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ACCÈS INCERTAIN:
LES CONSÉQUENCES DES MESURES PRISES PAR LES ÉTATS-UNIS TOUCHANT LA SÉCURITÉ ET LE COMMERCE POUR LA POLITIQUE COMMERCIALE CANADIENNE
(Volume premier)


PARTIE 3:

LA POLITIQUE COMMERCIALE À LONG TERME

DU CANADA : INTÉGRATION ACCRUE OU DIVERSIFICATION?

L’intégration économique du Canada et des États-Unis s’est accrue au cours des quarante dernières années à un rythme qui s’est accéléré depuis le lancement de l’ALE en 1989. Quelle part de cette intégration, qui se traduit par l’augmentation des échanges commerciaux et investissements transfrontaliers, est attribuable à la libéralisation du commerce et quelle part l’est à d’autres facteurs comme les fluctuations du taux de change? Y aurait-il eu une telle intégration sans l’ALE et l’ALENA? Faut-il prendre des mesures pour accroître l’intégration en bonne et due forme avec les États-Unis ou adopter plutôt une politique de diversification commerciale dynamique pour rendre le Canada moins vulnérable aux mesures de sécurité et aux actions commerciales des États-Unis? Voilà, selon nous, des questions auxquelles les décideurs canadiens devraient réfléchir attentivement.  

DIMINUTION DES BÉNÉFICES DE LA LIBÉRALISATION DU COMMERCE

Les discussions sur le libre-échange entre le Canada et les États-Unis correspondent en fait à la période qui commence au lancement de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALE) en 1989. L’ALE a vraiment ouvert de nouveaux débouchés et provoqué une restructuration industrielle qui dure encore. Comme l’ALENA a eu une incidence moindre sur le commerce Canada - États-Unis, on peut affirmer sans se tromper que la libéralisation du commerce rapporte de moins en moins au Canada. L’ALENA a eu davantage d’effets sur les échanges entre le Canada et le Mexique.

L’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), auquel sont parties le Canada, les États-Unis et le Mexique, est entré en vigueur en janvier 1994. Conçu pour développer le commerce et multiplier les investissements entre les trois États parties, l’Accord visait les barrières tant tarifaires que non tarifaires et renfermait des clauses sur la façon de faire des affaires dans la zone de libre-échange. Comme l’ALENA est largement inspiré de l’ALE, il n’a pas tellement joué sur les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis. L’annexe sur la réduction des tarifs entre les deux pays n’a pas changé – les tarifs douaniers sur presque toutes les marchandises d’origine canadienne ou américaine ont été abolis le 1er janvier 1998[1] – et la plupart des dispositions de l’accord bilatéral antérieur ont été incorporées dans l’ALENA. Il y a quelques exceptions d’importance, notamment le fait que l’ALENA ait étendu le champ d’application de l’ALE en englobant presque tous les aspects du commerce transfrontalier des services. Comme le professeur de Mestral l’a fait remarquer au Comité, l’ALENA a réussi à supprimer les barrières commerciales dans le secteur des services.  

   A.  L’ALE et la croissance commerciale

Le Canada a vécu une explosion des échanges commerciaux avec les États-Unis depuis que l’élimination des tarifs douaniers a commencé en 1989 sous le régime de l’ALE. Les exportations vers les États-Unis ont augmenté de 250 p. 100 entre 1988 et 2001 et les importations, de 153 p. 100 durant la même période.

Les partisans de l’ALE, dont le gouvernement fédéral, ont souvent souligné que l’accord avait été une réussite éclatante pour ses deux États membres[2]. À leur avis, l’Accord a favorisé une forte croissance économique, entraîné une hausse des investissements et des échanges entre le Canada et les États-Unis, et contribué à des taux de chômage planchers. Selon Pierre Alvarez, l’ALE et la déréglementation des marchés de l’énergie dans les années 80 sont deux mesures gouvernementales extrêmement heureuses dont l’incidence rivalise avec celle du Pacte de l’automobile. L’accès au marché américain a permis une hausse fulgurante des ventes.

Impossible de prétendre que l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n’a pas eu un effet bénéfique sur les échanges commerciaux entre les deux pays. Depuis l’entrée en vigueur de l’ALE, le Canada a vécu une réorientation et une restructuration de son économie qui, aujourd’hui, se tourne davantage vers l’exportation tout en étant mieux intégrée dans une économie nord-américaine collective. Comme William Dymond (directeur général, Centre de droit et de politique commerciale) l’a fait remarquer au Comité, des secteurs entiers de l’économie canadienne ont été restructurés sur un axe nord-sud.

John Helliwell, qui est loin d’être un chaud partisan de l’accord bilatéral, a appris au Comité que l’ALE avait entraîné une croissance deux fois plus rapide du commerce nord-sud que ce qu’avait prévu le modèle dont il se servait. Les industries qui craignaient le libre-échange (p. ex. textile et confection, meuble, vin) ont été celles qui, tout compte fait, en ont le mieux profité[3].

D’autres études empiriques comparant la croissance du commerce des produits visés par l’Accord à celle des produits dont le commerce se faisait déjà en franchise avant l’Accord étayent la constatation que l’ALE a contribué à l’expansion des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis[4].

   

B.  Autres facteurs influant sur les relations commerciales Canada - États-Unis

Cette évaluation optimiste de l’impact de l’ALE sur le commerce est cependant tempérée par la réalité, puisqu’un certain nombre de facteurs autres que la libéralisation du commerce découlant de l’Accord ont joué sur les échanges entre les deux pays. Malgré la croissance considérable du commerce entre le Canada et les États-Unis depuis l’entrée en vigueur de l’ALE en 1989, il serait trompeur de laisser croire que cette croissance est attribuable exclusivement à la libéralisation du commerce découlant de l’ALE (et de l’ALENA qui lui a succédé). Il est vrai que des accords comme l’ALE améliorent les conditions du commerce en abaissant les barrières tarifaires et en créant un milieu stable et sûr pour les échanges et les capitaux, mais ils ne constituent qu’un seul des nombreux facteurs qui influent sur les échanges de marchandises et de services entre pays à un moment donné.

Bien entendu, presque tout le commerce bilatéral avait déjà été libéralisé avant la mise en application de l’accord. Lorsque l’ALE a été signé en 1989, de nombreuses marchandises se transigeaient déjà en franchise entre le Canada et les États-Unis, en particulier les automobiles et pièces d’automobiles depuis la conclusion du Pacte de l’automobile en 1965. De plus, les tarifs sur les aéronefs et leurs pièces, la pâte, les produits du papier et du bois, le pétrole brut, le pétrole et le gaz naturel – quelques-uns des plus importants produits d’exportation du Canada – n’ont pas été touchés par l’ALE. En tout, on estime qu’un bon 35 p. 100 du commerce Canada - États-Unis se faisait en franchise avant l’entrée en vigueur de l’ALE([5]). D’autres lignes tarifaires étaient basses suite aux cycles successifs du GATT sur les réductions tarifaires.

Comme Tim O’Neill (vice-président exécutif et économiste en chef, Groupe financier BMO) l’a dit au Comité, l’ALE a été le point culminant de la libéralisation du commerce entre le Canada et les États-Unis qui se réalisait peu à peu depuis quarante ans. La réduction des tarifs prévue dans l’ALE était, globalement, assez mince. Il va sans dire qu’une part importante de la croissance du commerce bilatéral depuis 1989 serait attribuable à un milieu plus propice aux échanges qui s’était établi avant même la mise en œuvre de l’ALE. Dans son mémoire au Comité, Jim Stanford a signalé que deux secteurs « libéralisés » – l’énergie et l’automobile – représentaient à eux seuls pas moins de 40 p. 100 de la croissance des exportations sous le régime de l’ALE. Dans ni l’un ni l’autre de ces secteurs, l’ALE n’a amélioré l’accès au marché américain.

