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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 11 - Témoignages du 3 juin 2002


OTTAWA, le lundi 3 juin 2002

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 16 h 05 pour l'étude de l'adhésion du Canada aux instruments internationaux en matière de droits de la personne et des modalités en vertu desquelles il adhère à ces instruments, les met en application, et en fait rapport.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Honorables sénateurs, le comité se réunit aujourd'hui pour reprendre l'étude de l'adhésion du Canada aux instruments internationaux en matière de droits de la personne. Nous nous demandons en particulier si le Canada devrait adhérer à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Dans le rapport de décembre 2001 du comité, intitulé «Des promesses à tenir: Le respect des obligations du Canada en matière de droits de la personne», on indiquait en effet que cette question devait faire l'objet d'une étude détaillée.

Après avoir entendu le plus vaste éventail de témoins possible, le comité analysera les enjeux avant de formuler des recommandations et des commentaires à l'intention du Sénat. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir Mme Sungee John du Comité canadien d'action sur le statut de la femme, et Mme Jennifer Kitts et Mme Katherine McDonald d'Action Canada pour la population et le développement.

Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme (CCASF) a été établi en 1971. Il s'intéresse à des questions comme l'élimination de la pauvreté chez les femmes et les enfants, les services de garde universels, la participation pleine et entière des femmes à la gouvernance, l'élimination du racisme et la protection des droits génésiques des femmes.

Le deuxième groupe, Action Canada pour la population et le développement, a vu le jour en 1997. L'organisme a pour but de mobiliser la société civile afin d'encourager le gouvernement canadien à respecter ses engagements internationaux, en particulier ceux qui découlent de la Conférence internationale sur la population et le développement de 1994, qui s'est déroulée au Caire.

Mme Kitts, qui prendra la parole en premier, s'intéresse en particulier à la santé des femmes, aux droits de la personne et à la bioéthique. Elle a travaillé auprès de commissions royales, d'ONG, de l'ACDI, de l'OMS et d'autres organismes du domaine de la santé. Elle enseigne également à l'école de droit de l'Université d'Ottawa.

Mme Jennifer Kitts, conseillère principale, Droits en matière de sexualité et de reproduction, Action Canada pour la population et le développement: D'entrée de jeu, je tiens à remercier le comité de mettre une tribune à la disposition des groupes et des particuliers désireux de s'exprimer sur cette question d'importance. À titre d'organisme préoccupé par les droits de la personne, de même que par les droits en matière de sexualité et de reproduction, Action Canada pour la population et le développement (ACPD) étudie avec soin le problème d'une éventuelle ratification par le Canada. Nous venons tout juste d'entreprendre notre examen, et nous n'avons pas encore discuté de la question avec l'ensemble des groupes et des particuliers qui doivent être consultés.

En effet, on doit consulter d'autres groupes canadiens voués à la défense des droits en matière de sexualité et de reproduction, par exemple la Fédération pour le planning des naissances du Canada et l'Association canadienne pour le droit à l'avortement. Nous devons également entendre un large éventail d'organismes latino-américains. Nous travaillons en étroite collaboration avec un certain nombre d'organismes voués à la défense des droits génésiques aux États-Unis, et nous avons entrepris des consultations auprès d'eux pour en apprendre davantage au sujet du débat actuellement en cours aux États-Unis.

Nous tenons à préciser d'emblée que nous sommes conscients des avantages potentiels extraordinaires que pourrait entraîner la ratification du traité par le Canada. Nous sommes entièrement d'accord avec Droits et Démocratie et d'autres pour dire que la participation pleine et entière du Canada à ce régime interaméricain des droits de la personne aurait pour effet de renforcer ce dernier de façon tout à fait considérable.

L'article 4.1, qui protège le droit à la vie, en général, à partir de la conception, nous préoccupe.

Comme vous le savez, il s'agit d'une disposition à caractère unique. On ne retrouve pas de libellé de ce genre dans d'autres traités internationaux sur les droits de la personne. À titre d'exemple, l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques porte ce qui suit: «Le droit à la vie est inhérent à la personne humaine.» On n'y précise pas que la vie débute dès le moment de la conception. Dans la Convention européenne des droits de l'homme et dans la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, on ne précise pas non plus que la vie débute dès l'instant de la conception.

Dans la décision Baby Boy, la commission affirme que l'expression «en général» a été introduite pour conférer aux États membres de la souplesse relativement à leurs dispositions législatives en matière d'avortement. On y a vu un compromis entre les forces pro-choix et pro-vie en jeu au moment de la négociation du traité. Certaines nations ont recommandé que la mention «à partir de la conception» soit supprimée pour que le texte corresponde au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. D'autres nations ont exprimé leur désaccord.

On a fait grand cas de la décision Baby Boy. Je tiens à faire état de quelques préoccupations. Premièrement, elle n'a pas pour effet de garantir le résultat de litiges futurs. Il s'agit d'une décision de la commission, et les décisions de la commission ne sont pas contraignantes. Jusqu'ici, la commission a refusé d'entendre d'autres causes portant sur les conséquences de l'article 4.1 sur les dispositions législatives en matière d'avortement. Cependant, rien ne garantit qu'il en restera ainsi à l'avenir. En outre, la composition de la commission pourrait changer.

Deuxièmement, l'avortement au Canada ne bénéficie pas d'un cadre législatif. Certains analystes juridiques, y compris le Canadien William Schabas, ont laissé entendre qu'il faudrait peut-être adopter une réglementation en matière d'avortement pour respecter l'article 4.1, étant donné l'approche interprétative adoptée par la commission dans la décision Baby Boy.

En fait, on retrouve dans cette décision certaines formulations troublantes. J'attire en particulier votre attention sur la fin du paragraphe 14. Au moment de déterminer si un avortement contrevient à l'article 4, on doit se demander, selon la commission, s'il s'agit d'un acte arbitraire. Elle affirme ensuite que l'avortement effectué sans motif substantiel pourrait contrevenir à l'article 4.

De toute évidence, cette situation suscite chez nous des inquiétudes. La commission affirme qu'un avortement effectué de façon arbitraire — sans définir le terme — effectué sans motif substantiel — aspect une fois de plus sujet à interprétation — pourrait contrevenir à l'article 4.

En ce qui concerne les avantages extraordinaires pour le régime des droits de la personne, notre organisme s'est demandé comment nous pourrions ratifier la convention à la lumière du libellé préoccupant de l'article 4.1. Une éventuelle ratification aurait des répercussions pratiques, politiques et juridiques.

Premièrement, il fait peu de doute que les groupes pro-vie utiliseraient la ratification par le Canada d'un traité régional sur les droits de la personne protégeant la vie à partir de la conception pour plaider en faveur de l'octroi d'une protection juridique plus grande au fœtus. Depuis l'arrêt Morgentaler, des pressions constantes s'exercent pour que le fœtus bénéficie d'une protection juridique plus grande. S'il est vrai que les politiciens d'aujourd'hui semblent réticents à l'idée de rouvrir le débat sur l'avortement, la situation pourrait changer.

À la suite de l'arrêt Morgentaler rendue en 1988, on a été témoins d'une série d'affaires portant sur la question de l'octroi d'une protection juridique plus grande au fœtus. Il y a eu l'arrêt Tremblay en 1989, l'arrêt Sullivan et Lemay en 1991, l'arrêt Office des services à l'enfant et à la famille de Winnipeg en 1997 et l'arrêt Dobson en 1999. Dans chacun des cas, on a affirmé que ce n'était pas aux tribunaux d'assurer la protection juridique du fœtus. Cependant, on y précise que cette tâche revient à l'assemblée législative.

Immédiatement après l'arrêt Morgentaler, le gouvernement fédéral a déposé un projet de loi visant à recriminaliser l'avortement. Aux termes du projet de loi C-43, l'avortement était un crime sauf lorsqu'un médecin était d'avis que la vie ou la santé de la femme était en danger. L'avortement était passible d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximum de deux ans. Le projet de loi a été adopté par la Chambre au terme d'un vote de 140 contre 131, avant d'être défait de justesse au Sénat. Là, le vote a été de 44 contre 43. Si le débat sur l'avortement semble aujourd'hui relativement apaisé, il en était tout autrement il y a une décennie.

En matière de droits génésiques, nos préoccupations ont une assise internationale puisque la plupart de nos travaux s'effectuent sur la scène internationale. Il suffit de jeter un coup d'œil à la réussite de l'administration Bush au niveau international — qu'elle s'efforce de reproduire au niveau intérieur — pour comprendre que les gains réalisés dans le domaine des droits génésiques pourraient être annulés. Sous l'administration Bush, il est à craindre que Row c. Wade, arrêt de 1973 en vertu duquel certaines interdictions pénales en matière d'avortement ont été jugées contraires à la constitution, pourraient être annulées. Si le président Bush désigne à la Cour suprême un juge opposé au droit de choisir, Row c. Wade pourrait bien mordre la poussière. Le président Bush a établi clairement que, s'il en a l'occasion, il désignera un juge pro-vie.

Nous savons que la libéralisation des dispositions législatives en matière d'avortement en Amérique a été l'un des facteurs qui ont influencé les juges dans l'arrêt Morgentaler; l'annulation de Roe c. Wade se traduirait sans contredit par un regain d'activité du mouvement pro-vie au Canada.

À l'extérieur des États-Unis, on a été témoin d'un certain nombre de phénomènes internationaux, en partie imputables au programme de l'administration Bush, qui a eu des effets dévastateurs. Le lendemain de son entrée en poste, le président Bush a rétabli ce qu'on appelle la «règle du bâillon mondial». Cette loi interdit le financement par les États-Unis d'organismes étrangers qui pratiquent des avortements ou participent à des discussions ou à des débats publics sur l'avortement, même avec leur propre argent. Cette décision a un effet marqué sur les services de santé génésique partout dans le monde, étant donné que les États-Unis ont refusé de financer de petits organismes voués à la défense des droits génésiques s'ils osent simplement évoquer l'avortement.

Nous venons tout juste de rentrer de la Session extraordinaire des Nations Unies consacrée à l'enfance, qui a eu lieu au début du mois de mai. À l'occasion de cette session, les droits génésiques des adolescents ont été l'enjeu le plus litigieux. Pour vous fournir plus de renseignements sur le débat, je vous ai fait porter quelques documents préparés par notre organisme en prévision de la séance extraordinaire, notamment un article que nous avons écrit pour le Journal de l'Association médicale canadienne et un éditorial de Mme McDonald, paru dans le Globe and Mail.

L'administration Bush a fait front commun avec des pays comme le Soudan, la Libye, l'Iran et le Pakistan pour obtenir que l'on fasse marche arrière dans le domaine des droits liés à la sexualité et à la reproduction. À la suite du singulier engagement pris par l'administration Bush de faire reculer les droits génésiques pour tous, des groupes et des gouvernements pro-vie des quatre coins du monde débordent d'une énergie qu'on ne leur avait pas connue depuis des décennies.

Au moment de déterminer si le Canada devrait ou non ratifier le traité, on ne peut faire abstraction du contexte plus général des droits en matière de sexualité et de reproduction et des reculs qu'on dénote aujourd'hui. En Amérique du Nord, le Canada fait aujourd'hui cavalier seul comme défenseur des droits en matière de sécurité et de reproduction. À la lumière de la situation observée aux États-Unis, l'attitude aujourd'hui adoptée par le Canada revêt une importance plus grande que jamais auparavant.

À l'occasion de la session extraordinaire, le Canada a adopté une position admirable dans le dossier de la défense des droits en matière de sexualité et de reproduction. J'aimerais citer un extrait de la déclaration officielle du Canada à la clôture de la session extraordinaire. Le Canada affirme:

Nous tenons à signifier notre mécontentement vis-à-vis du débat qui a suivi sur la question de la santé sexuelle et génésique. Il s'agit d'un enjeu critique pour la santé, la survie et le bien-être des enfants et des adolescents du monde entier. Le présent document accuse des lacunes considérables. Il est regrettable qu'on ait profité des négociations pour tenter de revenir sur des dispositions déjà convenues et en application depuis longtemps.

Nous nous retrouvons donc face à la question de savoir comment trancher le dilemme que représente l'article 4.1. Certains groupes et certains particuliers ont recommandé que le Canada ratifie la convention et y adjoigne une déclaration interprétative. Comme vous le savez, on a formulé certaines suggestions intéressantes relativement à la forme qu'une telle déclaration pourrait prendre. L'idée derrière une telle déclaration, c'est que le Canada assortisse sa ratification d'une déclaration soignée précisant, par exemple, que le traité, pour nous, est conforme aux autres obligations du pays, par exemple celles qui découlent de la Convention des femmes du régime des NU. Dans de futures affaires instruites par la commission et le tribunal, on pourrait dès lors s'inspirer de cette déclaration.

Bien entendu, nous serions ravis si une déclaration interprétative soigneusement rédigée, par exemple celle proposée par Mme Rebecca Cook ou une autre version, était adoptée par le régime américain des droits de la personne si une telle déclaration pouvait faire avancer les droits en matière de sexualité et de reproduction des femmes d'Amérique latine.

Je profite de l'occasion pour souligner que les droits en matière de sexualité et de reproduction des femmes latino- américaines sont violés tous les jours. Dans de nombreux pays, l'accès à la contraception se révèle parfois extrêmement difficile. Dans de nombreuses régions, les stérilisations forcées représentent un grave problème. Dans l'ensemble de l'Amérique latine, l'avortement constitue un grave problème de santé publique. Il s'agit de l'une des principales causes de mortalité maternelle.

L'avortement est illégal dans toute l'Amérique latine. En fait, dans certains pays, le Chili et le Salvador, par exemple, l'avortement est illégal en toute circonstance, même lorsque la vie d'une femme est en danger et même en cas de viol ou d'inceste. En Amérique latine, en Colombie, notamment, on a récemment apporté des modifications législatives pour rendre encore plus sévères les peines auxquelles s'exposent les avorteurs. Toujours en Colombie, on a, en 2000, fait une infraction criminelle du fait de porter préjudice à un fœtus, de façon intentionnelle ou non.

