Délibérations du comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 26 - Témoignages
OTTAWA, le jeudi 21 février 2002
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel est renvoyé le projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais), se réunit aujourd'hui, à 10 h 50, afin d'examiner le projet de loi et la version préliminaire du budget.
Le sénateur Lorna Milne (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, nous commencerons nos travaux par l'examen de la version préliminaire du budget pour l'exercice se terminant le 31 mars 2003. Ce budget doit être présenté au Comité de la régie interne avant la fin de la semaine.
Comme vous pouvez le constater, notre comité demande un budget de 16 870 $ cette année, ce qui représente une hausse par rapport au budget de l'an dernier qui se chiffrait à environ 12 000 $. La durée inattendue de nos séances et le nombre de témoins que nous avons entendus l'année dernière ont entraîné une hausse assez importante de nos dépenses habituelles en ce qui concerne les repas. Par conséquent, nous avons pensé qu'il serait préférable de prévoir un coussin de sécurité au cas où cela se produirait à nouveau cette année.
Quelqu'un veut-il discuter du budget?
Le sénateur Beaudoin: Compte tenu de nos budgets précédents, je n'hésite aucunement à accepter ce budget tel que présenté. Les autres comités suivront peut-être notre exemple en établissant des montants très peu élevés.
La présidente: Je signale constamment aux membres du Comité de la régie interne que nous présentons le budget le moins élevé de tous les comités ou presque et que nous avons aussi les dépenses les moins élevées, mais que notre comité est celui qui adopte le plus grand nombre de mesures législatives.
Le sénateur Bryden: Je propose l'adoption du budget.
La présidente: Est-ce d'accord?
Des voix: D'accord.
La présidente: Je vais signer le budget et le présenter immédiatement au Comité de la régie interne.
Nous allons poursuivre notre examen du projet de loi S-32, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles (promotion du français et de l'anglais). Nous débuterons ce matin par l'exposé de Mme Dyane Adam, commissaire aux langues officielles, puis par celui des responsables du ministère de la Justice.
Nous sommes heureux de vous accueillir parmi nous.
[Français]
Mme Dyane Adam, commissaire, Commissariat aux langues officielles: Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l'occasion d'exprimer ma position sur le projet de loi S-32. En fait, j'avoue d'entrée de jeu que j'ai applaudi cette initiative du sénateur Jean-Robert Gauthier. Comme je l'ai d'ailleurs souligné dans mon rapport annuel et dans plusieurs autres publications du commissariat, des modifications devraient être apportées à la Partie VII de la Loi sur les langues officielles, afin que l'engagement du gouvernement à l'égard de la promotion du français et de l'anglais soit respecté.
Certains d'entre vous le savent, je suis moi-même issue d'une communauté minoritaire, car j'ai grandi à Cassleman, en Ontario. Vous comprendrez qu'avec cette fibre franco-ontarienne qui me caractérise, j'ai été très touchée en lisant le discours livré par le sénateur Gauthier ici-même, en cette salle, le 6 février dernier. Avec émotion, il vous a exhorté à sensibiliser vos collègues à l'urgence d'agir!
Nul besoin de vous dire que plusieurs d'entre nous qui sommes issus des communautés de langues officielles minoritaires, craignons les résultats du prochain recensement. Aujourd'hui, moi aussi je viens vous livrer un message en ce sens et confirmer cette urgence.
Le projet de loi S-32 découle de la nécessité de concrétiser l'engagement formel pris par le gouvernement en 1988 et de clarifier la portée de l'article 41 inscrit dans la Partie VII de la loi. À cette époque, l'honorable Lucien Bouchard, alors secrétaire d'État, déclarait devant le comité sénatorial chargé d'étudier la nouvelle loi que l'introduction de la Partie VII et, plus particulièrement, l'article 41, créaient une obligation d'agir pour le gouvernement fédéral.
En août 1994, le gouvernement de l'heure adoptait le Cadre de responsabilisation ministérielle, la première stratégie gouvernementale d'application de la Partie VII, depuis la promulgation de la Loi sur les langues officielles en 1988.
[Traduction]
Ainsi, 27 institutions fédérales désignées sont tenues d'élaborer un plan d'action annuel ou pluriannuel en consultation avec les communautés minoritaires de langue officielle. Les administrateurs de ces institutions doivent soumettre un rapport sur leurs réalisations de l'année précédente au ministre du Patrimoine canadien. Le ministre fait ensuite rapport au Parlement sur les résultats atteints.
Malgré ces engagements et ces mécanismes, force est de constater une certaine stagnation. L'ambiguïté sur la portée de l'article 41 en est certainement en bonne partie responsable. Un plus grand leadership aurait-il permis de préciser et de renforcer davantage le cadre d'application et d'en améliorer l'impact?
Dans son discours du Trône du 30 janvier 2001, le gouvernement a renouvelé son engagement à l'égard du développement des communautés minoritaires de langue officielle. Ce fut la plus importante mention des langues officielles dans un discours du Trône depuis 15 ans. Quelques mois plus tard, le 25 avril 2001, le premier ministre Jean Chrétien assignait la responsabilité de la coordination des dossiers touchant les langues officielles à l'honorable Stéphane Dion, président du Conseil privé et ministre des Affaires intergouvernementales. Pour réaliser son mandat, M. Dion devra élaborer un nouveau cadre d'action afin de renforcer le Programme des langues officielles.
Tout comme les communautés minoritaires de langue officielle du Canada, j'attends avec impatience ce cadre stratégique du gouvernement, car il reste un bon bout de chemin à parcourir avant d'atteindre le seuil de rentabilité qui soit à la mesure des impératifs de la Partie VII.
[Français]
Le Comité mixte permanent des langues officielles s'est penché également sur cette problématique de l'article 41 de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles qui soulève la question suivante:
L'article 41 constitue-t-il en fait une déclaration d'intention ou crée-t-il une obligation d'agir pour le gouvernement fédéral? S'il entraîne une obligation d'agir, de quelle façon pourrons-nous présenter les limites de l'action gouvernementale et dans quelle mesure les tribunaux pourront-ils intervenir pour en assurer le plein respect?
Qui dit ambiguïté et confusion, dit habituellement stagnation et ambivalence. L'appareil fédéral ne sait pas ce qu'on attend de lui. L'administration a besoin d'un message clair et cohérent. La problématique pourrait être clarifiée de diverses façons, soit par les voies politique, réglementaire, judiciaire ou législative.
