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SOCI - Comité permanent

Affaires sociales, sciences et technologie

 

La santé des Canadiens – Le rôle du gouvernement fédéral

Rapport intérimaire

Volume un : Le chemin parcouru


CHAPITRE DEUX

Principes nationaux concernant les soins de santé et la création de la Loi canadienne sur la santé

Le fait que la prestation des soins de santé relève principalement des provinces ne signifie pas l’absence de principes nationaux. Le gouvernement fédéral a toujours associé une série de conditions ou de principes nationaux à sa contribution aux soins de santé, qu’elle soit partagée ou globale.

2.1 Origines de la Loi canadienne sur la santé

La Loi sur l’assurance-hospitalisation et les services diagnostiques de 1957 et la Loi sur les soins médicaux de 1966 incluaient expressément quatre conditions explicites visant les régimes provinciaux d’assurance-santé, soit l’universalité, l’administration publique, l’intégralité et la transférabilité. Toutefois, elles ne comportaient aucune disposition précise interdisant aux provinces de demander une contribution financière aux patients. De plus, étant donné que les contributions fédérales, conformément aux accords de partage des coûts, étaient proportionnelles aux dépenses des gouvernements provinciaux, ces derniers n’avaient rien à gagner de la facturation directe des patients; les recettes provenant de ces frais auraient, en fait, entraîné une réduction de la contribution fédérale. Le mécanisme de réduction implicite a par conséquent dissuadé les provinces d’adopter une forme de frais directs aux patients, comme la surfacturation ou les frais modérateurs.

En 1977-1978, lorsque le FPE a remplacé la formule des coûts partagés, les conditions incluses dans deux lois fédérales concernant les services hospitaliers et les soins médicaux ont été conservées. Toutefois, le mécanisme implicite de réduction des contributions fédérales a été éliminé étant donné que le financement fédéral n’était plus lié aux dépenses des gouvernements provinciaux. Michael Bliss, professeur d’histoire à la l’Université de Toronto, a fait remarquer au Comité que la fin des années 70 et le début des années 80 ont été marqués par une tentative de contrôle des coûts des soins de santé par la limitation des honoraires des médecins et des budgets des hôpitaux. Globalement, ces mesures ont entraîné la prolifération des frais directs au patient :

Le problème du paiement de cette assurance-santé est rapidement devenu le plus grave problème que rencontraient les ministères de la Santé, au niveau provincial et au niveau fédéral. On s'est tout de suite demandé comment contenir ces frais et tout un éventail d'experts et d'économistes en matière de santé ont tout d'un coup essayé de conseiller les assureurs publics quant à la façon de mettre fin à cette escalade des coûts. Nous nous souvenons de l'époque de stagflation des années 70 lorsque les coûts globaux des programmes sociaux canadiens ont commencé à représenter un fardeau terrible pour les gouvernements. [...] ils ont commencé à limiter les ressources des fournisseurs de soins, des hôpitaux et des médecins afin d'essayer de juguler cette escalade des coûts.

Les fournisseurs ont réagi comme on peut s'y attendre dans ces circonstances : ils ont commencé à rechercher des solutions de rechange. Le régime d'assurance-santé de 1968 était un régime pluraliste qui leur donnait la possibilité d'exercer en dehors du système. Ils pouvaient choisir de ne pas y participer; et ils pouvaient demander des honoraires supplémentaires. Il n'est ainsi pas surprenant que dans les années 70, lorsque les gouvernements provinciaux ont commencé à réduire des tarifs d'honoraires médicaux, de plus en plus de médecins aient décidé de sortir du système. À la fin des années 70 et au début des années 80, on a connu un genre de reprivatisation du système de soins de santé. Beaucoup estimaient que le système public était chiche et voulaient travailler dans le secteur privé où ils avaient plus de liberté, une meilleure protection des revenus et plus de possibilités d'innovation.

Au début des années 80, nous constations partout au pays de gros problèmes en ce qui concerne l'assurance-santé. Tellement de spécialistes avaient décidé de ne plus y participer, dans de grandes régions du pays, qu'il était impossible d'avoir accès à certains spécialistes tout en étant couvert par l'assurance-santé. C'était particulièrement vrai en obstétrique et gynécologie. La question d'accessibilité est devenue très importante.(31)

En particulier, les honoraires supplémentaires demandés par les médecins étaient autorisés au Nouveau-Brunswick, en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta. En outre, des frais modérateurs ont été imputés dans des hôpitaux du Nouveau-Brunswick, du Québec, de l’Alberta et de la Colombie-Britannique.

En 1980, dans le cadre d’examen des services de santé, le juge Hall indiquait que les soins de santé au Canada se classaient parmi les meilleurs du monde, mais soulignait toutefois que les frais directs aux patients constituaient une menace au principe d’accès gratuit et universel aux soins de santé partout au pays. En réponse à ces préoccupations, le Parlement a adopté à l’unanimité la Loi canadienne sur la santé en 1984. Abby Hoffman a mentionné au Comité que la nouvelle loi combinait et actualisait les conditions énoncées dans les deux lois fédérales de 1957 et 1966 et qu’elle ajoutait l’accessibilité comme cinquième critère. En outre, des restrictions précises ont été ajoutées pour dissuader toute forme de frais directs aux patients et pour donner aux résidents de toutes les provinces l’accès aux soins de santé, peu importe leur capacité de payer :

Le gouvernement a fini par déposer et adopter à l'unanimité la Loi canadienne sur la santé, pour régler un problème qui découle, à mon avis, du FPE..

L’hon. Monique Bégin (16:3).

