LE CHANGEMENT CLIMATIQUE : NOUS SOMMES MENACÉS
Comité sénatorial permanent de lagriculture et des forêts
RAPPORT INTÉRIMAIRE
CONTEXTE DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
« Le
grand public a maintenant l'impression que la science du changement climatique
est comme un balancier, qui va d'une extrémité à l'autre, selon ce qui paraît
dans le dernier numéro de Nature. Ce n'est évidemment pas le cas.
[…]la science du climat repose sur des assises solides. […]On ne pourra
pas régler du jour au lendemain le problème du réchauffement de la planète
malgré le Protocole de Kyoto. »
Andrew Weaver,
professeur
École
des sciences de la terre et des océans, Université de Victoria.[1]
Plusieurs
analystes et chercheurs du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni ont
comparu devant le Comité. Leur présentation, résumée dans ce chapitre, était
très technique, mais importante pour le présent rapport.
Par conséquent, même s’il est technique, ce chapitre fournit une
information de base essentielle pour les chapitres subséquents et les
recommandations.
On
a présenté au Comité des faits qui démontrent que notre climat subit des
changements. Un des principaux indicateurs est la tendance vers un réchauffement
global, qui montre que la température moyenne de la
Terre pourrait s’accroître
de 1,4oC à 5,8oC
au cours des prochains cent ans. Bien
que cette hausse puisse paraître peu importante, dans les faits elle s’avère
très substantielle. En effet,
entre l’Âge de glace et notre ère, la température moyenne de la Terre ne
s’est accrue que de 3,5oC. Les changements au climat provoqués
par les activités humaines auront des effets sur notre agriculture, nos forêts
et nos collectivités rurales. Le
changement climatique n’affectera pas seulement les températures, mais
aussi les précipitations avec comme conséquence que l’approvisionnement en
eau pourrait devenir un enjeu principal non seulement pour les Canadiens, mais
pour l’humanité toute entière.
Il
y a moyen de ralentir le processus de changement, nous devons notamment réduire
nos émissions de gaz à effet de serre, comme le dioxyde de carbone.
Bien que nécessaire, une telle réduction n’est pas suffisante.
C’est depuis la Révolution industrielle du milieu des années 1800
que nous avons entamé le processus du changement climatique et
les régions circumpolaires comme le Canada risquent de subir davantage
les effets de ce changement que
d’autres régions de la planète. Il
est donc encore plus impératif pour les Canadiens de mettre en place des
stratégies d’adaptation.
|
Depuis
des dizaines d’années, les chercheurs tentent d’expliquer ce phénomène,
examinant les causes et les implications éventuelles du réchauffement du
climat. Presque tous les témoins qui ont comparu devant nous ont souligné
l’importance du groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du
climat (GIEC) dans l’analyse du dossier. Créé en 1998 par l’Organisation
météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour
l’environnement, le GIEC a pour rôle d’analyser rigoureusement les données
scientifiques, techniques et socioéconomiques relatives au changement
climatique, à ses effets éventuels et aux options d’adaptation et d’atténuation.
En
1996, le GIEC a affirmé que : « tous comptes faits, les preuves
suggèrent une influence humaine perceptible sur le climat terrestre ».
Cet aveu se trouve dans un résumé à l’intention des décideurs et soumis
au règlement de l’ONU : il a exigé l’approbation textuelle de tous
les pays. Seuls deux pays, le Koweit et l’Arabie Saoudite, se sont opposés.
Dans le troisième rapport d’évaluation en 2001, le GIEC a formulé un
jugement beaucoup plus fort qui a reçu encore moins d’opposition : des
éléments nouveaux et plus probants indiquent que la majeure partie du réchauffement
observé depuis 50 ans est attribuable aux activités humaines.
M. Henry Hengeveld,
conseiller scientifique en chef à Environnement Canada, a résumé les résultats
du GIEC. Des gaz naturels comme le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane
(CH4) contribuent à garder notre planète assez chaude pour
maintenir la vie telle que nous la connaissons. Ces gaz sont les gaz à effet
de serre (GES). L’effet de serre a d’abord été proposé théoriquement
en 1824 par le mathématicien français Jean Fourier. Les gaz à effet de
serre permettent à l’énergie solaire d’atteindre l’atmosphère et la
surface de la terre, tout en empêchant la chaleur de s’échapper et en la réfléchissant
dans toutes les directions, y compris à nouveau vers la surface. Sans cet
effet, la température de la terre serait inférieure de 33°C à ce qu’elle est
aujourd’hui et notre planète serait invivable.
L’observation
des carottes de glace de l’Antarctique renseigne sur la composition
climatique et atmosphérique d’il y a des milliers d’années. Elles
indiquent que les concentrations de CO2 ont toujours influé sur la
température de la planète.
Figure 1 :
Corrélation entre les gaz à effet de serre et la température
Source : Andrew Weaver.
Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, Vancouver, 28 février 2003.
Les
changements de la concentration du CO2 et CH4 atmosphérique
tels qu’enregistrés dans les carottes glaciaires de l’Antarctique depuis
400 000 ans coïncident avec l’évolution de la température dans
la même période. Quand les concentrations de GES sont élevées, le climat
est chaud; quand elles sont faibles, le climat est froid (Figure 1
).
Les
études sur les concentrations de gaz carbonique atmosphérique depuis 400 000 ans
révèlent que, jusqu’à récemment, il n’y a jamais eu plus que 300 parties
par million (ppm) de CO2 dans l’atmosphère.
Lors de l’Âge de glace – il y a environ 21 000 ans – le niveau
de CO2 se situait à 190 ppm et a été en progression au cours des
19 000 années qui ont suivi, pour atteindre 280 ppm lors de la Révolution
industrielle, soit une augmentation de 90 ppm. Par contre, depuis la Révolution
industrielle, la croissance a aussi été de 90 ppm pour atteindre un niveau
de 370 ppm. En d’autres termes, alors que la nature a eu besoin de 19 000
années pour accroître de 90 ppm le niveau de CO2 dans l’atmosphère,
les activités humaines ont réussi à induire la même croissance en
seulement 150 ans.
Comme
il a été dit précédemment, la température planétaire, à la surface de
la mer et de la terre s’est réchauffée de 0,6°C en moyenne depuis la fin
du 19 e siècle[2].
En cherchant les causes de ce réchauffement, les chercheurs ont considéré
divers facteurs qui influent sur le climat planétaire, comme la production
d’énergie solaire et les émissions d’aérosol par les volcans. Les
scientifiques ont examiné ces deux facteurs depuis 140 ans et évalué,
à partir de projections de modèles, comment le climat de la planète
pourrait avoir réagi à ces forces naturelles. Certains changements de la
première partie du 20 e siècle pourraient s’expliquer
par les irruptions solaires et volcaniques, à la fois parce que l’intensité
solaire a augmenté et que le nombre d’irruptions volcaniques a diminué, émettant
moins de poussière dans l’air.
Depuis
50 ans cependant, l’inverse est vrai. Une augmentation des irruptions
volcaniques a envoyé davantage de poussière dans l’air et l’activité
solaire n’a pas beaucoup varié; selon ces deux seuls facteurs, le climat
devrait s’être refroidi, alors qu’il a augmenté assez rapidement.
Lorsque les scientifiques incluent la hausse des concentrations de GES dans
les modèles, les résultats reproduisent de très près les conditions observées.
L’augmentation observée de la température ne peut être obtenue autrement
dans les modèles.
B.
…Et les changements nous toucheront
Les
changements climatiques auront des répercussions majeures sur les Canadiens :
la façon dont nous produisons nos aliments, l’utilisation de nos ressources
naturelles, bref sur notre comportement de tous les jours.
Il y a certes des incertitudes, mais pendant que les chercheurs tentent
d’améliorer nos connaissances afin de mieux comprendre les changements
climatiques, les Canadiens qui habitent les régions nordiques peuvent déjà
constater certains changements.
Comme
on l’a mentionné plus haut, les modèles développés dans le monde prévoient
un réchauffement moyen de la terre entre 1,4°C et 5,8°C d’ici 100 ans.
Cet écart reflète l’incertitude des projections, qui émane de plusieurs
hypothèses intégrées aux modèles : hypothèses relatives au
comportement de l’homme et à nos émissions de GES, relatives à la réaction
du cycle du carbone aux changements du climat, relatives aux facteurs
biophysiques comme les nuages. Il ne semble guère y avoir de doute quant la
limite inférieure, mais l’incertitude est grande concernant la limite supérieure.
On a dit au Comité qu’une augmentation de 1,4°C de la température moyenne
de la terre était sans précédent dans l’histoire humaine.
