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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne


Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 8 - Témoignages


OTTAWA, le lundi 18 mars 2002

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 35 pour étudier l'adhésion du Canada aux instruments internationaux en matière de droits de la personne et des modalités en vertu desquelles il adhère à ces instruments, les met en application et en fait rapport.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Aujourd'hui, nous étudierons la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Dans la première partie de notre examen, nous avions indiqué que le Canada ne faisait pas partie de ce tribunal en raison d'un article particulier, soit l'article 4. À notre avis, le paysage mondial a changé. Le Canada aussi a changé, et il nous apparaît opportun de revoir la situation et de solliciter les vues des Canadiens, du ministère et des autres intéressés sur ce que devrait être la position du Canada à l'égard de cet instrument particulier en matière de droits de la personne et de la participation du Canada.

Je cède la parole à notre premier témoin.

Mme Alexandra Bugailiskis, directrice générale, Direction générale des Antilles et de l'Amérique latine, ministère des Affaires étrangères et du Commerce international: Permettez-moi de vous remercier de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui. Je suis heureuse de vous entretenir de l'adhésion et des activités du Canada au sein de l'Organisation des États américains et dans l'hémisphère. Mes collègues aborderont de manière plus directe la question des droits de la personne en exposant la structure du système interaméricain des droits de la personne et la position du Canada vis-à-vis de la Convention américaine relative aux droits de la personne.

L'Organisation des États américains (OEA) est la plus ancienne organisation régionale du monde, créée, à l'origine, en 1890, sous le nom d'Union internationale des républiques américaines. C'est en 1910 que l'alliance est devenue connue sous l'appellation d'Union panaméricaine avant de devenir, en 1948, l'Organisation des États américains.

De nos jours, l'OEA est une organisation moderne qui compte 34 États membres actifs et relève les défis de l'hémisphère, du renforcement de la démocratie à la promotion des stratégies antidrogues, et de la protection des droits de la personne au développement durable et à la sécurité régionale.

Devenu observateur permanent de l'OEA en 1972, c'est en 1990 que le Canada adhère à l'Organisation en tant que trente-troisième membre. Notre décision d'adhérer à l'OEA reposait sur un certain nombre de facteurs, dont le plus important était une tendance résolue vers l'adoption de pratiques et de principes démocratiques. Une vague de démocratisation transformait la région. Il y a d'abord eu des conflits civils au Nicaragua et en El Salvador dont l'issue a finalement été la paix à la fin des années 80 et au début des années 90 en partie grâce à la contribution du Canada aux forces de maintien de la paix des Nations Unies. Le Brésil a adopté une nouvelle Constitution en 1988 et a tenu ses premières élections libres et équitables peu après. Le Chili a suivi en 1990 avec ses premières élections libres et équitables.

Un nouveau respect pour les droits de la personne offrait de meilleures perspectives pour des relations politiques et commerciales plus étroites avec les pays de la région. Des réformes économiques ont été entreprises en Amérique latine et l'amorce d'une reprise à la suite de la décennie perdue des années 80 créait de nouveaux débouchés pour les entreprises canadiennes. Il était également évident qu'il existait un besoin croissant et un espace nouveau pour une coopération régionale efficace sur des questions comme le commerce de la drogue et l'environnement, et que l'adhésion au plus grand forum de discussion et de prises de décisions multilatérales de l'hémisphère contribuerait à faire progresser nos intérêts dans ces domaines. Par ailleurs, les États-Unis et les autres pays d'Amérique latine, voyant l'utilité de l'adhésion du Canada à l'OEA et se fondant sur sa réputation de participant actif et engagé dans les autres forums multilatéraux, ont fait pression sur lui. Autrement dit, le moment était venu pour le Canada de reconnaître qu'il était une nation des Amériques. Aujourd'hui, son adhésion à l'OEA a permis au Canada d'être considéré comme un partenaire à part entière de l'hémisphère.

Nous faisons notre entrée dans une ère nouvelle de nos relations avec l'hémisphère. Contrairement à il y a douze ans, quand nous nous sommes lancés pour la première fois dans notre stratégie d'engagement, nous ne sommes plus astreints à persuader et convaincre les Canadiens et nos collègues de l'hémisphère de la sincérité de nos intentions. Après 12 ans d'engagement profond, nous sommes maintenant perçus comme un partenaire important et intéressant.

L'OEA est un mécanisme de premier ordre pour la poursuite de nos objectifs régionaux en matière de politique étrangère avec les autres États membres. Notre adhésion a également produit des fruits pour le Canada dans le cadre des relations bilatérales avec de nombreux pays. L'hémisphère a bien accueilli le programme du Canada orienté sur les personnes, et notamment l'action concernant les drogues, les enfants touchés par la guerre, les réformes démocratiques de deuxième génération et les mines antipersonnel. Le rôle actif du Canada en tant qu'hôte de l'assemblée générale de l'OEA à Windsor, au mois de juin 2000, et dans le contexte de la mission de haut niveau au Pérou, où il a joué un rôle prépondérant pour la restauration de la démocratie dans ce pays, en a fait un acteur majeur et un chef de file pour un large éventail de questions concernant les Amériques.

Il a ensuite assumé le leadership du processus politique de niveau le plus élevé dans l'hémisphère comme hôte du Sommet des Amériques 2001 à Québec.

La promotion et la protection des droits de la personne ont été et continueront d'être un élément fondamental de l'engagement du Canada dans les Amériques. Le Canada s'est servi de son expertise dans ce domaine pour fournir une assistance et une orientation techniques aux pays des Amériques où la démocratie est relativement récente et qui ont des antécédents de violation des droits de la personne. Le Canada travaille au renforcement du système interaméricain des droits de la personne à un certain nombre de niveaux. Cela inclut le renforcement des organes existants des droits de la personne, la promotion de la démocratie et celle de l'inclusion de la société civile — et notamment des groupes de femmes et des groupes autochtones — dans les principaux processus hémisphériques, la promotion de la transparence dans la gestion des affaires publiques et le déploiement d'efforts visant à créer un environnement sain et sûr pour tous les peuples des Amériques.

Nous sommes à l'origine d'un certain nombre de résolutions sur les droits de la personne dans les assemblées générales de l'OEA, en particulier dans le domaine des droits des femmes. Nous avons fait pression pour que l'on tienne compte de la problématique hommes-femmes dans les réunions ministérielles de l'hémisphère. Au cours du dernier exercice financier, le Canada a engagé 139 000 $ pour le Réseau des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l'homme dans les Amériques. Le Canada a également été au premier rang des négociations relatives à l'ébauche d'une Convention interaméricaine sur les droits des peuples autochtones. Il a joué un rôle essentiel en convainquant le groupe de travail chargé des négociations d'ouvrir le processus afin d'y inclure la participation des peuples autochtones et, pas plus tard que la semaine dernière, il a fourni un financement en vue de cette participation.

Immédiatement après son adhésion à l'OEA, le Canada a fait de la création d'institutions démocratiques et de la gouvernance dans la primauté du droit les éléments centraux de ses travaux au sein de l'Organisation. L'une des toutes premières initiatives lancées par le Canada dès son adhésion était l'ébauche et l'obtention d'un accord sur une résolution créant l'Unité pour la promotion de la démocratie. Tout d'abord axée sur la surveillance de des élections, l'UPD a, au cours des 11 dernières années, assumé un éventail d'activités de plus en plus vaste visant à améliorer les procédures électorales, législatives et judiciaires, et à accroître la participation de la communauté aux processus démocratiques.

Le premier coordonnateur exécutif à temps plein de l'UPD était un Canadien, M. John Graham, tout comme Mme Elizabeth Spehar, qui lui a succédé.

L'UPD a également collaboré étroitement avec le Canada lors de la création du FIPA, le Forum interparlementaire des Amériques, dont le premier président n'était autre que notre ministre des Affaires étrangères actuel, l'honorable Bill Graham. En reconnaissance du rôle essentiel que le Canada a joué dans cette organisation, le sénateur Hervieux- Payette a été élue pour assumer cette responsabilité lors de la réunion du FIPA qui a eu lieu au Mexique, la semaine dernière.

Grâce à l'UPD, le Canada a pu faire progresser son programme sur les mines antipersonnel et a fourni à cette organisation une aide financière pour des activités humanitaires de déminage. Il est intimement lié aux activités de déminage, d'aide aux victimes, de destruction des stocks, de sensibilisation aux mines et de défense dans la région. Le Canada a poussé l'hémisphère à signer et à ratifier la Convention d'Ottawa sur l'interdiction des mines antipersonnel. Aujourd'hui, la totalité des 33 États des Amériques ont signé la Convention et 30 l'ont ratifiée, de sorte que les Amériques sont en passe de devenir le premier hémisphère exempt de mines.

Le Canada peut aussi se flatter d'avoir fait progresser la norme démocratique avec l'adoption de la Clause sur la démocratie contenue dans la Déclaration du Sommet des Amériques de Québec, qui a eu lieu en avril dernier. En tant qu'hôte du Sommet des Amériques, le Canada a joué un rôle crucial en promouvant le principe selon lequel la création et le maintien d'institutions démocratiques constituent une condition explicite pour la participation de tout pays au processus du Sommet des Amériques. Cette clause a pour objectif d'inciter fermement les pays de la région à ne pas s'éloigner de la voie de la démocratie.

Le Canada a ensuite pris un rôle de premier plan en rédigeant l'ébauche de la Charte démocratique interaméricaine, adoptée par tous les États membres de l'OEA le 11 septembre à Lima, au Pérou. La Charte sert à consacrer les principes démocratiques énoncés au Sommet, et renforce les instruments existants de l'OEA pour la défense d'une démocratie représentative dans l'hémisphère.

La transparence dans la gestion des affaires publiques a aussi été une priorité essentielle pour le Canada. Dans le même esprit, le Canada a signé la Convention interaméricaine contre la corruption en 1999. Il a étroitement collaboré avec les autres signataires dans le contexte de la mise en oeuvre de ses dispositions et de la promotion de l'adhésion et de la conformité totale à l'échelle de l'hémisphère.

Avant l'assemblée générale de Windsor de 2000, la société civile avait une participation limitée au processus de l'assemblée générale. L'assemblée générale de Windsor a marqué une différence qualitative dans la participation de la société civile. Plusieurs des activités tenues ont fourni aux organisations de la société civile l'occasion de faire entendre leurs opinions sur une large gamme de questions, dont une discussion officielle avec les ministres et le secrétaire général de l'OEA, M. César Gaviria.

