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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 12 - Témoignages du 13 février 2003


OTTAWA, le jeudi 13 février 2003

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 11 heures pour examiner, afin d'en faire rapport, la situation actuelle du régime financier canadien et international (perspective canadienne de la faillite d'Enron).

Le sénateur E. Leo Kolber (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président: Nous poursuivons l'examen, afin d'en faire rapport, de la situation du régime financier canadien et international et plus particulièrement de la perspective canadienne sur la faillite d'Enron, et moins sur Enron que sur l'«Enronitite», si on peut dire.

Nous accueillons ce matin deux témoins. Le premier vient de PricewaterhouseCoopers Canada. M. Kevin J. Dancey est chef de la direction et associé principal au Canada. Bienvenue au comité. Je présume que vous avez une déclaration d'ouverture à faire.

M. Kevin J. Dancey, chef de la direction et associé principal canadien, PricewaterhouseCoopers Canada: Je suis heureux de comparaître devant le comité aujourd'hui au nom de PwC dans le contexte de votre étude du système financier canadien et international et des enseignements à tirer pour le Canada de la faillite d'Enron.

Nous sommes reconnaissants au comité de fournir aux parties concernées l'occasion de faire part de leurs vues sur les importantes questions que sont les conventions comptables, la gouvernance des sociétés et la réglementation du commerce des valeurs mobilières. PwC prend très au sérieux ses responsabilités envers le public investisseur — qualité, intégrité et excellence ont toujours été et demeurent les valeurs de base qui sous-tendent tous les services que nous offrons à nos clients.

Vous avez en main le texte de mon exposé dans les deux langues officielles. Une fois mon allocution terminée, je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Sur une note personnelle, je signale que, pendant ma carrière, j'ai passé quatre ans dans l'appareil gouvernemental canadien, mon poste le plus récent ayant été celui de sous-ministre adjoint au ministère des Finances, de 1993 à 1995. À l'époque, j'ai eu le plaisir de comparaître devant divers comités, et c'est encore avec plaisir que je comparais aujourd'hui.

La récente faillite d'Enron et d'autres grandes sociétés américaines a sérieusement ébranlé les marchés financiers. La débâcle de ces organisations prestigieuses soulève de graves questions au sujet du fonctionnement de ces marchés, des questions sur les dirigeants d'entreprise, sur les conseils d'administration, sur les vérificateurs, les analystes, les organes de réglementation et les médias, qui sont tous membres de ce que j'appellerai, pour les fins de mon exposé, la «chaîne de production de l'information financière».

Dans les semaines qui ont suivi la faillite d'Enron, les discussions, dans les médias et dans les conseils d'administration, ont tourné essentiellement autour de la question de savoir qui était à blâmer. Cependant, les vraies questions, les plus importantes, sont celles que vous nous donnez aujourd'hui l'occasion d'aborder. Cela peut-il arriver encore? Cela peut qu'il arriver ici? Et que pouvons-nous faire pour prévenir un autre Enron et restaurer la confiance des investisseurs et du grand public?

Malheureusement, il y aura toujours des faillites d'entreprise; le risque fait partie intégrante de notre régime de libre marché. Nous nous devons cependant de prendre acte de l'impact des récentes faillites de grandes entreprises sur les investisseurs et exiger de tous les maillons de la chaîne de production de l'information financière qu'ils déterminent ce qu'ils doivent faire pour ranimer la confiance des investisseurs et du public en général.

Un ouvrage récent de PwC, Restaurer la confiance des marchés, dont on a remis un exemplaire à chacun de vous l'été dernier, porte sur ce défi. Les contraintes de temps ne permettent pas d'aborder toutes les recommandations contenues dans cet ouvrage, mais je parlerai des trois principes de base: un climat de transparence, une culture de responsabilisation et une intégrité sans faille, que doivent faire leurs tous les maillons de la chaîne.

Je vous parlerai aujourd'hui de chacun de ces principes et de leur rôle dans l'évolution des rapports des entreprises. En tant que porte-parole d'un des plus grands cabinets d'experts-comptables du Canada, je me concentrerai sur notre rôle de vérificateurs et sur les solutions que nous proposons.

Je commencerai par donner un aperçu des grandes interventions sur le plan de la réglementation dans l'année écoulée et de leurs répercussions. Je vous ferai ensuite part des modifications qu'il faut, selon nous, apporter aux modèles de communication de l'information financière des entreprises et, enfin, j'aborderai la question de l'écart entre ce que le public attend de nous en tant que vérificateurs et ce que les conventions comptables exigent en fait de nous.

Depuis la débâcle d'Enron, les organismes de réglementation canadiens et américains, et bien d'autres dans le reste du monde, ont renforcé leurs règles et lignes directrices pour exiger une meilleure reddition des comptes de la part de la direction des entreprises, des conseils d'administration, des vérificateurs et des analystes. Comme vous l'a dit David Smith de l'Institut canadien des comptables agréés (ICCA), au Canada, une bonne partie de ces modifications était déjà envisagée avant même la faillite d'Enron. L'ordre de grandeur de cette faillite n'a fait que précipiter le mouvement.

L'été dernier, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières, le Bureau du surintendant des institutions financières et l'ICCA ont annoncé la création d'un nouvel organe canadien indépendant de contrôle public des vérificateurs des sociétés ouvertes. Ce nouvel organisme, le Conseil canadien sur la reddition de comptes, dirigée par l'ancien gouverneur de la Banque du Canada, Gordon Thiessen, va mener des inspections plus fréquentes et rigoureuses des vérificateurs, faire observer des règles plus strictes en matière d'indépendance des vérificateurs, et veiller à la rotation des associés responsables de la vérification des sociétés ouvertes, prévoir la révision obligatoire par un deuxième associé du dossier de vérification de toutes les sociétés ouvertes et veiller au respect de nouvelles exigences en matière de contrôle de la qualité.

PwC souscrit sans réserve aux changements apportés par le Conseil. Le Canada a la réputation d'appliquer déjà des normes rigoureuses à l'égard de la vérification des sociétés ouvertes. Dans le contexte actuel, le Conseil représente le juste milieu entre le contrôle public, d'une part et l'autoréglementation, d'autre part.

Ce qui est aussi intéressant, et que certains trouvent même carrément remarquable, c'est le fait que, contrairement à ce qui se passe au sud de la frontière, en dépit des problèmes de compétences fédérales-provinciales, ce régime sera institué par la voie de conventions et d'ententes avec toutes les grandes entreprises de vérification, sans intervention législative.

C'est aussi l'été dernier que la Loi Sarbanes-Oxley a été promulguée aux États-Unis, et en janvier dernier, la Securities and Exchange Commission, la SEC, a publié les règles qui concrétisent cette loi. Une fois toutes les dispositions établies, la loi Sarbanes-Oxley va radicalement transformer le comportement des comités de vérification, des avocats, des analystes et des vérificateurs.

Je voudrais aborder aujourd'hui quelques points importants concernant l'importation au Canada de certains éléments de cette loi. La Loi Sarbanes-Oxley interdit aux vérificateurs des sociétés ouvertes d'offrir certains services autres que des services de vérification aux mêmes clients, y compris les services d'impartition de la vérification interne, la conception de systèmes d'information financière et les fonctions de gestion. Certains autres services peuvent être offerts, sous réserve de l'autorisation du comité de vérification.

PwC est d'accord sur ces nouveaux règlements qui correspondent à un juste milieu entre la nécessité, pour les vérificateurs, d'être perçus comme indépendants et le fait que bon nombre des services que nous offrons à nos clients de vérification, comme la gestion fiscale et la gestion du risque et les services de contrôle, appuie directement la réalisation de vérifications de haute qualité.

Certains éléments de la Loi Sarbanes-Oxley pourraient certes être adoptés aussi au Canada, comme l'accréditation du chef de la direction et du chef des services financiers, mais nous pensons que le Canada doit cependant se garder de réagir avec précipitation et d'adopter en bloc les nouvelles règles américaines. Nous devons intervenir avec circonspection et adapter notre réponse aux besoins particuliers du marché canadien, une réponse qui sert les intérêts des petits émetteurs, qui constituent une bonne part du marché canadien, et ceux des investisseurs.

Il faut aussi chercher à minimiser le chevauchement des réglementations américaine et canadienne. Un bon nombre des entreprises canadiennes sont cotées à la fois au Canada et aux États-Unis et sont donc assujetties non seulement à la réglementation canadienne, mais aussi aux règles de la SEC. En outre, PwC Canada, en tant que vérificateur de certaines de ces entreprises, sera aussi assujetti au contrôle, à l'inspection et aux disciplines des autorités de réglementation américaines, et en même temps à la réglementation du nouveau CCRC et des autres instances de réglementation canadiennes. Le Canada doit donc collaborer avec les autorités américaines pour faire en sorte que la réglementation canadienne soit non seulement efficace, mais aussi rentable et rationnelle, et donc éliminer les contrôles redondants.

La Loi Sarbanes-Oxley, le Conseil canadien sur la reddition de comptes et les nouvelles règles d'indépendance proposées par l'ICCA contribueront certainement à l'amélioration des pratiques financières ici et aux États-Unis. Cependant, en dernière analyse, l'alourdissement de la réglementation ne pourra pas à lui seul rétablir la stabilité de nos marchés financiers et prévenir un autre épisode Enron.

Pour rétablir la confiance des investisseurs et le crédit des entreprises auprès du grand public, PwC estime nécessaire d'améliorer le modèle de présentation de l'information financière, et en particulier la transparence de celle-ci. Je n'apprends rien à personne en disant que l'information est la clé de voûte des marchés financiers. Les investisseurs doivent pouvoir se fier à l'information que leur communiquent les entreprises.

Cette information doit être pertinente et exacte et venir rapidement. Dans le monde de plus en plus complexe de l'entreprise, les véritables facteurs de la valeur d'une entreprise ne sont plus seulement les résultats financiers annuels ou trimestriels, car d'autres facteurs intangibles, non financiers, jouent un rôle croissant dans les décisions des investisseurs.

PwC a récemment mené plusieurs sondages qui nous ont permis de constater l'existence d'un écart notable entre les facteurs que la direction considère comme importants pour la gestion de l'entreprise et l'information qu'elle dit communiquer au public.

Il faut faire en sorte que les sociétés ouvertes fournissent l'information dont ont besoin les investisseurs pour bien saisir le rendement financier, les risques et, ce qui est le plus important, la valeur de l'entreprise. Les investisseurs se soucient de substance et non de forme, et ils sont de plus en plus conscients de la différence entre les deux.

Depuis la déconfiture d'Enron, beaucoup de sociétés ont perdu du galon auprès des analystes et des investisseurs en raison de la complexité de leur structure et de leurs rapports comptables et financiers hermétiques.

Par conséquent, il ne suffit plus aux entreprises de fournir des mesures financières du rendement suivant les principes comptables généralement reconnus, les PCGR. Les investisseurs ont besoin d'information sur les facteurs non financiers aussi.

Dans notre ouvrage, Restaurer la confiance des marchés, nous préconisons un modèle de communication de l'information financière à trois niveaux. Le premier niveau est constitué de PCGR à l'échelle mondiale. Le deuxième niveau est une série de normes sectorielles permettant de dresser des comparaisons entre entreprises du même secteur d'activité et le troisième est celui de l'information propre à chaque entreprise, comme l'opinion des dirigeants sur l'entreprise et la concurrence.