En outre, certaines constitutions, par exemple celle du Pérou et du Salvador, précisent que la vie est protégée à partir de la conception. Au Salvador, il s'agit d'une réforme constitutionnelle récente. Dans d'autres nations de la région, des voix se sont élevées pour qu'on adopte une telle disposition conforme au libellé de la convention américaine. Malgré les interdictions juridiques, nous savons toutefois que des avortements se pratiquent toujours. Dans les pays où la pratique est illégale et clandestine, les avortements se déroulent souvent dans des conditions pour le moins précaires, ce qui entraîne parfois des décès et, fréquemment, des maladies et des invalidités. Dans ce contexte, l'argument selon lequel une déclaration interprétative à l'article 4.1 aurait pour effet d'améliorer la situation des femmes latino-américaines, à supposer qu'elle soit intégrée au régime interaméricain des droits de la personne, paraît convaincant.

Dans ce contexte, quel est donc l'effet juridique d'une déclaration interprétative? Nous avons effectué certaines recherches — non exhaustives, cependant — sur cette question. Au moyen d'une déclaration interprétative, un État, nous le savons, précise simplement sa vision de l'interprétation d'un traité. Cette dernière pourra ou non être acceptée dans de futures causes judiciaires.

Don McRae, ex-doyen de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa et spécialiste du droit international, écrit que l'État concerné, en recourant à une déclaration interprétative, n'exclut pas la possibilité que son interprétation sera rejetée.

Un professeur de droit français, Alain Pellet, également rapporteur spécial sur les réserves auprès de la Commission du droit international, a déclaré que l'effet juridique des déclarations interprétatives tient au fait qu'on peut voir en elles une interprétation régie par la règle fondamentale de la bonne foi, sans toutefois posséder un caractère authentique ou contraignant inhérent. Comme je l'ai déjà indiqué, il serait merveilleux qu'une déclaration interprétative soit rédigée et adoptée, mais, sur le plan juridique, rien ne garantit qu'il en serait ainsi. Pour paraphraser le professeur McRae, le Canada ne pourrait exclure la possibilité que sa déclaration interprétative soit rejetée.

Une autre option, qui a été présentée à l'occasion d'une rencontre d'avocats canadiens en mars dernier et qui, à notre connaissance, n'a jamais été soulevée devant le comité, est ce qu'on appelle une «déclaration interprétative conditionnelle». Il s'agit d'une déclaration faite au moment de la ratification d'un traité. L'État concerné accepte d'être lié par le traité à condition qu'une ou plusieurs dispositions du traité soient interprétées d'une manière précise. À titre d'exemple, le Canada pourrait retenir une déclaration interprétative, celle proposée par Mme Rebecca Cook, par exemple, ou une autre, et affirmer à la fin de la déclaration qu'en cas de contestation de cette dernière par une autre partie, l'instrument est nul et non avenu. Une phrase de cette nature aurait pour effet de transformer une déclaration purement interprétative en une déclaration interprétative conditionnelle.

Sur le plan politique, nous ne savons pas si une telle solution est envisageable. Nous n'avons pas entendu les vues d'autres groupes ou particuliers sur cette option. Cependant, il s'agit peut-être d'un autre moyen de contourner la difficulté née du libellé troublant de l'article 4.1.

Bref, nous, à Action Canada pour la population et le développement sommes déterminés à explorer toutes les options offertes au Canada pour contourner le libellé troublant de l'article 4.1. Il y en a d'autres que nous pourrons peut-être aborder pendant la période de questions. Vous avez également entendu d'autres groupes. Comme je l'ai indiqué, il y a place à la tenue de discussions et de débats nombreux à l'occasion desquels toutes les voix pourront se faire entendre. Il s'agit d'un excellent point de départ.

En conclusion, nous sommes reconnaissants au comité d'avoir mis à la disposition des groupes et des particuliers une tribune permettant la poursuite de cet important débat.

Mme Katherine McDonald, directrice générale, Action Canada pour la population et le développement: Honorables sénateurs, je vais fournir certains renseignements qui pourront être utiles au comité. Comme Mme Kitts l'a mentionné, nous avons participé aux préparatifs de la session extraordinaire consacrée à l'enfance. Nous avons également été associés aux examens quinquennaux découlant du Programme d'action du Caire et du Programme d'action de Beijing. À un autre titre, j'ai moi-même participé à la Conférence de Beijing. À la fin de chacune de ces conférences, on a retenu des déclarations interprétatives exposant les vues de divers pays sur les questions parfois controversées qui entourent la santé et les droits liés à la sexualité et à la reproduction.

À l'occasion des préparatifs de la séance extraordinaire consacrée à l'enfance, nous avons remarqué que l'administration Bush avait effectué le virage à droite absolu, ce que confirme notre collègue qui se trouve aujourd'hui à Bali pour participer aux rencontres préparatoires du Sommet mondial sur le développement durable. Pendant l'examen quinquennal découlant du Programme d'action du Caire, l'administration défendait l'expression «santé et droits en matière de sexualité et reproduction». Elle a fait la promotion des principes du Caire et des droits dans le contexte du Programme d'action de Beijing. Aujourd'hui, elle dit ne plus soutenir les programmes du Caire et de Beijing. Pour la communauté internationale et les tribunes internationales, où des divisions se font jour, les conséquences de cette volte-face sont dévastatrices. À titre de dernière superpuissance, les États-Unis exercent naturellement une influence énorme sur l'ordre de priorité international. L'érosion des droits dont on est témoin depuis 18 mois en constitue déjà une illustration.

Environ trois jours après l'assermentation de George Bush en 2001, je me trouvais à New York pour la deuxième rencontre préparatoire de la session consacrée à l'enfance. J'ai été horrifiée de constater qu'on faisait la promotion de l'abstinence comme principale stratégie de lutte contre le VIH-sida et les grossesses non désirées.

Ainsi, l'administration des États-Unis a plaidé en faveur de l'adoption de notes de bas de page précisant, par exemple, que l'avortement ne peut jamais faire partie des services de santé génésique, même dans les pays où l'avortement est permis par la loi. En fait, l'aide monétaire poussera des pays à accepter des restrictions étrangères à leurs propres prescriptions législatives.

Pendant ces rencontres, il est extrêmement important que le Canada, sur la scène nationale tout autant qu'internationale, joue un rôle de premier plan. En fait, j'ai été très fière de la délégation du Canada à l'occasion de la séance extraordinaire consacrée à l'enfance. En résistant aux pressions, ses représentants se sont montrés absolument héroïques, au même titre que bon nombre de fronts communs proposés de pays en voie de développement aux fins de la négociation, notamment le groupe Rio, qui comprenait 19 pays d'Amérique latine et des Antilles.

Il existe une volonté de soutenir les services et les droits en matière de sexualité et de reproduction. La question est de savoir si nous allons ou non permettre à cette vague conservatrice d'envahir les tribunes internationales.

Je me ferai un plaisir de préciser ma pensée pendant la période de questions et de réponses.

Mme Sungee John, secrétaire, conseil d'administration, Comité canadien d'action sur le statut de la femme: Le Comité canadien d'action sur le statut de la femme est heureux de l'occasion qui lui est donnée de faire part de ses vues et de ses préoccupations devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne à l'occasion des audiences consacrées à la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

À titre de plus important organisme féministe représentant plus de 700 groupes membres, le CCASF a été à l'avant- plan des efforts déployés pour défendre les intérêts des femmes au Canada. Le présent mémoire est soumis du point de vue de l'organisme communautaire de la base. Avant de commencer, je tiens à préciser que le CCASF, en tant qu'organisme, appuie le témoignage présenté par nos amis d'ACPD.

Le CCASF est conscient de l'importance de la Convention américaine relative aux droits de l'homme et de sa pertinence pour les États membres de l'Organisation des États américains. Cependant, l'article 4.1, dans sa formulation actuelle, présente un dilemme pour les organismes de femmes voués à la recherche de l'égalité. En raison de l'impact potentiel de l'article 4.1 sur la vie des femmes, il est essentiel que les femmes et les organismes qui les représentent aient la possibilité d'obtenir des renseignements complets et exacts sur la Convention américaine relative aux droits de l'homme et de discuter, d'abord entre nous, puis avec le gouvernement, de l'importance de la convention et des divers arguments qui militent en faveur de sa ratification. Pour ce faire, on aura besoin de temps — le temps de diffuser l'information, de consulter les organismes et de comprendre le texte du document.

À ce stade-ci, les groupes de femmes qui revendiquent l'égalité luttent pour leur survie et leur droit de travailler à l'avancement des droits des femmes en dépit des incessantes compressions budgétaires imposées aux niveaux fédéral et provincial. En fait, cette année seulement, trois gouvernements provinciaux ont supprimé leur ministère chargé des questions relatives aux femmes. Partout au pays, les organismes de femmes ne disposent pas des ressources nécessaires pour retenir les services — à titre de salariés ou d'experts-conseils — des spécialistes du droit capables d'analyser les politiques et les dispositions législatives. En ce qui concerne la Convention américaine relative aux droits de l'homme, les groupes de femmes auraient besoin de l'avis d'experts possédant des connaissances hautement spécialisées de la question des sexes et du droit international. Cette situation devrait soulever de graves questions sur l'accès des femmes à la justice. L'article 4.1 pose une question fondamentale pour les femmes, et les voix de ces dernières doivent se faire entendre à ce propos.

Dans le Sud, bon nombre de nos partenaires de l'OEA reconnaissent et valorisent le leadership du Canada dans le domaine des droits sociaux, culturels, socioéconomiques et humains. Cependant, en ce qui concerne la convention, le leadership doit d'abord et avant tout passer par la volonté politique de garantir l'inclusion des femmes et des organismes de femmes en tant que participants actifs faisant partie intégrante du débat, en particulier les femmes issues du secteur communautaire.

Les dirigeants du Canada doivent être conscients des grandes considérations politiques liées à l'interprétation de l'article 4.1 ainsi que de la polarisation du débat qui en découle. De plus, dans un hémisphère marqué par l'après-11 septembre, nos frontières sont de plus en plus difficiles à définir. Avec pour voisin la dernière superpuissance, nous avons fait l'expérience directe de sa puissance, de son influence et de sa volonté politique d'imposer au monde son propre programme particulier et rigoriste. Les gouvernements vont et viennent. Sans une compréhension claire de l'impact de l'article 4.1, nous craignons que la vie de femmes ne soit en cause.

Enfin, le CCASF prie instamment le Comité sénatorial permanent des droits de la personne d'engager le gouvernement fédéral à entreprendre une analyse des effets sexospécifiques non seulement de l'article 4.1, mais aussi de l'ensemble du document. À titre de signataires du Programme d'action de Beijing, le Canada et d'autres États membres ont convenu d'«intégrer une démarche soucieuse d'égalité entre les sexes dans l'élaboration des dispositions législatives, des politiques et des programmes et projets d'intérêt général» et de «procéder, avant toute décision politique à une analyse de ses conséquences sexospécifiques».

En conclusion, nous demandons au comité de recommander que les femmes de tout le Canada reçoivent de l'information et aient l'occasion d'instaurer leur propre dialogue. Nous demandons au comité d'accorder aux Canadiennes plus de temps pour analyser la Convention américaine relative aux droits de l'homme et en discuter.

Le sénateur Jaffer: Vous avez fait allusion au glissement vers la droite. Un tel mouvement se faisait sentir même avant l'arrivée au pouvoir du président Bush. J'ai moi-même assisté à un certain nombre de rencontres sur les droits de l'homme aux Nations Unies et après Beijing. Je vous sais gré d'admettre que le Canada a pris des mesures héroïques, parce que c'est bien le cas.

Vous avez eu raison de nous rappeler que le Canada avait joué un rôle très important en adoptant une position ferme de concert avec les pays scandinaves et certains autres. À votre avis, quelles autres mesures précises le Canada pourrait-il prendre?

Mme McDonald: Le ministère des Affaires étrangères assume toujours la responsabilité des négociations entourant ces questions. Habituellement, il invite les spécialistes d'organismes connexes — Santé Canada ou l'ACDI, souvent les deux — à traiter des questions relatives aux droits et à la santé en matière de sexualité et de reproduction. Ce que nous avons observé après avoir participé à quelques-unes de ces rencontres, c'est qu'il faut souvent un certain nombre de semaines et de mois avant que les employés ne maîtrisent l'historique des formulations et du document. Le libellé dont il est ici question est davantage axé sur les droits que d'autres, et très souvent les personnes désignées par les organismes connexes n'ont pas de connaissance juridique et n'ont pas participé aux rencontres précédentes.

J'ai toujours pensé que la constitution d'une équipe d'intervention spéciale composée de personnes qui connaissent à fond les formulations, les problèmes et les controverses constituerait un moyen pratique d'assurer la cohérence, dans la mesure où ces personnes pourraient aller d'une rencontre à une autre. Nous croyons savoir que c'est précisément ce qui se produit au Sommet mondial sur le développement durable. M. John Klink, ex-représentant du Vatican aux NU est aujourd'hui un membre clé de la délégation des États-Unis. Lorsqu'il s'agit de bloquer les négociations et d'obtenir les résultats qu'il souhaite, il est un stratège d'une finesse incroyable. Je crois savoir que les six personnes présentes à la session extraordinaire consacrée à l'enfance se trouvent à Bali au moment où nous parlons.

Le Canada, en ce qui concerne les causes bonnes et justes, pourrait faire la même chose. Je passe beaucoup de temps en compagnie de fonctionnaires brillants et animés de bonnes intentions, mais je dois les mettre au courant avant chaque rencontre. Un ou deux d'entre eux ont assisté aux rencontres préalables, mais, à cause du nombre de dossiers dont ils sont responsables, leurs ressources sont surexploitées. La femme qui assiste à la rencontre préparatoire du Sommet mondial sur le développement durable à Bali est responsable non seulement du dossier touchant l'égalité des sexes, mais aussi du changement climatique. Celle qui s'occupe de la santé en matière de sexualité et de reproduction est également responsable de l'Afrique, ce qui, bien entendu, représente un enjeu d'une importance extraordinaire au Sommet mondial sur le développement durable. Les ressources spécialisées ont beau exister, elles sont surexploitées. Une déclaration ferme du comité à propos de la cohérence — et je sais que c'est l'approche retenue par le comité — aurait un effet pratique extraordinaire.

Le sénateur Jaffer: Madame McDonald, la suggestion est vraiment utile dans la mesure où elle s'assortit d'une dimension pratique que nous pouvons pousser.