L’augmentation
de la température moyenne de la terre ne signifie pas une augmentation
uniforme partout. Les témoignages reçus indiquent que le réchauffement sera
amplifié aux latitudes élevées par l’effet de l’albédo de la
neige et de la glace : quand une surface passe de blanc (neige ou glace)
à foncé (sol et végétation), elle absorbe davantage de rayonnement solaire
et se réchauffe donc plus. Le réchauffement serait en outre plus accentué
à l’intérieur des continents (loin des océans), en hiver qu’en été et
la nuit que le jour. Avec une augmentation inégale des températures la
circulation des masses d’air et des courants marins sera touchée et
influencera les climats locaux. Les régions du globe connaîtront des
changements différents dans les périodes de l’année et la répartition
des précipitations, ainsi que dans les fluctuations de température. Le GIEC
a reconnu que le changement climatique va bien au delà du changement de la
température. Il affirme que nous pouvons prévoir des changements dans la fréquence
des années atypiques : en d’autres mots, des conditions extrêmes
deviendront plus rares, tandis que d’autres deviendront plus fréquentes. On
a mentionné très souvent que le Canada peut s’attendre à des sécheresses
plus fréquentes et répandues, en particulier dans les Prairies.
Des
changements sont déjà apparents dans le Nord canadien. Le Yukon et la vallée
du Mackenzie se sont réchauffés de 1,5°C depuis 100 ans, près de
trois fois l’augmentation moyenne de la planète. Un débat a été lancé
par le Northern Climate ExChange dans la population yukonaise en 2000 pour
savoir à quel point elle s’inquiète du changement climatique. Il est
devenu vite évident que le changement climatique n’est plus une abstraction
au Yukon, et qu’il est devenu un sujet de débat public.
Beaucoup
d’habitants du Nord observent directement des changements d’origine
climatique et cette expérience locale ajoute une dimension importante à nos
connaissances du dossier. Mme Aynslie Ogden, gestionnaire pour la région
du Nord du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et
l’adaptation (C‑CIARN) signale que les aînés du Nunavut entendent
des grenouilles et des criquets et voient des orages, ce qu’ils n’avaient
jamais vus ni entendus auparavant. Il y a de plus en plus d’insectes,
d’oiseaux, d’animaux et de phénomènes climatiques qui n’avaient jamais
été observés auparavant et pour lesquels les gens ne disposent pas de mots
dans leur langue traditionnelle. Ainsi, les habitants de Sachs Harbour, dans
l’île de Banks, ont vu des merles sans avoir de mot dans leur langue pour
cet oiseau jamais présent auparavant. Il commence à circuler de plus en plus
d’histoires de ce genre dans le Grand Nord canadien.
Une
grande crainte de la population, c’est de ne plus pouvoir prévoir : ne
plus pouvoir se fier à l’expérience et au savoir traditionnel pour prévoir
le changement des saisons, ne plus pouvoir prédire les conditions de chasse
car les changements de l’englacement modifient les migrations et la répartition
des animaux. Ces changements dans les conditions de la glace pourraient
conduire à la disparition des ours polaires dans la région de la Baie
d’Hudson d’ici environ 50 ans.
M. George Quintal, Métis de l’Alberta, a dit au Comité
que le niveau de l’eau des lacs et des rivières avait diminué dans le nord
de l’Alberta, nuisant aux frayères et aux poissons dont les Métis dépendent
pour leur alimentation.
« Notre
population nordique est-elle messagère pour le reste du monde?[3] »
Quelle sera l’importance de l’impact du changement climatique? À partir
des témoignages, il semble que certaines régions et secteurs pourraient
profiter du changement, et d’autres, y perdre. Dans les deux cas, le
changement climatique bouleversera l’environnement, la société et l’économie
au Canada. Notre capacité à nous adapter nous permettra de profiter des
avantages et de réduire les effets négatifs du réchauffement.
C.
La solution est réduire les émissions…
Le
mandat du Comité était d’examiner l’impact du changement climatique et
les options d’adaptation, mais beaucoup de témoins ont abordé la réduction
des émissions de GES. Cela n’est pas surprenant, étant donné les efforts
nationaux et internationaux pour contrer le changement climatique avant tout
par la réduction des émissions. Cette section résume les trois questions
qui ont été abordées soit : le protocole de Kyoto, la bourse des émissions
et un objectif à long terme : la décarbonisation des sources d’énergie.
1.
Le Protocole de Kyoto
En
1997, le Protocole de Kyoto a été rédigé en vertu de la Convention cadre
des Nations Unies sur le changement climatique. Le Protocole oblige les pays
industrialisés qui le ratifient à réduire leurs émissions de GES. Il est
bien connu cependant que, même après la mise en place de mesures sérieuses
pour réduire ces émissions, le changement climatique se poursuivra inévitablement
pendant un certain temps. Tous les témoins conviennent que le climat de la
terre prendra des siècles à réagir aux concentrations actuelles de GES et
que le Protocole de Kyoto n’aura guère d’effet sur le climat durant le
prochain siècle.
Pour
illustrer ce point, M. Andrew Weaver professeur à l’École des
sciences de la terre et des océans de l’Université de Victoria a comparé
les scénarios faisant appel à un modèle en particulier : si rien
n’est fait pour réduire les émissions de GES, le modèle prévoit une
augmentation de 2,08°C de la température de la terre et une augmentation du
niveau de la mer de 50 cm. Si tous les pays, y compris les États-Unis,
atteignent l’objectif de Kyoto, l’augmentation de température serait de 2°C
et la hausse du niveau moyen des mers, de 48,5 cm. Si les pays
effectuent, au-delà des objectifs de Kyoto, une réduction supplémentaire de
1 p. 100 après 2010 et jusqu’à la fin du siècle, le modèle prévoit une
augmentation de 1,8°C de la température et une hausse du niveau moyen des
mers de 45,5 cm.
Le
Protocole de Kyoto est une première étape indispensable d’une stratégie
à long terme pour lutter contre le changement climatique. En soi, le
Protocole ne résout pas le problème; il nous donne seulement un peu plus de
temps pour nous adapter aux changements. Le respect du Protocole retardera de
10 ans (de 2060 à 2070) le doublement de la concentration de dioxyde de
carbone par rapport à la concentration actuelle. Mais comme le souligne
Environnement Canada, l’objectif ultime de la Convention-cadre sur le
changement climatique est de stabiliser les concentrations à un niveau qui évitera
les conséquences dangereuses pour l’humanité.
2. La Bourse des émissions
Avec
un bon aménagement, les forêts et les terres agricoles peuvent retirer du
carbone de l’atmosphère en le stockant dans les arbres et sol : il
s’agit « de puits terrestres ». Chaque unité équivalente de CO2
retirée et stockée produirait ainsi un crédit de carbone pouvant être
vendu aux émetteurs de GES pour qui le coût de réduction des émissions
serait supérieur au prix de vente des crédits. Le PCCC propose un cadre par
lequel ces crédits de carbone seraient vendus à la bourse des émissions
(encadré 2).
Beaucoup
de témoins ont souligné que le Canada a un grand potentiel de stockage de
carbone, et que les puits aideront notre pays à atteindre ses objectifs de
Kyoto. M. G. Cornelis van Kooten, économiste forestier à
l’Université de Victoria, affirme qu’une taxe sur le carbone permettrait
de réduire les émissions à moindre coût. Ses études indiquent que les
puits forestiers créés par le reboisement coûtent trop cher même en tenant
compte des bénéfices du stockage du carbone. En outre, il demeure des doutes
scientifiques sur les avantages des puits en sol agricole (encadré 3) et
cette solution est peut-être trop éphémère pour être valable à long
terme : les sols libèrent le CO2 très rapidement lorsque les
pratiques agricoles changent.
Néanmoins,
le consensus est véritable pour ce qui est des solutions à long terme aux
changements climatiques : les témoins conviennent qu’il faut opérer
des réductions significatives des émissions de GES bien au‑delà des
engagements de Kyoto, et que cela ne peut se faire sans cibler les systèmes
énergétiques.
3. La décarbonisation des systèmes énergétiques mondiaux
Pour
avoir un effet significatif sur le système énergétique et les émissions de
GES, il nous faut des sources d’énergie
primaire qui n’émettent pas de CO2 dans l’atmosphère
et qui réduisent en bout de ligne la demande énergétique. Malheureusement,
la plupart des approches utilisées à ce jour seraient transitoires et
constitueraient essentiellement des améliorations infimes aux technologies
existantes. Ce qu’il faut, c’est « décarboniser nos systèmes énergétiques »,
c’est‑à‑dire passer de combustibles riches en carbone à des
combustibles pauvres en carbone.
