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RIDR - Comité permanent

Droits de la personne

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Droits de la personne

Fascicule 3 - Témoignages du 31 mars 2003


OTTAWA, le lundi 31 mars 2003

Le Comité sénatorial permanent des droits de la personne se réunit aujourd'hui à 17 h 30 pour étudier l'adhésion éventuelle du Canada à la Convention américaine relative aux droits de l'homme et pour examiner le rapport de Mme Nicole Laviolette sur les principaux instruments internationaux de promotion des droits de la personne auxquels le Canada n'a pas encore adhéré.

Le sénateur Shirley Maheu (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente: Monsieur McEvoy, veuillez commencer, je vous prie.

M. John McEvoy, professeur, Faculté de droit, Université du Nouveau-Brunswick: Honorables sénateurs. Je suppose que vous avez en main notre mémoire.

J'ai l'intention d'aborder quatre points. Vous avez une table des matières qui peut vous aider à suivre le déroulement de cet exposé.

Dans l'article que nous avons écrit il y a quelque temps, nous avons parlé de trois domaines de préoccupation qui expliquent probablement la réticence du Canada à adhérer à la Convention américaine relative aux droits de l'homme (CADH). Ces préoccupations portent sur la liberté d'expression et le droit de réponse en vertu de la Convention, les droits relatifs à la propriété privée et le droit à la vie, notamment en ce qui concerne l'avortement. Je vais aborder ces trois questions. Je présenterai également au comité une suggestion qui reflète la position actuelle de la Commission irlandaise des droits de la personne.

Je vais d'abord parler du droit de réponse. Je vous invite à passer à la page 6, point 3.3.1, de notre mémoire, si vous le souhaitez.

Le droit de correction ou de réponse prévu à l'article 14 constitue l'une des caractéristiques distinctives de la CADH. Le droit de réponse, qui doit être interprété en fonction de l'article sur la liberté d'expression, a pour objet de protéger la dignité humaine, l'honneur et la réputation personnelle d'une personne. On pourrait l'envisager comme un droit de se défendre contre la diffamation.

Nous avons indiqué que cette disposition n'est probablement pas un vrai problème pouvant, seul, justifier de ne pas adhérer à la Convention. Cela est dû à deux décisions rendues par la Cour suprême, que j'ai oublié de mentionner dans le mémoire, mais dont je donnerai un bref aperçu maintenant.

La décision Slaight Communications se situe dans le domaine du droit du travail. Dans cette affaire, un arbitre avait ordonné à un employeur de donner une lettre de référence à un employé renvoyé. Bien sûr, la Cour suprême a soutenu que c'était là une violation de la liberté d'expression, mais elle a ajouté que c'était une limite de cette liberté dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Il y a également lieu de mentionner l'affaire de la publicité du tabac, qui a fait l'objet de la décision RJR- MacDonald, dans laquelle la Cour suprême a statué que les mises en garde non attribuées relatives à santé devant figurer sur les paquets de cigarettes violaient l'alinéa 2b) de la Charte et n'étaient pas justifiées par l'analyse fondée sur l'article premier.

Toutefois, les mises en garde non attribuées sont acceptables. Dans ce cas, nous avons un droit de réponse dans les médias. Bien sûr, l'exercice de ce droit de réponse identifie la personne en cause, comme dans le cas des corrections régulièrement publiées dans les journaux et d'autres médias.

Le droit de réponse n'est pas incompatible avec la liberté d'expression prévue par la Charte canadienne des droits et libertés, particulièrement dans sa justification en vertu de l'article premier. Nous attirons votre attention sur ce point.

À la page 7 du mémoire, nous mentionnons également l'article 21 de la Convention sur le droit à la propriété privée. Nous avons retenu cette disposition comme source de préoccupation par rapport à des gouvernements socialistes au Canada, et peut-être ailleurs dans l'hémisphère, qui pourraient s'inquiéter du droit à la propriété. Si vous examinez les détails de l'article, que vous pouvez voir dans ce paragraphe particulier, vous verrez qu'il s'agit du droit à la jouissance de ses biens et du droit à une indemnité lorsque les biens sont expropriés dans l'intérêt de la collectivité ou de l'État.

Si vous on examine les détails, on constate qu'il n'y a pas d'incompatibilité avec les lois fondamentales du Canada relatives à l'expropriation. Par conséquent, il n'y a pas lieu de s'inquiéter de cette disposition. Nous comprenons la décision politique à prendre pour reconnaître le droit à la propriété, mais cela ne nous inquiète pas particulièrement pour ce qui est de la compatibilité avec la loi canadienne.

Je passe maintenant à la page 12. La protection du droit à la vie demeure un sujet de préoccupation. Selon l'article 4.1 de la CADH, le droit à la vie «doit être protégé par la loi et, en général à partir de la conception». Le libellé de l'article est très important. Pour certains membres de la communauté juridique et pour les groupes féminins, en particulier, ce droit impose la protection du foetus dès sa conception, ce qui revient évidemment à une interdiction de l'avortement. Cette interprétation est-elle réaliste?

Nous avons évoqué la question dans notre article et avons mentionné, dans une note en bas de page, l'affaire dite Baby Boy. Vous trouverez dans notre mémoire, à l'article 3.3.6, non seulement le texte de l'article 4.1, mais aussi un important extrait de la décision rendue dans l'affaire Baby Boy.

L'affaire Baby Boy était le résultat d'une plainte présentée par un groupe des États-Unis qui s'opposait à l'avortement. Baby Boy était en fait un foetus avorté. Des partisans du mouvement pro-vie ont soutenu que la mort de ce bébé à naître violait le droit à la vie garanti par la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. En interprétant cette déclaration, la Commission interaméricaine des droits de l'homme a examiné les travaux préparatoires et l'article 4.1 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Vous constaterez, à la page 14 du document que vous avez en main, que la Commission a mentionné les négociations qui ont abouti à l'adoption de la CADH.

On avait soutenu à ce moment que l'expression «en général à partir de la conception» constituait une interdiction de l'avortement. C'est l'argument qui a été présenté dans l'affaire Baby Boy par les auteurs de la plainte. Dans sa décision, la Commission a examiné en détail le rôle que jouait l'expression dans l'article 4.1 et les arguments qui militaient contre le point de vue des plaignants.

J'attire votre attention sur l'article 30, au bas de la page 14, dont je vais lire une partie. Ayant présenté l'historique de l'affaire, la Commission a dit:

À la lumière de cet historique, il est clair que l'interprétation par les plaignants de la définition du droit à la vie contenue dans la Convention américaine n'est pas fondée.

Encore une fois, l'argument des plaignants était que l'avortement était interdit «à partir de la conception». La Commission a examiné l'historique de la locution «en général» en tenant compte du fait que l'avortement était permis dans les États membres à ce moment critique.

Je poursuis ma citation:

L'incise «en général à partir de la conception» ne signifie pas que les rédacteurs de la Convention avaient l'intention de modifier le concept du droit à la vie qui prévalait à Bogotá lors de l'approbation de la Déclaration américaine. Les incidences juridiques de l'expression «en général à partir de la conception» sont très sensiblement différentes de l'expression plus courte «dès le moment de la conception».

La Commission a donc insisté sur le sens de la locution «en général». L'affaire Baby Boy a établi que les États-Unis n'avaient pas violé la Déclaration américaine.

J'ai cité cette décision pour essayer de rassurer ceux qui auraient des doutes et de les persuader que l'avortement ne serait pas interdit pour la simple raison que le Canada signerait ou adhérerait à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Nos présentes lois sur l'avortement ne seraient pas contraires aux dispositions de la Convention.

Le dernier point que je veux aborder se trouve la page 24. Il s'agit d'une solution de rechange. Dans les annexes, j'ai reproduit les principales dispositions de la Human Rights Commission Act, 2000, de l'Irlande. Par cette loi, le Parlement irlandais a conféré à la Commission des droits de la personne le pouvoir d'enquêter sur les plaintes des citoyens irlandais contre toute violation des droits de la personne prévue dans n'importe quelle convention dont l'Irlande est signataire.

Si vous avez des craintes au sujet de l'adhésion à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, c'est peut-être là un moyen d'aller de l'avant tout en prenant certaines précautions. Voilà pourquoi cette proposition est présentée sous forme de solution de rechange. Vous pourriez peut-être recommander une modification de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui permettrait à la Commission des droits de la personne d'enquêter sur les plaintes selon lesquelles les autorités fédérales — et non les provinces — auraient violé les dispositions d'un instrument international de promotion des droits de la personne. Vous pourriez alors inclure la Convention américaine à laquelle le Canada n'a pas encore adhéré. Sur le plan intérieur, on pourrait ainsi avoir l'assurance que l'interprétation de cet instrument serait faite selon nos propres procédures. Les Canadiens accepteront peut-être alors d'adhérer à la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Cette assurance manquait peut-être. Toutefois, nous ne présentons cette proposition que comme solution de rechange.