Vous avez fait allusion au droit à la vie et aux problèmes qui se posent en Amérique latine, mais je pense que nous ne devrions pas oublier que notre pays est multiculturel. Nous devons également travailler ici puisque nos droits peuvent eux aussi s'éroder. Nous avons ici aussi du travail à faire. Le problème se pose dans toute l'Amérique.

Le sénateur Kinsella: J'aimerais explorer trois aspects avec nos témoins. Le premier fait suite à ce que Mme McDonald vient tout juste de dire au sujet de l'extraordinaire somme de travail qui nous attend dans le dossier seulement et des ressources limitées dont disposent les ONG pour le mener à bien. Je suis d'accord. Peut-être le gouvernement devrait-il rétablir le Programme des droits de la personne au ministère du Patrimoine canadien, lequel, à l'époque où notre honorable collègue Serge Joyal était secrétaire d'État, bénéficiait d'une solide structure.

Cela est essentiel à notre compréhension complète et à la sensibilisation dont s'accompagne notre étude de la question des droits de la personne. L'étude publique des avantages et des inconvénients de la ratification de la convention par le Canada a des effets indirects sur d'autres secteurs. Comme vous le savez, la présente étude est en cours depuis que nous sommes devenus membres de l'OEA en 1990, mais en secret, à huis clos. J'ignore, madame la présidente, si nous avons réussi à mettre la main sur le procès-verbal des réunions du comité permanent responsable des droits de la personne.

La présidente: Pas encore. Nous allons devoir faire appel à des outils plus puissants pour enfoncer cette porte.

Le sénateur Kinsella: J'aimerais également vous inviter à réfléchir à l'histoire. Au moment de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l'homme, le distingué représentant du Liban, Charles Malek, le grand philosophe international, a tenté de faire introduire le même genre de définition du mot «vie» que celle qu'on retrouve à l'article 4.1 de la convention. Cependant, le comité de rédaction, présidé par Eleanor Roosevelt, a rejeté la proposition.

Ainsi, nous constatons que, dans les pactes internationaux découlant de la déclaration universelle, le texte est plus conforme à celui de la déclaration américaine de 1949. Il est curieux que, en 1949 — et le texte a été rédigé principalement par nos amis de l'hémisphère sud —, dans la déclaration américaine des droits de l'homme, qu'on se soit inspiré des formulations des Nations Unies. Ce n'est qu'en 1969 que l'autre libellé a fait son apparition. J'aimerais savoir si vous avez réfléchi à cette question ou si, dans vos recherches, vous avez été en mesure d'établir pourquoi la modification avait été apportée. Le libellé est contraire à celui des NU et contraire à celui de la déclaration.

Enfin, madame Kitts, vous avez fait référence à la déclaration interprétative et à la différence entre une telle déclaration et une déclaration interprétative conditionnelle. Y a-t-il aussi une différence avec la notion de réserve?

Mme Kitts: Peut-être vais-je dire un mot du dernier volet de votre question, qui porte sur les réserves.

L'autre solution qui s'offre à nous est l'introduction d'une réserve. C'est la proposition que le gouvernement fédéral vous a soumise. S'il devait ratifier la convention, le Canada exigerait une réserve. Il est certain qu'il pourrait le faire en vertu du système interaméricain des droits de la personne, aux termes de l'article 75. Un État a recours à une réserve lorsqu'il est satisfait de l'essentiel d'un traité, mais mécontent d'une ou deux dispositions ou encore lorsqu'il refuse de se laisser lier par certaines dispositions.

Il ne fait aucun doute qu'on pourrait recourir à une réserve. La Convention de Vienne porte qu'un État peut recourir à une réserve tant et aussi longtemps que cette dernière n'est pas incompatible avec l'objet et la finalité de la convention. Étant donné l'interprétation faite par la commission dans l'affaire Baby Boy, il serait difficile d'affirmer qu'une réserve applicable à l'article 4 et permettant l'avortement serait incompatible avec l'objet et la finalité de la convention. Cependant, il y a nombre de désavantages associés à une réserve. Comme on vous l'a dit, on les voit généralement d'un mauvais œil, en particulier en ce qui touche les traités sur les droits de la personne. Ils signalent un engagement incomplet envers la finalité de la convention.

On a également soutenu — et c'est une question à laquelle nous avons réfléchi — que si le Canada ratifiait la convention en l'assortissant d'une réserve, on verrait dans ce geste le signe que le Canada est d'avis que l'article 4.1 oblige les gouvernements à maintenir ou à adopter des dispositions législatives en matière d'avortement. Nous cherchons à faire avancer la cause des droits génésiques sur la scène internationale. Une telle mesure constituerait pratiquement un pas en arrière.

Je ne sais pas si j'ai entièrement répondu à votre question. Il s'agit à coup sûr d'une mesure juridique plus forte qu'une déclaration interprétative majeure. L'idée d'une déclaration interprétative nous intéresse. Un tel recours ferait bénéficier le système interaméricain des droits de formulations merveilleuses, tout en faisant en sorte que la ratification soit conditionnelle à cette interprétation.

Nous aimerions faire davantage de recherche à ce sujet. La Commission du droit international a un rapporteur spécial sur les réserves, Alain Pellet, le professeur auquel j'ai fait allusion. L'étude est en cours depuis plus d'une décennie. On se penche sur la nature juridique exacte de ces déclarations interprétatives conditionnelles.

Je ne suis pas certaine de pouvoir expliquer l'évolution du texte entre la fin des années 40 et la fin des années 60, sinon en affirmant que le phénomène s'explique peut-être par les errances entourant les droits génésiques. Je crois comprendre que les dispositions législatives envisagées dans certains pays variaient de façon spectaculaire. Au moment de la déclaration américaine, les pays avaient des positions différentes dans le domaine de l'avortement: on a donc voulu plaire à tout le monde. Fait intéressant — et il s'agit d'un point important soulevé par les partisans de la ratification de la convention —, on note certaines percées importantes dans le système des NU entourant les droits en matière de reproduction, notamment la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes de même que le Comité des droits de l'homme et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels. Ils ont tous établis des liens importants entre un avortement non sécuritaire et une violation du droit à la vie d'une femme.

En ce qui concerne l'élaboration d'une norme sur les droits génésiques, on a assisté à des évolutions valables au niveau international. Selon certains, ces percées importantes réalisées au niveau des NU militent en faveur de la ratification. On soutient que le système américain fait souvent référence au système des NU en matière d'interprétation, ce qui ne représente pas une certitude juridique.

Le sénateur Joyal: Parfois, on a affaire à une situation qui ne fait que des gagnants. Dans la présente discussion, j'ai l'impression que nous nous trouvons dans une situation qui ne fait que des perdants. Vous savez très bien que le Canada a joint les rangs de l'OEA en 1990, soit il y a plus de 12 ans. À l'époque, le gouvernement avait à bon droit affirmé qu'il envisageait de ratifier sous peu la convention sur les droits de l'homme. Et nous voilà, deux ans plus tard, occupés à débattre de l'interprétation de certains mots de la convention.

À titre de comité, nous tenons à présenter certaines mesures et certaines recommandations. Après avoir entendu un nombre relativement considérable de témoins nous inviter à presser le gouvernement de ratifier la convention, nous nous sentirions mal à l'aise à l'idée que, en faisant une telle recommandation, nous portons atteinte au statut des femmes au Canada. C'est la dernière chose que nous souhaitions faire. Il est clair que toutes les personnes assises autour de la table, quelles que soient leurs capacités respectives dans la vraie vie et dans leurs incarnations antérieures, ont à cœur de faire avancer la cause de l'égalité. Je ne voudrais pas me retrouver face à une décision de la Cour interaméricaine qui aurait pour effet de réduire ce que j'appelle la «non-protection» du droit à l'avortement ici au Canada puisque nous sommes dans un vide juridique.

En même temps, cependant, j'ai le sentiment que le projet de loi C-56, aujourd'hui à l'étude devant la Chambre des communes, reconnaît les conséquences juridiques pour le fœtus. À titre d'avocat, je n'ai aucun doute à ce sujet. Nous pouvons soutenir que quelque chose se prépare pour établir sur le plan juridique que le fœtus ou l'embryon n'a pas de droits et ne fait pas l'objet de droits. C'est essentiellement la formulation que nous voulons utiliser.

En vous écoutant attentivement, madame John, je me suis demandé si vous aviez fixé un échéancier pour votre programme de consultations, d'études et de présentation de rapports? Vous faudrait-il quelques mois ou peut-être une année avant de pouvoir rendre compte au comité? Nous pourrions alors poursuivre nos discussions sur d'autres aspects de la convention. Dans l'état actuel des choses, nous devons nous attaquer à un problème lié à l'article 4.1 n'ayant pas été résolu. Nous ne voulons pas trop insister par crainte de porter un préjudice juridique au petit statut dont nous bénéficions. Nous ne savons pas ce qui va arriver à l'autre endroit au cours des années à venir. Je ne veux pas insister sur ce plan, mais c'est la réalité.

Quelle position conseillez-vous au comité d'adopter relativement à l'article de la convention? Collectivement, nous allons devoir arrêter notre position et tirer une conclusion de l'ensemble des témoignages entendus. Est-ce que ma question vous place dans une situation délicate?

Mme John: Il est difficile d'y répondre parce que le temps requis est fonction des ressources dont disposent les organismes de femmes et des ressources que le gouvernement est disposé à consacrer à la tenue des consultations les plus exhaustives possibles.

L'année dernière, en septembre 2000, Droits et Démocratie a organisé une consultation sur la convention tout entière. C'est à l'occasion de cette rencontre qu'un petit groupe d'organismes de femmes s'est réuni et a manifesté ses inquiétudes. Depuis, nous exerçons des pressions pour qu'on donne aux femmes, pas seulement au Canada mais aussi dans le Sud, le temps de tenir un dialogue.

Ces pressions, nous les exerçons maintenant depuis plus de un an et demi, et nous ne sommes toujours pas parvenus à organiser une rencontre. Le phénomène s'explique uniquement par un manque de ressources et de financement. En présence d'un engagement sérieux, j'avancerais peut-être un échéancier d'au moins six mois. Cependant, il est difficile d'en être certain.

Le sénateur Joyal: Je ne propose pas de plan d'action parce que tel n'est pas notre rôle. À l'époque où j'étais ministre responsable de l'administration du programme sur la Condition féminine, Mme Anderson, présidente du Comité canadien d'action, et moi avions songé à élaborer un projet précis lié à un budget précis. Il y a une nouvelle secrétaire d'État (Multiculturalisme) (Situation de la femme), l'honorable Jean Augustine, que bon nombre d'entre nous autour de la table connaissons. Nous pourrions peut-être la presser d'approuver un budget qui serait expressément réservé à cette étude et à cette recherche. Il s'agit d'un enjeu important, et je me sentirais mal à l'aise à l'idée d'adopter une position finale sans commentaires plus poussés de la part des groupes de femmes du Canada.

Nous avons entendu vos collègues au Québec, et il a été utile d'entendre le témoignage de divers professeurs, qui se sont concentrés sur certains aspects juridiques. Cependant, il y a d'autres aspects dont on doit tenir compte, comme Mme Kitts l'a affirmé dans son exposé.

Si vous pensez pouvoir nous donner un aperçu dans un délai de six mois, le comité sera en mesure de définir son programme et de planifier ses interventions dans ce dossier.

Mme Kitts: Un horizon de six mois me paraît très ambitieux. Nous tentons de soupeser l'ensemble des différentes options — les avantages et les inconvénients. Le droit conventionnel et l'interprétation représentent un secteur du droit international que peu de gens connaissent. Nous avons fait de notre mieux, mais il est certain qu'il y a place à l'organisation d'un examen approfondi de toutes les options qui s'offrent à nous. J'ai fait état de la déclaration interprétative, de la déclaration interprétative conditionnelle et des réserves. On a également proposé un avis consultatif: le traité pourrait être modifié. Diverses options se présentent, et je constate qu'il existe une stricte question juridique liée aux options existantes.

Nous avons effectué certaines consultations, et nous avons souvent le sentiment de ne pas avoir tous les faits en main. Souvent, nous ne disposons tout simplement pas des ressources nécessaires pour obtenir tous les faits, mais notre organisme est déterminé à consacrer davantage de temps et de recherche aux diverses options, de façon à pouvoir mettre l'information en commun et disposer de plus de faits aux fins de notre analyse.

Nous jouons également un rôle actif dans la préparation d'une rencontre qui se tiendra au Guadalajara à l'automne avec l'Association of Women International Development (AWID). La rencontre est ouverte à un grand nombre de groupes de femmes, et il y aura à coup sûr un grand nombre de femmes d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud. Nous espérons profiter de l'occasion pour débattre plus à fond de la question avec les femmes des deux Amériques.

Le sénateur Joyal: Si je puis me permettre, les témoignages que le comité a entendus ont contribué utilement à l'établissement des bases de recherche. Nous avons entendu Mme Lucie Lamarche, Mme Andrée Côté et d'autres représentantes de la Fédération des femmes du Québec. Toutes ont apporté une contribution à l'analyse de divers aspects de l'article 4.1. Comme point de départ, il serait utile que les membres de la profession juridique ou des personnes qui s'intéressent aux droits de la personne ou aux sciences sociales examinent les conséquences des diverses options, lesquelles ne sont pas infinies. Nous savons qu'il existe un nombre limité d'options, mise à part la non- signature de la convention ou sa signature aveugle. Entre ces deux extrêmes, il existe des nuances, et nous pourrions évaluer les avantages et les inconvénients de chacune des autres options.

Il est certain que les travaux du comité se révéleraient extrêmement utiles. Nous avons tous tiré des leçons de cette étude. Une fois de plus, vous pourriez vous en servir comme point de départ pour vos propres travaux. Ainsi, vous pourriez nous guider dans la direction que vous souhaitez.

Mme Kitts: Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai participé à certaines des audiences, et j'ai lu toutes les transcriptions. À la lumière de tous les renseignements rendus publics par le gouvernement et diverses ONG, je constate que l'analyse détaillée des divers enjeux s'est révélée incroyablement éclairante. À l'étude de cette question, nous avons compris qu'il n'y a pas beaucoup de documents publiés sur les difficultés entourant la ratification. Ce qui est frappant, c'est qu'un plus grand nombre d'universitaires préconisent la ratification sans avoir exploré les détails et les nuances autant qu'ils auraient pu le faire. Il y a là une matière formidable à la recherche universitaire. Peut-être pourrions-nous inciter un plus grand nombre de chercheurs possédant ce genre de compétences à analyser plus à fond cette question.