L’ALE a amélioré l’accès du Canada au marché américain, mais deux facteurs macroéconomiques indépendants de l’accord ont aussi joué sur le commerce entre le Canada et les États-Unis après l’ALE. En plus d’avoir influé sur la croissance commerciale entre les deux pays au cours des années 90, ils ont eu un effet non négligeable sur la balance commerciale. Presque toute la croissance des exportations vers les États-Unis depuis la mise en œuvre de l’ALENA est attribuable à a) la faiblesse du taux de change entre les deux pays et b) des taux de croissance supérieurs chez nos voisins du sud (cette croissance aux États-Unis engloutissant nos exportations).

Le premier de ces trois facteurs, c’est la performance du dollar canadien que montre le tableau ci-dessus. Après avoir monté rapidement dans l’année précédant immédiatement le lancement des négociations sur l’ALE en 1989 – le dollar avait alors atteint la marque des 85 cents cette année-là – notre monnaie a continué à s’apprécier par rapport au dollar américain, sa valeur atteignant presque 89 cents en 1992.

Cependant, entre 1992 et 2002, le dollar canadien a chuté de manière régulière, ce qui a fait baisser le prix des produits canadiens vendus aux États-Unis tout en rendant les marchandises américaines plus chères au Canada[6]. Cela a exercé une pression à la baisse sur la croissance des importations au Canada et amélioré la compétitivité des produits canadiens sur le marché américain, portant les exportations à des niveaux plus élevés.

John Helliwell a appris au Comité que c’est principalement la politique américaine d’entretenir la force du dollar au cours des années 90 qui a provoqué la hausse des exportations canadiennes aux États-Unis pendant cette décennie. La part de nos exportations vers ce pays est passée de 77 p. 100 avant l’ALE à 87 p. 100 aujourd’hui, le taux de change étant le facteur primordial de cette augmentation. M. O’Neill partageait cet avis et a souligné que, si on examine l’augmentation du volume des échanges commerciaux dans les années 90, on constate que la chute vertigineuse du dollar canadien, qui est passé de 90 à 65 cents US, est le facteur déterminant. Fred McMahon a aussi soutenu que la dévalorisation de la devise canadienne était la principale cause de l’imposant excédent commercial entre le Canada et les États-Unis.

Outre l’effet du taux de change, après la récession du début des années 90, les États-Unis sont entrés dans l’une des plus longues périodes d’expansion économique ininterrompue de leur histoire. Une combinaison de facteurs dont la croissance de la productivité, la baisse du prix des matières premières, les gains du marché des actions et un dollar fort, a permis à l’économie de prospérer, créer des emplois, hausser les revenus et attirer des capitaux sans pour autant déclencher une poussée inflationniste. Les niveaux de consommation ont augmenté au rythme de la richesse américaine, faisant grimper la demande pour des produits canadiens. Comme l’économie canadienne n’a pas eu d’aussi bons résultats, la demande pour les produits américains au Canada n’a pas connu une courbe ascendante aussi prononcée, à telle enseigne que les exportations canadiennes aux États-Unis ont largement distancé les importations provenant de ce pays.

Enfin, l’ALE a sans doute fait que des marchandises canadiennes destinées à d’autres clients que les États-Unis ont sans doute été déroutées en partie vers le marché américain. Il se pourrait que des exportations vers d’autres pays aient été réacheminées vers les États-Unis et que le commerce entre provinces canadiennes ait dévié vers ce pays. Comme M. Helliwell l’a fait remarquer aux membres du Comité, certains gains du commerce nord-sud se sont faits aux dépens du commerce avec le reste du monde. Par conséquent, le Canada n’a pas tiré profit de ce changement. Alors que la création de nouveaux débouchés commerciaux rapporte des avantages économiques aux Canadiens, le détournement du commerce avec les autres pays selon la variation des tarifs douaniers peut simplement mener à des carences économiques[7].

   

C.  Diminution des gains tirés de la libéralisation du commerce sous le régime de l’ALENA

Il est aussi utile de mentionner que les gains tirés de la réduction des tarifs entre le Canada et les États-Unis, de loin les deux plus grandes économies de l’ALENA, ont été réalisés non pas sous le régime de l’ALENA mais sous celui de l’ALE. Au moment de l’entrée en vigueur de l’ALENA en 1994, les tarifs entre le Canada et les États-Unis avaient déjà pratiquement disparus.

Il ne faut donc pas s’étonner de constater que l’ALENA n’a provoqué aucune explosion du commerce bilatéral. De fait, une étude américaine effectuée en 1997 sur l’impact économique de l’ALENA a révélé que tout le commerce des États-Unis avec les pays en dehors de l’ALENA avait augmenté du même pourcentage (hausse de 11 p. 100 en 1994, 14 p. 100 en 1995, 5 p. 100 en 1996) tout de suite après l’entrée en vigueur de l’accord, que l’ensemble des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis (15 p. 100 en 1994, 12 p. 100 en 1995, 7 p. 100 en 1996)[8].

Comme le conclut cette étude, presque toute la spécialisation internationale que l’on pouvait attendre de la libéralisation du commerce s’était déjà produite avant l’entrée en vigueur de l’ALENA[9]. Bien que l’accord ait effectivement stimulé une certaine spécialisation transfrontière des produits manufacturés, il faudrait le considérer comme une étape vers l’intégration économique de l’Amérique du Nord qui était en voie de se réaliser de toute façon. D’ailleurs, la plupart des gains que le Canada a tirés de la libéralisation du commerce en Amérique du Nord ont été réalisés après la mise en application de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et l’ALENA y a ajouté bien peu.

ÉVALUER LES AVANTAGES D’UNE PLUS GRANDE INTÉGRATION

Si les bénéfices économiques de l’intégration ont déjà été récoltés quasi entièrement, comme le chapitre précédent de notre étude porte à le croire, pourquoi envisager une plus grande intégration? Le Comité a entendu divers points de vue sur les avantages d’établir des liens économiques en règle plus étroits avec les Américains. Dans le présent chapitre, nous allons résumer les témoignages reçus et évaluer quelques politique distinctes qui nous ont été suggérées.

John Helliwell a appris au Comité que l’argument favorable à un rapprochement avec les Américains tient à la possibilité de tirer de ces relations un revenu par habitant supérieur. Toutefois, ce résultat ne se produira pas puisque le filon est presque épuisé. De plus, l’étude qu’il a effectuée sur le bien-être subjectif porte à conclure que le caractère distinct et l’indépendance du Canada produit un bien-être subjectif supérieur. Par conséquent, il prédit que l’adoption de politiques visant à resserrer les liens bilatéraux aura un coût net. M. Helliwell trouve aussi qu’il est dangereux de croire que, parce que nous avons été incapables d’obtenir ce que nous voulions – un accès plus libre au marché américain et une meilleure protection contre les recours commerciaux pris par les États-Unis –, il faudrait poursuivre l’intégration pour atteindre notre objectif.

Selon Theodore Cohn (professeur, Département de science politique de l’Université Simon Fraser), le Canada devrait mettre l’accent sur le multilatéralisme commercial dans ses relations avec les États-Unis puisque a) le multilatéralisme insiste sur la primauté du droit, ce qui limite la capacité des partenaires plus importants de demander des paiements parallèles; b) les États-Unis accepteront de modifier leur politique dans le secteur agricole et sur les mesures commerciales de circonstance (droits compensateurs et antidumping) uniquement dans un contexte multilatéral; et c) le Canada profite de l’existence de toute une gamme de groupes plurilatéraux tels que la Quadrilatérale.

Bob Keyes (vice-président, International, Chambre du commerce du Canada) estime qu’il est irréaliste de croire que l’un ou l’autre des modèles d’intégration proposés (convergence et harmonisation, union douanière, marché commun, intégration économique totale, dollarisation, expansion de l’ALENA, nouveau cadre de gouvernance nord-américain et institutions politiques continentales) se réalisera du jour au lendemain, sans compter que tous soulèvent des problèmes politiques et des questions de souveraineté. C’est une opinion maintes fois entendues à nos séances. Pourtant, M. Keyes croit que toutes ces mesures d’intégration méritent d’être analysées et discutées.