Lors du Sommet de Québec, le Canada a pris l'initiative d'inviter des représentants des milieux syndical et universitaire, d'associations de gens d'affaires, d'ONG, des jeunes, d'organismes religieux, et de groupes autochtones de l'ensemble des Amériques à participer à une table ronde avec des ministres du Canada et des pays de l'hémisphère. Le Canada continue de jouer un rôle de chef de file en veillant à ce que les voix des organisations bénévoles et non gouvernementales des Amériques soient entendues, et fournit un financement à de nombreux segments de la société, allant des groupes autochtones aux groupes de femmes, au Canada et dans le reste de l'hémisphère, pour leur permettre de prendre part à des conférences pertinentes et de tenir des réunions sur les principales questions touchant l'hémisphère.

Dans le sillage des événements du 11 septembre, la sécurité a occupé une place prédominante dans les programmes de la plupart des organisations régionales et internationales, et l'OEA n'y fait pas exception. Il est évident que la protection des droits de la personne ne peut être durable sans un environnement sain et sûr. La tragédie du mois de septembre a incité le Comité interaméricain contre le terrorisme à réagir, et il a pris des dispositions pour que les États membres instaurent des mesures contre le terrorisme. Le Canada aide certains des pays de plus petite taille ou les moins favorisés à mettre leur législation à jour et leur apporte son aide sur d'autres plans techniques.

L'OEA était chargée de produire l'ébauche d'une Convention interaméricaine contre le terrorisme avant les événements du 11 septembre. Cependant, à la suite de la tragédie, on a intensifié les efforts déployés en vue d'achever la rédaction de l'ébauche pour l'assemblée générale de l'OEA qui se tiendra en juin, à la Barbade.

Le Canada s'est par ailleurs activement engagé à faire progresser les travaux sur l'Examen de la sécurité continentale. Cet examen a pour but de revitaliser et de renforcer les institutions de sécurité continentale. On reconnaît maintenant dans l'hémisphère que la sécurité porte sur plus de choses que sur les questions classiques liées à la défense et à l'armée. Outre le règlement de différends et de revendications territoriales, les questions de sécurité hémisphériques incluent une grande part du programme de sécurité humaine, dont l'antiterrorisme, le trafic des stupéfiants, la planification préalable aux catastrophes et les secours, les armes légères, les mines antipersonnel, les droits de la personne, les mesures de confiance et les mesures de sécurité.

Le Canada a adopté l'approche la plus proactive à l'égard de l'examen, et a été le seul pays à présenter une vision concrète d'un cadre de sécurité interaméricain réformé, et le premier pays à répondre à un questionnaire sollicitant une contribution des capitales des États membres.

En résumé, quand on considère les activités dans lesquelles le Canada est engagé dans l'hémisphère, il est évident que son engagement à l'égard des droits de la personne dans les Amériques va bien au-delà des traités et des conventions. Je n'ai donné qu'un aperçu de l'engagement du Canada dans la promotion et la protection des droits de la personne dans l'hémisphère. Toutefois, je peux vous assurer, mesdames et messieurs les sénateurs, que nous promouvons activement les valeurs démocratiques et que nous veillons à ce que tous les peuples des Amériques aient un accès équitable aux processus qui les gouvernent et aux libertés fondamentales qui leur sont un droit inaliénable.

[Français]

M. John Holmes, directeur, Direction du droit onusien, criminel et des traités, ministère des Affaires étrangères et du commerce international: Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion aujourd'hui de vous parler du système interaméricain des droits de la personne et, en particulier, de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Mon propos, cet après-midi, portera essentiellement sur les considérations internationales liées à la politique étrangère qui interviennent dans l'accession à la Convention. J'aimerais commencer par resituer brièvement le contexte du système interaméricain des droits de la personne et, notamment, la participation du Canada à ce système, ainsi que l'accès à ses institutions, c'est-à-dire à la Commission et à la Cour.

Le système interaméricain des droits de la personne se compose officiellement de deux organes, à savoir la Commission interaméricaine des droits de l'homme (Commission) et la Cour interaméricaine des droits de l'homme (Cour), auxquels s'ajoutent plusieurs instruments juridiques, dont la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

[Traduction]

La Commission inter-américaine des droits de l'homme a été créée en 1959 avec pour principal objectif de promouvoir l'observation et la protection des droits de la personne et de servir d'organe consultatif de l'OEA pour ces questions. À cette fin, la Commission s'acquitte de plusieurs fonctions, y compris observer la situation générale des droits de la personne dans les États membres, recevoir et analyser les pétitions présentées par des particuliers alléguant des atteintes aux droits de la personne par des États membres de l'OEA et faire enquête sur ces allégations.

Le traitement de ces pétitions dépend de ce que l'État est partie à la Convention ou pas. Si l'État est partie à la Convention, la commission évalue les prétendues atteintes aux droits de la personne selon la définition de la Convention. S'il n'y est pas partie, comme c'est le cas du Canada, la commission fonde ses opinions sur la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. Par conséquent, même sans être partie à la Convention, le Canada relève de la compétence de la commission.

La Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui a été créée par la Convention et qui compte sept membres, a été installée à San José, au Costa Rica, en 1979. Elle a une fonction à la fois consultative et juridictionnelle. Tout pays membre de l'OEA peut s'adresser à elle à titre consultatif au sujet de l'interprétation de la Convention ou d'autres instruments interaméricains relatifs aux droits de la personne.

En ce qui concerne sa fonction juridictionnelle, seule la commission ou les États partie à la Convention peuvent lui soumettre des cas. Les particuliers ne peuvent s'adresser à elle, mais il est question actuellement d'un protocole facultatif à la Convention qui les y autoriserait.

Pour porter un cas contre un État membre devant la Cour, cet État doit être partie à la Convention et reconnaître la compétence de la Cour. Tous les États partie à la Convention ne reconnaissent pas la compétence de la Cour.

La Convention, qui a été négociée dans les années 60, est entrée en vigueur en 1978. Sur les 34 États membres actifs de l'OEA, 23 sont partie à la Convention et 11 ne le sont pas, dont les États-Unis.

Dans toute considération concernant la position du Canada par rapport à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, il faut tenir compte de la réalité historique: il y a 30 ans, à l'époque où la Convention a été négociée, le Canada — à l'instar des États-Unis et de la plupart des pays anglophones des Caraïbes — n'appartenaient pas à l'OEA. Comme il n'a pu participer au processus d'élaboration de cette Convention, il n'a pas pu faire part de ses préoccupations ni les faire prendre en considération dans les échanges et concessions normaux dans de telles négociations. Il s'agit là d'un simple fait qui continue d'influer directement sur notre position aujourd'hui, car on ne peut dire que le Canada refuse de s'engager à l'égard d'instruments relatifs aux droits de la personne. Il est, en effet, partie à de nombreux autres instruments de ce type, y compris tous les grands instruments relatifs aux droits de la personne du système des Nations Unies.

Il est probable que, pour adhérer à la Convention, un grand nombre de réserves et de déclarations d'interprétation devraient être émises, et il apparaît que ce nombre irait sans doute croissant après l'examen récent de la Convention par certaines provinces. Cela irait à l'encontre de la position du Canada qui veut que les réserves aux traités relatifs aux droits de la personne soient limités en nombre et en portée, étant donné que les droits protégés par ces traités doivent être universels et obligatoires.

Vous savez sans doute, par comparaison, que le Canada n'a émis de réserves que par rapport à un seul des six grands traités des Nations Unies relatifs aux droits de la personne.

Le Canada participe très activement aux efforts déployés pour réduire le nombre de réserves aux instruments internationaux relatifs aux droits de la personne, tant au moment des négociations que par la suite, en exerçant des pressions pour que les États retirent leurs réserves. Il peut, pour cela, s'exprimer dans des résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies ou de la Commission des droits de l'homme, ou encore recourir à des démarches bilatérales, comme le sait notre distinguée présidente.

Adhérer à la Convention américaine relative aux droits de l'homme en émettant beaucoup de réserves et de déclarations d'interprétation risque fort de nuire à la crédibilité du Canada dans ses activités et à sa capacité de convaincre d'autres États de limiter leurs réserves aux traités relatifs aux droits de la personne.

Certains peuvent faire valoir que l'adhésion du Canada à la Convention peut encourager d'autres États membres de l'OEA à devenir eux aussi parties au traité et, ainsi, contribuer à la promotion des droits de la personne à l'étranger. Selon nous, l'accent devrait porter sur le respect des normes relatives aux droits de la personne et pas sur le fait de savoir si un État a ratifié un traité particulier.

Certains partenaires de l'OEA ont demandé instamment au Canada d'adhérer à la Convention et de ne pas se concentrer sur des questions de conformité ou de mise en oeuvre. Nous n'acceptons pas cette approche. Le Canada s'attend à ce que des États qui ratifient des instruments internationaux en respectent les dispositions et soient en mesure de s'acquitter des obligations auxquelles ils souscrivent en y adhérant. C'est ce que stipule la Convention de Vienne sur le droit des traité. Nous ne pensons pas, tant sur le plan juridique que politique, qu'un État devrait adhérer à un instrument sans d'abord prendre les mesures nécessaires pour pouvoir se conformer à ses dispositions.

Le Canada ne pourrait ratifier un instrument international ou y accéder sans avoir d'abord déterminé que tous ses ressorts sont capables d'en respecter les obligations.

Certains font également valoir que le Canada ne peut participer pleinement au système interaméricain des droits de la personne sans être partie à la Convention. Nous connaissons les avantages d'une adhésion générale aux conventions internationales, mais il ne faudrait pas oublier les activités importantes que mène le Canada en ce qui concerne la protection et la promotion des droits de la personne sur son territoire et dans l'hémisphère. Sur ce dernier point, le Canada est très actif, de la création de l'Unité pour la promotion de la démocratie au versement de millions de dollars par an au titre de l'aide pour la promotion et la protection des droits de la personne.

Le fait que le Canada ne soit pas partie à la Convention ne diminue en rien son attachement à ses principes fondamentaux ou à la protection des droits de la personne et des libertés fondamentales en général.

Le Canada tient à ce que le système interaméricain des droits de la personne soit renforcé par divers moyens, y compris, dans la mesure du possible, par l'adhésion à ses instruments. Il est sans conteste important d'adhérer aux instruments internationaux. Cependant, il faut reconnaître qu'il ne s'agit là que d'un élément du renforcement du système interaméricain des droits de la personne. Il est important également d'appuyer ses institutions, de promouvoir et de protéger les droits de la personne, et de renforcer les capacités de la région afin de parvenir à une protection universelle des droits de la personne des peuples des Amériques, et le Canada oeuvre dans tous ces domaines.