Sur le plan politique, le gouvernement pourrait choisir d'exprimer clairement et fermement sa volonté de reconnaître le caractère impératif de son engagement dans la Partie VII. Bien sûr, cette approche a le désavantage d'être à la remorque de la volonté du gouvernement de l'heure. Sur le plan réglementaire, le gouvernement pourrait décider d'adopter un cadre réglementaire qui lui permettrait de gérer efficacement la mise en œuvre de la Partie VII. Cette piste mérite certainement d'être explorée.
Pour ce qui est de la voie judiciaire, le Commissariat l'a prise dans le cadre de la Loi sur les langues officielles et de la Loi sur les contraventions. Cependant, la Cour fédérale a déclaré qu'elle n'avait pas la compétence pour se prononcer sur la portée de la Partie VII de l'article 41 de la loi puisque l'article 77 de cette même loi, qui prévoit le droit de recours, ne spécifie pas qu'un recours puisse porter sur un manquement à l'article 41. Le gouvernement pourrait également déposer un renvoi à la Cour suprême du Canada et demander une interprétation juridique claire et précise. L'inconvénient, c'est qu'il s'agit là d'un processus long et coûteux.
En ce qui a trait à la voie législative, c'est celle qu'a choisi le sénateur Gauthier avec le projet de loi S-32. Légiférer, c'est le propre des parlementaires. Peu importe le moyen que le gouvernement prendra pour corriger la situation, encore une fois, je tiens à vous rappeler l'urgence d'agir. L'avenir de nos communautés de langues officielles, et même de la dualité linguistique au pays, en dépend.
[Traduction]
Par ailleurs, j'aimerais proposer des modifications qui auraient pour effet de bonifier le projet de loi S-32, en ajoutant au texte actuel de l'article 41 deux paragraphes, et probablement un troisième à une date ultérieure, visant à préciser le caractère impératif de l'engagement énoncé en imposant de façon plus explicite une obligation aux institutions fédérales et à prévoir le pouvoir d'adopter des règlements d'application afin d'assurer la mise en place d'un régime d'application approprié de la Loi sur les langues officielles.
Le texte actuel de l'article 41 resterait tel quel, alors qu'on ajouterait un deuxième, un troisième et probablement un quatrième paragraphe à la fin du texte. Le quatrième paragraphe proposé ne paraît pas dans le texte que vous avez reçu, mais nous vous le distribuons immédiatement.
Le premier paragraphe se lirait comme suit:
(2) Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises les mesures positives nécessaires pour assurer la mise en oeuvre de cet engagement.
Le paragraphe suivant se lirait comme suit:
(3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement visant les institutions fédérales, fixer les modalités d'exécution des obligations que la présente partie leur impose.
Dans le texte que vous avez reçu, nous avions proposé une modification au paragraphe 77(1), mais on nous a informés que cette modification pourrait entraîner des difficultés techniques. Mais à coeur vaillant rien d'impossible, et nous proposons que le paragraphe additionnel suivant soit ajouté au texte:
(4) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation prévue à la présente partie peut formuler un recours devant le tribunal en vertu des dispositions de la Partie X.
[Français]
Lors de cette présentation du 6 février dernier, le sénateur Gauthier vous a informés d'un échange de correspondances entre certains ministres. J'aimerais réagir à certaines des inquiétudes qui ont été véhiculées. Une inquiétude revenait face à ce projet de loi qui, selon eux, pourrait se traduire par une «judiciarisation» accrue de la Partie VII. Le sénateur Gauthier a mentionné que le président du Conseil privé et ministre responsable de la coordination du dossier des langues officielles, l'honorable Stéphane Dion, lui a fait part de la même inquiétude dernièrement. Il en a été de même pour la ministre du Patrimoine canadien dans une lettre qu'elle a adressée au sénateur Gauthier en novembre 2001.
Pour ma part, je crois que le recours aux tribunaux ne sera pas privilégié par les citoyens, les citoyennes ou par les minorités linguistiques si les gouvernants, les gouvernements et les leaders adoptent une approche proactive. En faisant preuve de leadership et en s'inspirant de la jurisprudence des dernières années, ces derniers pourraient éviter la contestation judiciaire.
Je crois, tout comme le sénateur Gauthier, que les communautés de langue officielle, avec leurs moyens financiers restreints, ne s'engageront pas dans des recours frivoles. Il faut en effet beaucoup d'argent, d'énergie et de patience pour se lancer dans de telles aventures. Toutefois, la contestation judiciaire peut devenir nécessaire, voire inévitable lorsqu'il n'y a plus d'autre choix. Je crois qu'il faut voir quelle est la réalité en ce qui a trait aux recours qui ont été déposés en vertu de la Loi sur les langues officielles depuis qu'elle a été modifiée, c'est-à-dire depuis 1988.
Il importe de savoir que la grande majorité des recours exercés en vertu de la Loi sur les langues officielles découlent de manquements à des obligations clairement énoncées, soit à la Partie IV portant sur les services et les communications au public, à la Partie V, portant sur la langue de travail, et aussi à l'article 91, qui touche la dotation des fonctionnaires.
On ne peut pas parler d'avalanche de recours depuis que cette disposition est dans notre loi. Les huit recours qui ont été initiés par le Commissariat découlaient de problèmes systémiques causés par un non-respect des obligations de la Partie IV reliée aux services du public. Les cas les plus notoires touchaient les services au public voyageur offerts par VIA Rail et par la société Air Canada.
Mentionnons également que, depuis 1988, 26 recours furent exercés par les plaignants eux-mêmes et, de ces recours, 80 p. 100 étaient présentés par les employés de la fonction publique, concernant la Partie V, VI, et l'article 91. Si on fait valoir une crainte d'un excès de judiciarisation, le passé n'appuie pas une telle crainte.
Je comprends que l'une des principales préoccupations du gouvernement fédéral concerne également les coûts associés à la pleine mise en œuvre de telles obligations. Certains membres du gouvernement se demandent si les communautés minoritaires de langue officielle ne pourraient s'appuyer sur l'article 41 pour exiger la mise en place d'institutions ou de services.
Je ne crois pas qu'il faille craindre ces abus à ce chapitre. En exerçant son pouvoir réglementaire, le gouvernement pourrait mieux définir et circonscrire lui-même les modalités d'exécution de ses obligations et ce, de concert avec les minorités de langue officielle. Ces dernières sont d'ailleurs prêtes à travailler en collaboration avec le gouvernement fédéral et n'attendent qu'un signal pour se concerter à ce sujet.