D’autres témoins se sont dit d’avis que des liens plus étroits avec les États-Unis aideraient à réduire le risque associé aux actions commerciales ou mesures de sécurité que prennent ceux-ci. Rolf Mirus conclut, comme John Helliwell, que la plupart des gains à tirer de la libéralisation du commerce ont déjà été réalisés, mais il craint toutefois que les bénéfices économiques découlant de l’intégration nord-américaine soient compromis si une nouvelle attaque terroriste se produisait en sol américain ou si les Américains se repliaient encore plus sur eux-mêmes. Par conséquent, il serait important de discuter avec eux des intérêts communs (p. ex. la sécurité, les richesses naturelles) et de la progression de l’intégration (p. ex. l’union douanière).

Thomas d’Aquino a pris une position semblable au sujet de la gestion du risque, tout en rejetant les autres modèles d’intégration comme l’union douanière. Le projet d’Initiative nord-américaine de sécurité et de prospérité (INASP), dont nous avons traité dans le chapitre sur les questions douanières, résume cette attitude. Afin d’éviter que les Américains n’imposent leurs besoins en matière de sécurité (p. ex. une alerte code rouge à la frontière), M. d’Aquino conclut que le Canada devrait commencer par mettre au point une stratégie nord-américaine en tenant compte de l’intérêt national, puis tenter de la faire accepter par les États-Unis. Il reconnaît qu’il faudrait des dirigeants politiques forts et un consensus national inébranlable.

D’autres font pourtant valoir que le Canada aurait vraiment intérêt à accroître l’intégration malgré les risques pressentis. L’honorable Perrin Beatty (président-directeur général, Manufacturiers et Exportateurs du Canada) préconise la conception de ce qu’une nouvelle communauté nord-américaine devrait être. Pour ce faire, il faut réfléchir à de nombreuses grandes questions : les recours commerciaux, le bois d’œuvre résineux, l’agriculture, la simplification des règles d’origine, la coopération en matière de réglementation, la coopération intergouvernementale pour empêcher les terroristes de pénétrer en Amérique du Nord, la planification de couloirs commerciaux continentaux pour accélérer l’acheminement des produits jusqu’au marché et la protection de l’environnement sur le continent. M. Beatty conclut que l’intégration de l’Amérique du Nord va s’intensifier de toute façon, qu’on le veuille ou non, et c’est maintenant que les Canadiens doivent en discuter.

Richard Paton (président, Association canadienne des fabricants de produits chimiques) arrive aussi à la même conclusion : l’intégration économique de l’Amérique du Nord est inéluctable. Le Canada doit maintenant se demander s’il va se positionner de manière à en tirer profit ou à perdre des opportunités d’investissement et de croissance. Une stratégie pour l’Amérique du Nord s’impose. Fred McMahon croit qu’un élément clé d’une stratégie d’intégration à long terme, c’est un accord commercial bilatéral plus complet avec les États-Unis, qui prévoirait un mécanisme de règlement des différends mieux établi et plus rapide.

Le Comité a analysé attentivement les arguments pour et contre une plus grande intégration économique du Canada et des États-Unis. Il a déjà dit qu’il serait préférable d’employer les mécanismes actuels pour gérer les risques à la frontière (c.-à-d. le Plan d’action pour une frontière intelligente) et que les « aubaines stratégiques » ne serviraient pas les intérêts du Canada. Le Comité arrive à la conclusion que le Canada subit déjà une diminution des rendements de ces efforts d’intégration passés. Il se laisse influencer par la position de John Helliwell qui est convaincu que les gains réalisables grâce une intégration économique accrue avec les États-Unis sont assez limités. En conséquence, le Comité croit qu’il faut résister à toute tentative de resserrer les liens commerciaux entre le Canada et les États-Unis au moyen d’une union douanière, d’un marché commun ou d’une monnaie unique. Il y aurait peut-être lieu, toutefois, d'évaluer les efforts de coopération dans les affaires de réglementation, ainsi que de règlement progressif des autres problèmes des relations commerciales bilatérales.  

   A.  Le modèle de l’union douanière

À l’heure actuelle, de nombreuses marchandises qui circulent dans l’espace économique de l’ALENA sont produites intégralement ou partiellement en dehors de la zone de libre-échange. On est donc obligé de déterminer, suivant les règles d’origine, ce qui est en franchise et ce qui ne l’est pas. Sans ces règles, les entreprises seraient tentées d’acheminer leurs importations vers le marché nord-américain intégré par le pays dont le tarif extérieur est le plus bas.

Les règles d’origine imposent aux entreprises un fardeau administratif et des coûts d’observation. Comme les trois pays de l’ALENA pratiquent des tarifs douaniers différents pour le reste du monde, les marchandises qui traversent les frontières à l’intérieur de l’ALENA doivent être accompagnées d’une documentation complète afin que chaque pays puisse ajouter ses propres tarifs aux produits provenant de l’extérieur de l’ALENA. Selon des estimations, s’il y avait moins d’inspections aux frontières et moins de formalités administratives, on réaliserait, sur les coûts d’efficience, une économie non négligeable de l’ordre de 2 à 3 p. 100 du PIB de l’ALENA[10]. Les économies possibles sont significatives puisque plus de 85 p. 100 des exportations canadiennes s’en vont aux États-Unis. Un autre avantage, c’est que les ressources douanières actuellement consacrées à l’inspection des marchandises seraient libres pour renforcer la sécurité à la frontière.

Le ministre Pettigrew a reconnu la nécessité de libéraliser davantage les règles d’origine de l’ALENA afin que les entreprises aient plus de facilité à s’y conformer dans le cas de certains produits. Dans une allocution prononcée récemment à une réunion du Conseil des gens d’affaires Canada – États-Unis, il a insisté sur la nécessité d’« accélérer les efforts déployés à cet égard afin de réduire encore plus les coûts de transaction, de simplifier les formalités imposées aux entreprises et leur permettre de profiter de nos économies intégrées[11] ».

On pourrait aussi abolir complètement ces règles d’origine en formant une union douanière. Selon ce modèle, les pays participants s’engageraient à supprimer toute restriction aux échanges commerciaux et à adopter un tarif extérieur unique pour les autres pays. Les règles d’origine sont abolies parce que les importations dans l’union douanière auraient à acquitter les mêmes droits quel que soit leur point d’entrée dans l’union. Après avoir été autorisé à entrer dans l’espace économique nord-américain, le produit pourrait être envoyé d’un État partie à un autre sans être obligé de passer des inspections douanières complexes. L’abolition des règles d’origine devrait permettre d’économiser sur le coût des formalités à la frontière et de réaliser des gains d’efficience, bien que Tim O’Neill ait averti le Comité que les avantages économiques supplémentaires résultant d’une union douanière, au sens restreint de structure tarifaire commune, ne seraient peut-être pas très intéressants. En outre, il faudrait probablement continuer d’inspecter les marchandises passant la frontière, par mesure de sécurité.

Les partisans d’une union douanière ont évalué pour le Comité les avantages que pourrait générer une telle politique. Armand de Mestral a souligné l’importance de supprimer les barrières douanières pour permettre le libre mouvement des marchandises à la frontière. David Adams a appris au Comité que l’abolition de l’obligation de retracer l’origine de certains produits serait très utile à l’industrie de l’automobile. Rolf Mirus, qui a fait l’exposé le plus détaillé sur le concept d’union douanière, estime que son application diminue l’importance des frontières internes pour les mouvements des produits et services entre les deux pays (le Mexique pouvant s’y joindre ultérieurement). Les lourdes règles d’origine seraient abolies graduellement, l’agriculture et les autres secteurs fragiles seraient exemptés et des périodes de transition seraient fixées. Selon M. Mirus, une union douanière n’ayant aucun tarif extérieur commun alors que se poursuit la libéralisation du commerce à l’OMC pourrait se réaliser progressivement sans avoir à renégocier l’ALENA.

D’autres témoins ont préconisé la création d’unions douanières sectorielles à l’intérieur des secteurs de l’économie qui sont déjà extrêmement intégrés. Par exemple, David Goffin (secrétaire-trésorier et vice-président, Affaires économiques et commerciales, Association canadienne des fabricants de produits chimiques) a soutenu que les règles d’origine sont assez complexes pour les produits chimiques et que son association favoriserait l’implantation d’une union douanière sectorielle. Toutefois, Peter Clark a fait remarquer que ces ententes sectorielles ne seraient pas compatibles avec l’OMC.

