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LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : NOUS SOMMES MENACÉS

Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts

RAPPORT  INTÉRIMAIRE


CHAPITRE 2:

CONTEXTE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE

« Le grand public a maintenant l'impression que la science du changement climatique est comme un balancier, qui va d'une extrémité à l'autre, selon ce qui paraît dans le dernier numéro de Nature. Ce n'est évidemment pas le cas. […]la science du climat repose sur des assises solides. […]On ne pourra pas régler du jour au lendemain le problème du réchauffement de la planète malgré le Protocole de Kyoto. »

Andrew Weaver, professeur

École des sciences de la terre et des océans, Université de Victoria.[1]

Plusieurs analystes et chercheurs du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni ont comparu devant le Comité. Leur présentation, résumée dans ce chapitre, était très technique, mais importante pour le présent rapport.  Par conséquent, même s’il est technique, ce chapitre fournit une information de base essentielle pour les chapitres subséquents et les recommandations.  

On a présenté au Comité des faits qui démontrent que notre climat subit des changements.  Un des principaux indicateurs est la tendance vers un réchauffement global, qui montre que la température moyenne de la  Terre  pourrait s’accroître de 1,4oC à 5,8oC   au cours des prochains cent ans.  Bien que cette hausse puisse paraître peu importante, dans les faits elle s’avère très substantielle.  En effet, entre l’Âge de glace et notre ère, la température moyenne de la Terre ne s’est accrue que de 3,5oC. Les changements au climat provoqués par les activités humaines auront des effets sur notre agriculture, nos forêts et nos collectivités rurales.  Le changement climatique n’affectera pas seulement les températures, mais aussi les précipitations avec comme conséquence que l’approvisionnement en eau pourrait devenir un enjeu principal non seulement pour les Canadiens, mais pour l’humanité toute entière.  

Il y a moyen de ralentir le processus de changement, nous devons notamment réduire nos émissions de gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone.  Bien que nécessaire, une telle réduction n’est pas suffisante.  C’est depuis la Révolution industrielle du milieu des années 1800 que nous avons entamé le processus du changement climatique et  les régions circumpolaires comme le Canada risquent de subir davantage les effets de ce changement  que d’autres régions de la planète.  Il est donc encore plus impératif pour les Canadiens de mettre en place des stratégies d’adaptation.  

 

A. Notre climat change…  

Divers indicateurs, comme les carottes de glace de l’Antarctique,  nous fournissent de l’information qui remonte à des milliers d’années. Les données semblent converger vers une constante : la concentration de dioxyde de carbone dans notre atmosphère influence les températures et nos conditions climatiques. Le climat, qui désigne les conditions météorologiques moyennes d’une région (température, précipitation, vents, etc.) évolue avec le temps. Les changements sont faciles à détecter sur de longues périodes, comme entre les épisodes glaciaires et interglaciaires. Les décideurs sont davantage interpellés par les changements qui se produisent sur des périodes beaucoup plus courtes, quelques dizaines d’années. Il est généralement reconnu que la surface moyenne de la terre et des mers s’est réchauffée en moyenne de 0,6°C depuis la fin du 19siècle. Les modèles suggèrent que le réchauffement va se poursuivre à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine : la hausse prévue de la température moyenne de la terre sera de l’ordre de 1,4°C à 5,8°C d’ici 100 ans.

Depuis des dizaines d’années, les chercheurs tentent d’expliquer ce phénomène, examinant les causes et les implications éventuelles du réchauffement du climat. Presque tous les témoins qui ont comparu devant nous ont souligné l’importance du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) dans l’analyse du dossier. Créé en 1998 par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le GIEC a pour rôle d’analyser rigoureusement les données scientifiques, techniques et socioéconomiques relatives au changement climatique, à ses effets éventuels et aux options d’adaptation et d’atténuation. 

En 1996, le GIEC a affirmé que : « tous comptes faits, les preuves suggèrent une influence humaine perceptible sur le climat terrestre ». Cet aveu se trouve dans un résumé à l’intention des décideurs et soumis au règlement de l’ONU : il a exigé l’approbation textuelle de tous les pays. Seuls deux pays, le Koweit et l’Arabie Saoudite, se sont opposés. Dans le troisième rapport d’évaluation en 2001, le GIEC a formulé un jugement beaucoup plus fort qui a reçu encore moins d’opposition : des éléments nouveaux et plus probants indiquent que la majeure partie du réchauffement observé depuis 50 ans est attribuable aux activités humaines.  

M. Henry Hengeveld, conseiller scientifique en chef à Environnement Canada, a résumé les résultats du GIEC. Des gaz naturels comme le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4) contribuent à garder notre planète assez chaude pour maintenir la vie telle que nous la connaissons. Ces gaz sont les gaz à effet de serre (GES). L’effet de serre a d’abord été proposé théoriquement en 1824 par le mathématicien français Jean Fourier. Les gaz à effet de serre permettent à l’énergie solaire d’atteindre l’atmosphère et la surface de la terre, tout en empêchant la chaleur de s’échapper et en la réfléchissant dans toutes les directions, y compris à nouveau vers la surface. Sans cet effet, la température de la terre serait inférieure de 33°C à ce qu’elle est aujourd’hui et notre planète serait invivable.  

L’observation des carottes de glace de l’Antarctique renseigne sur la composition climatique et atmosphérique d’il y a des milliers d’années. Elles indiquent que les concentrations de CO2 ont toujours influé sur la température de la planète.

 

Figure 1 : Corrélation entre les gaz à effet de serre et la température

Source : Andrew Weaver. Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, Vancouver, 28 février 2003.

Les changements de la concentration du CO2 et CH4 atmosphérique tels qu’enregistrés dans les carottes glaciaires de l’Antarctique depuis 400 000 ans coïncident avec l’évolution de la température dans la même période. Quand les concentrations de GES sont élevées, le climat est chaud; quand elles sont faibles, le climat est froid (Figure 1 ).

Les études sur les concentrations de gaz carbonique atmosphérique depuis 400 000 ans révèlent que, jusqu’à récemment, il n’y a jamais eu plus que 300 parties par million (ppm) de CO2 dans l’atmosphère.   Lors de l’Âge de glace – il y a environ 21 000 ans – le niveau de CO2 se situait à 190 ppm et a été en progression au cours des 19 000 années qui ont suivi, pour atteindre 280 ppm lors de la Révolution industrielle, soit une augmentation de 90 ppm. Par contre, depuis la Révolution industrielle, la croissance a aussi été de 90 ppm pour atteindre un niveau de 370 ppm. En d’autres termes, alors que la nature a eu besoin de 19 000 années pour accroître de 90 ppm le niveau de CO2 dans l’atmosphère,  les activités humaines ont réussi à induire la même croissance en seulement  150 ans.    

Comme il a été dit précédemment, la température planétaire, à la surface de la mer et de la terre s’est réchauffée de 0,6°C en moyenne depuis la fin du 19 siècle[2]. En cherchant les causes de ce réchauffement, les chercheurs ont considéré divers facteurs qui influent sur le climat planétaire, comme la production d’énergie solaire et les émissions d’aérosol par les volcans. Les scientifiques ont examiné ces deux facteurs depuis 140 ans et évalué, à partir de projections de modèles, comment le climat de la planète pourrait avoir réagi à ces forces naturelles. Certains changements de la première partie du 20 siècle pourraient s’expliquer par les irruptions solaires et volcaniques, à la fois parce que l’intensité solaire a augmenté et que le nombre d’irruptions volcaniques a diminué, émettant moins de poussière dans l’air.

Depuis 50 ans cependant, l’inverse est vrai. Une augmentation des irruptions volcaniques a envoyé davantage de poussière dans l’air et l’activité solaire n’a pas beaucoup varié; selon ces deux seuls facteurs, le climat devrait s’être refroidi, alors qu’il a augmenté assez rapidement. Lorsque les scientifiques incluent la hausse des concentrations de GES dans les modèles, les résultats reproduisent de très près les conditions observées. L’augmentation observée de la température ne peut être obtenue autrement dans les modèles.

 

B. …Et les changements nous toucheront 

Les changements climatiques auront des répercussions majeures sur les Canadiens : la façon dont nous produisons nos aliments, l’utilisation de nos ressources naturelles, bref sur notre comportement de tous les jours.  Il y a certes des incertitudes, mais pendant que les chercheurs tentent d’améliorer nos connaissances afin de mieux comprendre les changements climatiques, les Canadiens qui habitent les régions nordiques peuvent déjà constater certains changements.  

Comme on l’a mentionné plus haut, les modèles développés dans le monde prévoient un réchauffement moyen de la terre entre 1,4°C et 5,8°C d’ici 100 ans. Cet écart reflète l’incertitude des projections, qui émane de plusieurs hypothèses intégrées aux modèles : hypothèses relatives au comportement de l’homme et à nos émissions de GES, relatives à la réaction du cycle du carbone aux changements du climat, relatives aux facteurs biophysiques comme les nuages. Il ne semble guère y avoir de doute quant la limite inférieure, mais l’incertitude est grande concernant la limite supérieure. On a dit au Comité qu’une augmentation de 1,4°C de la température moyenne de la terre était sans précédent dans l’histoire humaine. 

