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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 3 - Témoignages du 17 mars 2003


OTTAWA, le lundi 17 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour étudier l'adhésion éventuelle du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Le sénateur Shirley Maheu (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Nous accueillons Me Mark Bantey du cabinet Gowling Lafleur Henderson qui va nous faire part de son opinion au sujet du processus dont nous sommes saisis, c'est-à-dire l'adhésion éventuelle du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Je vous en prie, maître, commencez.

M. Mark Bantey, Gowling Lafleur Henderson, LLP: Honorables sénateurs, je suis honoré de votre invitation à vous entretenir de certains des aspects concernant la liberté d'expression, en particulier du droit de réponse prévu à l'article 14 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

A priori, l'article 14 confère un droit de réponse obligatoire à toute personne qui estime que sa réputation a été entachée par la publication ou la diffusion d'une déclaration ou d'une opinion «dans un organe de communication réglementé».

D'entrée de jeu, je dois vous préciser que cette idée de droit de réponse obligatoire n'est pas reconnue au Canada. Aucune des lois provinciales concernant la diffamation verbale ou écrite ne donne de droit de réponse obligatoire à la personne offensée, c'est-à-dire que la personne n'a pas le droit de faire publier ou diffuser sa version des faits. En fait, une seule loi provinciale, la Loi sur la presse au Québec prévoit un mécanisme de réponse, mais les médias ne sont pas obligés de s'y conformer.

Vous connaissez sans doute la procédure normale énoncée dans les diverses lois provinciales sur la diffamation verbale ou écrite. La personne qui s'estime lésée par la publication ou la diffusion de certains propos doit d'abord donner un avis au média concerné pour qu'il retire ou corrige la déclaration jugée diffamatoire. L'avis de diffamation doit être donné par écrit et le média concerné dispose de peu de temps pour se rétracter ou corriger les propos incriminés, en général deux ou trois jours. S'il refuse d'apporter la rétractation ou la correction nécessaire, le plaignant doit entreprendre des poursuites en dommages et intérêts pour atteinte à sa réputation. Si le média publie ou diffuse une rétractation complète ou apporte les correctifs appropriés, le droit du plaignant d'intenter des poursuites est soit exclu, soit limité au recouvrement éventuel de dommages limités spécifiques, ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de droit de réponse en tant que tel.

Seule la loi québécoise sur la presse donne au plaignant la possibilité de répondre. Malgré tout, même si l'article 7 stipule que le journal doit publier, à ses frais, toute réponse que la partie s'estimant lésée veut faire paraître, ce droit de réponse demeure entièrement facultatif, et pour le journal et pour le plaignant.

Au Québec, l'application du droit de réponse donne automatiquement lieu à l'annulation du droit d'entamer des poursuites. Si le quotidien publie une rétractation complète ainsi que la réponse du plaignant sans plus de commentaire, le plaignant ne peut plus ensuite entamer d'action en libelle diffamatoire.

Comme je le disais, le droit de réponse est facultatif et pour la partie plaignante et pour l'organe de presse concerné. Un plaignant pourra décider de ne pas exercer son droit de réponse parce qu'il préférera traîner l'autre partie en justice et se prévaloir pleinement des conséquences d'une action en dommages et intérêts.

Un organe de presse pourrait décider de ne pas publier une réponse, surtout s'il maintenait sa version des faits. Dans ce cas, cependant, il devrait être prêt à en subir les conséquences juridiques. Dans l'évaluation des dommages et intérêts, le tribunal devrait nécessairement tenir compte du fait que le journal a refusé de publier la réponse soumise par le plaignant.

Personnellement, j'estime que si l'on imposait ce droit de réponse par voie législative, on enfreindrait le principe de l'indépendance de la presse et, dès lors, ce genre de mesure législative constituerait une violation constitutionnelle au droit fondamental d'expression garanti par le paragraphe 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Disons-le sans détour, dans une société libre et démocratique, les gouvernements n'ont pas à se mêler du genre de nouvelles que les médias veulent publier ou diffuser.

Aux États-Unis, la validité constitutionnelle du droit de réponse obligatoire a été testée dans deux causes et a donné lieu à deux résultats différents. Dans la décision Red Lion Broadcasting Company Incorporated c. The Federal Communications Commission, 395 U.S. 367 [1969], la Cour suprême des États-Unis a unanimement confirmé la validité d'un règlement de la Federal Communications Commission exigeant que, dans le traitement des dossiers d'affaires publiques, les radiodiffuseurs donnent la version de chaque partie prenante. En outre, la Cour a confirmé la règle plus restreinte de l'attaque personnelle qui précise que les personnes dont l'honnêteté et l'intégrité sont attaquées sur les ondes, dans de discussions concernant des dossiers d'affaires publiques controversés, peuvent avoir un droit de réponse.

Trois motifs ont poussé la Cour suprême a rejeté l'argument voulant que ce genre de droit de réponse obligatoire constituait un règlement gouvernemental incompatible avec les dispositions du premier amendement, soit la liberté de la presse. Premièrement, la Cour a conclu qu'il n'y a pas abondance de fréquences de télédiffusion et que, deuxièmement, le gouvernement devrait donc exiger du détenteur d'une licence qu'il partage ses fréquences avec d'autres. Troisièmement, le détenteur d'une licence doit se conduire en fiduciaire et donner ainsi l'occasion à tous les points de vue représentatifs de s'exprimer en ondes.

Avec l'arrêt Miami Herald Publishing Company c. Tornillo, 418 U.S. 241, [1974], la Cour suprême des États-Unis parvient à une conclusion différente dans le cas d'un quotidien. Elle estime que, selon la loi en vigueur en Floride, l'obligation d'imposer un droit de réponse dont un candidat à une élection peut se prévaloir à la suite d'attaques et de critiques, est contraire au premier amendement qui garantit la liberté de la presse. Elle a donc statué que le législateur ne peut porter atteinte à l'indépendance de la presse — soit le droit d'imprimer ou non un article — et jugé que la loi régissant le droit de réponse obligatoire porte la même atteinte à la liberté de la presse que la censure.

La Cour a fondé ses conclusions sur deux arguments. D'abord, elle a estimé que le droit de réponse aurait un effet néfaste sur les rédactions qui pourraient être tentées d'éviter la controverse. La frilosité des journaux qui en découlerait porterait inévitablement atteinte à la vigueur du débat public.

Deuxièmement, la Cour a soutenu que l'accès contraint à des pages de journaux, ce à quoi correspond le droit de réponse obligatoire, serait une intrusion dans les fonctions éditoriales. Voici ce qu'elle a dit à ce sujet:

Il est bien sûr souhaitable de pouvoir compter sur une presse responsable, mais la responsabilité de la presse ne relève pas de la Constitution et il n'est pas possible de la légiférer, pas plus que d'autres vertus.

Plusieurs pays européens disposent de lois qui reconnaissent un certain droit de réponse. Le modèle européen typique prévoit que la personne s'estimant lésée par un article peut demander que le journal concerné imprime sa réponse. S'il refuse, la personne peut demander à un tribunal de trancher et de déterminer si la décision du quotidien était justifiée ou pas. Si la décision de justice est défavorable au journal, celui-ci peut se voir imposer une amende et être tenu d'imprimer une réponse; le tribunal peut aussi donner la possibilité à la partie lésée d'intenter une action en libelle diffamatoire contre l'organe de presse.