En contrepartie des gains économiques réalisables, le Canada perdrait sa capacité d’établir indépendamment ses politiques à cause de ses liens supplémentaires avec les États-Unis. Une union douanière oblige les nations participantes à renoncer à cette liberté – sous la forme d’un tarif extérieur et d’une politique commerciale extérieure communs – pour réaliser les avantages économiques associés à l’abolition des règles d’origine.

En ce qui concerne les tarifs imposés au reste du monde, les tarifs extérieurs du Canada sont en moyenne près du double des tarifs américains. L’adoption d’une liste tarifaire harmonisée à celle des États-Unis impliquerait donc probablement l’abaissement des tarifs canadiens au niveau des tarifs américains.

L’harmonisation de la politique commerciale extérieure des membres de l’union douanière est le second aspect de la question de la souveraineté qu’il faut étudier. Dans l’Union européenne (UE), la Commission européenne représente les membres de l’UE aux négociations commerciales internationales comme l’OMC et la ZLEA, après avoir atteint un consensus en Europe, ce qui est souvent ardu. Comme le fait l’UE, une union douanière Canada – États-Unis (ou regroupant les trois pays de l’ALENA) fonctionnerait vraisemblablement comme un bloc dans les futures négociations commerciales internationales. Selon ce scénario, le Canada et les États-Unis devraient en venir à un consensus interne sur les positions à prendre dans les négociations commerciales, ou du moins arriver à régler presque entièrement leurs différends et adapter leurs ententes commerciales en conséquence (p. ex. les accords de libre-échange bilatéraux). Un pays membre perdrait donc de son libre arbitre dans sa politique commerciale étrangère.

Comme des témoins l’ont appris au Comité, il faut alors se demander dans quelle mesure le Canada serait capable d’infléchir la politique commerciale de la région. Autrement dit, quelle part de cette politique commerciale – en particulier le code tarifaire extérieur – serait en fait déterminée à Washington. On imagine difficilement à ce moment-ci que l’intérêt du Canada prédominerait dans des pourparlers ou négociations commerciales régionales. En outre, Gilbert Gagné s’est demandé ce qu’il adviendrait du multilatéralisme dans la politique économique étrangère canadienne si le Canada allait au-delà du libre-échange.

Il serait sans doute économiquement avantageux de former une union douanière (p. ex. moins de formalités à la frontière grâce à l’abolition des règles d’origine), mais les coûts (p. ex. adoption des tarifs américains sur les produits du tiers monde, politique commerciale déterminée à Washington) sont trop élevés pour qu’on envisage une plus grande intégration. En outre, plusieurs témoins ont dit douter de la faisabilité d’une union douanière, en particulier vu la réticence des États-Unis à conclure une telle entente. Ainsi, l’association représentée par Thomas d’Aquino a conclu, à l’issue de trois années d’étude, qu’il n’était plus souhaitable, tactiquement parlant, de préconiser un tel modèle. Même M. Mirus a fait remarquer que la taille du Canada par rapport aux États-Unis le prive de presque toute perspective de négocier une union douanière.

Un certain nombre de témoins ont conclu eux aussi qu’il était difficile d’imaginer que les États-Unis renonceraient à leurs recours commerciaux si prisés même s’il y avait une union douanière. M. Keyes a aussi constaté que d’autres questions telles que les barrières non tarifaires prenant la forme d’inspections sanitaires et de prescriptions de sécurité, et les restrictions des mouvements transfrontières des gens, ne seraient pas touchées.

Après avoir pesé attentivement le pour et le contre, le Comité conclut que transformer l’ALENA en une union douanière ne servirait pas les intérêts du Canada. Nous ne sommes pas prêts à sacrifier la souveraineté du Canada sur l’autel de l’union douanière pour en tirer des avantages économiques. Le Comité recommande donc :

Recommandation 11

Que le Gouvernement du Canada s’abstienne d’entreprendre des pourparlers sur une éventuelle union douanière avec les États-Unis.

  

B.  Un marché commun

Pour constituer un marché commun en Amérique du Nord, il faudrait réaliser une intégration économique jusqu’à un échelon au-dessus même de l’union douanière. Selon la définition usuelle du marché commun, toutes les barrières faisant obstacle à la circulation des marchandises, des services, des capitaux et des humains seraient supprimées dans le marché de l’ALENA. En Europe, comme Armand de Mestral l’a fait remarquer au Comité, la libre circulation de ces quatre catégories est déjà garantie par la constitution.

Le marché commun a un avantage clé, celui d’augmenter la mobilité de la main-d’œuvre. Comme Bob Keyes l’a rappelé au Comité, il reste des tas de questions en suspens dans le chapitre de l’ALENA (chapitre 16) sur la mobilité de la main-d’œuvre. Par exemple, comme les responsables de l’immigration résistent au changement, il subsiste de grandes barrières à la mobilité.

Un autre avantage clé du marché commun vaut la peine d’être mentionné. George MacLean (professeur, Sciences politiques, Université du Manitoba) a soutenu que la création d’un marché commun améliorerait l’accès au marché américain pour le Canada, surtout s’il comprenait des règlements standards sur les subventions et la concurrence entre les deux pays afin de restreindre les recours commerciaux. À son avis, le marché commun nord-américain servirait de base à un autre qui finirait par englober toutes les Amériques. Cela ne veut pas dire que l’ALENA disparaîtrait.

Richard Harris estime qu’un marché commun avec les États-Unis résoudrait les problèmes à la frontière et les différends comme celui du bois d’œuvre, mais il ne sera pas évident de convaincre l’administration Bush. Avoir le Mexique de son bord apporterait le pouvoir nécessaire mais la réussite n’est pas assurée. Il avait recommandé un marché commun il y a trois ans, mais c’était avant les événements du 11 septembre qui ont tout changé. Comme la menace terroriste subsiste, il serait peu probable que les autorités américaines adhèrent à ce qui équivaudrait essentiellement à l’abolition des frontières. Rolf Mirus, un ardent partisan de l’union douanière, ne recommande pas non plus un marché commun. Le Comité convient que, dans la conjoncture actuelle où les Américains sont extrêmement préoccupés de sécurité, la création d’un marché commun en Amérique du Nord est irréalisable.  

   C.  Une monnaie unique

Bien peu de témoins ont abordé cette question et ceux qui l’ont fait ont montré fort peu d’enthousiasme pour une devise commune avec les États-Unis. Kathleen Macmillan a fait remarquer que même s’il y avait de solides arguments pour et contre une devise commune (p. ex. réduction des coûts de transaction du côté pour; perte de souveraineté monétaire du côté contre), le consensus général c’est qu’il n’est pas opportun d’abandonner le dollar canadien. Tout compte fait, le statu quo est l’option qu’elle privilégie.

Le ministre Pettigrew a expliqué aux membres du Comité qu’implanter une devise commune impliquerait en fait l’adoption du dollar américain et l’abandon de la politique monétaire canadienne, puisqu’il serait pratiquement impossible de convaincre les Américains de renoncer à leur devise. En outre, on perdrait la capacité qu’a le taux de change d’absorber les effets économiques préjudiciables des chocs extérieurs importants (p. ex. la crise financière asiatique) sur notre pays.

Pour sa part, Perrin Beatty a signalé que le dollar canadien, même s’il était avantageux pour les exportateurs, avait fait grimper le prix des importations. Néanmoins, il est important que les décideurs canadiens se concentrent sur la différence de productivité entre les deux pays, non pas sur l’écart entre la valeur des deux devises. Étant donné la faiblesse du dollar canadien, il y a moins d’investissements dans la machinerie. Par conséquent, l’équipement des PME canadiennes est plus ancien que celui des usines américaines.

Le Comité craint que le prix à payer pour l’abandon de la devise canadienne ne soit supérieur à la baisse des coûts de transaction qui découlerait de l’intégration monétaire. Toutefois, il faudrait procéder à une étude plus approfondie de la question de la monnaie unique avant de s’avancer à conclure quoi que ce soit.