L’augmentation de la température moyenne de la terre ne signifie pas une augmentation uniforme partout. Les témoignages reçus indiquent que le réchauffement sera amplifié aux latitudes élevées par l’effet de l’albédo de la neige et de la glace : quand une surface passe de blanc (neige ou glace) à foncé (sol et végétation), elle absorbe davantage de rayonnement solaire et se réchauffe donc plus. Le réchauffement serait en outre plus accentué à l’intérieur des continents (loin des océans), en hiver qu’en été et la nuit que le jour. Avec une augmentation inégale des températures la circulation des masses d’air et des courants marins sera touchée et influencera les climats locaux. Les régions du globe connaîtront des changements différents dans les périodes de l’année et la répartition des précipitations, ainsi que dans les fluctuations de température. Le GIEC a reconnu que le changement climatique va bien au delà du changement de la température. Il affirme que nous pouvons prévoir des changements dans la fréquence des années atypiques : en d’autres mots, des conditions extrêmes deviendront plus rares, tandis que d’autres deviendront plus fréquentes. On a mentionné très souvent que le Canada peut s’attendre à des sécheresses plus fréquentes et répandues, en particulier dans les Prairies.  

Des changements sont déjà apparents dans le Nord canadien. Le Yukon et la vallée du Mackenzie se sont réchauffés de 1,5°C depuis 100 ans, près de trois fois l’augmentation moyenne de la planète. Un débat a été lancé par le Northern Climate ExChange dans la population yukonaise en 2000 pour savoir à quel point elle s’inquiète du changement climatique. Il est devenu vite évident que le changement climatique n’est plus une abstraction au Yukon, et qu’il est devenu un sujet de débat public.  

Beaucoup d’habitants du Nord observent directement des changements d’origine climatique et cette expérience locale ajoute une dimension importante à nos connaissances du dossier. Mme Aynslie Ogden, gestionnaire pour la région du Nord du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l’adaptation (C‑CIARN) signale que les aînés du Nunavut entendent des grenouilles et des criquets et voient des orages, ce qu’ils n’avaient jamais vus ni entendus auparavant. Il y a de plus en plus d’insectes, d’oiseaux, d’animaux et de phénomènes climatiques qui n’avaient jamais été observés auparavant et pour lesquels les gens ne disposent pas de mots dans leur langue traditionnelle. Ainsi, les habitants de Sachs Harbour, dans l’île de Banks, ont vu des merles sans avoir de mot dans leur langue pour cet oiseau jamais présent auparavant. Il commence à circuler de plus en plus d’histoires de ce genre dans le Grand Nord canadien.  

Une grande crainte de la population, c’est de ne plus pouvoir prévoir : ne plus pouvoir se fier à l’expérience et au savoir traditionnel pour prévoir le changement des saisons, ne plus pouvoir prédire les conditions de chasse car les changements de l’englacement modifient les migrations et la répartition des animaux. Ces changements dans les conditions de la glace pourraient conduire à la disparition des ours polaires dans la région de la Baie d’Hudson d’ici environ 50 ans.   M. George Quintal, Métis de l’Alberta, a dit au Comité que le niveau de l’eau des lacs et des rivières avait diminué dans le nord de l’Alberta, nuisant aux frayères et aux poissons dont les Métis dépendent pour leur alimentation.  

« Notre population nordique est-elle messagère pour le reste du monde?[3] » Quelle sera l’importance de l’impact du changement climatique? À partir des témoignages, il semble que certaines régions et secteurs pourraient profiter du changement, et d’autres, y perdre. Dans les deux cas, le changement climatique bouleversera l’environnement, la société et l’économie au Canada. Notre capacité à nous adapter nous permettra de profiter des avantages et de réduire les effets négatifs du réchauffement.

 

C. La solution est réduire les émissions… 

Le mandat du Comité était d’examiner l’impact du changement climatique et les options d’adaptation, mais beaucoup de témoins ont abordé la réduction des émissions de GES. Cela n’est pas surprenant, étant donné les efforts nationaux et internationaux pour contrer le changement climatique avant tout par la réduction des émissions. Cette section résume les trois questions qui ont été abordées soit : le protocole de Kyoto, la bourse des émissions et un objectif à long terme : la décarbonisation des sources d’énergie.

 

1. Le Protocole de Kyoto  

En 1997, le Protocole de Kyoto a été rédigé en vertu de la Convention cadre des Nations Unies sur le changement climatique. Le Protocole oblige les pays industrialisés qui le ratifient à réduire leurs émissions de GES. Il est bien connu cependant que, même après la mise en place de mesures sérieuses pour réduire ces émissions, le changement climatique se poursuivra inévitablement pendant un certain temps. Tous les témoins conviennent que le climat de la terre prendra des siècles à réagir aux concentrations actuelles de GES et que le Protocole de Kyoto n’aura guère d’effet sur le climat durant le prochain siècle.  

Pour illustrer ce point, M. Andrew Weaver professeur à l’École des sciences de la terre et des océans de l’Université de Victoria a comparé les scénarios faisant appel à un modèle en particulier : si rien n’est fait pour réduire les émissions de GES, le modèle prévoit une augmentation de 2,08°C de la température de la terre et une augmentation du niveau de la mer de 50 cm. Si tous les pays, y compris les États-Unis, atteignent l’objectif de Kyoto, l’augmentation de température serait de 2°C et la hausse du niveau moyen des mers, de 48,5 cm. Si les pays effectuent, au-delà des objectifs de Kyoto, une réduction supplémentaire de 1 p. 100 après 2010 et jusqu’à la fin du siècle, le modèle prévoit une augmentation de 1,8°C de la température et une hausse du niveau moyen des mers de 45,5 cm.  

Le Protocole de Kyoto est une première étape indispensable d’une stratégie à long terme pour lutter contre le changement climatique. En soi, le Protocole ne résout pas le problème; il nous donne seulement un peu plus de temps pour nous adapter aux changements. Le respect du Protocole retardera de 10 ans (de 2060 à 2070) le doublement de la concentration de dioxyde de carbone par rapport à la concentration actuelle. Mais comme le souligne Environnement Canada, l’objectif ultime de la Convention-cadre sur le changement climatique est de stabiliser les concentrations à un niveau qui évitera les conséquences dangereuses pour l’humanité.

 

2. La Bourse des émissions

 

Dans le Plan du Canada sur les changements climatiques (PCCC) paru en 2002, le gouvernement fédéral présente les mesures et les politiques destinées à l’atteinte de l’objectif de Kyoto et à la lutte contre le changement climatique. Une des pierres angulaires de la stratégie visant à réduire les émissions de GES des grands producteurs repose une bourse des émissions qui assignera une valeur en argent au carbone. Les détails font l’objet de discussions, mais selon le Plan, les entreprises seraient tenues d’avoir un permis pour produire des émissions. Beaucoup de ces permis seraient offerts gratuitement aux compagnies, à partir de leurs antécédents de production et d’émissions. Pour de nouveaux permis, les compagnies auraient le choix entre investir dans la réduction d’émissions ou les acheter.

Avec un bon aménagement, les forêts et les terres agricoles peuvent retirer du carbone de l’atmosphère en le stockant dans les arbres et sol : il s’agit « de puits terrestres ». Chaque unité équivalente de CO2 retirée et stockée produirait ainsi un crédit de carbone pouvant être vendu aux émetteurs de GES pour qui le coût de réduction des émissions serait supérieur au prix de vente des crédits. Le PCCC propose un cadre par lequel ces crédits de carbone seraient vendus à la bourse des émissions (encadré 2).  

Beaucoup de témoins ont souligné que le Canada a un grand potentiel de stockage de carbone, et que les puits aideront notre pays à atteindre ses objectifs de Kyoto. M. G. Cornelis van Kooten, économiste forestier à l’Université de Victoria, affirme qu’une taxe sur le carbone permettrait de réduire les émissions à moindre coût. Ses études indiquent que les puits forestiers créés par le reboisement coûtent trop cher même en tenant compte des bénéfices du stockage du carbone. En outre, il demeure des doutes scientifiques sur les avantages des puits en sol agricole (encadré 3) et cette solution est peut-être trop éphémère pour être valable à long terme : les sols libèrent le CO2 très rapidement lorsque les pratiques agricoles changent.  

Néanmoins, le consensus est véritable pour ce qui est des solutions à long terme aux changements climatiques : les témoins conviennent qu’il faut opérer des réductions significatives des émissions de GES bien au‑delà des engagements de Kyoto, et que cela ne peut se faire sans cibler les systèmes énergétiques.

 

3. La décarbonisation des systèmes énergétiques mondiaux  

Pour avoir un effet significatif sur le système énergétique et les émissions de GES, il nous faut des sources d’énergie primaire qui n’émettent pas de CO2 dans l’atmosphère et qui réduisent en bout de ligne la demande énergétique. Malheureusement, la plupart des approches utilisées à ce jour seraient transitoires et constitueraient essentiellement des améliorations infimes aux technologies existantes. Ce qu’il faut, c’est « décarboniser nos systèmes énergétiques », c’est‑à‑dire passer de combustibles riches en carbone à des combustibles pauvres en carbone.

