Délibérations du comité sénatorial permanent
des finances nationales
Fascicule 13 - Témoignages - Séance du 3 septembre 2003 - 14 heures
OTTAWA, le mercredi 3 septembre 2003
Le Comité permanent sénatorial des finances nationales, à qui a été confié l'examen du projet de loi C-25, Loi modernisant le régime de l'emploi et des relations de travail dans la fonction publique, modifiant la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur le Centre canadien de gestion et apportant des modifications corrélatives à d'autres lois, se réunit ce jour à 14 heures pour examiner le projet de loi.
Le sénateur Lowel Murray (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Honorables sénateurs, nous avons le quorum.
Notre premier témoin est le professeur Ed Ratushny qui, entre autres, est consultant à la Commission canadienne des droits de la personne. Il est connu dans son travail dans ce domaine. Il est professeur de droit à l'Université d'Ottawa et ancien directeur du Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne. Ses domaines d'expertise, comme vous le verrez dans les documents que l'on vous a fournis, comprennent le droit constitutionnel, le droit administratif, le droit relatif aux droits de la personne, à l'immigration, aux transports, à la concurrence, au travail et aux sports. Je vous invite à ne pas le questionner sur toute la panoplie de domaines dont il est spécialiste, mais plutôt de vous concentrer sur les raisons de sa présence ici.
Si vous avez lu attentivement vos notes d'information, ce dont je ne doute pas, vous avez vu que Mary Gusella, présidente de la Commission canadienne des droits de la personne, m'a écrit en juin dernier pour exprimer ses préoccupations vis-à-vis des procédures de redressement prévues par le projet de loi, parce que la Commission et elle- même pensent que certaines dispositions relatives aux procédures de redressement entraveront indûment la capacité de l'organisme d'exécuter le mandat qui lui est imparti par la loi.
La Commission a demandé au professeur Ratushny d'effectuer une analyse juridique indépendante des effets que le projet de loi risquait d'avoir sur son bon fonctionnement. Dans son exposé, dit-elle, le professeur Ratushny confirme les préoccupations soulevées antérieurement par la Commission et propose, comme solution, d'apporter quelques changements simples au texte législatif. Elle joint une copie de cette opinion.
Tout cela vous a été envoyé. Je suis heureux que le professeur Ratushny se soit libéré cet après-midi pour traiter de ces questions avec nous.
Sans plus attendre, monsieur Ratushny, bienvenue parmi nous. Vous pouvez commencer.
M. Ed Ratushny, professeur de droit et, consultant à la Commission canadienne des droits de la personne: On m'a demandé de parler pendant cinq ou dix minutes pour pouvoir ensuite participer à une discussion si vous le souhaitiez sur ces questions. Je vais traiter d'une petite mais importante facette du projet de loi, c'est-à-dire l'incidence de celle-ci sur le rôle de la Commission canadienne des droits de la personne.
Dans l'analyse que l'on vous a fournie, je commence par proposer qu'il existe de nombreux éléments positifs de ce projet de loi. L'idée de résoudre tous les différends en une audience au début, notamment les questions relatives aux droits de la personne, est très bonne. C'est une bonne idée parce qu'elle aide les gens à prendre conscience des droits de la personne dans leur milieu de travail, et à les intégrer dans celui-ci. Elle a une fonction éducative pour l'arbitre et pour les personnes touchées par elle.
L'approche générale est bonne. La difficulté, c'est que la Commission canadienne des droits de la personne a le rôle dominant de traiter des questions relatives aux droits de la personne au Canada — éducation, mise en application de dispositions non discriminatoires, etc. Ce rôle est enterré par ce projet de loi. Je voudrais mettre en lumière ce qui me semble être le problème. La solution proposée dans le projet de loi semble être inadéquate. Je suggérerais un tout petit amendement qui, selon moi, réglerait le problème.
La loi reconnaît la responsabilité dominante de la Commission canadienne des droits de la personne et prévoit une disposition pour que la Commission intervienne dans des cas précis, vraisemblablement pour présenter son rôle en la matière. Si un grief déposé par un employé comprend une question relative aux droits de la personne, la loi prévoit que la Commission des droits de la personne peut intervenir pour faire valoir ces inquiétudes plus importantes relatives aux droits de la personne.
Plusieurs problèmes se posent avec cette approche. D'abord, dans le cas des griefs, il s'agit essentiellement d'une question de contrat. C'est un différend entre deux parties, l'employeur et l'employé. La législation sur les droits de la personne comporte une dimension beaucoup plus large. Selon nos tribunaux, elle a une valeur fondamentale, presque constitutionnelle. La Cour suprême l'a dit dans beaucoup d'affaires. S'il existe un conflit entre la législation sur les droits de la personne et toute autre loi, celle sur les droits de la personne doit avoir préséance. Par conséquent, ce n'est pas la bonne tribune pour soulever ces questions plus vastes.
Ensuite, la loi permet au plaignant, une fois qu'un grief a été déposé, de se tourner vers la Commission des droits de la personne avec sa plainte s'il n'est pas satisfait de la façon dont les questions relatives aux droits de la personne ont été traitées. Cela met la commission dans une situation très inconfortable. Si la commission est intervenue, en tant que partie, elle défend sa cause avant l'arbitrage. Ensuite, le plaignant demande à la commission de se prononcer sur les questions relatives aux droits de la personne. Il existe un conflit entre ces deux rôles. Je prévois de nombreuses contestations judiciaires auprès des tribunaux fédéraux du Canada parce qu'on ne reconnaît pas cette partialité possible dans le rôle de la commission.
Le mémoire expose de façon plus détaillée l'importance de la Commission des droits de la personne dans ce rôle. Le Parlement — c'est-à-dire vous — a donné à la Commission des droits de la personne la grande responsabilité d'administrer cette loi importante, qui est presque constitutionnelle. Les commissaires ont le même mandat que les juges des tribunaux supérieurs. La norme pour leur destitution est une demande aux deux chambres du Parlement. Par conséquent, la législation indique qu'il s'agit d'un rôle spécial, très important, auquel on ne devrait pas toucher.
Le Comité La Forest sur la législation des droits de la personne a produit un rapport important. Ce comité a fait une étude exhaustive des commissions des droits de la personne au Canada, surtout la commission fédérale, et a formulé plusieurs recommandations. À la page 4 de mon analyse, j'énumère certains des objectifs précis qui, selon le Comité La Forest, doivent faire partie de la législation sur les droits de la personne — un processus de règlement des plaintes rapide, un pouvoir d'établir des règles, l'information en matière de politique. Ce sont les valeurs dominantes que font valoir les commissions des droits de la personne lorsqu'elles traitent des questions relatives aux droits de la personne.
Ce sont, je pense, des valeurs qui doivent être intégrées à cette loi. Ce que je propose, c'est qu'au lieu d'essayer de faire intervenir la commission dans ces arbitrages en tant que partie, c'est tout simplement de la prévenir et de lui permettre de mettre en évidence les cas où les circonstances exceptionnelles justifient un examen approfondi des questions relatives aux droits de la personne.
Au bas de la page 5 de mon mémoire, la version anglaise, l'article 210 stipule actuellement que lorsqu'un grief individuel est renvoyé à l'arbitrage et qu'une des parties soulève une question liée à l'interprétation ou à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, cette partie doit donner avis à la Commission canadienne des droits de la personne. C'est bien. Il faut prévenir la commission de ces cas qui touchent aux droits de la personne. Le paragraphe (2) prévoit que la commission peut intervenir et devenir une partie. Je recommande que l'on amende cet article pour éliminer la capacité d'intervention de la commission et créer plutôt une possibilité, un droit de la commission, de retirer les cas exceptionnels de ce processus et de les traiter en tant qu'affaires concernant les droits de la personne.
Ces circonstances exceptionnelles signifient que cela ne se produirait que lorsque des facteurs importants entrent en jeu, c'est-à-dire lorsqu'il y a la question d'établissement des règles, lorsqu'il devrait y avoir une règle générale qui s'applique à beaucoup de cas, pas seulement à celui-ci, lorsqu'il existe des considérations politiques ou lorsque le résultat de cette affaire peut nuire aux droits de beaucoup d'autres personnes qui seraient confrontées aux mêmes problèmes. Dans ces circonstances exceptionnelles, c'est-à-dire quand il ne s'agit pas simplement d'un grief entre un employeur et un employé, la Commission des droits de la personne devrait se saisir de l'affaire et la traiter en tant qu'affaire relative aux droits de la personne — et traiter de tous ses aspects.
Comme je l'ai dit plus tôt, la loi actuelle permet quand même au plaignant de se tourner vers la Commission après l'arbitrage. Le problème, c'est que cela se fera de façon ponctuelle et généralement, le plaignant ne sera pas satisfait du résultat. Il ne s'agira pas d'une approche fondée sur des principes précis qui permettra de sélectionner les cas réellement exceptionnels qui méritent vraiment cette considération particulière.
Je propose un processus expéditif pour que la commission décide, en 30 jours, par exemple, si elle souhaite entendre l'affaire ou non. Dans la grande majorité de ces cas, la commission n'aurait pas les ressources nécessaires pour les entendre toutes. La commission ne voit aucun problème à ce que les arbitres tranchent.
Pour résumer les aspects importants de mon exposé, d'abord, il y a le rôle très spécial de la Commission canadienne des droits de la personne, la responsabilité que le Parlement lui a donnée en vertu de la législation, la tentative, par le biais du projet de loi, de lui fournir la possibilité de participer au processus, bien que le choix du mode d'intervention soit tout à fait inapproprié. Il faudrait notifier la commission de la même façon, mais au lieu de la faire intervenir dans l'arbitrage, elle devrait pouvoir sélectionner les affaires particulières et les traiter en tant qu'affaires concernant les droits de la personne.
Le sénateur Kinsella: Je suis heureux que le professeur Ratushny ait soulevé cette question avec nous, parce qu'elle est inquiétante. Dans mon esprit, une partie du problème n'a pas trait seulement à ce projet de loi, mais aussi à l'expérience acquise avec la Loi canadienne sur les droits de la personne et les deux rôles très distincts que jouent la Commission canadienne des droits de la personne d'une part et le tribunal d'autre part. Contrairement à la situation dans de nombreuses provinces, la relation entre la Commission canadienne des droits de la personne et les commissions d'enquête est beaucoup plus étroite et fluide.
Si l'on retirait toute cette partie et si, pour les allégations de discrimination fondée sur les motifs de distinction illicite décrits dans la Loi sur les droits de la personne, les fonctionnaires, comme c'est le cas actuellement, sollicitaient la Commission canadienne des droits de la personne, pensez-vous que ce serait un meilleur système que celui-ci? Pourquoi le modifier? En d'autres mots: selon vous, qu'est-ce qui ne fonctionne pas et que permet de régler ce changement?
M. Ratushny: Je pense que c'est une bonne chose de pouvoir aborder tous les aspects d'un grief au même moment — en d'autres mots, une question de discipline ou autre, mêlée à une allégation de discrimination raciale, par exemple. Si l'on peut régler toutes ces questions simultanément, c'est plus efficace. Comme je l'ai dit plus tôt dans mon exposé, c'est aussi important pour le milieu de travail, pour que l'on prenne plus conscience des questions relatives aux droits de la personne. C'est une façon d'éduquer les arbitres et les employés. Il y a un aspect éducatif à cette méthode.
Dans la plupart des cas, la Commission canadienne des droits de la personne encourage généralement les plaignants à voir si les plaintes ne peuvent être résolues par le biais de la procédure de règlement des griefs, si c'est possible.
Vous avez soulevé quelque chose d'intéressant, qui concerne la législation sur les droits de la personne plutôt que ce projet de loi. Cependant, la Commission canadienne des droits de la personne est inondée de plaintes. La Forest, par exemple, recommande que certaines de ces plaintes soient examinées directement par le tribunal et que la Commission ne soit pas une étape préalable et superflue. J'ai cru comprendre, selon les propos de la nouvelle présidente de la commission, que l'accent sera mis plutôt sur une meilleure approche opérationnelle et procédurale que sur un changement législatif fondamental.
Pour être plus succinct, je crois que résoudre les questions relatives aux droits de la personne par le biais de la procédure d'arbitrage est une bonne chose, sauf pour les cas d'exception.
Le sénateur Kinsella: En vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, lorsque la commission décide qu'une affaire de discrimination est fondée et qu'elle n'a pas pu arriver à une entente et que cette affaire est renvoyée au tribunal, la commission, actuellement, a le droit de comparaître devant le tribunal, n'est-ce pas?
M. Ratushny: C'est exact.
Le sénateur Kinsella: Selon vous, le droit de comparaître devant le nouveau tribunal, accordé à la Commission des droits de la personne dans C-25, sera-t-il le même que celui dont jouit la commission auprès du Tribunal des droits de la personne?
M. Ratushny: Non. Il y a une distinction fondamentale entre les deux situations. Dans les causes ordinaires de droits de la personne, comme vous l'avez signalé, l'affaire va de la commission au tribunal, et le tribunal représente la dernière étape de la procédure, révision judiciaire à la Cour fédérale mise à part. Ici, en vertu du projet de loi, la commission intervient plus tôt dans le processus et l'affaire peut toujours lui revenir. C'est ce qui crée le problème de l'apparence de partialité.
Bien sûr, les tribunaux ont eu du fil à retordre avec la loi précédente. Dans certaines affaires, les tribunaux ont décidé que le rôle de la commission, c'est-à-dire d'entendre les causes, de les renvoyer ensuite au tribunal et d'en choisir les membres, créait une partialité. Avec l'expérience que vous avez, vous connaissez ces causes. C'est le genre de problèmes que je prévois, ici.
Le sénateur Furey: Monsieur Ratushny, pensez-vous qu'il pourrait arriver qu'un employé interjette appel auprès du tribunal — son affaire ayant trait aux droits de la personne — mais que pendant la procédure d'appel, avant la décision finale du tribunal, cet employé porte aussi plainte auprès de la Commission des droits de la personne? Si c'est possible, que se passera-t-il?
M. Ratushny: Je ne connais pas tous les détails du projet de loi, mais j'ai cru comprendre qu'on ne peut se rendre à la Commission des droits de la personne qu'une fois la procédure d'appel terminée. Je ne pense pas qu'on puisse le faire avant que la décision ne soit rendue.
Le sénateur Furey: Très bien. En répondant à une dernière question antérieure, vous avez dit qu'auparavant le tribunal représentait le dernier recours avant la Cour fédérale. Que se passera-t-il dorénavant? Qu'arrive-t-il si vous allez au tribunal avec une question relative aux droits de la personne? Les tribunaux vont-ils vous renvoyer chez vous en vous disant, «écoutez, vous n'êtes pas encore allé à la Commission des droits de la personne, vous n'êtes allé qu'au tribunal»? Cela va-t-il créer un problème?
M. Ratushny: Je prévois toutes sortes de problèmes de ce genre en matière de procédure. Je prévois des contestations judiciaires. Je prévois que cette procédure sera encombrée par ce genre de préoccupations et de contestations. Cependant, je pense que vous soulevez une préoccupation valable. Une solution facile à ce problème, c'est de permettre à la commission de choisir les affaires au préalable.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Je suis un profane dans ce domaine; je ne suis pas un spécialiste comme vous. Un fonctionnaire ordinaire qui ne connaît pas toutes les lois, doit, d'après ce que j'ai compris, exercer d'abord son droit de recourir au tribunal de la fonction publique avant d'aller à la commission? La Loi sur les droits de la personne dit très bien qu'on doit épuiser toutes les avenues avant d'avoirs recours à eux. Est-ce que je me trompe?
[Traduction]
M. Ratushny: Oui. Il y a un petit détail, cependant. La Cour fédérale, dans ses interprétations, a dit que la commission devait les envoyer au tribunal. En d'autres mots, ils doivent déposer leur plainte auprès de la commission et celle-ci doit ensuite décider si vous repartez et épuisez les autres recours possibles avant de revenir devant la commission. C'est une autre chose qui serait éliminée par ma proposition.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Le fonctionnaire qui a prêté un serment d'office et a des obligations envers son employeur constate qu'il est maltraité. Il veut se plaindre à la Commission. Il ne peut donc pas y aller avant d'aller au tribunal de la fonction publique. Est-ce que je me trompe?
[Traduction]
M. Ratushny: Oui, c'est exactement ce qui se produirait. La personne irait au tribunal dans tous les cas et l'on propose que cela continue. Ce ne serait que dans les affaires qui concernent des questions relatives aux droits de la personne d'abord et ensuite, une question exceptionnelle de droits de la personne.
[Français]
Le sénateur Gauthier: On me dit que les membres du tribunal n'auraient pas la formation nécessaire ni les connaissances voulues pour juger une cause des droits de la personne. S'il n'est pas prévu dans la loi que les membres de ce tribunal aient une formation spécialisée dans le domaine, ils sont absolument en dehors de l'affaire.