Le sénateur Fraser: Pourriez-vous nous en dire un peu plus au sujet de la déclaration conditionnelle en tant qu'outil? Comment s'en est-on servi? Où y a-t-on eu recours? Que fait-elle? Le cas échéant, faut-il comprendre que, au cas où quelqu'un porterait une question devant la commission, nous nous dissocierions de la convention tout entière? Je ne comprends pas ce dont vous parlez, et cela m'intrigue.

Mme Kitts: Vous avez plutôt bien compris. En vertu de la déclaration interprétative conditionnelle, on s'engage à ratifier le texte avec telle ou telle interprétation. Si l'une ou l'autre partie se montre en désaccord avec cette interprétation, nous nous dissocions.

Le sénateur Fraser: Vous voulez parler de la convention tout entière?

Mme Kitts: Ce pourrait être la condition imposée. On ne trouve pas grand-chose à ce sujet dans les textes juridiques. C'est la Commission du droit international qui a effectué le gros des travaux. En pratique, on a utilisé une telle déclaration à un certain nombre de reprises, et nous voulons notamment analyser tous les traités relativement auxquels on a eu recours à une déclaration interprétative conditionnelle pour nous faire une idée des modalités de l'utilisation d'un tel instrument.

En droit conventionnel international, il arrive souvent que la pratique ne s'appuie sur aucun document ni article écrit, si bien que certains diplomates sont au courant, tandis que d'autres ne le sont pas. Le rapporteur spécial sur les réserves, M. Pellet, documente ces tendances et explore la nature juridique exacte d'une déclaration interprétative conditionnelle. Il existe un débat sur la question de savoir si une telle déclaration équivaudrait à une réserve. Selon M. McRae, imposer une telle condition reviendrait à exprimer une réserve. Selon M. Pellet, tout indique qu'il existe peut- être une sorte de moyen terme, c'est-à-dire une solution de rechange qui n'est ni une réserve ni une déclaration interprétative. Je veux parler d'une déclaration interprétative conditionnelle. Cependant, il n'a toujours pas précisé de façon définitive la nature d'un tel instrument. Il y a là certaines bonnes possibilités de recherche. Dans une note de bas de page, il mentionne un certain nombre de traités où on a eu recours à un tel instrument que je n'ai toujours pas eu le temps d'analyser.

Le sénateur Fraser: Pourriez-vous nous fournir certaines de ces références? Il s'agit d'un tout nouveau domaine à explorer. À vous entendre, j'ai du mal à comprendre la différence réelle entre ce dont vous parlez et une réserve. Par ailleurs, pourriez-vous nous citer des cas précis où on a agi de la sorte? Nous retrouverions-nous en compagnie de pays que nous méprisons ou de pays que nous respectons?

Mme Kitts: J'aurais dû apporter le texte de la note de bas de page avec moi. Il y est question de traités portant sur les pêches et d'autres enjeux. On y a déjà eu recours. Il s'agit non pas d'un instrument occulte, mais bien plutôt d'un instrument peu documenté.

Mme McDonald: La différence subtile, c'est que, en présence d'une déclaration interprétative conditionnelle on pourrait, dans le cas de non-respect de la condition, se retirer du traité. Dans le cas d'une réserve, cependant, vous pourriez supprimer la réserve et demeurer signataire du traité.

Dans l'hypothèse malheureuse où un gouvernement se dirait prêt à revenir sur sa position dans le domaine des droits génésiques ou à nier ces droits, une réserve présenterait un danger. Il suffirait d'un trait de plume pour faire disparaître la réserve, mais le pays en question demeurerait signataire du traité. À l'étape suivante, le pays en question pourrait retirer sa signature, ce qui est également une possibilité.

La présidente: Il me semble que nous éprouvons ici de la difficulté à obtenir des renseignements et que les Canadiens ont le droit de savoir pourquoi nous n'adhérons pas au traité ou pourquoi nous sommes justifiés de ne pas le faire.

Relativement à l'article 4.1, nous allons tenir compte des risques. Nous devons examiner la situation et éviter d'empiéter sur les droits ou les avantages des Canadiens. Je parle des Canadiens au sens large, et non simplement des femmes, parce qu'il s'agit d'un enjeu fondamental de politiques générales.

Nous devons évaluer cette situation à la lumière de nos responsabilités internationales et de la situation en vigueur dans notre hémisphère, et nous devons nous demander quels seraient les avantages que revêtirait pour l'ensemble des femmes de l'hémisphère notre adhésion à ce processus. Avez-vous examiné ce volet de la question?

Vous avez soulevé de façon succincte et éloquente les écueils découlant de l'article 4.1 et de l'attitude que devrait adopter le Canada. Comme le travail que vous effectuez est d'envergure internationale, avez-vous étudié les avantages dont bénéficieraient de si nombreuses femmes et les sociétés en question si nous adhérions au processus?

Je prends l'exemple du Conseil de l'Europe et de ses mécanismes de défense des droits de la personne. Le fait qu'il s'agisse d'une condition préalable à la participation à toute consultation européenne, et cetera, a fait beaucoup de bien et entraîné beaucoup de changement dans ces sociétés. En l'absence de la notion de Conseil de l'Europe, les sociétés en question se trouveraient-elles dans la même situation et les mouvements de réforme se seraient-ils manifestés? J'aimerais vous entendre au sujet du travail que vous effectuez en Amérique latine, du point de vue des risques qu'entraînerait la non-ratification de la convention.

Mme Kitts: En tant qu'organisme, nous ne remettons nullement en question ce que vous avez dit. Si nous ratifiions la convention, les avantages pour les hommes et les femmes de toute la région seraient évidents. De nombreux arguments soulevés par des groupes et des particuliers divers l'ont clairement montré. Nous sommes favorables à l'injection de ressources, au respect des droits de la personne et à la présence du Canada à la table de négociation. À l'occasion d'une rencontre tenue en mars, Mme Rebecca Cook a défini avec éloquence les remarquables avantages que la signature de la convention par le Canada revêtirait pour les femmes d'Amérique latine.

Nous ne tenons pas cela pour acquis, mais nous en convenons néanmoins, et nous tentons de déterminer le moyen de procéder, forts de cette croyance. Il est certain que nous envisageons de tenir de vastes consultations auprès d'un certain nombre de groupes de l'hémisphère à ce propos, puisqu'un large éventail de groupes latino-américains ne se sont pas fait entendre. Nous avons reçu des lettres de certains d'entre eux, et nous avons consulté un certain nombre de nos partenaires à l'occasion de rencontres internationales, mais il y a de nombreux groupes et particuliers que nous devons consulter.

La présidente: Soupeser ces avantages et ces risques concurrents et arrêter certains conseils stratégiques pour le gouvernement: voilà le dilemme auquel le comité sera confronté.

Le sénateur Poy: J'ai l'impression que vous êtes favorable à la ratification, sauf pour ce qui est de l'article 4.1 En ce qui concerne l'échéancier et le budget, l'étude du problème pourrait s'éterniser. L'autre possibilité qui s'offre à nous, c'est ratifier la convention et adopter des réserves conditionnelles ou des déclarations interprétatives conditionnelles. Cependant, les propos de Mme McDonald m'ont troublée. Si, dites-vous, nous avions un gouvernement acceptant de revenir sur la position du Canada dans le domaine des droits à l'avortement, tout pourrait être compromis.

Comment nous protéger contre une telle éventualité? Comment formuler les choses pour éviter que cela ne se produise au cas où nous ratifierions la convention?

Mme McDonald: C'est la déclaration interprétative conditionnelle qui semble offrir la garantie la plus étendue puisque, dans l'hypothèse où la condition n'était pas respectée, nous nous retrouverions dans la position où nous sommes aujourd'hui, c'est-à-dire que la convention n'aurait été ni signée ni ratifiée.

Le sénateur Poy: Ne pourrait-on pas dire que l'article 4.1 ne s'applique pas, tandis que le reste de la convention s'applique?

Mme McDonald: Il s'agit d'une réserve, laquelle peut être facilement retirée.

Le sénateur Poy: Dans un tel cas, nous retrouverions-nous en marge de toute la convention?

Mme McDonald: Nous ne sommes pas sortis du dilemme.

Le sénateur Poy: Si un de nos gouvernements faisait ce que font les États-Unis, nous nous retrouverions en graves difficultés. Est-ce bien ce que vous nous dites?

Mme Kitts: Je vais avancer une autre option. Elle n'est peut-être pas réalisable, mais il s'agit de l'option la plus sûre. Si je la présente, c'est parce qu'on doit en discuter.

Les parties actuelles au traité peuvent le modifier, ce qui est complexe. Elles peuvent également convenir d'une interprétation d'une disposition faisant autorité. Cela équivaut, dans les faits, à une modification. Selon l'alinéa 31(3).a), on doit, au moment de l'interprétation d'un traité, considérer comme une modification tout accord subséquent intervenu entre les parties concernant l'interprétation du traité ou l'application de ses dispositions. Les signataires actuels de la convention américaine pourraient se réunir et définir ce qu'ils croient que le traité veut dire.

Je tiens pour acquis qu'il serait difficile d'y parvenir relativement à cette question controversée. Néanmoins, il s'agit d'une autre option dont on doit débattre.

La présidente: Les parties concernées peuvent se retirer de la plupart des conventions. Ce n'est pas uniquement une question de réserve. Si un gouvernement ou l'ONU souhaitent se retirer, il y a des moyens de le faire. À mon avis, l'élément déclencheur d'une clause de réserve n'est pas aussi crucial qu'on veut bien le laisser croire. Tout gouvernement déterminé peut se retirer d'une convention tout entière, sans même parler d'une clause de réserve.

Mme Kitts: Ce qu'il y a d'unique dans le traité en question, c'est le libellé. Un nouveau gouvernement pourrait décider qu'il ne veut pas, par exemple, être associé au Pacte relatif aux droits civils et politiques. Le texte du traité est troublant. Dans les autres traités, ce n'est habituellement pas le cas. En général, on encourage les pays à retirer leur réserve, le cas échéant.

Le sénateur Poy: Les pays signataires du traité ont-ils déjà tenté de reformuler ce dernier?

Mme Kitts: Je n'ai pas la réponse à cette question. Il serait merveilleux d'entendre un représentant de ce régime des droits de la personne nous dire si l'option a été débattue ou si elle est même de loin envisageable.

Le sénateur Poy: Ce serait extrêmement utile pour les femmes des pays d'Amérique du Sud en particulier.

Mme Kitts: Absolument. En ce qui concerne l'édification de normes et le droit international entourant les droits génésiques, ce serait la meilleure chose que nous puissions faire.

Mme McDonald: Pour revenir sur les propos du sénateur Andreychuk, rappelons-nous l'expérience récente du gouvernement américain qui a décidé de retirer sa signature du traité sur la Convention de Rome sur la Cour pénale internationale. C'est troublant.

Le sénateur Kinsella: À ce propos, en contexte canadien, l'accord existant est fondé sur une convention constitutionnelle en vertu de laquelle seul le Canada peut ratifier de telles conventions sur les droits de la personne avec l'accord des provinces. C'est la raison d'être des consultations fédérales-provinciales-territoriales.

Nous avons ratifié les pactes avec l'accord écrit de toutes les administrations du Canada. Non seulement accepte-t- on la ratification, mais en plus on précise que toute dérogation à l'entente suppose le consentement de tous les gouvernements.

Dans le contexte canadien, nous bénéficions d'une protection additionnelle contre toute mauvaise interprétation ou toute tentative de tel ou tel gouvernement de supprimer la réserve et d'adopter l'article 4.1. Ne diriez-vous pas que nous bénéficions d'une garantie particulière?

Mme Kitts: Vous soulevez un très bon point.

Le sénateur Kinsella: Ce n'est pas la question que je souhaitais poser, mais je tenais à ce que ma remarque soit inscrite au compte rendu.

Il s'agit d'une question politico-philosophique plutôt que juridique. Diriez-vous qu'il existe peut-être une corrélation entre la formulation de l'article 4.1 convenue en 1969 et l'idéologie politique de la majorité des gouvernements de l'hémisphère sud au cours de cette période? Il existe une corrélation entre les gouvernements d'extrême droite, les dictatures et les régimes militaires, d'une part, et le genre de vues exprimées dans l'article 4.1. En tant que Canadiens qui rejetons ce genre d'idéologie, nous n'aurions donc jamais signé un tel document si, en 1969, nous avions été membres de l'OEA.

En tenant ces propos, j'ai à l'esprit ce que M. John Humphries avait l'habitude de nous dire. En 1948, au Palais de Chaillot, on a tenu un vote d'essai pour déterminer les pays qui allaient signer la déclaration universelle le 10 décembre 1948. Quatre pays n'allaient pas le faire: la Biélorussie, l'Union soviétique, l'Afrique du Sud et le Canada. Tout le monde en est resté pantois. Au vu de la compagnie dans laquelle il se trouvait, le Canada a changé son fusil d'épaule. En 1969, de la même manière, nous n'aurions probablement pas ratifié le document en raison de la compagnie dans laquelle nous nous serions trouvés. Cependant, l'Amérique du Sud, en particulier l'Amérique centrale, a changé.

Avez-vous des commentaires à faire sur la question idéologique?

Mme John: Si un pays comme Cuba souhaitait participer, le débat sur cette question serait peut-être plus animé. Parmi l'ensemble des pays d'Amérique latine et des Antilles, Cuba est le seul qui aurait des vues plus progressistes sur les droits des femmes et, en particulier, l'article 4.1.

Mme Kitts: Vous avez raison de dire que l'inclusion de l'article 4.1 est le reflet de la situation sur les droits en matière de reproduction qu'on retrouvait à l'époque en Amérique latine. À la lumière de la décision Baby Boy, il apparaît clairement qu'on a effectué les travaux préparatoires et évoqué le débat entre les pays qui souhaitaient retirer les mots «à partir de la conception» et ceux qui étaient en faveur de leur maintien. L'affaire rend compte du débat à la table.