Plusieurs dispositions importantes de la Loi canadienne sur la santé méritent d'être soulignées, notamment le principe de l'universalité pour les services hospitaliers et médicaux ainsi que le renforcement des principes de transférabilité, d'intégralité et de administration publique. Un cinquième critère, l'accessibilité, a été ajouté. Autrement dit, il faut permettre un accès raisonnable aux services assurés et médicaments nécessaires, à des conditions uniformes. De plus, et c'est peut-être le plus important, on a cherché à dissuader le ticket modérateur et la surfacturation. La Loi canadienne sur la santé prévoyait que toute province qui autorisait l'imposition d'un ticket modérateur ou une surfacturation pour les services assurés se verrait déduire un montant équivalent de ses paiements de transfert.(32)

Selon Marc Lalonde, la Loi canadienne sur la santé a été adoptée en réponse à l’érosion du régime public d’assurance-santé. Elle ne visait pas à accroître la visibilité perdue par le fédéral dans ce secteur en raison de l’arrivée du financement global du FPE :

Pour ce qui est de la loi de 1984, je ne pense pas qu'il se soit agi en rien de récupérer notre visibilité. Elle procédait de la crainte sincère d'une érosion des éléments fondamentaux de l'assurance-santé, par des moyens détournés. Un peu partout nous voyions apparaître la surfacturation et des redevances supplémentaires pour les soins hospitaliers, et il était impératif que le gouvernement fédéral réaffirme les principes fondamentaux inscrits dans la première loi et mette en place des régimes obligeant les provinces à mieux rendre compte, au public en général et au gouvernement fédéral, de l'usage qu'elle [faisait] des fonds fédéraux.

Si vous cherchez l'explication de la loi de 1984, elle ne réside pas dans une volonté du gouvernement fédéral de récupérer un peu de la visibilité qu'il a perdue. Il fallait impérativement une loi fédérale pour réaffirmer les principes fondamentaux auxquels le Parlement fédéral était unanimement attaché. Il commençait à y avoir une érosion de ces principes qui, si on ne l'enrayait pas, aurait pu entraîner le démantèlement de tout le système national tel que nous le connaissions.(33)

Essentiellement, M. Lalonde a réitéré que le principal objectif de l’assurance-santé consistait, comme l’a mentionné Tom Kent, à éliminer les barrières financières limitant l’accès aux soins de santé :

La politique de l'assurance-santé visait tout simplement à [...] faire en sorte que les gens puissent obtenir des soins médicaux lorsqu'ils en avaient besoin, sans égard à quelque autre considération que ce soit.(34)

 

2.2 Définition/interprétation des principes nationaux et de leur application

La Loi canadienne sur la santé établit cinq critères principaux ou « principes nationaux » : universalité, accessibilité, intégralité, transférabilité et administration publique. Le tableau 2.1 détaille chacun de ces critères.

Dans son témoignage, Abby Hoffman a donné une description des services de santé visés ou non visés par Loi canadienne sur la santé. Elle fait une distinction entre les cinq catégories de services :

  • les services assurés;
  • les services complémentaires de santé;
  • les services additionnels;
  • les services non assurés;
  • les services désassurés.

 

TABLEAU 2.1

LES CINQ CRITÈRES DE LA LOI CANADIENNE SUR LA SANTÉ

Administration publique : Le régime public d’assurance santé doit être géré sans but lucratif par une autorité publique qui relève du gouvernement provincial.

Intégralité : Le régime provincial d’assurance santé doit couvrir tous les services de santé assurés fournis par les hôpitaux et les médecins.

Universalité : Tous les résidents assurés d’une province ont droit aux services de santé assurés dispensés dans le cadre du régime.

Accessibilité : Prévoir un accès satisfaisant des résidents, sans obstacles financiers ou autres, aux services des hôpitaux et des médecins; prévoir une rémunération raisonnable des médecins et le versement de montants raisonnables aux hôpitaux.

Transférabilité : La couverture du régime public d’assurance-santé demeure inchangée lorsqu’un résident déménage ou voyage au Canada ou voyage à l’extérieur du pays (la couverture à l’étranger se limite à celle de la province où réside l’individu).

Source : Santé Canada, Rapport annuel sur la Loi canadienne sur la santé – 1998-1999, Ottawa, 1999, p. 2-3. Ce document est accessible sur le site Internet de Santé Canada, à http://www.hc-sc.gc.ca/medicare/dwnloade.htm.

 

Le tableau 2.2 présente des exemples pour chaque catégorie de services de santé et indique s’ils sont régis ou non par les cinq conditions de la Loi canadienne sur la santé. De toute évidence, la loi fédérale est très limitée. Elle est centrée sur les services médicalement nécessaires dispensés par les hôpitaux et les médecins.

L’application de la Loi est limitée au point que les provinces ne sont pas tenues d’assurer des services de promotion/prévention en santé ou des services non hospitaliers de base faisant appel à des professionnels de la santé comme les chiropraticiens, les physiothérapeutes ou les psychologues. Les principes nationaux ne s’appliquent pas aux services complémentaires de santé (foyers de soins infirmiers, soins aux adultes en établissement, soins à domicile et soins ambulatoires). Bien que certaines provinces dispensent certains de ces services additionnels, les Canadiens n’y ont pas un accès universel et égal.

 

TABLEAU 2.2

CATÉGORIES DE SERVICES DE SANTÉ

Type de services

Exemples de services

Cinq critères de la
Loi canadienne sur la santé

Dispositions visant les frais modérateurs et la surfacturation

Services assurés

Tous les services de santé fournis par les hôpitaux, les médecins ou les dentistes, qui sont médicalement nécessaires.

S’appliquent

S’appliquent

Services complémentaires de santé

Soins de longue durée et certains aspects des

Soins en résidence pour adultes et des soins ambulatoires

Ne s’appliquent pas

Ne s’appliquent pas

Services additionnels

Programmes de médicaments sur ordonnance, services de chiropractie, de physiothérapie, services dentaires

Ne s’appliquent pas

Ne s’appliquent pas

Services non assurés

Chirurgie plastique, conseils donnés au téléphone par un médecin

Ne s’appliquent pas

Ne s’appliquent pas

Services désassurés

Ablation d'une verrue ou l'extraction d'une dent de sagesse

Ne s’appliquent pas

Ne s’appliquent pas

Source : Abby Hoffman (13:11-12).