[Traduction]
Le sénateur Gauthier: Ai-je raison de conclure qu'il n'y a rien dans la loi qui précise que ces membres du tribunal doivent avoir une certaine formation ou expérience dans le domaine des droits de la personne?
M. Ratushny: Vous avez tout à fait raison, et je crois que c'est extrêmement important. En fait, dans mon mémoire, j'ai mis en évidence des exigences précises en ce qui concerne la formation des membres du tribunal, par opposition à la formation que l'on exige des membres de la Commission des droits de la personne.
La formation exigée pour un membre du tribunal, c'est simplement d'être au courant de l'arbitrage du travail, ce genre de choses. Cependant, un membre de la commission, en plus de cela, doit avoir des connaissances et de l'expérience en ce qui concerne les droits de la personne et y être sensibilisés.
Par conséquent, le problème que vous soulevez, sénateur, est très important. Ces arbitres vont travailler avec cette loi sur les droits de la personne, dont certaines parties sont très complexes, ils vont s'occuper de beaucoup d'affaires judiciaires liées à la loi, et ils ne sont pas tenus d'avoir des connaissances spécialisées dans ce domaine. Je pense que les rédacteurs du projet de loi se sont dit: «Nous allons laisser la commission intervenir, lorsqu'elle le fera, elle pourra former ces arbitres au fur et à mesure».
C'est inefficace de procéder de cette façon. L'idéal serait que la Commission des droits de la personne mette sur pied des programmes de formation à l'intention des arbitres, afin de les aider à mieux comprendre les questions qui ont trait aux droits de la personne, à savoir ce qu'ils doivent faire, etc. Cependant, il ne conviendrait pas que la commission entende des intervenants qui plaident des causes devant elle, puis organise des séminaires pour leur expliquer comment trancher des questions relatives aux droits de la personne. C'est très important.
[Français]
Le sénateur Gauthier: J'ai toujours pensé que les tribunaux administratifs — que l'on appelle les commissions — ont été créés pour satisfaire un besoin d'avoir une certaine expertise et je comprends votre argument. Vous avez raison de dire qu'il faudra que la Commission offre au tribunal une formation en matière de droits de la personne. Autrement, nous aurons une jurisprudence intenable. Nous aurons des décisions qui ne seront pas appuyées par une loi telle que présentée par la Commission. Cela va être incompréhensible. Est-ce que je me trompe?
[Traduction]
M. Ratushny: Tout ce que je peux vous dire, sénateur, c'est bravo!
Le président: Monsieur Ratushny, dans la lettre que Mme Gusella nous a envoyée, à laquelle elle a joint votre analyse, elle nous dit que la commission a attiré l'attention de la ministre sur cette question. Je crois que la ministre et ses représentants se sont penchés sur la question et ont refusé de modifier le projet de loi en ce sens. Vous avez peut-être été au courant de ces discussions, et nous pouvons toujours poser la question à la ministre lorsqu'elle comparaîtra devant nous. Connaissez-vous la position du gouvernement? Pourquoi pense-t-il qu'il n'est pas nécessaire, voire que ce serait une erreur, d'amender le projet de loi comme vous l'avez suggéré?
Je remarque également que Mme Gusella nous dit que la commission a attiré l'attention du comité de la Chambre des communes sur cette question. Avez-vous comparu devant ce comité?
M. Ratushny: Non. Je n'ai pas été convié.
Le président: Ils ont amendé plusieurs détails du projet de loi, et la Chambre des communes a adopté les amendements. Savez-vous pourquoi ils ont refusé cette proposition?
M. Ratushny: D'abord, je n'ai pas travaillé avec la commission avant que la présidente ne me demande d'étudier le projet de loi et de rédiger une analyse. C'était en avril ou en mai. Je ne connais pas l'historique de la discussion entre la commission et les différents fonctionnaires qui préparaient le projet de loi.
Je ne sais pas pourquoi cette question n'a pas été réglée. Je ne sais pas si la recommandation particulière que j'ai faite a été proposée dans le passé. Elle est née de mon analyse, c'est un mécanisme qui pourrait régler ce problème, c'est pourquoi elle peut être unique et peut ne pas avoir été proposée auparavant. Cependant, quand est-ce que la commission a examiné cette question?
Le président: Au printemps dernier, en avril et mai.
M. Ratushny: C'était peut-être avant mon analyse.
Le président: Nous avons reçu le projet de loi en juin.
M. Ratushny: C'était peut-être avant que mon étude ne soit disponible, ou pendant, je n'en sais rien.
Le président: Chers collègues, nous sommes les premiers à la connaître.
Le sénateur Kinsella: Au sujet de ce que le sénateur Gauthier a dit par rapport aux connaissances et à l'expérience des membres de ce nouveau tribunal, l'alinéa 18(1)e) prévoit que les membres du conseil doivent avoir certaines connaissances ou une certaine expérience dans le domaine des relations du travail. Je me rappelle d'une partie de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui traitait des membres des tribunaux, parce que je me souviens de l'ébauche de cette partie, et nous étions très explicites en disant que pour être membre de ce tribunal, il fallait avoir de l'expérience et des connaissances spécialisées dans le domaine des droits de la personne.
Pensez-vous qu'il faudrait modifier le projet de loi au sujet des qualifications des membres du nouveau tribunal et, le cas échéant, quelle partie?
M. Ratushny: À titre de précision, au bas de la page 2, vous trouverez la version anglaise de mon analyse. On y lit que le paragraphe 18(1) dispose que les arbitres doivent «avoir de l'expérience ou des connaissances en matière de relations de travail». C'est l'avant-dernier paragraphe de mon analyse.
Les membres du tribunal doivent avoir une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisés et avoir un intérêt marqué pour ce domaine. C'est la disposition dont vous parlez.
Le sénateur Kinsella: Vous parlez des membres de la future commission des relations de travail dans la fonction publique.
M. Ratushny: Un membre de la commission des relations de travail dans la fonction publique doit avoir de l'expérience ou des connaissances en matière de relations de travail, mais, pour la commission, c'est le paragraphe 48.1(2), «une expérience et des compétences dans le domaine des droits de la personne, y être sensibilisé et avoir un intérêt marqué pour ce domaine».
Le sénateur Kinsella: Qu'en est-il des compétences nécessaires pour les membres du nouveau tribunal de la dotation de la fonction publique?
M. Ratushny: Il n'y a pas d'exigences qui ont trait au domaine des droits de la personne, et vous laissez entendre que peut-être le projet de loi devrait être modifié pour que ce soit le cas.
Le sénateur Kinsella: C'est la question que je vous pose.
M. Ratushny: Ce serait bien. Je pense que cela aiderait. Plus ces gens-là ont de l'expérience, mieux c'est. Le sénateur Gauthier a signalé tout à l'heure que les tribunaux administratifs — et vous le savez mieux que personne — sont souvent conçus pour mettre en commun l'expertise de chacun et en tirer parti. La composante des droits de la personne est relativement faible, me semble-t-il, par rapport à celle du travail. Par conséquent, si l'on avait les exigences actuelles, mais qu'elles étaient contrôlées par la Commission des droits de la personne, vous pourriez résoudre ce problème, si vous les formiez au fur et à mesure, etc.
Le sénateur Gauthier: À titre de précision, avez-vous dit que la commission était quasi-tribunal?
M. Ratushny: C'est exact.
Le sénateur Gauthier: Si on l'invite à comparaître devant le tribunal en tant qu'intervenant et qu'elle refuse pour motif de partialité, parce qu'elle pense qu'en comparaissant, cela nuirait à son opinion et à son jugement, est-ce qu'elle le pourrait?
M. Ratushny: Je pense que c'est ce qu'elle devra faire. Ce sera très difficile pour la commission de témoigner en tant qu'intervenant. Je pense qu'il faudrait faire en sorte qu'elle n'intervienne pas. Sinon, elle compromettrait son rôle si quelqu'un sollicitait l'aide de la commission par la suite.
Le sénateur Gauthier: Alors vous conseillez aux fonctionnaires de ne pas aller au tribunal, mais d'aller à la commission?
M. Ratushny: Il faut faire attention lorsqu'on donne un conseil, mais je pense que si vous voulez un règlement rapide de votre différend, le tribunal, en vertu de la loi, serait plus rapide. Si vous pensez que la question relative aux droits de la personne est compliquée et que le tribunal pourrait ne pas la comprendre, alors il vaut mieux conseiller d'aller à la commission.
Le sénateur Oliver: Ma question sera rapide, parce que le président a déjà posé la question que je voulais vous poser au sujet de la lettre de Mme Gusella, mais je voudrais aller un peu plus loin dans cette voie. Est-il possible de résoudre le problème que vous avez identifié, dans votre analyse, autrement que par un amendement au projet de loi?
M. Ratushny: Je ne pense pas, parce que c'est le projet de loi qui tente de résoudre le problème en ayant un intervenant. C'est mal conçu et il faudrait une autre approche.
Le sénateur Oliver: En d'autres mots, est-il possible d'apporter ce changement par le biais d'un règlement ou d'une directive?
M. Ratushny: Un règlement ne peut pas contredire la loi, alors je pense que cela créera des problèmes.
Le sénateur Oliver: Donc, il faut un amendement.
M. Ratushny: Je le pense.
Le sénateur Oliver: Si l'on envisage un amendement tel que celui que vous avez proposé dans votre témoignage initial, faut-il aussi énumérer les circonstances exceptionnelles que vous avez tirées du rapport La Forest afin qu'il y ait des directives pour savoir quand une affaire doit aller à la commission?
M. Ratushny: Oui, ce serait une très bonne chose et ce pourrait être inclus dans les règlements.
Le sénateur Oliver: Qu'est-ce qu'une circonstance exceptionnelle?
M. Ratushny: Une circonstance exceptionnelle telle que définie dans les règlements, et ensuite vous pourriez consulter les règlements.
Le sénateur Ringuette: Ma question ressemble à celle du sénateur Oliver. Je n'ai pas de formation juridique et je me demande ce qu'est une circonstance exceptionnelle. Comment définissez-vous une circonstance exceptionnelle? Vous avez dit que cela pourrait être défini dans les règlements.
M. Ratushny: Oui, et l'exemple que j'ai donné est tiré du rapport La Forest. Ce comité a entendu beaucoup d'exposés de différents groupes et produit une liste que vous retrouverez au haut de la page 6 de la version anglaise de mon mémoire.
Est-ce que la demande soulève un cas sérieux de discrimination systémique? Si ce n'est pas seulement un différend entre un employé et un employeur, mais qu'il s'agit d'une question systémique, il faut l'étudier plus en détail et voir en quoi elle est liée à d'autres questions. La demande soulève-t-elle un nouveau point de droit ou peut-elle en régler un en suspens, lorsque le règlement d'un différend donné a des incidences sur d'autres affaires, même des affaires qui n'existent pas encore, dans la mesure où ce différend permet de rendre la loi plus claire, etc.? La demande revêt-elle une complexité et une importance qui requièrent l'expertise dont nous parlions plus tôt?
Je pense que ce sont là de très bons critères.
Le sénateur Bolduc: J'aimerais des explications au sujet de votre proposition.
[Français]
Vous dites que la commission pourrait renvoyer ces questions pour arbitrage au Tribunal de la dotation de la fonction publique?
[Traduction]
Sur l'initiative de qui?
M. Ratushny: Ce serait l'initiative de la commission.
Le sénateur Bolduc: Elle aurait un rôle de surveillance de cette procédure?
M. Ratushny: Exactement. La commission est informée de chaque affaire concernant les droits de la personne.
Le sénateur Kinsella: Est-ce exact qu'en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, actuellement la commission fédérale peut déposer des plaintes?
M. Ratushny: Oui.
Le sénateur Kinsella: Qu'en est-il de l'étude du processus prévue dans le projet de loi C-25, peut-on également déposer des plaintes? En d'autres mots, si la Commission des droits de la personne appréhende un problème systémique et décide de déposer une plainte sous ce régime, peut-elle le faire?
M. Ratushny: Oui, d'ailleurs c'est une autre très bonne suggestion que vous faites. En vertu de la loi, une partie de la responsabilité de la Commission des droits de la personne est de surveiller la discrimination lorsqu'elle se produit et d'en faire rapport au Parlement. Si elle remarque que ces plaintes viennent de la fonction publique et que certaines tendances témoignent d'un problème systémique, elle pourrait amorcer quelque chose de ce genre et ce serait très utile.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Une autre question hypothétique, professeur.
M. Ratushny: Les professeurs ont l'habitude!
Le sénateur Gauthier: Prenons l'exemple d'un employé qui interjette appel au Tribunal de la dotation de la fonction publique et qui n'est pas satisfait de la décision. Selon le projet de loi C-25, cet employé pourrait avoir droit d'appel à la Cour fédérale dans des circonstances spécifiques. Mais pourrait-il se présenter à la Cour fédérale en appel de la décision du Tribunal de la dotation de la fonction publique?
[Traduction]
M. Ratushny: L'appel est une créature de la loi. Vous ne pouvez interjeter appel que lorsque la loi le prévoit, alors que la révision judiciaire est plus facilement possible. Par conséquent, même s'il n'y a pas d'appel à la Cour fédérale, la révision judiciaire est possible. Comme vous le savez, les motifs qui justifient une révision judiciaire sont exposés dans la Loi sur la Cour fédérale elle-même. Ainsi, la révision judiciaire serait certainement possible.
Le sénateur Furey: Je voudrais revenir à la question du sénateur Oliver, qui a été très direct au sujet de votre amendement. Il a signalé qu'il n'était pas possible de résoudre ce problème autrement que par un amendement. La loi peut-elle passer telle quelle et survivra-t-elle aux problèmes que vous envisagez, le système judiciaire et la jurisprudence?
M. Ratushny: Je suppose que c'est possible, mais il faudrait régler ce problème d'une façon ou d'une autre. Je pense qu'il faudra un amendement dans l'avenir à cause des poursuites judiciaires, etc. Il me semble que vous, en tant que législateurs, avez la possibilité de régler cette question de façon à éviter ces problèmes. C'est toujours mieux de le faire par le biais de la loi, quand c'est possible, plutôt que de s'en remettre aux tribunaux.
Le président: Nous en resterons là. Nous vous remercions de votre étude et de l'opinion que vous avez donnée à la Commission canadienne des droits de la personne sur cette question.
Honorables sénateurs, notre prochain témoin est la vérificatrice générale du Canada, Mme Sheila Fraser, qui a énormément contribué aux travaux de notre comité. À notre tour, nous avons essayé de l'aider, elle et son équipe, pour faire avancer les questions d'intérêt mutuel.
Nous sommes heureux de vous accueillir à nouveau, madame Fraser. Vous avez la parole.
Mme Sheila Fraser, vérificatrice générale du Canada: Nous vous remercions de nous donner l'occasion de comparaître devant le comité pour discuter du projet de loi C-25, Loi sur la modernisation de la fonction publique. Je suis accompagnée aujourd'hui de Jean Ste-Marie, vérificateur adjoint, et de Claude Brunette, directeur de l'équipe de vérification de la gestion des ressources humaines, qui sont chargés de la plupart de nos travaux de vérification sur ce sujet.
Nous avons déclaré que la qualité du gouvernement repose sur le rendement des fonctionnaires. Le mode de recrutement, la formation, la gestion des fonctionnaires et la façon dont ils sont traités influent grandement sur l'efficacité de la fonction publique. Les coûts du personnel représentent un investissement important qu'il faut bien gérer. Nos travaux de vérification antérieurs avaient fait ressortir l'importance de revoir la loi.
Monsieur le président, le projet de loi C-25, Loi sur la modernisation de la fonction publique, vise à modifier, de façon substantielle, le cadre législatif et institutionnel de la gestion des ressources humaines dans la fonction publique. Nous avons suivi avec intérêt les travaux du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires des derniers mois ainsi que les débats de la Chambre.
[Français]
Si la loi est adoptée, le rôle du Conseil du Trésor sera nettement élargi en raison de la consolidation de ses responsabilités à titre d'employeur. Nous sommes heureux de constater que le rôle confié au Conseil du Trésor englobera le dépôt de rapports au Parlement sur les questions de gestion des ressources humaines. Cette approche permettra de mettre fin à certaines de nos préoccupations au sujet de la fragmentation des rôles et responsabilités et de l'obligation de faire rapport.
Le projet de loi C-25 vient également modifier le régime de dotation. En plus de décrire les concepts et les valeurs clés de la fonction publique, il définit la notion de mérite. Il établit une nouvelle procédure de recours quant à la dotation et change les règles qui régissent les activités politiques. Les modifications proposées au régime de dotation correspondent aux constatations de nos rapports précédents portant sur notre vérification du recrutement.