Notre société évolue naturellement vers la décarbonisation. Depuis deux siècles, nous sommes passés du bois au charbon, puis au pétrole et finalement au gaz naturel comme principal combustible. Au Canada, le gaz naturel a dépassé le pétrole comme principale source d’énergie fossile. Le principal facteur de la décarbonisation, c’est la réduction du nombre de carbone dans le combustible et l’augmentation du nombre d’atomes d’hydrogène : ainsi, le gaz naturel (méthane) produit moins d’émissions de CO2 que le charbon. L’évolution ultime nous fera passer à l’hydrogène pur, qui ne produit pas de CO2[4].

M. Ned Djilali de l’Institut des systèmes énergétiques intégrés de l’Université de Victoria illustre notre capacité à introduire des technologies à émissions nulles de CO2 par deux exemples. Il a examiné deux services dont la société a besoin et les sources d’énergie qui y sont afférentes. Premièrement, la récolte agricole n’est aujourd’hui possible qu’avec une seule source d’énergie, le pétrole brut (transformé en diesel et utilisé dans une moissonneuse-batteuse). Ce système d’énergie est très difficile à affranchir des combustibles fossiles et donc d’une technologie émettant des GES.  

Par ailleurs, le deuxième service, l’eau potable, s’obtient de plusieurs façons, grâce à plusieurs sources d’énergie primaires. Il y a les combustibles fossiles, le diesel pour faire fonctionner l’usine de filtration ou encore l’électricité provenant d’une centrale au charbon ou au gaz. On a cependant la possibilité d’utiliser de l’électricité provenant d’une source renouvelable : éolienne, hydroélectrique, géothermique ou nucléaire.  

L’exemple de l’eau potable met en lumière le fait qu’un secteur, le secteur stationnaire, utilise avant tout l’électricité du réseau. Cette électricité a diverses sources, certaines renouvelables, certaines non émettrices de GES et certaines non renouvelables. C’est ici qu’on peut pousser une technologie à émission nulle de CO2. Quant au secteur mobile celui du transport, il dépend largement des combustibles fossiles.  

Le défi consistera de trouver des énergies sans émissions de CO2 comme source de combustible pour les secteurs mobiles. Une façon possible d’y arriver, serait de transformer une puissance additionnelle provenant de source renouvelable, qui n’est pas toujours disponible à cause des fluctuations de l’énergie solaire, éolienne et marémotrice, en production d’hydrogène. Cet hydrogène supplémentaire pourrait ensuite être soit stocké soit servir à alimenter des cellules à combustible. En utilisant l’hydrogène comme carburant, le secteur mobile pourrait se libérer de sa dépendance des combustibles fossiles. Un système à l’hydrogène basé sur l’électricité pourrait être flexible et adaptable. En outre, comme on pourrait l’adapter à la disponibilité locale, il n’aurait pas à répondre à une approche commune contraignante.  

Plusieurs problèmes restent à résoudre avant de pouvoir passer à une société complètement décarbonisée, dont ceux de réduire les coûts de production d’hydrogène, convertir l’hydrogène en électricité au moyen de piles à combustible et le développement de système de stockage et de distribution. Un problème souvent souligné concerne l’investissement dans l’offre d’hydrogène : il n’y aura pas de déploiement systématique d’une infrastructure utilisant l’hydrogène tant que la demande ne sera pas suffisante pour la rendre rentable, et la demande ne sera pas suffisante tant qu’il n’y aura pas d’infrastructure.  

Pour sortir de ce cercle vicieux, il faudra prendre des mesures politiques ciblées. Il n’est pas dans le mandat du comité de recommander ces politiques, mais nous estimons qu’il faut une vision claire de la part du gouvernement, qui reconnaisse les avantages environnementaux et économiques de cette approche. Le Canada est un leader mondial dans certaines technologies énergétiques et nous devrions en tirer profit.  

À la surprise du Comité, M. Djilali a affirmé qu’à l’heure actuelle, la seule voie réaliste vers une économie à base d’hydrogène et sans GES, où 80 p. 100 à 90 p. 100 des besoins d’énergie seraient comblés par l’hydrogène, passe par la généralisation de l’énergie nucléaire. Certains témoins ont également laissée entendre que des progrès technologiques n’ont pas pu avoir lieu dans le secteur nucléaire depuis des dizaines d’années à cause du peu de popularité de cette filière auprès des Canadiens.  

Ces témoins jugent nécessaire de réévaluer la filière nucléaire, étant donné les besoins du Canada et de la planète au 21e siècle et au‑delà. Une bonne analyse de risque devrait inclure la question de la gestion des déchets dans un horizon de 50 ou de 100 ans. En outre, l’incertitude concernant les effets directs du changement climatique devrait être considérée par rapport à la certitude de certains effets négatifs qui se produiront en l’absence de mesures radicales pour contrer les émissions de GES.

Le Comité désire cependant souligner que les sources d’énergie renouvelables ont un rôle essentiel à jouer dans le système énergétique futur du Canada. Dans l’Ouest canadien, nous avons constaté des efforts dans ce domaine, notamment en visitant une éolienne près de Lethbridge. Nous avons également visité un élevage de porcs près de Viking en Alberta, qui utilise du lisier pour produire de l’électricité (encadré 4). Il y a là une possibilité considérable de réduire la pollution et les odeurs tout en s’attaquant au changement climatique.  

Le climat prendra des siècles à réagir aux concentrations de GES déjà émises par l’activité humaine (industrielle) et seules les générations futures pourront mesurer concrètement le succès de nos tentatives actuelles d’atténuation. Entre-temps, nous devons nous adapter à de nouvelles conditions climatiques.

 

D. …Et s’adapter aux effets  

Dire que l’atténuation du changement climatique a reçu la part du lion dans l’attention du public et des médias, ainsi que dans le financement de l’État partout dans le monde serait sous-estimer la réalité. La discussion entourant le Protocole de Kyoto a tellement détourné l’attention de l’adaptation, autant au Canada qu’au niveau international, que le débat s’en trouve biaisé. Ceci est particulièrement un irritant pour les Canadiens parce que leur gouvernement s’est engagé à faire la promotion de l’adaptation. On a maintes fois félicité le Comité pour avoir traité de l’adaptation au changement et fourni un lieu de discussion pour ce sujet. Le Comité s’est appliqué à trouver des réponses aux questions suivantes : est-ce qu’il y a de la recherche sur des stratégies d’adaptation au Canada? Qu’est-ce qui est fait? Qui conduit cette recherche?   

L’adaptation au changement climatique engage pour le long terme et c’est là une autre raison pour laquelle elle ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite : voilà exactement pourquoi le Comité sénatorial a un rôle à jouer, comme l’affirme M. Mohammed H.I. Dore, du département des sciences économiques de l’Université Brock: 

« le Sénat est peut-être la seule institution qui peut adopter un point de vue à long terme sur le bien-être des Canadiens. […] J'estime que les changements climatiques et leurs répercussions sont au fond des questions de long terme. »[5]  

Quant à M. Peter N. Duinker, gestionnaire du C‑CIARN dans la région de l’Atlantique, il affirme ce qui suit: 

« Il est grand temps que nous abordions cette question des impacts et de l'adaptation. Votre travail et notre travail au réseau sont des éléments essentiels de ce programme. »[6]  

Les impacts du changement climatique, et l’adaptation à celui‑ci, exigeront davantage d’attention et de fonds, mais l’intensité et la passion manifestées par tous les témoins caractérisent un milieu de recherche dynamique qui se penche sur cette question. Leurs efforts méritent d’être davantage reconnus. Ainsi, peu de gens sont au courant de l’Étude pancanadienne terminée en 1998. Il s’agit de la première évaluation des impacts sociaux, biologiques et économiques du changement climatique sur les diverses régions du Canada. Des climatologues de l’État, du secteur privé, des universités et des ONG ont été réunis pour examiner le bilan des connaissances sur les impacts du changement climatique et sur l’adaptation, identifier les lacunes dans la recherche et proposer des domaines de recherches prioritaires où les connaissances sont requises d’urgence.

Depuis, le programme fédéral Changement climatique – impact et adaptation, volet du Fonds canadien d’action pour le changement climatique (FACC) finance la recherche et les activités qui permettront de mieux connaître notre vulnérabilité, d’évaluer les risques et avantages du changement et de prendre des décisions éclairées en matière d’adaptation. La recherche canadienne sur les impacts et l’adaptation effectuée depuis 1997 a été synthétisée dans un rapport intitulé Impacts et adaptation liés au changement climatique : perspective canadienne produit par Ressources naturelles Canada. Le rapport couvre divers secteurs : les eaux, l’agriculture, les forêts, les pêches, le littéral et la santé, et fournit une information générale sur l’impact et l’adaptation, les progrès des techniques de recherche et les lacunes à combler. Des chapitres sectoriels sur l’agriculture et les forêts ont été publiés en 2002.

En outre, le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires ont subventionné la création du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l’adaptation, reliant chercheurs et intervenants de tout le pays. Le C‑CIARN compte 6 régions (Colombie-Britannique, Prairies, Ontario, Québec, Atlantique, Nord) et 7 secteurs nationaux (agriculture, eau, zone côtière, santé, forêt, paysage, pêche). Les régions et secteurs du C‑CIARN collaborent à l’étude des impacts climatiques et de l’adaptation, au repérage des lacunes et à l’établissement des priorités de recherche. Un bureau de coordination national est situé à Ressources naturelles Canada. Deux groupes, OURANOS au Québec et Coopération des Prairies pour la recherche en adaptation (COPRA), ont été créés pour bonifier la recherche.