Enfin, comme le mentionnait le sénateur Rivest:
Ce ne sera pas aux tribunaux de dire si, par exemple, le ministère du Patrimoine canadien doit octroyer 10 ou 15 millions. Ce sera l'appréciation politique.
[Traduction]
En conclusion, je tiens à rendre hommage au sénateur Gauthier pour son attachement indéfectible à la cause des langues officielles au Canada. Son engagement et son dévouement sont légendaires. Il jouit d'une grande crédibilité tant auprès de ses collègues au Parlement qu'auprès des communautés de langue officielle partout au pays.
Son projet de loi et les modifications que je propose à l'article 41 offrent une voie permettant de clarifier la portée de la Partie VII. Nous oeuvrons tous les deux pour une meilleure interprétation de la loi qui favoriserait l'épanouissement des communautés linguistiques vivant en situation minoritaire et assurerait leur développement.
Selon moi, le gouvernement dispose de l'occasion idéale de démontrer son engagement renouvelé à l'égard du développement des communautés de langue officielle, comme il l'a indiqué lors du dernier discours du Trône.
En terminant, j'aimerais souligner le fait que le Comité mixte permanent des langues officielles a entrepris de se pencher sur la Partie VII de la Loi sur les langues officielles afin de faire la lumière sur les défis de sa mise en oeuvre et sur le cadre réglementaire qui permettrait de combler le vide administratif actuel. J'ai l'intention de continuer à offrir à ses membres mon entière collaboration pour atteindre cet objectif primordial.
[Français]
Je serai heureuse de répondre à vos questions et d'entendre vos commentaires.
Le sénateur Beaudoin: J'ai une question fondamentale. L'amendement du sénateur Gauthier se reporte aux paragraphes 16 (1) et 16 (3) de la Loi constitutionnelle, c'est-à-dire à la progression vers une belle symétrie linguistique. Voulez-vous qu'un pouvoir réglementaire joue en même temps?
Mme Adam: Oui.
Le sénateur Beaudoin: C'est la deuxième fois qu'on a cela ici. Je trouve que c'est intéressant. Et si on avait les deux? Autrement dit, si l'amendement du sénateur Gauthier était accepté et que l'amendement pour habiliter l'exécutif était réglementé davantage, ce serait déjà beaucoup. À ce moment-là, je serais d'accord avec cela. C'est une bonne idée.
Cependant, vous allez plus loin. Au paragraphe 4, c'est un recours différent:
Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation prévue à la présente partie peut former un recours [...]
Je n'ai rien contre les recours devant les tribunaux. Règle générale, cela a toujours le mérite d'être clair et, surtout, obligatoire. Lorsque la cour parle, c'est obligatoire. Est-ce que cela serait parallèle? Il y aurait un pouvoir réglementaire et, en même temps, un recours devant les tribunaux? C'est ce que vous voulez?
Mme Adam: Oui.
Le sénateur Beaudoin: Cela permet d'activer les choses. Alors que serait l'article 41(2)?
Mme Adam: Ce serait:
Il incombe aux institutions fédérales de veiller à ce que soient prises les mesures positives nécessaires pour assurer la mise en oeuvre de cet engagement.
J'insiste sur le mot «positives». C'est pour clarifier l'obligation d'agir.
Le sénateur Beaudoin: Un jour, la cour dira si j'ai raison ou tort. Je pars du principe que l'article 41 est exécutoire et impératif. Qu'il y ait un amendement ou non, d'après moi, il est déjà impératif. À ce moment, en quoi les institutions peuvent-elles voir ce que le gouvernement fédéral fait? Les institutions fédérales relèvent du gouvernement fédéral. Comment fonctionnera tout cela?
Je préfère que l'administration fédérale soit soumise à une loi ou à un règlement, parce que c'est ce qui la fera agir. Comment les fonctionnaires peuvent-ils faire agir l'institution? Il faut que la loi le précise, n'est-ce pas?
Mme Johane Tremblay, directrice des services juridiques, Commissariat aux langues officielles: Effectivement, le paragraphe 2 a pour objectif d'imposer aux institutions fédérales l'obligation de prendre les mesures. L'obligation est clarifiée. Comme vous le dites, l'article 41, tel qu'il existe, est déjà impératif et impose déjà des obligations. Ce n'est pas tout le monde qui partage cette opinion. Il y a ambiguïté. L'ajout du paragraphe rend l'article 41 plus précis. On énonce clairement l'obligation. Le paragraphe 3 donne la possibilité au gouvernement de définir les modalités d'exécution de cette obligation. Avec le paragraphe 4, si certaines institutions ne prennent aucune mesure ou, par exemple, ne se conforment pas aux dispositions du règlement, il y aurait possibilité d'une plainte devant la commissaire et d'un recours.
Le sénateur Beaudoin: Il y aurait un recours?
Mme Tremblay: Oui, en vertu de la Loi sur les langues officielles.
Mme Adam: C'est ce qui existe pour d'autres parties de la loi où il y a effectivement des dispositions, mais où il y a aussi un règlement. Il y a aussi possibilité de recours. En fait, il s'agit de renforcer la Partie VII et de la clarifier. Comme vous, notre position au commissariat a toujours été que la Partie VII était exécutoire.
Le sénateur Beaudoin: Ce n'est pas partagé par tout le monde.
Mme Adam: C'est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui.
Le sénateur Beaudoin: On lit tous les arrêts devant les tribunaux, et les juges font comme d'habitude. Ils se restreignent à la preuve devant eux et ils n'empiètent pas. Par exemple, on ne peut faire dire à un jugement ce qu'il ne dit pas. Selon moi, il est bien de proposer des amendements. Un pour dire que c'est impératif, un autre pour dire qu'il faut agir, et un troisième pour dire qu'il faut bouger.
[Traduction]
La présidente: Pour faire suite aux propos du sénateur Beaudoin, la deuxième modification que vous proposez se lit comme suit dans la version anglaise:
Federal instutitions shall ensure that concrete steps are taken to fulfil this commitment.
Du point de vue de la loi, quelle est la signification de «concrete steps»? Je n'en vois aucune.
Mme Adam: Par «concrete steps», on doit comprendre «positive measures», c'est-à-dire une obligation d'agir. Le texte anglais pourrait être raffiné. Le texte français est probablement meilleur.
