales qu'il contracte de son libre arbitre, il n'a qu'à s'abstenir de ratifier ces traités et à en assumer les conséquences politiques. Si les provinces ne souhaitent pas être liées, elles devraient faire preuve de transparence dans leurs intentions.

Assurer le respect des lois internationales en matière de droits de la personne dans les lois canadiennes peut nous inspirer et j'espère que ce sera une source d'inspiration pour vous dans vos travaux, parce que, ensemble, nous faisons bien plus que résister au poids du pouvoir, nous défendons le caractère sacré de la nature, nous luttons pour promouvoir le respect pour tous et, en dernière analyse, nous tentons de nouer des liens avec d'autres membres de la communauté internationale. Il me semble que ce désir de nouer des liens doit être encouragé dans nos efforts en vue de relever les défis auxquels nous faisons face aujourd'hui.

Le sénateur Finestone: Vous êtes très éloquent. Tout en étant très clairs, vos propos suscitent la réflexion. Merci de votre exposé.

De plus en plus, je m'intéresse à la protection de la vie privée en tant que droit de la personne. J'aimerais bien savoir comment vous définissez la «vie privée», si vous estimez qu'il s'agit d'un droit fondamental. Si tel est le cas, et attendu que l'article 12 de la Déclaration universelle des droits de l'homme fait mention de la vie privée, et que le Canada a participé à la rédaction de cette déclaration par l'entremise de sir John Humphrey, comment l'absence de mise en oeuvre, la mise en oeuvre effectue les présomptions, l'interprétation, les traités, le droit coutumier et le droit canadien peuvent-ils ensemble avoir une incidence, et à quel niveau et comment cela peut-il aider les juges de la Cour suprême? Beaucoup de nos juges ont formulé des observations sur la vie privée en invoquant les articles 7 et 8 de la Charte canadienne. Vous dites que cela fait partie de notre droit, mais cela fait-il partie de notre common law ou des lois dont nous avons hérité? Qu'est-ce que c'est? En cette période particulièrement difficile de l'histoire du monde, comment pouvons-nous nous assurer que nos lois sont toujours respectées, la surveillance étant devenue un aspect si important dans le monde dans lequel nous vivons?

M. Toope: Vous avez tout à fait raison de dire que la protection de la vie privée revêt de plus en plus d'importance en matière de droits de la personne. Il existe déjà un cadre international modeste permettant les discussions sur la vie privée. Vous avez raison de dire que la Déclaration universelle des droits de l'homme, la Convention européenne des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques font tous mention de la vie privée. Je sais aussi que le Comité des droits de la personne rattaché au protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a fait d'importantes déclarations sur la vie privée. Tout cela nous aide à interpréter les questions relatives à la vie privée dans le contexte national. C'est en effet une question que je n'ai pas abordée dans mes remarques.

Il reste à déterminer si les décisions des comités internationaux peuvent servir de précédents ou, à tout le moins, influer de façon convaincante sur les systèmes judiciaires nationaux. C'est une question qui fait l'objet d'un débat. De plus en plus, le juge Bastarache, par exemple, dans certains jugements de la Cour suprême, renvoie aux décisions du Comité des droits de la personne pour nous aider à comprendre diverses questions d'interprétation en droit canadien. Par conséquent, le cadre reste modeste, mais c'est un domaine où, à mon avis, davantage a été fait ici, au pays, qu'à l'échelle internationale. On pourrait poursuivre les discussions sur la vie privée, si nous tenons à faire progresser ce dossier, en comparant notre approche à celle des pays européens et des États-Unis.

Une petite mise en garde: aux États-Unis, la vie privée a donné lieu à des décisions très maladroites de la part des tribunaux, autant des cours d'appel que de la Cour suprême. Ainsi, on discute parfois de questions telles que l'avortement dans le contexte de la vie privée, et ce, essentiellement parce qu'il n'y a aucun texte explicite qui puisse guider les tribunaux. On en est ainsi venu à élaborer ce qu'on appelle les «droits interstitiels», droits qui s'inséreraient entre la Constitution américaine et le Bill of Rights. Évidemment, cela droit être évalué avec beaucoup de prudence dans le contexte canadien.

Je conclurai sur une dernière observation: la Charte ne nous amène que jusqu'à un certain point, car, encore une fois, le droit à la vie privée n'y est pas explicite. On invoque surtout, comme vous l'avez dit, l'article 7 de la Charte. Il serait peut-être bon, alors, d'examiner l'héritage constitutionnel du Canada.

Nous avons la possibilité d'articuler ce qui était auparavant une déclaration implicite de droit, surtout en raison de la façon dont on percevait généralement la primauté du droit. Certains, comme Frank Scott, à qui j'ai succédé comme doyen à McGill, et d'autres ont fait valoir avec vigueur que nous ne pouvons compter seulement sur un texte pour déterminer si des droits existent dans une société libre et démocratique. Même si la Charte ne traite pas expressément de la vie privée, nous pourrions invoquer des arguments plus larges selon lesquels certains des droits qui existent dans les sociétés libres et démocratiques doivent être maintenus, même en l'absence de dispositions textuelles expressément en ce sens.

Le sénateur Finestone: J'ai toujours estimé que, si vous conférez des droits, indirectement ou directement, vous devez aussi donner des recours. Il semble que lorsqu'on donne à un texte le nom de charte, la perception, en droit, est différente que si on l'appelle une déclaration. Il est fort peu probable que la Constitution soit modifiée dans un avenir prévisible, mais je sais que certains, dont le sénateur Beaudoin, je crois, ont plaidé la cause d'une modification constitutionnelle visant le droit à la vie privée pendant le débat constitutionnel.