 

   D.  Réduire le dédoublement de la réglementation

Le marché et les systèmes de production sont de plus en plus intégrés en Amérique du Nord et, pourtant, les entreprises présentes sur le continent continuent d’avoir à se conformer à trois séries différentes de normes de production (p. ex. en santé et sécurité, conditionnement, électricité, contrôle antipollution, analyse des aliments, langues), de règlements et de règles d’étiquetage. À cause de ce dédoublement de la réglementation, on peut être tenu de modifier physiquement un produit, de le réétiqueter ou de faire homologuer son origine et ses composants avant de lui faire franchir une frontière à l’intérieur de l’ALENA.

La complexité de la situation actuelle, qui résulte du fait que le marché devance souvent le régime réglementaire dans lequel il évolue, peut imposer un fardeau tangible aux entreprises qui y font du commerce régional. Ce fardeau se traduit par des retards de livraison sur le marché de l’ALENA qui entraînent une hausse du coût financier. Selon David Adams (vice-président, politiques, Association canadienne des constructeurs de véhicules), un manufacturier ne peut réaliser de véritables économies d’échelle en Amérique du Nord que s’il arrive à fabriquer un produit répondant à un seul ensemble de normes communes. C’est encore plus important pour un petit pays. Il presse le Comité de recommander que, dans la mesure du possible, les pays de l’ALENA harmonisent leurs normes et règlements et adoptent des accords de reconnaissance mutuelle (cf. ci-dessous) à moins qu’une grande analyse coût-avantage ne montre qu’il faudrait avoir des normes séparées. Divers témoins du secteur agricole ont aussi vanté les avantages de l’harmonisation.

Comme Claude Carrière l’a dit au Comité, le Canada devrait chercher des moyens d’atténuer les différences entre les normes et les règlements visant les produits sans pour autant perdre de vue les objectifs de sa réglementation (p. ex. normes de sécurité). La coopération en matière de réglementation faciliterait probablement le commerce intrasectoriel, diminuerait le coût de transaction des expéditeurs, allégerait l’effet dissuasif sur les investisseurs, réduirait les motifs de différend et avantagerait les consommateurs canadiens. Il faut savoir, toutefois, qu’en resserrant les liens dans le champ de la réglementation, on renforcerait la dépendance du Canada à l’égard du marché américain, ce qui préoccupe presque tout le monde en ce moment.

En pratique, il y a seulement trois moyens de régler le problème : des politiques communes, l’harmonisation et la reconnaissance mutuelle. La première de ces options se passe d’explication : les trois partenaires de l’ALENA adopteraient les mêmes règlements. Ce serait la solution la plus sûre pour les entreprises, mais il serait étonnant qu’elle soit bien accueillie par les trois pays en cause.

La seconde consisterait à harmoniser la réglementation des pays dans des secteurs tels que les transports, les télécommunications, les services financiers, l’énergie, l’agriculture et les produits pharmaceutiques. Contrairement à la première option, les politiques ne seraient pas identiques, mais les exportateurs, importateurs et gens d’affaires en général se trouveraient dans un environnement réglementaire beaucoup plus prévisible. Comme dans le cas des politiques communes, cependant, cette solution ne rallierait probablement pas les suffrages.

Reste la reconnaissance mutuelle, la solution sans doute la plus prometteuse. Ainsi, un article qui répondrait aux normes du pays A pourrait entrer librement dans le pays B, en autant que le pays A accepte lui-même les articles fabriqués suivant les normes du pays B. Une représentante de l’Institut C.D. Howe, qui a comparu devant le Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes au sujet de l’intégration nord-américaine, a exprimé ainsi l’avantage de la reconnaissance mutuelle : « elle oblige chaque partie à reconnaître les normes de l’autre. Cela ne signifie pas que l’une ou l’autre partie doive modifier ses normes. Du point de vue politique, cela me semble faisable et ne nous oblige pas à harmoniser nos normes avec celles des États-Unis. La reconnaissance mutuelle nous permettrait de faire progresser nos relations et de garantir un meilleur accès au marché américain tout en évitant la question épineuse de l’harmonisation[12] ». La reconnaissance mutuelle de l’accréditation, l’approbation ou l’homologation des laboratoires réduirait le coût d’observation de la réglementation.

L’adoption de la reconnaissance mutuelle a un précédent. En Europe, par exemple, on a trouvé au début que les efforts d’harmonisation des règlements coûtaient cher sans être très efficaces. On a donc conclu plutôt une entente par laquelle chaque gouvernement s’engageait à reconnaître les règlements pris par les autres gouvernements.

Chez nous, le ministre Pettigrew a récemment préconisé une meilleure coopération entre les trois membres de l’ALENA dans le domaine de la réglementation. Il a fait valoir que, dans bien des secteurs, ces trois pays « ont des systèmes de réglementation semblables qui visent des objectifs analogues et produisent des résultats équivalents. Pourtant, chacun des deux pays exige souvent que les produits importés de l’autre subissent de coûteux essais établissant qu’ils satisfont à ses propres exigences. Pourquoi ne pas admettre que nos systèmes sont semblables et convenir qu’une fois ces produits mis à l’essai dans l’un des deux pays, ils sont acceptables pour l’autre? Ne pouvons-nous pas accepter les principes de la reconnaissance mutuelle et éliminer le double emploi?[13] » Lorsqu’il a comparu devant le Comité, il a affirmé que toute étude de la reconnaissance mutuelle devrait se faire secteur par secteur.

Devant le Comité, Bob Keyes a suggéré que le Canada et les États-Unis examinent tous deux leurs propres procédures et normes réglementaires. Il a observé que des régimes d’homologation parallèles, dédoublés ou se chevauchant sont la cause directe de retards de livraison et de la hausse du prix de revient, et que la coopération en matière de réglementation ne mènerait pas automatiquement à l’adoption de normes américaines. On pourrait commencer par deux ou trois secteurs en particulier pour entamer la démarche menant à la reconnaissance mutuelle.

Richard Paton a lui aussi préconisé l’adoption de la reconnaissance mutuelle, en suggérant une entente sur les critères d’analyse. Toutefois, il sera difficile d’arriver à une entente avec les Américains sur l’établissement d’épreuves communes parce que notre marché est si petit comparé comparativement au leur. Ils n’ont rien à gagner d’un changement parce que ce sont eux les plus forts. Pour contourner ce problème, on pourrait conclure des ententes bilatérales dans des domaines où les risques sont plus faibles, en conservant un processus décisionnel à part pour les secteurs où les risques sont plus grands.

Le Comité se demande pourquoi le dédoublement des procédures d’analyse et d’homologation subsiste dans tous les secteurs, étant donné le fort degré d’intégration du marché nord-américain et la similitude de nombreuses normes de produits. Le Comité recommande :

Recommandation 12

Que le Gouvernement du Canada étudie soigneusement l’effet des différences de la réglementation américaine sur l’économie canadienne et qu’il rende ses conclusions publiques. Le gouvernement devrait analyser sérieusement le concept de la reconnaissance mutuelle des normes et procédures réglementaires des deux pays, sous le régime desquelles les normes ne seraient testées et l’inspection et l’homologation ne se feraient qu’une fois pour le marché Canada – États-Unis. De plus, le gouvernement devrait déterminer les secteurs dans lesquels la réglementation américaine est semblable à la canadienne et où il serait donc possible d’appliquer la notion de reconnaissance mutuelle.

 

LA NÉCESSITÉ DE DIVERSIFIER LE COMMERCE CANADIEN

Le gouvernement fédéral a tenté de promouvoir un libre-échange hémisphérique, transpacifique et transatlantique en vue de diversifier le commerce canadien. Le ministre Pettigrew nous a dit que presque toute la promotion faite par le pays vise les marchés autres que les États-Unis dans le but de renforcer la situation commerciale du Canada dans le monde entier. Les voyages d’Équipe Canada et d’autres missions commerciales plus modestes ont été mentionnés comme preuve que le gouvernement actuel prend la diversification commerciale très au sérieux.