 

De plus, la Loi canadienne sur la santé s’applique à un nombre de plus en plus limité de services, car on dispense maintenant moins de services à l’hôpital. Grâce aux nouvelles technologies, les services de santé peuvent être dispensés en clinique externe ou à domicile. Les séjours dans les hôpitaux sont plus courts, et les médicaments permettent parfois d’éviter une chirurgie. Toutefois, lorsque les services et les médicaments sur ordonnance sont fournis à l’extérieur de l’hôpital, ils ne sont pas visés par la Loi canadienne sur la santé. En conséquence, ils ne sont pas nécessairement dispensés gratuitement aux patients ni nécessairement fournis conformément aux principes d’accessibilité, d’intégralité et d’universalité.

Au fil des années, les provinces ont élargi la gamme des services admissibles au financement gouvernemental, en entier ou en partie. Ces services comprennent, par exemple, les soins dentaires, les soins de la vue et les médicaments sur ordonnance fournis à certains groupes de la population dans quelques provinces, ainsi que certains soins communautaires et soins à domicile. Encore une fois, ces services ne sont pas visés par la Loi canadienne sur la santé. Par conséquent, la gamme des services de santé financés par le gouvernement varie énormément d’une province à l’autre. Abby Hoffman a mentionné au Comité que notre système de soins de santé, dans son ensemble, est de moins en moins uniforme :

C'est une bonne chose que les provinces aient choisi d'élargir la gamme de services. Le problème c'est qu'elles ne l'ont pas fait de façon uniforme et que nous nous retrouvons maintenant avec un régime fragmenté, un ensemble de mesures disparates dans tout le pays.(35)

Bien que la Loi canadienne sur la santé ait réussi à uniformiser le financement public des services des hôpitaux et des médecins dans l’ensemble du pays, il est clair que sa portée limitée a entraîné un manque d’uniformité dans le financement public de l’éventail beaucoup plus vaste de services que les Canadiens aimeraient recevoir, selon toute probabilité, du système de santé public.

 

2.3 Application des sanctions en vertu de la Loi canadienne sur la santé

Les provinces doivent se conformer aux cinq conditions de la Loi canadienne sur la santé pour être admissibles au plein montant du financement fédéral. Si elles n’y satisfont pas, l’alinéa 15(1)a) de la Loi prévoit une sanction qui peut s’appliquer à la portion monétaire des transferts fédéraux. Le gouverneur en conseil établit le montant de cette sanction financière selon la « gravité » du manquement. Les articles 18 à 21 de la Loi, qui énoncent les sanctions liées à la surfacturation et aux frais modérateurs, stipulent que le gouvernement fédéral peut retenir un dollar de transferts pour chaque dollar imputé sous forme de frais directs aux patients.

Entre 1984-1985 et 1991-1992, les sanctions pour non-conformité à la Loi canadienne sur la santé ont été appliquées à la portion des transferts du FPE réservés aux soins de santé. Puis, de 1991-1992 à 1995-1996, elles ont été étendues aux autres paiements de transfert parce que le gouvernement fédéral continuait de limiter la croissance des transferts du FPE et son incidence sur les transferts de fonds. On a estimé que la portion des transferts du FPE réservée aux soins de santé dans certaines provinces aurait été nulle en l’an 2000. Sans les transferts de fonds, le gouvernement fédéral n’aurait pas le pouvoir d’appliquer les conditions de la Loi canadienne sur la santé. Les retenues ou déductions supplémentaires n’étaient pas stipulées dans la Loi, mais elles étaient expressément stipulées dans la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces (paragraphes 23.2(1), 23.2(2) et 23.2(3)). Depuis 1996-1997, les sanctions prescrites dans la Loi canadienne sur la santé s’appliquent au volet monétaire du TCSPS.

L’information fournie(36) par Santé Canada indique qu’à trois occasions, le gouvernement fédéral a eu recours à des sanctions financières et a réduit ses contributions à certaines provinces qui autorisaient la surfacturation ou imposaient des frais modérateurs. D’abord, il a déduit plus de 246 732 000 dollars des transferts de fonds du FPE à toutes les provinces de 1984-1985 à 1986-1987. Toutefois, il s’est également conformé au paragraphe 20(6) de la Loi, en vertu duquel une province pouvait recouvrer ces fonds si elle cessait d'exiger toute forme de frais directs aux patients au cours des trois années suivant l’entrée en vigueur de la Loi, c’est-à-dire avant le 1er avril 1987. Comme toutes les provinces se sont conformées à la Loi dans ce délai, les montants retenus ont été remboursés en totalité.

Ensuite, de 1992-1993 à 1995-1996, le gouvernement fédéral a retenu quelque 2 025 000 dollars en transferts du FPE à la Colombie-Britannique parce que certains médecins de cette province ne participaient pas au régime d’assurance-santé de la province et avaient recours à la surfacturation.

Enfin, depuis 1995-1996, le gouvernement fédéral a imposé des sanctions financières aux provinces qui permettaient aux cliniques privées d'exiger aux patients des frais d’établissement pour les services médicaux, ayant déterminé que ces frais constituaient des frais modérateurs. Ces sanctions ont été appliquées à quatre provinces. Lorsque les déductions des transferts à l’Alberta ont pris fin en juillet 1996, 3 585 000 dollars au total avaient été déduits des transferts à cette province (voir tableau 2.3). De même, 323 000 dollars ont été déduits des transferts à Terre-Neuve, qui a commencé à se conformer à la Loi en janvier 1998. Les sanctions imposées au Manitoba (2 056 000 dollars au total) ont pris fin le 1er février 1999. La Nouvelle-Écosse ne se conforme toujours pas à la Loi canadienne sur la santé et se voit imposer des sanctions de l’ordre de 4 780 dollars par mois (au total, 247 750 dollars ont été déduits des transferts à cette province, entre octobre 1996 et janvier 2000).