En ce qui a trait à la possibilité pour notre comité d'examiner les liens entre les accords internationaux et les rapports que le Canada présente sur ces accords, avez-vous constaté une lacune importante au sein du processus démocratique canadien? Le gouvernement du Canada manque-t-il de transparence ou d'ouverture dans les rapports qu'il présente tous les cinq ans sur certaines conventions ou, à d'autres moments, sur d'autres protocoles? Croyez-vous qu'on devrait contrôler son droit d'apporter des changements avant qu'il fasse rapport sur les différents accords internationaux?

M. Toope: En bref, je dirais que le processus manque de transparence, bien que ce ne soit pas délibéré, à mon avis. C'est attribuable au fait que le patrimoine et l'histoire canadiens veulent que ce soit l'exécutif qui jouisse d'un pouvoir presque sans limite en matière d'affaires étrangères. Dans la mesure où les normes internationales relatives aux droits de la personne touchent plus directement le droit canadien, on pourrait certainement faire valoir que les représentants du peuple canadien, qui estiment généralement avoir un pouvoir législatif dans ces domaines, puissent réclamer une plus grande participation au processus d'élaboration et même de rapport concernant nos engagements dans des traités internationaux sur les droits de la personne.

C'est une tendance générale. Ce n'est pas l'apanage du Canada. L'interaction entre le droit international et le droit national devient de plus en plus riche, complexe et difficile. Cela fait partie du processus qu'on appelle la «mondialisation». À mon sens, c'est un des aspects positifs de la mondialisation. Toutefois, cela soulève des préoccupations importantes sur la façon dont la démocratie peut permettre à un pays comme le Canada de respecter les obligations qu'il a contractées dans les traités sans la participation parlementaire, ainsi que sur l'incidence de ces obligations sur le droit national.

J'aimerais que les parlementaires jouissent d'une participation accrue. Au cours de vos travaux, vous devriez vous demander si un droit de modification ou de premier refus serait indiqué. Je crois que ceux qui rédigent ces rapports feront preuve d'ouverture d'esprit.

Je sais que nos collègues du ministère des Affaires étrangères et au ministère de la Justice trouvent difficile la rédaction de ces rapports. Je vous dirai aussi, sans vous répéter ce que je raconte à l'université, que l'on s'inquiète des liens entre le droit international et le droit national. Le ministère de la Justice m'a commandé un rapport d'envergure sur son organisation en raison, justement, de ce chevauchement croissant. Vous, les parlementaires, ne joueriez pas nécessairement un rôle d'adversaire, ne tenteriez pas nécessairement de vous accaparez des pouvoirs. On reconnaît généralement que c'est un problème émergent. Bien des gens seraient heureux qu'on en discute davantage en public.

Le sénateur Beaudoin: J'aimerais revenir à l'arrêt Baker. Il est vrai que notre système est un système dualiste. Si nous adhérons à un traité, nous devons adopter une loi mettant en oeuvre ce traité. Sinon, la loi du pays ne change pas. Si nous nous arrêtons là, tout va bien. Toutefois, le projet de loi C-7 pose un problème parce que, si je ne m'abuse, le Canada y dit que notre droit national est déjà parfait dans ce domaine et qu'il n'est pas nécessaire de mettre en oeuvre le traité. Or, d'après mon interprétation de l'arrêt Baker, ce n'est pas clair.

Disons que nous signons un traité sur le travail. Il va sans dire qu'Ottawa et les provinces devront ensuite adopter une loi mettant en oeuvre le traité. Si une province décide d'adopter une telle loi et qu'Ottawa estime que ce n'est pas nécessaire au niveau fédéral, quelle est la solution?

Cela m'inquiète, parce que nous vivons dans une fédération. Si le traité touche les deux paliers de gouvernement, les deux doivent légiférer. L'un des deux peut décider de le faire alors que l'autre estime que cela n'est pas nécessaire. Comment la Cour réagirait-elle en l'occurrence, à votre avis?

M. Toope: Vous vous trompez rarement, sénateur Beaudoin, peut-être même jamais; je tiendrai donc pour acquis que vous avez raison.

Si l'arrêt Baker représente une tendance, on envisage peut-être un rôle différent pour les tribunaux, comme l'indique l'arrêt Spraytech. De plus en plus de causes à ce sujet seront tranchées par les tribunaux et nous saurons alors s'il s'agit d'une aberration ou d'un véritable changement.

Le sénateur Beaudoin: Le problème n'a pas encore été réglé.

M. Toope: Le problème n'a pas encore été réglé. Toutefois, votre question soulève deux points, et je tiens à souligner ce qui suit: il ne serait ni indiqué, ni sage, ni possible pour les tribunaux de dire qu'un traité qui n'a pas été ratifié devrait néanmoins guider l'interprétation de nos lois nationales. Je suis d'avis que la Cour ne doit pas faire fi du partage des compétences; elle doit maintenir le cadre constitutionnel canadien. C'est un rôle qu'elle voudra peut-être s'arroger. Il lui faudra peut-être se prononcer sur l'influence d'un traité non ratifié, déterminer si cette influence peut s'exercer strictement sur les pouvoirs législatifs prévus selon le partage des compétences. Le tribunal fera face à de telles pressions.

La Cour suprême du Canada est tout à fait en mesure de jouer ce rôle et, dans le passé, elle a très bien su se prononcer sur les questions de partage des compétences.