Je répondrai volontiers à vos questions.

Mme Elisabeth Eid, directrice intérimaire, Section des droits de la personne, ministère de la Justice: Honorables sénateurs, je suis ravie d'être avec vous aujourd'hui. Je vais moi aussi parler de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et de certaines questions que les diverses administrations ont soulevées pendant les consultations.

[Français]

Je vous donnerai pour commencer quelques renseignements sur les consultations fédérales-provinciales-territoriales qui ont eu lieu relativement à la Convention, et vous parlerai de certaines préoccupations qui ont été exprimées à propos de l'adhésion du Canada au traité. Ensuite, je vous soumettrai quelques considérations dont vous pouvez tenir compte dans vos délibérations.

[Traduction]

Après que le Canada est devenu membre de l'OEA en 1990, les fonctionnaires fédéraux se sont attelés à la tâche pour déterminer si le Canada devait adhérer à la Convention. Ils ont ainsi examiné la législation, les politiques et les programmes fédéraux afin de voir dans quelle mesure ils étaient conformes aux obligations de la Convention.

Lorsqu'ils ont repéré des incompatibilités, trois options étaient offertes. Un État peut décider de formuler une réserve, ce qui signifie qu'il ne sera pas lié par une disposition particulière, afin de maintenir une pratique nationale non conforme à la Convention. Deuxièmement, on peut formuler une déclaration d'interprétation, pour donner son interprétation d'une disposition, afin d'assurer la conformité du droit national. Troisièmement, on peut apporter des changements à l'échelle nationale pour garantir la conformité avec les obligations conventionnelles.

Cet examen, au niveau fédéral, a duré six ans, et s'est poursuivi après. De même, au niveau provincial, le même examen a été entrepris. Des consultations sont menées à l'interne, pour examiner le traité et pour demander leur avis aux conseillers juridiques, afin de déterminer la conformité de nos lois avec le traité. Ce travail a été fait par l'intermédiaire du Comité permanent fédéral-provincial-territorial des hauts fonctionnaires chargés des droits de la personne.

Cet examen, qui a duré de nombreuses années, a permis au gouvernement de cerner de nombreux sujets de préoccupation, pas seulement un ou deux. Bon nombre de préoccupations substantielles pouvaient selon eux nécessiter une déclaration d'interprétation ou une réserve.

Ces préoccupations sont liées au fait que le traité a été négocié et rédigé sans la participation du Canada. Nous n'avons pas pu influencer le libellé des dispositions du traité comme nous avons pu le faire, par exemple, dans le cadre de l'ONU. Si vous lisez le traité, vous constaterez que certaines formulations ne concordent pas avec l'état du droit canadien. Il est toutefois conforme aux traditions juridiques d'un grand nombre de membres de l'OEA, qui ont une tradition de droit civil et des systèmes juridiques différents du nôtre.

Les fonctionnaires continuent d'essayer de réduire le nombre de problèmes, de préoccupations, de réserves et de déclarations d'interprétation, parce que nous voulons éviter de créer un précédent en ayant un traité comportant de nombreuses réserves et déclarations d'interprétation. Ce serait une première, pour le Canada, et pour le domaine des droits de la personne, et vous devez en tenir compte.

Je vais vous parler de l'article 4 de la Convention, qui constitue un grave problème. On y dit:

1. Toute personne a droit au respect de sa vie. Ce droit doit être protégé par la loi, et en général à partir de la conception. Nul ne peut être privé arbitrairement de la vie.

Le traité affirme donc qu'en général, les États sont tenus de protéger le droit à la vie à partir du moment de la conception. Au Canada, nous n'avons pas de loi réglementant l'avortement. En outre, la Cour suprême du Canada ne reconnaît pas au foetus la qualité de personne.

Il serait possible d'émettre une réserve à cet article, expliquant que le Canada ne serait pas tenu, aux termes de la Convention, de protéger le droit à la vie à partir du moment de la conception. Cette réserve risque à rouvrir le débat sur l'avortement au Canada.

Lorsque vous examinerez la question de l'adhésion du Canada à la Convention américaine, vous voudrez sans doute garder à l'esprit certaines choses. Premièrement, les dispositions de la Convention ont une incidence sur des questions relevant de la compétence des provinces. Beaucoup d'applications relatives aux droits de la personne ont une incidence particulière sur les provinces. Celles-ci doivent donc certainement être consultées et appuyer l'adhésion du Canada à la Convention, puisqu'il serait difficile pour le Canada de ratifier un instrument international ou d'y adhérer sans l'appui marqué des provinces et des territoires.

Nous discutons des problèmes relatifs au traité avec les provinces. Nous écoutons les autres points de vue, mais au bout du compte, chaque province et territoire, en consultant ses conseillers juridiques, devra décider s'il ou elle appuie l'adhésion du Canada à la Convention.

Vous voudrez sans doute aussi savoir quels sont les avantages réels de l'adhésion du Canada à la Convention et s'ils sont supérieurs aux difficultés éprouvées depuis des années dans l'obtention d'un consensus sur l'adhésion au traité.

La non-ratification du traité ne gêne en rien notre participation à l'organisation, et nous y participons activement en faisant la promotion des droits de la personne. L'adhésion risque de soulever des questions délicates.

L'adhésion au traité n'aurait pas d'incidence marquée sur les Canadiens et sur la protection de leurs droits, étant donné la protection déjà garantie par la Charte canadienne des droits et libertés, et la législation des droits de la personne aux paliers fédéral et provincial.

Enfin, vous voudrez peut-être réfléchir au fait que l'adhésion à la Convention soulèvera certainement la question de la reconnaissance éventuelle de la compétence de la Cour interaméricaine pour ce qui est d'entendre des plaintes portées contre le Canada. Le Canada est déjà assujetti à la compétence de la Commission, qui peut être saisie de plaintes contre le Canada, mais les décisions de la Cour auraient un caractère obligatoire pour le Canada, y compris en ce qui concerne des dommages-intérêts qui seraient attribués.

Voilà qui diffère des autres mécanismes de plainte relatifs aux droits de la personne, particulièrement ceux des Nations Unies, dont les décisions ne sont pas exécutoires. On considère qu'il s'agit d'avis ou de recommandations qui n'ont pas force de loi.

Je m'arrête ici.

[Français]

Je vous remercie une fois encore de m'avoir permis de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Nous suivons avec intérêt les travaux de votre comité et nous serons heureux de vous aider, dans toute la mesure du possible, dans vos délibérations sur les questions relatives aux droits de la personne.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: Vous dites être à l'origine de bon nombre de résolutions des assemblées générales de l'OEA sur les droits de la personne, particulièrement sur les droits des femmes. J'aimerais que vous m'en disiez davantage.

Nous sommes l'un des pays qui ont enchâssé dans leur constitution l'égalité des hommes et des femmes, au moyen de l'article 28 de la Charte des droits et libertés.

Que faisons-nous sur la scène internationale, dans ce domaine?

Mme Bugailiskis: Je vais parler un peu plus des activités, du travail consistant à encourager les femmes à participer à l'OEA, au sein de ses divers organes et dans ses délibérations.

Nous avons très bien réussi, et parfois en mettant l'OEA presque dans l'embarras, à nous assurer que les femmes sont mieux représentées aux réunions et en faisant un effort pour qu'elles s'affirment davantage. Il y a des groupes de femmes dans les diverses tribunes qui ne s'occupent pas seulement de questions d'égalité des sexes, mais aussi de questions autochtones et d'environnement. Le Canada a joué un rôle important dans ce domaine, en donnant l'exemple mais aussi en finançant des groupes de femmes qui n'ont pas les ressources financières pour faire ce travail, ou même qui n'ont pas suffisamment d'argent pour venir aux réunions. Nous avons pu les aider en assumant une partie de leurs déplacements.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Ma question s'adresse à madame Elisabeth Eid et monsieur Holmes. Je suis fasciné par la question de la mise en oeuvre des traités, mais je ne suis pas très content de la façon dont nous mettons en œuvre nos traités au Canada. Peut-être n'avons-nous pas trouvé la meilleure formule ou la formule la plus applicable, mais j'ai suivi avec beaucoup d'intérêt votre affirmation à l'effet que cela se discute au niveau du fédéral, au niveau des provinces et des territoires.

Dans les lois provinciales et fédérales, on voit très rarement des statuts, des lois qui sont adoptés pour mettre en œuvre les traités. Cela me scandalise et je n'arrive pas à comprendre. Le Conseil privé a bien dit en 1937 que pour que le traité devienne la loi du pays, il faut le mettre en œuvre. Que proposez-vous sur ce plan? Je pense qu'il faut aller de l'avant, il faut inventer notre système.

Mme Eid: Notre situation est difficile étant donné que notre système est un système dualiste. Notre système n'est pas un système moniste quant à la façon dont on regarde le droit international, le droit de la personne. De plus, nous sommes un système fédéraliste. Ainsi, par rapport à d'autres pays, la mise en œuvre de nos obligations représente pour nous un grand défi. Toutefois, nous avons notre Charte canadienne. Par exemple, si dans le traité il existe une disposition visant à protéger la liberté d'expression, pour notre part, nous avons l'article 2b) de la Charte qui protège le même droit.

Il est évident que par le passé, lorsqu'on a ratifié, on a regardé notre Charte et nos lois internes, et lorsqu'on a vu qu'une protection existe déjà au niveau de notre loi domestique, on a décidé de ne pas incorporer encore une fois une autre obligation sur le plan international. Je dois admettre qu'il reste encore du travail à faire dans ce domaine. Nous voulons éviter une duplication des obligations. On ne veut pas avoir une protection de la liberté d'expression dans notre Charte et la même obligation en vertu d'un traité.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais ce problème fait l'objet de nos discussions à nouveau, et on entend le ministère de la Justice, pour qui j'ai beaucoup d'estime, nous dire: «On a la Charte des droits». Il est vrai que nous avons une très belle Charte des droits, mais cela ne suffit pas. Il faut légiférer pour donner suite au traité — il me semble que le Conseil privé a été très clair dans ce qu'il a dit en 1937 — sinon cela ne change pas la loi du pays.