La présidente: En effet.
Mme Adam: Peut-être n'avons-nous pas examiné aussi attentivement que nous l'aurions dû la qualité de la traduction.
Le sénateur Fraser: Dans la modification (3) proposée, le gouverneur en conseil peut par règlement... fixer des modalités d'exécution. Pourquoi ne dit-on pas qu'il doit par règlement... fixer ces modalités? Je crains que si cela se résume à une question de règlement, le gouvernement ne maintienne le statu quo en évitant de prendre le règlement.
Ma deuxième question porte sur mon français qui est très hésitant. En anglais la modification (2) proposée se lit comme suit: «Federal institutions shall ensure that concrete steps are taken». En français, le texte se lit comme suit: «Il incombe aux institutions fédérales». Est-ce que le mot «incombe» est aussi impératif que les mots «shall take»? Je ne le crois pas. Est-ce que j'ai tort?
Mme Adam: C'est un point très intéressant. Nous n'avons pas comparé les textes, alors que nous devrions normalement le faire. Le ministère de la Justice est plus compétent que nous dans ce domaine, parce qu'il prépare régulièrement des textes de loi. Vous avez raison: il est très important que les deux versions aient la même portée.
Le sénateur Fraser: Lequel a le sens le plus fort, «shall take» ou «incombe»?
Mme Adam: «Shall».
[Français]
Le sénateur Fraser: En français, on dit: «il incombe aux institutions fédérales», et en anglais on dit: «Federal institutions shall insure». Je pense que les mots «shall insure» sont plus forts.
Le sénateur Rivest: Les mots «il incombe», semblent simplement attributifs.
Le sénateur Fraser: Cela va pour le numéro 2, maintenant passons au numéro 3 avec les mots «may make regulations» plutôt que les mots «shall make regulations».
[Traduction]
Mme Tremblay: Dans la version anglaise, je crois que le terme utilisé devrait être «take measures». Le ministre du Patrimoine canadien est déjà dans l'obligation de prendre des mesures. Par le paragraphe 41(2), nous voulons imposer cette obligation à toutes les institutions, et non seulement au ministre.
Pour ce qui est du pouvoir réglementaire, c'est le texte qui est habituellement utilisé. Le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire d'adopter le règlement. D'après moi, le mot «peut» signifie parfois «doit». La Partie IV comporte une disposition semblable. Le mot «peut» paraît dans le texte, mais une forte pression s'est exercée sur le gouverneur en conseil pour qu'il adopte le règlement relatif à la Partie IV pour que ce règlement devienne applicable. Ce règlement a été adopté pour la mise en application de la Partie IV.
Le sénateur Fraser: Est-ce qu'une décision judiciaire a été rendue à ce sujet ou est-ce que des pressions politiques ont été exercées?
Mme Tremblay: Non. Ils ont assumé leurs responsabilités et adopté le règlement relatif à la Partie IV. Si nous prévoyons une disposition spécifique dans la Partie VII, le mot «peut» serait interprété comme s'il s'agissait du mot «doit», selon moi. Nous pourrions étudier cette question plus en profondeur.
Le sénateur Fraser: Vous en savez certainement plus que moi à ce sujet.
Mme Adam: Vos préoccupations peuvent être fondées. Même si un règlement a été prévu en ce qui concerne la Partie IV, le gouvernement pourrait aussi prévoir un règlement en ce qui concerne la langue de travail. Il ne l'a pas fait. Donc, le mot «peut» n'équivaut pas au mot «doit» dans ce cas précis. Cela a été laissé à la discrétion du gouverneur en conseil.
[Français]
Le sénateur Rivest: J'aimerais préciser toute la question de la judiciarisation, qui n'apporte pas nécessairement, dans la rédaction et dans les amendements que vous suggérez, une obligation de résultat. Il est un peu difficile de mesurer jusqu'où cela peut aller.
Par exemple, le projet francophone de la ville de Calgary vise à soutenir la communauté francophone de l'Alberta et de la ville de Calgary. Dans le projet, je crois qu'il y a un centre d'accueil pour les personnes âgées et des activités pour les jeunes, des salles de spectacle, et tout le reste. Les gens pourraient-ils recourir aux tribunaux pour dire que le gouvernement fédéral, pour satisfaire aux exigences de l'article 41, a acheté un terrain?
Dans votre mémoire et dans votre présentation, vous dites que les gens ne le feront pas nécessairement, parce que c'est dispendieux d'aller devant les tribunaux. Vous soulignez aussi l'aspect réglementaire. Je comprends que les règlements seraient très utiles, mais les règlements ne pourraient pas permettre au gouvernement fédéral de se désengager de ses responsabilités. Il y aura toujours un contexte de coupures ou de compressions budgétaires. Pourrait-on aller devant les tribunaux pour contester une coupure budgétaire?
Le sénateur Joyal: Oui.
Le sénateur Rivest: Dans votre mémoire, vous avez souligné que l'initiative du sénateur Gauthier est bonne. Il faut clarifier l'ambiguïté et rendre cela exécutoire. Ce n'est pas la seule dimension, il y a aussi une dimension politique.
Mme Adam: Il s'agit de trouver le modèle et l'encadrement qui permettra d'atteindre l'objectif. Pour moi, l'objectif est le maintien et l'épanouissement de nos communautés minoritaires de langue officielle. Il faut jouer sur plusieurs plans, parce cela implique de multiples acteurs, y compris les communautés elle- mêmes.
L'avantage du Règlement qui accompagnerait la Partie VII permetttrait au gouvernement de préciser ses obligations et de bien encadrer l'action administrative. Cela est très important en ce moment. Ce genre de mesures pourrait également permettre de tenir compte de la grande diversité de situations par rapport au stade de vitalité et de développement des communautés. Elles sont très différentes, même lorsqu'on parle de communautés sur le territoire canadien dans une même province. Le Règlement pourrait offrir une possibilité d'action plus adaptée.
Je crois que c'est un peu ce que vous avez à déterminer comme législateurs. Comment allez-vous décider d'intervenir au niveau législatif, au niveau réglementaire et à d'autres niveaux, si cela s'avère nécessaire.
Le sénateur Gauthier: Je suis d'accord avec vous que l'article 41, tel qu'amendé par le projet de loi S-32, manque un peu de mordant. Vous avez ajouté au libellé en expliquant clairement ce qu'est une institution et ses pouvoirs.