Le modèle de droit de réponse qui est sans doute le plus radical est le modèle français. En effet, la Loi sur la liberté de la presse confère deux droits particuliers: celui accordé à tout particulier de répondre à une publication qui le cite ou le désigne dans un article, c'est ce qu'on appelle le «droit de réponse», et celui accordé au titulaire d'une charge publique estimant que ses activités officielles ont mal été décrites. On parle alors du «droit de rectification».

De toute évidence, le droit de réponse français a une portée très large et il illustre certaines des difficultés inhérentes que pose le genre de droit de réponse obligatoire énoncé à l'article 14 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

D'abord, doit-on donner un droit de réponse à l'expression d'une opinion tout autant qu'à l'exposé d'un fait? Comme le modèle français et l'article 14 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme ne font pas la différence entre les opinions et les exposés d'un fait, il faut en déduire que le droit de réponse existe dans les deux cas. D'ailleurs, l'article 14 fait spécifiquement allusion au droit de réponse à des idées impropres ou offensantes. Mais qu'est-ce qu'une idée impropre? Confirmant le droit des individus à exprimer des avis qui peuvent être offensants, la Cour suprême des États-Unis a logiquement affirmé que la notion d'idée fausse n'existe pas. La notion d'opinion fausse n'existe pas. Une opinion peut être offensante ou insultante, mais elle est protégée par le premier amendement qui garantit le droit à la liberté d'expression.

L'article 14 de la Convention donne-t-il au propriétaire d'un restaurant mécontent d'une critique gastronomique un droit de réponse automatique? L'auteur d'un livre ou d'une pièce de théâtre a-t-il un droit de réponse à chaque critique négative? Un promoteur peut-il avoir un droit de réponse quand la valeur architecturale de son projet de développement est critiquée dans les médias? D'un autre côté, si nous limitons le droit de réponse aux simples exposés de fait, comment savoir quand on est en présence d'une opinion? Les deux notions sont souvent entrelacées dans un même article ou commentaire.

Deuxièmement, l'article 14 ne va pas aussi loin que le modèle français qui, lui, accorde un droit de réponse à toute personne mentionnée ou désignée. Il n'en demeure pas moins qu'il est une invitation à réagir faite à toute personne se sentant blessée par une déclaration ou une idée impropre ou offensante. Qui va déterminer ce qui est offensant ou impropre? Untel pourra juger offensante une idée qu'un autre estimera brillante. Foncièrement, l'article 14 accorde un droit de réponse automatique à toute personne qui n'est pas d'accord avec un article publié ou une opinion exprimée dans un organe de presse. Une loi contenant cette disposition ne risquerait-elle pas de donner lieu à une avalanche de réfutations déplacées ou futiles? Comment parvenir à administrer un quotidien si l'on est obligé d'imprimer des centaines de réponses en provenance de centaines de particuliers et de titulaires et de charges publiques?

Au Royaume-Uni, un comité de la Chambre chargé d'examiner la question de la liberté de la presse, le Comité Fox, a déclaré que le droit de réponse obligatoire est discutable par sa nature même, parce qu'il permet à toute personne, même si elle n'y est pas justifiée, de contraindre un quotidien à publier une déclaration vantant ses vertus imaginaires.

Troisièmement, si les médias sont contraints de publier des réponses, vont-ils être obligés de publier même celles qui seraient en soi diffamatoires, obscènes, racistes ou impropres? Que se passera-t-il si le rédacteur en chef sait que la réponse en question renferme des mensonges éhontés destinés à tromper le lecteur? Et si la réponse est sans rapport avec le fond de l'affaire?

Quatrièmement, comment contrôler la longueur de la réponse? Celle-ci devrait-elle être limitée à ce qui est strictement nécessaire pour corriger les faits soi-disant inexacts? S'il existe un droit de réponse à des déclarations d'opinion, la partie lésée aura-t-elle le droit de demander la publication d'une réfutation de la même longueur que l'article qu'elle vise?

Le droit de réponse obligatoire soulève certains problèmes d'ordre pratique dont le plus fondamental est de savoir si ce droit se tient au plan constitutionnel. Les tribunaux canadiens n'ont pas encore été saisis de ce genre de problème, mais je pense qu'ils adopteraient la même position que celle prise par la Cour suprême des États-Unis dans l'arrêt Miami Herald: non seulement ce droit est totalement inapplicable mais il constitue en plus une entrave injustifiée au double principe de l'indépendance et de la liberté de la presse.

Il est certain que, si l'article 14 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme devait être enchâssé dans une loi sans modification, il appellerait une contestation en vertu du paragraphe 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés, et plus encore une contestation fondée sur la division des pouvoirs.

Ainsi, la solution idéale pourrait être le modèle québécois qui donne un droit optionnel de réponse et protège le principe de l'indépendance de la presse. Le journal qui déciderait de ne pas offrir ce droit de réponse, pour une raison ou une autre, aurait à répondre de sa décision devant une cour de justice. Il est possible en effet qu'un tribunal soit mieux placé qu'une assemblée législative pour régler d'éventuels conflits entre le droit fondamental à la liberté de la presse et le droit tout aussi fondamental à la protection de l'intégrité et de la réputation des personnes.

Comme on m'a demandé de me limiter à 15 minutes, je vais m'arrêter pour répondre aux éventuelles questions que les honorables sénateurs voudront bien me poser.

Le sénateur Beaudoin: Vous avez soulevé un point très intéressant. Si nous adhérions à cette convention — et j'espère effectivement que nous la ratifierons un jour — nous aurons un problème, car nous avons deux systèmes de droit au Canada: le code civil au Québec et la Common law dans les autres provinces. Ces systèmes ne sont pas exactement pareils. Quand vous parlez de loi française, vous parlez bien de la loi en vigueur en France, c'est cela?

M. Bantey: Effectivement.

Le sénateur Beaudoin: Bien que le Code civil du Québec s'inspire du code napoléonien français, il est différent à bien des égards. Vous avez sans doute raison quand vous dites que, si nous décidons d'adhérer à cette convention, nous devrons peut-être nous donner rendez-vous devant une cour de justice pour régler ce problème. Il demeure qu'il s'agit- là d'un traité et que le gouvernement fédéral est investi de l'autorité voulue pour adhérer à des traités. Cela ne fait aucun doute. Nous savons aussi que, pour qu'un traité fasse partie des lois du pays, il faut adopter une loi de mise en oeuvre. Nous ne le faisons pas souvent. En fait nous ne l'avons plus fait depuis 1937.

Que se passera-t-il si nous adhérons à cette convention? C'est une chose que de conclure un traité, et encore une fois j'espère que nous allons le faire, mais ç'en est une autre que d'essayer de mettre la mesure en oeuvre. La situation au Québec peut être différente de celle des autres provinces. Vous êtes d'accord ou pas?

M. Bantey: Je suis tout à fait d'accord. Une récente décision de la Cour suprême stipule qu'il faut faire une distinction fondamentale entre le modèle de diffamation appliqué par les provinces de common law et le modèle de diffamation en vigueur au Québec. La loi québécoise est essentiellement fondée sur la notion de faute, avec d'ailleurs des conséquences assez intéressantes. Ainsi, au Québec, la vérité n'est pas une défense absolue, contrairement à ce qui se pratique dans les autres provinces qui appliquent la common law. Au Québec, on peut être poursuivi en diffamation même pour avoir dit une vérité.