Comme vous le verrez, nous préférons en fait l'adhésion à la Convention américaine.

M. Don Fleming, professeur, Faculté de droit, Université du Nouveau-Brunswick: Notre étude a été assez superficielle, mais je crois qu'elle nous a permis d'acquérir une certitude raisonnable qu'aucun des droits prévus par la Convention américaine relative aux droits de l'homme ne constitue une menace pour le Canada. Comme l'a mentionné M. McEvoy au sujet du droit de réponse, du droit à la propriété privée et du droit à la vie, le libellé de la Convention comporte suffisamment de latitude pour ne pas risquer d'être contraire aux dispositions actuelles de la loi canadienne. Quoique brève, notre étude établit aussi qu'il en est de même pour les autres droits controversés. Je ne prendrai pas la peine de les passer en revue, à moins que vous n'ayez des questions précises à poser à leur sujet.

Je voudrais noter que la «clause fédérale» représente une autre caractéristique très particulière de la CADH. Ordinairement, lorsque le Canada souhaite ratifier une convention sur les droits de la personne, il cherche à obtenir l'agrément de toutes les provinces. Il ne l'a pas toujours fait, mais c'est ainsi qu'il a procédé le plus souvent. La clause fédérale élimine cette exigence pour le gouvernement fédéral. Elle signifie simplement que la convention s'applique dans les secteurs qui relèvent de la compétence du gouvernement fédéral, ainsi que dans toute province qui accepte de souscrire aux dispositions de la Convention.

Si vous examinez celle-ci, vous constaterez qu'elle se distingue des autres conventions sur les droits de la personne ratifiées par le Canada justement à cause de la clause fédérale.

D'autres s'inquiétaient également du fait que beaucoup des cas traités dans le cadre du système interaméricain portent sur des violations massives et flagrantes commises par des régimes militaires et dictatoriaux, et que la contribution du Canada serait insignifiante. Encore une fois, notre étude révèle qu'au moment de l'entrée en vigueur de la Déclaration américaine, c'était effectivement le cas. La Commission interaméricaine des droits de l'homme s'occupait principalement de violations massives et flagrantes, comme des massacres, des disparitions, et cetera. reprochés à des régimes militaires et autocratiques. Ce n'est plus le cas maintenant. Beaucoup des États latino- américains et des Antilles se sont orientés vers la démocratie. Les statistiques relatives aux affaires traitées montrent aujourd'hui que ces affaires portent principalement sur des préoccupations normales des démocraties occidentales. Nous croyons donc que, plus que jamais, le moment est indiqué pour ratifier cette Convention car l'expérience canadienne peut constituer un moyen précieux d'apprentissage pour les nouvelles démocraties encore instables.

Nous avons également l'occasion, aux termes de la Convention américaine relative aux droits de l'homme de l'Organisation des États américains, de déclarer que nous acceptons la juridiction de la Cour interaméricaine des droits de l'homme. Une fois de plus, notre examen de la jurisprudence de la cour nous montre qu'il n'y a pas de risque à reconnaître cette juridiction. Les lois canadiennes sont suffisamment conformes aux obligations interaméricaines relatives aux droits de l'homme auxquelles nous avons déjà souscrit ou souscrirons lors de notre adhésion à la Convention. Il serait insensé de notre part de ne pas reconnaître la juridiction de la cour. Nous l'avons déjà fait dans le cas du Comité des droits de l'homme aux termes du protocole optionnel au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Nous devrions le faire encore dans ce cas.

Compte tenu des statistiques concernant les plaintes entre États, nous recommandons aussi que le Canada reconnaisse le droit de déposer de telles plaintes. Cela signifie tout simplement qu'un autre État ayant fait la même déclaration peut se plaindre d'une violation alléguée des droits de la personne commise par le Canada. Une disposition semblable figure dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Je ne crois pas que le Canada ait fait une déclaration dans le cadre du Pacte, mais j'estime qu'il serait utile qu'il le fasse dans le cadre d'une convention régionale.

Par conséquent, nous avons abouti à la conclusion que les droits importants prévus dans la Convention ne causeraient aucun préjudice sérieux aux intérêts canadiens parce que nos lois sont conformes. Nous pouvons adhérer à la Convention sans réserves ni déclarations. Nous devrions non seulement ratifier la Convention, mais reconnaître aussi la juridiction de la cour et accepter les plaintes entre États.

Nous avons présenté d'importantes observations sur les réserves et déclarations parce qu'un membre du comité avec qui nous avions un entretien nous a demandé la différence entre une réserve et une déclaration. Je laisserai ce point pour la période des questions.

La présidente: Merci, monsieur Fleming. J'ai été un peu surprise de constater à quel point vous avez changé d'avis depuis 1998. Même si je n'étais pas membre du comité à ce moment, j'ai lu des notes faisant état de vos préoccupations parce que le Canada n'était pas présent lors de la rédaction de la Convention. Nous avons joué un rôle de premier plan dans la rédaction des instruments de promotion des droits de l'homme des Nations Unies. Nous avons considérablement contribué à la définition des droits et de la procédure. Toutefois, nous n'avons pas eu d'influence directe dans ce cas. Qu'est-ce qui vous a amené à changer d'avis depuis 1998?

M. Fleming: Permettez-moi de vous dire que ce n'est pas vraiment un changement de position. Lorsque nous avons écrit l'article, nous étions en faveur de la ratification de la Convention américaine. Nous abordions simplement la situation sous un angle différent.

Pour ce qui est de la contribution du Canada, j'ai deux observations à formuler. La première, c'est que nous sommes déjà à mi-chemin d'un engagement envers la Commission des droits de l'homme de l'OEA. En ratifiant la Charte de l'Organisation des États américains, c'est-à-dire en adhérant à l'organisation, nous avons souscrit à la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. La Commission a été saisie de deux affaires portant sur le Canada. Si vous regardez les statistiques, vous verrez que 17 plaintes ont été déposées contre le Canada. Certaines d'entre elles sont encore à l'étude. Dans d'autres cas, le dossier a été classé.

En ratifiant la Charte de l'Organisation des États américains, nous avons déjà adopté à moitié son système des droits de la personne. Nous devrions maintenant adopter l'autre moitié. La différence entre les droits énoncés dans la Déclaration américaine et ceux de la Convention américaine relative aux droits de l'homme n'est pas assez importante pour justifier le refus d'adhérer à la Convention.

Ma seconde observation est que nous n'avons pas contribué à la rédaction de la Convention américaine relative aux droits de l'homme parce que le Canada, pour des raisons de politique étrangère, n'était pas membre de l'OEA à ce moment. Toutefois, la Convention mentionne la Déclaration universelle des droits de l'homme. Elle est conçue selon le modèle de la Convention européenne des droits de l'homme et est très proche du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Nous soulignons, dans l'introduction de notre mémoire, que la Convention est en pratique assez semblable aux instruments internationaux auxquels le Canada a déjà souscrit. Dans ce sens, nous avons contribué indirectement à l'élaboration de cette Convention.

Le sénateur Beaudoin: Je suis favorable à l'adhésion du Canada à la Convention. Personnellement, je n'y vois pas d'inconvénients.

Toutefois, il serait indispensable, à mon avis, d'avoir une réserve au sujet de l'article 4 puisque la Cour suprême du Canada a très clairement déclaré que le foetus fait partie de la mère jusqu'à sa naissance. Il devient un être humain lorsqu'il naît. Ce problème constitutionnel s'était posé pendant notre étude du projet de loi C-43. C'est la décision de la Cour suprême, décision qui fait bien entendu partie de notre droit constitutionnel et donc de la Constitution du Canada.

Je crois que nous devrions souscrire à cette intéressante Convention, mais je pense que nous avons besoin d'une réserve au sujet de l'article 4. Nous ne pourrions pas autrement concilier la thèse selon laquelle le foetus est un être humain et la thèse établie par la décision de la Cour suprême.

Nous pouvons être d'accord ou non avec la Cour suprême, mais nous devons en même temps appliquer sa décision. Si nous adhérons à la Convention, nous avons besoin d'une réserve. Si vous pouvez me persuader que nous n'en avons pas besoin, je vais l'accepter, mais je ne sais pas comment vous pourriez aboutir légalement à cette conclusion.

M. McEvoy: M. Fleming parlera de la question de la réserve. Pour ma part, je parlerai de l'affaire Morgentaler.

Le sénateur Beaudoin: L'affaire Morgentaler est tout à fait claire.

M. McEvoy: Sans doute. Le point central de l'affaire était la sécurité psychologique et la sécurité physique de la femme aux termes de l'article 7 de la Charte, et non la viabilité du foetus ou l'intérêt que lui porte l'État. Il s'agissait de la sécurité de la personne.