Je me suis inspiré de la Loi sur le Nouveau-Brunswick, mais je n'ai pas inclus le mot «positif» dans mon libellé. Les gens m'ont dit que j'allais déjà secouer l'arbre suffisamment. Si le mot «positif» peut offrir une meilleure interprétation, tant mieux!
Dans votre exposé, vous avez fait allusion à l'ambiguïté du texte actuel et son interprétation. J'aimerais vous soumettre que cette interprétation restreint votre rôle de commissaire aux langues officielles.
La loi stipule que vous avez un pouvoir d'enquête, et que ce pouvoir s'étend à la promotion des langues. Je peux vous donner l'article de la loi, mais je crois que vous connaissez cette loi mieux que moi. C'est un pouvoir réel de faire enquête et de faire la promotion des communautés de langue officielle. Vous avez le pouvoir d'intervenir dans certaines choses.
Je ne suis pas tout à fait convaincu que l'article 77 est restrictif. L'article 77 est le droit de recours. Je pense que l'article 77(5) vous donne une latitude beaucoup plus grande que celle que les commissaires qui vous ont précédés ont utilisée depuis 1988. Vous sentez-vous quelque peu restreinte dans vos actions par le fait que l'interprétation de l'article 41 est minimaliste et déclaratoire, et par le fait que ce sont de bons vœux pieux, mais que cela n'est pas obligatoire?
D'après moi, cela va à l'encontre de la décision de 1988 lors de l'adoption de la loi. On donnait des obligations au gouvernement. Est-ce que cela vous restreint dans votre pouvoir d'enquête?
Mme Adam: D'abord, il faut se demander si nous recevons des plaintes concernant la Partie VII de la loi. Le Commissariat en a reçu très peu. Probablement que cela est largement dû à ce que vous dites, c'est-à-dire l'ambiguïté. Comment vraiment définir les obligations d'un tel ministère ou tel autre par rapport à la Partie VII? Cela est plus nébuleux. Nous avons eu quelques plaintes, et nous avons dans certains cas clairement établi qu'il y avait eu non-respect de l'esprit et de la lettre de la Partie VII.
Je vais vous diriger à mon collègue de droite qui est un expert en ce qui concerne la Partie VII. Il pourra aller un peu plus dans l'historique du Commissariat depuis 1988, en fait depuis que nous avons la Partie VII. Je lui cède la parole.
Jean-Claude Le Blanc, directeur de l'analyse des politiques gouvernementales et de la liaison, Bureau du Commissariat aux langues officielles: Il faut bien se rendre compte, lorsqu'on examine la nature des obligations et des objectifs à réaliser à l'article 41, par rapport à l'objectif de servir le public dans la langue officielle de son choix, de la différence de complexité, des nuances qui doivent être présentes.
Par exemple, si je simplifie à l'extrême, une affiche est soit unilingue ou soit bilingue; l'accueil téléphonique d'un fonctionnaire est soit dans une langue, soit dans l'autre, ou bien le service est offert dans les deux langues. C'est une appréciation, un jugement qui peut être porté par rapport à une situation relativement simple.
On peut s'interroger, par exemple, à savoir si le gouvernement fédéral et, en particulier, peut-être à cause du mandat statutaire qui lui incombe, le ministère du Patrimoine canadien, ont pris les mesures suffisantes. C'est le genre de question qu'il faut poser pour faire en sorte que l'article 23 de la Charte, le droit à l'instruction dans la langue de la minorité, soit pleinement respecté à l'échelle du pays. A-t-il pris toutes les mesures qu'il aurait pu prendre?
La question est très complexe et ne se prête pas au même genre de règlement d'application que le bilinguisme institutionnel. Il faut donc beaucoup réfléchir sur la façon de s'y prendre pour bien encadrer l'état d'esprit, les paramètres, les modalités d'application et les systèmes de gestion qui sont nécessaires pour que chaque institution fédérale qui ne peut, à elle seule, réaliser les objectifs inscrits à l'article 41, contribue suffisamment en fonction de son mandat, de ses programmes, des ses ressources et de son influence.
Mme Adam: La réponse à la question du sénateur Gauthier, c'est que cela restreint notre pouvoir d'enquête parce que cela n'est pas clairement défini, d'abord à cause de l'ambiguïté et de l'interprétation qu'on en fait au sein de l'appareil fédéral et, deuxièmement, parce qu'il n'y a peut-être pas de cadre clairement défini pour guider l'action des ministères et des agences assujetties à cette partie de la loi.
Le sénateur Gauthier: En 1991, M. Michel Bastarache a émis une opinion au sujet de la Partie VII. Peut-on partager cette opinion avec les membres du comité? Si oui, j'aimerais qu'on la fasse circuler parce qu'elle est très utile. M. Bastarache est un homme qui a étudié le problème et qui sait de quoi il parle. Je me suis un peu inspiré de cela.
J'étais impliqué avant cela, mais M. Bastarache a donné un appui additionnel à ma cause. J'aimerais que les membres du comité puissent lire cette opinion. Je ne l'ai qu'en français, alors peut-être voudrez-vous la faire traduire.
[Traduction]
La présidente: Si vous la lisez devant nous, elle le sera.
Le sénateur Fraser: C'est une opinion entièrement juridique.
La présidente: Quelle est la longueur de cette opinion juridique? Allez-vous la lire?
Le sénateur Gauthier: Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une opinion juridique.
[Français]
Le sénateur Gauthier: C'est plutôt une opinion.
Mme Adam: Pour préciser, c'est un avis qui avait été demandé à un consultant, à un groupe de juristes dont M. Bastarache faisait partie en 1991. C'était le Commissariat, bien sûr, qui l'avait demandé. Le document auquel le sénateur Gauthier fait allusion est un document qui a déjà été déposé au Comité mixte permanent des langues officielles. Il doit déjà y avoir une traduction.
[Traduction]
La présidente: Dans ce cas, plutôt que de la lire, sénateur Gauthier, nous en ferons des copies que nous distribuerons à tous les membres du comité.
Le sénateur Gauthier: Puis-je vous donner le titre du document?
La présidente: Oui.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Le document s'intitule «La portée juridique de la Partie VII de la Loi sur les langues officielles du Canada». C'est signé Michel Bastarache et Andréa Ouellet.