En outre, au Québec, vous pouvez très bien ne pas être tenu pour responsable d'une éventuelle déclaration fausse ou diffamatoire. Il n'y a pas de responsabilité si l'on a accordé tout le soutien voulu à la vérification des faits qui précèdent la rédaction d'un récit. Il existe donc une distinction fondamentale.

Le sénateur Beaudoin: Si nous adhérons à la convention dans la pratique, la mise en oeuvre du traité au Québec pourra être différente de ce qui se fera dans les autres provinces. Toutefois, cela ne me dérange pas puisque nous avons deux systèmes de droit au Canada.

Bien sûr, les choses sont différentes à l'échelon du fédéral. Le principe de la common law prévaudra sans doute, mais cela voudrait dire que nous aurions au Québec un système différent de celui en vigueur dans les autres provinces. Je n'ai rien contre. C'est ainsi, un point c'est tout. Ce n'est pas pour cette raison que je m'opposerais à l'adhésion à cette convention, mais il faut bien être conscient que nous avons deux systèmes d'application des traités au Canada.

M. Bantey: Le droit en matière de diffamation est forcément du ressort des provinces.

Le sénateur Beaudoin: Quant à moi, cela ne fait aucun doute.

M. Bantey: Ainsi, pour qu'un traité soit transformé en loi fédérale et en loi provinciale, il faudra appliquer ce processus dans toutes les provinces.

Ce que je soutiens, c'est qu'une loi de mise en oeuvre de cette convention au Québec pourrait tout de même faire l'objet d'une contestation en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Un droit de réponse obligatoire prévu dans la loi québécoise sur la presse pourrait faire l'objet d'une contestation en vertu du paragraphe 2b) de la Charte des droits et libertés. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que cette loi résisterait à ce genre de contestation, parce qu'elle irait alors à l'encontre du droit à l'expression éditoriale.

Le sénateur Beaudoin: La Charte des droits est appliquée uniformément, partout au Canada. La Cour suprême pourrait conclure que cela est contraire à la Charte des droits et libertés. Cela étant, nous aurions un autre problème. Est-il possible que ce droit soit accepté dans une province, disons au Québec, et pas dans les autres?

M. Bantey: Non. Je soutiens qu'un droit de réponse obligatoire serait contraire à la Charte dans tous les cas. Il porte foncièrement atteinte à la liberté de la presse, que ce soit au Québec ou dans le reste du Canada. La liberté de la presse est un concept qui échappe aux frontières provinciales. C'est un droit fondamental garanti dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Le sénateur Beaudoin: Le même arrêt s'appliquerait-il partout?

M. Bantey: Je le prétends.

Le sénateur Fraser: Madame la présidente, je dois vous préciser que, même si j'ai invité ce témoin à prendre la parole devant notre comité, je ne me suis pas entretenu du contenu de son intervention avec lui. De plus, cela fait longtemps que je ne l'ai pas vu. Eh bien, j'ai été très intéressée d'entendre ce que Me Bantey nous a dit. J'espérais qu'il allait nous dire tout cela.

Plusieurs témoins sont venus nous déclarer que cette version du droit de réponse ne pose pas problème. Ils ont soutenu qu'il existe déjà au Québec, en vertu de la Loi sur la presse. Je dois vous avouer que je ne me souviens pas très bien de ce que dit cette loi exactement. Quoi qu'il en soit, vous nous avez indiqué que dans la loi actuelle on emploie le mot «doit», mais qu'on lui accorde une valeur facultative au Québec. Comment cela se fait-il? Comment est-on passé d'un «doit» à un «peut»?

M. Bantey: Je ne sais pas s'il existe une jurisprudence à cet égard. Je pense, toutefois, que cela doit découler d'une disposition qui a été incluse ensuite dans la Loi sur la presse, disposition selon laquelle le droit de recours en justice s'éteint dès que le quotidien publie une rétractation et accorde un droit de réponse. À la façon dont je comprends les choses, cela veut dire que les quotidiens ne sont pas contraints de publier une réponse.

Un journal peut publier une rétractation complète et continuer de refuser de publier une réponse. Dans ce cas, le droit d'intenter des poursuites ne s'éteint pas et le tribunal tiendra certainement compte de la décision du journal de ne pas publier la réponse dans son évaluation des dommages subis par la partie plaignante. s'il tranche en faveur de celle- ci.

Le sénateur Fraser: Dans votre lecture de la Convention américaine, avez-vous trouvé des dispositions comparables qui pourraient donner lieu au même genre de conclusion dans un tel cas?

M. Bantey: Non.

Le sénateur Fraser: Voici ce que dit le paragraphe 14(3):

Afin de véritablement assurer la protection de l'honneur et de la réputation, tout éditeur et tout quotidien, ainsi que toute compagnie cinématographique et société de radio et de télévision, devra nommer un responsable qui ne bénéficiera d'aucune immunité ni d'aucun privilège.

Savez-vous donc ce que tout cela signifie?

M. Bantey: Cela signifie sans doute que l'organe de presse doit nommer un ombudsman chargé de traiter des plaintes, de façon privilégiée, de négocier par exemple les conditions de la réponse et les conditions dans lesquelles celle- ci pourra être modifiée par la rédaction. C'est ce que je comprends. Cette personne aurait pour mandat d'entendre les plaintes avant que l'affaire ne soit portée devant les tribunaux et cette personne de même que les entretiens auxquels elle participerait ferait l'objet de privilèges complets de même que d'une immunité absolue. Autrement dit, la personne en question n'aurait pas à témoigner à propos de ses échanges avec le plaignant. C'est ce que je comprends. Il existe une disposition semblable dans la loi française.

Le sénateur Fraser: Dans votre exposé, vous vous êtes demandé comment faire la différence entre un exposé de fait et une déclaration d'opinion? Vous avez dit que, parfois, la différence entre les deux n'est pas très nette. Pourriez-vous nous expliquer un peu ce que vous entendez par là?

M. Bantey: Dans une chronique en regard de l'éditorial, les énoncés de fait et les déclarations d'opinion s'entrelacent. On peut penser à tous les faits sous-jacents sur lesquels le rédacteur de l'article aura fondé son opinion. Si les faits sont erronés, c'est une chose, mais si les opinions le sont, dans la mesure où elles s'appuient sur des faits, il faut leur accorder une forme de protection constitutionnelle. Dans une société libre et démocratique, j'estime que toutes les opinions, hormis celles qu'interdit spécifiquement le Code criminel, doivent être protégées même si elles sont très offensantes ou vulgaires.

Il est difficile d'établir la distinction entre l'expression d'une opinion et l'exposé d'un fait. Parfois, cette différence saute aux yeux: «le ciel est bleu» est un exposé des faits, tandis que «ce vin est le meilleur que j'aie goûté» ou «le président Nixon a été le pire président des États-Unis» sont des opinions. Dans ce dernier cas, il y a bien un fait sous- jacent: Nixon a été le président des États-Unis. Toutefois, le corps de phrase où l'on dit qu'il a été le pire président des États-Unis constitue une opinion. Les faits et les opinions s'entrelacent et il est impossible de les distinguer. Voilà pourquoi je m'objecte à l'idée d'un droit de réponse automatique à une opinion. De plus, comment restreindre le droit de réponse à des exposés de fait? Comment va-t-on faire la distinction? C'est quasiment impossible.