J'ai passé beaucoup de temps à discuter du fait que l'avortement est illégal dans l'ensemble de l'Amérique latine. Dans certains pays, on a noté certains mouvements en faveur du droit à la vie qui serait protégé à partir de la conception. Dans cette région du monde, des questions troublantes sur les droits génésiques se posent toujours.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que nous avons aussi des problèmes ici même au Canada. Malgré l'arrêt Morgentaler, les femmes éprouvent toujours de terribles problèmes à accéder à des services d'avortement au Canada. Les femmes qui vivent dans le Nord et dans les régions éloignées se butent à des difficultés en ce sens. Des médecins qui pratiquent l'avortement ont été la cible de violence, de harcèlement et de menaces de mort, ce qui fait que de nombreux médecins qui pratiquaient l'avortement ne le font plus. Au fur et à mesure que des médecins partent à la retraite, les plus jeunes, qui ne se souviennent pas de l'époque où l'avortement était illégal, ne se montrent pas empressés de fournir des services de cette nature.

Je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il existe partout dans le monde des points communs sur ces questions.

Mme McDonald: J'aimerais soulever un autre point. À l'intérieur du système des NU, nous sommes aujourd'hui témoins d'une dichotomie. Dans le cadre des négociations entourant la session extraordinaire consacrée à l'enfance, le groupe Rio de 19 pays progressistes d'Amérique latine se sont battus avec vigueur pour les droits en matière de sexualité et de reproduction. Une fois le consensus atteint et l'accord adopté, ils ont dans leur déclaration mentionné qu'ils ne pouvaient accepter de formulation faisant état de l'avortement puisque, dans leur pays, l'avortement est illégal, ou alors ils ont mentionné que la constitution de leur pays protégeait le droit à la vie à partir de la conception.

Dans de nombreux pays d'Amérique latine, on a été témoin d'un changement idéologique et psychologique. Ils veulent éviter de pécher par excès de zèle. Ils se battront pour des services d'éducation et parleront de la santé des adolescents en matière de sexualité et de reproduction dans une langue progressiste, avec des mots progressistes. En même temps, ils se réserveront le droit de restreindre l'accès à l'avortement. Il y a en Amérique latine des organismes de femmes qui se battent avec acharnement dans ce dossier et qui devraient être soutenus.

Du fait du glissement des alliances politiques, nous vivons à une époque où il est particulièrement intéressant de travailler au sein du régime des Nations Unies.

Le sénateur Joyal: Madame la présidente, notre attaché de recherche ne pourrait-il pas préparer un rapport sur les divers États d'Amérique du Sud où l'avortement est légal ou illégal?

La présidente: Je pense que ça ne devrait pas être trop difficile.

Le sénateur Fraser: En particulier, sur les pays où l'avortement est interdit par la loi ou par la constitution.

Le sénateur Joyal: Nous serions ainsi mieux en mesure de suivre l'état de la question sur les plans politique et juridique.

Mme Kitts: Je me ferai un plaisir de vous fournir certains documents portant sur cette question. Nous avons des documents faisant le point sur la situation de l'avortement partout dans le monde, une sorte de profil de chacun des pays. Le Center for Reproductive Law and Policy de New York a réalisé d'excellents travaux sur les dispositions législatives relatives à la reproduction en vigueur dans le monde, que je me ferai un plaisir de fournir au greffier.

La présidente: Je tiens à remercier nos témoins. Comme je l'ai indiqué dès le départ, notre étude ne fait que commencer. Nous avons reçu certains renseignements précieux. Nous n'avons pas encore pris de décision. Je suis certaine que vous allez suivre nos travaux. Si vous avez d'autres renseignements susceptibles de nous être utiles, nous vous saurions gré de nous les faire parvenir.

Notre deuxième témoin est Mme Dinah Shelton, dont d'autres témoins nous ont déjà parlé. Mme Shelton possède une vaste expérience de l'enseignement et d'autres secteurs professionnels aux États-Unis et ailleurs dans le monde.

Mme Dinah L. Shelton, École de droit de l'Université Notre Dame, Indiana: Madame la présidente, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée à comparaître devant vous. Je suis un peu déconcertée, je l'avoue, à l'idée de me trouver ici pour défendre la ratification d'un traité que mon propre pays n'a pas encore accepté. Je puis affirmer être favorable à la ratification par les États-Unis. J'espère pouvoir un jour présenter le même exposé devant le Sénat des États-Unis.

À la lecture de mon CV, vous aurez constaté que j'ai beaucoup écrit sur le régime interaméricain. J'ai commencé à l'étudier à peu près à l'époque de l'adoption de la convention. J'ai cosigné quelques ouvrages avec le premier président de la Cour interaméricaine, M. Tom Buergenthal, qui siège aujourd'hui à la Cour internationale de justice. J'ai également comparu devant la commission à titre d'amicus curiae.

En ce qui concerne maintenant la ratification par le Canada, votre pays est membre de l'OEA depuis plus d'une décennie. À ce titre, il a déjà contracté des obligations relatives aux droits de la personne dans le contexte régional, et son rendement se mesure à l'aune de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. Il a fait l'objet de requêtes devant la commission et d'une étude concernant le traitement accordé aux demandeurs d'asile.

On peut se demander: pourquoi ratifier? L'adhésion à la convention nous assurerait-elle une valeur ajoutée? Par ailleurs, on peut s'interroger: pourquoi ne pas ratifier puisque les procédures et le droit régionaux s'appliquent déjà au Canada? Les droits définis dans la convention s'apparentent pour une large part à ceux du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auxquels le Canada adhère, et à ceux de la déclaration. J'aimerais répondre aux deux questions.

D'abord, pourquoi ratifier? Il y a quelques points que j'aimerais résumer sous l'angle de la «certitude légale». La déclaration n'a pas été rédigée sous forme de traité. Ainsi, ses modalités sont générales et souvent vagues. Le document ne devait pas être exécutoire. Il s'agit du premier instrument international sur les droits de la personne jamais adopté, dans la mesure où il précède d'environ six mois la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ses dispositions sont brèves et sujettes à interprétation, fonction confiée au départ aux États membres, mais, en dernier recours, à la Commission interaméricaine des droits de l'homme. On en voit le résultat à l'article premier de la déclaration, qui porte simplement que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. C'est tout. Les dispositions correspondantes de la convention américaine comportent quatre articles, soit les articles 4 à 8, qui comprennent chacun de quatre à six paragraphes énonçant de façon plus détaillée le contenu des droits et les obligations correspondantes des États membres.

Cette délimitation et la formulation plus précise font en sorte que la commission a beaucoup moins de latitude pour créer des lois en interprétant la convention qu'en ce qui concerne la déclaration. Il est donc moins probable qu'on puisse imposer des obligations surprises à un État membre.

Les pouvoirs de la commission sont assez généraux et assez considérables. Dans l'ensemble, elle les a exercés de façon efficace et prudente. Au lendemain du coup d'État commis au Chili en 1973, par exemple, elle a dépêché une délégation à Santiago dans les dix jours suivant le coup d'État de Pinochet. Cette délégation avait pour but d'évaluer la situation des droits de la personne dans l'espoir de l'améliorer. La Commission des droits de l'homme des Nations Unies a mis cinq ans avant de pouvoir envoyer une délégation similaire au Chili. La vitesse de réaction est l'un des avantages offerts par le régime interaméricain.

Une fois de plus, contrairement au régime des Nations Unis qui a créé un nouvel organisme chargé de l'application de la quasi-totalité des traités sur les droits de la personne adoptés, tous les traités adoptés dans le cadre du système interaméricain ajoutent des responsabilités à la commission, et la jurisprudence a grossi. Le résultat, c'est que cette dernière est surchargée de travail, sous-équipée et manque de ressources. Il lui arrive parfois d'émettre des opinions sur des cas qui rendent compte de la situation. Après tout, elle ne se réunit que pour une brève période trois fois l'an.

Cette situation pose un problème pour les États qui n'adhèrent pas à la convention. En cas d'émission d'un avis qui semble intenable sur le plan juridique ou insuffisamment réfléchi, l'État peut l'accepter ou faire fi de la commission et donner un exemple de non-conformité que pourront invoquer les États qui se livrent à de graves violations. La ratification de la convention pourrait régler le problème d'au moins deux façons: premièrement, le Canada serait plus susceptible d'avoir un membre élu à la commission. Par le passé, les Canadiens membres d'organismes internationaux voués à la défense des droits de la personne ont apporté une contribution extraordinaire à l'avancement des droits de la personne dans le domaine du droit. Je pourrais citer le cas de Walter Tarnoplolsky au premier jour du Comité des Nations Unies sur les droits civils et politiques et Ronald St. John MacDonald, ex-juge à la Cour européenne des droits de l'homme. Naturellement, rien n'empêche le Canada de proposer aujourd'hui un candidat à la commission, mais les chances d'élection de ce dernier seraient améliorées si le Canada adhérait à la convention, cette dernière ayant juridiction sur les États non membres tout autant que sur les États membres.

Deuxièmement, la ratification de la convention par le Canada renforcerait la certitude légale dans la mesure où le Canada pourrait accepter la compétence de la cour, qui constitue un contrepoids des plus nécessaires à la commission. Le Canada jouerait aussi un rôle en ayant son mot à dire relativement à la nomination et à l'élection des juges de la cour, ce qu'il ne peut pas faire aujourd'hui à titre de non-adhérent. Au contraire des membres de la commission, les juges de la cour doivent avoir une formation juridique et, pour être élus, doivent répondre à des normes beaucoup plus élevées que les membres de la commission. Les avis de la cour ont dans l'ensemble été beaucoup plus soigneusement réfléchis, crédibles et soucieux de la préservation de l'intégrité du système.

Au fil des ans, la cour a au besoin corrigé les erreurs de procédure et de fond commises par la commission et fourni aux États des orientations détaillées sur la portée des obligations faites par la convention. S'il ne ratifie pas la convention, le Canada n'aura pas la possibilité de se pourvoir en «appel» au cas où la commission trancherait une requête d'une manière qui paraît injustifiée. L'absence de ce type de contrepoids pourrait se révéler très important à long terme. Il importe de remarquer que la cour n'a jamais approuvé les décisions de la commission de façon automatique.

Le deuxième motif qui, à mon avis, milite de façon générale en faveur de la ratification, c'est l'intérêt du Canada. J'ai lu le témoignage de témoins qui m'ont précédé, et bon nombre d'entre eux ont fait allusion aux graves violations des droits de la personne qui ont été commises dans l'hémisphère tout au long des années 70 et 80. Nous avons connu des périodes au cours desquelles la situation des droits de la personne s'est améliorée; nous en avons connu d'autres où elle a régressé et où de graves violations ont été commises. De tels épisodes de guerre civile, de répression, de disparitions et de coups d'État pourraient inciter des milliers de personnes à fuir vers le Nord. C'est toujours ce qui arrive lorsqu'on menace la vie et le bien-être.

Ces personnes entraînent la violence politique à leur suite. Aux États-Unis, l'ex-ambassadeur du Chili a été victime d'un attentat à la voiture piégée. À cette occasion, l'ex-ambassadeur et deux ressortissants des États-Unis sont morts aux mains d'agents dépêchés par le gouvernement Pinochet — acte terroriste imputable à des violations des droits de la personne. Un tel incident pourrait-il se répéter? Oui. Ce n'est qu'au cours de la dernière décennie que la démocratisation des droits de la personne a commencé à prendre racine dans la région. Depuis 1990, tous les pays de l'hémisphère ont organisé des élections libres et équitables — à l'exception de Cuba et peut-être de la Floride. J'espère que ce que je viens de dire sera versé au compte rendu.

Récemment, nous avons été témoins d'une nouvelle tentative de coup d'État au Venezuela, et la Colombie continue de lutter contre la sédition. Dans quelques pays, les violations des droits de la personne continuent de poser problème. Dans certains secteurs, comme des îles des Antilles et au Pérou, on a tenté de se retirer de champs de compétences déjà acceptés et de se soustraire à ses obligations. Les indices ne pointent donc pas tous dans la direction du progrès. À cet égard, le leadership du Canada peut se révéler extrêmement important — et selon moi encore plus que celui des États- Unis — pour le renforcement des gains réalisés au cours des douze dernières années. Dans certains dossiers, la ratification de la convention par les États-Unis ne serait d'aucun secours, par exemple en ce qui concerne l'application de la peine de mort, qui pose problème dans bon nombre de pays des Antilles. Même s'ils ratifient la convention, les États-Unis ne pourront pas se prononcer sur cette question.

De plus, le Canada est le seul pays d'importance à la fois francophone et anglophone, ce qui fait de lui un leader important pour les Antilles anglo-saxonnes et Haïti, aujourd'hui le seul pays francophone partie à la convention.

Soit dit entre parenthèses, je vais donner l'été prochain des cours en français sur le régime interaméricain, et je n'ai pu mettre la main sur un texte officiel en français, si ce n'est la charte de l'OEA que j'ai trouvée sur le site Web de l'organisme, même si le français est l'une de ses langues officielles.

Troisièmement, je pense que la ratification — il s'agit d'un point de vue plus altruiste — autorisera et protégera les droits de la personne. Tout régime de droits de la personne vise à doter les particuliers d'un filet de sécurité, dans l'hypothèse où leur propre gouvernement se révélerait incapable de les protéger. Avec l'ALENA, qui rapproche les pays d'Amérique du Nord et, un jour ou l'autre, d'autres régions des Amériques, l'importance et le besoin des droits de la personne au niveau régional n'ont jamais été plus grands. L'ONU est trop diversifiée et, dirais-je, à maints égards trop distante pour se montrer sensible aux problèmes régionaux et locaux. En Europe, dans les Amériques et en Afrique, on a constaté que les régimes régionaux peuvent être plus efficaces et plus efficients que celui de l'ONU. En fait, au cours des périodes les plus favorables, des pays d'Amérique latine, forts de leur expérience régionale, ont dirigé les efforts déployés à l'ONU dans le dossier des droits de la personne.