L'établissement de PCGR à l'échelle mondiale est un élément important de cette solution. Ces principes varient de par le monde, et si les PCGR canadiens figurent parmi les meilleurs, PwC estime néanmoins nécessaire d'établir des principes comptables généralement reconnus à l'échelle mondiale. L'adoption de normes mondiales reposant sur des principes et non sur des règles permettrait plus facilement aux investisseurs de faire des comparaisons et aux entreprises d'avoir accès aux marchés financiers mondiaux à moindres frais.

Enfin, pour permettre d'atteindre un niveau d'information suffisant dans le monde complexe de l'entreprise aujourd'hui, les sociétés doivent trouver de nouvelles façons de communiquer l'information financière aux intéressés. PwC pense qu'Internet sera le prochain nouveau mode de communication de l'information, formule avantageuse pour les entreprises comme pour les investisseurs. Le langage XBRL, pour eXtensible Business Reporting Language, va faciliter la diffusion de l'information. En termes simples, ce système reposant sur Internet étiquette l'information, financière et non financière, en explique la signification et la situe dans son contexte.

Pour PwC, après la transparence, vient la culture de responsabilisation, que doivent adopter tous les maillons de la chaîne de production de l'information financière. Il ne suffit pas de fournir de l'information. Il faut que tous les intervenants du marché acceptent de rendre compte de leurs actes à tous les intervenants du marché. Les rôles, attributions et responsabilités de tous les maillons de la chaîne sont très clairs. Les dirigeants ont la responsabilité de produire de l'information pertinente et fiable et donnent le ton. Ils doivent veiller à l'établissement des systèmes de contrôle interne appropriés. Ils doivent aussi veiller à ce que l'information soit tout à fait intelligible pour le conseil d'administration et les marchés financiers.

Le conseil d'administration ou le comité de vérification doit s'assurer que les dirigeants s'acquittent de leur obligation de préparer les états financiers de l'entreprise avec intégrité et objectivité. Ces administrateurs doivent avoir les connaissances financières et l'indépendance indispensables pour apprécier la signification réelle des jugements, politiques et divulgations comptables. Ils doivent être disposés à poser des questions importantes aux dirigeants et aux vérificateurs. Nos forums à l'intention des administrateurs et l'appui que nous fournissons à l'Institut des administrateurs des corporations sont deux exemples parmi d'autres de la contribution de PwC à la formation et à l'éducation des administrateurs de sociétés au Canada.

Les vérificateurs aident les dirigeants et le comité de vérification dans leur fonction d'attestation de la description de la situation financière de l'entreprise dans les états financiers. C'est le moment opportun de vous demander de réfléchir à notre rôle sous l'angle de l'écart dont j'ai parlé entre les attentes du public et ce que nous sommes tenus de faire.

Il existe un écart important entre ce que le public en général attend des vérificateurs, soit une sorte de garantie ou d'attestation de la santé et de la sûreté financière d'une entreprise, et ce que les conventions actuelles en matière de comptabilité et de vérification exigent de nous, à savoir garantir que les états financiers donnent une image fidèle de la situation financière de l'entreprise. Cet écart touche un certain nombre de sujets cruciaux qui peuvent avoir des conséquences considérables pour la manière dont est perçue la performance financière d'une entreprise, sujets qui vont de la détection des fraudes aux contrôles internes en passant par la santé de la société ou de son plan d'entreprise, la qualité de l'information, la transparence et d'autres informations non financières.

Pour combler cet écart et répondre davantage aux attentes des investisseurs, il va falloir plusieurs changements, notamment élargir l'étendue de l'information sur laquelle nous rendons une opinion, instituer des procédures, conventions et services nouveaux en matière de vérification, régler tous les problèmes énoncés dans notre ouvrage, Restaurer la confiance des marchés.

Soyons bien clairs: le resserrement de l'écart entre les attentes et la réalité et l'amélioration de l'information sur les entreprises n'est pas la prérogative des vérificateurs. Chacun des éléments de la chaîne a quelque chose à dire sur les améliorations à apporter aux modèles de présentation de l'information financière des entreprises, sur le degré de transparence requis et sur le rôle des vérificateurs à l'égard de toute divulgation accrue de l'information.

PwC estime que le modèle de présentation qui a cours de nos jours et l'ampleur de l'écart entre les attentes du public et la réalité de nos attributions nuisent au rétablissement de la confiance des investisseurs et du grand public, et que des changements et des améliorations sont donc nécessaires.

Pour réduire l'écart, PwC estime qu'il faut d'abord admettre qu'on ne pourra jamais le combler complètement. Un vérificateur ne pourra jamais fournir une garantie absolue au sujet des états financiers d'une entreprise, et la collusion sera toujours difficile à déceler. En outre, tout cela a un prix. Combien les entreprises, les administrateurs et les investisseurs sont-ils prêts à payer pour obtenir des garanties relativement à la plus grande divulgation de l'information dans un nouveau modèle de communication de l'information financière?

Monsieur le président, s'agissant de l'écart entre les attentes du public et les exigences de la réglementation, il faut aussi tenir compte du contexte juridique dans lequel doivent travailler les vérificateurs. Nous travaillons dans un contexte où, chaque fois que nous effectuerons une vérification publique d'envergure, nous risquons la faillite et où les biens personnels des associés sont exposés à un risque. C'est une réalité dont il importe d'être conscient, d'autant plus que notre responsabilité civile est accrue par la voie de modifications législatives comme celles contenues dans le projet de loi 198 en Ontario. Si nous voulons mieux répondre aux attentes des investisseurs et du public, les vérificateurs devront s'engager sur un terrain moins sûr, formuler des opinions qui présentent un plus grand risque d'erreur et, partant, s'exposer eux-mêmes un risque plus grand.

Toute entreprise doit fonctionner à l'intérieur d'un cadre de responsabilité approprié. Nous acceptons notre responsabilité financière en cas de négligence, mais, dans l'intérêt de la justice, de l'amélioration du modèle de communication de l'information financière et du resserrement de l'écart entre les attentes et les exigences de notre profession, et de la réduction du risque qu'un ou plusieurs des quatre grands cabinets d'experts-comptables qui restent fassent faillite — événement qui affecterait les marchés financiers —, nous recommandons qu'on envisage d'introduire la responsabilité proportionnelle dans les lois sur les sociétés et sur le commerce des valeurs mobilières. Cela concorderait avec les recommandations formulées par le comité sénatorial dans un rapport de 1998 sur les propositions de modifications de la LCSA. Deuxièmement, les comptables devraient pouvoir se prévaloir de la protection que confère le statut de société à responsabilité limitée ou se constituer en société.

Les cabinets d'experts-comptables demeureraient responsables de leur part de la perte d'un plaignant, mais les comptables, comme les propriétaires de la plupart des entreprises, pourraient protéger leurs biens personnels. D'autres pays, notamment l'Australie, se penchent sur cette question de la responsabilité, et nous proposons que le Canada en fasse autant.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, il ne fait aucun doute que la transparence et la responsabilité sont essentielles pour assurer le bon fonctionnement de nos marchés financiers, mais, en dernière analyse, les deux dépendent de l'intégrité des personnes en cause. Je voudrais conclure mon intervention sur cette question.

Les règles, les règlements, les pratiques exemplaires, l'évolution du contexte juridique et les technologies les plus modernes, rien de tout cela ne peut garantir qu'on pourra éviter un autre Enron, et nous ne devons pas nous imaginer pouvoir régler le problème à jamais par l'imposition de règlements. L'intégrité et le sens moral ne sont pas affaire de loi. Or, nous devons être en mesure d'avoir foi dans l'intégrité des dirigeants d'entreprise, des analystes, des vérificateurs, des autorités de réglementation et des conseils d'administration. L'intégrité doit donc être un facteur déterminant dans le choix des personnes qui occupent des postes clés à toutes les étapes de la chaîne de production de l'information financière.

Pour les vérificateurs, cela signifie viser la plus haute qualité dans la vérification et communiquer notre opinion éclairée, qu'elle soit bienvenue ou non, aux dirigeants ou au conseil d'administration de l'entreprise.

À cause des récentes faillites de grandes sociétés, le système des marchés financiers et la saine gouvernance des entreprises reçoivent enfin l'attention qui a trop longtemps manqué. Le grand public, les médias de masse et les législateurs sont maintenant plus sensibilisés aux problèmes de gouvernance. Les présidents-directeurs généraux et les conseils d'administration revoient leur politique de gouvernance. Nous l'avons appris dans les nombreuses réunions que nous avons eues avec nos clients depuis un an.

Permettez-moi de résumer mes propos sur les vérificateurs et la profession comptable.

Le surcroît d'attention porté à la réglementation depuis un an est une bonne chose, mais l'alourdissement de la réglementation n'est pas une panacée. Deuxièmement, il faut améliorer la communication de l'information financière, particulièrement sur le plan de la transparence. Dans ce contexte, les vérificateurs peuvent grandement contribuer à réduire l'écart entre les attentes du public et les exigences de leur profession. Enfin, abstraction faite du renforcement des règlements et d'une meilleure information du public, pour prévenir une autre faillite de la taille et de la portée de celle d'Enron, il va falloir un effort collectif de toute la chaîne de production de l'information financière pour embrasser une culture de transparence, de responsabilisation et d'intégrité sans faille.

Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

Le sénateur Angus: Monsieur Dancey, je vous félicite de votre exposé très complet et du livre que vous nous avez fait parvenir. C'est une excellente façon de faire passer votre message.

M. Dancey: Il s'agit de dresser un cadre.

Le sénateur Angus: Ma première question brûle les lèvres de bien des Canadiens, et il est probable que vous ne vous y attendez pas ce matin. Vous avez parlé des quatre grandes firmes comptables. Autrefois, j'entendais parler des huit grandes firmes. Il y a eu des fusions. Toujours, le nom d'Arthur Andersen figurait parmi les plus grandes firmes comptables du monde. Nous sommes en train de discuter d'Enron, et, que cela plaise ou non, l'un des effets de cette faillite a été l'annihilation totale d'une des grandes firmes comptables du monde. Comment cela a-t-il pu se produire?

M. Dancey: La déconfiture d'Andersen a été très regrettable et, à mon avis, injustifiée. On en est arrivé là parce que quelqu'un a détruit des documents. Cela a été la cause ultime de la chute de la firme. Il me semble toujours scandaleux qu'un seul incident ait entraîné la chute de toute une entreprise présente aux États-Unis et dans le monde entier, détruisant du même coup la vie de bien des gens. Cela s'explique par une réaction des États-Unis. Le département de la Justice des États-Unis a intenté des poursuites contre Andersen, après quoi les événements se sont enchaînés.

Le sénateur Angus: À titre de chef de la direction de la firme comptable qui se classait au deuxième rang, cela a dû vous faire froid dans le dos, à vous et à vos associés, de voir qu'on pouvait en arriver là.

M. Dancey: Dans notre secteur d'activité, la réputation est l'actif le plus précieux. Une fois qu'on a perdu sa réputation, tout est fini, pour ainsi dire. C'est pourquoi dans toutes les entreprises, et certainement dans la nôtre, on insiste énormément sur la qualité.

Le sénateur Angus: Pour passer à autre chose, je voudrais m'attarder à ce que vous avez appelé la nécessité de l'uniformité des normes de rapport. Vous avez réclamé des PCGR mondiaux, plutôt que des PCGR canadiens ou américains. Vous avez souligné que les normes devaient reposer sur des principes plutôt que sur des règles, et je me demande si vous lanciez des pointes au système américain. Pourriez-vous expliquer?