La Commission de la fonction publique se concentrera à nouveau sur son mandat principal, soit le régime de dotation ainsi que la protection du mérite et de la neutralité de la fonction publique. Elle fera rapport annuellement au Parlement sur les activités menées dans le cadre de son nouveau mandat et pourra également recourir à une autre disposition spéciale pour faire rapport sur d'autres questions importantes ou urgentes, ce qui se rapproche de notre propre loi.
Le projet de loi rendra les sous-ministres responsables sur le plan juridique de nombreux aspects de la gestion des ressources humaines. Cependant, dans des domaines comme la dotation, le gouvernement se servira d'un modèle de régie déléguée. Les aspects pratiques de la responsabilisation à l'égard de ces nouveaux pouvoirs restent encore à définir.
[Traduction]
Monsieur le président, à nos yeux, ces propositions permettront d'améliorer le système actuel. Nous sommes d'avis que si ce projet de loi est adopté, il contribuera à la réforme de la gestion des ressources humaines. Au fil des années, la jurisprudence a fait que le système actuel est devenu rigide et normatif. En ces temps modernes caractérisés par des demandes qui changent rapidement, la fonction publique doit être en mesure de réagir plus habilement. Nous savons que le projet de loi C-25 ne couvre pas tout, mais il représente une étape importante dans la réforme de la gestion des ressources humaines.
Nous sommes heureux également de voir que la nouvelle loi prévoit un examen législatif après une période définie de cinq ans. Le Parlement sera ainsi en mesure d'évaluer l'incidence de sa nouvelle loi sur la fonction publique et de proposer les changements ou les améliorations nécessaires. Il sera crucial que le gouvernement dispose de moyens de surveillance efficaces afin de faire en sorte que les enjeux soient bien compris et pris en charge comme il se doit, et que des données d'analyse suffisantes soient recueillies aux fins de l'examen après cinq ans.
Il est important de souligner que les propositions législatives ne sont qu'un élément de la modernisation des pratiques de gestion des ressources humaines. L'ensemble du cadre de la gestion des ressources humaines doit être revu afin de tenir compte non seulement des nouvelles exigences législatives, mais aussi des nouvelles attentes en matière de gestion telles que le recrutement et la classification.
De plus, étant donné l'importance des modifications proposées, il faudra bien gérer et appuyer la transition. Ainsi, il faudra donner de la formation et préciser les attentes. Il faudra également des ressources suffisantes pour assurer le succès de cette initiative.
[Français]
Il faudra maintenir cette impulsion à long terme. Pour ce faire, les hauts fonctionnaires devront faire preuve de leadership et le Parlement devra s'engager à surveiller la mise en œuvre des initiatives de modernisation et à suivre les progrès. Mon organisme compte suivre la situation de près et rendra compte au Parlement des progrès réalisés.
[Traduction]
Monsieur le président, nous serions heureux de répondre aux questions des membres du comité.
[Français]
Le sénateur Bolduc: Ma première question portera sur les organismes qui ne font désormais plus partie de la fonction publique. Le professeur Hodgetts nous a parlé hier de ce qu'il appelait une structure en quelque sorte hérétique, où les composantes ne sont pas tout à fait dans le système. Faites-vous la vérification de l'Agence canadienne des douanes et du revenu?
Mme Fraser: Nous sommes vérificateurs de l'Agence canadienne des douanes et du revenu, de l'Agence canadienne d'inspection des aliments, de Parcs Canada et de plusieurs agences qui ne font pas partie de la fonction publique.
Le sénateur Bolduc: Depuis la nouvelle loi sur l'Agence canadienne des douanes et du revenu, avez-vous eu l'occasion d'examiner le modèle qu'elle a adopté pour la gestion du personnel? Dans l'affirmative, est-ce un modèle efficace?
Mme Fraser: Nous n'avons pas fait de vérification comme telle de toute la gestion des ressources humaines. Nous avons, dans le cadre de nos vérifications de certains services de l'agence, examiné les pratiques de gestion des ressources humaines. En ce qui a trait à l'impôt international, nous avons examiné les compétences et les difficultés de recrutement. Toutefois, nous n'avons pas examiné le cadre de gestion complet.
D'ailleurs, nous avons une vérification prévue en 2005 où nous voulons justement revoir les pratiques de gestion des ressources humaines et surtout constater si l'on peut profiter du modèle de l'agence, qui donne beaucoup plus de flexibilité. Et y a-t-il des leçons à prendre de l'agence qui pourraient s'appliquer à d'autres ministères et à d'autres entités?
Le sénateur Bolduc: Pour l'instant, cela me va.
Le sénateur Gauthier: Je vais vous poser les mêmes questions que j'ai posées à M. Desautels ce matin. Vos ressources financières sont en quelque sorte surveillées et contrôlées par le Conseil du Trésor. Vous êtes un haut fonctionnaire du Parlement canadien. Il y en a cinq. Êtes-vous satisfaite de la façon dont vos budgets sont établis par le Conseil du Trésor? J'ai posé la question à M. Desautels mais il a dit qu'il n'avait pas pu trouver une solution acceptable. On pourrait, dit-il, imiter les Anglais de Londres où la législature adopte les crédits. Comment pensez-vous être indépendants quand vous dépendez de leur contrôle financier?
Mme Fraser: Le bureau a soulevé cette préoccupation depuis quelques années. En fait, nous devons procéder de la même façon que n'importe quel ministère et parfois avoir à négocier nos ressources financières avec le secrétariat du Conseil du Trésor. Il y a un risque de conflit et d'atteinte à l'indépendance du bureau. Jusqu'à présent, nous avons réussi à nous entendre. Je crois que nous avons eu les fonds dont nous avions besoin pour fonctionner mais la situation n'est pas idéale. Lors d'un financement additionnel il y a deux ans, nous nous sommes entendus avec le gouvernement pour procéder à une étude pour trouver un mécanisme qui assurerait plus d'indépendance au bureau sur la question du financement.
Nous sommes actuellement en discussion avec le secrétariat et j'ose croire que d'ici un mois ou deux, nous aurons une proposition concrète à vous présenter et à présenter à la Chambre des communes sur un modèle de fonctionnement. Ce ne serait pas celui de l'Angleterre où c'est une commission parlementaire qui étudie la question des ressources financières mais en se servant quand même du comité des comptes publics duquel on relève et qui étudie notre rapport de rendement. J'ai bon espoir qu'on va arriver à une solution convenable pour tous.
Le sénateur Gauthier: La raison pour laquelle je vous pose cette question, c'est que dans le projet de loi C-25, il y a une certaine cession des droits de gestion qui sont délégués aux sous-ministres. Ce qui m'irrite un peu, c'est que je sais que les sous-ministres se rencontrent régulièrement pour parler de direction et de politique du gouvernement. Avez- vous déjà participé à ces réunions?
Mme Fraser: Non, moi je n'y participe pas. Je trouve que comme agent indépendant du gouvernement, je ne devrais pas assister à des rencontres de cette nature.
Le sénateur Gauthier: Votre prédécesseur, M. Desautels, a dit qu'il participait à un comité consultatif du Conseil privé et du Conseil du Trésor. Participez-vous à ces comités?
Mme Fraser: Non, je n'y participe pas. Il n'y participait pas lorsqu'il était en poste. Maintenant qu'il est à la retraite, il y participe.
Le sénateur Gauthier: Mais vous, vous ne participez pas?
Mme Fraser: Non, pas du tout.
Le sénateur Gauthier: Dans le projet de loi C-25, il n'est pas fait mention de la formation linguistique. Je connais votre intérêt sur le sujet, pourriez-vous nous donner des renseignements? Où ira la formation linguistique dans le nouveau cadre administratif? Qui va s'occuper de la formation linguistique? L'on nous dit que c'est la Commission de la fonction publique. Avez-vous des renseignements à ce propos?
Mme Fraser: Je n'ai pas plus de renseignements que vous. Je sais que cela n'a pas encore été décidé exactement où ira la formation linguistique. Je suis d'accord avec vous, c'est une question très importante et il faudrait éclaircir les rôles et les responsabilités à cet égard.
Le sénateur Gauthier: La formation, ce sont des besoins d'aujourd'hui, ce sont des besoins de demain. Et vous, vous avez besoin de regarder vers l'avant. Alors on va donner aux sous-ministres la responsabilité du perfectionnement. La formation va relever de la Commission. On va avoir un genre d'organisation où chaque ministère aura un programme de perfectionnement pour son personnel puis la Commission de la fonction publique sera responsable de la formation de tous les fonctionnaires.
Mme Fraser: Je ne sais pas si on a regardé cela en détail. Comme je l'ai mentionné, il y a beaucoup de détails et d'aspects opérationnels qui doivent être étudiés et éclairés quant à la transition et à la mise en oeuvre, c'est très important. Je soulèverai encore la question des ressources qui seront mises pour cette initiative pour la mener à bien. Il faudra que des gens étudient ces questions et qu'ils puissent y mettre le temps qu'il faut pour s'assurer que cela fonctionne convenablement.
[Traduction]
Le sénateur Kinsella: Je me demande si la vérificatrice générale voudrait nous dire si elle pense qu'un mécanisme de dénonciation est approprié dans une fonction publique moderne?
Mme Fraser: Ce n'est pas une question sur laquelle nous nous sommes penchés en tant que telle, pour l'instant, mais je vous dirais qu'un rapport prévu pour novembre au sujet des valeurs et de l'éthique abordera sans doute la dénonciation. Je pense que c'est un sujet qui mérite d'être examiné. Je pense que l'on parle beaucoup de la dénonciation en ce moment, et que l'on se demande si une loi à ce sujet est nécessaire.
Il va falloir qu'on vérifie s'il a été efficace ailleurs dans le monde. Cela marcherait-il dans notre société? Pourquoi? Quels sont les problèmes inhérents aux mécanismes actuels dont on dispose? Pourquoi ne sont-ils pas utilisés? Je pense que l'agent de l'intégrité de la fonction publique va publier un rapport dans le courant du mois. Il aura certainement des observations très intéressantes car il s'agit là d'un domaine important qui demande une réflexion approfondie.
Je pense également que toute la fonction publique devrait être concernée, qu'on ne devrait pas limiter l'application, comme dans le cas du projet de loi C-25. Il faut qu'on s'attarde sur cette question.
Le sénateur Kinsella: Un des thèmes qui a retenu mon attention pendant les audiences, c'est l'étude sur la classification. Je m'inquiète d'entendre que l'on devrait passer beaucoup de temps à étudier ce genre de choses. Est-ce bien vrai que l'étude a déjà coûté plusieurs millions de dollars?
Mme Fraser: Au moins, oui.
Ce ne sont que les coûts directs découlant de la norme générale de classification — NGC. Ce montant ne prend pas en compte le temps qu'ont passé des milliers et des milliers de fonctionnaires à rédiger des descriptions d'emploi et tout le reste; donc, il ne serait pas exagéré de dire que tout cela a coûté des centaines de millions de dollars.
Le sénateur Kinsella: Notre comité étudie depuis quelque temps la dénonciation, ce qui n'a certainement pas coûté plusieurs millions de dollars.
Lors de nos discussions avec d'autres témoins, la question de la relation fonctionnelle entre le président de la Commission de la fonction publique et l'ensemble des sous-ministres a été soulevée. Certaines théories bizarres, selon moi, ont été élaborées.
Ne rencontrez-vous pas, comme d'ailleurs vos prédécesseurs, les sous-ministres assez régulièrement? Les administrateurs généraux et la vérificatrice générale ne se rencontrent-ils pas pour déjeuner une fois par mois?
Mme Fraser: Il est vrai qu'on m'invite au déjeuner des sous-ministres, et j'y vais même de temps en temps. Mais cela est bien différent des petits déjeuners hebdomadaires où l'on discute de l'application des politiques. Les déjeuners, ce sont des occasions pour se retrouver et pour écouter un conférencier, ainsi que pour rencontrer les sous-ministres. J'en rencontre d'ailleurs de temps en temps dans le cadre de mes fonctions de vérification et fonctions connexes.
Étant donné le poste que j'occupe, il est important qu'on ne me conçoive pas comme faisant partie de la communauté des sous-ministres. Je ne dois pas non plus avoir le sentiment d'y appartenir. Lorsqu'on est chargé d'une fonction de vérification ou de contrôle, il ne faut pas en même temps prendre part aux décisions sur le fonctionnement du gouvernement. Il existe des limites qu'il ne faut pas dépasser.
Lors des vérifications préalables, nous avons soulevé le double rôle de la Commission de la fonction publique, à savoir la prestation de services et, en même temps, la fonction de contrôle. Ce projet de loi clarifie cette dualité. La commission accordera plus d'importance à la fonction de contrôle et devrait se départir des services. Je ne pense pas qu'elle puisse assumer les deux à la fois.
Le sénateur Kinsella: Appuyez-vous cette initiative?
Mme Fraser: Oui, tout à fait. Je pense qu'il est très important de clarifier les rôles.
Le sénateur Furey: Par le passé, vous avez signalé que l'utilisation de mesures correctives au sein de l'AFPC vous préoccupait. Il me semble que vous aviez peur que ces mesures aillent au-delà du rôle de vérification décrit dans la loi. Dans quelle mesure est-ce toujours une préoccupation?
Mme Fraser: Vous faites référence au rôle de vérification de la commission et à ses compétences en matière de mesures correctives?
Le sénateur Furey: Oui.
Mme Fraser: Je suis convaincue que ce sont les gestionnaires qui devraient assurer la gestion tout en devant rendre des comptes. Si la fonction de gestion est donnée à une tierce partie, alors la distinction n'est plus aussi claire.
La Commission de la fonction publique pourrait agir fermement. Elle pourrait retirer du projet de loi la délégation pour la dotation. Très franchement, c'est un gros morceau.
Les gestionnaires devraient être responsables de la gestion et devraient aussi rendre des comptes. Le rôle dont il est question ressemblerait à bien des égards à celui de vérificateur général dans la mesure où il fait état de ses constatations sans être responsable de la gestion financière. Il est important que ces rôles soient séparés.
Le sénateur Oliver: J'ai trouvé intéressantes vos réponses à certaines des questions du sénateur Gauthier se rapportant au financement du Bureau du vérificateur général, de sa relation avec le Conseil du Trésor et du modèle britannique.
Le projet de loi C-25 décrit le nouveau rôle de la Commission de la fonction publique. Comme vous venez de le dire au sénateur Kinsella, la commission va se départir de certaines obligations et pouvoirs, évitant ainsi de se retrouver dans une situation de conflit potentiel.
La commission ne risque-t-elle pas de se retrouver dans une situation de conflit d'intérêts si elle doit faire appel au Conseil du Trésor pour obtenir le financement nécessaire pour assumer son rôle de vérification plus étendu? Si oui, quelles sont vos recommandations à ce sujet?
Mme Fraser: Comme je l'ai dit précédemment, nous mettons au point avec le Secrétariat du Conseil du Trésor un mécanisme qui s'appliquerait de façon générale à tous les mandataires du Parlement.
Le sénateur Oliver: Y compris la Commission de la fonction publique?
Mme Fraser: C'est possible. Par contre, il faudrait clarifier le rôle de la commission. S'agit-il d'un mandataire du Parlement? Si oui, le mécanisme de financement pourrait effectivement s'appliquer à la commission, comme à bien d'autres organes.
D'autres entités sont dans la même situation. La Commission des droits de la personne en est un exemple.
En définitive, si l'administrateur d'un organisme trouve qu'il ne bénéficie pas d'un financement adéquat, il devrait pouvoir compter sur un mécanisme qui lui permettrait de faire appel au Parlement. La décision finale serait prise par le Parlement.
Le sénateur Oliver: Votre réponse est excellente. Merci beaucoup.
Le président: Nous avons entamé cette discussion il y a quelque temps. Le comité devrait peut-être envisager de la reprendre en automne.
Le sénateur Ringuette: Je voudrais tout d'abord vous féliciter de vos excellents rapports. Je les lis avec grand intérêt et je trouve toujours toutes sortes d'informations très intéressantes.
Si vous le permettez, je vais citer le rapport de mai 2003, sous la rubrique «Le Programme de recrutement postsecondaire de la fonction publique fédérale»:
Dans le suivi de 2002, nous avons constaté que certains ministères et le gouvernement dans son ensemble ont fait des progrès limités dans la planification des ressources humaines et l'établissement de telles cibles. Nous avons en outre constaté qu'ils n'ont pas analysé leurs besoins de recrutement et de renouvellement. Le gouvernement n'a pas, non plus, de profil complet des études et des compétences des personnes qui entrent dans la fonction publique par les diverses voies de recrutement.
Toujours à la même page, un peu plus loin, il est écrit:
Les ministères doivent trouver un juste équilibre entre embaucher pour doter des postes déjà vacants et recruter dans une optique stratégique [...]