Publié en décembre 2002, le Plan du Canada sur le changement climatique traite surtout de la réduction des émissions de GES, non des stratégies d’adaptation. Cependant, il relève quatre domaines où la collaboration est nécessaire entre l’État, les universités et le secteur privé pour l’adaptation: 

1.      recherche et développement pour la planification de l’adaptation et le développement des outils;

2.      expansion de l’évaluation de la vulnérabilité aux impacts du changement climatique dans toutes les régions du Canada;

3.      identification des zones et des régions prioritaires pour les actions futures;

4.      sensibilisation aux impacts du changement climatique et à la nécessité de s’y adapter. 

Comment ces actions s’inscrivent-elles dans notre stratégie globale face au changement climatique? Les fonctionnaires qui ont comparu devant le Comité estiment que sur 1,6 milliard de dollars que le fédéral a investi à cet égard depuis 1998, environ 100 millions de dollars ont été dépensés à l’étude des impacts et de l’adaptation. À partir du budget du Fonds d’action qui totalise 50 millions de dollars par an, 2,5 millions par an ont été affectés à la recherche sur les impacts et l’adaptation.  

Ce bilan est plutôt décevant, parce que le Canada s’est officiellement engagé à promouvoir l’adaptation. Alors que la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, qui a donné lieu au Protocole de Kyoto, vise les réductions d’émissions, il fait aussi explicitement la promotion de l’adaptation. L’article 4 affirme que: 

Toutes les parties […] établissent, mettent en œuvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux contenant […] des mesures visant à faciliter l’adaptation appropriée aux changements climatiques.[7]

 

Résumé  

Les preuves scientifiques montrent que notre climat change et que ceci va affecter les êtres humains, plus particulièrement ceux qui habitent des régions circumpolaires comme le Canada. Nous allons devoir restreindre nos émissions afin de réduire les effets négatifs que celles-ci provoquent sur notre climat. Plus encore, non seulement nous devrons atténuer nos émissions, nous devrons aussi nous adapter. Le Comité reconnaît que les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique vont de paire, mais il faut absolument accroître considérablement les efforts d’adaptation pour aider notre pays à se préparer à l’avenir.  Il faut également un engagement à long terme pour appuyer, financer et suivre le progrès vers l’adaptation; le gouvernement du Canada devrait prendre l’initiative dans ce dossier. Les ministres fédéral et provinciaux de l’Environnement et de l’Énergie réunis en mai 2002 ont appuyé l’élaboration et la mise en œuvre d’un réseau national d’adaptation. À la connaissance du Comité, ce réseau est encore embryonnaire, mais il pourrait fournir les arrimages institutionnels nécessaires à la promotion de l’adaptation au changement climatique.


 

CHAPITRE 3:

QUE SAVONS-NOUS DES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR L’AGRICULTURE?

« Si l'on part du principe que ce changement climatique ne va pas disparaître avant longtemps, il faut bien admettre que la façon dont les gens vont ou non réagir et s'adapter sera probablement déterminante pour le résultat final, positif ou négatif. »

M. Christopher Bryant, Professeur,

Faculté de géographie, Université de Montréal[8]

Même si les effets précis du changement climatique sur l’agriculture canadienne sont inconnus, il est possible de reconnaître certaines tendances qui se divisent en deux catégories.  La première est biophysique comme les effets de températures plus élevés sur les cultures, les modifications du niveau de dioxyde carbone et des modèles de précipitations.  L’autre catégorie des effets a trait à la performance économique du secteur agricole, comme les changements en matière de productivité, au Canada et ailleurs dans le monde, qui se répercutent sur la profitabilité de l’agriculture.  

Un rapport exhaustif intitulé Impacts et adaptation liés au changement climatique : perspective canadienne, publié en octobre 2002 par Ressources naturelles Canada, résume la recherche effectuée au Canada sur les impacts et l’adaptation dans le domaine agricole depuis 1997. Certaines des données communiquées au Comité au sujet des effets possibles du changement climatique sur l’agriculture se trouvent déjà dans ce rapport. La section qui suit met en lumière des éléments clés de nos connaissances actuelles en la matière.

 

A. Les effets biophysiques du changement climatique sur l’agriculture canadienne  

Des économistes spécialisées en ressources naturelles, tant au Canada qu’aux États-Unis, prévoient que l’agriculture canadienne bénéficiera du changement climatique. Certaines régions du pays peuvent s’attendre à un gain net alors que d’autres souffriront mais, dans l’ensemble, l’agriculture au Canada devrait sortir gagnante. Quelques‑uns des facteurs qui sous‑tendent cet optimisme reposent sur deux prévisions fondamentales découlant de la recherche concernant le changement climatique, soit que les températures s’élèveront, notamment dans les régions à proximité du pôle comme l’est le Canada, et que le CO2 dans l’atmosphère, principal élément nutritif des plantes, augmentera. Ces deux facteurs auraient, sur les cultures et le fourrage, les conséquences suivantes :

·        augmentation de la productivité végétale,

·        prolongation de la saison de croissance,

·        accélération des taux de maturation.

On s’attend à ce que les températures supérieures aient sur les plantes un effet positif dans les écosystèmes où l’actuelle température annuelle moyenne se situe sous les 15oC, comme c’est le cas au Canada. L’effet devrait être neutre ou même négatif pour les écosystèmes situés dans des zones enregistrant une température annuelle moyenne supérieure à 15oC. Ainsi, l’agriculture au Canada pourrait connaître de meilleures productions des cultures existantes, la possibilité de nouvelles récoltes et un déplacement vers le nord des conditions favorables. Selon le professeur Robert Grant de l’Université de l’Alberta, il se peut que 60 millions d’hectares supplémentaires deviennent cultivables en raison de l’expansion des conditions propices vers le nord, et ce gain pourrait compenser la perte possible de terres agricoles dans d’autres parties du monde comme en Afrique, dans le nord‑est du Brésil et en Australie.  

Il faut toutefois tempérer cet optimisme en matière de productivité des sols, de température, de disponibilité de l’eau, d’érosions des sols et de parasites.  On a mentionné à plusieurs reprises que les conditions du sol dans le nord du Canada risquaient de ne pouvoir soutenir une quelconque production agricole. Dans les trois provinces des Prairies, seulement 1,44 million d’hectares pouvaient devenir disponibles si les conditions climatiques se déplaçaient de 550 à 650 km vers le nord (chiffre basé sur le sol le plus approprié pour la production agricole au nord du 55e parallèle [sols de classe 4]). Il existe donc des limites aux projections positives.  

La température est un autre facteur limitatif sur les attentes positives en agriculture.  En effet, même si des températures plus élevées pourraient se traduire par une plus grande productivité,  une température plus chaude peut aussi influer négativement sur la production agricole; ainsi, la chaleur extrême augmente les dommages aux cultures et joue sur la santé des animaux. C’est ainsi que M. Gilles Bélanger d’AAC a déduit de sa recherche que les hivers plus doux pouvaient affecter certaines cultures pérennes dans l’est du Canada, notamment par la réduction de l’endurance au froid acquise pendant l’automne et une augmentation du nombre de périodes de dégel en hiver.  

La disponibilité de l’eau pour la production agricole deviendra un problème de taille qui pourra limiter les effets positifs de plus hautes températures. Même si la configuration des précipitations est présentement difficile à prévoir, peut-être même est-elle la plus difficile des projections à établir selon des témoins, on a assuré au Comité qu’elle changera. Ainsi, une augmentation des précipitations risque de ne pas être avantageuse si elle ne se produit pas au bon moment pour les cultures, ou s’il tombe en trois heures la même quantité de pluie qu’il en tombe normalement en deux jours.  

Qui plus est, une hausse des températures signifie une augmentation des taux d’évapotranspiration (perte d’eau des plantes et du sol), ce qui fait augmenter les besoins en eau des cultures. Par ailleurs, de plus fortes concentrations de CO2 dans l’atmosphère réduisent les taux de transpiration et augmentent d’autant l’efficience de l’utilisation de l’eau par les plantes. En fin de compte, comme les effets du changement climatique sur la disponibilité de l’eau sont inconnus, ceci limite d’autant les attentes positives sur l’agriculture que l’on pourrait espérer (voir encadré 5 sur l’aspect régional). Face à une telle incertitude, les agriculteurs devront peut-être faire une gestion plus serrée de l’eau que par le passé, voire devront-ils l’emmagasiner (le Chapitre 5 porte spécifiquement sur l’eau).  

L’érosion du sol peut devenir plus préoccupante. Il risque d’y avoir une plus grande érosion si l’intensité des pluies augmente (p. ex., déluges de courte durée) et si la configuration des vents change. L’inondation et la sécheresse, deux extrêmes climatiques dont on prévoit communément l’augmentation, sont d’importants facteurs aggravants des risques d’érosion du sol agricole, qui limitent aussi les projections prévues de croissance de productivité.  