Le sénateur Joyal: Je voudrais d'abord, madame Adam, vous dire la reconnaissance et la satisfaction que j'ai eue, personnellement, dans l'initiative que vous avez prise d'intervenir dans la cause de l'Association des juristes d'interprétation française, qui a amené le jugement Blais de la cour d'appel fédérale en mars 2001. Hier, comme vous le savez probablement, la présidente du Conseil du Trésor, Mme Lucienne Robillard, a déclaré qu'une telle politique évitera des situations comme celles des contraventions sur les terres fédérales lors de la signature d'une entente avec le gouvernement ontarien en 1996, où on a oublié de respecter notamment la Loi sur les langues officielles. Mais il en aurait été autrement si la politique annoncée avait été en vigueur.
Pour mes collègues, on sait qu'il s'agit d'une politique annoncée hier par la présidente du Conseil du Trésor, Mme Robillard, à l'effet que lorsqu'il y aura la création de nouvelles agences ou des transferts de responsabilités, le gouvernement canadien s'assurera que les obligations définies dans la loi seront satisfaites par les nouvelles autorités responsables de la prestation de ces services.
Si Mme Adam n'était pas intervenue pour soutenir l'Association des juristes et si le juge Blais n'avait pas fait droit à la requête, il est à douter qu'on aurait ce jugement aujourd'hui.
Par conséquent, je tiens à affirmer que les initiatives judiciaires sont essentielles à l'application d'une politique. Il y a cinq ans, je crois que votre prédécesseur, M. Goldbloom, avait prévenu le gouvernement de ces dangers, et il a fallu un jugement qui ordonne au gouvernement de prendre acte de la loi pour en arriver à un certain résultat. Mme Adam, je tiens à vous remercier de l'avoir fait, même si le jugement Blais nous amène à discuter ce dont nous discutons aujourd'hui.
J'utiliserai ici une notion de droit civil qui fera plaisir au sénateur Beaudoin. Lorsqu'on lit l'article 41 de la loi, on voit que ce qui y est enfermé est une obligation de moyens, non pas une obligation de résultats. En pratique, le gouvernement a l'obligation de prendre les moyens pour soutenir le développement des communautés minoritaires de langue officielle au Canada, l'épanouissement du français à l'échelle du pays.
Attardons-nous ici aux communautés minoritaires de langue officielle. Le gouvernement s'engage donc à prendre ces moyens mais ne s'engage pas au résultat. Il ne peut être tenu compte du résultat parce qu'en pratique, lorsque les résultats du dernier recensement seront connus — et on prévoit qu'ils ne seront pas positifs — le taux d'assimilation continuera, et le ministre Stéphane Dion, lors de ses récents discours, y faisait allusion de façon quasi apocalyptique.
La nécessité pour le gouvernement de revoir les moyens est réelle, compte tenu de la mesure statistique du gouvernement lui- même. À mon avis, le recensement remettra en lumière cette obligation de moyens qu'a le gouvernement canadien. En pratique, ce que le gouvernement cherche à faire, c'est d'avoir une sorte de sanction qui ne soit pas que politique, car les minorités de langues officielles n'ont pas de poids politique.
Par exemple, lorsque ce projet de loi reviendra au Sénat, il ne sera pas adopté par la majorité francophone parce qu'au Sénat, il n'y a pas de majorité francophone. Le projet de loi sera adopté par une majorité essentiellement constituée de sénateurs anglophones. Si ces sénateurs anglophones ont des réserves à l'égard des moyens que le gouvernement canadien doit prendre, ils n'appuieront pas le projet de loi. Il faut préciser la nature juridique de l'obligation que le gouvernement canadien assume tel qu'énoncé à l'article 41.
[Traduction]
Ma deuxième question porte sur le jugement du juge Blais. Le paragraphe 91 du jugement se lit comme suit:
[Français]
Il importe de mentionner, par contre, que la Cour d'appel fédérale a statué dans De Vina que les recours en vertu de l'article 18 (1) de la Loi sur Cour fédérale sont toujours possibles pour des manquements aux parties de la Loi sur les langues officielles non prévues au paragraphe 77(1) de la loi. Je n'ai pas à y revenir en l'espèce, sauf pour préciser que la partie demanderesse a choisi de n'utiliser que les recours en vertu de l'article 78.
Ceci dit, ne pourrait-on pas obtenir des tribunaux une interprétation obligatoire de l'article 41, eu égard aux dispositions de 77 et 78? N'y aurait-il pas lieu de se préparer à analyser la nature de l'obligation juridique énoncée à l'article 41 et de préparer un recours en vertu de l'article 18? C'est un peu ce que le juge Blais nous dit, sans refuser abruptement de recueillir votre argument, parce que c'est ce que vous aviez plaidé vous-même. Le juge dit: «Votre argument n'est pas recevable. Par ailleurs, il le serait peut-être si vous reveniez avec l'article 41».
Compte tenu des aléas politiques, on ne sait pas comment le gouvernement canadien réagira au projet de loi du sénateur Gauthier. À mon avis, la lettre du ministre du Patrimoine canadien que vous avez citée ainsi que les réactions du ministre responsable des programmes de soutien aux minorités francophones semblent comporter des réserves.
Vous savez sans doute qu'il s'est développé une attitude générale dans l'opinion canadienne de la part de plusieurs leaders politiques qui disent: «On n'aime pas faire ce qu'on fait, mais les tribunaux nous l'imposent». Je pourrais vous donner des exemples de jugements de la Charte où le tribunal a obligé les gouvernements à prendre des initiatives. Il y a même une loi qui a été adoptée ayant comme titre «[...] pour donner suite au jugement de la Cour suprême dans l'affaire X» — j'évite de mentionner le nom.
Les gouvernements semblent se détacher du leadership politique. Il est, à mon avis, extrêmement important que la question de l'article 41 reste l'un des éléments essentiels du problème de la survie des minorités, autant anglophones au Québec que francophones ailleurs au Canada.
Mme Adam: En tant que commissaire aux langues officielles, je considère qu'il faut persuader les législateurs d'agir conformément à l'esprit et la lettre de la loi. Comme le commissaire cherche à faire valoir et à influencer, il est rare que l'on n'utilise qu'un seul levier. Si la voie législative n'était pas adoptée ou souhaitée par ce gouvernement, il faudrait toujours considérer d'autres avenues.