Le sénateur Fraser: Il pourrait aussi arriver que les faits soient choisis de façon tellement sélective qu'ils finissent par exprimer une opinion. Revenons sur l'exemple de M. Nixon. « Cet homme reclus et hargneux, aux joues flasques, qui a dû démissionner sans quoi il aurait été destitué» ou au contraire «ce pacifiste brillant qui était un politicien né entretenant une vision fantastique de ce que devait être le nouvel ordre mondial» sont deux affirmations qui pourraient reposer sur des faits. Vous voyez ce que je veux dire? Parfois, les faits sont des opinions.

M. Bantey: Parfois, la distinction n'est pas claire et il est impossible de faire la distinction entre les deux.

Le sénateur Fraser: L'article 13 sur la liberté de pensée et d'expression dispose que l'exercice de ce droit ne peut être sujet à une censure préalable. On nous a dit que certaines lois canadiennes pourraient être touchées par ce genre de disposition, notamment les dispositions en matière de propagande et d'obscénité, et qu'il pourrait en être de même pour l'interdiction de publier et les limitations d'accès imposées aux médias dans certains procès. Y avez-vous réfléchi?

M. Bantey: La Cour suprême du Canada a déjà tranché. Les dispositions du Code criminel relatives aux crimes haineux sont constitutionnelles, et même si elles enfreignent le paragraphe 2b) de la Charte, cela est justifié dans une société libre et démocratique. Je n'ai pas de problème avec cette décision parce qu'elle bannit les opinions et les comportements ignobles.

Vous avez parlé des ordonnances de non-publication. Plusieurs interdictions du genre énoncées dans le Code criminel sont inconstitutionnelles, surtout depuis l'arrêt Dagenais c. Canadian Broadcasting Corp. de la Cour suprême du Canada, en 1994.

Pourquoi impose-t-on une interdiction de publier à l'étape de l'enquête préliminaire? Officiellement, c'est pour garantir à l'accusé le droit à un procès juste et équitable, mais on n'a jamais estimé, aux États-Unis par exemple, que la publicité faite à cette étape porte atteinte au droit de l'accusé à subir un procès juste, parce qu'habituellement cette procédure intervient plusieurs mois avant le procès lui-même.

Il existe une solution de remplacement très facile à l'interdiction catégorique de publier. Quand les causes se retrouvent en procès, les avocats peuvent demander aux jurés éventuels s'ils ont été influencés par la publicité faite autour de l'affaire à juger. Dès qu'un candidat juré répond par l'affirmative, on l'exclut du jury. Ce sont là des solutions de remplacement à l'interdiction de publier que la Cour suprême du Canada a encouragé dans son arrêt Dagenais. Elle a dit qu'avant qu'un tribunal impose une ordonnance de non-publication, il doit s'assurer qu'il n'existe aucune autre solution applicable parce qu'une telle ordonnance constitue, en soi, une violation de la liberté de parole.

Le sénateur Fraser: Certaines ordonnances de non-publication sont prévues par la loi, comme dans le cas des noms des jeunes contrevenants qui comparaissent devant les tribunaux de la jeunesse.

M. Bantey: C'est vrai. Jusqu'ici, les tribunaux ont également décidé qu'il s'agissait-là d'une entrave justifiée à la liberté d'expression.

Le sénateur Fraser: En vertu de ces dispositions, pourrions-nous continuer d'interdire la publication des noms de jeunes contrevenants?

Le sénateur Beaudoin: Ce serait laissé à interprétation.

M. Bantey: Il ne faudrait pas qu'il y ait censure préalable. Dans le cas contraire, en vertu de cette loi, il reviendrait à l'accusé de prouver qu'il peut bénéficier d'un interdit de publication tandis qu'à l'heure actuelle, c'est l'inverse qui s'applique. Il suffit à l'accusé de demander une ordonnance de non-publication pour l'obtenir.

Le sénateur Rossiter: Ne pourrions-nous pas faire une réserve dans le cas des jeunes délinquants?

Le sénateur Fraser: Nous pourrions toujours émettre une réserve relativement aux articles 13 et 14. Toutefois, cela soulèverait une autre difficulté. Veut-on simplement adopter les articles de la convention qui nous conviennent et laisser les autres de côté? Est-ce là un précédent que nous voulons encourager?

Le sénateur Beaudoin: En matière de liberté d'expression, nous sommes très généreux, parce que nous vivons dans une démocratie. Nous avons le droit d'avoir tort, si je puis m'exprimer ainsi.

Le sénateur Fraser: À condition que ce soit le moins souvent possible.

M. Bantey: La notion de censure préalable est semblable à la notion de restriction préalable en vigueur aux États- Unis, notion selon laquelle aucun gouvernement ne doit entraver la liberté de parole sans en débattre d'abord dans une tribune appropriée et sans que cela ne soit autorisé par un juge. Autrement dit, on ne peut imposer d'injonction ni d'interdiction antérieures à la publication.

Le sénateur Fraser: Si je me rappelle bien, l'exemple classique est celui des dossiers du Pentagone et de Daniel Ellsberg où le gouvernement a essayé d'obtenir une ordonnance de non-publication avant que qui que ce soit sache ce que contenaient les documents en question.

M. Bantey: C'est exact, sénateur. Dans ce cas, le gouvernement estimait que la publication des documents du Pentagone risquait de porter atteinte à la sécurité nationale. La Cour suprême a conclu que tel ne serait pas le cas et que toute restriction a priori serait inconstitutionnelle.

Le sénateur Fraser: Êtes-vous au courant de cas semblables au Canada?

M. Bantey: Il y en a eu plusieurs. Au Québec, par exemple, les citoyens réclament souvent des injonctions provisoires interdisant la diffusion d'émissions de télévision qu'ils savent négatives et susceptibles de porter atteinte à leur réputation. Comme ils croient a priori que le contenu de l'émission sera erroné, ils réclament une ordonnance de non- publication auprès d'un juge en chambre pour interdire la diffusion pendant une période limitée, en attendant qu'un autre juge soit chargé d'examiner le fond du litige. Au Québec, les tribunaux ont régulièrement refusé d'accorder ce genre d'injonction parce qu'elles constituent une censure préalable. Les tribunaux ont conclu que ce n'est que dans les cas les plus manifestes, quand il est évident que la partie défenderesse n'aurait plus aucune défense, que l'injonction doit être accordée. Très rares sont les cas où une partie défenderesse n'aura pas de défense dans une cause en diffamation.

Le sénateur Fraser: Vous n'êtes pas aussi préoccupé par l'article 13. Toutefois, vous semblez croire que l'article 14 est contraire à la constitution canadienne, à la Charte canadienne des droits et libertés.

M. Bantey: C'est là mon humble opinion, sénateur.

Le sénateur Fraser: Nous vous avons fait venir ici pour nous donner votre opinion experte, maître Bantey.

La présidente: Après avoir entendu les remarques du sénateur Beaudoin et du sénateur Fraser, recommanderiez- vous que nous fassions précéder les articles 13 et 14 d'une déclaration interprétative ou que nous émettions une réserve à leur égard?

M. Bantey: C'est certainement ce que je recommanderais dans le cas de l'article 14, madame la présidente.

Le sénateur Beaudoin: Vous recommanderiez une réserve?

M. Bantey: Oui.

Le sénateur Beaudoin: Vous ne voulez pas prendre de risque. Moi, je suis prêt à prendre ce risque. C'est la liberté d'expression.

Le sénateur Fraser: Nous voulons précisément protéger la liberté d'expression, sénateur.