Plusieurs témoins ont déclaré au Comité que, comme le Canada se trouve dans une position vulnérable, les États-Unis étant susceptibles d’imposer des mesures de sécurité ou des mesures commerciales, il est logique de diversifier le commerce le plus possible. Pour ne mentionner qu’un seul exemple, Dennis Laycraft a souligné que le secteur canadien de l’élevage bovin avait déjà formulé l’objectif à long terme d’exporter 50 p. 100 de ses produits à l’extérieur des États-Unis d’ici 2010.

Relever le défi de la diversification ne se fera pas sans peine. Kathleen Macmillan a rappelé aux membres du Comité que malgré tous les efforts déployés depuis des années pour changer le schéma des échanges commerciaux du Canada, notre dépendance envers les États-Unis a continué de s’accentuer. Elle a donné plusieurs raisons pour expliquer que les rapports entre le Canada et les États-Unis sont tout naturel : la proximité géographique, la langue, la similitude des institutions et une connaissance intime du marché de l’autre. Tim O’Neill a averti le Comité de ne pas trop s’attendre à ce que la diversification se produise.

D’autres témoins, toutefois, ont noté que le Canada pourrait faire mieux pour diversifier son commerce. Bob Keyes a soutenu que le Canada semble être en train de conclure des accords commerciaux et des ententes de libéralisation du commerce surtout avec des pays et des régions de moindre envergure comme le Costa Rica, l’Amérique centrale, la Communauté andine et Singapour. Il a fait remarquer que ce sont tous de petits marchés et que certains de ces accords sont conclus pour des raisons politiques et non commerciales. D’autres pays tels que le Mexique ont cherché avec beaucoup plus d’empressement à étendre leurs relations commerciales avec des entités plus grosses. De nombreux témoins ont nommé l’Europe et l’Asie comme régions où le Canada n’a pas vraiment réussi à forger des liens commerciaux plus solides.

John Wiebe (président et chef de la direction, Fondation Asie-Pacifique du Canada) pense qu’à force de se concentrer sur les États-Unis, le Canada en a malencontreusement négligé malgré lui d’autres régions importantes du globe. Le gouvernement fédéral devrait encourager la conclusion d’autres accords de libre-échange pour valoriser nos liens commerciaux avec le monde entier.

Enfin, Bruce Campbell (directeur général, Centre canadien de politiques alternatives) a demandé au gouvernement fédéral d’étudier ses efforts de diversification passés pour déterminer les raisons de leur échec et tenter de concevoir une stratégie susceptible d’être plus fructueuse. Il insiste énormément sur la conclusion d’un véritable accord commercial avec l’Union européenne (UE).

Le Comité est convaincu de l’importance de solides relations commerciales avec les É.-U., mais il est aussi d’avis qu’il vaudrait mieux que le Canada réduise sa dépendance commerciale à l’endroit de son plus gros marché au sud de la frontière. Cela ne veut pas dire que notre commerce avec les États-Unis devrait cesser de croître, mais plutôt que le commerce avec les autres pays devrait accélérer son rythme d’expansion. Le Comité est impressionné par les efforts qui sont actuellement déployés par d’autres pays pour conclure des accords commerciaux bilatéraux et il encourage le Gouvernement du Canada à chercher par tous les moyens à conclure des accords complets de libéralisation du commerce en Europe et en Asie.  

   A.  Conclure un accord de libre-échange global avec l’Europe

L’Union européenne est le plus important partenaire commercial et marché de capitaux du Canada après les États-Unis, mais pourtant, notre commerce avec cette région ne s’accroît pas aussi rapidement qu’avec les autres régions du globe et la part de toutes nos exportations et importations détenue par l’UE diminue depuis dix ans. Les exportations de marchandises s’élèvent aujourd’hui à 21,2 milliards de dollars, soit 5,2 p. 100 des exportations totales du Canada, tandis que les importations se chiffrent à 36,1 milliards de dollars. Les montants pour les services sont de 9,9 milliards de dollars et 10,6 milliards respectivement. En outre, plusieurs problèmes commerciaux bilatéraux ressortent : une distorsion des marchés dans le secteur agricole due aux subventions à l’exportation et au soutien interne; des tarifs protectionnistes dans certains secteurs; l’interdiction et les restrictions imposées par l’UE notamment dans les secteurs de l’agriculture et des richesses naturelles, sur les importations pour des motifs liés à la santé, à l’environnement et à la protection des consommateurs.

Alors que le commerce connaît un déclin relatif, la véritable réussite en ce qui concerne l’Europe ce sont les mouvements de capitaux dans les deux sens. En 2002, il y avait 99,9 milliards de dollars de capitaux canadiens investis en Europe tandis que les capitaux européens investis au Canada se chiffraient à 94 milliards de dollars.

Comme la situation commerciale se détériore en Europe, il est regrettable que le Canada n’ait pas encore réussi à conclure un accord de libre-échange global avec l’UE. L’adhésion prévue de dix nouveaux pays d’ici mai 2004 transformera l’UE en un marché unique de plus de 480 millions d’habitants et un PIB d’environ 13,7 billions de dollars, par opposition aux 412 millions d’habitants et à peu près 15,7 billions de dollars de l’ALENA. L’Europe est un continent qui a nettement le vent dans les voiles et, pourtant, le Canada est l’une des huit économies seulement dans le monde qui n’ont aucune forme de relation commerciale préférentielle avec l’UE. Le Comité a appris qu’il serait avantageux de rechercher des liens économiques structurés plus étroits. Donald Barry a informé le Comité qu’une étude effectuée par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international a montré qu’un accord de libre-échange transatlantique (ALE transatlantique) engendrerait des gains appréciables des deux côtés de l’Atlantique. La CE et le MAECI ont tous deux convenu d’entreprendre des enquêtes auprès du monde des affaires sur le libre-échange. L’enquête canadienne, rendue publique en novembre 2002, était favorable mais les résultats de l’enquête européenne n’ont pas encore été dévoilés. Le commissaire du commerce extérieur à l’UE (Pascal Lamy) semble avoir changé son fusil d’épaule à propos des avantages d’un ALETA : avant, il était prêt à envisager une analyse de rentabilisation, mais aujourd’hui il affirme qu’il vaudrait mieux régler les problèmes d’accès au marché dans le cadre du cycle de Doha de l’OMC. M. Barry souligne aussi l’inertie au sein de la Commission européenne sur le sujet. La Commission semble considérer le Canada comme un petit marché offrant peu d’avantages à l’UE.

Roy MacLaren nomme l’UE comme principale priorité de toute stratégie de diversification du Canada et privilégie la conclusion d’un accord de libre-échange transatlantique (ALE transatlantique) avec l’UE et d’un autre avec l’Association européenne de libre-échange (AELE) qui regroupe la Norvège, la Suisse, l’Islande et le Liechtenstein. Au sujet de l’UE, il suppose que les Européens préféreraient traiter avec les États-Unis plutôt qu’avec nous et fait un commentaire sur la peu probable réussite du cycle de Doha sur lequel les Européens ont fondé tous leurs espoirs. À propos de l’AELE, il est déçu que le programme de subventions pour les chantiers maritimes du Canada ait perturbé les négociations du libre-échange.

Des témoins ont signalé d’autres obstacles à un ALETA. Theodore Cohn a souligné qu’aucun pays industrialisé en dehors de l’Europe n’a conclu un accord de libre-échange avec l’UE. Seuls les pays en développement et les pays européens peuvent conclure un accord d’association avec l’UE, ce qui n’est pas le cas du Canada. M. Cohn ne fonde pas beaucoup d’espoir sur la possibilité que le Canada forme un lien spécial avec l’UE.

Richard Harris a signalé que les barrières commerciales qui séparent le Canada et l’Europe sont loin d’être insurmontables. De plus, le type de commerce que nous sommes à même de faire avec les États-Unis (livraison rapide de produits et denrées intermédiaires) est impensable entre le Canada et l’Europe. Le Canada fait plutôt dans le commerce de l’énergie, des richesses naturelles, des produits finis et de l’agriculture. M. Harris croit que ce commerce peut s’améliorer mais ce ne sera jamais le moteur de la croissance économique du Canada, même si un ALETA était signé.