La température et les précipitations n’influent pas seulement sur les cultures et le bétail : les insectes, les mauvaises herbes et les maladies réagissent aussi à la température et aux niveaux d’humidité. Les sauterelles peuvent servir d’indicateurs des tendances climatiques. Dan L. Johnson, chercheur au Centre de recherches de Lethbridge d’AAC, a démontré que le changement climatique favorise probablement les espèces envahissantes et augmente les risques d’infestations d’insectes. La recherche sur la population de sauterelles en Alberta et en Saskatchewan a révélé que les conditions chaudes et sèches favorisent leur reproduction et leur survie; or, les actuels scénarios de changement climatique privilégient de telles conditions.  

Le dioxyde de carbone affecte aussi les mauvaises herbes, comme l’a indiqué M. Daniel Archambault, chercheur à l’Alberta Research Council, qui a fait valoir que des modifications s’étaient produites au niveau des mauvaises herbes en Alberta et que l’augmentation du CO2 pouvait favoriser leur croissance.  Il a également précisé que l’efficacité des herbicides et des pesticides risquait de diminuer en raison de l’accroissement du CO2.  

Outre les effets individuels des variables comme la température, le sol et l’eau, les diverses combinaisons des effets de ces facteurs comme l’accroissement du CO2 et la disponibilité de l’eau conduisent en apparence à des résultats contradictoires qui varient d’une région à l’autre. C’est ainsi que M. Samuel Gameda, chercheur à AAC, a parlé d’une expansion possible des zones de production du maïs et du soja dans le Canada atlantique et d’une possibilité que les rendements de ces cultures au Québec et en Ontario soient aussi importants qu’ils ne le sont en ce moment dans le Midwest américain. M. McGinn du Centre de recherches de Lethbridge d’AAC a présenté les résultats d’une étude menée au Centre de recherches de l’Est sur les céréales et oléagineux révélant qu’un ensemencement précoce et une plus grande efficience dans l’utilisation de l’eau, rendue possible par l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, n’avaient pas modifié dans les Prairies le rendement de cultures de printemps comme l’orge, le canola et le blé.  

L’issue exacte pour l’agriculture qui résultera des effets individuels et combinés des variables climatiques en jeu demeure présentement inconnu. On sait que le changement climatique modifiera les modèles passés, mais les projections connues reposent  sur  une tendance globale, et non pas sur une base nationale et encore moins sur une base provinciale.  Le Comité est conscient que les effets biophysiques se feront sentir localement et que davantage de recherche est nécessaire afin d’améliorer nos connaissances en cette matière.

Photo 1 : Dérive des sols près d’Oyen (Alberta), 5 mai 2002

Source : Dave Sauchyn. Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, Ottawa, 4 février 2003.

Comme l’a précisé M. Ed Tyrchniewicz, président de l’Institut agricole du Canada, lorsqu’il est question de changement climatique, il est question de la température, des précipitations et de la variabilité, ce dernier élément étant, à son avis, le facteur le plus important pour l’agriculture. M. Barry Smith de l’Université de Guelph a signalé qu’il « est très rare que nous ayons un climat moyen. […] Nous dégageons les variations d’une année à l’autre ». Il semble évident que les agriculteurs sont en mesure de gérer les variations qui se produisent au cours d’une année moyenne. En fait, la plupart des systèmes agricoles peuvent composer avec des déviations mineures de la moyenne à l’intérieur de la limite de l’adaptation (figure 2).

Figure 2 : Le changement climatique comprend des variations dans les extrêmes

                Source : Barry Smith.  Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, Ottawa, 20 mars 2003.

Cependant, avec le changement climatique, toutes ces conditions varieront. L’année moyenne peut encore se situer dans les limites de l’adaptation mais il est important de noter que, même sans modification de la magnitude des extrêmes, un changement de la médiane résultera en un changement de la fréquence et de la gravité de certains extrêmes. Dans le domaine de l’agriculture, par exemple, il pourrait s’agir de sécheresses plus fréquentes et plus sérieuses. En termes scientifiques, la probabilité d’une année extrême pourrait passer d’une sur dix à une sur trois.

 

B. Les effets économiques du changement climatique sur l’agriculture canadienne 

Tous les témoins ont convenu que les changements dans la variation annuelle des températures et précipitations auront une importance plus significative pour le secteur agricole que les changements des conditions moyennes. Comme l’a dit le président de l’Institut agricole du Canada, le problème en est un, finalement, de gestion du risque au niveau de la ferme.  

Outre des changements dans la production agricole, les changements au niveau du climat entraîneront des modifications des variables commerciales comme les prix du marché et les prix des intrants. Même si la production dépend localement des conditions météorologiques de l’endroit, les marchés internationaux déterminent bien des prix courants. Ce qui importera aux agriculteurs canadiens, c’est la façon dont leur productivité change par rapport à celle du reste du monde. Si nos compétiteurs subissent des baisses radicales dans certaines cultures que le Canada serait relativement plus en mesure de produire en vertu d’un scénario de changement climatique, la situation pourrait avantager nos agriculteurs.  

Néanmoins, des récoltes abondantes peuvent ne pas être financièrement avantageuses pour les agriculteurs si elles sont assorties de faibles prix. À l’inverse, si les agriculteurs canadiens connaissent de faibles récoltes, mais produisent quand même davantage que le reste du monde, ils profiteront peut‑être de prix élevés.  

Dans de précédentes études concernant le Canada, Mme Siân Mooney de l’Université du Wyoming a constaté que les revenus nets globaux des provinces des Prairies pouvaient croître en raison du changement climatique. M. Mendelsohn, économiste des ressources naturelles de la Yale School of Forestry and Environmental Studies, prévoit lui aussi des bénéfices assez substantiels pour le secteur agricole du Canada. Pareilles conclusions dépendent toutefois beaucoup du nombre d’hypothèses qui sous‑tendent les différents modèles et études. Par exemple, quelques‑unes de ces prévisions optimistes ne tiennent pas compte des limites relatives au sol et à l’eau dans les latitudes nordiques.

 

C. Mesures d’adaptation pour l’agriculture 

L’impact du changement climatique sur l’agriculture canadienne dépendra en grande partie des mesures d’adaptation que prendront les agriculteurs. Dans ce contexte, s’adapter signifie ajuster les techniques de gestion agricole aux effets attendus du changement climatique afin de réduire les risques et d’exploiter les possibilités.  

Les agriculteurs innovent déjà et s’adaptent à divers stress dont les variations du temps, des politiques commerciales et des prix des denrées. Par exemple, les fermiers de l’Ouest canadien adoptent ou intensifient certaines pratiques comme éviter de travailler la terre afin d’en protéger la couche arable durant les sécheresses, conserver l’humidité dans le sol et réduire la quantité de gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère.  

Différentes mesures d’adaptation ont toujours été à la disposition des fermiers pour contrer les risques et conditions défavorables, et elles continueront de les aider. M. Barry Smith, l’un des chefs de file de la recherche sur l’adaptation au Canada, a classé ces mesures en quatre catégories :

·        développement technologique, y compris nouvelles variétés de cultures, rations fourragères et systèmes d’information météorologique;

·        gestion financière agricole dont assurance-récolte, programmes de stabilisation du revenu et diversification du revenu du ménage;

·        pratiques de production agricole, y compris diversification, irrigation, changement dans le calendrier des activités agricoles (ensemencement hâtif, p. ex.), méthodes culturales de conservation et agroforesterie;

·        programmes gouvernementaux dont programmes de soutien et imposition (voir dans l’encadré six un exemple de programmes de soutien gouvernemental).

D’après le professeur Michael Brklacich de l’Université Carleton, il faudra évaluer ces solutions pour déterminer si elles fonctionneront puisque les conditions climatiques de la seconde partie du siècle actuel demeurent incertaines. Les efforts de recherche ont porté sur la modélisation de la faisabilité technique et de l’efficacité des systèmes de culture, au moyen notamment de divers modèles de production élaborés et appliqués dans le contexte canadien. Ces modèles tentent d’évaluer comment les modifications du climat et les mesures d’adaptation pourraient atténuer les effets négatifs potentiels du changement climatique.

Le professeur Roger Cohen de l’Université de la Saskatchewan a élaboré pour les agriculteurs un outil de soutien décisionnel appelé Grassgro qui peut servir à la révision des stratégies d’adaptation dans les Prairies. Grassgro évalue comment la météo, les sols et les pratiques de gestion s’associent pour influer sur la production pastorale, la rentabilité et le risque. En fonction de divers scénarios de changement climatique et diverses mesures d’adaptation, ce modèle peut déterminer quel genre de stratégies sont susceptibles de garantir la viabilité des éleveurs de bétail.  

Au-delà des aspects pratiques et techniques des différentes solutions, les fermiers auront à choisir leurs mesures d’adaptation. Le professeur Michael Mehta, sociologue de l’Université de la Saskatchewan, a défini la capacité d’adaptation comme étant la capacité d’un système ou d’un individu de s’adapter à la variabilité climatique, souvent en minimisant la probabilité et les conséquences de résultats négatifs. De ce point de vue, la capacité d’adaptation ressemble à la gestion du risque et l’attitude des agriculteurs à l’égard du changement climatique constituera le facteur déterminant d’une bonne adaptation. M. Smit, pour sa part, dit que les fermiers ont deux choix : attendre jusqu’à ce que les effets se fassent sentir puis faire de leur mieux, ce qui peut aller jusqu’à abandonner l’exploitation, ou prendre conscience des risques et agir de façon proactive pour réduire leur vulnérabilité.  