Les parlementaires ont avantage à faire preuve de leadership. Je crois que j'ai dénoncé assez clairement, dans le premier rapport annuel depuis mon mandat, que y avait eu des reculs dans les droits linguistiques, une érosion causée par certaines décisions. Le leadership politique et administratif n'était pas au rendez-vous.
Il m'apparaît essentiel de raviver le leadership politique et administratif en matière de langues officielles. Certes, le droit juridique demeure une voie possible.
Comme le sénateur Joyal le signalait, le juge Blais nous a indiqué la voie à suivre et ce, en vertu de la Loi fédérale. Et advenant de cas où on n'aurait pas un mouvement législatif ou réglementaire en ce qui touche la Partie VII, on pourra considérer cette option.
Mme Tremblay: Je reviens à votre première question au sujet de la nature de l'obligation, à savoir s'il s'agit d'une obligation de moyen ou de résultat. L'amendement qu'on propose, à mon sens, en laissant le libellé de l'article 41 tel quel, contient les mots «s'engage à favoriser l'épanouissement et appuyer leur développement». Ce sont des termes qui ne vont pas aussi loin que «assurer». Lorsqu'on a une obligation d'assurer, c'est certainement plus clair qu'une obligation de résultat.
On pourrait donc dire que l'article 41 impose une obligation de moyen, mais qui peut être évaluée. En fait, les cours peuvent être appelées à établir si les institutions fédérales ont a rencontré l'obligation de moyen en fonction d'un résultat qui est de favoriser l'épanouissement. On se dirige vers un épanouissement des minorités francophones et anglophones, donc cela s'évalue quand même en fonction d'une obligation de moyen.
Concernant le recours au contrôle judiciaire prévu en vertu de la Loi sur cour fédérale, vous demandez si cela peut être examiné. Mme Adam a mentionné que c'est toujours une voie possible. C'est une voie qu'on aurait pu même exploiter dans le dossier sur les contraventions, mais on a préféré utiliser le recours en vertu de notre loi, et on a eu une clarification de la cour à ce niveau.
Il faut penser aussi qu'un recours de la sorte doit reposer sur une situation factuelle que la commissaire aura constatée dans le cadre d'une plainte, dans le cadre d'une enquête où elle aura conclu que, dans une situation précise, il y a eu un manquement aux obligations de l'article 41, et que l'institution concernée n'a pas l'intention de prendre les mesures pour rencontrer son obligation. C'est à cette étape, dans le contexte d'un dossier vivant, avec une communauté impliquée, que cela pourrait donner lieu à une exploration du recours en contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur la cour fédérale.
Le sénateur Joyal: Je pense que le résultat du recensement nous fournira la donnée sociologique nécessaire pour établir le besoin de mesures plus directes pour certaines communautés que pour d'autres, d'après le du taux d'assimilation. Il ne fait pas de doute que c'est uniquement à l'égard d'un manquement que vous intervenez. Il n'en demeure pas moins que les résultats du recensement seront, à mon avis, le signal du contexte à l'intérieur duquel il faudra évaluer l'obligation de moyen que le gouvernement fédéral doit prendre, selon les résultats qu'on aura constatés.
[Traduction]
Le sénateur Bryden: Je serai le plus bref possible. En écoutant la discussion, je me suis demandé si nous devions commencer par examiner l'interprétation législative de base du sens des articles.
Selon moi, il est clair que le but visé par les législateurs dans les parties IV et V était de créer des postes impératifs et des droits exécutoires. Du point de vue de la loi, la section d'application de la loi prévoit qu'ils doivent être mis en application.
Lorsqu'on lit la terminologie utilisée dans la Partie IV et qu'on la compare à celle de la Partie VII, on s'aperçoit rapidement que le but visé par les législateurs dans la Partie VII, surtout lorsqu'on lit la loi dans son ensemble, c'est que cette partie soit plutôt une déclaration d'intention et qu'elle soit plus habilitante en ce qui concerne les pouvoirs et les obligations du gouvernement.
Si c'est exact, est-ce que la modification proposée par le sénateur Gauthier à l'article 41 plus celles que vous proposez visent à rendre l'objet de la Partie VII comparable à celui des parties IV et V, ce qui la rend obligatoire et exécutoire du point de vue de la loi?
Mme Adam: Notre but est d'en préciser le sens. Autant que je sache, la Partie VII est présentement exécutoire. Une modification s'impose en raison de différents points de vue à ce sujet. Je n'ai pas de formation juridique, mais si une terminologie différente est utilisée pour préciser la position des législateurs en ce qui concerne les différentes parties, c'est peut-être que l'objet est plus difficile à quantifier, et cetera. Je ne crois pas qu'une terminologie différente soit utilisée parce qu'elle est déclaratoire ou indicative. C'est peut-être que la nature de la Partie VII rend les choses plus difficiles. C'est pourquoi nous devons envisager une terminologie susceptible de réduire cette ambiguïté.
M. LeBlanc: En qui concerne les droits à l'instruction, la Charte de 1982 fait en sorte que les gens peuvent transmettre leur langue et leur culture à leurs enfants lorsque les circonstances le permettent. La commission sur le bilinguisme et le biculturalisme a étudié la possibilité d'établir des districts bilingues, afin de créer un environnement dans lequel les gens faisant partie d'un groupe minoritaire dans leur province puissent bénéficier d'un appui complet en ce qui concerne leur langue — ils profiteraient ainsi d'une culture et de services gouvernementaux dans leur langue, tout en ayant la possibilité de travailler dans leur langue.
Par conséquent, je crois que le sens de la Partie VII tient compte de tout ce qui a été réalisé jusqu'à ce jour, des résultats positifs que nous avons obtenus et de la nécessité de mettre en place des mesures additionnelles, afin que les programmes gouvernementaux fédéraux puissent avoir ce genre d'impact. Bien entendu, le sens demeure général et le fait que sa portée pourrait être précisée occupe maintenant une place importante.
Le sénateur Bryden: Je suis tout à fait d'accord avec le témoin, mais j'en tire une conclusion différente. La Partie VII porte sur des éléments obligatoires et exécutoires. Dans la Partie VI, le gouvernement du Canada «s'engage à veiller à ce que», et le gouvernement du Canada doit veiller à ce que... Le texte est très clair et très précis.
Dans la même loi, à la page suivante, le libellé est plutôt différent et je crois que c'est intentionnel. Les mots utilisés sont les suivants: «Le gouvernement fédéral s'engage à favoriser l'épanouissement des minorités francophones...», plutôt que les mots «veiller à ce que».