On peut régler cette question ailleurs que devant les tribunaux. Il faut éviter le recours aux tribunaux dans la mesure du possible. On pourrait tout simplement améliorer le processus précédant la ratification des traités. Cela nous ramène à ce que disait le sénateur Finestone. Si on examinait plus attentivement les ramifications des traités avant de les ratifier, nous éviterions bien des problèmes. Ce processus se fait à huis clos dans une certaine mesure, du moins en matière de droits de la personne, au sein de comités fédéraux-provinciaux-territoriaux. Mais comme l'a laissé entendre le sénateur Finestone, tout cela se fait à huis clos. Si on demandait au Parlement pas nécessairement d'approuver le traité, parce que cela modifierait fondamentalement la structure constitutionnelle, mais plutôt de contribuer à l'étude de questions délicates - qu'est-ce que cela signifie? y avons-nous bien réfléchi? -, on éviterait probablement de demander aux tribunaux de se prononcer sur certaines questions de partage des pouvoirs. Les tribunaux resteraient bien sûr le dernier recours dans les cas soulevant des questions de partage des compétences, et ils diraient: «Nous pourrions juger que les obligations prévues dans ce traité international ont une incidence sur le partage des pouvoirs, mais nous ne le ferons pas car cela irait à l'encontre de nos traditions constitutionnelles.»

Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas le partage des pouvoirs qui me préoccupe. Dans mon exemple, les provinces ont compétence en matière de travail. Le Parlement fédéral a aussi compétence en matière de travail. Dès qu'une province met en oeuvre un traité international, ce traité devient une loi de la province. Le Parlement fédéral, lui, pourrait juger que ce n'est pas nécessaire dans son cas, qu'il existe déjà une loi fédérale à ce sujet et qu'il ne sert à rien de mettre en oeuvre le traité.

Pouvons-nous dire que le traité est valide à l'échelon provincial, mais qu'il n'existe plus à l'échelon fédéral?

M. Toope: Non, je pense plutôt que c'est l'inverse. Le traité a sans doute été mis en oeuvre comme il se doit à l'échelon provincial compte tenu de la répartition des pouvoirs dans la fédération canadienne, mais il n'a peut-être pas été mis en oeuvre de la même façon à l'échelon fédéral. La question qui se pose alors est simplement de savoir si l'on peut invoquer un traité qui n'a pas été mis en oeuvre pour interpréter la loi fédérale.

Le sénateur Beaudoin: Ce ne devrait pas être le cas.

M. Toope: Compte tenu des arrêts Baker et Spraytech, je crois qu'on peut dire qu'il peut l'être. Il ne s'appliquera pas directement. Ce n'est pas la même chose. La Cour ne dit pas que le traité s'applique même s'il n'a pas été mis en oeuvre. Il ne s'applique pas. Selon moi, la Cour dirait ceci: «Si vous soutenez avoir déjà mis en oeuvre le traité, dans ce cas, pourquoi ne pouvons-nous pas interpréter la loi ou la discrétion ministérielle de manière à ce que vous vous conformiez au traité?»

Le sénateur Beaudoin: Elle pourrait le faire. Est-ce ce que vous pensez qu'elle le ferait?

M. Toope: Je crois que c'est possible. Je ne crois cependant pas que ce soit inévitable parce que deux juges de la Cour suprême s'opposent actuellement à cette approche.

Le sénateur Cochrane: Les ministères provinciaux et fédéraux collaborent-ils pour en venir à une entente à cet égard?

M. Toope: D'énormes efforts ont été consentis en coulisse pour tâcher de coordonner les approches dans ce domaine. Il est vrai que, bien souvent, le Canada attend de voir si les provinces vont lui emboîter le pas avant de ratifier un instrument international. Il existe un traité célèbre dans un autre domaine et qui porte sur les règlements en cas de différends liés aux investissements, que le Canada a signé il y a de nombreuses années, mais qu'il n'a pas ratifié parce qu'il ne pouvait pas obtenir la collaboration des provinces. Des efforts sont cependant déployés en coulisse particulièrement au sein des ministères de la Justice et des Affaires étrangères. Des difficultés se posent cependant parfois parce que la collaboration n'est pas aussi bonne au niveau politique qu'au niveau administratif.

Le sénateur Finestone: Les comités fédéral-provincial- territorial se penchent-ils sur les questions de droit international?

M. Toope: Non, ils se penchent habituellement sur les règles juridiques de fond. L'un de ces comités se réunit très régulièrement pour discuter des questions liées aux droits de la personne et il le fait dans l'ensemble de façon très efficace. Le comité a fait du bon travail, mais c'est encore une fois du travail qui est fait en coulisse. C'est une question sur laquelle votre comité devrait se pencher.

Le sénateur Finestone: Je croyais qu'on venait de nous dire que ces comités ne se réunissaient pas.

Le sénateur Joyal: Il s'agit des réunions auxquelles participent des fonctionnaires.

M. Toope: Le comité auquel je songe s'est réuni au cours des 18 derniers mois, en tout cas les fonctionnaires. Je ne sais pas si les élus qui en font partie se sont réunis.

La présidente: J'ai suivi votre raisonnement. Le fait que le gouvernement fédéral énonce, après avoir signé et ratifié une convention, qu'il va adopter une nouvelle loi pour se conformer à ses obligations internationales me préoccupe. Il ne s'agit pas d'une loi habilitante. On dit simplement que nos normes sont supérieures à celles de la convention et que par conséquent, nous n'avons pas adopté de nouvelles lois. La mise en oeuvre de nouvelles mesures législatives ne fait alors pas l'objet d'un examen. Le seul recours qu'ont les Canadiens qui contestent cette pratique c'est de s'en remettre à la jurisprudence.

Lorsqu'on a proposé des modifications à la Loi sur les jeunes contrevenants en 1995, le gouvernement a affirmé se conformer pleinement aux dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant. Or, des groupes internationaux ont par la suite dit que ce n'était pas le cas. Je parle du rôle du gouvernement fédéral. Je sais que l'administration de la justice est de ressort provincial, mais le gouvernement fédéral avait alors dit que les provinces se conformaient à la convention.

À titre de législateurs, nous sommes obligés d'accepter cet état de faits. Les groupes internationaux qui peuvent se prononcer sur le traité international sont cependant d'avis que le Canada ne s'y conforme pas.