Je comprends tout à fait ce que vous dites. Maintenant, je m'attarde à votre exposé d'aujourd'hui sur le projet de loi. Votre appui au projet de loi C-25 est-il un acte de foi conditionnel ou inconditionnel?
Mme Fraser: Nous appuyons le projet de loi C-25 parce que le système actuel ne fonctionne pas. Notre vérification de 1999 a démontré que le système des ressources humaines du gouvernement comptait 70 000 règlements. Il s'agit d'un vieux système qui n'a pas été adapté à notre période moderne.
La première chose à faire pour le mettre à jour, c'était de clarifier les rôles et responsabilités. Par contre, il ne faudrait pas penser que ce projet de loi va régler tous les problèmes. Ça me semble évident.
J'ai précisé dans mes remarques liminaires que le cadre des ressources humaines en entier doit être examiné. Il y a beaucoup de questions d'envergure à régler, dont la classification. Les études ont duré des années et ont coûté des centaines de millions de dollars, et pourtant les problèmes n'ont pas été résolus.
Le recrutement est un problème de taille. Une de nos enquêtes a dévoilé que dans 90 p. 100 des cas, les recrues de la fonction publique étaient des contractuels à court terme. On ne peut espérer bâtir une fonction publique solide en octroyant des contrats à court terme.
Il y a beaucoup de problèmes. Il y en a d'ailleurs une liste qui vont devoir être réglés. Il va falloir que le gouvernement s'en préoccupe et débloque les ressources nécessaires.
Pour moi, il s'agit d'une étape au sein du processus plus large. Peut-être s'agit-il d'une étape clé parce qu'un projet de loi indique une intention. Peut-être la prend-on plus au sérieux parce qu'une nouvelle loi va être adoptée, mais il ne faut pas penser qu'elle résoudra tous les problèmes.
Le sénateur Ringuette: Il n'y a aucune disposition du projet de loi C-25 qui mentionne ou exige une planification des ressources humaines aux fins de la délégation des pouvoirs.
Mme Fraser: Je suis d'accord.
Le sénateur Ringuette: On traite de la délégation des pouvoirs, mais dans le projet de loi C-25, les administrateurs généraux ou les gestionnaires ne sont aucunement tenus de démontrer une certaine responsabilité en matière de gestion en ayant au moins un plan des ressources humaines pour obtenir la délégation des pouvoirs.
Mme Fraser: Je ne suis pas convaincue que tous les petits détails doivent figurer dans le projet de loi. J'ose espérer que le rapport sur l'état des ressources humaines produit chaque année par le Secrétariat du Conseil du Trésor, par exemple, traitera de ce genre de questions et que le Parlement, notamment, s'intéressera à cette question en ciblant la planification et la gestion des ressources humaines.
Le sénateur Ringuette: Pour ce qui est des programmes de recrutement postsecondaire, vous avez indiqué que si la commission n'émet pas de directives pour qu'un ministère ait recours à un programme, ce dernier n'est pas appliqué. Comment le projet de loi C-25, la délégation et la séparation des pouvoirs avec la commission inciteront-ils les ministères à avoir recours au programme de recrutement postsecondaire?
Mme Fraser: Le programme de recrutement que nous avons étudié avait été grandement amélioré et était toujours relativement récent. Je pense que c'est au niveau du marketing qu'il va falloir faire un effort, si vous le permettez, pour inciter les ministères à en tirer profit. Je ne suis pas convaincue que la loi à elle seule permettra de réaliser les objectifs; il existe bien d'autres activités. Il faut que les ministères se rendent compte que le programme n'est pas compliqué, que les candidats qui en sortent sont compétents, qu'il est souple et utile. Il faut lancer beaucoup d'autres initiatives en parallèle à la loi, ou plutôt en plus de la loi, pour changer la façon dont on gère les ressources humaines.
[Français]
Le sénateur Chaput: C'est pour moi un plaisir d'écouter vos présentations. J'ai assisté à la présentation de vos dernières vérifications et j'avais trouvé cela très intéressant. Je lis attentivement les rapports de vérification des divers ministères.
Nous nous sentons en sécurité lorsque vous arrivez avec une vérification et qu'il y a des recommandations pour les corrections futures. Si je comprends bien, il me semble que vos ressources financières vous permettent de vérifier annuellement quatre ou cinq ministères?
Mme Fraser: Non. Nous faisons une vérification financière des comptes publics du Canada; nous avons donc une vérification financière d'environ 20 ou 25 ministères. De plus, dans notre pratique de vérification d'optimisation des ressources et des rapports, nous faisons une trentaine de rapports par année.
Le sénateur Chaput: Dans un projet de loi comme celui-ci qui met sur pied de nouvelles institutions telles que le tribunal et la nouvelle école de formation, est-ce que cela exigera de votre part beaucoup plus de travail en termes d'heures lorsque vous aurez à faire la vérification?
Mme Fraser: Pas nécessairement. Il est peu probable que ces entités aient des états financiers qui seront vérifiés à chaque année. Nous allons les mettre dans le cycle avec d'autres agences. Dans les dernières années, nous n'avons peut- être pas vérifié les plus petites agences et les tribunaux autant qu'on l'aurait souhaité. L'attention est souvent mise sur les ministères les plus importants en termes monétaires. Mais nous entreprenons une stratégie et une planification pour avoir une présence accrue. Il est certain que cela prendra des fonds additionnels, mais on vient de recevoir du financement à cet effet.
Le sénateur Bolduc: Madame, vous semblez relativement optimiste sur le progrès qu'il y a dans cette loi par rapport à l'ancien système. Je comprends que les cadres de l'administration dans les ministères sont satisfaits parce qu'ils auront des pouvoirs additionnels. La Commission a l'air satisfaite aussi parce que ses rôles sont clarifiés. Elle en a perdu quelques-uns, mais elle en a reçu d'autres et elle en est satisfaite. Le Conseil du Trésor augmente ses pouvoirs comme d'habitude et il est content. Il y aura un tribunal d'arbitrage général. Dans la première partie du projet, le Code du travail s'applique; les syndicats sont heureux. Il y a 250 articles, c'est un code du travail spécial pour la fonction publique. Quant à la fonction publique elle-même, pour l'emploi, il y a 135 articles, dont une trentaine concernent les questions de nomination et les préférences. Il y a sept articles seulement sur les préférences qui sont données à des groupes. On s'étend beaucoup sur les plaintes et les appels que les employés vont pouvoir faire. Il y avait auparavant une commission d'appel à l'intérieur de la Commission de la fonction publique; on en fait maintenant un tribunal. Donc, tout ce monde va être heureux. On permettra aux fonctionnaires cadres de faire de la politique!
Je vous avoue que pour un homme d'une autre génération, il y a beaucoup de choses qui me scandalisent, mais j'ai l'air seul à être scandalisé. Il y avait M. Hodgetts et M. Franks, hier, qui étaient scandalisés, mais de nombreux témoins nous ont dit que l'affaire est pas mal. Tout le monde est heureux et on continue. Dans la fonction publique, c'est bien beau les salaires et que le monde soit heureux, mais ce qui compte, c'est de s'assurer d'une qualité de fonctionnaires et d'un processus d'avancement des fonctionnaires qui se tienne de façon qu'au sommet, on ait des cadres supérieurs de qualité dans la fonction publique.
Rien ne me le garantit là-dedans, strictement rien! Il y en a moins qu'en 1940! J'ai travaillé à la fonction publique fédérale en 1966. Je pense que ce qu'on n'a pas fait comme il faut, c'est qu'on ne s'est pas adapté à la syndicalisation de la fonction publique versus la gestion de la fonction publique. On a réglé le problème des salaires — en fait, plus ou moins, parce que même encore aujourd'hui, la classification fédérale, c'est la pagaille. C'est un scandale. Plusieurs auraient dû perdre leur emploi, mais étrangement, la Commission n'a jamais mis quelqu'un dehors. C'est scandaleux!
Rien ne le garantit là-dedans. Ce qui m'a frappé depuis deux jours, personne ne s'est scandalisé du fait que le principe du mérite n'est pas défini, à part d'anciens analystes de la question. Rien ne parle de compétition pour entrer à la fonction publique, et rien ne parle de la compétition au sein des fonctionnaires pour avancer dans la fonction publique. Autrement dit, l'essentiel n'est pas là. On a 300 pages de procédures là-dedans. Mais les vrais processus de concurrence, les examens publics avec des jurys et des résultats, on n'en parle pas. On s'imagine que cela va venir tout seul. Les fonctionnaires sont bons et compétents et on peut se fier à eux. J'ai beaucoup de respect pour la fonction publique — j'ai fait cela tout ma vie — mais la nature humaine est là et le système actuel a pour effet, depuis les délégations de pouvoirs de 1993, que les quatre cinquièmes des fonctionnaires sont recrutés n'importe comment. C'est ainsi que cela fonctionne. Ils sont tous recrutés temporairement, et à la longue, ils deviennent permanents.
Ce n'est pas ainsi qu'on a construit la fonction publique de qualité qu'on a au ministère des Affaires étrangères et au ministère des Finances. Comme membre du comité des Finances nationales et du comité des Affaires étrangères, j'ai surtout eu a faire affaire aux gens du ministère des Affaires étrangères et du ministère des Finances. Je les connais mieux. Ce n'est pas ainsi qu'on a bâti ces ministères.
Sauf que là, on dirait que l'objectif est que le monde soit content. Ils sont tous contents, donc tout va bien.
Comme représentant du public et avec mon expérience, je sais qu'il manque quelque chose de fondamental dans ce processus. Vous y avez fait allusion vous-même discrètement. Je voulais faire cette remarque à la fin de mes travaux au Sénat.
Le président: Je précise que le sénateur Bolduc prendra sa retraite dans quatre jours.
[Traduction]
C'est sa dernière réunion et je lui ai donc donné la permission de nous quitter une demi-heure avant la fin pour qu'il puisse prendre l'avion qui le ramènera à Québec. Par contre, je ne voudrais pas qu'il nous quitte avant que nous ayons souligné sa contribution exceptionnelle à ce comité depuis son arrivée au Sénat — voilà 15 ans, sénateur?
Le sénateur Bolduc: Déjà 15 ans.
Le président: Il a présidé ce comité pendant quelques années et en a été membre. Il nous a fait profiter de sa vaste expérience en administration publique, ici et ailleurs, et de ses connaissances du pays. C'est avec un infime respect, admiration et affection que nous soulignons tout cela — et non pour l'empêcher de parler pendant la prochaine heure.
Sénateur Bolduc, je vous invite à faire une autre intervention.
[Français]
Cependant, la vérificatrice générale pourrait, si elle le désire, commenter vos propos, sénateur Bolduc.
Mme Fraser: J'aimerais dire au sénateur Bolduc qu'il va nous manquer. Il avait toujours des questions très pertinentes et très appréciées. Pour nous, c'était presque un examen parce qu'on savait qu'il connaissait le sujet plus que nous. Il comprenait notre travail. Nous le remercions de l'intérêt qu'il a porté à nos travaux.
La question du mérite est une question délicate. L'embauche d'une personne peut prendre jusqu'à 18 mois dans le système actuel. Je ne crois pas que l'on puisse recruter les meilleurs candidats avec le processus en cours. Ce système ne fonctionne pas. Toute la jurisprudence a rendu le processus très lourd. La Commission de la fonction publique devra donc s'assurer que le processus est bien respecté. Et la commission aura toujours le pouvoir d'enlever la délégation, s'il y a lieu. Il devrait y avoir un signal très clair envoyé au système.
[Traduction]
Le président: Madame la vérificatrice générale, j'aurais une question sur la création de ce nouveau mandataire, à savoir le Tribunal de la dotation de la fonction publique proposé. Cette décision a été critiquée au comité. J'ai devant les yeux le témoignage de l'un de nos témoins d'hier soir, le professeur Franks, qui, tout en reconnaissant que les structures proposées améliorent grandement la situation, souligne que le projet de loi crée un nouveau mandataire du Parlement, soit le Tribunal de la dotation de la fonction publique. D'après lui, on n'aurait pas besoin de deux mandataires du Parlement dans le domaine de la gestion des ressources humaines.
Il a enchaîné en disant qu'un excédent organisationnel n'était pas une solution attrayante.
Il a été encore plus critique, tout comme le professeur Hodgetts, pendant la période de questions qui a suivi. Ils ont laissé entendre que tout ceci émanait du fait que le gouvernement ne voulait pas faire face à la Commission de la fonction publique, pour l'abolir, sans doute sa préférence, ou pour la réformer en profondeur. Comme l'a dit le professeur Hodgetts, «nous savons additionner, mais pas soustraire». C'est ainsi qu'a été créé ce nouvel organisme.
Si c'est effectivement le cas, ça ne présage rien de bon pour le Parlement parce que le projet de loi, dans une certaine mesure, tente de resserrer les liens entre la Commission de la fonction publique et le Parlement. Si, comme l'a suggéré le professeur Hodgetts, nous traitons maintenant avec une Commission qui a été «curieusement tronquée», il est possible que nous ayons raté quelque chose.
Ce tribunal de dotation de la fonction publique est-il réellement nécessaire? Sa création met-elle en péril le rôle de la Commission de la fonction publique et, tout particulièrement, sa relation avec le Parlement?
Mme Fraser: Nous n'avons pas étudié les relations de travail et par conséquent je ne suis pas compétente pour parler du rôle du nouveau tribunal. Si j'ai bien compris, il ne s'agit pas d'un mandataire du Parlement comparable à, par exemple, le vérificateur général. Il s'agit plutôt d'un organisme qui est créé.
Nous avons recommandé que les rôles et responsabilités soient clarifiés, ce qui comprend la Commission de la fonction publique. D'après nous, le rôle qui est ici défini ressemble de près au rôle de vérification et de contrôle du vérificateur général. Pour exercer ces fonctions de façon compétente, il ne faut pas participer au fonctionnement du gouvernement. La séparation de ces deux fonctions est importante.
Bien évidemment, nous recommandions que les choses soient simplifiées. Il est normal de se demander si l'ajout d'un organisme simplifie les processus, mais cela relève des relations de travail. Je suis convaincue qu'il y a des personnes beaucoup plus compétentes que moi qui pourraient vous parler de la nécessité d'un nouveau tribunal.
Le sénateur Comeau: La vérificatrice générale aurait-elle l'obligeance de me dire d'où provient la statistique de 18 mois? Est-ce vous qui l'avez calculée, ou provient-elle du Conseil du Trésor?
Mme Fraser: Cette statistique provient d'un de nos rapports, de 1999 je crois.
Le sénateur Comeau: S'agit-il d'un extrême ou d'une moyenne?
Mme Fraser: Il est possible que c'était au-dessus de la moyenne mais, chose certaine, ce n'était pas un cas rare.
Le sénateur Comeau: Serait-il possible de retourner en arrière pour nous donner une moyenne plutôt qu'une statistique extrême? Je trouve que ça fait beaucoup et j'aimerais savoir plus précisément ce qu'il en est.
Mme Fraser: Je serais ravie de le faire. Je pense que dans ce rapport nous avons traité du processus et nous trouverons les statistiques qui vous intéressent.
Le sénateur Mahovlich: La vérificatrice générale jouit-elle de l'autorité lui permettant de présenter un prix de mérite au sénateur Bolduc?
Le président: Si c'était le cas, elle le ferait.
Merci, madame la vérificatrice générale, encore une fois.
M. Ercel Baker va maintenant prendre la parole. M. Baker a été sous-secrétaire du cabinet, à savoir dans les rouages du gouvernement et haut fonctionnaire au Bureau du Conseil privé. Il a été directeur exécutif de la Commission de la fonction publique pendant 11 ans, où il était chargé du recrutement, du perfectionnement et du counseling des cadres supérieurs de la fonction publique fédérale.
Il a également été membre du Comité consultatif Fryer sur les relations patronales-syndicales au sein de la fonction publique. Certaines des recommandations formulées par le Comité consultatif Fryer se retrouvent d'ailleurs dans le projet de loi.
Monsieur Baker, allez-y.
M. Ercel Baker, témoignage à titre personnel: Honorables sénateurs, le projet de loi C-25 est très important. Comme l'a précisé le président, j'ai été fonctionnaire fédéral canadien pendant longtemps, pendant un peu plus de 36 ans. C'est peu commun, mais j'ai débuté au niveau Clerk-1, poste qui s'est par la suite transformé en CR-1. J'ai occupé des postes à presque tous les niveaux de ce qu'on appelle la catégorie du soutien administratif, la catégorie administrative et la catégorie de la direction.