Mme Eid: Le Conseil privé a dit que pour avoir la force du droit au niveau domestique il faut l'incorporer. Cela veut dire qu'il faut légiférer, il faut avoir une disposition. Cela ne veut pas dire pour autant que les traités n'ont aucune influence. Ils ont une grande influence. La Cour suprême a dit récemment qu'il faut tenir compte de nos traités, surtout ceux visant les droits de la personne, lorsqu'on interprète nos lois domestiques. Donc, les traités, et surtout les traités en droits de la personne, ont une force significative au niveau des droits domestiques.

[Traduction]

M. Holmes: J'aimerais formuler un commentaire, à partir d'un autre point de vue. La Convention de Vienne sur le droit des traités, par exemple, ou d'autres mécanismes internationaux, n'imposent pas à un pays l'adoption de lois particulières de mise en oeuvre. Ce qui compte, comme je le disais dans mon exposé, c'est la conformité. La procédure a été décrite par Mme Eid. Dans le domaine des droits de la personne, lorsque des lois existent déjà, tant au palier fédéral que provincial, nous analysons de près une convention pour déterminer si nos lois comportent des lacunes, compte tenu des obligations fixées par la convention. Celle que j'ai examinée le plus récemment, c'est la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous en avons fait l'analyse.

Le sénateur Beaudoin: Nous la connaissons un peu.

M. Holmes: D'après notre analyse, nous sommes tout à fait conformes aux dispositions de la convention et aucune loi précise n'est nécessaire, sauf une réserve dans une déclaration.

Le sénateur Beaudoin: Nous sommes une société dualiste. Au Canada, nous ne sommes pas monistes.

[Français]

Ce n'est pas moniste; c'est dualiste. Et si c'est dualiste, il faut légiférer.

[Traduction]

Ne pensez-vous pas?

M. Holmes: À notre avis, tout dépend de l'instrument. Par exemple, même s'il ne s'agit pas, techniquement, de droits de la personne, quand nous avons examiné le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, nous nous sommes rendu compte qu'il fallait apporter des changements à diverses lois, principalement en droit pénal. Tout ce travail s'est fait au fédéral, et non dans les provinces. Quand nous avons constaté que les changements nécessaires étaient substantiels, nous avons préféré à un projet de loi omnibus — je sais qu'on n'aime guère ce terme — un projet de loi distinct, complet, comportant divers amendements corrélatifs à de nombreuses lois. Nous avons fait l'analyse et compris qu'il fallait des changements substantiels à la loi que nous avons promulgués avant de ratifier les instruments. Pour d'autres instruments, nous faisons l'analyse et le gouvernement décide que des changements ne sont pas nécessaires.

La présidente: Ce qui me chiffonne, dans une démocratie dualiste, c'est l'acceptation d'obligations internationales. De grands sages du gouvernement peuvent décider que nous sommes tout à fait conformes à ces obligations, mais il reste que les droits sont les droits de chacun des citoyens, quand on parle de droits de la personne. Si quelqu'un n'est pas d'accord avec le gouvernement, quel recours a-t-il? Voilà le dilemme, quand il n'y a pas de loi habilitante, que ce soit la province ou un particulier qui veut avoir un droit de recours.

Vous pouvez dire que tout est conforme aujourd'hui. Pourtant, un autre gouvernement pourrait être élu et dire le contraire. C'est le dilemme que nous cause notre façon de faire. Il me semble que ce n'est pas du tout souhaitable. Je me souviens que l'un de nos témoins, Dean Leuprecht, nous a déclaré que lorsqu'il y avait une loi habilitante, on savait quels mécanismes existaient et comment une personne lésée pouvait faire valoir ses droits. Quand il n'y a pas de loi habilitante, on risque de priver les citoyens de la possibilité de faire valoir leurs droits, dans leur intérêt, et non pas dans l'intérêt du gouvernement ou de l'État.

Voilà le dilemme. Nous en connaissons des exemples. Je n'aime pas revenir à celui de la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents, un sujet délicat pour moi, mais dans ce cas-là, votre ministère, en toute honnêteté et sincérité, estimait se conformer à la Convention relative aux droits de l'enfant. Les fonctionnaires soutenaient qu'il y avait conformité. Pourtant, des esprits éclairés de tout le pays nous disaient le contraire, et les tribunaux nous diront peut- être un jour si la Loi sur le système de justice pour les jeunes est conforme ou non à cette convention. C'est certainement une façon bien étrange de traiter de la justice et des droits de la personne.

Si vous voulez répondre à cette intervention, n'hésitez pas. C'est le problème que nous avons constaté dans notre analyse. Pendant notre examen en comité, l'exemple de la justice pour les jeunes nous a été signalé expressément.

M. Holmes: Je comprends ce que vous dites et les choses seraient peut-être plus ordonnées si nous adoptions cette démarche. Mais dans les faits, je ne sais pas quelle serait la différence. Comme Mme Eid l'a dit dans sa réponse, si un citoyen craint pour sa liberté d'expression, il peut trouver de l'information dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la Convention américaine relative aux droits de l'homme et dans divers autres instruments, y compris la Charte des droits et libertés.

Si le système de justice pénale pour les jeunes vous préoccupe, nous avons proposé de nouvelles lois à ce sujet. Il y a aussi la convention des Nations Unies et d'autres normes internationales, comme points de comparaison. S'il reste des craintes, on peut en saisir les tribunaux ou, pour certains instruments, des organismes internationaux.

Je conviens que les choses seraient plus claires s'il n'y avait qu'un ensemble, surtout lorsqu'on parle d'instruments dont les dispositions se chevauchent, et se dédoublent, comme la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, qui reprend diverses dispositions des deux pactes. Si vous avez des lois de mise en oeuvre des deux pactes, auxquelles s'ajoute une loi de mise en oeuvre de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, comme le disait Mme Eid, il en résultera trois ou quatre lois différentes, pour mettre en oeuvre la même disposition. Cela peut parfois causer des problèmes.

La présidente: Sans vouloir trop insister, il y a une différence entre des «conventions» comme l'instrument inter- américain dont nous sommes saisis, et qui date d'avant notre participation, et la Convention relative aux droits de l'enfant. Dans l'affaire Baker, on disait bien que le Canada ne devait pas déclarer au monde qu'il veut être lié par cet instrument sans l'intégrer au droit canadien, et laissant plutôt aux tribunaux le soin de déterminer quelles lois canadiennes s'y conforment. Quelque chose cloche.

Peut-être que cela pouvait marcher à une autre époque. Mais de nos jours, les conventions sont de plus en plus précises et des lois de mise en oeuvre s'y rattachent, comme dans le cas du Traité de Rome. Je suis convaincu que ceux qui exigent une loi habilitante sont préférables à la démarche de non-conformité que nous avons connue.

Est-il temps de repenser nos façons de faire? Il y a sans doute un aspect juridique à considérer, mais nous ne nous y attarderons pas, pour l'instant.

Le sénateur Kinsella: Cette discussion m'intéresse. Personnellement, je crois qu'il ne faut pas oublier que les droits dont nous parlons ne sont pas tous assurés par un modèle d'application qui permet la justiciabilité secondaire. C'est certes le cas des droits civils et politiques. De plus, une loi de mise en oeuvre est nécessaire, il n'y a pas de complication. Mais beaucoup d'autres droits ne peuvent être assurés que par des mesures politiques, prises par des assemblées législatives, par des conseils communs ou par le Parlement, parce qu'ils se rapportent à des programmes. J'hésite à laisser tomber cet important sujet de réflexion, mais j'ai des questions précises à poser sur la convention américaine relative aux droits de l'homme.

Au début de son travail, notre comité a appris le rôle important joué par le Comité permanent de hauts fonctionnaires chargés des droits de la personne au Canada, qui découle des lois sur le travail. C'est la raison pour laquelle les premiers ministres fédéraux écrivent aux premiers ministres provinciaux pour demander l'appui des provinces, avant que le Canada ratifie des traités sur les droits de la personne ou d'autres instruments qui peuvent toucher aux compétences provinciales et fédérales.

Madame Eid, vous avez laissé entendre que cette analyse est en cours depuis 12 ans. On étudie cette convention et on se demande si le Canada devrait la ratifier. Vous avez aussi affirmé que des préoccupations ont été cernées et énoncées. Pourrions-nous obtenir une liste détaillée de ces préoccupations? Il serait très utile pour nous d'avoir une analyse de chacun des articles, de savoir quelles questions ont été soulevées par chaque administration, avec le nom de chacune, ce qui pourrait être utile, même si ce n'est pas essentiel. Ce serait très instructif pour le comité. Nous saurions ainsi exactement ce que les fonctionnaires ont fait.

Après 12 ans, il est peut-être temps de confier la question aux politiciens. Nous saurions bien éclairer si nous disposions d'une liste des préoccupations soulevées, en rapport avec les articles de la convention.

La présidente: Nous pourrions peut-être essayer de savoir si c'est disponible. Pourrions-nous l'avoir?

Le sénateur Kinsella: Dans la même veine, comme tout bon fonctionnaire, vous préparez, nous le savons, des choix pour les ministres. Par exemple, dans le cas de l'article 4, vous signaleriez les problèmes pertinents, vous fourniriez une ébauche de déclaration de réserve, ou du type de réserve qui pourrait être associé à un article donné.

Mme Eid: Il y a eu une période d'activité plus intense de six ans, et non pas 12 ans de travail. Pendant six bonnes années, on s'est certainement efforcé d'arriver à un consensus sur la question.

Pour ce qui est de l'étude article par article, les délibérations du comité fédéral-provincial sont confidentielles, afin que chacun puisse faire part de ses préoccupations sans risquer une divulgation publique. Nous avons reçu des renseignements des provinces, en leur garantissant la confidentialité de ces informations, et il me faudrait donc obtenir leur consentement pour divulguer ce genre de chose.

Pour diverses préoccupations, de l'information a été rendue publique, mais pour ce genre de renseignements détaillés, il faudrait le consentement des provinces et des territoires.

Pour les options, je ne peux pas non plus prendre d'engagement aujourd'hui, mais je peux vous assurer que je consulterai mes collègues, puisqu'il s'agit de conseils aux ministres.

Le sénateur Kinsella: D'après M. Holmes, il ne s'agit pas de se précipiter pour ratifier cette convention, simplement de participer davantage aux activités de l'OEA se rapportant aux droits de la personne. Depuis que le premier ministre Mulroney a décidé que le Canada ferait partie de l'OEA, en 1990, notre pays est devenu de plus en plus actif dans ce domaine.