Le sénateur Beaudoin: Je veux dire protéger la liberté tout court.

Le sénateur Fraser: Je suis d'accord. Nous devrions donc émettre une réserve au sujet de l'article 14.

Le sénateur Beaudoin: Moi, je n'accepte aucune réserve. La Cour suprême est plutôt libérale, pour ne pas dire généreuse dans le domaine de la liberté d'expression.

M. Bantey: Elle n'est pas aussi libérale que la Cour suprême des États-Unis. Tenez, un personnage public ne peut entamer de poursuite que s'il y a intention de nuire. Ce n'est pas le cas au Canada. Dans son arrêt New York Times c. Sullivan, la Cour suprême des États-Unis précise que, pour favoriser la vigueur du débat sur la scène politique, un titulaire de charge publique ne doit pas avoir le droit d'entamer des poursuites à moins de prouver qu'il avait intention de nuire de la part des organes de presse.

Le sénateur Beaudoin: Êtes-vous en train de dire que la Cour suprême des États-Unis est plus généreuse que la nôtre dans le domaine de la liberté d'expression?

M. Bantey: Tout à fait, sénateur. Elle a des années lumières d'avance.

Le sénateur Fraser: Le problème ici, c'est que si nous n'émettons pas de réserve relativement à l'article 14, nous serons tenus de nous plier aux jugements rendus par la Cour interaméricaine des droits de l'homme qui risque fort de ne pas partager notre point de vue sur la liberté de la presse.

Le sénateur Beaudoin: Cela me surprend. Nous avons eu un long débat sur la propagande haineuse. La Cour suprême est plus libérale qu'avant. L'actuelle juge en chef du Canada, la juge Beverley McLachlin, est très généreuse. Je suis surpris de vous entendre dire que notre Cour suprême est moins généreuse que la Cour suprême des États-Unis.

M. Bantey: Cela ne fait, quant à moi, aucun doute. Aux États-Unis, par exemple, une déclaration outrancière affirmant qu'un politicien est un fasciste bénéficierait d'une protection absolue en vertu du premier amendement et des différents arrêts rendus par la Cour suprême du pays. En revanche, au Canada il n'est pas certain que la personne qui accuserait un politicien de fasciste serait à l'abri. De toute évidence, il s'agit d'une opinion, mais il peut y avoir des faits sous-jacents.

Une opinion de ce genre, même si elle est très offensante, sera protégée aux États-Unis mais je ne suis pas certain que ce serait le cas au Canada. La tradition est très différente.

Le sénateur Beaudoin: Je suis d'accord avec cela. Les traditions sont différentes.

M. Bantey: L'arrêt New York Times c. Sullivan empêche tout personnage public d'entreprendre des poursuites. La définition de «personnage public» est très large. Il appartient au titulaire d'une charge publique de démontrer qu'il a été la victime de l'intention de nuire de la partie défenderesse.

Le sénateur Rossiter: Ce doit être intentionnel?

M. Bantey: Il faut effectivement prouver un acte intentionnel ou négligeant commis sans égard pour la vérité. C'est là un fardeau très lourd à assumer devant une cour de justice, raison pour laquelle il arrive rarement que des personnages publics obtiennent gain de cause dans des poursuites en diffamation aux États-Unis.

La présidente: Eh bien, vous venez de donner beaucoup de matière à réflexion à notre comité au sujet de l'article 14. Merci beaucoup, maître Bantey, pour votre exposé.

M. Bantey: Merci.

La présidente: Nous allons maintenant accueillir la professeure Joanna Harrington de l'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde, soit l'AJCRDPM. La professeure Harrington a demandé à comparaître et c'est avec plaisir que nous avons acquiescé à sa requête. Vous pouvez commencer votre exposé, professeur.

Mme Joanna Harrington, professeure adjointe, Université de Western Ontario, au nom de Juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde: Merci, sénateurs, de votre aimable invitation et d'avoir bien voulu donné suite à notre désir de comparaître devant vous. Je vais témoigner au nom d'une organisation connue sous le sigle d'AJCRDPM, soit l'Association des juristes canadiens pour le respect des droits de la personne dans le monde. Il s'agit d'une association non gouvernementale et sans but lucratif qui réunit des juristes, des étudiants en droit et d'autres Canadiens. Elle existe depuis 1992 et travaille à la promotion et à la protection des droits de la personne. Nous plaçons souvent nos étudiants en stage dans des cabinets pour sensibiliser et éduquer ceux avec qui ils travaillent aux questions de droits de la personne ici et dans le monde.

Je crois comprendre qu'on vous a remis le mémoire au nom de l'AJCRDPM. Je n'en ferai qu'un survol pour réserver du temps à vos questions et examiner davantage ces aspects avec vous.

La présidente: Je tiens à signaler aux membres du comité qu'ils ont reçu la version anglaise du document, parce que l'exposé se fera en anglais, mais le mémoire sera traduit par la suite.

Mme Harrington: Veuillez excuser mon unilinguisme.

L'AJCRDPM se réjouit que le comité ait entrepris d'étudier l'adhésion éventuelle du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Notre organisation de juristes, qui s'intéresse à tout ce qui touche aux droits de la personne dans le monde, est favorable à l'adhésion du Canada à la Convention américaine. Nous estimons que, ce faisant, nous renforcerions le système de traité dans la région inter-Amérique de même que la légitimité du rôle de la Cour interaméricaine des droits de l'homme.

Nous entretenons cependant certaines préoccupations relativement à cette convention. Il y a des problèmes à régler. Nous vous en parlons maintenant, parce que nous estimons que vous devez vous y attaquer tout de suite si vous envisagez effectivement d'adhérer à cette convention, plutôt que de le faire après coup.

Dans mon document, je présente le régime interaméricain des droits de l'homme et rappelle qu'il repose sur deux documents fondateurs: la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme de 1948 et la Convention américaine relative aux droits de l'homme de 1969. J'indique aussi que ce régime est mis en oeuvre grâce à deux institutions de surveillance: ,la Commission interaméricaine des droits de l'homme et la Cour interaméricaine des droits de l'homme, en sorte qu'il existe deux instruments qui se recoupent et deux institutions qui se recoupent aussi.

Je ne vous commenterai pas cela dans le détail car les témoins précédents vous ont beaucoup parlé de ce régime. Cependant, nous tenons à rappeler que le Canada fait déjà partie de ce régime. Nous faisons partie du régime interaméricain de protection des droits de l'homme parce que nous sommes membres de l'Organisation des États américains. Les Canadiens et autres résidents du Canada peuvent, en invoquant la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme, intervenir auprès de la Commission américaine des droits de l'homme. Cela se fait déjà. Quant à nous, l'adhésion à la Convention américaine relative aux droits de l'homme viendrait compléter le régime en permettant que toutes les plaintes puissent éventuellement aboutir devant la Cour du régime interaméricain auquel le Canada est partie.

Pour ce qui est des questions plus particulières de l'accession du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, je tiens à signaler que ce sont essentiellement les pays de langue anglaise, membres de l'OEA, situés dans la région inter-Amérique autrement appelée hémisphère occidental — soit les États-Unis et le Canada de même que les anciennes colonies de langue anglaise que l'on connaît sous le nom d'Antilles du Commonwealth — qui n'ont pas encore adhéré à la Convention. Selon notre association, si le Canada ratifiait la Convention américaine relative aux droits de l'homme, il ferait preuve d'un certain leadership parmi les États membres anglophones de la région qu'on appelle donc hémisphère occidental de l'Organisation des États américains, organisme responsable de la région.