Dans la décision Tremblay c. Daigle, que nous avons également mentionnée, il est très clair que le père et le foetus n'ont pas de droits, aux termes de l'article 7, par rapport à la décision personnelle de la mère de mettre fin à sa grossesse. Si c'est ce que dit la loi au Canada, comme vous et la Cour suprême l'avez indiqué, nous sommes tous d'accord. Quelle serait donc la violation? Où serait la contradiction avec l'article 4.1? Voilà la question.

C'est très clairement pour cette raison que j'ai cité le long extrait de la décision rendue dans l'affaire Baby Boy. Dans ce cas, la Commission avait rejeté l'argument soutenant que l'État du Massachusetts avait violé la Déclaration américaine en ne protégeant pas le droit à la vie qui, d'après la Convention, existe «à partir de la conception». La Commission a rejeté cet argument qui insistait sur l'expression «à partir de la conception» plutôt que sur la précision apportée par la locution «en général».

La Commission s'est reportée aux travaux préparatoires, aux négociations et aux votes pour aboutir à la conclusion, que j'ai lue, figurant à l'article 30 du document relié à l'affaire Baby Boy. Les tribunaux avaient rejeté l'argument, estimant que l'avortement est et était alors une intervention médicale offerte dans de nombreux États américains, et que ni les rédacteurs de la Déclaration américaine ni ceux de la Convention n'avaient eu l'intention de changer cet état de choses.

Nous avons donc une sorte d'équilibre. Les mots clés sont «en général»: ils permettent la coexistence de lois sur l'avortement et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Le sénateur Beaudoin: C'est bien la Commission qui a dit cela, pas la Cour?

M. McEvoy: Oui, la Commission et non la Cour. La Commission n'a pas été saisie d'autres cas portant sur l'avortement.

Le sénateur Beaudoin: Je suis prêt à prendre le risque, mais seulement un risque calculé. Nous avons reçu beaucoup de témoins, après quoi nous avons abouti à la conclusion que ce serait très difficile. Je suis en faveur de l'adhésion. Je n'y vois pas d'inconvénients. Je vous suis également sur la question de la clause fédérale. Nous nous en sommes servis, et nous y croyons. Toutefois, si une province n'adopte pas une loi de mise en œuvre, le pouvoir fédéral ne peut pas le faire pour elle puisque, Dieu merci, nous sommes une fédération. Nous devons respecter la division des pouvoirs.

Quoi qu'il en soit, nous sommes prêts à l'accepter. Ce n'est pas un problème.

M. Fleming: Si vous le permettez, madame la présidente et sénateur Beaudoin, vous devez examiner l'article 4.1 en contexte. Il se compose de quatre éléments distincts. Le premier élément exige des États qu'ils respectent le droit à la vie, ce que le Canada fait déjà. Le deuxième dit que l'État doit protéger ce droit par voie législative. Encore une fois, la loi canadienne le fait. Le troisième élément établit que l'État doit protéger la vie «en général à partir de la conception». La locution «en général» permet aux États de légiférer pour satisfaire à d'autres besoins pouvant s'écarter de la définition de la vie à partir de la conception. Le quatrième élément de l'article 4.1 impose à l'État de protéger les individus contre les privations arbitraires du droit à la vie.

Par conséquent, la loi canadienne et même les décisions de la Cour suprême du Canada, plutôt qu'une loi accordant la liberté de choix aux femmes, ne constituent pas des privations arbitraires du droit à la vie.

Le sénateur Beaudoin: Quel est votre troisième élément?

M. Fleming: Le troisième élément est que la locution «en général» a été interprétée par la Commission interaméricaine des droits de l'homme comme voulant dire que les États peuvent autoriser un choix. Vous avez demandé pourquoi la Cour n'a pas entendu l'affaire. La raison est que les États-Unis n'ont pas ratifié la Charte et n'ont pas reconnu la juridiction de la Cour. Le Canada non plus. Aucune fédération n'a été confrontée à des situations lui permettant de s'adresser à la Cour.

Le sénateur Beaudoin: Et que faites-vous de l'expression «à partir de la conception»?

M. Fleming: La Convention américaine dit bien que la vie commence à la conception, mais la protection de la vie «à partir de la conception» doit être assurée «en général». Il peut donc y avoir des exceptions à la règle. Le choix accordé à la femme constitue une exception légitime, n'étant pas considéré comme une privation arbitraire du droit à la vie.

Le sénateur Beaudoin: Que voulez-vous dire par choix? On a le choix ou on ne l'a pas.

M. Fleming: C'est arbitraire. La loi le prévoit.

Je serais vraiment désolé si le gouvernement du Canada se faisait prendre dans ce labyrinthe, même s'il est très clair pour nous que nous n'avons à formuler aucune réserve au sujet de cet article en adhérant à la Convention. Il y aurait rien de mal à produire, au moment de l'adhésion à la Convention, une déclaration d'interprétation de l'article 4.1 qui préciserait l'interprétation de l'article que le Canada accepte. Même s'il était vrai que la Convention implique une définition absolue de la vie à partir de la conception, le Canada peut se suffire d'une déclaration d'interprétation plutôt que de recourir à une réserve à la Convention, que je ne crois pas nécessaire. Nous pouvons dire qu'il y a un article de la Convention que nous interprétons d'une certaine façon.

Le sénateur Beaudoin: J'espère que vous avez raison quand vous dites qu'une déclaration suffit.

M. Fleming: Si vous prenez connaissance de l'affaire Baby Boy, de l'article et des arguments expliquant les raisons pour lesquelles la locution «en général» ne s'applique qu'au droit à la vie «à partir de la conception», vous verrez bien que c'est le cas. Nous sommes aussi convaincus qu'on puisse l'être.

Le sénateur Beaudoin: J'espère que vous avez raison, mais je ne serais pas surpris si la Cour n'était pas d'accord avec vous.

M. McEvoy: Il ne faut pas perdre de vue ce que j'appellerai l'inertie institutionnelle. Pendant 20 ans, la Commission a eu pour position que l'avortement n'est pas incompatible avec le droit défini à l'article 4.1. C'est un peu comme l'âge de la majorité en vertu de la common law. La décision remonte maintenant à 22 ans. La Commission y croit. C'est ainsi qu'elle a interprété la Convention. Cela explique qu'elle n'a pas reçu plus de plaintes venant des États-Unis ou d'ailleurs. C'est son interprétation.

Par conséquent, si je me présentais devant la Cour, la situation ne serait pas très différente dans le cadre d'une structure où existe une interprétation de longue date sur laquelle les gens se sont appuyés. Il serait donc surprenant que des membres de la Cour décident soudainement d'adopter une interprétation différente.

Le sénateur Beaudoin: Je suis prêt à prendre le risque, mais vous aurez besoin d'un très bon avocat.

Le sénateur Kinsella: Je dois dire que, dans la perspective de la science des droits de la personne, je crois que vous avez raison et je suis d'accord avec vous.

La politique des droits de la personne est un élément de cette science. Il me semble donc que nous devons envisager la question sous l'angle politique, dans le sens large de ce terme. Nous essayons depuis 1990 d'obtenir l'agrément des provinces et des autorités fédérales pour l'adhésion à la Convention. C'est l'un des obstacles mentionnés par les responsables des droits de la personne devant le comité, qui est le seul organisme qui étudie officiellement cette question.

Grâce aux travaux du comité, la question est maintenant publique. Nous nous demandons s'il faut, sur le plan politique, donner les assurances que les provinces et certains du côté fédéral souhaitent avoir. Si l'objectif est d'obtenir la ratification par le Canada, il serait peut-être prudent de formuler une réserve ou de publier une déclaration d'interprétation au sujet de cette disposition et de certaines autres. Qu'en pensez-vous?

M. Fleming: Je crois que l'objectif en vaut la peine. S'il est rassurant pour le Canada de formuler une réserve ou de publier une déclaration d'interprétation en ratifiant la Convention, je n'y vois pas d'objection.

Le sénateur Kinsella: Je ne veux pas m'en tenir à l'article 4. Toutefois, en parlant strictement de compétence provinciale, quel genre de mesures législatives les provinces devraient-elle adopter? J'adresse la question au constitutionnaliste. Pourquoi l'article 4 de la Convention poserait-il un problème par rapport aux compétences provinciales?

M. McEvoy: Ce serait aux termes de la Loi sur la santé mentale ou de la Loi sur les hôpitaux, en ce qui concerne le financement de l'avortement. Il y a un certain nombre de décisions concernant Morgentaler depuis le principal arrêt Morgentaler dans lequel le financement a été mentionné.

Le sénateur Kinsella: Je suis curieux de savoir si, en Irlande, les recours nationaux sont limités au dépôt d'une plainte auprès de la Commission irlandaise des droits de la personne sur le base de la Convention européenne.