J'ai passé 11 ans à la Commission de la fonction publique, où j'ai été chargé de différents aspects du système de dotation, puis du système en entier. J'ai également été agent des relations de travail pendant plusieurs années, puis agent de classification pendant un certain nombre d'années et, enfin, j'ai été gestionnaire pendant bien des années au cours de mes 36 ans de service dans divers secteurs de la fonction publique.
Je vous donne toutes ces précisions car je pense qu'il est important qu'en m'écoutant vous vous souveniez que mes points de vue se fondent sur des expériences très diverses qui s'étalent sur une longue période. Je suis ce qu'on appelle un vieux de la vieille.
Peut-être savez-vous déjà que depuis la fin des années 80, je contribue à l'effort de modernisation de la fonction publique chinoise. Le modèle canadien d'une fonction publique professionnelle m'a été d'un grand secours. Je suis convaincu qu'il s'agit là d'un des atouts les plus importants pour le Canada, tout comme je pense que ce projet de loi est une étape cruciale de l'évolution de cette fonction publique. Le projet de loi est important pour un grand nombre de raisons, et je n'en citerai qu'une ou deux.
Premièrement, il s'agit de la première véritable refonte depuis bien longtemps de la façon dont on gère la fonction publique. Par contre, je ne suis pas d'avis que toutes les tentatives précédentes ont échoué. Je pense au contraire que chacune d'entre elles nous a permis d'évoluer, nous permettant maintenant de discuter d'un projet de loi comme celui- ci, ce qui est important.
Deuxièmement, il s'agit d'un projet de loi important. Il est vrai que j'ai quitté la fonction publique il y a presque neuf ans, mais je suis toujours en contact avec bien des fonctionnaires. D'après moi, il ne suffit plus de parler de l'importance des ressources humaines; il nous faut maintenant agir en conséquence. Ce projet de loi constitue une étape importante dans le processus qui permet de donner les outils et les structures nécessaires aux fonctionnaires et aux cadres de la fonction publique qui leur permettront de maintenir leur niveau d'excellence.
Troisièmement, le projet de loi revêt une importance particulière parce que, très franchement, si nous ne l'adoptons pas maintenant, il nous faudra attendre longtemps avant qu'une autre occasion se présente. Pour bien des fonctionnaires, c'est un test de la volonté du gouvernement d'apporter les modifications nécessaires. Il ne faudrait pas que le Parlement manque à ses engagements.
Je pense que les propositions qui ont été faites sont bien fondées de façon générale. Je ne suis pas d'accord avec tous les détails, mais je pense qu'on devrait donner une chance à ce projet de loi, qui est le fruit de consultations à large échelle et l'aboutissement d'un processus bien pensé et exhaustif.
Avant de passer aux questions, permettez-moi de m'exprimer sur l'un des aspects les plus controversés de ce projet de loi, à savoir les modifications proposées dans le domaine de la dotation, et, plus particulièrement, la modification de la définition du mérite, qui passerait de la personne la plus qualifiée au mérite individuel. Il ne s'agit pas réellement d'une modification de la définition mais plutôt d'un changement d'approche: on s'écarte des évaluations comparatives pour adopter les évaluations individuelles — ou, en d'autres termes, on passe de la nomination sur concours à la nomination sans concours.
J'ai lu les transcriptions de bien des témoins, et je vais essayer d'exprimer mes points de vue le plus rapidement possible. Je peux vous dire franchement que quand les discussions relatives à ce projet de loi ont été entamées, j'avais des réserves importantes. De façon générale, ces réserves n'ont maintenant plus lieu d'être grâce au document que nous avons entre les mains, résultat du processus de la Chambre. Je vais maintenant vous expliquer cette évolution.
Tout d'abord, il s'agit de l'obligation d'avoir recours aux concours qui est retirée du projet de loi et non la possibilité de s'en servir. Il est important de s'en souvenir. Les cyniques diront qu'une fois que l'obligation sera retirée, alors les gestionnaires se mettront à brader les nominations sans concours et par extension, pour parler très clairement, nommeront leurs amis, les membres de leur famille et des connaissances. Évidemment, le risque, c'est qu'il y ait plus de nominations individuelles que de postes dotés par concours. Mais il faut tout de même qu'on comprenne que cela ne veut pas nécessairement dire qu'il y aurait des nominations inappropriées. D'après mon expérience, je peux dire que la grande majorité des gestionnaires ont pour priorité la nomination des personnes les plus compétentes. Ce qui est important, c'est qu'il y ait un système qui permette, pour reprendre une expression que j'ai entendue récemment, une surveillance robuste. C'est une expression qui me plaît. J'entends par là les politiques, l'orientation. Les gestionnaires ne seront pas sans ressources; il existera un système de vérification robuste assurant une reddition de comptes adéquate.
Mon évaluation de ces risques est très simple. Nous pouvons soit nous dire que les gestionnaires suivront le droit chemin ou nous embourber dans un système de dotation qui donne l'impression de ne pas fonctionner. J'ai bien dit «donne l'impression» parce que je ne pense pas que le système marche aussi mal qu'on le pense. Par contre, comme la perception devient réalité, il n'est plus vraiment pertinent d'essayer de déterminer si le système fonctionne vraiment mal ou s'il s'agit simplement d'une perception. Étant donné qu'il est perçu comme fonctionnant mal, nous devons faire changer les choses.
Je ne pense pas qu'il faut qu'on ait une confiance aveugle mais il faut qu'on donne suffisamment de temps aux personnes concernées pour qu'elles puissent démontrer qu'elles sont en mesure de tirer parti des outils dont nous discutons. Il y aura de temps en temps des échecs. Par contre, je suis confiant que les freins et contrepoids qui existent dans le projet de loi pour assurer la reddition de comptes rendent le risque d'échecs occasionnels acceptable.
La souplesse qui est introduite par le projet de loi a un grand potentiel. Si on y a recours de façon adéquate, la représentativité, la diversité et la compétence en seront grandement améliorées. Par contre, si on en abuse, on assistera au pistonnage bureaucratique à grande échelle.
Il faut qu'on soit conscient de ces risques. Il faut qu'on comprenne que les choses peuvent bien ou mal se passer, mais je pense sincèrement qu'on devrait être optimiste et préférer les principes de confiance et de reddition de comptes.
Si vous le permettez, j'aimerais qu'on passe à la période des questions.
Le sénateur Bolduc: J'ai aimé votre exposé. Votre expérience transparaît. Moi, j'ai déjà tout dit ce que j'avais à dire au sujet de ce projet de loi. Cela fait deux jours qu'on en parle. Nous nous sommes également réunis en juin, pour le moment du moins, je vais céder la parole aux autres sénateurs.
Par contre, j'ai cru comprendre que vous étiez plutôt optimiste.
M. Baker: Oui.
Le sénateur Bolduc: Pensez-vous que les choses vont bien se passer, à long terme?
M. Baker: Oui, je le crois. Je pense que la situation doit être surveillée de très près, mais je crois fermement que c'est dans la nature humaine de suivre le droit chemin.
[Français]
Le sénateur Bolduc: Mis à part la teneur de mes propos un peu plutôt — et je ne retire rien — ce projet de loi comporte plusieurs bons aspects. Il ne fait nul doute qu'une décentralisation est nécessaire. Il faut donner aux gestionnaires la chance de faire leur travail. Toutefois, leur souci de l'efficacité pourrait se faire aux dépens de l'équité en matière d'opportunité pour les citoyens et fonctionnaires en place. Cette équité est ma principale préoccupation.
Dans une société démocratique comme la nôtre, il doit exister une équité en matière d'opportunités. Ayant été administrateur pendant plusieurs années, je suis sensible au souci de l'efficacité chez le gestionnaire. Ce souci fera certes en sorte que les objectifs en matière d'équité seront rencontrés, car un gestionnaire se doit d'avoir les effectifs nécessaires à l'accomplissement des opérations.
Il est question d'équité en matière d'opportunités, tant pour les citoyens accédant aux postes à la fonction publique que pour les fonctionnaires et leur avancement. Cette question me préoccupe beaucoup. La question de l'avancement est moins critique lorsqu'il s'agit de cadres spécialisés au sein de ministères. On peut présumer qu'il est dans l'intérêt des cadres supérieurs de s'entourer de personnel qualifié.
Le souci du travail bien fait exige un personnel compétent, mais l'équité en matière d'opportunités est importante. Il faut donner la chance à tous car nous sommes dans le domaine d'une fonction publique payée par le public. Les gens doivent donc avoir l'opportunité de se présenter, je pense entre autres aux jeunes diplômés universitaires, car ils sont à la base de la qualité de notre système.
Dans le régime d'avancement, surtout dans les divers ministères, la concurrence protège en quelque sorte le public. La concurrence protège les consommateurs. Au même titre, dans la fonction publique, la concurrence protège les citoyens sur la qualité des fonctionnaires.
[Traduction]
Le président: Le système de surveillance décrit dans ce projet de loi est-il assez robuste pour assurer l'égalité des chances à laquelle le sénateur Bolduc fait référence?
M. Baker: Ce n'est pas le projet de loi qui assure l'égalité des chances. Je vais surveiller de très près le système de contrôle pour déterminer à quel point il est robuste. Mes observations portaient plutôt sur le côté essentiel de la chose. J'ai vu dans la transcription du témoignage du président de la Commission de la fonction publique qu'il parlait de la question des ressources. C'est absolument essentiel.
Le président: Pour reprendre les termes du sénateur Ringuette, c'est un acte de foi que de penser que le gouvernement mettra à sa disposition les vérificateurs et autres ressources dont il a besoin pour mettre en place un solide système de surveillance qui pourrait leur déplaire de temps en temps
[Français]
Le sénateur Gauthier: Monsieur Baker, dans votre présentation, vous avez indiqué avoir été impliqué à une certaine époque dans la question de la classification des postes au sein de la fonction publique. Il s'agit d'un point sensible chez les syndicats actuellement. Le projet de loi C-25 ne touche pas la classification. Cette question n'est pas négociable pour l'instant. Selon votre expérience, la classification des postes par négociation avec les syndicats est-elle possible aujourd'hui? Dans l'affirmative, comment les paramètres de cette étude sont-ils définis?
Les normes de classification seront sans doute déterminées par l'employeur. Rendre ces normes négociables ne présente pas un problème. Toutefois, je ne crois pas que les syndicats soient capable aujourd'hui de négocier. Ils n'ont ni les effectifs, ni les connaissances, ni l'expérience pour négocier les normes de classification avec le Conseil du Trésor. Le Conseil du Trésor s'appuie sur des ressources et une expérience de plus de 50 ans. Vous qui avez été impliqué dans cette question, corrigez-moi si je me trompe.
[Traduction]
M. Baker: La classification ne devrait pas être le fruit de négociations, car il s'agit d'un droit fondamental de gestion. C'est le fondement de bien d'autres aspects de la gestion des ressources humaines. Il s'agit de l'établissement de la valeur de différentes tâches, et nous ne devrions pas nous écarter du droit des gestionnaires d'attribuer les différentes tâches et d'en évaluer la valeur.
Je n'ai pas de problème avec le codéveloppement; je ne suis pas sûr du terme exact mais c'est celui qui est utilisé. Si l'on entend par là le fait que les cadres et les syndicats devraient travailler ensemble pour s'assurer que les normes qui sont élaborées reflètent effectivement les réalités du milieu de travail, alors je pense que c'est une bonne idée; mais pas la négociation.
Le sénateur Gauthier: Il a répondu à ma question. Il s'oppose à la négociation. Merci.
Le sénateur Kinsella: Monsieur Baker, je voudrais mettre à profit votre expérience. Si nous acceptons le modèle proposé dans le projet de loi C-25, pensez-vous que le mandat et les fonctions de la nouvelle Commission de la fonction publique devraient être élargis pour que la commission puisse effectuer des vérifications et des enquêtes dans les organismes non essentiels de sa propre initiative ou à la demande d'un comité parlementaire, en d'autres termes, lui donner compétence?
S'il s'agit véritablement d'un excellent modèle pour notre fonction publique moderne, pour les services de base offerts au public, alors il devrait également s'appliquer aux autres services, mutatis mutandi.
M. Baker: D'après moi, il devrait être applicable, concrètement. Par contre, cela demanderait d'énormes ressources. En principe, je suis d'accord.
J'ai bien aimé ce que vous avez dit au sujet d'une demande qui pourrait être faite par le Parlement, par exemple. C'est envisageable.
Le sénateur Kinsella: Ce serait utile pour ce qui est des ressources.
M. Baker: Vous avez raison, mais de façon générale, il ne serait pas raisonnable de penser que les questions relatives aux ressources vont pouvoir être réglées.
Le sénateur Kinsella: Il est important de faire changer les choses, et nous sommes dans une bonne position pour le faire. En d'autres termes, si nous acceptons ce nouveau modèle, où la surveillance et la vérification sont cruciales, alors il est important de dire qu'elles sont cruciales dans le cas des services de base offerts au public, et tout aussi importantes, sinon plus, dans le cas des organismes indépendants du secteur public. Il faudra également que le Parlement s'assure que les crédits budgétaires sont votés de façon adéquate pour permettre à la nouvelle commission de bien s'acquitter de ses fonctions.
Disons qu'il n'y a pas de problème de ressources, votre appui à cette proposition est-il tiède ou enthousiaste?
M. Baker: Entre les deux, sans doute, parce que mon hypothèse de base, c'est qu'elle demande beaucoup d'expertise.
Il est plus facile de bâtir cette expertise à un endroit précis plutôt qu'à plusieurs endroits. Cela explique en partie pourquoi je soutiens cette proposition.
[Français]
Le sénateur Chaput: Monsieur Baker, dans votre présentation, vous nous avez parlé du positif, de ce qui était bon pour les employés de la fonction publique. Vous avez dit que vous aviez confiance et que cela fonctionnerait. J'aimerais que vous me disiez, dans le nouveau projet de loi, ce qui sera bon pour l'ensemble des Canadiens. Ce qui sera meilleur en fonction de ce que l'on avait avant et ce que l'on aura avec ce projet de loi.
[Traduction]
M. Baker: Je vais sans doute donner l'impression d'éviter la question, mais là n'est pas mon intention. Ce projet de loi offre un cadre qui nous permettra de mettre sur pied un système de gestion des ressources humaines efficace. C'est également ce que je recherchais lorsque j'ai lu le projet de loi. J'ai quitté le gouvernement depuis neuf ans déjà et je me considère comme un membre du public de la population. Il y a beaucoup d'aspects qui me semblent bien s'il est possible de la concrétiser.
Tout d'abord, la représentativité. J'aime le Canada, pays fabuleux. C'est un pays fantastique en partie grâce aux deux cultures qui en sont le fondement et à la diversité qui s'est développée avec le temps par le biais de l'immigration. Il faut que tout cela se reflète dans la fonction publique. Quand j'étais fonctionnaire, je parlais de «reflet de la mosaïque canadienne» et c'est toujours comme ça que je conçois la chose. Le cadre que l'on retrouve dans le projet de loi nous donne la souplesse nécessaire pour s'attaquer à ces questions.
Ceux qui s'opposent au projet de loi pensent qu'il sera mal utilisé. Pendant ma carrière de fonctionnaire, j'ai rencontré plus de fonctionnaires dévoués et très motivés que de personnes qui profiteraient de l'occasion pour faire autre chose. C'est pour ça que je pense que tout cela va aboutir.
Le président: Monsieur Baker, je suppose que vous étiez directeur exécutif de la commission avant de devenir sous- secrétaire au Bureau du Conseil privé. Pourriez-vous nous préciser les dates?
M. Baker: J'ai travaillé à la commission de 1979 à 1991, puis j'ai été PDG de Conseils et Vérification Canada. J'ai ensuite occupé le poste de sous-ministre adjoint, Opérations, au ministère des Pêches et des Océans, pour finalement me retrouver au Bureau du Conseil privé.
Le président: D'après votre expérience à la commission, qui ne date pas d'il y a si longtemps, pensez-vous qu'il était nécessaire de retirer les fonctions de la commission pour créer ce nouveau tribunal de dotation de la fonction publique?
M. Baker: Je n'ai pas tout à fait compris pourquoi il nous faut une entité distincte. J'ai trouvé très intéressantes vos citations des propos tenus par M. Hodgetts hier soir. En principe, il est toujours préférable de ne pas faire grossir l'appareil gouvernemental, donc je pense que la commission aurait dû garder ses compétences.
Le président: Après avoir entendu certains de nos témoins, il y a une question qui me préoccupe. Si les fonctions que nous retirons à la Commission de la fonction publique pour les donner à ce nouveau tribunal sont importantes, alors nous faisons face à un problème. Effectivement, nous renforcerons alors la relation entre la commission et le Parlement tout en retirant des fonctions importantes à la commission pour les attribuer à un nouveau tribunal qui a été décrit comme un mandataire du Parlement, même si ce n'est pas vraiment le cas. Je pense que le tribunal peut faire rapport, mais ça s'arrête là.