Le paragraphe 43(1) stipule ce qui suit:
Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage [...]
Ensuite paraît la liste suivante: favoriser l'épanouissement...; encourager et appuyer...; encourager le public à mieux accepter...; encourager et aider...; et ainsi de suite.
La terminologie utilisée est très différente. En apportant la modification proposée par le sénateur Gauthier pour que le texte ait plus de mordant, pour reprendre ses paroles, et en ajoutant les deux modifications que vous proposez, nous ferons de la Partie VII une obligation exécutoire, comme pour la Partie V et la Partie VI. Est-ce bien cela?
Mme Adam: Je préciserais certainement que le texte n'est pas déclaratoire mais bien impératif. Comme je vous l'expliquais, lorsqu'on a demandé à M. Lucien Bouchard, secrétaire d'État de l'époque, d'expliquer le but visé par les législateurs en 1988, il a indiqué que la Partie VII, et l'article 41 en particulier, créait une obligation d'agir de la part du gouvernement fédéral.
C'est à vous de décider, mais les modifications que nous proposons et le projet de loi S-32 permettraient certainement de clarifier la situation. Ils seraient aussi conformes à la jurisprudence relative à l'interprétation des droits linguistiques au Canada.
Comme l'a affirmé le sénateur Beaudoin, les textes de loi ne sont pas rédigés en vain et les droits linguistiques devraient être interprétés de manière réfléchie. Cette intervention est conforme à la jurisprudence.
Le sénateur Bryden: Le sénateur Beaudoin ne sera pas surpris d'apprendre que je ne suis pas toujours d'accord. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une clarification des droits. Cette modification ainsi que celles que vous proposez bouleverseront les obligations du gouvernement du Canada. Je ne dis pas qu'il faut l'éviter, mais je ne crois pas que nous rendions service aux législateurs et à la population du Canada en affirmant, en toute déférence, que nous apportons simplement des précisions au texte actuel. Ces obligations n'existent pas dans le texte actuel. Il s'agit plutôt de bonne volonté, pour utiliser un terme politique, et d'une intention.
Je viens du Nouveau-Brunswick et je suis un anglophone unilingue de la seule province officiellement bilingue au pays. Des mesures de protection sont prévues pour les institutions minoritaires et ainsi de suite. Pour avoir vécu et travaillé dans un environnement semblable, il est clair selon moi que si le centre culturel du sénateur Rivest est créé à Calgary en vertu de la Partie VII, le groupe minoritaire qui vit à Saskatoon aurait alors le droit d'intenter une action en affirmant qu'il a les mêmes droits étant donné que le gouvernement s'engage non seulement à favoriser l'épanouissement, mais aussi veille à ce que ce genre d'institution soit créé. Il s'agit d'un engagement de taille dont les répercussions sont importantes.
Comme je vous le disais, je parle par expérience. J'étais sous- ministre de la Justice à l'époque. Cela a été très bon pour le Nouveau-Brunswick. Les Acadiens sont très fiers de leur institution, et ils font toujours pression pour que la situation progresse.
Toutefois, je ne voudrais pas que nous affirmions, comme nous l'avons fait hier devant l'autre groupe qui s'est présenté devant nous, que nous apportons simplement des précisions au texte actuel. Selon moi, et il peut y avoir divergences d'opinion, c'est un changement important.
M. Le Blanc: Sénateur, je comprends pourquoi vous en venez à cette conclusion. Personnellement, je crois que le but que nous visons est de rendre le texte plus explicite. Le choix de mots se rapporte peut-être moins au début de la phrase qu'à la fin, parce que le gouvernement du Canada ne peut pas garantir l'épanouissement total des minorités des communautés de langue officielle.
En français, le mot «épanouissement» a une portée encore plus vaste. D'après le dictionnaire, ce mot désigne le développement total d'une personne ou d'une communauté dans toutes ses possibilités, ce qui est encore plus difficile, toutes ces possibilités devant être pleinement équilibrées et en harmonie les unes avec les autres.
Il est inconcevable de penser que nous pourrions obtenir de tels résultats sous peu dans le monde où nous vivons. Par conséquent, je suppose que ces mots ont été choisis pour cette raison.
Le sénateur Bryden: Merci pour ces précisions. Je voulais que cela figure au compte rendu, parce qu'il me semble clair que les suggestions que vous proposez entraîneront un changement considérable.
La présidente: Je sens une certaine confusion ici, madame Adam. Le sénateur Gauthier a présenté la voie législative pour en venir à un résultat accepté de tous. Vous n'appuyez pas cette voie. Vous dites que vous désirez conserver le libellé actuel de l'article 41 et que vous désirez ajouter trois autres dispositions. Est-ce bien cela?
Mme Adam: Oui, c'est exact. Je ne dis pas que je n'appuie pas le projet de loi.
La présidente: Nous appuyons tous le résultat visé par la proposition du sénateur Gauthier.
Mme Adam: Le but visé est un libellé différent.
La présidente: Est-ce exact de dire que vous n'appuyez pas la modification en soi? Vous préféreriez les quatre dispositions que vous proposez.
Mme Adam: Je propose humblement ces modifications.
La présidente: Merci. Vous ne pensez que les termes utilisés par le sénateur Gauthier dans ce projet de loi soient assez clairs, n'est- ce pas?
Mme Adam: Oui, c'est essentiellement ce que je pense.
La présidente: Préféreriez-vous que nous utilisions l'approche de réglementation que vous nous avez présentée? Le gouvernement pourrait décider d'adopter un cadre de réglementation applicable. C'est ce que vous suggérez?
Mme Adam: Selon nous, les deux approches sont pertinentes. Elles ne s'excluent pas mutuellement, mais sont plutôt complémentaires. Le sénateur Gauthier voudra peut-être nous faire part de son opinion à ce sujet. Nous ne sommes pas contre quoi que ce soit, nous essayons simplement d'améliorer les choses, de les rendre complètes. Je ne crois pas que cela veuille dire nécessairement le contraire.
La présidente: Nous vous remercions de vous être présentée devant nous ce matin.
Sénateurs, puisque cette partie de la réunion a été plus longue que prévue, et puisque au moins deux membres du comité ont d'autres obligations ailleurs, accepteriez-vous d'entendre les témoins du ministère un autre jour?
Des voix: D'accord.
La séance est levée.