M. McEvoy: Je ne suis pas en mesure de vous donner une réponse détaillée parce que je n'ai pas suffisamment étudié la loi irlandaise pour déterminer si la Convention y a été intégrée. D'un point de vue général, les recours nationaux se limitent au renvoi aux tribunaux d'une plainte déposée auprès de la Commission. Je crois que les processus normaux acceptés en droit international dans ce domaine s'appliqueraient. Cela correspondrait à l'internalisation d'un droit international.

Le sénateur Kinsella: Monsieur Fleming, vous avez mentionné la clause fédérale. Vous avez dit que le Canada peut appliquer la clause fédérale inscrite dans la CADH. En d'autres termes, un décret du Conseil privé ratifiant la Convention suffirait pour l'appliquer dans le champ de compétence fédéral, mais pas dans les provinces.

N'avons-nous pas au Canada une convention constitutionnelle, qui remonte à l'époque de la convention sur le travail de la fin des années 30, selon laquelle le pouvoir fédéral doit s'abstenir d'adhérer à des traités internationaux sans avoir l'agrément d'un nombre important de provinces?

M. Fleming: Je veux bien admettre qu'il y a une telle convention et j'espère bien qu'elle continuera d'être respectée. Toutefois, dans le cas de la Convention relative aux droits de l'enfant, par exemple, le Canada n'a pas réussi à obtenir l'agrément de l'Alberta, mais a quand même ratifié la Convention.

J'espère que le gouvernement fédéral ne sera pas assez insensible, si je peux m'exprimer ainsi, pour décider de ratifier une convention sur les droits de la personne sans s'entendre avec les provinces. Cependant, ce cas représente peut-être une exception à la règle. D'une façon générale, en droit international, les États n'acceptent pas l'inscription d'une clause fédérale. C'est une disposition très rare dans n'importe quel genre de traité.

J'ai l'impression que la clause fédérale a été spécialement inscrite dans la Convention américaine pour permettre aux États-Unis de la ratifier. Personne ne songeait au Canada à ce moment puisque, pour des raisons politiques, nous n'étions pas membres de l'Organisation des États américains.

Après une consultation adéquate des provinces et compte tenu du fait que les droits énoncés dans la Convention ne sont pas sensiblement différents de ceux que les provinces canadiennes ont déjà acceptés en adhérant à d'autres instruments internationaux de promotion des droits de la personne, je n'ai pas l'impression, dans ce cas particulier, que le Canada manquerait vraiment à la convention prévoyant l'accord des provinces en déposant ses instruments de ratification sans le consentement des provinces.

Nous n'avons pas abordé cet aspect particulier de la clause fédérale dans notre document. Il mériterait sûrement une étude approfondie. Toutefois, comme les provinces ont déjà accepté certains droits dans d'autres instruments internationaux, que le pouvoir fédéral a amorcé un processus de consultation et que la clause fédérale est inscrite dans la Convention, je ne pense pas que le gouvernement fédéral ferait quelque chose de répréhensible ou empiéterait sur les droits des provinces en ratifiant la Convention sans leur consentement.

Le sénateur Kinsella: Une étude fédérale-provinciale sur cette convention se poursuit depuis plus de dix ans. Votre gouvernement provincial, celui du Nouveau-Brunswick, a-t-il fait savoir au premier ministre s'il appuyait la ratification? Nous a-t-on jamais fait savoir quelles provinces sont d'accord?

Le président: Nous avons cette information. Il y a plus d'une province qui est en désaccord.

Le sénateur Kinsella: Néanmoins, certaines provinces sont d'accord.

La Convention américaine relative aux droits de l'homme comprend une disposition portant sur le droit de tout citoyen à participer au gouvernement. Des citoyens chiliens ont déposé une communication ou une plainte auprès de la Commission interaméricaine des droits de l'homme alléguant que le Chili violait la Convention à cause de la modification apportée à la constitution chilienne à l'époque de Pinochet pour permettre la nomination d'un certain nombre de sénateurs plutôt que leur élection.

Au Canada, les sénateurs ne sont pas élus, mais nommés. Je crois comprendre que la plainte a été déclarée irrecevable par la Commission. Il s'agit d'une question qui se rapporte en partie à la constitution, et nous avons parmi nous M. McEvoy, et en partie à une convention, et nous pouvons faire appel à M. Fleming. Croyez-vous que le Canada devrait inscrire une réserve au sujet de cette disposition de la Convention? Estimez-vous que nous devons le faire?

M. Fleming: Sénateur Kinsella, vous avez probablement fait plus de recherches sur cet élément particulier de la question que M. McEvoy ou moi. De prime abord et sans avoir fait des recherches minutieuses, je dirais que la situation politique du gouvernement au Chili à l'époque de Pinochet était bien différente de la situation qui existe au Canada. J'ai parlé tout à l'heure de la transformation d'un certain nombre d'États des Antilles et de l'Amérique latine en démocraties. Le mouvement s'est amorcé au milieu des années 80 et s'est accéléré dans les années 90. Ces gouvernements, dont certains sont plutôt instables, sont des démocraties en difficulté. Il est certain que, sous le régime Pinochet, le Chili n'était pas une démocratie. Je présume qu'on peut soutenir dans ce cas que le problème était que les postes politiques déterminant le mode de gouvernement du pays étaient occupés par des personnes nommées plutôt que choisies au moyen d'élections démocratiques. Je présume que la même situation ne s'applique pas au Canada.

Si vous voulez que je fasse des recherches là-dessus, je me ferai un plaisir de les faire. Pour l'instant, je ne peux donner à votre question la réponse juridique précise que je voudrais faire.

M. McEvoy: Irrecevabilité ne veut pas dire violation.

Le Sénat a un rôle très important à jouer dans l'ordre constitutionnel canadien. Ce rôle ne consiste pas à représenter la population. Ce rôle revient à la Chambre des communes. Le rôle et la fonction du Sénat consistent à représenter les régions et les provinces. Il est arrivé très souvent que ce rôle ne soit pas respecté comme il aurait dû l'être. Et ce rôle n'est peut-être pas toujours reconnu. Cela ne veut pas dire que nous devons avoir des sénateurs élus, que le Parlement doit être complètement réformé pour qu'il y ait deux chambres analogues aux Communes. Ce n'est pas la fonction à remplir.

Le président: La Commission interaméricaine des droits de l'homme a abordé la question pendant sa réunion avec le comité à San José, en septembre dernier. Nous avons à ce sujet un document que nous pouvons vous faire parvenir.

Le sénateur Chaput: Si je comprends bien, vous aviez certaines préoccupations il y a quelques années, mais elles se sont dissipées. Vous avez dit que, si nous adhérions à la Convention, ce ne serait pas au mépris de la loi canadienne actuelle, que cela ne nuirait pas de façon substantielle aux lois canadiennes. Voici ma question: quel serait pour le Canada le plus grand avantage à retirer de l'adhésion à la Convention et quel serait le plus grand avantage pour le Canadien moyen?

M. McEvoy: Vers la fin des années 80, j'avais une adjointe de recherche pendant l'été. C'était une boursière Rhodes du Nouveau-Brunswick. Elle était très versée dans un certain nombre de disciplines. Je lui ai demandé de faire des recherches sur des décisions pour relever des points de droit. Au bout de deux jours, elle est venue me dire qu'elle ne voulait plus lire ces décisions parce qu'elle était psychologiquement épuisée à force de lire des textes portant sur des disparitions, la torture et la mort. Dans les années 80, les causes étaient de cette nature.

À la page 23 de notre mémoire, vous lirez que ce n'est plus le cas à la Commission des droits de la personne. Au haut de la page, on dit que 13 des 29 décisions sur la recevabilité signalées dans le rapport annuel de 2001 concernent des allégations de décès ou de torture de personnes sous garde, et je donne la liste des États en cause. C'est un vrai problème.

Ce qui est plus important, c'est que d'autres problèmes sont abordés: affaires bancaires et droit commercial, liberté d'expression, immunité des hommes et femmes politiques, droit du travail et de l'emploi. Le monde a changé. Dans l'ensemble de l'Amérique du Sud, les populations ne sont plus soumises à la tyrannie de dictateurs. Le Canada a l'obligation de jouer son rôle dans la communauté internationale de notre hémisphère, de comparaître devant la Commission et le Tribunal et de faire entendre sa voix dans l'interprétation des droits de la personne dans notre région. Le Canada à l'obligation d'être un exemple pour ces autres pays de façon à constituer une source d'inspiration et un modèle à suivre, dans la mesure modeste où nous pouvons le faire. Nous pouvons également tirer des enseignements de nos contacts avec les autres.

Nous nous sommes toujours tournés vers l'Europe à cause de l'histoire de nos premiers peuples fondateurs. Notre perspective est maintenant beaucoup plus ouverte. Notre population est davantage multiculturelle et nous avons un rôle à jouer dans notre hémisphère. Il est peut-être temps que nous occupions la place qui nous revient. Les hésitations du passé ne portaient pas tellement sur le contenu, car nous exprimions simplement des préoccupations. Nous ne tirions pas de conclusion. Le monde a changé profondément, et, à moins que nous ne soyons présents dans les institutions et les organisations pour soutenir ces pays, pour jouer notre rôle, nous laisserons tomber la cause des droits de la personne dans notre hémisphère.