 

TABLEAU 2.3

DÉDUCTIONS PAR PROVINCE EN VERTU DE LA LOI CANADIENNE SUR LA SANTÉ
(en milliers de dollars)

 

1992-1993

1993-1994

1994-1995

1995-1996

1996-1997

1997-1998

1998-1999

1999-2000*

Alberta      

2 319

1 266

     
Colombie-Britannique

83

1 223

676

43

       
Île-du-Prince-Édouard                
Manitoba      

269

588

587

612

 
Nouveau-Brunswick                
Nouvelle-Écosse      

32

72

57

39

47,8

Ontario                
Québec                
Saskatchewan                
Terre-Neuve      

46

96

128

53

 
Total Canada

83

1 223

676

2 709

2 022

772

704

47,8

* Jusqu’à janvier 2000.
Source : Santé Canada, Deductions by Province Since Passage of the Canada Health Act, document d’information préparé pour le Comité, section 8, 10 février 2000.

L’hon. Monique Bégin, ancienne ministre de la Santé qui a déposé la Loi canadienne sur la santé, a mentionné que, jusqu’à maintenant, aucune sanction discrétionnaire pour non-conformité aux cinq principes de la Loi n’a jamais été imposée, malgré certaines plaintes concernant la transférabilité, l’intégralité et l’accessibilité.

 

2.4 La Loi canadienne sur la santé est-elle encore pertinente?

Quelques témoins ont discuté de la pertinence de la Loi canadienne sur la santé. Certains d’entre eux estimaient que la Loi devait demeurer inchangée. Par exemple, l’hon. Marc Lalonde a déclaré :

Beaucoup de gens reprochent à la Loi canadienne sur la santé des choses qu'elle n'était pas censée faire. La Loi n'introduit pas de rigidité. Les cinq critères existaient auparavant. La Loi canadienne sur la santé introduit des définitions plus claires, par le biais du règlement ou d'autres façons, pour donner un contenu à ces règles. En ce sens, il y a peut-être un peu de rigidité. Mais je n'hésite pas à dire que le Parlement fédéral doit conserver les cinq critères qu'il a adoptés par le passé. À mon avis, ils restent aussi valides que jamais.(37)

L’hon. Monique Bégin a mentionné que la Loi était très importante pour les Canadiens et qu’elle ne devait pas être remaniée :

La Loi canadienne sur la santé s'est animée d'une vie qui lui est propre. Elle jouit maintenant du prestige d'une icône. C'est pourquoi je pense personnellement qu'aucun politicien ne peut rouvrir la Loi canadienne sur la santé, ni même l'améliorer, parce que cela déstabiliserait trop la population.(38)

Toutefois, Mme Bégin a suggéré qu’une nouvelle loi similaire à la Loi canadienne sur la santé soit établie pour régir l’utilisation des nouveaux transferts fédéraux. Cette nouvelle loi pourrait inclure des conditions additionnelles, comme la reddition de comptes et la viabilité.

Par contre, d’autres ont soutenu que la Loi devrait être révisée. L’hon. Claude Castonguay a souligné que le nouveau régime d’assurance pour les médicaments sur ordonnance mis en place par le gouvernement du Québec en 1996 ne serait pas admissible au financement fédéral en vertu de la Loi canadienne sur la santé parce qu'il comprend des composantes du secteur privé et du secteur public. Même si tous les citoyens sont couverts, les prestataires doivent payer une prime et une partie du coût de leurs médicaments.

 

2.5 Commentaires du Comité

Dans la présente section, le Comité désire exposer ses réflexions sur les principes nationaux qui sous-tendent le système de soins de santé canadien et ses questions à leur sujet.

Comme nous l’avons mentionné précédemment, Tom Kent a souligné que l’objectif stratégique original du régime public d’assurance-santé consistait à veiller à ce que tous les Canadiens, peu importe leur situation financière ou leur lieu de résidence au Canada, aient accès à tous les services médicalement nécessaires. Nous croyons que cet objectif explique quatre des principes de la Loi canadienne sur la santé :

  • Le principe d’universalité, qui prévoit que les services de santé doivent être accessibles à tous les Canadiens;
  • Le principe de transférabilité, qui prévoit que tous les Canadiens sont couverts, même lorsqu’ils se déplacent d’une province à l’autre;
  • Le principe d’intégralité, qui garantit que tous les services médicalement nécessaires sont couverts par l’assurance-santé publique;
  • Le principe d’accessibilité, qui prévoit l’élimination de barrières à la prestation des soins de santé, comme les frais modérateurs, afin que les services soient accessibles à tous les Canadiens peu importe leur revenu.

Les quatre principes ci-dessus sont tous axés sur les Canadiens en tant qu’individus. Ils sont axés sur le patient, ce qui est conforme à l’objectif stratégique original du régime d’assurance-santé du Canada. Cependant, ce qui était à l'origine, il y a plus de trente-cinq ans, un régime national de soins de santé ayant le patient pour pivot est devenu un système national bien plus restreint, centré davantage sur le mécanisme de prestation (hôpitaux et médecins) que sur la totalité des besoins du patient en matière de santé. La vaste majorité des commentaires des autorités publiques sur le sujet passent sous silence cette distinction, bien que celle-ci soit fondamentale pour la conception des futures politiques publiques dans le domaine.