On nous dit maintenant que d'autres modifications vont être apportées de façon à ce que le Canada se conforme à la convention. Certains pensent toujours que le libellé proposé n'est pas adéquat. Les tribunaux ne sont pas les seuls pour qui cela pose des difficultés, car les législateurs se trouvent dans la même situation. Avez-vous des suggestions à nous faire quant à la façon de remédier à la situation?

La Charte des droits et des libertés prévoit que les ministères doivent discuter de la loi et qu'un ministre doit signer un certificat attestant qu'elle est conforme à la Charte. Il n'existe pas de processus semblable pour ce qui est des conventions internationales. Serait-il utile qu'il en existe un ou pouvez-vous proposer une façon autre que la modification de la Constitution pour sortir de cette impasse les législateurs qui souhaitent faire leur travail et ne pas obliger les tribunaux à se retrouver de nouveau devant un dilemme comme celui de l'affaire Baker?

M. Toope: Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il faudrait éviter de demander aux tribunaux de trancher ces questions. Il vaudrait beaucoup mieux que la situation soit claire pour les tribunaux.

Je reconnais qu'obliger les autorités gouvernementales à signer des certificats attestant que nous nous conformons à toutes les lois internationales ne serait pas raisonnable et serait sans doute impossible en raison de la complexité du droit international, de la portée de son application possible et aussi parfois en raison de son incertitude, en particulier en ce qui touche le droit coutumier. Si je me reporte à l'expérience de la Charte, je crois cependant qu'il serait bon qu'un processus existe par lequel il serait possible d'établir si le Canada se conforme à ses obligations aux points de vue collectif, politique et administratif. Je ne pense pas qu'on puisse simplement rejeter cette idée en alléguant qu'elle pose trop de difficultés sur le terrain.

Nous pouvons nous reporter à l'expérience de la Charte. J'appuierais sans réserve une initiative en ce sens. Au bout du compte, il est tout de même possible de se tromper et il faudra en dernier ressort s'en remettre aux tribunaux. Les tribunaux pourront décider que le Canada ne s'est pas conformé à ses obligations alors qu'on croyait le contraire.

Il serait bon que nous consacrions plus de temps à réfléchir à ces questions à l'avance et je pense d'ailleurs que ce serait une bonne façon pour les Canadiens de se familiariser avec ces questions. Nous invoquons beaucoup ces conventions, mais la plupart des Canadiens ne savent pas quel en est le sens pour le Canada. En soulevant délibérément la question de savoir ce que signifient les conventions en droit canadien, cela créerait une occasion merveilleuse de renseigner les Canadiens sur celles-ci.

La présidente: La population canadienne a peut-être la fausse impression que lorsque le Canada signe et ratifie un traité, cela signifie que nous nous y conformons pleinement. Il serait bon de les renseigner sur la question étant donné que je pense que c'est l'inverse qui prévaut à l'heure actuelle. Par exemple, on me demande souvent pourquoi certains droits de l'enfant ne sont toujours pas reconnus alors que nous sommes censés respecter pleinement la Convention relative aux droits de l'enfant.

J'ai soulevé dans mon intervention quelques questions complémentaires.

Le sénateur Joyal: Le projet de loi C-7 est un bon exemple. La deuxième question que soulève le décret du Québec qui a été soumis à la Cour d'appel du Québec est liée à deux interprétations du pacte international. Tant le gouvernement fédéral que le gouvernement du Québec reconnaissent être liés par le pacte, mais le gouvernement du Québec l'interprète autrement que celui du Canada. Dans ce cas, on voit mal comment on pourrait s'entendre au préalable sur la question. Ce n'est pas ce qu'a dit le Comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles, mais c'est ce qu'on lit dans les témoignages entendus par le comité de l'autre endroit qui a étudié le projet de loi. Le gouvernement fédéral semble être d'avis que le projet de loi se conforme aux obligations internationales du Canada. Voici ce que dit la ministre de la Justice dans son communiqué au sujet du renvoi devant la Cour d'appel:

[Français]

Le gouvernement du Canada est persuadé que le projet de loi C-7 est constitutionnel et qu'il représente un exercice valide du pouvoir fédéral en matière de droit criminel et qu'il est conforme à la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant. Nous soutenons cette législation et nous la défendrons le cas échéant.

[Traduction]

Dans un tel cas, lorsque les deux gouvernements reconnaissent clairement être liés par le pacte international, la question qui se pose est la façon de l'interpréter parce qu'il est devenu une loi nationale comme le reconnaissent les deux paliers de gouvernement.

M. Toope: Vous avez tout à fait raison. Dans ce cas, il faudrait sans doute s'en remettre aux tribunaux pour nous aider à savoir comment interpréter le pacte comme il faudrait nous reporter aux tribunaux pour savoir comment interpréter l'article 7 de la Charte canadienne des droits et des libertés. S'il y a vraiment divergence d'avis sur l'interprétation à donner à un pacte dont l'importance est reconnue par tous, les tribunaux auraient à se prononcer sur l'interprétation qu'il convient de lui donner en droit canadien.

La grande question qui se pose alors est de savoir si les tribunaux vont aller au-delà de la loi canadienne pour interpréter le pacte? La réponse à cette question est évidemment oui, mais nous ne savons pas ce que les tribunaux prendront en compte. Vont-ils prendre en compte les décisions du comité qui siègent sur la Convention relative aux droits de l'enfant? Prendront-ils en compte les décisions du comité siégeant sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques? Ou vont-ils examiner les décisions prises par d'autres tribunaux dans des cas comparables? Ce sera intéressant de voir ce que fera la Cour d'appel du Québec. Il sera intéressant de voir à quelles sources du droit elle se reportera.

Le processus ne me pose aucune difficulté. Nous sommes suffisamment engagés dans ce processus pour qu'il n'y ait pas d'autre chose à faire que de recourir aux tribunaux, à moins qu'on donne une interprétation politique de ces conventions.