Au niveau parlementaire, bon nombre d'échanges inter-parlementaires ont lieu en dehors du cercle diplomatique parlementaire hémisphérique. Il y a des échanges entre les législateurs de diverses organisations, où l'on parle aussi des droits de la personne. Mais n'est-il pas vrai que d'après l'article 53 de la Convention, pour l'élection d'un juge au tribunal, on ne peut voter que si on a adhéré à la Convention? N'y a-t-il pas bon nombre de choses auxquelles on ne peut participer, si on n'a pas ratifié la Convention?

M. Holmes: Pour répondre à la dernière partie de votre question, c'est vrai, bien que des États non signataires de la convention puissent, par l'intermédiaire d'un État signataire, proposer la candidature d'un juge au tribunal. En pratique, c'est difficile, puisque vous ne pouvez orchestrer sa campagne comme le ferait un parti signataire. Il y a donc un désavantage réel.

Au sujet du vote, ce que vous avez dit est vrai. Seuls les États membres peuvent voter pour l'élection d'un juge au tribunal.

Il peut y avoir quelques autres désavantages. Ce sont certainement des choses dont nous devons tenir compte.

Je ne voudrais certainement pas que mes commentaires laissent supposer que nous avons complètement rejeté cette idée. C'est la raison de notre dialogue. Toutefois, bon nombre d'arguments nous ont été présentés par des ONG partenaires du réseau de l'OEA. Nous estimions important de répondre à ces préoccupations, mais aussi de soulever des questions qui ne sont pas apparentes, de prime abord, dans notre travail.

Certains États et des ONG nous ont déclaré ne pas être préoccupés par le nombre de réserves et de déclarations que pourrait faire le MAECI. Ils préfèrent cette option, parce qu'ils veulent que nous soyons partie à la convention. Mais comme j'ai essayé de l'expliquer, il faut tenir compte du contexte plus large et j'ai essayé d'expliquer le travail que nous faisons au plan international pour éviter de trop nombreuses interventions et observations.

Le sénateur Kinsella: À ce sujet, ne faudrait-il pas parler des distinctions par rapport à la ratification par le Canada de deux pactes internationaux, qui ont été mis au point entre 1966 et 1976. Pendant une partie de cette période, il y avait des consultations fédérales-provinciales au Canada. Nous n'avons pas présenté de réserves à l'époque, comme vous le savez, mais nous aurions pu le faire. Nous étions aux Nations Unies depuis sa création en 1945 et avions contribué de manière importante à l'élaboration de divers instruments et mécanismes.

Je comprends l'argument selon lequel la convention américaine est écrite en des termes très anciens, à partir d'idées aussi dépassées. Ne serait-ce pas là justement la raison pour laquelle les gens comprendraient mieux que le Canada présente toutes sortes de réserves, alors qu'ils ne comprendraient pas qu'on en formule à l'égard d'instruments dont la rédaction se serait faite avec notre concours?

M. Holmes: Certains pays le comprendraient. Je soupçonne que bon nombre de nos partenaires de l'OEA comprendraient la raison de cette démarche. Je ne sais pas si des pays avec lesquels nous traitons, sur la scène internationale, seraient aussi compréhensifs. Ces pays ont énoncé des réserves assez larges sur la portée d'une convention particulière, au point où on peut douter de leur volonté politique et juridique d'en respecter les dispositions. Je pense, par exemple, à la convention contre la discrimination envers les femmes.

Je ne suis pas convaincu qu'ils comprendraient. Je crois bien qu'ils évoqueraient nos nombreuses réserves à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, quand nous les exhorterions à ne pas émettre des réserves de si grande portée.

Le sénateur Kinsella: On m'a dit que le président de la Commission des droits de la personne du Chili, ou l'ancien président, avait invoqué une partie de l'article 23, et d'autres, dans le cadre d'une poursuite. On critique la constitution chilienne et une modification relative à la nomination à vie des sénateurs, adoptée avant que Pinochet parte, ou soit forcé de partir.

Est-ce l'une des préoccupations des fonctionnaires? Moi, ça ne m'inquiète pas.

Êtes-vous au courant de cette affaire? Savez-vous si elle a été déclarée recevable?

Mme Eid: Je ne sais pas.

Le sénateur Kinsella: L'un de vous pourrait-il se renseigner? Cela remonte à quelques années. L'an dernier, à ce temps-ci, on attendait la décision de la cour sur la recevabilité de cette plainte.

M. Holmes: Nous nous renseignerons.

Le sénateur Poy: Je m'intéresse à l'exécution des décisions de la cour interaméricaine. Ses décisions sont censées être exécutoires. J'aimerais savoir comment on assurera l'exécution de ces décisions. Pourriez-vous nous donner des exemples précis?

Mme Eid: Je ne suis pas certaine de pouvoir bien répondre à votre question.

Au sein du système onusien, si le comité des droits de l'homme est saisi d'une affaire et juge que le Canada a contrevenu à un traité, il rend ce qu'on appelle une opinion. Dans cette opinion, il déclare, par exemple, que le Canada a contrevenu à ses obligations et doit prendre des correctifs pour s'assurer de se conformer au traité.

Aux termes de la convention, on envisage que la cour pourra rendre des jugements exécutoires. Si elle est saisie d'une cause et qu'on demande une indemnisation monétaire, la cour pourrait alors demander au Canada de verser un montant donné en raison d'une violation à la convention.

Une disposition prévoit aussi qu'il faut faire en sorte que le jugement pourra être exécuté au Canada. Cela signifie que l'intéressé pourrait s'adresser à un tribunal canadien pour faire exécuter la décision de la cour interaméricaine et amener les gouvernements fédéral ou provincial à payer. L'intéressé serait en mesure de faire exécuter la loi au pays.

Le sénateur Poy: Comment? Le Canada n'adhère pas à la convention, n'est-ce pas? Mais d'autres pays le font. Pourriez-vous me donner des exemples de pays qui ont été tenus d'exécuter une décision de la cour?

Mme Eid: Je devrai vous donner une réponse plus tard car je ne me suis pas penchée sur la question de savoir comment d'autres pays ont fait exécuter ces décisions.

Le sénateur Poy: Le pays pourrait très bien dire tant pis, et s'en laver les mains. Qui exécutera la décision? C'était là ma question.

M. Holmes: Malheureusement, je n'ai pas grand-chose à ajouter. Nous ferons des recherches. Le nombre d'articles sur ce sujet est assez nombreux.

Nous croyons savoir que quelques pays se conforment à ces décisions. Tous sont tenus de le faire. Toutefois, certains ne respectent pas ces décisions; ils en font tout simplement fi et l'intéressé n'a pas d'autres recours.

Pour revenir à l'article dont a parlé Mme Eid, au sein de chaque pays, il existe des mécanismes. Le droit privé international prévoit que les décisions rendues par les tribunaux étrangers peuvent être reconnues à certains endroits. Il faudrait examiner tout cela dans le contexte canadien, aussi.

Certains pays ont peut-être un système qui confère aux décisions de la cour interaméricaine le statut d'une décision d'une cour étrangère. L'intéressé pourrait alors demander à un tribunal du pays visé d'appliquer la décision au gouvernement ou à l'entité responsable.

Nous vous donnerons une réponse plus complète avec des exemples.

Le sénateur Poy: Je vous en saurais gré. Il serait intéressant de voir comment on assure l'exécution de ces décisions.

La présidente: Il y a sûrement une loi nationale, générale ou particulière, qui reconnaisse ces jugements. Au Canada, cela ne se ferait pas automatiquement, ni ailleurs, je présume. Est-ce ce que vous allez examiner?

M. Holmes: Nous examinerons la pratique. Encore une fois, comme je l'ai dit plus tôt, certains pays avec lesquels nous avons fait affaires à cet égard nous ont dit de ne pas nous inquiéter du respect des décisions, de ratifier tout simplement le traité. Ce qu'ils souhaitent, c'est que nous ratifiions la convention. Selon eux, nous pourrons nous inquiéter plus tard de l'exécution des décisions.

Ces pays ont-ils mis en oeuvre toutes les obligations prévues? D'après ce que nous ont dit certains interlocuteurs, je ne le crois pas.

La présidente: Ces informations nous seraient utiles.

Avez-vous dit que si nous ne signons pas la convention, nous pourrions quand même accepter de nous soumettre aux décisions de la cour? Y aurait-il une façon, que ce soit au cas par cas ou aux termes d'une autre convention, de nous assujettir à la cour sans signer la convention?

M. Holmes: Pas à la cour.

La présidente: Pourrions-nous nous assujettir à une décision particulière?

M. Holmes: Nous avons accès aux jugements ou avis de la cour. Nous pourrions demander à la cour un avis sur un sujet particulier, mais ce jugement ne serait pas exécutoire. Pour ce qui est de nous soumettre à une décision particulière, non, je crois savoir que nous devons d'abord ratifier la convention.

La présidente: Avons-nous eu recours au mécanisme consultatif, et sur quel genre de cause voudrions-nous un simple avis?

M. Holmes: Nous n'avons pas eu recours à ce mécanisme. Je crois que des avis ont été rendus dans le passé, mais j'ignore à quel sujet.

Mme Eid: Habituellement, il s'agit de demander des conseils sur l'interprétation de certaines dispositions de la convention. C'est ainsi que les États s'en sont servi pour déterminer l'interprétation d'une disposition particulière.

Nous sommes déjà assujettis à la commission; à l'heure actuelle, des particuliers peuvent présenter une pétition à la commission. Celle-ci est saisie d'une vingtaine de nos cas.

Soyons honnêtes. Nous avons eu des préoccupations au sujet de la commission. Ainsi, nous n'avons pas eu de décisions en 10 ans, sur quelque cause que ce soit. C'est une question de ressources, mais c'est aussi une question de crédibilité de la commission. Il y a aussi eu ce que nous appelons des demandes de mesures préventives, surtout dans le domaine de l'immigration, lorsque le Canada doit demander la suspension d'une expulsion pendant qu'on examine la pétition. Les fonctionnaires, surtout ceux de l'immigration, sont alors dans une position difficile lorsqu'aucune décision n'est rendue. C'est difficile et encombrant, et nous devons tenir compte de notre expérience avec la commission si nous envisageons d'adhérer à la cour.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Si je comprends bien, vous n'êtes pas d'accord à ce que le Canada ratifie la Convention. Vous préférez que le Canada reste comme il est, car il a un champ d'action plus vaste. Dans vos exposés vous remarquez le travail formidable que fait le Canada dans l'hémisphère. Avons-nous plus à gagner à rester tel que nous sommes plutôt que de ratifier la Convention américaine? Le Canada ne doit suivre personne. Nous avons une conception de juger les choses à la canadienne et non pas à l'américaine.