Le sénateur Chaput: Vous avez dit que l'adhésion ne nuirait pas de façon substantielle aux lois canadiennes. Je m'inquiète du terme «substantiellement». Comment pourraient-elles être touchées sans que cela soit substantiel? Avez- vous un exemple?

M. Fleming: Je crois effectivement avoir dit cela. J'aurais peut-être dû lire mon texte. Je ne voulais pas parler de préjudice. Je voulais dire qu'on attirerait l'attention sur des irrégularités dans les lois canadiennes. En ce qui concerne le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il y a eu des cas et des recommandations qui allaient à l'encontre de lois canadiennes. En fin de compte, dans la majorité des cas, le Canada a modifié ses lois. Au fond, c'est à cela que riment les traités sur les droits de la personne.

Je voudrais également compléter les observations de M. McEvoy sur l'intérêt que cela présente pour le Canada. Il a signalé que le système de l'OEA s'était développé et était maintenant fondé essentiellement sur les droits démocratiques et la culture de l'Occident et que les pays de l'Amérique latine et des Antilles cherchaient désespérément un État qui puisse leur servir de guide. Ils ne peuvent trouver ce guide aux États-Unis, qui se refusent à ratifier ces traités, surtout dans les cas où ils seraient dans l'obligation de modifier leurs propres lois. Dans ces conditions, le Canada est le candidat idéal.

Je rappelle également au comité... Encore une fois, c'est dans la conclusion de notre document que nous aurions aimé vous présenter avant aujourd'hui. Je relève un élément de cette conclusion. Il s'agit de l'observation sur le désarroi américain des dernières semaines au Conseil de sécurité et la décision d'envahir l'Irak sans l'autorisation du Conseil. Il y a là une grave menace pour le système multilatéral des relations internationales instauré après la Seconde Guerre mondiale. Le Canada appuie ce système depuis longtemps.

Le Canada ne peut concurrencer les États-Unis dans la région sur aucun plan sinon celui des droits. Si nous participons à l'Organisation des États américains, si nous y sommes engagés à fond du point de vue des droits de la personne, si nous ratifions la Convention, si nous confirmons l'application de cet accord, si nous déclarons le droit de pétition entre États, les pays de l'Amérique latine et des Antilles se tourneront vers le Canada pour obtenir des conseils et l'influence de notre politique étrangère sera d'autant plus forte.

Nous n'aurons pas pour cela à affronter les intérêts américains, car il s'agit d'un domaine où les Américains se sont isolés. Ils peuvent recourir à leur puissance militaire — à Dieu ne plaise qu'ils le fassent dans les Amériques —, ils peuvent faire jouer leur influence économique, mais l'élément le plus essentiel du système interaméricain sur lequel ils ne peuvent exercer d'influence et où le Canada peut agir, c'est celui des droits de la personne. En agissant sur ce plan, nous pouvons devenir un protagoniste important en Amérique latine et dans les Antilles d'une manière qui nous a été jusqu'ici impossible. Voilà notre conclusion dans une optique politique, et il me semble important que le gouvernement canadien envisage la ratification dans cette optique.

Le président: Monsieur Fleming, permettez-moi de revenir un instant à votre déclaration sur la ratification. Vous avez dit que le gouvernement fédéral se montrerait insensible s'il ne ratifiait pas les textes à cause des objections des provinces. Vous avez dit que l'Alberta était l'une des provinces qui s'opposaient à la déclaration sur les droits de l'enfant. Dans ce cas particulier, nous avons eu les réactions de toutes les provinces sauf trois, qui ne se sont pas donné la peine de répondre, lorsque nous avons parlé de ce comité fédéral-provincial qui semble se réunir une fois par année. Personne n'a accepté de dire au comité ce que sa province recommanderait au gouvernement fédéral. Cela est secret, confidentiel. Nous n'avons aucun moyen de savoir pourquoi, ni ce que les provinces feraient si nous demandions leur opinion sur la ratification. Étant donné que nous n'aurions pas leur point de vue, recommanderiez-vous toujours, ou plutôt seriez-vous toujours d'avis que le gouvernement est insensible en refusant la ratification?

M. Fleming: Ce que je voulais dire, c'est que le gouvernement serait insensible s'il n'avait pas consulté avant de décider de ratifier. J'ai eu tort si je ne suis pas exprimé de cette manière, mais je voulais parler d'insensibilité si le gouvernement ratifiait sans se soucier des préoccupations des provinces. Il devrait faire de son mieux pour dissiper leurs préoccupations.

Pour ce qui est du Comité permanent des droits de la personne, je dois parler avec un peu de l'autorité que me donne l'expérience. J'ai été délégué à ce comité au milieu des années 70 et au début des années 80. À l'époque, le comité était très actif, car un certain nombre de commissions provinciales des droits de la personne et certaines autorités fédérales tenaient à la ratification des traités. Je me rappelle par exemple les négociations sur le traité relatif à l'élimination de la discrimination contre les femmes. Il y avait de la part d'une province une opposition vigoureuse mais isolée. Le traité n'a été ratifié que parce que certaines provinces et le gouvernement fédéral, bien sûr, tenaient à la ratification.

Depuis un certain nombre d'années, je ne suis pas membre de ce comité et je n'y suis pas affilié, et je ne sais pas non plus où il en est en ce moment, mais j'ai dit dans notre rapport que, en 1989, lorsque le premier ministre de l'époque, M. Mulroney, a annoncé que le Canada se joindrait à l'OEA en ratifiant la charte, on s'est engagé à ratifier la Convention américaine. Pendant un certain nombre d'années, les Affaires étrangères ont déclaré au moins une fois par année, s'adressant de surcroît aux juristes internationaux à la réunion annuelle du Conseil canadien de droit international, que la ratification de la Convention était imminente. Au bout d'un certain nombre d'années, le ministère a fini par admettre qu'il n'en était plus question. Aucune raison n'a été donnée, mais j'ai l'impression que c'est à cause d'un manque de volonté du gouvernement que la question a été mise en veilleuse.

Je suis profondément convaincu que, peut-être, même un comité indépendant du Comité permanent des droits de la personne, un comité comme le vôtre, s'il décidait de promouvoir l'idée de la ratification dans les cercles gouvernementaux, aurait gain de cause. J'ignore ce que vous avez constaté du côté des provinces. J'estime néanmoins que quelques discussions avec les provinces suffiraient à un groupe déterminé à obtenir la ratification pour amener un grand nombre d'entre elles à se raviser. C'est la raison d'être d'une clause sur les États fédéraux. C'est pourquoi il s'agit d'un instrument idéal pour une fédération comme le Canada.

Le président: S'il n'y a pas d'autres observations, je vous remercie de votre exposé. Nous l'avons beaucoup apprécié. S'il vous semblait que des points n'ont pas été abordés aujourd'hui ou si vous vouliez ajouter un complément à nos échanges, je vous invite à nous prévenir le plus tôt possible.

M. McEvoy: J'ai deux petits points à souligner. Lorsqu'ils participent à des tribunaux fictifs, nous conseillons à nos étudiants de rappeler au juge qu'il y a des questions qu'ils n'ont pas eu le temps d'aborder dans leur mémoire écrit. C'est ce que je voudrais faire. Je dirai également que, dans les annexes, nous avons ajouté des tableaux illustrant la charge de travail de la Commission. Le Canada s'y trouve, avec le nombre de causes et les pétitions. Bien entendu, il s'agit des pétitions qui ont été reçues. En ce qui concerne les causes, il y a eu une décision sur la recevabilité, puis, le dossier est ouvert.

J'ai également proposé une comparaison approximative — je vous prie d'excuser l'approximation — entre la déclaration américaine et la Convention américaine, ainsi qu'une comparaison entre le Pacte international sur les droits civils et politiques et la convention interaméricaine, ainsi que d'autres documents.

Je dirais encore que, la semaine dernière, j'ai saisi l'occasion de m'entretenir avec un agent chargé des affaires juridiques à la Commission. Cette personne m'a envoyé un message par courrier électronique et j'en ai remis copie au greffier. Si le comité souhaite inviter un membre du personnel de la Commission à comparaître et à expliquer certains points, la Commission est tout à fait disposée à envoyer quelqu'un. J'ai laissé les coordonnées, au cas où vous voudriez donner suite.

Je vous remercie de votre invitation et de votre obligeance avec nous aujourd'hui.

Le président: Je tiens à remercier nos témoins de l'Université du Nouveau-Brunswick de leur exposé.