Notre
société évolue naturellement vers la décarbonisation. Depuis deux siècles,
nous sommes passés du bois au charbon, puis au pétrole et finalement au gaz
naturel comme principal combustible. Au Canada, le gaz naturel a dépassé le
pétrole comme principale source d’énergie fossile. Le principal facteur de
la décarbonisation, c’est la réduction du nombre de carbone dans le
combustible et l’augmentation du nombre d’atomes d’hydrogène :
ainsi, le gaz naturel (méthane) produit moins d’émissions de CO2
que le charbon. L’évolution ultime nous fera passer à l’hydrogène pur,
qui ne produit pas de CO2[4].
M. Ned Djilali
de l’Institut des systèmes énergétiques intégrés de l’Université de
Victoria illustre notre capacité à introduire des technologies à émissions
nulles de CO2 par deux exemples. Il a examiné deux services dont
la société a besoin et les sources d’énergie qui y sont afférentes.
Premièrement, la récolte agricole n’est aujourd’hui possible qu’avec
une seule source d’énergie, le pétrole brut (transformé en diesel et
utilisé dans une moissonneuse-batteuse). Ce système d’énergie est très
difficile à affranchir des combustibles fossiles et donc d’une technologie
émettant des GES.
Par
ailleurs, le deuxième service, l’eau potable, s’obtient de plusieurs façons,
grâce à plusieurs sources d’énergie primaires. Il y a les combustibles
fossiles, le diesel pour faire fonctionner l’usine de filtration ou encore
l’électricité provenant d’une centrale au charbon ou au gaz. On a
cependant la possibilité d’utiliser de l’électricité provenant d’une
source renouvelable : éolienne, hydroélectrique, géothermique ou nucléaire.
L’exemple
de l’eau potable met en lumière le fait qu’un secteur, le secteur
stationnaire, utilise avant tout l’électricité du réseau. Cette électricité
a diverses sources, certaines renouvelables, certaines non émettrices de GES
et certaines non renouvelables. C’est ici qu’on peut pousser une
technologie à émission nulle de CO2. Quant au secteur mobile celui
du transport, il dépend largement des combustibles fossiles.
Le
défi consistera de trouver des énergies sans émissions de CO2
comme source de combustible pour les secteurs mobiles. Une façon possible
d’y arriver, serait de transformer une puissance additionnelle provenant de
source renouvelable, qui n’est pas toujours disponible à cause des
fluctuations de l’énergie solaire, éolienne et marémotrice, en production
d’hydrogène. Cet hydrogène supplémentaire pourrait ensuite être soit
stocké soit servir à alimenter des cellules à combustible. En utilisant
l’hydrogène comme carburant, le secteur mobile pourrait se libérer de sa dépendance
des combustibles fossiles. Un système à l’hydrogène basé sur l’électricité
pourrait être flexible et adaptable. En outre, comme on pourrait l’adapter
à la disponibilité locale, il n’aurait pas à répondre à une approche
commune contraignante.
Plusieurs
problèmes restent à résoudre avant de pouvoir passer à une société complètement
décarbonisée, dont ceux de réduire les coûts de production
d’hydrogène, convertir l’hydrogène en électricité au moyen de piles à
combustible et le développement de système de stockage et de distribution.
Un problème souvent souligné concerne l’investissement dans l’offre
d’hydrogène : il n’y aura pas de déploiement systématique d’une
infrastructure utilisant l’hydrogène tant que la demande ne sera pas
suffisante pour la rendre rentable, et la demande ne sera pas suffisante tant
qu’il n’y aura pas d’infrastructure.
Pour
sortir de ce cercle vicieux, il faudra prendre des mesures politiques ciblées.
Il n’est pas dans le mandat du comité de recommander ces politiques, mais
nous estimons qu’il faut une vision claire de la part du gouvernement, qui
reconnaisse les avantages environnementaux et économiques de cette approche.
Le Canada est un leader mondial dans certaines technologies énergétiques et
nous devrions en tirer profit.
À
la surprise du Comité, M. Djilali a affirmé qu’à l’heure actuelle, la
seule voie réaliste vers une économie à base d’hydrogène et sans GES, où
80 p. 100 à 90 p. 100 des besoins d’énergie seraient comblés
par l’hydrogène, passe par la généralisation de l’énergie nucléaire.
Certains témoins ont également laissée entendre que des progrès
technologiques n’ont pas pu avoir lieu dans le secteur nucléaire depuis des
dizaines d’années à cause du peu de popularité de cette filière auprès
des Canadiens.
Ces
témoins jugent nécessaire de réévaluer la filière nucléaire, étant donné
les besoins du Canada et de la planète au 21e siècle et
au‑delà. Une bonne analyse de risque devrait inclure la question de la
gestion des déchets dans un horizon de 50 ou de 100 ans. En outre,
l’incertitude concernant les effets directs du changement climatique devrait
être considérée par rapport à la certitude de certains effets négatifs
qui se produiront en
l’absence de mesures radicales
pour contrer les émissions de GES.
Le
Comité désire cependant souligner que les sources d’énergie renouvelables
ont un rôle essentiel à jouer dans le système énergétique futur du
Canada. Dans l’Ouest canadien, nous avons constaté des efforts dans ce
domaine, notamment en visitant une éolienne près de Lethbridge. Nous avons
également visité un élevage de porcs près de Viking en Alberta, qui
utilise du lisier pour produire de l’électricité (encadré 4). Il y a
là une possibilité considérable de réduire la pollution et les odeurs tout
en s’attaquant au changement climatique.
Le
climat prendra des siècles à réagir aux concentrations de GES déjà émises
par l’activité humaine (industrielle) et seules les générations futures
pourront mesurer concrètement le succès de nos tentatives actuelles d’atténuation.
Entre-temps, nous devons nous adapter à de nouvelles conditions climatiques.
Dire
que l’atténuation du changement climatique a reçu la part du lion dans
l’attention du public et des médias, ainsi que dans le financement de l’État
partout dans le monde serait sous-estimer la réalité. La discussion
entourant le Protocole de Kyoto a tellement détourné l’attention de
l’adaptation, autant au Canada qu’au niveau international, que le débat
s’en trouve biaisé. Ceci est particulièrement un irritant pour les
Canadiens parce que leur gouvernement s’est engagé à faire la promotion de
l’adaptation. On a maintes fois félicité le Comité pour avoir traité de
l’adaptation au changement et fourni un lieu de discussion pour ce sujet. Le
Comité s’est appliqué à trouver des réponses aux questions suivantes :
est-ce qu’il y a de la recherche sur des stratégies d’adaptation au
Canada? Qu’est-ce qui est fait? Qui conduit cette recherche?
L’adaptation
au changement climatique engage pour le long terme et c’est là une autre
raison pour laquelle elle ne reçoit pas l’attention qu’elle mérite :
voilà exactement pourquoi le Comité sénatorial a un rôle à jouer, comme
l’affirme M. Mohammed H.I. Dore, du département des sciences économiques
de l’Université Brock:
« le
Sénat est peut-être la seule institution qui peut adopter un point de vue à
long terme sur le bien-être des Canadiens. […] J'estime que les changements
climatiques et leurs répercussions sont au fond des questions de long terme. »[5]
Quant
à M. Peter N. Duinker, gestionnaire du C‑CIARN dans la région
de l’Atlantique, il affirme ce qui suit:
« Il
est grand temps que nous abordions cette question des impacts et de
l'adaptation. Votre travail et notre travail au réseau sont des éléments
essentiels de ce programme. »[6]
Les
impacts du changement climatique, et l’adaptation à celui‑ci,
exigeront davantage d’attention et de fonds, mais l’intensité et la
passion manifestées par tous les témoins caractérisent un milieu de
recherche dynamique qui se penche sur cette question. Leurs efforts méritent
d’être davantage reconnus. Ainsi, peu de gens sont au courant de l’Étude
pancanadienne terminée en 1998. Il s’agit de la première évaluation
des impacts sociaux, biologiques et économiques du changement climatique sur
les diverses régions du Canada. Des climatologues de l’État, du secteur
privé, des universités et des ONG ont été réunis pour examiner le bilan
des connaissances sur les impacts du changement climatique et sur
l’adaptation, identifier les lacunes dans la recherche et proposer des
domaines de recherches prioritaires où les connaissances sont requises
d’urgence.
Depuis, le programme fédéral Changement climatique –
impact et adaptation, volet du Fonds canadien d’action pour le changement
climatique (FACC) finance la recherche et les activités qui permettront de
mieux connaître notre vulnérabilité, d’évaluer les risques et avantages
du changement et de prendre des décisions éclairées en matière
d’adaptation. La recherche canadienne sur
les impacts et l’adaptation effectuée depuis 1997 a été synthétisée
dans un rapport intitulé Impacts
et adaptation liés au changement climatique : perspective canadienne produit
par Ressources naturelles Canada. Le rapport couvre divers secteurs : les
eaux, l’agriculture, les forêts, les pêches, le littéral et la santé, et
fournit une information générale sur l’impact et l’adaptation, les progrès
des techniques de recherche et les lacunes à combler. Des chapitres
sectoriels sur l’agriculture et les forêts ont été publiés en 2002.