M. Dancey: L'opposition entre principes et règles est parfois un peu facile. Et il ne fait aucun doute que le système américain a des principes. Le problème, c'est que les États-Unis ont donné tant d'interprétations pour définir le sens de ces principes qu'ils ont presque perdu de vue le fait qu'il s'agissait de principes. Les principes ne jouent le rôle de principes que lorsqu'ils sont interprétés comme tels. Aux États-Unis, on a considéré les règles et dit que ce sont les règles qui comptaient, plutôt que les principes. Cela ne peut pas marcher. J'ai espoir, cependant. Bob Herz, qui est responsable du FASB, aux États-Unis, étudie toute cette question.

Quant à ce qui se passe en Europe, je crois qu'il se dessine un mouvement vers des PCGR mondiaux. Cela est important pour la communauté internationale, car bien des entreprises ont une portée mondiale, et il est inefficace, coûteux et troublant de présenter les données sur les gains différemment selon les PCGR utilisés.

Le sénateur Angus: Notre comité a déjà été confronté à cette question des règles et des principes non seulement à propos de la gestion des sociétés et des normes comptables, mais plus particulièrement à propos de la surveillance des banques et des institutions financières, sous l'angle de la réglementation. D'après les témoignages que nous avons recueillis ces dernières années à propos de la situation des banques, il est très difficile d'établir un système international tant que les Américains insistent sur leurs règles minutieuses. On nous a dit que, au Royaume-Uni, cela est déplorable et qu'on préférerait une approche fondée sur le jugement.

Étant donné la culture des Américains et leur approche générale de la vie, comment pourrions-nous adopter des PCGR mondiaux semblables à ce que vous proposez? Sommes-nous en train de rêver en couleurs?

M. Dancey: Je ne crois pas que nous rêvions en couleurs. Cela dépend en grande partie des titulaires des différents postes aux États-Unis. Ce sont eux qui sont les maîtres du programme. Bob Herz, qui dirige le FASB et qui a été l'un de mes associés, accorde une grande priorité à la question. Pour lui, c'est une chose importante. Ce ne sera pas facile. Toutefois, à considérer un certain nombre de changements en cours, il émergera peu à peu une convergence plus nette, élément par élément. J'ai bon espoir que nous y parviendrons.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Je pense que le mémoire est de très haute qualité. En effet, plusieurs des idées de votre mémoire devront être retenues par notre comité.

Une question tout de même d'importance est la suivante. Il y a plusieurs années, on engageait des firmes de vérificateurs et on payait les honoraires. Depuis un certain nombre d'années, on procède par appel d'offres, ce qui implique une compétition dans le prix de la vérification. Cela a-t-il un impact sur la qualité de la vérification?

[Traduction]

M. Dancey: J'ai entendu la dernière partie de la question. Le prix d'une vérification influe-t-il sur sa qualité?

Le sénateur Hervieux-Payette: Y a-t-il des répercussions lorsque vous devez répondre à un appel d'offres?

M. Dancey: Lorsque nous présentons des propositions, par les temps qui courent, l'élément fondamental n'est pas le prix, en ce sens que nous n'essayons pas de proposer le prix le plus bas. Étant donné notre modèle d'entreprise et les exigences du monde d'aujourd'hui, une vérification demande beaucoup de temps et d'efforts. Les vérifications ont une portée de plus en plus grande. Notre approche consiste à faire une offre en mettant l'accent sur la qualité, la portée de la vérification et le degré d'assurance que nous pouvons donner au comité de vérification et au conseil d'administration.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Vous avez parlé de principes. Dans l'application des principes, plus on va en détail, évidemment, plus il en coûtera au client. À quel moment cessons-nous d'être sujet à un risque raisonnable dans la vérification? Vous prenez des échantillons, vérifiez si toutes les pièces sont dans les dossiers. Comment un membre du conseil d'administration peut-il s'assurer d'obtenir un rapport de haute qualité pour le prix payé.

[Traduction]

M. Dancey: Cela fait partie du défi que le cabinet de vérification doit relever. Il occupe une position intéressante. Il doit travailler avec la direction pour vérifier ses états financiers. Il doit aussi travailler avec le comité de vérification et le soutenir pour qu'il puisse s'acquitter de sa fonction. Quant à la démarche suivie dans notre vérification, il est probable que le comité de vérification y participe maintenant davantage. Nous nous assurons que le comité de vérification comprend la portée de notre travail, les approches diverses qu'on peut adopter dans les états financiers et notre opinion sur l'approche à privilégier. Il y a donc un dialogue plus soutenu entre les cabinets de vérification et les comités de vérification pour aider et soutenir ces derniers, qui doivent surveiller le processus au nom des actionnaires.

Nous vivons dans un monde complexe où les entreprises complexes sont nombreuses. L'entreprise est devenue très complexe, avec ses instruments dérivés, l'ingénierie financière, et cetera. Pour les cabinets de vérification, c'est un défi constant de jouer ce rôle de soutien auprès de la direction et du comité de vérification.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Parlons du rôle du président du comité de vérification en tant que membre du conseil d'administration par rapport à la vérification interne et à la vérification externe. Dans votre mémoire vous parliez de limiter la responsabilité des vérificateurs externes et de permettre aux comptables de limiter leur responsabilité sur le plan légal. De quelle façon cela pourrait-il se faire? Vers qui se tourneront les analystes ou les investisseurs dans une situation telle Enron, par exemple, lorsque le président du comité de vérification accepte et recommande au conseil d'administration les états financiers vérifiés? Vous avez l'interne qui fournit les données et le vérificateur externe qui prend ces échantillons. Dans cette optique, comment peut-on départager et savoir à qui appartient la responsabilité finale?

[Traduction]

M. Dancey: L'approche que je préconiserais, et celle qui est décrite dans notre ouvrage, est que, si l'objectif ultime est de rétablir la confiance du public et d'accroître celle des investisseurs, de nombreux protagonistes doivent intervenir. Cela commence par la direction qui produit l'état financier, le conseil d'administration et le comité de vérification qui exerce une surveillance. Les vérificateurs, les analystes, les médias et les diffuseurs d'information ont tous un rôle à jouer. De nombreux protagonistes différents ont également un rôle. La reddition des comptes n'est pas l'affaire d'une seule personne ou d'un seul élément de la chaîne de production des rapports des sociétés commerciales. Chacun est responsable d'un élément et chacun a des comptes à rendre aux autres pour que la bonne information soit diffusée.

Comme nous l'avons expliqué dans notre ouvrage, il y a différents moyens, comme Internet et le XBRL, de communiquer de l'information de telle façon que les investisseurs et d'autres personnes intéressées puissent l'assimiler et l'analyser de façon plus efficace qu'au moyen des documents papier utilisés aujourd'hui.

Le sénateur Hervieux-Payette: Lorsque l'administrateur qui préside le comité de vérification n'est pas d'accord avec le vérificateur interne et que le vérificateur externe est d'accord, bien entendu, puisqu'il est rémunéré pour son service, comment réglez-vous le problème?

M. Dancey: Il y a des problèmes qui surgissent, et assez souvent. La direction adopte une position, et notre point de vue est différent. Parfois, le différend est résolu entre le cabinet de vérification et la direction avant que le comité de vérification n'en soit saisi, mais pas toujours. Dans ces cas-là, il faut revoir la question avec le comité de vérification pour nous assurer qu'il comprend à la fois la position de la direction et celle du cabinet de vérification. Il lui appartient de prendre une décision. Ce n'est pas une situation facile pour les administrateurs parce que, même s'ils ne sont pas toujours tous très au fait des questions financières, ils doivent se saisir de problèmes compliqués comme l'interprétation des principes comptables généralement reconnus. Ce peut être un travail difficile pour les administrateurs.

Le sénateur Meighen: Je voudrais revenir à la question soulevée par le sénateur Angus, c'est-à-dire les PCGR mondiaux. Je vais vous provoquer un peu. Je pense que vous rêvez en couleurs, au moins lorsque vous envisagez que cela puisse se produire de votre vivant. Je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi j'ai tort.

S'il existait des PCGR mondiaux, permettraient-ils des pratiques différentes de nature dite «mineure»? Par exemple, lorsque j'ai assisté à une conférence au Japon, j'ai été étonné d'apprendre ce que les comptables japonais considéraient comme des liquidités. Ce genre d'exception serait-il maintenu s'il existait des principes mondiaux? Étant donné que le plus grand marché des capitaux au monde est celui des États-Unis, comment pouvez-vous envisager que les principes mondiaux soient autre chose que le modèle souhaité par les Américains?

M. Dancey: Je suis peut-être un incorrigible optimiste, mais j'espère ne pas rêver en Technicolor. Au cours des dernières années, nous avons observé des changements dans la conception américaine des choses, la conception européenne et même dans la conception canadienne. Les changements apportés favorisent la convergence.

Il est possible de se demander si la démarche se prolongera ou si nous parviendrons jamais à un point final. Ce point final ne sera peut-être jamais atteint, car les principes évoluent sans cesse, mais notre démarche nous rapproche peut- être les uns des autres.

Mettons que les pays se rapprochent sur le plan des concepts et des interprétations et s'entendent davantage sur les principes. À mon avis, il aura des exceptions, par exemple pour les entreprises privées actives sur le marché local et pour les petites entités. Toutefois, quand on songe à l'intégration économique qui se produit dans le monde entier et aux grandes multinationales, qu'elles soient rattachées au Royaume-Uni, aux États-Unis ou à l'Allemagne, si nous voulons qu'il y ait des éléments communs entre les différents joueurs dans une industrie donnée, il faut qu'il y ait une recherche de convergence sur les principes majeurs. Comme je l'ai dit, j'ai bon espoir que les États-Unis bougeront sur certains de ces principes pour que nous arrivions à des éléments communs et je crois même qu'il y a eu une certaine évolution depuis un an.

Le sénateur Meighen: Qui est à l'origine de cette évolution? La profession comptable ou les organismes de réglementation?

M. Dancey: Nous avons la Commission internationale des normes comptables, avec sir David Tweedie; nous avons le FASB aux États-Unis, qui est dirigé par Bob Hertz; il y a également d'autres participants. Il existe une initiative mondiale visant à assurer cette convergence. Bien entendu, de nombreux cabinets européens doivent se conformer aux normes de la Commission internationale des normes comptables d'ici 2005. Il y a beaucoup d'initiatives mondiales qui vont en ce sens.

Le sénateur Meighen: Pour conclure, vous dites qu'il faut apporter des améliorations dans les modèles de rapport des sociétés, notamment sur le plan de la transparence.

Selon vous, comment viendront ces améliorations? Notre prochain témoin nous dira que l'époque de l'autoréglementation pour les professions ou les institutions est peut-être révolue, ce qui, de toute évidence, donne froid dans le dos à l'avocat que je suis. Croyez-vous que nous en arriverons-là? Plus précisément, y aura-t-il des autorités de réglementation ou la profession apportera-t-elle les améliorations que vous préconisez dans le modèle de rapport des sociétés?

M. Dancey: Permettez-moi de revenir sur l'autoréglementation. Une entreprise comme PwC a renoncé à une grande partie de son autoréglementation. Le Conseil canadien sur la reddition des comptes n'est pas contrôlé par les comptables. C'est M. Gordon Thiessen qui le dirige. Il fera des contrôles de la qualité et établira des normes que nous devrons respecter si nous voulons continuer à vérifier des sociétés ouvertes au Canada. Le Comité de surveillance de la comptabilité dirigé actuellement par M. Tom Allen établit des normes comptables au Canada, et M. Jim Baily dirige le Comité des normes de vérification. Ces entités comptent de nombreuses personnes qui ne sont pas des experts- comptables et exercent cette profession. Au Canada, ceux qui établissent des normes sur nos activités quotidiennes ne sont pas des experts-comptables. Il y a également des instituts provinciaux qui sont censés régir ma profession.