Le sénateur Beaudoin: Comme il est en droit de le faire, le Québec a demandé l'avis de la Cour d'appel qui devra d'abord établir si le gouvernement qui conclut un traité a l'obligation juridique de le mettre en oeuvre. Le moment est venu pour un tribunal de se prononcer sur cette question. Dans ce cas-ci, étant donné que le gouvernement fédéral est d'avis que nos lois se conforment déjà à l'objectif de la convention, l'arrêt Baker fera peut-être l'objet d'un débat.

M. Toope: Tout à fait.

Le sénateur Beaudoin: Ce ne serait pas une mauvaise chose. Il serait sans doute bon du point de vue constitutionnel qu'on réponde à cette question. Voilà tout ce que j'avais à dire.

La présidente: Voulez-vous répliquer à ce qui vient d'être dit ou est-ce que cela va de soi?

M. Toope: Je suis tout à fait d'accord là-dessus.

Le sénateur Wilson: Vous avez terminé votre exposé en disant que les provinces devraient préciser clairement si elles ont l'intention de ne pas mettre en oeuvre une convention. Je vis dans une province dont la position est très claire à cet égard. Le premier ministre a dit qu'il n'avait signé aucune convention des Nations Unies et qu'il n'était tenu de mettre en oeuvre aucune convention. Dans ce cas, quelle stratégie adopter? Je ne pense pas que des efforts de sensibilisation suffiront. Les sénateurs viennent de toutes les régions au pays. Pensez-vous qu'ils ont un rôle particulier à jouer dans la mesure où ils peuvent obtenir l'appui des provinces? Je ne pense pas pouvoir compter sur l'appui de l'Ontario, mais d'autres sénateurs peuvent compter sur l'appui de leur province. À votre avis, quelle stratégie ou rôle pourrions-nous adopter?

M. Toope: Une province est tout à fait dans son droit en vertu de la Constitution du Canada de refuser de mettre en oeuvre une convention internationale. Le droit international le reconnaît. Ce qui est cependant assez intéressant, c'est que si on considère que l'Ontario ne se conforme pas à une convention internationale, on ne peut pas dire que le Canada s'y conforme. Voilà ce qui explique qu'au Comité des droits économiques, sociaux et culturels, on critique la façon dont les gouvernements provinciaux respectent leurs engagements internationaux. Le gouvernement canadien doit simplement accepter que la province défende sa position à cet égard.

On ne peut rien faire officiellement car le droit international ne reconnaît pas la personnalité juridique internationale de la province, seulement la personnalité juridique de l'État, à savoir, le Canada. En l'occurrence, on constatera tout simplement en droit que le Canada ne se conforme pas. Suivant le cadre politique de l'heure, nous serons éventuellement soumis à des pressions politiques pour que nous nous conformions. L'Ontario n'a pas subi d'énormes pressions exigeant que la province se conforme. Le gouvernement est relativement populaire et semble en mesure de se faire réélire. C'est probablement la réalité que devra accepter le gouvernement canadien pendant un certain temps - à savoir que si les politiques d'une province contreviennent à des obligations internationales, le gouvernement canadien est impuissant étant donné l'état actuel des choses. Ce n'est pas une réponse satisfaisante à votre question stratégique. La seule solution serait de créer une pression politique suffisante pour que les provinces qui font fi des obligations internationales du Canada soient prises à parti. Vous êtes nombreux à pouvoir, mieux que moi, répondre à cette question. On ne peut que mettre les citoyens au courant de la question, la maintenir comme sujet d'actualité, en discuter, faire pression de cette façon. Il n'y a pas d'autre façon de faire, à moins de recourir aux tribunaux, car on pourrait faire valoir, je suppose - et c'est très complexe - que le gouvernement canadien, en adhérant, a pris une sorte d'engagement interne de veiller à ce que cette obligation soit respectée. En fin de compte, cependant, c'est peine perdue si nous appliquons le principe du partage des pouvoirs.

Le sénateur Wilson: Si je soulève cette question, c'est parce que je sais que même si le rôle du Sénat est de représenter les régions, je me demande s'il n'a jamais été exercé, dans le cas de la question que j'ai soulevée. J'en doute. Ce sont sans doute les sénateurs qu'il faudrait mettre au courant, pour qu'ils puissent passer à l'action.

Nous savons qu'il y aura un examen quinquennal du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Vous le savez, lors du dernier examen, certaines ONG ont fait des démarches à Genève et ont révélé que l'abolition du RAPC touchait les mères seules assistées sociales, et cela contrevenait à la convention. Un haut fonctionnaire à Ottawa a dit: «Eh bien, il est déplorable qu'on ne nous ait pas contactés auparavant.» Je ne sais pas si les ONG ont essayé de le faire mais il semble qu'elles soient nombreuses à être au courant de la situation à propos de ce traité. C'est parce qu'elles travaillent en première ligne avec les assistés sociaux, et elles commencent à comprendre les répercussions des atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels, beaucoup mieux que nous au gouvernement car nous sommes ni plus ni moins à l'écart. Pourtant, il ne semble pas que les ONG aient réussi à se faire entendre, qu'elles aient pu tisser des liens. Elles ne savaient pas comment s'y prendre pour faire leurs démarches. Avez-vous des suggestions sur la façon dont cela pourrait être rendu possible? Je pense ici aux démarches que les ONG pourraient faire lors du prochain examen, et je me demande si le comité sénatorial pourrait jouer un rôle quelconque.