En outre, le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires ont subventionné la création du Réseau canadien de recherche sur les impacts climatiques et l’adaptation, reliant chercheurs et intervenants de tout le pays. Le C‑CIARN compte 6 régions (Colombie-Britannique, Prairies, Ontario, Québec, Atlantique, Nord) et 7 secteurs nationaux (agriculture, eau, zone côtière, santé, forêt, paysage, pêche). Les régions et secteurs du C‑CIARN collaborent à l’étude des impacts climatiques et de l’adaptation, au repérage des lacunes et à l’établissement des priorités de recherche. Un bureau de coordination national est situé à Ressources naturelles Canada. Deux groupes, OURANOS au Québec et Coopération des Prairies pour la recherche en adaptation (COPRA), ont été créés pour bonifier la recherche.
Publié
en décembre 2002, le Plan du Canada sur le changement climatique traite
surtout de la réduction des émissions de GES, non des stratégies
d’adaptation. Cependant, il relève quatre
domaines où la collaboration est nécessaire entre l’État, les universités
et le secteur privé pour l’adaptation:
1.
recherche et
développement pour la planification de l’adaptation et le développement
des outils;
2.
expansion de l’évaluation de la vulnérabilité aux impacts du
changement climatique dans toutes les régions du Canada;
3.
identification des zones et des régions prioritaires pour les actions
futures;
4.
sensibilisation aux impacts du changement climatique et à la nécessité
de s’y adapter.
Comment
ces actions s’inscrivent-elles dans notre stratégie globale face au
changement climatique? Les fonctionnaires qui ont comparu devant le Comité
estiment que sur 1,6 milliard de dollars que le fédéral a investi à
cet égard depuis 1998, environ 100 millions de dollars ont été dépensés
à l’étude des impacts et de l’adaptation. À partir du budget du Fonds
d’action qui totalise 50 millions de dollars par an, 2,5 millions
par an ont été affectés à la recherche sur les impacts et l’adaptation.
Ce
bilan est plutôt décevant, parce que le Canada s’est officiellement engagé
à promouvoir l’adaptation. Alors que la Convention-cadre des Nations
Unies sur les changements climatiques, qui a donné lieu au Protocole de
Kyoto, vise les réductions d’émissions, il fait aussi explicitement la
promotion de l’adaptation. L’article 4 affirme que:
Toutes
les parties […] établissent, mettent en œuvre, publient et mettent régulièrement
à jour des programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux contenant
[…] des mesures visant à faciliter l’adaptation appropriée aux
changements climatiques.[7]
Résumé
Les
preuves scientifiques montrent que notre climat change et que ceci va affecter
les êtres humains, plus particulièrement ceux qui habitent des régions
circumpolaires comme le Canada. Nous allons devoir restreindre nos émissions
afin de réduire les effets négatifs que celles-ci provoquent sur notre
climat. Plus encore, non seulement nous devrons atténuer nos émissions, nous
devrons aussi nous adapter. Le Comité reconnaît que les mesures d’atténuation
et d’adaptation au changement climatique vont de paire, mais il faut
absolument accroître considérablement les efforts d’adaptation pour aider
notre pays à se préparer à l’avenir.
Il faut également un engagement à long terme pour appuyer, financer
et suivre le progrès vers l’adaptation; le gouvernement du Canada devrait
prendre l’initiative dans ce dossier. Les ministres fédéral et provinciaux
de l’Environnement et de l’Énergie réunis en mai 2002 ont appuyé
l’élaboration et la mise en œuvre d’un réseau national d’adaptation.
À la connaissance du Comité, ce réseau est encore embryonnaire, mais il
pourrait fournir les arrimages institutionnels nécessaires à la promotion de
l’adaptation au changement climatique.
QUE SAVONS-NOUS DES
EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR L’AGRICULTURE?
« Si
l'on part du principe que ce changement climatique ne va pas disparaître
avant longtemps, il faut bien admettre que la façon dont les gens vont ou non
réagir et s'adapter sera probablement déterminante pour le résultat final,
positif ou négatif. »
M.
Christopher Bryant, Professeur,
Faculté
de géographie, Université de Montréal[8]
Même
si les effets précis du changement climatique sur l’agriculture canadienne
sont inconnus, il est possible de reconnaître certaines tendances qui se
divisent en deux catégories. La
première est biophysique comme les effets de températures plus élevés sur
les cultures, les modifications du niveau de dioxyde carbone et des modèles
de précipitations. L’autre catégorie des effets a trait à la performance économique
du secteur agricole, comme les changements en matière de productivité, au
Canada et ailleurs dans le monde, qui se répercutent sur la profitabilité de
l’agriculture.
Un
rapport exhaustif intitulé Impacts et adaptation liés au changement
climatique : perspective canadienne, publié en octobre 2002
par Ressources naturelles Canada, résume la recherche effectuée au Canada
sur les impacts et l’adaptation dans le domaine agricole depuis 1997.
Certaines des données communiquées au Comité au sujet des effets possibles
du changement climatique sur l’agriculture se trouvent déjà dans ce
rapport. La section qui suit met en lumière des éléments clés de nos
connaissances actuelles en la matière.
A. Les effets biophysiques
du
changement climatique sur l’agriculture canadienne
Des
économistes spécialisées en ressources naturelles, tant au Canada qu’aux
États-Unis, prévoient que l’agriculture canadienne bénéficiera du
changement climatique. Certaines régions du pays peuvent s’attendre à un
gain net alors que d’autres souffriront mais, dans l’ensemble,
l’agriculture au Canada devrait sortir gagnante. Quelques‑uns des
facteurs qui sous‑tendent cet optimisme reposent sur deux prévisions
fondamentales découlant de la recherche concernant le changement climatique,
soit que les températures s’élèveront, notamment dans les régions à
proximité du pôle comme l’est le Canada, et que le CO2 dans
l’atmosphère, principal élément nutritif des plantes, augmentera. Ces
deux facteurs auraient, sur les cultures et le fourrage, les conséquences
suivantes :
·
augmentation
de la productivité végétale,
·
prolongation
de la saison de croissance,
·
accélération
des taux de maturation.
On
s’attend à ce que les températures supérieures aient sur les plantes un
effet positif dans les écosystèmes où l’actuelle température annuelle
moyenne se situe sous les 15oC, comme c’est le cas au Canada.
L’effet devrait être neutre ou même négatif pour les écosystèmes situés
dans des zones enregistrant une température annuelle moyenne supérieure à
15oC. Ainsi, l’agriculture au Canada pourrait connaître de
meilleures productions des cultures existantes, la possibilité de nouvelles récoltes
et un déplacement vers le nord des conditions favorables. Selon le professeur
Robert Grant de l’Université de l’Alberta, il se peut que 60 millions
d’hectares supplémentaires deviennent cultivables en raison de
l’expansion des conditions propices vers le nord, et ce gain pourrait
compenser la perte possible de terres agricoles dans d’autres parties du
monde comme en Afrique, dans le nord‑est du Brésil et en Australie.
Il
faut toutefois tempérer cet optimisme en matière de productivité des
sols, de température, de disponibilité de l’eau, d’érosions des sols et
de parasites. On a mentionné à
plusieurs reprises que les conditions du sol dans le nord du Canada risquaient
de ne pouvoir soutenir une quelconque production agricole. Dans les trois
provinces des Prairies, seulement 1,44 million d’hectares pouvaient
devenir disponibles si les conditions climatiques se déplaçaient de 550 à
650 km vers le nord (chiffre basé sur le sol le plus approprié pour la
production agricole au nord du 55e parallèle [sols de classe 4]).
Il existe donc des limites aux projections positives.
La
température est un autre facteur limitatif sur les attentes positives en
agriculture. En effet, même si
des températures plus élevées pourraient se traduire par une plus grande
productivité, une température
plus chaude peut aussi influer négativement sur la production agricole;
ainsi, la chaleur extrême augmente les dommages aux cultures et joue sur la
santé des animaux. C’est ainsi que M. Gilles Bélanger d’AAC a déduit de
sa recherche que les hivers plus doux pouvaient affecter certaines cultures pérennes
dans l’est du Canada, notamment par la réduction de l’endurance au froid
acquise pendant l’automne et une augmentation du nombre de périodes de dégel
en hiver.
La
disponibilité de l’eau pour la production agricole deviendra un problème
de taille qui pourra limiter les effets positifs de plus hautes températures.
Même si la configuration des précipitations est présentement difficile à
prévoir, peut-être même est-elle la plus difficile des projections à établir
selon des témoins, on a assuré au Comité qu’elle changera. Ainsi, une
augmentation des précipitations risque de ne pas être avantageuse si elle ne
se produit pas au bon moment pour les cultures, ou s’il tombe en trois
heures la même quantité de pluie qu’il en tombe normalement en deux jours.