[Français]

La présidente: Le prochain témoin est la professeure Nicole LaViolette, qui a hâte de nous présenter son rapport.

Mme Nicole LaViolette, professeure adjointe, Faculté de droit, Section Common Law: Je vous remercie de m'avoir invitée pour vous présenter un document que le comité m'avait demandé de préparer l'été dernier. Je vais essayer de vous faire une courte présentation de ce rapport. Je vous ai aussi préparé un court document auquel je vais faire référence. Je vais essayer de vous présenter aussi de façon plus sommaire quelques-unes des conclusions qu'on pourrait tirer de mon rapport. Ma présentation sera divisée en trois parties. Je vous ferez une introduction générale du projet de recherche et du rapport. Je vous parlerez de ma méthodologie de recherche et du contenu du rapport et des conclusions de la recherche. Je vous communiquerai mes propos en partie en français et en anglais.

C'est au mois de juin 2002 que votre comité m'a demandé d'effectuer un projet de recherche portant sur les instruments internationaux en matière de droits de la personne auxquels le Canada n'avait toujours pas adhéré. Le projet devait aboutir à un rapport final que j'ai soumis au mois de septembre 2002.

Comme vous le savez, cela a été un projet initié par votre comité, notamment par le sénateur Andreychuk qui était présidente du comité à ce moment.

Je crois que l'idée du rapport est vraiment venue des audiences qui avaient été tenues sur la Convention américaine des droits de l'homme, qui a été le sujet de la présentation avant moi.

En faisant cette étude, le comité s'est intéressé non seulement à la convention mais aussi aux autres instruments en matière des droits de la personne que le Canada n'a toujours pas ratifiés. Le comité s'intéressait à savoir s'il y avait d'autres instruments qui pouvaient faire l'objet d'étude et de pressions pour encourager la ratification. Toutefois, c'était évident qu'il n'y avait pas de recensement de tous les instruments en matière de droits de la personne qui n'avaient pas fait l'objet de ratification. C'est ce qu'on m'a demandé de faire, identifier les instruments non ratifiés par le Canada et ensuite essayer d'identifier les motifs de la non-ratification. C'est ce que j'ai fait dans le rapport.

Le rapport comprend une énumération de tous les traités, conventions, protocoles, que le Canada n'a toujours pas ratifiés.

J'ai regardé seulement les instruments internationaux qui sont créateurs de droits et d'obligations. Je n'ai pas regardé les déclarations, par exemple. Je me suis tenue seulement aux conventions qui créent des droits et des obligations juridiques. C'est l'introduction au rapport.

Je vais parler de la méthodologie que j'ai adoptée pour la recherche et le rapport. Dans le rapport chaque instrument est identifié. Vous avez aussi une brève description du contenu du traité, ainsi qu'une délimitation des motifs de non- ratification.

Pour en arriver à ce point, j'ai divisé mon projet de recherche en deux phases. Le comité m'avait demandé de recenser toute la documentation écrite, soit la doctrine, les documents du gouvernement, les délibérations du Parlement pour tenter d'identifier les raisons de la non-ratification dans chacun des instruments énumérés par le Canada.

J'ai procédé à des communications en tenant des entrevues avec des intervenants, des représentants du gouvernement et des organisations non gouvernementales. J'ai aussi procédé à des entrevues pour compléter la documentation écrite.

Vous constaterez que pour certaines des conventions, je n'ai pu identifier, en fait, les motifs de la non-ratification. Je reviendrai sur ce point un peu plus tard.

J'ai consulté en premier lieu de la documentation écrite et j'ai fait des entrevues avec des gens du ministère des Affaires étrangères, surtout avec la Direction des droits de la personne, dans leur section multilatérale, et relativement aux affaires de l'ONU.

J'ai contacté d'autres ministères, entre autres, le ministère du Développement des ressources humaines. Ce ministère a un bureau pour les affaires internationales qui s'occupe, par exemple, des conventions dans le domaine du droit du travail. J'ai contacté aussi certaines organisations gouvernementales comme le Conseil des ministres de l'Éducation, qui était un intervenant pour certaines des conventions et évidemment pour des organisations non gouvernementales telles que Amnistie internationale, le Conseil canadien pour les réfugiés et plusieurs autres. J'ai parlé aussi avec des juristes, des avocats et des professeurs de droit qui sont des spécialistes dans certains des domaines touchés par ces conventions.

En faisant ce travail, j'ai réalisé qu'il n'y avait jamais eu d'étude ou de recensement de toutes les conventions non ratifiées par le Canada. Votre initiative est la bienvenue. C'est ce que pensent les gens avec qui j'ai eu des contacts. Ils attendaient depuis longtemps un tel recensement.

Même la Direction des droits de la personne du ministère des Affaires étrangères n'avait jamais procédé à un tel recensement et jamais identifié les conventions. Cette direction n'était pas en mesure de me dire les raisons pour lesquelles on n'avait pas eu de ratification, malgré toute l'assistance avec le ministère des Affaires étrangères.

Je vais maintenant passer au contenu du rapport et les conclusions que l'on pourrait en tirer.

On ne m'a pas demandé de tirer de conclusions générales dans ce rapport, mais plutôt d'identifier pour chaque instrument les motifs de non-ratification. Vous trouverez donc dans le rapport une énumération des conventions, la description et les motifs de non-ratification pour ces conventions.

Pour les fins de la présentation de ce soir, je vais éviter de vous faire une description de chaque convention de manière individuelle. Je vais plutôt tenter de vous présenter des conclusions générales sur la question de la non- ratification de ces conventions énumérées en espérant que ces conclusions vous aideront à procéder, s'il y a lieu, à des audiences ou d'inclure dans votre rapport une étude plus approfondie de certaines des conventions.

[Traduction]

Dans le document de quatre pages que j'ai distribué, j'ai essayé de regrouper la trentaine de traités internationaux en grandes catégories pour essayer d'établir une hiérarchie entre eux. Au lieu de la classification par la forme et le sujet que j'ai employée dans le rapport, il s'agit d'un groupement différent de certains de ces textes.

Je les ai regroupés aujourd'hui pour l'exposé. J'ai eu un préavis relativement court, et je voudrais travailler davantage sur ces grands regroupements, mais j'ai essayé tout de même de vous proposer ce soir quelque chose qui, selon moi, vous aidera à comprendre une partie du contenu du rapport.

Il importe de signaler, avant que je n'aborde ces groupements, que l'un des traités dont il est question dans le rapport a été ratifié depuis, soit la Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l'élimination de la violence faite aux femmes dont il est question à la page 45 du rapport en anglais. Cette convention a été ratifiée, mais je disais dans rapport que la ratification était imminente. Les autres n'ont pas encore été ratifiées.

J'ai groupé ces textes en trois grandes catégories selon un classement plus ou moins hiérarchique. La première comprend les traités que j'ai désignés comme ceux dont la ratification me semble moins importante pour deux raisons. Certains me semblent dépassés. Le deuxième groupe de cette grande catégorie comprend les traités qui vont à l'encontre d'autres conventions ou traités internationaux que le Canada a ratifiés.

Considérons brièvement ces deux groupes, à commencer par ceux qui me semblent moins urgents. Dans le cas des trois traités que j'ai classés parmi ceux qui sont dépassés, ou bien le sujet n'a plus aucune pertinence ou bien le sujet ou le contenu des traités a fait l'objet d'autres conventions que le Canada a ratifiés.

Je dois signaler que le gouvernement canadien estime généralement que ces traités n'ont plus aucune pertinence. Certaines ONG leur accordent peut-être encore une certaine valeur, et je le signalerai dans mon rapport. Cependant, pour ce qui nous intéresse ce soir, je voulais vous dire que, si nous ne ratifions pas certains traités, c'est qu'ils ne nous semblent plus pertinents

Le deuxième groupe comprend les traités qui vont à l'encontre d'autres instruments internationaux que le Canada a ratifiés. Il y a là quatre conventions sur l'asile. Ce sont des conventions interaméricaines. Certaines sont très anciennes et remontent même avant la convention internationale sur les réfugiés. Le Canada s'est engagé à respecter la convention internationale sur les réfugiés, alors que les quatre autres textes créent un système complètement différent.

Vous savez peut-être qu'il y ait eu pendant longtemps une convention régionale en Amérique latine sur l'asile politique. Il y a eu de nombreux coups d'État après lesquels les dirigeants politiques ont soudainement obtenu l'asile politique dans des ambassades ou dans d'autres pays. Il y avait une sorte de coutume à cet égard en Amérique latine. Certaines de ces conventions portent la marque de cette coutume, et cela ne correspond pas nécessairement à ce que nous voyons maintenant comme l'approche de la question de l'asile en droit international.

Voilà pour la première catégorie. J'estime que, du point de vue du travail que vous voudrez peut-être accomplir à l'avenir, ces textes sont peut-être moins intéressants, car il ne semble pas urgent de les ratifier.