Par des contrats, et en mettant sur pied le Conseil canadien sur la reddition des comptes, nous avons renoncé à une grande partie de notre autoréglementation.

Vous avez également demandé qui apporterait les améliorations dans le modèle de rapports des sociétés? Comme je l'ai dit, ce n'est pas la prérogative des seuls cabinets de vérification. D'autres membres de la chaîne de production des rapports des sociétés doivent intervenir.

Il y a des exemples de sociétés qui ont porté la transparence et la divulgation à un niveau supérieur. Elles y voyaient de bons avantages. Prenons par exemple Shell et ce qu'elle a fait pour la durabilité. La question qui se pose et la suivante: d'après elle, qu'est-ce qui augmentera la valeur pour l'actionnaire?

Le sénateur Kroft: Je me reporte à la deuxième page de votre rapport. Vous y parlez de trois notions, dont la deuxième est celle de culture de la reddition des comptes.

Puis, à la page 5, j'ai été intrigué par le troisième paragraphe, où il est dit que PwC a récemment mené un certain nombre de sondages dans l'industrie, et que chaque sondage a fait ressortir d'importants écarts entre ce que la direction juge important pour diriger l'entreprise et ce que, de son propre aveu, elle signale au public. Pourriez-vous expliquer les conséquences de cette conclusion?

M. Dancey: Essayez de prendre du recul et de songer au cadre d'ensemble, en ce sens que l'objectif est d'inspirer confiance au public et de rétablir la confiance de l'investisseur. Pour cela, les investisseurs ont besoin d'une information qui leur permet de comprendre la valeur de l'entreprise, ses risques et son orientation.

D'après les sondages dont il est question dans le livre, on dirait que la direction soutient que ce qui lui semble important pour diriger l'entreprise et savoir quels sont les risques est différent de l'information donnée aux investisseurs. C'est ainsi qu'un écart se creuse. Si on veut renforcer la confiance du public et rétablir celle de l'investisseur, il faut assurément veiller à ce que les investisseurs aient l'information nécessaire pour prendre leurs décisions.

Le sénateur Kroft: C'est ce que je pensais. Il s'agit bien de l'écart plutôt que des principes comptables généralement reconnus. Que peut-on trouver dans les principes comptables ou bien dans le contexte de juridique et réglementaire pour combler l'écart? Les investisseurs souhaiteraient certainement savoir ce qui est important pour la direction, car c'est ce qui déterminera la réussite ou l'échec de l'entreprise.

Pourriez-vous me dire ce que nous essayons de faire sur le plan de la réglementation et de la législation pour faire en sorte que les entreprises nous disent ce qui est vraiment important? Quant à l'exactitude de ce qu'elles nous disent, c'est une autre question.

M. Dancey: Selon moi, il y a deux questions. La première est le type d'information, le niveau d'information et la transparence des renseignements que les entreprises communiquent. La deuxième est la nécessité d'avoir l'assurance que l'information est exacte et que l'entreprise fasse effectivement ce qu'elle dit qu'elle va faire.

Ce n'est pas la profession comptable qui peut à elle seule faire bouger les choses. Comme je l'ai expliqué dans le document, ce n'est pas la prérogative des seuls vérificateurs de modifier le modèle de rapport des sociétés et d'intervenir à ce niveau. Il y a dans l'ouvrage des exemples de diverses sociétés qui ont pris différentes mesures. Nous parlons de trois niveaux de rapport des sociétés; les PCGR mondiaux sont la base, les normes courantes de l'industrie sont le deuxième niveau et les normes propres à l'entreprise sont le troisième.

On trouve dans l'ouvrage des exemples de sociétés qui ont suivi cette orientation. Elles estiment qu'elles y gagnent, en ce sens qu'il y a une meilleure compréhension de l'entité. Cela se reflète dans l'intérêt pour la société et sa capitalisation.

Le sénateur Kroft: Pourriez-vous nous donner des exemples précis d'éléments que la direction juge importants et qui ne figurent pas dans les rapports?

M. Dancey: Voyons l'état actuel des rapports. Pour ce qui est des rapports financiers à strictement parler, nous considérons les états financiers passés, ceux du dernier exercice ou du dernier trimestre et le degré d'assurance qu'inspiraient les états financiers à ce moment.

Il y a dans l'ouvrage différents tableaux qui illustrent ce que la direction juge important et ce qu'elle divulgue, par industrie. Je vais prendre un ou deux exemples. Il se peut qu'on s'abstienne de donner beaucoup de renseignements non financiers, par exemple les comparaisons avec les autres entreprises semblables. Il peut s'agir des simples prévisions de trésorerie ou même des prévisions pro forma. Il peut y avoir différents types d'information que la direction considère sous un angle à la fois financier et non financier. Ce peut être de l'information sur la satisfaction du client. Ce peut être une comparaison entre l'entreprise et d'autres entreprises. Ce peut être une foule de données que la direction juge importantes pour évaluer la valeur de l'entreprise

Le sénateur Kroft: Dans les efforts qu'on déploie actuellement aux États-Unis et au Canada pour rétablir la confiance de l'investisseur au moyen de lois et de règlements, est-ce qu'on tend à exiger que ce type d'information soit communiqué aux actionnaires?

M. Dancey: Sur le plan des lois et règlements, pas que je sache, en tout cas aux États-Unis. Selon nous, on ne réglera pas tous les problèmes uniquement au moyen de lois et de règlements.

Le sénateur Kroft: Selon vous, comment notre comité, dans ses recommandations, devrait-il essayer de faire le travail? Que pourrions-nous recommander qui aiderait à combler l'écart dont vous avez parlé?

M. Dancey: L'effort de bien des gens doit se conjuguer pour combler cet écart. Les responsables de la réglementation ont un rôle à jouer, certes, mais ils ne sont pas les seuls.

Ce que nous essayons de faire comprendre, c'est que lorsque l'on considère le modèle de rapport des sociétés en se préoccupant de rétablir la confiance de l'investisseur, une grande partie du travail revient aux entreprises. Leurs conseils d'administration doivent décider du type d'information qu'il convient de divulguer, qui donnerait une image juste de l'entité en question. Les comptables ont également leur point de vue, tout comme les organismes de réglementation. Chacun des éléments de la chaîne de production des rapports des sociétés a son idée des moyens à prendre pour obtenir la bonne réponse.

Si on prend du recul pour examiner la situation actuelle, il est difficile de conclure que le modèle de rapport des sociétés répond aux besoins, si nous voulons gagner la confiance du public et rétablir la confiance de l'investisseur.

Les mesures législatives sont-elles la seule réponse? Non. C'est peut-être un élément réponse, mais pas le seul. On ne saurait résoudre tous les problèmes au moyen de règlements.

Le sénateur Moore: J'avais à l'esprit un certain nombre des questions que le sénateur Kroft a posées, notamment à propos de ce que vos sondages ont permis de constater dans l'industrie. On vous a demandé quelles recommandations le comité pourrait formuler en vue de combler l'écart. S'il est impossible de le combler par des moyens législatifs, en tout cas pas complètement, et si nous n'avons pas de principes comptables généralement reconnus, comment pouvons- nous définir ce que les rapports doivent contenir? Qu'est-ce qui définira le modèle qui, selon vous, nous fait défaut?

M. Dancey: Le modèle que nous avons préconisé dans le livre comprend trois niveaux, pour ce qui est de l'amélioration du modèle de rapports des sociétés. Le premier niveau est celui des PCGR mondiaux, c'est-à-dire un fondement commun pour les rapports financiers. Le deuxième niveau est celui des normes de secteur. Il existe quelques exemples où des secteurs se sont concertés et ont conclu qu'il fallait publier davantage d'information pour permettre aux investisseurs de mieux comprendre les entreprises du même secteur. S'il faut des normes par secteur, c'est que les banques sont différentes des entreprises de télécommunication et des sociétés pharmaceutiques. Si on essaie d'accroître le volume et améliorer la transparence de l'information publiée, de renforcer la confiance de l'investisseur, il faut commencer par établir un cadre.

Je voudrais que le Sénat reconnaisse qu'il existe des problèmes dans le modèle de rapport des sociétés, qui ne donne pas vraiment l'information dont les investisseurs ont besoin aujourd'hui, et qu'il faut tendre à l'améliorer. Cela fera intervenir une foule de gens, comme des organismes de réglementation et des comptables, ainsi que des conseils d'administration et des entreprises qui agissent correctement. En fin de compte, c'est une question d'intégrité; il faut que des gens fassent ce qui s'impose. Il ne peut qu'être utile d'avoir un cadre pour guider les efforts.

Le sénateur Moore: Il est donc possible que cela se produise.

Le sénateur Grafstein: Je ne suis pas membre du comité, mais je m'intéresse à cette question depuis fort longtemps.

Selon moi, la solution n'est pas de mettre l'accent sur les investisseurs. Le premier critère d'une bonne comptabilité est que la direction reçoit une information rapide de façon qu'elle sache où elle va. Dans les grandes sociétés, il arrive parfois que la direction soit étonnée par l'information sur sa propre société. Je me souviens de la réaction, au Canada, à la certification des états financiers par les chefs de direction et à un ou deux d'entre eux qui ont avoué à la presse qu'ils ne suivaient pas les chiffres de très près. Le lendemain, la valeur de leurs actions était à la baisse. Il est injuste pour les Canadiens qu'on mette l'accent sur un drame, parce que nous avons eu des déconfitures plus importantes, en termes relatifs. Il y a eu des dépréciations rapides d'entreprise au Canada qui révèlent que la gouvernance au Canada n'est pas un problème pour les Américains, mais pour les Canadiens.

Le coeur du problème, et nous entendrons d'autres points de vue là-dessus, c'est le comité de vérification. D'après mon expérience, il est rare que les comités de vérification soient vraiment indépendants de la direction. Ils se composent de personnes favorables à la direction et qui ont été nommées pour cette raison. Les outils et les ressources qui sont mises à leur disposition sont ceux que la direction leur accorde.

Ma question est la suivante: lorsque vous dites que ces administrateurs ont besoin d'indépendance, êtes-vous convaincu que nous avons assuré une indépendance suffisante à ces comités de vérification non pas par réglementation, mais au moyen de normes réglementaires?

M. Dancey: À cet égard, il y a différentes lignes directrices d'application facultative au TSX et dans d'autres organismes. David Brown, de la CVMO, a comparu devant votre comité. Une des questions qui figurent en bonne place sur sa liste est l'imposition de règlements exigeant l'indépendance des comités de vérification. Cela voudra-t-il dire que tous les membres du comité devront être indépendants, ou seulement la majorité? Quelle sera la définition de la notion d'indépendance? Il faudra attendre de voir.

Un grand nombre de nos plus importantes sociétés ouvertes doivent se conformer à la Loi Sarbanes-Oxley ou, si elles sont cotées à la bourse de New York, elles doivent se conformer aux exigences de cette bourse. Les définitions des expressions «indépendance» et «sans relation» sont assez rigoureuses. J'estime que, dans les sociétés ouvertes au Canada, il y aura à l'avenir une certaine indépendance acquise aux comités de vérification.

Le sénateur Angus: Ma question fait suite à celle du sénateur Grafstein. Il s'agit des nouvelles règles découlant de la Loi Sarbanes-Oxley, exigeant que le chef de direction et le directeur financier certifient les états financiers. Cela comprend non seulement les états annuels, mais aussi les états trimestriels. Il me semble ahurissant que, même si ce sont des cadres supérieurs, on leur demande de certifier l'exactitude des états financiers d'entreprises qui valent des milliards de dollars. Cependant, je suis conscient qu'ils le font déjà. Pourriez-vous démystifier ce processus pour nous? Le font- ils avec l'approbation des vérificateurs ou dans le respect d'une certaine règle de diligence raisonnable qui a été élaborée?