Qui
plus est, une hausse des températures signifie une augmentation des taux d’évapotranspiration
(perte d’eau des plantes et du sol), ce qui fait augmenter les besoins en
eau des cultures. Par ailleurs, de plus fortes concentrations de CO2
dans l’atmosphère réduisent les taux de transpiration et augmentent
d’autant l’efficience de l’utilisation de l’eau par les plantes. En
fin de compte, comme les effets du changement climatique sur la disponibilité
de l’eau sont inconnus, ceci limite d’autant les attentes positives sur
l’agriculture que l’on pourrait espérer (voir encadré 5 sur
l’aspect régional). Face à une telle incertitude, les agriculteurs devront
peut-être faire une gestion plus serrée de l’eau que par le passé, voire
devront-ils l’emmagasiner (le Chapitre 5 porte spécifiquement sur l’eau).
La
température et les précipitations n’influent pas seulement sur les
cultures et le bétail : les insectes, les mauvaises herbes et les
maladies réagissent aussi à la température et aux niveaux d’humidité.
Les sauterelles peuvent servir d’indicateurs des tendances climatiques. Dan
L. Johnson, chercheur au Centre de recherches de Lethbridge d’AAC, a démontré
que le changement climatique favorise probablement les espèces envahissantes
et augmente les risques d’infestations d’insectes. La recherche sur la
population de sauterelles en Alberta et en Saskatchewan a révélé que les
conditions chaudes et sèches favorisent leur reproduction et leur survie; or,
les actuels scénarios de changement climatique privilégient de telles
conditions.
Le
dioxyde de carbone affecte aussi les mauvaises herbes, comme l’a indiqué M. Daniel Archambault,
chercheur à l’Alberta Research Council, qui a fait valoir que des
modifications s’étaient produites au niveau des mauvaises herbes en Alberta
et que l’augmentation du CO2 pouvait favoriser leur croissance.
Il a également précisé que l’efficacité des herbicides et des
pesticides risquait de diminuer en raison de l’accroissement du CO2.
Outre
les effets individuels des variables comme la température, le sol et l’eau,
les diverses combinaisons des effets de ces facteurs comme l’accroissement
du CO2 et la disponibilité de l’eau conduisent en apparence à
des résultats contradictoires qui varient d’une région à l’autre.
C’est ainsi que M. Samuel Gameda, chercheur à AAC, a parlé d’une
expansion possible des zones de production du maïs et du soja dans le Canada
atlantique et d’une possibilité que les rendements de ces cultures au Québec
et en Ontario soient aussi importants qu’ils ne le sont en ce moment dans le
Midwest américain. M. McGinn du Centre de recherches de Lethbridge d’AAC a
présenté les résultats d’une étude menée au Centre de recherches de
l’Est sur les céréales et oléagineux révélant qu’un ensemencement précoce
et une plus grande efficience dans l’utilisation de l’eau, rendue possible
par l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère, n’avaient pas
modifié dans les Prairies le rendement de cultures de printemps comme
l’orge, le canola et le blé.
L’issue
exacte pour l’agriculture qui résultera des effets individuels et combinés
des variables climatiques en jeu demeure présentement inconnu. On sait que le
changement climatique modifiera les modèles passés, mais les projections
connues reposent sur une tendance
globale, et non pas sur une base nationale et encore moins sur une base
provinciale. Le Comité est
conscient que les effets biophysiques se feront sentir localement et que
davantage de recherche est nécessaire afin d’améliorer nos connaissances
en cette matière.
Photo 1 :
Dérive des sols près d’Oyen (Alberta), 5 mai 2002
Source : Dave Sauchyn. Mémoire présenté au Comité sénatorial
permanent de l’agriculture
Comme
l’a précisé M. Ed Tyrchniewicz, président de l’Institut
agricole du Canada, lorsqu’il est question de changement climatique, il est
question de la température, des précipitations et de la variabilité, ce
dernier élément étant, à son avis, le facteur le plus important pour
l’agriculture. M. Barry Smith de l’Université de Guelph a
signalé qu’il « est très rare que nous ayons un climat moyen. […]
Nous dégageons les variations d’une année à l’autre ». Il semble
évident que les agriculteurs sont en mesure de gérer les variations qui se
produisent au cours d’une année moyenne. En fait, la plupart des systèmes
agricoles peuvent composer avec des déviations mineures de la moyenne à
l’intérieur de la limite de l’adaptation (figure 2).
Figure 2 : Le changement climatique comprend des variations
dans les extrêmes
Source :
Barry Smith. Mémoire présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture
Cependant,
avec le changement climatique, toutes ces conditions varieront. L’année
moyenne peut encore se situer dans les limites de l’adaptation mais il est
important de noter que, même sans modification de la magnitude des extrêmes,
un changement de la médiane résultera en un changement de la fréquence et
de la gravité de certains extrêmes. Dans le domaine de l’agriculture, par
exemple, il pourrait s’agir de sécheresses plus fréquentes et plus sérieuses.
En termes scientifiques, la probabilité d’une année extrême pourrait
passer d’une sur dix à une sur trois.
B.
Les effets économiques du changement climatique sur l’agriculture
canadienne
Tous
les témoins ont convenu que les changements dans la variation annuelle des
températures et précipitations auront une importance plus significative pour
le secteur agricole que les changements des conditions moyennes. Comme l’a
dit le président de l’Institut agricole du Canada, le problème en est un,
finalement, de gestion du risque au niveau de la ferme.
Outre
des changements dans la production agricole, les changements au niveau du
climat entraîneront des modifications des variables commerciales comme les
prix du marché et les prix des intrants. Même si la production dépend
localement des conditions météorologiques de l’endroit, les marchés
internationaux déterminent bien des prix courants. Ce qui importera aux
agriculteurs canadiens, c’est la façon dont leur productivité change par
rapport à celle du reste du monde. Si nos compétiteurs subissent des baisses
radicales dans certaines cultures que le Canada serait relativement plus en
mesure de produire en vertu d’un scénario de changement climatique, la
situation pourrait avantager nos agriculteurs.
Néanmoins,
des récoltes abondantes peuvent ne pas être financièrement avantageuses
pour les agriculteurs si elles sont assorties de faibles prix. À l’inverse,
si les agriculteurs canadiens connaissent de faibles récoltes, mais
produisent quand même davantage que le reste du monde, ils profiteront
peut‑être de prix élevés.
Dans
de précédentes études concernant le Canada, Mme Siân Mooney
de l’Université du Wyoming a constaté que les revenus nets globaux des
provinces des Prairies pouvaient croître en raison du changement climatique.
M. Mendelsohn, économiste des ressources naturelles de la Yale School of
Forestry and Environmental Studies, prévoit lui aussi des bénéfices assez
substantiels pour le secteur agricole du Canada. Pareilles conclusions dépendent
toutefois beaucoup du nombre d’hypothèses qui sous‑tendent les différents
modèles et études. Par exemple, quelques‑unes de ces prévisions
optimistes ne tiennent pas compte des limites relatives au sol et à l’eau
dans les latitudes nordiques.
C. Mesures d’adaptation pour
l’agriculture
L’impact
du changement climatique sur l’agriculture canadienne dépendra en grande
partie des mesures d’adaptation que prendront les agriculteurs. Dans ce
contexte, s’adapter signifie ajuster les techniques de gestion agricole aux
effets attendus du changement climatique afin de réduire les risques et
d’exploiter les possibilités.
Les
agriculteurs innovent déjà et s’adaptent à divers stress dont les
variations du temps, des politiques commerciales et des prix des denrées. Par
exemple, les fermiers de l’Ouest canadien adoptent ou intensifient certaines
pratiques comme éviter de travailler la terre afin d’en protéger la couche
arable durant les sécheresses, conserver l’humidité dans le sol et réduire
la quantité de gaz à effet de serre relâchés dans l’atmosphère.
Différentes
mesures d’adaptation ont toujours été à la disposition des fermiers pour
contrer les risques et conditions défavorables, et elles continueront de les
aider. M. Barry Smith, l’un des chefs de file de la recherche sur
l’adaptation au Canada, a classé ces mesures en quatre catégories :
·
développement
technologique, y compris nouvelles variétés de cultures, rations fourragères
et systèmes d’information météorologique;
·
gestion
financière agricole dont assurance-récolte, programmes de stabilisation du
revenu et diversification du revenu du ménage;
·
pratiques de
production agricole, y compris diversification, irrigation, changement dans le
calendrier des activités agricoles (ensemencement hâtif, p. ex.), méthodes
culturales de conservation et agroforesterie;
·
programmes
gouvernementaux dont programmes de soutien et imposition (voir dans l’encadré
six un exemple de programmes de soutien gouvernemental).
|
Le
professeur Roger Cohen de l’Université de la Saskatchewan a élaboré
pour les agriculteurs un outil de soutien décisionnel appelé Grassgro
qui peut servir à la révision des stratégies d’adaptation dans les
Prairies. Grassgro évalue comment la météo, les sols et les
pratiques de gestion s’associent pour influer sur la production pastorale,
la rentabilité et le risque. En fonction de divers scénarios de changement
climatique et diverses mesures d’adaptation, ce modèle peut déterminer
quel genre de stratégies sont susceptibles de garantir la viabilité des éleveurs
de bétail.