Peu de chercheurs ont examiné les solutions d’adaptation en analysant le processus décisionnel à la ferme mais, même limitées, les études ont révélé d’utiles points de vue :

·        L’adaptation en agriculture est avant tout dictée par les vulnérabilités dues aux extrêmes. Les fermiers réagissent aux extrêmes climatiques plutôt que de s’adapter aux changements à long terme des moyennes climatiques. Si une région devient plus propice à une culture donnée, ils peuvent composer avec ce type de changement comme ils l’ont fait par le passé, ainsi que le prouve l’expansion de la culture du canola et des pois chiches dans l’Ouest canadien.

·        L’adaptation réactive sera dispendieuse. Selon un représentant de l’Alberta Agriculture, Food and Rural Development, le gouvernement provincial a dépensé 1,8 milliard de dollars depuis 1984 en Alberta pour des secours contre la sécheresse. Le Comité a entendu le témoignage de M. Bart Gruyon, propriétaire de ranch dans une région de l’Alberta qui n’avait jamais encore éprouvé de pénurie d’eau. Lorsque la sécheresse s’est abattue sur sa région en 2002 et qu’il a manqué d’eau et de pâturage pour ses wapitis et ses bisons, il a commencé à prendre « des décisions dictées par la panique ».

·        Les stratégies d’adaptation dépendent de l’endroit et des conditions : elles varieront d’une région à l’autre et d’une ferme à l’autre.

·        L’adaptation au changement climatique constitue une composante des stratégies de gestion du risque pour les producteurs. Le climat n’est pas pris en considération d’une façon isolée : les agriculteurs le replace dans un vaste contexte qui comprend également la politique commerciale, les coûts des intrants, les prix sur les marchés internationaux, les dispositions réglementaires environnementales en évolution au Canada et toute une panoplie d’autres facteurs auxquels ils doivent faire face et s’ajuster au jour le jour. L’adaptation est une stratégie au niveau de l’exploitation agricole et elle doit être considérée dans le contexte du processus décisionnel d’ensemble.

Les agriculteurs devront tabler sur leurs forces et déterminer les points vulnérables de leurs opérations. M. David Burton, titulaire de la première chaire en changement climatique au Nova Scotia Agricultural College, a identifié quelques‑unes des forces, des faiblesses, des opportunités et des menaces liées au secteur agricole du Canada atlantique. Les faibles marges de profit, par exemple, limitent la capacité des agriculteurs de réagir aux changements, comme les nouvelles dispositions réglementaires en matière environnementale. La diversité des systèmes de production dans le Canada atlantique vient toutefois accroître la stabilité du secteur étant donné que l’agriculteur peut tirer un revenu de plusieurs entreprises dans son exploitation, ce qui compense pour les résultats négatifs que pourrait connaître l’une ou l’autre d’entre elles.  

Les développements technologiques et l’amélioration des pratiques agricoles joueront un rôle important pour ce qui est de permettre l’adaptation au changement climatique. Il est cependant essentiel que nous améliorions également la capacité des agriculteurs de composer avec les risques qui existent actuellement, afin de renforcer leur habilité à faire face aux risques futurs, dont ceux qui découlent du changement climatique.

Résumé  

L’issue du changement climatique sur l’agriculture dépendra de facteurs biophysiques et économiques.  Il n’est pas évident de déterminer ce qui arrivera exactement quand les températures vont s’accroître, que la disponibilité d’eau changera, que les conditions du sol seront modifiées et qu’il y aura davantage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.  Les agriculteurs possèdent toutefois le don de s’adapter aux changements.  De plus, si le changement climatique devait se faire graduellement, cela allouera du temps aux agriculteurs, mais ce scénario n’est pas celui décrit par la recherche actuelle.  On a maintes fois mentionné au Comité que le changement climatique va causer plus de perturbations et créer davantage de phénomènes climatiques extrêmes, comme des inondations et des sécheresses.  Mieux science va comprendre les véritables changements qui affecteront le climat, plus les stratégies d’adaptation pourront être peaufinées.  Pour les agriculteurs, s’adapter à des conditions climatiques locales de plus en plus variables deviendra un élément clé de leur stratégie de gestion du risque.


CHAPITRE 4 :

QUE SAVONS-NOUS DES EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES FORÊTS?

Comme on l’a mentionné plus tôt pour le secteur agricole, presque toute la recherche canadienne sur l’impact du changement climatique et l’adaptation dans le domaine des forêts est résumée dans un rapport complet, Impact du changement climatique et adaptation : Perspective canadienne – Forêt, publié en octobre 2002 par Ressources naturelles Canada (NRCan). Ce rapport traite des impacts du changement climatique sur les forêts du Canada, des conséquences de ces changements pour le secteur forestier et des avenues possibles d’adaptation. Seul le dossier des forêts est considéré dans cette section, mais force est de reconnaître que les effets du changement, ainsi que les décisions d’adaptation du secteur forestier, interagiront avec d’autres secteurs comme le tourisme, les loisirs et les eaux.  

Les effets du changement climatique sur les forêts du Canada risquent d’être nombreux :

·        changements majeurs dans le taux de croissance et de survie des forêts;

·        migration des essences d’arbres et des écosystèmes;

·        accroissement du dépérissement des pousses et des rameaux dus aux dégels hivernaux;

·        accroissement du risque des feux de forêt et des infestations d’insectes;

·        augmentation des dégâts dus aux phénomènes atmosphériques extrêmes.

Ces impacts biophysiques sur les forêts sont susceptibles de toucher notre société et notre économie par le biais des compagnies forestières, des propriétaires fonciers, des consommateurs, de l’État et du secteur touristique. Les effets socio-économiques pourraient être :

·        un changement dans l’approvisionnement ligneux et la valeur des baux;

·        la perte de stock ligneux et de biens et services non marchands;

·        un changement de la valeur foncière, des possibilités d’affectation du sol et des valeurs non marchandes;

·        enfin, la déstructuration des parcs et aires naturelles et l’augmentation des conflits touchant l’affectation du sol.

 

Les effets du changement sur les forêts exigeront une bonne adaptation préalable du secteur forestier. Afin d’encourager la considération du changement climatique dans les décisions de gestion forestière, certains suggèrent la modélisation et d’autres prêchent pour une communication accrue entre chercheurs et aménagistes forestiers. À ce jour, la recherche sur le changement climatique au Canada en foresterie a visé surtout les impacts biophysiques : taux de croissance, régimes de perturbation, dynamique écosystémique. On s’est beaucoup moins préoccupé des effets socio-économiques et de la capacité des aménagistes forestiers à s’adapter au changement climatique. Le rapport de RNCan relève de nombreuses lacunes de connaissances et la nécessité de recherches à la fois sur les effets du changement climatique et sur l’adaptation à celui‑ci.

Durant les audiences, le Comité a entendu de nombreux experts qui ont joué un rôle clé dans la recherche sur l’impact et l’adaptation dans le secteur forestier. Une bonne part de cette recherche portait sur les changements prévus de la fréquence et de l’intensité des feux de forêt, des infestations de ravageurs et des maladies.

 

A. Effets biophysiques du changement climatique sur les forêts canadiennes 

Comme en agriculture, il y a pour les forêts deux côtés à la médaille. Nos forêts seront touchées par le changement; en même temps, elles offrent la possibilité d’atténuer partiellement le changement climatique par leur capacité de fixer le CO2 de l’atmosphère par photosynthèse. Les écosystèmes forestiers connaîtront vraisemblablement plusieurs impacts, positifs et négatifs (encadré 7).

Des témoins ont affirmé devant le Comité qu’il y aura des impacts sur la croissance des arbres, ainsi que sur des facteurs comme les éléments nutritifs du sol et les conditions propres à la régénération de certaines espèces. En théorie, un climat plus doux et une saison de croissance plus longue devraient favoriser la croissance des arbres. Les hivers plus doux et les saisons de croissance plus longues peuvent également influer sur le phénomène d’aoûtement des arbres, qui empêche les bourgeons d’ouvrir prématurément. La productivité pourrait être favorisée par la concentration plus élevée de CO2, dont les plantes ont besoin pour la photosynthèse, mais il faudra des éléments nutritifs pour optimiser les avantages de cette augmentation.

On suppose que le changement climatique entraînera une intensité accrue des perturbations naturelles - incendies, insectes et maladies - ainsi que davantage de phénomènes météorologiques extrêmes comme le verglas et la sécheresse. Des changements aux forêts et à leur composition en espèces devraient résulter de perturbations naturelles comme les incendies et les insectes, ainsi que des conditions climatiques comme le changement de durée de la saison de croissance et du régime des précipitations. Dans certains cas, l’augmentation des infestations pourrait favoriser les incendies : par le passé, le dendroctone du pin a détruit des centaines de milliers d’hectares d’arbres qui sont devenus un danger pour le feu. Des chercheurs d’expérience estiment aujourd’hui que la forêt boréale n’est pas sur le point de devenir un puits de carbone, mais une source de CO2 à cause des incendies de forêts.  