M. Dancey: Lorsque je songe à certaines audiences qui ont eu lieu aux États-Unis, je me rappelle le témoignage de Ken Lay et Bernie Ebbers qui ont comparu devant les commissions à titre de chefs de la direction et déclaré qu'ils ne savaient pas vraiment ce qui se passait. Dès ce moment, il était inévitable qu'on exige la certification par les chefs de direction. À compter de ce moment-là, aucune autorité de réglementation n'admettrait qu'un chef de direction dise qu'il ne sait pas ce qui se passe. Il était inévitable qu'on exige quelque chose comme la certification.

Les sociétés prennent des dispositions qui leur sont propres pour garantir que l'information vienne de la base, si on peut dire, en ce sens que, si quelqu'un doit certifier des états financiers, il demandera à différentes personnes quels sont les contrôles internes, ce qui se passe, si les chiffres leur semblent acceptables, et cetera. Cela amène un bon changement de culture dans les sociétés, car elles se soucient davantage de l'exactitude des chiffres.

Le sénateur Angus: Pourriez-vous nous donner un exemple concret? Prenons une grande société ouverte comme BCE. Comment M. Sabia peut-il certifier l'exactitude des chiffres?

M. Dancey: J'ignore comment M. Sabia s'y prend, mais je suis persuadé qu'il y a un processus en place qui lui permet de comprendre ce qui se passe dans les filiales et divisions qui produisent les rapports pour s'assurer que les contrôles donnent une information exacte. Il y a des autorisations à ce niveau, et toute l'information monte jusqu'à lui. Je suis sûr qu'il a un processus bien clair en place, de sorte qu'il ne signe pas sur un clin d'oeil. Je peux vous assurer que, lorsqu'il signe, il a une certaine assurance, car bien des gens derrière lui ont signé également.

Le sénateur Angus: Disons que vous êtes les vérificateurs d'une société dont le chef de direction refuse d'accorder sa certification. Cela vous donnerait-il des raisons de refuser un certificat?

M. Dancey: Depuis longtemps, dans le cadre de nos méthodes ordinaires de vérification, nous disons aux chefs de direction que nous voulons savoir s'ils sont à l'aise avec les chiffres et s'ils croient que tout est en règle. Implicitement, nous demandons une grande partie de cette information depuis longtemps.

Le sénateur Angus: Ai-je raison de dire que, aux termes de la nouvelle loi, c'est une condition sine qua non pour vous?

M. Dancey: Présentons les choses de cette façon: si le chef de direction ou le directeur financier refusent de signer, ce serait un important signal pour quelqu'un qui fait un travail comme le mien.

Le président: Cela irait à l'encontre de la loi.

M. Dancey: C'est exact.

Le sénateur Grafstein: Est-elle explicite ou implicite, cette responsabilité interne envers le vérificateur?

Le sénateur Angus: Si je comprends bien la Loi Sarbanes-Oxley, les chefs de direction et directeurs financiers des entreprises canadiennes actuellement inscrites à la bourse aux États-Unis doivent signer conformément à une certaine formule, à défaut de quoi les vérificateurs ne peuvent accorder leur certificat.

M. Dancey: Tout d'abord, je crois que le président a raison, ce serait enfreindre la loi, qui exige ces signatures.

Le sénateur Angus: Vous ne pouvez donner les chiffres.

Merci. C'est certainement un tout nouveau domaine. Votre témoignage nous a été très utile.

M. Dancey: Si vous ne lisez pas le livre, lisez au moins l'épilogue, qui ne fait guère que 3 ou 4 pages. Il esquisse trois scénarios pour les dix prochaines années. La lecture de ces quatre ou cinq pages serait utile.

Le président: Si vous demandiez à l'une des grandes banques canadiennes quel est son degré de risque sur les produits dérivés ce matin, saurait-elle à quoi s'en tenir?

M. Dancey: Je n'ai pas fait cela depuis un certain temps. Notre démarche consisterait à traiter avec ceux qui, dans les banques, s'occupent des risques.

Le président: Le chef de direction qui doit signer, comme le sénateur Angus le fait remarquer, saurait-il à quoi s'en tenir?

M. Dancey: Le saurait-il à tel ou tel moment? C'est difficile à dire. Je ne suis pas le chef de direction d'une banque.

Le président: Je ne prétends pas qu'il le sait ou l'ignore. Je doute qu'il puisse être au courant.

M. Dancey: La question qui se pose est la suivante: y a-t-il dans l'organisation des dispositifs qui contrôlent le risque qu'un élément ou l'autre de la banque peut prendre à tel ou tel moment?

Le président: Ils ne peuvent contrôler le risque que jusqu'à un certain point, car ils ne savent pas ce que vaut l'autre partie. Un produit dérivé a toujours deux parties, et vous ignorez l'état de l'autre. Je ne vais pas entrer là-dedans. Je pense que c'est une bonne question, et j'ignore comment ils pourraient signer.

Merci avoir pris le temps de venir témoigner. Il a été agréable de vous revoir. Nous vous demanderons probablement de revenir en temps voulu.

M. Dancey: Je vous en prie.

Le président: Le greffier veut distribuer le programme des prochaines semaines.

Les sénateurs voudront bien noter que le voyage que nous envisageons de faire à New York et Washington est remis d'une semaine.

Nous souhaitons la bienvenue à Mme Collenette de la Kennedy School of Government de l'Université Harvard. Madame Collenette, je voudrais d'abord vous présenter les excuses du comité qui a été obligé d'annuler votre comparution la dernière fois.

Mme Penny Collenette, agrégée supérieure de recherche, Centre for Business and Government, Kennedy School of Government, Université Harvard: Avant de commencer, je voudrais rendre hommage à un sénateur qui a fait un énorme travail sur la question de la gouvernance d'entreprise et qui a ainsi gagné le respect de beaucoup de ceux qui travaillent dans ce domaine. Il s'agit du sénateur Don Oliver. Personnellement, j'ai été très impressionnée par son travail des dernières années. Beaucoup de ses discours et de ses rapports circulent dans la communauté universitaire.

Je voudrais aussi vous remercier, en fait, d'avoir annulé ma dernière comparution devant le comité. Cela m'a forcée à mettre de l'ordre dans mes idées pour écrire un article que certains d'entre vous ont peut être lu dans MacLean's. Cette annulation a également eu quelques autres conséquences très positives. J'avais mentionné dans l'article que j'étais préoccupée par le fait que beaucoup de banques canadiennes et américaines n'avaient aucune mention de la gouvernance d'entreprise sur la page d'accueil de leur site Web. J'ai découvert que la Deutsche Bank mentionnait en fait le sujet, ce qui reflète peut-être les modalités européennes de fonctionnement. Après la parution de l'article, Peter Godsoe, de la Banque de la Nouvelle-Écosse, m'a téléphoné, ce qui nous a donné l'occasion de discuter pendant une vingtaine de minutes. De même, Charles Coffey, de la Banque Royale, m'a arrêtée l'autre soir à l'aéroport, et nous avons aussi eu une bonne discussion. Il semble que les deux banques discutent encore de leur site Web et de la question de la gouvernance d'entreprise. Pour être certaine de ne pas faire d'erreur aujourd'hui, j'ai fait une autre recherche sur Internet la nuit dernière. J'ai découvert que la CIBC avait une excellente analyse du sujet sur son site Web, mais pas sur la page d'accueil.

Pourquoi cela est-il important? Aujourd'hui, beaucoup de gens cherchent sur Internet les renseignements dont ils ont besoin sur les entreprises. À l'heure actuelle, 16 p. 100 des Canadiens font leurs transactions bancaires en ligne.

Les administrateurs de banque doivent répondre à des normes très élevées parce que, sur le plan de la gouvernance d'entreprise, ils s'occupent de l'argent des gens. Le fait qu'une banque se soucie de parler de la gouvernance sur sa page d'accueil est donc digne de mention.

Je voudrais examiner le rythme de progression des questions liées à la gouvernance puis, en conclusion, vous poser une série de questions qui, je l'espère, permettront d'amorcer une bonne discussion.

Permettez-moi de noter que je n'ai pas d'autre but aujourd'hui que de soulever la question de la gouvernance d'entreprise. C'est un sujet dont on discute énormément dans le monde. Je crois qu'il y a encore quelques sceptiques autour de cette table et dans le pays quant à l'importance de la question.

Dans un excellent discours prononcé au Canadian Club lundi, Purdy Crawford s'en est pris à ceux qui soutiennent encore qu'une bonne gouvernance n'augmente pas nécessairement la valeur. Personnellement, je crois que nous abordons cette question de la mauvaise façon. Ce que nous devons comprendre, c'est qu'une mauvaise gouvernance fait diminuer la valeur.

Nous savons tous que les actions américaines ont perdu 7 billions de dollars de leur valeur entre le printemps 2000 et l'été 2002. Des milliards de dollars ont disparu dans les caisses de retraite. Les coûts publics commencent maintenant à se manifester. Le Congrès américain a déjà tenu 14 audiences sur l'affaire Enron.

Bref, il y a un prix élevé à payer pour l'imprudence des administrateurs. C'est certainement la leçon que les sociétés ont apprise aux États-Unis. Je ne crois cependant pas que nous tenons beaucoup à apprendre cette leçon au Canada.

Pour la première fois de ma vie, je me suis retrouvée à l'étranger, à Cambridge, comme Canadienne examinant le Canada de l'extérieur. J'ai donc quelques observations à vous présenter de ce point de vue.

J'ai sept points négatifs à signaler. La question suscite certaines préoccupations, mais celles-ci sont plus sélectives que collectives. Malgré des auditions comme les vôtres, beaucoup trop de PDG se taisent. Certains ne se soucient que de leurs propres intérêts. Il y a aussi un manque de leadership stratégique clair aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Il manque en outre un organisme national de coordination en matière de gouvernance d'entreprise. Il n'y a pas suffisamment de responsabilité ministérielle. Certains d'entre vous savent probablement qu'au Royaume-Uni, un ministre subalterne est chargé de la responsabilité sociale des sociétés. Ce n'est sans doute pas la même chose que la gouvernance d'entreprise, mais j'y reviendrai dans un instant. Mon sixième point est qu'il y a beaucoup de réglementation, avec les défis fédéraux-provinciaux que cela occasionne normalement. Le septième point, qui est le plus important, est que les jeunes du pays ne s'expriment pas suffisamment à ce sujet. Je ne dis pas que les jeunes n'ont pas d'opinion, mais je ne suis pas sûre qu'ils ont eu l'occasion de se faire entendre. Beaucoup d'entre eux ont eu une très mauvaise expérience pour la première fois de leur vie à un très jeune âge avec la culture du casino boursier. N'oublions pas que ce sont nos futurs dirigeants d'entreprise.

Parallèlement à cette difficulté qu'ont les jeunes à se faire entendre, nous devons tenir compte de l'attrition parmi les administrateurs de société. Entre 1999 et 2004, un tiers des 20 700 administrateurs du pays atteindront l'âge de 70 ans. Nous aurons donc un problème de relève.