D'autre part, il apparaît dans ce texte que la Convention ne reconnaît pas le principe de l'action en faveur des groupes défavorisés. Si nous signons la Convention, que va devenir ce domaine spécifique? Si je ne me trompe pas, je déduis de vos exposés que le Canada ne doit pas signer la Convention, parce qu'on ne nous donne plus le pouvoir d'intervenir dans des champs d'activités que les américains ne considèrent pas assez importants. Nous devons commencer à penser à la canadienne et non pas à l'américaine.

Soit dit en passant, nous devrions réviser le contenu de nos exposés et de nos questions. Je crois qu'on devrait employer un langage plus simple, plus facile à comprendre. Bien sûr, nous sommes, autour de cette table, tous professeurs. Par contre, il peut être difficile pour les gens qui écoutent à la maison de comprendre de quoi nous parlons.

Je vous demande encore une fois, si vous pensez réellement que le Canada ne doit pas ratifier cette Convention?

Mme Bugailiskis: Nous ne sommes pas contre la Convention. Ce n'est pas notre travail ou notre rôle d'être pour ou contre. Le but était simplement de faire entendre l'avis des ministères et des personnes qui s'occupent de la question. Notre rôle est de présenter les problèmes et les défis qui demeurent afin de signer la Convention. Le rôle du Canada est de refléter le Canada et non pas les États-Unis. Nous sommes fiers de notre réputation. Notre réputation, comme l'ont dit mes collègues, est de signer les conventions avec toute autorité.

[Traduction]

Nous ne voulons pas émettre de réserves, et nous ne voulons pas signer, comme nos collègues du Sud l'ont fait parfois au sein du système onusien, des conventions internationales que nous ne respecterons pas. Je suis dans une situation difficile. Je redéfends les relations du Canada dans l'hémisphère et j'aimerais beaucoup régler cette question et voir le Canada ratifier la convention, mais je reconnais qu'il y a des difficultés juridiques. Notre système de justice est à la fois civil et de common law, et nous devons avoir l'appui des provinces et des territoires.

Il est vrai que certains de nos collègues de l'OEA nous ont critiqués. Certains nous demandent de ratifier la convention et veulent savoir pourquoi nous ne l'avons pas fait. Compte tenu du rôle que nous avons joué ces 12 dernières années, j'estime n'avoir aucune raison d'avoir honte. Je leur demande de comparer leur système au nôtre chaque fois que je le peux.

Pour ce qui est d'ouvrir la voie aux autres pays, encore une fois, dans l'ensemble, il s'agit d'offrir de l'aide et des directives dans le cadre de programmes d'aide que nous avons dans diverses régions, et d'assurer l'assistance technique, même s'il s'agit simplement de permettre les déplacements. Il est très important de pouvoir se rencontrer pour tenir des discussions aussi importantes. Et je continuerai de réprimander mes collègues.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: Les autres nations qui ont adhéré à cette Convention, les Américains entre autres, n'exercent-ils pas une pression sur le Canada pour qu'il signe cette Convention? Quels sont les intérêts de ce pays? Dix pays sur 23 qui n'ont pas signé la Convention.

Mme Bugailiskis: Il n'y a pas de pression de la part des américains parce qu'ils n'ont pas encore ratifié la Convention.

[Traduction]

Je ne fais pas l'objet de pressions à cet égard. Oui, certains États exercent des pressions, mais, encore une fois, c'est plutôt en passant, parce qu'on se demande pourquoi nous n'avons pas encore ratifié la convention. Toutefois, ces pays savent pertinemment que nous sommes actifs à bien d'autres égards.

Le sénateur Kinsella: Il me semble que l'importance des systèmes régionaux à l'échelle internationale doit être examinée en fonction de l'intérêt du Canada, comme l'a fait remarquer le sénateur Ferretti Barth. À mon avis, le respect des droits de la personne, c'est bon pour les affaires. Nous sommes essentiellement de nouveaux participants dans ces organismes hémisphériques avec l'ALE et l'ALENA qui incluront à plus ou moins long terme d'autres pays d'Amérique du Sud. Ce ne sont là que les premières étapes. Par conséquent, je tiens à ce que nous ayons un système de droits de la personne très solide dans les diverses régions de l'hémisphère.

Je considère que le système régional africain a échoué. Nous pouvons beaucoup apprendre du système européen, par contre, depuis l'époque du Traité de Rome, tant en ce qui concerne leur système de droits civils et politiques et en particulier la charte sociale européenne. Ce système, bien qu'il comporte des problèmes, s'est avéré assez efficace à bien des égards.

Dans le contexte de la politique que nous élaborerions dans le cadre de notre examen visant à déterminer si nous devons ratifier la convention américaine comme moyen d'accroître notre participation au système américain, fait-il aussi partie de cette stratégie d'être des intervenants à part entière dans la redéfinition d'un système hémisphérique de droits de la personne qui sera avantageux pour nous sur le plan économique comme il l'est pour eux à l'ère de la mondialisation?

Il ne s'agit pas d'un exercice théorique; c'est un exercice pratique.

M. Holmes: Je ne peux commenter que l'aspect pratique, l'aspect codification. Nous participons au processus. Comme Mme Bugailiskis l'a indiqué, nous prenons une part relativement active à l'élaboration de la déclaration interaméricaine relative aux droits des peuples autochtones, et il arrive parfois que de nouveaux instruments dont on débat débordent le cadre proprement dit des droits de la personne. Mme Bugailiskis a parlé de la convention interaméricaine sur le terrorisme; nous avons participé à des instruments concernant les armes à feu entre autres.

Nous sommes conscients de la difficulté de retourner en arrière pour modifier certains instruments, comme la convention américaine, mais cela ne devrait pas nous empêcher de jouer le rôle positif, comme Mme Bugailiskis l'a décrit, que nous voulons jouer dans l'hémisphère. Il ne fait aucun doute qu'en ce qui concerne la codification, nous y prenons une part active et nous faisons de notre mieux pour nous assurer de pouvoir envisager sans inquiétude les démarches adoptées.

La présidente: Je tiens à préciser que le comité tâche d'explorer toutes les possibilités quant à la promotion d'une notion universelle des droits de la personne. Cela signifie que nous examinons la déclaration universelle et tous les mécanismes en vigueur aux Nations Unies, mais nous savons aussi qu'il existe des mécanismes d'appui. Au bout du compte, nous espérons qu'ils s'acheminent tous dans la même direction. Par conséquent, nous devrions examiner la convention dans cet hémisphère afin de déterminer si nous devrions y adhérer ou si nous devrions entamer un débat plus général, comme l'a indiqué le sénateur Kinsella. Nous voulons sortir des sentiers battus et examiner les moyens de promouvoir un plus grand respect des droits de la personne tout en utilisant un mécanisme hémisphérique.

Cela dit, j'espère que les deux ministères tiendront compte de ce qui représente la meilleure option pour les Canadiens. La meilleure option consiste-t-elle à signer une convention qui nous inspire de nombreuses réserves, et qui est susceptible de créer des problèmes lorsque nous voudrons convaincre d'autres parties d'adhérer à d'autres instruments, ou est-il préférable que nous ne signions pas du tout la convention et que nous nous en tenions à cette position? Nous avons lancé une campagne afin de convaincre d'autres parties de ratifier la convention et, par conséquent, nous ne voulons pas émettre de réserves, mais le message que nous transmettons alors à la communauté internationale c'est que nous pouvons décider s'il y a vraiment lieu d'y adhérer. Ils ont montré du doigt le Canada en disant: «Nous n'adhérerons pas à cette convention». Le Canada n'a jamais signé la convention de l'Organisation des États américains.

Il faut regarder les deux côtés de la médaille. Je ne crois pas que ce comité ait tiré de conclusions. Nous venons de commencer notre étude. Nous aimerions avoir des renseignements sur ce que j'appellerais les avantages et les inconvénients des mécanismes dont nous disposons et du type de réflexion qui s'inscrit dans l'ensemble du processus. Il existe peut-être de nouvelles initiatives dont nous ne sommes pas au courant. Vous pourriez peut-être nous donner plus de précisions sur la façon d'aborder toute cette question à une date ultérieure. Il faut tenir compte des aspects politiques et économiques de même que de ceux qui se rapportent aux droits de la personne, et nous voulons être sûrs de connaître tous les facteurs qui interviennent.

Je tiens à vous remercier d'avoir été des nôtres. Nous espérons recevoir de l'information quant aux réserves qui existent. Nous aimerions en avoir autant que vous pourrez nous en donner. Idéalement, nous aimerions savoir au-delà de l'article 4, qui semble davantage du domaine public que les autres — quelles sont au juste les réserves qui existent à l'échelle gouvernementale. Nous vous saurions reconnaissants de nous fournir cette information dans la mesure où vous pouvez la communiquer pleinement. À défaut le mieux serait peut-être une liste générale, mais nous aimerions avoir de l'information à ce sujet. Notre dilemme consiste en partie à assurer cette transparence de manière à avoir un débat en bonne et due forme qui nous permet de connaître tous les aspects de la question. Nous vous remercions de nous avoir aidés à lancer notre débat ici ce soir.

Notre prochain témoin est M. Timothy Ross Wilson. M. Wilson nous a été recommandé non seulement en raison de son travail précédent au Sénat ou de son nouveau travail à la Cour suprême, mais en raison de sa carrière universitaire. Il est l'auteur d'une étude sur la cour interaméricaine. Nous nous sommes dit que cette information serait utile au comité. Une partie de cette information a été distribuée aux membres du comité. Nous vous remercions des documents que vous nous avez fournis. Nous tâchons de trouver autant de gens que possible qui auraient examiné le travail de la Cour, et je dois admettre qu'ils ne sont pas aussi nombreux que nous l'aurions cru. Nous vous remercions de comparaître à titre personnel pour nous parler du travail que vous avez fait en tant qu'universitaire.

M. Timothy Ross Wilson: Honorables sénateurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous. J'ai présenté mon document parce que lorsque je me suis entretenu avec le greffier, il m'a indiqué que vous vous intéressiez au système interaméricain. Je lui ai dit que j'avais fait du travail dans ce domaine. Ce document n'est pas à jour, mais je peux certainement le présenter au comité.