La deuxième catégorie est celle des traités pour lesquels les motifs de non-ratification sont inconnus ou peu clairs. Ici encore, il y a deux grands groupes. Le premier est celui des traités qui ne sont plus compatibles avec le droit interne du Canada. C'est deux textes présentent un certain intérêt. Le premier est le protocole facultatif du Pacte international sur les droits civils et politiques, qui vise à abolir la peine de mort. Le deuxième concerne également la peine de mort, mais il s'agit de la Convention interaméricaine sur les droits de l'homme visant à abolir la peine de mort.

J'ai englobé ces textes dans la catégorie des causes inconnues ou peu claires, car le Canada a refusé le plus longtemps de ratifier ces conventions, puisque, jusqu'en 1998, la peine de mort était toujours prévue dans la Loi sur la défense nationale et il y avait toujours des problèmes d'extradition vers des pays qui appliquent la peine de mort.

Le Canada craignait, s'il ratifiait ces deux conventions, d'avoir des difficultés à renvoyer des fugitifs vers des pays qui appliquent la peine capitale. Toutefois, je pense, comme de nombreuses ONG, que ces justifications ne tiennent plus. Tout d'abord, nous avons aboli la peine de mort en 1988, dans la Loi sur la défense nationale. Nous n'avons donc plus aucune loi qui prévoit la peine de mort. La deuxième raison est la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Burns. Cette affaire d'extradition mettait en cause deux jeunes Canadiens. Il s'agissait de savoir si le ministre de la Justice était tenu, en vertu de la Loi sur l'extradition, de demander des garanties à un pays qui a toujours la peine capitale de ne pas l'appliquer à des citoyens canadiens. Vous vous rappellerez que la Cour suprême a statué que le ministre avait effectivement cette obligation.

Étant donné cette cause, la ratification de ces deux conventions ne nous imposera aucune limite, puisque la Cour suprême du Canada a déjà imposé ces limites en vertu de notre Constitution.

Certaines des ONG avec lesquelles j'ai communiqué me disent ne pas voir clairement pourquoi nous ne ratifions pas ces deux textes qui portent sur la peine de mort. Nous en avons déjà signé d'autres qui limitent le recours à cette peine. En vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant, nous ne pouvons imposer la peine de mort à un enfant.

Il y a d'autres façons dont nous avons pris ces engagements sous une forme ou une autre. Je mets donc un point d'interrogation. Il pourrait être intéressant que le comité, à un moment donné, essaie de voir pourquoi nous ne ratifions pas ces textes, maintenant que les obstacles ont été levés.

Le deuxième groupe comprend une série de conventions et de traités dont je n'arrive pas à trouver les motifs de non- ratification. Il est probable que certains appartiennent à la catégorie des conventions qui ne sont plus pertinentes. Certains textes sont anciens, comme celui du début du siècle qui porte sur le statut des étrangers. Il y a aussi des conventions interaméricaines, et le gouvernement du Canada ne les ratifiera pas avant d'avoir pris une décision sur le texte plus général, la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Ce sont peut-être là les raisons, mais, pour être honnête avec vous, personne, aux Affaires étrangères, n'a pu confirmer de raisons officielles pour ne pas ratifier ces textes. Je n'ai pu trouver aucune raison, ni dans les documents, ni au cours des entrevues.

La dernière catégorie comprend les conventions dont la ratification demeure pertinente au plus haut point. Dans certains cas, des ONG font campagne pour obtenir la ratification. Dans d'autres, le gouvernement fédéral mène des consultations en vue de la ratification. Dans d'autres cas encore, nous étudions activement les traités.

J'ai fait plusieurs regroupements, mais je ne les considérerais pas encore comme scientifiques.

Dans un premier groupe se trouvent les traités dont la ratification fait actuellement l'objet de consultations avec les gouvernements provinciaux. D'après les indications que j'ai recueillies, le gouvernement fédéral essaie d'en arriver à ratifier les textes, mais il reste du travail à faire avec les gouvernements provinciaux. Ils portent sur des domaines de compétence provinciale.

Je voudrais dire un mot des deux conventions de l'UNESCO énumérées ici. Elles portent sur la discrimination en matière d'enseignement, et elles sont nettement du ressort des provinces. Toutefois, la Commission canadienne pour l'UNESCO et diverses personnes avec qui je me suis entretenue ont l'impression que des obstacles ont été semés pour des raisons qui ne sont pas évidentes. Ces personnes formaient probablement le groupe le plus intéressé par mon rapport, car elles espéraient que, si quelqu'un commençait à accorder de l'attention à ces deux conventions, les provinces et le gouvernement fédéral feraient peut-être quelque chose pour les ratifier.

Ce qu'il y a d'inhabituel dans ces deux cas, c'est que, parallèlement à ces conventions sur l'élimination de la discrimination en matière d'enseignement, on a également mis au point une déclaration que le Canada a signée. Aux termes de la déclaration, le Canada produit des rapports pour montrer comment il se conforme à la déclaration, qui est identique à la convention.

Nous nous efforçons de ne pas violer ces principes, mais nous n'avons rien fait pour ratifier la convention. À mon sens, ce n'est pas pour des raisons de contenu ou de sujet. Ce n'est pas non plus une question de principe. Il faut consulter les provinces et travailler avec elles, et personne ne le fait.

Le Conseil des ministres de l'Éducation devrait se charger de la question. Que je puisse voir, on ne fait rien pour parvenir à la ratification. On s'active à rédiger des rapports, toutes les quelques années, au lieu d'essayer de rallier les provinces pour ratifier la convention.

Je vous signale ce cas, car certains souhaitent vivement qu'on fasse quelque progrès sur ces deux conventions.

Un deuxième groupe est celui des traités qui accusent des divergences importantes avec des lois canadiennes, fédérales ou provinciales. Ce sont les cas les plus litigieux. Celui que vous connaissez le mieux est celui de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. Vous l'étudiez depuis un certain temps. Vous connaissez fort bien le dossier.

J'ai dressé une liste d'autres traités qui ne semblent pas être sur le point d'être ratifiés parce qu'il y a toujours trop de divergences importantes entre la convention internationale et nos lois. Les gouvernements provinciaux ou le gouvernement fédéral ne semblent pas disposés à apporter les modifications voulues.

Il n'est pas très difficile d'apporter ces modifications. Il suffit de considérer la Convention de l'OIT concernant les peuples indigènes et tribaux pour imaginer les préoccupations que ce genre de convention peut soulever.

Ce sont les textes dont il serait peut-être le plus intéressant de pousser l'étude. Y a-t-il quelque espoir de ratification?

L'OIT estime que ses deux textes sur les droits de négociation collective et l'âge minimum d'admission à l'emploi font partie de ses conventions fondamentales. L'Organisation veut que tous les États les ratifie.

Le Canada n'a pas encore ratifié trois des conventions fondamentales. L'OIT a des centaines de conventions, mais elle en a désigné neuf dont elle veut qu'elles soient ratifiées par tous les États. Il vaut peut-être la peine d'approfondir la question pour essayer de comprendre pourquoi le Canada hésite encore à faire le nécessaire pour les ratifier.

La catégorie suivante est intéressante. Elle découle de mes entrevues avec les représentants des Affaires étrangères.

Il s'agit d'un groupe de conventions au sujet desquelles il semble y avoir clivage entre les pays industrialisés et les pays en développement. Les Affaires étrangères parlent à ce sujet des «traités du groupe des 77», faisant allusion aux pays non alignés.

Les préoccupations du Canada au sujet de ces traités semblent concorder avec celles des autres pays industrialisés, qui ne les ont pas ratifiés non plus. La plupart des pays qui ont ratifié ces traités sont des pays en développement. Il y a certaines raisons fondamentales pour lesquelles le Canada a refusé de ratifier ce groupe de traités.

Je signale que celui qui porte sur les travailleurs migrants présente un intérêt considérable pour le groupe des ONG qui défendent les droits de la personne au Canada. Il existe une campagne en faveur de la ratification de cette convention. Il ne manque qu'une ratification pour que la convention entre en vigueur au niveau international. Les ONG souhaiteraient que le Canada procure cette ratification additionnelle. Les ONG canadiennes estiment que cette convention est vraiment importante.

Je crois que ce serait une convention intéressante à étudier parce qu'il existe au Canada un vif intérêt à son sujet. Je précise qu'on trouve dans le rapport toutes les citations et références concernant mes entrevues. Vous avez donc là une liste de témoins auxquels vous pourriez faire appel, si vous décidiez d'étudier le cas de cette convention.

La dernière catégorie est celle des traités qui sont en attente de la ratification d'un autre traité. Je pourrais probablement en ajouter quelques autres, mais il s'agit essentiellement de traités interaméricains sur les droits de la personne. La position du Canada consiste à refuser de les ratifier tant que nous n'aurons pas pris de décision sur le texte principal, la Convention américaine relative aux droits de l'homme.