Au-delà
des aspects pratiques et techniques des différentes solutions, les fermiers
auront à choisir leurs mesures d’adaptation. Le professeur Michael Mehta,
sociologue de l’Université de la Saskatchewan, a défini la capacité
d’adaptation comme étant la capacité d’un système ou d’un individu de
s’adapter à la variabilité climatique, souvent en minimisant la probabilité
et les conséquences de résultats négatifs. De ce point de vue, la capacité
d’adaptation ressemble à la gestion du risque et l’attitude des
agriculteurs à l’égard du changement climatique constituera le facteur déterminant
d’une bonne adaptation. M. Smit, pour sa part, dit que les fermiers ont
deux choix : attendre jusqu’à ce que les effets se fassent sentir puis
faire de leur mieux, ce qui peut aller jusqu’à abandonner l’exploitation,
ou prendre conscience des risques et agir de façon proactive pour réduire
leur vulnérabilité.
Peu
de chercheurs ont examiné les solutions d’adaptation en analysant le
processus décisionnel à la ferme mais, même limitées, les études ont révélé
d’utiles points de vue :
·
L’adaptation
en agriculture est avant tout dictée par les vulnérabilités dues aux extrêmes.
Les fermiers réagissent aux extrêmes climatiques plutôt que de s’adapter
aux changements à long terme des moyennes climatiques. Si une région devient
plus propice à une culture donnée, ils peuvent composer avec ce type de
changement comme ils l’ont fait par le passé, ainsi que le prouve
l’expansion de la culture du canola et des pois chiches dans l’Ouest
canadien.
·
L’adaptation
réactive sera dispendieuse. Selon un représentant de l’Alberta
Agriculture, Food and Rural Development, le gouvernement provincial a dépensé
1,8 milliard de dollars depuis 1984 en Alberta pour des secours
contre la sécheresse. Le Comité a entendu le témoignage de M. Bart Gruyon,
propriétaire de ranch dans une région de l’Alberta qui n’avait jamais
encore éprouvé de pénurie d’eau. Lorsque la sécheresse s’est abattue
sur sa région en 2002 et qu’il a manqué d’eau et de pâturage pour
ses wapitis et ses bisons, il a commencé à prendre « des décisions
dictées par la panique ».
·
Les stratégies
d’adaptation dépendent de l’endroit et des conditions : elles
varieront d’une région à l’autre et d’une ferme à l’autre.
·
L’adaptation
au changement climatique constitue une composante des stratégies de gestion
du risque pour les producteurs. Le climat n’est pas pris en considération
d’une façon isolée : les agriculteurs le replace dans un vaste
contexte qui comprend également la politique commerciale, les coûts des
intrants, les prix sur les marchés internationaux, les dispositions réglementaires
environnementales en évolution au Canada et toute une panoplie d’autres
facteurs auxquels ils doivent faire face et s’ajuster au jour le jour.
L’adaptation est une stratégie au niveau de l’exploitation agricole et
elle doit être considérée dans le contexte du processus décisionnel
d’ensemble.
Les
agriculteurs devront tabler sur leurs forces et déterminer les points vulnérables
de leurs opérations. M. David Burton, titulaire de la première
chaire en changement climatique au Nova Scotia Agricultural College, a
identifié quelques‑unes des forces, des faiblesses, des opportunités
et des menaces liées au secteur agricole du Canada atlantique. Les faibles
marges de profit, par exemple, limitent la capacité des agriculteurs de réagir
aux changements, comme les nouvelles dispositions réglementaires en matière
environnementale. La diversité des systèmes de production dans le Canada
atlantique vient toutefois accroître la stabilité du secteur étant donné
que l’agriculteur peut tirer un revenu de plusieurs entreprises dans son
exploitation, ce qui compense pour les résultats négatifs que pourrait connaître
l’une ou l’autre d’entre elles.
Les
développements technologiques et l’amélioration des pratiques agricoles
joueront un rôle important pour ce qui est de permettre l’adaptation au
changement climatique. Il est cependant essentiel que nous améliorions également
la capacité des agriculteurs de composer avec les risques qui existent
actuellement, afin de renforcer leur habilité à faire face aux risques
futurs, dont ceux qui découlent du changement climatique.
Résumé
L’issue
du changement climatique sur l’agriculture dépendra de facteurs
biophysiques et économiques. Il n’est pas évident de déterminer ce qui arrivera
exactement quand les températures vont s’accroître, que la disponibilité
d’eau changera, que les conditions du sol seront modifiées et qu’il y
aura davantage de dioxyde de carbone dans l’atmosphère.
Les agriculteurs possèdent toutefois le don de s’adapter aux
changements. De plus, si le
changement climatique devait se faire graduellement, cela allouera du temps
aux agriculteurs, mais ce scénario n’est pas celui décrit par la recherche
actuelle. On a maintes fois
mentionné au Comité que le changement climatique va causer plus de
perturbations et créer davantage de phénomènes climatiques extrêmes, comme
des inondations et des sécheresses. Mieux
science va comprendre les véritables changements qui affecteront le climat,
plus les stratégies d’adaptation pourront être peaufinées.
Pour les agriculteurs, s’adapter à des conditions climatiques
locales de plus en plus variables deviendra un élément clé de leur stratégie
de gestion du risque.
QUE SAVONS-NOUS DES EFFETS DU
CHANGEMENT CLIMATIQUE SUR LES FORÊTS?
Comme
on l’a mentionné plus tôt pour le secteur agricole, presque toute la
recherche canadienne sur l’impact du changement climatique et l’adaptation
dans le domaine des forêts est résumée dans un rapport complet, Impact
du changement climatique et adaptation : Perspective canadienne –
Forêt, publié en octobre 2002 par Ressources naturelles Canada
(NRCan). Ce rapport traite des impacts du changement climatique sur les forêts
du Canada, des conséquences de ces changements pour le secteur forestier et
des avenues possibles d’adaptation. Seul le dossier des forêts est considéré
dans cette section, mais force est de reconnaître que les effets du
changement, ainsi que les décisions d’adaptation du secteur forestier,
interagiront avec d’autres secteurs comme le tourisme, les loisirs et les
eaux.
Les
effets du changement climatique sur les forêts du Canada risquent d’être
nombreux :
·
changements
majeurs dans le taux de croissance et de survie des forêts;
·
migration des
essences d’arbres et des écosystèmes;
·
accroissement
du dépérissement des pousses et des rameaux dus aux dégels hivernaux;
·
accroissement
du risque des feux de forêt et des infestations d’insectes;
·
augmentation
des dégâts dus aux phénomènes atmosphériques extrêmes.
Ces
impacts biophysiques sur les forêts sont susceptibles de toucher notre société
et notre économie par le biais des compagnies forestières, des propriétaires
fonciers, des consommateurs, de l’État et du secteur touristique. Les
effets socio-économiques pourraient être :
·
un changement
dans l’approvisionnement ligneux et la valeur des baux;
·
la perte de
stock ligneux et de biens et services non marchands;
·
un changement
de la valeur foncière, des possibilités d’affectation du sol et des
valeurs non marchandes;
·
enfin, la déstructuration
des parcs et aires naturelles et l’augmentation des conflits touchant
l’affectation du sol.
Les
effets du changement sur les forêts exigeront une bonne adaptation préalable
du secteur forestier. Afin d’encourager la considération du changement
climatique dans les décisions de gestion forestière, certains suggèrent la
modélisation et d’autres prêchent pour une communication accrue entre
chercheurs et aménagistes forestiers. À ce jour, la recherche sur le
changement climatique au Canada en foresterie a visé surtout les impacts
biophysiques : taux de croissance, régimes de perturbation, dynamique écosystémique.
On s’est beaucoup moins préoccupé des effets socio-économiques et de la
capacité des aménagistes forestiers à s’adapter au changement climatique.
Le rapport de RNCan relève de nombreuses lacunes de connaissances et la nécessité
de recherches à la fois sur les effets du changement climatique et sur
l’adaptation à celui‑ci.
Durant
les audiences, le Comité a entendu de nombreux experts qui ont joué un rôle
clé dans la recherche sur l’impact et l’adaptation dans le secteur
forestier. Une bonne part de cette recherche portait sur les changements prévus
de la fréquence et de l’intensité des feux de forêt, des infestations de
ravageurs et des maladies.