Je suis très honoré de comparaître devant vous, madame la présidente. Je sais que vous êtes éminemment qualifiée dans le domaine des droits de la personne en tant qu'ancienne juge de la cour provinciale, fondatrice du Tribunal de la famille de Regina et représentante permanente du Canada auprès de la Commission des droits de l'homme des Nations Unies de 1988 à 1993.

Je félicite aussi le comité pour le travail qu'il a accompli depuis sa création. Je crois qu'il fonctionne depuis environ un an maintenant et son premier rapport de fond publié en décembre 2001 promet d'assurer la mise en oeuvre des obligations du Canada en matière des droits de la personne. Dans son rapport, on indique que les six principaux traités des droits de la personne exigent la présentation périodique de rapports de conformité et que seulement quatre des six traités prévoient des mécanismes de recours individuels qui sont facultatifs pour les États parties. On y indique également que le Canada participe aux procédures de traitement des plaintes individuelles dans le cadre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le comité a indiqué que les vues et décisions de ces instances de surveillance de l'application des traités ne lient d'aucune façon le Canada, que ce soit en vertu du droit international ou national.

Je crois comprendre que l'une des questions que le comité examine à l'heure actuelle est l'adhésion possible du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, et bien sûr le comité a entendu d'autres témoignages à cet égard, que j'ai trouvés instructifs.

Vous avez indiqué dans votre rapport que le Canada est membre de l'OEA depuis plus de 10 ans, mais qu'il n'a pas signé ou ratifié cette convention. De toute évidence, les témoins qui ont comparu devant vous étaient divisés quant à savoir s'il était prudent de la part du Canada de ratifier la convention. Les réserves exprimées à propos de certaines dispositions de la convention font contrepoids à l'idéal de la pleine participation au régime des droits de la personne de l'OEA. On a abordé une des réserves. Simplement après avoir lu la convention cette fin de semaine, j'en ai relevées beaucoup plus, sur lesquelles je n'ai pas l'intention de m'étendre.

Vous avez indiqué que cela fera l'objet d'une étude approfondie. C'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui. Si cela peut vous être d'une quelconque utilité, je me propose de partager avec vous mon interprétation du fonctionnement quotidien de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Je dois dire dès le départ que contrairement aux deux autres instruments internationaux qui permettent aux Canadiens de déposer des plaintes concernant les droits de la personne, la convention américaine prévoit un mécanisme qui lierait le Canada si le Canada ratifiait la convention et acceptait la compétence obligatoire de la Cour interaméricaine des droits de l'homme. C'est une mesure qui a d'énormes conséquences et qui ne doit donc pas être prise à la légère.

Dans un instant, je vais vous décrire la cour. J'y suis allé à plusieurs reprises pour faire de la recherche dans sa bibliothèque. Je pense qu'il serait utile d'en faire la description selon la perspective de quelqu'un qui connaît assez intimement le processus. J'ai préparé plusieurs documents. Comme mon document original est extrêmement long, j'ai essayé de le condenser en plusieurs documents plus utiles, que vous devriez avoir sous les yeux. Je vous les laisse. Je vais parcourir avec vous le document d'une page sur la marche à suivre pour la présentation de requêtes.

Si vous avez des questions, je tâcherai d'y répondre. Si je n'ai pas la réponse, je m'engage, par l'intermédiaire de votre greffier très efficace, M. Heyde, à y répondre afin qu'il puisse transmettre les réponses au comité.

Madame la présidente, je tiens à préciser que les opinions que j'exprime sont exclusivement personnelles et qu'elles n'engagent d'aucune façon mon employeur, la Cour suprême du Canada.

La présidente: Si le témoin fait allusion au document d'une page, je crois comprendre qu'il s'agit de la première page d'un document grand format.

M. Wilson: Il s'agit de la page 1. Elle est intitulée «Inter-American Human Rights System Procedure for Petitions from Individuals».

Je n'ai pas mis ce document à jour depuis 1998. Je crois comprendre que vous comptez parmi vos collaborateurs une spécialiste du régime des droits de la personne de l'OEA. Je suis sûr qu'elle n'aura, de même que vos attachés de recherche, aucune difficulté à mettre à jour les renseignements que je vous fournirai.

Au cours des prochaines minutes, j'espère vous permettre de mieux comprendre le régime interaméricain des droits de la personne et son fonctionnement. Je crois comprendre que vous voulez savoir s'il est efficace. C'est une très bonne question. C'est la question fondamentale.

Je ne propose pas de vous aider quant aux aspects politiques du choix que vous devrez faire, à savoir s'il y a lieu de ratifier et d'accepter la compétence obligatoire de la cour. Cela dépasse mes connaissances et mon expérience.

Ma perspective est celle d'un étudiant du régime qui a eu le privilège de séjourner au Costa Rica pendant une assez longue période. Je dois rendre hommage à mon professeur, Yves le Bouthillier, de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa, qui m'a été d'une grande aide tout au long du processus et qui m'a fourni son appui et ses conseils de façon constante.

Cela dit, honorables sénateurs, on peut constater à la page 1 de mon bref document qu'il existe essentiellement deux façons de déposer une plainte auprès du système. Elle peut être déposée par le biais d'une communication inter-États ou par le biais d'une requête émanant d'un particulier. Une communication inter-États désigne une plainte déposée par un État selon laquelle un autre État ne respecte pas l'un des instruments des droits de la personne. À ma connaissance — et les attachés de recherche pourront me corriger si je me trompe — je ne crois pas que des plaintes inter-États aient été déposées jusqu'à présent. Je vais donc laisser cet aspect de côté et me pencher sur le processus de requête à titre personnel.

Vous pourrez constater également d'après mon document de questions et réponses que la cour se trouve au Costa Rica et que la commission se trouve à Washington, D.C. On constate immédiatement que ce n'est pas un processus très efficace car il faut s'adresser aux deux instances dans le cadre du régime.

Ici à Ottawa, on peut s'adresser à la Cour d'appel fédérale et franchir les étapes jusqu'à la Cour suprême. Donc le processus ici est beaucoup plus efficace.

La requête est reçue par le secrétariat et elle fait l'objet d'un traitement initial. Très peu de temps après, on fournit un accusé de réception à l'auteur de la requête. C'est ce que l'on appelle l'acceptation de principe. Cela ne signifie pas que cette requête ne peut pas être refusée par la suite si elle est jugée irrecevable, pour des motifs d'inadmissibilité, mais pour l'instant elle est acceptée en principe.

Le secrétariat présentera une demande d'information à l'État partie en lui donnant 90 jours et jusqu'à 180 jours pour répondre. La réponse de l'État partie est alors transmise au requérant ou à son représentant. Souvent, la victime de l'infraction est morte. Par conséquent, une personne est chargée de représenter le requérant.

Le requérant ou son représentant a 30 jours pour présenter des observations sur la réponse de l'État partie. Par la suite, l'État partie dispose de 30 jours pour répondre aux observations du requérant, comme dans un procès civil où les parties échangent des renseignements.

Puis la commission examine le cas. Nous avons maintenant dépassé l'étape du secrétariat et c'est la commission qui est saisie de la requête. Elle décide si la requête est recevable. Les articles 46 et 47 de la convention énumèrent une série de critères, que vous pouvez consulter si vous le souhaitez, le principal étant que toutes les voies de recours internes aient été épuisées. C'est habituellement la première objection qu'un État partie opposera à une pétition: vous n'avez pas utilisé tous les recours qui existent dans votre propre pays, alors ne vous adressez pas à nous.

Tout au long du processus, on peut discuter de règlements, que l'on appelle des règlements amiables. La commission est censée offrir son aide à cet égard. Cet aspect du rôle de la commission fait l'objet de certains critiques dans la documentation, mais il existe.

En cas de règlement amiable, la commission prépare un rapport qui sera publié. Cependant, s'il est impossible d'en arriver à un règlement amiable, la commission entendra la preuve, si elle a décidé que la pétition est recevable. Il y a alors une audience. La commission prépare un rapport confidentiel. Ce rapport confidentiel fait l'objet d'une certaine controverse dans la documentation. Il s'agit du rapport prévu à l'article 50. Il s'agit de déterminer si le rapport doit être transmis uniquement à l'État partie ou à l'État partie et au requérant. Je dirais qu'à l'heure actuelle on ne s'est pas encore prononcé de façon définitive à cet égard.

Si aucune mesure satisfaisante n'est prise par l'État partie dans un délai de 90 jours, la commission peut renvoyer l'affaire devant la cour, mais uniquement, comme les témoins précédents l'ont expliqué, si l'État partie a ratifié la convention et a accepté la compétence obligatoire de la cour. Il faut donc que ces deux conditions soient remplies pour que l'affaire soit déférée à la cour.

La commission peut préparer un rapport final, c'est-à-dire le rapport prévu à l'article 51, qui renferme des recommandations sur les mesures à prendre pour remédier à la situation et le délai dans lequel ces mesures doivent être prises.

La commission peut publier un rapport final, et c'est là où s'arrêtent les recommandations de la commission.

Partons du principe qu'il s'agit d'un pays qui a ratifié la convention et qui a accepté la compétence obligatoire de la cour. La commission a alors l'option de soumettre l'affaire — car il s'agit alors d'une affaire — à la cour à San José. Le président de la cour va examiner la pétition. Si elle comporte des lacunes, le requérant dispose de 20 jours pour apporter les correctifs nécessaires. Le président de la cour soumet les observations à l'attention de divers fonctionnaires et des parties intéressées. Des objections préliminaires peuvent être soulevées dans les deux mois qui suivent l'avis. Il s'agit des mêmes objections préliminaires qui ont été soulevées devant la commission. Il y a double emploi ici, ce que l'on critique sévèrement dans la documentation.

Si vous le souhaitez, vous trouverez à la fin de mon document des propositions de réformes, présentées par d'autres et par moi-même. J'estime qu'il y a beaucoup d'améliorations qui pourraient être apportées au système.

Au point 19, le bien-fondé peut être contesté pendant une période de quatre mois suivant l'avis. La commission peut informer la cour bien avant l'audience qu'un représentant de la victime pourra prêter son aide aux délégués de la commission.

Je vais procéder un peu plus lentement parce qu'il s'agit d'une question assez complexe.

La présidente: Nous nous rendons compte qu'il s'agit d'une façon plutôt bureaucratique de procéder.