Certaines ONG n'ont sûrement pas l'impression que ce soit nécessairement une bonne justification. Elles estiment qu'une manière d'adopter lentement le système interaméricain est de ratifier les textes qui ne nous posent aucun problème.

On peut y réfléchir. Il y a peut-être encore un ou deux autres traités que j'aurais pu ranger dans cette catégorie.

Le rapport propose plutôt une liste par sujets, au lieu de la présentation que j'ai adoptée ce soir. Toutefois, j'ai cru comprendre que le comité souhaitait tenir des audiences qui ne portent pas seulement sur la Convention américaine et qu'il y aurait peut-être d'autres traités qui intéresseraient l'ensemble des Canadiens et sur lesquels le comité souhaiterait peut-être se pencher.

J'espère avoir fait ressortir certains des éléments les plus importants du travail. Voilà qui met fin aux observations que j'ai préparées. Je me ferai un plaisir de répondre aux questions que vous pourriez avoir à poser.

Le président: Merci. Sous «B», à la page 2, le protocole de la Convention américaine relative aux droits de la personne prévoyant l'abolition de la peine capitale n'est pas un protocole indépendant tant que la Convention américaine n'a pas été adoptée.

Mme LaViolette: Ce serait un bon point à rattacher à la Convention principale. C'est un autre élément qui aurait pu figurer dans la dernière catégorie.

[Français]

Le sénateur Beaudoin: Nous aimerions vous remercier, pour ce travail très utile. Ma seule difficulté est la suivante. En droit, un traité est signé, ratifié et mis en oeuvre. Dans votre texte, vous employez les mots, «Les principaux instruments internationaux en matière des droits de la personne auxquels le Canada n'a pas encore adhéré [...]». En droit, cet énoncé n'est pas clair. Il est possible de s'entendre sur un traité et le signer. Toutefois, il faudra par la suite que ce traité soit ratifié et mis en œuvre pour changer la loi du pays. La jurisprudence canadienne est très claire sur ce point. Où avez-vous trouvé ce mot «adhéré»? Qu'entendez-vous par ce terme?

Mme LaViolette: Je ne voulais pas employer de terme technique dans le titre du rapport, car pour certaines conventions on n'a pas procédé à la signature. Il y a des cas où on a procédé immédiatement à la ratification. Dans d'autres cas, il y a eu signature de la convention suivie de la ratification. Quelques fois on met en oeuvre les principes d'une convention avant de la ratifier.

En ce qui a trait au titre, je n'ai pas voulu utiliser un terme technique de droit. Toutefois, vous avez raison. Je saisis bien votre observation.

Le sénateur Beaudoin: Si le traité apparaît à la liste, cela signifie qu'on y a adhéré, ou du moins, qu'on l'a signé?

Mme LaViolette: Non, plusieurs de ces conventions n'ont pas été signées, et certaines ont été signées sans être ratifiées. Pour cette raison, nous ne pouvions indiquer qu'il y a eu ratification, car dans ces cas il n'y a pas eu signature.

Le sénateur Beaudoin: Je crois qu'il serait alors indiqué de poursuivre le travail. Il faudrait élaborer une liste indiquant les traités que nous avons signés, les traités que nous n'avons pas signés et qui seraient susceptibles de nous intéresser, les traités que nous avons ratifiés, et les traités que nous n'avons pas ratifiés. Le tout serait alors très clair.

Mme LaViolette: Le rapport indique toutefois si la convention a été signée ou ratifiée, à savoir, pour chaque convention, s'il y a eu signature du Canada et s'il y a eu ratification.

Le sénateur Beaudoin: Cette indication apparaît dans chaque cas?

Mme LaViolette: Oui. D'autre part, lorsque nous avons négocié le projet de recherche, nous avons parlé d'examiner les conventions ratifiées par le Canada sans toutefois qu'elles n'aient été mises en vigueur. Nous avons toutefois estimé qu'un tel exercice donnerait une trop grande portée à l'étude et qu'il était très difficile voire impossible d'évaluer jusqu'à quel point on a mis en vigueur une convention signée. Nous avons donc exclu de ce rapport les conventions ratifiées qui n'ont pas nécessairement été mises en vigueur. Nous n'avons ici que la liste des conventions qui n'ont pas été signées, ou qui n'ont pas été signées et ratifiées.

Le sénateur Beaudoin: On indique donc pour chaque traité s'il a été signé ou ratifié?

Mme LaViolette: Oui.

Le sénateur Beaudoin: En 1997 ou 1998, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a aboli la peine de mort. Les Forces armées avaient aboli la peine de mort en 1976. Sur ce plan, nous sommes l'un des pays les plus avancés.

Vous avez bien indiqué pour chaque traité ce dont il s'agit, et cela me suffit. Il faut distinguer entre signer, ratifier et mettre en oeuvre. En effet, notre moyenne en ce qui a trait à l'étape «mise en œuvre» n'est pas très élevée.

[Traduction]

Le sénateur Beaudoin: La mise en œuvre des traités n'avance pas de façon très fluide.

Toutefois, cela est vraiment intéressant et ce sera extrêmement utile. Merci de cette information.

Le président: Je voudrais en revenir aux traités dont la ratification demeure pertinente. L'éducation relève entièrement des provinces, même si nous avons signé des déclarations. Je voudrais savoir pourquoi vous avez fait cela, car il est presque interdit au gouvernement fédéral de toucher à l'éducation de quelque façon que ce soit, exception faite de la déclaration qu'il a signée. Pourquoi avez-vous énuméré les deux conventions de l'UNESCO? À cause des pressions des ONG?

Mme LaViolette: Non. Mon point de départ est un document de l'UNESCO publié tous les deux ans. C'est une liste de tous les grands traités internationaux en matière de droits de la personne, avec les indications de ratification et de signature par tous les États.

C'était mon point de départ. Il fallait définir ce qu'on entendait par «convention internationale sur les droits de la personne», car on aurait pu aller au-delà et parler des conventions de Genève et du droit humanitaire international. J'essayais d'avoir une définition susceptible d'être utilisée plus généralement. Tout le monde parle de ce document comme d'une liste de toutes les conventions sur les droits de la personne. On y trouve ces deux conventions de l'UNESCO sur la discrimination, puisqu'il y a dans la liste tous les traités sur les droits de la personne qui portent sur la discrimination. Les deux traités de l'UNESCO sont dans la liste. Je n'ai pas eu pour mandat de laisser de côté les traités qui relèvent entièrement des compétences provinciales. On m'a demandé de les examiner et de définir les raisons.

Vous serez peut-être d'avis que vous ne devez pas prendre ces conventions en considération parce qu'elles sont de ressort provincial. Néanmoins, les ONG s'intéressent à ce dossier, et elles n'obtiennent aucun résultat du côté des provinces. Vous n'auriez aucun mal à faire comparaître des témoins pour parler de la question, mais la décision vous revient. Je reconnais tout à fait qu'il s'agit d'une question de ressort provincial.

Le président: J'essaie de me souvenir: ne venons-nous pas de signer une Convention relative aux droits de l'enfant?

Mme LaViolette: Nous avons ratifié cette convention. Il n'en est pas question dans mon étude.

Le sénateur Poy: Madame LaViolette, je voudrais des précisions, si vous voulez bien. À la partie «B» du rapport, là où il est question de la peine de mort, vous dites que la décision de la Cour suprême l'emporte sur la ratification. Qu'entendez-vous par là?

Mme LaViolette: Je ne me suis peut-être pas exprimée correctement. Le Canada semblait hésiter à ratifier ces deux textes — certainement le premier, et le deuxième protocole facultatif — parce qu'il ne voulait pas s'imposer de limites concernant l'extradition. Il voulait avoir la possibilité d'extrader des personnes vers des pays qui ont toujours la peine de mort. Il craignait que ces textes ne l'en empêchent.

Depuis, une décision que la Cour suprême a rendue en vertu de notre propre Constitution a limité la capacité du Canada d'extrader des personnes vers les pays qui appliquent la peine de mort. J'ai donc dit que ces limites nous étaient déjà imposées. Non par ce traité, mais par notre Cour suprême, qui a interprétée notre propre Constitution. Il ne semble donc plus qu'il y ait là une justification pour refuser la ratification. Les contraintes nous ont déjà été imposées.

[Français]

Le sénateur Chaput: Je vous félicite madame LaViolette. J'ai hâte de lire le rapport en entier. Ce rapport va nous aider à bien saisir ce qui se passe.

La présidente: Je vous remercie infiniment, professeure LaViolette.

Mme LaViolette: Cela m'a fait plaisir. J'ai beaucoup apprécié ce travail. Il s'agit d'une étude qui n'avait jamais été entreprise. J'espère que cela fera l'objet de certains de vos travaux futurs.

La présidente: C'est maintenant un document public.

La séance est levée.


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