Le Service canadien des forêts (SCF) prévoit le déplacement vers le nord des forêts tempérées de la forêt boréale à la suite du réchauffement. Cependant, d’autres facteurs interviennent. Les éléments nutritifs du sol, inégalement présents sur le territoire, constituent un facteur qui pourrait gravement limiter la migration de certaines espèces. D’autres facteurs comme la quantité et la qualité de la lumière sont également déterminants et pourraient influencer directement la taille des arbres de la forêt boréale qui progressent vers le nord. En outre, certains spécialistes craignent que les insectes migrent vers le nord plus rapidement que les essences forestières. M. Jay Malcolm de l’Université de Toronto mentionne que pour suivre le changement climatique vers le Nord, les espèces végétales devront migrer à une vitesse sans précédent. Par conséquent, si la migration des arbres ne suit pas le taux de réchauffement, nous pourrions éventuellement perdre des espèces, notamment les espèces à croissance lente de fin de succession végétale, celles‑là même qui intéresse l’exploitation forestière et nous retrouver avec des essences moins « nobles » et des forêts moins vigoureuses. Dans le cas des provinces de l’Atlantique, l’absence de masse terrestre contenant des espèces méridionales au sud crée un problème supplémentaire. De nouvelles communautés végétales pourraient voir le jour si les espèces ne sont pas en mesure de migrer du sud.  

À l’échelle régionale, on prévoit de grands changements, notamment dans le Nord. Mme Ogden du C‑CIARN du Nord, note qu’au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest, l’exploitation forestière est modeste mais contribue de plus en plus à l’économie. Les données indiquent que le nombre de feux de forêt et d’hectares brûlés au Yukon est en hausse depuis les années 1960. La tendance devrait se maintenir avec le réchauffement et la fréquence accrue des orages électriques. L’augmentation prévue des précipitations estivales ne sera peut-être pas suffisante pour compenser le réchauffement projeté. Des études menées dans le bassin du Mackenzie révèlent que sans changement dans la gestion des feux, leur nombre et leur gravité devraient augmenter, et que le nombre moyen d’hectares brûlés chaque année devrait doubler d’ici 2050. Le changement climatique aura également un impact sur les effectifs des ravageurs forestiers, comme le dendroctone de l’épinette et le charançon du pin blanc. Le dendroctone a tué presque toutes les épinettes blanches adultes sur plus de 200 000 hectares (2000 km2) dans le parc national de Kluane dans le sud-ouest du Yukon entre 1994 et 1999. Une série d’hivers et de printemps doux a permis à ces insectes de proliférer. De la même façon, l’aire de distribution du charançon du pin blanc, qui s’attaque également au pin gris, est conditionnée par les températures; on prévoit que ce ravageur prendra de l’expansion à la fois vers le nord et en altitude.  

Monsieur Dave Sauchyn, du C‑CIARN des Prairies, prévoit que l’impact dominant du changement climatique dans cette région sera l’expansion de la steppe aux dépens des milieux aux sols plus humides qui permettent la croissance des arbres. Pour le secteur forestier, l’impact principal du changement climatique sera une modification de la productivité forestière, mais les résultats des analyses varient grandement selon les facteurs utilisés.  La productivité pourrait être d’abord favorisée par la plus forte concentration de CO2 dont les plantes ont besoin pour la photosynthèse et leur croissance. À terme cependant, la productivité forestière pourrait diminuer à cause de l’assèchement du sol, et l’assèchement de la forêt favorisera à son tour les incendies et les infestations d’insectes. Le changement des conditions climatiques influera également sur la part des essences commerciales dans la composition forestière.  

En Colombie-Britannique plus particulièrement, on a dit au Comité que l’impact projeté du changement climatique inclut l’allongement de la saison de croissance et de la demande en eau des cultures, ainsi que l’augmentation du risque des feux de forêt et des infestations d’insectes. On s’inquiète particulièrement de la productivité réduite et des risques posés à la croissance des arbres dans le nord-est de la province; par ailleurs, le risque d’infestations et d’incendies va vraisemblablement augmenter dans l’intérieur de la province et s’étendre en latitude et en altitude. Le changement prévu au climat et son impact sur les forêts britanno-colombiennes devront se traduire par de nouvelles approches et décisions en aménagement forestier. Des recherches sont déjà en cours sur la relation possible entre l’altitude à laquelle certaines espèces sont plantées, et leur rendement. Les résultats semblent indiquer que la plantation en altitude pourrait maintenir ou accroître le rendement dans l’avenir, parce que la température diminue avec l’altitude. De la même façon, l’exemple catastrophique du dendroctone du pin pourrait inciter les forestiers à reconsidérer la plantation du pin tordu dans l’Ouest canadien lorsqu’il s’agit de reboiser un territoire (encadré 8). Selon M. Stewart Cohen, du C‑CIARN de Colombie-Britannique, l’expérimentation avec les semis de pins tordus indique que les plans de reboisement devront tenir compte du changement climatique pendant la vie des arbres. Ces considérations soulèvent d’autres questions qui appellent de nouvelles recherches : Comment sera touché le rendement des récoltes futures? Quel sera l’impact sur les collectivités qui dépendent du secteur forestier?  

Les chercheurs ne savent pas si nos forêts connaîtront une hausse ou une baisse de productivité à la suite du changement climatique. En théorie, un climat plus chaud et une plus longue saison devraient favoriser la croissance; par ailleurs, davantage de feux et d’insectes entraveront la croissance. Si la productivité diminue, la compétitivité du Canada dans l’exportation de ses produits forestiers en souffrira vraisemblablement par rapport à d’autres pays. Le Comité a été quelque peu rassuré par le témoignage de certains experts qui estiment que les possibilités de développement de ce secteur demeureront. Ainsi, il pourrait y avoir une augmentation sensible de la croissance des arbres dans l’est du Canada.

 

Photo 2 : Dégâts du dendroctone du pin en 2001  
(Les zones infestées apparaissent en rouge)

Source : Stewart Cohen.  Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, Ottawa, 4 février 2003.

Dans des études du secteur forestier canadien, M. Perez‑Garcia, de l’Université de Washington, a constaté que les consommateurs de produits forestiers bénéficieront du changement climatique grâce à une augmentation de l’offre et une baisse des prix, au détriment des producteurs de bois qui perdront en rentabilité à moins de pouvoir accroître leur part de marché. M. Mendelsohn, de l’École de foresterie et d’environnement de l’Université Yale s’attend lui aussi à voir des prix mondiaux déprimés, à l’avantage des utilisateurs. Les projections économiques, comme dans le secteur agricole, dépendent des hypothèses au départ des modèles et études. Ainsi, certains scénarios ne tiennent pas compte des limitations du sol et de l’eau aux hautes latitudes. De nombreux témoins affirment que le changement climatique ne sera probablement pas le principal déterminant de la compétitivité du Canada, contrairement aux facteurs économiques (comme le différend commercial sur le bois d’œuvre) et aux barrières commerciales qui continueront de conditionner la compétitivité du pays.

En outre, comme le souligne M. Gordon Miller, directeur général du SCF, le changement climatique touchera non seulement les arbres mais également tous les services et avantages que les Canadiens retirent des forêts. Des représentants des compagnies forestières canadiennes, comme d’autres témoins, insistent sur le fait que le changement climatique n’est pas seulement une question scientifique mais également une question sociale : « Lorsqu’on parle de l’impact du changement climatique sur la forêt, nous parlons de son impact sur le gagne-pain d’un million de Canadiens. »[9]

 

B. Options d’adaptation en foresterie

Depuis la ratification du protocole de Kyoto, le Canada a centré ses efforts sur l’atténuation des effets du changement. De toute évidence, l’agriculture et les forêts peuvent jouer un rôle-clé dans la séquestration du carbone et aider le pays à respecter son engagement. Cependant, le changement climatique est déjà en cours et se poursuivra, forçant les Canadiens à s’y adapter dans tous les aspects de leur vie. Il est clair que le secteur forestier est intéressé à la fois aux mesures de temporisation et d’adaptation. Les compagnies forestières prétendent planter déjà les bons arbres, compte tenu du climat prévu. En réalité, elles doivent également gérer nos forêts d’une façon qui maintienne les nombreux emplois du secteur, tout en protégeant la qualité de l’environnement.  

Des représentants de compagnies forestières canadiennes nous ont affirmé que l’État doit radicalement accroître la recherche sur les effets écologiques du changement climatique et sur les stratégies d’adaptation. De leur point de vue, la mise en œuvre du protocole de Kyoto doit être mise en balance avec une préoccupation aussi vive pour les effets du changement sur les populations rurales canadiennes.

Pour ce qui est de l’adaptation à ces effets, le secteur affirme prendre déjà des mesures pour réduire au minimum les pertes causées par les feux de forêt, en améliorant leur protection à cet égard. Ainsi, les chercheurs de RNCan ont collaboré avec les provinces, le secteur forestier et les universités à mettre au point et tester le concept de la «Gestion forestière FireSmart». Il s’agit d’intégrer les activités de lutte antifeu à la gestion forestière de façon à réduire l’inflammabilité des forêts : calendrier de coupe, aménagement des parterres en damier, reboisement, entretien des peuplements. Avec l’aide des organismes municipaux, provinciaux et fédéraux, l’information scientifique à jour sur ce sujet a été synthétisée dans un guide permettant de réduire les incendies aux maisons et aux localités. Les entreprises forestières peuvent de la même manière fonctionner d’une façon qui réduit au minimum les pertes dues aux insectes et aux maladies en appliquant des pratiques sylvicoles appropriées ou en innovant dans les techniques antiparasitaires à chaque fois que cela est possible.