M. Wilson: Ce système diffère nettement de notre système judiciaire.

La cour peut entendre la preuve à nouveau. C'est la commission qui présente l'affaire devant la cour. La victime ou le représentant de la victime n'a aucun statut juridique devant la cour. Par conséquent, le délégué plaide la cause du requérant et peut être aidé par le représentant du requérant. Ici encore, un règlement amiable est possible à n'importe quel stade. Cependant, il ne peut y avoir aucun règlement amiable jusqu'à ce que la cour entendre d'abord le représentant de la victime ou le parent de la victime.

À la fin du processus, la cour rend un jugement motivé accompagné dans certains cas d'opinions dissidentes. Habituellement, l'ordonnance de la cour est exécutoire dans les divers pays. Elle est identique à une ordonnance de leurs propres tribunaux. Les dommages-intérêts et la réparation deviennent une ordonnance de la cour du pays visé.

La présidente: Vous avez indiqué qu'il y a une commission, puis la cour. On semble beaucoup insister, ce qui peut être bon et mauvais, pour que l'on essaie d'en arriver à un règlement. Il existe un rôle de médiation. D'après votre étude, s'agissait-il d'une médiation efficace? A-t-elle permis de régler certains problèmes?

Lorsque que vous étiez là, sur quoi portaient les cas? Vous n'arrêtez pas de parler de victimes. Est-ce que nous parlons de mort ou d'autres violations des droits de la personne?

Enfin, vous dites que la cour peut entendre la preuve de novo, ce qui signifie la tenue d'un procès. À quoi ressemble le procès? Est-ce un modèle qui s'inspire de l'application régulière de la loi, à laquelle nous sommes habitués, où une partie présente son cas, l'autre partie défend sa position puis la cour rend une décision; ou s'agit-il d'un modèle différent qui s'apparente davantage au procès civil où le juge a un rôle plutôt interrogatoire?

M. Wilson: Malheureusement, lorsque j'étais là, la cour n'a pas siégé. Elle siège seulement deux fois par année. Je suis allé dans la salle du tribunal, qui est plus petite que cette salle-ci. Il y a sept juges et la victime est représentée par un délégué de la commission. Il y a des témoins. Il peut y avoir des témoins experts. Cela ressemble un peu à une audience d'une cour d'appel, ce qui, comme vous pouvez l'imaginer, n'est probablement pas la façon la plus efficace d'entendre la preuve.

Le sénateur Kinsella: Penchons-nous sur le cas des desaparacidos et des detenidos dans plusieurs pays d'Amérique du Sud. Ils déposent une plainte, ou leur association dépose une plainte. Lorsque la commission rend sa décision quant à savoir si elle est recevable, ils ont disparu. Le système prévoit-il des mesures qui protègent le requérant contre les représailles de façon à ce que si quelqu'un dépose une communication auprès de la commission, ce qui représente la première étape, cette personne bénéficiera d'une certaine protection contre des représailles dans son pays d'origine?

M. Wilson: Oui. La commission peut demander à la cour d'ordonner des mesures provisoires.

Le sénateur Kinsella: Il me semble que le travail de la commission interaméricaine des droits de l'homme dans le cas du Chili au milieu des années 80 a été efficace. Qu'en pensez-vous? Est-ce une bonne étude de cas qui permet d'établir l'efficacité du système?

M. Wilson: Pour vous répondre avec précision, il faudrait que je fasse de la recherche sur ce cas en particulier. Je dirais que l'efficacité de la commission se trouve extrêmement restreinte simplement en raison du nombre de violations commises dans les années 80. Tout ce que la commission peut faire en fait c'est de préparer un rapport final.

Le sénateur Kinsella: Ici, dans vos propres notes, vous dites «si» l'affaire est portée devant un tribunal. De façon générale, cela ne diffère pas vraiment de la situation qui existe ici au Canada en ce qui concerne les commissions des droits de la personne. Les commissions se trouvent à jouer le rôle de défenseurs si elles reçoivent une plainte et qu'elles la jugent fondée. Si elles n'arrivent pas à obtenir un règlement, en vertu de la loi fédérale sur les droits de la personne, la plainte est transmise à la Commission canadienne des droits de la personne. En ce qui concerne les lois provinciales des droits de la personne, la plainte est transmise à une commission d'enquête. La commission, dans bien des cas, s'occupe de défendre la cause. Selon ce modèle, c'est la commission des droits de la personne qui s'occuperait de défendre la cause. Cela ne diffère pas tellement de notre système.

Combien de jugements la cour a-t-elle rendus? Dans combien de cas dispose-t-on d'indications selon lesquelles l'État contre lequel le jugement a été rendu s'y est conformé?

M. Wilson: Il s'agit d'un nombre extrêmement restreint.

Le sénateur Kinsella: Pouvez-vous en tirer une conclusion générale? Le système n'est pas vraiment efficace.

M. Wilson: En 1998, la cour avait rendu, je crois, 13 jugements, une vingtaine d'années après sa création. Les cas soumis à la cour ne sont pas très nombreux. La commission ne soumet que très rarement des cas à la cour, laquelle ne peut accepter des cas de sa propre initiative parce qu'ils doivent lui être déférés par la commission. Elle peut fournir des avis consultatifs mais elle ne peut pas accepter de cas ou de requête à proprement parler. Par conséquent, on peut considérer comme une victoire le simple fait d'accéder au système, sans parler d'obtenir gain de cause devant la cour. Compte tenu du fait que la cour n'ait été saisie que de 12 à 15 causes en 20 ans et de l'ampleur des violations des droits de la personne les plus fondamentaux, par exemple le droit à la vie, ce système est à peine symbolique.

La présidente: Compte tenu de ce que vous venez de dire, avez-vous réussi à déterminer pourquoi la commission a accepté si peu de cas? D'après ce que vous semblez dire, les demandes présentées à la commission étaient fondées et pourtant il y en a très peu qui ont franchi toutes les étapes du processus. A-t-on tendance à préférer la médiation et à vouloir éviter de désigner un coupable, ou y a-t-il un autre facteur qui entre en ligne de compte?

M. Wilson: Vous constaterez qu'à la page 83 de mon document, j'indique que nous n'avons pas de chiffres solides de la commission. Nous ignorons le nombre de pétitions qui sont présentées et nous ignorons le nombre qui ne sont jamais étudiées. Nous savons toutefois qu'un certain nombre de requêtes sont déclarées recevables chaque année et qu'un très petit nombre d'entre elles sont effectivement déférées à la cour.

La présidente: Les requêtes dont est saisie la commission sont de toute évidence assez confidentielles. Les chercheurs ou les États parties ont-ils l'occasion de consulter cette information?

M. Wilson: Je ne suis pas allé à la commission qui se trouve à Washington, DC. Je suis allé à San Jose, au Costa Rica, donc j'ignore quelles sont au juste les restrictions qui existent en matière d'accès. Cependant, je sais qu'au début du processus, lorsque la commission demande des renseignements à l'État partie, elle protège l'identité du requérant. Cela ne fait aucun doute.

[Français]

Le sénateur Ferretti Barth: La liste des étapes à suivre dans le processus de pétition d'un individu est assez longue, n'est-ce pas?

M. Wilson: En effet.

Le sénateur Ferretti Barth: La rédaction du rapport final de cette entreprise va prendre combien de temps?

M. Wilson: Le pire cas que j'ai vu a pris 14 ans.

Le sénateur Ferretti Barth: Alors l'individu a le temps de mourir.

M. Wilson: Ou est déjà mort.

Le sénateur Ferretti Barth: N'existe-t-il aucune façon de réduire le temps requis pour arriver à une conclusion? Parce que si vous dites que le pire cas a mis 14 ans, les autres cas peuvent mettre neuf ans, huit ans, sept ans à y arriver.

M. Wilson: Oui, c'est courant. Je pense que la résolution la plus rapide que j'ai vue c'est un an, mais cela était phénoménal.

Le sénateur Ferretti Barth: Vous rappelez-vous de quel cas il s'agissait?

M. Wilson: Non, je n'ai pas le nom devant moi. Toutefois, je peux le transmettre à votre greffier.

Le sénateur Ferretti Barth: Les coûts liés à toutes ces étapes légales effectuées auprès de la Commission sont payés par qui?

M. Wilson: Excellente question, sénateur. À mon avis, pour passer à travers le système il faut avoir de son côté un ONG, un organisme non-gouvernemental. Un individu en particulier comme vous et moi, en tant que pétitionnaire, disons que je vienne d'un pays quelconque, des Amériques, des Caraïbes, et que je subisse une violation de mes droits. Si je suis encore vivant, j'essaie de me plaindre. Est-ce que je vais voyager? D'abord, est-ce que je peux écrire? Est-ce que je peux envoyer ma plainte à Washington? Vont-ils me répondre? Il faut éventuellement que j'aille présenter des preuves. Ce sont là des obstacles incroyables.

Il existe un ONG du nom de CEJIL — et je n'ai pas le nom, mais il s'agit du comité pour la justice — c'est le plus gros ONG qui travaille dans ce domaine.

Le sénateur Ferretti Barth: Pour assister les victimes?

M. Wilson: Exactement. Ils choisissent leurs causes et font un très bon travail. J'ai parlé avec les avocats et les avocates de CEJIL et c'est admirable. Mais qu'arrive-t-il si CEJIL vous disent non?

Le sénateur Ferretti Barth: Il n'y a aucun recours?

M. Wilson: Aucun recours.

Le sénateur Ferretti Barth: Mais qui décide si la cause est valable ou non? Il doit y avoir une commission ou un comité.

M. Wilson: À CEJIL on œuvre dans le but de créer de la jurisprudence. On va donc essayer de trouver des causes sans précédents pour l'avancement du droit. Donc, si vous êtes une autre victime de génocide, par exemple, ce cas aura déjà été établi.

Le sénateur Ferretti Barth: Ce sera alors facile.

M. Wilson: Il s'agit donc d'avoir une cause où il n'existe aucun précédent.

Le sénateur Ferretti Barth: L'individu normal n'obtient donc pas l'appui de l'ONG.

M. Wilson: Exactement.

Le sénateur Ferretti Barth: Alors où sont les droits de la personne?

M. Wilson: Cela dépend de plusieurs facteurs politiques.

[Traduction]

La présidente: Monsieur Wilson, je tiens à vous remercier d'avoir comparu devant le comité pour l'aider à lancer le processus. Les renseignements que vous nous avez fournis nous seront utiles à titre documentaire. Vous nous avez présenté une perspective canadienne du processus bureaucratique qui se rattache à cette question.

La séance est levée.


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