A.
Effets biophysiques du changement climatique sur les forêts canadiennes
Des
témoins ont affirmé devant le Comité qu’il y aura des impacts sur la
croissance des arbres, ainsi que sur des facteurs comme les éléments
nutritifs du sol et les conditions propres à la régénération de certaines
espèces. En théorie, un climat plus doux et une saison de croissance plus
longue devraient favoriser la croissance des arbres. Les hivers plus doux et
les saisons de croissance plus longues peuvent également influer sur le phénomène
d’aoûtement des arbres, qui empêche les bourgeons d’ouvrir prématurément.
La productivité pourrait être favorisée par la concentration plus élevée
de CO2, dont les plantes ont besoin pour la photosynthèse, mais il
faudra des éléments nutritifs pour optimiser les avantages de cette
augmentation.
On
suppose que le changement climatique entraînera une intensité accrue des
perturbations naturelles - incendies, insectes et maladies - ainsi que
davantage de phénomènes météorologiques extrêmes comme le verglas et la sécheresse.
Des changements aux forêts et à leur composition en espèces devraient résulter
de perturbations naturelles comme les incendies et les insectes, ainsi que des
conditions climatiques comme le changement de durée de la saison de
croissance et du régime des précipitations. Dans certains cas,
l’augmentation des infestations pourrait favoriser les incendies : par
le passé, le dendroctone du pin a détruit des centaines de milliers
d’hectares d’arbres qui sont devenus un danger pour le feu. Des chercheurs
d’expérience estiment aujourd’hui que la forêt boréale n’est pas sur
le point de devenir un puits de carbone, mais une source de CO2 à
cause des incendies de forêts.
Le
Service canadien des forêts (SCF) prévoit le déplacement vers le nord des
forêts tempérées de la forêt boréale à la suite du réchauffement.
Cependant, d’autres facteurs interviennent. Les éléments nutritifs du sol,
inégalement présents sur le territoire, constituent un facteur qui pourrait
gravement limiter la migration de certaines espèces. D’autres facteurs
comme la quantité et la qualité de la lumière sont également déterminants
et pourraient influencer directement la taille des arbres de la forêt boréale
qui progressent vers le nord. En outre, certains spécialistes craignent que
les insectes migrent vers le nord plus rapidement que les essences forestières.
M. Jay Malcolm de l’Université de Toronto mentionne que pour
suivre le changement climatique vers le Nord, les espèces végétales devront
migrer à une vitesse sans précédent. Par conséquent, si la migration des
arbres ne suit pas le taux de réchauffement, nous pourrions éventuellement
perdre des espèces, notamment les espèces à croissance lente de fin de
succession végétale, celles‑là même qui intéresse l’exploitation
forestière et nous retrouver avec des essences moins « nobles »
et des forêts moins vigoureuses. Dans le cas des provinces de l’Atlantique,
l’absence de masse terrestre contenant des espèces méridionales au sud crée
un problème supplémentaire. De nouvelles communautés végétales pourraient
voir le jour si les espèces ne sont pas en mesure de migrer du sud.
À
l’échelle régionale, on prévoit de grands changements, notamment dans le
Nord. Mme Ogden du C‑CIARN du Nord, note qu’au Yukon et dans les
Territoires du Nord-Ouest, l’exploitation forestière est modeste mais
contribue de plus en plus à l’économie. Les données indiquent que le
nombre de feux de forêt et d’hectares brûlés au Yukon est en hausse
depuis les années 1960. La tendance devrait se maintenir avec le réchauffement
et la fréquence accrue des orages électriques. L’augmentation prévue des
précipitations estivales ne sera peut-être pas suffisante pour compenser le
réchauffement projeté. Des études menées dans le bassin du Mackenzie révèlent
que sans changement dans la gestion des feux, leur nombre et leur gravité
devraient augmenter, et que le nombre moyen d’hectares brûlés chaque année
devrait doubler d’ici 2050. Le changement climatique aura également un
impact sur les effectifs des ravageurs forestiers, comme le dendroctone de
l’épinette et le charançon du pin blanc. Le dendroctone a tué presque
toutes les épinettes blanches adultes sur plus de 200 000 hectares
(2000 km2) dans le parc national de Kluane dans le sud-ouest du
Yukon entre 1994 et 1999. Une série d’hivers et de printemps doux a permis
à ces insectes de proliférer. De la même façon, l’aire de distribution
du charançon du pin blanc, qui s’attaque également au pin gris, est
conditionnée par les températures; on prévoit que ce ravageur prendra de
l’expansion à la fois vers le nord et en altitude.
Monsieur
Dave Sauchyn, du C‑CIARN des Prairies, prévoit que l’impact
dominant du changement climatique dans cette région sera l’expansion de la
steppe aux dépens des milieux aux sols plus humides qui permettent la
croissance des arbres. Pour le secteur forestier, l’impact principal du
changement climatique sera une modification de la productivité forestière,
mais les résultats des analyses varient grandement selon les facteurs utilisés.
La productivité pourrait être d’abord favorisée par la plus forte
concentration de CO2 dont les plantes ont
besoin pour la photosynthèse et leur croissance. À terme cependant, la
productivité forestière pourrait diminuer à cause de l’assèchement du
sol, et l’assèchement de la forêt favorisera à son tour les incendies et
les infestations d’insectes. Le changement des conditions climatiques
influera également sur la part des essences commerciales dans la composition
forestière.
Les
chercheurs ne savent pas si nos forêts connaîtront une hausse ou une baisse
de productivité à la suite du changement climatique. En théorie, un climat
plus chaud et une plus longue saison devraient favoriser la croissance; par
ailleurs, davantage de feux et d’insectes entraveront la croissance. Si la
productivité diminue, la compétitivité du Canada dans l’exportation de
ses produits forestiers en souffrira vraisemblablement par rapport à
d’autres pays. Le Comité a été quelque peu rassuré par le témoignage de
certains experts qui estiment que les possibilités de développement de ce
secteur demeureront. Ainsi, il pourrait y avoir une augmentation sensible de
la croissance des arbres dans l’est du Canada.
Photo 2 :
Dégâts du dendroctone du pin en 2001
(Les
zones infestées apparaissent en rouge)
(Les zones infestées apparaissent en rouge)
Source :
Stewart Cohen. Mémoire
présenté au Comité sénatorial permanent de l’agriculture
Dans
des études du secteur forestier canadien, M. Perez‑Garcia, de
l’Université de Washington, a constaté que les consommateurs de produits
forestiers bénéficieront du changement climatique grâce à une augmentation
de l’offre et une baisse des prix, au détriment des producteurs de bois qui
perdront en rentabilité à moins de pouvoir accroître leur part de marché.
M. Mendelsohn, de l’École de foresterie et d’environnement de
l’Université Yale s’attend lui aussi à voir des prix mondiaux déprimés,
à l’avantage des utilisateurs. Les projections économiques, comme dans le
secteur agricole, dépendent des hypothèses au départ des modèles et études.
Ainsi, certains scénarios ne tiennent pas compte des limitations du sol et de
l’eau aux hautes latitudes. De nombreux témoins affirment que le changement
climatique ne sera probablement pas le principal déterminant de la compétitivité
du Canada, contrairement aux facteurs économiques (comme le différend
commercial sur le bois d’œuvre) et aux barrières commerciales qui
continueront de conditionner la compétitivité du pays.
En
outre, comme le souligne M. Gordon Miller, directeur général du SCF, le
changement climatique touchera non seulement les arbres mais également tous
les services et avantages que les Canadiens retirent des forêts. Des représentants
des compagnies forestières canadiennes, comme d’autres témoins, insistent
sur le fait que le changement climatique n’est pas seulement une question
scientifique mais également une question sociale : « Lorsqu’on
parle de l’impact du changement climatique sur la forêt, nous parlons de
son impact sur le gagne-pain d’un million de Canadiens. »[9]
Depuis
la ratification du protocole de Kyoto, le Canada a centré ses efforts sur
l’atténuation des effets du changement. De toute évidence, l’agriculture
et les forêts peuvent jouer un rôle-clé dans la séquestration du carbone
et aider le pays à respecter son engagement. Cependant, le changement
climatique est déjà en cours et se poursuivra, forçant les Canadiens à
s’y adapter dans tous les aspects de leur vie. Il est clair que le secteur
forestier est intéressé à la fois aux mesures de temporisation et
d’adaptation. Les compagnies forestières prétendent planter déjà les
bons arbres, compte tenu du climat prévu. En réalité, elles doivent
également gérer nos forêts d’une façon qui maintienne les nombreux
emplois du secteur, tout en protégeant la qualité de l’environnement.