Rolf Mirus pense que toute négociation entre le Canada et l’Europe serait stérile, surtout étant donné la complexité des négociations commerciales (p. ex. quand nous tentons d’exporter des produits agricoles vers l’Europe, celle-ci dresse des barrières). Il n’entrevoit aucun avantage pour le Canada de négocier séparément avec les Européens (c.-à-d. séparément des Américains).

Thomas d’Aquino a trouvé trois problèmes du côté de l’Europe : nous ne comptons pas pour l’UE qui se préoccupe de son expansion; l’UE nous imagine liés aux Américains; il y a l’épineux problème de l’agriculture à régler. À son avis, aucun accord ne sera conclu avec le Canada, sauf si les Américains y sont aussi partie. À Washington, William Lash III et le représentant Earl Pomeroy ont tous deux dit au Comité qu’ils appuyaient une telle démarche trilatérale pour la libéralisation du commerce transatlantique, le Canada et les États-Unis affrontant les mêmes barrières à l’accès au marché européen.

Bob Keyes a soutenu que le Canada devrait oublier son projet de libre-échange intégral pour s’occuper d’abolir les barrières non tarifaires telles que les règlements qui font obstacle au commerce. De toute façon, les Européens attendent que les choses progressent à l’OMC.

Claude Carrière a appris au Comité que le Canada et l’UE sont en train de définir le contenu d’une initiative de valorisation du commerce et des investissements. Même si elle ne sera pas aussi complète qu’un ALETA, cette initiative importante devrait se révéler utile pour harmoniser les normes techniques, les exigences en matière d’étiquetage et la certification des professionnels, ce qui devrait permettre d’améliorer le cadre réglementaire régissant actuellement les mouvements bilatéraux de biens et de services.

Le ministre Pettigrew a commencé à consulter les Canadiens sur ce qu’il devrait y avoir dans le nouvel accord et sur les barrières du marché européen qu’il faudrait faire lever par les négociations à l’OMC. L’idée est que les deux parties proposent des modèles pour le nouvel accord en décembre 2003 et négocient ensuite l’accord en 2004, la date de la conclusion devant être fixée une fois que les résultats du cycle de Doha seront connus.

Le Comité préconise depuis longtemps et avec un succès mitigé la conclusion d’un accord de libre-échange complet avec l’Europe. Un tel accord non seulement améliorerait de façon marquée l’accès au marché européen, mais signalerait aussi clairement aux entreprises des deux côtés de l’Atlantique qu’un climat moins restrictif a été mis en place pour le commerce et les investissements transatlantiques. Toute initiative visant à améliorer les relations entre le Canada et l’UE doit être considérée comme une bonne chose, mais il n’en demeure pas moins qu’il faut continuer à tenter de conclure un vaste accord de libéralisation du commerce. Le Comité recommande :

Recommandation 13

Que, même s’il convient de favoriser la coopération réglementaire avec l’Union européenne dans le cadre de l’initiative de valorisation du commerce et des investissements Canada-UE, le gouvernement fédéral conserve comme objectif de conclure un accord de libre-échange transatlantique global.

   B.  Resserrer les liens commerciaux avec l’Asie-Pacifique

Lorsqu’il a comparu devant le Comité, John Wiebe a plaidé avec conviction pour l’expansion du commerce entre le Canada et l’Asie. La présente section rapporte surtout son témoignage.

Pourquoi l’Asie-Pacifique? Parce que cette région se remet de la crise financière qui l’a secouée en 1997, parce qu’elle représente les deux tiers de la population mondiale et 40 p. 100 du commerce international et parce qu’elle regroupe les économies dont la croissance est la plus rapide dans le monde. Le commerce entre le Canada et l’Asie-Pacifique se chiffre annuellement à 70 milliards de dollars, au deuxième rang tout de suite après les États-Unis. Toutefois, étant donné le déficit de 30 milliards de dollars de notre balance commerciale avec cette région, les possibilités économiques y sont considérables. Par contre, le Canada est en train de perdre sa part de marché en Asie parce que son commerce ne croît pas au même rythme que l’économie de la région. À court terme, le problème du SRAS en ce moment pourrait aussi refroidir les relations économiques.

L’Asie du Nord-Est (Chine, Corée, Japon) représente le gros des interactions commerciales canadiennes avec l’Asie-Pacifique. En y ajoutant l’Inde vu son potentiel économique, on obtient la liste de ce qui devrait être les grandes priorités du Canada.

La Chine est une économie qui mérite d’être examinée de plus près. Le Canada en fait abstraction à ses risques et périls. L’économie chinoise est la sixième au monde et elle est en train de subir une profonde transformation qui se répercute sur toute l’Asie du Nord-Est. À un taux officiel de 8 p. 100 (cf. le graphique sur le taux de croissance du PIB de certains pays), elle croît très rapidement et la Chine reste spécialisée dans la fabrication à bas salaires. La Chine est aussi devenue un important consommateur qui vient de dépasser les États-Unis comme principale destination des capitaux (53 milliards de dollars). Le commerce du Canada avec la Chine augmente à une cadence annuelle de 10 à 15 p. 100.

Le Japon est le deuxième partenaire commercial en importance du Canada et son économie se classe encore au second rang dans le monde (avec 13,5 p. 100 du PIB mondial) même si elle est plutôt stagnante depuis quelque temps. Ses possibilités comme économie de consommation restent énormes même si le Japon ne s’ouvre pas autant que la Chine[14]. M. Wiebe croit que le Japon est au bord d’une transformation majeure, tant économique que politique, qui sera importante pour le Canada.

Deux autres pays asiatiques sont dignes d’être mentionnés. La Corée a rebondi plus forte qu’avant à la suite de sa crise financière de la fin des années 1990. Son revenu par habitant l’an dernier dépassait les 10 000 $US et ce pays est en train de devenir un bon débouché pour le Canada. Le commerce actuel du Canada avec l’Inde n’est que de 2 milliards de dollars mais il grossit rapidement puisqu’il était de 900 millions de dollars en 1991. Le secteur le plus dynamique que le Canada puisse y exploiter est celui des services.

Selon M. Wiebe, le Canada doit faire ce qui suit. Premièrement, l’Asie est en train de se replier de plus en plus sur elle-même sur le plan commercial et il incombe au Canada de ne pas se laisser exclure. Nous devrions nous engager activement dans des discussions bilatérales avec les pays clés de la région de la même façon que les États-Unis et le Mexique sont tous les deux en train d’essayer de négocier des ALE là-bas.

Deuxièmement, le Canada devrait promouvoir l’investissement en Asie. Les éléments d’actif ne coûtent pas cher là-bas en ce moment (les prix sont réduits depuis la crise de 1997), c’est donc le moment d’acheter. Des opportunités commerciales seront créées si nous investissons dans cette région (c.-à-d. le commerce suit les capitaux).

Troisièmement, le Canada a besoin de développer une meilleure image de marque dans la région. Nous sommes considérés comme un pays sympathique, propre, où il y a énormément de richesses naturelles propres et la volonté de tolérer la diversité. Nous ne sommes pas perçus comme un lieu d’entreprises de haute technologie ni comme un fournisseur de produits et services industriels de qualité. Ici, la réalité rejoint la perception puisque nos exportations prédominantes sont les produits de richesses naturelles et des produits non finis.

Enfin, le gouvernement doit donner le ton en facilitant le commerce, en réduisant les tarifs, en signant des accords de reconnaissance mutuelle et d’autres initiatives. La coordination et la coopération entre gouvernements, collectivités et entreprises seront essentielles pour accroître le commerce avec l’Asie.