En bas de la page 3 de mon mémoire, au paragraphe 14, je donne la liste des pays qui ont ratifié la Convention américaine relative aux droits de l'homme et je rappelle que ceux qui n'en sont encore ni signataires ni adhérents sont des pays à prédominance anglophone. Je fais également remarquer que Trinidad-et-Tobago a retiré sa ratification, ce qui a lieu de nous préoccuper.

Notre mémoire est subdivisé en deux parties, la partie A qui résume les raisons pour lesquels nous devrions adhérer à ce régime, selon nous, et la partie B qui présente certaines de nos préoccupations.

Je résumerai la première partie en vous disant que l'adhésion du Canada à cette convention contribuerait à sa réputation au chapitre des droits de la personne. Il s'agit, quant à nous, d'une omission qu'il convient de rectifier. Le Canada est membre de l'Organisation des États américains depuis plusieurs dizaines d'années, mais nous ne sommes membres du système interaméricain en matière de protection des droits de l'homme que de façon partielle. Notre adhésion à cette convention ferait de nous des joueurs à part entière au sein de l'OEA.

Nous estimons que notre adhésion serait importante pour le régime interaméricain des droits de la personne. Comme nous l'avons vu dans le cas du système européen de droits de l'homme, la ratification de cet important traité par tous les pays européens et l'appui qu'ils ont apporté à la mise sur pied d'une cour à cette occasion ont consolidé ce qui est sans doute maintenant le meilleur tribunal international des droits de la personne au monde, la Cour européenne des droits de l'homme. La ratification de la Convention européenne des droits de l'homme par tous les pays européens a légitimé et renforcé le système. Nous soutenons qu'il faut faire la même chose dans la région inter- Amérique dont le régime s'inspire bien sûr du système européen, pour ne pas dire qu'il est essentiellement calqué sur celui-ci. Il existe un potentiel pour le système et nous estimons que si le Canada était membre à part entière, nous pourrions étendre le potentiel en question.

Notre association croit qu'il ne suffit pas simplement d'adhérer à la Convention. On ne peut se contenter de signer un traité comme s'il s'agissait d'une promesse vide de sens. Ce qui est important, c'est de mettre le traité en oeuvre à la fois dans la région et dans le pays. Il ne sert à rien de ratifier des traités internationaux si on ne leur donne pas effet et s'ils n'ont aucune valeur dans le pays.

Cela nous amène à parler de préoccupations relatives à certains droits, auxquels le comité s'est déjà intéressé. Je sais que vous avez entendu des témoignages au sujet du droit à la vie mentionné dans la Convention américaine et à la nécessité d'adopter éventuellement une déclaration interprétative ou de formuler des réserves. Au paragraphe 26 de notre mémoire, nous soulignons que l'actuel libellé de l'article 4 en matière de droit à la vie ne doit pas nous préoccuper, comme d'autres vous l'ont indiqué. Cependant, au paragraphe 27, nous affirmons que par soucis de clarté, il convient de régler cette question.

Je sais que le comité s'est demandé s'il ne devait pas adopter une déclaration interprétative ou émettre une réserve. Selon moi, en droit international, la substance domine la forme si bien que, peu importe qu'il s'agisse d'une déclaration ou d'une réserve, il faut être clair dans ses intentions. Si vous prétendez modifier les termes du traité, si vous voulez que l'adhésion à l'article soit conditionnelle, vous devrez alors émettre une réserve. Au bout du compte, même si les juristes spécialisés en droit de la personne n'aiment pas voir des réserves dans les traités sur les droits de l'homme, ils préfèrent que les choses soient bien claires et donc qu'il y ait éventuellement des réserves.

Dans les deux dernières pages de mon exposé, je parle de la nécessité de mettre cette convention en oeuvre.

Je vais, pour terminer, aborder un sujet dont il n'a jamais été question devant le comité, je veux parler de certaines préoccupations d'ordre pratique en matière de règlement des litiges dans le cadre du système interaméricain. Les choses ne se passent pas très bien pour l'instant à cause d'un manque de ressources. Le système ne dispose décidément pas des mêmes ressources que la Cour européenne des droits de l'homme. Ce faisant, il est parfois difficile d'avoir accès à la jurisprudence. Par exemple, il n'existe pas d'index par sujet. Il est difficile de mettre la main sur la jurisprudence actuelle applicable au système interaméricain. Des ONG, des enseignants et des étudiants en droit avaient collaboré à la préparation des anciens index par sujet, index qui sont accessibles sur Internet, mais ils n'ont pas été uniformisés. L'organisation actuelle est en train d'en préparer une nouvelle version.

Certaines décisions ne demeurent accessibles qu'en espagnol. Je sais que le professeur Shelton vous a dit qu'il était difficile de mettre la main sur certains documents en français. Personnellement, j'ai eu une expérience différente, parce que je suis rendu compte qu'il n'existe qu'une documentation en espagnol pour certains cas. Il y a tout juste deux semaines, j'étais dans les Caraïbes en train de travailler sur une cause pour laquelle je devais mettre la main sur une jurisprudence internationale importante relative à la peine de mort obligatoire. Il s'agissait d'une décision rendues il y a plusieurs mois par la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Eh bien, il y a encore deux semaines, la décision du président n'était disponible qu'en espagnol.

Les langues officielles de l'OAS sont l'espagnol, le français, le portugais et l'anglais, ce qui crée une difficulté d'ordre pratique qui sera surmontée dans le temps. Le Secrétariat fonctionne à temps partiel, ce qui donne lieu à des retards frustrants pour les parties à une poursuite. Les retards sont critiqués par tous les organismes qui s'occupent de droits internationaux de la personne.

Mon association tient à rappeler que le Canada fait déjà partie de ce système. Les résidents du Canada peuvent déjà porter plainte dans le cadre du système interaméricain, nous n'y avons simplement pas adhéré pleinement. Il convient, par ailleurs, de souligner qu'il y a d'autres traités au sein du système interaméricain, auxquels nous n'avons pas adhéré. Le Canada fait preuve d'une relative inconstance dans sa participation à l'OEA. Par exemple, il existe un protocole, un traité additionnel, la Convention américaine relative aux droits économiques, sociaux et culturels, qui pourrait refléter nos obligations actuelles en vertu d'un traité de l'ONU baptisé Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Cela ne relève pas vraiment de la compétence de ce comité, mais c'est un dossier connexe.

Je veux également souligner l'existence de deux traités comme exemples de contribution à ce régime. Il y a d'abord le traité international relatif à la discrimination faite aux personnes atteintes d'une incapacité. L'autre est le traité interaméricain relatif à la violence faite aux femmes.

Pour les raisons que j'ai énoncées — cohérence et constance — mon association juge que le Canada devrait adhérer à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Nous recommandons, toutefois, que notre pays émette des réserves ou inclue une déclaration interprétative relativement au droit à la vie énoncé à l'article 4. Nous recommandons que le Canada fasse des suggestions ou des recommandations relativement à la mise en oeuvre de cette convention. Nous exhortons le gouvernement, par exemple, à assurer la formation des avocats et des juges pour ce qui est de l'utilisation du système interaméricain et à s'appuyer sur le travail de votre comité pour faire connaître le système interaméricain au Canada.