Pour prendre la mesure des possibilités, on n'a qu'à se pencher sur l'histoire des questions touchant les femmes dans le régime interaméricain, qui — lorsqu'on considère le fait que le mot «macho» vient d'ici — est peut-être inattendu. À titre d'exemple, en 1923, l'Union Panaméricaine a adopté une résolution sur les droits des femmes, laquelle recommandait aux gouvernements de réviser leurs dispositions législatives et civiles ayant pour effet d'abolir l'égalité des droits entre hommes et femmes. C'était bien avant que quiconque d'autre, hormis l'Organisation internationale du travail, s'intéresse à la question. C'est l'OEA qui, en 1994, a adopté le premier instrument international exécutoire relatif aux problèmes touchant la violence familiale. J'ai omis quelques autres questions, par exemple la Convention sur la nationalité de la femme en 1933 et les traités de 1948 sur les droits politiques et civils des femmes.

L'OEA a été le premier organisme à élire une femme, Sonia Picado, à titre de présidente d'une cour internationale. Elle a été la première à reconnaître que le droit à un redressement devrait s'appliquer aux projets de vie, y compris les relations entre parents et enfants. Elle a admis que le viol était un crime de guerre et admis que les lois discriminatoires en elles-mêmes donnent matière à des poursuites aux termes des dispositions législatives sur les droits de la personne. Dans la décision Baby Boy, à laquelle je reviendrai, elle a convenu que l'avortement est une question qui ne relève pas du droit international et doit être laissée à la discrétion de chacun des États. Elle a travaillé en faveur de l'abolition de la discrimination des lois sur la nationalité et nommé un rapporteur spécial responsable de la situation féminine dans l'hémisphère occidental. Bien entendu, tout n'est pas rose dans l'hémisphère, et l'étude du rapporteur spécial montre que beaucoup reste à faire. Pourtant, il est certain que bon nombre des mesures prises dans le cadre du régime régional étaient nettement en avance d'activités similaires entreprises plus tard par l'ONU.

Pourquoi ne pas ratifier? La quasi-totalité des droits font déjà partie d'instruments auxquels le Canada adhère et de la déclaration, qu'on utilise pour mesurer aujourd'hui le rendement du Canada dans le domaine du respect des droits de la personne. J'ai préparé un tableau pour comparer le Pacte international relatif aux droits civils et politiques à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Il n'y a que trois droits figurant dans le pacte qui ne se trouvent pas aussi dans la convention: le droit à l'autodétermination, les droits des minorités et le droit de propriété.

Il existe des formulations différentes, et certaines d'entre elles ont prêté le flanc à des controverses. J'aimerais m'intéresser à deux d'entre elles en particulier. On vous a déjà longuement entretenu de la première, nommément l'article 4.1, qui protège le droit à la vie en général à partir de la conception.

L'expression, comme la commission l'a noté dans la décision Baby Boy, rendue à l'encontre non pas d'un pays d'Amérique latine, mais des États-Unis, traduit un compromis. Sur ce point, la commission a été claire. Il s'agit d'un compromis entre les États qui tentaient de restreindre les interruptions de grossesse et ceux qui ne le faisaient pas. Le compromis avait pour but de laisser à chacun des États toute la marge de manœuvre voulue pour décider par lui-même de sa politique en la matière. On n'a pas besoin d'une réserve pour préserver un droit existant, quel qu'il soit. On jugera peut-être prudent d'assortir la ratification d'une déclaration interprétative, un peu comme l'a fait le Mexique, afin de préserver le statu quo au cas où la commission, à une date ultérieure, deviendrait plus conservatrice et irait à l'encontre de sa propre jurisprudence.

Elle ne l'a pas fait depuis maintenant deux décennies. En 1948, des États soucieux de restreindre l'avortement ont tenté de faire introduire des libellés en ce sens dans la déclaration américaine. Ils ont échoué. Ils ont récidivé relativement à la convention et ont échoué de nouveau. Aux États-Unis, les groupes pro-vie ont tenté de faire interpréter la convention et la déclaration de façon étroite, mais ils ont échoué. Au cours des 20 dernières années, c'est- à-dire depuis que l'affaire Baby Boy a été tranchée, la question n'a plus été soulevée.

Néanmoins, le Mexique offre un genre de déclaration interprétative selon laquelle le Mexique interprète l'article 4.1 de la même façon que la commission, comme en témoigne la jurisprudence actuelle. Il ne s'agit pas d'une réserve, car une réserve change les obligations juridiques de l'État, et ce n'est pas le cas ici. La déclaration confirme tout simplement les obligations légales, telles qu'elles ont été interprétées jusqu'à ce jour.

Les dispositions relatives à la censure préalable et à la liberté d'expression ont aussi fait l'objet d'un débat considérable. Tel que mentionné plus tôt, les traités régionaux reflètent le droit universel en matière de droits de la personne, tout en tenant compte des priorités et des nuances régionales. Les dispositions de la convention qui portent sur la liberté d'expression reflètent non pas le droit latino-américain, mais bien le droit américain — elles ressemblent beaucoup à la jurisprudence de la Cour suprême américaine relative au premier amendement. La disposition portant sur le droit de réponse reflète l'importance accordée à l'honneur et à la réputation en Amérique latine, préoccupation pertinente dans le contexte de dictatures militaires qui cherchent à vilipender leurs adversaires et à donner l'impression que ces derniers méritaient de disparaître ou d'être exécutés sommairement. Le rétablissement de la réputation est bien souvent la première chose que les victimes demandent lorsqu'elles comparaissent devant la commission ou le tribunal.

La censure préalable exigera peut-être qu'on émette une réserve afin de faire concorder les obligations prévues dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques avec la Convention américaine relative aux droits de l'homme et le droit canadien. Je ne crois pas que cela devrait être perçu de façon négative. Les réserves sont généralement contestées, car les États participent à l'élaboration d'une convention et s'entendent sur les normes. S'ils changent d'idée, cela mine le consensus établi. Le Canada n'a pas participé à l'élaboration de la convention américaine. Sa position est similaire à celle des États européens nouvellement indépendants qui joignent les rangs du Conseil de l'Europe, qui ont émis des réserves, ce qui leur procure le temps nécessaire pour déterminer si la loi devrait être changée et ou s'ils maintiendront leur position, le cas échéant, pour intégrer les obligations prévues dans le Pacte. Il ne s'agit pas d'une situation typique, où un État change d'avis après avoir négocié un traité. Malheureusement, mon pays a l'habitude de faire cela, mais, dans le cas qui nous occupe, c'est différent.

Nous pourrions soulever la question: «Pourquoi pas?» Eh bien, il n'y a aucun problème au chapitre du double- emploi ou du surcroît d'obligations gouvernementales de donner suite aux requêtes. La convention s'assortit d'une règle selon laquelle la commission n'examinera pas une requête si une autre instance internationale a été saisie de l'affaire. Peu de requêtes seront soumises à la fois à l'ONU et au système interaméricain, car le requérant est tenu de choisir un tribunal dès le début.

En ce qui concerne le temps consacré aux procédures, l'ONU est, encore une fois, beaucoup plus lent à réagir à un grand nombre de ces enjeux que le système interaméricain. La Commission interaméricaine place actuellement un accent encore plus marqué sur l'accommodement amical que dans le passé, de façon à s'assurer que les affaires ne traînent pas trop longtemps.

Enfin, j'avancerais que le système interaméricain, bien qu'il ne puisse s'attribuer tout le mérite de la démocratisation et de l'amélioration des droits de la personne dans l'hémisphère occidental, a tout de même joué un rôle. Les pressions rapides et vigoureuses exercées sur les gouvernements répressifs, comme les mesures prises par l'OEA contre les régimes de Pinochet et de Somoza, ont mené à la modification des lois et des pratiques des deux pays concernés et, au bout du compte, à la chute de Somoza, comme il l'a souligné lui-même dans ses mémoires. Il attribue sa déchéance à la résolution de l'OEA condamnant les violations des droits de la personne perpétrés par son régime. C'est en continuant de mettre l'accent sur les droits de la personne dans notre hémisphère que les gains de la dernière décennie seront consolidés; à cette fin, la participation du Canada à la convention sera très importante.

Le sénateur Fraser: Il est plaisant d'écouter une personne qui connaît bien son domaine.

J'aimerais soulever une préoccupation, à l'égard de la convention, que vous avez un peu négligée: l'article 14, qui porte sur le droit de rectification ou de réponse. Je devrais vous dire que je suis une ex-journaliste. La formulation actuelle de l'article dit à la presse écrite ce qu'elle doit publier. Que la réponse soit exacte ou non... la réponse peut être un tissu de mensonges visant à faire entrave à la diffusion d'une vérité désagréable. Cela me préoccupe, et je me demande si cette préoccupation a déjà été soulevée.

Je suis aussi préoccupée par le paragraphe 3 de l'article 14, mais seulement dans une certaine mesure, car je ne crois pas qu'il s'appliquerait au Canada — du moins, je l'espère. Néanmoins, c'est un paragraphe qui me dérange:

En vue d'assurer la sauvegarde effective de l'honneur et de la réputation d'autrui, toute publication ou entreprise de presse, de cinéma, de radio ou de télévision sera pourvue d'un gérant responsable qui ne sera protégé par aucune immunité et ne bénéficiera d'aucun statut spécial.

Encore une fois, dites-vous aux médias qui ils peuvent embaucher? Avez-vous eu connaissance d'un débat entourant ces dispositions de la convention? Quel est votre point de vue?

Mme Shelton: L'article 14.1 précise ce qui suit: «Toute personne offensée par des données inexactes ou des imputations diffamatoires...» Cela doit d'abord être prouvé. Je crois que les lois sur la diffamation offrent un tel mécanisme. Rien ne me laisse croire que les lois sur la diffamation ou la responsabilité vont à l'encontre des exigences de l'article 14.1. C'est un mécanisme permettant de prouver que les déclarations sont inexactes et diffamatoires et, grâce à la diffusion médiatique de la diffamation, c'est un moyen adéquat de se plier à l'article 14.1.

Quelle que soit l'interprétation, je ne crois pas que l'article tienne les médias responsables de simplement accepter les affirmations de la personne selon laquelle la déclaration est inexacte, et de publier la réponse de cette personne.

Selon moi, le troisième paragraphe ressemble bien plus à une simple désignation des intervenants responsables d'un processus. Il est normal pour toute personne morale d'avoir accès à quelqu'un qui réagira à la poursuite pour diffamation. On ne peut simplement déclarer, au nom de la liberté de presse, que tout le monde est à l'abri de poursuites si les propos diffamatoires sont publiés. Je crois non pas que le paragraphe dit qu'il doit être embauché, mais bien qu'il précise qu'une personne doit être apte à réagir à toute poursuite qui pourrait être engagée.

Le sénateur Fraser: Je ne crois pas que cela s'appliquerait au Canada, car le contexte canadien en matière de liberté de presse est plutôt différent du vôtre. Nos lois ne confèrent aucune immunité spéciale à nos journalistes, du moins jusqu'à maintenant.

Mme Shelton: C'est une question particulièrement difficile. Au cours des cinq derniers mois, j'ai étudié soigneusement l'article 10 de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, qui montrent un degré de déférence envers les restrictions gouvernementales touchant la liberté de presse bien supérieur à ce qui, certainement, serait acceptable aux États-Unis — j'ignore à quel point elle serait compatible avec le droit canadien. La formulation des dispositions de la convention européenne relative à la liberté de presse est plutôt différente. D'une part, on prévoit le droit d'une personne de répondre, pour protéger sa réputation et son honneur, et, d'autre part, on interdit la censure préalable, ce qui protège beaucoup plus la presse. De tous les traités sur les droits de la personne, c'est la seule convention qui s'assortit d'une disposition interdisant la censure préalable. On établit donc un certain équilibre.

Le sénateur Fraser: On dira peut-être que je coupe les cheveux en quatre, mais selon moi, cette question est plutôt importante. Dans le paragraphe 1, qui vise «toute personne offensée par des données inexactes ou des imputations diffamatoires», le sens du mot «diffamatoires» peut-être plutôt général. J'ai déjà fait l'objet d'une action en diffamation, et l'avocat qui me défendait a dit ce qui suit au juge: «Quel dommage a été causé? Cette personne se dit blessée.» C'est le seul dommage qui a été fait. Nous n'avons pas été condamnés, car cela n'était pas considéré comme suffisant.

En vertu du paragraphe 1, ce serait suffisant — «...offensée par des données inexactes ou des imputations diffamatoires». Ensuite, la personne offensée par le fait qu'on l'a publiquement qualifiée d'escroc a la possibilité de déterminer quelle sera sa réponse. Elle a le droit de répondre ou d'apporter des rectifications. Je regrette, mais j'ai l'impression que cela ouvre vraiment la porte à une foule d'abus.

Mme Shelton: Le paragraphe précise ce qui suit: «... dans les conditions prévues par la loi». Cette disposition établit des limites. Le paragraphe ne se termine pas par un point après le mot «organe».

Le sénateur Fraser: Nous devrions au moins nous mettre au travail et rédiger un certain nombre de lois.

Mme Shelton: J'avancerais que le terme «diffamatoire» établit une norme non pas subjective, mais bien objective. Sinon, je serais d'accord avec vous lorsque vous dites que cela ouvrirait la voie à une foule d'abus. Les termes utilisés dans ces ententes sont généralement interprétés en fonction d'une norme non pas subjective, mais bien objective.

Le sénateur Beaudoin: J'aurais peut-être tendance, de prime abord, à dire qu'il serait bon de ratifier avec ou sans réserve, mais c'est là un autre problème.

J'ai une autre préoccupation. La situation au Canada a maintenant été énoncée clairement: par exemple, aucune disposition législative ne régit l'avortement, car cette question ne concerne que la femme et son médecin. Aucun premier ministre et aucun ministre de la Justice ne veut revenir sur cette question. Ils veulent laisser la situation telle quelle. D'une part, même si nous ne nous plions pas à ce principe, il existe toujours — nous devons exécuter les traités que nous signons. Nous ne le faisons pas, de façon générale, et, de fait, cela ne change pas les lois du pays.

D'autre part, si nous signons, nous devons exécuter le traité. Je crains que la Cour suprême ne soit invitée à trancher sur la disposition d'application qui accompagnerait l'article 4. Évidemment, la cour la considérera comme inconstitutionnelle. Mme la juge Wilson de la Cour suprême, souvenez-vous, affirme depuis longtemps que l'article 7 de la Charte règle la question de l'avortement. Si jamais nous tentons d'appliquer le traité, il est possible qu'il soit déclaré nul par la Cour suprême.