Qui plus est, le dernier principe de la Loi canadienne sur la santé, le principe d'administration publique, est d’une toute autre nature. Il ne met pas l’accent sur le patient, mais plutôt sur les moyens de réaliser les objectifs visés par les quatre autres principes. À notre avis, cette distinction entre finalités et moyens explique une bonne partie du débat actuel entourant la Loi canadienne sur la santé et le système de soins de santé canadien. Les gens qui sont tout à fait d’accord avec les objectifs d’une politique gouvernementale peuvent néanmoins être en profond désaccord quant aux moyens utilisés pour réaliser ces objectifs.

Le récent débat concernant le projet de loi 11 de l’Alberta illustre bien cette situation. Cette loi permet aux établissements de santé privés et à but lucratif d’entrer en concurrence avec les hôpitaux financés par l’État pour certaines interventions chirurgicales mineures. Le gouvernement de l’Alberta est d’avis que la sous-traitance de services à ces établissements peut en améliorer l’accès, réduire les listes d’attente et les délais et augmenter l’efficience des services en réduisant la demande touchant les hôpitaux financés par l’État. Les opposants à cette loi croient que ces objectifs seraient mieux réalisés par l’augmentation du niveau de financement des hôpitaux publics.

À la phase trois de l’étude, le Comité examinera les moyens que les autres pays ont utilisés pour atteindre les objectifs de la couverture universelle et intégrale des soins de santé. Cette démarche servira à mieux comprendre le système canadien de soins de santé et à évaluer les options pour bâtir un système durable.

Les principes d’intégralité et d’accessibilité sont interreliés. En effet, ils concernent l’essence des questions cruciales de déterminer quels services « médicalement nécessaires » sont couverts par l’assurance-santé publique et comment ces services doivent être payés. Ces questions ouvrent le débat sur la rentabilité et la viabilité.

Déterminer quels services doivent être considérés comme « médicalement nécessaires » constitue une tâche difficile. La plupart des Canadiens conviendraient que les traitements cardiaques assurant la survie du patient sont médicalement nécessaires. La plupart des Canadiens conviendraient également que, le plus souvent, la chirurgie plastique n’est pas médicalement nécessaire. La difficulté réside plutôt dans les services qui se situent entre ces deux extrêmes. Par exemple, presque tout le monde considère les médicaments essentiels au maintien de la vie comme étant « médicalement nécessaires », même s’ils ne sont pas administrés par un hôpital et donc ne répondent pas au critère de la nécessité médicale prévu par la Loi canadienne sur la santé. Il n’en demeure pas moins que beaucoup de Canadiens ont malheureusement de la difficulté à s’acheter chaque mois les médicaments jugés « médicalement nécessaires » qu’on leur prescrit.

Évidemment, plus on inclut de services dans la définition de « médicalement nécessaire », plus le système de soins de santé devient coûteux. Pourtant, à mesure qu’apparaissent des services et produits « médicalement nécessaires » fournis hors du cadre traditionnel de l’hôpital, il devient de plus en plus manifeste qu’il faut élargir la définition de la nécessité médicale si le Canada désire demeurer fidèle à l’esprit de la Loi canadienne sur la santé. Une telle démarche soulève cependant la question du paiement des services et de la prévention de coûts exorbitants.

Par exemple, des frais modérateurs modestes pourraient-ils constituer un moyen efficace de réduire l’utilisation superflue du système de soins de santé, comme certaines personnes l’ont proposé? Ou bien les frais modérateurs auraient-ils une incidence démesurément négative sur les patients à faible revenu, les empêchant de demander les services dont ils ont vraiment besoin (ce qui violerait le principe d’accessibilité)? Ou encore, les Canadiens ayant un revenu élevé devraient-ils payer une partie des coûts des soins qu’ils occasionnent au système grâce, par exemple, à une certaine forme de majoration de l’impôt sur le revenu?

Tom Kent a indiqué au Comité qu’il s’agissait en fait de la vision originale de l’assurance-santé adoptée par le Parti libéral :

Si l'on considère l'histoire, lorsque le rassemblement libéral de 1961 a tellement engagé le Parti libéral dans le sens d'un système de soins de santé public, c'était à une condition. Que les coûts que devait ainsi encourir un citoyen dans le régime fiscal lui seraient imputés directement. La valeur des services obtenus grâce à l'assurance-santé publique entrerait dans la déclaration aux fins d'impôt, dans certaines limites, de sorte que cela ne deviendrait jamais trop pour un particulier ou une famille et que les gens qui payaient peu ou pas d'impôts n'auraient rien à payer pour les services de santé qu'ils recevaient mais que ceux qui avaient un revenu relativement important, payaient de lourds impôts, paieraient quelque chose.(39)

Si cette méthode de financement était éventuellement utilisée, les Canadiens devraient-ils pouvoir acheter une assurance privée pour couvrir les coûts éventuels? La question se pose.

Un grand problème de l’assurance-santé est que les principes économiques classiques ne s’y appliquent pas parfaitement. Parce que la plupart des factures sont remboursées par l’assurance, les gens se préoccupent peu du coût des soins. De plus, ils n’ont aucun moyen d’évaluer la qualité des services qu’ils reçoivent. Par dessus tout, pour la plupart, la santé n’a pas de prix; ils veulent obtenir les meilleures techniques et actes médicaux à n’importe quel prix, ce qui crée un casse-tête pour les dirigeants politiques. D’une part, les électeurs n’accepteront pas le rationnement des services. D’autre part, ni les politiciens ni leurs électeurs ne veulent payer les impôts plus élevés qu’exigent des services illimités.

La détermination précise des services qui doivent être couverts par le gouvernement et de ceux qui doivent être payés par les individus, partiellement ou en totalité, directement ou au moyen d’une assurance privée, nécessite une discussion en profondeur. Bien que les questions cruciales soient difficiles et que le simple fait de les poser suscite l’inquiétude chez certains Canadiens, elles doivent néanmoins faire l’objet d’un débat public sérieux. Le Comité, par le biais des rapports qui découleront de la présente étude, espère servir de tribune pour ce débat.