M. Toope: Oui, c'est un dossier important. Bien entendu, il existe une procédure permettant la participation des organisations non gouvernementales et des autres parties intéressées avant que le Canada ne se présente à la Commission des droits de l'homme. Le président en sait plus long que moi là-dessus, puisqu'il a déjà été représentant du Canada. Toutefois, il existe un processus suivant lequel les ONG sont invitées à des consultations préalables, et cela permet d'organiser les arguments et les politiques du Canada au regard de la Commission des droits de l'homme. Les choses sont plus faciles dans ce cas-là car il s'agit des droits de la personne touchant un autre pays. Il est difficile d'inciter les ONG à se prononcer sur les droits de la personne au Canada. Il y a là un enjeu politique, et celui-ci est particulièrement important si ce sont les autorités fédérales qui mobilisent les organisations non gouvernementales pour critiquer certaines mesures. C'est évidemment assez difficile sur le plan politique.

Il semble qu'elles aient plus de mal à assister aux discussions en coulisse à cette étape-là, qu'elles n'en ont à la Commission des droits de l'homme. C'est ainsi que j'en suis venu à penser qu'il serait peut-être utile, pour que l'on sache à quoi s'en tenir, que votre comité entende les éventuelles préoccupations des organisations non gouvernementales et qu'il les transmette aux responsables de la rédaction de ces rapports.

Vous n'aurez peut-être pas une action directe, car vous ne pourrez sans doute pas dicter le contenu du rapport. Toutefois, vous pouvez certainement constituer une tribune publique permettant de soulever des questions. Puisque vous constituez un comité sénatorial, on ne considérerait pas cela comme un geste de la part du gouvernement, et dès lors ce serait plus acceptable sur le plan politique. Ce pourrait être un rôle intéressant.

Le sénateur Wilson: On pourrait procéder de la même façon au moment de se présenter devant le comité des Nations Unies, quand ça ne serait pas la commission.

M. Toope: Exactement. Cela pourrait être appliqué à n'importe quel comité régi par un instrument international. Si l'on faisait cela en temps utile, de sorte que vos délibérations soient de notoriété publique, elles alimenteraient le processus. Ce pourrait être utile.

Le sénateur Cochrane: Vos remarques sont tout à fait à propos et je vous suis reconnaissante de ce que vous avez dit ce soir. Quels sont ces organes internationaux qui surveillent l'application des traités? Quel est leurs rôles, et doivent-ils rendre des comptes à quelqu'un?

M. Toope: Vous soulevez une question qui anime de plus en plus le débat public international. En bref, il s'agit de comités d'experts; ce ne sont pas des représentants du gouvernement mais plutôt des gens que l'on retient à cause de leur vaste expérience dans le domaine des droits de la personne. Ces comités de surveillance s'intéressent à une convention internationale en particulier. Le Comité des droits de l'homme est de nature générale, et il surveille l'application du Pacte international relatif aux droits civil et politique, alors qu'un autre s'occupe de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, et qu'un autre s'occupe de la Convention relative aux droits de l'enfant, etc. Dans chaque cas il y a un processus.

Dans la plupart des cas, ces comités exercent deux rôles. D'une part, ils émettent des communiqués sur la façon dont ils estiment que le traité doit être interprété. Cet aspect est controversé. Le Comité des droits de l'homme, par exemple, a donné des interprétations que certains États ont contestées. Voilà un rôle.

Comme le sénateur Wilson l'a dit, les comités sont saisis de rapports des États adhérents à ces traités et c'est là leur deuxième rôle. Tous les cinq ans, chaque État doit faire rapport au comité sur la mise en oeuvre de ses engagements au titre du traité. Le comité entend cette déposition, accompagnée d'autres renseignements - car il n'y a pas de restriction sur ce que le comité peut entendre - et il donne une éventuelle réponse. D'habitude, l'État reçoit une réponse qui suggère des façons d'améliorer la conformité.

Ces comités ont un autre rôle, celui d'instruire des plaintes particulières. Le Comité des droits de l'homme par exemple, en vertu d'un protocole facultatif - c'est-à-dire un accord parallèle ou spécial au traité principal - peut instruire des plaintes particulières, si l'État concerné donne son accord. Le Canada l'a déjà fait. Nous avons de nombreux exemples de causes célèbres dont le Comité des droits de l'homme a été saisi - par exemple, celle des femmes autochtones et de leur situation en regard des dispositions de la Loi sur les Indiens une fois qu'elles épousent un homme qui n'est pas un indien inscrit. La loi sur la langue au Québec a eu un grand retentissement sur la plan politique et le comité en a été saisi pour qu'il donne une interprétation. Le comité peut trancher, dans un cas précis, et déclarer qu'un État a enfreint ses obligations internationales au titre du traité en question. En réalité, seul le Comité des droits de l'homme a ce pouvoir que lui ont conféré certains États.

Vous avez demandé à qui ces comités doivent rendre des comptes. Ils sont constitués d'experts qui n'ont pas de comptes à rendre sur le plan politique. On ne peut qu'espérer qu'ils seront choisis à cause de leurs compétences et de leurs capacités, plutôt qu'en raison de leurs appuis politiques. C'est bien souvent le cas, mais, malheureusement, pas toujours.

On peut se demander si les jugements prononcés par ces comités font véritablement autorité. Voilà pourquoi nous devons les évaluer et les analyser avec soin afin de voir s'ils sont convaincants, sans trop se soucier d'une notion abstraite d'autorité.

Le sénateur Joyal: J'aimerais évoquer la raison pour laquelle quand un gouvernement il ratifie un traité, est lié par ce traité.

Le pouvoir de signer un traité international est une prérogative de la Couronne. Par conséquent c'est la Couronne logiquement qui jouit de toute liberté, décide d'adhérer à toute une gamme de principes, on ne peut qu'en conclure qu'elle veut par là affirmer quelque chose. Le gouvernement veut peut-être par là définir certains principes qui le guideront dans ses actions. Cela dit, selon moi, en procédant ainsi, et dans l'exercice de ses autres prérogatives, et en s'acquittant de ses responsabilités, le gouvernement doit adhérer à ses principes. Il ne peut pas se contredire. C'est là un des principes fondamentaux qui lient la ministre de la Justice dans l'exercice de sa prérogative en matière d'extradition.