Enfin, nous soulignons la nécessité de consacrer des ressources à l'amélioration des aspects pratiques associés à l'adhésion au système interaméricain.

Je viens de vous résumer ma présentation. Ce que mon association recherche par-dessus tout, c'est que nous soyons constants dans notre position et que nous adhérions pleinement à un système de droit de la personne applicable à la région qui est représentée par l'OEA, organisation à laquelle nous appartenons depuis 1990.

Le sénateur Beaudoin: À la page 8 de votre exposé, on trouve quatre recommandations. Nous avons étudié la première il y a quelques mois. Je crois savoir, en ce qui concerne le paragraphe 4(1), que notre réserve est fondée sur les décisions de la Cour suprême en matière d'avortement.

Mme Harrington: C'est exact.

Le sénateur Beaudoin: Nous avons déjà dit que nous émettrions une réserve, bien que certains États n'en aient pas à ce sujet. Je comprends le problème.

Que pensez-vous du débat que nous venons d'avoir avec le témoin expert qui vous a précédé? Vous êtes d'accord ou pas?

Mme Harrington: Je me permets de signaler mon désaccord. Il faut commencer par un examen de l'article 14, qui est le droit de réponse. Il faut bien souligner que ce droit de réponse est décrit comme un droit obligatoire. Au paragraphe 14(1), il est dit que l'État est tenu d'appliquer ce droit «dans les conditions éventuellement définies par ses propres lois.» Ce n'est donc pas aussi absolu que ce qu'a déclaré le témoin précédent. Il est bien question de donner un droit de réponse à la personne qui se sent offensée par une déclaration impropre ou offensante, mais cela va plus loin à cause de la précision «dans les conditions éventuellement définies pas ses propres lois». Il est ici question des lois nationales.

Je tiens aussi à rappeler ce qu'a dit le professeur Shelton, à savoir que seul un critère objectif et non un critère subjectif peut permettre de déterminer ce qu'il faut entendre par déclaration impropre ou offensante. Il ne suffit pas que la personne concernée pense avoir été offensée pour que le droit de réponse lui soit automatiquement consenti. Tous ces droits sont normalement interprétés de façon objective et non subjective.

Enfin, dans le domaine des droits internationaux de la personne, les conventions du genre sont sujettes à la notion d'équilibre ou de proportionnalité. C'est la même chose en common law. Pas question d'écrase une noix à l'aide d'un marteau pilon. On applique le même genre d'équilibre aux conventions sur les droits de la personne, que ce soit dans la Convention européenne des droits de l'homme ou dans la Convention américaine. Personne ne dispose du droit absolu à la liberté d'expression; ce droit doit être mis dans la balance avec les autres droits. C'est dans cet esprit qu'il faut interpréter les dispositions en question.

Le sénateur Beaudoin: Vous semblez dire que nous devrions moderniser nos instruments de mise en oeuvre de traités. En 1937, le Conseil privé a déclaré que, pour modifier le droit canadien après la signature d'un traité, nous devons légiférer. Ce n'est cependant pas ce que nous faisons, du moins nous ne l'avons pas fait souvent. Vous convenez que nous devrions moderniser notre système, n'est-ce pas?

Mme Harrington: Oui. Je m'exprime ici en mon nom, parce que je n'ai pas consulté tous les membres de mon association. Nous avons eu des débats par écrit quant à la nécessité de revenir sur les Conventions du travail. Dans une fédération comparable à la nôtre, l'Australie, le plus haut tribunal du pays a déclaré que si le gouvernement fédéral est compétent pour signer un traité, il l'est forcément pour le mettre en oeuvre. Nous sommes un peu dans la même situation.

Toutefois, la Cour suprême du Canada n'a pas toujours avalisé le point de vue du Conseil privé. Il y a toujours une question de division des pouvoirs sur le plan de la mise en oeuvre.

Le sénateur Beaudoin: L'Australie a changé son système. La ratification est assurée par le pouvoir central, c'est-à- dire le gouvernement fédéral. Personnellement, je ne pense pas que le Canada puisse faire la même chose. Comme nous avons deux systèmes de droit, nous ne pouvons pas tout régler à l'étape de la ratification. Il faut encore légiférer par la suite pour mettre les traités en oeuvre. Nous devons penser à la division du pouvoir. En Australie, c'est la common law qui est utilisée sur l'ensemble du territoire. Au Canada, tout le monde n'applique pas la common law. La ratification est une bonne étape, mais ce n'est pas suffisant. Il faut ensuite passer à celle de la mise en oeuvre à cause de la division des pouvoirs.

Mme Harrington: Effectivement. Ne pensez surtout pas, d'après ce que je vous dis, que je ne respecte pas cette notion de division des pouvoirs au Canada. Il est très difficile au Canada de savoir comment nous devons nous y prendre pour mettre des traités en oeuvre. C'est un vrai problème. Comme vous l'avez si bien déclaré dans votre rapport, nous ne voulons pas nous engager à tenir des promesses. Nous ne voulons pas prendre d'engagements à l'échelle internationale que nous ne serions pas en mesure de respecter à l'échelle nationale. Le mieux, pour y arriver, consiste d'abord à reconnaître que les lois en matière de droits internationaux de la personne vous donnent la possibilité de mettre les traités en oeuvre chez vous comme vous l'entendez. Il est possible de le faire par la voie administrative, par le truchement de programmes, ou par la voie législative ou encore par l'application de la Charte. Il n'est pas nécessaire de prendre des mesures constitutionnelles ou statutaires. Il y a d'autres façons d'y parvenir. On peut toujours rechercher une coopération entre les provinces et le gouvernement fédéral sur la façon de mettre ces responsabilités en oeuvre.

Du point de vue du droit international, il est vrai que tout s'arrête au niveau du Canada, pris en tant que pays souverain, plutôt qu'au niveau des unités qui constituent la nation.

La présidente: On me dit que vous êtes accompagnée de quelqu'un d'autre de l'Association. Pourriez-vous nous présenter cette personne?

Mme Harrington: Je suis accompagnée de Me Alan McChesney, membre du conseil d'administration de l'AJCRDPM. J'aurai aimé qu'il soit à mes côtés pour me souffler ce que j'avais à dire.

La présidente: Avancez-vous, monsieur.

Le sénateur Fraser: Madame Harrington, j'aimerais revenir à la question qu'a soulevée le témoin précédent au sujet de l'article 14: qui va déterminer ce qui constitue l'idée offensante? Comment peut-on énoncer cela dans une loi? Peut- on imaginer des lois établissant des conditions en vertu desquelles on pourrait considérer que certaines idées sont offensantes? Personnellement, j'estime que ce serait cela l'idée offensante, mais c'est ce à quoi ce texte nous contraindrait.

Mme Harrington: Par leur nature même, les documents relatifs aux droits internationaux de la personne et les déclarations nationales des droits renferment des dispositions qui peuvent poser problème quant à leur interprétation. Il demeure, quand on se penche sur la façon dont ces dispositions sont interprétées dans des cas concrets, qu'il n'y a plus vraiment lieu de s'inquiéter, du moins comme on a pu le constater avec d'autres déclarations et d'autres traités internationaux relatifs aux droits de l'homme.

Le sénateur Fraser: Existe-t-il des exemples de loi où la publication d'une idée offensante constitue une infraction?

Mme Harrington: Je pense par exemple à l'obscénité et à la pornographie, mais je vois ce que vous voulez dire.