Mettons-nous en péril l'instrument du Parlement, pourtant essentielle pour que le système du mérite soit respecté?
M. Baker: Le principe, c'est que l'évaluation ne doit pas être faite par l'organisation qui détient l'autorité. Ce principe me semble bon, mais comme je l'ai dit précédemment, je me serais assuré que ça ne devienne pas un problème. Par contre, il y aura toujours ceux qui diront qu'il est impossible de remédier à ce problème sans une séparation des rôles.
Je ne crois pas que vous mettez en péril la Commission de la fonction publique en agissant de la sorte. D'aucuns diront que ça n'a pas d'importance parce que la commission déléguera la plupart de ses tâches. C'est peut-être vrai, mais la commission sera toujours responsable et rendra toujours des comptes en plus de s'occuper de l'embauche des hauts fonctionnaires.
Le président: Je ne mets pas en doute votre décision. Je comprends tout à fait le principe que vous venez d'exposer. Par contre, je me demande si le tribunal de dotation de la fonction publique ne devrait pas être davantage un instrument du Parlement. Pour ce faire, par exemple, le Parlement pourrait tout au moins nommer le président sinon les membres du tribunal et s'assurer qu'ils sortent du moule parlementaire tout comme la commission, le vérificateur général ou le commissaire aux langues officielles. Pensez-vous que ce serait important?
M. Baker: Oui, ce serait important. Pour vous dire franchement, lorsque j'ai lu le projet de loi, j'ai supposé qu'il s'agissait d'un organisme parlementaire. Il va falloir que je regarde ça de nouveau.
Le président: J'ignore sous quel rapport on peut considérer qu'il s'agit d'un organisme parlementaire. Je pourrais regarder dans le projet de loi maintenant. Il est probablement tenu de faire rapport au Parlement, mais les nominations sont faites par décret, et cetera.
Le sénateur Kinsella: J'aimerais savoir si M. Baker pense qu'un régime où il y aurait un commissaire de la fonction publique à plein temps et au moins deux à temps partiel marcherait. Si la modernisation, la transparence, l'efficience et l'efficacité de la fonction publique nous tiennent vraiment à coeur, pourquoi alors en faire des fonctions à temps partiel?
M. Baker: Je n'en sais rien. Je n'ai pas pu trouver de raison qui justifie le temps partiel. Durant mon passage à la commission, nous étions trois et nous avions beaucoup de pain sur la planche. J'ai été gestionnaire à la commission et, pour vous dire la vérité, j'aurais préféré avoir un seul patron plutôt que la perception d'en avoir trois, quoi que cela n'a jamais vraiment posé problème. Je ne sais pas pourquoi on a choisi cette voie, mais personnellement, je suis favorable à un poste de commissaire à temps plein.
Le président: Pour revenir aux temps partiels, je crois qu'il est important d'avoir un président à temps plein et un nombre non déterminé, donc, illimité de commissaires à temps partiel. Tout d'abord, le fait qu'ils soient à temps partiel, cela signifie, par définition, que ces personnes travaillent ailleurs à temps plein, et je pense que le risque de conflit d'intérêts est réel.
Ensuite, la nature humaine et la politique étant ce qu'elles sont, on ouvre la porte, dans le pire des scénarios, aux nominations politiques partisanes et, dans le meilleur des scénarios, à des plaidoyers de la part de tous les groupes d'intérêt du pays qui estiment avoir le droit d'avoir un commissaire. Ainsi, nous nous retrouverions avec une foule de commissaires, et on serait dans de beaux draps. À mon avis, on devrait rétablir le régime des deux commissaires à temps plein et arrêter là.
M. Baker: De toute évidence, le fait d'avoir eu trois commissaires en même temps me rendait la vie, en tant que gestionnaire, parfois assez difficile. Cela étant, je continue de souscrire au principe des trois commissaires.
Le sénateur Comeau: Je veux m'assurer de bien comprendre ce que vous appuyez. Si j'ai bien compris, les gestionnaires auraient, selon ce projet de loi, le pouvoir de tenir un concours ou non, comme bon leur semble selon les circonstances. Ils auraient aussi le pouvoir d'établir les qualifications soit pour encourager ou pour décourager le candidat qu'ils souhaitent garder pour l'entrevue.
La commission aurait le pouvoir d'effectuer une vérification, mais pas de prendre des mesures correctives au besoin, parce que ce serait à l'administrateur général du département de prendre de telles mesures. Est-ce que j'ai bien compris le régime proposé?
M. Baker: Oui, mais là où j'aurais quelques réserves, une fois qu'on a décidé d'organiser un concours ou pas, c'est sur la question de l'établissement des qualifications pour privilégier un candidat qu'on espère recruter.
Le sénateur Comeau: Cela ne risque pas de se produire, parce que, comme vous l'avez dit, ce sont des personnes irréprochables, et nous devons leur faire confiance. Il est donc clair que ça n'arriverait pas.
M. Baker: Je n'irais pas aussi loin, mais je pense que c'est à cela que tient l'importance du tribunal de la dotation. C'est de précisément ce genre de plaintes qu'il serait saisi, à mon avis.
Le sénateur Comeau: Le tribunal de la dotation sera composé de six vérificateurs, d'un commissaire à temps plein et de deux commissaires à temps partiel. Le président du comité a fait allusion à la possibilité que ces gens soient bien occupés dans les années à venir, compte tenu du volume de travail qu'ils devront gérer.
M. Baker: Peut-être est-ce vrai, mais j'ai espoir que ça ne sera pas aussi grave que vous le dites. Cela dit, je prends note de votre observation.
Je veux attirer votre attention sur la différence considérable par rapport à l'ancienne Direction générale des appels de la Commission de la fonction publique. En vertu de l'ancien régime, quand quelqu'un interjetait appel, on se contentait d'examiner le processus. On ne cherchait pas à approfondir les questions importantes pour savoir s'il y avait eu iniquité ou favoritisme bureaucratique.
Le sénateur Comeau: Je n'arrive pas à comprendre comment on serait en mesure de le prouver. Si le gestionnaire devait avoir le pouvoir d'établir les qualifications, et nous convenons que c'est ce que dispose le projet de loi C-25, il s'arrangerait alors pour que ces qualifications soient énoncées de manière à ce qu'elles ne soient pas remises en question. Le gestionnaire aurait le pouvoir de décider de tenir un concours ou non. Le seul recours que la commission aurait serait la vérification. Si la commission devait conclure que les qualifications avaient été élaborées et qu'il n'y avait pas eu de concours, elle ne pourrait reprocher au gestionnaire de ne pas avoir tenu de concours, parce que le projet de loi lui donnerait le choix. Peut-être est-ce ainsi que ça marche dans le secteur privé, mais nous ne sommes pas en train de discuter du milieu des affaires. C'est une autre paire de manches. Nous vivons actuellement dans un État à parti unique pratiquement, et nous devons donc faire attention à la manière dont nous établissons nos nouveaux régimes de dotation pour ne pas créer un système de favoritisme bureaucratique. Comme je l'ai déjà dit à d'autres témoins ce matin, les députés ne se feront pas prier pour courtiser les gestionnaires afin de conclure des marchés avec eux. Le projet de loi C-25 crée une incitation dans ce sens.
Là encore, pour revenir à la question de la commission, celle-ci n'aurait pas les ressources nécessaires puisqu'elles auraient été réduites. Ainsi, nous nous dirigerions tout droit vers des problèmes majeurs. Je vous préviens: cela risque d'être très dangereux.
M. Baker: Je crois plutôt que ce serait une période très stimulante.
Le sénateur Comeau: Stimulante peut-être, mais vous savez que le vieux sort chinois qui dit «Puissiez-vous vivre des temps intéressants!» ne signifie pas forcément que quelque chose de bien se produira.
M. Baker: Non. L'heure de vérité viendra après ces temps intéressants et c'est à ce moment-là que nous saurons si le régime est sur la bonne voie ou la mauvaise.
Le sénateur Comeau: J'ai un dernier point à soulever. Ma formation universitaire initiale était en comptabilité. S'il est une chose qu'on nous a répétée à satiété: ne mettez pas les gestionnaires, les employés opérationnels ou le personnel dans l'ensemble dans des situations où ils risqueraient d'être tentés, mais prévoyez plutôt des mesures de contrôle et ne comptez pas sur leur confiance ou leur intégrité. Ne les tentez pas! Ce projet de loi est en opposition directe avec ma formation. En effet, il créerait de nombreuses occasions où les députés, les ministres, le personnel des ministres et les gestionnaires de la fonction publique seraient tentés. Voilà ce que ferait ce projet de loi.
M. Baker: Je suis fort séduit par ce que vous dites. J'ai commencé ma carrière dans l'administration au Bureau du contrôleur du Trésor, où l'on effectuait une vérification préalable de tout. Le système fonctionnait, mais non sans enliser de nombreuses activités. Et pourtant, il m'arrive encore de penser avec nostalgie au bon vieux temps. Nous en sommes presque au même point en matière de dotation, parce qu'on va trop loin pour empêcher quelqu'un de faire une erreur. Petit à petit, j'en suis arrivé à la conclusion que nous devons peut-être nous permettre de faire des erreurs parfois.
Le sénateur Comeau: C'est un grand saut dans l'inconnu.
M. Baker: Oui, en effet.
Le sénateur Ringuette: Il y a bien des choses qui me dérangent dans ce projet de loi, mais c'est surtout le fait que je ne vois pas dans le projet de loi C-25 de possibilités pour quelqu'un au Canada qui possède les compétences nécessaires de poser sa candidature. Dans vos remarques et dans votre interprétation de ce que vous estimez être la déconcentration des pouvoirs, il ressort qu'une fois le projet de loi C-25 en vigueur, la dotation serait déléguée aux gestionnaires. À l'heure actuelle, les échantillons de 12 ministères ont révélé que 54 p. 100 des emplois sont attribués sans concours, sans restriction géographique aucune. Les responsables décident qu'ils ont besoin de quelqu'un, et ça s'arrête là.
Mes inquiétudes ne font que s'accroître, parce que vous dites que le régime proposé par le C-25 transférerait la responsabilité et les activités relatives à la dotation de la commission aux gestionnaires. Par conséquent, dans cinq ans, au lieu d'avoir 54 p. 100 d'emplois comblés sans concours, sans parler des concours limités, ce serait peut-être 84 p. 100 des emplois.
Je suis vraiment inquiète, parce que c'est une question fondamentale pour moi, puisque les fonctionnaires établis à Ottawa, tout particulièrement, sont ceux qui disposent le plus d'information, qui suggèrent des politiques et des programmes à la lumière de ces informations —, tandis que dans les autres régions du pays, il y a un manque flagrant de connaissances et de compréhension. Vous nous demandez de faire un grand saut dans l'inconnu, mais s'agissant de ce projet de loi, il y a anguille sous roche. Est-ce que je me trompe?
M. Baker: Vous me posez deux questions, et j'aimerais répondre à chacune d'entre elles.
La première concerne ce que nous appelions autrefois les zones de concours. La Commission de la fonction publique — en fait pas juste la commission, mais le Conseil du Trésor aussi — a souscrit ces dernières années au concept que vous avez évoqué, à savoir que les gens à l'échelle du pays devraient être en mesure de poser leur candidature et de travailler pour la fonction publique fédérale. Là encore, il y a des considérations significatives en termes de coûts. Je crois savoir qu'on a procédé d'une manière descendante, c'est-à-dire que l'on rend les postes supérieurs ouverts à tous d'abord, ensuite on cherche des moyens de descendre l'échelle. Cela dit, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire que c'est absolument essentiel, et je pense que c'est une question de temps.
La question qui m'inquiète le plus, c'est la deuxième, et c'est celle qui concerne les nominations sans concours. Je vais encore plus loin que ça: le problème n'est pas seulement les nominations sans concours, mais une pratique qui s'est instituée et qui consiste à recruter des employés à court terme, lesquels employés finissent par devenir des employés nommés pour une durée indéterminée. La vérificatrice générale a dit, et je partage tout à fait son opinion, que cette pratique doit être corrigée. Ce n'est pas une façon de bâtir une carrière — ni une carrière, ni une fonction publique professionnelle.
J'ai ma petite idée là-dessus. À la lumière de mon expérience, je peux vous dire que ce que nous avons maintenant est un régime qui a encouragé les gestionnaires à trouver des moyens de le contourner, pour la simple raison qu'il prend beaucoup de temps. Au fil des ans, j'ai constaté que quand on a un régime où une personne a le pouvoir de faire quelque chose d'approprié rapidement, si ce n'est pas nécessaire, cette personne prendra souvent plus de temps pour le faire convenablement. J'espère que c'est ce qui se produira, mais seul le temps nous le dira. Si d'ici quelques années, comme vous le dites, 90 p. 100 de nos nominations sont faites sans concours, je penserai alors que c'est un problème majeur qu'il faudra régler.
[Français]
Le sénateur Gauthier: Vous avez passé votre carrière dans la fonction publique. Que pensez-vous de la disposition concernant les activités politiques des fonctionnaires? Devrait-on restreindre davantage l'activité politique?
[Traduction]
M. Baker: Je ne pense pas qu'il faille les restreindre davantage. Je n'ai jamais trouvé que c'était un problème tout le temps que j'ai été à la fonction publique. Je vais vous raconter mon expérience personnelle.
Les gens font allusion à la période en 1984 où nous avions changé de gouvernement, où l'on pensait qu'on avait tenté de politiser la fonction publique. Personnellement, je n'ai rien vu de tel, et pourtant j'étais à la Commission de la fonction publique, où j'aurais été bien placé pour le voir. En revanche, ce que j'ai constaté, c'est un manque de compréhension des principes et des valeurs ainsi que de l'éthique et du fonctionnement de tout le système. J'ai passé beaucoup de temps à discuter de la chose avec de nouveaux députés et de nouveaux ministres. J'ai très rarement vu dans ma carrière des cas où l'on a tenté à dessein de politiser le système ou à y introduire de la partisannerie. Je suis en quelque sorte satisfait de l'état actuel des choses. Je ne voudrais pas que l'on retourne à cette période-là.
Le président: Sur ce, nous allons terminer. Merci infiniment, monsieur Baker, d'avoir accepté de comparaître devant nous et de nous faire part de votre expérience, de vos connaissances et de votre opinion sur les questions dont nous sommes saisis.
Notre prochain témoin, Mme Hynna, a été sous-ministre adjointe de plusieurs ministères au cours de ses 30 ans de service à la fonction publique. Elle a aussi été membre du Comité consultatif Fryer sur les relations patronales- syndicales dans la fonction publique fédérale. Elle a également présidé un examen consultatif de la dotation au nom de la Commission de la fonction publique en 1996.
Bienvenue parmi nous, madame Hynna. Vous avez une déclaration préliminaire, je crois?
Mme Martha Hynna, témoignage à titre personnel: C'est exact, je pense qu'elle a été photocopiée et distribuée.
Laissez-moi d'abord vous dire que c'est un honneur pour moi que de témoigner ici aujourd'hui, et je vous remercie de m'avoir offert cette possibilité. Je suis d'autant plus honorée — c'est une remarque personnelle — d'être ici le 3 septembre, qui l'anniversaire de mon père. Il a été député pendant de nombreuses années et portait un grand respect au Parlement, c'est pourquoi c'est un privilège et un honneur de pouvoir contribuer au travail du Parlement, surtout en cette date.
Comme vous l'avez dit, j'ai moi aussi travaillé à la fonction publique — pas aussi longtemps que M. Baker, mais nos parcours sont proches de bien des façons. J'ai été sous-ministre adjointe assez longtemps, parfois dans des postes hiérarchiques, parfois dans des secteurs des services ministériels et des ressources humaines. Depuis ma retraite, j'ai fait beaucoup de consultation. Comme vous l'avez dit, j'ai fait partie du Comité consultatif Fryer. Je suis aussi présidente de la fiducie du régime de soins de santé de la fonction publique, nommée par l'employeur, les syndicats et de l'association des retraités fédéraux. J'ai travaillé étroitement avec les syndicats et la direction au fil des ans et j'ai acquis, je l'espère, une certaine connaissance du domaine. Bien que j'aie quitté la fonction publique, comme M. Baker, il y a huit ans maintenant, j'ai conservé certains contacts et je pense bien connaître la situation.
Je pense que l'on m'a demandé de témoigner devant vous surtout à cause de mon expérience à la tête de l'examen consultatif de la dotation au nom de la Commission de la fonction publique, en 1996. Par conséquent, je vais axer mes observations sur la partie du projet de loi qui traite de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique.
Je tiens à vous parler un petit peu de l'examen consultatif de la dotation, ce qui figure dans notre rapport, «A New Framework for Staffing and Resourcing», à vous exposer certaines des conclusions que nous avons tirées et à les comparer avec les dispositions de C-25.