Cela nous place dans une position ingrate. Dans le domaine des droits de la personne, nous sommes dotés d'une Charte des droits qui est au cœur même de la Constitution. Ainsi, le Canada n'aurait aucun problème à participer à un traité sur les droits de la personne. Il est probable que le traité n'ira pas à l'encontre de la charte. Toutefois, il peut aller à l'encontre des décisions de la Cour suprême. C'est exactement ce qui se produirait dans le cas de l'avortement. Que devons-nous faire? Est-il préférable de déclarer que notre système est différent et que nous n'allons pas ratifier le traité en raison de l'article 7 de la Constitution?

Toutefois, on trouve de nombreux aspects intéressants dans cette convention, et nous devrions poursuivre la démarche. Quelle serait votre décision à cet égard?

Mme Shelton: Je ne suis pas experte du droit canadien, mais deux dispositions de la convention sont souvent négligées, et elles sont extrêmement importantes.

L'article 29, Normes d'interprétation, décrit comment la convention doit être interprétée. On y lit ce qui suit:

Aucune disposition de la présente convention ne peut être interprétée comme:

b) restreignant la jouissance et l'exercice de tout droit ou de toute liberté reconnus par la législation d'un État partie...

Je suppose que votre jurisprudence fait partie du droit canadien.

Le sénateur Beaudoin: Oui.

Mme Shelton: Par conséquent, aucune disposition d'une convention ne peut l'emporter sur le droit.

Le sénateur Beaudoin: Exactement, c'est ça; une décision de la Cour suprême dans le domaine du droit constitutionnel fait automatiquement partie de la Constitution.

Mme Shelton: Alors, la convention reconnaît que vous pouvez continuer de l'appliquer.

Le sénateur Beaudoin: Oui, mais il y a une disposition contradictoire. Elle viole l'article 4.

Mme Shelton: Non, je crois fermement que la commission avait absolument raison de dire que la formulation «protégé... en général à partir de la conception» n'avait pas pour intention d'interdire l'avortement. On l'a adoptée à deux fins. Il s'agit d'un compromis permettant aux États qui ont établi des restrictions sur l'avortement de continuer de les appliquer, et à ceux qui n'en ont pas de continuer à laisser la question à la discrétion de la femme et de son médecin.

Le sénateur Beaudoin: Qui a dit ça?

Mme Shelton: C'est dans la décision Baby Boy de la Commission interaméricaine, lorsqu'on examine l'historique d'ensemble de la rédaction de l'arrêt.

Le sénateur Beaudoin: Dans la jurisprudence internationale?

Mme Shelton: Oui. De plus, l'article 4.1 touche un autre aspect; il n'est pas uniquement question d'avortement. La protection «en général à partir de la conception» concerne aussi les soins prénataux pour les mères. L'article a un côté positif.

Le sénateur Beaudoin: Nous ne parlons pas de cela.

Mme Shelton: Je ne connais pas suffisamment le droit canadien pour en discuter.

Le sénateur Beaudoin: Je suis heureux d'entendre que, selon la jurisprudence internationale, l'article 4.1 ne signifie pas qu'on peut faire concorder les lois du pays avec l'article 4.

Mme Shelton: Je peux vous dire pourquoi je prends cette question à cœur. La décision Baby Boy découle d'une requête par des groupes de défense du droit à la vie, en vue d'écarter Rowe c. Wade, la décision de la Cour suprême permettant l'avortement. C'était l'objectif de cette requête. Notre loi était comme la vôtre, du moins au cours du premier trimestre. La Commission interaméricaine des Droits de l'Homme a tenté de déterminé si Rowe c. Wade était valide en vertu de la déclaration et de la convention, et elle a conclu que la loi américaine était valide. Si la loi américaine a été jugée valable, je crois qu'il en sera de même pour la loi canadienne. Il s'agissait d'une décision à six contre un. Un seul membre de la commission a émis un vote dissident sur cette question.

Le sénateur Beaudoin: Force nous est d'admettre que, à première vue, c'est une contradiction.

Mme Shelton: L'article 4.1 contient une contradiction interne, car il parle d'une protection «à partir de la conception» et l'assortit d'une tournure restrictive, «en général». Ces mots ont été ajoutés précisément pour permettre aux États qui n'interdisent pas l'avortement de continuer d'appliquer leurs lois.

Le sénateur Kinsella: J'ai entendu une allocution de la professeure Shelton à Strasbourg, et je suis au courant de ses travaux avec un ami commun.

Nombre d'entre nous estiment que le Canada devrait ratifier la convention, mais, comme nous l'avons répété à maintes reprises, nous voulons nous assurer de ne pas perdre du terrain dans le domaine de la justice sociale, y compris celui des droits génésiques, car nous avons mené une lutte considérable, au cours des 30 dernières années, pour arriver à notre situation actuelle.

J'ai trouvé votre réponse au sénateur Beaudoin très utile. À la lumière de l'expérience des Européens — je crois que le conseil des ministres a commandé une étude sur les réserves émises — qu'est-ce que vous nous conseillez? Devrions- nous émettre une réserve, compte tenu de la documentation sur le droit international en matière de protection des droits de la personne, ou devrions-nous opter pour la déclaration interprétative conditionnelle dont nous avons parlé avec le témoin précédent? Que nous conseillez-vous?

Mme Shelton: Parlez-vous spécifiquement de l'article 4.1?

Le sénateur Kinsella: Oui.

Mme Shelton: Je ne vois pas comment vous pourriez émettre une réserve, car cela correspond techniquement à modifier le droit de la convention. Si vous émettiez une réserve selon laquelle la question devrait continuer de relever d'une femme et de son médecin, vous ne changez pas le droit, car c'est le droit existant de la convention. Je ne vois pas comment vous pourriez formuler quelque chose qui ne change pas le statut juridique des obligations que vous confère le traité et parler de réserve.

Tout au plus, vous pourriez déposer une déclaration interprétative qui maintiendrait votre position si jamais la commission devait changer son interprétation de l'article 4.1, hypothèse purement théorique.

Le sénateur Kinsella: Est-ce que le Mexique a émis une réserve?

Mme Shelton: Il s'agissait non pas d'une réserve, mais bien d'une déclaration.

Le sénateur Kinsella: Établissez-vous une distinction entre une déclaration interprétative et une déclaration interprétative conditionnelle?

Mme Shelton: Je dois dire que le terme déclaration interprétative conditionnelle m'est étranger.

Le sénateur Kinsella: Existe-t-il plusieurs types de déclaration interprétative?

Mme Shelton: Non. De toutes les déclarations existantes, et elles ne sont pas nombreuses, celle du Mexique est la seule à porter sur l'article 4.1, et elle prévoit que l'article doit être interprété de la façon dont nous en avons discuté.

Plusieurs autres déclarations d'interprétation ont été déposées concernant le sens d'autres termes. L'une d'elles vise peut-être l'article 14. Je dois confirmer cela.

Quant à votre question, il n'existe pas divers types de déclaration.

Le sénateur Kinsella: Dans le contexte canadien, le Canada ne peut ratifier un instrument international touchant les droits de la personne que si toutes les provinces y souscrivent. Un processus de négociation et d'étude est en cours. Malheureusement, il s'agissait d'un processus à huis clos, jusqu'à ce que le Sénat attire l'attention sur cette question afin que nous puissions tenir des rencontres ouvertes et entendre des témoins.

J'espère que les ministres responsables des droits de la personne au sein des divers gouvernements de partout au Canada décideront que le Canada devrait ratifier la convention et inviteront leur gouvernement respectif à appuyer la ratification par le gouvernement canadien.

L'envers de la médaille est la dérogation du traité, et le même principe s'applique.

Y a-t-il, au-delà du processus de ratification, un aspect touchant les États fédéraux et ces instruments internationaux relatifs aux droits de la personne dont notre comité devrait prendre connaissance?

Mme Shelton: Certains croiront que je vous ai suggéré cette question, car elle mène à mon autre article favori du traité, soit l'article 28.

Encore une fois, le désavantage du système régional, c'est que les structures de gouvernance régionales peuvent jouer un rôle dans le traité, et l'hémisphère occidental compte un plus grand nombre d'États fédéraux que le système européen. L'une des dispositions sur lesquelles les États-Unis ont insisté, au moment de rédiger la convention américaine, est l'article 28, disposition relative au fédéralisme qui préserve explicitement la répartition des compétences et les structures de gouvernance des États fédéraux. La convention est le seul traité relatif aux droits de la personne à s'assortir d'une telle disposition. J'espère que les provinces seront aussi rassurées par cet article que l'ont été les États des États-Unis.

Le sénateur Joyal: J'aimerais revenir à au moins trois des questions soulevées par mes collègues.

Le paragraphe 1 de l'article 28 soutient l'une de mes positions concernant l'exécution de traités dans notre système fédéral. J'aimerais lire le paragraphe 1, car il renvoie à une discussion que j'ai eue avec le sénateur Beaudoin la semaine dernière, après son discours au Sénat sur le rapport de notre comité. Malheureusement, nous n'avons pas eu le temps de poursuivre la discussion, mais je lui en ai reparlé en privé. Je veux le mentionner aujourd'hui, car il est fort à propos.

Le paragraphe 28.1 se lit comme suit:

Le gouvernement central de tout État partie constitué en État fédéral se conformera à toutes les dispositions de la présente convention concernant les matières qui relèvent de sa compétence dans le domaine législatif et dans le domaine judiciaire.

J'affirmerai que lorsque le Canada ratifie un traité, il possède les compétences nécessaires pour en assurer l'exécution. J'en suis convaincu. Le sénateur Beaudoin et moi-même sommes d'accord sur cette question. Le Comité judiciaire du Conseil privé a examiné des dossiers d'interprétation sur cette question. Je crois que c'est une échappatoire que nous utilisons parfois pour éviter de ratifier un traité. Nous déclarons que cela concerne le droit à la propriété et relève des États — c'est-à-dire dans votre système, des provinces — et que nous ne devrions pas ratifier cette convention.

Je crois fermement que cette disposition reflète la condition juridique de notre système à l'égard de toute obligation internationale. Nous aurons peut-être un jour l'occasion de tenir une table ronde sur ce point. Je suis heureux de faire inscrire cette question dans le compte rendu.

Ma question fait suite à celle du sénateur Kinsella. Savez-vous si un état fédéral a déjà rattaché à la ratification d'un traité ce genre de disposition restrictive — c'est-à-dire une disposition selon laquelle le traité s'applique à condition de relever des compétences du gouvernement national?

Mme Shelton: Les États-Unis, au moment de ratifier le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ont assorti le Pacte d'une disposition similaire à l'article 28.1 afin de préserver la répartition des compétences de l'État fédéral. Elle a été enchâssée dans le Pacte après coup, dans un traité qui n'était plus doté d'une telle disposition.

Le Mexique est un État fédéral, Il est partie à la convention américaine. Le Mexique n'a émis aucun commentaire sur l'article 28. Maintenant, je sais comment il a réparti les responsabilités en ce qui concerne l'exécution du traité dans le contexte de sa législation.

Le sénateur Joyal: Ma deuxième question concerne l'article 4.1, qui semble être au cœur du problème. Encore une fois, je ne tiens pas à vous soumettre à un exercice d'interprétation. J'attire votre attention sur le paragraphe 1, qui se lit comme suit: «Toute personne a droit au respect de sa vie.» Personne au Canada ne contesterait cette affirmation. La deuxième phrase est la suivante: «Ce droit doit être protégé par la loi.» Encore une fois, personne ne s'oppose à cela. Un régime politique qui respecte la primauté du droit est l'un des quatre principes constitutionnels énoncés par la Cour suprême du Canada dans le cadre du renvoi sur la sécession, en 1998. Nous savons que nous devons protéger ce principe du point de vue du droit. Voici la suite de la phrase: «en général à partir de la conception». Si c'est le cas en général, qu'est-ce qui se passe «en particulier»? S'il y a des généralités, il y a des particularités. Où est le particulier? Dans quelles conditions se pencherait-on sur les particularités? Voilà pourquoi je crois qu'une déclaration interprétative serait acceptable. Elle établit qu'il y a des exceptions. C'est ce qu'elle signifie — en général et en particulier. On établit une règle générale, mais il y a des exceptions. C'est ce qu'une déclaration interprétative signifie.

Alors, comment pouvons-nous définir l'exception? Je vous demande donc, en votre qualité de professeur de droit, comment nous pourrions bâtir notre raisonnement de façon à ce qu'il tienne devant un tribunal.

Mme Shelton: Si vous le permettez, j'aimerais revenir à l'historique de la rédaction de cette disposition, examiné en profondeur dans les mémoires et dans la discussion de la commission à l'égard de la décision Baby Boy, car il y a eu deux versions de l'article 4. L'une disait que tout le monde a le droit au respect de sa vie, et que ce droit devait être respecté par la loi. Elle prévoyait aussi que personne ne devait être arbitrairement privé de sa vie.

Un État latino-américain a proposé une disposition selon laquelle le droit à la vie doit être protégé dès la conception. Le même État avait tenté, en vain, de faire adopter cette formulation dans la déclaration de 1948. Cette fois-ci, il a insisté pour que cette formulation soit adoptée, et les groupes confessionnels participants ont fourni beaucoup de soutien. En même temps, d'autres États n'étaient absolument pas disposés à accepter cette disposition. Finalement, on en est arrivé à ce grand compromis, et on a nuancé le propos avec l'expression «en général». On a laissé à chaque État le soin de décider des particularités et des généralités. Aux fins de la convention, cet aspect n'est pas régi par le droit international.

La déclaration interprétative n'a qu'à préciser que les conditions de la protection de la vie à partir de la conception sont définies par les lois nationales ou provinciales, tel que l'a confirmé la commission américaine des droits de l'homme. On émet une réserve à l'égard non pas du fond, mais bien de la procédure. Autrement dit, on déclare qu'on définira la disposition conformément au droit que nous confère la commission d'interpréter la disposition en fonction des lois nationales et provinciales.

Le sénateur Joyal: Toutefois, dans ce cas, vous tombez dans le jeu de la commission.

Mme Shelton: Pas si vous affirmez que votre déclaration interprétative protège le droit du Canada de définir les généralités et les particularités. C'est ça, la protection. Vous protégez votre droit procédural d'établir de telles définitions, sans être tenu à un examen par la commission.