La Couronne, ayant donc signé un pacte international, s'engage à respecter les conditions de ce pacte dans l'exercice du pouvoir ministériel que lui confère la loi sur l'extradition.

Quand un instrument international est en contradiction avec une de nos lois, ou quand il risque de limiter les mesures qu'un gouvernement provincial peut prendre, il faut emprunter la voie législative classique. La législation proposée doit être conforme à l'exercice de la prérogative qui permet de signer des traités. Le gouvernement est à mon avis déjà lié quand il devient signataire d'un projet de traité. On n'a pas beaucoup étudié la question de savoir si la ratification doit être provinciale ou fédérale.

Pensez-vous que cette approche est logique sur le plan juridique et que l'on pourrait faire valoir cet argument beaucoup plus souvent qu'on ne l'a fait jusqu'à présent, dans le cas de plaintes ou de critiques des initiatives gouvernementales?

M. Toope: C'est une question très compliquée. Tout d'abord, en droit international, il faut préciser qu'il y a deux étapes, comme vous le savez, mais je tiens à le rappeler, l'étape que l'on appelle la «signature» et la deuxième que l'on appelle «la ratification». Dans certains pays, la distinction est importante.

Aux États-Unis, par exemple, c'est l'exécutif qui signe une loi mais pour qu'elle soit ratifiée, il faut le consentement du Sénat. Bien entendu, nous ne vivons pas sous ce régime-là. Notre régime est tel que la signature et la ratification constituent, comme vous l'avez si bien rappelé, l'exercice d'une prérogative royale. Il n'y a pas de véritable distinction entre la signature et la ratification.

En droit international, il y a une différence entre la signature et la ratification. Si vous ne faites que signer une convention, vous n'êtes pas lié par chacun de ses articles. Vous vous engagez tout simplement à ne pas contrecarrer ses objectifs et ses buts. Toutefois, si vous ratifiez un traité, vous êtes lié par lui. C'est un engagement juridique exécutoire. Quand le Canada s'engage dans cette voie, d'un point de vue international, il est indéniable qu'il est lié.

Sénateur Joyal, vous avez tout à fait raison concernant ce qui se passe au pays s'il n'y a pas mise en oeuvre. L'affaire Baker et l'affaire Spraytech sont tout à fait dans la catégorie que vous évoquez. L'affaire Baker relève de la discrétion ministérielle plutôt que d'une disposition législative. L'affaire Spraytech délègue un pouvoir à la municipalité. Tout cela est solidement enraciné dans les divers processus de prise de décision en droit national.

La difficulté vient du fait que le gouvernement a l'énorme tâche de comprendre les rapports entre les divers engagements internationaux aux termes des traités qu'il signe. Je sais que M. Allmand a parlé de cet aspect dans son témoignage. Il a dit, et il a tout à fait raison, qu'on suppose qu'il y aura une logique entre tous ces traités. Toutefois, il y a de plus en plus de traités internationaux et il est difficile de concevoir que le gouvernement comprenne les rapports entre tous les engagements qu'il prend. Cela abonde dans votre sens.

Le gouvernement a besoin d'aide, parce que ces engagements-là se multiplient. On voudrait croire qu'il y a une certaine cohérence. C'est un argument réconfortant. Je voudrais que l'on m'assure que je peux présumer que l'exercice de la prérogative royale se fait de façon cohérente compte tenu des engagements pris par la Couronne auparavant. J'aime bien cet argument. En pratique, le gouvernement aura besoin d'aide pour comprendre toutes les conséquences de certains engagements qu'il prend.

Je ne veux pas dire par là que le gouvernement prend ces engagements-là de façon primesautière. Toutefois, l'ensemble devient complexe. Voir les traités commerciaux dans le contexte des traités sur l'environnement et des traités sur les droits de la personne - et ce sont là trois exemples - est une tâche éminemment ardue.

Le sénateur Joyal: Pour notre travail à l'avenir, les membres du comité auraient intérêt à pouvoir consulter une liste des instruments internationaux que le Canada a signés dans le domaine des droits de la personne.

Le sénateur Finestone: Je vous enverrai cette liste.

Le sénateur Joyal: Ainsi, on pourra savoir quels instruments ont été non seulement ratifiés, mais également mis en oeuvre par les provinces et le gouvernement fédéral, et cela nous permettra de déceler les éventuels problèmes.

La présidente: Dès le départ, nous nous sommes intéressés au nombre de traités internationaux. M. Toope en a repéré environ 4 000, si l'on groupe les traités commerciaux, régionaux et bilatéraux. Il fallait tout d'abord savoir à combien de traités nous avions affaire. Ensuite, il a fallu déterminer comment le gouvernement les identifiait. Où les entreposait-on? Pouvait-on les trouver au même endroit? Le gouvernement a adopté certaines mesures. Le ministère des Affaires étrangères a constitué une base de données pour certains traités.

On a également demandé si les traités concernant les droits de la personne se trouvaient en seul endroit. Il existe un nouveau document de l'UNESCO qui réunit certains traités. Nous nous affairons à colliger ces renseignements. Dans notre rapport, nous tâcherons de déterminer si le comité a un rôle à jouer dans ce domaine et au-delà.

Monsieur Toope, nous savons qu'aux États-Unis la loi exige qu'un traité soit signé par l'exécutif. Cependant, la ratification incombe au Congrès. Nous savons que, pour des raisons politiques et pratiques, on invoque parfois l'argument: «Je ne peux pas ratifier parce que le Congrès ne me le permet pas». Et cela retombe dans l'arène politique interne.