Je crois que c'était un des documents de travail du groupe de travail sur la modernisation de la fonction publique et j'ai vu que la ministre avait fait référence à notre travail dans ses déclarations il y a quelques semaines.
De manière générale, selon moi, le projet de loi C-25 — surtout tel qu'amendé par la Chambre des communes — est cohérent avec les résultats de l'examen consultatif, que j'appuie.
Comme je l'ai dit, en 1996, on m'a demandé d'entreprendre un examen du processus de dotation. Notre objectif était d'essayer d'arriver à une entente sur ce que l'on appelait une vision, une voie ou une approche pour le genre de système de dotation dont la fonction publique de l'avenir aurait besoin. Ayant cela à l'esprit, nous avons entrepris une consultation d'envergure. Nous n'étions pas intéressés à ce qu'une petite équipe rédige quelques idées pour pouvoir les examiner. Ce que nous voulions faire, c'est réunir différents intervenants — notamment des sous-ministres, des gens de la commission, l'employeur, les syndicats, des spécialistes des ressources humaines — et interroger autant de gens que possible pour essayer d'avoir une idée de la voie dans laquelle s'engager.
Ensemble, nous avons édifié la vision d'une nouvelle approche. Il est important de remarquer que nous sommes arrivés à former un consensus, malgré nos différents intérêts et positions sur de nombreuses questions. Les syndicats, comme je l'ai dit, ont joué un rôle clé dans notre travail.
Les conclusions de cette étude furent, tout d'abord, qu'il est évident que ni les gestionnaires ni les employés ne sont satisfaits de la situation actuelle. Or cela ne semble pas avoir changé. Les gestionnaires ont trouvé que c'était décourageant et que cela prenait beaucoup trop de temps. Ils jugeaient aussi que cela portait plus sur la possibilité d'obtenir gain de cause en faisant appel d'une décision que sur l'assurance qu'ils obtenaient la meilleure personne pour le travail à faire. Les employés n'étaient pas du tout convaincus que le système donnait des résultats équitables.
Lors de ces consultations, nous en sommes arrivés à la conclusion qu'il y avait quatre choses qu'il faudrait absolument changer pour obtenir le genre de système de dotation nécessaire pour l'avenir.
Tout d'abord, le système devrait reposer sur des valeurs plutôt que sur des règles et méthodes. Les valeurs en question étaient des choses comme le mérite, l'impartialité politique, l'équité, la représentativité, la transparence, la diversité, la compétence et l'intégrité. Nous avons déclaré que ces valeurs devraient être établies par voie législative. Nous avons déclaré qu'un système fondé sur des valeurs exigerait d'être certain que les décisionnaires comprenaient et acceptaient ces valeurs et qu'on leur demanderait des comptes s'ils ne les respectaient pas.
Nous avons d'autre part dit que le système ne devrait pas essayer de transposer ces valeurs en règles et méthodes spécifiques qui s'appliqueraient à l'ensemble de l'administration. Sinon, les décisionnaires s'inquiéteraient plus de méthodes que de valeurs.
Les règles, par définition, sont rigides. Aussi empêcheraient-elles les décisionnaires de voir comment équilibrer les différentes valeurs pour prendre la meilleure décision possible pour tous les intéressés. Nous comprenons tous que chaque fois que nous prenons une décision, nous essayons de jongler entre plusieurs valeurs concurrentes. Ce n'est pas évident. Nous devons parvenir à une pondération entre rentabilité, égalité et parité. C'est absolument nécessaire.
Le projet de loi C-25 va tout à fait dans ce sens. Le préambule énonce ces valeurs dans ses divers paragraphes. Il prévoit ensuite que la commission établisse des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives au paragraphe 29(3).
On dit que les gestionnaires seront en mesure de faire ce qu'ils veulent. Ce n'est pas vrai. Ils pourront faire ce qu'ils peuvent dans le cadre de lignes directrices ou de politiques établies par la commission. À cet égard, j'espère que les politiques concernant l'ensemble de l'administration seront générales et refléteront ou clarifieront les valeurs sans entrer dans les détails quant à la façon de procéder. Au sein des ministères, j'espère que les sous-ministres, jouissant de pouvoirs qui leur sont délégués, établiront des politiques et des pratiques à suivre. Ceci devrait pouvoir varier selon la situation, la région et le poste.
La deuxième chose qui doit changer, c'est la reddition de comptes. La conclusion de cette étude consultative fut que les sous-ministres et, sous leur direction, les gestionnaires, soient tenus directement responsables de la dotation interne — pas pour le recrutement initial — dans le cadre de valeurs discutées ci-dessus. La Commission de la fonction publique serait chargée de définir le cadre de valeurs et de surveiller l'ensemble du système.
Nous avons jugé que dans le système actuel, il est trop facile pour les gestionnaires de penser que la Commission de la fonction publique ou les spécialistes des RH sont responsables de ce qui se passe en matière de dotation. Nous avons pensé qu'en donnant aux sous-ministres et aux gestionnaires plus de responsabilités dans ce processus, ils auraient davantage le sentiment de devoir rendre compte de leurs actes. Nous avons d'autre part suggéré que la Commission de la fonction publique conserve la responsabilité morale directe des nominations initiales à la fonction publique.
Le projet de loi C-25 ne change pas autant de choses que nous l'avions imaginé. La Commission de la fonction publique conserve la responsabilité directe de toutes les opérations de dotation, tout en ayant le pouvoir de déléguer pratiquement toutes ses responsabilités aux sous-ministres. D'un autre côté, le préambule stipule spécifiquement que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l'échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation et pour diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens.
Les sous-ministres ont également un rôle plus important à jouer dans le système de réparation dans le régime actuel, ce qui me semble important. Dans ce système, avant qu'un appel aille devant le nouveau tribunal, les sous-ministres devraient s'en occuper. En cas de plaintes et d'appels, on apprend ce que les gestionnaires font de travers. Les sous- ministres rendent des comptes à la Commission de la fonction publique. Ils seraient mieux placés pour régler les problèmes avant que les choses ne dégénèrent et c'est la raison pour laquelle il est important qu'ils jouent tout de suite un rôle.
Bien que les dispositions n'aillent pas aussi loin que ne l'avait envisagé l'étude, elles représentent une grosse amélioration par rapport à la situation actuelle. Toutefois, il sera important que l'employeur et la Commission de la fonction publique rappellent constamment et insistent sur la reddition de comptes des sous-ministres en la matière.
Le troisième changement dont nous nous sommes préoccupés est la question de l'élaboration conjointe des processus. Nous avons recommandé que pour les politiques et pratiques, les processus soient élaborés conjointement avec les représentants légalement constitués des employés, les agents de négociation. Nous pensons que si les employés ne font pas confiance au système actuel, c'est parce qu'ils ont l'impression qu'il a été exclusivement conçu par des gestionnaires et pour des gestionnaires.
Les employés et leurs représentants voulaient un système qui permettait plus de coopération et moins de confrontation, tant dans la pratique courante que dans tout effort visant éventuellement à l'améliorer. Pour cela, ils voulaient participer à l'élaboration du système, tant pour l'ensemble de l'administration, en ce qui concerne l'élaboration du cadre général, qu'au niveau ministériel, où sont décidés les pratiques et processus plus spécifiques.
Ceci ne signifie pas qu'ils participeraient aux décisions de dotation, mais qu'ils participeraient à l'élaboration du processus ou des pratiques particuliers qui s'appliqueraient.
Je crois que ces valeurs importantes sont prises en compte dans le projet de loi. La Commission de la fonction publique est habilitée à énoncer des politiques générales quant à la façon dont ces valeurs sont respectées. Les sous- ministres se voient ensuite déléguer le pouvoir de mettre en pratique des politiques et pratiques spécifiques, pertinentes et appropriées dans leur situation particulière.
Il faut des types de processus différents quand on dote certains types d'emplois plutôt que d'autres. On peut certainement associer variété et conformité à un ensemble général de principes et valeurs.
C'est ce que propose le projet de loi. Il ne dit pas qu'une fois que les gestionnaires disposent de ce pouvoir, ils peuvent faire n'importe quoi. Ils doivent au contraire agir dans un certain cadre.
D'autre part, le projet de loi n'insiste pas sur l'élaboration conjointe. Toutefois, maintenant les syndicats, avec l'amendement apporté par la Chambre des communes, doivent être consultés quant au contenu du cadre que fixerait la Commission de la fonction publique. Il y a également à cet égard certaines garanties.
Le projet de loi C-25 ne va pas tout à fait aussi loin que nous l'aurions voulu. La consultation, ce n'est pas exactement l'élaboration conjointe mais il faut maintenant que les syndicats soient consultés quant à la manière de faire et de révoquer des nominations. Nous espérons beaucoup que toute délégation de pouvoir aux sous-ministres sera assortie d'une telle exigence de consultation.
La quatrième chose que l'on a trouvé qu'il serait nécessaire de changer porte sur les mesures de recours et de réparation. Le recours va de pair avec la reddition de comptes. Nous estimons que les dispositions proposées offrent un meilleur système pour attirer l'attention sur des situations et contester des situations où l'on a l'impression qu'il y a eu des abus.
Nous pensons que ceci devrait fonctionner assez rapidement. Nous pensions que les ministères devraient être chargés de répondre aux plaintes en premier lieu. Ces éléments sont inclus dans le projet de loi C-25.
Je voulais également parler du principe du mérite. Nous avons noté que puisque les employés semblent beaucoup critiquer le favoritisme dont se rendent coupables les gestionnaires quand il y a plus d'un employé qualifié pour une nomination, si l'on voulait que le processus soit juste, il fallait appliquer une sorte de norme transparente pour décider lequel des employés en question serait en fait nommé. Toutefois, il n'est pas nécessaire que la décision porte uniquement sur le mérite. Autrement dit, lorsque l'on a décidé des candidats qui ont les connaissances et aptitudes nécessaires, d'autres critères peuvent être envisagés pour décider du candidat qui sera en fait nommé. Les dispositions du projet de loi vont dans ce sens.
Personnellement, je pense que le principe du mérite tel qu'on l'entend aujourd'hui — à savoir, que l'on nomme toujours la personne la plus qualifiée — est essentiellement illusoire et qu'il est évident qu'il n'est pas appliqué. Comme vous l'avez dit, on tente de contourner le processus afin de nommer quelqu'un et de le faire rapidement.
Il arrive souvent que dans le contexte d'un concours, la personne qui obtient le poste est celle qui réussit le mieux à l'entrevue. On insiste beaucoup sur l'entrevue parce que c'est la meilleure façon de défendre une nomination en cas d'appel. On peut avoir une entrevue avec une série de questions et un système de notation qu'il est facile de défendre. Tout ceci peut être tout à fait artificiel. L'entrevue peut être très subjective. Le résultat est que, trop souvent, on se retrouve non pas avec la personne la plus compétente pour l'emploi mais celle qui a le plus brillé à l'entrevue. Le résultat est parfois que l'on ne nomme pas forcément la meilleure personne parce que celle-ci n'a pas brillé à l'entrevue et même parfois, et c'est pire, on se retrouve avec quelqu'un qui n'est pas le meilleur des candidats à l'emploi mais qui est celui qui a le mieux réussi à l'entrevue. Les gestionnaires apprennent à l'usage qu'il faut être prudent à cet égard et je suis certaine que tous les gestionnaires ont déjà embauché quelqu'un qui s'en était bien tiré à l'entretien et qui finalement ne faisait pas tellement l'affaire. Le système actuel ne nous donne pas forcément les gens les plus qualifiés. Aussi, je pense qu'il nous faut un système du type qui est maintenant proposé.
Voici donc en résumé les conclusions du processus de consultation sur la dotation. Je vous rappelle que ces conclusions reflètent le point de vue d'un éventail représentatif de parties prenantes dans le système. Les lacunes constatées dans le projet de loi initial ont à mon avis été dans l'ensemble corrigées par la Chambre des communes. Je crois que ce projet de loi, s'il est adopté, permettra aux ministères, en collaboration avec les agents de négociation, de mettre en place un système de dotation juste et transparent qui garantira que le Canada continue à refléter les valeurs énoncées dans le préambule.
Le président: Merci, madame Hynna.
Le sénateur Beaudoin: J'aimerais parler de la question du principe du mérite. Je suis un peu surpris. Il est vrai que la personne qui réussit le mieux à l'entrevue n'est pas forcément le meilleur candidat mais cela peut arriver. Quelqu'un d'autre peut avoir d'excellentes références mais ne pas réussir à l'entrevue. Si quelqu'un réussit seulement aux entrevues, cela se verra et on ne sélectionnera pas cette personne.
Mme Hynna: Bien sûr, vous avez raison. Dans bien des cas, cela ne suffirait pas. Très souvent, on irait au-delà et plus on approche du niveau de la direction, moins l'entrevue a d'importance. Si l'on s'acquitte bien de ses responsabilités de dotation, on examine le dossier, les références, on voit la personne et on lui parle. On prend tout ça en considération.
Ce qui arrive, toutefois, dans la situation actuelle, c'est que, trop souvent, en particulier aux échelons inférieurs à celui de la direction où les appels sont beaucoup plus courants, il est plus facile de défendre une décision si celle-ci repose sur les résultats d'une entrevue et si vous avez une grille de notation pleine de notes. Si quelqu'un vient contester cela, on peut montrer les réponses qui ont été données et prouver que cette personne a obtenu de meilleures notes et que c'est la raison pour laquelle elle a obtenu l'emploi. Il est plus difficile de défendre quelque chose que l'on fonde en particulier sur des références, qui sont souvent, dans un sens, la façon la plus utile de déterminer si quelqu'un fait bien un travail.
Le système actuel comporte des règles très précises et il y a une jurisprudence qui dit sur quelle base on peut se fonder pour dire qu'un concours s'est ou non déroulé convenablement et cela vous pousse, à mon avis, à insister plus sur l'entretien qu'il ne le faudrait.
L'autre chose est que cela prend très longtemps. Il y a tellement de concours sans concours parce que c'est un processus tellement long, complexe et laborieux que les gestionnaires essaient de l'éviter. S'ils participaient à l'élaboration du processus, je pense qu'ils seraient plus disposés à le mettre à exécution. On a dit que les gestionnaires dans l'ensemble doivent travailler avec les gens qu'ils embauchent ou les gens qu'ils n'embauchent pas. Aussi, si l'on veut avoir de bonnes relations de travail avec ses employés, il faut gérer de façon juste, transparente et cohérente. Il y a des tas de raisons pour lesquelles les gestionnaires travaillent de façon juste, ouverte et transparente tant que d'autres éléments ne le poussent pas à éviter cela parce que cela présentera des problèmes encore plus importants. Encore une fois, les gestionnaires, comme tout le monde, jonglent tout le temps avec des tas de choses.
Le sénateur Beaudoin: Nous avons une expression en français, «beau parleur, petit faiseur». Je ne sais pas si vous avez l'équivalent en anglais.
Le président: Ne posez pas la question.
Le sénateur Beaudoin: Si ce ne sont que des mots, on s'en aperçoit.
Mme Hynna: À force, en effet.
Le sénateur Beaudoin: Par exemple, on fait juger les gens par leurs pairs. C'est probablement le meilleur système. Autrement dit, si tout le monde dans un même domaine arrive à la conclusion que cette personne est réellement la mieux placée, je pense que c'est très probant. Je reviens à la thèse du sénateur Bolduc. Je pense que nous devrions choisir le meilleur. Il n'existe pas à mon avis de meilleure règle. S'il n'y a qu'un candidat, ça peut être plus difficile, mais s'il y a une sérieuse concurrence, il y a des chances que la décision finale soit bonne. Le concours est certainement la solution. Je n'ai pas trop peur du beau parleur, petit faiseur, parce qu'après un certain temps, on s'en aperçoit, même au cours de l'entretien, si l'on pose une très bonne question. Toutefois, le fait est qu'il n'y a pas tellement de façons de trouver la meilleure personne. Seuls les gens qui sont égaux à cette personne peuvent en juger.
Mme Hynna: Je conviens avec vous que les concours sont, dans la plupart des cas, la meilleure façon de procéder, et j'espère évidemment que, dans le nouveau système, on continuera d'y recourir dans la plupart des cas et que le concours sera ouvert à autant de monde que possible dans les limites du raisonnable et selon ce qu'on recherche, etc. Je l'espère bien et j'espère que les lignes directrices et les politiques cadres établies confirmeront que c'est la façon normale de procéder, selon les circonstances.