Par ailleurs, j'ai cinq points positifs à signaler. Premièrement, nous avons une culture d'entreprise raisonnablement prudente, qui tend à ne pas traiter nos PDG comme des stars. C'est une bonne chose. Comme quelqu'un de Harvard me l'a dit, les Canadiens ont tendance à chercher des héros plutôt que des célébrités. Deuxièmement, nous avons, au sein des sociétés, un assez bon système de freins et contrepoids. Par exemple, il est plus fréquent au Canada qu'aux États-Unis de séparer les fonctions de PDG de celles de président du conseil d'administration. Troisièmement, il y a des gens courageux qui ne mâchent pas leurs mots, aussi bien parmi les responsables de la réglementation que parmi les actionnaires militants. Quatrièmement, il y a une véritable explosion d'intérêt dans les universités et les centres de savoir, comme la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance ou l'Institut des administrateurs des corporations. Plusieurs universités ont établi ou établissent des chaires de gouvernance d'entreprise. Cinquièmement, on note partout de bonnes intentions.

J'ai déjà dit que je parlerai du rythme de progression des questions liées à la gouvernance d'entreprise. C'est extraordinaire. Cela fait un peu plus d'un an qu'Enron a déposé son bilan. Même si la crise aiguë est terminée, nous abordons une nouvelle étape dans l'évolution de la situation, celle des litiges et de l'activisme judiciaire.

Dans un jugement rendu avant Noël, un tribunal de district du Texas a statué que les avocats et les banquiers qui ont établi des déclarations publiques ou ont organisé des émissions publiques de titres pour le compte d'une société impliquée dans une fraude peuvent être considérés comme des contrevenants primaires, au même titre que la société elle-même, et être passibles par conséquent de sanctions judiciaires. Les grands cabinets d'avocats commencent à comprendre que si cette décision est maintenue B elle est actuellement en appel B, ils deviendront eux-mêmes, de concert avec les banques d'investissement, les garants de la bonne conduite de leurs clients. C'est là un changement profond de la culture d'entreprise américaine.

Au Canada, Neil Finkelstein, du cabinet Blake Cassels & Graydon, a noté que la Cour suprême est saisie d'un plus grand nombre d'affaires commerciales qu'auparavant. Pour lui, les retombées d'Enron vont être considérables.

Ce n'est pas seulement de l'activisme judiciaire. Les médias s'apprêtent à faire paraître beaucoup de reportages. Sharon Watkins, qui a dénoncé l'affaire Enron, fait paraître le mois prochain son livre Power Failure: The Inside Story of How Enron's Culture of Arrogance and Greed Led to the Biggest Bankruptcy in American History.

Je ne sais pas si vous avez remarqué la manchette du New York Times d'aujourd'hui: «Les manœuvres fiscales d'Enron seraient encore un mystère pour l'IRS». Le sénateur Max Baucus dit que le rapport brosse un tableau choquant des manigances fiscales, des transactions structurées et de la rémunération des cadres d'Enron. Enron avait inondé l'IRS d'opérations tellement complexes que même l'agence américaine avait été dupe.

Nous avons eu une multitude de rapports. Si j'avais comparu en novembre, comme prévu à l'origine, j'aurais dit que la Loi Sarbanes-Oxley était en train d'évoluer et qu'il y avait de la confusion aux États-Unis au sujet du nouveau président de la SEC. Aujourd'hui, moins de trois mois plus tard, les règles sont mieux définies, grâce à d'intenses efforts de lobbying, sur la question de savoir si les sociétés de fonds communs de placement doivent ou non divulguer l'usage qu'elles font des votes par procuration de leurs investisseurs. La SEC a reçu 7 500 mémoires. Je crois que M. Donaldson est sur le point d'être confirmé comme nouveau président de la SEC. Depuis novembre, on s'agite à Davos, et le Forum économique mondial a formé un nouveau groupe d'étude international sur la gouvernance d'entreprise.

Comme vous le savez, le rapport de janvier de l'American Conference Board propose trois modèles, en recommandant fortement d'envisager la séparation des fonctions de chef de la direction et de président du conseil d'administration. De plus, un ancien banquier, M. Derek Higgs, a publié un rapport sur le Royaume-Uni qui a suscité un débat presque aussi important que la Loi Sarbanes-Oxley à cause de sa définition rigoureuse d'«administrateur indépendant» et sa recommandation préconisant des mandats d'une durée limitée pour les administrateurs.

Où allons-nous? Dans mon premier article paru dans le Globe and Mail, j'ai dit que la gouvernance d'entreprise aborde un tournant. M. Paul Tellier a déclaré, dans l'un de ses discours, que c'était devenu une «industrie familiale». À mon avis, c'est un secteur qui connaîtra une forte croissance.

Vous avez entendu de nombreux témoins. Ayant beaucoup lu sur le sujet, j'ai l'impression que le niveau de détail est extraordinaire. Il est donc utile, à certains moments, de prendre du recul pour voir toute la forêt plutôt que les différents arbres. Je voudrais conclure en vous incitant à observer la forêt. J'ai donc préparé une série de questions qui, je l'espère, vont susciter votre réflexion B c'est ce que Harvard a l'habitude de faire B dans votre recherche de pratiques exemplaires à appliquer dans le système financier canadien.

Je sais que vous croyez comme moi que le Canada mérite le mieux que nous puissions lui offrir et que rien n'empêche les Canadiens d'être des chefs de file dans le débat sur la gouvernance d'entreprise.

J'ai donc un certain nombre de questions à poser. Premièrement: est-ce que l'équivalent d'Enron aurait pu se produire au Canada? Si oui, pourquoi? Si non, pourquoi?

Deuxièmement: qu'est-ce qui aurait pu empêcher l'effondrement d'Enron?

Troisièmement: est-il possible de parvenir à un équilibre entre le besoin d'une réglementation efficace et l'avantage qu'il y a à protéger et encourager l'initiative éthique volontaire, sans parler de l'esprit d'initiative? Les Américains se trouvent dans une situation singulière, ayant entrepris de rétablir la réglementation de certains secteurs déréglementés.

Quatrièmement: comment trouver le courage de tirer la sonnette d'alarme, que l'on soit administrateur ou employé d'une grande société? Si une personne décide de parler, sera-t-elle protégée? Je pense ici en particulier aux dispositions de la Loi Sarbanes-Oxley relatives à la dénonciation, dont nous pourrons parler plus tard.

Cinquièmement: quel est le rôle des sociétés dans le monde moderne? Sont-elles des fictions juridiques ou des intervenants sociaux? La responsabilité sociale des entreprises était un sujet réservé à des activistes sociaux marginaux. Aujourd'hui, c'est un sujet de grande actualité. La chroniqueuse économique Deirdre McMurdy a récemment signalé que les cinq grandes banques à charte du Canada devront affronter ce printemps des résolutions d'actionnaires leur demandant de produire des rapports publics sur les risques sociaux, environnementaux et éthiques de leurs portefeuilles de prêts et sur d'autres aspects de leurs opérations. Le résultat financier exprimé par un seul chiffre semble être passé de mode. Demandons-nous trop à nos PDG?

Sixièmement: avons-nous une culture d'entreprise spécifiquement canadienne? Si oui, quelles en sont les valeurs ou les règles?

Septièmement: est-ce que le modèle traditionnel de conseil d'administration fonctionne vraiment? Y a-t-il d'autres modèles mieux adaptés à un univers mondialisé hautement perfectionné sur le plan technologique?

Pour moi, la gouvernance d'entreprise a deux caractéristiques. La première, c'est le leadership. Le mot dérive de gubernare, qui signifie diriger en latin. Les conseils d'administration, les PDG et les politiciens sont censés diriger. Quand on parle de gouvernance d'entreprise, il faut également songer au mot «lien» ou «intersection». Un article publié à Harvard dit que la gouvernance d'entreprise peut être considérée comme une matrice institutionnelle faisant le lien entre les signaux du marché et les décisions des cadres d'entreprise.

J'ai été extrêmement heureuse de passer les quatre derniers mois à la Kennedy School du Centre for Business and Government d'Harvard, qu'on qualifie de catalyseur, de dirigeant et d'innovateur à l'intersection critique entre l'entreprise privée et la gouvernance d'entreprise.

Je voudrais remercier mes collègues du Centre pour l'aide qu'ils m'ont assurée dans la préparation de cet exposé. Je voudrais également remercier deux cabinets d'avocats américains, et particulièrement Lanae Holbrook, du cabinet Fried, Frank, Harris Shriver & Jacobson, et Jeffrey Gerrish, du cabinet Gerrish and McCreary du Tennessee, qui a prononcé un discours remarquable devant l'American Bankers Association en août dernier.

J'ai également appris à Harvard qu'on peut envoyer un message électronique à n'importe qui et s'attendre à recevoir une réponse.

Le président: Très intéressant. Nous avions l'espoir que vous auriez à nous proposer des solutions plutôt que des questions, mais nous verrons ce que nous pouvons faire.

Le sénateur Kelleher: Je vais plutôt vous poser moi-même quelques questions. Nous sommes inquiets au Canada du fait que les Américains ont déjà établi leurs propres règlements, surtout au moyen de la Loi Sarbanes-Oxley . C'est une réalité que nous devons affronter. Beaucoup de nos grandes sociétés, et notamment celles qui étaient présentes à notre réunion d'hier, craignent, qu'elles soient aux États-Unis ou au Canada, d'être obligées de se conformer à ces règles, surtout si elles sont cotées dans les deux pays. Bien sûr, elles souhaitent que nous adoptions, de notre côté, des mesures aussi proches que possible de celles des Américains.

Comme vous le savez sûrement, le système américain tend à se fonder sur des règles, tandis que le nôtre est plutôt basé sur des principes. Toutefois, même si les grandes sociétés canadiennes nous demandent de suivre la voie américaine et de nous rapprocher du mode de fonctionnement des États-Unis, nous devons nous rappeler que nous n'avons pas tant de grandes sociétés au Canada. Nous avons beaucoup de petites entreprises, et les mêmes règles ne peuvent pas s'appliquer à toutes.

Fort heureusement, notre président organise un voyage du comité à New York et à Washington pour nous permettre de discuter avec les auteurs de la Loi Sarbanes-Oxley. À titre d'experte ayant vécu aux États-Unis et qui enseigne à Harvard, quelle approche nous conseillez-vous d'adopter à l'égard des Américains pour résoudre ce problème qui sera sûrement difficile?

Mme Collenette: Je suis heureuse d'apprendre que vous vous rendrez aux États-Unis. J'avais l'intention de vous suggérer d'inviter le sénateur Sarbanes et M. Higgs, du Royaume-Uni, à venir vous parler. Il est bien sûr très utile de discuter avec des universitaires et des experts de différentes professions, mais ces gens sont ceux qui ont rédigé le projet de loi. Je crois savoir que le sénateur Sarbanes est un démocrate très respecté qui travaillait sur cette mesure législative depuis un certain temps déjà. Je suppose qu'on a dit aux États-Unis que la rédaction devait se faire rapidement. D'ailleurs, tout le monde là-bas reconnaît que la rédaction a été beaucoup trop rapide. Quand j'ai parlé d'intenses efforts de lobbying, je voulais signaler qu'il y a eu beaucoup d'activité à Washington et que 7 500 mémoires ont été présentés sur ce seul sujet.

Comme vous le savez, certaines dispositions de cette loi ont déjà été modifiées. Les avocats et les comptables étaient préoccupés, de sorte qu'il y a déjà eu des changements. Pour ma part, je suis heureuse que nous ne nous soyons pas empressés d'adopter l'équivalent de la Sarbanes-Oxley avant de laisser tout cela décanter.