En Australie c'est toujours le pouvoir exécutif qui signe et ratifie les accords, mais ce pays s'abstient de le faire tant que 15 jours ouvrables de préavis ne se sont pas écoulés, afin que le Parlement puisse tenir un débat, ni plus ni moins. Je fais peut-être une synthèse succincte de la loi australienne. Les rapports avec les États australiens sont plus faciles qu'ici, même si on admet que la situation peut évoluer et en venir à ressembler, à l'avenir, à nos relations fédérales-provinciales. On dit que tous les traités qui ont été codifiés, toutes les lois que le gouvernement a adoptées, sont utiles parce que cela fait oeuvre éducative auprès du public. Les Australiens ont aussi des comités, qui, quand il s'agit de signer un traité, se penchent globalement sur le sujet et consultent ceux qui pourraient être touchés par le traité. Ce processus est purement consultatif et ne modifie en rien le pouvoir exécutif, mais il fait intervenir le public et le Parlement. On peut en questionner l'utilité.

Pensez-vous qu'une telle façon de procéder serait dans l'intérêt du Canada? Elle serait éducative, à défaut d'autre chose. Pensez-vous que ce genre de procédure parlementaire encouragerait les comités fédéraux-provinciaux internes à être plus rigoureux dans la mise en oeuvre, aux deux paliers?

M. Toope: Oui, je le pense. Même si le processus n'aboutissait pas ou ne pouvait pas aboutir à une participation directe à la ratification - car cela signifierait une organisation très complexe - et même si le processus ne parvenait pas à infléchir véritablement la prise de décision provinciale, il pourrait influencer la façon dont ces instruments internationaux sont conçus et discutés dans les cercles politiques canadiens.

Cela présente deux avantages distincts. Le premier est d'ordre public. Vous disiez avec raison tout à l'heure que les Canadiens supposent que nous avons un bien meilleur bilan par rapport à la mise en oeuvre de ces instruments que ce n'est le cas. Vous avez peut-être formulé cela autrement.

Deuxièmement, il serait utile d'intégrer les discussions politiques et bureaucratiques. À l'heure actuelle, beaucoup de travail se fait en coulisses, souvent avec beaucoup de bonne foi, pour essayer de faire avancer certains dossiers, mais ces discussions ne sont pas incorporées dans le débat politique. Par conséquent, on ne peut pas atteindre ces objectifs, parce que quelqu'un qui a des priorités différentes va s'y opposer.

Il serait très bien que la population évalue la nécessité d'avoir ces instruments, leur utilité, et leur contribution éventuelle à la situation interne du Canada et à notre perception selon laquelle le Canada est un pays qui respecte les règles internationales.

Le Parlement pourrait jouer un rôle plus officiel en nous aidant à intégrer le débat bureaucratique et le débat politique pour créer une certaine dynamique politique, mais pas forcément pour appuyer la ratification de tous ces instruments. Dans le cas de certains traités, nous allons peut-être constater qu'il existe des préoccupations énormes que nous devons aborder. Par exemple, le Canada n'a pas ratifié la Convention inter-américaine sur les droits de l'homme. Certains ont fait beaucoup d'efforts pour que le Canada ratifie cette convention. D'autres, pour des raisons très légitimes veulent poser des questions concernant les répercussions de cette convention pour le Canada. Ce genre de débat pourrait très bien se faire dans une tribune parlementaire.

Le sénateur Finestone: Seattle a été le premier exemple. Ce qui s'est passé à Québec a poussé beaucoup de Canadiens à considérer le cas des entreprises internationales, quel que soit leur domaine d'activité. Les événements survenus à Québec nous ont beaucoup secoués parce que les gens étaient angoissés par les sujets de discussion. La prochaine réunion s'est tenue à Gênes. Nous sommes maintenant en train de décider où auront lieu les prochaines réunions. La population a très peur vu le manque de confiance et de crédibilité qu'elle attache aux mesures et aux engagements pris par les ministres au nom de l'exécutif. Le grand public ne comprend pas très bien, et dans les manchettes on parle des «ONG» et de la «société civile».

Cette lacune peut être comblée par ceux qui représentent la société civile et qui peuvent parler avec autorité pour les ONG et la société civile, c'est-à-dire les députés. Le rôle des députés élus c'est également d'être le porte-parole et le législateur afin d'accorder une crédibilité aux mesures prises par l'exécutif, qui est responsable de la ratification des instruments. Chacun de nous, sénateur ou député, indépendamment de notre lieu de notre résidence, est confronté à cette question très grave.

Quand j'écoutais la présidente parler de son voyage en Australie, je me suis dit qu'il y avait peut-être un enseignement à tirer des expériences des autres pays. Si les parlementaires ne comblent pas cette lacune, il y aura encore plus de colère dans le monde.

M. Toope: Les questions que vous soulevez concernant les perceptions d'un manque de légitimité des processus et des résultats prennent de plus en plus de force. Même si les événements récents risquent de modifier considérablement ces attitudes, il y a une tendance très forte de contestation de toute une gamme de processus internationaux, qui va finir par englober les droits de la personne. Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que les élus et même ceux qui sont nommés doivent manifester une plus grande volonté à résoudre ces questions. Je ne vais pas vous parler de mon dada, c'est-à-dire le rôle des députés dans une démocratie, mais il est exact de dire qu'une lacune s'est créée. Afin de bien identifier cette lacune, il vaudrait la peine d'examiner l'expérience de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de deux ou trois pays européens qui ont mis en place un processus public qui précède la ratification des traités.

La présidente: Professeur Toope, vous nous avez aidés à identifier non seulement certaines solutions, mais également les problèmes. C'est justement le but de ce comité. Nous essayons de déterminer la place qu'occupent nos travaux dans le domaine des droits de la personne et de l'appareil gouvernemental. Je vous remercie de nous avoir aidés à cibler les problèmes et de nous avoir donné des pistes de solutions.

La séance est levée.


Haut de page