Le sénateur Joyal: Cela nous aiderait à éviter de tomber le jour où la commission, après avoir examiné un cas spécifique, formulerait une certaine déclaration qui irait à l'encontre de la position juridique du Canada.

Mme Shelton: J'ai en ma possession le texte de la déclaration mexicaine. On peut y lire ce qui suit:

En ce qui concerne le paragraphe 1 de l'article 4, le Mexique estime que l'expression «en général» qui y est employée n'emporte pas obligation d'adopter ou de maintenir en vigueur une législation qui protège la vie «à partir de la conception», parce que cette question est de la compétence exclusive des États.

La déclaration dit tout. Il s'agit non pas d'une question de fond, mais bien d'une question de procédure.

Le sénateur Joyal: C'est exactement ce que j'ai dit. Ils interprètent le terme «général». L'élément clé est «en général», alors que, de fait, la question n'est pas générale. Au moment d'évaluer l'incidence d'une telle déclaration interprétative sur le droit canadien, nous devons nous attaquer à cette question.

Mme Shelton: Au lieu de tenter de décrire en détail chaque garantie quant au fond de la déclaration, la convention confie la définition au droit national.

Le sénateur Joyal: La convention mentionne-t-elle qu'en général l'État peut avoir le pouvoir de définir les situations sur lesquelles il souhaite légiférer?

Mme Shelton: L'État peut définir l'expression «en général».

Le sénateur Fraser: La situation actuelle au Canada, c'est qu'il n'y a aucune loi nationale relative à l'avortement; à l'heure actuelle, la situation nationale se résume à l'absence complète de lois sur l'avortement. Il s'agit d'une question non pas provinciale, mais bien fédérale. Nous avions une loi, il y a quelques années. La Cour suprême l'a abrogée pour des raisons internes qui n'étaient pas vraiment liées au droit et à la vie ou à une question connexe. La loi est disparue. La Cour suprême a déclaré que le Parlement n'avait qu'à créer une meilleure loi, chose qu'il a été incapable de faire. La meilleure tentative du gouvernement jusqu'à ce jour a été rejetée par le Sénat. Depuis, le gouvernement a tenté de faire adopter une nouvelle loi sur l'avortement.

D'autres témoins ont laissé entendre que l'article 4.1 pourrait être utilisé pour nous forcer à adopter une nouvelle loi sur l'avortement, car la convention prévoit que la protection — ou la non-protection — du droit doit être régie par la loi. Vous pouvez imaginer les scissions politiques immédiates que cela occasionnera.

Croyez-vous que cette hypothèse est fondée — qu'il y a un risque réel, compte tenu du fait qu'il y a au Canada des mouvements pro-vie très actifs, tout comme aux États-Unis?

Mme Shelton: Je crois que cet argument pourrait être soulevé, comme il l'a été par les groupes américains de défense du droit à la vie, lesquels ont même soumis leur litige avec le gouvernement américain à la commission, et ils ont perdu.

Êtes-vous doté de lois selon lesquelles il est illégal pour une personne qui tue une femme enceinte de tuer aussi le fœtus?

Le sénateur Fraser: Non, je ne crois pas.

Mme Shelton: Êtes-vous doté de dispositions relatives aux soins prénataux et autres soins médicaux en cas d'indigence? L'article 4.1 ne mentionne pas l'avortement. Il fait uniquement référence à la protection de la vie, ce qui peut désigner une foule de choses.

L'échec des groupes américains de protection du droit à la vie dans le cadre de la décision Baby Boy a, de fait, réglé la question au sein du système interaméricain. Cela ne veut pas dire qu'elle ne peut être soulevée de nouveau au Canada. Toutefois, dans toutes les discussions sur l'avortement au troisième trimestre et tous les autres enjeux soulevés, la protection interaméricaine n'a jamais été soulevée dans le contexte politique américain après un arrêt.

Le sénateur Fraser: Au moins il y avait une loi ou de la jurisprudence.

Mme Shelton: Nous avons une jurisprudence.

Le sénateur Fraser: Pour nous, à l'heure actuelle, c'est le vide.

Mme Shelton: Et pourtant le vide est fondé sur la jurisprudence, n'est-ce pas? Il est fondé sur une décision.

Le sénateur Fraser: La jurisprudence n'a pas dit qu'il n'y aurait pas de loi. Elle dit que la loi qui avait été adoptée n'était pas valable, ce qui a mené à son rejet.

Mme Shelton: Nous avons obtenu le même résultat avec Roe c. Wade. Roe c. Wade a annulé une loi du Texas qui limitait le droit d'une femme de déterminer, avec son médecin, de mettre fin à sa grossesse. La Cour suprême américaine l'a annulée. Il n'y a pas de loi fédérale en matière d'avortement. Les États ont diverses lois, mais on a déterminé, à la lumière de la constitution, qu'il ne devrait pas y avoir de loi. D'une certaine façon, la situation américaine est exactement comme la situation actuelle au Canada.

Le sénateur Fraser: En effet, mais le parcours juridique n'est pas très différent.

Le sénateur Joyal: Il est toujours utile de débattre de ces enjeux, car nous tentons de préciser toutes les répercussions juridiques.

Serait-il souhaitable de mentionner dans notre déclaration interprétative que cet article ne permet pas de présenter une requête afin que le Canada légifère sur cette question? Autrement dit, devrions-nous prendre l'interprétation de la commission sur cette question et la reconnaître comme une déclaration interprétative finale pour le Canada?

Mme Shelton: Vous pourriez formuler la déclaration en disant que le Canada adhère à la convention et interprète l'article 4.1, maintenant et dans l'avenir, conformément à la décision de la Commission interaméricaine relative à la requête 2141 contre les États-Unis.

Le sénateur Joyal: Nous avons déjà posé cette question à une professeur canadienne qui est présente aujourd'hui. Il s'agit de Mme Andrée Côté, de l'Association nationale de la femme et du droit. Un projet de loi concernant la recherche sur les cellules souches a été déposé à la Chambre des communes. Ce projet de loi a été contesté par les gens d'un certain milieu, car il met en jeu le droit à la vie de l'embryon qui serait créé, ou qui vient d'être créé dans une clinique de fertilité. Puisque ce projet de loi pourrait être adopté au cours des prochains mois ou des prochaines années par le Parlement canadien, nous ne voulons pas nous retrouver dans une situation où il faudrait revoir la jurisprudence, à la lumière de cet article de la convention, devant la commission.

Mme Shelton: La formulation de la déclaration mexicaine ainsi que la formulation selon laquelle le sens de la disposition est celui que lui attribuait la commission en 1981 rendraient inadmissibles, de fait, de telles requêtes, car on ne pourrait prétendre à une violation de la convention.

Je devrais ajouter que tous les membres de la commission ont pris part à des débats politiques nationaux sur cette question. Ils ne tiennent pas plus que quiconque à y revenir. Je ne sais pas si cet usage existe dans le système interaméricain, mais dans le système européen, on a toujours apposé la mention «PC» sur certains dossiers, ce qui signifie patate chaude. Je crois que celui-ci porterait un «PC» en grosses lettres rouges.

Le sénateur Joyal: Vous avez fait allusion à un aspect qui nous préoccupe, c'est-à-dire le rendement du tribunal. Vous avez étudié les tribunaux, comme vous l'avez signalé dans votre témoignage. Vous avez dit que le tribunal applique des normes très élevées. On affirme, dans certains milieux, que le régime canadien est efficace. Nous sommes dotés d'une Charte des droits et libertés; nous avons des lois provinciales en matière de protection des droits de la personne. Nous avons encore dix commissions des droits de la personne. L'une des provinces, en l'occurrence la Colombie-Britannique, souhaite abolir la sienne. On en trouve une aussi à l'échelon fédéral. De façon générale, le Canada joue un rôle actif sur de nombreuses tribunes internationales en vue de promouvoir la protection des droits de la personne.

En ce qui concerne la convention interaméricaine des droits de l'homme, si l'on en croit certains préjugés, le système ne sera peut-être pas aussi utile ou efficace qu'on le croit, car, de façon générale, la situation dans un grand nombre de pays d'Amérique du Sud n'est pas fantastique. Amnistie Internationale a présenté un témoignage en ce sens l'autre jour. Nous connaissons la situation dans de nombreux pays. Nous lisons le journal et nous écoutons les bulletins de nouvelles. Ainsi, il est important pour nous d'être convaincus que le rendement du tribunal sera de la même qualité que celle, par exemple, du tribunal européen des droits de l'homme.

Ma question vous semblera peut-être dénoter une attitude colonialiste. Toutefois, je crois qu'il est important de la faire inscrire dans le compte rendu, car de nombreuses personnes liront votre témoignage. Je songe non seulement aux personnes qui sont ici, mais aussi aux fonctionnaires des ministères des Affaires étrangères et du Patrimoine. Il est important d'entendre des témoignages comme le vôtre sur la qualité des tribunaux interaméricains.

Pourriez-vous, au moyen d'une analyse comparative, nous fournir des précisions sur votre façon de voir le tribunal?

Mme Shelton: Je pourrais formuler plusieurs commentaires. Vous avez raison; la situation dans l'hémisphère occidental a eu un impact important sur la jurisprudence du tribunal. Ce n'est qu'en 1998 que le tribunal a entendu un survivant d'une violation. Pendant la première vingtaine d'années, chaque dossier dont il avait été saisi concernait des massacres ou des disparitions. Des gens étaient morts. Il se penchait sur un type particulier de jurisprudence.

Toutefois, le tribunal, dont la présidence était assurée par Thomas Buergenthal, a pris soin de fonder ses décisions sur le droit international. Toutes ses opinions citent la Cour européenne ou la Cour internationale de justice, et le tribunal échafaude avec soin son raisonnement juridique pour en arriver à une conclusion. De plus, il s'est montré très ouvert à entendre des particuliers, d'autres États et des ONG à titre d'amicus curiae.

Le tribunal en a payé le prix, dans une certaine mesure, car certains des États qui ont fait l'objet de poursuites ont ensuite constaté que le seul moyen de s'attaquer au tribunal était de mettre en nomination des juges médiocres. J'avoue que nous avons connu une période très difficile au chapitre de la qualité du tribunal, car les ONG et les États ne prêtaient pas attention. Par exemple, le Nicaragua a mis en nomination l'ex-ministre des Affaires étrangères de Samoza à titre de juge du tribunal, et il a été élu. Il s'agissait de l'un des régimes dont les violations étaient les plus flagrantes dans l'hémisphère occidental, et son principal porte-parole est devenu juge du tribunal des droits de la personne. Ce n'était pas une bonne chose. Au moment de renouveler son mandat, tout le monde s'était bien préparé, et il n'a pas été réélu, car, à ce stade, les lobbyistes avaient convaincu les gouvernements du fait que la crédibilité complète du système exigeait qu'on nomme de bons juges qui rendent de bonnes décisions. Je crois que nous sommes maintenant revenus à un niveau supérieur.

Pour ce qui est de l'efficacité du tribunal, la commission ne peut qu'émettre des recommandations, ce qui l'affaiblit. Le tribunal peut rendre une décision exécutoire. Cela peut être un avantage ou un désavantage, selon que vous soyez l'État défendeur ou non, mais c'est le seul tribunal qui peut faire plus que simplement donner de l'argent aux victimes.

Dans le système européen, le tribunal a interprété son mandat de façon étroite en disant qu'une indemnisation sera fournie lorsque des droits seront violés. Cela ne donne pas grand-chose lorsqu'on est à la recherche des ossements de son frère disparu en vue de lui offrir une sépulture décente. Si vous êtes en prison, vous n'êtes pas intéressé à ce qu'on dépose de l'argent dans un compte de banque. Dans l'affaire de Loayza Tomayo contre le Pérou, le tribunal interaméricain a été, pour la première fois, confronté à une affaire de double péril et de détention illégale, et a ordonné au gouvernement de libérer la personne qui avait présenté la requête. Dans les trois semaines qui ont suivi, le régime Fujimori la libérait.

Le tribunal s'est même révélé efficace à l'égard de régimes qui n'ont pas généralement un très bon dossier en matière de droits de la personne. Cela tient partiellement au fait qu'il a, dès ses premières décisions, mis beaucoup de soin — tout comme le tribunal européen — à fonder ses décisions sur la preuve, sur le dossier, à ne pas tenter d'aller trop loin, et à ne pas fermer un dossier avant que le gouvernement pris en défaut n'exécute l'ordonnance. Les dommages-intérêts ordonnés ont été versés, Loayza Tomayo a été libéré, et, à l'heure actuelle, le tribunal affiche un taux d'exécution des ordonnances de 100 p. 100. Il a fallu mettre beaucoup de temps pour s'assurer que certains de ces États se plient aux ordonnances, mais ils l'ont fait.

Plus le tribunal bâtit sa jurisprudence, plus il est difficile pour un État de s'en sortir. Comme je l'ai déjà mentionné, le tribunal est très efficace, car il s'agit d'un organe juridique doté de juges qui sont généralement très compétents, et il a permis de corriger les opinions parfois mal rédigées de la commission. Un jour, l'une d'elles pourrait concerner le Canada. Certes, j'ai déjà critiqué vertement quelques opinions des États-Unis, car je crois que la commission s'était complètement fourvoyée dans son raisonnement ou son jugement.

Les États-Unis ne peuvent interjeter appel devant ce tribunal.

La présidente: Je vous remercie de nous avoir fourni toute cette information. Je dois dire que lorsque nous avons commencé, il était très difficile de trouver des gens qui étudient et analysent activement le système du tribunal interaméricain, et qui y réfléchissent. Votre nom nous a été signalé très rapidement. Les renseignements que vous nous avez fournis aujourd'hui seront certainement très utiles, et je vous remercie d'avoir fait un effort supplémentaire pour nous rencontrer aujourd'hui.

Nous avons maintenant cerné certains de nos problèmes, dont certains sont moins juridiques que politiques, parce que le tribunal n'est pas connu et parce que l'hémisphère est peu connu. Nous entretenons peut-être des idées fausses à l'égard de l'hémisphère et de sa façon de procéder, et nous devons les surmonter, d'une façon ou d'une autre. Je ne sais pas si cela suppose une démarche d'éducation, une négociation ou une réflexion approfondie. Je vous remercie de nous avoir fourni ces renseignements concrets, qui seront très utiles dans le cadre de notre étude.

La séance est levée.


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