Il n’est désormais plus possible pour les Canadiens de faire abstraction des questions de savoir quels services doivent être couverts par leur régime d’assurance-santé et comment ces services doivent être payés, en invoquant simplement les principes louables de l’intégralité et de l’accessibilité de la Loi canadienne sur la santé. Ces termes, même s’ils représentent des principes très importants pour tous les Canadiens, ne suffisent désormais plus pour permettre au gouvernement et aux Canadiens d’éviter les décisions pratiques qui doivent être prises en ce qui concerne notre système de soins de santé. Dans les parties suivantes de son étude, le Comité décrira les options pour régler ces questions et pour examiner les opinions et les attentes des Canadiens concernant leur système de soins de santé.


CHAPITRE TROIS

Attentes de la population à l’égard du système de soins de santé

Pour de nombreux Canadiens, le système de soins de santé est l’une des caractéristiques qui définit le pays dans lequel ils vivent et qui symbolise les valeurs sociétales qui y sont privilégiées. Ils chérissent leur régime public d’assurance-santé pour ce qu’il est et pour les valeurs qu’il représente : risque partagé, compassion, équité et responsabilité commune. Toutefois, un nombre croissant de Canadiens craignent que leur système de soins de santé perdent ces qualités. En effet, nombre d’entre eux croient que le système de soins de santé au Canada n’est plus aussi bon qu’il l’était en raison de la réduction des dépenses gouvernementales dans le domaine des soins de santé, des listes d’attente plus longues pour une consultation médicale et une intervention, et du départ d’un certain nombre de médecins et d’infirmières pour les États-Unis. Ils s’attendent également à ce que les coûts liés aux soins de santé continuent d’augmenter, en particulier en ce qui a trait aux médicaments délivrés sur ordonnance et aux nouvelles technologies médicales.

Il y a un certain lien entre l’universalité du système de soins de santé et les valeurs canadiennes fortes que sont l’égalitarisme et la générosité.…
Notre système de soins de santé est un puissant symbole des valeurs de notre société.

Chris Baker, v.-p., Environics Research Group (9:30 et 9:33).

Pour concevoir des politiques qui tiennent compte des valeurs et des perceptions de la population, il est crucial de chercher à comprendre ces dernières. C’est pourquoi le Comité a invité des sondeurs canadiens à fournir plus d’information sur les attitudes passées et présentes du public, ainsi que sur ses attentes, à l’égard du système de soins de santé. Nous reconnaissons que divers sondages et enquêtes ont posé différentes questions et employé différentes techniques et que, en conséquence, les résultats ne sont peut-être pas directement comparables. Il est intéressant de noter, cependant, que nous trouvons une grande cohérence et des tendances similaires à long terme dans les résultats des sondages présentés au Comité.

3.1 Les soins de santé soulèvent d’importantes préoccupations à l’égard de la politique gouvernementale

La confiance que les Canadiens accordent à leur système de soins de santé a chuté d’une façon significative au cours de la dernière décennie. Selon un sondage réalisé par Goldfarb Consultants, 45 % des Canadiens estimaient, en 1989, que leur système de soins de santé fonctionnait bien, contre seulement 14 % en 1999 (voir graphique 3.1). De même, le sondage effectué par Environics suggère que le niveau de satisfaction des Canadiens à l’égard du système de soins de santé a diminué énormément pendant les années 90. En fait, on s’entend de plus en plus pour dire que notre système de soins de santé éprouve des difficultés.

GRAPHIQUE 3.1

 

Au regard de la politique gouvernementale, les données tirées du sondage de Goldfarb indiquent que les Canadiens sont de plus en plus préoccupés par les soins de santé (voir graphique 3.2). Au début des années 90, les Canadiens étaient surtout préoccupés par les dépenses gouvernementales, la dette et les impôts. Bien que la fiscalité soit demeurée une préoccupation majeure en matière de politique gouvernementale en 1999, les soins de santé étaient perçus comme l’un des problèmes les plus importants auquel fait face le Canada. À cet égard, on constate cependant des écarts sur le plan démographique. Par exemple, en 1999, les femmes étaient davantage préoccupées par les soins de santé, tandis que les hommes l’étaient davantage par la fiscalité. De même, les Canadiens âgés se disaient plus préoccupés par la situation du système de soins de santé que ce n’était le cas pour les jeunes.

La fiscalité et l’endettement n’ont pas totalement disparu de la liste des préoccupations, ce sont des sujets qui sont encore bien présents à l’esprit de la population, mais la santé devient une préoccupation primordiale.

Scott Evans,
consultant principal en statistique,
Goldfarb (9:36)

GRAPHIQUE 3.2

 

3.2 Les Canadiens sont préoccupés par la qualité, l’accessibilité et l’universalité des soins de santé

Selon le sondage réalisé par Environics, la qualité semble être le facteur de préoccupation le plus important. Environ 70 % des Canadiens se disaient très préoccupés par la qualité des soins de santé en 1999 (voir graphique 3.3). Les coûts liés aux soins de santé et le maintien d’un système de soins de santé subventionné par l’État étaient tous les deux perçus comme des facteurs très importants mais secondaires (64 %). Environ 51 % des Canadiens déclaraient être très préoccupés par l’intégration des services communautaires et hospitaliers. Pendant les audiences, on a fait observer que les coûts et l’aide gouvernementale accordée au système de soins de santé suscitent moins d’inquiétudes depuis 1994, mais que la qualité des soins de santé est demeurée un sujet d’inquiétude important.(40)

En outre, Chris Baker a expliqué qu’il existe dans l’esprit des Canadiens un lien très étroit entre la qualité et l’accessibilité des soins (voir graphique 3.4). À son avis, la population canadienne s’opposerait fortement à toute mesure qui aurait pour effet de restreindre l’accès aux soins de santé.(41)

L’accès aux soins de santé et la disponibilité de ces soins sont les principaux domaines de préoccupation, et les Canadiens s’opposeront énergiquement à toute mesure visant à limiter cet accès.