Il y a une question qui se pose au sujet des règles. Même si une solution est recherchée, nous devons quand même examiner ce que Peter Godsoe appelle «la loi des effets pervers». Le président du conseil d'administration d'une grande banque américaine, qui est également agrégé supérieur de recherche à Harvard, a mentionné qu'avec les nouveaux critères et exigences, le bassin d'administrateurs des États-Unis n'en comprendrait plus que 300 à 400. Notre bassin, au Canada, est encore plus petit et, comme je l'ai dit, nous avons en outre des problèmes de vieillissement. Les conséquences peuvent donc être très importantes.

L'autre question anecdotique dont j'ai entendu parler dans plusieurs cabinets d'avocats, c'est qu'un grand nombre de clients envisagent de se retirer des bourses de valeurs pour offrir leurs actions sur le marché privé.

En ce qui concerne la Bourse de Toronto, nous ne voudrions pas voir des sociétés se retirer parce qu'elles ne pourraient plus alors se conformer aux critères.

Par conséquent, quand vous demandez quelle approche adopter à l'égard des législateurs américains B et vous êtes bien plus expérimentés que moi à cet égard B, je crois qu'il est important de souligner que nous avons non seulement un marché plus petit, mais souvent aussi une culture différente. J'ai déjà mentionné que nous ne considérons pas vraiment nos PDG comme des célébrités. Je suis heureuse que ce soit le cas quand je vois ce qui est arrivé à beaucoup de PDG américains. Nous avons de petites sociétés, souvent familiales, en tout cas beaucoup plus souvent qu'aux États-Unis.

Par ailleurs, nous avons gardé beaucoup de liens avec le Royaume-Uni. Il sera très utile pour vous d'aller aux États- Unis. J'ai également mentionné M. Higgs. J'ai vu un excellent rapport de l'Administration britannique des services financiers qui dit clairement que l'approche est fondée sur les valeurs. Toutefois, au lieu d'imposer des règles, le rapport propose aux sociétés de poser une série de questions à leurs employés pour déterminer leurs normes éthiques. Je crois que nous apprenons tous mieux quand nos décisions découlent d'une réflexion propre plutôt que de l'application de règles imposées.

Le président: Quelle est donc votre réponse?

Mme Collenette: Le sénateur a posé une question au sujet de l'approche à adopter. Je tentais d'expliquer que nous avons un marché différent, une psychologie différente et une culture différente. En ce qui concerne l'imposition de règles, qui ont déjà causé des ennuis, qu'est-ce qui pourrait marcher dans le cadre des relations d'affaires entre le Canada et les États-Unis? Comme vous le savez, il faut prendre les devants avec les Américains.

Le sénateur Kelleher: C'est ce qui m'inquiète. J'ai fait hier l'analogie avec le différend relatif aux bois d'œuvre résineux. Nous avons deux systèmes complètement différents.

Mme Collenette: Avez-vous l'intention de soulever aussi la question du bois d'œuvre résineux?

Le sénateur Kelleher: Non, je ne veux pas mélanger les deux affaires. Nous avions essayé d'expliquer aux Américains que nos terres appartiennent à la Couronne et que nous avons donc un système différent. Aux États-Unis, les terres appartiennent à des intérêts privés presque à 90 p. 100. L'argument n'a pas eu une très grande influence sur les Américains. En fait, ils ne sont pas disposés à écouter. Je m'inquiète donc de leur état d'esprit. Ils ont déjà mis en vigueur leur loi. Je crains fort qu'il nous soit très difficile de modifier le moins du monde la psychologie.

Mme Collenette: Ils ressentent aussi des pressions. Les choses n'ont pas été faciles pour eux. À Davos, beaucoup de chefs d'entreprise américains ont subi des pressions de la part des chefs d'entreprise européens qui ont leurs propres règles. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de penser que tout cela est intouchable. Vous allez là pour vous renseigner sur ce qu'ils ont fait et déterminer s'il y a des enseignements à en tirer.

Le sénateur Kelleher: Croyez-vous que nous devons souligner les aspects culturels en mettant en évidence les différences entre notre culture et la leur?

Mme Collenette: Essayez-vous d'obtenir des renseignements?

Le sénateur Kelleher: À ce stade, oui.

Mme Collenette: Quels sont les enseignements à tirer? Si vous pouviez vous reprendre, quelles mesures prises dans les six derniers mois éviteriez-vous aujourd'hui, compte tenu des protestations suscitées? Les Américains peuvent parler très franchement des erreurs commises.

Je leur poserais également des questions sur les effets pervers. Avaient-ils prévu que certaines sociétés voudraient se retirer des bourses pour offrir leurs actions sur le marché privé?

Le sénateur Kelleher: J'ajouterais également l'effondrement d'Arthur Andersen.

Mme Collenette: Comme je l'ai dit, l'activisme judiciaire ne plaira pas beaucoup aux Américains.

Le sénateur Kelleher: Il nous incombe, monsieur le président, d'avoir une très bonne connaissance de la Loi Sarbanes-Oxley avant de nous rendre aux États-Unis.

Le sénateur Kroft: J'ai deux questions. Vous avez dit, dans votre article qui a paru dans le Globe and Mail qu'il est impossible d'imposer une bonne conduite par voie législative. Je crois que nous serions tous d'accord avec vous sur ce point.

Vous avez consacré beaucoup de temps à ce sujet et vous avez acquis une certaine connaissance des États-Unis. Par conséquent, pensez-vous qu'il soit possible d'atténuer le problème en créant un environnement législatif et réglementaire tel que le prix d'une mauvaise conduite devient trop élevé pour être envisageable? Autrement dit, quelles sont à votre avis les incidences sur le comportement de sanctions très sévères? Je veux parler d'amendes élevées, de peines d'emprisonnement, et cetera.

Mme Collenette: Le fait que les Américains aient dû se montrer tellement sévères, en imposant des amendes et d'autres peines, en dit beaucoup sur l'absence de cette influence.

L'un de nos groupes de travail s'est attaqué à la question suivante: «Est-ce que le phénomène Enron est un cas unique ou bien dénote-t-il un problème systémique?» Sur les quinze membres du groupe, un seul pensait que c'était un cas unique, tous les autres étant d'avis que le problème était systémique. La discussion, qui a duré environ une heure, a été extrêmement intéressante.

En parlant de nature systémique, nous voulions dire qu'à part Enron, il y a des tentacules qui s'étendent un peu partout dans la société américaine, dans les secteurs du droit, du lobbying, et cetera. La liste est très longue. Les Américains sont très inquiets du fait que le problème s'est répandu à ce point. Pourquoi aucune profession n'a donné l'alerte? Pourquoi n'y a-t-il pas eu un seul analyste, journaliste, avocat, comptable ou consultant qui ait parlé?

Le sénateur Kroft: Croyez-vous que c'est parce que chacun pensait qu'il n'y aurait pas de conséquences?

Mme Collenette: Peut-être la chose n'a-t-elle pas été prise au sérieux.

Le sénateur Kroft: Je voudrais vous poser une autre question. Vous avez parlé d'une façon assez critique du cumul des postes d'administrateur.

Mme Collenette: Je ne comprends pas.

Le sénateur Kroft: Dans votre article, vous dites que les journalistes doivent repenser leur attitude car, trop souvent, ils ont tendance à faire l'éloge de ceux qui cumulent de multiples fonctions d'administrateur. Je présume que vous partagez le point de vue de ceux qui s'opposent à ce que la même personne soit membre de plusieurs conseils d'administration. Je dois ajouter qu'au Canada, en particulier, les chefs de la direction des grandes sociétés aiment bien avoir des PDG d'autres sociétés dans leur conseil d'administration. Comme le groupe des administrateurs est relativement petit, cela entraîne des nominations multiples, sans compter les nominations réciproques, qui sont encore pires. Avez-vous des observations à formuler à ce sujet?

Mme Collenette: Cette question a deux aspects. D'abord, comme il est rare que des journalistes soient nommés dans des conseils d'administration, je me demande s'ils se rendent compte de la difficulté des fonctions d'administrateur. Il fut un temps où ce poste était honorifique, mais aujourd'hui, c'est loin d'être une sinécure. Les fonctions imposent beaucoup de travail difficile. Je suis sûre que tous les honorables sénateurs membres du comité ont été administrateurs à un moment ou un autre et savent ce que comportent ces fonctions. Il y a tous les livres à lire et tous les rapports à étudier. Je ne crois pas que les journalistes se rendent vraiment compte. Je crois que j'ai avancé le même genre d'argument quand j'étais directrice des nominations. Je devais dire que si quelqu'un était nommé, ce serait non une sinécure, mais du travail sérieux.

Le sénateur Kroft: Quelle est donc votre conclusion?

Mme Collenette: Le problème B beaucoup de gens ont posé cette question B est de savoir à quel point on considère que quelqu'un est membre d'un trop grand nombre de conseils d'administration. Une personne à qui je parlais aux États-Unis m'a dit qu'elle était membre de neuf conseils, mais que, s'il n'en tenait qu'à elle, elle se débarrasserait de sept de ces postes.

Qui va réglementer cet aspect? Je ne peux pas vous le dire. Combien de nominations une personne devrait-elle accepter? Bien sûr, il faut considérer les circonstances. Ces personnes sont-elles à la retraite? Ont-elles par ailleurs un emploi à plein temps? Seules les personnes en cause peuvent répondre à ces questions.

Le président: Permettez-moi de prendre un instant pour dire au sénateur Kelleher que, le 26 mars à 16 heures, nous aurons une séance d'information du ministère des Affaires étrangères sur la Loi Sarbanes-Oxley.

Le sénateur Angus: J'ai tendu l'oreille quand vous avez parlé du discours prononcé par M. Purdy Crawford lundi à Toronto. D'après un entrefilet que j'ai lu, selon M. Crawford, personne à Ottawa n'aurait le courage de...

Mme Collenette: ... C'était un véritable défi.

Le sénateur Angus: Vous étiez présente.

Mme Collenette: J'étais à la table d'honneur.

Le sénateur Angus: Compte tenu de vos contacts à Ottawa, qu'ils soient directs, indirects, historiques, actuels ou futurs, qu'en pensez-vous?

Mme Collenette: Je crois qu'il avait parfaitement raison. C'est pour cette raison que j'ai dit qu'il nous manque, à l'échelle nationale, une certaine concentration stratégique sur la gouvernance d'entreprise. Sauf erreur, il n'y a pas d'indications ministérielles claires à ce sujet.

Je ne sais pas pourquoi on n'accorde pas plus d'importance à la question. J'ai été déçue de constater qu'elle n'était pas mentionnée dans le discours du Trône, sauf dans l'expression «institutions de gouvernance des Premières nations», qui ne représente qu'un élément de la question.

Je n'ai pas d'intérêt personnel dans cette affaire, mais l'un des messages que je voudrais transmettre aujourd'hui est le suivant: pourquoi cette question ne bénéficie-t-elle pas d'une plus grande priorité compte tenu de ce que j'ai dit et de ce que vous avez entendu au sujet de la vitesse à laquelle d'autres pays s'attaquent au problème? À l'échelle mondiale, c'est une question très importante. Cette situation m'inquiète.

Le sénateur Angus: Vous ne le savez peut-être pas, mais c'est la troisième étude que le comité réalise sur ce sujet. Nous avons mené notre première étude à la demande du ministre de l'Industrie, après la publication des lignes directrices de la Bourse de Toronto par Peter Day. Notre mandat général consistait à déterminer si ces lignes directrices seraient efficaces en pratique. C'est très bien d'en parler en théorie. Nous avons donc tenu des audiences partout dans le pays et avons produit un rapport assez important.

On nous a ensuite demandé de réaliser une autre étude sur la gouvernance des investisseurs institutionnels.

Nous en sommes maintenant à la troisième étude. Nous accordons donc beaucoup d'importance au sujet.