Le sénateur Fraser: Cela relève de l'article 13. Nous parlons à présent de l'article 14 qui se trouve là pour une bonne raison; c'est parce que quelqu'un a jugé que les dispositions de l'article 13 n'étaient pas suffisantes.

Mme Harrington: Je vais devoir me pencher plus à fond sur cette question.

Le sénateur Fraser: Excusez-moi de paraître excédée, mais vous comprendrez que c'est une question qui me préoccupe beaucoup et que je prends aussi très au sérieux ce que vous dites.

Mme Harrington: Je ne comparais pas devant vous en qualité de spécialiste de la liberté d'expression.

Le sénateur Fraser: Si vous voulez nous faire part d'autres réflexions à ce sujet, je serai très heureuse de les entendre.

Mme Harrington: Permettez-moi de vous rappeler que la convention précise «...dans les conditions éventuellement définies pas ses propres lois». On peut imaginer qu'une fois que le Canada aura ratifié cette convention, les conditions seront celles qu'il définira.

Le sénateur Poy: Dois-je retenir que c'est surtout le paragraphe 4(1) qui chagrine votre association? À l'évidence, vous n'avez rien à redire au sujet des articles 13 et 14. Mais est-ce que le principal problème pour vous, c'est le paragraphe 4(1)?

Mme Harrington: Oui, pour ce qui est des droits fondamentaux prévus à la convention. Ce que nous voulons par- dessus tout, c'est que le Canada ne ratifie pas simplement cette convention pour la forme, mais qu'il la mette en oeuvre, ce qui nous a amenés à formuler des recommandations relativement à la nécessité de faire connaître la convention et d'informer et d'éduquer la population. Ce que nous disons, c'est que tant qu'à faire quelque chose, autant le faire bien.

Le sénateur Poy: Vous avez dit aussi qu'il faudrait apporter des précisions plutôt que de simplement émettre des réserves. Si l'on veut émettre une réserve au sujet du paragraphe 4(1), il faudra également préciser ce qu'il faut entendre par réserve. C'est ce que vous voulez dire par là?

Mme Harrington: Je sais que des témoins vous ont parlé d'une déclaration interprétative. Il y en a même un qui vous a entretenu d'une «déclaration interprétative conditionnelle». Au bout du compte, le droit international s'intéresse à la substance et non à la forme. Peu importe le nom vous allez lui donner, ce qui compte ici, c'est ce que vous allez en faire. C'est pour cela que je soutiens qu'il faut préciser son intention. Si vous avez l'intention d'émettre une réserve au sujet de l'article 4, devra-t-on comprendre qu'elle a pour objet de compliquer l'application de la Loi canadienne en matière d'avortement? C'est ce que veut dire notre association: vous devrez être clairs à propos de ce que vous entendez faire. Il ne sert à rien de semer la confusion.

Le sénateur Poy: Je crois savoir que nous n'avons pas de loi en matière d'avortement.

Mme Harrington: Tout à fait.

Le sénateur Poy: Alors, que fait-on dans ce cas, puisque nous n'avons pas de loi?

Mme Harrington: Nous vous avons fait part de ce qui se passe au Mexique qui a adopté ce que ce pays a nommé déclaration. Ce que je veux dire, c'est que peu importe le nom que vous donnerez à l'énoncé que vous formulerez au moment où vous adhérerez à la convention, ce qu'il faut avant tout c'est préciser votre intention. Quand je dis «vous», je parle bien sûr du gouvernement du Canada.

Le sénateur Poy: Comme nous n'avons pas de loi en matière d'avortement et que nous avons eu même beaucoup de difficulté à essayer d'en faire adopter une, nous n'allons pas occasionner beaucoup de problème en tirant les choses au clair dans ce cas.

Mme Harrington: Je ne suis pas d'accord. Il y a une cause bien connue, celle de la contestation de l'arrêt Roe c. Wade par des avocats qui ont porté la cause Baby Boy devant la Commission interaméricaine. Il en a été question à votre comité. On voit bien où la Commission voulait en venir à ce sujet. Nous recommandons l'adoption d'une déclaration destinée à préserver ce que nous comprenons du jugement Baby Boy. Tout ce que je veux dire, c'est que peu importe le nom que vous donnerez à cette déclaration, il faudra qu'elle précise vos intentions. Le droit international n'est pas truqué par des déclarations ou des réserves.

Le sénateur Poy: Je reconnais qu'il ne sert à rien de faire quoi que ce soit, s'il n'y a pas de substance dans le texte et s'il n'y a pas d'argent pour faire en sorte que les choses fonctionnent.

Le sénateur Beaudoin: Voilà une question très intéressante. Il est vrai que la Cour suprême a cassé des dispositions du Code criminel relatives à l'avortement. Cela ne revient pas à dire — même si c'est peu probable — qu'un jour le gouvernement ne décidera pas de légiférer dans ce domaine. C'est au Parlement qu'il appartient de légiférer en matière de droit pénal. Certes, depuis les décisions rendues par la Cour suprême dans le domaine de l'avortement, ni les Conservateurs ni les Libéraux n'ont voulu changer quoi que ce soit. Ils vont laisser les choses en l'état.

Cependant, bien d'autres pays se sont dotés de lois en matière d'avortement. Nous avons étudié le paragraphe 4(1) en détail il y a quelques mois. Nous avons conclu que, si nous adhérions à cette convention, nous serions sans doute obligés d'émettre certaines réserves à ce sujet. Après tout, ce n'est pas la fin du monde. Pourquoi pas après tout?

Je pense que nous avons recueilli assez d'opinions à propos de l'article 4 et de la question du droit à la vie.

Nous avons une réserve à propos de l'autre thème du débat de ce soir. Personnellement, je serais prêt à prendre un risque parce que je suis certain que notre Cour suprême sera appelée à trancher. Qu'en pensez-vous? Estimez-vous que nous devrions émettre une réserve?

Mme Harrington: Vous parlez du droit de réponse?

Le sénateur Beaudoin: Oui.

Mme Harrington: Non. Je ne le crois pas. Il faut se dire que le Canada applique une approche juridico-culturelle différente en matière de liberté d'expression. Nous ne ressemblons pas aux États-Unis ni à d'autres pays. Il a été question du principe Sullivan, mais ce n'est pas la position suivie par la Chambre des Lords dans l'arrêt Reynolds, ni celle du Conseil privé dans le cas Lange de la Nouvelle-Zélande. Il existe des approches légales différentes. Le Canada n'applique pas forcément la même que les États-Unis en matière de liberté d'expression. Personnellement, je crois que le Canada est beaucoup plus près de l'approche européenne en matière de convention sur les droits de l'homme, ce qui est logique, puisque notre Charte a emprunté à la convention européenne l'idée que, dans une société libre et démocratique, il est justifié de soumettre tout droit à des limites raisonnables. C'est ce que l'on retrouve un peu partout dans le système européen et dans le système international, de même que dans la Charte.

Je n'entretiens pas autant de craintes que l'intervenant précédant quant aux répercussions possibles de la Convention américaine relative aux droits de l'homme sur la liberté d'expression et le droit de réponse, cette convention s'inspirant du modèle européen.

Le sénateur Beaudoin: Mais cela ne vous empêche pas de recommander que nous adhérions à la convention.

Mme Harrington: C'est exact.

La présidente: Maître Harrington et maître Bantey, merci pour vos exposés de ce soir.

La séance est levée.


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