Chris Baker, v.-p., Environics
Research Group (9 :33)

GRAPHIQUE 3.3

GRAPHIQUE 3.4

 

3.3 Les soins de santé constituent une priorité

L’une des questions posées dans le cadre du sondage réalisé par Goldfarb en 1999 portait sur l’utilisation la plus souhaitable de l’excédent budgétaire fédéral. Bien que les Canadiens attachent beaucoup d’importance à la réduction de l’impôt sur le revenu des particuliers, le réinvestissement dans les soins de santé est tout aussi impératif (graphique 3.5). Pour les Canadiens, l’universalité est une valeur fondamentale. En fait, le taux d’appui à un régime d’assurance-santé universel, accessible à tous, peu importe la situation économique des gens, est passé de 81 % à 84 % entre 1991 et 1999 (graphique 3.6).

Lorsque l’on questionne les Canadiens sur les priorités en matière de dépenses de santé, ils affichent une préférence marquée pour l’infrastructure concrète et les activités de recherche. Les activités communautaires sont jugées secondaires, et les activités perçues comme éloignées des soins de première ligne sont jugées les moins prioritaires au regard d’un nouveau financement des soins de santé.

GRAPHIQUE 3.5

GRAPHIQUE 3.6

 

Quelque 78 % des Canadiens considèrent que le maintien des lits d’hôpitaux est hautement prioritaire, suivi du financement de la recherche axée sur la santé des femmes et de la technologie médicale. Les initiatives portant sur la santé de la population, bien qu’elles procurent des avantages à long terme, ne peuvent contrebalancer, dans l’esprit des gens, le caractère d’urgence qui est associé à de nouveaux lits d’hôpitaux ou au diagnostic effectué à l’aide d'une technologie ou de matériel thérapeutique de pointe. M. Baker a donné l’explication suivante :

Cela est dû, à mon avis, à un certain caractère immédiat de nos inquiétudes au sujet du régime de soins de santé… Les lits d’hôpitaux et les équipements de haute technologie offrent des avantages immédiats, alors que des initiatives axées sur les communautés et la santé populaire sont perçues comme des activités à plus long terme. Parce qu’ils sont très inquiets, les Canadiens mettent surtout l’accent sur les activités qui offriront des avantages immédiats plutôt qu’à long terme.(42)

Abby Hoffman, de Santé Canada, a exprimé un point de vue semblable :

[...] lorsque les gens ont l’impression que les soins de santé et les traitements sont vulnérables, ils hésitent un peu, avec raison, à ce que l’on consacre davantage d’efforts, peut-être même davantage de ressources, à la prévention et à la promotion de la santé publique, de la santé de la population, à ce genre d’activités.(43)

Graham Scott, ancien sous-ministre de la Santé de l’Ontario, a prévenu que les solutions à court terme atténuent peut-être les craintes des Canadiens au sujet de leur système de soins de santé, mais que les solutions à long terme sont plus avantageuses. Il a donné l’exemple suivant :

Si on met 100 millions de dollars sur la mise à niveau du système de protection-santé de l'Ontario, cela n'apporte pas la guérison à court terme à un patient. Cependant, si on annonce l'expansion des services d'urgence de six hôpitaux communautaires du sud-ouest de l'Ontario, ça pourrait [rapporter] pas mal de [votes]. C'est là que se trouve le compromis, à mon avis.(44)

Selon lui, il faudra beaucoup de courage de la part des politiciens fédéraux et provinciaux pour investir là où cela rapportera le plus d’avantages à long terme.

 

3.4 Les soins de santé : un domaine qui requiert une collaboration entre les gouvernements fédéral et provinciaux

Selon les résultats des sondages de Environics et de Goldfarb, les Canadiens attendent des deux ordres de gouvernement qu’ils fassent leur part respective pour réinvestir dans les soins de santé. Les résultats de ces sondages révèlent également que les Canadiens attribuent une faible note aux gouvernements fédéral et provinciaux quant à leur gestion des questions touchant les soins de santé. En outre, les Canadiens s’impatientent devant l’attitude des gouvernements qui rejettent la responsabilité sur les autres. Ils sont davantage intéressés par des résultats positifs et la collaboration intergouvernementale. À ce propos, comme l’a souligné Scott Evans :

La population est moins satisfaite du régime et critique la façon dont les deux ordres de gouvernement s’acquittent de leur tâche dans ce domaine. Elle souhaite que les gouvernements cessent de lutter entre eux dans le domaine des soins de santé et commencent à collaborer.

Chris Baker, v.-p.,
Environics Research Group (9:33).

Les Canadiens commencent également à en avoir assez de la bisbille entre les deux ordres de gouvernement. Quand on leur demande comment ils conçoivent les relations fédérales-provinciales, ils ne semblent pas comprendre pourquoi les deux ordres de gouvernement semblent ne pas vouloir ou ne pas pouvoir s’entendre sur ce qui doit être fait. Les Canadiens semblent perdre patience.(45)

 

3.5 Forte adhésion aux principes de la Loi canadienne sur la santé

Un examen des sondages, enquêtes et rapports des dix dernières années effectué par le Conference Board du Canada révèle que les Canadiens adhèrent toujours aussi fortement aux principes de la Loi canadienne sur la santé. Les principes auxquels ils tiennent le plus sont l’universalité et l’accessibilité, tandis que l’administration publique est celui qui suscite le moins d’enthousiasme (voir tableau 3.1).

 

Tableau 3.1

LES PRINCIPES DE LA LOI CANADIENNE SUR LA SANTÉ SONT "TRÈS IMPORTANTS" (POURCENTAGE)

1991

1994

1995

1999

Universalité

93

85

89

89

Accessibilité

85

77

82

81

Transférabilité

89

78

81

79

Intégralité

88

73

80

80

Administration publique

76

63

64

59

Source : Conference Board du Canada, Canadians’ Values and Attitudes on Canada’s Health Care System: A Synthesis of Survey Results, 6 octobre 2000, p. 11.