En outre, on estime largement que les forêts contribuent à diminuer la concentration de CO2 atmosphérique en séquestrant le carbone dans les arbres. Une sylviculture intensive accroîtrait donc la séquestration. Une fois abattus, les arbres conservent leur carbone : dans une maison, le carbone est encore séquestré dans le bois. Notons cependant que les spécialistes de la forêt ne sont pas unanimes sur la question des puits et des réservoirs de carbone. Le Sierra Club affirme que la forêt canadienne émet actuellement plus de carbone dans l’atmosphère qu’elle en séquestre, à cause de l’action accrue des ravageurs forestiers et surtout de l’augmentation des feux dans l’ensemble du territoire forestier depuis la fin des années 1970.

Les propriétaires de boisés privés peuvent également jouer un rôle important dans la séquestration du CO2. Le Nouveau-Brunswick et le Québec ont mis en place des programmes qui comprennent un volet de boisement là où la forêt n’existait pas auparavant, en tout cas pas depuis plus de 20 ans. Dans plusieurs autres provinces, les propriétaires de boisés font également beaucoup de plantation sur les terres agricoles marginales ou abandonnées. On estime que le potentiel de plantations sur les terres privées est de l’ordre de 35 000 ha (350 km2) par an sur 10 ans. À cet égard, le choix des essences est fondamental. Ainsi, même si le peuplier hybride pousse rapidement et séquestre une grande quantité de carbone en 20 à 25 ans, l’espèce réussit moins bien dans l’Est que dans les Prairies. Par ailleurs, le pin blanc est souvent planté dans les champs abandonnés de l’est du Canada. Les propriétaires de boisés ont donc besoin d’un programme de boisement assez souple.  

Il demeure des incertitudes au sujet des plantations. Richard Betts, écologiste principal au Centre Hadley, souligne que le boisement dans des régions neigeuses comme l’est du Canada peut dans les faits réchauffer le climat à cause de l’albédo : si un terrain ouvert est remplacé par une forêt, la surface du sol sera plus foncée, en particulier là où la neige demeure longtemps; par conséquent, la surface absorbera plus de rayonnement solaire et se réchauffera davantage, entraînant un réchauffement additionnel du climat.

Le Comité a également été mis au fait d’un problème majeur du boisement et de toute plantation : l’incertitude entourant le choix des essences à planter, et du lieu où les planter. On peut savoir quelle zone climatique convient à un arbre, mais cela ne veut pas dire que l’endroit qui convient à un semis aujourd’hui conviendra à l’arbre dans 50 ans. Selon le Sierra Club, cette incertitude est un des facteurs qui retarde l’application de mesures d’adaptation dans le secteur forestier.

Le Comité a remarqué dans certaines présentations que les entreprises forestières semblent adopter une attitude attentiste face à l’adaptation au changement climatique. Le Comité tient cependant à féliciter les entreprises pour avoir pris des mesures très tôt et avoir réussi à réduire leurs émissions globales de GES de 26 p. 100 depuis 1990. Cependant, nonobstant l’incertitude de l’impact du changement sur les écosystèmes forestiers d’ici quelques dizaines d’années, plusieurs témoins demeurent convaincus que le secteur forestier canadien doit appliquer rapidement les connaissances actuelles sur les feux de forêt, les insectes et les maladies des arbres à sa planification à long terme des opérations forestières. Planifier aujourd'hui en prévoyant le climat du Canada dans 100 ans est une entreprise difficile, mais les entreprises peuvent compter sur les recherches entreprises par le Service canadien des forêts et les universités du pays pour aider dans cette tâche.

Un bon exemple à considérer pour le secteur forestier, c’est la question des feux dans la partie orientale de la forêt boréale canadienne. Comme le révèle l’encadré 10, le seuil de superficie brûlé s’établit à environ 1  p. 100 de la superficie forestière totale. Comme la récolte annuelle totale correspond également à 1  p. 100 de la superficie, cela veut dire que toute augmentation dans la superficie brûlée se traduirait par une diminution du stock ligneux exploitable. Ce problème interpelle les compagnies dans leurs méthodes de coupes. Dans la forêt boréale, les entreprises pratiquent la coupe à blanc pour reproduire le rôle écologique du feu dans le maintien de la structure par âge des peuplements. Des changements futurs découlant de l’action du feu et de la pression sociale en faveur de la protection des forêts âgées pourrait obliger les entreprises à accroître la période de rotation à 200 ou 300 ans, ou à récolter une partie de la superficie forestière de façon à imiter la dynamique écologique des vieux peuplements forestiers.

Des détails de ce genre, de nature technique, illustrent l’importance de comprendre ce qui arrive aux forêts du Canada. À cet égard, il est essentiel de disposer d’un bon inventaire et d’un bon système de contrôle pour suivre les changements qui ont lieu actuellement dans les écosystèmes forestiers et pour fournir une base solide à l’élaboration des mesures d’atténuation et d’adaptation.

Des témoins ont insisté devant le Comité sur l’importance de protéger de grands territoires afin de fournir des corridors nord-sud le long desquels les espèces pourront migrer en suivant leur habitat. Ces corridors naturels pourraient permettre aux espèces de parcourir 50, 100 ou 200 kilomètres vers le nord. Le Canada a la possibilité de réaliser ces corridors dans certains paysages et forêts nordiques qui n’ont pas encore été fragmentés par le réseau routier et d’autres aménagements. Dans la mesure où les aires protégées pourront limiter la fragmentation, ils constitueront un outil extrêmement précieux pour l’adaptation des espèces.

L’incertitude de l’impact du changement climatique sur le secteur forestier canadien et sur les localités rurales qui dépendent de forêts saines pour leur bien-être donne peut-être l’occasion à tous les intervenants de la forêt d’entreprendre une réflexion profonde sur la gestion forestière de l’avenir. Certains témoins ont amené des idées sur l’intendance forestière, l’aménagement intensif, la protection des forêts et des corridors, etc. Le Programme des forêts modèles offre des laboratoires vivant pour l’essai de nouvelles approches en aménagement forestier. De plus en plus de gens semblent croire qu’une partie de la solution à l’adaptation dans le secteur forestier se trouve dans un aménagement plus intensif des forêts proches des populations, avec une intendance différente. Le territoire forestier pourrait ainsi être concédé pour une période plus longue à des personnes, ou encore les propriétaires de boisés privés pourraient produire du bois d’œuvre pour une compagnie. Des mesures de ce genre réduiraient la pression sur les terres de la Couronne dans le Nord.

Les forêts canadiennes sont plus étendues et variées que celles de la plupart des autres pays, y compris les pays scandinaves. Tel que le Comité l’a fait valoir dans son rapport sur la forêt boréale,[10] le Canada peut s’offrir le luxe de combiner l’aménagement intensif et la sylviculture à haut rendement avec l’utilisation des forêts vierges et de deuxième rotation pour la production ligneuse. Nous disposons de la souplesse voulue pour inclure davantage de superficies forestières dans les aires de conservation, et nous avons la possibilité de séquestrer le carbone dans les forêts nouvelles et adultes. Nos choix de gestion de nos forêts détermineront si elles pourront continuer de générer de la richesse pour le Canada et de faire vivre les populations qui en dépendent. Si nous échouons dans la tâche de bien gérer notre patrimoine forestier, tous les Canadiens en paieront le prix.

Résumé

L’incidence du changement climatique sur les forêts canadiennes va se concrétiser de diverses façons. Même si les analystes ne sont pas certains s’il y aura augmentation ou diminution de la productivité, ils s’attendent toutefois que les forêts tempérées et boréales vont se déplacer vers le nord suite à l’effet de plus hautes températures, ce qui risque de modifier la société et l’économie canadiennes.  Nonobstant l’incertitude quant aux effets du changement climatique sur les écosystèmes forestiers au cours des prochaines décennies, le secteur forestier devra anticiper son adaptation.  Pour les intervenants du secteur forestier cela  représente une bonne occasion pour examiner ce que sera la gestion forestière de l’avenir.


[1] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 12, 2ème Session, 37ème Parlement, Vancouver, 28 février 2003, séance de l’après-midi.

[2] En réalité, le réchauffement se situe entre 0,4°C et 0,8°C; à cause de l’incertitude causée par les erreurs possibles des données.

[3] Sila Alangotok: Inuit Observations on Climate Change, vidéo réalisé et produit par l’Institut international du développement durable, 2000.

[4] Le charbon a un rapport de carbone à hydrogène de 2, le gaz naturel, de 0,25 tandis que l’hydrogène pure n’en contient pas et a un rapport de 0. Les sources d’énergie où le rapport carbone/hydrogène est élevé produisent davantage d’émissions de CO2 lors de la combustion.

[5] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 14, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 27 mars 2003.

[6] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 5, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 12 décembre 2002.

[7] Nations Unies, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 1992.

[8] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 16, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 6 mai 2003.

[9] M. Avrim Lazar, Association des produits forestiers du Canada, Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 7, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 11 février 2003.

[10] Réalités concurrentes : la forêt boréale en danger, rapport du Sous-comité sur la forêt boréale du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, juin 1999, 1ère Session, 36ème Parlement.


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