Par contre, ce qui se produit également aujourd'hui et qui peut être très frustrant, c'est que nous sommes tous d'accord, même en tant que pairs, que telle personne est la mieux qualifiée pour le poste mais, du fait du système, il faut suivre tout un long processus au bout duquel on découvre que quelqu'un possède évidemment une expérience plus directe et plus spécifique que les autres. Ce processus de concours peut, à l'occasion, se révéler inutile et frustrant pour d'autres candidats. Il faut des politiques et valeurs qui reviennent à dire: «le processus doit être juste et transparent». S'il n'y a jamais de concours, ce n'est pas juste.
Le sénateur Cordy: Merci de partager vos connaissances avec le comité. Comme le sénateur Beaudoin, je pense que la sélection du personnel devrait être fondée sur des valeurs. Cela permet certainement plus de latitude. Il est évident qu'il y a des gens qui réussissent mieux aux entretiens que d'autres. Quelquefois, les gestionnaires doivent considérer autre chose que les notes de 9,5 ou 9,2. Ils peuvent avoir l'impression que le candidat qui obtient 9,2 travaillera mieux en équipe et il faut donc leur laisser une certaine latitude.
Cela dit, vous avez également indiqué qu'il ne faudrait pas qu'on essaie, par le biais du système, de transformer des valeurs en processus et règles spécifiques. Dans quelle mesure sera-t-il difficile de changer la façon de penser des employeurs et des employés à cet égard?
Il est évident qu'un gestionnaire aurait plus de facilité à défendre ses décisions s'il pouvait dire «telle ou telle personne a obtenu 10 sur 10» au lieu de «mon intuition me dit que cette personne-ci est la plus compétente».
Depuis quelques jours, nous discutons du favoritisme bureaucratique et du sentiment que peuvent avoir certaines personnes qui passent des entrevues que tout a déjà été décidé d'avance. Certaines personnes peuvent même avoir l'impression que la décision a été prise avant qu'elles se présentent à l'entrevue. Si le projet de loi C-25 est adopté, sera- t-il difficile de changer la façon de penser des fonctionnaires?
Mme Hynna: Je pense que ça demandera beaucoup de formation. Je me souviens du dépôt du projet de loi à la Chambre des communes; le ministre traitait de l'importance de la formation et du perfectionnement. Il a également indiqué que si le projet de loi était adopté, sa mise en pratique ne serait pas immédiate car elle nécessiterait beaucoup de travail.
Il est vrai que j'ai dit qu'il ne fallait pas transformer les valeurs en processus. J'entendais par là les processus permanents énoncés quelque part. Bien évidemment, chaque fois qu'il y a un concours, il faut que des processus qui aient été établis d'avance. Par contre, il ne faut pas procéder de façon statique. C'est le travail collectif qui doit permettre d'établir les processus, qui peuvent très bien être passés en revue une fois tous les deux ans. Certains processus peuvent être utilisés au sein d'un ministère dans certaines situations bien précises. Les processus sont nécessaires. Ce ne serait ni juste ni transparent de dire, après coup, «nous avons utilisé tel ou tel processus». Il s'agirait alors d'abus de pouvoir et on pourrait faire appel de la décision.
Le sénateur Kinsella: Grâce à Mme Hynna, j'en ai appris énormément sur la fonction publique au fil des ans. J'aurais quelques questions à poser. Mme Hynna était sous-ministre adjointe à la Commission de la fonction publique. Je le mentionne parce qu'hier nous avons essayé de déterminer, avec certains de nos témoins, s'il était possible d'avoir une bonne communication entre les membres de la Commission de la fonction publique et l'ensemble des sous- ministres. Certains ont indiqué que s'il y a trop d'interaction, on perd son objectivité.
Moi, j'ai avancé l'argument inverse, à savoir que la commission fonctionne plus efficacement quand un grand nombre de ses dirigeants ont travaillé au sein de la fonction publique. C'est un enrichissement pour les organismes et ministères opérationnels d'avoir d'anciens fonctionnaires occupant des postes de cadres supérieurs.
Un des témoins a suggéré que le président de la nouvelle Commission de la fonction publique prévue dans le projet de loi C-25 devrait être une personne âgée en fin de carrière. Cette idée m'a horrifié. Le poste est beaucoup trop important; il devrait être occupé par une personne des plus dynamiques et énergiques.
Avez-vous perdu de votre objectivité du fait que vous avez travaillé pour la Commission de la fonction publique pour ensuite retourner dans un ministère opérationnel?
Mme Hynna: Non. Avec le temps, on apprend quand on occupe différents postes, on joue différents rôles et par conséquent on réagit différemment. Il m'apparaît également que l'expérience acquise dans les ministères est très importante pour les organismes centraux. Cette expérience est très utile lorsque l'on passe d'un ministère opérationnel à un organisme central. Mais il est également vrai qu'on a alors une perspective différente. Pour moi, ce n'est pas problématique.
Le sénateur Kinsella: Vous nous avez parlé de l'examen consolidé sur la dotation. Lors de vos recherches, avez-vous étudié les expériences et processus en matière de dotation des organismes non essentiels de la fonction publique? Plus précisément, vous êtes-vous intéressée aux organisations indépendantes?
Mme Hynna: Nous n'avons étudié aucune société d'État. Nous effectuions notre enquête à l'époque où les quatre agences — comme Parcs Canada, Revenu Canada, qui a d'ailleurs changé de nom — sont devenues des entités distinctes. Il y a des questions qui ont été soulevées relativement aux sociétés d'État, mais nous ne les avons pas étudiées.
Le sénateur Kinsella: D'après vous, une telle étude devrait-elle être faite, et rapidement, afin d'étudier les pratiques de dotation des organismes non essentiels de la fonction publique?
Mme Hynna: Ce serait sans doute utile. Je partage le point de vue du sénateur Comeau: une de nos valeurs importantes, c'est l'égalité d'accès aux emplois, aux contrats et autres dans le secteur public. Il s'agit de fonds publics et, par conséquent, tous devraient avoir les mêmes chances d'y accéder. Il ne faut pas l'oublier. Il est également important de continuer les vérifications. Je suppose que les sociétés d'État ont les mêmes exigences que les organismes essentiels de la fonction publique.
Le sénateur Kinsella: Nos collègues les sénateurs Gauthier et Comeau nous ont souvent rappelé l'importance de l'application de la Loi sur les langues officielles à tous les niveaux de la fonction publique canadienne. C'est très important. Le sénateur Beaudoin a également souligné les exigences constitutionnelles. Par contre, au plan constitutionnel — et je me rapporte à l'article 27, sénateur Beaudoin — et, dans ce cas, de la Loi sur le multiculturalisme, tous les niveaux du gouvernement se sont engagés à promouvoir le multiculturalisme prévu par cette loi. Ceci se reflète d'ailleurs dans les travaux de la Commission de la fonction publique. Comment cela se reflète-t-il dans les organismes non essentiels?
Mme Hynna: Il est difficile de déterminer l'importance relative des employeurs distincts. Si on considère que certains organismes et certaines sociétés d'État sont des employeurs ou des organismes distincts, dans quelle mesure doivent-ils être couverts? Où se situe la ligne de démarcation? Comment s'assurer que les valeurs communes sont appliquées?
Je ne sais pas où se situe la démarcation. C'est difficile. La Commission de la fonction publique devrait-elle être chargée du contrôle des pratiques de dotation des employeurs distincts? Il existe plusieurs façons de faire. Quand le mandat devient-il trop important pour être mené à bien efficacement? Peut-être vaudrait-il mieux, comme on l'a d'ailleurs suggéré, regrouper des personnes qui ont un domaine d'expertise précis?
D'après mon expérience au sein de différents organismes gouvernementaux au fil des ans, je dirais qu'il existe différentes façons de procéder. Peu importe la méthode choisie, il existe certaines valeurs qu'il faut respecter. Il n'y a pas une méthode qui soit meilleure que les autres. En général, elles sont tout simplement différentes. Ce qui est important, c'est de bien comprendre les avantages et les inconvénients et de bien gérer ces inconvénients.
Le sénateur Kinsella: Appuieriez-vous un amendement à ce projet de loi qui modifierait la Loi sur la Commission de la fonction publique pour déléguer à la CFP les pouvoirs de vérification et d'enquête concernant les organismes non essentiels?
Mme Hynna: Les pouvoirs de vérification et d'enquête uniquement? Je ne voudrais pas qu'il s'agisse également des pouvoirs en matière de dotation et de délégation. Je ne sais pas s'il s'agit là de la meilleure solution ou s'il y a d'autres façons d'assurer la vérification et les enquêtes. Avant de répondre, il faudrait que je prenne en compte toutes les répercussions. Je suis désolée. Par contre, je pense qu'il doit y avoir un système de vérification et d'enquête.
Le sénateur Kinsella: Que pensez-vous de la dénonciation?
Mme Hynna: Je n'ai pas de point de vue précis. Je pense qu'il s'agit d'une question qui va au-delà de ce qui nous intéresse et, par conséquent, il faudra l'examiner. Je sais que c'est une question importante. Je pense qu'il va falloir s'y attarder et que cette question va sans doute au-delà de l'administration de la fonction publique et des ressources humaines. Par conséquent, je ne sais pas si on devrait en traiter dans ce projet de loi ou dans un autre. Je ne suis pas en mesure de me prononcer.
Le sénateur Ringuette: Quand l'enquête sur les processus de dotation, qui a commencé en 1996, s'est-elle terminée?
Mme Hynna: Seule la première étape a été terminée. L'étude a duré six mois. Elle a débuté en janvier pour se terminer en juillet 1996, à peu près. J'ai résumé beaucoup des conclusions. Si vous le désirez, je pourrais vous faire parvenir un exemplaire de ce rapport, par le biais du greffier. Je pense qu'on ne peut plus en obtenir facilement de la Commission de la fonction publique, mais je serais ravie d'essayer ou d'en trouver ailleurs.
Nous avons consulté bien des personnes pour comprendre l'approche et la direction générales. Nous sommes restés au niveau des généralités, sans nous attaquer aux détails de la mise en pratique. Il restait beaucoup de travail; en fait, beaucoup de ce travail a été abattu depuis, mais pas par le groupe avec lequel je travaillais.
Le président: Pourquoi le rapport n'est-il pas disponible auprès de la Commission? Les rapports ont-ils été détruits?
Mme Hynna: Je ne sais pas. Un certain nombre d'exemplaires ont été imprimés et distribués, puis il n'y avait plus de demandes, donc ils n'y sont plus. Je suppose qu'on peut le retrouver dans les archives. Mais il est sans doute plus rapide de passer par moi ou par le groupe de travail, qui a sans doute un exemplaire du rapport également.
Le sénateur Ringuette: Vous avez indiqué que vous êtes maintenant retraitée et que vous travaillez comme consultante. Quand avez-vous pris votre retraite?
Mme Hynna: J'ai pris ma retraite après avoir terminé l'enquête à l'automne de 1996.
Le sénateur Ringuette: Depuis votre départ à la retraite, ou, plus précisément, dans les deux dernières années, avez- vous travaillé comme consultante pour le Conseil du Trésor?
Mme Hynna: Pour le Conseil du Trésor?
Le sénateur Ringuette: Oui, ou la Commission de la fonction publique, ou encore une institution ayant un lien avec le projet de loi C-25?
Mme Hynna: Pour ce qui est de la Commission de la fonction publique, je fais de l'encadrement pour les cadres dirigeants et pour les personnes qui s'apprêtent à atteindre ce niveau. Il y a plus de deux ans, j'effectuais ce qu'on appelle des entrevues sur le rendement antérieur dans le cadre des concours ciblant le bassin préqualifié. Il existait, et je pense qu'il existe toujours, un système qui permettait d'être préqualifié pour être pris en compte et promu à un poste de sous-ministre adjoint. Le processus de sélection de ces candidats était très élaboré — il l'est toujours, mais je ne m'en occupe plus. J'ai donc obtenu un contrat pour effectuer une partie de ce travail.
J'ai fait partie du groupe de travail Fryer, et c'est le Conseil du Trésor qui a assumé le coût de mon travail. Je préside maintenant la Fiducie du régime de soins de santé de la fonction publique, et j'ai été choisie par les syndicats et par le Conseil du Trésor. Comme c'est le Conseil du Trésor qui finance cette fiducie, c'est le Conseil du Trésor qui paie mes honoraires. Je dirais donc, effectivement, que j'ai reçu de l'argent des deux organismes ainsi que d'autres ministères depuis.
Le sénateur Ringuette: Cela illustre bien la situation.
Le sénateur Comeau: Je voudrais m'assurer que j'ai bien compris votre réponse à la question du sénateur Kinsella. Vous avez dit qu'un haut fonctionnaire pouvait tout à fait quitter la fonction publique normale pour assumer un rôle de dirigeant au sein de la Commission de la fonction publique. Est-ce bien ce que vous avez dit?
Mme Hynna: Oui.
Le sénateur Comeau: Permettez-moi de me faire l'avocat du diable pendant un court instant. Je voudrais revenir sur des observations qui ont été formulées par différents témoins. Je pense que c'est M. Baker qui a indiqué qu'il nous faudrait dorénavant une fonction de vérification très robuste à la Commission pour que le système fonctionne bien. Par contre, ce sont les personnes qui feront l'objet d'une vérification robuste par le commissaire de la fonction publique qui, une fois que le mandat du commissaire sera terminé et qu'il aura réintégré la fonction publique, vont décider de son cheminement de carrière. Ne pensez-vous pas que cela incitera la personne qui occupe le poste de commissaire à se montrer robuste dans certains cas et beaucoup moins dans d'autres?
Mme Hynna: Il faudrait qu'on ait plus confiance aux fonctionnaires et en leur capacité d'effectuer leur travail en temps et lieu. J'applique le même raisonnement dans le cadre des contrats qui m'ont été donnés par le Conseil du Trésor et par la Commission de la fonction publique: cela n'a aucune influence sur les propos que je tiens au sujet du projet de loi. J'y crois. Si je n'y croyais pas... je n'ai pas besoin de ces contrats. J'ai moi-même fait ce genre de choses. Je suis convaincu que pour bien faire mon travail il faut que j'adopte cette position. Il serait logique de penser que si mon travail n'est pas bien fait alors je n'aurais pas beaucoup de chances d'obtenir un poste ailleurs au gouvernement parce que j'aurais la réputation d'être une personne qui n'a pas bien fait son travail alors qu'elle en avait l'occasion.
En tant que fonctionnaires, nous apprenons — et j'espère que c'est une de nos valeurs — que quand nous occupons un poste, il faut bien faire son travail. Nous bougeons beaucoup. Souvent, d'un ministère à l'autre, il risque d'y avoir des conflits. Nous comprenons que c'est un des périls de la mobilité et nous changeons de poste.
Le sénateur Comeau: On pourrait donc en conclure qu'il serait possible que le vérificateur général soit sous-ministre ou sous-ministre adjoint, quitte un ministère hiérarchique de la fonction publique pour devenir vérificateur général et ensuite réintégrer la fonction publique. Il en va de même pour le commissaire aux langues officielles qui pourrait faire des rapports sur divers ministères, etc. Selon votre logique, parce que toutes ces personnes sont de bons citoyens, on voit leur nombre, elles ne risquent pas du tout d'être compromises; on devrait leur faire confiance.
Mme Hynna: Il est effectivement concevable qu'une personne comme le vérificateur général ou le président de la Commission des droits de la personne, par exemple, qui assume une fonction de vérification à un moment donné, puisse par la suite occuper un poste qui n'est pas relié à la vérification.
Le sénateur Comeau: Très bien. Je pense que vous comprenez où je veux en venir. Je voulais tout simplement savoir jusqu'à quel point vous pensez que nous, en tant que parlementaires, devrions faire confiance aux personnes qui se retrouvent dans un tel poste. Vous dites qu'on devrait leur faire entièrement confiance, qu'elles peuvent assumer des rôles de vérification, puis autre chose, et vice versa.
Mme Hynna: Je suis d'avis que ça ne devrait pas être réglementé. Il est évident qu'on ne peut pas faire entièrement confiance à n'importe qui. Certaines personnes sont en mesure de faire la différence entre les rôles.
Le sénateur Comeau: Je n'ai pas dit le contraire.
Mme Hynna: J'en suis consciente. Mais ce ne serait pas une bonne idée, il ne doit pas y avoir une bonne règle interdisant cette pratique. Il faudra voir ce que ça donne concrètement, mais il ne faudrait pas qu'il y ait une règle.
Le sénateur Comeau: Je ne voudrais pas qu'on interprète mal mes propos; je n'ai jamais dit qu'il faudrait qu'il y ait une règle.
Mme Hynna: Non.
Le président: Sur ce, nous allons conclure cette partie de nos audiences. Merci beaucoup, madame Hynna. Vos points de vue sont très intéressants et nous vous remercions de nous en avoir fait part.
Honorables sénateurs, merci beaucoup de votre coopération.
La séance est levée.