Des
représentants de compagnies forestières canadiennes nous ont affirmé que
l’État doit radicalement accroître la recherche sur les effets écologiques
du changement climatique et sur les stratégies d’adaptation. De leur point
de vue, la mise en œuvre du protocole de Kyoto doit être mise en balance
avec une préoccupation aussi vive pour les effets du changement sur les
populations rurales canadiennes.
Pour
ce qui est de l’adaptation à ces effets, le secteur affirme prendre déjà
des mesures pour réduire au minimum les pertes causées par les feux de forêt,
en améliorant leur protection à cet égard. Ainsi, les chercheurs de RNCan
ont collaboré avec les provinces, le secteur forestier et les universités à
mettre au point et tester le concept de la «Gestion forestière FireSmart».
Il s’agit d’intégrer les activités de lutte antifeu à la gestion
forestière de façon à réduire l’inflammabilité des forêts :
calendrier de coupe, aménagement des parterres en damier, reboisement,
entretien des peuplements. Avec l’aide des organismes municipaux,
provinciaux et fédéraux, l’information scientifique à jour sur ce sujet a
été synthétisée dans un guide permettant de réduire les incendies aux
maisons et aux localités. Les entreprises forestières peuvent de la même
manière fonctionner d’une façon qui réduit au minimum les pertes dues aux
insectes et aux maladies en appliquant des pratiques sylvicoles appropriées
ou en innovant dans les techniques antiparasitaires à chaque fois que cela
est possible.
En
outre, on estime largement que les forêts contribuent à diminuer la
concentration de CO2 atmosphérique en séquestrant le carbone dans
les arbres. Une sylviculture intensive accroîtrait donc la séquestration.
Une fois abattus, les arbres conservent leur carbone : dans une maison,
le carbone est encore séquestré dans le bois. Notons cependant que les spécialistes
de la forêt ne sont pas unanimes sur la question des puits et des réservoirs
de carbone. Le Sierra Club affirme que la forêt canadienne émet actuellement
plus de carbone dans l’atmosphère qu’elle en séquestre, à cause de
l’action accrue des ravageurs forestiers et surtout de l’augmentation des
feux dans l’ensemble du territoire forestier depuis la fin des années 1970.
Il
demeure des incertitudes au sujet des plantations. Richard Betts, écologiste
principal au Centre Hadley, souligne que le boisement dans des régions
neigeuses comme l’est du Canada peut dans les faits réchauffer le climat à
cause de l’albédo :
si un terrain ouvert est remplacé par une forêt, la surface du sol sera plus
foncée, en particulier là où la neige demeure longtemps; par conséquent,
la surface absorbera plus de rayonnement solaire et se réchauffera davantage,
entraînant un réchauffement additionnel du climat.
Le
Comité a également été mis au fait d’un problème majeur du boisement et
de toute plantation : l’incertitude entourant le choix des essences à
planter, et du lieu où les planter. On peut savoir quelle zone climatique
convient à un arbre, mais cela ne veut pas dire que l’endroit qui convient
à un semis aujourd’hui conviendra à l’arbre dans 50 ans. Selon le
Sierra Club, cette incertitude est un des facteurs qui retarde l’application
de mesures d’adaptation dans le secteur forestier.
Le
Comité a remarqué dans certaines présentations que les entreprises forestières
semblent adopter une attitude attentiste face à l’adaptation au changement
climatique. Le Comité tient cependant à féliciter les entreprises pour
avoir pris des mesures très tôt et avoir réussi à réduire leurs émissions
globales de GES de 26 p. 100 depuis 1990. Cependant, nonobstant
l’incertitude de l’impact du changement sur les écosystèmes forestiers
d’ici quelques dizaines d’années, plusieurs témoins demeurent convaincus
que le secteur forestier canadien doit appliquer rapidement les connaissances
actuelles sur les feux de forêt, les insectes et les maladies des arbres à
sa planification à long terme des opérations forestières. Planifier
aujourd'hui en prévoyant le climat du Canada dans 100 ans est une
entreprise difficile, mais les entreprises peuvent compter sur les recherches
entreprises par le Service canadien des forêts et les universités du pays
pour aider dans cette tâche.
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Des
détails de ce genre, de nature technique, illustrent l’importance de
comprendre ce qui arrive aux forêts du Canada. À cet égard, il est
essentiel de disposer d’un bon inventaire et d’un bon système de contrôle
pour suivre les changements qui ont lieu actuellement dans les écosystèmes
forestiers et pour fournir une base solide à l’élaboration des mesures
d’atténuation et d’adaptation.
Des
témoins ont insisté devant le Comité sur l’importance de protéger de
grands territoires afin de fournir des corridors nord-sud le long desquels les
espèces pourront migrer en suivant leur habitat. Ces corridors naturels
pourraient permettre aux espèces de parcourir 50, 100 ou 200 kilomètres
vers le nord. Le Canada a la possibilité de réaliser ces corridors dans
certains paysages et forêts nordiques qui n’ont pas encore été fragmentés
par le réseau routier et d’autres aménagements. Dans la mesure où les
aires protégées pourront limiter la fragmentation, ils constitueront un
outil extrêmement précieux pour l’adaptation des espèces.
L’incertitude
de l’impact du changement climatique sur le secteur forestier canadien et
sur les localités rurales qui dépendent de forêts saines pour leur bien-être
donne peut-être l’occasion à tous les intervenants de la forêt
d’entreprendre une réflexion profonde sur la gestion forestière de
l’avenir. Certains témoins ont amené des idées sur l’intendance forestière,
l’aménagement intensif, la protection des forêts et des corridors, etc.
Le Programme des forêts modèles offre des laboratoires vivant pour l’essai
de nouvelles approches en aménagement forestier. De plus en plus de gens
semblent croire qu’une partie de la solution à l’adaptation dans le
secteur forestier se trouve dans un aménagement plus intensif des forêts
proches des populations, avec une intendance différente. Le territoire
forestier pourrait ainsi être concédé pour une période plus longue à des
personnes, ou encore les propriétaires de boisés privés pourraient produire
du bois d’œuvre pour une compagnie. Des mesures de ce genre réduiraient la
pression sur les terres de la Couronne dans le Nord.
Les
forêts canadiennes sont plus étendues et variées que celles de la plupart
des autres pays, y compris les pays scandinaves. Tel que le Comité l’a fait
valoir dans son rapport sur la forêt boréale,[10] le Canada peut s’offrir
le luxe de combiner l’aménagement intensif et la sylviculture à haut
rendement avec l’utilisation des forêts vierges et de deuxième rotation
pour la production ligneuse. Nous disposons de la souplesse voulue pour
inclure davantage de superficies forestières dans les aires de conservation,
et nous avons la possibilité de séquestrer le carbone dans les forêts
nouvelles et adultes. Nos choix de gestion de nos forêts détermineront si
elles pourront continuer de générer de la richesse pour le Canada et de
faire vivre les populations qui en dépendent. Si nous échouons dans la tâche
de bien gérer notre patrimoine forestier, tous les Canadiens en paieront le
prix.
Résumé
L’incidence
du changement climatique sur les forêts canadiennes va se concrétiser de
diverses façons. Même si les analystes ne sont pas certains s’il y aura
augmentation ou diminution de la productivité, ils s’attendent toutefois
que les forêts tempérées et boréales vont se déplacer vers le nord suite
à l’effet de plus hautes températures, ce qui risque de modifier la société
et l’économie canadiennes. Nonobstant
l’incertitude quant aux effets du changement climatique sur les écosystèmes
forestiers au cours des prochaines décennies, le secteur forestier devra
anticiper son adaptation. Pour
les intervenants du secteur forestier cela
représente une bonne occasion pour examiner ce que sera la gestion
forestière de l’avenir.
[1] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 12, 2ème Session, 37ème Parlement, Vancouver, 28 février 2003, séance de l’après-midi.
[2] En réalité, le réchauffement se situe entre 0,4°C et 0,8°C; à cause de l’incertitude causée par les erreurs possibles des données.
[3] Sila Alangotok: Inuit Observations on Climate Change, vidéo réalisé et produit par l’Institut international du développement durable, 2000.
[4] Le charbon a un rapport de carbone à hydrogène de 2, le gaz naturel, de 0,25 tandis que l’hydrogène pure n’en contient pas et a un rapport de 0. Les sources d’énergie où le rapport carbone/hydrogène est élevé produisent davantage d’émissions de CO2 lors de la combustion.
[5] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 14, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 27 mars 2003.
[6] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 5, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 12 décembre 2002.
[7] Nations Unies, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 1992.
[8] Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 16, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 6 mai 2003.
[9] M. Avrim Lazar, Association des produits forestiers du Canada, Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Fascicule 7, 2ème Session, 37ème Parlement, Ottawa, 11 février 2003.
[10] Réalités concurrentes : la forêt boréale en danger, rapport du Sous-comité sur la forêt boréale du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, juin 1999, 1ère Session, 36ème Parlement.