Malgré tout, de nombreux Canadiens estiment que, sauf en ce qui concerne l’universalité, le système de soins de santé ne respecte pas les principes d’un régime public d’assurance-santé. Selon le Conference Board, cela est loin d’être surprenant, étant donné que nombre des services auxquels font appel les Canadiens ne sont pas visés par la Loi canadienne sur la santé.(46)

 

3.6 Appui décroissant à l'égard des frais modérateurs et des établissements privés

Les sondages indiquent une opposition grandissante aux mesures financières qui limiteraient l’accès aux soins de santé. Selon Goldfarb Consultants, l’appui à l'égard des frais modérateurs dans les cas de consultations médicales, qui était à la hausse entre 1989 et 1992, a décliné depuis (voir graphique 3.7). De même, le sondage de Environics révèle que seule une minorité de Canadiens (31 %) estiment que les cliniques privées représentent une bonne façon de réduire les listes d’attente. En outre, la population craint de plus en plus le fait que la mise sur pied d’établissements de santé privés n’entraîne une érosion du système de soins de santé subventionné par l’État (graphique 3.8).

GRAPHIQUE 3.7

GRAPHIQUE 3.8

 

L'examen des sondages et enquêtes mené en 2000 par le Conference Board du Canada a révélé que les diverses possibilités de privatisation gagnent davantage l'appui de la population lorsqu'elles sont présentées comme moyen de préserver le régime public de soins de santé, soit en en améliorant l’efficacité, soit en assurant à tous le même accès à des services de grande qualité. Par exemple, les frais modérateurs suscitent des réactions qui varient selon les circonstances; ils sont davantage acceptés lorsqu'ils sont présentés comme moyen d’accroître l’efficacité du système sans empêcher quiconque d’avoir accès à des services nécessaires. De même, la population est davantage en faveur des établissements privés, selon le rapport du Conference Board, lorsque le système public est incapable de fournir les services nécessaires que lorsque ces établissements permettent aux personnes qui en ont les moyens d’obtenir des services plus rapides ou meilleurs.

 

3.7 Commentaires du Comité

La raison qui explique cette baisse de confiance de la population à l’égard du système de soins de santé canadien demeure sujette à débat. Selon Scott Evans :

La restructuration financière du régime de soins de santé, et la réaction des médias et de divers groupes de militants, sont des facteurs qui ont tous contribué à ce manque général de confiance.(47)

Dans le même ordre d’idées, le Dr. John S. Millar, v.-p., Recherche et analyse, Institut canadien d’information sur la santé (ICIS), mentionnait ce qui suit :

[...] Ces changements et la baisse des budgets ont manifestement provoqué beaucoup de stress dans le système. [...] Par exemple, la confiance du public a considérablement baissé. Nous montrons très bien dans ce rapport que certains services sont moins accessibles, comme les salles d’urgence et certains services de spécialistes. Comme cela a beaucoup retenu l’attention des médias, la confiance du public a considérablement diminué.(48)

Même si les compressions des dépenses publiques sont souvent considérées comme ayant beaucoup contribué au recul de la confiance du public à l’égard du régime de soins de santé, on ignore toujours si les nouvelles injections de fonds dans les transferts fédéraux au titre du TCSPS faisant suite à l’adoption des projets de loi C-32 (2000) et C-45 (2000) suffiront à rétablir cette confiance. Le Comité s'est cependant fait dire qu’on ne doit pas confondre le manque de confiance à l’égard du système de soins de santé avec le rendement réel de celui-ci. En fait, lorsqu'on interroge les clients sur la qualité des soins de santé qu’ils reçoivent, ils sont généralement satisfaits :

[...] quand on pose la question aux gens qui ont réellement reçu des soins, ils expriment des niveaux de satisfaction très élevés. Cela démontre que les gens qui dispensent les soins, les médecins et les infirmières, ont maintenu des niveaux de rendement très élevés malgré tous ces facteurs de stress. Les mesures du rendement dont nous disposons montrent de bons résultats. C’est une dichotomie intéressante qui apparaît constamment chaque fois que l’on fait des enquêtes de ce genre.(49)

Sholom Glouberman, directeur du Réseau de la santé, Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, soutient que l’enjeu majeur consiste donc à mettre au point des stratégies qui rétabliront la confiance de la population dans le système de soins de santé canadien :

On a tendance à confondre le rendement réel du système de soins de santé et le manque de confiance du public. Devant ce manque de confiance on réagit souvent en affectant davantage de ressources au système. Cela ne règle pas le problème, car c’est un problème de confiance. Il s’agit de voir quelles sont les stratégies à utiliser pour accroître la confiance du public dans le système de soins de santé. Cela dépend en partie de l’information. Il faut également garantir que le système de soins de santé sera là lorsque les gens en auront besoin. Cela joue un grand rôle dans le débat.(50)

Voici l’un des défis actuels auquel fait face le système de soins de santé canadien :

Pour conclure, l’opinion publique connaît actuellement des fluctuations intéressantes. Il est possible de faire accepter la légitimité de différentes approches du régime de soins de santé qui pourront rétablir la confiance de la population dans le régime.(51)

L’opinion et les attentes du public sont essentielles dans l’examen du système de soins de santé canadien. Dans la phase deux de son étude, le Comité se penchera sur la question des attentes croissantes, dans la mesure où celles-ci peuvent avoir une incidence significative sur les décisions gouvernementales à venir, notamment sur le type de services de santé qui doit être assuré, sur la catégorie de personnes admissibles à des soins de santé subventionnés par l’État et sur la façon d’obtenir l’argent pour payer les services.


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