Ma question portait en fait sur un autre aspect, celui d'une commission nationale des valeurs mobilières, par opposition à neuf ou dix commissions provinciales. Nous avons ce terrible chevauchement au Canada, qui occasionne en outre des frais supplémentaires aux entreprises. Il est bien établi que le Canada a perdu des investissements à cause de cette situation.

J'ai cru comprendre que M. Crawford — qui a comparu devant le comité — a dit que personne, parmi les dirigeants à Ottawa, n'aurait le courage d'invoquer les lois qui, selon lui, existent déjà pour imposer une commission nationale des valeurs mobilières. Qu'en pensez-vous? Avons-nous besoin d'une commission nationale? Y a-t-il un moyen d'en créer une?

Mme Collenette: Je ne suis pas experte en valeurs mobilières, mais je crois bien que ce serait indiqué sur le plan de l'organisation et du bon sens. Je suis au courant de quelques exemples qui confirment votre préoccupation au sujet de la perte d'investissements au Canada. L'un de mes collègues à Harvard m'a dit que s'il voulait investir au Canada, il serait dans l'obligation de se promener dans le pays, allant d'une capitale provinciale à l'autre pour faire ses investissements. Il a ajouté qu'il n'avait tout simplement pas le temps de le faire. C'est alors que j'ai pris conscience de cette réalité. Je crois que nous avons effectivement besoin d'une commission nationale des valeurs mobilières.

Le sénateur Angus: En ce qui concerne les dirigeants, vous pourriez peut-être user de votre influence. Cela nous préoccupe.

Nous avons reçu la semaine dernière un témoin, William Dimma, que vous connaissez. C'est un expert en gouvernance d'entreprise. Je lui ai demandé son avis sur les honoraires des administrateurs. Vous avez parlé du bassin qui rétrécit, surtout à la lumière du travail onéreux qu'il y a à faire et des questions d'indépendance qui écartent des personnes qui auraient autrement les compétences nécessaires pour faire partie des comités de vérification, et cetera.

Que pensez-vous de la rémunération des administrateurs? Les payons-nous suffisamment, pas assez ou trop, au Canada?

Mme Collenette: Ce n'est pas une question que j'ai examinée. J'ai étudié la rémunération des cadres. Un important administrateur américain B je suppose que tout le monde le connaît B m'a dit que Ken Lay recrutait personnellement chaque administrateur, qui recevait entre 300 000 $ et 400 000 $ par an. Quelqu'un a déjà parlé d'un drapeau rouge. Pourquoi cela n'a-t-il pas été considéré comme un drapeau rouge?

Le sénateur Angus: Vous jugez donc que c'est trop?

Mme Collenette: S'il est important de poser cette question...

En toute franchise, j'ai dit que le poste d'administrateur n'est pas facile. Je siège au conseil d'administration d'une société privée. Je sais combien de temps je passe à examiner les états financiers, à m'inquiéter des problèmes de ressources humaines, et cetera. Il n'y a pas de doute que les administrateurs doivent recevoir une rémunération équitable, tout comme les PDG. Toutefois, je ne sais pas vraiment comment déterminer cette rémunération. C'est peut- être quelque chose que M. Dimma et l'Institut des administrateurs des corporations pourraient examiner.

Le sénateur Angus: Vous n'étiez peut-être pas ici quand M. Dancey a parlé de la situation actuelle des comptables. Pour reprendre votre expression, il y a eu un changement profond à cet égard. Vous connaissez le rapport Higgs. Nous devons d'ailleurs entendre prochainement le témoignage de M. Higgs. J'ai pensé que vous seriez heureuse de l'apprendre. Bien sûr, nous aurions préféré le rencontrer en personne, mais nous devrons pour le moment nous contenter d'une vidéoconférence.

Beaucoup de comptables ont dû renoncer à des activités lucratives de consultation. Ils avaient l'habitude d'offrir leurs services de vérification comme produit d'appel pour se faire connaître des grandes sociétés et décrocher ainsi des contrats de plusieurs millions de dollars. Qu'avez-vous à dire à ce sujet?

Mme Collenette: Les situations de conflit d'intérêts dont nous avons été témoins dans l'affaire Enron dépassaient tout ce qu'on aurait pu imaginer. Il est évident qu'il faut maintenant procéder à un nettoyage complet qui ne permet aucun compromis. Cela est indispensable en ce moment car la situation était devenue intolérable.

Le sénateur Angus: Est-ce que vos propres recherches vous ont permis de constater la même chose dans les sociétés canadiennes?

Mme Collenette: Je ne peux pas vous le dire. Je ne sais pas quelle est la situation.

Le sénateur Angus: Je me rends compte que le principal objet de votre comparution aujourd'hui est d'insister sur la nécessité d'accorder une grande importance aux questions de gouvernance. Vous avez vous-même souligné qu'il est absolument essentiel, pour rétablir la confiance des investisseurs, de faire un grand nettoyage dans la gouvernance des sociétés canadiennes.

Mme Collenette: Vous parlez de la gouvernance des sociétés, en particulier, mais, dans mon premier article, j'ai évoqué les problèmes de gouvernance qui se posent aussi bien dans le secteur public que dans celui des sociétés. Malheureusement, dans le monde d'aujourd'hui, il y a des problèmes de gouvernance des deux cotés. Nous sommes confrontés à un grand dilemme éthique.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Quel mécanisme pourrait être mis en place pour faire face aux situations où des employés s'aperçoivent d'irrégularités? Comment peut-on savoir s'il s'agit d'une question de malhonnêteté ou d'incompétence? Quels mécanismes pourraient être mis à la disposition des employés affectés à des dossiers ou dont les rapports sont souvent tenus à l'écart du conseil d'administration?

Quel pourrait être le mécanisme pour s'assurer de ne pas nuire à l'entreprise et que l'information se rend aux administrateurs? Quelle est la formule?

[Traduction]

Mme Collenette: J'ai mentionné cela dans le mémoire. Dans la Loi Sarbanes-Oxley, maintenant désigné SOX, il y a un nouvel article traitant de la dénonciation. L'un des cabinets d'avocats dont j'ai parlé a un site Web avec des notes de clients expliquant de quelle façon la loi crée de nouvelles mesures civiles pour les employés des sociétés publiques. Il n'y est pas question des employés de l'État, ce qui est intéressant.

Cela s'applique aux employés qui croient qu'ils ont été renvoyés parce qu'ils ont tiré la sonnette d'alarme. La société ne peut pas renvoyer, rétrograder, suspendre, menacer, harceler ou autrement distinguer un employé qui a fourni ou contribué à fournir de l'information ou qui a facilité une enquête. Je ne sais pas vraiment comment cette disposition pourrait être appliquée dans le cas des sociétés non américaines. Toutefois, ces sociétés devront revoir leur politique de personnel et la modifier au besoin à la lumière de cette exigence.

J'ai eu des discussions au sujet de la protection des dénonciateurs dans le cas des employés de banque qui constatent des irrégularités. Il y a clairement une solution législative dans la Loi Sarbanes-Oxley, que nous voudrons peut-être adopter ou ne pas adopter au Canada.

Cela me ramène à ma préoccupation au sujet des jeunes. À l'un des forums Kennedy, beaucoup d'étudiants en administration de Harvard sont venus contester certains aspects de la gouvernance. Un jeune homme s'est levé et a dit: «Je vais bientôt recevoir mon diplôme de Harvard et j'espère trouver un emploi dans une grande société comme Enron. Où trouverais-je le courage de m'élever contre les politiques de la société? Mon objectif consistera à chercher à impressionner quelqu'un dans une grande entreprise. Où faut-il que j'aille? À qui faut-il que je parle?»

Pour beaucoup d'entreprises, c'est une question interne, mais nous avons probablement besoin d'une intervention législative dans ce domaine.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette: Est-ce qu'il ne devrait pas y avoir un mécanisme qui fasse en sorte que les administrateurs soient informés lorsque certains employés questionnent la validité de l'information qui se rend jusqu'au conseil d'administration?

À une certaine époque, alors que je siégeais sur un conseil d'administration, certaines informations furent diffusées par un consultant, ce qui eut un effet direct sur les actions. J'ai contacté la Commission des valeurs mobilières du Québec ainsi que la Bourse de Montréal, et personne n'a réagit. Il va sans dire que j'en ai discuté avec le conseil d'administration afin de mettre fin à un tel non-sens.

Que faire en pareilles circonstances? Des centaines de personnes ont été lésées grâce à cet incident. J'ai tenté l'impossible sans nuire à l'entreprise — car il faut concevoir que tous les actionnaires se trouvent pénalisés lorsque de telles rumeurs se retrouvent sur la place publique.

Comment est-il possible de rétablir la situation et les faits lorsque quelqu'un diffuse une fausse information si la Bourse et la Commission des valeurs mobilières sont dans l'incapacité d'intervenir, que l'entreprise n'agit pas et qu'on siège sur le conseil d'administration?

Évidemment, j'ai démissionné. Il ne s'agissait que d'une petite entreprise avec un financement de 3 millions de dollars. J'ai voulu aider ces gens et j'ai été obligé de quitter. Si on veut rétablir un esprit de confiance, il faut trouver un mécanisme.

[Traduction]

Mme Collenette: Dans votre cas, vous avez pris l'initiative d'exprimer votre répugnance devant ce qui se passait. En toute franchise, je trouve cela louable. Si les processus internes ne fonctionnent pas et si nous n'avons pas de protection législative, il reste toujours la possibilité d'aller parler aux journalistes.

Le sénateur Hervieux-Payette: Ainsi, tous les actionnaires perdent tandis que la cote des actions s'effondre. Il devrait y avoir un endroit où ces choses peuvent se régler sans porter préjudice à tous ceux qui ont investi dans une petite société. Ces gens peuvent perdre beaucoup d'argent.

J'ai pensé que mon rôle de fiduciaire de ces gens me dictait de protéger tous les investisseurs et non de mener la société à sa perte parce que quelques idiots manquaient aux règles éthiques en faisant leur promotion.

Mme Collenette: Je n'ai pas de réponse à vous donner. J'aurais bien voulu en avoir.

Le président: C'est tout un dilemme. Je vous remercie d'être venue, madame Collenette.

Sénateurs, nous allons tenir une brève discussion.

Le sénateur Hervieux-Payette: Nous venons de recevoir ce document intitulé «Gouvernance d'entreprise — Ligne directrice, janvier 2003,» qui vient du BSIF et qui concerne les institutions financières. Le document précise comment les administrateurs doivent se conduire et ce qu'ils doivent rechercher. C'est très détaillé. Le BSIF considère cela comme un règlement, même si le document porte le titre de ligne directrice.

Mme Collenette: J'ai bien hâte de le lire.

Le président: Au sujet de la question de privilège soulevée, une ébauche a été préparée et distribuée. Une phrase a été ajoutée. Je dois savoir si j'ai ou non votre approbation. Je pourrais alors présenter mon rapport dans deux semaines quand nous reprendrons nos délibérations.

Vous pouvez voir la deuxième page:

De plus, votre comité est d'avis qu'aucune autre mesure n'est nécessaire, sauf de sensibiliser les sénateurs et le personnel à la nécessité de maintenir la confidentialité [...]

Les mots suivants ont été ajoutés:

[...] et d'établir des procédures de sécurité afin d'éviter la répétition de cette atteinte au privilège.

Il n'y a pas d'autre changement. Les procédures de sécurité consistent à numéroter les rapports, et cetera. Êtes-vous d'accord?

Des voix: D'accord.

La séance se poursuit à huis clos.


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