Pour profiter pleinement des possibilités économiques en Asie, la politique commerciale canadienne devra cibler davantage cette région et être plus dynamique et innovatrice. Le Canada devrait participer activement à des discussions bilatérales avec les principaux pays de cette région de la même façon que les É.-U. et le Mexique tentent tous les deux de négocier des accords de libre-échange avec ces pays. Le gouvernement fédéral devrait également trouver de nouvelles façons de sensibiliser davantage les milieux d’affaires canadiens aux possibilités économiques que présente l’Asie, d’aider les entreprises à améliorer leurs liens commerciaux directs avec des entreprises asiatiques, et de développer de meilleures « marques » pour leurs produits. Le Comité recommande :

Recommandation 14

Que le Gouvernement du Canada fasse une priorité du libre-échange avec l’Asie et entreprenne avec le Japon, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde et les membres de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE), des négociations sur la libéralisation du commerce. Le gouvernement fédéral devrait également développer de nouvelles stratégies pour intéresser davantage les entreprises canadiennes aux marchés asiatiques, pour les aider à établir des partenariats durables avec des entreprises asiatiques, et pour améliorer l’image des produits canadiens en Asie.

   C.  La ZLEA et les relations commerciales hémisphériques

Le Canada et 33 autres pays démocratiques de l’hémisphère (sauf Cuba) sont en train de négocier une zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) dont la conclusion est prévue pour janvier 2005. Si on exclut les partenaires de l’ALENA, la région comprise dans la ZLEA représente 3,8 milliards de dollars de nos exportations et 67,4 milliards de dollars de nos investissements directs, ce qui constitue 17,3 p. 100 du total des investissements directs du Canada à l’étranger.

Le Comité n’a pas entendu beaucoup de témoignages sur le renforcement de nos relations économiques hémisphériques. George McLean, le plus chaud partisan parmi les témoins que nous avons entendus sur le sujet, a demandé au Canada de chercher à jouer un plus grand rôle dans l’hémisphère. Toutefois, le Canada a besoin de maintenir un équilibre entre accorder trop d’importance aux relations bilatérales avec les États-Unis et faire avancer le projet hémisphérique. Néanmoins, il est convaincu que l’engagement du Canada envers le multilatéralisme économique dans l’hémisphère avantage sa relation commerciale stratégique avec les États-Unis.

D’après M. McLean, la ZLEA semble être une conséquence logique de l’ALENA. Il privilégie la ZLEA parce qu’elle regroupe 34 pays différents en une seule entité. Une intégration accrue de l’hémisphère avantagerait sans doute les membres de la ZLEA tout en faisant contrepoids au régionalisme dans d’autres parties du globe. Le Canada n’en tirera peut-être pas un grand avantage économique, mais en étant partie à l’entente, il protégera les avantages qu’il tire déjà de l’ALENA.

À Washington, William Lash III a montré de l’optimisme au sujet des perspectives d’un accord commercial hémisphérique. Il a signalé que les gens avaient tendance à sous-estimer le nouveau Brésil et que les États-Unis et le Brésil, deux des pays clés des négociations sur la ZLEA se parlaient maintenant au sujet des questions commerciales importantes.

Par contre, il y a aussi des inconvénients. M. McLean a admis que l’enthousiasme pour la ZLEA avait diminué et que les pays avaient adopté des stratégies pour arriver à réaliser la libéralisation du commerce bilatéral. Son pessimisme est partagé par Kathleen Macmillan qui a fait remarquer que les négociations sur la ZLEA ne laissaient pas présager une issue fructueuse, et par Roy MacLaren qui a affirmé que les perspectives d’avenir de la ZLEA s’étaient détériorées parce que les problèmes économiques s’éternisaient en Amérique du Sud. Il croit que ce développement plaçait le Brésil en mauvaise posture pour négocier (en tant que partie au MERCOSUR). Gwyneth Kutz (conseillère et représentante substitut du Canada à l’Organisation des États américains) a aussi adopté un point de vue quelque peu pessimiste. Elle a fait remarquer qu’il serait difficile d’établir la ZLEA en 2005 comme prévu à cause des actions américaines au sujet des subventions agricoles et des importations d’acier, et aussi à cause des pays de l’hémisphère qui ne sont pas prêts à une libéralisation globale du commerce.

 

RENFORCER LA FACULTÉ D’ANALYSE À LONG TERME DU FÉDÉRAL

Lors de son séjour à Vancouver, le Comité a entendu des témoignages convaincants révélant que le démantèlement du Conseil économique du Canada (CEC) dans les années 80 avait fait perdre au gouvernement fédéral sa faculté d’entreprendre des analyses à moyen et à long terme des grandes questions économiques comme celles étudiées dans notre rapport.

Richard Harris a fait remarquer que la disparition de cette institution avait fait tomber la recherche à long terme sur les questions économiques entre les mains de groupes de réflexion qui ont leurs propres visées et du milieu universitaire qui est plutôt limité. John Helliwell a fait remarquer que le CEC avait contribué à l’enrichissement net de la pensée économique canadienne, tandis que Theodore Cohn croit que le CEC avait dans le passé fourni les analyses critiques approfondies et à long terme qui font actuellement défaut.

On peut difficilement ne pas être d’accord avec ces éminents experts qui ont des opinions si éclairées. Le Comité recommande :

Recommandation 15

Que le Gouvernement du Canada établisse un conseil du commerce et des investissements pour mener des études analytiques approfondies sur des questions liées au commerce extérieur et aux investissements.


[1]       Entre autres exceptions il y a, du côté canadien, des produits agricoles dont l’offre est réglementée (p. ex. les produits laitiers et la volaille) et, du côté américain, le sucre, les produits laitiers, les arachides et le coton.

[2]       Cf., par exemple, Canada, Affaires étrangères et Commerce international Canada, L’ALENA après sept ans – Faire fructifier un partenariat nord-américain, 2002.

[3]       En revanche, le revenu par habitant a augmenté moins que prévu, puisque les grandes économies d’échelle auxquelles on s’attendait ne se sont pas matérialisées.

[4]       Cette méthodologie a été employée dans Schwanen, Daniel, Trading Up:  The Impact of Increased Continental Integration on Trade, Investment and Jobs in Canada, Commentaire no 89, Institut C.D. Howe, Toronto, 1997.

[5]       Marcel Côté, Le libre-échange dix ans après : dix ans plus tard, le bilan est positif, Cité Libre, avril/mai 1998, p. 48.

[6]       En 2003, le dollar canadien a rebondi de manière marquée en raison de la grande faiblesse du dollar américain.

[7]       Dans les ouvrages d’économique, il y a tout un débat sur la question de savoir si les accords de libre-échange régionaux servent avantageusement l’objectif à long terme d’un libre-échange planétaire. Les partisans des accords régionaux soutiennent que des accords comme l’ALE ou l’ALENA simplifient les négociations multilatérales en réduisant le nombre de protagonistes au niveau mondial. Les adversaires sont convaincus que les accords régionaux faussent artificiellement les échanges commerciaux parce qu’ils sont susceptibles de détourner le commerce avec les partenaires à l’extérieur du bloc régional au profit de ceux à l’intérieur du bloc pour des raisons autres qu’économiques.

[8]       Arlene Wilson, « NAFTA’s Effect on Canada-U.S. Trade and Investment », CRS Report for Congress 97-98, 26 septembre 1997.

[9]       Ibid., p. 5.

[10]      Richard G. Harris, L’intégration économique de l’Amérique du Nord : problématique et recherche future, Direction générale de l’analyse de la politique microéconomique, Industrie Canada, Document de discussion no 10, avril 2001, p. 11.

[11]         Affaires étrangères et Commerce international, notes pour une allocution de l'honorable Pierre Pettigrew, 8e cérémonie annuelle de remise des prix canado-américains d'excellence en affaires et au Forum international des affaires “Le Canada que nous voulons dans l'Amérique du Nord que nous bâtissons”, Toronto, 16 octobre 2002, p. 6.

[12]      Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, Témoignages, 7 mai 2002, Numéro 77, p. 94.

[13]      Affaires étrangères et Commerce international Canada, 2002, p. 5.

[14]      Le commerce extérieur bilatéral du Japon n’équivaut qu’à 16 p. 100 de son PIB, alors que ce pourcentage est de 60 p. 100 pour le Canada et de 40 p. 100 pour la Chine.


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